•c
v< >
:nj
• "^
*r.^*^
7'J^<*^'
'^v 'l^*'^
Digitized by. the Internet Archive
in 2009 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/lasaintebibletex21pari
■.sa
LA
SAINTE BIBLE
fiVANGILE SELON S. MARC
p. LETHIELLEUX, Editeur, 10 rue Cassette, PARIS
GENT PSAUMES
Traduits litteralement du texte hebreu et commentes par le R. P.
Francois-Xavier Patrizzi, de la compagnie de Jesus, avec une intro-
duction a la lecture du Psautier. Traduction frangaise, par le R. P. N.
BoucHOT, de la meme compagnie. Beau volume in-8' Jesus . . . 10.00.
Le weme, relie toile tr. rouges 12.50 j
II fautbien le reconnaitre, en raison de la sublimite des pensees et du caractere poetique
ie rexpression, du genie des langues orientales si different du genie des i^otres, de i'imper-
fection tres grande de la version latine, admise si anciennement dans la lilnrgie qu'on ne
put reussir a y substituer la traduction bien meUleure de saint Jerome, le Psautier est un '
des Livres de I'Ecriture les plus ditliciles a entendre: Toute traduction, lout conimenlairc ■.
propres a lever ces difficultes sont done assures de trouver un bon accucil ciie/. tousles*
(icclesiastiques soucieux de s'acquitter dignement du grand devoir do la priere pullique.
Parmi les ouvrages de ce genre, celui du P. Patri/./.i est assuremcnl un des lueillours.
L'illustre Jesuite que Leon XIII a prociame la « lumiere des etudes hibliciues ». et;\iL adr.ii-
rablement pi'epare par ses longs et remarquables travaux exegetiques a Iraduire clairouient
les Psaumes et a les commenter avec autorite. C'est a quoi il s'est applique avec inlinimonl
de zele et de succes dans ses Cento Salmi tradotti de testo ehraico e commendati^ ot
comnie le dit fort bien le R. P. Bouchot, il anrait ete regrettable « que la langue dans
laquelle ce livre est ecrit eiit beaucoup trop circonscrit le champ do son utilite ».
On regrettera assurement que le P. Patrizzi n'ait traduit et commente que les deux tiers
du Psautier. L'ouvrage n'est pourtant pas inconiplet. « Mon dessein, dit I'auteur dans sa
preface, n'est pas d'expliquer le Psautier tout entier, mais de renseigner mes lecteurs su/
ce qui me seml)le utile pour le lire et le comprendre.. . Je voudrais montrer pratiquoment
la uiethode a suivre dans I'etude des Psaumes, et telle est la principale tin quo je me suis
proposee en composant mon livre et en le mettant au jour ». Experience faite, le lecteur
.serieux pourra s'ussurer que Teminent exegete a fldelement rempli son programme et
atteint son hut. — A.
(Revue catholique de Boi'deaux).
BIBLIA
VULGATAE EDITIONIS
SIXTI V ET GLEMENTIS VIII
PONTT. MAXX.
JUSSU
RECOGNITA ATQUE EDITA
Et ab aucLoritate ordinarii canonicc permissa.
EDITIO CURA ET STUDIO CaROLI VeRCELLONE, AN. 1 86 1, DATA,
SCRTJPULOSIUS INTENTA
2 vol. gr. in-S", ^ros car«ciere5, (/ra?^rfes Wiarge^ (1600 p.) 12.00
PRiX DES RELIURES EN PLUS :
1° L'ouvrage relie en deux volumes :
N° 1 — Toile, biseaux, tr. rouges, par vol. net l.GO
— 2 — 1/2 chagrin, plats toile, tr. jaspees, par vol. net. . . . 2.50
— 3 — 1/2 chagrin, plats toile, tr. rouges, par vol. net. . . . o.25
2'^ Uouvrage relie en un volume :
N" 4 — 1/2 chagrin, plats toile, tr. jaspees, net 3.75
— 5 — 1/2 chagrin, plats toile, tr. rouges, net 4.50
Par la purete du texte, le caractere de Timpression et le format, cette .edition se recom
mande a tous ceux qui font une lecture habituelle de la Bible, et particulierement a coux (p.ii
Irouvent les editions les plus repandues fatigantes pour les yeux ou trop ■pen dislinrjaees
et trop incommodes pour etre placees dans une bibliotheque. Cette edition a etc rcvisee i)ar
M. I'abbe Vigouroux, et est I'evetue de Vimprimatur de Son Em. Mgr Richard, Cardinal-
urcheveque de Paris.
LA
SAINTE BIBLE
TEXTE DE LA VULGATE, TRADUCTION FRANCAISE EN REGARD
AVEC COMMENTAIRES
TBBOLOGIQCES , MORADX , PDILOLOGIQUES , HISTORIQUES, ETC., REOIGES D'APRES LES MElLLEnRS TRAVAUX
ANCIENS ET CONTEMPORAINS
fiVANGILE SELON S. MARC
INTRODUCTION CRITIQUE ET COMMENTAIRES
Par M. I'abbe L. Gl. PILLION
Prfitre de Saint-Sul^ice, professeur d'Ecrilwre sainte au Grand S^minaire de Lyon
TRADUCTION FRANQAISE
Par M. I'abbe BAYLE
Docteur en Th^ologie et professeur d'Eloquence sacrfie a la Faculte de Theologie d'Aix.
Ignoratio Scripturarum, ignoratio Chrisli est.
S. Jerome.
PARIS
p. LETHIEL.LEUX, LIBRAIRE«:6dITEUR
lO, r-u.e Cassette, lO
1895
Tous droits reserves
APR I ff rg57
IMPRIMATUR
•j- J. Hipp. Card. Guiberl, archiepiscopus Parisiensis.
Parisiis, die 23 julii 1870.
Pour donner nne idee de I'esprit dans lequel noire travail
a ete concu et execute, nous ne croyons pas pouvoir mieux
faire que d'emprunter a saint Bernard (Ep. clxxiv, n. 9), la
protestation suivante :
< Romance prceserlini Ecclesice auctoritati atque exa-
mini, totum hoc, sicut et ccetera quce ejtismodi sun.:,
universa reservo, ipsiua, si quid aliter sapio, paratut
judicio emendare, »
PROPRIETE DE L'EDITEUR
.filLB DE S. llAtlC
EVANGILE SELON S. MARC
»>^^4<C<*
PREFACE
— •>^^4««<«—
§ I. — NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR S. MARC
Quel est ce S. Marc, auquella tradition a toujours imanimement attribue
la composition du second Evangile canonique? La plupart des exegetes et
des critiques contemporains (1) admettent qu'il ne differe pas du person-
nage mentionne alternativement dans plusieurs ecrits de la nouvelle
Alliance sous les noms de Jean, Act. xiii, 5, 1 3 ; de Jean-Marc, Act. xi, 1 2, 2o ;
XV, 37, et de Marc, Act. xv, 39; Col., iv, 10, etc. (2) Baronius (3), Gro-
tius, Du Pin, Tillemont, D. Galmet, de nos jours Danko (4), leP. Patrizi (5),
M. Dracli (6), etc., nient au contraire cette identite. Pour eux, I'evangelisle
S. Marc serait completement inconnu; ou bien, il devrait se confondre avec
le missionnaire apostolique que S. Pierre appelle « Marcus filius meus »
dans sa premiere Epitre, v, 13. D'autres auteurs (7), allant encore plus loin,
distinguent I'evangeliste S. Marc, Jean-Marc et un autre Marc, parent de
B.Barnabe. Cfr. Col. iv, 10. Mais ces multiplications ne reposent pas sur
des fondements bien serieux. Quoique plusieurs ecrivains apostoliques
des premiers siecles, en particulier Denys d'Alexandrie et Eusebe de Ge-
.■saree (8), serablent vaguement supposer I'existence de deux Marc dis-
tincts, dont I'un aural t ete compagnon de S. Pierre, I'autre collaborateur
•de S. Paul, on ne saurait affirmer que la tradition se soit jamais prononceea
'Itoavvv)?, ecrivait dej a Victor d'Antioclie. Cfr. Gramer, Gat. I. p. 263; II, p. iv.
[\) Parmi les calholiques MM. Hug, Wellp, Schwarz, A. Maier, Reithmayr, de Valroger,
ReischI, Gillv. Dehaut, Allioli, Schegg, Bispiiig, etc.
(2) Voir Frilzsche, Evangelium Marci, Lips. 4 830, p. xxiil et s.
^3) Annal., ann. 45, § 4G.
h) Ili^toria revelationis N. T. Vindob. 4867, p. 274 et ss.
(5) 111 Maiciim Comment. Rom. 1862, p. 233 etss.; de Evangeliis Iibri tres, t. I, p. 35 et 9.
^6) Comment, sur les EpiLr. de S. Paul, p. 503.
(7) Ap. Colelier, Cor.slitut. aposl. lib. II, c. Lvi ; Fabric. Lux evangel, p. 147.
(3J Voyez Patrizi, 1. c.
S. BlBLS.
2 fiVANGILE SELON S. MARC
Notre Evangeliste avail recu a la circoncision le nom hebreii de Jean,
-izr^v, Jochanan; ses parents y^ajouterent, ou il adopta liii-meme plus tard
le surnom remain de Marc, qui, d'abord uni au « nomen », ne tarda pas a
le remplacer completement. G'est ainsi que S. Pierre et S. Paul, dans les
passages cites, ne mentionnent que le « cognomen » (i). S. Marc etait
I'avE'lio; de S. B.iniabe, c'est-a-dire le tils de lasceur de ce celebre ap6tre;
Cfr. Col. IV, 10, et Bretschneider,Lexic. man. grseco-latin. in librosN. T.,
s. V. (iv4io;. Peut-etre etait-il levite comme son oncle; Cfr. Act. iv, 26 (2).
Sa mere se nommait Marie et residait a Jerusalem, Act. xii, 12, bien que
la famille filt originaire de I'ile de Ghypre. Gfr. Act. iv, 36. Gonvertie au
Ghristianisme, soit avant, soit depuis la mort du Sauveur, elle egalait en
zele pour la religion nouvelle les Marie de I'Evangile, car nous voyons
les Apotres et les premiers Chretiens se reunir dans sa maison pour la
celebration des saints mysteres, Act. xii, 12 et suiv. G'est la que S. Pierre,
delivre de sa prison par miracle, alia directement chercher un refuge.
Cette circonstance suppose qu'il existait deja d'intimes relations entre le
prince des Apotres et la famille de S. Marc; elle explique en meme temps
rinfluence exercee par S. Pierre et sur la vie et sur I'Evangile de Jean-
Marc (3). Quant au nom de « fils » que Cephas lui donne dans sa premiere
Epitre, v, 13, il indique, selon toute probabilite, une filiation produite par
la collation du bapteme : ce n'est done pas seulement un litre de ten-
dresse (4).
S. Ephiphane, adv. Hser. li, 6, Tauteur des Philosoplioumena, vii, 20,
et plusieurs autres ecrivains ecclesiastiques des premiers siecles (5) font
de I'evangeliste S. Marc I'un des soixante-douze disciples. On a dil aussi
qu'apres s'etre attache de bonne heure a Notre-Seigneur Jesus-Christ, il
ful I'un de ceux qui I'abandonnerenl apres le celeh)re discours prononce
dans la synagogue de Gapharnaiim, Joan, vi, 66 (6). Mais ces deux con-
jectures sont refutees parl'anlique assertion de Papias : oute tj/.o-jcts toZ y.u^io\>
ouxe TTacYixoXouOviaev aiitw (7). II est possible cepcudaut, comme divers com-
mentateurs Tont pe'nse, qu'il ail ete le heros de I'incident plein d'interet
dont il a seul garde le souvenir dans son Evangile, xiv, 51-52 (8).
Les Actes des Apdtres nous fournissent sur sa vie ulterieure des ren-
seignements plus authentiques. Nous y lisons d'abord, xii, 25, que Saul
et Barnabe, apres avoir porte aux pauvres de Jerusalem les riches au-
mones que leur envoyait I'Eglise d'Antioche, Cfr. xi, 27-30, emmenerent
Jean-Marc en Syrie; de la, il parlil avec eux pour File de Chypre, quand
(1) Aujourd'hui, les Israelites reQoivent tres habitiiellement deux prenoms, I'un emprunte a
lAncien Testameni, comme Abraham, Nathan, Esther, I'autre tire du calendrier chretien,
par exemple Louis, Jules, Rose. Le premier n'apparait guere que dans les actes civils ou reli-
gieux; I'autre est employe dans les relations ordinaires de la vie, et 11 a pour but, sinon tou-
jours de cacher ontierement I'origine iuive,du moins de la dissimuler autant que possible.
(2) Voir le V. Bedo, Prolog, in Marcum.
(3) Voir plus bas, § IV, no 4.
(4) Pkisieurs exegetes prolestants, entre autres Bengel, Neander, Credner, Stanley, de
Wette, Tholuck, prennent le mot « fils » a la lettre et snpposent que S. Pierre parle de I'un
de ses enfanls. Mais cette hypothese n'a pas le moindre fondement.
(5j Voyez Patrizi, do Evangel, t. I, p. 33.
lEl 9"=;.' ^^ ''^^'^ '" ^^^^^^^ fid*^; Doroth., in Synopsi Procop. diac. ap. Bolland. 25 april.
(7) Ap. Euseb. Hist. Eccl. Ill, 39. ^ : f v h f
18) Voir I'explicalion de ce passage.
PRfiFACE 3
Paul entreprit son premier grand voyage de missionnaire (an 45 apres
J.-C). Mais lorsque, apres plusieurs mois de sejour dans Tile, ils arriverent
a Perga, en Pamphylie (1), d'ou ils devaient s'enfoncer dans les pro-
vinces les plus inhospitalieres de I'Asie-Mineure, pour y accomplir un
ministere penible et dangereux, il refusa d'aller plus loin. II les aban-
donna done et rentra a Jerusalem. Gfr. Act. xiii, 13 (2). Neanmoins, au
debut de la seconde mission de S. Paul, Act. xv, 36, 37, nous le trouvons
de nouveau a Antioche, resolu cette fois a affronter toutes les difficultes
et tons les perils pour la diffusion de I'Evangile (an 52). Aussi son oncle
proposa-t-il a Paul de le reprendre en qualite d'auxiliaire. Mais TApotre
des Gentils n'y voulut point consentir. « Paul lui representait que celui
qui les avait quittes en Pamphylie et qui n'etait point alle avec eux a I'ou-
vrage ne devait pas etre repris. II y eut alors dissension entre eux. »
S. Paul ne crut pas pouvoir ceder aux instances de S. Barnabe; mais les
Ap6tres s'arrangerent a I'amiable. II fut entendu que Paul irait evange-
liser la Syrie et I'Asie-Mineure avec Silas, tandis que Barnabe, accom-
pagne de Marc, retournerait en Ghypre. Ge dissentiment occasionne par
Jean-Marc servit done les plans de la Providence pour la propagation plus
rapide de la bonne nouvelle.
A partir de cet instant, nous perdons de vue le futur evangeliste .
mais la tradition enseigne, comme nous le verrons plus loin, qu'il devint
le compagnon habituel de S. Pierre; Gfr. I Petr. v, 13. Toutefois, il ne fut
pas a tout jamais separe de S. Paul. Nous aimons a le trouver a Rome,
vers Tan 6X', aupres de ce grand apotre qui s'y trouvait alors captif pour
la premiere fois. Gol. iv, 10; Philem. 24. Nous aimons a entendre Paul,
durant sa seconde captivite, Gfr. II Tim. iv, 11 (vers Tan 66), recom-
mander instamment a Timothee de lui conduire Marc, qu'il desirait voir
encore avant de mourir. Heureux S. Marc, qui eut le bonheur d'avoir,
pendant une partie notable de sa vie, des relations si choisies avec les
deux iilustres Apotres Pierre et Paul!
Nous n'avons que de rares donnees sur le reste de ses travaux aposto-
liques et sur sa mort. Les Peres disent cependant en termes formels qu'il
evangelisa la Basse-Egypte, et qu'il fonda I'Egiise d'Alexandrie, dont il
fut le premier eveque"(3). Gfr. Eusebe, Hist. Eccl. ii, 16; S. Jerome, de
Vir. illustr. c. viii; S. Epiph. Hser. li, 6. Suivant une conjecture t.res-vrai-
semblable de S. Irenee, adv. Marc, iii, 1, sa mort n'aurait eu lieu qu'a-
pres celle de S. Pierre, par consequent apres I'an 67. Plusieurs ecrivains
anciens assurent qu'elle consista en un douloureux mais glorieux mar-
tyre, que lui fit subir le peuple d'Alexandrie. Gfr. Nicephor. Hist. Eccl.
II, 43; Simeon Metaphr. in Martyr. S. Marci (4). L'Eglise a adopte ce sen-
timent, qu'elle a consigne dans le Breviaire et le Martyrologe (ad diem 25
(1) Voir Ancessi, Atlas geograph. pour TELiide de I'Anc. et du Nouv. Testam. pi. XIX;
R. Riess, Bibel-Atlas, pi. V.
(2) Le motif de son depart n'est pas indique ; mais la conduite subseqiiente de S. Paul, Act.,
XV, 37-39, prouve suffisamment que Jean-Marc n'avait pas agi d'une maniere irreprociiable
et qu'il avait momentanement fait preuve ou de faiblesse, ou d'inconstance et de iegerete.
Cfr. S. Jean Chrysost. ap. Cramer, Calen. in Act. xv, 38.
f3) Une tradition quisemble, iegendaire lui fait gagner les bonnes graces et I'admiralion du
celebre Juif Philon. Gfr. Westcott, Introd. to the study of the Gosp. 5e ed., p. 230.
(4) Voir D. Calmet, Dictionn. de la Bible, au mot Marc I.
fiVANGILE SELON S. MARC
April.). Pendant de loners siecles, on conserva a Alexandrie le manteau
de S. Marc, dont chaque nouvel eveque etait solenuellement revetu an
jour de son intronisation (1). Mais, tandis que la renommee de I'Evange-
iiste s'effacait en Egypte, Venise la fit refleurir en Occident : cette ville a
depuis longtemps choisi S. Marc pour son protecteur special, et a cons-
truit en son honneur une des plus belles et des plus riches basiliques du
monde entier(2).
§ II. — AUTHENTICITE DU SECOND EVANGILE
« Libri authentia in dubium vocari nequit », dit tres-justement le
DTritszche (3). Elle est tout aussi certaine que celle de I'Evangile selon
S. Matthieu ; les Peres des premiers siecles affirment, en effet, d'un com-
mun accord que S. Marc est vraiment I'auteur d'un Evangile, et iln'y a
pas la moindre raison de douter que cet Evangile ne soit celui qui est
parvenu jusqu'a nous.
1° Temoignages directs. — Ici encore, c'est Papias qui ouvre la marche.
« Le pretre Jean, dit-il (4), rapporte que Marc, devenu I'interprete de
Pierre, consigna exactement par ecrit tout ce dont il se souvenait; mais
il n'observa pas I'ordre des choses que le Christ avait dites ou faites, car il
n'avait pas entendu le Seigneur, et ne I'avait pas suivi personnellement *.
Dans ces lignes, nous avons ainsi deux autorites reunies, celle du pretre
Jean et celle de Papias,
S. Irenee : « Matthieu composa son Evangile tandis que Pierre et Paul
prechaient la bonne nouvelle a Rome et y fondaient I'Eglise. Apres leur
depart, Marc, le disciple et I'interprete de Pierre, nous livra lui aussi par
ecrit les choses qui avaient ete prechees par Pierre (S). »
Clement d' Alexandrie : « Voici quelle fut I'occasion de la composition
de I'Evangile selon S. Marc. Pierre ayant publiquement enseigne la parole
(tov Xo'yov) a Rome, et ayant exprime la bonne nouvelle dans I'Esprit-Saint,
un grand nombre de ses auditeurs prierent Marc de consigner par ecrit
les choses qu'il avait diles, car il I'avait accompagne de loin et se souve-
nait de sa predication. Ayant done compose I'Evangile, il le livra a ceux
(1) Les Etudes reli^ieuses des PP. Jesuiles, ISe annee, 4e serie, t. V, p. 672 et ss., contien-
nent un arlicle aussi inleressant que savant de M. Le Hir sur la chaire de S. Marc transportee
d'Alexandrie a Venise.
(2) Oa y voil, entre autres richesses, le magnifiqne tableau de Fra Bartholomeo, qui repre-
sente noire Evangelisle. Le lion, embleuifi de S. Marc, est encore grave sur les amies de la
celebre republique. — Sur la vie de S. Marc, voir les Boliandisles au 25 avril ; Molini, De
Vita el lipsanis S. Marci, Rom. 1864.
(3) Evaiigelium Marci, Lips. 1830, Proleg. § 5.
(4) Ap. Euseb. Hist. eccl. in, 39.
(5) Adv. Ha^r. iii, 1, 1 ; ap. Euseb. Hist. Eccl. v, 8. Cfr. m, 10, 6, ou le saint Docteur cite
les premieres et les dernieres lignes de I'Evangile selon S. Marc : « Quapropler et Marcus, in-
terpres et sectator Petri, inilium ovangeiicse conscriptionis fecit sic : Initium Evangelii J.^u
Christi Fili Dei, quemadmodiim scriptum est in Proplielis : Ecce ego mitto angelum meum
ante faciem tuam qui praeparabit viam tuam... In flne autem Evangelii ait .Marcus :Et quidem
Dominus Jesus, postquam loculus est eis, receptus est in ccbIos, et sedet ad dexteram Dei ».
Cfr. M?.rc. i, etss.; xvi, 19.
PREFACE 5
qui le lui avaient demande. Quaiid S. Pierre Tapprit, il n'y apporta ni
obstacle ni encouragement (1). »
Origene (2): « Le second Evangileest celui de S. Marc, qui I'ecrivit sons
la direction de S. Pierre. » Tertullien : « Marcus quod edidit Evangelium
Petri affirmatur, cujus interpres Marcus (3). »
Eusebe de Gesaree ne se borne pas a signaler les assertions de ses pre-
decesseurs; a plusieurs reprises il parle en son propre nom, et tout a fait
dans le meme sens. Dans sa Demonstration evangelique. in, 3, 38 et suiv.,
ildit que sans doute le Prince des Apotres n'a pas compose d'Evangile,
mais qu'en revanche S. Marc a ecrit xa? tou UIt^ou TOpl twv -Trpa^ewv tou %aou
StaXs^Et?. Puis ll ajOUte ; Travra TocTrapi Mapxov;Tou HeTpou StaXs^ewv eivat Xsysxat aTtoavr,-
fjLOV£U[ji.aTa (4).
S. Jerome : « Marcus discipulus et interpres Petri, juxta quod Petrum
referentem audierat, rogatus Romse a fratribus, breve scripsit Evange-
lium ». De viris illustr. c. viii. « Marcus,., cujus Evangelium, Petro nar-
rante et illo scribente, compositum est «, Epist. cxx, fO, ad Hedib.
Nous pourrions citer encore des affirmations identiques de R. Epipliane,
de S. Jean Ghrysostome, de S. Augustin; mais les temoignages qui pre-
cedent montrent suffisamment qu'il n'y eut qu'une seule voix dans I'E-
glise primitive pour attribuer a S. Marc la composition du second de nos
Evangiles.
2° Les temoignages indirects sont moins nombreux que pour les trois
autres biographies de Jesus, et il n'y a en cela rien de surprenant.
L'oeuvre de S. Marc est en effet la plus courte de toutes. De plus, elle
s'occupe d'unemaniere presque exclusive de I'histoire et des faits : elle n'a
presque rien de didactique. Enfin, les details qu'elle renferme sont pour
la plupart contenus dans I'Evangile selon S. Matthieu. Pour tons ces mo-
tifs, les anciens ecrivains Font citee plus rarement que les autres. Nean-
moins elle n'a pas ete oubliee. S. Justin (S) rapporte que le Sauveur donna
a deux de ses Apotres le nom de « Fils du Tonnerre « (Boavspye?, 6' eaxtv ulo\
ppovT^?). Or, S. Marc seul a raconte ce fait, iii, 17. Le meme auteur (6) dit
encore que les Evangiles furent composes par des Apotres ou par des
disciples desx\p6tres : ce dernier trait s'applique necessairement aS. Marc
et a S. Luc. Gomparez encore Apolog. i, c. 52, et Marc, ix, 44, 46, 48;
Apol. I, c. 16, et Marc, xii, 30. Les Valentiniens prouvent aussi, par des
citations indirectes, qu'il existait de leur temps un Evangile tout a fait
semblable a celui que nous possedons actuellement sous le nom de S. Marc.
Cfr. Iren. adv. Hser. i, 3; Epiph. Hser. xxxiii; Theodoti ecloge, c. ix (7).
On trouve des reminiscences analogues dans les ecrits de Porphyre (8).
Enfin, nous savons que les Docetes preferaient cet Evangile aux trois
autres (9).
(1) Apud Euseb. Hist. Eccl. vi, 44.
(2J Ibid. VI, 25.
(3) Conlr. Marcion. iv, 5.
(4) Cfr. Hist. eccl. II, 15.
(5) Dial. c. Trypli. c. cvi.
(6) Ibid.c. cm.
(7) Voir A. Maier, Einleitung, p. 80.
(8) Voir Kirchhofer, Queileii^ammlnng, p. 353 et ss.
(9) « Qui Jesum separant a Chrislo et impassibilem perseverasse Christum, passum vero
6 EVANGILE SKLON S. MARC
Du reste, a defaut de tons ces temoignages directs et indirects, sa seule
presence dans les versioi:s svriaque'et "italique, composees an second
I siecle. serait une garantie suffisante de son aullienticite. Aussi, pour nier
qu'il fut I'aiuvre de S. Marc, a-t-il fallu I'audace du rationalisme contem-
porain (1). Un mot de Papias avait amene nos hypercritiques modernes a
soutenir que le premier Evangile etait de beaucoup posterieur a I'ere
apostolique (2); un mot du meme Pere leur a fait dire aussi que le second
Evangile, sous sa forme actuelle, ne saurait avoir ete ecrit par S. Marc.
Dansle texte que nous avons cite plus haut, Papias, decrivant la composi-
tion de S. Marc, signalait ce trait particulier : eyca'J/sv ou ai^roi -zdUi- Or, objec-
tent Schleiermacher (3), Credner (4), et les partisans de I'ecole de Tubin-
gue, il regne un ordre remarquable dans le second Evangile tel que nous
fe lisons aujourd'hui; tout j est generalement bien agenct3. Par conse-
quent, le livre primitivement ecrit par S. Marc s'est perdu, et la biogra-
piiie de Jesus qui nous a ete transmise sous son nom lui a ete faussement
attribuee, car elle est d'une date beaucoup plus recente. — Pour peu qu'on
lise avec attention le texte de Papias, repondrons-nous a la suite du
D"" Reithmayr (b), on voit qu'il n'attribue pas un defaut d'ordre absolu a
I'ecrit de S. Marc. Voici la vraie pensee du saint eveque : Marc a ecrit avec
un grand soin et avec une grande exactitude ce que Jesus-Christ a fait et
enseigne; mais il ne lui etait pas possible de mettre dans son recit un
ordre historique rigoureux, attendu qu'il n'avait pas ete temoin oculaire.
II se borna a retracer de memoire ce qu^'il avait appris de la bouche de
S. Pierre. Mais, quand le prince des Apotres avait a parler des actions ou
de I'enseignement de Jesus, il ne s'astreignait pas a un ordre fixe, il s'ac-
commodait chaque fois aux besoins de ses auditeurs. Aiusi comprises, et
tel est leur veritable sens, les paroles de Papias ne prouvent absolument
rien contre Tautbenticite du second Evangile. II est bien certain, en effet,
que la narration de S. Marc ne tient pas toujours compte de I'ordre chrono-
logique. S. Jerome I'affirmait deja, « juxta fidem magis gestorum narravit
quam ordinem (6) )>, et la critique negative est elle-naeme forcee d'ad-
mettre que le second Evangile intervertU plus d'une fois la suite reelle des
evenements. Les mots o-j osv-ot -zihi du pretre Jean et de Papias signifient
done cc non ordine reali », et ils sont suffisamment justifies meme par I'etat
present de I'ecrit de S. Marc (7).
Jpsum dicunt, id quod secundum Marcum est praeferentes Evangelium, cum amore veritatis
legenles illud, corrigi possunt. » S. Iren. Adv. Haer. in, M, 17; CIr. Philosophum. viii, 8. Au
contraire, les Ebionites donnaient leurs preferences au premier Evaneile el ies disciples de
Marcion au troisieme.
(1) M Renan, dans son recent ouvrage. Ies Evangiles et la seconde seneration chretienne,
admet 1 aulhenlicite de noire Evangile. Cfr. p. 114.
(2i Cfr. notre Commentaire ^ur lEvangile selon S. Malthieu, Preface, § II.
(3) Stud, und Knt. 1832, p. 758.
(4) Einleitung, I, p 123.
(5) Einleitung, p. 381 et ss. M. Renan, loc. cit. p. 120, ecrit a bon droit que « e'est bi.-n k
tort qu on pretend que le Maic acluel ne repond pas a ce que dil Papias. »
(6) Comm. in Mallh. Procem. r ^ f
(7) D'autres les Iraduisent par « incompleta serie », par allusion aux lacunes quo Ton
trouve dans le second Evangile plus encore que dans les trois autres: mais cette interpretation
est moins naturelle, quoiqu'elle resolve tres-bien aussi la difficulte.
PREFACE 1
Eichhorn (1) et de Wette (2) ont fait une autre objection. Apres un
calcul attentif, lis ont decouvert que les details particuliers a S. Marc ne
remplissent pag au-dela de \-ingt-sept versets : tout le reste de I'Evangile
qui porte son nom se retrouverait presque mot pour mot dans la redaction
de S. Matthieu ou dans celle de S. Luc. Evidemmeiil, concluent-ils, ce
n'est pas une oeuvre originale, mais une fusion tardive des deux autres
synoptiques. Pour toute reponse, nous renvoyons ces deux critiques aux
assertions si ciaires, si nombreuses, de la tradition, qui attribuent a
S. Marc, disciple et compagnon de S. Pierre, la composition d'un Evangile
distinct de celui de S. Matthieu et de celui de S. Luc (3).
§ IIL — INTEGRITE
Si Ton a parfois emis quelques doutes relativement a I'authenticite des
deux premiers chapitres de S. Matthieu (4), on a suscite une veritable
tempete de protestations a propos des douze derniers versets de S. Marc,
XVI, 9-20.
Voici les motifs sur lesquels on s'est appuye pour les rejeter comme
une interpolation.
II y a d'abord les preuves extrinseques, qui peuvent se ramener a deux
principales, tirees. Tune des manuscrits, I'autre des anciens ecrivains
^cclesiastiques. — 1° Plusieurs manuscrits grecs, parmi lesquels le Cod.
Vaticanns etle Cod. iSinaiticus, c'est-a-dire les deux plus anciens et les
deux plus importants, omettent entierement ce passage. Do meme le Cod.
Veronensis latin. Parmi ceux qui le contiennent, il en est qui I'entourent
d'asterisques, comme douteux (o); d'autres ont soin de noter qu'on ne le
rencontre point partout (6). En outre, le texte est en assez mauvais etat dans
ce passage : les variantesy fourmillent, ce qui est loin d'etre, nous dit-on,
favorable a son authenticite. — 2° S. Gregoire de Nysse (7), Eusebe (8),
S. Jerome (9), et d'autres ecrivains anciens en assez grand nombre, assu-
rent que, de leur temps deja, le passage en question manquait dans la plu-
part des manuscrits, de sorte qu'il etaitregarde par plusieurs comme une
addition relativement recente (10). Les premieres Catenm grecques ne
commentent pas au-dela du ■\. 8, et c'est aussi a ce verset que s'arretent
les celebres canons d'Eusebe.
Aux preuves extrinseques, on ajoute un argument intrinseque, appuye
sur le changement extraordinaire de style qui se fait remarquer a partir
du \. 9. P bans ces quelques lignes qui terminent le second Evangile, on
ne rencontre pas moins de vingt-et-une expressions que S. Marc n'avait
(1) T. V, p. 49o.
(2) Einleil. p. 175.
(3) Voir au<si ce qui sera dil plus bas, § VII. touchant le caraclere du second Evangile.
(4) Voir noire Comm'^ntaire du premier Evangile, Preface, p. 9.
(5) Par example, les Codd. 137 et 138.
(6) V. g. les Codd. 6 el 10, ou on lit la remarque suivanle : dv -rioi [jiv twv avTiYpa?wv Iu»6
wSe ;c'est-a-dire jusqu'a la fin du !?■. 8) nXripoOtai 6 euaYYeJ>'<i'"i?'
(7) Oral, de Resuir.
(8) Ad Marin, quaesl. i.
J9) Ad Hedib. iv, 172.
(10) Voir les ciialioiis dans Frilzsche, Evangel. Marci, Lips. 1830, p. 752 et S3.
« EVANGILE SELON S. MARC
Jamais employees auparavant (1). 2° Les details pittoresques, les formules
de transition rapide qui caracteriseut, comme nous le dirous plus loin, la
narration de notre evangeliste, disparaissent brusquement apres le f. 8.
Cette maniere nouvelle supposerait done, exigerait meme un auteur dis-
tinct du premier.
Telle est la conclusion que la plupart des exegetes protestants mo-
dernes et contemporains deduisent de ce double argument : Toeuvre ori-
ginale de S. Marc s'arreterait, suivant eux, au f_. 8 (2). lis admettent
pourtant d'une maniere assez generale que les derniers versets remontent
jusqu'a la fin du premier siecle. Nous pretendons au contraire, avec tons
les commentateurs catholiques, que le passage incrimine est de S.Marc
aussi bien que le reste de I'Evangile, et il nous parait assez facile de le
demontrer. 1° Si deux ou trois mauuscrits Tomettent (3), tons les autres le
contiennent, en particulier les celebres Godd. A. G. D., au temoignage des-
quels les critiques attachent tant d'importance (4). 2" On le trouve dans
la plupart des anciennes versions, specialement dans I'ltala, la Vulgate,
la Pescliito, les traductions de Memphis, de Thebes, d'Ulphilas, etc. La
version syriaque dont le D"" Cureton a decouvert d'iraportants fragments,
en contient les quatre derniers versets (3). 3" Plusieurs ecrivains de
I'age apostolique y font des allusions manifestos (6). S. Irenee le cite (7);
S. Hippolyte, Tertullien, S. Jean Ghr^'sostome, S. Augustin, S. Ambroise,
S. Athanase, et d'autres Peres le connaissent et le mentionnent aussi.
Theophylacte en a fait le sujet d'un commentaire special. Gomment est-il
possible, demanderons-nous aux adversaires de son authenticite, qu'un
passage apocryphe ait reussi a se faire ainsi recevoir presque partout?
4° Gomprendrait-on, demanderons-nous encore, que S. Marc ait termine
son Evangile paries mots If oSotivTo Yac(xvi, 8), de la facon la plus abrupte?
« Sine his versibus (ff. 9-20) », dit fort bien Ben gel (8), « historia Ghristi,
resurrectionis prsesertim, abrupta foret, non conclusa. » 5° Le fond de ce
passage, quoi qu'on dise, « n'a rien qui ne soit dans la maniere rapide et
treve de Tevangeliste (S. Marc): il resume encore S. Malthieu, et il y
ajoute quelques details, XVI, 13, que S. Lucreprendra pour les etendre »(9).
C° Quant aux expressions « extraordinaires » emploj-ees ici par le narra-
teur, elles sont pour la plupart tres-communes, ou bien elles proviennent
de la nature particuliere du sujet. On en a done exagere singulierement
(1) Par exemple : y. 10, TzopvMXaa, toT? jxst' a-jToO yevoule'voi;; f. 11, eOsiSr;, fj-tffr/icav ; f. 12,
liSTot Ta-jTa ; 7. 17, iiafiay.oXoyOriiTS'. ; 7. 20, £T:ay.o),ov)9oOvTwv, etc.
(2) Bleek, Olshaiisen, Lachmann, J. Morisoa el quelques autres font exception et se decla-
rent favorables a I'aulhenticite dos tt. 9-10.
(3) II est a remarquer que le Cod. B laisse, entre le t. 8 et le debut de I'Evangile selon
S. Luc, un vide suffisant pour recevoir au besoin les versets omis. Preuve que I' « amanuen-
sis » avail des doutes sur la legitimite de son omission.
(4) Voir la nomenclature des principaux manuscrits de la Bible dans M. Drach, Epitres da
5. Paul, p. Lxxxvii et ss.
(5) Cfr. Cureton, Remains of a very ancient recension of the four gospels in syriac, hitherlo
unknown in Europe, Lend. 1838; Le Hir, Elude sur une ancienne version syiaqu? des Evan-
giles, Paris 1859.
(6) Par exemple, TEpitre de S. Barnabe, § 43; le Pasteur d'Hermas, ix, 23.
(7) Voir le § II, p. 4, note 5. Comp. S. Justin Marl. Apol. 1, 43.
(8) Gnomon, hoc loco. « On ne pent guere admettre que le teste primitif finit d'une ma-
niere aussi abrupte ». Renan. les Evangiles. 1878, p. 121.
(9} WalloD, De la croyance due a lEvangile, p. 223.
PREFACE 9
la portee (1). Plusieurs auteurs ont conjecture que la mort de S. Pierre ou
la persecution de Neron avaient bien pu interrompre subitement S. Marc,
avant qu'il eut mis la derniere main a son Evangile, de sorte que la finale
aurait ete ecrite un peu plnstard, ce qui expliquerait le changement de
style (2); mais cette hypothese parait assez etrange (3). En tout cas, elle
est denuee de tout fondement exterieur. 7° Eufin deux raisons principales
peuvent rendre compte de la disparition de nos douze versets dans un
certain nombre de manuscrits. 1. Quelque copisteles oublia peut-etre par
megarde dans un premier manuscrit, ce qui occasionna leur omission
successive dans les copies auxquelles ce manuscrit servit plus tard de
modele : quand ils eurent ainsi disparu d'un certain nombre de Codices,
on comprend qu'un mouvement d'hesitation se soit produit a leur egard ;
2. la difficulte de mettre le ^. 9 en liarmonie avec les lignes paralleles de
S. Matthieu, xxviii, 1, dut contribuer a jeter des doutes sur I'authenticite
de tout le passage qu'il inaugure.
Ces preuves nous semblent largement suffire pour que nous soyons en
droit d'admettre laparfaite integrite de I'Evangile selon S. Marc (4).
§ IV. — ORIGINE ET COMPOSITION DU SECOND EVANGILE
Sous ce titre, nous traiterons brievement des quatre points suivants :
I'occasion, le but, les destinataires et les sources de I'Evangile selon
S. Marc.
1. Dans des textes cites plus haut (o), Clement d'Alexandrie et S. Je-
r6me ont claireraent indique, d'apres la tradition, I'occasion qui inspira
au second evangeliste la pensee d'ecrire a son tour la biographic de Jesus.
Les Chretiens de Rome I'ayant presse de composer pour eux un abrege de
la predication du Prince des Apotres, il ceda a leur desir et publia son
Evangile.
2. Son but comme ecrivain fut done tout a la fois catechistique et histo-
rique. II voulut venir en aide a la memoire de ces pieux solliciteurs et
continuer ainsi aupres d'eux I'enseignement chretien, et c'est par un
rapide resume desfaits qui composent I'histoire du Sauveur qu'il entreprit
de leur rendre ce double service. En realite, « le caractere du second
Evangile s'accorde parfaitement avec cette donnee, car on n'y apercoit pas
d'autre intention que celle du recitmeme; il ne presente aucune partie
didactique d'une longueur disproportionnee avec le reste de la narra-
tion* (6). A ce but catechistique et surtout historique, S.Marc n'associa-t-il
(1)Cfr. Langen, Grundriss der Einleitung in dasN. T. 1868, p. 40.Ajoulons que les tV^. 9-20
du chap. XVI conliennent plusieurs locutions que Ton regarde comme caractt'risliques du
style de S. Marc, v. g. t. 12, e<pav£pw9Yi ; t. 15, xTtoet; etc. Voyez le commentaire.
(2) Cfr. Hug, Einleitung, t. II, p. 247 et ss.
(3) Nous en dirons autant de celle de M. Schegg, Evangel, nach Markus, t. II, p. 230,
d'apres laquelle les 1il!. 9-20 seraient un fragment d'antique catechese insere par S. Marc
lui-meme a la fin de sa narration.
(4) Voyez sur cette question A. Maier, Einleitung, § 21, p. 80 et ss.
(5) § II, pp. 4 et 5.
(6; Welzer et Welte, Dictionn. encyclop. de la theologiecatholiq., s. v. Evangiles.
40 fiVANGILE SELON S. MARC
pas une legere tendance dogmatique? Divers auteursl'ont pense (1), et rien
n'empeche" de voir avec eiix dans les premieres paroles du second Evan-
gile, « Initium Evangelii Jesu Ghristi Filii Dei », une indication de cetle
tendance. S. Marc, d'apres cela, seserait propose de demontrer a ses lec-
teurs la filiation divine de Notre-Seigneur Jesus-Christ. Mais ce dessein
n'est accentue nulle part ailleurs : TEvangeliste laisse parler les faits, il
ne soutient pas une these directe a la facon de S. Mathieu ou de S. Jean (2).
II y a loin d'une tendance aussi simple au but etrange que plusieurs ratio-
nalistes contemporains (3) ont prete a S. Marc. Suivant eux, tandis que les
Evangiles selon S. Matthieu et selon S. Luc seraient des ecrits de parti,
destines, dans la pensee de leurs auteurs, a soutenir, le premier la faction
judaisante (le Petrinisme), I'autre la faction liberale (le Paulinisme), entre
lesquelles, nous assure-t-on, se partageaient les membres du Ghristianisme
naissant, S. Marc aurait pris dans sa narration une position intermediaire,
se placant a dessein sur un terrain neutre, afin d'operer une heureuse re-
conciliation. D'un autre c6te, Hilgenfeld (4) range S. Marc parmi les Pauli-
niens. On le voit, nous n'avons pas a refuter ces hypotheses fautaisistes,
puisqu'elles se renversent mutuellement (5).
3. S. Matthieu avait ecrit pour des Chretiens sortis des rangs du Ju-
daisme, S. Marc s'adresse a des convertis de la Gentilite. Independam-
ment des temoignages de la tradition (6), d'apres lesquels les premiers des-
tinataires da second Evangile furent les fideles de Rome, qui avaient
appartenu au paganisme en grande majorite (7), la seule inspection du
recit de S. Marc nous permettrait de le conclure avec une tres grande pro-
babilite. 1° L^evangeliste prend soin de traduire les mots hebreux ou ara-
raeens inseres dans sa narration, par exemple Boanerges, iii, 17, Talitha
cumi, V, 41 ; Corlan, vii, 11 ; Bartimaus, x, 46; Ahha, xiv, ^^\El6i,Eldiy
lamma sabackthani, xv, 34 : il ne s'adressait done pas a des Juifs. 2° II
donne des explications sur plusieurs coutumes juives, ou sur d'autres
points que des personnes etrangeres au Juda'isme pouvaient difficilemenl
connaitre. G'est ainsi qu'il nous dit que « les Juifs ne mangent pas a
raoins de s'etre lave frequemment les mains », vii^ 3, Gfr. 4; que « la
Paque etait immolee le premier jour des pains azj^mes », xiv, 12; que la
« Parasceve » etait « le jour qui precede le sabbat », xv, 42; que le mont
des Oliviers est situe xatevavTt xoti tepou, xiii, 3, etc. 3° II ne mentionne pas
memele nom de la Loi juive; nulle part il ne fait, comme S. Matthieu,
d'argumentation basee sur des textes de TAncien Testament. Deux fois
seulement, i, 2, 3 et xv, 26 (8), il cite les ecrits de I'ancienne Alliance en
son propre nom. Ge sont la encore des traits significatifs relativement a
la destination du second Evangile. 4° Le style de S. Marc a beaucoup
(1) Cfr. A. Maier, Einleilung, § 18, pp. 70 et 71.
(2) Voir nos Comraenlaires sur les Evangiles de S. Matlhieu et de S. Jean, Preface.
(3) L'auteur anonyme de I'ouvrage intitule : die Evangelicn, ihr Gei-^t, etc. Leipz. 1845,
p. 327 Pt?s. ; Schwegler, Nachapostol. Zeitalter, p. 455 et ss. ; Baur, Krit. Untersuchungea
iiber diekanon. Evangelien, p. 462 et ss.
(4) Die Evangelien, p. 41 et s.
(5) Voir A. Maier, Einleilung, § 18, p. 71 et 72.
(6) Voir plus haul, no \.
(7) Voir Drach, Epitres de S. Paul, p. 3-5.
<8) Suppose que ce second passage soil authentique. Voir le commentaire.
PREFACE 11
d'affmite avec le latin. « II semblerait dit M. Schegg (1), que c'est une
bouche romaine qui a enseigne le grec a notre evangeliste ». Des mots
latins grecises reviennent frequemment sous sa plume, v. g. a7:Exou).aTO)p,
VI, 27; ^£Gr/i; (sextarius), vii, 4, 8; TrpatTojptov, xv, 16; opixyzkiooi (flagello),
XV, lb; x^vao;, XII. \^;'kzyeMV, V, 9, 15; xevTuptojv, XV, 39, 44, 43; xoSpavxr,;
(quadrans), xii, 42; etc. (2). Apres avoir mentionne une monnaie grecque,
iz-nra ouo, il ajoute qii'elle equivalaitau « quadrans » des Remains; xii, 42.
Plus loin, XV, 21 , il mentionne une circonstance pen importante en elle-
meme « Simonem G j venoinm, patrem Alexandri et Rufl, » mais qui s'ex-
plique immediatement, si Ton se souvient que Rufus habitait Rome. Cfr.
Rom. XVI, 26. Ces derniers dt-tails ne prouvent-ils pas que S. Marc a ecrit
parmi des Remains et pour des Romains (3)?
4. Dans notre Introduction generale aux Saints Evangiles, nous avons
etudie la delicate question de la source commune a laquelle vinrent puiser
tour a tour les trois premiers evangelistes : il ne pent done s'agir ici que
d'une source speciale aS. Marc. Or, nous avons entendu les Peres affirmer
d'une voix unanime (4) que la catechese du Prince des Apotres servit de
base a S. Marc pour la composition de son recit. « Ne rien omettre de ce
qu'il avail entendu, ne rien admettre qu'il ne I'eut appris de la bouche de
Pierre y> : ainsi s'exprimait Papias (5). De la le titre d'epij.riveuTr,; nirpou, « in-
terpres Petri », que notre evangeliste a porte depuis Tepoque du pretre
Jean : de la le nom de « Memoires de Pierre » applique par S. Justin a
sa composition (6). Non pas, assurement, qu'il faille entendre ces expres-
sions d'une facon trop litterale, et faire de S. Marc un simple « amanuen-
sis » auquel S. Pierre aurait dicte le second Evangile, de meme que Jere-
mie avait autrefois dicte ses Propheties a Baruch (7)! L'influence de
S. Pierre, selon toute vraisemblance, ne fut pas directe, mais seulement
indirecte, et elle n'empecha pas le disciple de demeurer un historien
tres-independant. Elle fut considerable pourtant, puisqu'elle a ete si fre-
quemment signalee par les anciens ecrivains. Elle a d'ailleurs laisse des
traces nombreuses et distinctes dans la redaction de S. Marc. Oui, le
second Evangile est visiblement marque a I'effigie du Chef des Apotres :
tons les commentateurs le repetent al'envi (8). Marc n'ayant pas ete te-
moin oculaire des evenements qu'il raconte, qui a pu donner a son Evan-
gile cette fraicheur de recit, cette minutie de details, que nous aurons a
mentionner bientot? II n'avait pas contemple I'oeuvre de Jesus de ses
(1) Evangel, nach Markus, p. 12.
(2) Les aulres ecrivains du Nouveau Testament emploient parfois quelques-unes de ces
expressions; mais ils n'en font pas iin usage constant, comme S. Marc.
(3) Cfr. Patrizi, de Evangel, lib. I, c. ii, q. 3.
(4) Voir les lextes cites en faveur de raulhenticile du socond Evangile, § II.
(5) Loc. cit. : ivo; yap ETtotT^aaxo Ttpovotav, tou [J.ri5ev uv -/jy.ouae itapaXiueiv, ri ^z\i(S(x.<z^'xi Tt bi
oOtoTi;.
y6) Dialog. C. CVI : ev ano(iviri{xov£y[jia(7iv auTou, scil. ITeTpoy.
(7) D'apres Reithmayr, le mot « interprete » signifierait que S. Marc traduisait en latin les
instructions grecques de S. Pierre; Cfr. de Valroger, Introd. t. II, p. 51. Selon d'autres. c'est
le texle arameen de S. Pierre que Marc aurait traduit en grec. Explications tres invraisem-
blables, assurement.
(8) Voyez sur ce point de fines observations dans M. Bougaud, le Christianisme et les temps
presents, t. II, pp 69 et ss. 2^ edit.
42 fiVANGlLE SELON S. 31 ARC
propres yeux, maisil I'avait vue pour ainsi dire par les yeiix de S. Pierre (1).
Pourquoi les renseignements relatifs a Simon-Pierre sont-ils plus abon-
dants chez lui que partout ailleurs ? Seul, il nous dit que Pierre se mit a la
recherche de Jesus, le lendemain des guerisons miraculeuses accomplies
k Gapharnaum, i, 56; Gfr. Luc. iv, 42. Seul, il rappelle que ce fut Pierre
qui attira I'attention des autres Apotres sur le dessechement rapide du
fiouier,xi, 21 ; Gfr. Matth. xxi, 17 etss. Seul, il montre S. Pierre interro-
geant Notre-Seigneur Jesus-Christ sur le mont des Oliviers touchant la
ruine de Jerusalem, xiii. 3; Gfr. Matth., xxiv, 1 ; Luc. xxi, 5. Seul, il fait
adresser directement a Pierre par I'Ange la bonne nouvelle de la resur-
rection de Jesus, xvi, 7; Gfr. Matth. xxviii, 7. Enfin il decrit avec une pre-
cision particuliere le triple reniement de S.Pierre; Gfr. surtoutxiv, 68,72.
N'est-ce pas de Simon-Pierre lui-meme qu'il teriait ces divers traits? II est
vrai, d'uu autre cote, que plusieurs details importants ou honorables de
la vie evangelique de S. Pierre sont completement passes sous silence
dans le second Evangile, par exemple sa marche sur les eaux, Matth.
XIV, 28-31 ; Gfr. Marc, vi, 50, 51 ; son role proeminent dans le miracle du
didrachme, Matth. xvii, 24-27; Gfr. Marc, ix, 33; sa designation comme
le roc inebranlable sur lequell'Egliseserait batie, Matth. xvi, 17-19; Marc.
VIII, 29, 30; la priere speciale que Jesus-Christ fit pour lui afin d'obtenir
que sa foi ne defaillit jamais ; Luc. xxii, 31, 32 (2). Mais ces omissions
remarquables ne prouvent-elles pas de nouveau, ainsi que le conjectu-
raient deja Eusebe de Gesaree (3) et S. Jean Chrysostome (4), la partici-
pation de S. Pierre a la composition du second Evangile, ce grand Apotre
ayant voulu par Diodestie qu'on laissat dans I'oubli des evenements qui
etaient si precieux pour sa personne? Nous I'admettons sans peine a la
suite du plus grand nombre des exegetes (5).
Que penser maintenant de Topinion de S. Augustin, opinion tout-a-fait
isolee dans I'antiquite, mais souvent acceptee depuis, d'apres laquelle
TEvangile selon S. Marc ne serait qu^un abrege caique sur celui de
S. Matthieu? « Marcus Matthseum subsecutus tanquam pedissequus et bre-
viator ejus (6)? » Elle est exacte, si elle affirme simplement quMl existe
une grande ressemblance, soit pour le fond, soit pour la forme, entre les
deux premiers recits evangeliques; elle est fausse, au contraire, si elle
pretend que S. Marc s'est borne a publier une reduction de I'oeuvre de son
(1) « Omnia quae apud Marciim legiintur, narralionum sermonumque Petri dicuntur esse
commentaria ». Euseb. Dem. Evang. 1. iii, c. 5. « S. Marc, dil M. Renan, Vie de Jesus, 1863,
p. XXXIX, est plain d'observalions minulieuses venanl sans nul doute d'un temoin oculaire.
Rien ne s'oppose a ce que ce lemoin oculaire, qui evidemmenl avail suivi Je>us, qui i'avait
aime el regarde de tres-pres, qui en avail conserve une vive image, ne soil I'apoire Pierre
lui-memo, comme le vent Papias. » Cfr. Patrizi, de Evangel, lib. I, cap. ii, quaest. 4.
(2) Comparoz encore Marc, vii, -17 et MalLh. xv, 15; Marc, xiv, 13 et Luc. xxii, 8,
(3) Dem. Evang. in, 3, 89.
(4) Horn, in Mallh.
(5) Nous ne croyons pas qu'on puisse tirer une preuve peremptoire de certaines coinci-
dences de pensees el d'expressions qui existent entre les Epilres de S. Pierre el divers pas-
sages du second Evangile (V. g. II Pelr. ii, 1, Cfr. Marc, xm, 22; II Pelr. iii, 17, Cfr. Marc.
XIII, 23; I Pelr. i, 25, Cfr. Marc, xm, 21 ; 1 Pelr. ii, 9, Cfr. Marc, xni, 20; I Pelr. ii, 17,
fXr. Marc, xii, 17; I Pelr. ii, 25, Cfr. Marc, vi, 34; II Pelr. iii, 41, Cfr. Marc, xm, 19; etc.):
ces coincidences n'onl en effel rien de caracleristique.
(6) De consens. Evang. 1. I, c. ii.
PREFACE 43
devancier. Les fails qu'il rapporle sont bien les memes pour la plupait (1),
mais il les expose presque toujours d'une maniere tres-neuve, qui prouve
sa complete liberie d'ecrivain (2). Du resle, ce senlimenl esl aujourd'hui a
peu pres abandonne.
§ V. — LA LANGUE PRIMITIVE DU SECOND EVANGILE
t
S. Marc ayanl compose son Evangile pour des Romains, il a semble na-
turel a plusieurs critiques qu^il Tail ecrit primitivement en latin. Tel a ete
en particulier I'avis du savant Baronius (3). La Peschito syriaque et les
suscriptions de plusieurs manuscrits grecs affirment sans doute que le
second Evangile lyp a-f v) pwixataxi ; mais ces assertions anonymes perdent
toute autorite devant les temoignages formels de S. Jerome et de S. Au-
gustin. « De novo nunc loquar Testamento, dit le premier de ces deux
Peres (4), quod grsecum esse dubium non est, excepto apostolo Matthseo,
qui primus in Judsea Evangelium Christi hebraicis litteris edidit. » S. Au-
gustin n'est pas moins clair : « Horum sane quatuor (Evangelistarum)
solus Matthaeus hebrseo scripsisse perhibetur eloquio, cseteri graeco (5). »
Pourquoi S. Marc, s'adressant a des Romains, n'aurait-il p'as ecrit en
grec? N'est-ce pas dans cette langue que I'liistorien Josephe composa ses
ouvrages, preciseftient pour etre compris des Romains? S. Paul (6) et
S. Ignace n'ecrivirent-ils pas aussi en grec leurs lettres a I'Eglise de
Rome? « Pendant une partie notable des premiers siecles, dit M. Mil-
man (7), I'Eglise de Rome et presque toutes les Eglises de I'Occident
etaient en quelque sorte des colonies religieuses helleniques. Leur Ian-
gage etait grec, leurs ecrivains etaient grecs, leurs livres sacres etaient
grecs, et de nombreuses traditions, comme de nombreux restes, prouvent
que leur rituel et leur liturgie etaient grecs... Tons les ecrits Chretiens
connus de nous qui parurent a Rome ou en Occident sont grecs, ou I'e-
taient primitivement : et les epitres de S. Clement, et le Pasteur d'Her-
mas, etles liomelies Clementines, et les oeuvres de S. Justin martyr, jus-
qu'a Cains, jusqu'a Hippolyte, auteur de la refutation de toutes les here-
(1) D'importantes omissions sont neanmoins a signaler, notamment. Maltli. in, 7-10; viii,
5-13, etc.; X, -15-42 ;xi; xii, 38-45 ; xiv, 34-36 fxvii, 24-27; xvm, 10-35; xx, 1-16; xxi,
U-16, 28-32; xxii, i-14; xxiii ; xxvii, 3-10, 62-67; xxviii, 11-15, 16-20 ; etc., etc. Un
simple « abbrevialor » ne se serait pas ainsi comporle.
(2) Si roil divise, avec M. Reuss, la matiere conleniie dans les trois premiers Evangiles en
-100 sections ou paragraphes, nous ne trouvons dans S. Marc que 63 de ses seclions, tandis
que S. Matthieu en a 73, S. Luc 82. 49 seclions sont communes aiix trois Evangelistes, 9 a
S. MallhiiHi et a S. Marc, 3 a S. Marc et a S. Luc ; S. Marc n'en a que deux qui lui soient tout
a fait spcciales. Mais combien de traits qu'on trouve seulemcnt dans son recit! Cfr. ii, 25;
III, 20, 21 ; IV, 26-29; v, 4,5 et ss.; vm, 22-26; ix, 49, xi, 11-14; xiv, 51-52; xvi, 9-11, et
cent autres passages que nous signalerons dans le commentaire.
(3) Annal.. ad ann. 45, § 39 etss. Voir la refutation de Tillemont, Memoires pour servir k
I'Hist. eccl. S. Marc, note 4.
(4) Pracf. in iv Evangel, ad Damasum.
(5) De Consens. Evangel. I. 1, c. iv.
(6) Voir Drach, Epilres de S. Paul, p. 7.
(7) Latin Chrislianily. i, p. 34.
U fiVANGII-E SELON S. MVHC
feies. )) Rien ne s'opposait done a ce que S. Marc ecrivit en grec, bien qu'il
destinat son recita des Latins (1).
L'hypolhese de Wahl, d'apres laquelle le second Evangile aurait ete
compose en langue copte merite a peine une mention (2).
§ VI. — TEMPS ET LIEU DE LA COMPOSITION DU SECOND EVANGILE
l°La tradition ne nous fournit pas de donnees certaines relativement a
I'epoque oii S. Marc ecrivit son Evangile; ses renseignements sont meme
contradictoires. Ainsi, d'apres Clement d'Alcxandrie (3), le second Evan-
gile aurait ete publie du vivant de S. Pierre; tandis que, suivant S. Ire-
nee (4), il n'aurait paru qu'apres la mort du Prince des Ap6tres, par
consequent apres Tan 67. Les critiques se partagent entre ces deux
sentiments. MM. Reithmayr et Gilly adoptent le premier, et placent la
composition de notre Evangile entre les annees 42-49 (5). MM. Langen,
J-P. Lange, et la plupart des autres exegetes contemporains, se rangent k
I'opinion de S. Irenee, qui semble en effet plus probable. D'autres auteurs
tachent de concilierles temoignagespatristiques,en admettant une double
publication de I'oeuvre de S. Marc, la premiere a Rome avant la mort de
S. Pierre, la seconde en Egypte, apres son martyre. « S. Marc, dit Ri-
chard Simon (6), a donne aux fideles de Rome un Evangile en qualite d'in-
terprete de S. Pierre, qui prechait la religion de Jesu%-Clirist dans cette
grande yille; et il I'a aussi donne ensuite aux premiers Chretiens d'Egypte,
en qualite d'apotre ou d'eveque. » Mais ce n'est la qu'un subterfuge sans
fondement solide. Quoi qu'il en soit, il ressort clairement du ch. xiii, 14 et
suiv., que I'Evangile selon S. Marc dtit paraitre avant la mine de Jeru-
salem, puisque cet evenement y est prophetise par Notre-Seigneur, sans
que rien vienne indiquer qu'il s'etait accompli depuis (7).
2° Aucun doute ne saurait subsister a I'egard du lieu de la composition.
Ce flit Rome, comme I'affirment, a part un seul, tons les Peres qui se sont
occupes de cette question. Clement d'Alexandrie (8) rattache cette croyance
a une antique tradition, TrapaSoatv tSv ave'xaOev TtpeaguTs'pwv. S. Irenee, S. Jerome,
Eusebe de Cesaree la signalent comme un fait indubitable (9). S. Epi-
phane parte dans le meme sens : EuOu; Se {xexa xbv MaxOaTov axoXouGo; Y^w'jxevo? 5
(1) Voir Richard Simon, Histoira critiq. du Nouv. Test. ch. xi; Cfr. Juven. Sat. vi, 2.
(2) Cfr. Magazin fiii- aite, besond. oriental, und bibl. Lileratur, -ITGO, in, 2, p. 8. Wahl
allegup comme raison la fondation de plusieurs chrelientes egyptiennes par S. Marc.
(3) Hypotyp. vi, ap. Euseb. Hist. Eccl. vi, 4 4.
(4) Adv. Haer. in, i : ^iz-za. toutwv (scil. Uexpoy xai ITaOXoy) e|oSov . Voir la citation complete
an § II. Le mot £?ooov ne pent designer raisoimablement que la mort des deux apolres. « Post
quorum exitum », disail deja Ruitin. Toutes les autres interpretations sont arbitraires. Cfr,
Langen, Grundriss der Einleitung, p. 87.
(5) Qiielques manuscrits, Theophylacte et Euthymius, font ecrire S. Marc dix ou douze ans
apres I'Ascension. Cfr. Baronius, Annal. ad ann. 45, § 29.
(6) Histoire critiq. du Nouv. Test. t. I, p. 107. Cfr. Bisping, das Evangel, nach Markus, p. 6.
(7) Voyez, sur I'epoque de la composition du second Evangile, une savanle dissertation du
P. Patrizi, de Evangeliis. t. I, pp. 36-51.
(8) Ap. Euseb. Hist. Eccl. \i, 14.
(9) Voir les lextes cites plus haul, § II, 1o,
PREFACE 45
Mapy.o? Tw aylw UsTpw Iv Pto(xr, iTr'-TpeTrerat to EuaYyiXcov £x6£c0at (1). S. Jean GhySOS-
tome ail contraire assure que le second Evangile aurait ete compose en
Egypte. AsyeTat, dit-il dans ses Homelies sur S. Matlhieu, xat Mapxo? §£ Iv
AtyuTtTO) Twv [xa9Y)Twv TtapaxaXsffdcvTOJV auTov, auto touto Trot^crai. MaiS CC Sentiment ISOle
ne saurait contrebalancer les temoignages si formels de tous les autres
ecrivains anciens (2).Du reste, le coloris latin et les expressions romaines
que nous avons signales plus haut (3) montrent bien que S. Marc dut
ecrire sur le territoire romain. D'un rapprochement etabli entre S. Marc,
XV, 21, et Act. XI, 20, M. Storr a conclu(4) que la ville d'Antioclie avait ete
la patrie de notre Evangile ; mais nous avouons ne rien comprendre a cette
conclusion, qui est d'ailleurs universellement rejetee.
§ VII. — CARACTERE DU SECOND EVANGILE
On a souvent et tres-justement propose d'inscrire en tete de I'Evangile
selon S. Marc les paroles suivantes de S. Pierre, qui en resument admi-
rablement le caractere general (5) : « Vos scitis quod factum est verbum
per universam Judseara : incipiens enim a Galilaea, post baptismum quod
pra^dicavit Joannes, Jesum a Nazareth : qnomodo unxit eum Deiis Spiritu
Sancto, et virtute, qui pertransiit beneiaciendo et sanando omnes oppres-
ses adiabolo, quoniam Deus erat cum illo ». Act. x, 37, 38. Nous y trou-
vons en effet un portrait frappant de Jesus de Nazareth. Toutelbis, ce
portrait n'est pas, comme dans le premier Evangile, i, 1, celui « du Fils
de David et d'Abraham »^ c'est-a-dire duMessie; ni, comme dans le troi-
sieme Evangile, celui du « Fils d'Adam qui etait Fils de Dieu », Luc,
III, 38 : c'est le portrait du Dieu Redempteur, incarne pour notre salut,
faisant le bien, operant de nombreux miracles parmi les hommes, deve-
loppant sa mission beaucoup plus par des oeuvres que par des paroles.
Ge portrait semblea premiere vue notablement reduit. Le second Evan-
gile est en effet le plus court de tous : « breve Evangelium », disait deja
S. Jerome (6). II n'a que seize chapitres, tandis que TEvangile selon
S. Jean en contient 21, celui de S. Luc 24, celui de S. Matthieu jusqu'a
28. II tend sensiblement a la brievete. Et neanmoins, comme il est bien
rempli! Mais ce n'est pas une simple nomenclature d'incidents sechement
enumeres les uns a la suite des autres; ce sont des faits qui se reprodui-
sent en quelque sorte sous le regard etonne du lecteur, tant la precision
est grande dans les details, tant le pittoresque abonde a chaque page.
Aussi avons-nous la une photographic vivante du Sauveur. Sa person-
nalite humaine et divine est caracterisee d'une maniere frappante. Non-
seulement nous apprenons qu'il participait a toutes nos infirmites, telles
que la faim, xi, 12, le sommeil, iv, 38, le desir du repos, vi, 31 ; qu'il etait
(1) Haer. li, 6.
(2) Horn. I, 3.
(3) Voir le § IV, no 3, 4o.
(4) Zweck der evang. Gcscli, § 59 et 60.
(5) Voyez M. Bougaud, 1. c. p. 76 ets.
(6) De viris illiistr. c. viu.
46 fiVANGILE SELON S. MARC
accessible aux sentiments et aux passions des hommes ordinaires, par
exemple, qu'il pouvait s'attrister, vii, 34; viii, 12, aimer, x, 21, s'api-
toyer, vi, 14, s'etonner, vi, 61, etre saisi d'indignation, iii, 5; viii, 12, 33;
X, 14; mais nous le voyons lui-meme avec sa posture, x, 32; ix, 3o, son
geste, VIII, 33; ix, 36; x, 16, ses regards, iii, b, 34; v, 32; x. 23; xi, 11.
Nous entendonsjusqu'a ses paroles prononcees dans salangue maternelle,
III, 17; V, 41 ; vii, 34; xiv, 36; bien plus, jusqu'aux soupirs qui s'echap-
paient de sa poitrine, vii, 3'i; viii, 12. S. Marc nous rend egalement
temoins de I'expression saisissante que Notre-Seigneur Jesus-Christ pro-
duisait, soit sur la foule, i, 22, 27; ii, 12; vi, 2, soit sur ses disciples,
IV, 40; VI, 51 ; x, 24, 26, 32. II nous montre les multitudes se pressant
autour de lui, iii, 10; v, 21, 31; vi, 33: de maniere parfois a ne pas lui
laisser le temps de prendre ses repas, iii, 20; vi, 31. Gfr. ii, 2;iii, 32;
IV, 1. Parmi les Evangelistes, personne mieux que lui n'a pris soin de
noter exactement les differentes circonstances de nombre, de temps, de
lieux et de personnes. 1" Les circonstances de nombre : v, 13, « grex
prsecipitatus est in mare ad duo millia »; vi, 7, « coepit eos mittere binos »;
VI, 40, « discubuerunt in partes, per centenos et quinquagenos »; xiv, 30,
« priusquam gallus vocem bis dederit, ter me es negaturus ». 2° Les cir-
constances de temps : i, 3b, « diluculo valde surgens »; iv, 35, « et ait
illis in ilia die, quum sero factum esset »; vi, 2, « facto sabbato coepit in
synagoga docere » ; xi, 11, t quum jam vespera esset hora, exiit in Betha-
niam »; xi, 19, « quum vespera facta esset, egrediebatur de civitate »;
Cfr.xv, 25; xvi, 2, etc. 3° Les circonstances de lieux : ii^ 13, « egressus est
rursus ad mare »; iii, 1, « Jesus autem secessit ad mare »; iv, 1, « iterum
coepit docere ad mare »; v, 20 », coepit prsedicare in Decapoli » ; Gfr. vii, 31.
XII, 41, « Sedens Jesus contra gazophylacium »; xiii, 3, « quum sederetin
monte Olivarum contra templum «; xvi, 5, « viderunt juvenem sedentem
in dextris »; Gfr. vii, 31 ; xiv, 68; xv, 39, etc. 4° Les circonstances de
personnes : i^ 29, « venerunt in domum Simonis et Andrese cum Jacobo et
Joanne »; i, 36, « et prosecutus est eum Simon, et qui cum illo erant »;
III, 22, « Scribse qui ab Jerosolymis desceuderant » ; xiii, 13, « interroga-
bant eum separatim Petrus, et Jacobus, et Joannes, et Andreas »; xv, 21,
« Simonem Gyrenseum, patrem Alexandri et Rufi. » Gfr. in, 6; xi, 11;
XI, 21 ; xiv, 65, etc. II faudrait presque transcrire le second Evangile
versetpar veraet, si nous voulions noter tons les details de ce genre. Qu'il
suffise d'ajouter avec Da Gosta (1), que « si quelqu'un desire connaitre un
fait evangelique, non-seulement dans ses points principaux et dans ses
lignes generales, mais aussi dans ses details les plus minutieux, les plus
graphiques, c'est a S. Marc qu'il doit recourir. » On concoit aisement la
ifraicheur, I'interet, les couleurs draraatiques que doit presenter une oeuvre
ainsi composee. Nous devons ajouter qu'elle a aussi une rapidite extraor-
dinaire; car S. Marc ne se donne pas beaucoup de peine pour combiner
entre eux les evenements qu'il raconte. II ne les groupe point, comme
S. Matthieu, d'apres un ordre logique : il se conte'nte de les rattachcr
I'un a I'autre, le plus souvent selon I'ordre historique, par les formules
xal, 7ra>!v, eiOe'io;. Cctte dcrniere expression revient sous sa plume jusqu'a
{\) Four Witnesses, p. 88.
PREFACE 17
41 fois (1) ! II vole d'an incident a un autre incident, sans prendre le temps
de faire aes reflexions historiques. Sans cesse la scene change de la facon
la plus ahrupte sous les yeux du lecteur.
Des faits, et des faits brievement racontes, tel est done le fond du se-
cond Evangile. S. Marc, qui est par excellence Tevangeliste de Taction,
n'a conserve en entier aucun grand discours du Sauveur (2) : celles des
paroles du divin Maitre qu'il a inserees dans sa narration sont habituelle-
ment les plus brulantes, les plus vives, et il a su, en les resumant, leur
•donner une tournure incisive et energique.
Son style est simple, vigoureux, precis, et generalement plein de clarte;
il y regne pourtant quelquefois une certaine obscurite, qui provient de la
trop grande concision. Gfr. i, 13; ix, 5, 6; iv,10, 34. Ony remarque — 1° le
frequent emploi du present au lieu du preterit : i, 40, « Un lepreux vient
a, lui » ; II, 3 (d'apres le texte grec), « ils viennent a lui, portant un para-
iytique »; xi, 1, * quand ils approcherent de Jerusalem, il envoie
deux de ses disciples » ; xiv, 43, « aussitot, pendant qu'il parlait, se pre-
sente Judas »;Gfr. ii, 10, 17;xiv, 66, etc.; — 2°le langage direct au lieu du
langage indirect : iv, 39, « il dit a la mer : Paix! sois calme! »; v, 9, « II
lui demanda : Quel est tonnom? » v, 12, « les demons le suppliaient, di-
sant: Envuie-nous dans les pourceaux » ; Gfr. v, 8; vi, 23, 31 ; ix, 25; xii, 6;
— 3° la repetition emphatique de la meme pensee : i, 45, « ille egressus
coepit praedicare et diffamare sermonem »; in, 26, « non poterit stare, sed
finem habet » ; iv, 8, « dabat fructum ascendentem et crescentem » ;
VI, 25, « statim cum festinatione »; xiv, 68, « neque scio neque novi quod
dicas»,eLc.; — 4° les negations accumulees : oOxsTt ouSsi?, vii, 12;ix,8;xii, 34;
XV, 5; ouxETi ou (JLV), xiv, 25; [xyixeti [XYiosi;, XI, 14. — Outre les expressions la-
lines et arameennes signalees plus haut, notons encore les locutions sui-
vantes, dont S. Marc use volontiers : axa9apTov mtZtxy. onze fois, six fois seu-
lement dans S. Matthieu, trois dans S. Luc; ^^aro X£Y£tv,xca?£iv, vingt-cinq
fois, les composes de TropsuEc^at : zhmp huit fois; IxTOp onze fois; xapaTrop
quatre fois; iTreptotaoi, vingt-cinq fois; xr,puaaetv, quatorze fois; les diminutifs,
V. g. GuyaTptov, xuvapta, xopocatov, wxapiov ; ccrtaius mots peu usites, tcls que
xajfiOTToXii;, aXaXa(^£iv, (JLeytdTavEi;, vouve^w?, TiXotaptov, Tpu[xaXia, CtC. (.3).
Goncluons ce paragraphe par une reflexion tres-juste du D" West-
cott (4) : « Par le fond, et par le style, et par la maniere de traiter les su-
jets, I'Evangile de S. Marc est essentiellement une copie faite sur une
image vivante. Le cours et Tissue des evenements y sont depeints avec
les contours les mieux marques. Alors meme que Ton n'aurait aucun autre
argument pour combattre ce qui a ete dit touchant Torigine mythique des
Evangiles, ce recit vivant et simple, marque a Tempreinte de Tindepen-
dance et de Toriginalite les plus parfaites, sans connexion avec le sym-
bolisme de Tancienne Alliance, depourvu des profonds raisonnements de
(<) Fritzsche, Evangel. Marci, p. XLiv, en est offusque : « Voces, ecrit-il, ad nauseam us(iue
ileralas et eleganliae incuriam ». Ella est pourtant en general d'un Ires bon effet, et equivaut
a 1' « Ecce » de S. Matthieu.
(2) Voyez. dans le commentaire, le debut des chap, ivet xiii.
(3) Voir Fritzsche, Evangel ium Marci, p. xliv et 8. Kitto, Cyclopaedia of bibl. Literal.
38 edit. t. Ill, p. 72; Smith, Diction, of the Bible, s. v. Mark, Gospel of; Credner, Einleit.
p. 102 et s.
(4) Introduction to the study of the Gospels, p. 367.
S. Bible. S. Marc. —
48 EVANGILE SELON S. MARC
la noiivelle, snffirait pour refuler cette tlieorie subversive. Les details-
qui furent primilivement adresses a la vigoureuse intelligence des lecteurs
Romains sont encore remplis d'instruction pour nous (1). »
§ VIII. — PLAN ET DIVISION
1. Le plan de S. Marc est fort simple : il consiste a suivre pas a pas la
catechese historique qui, nous I'avons vu (2), devait former le fond de son ou-
vrage. Or, cette catechese n'embrassait generalement que la Vie publique
de Notre-Seigneur Jesus-Christ a partir de son bapteme, avec la predica-
tion de Jean-Baptiste en guise de preambule, et la Resurrection et I'Ascen-
sion du Sauveur pour conclusion (3), et telles sont precisement les
grandes lignes suivies par notre evangeliste. II omet done entierement les
details relatifs a I'Enfance et a la Vie cachee de Jesus, pour faire entendre
immediatement au lecteur la voix et les austeres preceptes du Precurseur.
Pour lui, comme pour les autres synoptiques, la Vie publique du Christ se
borne auministere exerce par Notre-Seigneur en Galilee; mais, au lieu de
s'arreter avec eux aux scenes de la Resurrection, il suit le divin Maitre
jusqu'a son Ascension, jusqu'aux splendeurs du Ciel, compensant, par
cette heureuse addition faite a la Vie glorieuse, ce qu^il avait omi^ dans
la Vie cachee. M. J. P. Lange a fait une ingenieuse remarque, qui pent
servir a mieux caracteriser encore le plan adopte par S. Marc. Pai lant de
cette idee que Jesus, tel que le represente le second Evangile, est le Dieu
Fort annonce par Isaie. ix, 6, le lion victorieux de la tribu de Juda dont
parle I'Apocalypse, v, o, il trouve dans la narration de S. Marc une suc-
cession perpetuelle de mouvements en avantet de mouvements en arriere,
de charges et de retraites, comme il les nomme, qui ne sont pas sans ana-
logie avec la marche du lion. Jesus s'avance avec vigueur centre ses
ennemis; puis tout a coup ii se retire pour emporter le butin conquis ou pour
preparer une nouvelle charge. Dans le tableau analytique qui termine la
Preface, nous ferons ressortir ces mouvements varies et pleins d'interet (4).
2. Nous avons divise le recit de S. Marc en trois parties, qui correspon-
dent a la Vie publique, a la Vie soufirante et a la Vie glorieuse de Notre-
Seigneur Jesus-Christ. La premiere partie, i, 14-x, 52, raconte le minis-
tere de Jesus a partir de sa consecration messianique jusqu^a son arrivee
a Jerusalem pour la derniere Paque. Elle est precedee d'un court pream-
bule, 1, 1-13, oil le Precurseur et le Messie font tour a tour leur apparition
sur la scene evangelique. Elle se subdivise en trois sections, qui nous mon-
trent Jesus-Christ agissant d'abord dans la Galilee orientate, i, l4-vii, 23,
puis dans la Galilee septentrionaie, vii, 24-ix, 50, enfin en Peree et sur la
route de Jerusalem, x, 1-52. Dans la seconde partie, xi, 1-xv, 57, nous sui-
vons jour par jour les evenements de la derniere semaine de la vie du Sau-
(1) Voir aiissi Alford, New Testam. for English readers, 3e edit. t. I, p, 29; M. Bougaud,
1. c. pp. 7o, 76 et 82.
(2) § IV, no 2.
(3) Cfr. Acl. I, 21, 22: X 37, 38, xiii, 23-23.
(4)Clr. J. P. Lai)!,-, Tiicolog-liomil. Bibelwerk, N. Test. 2. Th., das Evangaium nach
Maikiis, 3e edit. p. 2 el 5,
PREFACE 19
veur. La troisieme, xvi, 1-20, presentera a notre admiraticn les glorieux
mysteres de sa Resurrection et de son Ascension.
§ IX. — LES PRINCIPAUX COMMENTATEURS DU SECOND EVANGILE
Aucun Pere latin n'a commente I'Evangile selon S. Marc avant le Ven.
Bede (1). Dans I'Eglise grecque, il faut descendre jusqu'au cinquieme
siecle pour trouv^r un ecrivain qui I'ait explique; car les quatorze home-
lies « inMarcumw, reproduitesen langue latine parmiles oeuvres de S.Jean
Ghrysostome, ne sont pas authentiques. Victor d'Antioche est done le plus
ancien interprete de notre Evangile (2). Plus tard, Theophylacte et Euthy-
mius le commenterent dans leurs grands ouvrages sur le Nouveau Tes-
tament.
Au moyen £ige,, comme dans les temps modernes, ce furent generale-
ment les mgmes exegetes qui entreprirent de commenter S. Marc et
S. Matthieu : on trouvera done leurs noms indiques a la fin de la Preface
de notre commentaire sur le premier Evangile (3). Qu'il suffise de rappeler
les noms de Maldonat, de Fr. Luc de Bruges, de Noel Alexandre, de Gor-
neille de Lapierre, de D. Galmet,de Mgr Mac Evilly, des docteurs Reischl,
Schegg et Bisping parmi les Gatholiques, de Fritzsche, de Meyer, de
J. P. Lange, d'Alford, d'Abbott parmi les protestants. Nous n'avons qu'un
tres-petit nombre de Gommentaires speciaux a signaler :
Jac. Eisner, Comment, crit.-i^liilol. in Evangelium Marc. Lugd.
Batav. 1773. 3 tom. in-4°.
B. de Willes, Specim. liermeneut. de Us qii(B ah uno Marco sunt nar-
rata aut copiosins et explicatms db eo exposita. Traject. 1811.
F. X. Patritii, S. J., In Marcum Commentarium, Rom. 1862.
Rev. G. F. Maclear, TJie Gospel accorcliag to St. March, with notes and
introduction, Gambridge, 1877.
(1) Le commentaire publie sous le nom de S. Jerome n'esl pas de liii.
(21 BixTwpo? y.al dtXXwv elYiy/jcreK; et; to xaxa Mdpxov eCiayYEXiov, edid, G. F. MatthaEi, Mosq. 1775,
2 tom.
(3) Page 29.
20
fiVANGILE SELON S. MARC
DIVISION SYNOPTIQUE DE L'EVANGILE SELON S. MARC
PREAMBULE. I, 1-l3.
1. — Le Precurseur. t, 1-8.
2. — Le Messie. i, 9-13.
a. Le bapteme de Jesus, i, 9-H.
b. La tentation de Jesus, i, IS-IS.
PREMIERE PARTIE
VIE PUBLIQUE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-
CHRIST, I, 14-X, 52.
Ire SECTION. — MINISTERK DB JESCS DANS LA GALILEB
ORIENTALE. I, li-VII, -23.
\ . — Les debuts de la predication du Sau-
veur. I, 14-15.
2. — Les premiers disciples de Jesus.
I, 16-20.
3. — Une journee de la vie du Sauveur.
I, 21-39.
a. Guerison d'un demoniaque. i, 21-28.
b. Guerison de la belle-mere de S. Pierre
el d'autres malades. i, 29-34.
c. Retraite de J^sus sur les bords
du lac. Yovage apostolic] ue en Gd-
lilee. I, 33-39.
4. — Guerison d'un lepreux. Retraite
en des lieux deserts, i, 40-45.
5. — Premiers conflits de Jesus avec les
Pharisiens et les Scribes, ii, 1-m, 6.
a. Le paralylique et le pouvoir de re-
mettre les peclies. ii, 1-12.
b. Vocation de S. Malthieu. ii. 13-22.
c. Les apotres violent le repos du sabbat.
II, 23-28.
d. Guerison d'une main dessechee.
III, 1-6.
6. — Jesus se retire de nouveau sur
les bords du lac de Tiberiade.
III. 7-12.
7. — Les douze Apotres. iii. 13-19.
8. — Les hommes et leurs dispositions
diverses relativement a Jesus.
III, 20-33.
a. Los parents du Christ selon la chair-
III, 20 et 21.
b. Les Scribes accusent Jesus de conni-
vence avec Beelzebub 111,22-30.
c. Les parents du Christ selon I'esprit.
Ill, 31-35.
9. — Les paraboles du royaume des cieux.
IV, 1-34.
a. Parabole du semeur. iv, 1-9.
b. Pourquoi les paraboles? iv. 10-12.
c. Explication de la parabole du semeui.
IV, 13-20
d. II faut ecouter avec attention la pa-
role de Dieu. iv. 21-25.
e. Parabole du champ de ble. iv, 26-29.
f. Parabole du grain de seneve. iv, 30-32,
g. Autres paraboles de Jesus, iv, 3.3-34.
10. — La tempete apaisee. iv, 33-40.
<1. — Le demoniaque de Gadara. v, 1-20.
12. — La fille de Jaire et I'hemorrholsse.
V, 21-43.
13. — Jesus rejete. meprise a Nazareth,
se retire dans les bourgades
voisines. vi, 1-6.
14. — Mission des Douze. vi, 7-13.
<5. — Le martvre de S. Jean-Bapliste.
VI, 14-29.
16. — Retraite en un lieu desert, et
premiere multiplication des pains.
VI, 30-44.
17. — Jesus marche sur les eaux. vi, 45-32.
18. — Miracles de guerison dans la plaine
de Gennesareth. vi, 53-36.
19. — Conflil avec les Pharisiens a propos
du pur et de I'impur. vii, 1-23.
2« SECTION. — MINISTERE DE JESUS DANS \.A GALILEB
OCCIUE.NTALE ET SEPTE.NTRIONALE. VII, 24-11, 49.
1. — Jesus se retire du c6t6 de la
Phenicie, et guerit la Glle de la
Chananeenne. vii, 24-30.
2. — Guerison d'un sourd-muet. vii, 31-37.
3. — Seconde multiplication des pains.
VIII. 1-9.
4. — Le signe du ciel et le levain des Pha-
risi^ens. viii, 10-21.
5. — Guerison d'un aveugle a Bethsalda.
VIII. 22-26.
6. — Jesus se retire i Cesar6e de
Philippe. Confession de S. Pierre.
VIII, 27-30.
7. — La croix pour le Christ et pour les
Chretiens, viii, 31-39.
8. — La Transfiguration, ix, 1-12.
a. Le miracle, ix, 1-7.
b. Entrelien memorable qui se raltache
au miracle, ix, 8-12.
9. — Guerison d'un lunatique. ix, 13-28.
\0. — La Passion predite pour la seconde
fois. IX, 29-31.
DIVISION SYNOPTIQUE DE L'EVANGILE SELON S. MARC
21
H. — Quelques graves legons. ix, 32-49,
a. Legon d'humilite. ix, 32-36.
b. Legon de tolerance, ix, 37-40.
c. Legon concernant le scandale. ix,
41-49.
3* SECTION. — JESUS EN FEREE ET SUR LE CBEMIN DE JERUSA-
LEM, s, 1-52.
i . — LeChrislianismeet lafamille.x, 4-16.
a. Le mariage Chretien, x, 1-12.
b. Les petits enfants. x, 13-16.
2. — Le Chrislianisme et les richesses,
x, 17-31.
a- La Legon des faits. x, 17-22.
b. La legon en paroles, x, 23-31.
3. — La Passion est predite pour la troi-
sieme fois. x, 32-34.
4. — Ambition des filsdeZebedee.x, 35-45.
5. — L'aveiigle de Jericho, x, 46-52.
DEUXifeME PARTIE
LES DERNIERS JOURS ET LA PASSION DE JESUS.
XI-XV.
I. Entree triomphale de Jesus a Jerusalem,
et retraite k, BSthanie. xi, 1-11.
II. Le Juge messianique. xi, '12-xiii, 37.
1. — Le figiiier maudit. xi, 12-14.
2. — Expulsion des vendeurs et retraite
i B6thanie. xi, 13-19.
3. — La puissance de la foi. xi, 20-26.
4. — Le Christ victorieux de ses enneniis.
XI, 27-xii, 40.
a. D'ou viennent les pouvoirs de Jesus?
XI, 27-33.
b. Parabole des vignerons homicides.
- XII, 1-12.
c. Dieu et Cesar, xii, 13-17.
d. La resurrection des morts. xii, 18-27.
e. Quel est le premier commandement?
XII, 28-34.
f. Le Messie et David, xii, 33-37.
g. « Cavete a Scribis ». xii, 38-40.
5. — Le donier de la veuve, xii, 41-44.
6. — Lediscourseschatologique. XIII, 1-37.
a. Occasion du discours. xiii, 1-4.
b. Premiere partie du discours : la Pro-
phetie. xiii, 5-31.
c. Seconde partie : la parenese. xiii,
32-37.
Ill « Christus pattern ». xiv et xv.
1. — Complot du Sanhedrin. xiv, 1 et 2.
2. — Le repas et I'onction de lielhanie.
XIV, 3-9.
3. — Le honteux marche de Judas, xiv,
10-11.
4. — La derniere cene. xiv, 12-23.
a. Preparatifs du festin pascal, xiv,
12-16.
b. Cene legale, xiv, 17-21.
c. Cene eucharislique. xiv, 22-25.
5. — Trois predictions, xiv, 26-31.
6. — Gethsemani. xiv, 32-42.
7. — L'arrestation. xiv, 43-52.
8. — JesusdevantleSanhedrin. XIV, 53-63.
9. — Le triple reniement de S. Pierre.
XIV, 66-72.
40. — Jesus juge et condamne par Pilate,
XV, 1-15.
a. Jesus est livre aux Romains. xv, 1.
b. Jesus interroge par Pilate, xv, 2-5,
c. Jesus et Barabbas. xv, 6-13.
W, — Jesus outrage au pretoire. xv. 16-19.
<2. — Le chemin de croix. xv, 20-22.
43. — Crucifiement, agonie et mort de
Jesus. XV, 23-37.
14. — Ce qui suivit immediatement la
mort de Jesus, xv, 38-41.
15. — La sepulture de Jesus, xv, 42-47.
TROISlfeME PARTIE
VIE GLORIEUSE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-
CHRIST, XVI.
1. — Le Christ ressuscite. xvi, 1-18.
a. Les saintes femmes au sepulcre,
XVI, 1-8.
b. Jesus apparait a Marie-Madeleine.
XVI, 9-11 .
c. II apparait a deux disciples, xvi. 12-13.
d. 11 apparait aux Apolres. xvi, 14.
2. — Le Christ monlant au ciel. xvi, 13-20.
a. Ordresdonnesaux Apotres.xvi, 13-18.
b. L' Ascension de Notre-Seigneur Jesus-
Christ, xvi, 49-20.
fiVANGILE SELON S. MARC
CHAPITRE 1
S. Jean-Baptiste remplit son role de Preciirseur {tf. 1-8). — Bapteme de Jesus (ft. 9-H).
— Sa leiitation dans le desert {tt. 4 2-13). — 11 commence a precher (tt. 14-15). — Voca-
lion de S. Pierre el de S. Andre, de S. Jacques et de S. Jean lift. 16-20). — Jesus preche
dans la synagogue de Capharnaiim {tt. 21-22). — II y guerit un demoniaque {ft. 23-28). —
Guerison de la belle-mere de S. Pierre et d'autres malades (tt. 29-34). — Priere solitaire
du Christ [tt. 35-37). — Sa premiere course apostolique [tt. 38-39). — Guerison d'un
lepreux [tt. 40-45).
1. InitiumEvangelii Jesu-Ghristi,
Filii Dei.
1. Commencement de I'Evangile
de Jesus-Christ, Fils de Dieu.
PRfiAMBULE
I, 1-13.
Dansce preambule, que les commentateurs
s'accordent a trouver majestueux et saisis-
sant iiialgre sa grande simplicity, nous voyons
Je Precurseur et le Messie faire lour a lour
leur apparition sur la scene evangelique. Jean
preche et baptise dans ie desert de Juda,
tt. 1-8 ; Jesus inaugure sa vie publique par
•deux mysleres d'humiliation, tt. 9-13.
1. — Le Precurseur. I, 1-8. — Farall. Matth.
Ill, 1:12; Luc. in, 1-18.
CHAP. I. — 1. — Iintium. S. Marc com-
mence son recit de la fagon la plus abrupte,
nous conduisant aussitot « in medias res ».
Des sa premiere ligne, il se raonlre a nous
comme I'EvangtMiste de Taction (Voir la Pre-
face, § VII;. Les deux autres synopliques con-
sacrent quelquos pages aux origines humai-
nes de Jesus ; Cfr. Matth. chap, i el ii ; Luc.
chap. 1 el II ; S. Jean, i, 1-18, raconle lout
d'abord au lecteur la geiieralion elernelle du
Verbe : rien de semblable dans S Marc. Pre-
nant Notre-Seigneur Jesus-Christ dans la
plenitude de' sa vie, il passe directement aux
fails qui preparerent d'une manifere iirrme-
■diate le ministere messianique du Sauveur.
Nous trouvons des ce debut tout ce qui le
caracleri^e comme ecrivain, c'est-a-dire la
rapidile, la concision, le pittoresque. — II
regne parmi les exegetes le plus complet di-
saccord sur renchainement ei i'orgaiiisalion
interieure des qualre premiers verscls. Qu'il
suffise do menlionner les trois opinions prin-
cipales. 1° Theophylacte, Euthymius, Va-
table, Maldoiiat, etc., suppleent rjv ou « fuit »
a la fin du t. 1, qu'ils raUaclient ainsi aux
deux suivants. Una nouvelle phrase com-
mence avec le if. 4. 2° D'autres critiques, lels
que Lachmann, Mgr Mac-Evilly, le P. Palrizi
(de Evangel, libri III, di-serl. xliv. 1-2; Cfr.
In Marc. Comment, p. 4). sous-entendent les
mots « fuit ita » apres « Filii Dei » au t. 1 ;
ils ouvrent (>nsuile une parenthese dans la-
quelle ils placenl les ft. 2 et 3. Le ir. 4 se
relie par la-meme directement au t. 1, qu'il
complete et explique. « Voici quel fut le debut
de I'Evangile... :Jean parul dans !e desert... »
30 On isole tout a fail le premier verset des
suivants, de maniere a en faire une sorte de
litre; puis on traite les tt- 2, 3 et 4 comme
une longue phrase conditionnelle, de sorte
que le dernier membra, « Fuit Joannes... »,
retombesur le premier, « Sicut scriplum est ».
« Ainsi qu'il est ecrit dans le prophete
Isaie... : Jean fut dans le desert baplisant et
prechant ». Cet arrangement nous parait le
plus naturel et le plus logique des trois. —
Evangelii. YoYezVe\])\ical\on de cetle expres-
sion dans rinlroduction generale, chap. i.
Evidemmenl, elle no desigtie pas ici le livre
compose par S. Marc, mais la bonne nouvelie
messianique dans toute son etendue. Quoique
celte bonne nouvelle eiit deja ete annoncee
si frequemment par les prophetes, quoique
Dieu lui-meme eut daigne en faire entendre
los premiers accents a Adam et a Eve aussitot
apres leur peche, Gen. iii, 15 (les Peres ont
jusloment nomme ce passage « le Prolevan-
gile »), neanmoins, a proprement parlor, I'E-
vangile ne commence qu'avec ia predicatioa
24
fiVANGILE SELON S. MARC
2. Ainsi qu'il est ecrit dans le
prophete Isaie : Voila que j'euyoie
devant ta face mon ange qui prepa-
rera ta voie devant toi ;
2. Sicut scriptum est in Isaia pro
pheta : Ecce ego mitto angelum
meum ante faciem tuam, qui prse-
parabit viam tuam ante te :
Mai. 3, 1.
de S. Jetin-Baptiste. — Jesu-Christi. Nous
avons expiique I'etymologie et le sens de ces
beaux noms dans notre commentaire sur
S. iMatlhieu, p. 38 et 44. La maniere dont ils
sont rattaches au mot « Evangelium » (« ge-
flitiv. objecti » des grammairiens, I'Evangile
concernant Jesus-Chrisi) indique que Jesus
est I'objel de la bonne nouvelle quel'Evange-
lisle se propose de raconter tout au long. —
Filii Dei. Ces mots ne sauraient etre ici,
comme le pretendent plusieurs ralionalistes,
un simple synonyme de « Messie » : on doit
Jes prendre dans leur acception theologique
Ja plus stride et la plus relevee. S. Marc
attribue a Nolre-Seigneur Jesus-Christ, des
le debut de sa narration, un titre dont toutes
les pages suivantes prouveront la parfaite
verite, un titre que les premiers predicaleurs
du Clirislianisme joignaient imraediatement
a son nom des qu'ilss'adressaient a un audi-
loire paien. S. Matlhieu, ecrivant pour des
Juifs, commence au contraire par dire que
Jesus est fils d'Abraham et de David : il ne
parle qu'un peu plus tard de sa divinite.
Quoique le but fut le meme, la methode va-
riait suivant les circonstances. Cette appella-
tion de « Fils de Dieu » est employee septfois
par S. Marc; S. Jean I'applique jusqu'a
•29 fois a Jesus. Voila, des le debut du second
Evangile, trois noms qui contiennent tout le
caractere et tout le role du Sauveur. Jesus,
c'est I'homme; Christ, e'est la fonction; Fils
dtjDieu, c'est la nature divine.
2. — Sicut scriptum est. Anneau qui rattache
le Nouveau Testament a I'Ancien, I'Evangile
aux Propheles, Jesus au Messie promis. En
effet, dit Janseniiis, « initium Evangelii non
I'orluitum, vel humani consilii, sed sicut
antea prophelis dictum fuerat, Deo fidem
suam liberante ». S. Matthieu citait a chaque
instant les ecrils de I'ancienne Alliance,
pour prouver le caractere messianique du
5auveur; S. Marc ne les rapproche de lui-
meme qu'a deux reprises (Cfr. xv, 26) des
faits evangeliques. Voir la Preface § IV, 3, So.
Mais le rapprochement actuel est significatif,
-comme le fai^ail remarquer S. Irenee, c. Haer.,
Ill, 10, 6 : « Marcus... initium evangelicae
conscriptionis fecit sic : Initium Evangelii...,
manifeste initium Evangelii faciens sanctorum
Prophetarum voces ». 11 ajoute : « Unus et
idem Deus et Pater, a Prophetis annuntiatus,
ab Evangelio traditus, quern Christiani coli-
xnus et diligimus ex toto corde ». — In Isaia
propheta. Les text.es grecs imprimes et la
plupart des manuscrits ne mentionnent pas lo
nom d'Isaie ; de plus, le mot projjhele y est
mis au pluriel, ev rot? Trpoq;r,Tai?, « in prophe-
tis », et de fait la ciiali'on apparlient a deux
prophetes, \e t. 2 a Malacliie, in, 1, le f . 3
a Isaie, xl, 3. S. Irenee avait adopte celle
legon. S. Jerome, in Mallh. iii, 3, regardait
de son cote le nom d'Isaie comme une inter-
polation : « Nos nomen Esaiae putamus
additum scriptorum vitio ». Cependant, plu-
sieurs manuscrits grecs importants, B, D, L,
A, Sinail., et des versions assi^z nombreuses,
lelles que la copte, la syrienne, I'armenienne,
I'arabe et la persane, portant ou ayant lu
£v TO) 'laaiaxwirpoipyiT^ comme la Vulgate, la
plupart des critiques se decident a bon droit
en faveur de cette variante. II est vrai qu'elle
cree une assez grande difficulte d'interpreta-
lion, puisque le passage cite par S. Marc,
ainsi que nous venons de le dire, n'est pas-
seulement extrait de la prophelie d'Isaie,
mais encore de celle de Malachie. Toutefois
eel fail meme contient une raison favorable
a I'authenticite, conformement aux principes
de la critique lilteraire. Du resle, les exegetes
ne sont pas a court de moyens pour justifier
la formule employee par S. Marc, l^) isaic
serait seul mentionne parce qu'il etail le
plus celebre et le plus ancien des deux pro-
phetes; 20 ou bien son nom representerait le
livre entier des prophelies de I'Ancien Testa-
ment, de meme que le mot Psaumes servail
parfois a designer tousles Hag'ographes;Cfr.
Palrizi, In Marc. Comment., p. 5. 3° Peut-
etre est-ii mieux de dire que S. Marc use id.
de la liberie que les ecrivains de I'antiquite
soil sacree, soil profane, s'accordaient volon-
tiers en fait de citations : « Quemadmodum
Matlhaeus, c. xxi, t. 5, unius prophetae no-
mine Zachariam citat et quiddam ex Is.
LXii, 11, adspergit, ac Paulus. Rom. ix, 27^
Isaiam appellal, et quiddam ex Os. ii, 1,
attexit : sic Marcus duos alle^al..., atqu&
unum Isaiam prophetam appellat ». Bengel,
Gnomon Nov. Test. h. 1. Cfr. Act. xiii, 40,
D'apres un grand nombre de ralionalistes
modernes, S. Marc aurait ete mal servi par
sa memoire; d'apres Porphyre, il se serait
rendu coupable d'une grossiere maladresse
en nommanl un prophele pour un autre! Cfr.
Homil. de principio Evang. sec. Marc, inter
opera S. Chrysost. — Ecce ego mitto... Nous
avons vu dans le premier Evangile, xi, 10^,
CHAPITRE I
25
3. Vox clamantis in deserto : Pa-
rate viam Domini, rectas facite se-
mitas ejus.
Isai. 40, 3; Joan. 1, 23; Luc. 3, 4; Match. 3, 3.
4. Fuit Joannes in deserto bapti-
zans, etpraedicans baptismum poeni-
tentise in remissionem peccatorum.
b. Et egrediebatur ad eum omnis
Judaeae regio, et Jerosolymitse uni-
3. Voix de celui qui crie dans le
desert : Preparez la voie du Sei-
gneur, rendez droits ses senliers;
4. Jean etait dans le desert, bap-
tisant et prechant le bapteme de
penitence pour la remission des pe-
ches.
5. Et tout le pays de Judee et tous
les habitants de Jerusalem allaient
Notre-Seigneurappliquerlui-memeces paroles
de Malachie aii saint Precurseur. — Angelum
meum, c'esl-a-dire, d'apres I'etymologie du
raol avyeXoi;, mon envoye , mon messager.
Jean-Baptisle n'a-l-il pas ete le vrai 7tpo6po[i.o;
de Jesus?
3. — \ox clamantis... Voir I'explicalion
de cette prophelie dans TEvangile selon
S. Mallh., p. 68. — Parate viam. « Quand un
homme de qualite doit traverser une viiie ou
un village, on envoye un messager pour aver-
tir les habitants qu'ils aient a preparer la
route et a attendre ses ordres. On voit aussitot
les gens se mettre a baiayer les chemins,
d'aulres qui etendent leurs vetements sur le
sol, d'autresqui coupent des branches d'arbre
pour etablir des guirlandes et des arcs de
verdure partout oil le grand homme doit
passer », Roberts, Oriental illustrations of the
sacr. Script, p. 555. — L'association des
textes de Malachie et d'Isaie, telle que nous
la trouvons ici, est une des particulariles de
S. Marc. Les deux autres synoptiques rat-
tachent bien la seconde citation a I'apparition
du Precurseur, Cfr. Matlh. iii, 3 et Luc.
in, 4-5 ; mais ils reservenl la premiere pour
line circonstance beaucoup plus tardive. Cfr.
Matlh. XI, 10, et Luc. vii, 27. Autre diffe-
rence : dans notre Evangile, c'est I'ecrivain
sacre qui signale en son propre nom le rap-
port qui exislait enlre Jean-Baptiste et les
divins oracles; dans les deux autres narra-
tions, c'est Jesus d'une part qui se sert de la
prophetie de Malachie pour faire I'eloge de son
Precurseur, c'est d'autre part S. Jean qui se
sert de la prediction d'Isaie pour s'humilier
profondement.
4. — Fuit Joannes. Voici I'ange annoncd
par Malachie. La voix dont Isaie avait parle
r(Hentit enfin dans le desert! In deserto : I'E-
vangeliste appuie sur cette expression, pour
montrer la realisation parfaile de la prophe-
tic qu'il vient de ciler. C'etait le desert de
Juda (Cfr. Matlh. in, 1 et le commentaire),
la contree desolee qui avoisine la Mer Morte,
et a laquelle les anciens Jnifs avaient donn6
parfois le nom significatif de J'1D''^% I'hor-
reur. Cfr. I Reg. xxtii, 24. — Baptizans et
prcedicans. Nous avons, dans ces participes,
I'indication des deux grands moyens par les-
quels S. Jean accomplissait son role glorieux
de Precurseur. 1o 1| baptisait : il adminis-
trail, le plus souvent sur les rives du Jourdain,
parfois en d'aulres lieux, Cfr. Joan, in, 23,
ce rite symbolique d'oii lui est venu le surnom
de Baptiste. Nous en avons explique la nature
dans noire commentaire sur S. Maltliieu ,
p. 70. 2° II prechaitet, dans sa predication, ii
recommandait vivement son bapteme, autour
duquel il groupait loules les veriles qu'il an-
nongail, la necessite de la penitence, la re-
mission des peches, I'avenement prochain du
Christ [t- 8). — BajUismum pcenitenti(e, c'est-
a-dire « baptismum in fcenitentiain ». Cfr.
Beelen, Gramm. graecitat. N. T., p. IQI. Ce
nom, qu"on retrouve dans le troisieme Evan-
gile, in, 3, et au livre des Act?s, xix, 4,
determine tres-bien le caractere du bapteme
de S. Jean : c'etait un signe vivant de peni-
tence pour tous ceux qui le recevaient, car il
leur montrait de la maniere la plus expressive
la necessite ou ilsetaientde laver leurs ames
par le repenlir, de memo que leurs corps
avaient ete purifies par I'eau dans laquelle ils
s'etaient plonges. — In remissionem peccato-
rum.. Le bapteme du Precurseur n'avait pas
une verlu sufiisante pour remeltre de lui-
raeme les peches, mais il disposait les coeurs
a obtenir du Christ ce precieux resultat. —
Sur le nom de S. Jean, voir I'Evangile selon
S. Matlh., p. 66 ; sur I'epoqtie de son appa-
rition, Luc. in, \ et les notes.
5. — Apres avoir decrit d'une manl6re ge-
nerale S. Jean et son ministere, I'Evangeliste
donne quelques details particuliers sur ses
auditeurs, t. 5, sur sa vie mortifiee, t. 6, et
sur sa predication, lit. 7 et 8. Le tableau est
concis, mais ilest vigoureusement trace, a la
maniere accoutumee de S. Marc. — Et egre-
diebatur. C'est I'auditoire qui est d'abord mis
sous nos yeux. Les epilheles omnis, universi,
bien qu'ellessoient des hyperboles populaires,
temoignent neanmoins d'un concours [irodi-
gieux, occasionne par un immense enlhou--
S6
EVANGILE SELON S. MARC
vers lui et, confessant leurs peches,
ils etaient baptises par lui dans le
fleuve du Jourdain.
6. Or, Jean etait vetu de poils de
chameau, et d'une ceinture de peau
autour de ses reins, et il mangeait
des sauterelles et du miel sauva^e;
et il prechait, disant :
7. Un plus puissant que moi vient
apres moi, et je ne suis pas digne,
me prostern^vnt, de delier la cour-
roie de ses chaussures.
versi, et baptizabantur ab illo in
Jordanis flumine, contitentes pec-
cata sua.
Matth. 3, 4.
6. Et erat Joannes vestitus pilis
cameli, et zona pellicea circa lumbos
ejus; et locustas, et met sylvestre
edebat. Et prsedicabat, dicens :
Matth. 3, 4; Lev. 11,22.
7. Venit fortior me post me : cujus
non sum dignus procumbens solvere
corrigiam calceamentorum ejus.
Matth. 3, 11 ; Luc. 3, 16; Joan. 1, 27.
siasme. La plupart des habitants de la Judee
el de Jerusalem accouraient aiipres du Pre-
curseur. De fait, tout le pays, represents par
lesdifferentesclassesdela sbciele,Cfr. Matth.
HI, 7; Luc. Ill, 10-14, se Iranr^portait sur les
bords du Jourdain. — Et baptizabantur. Tou-
ches par la predication de S. Jean, tous re-
cevaient avec empressemenl son bapteme :
lo texte grec le dit formellement, -/.al sSaTtri-
^ovxo zavTs; ev ~S> lopoavr;. Ce ticxvte; represente
« universi » de hotre texte latin. La Vulgate,
guidee sans doute par d'ancions manuscrits,
I'a rattache a « Jerosolymilae ». — In Jorda-
nis flumine. Un de ces petits traits a peine
perceptiblos par lesquels on reconnait la des-
tination d'un ouvrage. S. Matthieu, du moins
d'apres les m^illeurs manuscrits, ne dit pas
que le Jourdain est un fleuve : aucun de ses
lecteurs Juifs ne pouvait I'ignorer. Au con-
traire, les paiensconvertis pour lesquels ecrit
S. Marc ne connaissaient point la geographic
de la Palestine; de la cette designation par-
liculiere. — Confitentes peccata sua. Voyez
quelques details sur cette confession dans I'E-
vangile selon S. Matlhieu, p. 70.
6. — En S. Jean, tout portait a la peni-
tence : son bapteme, sa predication, son aspect
exterieur et sa vie. Nous trouvons ici des
informations inleressantes sur ces deux der-
niers points. — Vestitus pilis. ..Vour I'aspect
exterieur, le Baptiste ressemblait a Elie, son
grand modele : ils avaient I'un et I'autre le
meme costume, c'est a-dire une lunique gros-
siere de poils de chameau (□iS'Zi "I'Si* des
Rabbins, litt. laine de chameaux) et une
ceinture de peau pour la retrousser ; Cfr.
IV Reg. VIII, 8. Voyez Jahn, Archaeolog.
bibl. §120 el 121. — Locustas et mel silvestre.
Jean ne soutenait sa vie qu'a I'aide des mets
les plus vulgaires : TEvangeliste signale les
deux principaux, les sauterelles el le miel
sauvage, dont les Bedouins nomades font
encore aujourd'hui leur nourrilure dans les
meraes contrees. Voir Matth. iii, 4 el le com-
mentaire ; Burden, Oriental Customs, 6e ed.
t. IL pp. 254 et suiv.
7. — S. Marc resume en deux versets tout
ce qu'il a juge a propos de nous conserver
sur la predication du Precurseur. S'il est
beaucoup moins complet la-dessus que
S. Matthieu, et surtout que S. Luc, il nous
donne cependant une idee tres-exacte de ce
qu'etait I'enseigneraent de S. Jean-Baptiste
relativement a Jesus. La petite allocution
qu'il cite contient trois idees : lo Jean est le
Precurseur de Jesus ; 2° Jean est bien infe-
rieur a Jesus : 3o le bapteme de Jesus Tem-
portera de beaucoup sur celui de Jean. —
Venit fortior me... G'est la premiere idee.
Celui qui vient (Ip^cTat au present) n'est pas
nomme; mais tout le raonde comprenait sans
peine qu'il s'agissait du Messie, du Mesne qui
etait alors chez les Juifs Tobjet de I'altenle
universelle. S. Jean, divinement eclaire, voit
done en esprit le Christ qui s'avance, qui est
« in via » pour se manifester. — Post me. Le
Baptiste joue sur les mots. Habiluellement,
le plus fort precede le plus faible ; le plus
digne a le pas sur I'inferifiur: ici, c'est le con-
traire qui a lieu. — Cujus non sum dignus...
Seconde pensee. Jean a deja dit que le grand
personnage dont il annonce la venue est son
superieur (6 layupoTepoi;, remarquez eel article
plein demphase) ; mais il veut appuyer da-
vantage sur ceite idee importante, afin qu'il
n'y ait pas de meprise possible, et il I'exprime
au moyen d'une tres-forte image, que nous
avons expliquee dans nos notes sur S. Mat-
thieu, p. 74. — Solvere corrigiam. De menae
S. Luc, III, 16, et S. Jean, i, 27. Le premier
Evangeliste avail dit « portare » ; mais ce
n'est la qu'une nuance insignifiante, car I'es-
clave charge de porter les chaussures de son
maitre avait aussi pour fonction de les lui
mettre et de les lui oter, par consequent d'at-
tacher ou de delier les cordons qui servaienl
a les fixer aux pieds. — Procumbens. Detail
graphique qu'on ne trouve que dans S. Marc:
CHAPITRE I
27
8. Ego haptizavi vos aqua; ille
vero baptizabit vos Spiritu saucto.
Act. 1, S e( 2, 4 et H, 16 el 19, 4.
9. Et factum est, in diebus illis,
venit Jesus a Nazareth Galilsese; et
baptizatus ost a Joanne in Jordane.
8. Moi, je vous ai baptises dans
I'eau, mais lui vous baptisera dans
TEsprit-Saint,
9. Or il arriva qu'en ces jours-la
Jesus vint de Nazareth, ville de
Galilee, et il fut baptise par Jean
dans le Jourdain.
c'est un de ces traits pittoresques qu'il a
inseres en grand nombre dans son Evangile.
— Cujus... ejus est un hebrai'fme.
8. — Egc haptizavi. Troisieme idee, qui
etablit une comparaison cntre les deux bap-
temes, pour relever celui du Christ aux de-
pens de celui du Precurseur. Les parlicules
[jiev, 5e (« egoquidem. ipse autem ») du lexte
grecrendent I'anlithese plus frappante : il est
vrai qu'eilesj manquent dans les manuscrits
B, L, Sinait. — Spiritu Sancto.ll faudrait, d'a-
pres le grec, « in Spirilu Sancto »,!a preposi-
tion iv montre que le Sainl-Esprit est comme
lefleuve mystique el vivifiant dans lequel les
Chretiens sonl plonges au moment de leur
bapteme. S. Malthieu et S. Luc ajoutent « et
igni », mot important qui sen a mieux de-
terminer les effets superieurs du bapleme de
Jesus. Ainsi done, le Christ apportera au
monde des bienfaits spirituals que le Precur-
seur etait incapable de lui donner. — Quelle
humilite dans S. Jean! Elle est au niveau de
sa mortification. Rien de semblable n'avait
ete entendu depuis I'epoque des Prophetes.
Qui meritait mieux d'etre, selon le langage
de Tertullien, adv. Marc, iv, 33, « antecessor
et praeparator viarum Domini? » II est inte-
ressanl de rapprocher.de la narration evan-
gelique les lignes bien connues dans les-
quelles I'historien Josephe, Ant. xviit, 5, 2,
decril le portrait moral el le ministere de
S. Jean-Baptiste : « C'etait un homme par-
fail (aYa66v dvSpa), qui ordonnail aux Juifs de
s'exercfr a la vertu, a la justice les uns a
regard des autres, a la piete envers Dieu, et
de se reunir afin de recevoir le bapteme. En
effet, disait-il, le bapteme ne saurait etre
agreable a Dieu qu'a la condition qu'onevitera
soigneusement tous les peches. A quoi seivi-
rait-il de purifier le corps, si Tame n'etait
auparavanl purifiee elle-meme par la justice?
Un immi^nse concours se faisait aulour de lui
el la foule elail avide de i'entendre. »
2. — Le Messie. i, 9-13.
Apres avoir ainsi rapidement decrit la per-
sonne et le ministere du Precurseur, S. Marc
se hale de passer au Messie. II nous montre
Jesus proclame Christ et Sauveur par la voix
celeste tandis que Jeim le baptisait, et su-
bis^ant ensuile I'epreu 'e de la lentation.
a. Le bapteme de Je'sus. i, 9-11. — Parall. Matth.
Ill, 13-17; Luc. Ill, 21-22.
9. — Et factum est. C'est la formule he-
braique i"",, si frequemment employee par les
ecrivains de I'Ancien Testament. Elle a ici un
cachet tout a fait solennel, car elle inlroduit
Notre-Seigneur Jesus-Chri^t sur la scene. —
In diebiis illis : autre tournure hebrai'que,
Dnn D^D'^, assez vague en elle-meme, mais
qui est habituellemenl determinee par le con-
texte. Dans ce pas-^age, elle designe I'epoque
de la predication de S. Jean-Baptiste dont il
vient d'etre question. C'est done peu de temps
apres I'apparition de son Precurseur que Je-
sus commenga lui-meme sa Vie publique. D'a-
pres S. Luc, ill, 23, il avail alors environ
trente ans, I'age auquel les Leviles enlraient
en fonctions suivanl la Loi juive, Num. iv, 3.
La 780e annee depuis la fondation de Rome
approchail de sa fin. Voir Wieseler, Chronol.
Synopse der vier Evang., p. 170 c-t ss. — A
Nazareth Galilcece. Tandis que les deux autres
Synoptiques se conlentenl de mentionner ici
la Galilee en general, S. Marc, en vertu de
I'exaclilude de details qui le caracterise,
nomme le iieu special d'ou venail Jesus. Le
Sauveur avail done recimment quille sa
douce retraite de Nazareth, dans laquelle
s'etait ecoulee toute sa Vie cachee. Sur cette
bourgade privilegiee, voyez I'Evang. selon
S. Blalth. p. 63. — Baptizaius est. Notre Evan-
geliste om^t le beau dialogue qui s'engagea
enlreleBaptisleelJesus immedialemenl avant
radministration du bapteme, sur la significa-
tion duquel il jelte de si vives lumieres. (Cfr.
Malth. Ill, '13-15 et le commentaire) ; il sn
borne a signaler simplemenl le fait. — In
Jordane. Dans le grec, on lit el; t6v 'lopoaviiv
a I'accusatif : c'est peut-etre une « enallage
casus », figure tres-usitee dans les ecrits pro-
fanes et sacres; ou bi^n, il y a construction
pregnante poury.aTEor, eU tov 'lopo. ".a .3a7rxia07i.
— S. Jerome raconte (Onomasticon, s. v. Jor-
danis) que, de son temps, un grand nombre
de pieux croyants avaient la devotion d'aller
se faire bapti-^er dans les eaux du Jourdain :
il leur semblait que leur regeneration y serait
plus enliere. Aujouid'hui, lespelerins aimcnt
du moins a se baigner dans le flcuve sacre :
c'est meme pour les Grocs une ceremonie
officielle, qui se renouvelle chaque annee a la
28
EVANGILE SELON S. MARC
10. Et aiissitot qu'il sortit de
Teau, il vit les cieux ouverts, et
I'Esprit descendant comme une co-
lombe et demeurant sur lui.
11. Et nne voix des cieux se fit
entendre : Tu es mon Fils bien-aime;
je me siiis complu en toi.
12. Et aussitot TEsprit le poussa
dans le desert.
10. Et statim ascendens de aqua,
vidit coelos apertos, et Spiritum tan-
quam columbam descendentem, et
manenteni in ipso.
Lmc. 3, 22; Joaw. 1, 32.
1 1 . Et VOX facta est de coelis : Tu
es filius mens dilectus, in te com-
placui.
12.Et statim Spiritus expulit eum
in desertum.
Matlh. 4, 1 ; Luc. 4, 1 .
fete de Paque au milieu d'lin immense con-
cours.
10 ct 11. — Dans le recil des manifesta-
tions siiinatureiit'S qui suivirent le bapteme
de Jesus, S. Marc ne diftere pas nolablement
lie S. Malthicu. II inentionne egalemenl irois
j^rodiges, savoii- : i'oiiverture des cieux, la
drscente de lE-pril-Sainl sous la forme vi-
sible d'line Colombo, el la voix du Pere celeste
(]ui se fait entendre pour ralifier la filiation
divine de Jesus (Voir I'cxplication de ces
phenomenes dans I'Evang. selon S. Matth.,
[). 78 et s). Mais, selon sa coutume, il a rendu
sa narration pitloresque et vivante. C'est
ainsi 1o qu'il nous monlre Jesus, a I'lnstant
meine ou il sortait du Jourdam, voyant de
ses propres yeux les cieux qui s'ouvraient
au-dessus do hii : statim ascendens... vidit.
(Comparcz le vague « aperli sunt ei coeli »
de S. Maltliieu); 2° qu'il emploie une expres-
sion vr;iimenl plastique pour decrire ce pre-
mier phenomene : ayj.Zo\>.vio\Jz fous oOpavou?,
lilLeraicmcnt, les cieux dechues (Com|)arez
Luc. V, 36; xxiii, 45; Joan, xxi, 11 ; Matth.
xxvii, 51, ou le verbe cyj^w est applique a
un vetement, un voile, un filet qui se de-
chirent, ou a un rocher qui se fend ; apertos
de la Vulgate, est done une traduction impar-
faite); 3o qu'il fait adresser la voix celeste
directement a Jesui : Tu es filius mens..., in
te... Cfr. Luc. iii, 22. S'll n'appelie pas la
Iroisieme personne de la Sainte Trinite I'Es-
prit de Dieu, comme le premier Evangeliste,
ou FEspril-Saint, comme le troisieme, il a soin
de faire preceder son nom de Particle, to
•7rve\j(j.a, pour indiquer qu'il veut parler de
I'Esprit par excellence. — II n'y a rien
dans le texte grec qui corresponde a ct ma-
nentem de notre edition latine : ces mots ont
probablement ete tires de I'Evangile selon
S. Jean, i, 33. Gette divergence en a cree une
seconde; car, au lieu de I'ablalif in ipso, il
faudrait « in ipsum », xaTsSaTvov ek avTw. La
Vulgate a rat ache I'adverbe et le pronom a
« manentem »; de la i'emploi d'un cas qui
exprime le repos. Enfin la Recepta porte, au
t. 11, ev M eOSoxTjoa, « in quo complacui »
mais les nianuscrits B, D, L, P, Sinail., etc..
et plusieurs versions ont in te (ev oot. Voyez
Tischendorf, Nov. Testam. graece), comme la
Vulgate. — M. Rohault de Fleury, dans ses
belles Etudes iconographiquessur I'Evangile,
Tours, 1874, t. I, pp. 102 el ss., reproduit
un grand nombre de representations artis-
tiques relatives au baptemedeNotre-Seigneur,
et datant des douze premiers siecles. Ellas
conliennent des details Ires-curieux.
b. La tentation de J^sus. i, 12-13. — Parall.
Matth. IV, 1-11; Luc. iv, 1-13.
12. — Voila Jesus consacre Messie; mais
combien de sacrifices et d'humiliations lui
vaudra ce role pourtant si glorieux ! Le bap-
teme d'eau, reQu dans le Jourdain, appelle le
bapteme de sang qui lui sera confere sur le
Calvaire. En attendant cette epreuve supreme
du Golgotha, il y a I'epreuve preliminaire de
la tentation qui, dans les trois premiers
Evangiles, est elroitement unie au bapteme
du Sauveur. Mais nulle part la liaison n'est
mieux marquee que dans notre Evangile :
Et statim! A peine baptise, Jesus enire im-
mediatement en lutte avec Satan. II etait du
reste tres-naturel que son premier acte, apres
avoir regu i'onction messianique, consistat
a comballre les puissances infernales, puisque
tel etait un des buts principaux de son In-
carnation. Cfr. 1 Joan, ni, 8. Considerant le
bapteme du Jourdain comme une celeste ar-
mure dont Jesus avail ete revelu, S. Jean
Chrysoslome, Horn, xiii in Matth., crie a ce
divin Capitaine : « Allez done! car si vous
avez pris les armes, ce n'est pas pour vous
reposer. mais pour combattre » ? — L'adverbe
((Statim », que nous venons de renconlrer dejk
pour la seconde fois (Cfr. t. 10), est, comme
nous I'avon^ vu dans la Preface, § VII, la for-
mule favorite de S. Marc pour passer d'un
fait a un autre : nous la relrouverons a
chaque instant. Elle communique a sa narra-
tion beaucoup de vie et de rapidite. — Spi-
ritus expulit. Quel profond mystere 1 C'est
CHAPITRE i 29
13. Eteratindesertoquadraginta 13. Et il passa dans le desert
diebus et quadraginta noctibus : et quarante jours et quarante nuits, et
I'Espril Saint, hii-meme qui cnndiiil Jesus en
lace de son adversairel S. Mallhieu (H S. Luc
avaient employe des expressions bien fortes
pout- repiesenter celle action du divin Esprit :
avr,x6Yi, avait dit le premier; yjyr.io, avail ecrit
ie second; mais le verbe exSaXAsi (au present,
temps ainie de S. Marc, Cfr. la Preface, I. c)
(jue nous lisons ici, a une energi(^ plus grande
encore. « Eodein sensu Ires Evangelislae lo-
([uiinlur, sed Marcus aliquanlo etlicacius, et
quia plus est £y.ga),)£'v quam aysiv, el quia
pifesens lempus inajorem habet vim remque
magis ante oculos ponit », Maldonat, Comin.
in Marc. ii. I. Jesus est done pour ainsi dire
chasse violemmenl dans le desert. — Quelques
t'xe^eles peu eclaires, ou desireux de mellre
S. Marc en contradiction avcc S. Mallhieu el
avecS. Luc, supposenlque« Spiritus .> designe
ici I't'spril mauvais. C'esl iin grossier contre-
sens. — In desertum. Selon toute probabiiite,
c'esl dans le desert de la Quaranlaine {|u'eul
lieu la tentalion du Christ. Voir I'Evang.
selon S. Maith. p. 80.
13. — Et erat in deserto : dans le grec,
i-A.tl ev TY) ipriyw, « ibi in deserto », avec em-
phase. S. Marc, est obscur dans ce verset, parce
qu'il a vouhi trop abreger. Heureusement,
nous avons deux autres recits pour eclaircir
et pour completer le sien. S. Mallhieu et
S. Luc nous apprennent que Jesus, a peine
arrive dans le desert, se livra a un jeiane
rigoureux qui ne dura pas moins de quarante
jours consecutifs, qu'ensuile le Sauveur fut
atlaque a trois reprises par I'espril tentaleur,
mais qu'il repoussa victorieusement ce triple
assaul du demon. Au lieu de ces details inte-
ressanls, nous ne trouvons dans le second
Evangile qu'une phrase assez vague : Tenta-
batur a Satana. Quel est le sens de cet im-
parfait, ou du particlpe present qui lui cor-
respond dans le texle grec (7:£ipa!;6(jL£voO? Ne
dirait-on pas que, d'apres S. Marc, Jesus I'ut
tente pendant lout le temps de son sejour au
desert? seulement, que la tentalion eut vers
la fin des paroxysmes plus violents? Divers
commenlateurs I'ont pense, entre aulres
S. Augustin, de Cons. Evang. I. ii, c. 16. et
Luc de Bruges, In Marc. Comm. « Ex hoc
itaque loco inlelligilur, dit ce dernier, Jesum
non lantum peractis quadraginta diebus...,
verum eliam labentibus, varie et frequenter
a Satana fuisse lentalum ». Cfr. Maldonat,
h. I. A premiere vue, la narration de S. Luc,
IV, 2 el ss. (voir le commentaire), parait favo-
riser ce sentiment. Neanmoins, la plupart des
exegetesonl loujours enseigne que telle n'esl
pas la veritable inlerpretation, mais qu'on
doit ramener les recits du second et du troi-
sieme Evangile a celui de S. Mallhieu, qui
est le plus clair des trois. Or, le premier
Evangeliste suppose formellement que la ten-
talion ne commenga qu'apres les quarante
jours de jeune et de retraite : « Quum jeju-
nasset quadraginta diebus..., poslea esuriil.
Et accedens tentalor... » Mallh. iii, 2-3.
Du resle, dans le texte grec de S. Marc, le
fail de la tentalion n'est pas associe d'une
maniere aussi etroite aux quftranle jours que
cela a lieu dans la Vulgate. En efifet, la con-
jonclion xat n'exi>le pas devanl Tt£ipa!;6|j.£voi;;
les diHix evenemenls, le sejour au desert et
la tentalion, sonl simplemenl notes I'un a la
suite de I'aulre : pourquoi vouloir elablir entre
eux des rappoits de subordination, tandis
que le lexle peul s'expliquer au besoin par
ceux d'une simple succession ? Voyez Cornel.
a Lap. — Eratqae cum bestiis. Malgre sa brie-
vete extraordinaire en ce passage, S. Marc a
su pourlant nous apprendre deux choses nou-
velles : la premiere consiste dans le nom de
Satan, que nous lisions unpeu plus haul, el qui
est plus expressif que le « diabolus » des autres
narrateurs; nous trouvons la seconde ici
meme. Toutefois, ce trait pittoresque et vrai-
menl digne du second Evangile devait etre,
malgre son apparenle siinplicite, une pomme
de discordepour les commenlateurs. Combien
d'opinion diverses n'a-l-il pas suscitees I
\o D'apres les uns, il exprimerail les dangers
exlerieurs que courait le divin Maitre : si le
demon tentail son 3me, les betes feroces
elaienl la , menaganles pour son corps.
2° Suivanl les aulres, ce ne serail pas une
realile, mais un pur symbole : les animaux du
desert, qui sontcensesenlourer Jesus, figurent
les passions el la concupiscence d'ou provient
habiluellement la tentalion. 3oD'aulres voient
dans cecurieux detail I'expre^sion d'untype:
S. Marc, en le notanl, voulait etablir un rap-
prochement entre le second Adam el le pre-
mier; monlrer Jesus, meme apres la chute,
entoure de betes sauvages qui ne lui nuisent
point, comrae autrefois le pere de I'humanite
dans !o paradis terrestre. 4" On admel plus
communeuient, a la suite de Theophylacle et
d'Euthymius, que c'esl la un trait destine a.
bien mellre en relief le caraclere tout a fait
sauvage du desert ou residait alors Jesus.
Cfr. , Maldonat, Luc de Bruges, D. Calmel, etc.
Voyez aussi la description du desert de la
Quaranlaine dans I'Evang. selon S. Mallhieu,
p. 80. Telle est, croyons-nous, la veritable
interpretation. Le P. Patrizi afTaiblit ccpen-
dant la pensee quand il dit : « Nihil aliud eo
significalur quam Christum quadiaginla illis
diebus cum nemine esse conversatum ». la
30
EVANGILE SELON S. MARC
il etait tente par Satan, et il etait
parmi les betes, et les auges le ser-
vaient.
14. Mais, apres que Jean eut ete
livre, Jesus vint en Galilee; pre-
chant I'Evangile du royaume de
Dieu,
tentabatur a Satana; eratque cum
bestiis, et angeli ministrabant illi.
14. Postquam autem traditus est
Joannes, venit Jesus in Galilseam,
prsedicans Evangelium regni Dei,
Matlh. 4, 12; Luc. 4, 14; Joan. 4, 43.
Marc. Comm., p. 10. Ces animaux du desert
etaient alors, comme aujourd'hiii, les pan-
tlieres, les hyenes, les ours et les chacals : plus
dun voyageiir les a rencontres ou a enlendu
leurs cris dans ces parages. — Angeli mi-
nistrabant illi. Les anges aussi sont aux cotes
de Jesus, pour le servir comme leur Prince
venere. Quelle elrange reunion autour du
divin Maltrel Satan, les betes fauves, les
esprits celestes, c'est-a-dire I'enfer, la terre
et le ciel! II y a la de frappanls contiasles,
qui sont d'ailleurs tres-netlement marques
par S. Marc. Le N^. 13 se compose en effet de
deux phrases paralleles, ayant chacune deux
niembres qui se correspondent exaclement,
enongant des idees d'abord connexes, puis
opposees ; Jesus elait dans le desert et tente
par Satan ; il etait avec les betes et servi par
les anges.— Quoique la penseeexprimee par
le verbe « minislrare » soit des plus simples,
elle a ete mal comprise et defiguree par plu-
sieurs ecrivains prolestants, qui donmmt aux
anges la singuliere mission de proteger Notre-
Seigneur contre les altaques des animaux
sauvages. Lighlfoot aussi est tombe dans
I'erreur quand il a regarde la presence des
anges comme un second genre de tentation
pour le Christ : d'apres lui, le demon ss serait
dissimule sous la forme angelique afin de
mieux reussir a tromper et a vaincre Jesus !
Cfr. Hor. talm. in Marc. h. 1. — Tel est done
le recit de la tentation du Christ d'apres
S. Marc : nous y voyons un remarquable
exemple de I'indepeiidance des Evangelistes
en tant qu'ecrivains. — Nous avons a noter
encore sur In t. 13 que les mots et noctibus
manquent dans le texle grec ; c'est probable-
ment un emprunt fait a S. Matlhieu par
quelque copiste.
PREMlfiRE PARTIE
VIE PUBLIQUE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-
CHRIST. I, 14-X, 52.
D'apres S. Marc, comme d'apres les autres
synoptiques, c'est dans la province de Galilee
d'une maniere a pen pres exclusive que Jesus
deploie son activity messianique pendant sa
Vie publiquo : il etait reserve a S. Jean de
decrire le ministere du Sauveur a Jeru-alcm
et en Judee. Nous avons vu dans la Preface,
§ VIII, que cette partie de I'existence du divin
5lnitre d'apres le second Evangile pent se par-
tager en trois sections, dont la premiere nous
monlre Jesus agissant plusspecialement dans
la Galilee orientale.
Ire SECTION. — MINrSTEHE DE JESUS DANS LA GALILEE
ORIENTALE. I, 14-VII, 23.
1 . — Les debuts de la predication du Sau-
veur. I, 14-d5. — Parall, Matth. iv, 12; Luc.
IV, 14-15.
14. — Postquam traditus est, sell. « in car-
cerem ». Voyez I'Evang. selon S. Malth.,
p. 88. Nous trouverons plus loin, vi, 17-20,
les details de cet emprisonnement sacrilege.
— Les evangelistes synoptiques sont unanimes
pour ratlacher raclivile messianique de Jesus
a ce fait important, comme aussi pour en
fixer le premier theatre en Galilee. Le mi-
nistere auquel Nolre-Seigneur s'elait livre
en Judee d'apres S. Jean, iii, 22, presque
aussitot apres son bapteme, doit elrc simple-
ment envisage comme une oeuvre de prepa-
ration et de transiUon. En realite, la Vie
publique ne s'ouvre qu'au moment de I'arres-
tation du Precurs'^^ur, c'est-a-dire lorsque le
herault se retire poui- faire place a son Maitre.
— Venit... in Galilcexm. La Galile.; elait la
plus septentriouale des trois provinces pales-
tiniennes situees a I'Ouest du Jourdain.
Voyez I'Atlas biblique de V. Ancessi, pi. xiii.
De magnifiques promesses lui avaient eie
autrefois adressees au nom fie Jehova, Cfr.
Is. VIII, 22; IX, 9, et Matlh. iv, 14-16;
Jesus vienl actuellement les acconijilii-. Au
resle, la Judee elait alors peu disposee a re-
cevoir I'Evangile : le Sauveur n'y trouvait
presque personne a qui it put se fier. Cfr.
Joan. II. 24. La Galilee au contraire elait un
terrain fecond, sur lequel la bonne semence
devait promptement germer et abondamment
fructifier, comme nous le montrera la suitp
du recit. — Prcedic.ans Evangelium regni
Dei. Le mot « regni », qui fait defaut dans
les manuscrils B, L, Sinait., etc., dans Ori-
gene, dans les versions copte, armenienne
et syriaque, est regarde par les meilleurs
critiques comme une interpolation. La legon
primitive aurait done ete to zbc/.^'{iliov toO
0EOU, I'Evangile de Dieu, et le mot « Dei »
serait au cas norame par les grammairiens
CHAPITRE 1
31
15. Et dicens : Quoniam impletum
est tempus, et appropinquavit re-
gnuin Dei; posnitemini, et credite
Evangelio.
16. Et prseteriens secus mare Ga-
lilsese, vidit Simonem et Andrseam
IS Et disant ; Le temps est ac-
compli et le roy.Mime de Dieu est
proche; faites penitence et croyez a !
I'Evangile.
16. Or, en passant le long de la
mer de Galilee, il vit Simon et An-
« genitivus originis », pour signifler : I'Evan-
giie dont Dieu est I'auteur. Peu imporle du
reste ; le sens est le meme en toule hypo-
these. — Voiia Jesus prechant I'Evangile!
Comma ia « bonne nouvelle » elaitbien placee
sur ses levres divines!
15. -^ Et dicens. S. Marc donne a ses lec-
teurs un resume vraiment sai?issant de la
predication du Sauveur. Son style est ici
rhythme, cadence a la fagon orienlale, plus
encore qu'au t. 13. Nous avons de nouveau
deux phrases, comppsees chiacune de deiix
propositions ;
Le temps est accompli
et le royaume de Dieu est proche.
Faites penitence ,
et croyLZ a I'Evangile.
La premiere phrase indique ce que Dieu a
daigne faire pour le salut des hommes; la se-
conde, ce que les hommes doivent faire a leur
tour pour s'approprier le salut messianiquc.
Voir Schegg, Evang. nach Markus, t. I. [). 35.
■— 'loL'ocuvre de Dieu. Quoniam impletum eat
tempus. V. Quoniam »e3t recilatif. « Tempus »,
en grec 6 y.aipoi;, le temps par antonomase,
c'esl-a-dire I'epoque designee de toule eternite
pour I'accomplissement .des divins decrets
relalifs a la redemption de I'humanite. « Gom-
pletum est » : la plenitude des temps est
arrivee, s'ecriera plus lard S.Paul a deux re-
prises, Gal. IV, 4 et Eph. i, 10; les longs
jours d'attente (Cfr. Gen. xlix, 10) qui de-
vaient preceder la manifeslalion du Christ
sontenfln passes. Quelle nouvelle! Et c'est lo
Messie lui-merae qui I'apporte! Mais qui
mieux que lui pouvait dire ; Les temps sent
accomplis ! — Appropinquavit regnum Dei.
Le royaume de Dieu, c'cst le royaume messia-
nique dans toute son etcndue. Expression
consacree, dont nous avons oxplique I'origine
el le sens dans notre Comnientaire sur
S. Malthicu, pp. 67 et 68. — 2° L'oeuvre de
I'homme, ou conditions d'eniree dans le
royaume des cieux. Pcenitemini, (jiexavoeiTe.
On n.! pensaitguerealors arealiser cette pre-
miere condition, quoique ie souvenir et le
desir du Messie fusseut dans tous les cc&urs
el sur toules ies levres. — Seconde condi-
tion : Credite Ecangclio. Le grec est beaucoup
plus energique ; il dit : TtiuTsucTe ev-itTjeOaYVEXiw,
litteralement : Croyez dans I'Evahgile! L'E-
vangile est pour ainsi dire Telement dans
lequel la foi devra nailre et grundir;la base
sur laquelle elle devra s'appuyer. Cfr. Eph.
1, 1. Celle foi que Jesus exigo rigourcusemenl
des siens n'est done pas un sentiment vague
et general : son objet special, I'Evangile, par
consequent tout ce qui concerne la personne
et I'enseignement de Nolre-Seigneur, est de-
termine de la fagon la plus nelle. — S'il est
permis d'employer une expresssion qui est
actuellement a la mode, nous dirons que lout
le « programme » de Jesus est contenu dans
ces quelques paroles. On y voit en pi'emier
lieu sa doctrinatoucluint I'anciemie Alliance:
les divins oracles sonl accomplis. On y voit
ensuiie I'idee fondamentale du Chrislianisme :
le royaume de Dieu avec tout ce qu'il ren-
ferme. On y voit enfin les conditions prelimi-
naires da saUit : la penilence et la foi.
2. — Les premiers disciples de Jesus, i, 16-20,
Parull. Matlh. iv, 18-i:'2; Luc. v, 1-11.
16. — Dans cetle touchante narration, qui
nous revele la puissance de Jesus sur les vo-
lonles et sur les ames, S. Marc differe a jieine
de S. Malthieu. Nous avons pourtant a si-
gnaler plusieurs traits caraclerisl upu^s, qui
prouveront de nouveau i'iridependance des
ccrivains sacres. — Prceteriens : expression
pittoresque, speciale a notre Evcingelisle. —
Secus mare Galikece. Le divin Maitre a quilte
Nazareth pour venir se fixer a Ca|)harnaum,
Cfr. Matth. iv, 13-18 ; Luc iv, 31 ; v, 16, sur
les bords du lac si charmanl de Tiberiade,
que nous avons decrit, en expliquant le pre-
mier Evangile, p. 81. II est seul encore;
mais voici qu'il veul attaeher d^finilivement
a sa personne quelques disciples avec les-
quels il a eu, vers I'epoque de son bapteme,
des relations assez etroites, quoique icmpo-
raires, Joan. i. 35 et ss. lis deviendront ses
quatre principaux Apolres. — Simonem et
Andream. S. Malthieu et S. Luc. dans les
passages paralleles, ajoutent au noui do Si-
mon I'epithele de Pierre. S. Marc e^l le seul
a ne pas mentionner ce surnom. Nous avons
vu dans la Preface, § IV, 4, qui>ses rapports
intimes avec le Piinco des A[)otres ont visi-
blemenl influe sur sa narration toules les fois
qu'clle louche a ce saint personnage : tantot
elle est plus complete, tanlol elle est moins
precise que les autres recils evangeliques, se-
lon les circonslances. — Mittentes relia. Le
grec, pdUov-ra? a[j.9tr3),-/i<7Tpov, determine mieux
la nature du filet dont se servaient alors les
35
EVANGILE SELON S. MAUC
dre, s jn frere, jetant leurs filets dans
la mer, car ils etaient pecheurs.
17. Et Jesus leur dit : Venez avec
moi, et je vous ferai devenir pe-
cheurs d'liommes.
18. Et aussitot, laissant leurs
filets, ils le suivirent.
19. Et s'etant avance un peu au-
dela, il vit Jacques, tils de Zebedee,
et Jean, non frere, qui raccommo-
daient leurs filets dans une barque.
20. Et aussitot il les appela, et,
laissant leur pere Zebedee dans la
barque avec les mercenaires, ils le
suivirent.
fratrem ejus mittentes retia in mare,
(erant enim piscatores) ;
Matth. 4, i8; Luc. 5,2.
17. Et dixit eis Jesus : Venite post
me; et faciam vos fieri piscatores
hominum.
18. Et protinus relictis retibus,
secuti sunt eum.
19. Et progressus inde pusillum,
vidit Jacobum Zebedeei et Joannem
fratrem ejus, et ipsos componentes
retia in navi;
20. Et statim vocavit illos. Et re-
licto patre suo Zebedseo in navi cum
mercenariis, secuti sunt eum.
deux freres. 'Au.9t'6),r,aTpov, c'esl I'epervier, !e
(ilel que l"on jelte, « jaculiim » ou « funda «
des Latins, el qui. lor>qu'il est adroilemenl
lance par dessus i'epaule, soil du rivage, soil
du bateau, lotombe circulairement (i^o:8il-
).eTa'.) sur I'eau, el aiors, s'enfonQant ra'pide-
menl par le poids des plombs qui y sont aita-
cties. enveloppe lout ce qui est "au-dessous
de iui, » Trench. Synon. of the N. Test.,
§ Lxiv. — In mare.'Le lac de Tiberiade a
toujour? passe pour elre un des plus poisson-
neux du monde.
17. — Prenant I'humble profession de
Pierre et d'Andre pour point de depart, Jesus
les appelle a de sublimes destinees, qui ne
seronl pas sans analogie, leur dit-il, avec
leur metier de pecheurs. lis seront desormais
piscatores hominum. Voir sur cette expres-
sion I'Evang. selon S. Matth., p. 98. ;Le
P. Curci, dans ses Lezioni esegetiche e morali
sopra i quattro Evangeli, Firenze, 1874-1877,
t. II. p. 139, fait a son sujel d'ingenieux et
gracieiix rapprochements). C'est ainsi que,
dans le langage figure du Sauveur, tout de-
vient signe ou symbole de ce qui aura lieu
dans son royaume. — Faciam... fieri, Tvo-.r,-
cw... 7£V£!76a( : singulier pleonasme. Le texts
grec de S. Maiihieu, iv, 19^ porte simplement
18 — Ce versel raconle la prompte obeis-
sance des deux freres. S. Marc ne pouvail
manquer d'employer ici son adverbs favori
•OQico;. Cfr. V. 20.
19 St 20. — A qaelque distancs de la {pu-
sillum est xxne parlicularite de S. Marc), une
scene identique se renouvelle pour un autre
couple de freres, S. Jacques et S. Jean. —
Componentes retia. Le verbs grec -/.a-apiii^ui
serait mieux Iraduit par « sarcire, reficere ».
Cfr. Mallh. iv, 21. Tandis que les fils de Jona
etaient occupes a jeter leurs filets dans le lac,
ceux de Zebedee raccommodaient les leurs
dans la barque de leur pere. lis etaient les
uns el les autres dans le plein exercice de
leur metier. — Et relicto patre suo. Sacrifice
aussi rapide et plus genereux encore, en un
sens, que celui de Pieire et d'Andre; car
ceux-ci n'avaient pas eu a quitter un pere
bien-aime: rien du moins nel'indique dans le
recit. — Cum mercenariis. S. Marc a seul
menlionne cette circonstance qui, bien qu'elle
semble insignifiante a premiere vue, a pour
nous en realite un grand interet: soil parce
qu'elle prouve qus Zebedee vivait dans une
certaine aisance, puisqu'il faisait la pecbe
plus en grand; soil surlout, comme beaucoup
d'interpreles aimenl a le dire, pares qu'elle
nous monlrs que Jacques et Jean pouvaienl
se separer de leur pere sans blesser la pield
filiale, attendu qu'ils ne le laissaient pas
completement seal. L'Evangeliste aurait done
note ce detail pour adoucir ce que I'acls de
Jesus ou des deux fils semblerait avoir de
dur envers un pere. Plus lard, probablemenl
apres la raort de Zebedee, nous verrons Salo-
me, mere des Fils du tonnerre, s'attacher
elle-meme a Jesus. Cfr. Matth. xx, 20 et ss.
— Voila done quatre Apotres conquis en un
seul jour par le divin Maitre! Jesus est veri-
tablement le Roi des coeurs! SaYTiveyei aXizT;,
dit ingenieusement Theophylacle, tva d),iet;
3.
Une jourii6e de la vie du Sauveur.
1,21-33.
Le recit de S. Marc qui, jusqu'ici, avail
suivi d:' pres celui de S. Matthif^u, I'aban-
donne mainlenant pour Si rapprocher davan-
tage de la narration ds S. Luc. C'est une
journee a peu pres complete de la Vie de
CHAPITRE I
33
21 Et ingrediuntur Gapharnaum ;
et statim sabbatis ingressus in sy-
nagogam, docebat eos.
MaithA, 13;iMC. 4, 31.
22. Et stupebant super doctrina
ejus : erat enira docens eos quasi
potestatem habens, et non sicut
scribae.
Maiih. 7,28; Luck, 32.
21. Et ils entrerent dans Gaphar-
naum, et aussitot, entrant les jours
de sabbat dans la synagogue, il les
iustruisait.
22. Et ils s'etonnaient de sa doc-
trine, car il les enseignait comme
ayant autorite, et non comme les
Scribes.
Jesus au debut du ministere galileen qu'il
decrit a parlirde cet endroil jusqu'au ir. 39.
La malinee se passe en grande partie dans la
synagogue de Capharnaiim. Apres le service
religleux, le Sauveur se retire avec ses quatre
disciples dans la maison de S. Pierre, oil il
demeure toute I'apres-midi. Pendant la soiree
et une partie de la nuit, il guerit les malades
qu'on lui amene de lous coles. Le lendmnain,
de grand matin, nous le voyons en priere sur
le bord du lac, et c'est de la qu'il commence
son premier voyage apostolique. Tous les de-
tails de cette laborieuse journee du divin
Maitre peuvent etre groupes sous trois chefs
principaux : 1° la guerison d'un demoiiiaque
a Capliarnaiim, til- 21-28 ; 2° la guerison de
la belle-mere deS. Pierre et d'autres malades,
tt. 29-34 ; 30 la priere solitaire aupres du
lac et le depart pour la premiere mission,
tt. 36-39.
a. Guerison d'un dimoniaque dans la synagogue de
CapharnaUm. i, 21-28. — Parall. Luc. iv, 31-37.
21. — Ingrediuntur Capharnaiim. Cette
ville elait situee aupres du lac de Tiberiade,
et c'est dans son voisinage qu'avait eu lieu
I'appel des quatre premiers Apotres. Jesus y
entre, suivi deses heureux elus: Capharnaiim
eut ainsi I'honneur de posseder immediate-
ment dans ses murs les premices de la societe
chrelienne. — Statim sabbatis. L'adverbe
euOso); ne signifie pas que I'entree de la petite
troupe dans la ville eut lieu en un jour de
sabbat, mais seulement que Jesus profila du
sabbat le plus piochain pour faire entendre la
predication messianique aux habitants de
Capharnaiim. « Sabbatis », quoique au plu-
riel (de meme en grec, toT; <7d66actv], a le sens
du singulier. Voyoz S. Matlh., xii, 1 et I'ex-
plication. Touletois, il est bien Evident que
rEvangeli^to ne veut pas exclure les sabbals
suivants, du moins pour ce qui regarde I'en-
seignement public de Jesus dans les syna-
gogues; car ce fut a partir de ce moment une
coulumo reguliere pour Notre-Seigneur de
precher le samedi dans les maisonsde priere
des Juifs. — Ingressus in synagogam. C'etait
done tout ensemble aux jours saints et dans
les lieux saints que Jesus faisait entendre la
S. Bible. S.
divine parole : de meme aujourd'hui les pre~
dicateurs de TEvangile. Sur les synagogues,
voyez I'Evangile seion S. Matlh., p. 94. —
Docebat eos, scil. « Judseos. » On rencontre
souvent, dans les ecrits du Nouveau Testa-
ment, des pronoms employes de cette fagon
irreguliere et ne retombant sur aucun des
subslanlifs qui precedent. Nous en avons vu
dans S. Mallhieu, iv, 23, un frappant exem-
ple. — Quoique Jesus ne fut pas un Docteur
attitre, il n'est pas surprenant qu'il put ainsi
precher librement dans les synagogues. Les
Juifs laissaient sous ce rapport a leurs core-
ligionnaires une assez grande latitude : les
etrangers, les personnes pieuses ou instruites,
etaient meme frequemment invites a edifier
les assemblees par quelques bonnes paroles.
Cfr. Act. XII, 15.
22. — Stupebant super doctrina ejiis.S. Marc
indique ici I'effet cause par la predication du
Sauveur et le motif qui le produisait. « Stu-
pebant », e^£7t),-o<iaovTo : les auditeurs etaient
vivement impressionnes.Toutefois, leur eton-
nement n'avait rien d'extraordinaire, ajoutent
de concert les deux Evangelistes (Cfr. Luc.
IV, 32), car il enseignait avec autorite. —
Quasi potestatem habens. C'est le Verbe divin,
la Sagesse incarnee qui parle, c'est le Legis-
lateur celeste qui interprete ses propres loisl
Comment Jesus n'aurait-il pas trouve le che-
min des esprits et des coeurs? Ses ennemis
eux-memes seront obliges d'avouer que « ja-
mais homme n'a parle comme cet homme. »
« Ses paroles pleines de vigueur, de verity,
de grace, convainquaient la raison et lou-
chaient la volonte ; elles eveillaient le rcpen-
tir, la frayeur et I'araour. En meme temps,
elles donnaient la force de rechercher ce
qu'on devait aimer, de fuir ce qu'on devait
craindre, de quitter ce qu'on aurait pu re-
gretter. » Schegg, Evang. nach Mark,, p. 39.
Voir les idees generalcs que nous avons ex-
posees dans notre Commcntaire sur S. Matlh.,
p. 96 et suiv., touchant reloquence de Jesus-
Christ. — Et non sicut Scribce. Quelle diffe-
rence profonde entre la methode du Sauveur
et celle de ces Legistes officiels! Cesderniers
n'etaient que les organes impcrsonnels de la
tradition, et d'une "tradition lout humaine :
Marc. — 3
3i
]^VANGILE SELON S. MARC
23. Or, il y avail dans leur syna-
gogue un homme possede de I'es-
prit immonde, et il s'ecria,
24. Disant : Qu'y a-t-il entrenous
et toi, Jesus de Nazareth? Es-tu
venu nous perdre? Je sais qui tu
es : le Saint de Dieu.
23. Et erat in synagoga eorum
homo in spiritu immundo ; et excla-
mavit,
Luc A, 33.
24. Dicens : Quid nobis et tibi,
Jesu Nazarene? venisti perdere nos?
scio qui sis, Sanctus Dei.
leur enseignement etait froid, compasse, sans
vie, aussi bien pour le fond que pour la forme.
Qu'on lise de suite, si on le peut, quatre
pages du Talmud, et Ton aura une juste idee
de la predication des Scribes. Le peuple est
done justement ravi des qu'il a entendu
Jesus : c'est un genre entierement nouveau,
approprie d'une fagon admirable a ses be-
soins; aussi ne peur.-il se lasser de I'entendre.
Comparez Matlh, vii, 28 et 29. Quel eloge
parfait pour Jesus oraleur, dans les trois lignes
de ce verset!
23. — Et erat in synagoga. Mais voici un
autre fait qui va redoublt-r, a un nouveau
point de vue, radmiralion des habitants de
Capharnaiim : c'est la guerison miraculeuse
d'un de ces cas funcstcs. alorssi nombreux en
Palestine, connus sous le nom de possession.
Le divin Orateur se transforme tout a coup en
Thaumaturge, etil montre qu'il est superieur
aux demons les plus puissanls. — Sur les
demoniaques, voyez I'Evang. selon S. Matth.,
p. 165 et s. ; sur les miracles de Jesus en ge-
neral, ibid., p. 431 et s. — Homo in spiritu
immundo. « In »,c'est-adire« au pouvoir de » ;
cette locution est plus expressive que « cum
spiritu », car elle indique mieux la puissance
du demon sur le possede, I'absorption de
celui-ci par celui-la. Le demoniaque etait
comme plonge dans I'influence satanique.
Comparez le nom grec d'energumene (evepyou-
{jivo;). L'epithete a immundus » est accolee
vingt fois environ dans I'Evangile au nom des
esprit mauvais. C'est une expression tech-
nique, empruntee au langage liturgique des
Juifs, qui nommaient impur tout ce dont ils
devaient eviter le conlacl. Qu'y a-t-il en
effet de plus immonde que les mauvais
anges? Leur desobeissance envers Dieu les a
profondement souilles ; ils se sent depuis en-
durcis dans leur malice, et ils ne songent
qu'a profaner les hommes en les portant au
peche. — Nous ne devons pas etre trop sur-
pris de trouver un demoniaque dans la syna-
gogue de Capharnaiim : quand les possedes
etaient calmes, on ne leur interdisait pas
I'entree des lieux de priere. — Au figure, le
demon avait penetre dans la synagogue, c'est-
a-dire dans le Judai>me ; Jesus vient pour le
chasser. Helas! il reslera quand meme, par
suite de rendurcissemenl des Juifs.
24. — Nous trouvons dans les versels 24-26
des details dramatiques sur ce premier des
prodiges de Jesus raconles par S. Marc. L'E-
vangeliste communique successivement a ses
lecteurs les paroles du demoniaque, if. 24, le
commandement de Jesus, t. 23, et le resultat
de ce commandement, t- 26. — lo Le de-
moniaque, ou plutot le demon par son inter-
mediairp, exprime trois idees de la plus par-
faite verile. Premiere idee : (Juid nobis et tibi f
II n'y a rien de commun entre Jesus el le de-
mon. La locution que le possede einploie pour
exprimer cette pensee (Gfr. Matth. viii, 29)
denote une separation entiere de vie et de
nature, une complete opposition d'inlerets et
de tendances; Cfr. II Cor. vi, 14, 13. Le
pluriel « nobis » designs la solidarile qui
existe entre tons les esprits mauvais : actuel-
lement, c'est au nom de toute I'armee sata-
nique que le demoniaque parle a Jesus. — Le
mot ea, qu'on trouve dans la Recepta grecque
aussilot apres >,eYwv [dicens), peut signifier :
Laisse ! c'est-a-dire laisse-moi I Selon plu-
sieurs exegetes, ce serait i'exclamation he-
braique grecisee HNn, Heach, le Vah! des
Latins. Du reste, ea ne manque pas seulement
dans la Vulgate, mais aussi dans la version
syriaque etdans des manuscrits importants,
tels que B, D, Sinait. — Jesu Nazarene: telle
etait deja, aux premiers temps de la Vie pu-
bliquedu Sauveur.sa denomination courante
et populaire. Quelques commentateurs sup-
posent, mais sans raison suffisante, que le
demon I'emploie ici avec un sentiment de de-
dain. — Deuxieme idee: Venisti perdere nos.
L'esprit mauvais ne pouvait pas mieux ca-
racleriser I'objet de la mission de Notre-Sei-
gneur : Jesus est venu pour ecraser la tete de
I'antique serpent, pour miner I'empire de Sa«
tan sur la lerre. Remarquons que le Sauveuf
n'a encore rien dit au possede : sa seule pre^
sence suffit neanmoins pour faire trembler le
demon qui prevoit sa prochaine defaite. —
Troisieme idee : Jesus est le Messie promis.
Scio qui sis, s'ecrie le demoniaque avec em-
phase, ou mieux encore, d'apres le texte grec,
« novi te qui sis », oTSd as ti? sT : le bapteme
et la tentation ont revele aux demons le ca-
raclere messianique de Jesus. — Sanclus Dei,
6 aytoc To-j ©eoO, le Saint par anlonomase
(a lUe Sanctus Dei », Erasme), comme le font
CHAPITRE I
3!f
2b. Et comminatiis est ei Jesus,
dicens : Obmutesce, et exi de ho-
mine.
26. Et discerpens eum spiritus
immundiis, et exclamans voce ma-
gna, exiit ab eo.
27. Et mirati sunt omnes, ita ut
Gonquirerent inter se dicentes :
Quidnam est hoc? qusenam doctrina
25. Et Jesus le menaga, disant :
Tais-toi, et sors de cet homme.
26. Et I'esprit immonde, en le tor-
turant et en criant d'une voix forte,
sortit de lui.
27. Et tons furent dans I'admira-
tion, de sorte qu'ils s^interrogeaient
entre eux, disant : Quelle est cette
justement observer les vieux interpretes grecs,
Victor d'Anlioch°, Thoophylacte et Euthy-
mius. Ce titre, d'apres plusieurs passages de
I'Ancien Teslament, P.-. xv, 10; Dan. ix, 24,
equivaut a celui de Messie. Tertullien et
d'autres exegetes a sa suite ont pcnse que le
demon I'adressait a Jesus par flatlerie : il
est preferable de croire qu'il le lui donne
en toute sincerite, quoique malgre lui, Dieu
permetlant que I'enfer meme rendit temoi-
gnage a son Christ.
25. — 20 Le commandement de Jesus.
Comminatus est ei, £Tr£xt[Avicrev. Les Evange-
listes semblent avoir atfeclionne cette expres-
sion ; Cfr. Matth. viii, 26; xvi, 22; xvii, 18;
XIX, 13 ; Marc, iv, 29; viii, 31 ; ix, 25 ;x, 13;
Luc. IV, 39 ; ix, 55; xviii, 15; etc. Elle con-
venait d'ailleurs parfaitement a la dignile et
a la toute-puissance de Jesus, car elle suppose
un ordre absolu, qui n'admet ni la resistance
ni meme une siuiple replique. — Obmutesce ;
litteralement, d'apres le grec : Sois musele !
C'est la premiere partie du commandement.
Notre-Seigneur commence par imposer silence
a I'esprit immonde : il ne veut pas qu'il y ait
de relations entre le royaume messianique et
I'empire des tenebres. De plus, il y aurail des
inconvenients a ce que son caraclere fut ainsi
divulgue ; aussi verrons-nous le divin Maitre
defendre liabituellement aux malades gueris
par lui de proclamer ses prodiges et sa di-
gnite. — Seconde partie do I'ordre : Exi de
homine. Jdsus a pilie du pauvre demoniaque,
et il expulse de lui I'esprit qui le pos^ede.
26. — 3" Nous voyons ici Tadmirable et
prompt resullat du commandement du Sau-
veur. Toulefois, avant de quitter un sejour
qui lui elait cher, le demon manifeste sa rage
de plusieurs manieres. — Discerpens eum. 11
tourmente une derniere fois le possede, en le
faisant entrer dans de violentes convulsions :
c'est le trait du Parlhe, trait impuissant tou-
tefois, ajoute S. Luc, iv, 35. S. Gregoire,
Horn. IV in Ezech., fait sur ce point de
belles reflexions morales : « Mox ut animus,
qui prius terrona sapuerat, amare coeleslia
cceperit, antiquus adversarius acriores ei
qnam consueverat tentationes admovet, ita ut
plerumque sic resistentem animam tenlet,
sicut antR numquam tentaverat, quando pos-
sidebat. Unde et dsemoniacus qui a Domino
sanatur ab exeunte daemone discerpitur. »
— Exclamans voce magna. Le demon pousse
un cri de rage et de desespoir. Mais rien n'y
fait : il est oblige de fuir et de se precipiter
en enfer. — Aucun Evangelisle ne raconto
autant de guerisons de demoniaques que
S. Marc. II aime a representer Notre-Seigneur
comme le vainqueur supreme des esprits in-
fernaux. Cfr. Koestlin, die Evangelien, p. 313.
27. — Les versets 27-28 decrivent I'impres-
sion profonde que produisit ce miracle soit
sur ses temoins immediats. t. 27, soit dans
toute la province de Galilee, t. 28. — Mirati
sunt omnes. D'apres le texte grec, le senti-
ment qui saisit immediatement I'assemblee
fut I'effroi [i%c».\^&ri^r\aav, mot rare dans le
Nouveau Teslament), plutotque Tadmiration.
A la suite de cette manifestation surnaturelle,
tons les assistants furent en proie a une sainte
frayeur. — lis se communiquerent alors mu-
luellement leurs pensees [inter se est une
bonne traduction du grec upo? auTou;, qui si-
gnifie en cet endroit upo; a)>>.yi>,ou?. Cfr. Arnat,
Comm. dtj pron. reflex, ap. Gr. usu, p. 12
etss.; il est inexact de Iraduire avec Fritszche
par « apud animum suum, intra se » ; le
verbe compose « conquirere », au^viTeTv, s'y
oppose). — Quidnam est hoc? De memoire
d'homme on n'avait rien vu de somblable;de
la cette premiere exclamation generale. —
Qiicenam doctrina hcec... L'assistance specific
ensuite les points qui excitaient le plus sop
etonnement. C'etait d'abord la doctrine attes-
tee par de pareils prodiges : chacun venait
de I'entendre et avait pu se convaincre de sa
nouveaute, Cfr. '51^. 22 ; mais elle avait specia-
lement cela de nouveau qu'elle s'appuyait sur
des miracles de premier ordre. Ce nelaient
pas les Scribes qui auraient pu offiir rien de
semblable! — Quia inpotestate. On admirait
en second lieu la puissance merveilleusede Je-
sus. Un mot de lui avail produit sur-le-champ
le resiillat le plus frappant. — Etiam spiriti-
bus immundis... Cette puissance s'elait en
effet exercee dans les conditions les plus dif-
ficiles : Jesus avait montre qu'il etait supe-
rieur meme aux demons. II y a une grando,
36
fiVANGILE SELON S. MARC
doctrine nouvelle? Car il commande
avec puissance merae aux esprits
immondes, et ils lui obeissent.
28. Et sa renommee se repandit
aussitot dans tout le pays de Ga-
lilee.
29. Etant sortis ensnite de la sy-
nagogue, ils vinrent dans la maison
de'Simon et d' Andre.
30. Or, la belle-mere de Simon
etait au lit, ayant la fievre, et aussi-
tot ils lui parlerent d'elle.
31. Et, s'approchant et la prenant
par la main, il la fit lever, et a
i'instaut la fievre la quitta, et elle
les servait.
hsecnova? quia in j)otestate etiam
spiritibus immundis imperat,et obe-
diunt ei.
28. Et processit rumor ejus statim
in omnem regionem Galilsese.
29. Et protiuus egredientes de
synagoga, venerunt in domum Si-
monis et Andreae, cum Jacobo et
Joanne.
Matth. 8, 14; Luc. 4, 38.
30. Decumbebat autem socrus Si-
monis febricitans; et statim dicunt
ei de ilia.
31 . Et accedens elevavit eam, ap-
prehensa manu ejus : et continuo
dimisit eam febris ; et ministrabat
eis.
force danscet « eliam ». — Acliiellemenl, on
admire done Jesus a cause de sa predicalion
nouvelle et de son empire irresistible sur les
esprits maiivais. Bientot, quand les coeiirs se
seronl retournes centre lui, on tirera de ces
deux fail^ les griefs les plus graves pour les
lui Jeter a la face. — Nous avons suivi pour
I'explicalion de ce verset le lexte de la Vul-
gate, qui est du reste conforme a la Recepla
grecque et qui donne un sens parfailement
acceptable. Toulefois, les critiques, s'ap-
puyant sur les variantes qu'on rencontre dans
les divers manuscrits, discutent longuement
sur la veritable ponctuation, et sur les difife-
rentes nuances d'interpretalion qu'il est pos-
sible d'adopter. Nous n'avons pas juge qu'il
fut bien utile d'entrer dans ces arides debats.
Voir Scliegg, Evang. nach Mark., 1. 1, p. 266
et suiv.
28. — Processit runior ejus; engrec, ^ axori
auToO, sa renommee. Le bruit de ce miracle
se repandit d'abord dans la ville de Caphar-
naiim, el de la il fit rapidement {statim est
emphatique dans ce passage) le tour de touts
la Galilee. — Plusieurs commentateurs sup-
posent a tort que les mots el;6),yiv iriv itepixw-
pov T^; ra)r/!xia; designent les provinces voi-
sines de la Galilee.
b. Gu^rison de la belle-mere de S. Pierre et d'autres
malades. i, 29-34. — Parall. Matth. viii, 14-17:
Luc. IV, 38-41.
29.— Etprotinus. S. Luc, comme S. Marc,
rattache ires-etroitement ce miracle a la gue-
rison du demoniaque: il y eut done une con-
nexion historique reelle entre les deux pro-
diges. Les recits des Synoptiques sont ici les
memes quant a la substance : ils ne variant
guere que dans I'expression. Notre Evange-
listea cependantle merite d'etre le plus precis
pour la plupart des details. Tout est pris sur
le vif dans son recit : on devine a quelle source
il avait puise. — Egrediimtar. Aussitot apres
le miracle raconte au t. 26, Jesu^ sortit de la
Synagogue avec ses quatre disciples, et ils
vinrent ensemble dans la maison de Pierre et
d'Andre. S. Marc est le seul a mentionner en
termes expres S. Andre, S. Jacques et S. Jean.
30. — Decumbebat autem socrus Simonis.
Pierre semble avoir ignore cet accident, qui
avait pu,du reste, survenird'une nianiere tres-
rapide pendant son absence des jours prece-
dents. Cfr. les tt. 1 6 et 21. Heureusemenl, Je-
sus est la pour consoler cette famille eploree.
— Sur la belie-mere et la femme de S. Pierre,
voyez rEvanir. selon S. Matth. p. i59. Cfr.
Euseb. Hist. Eccl. in, 30. — Dicunt ei de ilia.
Expression delicate. On ditsimplementau boii
Maitre que la belle-mere de son disciple est
malade ; on sait que sa misericoi de el ?a puis-
sance feront le reste. Les soeurs de Lazare se
contenteront aussi de faire dire a Jesus : Sei-
gneur, celui que vous aimez est malade!
31. — La confiance n'avait pas ete vaine,
car le Sauveur guerit sur-le-champ la malade.
S. Marc raconte le prodige de la fagon la plus
graphique : chacun des gestes de Jesus est
decrit dans sa narration. Accedens, il s'ap-
proche du lit de la malade ; apprehensa manu
ejus, il la prend par la main ; elevavit eam, il
la souleve doucemenl. A son divin contact, le
mal disparait inslanlanement (continuo, c'est
le troisiemeeue£w;depuisle t. 29!)et la gue-
rison est si decisive, que celle qui gisail na-
guere sur son lit de souffrance peut se lever
aussitot et vaquer ases fonclions demailress©
CHAPITRE I
37
32. Vespere autem facto, cum oc-
cidisset sol, afferebant ad eum om-
nes male habentes, et deemonia ha-
bentes :
33. Et erat omnis civitas congre-
gata ad januam.
34. Et curavit multos qui vexa-
bantur variis langoribus, et dsemo-
nia multa ejiciebat, et non sinebat
ea loqui, quoniam sciebant eum.
Luc.i, 41.
3o. Et diliciilo valde surgens,
egressus abiit in desertum locum,
ibique orabat.
32. Et, le soir venu, lorsque le
soleil fut couche, ils lui amenerent
tous les malades et les possedes.
33. Et toute la villa etait assem-
blee devant la porte.
34. Et il en guerit beaucoup qui
etaient tourmentes par diverses ma-
ladies, et il chassa beaucoup de de-
mons, et il ne leur permettait pas
de dire qu'ils le connaissaient.
33. Et, se levant de grand matin,
il sortit et alia dans un lieu desert,
et la il priait.
de maison. — Ministrabat eis. Le verbe « mi-
nislrare » sigiiifie en ceL endroit servir a
table. Cfr. Mallh. iv, 11 et le Commentaire.
II s'agit du repas joyeux et solennel qui ler-
mine chez les Juifs la journee du Sabbat.
Voyez Jos. Vita, § liv. La beile-mere de
S. Pierre, rendue completemenl a la sanle,
eut assez de force pour le preparer eiie-
meme. Puissions-nous, disent les inoralistes,
quand Dieu a gueri misericordieuseir.ent les
maladies de notre ame, employer de meme
notre vigueur spiriluelie a servir le Christ et
ses membres! Cfr. Gerhard, Harm. Evang.,
XXXVIII.
32. — Vespere autem facto. Ce miracle en
amena un grand nombre d'autres, qui occu-
perent Jesus une partie de la nuit. Quelle
douce soiree pour kii et pour les habitants de
Capharnalim ! Mais, par suite d'uu respect
exagere pour le repos du Sabbat, Cfr. in, 1 et
suiv., on ne conduisit les malades et les pos-
sedes au Sauveur qu'apres le coucher du so-
leil, le saint jour ne finissant, d'apres le rituel
juif, qu'au moment ou cet aslre disparaissait
au dessous de I'horizon.
33. — Et erat omnis civitas... Trait pitto-
resque, special a S. Marc : on voil qu'un te-
moin oculaire le hu avait communique. Voila
done toute la ville qui assiege en quelque
sorte I'humble maison de S. Pierre! Les mots
ad januam designent en effet le lieu ou se
trouvait alors Jesus el point, comme on I'a
dit quelquefois, la porte de la cite. — Cet
emoi se comprend sans peine. Notre-Seigneur
avait opere ce jour-la meme deux grands mi-
racles a Capharnalim : le bruit s'en etait
promptemenl repandu, et chacun voulait pro-
filer de la presence du Thaumaturge pour la
guerison de ses infirmes.
34. — Curavit multos..., dcemonia multa.
Est-ce a dire que Jesus aurait fait un choix
parmi les malades et parmi les possedes?
qu'il aurait gueri les uns el pas les autres?
Des exegetes ancienset modernes Tent pense:
« Cur non dixit: Et sanavitomnes, sed pro eo
multos po?uit? Forlasse quibusdam infideli-
tas impedimento fuit ne sanarentur ». Poss.
Cat., p. 33. Cfr. Meyer, Comm. h. I. La foi
aurait done manque a un certain nombredes
personnes presentees a Jesus; ou bien, a-t-on
dit encore, le temps eut ete insuffisanl pour
guerir tant de monde. Mais ce sont la des
conjectures sans fondement, que refutent les
passages paralleles de S. Matlhieu et de
S. Luc. « Ejiciebat spiritus verbo, et omnes
male habentes curavit », Matth. viii, -16. Non,
il n'y eut pas d'exception, et ce n'esl pas un
contrasleque notreEvangelistea vouluetablir
en se servant des expressions citees : il s'est
plutol propose de montrer le nombre consi-
deiable des guerisons. Telle etait deja I'opi-
nion de Theophylacte : TtoUoy; oe E03pdi:£-joev
ivTt ToO rcavxa;- oi yap TidvTE; ■<io).).oi. — j\on
sinebat ea loqui. Comme dans la matinee, t. 25,
il impose silence aux demons, donl les pro-
clamations intempestives auraienl pu nuire a
son oeuvre.
c. Retraite de Jesus sur les bords du, lac. Voyage
apostolique en Galilee, i, 35-39. — Parall. Luc.
IV, 42-44.
3o. — Diluculo valde. Le texte grec est en-
core plus expressif : irpwl iwjyov ),tav. La nuit
du samedi au dimanche s'achevail done a
peine, que Jesus etait deja debout, malgre les
fatigues de la soiree precedente^ el quittait
sans bruit, a Finsu de tous, la maison hospi-
taliere de Simon. Son but manifeste etait d'e-
chapper ainsi aux ovations de la foule en-
thousiasmee par ses miracles, et de se prepa-
rer, par une priere solitaire de quelques
heures, a la mission qu'il allail bientot com-
mencer. t. 38 et s. — Abiit in desertum lo-
cum. « Un trait remarquable du lac de Genne-
sareth, c'esl qu'il etait entoure de solitudes
descries. Ces places solitaires, siluees a proxi-
38
fiVANGILE SELON S. MARC
36. Et Simon le suivit, ainsi que
ceiix qui etaient avec lui.
37. EL quand ils I'eurent trouve,
ils lui dirent : lis yous cherchent
tous.
38. Et il leur dit : Aliens dans les
Tillages prochains et dans les villes,
Dour que j'y preclie aussi, car c'est
pour cela que je suis venu.
36. Et prosecutus est eiim Simon,
et qui cum illo erant.
37. Et cum invenissent eum, dixe-
runt ei : Quia omnes quserunt te..
38. Et ait illis : Eamus in proxi-
mos vicos et civitates. ut et ibi prae-
dicem ; ad hoc enim veni.
mite; soil siir les plateaux, soit dans les ra-
vins qui abondent pres des deux rives, four-
nissaient d'excellents refuges pour le repos ou
pour la priere... Jesus recherchail ces soli-
tudes, tantol seul, tantot avec ses disciples. »
Stanley, Sinai and Palestine, p. 378. Les
montagnes, les deserts, les lieux retires, Geth-
semani, tels furent les principaux oratoires
du Sauveur : il ne priait pas sur la place pu-
blique comme les Pharisiens. — Ibique orabat.
Autre detail particulier a S. Marc : du reste
tout ce recit est marque au cachet distinctif
du second Evangile. La scene est exireme-
ment pitioresque : le narrateur la met vrai-
ment sous nos yeux. — Qu'il est beau de voir
Jesus en oraison apres et avant ses nombreux
labeurs! Sa vie se compose de deux elements,
les exercices du zele et les exercices de reli-
gion, le cole exterieur et le cote interieur.
Telle doitetre aussi la viedu pretre.
36. — Le jour venu, Simon-Pierre remar-
qua le premier I'absence du bon Maitre, et
aussitot il se mit a faire d'actives recherches
pour le retrouver. Get acle revele I'ardeur
de son temperament et son vif amour envers
Jesus. — Prosecutus est. Le grec porte v.a.zt-
Siwlav (au pluriel), expression d'unerare ener-
gie, qui n'est employee qu'ici dans le Nou-
veau Testament. Elle est souvenl prise en
mauvaise part, pour designer des poursuites
hostiles; S. Marc, a la suite des Septante, la
prend en bonne part, afm de caracleriser
le zele avec lequel les disciples coururent
en tous lieux puur chercher Jesus. — Simon
et qui aim illo erant; c'est-a-dire les trois
compagnons de S. Pierre : Andre, Jacques et
Jean. Celte tournure est a remarquer. II est
evident que I'Evangeliste accorde ici a Simon
une preeminence sur les autres amis de Je-
sus. C'est la primaute par anticipation. « Jam
Simon est eximius. » Bengel.Cfr. Luc. viii, 43 ;
IX, 32.
37. — Quum invenissent eum. II leur fallut
sans doule plusieurs heures avant de decou-
vrir la retraite du bon Maitre. — Omnes quce-
funt te. Ces paroles, qu'ils prononcerenl en
Tabordant, prouvent que. des I'aube du jour,
le concours de la veille avait recommence de
plus belle. On voulait encore voir Jesus et
obtenir de lui de nouveaux bienfaits. Ce fut
une grande deception quand on apprit qu'il
avait disparu. Tous se mirent alors en quete
pour le trouver. S. Luc, iv, 42, ajoule ici une
ligne significative qui nous aidera a mieux
comprendre la reponse subsequente du Sau-
veur, t. 38 : « Turbae requirebant eum et
venerunt usque ad ipsum ; et delinebant ilium
ne discederet ab eis. » — La conjonction quia
est recitative.
38. — £amws. Jesus ne saurait entrer dans
les desirs du peuple de Capharnaiim : il n'a
pas le droit de reslreindre a cette ville le don
de sa presence, de ses miracles et de sa pre-
dication. D'autres cites, d'autres bourgades
I'attendent, et il va sans plus tarder se diri-
ger vers elles. — On lit dans plusieurs ma-
nuscrits grecs (B. C. L. Sinait.) aywjjLEv d),).oiy_ou,
allons ailleurs; raaisd"autresmanusciilSiA,D,
E, etc.) ont simploment aywfiev, comuie la
Vulgate. — Le subslantif y.w[io:i6).eii;, que
notre version latine a traduit inexactement
par vicos et civitates, ne se rencontre qu'en
cet endroil. C"est une expression composee,
qui equivaut litleralement a « bourgades-
villes », el qui designe les bourgs alors si
nombreux de la Galilee, trop petits pour etre
appeles des villes, mais Irop gros pour etre
sunplement nommes villages. Cfr. Jos. Bell.
Jud. Ill, II, i ; Bretschneider, Lexic. man.
N. T. t. I, p. 628. L'epithete proximos
{iXo\iiyaLz, a la ibrme moyenne, est ties clas-
sique dans ce sens ; voir les Lexiques. Comp.
aussi Luc. xiii, 33; Act. xx, 15; Hebr.
VI, 91 raontre que Jesus commenga son tour
de missionnaire par les localites voisines
de Capharnaiim : c'etaient Dalmanulha, Co-
rozain, Belhsalda, Magdala, etc. — Ad hoc
enini veni. « Ad hoc », c'est-a-dire pour
faire entendre la bonne nouvelle a toute la
contree, et pas seulement a une ville spe-
ciale. Mais quelle esi bien ici la signification
du verl>3 « veni »? Quel est le point de de •
part auquel Jesus fait allusion? II vient de
Capharnaiim, repond de Wette. De la vie
privee, dit Paulus. De sa relraite solitaire,
t. 33, ecrit Meyer. Interpretations mise-
rables, dignes dii rationalisme! Comrae si
Jesus ne voulait point parler dans ce verset
CHAPITRE I
3»
39. Et erat prsedicans in synago-
gis eorum, et in omni Galilsea, et
dsemouia ejiciens.
40. Et venit ad eum leprosus de-
precans eum ; et genu flexo, dixit
el : Si vis, potes me mundare.
MaUh.8,2■,Lltc.5,^%
41. Jesus autem misertus ejus,
extendit manum suam ; et tangens
eum, ait ilji : Volo, mundare.
42. Et cum dixisset, statim dis-
cessit ah eo lepra; et mundatus est.
39. Et il precliait dans leurs sy-
nas^ogues et dans toute la Galilee,
et il chassait les demons.
40. Or, un lepreux vint a lui en
le suppliant, et, flecliissant le ge-
nou, il lui dit : Si vous voulez, vous
pouvez me purifier.
41. Et Jesus, ayant pitie de lui,
etendit sa main, le toucha et lui
dit : Je le veux, sois purifie.
42. Et lorsqu'il eut dit ces mots,
la lepre aussitot se retira de cet
homme, et il fut gueri.
da but de I'Incarnation, par consequent de
sa mysteriiuse sortie du sein du Pere ce-
leste ! 11 n'est [)a3 possible d'expliquer autre-
ment notre passage. C'est ainsi du reste que
I'ont compris les anciens interpretes : el; touto
ilz>.r{>v^7., ~f,q, GeoTYiTo; auioO t/iv a06iv:tav OtzoSt,-
),(i)v, Poss. Cat. li. 1.; t6 6s 'E^sX'^Xuea, w; Oco;,
Euthymius. Ajoiilons que les paroles pronon-
cees par Notre-Seigneur d'apres la redaction
de S. Luc, IV, 41, ne permettent pas d'aulre
exegese. Cfr. Joan, xvi, 28. — Le verbe grec
eH£),yi),vi6a serait mieux traduitpar a exivi. »La
Vulgate a dii lire gXr^Xyfia, de raeme que les
versions copte, syriaque, armenienne et go-
thique.
39. — Et erat... Cette tournure est a re-
marquer : elle indique une continuite, une ha-
bitude reguliere. — Jesus execute immediate-
ment son dessein. QuiHant Capharnaiim avec
ses disciples, il se met en route a travers la
Galilee, repandant en tous lieux les bonnes
paroles, prcBclicaus, et les bonnes oeuvres,
dcemonia ejiciens. S. Jlatthieu, iv, 13, est plus
explicite relativement aux miracles du Cnrist
pendant ce premier voyage apostolique : « Sa-
nans omnem languorem et omnem infirmita-
tem in populo. » — Gombien de temps dura
la mission donl S. Marc nous donnc un som-
maire si rapide ? Quelques mois probable-
ment ; toulefois, les donnees evangeliques
sont trop vagues pour qu'on puisse repondre
d'une maniere precise a cette question. Cfr.
II, 1. — La conjonction ef, placee par la
Vulgate apres synagogis eorum, n'exisle pas
dans le grec ; elle n'a du reste aucune raison
d'etre, car elle trouble plulot le sens. La Ga-
lilee fut le theatre general de I'apostolat de
Jesus : les synagogues etaient le theatre par-
ticulier de sa predication.
4. — Guerison d'un lepreux. Retraite dans
des lieux deserts, i, 4U-43. — Parall. Malth.
VIII, 2-5; Luc. v, 12-ltJ.
40. — Et venit. Ce verbe est au present,
Ipxexai. La scene se passa, d'apres S. Luc,
dans une des villes evangelisees par Jesus
durant la mission qui vient d'etre si brieve-
ment racontee. C'est un episode interessant,
que les trois Synoptiques ont releve de con-
cert, a cause du grand exemple de foi que
donna le lepreux. Le recit de S. Marc est de
nouveau le plus complet, le plus vivant. —
Leprosus. Sur cette terrible maladie de I'O-
rient, voyezFEvangile selon S. Matth., p. 153.
— Genu flexo. Belle altitude de supplication,
qui manifesto deja la foi du malade. — Sa
priere, Si vis, potes me mundare, est d'une
exquise delicatesse. II appelle justement s?
guerison une purification, car, aux termes
de la loi juive, quiconque elait atteint de la
lepre etait impur par la-meme. Cfr. Jahn,
Archaeolog. bibl. § 386.
41 et 42. — Misertus ejus. S. Marc seul
mentionne ce sentiment du coeur de Jesus. Le
bon Maitre s'attendrit a la vue des souffrances
de I'infortune qui est agenouille devant lui.
— Extendit manum. « Manus ilia exlensa po-
lentiae et voluntatis est signum. » Fr. Luc.
Cette main si pure et si puissante, Jesus ne
craint pas de I'appliquer sur le corps du le-
preux, tangens eum, malgre lasusceptibililede
la Loi. II n'avait pa-; a craindre de souillure,
lui qui enlevait au contraire toute impuret^
physique et morale. — Volo, mundare. Des
qu'il eut prononce ce mot raajestueux, qu'il
daignait emprunter a la priere meme du le-
preux, t. 40, le malade ful gueri a I'ins-
tant; ce qui donne occasion a S. Marc de re-
peter encore I'ad verbe favori, £u9c'w;,au moyen
duquel il aime tant a accentuer la rapidile
des prodiges de Jesus.
43 et 44. — Ces versets contiennent deux in-
jonctionsduSauveur adresseescj celui qu'il ve-
nait de guerir. Et com\ninatus est ei: I'expres-
sion grecque correspondante, enSptjiriaitAsvo;
aO-w, est d'une force extraordinaire. Le verbe
eij.Spi[i.do[xat, qu'on ne trouve qu'en cinq en-
droits du Nouveau Teslament (Malth. ix, 30;
Marc. I, 43 ; xiv, '6 ; Joan, xi, 33, 38), si-
40
EVANGILE SELON S. MARC
43. Et Jesus le menaca et le ren-
Toya a I'instant,
44. Et lui dit : Prends garde de
ne le dire a personne; mais va,
montre-toi au prince des pretres,
et ofFre pour ta purification ce que
Moise a prescrit, pour que cela leur
soit un temoignage.
4b. Mais, etant parti, il commenca
a raconter et a publier partout la
chose, de sorte que Jesus ne pou-
vait plus entrer publiquement dans
43. Et comminatus est ei, statim-
que ejecit ilium;
44. Et dicit ei : Vide nemini dixe-
ris; sed vade, ostende te principi
sacerdotum, et offer pro emunda-
tione tua quse prsecepit Moyses in
testimonium illis.
Lev. 14, 2.
45. At ille egressus coepit praedi-
care, et diffamare sermoueni ; ita ut
jam non posset manifesto introire
in civitatem, sed foris in desertis
gnifie tantot etre sous le coup d'une vive indi-
gnation, lant6l,et c'est ici le cas, donner un
ordre sur un ton severe et raenagant (|x£Ta
d7t£'.),7ii; £v-ceXX6(X£vo? , Hesyctiius ; auffTripwi;
ili.Sle'^ai xal eirtoeiffa? triv x£<?a).riv, Eulhym.)
Sa racine Ppe[A le rapproche d'une longue
categorie de mots latins (from) et sanscrils
(brahm) ayant une signilication analogue.
Voila done que Jesus, qui s'etait altendri sur
I'etat du lepreux, le menace maintenanl apres
I'avoir gueri! — Stalimque ejecit eum. Encore
tyOew;! Jesus renvoie brusquenient le iepreux,
sans lui permettre de demeurer plus long-
temps aupres de lui. Ces deiails sont speciaux
a S. Marc. Le Sauveur, par cette conduite
severe, se proposait d'intimcr avec plus d'e-
nergie les ordres qu'il allait donner. — Pre-
mier ordre : Nemini dixeris. Dans le grec, il
y a deux negations, (Arioevl [i.r,Sev etTt^,?, « ne
cuiquam quidquam dica-^ », ce qui est con-
forme au genre de S. Mai c, Cfr. la Preface,VII.
Jesus redoute les agitations politiques de la
foule : de la ces soins minulieux qu'il prend
pour les empecher. II veut agir sur les esprits
plutot par le dedans que par le dehors, les
convertir et non les eblouir : c'est pourquoi il
recoramande si souvent le silence a ceux qu'il
a gueris. Voyez I'Evangile selon S. Matlh.,
p. 154. — Second ordre : Vade, a Jerusalem,
ostende te principi sacerdotum, ou mieux, d'a-
pres le grec, « sacerdoli », tw lepet, au pretre
de semaine, et offer... — Le detail de ces sa-
crifices est indique lout au long dans le
chap. XIV du Levilique. Cfr. Jahn, Arch,
bibl. § 386. — ]n testimonium illis. Les
hommes sauront ainsi que tu es entierement
gueri, et ils I'admeltront do nouveau dans
les rangs de la sociele. Ti'l est probablement
le veritable sens de ces mots sur lesquels on
a beaucoup discute. Voir noire Gommentaire
surS. Matlh. p. 455.
43. — Egressus.Le Iepreux s'eloigne comma
le voulait Jesus; bi-nlot sans doule il alia
faire declarer officiellemenl sa guerison par
les pretres. Quant a I'ordre qui lui enjoignait
le silence, il n'en tint aucun compte. Tout au
contraire, coepit prwdicare et diffamare ser-
monem. Les senlimenls de joie et de recon-
naissance qui remplissaient son ame furent
plus forts que son desir d'obeir au Sauveur.
Du reste, il ne fut pas le seul a se conduir©
ainsi : plusieurs aulres malades miraculeuse-
nient rendus a la sante par Notre-Seigneur
agirent de memo dans des circonslances ana-
logues. Cfr. Matlh. ix, 30 el suiv.; Marc.
VII, 36. — Le texte grec ajoute uoXXa apres
xyipij(j(T£iv, « praedicare mulla », c'est-a-dire,
suivant I'excellente explication de Maidonat,
« multa in laudem Christi dicere. » Le verba
« diffamare » doit evidemment se prendre en
bonne part, car le grec Statpyitxi^etv signifie
« longe lateque famain spargere », divulguer.
« Sermonem » est un hebrai'sme pour « rem » ;
-\21 est souvent employe de la meme nianiere.
— Itaut jam... Le resultat de celle indiscre-
tion fut immense : il est decrit par I'Evange-
liste d'une maniere Ires piltoresque. — Non
posset manifeste... Jesus perdit une grande
partie de sa liberie d'action : il ne pouvait
plus se montrer dans les villes sans exciter de
vifs mouvemenls d'enthou-;iasme. Lfi trait ra-
conte par S. Marc au debut du chapiire sui-
vant (ii, 2) prouvera jusqua quel point allait
cet enlhousiasme. — In civitatem; dans
quelque ville que ce fiit, car il n'y a pas d'ar-
ticle dans le grec, el; uoXtv. — Sea foris m de-
sertis locis. Le divin Maitre fut done oblige
de se retirer dans les solitudes meniionnees
plus haut (note du t. 33; Cfr. Schcgg, Ge-
denkbuch einer Pilgerreise, I. II, p. 300-302)
et de vivre eloigne des hommes, contraire-
ment a ses desseins apostoliques (t. 38). « Fo-
ris », dehors par rapport aux villes. C'est
par emphase que I'adjeclif epyjaois precede 1©
substantif. Cfr. Beelen, Gramm. p. 216. —
Et conveniebant ad eum. Autre trait char-
manl: Jesus a beau faire, la multitude qu'iJ
a ravie sail le Irouver quand meme; ou plu-
tot, Jesus ne sa propose pas de fuir, mais
simplement d'eviter des manifestations aussi
CHAPITRE 11
4t
locis esset; et conveniebant ad eum
undique.
aucune ville, mais se tenait dehors
en des lieux deserts, et Toii venait
a lui de tous cotes.
CHAPITRE II
La guerison d'un paralytique est pour Jesus I'occasion d'un premier conflit avec les Scribes
[tt. 4-12). — Vocation de Levi [t. i3). — Le repas donne a Notre-Seigneur par le nouvel
Apolre suscile un second conQit (*Sr. 14-22).— Troisieme conflit, occasionne par la
" conduits des disciples en un jour de sabbat (ift. 23-28).
i . Et iterum intra vit Gapharnaum
post dies;
Matth. 9, 1.
2. Et auditum est quod in domo
esset, et convenerunt multi, ita ut
1. Et il antra de nouveau dans
Gapharnaum apres quelques jours.
2. Et Ton apprit qu'il etait dans
la maison, et ils accoururent en si
imprudentes qu'inutiles. II se livrait done k
I'exercice de son ministere envers les bonnes
ames qui parvenaienl a le rejoindre.
Ce premier chapitre de S. Marc nous a re-
vele de grandes choses sur Jesus. Nous I'avons
vu faire majestueusement son apparition en
qualitede Messie, precede de son Precurseur,
entoure deses premiers disciples, parcourant
la Galilee comme un conquerani pacifique
des cceurs, excitant partoul I'admiration par
son enseignement ei parses miracles. Aucune
intention hostile ne s'esl encore manifestee
contre lui. S'il etait permis demployer un
pareil langage, nous dirions que c'est le beau,
I'heureux temps du Sauveur, que S. Marc
nous a decrit.
Ce chapitre nous a rdvele en mSme temps
le « genre » de notre Evangeliste.Le portrait
de S. Marc en tant qu'ecrivain, tel que nous
i'avtons trace dans la Preface, s'est trouve
completementjusliBedes les premieres lignes:
brievete, precision, animation, pittoresque,
clarte, interet. A coup sur cette narration
nous a plu; suivons-la done jusqu'a la fin
avec amour.
6. —Premiers conflits de J6sus avec les
Fharisiens et les Scribes, n, l-iii, 6.
Apres les manifestations de I'amour, vien-
nent les manifestations hostiles. Nous allons
en effet assister aux premiers conflits de
Jesus avec sesennemis, les Scribes et les Pha-
risiens. L'Evangeliste va raconter suceessive-
ment, dans ce second chapitre et dans les six
premiers versets du troisieme, quatre episodes
qui decriront I'origine de la lutte en Galilee
et les premiers combats.
a. Le paralytique et le pouvoir de remettre les
p^che's. It, 1-12. — Parall. Matth. ix, 1-8; Luc.
V, 17-26.
Chap. ii. — 1. — Et iterum... Get « ite-
rum » f%it allusion au t. 21 du chapitre pre-
cedent. Jesus, apres la grande course aposto-
lique esquissee plus haut, regagne done son
centre d'action. Mais Capharnaiim se trans-
forme aussitot pour lui ea un champ de ba-
taille. — Post dies; en grec Si'^pLepwv, la pre-
position Sia ayant le sens de « post ». Cette
ibrmule est tres vague et indique simple-
ment, sans rien preciser, qu'un certain
nombre de jours s'etaient ecoules depuis que
Jesus avait quitte sa ville d'adoption. Elle
equivaut a la phrase latine « interjectis die-
bus ». C'est par suite d'une interpolation
evidence que plusieurs manuscrits grecs et
latins portent : Apres huit jours. Ce serait
une contradiction avec les details donnes plus
haut, I, 38, 39.
2. — Auditum est... Selon sa coutume,
S. 31arc, avant de raconter le fait principal,
decrit d'abord en peu de mots les circon-
stances preliminaires. II est vraiment drama-
lique dans ce verset, ou plutot il Test dans
loute cette narration, car il depasse S. Luc
lui-meme par la vivacite des couleurs. —
Bien que Jesus eut affecle de voyager depuis
quelque temps en secret, i, 45, et qu'il eut
probablement choisi la nuil pour renlrer a
Capharnaiim, le bruit de son arrivee ne tarda
42
£VAN&ILE SELON S. MARC
grand nombre que I'espace meme
en dehors de la porte ne pouvait les
contenir et il leur prechait la pa-
role.
3. Et on vint lui presenter un pa-
ralytique qui etait porte par quatre
hommes.
4. Et, comme ils ne pouvaient le
lui presenter a cause de la foule,Hs
denuderent le toit au-dessus du lieu
non caperet neque ad januam; et
loquebatur eis verbum.
. 3. Et venerunt ad eum ferentes
paralyticum, qui a quatuor porta-
batur.
Luc. 5, 18.
4. Et cum non possent offerre
eum illi pree turba, nudaverunt te-
ctum ubi erat; et patefacientes, sub-
pas a se repandre. Un parfum peut-il rester
cache? — Quod in domo esset. Plusieurs ma-
nuscrits grecs ont ev olyJii (B, D. L, Sinait.) ;
la pluparl ont neanmoins el; olxov avec I'ac-
cusatif, et telle est selon toute apparence la
lecon primitive. C'est la una sorte de cons-
truction pregnante eqnivalanla « quod in do-
mum rediisset » (Voyez Winer, Gramm. des
neutest. Sprachidioms, 6e ed, p. 369). Les
classiques employaient aussi celte tournure,
el les Allemands disenl de meme : Et ist in's
Haus. — La maison en question etait cellede
S. Pierre, ou bien celle que Jesus, d'apres
divers exegetes, aurait louee a Capharnaiim
pour y demeurer dans I'inlervalle de ses
voyages. — Coiwenerunt multi. Un grand
concours se forme en un instant dans
I'interieur et aux abords de la maison. Un
trait grapliique, particulier au second Evan-
gile, montre dune maniere saisissante jus-
qu'a quel point I'a-semblee ainsi formee
etait nombreuse : Ita tit non caperet... La
pensee est claire, bien que la phrase de la
Vulgate soit a peu pres incomprehensible
dans ce passage. L'Evangeliste veut dire que
non-seulement les apparlements interieurs
furent bienlot envahis par la foule, mais que
les alentours de la porte, a I'exterieur, regor-
geaient eux-memes de visiteurs. Voici main-
tenant le lexte grec : &axs. [irr/.iii yjjipziy ^rfil
TaTtpo? TTjv 6'jpav, « ita ut jam non caperent
nee quae ad januam », ou plus litteralement
encore en franQais : A tel point que les envi-
rons memes de la porte ne pouvaient plus
contenir personne. L'expression ra 7tp6; ttiv
Oiipav (sous-enteudu (xeprii est synonyme de
Tsc irpoOupa, et do^igne, d'apres les anciens
jButeurs, le vestibule exterieur des maisons,
une sorte de cour habituellement muree qui
les separait de la rue ( '.< quae sunt ante ja-
nuam vestibula », Vitruve; « locus ante ja-
nuam domus vacuus per quern a via aditus
accessusque ad aedes est », Aul. Gell. xvi, 5).
II y a done dans la description un « a for-
tiori » tres-energique ; car si la cour exte-
rieure etait elle-meme completement remplie
par la foule, a coup sur il ne devait pas y
avoir une seule place libre dans les apparte-
ments. Comme Jesus etait alors aime de ce
bon peuple ! — Loquebatur eis verbum ; en grec,
Tov ).6yov avec Tarlicle, la parole, c'est-a-dire
la parole par excellence, I'Evangile. Et I'au-
diloire toujours grossissant ecoutait avec ra-
vissement.
3 et 4. — Apres la mise en scene, nous
passons a I'episode proprement dit. Quatre
hommes (detail omis par les autres Evange-
listes) s'avancent, portant sur leurs epaules
une couchette, sur laquelle est etendu un
pauvre paralytique dont ils viennent deman-
der la guerison au divin Thaumaturge. Mais
I'entree de la maison est entierement obstruee
par la foule ; il leur est impossible de pene-
trer jusqu'aupres de Jesus? Que faire?
Attendre que la multitude se soit dispersee?
Non, leur foi et celle du malade leur suggere
un moyen plus rapide. — Nudaverunt tectum.
Pour comprendre cette operation et celles
qui vont suivre, il faut se souvenir que la
scene se passe en Orient, et que les maisons
orientales differeiit nolablement de nos habi-
tations europeennes. D'abord les toits sont
plats et communiquenl avec la rue par un
escalier ou par une echelle. Ils sont formes
d'une litiere de roseaux ou de branchages
etendus sur la charpente, d'une couche de
terre jetee par dessus cette couche vegetale,
et enfin, le plus souvent du moins, quoiqu'il
y ait des exceptions a celte regie, d'une gar-
niture de briques reliees ensemble avec de
I'argile ou du mortier. Ajoutons qu"habituel-
lement ils sont peu eleves au-dessus du sol.
Cela pose, il est facile de concevoir lo com-,
menl les porteurs purent hisser le paralytique
sur le toit ; 2o la maniere donl ils reussirent,
sans faire de bien grands degals, a y percer
une ouverture suffisanle pour que le malade,
toujours etendu sur son grabat, put passer a
travers ; 3o comment il leur fut possible de
descendre leur ami jusqu'aux pieds de Jesus.
Voyez Thomson, The Land and the Book,
Londres 4876, p. 338 et suiv. On lit dane le
CHAPITRE II
43
miserunt grabatum in quo paralyti-
cus jacebat.
b. Cum autem vidisset Jesus fi-
dem illorum , ait paralytico : Fili,
dimittuntur tibi peccata tua.
6. Erant autem illic quidam de
scribis sederites, et cogitantes in
cordibussuis:
7. Quid hie sic loquitur? blasphe-
mat. Quis potest dimittere peccata,
nisi solus Deus ?
Job. 14, 4 ; Isai. 43, 25.
ou il etait, et, faisant une ouver-
ture, ils descend irent le grabat oii
le paralytique gisait.
5. Lorsque Jesus eut vu leur foi,
il dit au paralytique : Mon fils, tes
peches te sont remis.
6. Or, il y avait la quelques Scri-
bes assis, qui pensaient dans leur
coBur :
7. Pourquoi celui-la parle-t-il
ainsi? II blaspheme. Qui pent remet-
tre les peches, si ce n'est Dieu seul?
Talmud de Babylone, Moed Kalon, f. 25, 1,
qu'iin Rabbin elanl inort, on ne put faire
passer son cercueil par la porte de la mai-
son. On fill conlraint de le mooter siir le toit,
d'oii on le descendit ensuite dans la rue.
C'est le rebours de notre hisloire, dont la
possibilite se trouve par la-meme confirmee.
— Ubi erat. On a pense parfois que ces mots
designaient rouepwov ou chambre haute de la
maison, parce que les Rabbins choisissaient
volontiers cet appartement pour y donner
leurs leQons; mais c'est une conjecture peu
probable, soit parce que toutes les habitations
n'elaient pas munies d'une chambre haute,
soit parce qu'il est plus conforme au contexts
de dire que Jesus etait alors au rez-de-chaus-
see. — Patefacientes : le grec est plus ener-
gique, £?opu(javT£<;, « quum effodissent ». —
Submiserunt, mieux « submiltunt », y^xliaai-,
au temps present aime de S. Marc. — Gra-
batum. En grec xpa66aTov : c'est une de ces
expressions latines grecisees par S. Marc,
dont nous avons parle dans la Preface, IV, 3.
Les anciens appeiaient grabat « un lit petit el
bas du genre le plus commun^Cic. Div. ii, 63;
Virg. Moret. 5), semblable a ceux dont so ser-
vait le pauvre peuple, n'ayant qu'un reseau
de cordes etendu sur un chassis (Lucil. Sat.
VI, 13; Petr. Sat. i>7) pour supporter le raa-
lelas. » Ant. Rich, Dictionn. des Antiquites
rem. et grecq. s. v. Grabatus.
5. — Quum vidisset... fidem eorum. Cetto
foi etait vive et profonde, comme venait de
le montrer la conduile qu'elle avait inspiree.
Elle avait rcnverse tous les obstacles; aussi
Jesus lui accorde-t-il aussitot la recompense
qu'elle merilait. — Fili, te-xvov, douce parole
qui dut aller au ccEur du malade, et lui an-
noncer que ses voeux etaient exauces. Elle ne
prouve pas qu'il fut plus jeune que Jesus, car
elle est prise ici au moral, de meme qu'en un
grand nombre de passages classiques.c Saepius
TExvov est blandientis et excitanlis vocabu-
lum », Palairet, Observat. p. 33. Le mot do
S. Luc, avSpwue, est plus froid ; S. Matthieu
a teV.vov, comme S. Marc. — Dimittuntur tibi
peccata. Voir dans I'Evang. selon S. Mallh.
p. 172, le motif special pour lequel Jesus lint
au paralytique ce langage, qui semble tout
d'abord ne pas se rapporter a la situation.
Les anciens etaient d'ailleurs portes a regar-
der le mal si terrible el si soudain de la pa-
ralysie comme le chatiment de peches secrets
ou publics. — Ces mots du Sauveur forment
le noeud de I'episode, car ce sont eux qui
vont occasionner le conflit avec les Scribes.
6 et 7. — Erant autem illic... D'apres
S. Luc, il y avait aussi des Pharisiens dans
I'assemblee, independamment des Scribes.
De plus, ils etaient venus les uns et les aulres
« ex omni castello Galilaeee et Judseae et Je-
rusalem. », Luc. V, 17. Ils etaient done la
d'une maniere pour ainsi dire officielle, en
vue d'epier le Sauveur. — Cogitantes vi cor-
dibus suis. lis formerent tous le meme juge-
ment temeraire; toutefois, il ne I'exprimerent
pas au-dehors. La promptitude avec laqueile
Jesus repondit a leurs pensees les plus se-
cretes ne leur laissa pas le temps de se les
comnmniquer. Cfr. le t. 8. La locution « Cogi-
tare in corde » est un hebraisme : d'apies la
psycbologie des anciens Hebreux,lecoeuretai*
regarde comme le siege et le centre di>s ope-
rations intellectuelles. — Quid hie sic loqui-
tur, ouTo? oiirw. « Hie » est dedaigneux ;
« sic » est pris en mauvaise part : de cette
maniere coupable. — Blasphemat. Les Rabbins
juifs, s'appuyant sur le Levilique, xxiv, 15
et 16, distinguaient deux sortes de blas-
pheme : le plus grief, qui etait puni de mort,
supposail une profanation ouverte du nom
divin ; I'aulre existait toutes les fois qu'on
avait dit quelque chose d'outrageant pour
Dieu, mais sans prononcer son saint nom.
Cfr. Sanhedr. vi, 5. C'est de ce dernier bias
pheme qu'ils durent accuser Jesus, puisqu'i
n'avait profere aucun des noms divins,
8. — Quo statim cognito. Le Sauveur se
44
fiVANGILE SELON S. MARC
8. Aussitot Jesus, ayant connu
par son esprit qii'iis pensaient ainsi
en eux-memes, leur dit : Pourquoi
pensez-vous ces choses dans vos
coeurs ?
9. Lequel est le plus facile, de
dire au paralytique : Tes peches te
sont remis, ou de lui dire : Leve-
toi, prends ton grabat, et naarche?
1 0. Or, pour que vous sachiez que
le Fils de I'liomme a sur la terre le
pouvoir de remettre les peches, (il
dit au paralytique) :
11. Je te le commande, leve-toi,
prends ton grabat, et va dans ta
maison.
12. Et aussitot celui-ci se leva et,
soulevant son grabat, s'en alia de-
vant tout le monde, de sorte aue
8. Quo statim cognito Jesus spi-
ritu suo, quia sic cogitarent intra
se, dicit illis : Quid ista cogitatis
in cordibus vestris?
9. Quid est facilius dicere paraly-
tico : Dimittuntur tibi peccata; an
dicere : Surge, tolle grabatum tuum,
etambula?
10. Ut autem sciatis quia Filius
hominis habet potestatem in terra
dimittendi peccata, (ait paralytico :)
11. Tibi dico : Surge, tolle graba-
tum tuum, et vade in domum tuam.
12. Et statim surrexit ille : et su-
blato grabato, abiit coram omnibus;
ita ut mirarentur omnes, et honori-
plaint d'abord deTinjiislice de ses adversaires.
Pourquoi formez-vous sans raisons de tels
jugements? leur demande-t-il. II ne I'ignorait
point, le raisonnpment qu'ils appuyaient sur
ses paroles n'etait nuiloment inspire par un
vrai zele pour la gloire de Dieu, mais par la
jalousie et le mauvais vouloir. — Spii-Uu suo.
Expression emphatique : « per se, non alio
euni docenle », Patrizi. S. Marc a I'inlention
evidente de montrer que Jesus lisait au fond
des coeurs et qu'il y decouvrait les impres-
sions les plus cachees. Les Propheles avaient
parfois une science sembiable, mais elle leur
etait communiquee par I'Esprit de Dieu. Jesus
la possede au contraire par son propre esprit :
done il est Dieu.
9-1 1 . — Le divin Maitre fait maintenant une
argumentation invincible centre les Scribes.
Ceux-ci lui ont fourni la majeure de son syl-
logisme : Qui, a part Dieu, est capable de
remettre les peches? II pose lui-meme la mi-
neure : Moi, je puis remettre les peches; et
il la prouve par un grand miracle. La conclu-
sion est evidente, bien qu'elle ne soit pas
exprimee : Done, j'agis au nom de Dieu, ou
mieux encore : Done, je suis Dieu. Cfr. Pa-
Irizi, In Marc. Comment, p. 18. Pour I'expli-
cation des details, voir S. Malthieu, ix, 4-6,
etie commenlaire. — Quid est facilius... Voici
une excellenle pensee de Victor d'Antioche
sur les paroles de Jesus : « Quel est le plus
facile? dire ou agir? Le premier, evidem-
ment, altendu que le resultal n'est soumis a
aucun controle.Ehbien! puisque vous refusez
d'ajouter foi a une simple a>sertion, j'y vais
associer les fails, qui serviront de preuve h
ce qui ne tombe pas sous les sens ». — Filius
hominis. Cetle expression imporlante el mys-
terieuse est employee quatorze fois par le
second Evangeiiste. Son origine et sa significa-
tion ont ele discutees dans I'Evang. selon
S. Matth., p. 161 et s. Voir au«si une savante
dissertation publiee par le Dr Krawutzcky
dans la Theol. Quartalschrifl de Tubin-
gue, 1869, p. 600 et ss. — Ait paralytico.
Parenlhese ouverte par S. Marc enlre deux
paroles de Jesus, afin de mieux eviter toute
amphibologie. Le pronom tibi da *^. 1 1 est ainsi
netlement determine. Le Sauveur, qui s'etait
adresse aux Scribes dans les versets prece-
dents, se retourne tout a coup vers le malade,
pour prononcer la parole de salut que celui-ci
attendait avec foi.
12. — Et statim surrexit... La sc6ne est
pour ainsi dire pholographiee, tant elle est
vivante et detaillee. On voit le paralytique se
dresser sur son seant, sauter promptement k
bas de sa couchette, la charger sur ses epaules
et s'en aller coram omnibus. Comme tous les
regards devaient etre rives sur lui I — Ita
ut mirarentur... L'admiration est univer-
selle, ou plulot, suivant I'energie du texte
grec (wdTe £?i(jxa(T9ai Ttavxa?, Cfr. Luc. V, 26) ,
c'est une sorte d'extase qui s'emparede toute
I'assistance, tant le miracle a ete frappant
dans ses differentes circonstances! — Et glo-
rificaretit Deum. Du fait surnaturel dont elle
vient d'etre teraoin, la pieuse foule remonte
aussitot a Dieu, I'auteur de tout don parfait.
Ainsi done, les Scribes accusaient Jesus de
blaspheme, et voila qu'au contraire il avait
porle le peuple a glorifier le Seigneur. — Les
CHAPITRE II
45
ficarent Deum, dicentes : Quia nun-
quam sic vidimus.
13. Et egressus est rursum ad
mare; omnisque lurba veniebat ad
eum; et docebat eos.
14. Et cum prseteriret, vidit Levi
Alphsei sedentem ad telonium, etait
illi : Sequere me. Et surgens secu-
tus est eum.
Matlh. 9, 9; Luc. 5,29.
15. Et factum est, cum accumbe-
tous admiraient et glorifiaient Dieu,
disant : Jamais nous n'avons vu
rien de pareil.
13. Et Jesus se retira de nouveau
pres de la mer, et tout le peuple
venait a lui, et il les enseignait.
14. Etjlorsqu'ilpassait, ilvitLevi,
fils d'Alphee, assis au bureau de
peage, et il lui dit : Suis-moi; et, se
levant, il le suivit.
lb. Et il arriva qu'etant a table
Juifs se sont autrefois excuses, dans leur
Talmud, de n'avoir pas cru en Jesus parce
qu'il n'avail pas le pouvoir de remettre les
peches : « Penes eum non erat poteslas remit-
tendi peccata nostra, nos ergo eum repudia-
vimus », Sanhed. fol. 38, 2, Gloss. L'excuse
est-elle bien valable? — Voyez dans les
Etudes iconographiques de M. Rohaiilt de
Fleury, t. I, p. 471, d'anciennes representa-
tions artistiques de la guerison du paraly-
tique.
k. Vocation de S. Matthieu. ii, 13-22. — Parall.
Matth. u, 9-17; Luc. v, 27-39.
Les trois synoptiques insistent sur ce fait,
a cause de sa grande importance au point de
\ue du salut messianique. II contenait une
profonde leQon soil pour les juifs, soil pour
les paiens. Un publicain, un excommunie,
Apotie de Jesus! Personne ne doit done de-
se^jierer d'etre sauve. — A la vocation de
Levi. S. Marc, de meme que les auteurs du
prcMniei- etdu troisiemeEvangile, rallache un
nouvel exemple de I'opposiiion maligne des
Pharisiens centre Jesus. 11 nous montre ces
adversaires acharnes cherchant et trouvant
partoul des occasions de conflit.
1) Le publicain L^vi appele par J6sus. ii, 13-14.
13. — Egressus est rursus. Jesus sort de
Capharnaiim ou nous I'avions vu entrer au
debul de ce chapitre, t. 1. L'adverbe « rur-
sus » relombe sur les mots SLiivants,ad mare,
el nous rappelle qu'une fois deja (Cl'r. i, 16)
Noire-Seigiunir etait allesiirle rivagedu he.
CeltR nouvelle sortie aura le mem • lesultat
que la premiere, car elle aboutira, elle aussi,
au choix d'un nouvel apotre. II n'ost question
de la mer qua dans le recit de S. Marc : le
concouis du peuple aupres di> Jesus, les in-
tructions (lue le divin Mail re hii donna avec
son zele accoulume, sonl egalemenl des traits
interessaiils i|ui apparticnnent en piopre a
noire Evangelisle.
44. — Et mm nrceteriret. Le sermon fini,
Jesus continue sa promenade sur les bords
du lac, et il fait en un clin d'ceil la conquete
d'un Apotre. — Vidit. Les hommes s'etu-
dient muluellement avant de s'unir par des
liens durables; a Jesus un regard suffit, ses
yeux penetrant jusqu'au fond des cceurs ! —
Levi Alphcei, c'est-a-d ire fils d'Alphee, selon
le sens ordinaire de celle tournure hebraique.
La mention du pere de Levi est encore une
particularile que nous devons a S. Marc.
Qu'elait cet Alphee?On ['ignore totalement:
il parait certain du moins qu'il ne faut pas le
conlondre, comme on I'a fait quelquefois,
avec le pere de S Jacques le Mineur. Voyez
I'Evang. selon S. Mattli. Preface, § I. Quant a
Levi, dont le nom etait si celebre chez les
Hebreux (ilS. intimite, Cfr. Gon. xxvii, 34),
on a toujours generalement admis qu'il ne
differe pas de S. Matthieu. Comparez Apost.
Const. VIII, c. 22; Orig. Preefat. in Epist. ad
Rom., Cat. in Matth.; August, de Cons.
Evang. I. II, c. xvi ; Hieron. de Viris Illustr.
c. HI. L'identite des deux personnages n'a
ete que tres-rarement conteslee dans I'anti-
quite : elle Test a peine de nos jours. Cfr.
Matlh. IX, 9 et le Commentaire, p. 173. Levi
etait I'ancien nom, Matthieu fut la denomina-
tion nouvelle, qui indique le grand change-
raent par lequel le publicain avail ete trans-
forme lout d'un coup en Apotre du Christ. —
Sequere me! Jesus, dit admirablement Victor
d'Anlioche, reconnait la perle qui git dans la
boue, il la ramasse et fait admirer au monde
son eclat. — Semtus est eum. La perle, dirons-
noiis pour conlinuer celte belle image, se
laisse volontiers enchasser par le divin
joaillicr.
2) Le repas chez L6vi et raccusation des Pharisiens.
II, 13-17.
15. — Quiim (iccumheret. Peu de temps
apres sa vocation, Levi, soil pour honorer
son nouveau Maitre, soil pour prendre conge
de ses amis el de ses anciennes foiiclions, Qt
un repas solennel auquel Jesus assislait avec
46
fiVANGILE SELON S. MARC
dans la maison de cet homme, beau-
coup de publicains et de pecheurs
y etaient en meme temps avec Je-
sus et ses disciples, carily en avait
beaucoup qui le suivaient aussi.
16. El les Scribes et les Phari-
siens, voyant quil mangeait avec
les Publicains et les pecheurs, di-
saient a ses disciples : Pourquoi vo-
ire maitre mange-t-il et boit-il avec
les Publicains et les pecheurs?
17. Jesus, Tayant entendu, leur
dit : Ge ne sont pas ceux qui ont
ret in domo illius, multi publicani
et peccatores simul discumbebant
cum Jesu et discipulis ejus ; erant
enim multi qui et sequebantur eum.
IG.Etscribae et pharissei videntes
quia manducaret cum publicanis et
peccatoribus, dicebant discipulis
ejus : Quare cum publicanis et pec-
catoribus manducal et bibit Magis-
ter vester?
17. Hoc audito, Jesus ait illis :
Non necesse habent sani medico,
ses disciples. Cfr. Luc. v, 29. — In domo
illius. Evidemment, il s'agit de la maison de
S. Matthieu, ainsi qu'il ressort du contexte el
des recits paraileles : quelqiies exegeles, abu-
sant de rambiguite de I'expression, ont a tort
pretendu que le feslin avait eu lieu dans la
maison de Notre-Seigneur. — Multi publicani
et peccatores. « 3Iulti » est emphalique. Jesus
et les siens n'etaient done pas les seuls invi-
tes : Levi, non sans raison, car il pensait pro-
bablement a leur bien spiriluel, avail voulu
meltre en contact avec le Sauveur lous ses
coUegues d'autrefois. Combien ne devail-il
pas desirer qu'ils se converlissenl a leur
tour! — Erant enim multi qui et... « Hoc
solus dixit Marcus, u I efficacitat em fructumque
preedicalionis Chrisli declararet, qua moti
eliam mulli publicani el peccatores eum lan-
quam magistrum discipuli sectarentnr. Hanc
vim habet parlicula ilia, et, quasi dicat pu-
blicanos et peccatores mullos non solum li-
benter audivisse Christum..., sed secutos
eliam fuisse, quoque pergeret », Maldonal.
Fori bien! Car cetle derniere phrase du ver-
set a reellement pour but, comme le monlre
la parlicule « enim », d'expliquer le « mulli »
qui precede. C'est done par erreur que le
P. Patrizi. In Marc. Comment, p. 20, rap-
porte les mots « erant enim... » aux disciples
de Jesus : « De Chrisli discipulis Marcus duo
narrat, eos el mullos fuisse el magistrum
sequi solilos. w On n'obtiendrait ainsi qu'un
sens tres-affaibli!
-16. — Scribw et Phariswi videntes. Ge repas
devail scandaliser doublemenl les Pharisiens.
Premier scandale : Jesus ne craint pas de
manger avec des publicains el des pecheurs!
— Videntes: ils ne tarderenl pas a s'en aper-
cevoir, attendu qu'ils epiaient constamment
les demarches de Jesus pour trouver de quoi
I'accuser. — Dicebant discipulis ejus. N'osanl
s'adresser directement au Maitre, donl ils
redoulent les verles repliques, ils prennent
les disciples a partie. — Quare. On lit dans
le grec tI oti, « quid est quod? » — Cum
publicanis. Ce nora designe dans les Evan-
giles des fonctionnaires inferieurs, charges de
recueillir les impots au nom des chevaliers
remains, auxquels I'Etal les avail afi'ermes:
leur vraie denominaiion serail plutol « por-
titores ». Ils etaient generalement abhorres a
cause de leur odieuse rapacite. Aussi les epi-
grammes abondent-elles sur eux dans les
ouvrages classiques. Suetone raconle, Ves-
pas. I, que plusieurs villes erigerenl des sta-
tues a Sabinus « I'honnete publicain », el,
comme on demandait a Theocrite quelles
etaient les betes sauvages de la pire espece,
il repondit : « Sur les moixtagnes les ours et
les lions; dans les villes les publicains et les
mauvais avocats. » Les Juifs avaienl excom-
munie ceux des leurs qui se livraienl a ce
metier. Voyoz I'Evang. selonS. Matlh. p. 124.
Les Pharisiens, c'est-a-dire les separes, d'a-
pres I'etymologie de leur nom Cfr. Ibid,
p. 71), se seraienl bien gardes d"avoir le
moindre rapport avec ces homines profanes
et impurs, et voici que Jesus ne craignail pas
de nouer avec eux les relations les plus
inlimes, manducat et bibit !Qteidi\i la un spec-
tacle inoui' en Israel, de la part d'un docteur
el d'un saint. — La question ne fut sans
doute posee aux disciples qu'apres le feslin;
car les Pharisiens et les Scribes n'enlrerent
probablement pas dans la maison du publicain
Levi, surtout alors qu'elle elail remplie de
pecheurs.
17. — Hoc audito Jesu. Jesus prend lui-
meme la parole pour faire I'apologie de sa
conduite. Dans sa reponse, il developpe d'a-
bord au moyen d'une image, puis au propre,
I'ideal de son ministere parmi les hommes.
— Non necesse habent : traduction litterale et
assez peu latine des mots grecs oO xP-'«''
exo-jcrtv, pour « non opus habenl ». — Soni.
ol ia'/cjoy-zti, les gens robustes el biens portants.
Le proverbe cite ici par Jesus se relrouve a
peu pres chez lous les peuples. Yoyez I'Evang.
CHAPITRE II
47
sed qui male habent : non enim
veni vocare justos, sed peccatores.
// Tin. I, 15.
18. Eterant discipuli Joannis et
Pharissei jejunantes; et veniunt, et
dicimt illi : Quare discipuli Joannis
et Pharisseorum jejunant, tui autem
discipuli non j ej unant ?
19. Et ait illis Jesus : Numquid
bonne sante qui ont besoin de me-
decin, mais les malades; car je ne
suis pas venu appeler les justes,
mais les pecheurs.
18. Les disciples de Jean et les
Pharisiens jetinaient; ils vinrent
done et lui dirent : Pourquoi les dis-
ciples de Jean et ceux des Phari-
siens jetinent-ils, et vos disciples ne
jeiment pas?
19. Et Jesus leur dit : Est-ce que
selon S. Matlh. p. 477. Le Saiiveur daigne
done assurer qu'il est notre medecin aimable
el lOLit-puis>ant. Quelle consolalion pour un
monde si malade que le notre! « Jacet toto
orbe lerrarum, ab oriente usque ad occiden-
tem, grandis segrolus: ad sanandum grandein
aegrolum descendit omnipotent medicus. »
S. August. Serm. lxxxvii. — Non vent vo-
care. bans le langage du Nouveau Teslament,
le verbe « vocare » est une expression tech-
nique pour designer la vocation au saiut mes-
sianique. — Justos. Theophylacte, et d'autres
interpretes anciens et modernes, croient que
Jesus appliquait ironiquement ce nom aux
Pharisiens : 6 6e -/upio;, oOx •^),9ov, (pyjic, y.'xliaon
Stxatou?, ToyTEffxtv ujia; xou? oixaioOvta; sa-jTou;
{■/.ax' elpwvetav yaoTouTo ^y)(tiv), a).)>a aaapTwXo-j;.
Les justes, c'esL-a-dire vous qui vous croyez
justes! — Sed peccatores. Belle anlilhese, qui
exprime a merveille le but de I'lncarnation
du Verbe, et qui nionlre que, dans la circon-
stance presente, Jesus etait tout a fait a sa
place et dans son role. Aussi, conime le dit
S. Thomas, 2a 2* , quaest. 23, les Pharisiens
se scandalisaient-ils d'une chose qui aurait du
au conlraire les edifier et les porler a I'ad-
miration! La Rece|)ta grecque ajoute eli;
jxETavo'.av, « ad poenilentiam » ; mais il est
probable que ces mots sont apocryphes. —
Voir dans S. Malth. ix, 4 3, une troisieme
proposition, tiree de I'Ancien Testament, que
Jesus joignit a sa reponse.
3) Les disciples de J^sus et la question du Jeune,
II, 18-22.
18. — Second scandale : Les disciples du
Sauveur negligent de jeuner. — Erant disci-
puli Joannis... S. Marc place en avant de
cetle nouvelle scene une note archeologique
qui pouvait 6tre utile a ses lecteurs romams
el grecs, peu au courant des usages juifs.
£lle nous apprend que les disciples du Pre-
curseur et les Pharisiens etaienl dans Thabi-
tude da jeuner frequemment : les premiers
imitaienl ainsi la vie severe de leur Maitre;
les seconds suivaient en cela leurs traditions
humaines, qui leur recommandaient deux
jeunes par semaine, celui du kindi parce que
Moise elait descendu ce jour-la du Sinai',
celui du jeudi parce qu'il en avail fail alors
I'ascension. Cfr. Babyl. Bava Kama, f. 82. —
La construction de la phrase est extraordi-
naire : « erant... jejunantes » (f,oav... vYja-
TEuovTE?), au lieu du simple imparfail. Mais
celte tournure a ete choisie a dessein par I'e-
crivain sacre, parce qu'elle exprime Ires-for-
lementune couiume frequente, une chose qui
a lieu d'une fagon reguliere Gomp. S. 3Iallh.
IX, 14; S. Luc, v, 33 ; Winer, Grammal. des
neulest. Sprachid., p. 311. C'est done par
erreur que Maldonal et Meyer lui font signi-
fier que les personnages en question eiaient
en train de jeuner ce jour-la meme. — Ec
veniunt et dicunt. D'apres S. Mallhieu, la
question aurait ete posee par les seuls Joan-
nites; les seuls Pharisiens la lui adressent
dans le troisieme Evangile : S. Marc fait la
conciliation en la mellant sur les levres et
des uns et des autres. Quelques-uns des dis-
ciples du Precurseur s'etaient rallaches aux
Pharisiens apres son emprisonnemenl, et ils
avaient adopts la haine de la secte contra
Nolre-Seigneur. S. Jerome, in Matth. ix, 44,
reprouve par un blame severe, mais juste,
la conduite qu'ils linrent dans la circons-
tance presente : « Nee poterant discipuli
Joannis non esse sub vitio, qui calumniaban-
tur eum quem sciebant magistri voeibus
praedicatum; et jungebanlur Pharisaeis quos
a Joanne noverant condemuatos (Matlh.
III. 7). » — Tui autem discipuli non... Le
eontraste est habilement presente. D'une
part, la vie mortifiee des hommes qui eiaient
alors veneres par lout le monde comme des
saints; d'aulre part, Jesus et les siens qui
font de bons repas! Cfr. Matlh. xi, 19.
19 et 20. — Le Sauveur repond plus longue-
ment a celte objection qu'a la premiere, parce
qu'elle elait en apparence plus grave el plus
specieuse. II la refute a I'aide de trois images
familieres, qui lui servent en meme temps a
caracteriser d'une maniere admirable la diW^-
48
evang;le selon s. marc
les fils des noces peuvent jeuner
pendant que I'epoux est avec eux?
Aussi longtemps qu'ils ont avec eux
Tepoux, ils ne peuvent jeuner.
20. Mais viendront les jours ou
I'epoux leur sera enleve, et ils jeu-
j neront en ces jours-la.
21 . Personne ne coud une piece
de drap neuf a un vieux vetement;
autrement, leneuf emporte une par-
tie du vieux et la decnirure devient
plus grande.
possunt filii nuptiarum, quamdiu
sponsus cum illis est , jejunare ?
Quanto tempore habent secum spon-
sum, non possunt jejunare.
20. Venient autem dies cum au-
feretur ab eis sponsus; ettunc jeju-
nabunt in illis diebus.
Matth. 9, 15; Luc. 5, 35.
21 . Nemo assumentum panni ru-
dis assuit vestimento veteri; alio-
quin aufert supplementum novum a
veteri, et major scissura fit.
rence qu'il y a entre I'Ancien el le Nouveau
Testament, enire la Loi et I'Evangile. Voir
I'explication detaillee dansnotrecommentaire
sur S. Mallh. p. 4 78 et ss. — Premiere image,
f. 19 et 20. Tanl que durent les rejouis-
sances donnees a I'occasion d'un mariage,
aucun de ceux qui y participent ne saurait
songer a jeuner : ce serait un vrai contre-
sens. Mais, les fetes nuptiales achevees, on
peut se livrer au jeune. Telle est la figure
dans toute sa simplicile. Quelques expres-
sions seulement demandenl un commentaire
rapide. — Filii nuptiarum; dans le grec,
01 uloi ToO vujicpwvo;, les fils de la chambre
nupliale, hebraisme pour designer ce qu'on
nomme chez nous les « gargons d'honneur ».
Jesus, le divin Sponsus, venu du ciel pour
celebrer ses noces mystiques avec I'Eglise,
appelait ainsi ses disciples. L'application du
reste de la figure se fait maintenant d'elle-
meme. — Non possunt jejunare. Ces mots
n'expriment pas une impossibilite absolue,
mais I'espece d'inconvenance qu'il y aurait
a jeuner en un pareil temps. — Quum aufe-
relur. C'est la premiere allusion que Jesus
fait a sa Passion et a sa mort. En effet, le
mot dTraperi, employe de concert par les trois
synopliques, indiqueune separation violente.
La prevision de sa fin douloureuse etait done
longtemps d'avance presenle a la pensee
du Sduveur : il est vrai que ceux qui de-
vaient plus tard le condamner a mort, les
Pharisiens, sont actuellement occupes a lan-
cer centre lui de perfides attaques — Tunc
jejunabunt. C'esl la coulumechez les Hindous
de se livrer a diverses manil'eslalions de
Irislpsse le lendemain d'un mariage, quand
le nouvel epoux a quitte la maison de son
beau-pere. Lorsquo son celeste epoux aura
quilte la terre, I'Eglise pourra justement
gemir et jouner, oxprimant ainsi la [leine
qu'elle aui» :'.e. vivre loin de cclui qu'elle
aime par-dessus lout. — La redaction de
S. Marc, dans ce passage, se fait remarquer
par plusieurs redondances pleines d'emphase.
Au t. 19, la meme phrase est repetee deux
fois avec de legeres variantes. Dans le f • sui-
vant, nous trouvons trois expressions pour
une seule idee : « dies... tunc... in illis die-
bus » (le singulier « in ilia die », pour signi-
fier : en ce triste jour! serait preferable, car
la legon ev exetvy; T^ YijjLEpa est beaucoup plus
accreditee que celle du text. Recept.).
21 . — Ce verset contient la seconde image,
qui est, au dire de S. Luc, v, 37, de meme
que la troisieme, unesortede petite parabole
dans le sens large. Par ces deux comparai-
sons empruntees aux details les plus prati-
ques de la vie de famiile, Jesus se propose de
demontrer, selon les uns, qu'un nouvel esprit
se cree des formes nouvelles, c'est-a-dire
que le Nouveau Testament peut se debarras-
ser de certaines observances cereraonielles
de I'Ancien; siinplement, selon les aulres,
que les disciples elaient encore trop faibles
pour mener une vie austere el penitente.
Nous avons examine ces deux opinions dans
I'Evangile selon S. Matth. p. 180 et 181. —
Nemo assumentum... Un sourire nousechappe
malgre nous loutes les fois que nous lisons
celte parole de Jesus, car elle nous rappelle
un de nos condisciples de college, donl les ve-
temcnts elaient toujours rapiecetes de la fa-
gnn proscrite par le divin Mailre. Mais ce pro-
cede, nous nous en souvenons aussi, ne man-
quail pas de donnergain de cause a la para-
bole, car, sans parler de la bigarrure etrange
produile paides morceaux d'eloffe neuve sur
de vieux habits, bientot « la piece fraiche
emporlait une partie du vetement, et il se
faisail une plus grande dechirure. » — II
exislc, relativement ala secondo parlie de ce
verset, un grand nombre de variantes dans
les manu^crits grecs. La Vulgate a suivi la
legon conservee par le Cod. D et quelques
manuscrils en lettres minuscules : atpst t6
ir)i^pa)[).a to y.atvov a-KO xoO 7ta>>aio0. Le Texte
Recept. porte : atpei to ■jvXvipwtJi.a auTou to xai—
CHAPITRE II
49
22. Et nemo mittit vinum novum
in utres veteres, alioquin dirumpet
Yinum utres, et vinum effundetur,
el utres peribunt; sed vinum novum
in utres novos mitti debet.
23. Et factum est iterum, cum
Dominus sabbatis ambularet per
sata, et discipuli ejus coeperunt pro-
gredi, et veliere spicas.
Malth. 12, 1 ; Luc. 6, 1.
24. Pharisaei autem dicebant ei :
Ecce, quid faciunt sabbatis quod
non licet?
22. Et personne ne met du vin
nouveau dans des outres vieilles;
autrement, le vin rompra les outres,
et le vin se repandra, et les outres
seront perdues; mais le vin nou-
veau doit etre mis dans des outres
neuves.
23. Et il arriva encore que lors-
que le Seigneur passait un jour de
sabbat le long des bles, ses disci-
ples commencerent tout en mar-
chant a rompre des epis.
24. Et les Pharisiens lui dirent :
Voyez, pourquoi font-ils le jour du
sabbat ce qu'il n'est pas permis de
faire ?
v6v Tou iraiatoo. On lit dans le manuscrit A :
atpet aTt' auToO to Tz\r\^M]xa. to xatvov xoy 7ra>-ato\j.
La meilleure legon semble eire celle qu'ont
adoptee Lachniann et Tischendorf a la suite
des manuscrits B. L. etc. : aipEt to irXYJpwfia
dir' auxoO TO xalvov ToO ■rta),aioij . Vovez Schegg,
Evang. nach Mark. p. 280 et s. Au fond le
sens est le meme dans tons les cas, malgre
des nuances tres-legeres dans la pensee.
22. — Troisieme image. Nemo mittit vi-
num.... Un hymne d'Adam de S. Victor pour
la f^te de la Pentecole abrege ainsi la com-
paraison du Sauveur :
Utres novi, aoa vetusti,
Sant capaces novi musti.
Dans de vieilles outres, la peau est incapable
de resisler a une viva pression, telle qu'est
celle du vin nouveau. Quiconque I'oublierait,
perdrait tout a la fois le contenant et le con-
tenu. Bengel, Gnomon N. T, in Matth. ix,
apprecie tres-bien les liH. 21 et 22, lorsqu'il
dit : « Magna cum sobrietale et festivitate
respondet Dominus; a veslibus et vino (quo-
rum usus erat in convivio) parabolas desumit
jucundas ad confutandam quaerentium tristi-
tiam. »
c. Con flit a propos du Sabbat. Premier cas : Les
ipis. H, 23-28. — Parall. Malth. xii, 1-8; Luc.
u, 1-5.
23. — Et f actus est iterum. Gfr. t. 13.
L'adverbe « iterum » n'est pas dans le texte
primitif. II inlroduitici une nouvelle occasion
de condit entre Jesus et les Pharisiens. La
date fixee par S. Luc, vi, 1, maigre I'incer-
titude qui regne autour d'elle, semble indi-
qner quo I'episode des epis n'eut pas lieu
immediatem.ent apres la vocation de Levi,
mais k une epoque plus tardive. S. Marc au-
S. Bible. S,
rait done suivi en cet endroit I'ordre logique
et non celui des fails. — Sabbatis : le pluriel
pour le singulier. Voyez plus haut, i, 21 et
Texplication. — Ambularet per sata. Le grec
TiapauopsuECTOat a plutot le sens de « tran-
sire ». Gfr. Luc. vi, 1. Sur la construction
eyevsTO... irapaTiopeueijOai auTov, VOyez Winer,
Gramm. p. 289. — Coeperunt progredi et vel-
iere... La phrase grecque est autrement cons-
truite : rip^avTo 6o6v ttoisTv TtXXovTc? tou; (TTcxxua?.
Sa traduction litterale serait : « Coeperunt
iter facere vellenles spicas. » Les mots 6S6v
TToieTv ont rcQu plusieurs interpretations.
Quelques exegetes y ont vu que les Apotres
s'avangaient jusque dans les champs pour
prendre des epis. Mais comment se seraient-
ils permis un degSt aussi inutile, puisqu'ils
avaient sur le bord du chemin plus d'epis
qu'il ne leur en fallait? D'apres Fritzsche,
les disciples auraient pour ainsi dire marque
leur chemin en le jonchant des epis egrenes
qu'ils rejelaient! Un tel commenLaire est-ilse-
rieux? Le vrai sens semble pourtant bien
simple : on n'a qu'a faire une legere transpo
sition, 656v itoioujie'voi TiXUtv. . ., et Ton obtien'i
cetle phrase Ires-claire : Chemin faisant, ils si(
mirent a arracher des epis. Que voulaient-ili
faire de ces epis? Notre Evangeliste n'en d:.:
rien ; mais le contexle le monlre suffisam ■
ment; Cfr. f. 26. Du resle, les deux autre^i
synoptiques le racontent en toutes lettres :
(('Vellebant... spicas, et manducabant confri-
cantesmanibus. »Luc. vi,1 ; Cfr. Malth. xi,1.
24. — Phariscei aulem... Meme dans le
calmo et la solitude de la campagne, Jesus
n'est pas a I'abri de ses ennemis. lis sent la
pour incriminer aussitot I'acte des disciples,
dont ils rejellent sur lui toule la responsabi-
lile. — Quid faciunt... quod non licet f D'a-
pres ces esprits elroils, arracher quelques
Mafic. — 4
50
feVANGILE SELON S. MARC
2o. Et il leur dit : N'avez-voiis
pas lu ce que fit David quand il eut
besoin et qii'il eut faim, lui et ceux
qui etaient avec lui?
26. Comment il entra dans la
maison de Dieu,au temps du grand-
prStre Abiathar, mangea les pains
de proposition qu'il n'etait permis
qu'aux pretres de manger, et en
donna a ceux qui etaient avec lui?
27. Et il leur disait : Le sabbat
2o. Et ait illis : Nunquam legistis
quid fecerit David, quando neces-
sitatem habuit et esuriit ipse, et qui
cum eo erant?
I Reg. 21.6.
26. Quomodo introivit in domum
Dei sub Abiathar principe sacerdo-
tum, et panes propositionis mandu-
cavit, quos non licebat manducare,
nisi sacerdotibus, et dedit eis qui
cum eo erant ?
Lev. 24, 9.
27. Et dicebat eis : Sabbatum
epiff equivalait a moissonner. « Qui sabbato
frumentum metit ad qiiantitalem flcus, reus
est. » Maimonid. in Scliabb. c. vii. Les dis-
ciples avaieiU done fait une CEuvre servile,
el viole par la-meme le repos du Sabbat.
Voyez a ce sujet I'Evangile selon S. Matth.
p. 236 et s. Les Juifs dits orlhodoxes ont
encore aujourd hui, relativement au respect
dii au sabbat, toute la largeur d'idees des
Pharisiens. Compar. Ed. Goypel. Le Ju-
daisme, p. 170 et ss.
25 et 26. — Ait illis. Dans ie grec, au-6;
D.eyev auToi;, « ipse ait illis. » Gel avto; est
emphalique. Jesus s'empresse de defendre les
Apotres centre I'injusle accusation de ses
adversaires. Son argumentation vigoureuse,
a laquelle les delaleurs n'eurent rien a re-
pondre, se compose de deux parties, I'une
liistorique, I'aulre rationnelle. — Premier ar-
gument, t- 23 et 26. — Numquam legistis?
Regarde, to£, s'elaient ecries les Pharisiens.
Lisez! s'ecrie a son tour le divin 3Iaitre. II
renvoie ces Doctcurs aus Saints Livres qu'ils
etaient charges d'interpreter. — Quid fecit
David. Cfr. 1 Reg. xxi, 6. L'incident s'etait
passe a Nob, au temps ou David fuyait la co-
iere de Saiil. Presse un jour par le besoin
(necessitatem habuit, ce detail est special a
S. Marc : il est important pour ramener
I'exemple de David au cas des disciples,:, le
royal proscrit alia demander des vivres au
grand-pretre qui, nayant alors sous la main
que les pains de proposition, n'hesita pas a
les lui livrer, bien qu'il fut permis aux seuls
oretres de manger cette nourrilure consacree.
— Sub Abiathar, c'est-a-dire durant le pon-
tificat d'Abiathar. Nous disons dans le meme
sens : sous Pie IX, sous Leon XIII. La men-
tion expresse du nom du grand-pretre alors
regnant est une nouvelleparticularite durecit
de S. iMarc. Toulefois, elle cree une Ires-
grande difficulie, puisque, d'apres le premier
Livre des Rois, xxi, I et ss., le grand-pretre
qui remit a David les pains de proposition ne
fut point Abiathar, mais son pere Achime-
lech. Pour resoudre ce probleme exegetique,
on a invente toute sorte d'liypolheses plus
ou moins ingenieuses. II suffira de citer les
principales. lo Abiathar serait une faute de
copiste, pour Achimelech. 2o L'Evangeliste,
mal servi par sa memoire, aurait confondu
les deux noms. 3° Le grand-pretre d'alors se
serait appele en mems temps Abiathar et
Achimelech : de la I'emploi de noms diffe-
rents paries deux ecrivains sacres. 4° Abia-
thar, comme precedemment les lils d'Heli,
I Reg. IV, 4, aurait ele le coadjuteur de son
pere dans les fonctions du souverain Ponti-
ticat : c'est pourquoi il put donner de ses
propres mains les pains de proposition au
prince fugitif. 5o Quoiqu'il ne fiil pas alors
grand-pretre, Abiathar ctait neanmois em-
ploye au service du tabernacle. On le nom-
merait ici de preference a son pere a cause
de la celebrite qu'il acquit plus tard sous le
regne et au service de David. Les deux der-
nieres opinions sont les plus vraisemblabes :
la seconde est rationaliste; la premiere et la
troisieme ne reposent sur aucun fondement
solide. — Pour eviter la difficulte que nous
venons de signaler, plusicurs manuscrits ont
purement et simplement omis le t. 26. — In
domum Dei: c'etait alors un simple tabernacle.
— Et eis qui cum eo erant. Plus exactement,
d'apres le recit du livre des Rois, le grand-
pretre remit les pains a David, qui s'etait
seul presente dans le tabernacle. Les com-
pagnons du prince etaient restes a quelque
distance.
27. — Et dicebat eis. S. Marc signale par
cette formule de transition le second argu-
ment de Jesus, compris dans les W.27 et 28.
Ce nouveau raisoimementse compose de deux
principes de la plus haute importance, non-
seulement pour ie point parliculier qui etait
a resoudre, mais encore d'une maniere gene-
rale relativement aux observances religieuses.
— Sabbatum propter hominem. ..Fremkv prin-
CHAPITRE III
51
Eropter hominem factum est, et uon
omo propter sabbatum.
28. Itaque Dominus est Filius ho-
minis etiam sabbati.
a ete fait pour riiomme, et non
rhomme pour le sabbat.
28. Ainsi done, le Fils de rhomme
est maitre du sabbat m§me.
CHAPITRE III
Gudrison d'une main dessechee {tt. 1-6). — Jesus se retire pres du lac de Tiberiade et op6re
de nombreax miracles (tt. 7-- 12). — Choix des douze Apotres [tH. 13-19). — Les parents
de Je^us et I'etrange opinion qu'ils ont de lui [tt. 20-21). — Accuse par les Scribes
d'operer ses miracles avec I'aide de Beelzebub . Jesus refute cette odieuse assertion
(tt. 22-30). — Quels sent les vrais parents de Notre-Seigneur (tf. 31-35;.
1. Et introivit iterum in synago-
gam ; et erat ibi homo habens ma-
num aridam.
MaUh. 12,9; Luc. 6,6.
1. Jesus entra une autre fois dans
la synagogue, et il y avait la un
homme ayant une main dessechee.
cipe, qui ne se trouve que dans la redaction
de S. Marc. C'est la une verite aussi piofonde
qu'elle est obvie : mais la « micrologic »
pharisaique I'avait completement obscurcie,
en faisant du sabbat un but, tand.s qu"il
n'etait qu'un moyen. Ainsi done, le sabbat a
ete etabli en vue de Thomnie, pour son bien
spirituel et lemporel : par consequent, faire
souffrir riiomnie a cause du sabbat, c'est aller
centre I'inslilution divine et renverser Tordre
naturel des choses. Plusieurs Rabbins I'a-
vaienl compris, entr'autres R. Jonatha ben-
Joseph, qui disait : « Le sabbat a ete livre
entre vos mains, mais vous n'avez pas ete
livres cntre les siennes, car il est ecrit : Le
sabbat est pour vous '^Ex. xvi, 29) ». loma
f. 80, 2. Les contemporains de Jesus ne ju-
geaient pas de la meme maniere. — Voyez
au second livre des Machabees, v, 19, un
principe analogue a celui de Jesus : a Non
f)ropter locum, gentem, sed propter gentem
ocum Deus elegit. »
28. — Second principe, encore plus releve
que le premier: L'autorite du Christ est bien
superieure au sabbat. Jesus oppose done
maintenant son autorite messianique aux
mesquines vexations des Pharisiens. — L'ex-
pression itaque, woxs, a ete differemment
comprise. Plusieurs interpretes la traduisent
par « au reste, en fin de compte » (Cfr. Fr.
Luc), parce que, disent-ils, elle n'introduit
pas une consequence rigoureuse des paroles
qui precedent, mais un argument nouveau et
peremploire. « Apres tout (telle serait la
pensee de Jesus), je puis dispenser mes dis-
ciples de la loi du sabbal, en vertu des pou-
voirs dont je jouis comme Christ. » Mais
n'est-il pas plus naturel de conserver a (itaiz
lesens de « igitur », et d'adaietlre une liaison
reelle entre let'. 27 et le notre? Si le sabbat
est fait pour I'homme, comme Jesus vient de
le dire, il est bien evident que le Fils de
rhomme, c'est-a-dire le Messie, en est le
Maitre, et qu'il a le droit de dispenser a son
sujet comme il lui plait.
d. Conflit a propos du Sabbat. Second cas : La main
dessechee. ill, 1-6. — Parall. Matth. xn, 9-14;
Luc. VI, 6-10.
Chap. hi. — 1. — Et introivit. Dans cet
episode, comme dans celui qui precede, nous
voyons Jesus ramener le sabbat a son veri-
table esprit, de meme qu'il avait fait un peu
plus haut pour le jeiine. Cfr. n, 18-22. Ce
n'elait pas sans besoin, car peu de lois avaient
ete aulant tortureespar les Pharisiens, et par
la-meme autant eloignees des intentions que
Dieu s'etait proposees en les instituant. — Ite-
rum in synagogain. « Iterum » nous reporle
ant. 21 du chap, i, oil nous avions deja vu
le Sauveur entrer dans une synagogue pour
y operer un grand miiacle. Au point de vue
chronologique, S. Luc, vi, 6, a ici une note
importante : « Factum est... in alio sabbato. »
D'apres le recit de S. Marc, onpourraitcroire
que I'incident qui va suivre eut lieu le ineme
jour que celui des epis. — Manum aridam.
Cette expression designe une paralysic locale,
hi
fiVANGILE SELON S. MARC
2. Et ils Tobservaient pour voir
s'il le guerirait en un jour de sab-
bat, afin de ['accuser.
3. Et il dit a riiomme qui avait
une main dessechee : Tiens-toi de-
bout au milieu.
4. Puis il leur dit : Est-il permis,
un jour de sabbat, de faire du bien
ou du mal? de sauver la vie ou de
I'dter? Mais ils se taisaient.
5. Alors, les regardant avec co-
2. Et observabant eum, si sabba-
tis curaret, ut accusarent ilium.
3. Etait homini habenti manum
aridam : Surge in medium.
4. Et dicit eis : Licet sabbatis be-
nefacere, an male? animam salvam
facere, an perdere? At illi tacebant.
5. Et circumspiciens eos cum ira.
qui privait le pauvre infirme de I'usage desa
main. Jeroboam avait ele miraculeiisement
atteinl d'un mal semblable pour sa conduite
sacrilege. Cfr. Ill Reg. xiii, 4.
2. — Observabant eitm. « Scribcn et Pha-
risaei », ajouie S. Luc, vi, 7. Le verbb est
pris en mauvaise part (« observabant ex obli-
quo »), comme il ressort du conlexte. Cfr.
Luc. XX, 20; Act. ix, 24. En sol, TtapaxYipetv
signifie simpiement « curiosos oculos cotjji-
cere » ; dans le cas present, les Pharisiens
observent pares qu'ils epient. — Si sabbatis
curaret. D'apres les prescriptions impusees
par les Docleurs de la Loi, a part le cas
d'extreme urgence, toule operation medicale
etait severemenl inlerdite aux jours de sab-
bat. Voyez I'Evangile selon S. Matlh. p. 240.
Jesus se monlrera-t-il docile aux traditions?
Ses adversaires esperent bien que non, car
ils sont desireux de trouver contre lui quel-
que grave motif d'accusation : ut accusarent.
Voila leur but unique bien marque.
3. — Et ait homini... Les regards scruta-
teursdeses ennemis n'epouvantentpas Jesus.
Au contraire, pour mieux attirer Tattention
de toute I'assemblee, d'une voix ferme il
commande a I'infirme de se placer au centre
de la synagogue. Le divin Thaumaturge veut
le grand jour pour ses actions. — Exurge in
medium ; construction elliptique, pour : « Surge
et prodi in medium. »
4. — Et dicit eis, au present, de m^me
dans les tt. 3 et 5. S. Marc raconte la scene
d'une faQon vivante et dramalique : on croi-
rait encore y assister. — Licet sabbatis... D'a-
pres S. Matthieu, ce seraient les Pharisiens
qui auraient eux-m^mes demande a Jesus :
Est-il permis de guerir en un jour du Sabbat?
L'accord se fait aisemeni entre les deux nar-
rations, si Ton admel que le Sauveur repon-
dit a leur question par une contre-queslion
analogue. 11 employait volontiers cette tac-
tique pour mettre dans I'embarras ses inter-
rogateurs insidieux. Mais la contre-question
est arrangee de telle sorte qu'elle resout
vraiment le probleme propose. — Bene facere
an male. Dilemne habile, propose sous une
forme abslraile : bien faire ou mal faire en
general, ou mieux encore, faire du mal ou du
bien. — Animam salvam facere an perdere.
C'est la meme alternative, exprimee sous la
forme concrete, et plus direclement appliquee
a la situation actuelia. « Anima », de meme
que I'hebreu \Z7SJi ne designe pas ici Fame
proprement dite, mais la vie, toute creature
vivante. « Perdere », en grec aitoxxetvat, tuer.
Jesus va faire le bien el sauver ; les Pharisiens
et les Scribes, en ce meme jour (Cfr. t. 6),
vont former de noirs projets d'homicide. Qui
d'entre eux profanera le Sabbat et son repos?
Ainsi done, d'apres la vigoureuse argumen-
tation du divin Maitre, bien faire et mal
faire sont des choses generales, independantes
des circonstances de temps; gueiir est une
bonne oeuvre, qui convient tres-bien pour un
jour sanctifie. « S'il est permis de faire le bien
en un jour de sabbat, c'est en vain que vous
m'epiez; si cela est defendu, alors Dieu irans-
gresse ses propres lois, puisque, meme aux
jours de Sai)bat, il permet au soleil de se le-
ver, a la pluie de tomber, a la terre de por-
ter des fruits. » Cat. grsec. in Marc. — At
illi tacebant. Ils sont saisis entre les tenaiiles
du dilemne, et, pour eviter de se compro-
metlre eu repondant, ils preferent garder un
humiliant silence qui les condamne. S. Marc
a seul note ce trait saisissant. — Voir dans
S. Matthieu, xii, 41 et 12, un argument « ad
hominem »adresse par Jesus aux Pharisiens.
5. — Toute la premiere moitie de ce ver-
set contient de nombreux details particuliers
a S. Marc. — C ircumspiciens eos, TZ£pi<<^iaEwoi
aOxou;. Jesus embrasse tous ses ennemis, I'un
apres I'autre, dans ce regard noble et ferme,
devant lequel leurs propres yeux durent se
baisser humblement. Notre Evangeliste airae
k decrire les regards de Jesus. Cfr. iii, 34 ;
V, 32; X, 23; XI, 41. — Cum ira. II aims a
decrire aussi les sentiments humains qui agi-
taient son Sme. 11 signale ici un mouvement
de sainie colere. C'est le seul endroit des
Evangiles oil il est dit que le Sauveur ait ele
CHAPITRE III
contristatus super csecitate cordis
eorum, dicit homini : Extende ma-
num. tuam. Et extendit; et restituta
est manus illi.
6. Exeuntes autem Pharisaei, sta-
tim cum Herodianis concilium facie-
bant adversus eum, quomodo eum
perderent.
Mauh. 12, 14.
7. Jesus autem cum discipulis
suis secessit ad mare; et multa
turba a Galilsea et Judaea secuta
est eum,
8. Et ab Jerosolymis, et ab Idu-
lere, contriste de Faveuglement de
leur coeur, il dit a cet homme :
Etends ta main. Et il I'etendit, et sa
main fut guerie.
6. Or les Pharisiens, etant sortis,
tinrent aussitot conseil contre lui
avec les Herodiens sur les moyens
de le perdre.
7. Mais Jesus se retira vers la
mer avec ses disciples, et une troupe
nombreuse le suivit de la Judee et
de la Galilee,
8. Et de Jerusalem et de I'ldu-
«mu par cette passion. On plutot, comme
s'exprime Fr. Luc, Comment, in h. 1., « ira
nobis est passio, Chtisto tanquam actio erat :
nobis sponte oritur; a Christo in se excita-
tiir : orla in nobis, reliquas corporis animique
vires turbat, nee pro arbitrio potest reprimi;
a Christo excitata, movel quod ipse moveri
velil, turbat nihil, denique quiescit pro
voluntate ejus. » En effet, dit S. Leon, Epist.
XI, « sensus corporei vigebant (in Christo)
sine lege peccati, (-t Veritas affectionum sub
moderamine deilatis et mentis. » En Jesus,
tout etait pur et parfait. — Contrislaius.
Etrange association, ce semble : la tristesse
et la compassion unies a la colere ! Et pour-
tant I'experience, aussi bien que la psycho-
logic, juslifie ce melange de sentiments qui
ne sont en aucune fagon contradictoires.
Jesus s'irrite contre le peche, il s'apitoie sur
les pecheurs ; ou bien, sa colere ne dure
qu'un instant, une vive et perpetuelle sym-
pathie la remplace aussitot. — Super ccecitate
cordis eorum. Le substantif grec TttopwCTt; de-
signs plutot I'endurcissemenlque la cecite du
coeur : Ttwpow signifie rafime pelrifier. Cfr.
Marc. VI, 52; viii, 16; Joan, xii, 40.; II Cor.
Ill, li.Unehaine implacablecontre Jesusavait
endurci le cceur des Pharisiens. — Extende...
et extendit... et restituta est: le recitest aussi
rapide que les faits. Jesus avait deja opere
d'autresprodiges en des jours de Sabbat. Cfr.
I, 21, 29.11 en operera d'autres encore, Joan.
V, 9 ; IX, 1 4 ; Luc. xiii, 1 4 ; xiv, 1 . Ses enne-
mis ne lui pardonneront jamais cette sainte
liberte; aussi les Evangiles apocryphes nous
les montrent-ils langant contre Jesus, a I'e-
poque de son jugement, cette accusation avec
une insistance particuliere. Cfr. Thilo, Cod.
Apocr. p. 502 et 558.
6. — Exeuntes... statim. Mais des aujour-
d'hui nous les voyons, emportes par leur rage
fanatique, ourdir les plus noirs complots.
« Slatira » : ils ne perdent pas un instant; la
haine qui les aiguillonne les rend prompts a
agir. — Cum Herodianis. Sur le caractere et
les tendances de ce parti, voyez I'Evangile
selon S. Matth. p. 426. M. Schegg, Evang.
nach Mark.,h. 1., dit avec esprit que c'elaient
les « conservateurs-liberaux » du temps. Le
Docteur juif Abr. Geiger suppose sans raison
que le nom d'Herodiens designait une famille
sacerdotale, et D. Calmet ne se trompe pas
moins quand il fait de ces hommes des dis-
ciples du revolutionnaire Judas le Galileen.
lis formaient un parti beaucoup plus poli-
tique que religieux ; or, precisement au point
de vue politique, la popularity croissants de
Jesus pouvait les effrayer, d'autant mieux
que la residence du tetrarqueHerode Antipas
etait non loin de la, a Tiberiade. De la leur
alliance avec les Pharisiens, quoique les deux
sectes fussent entre elles aussi peu homogenes
que le blanc et le noir. — Quomodo eum per-
derent. L'alliance est conclue dans ce but :
la clause en sera fidelement executee des
deux cotes, car, pendant la Semaine Sainte,
XII, 13, nous trouverons les parties contrac-
tantes agissant de concert pour perdre Jesus.
Le detail de cette convention inique est propre
a notre Evangeliste.
6. J6sus se retire pres du lac de Tibe-
riade et opere de nombreux miracles.
Ill, 7-12. — Parall. Matth. xii, 15-21; Luc. vi, 17-19.
7 et 8. — Jesus autem. S. Marc trace en cet
endroit un charmant petit tableau, qui nous
donne une idee aussi nette que possible de ce
que devait etre la vie de Jesus a cette epoque
de son ministere public. Nous voyons le divin
Maitre entoure de foules sympalhiques, sur
lesquelles il deverse a profusion les temoi-
gnages de sa bonte : c'est encore le temps de
sa popularite en Galilee, bien qu'il ait deja,
nous I'avons recemment appris, des ennomis
alteres de son sang. L'Evangeliste semble
insister avec amour sur I'intimite des reia-
54
EVANGILE SELON S. MARC
mee, et d'au-dela du Jourdain; et
Tine grande multitude des environs
de Tyr et de Sidon, apprenant ce
qu'il faisait, vint a lui.
9. Et il dit a ses disciples de
mettre a sa disposition une iDarque,
a cause de la foule, pour n'en etre
pas accable.
10. Gar il guerissait beaucoup de
malades, de sorte que tons ceux qui
avaient quelque mal se jetaient sur
lui pour le toucher.
msea, et trans Jordanem; et qui
circa Tyrum et Sidonem, multitude
magna, audientes quae faciebat, ve-
nerunt ad eum.
9. Et dixit discipulis suis ut navi-
cula sibi deserviret propter turbam,
ne comprimerent eum.
10. Multos enim sanabat, ita ut
irruerent in eum, ut ilium tange-
rent, quoquot habebant plagas.
tions qui existaient alors enlre Jesus et la
masse du peuple. Plusieurs de ces traits pit-
toresques dans lesqiiels il excelle animeront
done ici encore sa narration, qui ne ressemble
d'ailieurs aux deux aulres que d'une maniere
tres-generale. — Secessit ad mare. « Jesus
auleni sciens recessit inde », iisons-nous dans
S. Matthieu, xii, 15. C'est done la eonnais-
sancedes projets sanguinaires des Pharisiens,
t. 6, qui engagea le Sauveur a se retirer, par
mesure de prudence, dans les solitudes qui
environnent le lac. Voyez i, 35 et le Gommen-
taire. Toulefois, comme I'avait dit le Pro-
phete, Is. XXXV, i, « laetabitur deserta et
invia, et exullabit solitudo, et florebil quasi
lilium. » Voici que le desert s'anime et se
peuple sous I'influence de I'affeetion qu'on
porte a Jesus. — Multa turba... secuta est
eum. Celte foule, attiree, dit le t. 8, par la
renommee des ceuvres de Notre-Seigneur,
vienl de toutes les regions de la Palestine :
les habitants du Nord (a Galilcea, qui circa
Tyrum et Sidonem) se rencontrent aupres
de Jesus avec ceux de I'Est {trans Jor^
danem) et du Sud [Judcea, ab Jerosolymis),
meme du Sud le plus lointain {ab Idu-
mcea) , de maniere a former, repete I'Evan-
geliste avec ime eertaine emphase, une im-
mense multitude, multitudo magna. — La
ville de Jerusalem, bien qu'elle fut comprise
dans la Judee, est nommee a part a cause de
son importance speeiale. Les mots « trans
Jordanem « represenlent la province do Pe-
ree dans son etendue la plus vaste. Voyez
TEvang. selon S. Matth. p. 367. L'Idumee
faisait alors partie de I'etat juif, auquel elle
avaiteteincorporee paries princesAsraoneens:
ses liabitanls avaient du adopter le eulte mo-
saique.Elle etait gouvernee par Aretas, beau-
pere du tetrarque Herode. C'est la seule fois
que son nom apparait dans les eerits du Nou-
veau Testament. Nous devons a S. Marc de
contempler les descendants d'Esaii reunis,
malgre des haines inveterees, aux fils de Ja-
cob aux pieds du Christ. Dapres celte enu-
meration, une seule province, la Samarie,
n'etait pas representee aupres de Jesus : cela
provenait de la profonde antipathic qui sepa-
rait les Samarilains des Juifs. Voyez i'Evang.
selon S. Mai.th. p. 198.
9. — Dixit, c'est-a-dire « imperavit ».
Ordre aussi interessant en lui-meme que dans
son but. — Ut navicula. Le grec aussi a un
diminutif, TcXotapiov, une petite barque, une
nacelle. Voila la flolte de Jesus! — Sibi de-
serviret. H. Etienne, Thesaur., appendix,
p. 4725, donne la definition suivanle du
verbe Ttpoffvcapxepew, employe ici dans le texte
primitif : « Cum loieranlia et perseverantia
quadam insisto, incumbo, seu assiduus et
multus sum in aliqua re. » Appliquant en-
suite sa definition a notre passage, il traduit
tres-exaclement les mots irXoidptov Ttpoaxap-
TspviaOTw par ((.navicula sibi assidua comes
sit ». Ce que Jesus demandait, c'elait done
que la barque en question fut mise en reserve
pour son usage, et qu'elle fut conslamment
a sa disposition au bord du lac. Grcice a ce
moyen, il pouvait, d'une part, s'echapper do
tempsen temps etgagner les solitudes de I'Est,
d'autre part, precher plus a I'aise de cette
chaire improvisee, sans etre trop presse par
la foule. — On a fait observer que Notre-
Seigneur semble avoir aime les lacs et les
monlagnes, les deux spectacles de la nature
qui renferment le plus de beautes et qui par-
lent le plus aux ames vivos et delieates.
10. — Multos enim sanabat. II parait y
avoir eu dans la Vie publique du Sauveur
des periodes plus specialement consacrees aux
miracles, d'autres en grande partie reservees
a la predication, quoique regulierement ces
deux choses fusseni unies de maniere a s'ap-
puyer I'une I'autre. L'epoque aetueliement
decrite parS. Mare fut un temps denombreux
prodiges. — Ita ut irruerent in eum, aate.
e7ri7Tt7iT£iv auTw; litteralement, au point qu'on
tombait sur liii. Trait tout a fait graphique,
qui reproduit la scene sous nos yeux. — Ut
ilium tangerent. Motif de cat empressement
CHAPITRE III
55
11. Et spiritus immundi, cum il-
ium videbant, procidebant ei; et
claraabant dicentes :
12. Tu es Filius Dei. Et vehemen-
ter comminabatur eis ne manifesta-
rent ilium.
13. Et ascendens in montem vo-
cavit ad se quos voluit ipse, et ve-
nerunt ad eiim.
MaUh. 10, 1 ; Lice. 6, 13 et9,l.
14. Et fecit ut essent duodecim
11. Et les esprits immondes, lors-
qu'ils le voyaient^ se prosternaient
devant lui et criaient, disant :
12. Tu es le Fils de Dieu. Et il leur
defendait avec de grandes menaces
de le faire comiaitre.
13. Etetant monte sur une mon-
tagne, il appela a lui ceux qu'il
voulut lui-meme, et ils le suivirent.
14. Et il en choisit douze pour
des pauvres malades. Et le bon Jesus se lais-
sait. faire! — Plagas, en grec [xatjTiYa?, des
fouets, des coups de loiiel. Ce mot, de meme
que I'hebreu T21U, HI Reg. xii, 41, designe
au figure toule sorte de souftrances phy-
siques. Cfr. V, 29, 34; Luc. vii, 21. Son em-
ploi dans celte acception provenail de I'an-
Jique croyance que les maladies etaient tou-
jours des chatimenis divins.
11. — Spiritus immundi... procidebant ei.
Q\ie\ beau el frappant. contrasle! Les malades
se jeltenl sur Jesus afin d'oblenir leur gue-
rison; les possedes se prosternent devant lui,
reconnaissant son caractere messianique, et
le conjurant sans doute. comme en d'autres
circonstances, de les laisser en paix. Remar-
quez qu'on parle des esprits immondes comme
s'ils n'eussent fait qu'une seule et meme chose
avec les malheureux dont ils s'etaient empa-
res. Voyez notre commenlaire sur S. Mat-
thieu, p. 165. — Cum ilium videbant. La con-
jonction a ici le sens de a quandocumque » ;
<)Tav, dit le texte grec. Les trois imparfaits
de ce verset sont a noter : ils indiquent un
fait habituel et constant.
12. — Filius Dei:, c'est-a-dire leMessie en
tanl qu'il elait cense avoir avec Dieu les re-
lations les plus etroites. II n'est pas probable
que ce litre eut, dans la bouche des demons,
Je sens strict de « Filius Dei naturalis. » —
Vehementer comminabatur... uoXXa in£.xi\ia.
Nous avons recherche plus haul (Comp. i, 25
et la note) les motifs pour lesquels Jesus-
Christ imposait ainsi le silence aux demons,
S. Matlhieu, dans le passage parallele,
XII, 17-21, releve une belle prophetie d'isaie
que Jesus realisaii a cetteepoque de la fagon
la plus parfaite.
7. —Les douze Apotres. iii, 13-19. — Parall.
Matth. x,2-4; Luc. vi, 12-16.
13. — Ascendens in montem. La montagne
lemoin du choix des douze Apotres ful ties-
f)robablement celle de Kouroun-Hatlin, dont
e lecteur Irouvera la description dansl'Evan-
gile selon S. Matlhieu, p. 98. Elle etait siluee
a une courte distance du lac, qu'elle sur-
plombe de son double sommet. L'article du
texte grec, t6 opo?, suppose qu'il s'agil d'une
montagne celebre dans la conlree. G'est done
la que Jesus, apres une priere mysterieuse et
une veille solitaire, Luc. vi, 12, choisit parmi
ses disciples, deja nombreux, douze hommes
speciaux, destines a un role superieur, et
dont il voulait des lors faire I'education en
vue de leur destinee si importanle pour son
ceuvre. — Vocavit ad se : il proclama sans
doute leurs noms devant I'assistance, les de-
signant un a un et les groupant a ses cotes.
Ce fut un moment bien solennel : il est solen-
nellement decrit dans la narration pourlant
bien simple de notre Evangeliste. — Quos
roluit ipse. Mot de la plus haute gravite, qui
denote de la part de Jesus un choix tout a
fait libre, quoique base sur les plans eternels
de Dieu. II appela ceux qu'il voulut! « Non
vos me elegistis, dira-l-il plus tard aux
Douze, Joan, xv, 16, sed (go elegi vos et po-
sui vos ut ealis... » Les Apotres cux-memes
ne furent done pour rien dans leur vocation,
de meme que leurs successeurs a divers de-
gres, Eveques ou Prelres, ne doivent etre
pour rien dans la leur. « Nee quisquam su-
mit sibi honorem, sed qui vocalur a Deo,
tanquam Aaron )^ Hebr. v, 4. Non, personne,
pas meme le Christ, continue le grand Apotre:
« Sic et Christus non semetipsum clarificavit
ut Pontifex floret, sed qui locutus ad eum :...
Tu es sacerdos in aelernum secundum ordinem
Melchisedech ». — Etvencrunt ad eum. Voila
done le cercie intime des Duuze diTinilive-
mentconstitue;les vocations anterieuresdont
les membres du College apostolique avaient
ete I'objet n'elaient que des degres prelimi-
naires et preparatoires a la grande installa-
tion faite en ce moment par Jesus.
14 et 15. — Dans ces deux versets, S. Marc
determine avec beaucoup de clarle Toffice et
le role des Apotres. — Fecit ut esseut duode-
cim... Le grec est autrement conslruit : xai
iirotrjffe otoSexa I'va oxii (let' auTou, « fecit duo-
decim ut essent cum illo », c'est-a-dire
56
etre avec lui, et pour les envoyer
precher;
13. Et il leiir donna la puissance
de guerir les maladies et de chas-
ser les demons.
16. Simon, a qui il donna le nom
dc Pierre,
17. Et Jacques, tils deZebedee, et
Jean, frere de Jacques, auxquels il
£7ANGILE SELON S. MARC
cum illo ; et ut mitteret eos prsedi-
care.
15. Et dedit illis potestatem cu-
randi infirmitates, et ejiciendi dae-
monia.
16. Et imposuit Simoni nomen
Petrus.
17. Et Jacobum Zebedffii, etJoan-
nem fratrem Jacobi, et imposuit eis
« conslituit duodecim... » car, tel est evidem-
ment ici le sens dii verbe noi'ew, qui est em-
ploye a la fagon de I'hebreii nUJy. La pre-
miere note de rEvangeiisle est done relative
au nombre des ApoLres. Ce fut un nombre
mystique : douze Apolres, de meme qu'il y
avait eu douze patriai ches. Voyez I'Evangile
selon S. Malthieu, p. 491. — Cum illo. Se-
cond renseignemenl deS. Marc, relatifa I'un
des principaux roles des elus de Jesus : les
Apotresdevaient vivre habituellement aupres
du Maitre, pour etre temoins de sa predica-
tion, de ses miracles, de sa conduite, et pour
recevoir sa formation directe. Cfr. Act. i, 21.
— Et ut mitteret eos... Troisieme renseigne-
ment, qui determine une autre fonction apos-
tolique. Apotre signifie envoye : les Douze
seront, comme leur nom I'exprime, les am-
bassadeurs de Jesus, ses legats « a latere »;
il les enverra porter, d'abord dans la Pales-
tine, puis sur toute la lerre, la bonne nou-
velle du salut. — Et dedit illis potestatem...
Pour que ses Apotres fussent capables d'exer-
cer avec plus d'aulorite le ministere de la
predication, Jesus les munit de pouvoirs ex-
traordinaires, surnaturels, qui seront comme
leurs leltres de creance. Ces pouvoirs ne dif-
ferent pas de ceux que nous avons vu le
Sauveur lui-m6me exercer a differentes re-
prises d'apres le recit ovangelique. lis sont
de deux sortes : I'un permetlra aux Apotres
de guerir les maladies, par I'autre ils pour-
ront d'un mot expulser les demons. — Ici
encore, la Vulgate a traduit piutot le sens
que la lettre meme du texte original. Au lieu
de « dedit illis », le grec porte xal £x^iv,« et
habere », infinitif qui depend de inoi-nae.
(t. 14) : « fecit ut essent..., el ut mitteret...,
et habere... » Mais il faut reconnaitre que la
construction adoptee par notre version offi-
cielle est beaucoup plus laline.
16. — Apres avoir signale les pouvoirs
conferes par Jesus a ses Apotres, I'Evange-
lisle donne la liste complete des Douze, que
nous nous conienteroiis de parcourir rapide-
ment. On trouvera dans notre commentaire
sur S. Malthieu, p. 192 el ss., d'assez nom-
breux details sur les nomenclatures du memo
genre renfermees dans les ecrits du Nouveau
Testament, sur leur organisation interieure,
sur chaque Apotre en particulier el sur I'en-
semble du college aposlolique. — Et impo-
suit Simoni... La liste commence d'une fagon
assez extraordinaire au point devuedu style.
La construction reguliere serait : « Siraonem,
cui imposuit nomen Pelrum, et Jacobum... et
Joannem... el Andream... et Judam Isca-
riotem », tous ces accusalifs dependant du
verbe « fecit » {t. 14).Cfr. Winer, Grammat.
des neulest. Sprachidioms, p. 511. Quelques
manuscrits grecs ont la variante itpdiTov
Sifiwva, « primumSimonem »,qui sembieetre
un emprunl fait a S. Mattliieu, x, 2. —
Nomen Petrus, ou plus correclement d'apres
le grec, « nomen Pelrum ». Jusqu'ici,S. Marc
a toujours donne au prince des Apolres son
nom primitif de Simon; desormais il I'ap-
pellera Pierre. Cette denomination symbo-
lique, qui fit de Simon le roc inebranlable sur
lequel Jesus devait fonder son Egiise, avait
ele promise au fils de Jona des sa premiere
entrevue avec Nolre-Seigneur, Joan, i, 42;
mais il ne la regal d'une maniere definitive
que duranl la derniere periode de la Vie
publique, Matth. xvi, 18.
17. — Jacobum Zebedoei, ou S. Jacques le
Majeur, le seul Apolre dont le Nouveau Tes-
tament raconle la mort, Act. xii, 2. — Joan-
nem, le disciple que Jesus aimait, Cfr. Joan.
XIII, 23 ; XIX, 26, et celui des Douze qui vecut
le plus longtemps. — Et imposuit eis... Trait
special a S. Marc. Ainsi done, le Sauveur
avait impose des surnoms mysterieux a ses
trois disciples privilegies. — Boanerges. Go
mot n'a pas peu embarrasse les anciens phi-
lologues et commentateurs, qui ne irouvaient
rien, dans la langue hebraique, qui lui cor-
respondit exaclement. lis le croyaient done
plus ou moins corrompu par son velement
grec ou par les copisles. « Filii Zebedaei, di-
sait deja S. Jerome, in Dan. c. ii, appellati
sunt Filii Tonitrui, quod non ut plerique pu-
tanl Boanerges, sed emendatius legitur Be-
nereem. » Et ail leurs. Lib. de Nomin. : « Hebr.
Benereem, Filii Tonitrui, quod corruple Boa-
nerges usus obtinuit. » Mais, quoique I'ex-
pression hebraique la plus usilee pour desi-
gner le tonnerre soil en effet Din, rehem, il CD
CHAPITRE III
57
nomina Boanerges, quod eist, Filii
tonitrui;
18. Et Andrseam, et Philippum,
et BartholomsBum, et Matthseum, et
Thomam, et Jacobum Alphaei, et
Thaddseum , et Simonem Cana-
naeum,
19. Et Judam Iscariotem, qui et
tradidit ilium.
donna le nomde Boanerges, c'est-a-
dire, fils du tonnerre,
18. Et Andre, et Philippe, et Bar-
thelemi, etMatthieu, et Thomas, et
Jacques, fils d'Alphee, et Thaddee,
et Simon le Gananeen,
19. Et Judas Iscariote, qui le tra-
hit.
exisle deux aulresplus raresel poeliqiies, V!X^,
reghesch, et 7i"i, reghez (Cfr. Job. xxxvii, 2),
qui ont le meme sens (comparez le chaldeen
et I'arabe) et qui auront pu servir I'une ou
I'autre a former le siirnom des fils de Zebe-
dee. II est vrai que ;yjl"iJ2, B'ne-reghesch,
ou "liTija, B'ne-reghez, different encore de
Boanerges ; mais I'accord devient aussi par-
fait que possible si i'on se souvient que, d'a-
pres la prononciation arameenne et gali-
leenne, le Scheva simple, ou e muet, devenait
regulierement oa. De la oorle nous oblenons,
avec V!Sr\, Boune-reghesch ; avec TJll, Boane-
reghez, et celle derniere expression est tout a
fait identique au grec BoavepYs'i;. Voir Patrizi,
In Marc. Comment, p. 29; Vorst., Hebr. 479 ;
Rosenmiiiler, Scholia in h. I. — Quod est, ce
qui signifie. — Filii tonitrui, c'est-a-dire
« tonitruantes » ; en effet, dans les langues
semitiques, en unissant les mots 12, p, a un
substanlif, on forme I'adjeclif ou le nom
concret correspondant. Cfr. Hoffmann, Gram-
mat, syr., p. 287. Mais quelle est la significa-
tion de cet etrange surnom? Disons d'abord
que Jesus, en I'imposant a Jacques et a Jean,
ne songeait nullement a leur infliger une cen-
sure, ainsi qu'on I'a souvent repele a la suite
d'Olstiausen. Les anciens avaient mieux com-
pris cet acte du divin Maitre. rtoy^Se Ppovxrj?,
dit Theophylacte, 6vo(ia!;£t lou; xoO Ze6zd(xio\j
w; [ityalo-)t.rip\)-Ayi(; xat OeoXoYixioTaTou;. Cfr. Eu-
thymius, Victor d'Antioche, etc. « Filios Ze-
bedeei sic nominat propter hoc quod magna
et clara divinitalis edicla debebant orbi ter-
ras diffundere. » S. Jean Chysost. ap. Thom.,
Cat. in Marc. C'est done un eloge delicat que
Jesus adresse ainsi aux deux freres, une ma-
gnifique prophelie qu'il fait a leur sujet. Les
classiques emploient aussi le mot tonnerre
comme symbole d'une eloquence irresistible.
Pour Columelle, Demosthene et Platon sonl
des « tonantes » ; Aristophane applique a
Pericles les expressions daTpairxeiv, ppovr^v.
Voyez Rosenmiiiler, Scholia, 1. 1, p. 593 et 594.
II est probable cependant que Jesus-Christ,
par ce surnom, faisait en meme temps allu-
sion aucaraclere ardent, au zele enlreprenant
des fils de Zebedee, zele et caractere dont on
apergoit quelques traces dans les Evangiles.
Cfr. Luc. IX, 54; Marc, ix, 38; x, 37. L'epi-
thete de Boanerges elant collective et ne pou-
vant servir a designer isolement les deux
freres, on congoit qu'elle n'ait pas fait d'autre
apparition dans le recit evangelique.
18. — Et Andream. Tandis que S. Mat-
thieu, X, 2-4, et S. Luc, vi, 11-16, associent
les Apolres deux a deux, S. Marc les men-
tionne simplement les uns a la suite des
autres, en separant leurs noms par la con-
jonction xat. S. Andre forme ici le premier
des trois groupes apostoliques : nomme aussi-
tot apres son trere dans les listes du premier
et du troisierae Evangile, il n'occupe dans
celle du second que le quatrieme rang. Cfr.
Act. I, 13. — Et Philippum... S. Philippe,
qui enlendit le premier reientir a ses oreilles
la belle parole « Sequere me », Joan, i, 43,
bien qu'i! n'ait regu que plus tard I'appel
propreraent dit du Christ, S. Barthelemi que
Ton confond generalement avec le bon Nalha-
n.ael, Joan, i, 45 et ss., S. Matlhieu qui ne
differe pas du publicain Levi, Cfr, ii., 14, et
S. Thomas, nomme en grec Didyme, Joan.
XI, 16; XXI, 2, constituent le second groupe.
— Le troisieme se compose de S. Jacques le
Mineur (Jacobum Alphosi, soil, filium), de
Thaddee, nomme encore Lebb^ ; et plus coni-
munement S. Jude, de Simon le Cananeen,
c'est-a-dire le Zelole, enfin du trailre, auquel
un verset special a ^Le reserve.
19. — Judam Iscariotem. Judas, I'homme
de Carioth (Voyez Matlh. x, 4 et le Commen-
taire), clot ignominieusement la lisle, de
m6me que Simon-Pierre I'ouvrait glorieuse-
ment. — Qui et tradidit. Cette note infa-
manle estpresque toujours ajoutee a son nom
dans I'Evangile, comme une juste et perpe-
tuelle flelrissure. Origene, ne pouvant s'ex-
pliquer le mystere de la vocation de ce mise-
rable traitre, imagina qu'il n'avait pas ete
reellement appele par J^sus comme les autres
Apolres, mais qu'il s'lngera de lui-meme dans
le college apostolique, oil il fut seulement
tolere. Cette singuliere opinion se trouve r^-
futee par le texte formel que nous lisions plus
haut, t. 13, et qui s'applique a Judas tout
aussi bien qu'aux aulres : « Vocavit ad se
quos voluit ipse. » Si I'on s'elonne d'abord
58
£VANGILE SELON S. MARC
20. Et ils vinrent a la maison, et
la foule s'y assembla de nouveau,
de telle sorte qu'ils ne pouvaient
pas meme manger du pain.
21. Et les siens, I'ayant appris.
20. Et veniunt ad domum; et con-
venit iterum turba, ita ut non pos-
sent neque panem manducare.
21. Et cum audissent sui, exie-
que Jesus ait pii choisir un trailre pour le
placer parmi ses Apotres, on n'a qu'a se sou-
venir qu'il « ne I'avail pas choisi pour etre un
trailre et qu'il lui avait donne toutes les
graces necessaires pour repondre a sa voca-
tion. Le Sauveur voulait nous apprendre
qu'on peut se perdre dans les vocations les
plus saintes, el qu'en permetlanl le mat, la
Sagesse divine devait en lirer un plus grand
bien et le faire servir a sa gloire. » Dehaut,
I'Evangile explique, defendu. 5e edit. t. II,
p. 4 96.
8. — Les hommes et leurs dispositions
diverses relativement ^ J^sus in, 20-25.—
Parall. Matlh. xii, 24-50; Luc. xi, 15-32; viii, 19-21.
Dans ce paragraphe, I'Evangeliste decrit
les dispositions de trois sortes de personnes a
regard de Nolre-Seigneur Jesus-Christ. II
nous monlre d'abord, tf. 20 et 24, les pa-
rents du Christ selon la chair formant a son
sujet I'opinion la plus extravagante. Son ta-
bleau nous presenle ensuite, tt- 22-30, les
sentiments de plus en plus liosliles des Phari-
siens el des Scribes. Enlin, comme pour nous
consoler, nous enlendons Jesus lui-meme,
tt. 31-35, exprimer, dans les termes les plus
doux, les liens sacres qui I'unissent aux ames
hdeles.
a. Les parents da Christ selon, la chair, in, 20-21.
20. — £ti;e«iMnf.« Jesus cum familia nova »,
Bengel ; c'est-a-dire avec les douze Apotres
qu'il venait de se choisir. — Ad domum; dans
legrec, el; olxov sans article, dans une maison.
C'etait probablement a Capharnaiim. — Con-
venit iterum turba. La scene racontee au com-
mencement du chap. i[ [t. 2) se renouvelle
une seconde fois, quoique d'une maniere beau-
coup plus penible pour Jesus et pour ses dis-
ciples. Celte fois, en effet, le concours dura
si longtemps, que le Sauveur et les Apotres,
attenlifs aux besoins de la multilude qui
accourait sans cesse, n'avaient pas meme le
temps de penser aux leurs. Quelle force dans
ces mots : ita iit non po^sent neque panem
manducare ! l[ est peu de details aussi expres-
sils dans toute I'hisloire evangelique, et c'est
a S. Marc que nous devons cette ligne qui en
vaut mille! — Sur la locution « panem man-
ducare », Maldonat ecrit avec juslesse : « He-
braeorum phrasisest, quapanisproomni sumi-
turcibo, et panem sumere est cibumsumere. »
— D'apres le recit de notre Evangeliste, il
serable que ce fait eut lieu immediatement
apres le choix des douze Apotres ; mais, si
nous ouvrons une Concorde evangelique, nous
voyons qu'il existe en cet endroit du second
Evangile une lacune considerable. En elTet,
enlre les deux evenements, doit se placer le
Discours sur la Montague, que S. Marc passe
entierement sous silence. Cfr. Matlh. v-vn ;
Luc. VI, 20 et ss. Mais nous avons vu dans
la Preface, § VII, qu'il s'inquiete beaucoup
plus des actes que des discours : de la cette
impoi tante omission. « En grande parlie d'ail-
leurs, dit tres-bien M. Bougaud, Jesus-Christ,
2e edit., p. 79 et ss., le Sermon sur la Mon-
tagne est juif. II traite de I'inferiorite de la
Loi, de la perversite des commenlaires qu'y
avaient joints les Pharisiens, et du couronne-
ment de celte Loi en Jesus-Christ : toutes
choses que les Remains n'etaient point pre-
pares a comprendre. » Les points de morale
universelle et elernelle que contient aussi ce
discours, tels que« le sacerdoce qui est le sel
de la terre, la lumiere qu'il ne faut pas mettre
sous le boisseau, la main droite qu'il faut
couper si elle devient un scandale, I'unite et
I'indissolubilite du mariage, la purete du coeur,
la priere, le pardon des injures », sent signa-
les en divers endroits par S. Marc, Jesus
elant revenu plusieurs fois sur ces enseigne-
menls pleins de gravite.
24 . — Ici encore, nous avons une note
propre a S. Marc, note bien elrange, assez
obscure, et differemment interpretee par
les commentateurs. — Cum audissent sui.
Qu'est-ce a dire, les siens? Le grec o! Trap' auToO
est assez ambigu et pourrait, au besoin, de-
signer les disciples, comme le veulent divers
exegeles. Neanmoins, la plupart des versions
anciennes et des critiques supposent a bon
droit qu'il s'agit des parents du Sauveur. La
Vulgate a done bien iraduit (Comparez le sy-
riaque : ses freres). Le contexte, tt. 31 et
ss., confirme celte interpretation. — Exie-
runt. D'oii viennenl-ils? Selon les uns, de
Capharnaiim, oil ils seseraient fixes en meme
temps que Jesus ; plus probablement, selon
les aulres, de Nazareth, ou nous relrouverons
bienlot les « freres » de Nolre-Seigneur.
Marc. VI, 3. Cfr. i, 9. — Tenere eum. Cette
expression ne peut avoir qu'un sens : se sai-
sir de lui bon gre malgre, le contraindre de
les accompagner, et I'empecher de se mon-
trer en public. — Dicebant enim... C'est ici
surtout qu'existent les divergences signalees
plus haul. — Indiquons-en d'abord la cause
CHAPITRE III
59
runt tenere eum ; dicebant enim :
Quoniam in furorem versus est.
22. Et scribse, qui ab Jerosolymis
descenderant, dicebant : Quoniam
Beelzebub habet, et quia in prin-
cipe dsemoniorum ejicit dsemonia.
Matth. 9, 34 et 22, 24.
vinrent pour se saisir de lui, car ils
disaient : II a perdu I'esprit.
22. Et les Scribes qui etaient des-
cendus de Jerusalem disaient : II
est possede de Beelzebub, et c'est
par le prince des demons qu'il chasse
les demons.
principale, en empruntant des paroles tres-
"sensees de Maldonat : « Hunc locum diffici-
liorem pietas facit : quia omnis animus hor-
ret, non solum credere, sed cogilare etiam,
Christi cognalos aut dixisse aut exislimasse
eum esse furiosum, pioquodam studio nonnulli
rejecia verborum proprielale, alias quae mi-
nus a pietale abhorrere viderenlur inlerpre-
lationes quaesierunl. Nescio an, dum pias
quaererent, falsas invenerint. » Ce a nescio »
est un pur euphemisme. Les fausses hypo-
theses, qui se sonl mullipliees depuis le temps
de Maldonat, portent deja sur le sujet de
« dicebant. » Malgre la grammaire et la lo-
gique, qui font dependre ce verbe de ol uap'
avTou, de meme que « audissent et exierunt »,
on I'a tour a tour applique aux hommes en
general (Rosenmiiller), a quelques Juifs en-
vieux (t'.ve; mOovepot, Euthymius), aux disciples
de Jesus (Scnoellgen, Wolf), aux messagers qui
seraient alles avertir les parents du Sauveur
(Bengel), etc. — Toutefois, on a erre davan-
tage encore sur le sens du mot grec i\ia-:r\,
que notre Vulgate a traduit par in furorem
vetsus est.D'anciens auteu>-s, mentionnes par
Eulhymius. lui donnaient la signification
de airiffTY), il s'en est alle. Selon Kuinoel, il
equivaul a « maxime defatigatus est » ; d'apres
Grotius, il represente un evanouissemenl mo-
mentane; d'apres Griesbach etVater, il desi-
gne ime apparence d'insanite, produite par un
exces de fatigue. Schoettgen et Wolf lui con-
serveni bien sa vraie signification de (jLatve-rat,
il a perdu I'esprit; mais ce seraient, suivanl
eux, les disciples qui auraient applique ce
jugement au peuple! etc. etc. Nous sommes
heureux de voir que ces interpretations erro-
nees sont pour la plupart le faitd'auteurs pro-
teslants, tandis que nosexegeles catholiques,
anciens et modernes, ont presque toujours
bien traduit et bien commente le verbe iU(y^r\.
Voyez les commentaires du Ven. Bede, de
Theophylacte, de Corneille deLap., deFrang.
Luc, de" Noel Alexandre, de Jansenius, de
MM. Schegg, ReischI, Bisping, etc. Gfr. Act.
XXVI, 24; II Cor. v, 13. Les prociies du Sau-
veur affirmaient done hautement qu'il avait
perdu I'esprit, qu'il etait devenu insense par
suite de son entnousiasme religieux. Quelque
surprenante que paraisse d'abord leur con-
duite, elle devient plus explicable si Ton se
rappelle une grave declaration de I'evangeliste
S. Jean. « Neque enim fratres ejus credebant
in eum », ecrit-il du Sauveur, en parlant
d'une epoque un peu plus tardive, vi, 5. En
ce moment, leur incredulite commence. lis
ne se rendent pas compte de la nature et du
role de Jesus : I'agiiation qui se fait autour
de son nom les inquiete; a plus forte raison
se troublent-ils en pensant aux nombreux
ennemis qu'il s'est suscites, et dont la haine
pourra relomber sur toute sa famille. C'est
alors qu'ils formulent le jugement odieux qui
nous a ete conserve par S. Marc : i^a-z-n.
Rien n'empeche du reste d'admettre, a la
suite de quelques exegetes, qu'ils avaient au
fond de bonnes intentions, et, qu'en se mon-
trant au dehors si severes pour leur parent,
ils se proposaient de I'arracher par-la meme
plus commodement aux dangers dont ils le
savaient entoure. Hatons-nous d'ajouter que
tous les proches de Notre-Seigneur Jesus-
Christ ne participerent point a celte appre-
ciation, et qu'on ne saurail, sans blaspheme,
ranger sa tres sainte Mere parmi ceux qui
avaient de lui une telle opinion.
b. J^sus accuse par les Scribes d'etre de connivence
avec Bielzebub. in, 22 30.
22. — Scribes qui ab Jerosolymis... Ces
Scribes etaient-ils les memes que ceux dont
il a ete question dans la guerison miracu-
leuse du paralytique, ii, 6, Cfr. Luc. v, 17?
ou bien formaient-ils une nouvelle deputa-
tion? Les deux hypotheses sont soutenables.
Quoi qu'il en soil, cesont des ennemis declares
de Jesus. Une malice infame los anime contra
lui : il leur suffit d'ouvrir la bouche pour le
montrer. — Dicebant: Quoniam Beelzebub...
D'apres S. MaUhieu, xi, 22 et s., Cfr. Luc,
X, 14, le Sauveur avait gueri en leur pre-
sence un possede qui etait sourd et muet.
Bien loin de voir, comme la foule, le doigt de
Dieu dans ce prodige, ils osenl profiler de celte
occasion pour formuler centre le Thauma-
turge la plus noire calomnie : II est possede
de Beelzebub, et c'est au nom du prince des
demons qu'il expulse les demons! C'est ainsi
que, ne pouvant nier la rcalite de ses mi-
racles, ils font du moins tous leurs efforts
pouramenerle peuple a croire qu'ils sont im-
purs el memo salaniques dans leur source.
M. Schegg cile fort k propos en cet endroit
les deux proverbes : « Calumniare audacter,
60
fiVANGILE SELON S. MARC
23. Et, les ayant appeles, il leur
dit en paraboles : Comment Satan
peut-il chasser Satan?
24. Si un royaume est divise cen-
tre lui-mSme, ce royaume ne pent
subsister.
2o. Et si une maison est divisee
centre elle-meme, cette maison ne
pent snbsister.
26. Et si Satan se leve contre lui-
23. Et convocatis eis, in parabolis
dicebat illis : Quomodo potest Sata-
nas Satanam ejicere?
24. Etsiregnumin se dividatur,
non potest regnum illud stare.
25. Et si domus super semetipsam
dispertiatur, non potest domus ilia
stare.
26. Et si Satanas consurrexerit in
semper aliquid haeret. Gladius secat, calum-
nia separat amicos. » — Sur le nom de Beel-
zebiibj applique an prince des demons, vovez
I'Evangile selon S. Matth., p. 209. M. Reuss,
Histoire evangelique, p. 282, propose une
nouvelle elymologie, savoir les mols syria-
ques « Bee! debobo », maitre de I'inimitie,
c'est-a-dire I'ennemi par excellence. Nous
nous en tenons a celle que nous avons pre-
cedemment adoptee — L'expression « Beel-
zebub habel » est speciale a S. Marc : elle a
une tres-grande energie, et designe une al-
liance intime de Jesus avec I'esprit mauvais.
Elle dit beaucoup plus que la loculion paral-
lels : etre possede de Beelzebub,
24. — Et convocatis eis. Jesus, attaque dans
sa saintete, releve aussitot le gant : il ne
pouvait pas permeltre que de pareille? accu-
sations demeurassenl sans replique. II com-
mence done une habile et vigoureuse plai-
doierie, que nous avons etudiee a fond dans
le premier Evangile. S. Marc, selon sa cou-
tunie, ne nous en donne qu'un resume rapide,
bien qu'il ait tres-exactement reproduit les
principaux arguments. — In parabolis dice-
bat. II faut prendre ici le mot parabole dans
le sens large, comme synonyme de figure,
comparaison. Les images abondent en efifet
dan- I'apologie du Sauveur. Cfr. tt. 24,
25. 27. « Parabolas appellat, dit tres-bien le
cardinal Cajelan, in Marc. comm. c. iii, ra-
tiones subjunctas ex similitudinibus; tum
iregni in se divisi, tum domus in se divisae,
tum fortis direpturi domum. » Le m6me au-
'teur donne ensuite une excellente division
du discours de Jesus tel que nous le lisons
dans S. Marc. « Prima ratio ad manifestan-
dum quod non ejicit daemones in Beelzebub,
se tenet ex parte daemonis : ducendo ad in-
conveniens, scilicet, quod daemones agerent
ad desolationem proprii regni, hoc siquidem
inconveniens inferlur dicendo, Quomodo ergo
slabit regnum ejus? Constat enim nulUun
quantumcumque tyrannum studere ad desola-
tionem proprii regni, quia studet ad conser-
tionem proprii boni. Secunda ratio ex parte
ipsius Christi se tenet, scilicet quod ejicit
daemonia in digiloDei, et est probaiio sumpta
ab effectu seu fructu, introducta tamen ex
metaphora bellicae direptionis. » — Quomodo
potest... C'esl la premiere preuve ; elle va
jusqu'a la fin du t. 26, et deraontre i'absur-
dite de I'accusation portee contre Jesus : Ce
que vous affirmez est tout simplement une
impossibilite. Vous pretendez que je chasse
les demons parce que je suis de connivence
avec Beelzebub, leur chef; mais cela revient
a dire que Satan est en guerre ouverte avec
lui-meme, ce qui ne saurait etre, car le de-
mon ne luttera jamais contre le demon. La
phrase « quomodo potest... » ne se trouve
que dans notre Evangile.
24 el 23. — A I'appui de cette assertion,
Notre-Ssigneuf apporte deux fails evidents
emprunles I'un a la politique, t. 24, Tautre k
la vie de famille, t. 23. — Si regnum in se
dividatur. Un royaume divise par des guerres
intestines est un royaume ruine. Satan ne I'i-
gnore pas, et il se donnerait bien garde de
partager ainsi son empire en accordant a
quelqu'un, contre ses propres sujets, un pou-
voir qui deviendrait bienlot desastreux pour
I'enfer. OOy. elxoi; apx^'^ ^Ttt apX^^ (TTpaxe-jtrai,
dit pareiliement Thucydide. — La preposi-
tion « in », de meme que son correlatif grec
Itic, employee avec I'accusatif, a souvent le
sens de « contra, ad versus ». — Et si domus
super semetipsam... ; plus correctement, d"a-
pres le lexle primilif, « si domus in semet-
ipsam dividatur » ; car, a part olxia au lieu
de paffO.eia, les motssont tout a fait lesmemes
qu'au t. 24. — C'est done une histoire iden-
tique : maison divisee, maison ruinee, comme
maint exemple hislorique le demontre.
26. — Et si Satanas. La preposition xai,
repeiee pour la troisieme fois depuis le debut
de I'argument, a ici la signification de 6e,
« igitur » (Cfr. Matth. xii, 18 : elSsxai}; elle
introduit la conclusion manifeste qui ressort
des deux fails d'experience signales plus haut.
Royaume divise, royaume ruine ; famille divi-
see, famille ruinee: « a pari », Satan divise,
Satan ruine, finem habet : e'en est fait de lui
et de sa puissance. Quelle simplicite, et pour-
tant quelle force d'argumentation ! — L'ex-
pression avEOTYj £9' eauTov, consurrexerit in
CHAPITRE III
61
semetipsum, dispertitus est, etnon
poterit stare, sed finem habet.
27. Nemo potest vasa fortis in-
gressus in domum diripere . nisi
prius fortem alliget, et tunc domum
ejus diripiet.
28. Amen dico vobis, quoniam
omnia dimittentur filiis hominum
peccata, et blasphemiae quibus blas-
phemaverint.
Match. 12, 31; Luc. 2, 10; Joan. 5, 16.
29. Qui autem blasphemaverit in
Spiritum sanctum, non habebit re-
missionem in seternum, sed reus
erit seterni delicti.
30. Quoniam dicebant : Spiritum
immundum habet.
meme, il est divise, et il ne pourra
subsister et il prend fin.
27. Personne ne pent entrer dans
la maison de I'homme fort et piller
ses meubles, a moins qu'il n'ait au-
paravant lie I'homme fort; alors il
pillera sa maison.
28. Je vous dis en verite que tons
les peches seront remis aux enfants
des hommes, ainsi que les blasphe-
mes qulls auront proferes;
29. Quant a celui qui aura blas-
pheme contre I'Esprit-Saint, il n'ob-
tiendra jamais remission, mais sera
coupable d'un peche eternel.
30. Parce qu'ils disaient : II est
possede d'un esprit immonde.
semetipsumj propre a S. Marc, est tres pitto-
resque.
27. — Nemo potest. Nous passons a la se-
conde preuve, qui consisle en un nouvel
exemple familiar. Un guerrier arme de pled
en cap monie la garde a I'entree de sa mai-
son. Pour qii'on y penetre et qu'on la pille,
que faudra-t-il? II faudra vaincre tout d'abord
et garrotter ie proprielaire vigilant et robuste.
Mais, ceia fait, on en sera le maitre absolu.
Or, des deux guerriers de cette parabole, I'un
ifortem] represente Satan, I'autre [fortis] est
Jesus lui-meme : la maison avec les objets
qu'elle renferme figure les possedes que Jesus
delivre du joug honteux des demons. La con-
clusion est claire, bien qu'elle ne soit pas
exprimee : Done, Jesus est plus fort que Satan ;
par consequent, il n'a rien a recevoir de lui.
28 et 29. — Apres avoir ainsi refute leur
accusation aussi insensee qu'injurieuse, le
divin Maitre donne aux Pharisiens un aver-
tissement des plus graves ; Prenez bien garde
a la faute que vous commellez en osant me
calomnier ainsi : c'est un de ces peches que
la misericorde de Dieu, pour infinie qu'elle
soit, ne saurait pardonner. — Amen dico vo-
bis : formule par laquelle Jesus aimait a atli-
rer I'attention sur quelque point important
de ses discours. Voyez I'Evangile selon
S. Matth., p. ]\0. — Omnia dimtttuntur...
Les pecheurs contrits et humilies, quels
qu'aient ete leurs mefaits, n'ont qu'a se pre-
senter au divin tribunal : ce n'est pas un Juge
severe, mais un Pere aimant, qui recevra ces
prodigues. « Quiescite agere perverse, discite
benefacere..., et venite, arguite me, dicit
Dominus : si fuerint peccata vestra ut cocci-
Dum, quasi nix dealbabunlur ; et si fuerint
rubra quasi vermiculus, velut lana alba
erunt ». Is. i, 16-18. — Peccata represente
le genre; blasphemies une espece parlicu-
liere, en vue du crime impardonnable qui va
etre nomme. — Blasphemaverit in Spiritum
sayictum. Sur la nature de ce peche, voir
Matth. xii, 72 et noire commenlaire, p. 247
et 248. Le blaspheme contre I'Esprit-Saint
est moins un acle qu'un etat peccamineux,
dans lequel on persevere sciemment et volon-
tairement : c'est pour cela qu'il ne saurait
etre pardonne, le pecheur n'offrant pas les
dispositions requises. — Sed reus erit... Ces
mots qui terminent le t. 29 n'ont ete conser-
ves que par S. Marc. lis ferment un « confir-
matur » energique de la pensee precedente :
Non, les blasphemateurs impies du S. Esprit
n'obliendront jamais de pardon, mais ils
expieront elernellement leur faute. Get em-
ploi d'une proposition affimative a la suite
d'une proposition negative, pour repeter la
meme idee en la renforgant, est quelque chose
de tout a fait oriental. — jEterni delicti. La
plupart des manuscrits grecs portent atwvt'ou
xpiffcco;, « ajterni judicii » : quelques-unsont
neanmoins la legon aixapx^sAaTo;, qu'a suivie
la Vulgaleet que preferent plusieurs critiques
(entre aulres Tischendorf). Du resle ce n'est
qu'une simple nuance, puisqu'un peche eter-
nel est celui qui ne sera jamais pardonne,
pour lequel, par consequent, on subira un
chatiment eternel.
.30. — Quoniam dicebant. S. Marc fait ici
une reflexion qui lui est propre, el il la fait
en termes elliptiques. II faudrait, pour que la
pongee lut complete : « Sic ioquebalur quo-
niam dicebant... » L'Evangeliste se pro|>?se
done d'indiquer brievement le motif qui iuv.*
62
CHAPITRE III
31. Sa mere et ses freres vinrent
et, se tenant dehors, ils envoyerent
Tappeler.
32. Etla foule etait assise autour
de liii, et on lui dit : Voila que votre
mere et vos freres vous cherchent
dehors.
33. Et, leur repondant, il dit :
Quelle est ma mere et quels sont
mes freres ?
34. Et, regardant ceux qui etaient
assis autour de lui, il dit : Voila ma
mere et mes freres;
3b. Car, celui qui fait la volonte
de Dieu, celui-la est mon frere et
ma soeur et ma mere.
31. Et veniunt mater ejus et fra-
tres, et foris stantes miserunt ad
eum vocantes eum.
Matth. 12, 46 J Z,uc. 8, 19.
32. Et sedebat circa eum turba;
et dicunt ei : Ecce mater tua et fra-
tres tui foris quserunt te.
33. Et respondens eis, ait : QuaB
est mater mea, et fratres mei?
34. Et circumspiciens eos qui ia
circuitu ejus sedebant, ait : Ecce
mater mea, et fratres mei.
3o. Qui euim fecerit voluntatem
Dei, hie frater mens, et soror mea,
et mater est.
pirait a Jesus un langage si severe. — Spiri-
turn immundum habet. En proferant ces af-
freuses paroles, les Pharisiens commeltaient
precisement, ou du nioins ilscouraienl le ris-
que de commellre le peche irremissible: c'est
pourquoi le Saiiveur, loujours charitable, les
avertissait du grand danger dans lequel ils
etaient lombes au point de vue de leur salut.
c. Les parents du Christ selon Vesprit. iii, 31-35.
31 et32. — Et re/iiun^Dansle grec, epxoyv-
Tai ouv, « veniunt igilur », ce qui rattache
I'incident acluel au t. 21. Marie accom-
pagne les proches de Jesus ; raais il est inutile
de repeter quelle n'entrait nullement dans
leurs vues. — Foru stantes. S. Luc dit
pourquoi ils resterent ainsi en dehors de la
maison oil se trouvait alors Notre-Seigneur
(Cfr. t- 20) : « Non poterant adire eum prae
turba ». — Miserunt ad eum. C'est la encore
un de ces details precis qui n'existent que
dans le second Evangile. II en est de meme
du suivant, qui est si piUoresque : et sedebat
circa eum turba. — Apres fratres tui, le texte
grec ajoute -/al at do£>,9ai co-j, et tes soeurs,
ce qui serait une nouvelle particularite de
S. Marc. Toutefois, ces mots manquent dans
d'importants manuscrits, tels que B, C, G, K,
Sinalt.
33et34. — QucB est mater mea...? ?ar ceile
question, Jesus a pour but d'attirer I'alten-
tion de la foule sur la parole qu'il va pro-
noncer. Cela fait, il jette sur tous ceux qui
I'entourent un regard plein d'affeclion et de
douceur, ciirumspiciem eos; puis il s'ecrie :
Ecce mater mea!... II n'y a eu que Jesus au
monde pour lenir un pareil langage. — La
mention du regard est speciale a S. Marc :
S. Matihieu, xii, 45, avait signale un autre
geste du Sauveur : « Et extendens manuni in
discipulos ». C'est ainsi que les Evangelistes
se completent, tout en gardant une parfaite
independance. — Au lieu dela legon it£pt6).£-
(J/aiievo; to'j; iiEpi aOtov y.\i-/.lu>, qui a ete suivie
par la Vulgate [circumspiciem eos qui in cir-
cuitu ejus) et qu'on lit dans plusieurs manus-
crits ^B, C, L, Smalt.; etc.), Is grec ordinaire
porte simplement ■jtepi6>,£(}/i[X£voe xuxXw, ayant
regarde en rond.
33. — Qui enim fecerit. Jesus explique son
assertion si extraordinaire du verset prece-
dent. Ce que I'identile du sang produit entre
les proches, raccomplissement parfail de la
volonte divine I'opere entre tous les hommes
sans distinction. C'est un lien qui les unit
beaucoup plus elroitement les uns aux autres,
et au Seigneur Jesus, que celui de la mater-
nite, de la fraternite proprement dite. « Non
negans matremhaec dixit, sed ostendens quod
non propter nativitatem solum digna fuerit
hoc honore, sed propter omnes alias virtutes
quibus praedita fuit ». Euthymius. De la sorte,
Marie etait done deux fois la mere de Jesus I
— Ces paroles et celte conduite du Sauveur
enseignent admirablement au pretre ce qu'il
doit etre dans ses relations de famille. Mais
il y a la aussi pour lui un grand sujet de
consolation, tres bien exprime dans les re-
flexions suivantes du venerable Bede : « Mi-
randum valde est quomodo (is qui voluntatem
Dei fecerit) etiam mater (Christi) dicatur...
Sed sciendum nobis est quia qui Jesu frater
et soror est credendo, mater efficitur prsedi-
cando. Quasi enim parit Dommum. quera
cordi audientis infuderit. Et mater ejus effi -
citur, si per ejus vocem amor Domini ia
proximi mente generatur ». In Marc. Evang.
Exposit. lib. I; c. III.
fiVANGILE SELON S. MAP.G
13
CHAPITRE IV
Jdsus se met k enseigner sous forme de paraboles {tlf. ^ et 2). — Parabole du Si^rat'ur
(tt. 3-9). — Pourquoi les paraboles {i!t. 11-12). — Explication de la parabole ciu Seineur
{tt. 13-20). — II faut ecouler attentivement la parole de Dieu [tt. 21-25). — Parabole
du champ de ble {ft. 26-29). — Parabole dii grain de seneve (tt. 30-32). — Aulres para-
boles de Jesus {ti. 33 et 34). — Miracle de la tempete apaisee [tt- 35-40).
1. Et iterum coepit docere ad
mare : et congregata est ad eum
turba multa, ita ut navim ascen-
dens sederet in mari, et omnis turba
circa mare super terram erat.
Matlh. 13, 1; Luc. 8, 4.
1 . II commenca de nouveau a en-
seigner aupres de la mer, et une
grande foule se rassembla autour
de lui, de sorte que, montant dans
la barque, il se tenait sur la mer, et
toute la foule etait a terre le long
du rivage.
9. Les paraboles du royaume des cieux.
IV, 1-34.
Malgre la reserve extraordinaire de notre
Evangeliste toules les fois qu'il s'agit de rap-
porter les discours du Sauveur, il fail nean-
moins deux exceptions a la regie qu'il s'etait
imposee d'omettre presque entierement les
paroles pouraller droit aux actes. Nous trou-
vons ici meme la premiere de ces exceptions :
la seconde viendra au chap. xiii. Elles s'im-
posaient pour ainsi dire d'elles-memesa I'ecri-
vain sacre; car il fallait bien, d'une part,
qu'il signalal I'enseignement de Jesus sous la
forme de paraboles, el comment le signaler
sans en donner quelques e.\emples?Il fallait,
d'aulre part, qu'il transmit a ses lecleurs les
graves propheties du Sauveur relatives a la
fin du monde. Neanmoins, meme dans ces
deux cas, il demeure fidele a son role
d' « Epitomator ». Ainsi, pour ce qui regarde
les Paraboles du royaume des cieux, au lieu
d'en citer jusqu'a sept, comme S. Matlhieu,
il se conlenle d'en relaler trois, celle du
Semeur, celle da champ de ble et celle du
grain de seneve. Et pourtant, selon sa cou-
tume, tout en donnant si peu, il a su elre
original, puisque la parabole du champ de ble
ne se rencontre nuUe pari ailleurs. Du reste,
sa concision ne Tempeche nullemenl d'etre
complet jusqu'a un certain point, car ces pa-
raboles nous representenl le royaume mes-
sianique dans ses phases principales el sous
ses traits essentiels, comme on le verra par
le commentaire.
a. La parabole du semeur. iv, 1-9. — Parall.
Matth. xni, 1-9; Luc. viii, 4-8.
Chap. iv. — 1. — Et iterum ccepit... La
mise en scene est decrite dans ce premier
verset d'une maniere graphique, digne de
S. Marc. « Iterum », parce qu'a plusieurs re-
prises deja, II, 13; III, 7, I'Evangelisle avail
monlre le divin Mailre enseignanl au bord
du lac. « Coepit)), car a peine Torateur avait-
il pris la parole, qu'il se fit autour de lui un
immense concours de peuple {congregata est
ad eum turba multa) qui Vohligead'inlenompve
momentanement son discours, afin de pren-
dre quelques mesures, de maniere a n'etre
pas trop comprime par la foule. Au lieu de la
legon auvTixQ^i . . . ox^o; ■noXO?, qu'on trouve
dans la Recepta el dans la plupart des an-
ciens teraoins, plusieurs manuscrits impor-
tanls (B, C, L, a) portent auvayetai... ©xXo;
nltlaxoz, « congregalur... turba maxima ».
Celle varianle a nos preferences, soil parce
qu'elle est plus conforme au style de S. Marc
oil I'emploi du temps present est si frequent,
soil parce que les deux aulres synopliques
parlenl aussi d'un rassemblement Ires consi-
derable : « lurbse multae, » Matlh. xiii, 2;
« quum turba plurima convenirent el de civi-
talibus properarent ad eum », Luc. viii, 4.
— Ita ut navim ascendens. II y a dans le grec
TO TtXoiov avec I'article, pour montrer qu'il
s'agit d'un bateau bien determine : c'elait
sans doute celui que Jesus s'elail reserve pre-
cedemment, in, 9, pour les occurrences de ce
genre. — Sederet in mari, c'esl-a-dire « in
navi deducla in mare )). Comme lout est
gracieux elpopulaire dans I'enseignement de
JesuslComp.l'Evangile selon S. Mallh.p.97.
— Omnis turba circa mare... « Versus mare »
serait une traduction plus exacte du grec
ivp6?Triv QaXaoffav. Ces mots font tableau, et
nous monlrent le nombreux auditoire groupe
sur le rivage el lourne du cote du lac, tan-
dis que I'Orateur etait assis dans sa barque
a quelque pas de la rive.
2. — Docebat eos. D'apres Matlhieu,
6i
EVANGi'LE SELON S. MARC
2. Et il leur enseignait beaucoup
de choses en paraboles, et il leur
disait dans son enseignement :
3. Ecoutez! Voila que le Semeur
est sorti pour semer.
4. Et, pendant qu'il semait, une
partie de la semence tomba le long
du chemin, et les oiseaux du ciel
vinrent et la mangerent.
' b. Une autre partie tomba sur un
terrain pierreux, oii elle n'eut pas
beaucoup de terre, et elle leva bien-
tot parce qu'elle n'avait pas une
terre profonde;
6. Et, quand le soleil se leva, elle
fut echauffee, et, comme elle n'a-
vait pas do racines, elle secha.
2. Et docebat eos in parabolis
multa, et dicebat illis in doctrina
sua :
3. Audite : Ecce exiit seminans
ad seminandum.
4. Et dum seminat, aliud cecidit
circa viam, et venerunt volucres
coeli, etcomederunt illud.
5. Aliud vero cecidit super petro-
sa, ubi non habuit terram multam;
et statim exortum est, quoniam non
habebat altitudinem terrse.
6. Et quando exortus est sol,
exsestuavit; et eo quod non habebat
radicem, exaruit.
XII, 1, ce discours fut prononce par Notre-
Seigneur le meme jour que son apologie
contre les Pharisiens iiii. 22 et ss.). Quel con-
traste entre les deux scenes et les deux modes
d'enseignement! — In parabolis multa. Dans
notrecommentairesur S. Malthieu, p. 2o7 et
suiv., nous avons donne de longs details sur
les paraboles de Jesus : nous y renvoyons le
lecteur. Clement d'Alexandrie definil la pa-
rabole : ).6yo; oltzo tivo; oO xOptoy (aev, efji^EpoO;
5e Tw y.upiw, iizi x' alrfiii xai xuptov aycov xov
CTvvtevTa, « oratio ab aliquo non proprio qui-
dem sed quod est simile proprio, ad id quod
verum et proprium deducens eum qui intelli-
git », Strom, vi. — Par I'adjectif « multa »,
et par les deux verbes mis a I'imparfait,
S. Marc indique qua cette epoque de sa Vie
publique ce fut pour Jesus une coutume a peu
pres reguliere de presenter sa doctrine sous
forme de paraboles. — In doctrina sua equi-
vaut a « inter docendum ».
3. — Audite. Le Sauveur commence la
serie de ses paraboles relatives au royaume
des cieux par cette apostrophe vive et so-
lennelle, quin'aeteconservee queparS. Marc.
Ecoutez! Ce mot n'etail pas de trop en pa-
reille circonstance, puisque Jesus allait em-
ployer un discours voile, figure, dont i'intel-
ligence presenterait degrandes difficultes. —
Exiit seminans. Apres nous avoir mis en
quelque sorte sous les yeux Tauditoire et le
Predicateur, t. ^, apres avoir precise le
genre d'enseignement adopte par ce dernier,
f. 2. ''Evangeliste signale trois des paraboles
proposees ce jour-la meme par Jesus. La pre-
miere, celle du Semeur, decrit les debuts
penibles du royaume de Dieu sur la terre :
mille difSculles I'environnent alors, et empe-
chent son avenement dans un grand nombre
de coeurs. La seconde parabole, celle du
champ de ble, n.ontre comment, en depit de
ces difficultes, le royaume messianique se
developpe et croit surement, quoique d'une
maniere lente et silencieuse. La troisierae
enfin, celle du seneve, nouspresente I'empire
du Christ parvenu a une merveilleuse diffu-
sion et presque aun elabli*sement parfait. —
SeminaHS, 6 oTietpuv, le Semeur par excel-
lence!
4. —Etdum seminat. A partir de ce verset
jusqu'a la fin du huitieme, il existe une coin-
cidence presque verbale entre le recit de
S. Marc et celui de S. Matthieu. II n'y a guere
que trois variantes principales a signaler
dans notre Evangeliste : 1° il parle de la
semence ans'm^uW^r, aliud cecidit... illud, etc.,
tandis que S. Malthieu empioie constamment
le pluriel, « alia ceciderunt,... ea « etc.;
2° il ajoute, t. 7, les mots « et fructum non
dedit »; 3° les participes « ascendentem et
crescentem » du t. 8 sont de meme une
particularite de sa narration. — Cif-ca viam.
V Non ex intenlione salor jacit semen secus
viam et in petrosa, sed hoc contingit ex con*
comitanlia actus seminandi per universum
agruni ». Cajetan. — Les mots to-j oupavoO
[coeh de la Vulgate) sont regardes par de nom-
breux critiques comme une interpolation,
altendu qu"iis manquent dans presque tous
les meilleurs manuscrits.
6-7. ~ Voyez Texplicalion detaillee dans
I'Evangile selon S. Matth. p. 261. — In spi-
nas^ probablement le Nabk ou Nebek, plante
epineute qui abonde en Palestine et en Syrie.
— Sulfococerunt, (juvETrvt^av. S. Malthieu avail
exprime la meme idee avec une nuance,
aTTETTviEav. Le mot de S. Marc indique mieux
que la croissance des epines et le deperisse-
CHAPITRE IV
65
7. Et aliiid cecidit in spinas ; et
ascenderunt spinse, et siiffocaverunt
illud ; et fructum non dedit.
8. Et aliud cecidit in terram bo-
nam, et dabat fructum ascendentem
et crescentem; et afierebat unum
trigmta, unum sexaginLa, et unum
centum.
9. Et dicebat : Qui habet aures
audiendi, audiat.
10. Et cum esset singularis, in-
7. Une autre partie tomba dans
des epines, et les epines grandirent
et I'etoufferent, et elle ne donna
point de fruit.
8. Une autre partie tomba dans
une bonne terre. et donna du fruit
qui monta et crut et rapporta I'un.
trente, I'autre soixante et I'autre
cent.
9. Et il disait : Que celui qui a
des oreilles pour entendre entende!
10. Et, lorsqu'il fat laisse seul.
ment de la bonne semence ftirent deux fails
simultanes. — Et fruclum non dedit. Jesus
n'avait rien dit (ie semblable pour les deux
premieres parlies de la semence, parce qu'il
etait bien evident qu'elles ne pouvaienl rien
produire, vu les condilions dans lesquelles
les semailles avaienl eu lieu. Mais, celle fois,
on aurail pu s'altendre a des fruits nom-
breux, la graine ayanl d'abord cru a mer-
veille; c'esl pour cela que la slerilite esl si-
gnalee en termes expres.
8. — Et aliud cecidit. Theophylacte decrit
fori bien les quatre deslinees si differenles
du grain jele par le Semeur. Une premiere
partie ne germa pa? meme. oOx dvs'gatve; une
autre leva, mais pour perir aussilot, dvEoaivs
(lev d).V o'jy. r,u?av£ ; la Iroisieme partie germa,
grandit, mais demeura sterile, ave'gatve y.al
Y,u?av£v, d)),a v.apTTOv o'jy. iow/e; la qualrieme
seule ful leconde, avjSaivs y.ai r,-j?av£ y.al y.ap-6v
I5wy.£... TETapTov ^Aovov ctacwOiv. On obllent
done ainsi une belle giadniion, oil Ton veil
agir trois causes de slerilite, une seule do
fertilile. — Fructum ascendentem et crescen-
tem, Cfr. t. 4. Le mot « fruclus » ne design©
pas les grains, donl il ne s^ra question qu'un
peu plus bas, mais I'epi qui les contienl, el
dans lequel ils se formeront el murironlpeu
a peu. Les classiques I'emploient egalement
dans ce sens. Cfr. Hom. II. i, 'lo6; Xenoph.
de Venal, v, 5. « Ascendentem », par oppo-
sition aux grains pour Ies(iuel3 il n'y avail
pas meme eu de germination. « Crescentem »,
par opposition aux grains qui n'avaienl eu
qu'une croissance temporaire : on veil I'epi
qui sort de sa gaine, qui s'alloiige el qui
grossil. — Unum triginla... sexafjinta, cen-
tum. La Vulgate a suivi hi le^on svrpiiy.ovTa,
xat £v s^'^y.ovTa. . . On lit dans plusieurs ma-
nuscrits eI; xptdyovxa, £i; ^;r,y.ovTa... c"esl-a-
dire, jusqu'a trente, jusqu'a soixante, jusqu'a
cent; el ailleurs, |v TptdyovTa, £v E^/ixovTa...
« in triginta. in sexaginla... » II esl mora-
iement impossible de dire quelle dul etre la
forme primitive du texle. L'emploi de gv
S. Bible. S.
semble plus conforme au style biblique. —
S. Maltliieu, xiii, 8, dans son enumeration,
etait alio du plus grand nombre au plus
petit : « aliud centesiunim, aliud sexagesimurn,
aliud trige.>imuiu »; S. Marc suit I'ordre con-
Iraire, qui est plus naturel et plus expressif.
D'apres ces chitfres, la quanlite totale de la
semence se divise done, relativemenl au pro-
duit, en deux parts tres dislincles, donl Tune
ful tout a fait sterile, I'autre plus ou moins
feconde. Dans chacune de ces parts, on dis-
tingue ensuiie trois degres soil de slerilite
soil de succes.
9. — Et dicebat. « Clamabal »,ditS. Luc,
employant une expression Ires energique. La
parabole achevee, Jesus prononga done a
haute voix les paroles qui suivent. — Qui
habet aures audiendi, una. dy-o-jtiv, des oreilles
pour entendre. Formule solennelle, que les
trois synopliques mentionnentici de concert:
Jesus la prononga eu six occasions diffe-
renles : Mattli. XI, 15; xiii, 43; Marc, iv, 9;
IV, 23; VII, 16; Luc. xiv, 35. Elle est citee
hull fois dans I'Apocalypse : ii,7, 11, 17,29;
III, 6, 13, 22; XIII, 9. — Le mot « audiendi »
esl important: car, si tous les hommes ont
des oreilles au physique, combien en sent
depourvus au moral? « Plusieurs n'ont pas
d'oreilles interieures pour ecouter les divines
harmonies. »
b. Pourquoi les paraboles? IV, 10-12. — Parall.
Matth, xni, 10-17; Luc. vm, 9-10.
10. — Quum esset singularis. En grec,
y.ataaova;, sous-enlendu x^pa?) seul, « seor-
sum 1) (iTzS des Hebreux). CiV. Bretschneider,
Lexic. man. graeco-lat. in lib. Novi Tesla-
menti 1. 1, p. 564. Les details qui vont suivre,
jusqu'au t. 25. sent done raconles ici par
anticipation. D'apres I'ordre chronologique,
leur vraie place serait entre les 'S't. 34 et 35.
En effet, Jesus ne ful seul qu'a la fin de la
journee, lorsqu'il cut acheve sa predication
et congedie le peuple. Comp. Matth. xiii,
10, 36, el leCommenlaire.Neanmoins, I'ordre
Marc. — 5
66
les Douze qui etaient avec lui rin-
terrogerent sur cette parabole.
ll.'Et il leur disait : A vousil a
ete donne de connaitre le mystere
du royaume de Dieu; mais, pour
ceux qui sont dehors, tout se fait
en paraboles ;
12. Afin qu'en voyant, ils voient
et ne voient point, et qu'en enten-
dant ils entendent et ne compren-
nent point, de sorte qu'ils ne se
convertissent pas et que les peclies
ne leur soient pas remis.
fiVANGILE SELON S. MARC
terrogaverunt eum hi qui cum eo
erant duodecim, parabolam.
11. Et dicebat eis : Vobis datum
est nosse mysterium regni Dei; il-
lis autem qui foris sunt, in parabo-
lis omnia fiunt :
12. Ut videntes Yideant, et non
videant; et audientes audiant, et
non intelligant; nequando conver-
tantur, et dimittantur eis peccata.
Isai. 6, 9; Matth. 13, 14; Joan. 12, 40; Act. 28, 26;
Sotn. 11, 8.
logique demandail que le lecteur apprit im-
mediatement le motif pour lequel Jesus-Christ
avail lout a coup transforme sa methode
d'enseignement, et que la parabole du semeur
'fut aussitot suivie de son interpretation. —
Qui cum eo erant duodecim. Cette traduction
est inexacte, car il y a dans le texte grec
01 Tztpl tt'jTov CUV ToTc owSsxa. ceux qui I'accom-
pagnaieul avec les Douze. S. Marc, a qui ce
trait est special, suppose ainsi qu'outre les
Apotres il y avait alors aupres du Sauveur
un certain nouibre d'autres disciples. C'e-
taient, suivant Eii thymius. ot irj; £g5o!J.r,y.ov-doo;
Twv aW.uv iJ.a6r,TaJv . L'entourage intinie de Je-
sus est suipris de voir que, contrairement a
ses habitudes anlerieures, il a employe d'une
maniere continue le langage figure, et tous
voudraienl connaitre le mot'if de cette innova-
tion extraordinaire. — Parabolam. La legon
la plus accreditee du texte grec (Mss. B, C, L, a,
et plusieurs versions anciennes) semble etre id;
■TrapaooXd; au pluriel ; ce qui est d'ailleurs plus
.naturel, puisque, d'apres ce que nous venons
de dire, la question des disciples, adressee
seulement le soir a Jesus devait avoir un sens
general et concerner toutes les paraboles du
royaume des cieux. Cfr. Matth. xiii, 1 0. Mais,
comme une seule parabole a ete signalee, on
comprend que le singulier se soit glisse dans
le texte a la place du pluriel.
11. — Vobis datum est. Dans sa reponse,
Jesus etablit une distinction entre ceux qui
croient en lui et les ames incredules. Aux
premiers, qui sont desireux de connaitre la
verite et qui prennent les moyens d'y parve-
nir, tout est revele sans restriction ; les autres
n'ont pas le meme bonheur, mais c'est leur
faute. A « vobis »,^mis en avani avec em-
phase pour designer tous les vrais disciples,
presents et absents, le Sauveur oppose qui
foi'is sunt, les personnes en dehors du cercle
ami qui formait alors I'Eglise primitive. Cette
expression energique est propre a notre Evan-
geliste ; S. Paul I'emploiera plus lard a diffe-
rentes reprises pour representer les paiens.
Cfr. I Cor. V, 42, 13; Col. iv, 5 ; I Thess.
IV, 2. Jesus partage ainsi les Juifs en deux
categories, selon la nature des relations qu'ils
avaient avec sa personne divine : ol Tiepl aO-ov,
t. 10, et ol ilu). — Le verbe nosse est pro-
bablement une interpolation, car les meil-
leurs manuscrits I'omettent. — Mysterium
(S. Matth. et S.Luc emploient le pluriel « my-
steria ») designe une serie de verites obscures
ou ignorees jusqu'alors, specialement les
verites evangeliques, et a la connaissance
desquelles les homines n'ont pu arriver qu'en
verlu d'une revelation divine, « datum est ».
— Regni Dei precise la nature des mysteres
dont parle Jesus. Le royaume messianique,
comme tout autre royaume, a ses secrets
d'Etat, que le Prince ne confie qu'a ses fi-
deles. Quant aux ennemis ou aux indifferents,
on ne les leur mentionne que sous I'enveloppe
et le voile des paraboles, in parabolis, de
crainte qu'ils ne les profanent ou n'en abu-
senl. — Omnia fiunt, t* Ttavra yive-at, c'est-
a-dire « proponuntur ». Cfr. Herod, ix, 46 :
:?)[xtv ot ).6yo'. ytyo^cLGi.
12. — Apres i'indication preliminaire con-
tenue dans le 1. 1 1 , Jesus entre au coeur meme
de sa reponse, et indique aux Apotres la vraie ^
cause pour laquelle il enseigne maintenanl sous '
la forme de paraboles. S. Matihieu cite d'une
maniere beaucoup plus complete les paroles
de Notre-Seigneur ; voyez xiii, 12-1o et le
commentaire : S. Marc en donne du moins un .
bon resume, sous une forme saisissante. — ?
Ut, en grec ?va, comme dans le troisieme *
Eeangile, viii, 10, c"est-a-dire aGn que. Di-
vers interpretes, n'osant traduire ainsi, don-
nent a tva le sens de « ila ut ». « Non cau-
saliter, sed consecutive », ecrit entre autres
le Card. Cajetan. Mais nous croyons qu'il faut
laisscr a la conjonciion sa signitication accou-
tumee. EUe exprimerail done ici une inten-
tion reelle de Jesus a I'egard des incredules,
le but qu'il se propose en s'exprimant d'une
CHAPITRE IV
67
13. Et ait illis : Nescitis parabo-
1am hanc? et quomodo omnes para-
bolas cognoscetis ?
14. Qui seminat, verbum seminat.
15. Hi ail tem sunt, qui circa viam.
ubi seminatur verbum ; et cum au-
dierint, confestim venit Satanas, et
13. Et il leur dit : Vous ne com-
prenez point cette parabole? Com-
ment done comprendrez-vous toutes
les paraboles?
14. Gelui qui seme, seme la pa-
role.
lo. Geux qui sont le long du che-
min oil est semee la parole, sont
ceux qui ne Font pas plus t6t en-
maniere plus obscure qu'autrefois. Pourquoi
ne le dirions-nous pas a la suile d'auteurs
eminenis? Oui, le divin Maitre, par les para-
boles, veut cacher la lumiere a certains yeux,
chatier certains esprits orgueilleux. Mais a
qui la faute? No retombe-t-elle pas tout en-
tiere sur ces yeux qui se sont tout d'abord
fermes eux-memes de la fagon la plus cou-
pable, sur ces esprits qui se sont volontaire-
ment endurcis? Pour eux, les paraboles ont
done un caraclere penal. « L'endurcissement
des Juifs a deux causes. La premiere el la
principale, c'estieur volonle perverse et cor-
rompue, qui repousse la lumiere; la seconde,
qui decoule de la premiere, c'est le juste juge-
ment de Dieu qui les prive de graces dont ils
se sonlrendus indignes. » Dehaut, I'Evangile
explique, defendu,"5e ed. t. Ill, p. 389 et s.
Sur la remarquable variante o-rt de S. Mat-
thieu, voyez le commentaire, p. 264. — Di-
mitlantur... peccata. Ce dernier mot ne parait
pas avoir cxiste dans le texte primitif : les
meilleurs manuscrits portent simplement :
xat a.^^^ aOxoT;, « et dimittatur eis. » Voila
done une partie du peuple juif qui est exclue
du salut, parce qu'elle I'a elle-meme rejete.
— Bien que S. Marc ne menlionne pas le nom
du prophete Isaie, dont Jesus citait ici les
paroles (Voyez S. Matlh. 1. c. etis. vi, 8-10),
il est ai?e de reconnailre le passage prophe-
tique sous cetle forme condensee.
e» Explication de la parabole du semeur. iv, 13-20.
Parall. Matth. xiii, 18-23; Luc. vnr, 11-15.
13. — Et ait illis... Les formules de ce
genre indiquent habiluellement dans le second
Evangile un changement plus ou moins consi-
derable de sujpt. Jesus passe en effet a une
autre pensee. Repondant d'une maniere di-
recte a la question de ses disciples, t. 40, il
leur explique la premiere parabole. — Nesci-
tis parabolam hanc? Cette exclamation n'ex-
prime pas, comme on I'a dit, un reproche
severe; mais une sorte de surprise et d'eton-
nement. Yous devriez comprendre, vous a
qui les mysteres du royaume ont toujours ete
reveles. — Quomodo omncs... S. Marc seul a
conserve ces paroles du Sauveur. La para-
bole du Semeur elait la premiere de celles
que Jesus avait proposees sur le royaume des
cieux, et contenait jusqu'a un certain point
la clef des autres; si les disciples ne I'ont pas
saisie, comment auront-ils compris les sui-
vantes? ToDto oe eTirev, observe Euthymius,
eyEipwv aOxou; xai Stopaxixwrepou; Tiotwv. Co
mot de Jesus jette de vives clartes sur I'elat
actuel de ses meilleurs disciples : ce sont des
ecoliers lents a saisir les choses ; ils ont du
moins la bonne volonte de s'instruire et ils
prennent le boa moyen d'arriverala lumiere.
-14. — Qui seminat... Pour le commentaire
de la Parabole du Semeur, tt. 1 4-20, de meme
que pour son expose, tt. 3-8, il existe entre
Its Irois Evangiles synopliques une coinci-
dence remarquable : el pourtanl chacun des
ecrivains sacres fail preuve, par quelques
nuances dans les details, d'une complete in-
dependance. Nous engageons lelecteur afaire
cette interessantecomparaison. — Le Semeur
de la Parabole represente d'abord Notre-
Seigneur Jesus-Chrisl : « Quemadmodum
Chrislus Medicus est el medicina, Sacerdos
ethostia, Redemplor et redemptio, Legislator
et lex, Janitor et ostium, ila Sator et semen. »
Salmeron, Serm. in Parab. Evang. p. 30. II
figure aussi les Apotres el tous leurs succes-
seurs. Le plus humble pretre qui, devant le
plus humble audiloire, preche la parole de
Dieu, seme le bon grain dans les ames, ver-
bum seminat. S. Pierre et S. Jean signalent
aussi le rapport qui existe entre la semence
el la predication. Cfr. I. Pelr. i, 23 ; I. Joan.
Ill, 9. Du resle les auteurs classiques ont
tres souvent compare la parole en general
au role du semeur. Voyez Grotius, Annotat.
in h. 1.
io. — De meme que la graine, dans la pa-
rabole, a eu quatre desLinees dilferenles,
Jesus distingue de meme, dans I'application,
quatre series d'ames relativemenl a la predi-
cation de la parole divine. — lo Hi autem
sunt... Cette lournure est particuliere a
S. Marc : nous la retrouverons dans les ver-
sets '16, 18 et 20. Jesus menlionne en pre-
mier lieu les coeurs endurcis, sur lesquels la
parole divine ne produii pas la moindre
impression. « Via est cor frequenli malarum
cogilationura transitu allrilum et arefac-
68
fiVANGILE SELON S. MARC
tendue que Satan vient, et enleve
la parole qui avail, ete semee dans
leurs coeurs.
16. Et pareillement, ceux qui ont
recu la semence en des endroits
pierreux, sont ceux qui, lorsqu'ils
entendent la parole, la recoivent
d'abord avec joie;
17. Mais ils n'ont pas de racine
en eux et n'ont qu'un temps; en-
suite, la tribulation et la persecu-
tion survenant a cause de la parole,
ils se scandalisent aussitSt.
18. Et les autres, gui recoivent la
parole parmi les epines, sont ceux
qui ecoutent la parole;
19. Mais les soucis du siecle et la
deception des richesses et les au-
tres concupiscences, entrant en eux,
etoufient la parole, et elle est ren-
due infructueuse.
20. Enfin, ceux qui ont recu la
semence dans la bonne terre sont
aufert verbum quod seminatum est
in cordibus eorum.
16. Et hi sunt similiter, qui super
petrosa seminantur ; qui cum audie-
rint verbum, statim cum gaudio
accipiunt illud;
17. Et non habent radicem in se,
sed temporales sunt; deinde orta
tribulatione et persecutione propter
verbum, confestim scandalizantur.
18. Et alii sunt, qui in spinis se-
minantur : hi sunt qui veri)um au-
diunt ;
I Tim. 6. 17.
19. Et serumnse sseculi, et dece-
ptio divitiarum, et circa reliqua
concupiscentise introeuntes suffo-
cant verbum; et sine fructu effi-
citur.
20. Et hi sunt, qui super terrain
bonam seminati sunt ; qui audiunt
lum. » Hug. de S. Victor, Annot. in Malth.
Quoique le succes de )a semence depende
jusqu'a un certain point de la maniere dont
ie semeur I'aura jetee en terre, il depend sur-
tout de la natare du terrain sur lequel elle
tombe. La meme chose a lieu au spirituel :
les fruits de la parole de Dieu sont attaches
avant tout aux dispositions des auditeiirs.
i6 et 17. — 2o Similiter. Apres les coeurs
endurcis danslesquels le bon grain ne penetre
pas meme, il y a les coeurs superficiels qui le
reQoivent, il est vrai, mais qui ne lui per-
metlent pas de se developper. — Temporales
sunt, TTpocxatpoi elo-tv; « ad tempus credunt »,
dit S. Luc. — Orla tribulatione. Le mot tri-
bulation, derive de « tribulum », machine k
triturer le ble, fait image et exprime energi-
quement I'effet des afflictions que Dieu envoie
aux hommes pour les eprouver. — Scanda-
lizantur. « lis se henrtent en quelque sorte
conlre la sainle parole et tombent par terre,
comme celui qui donne contre une pierre ou
un bois. » D. Calmet, Comm. litter, sur
S. Marc, h. 1. El le scandale a lieu immedia-
tement, au premier choc, comme I'exprime
I'adverbe favori de notre Evangeliste, euQew;.
48 et 19. — 30 Alii sunt... Ce sont les
coeurs dissipes, qui regoivent d'abord la bonne
semence et lui permettent de croilre pendant
quelque temps, mais qui la laissent etouffer
ensuite par leurs nombreuses passions. —
jErumna; sceculi. Jesus designe par la tous
les soucis mondains qui, d'apres I'eiymologie
du mot grec [ieptfivai (de (jiepi;, part), divisent
un homme en plusieurs parlies, le remplissent
par consequent de distractions falales a la
parole divine qu'il a entendue. On connait le
mot de Catulle : « Spinosas Erycina serens
in pectore curas. » — Fallaciw divitiarum
Apres le genre, « les miseres du siecle », nous
Irouvons plusieurs especes, dont I'une con-
sisle dans les richesses si trompeuses de ce
monde. Les autres sont indiquees en bloc
par I'expression circa reliqua concwpiscentice,
ou plus clairemenl, d'apres le texte grec
(ot nepi Tii loiTtii £ni8ujj.tat), « concupiscentiae
quae circa reliqua >', les passions relatives
aux autres points, par exemple I'ambilion, la
volupte. etc.Ce trail est special a S. Marc. —
Introeuntes : lout cela enlre dans le coeur, et
etouffe la parole qui y avail penetre aupara-
vant.
20. — 4o Et hi sunt. La semence celeste,
si malhpureuse ju?que-la, trouve pourtant
des coeurs bien dispoi^es, dans lesquels elle
produit des fruits plus ou moins abondants,
selon que le sol spirituel a ele plus ou moins
parfaiiemenl prepare. Ce bon resultat fait
oublier au predicaleur de I'Evangile tous ses
insucces anlerieurs. <(. Non ergo nos, dilectis-
CHAPITRE IV
69
verbum,etsuscipmnletfructificant,
unum triginta, unum sexaginta, et
unum centum.
21. Et dicebat illis : Numquid
venit lucerna ut sub modio ponatur,
aut sub lecto? nonne ut super can-
delabrum ponatur?
Match. 5, 15; Luc. 8, 16 et 11, 33.
ceux qui ecoutent la parole et la re-
coivent et produisent du fruit, I'un
trente, Tautre soixante et I'autre
cent.
21. Et il leur disait : Apporte-t-on
la lampe pour la mettre sous le
boisseau ou sous le lit? N'est-ce pas
pour la mettre sur le caudelabre?
simi, aut limor spinarum, aut saxa petrarum,
aut durissima via perterreat : dum tamen
seminanles verbum Dei ad terrain bonam
tandem aliquando pervenire possimus. Accipe
verbum Dei, omnis homo, sive slerili?, sive
fecundus. Ego spargam, tu vide quomodo
accipias : ego erogam, tu vide quales fructus
reddas. » Append, ad Oper. S. Aug. t. VI,
p. 597, ed. Bened. — Les Rabbins, comma
Jesus, divisaient en qualre categories les
audileurs de la parole celeste. Leur classifi-
cation est d'une curieuse originalite : « Parmi
ceux qui ecoutent les sages, il enestde qualre
especes, I'eponge, I'enionnoir, le fillre et le
crible. L'eponge s'empare de lout; i'enionnoir
laisse echapper par un bout ce qu'il regoit
de I'aulre ; le flitre abandonne la liqueur et no
garde que la lie ; le crible rejelte la paille
pour ne garder que le froment. »
d. II faut icouler avec attention la parole de Dieu.
IV, 21-25. — Parall. Luc. viir, 16-18.
21. — « Possent videri quae sequunlur
drcotpdasi? non lam cohserenles cum superio-
ribus, alque eliam inter se, quam in unum
locum a Marco congestae... Sed... omnino
arbitror ista cum superioribus coliaerere. »
Groiius, car ces lignes sonl de lui, a parfai-
tement raison. Les t1[. 21-25 ne sont pas le
moins du monde une pure intercalation de
hasard ou de fantaisie. S. Marc et S. Luc les
placenl en eel endroil, paice que les pensees
qu'ils contiennent furent reellement expri-
mees par Jesus apres I'explication de la para-
bole du someur. I! est vrai qut; S. Matlhieu
les cite ailleurs, comme une partie inlegrante
du Discours sur la Monlagne, ou db I'inslruc-
tion pastorale adressee auxDouze (Cfr. v, 15;
vii, 2;x, 26); mais rien n'empeche que le
Sauveur n'ail prononce plusieurs fois, en di-
verges circonslances, ces proverbes, qui conte-
naient des enseignemenls d'une grande im-
portance. En tout cas, il cadrent fort bien ici
avec le conLexle, comme le montrera le com-
mentaire. D'un autre cole, ils s'encliainent
I'un a I'aulre et s'expliquent muluellement.
— Dicebat illis. Voyez le t. 13 et I'explica-
tion. Le pronom ne designe que les disciples,
et lie saurait s'appliquer a tout I'audiloire
decritau commencement du chapilre, 1. 1 : la
suite des fails suppose que Jesus est seul
avec les siens. Cfr. -fr. 10. — Numquid venii.
De meme en grec, Epxerai, avec le sens de
« inferlur. » Quelques manuhcrils portent
cependanl xatsTat, « accendilur)) : mais celle
varianle n'csl pas pas suflisamment garan-
i\e. — Lucerna. « La lucerna (lampe qui briile
de I'huile, par opposition a candela, chan-
delle ou bougie) etait faite generalement de
lerre cuile ou de bronze, avec une poignee d'un
cote et de I'aulre un bee pour la meche, et
au centre un orifice servant a verser I'luiile
dans la lampe... II y avail bien des formes
et des modeles dilTerenis de lampes; sui-
yant la nature des maleriaux dont elles
elaient faites, et le gout de I'arlisle qui met-
tail ces materiaux en ceuvre; mais, quel que
fulleurdegre d'ornemenlalion, quelque en-
richies qu'elles pussenl etre d'accessoires et
de detaiU capricieux, elles conservaienl ge-
neralement... la forme caracteristique d'un
vase en forme de bateau. » A. Rich. Dictionn.
des Anliquiles grecq. et rom. s. v. Lucerna.
— Sub modio. Le « modius » elait une me-
sure romaine equivalant a peu pres a noire
decalitre. — Sub leclo. Le subslantif -x),ivri
du texle grec ne designe pas le lit pro-
prement dil, ou « leclus cubicularis », mais
le « leclus tricliniaris », qui ne servait que
pour les repas. Du resle, I'idee serait la
meme dans les deux cas. Ainsi done, personne
ne songe a placer une lampe allumee sous
un boisseau ou sous un lit : ce serait une
absurdile. — Sed super candelabrum. Nous
citons encore A. Rich, ibid. p. 102. « Can-
delabrum, pied de lampe porlalif, sur lequel
on plagait une lampe a huile. Ces pieds
elaient quelquefois fails en bois (Pelr. Sal.
95, 6); mais la plupart du temps ils elaient
en melal (Cicer. Verr. ii. 4, 26), et desti-
nes a etre places sur quelque autre piece
du mobilier... lis devaient se mettre sur une
table ou reposer sur le sol ; dans ce cas, ils
elaient d'une hauteur considerable, ei con-
sislaient en une lige haute et elancee, imitant
la tige d'une pianle ; ou bien encore c'elait
une colonne elfilee, surmontee d'un !^liil(>au
rond el plat sur lequel la lampe elait placee. »
70
fiVANGILE SELON S. MARC
22. Car il n'y a rien de cache qui
ne soit manifeste, et rien de fait en
secret qui ne vienne au grand jour.
23. Si quelqu'un a des oreilles
pour entendre, qu'il entende.
24. Et il leur disait : Prenez garde
a ce que vous entendez. D'apres la
mesure avec laquelle vous aurez
mesure les autres, vous serez mesu-
res et il vous sera ajoute.
25. Gar il sera donne a celui qui
a, et a celui qui n'a pas sera 6te
meme ce qu'il a.
26. Et il disait : II en est du
22. Non est enim aliquid abscon-
ditum, quod non manifestetur : nee
factum est occultum, sed ut in pa-
lam veniat.
Matlh. 10,26; Luc.%, 17.
23. Si quis habet aures audiendi,
audiat.
24. Et dicebat illis : Videte quid
audiatis. In qua mensura mensi
fueritis, remetietur vobis, et adji-
cietur vobis.
Matth. 7,2; Lice. 6, 38.
2b. Qui enim habet. dabitur illi :
etqui non habet, etiam quod habet
aufereturab eo.
Matth. 13, 12 et 23, 29; Luc. 8, 18 et 19, 26.
26. Et dicebat : Sic est regnum
11 y avail aussi le candelabre a suspension,
qu'on altachait au plafond ou a la muraille;
voyez lEvang. selon S. Matlh. p. 108. —
Mainlenant, que signifie ce proverbe k la
place que kii assigne S. Marc? Simplement,
que les mysteres du royaume des cieux ne
sent pas destines a demeurer caches. Jesus
les communique a ses disciples pour que
ceux-ci les prechent un jour sur les loits; car
la verile ne doit pas et ne peut pas rester
sous le boisseau.
22. — Non est enim... Meme pensee expri-
meed'une autre maniere : Bienque je vous aie
fait part de ces explications dans le secret,
il faudra que vous les proclamiez ensuite hau-
tement en tons lieux, car ma volonte est
qu'elles soient partout divulguees. Dans le
T|r. 21, Jesus s'etait servi d'une comparaison
familiere ; ici il emploie une forme para-
doxale : ces deux vetemenls donnent beau-
coup de relief a I'idee.
24. — Et dicebat illis. « Familiaris est
Marco ista transilio, qua vel diversos sermo-
nes, vel diversas ejusdem sermonis partes
connectit », Rosenmiiller. Scholia in Marc.
c. III. — Videte quid audiatis. Comme Jesus
insiste sur la necessite de Tallention! Ne ve-
nail-il pas, au t- precedent, de repeter la
formule deja employee un peu plus haut,"?. 9?
Cfr. t. 3. Mais ce qu'il dit est de la derniere
importance pour les siens. « Praedixerat sua
omnia in lucem suo tempore proferenda et
divulganda ; et quia mens ejus erat ul hoc
fieret per discipulos, serio admonet eos ut
doctrinam allentis animis quam diligenlis-
sime audi rent. » Fr. Luc. — In qua men-
sura... Le Sauveur motive sa pressanle invi-
tation, et indique en meme temps quelle
grande recompense il tient en reserve pour
les predicateurs diligents de la parole divine.
« Quantum tidei capacis afferimus, tantum
gratise inundantis haurimus ». S. Cyprien.
Si les membres de I'Eglise enseignante sont
atfentifs a I'Evangile, ils sauront mieux le
faire gouter aux fideles, etplus leur zele aura
ete aclif. plus leur couronne sera belle dans
le ciei. Eiiiployons done de larges mcsures,
puisqu'elles serviront un jour a fixer notre
part de gloire et de bonheur et d'amour!
25. — Quatrieme proviMbe, qui appuie et
developpe le troisieme. de meme que le se-
cond (t. 22) avait prouve et explique le pre-
mier [t. 21). Sa signification est claire, et
juslifiee par miilo fails d'experience journa-
liere. Vovez rexplication du premier Evan-
gile, p. 264. Ajoutons une reflexion tres-juste
du P. Patrizi, In Marc. Comment, p. 46 et
suiy. : « Ceterum, quum proverbia rei de qua
agitur ita accomodentur ut illam polius ora-
torie exornent atque illustrent. quam omni-
modiscertam atque indubiam efficiant, oorum
interpretalio non ad amussim, ul ita dicam,
exigenda est, sed significationis summa quae
eidem illi rei respondeat colligenda. » D'a-
pres cetle regie, voici quel ncus semblerait
etre le sens special du proverbe dans noire
verset : Quiconque est attentif croil chaque
jour dans la connaissance desdivins mysteres
et devient plus capable de la communiquer
aux autres ; celui qui est inattenlif oublie tout,
car il perd bientot le peu qu'il possedait.
Avis aux pretres qui seraient tentes de ne-
gliger I'etude de la parole de Dieu et de la
theoiogie.
e. Parabole du champ de bl^. iv, 26-29.
Comme nous I'avons dit, cette petite para-
bole n'a ete conservee que par S. Marc, cir-
CHAPITRE IV
71
Dei, queraadmodum si homo jaciat
sementem in teriam,
27. Et dormiat, et exurgat nocte
et die, et semen germinet, et incres-
cat dum nescit ille.
28. Ultro enim terra fructificat.
royaume de Dieu comme de la se-
mence qu'im homme jette dans la
terre.
27. Qu'il dorme, qu'il se leva de
nuit et de jour, la semence germe
et croit sans qu'il le sache.
28. Car la terre produit d'elle-
constance qui lui prSte un interet particulier.
Les commentaieurs de I'ecole de Strauss ont
bien essaye de la confondre avcc la paraboie
de I'ivraie, Mallh. xiii, 24-30, que notre Evan-
geliste on la tradition auraient defiguree;
mais la difference des deux pieces est trop
palpable pour que des critiques serieux, sans
prejuges, puissenl jamais songer a admettre
leur identite primitive.
26. — Etdicebat. Cfr. t. 24. Nous repre-
nons la suite du discours, qui avail ete in-
terrompu apres le f. 9, car le recit de
S. Matlhieu, xiii, 31 et 36, suppose claire-
ment que la paraboie du grain de seneve,
racontee par S. Marc apres celle-ci (Cfr. t. 30
et ss.], ful prononcee devant le peuple. —
Sic est regnum Dei. Le royaume messianique,
dans I'ensemble de ses phases terrestres et
avant d'arriver a sa consommation dans le
ciel (Cfr. if. 29). a une ressemblance frappante
avec le fail decrit par Je?us dans les lignes
qui suivent. — Quemadmodum si homo...
Quel est cet homme? C'cst a coup sur Nolre-
Seigneur Jesus-Christ, qu'on a si jusleraenl
appele le divin Semeur. II est venu sur la
terre, et il a repandu abondammenl, surtout
pendant sa Vie publique, la semence par
excellence (il y a dans le grec t6v anopov
avec I'article), de laquelle devail sortir son
royaume.
27. — Et dormiat... Quand un agriculteur
a confie son grain a la terre, il revient chez
lui el se livre a ses occupations accoulumees,
abandonnant le reste aux forces mysterieuses
de la nature el aux soins de la divine Provi-
dence. II a fait tout ce qu'il a pu pour la
reussite de son operation : le reste n'est plus
son affaire. 11 attend done paliommenl que la
germination, puis la crois»ance, puis la ma-
turite, aienl lieu, sans aller comme lesen-
fanls (nous nous souvenons d'avoir agi ainsi
plus d'une fois) remuer la terre de lemps a
autre, pour voir si les graines emettenl un
germe el des racines. — Et exurgat nocte ae
die. Celtc polite description est vivante elpit-
toresque. Naturellement, « nocte » retombe
sur le verb.! « dormiat », « die s sur « exur-
gat » : cost une sorte d'hendiadys, — Et
semen germinet Tandis que le semeur
vaque a ses aulres iravaux, la graine, qui
se.mble pourtant inactive, est I'objet d'ope-
ralions aussi multiples qu'admirables. Dou-
cement echauffee par les forces fecondantes
du sol, humeclee par la rosee ou par les
pluies, elle eclate, emel en haul el en has de
petits organes qu'elle tenail soigneusement
caches dans son sein; bienlol elle finil par
percer le sol. — Dum nescit ille. Assure-
menl, le semeur n'esl pas demeure indiffe-
rent au sort du grain qu'il avail jete en terre.
II y a souvent pense avec le plus vif interet;
neanmoins, a part une protection generals
qui ne va pas bien loin, tout ce qui advient
apres les semailles est place en dehors de son
controle, comme aussi en dehors de sa science.
Mais ce trail peul-il bien s'appliquer au
Christ? Plusieurs auteurs, croyant qu'il elait
impossible de le concilier avec les perfections
de sa nature divine, ont pense a tort que la
paraboie ne le designait nullemenl, et ils en
ont aussitol reslreinl I'application aux Apo-
tres et aux autres predicateurs de I'Evangile.
D'aulres ont suppose que les details contenus
dans ce versel ne sont que des ornements
accessoires, une sorte de draperie exterieure,
et qu'ils n'onl aucune importance relative-
ment a I'idee-mere. Mais lout ne peut-ilpas
s'expliquer sans exageration d'aucun genre?
Jesus a seme, comme nous le disions en com-
mengant, tanl qu'il a vecu sur la terre : il
posail ainsi les fondemenls de son royaume.
Quand le moment fixe par son Pere ful venu,
il est remonte au ciel, pour n'en redescendr©
visiblement qu'a la fin du monde, quand il
faudra faire la moisson universelle. Entre ces
deux epoques, malgre I'assistance qu'il donne
perpeluellemenl a la divine graine, il res-
semble a un agricidteur ordinaire, qui la laisse
croitre d'elle-aieme a travers mille chances
bonnes el mauvaises. C'est en ce sens qu'il
parait dormir, ignorer.
28. — Ultro enim terra. Dans le grec, Ott
lit auTO[jLdiYi, « sponle », qui est le mot im-
portani du recit. Derive de aOro?, « ipse », et
de I'antique verbe [law, « desidero », il ex-
prime admirablemenlbien la spontaneite avec
laquelle le soin de la terre fail fructifier les
semences qu'on lui confie. Aussi les classiques
grecs el le juif Pliilon I'emploienl-ils dans le
meme sens que notre Evangeliste, pour mon-
Irer qu'apres les semailles la terre agit inde-
pendamment de rhomme et de sa coopera-
72
fiVANGILE SELON S. MARC
meme du fruit, d'abord de I'herbe,
puis un epi, ensuite dans I'epi un
froment plein.
29. Et, lorsqu'elle a produit les
fruits, il J met aussitot la faucille,
parce que c'est le temps de la mois-
son.
30. Et il disait : A quoi assimile-
primum herbam, deinde spicam,
deinde plenum frumentum in spica.
29. Et cum produxerit fructus,
statim mittit falcem, quoniam adest
messis.
30. Et dicebat : Cui assimilabi-
tion. On ne le rencontre qu'en un seul autre
endroit du Nouveau Testament, Act. xii, 10.
— Fructificat ; de nieme en grec, xapTiocpopeT,
avec le sens de ;< proferre ». — Primum
herbam, deinde... Belle gradation, copiee d'a-
pres nature et qui nous montre les trois
principaux elats par lesquels passent les ce-
reales et tous les autres vegelaux du meme
genre, entre le temps des semailles et celui
de la moisson. II y a d'abord I'enfance repre-
sentee par le frais gazon qui sort de terre,
la jeunesse que figure I'epi sortant vigoureux
de sa gaine, enfln la maturile, I'etat parlait.
Car, d'apres le vieux proverbe, « natura
nihil agit per saltum ». II en est de meme
dans le regne spiriluel.
29. — Cum produxerit fructus. D'apres le
grec (oTav oeTrapaSw 6 y.apTr&c), « fructus » est
au nominatif singulier; « produxerit » a le
sens de « se produxerit », ainsi que portent du
reste quelques anciens manuscrits de la Vul-
Igate. La Peschilo syriaque traduit : «Quando
tautem pinguis reddilus fuerit fructus », et la
'version de Philoxene : « Qtiumautera perfectus
fuerit fructus ». Le recit suppose done que
le ble est parfaitomunt mur etqu'il est temps
de le moissonner. — Mittit falcem, iTzoo-zillBi
TO SplTiavov, latinisme de S. Marc, ou plutot
hebraisine de Jesus lui-meme. Cfr. Joel,
in, 13; SjiD "inb'J. La faucille est mention-
nee encore dans un autre passage du Nou-
veau Testament, que nous citons en entier
parce qu'il pent nous aider a mieux com-
prendre celui-ci : « Et je vis : et voila une
nuee blanche et, assis sur la nuee, quelqu'un
de semblable au Fils de I'homme, ayant sur
sa tete unecouronne d'or, et en sa main une
faux tranchanle. Et un... ange sortit du
temple, criant d'une voix forte a celui qui
etaii assis sur la nuee : Lance la faux et
moissonne, car I'heure de moissonner est
venue, parce que la moisson de la terre est
seche. Et celui qui etait assis sur la nuee
jela sa faux sur la terre, et la terre ful mois-
sonnee. » Apoc. xiv, 14-16. Dans noire para-
bole, comme dans ces lignes del'Apocalypse,
la moisson represente done i'epoque de la fin
du monde. Voici maintenant la signification
generale de cette gracieuse histoire de la se-
mence qui croit secretement. On peut sans
doute I'appliquer a chaque ame individuelle
et a I'influence qu"y exerce la parole divine
prechee paries nunislresde I'Evangile. Alors
la morale serait : « Ego (Paulus) planlavi,
Apollo rigavit, sed Dens increnienlum dedit »,
I Cor. Ill, 6. Le predicateur seme le bon
grain, maisce n'est paslui qui le fait germer.
Qu'il n'ait done pas de preoccupation hu-
maine au sujet de son developpement : qu'il
evite de s'inquieter outre mesure, de s'im-
patienter, si la cioissance n'est pas aussi ra-
pide qu'il le souliaiterait, car « la semence
se developpe a son insu ». Ce premier sens
est evidemmenl contenu dans la parabole, et
il est a coup siir tres consolani pour nous,
puisqu'il nous montre I'energie secrete, ener-
gie pourtant ires reelle, de la parole divine,
qui lui fait produire des effels merveilleux
quoique invisibles. Toutefois, on doit ad-
mettre aussi un autre sens plus universel,
qui repond directemenl aux intentions pre-
mieres de Jesus. En cffet, puisque cette para-
bole est rangee parmi celles qui traitent du
royaume des cieux, il est manifesto par la-
meme qu'elle doit s'appliquer avant tout k
I'Eglise, a I'empire messianique considere dans
son ensemble. A ce point de vue, ainsi qu'il
a ete dit dans la note du t. 26, c'est par Nolre-
Seigneur Jesus-Christ lui-meme que la semence
a ete jetee : c'est par lui que la moisson
sera faite a la fin des temps. Enlre ces deux
epoques, le grain qui represente I'Evangile se
developpe lentem'>nt, d'une maniere inde-
pendante de Taction humaine; mais il se de-
veloppe surement, il a ses Bvolulions succes-
sives, ses progres magnifiques, qui font que
I'Eglise du Christ, d'abord semblable a I'hum-
ble gazon qui sort timidement du sol,devient
ensuite peu a pen un riche epi, qui se courbe
sous le poids du ble qu'il conlient. Ainsi
comprise, cette parabole ajoute reellement
une idee neuve aux sept autres (Voyez I'Evan-
gile selon S. Matih. p. 281), et c'est pour cela
que I'Esprit Saint nousl'a conservee par I'in-
termediaire de S. Marc.
f. Parabole du grain de se'nevi. iv, 30-32. — Parall
Matth. sill, 31-32; Luc. xm, 18-21.
30. — Cui assimilabimus... aut cui paror-
holes... Ces formules sont destinees lout a la
CHAPITRE IV
73
mus regnum Dei ? aiit cui parabolse
comparabimus illud ?
31. Sicut granum sinapis, quod
cum seminatum fuerit in terra, mi-
nus est omnibus seminibus, quae
sunt in terra :
Matth. 13, 31; Luc. 13, 19.
32. Et cum seminatum fuerit, as-
cendit, et fit majus omnibus oleri-
bus, et facit ramos magnos, ita ut
possint sub umbra ejus aves coeli
nabitare.
33. Et talibus multis parabolis lo-
rons-nous le royaume de Dieu? Ou
a quelle parabole le comparerons-
nous?
31. II est comme le grain de se-
neve qui, lorsqu'on le seme dans la
terre, est la plus petite de toutes
les semences qui sont dans la terre;
32. Et, lorsqu'on I'a seme, il
monte et devient plus grand que
toutes les plantes et pousse de
grands rameaux, de sorte que les
oiseaux du ciel peuvent habiter sous
son ombre.
33. Et il leur annoncait la parole
fois a relever I'attenlion des auditeurs et
a menager une Iransilioii entre deux idees
dislincles. Elles elaienL fiequemment em-
ployees par les Rabbins. — La parabole
precedenle nous avait reveie la croissance
iniperceplible du royaume des cieux sur la
terre, les revolutions inlerieures produites par
I'Evangile, soil dans le inonde en general, soit
dans chaque ame en particulier. Celle-ci
nous fait assister a ses progres exterieurs et
visibles.
31 et 32. — Voyez les details dans I'Evan-
gile selon S. Matlhieu, p. 272. S. Marc, bien
que son recit soit conl'orme aux deux autres,
a quelques petites varianles quilui sont pro-
pres. II dit que la graine fut semee in terra;
S. Matlhieu et S. Luc ont employe des ex-
pressions moins vagues : « in agro suo »,
« in hortum suum ». En revanche, il exprime
par deux traits piltoresques le merveilleux
developpemenl de la planle; d'une part facit
ramos magnos; de I'aulre les oiseaux vien-
nent se refugier in umbra ejus. Nous avons
vu de nos propres yeux, dans I'ile d'Oleron,
de nombreux echantillons de la « sinapis
nigra » parvenus a des dimensions presque
aussi surprenantes que celles qui ont ete men-
tionnees dans le conimintaire sur S. Malthieu,
p. 272. — « Sicut granum sinapis prima
ironle speciei suae esi parvum, vile, despe-
ctum, non saporem prsestans, non odorem
circumferens, non indicans suavitalem : at
ubi teri coeperit, statim odorem suum fundit,
acrimoniam exhibet, et tanlo fervoris calore
succendilur, ul mirum sit in tarn frivolis
(granis) tantum ignem fuisse conclusum...
Ita ergo et fides Christiana prima fronte vide-
tur esse parva, vilis et tenuis, non potentiam
suam oslendens, non superbiam prseferens,
r.on gratiam subministrans ». S. August.
Sermo lxxxvii, Appendix. Les Peres aiment
en general a relever, a propos de celte pa-
rabole, la verlu cicre et brulante de la graine
de moularde (t6 Ttuppaxecxai aOoxyipov, S. Ire-
nee); Cfr. Tertull. adv. Marc, iv, 30. Nean-
moins ce n'est pas sur ce point special que
Jesus appuie dans sa comparaison, mais sur
I'enorme difference qui existe entre une si
petite graine et la piante vigoureuse qu'elle
produit. Le divin Maitre aurait pu choisir
d'autres graines, celle du cedre par exemple
et signaler des disproportions encore plus
etonnanles; toutefois il convenait mieux a
son but de signaler Fun des vegetaux les plus
insignifiants. — Voir dans Didron, Iconogra-
phie chrelienne, p. 208, I'usage frequent que
I'arl Chretien a fait de cette parabole. Sup-
posant avec justesse que le grain de senev^
symbolisait Jesus lui-meme, du sein duquel
etait sortie peu a peu I'Eglise entiere, on se
plaisait autrefois a representer « le Christ
dans un tombeaurde sa bouche sort un arbre
sur les branches duquel sent les Apotres. »
g. Autres paraboles de J^sus. iv, 33-34. — ParalU
Matth. xui, 34-35.
33. — S. Marc, de meme que S. Matthieu,
rattache a la parabole du grain de seneve une
reflexion generale, dans laquelle il faitressor-
tir la coulume que prit alors Notre-Seigneur
d'enseigner sous forme de paraboles. Seule-
ment, landis que le premier Evangelists,
apres avoir signale cette circonstance, montre
le rapport qu'elle avait avec une prophetic
de I'Ancien Testament, le notre etablil un con-
traste entre I'enseignement public de Jesus
et son enseignement prive. Les deux nar-
rations se complelent ainsi I'une I'autre. —
Talibus multis... S. Marc insinue par la-mSme
qu'il n'a communique a ses lecteurs qu'un
simple extrait tres abrege des paraboles du
Sauveur. — Loquebalur eis. Le pronom « eis»
74
fiVANGILE SELON S. MARC
avec beaucoup de paraboles sem-
blables, selon qu'ils pouvaient Ten-
tend re.
34. Gar il ne leur parlait pas sans
paraboles, et en particulier il expli-
quait tout a ses disciples.
35. Et il leur dit ce meme jour,
lorsque le soir fut venu : Passons a
I'autre bord.
36. Et, renvoyant la foule, ils
Temmenerent dans la barque tel
qu'il etait, et d'autres barques le
suivaient.
quebatur eis verbum,
rant audire :
prout pote-
34. Sine parabola autem non lo-
quebatur eis : seorsum autem disci-
pulis suis disserebat omnia.
35. Et ait illis in ilia die, cum ser(
asset factum : Transeamus contra
36. Et dimittentes turbam, assu-
munt eum ita ut erat in navi : et
aliae naves erant cum illo.
Mauh. 8, 23 ; Luc. 8, 22.
designe la masse du peuple : cela ressort tres
claiiement du t. 34, ou ce meme pronom est
mis en opposition avec «discipulis suis ». —
Prout poterant audire. « On explique ceci de
deux manieres. Selon qu'ils pouvaient I'en-
tendre, c'esl-a-dire, selon leur porlee. Jesus-
Christ se proporlionnait a la capacite de ses
audileurs, se rabaissant a leur peu d'inlelii-
gence pour leur etre utile, et prenant ses
paraboles des choses communes et triviales.
D'autres I'expliquent dans un sens tout con-
traire : il leur parlait suivant leur disposi-
tion, il leur decouvrait les verites comme ils
etaient dignes de les ecouter. Leur orgueil,
leur peu de docilite ne meritaient pas d'etre
mieux traites, ni de recevoir une plus grande
intelligence. » D. Calmet, Comm. litter, sur
S. Marc. Ledocte exegete dit ensuile, en par-
lant du second sentiment : « C'est la vraie
explication de cet endroit. » Nous le croyons
comme lui d'apres le contexte, puisque Jesus
a dit nettement plus haut, ft. li et 4 2, que
la nouvelle forme donnee a son enseignement
avail un caraclere penal.
34. — Sine parabola non loquebatur eis.
Expression tres-energique : il ne faudrait
cependantpas en trop presser la signification,
car, selon la juste remarque deD. Calmet, I.e.,
toutes les fois qu'il s'agissait de verites pra-
tiques et morales, le divin Maitre employait
toujours un langage clair et simple. II semble
done qu'il est bon de restrjindre au dogme,
et plus specialement au royaume des cieux,
k I'etablissement de I'Eglise, la note de I'e-
crivain sacre. — Seorsum autem discipulis...
j xat' toiav to"? ISioi? (AaS^Tarc, d'apres les ma-
nuscrits B, C, L. A. Celte legon. qui semble
authenlique, joue sur les mots d'une maniere
interessanle : en particulier a ses disciples
particuliers. — Disserebat omnia. Ici encore,
le texte grec emploie une expression qui me-
rite d'etre signalee : c'est le verbe iitilve., « il
resolvait comme une enigme », qu'on ne
trouve nulle part aiUeurs dans le Nouveau
Testament. Mais S. Pierre, dans sa seconde
Epitre, i, 20, ayant a parler de I'interpreta-
tion, fait precisement usage du subslantif
imlvGic., derive de eTiiXuw. Lis critiques n'ont
pas manque de relever ces deux expressions,
pour montrer les ressemblances de style qui
existent entre I'Evangile selon S. Marc et les
ecrits de S. Pierre.
10. — La tempSte apals^e. iv, 35-40. — Parall.
Matth. VIII, 23--27; Luc. viii, 22-25.
35. — In ilia die, cum sera esset factum.
Tandis que les deux autres synoptiques ne
signalent que d'une maniere tres-vague la
date de ce prodige, S. Marc la precise avec
une grande netlete. C'etait le jour meme oil
Jesus s'elait defendu centre les Pharisiens de
chasser les demons grace au concours de
Beelzebub, iii, 20 et ss., le jour meme oil il
avait inaugure son enseignement sous la
forme de paraboles, iv, 1 et ss. Cette jour-
nee avait ete bien fatigante pour le divin
Maitre; neanmoins, le soir venu. il dit a ses
disciples : Transeamus contra , 5ii>3oi\i&^ di -zo
Ttepav, allons de I'autre cote du lac. Jesus
etant aupres de Capharnaiim quand il donna
cet ordre, et Capharnaiim etant situe sur la
la rive occidentale, cela revenait a dire :
Allons sur la rive orienlale, en Peree. Ce fut
la un voyage celebre, accompagne de toute
espece de miracles, bien qu'il n'ait dure
qu'un jour et une nuit. Jesus y trouva I'oc-
casion de manifester sa puissance divine de
quatre manieres differentes. II montra d'a-
bord qu'il etait le roi de la nature, iv, 35-40 ;
il serevela ensuite tour a tour comme roi des
esprits, v, 4-20, comme roi des corps et
comme roi de la mort et de la vie, v, 21-43.
36. — Et dimittentes turbam. Les disciples
congedient doucement la foule, en lui disant
que le Maitre va partir. Cela fait, assumunt
eum ita ut erat, c'est-a-dire, « sine ullo ad
iter apparatu, » Wetstein. « Elegans est di-
dicendi genus, ecrit Wolf au sujel do cette
37. Et facta est procella magna
venti, et fluctus mittebat in navim,
ita utimpleretur navis.
38. Et erat ipse in puppi, super
cervical dormiehs ; et excitant eum
et dicunt illi : Magister, non ad te
pertinet quia perimus?
CHAPITRE IV 75
37. Et il s'eleva un grand four-
billon de vent, qui jetait \e?, flots
dans la barque, de sorte que la
barque s'emplissait.
38. Et il etait a la poupe, dor-
mant sur un oreiller; et ils le re-
veillent et lui disent : Maitre, vous
est-il indifferent que nous peris-
sions?
expression, quod de personis usurpari solet,
quas significare volumus in eodem habilu
quo tunc forte eranl perseverasse. » Le de-
part fut done immediat. Da reste, Jesus etait
deja lout embarque d'apres iv, 1. Plus loin,
VI, 8, nous verrons le Sauveur recommander
h ses Apotres de se mettre en route sans au-
cun preparatif, quandils entreprendront leurs
premiert s missions : il commence par pre-
ther d'exemple. « Coepil facere et docere. »
— Et dice naves... Ces autres barques, qui se
mirent a la suite de celle qui portait Jesus,
contenaient des disciples desireux de ne pas
se separer du Sauveur. La petite flottille fut
probablement dispersee par I'orage, car, au
debarquement, Jesus parait avoir ele seul
avec les Apotres.
37. — Et facta est procella... Voyez I'E-
vangile selon S. Matthieu, p. 163 et ss. La
description de la lempete est encore plus vi-
vanle dans le recit de S. Marc que dans les
deux autres : surtout d'apres le texte grec,
ou phisieurs des verbes sent au temps pre-
sent : xal Ytve-rat XaO.at}/. • • w<Jt£ auTo (to tvXoTov)
■jiSyi yz\i.ii^za^c).i . Le mot XaiXai]^, egalement em-
ploye par S. Luc, est tres-expressif : Hesychius
le definit av£'[i.ou ffuaTpoqir) (jieQ' uetoO . H designe
une de ces violentes tempetes qui se dechai-
nent en un din d'oeil sur le lac de Gennesa-
reth, « les gorges voisines servant comme de
couloirs pour amener le vent des monta-
gnes ». Tristram, Land of Israel, p. 43. —
Fluctus mittebat : d'apres le grec, il faudrait
« fluctus sese mittebant... », les vagues bat-
taient fortement la nacelle. Dans notre traduc-
tion latine, « fluctus » est a I'accusatif pluriel
et le verbe « mittebat » depend de « procella. »
38. — Et erat ipse in puppi... Comme
S. Marc a bien note toutes les circonstances!
S. Matthieu et S. Luc se contentent de men-
tionner le sommeil de Jesus; mais, a ce fait
principal, notre evangelisle a ajoute deux
traits particuliers qui font revivre pouf nous
la scene enliere. II signale d'abord la partie
de la barque ou se trouvait Jesus : c'etait la
poupe qui est habituellement reservee aux pas-
sagers dans les bateaux de petite dimension,
parce que le tangage s'y fait moins senlir.
II decrit ensuite I'attitude du divin Maitre :
super cervical dormiens, en grec to upooxefa-
>aiov avec I'article, le coussin qui se trouvait
dans la barque. Jesus, fatigue par ses tra-
vaux de la journee, a appuye sa tete sur un
coussin, et il s'est bientot endormi. Quel
doux tableau! Michaelis I'a depoetise en sup-
posant sans la moindre raison que le Sau-
veur s'etait charge du gouvernail, mais que
le sommeil I'avait tout a coup gagne parmi
ses fonctions de pilote. Jesus dormait pendant
I'orage, Jonas aussi; de la le rapprochement
suivant elabli par S. Jerome, Gomm. in
Matlh. VIII, 24 : « Hujus signi typum in Jona
legimus, quando ceteris periclitanlibus ipse
securus est, et dormit, et suscitalur; el im-
perio et Sacramento passionis suae liberal
suscitantes. » Autre reflexioi\ interessantft '.
« Hie ille unus Evangeliorum locus est in
quo Jesum dormienlem invenimus. Expedit
quippe hujusmodi locos notare in quibus is
humanum quid agens aut paliens invenitur. »
Palrizi, in Marc. Comm. h. I. Nous aimons
a nous rappeler encore Tinterprelation mys-
tique de quelques Peres, d'apres laquelle le
coussin de Jesus n'est autre que le bois sa-
cre de la croix, sur lequel il s'endormit pen-
dant sa Passion. Satan profita oe ce som-
meil pour susciter une lempete terrible contra
lEglise naissante; mais Jesus s'eveilla par
la Resurrection, et fit immedialement cesser
I'orage. — Et excitant eum. Les disciples, se
croyant perdus, ont recours a Celui dont ils
connaissenl deja la toute-puissance. — Ma-
gister, non ad te pertinet... Ce cri indique de
la part de ceux qui le poussaient un mou-
vement d'impatience cause par I'imminence
du peril : S. Marc seul nous I'a conserve sous
cetie forme caracteristique. D'apres S. Mat-
thieu, les Apotres auraienl dit : « Domine,
salva nos, perimus » ; d'apres S. Luc, plus
simplement encore: « Praeceptor, perimus ».
Un le voit, ce ne sont pas uniquement des
variantes dans les paroles, mais de vraies
divergences dans le ton, dans les sentiraenls.
II est probable que les trois phrases furent
prononcees en meme temps, chaque disciple
parlant alors d'apres le sentiment qui domi-
nail en lui.
39. — Et exurgens cowminatusesf... Quelle
76
CHAPITRE IV
39. Alors, se levant, il menaca le
vent et dit a la mer : Tais-toi, si-
lence! Et le vent cessa, et il se fit
un grand calme.
40. Et il leiir dit : Pourquoi etes-
vous effrayes? N'avez-vous point
encore la foi? Et ils furent saisis
d'une grande crainte, et ils se di-
saient I'un a 1' autre : Qui penses-tu
que soit celui-ci, puisque et le vent
et la mer lui obeissenf?
39. Et exurgens comminatus est
vento et dixit mari : Tace, obmu-
tesce. Et cessavit ventus, et facta
est tranquillitas magna.
40. Et ait illis : Quid timidi es-
tis ? necdum habetis fidem ? Et ti*
muerunt timore magno, et dicebani
ad alterutrum: Quis, putas, est iste,
quia et ventus et mare obediunt ei?
majesle dans celle altitude de Jesus! Quelle
majeste dans ses paioles! Tace, obmutesce,
s'ecria-l-il, parlaiil a la mer et employant
deux verbes synonymes pour imprimer plus
d'energie a son commandement. S. Marc si-
gnals seul les paroles du Thaumaturge. Re-
marquons la gradation qui exisle dans les
ordres du Sauveur : il commence par menacer
le vent, qui elail cause de la tempeie; il im-
pose ensuite silence aux flots courrouces, les
reprimandant comme un mailre fail ses eco-
liers rebelles. II y a la deux belles personnifi-
cations des forces de la nature. — Cessavit
ventus : dans le grec, exouadsv, mot extraor-
dinaire, qui n'est employe qu'a trois reprises
dans le Nouveau Testament (ici, vi, 54 el
Matth. XIV, 3"2) et qui indique un repos pro-
venant d'une sorte de lassitude. — Tranquil-
litas magna : Ya).r,vr) du grec s'applique specia-
lemenl au calme de la mer et des lacs. Le
vent s'est soumis a la parole toute-puissante
de Jesus : les flots obeissent a leur tour, el,
contrairement a ce qui se passe d'ordinaire en
pareil cas, reprennent aussitot un equilibre
parfail. Quand Jesus guerissait les malades,
il n'y avail pas de convalescence; quand il
apaise une tempeie, il I'arrele brusquement
sans transition.
40. — Les disciples meritaient aussi des
reproches : Jesus les leur adresse pour leur
instruction. — Necdum habetis fidem? La Re-
cepla porta : ■kSh; oOx exete TtidTiv ; Comment
n'avez-vous pas la foi? Mais les manuscrils
B, D, L, Sinait., ontla varianle ouTtw, que les
versions copte et italique ont lue de meme
que la Vulgate. « Si les disciples avaient eu
la foi, ils auraienl ete persuades que Jesus
pouvail les proleger, quoique endormi ».
Theophylacte. — Et timuerum timore ma-
gno... Dans le texte grec, ces mots commen-
cent un nouveau verset, qui est le 41 e du
chapitre iv. — La crainte envahit une se-
conde fois I'cirae des Apotres, mais c'est une
crainte d'un autre genre : precedemment,
t. 38, ils avaient eu peur de i'orage qui me-
nagait de les engloutir; mainlenant, le mi-
racle si eclatant de Jesus les remplit d'un
effroi surnaturel et, se faisant part de leurs
impressions, ils se demandent les uns aux
auires : Quis, putas, est iste... Precedemment,
I, 27, apres la guerison d'un demoniaque, les
assistants s'etaient ecries : « Quidnam est
hoc? » Aujourd'hui, I'attenlion est plutot di-
rigee sur la personne meme de Jesus : Que
doit elre celui qui opere de tels prodiges?
— TerluUien, adv. Marc, iv, 20, rapproche
ce miracle de plusieurs passages propheti-
ques : « Quum transfretat (Jesus) , psalmus
expungitur, Dominus, inquit, super aquas mul-
tas (Ps. xxviii, 3) : quum undas freli discu-
tit, Habacuc adimpletur, Dispergens, inquit,
aquas itinere (Hab. in, 15) : quum ad minas
ejus eliditur mare, Nahum quoque absolvitur,
Comminans, inquit, mari et arefaciens illud
(Nah. I, 4;, utique cum ventis quibus inquie-
tabatur. »
fiVANGILE SELON S. MARC
17
CHAPITRE V
J^sus passe dans la region des Gadareniens, ou il guerit un deraoniaque au milieu de cir-
conslances exlraordinaires [tt. 1-17). — A son depart, il charge celui qu'il a gueri de
precher rEvangile dans la contree {tf. 18-20). — Quand il debarque sur la rive occiden-
tale. un chef de synagogue le supplie de rendre la sanle a sa fille mourante [tt. 21-24).
— En se rendant chez Jaire, Jesus guerit I'heinorrhoisse (tt. 23-34). — « Talitha curai »
(tt. 33-43).
1 . Et venerunt trans fretum maris
in regione Gerasenorum.
Match. 8, 28; Luc. 8, 26.
2. Et exeunti ei de navi statim
occurrit de monumentis homo in
spiritu immundo,
1 . Et ils vinrent, en traversant la
mer, dans le pays des Geraseniens.
2. Et, comme il sortait de la bar-
que, tout a coup vint a lui du milieu
des tombeaux un homme possede
d'un esprit immonde,
11. — L.e d^moniaque de Gadara. t, 1-20.
Parall. Malth. Tin, 28-34; Luc. viu, 26-39.
Nous trouvons ici la plus merveilleuse de
toutes les guerisons de demoniaques operees
par Jesus. Le recii tres detailie de S. Marc
renouvelle en quelque sorte sous nos yeux
eel incident grandiose, ou le caractere mes-
sianique et divin du Sauveur se manifeste
avee lant d'evidence. Les traits propres a
noire Evangeliste apparaissent presque a
chaque verset. Bornons-nous a signaler les
principaux. t. 4 : « nemo poterat eum do-
mare » ; *. 3 : « in montibus erat, damans
et concidens se lapidibus »; t. 6 : « videns
Jesum a longe, cucurrit n ; t. 1 : <■( damans
voce magna » : « adjuro te per Deum vivum »;
t. 10 : (' deprecabatur eum multum ne se
expelleret extra regionem »; t. 13 : « ad duo
millia »; t. 20 : « coepit praedicare in Deca-
poli. »
Chap, v, — 1 . — Trails fretum maris :
sur la rive orientale ; ou mieux encore, d'a-
pres I'opinion commune, dans la contree
situee au S.-E. du lac. — In regionem Gera-
senorum. Nous avons fait connaitre, dans
notre commentaire sur S. Matlh. p. 167, les
differenles legons du texte grec, des versions
et des Peres relativemenl a ce nom propre,
(ra5apr(Vtov,repaoyivwv,r£pYE<jrjV(JJvl et ia grande
dilTiculle quelles creent a I'exegete. Notre
choix s'est alors porte sur Gadara. II est venu
depuis a notre connaissance que plusieurs
commentateurs ou geographes (Weiss, Volk-
mar, Farrar, Tristram, Cook, Thomson) re-
viennent a I'opinion d'Origene, I'un d'eux, le
Dr Tiiomson, ayanl decouvert aupi-e> de
I'ouadi Semak, en face de la plaine de Tibe-
riade, les ruines d'une ville que son guide
arabe nomma Kersa ou Ghersa, et qu'il n'he-
site pas a identifier avec I'antique Gergesa
oil Je,-us, selon le grand interprete alexandrin,
aurait gueri le demoniaque. Cfr. The Land
and the Book, Lond. 1876, p. 373 et ss. « La
ville est situee a quelques metres du rivage
et, immediatement au-dessus d'elle, se dresse
une montagne enorme dans laquelle sont
d'anciens tombeaux... Le lac est si rapproche
de la ba>e dela montagne, que les pourceaux,
se precipitant en bas tout affoles, eussent ete
dans I'impossibilite de s'arreter; necessaire-
ment ils devaient tomb?r dans le lac et s'y
noyer. » Nous admetlons sans peine que cette
decouverte semble favoriser I'opinion d'Ori-
gene, et que le site decril par i\L Thomson
concorderait mieux que le lerritoire de Ga-
dara avec la narration evangelique. Toutefois
le texte sacre n'exige nullement que la ville
fut tout a fait sur lesbords du lac, et les guides
arabes ont si frequemment donne de fausses
indications sur les vieilles localites de la Pa-
lestine, qu'il y a tout interet a ne pas se
presser trop pour les adopter.
2. — Exeunti ei. D'apres le grec, « egresso
ei » (£$£),e6vTi a-jTw) : c'etail done quelques
instants apres le debarquement de Jesus et
des Apotres. — Homo in spiritu immundo.
Cfr. I, 23 et I'explication. Un homme au
pouvoir du demon , I'esprit immonde par
excellence. S. Matlhieu mentionne deux pos-
sedes (voir le commentaire, p. 167 et s.);
S. Marc et S. Luc nen presentenl qu'un du-
rant toute la scene qui va suivre : c'etait
probablement le plus celebre. « Intelligas
unum eorumfuisse personae alicujus clarioris
78
fiVANGILE SELON S. MARC
3. Qui faisait sa demeure des
tombeaux, et personne ne pouvait
plus le lier avec des chaines;
4. Gar, souvent attache avec des
chaines et des entraves, il avait
rompu les chaines et les entraves,
et personne ne pouvait le dompter.
8. Et, le jour et la nuit, il etait
toujours dans les tombeaux et sur
les montagnes, criant et se meur-
trissant avec des pierres.
6. Or, voyant Jesus de loin, il ac-
courut et Tadora.
7. Et, criant d'une voix forte, il
dit : Qu'y a-t-il entre moi et toi.
3. Qui domicilium habebat in mo-
numentis, et neque catenis jam quis-
quam poterat eum ligare,
4. Quoniam ssepe compedibus et
catenis vinctus, dirupisset catenas,
etcompedes comminuisset, et nemo
poterat eum domare.
b. Et semper die ac nocte in mo-
numentis et in montibus erat, da-
mans, et concidens se lapidibus.
6. Videns autem Jesum a longe,
cucurrit, et adoravit eum ;
7. Et damans voce magna, dixit:
Quid mihi et tibi^ Jesu Fill Dei al-
et famosioris, quern regio ilia maxime dole-
bat. » S. August, de Cons. Evang. ii, 24.
Voyez dans Lightfoot, Horse talm. in Marc.
V, 4, un ^ingulier essai de conciliation.
3-5. — Ces trois versets contiennent une
description pitloresque du caractere sauvage
et farouclie de notre demoniaque. Savie etait
un perpeluel paroxysme de folie furieu^e, ce
qui faisait de lui un objet d'effroi et d'hor-
reur pour toute la contree. — In monumenlis.
Cfr. t. 5. Les vastes chambres sepulcrales
creusees dans le roc aux environs de Gadara,
tel etait son domicile habituel ; preuve qu'il
avait completement abandonne la sociele des
hommes. L'esprit impur qui le dominait lui
faisait hanter les tombeaux. — Neque catenis
jam... Ainsi portent les meilleurs manuscrits
grecs, oOoe... ouxexi. Cfr. Tischendorf, Nov.
Testam. La « Recepta » a simplement oiixz.
Le contexte est favorable a la legon de la
Vulgate ; les details suivants niontrent en
effet le motif pour lequel on avait « desor-
mais » cesse d'enchainer le demoniaque. Des
experiences reilerees avaient prouve que
c'etait inutile. — Quoniam scepe... « Dans la
civilisation si vantee de I'antiquite, dit juste-
ment M. Farrar, Life of Christ, t. i, p. 334,
il n'y avait ni hopilaux, ni etablissements pe-
nitentiaires, ni asiles ; et les infortunes de
celte espece, trop dangereux pour qu'on les
tolerat dans la societe, etaient simplement
expulses d'aupres de leurs semblables : pour
les empecher de nuire, on employait a leur
egard des mesures a la fois insuffisantes et
cruelles. » II fallait le Christianisme, et sur-
tout le Catholicisme, pour creer des refuges a
ces etres malheureux. — Compedibus designe
des entraves mises autour des pieds et des
jambes, catenis des liens ou des chaines qui
attachaient les mains et les bras, peut-iitre
aussi le corps. — Dirupisset catenas... Rendu
plus furieux encore par ce traitement, le pos-
sede, dont le demon centuplait les forces
musculaires, mettait en pieces chaines et en-
traves. Ainsi done, comme Fajoute I'Evange-
liste, « personne n'avait reussi a le dompter. »
— In montibus. Quand il n'elail pas cache
danslessepulcres, on le voyait courant comme
un forceneii travers les montagnes qui bordent
les rives orienlales de la mer de Galilee. Alors
il poussait de grands cris , bien plus, il se de-
chirail le corps en se frappanl avec des pierres.
Affreux spectacle, qui prouve jusqu'a quel
point ce malheureux etait au pouvoir du d^-
mon. Un Evangile apocryphe, faisant allusion
a cette lamentable histoire des possedes de
Gadara, note un autre trait caracleristique ;
<j'ao>co9aYouvTa; iwv IScwv (aeXwv. Cir. Thllo,
Co'd. Apocr. t. I, p. 808.
6 et 7. — Mais voici que le Liberateur se
presente, et le demoniaque, un instant calme
par son influence qui se fait sentir au loin
(videns... Jesum a longe), accourtau-devant de
lui et se prosterne a ses pieds. — Quid mihi
et tibi? Cfr. i, 24. Qu'avons-nous de com-
mun? Pourquoi ne me laissez-vous pas en
paix?On le voit, c'est le demon qui reprend
son empire, et qui parle par la bouche du
possede. — Jesu, Fill Dei altissimi. C'est la
premiere fois que Dieu regoit ce nom dans
les ecrits du Nouveau Teslament : mais il
I'avait frequemment porte sous I'ancienne
Loi. Deja, Melchisedech nous a ete presente,
Gen. XIV, 18, comme pretre "IVTJ IN, c'est-a-
dire du Dieu tres haut. Les prophetes etles
poetes sacres ont oepuis repete sans cesse
que le Seigneur est El-Elyon. Cfr. Deut.
xxxii, 8; Is. XIV, 44; Thr. in, 35; Dan. iv,
47, 24, 32, 34; vii, 48, 22, 25; Ps. vii, 47;
IX, 2; XVIII, 43; xlvi, 4, etc. A lui seul,
1 auteur de I'Ecclesiastique a repele ce litre
quaranle fois au moins. Les demons le con-
CHAPITRE V
79
tissimi? adjurole perDeum, ne me
torqueas.
8. Uicebat enim illi : Exi, spiritus
immunde, ab homine.
9. Et interrogabat eiim : Quod
tibi nomen est ? Et dicit ei : Legio
mihi nomen est, quia multi sumus.
10. Et deprecabatur eum multum,
nese expelleret extra regionem.
11. Erat autem ibi circa montem
grex porcorum magnus, pascens.
Jesus, fils du Dieu tri^s-haut? Je
t'adjure par Dieu, ne me tourmente
pas.
8. Car il lui disait : Sors de cet
homme, esprit immonde.
9. Et il I'interrogeait : Quel est
ton nom? Et il lui dit : Men nom est
legion, parce que nous sommes plu-
sieurs.
10. Et il le priait instamment de
ne pas le chasser hors de ce pays.
11 . Or, il y avait la, au pied de la
montagne, un grand troupeau de
pores qui paissait.
naissent aussi et le donnent a Dieu. Cfr. Luc.
VIII, 28; Act. XVI, 17. Ici, I'esprit impur ose
meme s'en servir pour adresser a Jesus une
adjuration solennelle. — Ne me torqueas. C'est
toujours Satan qui parle ; il sait que Jesus va
I'expulser It*'. 8), et, par une humiliante sup-
plication, il essaie d'echapper a ce sort qui
i'effraie. Selon une belle pensee de S. Jerome,
les demons, semblables adesesclaves fugitifs,
nesongenl, lorsqu'ilsapergoivent leur Maitre,
qu'aux chatiments qui les aitendent. Eux, qui
tourmentent si crueliement les hommes, ils
ont peur d'etre tourmenles a leur tour.
8. — Dkebat enim illi... Motif de cette
adjuration pressante du demon. En cet ins-
tant meme, Jesus lui ordonnait de se retirer.
Habituellement, quand le Sauveur donnait un
ordre de ce genre, il etait aussitot obei : dans
Ja circoiistance presente, il accorda un certain
delai a son ennemi, afin de mieux accomplir
ainsi ses misericordieux desseins.
9. — Quod tibi nomen est? Ce n'est pas
pour lui-meme. assurement, c'est pour les
assistants que Nolre-Seigneur adresse cette
question a I'esprit immonde : il se proposait
par la de faire ressortir la grandeur du mi-
racle qu'il allait accomplir. — Legio mihi
nomen. Nom superbe, que le demon se donne
en ce moment pour braver Jesus. La legion
romaine se composait d'environ 6000 hommes :
les Juifs en avaient tous contemple les rangs
serres et terribles. Aussi employaient-ils vo-
lonliers le mot puS [leghion, caique sur le
nomlatin « legio ») pour expriraer un nombre
considerable. Cfr. Buxtorf, Lexic. rabbin.
p. 4123; Lightfoot, Hor. talm. in Marc, v, 9.
Satan s'en serl de meme pour monlrer que le
possede par I'organeduquel il parlait etait au
pouvoir d'une multitude de demons inferieurs.
— Quia muUi sumus. Exegese du nom que
I'esprit mauvais venait de s'attribuer. Le
pauvre demoniaque avait done ete transfor-
me en un camp satanique ou les demons te-
naient pour ainsi dire garnison. Dieu aime a
s'appeler le Seigneur des armees : le diable
s'arroge ici par bravade un titre analogue ;
mais la legion infernale n'efTraiera point Je-
sus. — Les Evangiles nous offrent d'autres
exemples de possessions multiples dans un
meme individu : Cfr. xvi, 9; Luc. viii, 2;
Matlh. xn, 45.
iO. — Depi^ecabatur eum multum. Le demon
reitere maintenant sa supplique. II y a ici,
comme au t. 9, un changement de nombre,
qui, etrange en apparence, s'explique nean-
moins fort bien par la circonstance indiquee
ci-dessus. Les demons sont une legion : de la
le pluriel « sumus », se (aOtou;); c'est le princi-
pal d'entre eux qui a pris la parole au nom
de tous : de la le singulier « mihi, depreca-
batur. » — Extra regionem. lis se plaisaient
dans cette conlree a moitie paienne, oil ils
pouvaient mieux exercer leur puissance.
« Amare videntur regiones illas prae aliis, in
quibus mores hominum, propter longam con-
suetudinem, perspectiores habent, ac ubi ma-
jor est eis nocendi occasio et spes. » Fr. Luc.
Dans le troisieme Evangile, viii, 31, les de-
mons « rogabant ilium ne imperaret illis ut
in abyssum irent. » Ce sont deux expressions
differentes pour rendre une seule et meme
idde.
11. — Grex porcorum magnus. Sur la pre-
sence des pores en Palestine, voyez I'Evang.
selon S. Matth. p. 169. Nous avons ici un
exemple interessant de I'independance des
trois synoptiques, malgre la grande ressem-
blance de leurs recits. S. Luc, pour designer
I'endroitou paissaient les pourceaux, emploie
simplement le vague adverbe exet, la;S. Mat-
thieu dit que c'etait [laxpav au' auTwv, a une
assez grande distance du groupe forme par
Jesus, ses disciples, le demoniaque et les
autres temoins du prodige; S. Marc concilia
80
EVANGILE SELON S. MARC
12. Et les esprits le priaient, di-
sant : Envoie-nous dans ces pores,
pour que nous entrions en eux.
13. EL Jesus aussitot le leur per-
mit. Et les esprits immondes, sor-
tant du 'possede, entrerent dans les
pores, et le troupeau d'environ deux
mille se precipita impetueusement
dans la mer, et ils furent noyes
dans la mer :
14. Mais eeux qui les faisaient
paitre s'enfuirent et repandirent
cette nouvelle dans la ville et dans
les champs. Et on sortit pour voir
ce qui etait arrive.
J 5. Ils vinrent vers Jesus, et ils
virent celui qui avait ete tourmente
par le demon assis, v^tu et sain
d'esprit, et ils furent saisis de
crainte.
16. Et eeux qui avaient vu leur
raconterent ce qui etait arrive a ce-
lui qui etait possede du demon et
aux pores.
12. Et deprecabantur eum spi-
ritus, dicentes : Mitte nos in porcos,
ut in eos introeamus.
13. Et concessit eis statim Jesus.
Et exeuntes spiritus immundi _in-
troierunt in porcos, et magno im-
petu grex precipitatus est in mare
ad duo millia, et suffocati sunt in
mari.
1 4 . Qui autem pascebant eos, fuge-
runt, et nuntiaverunt in civitatem
et in agros. Et egressi sunt videre
quid esset factum.
15. Et veniunt ad Jesum, et vi-
dent ilium qui a dsemonio vexaba-
tur, sedentem, vestitum, et sanae
mentis; et timuerunt.
16 Et narraverunt illis, qui vide-
rant, qualiter factum esset ei qui
daemonium habuerat, et de porcis.
les deux autres Evangelistes en nous mon-
trant le troupeau h/.zl Trpo; tw 6pet, ibi circa
montem : nolo toiite graphique.
12. — Deprerabantur. Pour la troisieme
fois, le demon s'humilieet implore Jesus. Cfr.
tt. 7 et 10. Ne me tourmente pas, avait-il
demande tout d'abord. Precisant ensuite sa
requete, il avait supplie le Sauveurdele lais-
ser dans le pays. Maintenant il lui dit : Mitte
nos in porcos... II desire posseder les pour-
ceaux, de meme qu'il avait possede jusque
la le demoniaque auquel il sesentait force de
renoncer. Sur le motif de cette singuliere
demande, voyez le comment, sur S. Matth.
VIII, 31.
13. — Concessit eis. « Ite », repondit Jesus
d'apres S. Matthieu, avec un laconisme plein
de majeste. — Les demons proQtent aussitot
de la permission qui leur est accordee.
Exeuntes introieriint : ils abandonnent
Thomme creeal'imagede Dieu,et ils envahis-
sent le troupeau de betes denudes de raison.
— Et magno impetu... Cette scene etrange
esttres bien decrite par les Irois Evangelistes,
qui emploient du reste a peu pres les memes
expressions. Les animaux, devenas furieux
comme i'avait ete autrefois le demoniaque,
tt. 3-5, se lancenta toute vitesse le long des
flancs de la montagne sur laquelle ils pais-
saient. En un clin d'oeil ils roulent dans le lac :
un immense lourbillon est produit, et bientot
I'abime se renferme sur sa proie. — Ad duo
millia. La region qui servit de theatre a cet
evenement a toujours ete celebre par des
troupeaux nombreux . Les bois de chene qu'elle
conlient la rendaient specialement propice a
I'elevage des pourceaux.
14-17. — La nouvelle de cet eclatant pro-
dige, mais aussi de cette perte considerable,
ful portee sur-le-champ a la ville voisine et
dans toute la contree par les bergers epou-
vantes. Les habitants sortirent alors pour
voirle Thaumaturge. Le contraste saisis?ant
qui frappa leurs regards des qu'ils s'appro-
cherent de Jesus est peint au vif par S. Marc.
— Sedentem, vestitum, sanw mentis. Autrefois,
on voyait le possede courir comme un fou a
travers toute la contree, maintenant il est
assis aux pieds de Jesus el se tient aussi pai-
sible qu'un petit enfant; autrefois, dit S. Luc,
VIII, 27, « vestimento non induebatur »,
maintenant il porte les vetpments que Jesus
et les Apolres lui ont donnes; autrefois il
agissaitsous I'empiredu demon, aciuellement
il est rentre dans la pleine possession de ses
facu'.tes. Apres les mots '( sanae mentis », le
texte grec ajoute avec emphase : t6v Ecxr.y.oxa
Tov ),£Y£wva, celui qui avait eu la legion ! —
Et narraverunt illis... Au fur et a mesure que
de nouveaux curieux arrivaienl, les temoins
CHAPITRE y
81
17. Et rogare coeperunt eum ut
discederet de fmibus eorum.
18. Gumque asceiideret navim,
coepit ilium deprecari, qui a dsemo-
nio vexatus fuerat, ut esset cum
illo :
■ 19. Et non dimisit eum, sed ait
illi : Vade in domum tuam ad tuos,
et annuntia illis quanta tibi Domi-
nus fecerit, et misertus sit tui.
20. Et abiit, et coepit prsedicare
in Decapoli, quanta sibi fecisset
Jesus; et omnes mirabantur.
17. Et ils commencerent a prier
Jesus de s'eloigner de leurs confins.
18. Et, comme il montait dans la*
barque, celui qui avait ete tour-'
mente par le demon commenca a le
prier pour rester avec lui.
19. Et il ne le lui permit pas,
mais il lui dit : Va dans ta maison
vers les tiens, et annonce leur tout
ce que le Seigneur a fait pour toi,
et comment il a eu pitie de toi.
20. II s'en alia done et commenca
a publier dans la Decapole tout ce
que Jesus avait fait pour lui, et tous
etaient dans I'admiration.
du miracle leur en exposaient les divers traits,
parlant el du demoniaque et de porcis. Celie
derniere expression forme, dans I'intention de
I'ecrivain sacre, une gradation manil'este. Les
pourceaux, leurs pourceaux! D'abord sinfi-
plement elonnes, les Gadareniens se desolent
maintenant au sujet de la perte qu'ils ont
subie et ils redoutent d'en eprouver d'autres
encore. Aussi conjurent-iis Jesus de quitter
leurs fronlieres. lis ont bien merite, par cette
indigne conduite, que leur nom servit a stig-
matiser quiconque refuse de preter I'oreille a
la saine doctrine ! Cfr. Erasme, Adagia, p. 31 3.
48. — Cumque ascenderet navim. Au mo-
ment oil Jesus allait s'embarquer pour retour-
ner sur la rive occidentale du lac, il se passa
line scene touchante. Celui qui avait ete I'objet
du miracle adresse, lui aussi, une priere au
divin Mailre. Mais que sa demande differs de
celle des Gadareniens! « Rogare coeperunt
eum ut discederet de finibus eorum », lisions-
nous au verset precedent; ici, au contraire,
coepit eum deprecari... ut esset cum illo. II
implorait done la favour d'etre le compagnon
habituel de Jesus, c'esl-a-dire son disciple
dans le sens strict de cette expression. « Si
enim non tanquam discipulus, sed quemad-
modum turba Christum sequebatur, eum
sequi voluisset, ejus injussu facere potuisset,
sicut mulli alii facicbant: discipulus autem
illius esse nisi eo approbante admiltenteque
non poterat. » Maldonat, h. 1. Par cette oft're,
il temoignait sa profonde gratitude a Tegard
de son liberateur. Theophylacle, Eulhymius,
Grotius, etc., supposent sans raisons suffi-
santesqu'il craignait le relour des demons,
et qu'il desirait pour ce motif demeurcr tou-
jours aupres du Thaumaturge.
49. — Non admisit eum. Jesus refuse en
apparence, mais de fait il accorde au sup-
uliant un role plus meriloire et plus utile. —
S. Bible. S.
Annuntia... Aux autres, Notre-Seigneur enjoi-
gnait le silence : il prescrit a celui-ci la pu-
blicite. C'est qu'en Peree Jesus n'avait a
craindre ni les memes inconvenienls, ni les
memes prejuges qu'en Judee ou qu'en Gali-
lee. Dans cette lointaine province, il n'avait
pas beaucoup d'ennemis, et I'enlhousiasme
messianique n'etait guere a redouter. —
Voila done I'ancien hole du demon constitue
Apotre et missionnaire du Christianisme dans
ce district! C'elait une grande misericorde
de Jesus non-seulement pour lui, mais pour
loute la contree. « Repulsus a Gerasenis Do-
minus illos quidem in prsesens, ut meruerunt,
deseruit; quoniam aulem nondum desponderi
salus eorum poluit, reliquit eis Apostolum. »
Fr. Luc.
20. — Et abiit et ca;pit pradicare, Avec
quel zele ne dut-il pas s'acquitter de cette
noble fonction! II parcourut tout le territoire
de la Decapole, raconlant les merveilles qui
avaient ete accomplies en lui. — Sibi fecisset
Jesus. Au verset precedent, selon la juste re-
marque d'Eulhymius, Jesus avait dit : « An-
nuntia illis quanta tibi Dominus fecerit »,
rapportant ainsi par modestie toute la gloire
du miracle a son Pere; mais, dans sa recon-
naissance, I'ancien demoniaque mentionna
I'auleur immediat do sa guerison : il attribue
directement le prodige a Jesus. — Omnes
mirabantur. Tout porto a croire que I'Evan-
geliste ne veut pas soulcment parler d'une
admiration sterile : dans beaucoup de ces
ca3urs sans doute I'etonnement fit place a la ;
foi et a de sinceres conversions. — Voir dans '
les Eludes archeologiq. et iconograph. de
M. Rohault de Fleury, t, I, p. 4 67, d'an-
ciennes et nai'ves representations artistiques
de ce miracle.
Marc. — 6
St
fiVANGILE SELON S. MARC
21. Jesus ayant de nouveau tra-
verse la mer dans la barque, une
grande foule s'assembla autour de
lui, et il etait pres de la mer.
22. Or, un des chefs de la syna-
gogue, nomme Jaire, Tint et en le
"voyant se jeta a ses pieds.
23. Et il le priait instamment,
disant : Ma fiUe est a I'extremite;
Tenez, imposez votre main sur elle,
afin qu'elle soit guerie et qu'elle
vive.
21. Et cum transcendisset Jesus
in navi rursum trans fretum, conve-
nit turba mulla ad eum, et erat r
circa mare. '
22. Et venit quidam de archisyna-
gogis nomine Jairus : et videns eum,
procidit ad pedes ejus.
Luc. 8, 41 ; Matth. 9, 18.
23. Etdeprecabatur eum multum,
dicens : Quoniam filia mea in extre-
mis est; veni, impone manum su-
per eam, ut salva sit, et vivat.
12. — La fiUe de Jaire et rhemorrholsse.
T, 21-43. — Parall. Matth. ix, 18-26; Luc. viii, 40-56.
Ici, comme an paragraphe qui precede, le
recit de S. Marc est encore le plus graphique
et le plus compiet.
a. La requite de Jaire. v, 21-24,
21. — Cum transcendisset. Ce verset ra-
conle I'occasion du double miracle opere par
Jesus presque aussilot apres qu'il cut franchi
le lac el debarque sur la rive occidentale.
Sur I'ordre chronologique des fails, voyez
I'Evangile selon S. Matth. p. 181. — Conve-
nit turba. A peine le Sauveur avail-il mis pied
a terre, que deja une multitude considerable
Tenlourait. S. Luc, vni, 40. signale la raison
de ce rapide concours : « Erant enim omnes
exspectantes eum. »
22. — Quidam de archisynagogis. S. Mat-
thieu avail simplemenl dil ^( prmceps unus ».
S. Marc et S. Luc relevent la haute fonction
ecclesiastique du suppliant. Chaque syna-
gogue elait gouvernee par un college ou cha-
pitre de notables, que pre?idait un chef
nomme en hebreu T\02Dr{ 'wNI, Rosch-Hakke--
neceth, u^ywi Trj; (juvaYwyr;;. comme traduit
S. Luc. Cfr.'Vitringa, de Synagoga, p. 384 etss.
Jesus avait bien peu d'amis et de disciples
parmi ces chefs. Mais voici que le malheur
lui en conduit un! — Nomine Jairus: en grec
'Idti'.poi, en hebreu liNi ; Cfr. Num. xxxii, 41;
Jud.'x, 3 ; Esth. ii, 3. Les Evangelistes men-
tionnent raroment les noms des personnes qui
furenl I'objet des miracles du Sauveur : ils
font une exception pour Jaire, sans doute a
cause de la grandeur du prodigo qui eat lieu
, dans sa maison. — Procidit. Malgre sa di-
gnite, il tombe aux pieds de Notre-Seigneur.
Ou'on nous permelte de ciler une belle re-
flexion de M. Schegg a propos de celte pros-
tration, « Jesus ne courait point au-devant
des honneurs humains; pourtant, nous na
lisons nulle part qu'il ait refuse des hom-
mages de ce genre. Jamais, au moment de
pareilles scenes, il ne s'ecria comme Paul
et Barnabe : Hommes, pourquoi faites-vous
cela? Nous aussi, nous sommes des mortels
comme vous! Act. xiv, 14. 11 avait remarque
sans peine que les Pharisiens en etaienl scan-
dalises ; et neanmoins il laissait faiie ce qu'il
n'aurait pas pu empecher sans temoigner
contre la verite. Celte conduile merite notre
pleine attention : il y a la une preuve en fa-
veur de la divinite de Jesus-Christ. » Evangel,
nach Mark. p. 134.
:23. — Deprecahatur... multum : en grec,
■noW.a, « mulla ». Expression emphatique, qui
fait Ires bien ressortir le caractere pressant
et I'ardeur des prieres de ce pere inl'ortune.
Elle est speciale a S. Marc. — Filia mea; lil-
teialement : « filiola mea », to Oyya'p'ov (xou.
Ce diminulif est tout a fait contorme aux
mcEurs du Levant, car les Orientaux emploient
volontiers les appellations de tendresse. —
In extremis est. La phrase du texle grec,
EffxdTw; ixct, a ele quelquefois rangee parmi
les'lalinismes du second Evangile : c'est par
erreur, car elle a un cachet hellenique de bon
aloi. Cfr. Fritzsche, Evangel. Marci, p. 178.
Elle est synonyme de eavaTtaw; exe'.v, etre sur
le point d'expirer. Touchant la contradiction
apparente qui existe ici entre S. Marc et
S. Matlhieu, voyez notre commentaire sur le
premier Evangile, p. 182. De fait, la jeune
fille vivait encore lorsque Jaire I'avait quittee
pour courir a la rencontre de Jesus. — Veni,
impone... Le texle grec offre ici une phrase
singuliere, qui ne se lie d'aucune fapon avec
les antecedents, bien qu'elle ait I'air de s'y
rattacher : tva iXOwv eTtiOri; aOi^ la: ydpxi,
oTTw; oto9-^ Y.a.\lr,'7z-oii, « ut veniens imponas ei
manus, ita ut salva sit, et vivat ». Quelques
exegetes sous-entendent les mots 7:apa-/.a).£'a>
c£,je te conjure; d'aulres voient dans cette
tournure une maniere delicate et polie d'in-
viter Jesus a venir au plus vile, sans paraitre
toutefois lui donner un ordre. Cfr. Beelen,
Grammat. gra3citatis N. T., p. 346. — Saloa
CHAPITRE V
83
24. Et il s'en alia avec lui, et une
grande foule le suivait et le pres-
sait.
2o. Et une femme, qui avait un
flux de sang depuis douze ans,
26. Et avait beaucoup souffert de
plusieurs medecins et avait depense
tout son bien, et n'en avait retire
aucun profit, mais se trouvait beau-
coup plus mal,
27. Ayant entendu parler de Je-
24. Et abiit cum illo, et sequeba-
tur eum turba multa, et comprime-
bant eum.
25. Et mulier quse erat in proflu-
vio sanrruinis annis duodecim,
26. Et fuerat multa perpessa a
compluribus medicis et erogaverat
omnia sua, nee quidquam profece-
rat, sed magis detenus habebat,
27. Gum audisset de Jesu, venit
sit et vivat. Pleonasme Ires expressif : du reste,
il y a la deux idees dislincles, celle de ia
gu'erison et celle d'une iongue vie apres le
relablissemenl.
24. — Jesus accede aussilot a la supplique
de Jaire. La t'oule se met a sa suite, esperant
sans doule qu'elle serait temoiii du miracle.
— Comprimebant eum : auviSXigov auxov, dit le
texte grec, employant une expression Ires-
^nergique, qu'oa ne Irouve qu'ici et au t. 31.
Cela suppose que le divin Maitre etait a
chaqiie instant heurte, coudoye par la mul-
titude.
b. Gue'rison de Vhemorrho'isse. v, 25-34.
25. — Touchant recil d'un miracle en-
chasse dans un autre. Voyez TEvang. selon
S. Matthieu, p. 183. S. Marc a ime descrip-
tion tres-vivanle du trisle elat de l"heraor-
rhoisse, tt. 2o et 26. II a condense en quel-
ques lignes divers traits speciaux. bien ca-
pables de nous apitoyer sur ceLte pauvre
femme. — Qua erat in profluvio. La maladie
consistait en une liemorrhagie d'un caraclere
humilianl, que la voix publique designait
autrefois conime la suite d'une conduite de-
reglee. — L'expres?ion « esse in », elvai ev,
pour designer un elat de maladie, est ires
classique chez les Grecs et chez les Latins.
Cfr. Soph. Aj. V, 270 ; Cic. Tusc. in, 4.
26. — lei, tous les mots portent. « Elle
avait BEAUCOUP soufTert de la part de nom-
BREUX medecins; elle avait depense toute sa
fortune; elle n'en allait que beaucoup plus
MAL ! » S. Luc, vni, 43, dira au fond la meme
chose ; mais, en saqualite de « Doctor medi-
cus », 11 parlera avec plus de menagements,
afin d'epargner, dirait-on, ses anciens col-
legues. — Mulla perpessa... Dieu salt ce
qu'etait I'art medical dans ces temps recules!
Le Talmud nous a conserve tout au long les
prescriptions qu'enjoignait alors la Faculte
Four guerir le genre de malaise dont souffrait
heroine de ce recit. Nous en signalons quel-
ques-unes, qui comraenteront a merveille
notre verset : « Dicit Rabbi Jochanan : Adduc
gummi alexandrini pondus zuzaei, et alumi-
nis pondus zuzaei, et croci hortensis pondus
zuzaei. (^onti^ranlur haec una et in vino den-
tur I'eminae hemorrhois^se. — Quod si haec
non prosint : Recipe ceparum persicaium ter
tria log. vino coquanlur, al(^ue inde earn
potes, dicasque : Surge a profluvio tuo. —
Quod si hoc non valeat : Siste earn in aliquo
bivio, raanuque teneat poculum vini; a tergo-
que ejusvenialaliquis,eamque terreatdicens:
Surge a profluvio tuo. — Si autem hoc non
oblmeat : Recipe manipulum cyinini, et ma-
nipulum foeni graeci. Haec elixala vino, po-
tanda ei dalo, et die : Surge a profluvio tuo ».
Rab. Schabb. f. 110. Et cent aulres doses
analogues, dans le cas ou les precedentes de-
meureraient sans effet. Voici I'une des re-
cettes les plus energiques : « Fodiant septem
foveas, in quibusconiburant sarmenta vitium
non circumcisarum'c'est-a-dire ayant moinsde
quatre ans); accipialque in manu sua pocu-
lum vini. Earn autem amoveant ab hac fovea,
alque insidere faciant super illam ; atque ab
ilia amoveant atque insidere faciant super
aliam, alque in unaquaque amolione dicen-
dum est ei : Surge a profluvio tuo! » Ibid.
— Erogaverat omnia sua: dans le grec, xi nap'
aOtrjiTidvTa. Toutes ses ressources avaier.t eie
prodiguees en remedeseten honorairesde me-
decins. Encore, si elle eut recouvre la sante
a ce prix! Mais, tout au contraire, magis de-
terius habebat. On connait les satires mor-
danles lancees dans I'antiquite classique
centre les medecins. lloXXwv laTpoiv eluooo;
(a' dnwXECiV, Menandre. « Hinc ilia infelicis nio-
numenli inscriptio : turba se medicorum pe-
riisse ». Pline, Hist. Nat. xxiv, 5. — Le rap-
port apocryphe envoye a Tibere par Pilate
decrit en ces termes I'etat auquel I'hemor-
rhoisse avait ete reduile : u; Ttdaav ttjv twv
oCTxewv dtpjioviav ^aiveoOai, xal OeXou oixtiv 5iau-
YttCeiv. Thilo, Cod. Apocr. t. I, p. 808.
28. — Cum audisset de Jesu. L'heure du
salut a Sonne pour cette pauvre femme. Elle
entend parler de Jesus, de sa puissance a
laquelle aucune maladie ne resiste, de sa
84
fiVANGILE SELON S. MARC
sus, vint dans la foule par derriere
et toucha son vetement.
28. Car elle disait : Si seulement
je louche son vetement, je serai
guerie.
29. Et aussitSt I'ecoulement de
sang fut seche, et elle sentit en son
corps qu'elle etait guerie de son
mat.
30. Et a rinstant, Jesus connais-
sant en soi-m6me la vertu qui etait
in turba retro, et tetigit vestimen-
tum ejus.
28. Dicebat enim : Quia si vel
vestimentum ejus tetigero, salva
ero.
29. Et confestim siccatus est fons
sanguinis ejus; et sensit corpore
quia sanata esset a plaga.
30. Et statim Jesus in semetipso
cognoscens virtutem quae exierat
bonte qui ne rejelte personne, et elle accourt
aupres de lui. — Vestimentum ejus. S'etant
melee a la foule qui accompagnail le Sauveur
jusqu'a la maison de Jaire, elle parvinl a
s'approchL-r de lui par derriere et a toucher
le bord de son manteau, peut-etre merae,
d'apres le recit de S. Matlhieu, ix, 20 (Voyez
le conimenlaire, p. 183), les tzizzithou franges
de laine qui en ornaient les extremites,
conrormemcnt aux injonclions de la Loi mo-
saique. Son acte etait ainsi un melange de
hardiesse et de timidite.
28. — Dicebat enim, scil. « intra se », ev
eauTrj, ainsi qu'on lit dans plusieurs manus-
crils. Ctr. Matlh. ix, 21 . — Quia est recitatif.
— Si taniiim tetigero... C'etait la conviction
bien arretee de I'hemorrhoisse, sa ferme foi,
que, si elle pouvait reussir a toucher le ve-
tement de Jesus, cela suffirait pour la gue-
rir entierement. Peut-etre s'etait-elle repete
longtemps a elle-meme ces paroles avant
d'oser meltre son projet a execution. Cela
sembledu moins ressortirde rim|)arl'ait (« di-
cebat ))). dont I'emploi denote souvent la con-
tinuite d'un acte.
29. — Et confestim siccatus est..., eCiSsw;
eErjpdvQr) rj TZTtyr, toO aiixafo; auTy^c. Expression
tres elegante en grec et en laim. Fons san-
gitinis equivaut a la locution hebralque
D^CT "Ipa du Levitique, xii, 7; xx, -18. —
Sensit corpore. Ce fut une sensation de bien-
etre. de force interieure, de renouvellemenl,
qui lui fit comprendre d'une maniere cer-
taine qu'elle venait d'etre guerie. Le grec
dit avec une nuance : lyvoj tw ffw^J-aTi, « cog-
novit corpore ». Mais cette connaissance ne
put provenir que de la sensation mention-
nee par la Vulgate : la traduction latine est
done Ires exacte. — A plaga, anb xri; (j.da-
TiYo?; litleralement : du coup de fouet. Cfr.
m, 10 et le commentaire. Quel bonheur pour
cette pauvre femme, apres douze ans de ma-
Jadie!
30. — Les ft. 30-34 decrivent d'une faQon
dramatique une petite scene qui eut lieu aus-
sitot apres ce grand prodige. — Jesus in se-
metipso cognoscens. L'hemorrholsse a senti
qu'elle etait guerie : Jesus aussi a eprouv^
quelque chose de particulier, qui lui a fait
connaitre ce qui venait de se passer. Mais ce
quelque chose n'etait pas une sensation cor-
porelle. C'etait une perception inlellectuelie,
eTiiyvov; £v la-jTw; c'etait le regard divin et
prophetique par lequel Jesus-Christ, en tant
qu'Homme-DiRu, suivait jusque dans leurs
derniers resultats ses operations les plus se-
cretes. Voila comment il sut que ce n'etait
pas la foule qui I'avait louche par megarde,
maisqu il avail ete I'objetd'un contact special,
dont I'eifel inslantane avail ete un miracle,
Cfr. Luc. VIII, 46. Y a-t-il en cela de o/aoi
effaroucher les rationalistes? Oil voier-t-ils,
dans les recits paralleles de S. Ma^o et de
S. Luc, des traces de ce magneti^^me grace
auquel Jesus aurait accompli '<es cures les
plus merveilleuses, parfois malgre lui et sans
en avoir conscience? L'ecrivain sacre dis-
tingue nettement la connaissance du miracle
telle qu'elle fut produite dans I'espril de la
malade et dans la sainte ame de Jesus. La
femme « connut par son corps », Jesus
« connut en lui-meme ». Pour lui, il n'est plus
question de corps, et le verbe employe par
I'Evangelisle, Itiiyvou?, indique une percep-
tion tout inlime, toule parfaite. — II en est
de meme des mots suivants. Virtutem ne
represente rien de magique, mais une force
divine. Exierat est une figure qui depeint
ties-bien I'effusion de cette force, sans qu'il
faille y voir le moins duraondejene sais quelle
emanation inconscienle. « Virtus manens ia
Christo.dit fort bien Corneille de Lapierre^
operabatur efifectum sanitatis in muliere. i
Cfr. Luc. VI, 19; Jerem. xxx, 22 ;Ruth, i, 13,
— Conversus ad turbas. Un de ces gesles du
Sauveur si frequemmcnt notes danri !e second
Evangile. Jesus se retourne done brusque-
ment. et demande d'un air severe . Qui m'a
louche ?Nulnelesavait mieux que lui; maisil
voulait manifester la foi de I'hemorrhoisse,
lui accorder ouvertement ce qu'elle lui avail
en quelque sorte derote a I'insu de toule
CHAPITRE V
85
de illo, conversus ad turbam, aie-
bat : Quis tetigit vestimenta mea?
31. Et dicebant ei discipuli sui :
Vides turbam comprimentem te, et
dicis : Quis me tetigit?
32. Et circumspiciebat videre
earn, quae hoc fecerat.
33. Mulier vero timens et tre-
mens, sciens quod factum esset in
se, venit et procidit ante eum^ et
dixit ei omnem veritatem.
34. Ille autem dixit ei : Filia,
fides tua te salvam fecit : vade in
pace, et esto sana a plaga tua.
sortie de lui, se tourna vers la foule
et dit : Qui a touclie mes vetements?
31. Et ses disciples lui disaient :
Vous voyez la foule qui vous presse,
et vous demandez : Qui m'a touche?
32. Et il regardait tout autour,
pour voir celle qui avait fait cela.
33. Or la femme, craintive et
tremblante, sachant ce qui s'etait
passe en elle, vint et se prosterna
devant lui, et lui dit toute la verite.
34. Mais il lui dit : Ma fille, votre
foi vous a sauvee. Allez en paix, et
soyez guerie de votre mal.
Tassistance par une pieuse fraude; il voulait
par la meme que la guerison de celle humble
femme devitil pour un grand nombre I'occa-
sion de croire en Lui et de s'allacher a Lui.
31. — Dicebant ei discipuli. Les disciples,
ignorant ce qui s'etait passe, ne peuvent
comprendre celle question de leur Maitre.
lis en sonl meme lout etonnes. Comment
pouvez-vous adresser une pareille demande?
lui direnl-ils avec une cerlaine rudesse.
Quand on esl presse par la foule, comme vous
I'etes en ce moment, esl-ce bien le temps de
se plaindre d'avoir ete legerement touclie par
quelqu'un? Les Apotres appuient sur les
mots comprimenlem et ietigit, entre lesquels
ils etablissent un contrasle. Les Peres aussi
se plaisent a relever la meme antilhese, mais
dans un sens moral et mystique. Aujourd'hui
encore, disenl-ils, beaucoup pressenl Jesus,
nul ne le louche avec foi et respect. « Et tan-
quam diceret Dominus : Tangentem quaero,
non premenlem. Sic etiam nunc est corpus
ejus, id est, Ecclesia ejus : tangil eam fides
paucorum, premit turba mullorum... Caro
enim premit, fides tangit... Erigite oculos
fidei, langite extremam fimbriam veslimenti ;
sufiiciot ad salulem.» S. August. Serm. lxii, 5.
Compari'Z S. Jean Chrysost. : '0 TitdTeuwv el?
Tov aoi-cfipa, anTetat aurou" 6 Se drtto-xwv 6),i6£i
auTov xai XuTisi. — S. Luc, VIII, 45, dit ex-
pressemenl que, dans cette circonslance
comme en lant d'aulres , ce fut S. Pierre
qui prit la parole au nom des Douze.
32. — Et circumspiciebat... Autre geste
donl la mention est de nouveau speciale k
S. Marc. Nous avons vu du rcste que le se-
cond Evangelisle aime a signaler les regards
de Jesus. CiV. in, 5 et la note. L'emploi de
I'imparfait indique un regard scrutaleur et
prolonge. — Videre eam qucB hoc fecerat. L'he-
morrhuisse est designee en cct endroit par
anlicipalion : le narrateur se place au point
de vue du lecleur, qu'il a deja mis au courant
de la situation. Regulierement, il faudrait :
« Videre quis hoc fecerat. »
33. — Mulier vero... S. Marc, dans ce ver-
set, est un peintre plulot qu'un ecrivain. II
retrace admirablement les sentiments inle-
rieurs el la conduite exterieure de I'hemor-
rhoisse, au moment oil ellevit que son secret
elait connu de Jesus. — 4° Ses sentiments
interieurs furent ceux de la crainle, de la
terreur : timens et tremens. Elle est saisie
d'effroi pour avoir ose s'emparer en quelque
sorte, el sans permission, d'un bien apparte-
nant a Jesus. 'ESsSieiri yuv^^jWCxXe'^'aijaTyjv lautv,
Theophylacte; CIV. Orig. Caten. in Marc. Elle
tremble par suite de cet effroi. — 2" Sa con-
duite consista dans un humble et complet aveu
de ce qu'elle avait fait quelques instants au-
paravant. S'approchant du Sauveur, elle se
prosterna devant lui et lui confessa omnem
veritatem : expression emphalique, pour signi-
fier qu'elle ne dissimula rien, qu'elle laconla
les moindres details au Thaumaturge. Cfr.
d'aulres circonstances interessantes dans
S. Luc, viii, 47. — Les anciens commenla-
teurs remarquent a propos de ce verset qu'on
y trouve les trois qualiles d'une bonne con-
fession : « timorata, humilis, generalis. »
34. — Filia. Douce appellation, qui dut
rassurer et calmer sur-le-champ I'hemor-
rhoisse. C'est la seule fois que nous voyons
Jesus donner ce nom a une femme dans I'E-
vangile. — Fides tua... Le Sauveur met en
relief la foi de la malade, qui avait ete comme
I'instrument et le canal de la guerison. —
Vade in pace. Nous lisons dans le texte grec :
ei; elpiivriv, avec I'accusalif, « in pacem ». G'esl-
a-dire : Enlre dans la paix! que la paix soit
desormais I'element de ta vie ! Les Hebreux
disaient de meme : DibujS. Cfr. I Reg. i, 17;
II Reg. XV, 9. On trouve pourtant aussi, en
divers ecritsdu Nouveau Testament, £v eip/ivyji
a I'ablalif. Cfr. Jac. ii, 16; Act. xvi, 36. On
lira avec interet I'article « In pace » dans le
16
fiVANGILE SELOK S. MARC
3o. Comme il parlait encore, on
vint dire au chef de ^la s^^nagogue :
Voire fille est morte, pourquoi fati-
guer davantage le Maitre?
36. Mais Jesus, entendant profe-
rer cette parole, dit au chef de la
synagogue : Ne craignez point,
croyez seulement.
3*7. Et il ne permit a personne
de le suivre, si ce n'est a Pierre, a
Jacques et a Jean frere de Jacques.
3b. Adhuc eo loquente, veniunt
ab archisynagogo, dicentes : Quia
filia tua mortua est : quid ultra
vexas magistrum?
36. Jesus autem, audito verbo
quod dicebatur, ait archisynagogo :
Noli timere ; tantummodo crede.
37. Et non admisit quemquam se
sequi, nisi Petrum, et Jacobum, et
Joannem fratrem Jacobi.
Dictionnaire des Antiquites chreliennes de
M. I'abbe Marligny. Ceite formule, d'origine
juive, inconnue aux palens, a ete adoplee
par les Chretiens pour exprimer des pensees
vaiiees. — Esto sana... Par ces mots, Jesus
confirme la guerison de rhemonhoisse ; il
ratifie solennellement le bienfait qu'elle avail
cherche a iui ravir d'une maniere subreptice.
« Esto » a le sens de : « Sis perpetuo », ce
qui feisail dire a Bengel, Gnomon in Marc.
VI, 34 : « Post longam miseriam, beneficiiim
durabiie. »
c. Resurrection de la fille de Jaire. v, 35-43.
33. — Adhuc eo loquente. Celte transition
nous ramene a Jaire. Sa foi en Jesus, qui avail
du s'accroitre a la vue du prodige auquel il
venail d'assisler, va elre aws^ilot soumise a
une rude epreuve ; car, a peine Jesus ache-
vail-il de consoler I'hemorrhoi'sse, qu'on vint
annoncer au malheureux pere la mort de sa
fille. — Veniunt ab archisynagogo ; de meme
dans le texle grec : anb toO apxiauvaywyou.
Evidemment, cela doit signifier a7:6 Trj; olxeta?
Tou apxtduvaYuyoy, selon la juste interpretation
d'Euthymius, (;- abaedibusprincipis », comme
traduit la version syriaque), puisque Jaire
etail alors aupres de Jesus. Du reste, celte
locution est ires classique dans ce s-^ns soil
chez les Latins, soit chez Ip.s Grecs. Quelques
vieux manuscrils latins portent : « Veniunt
ad archisynagogum », ou « venerunt ad prin-
cipem synagogae.' » Mais ce sonl la des cor-
rections maladroiles. — Quid ultra vexas...
« Ultra », encore, davantage. A quoi bon
ennuyer le Rabbi, mainlenanl qu'ii n'y a plus
rien a faire? Ces mauvais conseillers sup-
posenl, dans I'imperfection de leur foi, que
Jesus est incapable d'operer une resurrection.
Ol yap TTspl Tov apxiowvdywyov... {)7r£).a[i6avov
OTi voo'ojjLaTa iaev navta SOvaxott OspaireOsiv, ava<7-
Trjffai 5e vey.pov o-j Suvafat. Euttiyuuu>. — Le
verbe crv.dllu), que la Vulgate traduit par
« vexare », est ires energique.il signilie pro-
premenl : enlever la peau, dechirer, puis, au
figure : fatiguer exlremement, « metaphora
ducta ab eo qui alterum distorquet et vi
trahil ut venial, facial aliquid. » Bretschnei-
der, Lexic. man. in libr. N. T. t. II, p. 416.
Cfr. Suicer, Thesaurus, s. v. cxuUw.
36. — Jesus autem aitdito... Le grec ajoute
eOOEui;, « slatim ». et il esl regrettable que
eel adverbe ait disparu dans notre version
latine, car il exprime d'une maniere Ires
forte, et en meuie temps tres delicate, la
bonte prevenante du cceur de Jesus. Si le
Mailre prend immedialement la paiole, c'est
pour empecher le pauvre pere de se laisser
decourager par la tiisle nouvelle que Iui ont
apporlee ses ami<. Ouelque pensee d'incredu-
lile auraii pu parser de leur esprit dans le
sieii : voila pourquoi Jesu> se hate de jeter
dans cette iime desolee une parole (ie vive
est)erance. Titus de Bosra (Cramer, Calen. in
Luc.) exprime Ires bien cette idee : ""iva yap
[XY] EiTir; y.al aOTo;" 'EmT/ti, oO xpstav ffou e^Wj
KOp'.s, rjSr, yeyove to tzzot.^. a:Ts8av£v, v^v Trpoue-
Soy.toaev uytaiveiv... cp6av£i n Kupioc y.al or,ai* Mr\
9060O, iTaOafov Trj; amcxia..; lit pYiaaTa- — AU
lieu di> la leron axouoa?, qu'on lit dans la Re-
cepta et dan-; la plupart des anciens temoins,
les manuscrils B, C, L, A, Sinait.. etc., ont
le verbe compose Tiapay.ouaa;, que plusieurs
critiques croienl avoir exisie dans le texte
primilif. II signifie « entendre par accident
des paroles destinees a d'autres ». on bien
« ne pas faire attention. » — Tantummodo
crede. « Tu contra audeiitior ito. » Jesus sou-
tient ainsi la foi de Jaire, la mainlenanl a
flot parmi les vagues qui menaQaient de la
faire soinbrer. D"apres les intentions du Sau-
veur, le miracle devait elre la recompeu'^e de
celte foi : c'est par elle qu'il devait elre en
quelque sorte gagne.
37. — El non admisit... Arrive a la maison
de Jaire, Noti-e-Seigneur en interdit I'enlree
a la foule. IndepeiHtainment du pere et de la
mere de la jeune fiile, il n'y aura aiipres de
Iui au moment du prodige que ses Irois dis-
ciples privilegies, Pierre, Jacques et Jean. Ce
petit nombre de temoins suffisait largement
pour prouver la verite de la resurrection. —
CHAPITRE V
87
38. Et veniunt in domum archi-
synagogi, et videt tumultum, et
flentes et ejulantes multum.
39. Et ingressus, ait illis : Quid
turbamini, et ploratis? puella non
est mortiia, sed dormit.
40. Et irridebant eum. Ipse vero,
ejectis omnibus, assumit patrem et
matrem puellee, et qui secum erant,
et ingrediturubi puella erat jacens.
41. Et tenens manum puellse, ait
illi : Talitha cumi, quod est inter-
pretatum : Puella (tibi dice) surge.
38. Et ils vinrent a la maison du
chef de la synagogue, et il vit beau-
coup de tumulte et des gens qui pleu-
raient et poussaient de grands cris.
39. Et, etant entre, il leur dit :
Pourquoi vous troublez-vous et pleu-
rez-vous? La jeune fille n'est pas
morte, mais elle dort.
40. Et ils se riaient de lui. Mais
lui, les ayant tons renvoyes, prit le
pere et la mere de la jeune fille et
ceux qui etaient avec lui, et entra
dans le lieu oh la jeune fille etait
coucliee.
41. Et, prenant la main de la
jeune fille, il lui dit : Talitha cumi;
ce qui est ainsi interprete : Jeune
fille, (je te le dis), leve-toi.
Nisi Petrurn... C'elait la premiere fois que le
fils de Jona el les fils de Zebedee recevaient
unc pareille marque de dislinclion : mais ce
ne sera pas !a derniere.
38. — Veniunt in domum. En Orient,
quand on penelre dans riiabitalion d'une
personne riche ou aisee, on Irouve habituel-
iement, apres avoir franclii le seuil, une
grande salle qui sert aux receptions : les
apparlemenls prives soni, ranges de chaque
coiedecette especede salon. — Videt tumul-
tum. Quoiqiie la mort. de I'enfanl datat a peine
d'une demi-heure, la maison offrait deja un
etrange aspect. Au lieu da recueillement et
du silence qui convienncnL dans ces tristes
circonslances et auxquelschacun se conforme
de nos jours en Occident, nous y trouvons le
tumulte et les demonstrations "bruyanles de
rOrient ancien et moderne, — Flentes et eju-
lantes. Ces mols designent les pleureurs a
gages, dont le metier consiste a faire entendre,
dans les maisons mortuaires et pendant I'en-
terrement, des lamentations lugubres. Voir
le commentaire sur S. Matlh. p. 184; Burder,
Oriental Customs, t. II. p. 256 et ss. de la
6e edit. Le premier Evangile mentionnait
aussi les joueurs de flute.
39. — Et ingj^essus. Le narrateur decrit
graduellement I'ontree du Sauveur. Le V. 37
signalait son approche Vfrs la maison ; le
t. 38 le montrait arrivant jusqu'a la porte et
jetant un coup d'oeil dan^ i'interieur de la
salle principale ; celui-ci rintroduit d'une
maniere definitive. Le recit est dramatise par
la-meme. — Non est mortua, sed dormit. La
jeune fille etait bien morte en realite : Cfr.
S. Luc, vni, 53; mais Jesus, en tenant ce
langage, voulait simpleraent indiquer qu'il
allait lui rendre la vie aussi aisement et aussi
promplement qu'on eveille une personne en-
dormie. Sa mort aurait dure si pcu de temps,
qu'elle ressemblerait a un sommeil passager.
Sur I'usage do cette locution et sur I'abus
qu'en ont fait les rationaiistes, voyez I'Evan-
gile selon S. Matthieu, pp. 184 et 183.
40. — Irridebant eum. Jesus, qui n'avait
pas encore vu I'enfant, qui ne faisait meme
que d'entrer dans la maison, affirniait que la
fille de Jai're n'etait pas morte : eux, au con-
traire, ils I'avaient contemplee et touchee.
lis semoquent doncouvertemenl du Sauveur.
— Ejectis omnibus. Admirons la sainte auto-
rite de Jesus : d'un mot, « recedite » (Matth.
IX, 24), il fait sorlir toute cette foule aussi
bruyante qu'inutile, et il penelre, avec les
tem'oins qu'il avail choisis, dans la chambre
de la defunte. — Le mot avazstfjievov {jacens
de la Vulg,), qu'on lit dans la Recepla a la
fin du verset, est probablement une interpo-
lation.
41 . — Et tenens manum puellw. Jesus avait
fait de meme pour la belle-mere de S.Pierre.
Cfr. I, 31. — A ce geste, il joignit quelques
paroles que S. Marc seul nous a conservees
dans la langue arameenne, telles par conse-
quent qu'elles furent proferees par le divin
Maitre, car c'cst cet idiome qui etait alors
generalemenl parle dans toute la Palestine.
Talitha, Nrfbp, contraction de tal'yeta, est
la forme feminine de iStd, fa/i, jeune, qui est
en croissance. Cfr. Buxtorf, Lexic. chald,
p. 875. Cumi, ou mieux koumi, 'Dip,
est a la seconde personne du singul. femi n.
de mp. koum, forme Kal. Nous verrons en
d'autres endroils encore, vn, 34 ; xiv, 36,
S. Marc inserer dans son recit les « ipsissima
'ss
fiVANGILE SELON k. MARC
42. Et aussitot la jeune fille se
leva et marcha; or elle avait douze
ans. Et tous furent grandement
frappes de stiipeur.
43. Etilleurcommandaavec force
que personne ne le sut, et il dit de
lui donner a manner.
42. Et confestim surrexit puella,
et ambulabat : erat autem annorum
duodecim : et obstupuerunt stupore
magno.
43. Et praecepit illis vehementer
ut nemo id sciret; et dixit dari illi
manducare.
CHAPITRE VI
Jesus, meprise a Nazareth par ses compatriotes, se retire dans les bonrgades voisines
{tt. 1-6). — InslrucUons pastorales donnees aiix douze Apotres [fir. 7-13). — Martyre de
S. Jean-Baptiste {tt. '14-29;. — Premiere multiplication des pains (tt. 30-44). —'Jesus
marche sur les eaux (tt. 43-52). — II guerit de nombreux malades dans la plaine de
Gennesareth [tt. 58-56).
1. Etant parti de la, il s'en alia 1. Et egressus inde, abiit in pa-
verba » de Jesus. II les tenait sans doute de
S. Pierre. — Quod est inter pretatum. L'Evan-
geliste traduil pour ses lecleurs remains et
grecs les expressions syro-chaldaiques qu'il
vient de citer. — Puella, [dans le grec t6
y.opaaiov, au nominaiif avec I'article, pour
remplacer le vocatif (Cfr. Winer, Gramma-
tik, 6e edit. p. 465; Beelen, Grammalica
graecit. N. T. p. 182), correspond a Talitha,
surge a Cumi. La parenthese tibi dico a ete
ajoutee par S. Marc, « ul sensum vocantis
atque imperanlis exprimeret. » S. Jerome.
42. — Et confestim, eOOiw;. L'adverbe fa-
vori de S. Marc ne pouvait manquer de faire
son apparition a cei endroit du recit. Jesus
est la Resurrection et la Vie, Joan, xi, 23 :
il n'a qu'a piononcer une parole, et la mort
s'enfuit soudain. — Et ambulabat. Trait spe-
cial a S. Marc, destine a prouver la realite et
la promptitude de la resurrection. Le Pro-
phete. Is. XXXV, 6, avait predit que, sous
I'ere du Christ, on verrait lesboiteux marcher ;
et voici que ce sont les morts eux-memes qui
marchent! — Erat... annorum duodecim. Ge
detail a pour but d'expliquer la parole qui
precede. A plusieurs reprises, dans le recit,
lajeune fille avait ete appelee6uYaTpi6v,7:aiStov;
I'Evangeliste indique ici son age exact, afin
de raontrer que ce n'etait plus une enfant,
let qu'elle pouvait se lever et marcher sans
aide. — Obstupuerunt stupore... En grec :
i$£(yTY)<rav iv.G-aati (jleyixXij. Expression empha-
tique et d'une graiule energie, qui est du
reste calquee sur I'hebreu. Le juif Philon,
Lib. Quis rer. div. haeres,p.515, definit ainsi
rixaTaai; : ^ a^joopa v.a.-iiTzlrX'-i etti toT; £;aTrt—
vaico; xal d-podSoxrj-rw; outiSaivsiv sitoOodiv,
« une grande frayeur qui s'empare de ceux
auxquels il arrive quelque chose de subit et
d'inopine. » On comprend apres cela reffroi
des cinq temoins du prodige.
43. — PrcBcepit illis, c'est-a-dire aux pa-
rents de la jeune fille et a ses trois disciples,
plus specialement aux premiers. Cfr. Luc.
viii, 36. Neanmoins, il etait impossible que
le secret fut garde, puisqu'il y avait a la porte
de la maison une foule nombreuse qui atten-
dait I'issue de cette scene. Aussi S. Matthieu
ajoute-t-il. ix, 26, que « le bruit de ce mi-
racle se repandit dans toute la contree. » —
Dari illi manducare. Ordre singulier en appa-
rence, mais qui avait sa raison d'etre dans le
cas actuel : Jesus, en le donnant, se proposait
de montrer que la jeune fille etait rendue
non-seulement a la vie, mais encore k la sante.
a Graviter aegroti, observe justement Grotius,
vix Solent cibum sumere ». La ressuscitee ne
sortait done pas de lethargie, comme le pre-
tendent les rationalistes. — Les guerisons de
femmes sont relativement rares dans I'Evan-
gile : ce jour-la, Notre-Seigneur ea opera
deux, qui se suivirent de tres pres.
13. — J^sus k Nazareth, ti, 1-6. — Parall.
Matth. xui, 54-58.
Chap. vi. — 1 . — Egressus inde. L'adverbe
« inde » ne designe [)oint, comme le veut
Meyer, la maison de Jai're, dans laquelle nous
avons vu Jesus vers la fin du chapitre v, mais
la vilie de Capharnaum,par opposition a « la
CHAPITRE YI
89
triam suam : et sequebantur eum
discipuli sui :
Matth. 13, 54; Luc. 4, 16.
2. Et facto sabbato, coepit in syna-
goga docere : et multi audientes ad-
mirabantur in doctrina ejus, dicen-
tes : Unde huic hsec omnia? et quae
est sapientia, quae data est illi, et
virtutes tales, quae per manus ejus
efficiuntur?
3. Nonne bic est faber, filius Ma-
dans sa patrie, et ses disciples le
suivirent.
2. Et le jour du sabbat etant venu,
il commenca a enseigner dans la
synagogue, et beaucoup.en Tenten-
dant, s'etonnaient de sa doctrine,
disant : D'oii lui viennent toutes ces
choses ? Et quelle est la sagesse qui
lui a ete donnee ? et quels sont ces
prodiges qui se font par ses mains?
3. N'est-ce pas la ce charpentier.
patrie » du Sauveur, dont il sera question dans
un instant. Desormais Notre-Seigneurmenera
presque toiijours la vie d'un missionnaire.
Capharnaum ne cessera pas d'etre son domi-
cile de droit; mais il n'y residera que par
intervalles, entre ses differentes courses apos-
toliques. — In patriam suam. C'est-a-dire a
Nazareth, a deux petiles journees de Caphar-
naiim (Voir I'Atlas geograph. de M. Ancessi,
pi. xvi). « Diximus, ecrit tres bien Maldo-
nat,... ex Scripturae et bonorum auctorum
observatione, triplicem Christo fuis«e patriaoi,
Beihlehem nativitatis, Nazareth educationis,
Capernaum commoralionis et prsedicationis.
Hoc loco neque Bethlehem, quae nusquam, ut
opinor, in Scripturis ejus vocatur patria,
neque Capernaum, quia ibi erat, cum dicitur
in patriam abiisse, sed solam Nazareth in-
telligere debemus, ubi ejus fratres et sorores
erant, ut dicitur infra ». C'etait la seconde
fois que Jesus venait a Nazareth depuis le
debut de sa Vie publique (Cl'r. les commen-
taires sur S. Matth. xiii, 54, et sur S. Luc,
IV, 16 et ss.) Mai regu lors de sa premiere
visite, il veut essayer de toucher les coeurs
de ses compatriotes. Helas! sa tentative sera
vaine. Les habitants de Nazareth demeure-
ront incredules. Celte fois du moins, ils n'au-
ront plus recours a la violence ouverte : ils
se contenteront de mepriser Jesus. — Sur
Nazareth, voyezl'Evang.selonS. Matth., p. 63.
— Et sequebantur eum... Precieuse notice,
speciale a notre Evangeliste. Elle nous ap-
prend que les di>ciples furent temoins de
ceite nouvelle humiliation de leur Maitre.
2. — Facto sabbato. Autre detail special a
S. Marc. A Nazareth, Jesus demeure fideie
a la coutume qu'il avait adoptee des les pre-
miers jours de son ministere (Cfr. i, 21 et ss.) :
il choisit, pour faire entendre ladivineparole,
le jour du sabbat et la synagogue, un temps
sacre et un lieu sacre. Au pieux pelerin qui
visite la patrie du Sauveur, on montre encore
I'emplacement de la synagogue ou pr^cha
Notre-Seigneur. — Multi audientes. Les meil-
leurs manuscrits grecs ont ol tzoIIoI avec I'ar-
licle, c'est-a-dire « plerique », la plus grande
partie de la population. — Admirabantur.
L'expression du texte grec, e^eTiX^affovro, se-
rait mieux traduite par » obsLupescebant,
percellebantur » : elle denote un tres vif
etonnement. Les habitants de Nazareth, com-
parant le passe de Jesus a sa situation pre-
sente, ne pouvaient comprendre comment le
jeune charpentier etait devenu en si peu de
temps un puissant thaumaturge et un doc-
teur celebre. De la pour eux une profonde
stupefaction. — Les mots in doclrina (he-
braisme pour « super doctrinam ») et omnia
un peu plus basmanquent dans le texte grec.
— Unde hide...? Celle deliberation interes-
sante des concitoyens du Sauveur nous a ete
conservee d'une maniere beaucoup plus com-
plete dans le second.Evangile que dans le pre-
mier. Au lieu d'une simple et froide mention
de la sagesse et des miracles de Jesus (Cfr.
Matth. XIII, 54), nous avons ici une descrip-
tion pittoresque. Ceite sagesse, il I'a regue
d'ailleurs, quce data est illi. D'oii? G'est pre-
ciseraent la question. Ces miracles, on les
voit en quelque sorte s'echapper des mains
de I'humble ouvrier, habituees jusqu'alors a
manier de grossiers oulils, a accomplir de
rudes travaux. — Notons quo ie mot virtutes,
Suvd[i£i; du grec, est une des quatre expres-
sions qui servent k designer les miracles dans
I'Evangile. Nous le trouvons encore employe
en plusieurs autres passages de S. Marc :
V, 30; VI, 2, 14; ix, 39. Notre Evangeliste
ne se sert qu'une fois, xiii, 22, du mot « por-
tenta » (Tspaxa). « Signa » ((jr,tji£ta) re\ient
plusieurs fois sous sa plume : Clr. xiii, 22;
XVI, 17,20. II n'emploie nuUe part la qua-
trieme expression, « opera » (IpY*)-
3. — Nonne hie est faber. Nous lisons dans
S. Matlhieu : « Nonne hie est fabri filius? »
S. Marc fait dire aux habitants de Nazareth,
avec une legerc variante : Colui-ci n'est-il
pas un TExTwv, un pauvre ouvrier? 11 suit de
la que Nolre-Seigneur Jesus-Christ avait lui-
90
fiVANGILE SELON S. MARC
fils de Marie, frere de Jacques, de
Joseph, de Jude et de Simon? ses
soeurs aussi ne sont-elles pas ici
parmi nous?Et ils se scandalisaient
de lui.
4. Et Jesus leur disait : Un pro-
phete n'est sans honneur que dans
son pays et dans sa maison et dans
sa parente.
riae, frater Jacobi, et Joseph, et Ju-
dge, et Simonis? nonne et sorores
ejus hie nobiscum sunt? Et scanda-
lizabantur in illo.
Joan. 6, 42.
4. Et dicebat illis Jesus : Quia non
est propheta sine honore nisi in pa-
tria sua, et in domo sua, et in co-
gnatione sua.
Matth. 13, 57; Luc, 4, 24; Joan, k, 44.
meme exerce diirant sa Vie cachee le dur
metier de son pere adoplif. Cfr. S. Just. Dial,
c. Tryph. 88 ; Fabricius, Cod. apocr. N. T.
t. I, p. 200. Le Verbe incarne, apres avoir
autrefois cree le monde d'une seule parole,
Joan, I, 2, 10, n'a done pas dedaigne de tra-
vailler penibleiti'^nt a la sueur de son front!
Grande consolation que le pretre doit sou-
vent offrir aux artisans, cette partie si nom-
breuse et si interessanle de nos populations,
qu'on egare par de fausses doctrines. Com-
bien ils gagneraient a contempier Jesus ou-
vrier! — Sur le sens desmots tsxtwv, «faber «,
voyez I'Evangile selon S. Matlh. p. 283. Au-
jourd'hiii, le bois de charpente fait comple-
tement defaut a Nazareth et aux alenlours :
les maisons y sont pour la pliipart voiilees.
Ain?i done le Sauveur ne pourrait plus guere
exercer dans sa patrie sa profession de char-
pentier. Helas! par les rationalistes mo-
dernes. comm- alors par ses compatriotes,
Notre-Seigneur Jesus-Christ n'est regardeque
comme un simple artisan! — Filius Marios.
De Tomission du nom de S. Joseph, on a jus-
tement conclu qu'a cette epoque le pere nour-
ricier de Jesus avail sans doute cesse de
vivre. — Frater Jacobi... Les noms seniles
memes que dans le premier Evangile. Seule-
ment, Simon, a qui S. Matthieu attribue la
troisieme place, occups ici la quatrieme.
Celui que la Vulgate appelle Joseph e-^l nomme
tour a tour Itucr, et 'Iwa7i9 dans les manus-
crits grecs. — Soro7-es ejus. La legende re-
duit le plus souvent a deux le nombre des
« soeurs » de Jesus: elles se seraient appelees
Esther et Thamar (ou Marlhe selon d'autres'.
— Nous avons prouve dans notre commen-
taire sur S. Matthieu, pp. 283 et ss., que les
f)ersonnes designees dans I'Evangile, d"apres
a coutume orientale, sous I'appellation de
freres ou de sceurs de Jesus, etaient simple-
ment ses cousins et ses cousines, issus, selon
I'opinion la plus probable, du mariage de
Cleophas avec Marie, sQeur,ou du moins belle-
soeur de la Tres Sainte Vierge. Voir I'inte-
ressanle dissertation du P. Corluy inlitulee :
Les Freres de Notre-Seisneur Jesus-Christ
(Etudes religieuses redigees par des Peres de
la Compagnie de Jesus, 18781. M. Renan,
apres avoir audacieusement affirme. Vie de
Jesus, 13e edit., p. 27, que « Jesus avait des
freres et des scEurs, dont il semble avoir ete
j'aine », se corrige a moitie quand il ecrit
dans son recent ou\ rage (LesEvangiles, 1878,
p. 537-549) : « Seulement, il est possible que
ces freres et ces scBurs ne fussent que des
demi-freres, des demi-soeurs. Ces freres et ces
scEurs etaient-ils aussi fils ou fiUes de Marie?
Cela n'est pas probable ». D'apres le profes-
seur du College de France, les « freres » et
les « soeurs » de Jesus seraient nes dun ma-
riage anterieur de S. Jostph. — Et scandali-
zabantur in illo. Triste consequence des rai-
sonnements lout humains que nous venons
d'entendre. Celui qui apporlail aux habitants
de Nazareth des paroles de salut devenait
ainsi pour eux une occasion involontaire de
ruine spirituelle. Mais pourquoi fermaient-ils
les yeux a la lumiere? Pourquoi commettaient-
ils de gaiete de coeur le « peche centre I'Es-
prit-Sainl? »
4. — Les Nazareens n'etaient ni les pre-
miers ni les derniers a trailer dedaigneuse-
ment un prophete sorti de leursrangs. Noire-
Seigneur leur rappelle ce triste fait, dont on
Irouve plus d'un exemple dans les fastes sa-
cres. « II est presque necessaire que des con-
citoyens se jalousent entre eux. Sans regard
pour les oeuvres actuelles d'un homme, ils
n'ont de lui que le souvenir de sa fragile en-
fance. » V. Bede. « On estime loujours plus
ce qui est absent quece qu'on ne connait que
par la reputation, ce qu'on n'a pas que ce
qu'on a. Quelque merite qu'ait un homme,
des qu'on s'accoutume a le voir souvent et
familierement, on I'eslime raoins. Notre Sau-
veur. qui avail dans lui-meme un fond infini
de merite. et qui n'avail pas I'ombre du
moindre defaut, n'a pas laisse d'eprouver cet
effet de la bizarrerie de I'esprilde I'homme »,
Calmet. — La conjonction quia est recitative.
— Sine honore. a-rifio?, est I'oppose de euTtjio;,
« in pretio habitus'. » — Les mots et in cog-
natione sua sont propres au second Evangilo,
CHAPITRE VI
91
5. Et non poterat ibi virtutem ul-
km facere, nisi paucos infirmos im-
positis manibus curavit.
6. Et rairabatur propter increduli-
tatem eorum, et circuibat castella in
circiiitu docens.
7. Et vocavit Duodecim : et coepit
eos mittere binos, et dabat illis po-
testatem spirituum immundoriim.
Matt?i. 10, 1; Sup. 13, 3; Luc. 9, 1.
5. Etil ne put faire la aucun mi-
racle, si ce n'est qu'il giierit quel-
ques malades en leur imposaut les
mains.
6. Et il s'etonnait de leur incre-
dulite, et il parcourait les villages
d'alentour en enseignant.
7. Et il appela les Douze et com-
menca a les envoyer deux a deux,
et il leur donna puissance sur les
esprits immondes.
lis representent toute la parenle, landis que
in domo ne designe que le cercle plus res-
treinide la maison paternelle.
5. — Et non poterat... S. Marc emploie
ici line expression ties fortC; poiirindiquer le
facheux resultat produil par rincredulile des
compatriolesdu Sauveur. Tandis que S. Mat-
thieu, XIV, 58, se borne a mpnlionner simple-
ment le fait, noire Evangeli>te sembie dire
que les mains du divin Tlianmaturge elaient
liees. Mais on comprend sans peine sa pen-
see : « Non potei at igitur illic vii tutes facere,
non quod ipsi vis, sed quod ejus civibiis fides
dee?set... In opeiationibiis miraculorum duo-
bus opus est, virtute in auctore, et fide in
illis quibus preestantur; quarum allerutra
deficiente altera non sufficit. » Vict. Antioch.
ap. Caten. griEC. Pair. ed. Possin. CIV. Theo-
phylacte et Eulhymius, h. I. Les miracles de
Jesus elaient en effet des acies moraux, qui
supposaient dans les cceurs de bonnes dispo-
sitions. Ainsi done,
Talibus iadignans pressit sna manera Cbri!<tns.
JuvencQs.
— Nisi est pour « tantum » ou « attamen ».
L'evangeliste corrige en quelque sorle son
assertion precedente, pour dire que si Jesus
n'opera pas alors a Nazarelh des prodiges
insignes [virtulem itllam), tels que la resur-
rection des morls, I'espulsion des demons, les
guerisons a distance au moyen de sa seule
parole, il y accomplil cependant des miracles
de second ordre, en rendant la sante a quel-
ques infirmes par I'imposition de ses mains
divin 'S.
6. — Et mirabatur. Plu^ieurs manuscrits
grecs ont i^vj\j.a.low au pluriel (mirabantur),
comme si c'etaient les habitants de Nazareth
qui se fussent etonnes. Mais c'est la evidem-
ment une correction malhcureuse, emanee
d'un copiste peu intelligent auquel il avail ete
impossible de comprendre que le sentiment
de I'admiralion put trouver place dans I'ame
tie Jesus Oui, le Sauveur s'etonne! il est
surpris (n face de la reception qui lui est
faite par les siens! Toutefois, notons-le bien,
son ctonnement n'est pas la suite de I'igno-
rance (« non quasi inopinata et improvisa
miratur qui novit omnia », Bede), il provient
au contraire, de sa parfaite connaissance des
coeurs. Les Nazareens avaient tant de motifs
de croire! N'elail-il pas etrange qu'ils de-
meurassent incredules? Les saints Evangiles
ne nous monlrent qu'en deux endroils Notre-
Seigneur Jesus-Christ livre a I'etonnement,
ici et Matth. viii, 10, a I'occasion de la foi
si vive du centurion. Quel conlraste entre les
deux fails! — Circuibat castella. Le divin
Maitre ne s'eloigne, dirail-on, qu'a regret de
sa patrie. II demeure dan- le voisinage, cher-
chani des coeurs mieux disposes. Les bour-
gades qu'il parcourul en y repandant ses
bienfails duient etre Dabrat, Nairn, Galh-
Hepher, Rimmon, Endor, Japliia, etc. Voyez
le Bibel-Ailas de R. Riess, pi. iv, et I'Allas
geogr. de M. Ancessi, pi. viii.
14. —Mission des Douze. vi, 7-13. — Parall,
Matth. X, 1-15; Luc. ix, 1-6.
7. — Vocanit duodecim. Le verbe grec est
compose et au temps present, TrpocxaXeiTas,
« advocat ». L'occasion de celte reunion so-
lennelle, et du discours plus solennel encore
que Jesus y prononfa, a ete fidelement de-
crite par S. Matthieu, ix, 33-38. Avec son
coeur et ses yeux de bon Pasteur, le divin
Maiire a reconnu la misere morale dans la-
quelle ses pauvres brebis sont plongees. II se
dispose a lessecourir. et c'est pour s'associer
en vue de ce grand oeuvre des collaboraleurs
zeles et intelligents, qu'il transforme pour la
premiere fois les Douze en predicaleurs de
I'Evangile. — Ccepit n'est nullement un pleo
nasme, ainsi qu'ou I'a pretendu. En ce mo-
ment, Jesus entreprend une chose nouvelle :
il « commence » ires-reellement a envoyer
ses disciples en qualite de mi^sionnaires,
S. Marc a eu raison de noter celte nuance.
— Seul aussi il a note une circonstance impor-
tante de cetle premieie mission des Apolres,
en disant que le Sauveur les avail envoyes
92
fiVANGILE SELON S. MARC
8. Et il leur commanda de nerien
porter en chemin qu'ua bdton seu-
lement, ni sac, ni pain, ni argent
dans leur ceinture,
9. Mais de se chausser de sandales
et de ne point se munir de deux tu-
niques.
8. Et prsecepit eis ne quid tolle-
rent in via, nisi virgam tantum;
non peram, non panem, neque in
zonases.;
9. Sed calceatos sandaliis, et ne
induerentur duabus tijnicis.
Act. 12, 4.
precher deux a deux, hinos (SOo Suo du texte
grec est un hebraisme pour xaxa 5uo, ou ava
6uo. Cfr. Winer, Grammat. des neulest, Spsar-
chidioms, p. 223, et Gen. vii, 9). Jesus agit
ainsi soit pour que ses missionnaires pussent
se soulenir muluellement, soit pour donner
plus de poids a leur parole. Voici la maniere
dont les Douze semblenl avoir ete associes,
d'apres la liste que S. Matthieu nous fournit
a propos de cet incident : Pierre et Andre,
les deux fils de Zebedee, Philippe et Barthe-
lemi, Thomas et Matthieu, Jacques-le-Mineur
et Thaddee, Simon-le-Zelote et Judas. — Da-
hat illis potestatem. Tout en les separant de
lui momenlanement afin de leur apprendre a
voler de leurs propres aiies, Jesus demeure
neanmoins d'une certaine maniere avec eux
en leur leguant son autorile, specialement
celle qu'il exer^ait sur les esprits infernaux.
— Sur le genitif irregulier spirituum immun-
doruni, au lieu de « adversus spiritus... »
voir Winer, Grammat. cap. in, § 30. Cfr.
Luc. IX, 1.
8. — Les ft. 8-11 contiennent des regies
tracees par le Sauveur a ses Apotres concer-
nant la conduite qu'ils auraicnt a tenir pen-
dant leurs courses apostoliques. Jesus ne de-
daigna pas d'entrer dans les details les plus
minulieux, monlrant aux Douze, au moyen
d'exemples concrels et pratiques, jusqu'ou lis
devaient porter I'esprit de pauvrete et de
delachement. II est question du viatique
dans les tt. 8 et 9, du logement dans les
tt. 10 et 11. — Prcecepit eis. Les prescrip-
tions donnees en ce jour par Notre-Seigneur
remplis>ent un long chapitre du premier
Evangile (ch. x) et concernent les missions
de tous les temps. S. Marc, fidele a son plan,
d'apres leque! il transcrit des faits plutot que
des discours, s'est borne a consigner ici quel-
ques avis relatifs a la mission acluelle, qui
devait se passer tout entiere sur le territoire
de la Palestine, en plein pays juif. — Ne
quid tollerent...Ancune provision n'etait per-
mise aux Douze. Le Yen. Bede indique fort
bien le motif de cette injonction : « Tanta
enini praedicatori in Deo debet esse fiducia,
ut praesentis vilce sumptus quamvis non pro-
videat, lamen hos sibi non deesse certissime
sciat, ne dum mens ejus occupatur ad tem-
poralia, minus aliis provideat aeterna. » Au
reste, nous avons dit dans noire commentaire
sur S. Matthieu, p. 200, que, dans cette con-
tree hospitaliere, les Apotres n'avaient pas
un besoin urgent de viatique. — Nous avons
signale aussi au meme endroit, p. 201, la di-
vergpnce qui existe, a propos des mots nisi
virgam, enlre S. Marc et les deux autres sy-
nopliques (« Nolite possidere aurum..., neque
virgam », Matlh.; « Nihil tuleritis in via,
neque virgam », Luc), et la solution de ce
petit probleme exegetique. Les deux redac-
tions sont exactes; mais elles ont ele faites a
divers points de vue, et renferment plutot la
pensee que les « expressions memes » de Jesus.
— Non peram. La « pera » des Latins, la
^y.ri des Grecs, etait une sorte de petit ha-
vresac, habituellement en peau, dans lequel
les voyageurs plagaient leurs provisions pour
la route, le pain en particulier ; de la les mots
suivants neque panem. — Rien pour porter
les vivres, pas de vivres, pas d'argent non
plus pour s'en procurer, neque in zona ces.
On revient aujourd'hui a la coutume antique
de porter Targent dans des ceintures de
cuir ou d'etoffe. — Petit trait digne de re-
marque : S. Marc, qui ecrit pour des Re-
mains, emploie I'expression fj^X-^iv, I'equiva-
lent de « aes », qui servait souvent a designer
I'argent monnaye; S. Luc, qui ecrit pour des
Grecs, a apyuptov; S. Matthieu mentionne les
trois metaux usites dans tous les temps pour
servirdemonnaie, I'er, I'argent etle billon. —
Au lieu des ablatifs « in via, in zona », il fau-
drait, d'apres legrec, « in viam, in zonam »:
rien pour la route, de I'argent destine a etre
mis dans la ceinture.
9. — Calceatos sandaliis. Le lecteur a dA
remarquer le brusque changement qui a lieu
ici dans la construction, et I'agencement sin-
gulier de toute cette phrase. Les memes
irregularites existent dans le texte grec.
C'est ce que les grammairiens nomment
« oratio variata ». Cfr. Wliner, Grammat.
p. 507. — Nouvelle divergence dans ce pas-
sage, le Sauveur ne permettant pas a ses
apotres, selon la redaction de S. Matthieu,
de porter des chaussures avec eux. On peut
choisir entre deux solutions; lo d'apres le
premier Evangeliste, Notre-Seigneur interdit
aux disciples les vnooiixa-nx, sorte de brode-
quins montants qui couvraient tout le pied
CHAPITRE VI
93
10. Et dicehat eis : Quocumque in-
troieritis in domum,illic manete do-
nee exeatis inde;
11. Et quicumque non receperint
vos, nee audierint vos, exeuntes in-
de, excutite pulverem de pedibus
vestris in testimonium illis.
Maith. 10, U; Luc. 9, 5; Act. 13, 51 et 18, 6.
12. Et exeuntes prsedicabant ut
poBnitentiam agerent :
10. Et il leur disait : En quelque
maison que vous entriez, demeu-
rez-y jusqu'a ce que vous partiezde
ee lieu;
11. Et lorsqu'on ne vous recevra
pas et qu'on ne vous ecoutera pas,
sortez de la, et secouez la poussiere
de vos pieds en temoignage contre
eux.
12. Et, s'en allant, ils prSchaient
qu'on fit penitenee.
et n'elaient giiere portes mie par les riches;
S. Marc nous montre les Douze simplement
chausses de sandales, c'est-a-dire d'une se-
melle de cuir ailachee aux pieds par des la-
cets oil des courroies (On Irouvera dans le
diclionnaire des Antiquites rom. et grecq.
d'Ant, Rich, aux mots Calceolus et Calceus,
de curieiises representations des chau^^sllres
usitees a I'epoque du Sauveur). 2o Dans
S. Matlhieu, il s'agirail de souliers de re-
change; dans S. Marc, de ceux que les Apo-
tres avaient aux pieds au moment de leur
depart. — Et ne induerentur : la construc-
tion change encore brusquement, pour re-
prendre, du moins dans la Vulgate, la forme
qu'elle avail ;iu t. 8. De nombreux manus-
crits grecs onl evouariaOE, « induamini d, au
lieu de evSuaaaeai, « indui », de la Recepta.
40. — Jesus trace maintenant aux nou-
veaux missionnaires les regies qu'ils devront
suivre a propos de leursejour etde leur loge-
ment, dans les lieux ou ils s'arreteront pour
precher I'Evangile. S. Marc a seulemenl note
deux de ces regies. La premiere, t. 4 0, re-
commande aux Apolres la stabilile; la se-
conde, f. 11, leur indique ce qu'ils auront a
faire quand ils trouveront des maisons inhos-
pitalieres oil on refusera de les recevoir. —
Et dicehat ew.Le discours, qui avait ete indi-
rect dans les deux versets precedents, devient
tout-a-coup direct. L'Evangeliste cite au lieu
de raconter. — Quocumque introieritis... En
Palestine, « lorsqu'un etranger arrive dans un
village ou dans un camp, les voisins, I'un
apres I'autre, sont tonus de I'inviter a man-
ger avec eux. L'etiquetle est tres-severe sur
ce point, et elle exige un grand deploiemont
d'oslentation et de courloisie; le moindre
oubli dans les formes est vivement ressenti
tl occasionne souvent de I'inimitie ou des
luttes entre voisins. Ce sysleme d'hospitalite
consume aussi beaucoupde temps, cause une
grande dissipation d'esprit, conduit a la lege-
rete, et en un mot nuit de toutes manieres
au succes d'une mission spirituelle. Les
Apotres etaient envoyes, non pour etre f^tes
et honores, mais pour inviter les hommes a
la penitence, pour preparer les voies du Sei-
gneur, pour proclamer que le royaume des
cieux etait proche.Ils devaient doncchercher
tout d'abord une habitation convenable, et
demeurer la jusqu'a ce que lour oeuvre fut
accomplie dans la localile ». Thomson, The
Land and the Book, p. 347. — Illic, c'est-a-
dire « in hac domo » ; inde, de la ville ou de
la bourgade.
41. — Quicumque non receperint. La Re-
cepta grecque a la memo logon que la Vul-
gate; mais de nombreux manuscrits portent
6; av TOTTo; (Ari 5e?r)Tai,variante qui a de grandes
chances d'originalite. — Excutite pulverem. ..
Voyez I'Evaiig. selon S. Mallh., p. 203. Par
ce geste symbolique, les Apolres econduils
montraienl 1° qu'ils rompaient toute commu-
nion avec ceux qui les Iraitaient d'une fagon
si brulalo, et qu'ils ne vouiaient avoir abso-
lument rien de commun avec eux ; 2° qu'ils
declinaient toule responsabilite dans leur
refus obsline de recevoir I'Evangile. « Pulvis
nimirum ille argumentum oral el signum viae
in graliam conlumacium istorum a Ghrisli
discipulis fruslra peractae. » S. Cyrille, cild
par Palrizi. — La Recepla ajoule apres le
pronom llllS : ajxrjv Xeyw CifjLiv, avE/tToTEpov eaxai
SoSofiot? 9) FofAoppot; sv •/ijxspa xpiffsw? v^ x^ TroXet
exetv^. Mais c'est la vraisemblablement une
glose inseree dans le texte el emprunlee au
passage parallele de S. Matthieu, x, 4 5.
12. — Exeuntes prcedicabant. Ainsi invites
a negliger a pen pres lolalement les moyens
humains pour ne s'appuyer que sur Dieu, ies
Douze parlent deux a deux, et s'en vonl por-
ter la bonne nouvelle dans les regions quo
leur Mailre leur avait designees. S. Marc de-
crit fort bien le resultal de leurs premiers
efforts. — Pceniteniiaiu agerent. La predica-
tion des Apolres ne differail pas de celle du
Precurseur (Cfr. i, 4), car elle elait simple-
ment preparatoire, commo la sieiino. Toule-
fois, le versel suivant nous dira qu'ils I'ai-
saient des miracles aussi bien que lour Mailre,
ce qui les dislinguait de Jcan-Baptiste. —
94
fiVANGILE SELON S. MARC
13. Etils cliassaient beaucoup de
demons, et ils oignaient d'huile
beaucoup de malades et les gue-
rissaient.
14. Or le roi Herode entendit
farler de Jesus (car son nom avait
ete manifeste), et il disait : Jean-
13. Et daemonia multa ejiciebant,
et ungebant oleo multos aegros, et
sanabant.
Jac. 5, 14.
14. Et audivit rex Herodes, (ma-
nifestum enim factum est nomen
ejus), et dicebat : Quia Joannes Ba-
L'omission du sujet devant « agerent » est un
hebraisme : il faul sous-enlendre « homines ».
'13. — S. Maic nientionne deux categories
de prodiges operes par les Apotres diuant
cette mission ; ils chassaienL les demons, ils
guerissaient les malades. Jesus leiir avail pre-
cisemenl confere ce double pouvoir an mo-
ment oil il les eloignait dc lui. Cfr. Matth.
X, \. Mais quel est le sens de cetle onclion
mysterieuse que les Douze pratiquaient sur
les infirmes auxquels ils voulaienl rendre la
sanle'?Les mots oleo ungebant ont suscite
autrefois de longues et vives discussions par-
mi les exegetes. L'huile et les onclions ayant
toujours joue un ties grand role dans la me-
decine orienlale (Comp. Lightloot, Horae
talm. h. 1. Cfr. Is. i, 6 ; Jer. viii, 22 ; Luc.
X, 34, et les lermes e-j-xptaTa 9ap[i.ay.a, laxpa-
XetTtxat, si usiles cliez les GrecS), nos ralio-
nalisles ont pretend u que les Apotres les em-
ployaient lout bonnemenl cou:me des remedes
nalurels. C'est la un contre-sens grossier,
puisqu'il s'agit dans lout ce verset d'une
puissance surnalurelle ou miraculeuse. D'un
autre cole, Maldonat (sa longue et savanle
dissertation sur ce point est a lire), Fr. Luc
etd'autres ont pense, a la suite du V. Bede
et de Nicolas de Lyre, qu'il est ici question a
n'en pas douter du sacrement de I'Exlreme-
Onction. Mais ce sentiment est a bon droit
rejele par la plupart des commenlateurs ca-
Iholiques. Pour le refuter, il suffit de rappeler
que 1 Exlreme-Onction requiert le caraclere
Bacerdolal dans celui par qui elle est admi-
nistree, et le bapterae dans le sujet : or, a
celte epoque, il n'exislait pas encore de
prelres chretiens, et rien ne montre que les
Apotres avaient d"abord baptise les malaaes
sur lesquels ils pratiquaient I'onction signa-
lee par S.Marc. La verite consiste a dire que
cette onction etait un symbole du divin pou-
voir exerce par les Douze, en meme temps
qu'une cause mediatrice de la guerisoii.
Neanmoins, il serait temeraire de n'y pas
. voir, selon les paroles de Bellarmin, « adura-
'bratio quaedara et figura sacramenli. » Cfr.
Cone. Trid. Sess. XIV de Sacram. exlr. unct.
c. I : « Instilula est lisec unclio infirmorum
lanquam vere et proprium sacramentum
Novi Teslamenti a Cliristo Domino nostro,
APUD Marcu.m quidem insiauatum, peiJaco-
bura autem... promulgalum. » — Evidem-
ment, les Apotres ne songerent pas d"eux-
memes a oindre ainsi les malades pour les
guerir : c'est de leur Mailre qu'ils tenaient
cetle pratique, comma le disait deja Euihy-
mius.
15. — Le martyre de S. Jean-Baptiste.
VI, 14-29. — Parall. Maltb. xiv, 1-12; Luc. ix, 7-9.
Les trois synoptiques sont Ires inegaux
dans leurs recits de ce douloureux evdniMuent.
S. Luc se borne a I'aire connailrc d'un m^.c 'h
decollation du Precurseur, en relatant ro|)i-
nion qu'Herode s'etait fonniie an sujet dt
Jesus. S. Malthieuabiege, ainsi qu'il lui arrive
presque toujours quand il passe di\s discours
a des fails. Noire Evangelisle au conlraiie a
une narration parfaile a tons les points de
vue et pleine de details pilloresques.
a. Jesus dans Vopmion d'He'rode. vr, 14-'l6.
14. — Et audivit. Le complemuil, q'ioii|ue
omis, se supplee sans peine. Ce qii'Hero.lo
appril, ce furent, dirocienient, les miracles
accompiis par les Apotres a Iravers les bour-
gades galileennes, puis, a cetle occasion, les
ceuvres de Jesus hii-meine, que chacun sa-
vait etre leur 3Iailre. Toute la conliec reten-
tissait done alors de son nom beni. Sa repu-
tation franchit jusqu'au seuil de la cour! —
Rex Herodes. S. Matthieu et S. Luc disent
plus exactement « Heiodes telrarclia » ; car
cet Herode, donl le « cognomen » elait Anii-
pas, ne fut jamais roi d'une maniere piopre-
ment dile, malgre I'ardent desir qu'il avait
d'en porter le nom, malgre les demarches
officielles qu'il fit a Rome dans ce but : le-
trarque, tel etait son vrai tilre. Mais S. Marc
I'appelle roi dans le sens large et populaiie
de cette expression : de fait. Aniipas exer-
gait vraimenl en Galilee une autonte royale.
C'est le second des Herodes mentioiines dans
le Nouveau Testament (Voir I'Evang. selon
S. Matth. p. 49): il elait fils d"Hemde-le-
Grand. — Dicebat. C'est a ses courlisans, a
ses serviteurs, qu'il communiqua le sentiment
que nous allons entendre. Cfr. Matih. xiv, 2.
— Baplista resurrexit Devenu depuis
quelque temps le meurlrier de Jean-Bapti>tev
le letrarque avait I'imagination hanlee cons-
tamment par le spectre de sa victime. II est
CHAPITRE VI
95
plista resurrexit a mortuis : et pro-
pterea virtutes operanturin illo.
Malth. II, I, 2; Luc. 9,7.
15. Alii autem dicebant : Quia
Elias est. Alii vero dicebant : Quia
propheta est, quasi unus ex pro-
phetis.
16. Quo audito,Hei'odes ait : Quern
ego decollavi Joannem, hie a mor-
tuis resurrexit.
17. Ipse enim Herodes misit, ac
tenuit Joannem, et vinxit eum in
carcere propter Herodiadem uxorem
Philippi fratris sui, quia duxerat
earn.
Luc. 3, 19.
18. Dicebat enim Joannes Herodi :
Non licet tibi habere uxorem fratris
tui.
Lev. 18, 16.
Baptiste est ressuscite d*entre les
morts, et voila pourquoi des miracles
sont operes par lui.
15. Mais d'autres disaient : G'est
Elie. Et d'autres : G'est un prophete,
pareil a un des prophetes.
16. L'ayant entendu, Herode dit :
Ge Jean que j'ai decapite est ressus-
cite d'entre les morts.
17. Gar cet Herode avait envoye
se saisir de Jean et I'avait enchaine
en prison a cause d'Herodiade,
femme de Philippe, son frere, parce
qu'il I'avait epousee.
18. Gar Jean disait a Herode : II
ne t'est pas permis d' avoir la femme
de ton frere.
done nalurcl qii'au seul bruit des miracles de
Jesus, il se soil persuade que Jean etait res-
suscite d'enlre les morts el, sous une forme
nouvolle, levenu en Galilee pour y conlinuer
son niinisleie avec une puissaiu-e encore plus
grande qu'avaiit. sa mort. — Opcrantur est
employe au sens neulre, comme le nionlre le
texte grec. evspyouCTtv : des forces niiraculeuses
sont. energiques en lui, agissent par lui.
45. — De I'opinion d'Herode, S. Marc rap-
proche les sentiments divers qui avaienl cours
parmi le people louchant le Precurseur. —
Elias est, disaient les uns. En l9 conlondant
ainsi avec le grand prophete de Thisbe, ils
n'etaient pas loin de la verite. Cf'r. Matlh.
XI, 14; Luc. 1, 17; etc. — Propheta est, di-
saient les auiresd'une maniere rnoins deter-
minee. L'article manquant dans le lexte grec,
il n'est point permis de traduire : C'esL le
Prophete, le |)rophele par antonomase, le
Messie! Le veritable sens est precise par les
mots qiuisi unus expropltetis. Done : G'est un
propheta, semblablo aux ancien-; prophetes.
La legon de la llecepta, 6xi 7rpocp/)-:y]; eoTtv, ^
w; eT; Ttov TTpopYiTdiv, a contre elle les meilleurs
manusc'-its; il taut lire, comme afailla Vulgate,
IG. — Quo uudito. « Uuo », c'est-a-dire
ces differeiites opinions. Herode n'en admet
aucune, mais il s'en lienl forlemenl a celle
qu'il a deja enoneee lui-meme, t. 14. Re-
marquons I'assurance avec laquelle il affirme
la resurrection du Baptiste : c'esl un effel de
ges crainles, de ses remords, du ver qui le
ronge interieuremenl. Ego et hie sont empha-
tiques. — N'esl-ce pas une allusiou a ces
terreurs d'Herode, devenuescelebresdans lout
le monde remain, que Ton croirait lire dan3
les vers suivants de Perse?
At quDm
Heroilis venere dies, iinctaqae fenestra
Dispositx' pingueiii nebulaiu vorauere lurernae,
Poitanles viota'!, lubruinque amplexa caliQum
Cauda natat tliymii, tumet alba lulclia vino :
Labra moves tacilus, lecutitaque sabbata palles. —
Tunc uigri leiuures, ovoque pericula luplo.
Sat. V, 169-185.
b. La decollation de Jean-Baptiste. VI, 17-29.
17. — Ipse enim Herodes. « Marc I'Evan-
gelisle, a I'occasion de ee qu'il vient de ra-
conler, rappelle iei la mort du Precurseur. »
Theophylaele.S.Matthieu avait faitdememe,
signalant d'abord I'idee singuliere qu'Antipas
s'elail I'aite de Jesus, et revenant ensuite sur
ses pas, afin de deerire les circonstances
parmi lesquelles S.Jean avait ele arrele, puis
decapite par le telrarque voluptueux et cruel.
— Misit ac te»uit. Hebraisme. Voycz, sur cet
emploi du verbe « mitlere », leThesaurus phil.
de Gesenius, au mot nSu?, p- 1411. — In car-
cere. S.Jean fut incarcere a IMacheronte, « la
forteresse noire »,eitadelle batie par Herode-
le-Grand dans la province de Peree, vers lo
N.-E. de la mer Morte, pour tenir en respect
les tribus de pillards arabes domiciliees a
I'Esl du Jourdain. Voir I'Atlas geograph. de
M. Ancessi, pi. xvi. — Propter Herodiadem.
Nous trouvons ici le motif de cet emprison-
neraenl injuste et sacrilege. C'elait moins
Herode qui I'avait decrele, que sa niece et
belle-soeur Herodiade, devenue recemment
son epouse, en depil des lois divines el
98
fiVANGILE SELON S. MARC
19. Or Herodiade lui tendait des
embuches et voiilait le faire perir,
et ne pouvait pas.
20. Gar Herode craignait Jean, le
sachantim homme juste et saint, et
il le gardait et faisait beaucoup de
choses apres I'avoir entendu, et I'en-
tendait volontiers.
21 . Mais im jour opportun arriva;
Herode, le jour de sa naissance,
19. Herodias autem insidiabalur
illi : et volebat occidere eum, nee
poterat.
20. Herodes enim metuebat Joan-
nem, sciens eum virum justum et
sanctum : et custodiebat eum, et
audito eo multa faciebat, et libenter
eum audiebat.
21. Et cum dies opportunus acci-
disset, Herodes natalis sui coenam
humaines. En effet, d'une part, la femme legi-
time dutetrarqueetait encore vivanle: d'au're
part, Philippe, mari d'Herodiade et frere d'He-
rode, vivait aussi. II y avait done trois ou
quatie empechements an manage. Mais la
passion des deux conjoints avait impudem-
ment franchi tons les obstacles. Pour les de-
tails, voyez I'Evang. selon S. Malth. pp. 253
et 254.
18. — Dicebat enim Joannes. Le nouvel Elie
rappela energiquement a Herode les droits de
la morale outragee. L'imparfait « dicebat »
montre qu'il ne se borna pas a dire une seule
foisau coiipable : iVon /(oef, mais qu'il lui don-
na sur ce point des avertissements reiteres.
19. — Herodias autem. Les transitions sont
tres elegamment menagees dans tout ce recit,
a I'aide des particules yap, 8e, que nous ren-
controns presque a chaque verset. Voici done
la Jezabel du Nouveau Testament qui appa-
rait sur la scene evangelique. Eileagira d'une
maniere digne de sa conduite anterieure. —
'Insidiabatur ilk. Nouvel imparfait, qui ex-
'prime une serie interminable d'embuches et
de machinations perfides, telles que les
femmes savent les dresser. Le verbe grec
eveTxev serait peut-etre mieux traduit par
'« elle lui en voulait. » On comprend sans
peine pourquoi I'epouse adultere etait si pro-
fondement hostile a S. Jean. « Timebat enim
Herodias ne Herodes aliquando resipisceret...,
atque illicitae nupliae repudio solverentur. »
Bede. — Volebat occidere eum : ses souhaits
de vengeance allaient jusqu'a I'homicide. II
lui fallait la tete de I'audacieux qui i'avait
attaquee. Et pourtant, non poterat. Le t. 20
nousmontrera d'ou provenait cette impuis-
sance surprenante.
20. — Tous les details que nous lisons ici
appartiennent en propre a S. Marc. C'est une
profonde elude psychologique. — Herodes me-
tuebat Joannem : ii le craignait d'une crainte
religieuse, car il savait, sciens, I'ayant appris
par sa propre experience, que c'etait un
homme de Dieu. Virum juslum et sanctum :
magnifique eloge du Precuseur, venant d'un
homme tel qu'Herode. La premiere epilhete,
eomme le fait rem.arquer la « Glossa ordina-
ria », concerne les rapports de Jean avec les
hommes, la seconde ses rapports avec Dieu.
Avec tous il etait parfait. — Custodiebat eum.
Le verbe grec auveropei a une signification
duuteuse. Les uns le traduisent comme la
Vulgate par « garder en prison », et cette
interpretation semble autorisee par plusieurs
passages du Nouveau Testament, Act. iv, 3;
V, 48, oil le subslantif T^pYjffi; a le sens de
« career ». D'autres lui font signifier tantot
« observer », lantot « avoir en haute consi-
deration », tantot « proteger ». Nous nous en
tenons a notre version latine. — Audito eo
multa faciebat. « Multa » est pris en bonne
part : beaucoup d'exeellentes choses. Helas !
que ne commengait-il par la plus necessaire
de toutes, par celle que le Preeurseur lui con-
seillait le plus vivcment ? Le livre des Actes,
XXIV, 26, nous montrera le proconsul Felix
s'inspirant de meme des conseils d'un autre
prisonnier non moins illuslre. — Au lieu de
inoki, « faciebat », le Cod. sinait. a une cu-
rieuse variante : ^7:6pet, il etait dans I'embar-
ras. Si cette leQon etait authentique, elle
exprimerait un fait tres naturel, nous mon-
trant Herode, au sortir des entretiens qu'il
avait avec Jean-Baptiste, deconcerte, embar-
rasse sur une foule de points, c'est-;i-dire
agile par de legitimes serupules a propos de
la plupart de ses aetes. Quoi qu'il en soil,
libenter eum audiebat, la verite gardant par
intervalles toute sa puissance, meme sur
cette ame corrompue. Herode, dans les ea-
chots de Macheronte, ecoutant son prison-
nier avec une respectueuse attention : quel
beau sujet pour un peintre ehrelien!
21. — Cependant I'ame mobile dutetrarque
subissait encore un autre ascendant que celui
du Preeurseur, et c'est du cote du crime
qu'Herode finira par tomber. — Dies op-
portunus. Hammond, Paulus, Kuinoel, etc.,
donnent a cette locution le sens du miD DV
hebreu, « jour de fete »; d'autres exegeles pen-
sent que I'Evangeliste a plutot voulu parler
d'un jour opportun pour la realisation des san-
glanlsdesseins d'Herodiade. Selon M. Schegg,
il sagirait simplement d'un jour convenable
pour la celebration de I'anniversaire du te-
CHAPITRE VI
97
fecit principibus, et tribunis, et pri-
mis Galilsese :
22. Gumque introisset filia ipsius
Herodiadis, et saltasset, et placuis-
set Herodi simulque recumbenti-
bus, rex ait puellse : Pete a me quod
vis, et dabo tibi :
23. Et juravit illi : Quia quidquid
petieris dabo tibi, licet dimidium
regni mei.
Matth. 14, 7.
24. Quae cum exisset, dixit matri
su8e : Quid petam? At ilia dixit : Ca-
put Joannis Baptistse.
25. Gumque introisset statim cum
festinatione ad regem, petivit di-
donna un festin aux premiers de sa
cour, etaux tribuns et aux princi-
paux de la Galilee.
22. Et lorsque la fille d'Herodiade
fut entree, eut danse, et eut plu a He-
rode et a ses convives, le roi dit a la
jeune fille : Demande-moi ce que tu
veux, et je te le donnerai.
23. Etil le lui jura : Je te donnerai
tout ce que tu demanderas, fut-ce la
moitie de mon royaume.
24. Lorsqu'elle fut sortie, elle dit
a sa mere : Que demanderai-je? Et
celle-ci lui dit : La tete de Jean-
Baptiste.
23. Etant rentree aussitot en
grande hate pres du roi, elle fit sa
trarque. Le contexle favorise ce senl.iment.
— Natalis sui ccenam; les « nalalitiae dapes »
des Romains. « Soli moiLaliiim Herodes et
Pharao (in Scripliira) legunlur dies nalalis
sui gaudiis festivis celebiasse; sed uterque
rex infauslo auspicio nalivitalem siiam san-
guine foedavit. Verum Herodes tanto majors
impielale, quanto sanctum et innocentem
doctorem veritatis occidit, et hoc pro veto
ac petilione saltatricis. » V. Bede. — Princi-
pibus... S. Marc seul mentionne ies trois cate-
gories de convives invites par Herode. La pre-
miere, nommee en grec (j-eyiaxave;, se compo-
sait des officiers de la cour; la seconde
(tribunis, yO.iapyoi]-, des principaux chefs de
I'armee, CtV. Act. xxi, 31 ; xxvi, 26; la troi-
sieme [pri^nis Galilcece), d'uii certain nombre
de notables du pays. Go detail nous donne
une idee de la magnificence avec laquelle
Antipas celebrait son anniversaire. Aussi le
0 Heiodis dies » etait-il proverbial a Rome.
Cfr. Peis. Sat. loc. cit.
"22. — Filia ipsius Herodiadis. Le pronom
est emphatique : ce fut la fille d'Herodiade
« elle-meme », el non une danseuse de pro-
fession, qui, sur la fin du rcpas, vint egayer
Ies convives par un de ces ballets en general
tres-licencieux qui ont loujours ete I'accom-
pagnement obligatoire des fetes orientales.
On y represente par des poses varices des
caracteres, des siUiations morales, des pas-
sions. Cfr. Ambr. de Virgin, lib. iii, c. 6. —
La fille d'Herodiade s'appelait Salome. Cfr.
Jos. Ant. xviii, 5, 4. — Le verbe inlroisset
suppose qu'elle n'assistait pas au fostin : en
effet, Ies femmes en Orient ne prennent qu'en
de tres rares occasions leurs repas avec Ies
hommes.
S. BiBLB. S.
23. — Quidquid petieris dabo. Le prince
ecliauffe par la volupte et par le vin, promet
a la jeune danseuse, sous le sceau du serment,
de lui octroyer toutce qu'elle lui demandera,
dut-elleexiger la moitie deson royaume. Cette
locution, dimidium regni, dans la bouche du
roi, etail proverbiale pour signifier qu'il etait
dispose a ne rien refuser, quelque extrava-
gant que put etre le desir. Cfr. Eslh. v, 3;
vii, 2; et chez Ies classiques, Hygin.Fab. 84;
Hom. II. X, 602.
24. — Quoe cumexisset. Embarrassee d'une
telle promesse, la jeune fille sort (trait special
a S. Mai'c) pour aller consulter sa mere; car
Herodiade non plus n'assistait pas au ban-
quet. — Caput Joannis. Celle-ci n'hesita pas
nn instant. Profitant habilement d'une situa-
tion qu'elle ne retrouverait peut-etre jamais,
tirant parti de I'imprudence royale qui la
rendait elle-meme toule-puissanle, elle veut
que sa fille demande la tete du Precurseur.
25. — Quumque introisset. Quelle vie, quel
pittoresque dans ce recit tragiquel La scene
lout entiere est mise sous nos yeux. —
Statim cum festinatione. Des appartements
d'Herodiade, Salome revient en courant a la
salle du festin; pas une minute n'est perdue
par cette digne fille de sa mere. Elles avaient
en effet I'une et I'autre memes raisons de hair
et de redouter Jean-Baptiste. La conversion
du roi eut ete pour toules deux le renvoi de
la cour et le retour a une position relative-
ment humble et |)auvre. — Volo. Elle appuie
sur ce mot : Je veux, vous m'avez donne le
droit d'etre absolue dans ma volonte. — Pro-
tinus (en grec i'i, outvig, sous-entendu wpa?, sur
i'heure), immediatement, car elle ne veut pas
laisser a Herode le temps de se rcpentir. —
Marc. — 7
\\Jxi^jl4 uj^xj\j±y 0> lU^iilO
demande, disant : Je veux qu'a
rinstant tu me donnes dans un plat
la tfite de Jean-Baptiste.
26. Et le roi fut afflige; a cause
du serment et a cause des convives,
il ne voulut pas la contrister.
27. Mais, envoyant un de ses
gardes, il lui ordonna d'apporter la
tfite de Jean dans un plat.
28. Et, on apporta la tete dans un
plat et il la donna a la jeune fille, et
la jeune fille la donna a sa mere.
29. Ses disciples^ I'ayant appris,
cens : Volo ut protinus des milii ia
disco caput Joannis Baplistse.
26. Et contristatus est rex : pro-
pter jusjurandum, et propter simul
discumbentes, noluit earn contri-
stare,
27. Sed misso spiculatore prsece-
pit afferri caput ejus in disco. Et de-
collavit eum in carcere,
27. Et attulit caput ejus in disco,
et dedit illud puellse, et puella dedit
matri suse.
29. Quo audito, discipuli ejus ve-
Mihi : dans ses propres mains, de crainle
qu'on ne la trompe. Quel langage, et dans
quelles circonstances!
26. — Contristatus est rex. Le texte grec
est tres expressif ; Tizp'Ovnoc, y£v6[jievo?, elant
devenu tres afflige. S. Matthieu, xxvi, 38, et
S. Marc, xiv, 34 emploienl I'acijeclif nepOvnot;
pour decrire la tristesse qui envahit la sainte
&me de Jesus a Gethsemani. — Herode re-
grette saparoleimprudenlo.il pourrait, il est
vrai, la retracter ; mais son serment le retient,
propter jusjurandum, comme si un pareil ser-
ment eut ete obligatoire! Ce qui le retient
encore davantage, c'est I'assisiance, propter
simul discumbentes. l\ cro\ra\l forl'aire a I'hon-
neur en retirant ia promesse faite devantune
si honorable assemblee. Cefauxhonneur mon-
dain a fait commettre bien des crimes! —
Noluit earn coiitristare. Le verbe aSsTvicat
devrait6tre traduitpar « rejicere, repudiare ».
Le tetrarque n'osa done pas renvoyer Salome
sans Texaucer.
27. — Misso spicidatore. Nous lisons le
meme mot ((TTtExouMxopa) dans le texte grec:
c'est la une des expressions lalines grecisees
par S. Marc. Cfr. la Preface. § IV, 3. Le
substanlif « spiculalor », derive suivant les
uns de « spiculum <>, selon les autres de
« speculari », avait primitivement la signifi-
cation de sentinelle. Les ecrivains latins con-
temporains de S. Marc I'emploiont pour desi-
gner des soldals auxquels on confiait les
fonctions d'eclaireurs ou d'aides de camp.
Voir Ant. Rich, Diet, des anliq. rom. et
grecq. s. v. Speculatores. Cfr. Sueton. Calig.
c. XLiv; Tacil. Hisl. xi, 73. Mais il indiquait
aussi les executeurs des hautes oeuvres (Cfr.
Senec. de Benef. iii, 25; de Ira, i, 16; Jul.
Firmicus, viii, 26) et tel est ici son veritable
sens. I,nvM\)ldi:u>p 6 Sriiiio; li'^s.-con, ffxpaxtwryi;,
3i;irp6;T6 9ov£U£tv xeiaxTat. Theophylacte. Les
Rabbins, du reste, I'avaient fait passer dans la
angue hebraique et s'en servaient aussi pour
nommer le bourreau 5lin nTDSpSD "iSqS
nnia nimnon. Gloss, ad Tanch. f. 72 , 2.
« Le spiklator execute ceux qui out ete con-
damnes a mort par le roi. » Cfr. Liglitfoot,
Horse hebr.h. I.; Buxtorf. Lexic. lalm. p. 1533.
28. — Et attulit caput. Chef sacre, que Ton
venere aujourd'luii dans I'eglise d'Amiens.
— Herode n'eut pas honte de le faire porter
tout sanglant devant ses botes : Salome lo
saisit sans fremir pour le presenter a sa mere.
Mais les cours orientaies etaient accoutumees
a de pareils spectales ! « De cet horrible exem-
ple, dit pieusement le V. Bede, nous devons
conclure qu'il vaut bien mieux nous rappeler
le jour de notre mort dans la priere et la ohas-
tele, que de celebrer le jour de notre naissance
par la luxure. » Citons une autre belle re-
flexion de S. Grp.";oire, Moral, in, 5. « Je ne
puis sansun profor.d etonnement me souvenir
que cet homme, rempli de I'esprit de prophelie
des le sein de sa mere, lui qui n'eut pas plus
grand que lui parmilesfils delafemme, ait ete
jete par des pervers dans une prison, decapile
pour payer la danse d'une jeune fille, et que
cet homme d'une telle austerilesoit mort sous
le rire des etres les plus vils. Pouvons-nous
admettre qu'il y ait eu dans sa vie quelque
chose qui excuse sa mort?... D'oii vient que
leDieu tout-puissant ait pu abandonnerd'une
maniere si terrible ceux auxquels il a accorde
une election si sublime avant le commence-
ment du monde?A moins que ce ne soit,
ainsi qu'il parail evident a la piete des fideles,
que Dieu brise en les faisant lomber si bas
ceux qu'il sail devoir recompenser en les
portant sur les hauteurs. Au dehors, il les
laisse dechoir jusque dans I'abjection, parce
qu'au dedans il les fait penetrer jusque dans
une gloire incomprehensible. » Voir aussi un
beau passage de S. Ambroise, de Virgin.
1. IV (leQons du 2^ Noct. dans le Brev. Rom.
pour le 29 aout).
29, — Malgre sa lache cruaute, Herode
CHAPITRE VI
9d
nerunt. et tulerunt corpus ejus, et
posuerunt illud in monumento.
Maith. 14, 12.
30. Et convenientes apostoli ad
Jesum, renuntiaverunt ei omnia
quae egerant, et docuerant.
31. Et ait illis : Venite seorsum
in desertum locum,, et requiescite
pusillum. Erant enim qui veniebant
et redibant raulti : et nee spatium
manducandi habebant.
Matth. 14,13; Liu\% 10.
32. Et ascendentes in navim, abie-
runt in desertum locum seorsum.
vinrent, et prirent son corps ct la
deposerent dans un tombeau.
30. Or les apotres, revenant au-
pres de Jesus, lui rendirent compte
de tout ce qu'ils avaient fait et en-
seigne.
31. Et il leur dit : Venez a I'ecart
en un lieu desert, et reposez-vous
un pen. Car ceux qui allaient et
venaient etaient nombreux, et ils
n'avaient pas meme le temps de
manger.
32. Et, monlant dans une barque,
ils s'en allerent a I'ecart en un lieu
desert.
permit cependantaux disciples du Precurseur
de donner a leur Maitre une sepulture hono-
rabli'. Dapres la tradition, ils I'enterrerenL
^ Sebaste en Samaria, aupies des tombeaux
d'Elisee et d'Abdias. Puis, ajoule S. Malthieu,
XIV, 12, « venientes nunliaverunt Jesu. »
16. — Prtmieie multiplication des pains.
\i, 30-44. — P;iiall M;iUli. mv, Vi-ti; Luc. ix, 10-17.
.loan. VI, 1-13.
a. Retour et retraile dans le desert, vi, 30-31.
30. — Convenientes Apostoli. Cependant,
la courte mission des ApoLres est achevee, et
lis reviennent, avi temps qui leur avait sans
doute ete fixe, rejoindre le Sauveur a Caphar-
naiim.ce Discamus et nos, cum in minislerium
aliquod millimur, non elongari,et ultra com-
missiim officium non efferri, sed millenlem
vi-ilare, et nnuntiare ei omnia quae ogimiis
et docuimus. » Tlieophylacte. S. Marc et S. Luc
mentioiment seuls le retour des Douze au-
pres de Jesus, et le compte-rendu delaille
qu'ils lui firentde leur predicalionet de leurs
OBuvres.
31. — Les details pleins d'interet que
conlient ce verset sont propres au second
Evangile. lis consistent en une touchante
invilalion adressee par Jesus a ses disciples,
et en une reflexion pittoresque du narra-
teur. — 1o La parole de Jesus : Venite seor-
sum... Le texte grec est beaucoup plusener-
giquc : AsOte u(xec; autot xax' loiav, « illuc VOS
ipsi seorsum »; c'est-a-dire : Vous seuls,
et pas d'autres, venez avec moi dans une
retraile solitaire. — Requiescite pusillum.
Quel bon Maitre! Lui qui ne s'accordait pas
un seul instant de repos, il songe a procu-
rer quelques jours de recreation et de va-
cances a ses Apotres apres leurs labeurs
evangeliques. 11 est vrai, comme le font re-
marquer les anciens exegetes, que ce ne de-
vaient pas etre des vacances completement
oisives, mais une sorte de retraite spirituelle,
Jesus voulant apprendre ainsi aux Douze, et
a tous les missionnaires ou predicateurs
apostoliques, qu'un pasteur des ames ne doit
pas s'oublier dans la vaine contemplation du
bien qu'il a pu faire, mais qu'il a des obli-
gations importantes a remplir envers soi-
ineme, — 2" La reflexion de I'Evangelisle :
Erant enim qui veniebant... Celte reflexion
pittoresque, qui monlre si bien au lecteur le
prodigieux concours dont le Sauveur etait
alors ie centre, rent'erme en meme temps le
motif pour lequel Jesus voulait conduire les
siens dans la solitude. L'afiluence etait telle
sur la rivo occidenlale du lac, qu'il eut ete
impossible, en y restant, de trouver une
seule minute de repos. La sainte troupe n'a-
vait pas meme le temps de prendre ses
repas! s'ecrie pour la seconde fois S. Marc.
Cfr. Ill, 20. « Heureux temps ! oil tel etait le
zele des auditeurs, et le travail de ceux qui
enseignaient ! » Bede. G'etait la proximite de
la Paque qui attirait alors a Jesus un si grand
nombre de visiteurs. Cfr. Joan, vi, 4. Les
pelerins, accourus en foule de loules les con-
trees septentrionales, se groupaient a Caphar-
naiim et partaient de la en longues caravanes
pour gagner la capitale juive.
32. — Abierunt in desertum. M. Stanley,
dans son bel ouvrage sur la Terre-Sainte
(Sinai and Palestine, p. 278 de la 9e edit.),
releve lecaractere solitaire et I'aspect desert
de la contree situee au N.-E. du lac de Tibe-
riade. Moins arrosee, moins fertile, elle avait
beaucoup moins d'habilants : elle convenait
done a merveille pour le but que se proposait
Notre-Seigneur. G'est la qu'il se rendit avec
les Douze. apres avoir franchi lelac dei'ouest
a Test. Cfr. Joan, iv, 4.
-100
fiVANGILE SELON S. MARC
33. Mais beaucoup les virent
parlir on le surent et ils accoiirurent
a pied de toutes les villes et arri-
Terent avant eux.
34. Et^ en sortant de la barque,
Jesus vit une grande foule et il eut
pitie d'eux, car ils etaient comme
des brebis sans pasteurs, et il com-
mencaaleur enseigner beaucoup de
choses.
33. Et comme I'heure etait deja
fort avancee, ses disciples s'appro-
cherent, disant : Ge lieu est desert
et deja I'heure s'est ecoulee.
36. Renvoyez-les, atin qu'ils ail-
33. Et viderunt eos abeuntes, et
cognoverunt multi : et pedestres de
omnibus civitatibus concurrerunt
illuc, et prsevenerunt eos.
34. Et exiens vidit turbam mul-
tam Jesus : et misertus est super
eos, quia erant sicut oves non ha-
bentes pastorem, et coepit illos do-
cere multa.
Malth. 9, 36 el 14, 14.
35. Et cum jam hora multa fieret,
accesserunt discipuli ejus, dicentes :
Desertus est locus hie, et jam hora
prseteriit :
36. Dimitte illos, ut euntes in
b. La foule rejoint Jesus qui Vinstruit. vi, 33-34.
33. — Description plastique et vivante,
meme pour S. Marc oil tout est si vivant!
— Viderunt eos abeuntes. Le sujet de « vide-
runt » n'est pas exprime, mais on le devine
aisement. G'est la foule mentionnee au t. 31
qui viL parlir Jesus avec les siens. La nou-
Telle passe de bouche en bouche {cognoverunt
multi:. et sugirere aussitot a ce bon peuple une
resolution admirable, qui nous monlrejus-
qu'a quel point il aimail le Sauveur. — Pe-
destres... concurrerunt. De toutes les villes et
bouigades balies auN.-O. du lac, sortent des
cenlaine-; d'hommes, de femmes et d'enfants,
tous desireux d« rejoindre I'orateur, le thau-
niaiurge si populaire. La barque qui le porle
est la-bas sur les eaux; tandis que tous les
regards suivent sa direction, les pieds mar-
chent au plus vile, de crainte qu'il n'aborde
el ne s'entonce dans les terres avant qu'on
ait pu I'alteindre. — Prcevenei-unt eos. Comme
il est moralement impossible, a moins de
circonslances exlraordinaires qu'il n'y a pas
lieu de supposer ici (des vents conlraires par
exemple), que des pietons, partis de Caphar-
naiim et des alontours, meltent moins de
temps a contourner la mer de Galilee jus-
qu'au dela de I'embouchure du Jourdain
quun bon canot n'en mellrait a parcourir
en droite ligne la distance qui separe ces
deux points (Voyez la carle no xvi dans
i'Allas geogr. de M. Ancessi), nous inclinons
a adopler la legon « venerunt ad eos » qu'on
rencontre dans plusieurs manuscrits. De la
sorte toute ditliculle disparait.
34. — Exiens. G'esl-a-dire, ayant debar-
que; ou bien, selon d'autres'compar. S.Jean,
VI, 3), ayant quilte le sommel d'une pelile
colline sur laquelle il elait monte avec ses
disciples tandis que la foule approchaii.
Voila Jesus et les Douze frustres de la re-
traite el du repos qu'ils s'etaient promis!
Mais le bon Pasleur s'oublie lui-meme pour
ne penser qu'a ses pauvres brebis! — Miser-
tus est, ianltxyx^na^ri : son divin coeur est saisi
d'une indicible pitie au souvenir des miseres
morales du peuple qui I'enloure. Ces miseres
sont decrites brievement, mais vivemenl, a
I'aide d'une reflexion propre a S. Marc,
quoique S. Mallhieu Tail aussi faile en un
autre endroil, ix, 36. (Voyez le commentaire,
p. 189). — Oves non habentes pastorem. Rien
ne monlre mieux que cetle image le triste
etal mora! dans lequel etait alors la nation
theocralique. « Les Pharisiens, ces loups de-
voranls, ne nonrrissaient pas le peuple; au
contraire, ils le devoraient. » Theophylacte.
Plaise a Dieu que les brebis du Christ n'aient
a leur tele que des pasteurs fideles! — Do-
cere multa. (( Loquebaturillis de regno Dei »,
dit S. Luc, IX, 11, et il ajoute : « Et eos
qui cura indigebant sanabat. »
e. Prdliminaires du miracle, vi, 35-40.
35 et 36. — Hora multa fieret. C'est-a-dire
« vespers facto », Mallh. xiv, 15. Les heures
s'ecoulerent vile pour la foule emue, atten-
tive, comme pour le divin oraleur. II y avait
de part et d'autre lant de charmes soil a
distribuer .soil a gouter la nourriture spiri-
tuelle! Voici pourlant que le besoin d'une
autre nourriture, plus grossiere mais non
moins necessaire, menace de se faire sen-
tir d'une maniere embarrassanle, et les dis-
ciples s'approchent de Jesus pour le lui rap-
peler respectueusement. En ce lieu desert,
lui disent-ils, il est impossible de se procurer
des vivres, el voila que la nuit approclie (dans
le texte grec on lit de nouveau « hora multa »,
au lieu du simple hora de la Vulgate). II est
dom 'ismps de congedier celte foule, si vous
CHAPITRE VI
101
proximas villas et vicos, emant sibi
cibos, quos manducent.
Luc. 9, 12.
37. Et respondens ait illis : Date
illis vos manducare. Et dixerunt ei :
Euntes emamiis ducentis denariis
panes, et dabimus illis manducare?
38. Et dicit eis : Quot panes habe-
tis? ite, et videte. Et cum cognovis-
sent, dicunt : Quinque, et duos pis-
ces.
39. Et prsecepit illis ut accumbere
facerent omnes secundum contuber-
nia super viride foenum.
Joan. 6, iO.
40. Et discubuerunt in partes, per
centenos et quinquagenos.
lent dans les villages et les bourgs
voisins acbeter des aliments qu'ils
mangeront.
37. Et il leur repondit : Donnez-
leurvous-meme a manger. Etils lui
dirent : Allons-nous acheter pour
deux cents deniers de pain afin de
leur donner a manger ?
38. Et il leur dit : Gombien de
pains avez-vous? Allez et voyez.
Et,lorsqu'ils se furent informes, ils
dirent : Cinq, et deux poissons.
39. Et il leur commanda de les
faire tons asseoir par troupes sur
I'herbe verte.
40. Et ils s'assirent par troupes
decent et de cinquante.
voulez qu'elle n'aie pas a soiiffrir de la faim.
— Le mot villas designs les metairies isolees
(aypou? du texLe grec a ici la meme significa-
tion. Cfr, Bretschneider, Lexic. man. in lib.
N. T. t. II, p. 13); vicos represenle les bourgs
et les villages. — Emant sibi cibos. Beaiicoup
sans doiite n'avaient pas pris de provisions
au moment de se metlre en route, car ils ne
songeaient qu'a rejoindre Jesus ; les autres
avaient consomme celles dont ils s'etaient mu-
nis le matin. Au lieu de « cibos », le grec
porte dcpTou;, « panes », ce qui constitue un
hebraisme, le mot pain, chez les Hebreux,
servant a indiquer toute sorte de nourriture.
Le Cod. sinai't. a pourtant ppwiiara.
37. — Date illis vos. « Vos » est empha-
tique. A quoi bon me donner ce conseil?
Vous, ne pourriez-vous point trouver des ali-
ments pour cette foule? — Les voila tout
troubles par la reflexion de leur Maitre. Aussi
repondent-ils avec une legere pointe d'ironie :
Euntes ematnus...? S. Jlarc et S. Jean ont
seuls conserve cette reponse des Douze, mais
avec une divergence que les ralionalistes se
halent de nommer contradiction. S. Augustin
expose en quelques mots la diffic.dle et la
solution : « Hoc Philippus apud Joannem
(vi, 7) respondet, sed Marcus a discipulis
responsum esse commemorat, volens intelligi
hoc ex ore ctnterorum Philippum respondisse ;
quamquam et pluralem nuaierum pro singu-
lari usilati^sime ponere potuerit. » De cons.
Evang. 1. II, c. xlvi. — Ducentis denariis.
Le denier etait, comme Ton sait, la plus petite
monnaie d'argent des Remains ; il servait
souvent d'unite quand on avait a supputer
une sonime. II avait cours dans toute la Pa-
lestine. Sa valeur etait d'environ 85 de nos
centimes : 200 deniers equivalaient par con-
sequent a 170 francs, ce qui etait un chiffre
eleve pour cette epoque.
38. — Le dialogue se poursuit entre le
Maitre et les disciples. La demande de Jesus,
Quot panes habetis? et I'injonction rapide qui
la suit. Ite et videte, n'ont ete relalees que pj^
S. Marc. — Cum cognovissent. Les Apotie*
n'avaient avec eux aucune sorte de viatique;
mais, comme le raconte S. Jean, vi, 8, avec
plus de details, ils surent bientot qu'unjeune
homme mele a la foule possedait cinq pains
d'orge et deux poissons.
39. — Prwcepit illis... Jesus, ayant a sa
disposition cette modeste base du festin mira-
culeux qu'il allait donner a des milliers de
convives, s'occupe, comme un maitre de mai-
son, de placer convenablement ses holes.
Notre narrateur redouble ici de pittoresque
et d'exactilude. — Secundum contubernia :
dans le grec, aujjnToffta (jutATOcia, ce redouble-
ment imite de I'hebreu donnant a I'expression
le sens distributif de « catervatim, per ordi-
nes ». G'est comme s'il y avait avd ou|j.7rQ(Tta.
Voyez Bretschneider, 1. c, t. II, p. 4o3; Lighl-
foot, Hor. hebr. in Marc, h. 1. — Super vi-
ride foenum. Le frais gazon qui abonde dans
la plains d'EI-Balihah elait alors on pleine
croissance, car le printemps avait deja com-
mence. Cfr. Tristram, Land of Israel, p. 439.
II remplaga les divans usites aux repas des
Juifs.
40. — Discubuerunt per partes. Nouvelle
reduplication distributive dans le texte grec,
TrpacTiai Ttpaatai, c'est-a dire, par groupes, ou
tres gracieusement d'apres toute I'energie de
I'expression, « areolalim », comme les carres
d'un parterre, npaatai yap li^o^ncti Ta ev toi?
402
EVANGILE SELON S. MARC
41. Et, ayant pris les cinq pains
et les deux poissons, levant les yeux
au ciel, il benit et rompit les pains et
les donna a ses disciples pour qu'ils
les missent devant eux tous, et il
partagea les deux poissons entre
tous.
42. Et tous mangerent et furent
rassasies.
43.Etils emporterent les restes,
des fragments remplissant douze
corbeilles, et des poissons.
44. Or ceux qui mangerent etaient
au nombre de cinq mille hommes.
45. Et aussit6t il obligea ses dis-
41. Et acceptis quinque panibus
et duobus piscibus, intuens in coe-
lum, benedixit, et fregit panes, et
dedit discipulis suis, ut ponerent
ante eos ; et duos pisces divisit om-
nibus.
42. Et manducaverunt omnes, et
saturati sunt.
43. Et sustulerunt reliquias frag-
mentorum, duodecim copliinos pia-
nos, et de piscibus.
44. Erant autem qui manducave-
runt quinque millia virorum.
45. Et statim coegit discipulos suos
'7ro/.),d-/i?),dxava. Theophylacte. Si Ton se sou-
vient que les Orientaux, fussent-ils tres
pauvres, aiment a se couvrir de vetements
multicolores, on comprend mieux encore
celte ingenieuse comparaison, communiquee
selon loute vraisemblance a noire narraleur
par S. Pierre, sa source vivante, qui avail ete
lemoin du fait. — Per centenos et quinqua-
genos. Indicalion un peu obscure, qui a eie
diversement interpreiee. D'apres quelques
auteurs, elle signifierait simplement que les
convives avaient ete partages en groupes de
cenl, qui alternaient avec des groupes de
cinquanle. L'opinion de M. Schegg est plus
compliquee. Selon ce savant exegete, les botes
de Jesus, distribues comme le raconte I'Evan-
geliste, auraient forme un quadrilatere com-
pose de cinquante files qui contenaient cent
hommes. Nous preferons nous represenler
I'assemblee divisee en une vingtaine de
groupes dont chacun avail, commeles tables
des anciens, ia forme d'un fer a cheval et
conlenail 2o0 hommes, deux lignes de 400
reunies par une ligne de 50. Quoi qu'il en
soil, le but de ce placement est facile a com-
prendre. Jesus voulail d'une part rendre la
distribution des vivres plus facile, d'autre
part eviler la confusion qui n'eut pas manque
de se produire si chacun des 5000 convives
avail ete abandonne a sa propre inspiration.
d, Le miracle, vi, 4t-44.
41 . — Quelle simplicite dans le recit de cet
etonnant prodige ! On croirait que les Evange-
listes raconlent la chose la plus simple et la
plu^ naturelle. — Benedixit. Ce mot designe
probablement la priere que le pere de famille,
chez les Juifs, recilail au nom de tous avant le
repas. — Dedit, en grec eSt'Sou a I'imparfait; ce
qui suppose que le Sauveur ne remit pas en une
seule fois tous les pains aux Apotres, mais
qu'il leur donnait, par des actes repetes, les
fragments qui se multipliaient entre ses mains
divines.
42-44. — Details qui onl tous pour fin de
rehausser la grandeur du miracle. \'> t. 42.
Non seulement tous mangerent, mais tous
furent rassasies. 2° t. 43. Apres que chacun
eut mange selon son appetit, les Apotres, sur
I'ordre de Jesus, Joan, vi, i2, ramasserent
douze corbeilles pleines de restes, c'esl-a-dire
plus de douze fois la quantite de pain qui
avail servi de matiere au prodige. 3" t. 44.
Les convives etaient au nombre de cinq mille;
sans compter les femmes el les enfants, ajoute
S. Mallhieu, xiv, 22. « C'etail la I'oeuvre
d'une puissance surabondante... Si Moise
donnait la manne, il n'en donnait a chacun
que le necessaire... Elie, nourrissanl la veuve,
ne lui donnait non plus que le necessaire.
Jesus seul, comme Seigneur, agit d'une ma-
niere surabondante. » Theophylacte. Elisee
pourtanl, IV Reg. iv, 42-44, avail opere un
jour un miracle analogue a celui du Sauveur;
mais il avail eu vingi pains a sa disposition
et seulement cent hommes a nourrir.
17. — J^sus marche sur les eauz. ti, 45-53.
Parall. Matlb. xiv, 22-33; Joan, vi, 14-21.
Le recit de ce miracle, dans le second Evan-
gile, suit de tres pres celui de S. Mallhieu;
mais il I'emporte de nouveau par la vivacite
des couleurs et le grand nombre des details.
45. — Et statim : immediatement apres le
prodige de la mullipiicalion des pains. Le
moindre delai aurail pu avoir des conse-
quences facheuses, et permellre a la foule
enthousiasmeedes'entendre avec les Apotres,
pour executer le plan qu'elle avail congu de
s'emparer du Sauveur el de le proclamer Roi-
Messie. Cfr. Joan, vi, 14 et 15, et I'Evang.
CHAPITRE VI
4 OS
ascendere navirn , ut prsecederent
eum trans fretum ad Bethsaidam,
dum ipse dimilteret populum.
46. Etcum dimisisset eos, abiit in
montem orare.
47. Et cum sero esset, erat navis
in medio mari, et ipse solus in terra.
48. Et videns eos laborantes in
remigando (eratenim ventus contra-
rius eis), et circa quartam vigiliam
noctis venit ad eos ambulans supra
mare : et volebat prseterire eos.
Matth. 14, 25.
ciples a monter dans la barque,
pour le preceder de I'autre cote de
la mer, a Belhsaida, pendant qu'il
renverrait le peuple.
46. Et, lorsqu'il Teut renvoye, il
alia sur la montagne pour prior.
47. Et quand le soir fut venu, la
barque etait au milieu de la mer, et
lui etait seul a terre.
48. Et les voyant se fatiguer a
ramer, car le vent leur etait con-
traire, vers la quatrieme veille de la
nuit il vint a eux marchant sur la
mer; et il voulait les devancer.
«elon S. Matth. p. 295. Sachant bien que les
Doiize n'auraient que Irop seconde ce dessein
du peuple, Jesus les forga, en quelque sorte
malgre eux [coegit], de s'embarquer en toule
hate, et de se dlriger vers la rive occiden-
tale. Comparez le t. 32 et I'explication. —
Ad Dethsaklam. C'cst la, dans la patrie de
trois d'enlre eux, Simon-Pierre, Anrlre et
Simon-le-Cananeon, qu'il leur fixail un pro-
chain rendez-vous. Et pourtant, d'apres
S. Luc, IX, 10, le lieu desert dans lequel
venait d'avoir lieu le feslin merveilleusement
improvise par Nolre-Seigneur s'appelait aussi
Bethsaida : « Assumplis illis (Apostolis) se-
cessit seorsum in locum deserium, qui est
Bethsaidae. » Que conclure de la? Que le se-
cond et le troisieme Evangeliste sent en des-
accord? Nullement, mais qu'il existait dans
la Palestine du Nord deux cites du meme
nom, dont I'une, celle que les disciples quit-
taient, surnommee Julias en I'honneur de la
fille d'Auguste, etait situee a I'Est du Jour-
dain, a peu de distance de I'endroit oil ce
fleuve penetre dans la mer, tandis que I'autre,
celle oil lis se rendaient, s'elevait a peu de
distance de Capharnaiim, au N.-O, du lac de
Tiberiade. Voyez le Bibel-Allas de R. Riess,
Kl. IV ; I'Atlas geogr. de M. Ancessi, pi. xvi;
:aumer, Palae-tina, 4e ed. p. 122; Porter,
Handbook for Travellers in Syria and Pales-
tine, 1875, p, 407; parmi les auleurs plus
anciens, Reland, PalaesLina ex monum. vete-
rib. illustrala, p. 654.
46 et 47. — Dimisisset eos, Le pronom de-
signe la foule et non les disciples. Dans le
texte grec, le verbe n'est pas le meme qu'au
■*•. 45. La nous avisons aTroXiJori, tandis qu'ici
on lit a7toTa|a(i,£vo;, ayant dit adieu. — Sero
represenle les premieres lueurs de la nuit,
puisque, des ie t. 35, il etait deja tard,
« hora multa ». — In medio mari. Le verset
suivant nous indiquera le motif pour lequel
les Apotres n'avaient pas encore pu franchir
la distance asscz courte qui separe les ports
des deux Belhsaida : ils avaient « vent de-
bout », comme disent les marins, et ne pou-
vaient avancer que tres-lentement. — Ipse
solus in terra. Beau contrasle, qui fait ta-
bleau : d'une part Jesus, completement seul,
priant au sommet d'une colline dans le si-
lence du desert et de la nuit; de ^c^ulre les
Douze, dans un frele esquif violemment agile
par les vagues en furie, et ramant de toutes
leurs forces.
48. — Vidms eos. Jesus apergut ses dis-
ciples soit d'une maniere surnaturelle, soit
plus vraisemblablement de ses propres yeux,
du bord du rivage : la nuit pouvait 6tre
claire, malgre le vent, et Ton nous a dit que
les Apotres n'avaient pu reussir a s'eloigner
beaucoup. — Laborantes in remigando. L'ex-
pression grecque traduite par ces mots est
d'une rare energie : pacravi!;o[XE'vo\j? ev tw sXau-
vEtv; litteralement : tortures a ramer. Plus
d'une fois, porte nous-meme sur un leger
canot au milieu des flots de I'Ocean que sou-
levait un vent contraire, nous avons pu voir
combien etait penible en de telles conditions
Paction de ramer, de « nager », comme di-
sent familierem(?nt les malelots. Le mot de
S. Marc est done plein de couleur locale :
S. Pierre, qui le lui avait sans doute suggere,
se souvenait encore, apres de longues annees,
des rudes labeurs de celte nuit orageuse. —
Circa quartam vigiliam. La premiere des
quatre subdivisions (appelees veilles) dont se
composait alors la nuit chez les Juifs com-
mengait a 6 h. du soir, la seconde a 9 h,, la
troisieme a minuit, la quatrieme a 3 h. du
matin. 11 etait par consequent de 2 k 4 h.
quand Jesus s'avanga vers ses disciples en
marchant sur les eaux du lac, affirmant ain&i
404
EVANGILE SELON S. MARC
49. Mais eiix, lorsqu'ils le virent
marcher sur la mer, crurent que
c'etait un fantome, et ils jeterent des
cris.
oO. Car tons le virent et ils furent
epouvantes. Et aussitot il leur parla
et leur dit : Ayez confiance, c'est
moi, ne craignez point.
51. Et il monta aupres d'eux dans
la barque et le vent cessa. Et ils
etaient bien plus stupefaits inte-
rieurement.
52. Gar ils n'avaient pas compris
au sujet des pains; en effet, leur
coeur etait aveugle.
49. At illi, ut viderunt eum am-
bulantem supra mare, putaverunt
phantasma esse, et exclamaverunt.
50. Omnes enim viderunt eum, et
conturbati sunt. Et statim locutus
est cum eis, et dixit eis : Gonfidite,
ego sum, nolite timere.
51. Et ascendit ad illos innavim,
et cessavit ventus. Et plus magis
intra se stupebant.
52. Non enim intellexerunt de pa-
nibus : erat enim cor eorum obcas-
catum.
sa royaiite sur la nature, dont il renversait
par un eclatant prodige les lois accoulumees.
— Volebat prceterire eos. C'esl-a-dire, « prae
se I'erebaL quasi vellet eos prteterire ».
Fr. Luc. Cfr. August, de Cons. Evang. 1. ii,
c. 47; Corn, a Lap. h, 1., etc. S. Marc parle
au point de vue des apparences exterieures.
De fail, Notre-Seigneur, s'approchant de la
barque et faisant quelques pas sur les flots
dans una direction parallele a celle qu'elle
suivait, semblait vouloir la depasser. C'etait
une maniere d'eprouver la foi des Douze :
plus tard, il eprouva d'une faQon analogue
les deux pelerins d'Euimaiis, Luc. xxiv, 28.
II n'y a done pas la moindro contradiction
entre le recit de S. Marc et ceiui de S. Jean.
Voyez Joan, vi, 14-21 et le commentaire.
49 el 50. — Deux scenes rapides et tou-
chantes. La premiere est une scene d'effroi,
la seconde une scene d'encouragemenl et de
reconfort. — Putaverunt j:ihantasma esse. Des
qu'iis apergurent cette forme majestueuse qui
glissail sur les flots, les Apolres supposerent
que c'etait un de ces fantumes dont se re-
pait I'imaginalion populaire, ou Fame d'un
mort, ou en general qudque apparition dan-
gereuse.Ils pousserent alors une exclamation
de frayeur. Plus lard encore, apres sa Resur-
rection, ilsprendronl Jesus pour un fantome.
Cfr. Luc. XXIV, 36 et 37. — Et slatim locu-
tus est. Leur effroi ne dura qu'un instant, car
le boil Maitre se hata de les rassurer en se
faisant connaitre. — S. Marc passe cntiere-
ment sous silence un incident qui se pro-
duisit alors, et dont S. Pierre fut le heros.
Cfr. Mattli. XIV, 28-31 etie commentaire. Sur
les motifs de cette omission, vovez la Preface,
§IV,4.
51 . — Cessavit ventus. Cet apaisement
subit, qui coincida avec I'entree de Jesus dans
la barque, doit etre regarde comme le resul-
tatd'unnouveau miracle. Celaressort du con-
texte d'une maniere tres evidente. Pourquoi
en effet la recrudescence d'admiration de la
part des disciples, signalee immediatement
apres par rEvangelist", s'il ne se fut agi
que d'un fait nalurel? On sail du reste qu'un
vent violent ne cesse pas tout dun coup,
mais qu'il lui faut un certain temps pour se
calmer. — Plus magis... stupebant. Nousavons
a noter ici deux expressions tres fortes du
texte grec, par lesquelles I'ecrivain sacre a
voulu metlre en relief le caractere extraor-
dinaire de I'etonnement des Douze. C'est
d'abord la locution adverbiale),tav t/. Tisptcrffou,
« valde supra modum », a peine traduisible
en frangais. C'est ensuite le verbe £?t(7TavTo,
qui denote une sorte d'extase, de ravisse-
ment, et qui est encore corrobore par un
autre verbe, eSaufia^ov. On dirait que S.Marc,
ne sachant comment exprimer la stupefaction
des Apolres, accumule les synonymes pour
en donner au moins une idee.
52. — Non enim... Les deux « enim »
que nous rencontrons coup sur coup dans ce
versel, montrent que I'Evangelisle se propose
d'expliquer pourquoi les disciples, habitues
cependant a tant de miracles, avaient ete si
frappes de ceux qu'iis avaient vus en dernier
lieu. C'est la une note speciale a S. Marc :
elle nous ouvre un horizon des plus instruc-
tifs, non toulefois des plus consolanls, sur
I'etat moral du college apostolique a cette
epoque de la vie de Jesus. — iVo>t... intellexe"
runt. lis n'avaient done pas compris le pre-
mier des trois prodiges recemment operas
par leur Maitre. L'Evangelisle semble vouloir
insinuer que leur peu d'inlelligence sur ce
point provenait du defaul de reflexion. S'ils
eussent reflechi, il leur eut ele aise de com-
prendre que rien n'elait impossible a Notre-
Seigneur, et aucun miracle ne les auraifc
CHAPITRE VI
405
53. Et cum transfretassent, vene-
runt in terrain Genesareth, et appli-
cuerunt.
Matth. 14, 34.
54. Cumque egressi essent de na-
Ti, continue cognoverunt eum :
55. Et percurrentes universam re-
gionem illam, coeperunt in grabatis
eos, qui se male habebant, circum-
ferre, ubi audiebant eum esse.
56. Et quocumque introibat, in
vicos, vel in villas, aut civitates, in
plateis ponebant infirmos, et depre-
cabantur eum, ut vel fimbriam ves-
53. Et apres avoir traverse la mer,
ils vinrent dans le pays de Genne-
sareth et aborderent.
54. Et, lorsqu'ils furent sortis de
la barque,^ /e5 gens clu pays aussitot
le reconnurent.
55. Et, parcourant toute cette
contree, ils commencerent a lui ap-
porter dans leurs grabats ceux qui
etaient malades, la oil ils enten-
daient dire qu'il etait.
56. Et partout oii il entrait, dans
les bourgs, dans les villages ou
dans les villes, on mettait les ma-
lades sur les places publiques, et on
etonnes de sa part. — Erat enim... Slupe-
faits parce qu'ils n'ont pas compris, ils n'ont
pas compris parce qu'ils ont iin coeur lent a
percevoir, « endurci ». Tel est en effet le
sens dii participe ■nE7topw|XEvy), que la Vulgate
a traduit par obcoeratum. Ge sont d'ailleurs
deux images egalement exacles. S. Paul ne
parle-t-il pas, Eph. i, 48, des « yeux illumi-
nes du coeur » ?
18. — Miracles de gu^rison dans la plaine
de Genn6sareth. vi, 53-56. — Parail. Malih.
XIV, 34-36.
On admire de nouveau, dans cette petite
narration, la richesse de details et la vie de
notre Evangeliste.
53. — In terram Genesareth. La terre de
Gennesareth,meniionneeiciseulementetdan3
le passage parallele de S. Matlhieu, est une
belle plaine en forme de croissant, situee a
I'Ouest du lac de Tiberiade auquel elle a
parfois prete son nom. Josephe, Bell. Jud.
Ill, 10, 8, la compare a un paradis a cause
de sa fertilite. — Applicuerunt, 7tpo(7wp[jiiu6r)-
<7av:terme nautique qu'on ne trouve qu'en
cet endroit du Nouveau Testament.
54. — Continuo cognoverunt eum. A peine
debarque, Jesus fut reconnu par les habitants
du lieu, car le jour avait lui dans I'intervalle.
Cfr. t. 48. Le divin Thaumaturge, si popu-
? laire dans toute la Galilee, ne pouvait plus
> cacher sa presence, surtout a une si courte
distance de Capharnaiim. Ses traits, une fois
contemples, se gravaient dans la memoire
d'une maniere ineffagable.
55. — Et percurrentes... Serie de traits
extremement pittoresqups. Nous voyons pour
ainsi dire ces bons Gajileens courir a travers
la grande plaine d'El-Ghuveir, pour repandre
dans Jes moindres hameaux la nouvelle de
I'arrivee de Jesus, revenir portant des ma-
lades sur leurs epaules, puis, ne trouvant
plus le Sauveur oil ils I'avaient laisse, parce
qu'il s'etait avance plus loin, s'informer de
sa nouvelle residence, et s'y rendre toujours
charges de leur pieux fardeau, qu'ils prome-
naient ainsi forcemenl en divfrs lieux {cir-
cumferre). — Ubi audiebant eum esse. La phrase
grocque est moins obscure : ot:o\> •J^xouov oti
iv.tX £(jtI; ils portaient les malades « la oil ils
appienai(^nt qu'il se trouvait. »C'est du reste
un hebraisme manifesto : I'tUa Vj'OiiJ "iD
Nin D'Q^- Sur Ips grabats, voyez ii, 4 et I'ex-
plicalion. — « Vide quanta fid'es sit hominum
terrse Genesareth, ut non praesentium tantum
salute content! sint, sed mittant ad alias per
circuitum civitates, quo omnes currant ad
medicum. » Bede.
56. — Autre exemple de celle foi admi-
rable. — hi vicos, vel in villas, vel in civi-
tates. Le grec dit, avec une legere modifica-
tion, ef; xwfAai;, ^ 7t6)>£ii;,^ a.ypo\i<;, ne mention-
nant les metairies qu'apres les villes. Cette
nomenclature, oil nous trouvons reunis pres-
que tous les noms qui servent a designer les
differentes agglomerations d'habitations hu-
maines, suppose, et c'etait vrai, que la plaine
de Gennesarelh nourrissait une population
considerable. — Ut vel fimbriam. Les ma-
lades etant sans doute trop nombreux pour
que Jesus leur imposat individuellemenl les
mains, on conjurait le bon Maitre de leur
laisser au moins toucher ses tzizzilh, c'est-a-
dire les franges de son manteau. Voyez I'E-
vang. selon S. Matth. p. 439. On savait ap-
paremment que rhemorrhoi'sse avait ete gue-
rie par leur contact, v, 27 ; Cfr. Matth. ix, 20.
— Salvi fiebant. L'imparfait sert a indiquer
une coutume, un fait qui se renouvelait sans
cesse. Jesus dut passer quelques jours de pais
406
fiVANGILE SELON S. MARC
le priait de les laisser au moins
toucher la frange de son vetement.
et tous ceiix qui le touchaient
etaient gueris.
timcTili ejus taugerent : et quotquot
taiigebant eunij'salvi fiebant.
CHAPITRE Vn
Des Pharisiens et des Scribes de Jerusalem accusent les disciples de violer les traditions
juives [tt. 1-5). — Jesus, prenant la defense des siens, montre le caraclere irreligieux de
ces Iradilions hiimaines {tt. 6-13). — Grand principe du pur et de I'impur (tt. 14-16). —
Explication de ce principe (tt. 17-23). — Jesus se retire sur la frontiere de la Phenicie
(t. 24). — II guerit la fille de la Chananeenne (tt. 25-30). — II revient en Galilee apres
avoir franchi tout le Nord du pays (t. 31). — Guerison d'un sourd-muet [tt. 32-37).
1. Et les Pharisiens et plusieurs
Scribes venus de Jerusalem s'as-
semblerent aupres de Jesus.
2. Et comme ils virent quelques-
uns de ses disciples manger du pain
avec des mains impures, c'est-a-
dire non lavees, ils les blamerent.
1 . Et conveniunt ad eum PhaH-
ssei, et quidam de Scribis, venientes
ab Jerosolymis.
2. Et cum vidissent quosdam ex
discipulis ejus communibus mani-
bus, id est non lotis, manducare pa-
nes, vituperaverunt.
Malth. 15,^.
et de bonheur an milieu de cette population
respectueuse et ainaante.
19. — Conflit avec les Pharisiens k propos
du pur et de I'lmpur. vii, 1-23. — Parall.
Matlh. XT, 1-20.
Chap. vii. — 1. — Conveniunt ad eum.
Les jours de bonheur dont nous parlions plus
haut nefurent pas de longueduree. Voici deja
que les Pharisiens et les Scribes se chargent
de les interrompre. Au reste, les conflits
vont desormais se multiplier entre Jesus et
ses adversaires : le divin Maitre en profitera
pour meltre ses disciples en garde centre la
corruption morale et I'hypocrisie des Phari-
siens. Le verbe « conveniunt » designe une
reunion officielle. — ^6 Jerosolymis. S. Marc,
comme S. Matlhieu, semble appuyer sur le
nom de Jerusalem. Les nouveaux arrivants
n'etaient pas les premiers venus, mais bien
des Docteurs de la capitale! On admet gene-
ralement qu'ils avaient ete delegues tout
expres pour aller epier et atlaquer Jesus.
Les Pharisiens de Galilee, ne se sentant pas
capables de lenir tele a Notre-Seigneur,
avaient demande du renfort a ieurs amis de
Jerusalem, et ceux-ci leur envoyaient en ce
moment Ieurs Scribes les plus habiles.
2. — Le fail signale dans ce verset, et le8
notes archeologiques qui leur servent de com-
mentaires dans les deux suivanls, forment
une de ces nombreuses special i les qu'on ren-
contre a chaque page du second Evangile.
Ce fait et ces notes contiennent un document
important pour I'histoire de I'epoque oil vi-
vait Notre-Seigneur. — Cum vidissent quos-
dam... Telle fut I'occasion du conflit. Remar-
quons bien que ce n'etaient pas tous les dis-
ciples de Jesus, mais seulement quelques-uns
d'entre eux, qui s'etaient donne la liberie
incriminee par les Scribes, ce qui n'empe-
chera pas ces rigoristes de generaliser I'ac-
cusation, t. 5, el de parler comme si les
partisans du Sauveur omettaient reguliere-
menl les ablutions tradilionnelles. — Ciim-
munibus manibus; de meme en grec, y.oivati
Xepffi. « Les Hebreux appelaienl communes,
dit fort bien D. Calmet, h. 1., les choses qu'on
employail a des usages communs, parce
qu'on presumait qu'etant touchees indiffe-
remment par loutes sortes de personnes, il
est moralemenl impossible qu'elles ne con-
tractent quelques souillures, au lieu que les
choses et les personnes saintes et pures
etaient separees de tout usage commun et
profane ». Cfr. I Mach. i, 47, 62; Act.
X, 4 4, 28 ; XI, 8 ; Rom. xiv, 1 4 ; Hebr. x, 29 ;
Apoc. XXI, 27. « Avec des mains profanes »,
CHAPITRE VII
i07
3. Pharissei enim, et omnes Ju-
dsei, nisi crebro laverint manus, non
manducant , tenentes traditionem
seniorum :
4. Et a foro, nisi baptizentur, non
comedunt : et alia multa sunt, quae
tradita sunt illis servare, baptismata
calicum, et urceorum, et seramento-
rum, et lectorum.
3. Gar les Pharisiens et tous les
Juifs ne mangent point sans se laver
souvent les mains, gardant la tra-
dition des anciens.
4. Et, en revenant de la place pu-
blique, ils ne mangent pas sans
s'etre laves ; et il y a beaucoup d'au-
tres choses qui leur ont ete trans-
mises et qu'ils observent, le lavage
des coupes et des vases de terre et
d'airainet deslits.
tel est done le sens de cette expression tech-
nique. D'ailleurs, le narrateur I'explique
pour ses lecteurs non-jiiifs, en ajoulant aus-
sitot : id est nonloiis. — Le verbe eixepupav-ro
de la Recepta grecque {vituperaverunt de la
Vulgate) est omis par quelques manuscrits
et par quelques versions. Peut-etre serait-il
apocryphe. Dans ce cas. la phrase, entr'ou-
verte apres panes pour recevoir la parenthese
formee par les tt. 3 et 4, ne s'acheverait
qu'au f. 5.
3 et 4. — Nouvelles explications, en faveur
des Chretiens romains pour lesquels ecrivait
S. Marc. 11 y est fait mention de trois especes
d'ablutions usitees chez les Juifs, et regar-
dees comme strictement obligatoires par le
parti pharisaique. — ^o Les ablutions des
mains avant les repas. — Phariswi et omnes
Judcei. Restreintes d'abord a la secte, elles
etaient devenues peu a peu, grficis a son in-
fluence, d'un usage presque general chez
les Juifs contemporains de Notre-S"''-rneur.
Elles avaient lieu frequemment, creuvo, et
sur le moindre pretexte, mais tout ?;peciale-
ment avant les repas. Yetre fidele s'appelait
«lenir(legrec-/.paTouvT£;estd'une grandeener-
gie) les traditions leguees par les Anciens. »
Cfr. II Thess. ii, 1 4. — Nous venons de tra-
duire la locution Tcuyttig a la faQon de la Vul-
gate [« crebro »), de la version copte et de la
version gotliique (ufta = « oft » des Allemands),
qui auront sans doute lu uuxva (c'est la legon
du Codex Sinalt.). Mais telle n'esl pas, selon
toiite vraisemblance, sa veritable interpre-
tation. Les exegetes anciens et modernos ont
vivemenl discute a son sujet. D'apres Theo-
phyldcte et Euthymius, le subslanlif uuy(i^
aurait servi a designer tout I'avant-bras
(iTUYiAri )iYeTai ih aiio xoO aYXt^vo; dtxpi xal twv
expdw oaxTuXwv, Tlieophyl.). Par consequent,
TcwY[j.r) v{7CT£(76ai signifierait : se laver la partie
du bras comprise entre le coude et I'extre-
laile des doigts. L'emploi du datif rend cette
explication peu probable. Du reste, le vrai
•^ens de 7tuY(i.^ est plut6t « pugnus, pugillus »,
(:ruy{j.ri, >5Youv to auyxexXetoSat tou; SaxxOXou;,
Hesychius) ; de la cette traduction que Ton
trouve dans quelques manuscrits de I'ltala :
« nisi pugillo laverint manus. » Mais qu'est-ce
que se laver les mains avec le poing? Cela
ne peut vouloir dire autre chose que frotter
rudement I'uno des mains avec I'autre, qui
aura ete prealablement fermee, « faclo pu-
gno. » Cette expression piltoresque decrit
done un des rites presents pour I'abluLion
des mains. Elle est du moins destineo a faire
ressorlir le zele avec lequel les Pharisiens
aceomplissaient cette operation : aussi pour-
rait-on la traduire avec la version syriaque
et divers exegetes par « sedulo, studiose »,
et par « intense » avec la version elhio-
pienne. — II est a remarquer que, dans ce
passage el dans loute la discusssion suivante,
il ne s'agit pas des soins de proprele, mais
d'ablutions purement ceremonielles, imposees
au peuple par les Docteurs, et analogues a
eelles que les Mahometans pratiquent encore
cinq fois le jour. — 2o Les ablutions apres
les sorties et les visiles. A foro, scii. « ve-
nientes » ou « redeuntes », comme on lit
dans plusieurs versions. Sur les places pu-
bliques et dans les rues, ou Ton rencontre
toute sorte de personnes, ceux dont on decrit
la conduite avaient pu, sans s'en douter,
etre mis en contact avec des objets lega-
lement impurs, et contracter par ia-meme
quelque souillure. II leur fallait de nouvelles
ablutions pour se purifier. Le mot baptizen-
tur designe-t-il lei un bain complet ou un
simple lavement des mains? II est assez diffi-.'
cile de le determiner. Cependant nous ad-
mettrions volontiers, avec Meyer, Bisping et
d'aulres, la premiere opinion. On oblient ainsi
une gradation ascendanle, qui semble avoir
ete inlentionnelle de la part de S.Marc. Avant
leurs repas, ils se lavent simplement les
mains; s'ils viennent du dehors, ils se plon-
gent tout entiers dans I'eau. Olshausnn et
Bleek font un contre-sens evident quand ils
traduisent comme s'il y avail : la. auo aYopa;,
eav [Ao PaittiariTai, oOx EcOtouat, ils ne mangent
pas les mets qui proviennent du marche sans
408
fiVANGlLE SELON S. MARC
5. Les Pharisiens done et les
Scribes I'mterrogeaient : Pourquoi
vos disciples ne suivent-ils pas la
tradition des anciens, mais mangent
le pain avec des mains impures?
6. Et il leur repondit : Isaie a bien
prophetise de vous, hypocrites,
ainsi qu'il est ecrit : Ce peuple
m'honore des levres, mais leur
cceur est loin de moi ;
7. Et ils me rendent un culte
vain, enseignant des doctrines et
des ordonnances humaines.
b. Et interrogant eum Pharisaei,
et scribse : Quare discipuli tui non
ambulant juxta traditionem senio-
rum,sed communibusmanibusman-
ducant panem ?
6. At ille respondens, dixit eis :
Bene prophetavit Isaias de vobis
hypocritis, sicut scriptum est : Po-
pulus hie labiis me honorat, cor au-
tem eorum longe est a me :
Isai. 29, 13.
7. In vanum autem me colunt,
docentes doetrinas, et praecepta ho-
minum.
les avoir laves. Le Codex Sinait. porte la cu-
rieuse vananle pavTiawvxat, « aspeiganlur »,
au lieu de Pau-ritrwvTat. — 30 Ablulions des
usteiisiles servant aux repas. Calirum, ttotyi-
pi'wv, les coupes dans lesquelies on louvait.
— Urceorum, les amphores et les aiguieres
placees sur la table. Voyez A. Rich, Diet,
des Anliquites, s. v. Urceus. Le mot grec
correspondant, ^eotwv [IzaTric, au nomin.) est
un des latinismes de S. Marc, Cfr. Preface.
§ IV, 3. II derive par une legere transposi-
tion [sex etant change en xes ; Cl'r. Xystus
el Sixtus) de « sextarius », nom d'une me-
sure romaine servant a la fois pour les li-
quides et les substances seches, et contenant
la sixieme parlie du « congius » le quart du
« modius », a pen pres trois quarts de litre.
Voyez Ant. Rich, 1. c. au mot Sextarius. —
Mramentorum , yjx\v.[<xiv. C'etaienl les grands
vases d'airain,degresoud'argile places dans la
salle du feslin, et rcnfermant les provisions de
vin et d'eau qui servaient a remplir les « sex-
tarii » devenus vides.Cfr. Joan. 11, 6. — Lee-
torum, xXtvoiv, les « triclinia » ou divans sur
lesquels on se couchait a-demi pour prendre
les repas. Ces divers objets ayant pu etre
profanes, quoique a I'insu de tons, par le con-
tact de quelque personne impure, les Phari-
siens, conformement a leurs principes, ne
permellaient pas qu'on en fit usage sans les
sanctifier auparavant par des ablutions.
5. — Apres avoir indique I'occasion du
conflit. 1f. 2, et donne quelques details neces-
saires a ses lecteurs pour la claire intelligence
dii recit, tt. 3 et 4, S. Marc revient aux
ennemis du Sauveur et a leur interpellation.
— Interrogabant ; dans le grec, enspwTwaiv,
au present. — JVo« ambulant., ou Tiepmaxouat,
mot pittoresque. « Id est, non instituunt vi-
tam, ex Hebraeorum idiotismo, apud quos
^Sn, ambulare, idem valet quod vivere, et
via dicilur vitae genus quod aliquis tanquam
viam sequatur. » Rosenmiiller, Schol. in
N. Test. h. 1.
6 et 7. — At ille respondens. « Pliarisaeo-
rum superfluum latratum, dit energiquement
S. Jerome, furca rationis(Christus) obtundit».
La reponse de Jesus est plus qu'une defense :
c'est une vigoureuse attaque qui rendra
muets les Pharisiens et les Scribes. Quoi-
qu'elle soit au fond la meme dans S. Matthieu
et dans S. Marc, les arguments n'y sont pas
reproduits dans un ordre identique. D'apres
le premier Evangeliste, Notre-Seigneur, ri-
poslant a ses ennemis par unecontre-queslion,
leur reproche d'abord de violer les comman-
dements de Dieu les plus graves, speciale-
ment le quatrieme, sous pretexte d'observer
leurs vaines traditions. Puis, generalisant la
question, il leur montre a I'aide du texte
d'lsaie toule la grandeur de leur hypocrisie.
Dans le second Evangile nous retrouvons ces
deux parties : seulement, la seconde, qui est
plus generale, se presente a la premiere place ;
lefail particulier relatif au Corban ne vient
qu'ensuite.U serait bien difficile de dire quel
fut I'ordre suivi reellement par Jesus. — Bene
proja/ie(a?;t(...Cette terrible prophetie qu'Isaie,
XXIV, 13, adressait directement a ses con-
lemporains, devait Irouver plus tard dans la
conduite des Pharisiens un second accomplis-
sement voulu par I'Esprit-Saint. Eile decrit
en termes tres-vifs I'horreur qu'inspire a
Dieu un culte purement exterieur, I'honner.
que lui procurent des hommages sinceres
Voyez I'Evangile selon S. Matih. p. 304. u —
In vanum. La traduction litterale de ce
mot en hebreu serait : Un « tohou » est leur
culte (inn designe le vide, le chaos). Mais
Isaie ne I'a pas ecrit dans ce passage : il
exprime du moins fort bien la pensee divine.
— Doetrinas et prcecepta. La conjonction el
n'est pas dans le grec, oil on lit simplement :
SiSaoxaXta; tuTa).[i.axa avOpwnwv. Les deux der—
CHAPITRE VII
409
8. Relinquentes enim mandatum
Dei, tenetis tradilionem homiiium,
baptismata urceorum, et calicum :
et alia similia his facitis multa.
9. Et dicebat illis : Bene irritum
facitis prseceptum Dei, ut traditio-
nem vestram servetis.
10. Moyses enim dixit : Honora
patrem tuum, et matrem tuam. Et :
Qui maledixerit patri, vel matri,
morle moriatur.
Exod. 20, 12; Dent. 5, 16; E-phes. 6, 2; Exod. 21, 17;
Lev. 20, 9; Prov. 20,20.
8. Gar, abandonnant le comman-
dement de Dieu, yous gardez la
tradition des hommes, les lavages
des vases et des coupes, et vous
faites beaucoup d'autres clioses sem-
blables.
9. Et il leur disait : Vous rendez
entierement vain le precepte de
Dieu, pour garder votre tradition.
10. Gar Moise a dit : Honore ton
pere et ta mere, et : Que celui qui
parlera mal a son pere ou a sa mere
meure de mort.
niers mots soul une apposition a otoaffxaXia;,
el la pliiase revient a ceci : « Docenles doc-
tiinas quae sunt praecepla hominum. »
8. — La particiile enim montre que Jesus
passe maintenanl a la preuve de sa prece-
denle assertion. — Relinquentes... tenetis.
Belle anlilhese, exprimee avec plus de force
encore dans le texte original : a9=vT£;...
-xpaT£T-2. « Lachant » les divins preceptes,
vous vouscramponnez a des observances tout
humaines. — Baptismata urceorum... Ces
mots, el lous ceux qui les suivenl jusqu'a la
fin du versel. onl ete omis par quelques-uns
des ineilleurs auuuiscrils. On les regards
neanmoins comme aulhenliques. Tandis qu'il
serail difficile de comprendre pourquoi ils
eusseiit ete inseres dans le recit de S. Marc,
il es' a-sez probable que des copisles peu in-
telligeiils les auront supprimes, parce que le
premier Evangile ne les conlient pas. —
Touchanle reflexion morale du Yen. Bede :
« C'etail une coulume superslilieuse de re-
venir sans cesse a se laver, une fois que Ton
etail propre, el de ne point manger avant
d'avoir fail des purifications. Mais il est ne-
cessaire pour ceux qui desirenl participer
souvenl au pain descendu du ciel de puri-
fier souvent leurs oeuvres par les larmes,
les aumones et les aulres fruits de justice. II
faut ainsi purifier, sous Faction incessante
des bonnes oeuvres et des bonnes pensees,
les souillures qu'ont pu faire coniracter les
j preoccupations du siecle. C'est en vain que
ies Juifs se lavenl les mains el qu'ils se puri-
fienl a i'exlerieur, tant qu'ils se refusent a
venir se purifier a la fonlaine du Sauveur,
et c'est en vain qu'ils observent la purifica-
tion des vases, lorsqu'ils negligent de puri-
fier de leurs veritables souillures leurs corps
el leurs coeurs. »
9. — Et dicebat illis. S. Marc emploie vo-
lontiers ceLle pelile formulc de transition
pour marquerdes pauses dans les discours de
Jesus. Elle equivaul a nos alineas de I'Occi-
denl. — Bene irritum... Le Sauveur repete
pour la troisieme fois la meme pensee. Gfr.
les tt. 1 el 8. Ici il y a gradation ascendants :
maintenanl en effet il ne s'agit plus d'une
simple negligence des commandements di-
vins, mais de leur violation absolue. L'adverbe
5ta),a3;, que Jesus prononce pour la seconds
fois dans I'intervalle de quelques lignes (Gfr.
t. 6), est pris dans un sens ironique. Com-
parez II Cor. xi, 4. — Ut tradilionem... ser-
vetis. Les commentateurs hereliques se sont
parfois appuyes sur ce passage pour alta-
quer les definitions de I'Eglise calholique re-
latives a la tradition, et pour prelendre que
la Bible doit etre notre seule regie de foi.
Mais ils ont fait par la-meme un grossier
conlre-sens. En effet^ 1o Jesus ne parle pas
ici de la tradition en general, ni de la tradi-
tion en lanl qu'elle remonle a Dieu, mais de
traditionsabusives, inventeespar les hommes.
2° II ne parle pas de traditions concernant
le dogme et la morale, ou du moins s'y rat-
lachant, mais de coulumes purement disci-
plinaires,qui sont opposees a la morale. 3oLa
tradition, telle que renlend I'Eglise romaine,
n'esl autre chose que la parole divine deve-
loppee, expliquee. Du reste, nous meltons
nos adversaires au defi de citer une seule de
nos traditions calholiques qui soil opposes le
moins du monde a 'a parole de Dieu.
10. — Moyses enim dixit. Jesus va demon-
trer, tf. '10-14, par un frappant exemple em-
prunts a la casuislique juive, st rapproche
des commandements de Dieu, la justesse de
I'accusalion qu'il a lancee a Irois reprises
centre sps ennemis. On verra quels etaient
les resultats immoraux produitspar la substi-
tution des coulumes pharisaiques a la Thora.
Les textes cites par Jesus sunt empruntes k
I'Exode, XX, 12, et au Deuteronome, v, 16 :
410
liVAlslilLE SELON S. MAKC
11. Vous au contraire vous dites :
Si un homme dit a son pere ou a sa
mere, Tout corban (c'est-a-dire don)
que je fais vous profitera, il satis fait
a la loi.
12. Et vous n'exigez pas qu'il
fasse rien de plus pour son pere et
sa mere,
13. AlDolissant le commandement
de Dieu par votre tradition, que
vous avez etablie; et vous faites
beaucoup de choses semblables.
14. Et appelant de nouveau la
foule, 11 leur disait : Ecoutez-moi
touset comprenez.
11. Vos autem dicitis : Si dixerit
homo patri, aut matri, Corban (quod
est donumj quodcumque ex me, tibi
profuerit :
12. Et ultra non dimittitis eum
quidquam facere patri suo, aut ma-
tri,
13. Rescindentesverbum Dei per
traditionem vestram, quam tradi-
distis : et similia hujusmodi multa
facitis.
14. Et advocans iterum turbam,
dicebat illis : Audite me omnes, et
intelHgite.
Matth. 15,10.
ils concernent le quatrieme precepte du De-
calogue, qu'ils proposent d'abord d'une ma-
riere positive, l/oHom..., puis negativemenl,
Qui maledixerit...
11 el 12. — Vos autem. Vous, par opposi-
tion a Moise, c'esl-a-dire par opposition a Dieu
dont Moise elait le repiesentanl. — Si dixerit
homo... Corban. S. Marc a seul conserve ce
mot hebreu, qui apparait souvent dans les
livres du Levilique et des Nombres, mais
qu'on ne rencontre que deux fois dans I'An-
cien Testament en dehors du Pentateuque
(Ezech. XX, 2S; xl, 43). Les Rabbins I'em-
ploient tres frequemment. II servait a desi-
gner toute sorte d'offrandes religieuses et
nterae, d'apres I'historien Josephe, Ant.
IV, 4, 4, les personnes qui se devouaient au
service du Seigneur. — Quod est donum.
L'Evangelisle indique entre parentheses a ses
lecteurs non jiiifs la signification de pip-
Josephe, dans I'endroit que nous venons de
oiler, en donnait une interpretation iden-
tique : Swpov oe toOto (le mot Corban) atwialyzi
xaxa 'EX>>^vwv yXwttyjv. — Tibi profuerit.
Les difficulles grammaticales que presente le
texte grec et ieurs solutions sont ici a peu
^ pres les memes que pour le passage parallele
; de S. Malthieu, xv, 5 et 6. Nous pouvons
suppleerecTTt ou ecTw aprfes xopgdv et traduire :
C'est Corban, ou bien, Que ce soil Corban,
tout ce avec quoi je pourrais te secourir!
Nous pouvons adaiettre aussi une aposiopese
qui laisserail la phrase en suspens : Vous diles :
Si quelqu'un dil a son pere ou a sa mere.
Tout ce que j'offiirai en Corban vous profi-
tera..., et vous ne lui permeltez plus de
faire quoi que ce soil pour son pere ou sa
mere. Nous avons demontre, dans notre com-
mentaire sur S. Malthieu, p. 303, que la pre-
miere de ces deux interpretations est la plus
vraisemblable. — S. Ambroise stigmatise en
ces termes des chreliens de son temps qui
voulaient faire passer le Corban pharisaique
dans TEglise du Christ : « Dicis te, quod eras
parenlibus collaturu'^, Ecclesise velie conferre.
Non quaerit donum Deus de fame parenium.
Mulli, ul praedicentur ab hominibus, Ecclesiae
conferunl quae suis auferunt, quum miseri-
cordia a domestico progredi debeal officio. »
Enarrat. in Luc. xviii.
13. — Rescindentes verbum Dei. 11 n'etait
pas possible d'al'eguer un plus frappant
exemple du renversement de la Loi divine
par les traditions des hommes. Aussi Jesus
peut-il repeter viclorieusement, pour la qua-
trieme fois, son assertion du t. 7, non sans
appuyer sur les mots traditionem vestram,
quam tradidistis. En ajoutanl: Et similia..., li
monlre qu'il a signale seulemeni un trail en
faveur de sa these, mais que, s'il eiil voulu
multiplier les fails semblables, il n'aurait eu
que I'embarras du choix, tant la morale pha-
risaique les mullipliait sur tons les points do
la conduite pratique.
14. — Advocans iierum turbam. La Recepta
grecque porle •jiaviaTov 6x>.ov, louie la foule;
mais des temoin-^ serieux ont la variante udAiv
•vov oxXov,qu'asuivie la Vulgate. A I'arriveedes
Pharisiens et des Scribes, la foule qui entou-
rait Jesus s'etait respectueusemenl ecartee.
Jesus, apres avoir reduit ses adversaires au
silence, la rappelle aupres de lui pour lui
donner une instruction importante. « II lui
presente la substance du debal dans une do
ces formules a forme tranchante, quelqucfois
paradoxale el plus ou moins figuree, ait
moyen desquelles il savait si bien eveilleria
reflexion ». Reu?s, Histoire evangel, p. 379.
15. — Nihil est extra hominem... Princijje
d'une importance extreme pour la vie spiri-
liUAeilKli vil
4lf
15. Nihil est extra hominem in-
troiens in eum, quod possit eiim
coinquinare, sed quae de homine
procedunt, ilia sunt quae communi-
cant hominem.
16. Si quis habet aures audiendi,
audiat.
17. Et cum introisset in domum a
turba, interrogabant eum discipuli
ejus parabolam.
18. Et ait illis : Sic et vos impru-
dentes estis ? Non intelligitis, quia
15. II TLj^ a rien au dehors do
I'homme qui, en entrant en lui,
puisse le souiller; mais ce qui sort
de I'homme, voila ce qui souille
I'homme.
16. Si quelqu'un a des oreilles
pour entendre, qu'il entende!
17. Et lorsqu'il fut entre dans une
maison loin de la foule, ses disciples
I'interrogerent sur cette parabole.
18. Et il leur dit : Ainsi, vous
aussi, vous etes inintelli gents? Ne
tuelle, et montrant a Thomme, d'une part ce
qui le rend impur, de I'autre ce qui est inca-
pable de le souiller. Jesus I'expose sous la
forme d'une anlilhese frappante et d'une
image famiiiere. — ^o En general, et a moins
de circonslances extraordinaires, les choses
dont rhomme fait sa nourriture n'ont aucune
influence sur sa condilion morale. Peu im-
porle qu'il absorbe tel ou tel mets, tel ou tel
breuvage ; il importe moins encore qu'il se
mette a table sans s'elre auparavant lave les
mains. Ce sont ia des faits qui se passent en
dehors de son ame : ils ne sauraient done le
rendre impur et profane. — 2° Sed quce de
homine... 11 n'en est pas de meme de ce qui
sort de I'homme : cela {ilia sunt avec em-
phase), faisant partie de son etre le plus in-
time, pent contribuer a le souiller. Pour le mo-
ment, le Sauveur se contente de promulguer
cette profondeverite : ilenferadans quelqiies
instants I'exegese a ses disciples, tt. 18-23.
S. Matthieu I'exprime a peu pres dans les
memos termes, mais avec une legere nuance
qui la rend plus claire et plus saillante. Au
lieu des notions generales « introiens in eum,
de homine procedunt », il a ces mots qui de-
veloppent I'image : « Quod intrat in os, quod
procedit ex ore. » Voyez le commentaire,
p. 305. Mais de m^me que, dans le premier
Evangile, « os » etait prls successivement en
deux sens distincts, d'abord au propre, puis
au figure, de meme, dans S. Marc, la locution
\ «entrer dans I'homme » exprime un fait reel,
r tandis que « sortir de Thomme » doit se
prendre au moral. Le Sauveur joue sur cette
variete d'acceptions. — Le verbe communi-
) cant a la meme signification que coinqumant.
' Cfr. le Hr. 2 et I'explication. Du reste, c'est le
_ memo mot qui est repete a deux reprises
dans le texte grec : xoivwaai, xa xotvoOvxa. —
Jl est peu probable que le t. 15 ne soit,
comme on I'a dit, que le sommaire, en quel-
que sorte le texte, d'un long discours pro-
nonce dans cette circonstanco par Notre-
Seigneur.
16. — Si quis habet aures... Ce verset est
omis dans plusieurs manuscrits importants
(B, L, Sinait. Et quelques minuscules). Nean-
moins, il est trop appuye partout ailleurs
pour n'etie qu'une interpolation. La formule
qu'il contient, souvent repetee par Jesus, est
destinee a attirer la reflexion des auditeurs
sur le grand principe qu'ils venaient d'en-
tendre.Elle equivaut aux paroles « Audite me
omnes et inteiligite », qui avaient precede la
mention de ce principe, f. 14.
17. — Quum introisset in domum. S. Marc
a seul conserve ce detail: il omet neanmoins
un dialogue interessant qui, d'apres le pre-
mier Evangeliste, xv, 12-14, eut lieu entre
Jesus et les siens, immediatement apres qu'ils
se lurentsepares de la foule. — Interrogabant
eum discipuli. Toujours d'apres S. Matthieu,
XV, IS, ce fut S. Pierre qui adressa cette de-
mande a Notre-Seigneur au nom du college
apostolique. Ici, comme en d'autres occasions
du meme genre (voyez la note de vi, 50), le
prince des Apotres supprimait modestement
son nom dans les recits qu'il faisait de la Vie
de Jesus aux Remains et a S. Marc lui-meme.
Mais S. Matthieu, temoin oculaire, a pris soin
de le noter. — Parabolam. Le mot parabole
est employe dans un sens large, pour designer,
splon la definition donnee en cet endroit par
Theophylacte, une sentence obscure et enig-
matique, telle qu'etait la parole du t. 15. La
bonte avec laquelle Jesus avait daigne expli-
quer autrefois a ses disciples les paraboles du
royaume des cieux (Cfr. iv, 10 et ss.) leur
fait justement esperer qu'il viendra encore,
dans le cas present, au secours de leur intel-
ligence.
18 et 19. — La reponse du divin Maitre
commence par un reproche que nous avons
ddja rencontre en des circonstances ana-
logues. Cfr. IV, 13. — Sic et vos. Meme vous I
Vous, qui auriez dii comprendre sans peme
ce qui concerne I'homme inlerieur ! — Impru-
dentes; dans le grec, dauvexoi, « sine intelle-
ctu », — Jesus, reprenant ensuite son apho-
112
fiVANGILE SELON S. MARC
comprenez-vous pas que tout ce
qui est exterieur, en entrant dans
Thomme, ne pent le souiller;
19. Parce que cela n'entre pas
dans son coeur, mais va au venire
et descend au lieu secret qui purifie
tons les aliments?
20. Mais, disait-il, ce qui sort
de riiomme, voila ce qui souille
rhomme.
21. Gar, de I'interieur du coeur des
hommes sortent les mauvaises pen-
sees, les adulteres, les fornications,
les homicides,
crane intrinsecus introiens in homi-
nem, non potest eum communicare :
19. Quia non intrat in cor ejus.,
sed in ventrem vadit, et in secessum
exit purgans omnes escas?
20. Dicebat autem, quoniam quae
de homine exeunt, ilia communi-
cant hominem.
21. Ab intus enim de corde homi-
num malse cogitationes procedunt,
adulteria, fornicationes, homicidia.
Genes. 6, 5.
risme, considere isolement les deux parties
qui le composent, et en explique les expres-
sions les plus difficiles. Ire partie, ft. 1 8 et 1 9.
Comment un mets, un breuvage, choses tout
exlerieures a I'homme, pourraient-ils salir son
Ame, avec laqueile lis n'ont aucun rapport? —
Non inlrat in cor ejus. Manger et boire sont
des phenomenes purement physiques. C'est
dans I'estomac, non dans !e coeur, que pe-
netre la nourriture. La, elle est soumise a des
operations dans lesquelles I'homme moral ne
joue pas le moindre role. Apres que ses par-
ties assimilables ont ete absorbees, ses ele-
ments les plus grossiers sont rejeles par la
nature [secessus, le lieu secret; a9£5pwv, « la-
trina, cloaca »). Par la, continue le Sauveur,
le reste des aliments est purifie et pent
entrer sans inconvenients datis I'organisalion
humaine. Ainsi done, la nutrition est un phe-
nomeno physiologique, et ranger a la reli-
gion: on mange et Ton digere, cela ne louche
en rien a la partie spirituelle de I'homme. —
Quelle etonnanle simplicite de langage ! Mais
en meme temps, quelle ciarte jelee sur la
question du pur et de I'impur! Cependant,
« queiques-uns ont abuse des paroles... ; Ce
n'est pas ce qui entre dans le corps qui
souille I'ame, pretendant que mal a propos
I'Eglise avait interdit I'usagi^ de la viande en
certains temps, et prescrit des jeunes et des
abstinences particulieres en d'autres. Mais
elle n'a jamais fait ces defenses dans la
croyance que ces creatures fussent mau-
vaises : elle les defend dans la vue de faire
pratiquer a ses enfants la verlu de penitence
et de mortification... Elle est fort convamcue
que toute creature de Dieu est bonne en
elle-meme, et qu'on pent en user avec action
de grcices. Cfr. I Tim. iv, 4. Mais, aussitot
qu'une autorile legitime en a interdit I'usage,
la chose devient par la defendue . la deso-
beissance et I'inlemperance de celui qui en
use coDlre les lois souillent son dme, et la
rendent coupable aux yeux du Createur et de
Jesus-Christ, chef de I'Eglise. » Calmet. A ce
point de vue, le protestant Stier a raison de
dire queer ce qu'on mange ou qu'on boit n'est
pas une chose complelement indiflerente, car
cela aussi provient du coeur et agit dans le
coeur. » Reden des H. Jesu, h. 1.
20. — Dicebat autem... Jesus developpe
dans les ft. 20-24 la seconde moitie de son
aphorisme. Cfr. t. 15. II est etrange que I'E^
vangeiiste, qui emploie si volontiers le lan-
gage direct la ou lesautres synoptiques usent
du discours indirect, se contente ici de ra-
conter les paroles du Sauveur au lieu de les
citer. Cependant Ton pourrait, conformement
a plusieurs editions du texte grec, placer deux
points apres « autem », et regarder la conjonc-
tion quoniam (on) comme recitative. Alors le
verbe « dicebat » serai t une de ces transi-
tions propres a S. Marc dont nous avons ren-
contre un recent exemple [1!^. 9), et le discours
redeviendrait direct. Telle est, croyons-nous,
la veritable interpretation.
21 et 22. — Ah intus cnim de corde... Pleo-
nasme, pour mieux marquer I'opposilion qui
existe entre les deux parties de I'apliorisme
coramente par Jesus. Le coeur est done vrai-
ment le laboratoire oil se prepare tout ce
qu'il y a de bon et de mauvais dans I'homme
envisage comme etre moral. C'est ce que les
Egyptiens exprimaient ingenieusement sur
leurs fresques funeraires. Les hommes, juges
par Osiris apres leur mort, y sont represenles
par le coeur qui Irs animait autrefois, place
et pese dans une balance, comme la source
de leurs merites et de leurs demerites. —
Les mystiques et les exegetes anciens ap-
puyaient sur ces mots du Sauveur uno pro-
londe reflexion. Dans la vie pratique, disaienl^
ils, on oublie qu'on porto en soi le germo da
tons les crimes : nous rejetons trop souvent
nos tentations sur le demon, pas assez sur
notre propre cceur. « Arguuntur de hm sen-
CHAPITRE VII
lis
22. Furla.. avaritise, nequitise, do-
lus, impudicitise, oculus.malus, blas-
phemia, superbia, stultitia.
23. Omnia hsec mala ab intus pro-
cedunt, et communicant hominem.
24. Etinde surgens abiit in fines
Tyri et Sidonis : et ingressus do-
mum, neminem voluit scire, et non
potuit latere.
Matth. 15, 2i.
22. Les larcins, I'avarice, les me-
chancetes, la fraude^ les impudi-
cites, Toeil mediant, les blasphemes,
Torgueil, lafolie.
23. Toutes ces choses mauvaises
viennent du dedans et souillent
rhomme.
24. Et s'eloignant de la, il s'en
alia sur les confins de Tyr et de Si-
don; et, entrant dans une maison,
il voulut que personne ne le sut et
il ne put Tester cache.
\
tentia qui cogitationes malas immitti a dia-
boio pulant, non ex propria nasci voluntate.
Diabolus enim incentator et adjutor malarum
cogitationum esse potest, auctor aulem esse
noTi potest. » Bede. Cfr. Schegg. Evang. nach
Markus, 1. 1, pp. 214 et 215. — Dans I'enu-
meralion de S. Marc, qui est plus complete
que celle de S. Malthieu, le Sauveur signale
treize formes particulieres du mal, comma
ayant leur foyer au coeur de Thomme : les
sept premieres sont nommees au pluriel et
designent des actes, les six aulres sont nom-
mees au singuiier (dans le texle grec) et pa-
raissent representer surtout des dispositions.
II ne regne pas d'ordre systematique propre-
ment dit dans cette nomenclature. — Avari-
tice. L'expression grecque Trkove^tat a une
signification plus elendue. Elle indique tous
les moyens par lesquels I'homme attire a sol
la creature, aux depen-^ du culte qu'il doit
rendre a Dieu. — Oculiis mains. Le mauvais
ceil, yi ]">>•, est bienconnu dans tout rOrient,
et meme dans TEurope occidentale oil Ton
redoule tant ses effets. Cfr. Prov. xxiii, 6 ;
xxviii, 22; Matth. xx, 15. II represente ici
I'envie. — Stultitia, aopo(j<ivr\, I'oppose de la
cw^poaOvY), ou sagesse. « Causa cur insipientia
exlremo loco ponatur : quae etiam reliqua
omnia facit incurabiliora. » Bengel.
23. — Apres cette enumeration, Jesus re-
pete la meme pensee sous une forme generale:
« Tous les maux que je viens de nommer
proviennent evidemment de I'interieur de
1 homme ; evidemment aussi ils souillent
rhomme. » Par consequent, la verite qu'il
voulait demontrer est maintenant prouvee
d'une maniere rigoureuse. — La leQon qui se
degage de tout ce passage est bien claire. La
nature humaine est foncierement depravee.
De cette source deletere sortent des peches
sans nombre ; c'esl done I'homme interieur
qu'il faut regenerer. Des pratiques purement
exterieures, teliesque les ablutionsauxquelles
les Pharisiens attachaient tant d'importance,
S. GaBLG. S.
sont tout k fait insufiBsantes pour obtenir ce
resullat.
2» SBCTION. — MINISIERE DE JESUS DANS LA GALILEC
OCCIDENTALE ET SEPTENTRIONALE. Til, 24-IX, 49.
1. — La Chanan6enne. vii, 24-30. — Parall.
Matth. XV, 21-28.
Le recit de S. Matthieu est un peu plus
complet: nous trouvons neanmoins dans celui
de S. Marc quelques-uns de ces coups de pin-
ceau caracterisliques auxquels il nous a de-
puis longtemps accoutumes.
24. — hide surgens abiit. Hebraisme. D''D
(surgere), dit Gesenius, « sexcenties praemit-
titur verbis eundi, proficiscendi ». Thesaurus,
t. Ill, p. 1203. Ce prompt depart de Notre-
Seigneur n'est pas une fuite proprement dite
loin d'adversaires qu'il sait avoir exaspdres
(Cfr. Matth. xv, 12), car son grand coeur ne
craignait pas les hommes; c'est toutefois una
sage retraite, dont il profitera pour achever
I'inslruction de ses Apotres. II ne veut pas
avancer I'heure que la divine Providence a
fixee pour sa Passion et pour sa mort. — In
fines Tyri et Sidonis. Tout d'abord, le Sau-
veur ne franchit pas les limites du territoire
de ces deux villes. Voyez I'Evang. seloa
S. Matth. p. 309. La maison dans laquelle il
s'installa semble avoir ete bStie a peu de di»
tance de la frontiere. Tyr et Sidon, ces an-
tiques villes rivales, celebres par leurs mal-
heurs autant que par leur gloire, jouissaient
alors d'une certaine splendeur. Leur popula-
tion etait paienne en grande majorite. —
Neminem voluit scire est une traduction litte-
rale du grec ouSsva ri^tle y\u>vai. La phrase est
amphibologique et pent signitier indifferem-
ment : 11 ne vouluL connaitre personne, ou
bien : II voulut n'elre r-'connu de personne. Le
contexte monlre qu'il faut adopter le premier
de ces deux sens. L'intention de Jesus etait
done, comme Ton dit, de garder I'incognito;
neanmoins, non ipotuit latere, a la fa^on d'un
parfum qui ne tarde pas a trahir sa presence.
Marc. — 8
414
EVANGILE SELON S. MARC
25. Car, aussilot qu'elle eut oni
dire qu'il etait la, ime femme dont
la fille avait en elle un esprit im-
monde, entra et se jeta a ses pieds.
26. Or c'etait line femme d'entre
les Gentils, syro-phenicienne de na-
tion, et elle ie priait de chasser de
sa fille le demon.
27. II lui dit : Laissez d'abord les
enfants se rassasier, car il n'est pas
bon de prendre le pain des enfants
et dele jeter aux chiens.
2b. Mulier enim statim ut audivit
de eo, cujus filia habebat spiritum
immundum, intravit, et procidit ad.
pedes ejus. ^
26. Erat enim mulier Gentilis,. [
syrophoenissa genere. Et rogabat>l
eum ut dseraonium ejiceret de filia
ejus.
27. Qui dixit illi : Sine prius sa-
turari filios ; non est enim bonum
sumere panem filiorum, et mittere.
canibus.
Ces derniers mots proiivent que la volonte
du Sauveur n'etait pas absolue dans cette
circonstance. Tout revienl a dire qu'il agis-
sail a la fagon d'un voyageur qui cherche a
eviter la publicile. — Les details contenus
dans la seconde nioitie de ce verset sont spe-
ciaux a S. Marc.
25. — Mulier enim... L'evangelisle passe a
un fait particu'ier, destine a demontrer la
justesse de son assertion prealable, « Non
poluit latere. » — Statim ut audivit de eo:
des que cette femme eulappris la presence de
Jesus dans ces parages. II y avait longlemps
que le bruit des miraci^s du Sauveur s'etait
repandu en Phenicie. Cfr. in, 8; Luc. vi, 17.
— Cujus filia. Dans le grec : f,;. . . to 6uyaTp'.ov
a'j-:f,z, avec deux pronoms. C'est un hebraisme
(in2 ItTX) qu'on rencontre assezsouvenl dans
lesecrils duNouveau Testament. Cfr. Winer,
Gramm. pp. 133 et suiv, Notons aussi le
diminutif OuvaTptov, — Intravit et procidit,..
Description piltoresque de toules les demar-
ches de cette pauvre mere.
26. -^ Erat... mulier gentilis. L'equivalent
de « gentilis » dans le texte primitif est 'EW.yi-
■vic, « Graeca ». Et pourtant la suite du ver-
set prouve que la suppliante n'elail nulle-
ment grecque d'ongine. Mais il faut se sou-
venir que. pour les Juifs, le mot "E).)yiv ser-
vait a designer tous les paiens, sans distinc-
tion de nationalite. Cfr. Bretschneider, Lex.
man. s. v. Le nom de Franc a eu un sort
analogue dans la Palestine moderne : apres
avoir represente d'abord uniquement les
Frangais, il est devenu plus tard synonyme
d'Occidental en general. — SyrophcBnissa ge-
nere. Pai'enne au point de vue de la religion,
la femme que nous avons vue se proslerner
aux pieds de Jesus etait « chananeenne » de
race : tel est en efFel le sens de Sypocpotv.crca
(d'anciens manuscrits portent Supa^oiviy.icrGa
et2upoootvty.io(ja). Cfr. Malth. XV, 22 : « mu-
lier chananaea. » Mais I'expression de S.Marc
estd'une exactitude plus parfaile. Bien que
les habitants de Tyr et de Sidon appartins-
sent a la grande famille chananeenne (voir
Gen. X, 15-19), leur vrai nom n'en etait pas
moins « Pheniciens ». Or, au temps de Jesus,
la Phenicie faisait partie integrante de la
province romaine de Syrie : de ia les deux
mots reunis Syro-Pheniciens, pour distinguer
ses habitants des Carthaginois, qu'on appelait
parfois Atoy^oiviza?, Pheniciens d'Afrique.
S. Matlhieu a employe I'expression plus com-
munement en usage chez les Juifs, S. Marc
s'est servi du nom greco-romain. Cfr. Juven.
Sat. viii, 159 et 160. — Rognbat eum.
S. Matthieu a conserve les termes memes de
cette pressante demande : « Ayez pilie de
moi, Seigneur, fils de David ; ma lille est
cruellement tourmentee par le demon. » II
note ensuile, xv, 23-25. divers incidents que
notre Evangeliste a omis pour aller droit au
coeur de I'episode.
27. — Qui dixit illi. Dans sa reponse, Jesus
affecte un langage severe, afm d'eprouver la
foi dela Chananeenne. — Sine prius saturari
filios. Nous ne lisons ces paroles que dans la
redaction de S. Marc. Elles exprimenl une
idee importante, le droit qu'avaient les Juifs,
fils de Dieu plus que tous les autres peuples,
de recevoir avant les paiens les bienl'aits qui
accompagnent I'Evangile. Voycz noire com-
mentaire sur S. Mallh. p|). 45 el s. Nean-
moins, par irpuTov, « prius », le Sauveur in-
diquait delicatemcnl cpie les Gentils auraient
bientot leur tour. Cfr. Tlieophyl. rl le Ven.
Bede, h. I. Son refus d"exauccr !a priere de
la suppliante recevail par la mCMue un cer-
tain adoucisscment. — Non est enim bomim...
Verite d'autanl plus evidento que Jesus s'a-
dressait a une mere de famille. La Chana-
neenne aurail-clle jamais consent! a priver
sa fille de nourriturc, pour rassasier les chiens
a ses depens? La comparaison contenue dans
les mots filiorum et canibus (d'apres le grec,
« catellis », les petits chiens) sert a mieux
exprimer la distance qui separait les Juifs
des paiens au point de vue des bienfaits di-
vins. D'ailleurs, « c'est pour faire eclater la
(HAPITRE VII
115
28. At ilJa respondit, et dixit illi :
Utique, Domine, nam et catelli co-
medunt sub mensa de micis piiero-
rum.
29. Et ait illi : Propter hunc ser-
moneni vade,exiit dsemonium a filia
tua.
30. Et cum abiisset domum suam,
inveuit puellam jacentem supra le-
ctum et dsemonium exiisse.
31. Et iterum exiens de finibus
Tyri, venit per Sidonem ad mare
28. Mais elle lui repondit : G'est
vrai, Seigneur, cependant les petits
chiens aussi mangent sous ia table
lesmiettes des enfants.
29. Et il lui dit : A cause de cette
parole, allez, le demon est sorti de
votre fille.
30. Et s'en etant allee en sa mai-
son, elle trouva sa fille couchee sur
le lit et le demon etait sorti.
31. Et quittant de nouveau les
confins de Tyr, il vint par Sidon a
foi constanle de celle femme que le Seigneur
differe e( ne I'exauce pas tout de suite. II
veut aussi nous apprendre a ne pas laisser
tomber tout d'abord noire priere, mais a in-
sisler pour obtenir ». Theophylacte.
28. — « Or, elle supporta tout sans peine,
dit de son cote S. Jean Chrysostome, et, de
sa voix pleine de respect, elle ne fit que con-
firmer la parole du Sauveur. G'est par reve-
rence pour Jesus qu'eile se range dans I'es-
pece des chiens, comine si elle disait : Je re-
garde coinme un bienfait meme d'etre placee
au nombre des chiens, et de manger non a
une table etrangere, mais a la table de mon
niailre. » Cfr. Caten. D. Thorn, h. I. — Come-
dunt sub mensa. Tour pittoresque donne a ia
pensee dans lo second Evnngile. Nous lisions
dans S. Matthieu : « Edunt de micis quae
cadunt de mensa dominorum suorum. » —
De micis puerorum : autre detail non moins
dramalique, et special a S. Marc. II nous
montre les enfants de la famille emieltant
une partie de leur pain pour les petits chiens
qui attendent cette bonne aubaine sous la
table.
29 et 30. — Propter hunc sermonem. A cause
de cette reflexion pleine de foi, dhumilite et
de sages-e. Jesus consentit a franchir les li-
miles qu'il s'elait prescrilcs relativcmenl aux
paien-:, et il accorda aussi tot a la supfiliante
le miracle qu'eile implorait de sa boiile. « II
lui avait montre pendant quelques instants,
comme autrefois Joseph a ses freres, un vi-
■ age severe ; mais, comme Joseph, il ne put
sarder longienips cet aspect. » Trench, Notes
on the Miracles of our Lord, 9e ed., p. 3o6.
Huelie joie dans le coeur de cette mere afUi-
gee, quand elle entendit la promcsse du Sau-
veur : Le demon a quitte ta fille! Quelle
joie plus grande encore quand elle trouva la
malade guene ! La description de S. Marc,
puellam jacentem supra ledum, est toule
gra(ihique : ia jeune fille qui, auparavant,
etait sans cessc en proie a des convulsions
produites par I'esprit mauvais, est a present
tranquillement etendue sur son lit, et jouit
d'un repos bienfaisant. — C'etait la troisieme
des guerisons operees a distance par Nolre-
Seigneur : les deux autres avaient ete accom-
plies en faveur du fils d'un intendant royal,
Joan. IV, 43, et du servileur d'un centurion,
Luc. VII, 6. — Et cicemonium exiisse. II y a une
inversio'i dans la Recepla : eupe to 6a'.[jivnov
l?£/.r,),"j6o?, v.ai Trjv ^yc/.-cspx p£S/,y)a£vr|V etiI xyj;
x/.ivr,;. Mais les manuscrits B. L). Sin. et les
versions cople et syriaque ont la meme logon
que la Vulgate. Ici, la description represente
les choses tellesque la mere les trouva a son
relour; la, elle suit I'ordre reel des fails. —
Voyez, dans les Homelies Clementines, ii, 19,
diverses legendes relatives a la vie subse-
quenle de la Chananeenne.
2. — Guerison d'un sourd-muet. tii, 31-37.
31. — Et iterum exiens. Ce verset decrit
en abrege I'un des voyages les plus conside-
rables de Nolre-Seigneur Jesus-Christ. Tan-
dis qne S. Matthieu n'en parle qu en tormes
fort vagues, « quum Iransisset inde Jesus,
venit secus mare Galileete », xv, 29, la note
de S. Marc indique tres-claireineni I'itiue-
raire suivi par Jesus. — De finibus Tjiri : tel
fut le point de depart. Les mots per Sidonem
designent la premiere partie du trajet. Apres
avoir, selon loule vraisemblance. franchi la
Jiontiere juive et traverse une partie du ter-
riloire de Tyr, le Sauveur se diiigea lout
droit vers le Nord, du cote de Sidon. II est
peu probable que Jesus soil entre dans cette
cite paienne : il ne faut done pas prendre
irop a la leltre la locution « per Sidonem ».
Elle peut fort bien signifier : Atravers le pays
qui dependait de Sidon. II est vrai que la
Recepla grecque a une varianle d'une cer-
taine gravity : e^£>,Owv £-/. tojv opiwv Tupou xal
Iiowvo;. « Mais, dit fort bien D. Calmel, le
Co[)te, I'Arabe, I'Ethiopien et plusieurs ma-
nuscrits (B. D. L. A, etc.) sont semblables a
la Vulgate. L'on n'a mis : les confins de Tyr
et de Sidon, au lieu de : les confins de Tyr par
116
la mer de Galilee, en passant au mi-
lieu de la Decapole.
32. Et on lui amena un sourd-
muet, et on le pria de lui imposer
les mains.
33. Et, le prenant a Tecart, hors
de la foule, il lui mit ses doigts dans
EVANGILE SELON S. MARC
Galilsese inter medios fines Decapo-
leos.
32. Et adducunt ei surdum et mu-
tum, et deprecabantur eum, ut im-
ponat illi manum.
itfa«A. 9, 32.
33. Et apprehendens eum de turba
seorsum, misit digitos suos in auri-
Sidon, que pour eviler la pretendiie incon-
gruile que 1 on concevait a ce que Jesus se
rendildeTyr parSidon a la mer de Galilee, a
laquelle il semblaittourner ledos. » La leQon
du grec imprime est done una fausse correc-
tion. — L' adverbe iterum retombe sur venit...
ad mare Galilwce, et non sur « exiens », car
I'Evangelisle n'a signale aucun voyage an-
terieur de Jesus vers Tyr el vers Sidon,
tandis qu'il a menlionne a piusieurs re-
prises ses courses aupres du lac de Tibe-
riade. — Inter medios fines Decapoleos. La
Decapole etant situee a I'Orient du Jourdain
(voyez I'Evangile selon S. Mallh. p. 95), pour
gagner la mer de Galilee a Iravers son ter-
riloire, quand on se Irouvait aux alentours
de Sidon, on n'avait pas le choix entre piu-
sieurs itineraires. II fallait se diriger d'abord
vers I'Esl a travers le massif du Liban meri-
dional, franchir la gorge profonde de la Coe-
lesyrie ou Syrie creuse, et arriver dans I'An-
tiliban aupres des sources du Jourdain. De la
on devait marcher directement au Sud, en
passant par Cesaree de Philippe et Bethsaida-
Julias. Voyez la planche XV de I'Atlas geogr.
de M. Ancessi, les cartes de Kiepert et de
Van de Velde. Le voyage dura sans doute
quelques semaines. Dans ces contrees soli-
taires el pittoresques, Jesus et ses disciples
purent jouir du calme et du repos qu'ils
avaiont en vain cherches quelque temps aupa-
ravant. Cfr. vi. 31 et ss.
32. — Et adducunt ei. Sur la rive orien-
tale du lac (Cfr. Mallh. xv, 29, 39 et le com-
menlaire), le Sauveur opera de nombreux
prodiges : « Une foule nombreuse s'approcha
de lui, lisons-nous dans le premier Evangile,
ayant avec elle des muets, des aveugles, des
boileux, des infirmes el beaucoup d'autres
malades; et on les jela a ses pieds el il les
guerit. » Au lieu de noter toules ces gueri-
sons miraculeuses, S. Marc a prefere en rele-
ver une seule,qui avail eu du resle un carac-
tere particulier. Ce recil, qui lui appartient
en propre [tf- 32-37), abonde en details
dramatiques. — Surdum et mulum. La Re-
cepta dit : y.w(p6v ij,o-ft>.a),ov, un sourd parlant
avec peine, 'de [Aoyn;? segre, difficulter, et
),a),o;, loquens), d'oii Vatable, Calmet, Mal-
donat. M. Schegg, etc., concluent, et ce semble
a bon droit, que Tinfirme n'etait ni sourd de
naissance, ni totalement muet, mais qu'il avail
perdu de bonne heure, par suite de quelque
accident, I'usage de I'ouie et en grande partie
celui de la parole. Cfr. t< 35. La Peschito le
nomme un^sxp) « balbuliens ».Nousdevons
dire cependant que les LXX traduisent au
moins une fois (Is. xxxv, 5) I'hebreu dSk,
« mutus », par (xoYi),a>o?. Rien ne prouveque
le malade iut possede du ciemon, comme
I'onl conjecture Theophylacte et Eulhymius.
— Deprecabantur. Le verbe grec est au pre-
sent, TiapaxaXoOffiv. C'est ici I'une des rares
circonslances oil I'Evangile nous montre des
amis intercedant pour leurs amis aupres du
divin Maitre. Cfr. u, 3-5 ; viii, 22-26. —
Ut imponat illi manum. « Manus illi a Chrislo
imponi poslulabant, aut quod scirent eum
manuum impositione alios multos aegrotos
curavisse, aut quia vetus erat prophetarum
et sanctorum virorum consuetudo ut impo-
sitis sanarent manibus. » Maldonal. C'eiait
une demande indirecte, mais evidenle, de
guerison.
33. — Apprehendens eum... seorsum. Telle
est bien la signification classique du grec
a7to)va6o[jLevoi; auTov : Eisner et Wetstein le
prouvenl par de nombreux examples. Mais
pourquoi Jesus, avant de guerir ce malheu-
reux, le tira-t-il du milieu de la foule pour
le condiiire a I'ecart? On a essaye de justi-
fier eel acte par cent raisons differentes.
Nous pensons que le Sauveur se proposait
simplemenl d'exciter la foi de I'infirme, selon
sa coulume, et, d'un autre cole, d'eviter I'en-
thousiasme de la multitude. Il n'operait que
raremenl ses prodiges sous les yeux des
masses populaires. — Mais les autres cir-
conslances qui accompagnerent celle gueri-
son sonl bien plus extraordinaires encore.
Apres avoir isole le sourd-muet, misit digitos
suos in auriculas ejus, c'est-a-dire qu'il mit
I'index de sa main droite dans I'oreille gauche,
I'index de sa main gauche dans I'oreille
droite; puis, expuens, tetigit linguam ejus,
c'est-a-dire qu'ayanl humecle son doigt avec
un peu de salive, il en loucha la langue de
rinfirme. C'etaient la evidemment des gesles
symboliques. « Quia ergo qui surdi sunt vi-
dentur re aliqua obturatas habere aures,
CHAPITUE VII
117
culas ejus, et expuens, tetigit lin-
guam ejus :
34. Et suspiciens in coelum, inge-
muit, et ait illi : Ephpheta, quod
est, adaperire.
3o. Et statim apertse sunt aures
ejus, et solutum est vinculum lin-
guae ejus, et loquebatur recte.
les oreilles et toucha sa langue avec
de la salive;
34, Et levant les yeux au ciel, il
soupira et lui dit : Ephpheta, c'est-
a-dire, Ouvrez-vous,
35. Et aussitot ses oreilles furent
ouvertes et le lien de sa langue fut
rompu, et il parlait dislinctement.
mitlit digitum in aures surdi, quasi clausas
et obluralas lerebralurus, aiit impedimenlum
quod in illis eral ablaturus digilo. Et quia
qui muti sum videntur ligalam nimia sicci-
tate habere linguam palatoque adhserentem,
ideoque loqui non posse, sicut Prophela iile
dixit : Lingua mea adiiaesit faucibus meis
(Ps. XXI, 16),.., mitlit saiivam in os niuli
quasi ejus linguam humectalurus ». Maldo-
nat. Ci'r. Cornel, a Lap. Jansenius, Fr. Luc.
Cast sur le sens de I'ouie que le Sauveuragit
en premier lieu, car la surdile elail, comme
dans tous les cas semblables, le mal principal.
L'infirme ne parlait indistinclement que parce
qu'il n'entendait pas. Mais pourquoi Jesus
fait-il lant de ceremonies, au lieu d'operer
la guerison par une simple parole, ainsi que
cela avait lieu la plupart du temps ? C'est son
secret. Nous pouvons neanmoins dire encore
avec le sage Maldonat, auquel nous aimons a
falre des emprunts : « Videtur voluisse Chri-
stus non semper aequaliter suam divinilalem
potentiamque declarare, quod non semper,
etiamsi nos causa lateat, convenire judicaret.
Aliquando solo verbo daemones ejicit, mor-
tuos exsuscitat, osiendens se omnino esse
Deum; aliquando tactu, saliva, luto sanat
aegrotos, accommodans quodammodo poten-
tiam suam ad modum agendi causarum nalu-
ralium, et ad sensum et consuetudinera ho-
minum. »
34. — Suspiciens in cesium. S. Marc n'a pas
omis le moindre detail : il reproduitla scene
sous nos yeux. — Avec quelle spontaneitele
regard de Jesus devait se diriger vers le ciel!
Cfr. Joan, xvn, 1. Mais ce geste etait sur-
tout familier au divin Maitre quand il etait
sur le point d'accomplir quelque grand pro-
dige. Cf'-. Malth. xiv, 19 etparail.; Joan.
X, 41, 42. II montrait ainsi que des liens in-
times I'unissaient au Pere celeste. G'etait une
muelte, mais pressante priere de noire Me-
diateur. — Ingemuit. Ce gemissement ex-
primait, suivant la belle pensee de Victor
d'Antioche (Cramer, Catena grsec. Patr. h.l.),
le sentiment de vive pitie qu'excitait dans le
coeur de Jesus la vue de la profonde misere
qu'avaient apportee a I'humanite dechue
I'envie du demon et la faute de nos premiers
parents. Le pauvre sourd-muet etait en effet
un type vivant de toutes les infirmite? phy-
siques et morales auxquelles I'homme est en
bulte sur cette terrre — Ephpheta. Nous
avons deja vu, v, 14, noire Evangeliste ciler
les paroles du Sauveur dans la langue ara-
meenne. C'est la une des parlicularites de sa
narration graphique et vivante. Cfr. xii, 3. Le
mot qu'il a exprime en grec par e^^aOa se
pronongait alors ethphathach (nnsriN). C'est
I'imperalif dela forme ethpaal. II y a eu, con-
formement au genie de la langue grecque,
assimilation du n (le premier th change en (p),
et apocope du n {ch) final. On pourrait aussi
rapprocher £99a9a du niphal hebreu nnSH,
ippdtach. — La traduction ajoutee pour les
lecteurs non juifs de I'Evangile, adaperire,
est tout a fait litterale. — Quand le pretre
catholique confere le bapteme solennel, il
adresse cette meme parole au cathecumene,
dont il humecte les narines et les oreilles
avec un peu de salive. Ce double emprunt fait
a la conduite du Sauveur a pour but d'indi-
quer qu'avant la regeneration operee par le
sacrement de bapteme, I'homme est sourd
et muet relativement aux choses de la foi.
De la cette allocution de S. Ambroise a de
nouveaux baptises : « Aperite igitur aures,
et bonum odorem vitae eeternee inhalatum
vobis munere sacramentorum carpite, quod
vobis significavimus, quum apertionis cele-
brantes mysterium diceremus Epheta, quod
est, Adaperire v. De Init. i.
35. — Et statim. La parole de Jesus pro-
duit immediatement son effet. Les oreilles
s'ouvrent, raconte S. Marc dans son style
image, le lien qui avait jusqu'alors retenu la
langue captive se brise en un din d'ceil, et
le muet de tout a I'heure parle parfaitement.
« Le Createur de ia nature avail fourni cequi
manquait k la nature. » Victor d'Antioche.
— Des mots loquebatur rede, les exegctes
dont nous avons cile plus haul les noms
(voir la note du f. 32) concluent a juste titre
que Tintirme n'etait ni sourd ni muet denais-
sance. « Nam hujusmodi nihil queat loqui,
etiam omni linguae impedimentosublato; non
enim loquitur homo quod non didicerit. »
Luc de Bruges. Quoique tout fiit possible a
Jesus, nous n'avons aucune raison speciale
de supposer que, par un nouveau prodige il
418
fiVANGILE SELON S. MARC
36. Et il leur defendit d^'en rien
dire a personne; maisplus ille leur
defendait, plus ils le publiaient.
37. Et ils I'admiiaient d'autant
plus, disant : II a bien fait toutes
clioses, il a fait entendre les sourds
etparler les muets.
36. Et prsecepit illis ne cui dice-
rent. Quanto autem eis praecipiebat,
tanto magis plus praedicabant.
37. Et eo amplius admirabantur,
dicentes : Bene omnia fecit : et sur-
dos fecit audire, et mutos loqui.
CHAPITRE VIII
Seconde multiplication des pains [tt. 4-9). — Le signe du ciel et le levain des Pharieiens
(tar. 10-21). — Guerison d'un aveugle a Bethsaida (tt. 22-26). — Giorieuse confession de
S. Pierre (tt. 27-301. — Necessite de la croix pour le Christ et pour les Chretiens
(tt. 31-39).
1. En ces jours-la encore, comme
la foule etait grande et n'avait pas
de quoi manger, il appela ses dis-
ciples et leur dit :
1 . In diebus illis iterum cum turba
multa essct, nee haberent quod
manducarent, convocatis discipulis,
ait illis :
Matth. 13, 32.
ait siibiteraent communique au sourd-muet la
connaissance de la langiie arameenne.
36. — Et prcecepit illis... Ce pronom au
pluriel designe tous les temoins du miracle,
par consequent Tinfirme, ses amis qui I'a-
vaient conduit a Jesus et les disciples. Les
defenses de ce genre etaient presque toujours
violees : au reste, ceux qu'elles concernaient,
emportes par l'entliousia?me et la reconnais-
sance, ne se croyaientguere obliges au secret.
Dans la circonslance presente, comme dans
beaucoup d'autres, il arriva done le contraire
de ce que le Sauveur avait prescrit. L'Evan-
geliste emploie, pour exprimer ce fait, des
termes a la fois energiques et populaires :
Quanto eis prcecipiebat...Le double compa-
ratif tanto magis plus, |jl5).).ov TiepurffoTepov, est
surtout a noter. Cfr. II Cor. vii, 13; Phil.
I, 23, et Winer, Grammat. p. 214.
37. — Et eo amplius admirabantur. Tous
ceux qui entendaient le recit de cette cure
merveilleuse etaient saisis de I'admiration la
plus vive; •jnEpitspKraw; £^£7r),r,(7(jov-o, dit le
texte grec avec plus de force encore que la
Vulgate. L'adverbe {iTrep'n^EptaCToj;, qu'on ne
trouve pas ailleurs dans le Nouveau Testa-
ment, signifie « supra modum, valde abun-
danter. » — La surprise arrachait aux foules
une exclamation iouchanle, Bene omnia fecit,
qui conlient « une belle apologie du Sauveur
contre les accusations et les murmures des
Pharisiens, un eloge qui ne convient propre-
ment qua Dieu seul. » Calmet. Opera do-
MIXI UMVERSA VALDE BONA, Eccli. XXXIX, 21;
CUNCTA QU.E FECERAT ERANT VALDE BONA,
Gen. I, 31, esi-il dit du Dieu Createur. —
Les paroles surdos fecit audire... (ou mieux
« facit » au temps present, TioTii) sont une re-
miniscence de la celebre prophetic dlsaie,
XXXV, 3 et 6, dont elles chantent I'accom-
plissement parfail : « Alors (a I'epoque du
Messie) les yeux des aveugles s'ouvriront et
les oreilles des sourds seront ouvertes... et la
langue des muets sera deliee. »
3. — Seconde mnltiplication des pains.
vui, 1-9. — Parall Malth. xv, 3-2-38.
Les narrations de S. Matlhieu et de S. Marc
se suivent ici presque mot pour mot. Nean-
moins celle de noire Evangeliste est un peu
plus longue, parce qu'elle conlient quelques
details particuliers, dont voici les princi-
paux : t". 1, a Nee haberpnl quod manduca-
rent » ; t. 3, « quidam enim ex eis de longe
venerunt » ; t. 7, o et ipsos (pisciculos) bene-
dixit. »
Chap. viii. — In diebus illis. C'est-a-dire,
d'apres les antecedents (Cfr. vii, 31), durant
le sejour que Nolre-Seigneur Jesus-Christ lit
aupres du lac de Tiberiade apres son relour
des regions pheniciennes. — L'adverbe ite-
rum nous reporte a la premiere mulliplica-
CHAPITRE VIII
M9
2. Misereor super ti.iibam : quia
•eccc jam Iriduo sustinont me, nee
liaben! quod manducent :
3. Et si dimisero cos jejuuos in
domum suam, deficient in via : qui-
<lam enJm ex eis de longe venerunt :
4. Et respondrruut ei di'^'^ipuli
sui : Unde ilJos quis poiont hie sa-
turare panibus in soliladine?
5. Et interrogavit eos : Quot pa-
nes iiabetis? Qui dixerunt : Septem.
G. Et prjecepit turbaB discumbere
super terrain. Et accipiens septem
panes, gratias agens fregit, et dabat
disci pulis suis ut appouerent, et ap-
posuerunt turbte.
2. J'ai pitie de cette foule, car
voila deja trois jours qu'ils sont
avec moi, et ils n^out pas de quoi
manger.
3. Et si je les renvoie a jeun dans
leurs maisons, ils tomberont de de-
faillance en chemin, car quelques-
uns d'entre eux sont venus de loin,
4. Ses disciples lui repondirent :
Comment quelqu'un pourra-t-il les
rassasier de pain, ici dans le desert?
5. Et il leur demanda : Gombien
de pains avez-vous? Et ils lui di-
rent : Sept.
6. Et il commanda a la foule de
s'asseoira terre. Et,prenantles sept
pains et rendant graces, il les rom-
pit et les donna a ses disciples pour
les distribuer, et ils les distribue-
rent a la foule.
tion dcs pain?, opereo quelqiies mois aiipara-
vant aux environs do Bellisaida-Juiias, vi,
35-43. II est vrai que eel advorbe manque
dans la Recepla, oil on lili^atiTcoXXou 6-/}o^ ovto<;
au lieu de -d).'.v -oXXoO... ; mais les meiileurs
manusciil!: (B. D. G. L. M. A, etc.) ont la
meme legon que la Vulgate. — Turba multa.
Celte foule nombreuse avail ele attiree par
les miracles recents dii Sauveur. Cfr. Malih.
XV. 30, 3!. — Nee haberent... Ces verbes au
pluriel apres un >ujet au singulier torment
nne « constructio ad synesin ». Cfr. Beelen,
Gramm.p.244. Le p^uple manquait devivres
parce que, rassemble depuis deja trois jours
[t. 2) aupres de Jesus, il avail consomme
outes les provisions dont il s'etait muni.
"2. — Mi<!ereor super turbam. Le verbe
grec <TT:),aYX''''o!J.ai designs toujours una tres
vive emotion. Presque touLes les fois que
nous I'entendons prononcer par le bon Pas-
teur, nous apprenons aussitol apres que les
pauvres brebis qui excitaienl sa compassion
regurent de lui quelque merveilleux secours.
Cfr. 1,41 ; Matth. ix, 37;xiv,'14; xx, 34; etc.
— Sustinent me. Dans le grec, 7tpo(j(i£'vou<7t (loi,
a manent apud me. »
3. — El si dimisero... D'apres S. Matthieu,
XV, 31, Jesus aurait dit avec plus de force :
« Dimittere eos jejunos nolo. » C'etail une
hypolhese a laquelle son divin coeur ne vou-
lait pas meme s'arr^ter un instant. Pouvail-
il exposer ce bon peuple qui, par amour pour
lui, avail oublie ses necessites materielles, a
faire une longue route a jeun, avant d'at-
teindre un domicile qui etait lointain pour
plusieurs? Sans compter que, dans cette
foule, il y avail des femmes et des enfants.
Cfr. Matih. xv, 48. — Ge court preambul©
nous montre que les deux multiplications des
pains eur-^nt liju dans des circonstances a
peu pres idsnfq.ies. Sur la di-^tinclion reelle
des deux mira'los, voyez I'Evangile selon
S. Matthieu, p. 313, el Deliaut, I'Evangile ex-
plique, mediio, def-ndu, t. Ill, pp. 51 et 52.
4. — Responderunt ei discipidi. Au lieu
de la reponse pl'ine de foi qu'on aimerait a
entendre sortir de la boucne des Apotres,
Jesus en regoit une qui fait juslemenl dire
a Victor d'Antioche : « Discipuli videban-
tur adhuc inlellectu deSci, Domini potential
post priora miracula minime fidentes. » He-
las! tairt d'aulres hommes semblent n'acque-
rir aucune experience au contact journalier
des choses divines ! Du reste, le Sauveur leur
reprochera bienlot, ■?. 17, d'avoir I'intelli-
gence encore aveugle. — In solitudine : plus
clairement, « in deserto », eti' epr,aia;, loin de
tout lieu habile. Cfr. vi, 32 et Texplication.
5 el 6. — Sans tenir comple de la reponse
des Douze, Jesus se conlenle de leur deman-
der s'ils ont quelques pains a leur disposi-
tion. II agissait ainsi, dit S. Remi, in Matth.
XV, 34, « ut, dum illi responderent septem,
quo pauciores essent, eo magis miraculum
diffamarelur el notius fieret. » Le meme au-
teur remarque, a propos des mots discum-
bere super terram : « In superiori refectione
supra foenum discubuisse dicuntur, hie vero
super terram. » Cette nuance a sa valeur
pour la distinction des deux fails. — Dabat,
420
E7ANGILE SELON S. MARC
7. lis avaient encore quelques
petits poissons ; il les benit aussi
et les fit distribuer.
8. Et ils mangerent et furent ras-
sasies; et ils emporterent ce qui res-
tait des fragments, sept corbeilles.
9. Et ceux qui mangerent etaient
environ quatre mille, et il les ren-
voya.
10. Et aussitot, montant dans
une barque avec ses disciples, il
vint dans le pays de Dalmanutha.
7. Et habebant pisciculos paucos 1
et ipsos benedixit, et jussit apponi.
8. Et manducaverunt, et saturati
sunt, et sustulerunt quod superave-
rat de fragmentis, septem sportas.
9. Erant autem qui manducave-
rant, quasi quatuor millia : et dimi-
sit eos,
10. Et statim ascendens navim
cum discipulis suis, venit in partes
Dalmanutha.
a I'imparfait , comme precedemment. Cfr,
VI, 41 , et la note correspondante.
7. — Pisciculos... benedixit et jussit... D'a-
pres le grec : « et quiim benedixisset, jussit et
eos apponi. » Cette benediction est designee
dans le texte primitif par le verbe eOXoysw ;
celle du pain, t. 6. par eOxaptsTEw. Ces deux
expressions sont d'ailleiirs idenliques. Cfr.
Matlh. XXVI, 26; Luc. xxii, 17.
8 et 9. — Details qui servent a montrer
la grandeur du prodige. — Sportas. S. Marc,
comme S. Malthieu, donne ici aux corbeilles
le nom de ffTTjpiSei;. Lors de la premiere mul-
tiplication des pains, il les avail designees par
celui de y.o^tvoi. Voyez I'Evang. selon S. Mat-
thieu, p. 314. A. Rich, dans son Diclionn.
des Antiq. rom. et grecq. p. 598, donne un
specimen de la « sporta >' — Dimisit eos.
Les pasteurs des Smes, ainsi que le font ob-
server ici les moralistes, ne doivent renvoyer
leurs peuples qu'apres leur avoir fourni, a
I'exemple de Jesus, une nourriture substan-
tielle el abondante. Autrement, combien se-
raient saisis de defaillance sur le long et pe-
nible chemin de la vie, et ne pourraient par-
venir au salul! — D'apres S. Auguslin,
Serm. lxxxi, et S. Hilaire, in Matth. xv, les
convives du premier de ces feslins rnira-
culeux represenleraient les Juifs, landisque
ceux du second seraient la figure des Gen-
tils. « Sicut ilia turba quam primo pavit,
ecrit S Hilaire, Judaicae credenliura convenit
turbae, ita haec populo gentium compara-
tur ». Ce sont les mots « de longevenerunt »,
'III, 3, qui ont suggere cette ingenieuse dis-
/inclion, les paiens, pour venir a Jesus,
jyant besoin de faire au moral une route
plus longue que les Juifs.
4. — Le slgne du ciel et le levaln des Pha-
risiena. vin, 10-21. — Parall. Matlh. xvi, 1-12.
iO. — Ascendens navim. Dans le grec,
TOTtXotov avec larticle : la barque qui etait
habituellement a la disposition de Jesus. Le
Sauveur se hate de sortir aussitot apres son
miracle [stalim], pour ne pas fournir au peuple
I'occasion de nouvelles tentalives enlhou-
siastes, procedanl de fausses idees messia-
niques. Cfr. Joan, vi, 14 el 15. — Venit in
partes (si; xa p.£pr,,c'est le l'^3 hebreu,« trac-
tus ») DaUnanuilia. Au lieu de ce nom propre,
qu'on ne rencontre nulle part dans I'Ancien
Testament, ni dans les ecrils de Josepne,
S. Malthieu, xv, 39 (voyez le commentaire),
menlionnait celui de "Magedan d'apres la
Vulgate, de Magdala d'apres le texle grec.
C'est sans doule pour rendre la Concorde plus
facile que plusieurs Peres latins et divers
manuscrits grecs ont egalement ecrit, dans hi
present passage de S. Marc, les uns « Mage-
dan », les autres MavSa),*. Mais Aa),aavoy6x
est certainemenl la le^on authentiqiie. Oil
placer la localite ainsi designee? Comment
elablir I'accord enlrenos deux Evangelisles?
Relalivement au premier point, nousciterons
trois opinions principales. II y a d'abord celle
du Dr americain Thomson, qui, dans son inte-
ressanl ouvrage : The Land and the Book,
Londr. 1876, p. 393, essaie d"identifier Dal-
manoutha avec un village en ruines, nomme
Dalhamia ou Dalmamia, et situe sur le rivage
oriental du lac deGennesareth. Ce sentiment,
ou plulot celle conjecture, car ce n'est pas
autre chose, a le grave inconvenient de
rendre toute harmonie impossible entre
S. Malthieu et S. Marc, puisque Magdala
s'elevait certainement a I'ouest du lac. Light-
foot, Opera, H, 414, suppose, mais sans le
moindre fondement, que Aa),[jiavo'j9a est la
forme grecisee de llcSs, Tsalmon, nom d'une
ville batie, d'apres le Talmud, aux environs
de Tiberiade. Resle I'opinion, generalement
admise de nos jours, qui consisle a faire de
Dalmanoutha un village situe a peu de dis-
tance de Magdala, dans la plainede Gennesa-
reth, et dont le nom s'esl perdu depuis I'e-
poque de Jesus. Le Dr Tristram decrit ainsi
son emplacement probable : « Juste avant
d'alteindre Medjel (Magdala), nous traver-
sames une petite vallee ouverte, Ain-el-Ba-
CHAPITRE VIII
421
11. Et exierunt Pharissei, et cce-
perunt conquirere cum eo, quseren-
tes ab illo signum de ccbIo, tentan-
tes eum.
Matth. 16, i; Luc. II, 54.
12. Et ingemiscens spiritu, ait:
Quid generatio ista signum quserit?
Amen dico vobis, si dabitur genera-
tioni isti signum.
11. Et des Pharisiens vinrent et
commencerent a disputer avec lui,
lui demandant un prodige dans le
ciel, pour le tenter.
12. Et, gemissant du fond du
coeur, il dit : Pourquoi cette gene-
ration demande-t-elle un prodige?
En verite je vous le dis : aucun pro-
dige ne sera accorde a cette gene-
ration.
rideh, ornee de riches champs de ble et de
quelques jardins egares parmi les ruines
d'un village. Nous vimes aussi, a proximile
de plusieurs sources abondantes, des fonda-
tions considerables, paraissant assez an-
ciennes. Elles apparliennent vraisembleraent
au Dalmanoulha du Nouveau Testament. »
Land of Israel, p. 413, 3e edit. Cfr. Smith,
Diction, of the Bible et Kilto, Cyclop, of the
Bible, s. V. Dalmanutha. D'apres cette hy-
pothese, la conciliation est aisee : le premier
evangeliste aura mentionne la ville principale,
pres de laquelle Jesus vinl debarquer; le
second, avec sa precision accoutumee, la
localite moins connue dont le Sauveur foula
tout d'abord le sol apres etre sorti de son
embarcation. En somme, comme le disait
deja S. Augustin, de Cons. Evang. 1. II, c.o,
c'est la meme region qu'ils auront designee
sous deux noms differents.
11. — Exierunt Phai^iscei. Ces adversaires
implacables ne laissent pas de repos a Jesus :
des qu'ils le savent en un endroit, ils y
accourent pour lui tendre des pieges. S. Mat-
thieu nous apprend qu'ils se presenlaient
cette fois accompagnes des Sadduceens qui,
bien qu'appartenant a un parti oppose au
leur, s'elaient neanmoins ligues avec eux
centre I'ennemi commun. — Cceperunt con-
quirere, c'est-a-dire a discuter, car tel est
le sens derive de (rurriTeiv. « Mos antiquissi-
mus disputandi eral per interrogationes.
Hinc factum est ut (tv^yiteTv dicalur disputare »
Rosenmiiller, Scholia in h. I. — L'objel de
la discussion est ensuite clairement indique :
(Jucerentes signum de ccbIo. En quoi consistait
ce signe du ciel qui, suivant les traditions jui-
ves, devait inaugurer le regne duMe?sie?On
ne saurail le dire au juste. En ce que Jesus fit
pleuvoir la manne, repond le Yen.Bede; en ce
qu'il arretat le soleil ou la lune, fit tomber la
grele et changeat I'etatde I'almosphere, ecrit
Theophylacte. Voyez I'Evangile selon S. Mat-
thieu, p. 316. Quoi qu'il en soil, ce signe
opere par le Sauveur devait 6tre, selon la
pensee des Pharisiens, une legitimation pe-
remptoire de son caractere messianique. Ou
plulot, il n'eut rien legitime a leurs yeux,
comme le montre une reflexion significative
de I'Evangeliste : tentantes eum. Leur but
secret etait d'humilier, de confondre Notre-
Seigneur, nullement de s'assurer de la divinite
de sa mission. N'avaient-ils pas deja toutes
les preuves desirables? Cette tentation, par
son objet, rappelle celle du desert. Cfr. Mat-
thieu IV, 1 et ss. De nouveau Ton presse Jesus
de recoui ir a des prodiges eblouissanls pour
montrer qu'il est le Christ attendu.
12. — Ingemiscens spiritu. La premiere
reponse du divin Maitre est un profond sou-
pir qu'arrache a son Coeur sacre I'mcreduUte
des Pharisiens. Precieux detail, dont nous
sommes redevables a S. Marc. Le verbe com-
pose ava(TT£vd?a?, qu'on ne trouve qu'en cet
endroil du Nouveau Testament, signiQe d'a-
pres toute sa force : « Ab imo pectore suspi-
ria ducens. » — Quid generatio ista... Nou-
veau trait particulier a noire Evangile. II est
vrai qu'ensuite S. Marc abregera noiablement
I'episode, ne citanl que le sommaire des
paroles de Jesus, sans mentionner le « signe
de Jonas », et le bicime energique tire des
pronostics du beau et du mauvais temps. Cfr.
Mallh. xvi. 2-4 et le commentaire. Mais nous
Savons qu'il aime mieux depeindre les situa-
tions que citer au long les discours. « Ista »
est emphalique. Cette generation infidele, en
faveur de laquelle Jesus a deja fait tanl de
miracles! — Qucerit; dans le grec, Em^TiTei:
elle cherche un nouveau prodige, en sus [I'kI)
de tous ceux qu'elle a regus. — Amen dico
vobis. C'est un serment, comme I'indique
cette grave formule, que le Sauveur va main-
tenant prononcer. II attoste, au notn de la
veracite divine, qu'il ne donnera pas aux Pha-
risiens le signe eclatant qu'ils desirent. Si
dabitur est une tournure tout hebrai'que.
Voyez Winer, Grammal., p. 444; Beelen,
Gramm. graecitalis N. T., p. 501. En effet,
les Hebreux emploienl a chaque instant la con-
jonction Qn, ^t >i ». au lieu de nS, « non ». Cfr.
Gen. XXI, 23 ; xxiv, 37 ; Deut. i, 35 ; III Reg.
422
EVANGILE SELON S. MARC
13. Et, les renvoyant, il monta
de noiiveau dans une barque, et
passa de I'autre cote de la mer.
14. Or ils avaient oublie de pren-
dre des pains, et ils n'avaient qu'im
seul pain avec eux dans la barque.
lo. Et il leur donnait un ordre,
disant : Gardez-vous avec soin du
levain des Pharisiens et du levain
d'Herode.
16. Et, reflechissant , ils se di-
1 3. Et dimittens eos, ascendit ite-
rum navim, et abiit trans fretum,
14. Et obliti sunt panes sumere :
et nisi unum panem non habebant
secum in navi.
Malth. 16, 5.
15. Et prsecipiebat eis, dicens :
Videte, et cavete a fermento Phari-
sseorum, et fermento Herodis.
16. Et cogitabant ad alterutrum,
1, 51 ; Is. XIV, 24 ; Ps. xciv (hebr. xcv), 1 \ . C'est
un moyen de renforcer la negation. Dans les
constructions de ce genre, il y a une aposio-
pese. On sous-enlend : « Hoc mihi facial
Deus et hoc addal », ou quelque idee sem-
blable, en avant de la phrase. VoyezGesenius,
Thesaurus, p. iOS, et Fr. Luc, Coram, h. I.
Ainsi done, comma le dil Euthymius, elSoGyi-
cexai a ele mis avTt toO OO Soe^aetai. Aussi la
version syriaque traduit-elle simpiement par
la negation. — Signum, le signe special qu'ils
desiraient. Jesus n'abaissera pas sa puissance
miraculeuse pour produire des actions d'eclat.
13. — Dimittens eos. « Le Seigneur renvoie
les Pharisiens comme incorrigibles ; il faul
insister la oil il y a espoir de guerison, mais
ne pas s'arreter la oil le mal est irreme-
diable. » Theophylacte. — Abiit trans f return.
Sur la rive orientale, ou mieux encore au
N.-E. du lac, puisque nous Iroiiverons bientot,
t. 22, Jesus a Belhsaida-Julias. C'est une
des prudent"s « retraites » du Sauveur. Voyez
I'Evang. selon S. Malth. p. 317 et s.
14. — Obliti sunt. Scil. « discipuli ». Cfr.
t. 10. Cet oubli elait providentiel, car il
allaitservir a donner aux Apotres une notion
plus vraie de la toute-puissance de Jesus. II
se congoil du reste sans peine au moment
d'un depart precipite. — Nisi vanem unum...
S. Marc est seul a faire cette restriction, qui
denote sa parfaite exactitude, en meme temps
qu'elle rappelle la source precieuse a laquelle
il avail puise tant de details particuliers.
15. — Tandis que la barque floltait sur les
eaux du lac, Jesus fit une grave recommanda-
lion a ses disciples. Videte et cavete, leur dit-il
en appuyanl sur ces deux verbes, a fermento
Pharisworum, et ferme^ito Herodis. Par cetle
expression figures, il designait, ajoute S. Mat-
thieu, XVI, 1 2,1a doctrine ei les ideas perverses
des sectaires. En elfet, « lermentum hanc vim
habet, ut si farinee mixtum fuerit, quod par-
vum videbatur crescat in majus, et ad sapo-
rem suum universam conspersionem Irahat :
ita et doctrina haeretica, si vel modicam scin-
tillam in tuum pectus jecerit, in brevi ingens
flamma succrescit et totam hominis posses-
sionem ad se trahit. » A ce commentaire
vigoureusement trace, on reconnait le grand
S. Jerome (In Malth. xvi). Voyez I'Evang.
selon S. Matthieu, p. 318. C'est a cause de
ces qualiles penetrantes et envahissantes du
levain que les hommes doivent, surlout lors-
qu'il s'agit du domaine moral, veiller avec le
plus grand soin sur son action. II faut voir
d'abord, puis prendre garde : opaxe, pXETreTs,
dit le texle grec sans employer la conjonction
xat, ce qui rend la pensee plus rapide. La
locution p),£'7teiv (XTio, que nous trouvons ici au
lieu du 7rpo(T£'x£tv dTro de S. Maltliieu, est bien
iraduite par « cavere ab, sedulo cavere. » Les
Juifs, quand ils faisaient disparaitre le levain
deleursmaisonsia veillede la Paque,devaient
prendre les precautions les plus minutieuses
pour n'en pas laisser une seule parcelle; Cfr.
Ex. XII, 15; Biixtorf, Synagog. Jud. c. xii :
c'est avec un zele semblable que les Apotres
devaient repousser loin d'enx le levain pha-
risai'que ou herodien.Nolons ici une nouvelle
nuance dans les recits evangeliques. « Mat-
ihaeus dicit : A fermento Pharisaeorum et
Sadducaeorum. Marcus vero : Pharisaeorum
et Herodis. Lucas vero (cap. xiii) : Pharisaeo-
rum solum. Tres ergo illi Evangf>lislae Phari-
saeos nommarunt, quasi principaies ; Malthaeus
vero et Marcus sibi secundarios diviserunt :
congrue autem Marcus posuil Herodis, quasi
reliclis a Matthaeo Herodianis in supplemen-
tum narralionis ipsius. » S. Jean Chrysost.
ap. Calen. Peut-etre serait-il plus exact de
dire que, les principes d'Herode et ceuxde la
secteSadduceenneetanlapeu pres lesmeme.s,
les expressions « fermentum Herodis » et
« fermenium Sadducaeorum » ne difleraient
guere I'une de I'autre. Cfr. Patrizi, In Marc.
Comment, p. 90.
16. — Cogitabant ad alterutrum. Celle re-
flexion du Maitre causa une vive agitation
parmi les disciples. Les voila tout troubles
parce que, I'idee du levain reveillant dans
CHAPITRE VIII
423
dicentes : Quia panes non habemus.
17. Quo cognito, ait illis Jesus :
Quid cogitatis, quia panes non ha-
betis? nondum cognoscitis, nee in-
telligitis? adhuc csecatum habelis
cor vestrum?
18. Oculos habentes non vidctis?
et aures habentes non auditis? Nee
recordamini?
Sup. 6, 41; Joan. 6, 1.
19. Quando quinque panes fregi
in quinque raillia : quot cophinos
fragmentorum plenos sustulistis?
Dicunt ei : Duodecim.
20. Quando et septem panes in
qualuor millia, quot sportas frag-
mentorum tulistis? Et dicunt ei :
Septem.
21 . Et dicebat eis : Quomodo non-
dum intelligitis?
22. Et veniunt Bethsaidam, et
saient Tun a Tautre : G'est que nous
n'avons pas de pain.
17. Jesus I'ayant connu, leur
dit : Pourquoi pensez-vous que vous
n'avez point de pain ? N'ayez-vous
encore ni sens, ni intelligence?
avez-vous encore le coeur aveugle?
18. Ayant des yeux, ne voyez-
vous point? ayant des oreilles, n'en-
tendez-vous point? et n'avez-vous
point de souvenir?
19. Quand je rompis cinq pains
pour cinq mille liommes, combien
de corbeilles pleines de fragments
remportates-vous? lis lui dirent :
Douze.
20. Et quand je rompis sept pains
pour quatre mille liommes, combien
de corbeilles de fragments rempor-
tates-vous? lis lui dirent : Sept.
21. Et il leur dit : Comment ne
comprenez-vous pas encore ?
22. Et ils vinrent a Bethsaida, et
leur rsprit celle du pain, ils se rappellent
qu'ils n'ont pas pris de provisions! lis se pre-
occupent d'lin morceau de pain, a cote de
Celui qui a pu, de rien, nourrir de nom-
breiises multitudes!
17-21. — Quo cognito. Ce manque de foi
meritait nn blaun^ : Jesus le leur adresse a
I'instaiit. Le recit de S. Marc est, ici encore,
plus vivant et plus complet que celui de
S. Matlliieu. II se compose d'une longue serie
de que>tions (huil ou neuf, selon qu'on place
une virgule ou un point d'interrogation a la
fin du t. 18) qui se succedent coup sur coup
avec une grande rapidite. D'abord, les pauvres
disciples demeurent tout a fait muets. Puis,
vers la fin, ft. 19 et 20, les demandes sont
suivies d'une reponse ; c'est un vrai dialogue
qui s'engage entre Jesus et les Douze sur les
evenements anterieurs. Enfin I'interrogatoire
se ti rrnine au t. 21 par une derniere question
qui revient au point de depart : Comment se
fait-il que vous ne compreniez pas encore?
« Mais alors ils comprirent, ajoule S. Mat-
thieu, XVI, 12, que Jesus ne parlail point
d'un levain materiel. » — La gradation con-
tenue dans les ft- 17 et 18 est vraiment re-
marquable. Nondum cognoscitisf en grec
ouTTw vo£tT£;'No£'a) signifie proprement « mente
agilo. in animum verso, cogito. » Nee intelli-
gitU? ouSe oyvtsxe; la traduction est cette fois
plus exacte, car auviyjui a le sens de « perspi-
cio, percipio, intelligo. » Ce second verbe dit
quelque chose de plus que le premier. L'erreur
singuliere des Apotres provient done d'abord
de ce qu'ils n'ont pas suflisamment reflechi a
la puissance du Sauveur : ce manque de re-
flexion les a empeches de comprendre. Du
reste, comment auraienl-ils compris? Leur
coeur etait endurei, leurs yeux aveugles,
leurs oreilles sourdes : en un mot, loutes les
grandes ouverlures par lesquelles la connais-
sance entre habituellement dans un homme
etaient obstruees chez eux. Bien plus, ils
avaient meme perdu la memoire des plus
recenls prodiges de leur Maitre! Etait-il
done elonnant que les choses les plus evi-
dentes leur echappassent? — Sur la lournure
fregi in quiiique millia, t. 19, calquee sur le
grec, comp. Beelen, Gramm. p. 214.
5. — Gu6rison d'un aveugle k Bethsa'ida.
VIII, 2-2-26.
22. — Et veniunt Bethsaidam. Le P. Pa-
trizi et plusieurs autres coinmentateurs sup-
posent qu'il s'agit ici de la Bethsai'da occi-
denlale ; mais, des versets 10 et 13 de ce
chapitre, il ressort tres-clairement que Jesus
et les siens avaient franchi le lac de I'Ouest
au Nord-Est et ne pouvaient se trouver alors
qu'a Belhsaida-Julias. Voyez vi, 45 el Tex-
plication. La leQon el- BriOavtav des manuscrits
D et a est une faute manifesie. — S. Marc a
124
fiVANGILE SELON S. MARC
on lui amena un aveugle, et on le
pria de le toucher.
23. Prenant la main de Taveugle,
ille conduisit hors du bourg, et, lui
ayant impose les mains, lui de-
mauda s'il voyait quelque chose.
24. Ilregarda et dit : Je vois des
hommes comme des arbres mar-
chant.
2o. II mit de nouveau les mains
sur ses yeux, etil commenca a voir
et il fut gueri, de sorte qu'il voyait
clairement toutes choses.
rogabant
adducunt ei csecum, et
eura ut ilium tangeret.
23. Et apprehensa manu cseci,
eduxit eum extra vicum, et expuens
in oculos ejus, impositis manibus
suis, interrogavit eum si quid vide-
ret.
24. Et aspiciens, ait : Video ho-
mines velut arbores ambulantes.
2o. Deinde iterum imposuit ma-
nus super oculcs ejus : et coepit vi-
dere, et restitutus est ita ut clare
videret omnia.
seul raconte la guerison miraculeuse que le
Sauveiir opera en ce lieu. Elle rappelle vive-
menta resprit, par tons ses details, une autre
cure analogue que Jesus avail recemment
accomplie et dont le recit etait deja propre a
S. Marc. Cfr. vii, 31-37. L'aveugle. comme le
sourd-muet, sera conduit a I'ecart par le
Thaumaturge et gueri d'une maniere lente et
graduelle. Les motifs qui inspirerent a Jesus
cette methode extraordinaire furent sans
doute les memes dans les deux cas : defaul
de foi suffisante dans le patient, desir d'eviler
Tentliousiasme populaire. Cfr. Theophylacte,
Eulhymius, Luc de Bruges, in h. I. — Addu-
cunt ei ccecum. A la faQon orienlale, le nar-
rateur rapproche les una des autres, sans
aucune indication, des verbes qui n'ont pas le
meme sujet, laissant au lecteur le soin d'eta-
blir les distinctions necessaires. C'est Jesus
qui arrive a Bethsaida suivi des siens; c'est
le peuple qui amene I'infirme. — Ut ilium
tangeret. Cfr. vii, 30, et le commenlaire.
« Scientes, ecrit le V. Bede, quia tactus Do-
mini, sicut leprosum mundare, ita etiam cae-
cum illuminare valeret. »
23. — Apprehensa manu cceci. Detail pitto-
resque, comme tous les suivanls. La grada-
tion qui forme le caraclere principal de ce
miracle est netlement accentuee dans le recit :
Jesus prend famiiierement la main de l'a-
veugle, il le conduit hors du bourg, il lui fait
une onction sur les yeux avec de la salive, il
lui impose les mains une premiere fois, il lui
demande ce qu'il ressent, il lui fait une se-
conde imposition des mains. Alors seulement
la guerison est complete. Qu'on aime a se
representer par la pensee ce beau tableau :
Notre-Seigneur se faisant, selon les expres-
sions de S. Jean Chrysostome, « la route et le
guide du pauvre aveugle », puis, a sa suite,
les disciples et les amis de I'infirme, I'accom-
pagnant en silence!
24. — Aspiciens, iva6Xe«J;a?, regardant en
haut : gesle bien naturel dans la circonstance.
L'aveugle leve la tete el les yeux afin d'expe-
rimenler s'il pourrait voir quelque chose. —
Ses paroles sont plus naturelles encore : Je
vols les honimes velut arbores ambulantes! 11
voyait, mais imparlaitement. A ses yeux en-
core a demi voiles, les figures qui s'agitaient
alenlour apparaissaient vagues et confuses.
Elles ressemblaient a des arbres quant a la
taille ; mais leur mouvement lui montrait que
c'etaient des hommes. « Ceux dont la vue est
encore obscure distinguenl quelques formes
de corps qui se detachenl sur les ombres,
mais ils ne peuvent pas saisir les contours :
c'est ainsi que, pendant la nuit ou dans le
lointain, les arbres apparaissent indelermines,
en sorte que Ton ne sail pas si c'est un arbre
ou un homme. » V. Bede. II suit de celte
comparaison, selon la juste remarque de
F. Luc, que cet homme n'avait pas toujours
ete frappe de cecite : autremenl, il hii aurait
ete bien difficile de tenir un pareil langage,
et d'etablir aussitot un rapprochement entre
des formes qui lui eussent ete jusqu'alors in-
connues. — Au lieu de la leQon Bliizu) touc
avSpuTtoy; w; SevSpa TrepraaToOvTa;, identique a
celle de la Vulgate, Tischendorf et d'autres
critiques adoptent une variante que soutien-
nent d'importants manuscrits : BXeitu tou;
avSpwTTOu;, oTt w; SevSpa opw uepinaToyvTa;, je
vois les hommes, car je vols comme des
arbres qui marchent.
25. — Quand Jesus eut impose une se-
conde fois ses mains divines sur les yeux de
l'aveugle, la vue redevint parfaite en un mo-
ment; xai 5i£6X£4/sv, disent les meilleurs ma-
nuscrits grecs, suivis par les versions copteet
ethiopienne. Ata6),£T:£iv signifie en effel « voir
bien et fixement ». Le raanuscrit D a fip^aio
ava6).£(}/ai, comme la Vulgate. La Recepta
porte : xai £7rotr,<7£v auxov ava6)i<Vat, « et fecit
(Jesus) eum aspicere ». — La fin du verset
montre jusqu'a quel point la guerison etait
CHAPITRE VIII
425
26. Et misit ilium in domum suam,
dicens : Vade in domum tuam : et si
in vicum introieris, nemini dixeris.
27. Et egressus est Jesus, et dis-
cipuli ejus, in castella Gaesarese Phi-
lippi, et in via interrogabat disci-
pulos suos, dicens eis : Quern me
dicuut esse homines?
Macth. 16, 13;i:!«c. 9, 18.
28. Qui responderunt illi, dicen-
26. Et il le renvoya dans sa mai-
son, disant : Va dans ta maison, et
si tu entres dans le bourg, ne dis
rien a personne.
27. Et Jesus s*en alia avec ses
disciples dans les villages de Ge-
saree de Philippe, et en chemin il
interrogeait ses disciples, disant :
Qui dit-on que je suis ?
28. lis lui repondirent : Jean-
complete : ita ut dare videret omnia. L'ad-
verbe TYiXauYwc, de irile et aOy/i. clarle qui vient
de loin, est tres expressif. La locution entiere
lv£6),£«}/E xTiAauYw; , (comparez Tif]>,auYe<rT£pov
6p^v de Died, de Sicile, i, 50) signifie donciil-
teralement « erainus et dilucide vidit. »
26. — Le miracle une fois accompli, Jesus re-
commande a I'aveugle, comme il avait aupara-
vant recommande au sourd-muel. vn, 36, de
garder le silence sur le miracle donl il venait
d'etre I'objet. — In domum suam. Sa maison,
qu'il lui dit de gagner a rinstanl,etait situee
en dehors de Belhsaida, puisqu'il pouvait y
arriver, d'apres le conlexte. sans entrer dans
cetle ville. — Si in vicum introieris. La Re-
cepta grecqun et de nombreux manuscrits
ont une leQon nolablement differente : MvjSI
el? TTiv xw[iriv eiffe'XO^;, " ne introeas in vicum ».
D'aulres lemoins, omeltant ces mots, disent
simplement : jatiSc'vi etTtin? elcx^v xwp.7iv, « ne-
mini dixeris in vicum (scil. intrans) ». Voir
plusieurs aulres variantes dans Tischendorf,
Nov. Tesl. h. 1. — La defense de Jesus fut-
elle observee cetle fois? L'Evangelisie ne le
dit pa-. II est probable que non, « ex com-
muniter contingentibus. »
6. Confession de S. Pierre, vin, 27-30.
Parall. Matth. xvi, 13-20; Luc. ix, 18-21.
Noussommes arrives a Tun des points cul-
minants de I'histoire evangelique. De graves
incidents vonl se multiplier dans I'espace de
quelques jours : la confession de S. Pierre,
1 annonce de la Passion, le mystere de la
Transfiguration. A mesure que sa fin ap-
proche, le Sauveur prepare de plus en plus
ses Apotres a leur role fulur. Dansle premier
destrois fails que nous venons de ciler, il se
propose de sender leurs propres sentiments
sur son caractere et sa dignile. II trouvera
ses disciples pleins de foi!
27. — Egressus est Jesus. II sortit de Beth-
salda, *. 12, pour aller plus au Nord en re-
montant le cours du Jourdain. Apres avoir
traverse une contree qui s'est loujours fait
reraarquer par son aspect calme et solitaire,
il arriva in castella Ccesarece Philippi, c'est-
a-dire sur le territoire et aupres des villages
qui dependaient de la riche Gesaree. Voyez
R. Riess, Bibel-Atlas, pi. IV, et I'Evangile
selon S. Matlh. p. 320. Cette viile, alors sur-
nommee « de Philippe » en I'honneurdu telrar-
que, fils d'Herode-le-Grand et frere d'Anlipas,
qui I'avait embellie, a merite, parsa situation
ravissanle, qu'un iiiustre voyageur contem-
porain I'appelatle Tivoli syrien.Cfr, Stanley,
Sinai and Palestine, p. 397, 2e edit. « Et de
fait, ecrit un autre voyageur, dans les ro-
chers, les cavernes, les cascades, la beaute
naturelle du paysage,ily a vraiment de quoi
rappeler le Tibur romain.Derriere le village,
en face d'une large grotte creusee par la na-
ture, une riviere s'elance du sein de la terre :
e'est la source superieure du Jourdain. Des
inscriptions et des niches sculptees dans le
rocher parlent des antiques hommages ren-
dus en ces lieux a Baal et a Pan. » Tristram,
Land of Israel, p. 581. Sur ce terrain qui
appartint longtemps aux faux dieux, Jesus
fera proclamer sa divinite par les siens. —
In via interrogabat. « In via » est un trait
propre a S. Marc. La scene grandiose qui va
suivre ne se passa done pumt pendant une
halte, mais tandis que le Sauveur s'avangait
avec les Douze sur la route de Gesaree. —
Quern me dicunt esse...? II y a plus d'emphase
dans la question telle que la conservee
S. Matthieu, xvi, 13; « Quem dicunt homines
esse Filium hominis? » S. Luc, ix, 18, ecrit, a
peu pres comme noire Evangeliste : « Quem
me dicunt esse turbae? » Jamais encore Jesus
n'avait demande aux Apotres d'une fagon si
categorique et si solennelle ce qu'on pensait
de sa personne.
28. — Qui responderunt... La reponse des
Douze nous fait connaitre les bruits qui
avaient cours dans le peuple au sujet de
Nolre-Seigneur. La divergence des opinions
etait grandel — lo Joannem Baptistam. Nous
avons vu que c'elait le sentiment bien arrele
d'Herode Antipas, vi.lietie.— 2o^iiii?/ia»j.
On pensait que ce prophete, enlevemyslerieu-
<26
fiVANGILE SELON S. MARC
Baptiste; d'autres, Elie; d'autres,
Gomme un des propheles.
29. Alors il leiir dit : Mais vous,
qui dites-vous que je suis? Pierre
repondant, lui dit : Vous etes le
Christ.
tes : JoannemBaptistam,aliiEliam,
alii vero quasi unum de prophetis.
29. Tunc dicit illis : Vos vero
quem me esse dicitis ? Respondens
Petrus, ait ei : Tu es Ghristus.
sement siir un char de feu, etait revenu ici-
bas sous les trails de Jesus. — 3^ Quasi unum
ex prophetis. Ceux qui craignaient de trcp
s"en?;ageren s'arretani a un nom precisavaient
du moins recours a celte hypothese generale.
Voyez VI, 15, ou nous avons deja trouve la
seconde et la Iroisieme opinion mentionnees
a cote de celle d'Antipas. S. Maithieu en
ajoule une qualrieme : « Alii Jeremiam ».
« Frappes de ['eloquence toute divine du
Sauveur, de sa sagesse, de ses vertus, de son
zele, des oeuvres raerveilleuses qu'il semait
parlout sur ses pas, les Juifs etaient bien
forces de reconnaitre que ce n'etait pas un
homme ordinaire, que c'elait un prophete
suscitede Dieu;mais, domines par laulorite
des Scribes et des Pharisiens, aveugies par
leurs prejuges..., ils avaient peine a recon-
naitre le Messie liberateur dans Thumble fils
du cliarpentier, qui ne prechait que le me-
pris des richesses,... se derobait obslinement
aux ovations et aux honneurs. » Dehaut, I'E-
vangile explique, defendu, oe edit. t. Ill, p. 69.
29. — Dixit illis, ou mieux peut-etre, d'a-
pres les raanuscrits B, C, L, a, et la version
copte, a interrogabat eos ». — Vos vera. II
interroge, lui qui salt toutes choses ; mais ne
fallait-il pas que ses disciples les plus intimes
exprimassent sur lui de meilieures idees que
la foule ■? (Pensee de Victor d'Antioche). C'est
leur sentiment personnel qu'il desire leur
entendre formuler maintenant d'une maniere
explicite. — Respondens Petrus. « Discipulos
(Jesus) interrogat... Quid igitur os Aposto-
lorum Petrus ?Ut qui ubique ferveret, cunctis
interrogatis, ipse respondet ». Victor d'An-
tioche. Hatons-nous d'ajouter que cet em-
pressement du prince des Apotres n'avait
alors rien de naturel : il provenait de sa foi,
de son amour, et de Tinspiration divine. Cfr.
Malth. XVI, 47. — Tu es Chrislus. Voila la
glorieuse « confession » de S. Pierre : elle
est prompte, precise, vigoureuse. Vous etes
le Christ, le Messie promis a nos peres,
dXptcTTo?, « ille Ghristus » par excellence. Et
pourtant, il y manque quelque chose, du
moins dans les redactions de S. Marc et de
S. Luc : ce sont les paroles si importantes
par lesquelles le fils de Jona completa sa pro-
lession de foi : 6 O-.o; toO 0£o-j toO ^covto;.
Voyez I'Evangile selon S. Matthieu, p. 322.
Mais ocas avona a signaler ici une omission
autrement etonnante de la part de S. Marc.
Comment se fait-il que 1' « interpres Petri »
ait totalement passe sous silence la prcmesse
solennelle par laquelle Jesus, repondant a son
apolre, recompensa sa foi en lui conferant
la plus haute dignite qui ait jamais existe,
en I'etablissant Chef visible de i"Eglise? Cfr.
Malth. XVI. 18 et 19. Cette elrange reserve de
notre Evangelists avail deja frappe les Peres et
les exegetes des premiers siecles. lis ont aussi
trouve la vraie reponse : « Jlarcus, quum ad
ilium historiae locum venisset, ubi Jesus in-
terrogavit quem se esse homines dicerent,
ipsique sui discipuli quam de se opinionem
haberenl, subjunxissetqiie Petrus : Tanquam
de Christo, nihil illi respondentem Jesum aut
dicentem desciibit... Non enim interfuit Mar-
cus iis quae a Christo dicta sunt, ac ne P-lrus
quidem quae ad ipsum ac de ipso dicla sunt
abJesu, proprio testimonio proferre aequum
putavit. Haec sane Pelrus merito tacenda ju-
dicavit, quare eliam Marcus ea praeteriit ».
Euseb. Dem. Evang. I. in, c. 5. « Hunc locum
Matthseus... accuratius exponit. Marcus nam-
que, ne quid in Petri magislri sui graliam
dicere videatur, compendio contentus, exac-
tiorem historiae explanationemprtetermiltit)).
Victor d'Antioche. Ou encore : « Ce que le
Seigneur repondit a la confession de Pierre,
et la maniere donl ille proclama bienheureux,
toutes ces choses sont omises par S. Marc,
qui ne voulait point parailre les dire par
complaisance pour S. Pierre, son mailre. »
Theophylacte, h. I. Cfr. S. Jean Chrysost.
Horn, in Matth. xvi, 24; Patrizi, de Evangel,
lib. I, c. II, n. 63. Les proiestanls eux-memes
admettent generalement ces raisons. Aussi
n'est-ce pas sans surprise que nous avons
trouve dans le commenlaire sur S. Marc pu-
blic recemment par M.Cook (Speaker's Bible,
New Testam. vol. I, p. 251, Londr. 1878)
cette singuliere reflexion : « II est remar-
quable que I'Evangile... qui met le moins en
relief la confession de S. Pierre est celui qui
fut ecrit a Rome, pour des lecleurs remains. »
Nous repondrons au chanoine anglican par
les paroles suivantes du pieux et savant Doc-
teur Reischl : « Que S. Pierre ait pu se passer
d'un temoignage ecrit, favorable a sa pri-
maute, et cela precisement dans son Evan-
gile et aupres de lecteurs remains, c'esc un
fail qui prouve combien grande et puissante
elait la realite de celte primaute, et avec
quelle solidite elle s'etail etablie dans la
CIIAPITRE VIII
427
30. Et comminatus est eis, ne cui
dicerent de illo.
31. Etcoepit docere eos, quoniam
oportet filium liominis patimulta, et
reprobari a senioribus, et a summis
sacerdotibus, et scribis, et occidi :
et post tres dies resurgere.
32. Et palam verbum loquebatur.
Et apprehendens eiim Petrus, coepit
iucrepare eum.
30. Et il leiir defendit avec me-
nace de le dire a personne.
31. Et il commenca a leiir erisei-
gner qu'il fallait que le Fils de
rhoinme souffrit beaucoup, qu'il fut
repousse par les anciens et par les
princes des pretres et les scribes,
qu'il fut mis a mort, et qu'apres
trois jours il ressuscitat.
32. Et il parlait ouvertement. Et
Pierre, le prenant a part, commen-
cait a le reprendre.
conscinnce de I'Eglise. » Die heilig. Schrift.
des N. Testam., 1866, p. 188.
30. — Et comminatas est : mot expressif,
destine a montrer I'insistance avec laquelle
Jesus appiiya sur cet ordre. — Ne cui dicerent
de illo, oil plus clairement, d'apres S. Mat-
ihieii, « lit nemini dicerent quia ipse esset
Jesus Christus o. Au reste, quelques ma-
nuscrits contiennent ces deinieres paroles.
L'interdiclion devait durer jusqu'apres la
Resurrection du Sauveur. Sur ses motifs,
voyez I'Evang. selon S. Malth., p. 228.
7. —La croix du Christ et des Chretiens.
viii, 31-o9.
a. La croix pour le Christ, vin, 31-33. — Parall.
Matih. XVI, 21-23; Luc. ix, 22.
31 . — El ccepit docere eos. Les deux verbes
semblent avoir ele choisis a dessein par I'E-
vangeliste. Dune part en effet Jesus « com-
mengait » viaimeiit a parter aux siens de sa
Passion et de sa mort, en ce sens que c'elail
la premiere nouvelle claire et officielle qu'il
leur en donnait; de I'aulre, « l'enseignem?nt »
qu'il va leur fournir sur ce point sera com-
plet. 11 retracera dans les termes les plus pre-
cis: 1° la necessite ou elait le Christ de souf-
frir et de mourir pour le salut des hommes,
oportet, necessile inherente a son role tel qu'il
avait ete predit depuis longtemps par les
Prophetes; 2° le tableau general de la Pas-
sion, pati muHa; 3o le tableau detaille de
cette meme Pas-ion, et en parliculier deux
scenes speciales : a. les outrages [reprobari)
que Jesus recevraduSanhedrinjuif, neltement
designe par ses trois chambres, senioribus, la
chambre des notables, summis sacerdotibus,
la chambre des princes des pretres, scribis,
la chambre des Docteurs ; b. la douloureuse
consommation de ce drame inique, et occidi;
4o Tissue glorieiise de la Passion. post tres dies
resurgere (plus clairement, d'apres S. Mat-
thieu, « le troisieme jour »; S. Marc emploie
une locution familiere aux Hebreux. Cfr.
Deut. XIV, 28; xxvi, 42; I Reg. xx, 42;
V, 4 9 ; III Reg. xx, 29 ; Eslh. iv, 1 6). Voila le
vrai Christ des Prophetes, Cfr. Is. lih, mis
en contraste avec la fausse representation
que s'en faisait le vulgaire, que s'en faisaient
meme les Apotres, comme le monirera I'ln-
cident qui va suivre.
32. — Et palam verbum loquebatur. Ou-
vertement, sans reticence et sans mystere
(yavEpw; xat a7iapaxa).07tTw;, c'est ainsi qu'Eu-
lliyinius explique le grec 7tappr,(7t'a) : allusion
aux indications enigmatiques et obscures que
Jesus avait autrefois donnees sur sa Passion.
Cfr. Joan. ii. 19 ; iii, 12-! 6; vi, 47-51 ;j\Iatth.
IX, '13. « Verbum », t6v Xoyov avec Particle,
« verbum hoc, huncsermonem. »Ce detail est
omis par les deux autres Synoptiques. — Ap-
prehendens eum. S. Matthieu emploie la meme
expression, 7;po(j>.ao6(i.£vo;, qui signifie: prendre
quelqu'un par la main ou par les vetements
pour I'entretenir en particulier. — Petrus
ccepit increpare. S. Pierre ne pent supporter
I'idee qu'un sort si humiliant, si funeste, soit
reserve a son Maitre. Ne consultant que son
bon coeur et sa vivacite naturelle ( « rursus
existens fervidus... sumit audaciam dispu-
tandi » S. Jean Chrys.), il ose reprimander le
Sauveur au sujet des choses qu'il venait de
leur predire : « Absit a te, Domine, s'ecrie-l-
il, non erit hoc tibi! » iMatth. xv[. 22. Qu'e-
tait devenue sa noble foi de tout-a-l'heure?
Mais, disent les anciens inteipretes, son
amour ardent I'excuse jusqu'a un certain
point : « hoc autem araantis affectu et optan-
tis dixit. » V. Bede. Au reste, jusqu'alors
« non revelationem acceperat de passione
Domini. Nam, quod Christus sit Filius Dei
didicerat quidem, at nondum quid esset my-
sterium crucis et resurrectionis. » Cramer,
Catena graec. Patr. h. 1. Voila pourquoi « ce
meme Pierre qui avait si bien reconnu la
veriie en confessant la grandeur du Sauveur
du monde, ne la pent plus souffrir dans ce qu'il
declare de sa bassesse. » Bossuet, Panegyrique
de S. Pierre, CEuvres, Edit, de Versailles,
t. XVI, p. 237.
«2S
EVANGILE SELON S. MARC
33. II se retourna, et, regardant
ses disciples, il reprimanda Pierre,
disant: Retire-toi de moi, Satan, car
tu n^as pas le gout de ce qui est de
Dieu, mais de ce qui est des hom-
mes.
34. Et il appela la foule avec ses
disciples et leur dit : Si quelqu'un
veut me suivre, qu'il se renonce
lui-meme, qu'il porte sa croix et me
suive.
33. Car celui qui voudra sauver sa
Tie la perdra, et celui qui perdra sa
33. Qui conversus, et videns dis-
cipulos suos, comminatus est Petro,
dicens : Vade retro me, Satana, quo-
niam non sapis quae Dei sunt, sod
quae sunt hominum.
34. Et convocata turba cum disci-
pulis suis, dixit eis : Si quis vult
me sequi, deneget semetipsum : et
tollat crucem suam, et sequatur me.
Match. 10, 38 et 16, 24; Luc. 9, 23 et 14, 27.
35. Qui enim voluerit animam
suam salvam facere, perdet earn :
33. — Qui conversus et videns... Jesus
s'arrete loui-a-coup (Cfr. t. 27, « in via »).
Puis, se retournanl vers les Douze, qui mar-
chaient sans doule respeclueusement derriere
lui, il jetle sur eux un de ces regards pene-
trants que S. Marc aime tant a noter. II ne
contemple pas seulement le coupable, mais la
troupe enliere des disciples; car ils parta-
geaient tous assurement les idees de S. Pierre,
el ils etaienL prets a repeter son assertion.
Neanmoins, ses paroles de blame (comminatus
est) ne retombent direclemenl que sur Simon.
— Vaderetro me... Comme Jesus traite seve-
rement celui qui voudrail le detourner de sa
Passion et de sa morti « Voyez quelle oppo-
sition. La {Mallh. xvi, 17-19) il dit : Barjona,
fils de la colombe ; ici, Satan. La il dit : Tu
es une pierre sur laquelle je veux batir; ici :
tu es une pierre de scandale pour faire lom-
ber. » Bossuet, 1. c, p. 238. Mais quelle oppo-
sition aussi dans la conduite de I'Apotre ! La
il avail pense, compris, goiiie les choses de
Dieu; ici il avail pane comme un homme
naturel, auquel la souffrance fait horreur ; il
avail dit au Christ qu'il n'elail pas bon de
patir el de mourir pour la redemption de
rhumanite.
b. La croix pour les Chretiens, viii, 34-39. — Parall.
Matth. XVI, 24-28; Luc. ix, 23-27.
34. — « Postquamdiscipulismysteriumsuae
passionis et resurreclionis ostendit, hortatur
eos una cum turba ad sequendum sua3 passio-
nis exemplum. » Ces paroles de Theophylacte
expriment Ires bien la transition qui exisle
enire les deux paragraphes. — Convocata
turba. Trait propre a S. Marc. S. Luc parail
toulefois supposer que Jesus avail alors
d'autres auditeurs que les disciples. Cfr.
VIII, 34. Une foule nombreuse avail done
rejoint le Sauveur jusque dans ces parages
lointains.Elle etait demeuree a I'ecarl durant
toute la scene qui precede : le divin Maicre
I'appelle pour lui faire entendre un des plus
grands principes du Christianisme. — Si quis;
dans le grec, outi;, « quicumque, » Les ma-
nuscrils B, D, L, A, et Origene onl el ti;,
comme I'ltala et la Vulgate. — Me sequi,
b-niau} \Lo\j axoXovBstv. Dans S. Matthieu, nous
lisons: oTttCTw (lou eXQeiv, el dans S. Luc : bmaut
(lou £px£o8at. Nous citons ces legeres variantes
comme un modele de I'independance des ecri-
vains evangeliques. — Deneget semetipsum ex-
prime un renoncement entier a ce que rhomme
a de plus cher, Ic moi. L'egoisme, le culte de
la personnalile propre, est done un vice tout-
a-fail anli-chrelien. — Tollal crucem suam.
S. Marc n'avail pas encore menlionne le nora
alors infamanl, mais desormais glorieux de la
croix. Toute I'assistance dut fremir en enlen-
dant ce langage si oppose aux idees de la
chair et du raonde! Mais elle aurait ete vive-
ment consolee, si elle avail pu comprendre le
sens des mots sequatur me. Nous, qui ie
comprenons lout entier, suivons avec amour
le divin CruciQe. — Voyez I'explication de-
taillee de ce verset el des suivants dans I'E-
vangile selon S. Matth. pp. 330-332. Les deux
Evangelisles citenl en des termes a peu pres
identiques les paroles de Nolre-Seigneur
Jesus-Chrisl.
35. — Qui enim... A propos des trois
<i enim » qu'on trouve au debut des versets
33, 36 et 38, le P. Palrizi, In Marc. Cora-
raenl., p. 96, fail une reflexion Ires exacte :
« Animadvertamus necesse est particulae
enim, ter in hac oratione positae, non earn
vim esse ac si sentenliae omnes ila inter se
colligenlur ut posterior senlenlia sentenliae
proxime superioris causam ralionemque prae-
beat, neque ergo soUicitos esse oportere de
illarum connexu exponendo ac demonstrando ;
sed tria argumenla a Christo afferri, quibus,
quod de se sequendo praecipit, nobis persua-
deal. )) Le f. 35 contient le premier de ces
Irois arguments. On peul le resumer ainsi :
II faut suivre Jesus, dul-on pour cela perdre
la vie; car, la perdre, c'est la gagner. On la
CHAPITRE VIII
429
qui autem perdiderit animam suam
propter me et Evangelium, salvara
faciei earn.
Z,Mc. 17, 33; Joan. 12, 25.
36. Quid enim proderit homini, si
lucretur mundum totum, et detri-
mentum anirnse suae faciat ?
37. Aut quid dabit homo commu-
tationis pro anima sua?
38. Qui enim me confusus fuerit,
et verba mea, in generatione ista
adultera et peccatrice : et Filius ho-
minis confundetur eum, cum vene-
rit in gloria Patris si^i cum angelis
Sanctis.
Match. 10, 33; Luc. 9, 26 et 12, 9.
39. Et dicebat illis : Amen dico
vie a cause de moi et de I'Evangile
la sauvera.
36. En efifet, que servirait h.
I'homme de gagner le monde entier
et de perdre son ame?
37. Ou que donnera I'hcmme en
echange de son ame?
38. Gar celui qui aura rougi de
moi et de mes paroles, au milieu de
cette generation adultere et peche-
resse, le Fils de Thomme aussi rou-
gira de lui, lorsqu'il viendra dans
la gloire de son Pere avec les Anges
saints.
39. Et il leur disait : Je vous dis
perdra dans le temps, mais on la gagnera
pour I'eternite. Nolre-Seigneiir joue, on le
voit, sur le double sens dii siibsiantif <5^uxr],
ame et tie. Perdre sa vie pour moi, dit-il,
c'est sauver son ame ! — Les mols et Eean-
gelium sont propres a S. Marc. — Salvam
faciet, (iwdTE, est une expression plus claire
que le eupri<Tei, « inveniet », de S. Matthieu.
36 et 37. — Second argument : Suivre Je-
sus, raalgre I'altrait du monde et de ses faux
biens. — Dans le verset qui precede, I'idee
de perdre etait opposee a celle de sauver;
ici, nous voyons en regard Tun de I'autre un
benefice et un detriment. Le profit consiste
dans racquisilion du monde entier, par hypo-
these; le detriment, dans la damnation eter-
nelle.Y a-t-il equilibre enlrecesdeux choses?
Les biens du monde sonl-ils assezprecieux pour
que Ton consente a se damner en vue de les
acquerir? Assurement non, comme I'indiqiie
le ■*■. 37. Suppose qu'un raondain ait sacriBe
le bonheur cele.-te en echange des jouissances
d'ici-bas, avec quoi pourra-t-il le racheter?
Vous avez une maison ; vous la vendez, et
vous en recevez le prix (aAXaytia) : il vous
sera loisible ensuite de la racheter en li-
vrant une rangon (avcdX^aysia, commutatio ;
lilteralement, le contre-prix). Pour I'ame il
n'y a pas de rangon possible apres cette vie.
38. — Troisieme argument : Suivre Jesus,
en foulant aux pieds tout respect humain. La
redaction de S. Matthieu ne mentionne pas
ici celle pensee : uiais on la trouve dans
S. Luc, IX, 26. — Confusus fuerit et con-
fundetur sont de fausses formes moyennes
pour « erubueril, erubescel. » Le traducteur
a servilement copie le texte grec inaKr/y^Qri
|ie, eitai(7xyv6r,(7£Tai autov, et traite « contun-
dor » comme si c'eiit ete un verbe deponent.
S. Bible. S.
Quelques manuscrits latins ont essaye de
corriger cette faute en ecrivant « confessus
fuerit, confitebor. » Comp. H. Roensch, Itala
u. Vulgata, 2e edit. p. 440. — Jesus suppose
done, et helas! il ne suppose pas a tort, qu'il
y aura des hommes qui rougiront de lui et de
sa doctrine par respect humain. Comment
trailera-t-il ces laches? Leur appliquant la
peine du talion, il rougira d'eux a son tour.
Mais, tandis qu'ils auront refuse de le recon-
naitre in generatione ista, c'est-a-dire dans
ce monde corrompu, dont ils auront redoute
les vains jugements, lui il les reniera au jour
du jugement dernier, en face de Dieu son
Pere et de toute la cour celeste. — « Gene-
ratio », de merae que son equivalent hebreu
ITT, designe ici une epoque quelconque et
tous ceux qui y vivent. Cfr. Gesenius, The-
saurus, s. v. Victor d'Antioche donne une
excellenle interpretation des epithetss adul-
tera et peccatrix : « Sicut adultera dicimr
quae cum alio viro fuerit, ita et anima, quae
verum sponsum Deum deseruit, nee mandata
ejus custodivit, adultera utique et peccalrix
appellatur ». Comparez du reste Is. liv, 5;
Jerem. xxxi, 32 ; Mai. ii, 1 1 ; Hebr. xii, 8, etc.
— La fin du verset fait allusion au second et
glorieux avenement du Christ. — Filins ho-
minis, au lieu du simple « Ego » que Ton
attend d'apres la construction do la premiere
partie de la phrase, est emphalique et ma-
jestueux.
39. — Dans le grec, ce verset ouvre le
chapitre suivant. La division adoptee dans
notre version latine est preferable, parce
qu'elle correspond mieux a la liaison des pen-
sees. — Et dicebat illis. Nous avons vu plus
haut, Cfr. vii, 9, 20, que cette formule an-
nonce habituellement, dans le second Evan-
Marc. — 9
430
£VANGILE SELON S. MARC
en verite qu'il y en a, parmi ceux
ici presents , qui ne gouteront pas
la mort avant d'avoir vu le royaume
de Dieu venant dans sa puissance.
vobis, quia sunt quidam de hie stan-
tibus, qui non gustabunt mortem,
donee videant regnum Dei veniens
in virtute.
Maith. 16, ^S; Luc. 9,^7.
CHAPITRE IX
Le miracle de la Transfiguration (ft. 1-7). — L'avenement d'Elie (ft. 8-12). — Guerison
d'un lunatiqiie i*^. 13-28). — Jesus predit sa Passion et sa morl pour la seconde fois
[tt. 29-31). — II donne a ses Apotres des legons d"humilile (t*. 32-36) et de tolerance
[tt. 37-40). — Malheur a ceux qui scandalisent leurs freres (ii1f. 41-47). — Le sel
mystique [tt. 48-49).
1. Six jours apres, Jesus prit
Pierre, Jacques et Jean, et les eon-
duisit seuls a I'ecart sur une mon-
1 . Et post dies sex assumit Jesus
Petrum, et Jacobum, et Joannem,
et ducit illos in montem excelsum
gile, une pause et une transition. De l'ave-
nement qu'il vient d'annoncer, mais qui
n'aura lieu qa"a la fin des temps, le Sauveur
passe lout a coup a un avenement d'un autre
genre, que plusieurs de ceux auxquels il par-
lail alors devaient contempler de leurs pro-
pres yeux. II le designe d'une maniere assez
enigmatique : Regnum Dei veniens (mieux
« venisse »,£),r,>,u6\jTav) in virtute. Le royaume
de Dieu manifesto avec puissance : qu'est-ce
a dire? PlaQons avec S. Matthieu le concret
au lieu de I'abstrait, « le Fils de I'homme
venant dans son royaume i>, et la pensee
paraitra deja plus clairo. Ou trouver main-
tenant, dans une periode assez rapprochee
pourjustifier Tassertion quidam de hie stan-
tibus..., une manifestation eclatante de Jesus
en tant que Roi messianique? Nous repon-
dons, pour les motifs exposes dans noire
commentaire sur S. Matthieu, pp. 332 et 333,
que la ruine de Jerusalem et de I'Etat juif
serable repondre seule aux conditions fixees
par Notre-Seigneur lui-meme, et que c'est
elle sans doute que le divin Prophete avait
en vue quand il prononga ces graves paroles.
8. —La Transfiguration, ix, 1-12.
a. Le miracle, ix, 1-7. — Parall. Matth. xvii, 1-8;
Luc. IX, 28-36.
Assurement, comme nous venons de le dire,
c'est un evenement distinct de la Transfigu-
ration que Notre-Seigneur avait promis de
faire contempler avant leur mort a quelques-
uns de ses auditeurs; neanmoins, nous ne
pretendons pas dire qu'il n'existe aucune
connexion entre la proraesse de Jesus et le
grand mystere sur lequel I'ordrechronologique
appelle maintenant noire attention dans les
Irois premiers Evangiles. La Transfiguration
devail en effet prouver a ses heureux te-
moins que le Sauveur elail vraiment Roi, qu'il
avait le droit de parler de sa gloire et de sa
puissance : en ce sens elle etait done un pre-
lude et un gage des manifestations eclatantes
dont nous entendions naguere la prediction.
C'est pourquoi S. Basile le Grand I'appelle
Ta7:poot[X'.a xr,;, e'j56|ou auxoO ('Iyioo-j) Trapouaia;.
Hom. in Is. xliv. Cfr. Theodorel, Ep. cxLv;
S. Anselm. Hom. iv. — Sur le but et le motif
de la Transfiguration, vovez I'Evang. salon
S. Matth., p. 333.
Chap. ix. — 1. — Post dies sex. Six jours
apres les evenements racontes en dernier
lieu, VIII, 27-39. Tout porle a croire que
Jesus et les siens passerent ce temps dans le
voisinage de Cesaree : rien du moins, dans le
recit sacre, n'indique un changement de
lieux. — Assumit Petrum... Ne voulant pas,
dans ses mysterieux desseins, faire assister
lous les Apotres a son triomphe momentane,
le Sauveur prend du moins avec lui « les
trois sommets du Sacre-College » (Theo-
phylacte), Pierre, le futur Chef de I'Eglise,
et les deux fils du Tonnerre. — Ducit illos.
Dans le grec, avaospe'., il les conduit en haut,
mot qui semble indiquer, de concert avec
I'adjectif excelsum, une ascension longue et
penible. — In montem. Etait-ce le Thabor?
etait-ce I'Hermon? Nous avons discute dan*
iiolre commentaire sur S. Matthieu, p. 334,
seorsum solos, et trans figuratus est
coram ipsis.
Matth.n, I; Luc. 9,^8.
2. Et veslimenta ejus facta sunt
splendentia, et Candida nimis velut
nix, qualia fullo non potest super
terram Candida facere.
3. Et apparuit illis Elias cum
Moyse ; et erant ioquentes cum Jesu.
4. Et respondens Petrus, ait Jesu :
Rabbi, bonum est nos hie esse;
et faciamus tria tabernacula, tibi
unum, et Moysi uuum, et Eliae
unum.
5. Non enim sciebat quid diceret :
erant enim timore exterriti.
131
tagne elevee^, et fut transfigure de-
vant eux.
2. Ses vetements devinrent res-
plendissants et blancs comme la
neige, tels qu'un foulon sur la terre
ne pent les faire de cette blancheur.
3. Et Elie leur apparut avec
Mo'ise, et ils parlaient avec Jesus
4. Et Pierre, prenant la parole,
dita Jesus : Maitre, il est bon pour
nous d'etre ici ; faisons trois tentes,
une pour vous, une pour Moise et
une pour Elie.
5. Gar il ne savait ce qu'il disait,
parce qu'ils etaient saisis de crainte.
les raisons qui parlent pour et contre cha-
cune de ces montagnes, et nous nous sommes
decide en faveur de I'Hermon. Telle etail
deja ropinion de D. Galmet, Comment, litter,
sur S. Marc, h. 1., peut-etre raeme celle d'Eu-
sebe (In Psalm, lxxxviii). Le sentiment Ira-
ditionnel a fait donner chez les grecs ie nom
de 0aoo')p'.ov a la fete de la Transfiguration.
— Transfiguratus est. Les Peres et les theo-
giens ont bien determine le sens de cette
expression, qui, d'apres la signification litte-
rale du grec, semblerait indiquer une sorte
de metamorphose, ^tTE[io-^^thQr\. « Nemo putet
pristinam formam enm amisisse; non sub-
stantia tollitur, sed gloria commutatur. »
S. Jerome, in Matth. xvii. « Transfiguratus
est non mutatione lineamentorum, sed qua-
lilate gloricB. Erat enim et apparebat tunc
Jesus ejusdem non mutatse figurae, sed mu-
tatee qualitatis. » Cajetan, Coram, h. I.
2. — Et vestimenta ejus. Au rayonnement
divin de la physionomie du Sauveur, se joi-
gnit celui de ses vetements, qui devinrent
Candida nimis. Pour donner a ses lecteurs
une idee de cette blancheur merveilleuse,
S. Marc emploie deux comparaisons qui lui
sent propres, car c'est par une erreur de tra-
duction que la premiere, sicnt nix, a passe
dans le texte lalin de S. Matthieu (Voyez le
commentaire, p. 336). — La seconde compa-
raison, qualia fullo non potest..., est emprun-
tee a I'art humain, de meme que la prece-
dentei'avait ete a la nature, a la neige etin-
celante qui bianchissait le sommet de I'Her-
mon. Certes, des I'antiquite, I'habilete des
hommes, qui progresse si vite toutes les fois
qu'il s'agit de rehausser le bien-etre mate-
riel, etait allee tres loin sous le rapport au-
quel S. Marc fait allusion. Les « candidati »
de Rome et d'Alhenes porlaient des toges
d'une blancheur eblouissante. Et pourtant,
cela n'eiait rien a cote de la splendeur celeste
qui avait subitement envahi tout I'exterieur
de Jesus.
3. — Elias cum Moyse. Les deux heros de
la theocratie juive viennenc saluer, dans ce
moment glorieux, le Legislaleur et le Pro-
phete de la Loi nouvelle, montrant ainsi I'al-
liance qui existe entre les d( ux Testaments.
Ce fut sans doute par une sorte d'intuition
surnaturelle que les trois Apotres lesiecon-
nurent aussitot. — Erant Ioquentes cum Jesu.
Cette construction semble indiquer que I'en-
tretien eut une cerlaine duree. S. Luc nous
en fait connaiire I'elonnant objet, ix, 31.
4. — Respondens Petrus. C'est S. Pierre,
vif, ardent et saintement empresse comme
toujours, qui songe le premier a prendre la
parole. — Rabbi. Tandis que les deux autres
synoptiques emploient I'equivalent grec de ce
litre, S. Marc cite a sa maniere le mot he-
breu, iQT, On en trouvera Telymologie et
I'histoire dans I'Evang. selon S. MaUhieu,
p. 440. — Bonum est... « Videt hoc Petrus,
et humana sapiens tanquam homo, Domine,
bonum est,inquit, nos hie esse. Taedium pa-
tiebatur a turba,invenerat solitudinem mon-
tis; ibi habebat Christum, panem mentis.
Utquid inde discederet ad labores et dolores,
habens in Deum sanctos amoreset ideo bonos
mores? Bene sibi volebat esse, unde et ad-
junxit:Si vis faciamus hie tria tabernacula. »
S. Aug. Serm. Lxxviii.Le V. Bede fait ici un
beau rapprochement : « Si tantum transfigu-
rata Chrisli humanilas duorumque societas
sanctorum ad punctum visa delectat, ut eos
ne discedant... Petrus sistere velit ; quanta
erit felicitas, visioni deitatis inter angelorum
chores adesse perpetuo? » II fera meilleur
encore au cielque sur le Thabor ou TH 'rmon.
5. — Non enim sciebat... S. Marc releve,
de concert avec S. Luc, ce trait interessant.
435
EVANGILE SELON S. MARC
6. Et il se forma une nnee qui les
couvrit de son ombre, et une voix
vint de la nuee disant : Gelui-ci est
mon Fils bien-aime, ecoutez-le.
7. Et aussitot, regardant autour
d'eux, ils ne virent plus personne,
si ce n'est Jesus seul avec eux.
8. Et lorsqu'ils descendaient de la
montagne,il leur defendit de ra-
conter a personne ce qu'ils avaient
Tu, jusqu'a ce que le Fils de I'liomme
fut ressuscite d'entre les morts.
6. Et facta est nubes obumbrans
eos ; et venit vox de nube, dicens :
Hie est filius meus charissimus : au-
dite ilium.
7. Et statim circumspicientes ,
neminem amplius viderunt, nisi Je-
sum tantum secum.
8. Et descendentibus ilks de
monte, prsecepit illis ne cuiquam
quae vidissent narrarent : nisi cum
Filius hominis a mortuis resurrexe-
rit.
Match. 17, 9.
S. Pierre oiibliait qu'il n'est pas possible de
prolonger ici-bas de tels moments d'une ma-
niere perpetuelle, que cette vie doit eire con-
sacree a la lutte et non aiix saintes delices.
Son extase I'avait transporte dans des regions
sublimes oil il ne songeait plus aux conditions
de Texistence presente. « In spiritu enim
homo constitutus, telle est a ce sujet la pro-
fonde reflexion de Tertullien, Adv. Marc.
IV, 22, praesertim quum gloriam Dei cons-
picit,... necesse est excidat sensu, obumbra-
tus scilicet virtute divina. » — Erant enim ti-
more exterriti. Ce second detail est propre a
notreEvangeliste. C'est un fait d'une grande
veritepsychologique, quoique,deprime-abord,
il sembie contredit par ce qui precede. Mais
le paradoxe n'est qu'apparent. Une joie sur-
nalurelle et une frayeur religieuse se conci-
lient fort bien ensemble. S. Pierre et ses
deux compagnons, quoique si heuieux sur la
sainte montagne, pouvaient etre en meme
temps en proie a un sentiment de vif effroi
en facedu divinqui les enveloppait. C'etaient
tout a la fois le bonheur et ia crainte qui les
avaient mis hors d'eux-memes. Le mot grec
ixsoSoi, traduit par « timore exterriti », est
d'une grancli> energie.
6. — Et facta est nubes... Telle fut la re-
ponse donnee a S. Pierre ; une tenle toute
divine, consislant en une nuee lumineuse,
Cfr. Malth. xvhl 4, enveloppa ?oudain Jesus
et ses deux interloculeurs. Puis. Dieu le Pere,
qui cachait sous ce voile i'eclat de sa sainte
presence, fit entendre de solennelles paroles,
par lesquellesil saluait Notre-Seigneur comma
son Fils bien-aime. Hie est Filius meus, et I'e-
tablissait Legislateui- souverain de la Nouvelle
Alliance, Ipsam audite. C'est a lui et a lui
seul que Ion doit obeir desormais. La loi
mosaique a fait son temps : Celui qu'elle figu-
raitest arrive. Les Propheles. representes par
Elie, ontfait leur temps : Celui qu'ils annon-
caient a fait son apparition. « Tradidit igitur
Paler Filio discipulos novos, ostensis prius
cum illo Moyse et Elia in claritatis praBroga-
tiva, atque ita dimissis, quasi jam et officio
ethonore dispunctis. » Tertull. I. c. C'est done
le Christ, Fils de Dieu, qu'il faut ecouter
exclusivement et a tout jamais.
7. — Et statiyn circumspicientes. — Voir
dans S. Matthieu, xvii, 6 et 7, quelques de-
tails graphiques omis par S. Marc. L'adverbe
e^aniva autorise a croire que la Theophanie
n'avait dure que peu d'instants. Lorsque,
n'entendant plus la voix et devenant plus
hardis, les trois Apotres jeterent autour d'eux
un regard furlif, ils n'apergurent plus que
Jesus aupres d'eux sur la montagne, « sueta
forma, sueto amictu » (Witsius) ; la Transfi-
guration avait pris fin. — Voyez dans Rohault
de Fleury, Etudes iconograph. et archeolog.,
t. II, pp. 68 et ss., quelques notes interes-
santes sur ce mystere considers dans ses
rapports avec I'arl antique.
b. Entrelien qui se rattache au miracle, ix, 8-12.
Parall. Matth. xvu, 9-13.
8. — Descendentibus illis. L'entretien que
le Sauveur eut avec les trois disciples privi-
legies, aussitot apres sa Transfiguration,
comprend deux points principaux. Jesus
commen^a par enjoindre aux temoins du
mystere de garder le plus profond silence
sarce qu'ils avaient vu et entendu.Vif.S et9 ;
il repondit ensuite a une question qu'ils lui
adres-erenl au sujet de I'avenement d'Elie,
tt. 10-12. — 1 . Le silence. iVe cuiquam...
nari'arent. A personne absolument. pas meme
aux autres Apotres qu'ils allaient bientot
rejoindre au pied de la montagne. L'lnterdic-
tion devait durer aulant que la vie mortelle de
Notre-Soigneur. Seule, sa resurrection d'entre
les morts pourrait lever le scelle place sur lea
levres de Pierre, de Jacques et de Jean. Cet
ordre n'a rien d'etonnant. apres les defenses
sembiables que Jesus avait frequemment for-
miilees depuis le debut de son minislere pu-
blic. Ou plutot, il avait cette fois une raison
CHAPITRE IX
133
9. Et verbum continuerimt apud
se, conquirentes quid esset : Gum a
mortuis resurrexerit.
10. Et interrogabant euDi, dicen-
tes : Quid ergo dicunt pharisaei et
scribse quia Eliam oportet venire
primum?
Malac. 4, 5.
11 . Qui respondens, ait illis : Elias^
cum venerit primo, restituet omnia :
et quomodo scriptum est in Filium
hominis, ut multa patiatur et con-
temnatur.
Imi. 53, t.
12. Sed dico vobis quia et Ellas
9. Et ils garderent le secret en
eux-memes, se demandant ce que
voulait dire : Lorsqu'il sera ressus-
cite d'entre les morts.
10. Et ils I'interrogeaient, disant:
Pourquoi done les Pharisiens et les
Scribes disent-ils qu'il faut qu'Elie
vienne auparavant ?
11. Et il leur repondit : Elie ,
lorsqu'il viendra premierement, re-
tablira toutes choses, et, comme il
est ecrit du Fils de I'homme, il faut
qu'il souffre beaucoup et soit me-
prise.
12. Mais je vous dis qu'Elie est
d'etre toute parliculiere : a Quo enim de ipso
(Jesu) majora dicerenlur, eo creditu difficiliora
tunc apud plerosque forent, et scandalum ex
cruce vehernentius offendisset. » Victor d'An-
tioche.
9. — Verbum continuerunt. Dans le grec,
Tov )v6yov expaxYicrav ; litteralement, ils linrenl
lerme cette parole. Cela vent-il dire qu'iis
obeirenl fidelement a I'injonction de leur
Mailre? ou bien, d'apres une autre interpre-
tation, qu'iis furent vivement frappes des
derniers mots prononces par le Sauveur, et
qu'iis en firent le theme de leurs reflexions ?
Ce second sens nous parait plus en rapport
avec le contexte. — Apud se, que la ponctua-
tion actuelle de la Recepta et de la Vulgate
rallache au verbe « continuerunt », relombe
plulot sur conquirentes; les Irois Apolres
discutaient done entre eux sur la significa-
tion [quid esset) de la phrase Cu7u a morluis
resurrexerit. S. Marc a seul signale I'espece
de perplexite dans laquelle les amis de Jesus
furent jeles par cette parole du Sauveur.
Sans doute ils n'ignoraient pas ce qu'elait la
resurrection en general, puisqu'elle faisait
partie du symbole de foi chez les Juifs
comme chez les Chretiens ; mais la Resurrec-
tion personnelle de Jesus les troublait. En
effet, pour ressusciter il faut mourir; or, la
mort de leur Mailre etait opposee a leurs
vieux prejuges. — Au lieu de la legon oxav
ex vezpcov avaotri, que noire traducteur lalin
semble avoir lue dans son manuscril, la
Recepta porle simplement t6 ex vexpwv ivac-
10. — 2. L'avenement d'Elie. Interroga-
bant eum. Si les disciples n'osent questionner
Jesus sur le mystere, si obscur pour eux, de
sa Resurrection, ils lui proposent du nioins
unedifficulte que la recente apparition d'Elie
avail fait naitre dans leur esprit. Peut-etre se
figuraienl-ils que les deux poinls n'etaient
pas sans connexion intime, et, qu'en provo-
quant des explications sur I'un, ils feraient
jaillir en meme temps la lumiere sur I'aulre.
— Quid ergo dicunt... La Vulgate a lu xi oOv.
"Oxi du texte imprime equivauta xl bxi. Di-
vers critiques adoplent la variante o tc, qui
a le sens de 6ia tl. — Pliariscei n'est pas dans
le grec. — Eliam... venire primum. « Aupa-
ravant », c'esl-a-dire avant le Messie, en
qualite de Precurseur, ainsi que I'avait annon-
ce le prophete Malachie, iv, 5. Sur ce retour
d'Elie, qui a toujours vivement inleresse les
Juifs, a tel point que « vouloir citer tous les
passages rabbiniques oil il en est question
serail une tache infinie » (Lighlfoot), voyez
I'Evangile selon S. Matthieu, p. 340.
11 el 12. — Qui respondens. La reponse du
Sauveur est exprimee d'une maniere un peu
obscure dans le second Evangile. La redaction
plus nelte de S. Matthieu fail disparaitre toute
difiiculte. Un premier point est clair : c'est
qu'Elie viendra d'abord, et, qu'une fois de
retour sur cette terre dont il a si myslerieu-
sement disparu, il preparera les hommes a
recevoir le Messie. P»-j?no represente I'epoque
du second avenement de Notre -Seigneur
Jesus-Christ; restituet (mieux « resliluit »,
car le verbe grec est au present), les travaux
d'Elie pour amener les Juifs a la vraie foi.
Ainsi, Jesus donne raison aux Scribes; seule^
ment, il explique el rectifie leur dire en appli-
quant a la fin des temps ce qu'iis s'alten-
daient a voir bientot accompli. Theophylacte,
h. 1. — Et quomodo scriptum est... C'est ici
que la pensee devient enigmatique, a cause
de la construction un peu lourde et enche-
vetree de la phrase. On a propose, pour I'a-
meliorer, plusieurschangemenls dans la pone-
134
fiVANGILE SELON S. MARC
deja venu, et ils lui ont fait tout ce
qu'ils out voulu, ainsi qu'il est ecrit
de lui.
13. Et, Tenant vers ses disciples,
11 vit une grande foule autour d'eux,
et des Scribes disputant avec eux.
14. Et aussitot tout le peuple,
voyant Jesus, fut stupefait, et ils
venit (et fecerunt illi qusecumque
voluerunt) sicut scriptum est de eo.
Match. 17, 12.
1 3. Et veniens ad discipulos suos,
vidit turbam magnam circa eos, et
Scribas conquirentes cum illis.
14. Et confestim omnis populus
videns Jesum, stupefactus est, et
tuation. Par exemple, une coupure et un point
d'inlerrogalion apves,Filiumhominis:aQ[i'es\r
il ecrit du Fils de I'homnie? Qu'il souffriia
beaucoup... » Ou bien un simple point d'in-
lerrogalion a la fin du verset : « Pourquoi
est-il ecrit da Fils de I'homme qu'il aura
beaucoup a souffrir? » Nous prefererions une
virgule apres contemnatur, de maniere a
etablir une correlation elroite enlre le ■*■. 12
el la fin du f. H : « De meme qu'il est ecrit
au sujel du Fils de I'homme qu'il aura beau-
coup a souffrir et qu'il sera avili (dans le grec
i5o'j5£vw6^, reduit a rien): de meme, je vous
dis qu'El'ie est venu... comme il est ecrit a
son sujel. » II nous semble que I'equilibre des
niol; et des ideas demande celle traduction.
A I'apparition future du veritable Elie, Jesus
oppose I'arrivee deja ancienne de I'Elie figu-
ralif, Jean-Bapliste ; des souffrances subies
par son Precurseur, il rapproche ses propres
souffiances. De part et d'autre il monlre,
pianant au-dessus des destinees humaines,
fa volonle de Dieu exprimee dans les Sainles
Ecritures. De la sorte, il existe enlre toules
les parties de la phrase un lien qui les unit,
un contrepoidsqui les soutient, et I'obscurite
se trouve amoindrie. De plus, nous nous
rapprochons ainsi du texte de S. Matlhieu,
XVII, 12 : « Je vous le dis : Elie est deja venu
et ils ne I'ont pas connu, et ils ont fail centre
lui tout ce qu'ils ont voulu. C'est ainsi que le
Fils de riiomme doit souffrir par eux. » —
Fecerunt illi... iQiViS designait ainsi les per-
secutions endurees par S. Jean. Cfr. vi, M
et ss. Le prophete Elie n'avait pas moins
souffert. Ctr. Ill Reg. xix.
9. — Guerison d'un lunatique. ix, 13-28.
Parall. Matlh. xvii, 14-20; Luc. ix, 37-44.
13. — Veniens ad discipulos... Au pied de
rHermon, une scene bien differente de celle
de la Transfiguration attendait Jesus et ses
disciples. Les Irois Synoptiques sont una-
nimes pour la rapprocher du glorieux mystere
que nous venons d'eludier ; mais c'est incon-
teslablement S. Marc qui I'a decrile de la
maniere la plus complete. II se surpasse lui-
meme au point de vue des details pittoresques.
Raphael n'a eu en quelque sorte qu'a le co-
pier pour produire le chef-d'oeuvre dont nous
parlions dans notre commentaire sur S. Mat-
lhieu, p. 342. — Des les premiers mots, la
situation est admirablement depeinte : nous
voyons les neuf Apotres, timides et embar-
rasses ; autour d'eux, turbam magnam qui
prend parti pour eux ou centre eux; puis
Scrihas conquirentes cum illis (scil. discipulis).
Le contexle nous apprendra I'objel du lilige.
Les disciples n'avaient pu guerir un jeune
possede, qu'onleur avail conduit en I'absence
de leur Maitre. Get echec avait comble d'une
joie maligne des Scribes qui en avaient eld
temoins : profilant de celte occasion unique,
ceux-ci avaient allaque devant toule I'assis-
tance non seulement les Apotres impuissanls,
mais aussi Jesus lui-meme, comme si la de-
faite des soldals eut prouve contre le general.
Mais, voici que le Sauveur apparait tout a
coup a quelque distance, pour venger son
honneur altaque.
14. — Et confestim... Nouveau tableau
propre a S. Marcel trace d'une main magis-
irale. Mais les divers traits qui le composent
ne sonl-ils pas contradicloires? La foule voit
Jesus, elie a peur, etpourlant elie accourt au-
devanl de lui pour le saluer! La frayeur dut
etre giande; la Vulgale a deux mols pour
I'exprimer: sttipefaclus est et expaverunt. Le
texle grec n'a qu'un seul verbe, E|£0a[jL6r|On ;
il est vrai que c'est une expression d'une
grande energie. qui designe une terreur
extreme (On a remarque que S. Marc seal
I'emploie dans son Evangile). Pourquoi d'a-
bord le peuple, en apercevant Jesus, fut-il
saisi d'un effroi si violent? c II en est qui
disent que son visage conservait un reflet de
la Transfiguration )\ ecrivait Theophylacte.
Corneille de Lapierre est plus categorique, et
n'hesile pas a accepter ce que son devancier
grec n'osait donner que comme un dire incer-
tam : « Quod viderent in vultu Jesu paulo
ante Iransfigurato reliquos adhuc aliquos
splendoris radios, sicut Mosi post Dei collo--
quium in vultu adhaeserunt radii et quasi
corona lucis. » Oui, voila bien ce qui diit
effrayer le peuple quand il reconnul Jesus : il
reslait sur la physionomiedu Sauveur quelques
traces de la gloire divine qui I'avait recem-
ment illumin"e, et c'est ce reflet extraordi-
naire, imposant, qui inspirait k la foule une
CHAPITRE IX
435
expaverunt, et accurentes saluta-
bant eiim.
15. Et interrogavit eos : Quid in-
ter vos conquiritis?
16. Et respondens unus de turba,
dixit : Magister, attuli filium meum
ad te, habentem spiritum mutum :
Luc. 9, 38.
17. Qui ubicumque eum appre-
henderit, allidit ilium, et spumat, et
sti'idet dentibus, et arescit : et dixi
discipulis tms ut ejicerent ilium, et
non potuerunt.
18. Qui respondens eis, dixit : 0
generatio incredula, quamdiu apud
vos ero? quamdiu vos patiar? aflerte
ilium ad me.
19. Et attulerunt eum. Et cum vi-
furent saisis de crainte, et accou-
rurent le saluer.
15. Et il les interrogea : De quoi
disputez-vous ensemble?
16. Et quelqu'un de la foule lui
repondit : Maitre, je vous ai amene
mon tils possede d'un esprit muet,
17. Qui le jette a terre, partout ou
il s'empare de lui, et il ecume, et il
grince des dents, et se dessec-he. Et
j'ai dit a vos disciples de le chasser
et ils ne Font pas pa.
18. II dit, s'adressant a eux : O
race incredule, jusques a quand se-
rai-je avec vous? jusques k quand
vous supporterai-je? Amenez-le moi.
19. Et ils Tamenerent. Et lors-
frayeur surnalurelle. Mais, en face de Jesus,
le senlimenL de la crainte ne pouvail etre de
longue duree : ses divins allraits, sa bonle,
dominerent promplemenl toule autre impres-
sion. Aiissi voyons-nous la multitude accou-
rir bientot au-devant de lui et le saluer avec
une aimable familiarile, tout heureuse qu'il
arrivat si a propos pour tirer les siens d'em-
barras. Voila le paradoxe eclairci.
-15. — Interrogavit eos. Le grec porte :
iTzepuixriGt tou; Ypa[X[AaT£t;, il interrogea les
Scribes. Mais les meilleurs manuscrits et plu-
sieurs versions anciennes favorisent la legon
de la Vulgate. — Au lieu de inter vos, on lit
encore dans le grec imprime 7tp6? auTou;,
« contra eos (discipulos) ». D'apres noire
version latine, Jesus se serait adresse en ge-
neral a toute I'a-seinblee. Suivant le « textus
receptus », il aurait pris les Scribes a partie,
leur montrant que ca n'etait plus avec ses
disciples, mais avec lui-meme, qu'ils avaient
a discuter.
16. — Respondens unus de turba. Tandis
que tons les autres demeurent silencieux, un
homme sort de la foule el s'avance jusqu'au-
pres de Jesus. S. Matlhieu, xvii, 14, decrit
ibrt bien le palhetique de son attitude et de
sa priere : « Genibus provolutus ante eum,
dicens : Domine, miserere filio meo. » —
Attuli... ad te. Ce pauvre perc etail du moins
venu avec I'intention de presenter son fils au
Sauveur ; mais, n'ayanl pas trouve le divin
Thaumaturge, il avait eu recours a ses dis-
ciples. — Habentem spiritum mutum. Locu-
tion tout orientale. pour dire que I'enfant
etait au pouvoir dun demon qui le rendait
sourd [t. 24) et muet.
47. — Qui ubicumque... Bien que la pos-
session fut habituelle, elle presentait nean-
moins des alternatives etranges de calme
relatif et de crises horribles. Ces crises sont
vigoureusement decrites par notre Evange-
liste. — Allidit eum. Le verbe pr,(7(7£i designe
plutot de violentes convulsions, car le sens
primitif de p^Yvyfii est « dechirer. » II signifie
pourtant aussi « in terram prosternere, alli-
dere. » Cfr. Bretschneider, Lexic. man.,
t. II, p. 378. De la ceite traduction d'Euthy-
mius : xatagaXXet £i; yriv. — Les deux trails
suivants : spumat, stridet dentibus, denotent
aussi d'affreux paroxysmes. — Arescit, c'est-
k-dire « obrigescit » (^YipaivsTai). Les crises
se terminaient par un elat de complete pros-
tration, durant, lequel les membres du demo-
niaque devenaient raides comme le fer.
18. — 0 generatio incredula. C'est a I'as-
semblee tout entiere, c'est-a-dire au pere, a
la foule, aux Scribes, et memo aux disciples
jusqu'a un certain point, que Jesus adressait
ce reproche. Voyez I'Evang. selon S. Mat-
lhieu, p. 342. — Quamdiu. Excellente tra-
duction de I'ew; TTOTE grec, qui equivaut a I'he-
breu na~iy ou ina~lir. La peme la plus
grande que Jesus ait eprouvee sur la terra
semble avoir ete celle qui provenait de l"in-
credulile des hommes: de memo que les joies
les plus vives de son Coeur semblent avoir eu
pour cause la foi des vrais croyants,
19. — Quand, sur I'ordre du Sauveur, on
eut approche I'enfant, le demon manifesta sa
rage par un acces supreme, que le Thauma-
turge tolera pendant (juelques instants, pour
mieux faire eclalcr la vcrlu divine qui agissait
en lui. — 11 est assfz difficile de determiner
le sujet du verbe vidisset. Est-ce Jesus qui
regarda I'enfant, et qui fit fremir ainsi la
436
fiVANGILE SELON S. MARC
qii'il eut vu Jesus, Tesprit aussitot
le tourmenta et, jete contre terre, il
se roulait en ecumant.
20. Et Jesus interrogea son pere :
Combien y a-t-il de temps que cela
lui arrive? Et il dit : Depuis Ten-
fan ce.
21. Sou vent I'esprit Ta jete dans
le feu et dans I'eau pour le faire pe-
rir. Mais, si vous pouvez quelque
chose, ayez pitie de nous et secou-
rez-nous.
22. Et Jesus lui dit : Si tu peux
croire, tout est possible a celui qui
croit.
23. Et aussitot le pere de Tenfant
s'eeriant, dit avec larmes : Je crois,
Seigneur; aidez moniacredulite.
disset eum, statim spiritus contur-
bavit ilium : et elisus in terram vo-
lutabatur spumans.
20. Et interrogavit patrem ejus^
Quantum temporis est ex quo ei ho
accidit ? At ille ait : Ab infantia :
21. Et frequenter eum in ignem,
et in aquas misit, ut eum perderet;
sed si quid potes, adjuva nos, mi-
sertus nostri.
22. Jesus autem ait illi : Si potes
credere, omnia possibilia sunt cre-
denti.
23. Et continuo exclamans pater
pueri, cum lacrymis aiebat : Cre-
do, Domine; adjuva incredulitatem
meam.
demon? Est-ce I'enfant qui regarda Jesus, et
qui, uni etroitement a resprit mauvais, lui
communiqua rimpression de crainle donl il
avait ele aussitot saisi?La locution grecque,
ISwv a-jTov, est tout aussi ambigiie. Le second
sentiment nous parait plus naturel. CIr. Be-
len, Grammat. p. 181. — Le verbe edTiapa^Ev,
Iraduil par conturhavit, signifie plulot u dis-
cerpsit. » L'enfanl ful done repris de convul-
sions et de spasmes. — Volutabalur... Trail
douloureusement piltoresque.
20 el 21. — Et interrogavit patrem. Ce-
pendanl Jesus, plein d'un calme divin, iioue
avec le pere du jeune demoniaque un lou-
chanl dialogue, tt. 20-23, que S. Marc nous
a seul conserve. — Quantum temporis...
Comme un medecin dans un cas semblable,
Notre-Seigneur se fail renseigner (point pour
lui-raeme assuremenl, mais pour Tassistance)
sur la duree de ce mal affreux. — Ab infan-
tia, repond le pere, 7:ai5io6£v, indiquant par la
que la maladie, ainsi que sa cause, etail tout
a fait inveteree.Puis, trait bien naturel, pour
e.\citer davantage la pitie de Jesus, il ajoute
quelques details sur le malheureux etat de
son pauvre enfant : Frequenter eum... Cfr,
t. M. — Ut eum perderet. Tel etait, dans la
pensee du suppliant, le but ;ival que se pro-
posait le demon en maltraitant ainsi son fils :
il voulail lui donner la mort. — Sed, si quid
potes... On croit entendre, en lisanl ces pa-
roles, I'accent de detresse avec lequel elles
durentetre prononcees. Mais pourquoi le pere
ne s'ecrie-t-il pas comme le centurion : Dis
geulement une parole, et mon fils sera gueri?
*Opa;, repond Eulhymius, kw; oOx el^s ni'otiv
aotdxaxTov. En effel, e'est une foi vacillante
qu'exprime une telle restriction : « Si vous
pouvez quelque chose. » Le pere croyaitjus-
qua un certain point en la puissance de
Jesus, puisqu'il lui avait conduit son fils;
mais sa foi, deja imparfaite en elle-meme,
etait devenue plus faible encore apres les
efforts impuissants des Apotres pour chasser
le demon. — Misertus nostri. De meme qu'au-
trefois la Chananeenne, Matlh. xv, 25, le pere
fait sienne I'infirmile de son enfant.
22. — Si potes credere. La Kecepla grecque
porte, d'une maniere a peu pres semblable,
TO £1 Suv^f] TrtffTe-jffat. Mais, dans la Recepta
comme dans la Vulgate, les verbes TtidTeOffat,
« credere », sont probabiement de trop; car
les meilleurs manuscrits (B, C, L, a, Sinait.)
et plusieurs versions ont simplemenl : to ei
ouvij, c'est-a-dire : Quant a ce que vous diles
la, « Si tu peux », tout est possible a celui
qui croit. Au reste cetle varianle change peu
de chose a la pensee. Jesus, on le voit, saisit
au vol la facheuse reflexion du suppliant, et il
s'en sert avec autant d'habilete que de bonte
pour raviver dans ce coeur desole la foi sans
laquelle le miracle n'eul pas ete produit. La
question est ainsi ramenee a son veritable
point de vue : il ne s'agit pas de la puissance
du Thaumaturge, surlaquelle lemoindre doute
n'esl pas permis, mais de la foi de quiconque
y a recours.
23. — La description devient de plus en
plus pathelique. — Continuo exclamans. Effet
instanlane de la parole du Sauveur. Allant
droit au coeur du pere, elle y enfanta une
grande foi, ou du moins un grand desir de
CHAPITRE IX
137
24. Et cum •videret Jesus concur-
rentem turbam, comminatiis est spi-
ritui immundo, dicens illi : Surde
et mute spiritus, ego prsecipio tibi,
exi ab eo; et amplius ne introeas in
euro.
25. Et exclamans, et multum dis-
cerpens eum, exiit ab eo, et factus
est sicut mortuus, ita ut multi dice-
rent : Quia mortuus est.
26. Jesus autem tenens manum
ejus, elevavit eum, et surrexit.
27. Et cum introisset in domum,
discipuli ejus secreto interrogabant
eum : Quare nos non potuimus eji-
cere eum?
28. Et dixit illis : Hoc genus in
nullo potest exire, nisi in oratione,
et jejunio.
24. Et Jesus, voyant la foule ac-
courir, menaca Tesprit immonde,
lui disant : Esprit sourd et muet, je
te le commande, sors de cet enfant
et n'y rentre plus.
2b. Et poussant un grand cri, et
I'agitant violemment, il sortit de
I'enfanl, qui devint commemort, de
sorte que beaucoup disaient : II est
mort.
26. Mais Jesus, prenant sa main,
le souleva et il se dressa.
27. Et lorsque Jesus fut entre dans
la maison, ses disciples I'interro-
gerent en secret : Pourquoi n'avons-
nous pas pu le chasser, nous ?
28. Et il leur dit : Gette sorte d'es-
pnts ne peut se chasser que par la
priere et le jeune.
foi. — Credo, Domine.ie crois deja, j'ai iine
entiere bonne volonte pour croire, el cepen-
dant, adjuva incredulitatem meam, parce que
je sens que ma foi n'est pas assez vive encore.
II appelle incredulite ce qu'il comprend n'etre
qu'un commencement de foi, una foi appelee
a se developper. Belle priere. qui rappelje
celle des disciples : « Domine, adauge nobis
fidem. »
24. — Cum videret... concur rentem turbam.
Dans le grec, 6ti imawzpiy^ei. ox).o;. Le verbe ,
doublement compose, indique des foules
grossissantes qui viennenl s'ajouter a cell(3
qui environnail deja Nolre-Seigneur, if. 13.
Le Sauveur se hate d'accomplir le miracle
pour echapper h lous ces regards curieux.
Cfr. VII, 33; viii, 23, et les notes correspon-
dantes. — Surde et mute spiritus. Cesl-a-d\re,
esprit qui rend sourd et muet. — Ego prce-
cipio tibi. II y a une emphase visible dans cet
iyw mis en t§le de la phrase : Mol, a qui tu
ne resisteras point comme a mes disciples.
L'ordre est majestueux, digne du Messie. —
Et amplius ne introeas... C'esl une guerison
perpeluelle que le Seigneur effectue : il in-
terdit a tout jamais au demon d'entrer dans
ce corps qu'il avail si longtemps regarde
comme sa propriele.
25 et 26. — Exrlamans, mtiltum discer-
pens... Quelle abondance de details vivants et
interessanls dun bout k I'aulre du recit!
S. Pierre avail tout vu, tout retonu, tout ra-
conte a son disciple. — Le demon, oblige
d'obeir a la voix de Jesus, lance ce trait du
Parthe en se retirant. II convulsionne une
derniere fois sa viclime et I'etend comme
morte aux pieds de Jesus. Peine inutile!
Notre-Seigneur n'a qu'un geste a faire, tenens
manum ejus elevavit, et I'infirme recouvre ses
sens et la pleine possession de tout son elre.
— C'est peut-etre a celte cure merveilleuse
que Lucien fait une allusion ironique, lors-
qu'il ecrit dans son Philopseudes, xvi:llavTe?
Taaffiv Tov Supov -rov iy. Trj; IlaXaKTTtvrii;, tov eiti
TOUTwv (ToqjKTxriv, offoy; 7rapa>>a6wv -/axaTviuTovTac
Ttpo; Tr)v (jcXVivYiv (Cfr. Malth. XVII, 14)xatT&>
6cpOa),[xw SiaffTps'yovcai; xai acppou 7it[X7i),a[ievoy<;T6
litaQip [AsydXto a-Ko.l'Xaiai; twv Setvcov.
27. — Cum introisset in domum. Detail
propre a S. Marc. La question des Apotres
au divin Maitre fut done posee « secreto »,
comme le dit S. Mallhieu. — Quare nos non
polxumus'i lis n'avaient pas depasse leur man-
dat, puisque Jesus leur avait donne quelque
temps auparavant, vi, 7, « poleslalem spiri-
tuum immundorum » : quel pouvait bien etre
la cause secrete de leur recente defaite?
28. — Et dixit illis. Notre Evangeliste ne
donne que la substance de la reponse du
Sauveur. Voyez S. Mallhieu, xvii, 49-20 et
le commenlaire. C'esl seulement apres avoir
dit a ses disciples que leur impuissance pro-
venail de I'imperfeclion de leur foi, et apres
leur avoir revele par un frappanl exemple la
vertu incomparable d'unefoi ferme, que Jesus
ajouta : Hoc genus... Celle race, c'esl-a-dire,
d'apres I'opinion commune, la classe parli-
culiere dont faisait partie, dans la hierarchie
infernale, le demon expulse par Notre-Sei •
438
EVANGILE SELON S. MARC
29. Etant partis de la, ils traver-
serent la Galilee, et 11 voulait que
personne ne le stit.
30. Gar il enseignait ses disciples
et leur disait : Le Fils de rhomme
sera livre entre les mains des hom-
ines, et ils le mettront a mort, et
il ressuscitera le troisieme jour
apres sa mort.
31. Mais ils ne comprenaient pas
cette parole, et ils craignaient de
Tinterroger.
32. Et ils vinrent a Gapharnaiim.
Lorsqu'ils furent dans la maison, il
leur demanda : Que discutiez-vous
en chemin ?
29. Etinde profecti prsetergredie-
bantur Galilseam ; nee volebat quem-
quam scire.
30. Docebat autem discipulos sues
et dicebat illis : Quoniam Filius ho-
minis tradetur in manus hominum,
et Occident eum, et occisus tertia
die resurget.
Matlh. 17, 21 ; Luc. 9, 22, 24.
31. At illi ignorabant verbum, et
timebant interrogare eum.
32. Et venerunt Gapharnaum. Qui
cum domi essent, interrogabat eos :
Quid in via tractabatis?
gneur. C'etait iin « de pessimis et obstina-
lissimis daemonibus. » Tirin. — In oratione
et jejunio. Par le jeune, la chair est soumise
a Fesprit; par la priere, I'espril est soumis
a Dieu, et, de la soile, I'homme devient pour
ainsi dire un ange, superieur a la chair et au
demon (Pensee d'Eusebe d'Emese). Mais, pour
prier, comme pour mortifier sa chair, il faut
avoir une foi vive. Que le pretre ait done
cette foi, qu'il reduise son corps en servitude,
qu'il soit un homme d'oraison,et il sera plus
fort que tous les demons qu'il gemit de voir
ravager son troupeau.
10. —La Passion pr6dite pour la seconde
fois. IX, 29-31. — Parall. Matth. xvii, 21-22; Luc.
u, 44-45.
29. — Et inde profecti. L'adverbe « inde »
d^signe, selon I'opinion qu'on s'est formes
touchant la monlagne de la Transfiguration,
les environs du Thabor ou ceux de THermon.
Cfr. IX, 1 et le commentaire. — Prcetergre-
dtehantur Galilee am. Lq texte grec emploie ici
une expression delicate, Ttapeitopeuovxo, qui
semblerait indiquer une marche clandestine
a travers des chemins ecartes. comme si
Jesus etjt voulu, pendant ce voyage, demeu-
rer seul avec ses disciples les plus inlimes,
afin d'achever librement leur formation apos-
tolique. Du reste, les mots suivanls, nee vo-
lebat quemquam scire, montrent clairement
que le Sauveur evitait avec soin tout con-
cours de la foule. Cfr. vii. 14. On ne trouve
ces deux traits que dans le second Evangile.
30. — Docebat... et dicebat. De cette repeti-
tion emphalique el de I'emploi de I'iraparfait,
nous pouvons conclure que Jesus revenait fre-
quemment, durant la periode actuelle de sa
vie, sur le grave sujet de sa Passion et de
8a mort. — Filius honwiis tradetur. Dans le
grec, TtapaSt'ooxat au present, tant le fait est
proche et certain.
31 . — At illi ignorabant verbum. lis com-
prirent cependanl d'une certaine maniere,
puisque, d'apres S. Matthieu, xvii, 22, le
premier effet de cette nouvelle prediction fut
de les altrister profondement. Ce qu'ils igno-
raient, c'etait le mode, la cause, le but des
souffrances du Messie. Aveugles par leurs
fausses idees christologiques, ils ne voyaient
pas pourquoi Jesus devait mourir avantd'eta-
blir son royaume. Cfr. le Yen. Bede et Luc de
Bruges, h. 1. — Timebant interrogare. D'une
part, ils redoutaient d'avoir trop de details
sur des evenements si douloureux; d'autre
part, serappelant les reproches qu'avait atti-
res a S. Pierre une reflexion malheureuse sur
le meme sujet {Cfr. viii, 31-33), ils crai-
gnaient peul-etre aussi d'affliger leur Maitre
en le questionnant. Ce verset contient une
belle analyse psychologique des sentiments
des Apotres.
11. — Quelques graves lefons. ix, 32-49.
Les trois synoptiques placent, peu de temps
apres le myslere de la Transfiguration,
quelques-unes des legons imporlantes par
lesquelles Jesus completait alors I'education
des Douze. Malgre la re^semblance generale
de leurs recits, ils different d'une maniere
assez notable pour les details. S. Marc tient
le milieu entre S. Matthieu et S. Luc, se rap-
prochant tantot de Tun, tantot de I'aulre,
tout en gardant son independance et son ori-
ginalite accoutumees.
a. Legon (ThumilU^. ix, 32-36. — Parall. Matth,
xvni, 1-5; Luc. ix, 46-48.
32. — Venerunt Capharnaum. S. Marc
passe sous silence le miracle du didracbrae.
CHAPITRE IX
139
33. At illi tacebant; siquidem in
via inter se disputaverant, quis eo-
rum major esset.
Matth. 18, 1 ; Luc. 9, 64.
34. Et residens vocavit duodecim,
et aitillis : Si quis vult primus esse,
erit omnium novissimus, et omnium
minister.
35. Et accipiens puerum, statuit
eum in medio eorum : quem cum
complexus esset, ait illis :
36. Quisquis unum ex hujusmodi
pueris receperit in nomine meo, me
recipit : et quicumque me suscepe-
rit. non me suscipit, sed eum qui
misit me.
37. Respondit illi Joannes, dicens :
33. Mais ils se taisaient, parce
qu'en chemin ils avaient dispute
ensemble qui d'entre eux etait le
plus grand.
34. Et, s'asseyant, il appela les
Douze et leur dit : Si quelqu'un veut
6tre le premier, il sera le dernier de
tons et le serviteur de tons.
35. Et, prenant un enfant, il le
mit au milieu d'eux et, apres I'avoir
embrasse, il leur dit :
36. Quiconque recoit en mon nom
un petit enfant comme celui-ci, me
recoit, et quiconque me recoit, ne
recoit pas moi, mais celui qui m*a
envoye.
37. Jean, prenant la parole, lui
qui eul lieu aussitot apres le retour de Jesus
dans celte ville. Cfr. Matth. xvii, 24-27. II
nous monire iramediatement le Sauveur et
ses Apolres retires dans la maison qui leur
servait d'habitalion a Capharnaum [domi,
detail special ; dans le grec, gv t^ olxt'a, avec
.'article). Tout a coup, Nolre-Seigneur adresse
aux Douze cette question inallendue : ijuid
in via iractabatis^ II les avait laisses seuls
durant une partie du trajet, marchant en
avanl, tout uni a son divin Pere. Mainlenant
il fautqu'ils lui rendent compte de la discus-
sion bruyante qui s'etait elevee entre eux a
un moment donne. — Sur la petite diver-
gence qui existe ici entre les narrations des
deux premiers Evangelistes, voyez I'Evangile
selon S. Matthieu, p. 350.
33. — Tacebant. Ce seul mot constilue un
tableau complet, oii nous voyons, a I'avant-
scene, les Apolres confus, embarrasses. —
Siquidem in via... Note du narraleur, qui
contienl la raison du silence des Douze. II
n'est pas etonnant qu'ils n'aienl rien eu a
repondre a leur Maitre : comment eussent ils
ose lui avouer que la discussion avait roule
sur un point d'orgueil et d'ambition? Lequel
d'entre nous, s'etaient-ils demande, a droit k
la premiere place dans le royaume messia-
nique?
34. — Et residens. Trait graphique. Du
reste, ce verset et le suivant en contiennent
un grand nombre, dont plusieurs sontpropres
a S. Marc. Jesus s'assied, il appelle les Douze
aupres de lui, il prend par la main un petit
enfant, le place au milieu du groupe forme
par les Apolres, puis le serre doucemenl entre
ses bras. Gracieuse et touchante scene! —
Si quis vult... « Dominus curat desiderium
gloriae humiiitate sanare. » Bede. Les pre-
mieres paroles du divin Maitre enoncent un
grand principe, qui dirime aussitot la ques-
tion que les disciples s'etaient posee. Quelle
profondeur dans cetle pensee ! Mais en meme
temps quel paradoxe! La vraie grandeur con-
siste dans I'humilite; c'est en s'abais-ant au-
dessousdes autres qu'on monte aux premiers
rangs. C'est le rebours des croyances mon-
daines ; mais Jesus n'avail-il pas pour mission
de lutter contre le monde?
35. — Accipiens puerum. Pour rendre !a
leQon plus forte et plus insinuanle, le Sauveur
a recours aux actes selon sa coutume. Voyez
dans I'Evang. selon S. Matthieu, p. 354, les
differentes opinions emises au sujet de cet
heureux petit enfant (uaiSiov;, qui regut les
caresses du Seigneur. — Complexus. Le verba
grec si expressif ivaYxaXiaaixsvoi; ne se ren-
contre qu'ici el x, 16. II signifie proprement
« in^ulnas capio » (de ev et aYxaXri, ulna).
36. — S. Matthieu, xviii, 3-5, expose d'uno
maniere plus complete la pensee de Jesus.
S. Marc, a son ordinaire, resserre le langage
pour appuyer davantage sur les fails. —
Unum ex hujusmodi pueris. Par ces mots, le
Sauveur montrait qu'il voulait parler non
seulement au propre, mais encore au figurd,
e'est-a-dire qu'independamment des petits
enfanls, il pensait aussi el surtout aux ames
simples dont ils sont rembieme. — Et qui-
cumque... Si\hV\me gradation, qui promet aux
amis des enfanls et des humbles la plus par-
faite recompense qu'on puisse envier ici-bas.
« Vide quantum valet humililas, Palris nam-
que et Filii inhabitalionem meretur, et etiam
Spirilus Sancti ». Theophylacte. Cfr. Matth.
X, 40 et le commenlaire. — Non me suscipit;
c'esl-a-dire « non me tantum suscipit, sed
etiam eum... »
440
EVANGILE SELON S. MARC
dit : Maitre, nous avons vu quel-
qii'un, qui ne nous suit pas, chasser
les demons en votre nom, et nous
Ten avons empeche.
38. Et Jesus leur dit : Ne Ten
empechez pas; car il n^'y a per-
sonne qui fasse un miracle en mon
nom et puisse aussit6t mal parler
de moi.
39. Qui n'est pas contre vous est
pour vous.
Magister, vidimus quemdam in no-
mine tuo ejicientem dsemonia, qui
non sequitur nos, et prohibuimus
eum.
Luc. 9, 49.
38. Jesus autem ait : Nolite prohi-
bere eum : nemo est enim qui faciat
virtutem in nomine meo, et possit
cito male loqui de me.
/ Cor. 12, 3.
39. Qui enim non est adversum
vos, pro vobis est.
b. iepon de tolirance, ix, 37-40. — Parall.
Luc. IX, 49-50.
37. — Respondit illi Joannes. Les mots a in
nomine meo », que le Sauveur venaiL de pro-
noncer. semblent avoir rappele a S. Jean un
incident extraordinaire qui avail eu lieu pro-
bablement dans I'un des derniers voyages, el
sur lequel il desirait interroger son Maitre.
L'interrompant done familieremenl, il pril la
parole pour exposerson cas de conscience. —
Vidimus quemdam, un homme quelconque, le
premier venu, qui n'avail rpQu de Jesus au-
cune mission speciale. — Ejicientem dcemo-
nia. Gel homme accomplissait ainsiun miracle
qui paraissail etre un privilege reserve aux
Apotres. C'est la un fait d'une grande impor-
tance ; il suppose que I'influence de Notre-
Seigneur Jesus-Christ avail pris des propor-
lions enormes, puisque des hommes qui ne
comptaient point parmi ses disciples propre-
meiit dits s'etaient mis, de leur propre mou-
vement, a exorciser les demoniaques en usant
de son nom sacre. — Qui non sequitur nos.
« Nos » et non pas « te ». L'exorciste n'etait
pas Apotre : S. Jean n'a pas d'autre blame
a lui adresser. — Prohibuimus eum. Quelques
anciens manuscrits (B, D, L, A) emploient
I'imparfait. exwWoixEv, « nous I'empechions,
nous voulions I'empecher. » L'aoriste, qu'on
trouve dans la pluparl des temoins, indique
que la prohibition des Douze produisil son
effet, Le texle grec ajoule encore a la tin du
verset : 5Tt o-Jx ay.o),oue£t :?;(j,tv . — Que penser
de cette conduite des Apotres? On le voit,
elle inquietait Fame delicate de S. Jean. Pro-
venait-elle d'un sentiment d'envie ou d'e-
golsme. comme on I'a maintes fois repete de
DOS jours? Nous avons de la peine a le croire.
Nous aimons mieux, avec S. Jean Chrysos-
tome et d'autres anciens exegetes. I'attnbuer
au zele dont ils etaient animes envers leur
Maitre, a la crainte qu'ils eprouvaient de voir
profaner son nom par des gens sans aveu. II
est vrai que ce zele etait un peu exagere,
ainsi que Jesus va ie leur domonlrer.
38. — Nolite prohibere eum. Lui, et tous
ceux qui pourraient agir comme lui avec une
entiere bonne foi. Quand on vint annoncer a
Moise que plusieurs Hebreux s'etaient mis a
prophetiser, bien loin de ceder aux instances
de Josue qui lui disait : « Domine mi Moyses,
prohibe eos », il s'ecria tout au contra'ire :
« Quid aemularis pro me? Quis tribual ut
omnis populus prophelet? >; Num. xi, 27-29.
C'est une legon analogue que Jesus donne a
ses disciples. — II appuie sa reponse sur irois
motifs. Premier motif; Nemo est enim... Qui-
conque emploie son nom divin pour accomplir
des prodiges ne saurait etre dans des dispo-
sitions hostiles a son egard: c'est au fond un
disciple et un ami. Avanl de juger la con-
duite d'un lei homme et de la condamner, il
est juste d'atiendrequelque temps, car lespre-
somptions sont en sa faveur. — Celui dont
parlaitS. Jean chassait seulement les demons.
Jesus, etendant la pensee, applique le cas a
toulesortede miracles, faciat virtutem. — Cito
male loqui : dans le grec. raxO xaxoXoyriuai. II
est impossible qu'immediatemenl apres avoir
fait un miracle au nom de Jesus, on se mette a
le calomnier, a le blasphemer. Ce serait etre
en meme temps ami el ennemi.
39. — Qui enim non est... Second motif: k
regard de Jesus, la neutralile n'est pas pos-
sible. L'homme en question avail prouve qu'il
n'etait pas conlraire au Sauveur, il lui etait
done favorable. Pourquoi le repousserait-on?
— Adversum vos, pro vobis. La Recepta porte
xa9' Tiiiwv, Ciirep rjauv, contre nous, pour nous ;
mais la legon de la Vulgate, soutenue par un
grand nombre de manuscrits (A, D, E, F. G,
H, K, M, L, V, etc.), est probablement authen-
lique. — S. Matlhieu place sur les levres du
Sauveur. mais dans une autre occasion, xii, 30
(voyez le commentaire), une sentence qui
semble, a premiere vue, en complete opposi-
tion avec celle-ci. Neanmoins la contradiction
n'est qu'apparente. « On sail, dit fori bien
D. Calmel, que ces sortes de proverbes popu-
laires peuvent s'appliquer a differents sujets,
CHAPITRE IX
441
40. Quisqiiis enim potum dederit
vobis calicem aquse in nomine meo,
quia Chrisli estis : amen dico vobis,
non perdet mercedem suam.
Match. 10, 42.
41. Et quisquis scandalizaverit
unum ex his pusillis credentibus in
me : bonum est ei magis si circum-
daretur mola asinaria coUo ejus, et
in mare mitteretur.
Maith. 18, 6; Luc. 17, 2.
42. Etsi scandalizaverit te manus
tua, abscide illam : bonum est tibi
debilem introire in vitam, quam
duas manus habentem ire in gehen-
nam, in ignem inextinguibilem :
Malth. 5, 30 et 18, 8.
43. Ubi vermis eorum non mori-
tur, et ignis non extinguitur.
40. Quiconque vous donnera un
verre d'eau en mon nom, parce que
vous etes au Christ, je vous le dis
en verite, il ne perdra pas sa recom-
pense.
41. Et quiconque scandalisera un
de ces petits qui croient en moi,
mieux vaudrait pour hii qu'on mit
une meule de moulin autour de son
cou, et qu'on le jetdt dans la mer.
42. Et si ta main te scandalise,
coupe-la; il vaut mieux pour toi
ertrer dans la vie n'ayant qu'une
main que d'aller, ayant deux mains,
dans la gehenne, dans le feu inex-
tinguible,
43. Oil leur ver ne meurt pas et
leur feu ne s'eteint pas.
et sont susceplibles de differents sens suivant
les circonstances ou on les emploie. » Cfr.
S. August., de Cons. Evang. 1. IV, c. v.
40. — Troisieme motif de tolerance, sous
forme d'argument « a minori ad majus ». Si
le plus petit service que i'on rend au nom de
Jesus-Christ, par cxemple un verre d'eau
donne a un missiunnnaire altere, prouve qu'on
aime le divin Maitre et, a ce litre, merite une
recompense, a plus forte raison Taction de
produire de grandes choses par la vertu et en
rhonntnir de ce nom sacre. Cfr. Matlh. x, 42.
— Quia Christi estis. Tournure calquee sur
le texte grec. L'expression eivao two? signifie
« addictiim esse alicui. » C'est le seul endroit
des Evangiles ou les Chretiens soient ainsi
designes.
C. Legon concernanl le scandale. IX, 41-49. — Parall.
Matth. xvni, 6-9; Luc. xvn, 1-2.
41 . — Jesus vient de promettre les plus
magnifiques recompenses, tt. 36 et 40, a
quiconque lemoignerait de la bienveillance
aux petits enfants de son royaurae ; par con-
traste, il menace maintenant des chatim^nts
les plus terribles tous ceux qui lesporteraient
au niai. — Scandalizaveril. Le verbe grec
cxav5a>.it;w, sur lequel a ete calquee l'expres-
sion latine correspondante « scandalizo », est
tout a fait inconnu des classiquos. Les traduc-
teurs grecs de I'Ancien Testament ne I'ont
que Ires rart>ment employe : on lo trouve done
surtoul dans les ecritsduNouveau Testament,
d'ou il a passe dans le langage Chretien. Sa
racino probable est axaijw, « claudico ». II de-
signe tout ce qui peut elre pour une ame
une occasion de chute et de ruine spirituelle.
Cfr. Bretschneider, Lex. man. t. II, p. 406.
— Unum ex his pusillis. Le pronom « his »
manquo dans le texte grec. — Credentibus in
me... Mots emphatiques, qui portent Tidee
principale. Ces « tout petits » croient en Je-
sus : la foi qu'ils ont en Lui les grandit, leur
communique une valeur inappreciable, parce
qu'elle etablit entre eux et Lui la communion
la plus intime. Les scandaliser est done un
crime enorme, qui sera severemenl chaiie. —
Circumdaretiiv mola asinaria. Surce supplice
voyez I'Evangile selon S. Matlhimi, p. 253.
La Vulgate a lu [i,0),o? oviy.o? (« Et quae pu-
miceas versat asella molas », Ovide, Fast.
VI, 308); mais la vraie legon du texte grec de
S. Marc parait avoir ete ),ieo; [xoXtxci;," pierre
molaire. — « Nusquara legimus Christum,
alia peccata persequenlem, tarn grand i verbo-
rum ambitu, lam vehemenlibus acribusque
dicendi fotmulis, lam severis sententiis ad
exaggerandam amplificandamque orationem
usum esse sicul in hoc capite, quum deinon-
slrare studuit quam graviter peccent qui aliis
scandalo sunt. » Patrizi, In Marc. Com-
ment, p. 122.
42-47. — Si scandalizavei'it.<:' Apves, avoir
enseigne plus haul (t. 42) qu'il ne faut pas
scandaliser ceux qui croient en son nom, lo
Seigneur nous dil ici avec quel soin nous
devons eviter ceux qui s'efforcent de nous
scandaliser. » Ces lignes du Ven. Bede mar-
quent fort bien la liaison des deux vers'ts.
— Les trois organes mentionnes par le S;iu-
veur, manus tua, pes tuus, oculus tuns, figu-
rent, suivant la juste interpretalion des Peres,
U2
EVANGILE SELON S. MARC
44. Et si ton pied te scandalise,
coupe-le; il vaut mieux pour toi
entrer boiteux dans la vie eternelle
que d'etre jete, ayant deux pieds,
dans la geheune du feu inextin-
guible,
45. Oil leur ver ne meurt pas et
leur feu ne s'eteint pas.
46. Que si ton ceil te scandalise,
arrache-le ; il vaut mieux pour toi
entrer borgne dans le royaume de
Dieu que d'etre jete, ayant deux
yeux, dans la gehenne du feu,
47. Oil leur ver ne meurt pas et
leur feu ne s'eteint pas.
44. Et si pes tuus te scandalizat,
amputa ilium : bonum est tibi claii-
dum introire in vitam seternam,
quam duos pedes habentem mitti in
gehennam ignis ' '" '' ""
inextinguibilis
45. Ubi vermis eorum non mori-
tur, et ignis non extinguitur.
Isai. 66, 24.
46. Quod si oculus tuus scandali-
zat te, ejice eum : bonum est tibi
luscum introire in regnum Dei,
quam duos oculos habentem mitti
in gehennam ignis :
47. Ubi vermis eorum non mori-
tur, et ignis non extinguitur
les occasions plus on moins prochaines qui
peuvent nous porter au mal. L'image est
d'autant plus exacte que ce sont en realite
ces membres qui sonl pour nous les princi-
paux auxiliaires ds I'lniquiie. Notre main
agit pour le mal, notre pied nous conduit
dans les senliers du peche, notre oeil con-
temple et convoite les choses mauvaises. —
Le remede au scandale est energiquement
indique : ahscide, amjmtaile grec repele deux
fois la meme expression duoxoi^ov), ejice. II
faut relrancher sans pitie, tailler dans le vif ;
on ne se sauvera qu'a ce prix. — Bonum est
est un hebraisme pour « melius est ». — Debi-
lem a lesens de« naulilum », manchot. — In
vitam du t. 42 est explique par une epithele
au t. 44, in vitam ceternam, et ces deux
expressions sont synonymes de regnum Dei,
t. 46, qui designe le royaume messianique
envisage dans sa glorieuse consommation. —
In gehennam. Nous avons explique ailleurs
(Evang. selon S. Matth. p. 113 et s.) ie sens
et I'origine de cetle locution. Elle represente
I'enfer avec ses effroyables tourments, et sur-
tout avec son feu eternel qui brulera les dam-
nes sans les consumer. De la, a trois reprises,
1rt. 42, 44 et 46, I'associaiion des mots in
ignem ixextinguibilem, ignis inextinguibilis,
ignis, a « gehennam «. — Ubi vermis eorum...
Ces aulres mots, repetes egalement par trois
fois (c'esl par erreur que les manuscrits B, C,
L, A, Sinait. et plusieurs versions ne les
ecrivent qu'au t. 47), donnent une couleur
speciale a la redaction de S. Marc. Nous avons
dans tout ce passage (tt. 42-47; une sorte de
poesie avec son parallelisme, son rhylhme
parfaitement cadence, ses couplets (un pour
chacun des membres humains signales par
Jesus) et son refrain "'irible. II y a tout lieu
de croire que telle fut vraiment la forme
originale des paroles de Notre-Seigneur. Ce
que nous venons d'appeler un refrain a ete
presque litteralement emprunle au prophete
Isaie, Lxvi, 24. Le fils d'Amos, conlemplant
en esprit le chatiment des ennemis de Jeliova,
et les voyant semblables aux mor Is qui jonchent
un champ de bataille, s'ecriait : « Et quand
on sortira, on verra les cadavres des honimes
qui m'ont offense. Leur ver ne mourra pas,
et leur feu ne s'eteindra pas, et leur vue de-
goutera toute chair. » Du reste on rencontre
des images analogues dans les livres de Ju-
dith, XVI, 20, 21,etderEcclesiaslique, VII, 19,
qui nous montrent aussi les peclieurs eter-
nellement ronges par un ver imperissable,
eternellemenl brulespar un feu inextinguible.
Ce sont la des supplices qui represenlent
d'une maniere concrete et frappanle les souf-
frances endurees sans fin ni Ireve par les
damnes. Le premier doitse prendre au piopre,
puisqu'il existe dans i'enfer un feu reel qui
ne s'eteindra jamais; le second est un sym-
bole di! remords qui torturera les pecheuis.
« Vermem conscientiam vocat mordenlem
animam quod non sit operata bonum. »
S. Jean Chrysost. in Caten. Cfr. Maldonat, h.K
Voir un autre sentiment dans S. Augustin, de
Civit. Dei, 1. xxi, c. 9. Ces comparaisons, un
peu obscures pour nous, etaient tres ciaires
pour des Juifs;car la vallee d'Hinnom ou
Gehenne, avec ses cadavres lentemenl devo-
res par les vers ou brules sur des biichers,
etait un embleme expressif de I'enfer. — Le
pronom eorum, qui ne retombe directement
sur aucun des mots precedents, designe evi-
demment les damnes, d'apres le contexte.
AOtojv Tivwv; oy)).aS?) twv a7v£p;^6(i£vwv £'; ri^v
Yeevvav. Victor d'Anlioche. — « Quern non
CHAPITRE IX
HI
48. Omnis enim igne salietur, et 48. Gar tous seront sales par le
omnis victima sale salietur. feu, et toute victime sera salee par
Lev. 2, 13. le sel.
terreat ista repetitio et illius pcenae commi-
nalio tam vehemens ore divino? » S. Aug.
1. c. cap. vin.
48. — Ce verset et le snivant, qui appar-
tiennent en propre a S. Marc, sont difficiles
pai'ini les diiticiles. « Hujus obscurilas loci,
ecrivait Maldonat, magnain interpretalionum
pepeiit varietatem... (On en pourrait compter
aujourd'liui plus de trenle). Duabus in rebus
obscurilas cernitur, el qua occasione, et quo
sensu haec a Chrislo sinl dicta ». Examinons
successiveraent ces deux points. — 1° La
liaison des pensees. On a nie parfois I'exis-
tence d'un enchainemenl reel entre ces deux
versels et les precedents. La tradition, ou-
bliant les circonslances auxquelles se rappor-
tait cetle parole de Jesus, I'aurait placee an
premier endroil venu ; ou du moins la transi-
tion n'exislerail que dans I'ospiil du redac-
teur. Voir E. Reus?, Histoire evangelique,
p. 4'29. Nous rejetons bien loin de nous ces
precedes ralionalisles et nous affirmons que
ni la tradition ni le redacteur ne se sont
trompes en cet endroil. II y a une liaison
enlre les idees, puisqu'il y a un enimau com-
mencement du 1i. 48. Jesus vent done con-
firnier la doctrine si importante, mais d'une
observance si penible, qu'il a prechee en der-
nier lieu, lit. 42-47. II se propose d'expli-
quer pourquoi un chrelien doit se separer
courageus'--Mnonl de tout objet capable de le
porter au mal, plulot que de s'exposer aux
supplices de Fenfer. — ^o Le sens. Chaque
mot a besoin d'etre inlerprete a part. Omnis
(a quisque, quivis » traduiraient plus correc-
tement le Tia; du texle grec) est une expres-
sion assez vague. Pour la delerniiner, on a
restreint parlois son application aux per-
sonnes designees par « eorum » dans les
VV. 43, 45 el 47, c'est-a-dire aux damnes
(Jansenius,Rosenmuller, Meyer, Schegg, etc.).
Selon d'autres, elle indiquerail au moins tous
les chreliens (Klostermann, etc.). La plupart
des exegetes laissenl a « omnis » sa signifi-
cation la plus generale, la plus absolue :
Chacun sans exception, tous les hommes.
Nous preferons la premiere de ces interpre-
tations.— Igne. De quel feu s'agil-il? Du feu
de I'enfer, donl Jesus a recemment parle? ou
d'un feu metaphorique, qui syniboliserait la
mortification, le retrancheraent spiriluel? Du
feu de I'enfer, croyons-nous, puisque tel
a ete le sens du mot « ignis » dant tout le
passage qui precede, et que rien ne necessite
un cliangement. — Salietur. On a souvent
fait ressorlir les proprietes communes du sel
et du feu. « Salis nalura est per se ignea »,
disail deja Pline TAncien, Hist. Nat. xxxi.
Le sel penelre a travers les corps comme une
fiamme subtile; le feu mord a la fagon du sel.
Neanmoins les effets produits par ces deux
agents different notablement, car le feu de-
vore et delruil, tandis que le sel fixe et con-
serve. Mais c'est precisemenl sur eel te seconds
idee que le Sauveur voulail appuyer ici. II
venait de mentionner les flammes eternelles
qui tortureront les damnes dans I'enfer; il
explique en passant comment ces malheu-
reux bruleronl toujours, sans etre consumes.
Le feu infernal aura pour eux la nature du
sel et les rendra incorruptibles. « Igne quasi
salietur, id est igne uretur seu cruciabilur,
simul et servabiiur incorruptus. » Luc de
Bruges. De meme Jansenius, Corn, de La-
pierre, Lighlfool, Patrizi, etc. Nous ne pen-
sons pas que le verbe « salietur » ait en cet
endroit le sens de « purifier », que lui atlri-
buent divers exegetes. — Et omnis victima...
Tout ce second hemistiche est omis par les
manuscritsB,L, A, Sinail. et quelques minus-
cules; mais son authenticite n'est pas dou-
teuse, car elle a d'innombrables temoins
pour garants. La pariicule « et » correspon-
drait-elle ace que les grammairiens appellent
le c< Vav (i) exeequaiionis » ou faui-il la
prendre dans son acceplion sli icle? Dans le
premier cas, elleserait synonyme de«sicut)),
el, consequemment, il y'aurail un rapport de
dependance entre la seconde et la premiere
moilie de notre verset, sous forme de com-
paraison; dans I'autre hypolhese, les deux
hemistiches seraient simplement coordonnes
I'un a I'autre, et Jesus enoncerait une nou-
velle pensee par maniere de contrasle. Bien
que le premier sentiment soil adople par des
exegetes de renom (Maldonat par exemple),
nous aurions de la peine a le suivre, car il
nous parait inconciliable avec I'emploi du
fulur sale salietur. La comparaison, pour
Sire exacte, exigerait que le verbe fiit au
present : « Omnis igne salietur, sicut omnis
vicliraa sale salitur. » II est certain du
moins que, dans les derniers mots du t. 48,
Jesus-Christ fait allusion a une antique or-
donnance relative aux sacrifices levitiques.
« Quidquid obluleris sacrificii, sale condies,
nee auferes sal foederis Dei lui de sacrificio
tuo ; in omni oblalione tua offeres sal ». Levit.
II, 13; Cfr. Ezech. XLiii, 24. Sans les quel-
ques pincees de sel qui leur servaient pour
ainsi dire de condiment, les sacrifices, quels
qu'ils fussent. auraient done ete insuppor-
Hi
fiVANGILE SELON S. MARC
49. Le sel est bon; mais, si le sel
est affadi, avec quoi I'assaisonne-
rez-vous? Ayez du sel en vous, et
avez la paix entre vous.
49. BoDum est sal : quod si sal in-
sulsum fuerit,in quo illud condietis?
Habete in vobis sal,et pacem habete
inter vos.
ilatth.5,i3iLue.U,U.
CHAPITRE X
Jesus va dans la province de Peree [t. Ij. — II proclame rindissoliibilite du mariage chr^
lien {tt. 2-12). — li benit les peiits enfants [tlr. 13-16). — Episode du jeune homme
riche (tt. 17-22). — Les richesses et le royaume des cieux (tt. 23-27). — Recompenses
promises a ceux qui renoncent a lout pour Jesus [tt. 28-31). — Troisieme prediction de
la Passion (tt. 32-34). — Ambition des Qls de Zebedee (tt. 35-45). — L'aveuglede Jericho
[tt. 46-52).
1 . Partant de la, il vint aux con-
fins de la Judee, au-dela du Jour-
1 . Et inde exurgens venit in fines
Judsese ultra Jordanem : et conve-
tables a Jehova : grSce a elles, iis lui deve-
naient agreables. De la, pour Texpression
« sale salielur », le sens melaphorique de
« trouver grcice aupres de Dieu ». Quant aux
viclimes dont Jesus veut parler ici. et au
sujet desquelies il affirme qu'elles seront sa-
lees avec du sel, par opposition aux malheu-
reux damnes qui seront sales dans le leu, ce
sont, d'apres le contexle, les Chretiens gene-
reux qui n'hesilent pas a faire les rudes sa-
crifices recommandes plus haul, tt- 42, 44
el 46. La sentence enigmalique du Sauveur
reviendrait done aux deux phrases suivantes:
« Unusquisque damnalorum ipso igne salie-
tur, ita ut inconsumplibilis fiat; at is qui
vera est Deo viclima, condielur sale gralioe
ad incorruptionem glorige. » Lighlfoot. Voir
dans le commenlaire de M. Schegg, t. II,
pp. 33-37, une brillante defense de celte in-
terpretation. D'apres une autre explication,
qui a ele frequemment adoptee, voici quel
serait le sens general de ce verset : Pour
I'humanite coupable el degeneree il est une
loi que chaciin de ses membres doit subir :
il faut qu'ils passeiit tons par le feu. Mais
mieux vaut passer par le feu du sacrifice vo-
lontaire que par les flammes elernelies de
I'enfer. Fritzsche et Meyer citent une longue
nomenclature d'autres opinions plus ou moins
acceplables.
49. — Bonum est sal. Ce sel mystique,
dont le Sauveur vient de signaler I'heureux
effel, est excellent sans doute, lout au?si bien
que le sel nalurel.Mais s'il devien t insu/sttm,
lilleralement, « sans sel », c'est-a-dire fade
et sans saveur, sa verlu a disparu lout en-
ti^re, et on ne saurait trouver de condiment
capable de la lui rendre. Cfr. Mallh v, 13;
Luc. XIV, 34, oil Ton trouve la meme idee
avec une nuance. Done, ajoute Notre-Sei-
gneur Jesus-Christ s'adressanl a ses Apotres,
habete in vobis sal, ayez-en loujours une abon-
danle provision dans vos cceurs; laissez agir
sa force en vous, sans lui permeltre de jamais
s'afTadir. — Puis, le divin Maiire, revenant
au fait qui avail servi de point do depart a
I'entretien, tt. 32 et 33, conclut par celte
exhortation pressanle Pacem habete inter
vos; plus energiquement en grec : eipyiveueTc
ev d),).-/i),ot;. Celte parole finale etait d'aulant
plus expressive que, dans I'Oricnt ancien et
moderne, le sel, sur leqiiel avail roule la der-
niere parlie de rallocution, a tonjours ete
regarde comme un symbole de paix et d'al-
liaiice. Cfr. Num. xvin,19;II Paral. xiii.5;
liisping, das Evang. nach Maikus, 2e edit.,
p. 78. — Notre Evangolisle termine par ce
c:rave discours le sejour de Jesus en Galilee.
II passe sous silence, plusieurs paraboles et
sentences pleines d'interet rapportees par
S. Matthieu, xviii, 10-3o.
3* SECTION. — JE8DS EN PEREE ET SUH LE CBBIIIII
DE JERUSALEM. X, 1-52.
1. — Le Ghristianisme et la famllle. x, 1-16.
Le sejour de Notre-Seigneur Jesus-Christ
dans la province de Peree tut marque par de
graves instructions, donl la premiere, rela-
tive a la famille dans le Chrislianisme, se
subdivise en deux parties : 1o le mariage
Chretien, 2° les petits enfants.
CHAPITRE X
US
niunt iterum turbse ad eum; et sicut
consueverat, iterum docebat illos.
Mattfi. 19, i.
2. Et accedentes Pharissei interro-
gabant eum : Si licet viro uxorem
dimittere? tentantes eum,
3. At ille respondens, dixit eis :
Quid vobis praecepit Moyses?
4. Qui dixerunt : Moyses permisit
libellum repudii scribere, et dimit-
tere.
Deut. 24, 1.
dain, et la foule s'assembla de nou-
veau autour de lui, et, selon sa cou-
tume, il les instruisait de nouveau.
2. Et les Pharisiens, s'avancant, lui
demanderent pour le tenter : Est-il
permis a un homme de renvoyer sa
femme?
3. Et il leur repondit : Que vous
a ordonne Moise ?
4. lis dirent : Moise a permis d'e-
crire un libelle de repudiation et de
la renvoyer.
a. Le manage chr^tien, x, 1-12. — Parall.
Matth. XIX, 1-12.
Chap. x. — 1. — Ce verset decrit brieve-
ment I'arrivee dii Sauveur en Peree et I'ex-
cellenl accueil qu'il y reQut. — Inde exur-
gens. « Inde », c'est-a-dire de Capharnaiim,
d'apres ix, 42. Jesus quiltait alors probable-
ment la Galilee d'une maniere definitive. —
Venit in fines Judceoe. Ces mots indiquent le
terme du voyage : le divin Maitre se propo-
sait de gagner la Judee et Jerusalem. Cfr.
■*■. 22. Toutefois, au lieu de s'y rendre h
travers la Samarie, il prit le chemin de la
Peree, ultra Jordanem; ou mieux, d'apres la
Recepta grecque, 6ia xoO uepav xoO 'lopSavou,
« per regionem trans Jordanem » ; ou encore,
suivant une variante fortement ftppuyee, xai
itEpav Tou 'lopSavou, « et trans Jordanem ».
Celte derniere leQon mentionnerait un double
buldu voyage, le but final qui elait la Judee,
le but accessoire qui elait de sejourner quel-
que temps en Peree. — Conveniunt iterum
turbce. Cfr. ix, 24. Le narraleur passe sous
silence la premiere paitie du voyage. II nous
monlre immedialement Jesus a I'ceuvre sur
un nouveau terrain, oii sa reputation I'avait
d'ailleurs devance dcpuis longtemps. Cfr. in,
7 et 8. — Sicut consueverat, docebat. S. Marc
mentionne seul cetlc parlicularite. Le celeste
Docleur, apres avoir suspendu pour un temps
son enseignement public, Cfr. ix, 29, reprit
pour ce bon peuple le cours de ses leQons,
prenant soin de les corroborer, comme I'ob-
serve S. Malthieu, xix, 2, par de nombreux
miracles.
2. -T- Accedentes Phariscei. « lis s'appro-
chent et ne le quittent point, pour que les
foules ne puissenl pas s'atlacher a sa foi ; et,
en venanl continuelloment vers lui, ils s'effor-
cent de jeter le doute sur sa personne et de
le couvrir de confusion par leurs questions.
Cello qu'ils lui proposent ici s'ouvre sur un
precipice des deux coles ; elle est posee do
telle sorto qu'ils puissent, quelle que soil sa
S. Bible. S.
reponse, I'accuser de se montrer en contra-
diction avec Moise. Mais le Christ, qui est la
sagesse meme, leur fait une reponse qui
echappe a leurs filets ». Theophylacte. — Si
licet pour « Licet-ne » ? — Dimittere, auo-
XOorat. Le contexte prouve que les Pharisiens
n'entendaient point parler d'une simple sepa-
ration « quoad torum et mensam », qui du
reste elait inconnue des Juifs, mais d'un di-
vorce proprement dit, aulorisant un nouveau
mariage. lis ajoulerenl, d'apres S. Malthieu,
« quacumque ex causa »; paroles insidieuses
que S. Marc a omises parce qu'elles faisaient
allusion a des controverses toute judaiques,
que ses lecleurs d'origine paienne auraient
difficilemenlcomprises. Voyez rEvangileseloa
S. Matth. pp. 368 et 369.
3. — At xllc respondens. La re'ponse du
Sauveur, bien qu'elle soil la meme dans les
deux synopliques, n'est pas tout a fait pre-
sentee par eux de la meme maniere. Suivant
le recit du premier Evangile, Jesus aurait
considere le mariage d'abord dans le paradis
lerreslre, puis dans la legislation mosaique.
Cet ordre est renverse dans I'expose de
S. Marc. Nous avons deja signale une inter-
version semblable a propos de la discussion
sur le pur et I'impur, vii, 6 et ss. — PrcBce-
pii, scil. « de divortio ».
4. — Moyses permisit. La construction pri-
milive du lexle grec ful, selon toule vrai-
semblance, iTiix^fi^z Mwovii;, avec le verbe mis
en avant d'une maniere emphatique. Les
Pharisiens s'exprimonl ici avec une parfaile
exactitude. « Permisit » : en effel, le divorce
n'est nulle part commande dans la Loi, il est
simplemenl permis et tolere. Voir une nuance
dans S. 3Iallhieu, xix, 7 ct 8. — Libellum
repudii. Cfr. Deut. xxiv, 1-4. On nommait
ainsi, en hebreu ninn3 120, la piece offi-
cielle, ecrile devant temoins, qui servait a
regulariser les divorces chez les Juifs. Voyez
noire commenlaire sur S. Malthieu., p. 117.
— Et dimittere, sous-entendu « uxorem ».
Marc. — 10
446
fiVANGILE SELON S. MARc
5. Jesus leiir repondit : G'est a
cause de la durete de votre coeur
qu'il vous a ecrit ce precepte.
6. Mais, au commencement de la
creation, Dieu les crea male et fe-
melle.
7. G'est pourquoi I'homme lais-
sera son pere et sa mere et s'atta-
chera a sa femme ;
8. Et ils seront deux en une seule
chair; ainsi, ils ne sont plus deux,
mais une seule chair.
9. Done, ce que Dieu a uni, que
I'homme ne le separe point.
10. Et, dans la maison, ses dis-
5. Quibus respondens Jesus, ait :
Ad duritiam cordis vestri scripsit
vobis prseceptum istud. i
6. Ab initio autem creaturse, mas-
culum et feminam fecit eos Deus.
Genes. !, 27.
7. Propter hoc relinquet homo pa-
trem suum, et matrem, et adhaere-
bit ad uxorem suam :
Gen. 2, 24; Match. 19, 5; I Cor. 7, 10; Ephes. 5, 31.
8. Et erunt duo in carne una. Ita-
que jam non sunt duo, sed una caro.
I Cor. 6, 16.
9. Quod ergo Deus conjunxit,
homo non separet.
10. Et in dome iterum discipuli
Pauvres femmes, qui etaient ainsi a la merci
du caprice des hommes!
5. — Les Pharisiens ont pretendu dirimer
la question par Taulorite de Moise : dans une
vigoureuseuse riposte, tt. 5-9, Jesus en
appelle a I'autorite de Dieu lui-meme. Son
argumentation est presentee par S. Marc avec
une grande ciarte : il en ressort nettement
qu'en loule hypothese le mariage cliretien
est indissoluble. — Ad duritiam cordis vestri...
Replique de Notre-S.^igneur a I'allegation du
nom de Moise. L'autorisalion accordee par
ce grand Legislateur ne roposait pas sur un
droit primitif; c'etait une simple tolerance
accordee pour un temps a la faiblcssehumaine.
La preposition « ad » (irpo?) signifle : a cause
de, en raison de. Le substantif (7x).r]poy.ap5i*
( « duritia cordis » de la Vulgate) traduit a
plusieurs repri ses dans la version des LXX
la locution nS nSiy, dont le sens litteral
est « peau du coeur ». Cfr. Deut. x, 16; Je-
rem. iv, 4. G'est la une figure tres expres-
sive, le coeur etant cense enveloppe dans une
peau epaisse qui lui enleve toute sensibilite.
— Voir, sur cetle premiere partie de la re-
plique du Sauveur, un beau laisonnement de
S. Augustin, contr. Faust., lib. XIX, c. xxvi.
b. — Jesus passe a la vraie preuve de sa
these. Elle consiste en un fait biblique re-
montant jusqu'a I'apparition de Ihomme sur
la terre, et demontrant de la fagon la plus
nette que la monogamie absohie elait dans
les plans du Greateur. — Creaturw (xxiaswi;)
a le sens de « creationis ». — Deus est pro-
bablement un glosseme, car ce mot manque
dans les plus anciens manuscrits. Le sujet
serait alors 6 xxti-r-^; sous-entendu.
7. — Jesus continue de ramener ses adver-
sairesalaloi primordiale du mariage. — Pro-
ffer hoc : c'est-a-dire, vu les conditions dans
lesquelles Dieu a cree les premiers humains,
parce qu'il les a crees « masculum el femi-
nam », ainsi que nous lisions au precedent
verset. — Relinquet homo... Dans la Genese,
IF, 24, ces paroles sont prononcees par Adam ;
S. Matlhieu, xix, 4, les altribue au Dieu
Greateur; S. Marc a Notre-Seigneur Jesus-
Christ. Ce sont la trois nuances egalement
exactes. Adam parlail coinme un prophele
inspire de Dieu, le Christ comme une per-
sonne divine.
8 et 9. — Duo in carne una. Dans le
grec, oi S'jo (avec Tarticle) eU oapy.a [itav (in
carnem unam). Ceux qui avaient ete deux
avant le mariage ne formeront desormais
plus qu'une seule et meme chair. — Itaque
jam non sunt duo... De I'argumenlation qui
precede, Jesus est en droit de conclure que
le lien du mariage est le plus etroit de tons
les liens. U n'unit pas trois ou quatre etres,
ou davantage, mais deux seulement, qui
s'harmonisent, se completent et se sufEsent.
G'est aussi, ajoute-t-il, le lien le plus indisso-
luble : Quod Deus conjunxit... Que Thomme
n'aille done point porter une main sacrilege
sur une institution toule divine! Entre les
mots Dieu et homme il existe une frappante
antiihese : le Greateur et la creature, le
Maiire tout-puissant et I'humble serviteur.
Comment Thomme oserait-il essayer de ren-
verser un etat de choses voulu par Dieu?
Ainsi done, dans le royaume messianique,
dans FEglise chretienne, le mariage est ra-
mene par Jesus a sa perfection primitive ; le
divorce y est supprime « quacumque ex cau-
sa » ; la femme est relevee, ennoblie. — Voir
dans I'Evangile selon S. Matlhieu, pp. 369
et ss., une explication detaillee de ce passage.
]Q. — Et in domo iterum. Detail propre a
S. Marc. La scene qui precede avail ele pu-
CHAPITRE X
ejus de eodem interrogaverunt eum
4 47
11. Et ait illis : Quicumque dimi-
serit uxorem suam, et aliam duxe-
rit, adulterium committit super earn.
12. Et si uxor dimiserit virum
suum, et alii nupserit, moechatur.
ciples I'interrogerent encore sur le
meme sujet.
1 1 . Et il leur dit : Quiconque ren-
voie sa femme et en epouse une
autre, commet un adultere a I'egard
de celle-la.
1 2. Et si une femme quitte son
mari et en epouse un autre , elle
commet Tadultere.
blique : en voici une autre tout intime, qui
se passe entre le Mailre el ses disciples, dans
la maison qui leur servait alors de residence
temporaire. Plusieurs fois deja notre Evan-
geliste a mentionne des entretiens confiden-
tiels de Jesus avec les siens sur des points
importants de la morale chrelienne. Cfr.
IX, 28 et 29; 33-37. C'est a quoi semble
I'aire allusion I'adverbe « iterum ». — De
eodem. Sur le point litigieux qui avait ete
Tobjet de la discussion du Sauveur avec les
Pharisiens.
W. — Et ait. Interroge par les Apotres,
Jesus se borns a reproduire sa decision anle-
rieure sous une forme nouvelle et plus ener-
gique. — Quicumque dviiiserit... S. Maic, de
meme que S. Luc, omet la fameuse clause
« nisi ob fornicationem », que nous avons
renconiree dans le premier Evangile (v, 32;
XIX, 9j et dont le protestantisme a si souvent
abuse. Cetle omission prouve que le langage
du Sauveur, meme tel qu'on le lit dans
S. Mallhieu, doit s'enlendre d'une maniere
absolue. Autrement, comment expliquer I'ou-
bli (i'une restriction si importante? — Adul-
teyium committit super earn. Le pronom de-
signe-t-il la femme legitime, injustement
renvoyee, uxorem suam, ou bien la personne
a laquelle on se sera uni par des liens crimi-
nels, aliam? Les exegetes sont parlages a ce
sujet. La premiere opinion nous parail plus
probable. Quoi qu'il en soit, I'union contractee
dans les circonstances indiquees par Jesus
n'est pas un mariage ; le divin Mailre lui
iiiflige le nom infamant d'adultere.
12. — Et si una... C'est la reciproque du
verset 11. Mais il est a noter que S. Matlhieu
ne dil rlen de semblable. Bien que, d'apres
son Evangile, Nolre-Seigneur Jesus-Christ
ait signale jusqu'a neuf reprises le cas d'un
mari qui divorce avec sa femme, nulle part
nous ne le voyons supposer qu'une femme
puisse congedier son mari. Dans le passage
parallele a celui que nous expliquons, Matth.
XIX, 9, on lii simplement : « El qui dimissam
duxerit,m(Echalur. » C'est qu\ chez les Juifs,
le droit du divorce n'exisiait que pour les
hommes; la coutume, d'accord en cela avec
le texte de la loi, n'accordait aucune initia-
tive aux femmes sous ce rapport. Cfr. Jos.
Ant. XV, 7, 16. Or S. Malthieu ecrivait spe-
cialement pour des Juifs. Au contraire, les
parens convertis (Grecs et surlout Romains)
auxquels etait destine le second Evangile
reconnaissaientaux femmes aussi bien qu'aux
hommes la faculte d'intenter des proces en
separation de corps et de biens (voyez a ce
sujet I'interessante dissertation de Danz,
Uxor marilum repudians, ap. Meuschen, Nov.
Testam. ex Talmude illustratum, pp. 680
et ss.), et nous savons qu'elles en usaient
avec une liberie presqup effienee, a tel point
que Senequereprochait a ses contemporaines
« de compter les annees, non plus par les
consuls, mais par le nombre des maris quVlIes
avaient eus. » De Benef. in, 16. Cfr. Martial:
VI, 7. De la cetle parlicularile de S. Marc.
Esl-ce a dire toutefois qu'il ait de lui-meme
modifie les paroles du Sauveur, afin de leur
donner plus d'a-propos aupres de ses lecteurs ?
Divers auteurs I'ont pense; mais il nous re-
pugne de croire que les Evangelistes aient
pris de telles liberies. D'ailleurs, pourquoi
Jesus, qui ne pensait pas moins aux abus du
paganisme qu'a ceux du Judai'sme, n'aurait-
il pas prononce k la suite les unesdes autres
les trois sentences que nous lisons dans les
deux recits reunis? Seulement, S. Mallhieu
aura laisse la troisieme, qui n'avait pasd'ap-
plication chez ses lecteurs : S. Marc i'a citee
parce qu'elle n'en avait que trop chez les
sions ; mais en meme temps il omet la seconds
qui est implicitement contenue dans la pre-
miere. De cetle maniere, tous les coupables,
et Ton n'en conQoit preciseraent que de trois
sortes, auroni ele anathematises par Jesus :
1o le mari qui contracte une nouvelle union
sous pretexte de divorce; 2° la femme qui se
reraarie dans les memes conditions; 3° qui-
conque s'arrogerait le droit d'epouser I'un des
conjoints. — S. Jerome, Epist. xxx, cite un
resultat heureux, quoique isole, dj la loi nou-
velle que proraulguait Notre-Seigneur : « Fa-
biola, nobilis matrona, banc Chrisii legem
secuta. publicam Romae poenitenliam egit
quod, dimisso viro adullero, alteri nupsisset. »
U8
fiVANGILE SELON S. MARC
13. Et offerebant illi parvulos ut
tangeret illos. Discipuli autem com-
minabantur offerentibus.
14. Quos cum videret Jesus, in-
digne tulit, et ait illis : Sinite par-
vulos venire ad me, et ne prohibae-
ritis eos : talium enim est regnum
Dei.
15. Amen dico vobis : Quisquis
non receperit regnum Dei velut par-
vulus, non intrabit in illud.
16. Et complexans eos, et impo-
nens manus super illos, benedicebat
eos.
13. Eton lui presentait de petits
enfants pour qu'il les touchat. Mais
les disciples menacaient ceux qui
les presentaient.
14. Jesus,enles voyant, s'indigna
et leur dit : Laissez les petits en-
fants venir amoi et ne les empechez
pas ; car le royaume de Dieu est a
ceux qui leur ressemblent.
lo. En verite je vous le dis : Qui-
conque ne recevra pas le royaume
de Dieu comme un enfant, n'y en-
trera pas.
16. Et, les embrassant et leur
imposant les mains, il les benissait.
b. Les enfnnts. x, 13-16. — Parall. Matth.
XIX, 13-15; Luc. xviir, 15-17.
13. — Offerebant illi parvulos. « Apres
nous avoir inoiilre plus haul la malice des
Pharisiens qui tendaient des embuches au
Sauveur, TEvangelisle nous fait voir la foi do
peuple, qui croyait que, par la seule imposi-
tion de ses mains, Jesus porterait boiiheur
aux enfants. » Theophylacte. — Ut tangeret
illos. De meme S. Luc' Les expressions em-
ployees par S. Matlhieu, « ul manus eis im-
ponerel eL oraret », supposent une benedic-
tion propiement dite. Que le pretre enseigne
aux tuples chreliennes a imiter Texemple de
ces n;iies juives, et a conduire leurs petits
enfant-: a Jesus! Mieux encore, qu'il use de
son influence pour les conduire lui-meme au
Sauveur! — Discipuli comminabantur. Peut-
etre les A;i6tresetaient-ilschoques d'avoirete
deranges au milieu del'entrelien si important
qu'ils ava'/.>nt en ce mom-^nt avec leur Maitre;
ou dii luouis ils croyaient, en agissant ainsi,
sauvegarder la dignite de Notre-Seigneur.
14. — Jesus indigne tulit. Trait propre a
S. Marc. Le verbe grec ^,Yavay.-r;ff£, de iyav
et ax-o;, extremeraent affecte, suppose une
vive emotion, un profond mecontentement.
Jesus eprouva done une sorte d'indignation
quand il vit ses disciples trailer avec rudesse
les petits enfants et leurs meres. — Sinite
parvulos... Ravissante parole, que le catho-
licisme a si bien comprise ! La conjonction et
est probablemenl apocryplie. Sans elle, le
langage est plus rapide', I'antitbese mieux
marquee, conformement au genre deS.Marc,
— Talium enim est... Le royaume des cieux
est pour ainsi dire la propriete des enfants, et
non-seulementdes enfants, mais de tous ceux
qui leur ressemblent par les dispositions mo-
rales.
13. — Jesus commente dans ce verset la
derniere partie du precedent : « Talium
enim... « Gette profonde pensee, « quiconque
n^ reQoit pas le royaume de Dieu comme un
petit enfant n'y entrera point », avait deja
ete prononcee par le divin Maitre en une autre
circonstance, Matth. xviii, 3; il la rappelle
aux Douze, qui semblaient I'avoir oubliee. —
Receperit regnum Dei. Figure expressive. Le
royaume m^^ssianique y est decrit comme un
objet qui arrive au-devant de nous, qui se
presente a nous pour que nous le recevions.
Et quel devra etre notre accueil?Les mots
sicut parvulus nous le disent. II faudra qu'il
soit accompagne de la foi, de la simplicite,
de I'humilite, de I'innocence qui briUent dans
les petits enfants. Voyez Joan, iii, 3, ou Jesus
insistesurla necessile d'une nouvelle nais-
sancepourquiconque veut meriterle royaume
des cieux. — Non intrabit in illud. L image
cliange brusquement, d'une maniere assez
etrange. On « entre » dans le royaume q'u'oa
avait auparavant « reQu ». Mais I'idee reste
claire, quoique la forme soit tout orientals.
16. — Voici un touchant tableau, d mt.
nous devons a H. Marc les deux plus beaux
details. — Complexans eos, evaY/.a/icjaixEvo?.
Deux fois seulement il est fait mention des
caresses de Jesus, et ce sont toujours des
enfants qui les reQoivent, et c'est notre Evan-
gelisie qui les signale. Cfr. ix, 35. II man-
querait quelque chose a I'Evangile si ces
faits delicats n'eussent ete racontes. — 7m-
pouens manus super dlos. Ne dirait-on pag
que c'est ici I'ordination des petits enfants,
operee en vue du royaume des cieux?Le bon
Pasteur traite avec'la plus suave bonte les
agnelets de son Iroupeau! — Benedicebat. Le
texle grec flotle entre r,'Aoyz:. sO/,oyci et
xaTeOXo^et. Le present est plus piltoresque;
J
CHAPITRE X
U3
17. Et cum egressus esset in
viam, procurrens quidam genu flexo
ante eum, ro^abat eum : Magister
bone, quid faciam ut vitam aeternam
percipiam?
Matth. 19, 16; Luc. 18, 18.
18. Jesus autem dixit ei : Quid me
dicis bonum? Nemo bonus, nisi unus
Deus.
19. Prsecepta nosti : Ne adulteres,
Ne occidas, Ne fureris, Ne falsum
testimonium dixeris, Ne fraudem
feceris, Honora patrem tuum et ma-
trem.
Exod. 20, 13.
17. Et commeil s'en allait dansle
chemin, quelqu'un accourant, et
flechissant devant lui le genou, lui
demanda : Bon Maitre, que ferai-je
pour acquerir la vie eternelle?
18. Mais Jesus lui dit : Pourquoi
m'appelez-vousbon?Personne n'est
bon si ce n'est Dieu seul.
19. Vous connaissez les comman-
dements : Ne commets point d'adul-
tere, ne tue pas, ne derobe pas, ne
dis pas de faux temoignage, ne fais
point de fraude, honore ton pere et
ta mere.
le verbe compose a plus de force et marque
mieux la tendresse du Sauveur pour ses ai-
Tnables favoris.
2. — Le Christianlsme et les rlchesses.
X, 17-30.
Autre enseignement de la plus grande im-
portance. II so compose de deux leQons sue*
cessivement donnees sur un meme point. II
y eut d'abord la leQon des fails, 1it. 17-22,
puis la legon des paroles, tt. 23-31.
a. Legon des fails, x, 17-22. Parall. Matth.
XIX, 16-22; Luc. xviu, 18-22.
17. — Cum egressus esset: plus litterale-
meht, d'apres le grec, Tandis qu'il sortait,
au moment meme ou il se mettait en route.
Jesus quitlait alors la maison mentionnee
plus haul, t. 10, ou du moins I'endroit ou il
avail beni les petits enfanls. — Procurrens
quidam genuflexo. Si S. Marc laisse dans
I'ombre la condition de ce personnage. que
lo6 deux autres synoptiques onl mieux carac-
terisee (Cfr. Matth. xix, 20, « adolescens »;
Luc. xviic, 18, « princeps »), il decril tous
ses g'^stes de la fagon la plus piltoresque. II
nous le monlre d'abord courant au plus vile
pour atteindre Jesus, puis, quand il I'eut re-
joint, se prosternant a ses pieds corame on
faisail parfois devant les Rabbins les plus
veneres. Le premier acte prouvait le zele de
cejeune homme, I'ardeur de ses desirs ; le
second temoignait de sa profonde estime pour
le Sauveur. — Magister bone. Le suppliant
dut appuyer sur I'epilhete « bone », comme le
montie la reponse de Jesus. — Quid faciam...
jDesiieux d'acquerir la vie eternelle comme
un precieux heritage (x>,7]povo[i-^aw, percipiam),
et pressenlant que la justice vulgaire que lui
enseignaient les Docteurs juifs etait insuffi-
sante pour cela, il vient demander au Sau-
veur quelque oeuvre speciale, au moyen de
laquelle il pourra se fixer dans le port bien-
heureux du salul. « Je suis etonne de cet
homme, qui, au moment ou tous viennenl au
Seigneur pour des guerisons corporelles, lui
demande la vie eternelle! » Theophylacle.
18. — Quid me dicis bonum? Voyez une
variante dans S. Mattliieu, xix, 16 et 17. Le
jeune homme avail donne a Jesus le litre de
bon Maitre d'une maniere superficielle et par
simple deference : Jesus prend au contraire
I'adjectif ayaSo; dans le sens absolu, el il
assure qu'ainsi compris il ne saurait conve-
nir qu'a Dieu. Ainsi done, il ne recuse pas
I'epilhete qu'on lui adresse, il ne nie pas da-
vantage sa divinite, mais,se metlant au pomt
de vue de celui qui I'interrogeaiL, il repond
en tant que Fils de I'homme, essayant de le
condiiire doucement au bien ideal par celle
brusque transition. Cfr. S. August., contr.
Maxim., Ill, 23; S. Ambr. de Fide, ii, 1.
19. — Apres avoir fait subir au deman-
deur celle premiere epreuve, Jesus repond
directemenl a sa question. Mais ilsecontente
de le renvoyer aux dix commandemenls de
Dieu, prcecepta nosti. En effet, si Dieu seul
est bon, il ne doit y avoir qu'une seule chose
bonne el parfaite, qui consiste a accomplir
en tous points sa sainle volonle. La liste des
preceptes divins est plus complete dans la
redaction de S. Marc que dans les deux
autres Evangiles. Mais les mots ne fraudem
feceris (dans le grec, ^i.-^ omoG-epr.GXii], ajoutes
par lui, creent une cerlaine difficulte, car
Ton n'est pas bien siir de leur signiQcalion.
Serait-ce une repetition, sous une autre
forme, du cinquieme commandemenl, ne fu-
reris? Non, car airoa-repsw n'est pas un syno-
nyme de xkuxw. N'esl-ce pas une forniule
abregee, pour exprimer cette ordonnance
speciale .de la Loi : oOx ditodTepiQaen [Jiia96v
450
fiVANGILE SELON S. MARC
20. Mais il lui repondit : Maitre,
j'ai observe toutes ces choses des
majeunesse.
21. Or Jesus, Tayant regarde ,
Taima et lui dit : Une seule chose te
manque ; va, vends tout ce que tu
as et donne-le aux pauvres, et tu
auras un tresor dans le del; ensuite
viens, suis-moi.
22. Gontriste par cette parole, il
s'en alia chagrin, car il possedait de
grands biens.
20. At ille respondens, ait illi :
Magister, haec omnia observavi a ju-
ventute mea.
21. Jesus autem intuitus eum, di-
lexit eum, et dixit ei : Unum tibi
deest ; vade , quaecumque habes
vende, et da pauperibus, et habebis
thesaurum in coelo; et veni, sequere
me.
22. Qui contristatus in verbo, abiit
moerens : erat enim habens multas
possessiones.
TtEvriTo;, Deut. XXIV, 14? Meyer et d'autres
I'ont pt^n;-e, sans autre motif que la ressem-
blance exlerieure. Selon Bengel, Welslein,
Olshausen, de Wette, etc., Jesus aurait re-
sume par ces mots les deux derniers com-
mandemenls du Decalogue, Ex. xx, 17. Le
verbe anoaxepsw signifiant « priver » quel-
qu'un de ce qui lui appartient, nous prefe-
rons admetlre que le Sauveur i'empioie en
cet endroil pour recapituler les quatre pre-
ceples qu'il venait de mentionner, et dont la
violation supposait un tort d'un genre ou
d'un ailre cause au prochain.
20. — Magister. Cette fois, le jeune homme
n'ose plus dire Bon Mailre ; il a supprime
I'epithete. — Hcec omnia observavi. En te-
nant ce langage, il parlaiten toule sincerile,
comme ce vieux Rabbin qui, sur le point de
mourir, s'ecriait : Apportez le livre de la
Loi, et voyez s'il contient qnelque precepte
que je n'aie point observe! Neanmoins, il se
faisait illusion d'une certaine maniere. « II
avail bien garde les pratiques exterieures de
la loi, mais il n'en avait pas obsorve I'esprit. »
Dehaut, I'Evangile explique, oe edit. I. Ill,
p. 419. Aussi n'avait-il pas troiive la paix de
I'ame. C'est poiirquoi il demandait encore a
Jesus, d'apres S. Matthieu, xix, 20 : « Quid
adhuc mihi dee-fi* »
21. — Intuitus eum, dilexit eum. Deux
traitsadmirables, propresaS. Marc. 'E;j.6).£iJ>a?,
de £v et pXsr.w, regarder dedans, designe un
regard prolonge, scrutateur. Cfr. f. 27; Joan.
I, 36. 41, Luc. xxii, 61. 'HydTryiffev a ete fort
bien traduit par « dilexit » ; car il ne signifie
ni « amplexus est » (Origene), ni « benigne
affaius est » fGrotius, Kuinoel, Fritzsche), ni
« misertus est », d'apres I'analogie de I'he-
breu am. II faut lui laisser ici sa significa-
tion accoulumee d'aimer. Jesus, plongeant
done son divin regard jusqu'au fond du coeur
de ce bon jeune homme, y contempla de
nobles qualites, et il daigna concevoir pour
iui une viva affection. Touchant passage,
qui nous montre le Sauveur semblable a nous,
s'attachant a ce qui est aimable et pur. Quel
bonheur d'etre ainsi aime par Jesus! Toute-
fois, avant que le sceau fut mis a cette saints
amitie, il fallail que celui qui en etait I'objet
s'en montrat digne par sa generosite. De la
I'epreuve que lui impose aussilot Notre-Sei-
gneur. — Qucecumque habes vende... Allez,
vendez tout sans exception, et donnez aux
pauvres le prix que vous en aurez retire. —
Apres sequere me, la Recepta ajoiile : dpa;
Tov aT3.\)p6v, « sumpla cruce », mots inipur-
tants, qui conviennent parfaiteuienl a la si-
tuation et qui sont sans doule aulhentiques,
bien qu'ils manquent aussi dans quelques
anciens manuscriis (B, C, Sinait.).
22. — Contristatus in verbo, aTuyvdua; ini
TwXoyw Celt' parole du Maitre, si ardcm-
nient desiree, produisitunresultatdesaslreux,
que S. Marc decrit avec son energie accou-
tumee. Le verbe aTuyvd^w se dit en effet
d'un ciel qui s'assombrit, d'une nuit obscure.
Cfr. Sap. XVII, 5; Mallh. xvi, 3; Plin. Hist.
Nat. II, 6. II nous fait done assister a la
transformation quisemanifesia aussitol sur le
visage du jeune homme. Nous devons dire
pourtant que, selon d'autres auleurs, oTuyvdl^M
signifierait « etre effraye » (Hesychius tra-
duit edTJYEv par 7.aTeTt),dYvi . Cfr. Is. XLVii, 19 ;
Ezpch. XXVII, 35; xxviii, 19; Dan. ii, 11,
dans la version des LXX); dans ce cas, I'E-
vangeliste decrirait un effet moral et non un
jeu de physionomie. — Abiit moerens. Helas!
pour lui se realisait le celebre
Video meliora proboqae, deteriora sequor.
II y avait en lui deux tendances ; les biens
lemporels et les biens eternels le liraient en
sens contraires. 11 eut la lachete de sacriQer
I'amitie du Sauveur el ses desirs de perfec-
tion a I'altrait qui I'entrainait vers les ri-
chesses perissables. Dante stigmatise cette
conduite par le nom de « gran rifiuto ».
Quelques mois plus lard, nous verrons au
contraire a Jerusalem de nombreux chreliens
vendre d'eux-memes leurs biens et en appor-
CHAPITRE X
45t
23. Et circumspiciens Jesus, ait
discipulis suis : Quam difficile qui
pecunias liabent, in regnum Dei in-
Iroibunt!
24. Discipuli autem obstupesce-
bant in verbis ejus. At Jesus rursus
respondens ait illis : Filioli, quam
difficile est^ confidentes in pecuniis,
in regnum Dei introire !
2d. Facilius est camelum per fo-
ramen acus transire, quam divitem
intrare in regnum Dei.
26. Qui magis admirabantur, di-
centes ad semetipsos : Et quis potest
salvus fieri?
23. Et Jesus, regardant autour
de lui, dit a ses disciples : Gombien
difficilement ceux qui ont des ri-
chesses entreront dans le royaume
de Dieu !
24. Or ses disciples etaient stu- ^
pefaits de ses paroles. Mais Jesus, ^
parlant de nouveau, leur dit : Mes
petits enfants , qu'il est difficile a
ceux qui se confient dans les ri-
chesses d'entrer dans le royaume
de Dieu!
25. II est plus facile a un chameau
de passer par le trou d'une aiguille
qu'a un riche d'entrer dans le
royaume de Dieu.
*26. lis etaient encore plus eton-
nes, se disant Tun a I'autre : Et qui
pent etre sauve ?
t-^r le prix aux Apolres, pour mener ensuile
une vie toute degagee des preoccupations ter-
reslres. Cfr. Act. iv, 34-37.
b. La legon en paroles, x, 23-31. — Parall. Malth.
XIX, 23-30; Luc. xviii, 24-30.
23. — Circumspiciem Jesus. Trait special a
S. Marc. Jesus agit comme s'il voulait etudier
rimpression produite sur les Apolres par ce
facheux depart. 3Iai3 il est plus exact de dire
qu'il 89 proposait, par ce geste solennel,
d'ajouler a I'effet des paroles qu'il allait pro-
noncer. — Quam difficile... Le triste exeniple
dujeiine homme riche ne demonlraitque Irop
parfaitement la veritede celle grave sentence.
« Non toulefois, dit fort bien Theophylacte,
que les richesses soient mauvaises en elles-
memes ; ce sont ceux qui les possedent qui
sont mauvais ! » — Pecunias. Le mot grec
XpyjiiaTaserail mioux traduit par « divilias ».
De meme au verset suivant. — Par regnum
Dei, il faut entendre ici le ciel, ou le royaume
messianique atteindra sa bienheureuse etglo-
rieuse consommation.
24. — Discipuli obstupescebant. 'EQatiSoyvTo,
« attonili slupore percellebantur : unum de
verbis significantioribus quibus Marcus inter-
dum utitur. nPatrizi, in Marc. Comm. p. 136.
Cfr. I, 12, 13. II y avait de quoi etre vive-
ment t'rappe : Jesus ne paraissail-il pas exclure
formeliement du ciel toute une categoric
d'hommes, a cause de leur position sociale ?
— Jesus... respondens. C'est a ce sentiment
des Douze quo le Mailre repond. Modifiant sa
parole pour I'adoucir et en mieux marquer le
veritable sens, il ne dit plus : « Qui pecunias
habent », il dit : Confidentes in pecuniis, desi-
gnant ainsi non pas les riches en tant qu'ils
sont riches, mais les riches en tant qu'ils
mettent leur fin dans leurs richesses. II faut
noteraussi Tappellation de tendresse Filioli,
T£xvia (nous lisons ainsi d'apres plusieurs
manuscrits), par laquelle le Sauveur essaie
de calmer I'effroi qu'il venait de causer a ses
amis. — Tous les details contenus dans ce
verset appartiennent en propre a S. Marc.
25. — Facilius est camelum... Sur ce pro-
verbs oriental, voyez I'Evang. salon S. Mat-
thieu, p. 381. Nuus prenons la figure a la
lettre, sans vouloir des interpretations plus
ou moins ingenieuses, raais certainement
fausses, auxquelles on a recouru sous pretexts
de la rendre plus acceptable. Elle exprime
une impossibilite reelle. — Jesus venait d'a-
doucir sa pensee : il la renforce maintenanta
I'aide d'une image vigoureuse. II est si peu
de riches en effet qui ne mettent pas leur
confiance dans leurs richesses! C'est done a
bon droit que le S'^igneur semble desesperer
de jamais renconirer dans les hommes favo-
rises des biens de ce monde I'herolsme moral
que reclame le delachi^raent chretien. —
« L'oeil d'une aiguille, dit un proverbe persan,
est assez large pour deux amis; le monde
entier est trop etroit pour deux ennemis. »
C'est une image analogue pour exprimer une
idee toute differente.
26. — Qui magis admirabantur, irspiffawc
e$£7t)/n'J<TovTo . On conQoit sans peine ce sur-
croit d'elonnement et de frayeur apres les
dernieres paroles de Jesus. — Dicentes ad
semetipsos, upi; lauxous, les uns aux autres. —
<52
fiVANGILE SELON S. MARC
27. Et Jesus, les regardant, dit :
C'est impossible aux hommes, mais
non pas a Dieu ; car tout est possible
a Dieu.
28. Et Pierre commenca a lui
dire : Voici que nous avons tout
quitte, et nous vous avons suivi.
29. J^sus repondit : En verite je
vous le dis, personne ne quittera sa
maison, ou ses freres, ou ses soeurs,
ou son pere, ou sa mere, ou ses fils,
ou ses champs a cause de moi et
a cause de I'Evangile,
30. Sans recevoir maintenant, et
en ce temps meme, cent fois autant,
maisons , et freres , et soeurs , et
meres, et fils, et champs, avec des
27. Et intuens illos Jesus, ait :
Apud homines impossible est, sed
non apud Deum : omnia enim possi-
bilia sunt apud Deum.
28. Et coepit ei Petrus dicere :
Ecce nos dimisimus omnia, et secuti
sumus te.
Malth. 19, 27; Luc. 18,28.
29. Respondens Jesus, ait : Amen
dico vobis : Nemo est, qui reliquerit
domum, aut fratres, aut sorores, aut
patrem, aut matrem, aut filios, aut
agros propter me, et propter evan-
gelium,
30. Qui non accipiat centies tan-
tum, nunc in tempore hoc ; domos,
et fratres, et sorores, et matres, et
filios, et agros, cum persecutioni-
Et qiiis... Sur I'emploi de la conjonction xal
en lete d'une phrase interrogative, voyez
Winer, Grammat., p. 387. « Mais alors, mais
dans ce cas, qui poiirra bien elre saiive ? »
27. — Et intuens illos. Dans le grec, IilBH-
dia;, comme au t. 21 . C'est ie troisieme regard
ae Jesus nientionne dans I'lntervalle de quel-
ques lignes. Quelle vie et quel pittoresque
dans ce second Evangile! — Apud homines...
Le Sauveur, au moyen de cette distinction,
explique de quel genre d'impossibilite il a
voulu parler. S. Marc presente I'antilhese
avec plus de force que les deux autres sy-
noptiques. — Omnia enim possibilia. « Quod
non ila intelligendum est quasi cupidi et
superbi in regnum coelorum sint intraturi
cum cupiditate et superbia ; sed possibile est
Deo ut a cupiditate et superbia ad caritatem
ethumilitalem convertantur. » Theophyiacte.
Avec I'appoint des divins secours, tout de-
vient possible a I'homme de bonne volonte.
28. — Ecce nos reliquimus omnia, s'ecrie
tout a coup S. Pierre. Nous du moins, dit-il
avec emphase, nous ne sommes pas « confi-
dentes in divitiis. » La preuve, c'est que
nous avons tout laisse pour vous suivre. En
realile, les Apotres, sur un mot de Jesus,
avaient renonce a tout, et s'etaient mis gene-
reusement a sa suite. Deux points sur lesquels
ils avaient fait complelement le contraire du
pauvre jeune homme dont il etait question
naguere.
29. — Respondens Jems. Le bon Maitre
n'oublie pas les sacrifices qui ont ete fails
pour lui, et ilsaura dedommager leursauteurs
par de magnifiques recompenses. Le t. 29
aonne la liste des principaux objets qu'un
Chretien peut abandonner pour I'amour de
Jesus et de son Evangile; le t. 30 celle des
recompenses qui ieur seront distribuees soil
en ce monde, soit en I'autre. par la main du
Dieu remunerateur. Dans la Recepta grecque,
apres (xrixepa (matrem), on \\l ^ yuvatxa, « vel
uxorem », de memo que dans la redaction
de S. Matthieu. Les manuscrits B, D, A, Si-
nai't., etc., omeltent ces mots comme la Vul-
gate. — Et propter Evaiigelium est un trait
propre a noire Evaiigeliste. Notons en pas-
sant, a propos de I'expression eOayYeXtov, que
S. Matthieu et S. Marc sont seuls a I'em-
ployer, celui-la quatre fois, iv, 23; ix, 35;
XXIV, 14 ; XXVI, 13, celui-ci beaucoup plus
souvent: i^l, 14, 15; viii, 35 ;x, 29; xiii, 40;
XIV, 9; XVI. 15.
30. — Cenlies tantum, dxaTovrawXaffiova.
Ghiffre rond, pour designer a la fagon orien-
tale I'elendue et la richosse de la retribution
promise par Notro-Soigneur, — Nunc, in tem-
pore hoc. Meme des cette vie. Ces mots sont
emphatiques et propres a S. Marc. On ne
Irouve egalemenl que dans son recil la repe-
tition de la nomenclature domos et fratres, etc.
Cette nomenclature subit pourtant dans le
t. 30 de legeres modifications. Par exemple,
le substantif Yuvatxa?, « uxores », a ete omis
pour une raison de convenance facile a com-
prendre. « Patres » est de meme supprime,
on ignore pourquoi. Matres est au pluriel, et
justeraent; car si la nature ne nous donne
qu'une mere, la charite chretienne nous ett
fournit un grand nombre. — Un saint abbe,
dont Cassien nous a conserve les paroles,
Collat. XXIV, c. 26, admirait I'accomplisse-
ment de toutes ces promesses du Sauveur.
« Quod ita esse, disait-il a ses religieux, etiana
vestris experimentis probare poluistis, qui
CHAPITRE X
153
Lus, et in sseculo future vitam seter-
nam.
31. Multi autem erunt primi no-
vissimi, etnovissimi primi.
MalUi. 19, 30.
32. Erant aulem in via ascenden-
tes Jerosolymam : et prsecedebat
illos Jesus, et stupehant ; et sequen-
tes timebant. Et assumens iterum
persecutions, et, dans le siecle fu-
tur, la vie eternelle.
31. Mais beaucoup de premiers
seront les derniers et beaucoup de
derniers les premiers.
32. Or ils etaient en chemin et
montaient a Jerusalem. Jesus mar-
chait devant eux, et ils etaient
etonnes et ils le suivaient pleins de
singulis patribus matribusque ac domibus
derelictis, quamlibet mundi parlem fueritis
ingressi, patres, malres, fratresque innume-
ros, domos quoque et agros, servosque fide-
lissimos absque ullo sollicitudinis labore con-
quirilis, qui vos ul proprios dominos submisse
suscipiunt, ampleciunUir, fovent, venerantur
officiis. » El cetle realisation n'a pas seule-
ment lieu dans les communautes religieuses,
mais partout ou le vrai Christianisme est mis
en pratique. Ainsi done, Jesus annonce qu'il
dedommagera meine des ce monde,par loutes
sortes de graces et de consolations, des pri-
vations embrassees en son honneur. — Cum
persecutionibus. « S. Marc ajoute une chose
remarquable, qui n'a point ete exprimee par
les aulres Evangelistes. C'est qu'ils recevront
le centuple avec des persecutions. Est-ce
done que les perseculions font parlie des pro-
messes de Jesus-Christ, et des recompenses
qu'il promel a ses serviteurs?Oui sans doute.
Les persecutions, les peines, les travaux sont
la joie et le parlage des Chretiens; c'est le
gage assure de leur bonheur futur. Jesus-
Christ partage ses amis comme il s'est par-
tage lui-meme... Et ceux qui ont Tavanlage
d'etre a lui n'ont garde de se plaindre de leur
sort; ils I'estiment infiniment plus que si on
leur offrait tous les plaisirs du monde... II
n'appartient qu'aux vrais chretiens de souffi ir
volontiers les maux temporels dans I'espe-
ranee des biens eternels. Christianorum est
pati mala temporalia, et bona sperare sem-
piterna, dit S. Augustin. » D. Calmet. Les
ecritsdu Nouveau Tcslament sont remplis de
cette idee. Cfr. Matth. v, 11; Rom. v, 3;
II Cor. XII, 10; Philip, i, 29; II Thess. i, 4;
II Tim. Ill, 11 et 12; Hebr. xii, 6; Jae.
1, 2, 4 ; I Petr. i, 6, etc. — Et m sceculo fu-
turo, par opposition a « nunc in tempore hoc. »
Ces locutions sont mises en correlation, de
meme que les mois equivalents des Rabbins,
ntn Dbl7, cesiecle-ci, et><2n nbiy, le siecle
a venir.
31. — Multi autem... Dans I'Evangile selon
S. Matthieu, xix, 30-xx, 16 (voyez le com-
mentaire, pp. 384 et ss.), ce gnome enigma-
tique sert tout a la fois d'ouverlure et de
finale k une parabola qui le developpe et
I'explique. C'est un « caveant consules »
adresse aux Apotres et a tous les chretiens.
Meme apres les plus saints commencements,
meme apres avoir donne des preuves du plus
genereux devouement a la cause du Christ,
on peut s'arreter en chemin, comme le jeune
homme de notre Evangile, comme Judas;
tandis que les Madeleine et les Saul gagnent
les premieres couronnes et les premiers
tronesdu paradis.
3. — La Passion pr^dite pour la troisieme
fois. X, 32-34, — Parall. Matth. xx, 17-19; Luc.
xviii, 31-34.
32. — Erant autem in via. Plus haut, 1. 1 7,
I'Evangeliste nous raonlrait Notre-Seigneur
se dirigeant vers la route, « in viam » ; main-
tenanl, Jesus et les siens sont « in via ».
Quelle parfaite exactitude dans les details
lis plus minutieux ! — Ascendentes Jerosoly-
mam. Voyez, sur cette expression, I'Evangile
selon S. Matth., p. 391 . — Les mots suivanls,
et prcecedebat illos..., et stupebant., sont vrai-
ment dramaliques. Nous devons a S. Marc
ce magnifique tableau. A I'avant-scene on
aperQoit le divin Maitre, qui marche le pre-
mier, a quelque distance des siens. II sail
qu'il se dirige vers le Calvaire; mais c'est
pour cela meme qu'il se hale avec une sainte
impatience, <.'. faisanl voir, dit justement
Theophylacle, qu'il va au-devanl de sa Pas-
sion, el qu'il ne redoute pas d'endurer la
mort pour notre salut ». Ce trait esl done un
commenlaire plaslique de la parole : « Bap-
tismo habeo baplizari, et quomodo coarclor
usquedum perficiatur! » Luc. xii, 50. Der-
riere ce glorieux capitaine, qui choisil vail-
lamment le posie d'honneur, nous voyons la
troupe limide de ses soldais. « Stupebant »,
i9aiJL6oOvTo : ils etaient stufiefails de son cou-
rage. En effel, ils ne I'ignoraient pas d'apres
les scenes dont ils avaienl ete naguere te-
moins dans la capitale juive (Cfr. Joan,
vn, 11 et ss. ; viii, 59; ix, 1 et ss.), aller a
Jerusalem dans les circonstances presenles,
c'etait s'offrir libremenl a toute sorte de
dangers. Aussi esl-il ajoute que sequentes ft-
mebant. Ils redoulaienl pour lui et pour eux-
memes les consequences d'une pareille de-
454
fiVANGlLE SELON S. MARC
crainte. Et , prenant encore les
Douze, il commenca a leur dire ce
qui devait lui arriver.
33. Voila que nous montons a Je-
rusalem, et le Fils de rhomme sera
livre aux princes des pretres, aux
scribes et aux ancieus, et ils le con-
damneront a mort et le livreront aux
Gentils ;
34. Et ils se joueront de lui, ils
cracheront surlui, ils le flagelleront
et ils le tueront; et le troisieme jour
il ressuscitera.
3o. Alors Jacques et Jean, fils de
Zebedee, s'approcherent de lui, di-
sant : Maitre, nous voulons que tout
ce que nous vous demanderons vous
le fassiez pour nous.
36. Et il leur dit : Que voulez-
vous que je fasse pour vous?
duodecim, coepit illis dicere quae
essent ei eventura.
Luc. IS, 31.
33. Quia ecce ascendimus Jeroso-
lymam, et Filius hominis tradetur
principibus sacerdotum, et scribis,
et senioribus, et damnabunt eum
morte, et tradent eum gentibus :
34. Et illudent ei, et conspuent
eum, et flagellabunt eum, et interfi-
cient eum, et tertia die resurget.
33. Et accedunt ad eum Jacobus
et Joannes, filii Zebedsei, dicentes :
Magister, volumus ut quodcumque
petierimus, facias nobis.
Match. 20, 20.
36. At ille dixit eis : Quid vultis
ut faciam vobis?
marche. De la une sorte d'he>itation bien
naliirelle. Neanmoins, ils suivaienl leur di-
vin Maitre : ce n'est qu'a Gelhsemani que
leur coura£?e devait entieremenl faiblir pour
lui temp?. rj"apres la variante des manuscrils
B, C, L, r, Sin., oi 6s axo),ou9oOvT£; eqjooO'jvTo
(au lieu de xal dxo)>ou9ouvT£;...), il semblerait
que les disciples qui accompagnaienl Jesus
formassent en ce moment comme deux
groupes distincts I'un plus courageus, le sui-
vant de plus pres, I'autre tout a fait a I'ar-
riere, a moilie decide a I'abandonner. Mais
cette leQon n'est pas assez autorisee pour que
nous la preferions a celle de la Recepta. —
Assumens iterum duodecim. Le Sauveur s'ar-
rSte tout a coup pour rallier la troupe inti-
midee de ses Apotres. Les groupant aulour
de lui, « il se mil a leur predire ce qui devait
lui arriver. » C'etail pour la troisieme fois
qu'il entrait devant eux dans ces tristes de-
tails. La premidre prediction de ce genre
avait eu lieu apres la Confession de S.Pierre,
VIII, 31 ; la seconde, apres la Transfiguration,
IX, 30-32.
33 et 34. — Ecce ascendimus... Les, termes
3ela prophetic different a peine de ceux que
aous lisions dans S. Matthieu (voyez le com-
mentaire, p. 391 et s.). Seulemenl, notre
Evangeliste mi^ntionne d'un^' maniere com-
jlete les Chambres du Sanhedrin, principi-
bus sacerdotum, scribiSj senioribus; puis,
Jans reniimeration des humiliations que Je-
sus devait endurer avant sa mort, il signale
un detail special, et conspuent cum. En re-
vanche, S. Maltliiini precisait mieux la nature
du supplice final : « crucifigendum » au lieu
du vague interficient eum. — Toute la Pas •
sion est dans ces quelques lignes.
4. — Ambition des fils de Zeb6d6e. x, 33-45.
Parall. Mallh. xx, 20-28.
35. — Et accedunt ad eum. Surprenant
episode, surtout apres celte prediction si
claire de Jesus. S. Marc, dans la description
qu'il en fait, a plusieurs trails originaux.
Tout d'abord, son entree en scene differe de
celle du premier Evangile. Dans S. Matthieu,
c'eLait Salome qui se presenlait a Jesus ac-
compagnee de ses deux fils, et qui formulait
elle-meme leur etrange desir : ici, il n'est
quest'on que de Jacques et de Jean. C'est
done le recit de S. Matthieu qui est le plus
complet. — Volumus. Demande bien auda-
cieuse ; il est vrai que le esXotiev tva... du
texte grec peut se traduire par ie condition-
nei : Nous voudrions! — Quodcumque petie-
rimus facias. Les deux freres, n'osant pas
sans doute formuler directement leur desir,
essayent d'en obtenir I'accoraplissement en
se faisant tout d'abord octrcyer cette sorte
de blanc-seing universel.
36. — Quid vultis...? Jesus, bien qu'il pe-
netrat les secrets desseins de leur cceur, veut
que leur demande soit proferee ouvertemenl.
lis recevronl par la-meme une humiliation
salutaire, qui les preparera a mieux gouter
la legon qui viendra plus loin. — La cons-
truction de la phrase grecque est assez extra-
ordinaire dans certains manuscrits : xi ej)xxe
(jL£ 7toir,aw u|i.Tv; Griesbach el Lachmann adop-
tenl cette leQon.
37. — Da nobis ut... sedeamus. Le Sauveur,
CHAPITRE X
455
37. Et dixerunt : Da nobis ut unus
ad dexteram tuam. et alius ad sini-
stram tuam sedeamus in gloria tua.
38. Jesus autem ait eis : Nescitis
quid petatis; potestis bibere cali-
cem quern ego bibo, aut baptismo,
quo ego baptizor, baptizari ?
39. Atilli dixerunt ei : Possumus.
Jesus autem ait eis : Galicem qui-
dem, quem ego bibo, bibetis; et
baptismo, quo ego baptizor, bapti-
zabimini :
40. Sedere autem ad dexteram
meam, vel ad sinistram, non est
meum dare vobis, sed quibus para-
tum est.
41. Etaudientes decern coeperunt
indis:nari de Jacobo et Joanne.
37. lis dirent : Accordez-nous
d'etre assis Tun a votre droite ,
I'autre a votre gauche, dans votre
gloire.
38. Mais Jesus leur dit : Vous ne
savez ce que vous demandez. Pou-
vez-vous boire le calice que je bois,
ou etre baptises du bapteme dont je
suis baptise?
39. Et ils lui dirent : Nous lepou-
vons. Mais Jesus leur dit : Vous
boirez a la verite le calice que je
bois, et vous serez baptises du bap-
teme dont je suis baptise;
40. Toutefois, d'etre assis a ma
droite ou a ma gauche, il ne m'ap-
partient pas de vous I'accorder a
vous, mais a ceux a qui c'est re-
serve.
41. Et les dix autres, entendant
cela, commencerent a s'indigner
contre Jacques et Jean.
d'apres la redaction de S. Matlhieu, xix, 28,
avail promis aux Apolres, pen d'instants au-
paravant, qu'ils siegeraientunjourdansle ciel
sur douze irones glorieux. Ce ful sans doule
ceUe image qui enflamma I'ambition des fils
de Salome, el qui leur suggera la pensee de
demander pour eux-memes les trones silues
immedialement a gauche et a droite de celui
que Jesus occuperail, c'est-a-dire les deux
premieres places. — In gloria tua. Dans
S. Matlhieu, « in regno luo ». Ces deux ex-
pressions designent I'epoque a laquelle Notre-
Seigneur, apres avoir triomphe de ses enne-
mis,jouirail de sa puissance et de sa gloire,
selon lous les prejuges du Judalsme de ces
temps.
38. — Nescitis quid petatis. « C'est comma
si Jesus leur disait : Vous parlez d'honneur,
tandis que je vous entretiens de fatigues et
de combats. Ce n'est pas maintenanl le temps
des recompenses, mais celui du sacrifice, des
luttes et des perils. » S. Jean Chrys., Horn.
Lxvi in Matlh. — Potestis... Un prince n'eleve
personne au rang de premier ministre sans
s'etre assure de ses dispositions, sans exiger
delui un devouement special, sans avoir mis
ses forces et son courage a I'epreuve. De la
cette question de Jesus. — Bibere calicem,
baptismo baplizari : figures energiques, pour
designer la Passion du Sauveur. La seconde
est ici une particularile de S. Marc. Elles appa-
raissent du reste en plusieurs autres endroits
dans les discours de Notre-Seigneur. Cfr.
XIV, 36; Luc. xii, 50; Joan, xvm, 11, etc.
Elles ont I'une et I'autre |leurs analogies dans
I'Ancien Testament. Comparez Ps. lvii, 2,
3, 16; cxxiii, 4, pour la melaphore du bap-
teme, el, pour celle du calice, les passages
cites dans I'Evang. selon S. Malth. p. 393. —
Quem ego bibo, quo ego baptizor. Le pronom
« ego » est emphalique, L'emploi du temps
present, qui releve si bien la proximite, la
certitude de la Passion, est propre aS. Marc.
39. — Possumus. Celle breve reponse, qui
dut etre prononcee avec un accent energique,
sorlait direclement du coeur des deux freres.
La suite de leur vie prouve combien ils etaient
sinceres en la pronongant. — Calicem qui-
dem... L'epreuve qu'ils se croienl capables
de soutenir, ils la soutiendront : ilsgouleront
I'amerlume du calice de Jesus, ils auronl part
a son baptSme de sang, en un mot, ils au-
ront beaucoup a souffrir pour leur Maitre.
Cela leur est accorde.
40. — Sedere auiem... Quant au reste, le
Sauveur les renvoie a son divin Pere, et a
ses decrets eternels. — Le pronom vobis n'a
pas d'equivalent dans le lexle grec. De la
cette traduction, qui est adoptee par plusieurs
interpretes: «Non est m?um dare nisi quibus
paralum est. » Sur le sens de ces paroles,
voyez S. Matlhieu, p. 393. Le P. Palrizi,
in Marc. Comment., p. 142, propose I'inter-
-version suivante, qui enleve tout semblant de
difficulte : « Est meum dare, non vobis, sed
quibus paratum est ».
1S6
EVANGILE SELON S. MARC
42. Mais Jesus, les appelant, leur
dit : Vous savez que ceux qu'on
voit gouverner les nations les do-
minent, et que leurs princes ont
^^ puissance sur elles.
' 43. II n*en est pas ainsi parmi
vous ; mais quiconque voudra deve-
nir le plus grand, sera votre servi-
teur.
44. Et quiconque voudra etre le
premier parmi vous, sera le servi-
teur de tous.
45. Gar le Fils de I'homme n'est
pas venu pour etre servi, mais pour
servir et donner sa vie pour la re-
demption d'un grand nombre.
42. Jesus autem vocans eos, ait
illis : Scitis quia hi, qui videntur
principari gentibus , dominantur
eis : et principes eorum potestatem
habent ipsorum.
L«c. 22, 25.
43. Non ita est autem in vobis,
sed quicumque voluerit fieri major,
erit vester minister :
44. Et quicumque voluerit in vo-
bis primus esse, erit omnium servus.
45. Nam et Filius hominis non ve-
nit ut ministraretur ei, sed ut mi-
nistraret, et daret animam suam
redemptionem pro multis.
i^ et 42. — Coeperunt indignari. S. Mat-
ihieu parail siipposer que Tindignation des
disciple? eclala completement, « indignali
sunt » ; S. Marc dit avec une nuance qu'elle
commengait ^eulement a se manifester, quand
Jesus la reprima en reunissant les Douze au-
tour de lui pour leur donner a tous une grave
legon. — Sciiisquia... Voyez I'Evangile selon
S. Mallh., p. 394 et s. Nous n'avons a noter
ici qu'une expression speciale a notre Evan-
geliste, qui videntur principari gentibus.
Pourquoice « videntur principari » (oi SoxoOv-
xecapxet^'^ 3u ''^u de « principantur » (oi
dpxovTE;], qui serait beaucoup plus ciair? De
nombreux auteurs pensent que SoxoOvxe; est
destine a exprimer quelque idee particuliere ;
raais il est assez difficile de dire laqueile. 11
existe a ce sujet plusieurs interpretations :
Ceux qui s'imaginent qu'ils gouvernent les
nations; Ceux qui s'arrogent le droit de gou-
verner...; Ceux qui paraissent gouverner...
(par opposition au gouvernement divin qui
est le seul veritable); Ceux qui sent reconnus
comme les gouvernements des nations (voyez
Winer, Grammat., p. 540); Ceux qui ont
i'honneur de gouverner... Les partisans de
cette derniere traduction s'appuient, entre
autres raisons, sur I'analogie qui existe entre
SoxEiv, les mots sanscrits « dag », briller,
« dagas », gloire, et les mots latins a decet,
decus, dignus », etc. Nous preferons, avec
D. Calmei et d'autres commentateurs, regar-
der le verbe Soxetv en cet endroit comme un
pur pleonasme, dont on trouve d'assez fre-
quents exemples soit dans le Nouveau Testa-
ment (voir en particulier ICor. xi,16;Matth.
in, 8; Luc. xxii, 24), soit chez les auteurs
profanes. Cfr. Rosenmiiller, Scholia in h. I.
43 et 44. — Non ita est in vobis. « Est »,
au temps present, est emphatique (les ma-
nuscrits B, D, Sinait. etc. corroborent cette
legon de la Vulgate; la Recepta emploie le
futur effxat). La regie imposee par Jesus en-
trait done immediatement en vigueur pour
les Douze, qui formaient un abrege del'Eglise
chrelienne. — Apres cette proposition gene-
rale, qui proscrit dans le royaume messia-
nique I'ambition et I'abus du pouvoir, le Sau-
veur developpe sa ppnsee au moyen de deux
propositions particulieres, qui correspondent
a celles du t.42.11 y a suivi un parallelisms
parfait dans I'expression. Remarquez la gra-
aation ascendante que ferment les mots major
el primus, minister elservus, vester et omnium,
accouples deux a deux. « I ergo tn, s'ecrio
S. Bernard meditant sur ces paroles de Jesus,
et tibi usurpare aude aut dominans apos-
latum, aut apostolicus dominatum. Plane ab
alterutro prohiberis. Si utrumque habere vis,
perdes utrumque... Forma apostolica haec
est : dominatio interdicitur, indicitur minis-
tratio ». De considerat., lib. II, c. vi, n. 10
etil.
45, — Nam et Filius hominis... « Ut dis-
cipuli id facerent quod eos hortatus erat,
Chrislus animos ipsis addidit, de se ea nar-
rans unde exemplum sumerent. » Patrizi. Le
Fils de I'homme qui, par sa nature, etait si
eleve au-dessus des autres hommes, a daigne
se faire le serviteur de tous. Ainsi done ses
disciples ne doivent pas hesiter a I'imiler. —
Animam suam redemptionem. L'homme de-
chu, esclave de Satan, « venumdatus sub
peccato », n'avait rien pour se racheler :
Jesus a donne sa vie en guise de rangonl
Telle est I'idee contenue dans la belle expres-
sion Wxpov du texte grec.
d
CHAPITRE X
457
46. Et veniunt Jericho, et profi-
ciscenle eo de Jericho, et discipulis
ejus, et plurima multitudine, tilius
Timaei, Bartimseus, ceecus, sedebat
juxla viam mendicans.
Matth. 20, 29; Luc. 18, 25,
47. Qui, cum audisset quia Jesus
Nazarenus est, ceepit clamare et di-
cere : Jesu, filii David, miserere
mei!
48. Et comminabantur ei multi ut
taceret. At ille multo magis clama-
bat : Fili David, miserere mei !
49. Et stans Jesus prsecepit ilium
vocari. Et vocant caecum, dicentes
46. lis vinrent ensuite a Jericho,
et, lorsqu'il partit de Jericho avec
ses disciples et une grande multi-
tude, le fils de Timee, Bartimee
I'aveugle, etait assis sur le bord du
chemin, mendiant.
47. Ayant entendu que c'etait
Jesus de Nazareth, il se mit a crier
et a dire : Jesus fils de David, ayez
pitie de moi.
48. Et plusieurs le menacaient
pourqu'il se ttit; mais il criait beau-
coup plus fort : Jesus, fils de David,
ayez pitie de moi.
49. Et Jesus, s'arretant, ordonna
qu'on Tappelat. Et on appela I'a-
5. — L'aveugle de J6rIcho. x, 46-52. — Parall.
Matth. XX, 29-34; Luc. xviii, 35-43.
46. — Veniunt Jericho. Quittant la Peree,
Jesus et les siens franchireni le Jourdain, puis
la plaine alors si fertile de Jericho : apres
quelques heures de marche, lis arrivaient
dans la ville du meme nom. Voyez le Bibel-
Allas de R. Riess. pi. IV; i'Atlas de geogra-
phie biblique de M. Ancessi, pi. XVI. C'etait
i'avant-derniere station de leur voyage. Je-
richo etait a cette epoque, soil pour la ri-
chesse, soit pour la population, la seconde
ville de Palestine. — Proficiscente eo... De
meme S. Matthieii; au contraire, d'apres
S. Luc, « quum appropinquaret Jericho ».
Cest une premiere contradiction apparente.
Une seconde divergence consiste en ce que
S. Matthieu mentionne expressement deux
aveugles, landis que S. Marc, conforme cette
fois a S. Luc, n'en signale qu'un seul. Voir la
solution de ces difficultes dans I'Evang. selon
S. Matth., p. 397. — Et plurima multitudine.
Le triomphede Jesus commence dessa sortie
de Jericho; mais c'est a Jerusalem qu'aura
lieu I'ovation principale. — Filius Timcei
Bartimceus. Seul, notre Evangeliste a con-
serve le nom de cet aveugle; peut-etre, ainsi
qu'on I'a conjecture, parce que Bartimee eut
plus tard des relations avec la chretienle ro-
maine, pour laquelle etait ecrit le second
Evangile. « Filius Timaei » est la traduction
de « Bartimaeus », et Bartimee est un de cos
noms patronymiques, alors tres frequents
chez les Juifs, dont le Nouveau Testament
contient plus d'un exemple : Barjona, Bar-
thelemi, Barnabe. Son orlhographe hebrai'que
etait ^XCTD""!! (ou, d'apres la version sy-
riaquo, ''a'''a~"!2), Bar-Tima'i. II se compose
d'un mot arameen. Bar, qui signifie fils, et
d'un nom grec, Tt[j.aio;, que Platon a rendu
celebre : c'est la une combinaison assez
etrange. — Juxta viam mendicans. npocratxaiv
est bien traduit par « mendicans ». La pre-
position upo;, ajouieeau verbe ak£w,designe
I'habilude de demander (« in petendo ver-
sor »), par consequent la raendicite. A I'ap-
proche de la Paque juive, les chemins qui
conduisaient a Jerusalem etaient converts
d'indigents qui demandaient I'aumone aux
pelerins.
47. — Fili David. Nous avons vu en
maint endroit que telle etait la denomination
habituelle et populaire du Messie. Bartimee
croyait done depuis quelque temps deja que
Jesus etait le Christ. Sa loi sera bientot re-
compenses — Miserere mei. Ce « Kyrie elei-
son » du pauvre aveugle de Jericho etait un
nouvel hommage adresse a Nolre-Seigneur,
auquel il reconnaissait le pouvoir d'accom-
plir des miracles. C'est d'ailleurs, dans les
ecrils inspires (Cfr. les Psaumes, passim ; Job,
XIX, 821 ; Is. XXXIII, 2 ; Eccli. xxxvi, 1,14;
Tob. VIII, 10; Judith, vii, 20) comme chez
les auteurs profanes (Cfr. Hom. Od. v, 44
et ss. ; Virg. Mn. xii, 930 et ss., etc.), le cri
bien nalurel de tous les malheureux.
48-50. — Les synopliques ont tous fort
bien decrit le petit drame auquel donna lieu
ce miracle de Jesus. Apres les scenes des
tf. 46 et 47, en voici de nouvelles, entre
lesquelles il existe un contraste frappant :
la conduite do la foule, d'abord si peu com-
patissante, comminabantur ei... ; la conduite
de l'aveugle, ille multo magis clamahat : il
ne se laisse pas intimider; la conduite de
Jesus, Stans... pro'cepit ilium vocari : c'est
toujours le « bon Maitre », qu'on n'implore
jamais en vain. — Tous les details qui sui-
vcnt, jusqu'a la fin dut. 50, apparti nnont
en propre a S. Marc. Ce ne sont pas les moins
458
fiVANGILE SELON S. MARC
veugle en lui disant : Aie bon cou-
rage ! leve-toi, il t'appelle.
bO. II rejeta son manteau, s'e-
lanca et vint a Jesus.
51 . Et Jesus lui demanda : Que
veux-tu que je te fasse? Mais I'a-
veuglelui dit : Maitre. que je voie!
52. Et Jesus lui dit : Va, ta foi t'a
gueri. Et aussitdt il vit, et il le sui-
vait dans le chemin.
ei : Animaequior esto; surge, vo-
cat te.
50. Qui, projecto vestimento sue,
exiliens, venit ad eum.
51 . Et respondens Jesus dixit illi :
Qui tibi vis faciam? Gsecus autem
dixit ei : Rabboni, ut videam.
52. Jesus autem ail illi : Vade,
fides tua te salvum fecit. Et confes-
tim vidit, et sequebatur eum in via.
CHAPITRE XI
Entree triomphale de Jesus a Jerusalem [ft. 4-11). — Le figuier maudit [tt. 12-14). —
Expulsion des vendeurs [tt. 15-19). — La puissance irresistible de la foi [ft. 20-26). —
Jesus refuse de faire connaitre aux Sanhedrisles la source de ses pouvoirs (tt. 27-33).
1 . Et comme ils approchaient de
Jerusalem et de Bethanie, pres du
1 . Et cum appropinquarent Jero-
solymse et Bethaniae ad montem
int.eressants. Le premier, vacant ccecum di-
centes..., est d'une grande verite psycholo-
gique. Quand la foule s'apergut que Jesus
temoignait un commi'ncpmi^nl de bienveil-
lance pour Bartimec, elle se mit aiissilot,
« regis ad exemplar »,a manifester une sym-
pathie qu'elle eiait bien loin d'eprouver
quelqLies instants auparavant. Ceux qui re-
butaient rudement I'aveugle, le pressent
maintenant d'accourir iQapazi (« confide »,
animcequior esto], i^eipz, tftavii cs ! Remarquez
la rapidite du langage. < — Les traits i?uivants
sont d'un pittoresque acheve. Projecto vesti-
mento. L'infirme ne se fait pas appeler deux
fois; mais, son large manteau oriental genant
ses mouvements, il commence par le jeter
loin de lui (Cfr. Hom. Iliad, ii,^ 183) ; puis il
se precipile tout joyeux du cote de Jesus :
exiliens. La Vulgate a suivi la legon des ma-
nuscrits B, L, D, A, Sinait., avaityiSi^ffa?. Le
texte imprime porte avadtdi;.
51. — Quid tibi vis faciam? Question bien
gurprenante en apparence. « Numquid qui
himen reddere poterat, quid vellet caecus
;igriorabat? Ad hoc ergo requirit, ut petalur;
yd hoc requirit, ut cor ad orationem excite-
lur. » V. Bede. — Rabboni. Tandis que les
deux autres Evangelistes traduisent ce titre
par Kupte (Domine], S.Marc le cite en hebreu,
lei qu'il fut prononce. Cfr. Joan, xx, 16.
« Rabboni » est un augmentatif de Rabbi.
Voyez I'Evangile selon S. Matthieu, p. 440.
52. — Jesus autem ait... S. Matthieu, sans
mentionner les paroles du Sauveur, raconte
que la gueiison fut operee par I'imposition
de ses mains divines. — Confestim vidit. Avpc
quel amour et quelle reconnaissance le mira-
cule ne diit-il pas diriger son premier regard
sur Jesus! Mais il fit plus encore; s'associant
a la foule qui entourait Notre-Seigneur, il
suivit son bienfaiteur jusqu'a Jerusalem.
L'Evangile de Nicodeme, ch. vi, nous Ih
montre quelques jours plus tard, pronant cou-
rageusement la defense de Jesus au pretoire.
« Et un autre Juif s'avanga et dit : J'etais
aveugle de naissance; j'enlendais parler etje
ne voyais personne. Et Jesus ayaiit passe, je
m'adressai a lui en ciiant a haute voix : Fils
de David, prends pitie de moil Et il eut pitie
de moi, et il posa sa main sur mes yeux, et
aussilot je recouvrai la vue. » Brunei. Les
Evangiles apocryphes, 2^ ed. p. 240.
DEUXifeME PARTIE
LES DERNIERS JOURS ET LA PASSION DE JESUS.
XI-XV.
I. — Entr6e triomphale de J6sus i
Jerusalem, xi, 1-11 . — Parall. Malth.
XXI, 1-11; Luc. xix, 29-44; Joan, xii,
12-19.
Triomphe d'autant plus interessant a tHu-
dier qu'il est unique dans la vie de Notre-
Seigneur. Sur son caractero special, voyez
CHAPITRE XI
159
Olivarum, mittit duos ex discipulis
suis,
Mauh. 21,1; Luc. 19,29.
2. Et ait illis : Ite in castellum,
quod contra vos est, et statim in-
troeuntes illuc, invenietis pullum
ligatum, super quem nemo adhuc
hominum sedit; solvite ilium, et
adducite.
3. Et si quis vobis dixerit : Quid
mont des Oliviers, il envoya deux
de ses disciples,
2. Et il leur dit : Allez a ce village]
qui est devant vous et^ des que vousj
y serezentres, vous trouverez lie un
anon sur lequel aucun homme ne
s'est encore assis. Deliez-le et ame-
nez-le.
3. Et, si quelqu'un vous dit : Que
I'Evangile selon S. Matthieu, p. 398. Theo-
phylacle en determine fort bien le but : « Ut
(Judaei), si velint, valeant gloriam ejus (Jesu)
agnoscere, et per prophetias de eo comple-
tes scirent quod est verus Deus; si vero no-
luerint, majus Geret eis judicium, quia tot
Claris miraculis non crediderunt. » — Le recit
do S. Marc est de nouveau remarquable en
cet endroit par sa vie et sa fraicheur.
1 . — Quum appropinquarent ; dans le grec,
eYTiilouatv au present. Notre Evangeliste, de
memo que S. Matthieu, abandonne ici I'ordre
reel dos laits. pour suivre I'ordre logique : il
place, lui aussi, I'entree solennelle de Jesus a
Jerusalem immerliatement apres le depart de
Jericho, qui avail ele deja, nous I'avons vu,
uneraarche triomphale. Cfr. x, 46. S. Jean
nous dira clairement, xii, 1-19, qu'avant de
penetrer dans la capitale juive, ie Sauveur
s'arreta pendant an moins une nuit, proba-
blement mSnie pendant un jour et deux nuits,
chez sps amis de Bethanie, Lazare, Marthe
et Marie. C'est do leur maison hospitaliere
que nousle voyons en ce moment sorlir pour
son Iriomphe. — Jerosolymce et Bethanice. Ce
n'est pas sans surprise qu'on lit ici le nomde
Jerusalem avant celui do Bethanie; car, le
voyageur qui va de Jericho a la ville sainle
rencontre necessairement Bethanie sur sa
roule avant d'arriver au terme de son voyage.
II faudrait done, d'apres la topographic,
« Bethaniee et Jerosolymae ». S. Marc se se-
rail-il rendu coupable d'une crreur geogra-
. phique? Pas le moins du monde. Mais, sui-
vant de nouveau I'ordre des idees, il signale
d'abord, comme point principal, le but vers
lequel se dirigeait Notre-Scigneur; ensuite,
il mentionne la station intermediaire, pres de
laquelle se firent les premiers preparalifs du
triomphe. Le texte grec cite irois localites
au lieu de deux : eU 'l£poyoa),fi[i, el; Brfi^ayv)
xat B-/i9avi'av. Cette IcQon, qui est vraisem-
blement aulhenlique, justifie ce que nous ve-
nons de dire : elle nous montre Jerusalem
nettement designe comme le but final du
voyage de Jesus; puis ellc determine, en ci-
vant ''^t noms de Bethphage et do Bethanie,
I'endsNJt precis oil coramenQa rovalion. Ces
deux villages etaient situes a peu de distance
I'un de I'autre, et seulemenl a une demi-
heure de Jerusalem, du cote de I'Orient.
Vovez I'Atlas geogr. de M. Ancessi, pl. XVIII ;
le Bibel-Atlas de R. Riess, pl. IV.
2. — Castellum quod contra vos est, xriv
y.w[jL-/iv T-?iv xaTEvavTt ujiiov. D'apres le recit de
S. Matthieu, ce hameau, qui se dressait en
face de Jesus et de ses deux envoyes, ne dif-
ferait vraisemblablement pas de Bethphage.
— Invenietis pullum ligatum. Le premier
Synoptique faisait dire a Jesus : « Invenietis
asinam alligatam et pullum cum ea » :
S. 3Iarc, S. Luc et S. Jean parlent seulement
de I'anon. Oil se trouve la verite? des deux
cotes a la fois. En effet, ditS. Augustin, « ubi
utrumque factum potest intelligi, nulla re-
pugnantia est ; nee si alius unum, alius alium
commemoraret ; quanto minus moveri opor-
let, si alius unum, alius utrumque comme-
morat? » De Cons. Evang.l. II, c. Lxvi.Nean-
moins, la relation de S. Matthieu, etant la
plus complete, est par la memo la plus exacte.
Dans les Irois autres Evangiles, il n'est pas
question de I'anesse, parce que ce ne fut pas
elle, mais I'^non, qui servit de monluie a
Jesus : S. Matthieu la mentionne, en partie
parce que Notre-Seigneur avait commande
qu'on I'amendt, en partie afin de rendre plus
evidente la realisation de la prophetic de
Zacharie, qu'il cite un peu plusbas. — Supet-
qiiem nemo... S. Luc note aussi ce detail, qui
avait bien son importance; car, soit chez les
Juifs, Cfr. Num. xix, 2 ; Deut. xxi, 3 ; I Reg.
VI, 7, soit chez les palens (voyez Ovide, Me-
tam. Ill, 12) on employait de preference a
des usages sacres les animaux qui n'avaient
encore rendu aucun service profane. II con-
venait que la pacifique monlure du Christ, au
jour de son triomphe, n'eut jamais porle
d'autre cavalier. — Adducite mihi. La Re-
cepta dit pareillement aYaysTE. Mais d'impor-
tants manuscrits (B, C, L, A, Sinait.) portent
(fipsxt, et telle nous semble avoir ete la legon
originale. S. Marc use volontiers du verbe
9£pw dans le sens de conduire, amener. Cfr.
I, 32; VII, 32: VIII, 22; ix, 17, etc.
3. — Quid facitis? De meme S. Luc
4 60
EVANGILE SELON S. MARC
faites-vous? dites que le Seigneur
en a besoin, et aussitot il le laissera
amener ici.
4. Et, s'en etant alles, ils trou-
verent Tanon lie dehors devant la
porte entre deux chemins et ils le
delierent.
0. Et quelques-uns de ceux qui
etaient la leur dirent : Que faites-
vous en deliant cet anon ?
6. lis leur repondirent comme
Jesus le leur avait present, et on le
leur laissa.
7. Et ils amenerent a Jesus I'd-
non sur lequel ils mirent leurs ve-
tements. etil s'assit dessus.
facitis? dicite, quia Domino necessa-
rius est : et continue ilium dimittet
hue.
4. Etabeuntes invenerunt pullum
ligatum ante januam foris in bivio :
et solvunt eum.
b. Et quidam de illic stantibus di-
cebant illis : Quid facitis solventes
pullum?
6. Qui dixerunt eis sicut preecepe-
rat illis Jesus, et dimiserunt eis.
7. Et duxerunt pullum ad Jesum;
et imponunt illi vestimenta sua, et
sedit super eum.
Joan. 13, 14.
« Quare solvitis ? » Ce langage direct est
beaucoup plus vivant que le a Si quis vobis
aliquid dixeril » de S. Matthieu. — Domino
necessarius est. En tant que Messie, Jesus etait
le souverain Seisneur et Maitre de toutes
choses : il jouissait du droit de requisition,
dont il u?ait ici pour la premiere fois. — Et
continiio ilium dimittet. Par ces mols, le Sau-
veur predil qu'au seul nom de « Dominus »
(6 -/.yp-.o; avec I'arlicle) le proprietaire de Tani-
mal se pretera aussitot au dessein des Apo-
tres. Quelques auteurs, deroutes par Tad-
verbe sOOsw;, donnent a tori une autre signi-
fication a ce passage. Suivant eux, les mots
« et continue... » ne contiendraient pas une
prediction de Jesus, mais la suite de la com-
munication qu'i! cliargeait ses envoyes d'a-
dresser au maitre suppose recalcitrant de I'a-
non :« Ditesque le Seigneur en a besoin, et qu'il
le renverra bientot la-bas. » Cette interpreta-
tion nous paiait manquer de grandeur, sur-
lout dans la circonstance ou se trouvail Je-
sus. — M. E. Reuss, bien que rationaliste a
ses heures, fait ici une remarque tres-juste,
qu'on nous permeltra de citer : « Le recitde
la mission des deux disciples doit faire sur
le lecteur I'impression d'un double miracle,
d'apres I'intenlion meme des narrateurs. Jesus
salt, sans I'avoir vu, qu'un ane se trouve
attache a une porte, a I'entree meme du vil-
lage ; il voit que cet ane n'a jamais encore
servi de monture a qui que ce soit ; il predit,
non-seulemt-nt que le proprietaire trouvera a
redire a ce qu'on le detache, co qui etait bien
naturel, mais que cette seule parole : Le Sei-
gneur en a besoin, sufflra pour lever toute
difficulte. Si Ton voulait dire que Jesus avait
pris d'avance ses mesures, et retenu I'ane de
concert avec le proprietaire, cela reviendrait
a I'accuser d'avoir joue la comedie devant
ses disciples, qui auraientsans doute raconte
le fait dans des termes tres-differents s'ils
avaient eu connaissance d'un parei! arrange-
ment prealable. Mais ils nous le represenlent
comme voyant a distance et comme exergant
une influence surnaturelle sur la volonted'au-
trui. « Histoire evangelique, p. 549. Yoyez
dans Stanley, Sinai and Palestine, 20 ed.,
p. 190. une curieuse legende musulmane tou-
chant i'anon qui servi t au triomphe de Jesus.
4-5. — Description tres-detaillee et tres-
precise. qui nous permet de suivre dans leur
mission les deux ambassadeurs de Jesus, et
d'assister a I'accomplissement integral des
predictions que nous venons d'entendre. Les
traits si minutieux et si pittoresques du t. 4,
ligatum ante januam [oris in bivio, appar-
tiennent en propre a S. Marc, d'oii Ton a
parfois conclu que S. Pierre, la source ordi-
naire de notre Evangeliste. etait I'un des en-
voyes. On discute sur le sens du mot grec
aii;o5oc, qui peut designer tout aussi bien
r « ambitus » des Latins, c'est-a-dire un clie-
min de ronde qui tourne autour d'une mai-
pon, d'une propriete, que le « bivium », ou
croisee de plusieurs chemins. L'article {iizl
Tou dcixipcoo'j) parait favoriser la premiere in-
terpretation. — Quidam de illis stantibus.
Autre trait propre a S. Marc. De meme, au
t. 6. dimiserunt eis (scil. pullum); la leQon
du texte grec differe legerement, xal aorjxav
a-j-o-jz, « et dimiserunt eos », ils laisserent
aller les deux Apotres avec I'anon . Ces
hommes aussi, qu'ils fussent ou ne fussent
pas les disciples de Jesus, le regardaient done
comme un roi puissant, qui avait le droit de
tout commander, de tout exiger.
7. — Et duxerunt. Ici, comme au t. 2,
CHAPITRE XI
16t
8. Multi autem vestimenta sua
straverunt in via : alii autem fron-
des csedebant de arboribiis, et ster-
nebant in via.
9. Et qui pra3ibant, et qui seque-
bantur, clamabant, dicentes : Ho-
sanna :
Psal. 117, 26; Matth. 21, 9; Luc. 19, 38.
10. Benedictus qui venit in no-
mine Domini : benedictum quod ve-
nit regnum patris nostri David :
Hosanna in excelsis.
11. Et introivit Jerosolymam in
templum : et circumspectis omni-
8. Et plusieurs etendirent leurs
vetements sur le chemin, et d'autres
coupaient des branches d'arbres et
les jetaientsur le chemin.
9. Et ceux qui marchaient devant
et ceux qui suivaient disaient :
Hosanna !
lO.Beni soit celui qui vient au
nom du Seigneur! benisoitleregne
de notre pere David qui arrive ! Ho-
sanna au plus haut des cieux!
11. Et il entra a Jerusalem dans
le temple, et, apres avoir regards
nous abandonnon> la Recepta (T^yayov), pour
adopter la legon (fepouoi de plusieurs manus-
crits anciens. — Imponimt ilU vestimenta sua.
C'etail une housse improvisee. Les amples
manleaux a couleur eclatanle que les Orien-
taux portent ordinairement par-dessus leur
tunique convenaient parfailement pour ce
dessein.
8. — Multi autem vestimenta... L'exemple
des deux disciples est blenlot imlte par la
foule. De meme que les disciples, par honneur
pour Jesus, s'etaient servi de leurs vetements
pour orner la monture de son triomphe, de
meme la foule emploie les siens pour tapisser
le chemin par lequel il devail passer. Ainsi
avaient fail anterieurementt les Juifs de Suze
pourIecelebreMardochee,Targ. Esth. VIII, 15;
ainsi avaient fait les soldats persans pour
Xerxes au moment ou ce prince allait iran-
chir I'Hellespont. Herod, vii, 34. Voyez
d'autres traits analogues dans I'explication
du premier Evangile, p. 402. — AUi autem
frondes ccedebant. II est a remarquer qu'au
lieu du mot x),aoot, employe dans le passage
parallelc de S. x^latlhieu, xxi, 8, nous trou-
vons ici une expression speciale, cToiSaSe?,
qui ne designe pas smiplement des branches,
mais les parties les plus feuillues et les plus
tendres des rameaux, par consequent les
parlies les plus en rapport avec la destina-
tion qu'on avait en vue. Hesychius en donne
la definition suivante : axiSoLC, (ou aToiSd?) a.iz6
pa^otov 7] x^wpwv '//j^'zoiv (jTpwci; v.ai ip'JXXcov.
Voyez Grimm, Lexic. N. T. s. v. axoi6xc,. —
De arboribus. Quelques manuscrits portent
ex Twv aypwv, « de agris » ; de meme les ver-
sions copte et syriaque. Les champs qui en-
vironnaient Jerusalem etaient remplis d'oli-
viers, de palmiers, de dattiers et aulrcs arbres
semblabies. C'est done au fond la meme idee.
— « Mullitudo, donee corrupta non fuit,
cognovit quod congruum erat : propter quod
S. Bible. S.
honoravit Jesum unusquisque secundum pro-
priam virtutem. » S. Jerome, in Matth. xxi.
9. — Qui prceibant et qui sequebantur. Le
cortege entoure Jesus de toules parts. Comme
un triomphaleur, le divin Maitre s'avance au
milieu de cette procession glorieuse, — Cla-
mabant, Hosanna. Sur ce mot hebreu, voyez
I'Evangile selon S. Mallhieu, p. 403. Contre
sa coutume, S. Marc n'i'n donne pas la tra-
duction ; mais les Chretiens de Rome en de-
vaient connaitre la signification, car Hosanna,
de meme que les expressions analogues Amen,
Alleluia, s'eiait inlioduil de bonne heure dans
la lilurgie de I'Eglise du Christ.
10. — Benedictus qui venit... Souhait
d'heureuse t)ienvenue, adresse a Jesus au
moyen de paroles inspirees. Cfr. Ps. cxvii, 26.
— A ce souhait qui concernait la personne
du Messie, S. Marc en ajoute un autre, qu'on
trouve seulement dans sa redaction, et qui
etait relatif au royaume du Christ : Benedi-
ctum quod venit regnum...! La maniere dont
le peuple caracterisait ce royaume est signi-
ficative. Patris nostri David : c'etait 1©
royaume de David continue, restaure, trans-
figure par le plus illuslre de ses descendants.
Voila le pendant de la parole de I'Ange : « Da-
bit illi Dominus sedem David patris ejus, et
regnabit in domo Jacob in aelernum. » Luc.
I, 32. Voila Jesus ouvert'^ment acclame par
la multitude comme le Roi-Mi'ssie! — Hosan-
na in excelsis. Gloire a Dieu qui irone au
plus haut des cieux! Du Messie, la foule
remonte a celui qui I'envoie, pour le remer-
cierde ce que les temps si ardemment desires
sont enfin accomplis.
11. — Et introivit Jerosolymam. S. Marc [
ne dit rien d'une scene touchante que nous j
trouverons dans S. Luc, xix, 41-44; il ne dit K
rien non plusde I'emoi que I'entree solennelle
de Jesus suscita dans Jerusalem. Matth.
XXI, 40 et 11. II prefere, et ce trait a udo
Mauc. — 11
462
EVANGILE SELON S. MARC
toutes Glioses, comme c'etait deja
riieure du soir, il s'en alia a Betlia-
nie avec les Douze.
12. Et lo lendemain , lorsqu'ils
sortaientde Betlianie, il eutfaim.
13. Et Yoyant de loin un figuier
qui avait des feuilles, il alia voir s'il
y trouverait quelque chose et, s'en
bus, cum jam vespera esset hora,
exiit in Bethaniam cum duodecim.
Matth. 21, 10.
12. Et alia die, cum exirent a Be-
thania, esuriit.
1 3. Gumque vidisset a longe ficum
habentem folia, venit si quid forte
inveniret in ea. Et cum venisset ad
signification profondo, coiiduire immediate-
ment la procession iriomphale a son terme,
t/i templum. C'esl done droit au temple que
Jesus se fit escorter par le peuple. On ne le
mene pas sur une place pubiique comme un
trihun vulgaire, ni a un palais comme un roi
ordinaire; on le mene au temple de Jehova.
C'est la en effet sa re>idence en tant que
Messie. Comme ce detail nous fait bien voir la
nature toule religieuse de I'ovation qu'on
venait de lui decerner! S. Marc nous I'a seul
conserve. — CivcumspeLtis omnibus. Autre
trait caracterislique et special. On en a par-
fois mecompris la portee, par exemple le
Yen. Bede, qui suppose que le Sauveur, en
jelant ainsi les yeux di^ tous cotes, voulait
voir « si quis eum hospilio susciperet! » Non,
le veritable sens est a la fois et plus simple et
plus noble. Ce regard provient de I'oeil du
Maitre! Arrive a son palais messianique,
Jesus inspecte toutes choses a la fagon d'un
roi : il contemple les desordres qu'il reviendra
chalier le lendemain. — Cum jam vespera
esset... La marche triomphale et I'inspection
du Sauveur avaient rempli une grande partie
de la journee. — Exiit in Bethaniam. Pour-
quoi Jesus ne pa?sa-t-il point la nuit a Jeru-
salem, au milieu de ce bon peuple? On le
conQoit sans peine. II n'avait pas que des
amis dans la capilale juive ; il y avait aussi
des ennerais nombreux, puissauts, acharnes
a sa perte. Le sejour de la ville sainte n'eut
done pas ete sur pour lui. C'est pourquoi nous
le verrons chaque soir chercher un refuge a
Bethanie, jusqu'a la nuit du Jeudi saint.
II. — Le Juge messianique.
X, 12-xiii, 37.
1. — Le figuier maudit. x, 12-14. — Parall.
Matth. XXI, 18-19.
42. — Alia die. C'esl-a
Semainte Sainte, I'entree t
a Jerusalem ayant eu lieu
pres I'opinion commune
chronologie de S. Mare est
clarte. II distingue tres
sejours de Notre-Seigneur
le temple, ducant cette g
semaine : ^^ Ih sejour qui
-dire le lundi de la
riomphale de Jesus
un dimanche, d'a-
des exegetes. La
ici d'une precieuse
neltement trois
Jesus-Christ dans
rande et derniere
uivit immediate-
tement i'entree triomphale, tt. 1-11 ; 2o 1&
sejour du lundi saint, qui fut marque par
I'expulsion des vendeurs, tt. 12-19; 3o le
sejour du niardi saint, durant lequel Jesus
lulta si vigoureusement centre ses adver-
saires, t1^. 20 et ss. — Cum exirent. Le
Sauveur, en compagnie des douze Apotres,
sortait de Bethanie pour retourner a Jerusa-
lem. — Esuriit. Sur la nature de cette faim
matinale de Jesus, voyez I'Evangile selort
S. Matth. p. 407. Divers hereliques ont pre-
tendu qu'elle n'exista pas en realile, mais que
Notre-Seigneur la simula pour donner plus
commodementune logon a ses disciples. Nous
admettons qu'elle fut tout a la fois veritable,^
naturelle et providentielle.
13. — Cumque vidisset a longe. MaxpoOev^
est une particuiarite de S. Marc. Dans cette
region, si fertile en figuiers que Bethphage
(« la maison des figucs ») en tirait son aom,.
Jesus apergut done a quelque distance un de
ces arbres tout couvert de feuilles, bien que
la saison fiit encore pen avaneee. II etait
peut elre d'une espece plus precoee, ou bien
il jouissait d'une meilleure exposition que les
autres. — Venit si quid forte inveniret (scil.
fructuum). L'adverbe « forte » ne rend pas
parfaitement la nuance exprimee par dpa du
texte grec. Mieux vaudrait « si itaque » : la
presence de feuilles sur ce figuier, tandis que
les arbres voisins n'avaieut pas encore bour-
geonne, etait un fait dont on pouvait con-
clure qu'il portait probablement des fruits.
— Mais pourquoi I'Evangeliste, apres avoir
constate que Jesus ne trcuva pas la moindre
figue, ajoute-t-il aussitot : Non enim erat
tempus ficorum^ Cette note exegetique, qu>
est propre a S. Marc, a jete les interpretes dans
une grande perplexite, parce qu'elle semble
taxer d'inconsequenee la conduite de Notre-
Seigneur. Aussi a-t-on recouru aux subter-
fuges les plus singuliers pour lui trouver un
sens acceptable. Heinsius et plusieurs autres
commentateurs, par le simple changement
d'un accent, ou aulieu de oO, obtiennent cette
traduction : La ou Jesus se trouvait, c'etait
le temps des figues. S. Marc se serait done
propose de rapp^ler a ses lecteurs que, grace
au climat tempere de la Judee, Jesus pouvait
chercher deja des figues mures. D'autres
CHAPITRE XI
163
earn, nihil invenit prseter folia : non
enim erat tempiis ficorum.
Mauh. 21, 19.
14. Et respondens dixit ei : Jam
non amplius in seternum ex te fru-
ctutn quisquam manducet. Et au-
diebant discipuli ejus.
15. Et veniunt Jerosolymam. Et
cum introisset in templum, coepit
etant approche, il n'y trouva rien
que des feuilles, car ce n'etait pas
le temps des figues.
14. Et il lui dit : Que jamais plus
personne ne mange de toi aucun
fruit! Et ses disciples Tentendaieut.
lb. Et ils vinrent a Jerusalem. Et,
lorsqu'il fut entre dans le temple.
(Majus, etc.) essayenf. d'echapper a la difii-
culle en plagant un point d'interrogalion
apres (juxwv : « Nonne enim eral lempiis Qco-
rum? » D'autres encore (Deyling, Kuincel,
Welstein) donnent a la negation ou la signifi-
calion de outiw, « nondiim », et a xaipoi; celle
de « lempus coUigendi friictus », d'ou il suit,
disent-ils, que la demarche du Sauveur etait
ires nalurelle, la recolte n'ayant pas encore
eu lieu, les arbres n'etant pas encore de-
pouilles de leurs fruits. Hammond, Paulus,
Olshausen, etc., traduisent de leur cote
yaipo; par xaipo; eCupopo; : « Ce n'etait pas une
annee favorable pour les figues. » Quelques
interpretes Irouvent plus commode de dire
que ce pa-sage est apocryphe. Nous ne par-
Ions pas des rationalistes, qui se tirent non
moins aisement d'affaire en le declarant illo-
gique (de Wette), inexplicable (Holtzmann),
contradictoire (Strauss, Hilgenfeld). On peut
cependant lui trouver un sens tres raisonnable
sans qu'il soit besoin d'avoir recours a toutes
ces mesures plus ou moins outrees. En faisant
remarquer que « ce n'etait pas la saison
des figues », car il faul mainlenir aux mots
oO yap r,v xaipcx; (Tuxtov leur signification obvie,
S. Marc voulail indiquer que la demarche du
Sauveur (« venit si quid forte invenirel »)
n'etait pas fondee sur I'epoque de I'annee oil
Ton se trouvait alors, mais sur quelque autre
circonstance propre a I'arbre en question.
Celte circonstance a ele mentionnee plus
haul : « Ficum habentem folia ». Le figuier
emettant ses fruits avant ses feuilles, une
plante de celte e>pece qui altirait I'altention
des passanls par la precocite de son feuillage,
les invitait par la-meme a venir chercher sur
lui un fruit rafraichissant.
14. — Respondens dixit ei. Jesus traite cet
arbre Irompeur commo un etre doue d'intel-
ligence; bien plus, en le maudissanl, il le
Iraile en etre moral, libre et responsable. II y
a la evidemmenl un symbole. En effet, dit
Eusebe d'Emese (cite par Westcott), « Domi-
nus, qui nunquam sine ralione aliquid agit,
quando sine ratione agere videtur, alicujus
magnae rei significalio est. » Dans ce fait
extraordinaire, qui n'a pas son parallele dans
la vie du Sauveur, nous devons done voir,
suivant I'heureuse expression du Ven. Bede,
une parabole de choscs ; aulrement, il n'au-
rait pas de raison d'etre, el serait incompre-
hensible pour nous. « Non eral illius pomi
lempus, sicut Evangelisla testatur, el tamen
esuriens poma quaesivit Chrijtus. Christus
nesciebat quod rusticus sciebat? Quum ergo
esuriens poma quaesivit in arbore, signifi-
cavit se aliquid esurire, et aliquid aliud
quaerere. Arborem illam maledixit, et aruit.
Quae culpa arboris infecunditas? » S. Aug.
Serm. xcviii. Voici mainlenant, d'apres le
meme Pere, la chose signifiee : « Illorum est
culpa sterilitas, quorum fecunditas est volun-
tas. Erant ergo jud.ei, habentes verba Legis,
el facta non habentes; pleni foliis et fructus
non ferenles. » Voyez I'Evang. selon S. Mal-
thieu, pp. 408 et 409. Jehova ne disait-il pas
deja, par I'intermediaire du prophete Michee,
VII, 1 et 2, en parlant du peuple theocra-
tique : « Vae mihi, quia factus sum sicut qui
colligit in aulumno racemos vindemiae. Non
est botrus ad comedendum ; praecoquas ficus
desideravil anima mea. Periit sanctus de
terra, et rectus in hominibus noa est. » —
Jam non amplius in ceternurn... Accumula-
tion emphalique, exprimee avec plus de force
encore dans le texte grec : [xrixexi iv. ao'j el?
Tov alwva ouoel? xapTtov ^dyoi. Cette forme de la
sentence est speciale a S. Marc. Nous lisions
dans S. Matthieu : « Numquam ex te fructus
nascatur in sempiternum. » — Et audiebant
discipuli. Ce trait est egalement propre au
second Evangile. II a pour but de preparer la
suite du recit, ft. 20 et 24.
2. — Expulsion des marchands. xi, 15-19.
Parall. Mallh. xxi, 12-17; Luc. xix, 45-48.
15. — Et veniunt Jerosolymam. Quittant
le figuier maudit, Jesus poursuit sa marche
vers Jerusalem, passant ainsi du type a I'an-
titype, du symbole a la chose signifiee. A
peine arrive dans le temple, nous le voyons
accomplir un nouvel acte judiciaire, non
moins terrible que le precedent. Par un coup
eclatant d'autorite, il rend a la maison de
Dieu le calme, le silence, I'honneur donl on
I'avait depouillee par d'etonnants abus. Un
mot de topographis ne sera pas deplace en
1
164
fiVANGILE SELON S. MARC
il commei3ca a chasspr ceux qui
vendaieiit et achelaient dans le
temple, et il renversa les tables des
chan gears et les sieges de ceux qui
vendaient des colombes.
16. Et il ne permettait pas qu'on
transportat aucun objet a travers le
temi>le.
17. Et il les enseignait, disant :
N'est-il pas ecrit : Ma maison sera
appelee maison de priere pour toutes
ejicere vendentes, et ementes in
temple : et mensas numulariorum,
et cathedras vendentium columbas
evertit.
16. Et non sinebat ut quisquam
transferret vas per templum.
1 7. Et docebat, dicens eis : Nonne
scriptum est : Quia domus mea, do-
mus orationis vocabitur omnibus
cet endroit. Ce que nous appelons le Temple
de Jerusalem etait loin de ressembler n nos
eglises acluelles. II se composait de parties
tres distincles, dont la principale, qui for-
mait le sancluaire propreiiient dit ^6 vao;),
n'elail accessible qu'aux seuls pretres. Au-
tour de ce vaoc il y avait plusieurs coiirs,
que des clotures de divers genre separaient
les unes des aulres :c'etaient lo le parvis des
pretres, ou Ton ofifrait les sacrifices, 2o la
cour dite d'Israel;3o ce qu'on appelait la
cour desfemmes; enfin 4°, en cominunicalion
avec les rues avoisinantes, la cour des Gen-
tils, oil les parens eux-memes pouvaienl pe-
nelrer. Voyez 1' Alias arclieolog. de M. An-
cessi, pi. IX et X. C'est dans celte cour,
enlouree de magnifiques galeries, la plus
exterieure et la plus vasLe de loutes, qu'eut
lieu la scene qui va suivre. — Ccepit ejicere
vendentes... En soi, I'existence d'un uiarche a
I'entree du temple, pour facililer aux per-
sonnes pieuses, el plus specialement aux
pelerins venus de loin, rempleUe des objels
necessairespour les sacrifices qu'iis voulaient
offrir au Seigneur, n'avait rien que de legi-
time et meme de louable. C'est done I'abus^ et
non la chose meme, que Jesus reprouve par
ses acles el par ses paroles. Or I'abus eiail
manifeste, palpable. Au lieu d'un marche
pacifique, on avait un bruyant bazar, une
foire perpeluelle;de plus, les pelerins elaient
odieusemenl rangonnes par les marchands,
qui elaient souvent des pretres, ou du moins
les commis des pretres. 6n en vinl ju-qu'a
vendre une colombe au prix exhorbitanl d'un
denier d'or. Cfr. M. Kerilot, i, 7. Voir J. De-
renbourg, Essai sur I'Histoire et la geogra-
phic de Palestine d'apres les Thalmuds, etc.
p. 467. — Mensas numulariorum, cathedras
vendentium... Pour tons ces details, nous ren-
voyons a TEvangile selon S. Matthieu, p. 405.
16. — Et non sinebat... Voici encore un
trail des plus inleressants, qui est propre a
S. iMarc. Celte inlerdiclion du Sauveur sup-
pose UH autre genre de liberie que les Juifs
de son temps s'etaient permise a I'egard du
temple. Apres avoir transforme les cours in-
terieures en un lieu de trafic, ils en avaient
fait encore un passage public et profane,
qu'iis traversaienl sans gene, charges de touts
soile d'objets [vas correspond ici a Ihi'breu
iSd, qui designe d'uno maniere generale les
uslensiles de menage, les in^U•uments de tra-
vail, elc), pour s'epargner un detour dans
les rues de la ville. — Per templum, Sia. toO
Upou. Ce second abus concernail done pareil-
lemenl le Upov, c'est-a-dire les cours, et non
I'' vao?. — « Les Rabbins, dit fort bien
'. Calmet, nous etalenl avec emphase les
regies que Ton devait observer dans le
Temple: mais il parail par I'fivangile que les
lois elaient fort nial gardees... lis disent
done qu'il n'est pas permis d'y entrer, pas
meme dans le parvis des Genlils, avec son
baton, ses souliers, sa bourse, ou ses pieds
croltes, ou avec de I'argenl dans un mou-
choir, ou avec une besace, ou d'y cracher,
ou d'en faire un lieu pas^ager, etc... Tout
cela est fort beau dans la speculation ; mais
il en faudrait monlrer la pratique ».Wetslein
et Lightfoot client tout au long dans leurs
Recueils les decrets talmudiquesauxquels fait
allusion le savant exegele de Lorraine. Me-
gilla, f. 28, 1, nous lisons I'ordonnance sui-
vanle : « Synagogam jam devasialam ne
faciat quis (viam) compendiariam ». El Jo-
sephe ne dil-il pas, dans les memes termes
que S. Marc : « Ne vas quidem aliquod por-
tari licet in teuiplo. » C. Ap. ii, 8.
17. — Le \erhc docebat, mis a I'imparfait,
a fail croire a plusieurs exegetes que li's pa-
roles allribuees a Notre-Seigneur seraient
simplement le resume d'un discours qu'il au-
rait prononce apres I'expulsion des vendeurs.
Opinion assez peu vraisemblable. — Nonne
scriptum est... ? Le Sauveur justifie par deux
paroles inspirees. Is. lvi, 7 el Jer. vii, \\,
Taction de zele a laquelle il veaait de se li-
vrer. Le temple etait une maison de priere;
mais on I'avait honleusemenl change en un
anlre de brigands : Jesus, en vertu de ses
droits messianiques, I'a purifie, lui a rendu
GHAPITRE XI
165
gentibus? Vos autem fecistis earn
speluncam latronum.
Isai. 56, 7; Jerem. 7, U.
18. Quo audito, principes sacerdo-
tum et Scribse qiiserebaDt quomodo
eum perderent : timebant enim eum,
quoniam universa turba admiraba-
tur super doctrina ejus.
19. Et cum vespera facta esset,
egrediebatur de civitate.
20. }']t cum mane transirent, vide-
runt ficum aridam factam a radici-
bus.
21 . Et recordatus Petrus, dixit ei :
Rabbi, ecce ficus, cui maledixisti,
aruit.
Maith. 21, 21.
22. Et respoiidens Jesus ait illis :
Habete fidem Dei.
les nations? Or vous en avez fait
une caverne de voleurs.
18. Les princes des pretres et
les Scribes I'ayant entendu, cher-
chaient comment ils le perdraient;
car ils le craignaient, parce que tout
le peuple etait dans I'admiration au
sujet de sa doctrine.
1 9. Et, le soir etant venu, il sortait
de la ville.
20. Et comme ils passaient le ma-
tin, ils vireot le figuier desseche
jusqu'aux racines.
21. Et Pierre, se souvenant, lui
dit : Maitre, voila que le figuier que
vous avez maudit s'est desseche.
22. Et Jesus leur dit : Ayez foi en
Dieu.
sa destination premiere. — Omnibus gentibus.
S. Marc a seul cite ces mols dii lexte d'l^aie.
Ils convenaient d'autant mieux, que la scene
se passaiL dans une cour ouverte aux pai'ens
aussi bien qu'aux Juifs.
4 8. — Ce verset decrit I'impression que
produisit sur les hierarques juils la nouvelle
de ce qui avail eu lieu dans le temple. Leur
haine conlre Jesus ne connut plus de bornes,
quand ils apprirent que leur adversaire etait
venu agir en maitre et en reformateur sur
leur propre terrain. « Odio habuerunl corri-
pientem... et loquentem perfecte aboininali
sunt )i. Am. v, 10. — Tunebant eum. Une
seule chose les empecha d'executer sans delai
les projets homicides qu"ils avaient clepuis
longlemps formes a son egard : c'etait la
cramle que le peuple, charme par ses di-
vines legons et visibiement passionne pour
lui, ne s'msiirgeal conlre quiconque tenterait
de lui faire quelque mal. Cfr. Luc. xix, 48.
De la leur grand eaibarras et leurs delibera-
tions pour savoir quomodo eum perderent.
19. — Cum vespera facta esset egredieba-
tur. L'emploi de I'lmparfait semble in-;inuer
que lEvangeiiste veut parler ici d'un fait qui
se passa non-seulement le soir du lundi saint,
mais encore les deux jours suivants. Telle
est meme la seule interpretation permise si
nous lisons avec Tischendorf 6Tav,«quolies »,
au lieu de ots.
3. — La puissance de la foi. ii, 20-26.
Parall. Mattli. xxi, 20-22.
C'est ici le second acte du petit drame re-
latif au figuier maudit (tt. IS-Uj. S. Mat-
Ihieu avail reuni tous les details del'episode,
comme s'llss'etaient immediatemenlsuccede.
20. — Cum mane transirent. C'etait le
matin du mardi saint. Cfr. t. 12 et le com-
mentaire. Jesus et les Douze revenaient de
Bethanie a Jerusalem. Cfr. t. 27. — Viderunt
ficum aridam factam. La veille au soir, ense
rendant de la capitale a leur tranquille re-
traite, les Apotres n'avaienl pas remarque le
merveilleux effet de la parole de Jesus, soit
qu'il fit deja nuit, soit qu'ils eussent passe
par un autre chemin. Deux ou trois routes
distinctes conduisent aujourd'hui de Jerusa-
lem a Bethanie. Voyez le Bibel-Atlas de
R. Riess, pi. IV. — A radicibus : detail pil-
toresque, special a S. Marc, pour signifier
que le figuier etait totalement desseche.
21. — Et recordatus Petrus. Autre detail
special, que noire evangeliste tenait assure-
mont de S. Pierre lui-meme. S. Matlhieu, bien
que temoin oculaire du fait, atlribue d'une
maniere generale la refli'xion qui suit a tous
les Apotres, xx, 20. S. Pierre done, a la vue
de cet arbre donl les feuilles, si fraiches
la veille, retombaienl Iristement le long des
rameaux, se souvint de la malediction que
Jesus avail lancee contre lui, et il se hata,
en termes vifs el naifs lout ensemble, d'atli-
rer rattention du Sauveur sur ce prodige. —
Ecce est une exclamation de surprise, "d'ad-
miration.
22. — Respondens Jesus. Notre-Seigneur
profile de celle reflexion pour donner aux
siens une legon importante sur la puissance
irresistible de la foi, surtoul de la foi dans la
priere. S. Marc nous communique cette legon
466
fiVANGILE SELON S. MARC
23. En verile je vous le dis, qui-
conqiie dira a cette montaone : Ote-
toi et jette-toi dans la mer! et n'he-
sitera point dans son coeur, mais
croira que tout ce qu'il aura dit doit
se faire, cela se fera pour lui.
' 24. G'est pourquoi je vons dis :
Quoi que ce soit que vous deman-
diez en priant, croyez que vous le
recevrez, et vous I'obtiendrez.
25. Et, lorsque vous vous dispo-
serez a prier, pardonnez, si vous
avez quelque chose centre quel-
qu'un, afin que votre Pere qui est
aux cieux vous pardonne aussi vos
peches.
26. Que si vous ne pardonnez pas,
^votre Pere qui est aux cieux ne vous
pardonnera pas non plus vos peches.
23. Amen dice vobis, quia qui-
cumque dixerit huic monti : Tollere,
et mittere in mare; et non haesita-
verit in corde suo, sed crediderit
quiaquodcumque dixerit fiat, fietei.
24. Propterea dico vobis, omnia
qusecumque orantes petitis, credite
quia accipietis, et evenient vobis.
Match. 7, 2, 22.
25. Et cum stabitis ad orandum,
dimittite si quid habetis adversus
aliquem : ut et Pater vester, qui in
coelis est, dimittat vobis peccata
veetra.
Luc. 11, 6; Matth. 6, 14 et 18, 35.
26. Quod si vos non dimiseritis,
nee Pater vester, qui in coelis est,
dimittet vobis peccata vestra.
avec plus d'ampleur et d'une maniere plus
complete que S. Matlhieu. — Habete fidem
Dei. De meme en grec : Ttt'crTtv ©soO pour iri'uTiv
en\ 0e6v, la foi en Dieu. C'e?«t ce qu'on appelle
le genilif de i'objet. Voir Beelen, Grammat.
ereecit. N. T. p. 188. Cfr. Act. in, 16; Rom.
Ill, 22; Gal. ii, 20; in, 22, etc.
23. — Amen dico vobis. Notre-Seigneur
couimence par garantir au nom de I'eternelie
verite I'exat'titude du fait qu'il va signaler.
— Qiiicumque dixerit... Ce fait est assure-
ment bien extraordinaire! Un chrelien quel-
conque qui dit a une montagne : Jette-toi
dans la mer, etquivoitson ordre immediate-
ment obei ! Une condition est pourlant exi-
gee : Non hcesitaverit in corde suo, sed credi-
derit. S. Jacques semble commenter cette
promesse qiiand, parlant de la priere, il ecrit,
I, 6 : « Postulet in fide nihil haesitans : qui
enim haesiiat similis est fluctui maris, qui a
vento moveturet circumfertur. » L'idee d'he-
sitalion, de defiance, est tres-bien rendue dans
le texte grec par le verbe oiaxptvw, dont la
signification primitive indique des jugements
porles en divers sens, un va et vient perpe-
tuel de I'esprit qui ne sail se fixer. Voyez
Bretschneider, Lexic. man. N. T. t. I, p. 227.
24. — Propterea dico^vobis... Aia toOto,
en consequence de la promesse que je viens
de faire. — Qucecumque ^orantes... Si vous
pouvez etre certains d'obtenir par une priere
pleine de foi la puissance d'accomplir les mi-
racles les plus etonnanls, a plus forte raison
obliendrez-vous toutes les autres choses que
vous demanderez au Seigneur. — Accipietis.
La Vulgate a lu W^^/eaOe au futur. Le verbe
est au present dans la Recepta, ),a[j.6av2Te.
Nous preferons avec Tischendorfet Lachmann
I'aoriste D.aSezt, qu'on trouve dans les ma-
nuscrits B, C, L, A, Sinait. Cette legon est
tres-expressive : la priere du chrelien est a
peine formulee qu'elle est deja exaucee.
23. — Souveiit il arrive que, malgre une
foi tres-vive, on n'obtient pas les graces de-
mandees au Seigneur. C'est qu'on n'est pas
en regie avec ses freres, qu'on nourrit au
fond du ccBur quelque sentiment peu chari-
table. Telle est la liaison des idees. — S Marc
mentionne seul en cet endroit les pensees
contenues dans les tt. 25 et 26 ; S. Matthieu
les passe sous silence, sans doute parce qu'il
les avait deja citees dans le Discours sur la
Montagne, vi, 14 et15. EUes durent revenir
plus d'une fois sur les levres du Sauveur. —
Cum stabitis ad orandum. Les Juifs se tenaient
habituellementdebout pour prier. Cfr. I Reg.
I, 26; Matth. vi, 5; Luc. xviii, 11. De la le
nom de miDya, « stations «, qui servait
souvent chez eux a designer les prieres, et
que notre langageliturgique leur a einprunte.
Parfois neanmoins ils priaient a genoux,
III Reg. VIII, 54; Dan. vi, 10, ou prosternes,
Jos. VII, 6 ; III Reg. xviii, 42. — Dimittite,
ocyUxe. Belle expression pour indiquer le par-
don genereusement accorde.
26. — Si vos non dimiseritis... C'est la
meme idee, presentee sous une forme nega-
tive. « Tremenda sententia ! » s'ecrie la Glose.
— Tischendorf et plusieurs autres critiques
ometlent ce verset, parce qu'il manque dans
plusieurs manuscrits anciens (B, L, S, A, Si-
nait. etquelques minuscules). Neanmoins sou
authenticite ne nous parait pas douteuse.
CHAPITRE XI
167
27. Et voniunt rursus Jeroso-
lymam. Et cum ambularet in tem-
ple, accedunt ad eum summi Sacer-
dotes, et Scribce, et Seniores.
28. Et dicunt ei : In qua potestate
JiSRC facis? et quis dedit tibi hanc
potestatem, ut ista facias?
Luc. 20, 2.
29. Jesus autem respondens, ait
illis : Interrogabo vos et ego unum
verbum, et respondete mihi : et di-
cam vobis in qua potestate hsec fa-
cia m :
30. Baptismus Joannis de coelo
€rat, an ex liominibus ? Respondete
mihi.
3'l.Atilli cogitabant secum, di-
centes : Si dixerimus: De coelo, di-
cet : Quare ergo non credidistis ei?
27. Et ils vinrent de nouveau a
Jerusalem, et, comme il marchait
dans le temple , des princes des
pretres, des Scribes et des anciens
s'approcherent de lui,
28. Et lui dirent : Par quelle puis-
sance faites-vous ces choses ? et qui
vous a donne cette puissance pour
les faire ?
29. Jesus leur repondit : Je vous
ferai moi aussiune question; repon-
dez-moi, et je vous dirai par quelle
puissance je fais ces choses :
30. Le bapteme de Jean etait-il
du ciel ou des hommes ? Repondez-
moi.
31. Mais ils pensaient en eux-
memes et disaient : Si nous repon-
dons : Du ciel, il dira : Pourquoi
done n'y avez-vous pas cru?
-4. — L.e Christ victorieux de ses ennemis.
XI, 27-xii, 40.
a. D'oji viennent les pouvoirs de Jesus, si, 27-33.
Parall. Malth. xxi, 23-27; Luc, xx, 1-8.
27. — Veniunt rursus Jej osolymam. « Rur-
■sus » fait allusion aux deux oiUiees des jours
precedents, tt. 1 1 et 15. Nous somnips en-
core dans la matinee du uiardi de la Semaine
Sainle. Cfr. V. 20. — Cum ambularet in lemplo.
Ce detail pittoresque est i.ropre a S. Marc. II
nous montre Jesus, entoure des siens, se pro-
menant sous les vastes galeries de la cour des
Gentils, etse melant aux groupes du peuple;
S. Mattliieu, xxi, 23, ajoute que le Sauveur
ne tarda pas a prendre la parole pour ensei-
gner la foule. — Summi sacerdotes, et Scribce
et Seniores. Dans cette nomenclature, nous
reconnaissons les noms des trois Chambres
qui formaient le Sanhedrin. Ceux qui s'ap-
prochont en ce moment de Jesus viennent
done a lui avec un mandat officio!, comme
delegues de la Cour supreme des Juifs. Leur
but est manifests : ils veulent engager avec
leur ennemi un combat a mort, trouver une
occasion de I'arreler ei de le perdre, malgre
sa popularite. La narration claire et rapide
<ie S. Marc nous permet d'assisler aux di-
vcrsesperipeties de cette lutte.
28. — Dicunt ei. La bataille s'engage par
une escarmouche iivree sur le terrain des
pouvoirs de Notre-Seigneur : In qua potes-
tate... « Qui etes-vous done pour faire des
choses semblables? Est-ce que vous vous
etablissez docteur? Vous consacrez - vous
prince des pretres? » Theophylacte. — Hwc
facis; ista facias. Les pronoms « haec » et
« ista » designent les divers actes que le
Sauveur s'etait permis d'accomplir dans le
temple depuis la journee du dimanche, spe-
cialement I'expulsioa des vendeurs. — Au
lieu de la conjonction et qui unit les deux
phrases interrogatives, nous prefererions aut
(yj), d'apres plusicurs manuscrits et versions.
Voyez Tischendorf, N. T. graec. En effet, c'est
une double question que les Sanhedristes po-
sent ici a Jesus : lo Avez-vous des titres per-
sonnels qui vous permettent d'agir comme
vous le faites?Ete<-vous prophete, par exem-
ple? 2o A defaut de titres semblables, qui vous
a confere un pouvoir legal?
29 et 30. — Les delegues du Grand-Con-
seil pensaient bien que Jesus serait incapable
de fournir une reponse satisfaisanle a ces
demandes, qu'ils lui adressaient avec une cer-
taine apparence de droit. Avec quelle noble
simplicite il dejoue leurs manoeuvres! — In-
terrogabo vos et ego. On pretend lui faire su-
bir un interrogatoire; c'est lui au contraire
qui va en imposer unaux orgueilleux person-
nages qu'il a en face de lui. — Baptismus Joan-
nis... Jesus aurait pu demander d'une ma-
niere generale : D'ou provenait la mission de
Jean? II prefera mentionner la ceremonie qui
resumait si bien le minislere du Precurseur,
qui avait meme valu a Jean son surnom ce-
lebre de Baptiste. Cfr. r, 4.
31 et 32. — Illi cogitabant secum; raieux
« inter se », upo; lauxovs. La reponse elait
468
32. Et si nous repondons : Des
homines, nous craignons le peuple.
Gar tous regardaient Jean comme
etant vraiment propliete.
33. lis repondirent done a Jesus :
Nous ne savons. Et Jesus leur dit :
Ni moi non plus je ne vous dis pas
par quelle puissance je fais ces
choses.
EVANGILE SELON S. MARC
32. Si dixerimus : Ex hominihus,
timemus populum. Omnes enim ha-
bebaut Joannem quia vere propheta
esset.
33. Et respondentes dicunt Jesu :
Nescimus. Et respondens Jesus ait
illis : Neque ego dico vobis in qua
potestate hsec faciamj.
CHAPITRE XII
Parabole des vignprons homicides (M. 4-12). — Dieu et Cesar {ft. 13-17).— La resurrection
des morts (\^*-. '18-27). — Quel est le premier commandement (ft. 28-34). — Le Messie,
fils de David (tt. 35-37). — « Cavele a Scribis. » (tt. 38-40). — Le denier de la veuve
[ft. 41-44.
1. Et il commenca a leur parler 1. Et coepit iilis in parabolis lo-
€n paraboles : Un homme planta qui : Vineam pastinavit homo, et
une vigne, et I'entoura d'une haie, circumdedit sepem, et fodit lacum.
done bien difficile, puisqu'elle exigeait une
consultation en regie! Elle etait aisee en soi;
mais, d'une part, la conduite anterioure des
Satihedristes a I'egard de Jean-Baptiste, de
I'autre la crainle de blesser la foule en par-
lant d'une maniere defavorable de celui qu'elle
venerait comme un saint, plagait nos Doc-
teurs dans une cruelle perpK'Xile. — Au lieu
de timemus populum, le texte grec porte
e<po6o0vTo Tov Xaiv, « timi'bant populum »,
changement de personnes qui donne a la pen-
see un lour vif et saisissant. S. Marc fait
done la reponse au nom des conseilJers juifs,
« idque elegantissime fecisse videtur, quo-
niam baud facile quisquam sibi ipse aperte
timorem adscribere consuevit ».Rinck, Lu-
cubr. crit. p. 306. II arrive plusieurs fois aux
ecrivains sacres de passer ainsi du langage
direct a I'indirect. Cfr. ii, 10; Mattli. ix, 6;
Luc. V, 24.
33. — Nescimus. Les Sanhedristes mentent
pour cacher leur embarras; mais ils perdent
par la-meme le droit d'avoir une reponse de
Noire Seigueur. S'ils sont incapables de por-
ter un jugement sur le ministere de S. Jean,
ils sont incapables aussi de juger la mission
de Jesus. En outre, ce que le Sauveur a fait
n'a pas besoin de justification; la nature de
ses oeuvres monlre qu'elles proviennent d'une
source divine. Au resle, dit un ancien, « obli-
ges d'instruire celui qui cherche la verite,
nous pouvons renverser par un raisonnement
vigoureux quiconque essaie de nous tendre
un piegp. » C'est precisement ce que nous
avons vu faire a Jesus : d'un seul coup, il a
dechire le filet du sophisme.
b. Parabole des vignerons homicides, xr, 1-12.
Parall. Matth. xxi, 33-46; Luc. xx, 9-19.
Chap. xu. — 1. — Coepit... in parabolis
loqui. « Postquam Dominus prudenti intprro-
galione tenlalorum ora concluserat, eorum
malitiam parabolice demonstrat », Glossa.
Jesus releve ainsi le gant jele par ses adver-
saires et se fait agresseur a son tour. —
S. Malthipu, xx , 28-xxii, 14, a conserve
trois paraboles qui furent prononcees par
Notre Seigneur dans celte circonstance me-
morable : S. Marc n'en mentionne qu'une
seule, celle des vignerons. Mais c'est bien la
plus significative et la plus energique. Du
resle, en employant I'expression « in para-
bolis », il monlre suffisamment que, selon
sa coulume. il cite en abrege les paroles de
Jesus. — Vineam pastinavit homo... Tousles
details de celte description sont empruntes
d'un cote aux ecrits de I'Ancien Testament,
de I'autre aux usagps viticoles de la Pales-
tine. Voyez I'Evangile selon S. Malthieu,
pp. 415 el 416. La ptanlation de la vigne spi-
riluelle de Jehova avail eu lieu sous Josue,
quand la nalion iheocraiique tut etablie par
CHAPITRE XII
469
et sedificavit turrim, et locavit earn
agricolis, et peregre profectus est.
Isai. 5, ! ; Jer. 2, 21; Matlh. 21, 33; Luc. 20, 8.
2. Et misit ad agricolas in tem-
pore servum, ut ab agricolis acci-
peret de fructu vinese.
3. Qui apprehensum eum cecide-
runt, et dimiserunt vacuum.
4. Et iterum misit ad illos alium
servum : et ilium in capite vulnera-
verunt, et contumeliis affecerunt.
et creusa im pressoir, et batit une
tour, puis il la loua a des vignerons
et partit pour un voyage.
2. Et, quand ce fut le temps, il
envoya aux vignerons un serviteur
pour recevoir d'eux sa part du fruit
de la vigne.
3. lis le saisirent, le battirent et
le renvoyerent vide.
4. II leur envoya de nouveau un
autre serviteur, et ils le blesserent a
la tete et ils Taccablerent d'ou-
trages.
son souverain Maitre dans la terre de Cha-
naan. La, le Seigneur enloura son peiiple de
soins multiples, analogues aux operations
par lesquelles un vigneron protege et cullive
un vignoble. Puis, apres en avoir confie la
direction aux chefs supr^mes qui le repre-
senlaient, peregre profectus est. « Ce n'est pas
qu'il ait change de lieu, dit fort bien le Ven.
Bede expliquant ce passage, mais il parut
s'en aller, pour laisser aux vignerons toute
liberie dans leur travail. » N'oublions pas que
c'est sur ces vignerons et sur leur conduite
que repose I'idee merae de la parabole.
2. — Misit... in tempore : c'est-a-dire au
temps de la vendange. « Quum tempus fru-
ctuum appropinquasset », dit S. Malthieu.
— Servum. Les serviteurs envoyes successi-
vement par Dieu aupres des vignerons, pour
revendiquer ses droits de proprietaire, repre-
sentent les Prophetes de I'Ancien Testament,
qui furent en effet charges plus d'une fois
de ramener dans la droite voie les pretres
oublieux de leurs devoirs les plus sacres. —
Ut acciperet de fructu. On voil par ce detail
que les agriculteurs de la parabole elaient
ce que nous nommons en France des me-
tayers, et qu'ils payaient leurs redevances en
nature, non en argent. Voyez dans Pline,
Ep. IX, 37, des details interessants sur ce
genre de location.
3. — Apprehensum eum ceciderunt: ISEipav
du texie grec signifierait, d'apres I'acception
primitive de ce verbe, « pellem detraxerunt»;
mais il faut donner ici a Sepw le sens derive
que la Vulgate a tres justement adopte. Cfr.
Bretschneider, Lexic. man. s. v. II s'agit en
tout cas d'une injure insigne. — Dimiserunt
vacuum : ^ vide au point de vue des fruits
qu'il etait vonu cherch'^r.
4. — Et iterum misit... D'apres le premier
Evangile, le maitre de la vigne envoya suc-
cessivement deux groupes de nombreux ser-
viteurs. Cfr Matth. xxi, 34, 36. Suivant le
recit de S. Marc et de S. Luc, les ambassades
furent plus frequentes et se composerenl seu-
lement de serviteurs isoles, qui vinrent I'un
apres I'autre reclamer aux vignerons la part
du proprietaire. Celte description est a la
fois plus pittoresque, plus naturelle et plus
conforme a la realite des faits. — In capite
vulneraverunt. L'expression grocque exeipa-
XaiMffav, ainsi traduite par la Vulgate, a donne
lieu a une discussion assez vive entre les
exegetes, qui aujourd'hui meme ne peuvent
s'accorder pour ( n fixer le veritable sens. La
difficulte vient de ce que le verbe xEfpaXatow,
derive de x£9a).atov, « summarium », et non de
xe^aXv], « caput », a, chezlesclassiquf's et meme
dans les livres grecs de I'Ancien Testament,
la signitication bien arielee de « in sumraam
redigo, sumraalim dico ». (Cfr. Thucyd.
Ill, 67, 5; Plat. Rep. ix ; Eccli. xxxv, 8), et
nulle part ceile que lui atlribue notre version
latine. Aussi, les anciens commentateurs
grecs I'intprpretent-ils autrement que la
Vulgate. Theophylacte en donne cette para-
phrase, (jyveteXeffav xai sxopucpwcrav trjv u6ptv,
« omni eum contunipliae genere quasi in
summam quamdam redaclo affecerunt », ad-
mise avec de legeres modifications par plu-
sieurs exegetes conlemporains. Voypz les
savantes notes de Frilzsche et de M. Schegg,
h. 1. Neanmoins, nous n'hesitons pas a accep-
ter avec la plupart des interpretes des temps
modernes la traduction de la Vulgate. File a
en sa favour : lo plusieurs versions antiques,
to lies que I'arabe, I'armenienne (le syriaque,
siSy, « percussit, vulneravit », s'en ecarte
a peine) ; 20 plusieurs analogies frappantes
que KuincEl a fort bien resumees dans la note
suivante : « Sicut YvaSoto, a YviGo;, est, auctore
Hesychio, eU yvaOou? T'jTXTw, Ccedo in malas, et
YaCTTpi^o) est yaffTepa TU7VTW (on pourrail ajou-
ter : et yutow, a yuiov, membrum, est mombra
enervo),... ita quoqun x£<pa),aiouv... omnino
per analogiam significare potest vuinerare
caput. » S. Marc aura done employe ce verbe
dans un sens extraordinaire, mais facile k
470
fiVANGILE SELON S. MARC
5. Et il en envoya encore un
autre, et ils le tuerent; puis plu-
sieurs autres, et ils meurtrirent les
uns et tuerent les autres.
6. Or,ayant encore unfils unique
qui lui etait tres cher, il le leur en-
voya a la fin, disant : lis respecte-
ront mon fils.
7. Mais les vignerons se dirent
Tun a Tautre: Gelui-ci est Theritier;
venez, tuons-le, et I'heritage sera a
nous.
8. Et ils le prirent et le tuerent et
lejeterent hors de la vigne.
9. Que fera done le maitre de la
5. Et rursum alium misit, et ilium
occiderunt : et plures alios ; quosdam
csedentes, alios vero occidentes.
6 . Adhuc ergo unum habens tilium
charissimum, et ilium misit ad eos
novissimum, dicens : Quia revere-
buntur filium meum.
7. Coloni autem dixerunt ad invi-
cem : Hie est haeres; venite, occida-
mus eum; et nostra erit hsereditas.
8. Et apprehendentes eum, occi-
derunt : et ejecerunt extra vineam.
9. Quid ergo faciet Dominus vi-
decouvrir. — La Vulgate n'a pas tenu compte
du participe ).i6o|3o)/^aavT£!; qu'on lit dans la
Recepta immediaiempiil avant exsqjaXaiwdav;
niais ce mot, qui manque aussi dans les ma-
nuscrils B, D, L, A, Sinait., dans I'llala et
d'autres versions, pourrait bien etre apo-
cryphe.
'5. — Alium... occiderunt. Le premier am-
ba?sadeur avait ete simplement battu, le
second avait subi de mauvais traitemenls
d'une nature plus grave et plus injurieuse, le
Iroisieme est mis a mort : il y a gradation
dans les outrages. — Et plures alios, scil.
« misit et male acceperunt, quosdam caeden-
tes... » La phrase est elliptique. Comme il
eut dte irop long de signaler un a un tous les
serviteurs envoyes par le maitre de la vigne
a ses vignerons, la parabole abrege et resume,
en disant que de nombreuses et frequentes
ambassades se succederent de la meme ma-
niere, mais sans plus de succes. Quelle longue
serie de prophetes Dieu n'envoya-t-il pas a
son peuple et aux hierarques pour les conver-
tir! Mais ils furent pour la plupart affreuse-
seraent traites. Citons seulement les plus
celebres : Elie injurie par Jezabel, III Reg.
XIX, 2 (Cfr. xviii, 13); Michee emprisonne
par Achab, III Reg. xxii, 24-27; Elisee me-
nace par Joram, IV Reg. vi, 31 ; Zacharie
lapide sur les ordres de Joas, 11 Paral.
. XXIV, 21 ; Jeremie lapide par ses compatrioles
' enEgypte; Isaie scie avee une scie de bois
Id'apres la tradition juive, etc., etc.
^ 6. — Adhuc ergo... habens... Cette maniere
touchanle et delicate d'introduire sur la scene
le fils du maitre de la vigne est propre a
S. Marc. Tous les mots portent : unum, fi-
lium, carissimum : ce n'est plus un serviteur,
mais un fils et ce fils est unique, et par con-
sequent bien-aime. A plusieurs reprises, i, 1 1 ;
IX, 6, nous avons entendu la voix de Dieu
appeler Notre-Seigneur Jesus-Christ son wld;
ayaTr^To;. — Misit ad eos : il I'envoya sans
hesiler, quoiqu'il sut d'avanco quel sort lui
etait reserve; mais il I'envoya novissimum,
comme le dernier de tous ses ambassadeurs.
Cfr. Hebr. i, 2. Apres I'avertissement porte
par Jesus aux Juifs, il n'y en aura plus
d'autre : les coupables seront simplement
condamnes et punis. — Quia est recitatif.
Le P. Patrizi appelle fort bien ces six pre-
miers verseis la parlie historique de la para-
bole, c'est-a-dire la parlie qui s'etait deja
realises au moment ou Notre-Seigneur parlait
aux Pharisiens; les tit. 7-9 contiennent au
contraire la partie prophetique.
7. — Des qu'ils apergurent le fils de leur
maitre venant au-devant d'eux, les vignerons
formerent un horrible projet, qui devait met-
tre le comble a leurs atrociles anterieures. —
Hicesthceres. Ilsagissent, on le voit, en pleine
connaissance de cause. lis savent que celui
qui vient a eux comme un messager de par-
don est le fils et I'heritier; mais c'est la pour
eux un nouveau motif de lui donner la mort.
Ils esperent, les insenses, que 1 heritage leur
appartiendra ensuite pleinement.
8. — Apprehendentes... occiderunt. Lever-
set precedent nous avait fait entendre le
langage cynique et barbare des vignerons ;
celui-ci nous les montre a I'oeuvre et leali-
sant leur affreux dessein. Ce tableau est vrai-
ment tragique. — Ejecerunt extra vineam.
D'apres les deux autres recits, les bourreaux
avaient entraine leur victime hors de la vigne
avant de lui porter le coup fatal; ici, c'est
son cadavre qu'ils jettent par-dessus la haie
que le proprietaire avait si soigneusement
f)lantee. C'est une legere variante, ou bien
a figure appelee « Hysteron-proteron. »
9. — Quid ergo faciet... Jesus adressa cette
question a ses adversaires, afin de leur
CHAPITRE XII
171
neee? Veniet et perdet colonos, et
dabit vineam aliis.
10. Nee scripturam banc legistis :
Lapidem, quern reprobaverunt sedi-
ficantes, hie faetus est in caput
anguli :
Psal. 117, 22; Isai. 28, 16; Matth. 21, 42; Act. 4, 11;
Rom. 9, Zi;I Pel. 2, 7.
11. A Domino faetum est istud, et
est mirabile in oeulis nostris?
12. Et quserebant eum tenere :
et timuerunt turbam; cognoverunt
enim quoniam ad eos parabolam
banc dixerit. Et relieto eo abierunt.
13. Et mittunt ad eum quosdam
ex Pharisseis et Herodianis, ut eum
caperent in verbo.
il/a«A. 22, 15;iMC.20, 20.
vigne? II viendva et fera perir les
vignerons et donnera la vigne a
d'autres.
12. N'avez-vous pas lu eette pa-,
role de TEcriture : La pierre qu'ont
rejetee eeux qui batissaient est de-
venue le sommet de Tangle :
11 . Q'a ete fait par le Seigneur et
c'est admirable a nos yeux ?
1 2. Et ils cherehaient a se saisir de
lui, mais ils eraignirent le peuple;
ear ils reeonnaissaient qu'il avail
dit eette parole pour eux. Et le lais-
sant, ils s'en allerent.
13. Et ils lui envoyerent quel-
ques-uns des Pharisiens et des He-
rodiens pour le surprendre dans ses
paroles.
faire formuler eux-memes leiir sentence. Cfr.
MaUli. XXI, 40, 41. Les paroles qui suivent,
veniet et perdet..., furent done proferees par
les Sanhedristes. Elles contiennent une ntie-
nace terrible, annonQantd'iincoleque la vigne
sera violemment enlevee aux vignerons per-
fides, de i'aulre que ces miserables seront per-
sonneliement I'objet des justes vengeances du
proprietaire r deux points qui ne tarderent
pas a se realiser.
10 et 11. — Application de la parabole, a
I'aide d'un texle biblique qui rend la pens^e
de Jesus tout a la fois plus solennelle et plus
transparente. Voyez les details dans I'evan-
gile selon S. Matth. p. 41 8 et s. — Scripturam
hanc, Tyiv Ypa(priv tsutyiv, ce passage ecrit dans
nos sainis Livres. Les hierarques avaient
tres bien repondu ; mais ils ignoraient peut-
6lre, ou du moins ils affeclaient d'ignorer
qu'ils etaient eux-memes les vignerons de la
parabole, menaces, a cause de leur conduits
indigne, des chatiments les plus graves du
Seigneur. Le Sauveur, par ce texte bien
coniiu d'un Psaume que tout le monde regar-
dait corame messianique, leur montre que
c'est eux qu'il a eus en vue dans son alle-
gorie. — In caput anguli. Jesus est la pierre
angulaire qui unit deux murs separes : « An-
gulus duas parietes copulat de diverse ve-
nientes. Quid tam diversum quam circum-
cisio et preeputium, habens unura parietem
de Judaea, alterum parietem de gentibus?
Sed angulari lapide copulantur ». S. August.
Serm. lxxxviii, 11.
12. — Description de I'effet produit sur les
hierarques par ces dernieres paroles de Jesus.
Ce fut comme de I'huile jetee sur du feu.
Comprenant alors que la parabole des vigne-
rons les designait, les condamnait {ad eos est
un hellenisme pour « de eis »), ils devinrent
furieux, exasperes. Aussi auraient-ils execute
sans retard les noirs complots qu'ils avaient
depuis longtemps trames conlre Jesus, si un
puissant obstacle ne les eut arretes pour la
seconde fois : t;i(pour « sed ») timuerunt tur-
bam. Cfr. XI, 18; Luc. xx, 19. lis remirent
done a une occasion plus propice la satisfac-
tion de leur vengeance. En altendanl, ils s'en
vont, sans avoir appris ce qu'ils voulaient
savoir (Cfr. xi, 27 el ss.), et apres avoir ap-
pris ce qu'ils auraient prefere ne pas con-
naitre.
c. Dieu et Cesar, xil, 13-17. — Parall. Mattn.
xxri, 15-22; Luc. xx, 20-26.
13. — Mittunt ad eum... Quoique econ-
duits honteusement, et quoique incapables
d'en venir sur I'heure aux voies de fait a
regard de leur ennemi, les Sanhedristes es-
saient pourtant encore, par des questions
captieuses, d'amoindrir son autorite devant
le peuple. Ne pouvant plus se presenter en
personne apres les scenes humiliantes que
nous venons de lire, ils se font remplacer,
par une deputation, composee de Pharisiens
choisis parmi leurs disci pbs (Cfr. Malth.j
XXII, 16)et d'un certain nombre d'Herodiens.l
Voyez sur ces derniers la note de in, 6, et'
I'Evangile selon S. Malth., p. 426. — tfteum
caperent...; dans le grec, I'vaaO-rov iypBdataai,
expression qui fait image, car elle signifie
litleralement : afm qu'ils lui fissent la chasse.
472
fiVANGILE SELON S. MARC
14. lis vinrent et lui dirent :
Maitre, nous savons que vous etes
veridique, et ne menagez qui que
ce soit ; car vous ne regardez point
au visage des hommes, mais vous
enseignez la voie de Dieu dans la
verite. Est-il permis de payer le tri-
I but a Cesar, ou ne le paierons-nous
ipas?
I 15. Jesus, connaissant leur four-
berie, leur dit : Pourquoi me tentez-
yous ? Apportez-moi un denier, que
je voie.
16. lis le lui apporterent. Et il
leur dit : De qui est cette image et
cette inscription? lis lui dirent : De
Cesar.
14. Qui venientes dicunt ei : Ma-
gister, scimus quia verax es, et non
curas quemquam; nee enim vides
in faciem hominum, sed in veritate
viam Dei doces. Licet dari tributum
Gaesari, an non dabimus?
Id. Qui sciens versutiam illorum,
ait illis : Quid me tentatis? Afferte
mihi denarium, ut videam.
16. At illi attulerunt ei. Et ait
illis : Cujus est imago heec, et ins-
criptio ? Dicunt ei : Csesaris.
Cfr. lo Dictionnaire grec de Henri Etienne,
s. V. dypsOw. S. Mallhieu emploie une figure
analogue, Tiaytoeuoaxri.
14. — Scimus quia verax es... Nicodeme,
I'un des membres les plus illustres du grand
Conseil, avail autrefois adresse a Notre-Sei-
gneur des compliments analogues a ceux-ci,
CIr- Joan, in, 2; mais il parlail en loute sin-
cerile. Acluellemenl au contraire, nou< n'en-
tendons que des flatteries hypocrites. « Mclli-
tis enim verbis Jesum interrogabant, et cir-
cumdabant eum sicut apes mel portantes in
ore, aculeum in tergo. » Pseudo-Hieron., ap.
CaLen. D. Thorn. — Apres ce preambule insi-
nuanl, ou plutot insidieux, vieni la question
plus insidieuse encore: Licet dari... 'f On avail
precedeminent tendu des pieges au Sauveur
sur le domaine religieux ; cette fois on essaie
de Ferabarrasser sur le terrain dangereux
de la politique. La demande est reproduite
d'une maniere incomplete dans la Vulgate.
Le grec porte : 'E^egtc x^vaov Kaiaapi ooOvai,
?) oCi; Sujxev, ?1 |jiYj odiaev; « Licetne censum
Caesari dare, an-non? Dabimus, an non dabi-
mus? » II y eut done deux interrogations
successives, la premieregenerale ettheorique:
Est-il permis de payer le tribut a I'empereur
romain? la seconde particuliere et pratique :
Nous, peuple theocratique, nous acquitterons-
nous de cet impol ? Cette redaction est propre
a S. Marc. Les Pharisiens, ennemis de Rome,
et les Herodiens, chauds partisans de lem-
pire, se presentent done a Jesus comme s'ils
avaient discute sur ce point delicat sans
pouvoir s'accorder, el comme s'ils venaient
I'etablir arbitre de leur querelle, prels a s'en
rapporter a sa decision. Mais en realite, dit
Theophylacte, « cette parole elait lout artifice,
el elle avail un precipice de chaque cote ; car,
si Jesus repondail : II faut payer le cens a
Ce^a^, on excitait conlre lui le peuple, en le
lui presenlanl comme voulant le reduire en
servitude; s'il disait au contraire que cela
n'etait pas permis, on I'accusait de soulever
le peuple conlre Cesar », et les Herodiens
etaienl la pour le livrer aux autoriies ro-
maines.
15. — Sciens versutiam illorum. Le grec
dit « hypocrisim »:c'etaitla en effet I'oeuvre
d'une hypocrisie consommee. S. Matthieu et
S. Luc emploient d'autres exp''es$ions, novr)-
piav, « nequiliam », et TvavoupYiav, « dolums.
Ces petiles variantessont inleressantes a elu-
dier. — Quid me tentatis? Jesus prouve, par
cette parole, qu'il n'est pas dupe de leur ma-
lice. — Afferte mihi denarium. Le verba
(fiptie parait supposer que les Pharisiens len-
tateurs n'avaienl pas sur eux le denier de-
mande : d'aussi saints personnages auraient
sans doute craint de se profaner en portant
habiluellement dans leur bourse une piece de
monnaie couverle de symboles et de litres
paiens. Mais ils n'avaient qu'a faire quelques
pas pour aller la demander a I'un des chan-
geurs du temple.
16. — Cujus est imago hcec?Les traits gra-
ves sur la monnaie que Jesus tenait alors dans
ses mains divines sent bien connus des anti-
quaires el des numisraates. On en trouverait
difticilement de plus beaux, mais on en trou-
verait difflcilementaussi de plus cruels parrai
les nombreuse- effigies qui nous restent des
empereurs remains. — Et inscriptio. Cette
inscription etait conQue dans le style poin-
peux de I'epigraphie latine : « Tiberius Csesar
Di vi August! filius, Augustus, Imperator, etc. »
CHAPITRE XII
473
17.Respondens autem Jesus dixit
illis : Reddite igitiir quae sunt Gse-
saris, Csesari : et quae sunt Dei, Deo.
Et mirabantur super eo.
Rom. 13, 7.
1 8. Et venerunt ad eum Sadducsei,
qui dicunt resurrectionem non esse :
et interrogabant eum dicentes :
Matth. 22, 23; Luc. 20, 27.
19. Magister, Moyses nobis scrip-
sit, ut si cujus frater mortuus fuerit,
et dimiserit uxorem, et filios non
reliquerit, accipiat frater ejus uxo-
rem ipsius, et resuscitet semen fra-
Iri suo.
Deut.i5,5.
17. Et il leur repondit : Rendez
done a Cesar ce qui est de Cesar, et
a Dieu ce qui est de Dieu. Et ils
etaient dans I'admiration a son
egard.
18. Alors vinrent a lui les Saddu-
ceens, qui disent qu'il n'y a pas de
resurrection, et ils I'interrogeaient,
disant :
19. Maitre, Mo'ise a ecrit pour
nous : Si le frere de quelqu'un
meurt et quitte ainsi sa femme et
ne laisse point de fils, que son frere
recoive sa femme et suscite une pos-
terite a son frere.
47. — Reddite igitur... II est probable
qu'il faul lire avec uii grand nombre de ma-
nuscrils qui font autorite:Ta xatCTapo; inoSoxe
xaiaapt, « quae ?unt Cse>aris reddite Csesari ».
Cetle construction rend la phrase plus ener-
gique. La pensee de Jesus est extremement
claire. Ce denier vient de Rome, veut-il dire,
qu'il relourne a Rome! Sa presence en Judee
prouve les droits dii gouvernemi-nt remain
sur la Judee; soyez done les fideles sujets de
Cesar. La reponse de Notre-Seigneur, pre-
sentee sous ci to forme, etait non-seulement
d'une verite iiidiscuiable, mais les plus fou-
gueux Zelotes n'y pouvaient rien trouver a
reprendre. Si les Juifs eussentsuivi le conseil
qu'elle contenait, ils auraient evile une
affreuse guerre avec Rome, la ruine de Jeru-
salem, cia temple etde leur nation. — Et quce
sunt Dei, Deo. Si Cesar peut exigcr qu'on lui
rende ce qui lui appartient, a plus forte
raison Dieu a-t-il droit que I'homme, marqu^
h son image et a sa ressemblance, n'oublie
pas ses devoirs envers lui. — Que de 1 jmiere
dans ces quelques paroles de Jesus! Combien
de rajiporls delicats elles pourraient regler,
si des politiques anti-chretiens voulaient se
laisser regler? — Notons que chacun des
deux partis qui etaient venus tenter Jesus
rpQoit ici la legon qui lui convient. Les Pha-
risiens refusaient a Cesar ce qui lui etait du;
les Herodiens donnaient bien peu de chose a
Dieu : aux uns et aux aulres d'importants
devoirs sont ainsi rappeles. — Mirabantur
super eo. Jesus avait parle comme un nou-
veau Salomon : chacun admire done juste-
ment sa sagesse.
d. La resurrection des morts, xii, 18-27. — Parall.
Malth. XXII, 23-33; Luc. .xx, 27-40.
S. Marc raconte cet episode a peu pres
dans les memes termes que S. Malthieu.
Nous renvoyons done le lecteur, pour I'expli-
cation detaillee, a notre commenlaire sur lo
premier Evangile, pp. 429 et ss.
18. — Sadduccei; dans le grec, (raSSovixaiot
sans article, par consequent : « des Saddu-
ceens »; ce qui est conforme au recit de
S. Luc, oil nous lisons : « quidam sadducaeo-
rum », Naturellement, ce n'est qu'une depu-
tation du parti sadduceen que nous trouvons
en ce moment aux prises avec Jesus. Sur
cette sectepuissante.placee, dans le Judai'sme
d'alors, aux antipodes de celle des Phari-
siens, voyez I'Evang. selon S. Matth., p. 71.
— Dicunt resurrectionem, non esse. Les Sad-
duceens etaient en effet les materialistes du
temps et du pays. — Interrogabant. L^ verbe
est a I'aoriste (eTtspwTYioav) dans la Recepta
ou, par contre, nous lisons epj^ov-rai au present,
au lieu du preterit venerunt.
19. — Les Pharisiens avaient pose deux
questions au Sauveur, I'un? dogmalique,
XI, 28, I'autre politique, xii, 4 4 : les Saddu-
ceens ramenent la discussion sur le terrain
du dogme. Le piege qu'a leur tour ils vien-
nent tendre au Sauveur est d'abord habile-
mens masque par eux derriere un ordre de
Moi'se, t. 19, puis dissimule plus habilement
encore sous un cas de conscience qu'ils in-
ventent pour la circonstance et qu'ils propo-
sent avec beaucoup d'espril, tt. 20-23. —
Si cujus frater. De meme S. Luc. S. Matthieu
dit plus simplement ; « Si quis mortuus I'ue-
rit. » — Dimiserit uxorem. Mieux vaudi'ait
« reliquerit » (xaTa),t7iri). — Resuscitet semen
fratri suo. S. Marc e't S. Luc emploient le
verbe compose ilxvy.ai-har„ qui est plus ex-
pressif que le avaatriaet dii premier Evangile.
20-22. — Apres avoir rappele a Jesus la
« loi du Levii'at » telle que I'avait decretee
MoTse(Cfr. Michael i-, Mosaisches Recht. ii, 98),
les Sadduceens demontrent d'une maniera
474
EVANGILE SELON S. MARC
20. Or il y avail sept freres; le
premier prit uiie femme et mourut
sans laisserd'enfants;
21. Et le second I'epousa et mou-
rut, et il ne laissa pas non plus d'en-
fants. Et le troisieme pareillement.
22. El les sept I'ont epousee pa-
reillement et n'ont point laisse de
posterite : la femme est morle aussi
la derniere de tous.
23. A la resurrection done, lors-
qu'ils ressusciteront, duquel d'entre
eux sera-t-elle la femme? Gar tous
les sept I'ont eue pour femme.
24. Et Jesus leurrepondit:N'etes-
vous pas sur ce point dans I'erreur,
ne comprenant ni les Ecritures ni
la puissance de Dieu?
2o. Gar, lorsqu'ils ressusciteront
d'entre les morts, ils n'epouseront
pas et ne seront pas epouses; mais
ils seront comme les anges dans les
cieux.
20. Septem ergo fratres erant : et
primus accepil uxorem, et raortuus
est non relicto semine.
21. Et secundus accepit eam, et
mortuus est; et nee isle reliquit se-
men. Et tertius similiter.
22. Et acceperunt eam similiter
septem : et non reliquerunt semen.
Novissima omnium defuncta est et
mulier.
23. In resurrectione ergo, cum re-
surrexerint, cujus de his erit uxor?
septem enim nabueruut eam uxo-
rem.
24. Et respondens Jesus, ait illis :
Nonne ideo erratis, non scientes
Scripturas, neque virtutem Dei ?
2o. Gum enim a mortuis resur-
rexerint, neque nubent neque nu-
Lentur, sed sunt sicut angeli in
coelis.
piquante qu'elle est, suivant eux, tout a fait
inconciliable avec le dogma de la resurrec-
tion. — Septern fratres erani. Cetle anecdote
est racontee par S. Marc avec beaucoup de
vie et de rapidite : les details re^-oivent en
outre dans sa narration quelqc'- developpe-
menls plus complets que dans K s Jcux autres
Evangiles. La particule ergo est oraise par
divers manuscrits qui font autorite.
23. — In resurrectione, c'est-a-dire dans
I'autre vie. — Quum resurrexerint. Ces mots
font defaut dans plusieurs temoins impor-
tants (B, C, D, c, Sinait.), et ils semblent en
effel inutiles apres « in resurrectione » : nous
croyons neanmoins a leur authenticite, cetle
repetition etanl parfaitement dans le genre de
S.Marc. « Resurrexerint » a pour sujet « sep-
tem fratres » et « mulier ». — Cujus de his
erit uxor? Les sept freres auront en effet des
droits egaux sur la femme en question.
24. — Respondens Jesus. Les Sadduceens
frivoles avaient pense creer a Jesus une dif-
ficulte inextricable par cette « deductio ad
absurdum » qui terminait etrangenient leur
cas de conscience. Mais ce sont eux, et non
pas lui, qui vont se trouver humilies. —
Nonne ideo erratis...? Tournure propre a
S. Marc. C'est une interrogation a la fagon
des Hebreux, deslinee a exprimer une forte
affirmation. Sans repondre directement a la
question que lui avaient posee ses adver-
saires, Notre-Seigneur ne craint pas de leur
dire qu'ils sont tombes dans une erreur vrai-
ment enorme, et cela par suite de leur pro-
fonde ignorance : d'une part ils ne connais-
senl pas les Saintes Ecritures, d'auire part il
ne se font pas une idee ex-acte de la loute-
puissance de Dieu. — Non scientes est une
construction anormale, calquee sur le grec,
pour a quia nescitis ».
2o. — Revenanl sur son assertion du t. 24.
Jesus en demontre la verite par deux raison-
nements qui correspondent a chacune des
deux parties qu'elle renfermait. — Cum enim
a mortuis... C'est le premier raisonnement :
il developpe les mots « non scientes virtutem
Dei. v— Neque nubent... Ici-bas, le mariage a
ete institue en vue de perpetuer la famille
humaine, qui, sans lui, ne tarderait pas a,
s'eteindre; mais au ciel, ou il n'y aura pas
de vides crees par la raort, cetle institution
n'aura aucune raison d'etre. Les Sadduceens
se trompenl done en prenant les fails de la
vie presente pour criterium de ce qui aura
lieu dans la vie future, comme si Dieu ne
pouvait rien changer a Tetat actuel des hom-
mes. — Erunt sicut angeli. Ces paroles con-
tiennenl I'une des rares revelations positives
qui nous ont dte failes sur noire maniere
d'etre dans I'autre vie. Nous ne pourrions
souhaiter rien de plus honorable.
26 et 27. — De mortuis autem... Second
CHAPITRE XII
Mo
26. De mortiiis autem quod resur-
gant, non legistis in libro Moysi,
super rubum, quomodo dixerit illi
Deus , inquiens : Ego sum Deus
Abraham, et Deus Isaac, et Deus
Jacob?
Exod. 3, 6; Matth. 22, 32.
27. Non est De.us mortuorum, sed
vivorum. Vos ergo multum erratis.
28 Et accessit unus de Scribis,
qui audierat illos conquirentes, et
videns quoniam bene illis responde-
nt, interrogavit eum quod esset pri-
mum omnium mandatum.
Matth. 22, 35.
29. Jesus autem respondit ei :
26. Quant a ce que les morts res-
suscitent, n'avez-vous pas lu dans
le livre de Moise, a Tendroit du
Buisson, commeut Dieu lui parla,
disant : Je suis le Dieu d' Abraham,
le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob?
27. II n'est pas le Dieu des morts,
mais des vivants. Vous etes done
grandement dans I'erreur.
28. Alors, un des Scribes, qui les
avait entendus discuter,s'approcha,
et voyant qu'il leur avait bien re-
pondu, il lui demanda quel etait le
premier de tous les commande-
ments.
29. Et Jesus lui repondit : Voici
raisonnement, el preuve que les Sadduceens
ignorent les Eciilures. S'ils connaissaient
mieiix la Bible, ne sauraieuL-ils pas qu'elle
renferme des textes tres-frappants en laveur
de la resurrection, notamment ceiui ou le
Seigneur s'appelle le Dieu des trois illustres
fondateurs de la nation juive? Jehova, vou-
lant prendre un lilre glorieux, se serail-il
bien nomme le Dieu de queiques ossemenls
reduils en poussiere depuis plusieurssiecles?
C'est ce qu'il faudraildire dans le cas ou les
Sadduceens auraient raison. Mais non, ils se
trompent au contraire grossierement, vos
ergo multum erralis t iesus le leur repete a la
fin de son argumentation. lis s'etaienl ap-
puyes sur le nom et sur I'autorile de Moise
pour embarrasser le Sauveur : celui-ci in-
voque le meme nom et la memo autorile pour
les refuter et les confondre. — L'expressian
super rubum, inl tou pdrou, commune a
S. Marc et a S. Luc, a ete souvent mal com-
prise. Elle ne designe pas le lieu celebre au-
Fres duquel Jehova apparut a Moise, mais
endroit de I'Exode ou se trouve le texte
cite par Notre-Seigneur, II faut done la rat-
lacher a « legistis », et non a « dixerit ».
Les anciens, n'ayanl pas encore de divisions
en chapitres et en versels, no pouvaient ren-
voyer I'auditeur ou le lecleur a lei ou tel
passage des livresqu'ils citaient, que par une
indication liree du sujel, d'une de ses cir-
constances principales, etc. C'est ainsi que
les Juifs donnaienl au chap, in de I'Exode,
a Ezechiel, r, 45-28, a II Reg. i, 17-27, les
noms de Buisson, de Charriot, d'Arc. Com-
parez Rom. xi, 2, ou S. Paul emploie les mots
dv 'HXt'a pour designer la section des Saints
Livres relative a Elie.Les chapitres du Goran
sont souvent indiques de la meme maniere,
comma aussi certaines parties des poesies
d'Homere.
e. Quel est le premier commandement? xii, 28-34.
Parall. Matth. xxii, 34-40.
Le rt5cit de S. Marc est ici beaucoup plus
complet que celui de S. Matthieu. 11 abonde
en traits nouveaux, lellemenl nouveaux par-
fois qu'on a crie a la contradiction dans le
camp rationaliste. Nous apprecierons plus
bas celte accusation.
28. — Accessit unus de Scribis... Details
piltoresques. Ce Scribe, m^le a la foule, avait
assiste sinon a toutes les discussions que Je-
sus venait de soutenir conlre ses adversaires,
du moins a celle qui s'etait livree en dernier
lieu, tT^. 18-27. Charme des reponses du jeune
Docteur, il s'avance respectueusementjusqu'a
lui et lui pose a son tour une question deli-
cate, vivement debattue dans les ecoles
juives (voyez TEvang. selon S. Matth. p. 433) :
Quod esset primmn omnium mandatum. « Om-
nium » est au neulre d'apres le texte grec,
irptoTT) uavTwv £vto),ii (TtaCTwv qu'on trouve dans
queiques manuscrits est une correction arbi-
iraire) ; la traduction litterale de ce passage
serait done : le premier commandement de
toutes choses. Les classiques grecs et latins
employaient souvent tiS;, « omnis », d'une
fagon analogue, pour donner plus de force
au superlatif. Cfr. Winer, Grammalik, p. 160;
Beelen, Gramm. grsecit. N. T. p. 179;
Frilzsche et Schegg, h. 1.
29 et 30. — A I'interrogalion du docteur,
Jesus repond de la maniere la plus simple,
par une citation de la Bible. Vous me deman-
dez quel est le premier commandement.
Pour vous le dire, jo n'ai qu'a vous rappeler
une parole do Moise : Audi, Israel; Domi~
<76
EVANGILE SELON S. MARC
quolest le premier de tous les com-
mandements : Ecoute, Israel; ton
Dieu est le Dieu unique;
30. Et Ui aimeras le Seigneur ton
Dieu de tout ton coeur, et de toute
ton ame, et de tout ton esprit, et de
toute ta force. G'est le premier com-
manderaent.
3 i . E I le second lui est semblable :
Tu aimeras ton prochain comme
toi-meme. II n'y a pas d'autre com-
maudement plus grand que ceux-la.
32. Et le Scribe lui dit : Bon
Maitre, vous avez dit en toute ve-
rite qu'il n'y a qu'un seul Dieu et
qu'il n^y en a pas d'autre que lui;
33. Et qu'on doit Taimer de tout
son coeur, et de toute son intelli-
gence, et de toute son ame, et de
toute sa force ; et aimer son pro-
chain comme soi-meme, c'est plus
grand que tous les holocaustes et
les sacrifices.
Quia primum mandatum est : Audi,
Israel; Dominus Deus tuns, Deus
unus est :
Beut. 6, 4.
30. Et diliges Dominum Deum
luum ex toto corde tuo, et ex tota
anima tua, et ex tota mente tua, et
ex tota virtute tua. Hoc est primum
mandatum.
31. Secundum autem simile est
illi : Diliges proximum tuum tan-
quam teipsum. Majus horum aliud
mandatum non est.
LevU. 19, 18; MaUh.iiL, 39; Rom. 13, 9;Galat. 5, 14;
Jac. 2, 8.
32. Et ait illi scriba : Bene, Magi-
ster, in veritate dixisti, quia unus
est Deus, et non est alius prseter
euni.
33. Et ut diligatur ex toto corde,
et ex toto intellectu, et ex tota ani-
ma, et ex tota fortitudine; et dili-
gere proximum tanquam seipsum,
majus est omnibus holocautomati-
bus, et sacrificiis.
nus tuus... Ces paroles d'introduction, que
S. Marc a seul consorvees, sont celebres dans
le Judai?me, ou elles sont devenues comme
I'expression populaire et conden^ee de la foi
d'Israel. On les nomme le Schema ('J'O'O,
ecoute) : c'est par elles que commence la
priere du malin et du soir, el les Juifs aimenl
a les repeler en guise d'exclamation : Schema
Israeli Cfr. Vitringa, Synag. ii, 3, 45; Bux-
torf, Synag. c. ix ; Schwab, Traile des Bera-
cliolh, p. 177. — JEt diliges... S'il n'y a qu'un
seul Dieu, nous devons I'aimer sans partage,
de touies les puissances de notre ame. C'est
ce qu'exprime energiquement la longue no-
menclature ex toto corde tuo, etc. Dans le
passage du Deuieronome cite par Jesus, on
ne lit" que trois substantifs : 2S, U?SJ, INQ,
coeur, ams et force. Les Septanle tradui-
sent exactement le second et le iroisieme
((}/u)^ri et ouva(xii;) ; ils rendenl le premier par
Stavota, esprit, pensee. Notre-Seigneur, d'apres
S. Marc, i'ondit ensemble le texle et la ver-
sion, en ajoutant un quatrieme substantif
emprunte a celle derniere : xapoia, •]>\)yri, lax'J?
(synonyme de 6uva|j.i?) et Sidvoia. S. Mallhieu
omel iayy^. — Tout, dans Thoinme, doit done
aim( r Dieu : le coeur d'abord, pui>que c'est
I'organe de I'amour; mais aussi lame et I'es-
prit, c'est-a-dire les facultes intellectuelles;
mais aussi la force, c'est-a-dire ['ensemble
de nos energies et de nos puissances. Voycx
Theophylacte, h. I.
31. — Secundum autem... II y a ici plu-
sieurs variantes, peu importantes du reste,
dans le texle grec : xal osyxepa daota aOvij
(Recepta), oeuTspa ojxota ct'jzri (divers manus-
critssuivis par Lachmann), SeuTs'pa aOtri (d'au-
tres manuscrits suivis par Tisctiendorif/. —
On n'a demande au Sauv ur qu'un seul com-
manderaent, et voici qu'il en mentionne
deux! Mais ii existe enlie le preceple de I'a-
mour de Dieu et celui de la charite fraler-
nelle une telle cohesion, qu'ils ne forment en
realite qu'un seul et meme commandement,
qui est I'alpha el I'omega de la Loi.
32 et 33. — Bene, inagister. Le Scribe
avail admire les repon-es anierieures de Je-
sus , celle-ci ne le frappe moins par sa verity,
par sa bonle. II adresse done tout d'abord a
Nolre-Seigneur un eloge public. Puis, non
content d'approuver hautement sa decision,
il la repele avec emphase, quia unus est
Deus... et ut diligatur..., en y ajoutant une
conclusion, majus est omnibus..., qui montre
qu'il en a tres-bien saisi le sens el la portee.
Lui aussi, il cite libreraent le teste du Deu-
34. Jesus autetn videns quod sa-
pienter respondisset, dixit illi : non
es longe a regno Dei. Et nemo jam
audebat eum interrogare.
3b. Et respondens Jesus dicebat,
docens in templo : Quomodo dicunt
Scribse Christum filium esse David?
CHAPITRE XII
477
Et Jesus, voyant qu*il avait
sagement repondu, lui dit : Tu n'es
pas loin du royaume de Dieu. Et
personne n'osait plus I'interroger.
33. Et Jesus, prenant la parole et
enseignant dans le temple, disait :
Comment les Scribes disent-ils que
le Christ est fils de David ?
t^ronome, car il insere dans la serie des fa-
culles hiimaines qui doiveiit aimer Dieu la
<yuv£'(Tt; [intellectus), de meme que Jesus y
avait insere la Stdvoia.
34. — Jesus videns quod... Dans le grec,
lYi(Toy;l8wvauT6v,6Ti...,« videns eum, quod... »:
construction frequemment employee par les
classiques. — Sapienter. Le mot grec corres-
pondant, voyvexw;, ne se rencontre pas ailleurs
dans le Nouveau Testament. Cast une abre-
viation pour vouv exovtw?. — Dans la parole
adressee au Scribe par Notre-Seigneur, Non
es longe a regno Dei, de Wette et d'autres
interpretes veulent voir une litote, mais a
tort ; en effet, ce Docteur de la Loi, bien qu'il
eut manifeste des sentiments tres sympa-
thiques a la personne de Jesus, ne croyait
pas encore en son caractere messianique et
divin, ce qui etait necessaire pour faire par-
lie du Royaume de Dieu. Neanmoins la scene
qui precede a suffisamment montre qu'il etait
sur le seuil de I'Eglise, et qu'il n'avait plus
qu'un pas a faire pour devenir un citoyen du
Royaume des cieux. De la celte parole encou-
rag'eanle, par laquelle Jesus le presse d'ac-
querir ce qui lui manque et de devenir un
Chretien complet. « Si non procul es, intra ;
alias praestilerit procul fuisse. » — Arrivons
maintenant a la difficulle que nous avons
annoncee au debut de cet episode. S. Mat-
thieu et S. Marc ne se contredisent-ils pas?
D'apres le premier Evangile, le Scribe nous
est ouvertement presente comme un ennemi
d-e Jesus : « Les Pharisiens, apprenant que
Jesus avait reduit les Sadduceens au silence,
se reunirent, et I'un d'eux, Docteur de la Loi,
I'interrogeaPOURLE tenter. »Malth.xxii, 34
et 35. Dans le second Evangile au contraire,
non seulcment ce Scribe ne parait avoir eu
aucune intention hostile, mais il admire
Notre-Seigneur, t. 28, il le comble d'eloges,
t. 32, et merite d'en etre loue a son tour.
N'est-ce pas le ouietlenonsur un meme point?
Assurement, pour quiconque cherche et veut
trouver quand m^medes contradictions dans
les recils evangeliques, les variantesque nous
venons de signaler en fourniront une qu'on
peut faire valoir sans beaucoup de peine ;
mais nous nions qu'elle existe pour les esprits
serieux, impartiaux, non imbus de prejuges
S. Bible. S.
dogmatiques. On concilie aisement les deux
recits en disant que les Evangeiistes envi-
sagent I'incident a deux points de vue dis-
tincls. Ce qui a frappe surtout S. Maithieu,
c'est le motif qui conduisit le Scribe aupres
de Jesus : de fait, il se presentait pour tendre
un piege a Notre-Seigneur; nous le voyons
agir tout d'abord comme le champion des
Pharisiens, quoiqu'il ne parlageat ni toute
leur haine centre Jesus, ni toutes leurs idees
dtroites en fait de religion. C'est precisement
ce cote recommandabie du Docteur, son im-
partialite, le courage avec lequei il reconnuL
la verite, que S. Marc a voulu metlre en re-
lief. De la les couleurs differentes des deux
narrations. Mais, en reunissant ces trails
epars, on obtient un tableau tres unique, oil
tout s'accorde parfailement. — Nemo jam
audebat... Tel fut le resultat de ces nom-
breusesaltaquesdirigees coup sur coup centre
le Sauveur par ses ennemis. Elles aboutirent
pour eux a un echec complet. Naguere si
audacieux, les voila maintenant intimides,
reduits au silence. Qui aurait ose desormais
se mesurer avec Celui aui avait ainsi triom-
phe desprelres etdes rabbins?
f. Le Messie et David, xu, 35-37. — Parall,
Matih. xxH, 41-46; Luc. xx, 41-44.
35. — Respondens Jesus. Tous les adver-
saires de Jesus se taisenl. Pour lui, il prend
la parole afin de rendre leur defaite plus
complete. II les humilie d'abord en leur po-
sant un probleme qu'ils sent incapables d©
rdsoudre, tt. 35-37; puis, il met le peuple en
garde contre ces guides hypocrites, tt. 38-40.
— Docens in templo. La scene continue done
de se passer sous les galeries du temple
(ev Tw lepw), par consequent en face de la
foule, que les discussions precedentes avaient
attiree aupres de Jesus et de ses ennemis. Ce
trait est propre a S. Marc. — Quomodo dicunt
Scribce... C'esl-a-dire : « Quomodo consist ere
potest quod dicunt Scribae, scilicet, Chri-
stum esse filium David? » Remarquez la dif-
ference oui existe ici entre les recits du pre-
mier et du second Evangile. Contre I'ordi-
naire, c'est S. Maithieu qui est le plus pitto-
resque, le plus complet; il decrit I'incident
sous la forme d'un dialogue qui eut lieu
Marc. — 12
ils
EVANGILE SELON S. MARC
36. Car David lui-m6me a dit,
inspire par rEsprit-Saint : Le Sei-
gneur a dit a mon Seigneur : As-
si^ds-toi a ma droite, jusqu'a ce que
j'aie fait de tes ennemis I'escabeau
de tes pieds.
37. David lui-m6rae I'appelle done
Seigneur; et comment est-il son
filstEt une grande foule Tecoutait
avec plaisir.
38. Et il leur disait dans ses en-
enseignements : Gardez-vous des
Scribes, qui veulent marcher avec
de longues robes , et etre salues
dans les places publiques,
39. Et s'asseoir sur les premiers
36. Ipse enim David dicit in Spi-
ritu sancto : Dixit Dominus Domino
meo: Sede a dextris meis, donee po-
naminimicos tuos scabellum pedum
tuorum.
Psal. 109, 1; Matth. 22, 44; Luc. 20, 42.
37. Ipse ergo David dicit eum
Dominum, et unde estfilius ejus? Et
multa turba eum libenter audivit.
38. Et dicebat eis in doctrina sua :
Cavete a Scribis, qui volunt in stobs
ambulare, et salutari in foro,
Match. 23, 5; Luc. II, 43 et 20, 46.
39. Et in primis cathedris sedere
entre Jesus et les Pharisiens. S. Marc abrege,
et presente le fait comme si c'eul ele une
simple question adressee aupeuple parNolre-
Seigneur touchant I'enseigneinenl des Scribes.
La narration de S. Luc tient le milieu entre
les deux aulres.
36. — Ipse enim David. Le pronom « ipse »
€st emphalique. De meine au versel suivanl.
David, parlant dans le Ps. cixe (cxe d'apres
I'hebr.) comme un prophete inspire, et don-
nant au Messie le titre de Mon Seigneur, ne
conlredit-il pas I'assertion des Scribes? Esl-il
possible en elTet qu'on soit en meme temps le
fils et le Seigneur de quelqu'im? Telle est
robjeclion proposee par Jesus. Voyez I'expli-
cation delaillee dans I'Evangiie selon S. Mat-
thieu, p. 435.
37. — Unde est filius ejus'^M. Renan ose
affirmer que Nolre-Seigneur Jesus-Christ, par
celte argumentation, repudie pour ce qui le
concerne toule pretention a une origine davi-
dienne. Un autre rationaliste, M. Colani, a
ete ou plus clairvoyant, ou plus sincere,
quand il a dit ; « Ce raisonnement de Jesus
n'est pas un argument frivole et des plus
subtils, destine a jeter les Scribes a leur
tour dans I'embarras, comme ils ont essaye
de I'y jeter a plusieurs reprises. Ce n'est pas
un tour de sophiste. S'appuyant sur un pas-
sage d'un psaume, qu'il interprete comme les
Scribes eux-memes, il declare que le Messie
doit elie infiniment plus grand qu'un David,
qu'un roi temporel. » Jesus-Christ et les
croyances messianiques de son temps, p. 105.
En effet, infiniment plus grand, puisqu'il est
vraimenl Fiis do Dieu. Telle est la clef de
I'enigme : David appelle le Christ son Sei-
gneur, bien qu'd dul etre son fils d'apres la
nature humaine, parce qu'il devait participer
en meme temps a la nature divine. Ainsi
done, les Scribes n'ont pas tort, et le pro-
phete royal a raison. — Et multa turba eum
libenter audivit. Beau trait, que nous ne trou-
vons que dans le second Evangile. « Multa
turba »; dans le grec, 6 ttoau; 6y).oz, avec I'ar-
ticle, la foule exlrememeiit nombreuse qui
s'etait groupee autour d(3 Jesus L^^ peuple,
qui a si facilcaient le sens du vrai et du
divin, elait done, charme par I'eloquence du
Sauveur, suspend u a ses levres, comme Ton
dit. Les Phansien-. s'elaient pourtant propose
de le rendre hostile a Jesus ;c'est le contraire
qui est arrive.
g. Cavete a Scrib:s. xii, 38-40. — ParaU. Matth.
xxm, 1-36; Luc. xx, 45-47.
38 et 39. — « Apres avoir refute los Scribes
et les Pharisiens, Jesus biule, ainsi qu'avec
du feu, ces modeles arides. » S. Jerome, in
Matlh. Feu brulant, en verite, qui reduit en
cendres le masque de la sainteto pharisai'que,
Mais S. Marc n'a conserve qu'un court cxtrait
du long discours, tout parseme d'analhemes,
que nous avons lu dans S. Mallhieu (voyez
le Commentaire, pp. 436 et ss.). Le requisi-
toire de Jesus conlre les Pharisiens avait
nioins d'importance pour les Ibcteurs du se-
cond Evangile que pour ceux du premier.
Neanmoins, les quelques lignes citees par
notre Evangeliste resument fort bii^n la pen-
see du Sauveur, en nous presentant les vices
les plus saillants et les plus caracteristiques
de la secte orgueilleuse, avarc, hypocrite. —
In doctrina sua. De meme en grec : ev i%
otSaxri auToO. C'est-a-dire « dum doceret »,
ou bien « in scrmone suo ». Cl'r. iv, 2. —
Cavste a scinbis. G'est le mot d'ordre. Defiez-
vous de vos Docteurs ! Prenez garde a leurs
mauvais exemples, qui pourraient vous en-
trainer au mal ! Les details qui suivent jusli-
CHAPITRE XII
179
in synagogis, et primos discubitus
inccBnis;
40. Qui devorant domos viduarum
sub obtentu prolixsB orationis : hi
accipient prolixius judicium.
41. Et sedens Jesus contra gazo-
phylacium, aspiciebat quomodo tur-
ba jactaret ses in gazophylacium, et
multi divites jactabant multa.
Luc. 24, I.
42. Gum venisset autem vidua
sieges dans les synagogues, et aux
premieres places dans les festins;
40. Qui devorent les maisons des
veuves sous pretexte de prieres
prolongees. lis subiront un juge-
ment plus prolonge.
41. Et Jesus, s'etant assis vis-a-
vis du tronc, regard ait de quelle
maniere le peuple y jetait de I'ar-
gei)\. el plusieurs riches y en je-
taient beaucoup.
42. Mais une pauvre veuve, etant
fient celte recommandation de Jesus, donnent
]a raison de eel oslracisme. — Qui volunt...
Le Saiiveur aUaqiie d'abord I'orgueil pha-
risaique. Qiialre traits piltoresques nous
monlrent les Scribes superbes en qii^te de
toute sorte d'honneurs. — In alolisamhidare.
La « stola » ((jto),t) des Grecs) etait une sorle
de robe longue et floltante, qu'on portait au-
trefois aussi bien en Occident qu'en Orient.
Les Phansiens aimaient a donner a ce vete-
ment de vasles dimensions, pour mieux alti-
rer par la rallenlion du public. — Salutari
in foro. Ces vaniteiix personnages -voulaient
que tout le monde s'inclinat profondement
devanl eus. lis avaient meme porte des de-
crets dans ce but. — II leur fallait aussi
les premiers fauteuils dans les synago-
gues, les premiers divans dans les festins,
c'est-a-dire les places les plus honorables
dans les assemblees soit sacrees, soit pro-
fanes. — Remarquez, a la fin du t. 39, un
changement dans la construction. Au lieu
d'un verbe a I'infinitif, « discumbere », nous
avons un substantif a raccusalif, discubitus,
qui depend egalement de « volunt ». C'est co
qu'on appelle « oralio variala ». Dans le texte
grec, ce changemi^nt avait eu lieu des le
"t- 38 : y.od aoTCaajj-ou; £V xat? aywpaT?, xat itpto-
toxaOoOpta; ev xat? ayvaYwyat;. . .
40. — Jesus fletrit en second lieu I'avarice
des Scribes. — Devorant domos viduarum.
Crime deja bien revoltant en hii-meme, mais
aggrave encore par une circonstance qui y
ajoulait la malice d'un sacrilege, sub obtentu
proUx(v orationis. — Prolixius judicium, iea
de mots a la faQon crientale. Dieu, s'il est
permis de parler ainsi, sera prolixe dans son
jugement a I'egard des Scribes, de meme
qu'ils auront fait semblant de I'elre dans
leurs prieres impures.
5. — Le denier de la veuve, xn, 41-44,
Parall. Luc. xxi, 1-4.
Episode pacifique qui termine une journee
de lutles ardentes, perle des plus gracieuses
du S. Evangile, Ce trait contraste d'une ma-
niere frappante avec les dernieres paroles du
Sauveur, t. 40. Jesus vient de nous montrer
de pretendus hommes de Dieu qui devo-
raient avidemenl les ressources des veuves.
Nous voyons ici une veuve reduite a la der-
niere pauvrete et donnant quand meme tout
son avoir pour la gloire du culle divin.
41. — L'Evangeliste decrit d'abord la si-
tuation. Quel vivant tableau il trace par
quelques mots! Le temple et ses cours, Jesus
assis sous le portique, la multitude bigarree
despelerins qui vient jeter ses aumones dans
les troncs : c'est tout un monde que S. Marc
place ainsi sous nos yeux. — Sedens. Son
discours termine, Notre-Seigneurs'etait done
retire du milieu de la foule et etait venu so
reposer sur un des bancs places dans la cour
des parens. — Contra gazophylacium. Ce
nom, forme du mot persan greciseya^a, tresor,
et de (pyXaaaetv, garder, servait a designer
tantot le tresor du temple, Cfr. Jos. Ant.
XIX, 6, 1, tantot les troncs destines aux
offrandes, qui se trouvaient dans les divers
parvis. II a ici cetle seconde signification.
C'est en face de i'lin de ces troncs que Jesus
etait alors assis. — Aspiciebat, IQewpgi, il
regardaitavec attention, il examinait la scene
qu'il avait sous les yeux. — Quomodo turba
jactaret... Les Juils etrangers, venus en
grand nombre a Jerusalem pour la Paque,
apportaient tour a lour leurs aumones volon-
taires. — Multi dioites jactabant mulla. II y
a dans ces mots une emphase visible. On
croirait voir ces riches faisant lomber avec
ostentation leurs genereuses otfrandes dans
le tronc.
42. — Mais quelle antithese! Voici qu'au
milieu de la foule s'avance vidua una pauper,
qui, elle aussi, veul donner quelque chose
pour le temple. « Una » et « pauper » sont
evid(Mnmenl opposes a « multi divites » du
"Sir. 41. Les mots suivants, misit duo miniita^
sent de meme opposes a « jactabant multa ».
Mais qu'est-ce qu'un « minulum))? ou mieux.
r80
fiVANGILE SELON S. MARC
Tenue, j mit deux petites pieces
valant le quart d'uu as.
43. Et, appelant ses disciples, il
leur dit : Je vous dis en verite que
cette pauvre veuve a plus mis que
tons ceux qui out mis dans le tronc.
44. Car tous ont mis de ce qui
abondait chez eux ; mais elle a mis
de son indigence, tout ce qu'elle
avait, tout ce qui lui restait pour
vivre.
una pauper, misit duo minuta, quod
est quadrans.
43. Et convocans discipulos suos,
ait illis : Amen dico vobis, quoniam
vidua hsec pauper plus omnibus
misit, qui miserunt in gazophyla-
cium.
44. Omnes enim ex eo quod abun-
dabat illis miserunt : hsec vero de
penuria sua omnia quae habuit mi-
sit, totum victum suum.
CHAPITRE XIII
Jesus prophetise la destruction du tpmple de Jerusalem [tt. 1-4). — Partant de la, il decrit
les divers evenements qui precederont soil la ruine de Jerusalem, soit la fin du raonde
[tt. 5-31). — Exhortation a la vigilance (tt. 32-37).
1. Et, comme il sortait du temple,
lun de ses disciples lui dit : Maitre,
1. Et cum egrederetur de templo,
ait illi unus ex discipulis STiis : Ma-
qu'est-ce qu'un ),£::t6v, puisque telle est
I'expression employee dans le texte grec?
S. Marc I'explique a ses lecteurs remains, en
disanl que deux lepla equivalaicnt au qua-
drans latin. Or le « quadrans » eiait, comme
son nom i'indique, le quart d'un as, el I'as
ne valant que six centimes environ, les deux
lepta ofFerts par la veuve ne faisaient guere
plus d'un Hard. Voyez Ant. Rich. Diet, des
antiq. grecq. el lat. aux mots As et Quadrans.
43. — Convocaiis discipulos. Jesus ne veut
point laisser passer ce bel exemple sans en
tirer une legon pour ses disciples. C'est dans
ce but qu'il les appelle aupres de lui. —
Vidua hcvc...plusomnibus jnisit.v Plus misisse
dicitur vidua, non si muneris per se magni-
ludinem, sed si viduae, si pauperis inopiam
caritatemque consideres : quia viduae et pau-
per! plus duo minuta erant, quam diviti per-
mulla; et majoris erat caritatis viduam duo
ilia, quibus vitam suam sustenlalura erat,
dare minuta, quara divitem grandem pecu-
niam in Dei thesaurum inferre. » Maldonal.
C'est done par comparaison et d'une maniere
relative que Jesus atlribue a I'obole de la
veuve une valeur superieure aux riches
offrandes des autres donateurs. — Qui mise-
runt. II vaut mieux lire « miltunt » au pre-
sent, d'apres les meilleurs manuscrits. En
effet, les assistants continuaient d'apporter
leurs aumones sous les yeux de Jesus et des
Apotres.
44. — Oinnes enim... Le Sauveur explique
mainlenant son elonnante assertion. Les
autres ont donne de leur abondance, de leur
sup?rflu : cette pauvre veuve a donne au
contraire de son indigence. Aux autres il est
done reste plus ou moins : a cette veuve il
n'est absolument rien reste. — Omnia qiice
habuit misit : eWe ne s'esl pas meme reserve
unlepton! — Totum victum suum est une
apposition einphatique a « omnia quae ha-
buit ». Le grec porte 6),ov t6v pi'ov axjxf,^, litle-
ralement : toute sa vie. — Une grande legoa
se degage de ce gracieux episode, par lequel
se termine si suavemenl le ministere public
de Nolre-Seigneur Jesus-Christ : « Non quan-
tum se ex qu'anto ». Beaucoup d'ames I'ont
comprise. Du haul du ciel, comme autrefois
de la cour du temple, Jesus voit et benit ces
humbles ouvrieres, ces enfants pauvres, qui
donnent en faveur des bonnes oeuvres « totum
victum suum. »
6. — Le Discours eschatologique. xiii, 1-37.
Farall. Mattb. xxiv, 1-51; Luc. xxi, 5-36.
a. Occasion du Discours. xill, 1-4.
C'est dans le second Evangile que cette
petite Preface est le plus complete et le plus
dramatique.
CHAPITRE Xlii
181
gister, aspice quales lapides, et
quales structurae.
Matth. 2i, 1 .
2. Et respondens Jesus, ait illi :
Vides has omnes magnas sedificatio-
nes? Non relinquetur lapis super
lapidem^ qui non destruatur.
Luc. 19, 44 et 21, 6.
3. Et cum sederet in monte Oli-
varum contra templura, interroga-
bant eum separatim Petrus, et Ja-
cobus, et Joannes, et Andreas :
4. Die nobis, quando ista fient? et
voyez quelles pierres et quelles
structures !
2. Et Jesus lui repondit : Vous
voyez toutes ces grandes construc-
tions? II ne sera pas laisse pierre
sur pierre qui ne soit renversee.
3. Et, comme il etait assis sur le
mont des Oliviers en face du tem-
ple, Pierre, Jacques, Jean et i\.ndre
Hnterrogerent en particulier :
4. Dites-nous quand cela arrivera.
Chap. xiii. — 1. — Cum egrederetiir de
templo, Le soir venu (ces choses se passaient
encore dans la journee da mardi saint), Jesus
quitla le temple comme aiix deux jours pre-
cedents, pour se retirer a Belhanie. Mais il y
avaitalorsceladeremarquable,qu'il lequittait
pour n'y plus revenir. Le prophete Ezechiel,
a la fin d'une vision terrible, xi, 22 et 23,
raconle comment il vit Jehova abandonner le
temple et la cite de Jerusalem devenus indi-
gnes de lui : « Et elevaverunt Cherubim alas
suas et rotae cum eis; et gloria Dei Israel
erat super ea. Et ascendit gloria Domini de
medio civitatis, stelitque super montem qui
est ad orientem urbis. » De meme, en cet
instant, le Messie repudie son palais, sa ca-
pilale el son peuple. — Ait... unus ex disci-
pulis.S. Marc, plus precis que les deux aulres
synopliques, attribue la reflexion qui suit a
un seul des Apolres. — Magister, aspice...
Jesus et les siens descendaienl probablement
alors les degres qui conduisaient a la vallee
du Cedron. C'est de ce cote que les murs du
temple presenlaient I'aspectle plus imposant.
On y voit encore plusieurs de ces pierres
gigantesques {quales lapides] qui excilaient
I'admiralion des disciples. L'historien Josephe
n'exagere nuUement quand il dit que la plu-
parl des blocs qui entrerent dans la construc-
tion du temple mesuraient 23 coudees de
longueur, sur 8 de hauteur, et 12de largeur.
Cfr. Bell. Jud. v, 6, 8^ Ant. xv, M, 3, Aussi,
en plusieurs endroils, les beliers romains
durent-ils battre les murs six jours durant
pour y faire quelques breches legeres.
2. — Le disciple qui avait pris la parole
semblait sous-entendre : De pareilles cons-
tructions defient les ravages du temps! Jesus
le delrompe en lui revelant leur Iriste desti-
nee, — Has omnes magnas (Bdifirationes est
emphatique et correspond a « quales lapides
et quales structurae » du i^. 1 . — Non relin-
quetur : dans le grec. oO ixr) dysO^ avec una
double negation, et le subjonctif aoriste : deux
circonstances qui fortifient la pensee. Cfr.
Winer, Grammat., p. 449. — Qui non destrue-
tur. Le grec, S; oO |x^ xaraXueT) (de nouveau
deux negations et ie conjonct. aor.), serait
mieux traduit par « qui ne soit desagregee,
separee des aulres pierres ». Quaranie ans
s'etaient a peine ecoules depuisceite predic-
tion, qu'elle elait deja en grande partie rea-
lisee. Le vent des jugemenls divins avait
passe sur le temple de Jerusalem, comme
sur les palais de Thebes et de Ninive. Qu'en
reste-l-il aujourd'hui?Rien,absolument rien;
car, a vrai dire, les pierres enormes qui
atlirent encore ralleniion des pelerins ne
faisaient point partie du temple : elles for-
maienl ou des murs d'enclos ou des substruc-
tions destinees a soutenir les terrasses.
3. — Cum sederet in monte Olivanun. Je-
sus et ses disciples gravirenl probablement
en silence les flancs de la montagne des Oli-
viers, livres les uns et les aulres a de peni-
bles reflexions. Arrives au sommet de la col-
line, a mi-chemin enlre Jerusalem et Belhanie,
ils s'arrelent pour prendre un peu de repos,
et Jesus s'assied sur le gazon. — Contra tem-
plum. Trait graphique, propre a S. Marc,
et servant de trail d'union pour amener la
question des Apolres. Les derniers rayons du
soleil couchanl devaient en ce moment cou-
vrir d'or le temple et ses dependances, leur
communiquanl une nouvelle beaule. — Pe-
trus, Jacobus, et Joannes et Andreas. « Unus
Marcus narral hos fuisse qui Christum inter-
rogarunt. Nola Petri mentionem. » Palrizi,
In Marc. Comm., p. 174. C'etaient les quatr©
premiers Apotres attaches a Jesus d'une ma-
niere definitive. Cfr. i, 16-20. S. Andre nous
apparait ici a cote des trois disciples les plus
intimes : d'ou Ton a conclu parfoisque c'etait
lui peul-etre qui avait attire I'atieniion de
Jesus sur le temple, V. 1. — Separatim:
relalivement aux aulres membres du CciliegH
apostolique, qui etaient restes a I'ecarL
4. — Die nobis... La question est plus com-
482
fiVANGILE SELON S. MARC
et quel signe ily aura quand toutes
ces choses commenceront a s'ac-
complir?
5. Et Jesus^ leur repondant, com-
menca par dire : Prenez garde que
personne ne vous seduise.
6. Car beaucoup viendront en mon
nom, disant que c'est moi; et ils
seduiront plusieurs.
7. Et, lorsque vous entendrez par-
ier de guerres et de bruits de guer-
res, ne craignez point ; car il faut que
ces choses arrivent, mais ce ne sera
pas encore la fin.
quod signum erit, quando haec omnia
incipient consummari?
0. Et respondens Jesus coepit di-
cere illis : Videte ne quis vos sedu-
cat :
Ephes.5, 6;I[ Thes.% 3.
6. Multi enim venient in nomine
meo dicentes, quia ego sum; et mul-
tos seducent.
7. Cum audieritis autem bella, et
opiniones bellorum, ne timueritis :
oportet enim hsec fieri : sed nondum
finis.
plete et plus claire dans le premier Evan-
gile. Elle avail trait a trois points dislincts :
\o I'epoque de la destruction du temple fc'est
le quando ista fient de S. Marc) ; 2° ies signes
du second avenemenl du Messie; 3" Ies pro-
Boslics de la fin du monde. Le hcer. omnia de
noire Evangelists reunit ces deux derniers
points.
b. Premiere partie du Discours : La proph^lie.
xm, 5-31 .
Nous avons note a differentes repri-es que
S. Marc est par excellence I'Evangeliste de
Paction, et que,s'il cite volontiers Ies paroles
detachees du Sauveur, il s'arrele rarement
a exposer ses instructions de longue haleine.
Le Discours oschatologique est un-^ de ces
rares exceptions : il etait trop important
pour etie passe completement sous silence.
Mais S. Marc, sans en rien retrancher d'es-
seniiel, I'abrege d'une manierenotable. comme
il avail fait pour Ies paraboles du royaume
messianique. II suit gi^neralement de tres
pres la redaction de S. Matlhieu : il est nean-
moins souvenl original, doniiant de temps a
autre de ces details graj)hiqups et precis
auxquels il nous a accoulumes. Nous serons
fidele a signaler Ies plus interessants. Pour
le fond des choses nous renvo^^ons le lecteur
a noire commenlaire sur S. Malthieu, pp. 436
et ss. Rappelons seulemenl que toutes Ies
idees de ce discours sont groupees par Notre-
Seigneur autour de deux grands fails, la des-
truction de Jerusalem et le second avenemenl
du Mes>ie.
1<> Pronostics de la ruine de Jerusalem et de la fin
du monde. xm, 5-13.
o. — Ccepit. L'un des mots favoris de
S. -Marc. — Videte. Ce grave avertissement,
que nous entendons des le debut du discours,
relentira de temps a autre comme une de ses
notes dominant"S. Cfr. tTf. 9, 23, 33. A
chaqiie instant reviendront aussi Ies conseils
analogues : Veillez, supportez, priez! — Ne
quis vos seducat. Grand danger, qui menace
lous Ies hommes, duranl loute leur vie el de
mille manieres. II fautdonc« prendregarde »,
si Ton veut y echapper.
6. — Multi enim... La particule « enira »
montre que le Sauveur va deveJopp'^r son
exhortation pressante du t. 5. II altlie Tat-
tcntion de ses disciples sur divers signes
qui leurannonceront en premier lieu la proxi-
mite de la ruine de Jerusalem, pui-;, a la tin
d'^s temps, celle du jugemenl general. —
Venient in nomine meo... Premier signe,
I'apparilion d'un grand nombre de pseudo-
messies. — Multos seducent. Ces faux Chrisls
ne reussirent que trop a seduire Ies Juifs
avanl et pendant la guerre avec Rome. Jo-
sephe raconte que plusieurs d'entre eux en-
trainer- nt a leur suite dans le desert d'im-
menses multitudes auxquelles ils avaient pro-
mis de faire voir des prodiges eclalanis. Bien
plus, a I'heure ou le temple brulait, six mille
personnes de tout age el de loute condi-
tion y penetrerent sur la parole d'un faux
propliele el perirent affreusemenl dans Ies
flammes. La fin du monde ne Irouvera pas
Ies imposleurs moins nombreux, ni Ies foules
moins credules.
7. — Cum audieritis... Second s gne, Ies
guerres rapprochees et lointaines. Bella in-
diqiie en effet, di^s combats qui auront luni a
proximite; opiniones bellonun, a/oi; ttoae'jwv,
des bruits de guerre, c'est-a-dire des combats
livres a distance. — Ne timueritis. De meme
que Ies Chretiens ne devront pas se laisser
seduire par I'erreur, de meme ils devrjnt
veiller a ne pas se laisser egarer par la peur,
qui est si souvenl une mauvaise conseilleie et
CHAPITRE Xlir
483
8. Exurgel enim gens contra gen-
tem, et regnum super regnum, et
'erunt terrse motus per loca, et fa-
ifies. Initium dolorum hsec.
O.Videte autem vosmetipsos.Tra-
dent enim vos in consiliis, et in
synagogis vapulabitis, et ante prse-
sides et reges stabitis propter me,
in testimonium illis.
10. Et in omnes gentes primum
oportet praedicari Evangelium.
11. Et cum duxerint vos traden-
8. Gar on verrase soul ever nation
centre nation et royaume centre
royaume, et il y aura des tremble-
ments de terre en divers lieux et des-
famines. Ge sera le commencement
des douleurs.
9. Orprenez garde a vous-m6mes;
car on vous traduira devant les tri-"-
bunaux, et vous serez battus dauf,
les synagogues, et vous paraitretJ
devant les gouverneurs et les rois (i
cause de moi, en temoignage devant
eux.
10. Et il faut auparavant que
I'Evangile soit preche dans toutes
les nations.
11. Et, lorsqu'on vous conduira
-ui a cause lant d'apostasies. — Nondum
f,nis. Ces premiers signes ne seronl que des
preliminaires, annonQant des dangers plus
terribles.
8. — Exurget gens... Troisieme signe : les
peuples, les empires, souleves les uns contre
les auires, et occupes a s'entre-detruire.
<f Quum videris regna so invicera turbantia,
disaienl de meme les Rabbins, tunc exspectes
vestigia Messise. » Beresch. Rabb. sect. Li. Cfr.
Lighlfoot, Hor. hebr. h. I. — Terrce motus per
loca. Quairieme signe, d'effroyables Iremble-
menls de terre, arrivant en divers lieux. —
Et fames. Cinquieme signe. Le texte grec en
ajoute un sixieme, xalxapaxat (etdes troubles,
des revolutions;, mentibnne seulement par
S. Marc, si tant est que cos deux mots soient
authentiques, car ils sont omis par des ma-
nuscrits qui font autorite (B, D, L, Sinait.)
Le grec repefe le verbe laoviai avant ).t!iol, ce
qui est d'un bel effi't : « et erunt terrae mo-
tus.... et erunt fames. » — Initium dolorum
hwc. Que sera done la douleur elle-mem?, si
les malheurs signales jusqu'ici n'en sont que
le prelude? Ces maux prealables, d'apres la
traduction litterale du mot grec wowcov, se-
ront a la catastrophe finale ce que sont les
souffrances qui precedent renfantement a
celles qui I'accompagnent. Jesus ne pouvait
pas choisir une comparaison plus energique.
■ , Du reste, les prophetrs avaient souvent em-
'"^ ploys la meme image.
9. — Videtc vosmetipsos. Trait propre a
S. Marc. Oi OpiET; Ja-jTou; est emphatique «
Prenrz garde a vous, pour ne point chanceler
dans la foi, car la chair est faible, et elle aura
beaucoup a endurer! — Tradent enim vos...
Yoici maintenant le tableau des epreuves qui
attendent les Chretiens aux deux s^oques
indiquees. « Tradent » ; on les livrera comrae
des criminels a toute sorte de tribunaux :
tribunaux juifs et ecclesiastiques, in conciliis
((uivs'Spia, les Sanhedrins de divers degres.
Voyez I'Evang. selon S. Matth. p. 1 1 2 et suiv.)
et in synagogis; tribunaux civils et paiens, ante
prcEsides et reges. S. Matthieu ne mentionne
pas ici tous ces details ; mais il les avail rap-
portes ailleurs, dans I'lnstruction pastoral©
de Jesus a ses discipl(>s, x, 17, 18. — Les
verbes vapulabitis, stabitis sont dramatiques.
— In testimonium illis: non pas sU xarriYoptav
xat llexx.ov auTwv, comme le veut Euthyinius,
mais plutot « ad attestandum illis nomen
meum », d'apres le t- suivant. Par tous ces
mauvais traitements supporles avec courage,
vous prouverez la divinite de mon oeuvre. La
persecution contribuera ainsi a la propaga-
tion de I'Evangile.
10. — Et in omnes gentes... Autre passage
special a S. Marc. Les mots £i; Tiavxa la. iSvyj
sont mis en avanl d'une maniere emphatique.
— Primum : c'cst-a-dire avant la « fin » dont
il a ele question au t. 7. Et en effet, « avant
la destruction du temple, S. Paul soul avail
poTte I'Evangile dans une grande parlie de
Pempire remain. Les autres Apotres avaient
travaille a proportion. L'Apolre S. Pierre
adresse sa premiere Epitre aux fideles du
Pont, de la Galalie, de la Cappadoce, de I'A-
sie, de la Bithynie. S. Paul ecritaux Romains
que la reputation de lour foi est re|)andue
par tout le monde. » Calmet, h. 1. Et di^puis,
quels immenses progres n'a pas fails I'Evan-
gilel
11. — Nouvelle pensee propre a S. Marc.
Les autres Synoptiques la placent ailleurs,
Cfr. Matth. x, 19; Luc. xii, 11 ; xxii, 14;
preuve que Jesus I'exprima plusieurs fois ea
484
fiVANGILE SELON S. MARC
pour vous livrer, ne premedilez pas
ce que vous direz; mais dites ce
qui vous sera donne a I'heure meme,
car ce n'est pas vous qui parlez,
mais I'Esprit-Saint.
12. Alors le frere livrera le frere a
la mort, et le pere le fils, et les en-
fants s'eleveront contre les parents
et les mettront a mort.
13. Et vous serez hais de tous a
cause de mon nom; mais celui qui
restera ferme jusqu'a la fin, celui-la
sera sauve.
14. Or, quand vous verrez I'abo-
mination de la desolation s'elevant
la ou elle ne doit pas etre (que ce-
tes, nolite prsecogitare quid loqua-
mini : sed quod datum vobis fuerit
in ilia hora, id loquimini; non enim
vos estis loquentes, sed Spiritus
Sanctus.
Malih. 10, 19; Luc. 12, 11 el 21, 14.
12. Tradet autem frater fratrem
in mortem, et pater filium : et con-
surgent filii in parentes, et morte
afficient eos.
13. Eteritis odio omnibus propter
nomen meum. Qui autem sustinue-
rit in finem, hie salvus erit.
14. Gum autem videritis abomi-
nationem desolationis, stantem ubi
non debet (qui legit, intelligat), tunc
differentes circonstances. Elle contient en
effel line grande consolation pour le di?ciple
persecute, la promesse d'une assistance loute
spec^ale de TEsprit-Saint. — Apres loquamini,
on lit dans la Recepta ^r,ol \i.u.-f\i7.-t, expres-
sion tres classique cliez les Grecs pour desi-
gner la preparation laborieuse d'un discours.
— Datum est synonyme de « inspiratum ». —
Jn ilia hora, c'est-a-dire quand vous serez
arrives devanl vos juges. — Le present estis
est pittoresque : Jesus suppose par anticipa-
tion que la situation qu'il vient de decrire
est deja realisee, et il contemple ses disciples
improvisant de sublimes apologies sous la
diciee de I'Esprit-Saini. Quel encouragement
pour eus dans cette promesse !
is. — Ce passage a ele egaiement omis par
S. Matlhieu. — Tradet autem frater... Le
Sauveur predit mainlenant aux siens une
f)eine plus cruelle encore que la precedente,
es persecutions et la trahison de la part de
leurs proches. Les liens les plus sacres de la
>^ nature cesseront d'exister, ou plutot ils seront
H une cause de plus grande haine, de poursuites
^ plus acharnees.
f 13. — Eritis odio omnibus... Ces paroles
resumenl le sort des chreiiens aux deux
grandes epoques de crise prophetisees par
Jesus : ils seront de la part de tous ceux qui
ne partageront par leur foi, amis et ennemis,
Tobjet d'une profonde inimitie. — Qui autem
sustinuerit... Conclusion de ce premier ta-
bleau. De toutes parts, soit avant la ruine de
Jerusalem, soit avant la fin du monde, il sur-
gira pour les disciples du Christ des dangers
redoutables, qui menaceront leur salut eler-
nel. Que faire pour ne pas succomber? Une
ieule chose, tenir ferme, perseverer jusqu'au
bout. Le verbe grec uTtoiisvu, traduit ici par
« sustinere », dans I'Evang. selon S. Matth.
XXIV, 13, par a porseverare », est tres expres-
sif : il signifie lilteralement « je reste des-
sous », et suppose qu'on demeure debout
malgre toute sorle de difficultes provenant
du dehors. On ne le rencontre que trois fois
dans les Evangiles. — Hie est emphatique.
Celui-la et pas un autre.
2<> Pronoslics qui concernent sp^cialement la ruine
de Jerusalem, xui, 14-20.
En cet endroit, le recit de S. Marc differe
a peine de celui du premier E.vangile,
XXIV, 15-22.
14. — Sur les mots abominationem desola-
tionis, voyez I'Evangile selon S. Matthieu,
pp. 460 et 461. Dans le texte grec, ils sont
precedes de rarticlo, t6 pSi'Xuyp-o'"^? epy,jjLW(jcw?,
ce qui parait supposer que Notre-Seigneur
parlait d'une chose connue et altendue en Pa-
lestine. Et en effet, aucun Juif n'ignorait la
prophetie de Daniel. « Abomination de la de-
solation » etail done un terme technique pour
designer d'affreux malheurs qui devaient
fondre sur la ville sainte et plus specialement
sur le lieu saint. Boilv^iia (de pScXOffsw, pro-
voquer le degoiit, surtout par une mauvaise
odear) n'apparait que six fois dans les ecrits
du Nouveau Testament: ici. dans le passage
parallele de S. Matth. xxiv, 15 ; Luc. xvi, 15;
■ Apoc. XVII, 4 el 5 ; xxi, 27. Les LXX appli-
quent ce substantif aux idoles et a lout ce
qui se rattache au cuke paien. Cfr. Ill Reg.
XI, 5, 33 ; IV Rog. xvi, 3 ; xxi, 2, etc. —
Iramediatement apres cette locution obscure,
on lit dans la Recepta : t6 pr,9£v i/-n.b AavtriX
Tou TtpoyTiTou. Mais c'est la probablement une
glose apocryphe, ou du moins empruntee a
la redaction de S. Malthieu. — Sianlem ubi
CMAPITRE XIII
185
qui in Judaea sunt, fugiant in mon-
ies;
Dan. 9, 27; Match. 24, Id; Luc. 21,20.
IS.Et qui supertectum,ne descen-
dat in domum, nee introeat ut tollat
quid de domo sua :
16. Et qui in agro erit, non re-
vertatur retro tollere vestimentum
suum.
17. Vse autem prsegnantibus, et
nutrientibus in illis diebus.
18. Orate vero ut hieme non fiant.
19. Erunt euim dies illi tribula-
tiones tales, quales non fuerunt ab
initio creaturse, quam condidit Deus,
usque nunc, neque fient.
lui qui lit comprenne!), alors que
ceux qui sont dans la Judee fuieut
vers les montagnes;
13. Et que celui qui est sur le
toit ne descende pas dans la maison
et n'entre pas pour emporter quel-
que chose de sa maison.
16. Et que celui qui sera dans le
champ ne retourne pas en arriere
pour prendre son vetement.
17. Mais malheur aux femmes
enceintes et a celles qui nourriront
en ces jours-la !
IS.Priezdoncpourque ces choses
n'arrivent point en hiver.
19. Car ces jours seront des tribu-
lations telles qu'ii n'y en a point eu
depuis le commencement des crea-
tures que Dieu a formees, jusqu'a
present, et qu'il n'y en aura jamais.
non debet. C'est-a-dire, d'apres S. Malthieu,
« in loco sancto », dans le lemple, que son ca-
raclere sacre devrait preserver de toute pro-
fanation.— Qui legit intelligat. Avertissement
pressant, glisse selon loute vrai?emblance
par I'Evangeliste an milieu des paroles de
Notre-Seigneur. Voyezi'Evang. selon S.Matth.
p. 461 ; Patrizi, de Evangeliis, lib. I, c. i, no 3 1 .
— Tunc : immediatement apres i'apparilion
de I'affreux malheur predit par Daniel, il fau-
dra fuir sans hesiter. — Qui in Judcea... in
montes. De toules les provinces juives, c'est
la Judee qui eut le plus a souffrir, soil de la
part des Roraains, soit de la part des Zelotes,
durant I'horrible guerre qui se termina par
la mine de 1 Etat juif. De la cet avis special
k I'adresse des chreiiens qui y avaient elabli
leur residence.
1 5 el 1 6. — Deux images tres piltoresques,
pour monirer avec quelle rapidite chacun
devra quitter la Judee, aussitol qu'aura paru
« I'abominalion de la desolation, r Assure-
ment, il ne faut pas les prendre a la lettre ;
ce sont de vives hyperboles pour dire : Fuyez
'' au plus vite! S. Marc, sans rien ajouler a
1 idee, est plus complet, plus explicite dans
I'expression. S. Malthieu, pour le premier
exemple, dit seulemenl : « Qui in lecto, non
descendat tollere aliquid de domo sua. »
Notre Evangeliste, fidele a son genre drama-
tique, distingue deux actes, descendre du
toil, nee descendat in doimim, et enlrer dans
la maison, nee introeat. De meme pour le
second exemple. S. Malthieu . « Non rever-
talur tollere » ; S. Marc : Non revertatur re-
tro (elgToc om'ffw, c'esl-a-dire des champs a la
ville) tollere...
17 et 18. — Autres details piltoresques,
destines a faire ressoriir I'etendue des mal-
heurs qui menacent Jerusalem, et la neces-
siie de prendre une promple fuite si Ton desire
y echapper. — Vce n est pas une malediction
en eel endroit, mais plulol une exclamation de
profonde sympaihie : Pauvres meres, qui ne
pourrez fuifassez vite! — Orate vero... Apres
ces deux premiers empechementsqui devaient
retarder la fuite. a savoir le desir d'emporter
quelque chose et I'embarras des pelils en-
fants, Jesus louche a un Iroisieme empeche-
ment, ceiui qui peut venir du temps. En
hiver le terrain est detrempe, les rivieres
debordent, et ce sont la, en Orient surtout,
de serieux obstacles a une marche rapide. —
Le sujet de fiant est sous-entendu dans la
Vulgate. C'est-a-dire, les malheurs qui obli-
geront les chreiiens de s'expatrier. Dans le
grec, on lit apres yevriTai les mols f, 9uyy) ufifiv,
« fuga vestra ». Mais ils sont omis par d'ira-
portants manuscrits (B, D, L, Sina'it., etc.).
— S. Marc ne fail pas mention du sabbat
(Cfr. Matth. xxiv, 20), parce que cette cir-
constance avail peu d'interet pour ses lec-
teurs remains.
19. — Erunt... enim dies illi tribulalioiies
tales. Expression Ires energique, propre a
S. Marc.Elle signifie que le caraclere special
des jours donl parle Jesus sera la peine et la
tribulation. La construction reguliere serail:
« Erunt in diebus illis iribulationes tales... »
— Quales non fuerunt... Voyez I'Evangile
^86
EVANGILE SELON S. MARC
20. Et, si le Seigneur n'avait
abrege ces jours, aucune chair n'au-
rait ete sau vee ; mais a cause des elus
qu'il a choisis il a abrege ces jours.
21. Et alors, si quelqu'un vous
dit : Voici que le Christ est ici, le
voici la ! ne le croyez point.
22. Car il s'elevera de faux christs
et de faux prophetes, et ils feront
des signes et des prodiges pour se-
duire, si faire se pent, meme les elus.
23. Vous done, prenez garde;
voila que je vous ai tout predit.
24. Or, en ces jours-la, apres cette
tribulation, le soleil sera olDscurci et
la lune ne donnera plus sa lumiere.
2b. Et les etoiles du ciel torube-
20. Et nisi breviasset Dominus
dies, non fuisset salva omnis caro :
sed propter electos, quos elegit,
breviavit dies.
21. Et tunc si quis vobis dixerit !
Ecce hie est Christus, ecce illic, ne
credideritis.
Match, ii.i^; Luc. 28.
22. Exurgent enim pseudochristi,
etpseudoprophetae, et dabunt signa,
et portenta ad seducendos, si fieri
potest,, etiam electos.
23. Vos ergo videte : ecce prse-
dixi vobis omnia.
24. Sed in illis diebus, post tribu-
lationem illam, sol contenebrabitur,
et luna non dabit splendorem suum :
Isai. 13, 10; Ezech. 32, 7; Joel. % 10.
25. Et stellse coeli erunt deciden-
selon S. Mallh., p. 463. Cfr. Tacile, Hist, v, 1 3.
— Creatarw. quam condidit, xTtaew; fic, Ixxtaev
(^; ail geiiiLif, au lieu de t;v, en verlu de {'at-
traction) : repetition a la maniere de S. Marc.
20. — Nisi breviasset Dominus... Le verba
xo),o6oa), que le Nouveau Testament n'emploie
qu"ici et dans le passage parallele de S. Mat-
thieu (xxiv, 22), a le sens de « amputare ».
Cfr. II Reg. IV, 12, dans la traduction des
Septante. Mais, comme le verbe hebreu "lyp ,
« I'alce amputare » ^Ps. ciihebr.), il se dit au
moral du temps qu'on abrege. — Non fuis-
set salva omnis caro. C'est le bD~{<S hebreu,
« non omnis » pour « multa. « Si Dieu, dans
sa pitie, n'eut abrege le temps du siege de
Jerusalem, aucun Juif n'aurait survecu a tant
d'horreurs et de niiseres. Cette « abreviation »
misericordieuse (breviavit dies) se manifesta
de deux manieres, d'une part dans les me-
sures actives et vigoureuses des assiegeants,
d'aulre part dans la folle confiance et les
guerres miestines des a-sieges. Elle eut lieu
propter electos, en vue des Chretiens que Dieu
voulait sauver. — Quos elegit. Nouveile repe-
tition, semblable a celle du t. 4 9.
Zo Pronostics qui concernent spScialement la fin
du monde. xm, 21-31.
21 el 22. — Et tunc... Ce « tunc » nous
transporte subitemenl a la fin des temps, vers
I'epoque du second avenement du Christ.
Telle est, depuis I'ere patristique, I'inlerpre-
tation la plus suivie. « II ne faut pas prendre
ce mot ALORS dans le sens que cela doive
arriver lout de suite, mais dans le sens que
la realisation de cette prophelie succedera a
celle de la ruine de Jerusalem ». Theophy-
lacte. En apparence, Jesus range done sur
un meme plan des evenements qui devaient
etre separes par un long iutervalle. — Pseu-
dochristi et pseudoprophetce... C'est la predic-
tion du f. 6, developpee et appliquee d'une
maniere speciale aux derniers jours du
monde. — Dabunt signa. Ces faux Christs et
ces faux propheles opereront, avec I'appui de
Satan leur maitre, des prodiges aussi nom-
breux qu'eclalants, Dieu le permeitant ainsi
pour eprouver les justes. — Ad seducendos.
Dans le texte original, le verbe est compose,
aTTOTiXavi^v, seduire totalement. S. Mallhieu
emploie le verbe simple, uXav^cjai.
23. — Vos ergo videte. Repetition empha-
tique d'une exhortation que Jesus a deja
adressee deux fois aux disciples depuis le
commencement de son discours (Cfr. tt. 5
et 9). S. Marc est seul a la signaler. L'adjec-
tif omnia, egalement emphatique, apres jpree-
dixi., lui appartient aussi en propre.
24 et 25. — La partieule sed inlroduit de
nouveaux details, dont I'ensemble forme une
tragedie terrible qui doilse realiser aux der-
niers jours du monde, in diebus illii^. — Les
mots post tribulationem illnm ne designent
plus I'abomination de la desolation [tt. 14
et 19), mais les malheurs decrils plus bas,
ft. 2i et 22, et propres a la fin des temps.
Cfr. Matth. xxiv, 29. — Sol contenebrabi-
tur... Nous interprelons lilleralement ces
divers phenomenes ^voir notre eommenlaire
surS. Matthieu, p. 466), que deux des Apotres
auxquels s'adressait alors Notre-Seigneur,
S. Pierre et S. Jean, ont menlionaes dans leur*
CHAPITRE XIII
187
les, et virtutes, quae in coelis sunt,
movebuntur.
26. Et tunc videbunt Filium ho-
minis venientem in nubibus cum
virtule muUa, et gloria.
27. Et tunc mittet angelos suos,
et congregabit electos suos a qua-
tuor ventis, a summo terrse, usque
ad summum coeli.
Match. lii.Zl.
28. A ficu autem disci te parabo-
1am. Gum jam ramus ejus tener fue-
rit, et nata fuerint folia, cognoscilis
quia in proximo sit aestas :
29. Sic et vos cum videritis hsec
fieri, scitote quod in proximo sit in
€|stiis.
30. Amen dico vobis, quoniam
non transibit generatio hsec, donee
omnia ista fiant.
ront, et les vertus qui sont dans le
ciel seront ebranlees.
V!6. Et alors on verra le Fils de
I'homme venant dans les nuees avec
une grande puissance et une grande
gloire.
27. Et alors il enverra ses anges
et il rassemblera ses elus des quatre
vents, de I'extremite de la terre
jusqu'arextremite du ciel.
28. Apprenez du figuier une pa-
rabole : Lorsque ses rameaux sont
encore tendres et que ses feuilies
viennent denaitre, vous connaissez
que Fete est proche.
29. Ainsi, quand vous verrez ces
choses arriver , sachez que c'est
proche, que c'est a la porte.
30. En verite, je vous dis que
cette generation ne passera pas
avant que toutesces choses arrivent.
ecrils commit devanl se realiser a la fin du
mondo. Clr. II Pelr. 1-13; Apoc. xx, xxi. —
Virlules quce in cwlis sunt (Mallh. « cceIo-
riim », d'apres Is. xxxiv, 4^ movebuntur. Les
astres, sorlant de leur orbite accoutumee,
erretonl qk et la : il n'y aura done plus d'har-
monie dans leur niarche, d'ou resullera un
ebranlement universel, aa.lz\)f^riGo\xai. — Sur
la conslriiclion erunt decidentes, voyez Bee-
len, Gramm. p. 380.
26. — El tunc. Cette expression, reiteree
trois fois presqne coup sur coup, Cfr, tt. 21
et 27, marqu(^ solennellement le rhythrae dans
cetle propnetie qui est cadencee a la faQon des
oracles de I'Ancien Testament. — Videbunt
Filium hominis. Sans mentionner, comme I'a
fail S. Malthieu, le signe du Messie faisant
d'abord dans le ciel son apparition subite,
S. Marc introduit immediateinent sur la scene
le Christ iui-naeme, qui se presentera tout
environne de puissance et de gloire, ainsi
qu'il convient au Fils de Dieu, au Roi Iheo-
cratique.
27. — Congregabit electos, « cum tuba et
voce magna », ajoute S. Malthieu. Le Christ
reunira ses elus a la maniere dont les He-
breux etaient autrefois convoques auxsainles
assemblees. Cfr. Ex. xix, 13, 16, 19; LpvII.
XXIII. 24 ; Ps. Lxxx, 3-5. — A summo terra
usque ad summum cce/i. Expression qui dilfere
un peu de celle que nous lisons dans le pre-
mier Evangile (« a summis coelorum usque
ad terminos eorum »), bien que le sens *'>it
le meme de part et d'autre. La locution de
S. Marc suppose, d'apres les idees populaires
des ancions, une terre aplatie, donl les cxlrd-
miles etaient de loutes parts entourees, en-
cadrees en queique sorle, par les robords in-
ferieurs de la calotte descieux. Eilesignifle :
d'un bout de la lerre a I'aulre.
28. — Ab arbore fici discite... Deux fois
deja le figuier avail donne aux disciples de
graves enseignements. Cfr. xi, 13 et ss.; Luc.
XIII, 6-9. Voici qu'il est elabli leur docleur
(otTto TTj; awr.a [laOsTe) a un nouveau point
de vue. — Ramus est colleclif et designs
I'ensemble des rameaux.
29. — Sic et vos... De meme que I'homme
naturel est sensible aux signcs varies des
temps et des saisons, de meme il faut que le
Chretien sache reconnailre aux pronoslics in-
diques par le Sauveur (cum videritis hcEC fieri)
I'approche de la grande crise qui mttlra fin
au monde present. — In proximo sit inostiis.
« Ecce judex ante januam a>sistil », ecrit
S. Jacques employanl la meme figure, et
faisant peul-elre alkision aux paroles de Je-
sus. Jac. V, 9.
30. — Conclusion solennelle de toute la
prophetie qui precede {M. 5-30). NotreS^'i-
gneur, revenant sur les deux grandes idees
autour desquelles a roule la premiere parlie
de son discours, c'esl-a-dire, d'une pari sur
la ruine de Jerusalem et ses sign(>s avant-
coureurs, de I'aulre sur la fin du monde et
SOU divers preludes, annonce que tout se pas-
l&VANGILE SELON S. MARC
31. Le ciel et laterre passeront;
mais mes paroles ne passseront pas.
32. Mais, quant a ce jour ou a
cette heure, personne ne salt rien :
ni les anges dans le ciel, ni le Fils,
maislePere seul.
33. Prenez garde, veillez et priez;
car Yous ne savez quand ce temps
viendra.
31. Coelum et terra transibunt,
verba autem mea non transibunt.
32. De die autem illo vel bora
nemo scit, neque angeli in ccelo,
neque Filius, nisi Pater.
33.
Videte, vigilate, et orate
nescitis enim quando tempus sit.
Malth. 24, 42.
sera comme il I'a predit. Les mols generatio
hcec designenl done soil les Juifs contempo-
rains de Jesus, soil la race humaine en gene-
ral, selon qu'on envisage I'une ou I'autre de
ces deux calastroplies. Voyez I'Evang. suivant
S. Malthieu, pp. 468 et 469.
34 . — Comme si la formule « amen dico
vobis»ne suffisait pas pour garanlir la verite
parfaite de son assertion, Jesus y ajoute une
antithese frappante. 11 met en regard le ciel,
la terre, ces objets qui paraissenl si stables
dans leur existence, et ses paioles qui avaienl
deja cesse de retentir sur la cime du mont
des Oliviers. Et pourtant le ciel et la terre
passeront, mais ses paroles ne passeront
pas! Quelle noble et Gere assurance dans un
tel langage ! Qui eut ose le tenir, si ce n'est
leFilsdeDieu?
C. Seconde partie du Discours : La pare'nese.
xm, 32-37.
C'est ici surtout que S. Marc abrege et
condense. II n'a que six versets pour expri-
mer ce qui occupe un chapitre el demi dans
le premier Evangile. Cl'r. Matth. xxiv, 36-
XXV, 46.
32. — De die autem illo vel hora. C'est-a-
dire I'epoque precise de la fm du monde.
Apres avoir affirme d'une maniere generale
que personne ici-bas ne connait ce jour et
cette heure lerribles, nemo scii, Jesus specifie
davantage, et signale deux sortes d'etresqui,
^, par suite de leur nature sublime et de leurs
I rapports intimes avec Dieu,sembleraient de-
' voir posseder sur ce point des connaissances
particulieres : ce sont, d'un cote, Angeli i7i
cceio, de I'aulre, Filius, leFils de I'homme, le
Messie.Or, des Anges et du Fils de I'liomme
il assure qu'eux aussi ils ignorent le jour et
I'heure du jugement dernier. On congoit que
les mots ouoE 6 ulo?, propres a S. Marc, aient
tree quelque difficulle au point de vue theo-
logique. Les heretiques anciens et modernes
(autrefois les Ariens et les « Agnoetee », au-
jourd'hui les protestants) en ont abuse pour
imposer a la science du Christ dos limites
plus ou moins elroites. Mais il y a longtemps
que les Peres, par des distinctions aussi
clairesque 9f)lides,en ont indiquele veritable
sens. Citons quelques-unes de leurs paroles :
« Quomodo Filius nescire potest quod Pater
novil, quum in Patre Filius sit? Sed cur
NOLiT DicERE ostendit alio loco (Act. i, 7) ».
S. Ambr., In Luc. xvii, 31. De meme S. Au-
gustin, In Psalm, xxxvi : « Quia Dominus
noster Jesus Christus magister nobis missus
est, eliam Filium hominis dixit nescire ilium
diem, quia in magisterio ejus non erat UT
PER EUM sciRETUR A NOBIS. Neque enim
aliquid scit Pater quod Filius nescil, quum
ipsa scientia Patris ilia scit quae sapit^ntia
ejus est : est autem Sapientia ejus, Filius
ejus, Verbum ejus. Sed sicut quia nobis scire
non proderat quod quidem ille noverat, qui
nos docere venerat, non tamen hoc quod
nobis nosse non proderat; non solum sicut
magister aliquid docuit sed sicut magister
aliquid non docuit ». Cfr. de Trin. xii, 3;
S. Hil. de Trin. ix, et les commentaires de
Jansenius, de Maldonat, de Patrizi, h. K
Nous citerons encore I'excellente interpre-
tation de Fr. Luc : « Filium hominis, id est,
se quatenus est homo, nescire dicit (Jesus),
diem ilium, non simpliciter sed suo modo...
Nulli creaturae diem ilium revelal Deus,
quem naturali intelleclu impossibile est asse-
qui, sed anima Christi, quae creatura est uti-
que, eum videt in natura Dei cui unita est.
Quia igitur hoc singulare est, nullique crea-
turae commune, quod Chrislus Filius hominis
sit etiam Filius Dei, et ex eo solo novit Filius
hominis quod unitus est Filio Dei, ignora-
turus alioqui cum caeteris creaturis, etiam
sublilissimis... In quem sensum D. Grego-
rius, 1. viii, ep. 42, dicit Christum nosse qui-
dem hunc diem in natura humanitatis, sed
non ex natura humanitatis ». Comm., h. 1.
Voyez aussi Bossuet, Meditat. sur I'Evan-
gile, Dern. Semaine, 77e et 78e jour. — Nisi
Pater. « Par ce secret impenetrable, dit fort
bien D. Calmet, Jesus veut nous contenir
dans une vigilance et une attention conti-
nuelles,et reprimer en nous la vaine curiosite
et les recherches inutiles au salul ».
33. — Videte (c'est-a-dire « attendite »),
vigilate et orate. L'exhortation devient pres-
sante et rapide. Le troisierae verbe, ■jipoaey-
xecOs, manque dans quelques manuscrits
CHAPITRE XIII
489
34. Sicut homo, qui peregre pro-
fectus reliquit domum suam, et de-
dit servis suis poteslatem cujusque
operis, et janitori prsecepit ut vi-
gilet.
35. Vigilate ergo (nescitis enim
quando dominus domus veniat :
sero, an media nocte, an galli cantu,
an mane),
36. Ne cum venerit repente, inve-
niat vos dormientes.
37. Quod autem vobis dico, omni-
bus dico : Vis:ilate.
34. Comme un homme qui, s'en
allant au loin, laisse sa maison et
donne pouvoir a ses serviteurs, a
chacun suivant sa fonction, et com-
mande au portier de veiller.
35. Veillez dene (car vous ne sa-
vez pas quand viendra le maitre de
la maison, le soir ou au milieu de la
nuit ou au chant du coq ou le matin),
36. Afin que, lorsqu'il viendra
subitement, il ne vous trouve pas
endormis.
37. Or ce que je vous dis, je le
dis a tons : Veillez.
(B, D, a, c, k) ; il a neanmoins des garanlies
suflisantes d'authenticite. L'idee qu'il ex-
prime est Ires-naturelle. Incapable d'etre
assez allentif par lui-meme, a cause de I'in-
souciance et de la legerele qui lui sont pro-
f res, I'homme doit demander du secours au
Seigneur pour n'elre pas surpris par I'arrivee
soudaine du dernier jugement {tempus; dans
le grec, 6 xaipo; avec rarlicle).
34. — Sicut homo... Cette petite parabole,
par laquelle Notre-Seigneur corrobore son
exhorlation, differe un peu de ceile que nous
lisons dans le passage parallele du premier
Evangile, xxiv, 45 el ss. Lk, le personnage
principal etait, un majordome, e'est-a-dire le
premier de tous les serviteurs; ici e'est un
janitor, le dernier des esclaves. La, Jesus
recommandait par-dessustout la fidelite dans
la vigilance; ici il exhorte a la vigilance
« simpliciter ». Le Sauveur eut done recours
dans cette circonstance ci plusieurs simili-
tudes, parmi lesquelles chaque Evangelisle a
fait son choix. Ainsi s'expliquent leurs diver-
gences.— Qui peregre pro fectiis est. Cfr. xii, ^
et le commentaire. Allusion manifesto au pro-
chain « depart » de Jesus. — Potestatem cu-
jusque operis. La Vulgate a lu e?o\j(7tav Jy.aaxoy
ToiJepYoy, mais la vraie leQon est certaine-
menl celle de la Recepta : Sou; toT; 8ou),oi?
auTou TYjv e^ouaiav, v.aX JxacfTw to epyov aOtou...
« Ayant donne le commandement a ses ser-
viteurs, a chacun son emploi », il recom-
manda specialement au portier de veiller. —
La phrase demcure inachevee a la fin du ver-
set. On peut suppleer : De meme, moi aussi,
je vous ordonne de veiller. Ou bien, a la
faQon de la traduction anglaise : « Le Fils de
I'homme est comme un homme... »
35 et 36. — Application de la parabole. —
Vigilate ergo. Jesus repeie son mot d'ordre
avec emphase. II repete de meme avec quel-
ques developpements (Cfr. t. 33) le motif
pour lequel ses disciples devront veiller sans
cesse dans I'attentede son second avenement:
Nescitis enim... — Ser-o, an media nocte...
Ce sont les noms techniques des quatre divi-
sions de la null chez les Remains. La Mischna,
Tamid. i, -1, 2, raconle que, pour obligor a
une vigilance perpetuelle les Levites qui mon-
taient la garde dans le Temple pendant la
nuit, un pretre venait de temps en temps,
mais a des heures varices et a I'improviste,
frapper a la porte du lieu saint, qu'on devait
aussitol lui ouvrir. G'est ainsi que fait le Fils
de Dieu. — Cum venerit repente. G'est sur
cet adverbe {i^aicf^rii) que repose l'idee prin-
cipale.
37. — Omnibus dico. « Non solum enira
illis dixit quibus tunc audientibus loqueba-
tur, sed etiam illis qui fuerunt post illos ante
nos, et ad nos ipsos, et qui erunt post nos,
usque adnovissimumejus adventum. » S.Aug,
Ep. Lxxx. — Vigilate. Dans la redaction
de S. Marc, le discours cschalologique se ler-
mine par cette parole vigoureusement accen-
tuee. Les premiers Chretiens, afin de s'exci-
ter plus vivement a mettre en pratique la
recommandation de Jesus, aimaient a prendre
des noms qui la leur rappelassenl sans cesse.
De la oes Vigilius, ces Gregorius (rpr-,Yop£iTe)
si souvent mentionnes dans les inscripliojis
des Catacombes,
49fl
fiVANGILE SELON S. MARC
CHAPITIIE XIV
Complot du Sanhedrin contre Jdsus {ft. 1 et 2). — Le repas et I'onction de Belhanie
{1ft. 3-9).— Le honleux marche de Judas [ft. 10-11]. — Preparatife du feslin pascal
{lit. 12-16). — Gene legale [tf. 17-21). — Gene eucharistique (at. 22-23). — Trois pre-
dictions (tt. 26-31). — Gethsemani [tt. 32-42). — L'arreslalion (ft. 43-52). — Jesus
devant le Sanhedrin [tt. 53-63). — Le renieraent de S. Pierre (tt. 66-72).
1. Or, deux jours apres, c'etait la
P^que et les Azymes; et les princes
des pretres et les Scribes cher-
chaient comment ils se saisiraient
de lui par ruse et le feraient mourir.
2. Mais ils disaient : Pas au jour
1. Erat autem Pasclia et Azyma
post biduum : et quaerebant summi
sacerdotes, et Scribae, quomodo eum
dolo tenerent, et occiderent.
Matth. 26, 1 ; Luc. 22, 1.
2. Dicebant autem : Non in die
III. — « Christus patiens». xiv-xv.
((Nunc aspergamus librum nostrum de san-
guine, et limina domorum, et funem cocci-
neum circumdemus domui orationis nostras,
et coccum in manu nostra... De Chrisli enim
occisione narrat Evangelista. » Pseudo-Hie-
ron. ap. Caten. S. Thorn, h- 1.
1.— Complot du Sanhedrin. xiv, 1-2. — Parall.
Matth. XXVI, 3 5; Luc. xxii, 1-2.
Chap. xiv. — 1 • — Erat autem Pascha et
Azyma. Dans le grec, t6 itaaxa xal toc (S^ufia,
avec un double article, pour marquer la lete
par excellence du Judai'sme, la grande solen-
nite nationale et religieuse des Hebreux. Sur
I'origine des mots Paque et Azymes, voyez
I'Evangile selon S. Malthieu, pp.' 491 et 501.
On s'est parfois demande pour quel motif
S. Marc a reuni ces deux noms, alors que
I'un ou I'autre eut parfaitement sufiB. Plu-
sieurs interpretes, restreignant le sens de
(( Pascha » de maniereane lui faire designer
jci que I'agneau pascal, ont suppose que I'E-
vangeliste avait surtout en vue le repas legal
du 14 nisan, qui se trouverail ainsi designe
f)ar ses deux mets principaux, I'agneau el
es pains azymes. Mais cette raison nous pa-
rait peu convaincante, puisque, dans ce pas-
sage, il est question de la solennite consi-
deree dans son ensemble, et pas seulement
de la Gene. Peut-etre la formule (( Pascha et
Azyma » (mjfam nos) etait-elle parfois em-
ployee a I'epoque de Notre-Seigneur pour
denommer la P^que. Mais il nous semble
plus probable que S. Marc n'a voulu associer
ces deux noms techniques qu'afin de montrer
a ses lecleurs d'origine paienne qu'ils indi-
quent une seule el meme fete. Gfr. Luc.
XXII, 1. — Post biduum... C'est-a-dire le
surlendemain. Ce qui va suivre se passait
done le 12 nisan, le mardi de la Semaine
Sainle.—Quwrebant summi sacerdotes... S.Mai'
thieu, dont la narration est plus complete,
nous montre les Sanhedristes se reunissant
en seance solennelle chez Cai'phe, le prince
des pretres, el tenant une consultation en
regie sur le sujel en question. S. Marc note
du moins clairement le but de leurs efforts,
quomodo eum dolo tenerent... Ri-marquons
cet (( eum » significatif. Jesus n'a pas ete
nomme depuis les premiers versets du chap.
XIII. Mais on sail a qui les membres du grand
Gonseil pensent d'une maniere conlinuelle
depuis bienlot deux ans. — Nous avons fail
remarquer en expliquant le passage parallele
de S. Malthieu, xxvi, 4, que le substantif
(( dolo » ne retombe que sur « tenerent », et
pas sur (( occiderent ».La principale difficulte
consistait en effet a se saisir de la personne
de Jesus. Une fois arrele, les Sanhedristes
sauront bien se defaire de lui, soil juridique-
ment, soil au besoin en recourant au poi-
gnard d'un sicaire.
2. — Dicebant autem. La Recepta porte
aussi Qeyov Se; mais les manuscrilsB, G, D, L,
Sinait. ont Qsyo^ Y«P» " dicebant enim. » —
Non in die festo; ou mieux, d'apres le grec
(|j.ri Ev T^ iopixi), (( non in festo », c'est-a-dire
pendant les hull jours que durail la fete. Les
Sanhedristes reculaient ainsi d'une grande
semaine el au-dela I'arrestation de Jesus. —
Ne forte tumuUus fieret... « Ex communiter
contingenlibus»(Gfr. I'Evang. selon S. Matth.
p. 493), el vu les dispositions favorables du
peuplepour Jesus, un soulevement etait fort
a craindre si Ton ne procedait avec la plus
grande prudence dans cette affaire delicate.
C'est pourquoi les membres du grand Con-
CHAPITRE XIV
491
festo, ne forte tumultus fieret in po-
pulo.
3. Et cum esset Bethanise in domo
Simonis leprosi, et recumberet ; ve-
nit mulier habens alabastrum un-
guenti nardi spicati pretiosi, etfra-
cto alabastro, effudit super caput
ejus.
Maiih, 26, 6; Joan. 12, 1.
4. Erant autem quidam indigne
ferentes intra semetipsos, et dicen-
tes : Ut quid perditio ista unguenti
facta est ?
5. Poterat enim unguentum istud
de fete, de peur qu'i ne s'eleve
quelque tumulte dans le peuple.
3. Et pendant qu'il etaxt a Betha-
nie, dans la maison de Simon le
lepreux, et qu'il etait a table, il
vint une femme ayant un vase d'al-
batre plein d'un parfum precieux
de nard pur, et elle le repandit
sur sa tete en brisant le vase.
4. Et il y en avait qui s'indi-
gnaient en eux-memes et disaient :
Pourquoi a-t-on fait cette perte de
parfum ?
5. Gar ce parfum pouvait se
sell, malgre leur desir de se debarrasser au
plus vile de leur ennemi, sonl iinaninipspour
retarder de quelques jours I'execiilion do
leursnoirs projels de vengeance. Sur le motif
qui annula bientot cette resolution, voyez
noire coramentaire sur S. Matlhieu, xxvi, 5.
2. — Le repas et I'onction de Bethanle.
iiv, 3-9. — Parall. Mattii. xxvi, 6-13; Joao. xii, Ml.
3. — Cum esset Bethanice. « Ce souper
que Jesus prit a Bethanie chcz Simon le Le-
preux se fit six jours avanl la Paque... S.Jean
j'a rapporte en son lieu, xii, I ; mais les
aulres evangelisles I'ont mis ici par recapi-
tulation, pour faire cnnnaitre la cause de la
trahison de Judas ». D. Calmet. Compar. Pa-
trizi, In Maic. Comm., p. 190. — Siinonis
leprosi. Persoiinage inconuu, qui etait evi-
demment un disciple de Nutre-Seigneur. —
Venit mulier. C'elait celle qui avait eu le
boiiheur do s'enlendre dire par Jesus quel-
que temps auparavant : « Maiia uptimam
partem elegit (jute non auferetur ab ea ».
Luc. X, 42. — Alabastrum unguenti nardi spi-
cati -pretiosi. S. Marc, de meme queS. Jean, a
nettement indicpie la nature du parfum re-
pandu par Mai ie sur la tete du Sauveur. Le
nard, menlionne a deux reprises'dans le Can-
lique des Cantiques, i, 12; iv, 13, 14, etait
une huile aroinatique, fabriquee avec les ra-
cines, les feuilles ou I'epi de la plante du
meme nom (Nardostachys jatamansi, de la
famile des Valeriaiiees, De Candolle), qui
croit, ou plulol que Ton cuitive en grand
dans les Ind(\s. Dioscorides, lib. I, c. lxxii.
Tcepi vapoivou jAupou, en fait ressorlir la grande
valeur. Ce parfum etait si esliinedes anciens,
qu'Horace, on le sail, allail jusqu'a pro-
meltre a Virgile un tonneau entier de bon
vin pour une petite fiole (« parvus onyx ») de
nard. Cfr. Carm. IV, xu, 16 el 17. De la
I'epithete de « pretiosi », qui sera d'ailleurs
jusli^ee plus tard par une reflexion des dis-
ciples, t. o. L'autre epithets, « spicati »,
semblerait designer un nard extrait de I'epi du
Nardostachys; maistel n'est certainerai^nl pas
le sens du mot grec correspondant, TnuTixyi;,
que la Vulgate iraduit par « pistici » dans le
passage parallele du quatrieme Evangile. On
explique ce mot de trois manieies. selon les
racines diverges qu'on lui allribue. 1o Les
uns le font venir de Pisla, viUe de Perse . les
« nardus pisticus » serait done du nard de
Pisla. 20 Selon d'autres, Ttiffxixo? deriverail de
■jii'vw, boire : il s'agirait alors de nard po-
table, par consequent liquide. De fait, nous
Savons par les anciens auteurs qu'on me-
langeail parfois le nard aux liqueurs en guise
d'epices. 3° Suivanl I'opinion qui a lou-
jours ele le pUis communemi'iil suivie, la
vraie racine serait th'oth;, « fides », d I'adjec-
tifainsi forme signifierail fidele.authentique,
par opposition a frelate. Ce sentiuieiil, qu'a-
doptail Theophylacte (aooXou xal \>.txa uifTxecoi;
xaxa(77.£uacTe£i(7rii;), nous semble ie mt'illeurdes
irois, d'autant mieux que la fraude allait
grand train sur celle matiere precicuse,
comme nous le raconte Pline I'Ancien, Hist.
Nat. xu, 26, en parlant du « Pseudonardus ».
— Fracto alabast ro. DelaW pitlorcsque, propre
a S. Marc. Le goulol elroil du vase n'aurait
point permis au parfum de s'echapper assez
vile : Marie le biise sans hesitcr, sacrifiant
tout ensemble le contenanl et le conlenu dans
sa sainte prodigalile.
4. — Quidam indigne ferentes. A I'insliga-
lion de Judas, Cfr. Joan, xii, 4, plu^ieurs
disciples se perrairent de blamer, non seule-
ment au fond de hmr coeur, intra semetipsos.,
comme disent la Recepta grecque el la Vul-
gate, mais, suivant une varianle qui est pro-
bablement authenlique, (ocYavaxToOvTe? Tcpo?
iauTou; y.ai Uyo^m^, OU bien:xai eXsyovjnUverte-
menl et a voix haute, la conduite de Marie.
5. — Venumdaii plus quam trecentis denariis.
Cos Galileens, posilifs et pratiques comme lo
492
fiVANGILE SELON S. MARC
vendre plus de trois cents deniers et
^tre donne aiix pcauvres. Et ils se
courroucaient centre elle.
G. MaisJesusdit : Laissez-la; pour-
quoi lui faites-vous de la peine ?
Elle a fait envers moi une bonne
(Buvre.
7. Car voiis avez toujours des
pauvres parmi vous, et, quand vous
le voudrez, vous pourrez leur faire
du bien; mais moi, vous ne m'avez
pas toujours.
8. Ce qu'elle a pu elle I'a fait; elle
a d'avance parfume mon corps pour
la sepulture.
9. En verite je vous le dis : Par-
tout oil sera preche cet Evangile,
dans le monde entier, ce qu'elle a
fait sera raconte aussi en memoire
d'elle.
10. Et Judas Iscariote, un des
venumdari puis quam trecentis de-
nariis, et dari pauperibus. Et freme-
bant in earn.
6. Jesus autem dixit : Sinite earn ;
quid illi molesti estis? Bonum opus
operata est in me :
7. Semper enim pauperes habetis
vobiscum ; et cum volueritis, pote-
stis illis benefacere : me autem non
semper habetis.
8. Quod habuit hsec fecit : prseve-
nit ungere corpus meum in sepultu-
ram.
9. Amen dico vobis : Ubicumque
prsedicatum fueritEvangelium istud
in universo mundo, et quod fecit
hsec narrabitur in oemoriam ejus.
10. Et Judas Iscariotes, unus de
sont d'ordinaire les gens de la campagne, ont
eu le temps deja de calculer la valeur du
parfum. On aurait pu, s'ecrient-ils, le vendre
300 deniers et au dela, c'est-a-dire plus de
250 francs. Cfr. Cavedoni, Numismat. bibl.
p. 105 et 4 06. — Et dari poiipcribus. « L'a-
mour des pauvres fut le pretexte dont on se
servit pour condamner la piete de cette
jfemme, qu'on appelait indiscrete. » Bossuet,
'Medilat. sur I'Evang. Dern. Semaine Sejour.
— Et fremebant in earn, xal ev£gpi[AwvTo ayt^.
Expression energique, qui marque ordinaire-
ment une indignation extreme. Ce trait est
propre a S. Marc.
6. — Jesus autem... Le Sauveur protesla
avec bonte, mais aussi avec fermete, centre
cette conduite injuste de ses Apotres. Du
resle, comme le dit Bossuet, 1. c, leurs inso-
lents discours n'attaquaient pas seulement la
femme dont ils accusaient la profusion, mais
encore leur Maitre, qui la souflrail. — Bonum,
opus... Jesus a rarement loue d'une maniere
si illimitee les hommages dont sa divine per-
sonne a ete I'obje!, sur la terre.
7. — Semper enim pauperes... Dans le grec,
Tou? itTtoxw; avec I'article, les pauvres. « Cogi-
tantur tanquam species quae non deficit. »
Crombez, Comment, aulographie. — Cum
volueritis, potestis... S. Matthieu et S. Jean
ont omis cette belle parenthese, par laquelle
Jesus exhorte indirectement les siens h. la
charite envers les pauvres. — Me autem non
semper habetis. Allusion delicate a sa mort
prochaine. — On I'a dit avec beaucoup de
justesse, ce verset contient les litres de no-
blesse de I'art Chretien, qui renouvelle de
mille manieres pour Notre-Seigneur Jesus-
Chrisl I'acte genereux de la soeur de Lazare.
8. — Quod habuit hcec, fecit. Ces paroles
sont egalement propres a S. Marc. Quel eloge
sous la forme la plus simple! « Habuit » est
synonyme de « potuit ». — Prcevenit ungere
corpus meum... Par cette onction respec-
lueuse, Marie avait rendu d'avance au corps
sacre de Jesus les honneurs funebres. C'est
ainsi qu'un acte qui n'avait en soit rien
d'extraordiuaire, etait deveno, a cause des
circonstances particulieres oil se trouvait
Jesus, profondement significatif. Voyez le
commentaire sur S. Matthieu, p. 496.
9. — Ubicumque prcedicatum fuerit... Apres
avoir loue sans reserve Taction de Marie et
apres en avoir explique le sens prophetique,
le Sauveur lui accorde, des ici-bas, une grande
recompense. La pieuse amie de Jesus, en
rendanl un hommage public a Celui dont elle
el les siens avaient regu lanl de bienfaits,
s'^levait a son insu un monument eternel do
gloire.
3. — L.e honteux marchfe de Judas, xiv, 10-11»
Parall. Matth. xxvi, 14-16; Luc. xxii, 3-6.
40. — Judas... tinus de duodecim. Quelques
manuscrits portent 6 eT; twv Swocxa, avec I'ar-
ticle devanl « unus », pour renforcer encore
une parole deja si expre?sive. C'elail I'un des
Douze, remarque S. Augustin, Tract, lxi in
Joan., « numero, non merito; specie, non
CHAPITRE XIV
493
duodecim, abiit ad summos sacer-
dotes, ut proderet eum illis.
Maith. 26, 14.
41. Qui audientes gavisi sunt : et
promiserunt ei pecuniam se daturos.
Et quserebat quomodo ilium oppor-
tune traderet.
12. Et primo die Azymorum,
quando Pascha immolabant, dicunt
ei discipuli : Quo vis eamus, et pa-
remustibi ut manduces Pascha?
Matth. 26,17; Luc. 22,7.
13. Et mittit duos ex discipulis
Douze, s'en alia vers les princes
des prStres pour le leur livrer.
11. En I'entendant, ils se re-
jouirent, et promirent qu'ils lui
donneraient de I'argent. Et il cher-
chait a quel moment opportun il le
livrerait.
12. Et le premier jour des Azy-
mes, lorsqu on immolait la PAque,
ses disciples lui dirent : Oii voulez-
vous que nous alliens vous preparer
ce qu'il faut pour que vous mangiez
la Paque?
13. Et il envoya deux de ses dis-
\
virtule ; commixtione corporali, non vinculo
spirituali; carnis adjunctione, non cordis so-
cius unilale. » C'est poiirqiioi il ne rougil pas
de livrer son Maitre. Gel « expioralor pasto-
ris », cet « insidiator salvaloris », ce « ven-
ditor Redemploris », comme I'appeile encore
S. Augustin, ibid. Tr. lv, s'en va de lui-
meine, par le libre choix de son ame criminelle,
lendre la main aux Sanhedrisies et conclure
avec eux le marche le plus infame qui ait
jamais eu lieu sur la terre. Quel contraste
entre I'acte de Marie et la demarche de Ju-
das! El ce qui rend le contraste plus frap-
pant, c'est que ce fut precisement Taction si
noble et si affecLueuse de Marie qui mil le
comble a la haine de Judas. Sur les mobiles
de celte Irahison, voyez I'Evangile selon
S. Matthieu, p. 497. La demarche du trailre
eut lieu, selon toute vraisemblance, le soir
du Mardi saint, peu de temps apres le complot
du Sanhedrin {t. 1).
41. — Audientes gavisi sunt. S. Matthieu
n'avail pas menlionne ce traitcaraclerislique.
On comprend sans peine que la proposition
du Judas ait rempli Je coeur des Sanhedrisies
d'une joie infernale. On Fa vu, tt. 1 el 2, ils
etaient reellement inquiets sur Tissue d'une
entreprise qu'ils croyaient herissee de diffi-
cuUes, memo de dangers, et voici qu'un des
amis les plus intimes de Jesus se chargeait de
lever tout obstacle! — Promiserunt ei pecu-
niam: « triginta argenleos »,ditS. Matthieu.
C'est pour cette miserable somme que Tavare
Judas vendit son Maitre. — Qucerebat quomo-
do... opportune... Devenu Tagenl des Princes
des pretres, le trailre guette le inoment favo-
rable de tomber sur sa proie. L'arrestation,
en effet, ne pouvait guere avoir lieu a Betha-
nie, oil Jesus comptait un si grand nombre
d'amis devoues.
S. BiBLB. S.
4. —La derni^re c6iie. xiv, 12-25.
a. Preparatifs du festin pascal, xiv, 12-i6.
Parall. Matth. xxvi, 17-19; Luc. xxn, 7-13.
Le recit de S. Marc est le plus vivant et le
plus complet des Irois : un seul detail y est
omis, le nom des deux disciples charges de
preparer la cene.
12. — Primo die Azymorum. C'est-a-dire
dans la journee et probablement des le matin
du 44 nisan, qui tombail un jeudi cette
annee-la. Voyez la note chronologique inse-
ree dans notre Commentaire sur S Matthieu,
pp. 498-502. — Quando pascha immolabant.
Le sujet est « Judsei », sous-e^tendu a la fa-
Qon hebraique. « Pascha » a evidemment le
sens de viclime pascale. Ce pelit detail d'ar-
cheologie est omis par S. Matthieu : il eut etd
fort inutile pour ses lecleurs d'origine juive. II
corrobore etonnamment, ou plulot il rend
irrefutable, croyons-nous, Topinion que nous
avons adoptee relativement au jour ou Notre-
Seigneur celebra la dciniere cene. Si Jesus
niangea Tagneau pascal le meme jour que ses
coreligionnaires, il le mangea comme eux le
soir du 14 nisan, et fut crucifie le 15. Du
reste, les Quartodecimans, qui s'obstinerent
pendant assez longlemps a celebrer la PSque
chretienne en ce meme jour, et non le di-
manche suivant avec le reste de TEglise,
s'appuyaient sur des ordonnances speciales
de Tapotre S. Jean : fait qui onleve une
grande partie de leur valeur aux raisons que
les partisans du sysleme oppose tirent du
quatrieme Evangile. — Quo vis eanms et pa-
rentis...? Les Apotres rappellenl familiere-
ment a leur Maitre qu'il est temps de faire
les preparatifs necessaires pour la celebration
de la cene legale, et ils lui demandent specia-
leraenl ses intentions touchanl le choix d'un
local convenable.
i3. — Mittit duos discipulos : « Petrum et
Marc. — 13
494
ciples et leur dit : Allez dans la
ville. Vous rencontrerez un homme
portant ime cruche d'eau ; suivez-le.
14. Et, quelque part qu'il entre,
dites au proprietaire de la maison :
Le Maitre dit : Oii est le lieu oil je
dois manger la Paque avec mes dis-
ciples ?
15. Et il vous montrera un grand
cenacle meuble;et la preparez tout
pour nous.
16. Ses disciples s'en allerent et
vinrent dans la ville, et ils trou-
verent tout comme il leur avait dit,
et ils preparerent la Paque.
17. Et le soir etant venu, il alia
avec les Douze.
fiVANGILE SELON S. MARC
suis, et dicit eis : Ite in civitatem :
et occurret vobis homo lagenam
aquae bajulans, sequimini eum :
14.Etquocumque introierit,dicite
domino domus,quia magister dicit :
Ubi est refectio mea, ubi Pascha cum
discipulismeis manducem? i
15. Et ipse vobis demonstrabit
coenaculum grande, stratum : et illic
parate nobis.
16. Et abierunt discipuli ejus, et
venerunt in civitatem : et invene-
runt sicut dixerat illis, et parave-
runt Pascha.
17. Vespere autem facto, venit
cum duodecim.
Maith. 26, 20; i!<e.22, 14.
Joannem », dit S. Luc. Jesus les envoie a
Jerusalem, in civitatem, oil devaient avoir
lieu i'lmmolation el la manducalion de I'a-
gneau pascal. — Occurret cobis homo... Ainsi
qu'on I'adrnet communement, Jesus, au lieu
de nommer directement le proprietaire de la
maison ou il desirait faire la Paque, employa
cetlecirconlocutionmyslerieuseaQndecacher
a Judas jusqu'au soir le lieu de la reunion. Si
le iraitre eiil connu d'avance ce local, il
n'eut, pas manque d'avertir les Sanhedrisles
pendant la joarnee, et on serait venu arreter
Notre-Seigneur avant que « son heure »
fut venue, av:l.it qu'il eul laisse a son
Eglise, dans la sainte Eucharistie, le gage de
Tamoiir le plus parfail et la plus precieuse
benediction. — Lagenam aqiice bajulans. Signe
tres dislinctif, qui rendaitcelhomme facile a
reconnaiire, meme au milieu de la foule nom-
breuse qui remplissaitalors la capitate juive.
Le mot grec traduit par « lagenam » signifie
proprement « vas figulinum » 'x£pd|xiovJ : il
s'agit done d'une de ces grandes urnes en
lerre que les Orientaux portent gracieuse-
ment sur la tete. Ce serviteur devait-il se
trouver la en vertu d'un arrangement con-
certe d'avance entre Jesus et le maitre de la
maison? ou bien est-ce la Providence elle-
meme qui devait le placer sur le chemin des
deux Apotres pour leur sprvir de guide, de
sorte que Jesus eul ete vraiment prophete en
tenant ce langage? Les deux sentiments ont
ete soutenus ; le premier nous parait nean-
moins difficilemenl admissible. Les Evange-
listes racontent visiblement un fair, surna-
turel.
14. — Quociimque introierit. Le langage
de S. Luc est plus precis : « Sequimini eum
in domum in quam intrat. » — Domino do-
mus. Ce devait etro un disciple, assuremenl,
ainsi qu'il ressorl du contexle et surtout du
mot Magister. — Ubi est refectio mea. Le mot
grec xaxaWixa (il est accompagne de rarlicle,
non loulelois du pronom [xoy, si ce n'esl dans
quelques manuscrits) signifie plutot « diverso-
rium » (Cfr. Luc. xxn, -11), lieu de repos,
appartement oil le voyageur se recree quf I-
ques instants.
15. — Et ipse vobis demonstrabit... S. Mat-
thieu a omis tous cts details; S. Luc les rap-
porte dans les memes termes que noire
Evangeliste. Le cenacle, ou, d'apres le grec
(dvwysov, de ava t/jv Y^v selon les uns, plus
probablement de avw Trj; y^? selon les autres;.
la chambre haute qui devait etre cedee aux
disciples, est de'criteen deux mots par Jesus:
grande, elle avait de grandes dimensions, ce
qui suppose qu'elle faisail partie d'une maison
riche et considerable ; stratum, e(7Tpw(X£vov,
elle etait munie de tapis, de divans, par con-
sequent deja preparee pour le repas, ainsi
que I'ajoute une troisieme epithete (stoijjiov)
dans le texte original.
16. — Abierunt, venerunt, invenerunt, pa-
raverunt. La narration est pittoresque et ra-
pide. Elle est en meme temps Ires circons-
lanciee, a la maniere de S. Marc.
b. La cene legale, xiv, 17-21. — Parall. MaUh.
XXVI, 20-26; Luc. xxii, 14, 21-23; Joan, xiii, 1-30.
17. — Vespere facto. Le narrateur nous
transporte tout a coup au soir dujeudi saint,
el il nous montre Jesus faisant son enlreo
{venit est au present, spj^eTat) avec les Douze
dans la salle du festin. L -s deux Apotres dO-
signes pour faire les preparalifs de la Paquo
CHAPITRE XIV
195
18. Et discumbentibus eis et
manducantibus, ait Jesus : Amen
dico vobis, quia unus ex vobis tradet
me, qui mauducat mecum.
Joan. 13,21.
1 9. At illi coeperunt contrislari, et
dicere ei singulatim : Numquid ego?
20. Qui ait illis : Unus ex duode-
cim, qui intingit mecum manum in
catino.
21 . Et Filius quidem hominis va-
dit, sicut scriptum est de eo; vse
autem homini illi, per quem Filius
hominis tradetur! Bonum eral ei, si
non esset natus homo ille.
Psal.M, 10; ActA, 16.
18. Et, pendant qu'ils etaient a
table et maugeaieut, Jesus dit ; Eu
verite, je vous dis qu'un d'entre
vous qui mange a vec moi me trahira.
19. Et. ils commencerent a s'at-
trister et a lui dire chacun : Est-ce
moi?
20. II leur dit : Un des Douze, qui
met avec moi la main dans le plat.
21 . Quant au Fils de I'homme, ij
s'en va, ainsi qu'il est ecrit de lui :
mais malheur a I'homme par qui le
Fils de I'homme sera livre; mieux
vaudrait pour cat homme qu'il ne
fut pas ne.
avairnl sans donte rejoint leur Maitre dans
rapres-midi.
is. — Discumbentibus eis et manducan-
tibus. S. Marc condense dans ces quelques
paroles les nonfibreudes ceremonies de la
cene pascale, siir laquelle il navait pas a
s'etondre. On en irouvera ia de?cription
abreiiee dans I'Evangile selon S. Matthieu,
pp. 503 et ss. Sur la maniere dont Ics Jiiii's
ceiebrent aujourd'hui la Paque, voyoz Slau-
bcn. Scenes de la vie juive en AlsaciN Pa-
ris, 1860, pj). 98 el ss.; Coypel, le Judaisrae,
Esqui^S' dcs moeurs juives, pp. 231 el ss. —
Vers la tin du repas legal, Jesus, d'une voix
emue, predil toui-a-coiip aux siens que I'un
li'i'iix -e disposail a li; ti'ahir. Les moLs qui
mauducat mecum sonl emphaliqurs. En Ions
lieux, mais surloul en Orient. Taction de
prtni'jii' un repas en commun etablit une cer-
tain;- union cntre les convives. Traliir quel-
qu un avec qui Ton a mange est done une
circonstance aggravante. Mais, sur les levres
de Jesus et relativemenl a Judas, cette phrase
etait beaucoup plus significative encore; car
elle revenait a dire : Je vais etre livre a mes
ennemis par I'un de mes plus intimes amis.
■! 9. — Coeperunt dico'e ei singulatim. Celte
derniere expression ielt; xa6' eT; pour -/.aS' v/a.
Cfr. Joan, viii, 9; Rom. xii, 15; est Ires pit-
toresque. — Apres mimquid ego, la Recepta
ajoute : y.al a).>.o;, MVi-ct eyw; ^' Et alter, Num-
quid ego? » II n'esl pas sur que ces mots
soientaulhentiques. — Maispourquoi tons les
Apotres adressaient-ils celte question a Je-
sus? G'esl que, repond delicatement Theophy-
lacte, bien qu'ils se senlissent etrangers a
la coupable intention dont avail parle leur
Maitre, ils croyaienlcependant beaucoup plus
a Celui qui connail le coeur de tous, qu'ils
ne croyaient a eux-memes.
20. — Qui ait illis. Jesus reilere sa triste
prediction, en la rendant encore plus pre-
cise. C'est ainsi qu'il dit unus ex duodecim,
au lieu de « unus ex vobis », qu'on aurait pu
appliquer aux disciples en general. — Qui tJi-
tingit... Ces mots sent egalement plus expres-
sifs que le simple « qui manducal mecum »
du t. 18. Nous avons montre, en expliquant
le passage paralleie de S.Matlhieu (xxvi,23),
qu'ils ne designaient pas ouveriement Judas.
Cl'r. Patrizi, de Evangel., lib. II, Annol.cLvii.
L'equivalenl du substantif manum manque
dans la Recepta, bien que plusieurs anciens
temoins aient ttiv x£'pa» comme la Vulgate.
21 . — Filius quidem hominis... Vee autem...
Les parlicules (isv et Se raltachenl I'une a
I'autre les deux pensees contenues dans ce
verset, pour montrer le rapport qui existe
enlre elies. C'est comme s'll y avail : Sans
doule il a ete decrele, prophetise, que le Fils
de I'liomme serail trahi par I'un des siens;
et pourtant, malheur a I'homme qui doit rem
plir I'office de traitre! — Bonum erat ei*
« Jesus ne dit pas : II vaudrait mieux abso-
lumenl; car, par rapport au conseil de Dieu,
el au bien qui revient au monde de la Irahi-
son de Judas, il faut bien quil vaiUe mieux
qu'il ail ete; mais la puissance de Dieu n'em-
peche ni n'excuse la malice de cet homme...
II vaudrait mieux pour cet homme qu'il n'eut
jamais ete, puisqu'il est ne pour son supplice,
et que son etre ne lui serl de rien que pour
rendre sa misere eternelle. » Bossuel. Medil,
sur I'Evangile, Dern. semaine, 20e jour. Cello
menace terrible elait un dernier appel do
Jesus au coeur de Judas. « PcBna praedicilur
i96
fiVANGILE SELON S. MARC
22. Et pendant qu'ils mangeaient,
Jesus prit du pain, et Tayant beni,
il le rompit et le leur donna et dit :
Prenez, ceci est mon corps.
23. Et, ayant pris le calice et
rendu graces, il le leur donna et ils
en burent tons.
24. Et il leur dit : Ceci est mon
sang, le sang du nouveau Testa-
ment, qui sera repandu pour un
grand nombre.
22. Et manducantibus illis, acce-
pit Jesus panem : et benedicens fre-
git, et dedit eis, et ait : Sumite, hoc
est corpus meum.
Mailh. 26, 20; I Cor. H,24.
23. Et accepto calice, gratias agens
dedit eis et biberunt ex illo omnes.
24. Et ait illis : Hie est sanguis
mens novi Testament!, qui pro mul-
tis effundetur.
ut, quern pudor non viceral. corrigant de-
nuntiala supplicia. » S. Jerome. Mais elle
deiiieuia sans effet.
C. La cine eucharislique. xiv, 22-25, — Parall.
Matih. XXVI, 26-29; Luc. xxii, 15-20; I Cor.
XI, 23-25.
Pour rexplication detaillee, voj^ez I'Evan-
gile selon S. Matlhicu, pp. 0O6-0IO. Le recit
de S. Marc resseinble en effet beaucoup acelui
du premier synoptique.
22. — Manducantibus illis. Get episode
commence de ia meme maniere que le prece-
dent. Cfr. ■?. 18. L'Evangeliste a voulu mon-
trer par la I'union elroite des deux cenes ;
la seconde ful comme la continuation de la
premiere, qu'eile devait desormai^ rempla-
cer. « Finilis Pajchae veleris solemniis, transit
(Jesusi ad novum, ut scilicet pro carne agni
ac sanguine, sui corporis sanguinisque sacra-
mentum substitueret. » V. Bede. — Accepit
Jesus panem; I'un des pains azymes qui
elaient plcfces en face de lui sur la table. —
Benedicens fregit. Celle ceremonie n'avait lieu
d'ordmaire qu'au commencement du repas :
en la renouvelant ici, Jesus indiquait qu'il
passait a un second festin. — Apres sumite,
la Recepta ajoute odyete. mangez. Ce mot,
que les plus anciennes versions et les meil-
leurs manuscrits ont omis, est probablement
un emprunt fait a S. Matlhieu. — Hoc est
corpus meum. « Hoc «, toOto : Jesus ne dit
pas Ce pain, mais Ceci. ce que je vous offre.
« Corpus meum », t6 <7u>[i.i (aou, mon propre
corps, « scilicet substantias pars materialis
et solida, quae non solum ab anima, verum
etiam a sanguine distinguitur. Sanguinis enim
consecratio seorsum ac peculiaribus verbis
perficitur. » E-tius, Comm. in I Cor. xi, 24.
23 et 24. — Jesus transforme le vin en son
sangde meme qu'il avait change le pain en
son corps. Les mots ct biberunt ex illo omnes
sont propres a S. Marc. Ils sont places en cot
endroit par anticipation; car cerlainement
le Sauveur ne fit pas circuler la coupe entre
les mains des Apotres avant de I'avoir con-
sacree. — Hie est sanguis mens novi Testa-
menli. La formule est plus precise dans le
texte grec : ToOxo son to alaa (loy, to ttj; xaivfj;
6ia9r,xr,;, ceci est mon propre sang, le propre
(sang de la Nouvelle Alliance. Les Apotres
comprirent de quelle alliance il s'agis?ait,
car jusqu'alors il n'y en avait pas eu d'aulre
que celle du Sinai. Les jours elaient venus
ou devait s'accomplir I'oracle celebre de Je-
remie. xxxi, 31 et ss. : « Dicit Dominus :
Feriam domui Israel el domui Juda foedus
novum, non secundum pactum quod pepigi
cum palribus eorum, in die qua apprehendi
manum eorum. ut educerem eos de terra
.'Egypti. » — Pro mullis... Helas, s'ecrie
S. Jerome, ce sang divin ne purifie pas tous
les hommes! — « Chretien, te voila instruii;
lu as vu loutes les paroles qui regardent I'e-
tablissemenl de ce mystere. Quelle simpli-
cite! quelle netlete dans ces paroles! II ne
laisse rien a deviner, a gloser... Quelle sim-
plicite encore un coup, quelle nettete, quelle
force dans ces paroles! S'il avait vouludonner
un signe, une ressemblance toule pure, il
aurait bien su le dire... Quand il a propose
des similitudes, il a bien su tourner son Ian-
gage d'une maniere a le faire entendre, en
sorte que personne n"en doutat jamais : Je
suis la porte; Je suis la vigne... Quand il fait
des comparaisons, des similitudes, les evan-
gelistes ont bien su dire : Jesus dit cette pa-
rabole, il fit cette comparaison. Ici, sans rien
preparer, sans rien lemperer, sans rien expli-
quer, ni devant, ni apres, on nous dit tout
court : Jesu^ dit : Ceci est mon corps; Ceci
est mon sang; mon corps donne, mon sang
repandu : voila ce que je vous donne... 0
mon Sauveur, pour la troisieme fois, quelle
nettete, quelle precision, quelle force! Mais
en meme temps, quelle autorite et quelle
puissance dans vos paroles!... Ceci est mon
corps; c'estson corps : Ceci est mon sang;
c'est son sang. Qui peut parler en cette sorte,
sinon celui q'ui a tout en sa main?... Moo
CHAPITRE XIV
197
2o. Amen dico vobis, quia jam
non bibam de hoc genimine vitis,
usque ill diem ilium, cum illud bi-
bam novum in regno Dei.
26. Et hymno dicto exierunt in
montem Olivarum.
27. Et ait eis Jesus : Omnes scan-
dalizabimini in me m nocte ista :
quia scriptum est : Percutiam pasto-
rem, et dispergentur oves.
Joan. 16, 32; Zach. 13, 7.
28. Sed postquam resurrexero,
prsecedam vos in Galilseam.
23. Ea verite je vous dis que je
ne boirai plus de ce fruit de la
vigne, jusqu'au jour oil je le boirai
nouveau dans le royaume de Dieu.
26. Et, I'hymne dit, ils s'en al-
lerent sue la montagne des Oliviers.
27. Et Jesus leur dit : Tons, vous
vous scandaliserez a mon sujet cette
nuit, car il est ecrit : Je frapperai
le pasteur, et les brebis seront dis-
persees.
28. Mais, apres que je serai ressus-
cite, je vous precederai en Galilee.
&me, arrSte-toi ici,sans discoiirir : crois aiissi
simplement, aussi fortement que ton Saiiveur
a parle, avec auiant de soumission qu il fait
parailre d'aiitorile et de puissance... Je me
tais, je crois, j'adore : tout est fait, tout est
dit. » Bossuet, loc. cit., 22e jour. Cfr. Pa-
trizi, In Marc. Conmment. p. 194; Perrone,
Praelect. Iheolog., Taurini, 1866, t. VIII,
pp. 103 et ss.
25. — Jam 7ion hibarn... Parole solennelle,
qui ouvro un double horizon, le premier tres-
rapproche, le second tres-lointain. Jesus ne
boira plus de vin sur la terre ; c'est dire qu'il
va bifUtot mourir. II en boira plus tard dans
le ciel avec ses Apotres, d'une maniere mys-
tique: c'est annoncer son triomphe et la con-
sommation de son royaume dans les splen-
deursde I'eternile. On le voit, le verbe bibam
est pris successivement en deux acceptions
dislinctes : la premiere fois au propre, la se-
conde fois au ligure, pour designer les delices
du ciel. — Des mots « jam non bibam »,
faut-il conclure que Jesus, avanl de fairo pas-
ser a ses disciples la coupe qui contenait le
vin transsubslantie, y avail le premier Irempe
ses levres, et, par analogie, qu'il avait de
meme communie sous les especes du pain?
De tres-graves auleurs Font pense. en parli-
culier S. Jean Chrysoslome, Horn, lxxxii in
Mallh., S. Augustin, De Doctr. christ. ii, 3;
S. Jerome, Epist. ad Hedib. quaest. ii, S.Tho-
mas d'Aqiiin, Summ.Theolog. in, q. 81, a. 1.
« Ipse conviva el convivium, dil S. Jerome,
ipse comedens el qui comeditur. » Malgre
le profond respect que nous avons pour ces
grands savanis et ces grands saints, nous
nous pprmetlons avec plusieurs exegeles et
theologiens des divers temps, d'adopter I'opi-
nion conlraire. II nous semble en effet que
I'acle ainsi allribue au Sauveur repugne a
I'idee de la communion, qui suppose I'union
de deux etres au moins. En oulre, la phrase
« Je ne gouterai plus du fruil de la vigne »,
non-seulemenl ne suppose pas d'une maniere
necessaire que Jesus ait bu a la coupe qu'il
faisail circuler pour la derniere fois, maisell©
devient au conlraire plus claire, plus ngou-
reusemenl exacle, s'll s'abslint d'y toucher.
Comme le pere de famille, dont Nolre-Sei-
gneur jouail alors le role, buvait toujours le
premier queiques goultes des diderentes
coupes pascales, par ces paroles, le Sauveur
s'excusait en quelque sorte de ne pas prendre
sa part de ce calice . Buvez lous; pour moi
je ne boirai plus de vin ici-bas : cependant
je partagerai avec vous la coupe delicieuse
du paradis.
5. — Trois predictions, xiv, 26-31. — Parall.
Matth. XXVI, 30-35; Luc. xxii, 31-34; Joan, xiii, 36-38.
De ces trois predictions, deux sont bien
trisles, car elles ressemblenl a celle que Je-
sus avait prononcee precedemmt-nl sur Judas,
tt. 18 et ss.; I'aulre est joyeuse et annonce
la prochaine Resurrection du divin Maitre.
26. — Hymno dido, ujiv^ffavTe;. Ces mols
representenl ici la priere d'aclion de graces
apres le repas, specialemeni celle qu'on re-
citait a la fin de la cene legale et qui porlait
le nom de Hallel (bSn, louange). — Exierunt
in montem Olivarum. Ce n'elail pas vers le
sommet ae ceite monlagne que Jesus el les
siens se dirigeaienl alors, mais seulement
vers sa base, a I'endroil oil elle emerge du
orofond ravin oil coule le Cedron.Gfr. t. 32.
Voir R. Riess, Bibel-Atlas, pi. VI.
27. — Omnes scandalizabimini in me. C'est
la premiere des predictions. Elle annonce
aux onze Apotres demeures fideles la hon-
teuse altiiuae qu'ils prcndronl bienlol a re-
gard de leur Maitre. lis ne le irahironl pas
comme Judas; du moins ils I'abandonneront
lachemenl : ils s'enl'uiront comme de limides
brebis des que leur Pasteur aura ete frappe,
ainsi qu'il etait ecrit dans la prophelie de Za-
charie, xiii, 7.
28. — Sedposlquam resurrexero... Seconde
prediction : Jesus ressuscilera, el, apres son
498
EVANGILE SELON S. MARC
. 29. Et Pierre lui dit : Quand tous
raient scandalises a votre sujet,
xnoi je ne le serai pas.
30. Et Jesus lui dit : En verite je
te dis qu'aujourd'hui , cette nuit
meme, avant que le coq ait chante
deux fois, tu me renieras trois fois.
31. Et il insistait davantage :
Quand il me faudrait mourir avec
TOUS, je ne vous renierai pas. Et
tous disaient la meme chose.
29. Petrus autem ait illi : Et si
omnes scandalizati fuerint in te, sed
non ego.
30. Et ait illi Jesus : Amen dico
tibi, quia tu liodie in nocte hac,
priusquam gallus vocem bis dederit,
ter me es negaturus.
31. At ille amplius loquebatur :
Et si oportuerit me simul comraori
tibi, non te negabo. Similiter autem
et omnes dicebant.
triomphe, il ira atlendre ses chers Apolres en
Galilee. Comme la bonle de Notre-Seigneur
delate dans ces paroles! « Ne enim putarent
(discipuli) eum ip?orum infidelilale , quam
praedicebat, adeo offensuin iri, iit ipsis nulla
spes superesset cum eo in graliam redeundi,
simul praedicit se in vitam reversum una cum
ipsis fulurum ». Patrizi, h. I.
29. — Petrus autem... Pierre ne peut sup-
porter, pour ce qui le concerne. I'idee d'une si
iache deserlion. II proleste done avec energie
de sa fidelite a toule epreuve. — Etsi om-
nes..., sed non ego! Quelle vigueur dans ces
paroles! Mais en meme lemps quelle pre-
somption! « El si » est pour « eliam si ».
30. — Amen dico tibi. Jesus connait mieux
son disciple que son disciple ne se connait
lui-meme. Aussi annonce-t-il a Pierre, avec
une douloureuse assurance, el c'esl la noire
troisieme prediction, qu'avant peu il I'aura
renie Irois fois. — Quia tu. Ge pronom est
emphalique : Jesus I'oppose au « Non ego »
du verset precedent. Oui, loi-meme, toi en
personnel — Hodie in nocte hac. Tout est
neltement determine. « Hodie », car, chez les
Juifs, les jours se comptaipnl du soir au soir,
et la nuit du jeudi au vetidredi etait deja
assez avancee. — Priusquam gallus vocem bis
dederit. « Bis » est un detail propre a S. Marc :
noire Evangelisle le lenait sans doute de
S. Pierre lui-meme. Nous en verrons plus bas
la realisation parfaite. CIV. tt. 68 el 72. Je-
sus signale ce trait commi' une circonstance
aggravante; car I'Apoln^ ainsi averti, aurait
du se tenir davantage sur ses gardes et reve-
nir a resipiscence des le premiiT chant du
coq. II ne le fit pas, soil par faiblesse, soil
plulol par inattention. — A cetle prediction,
si simple et si claire, on a parfois oppose le
texte suivant du Talmud (Bava Kama, cap.
vii), d'apres lequel, nous dit-on, il ne devait
pas y avoir de coqs a Jerusalem : « Non alunt
gallos Hierosolymis propter sacra, nee sacerdo-
tes eos alunt per *,olam terram Israelilicam ».
— « Etiam Israelitis, ajoute la Glose, prohi-
bitum est gallos alere Hierosolymis propter
sacra; nam Israelitce comederunt illic car-
nem sacrificiorum... : jam vero mos est gallis
gallinaceis vectere slercoraria, atque inde for-
san educere possent carnem replilium, unde
pollui possent sacra isla comedenda ». Cela
elant, on a pris le mot d)i-/Twp dans un sens
figure, el on lui a fail designer tantol le « Buc-
cinator » remain qui annongait les heures au
son du clairon, lantot les gardes do nuit qui
les proclamaient a haute voix pour les Juits,
comme cela se pratique encore dans plusieurs
contreos. Mais ce sont la des subliliies inac-
ceptables. « Aderant certe galli gallinacei
Hierosolymisaequeac alibi, dilLightt'oot, Hor.
hebr. in Evang. Matlhaei, xxvi, 34. Et me-
morabilis est hisloria do gallo ex senlenlia
Synedrii lapidato ob interfectum ab eo pue-
rulum. Hieros. Erubin, f. 26, 1. » Cfr. Sepp,
Leben Jesu, t. Ill, p. 477. On pent (ionc
prouver par le Talmud meme qu'il y avail
des coqs a Jerusalem. Suppose que les habi-
tants juifs eusS^nt eu quelque scrupule a en
elever, la garnison romaine ne se serait nul-
lemenl genee a eel egard. Au reste, la lou-
chanle comparaison dont Jesus s'etail servi
peu de jours auparavant afin de marquer
la tendresse qu'il eprouvail pour Jerusalem,
prouve suffisammenl que les habitants de la
capilale, auxquels il s'adres-ail alors, con-
naissaient les moeurs des Gallinaces, par con-
sequent que ces volaliles ne leur etaient pas
etiangers.
31 . — At ille amplius loquebatur. Bien loin
d'avoir ete ramene a des sentiments plus
humbles par cetle prophetie de son Mailre,
Pierre ose donner a Jesus un formel dementi,
en prolestanl de plus en plus fort de son alta-
chemenl inalterable. « Amplius » : dans le
grec, £x nepiddoO; litteralement, « ex abun-
danti ». L'adverbe (aocXXov, qu'on lit dans la
Recepta avant les mots ediv {le 5syi..., a 61^
omis par d'importants manuscrils. Peut-etre
esl-ce une note marginale, deslinee d'abord k
expliquer I'expression ires rare ex TispiffaoO,
et inseree plus tard maladroitement dans le
texte. — Me sim,ul commori tibi. Le vaillant
CHAPITRE XIV
199
32. Et veniunt in prsedium, cui
nomeu Gethsemani. El ait discipu-
lis suis : Sedete hie donee orem.
M'Uih.'ie, 36; Luc. 23,40.
33. Et assumit J'etrum, et Jaco-
bum, et Joannem seeum ; et coepit
pavere, et tsedere.
34. Et ait illis : Tristis est anima
mea usque ad mortem : sustinete
hie, et vigilate.
35. Et cum processisset paululum,
proeidit super terram : et orabat, ut
si fieri posset, trausiret ab eo hora :
32. Et ils vinrent au lieu nomme
Gethsemani. Et il dit a ses dis-
ciples : Asse,yez-vous iei pendant
queje prierai.
33. Et il prit avec lui Pierre,
Jacques et .If^an, et il commenca a
etre saisi de frayeur et d'angoisse.
34. Et il h^ur dit : Mon ame est
triste jusqu'a la mort; demeurez ici
et veillez.
35. Et s'etant avanee un peu, il
tomba la face eontre terre, et il
priait pour que cette heure, s'il se
pouvait, s'eloignat de lui.
apotre est pret, dit-il, a repandre pour Jesus
jusqu'a la derniere ^outlo de son sang. Com-
ment done serail-il capable de le renier?
Helas! « ecce avis sine pennis in altum volare
nititur; sed corpus aggravat aniinam, ut,
timore hiimano moriis, timor Domini supere-
tur. » Pseudo-Hieron., ap. Caten. D. Thorn.
e. — Geths6mani. xiv, 32-42. — Parall. iMalth.
XXVI, 36-46; Luc. xmi, 39-46; Joan, xviir, 1.
Jesus, prelre et. victime dans rinstitution
du sacrifice non sanglanl de I'autel, est encore
pretre et victime dans le sacrifice sanglant
de Gethsemani et du Calvaire. Nous verrons
la victime s'( ffrayer un moment et trembler,
inais nous verrons aussi le pretre rimmoler
sans hesitation.
32. — Et veniunt in prcpdmrn... Notez I'em-
ploidu temps |)resent, qui est propreaS.Marc:
ip/ovxai, liyei; de meme au verset suivant,
TiapaXafiSdvei. Voyez la description du jardin
de Gethsemani dans I'Evangile selon S. Mat-
ihieu, p. 512. On a souvent etabli d'inge-
nieuses comparaisons enlre ce douloureux
jcirdin et les ombrages du paradis terreslre.
Ici un bonhcur sans melange, la d'affreuses
angoisses ; mais ici le peche avec ses chati-
ments divers, et la la vie spirituelle rendue a
I'humanite :
Attulit mortem vetiis horlus, uade
Culpa proilivii : novus i4e vi(am
Hoi'tiis en affiTt, ubi node Jesus
Permanet oraiis.
;Hymn. Laud, pro Fest. Orat. D. N. J. C.)
33. — A peine entre avec ses trois disciples
privilegies dans la partie la plus reculee du
jardin, Jesus ccepit pavere et tceclere, £x9a[A-
SiTffOai -/at ao'/jfjiovetv . Ce second verbe est
commun aux deux premiers Evangeiistes : il
signifie « gravissime angi ». L'auire, propre
a S. Marc, est beaucoup plus fort que le
>.u7r£TcOai de S. Matlhieu, et designe un vio-
lent effroi. Gfr. ix, 15. Tel est le debut de la
Passion proprement dite de Notre-Seigneur.
Quelle horrible agnnie! « 0 Jesus! 6 Ji-sus!
Jesus que je n'osmais plus nommer innocent,
puisque je vous vois charge de plus de
crimes que les plus giands malfaiteurs; on va
vous trailer selon vos merites. Au jardin des
Olives, voire Pere vous abandonne a vous-
meme : vous y etes tout seul, mais c'est asscz
pour votre supplice; je vous y vois suer
sang et eau... Baissez, baissez la lete; vous
avez voulu etre caution, vous avez pris sur
vous nos iniquites; vous en porlerez tout le
poids; vous paierez tout du long la dette,
sans remise, sans misericorde. » Bossuet,
ler Sermon pour le Vendredi-Saint, Exorde.
34. — Tristi'i est anima mea... « Je ne
Grains point de vous assurer qu'il y avait
assez de douleur pour lui donner le coup de
la mort... La seule douleur de nos crimes
sutfisait pour... epuiser sans ressource les
forces du corps, en renverser I'economie, et
rompre enfin tons les lions qui retiennent
Tame. II serait done morl. il serait morl tres
certainement par le seul effort de cette dou-
leur, si une puissance divine ne I'eul soutenu
pour le reserver a d'autres supplices. » Ibid.
— Sustinete, [xeivaxs, c'est-a-dire « manete ».
— Et vigilate. S. Matlhieu ajoute " mecum ».
Peut-etre avons-nous ici la seule requete
personnelle que Jesus ail jamais adressee a ses
amis. Helas! elle ne ful pas exaucee, comme
nous I'apprend la -;uite dii recit.
35. — Cum processisset paululum. Le divin
agonisant cherche pour quelques instants une
solitude complele. afin d'epancher librement
son copurdevanl son Pere celeste. — Orabat:
imparfait qui inditpie une piiere prolongee.
— Ut, si fieri posset, transiret... S. Mare a
seul specifie d'une maniere indirecle I'objet
de la supplication du Sauveur, avant d'en
citer directemenl la i'ormuie. Hora doit s'en-
tendre, comme on le voit par le contexte,
des souffrances el de la mort reservees a
200
fiVANGILE SELON S. MARC
36. Et il dit : Abba, Pere, tout
"vous est possible ; eloignez de moi
ce calice ; cependant, non ce que je
Teux, mais ce que vous voulez !
37. II revint, et les trouva dor-
mant. Et il dit a Pierre : Simon, tu
dors? Tu n'as pu veiller une heure?
38. Veillez, afin que vous n'en-
triez point en tentation. L'esprit
sans doute est prompt, mais la chair
est faible.
39. Et, s'en allant de nouveau,
il pria disant les memes paroles.
40. Etant revenu, il les trouva
encore dormant (car leurs yeux
etaient appesantis) , et ils ne sa-
vaient que lui repondre.
41. Et il vint une troisieme fois
36. Et dixit : Abba Pater, omnia
tibi possibilia sunt, transfer calicem
hunc a me, sed non quod ego voIo>
sed quod tu.
37. Et venit, et invenit eos dor-
mientes. Et ait Petro : Simon, dor-
mis? non potuisti una liora vigilare?
38. Vigilate, et orate, ut non in-
tretis in tentationem. Spiritus qui-
dem promptus est, caro vero infirma.
39. Etiterum abiens oravit, eum-
dem serraonem dicens.
40. Et reversus, denuo invenit eos
dormientes (erant enim oculi eo-
rum gravali), et ignorabant quid
responderent ei.
41. Et venit terlio, et ait illis :
Je?us. Cfr. Joan, xii, 24. Noire-Seigneur de-
sirait done, en tant qirhomme, que cette
heure lerrible pa-;-at sans Tatleindre.
36. — Abba, Pater. Le mot arameen 'AoSi,
ii2ii (2X- Ab, en hebreii). propre a noire Evan-
geliste, nous rapp 'He les locutions analogues
Ephphela, Talilha koumi. etc., que S. Marc
s'elail complu a inserer dans son recil lelles
que Jesus les avail prononcees. S. Paul Vem-
ploie deux fois dans ses Epitres, Cfr. Rom.
VIII, \b\ Gal. IV. 6. el il a soin, lui aussi,
d'en donner immediat>ment la traduction,
6 7raTr,p. C'esl de la que sent venus les subs-
tantifs « Abbas », abbe. — Omnia tibi possi-
bilia sunt. II y a, s"il est permis de parler
ainsi. un grand arl dans cette priere du Sau-
veur. Apres avoir lance versle ciel une appel-
lation de vive tendresse, Mon Pere. elle rap-
pelle a Dieu que loul lui est possible, qu'il
sail alteindre ses fins de mille manieres, qu'il
peul par consequent eloigner du suppliant la
coupe amere qui le menace : de la ces mots
pressants, transfer calicem... Elle se lermine
pourtanl par un acle d'enlier abandon au bon
jjlaisir du Pere tout-puissant : Non quod ego
volo (scil. fial\ sed quod tu. Sur I'importance
dograaiique de ce passage, voyez I'Evangile
salon S. Malthieu. p. 514.
37 el 38. — Vemt et invenit eos dormientes.
« lis commencent a se separer de Jesus dans
la priere, ceux qui vonl s'en separer dans sa
Passion : il prie. mais eux ils dormenl. »
S. Jerome. C'etait la realisation de la parole
d'lsale, LXiii, 3 : J'ai foule seul le pressoir ;
il n'y a personne pour le fouler avec moi. —
Ait Petro : Simon, dormis. D'apres S. Mat ihieu,
le reproche de Jesus relombail simultanement
sur les trois Apotres : « Non potuistis...? »
Ici, il est adresse tout specialenienl a S. Pierre,
qui avail fait naguere de si magnifiques pro-
messes. Qu'est devenu son courage? Le nom
de « Simon », que Jesus lui donne dans cette
circonstance, est de mauvais augure. G'est
le nom de I'homme faible et naturel, tandis
que Pierre elail lappellation de riiomme sur*
naturel, du fondement inebranlablede i'Eglise
du Christ. — Spiritus promptus, caro infirma.
Comme I'a dit le Sage, « corpus quod corrum-
pilur aggravat animam el terrena inhabilalio
deprimit sensum multa cogitanlem. » Sap.
IX, 13. Mais ce que les Saints Livresappellent
la « chair » produil des effels encore plus
facheux que le corps : c'esl conlre la capS
que viennent se briser les meilleures resolu-
tions de notre esprit. Tel elail le cas pour
S. Pierre, S. Jacques et S. Jean.
39 el 40. — Iter urn abiens oravit... Jesu5»
delaisse meme par ses meilleurs amis, va se
consoler, se reconforler de nouveau dans la
priere. Puis, il revicnl aupres des trois
Apotres; mais cetle fois encore il les trouve
profondemenl endormis. Comme au moment
de la Transfiguration, ix, 1, el Luc, ix, 32,
ils etaient en proie a un sommeil extraordi-
naire; aussi leurs reponses elaienl-elles con-
fuses, embarrass 'es, ainsi qu'il arrive aux per-
sonnes qu'on vient subilemi-nt reveiller : igno-
rabant quid responderent ei. Ce dernier trait
ne se trouve qu ■ dans le second Evangile.
41 el 42. — Et venit terlio. S. Marc ne
mentionne pas m termes expres la troisieme
priere de Jesus; mais il la suppose iraplici-
temenl en disant que Notre-Sr^igneur rejoi-
gnail ses disciples pour la « troisieme fois »,
La tentation de Gelhsemani,dememequecelle
du desert, Mailh. iv, 4 etss., se composa done
CHAPITRE XIV
301
Dormite jam, etrequiescite. Sufficit :
venit hora : ecce Filius hominis tra-
detur in manus peccatorum.
42. Surgite, eamus; ecce qui me
tradet props est.
43. Et, adhuc eo loqiiente, venit
Judas Iscariotes, unus de duodecim,
et cum eo turba multa, cum gladiis
et lignis, a summis sacerdotibus, et
Scribis, et senioribus.
Mailh. 26, 47; Luc. 22, 47; Joan. 18, 3.
44. Dederat autem traditor ejus
signum eis, dicens : Quemcumque
osculatus fuero, ipse est; tenete eum,
et ducite caute.
45. Et cum venisset, statim acce-
et leur dit : Dormez maintenant et
reposez-vous. G'est assez, I'heure
est venue; voila que le Fils de
rhomme sera livre aux mains des
pecheurs.
42. Levez-vous, allons; voila que
celui qui me livrera est proche.
43. Tandis qu'il parlait encore,
Judas Iscariote , Tun des Douze,
vint, et avec lui une grande troupe,
armee d'epees et de batons, envoyee
paries princes des pretres, les Scri-
bes et les anciens.
44. Or le Iraitre leur avait donne
un sigDe, disant : Celui que je bai-
serai, c'est lui; saisissez-le et em-
menez-le avec precaution.
4o. Lorsqu'il fut venu, s'appro-
de trois assanls consecutifs, victoricusement
repousses par le Sauveur. — Dormite jam et
requiescite. Jesus, n'ayant plus besoin de
consolations humaines, accorda aux siens,
par ces paroles, quelque temps de repos. Puis,
quana approcha I'heure de la trahison, il les
eveiila en disanl : Sufficit... surgite, eamus.
La Vulgate a ties bien iraduit le verbe grec
dTTExet, qui est en effet, d'apres Hesychius,
synonymede auoxp'O. c^apxEi. Dansce passage,
il signifie done : C'est assez de sommeil!
vous avez sufri?amnient dormi ! et non, comme
le veulent quelques interpretes : « Elongata
est » (sell, angustia mea). ou bien : Assez
veille! je n'ai plus besoin de vous. Entre ce
root, qui est une parlicularile de S. Marc, et
« requiescite », il faut admeltre une pause
plus ou inoins longue. — Tradetur, qui me
tradet. Dans le texie grec, nous avons deux
fois le present au lieu du futur : uapaotooxai,
6 itapaotoou; (x£. En effet, I'afFreux mystere de
la trahison de Judas etait deja en plein cours
d'execulion. Bellini, fra Angelico, Carlo Doici,
Schidone, Murillo, le Perugin onl admirable-
ment reproduit cetle scene douloureuse. Le
Correge y « a deploye toule la suavite de son
pinceau » (Rio).
7. — L'arrestation. xiv, 43-52. — Parall. Malth.
XXVI, 47-56; Luc. xxii, 47-53; Joan, xviii, 2-H.
43. — Adhuc eo loquente. Les trois synop-
tiques commencent par cette formule leur
recit de l'arrestation du Sauveur. — Venit
Judas Iscariotes. Depuis sa sortie du cenacle,
Cfr. Joan, xiii, 30, le Iraitre n'etait pas reste
jnactif. II etait alle immediatemenl aupresde
ses nouveaux mail res, auxquels il s'etait si
honteusement vendu, et il en avait obtenu la
nombreuse escorte avec laquelle nous le
voyons en ce moment penetrer dans le jardin
de Gelhsemani. — Ifmis de duodecim. La
legon du grec, eT? wv t(5v owSexa, « quum esset
unus de duodecim », fait mieux ressortir en-
coie le caractere ignominieux de la traliison
de Judas. Cfr. t^. 10. — A summis sacerdoli-
6us.. . C'est-a-dire « de la part » du grand
Conseil. S. Marc nomme ici tres distincte-
ment les trois classes qui composaient le
Sanhedrin.
44. — Dederat. Dans le grec nous trouvons
un plus-que-parfait sans augment, Seowy.ei.
Cfr. XV, 7 et 10. Voyez 'Winer, Grammat. des
neulest. Sprachidioms, p. 67. Les classiques
prennent parfois aussi cette liberte. — Le
sub5tantifcuiTff7)(xov,que la Vulgate traduit par
signum, ne Sf rencontre que dans ce passage
du Nouveau Testament. Judas ne pievoyait
point que Jesus se presenterait de lui-meme
a ses ennemis : de la ce signe conventionnel,
destine a empecher toute meprise. — Ducite
caute : S. Marc a seul note cette pressante
recommandation du traitre. Judas, on le voit,
prend toutes les precautions necessaires pour
executer son central honteux. Connaissant
par experience la puissance de Jesus, crai-
gnant aussi quelque resistance de la part des
disciples, il fait appel a toute Fatlention et a
toute I'energie de sa bande sinistre.
45. — Statim accedens ad eum. Des qu'il
apergoit Jesus, il va droit a lui (evejw;;, et,
d'apres !e texte grec, lui dit deux fois de
suite avec une affectation hypocrite : 'PaSoi,
'Pa6oi. Cependant, plusieurs temoins anciens
ont xaips, paSSt, comme la Vulgate et comma
S. JIatlhieu. — Osculatus est eum. Cet infame
baiser, par lequel Judas esperait en vain
202
fiVANGlLE SELON S. MARC
chant aussitot de lui, ii dit : Salut,
Maitre. Et il le baisa.
46. Et ils jeterent les mains sur
, lui et ils le saisirent.
47. Or im de ceux qui etaient la,
tirant une epee, frappa un serviteur
du grand pretre, et lui couparoreille.
48. Et Jesus leur dit : Vous etes
venus comme pour un voleur avec
des epees et des batons pour me
prendre.
49. J'etais tons les jours parmi
Tous, enseignant dans le temple, et
vous ne m'avez pas saisi; mais c'est
pour que les Ecritures s'accom-
plissent.
50. Alors ses disciples, Tabandon-
nant, s'enfuirent tous.
bl . Or un jeune homme le suivait,
convert seulement d'un drap, et ils
le saisirent.
dens ad eum, ait : Ave, Rabbi : et
osculatus est eum.
46. At illi manus injecerunt in
eum, et tenuerunt eum.
47. Unus autem quidam de cir-
cumstantibuseducens gladium,per-
cussit servum summi sacerdotis, et
amputavit illi auriculam.
48. Et respondens Jesus, ait illis :
Tanquam ad latronem existis cum
gladiis etliguiscomprehendere me?
49. Quotidie eram apud vos in.
templo docens, et non me tenuistis.
Sed ut impleantur Scripturae.
50. Tunc discipuli ejus relinquen-
tes eum, omnes iugerunt.
Matth. 26, 56.
51. Adolescens autem quidam se-
quebatur eum amictus sindone su-
per nudo ; et tenuerunt eum.
troinppr son Maitre, a inspire a divers peinlres,
notamment a Duccio, a Gioidano, de nos
jours a H. Flandrin el a Ary Schetler, de beaux
tableaux, dans lesqui^ls ils se sonl complu a
faire conlraster la ptiysionomie si douce, si
aimante ei si divine de Jesus avcc les trails
vulgaires, cruels el sataniques de Judas. Le
verbe grec xate^OTjaev est Ires expressif. Cfr.
Mallh. XXVI, 49 el le commentaire; Luc.
vn, 36 et 45; xv, 20; Act. xx, 37.
46 el 47. — Ces versets racontent le fait
meme de rarrestation du Sauveur el une ten-
tative isolee de I'un des disciples pour deli-
vrer Jesus. — Manus injecerunt in eum. Cette
formule indique des precedes violents, qui
elaientd'ailleurs parfaitementdansles moeurs
des hommi^s qu'on avail donnes pour seides
a Judas. On comprend qu'en voyant ces
mains brutales saisir le corps sacrd de son
Maitre bien-aime, S. Pierre, car c'esl lui qui
est designe par les mols unus quidam de
circumstantibus (Cfr. Joan, xviii, 10), n'ait
p» reprimer un mouvompnt d'indignation, el
qu'au risque de tout perdre en voulant tout
sauver, il ail blesse d"un coup d'epee le ser-
viteur du grand-prelre (t6v 5oOXov avec I'ar-
ticle). qui accompagnail Judas.
48 et 49. — Jesus ait illis. c'est-a-dire a
la troupe de ses advcr-^aires.S. Marc ne men-
tionne pas le reproche adresse par Jesus
k son trop ardent defenseur. Cfr. Matth.
XXVI, 52-54. — Tanquam ad latronem... Le
divin Maitre reieve avec force le caraclere
odieux de son arreslation : on est venu le
surprendre comme un voleur, a la faveurdes
tenebres de la null! II reieve aussi I'incon-
sequencequi se manifesle dans la conduitedes
Sanhedrisles : Quotidie eram apud vos... Mais
il se soumet a lout, parce que c'esl Dieu qui
a permis ces choses, annoncees depuis long-
temps dans los Livres sacres : Sed ut implean-
tur Scriptures I Cette derniere phrase est
elliptique.il est aise de la completer en ajou-
tanl : « Hoc factum est «. Cfr. Matth. xxvi, 56.
50. — Discipuli ejus... La prophetie de
Jesus relativcmi'nt a Judas s'esl accomplie;
celle qu'il faisait quelques instants apres
touchanl ses onze autres disciples se realise
egalemenl. lis prennent la fuile des qu'ils
voient que leur Maitre renonce a resister.
Omnes est emphatique. Tous, meme S. Pierre,,
meme S. Jacqu(-s et S. Jean!
51 et52. — Voioi un petit episode dps plus
interessantsct propre au second Evangile. In-
dependammont de I'interel que S. Marc porto
d'une manieregenerale a tout ce qui est pitto-
resque, dramatique, il est aise de decouvrir,
d'apr^s le conlexle, le molif special qui lui a
fait inserer ce curieux detail dans sa narra-
tion. Luc de Bruges, et nos autres exegetes
calholiques a sa suite, I'ont fort bien indi-
que : « Narrat hanc de adolescente historiana
CHAPITRE XIV
20S
52. At ille rejecta sindone, nudus
profugit ab eis.
53.Et adduxerunt Jesumarl sura-
mum sacerdolem : et conveuerunt
52. Mais lui,rejetantle drap, s'en-
fuit nu d'au milieu d'eux.
53. Etils amenerent Jesus chez
le grand-pretre, et tous les pretres
Marcus, iit doceat quant i periculi fuerit ea
node Chri^lum st^ui, quamque ingens fuerit
hoslium Christi furor, quanta licenlia et sae-
vitia, quam iinmanis violenlia, lumulluose
absque pudore et modeslia grassanlium, qui
adolescenlulum misernm ac seminudum, e
lecto ad strepitum accurrenlem, incognitum
sibi, 60 solo quod Jesu favere videretur, ita
comprehenderent, ut vix eorum manus nudus
effugeril. »Fr. Luc,h. I.— Adolescens quidam.
Quel elait ce jeune homnfie? se demandent
tout d'abord les exegetes. El, n'ayant la-
dessus aucune donnee certaine, ils donnent
un iibre cours a leur imagination. D'apres
Ewaid, ce mysterieux veavtaxo^ne serait autre
que Saul, le futur S. Paul. Plusieurs au-
teurs anglais contemporains, en parlicuiier
M. Plumptrs, veulent que ce soit Lazare,
I'ami de Jesus el le ressuscite de Belhanie.
D'autres commentaleurs opinent on faveur
de quelque esclave attache a la garde eta la
culUiVe du domaine de Gethsemani. Tel est
le sentiment de M. Schegg et du P. Patrizi.
« Ipsa res, ecrit ce dernier, In Marc. Comm.
p. 202, dubitare velal, quin isle adolescens
unus fuerit e custodis seu villici familia, qui,
strepitu expergefactus, c slralo quuin pro-
siluisset, ila ut erat una sindone obvolulus,
illucfeslinalo accurrerit ».Theophylacte croit
que c'etaii le fils du proprietaire du cenacle:
mais il lui fait faire un bien longcheminet
en un costume etrange! Quelques Peres ont
nomme divers Apotres, par exemple, S Jean
(S. Chrysost. Horn, in Ps. xiii; S. Ambr,
Enarral. in Ps. xxxvi; S. Gregor. Moral, xiv,
24), ou S. Jacques-le-Mineur (S. Epiph. Haer.
Lxxxvii, 13). Mais, dit justement le P. Patrizi,
1- c, « qui pnlant eum (adolescenlem) fuisse
unum aliquem e duodecim discipulis, non ani-
madverlunt hos omnes ea node cum Chrislo
ccenasse unaque cum ipso in hortum venisse,
uno demplo Juda, qui lamen el ipse lunc illuc
adveneral; quare nemo eorum poluil esse
amictus sindone super nudo. » D'apres une
opinion qui reunit aujourd'hui un assez grand
nombie d'adherenls, noire jeune homme serait
S. Marcenpersonne.En effet, nous dit-OHjIoil
est senl a raconler ce trait; 2o il residail a
Jerusalem (voyez la Preface, I, 4) ; 3o les de-
tails qu'il fournit sonl lellement circonstan-
cies qu'ils ne peuvenl gueres venir que d'un te-
moin oculaire;4o I'Evangeliste S.Jean se met
plusieurs Ibis indiredement en scene, d'une
maniere tout-a-fait analogue a celle-ci. Nous
trouvons ces raisons plus specieuses que con-
vaincantes. Tout ce qu'on peul affirmer de
certain, c'est que cet « adolescens » demeu-
rail dans le voisinage de Gelhsemani. Peut-
etre elait-il disciple de Jesus dans le sens
large de cette expression : de la son interet
pour le divin prisonnier. Mais peul-etre aussi
etait-ce simplemenl lacuriosile qui servitde
mobile a une demarche d'oii faillirenl decou-
ler pour lui des consequences si facheuses.
— Sequebatur. Plusieurs manuscrits impor-
tants emploienl le verbe compose <juvv5y.oXoij8£i,
au lieu de rixoXouSei. — Amictus sii^one. Le
mot « sindon », atvStov, designait chez les
anciens une grande piece d'etoffe de lin ou
de colon, qui servait tanlot de vetement de
dessous, tanlot de vetement de dessus. Cfr.
A. Rich, Dictionn. des Aniiquiles rom. et
grecq. p. 586. Ici, il represenle evidemment,
d'apres le t- 52, une sorte de couverture de
nuit dans laquelle le jeune homme s'etait en-
veloppe avant de sortir pour reconnaitre la
cause du bruit qui I'avait reveille. — Super
nudo, scil. « corpore ». II n'avait done pas
'"autre vetement. — Tennerunt eum. Le grec
ajoule : ot veaviazoi, « adolescentes ». C'est
I'equivalent du nnyj hebreu, qui designe
pariois des soldats. Voir II Reg. ii. 14; comp.
Act. V, 10. — At ille rejecta sindone... Se
degageant leslement, le heros de cette aven-
ture lacha son « sindon », qu'il laissa entre
les mains des sbires: puis, nudus profugit, la
pudeur le cedant a I'elFroi.
8. — J6sus devant le Sanhedrin. xiv, 53-65.
Parall. Malth. sxvi, 57-68; Luc. xxii, 54-65; Joan.
XVIII, 19-23.
53. — Et adduxerunt Jesiim. « Narraverat
Evangelista superius quomodo Ddminusa mi-
nislris sacerdotum fueral caplus; nunc nar-
rare incipit quomodo in domo principis sa-
cerdotum morti adjudicalus fuit. » Gloss.
— Ad summum sacerdotem. S. Luc dit avec
plus dc precision : « Eum duxerunt ad do-
mum principis sacerdoium. » Le prince des
pretres elait alors Caiphe. — Et convene-
rajif. Dans le grec, truvspxovTat, au present,
« conveniunl ». Apres ce verbe, on lit le pro*
nom auTw, qui pent serapportersoit au grand-
prelre (« conveniunl apud eum »), soil a Je-
sus (« conveniunl cum eo », en meme temps
que iui). Mais comme il manque dans cer-
tains manuscrils (D, L, A, Sinail.), il est proba-
blement apocryphe. Nous avons indique dans
noire commenlaire sur S. Matthieu, p. 520,
le motif pour lequel le Sanhedrin [sacerdotis.
S04
fiVANGILE SELON S. MARC
et les Scribes et les anciens s'as-
seinblerejit.
54. Or Pierre le suivit de loin
jusque dans la coiir du grand-pr6-
tre, et il etait assis pres du feu avec
les serviteurs, et il se chauffait.
55. Mais les princes des pretres
et tout le conseil cherchaient un te-
moignage contre Jesus pour le li-
vrer a la mort, et ils n'en trouvaient
pas.
56. Car beaucoup disaient contre
lui de faux temoignages, mais leurs
temoignages ne s'accordaient pas.
57. Et quelques-uns se levant
portaient contre lui un faux temoi-
gnage, disant :
omnes sacerdotes, et Scribse, et Se-
niores.
Maiih. 26, 57; Luc. 22, 54; Joan. 18, 13,
45. Petrus autem a longe secutus
est eum, usque intro in atrium
summi sacerdotis : et sedebat cum
ministris ad ignem, et calefacie-
bat se.
55. Summi vero sacerdotes, et
omne consilium, quaerebant adver-
sus Jesum testimonium, ut eum
morti traderent, nee inveniebant.
Matth.'i^, 59.
56. Multi enim testimonium fal-
sum dicebant ad versus eum : et con-
"venientia testimonia non erant.
57. Et quidam surgentes, falsum
testimonium ferebantadversus eum,
dicentes :
et scribce, et seniores) ?e reunit alors chez
CaTphe el non pas au Gazzith, qui etait le
local ordinaire dt;s assemblees oflicielles. —
La premiere partie d'une des recentes pro-
jjhelies de Jesus est mainlenant accomplie :
« Ecce a-cendimus Jerosolymam, et Filius
hominis tradttiir principibus sacordotum et
scribis et S'^nioribiis ». x, 33.
54. — Petrus autem... Note destinee a pre-
parer le recit d'evenements ulterieurs. Cfr.
ttr, 66-72. — Sequebatur a longe. « Timor
enim retrahit, sed carilas trahit », dit delica-
tement S. Jerome : voila pourquoi S. Pierre,
apres avoir repris un peu de sang-froid a la
suite des incidents de Gethsemani, d'une part
se mit a suivre son 3Iailre, mais, d'autre
part, ne le suivit que de loin, raffcclion et la
crainte tirant chacune de leur cote. — Usque
intro in atrium. « Intro » est une petite par-
licularite de S. Marc. — Sedebat cum minis-
tris ad ignem... II y a une legere inter version
des mots dans le texte grec : •/al'^v cuyxaOrj-
(xevo: [j.eTa Twv uur,p£Twv, xal Oepixaivoiisvoi; irpo?
to <fu)!i, il etait assjis avec les serviteurs et se
chauffait aupres du feu. $aj; designe plus
habitufllement la lumiere; mais, par exten-
sion, ce substantif designe aussi parlois le feu
(a quatenus lucet et collustrat », Bretschnei-
der, Lex. man.). Cfr. Luc. xxii, 56; I Mach.
XII, 29; II Mach. i, 32; Xenoph. Hist. gr.
VI, 2, 17.
55, — Summi vero sacerdotes... Apres cette
courte digression, I'Evangeliste nous ramene
a la scene principale, qui se passait dans I'in-
terieur du paiais. — Qucerebant adversus Je-
sum testimonium... La phrase exprime une
recherche anxieuse et pressante. A toute
force, les Sanhedri>le3 voulaient un temoi-
gnage qui leur permit de decreter la mort
de leur ennemi avec une apparence de jus-
tice. Une base de condamnation etait en effet
necessaire : autreuient, quel preti^xte alle-
gueraienl-ils a Pilate pour obtenir de lui I'exe-
cution de la sentence? comment se juslifie-
raient-ils devant le peuple, pour qui Jesus
etait encore un favori?
56. — Multi enim testimonium falsum... Ce
versel explique les derniers mots (« nee inve-
niebant ») du precedent. Ce n'etaient done
pas les temoignages qui manquaient contre
Jesus ; a defaui de vrais, on en forgeait de
faux, et en grand nombre. II failait bien que
les divins oracles s'accomplissent : « Insur-
rexerunt in me testes iniqui, » Ps. xxvi, 12;
mais, comme I'ajoutait le poete sacre, « men-
tita est iniquitas sibi. » De la cette reflexion
de I'Evangeliste : Convenientia (dans le grec»
tffai, « eadem, similia ») testimonia non erant.
Les temoignages elaient par la-meme inva-
lid^s, et des juges, meme peu scrupuleux,
ne pouvaient en tirer parti.
57-59. — Et quidam surgentes... S. Marc
releve ici I'une, peut-etre la principale,
des accusations mensongeres lancees contre
Notre-Seigneur. Au lieu du vague « quidam »,
nous lisohs dans S. Matthieu, « duo falsi
testes » : deux temoins seulement, juste le
nombre requis par la loi. — Nos audivimus,
s'ecrient ces malheureux avec emphase ; nous
I'avons entendu de nos propres oreilles : cir-
consiance qui accroit la force de leur teraoi-
gnage, et que S. Marc a seul exposes. L'aali*
CHAPITRE XIV
203
58. Quoniam iios audivimns eum
dicentem : Ego dissolvam templum
hoc manu factum, et per triduum
aliud non manu factum sedificabo.
Joan. 2, 19.
59. Et non erat conveniens testi-
monium illorum.
60. Et exurgens summus sacerdos
in medium, interrogavit Jesum, di-
cens : Non respondes quidquam ad
ea quse tibi objiciuntur ab his?
61. lUe autem tacebat, et nihil
respondit. Rursum summus sacer-
dos interrogabat eum, et dixit ei :
Tu es Christus Filius Dei benedicti?
62. Jesus autem dixit illi : Ego
b8. Nous I'avons entendu dire :
Je detruirai ce temple fait de n,ain
d'homme. et en trois jours j'en bd-
tirai un autre non fait de main
d'homme.
59. Et leur temoignage ne con-
cordait pas.
60. Et le grand pretre, se levant
au milieu, interrogea Jesus, disant :
Tu ne reponds rien a ce qui est
avance par eux contre toi?
61 . Mais il se taisait et ne repon-
ditrien. Le grand pretre I'interrogea
de nouveau ct lui dit : Es-tu le
Christ, le fils du Dieu beni?
62. Et Jesus lui dit : Je le suis, et
I
these templum hoc manu factum et aliud non
manu factum esl iine aiilre parlicularile de
son recit, Cette deposition etaitcapilale. « On
sail combien le peuple juif elail jaloux de la
gloire du Temple. Pour avoir annonce pro-
pheliquement que Dieu reduirait iin jour le
Temple au meme etat que Silo et qu'il en
ferait un desert, Jeremie (xxvi, 6, 19) avail
failli etre la[)ide par les prelres et par le
peuple; et s'il echappa a une mort certaine,
il le diat a riiUervontion de puissants sei-
gneurs altaclies a la cour. L'accusation for-
niulee contre Jesus par les deux temoins etait
done de la plus haute gravite. » Lemann, Va-
leur de I'Assemblee qui prononga la peine de
mort contre Jesus-Christ, Lyon, 1876, p. 76.
Mais, ajoule notre Evangeliste (et Uii seul
encore a note ce trait), et non erat conveniens
testimonium illorum; plus energiquement, d'a-
pres le grec, « et nequidem sic (xal ouSe oOtwi;)
erat conveniens...)) Les deux temoins, comme
cela s'est toujours pratique, avaient comparu
Tun apres I'autre devant le tribunal ; le se-
cond, sans s'en douter, avait done contredit
sur qu'lque point important le rapport du
pr( mier. L'accusation tombait par conse-
quent d'elle-meme.
60. — Et pourlant Caiphe ne veut pas
qu'elle tombe tout a fait. De la cette de-
marche, inouie de la part d'un juge supreme,
que nous lui voyons faire aciuellement. —
Exurgens. .. in medium. Constiuction ellip-
tique, pour« exurgens et veniens in medium. ))
Le grand-pretre se leve, quiiie sa place, et
s'avanco jusqu'aupres de raccuse, qui se te-
nait debout au milieu de la salle. La seconde
parlie de ce trait si graphique est propre a
S.Marc. — Non respondes quidquam. .. a Qiian-
lo Jesus tacebat ad indignos lesponsione sua
faisos testes, et sacerdoies impios, tanto ma-
gis pontifex, furore superatus, eum ad res-
pondendum provocat, ut ex qualibet occa-
sione sermonis, locum inveniat accusandi, n
V. Bede. L'interrogatoire des temoins n'a
fourni aucun resultat: mais, en repondant a
leurs depositions, quelque fausses qu'elles
fussent, Jesus se compromettra peut-etre.
Cost pour cela que Caiphe lo presse de
parler.
61 . — nie autem tacebat et nihil respondit.
C'est la une des repetitions emphatiques et
fiittoresques qui sont a I'ordre du jour dans
e second Evangile. Cfr. Preface, § VIL Le
silence du Sauveur a inspire a S. Jerome une
belle reflexion : « Le Christ qui se tait, dit-
il, absout Adam qui s'excuse. » CIV. Gen.
in, 10 et ss. Qu'im[iorte du reste aux bour-
reaux, dit quelque part Tacite, la defense de
leur victime? — Rursum summus sacerdos
interrogabat. La premiere question ayant ete
rendue vaine par le silence inattendu de
I'accuse, Caiphe lui en adressa brusquement
une autre: Tu es Christus Filius Dei?Celte
fois, la demands elail posee sur un terrain
brulant, etle souverain-prelre, comme nous le
voyons par le recit de S. Matlhieu, xxvi, 63,
avait prisses precautions pour qu'elle ne de-
meurat pas saus reponse; il I'avait inlroduite
en effet par une formule solennelle qui devait
forcer Jesus de prendre la parole : « Adjiiro
te per Deum vivum, ut dicas nobis... )> L'e-
pilhete benedicti est propre a S. Marc. Le
substanlif Dei manque dans le texte giec, ou
on lit simplement : 6 ut6?ToO eOXoyTiToy, le fils
duBeni par excellence. Les Rabbins emploient
de la meme maniere I'expression "iTian .
62. — Ego sum. repond clairem^nl Jesus.
Oui, je suis le Messie, le Fils de Dieu. Autre-
fois, il avait accepte la paro'p enflamraee de
S. Pierre : a Tu es le Christ fils du Dieu vi-
806
fiVANGILE SELON S. MARC
vous verrez le Fils de I'homrae sie-
geant a la droite de la puissance de
Dieu, et venant sur les nuees du
ciel.
63. Et le grand-pretre, dechirant
ses vetements, dit : Qu'avons-nous
encore besoin de temoins?
64. Vous avez entendu le blas-
pheme; que vous en semble? Tous
le condamnerent comme digne de
mort.
65. Et quelques-uns commen-
cerent a cracher sur lui et a voiler
sum; et videbitis Filium hominis
sedentem a dextris virtutis Dei, et
venientem cum nubibus cceli.
Match. 24, 30 el 26, 6i.
63. Summus autem sacerdos, scin-
dens vestimenta sua, ait : Quid
adhuc desideramus testes ?
64. Audistis blasphemiam : quid
vobis videtur? Qui omnes condem-
naverunt eum esse reum mortis.
65. Et coeperunt quidam cons-
puere eum, et velare faciem ejus, et
vant », Malth. xvi, 46; naguere encore,
XI, 9 et 10, il agreait comme un hommage
legitime les Hosanna du peuple : mais ici il
y a qiielque chose de plus. G'est lui-m§rae
qui proclame bien haut, devant I'autorite su-
preme des Juifs en fait de religion, en reponse
a une question officielle, son caiactere mes-
sianique et sa divine filiation. Ecoutons-le,
adorons-le! — Et videbitis Filium hominis...
Le Sauveur complete et confirme son syw tly.i
de tout a I'heure. L'avenir, dit-il a sesjuges,
vous montrera que j'ai paiie selon la verite.
Maintenani, je vous apparais sous un exte-
rieur humilie, comme Fils de I'homme ; mais
un jour vous me verrez troner couirae Fils de
Dieu a la droite de mon Pere. Ainsi done,
Jesus ne revendique pas seulement la dignite
messianique : il promet d'en exercer les fonc-
lions. Voyez I'explication delaillee de ces
paroles dans TEvang. selon S. Matthieu,
p. 520 et521.
63 et 64. — Caiphe a atteint son but : il a
reussi a faire parler I'accuse, et a le faire
parler dans le sens desire par toute I'assem-
blee. Desormais, il n'y a plus qu'a tirer parti
d'un aveu aussi formel, et ce sera chose fa-
cile : mais le president salt faire les choses
enacteur consomme. Une feintecolere lui avail
fait quitter precedemment son fauteuil, t. 60;
un zele non moins hypocrite pour la gloire
de Dieu le porte maintenant a dechirer ses
vetements en signe de d^uil, comme s'il ve-
nait d'entendre le plus effroyable blaspheme.
Lorsque, quelques seir.aines plus tot, il pro-
nongait au sujet de Jesus cette parole celebre :
« Expedit vobis ut unus moriatur homo pro
populo, et non tota gens pereat », Joan.
XI, 50 (Cfr. le t. 51), il ne se doutait guere
qu'il etait prophete ; il ne se doutait pas da-
vantage qu'il accomplissait une action pro-
phetique quand il mettait en pieces I3 devant
de sa tunique, et c'etait pourtant la un frap-
pant symbols, comme I'ont enseigne les
Peres. « Dechire ton vetement, 6 Caiphe!
s'ecrient MM. Lemann, resumant Tenseigne-^
ment patrislique, le jour ne se passera pas
que le voile du Temple ne soit dechire au.-si,
en signe, I'un et I'autre, que le sacerdoce
d'Aaron et le sacrifice de la loi de Moi'se sont
abolis, pour /aire place au sacerdoce eternal
du Pontife de la Nouvelle Alliance. » Valeur
de i'assemblee..., p. 83. Cfr. Origene, S. Je-
rome, Theophylacte, Euthymius et S. Tho-
mas, in Mallh. XXVI, S. Leon-le-Grand, De
passione Domini, sermo vi. — Vestmicnta
sua, Touc x'twva; . Ce mot est justemeiit au
pluriel (Cfr. Mailh. xa i(ji,aTia), car, d'apies le
precepte des Rabbins, ce n'etait pas seule-
ment le vetement superieur qu'on devait de-
chirer en pared cas, mais lous les vetemenls,
la chemise seule exceptee. Les riches por-
laient habituellement pUisieurs tuniques su-
perposees. — Audistis blasphemiam. Au gesie,
Caiphe joint la parole pour accabler I'accuse.
« A quoi bon un plus long interrogaloiret
Vous avez pu le constater par vous-memes,
c'est un blaspheme manifeste qu'il vienl de
prononcer. » — Qui omnes condenmaverunt...
La seconde partie de la propheiio de Jesus a
laquelle nous faisions allusion plus haut s'ac-
complissait tout aussi exaclement que la pre-
miere : « Et damnabunl eum mortc! », x, 33..
« Omnes », ot iravTs; : tous les membres pre-
sents. Preuve que le Sanhedrin ne se irouvait
pas alors au complet, car Nicodeme et Joseph
d'Arimalhie n'auiaient certainement pas vole
la mort de Jesus. Peut-etre n'avaient-ils pas
ete convoques; ou du moins ils n'assislaient
pas a la seance.
65. — Et coeperunt quidam... Details hor-
ribles, qui constituent au point de vue juri-
dique une veritable enormite. Tandis que
partout, sinon parfois chez les peuplades bar-
bares, les condamnes a mort sont respectes,
depuis leur sentence jusqu'a leur execution,
comme une chose sacree, Jesus sevit, sous les
CIIAPITRE XIV
207
colaphis eum csedere, et dicere ei :
Prophetiza; et ministri alapis eum
csedebant.
66. Et cum esset Petrus in atrio
deorsum, venit una ex ancillis sum-
mi sacerdotis :
Malth. 26, 69; Luc. ^2, 56; Joan. 18, 17.
(17. Et cum vidisset Petrum cale-
facientem se^ aspiciens ilium, ait :
Et tu cum Jesu Nazareno eras.
68. At ille negavit, dicens : Neque
scio, neque no vi quid dicas. Et exiit
foras ante atrium, et gallus cantavit.
69. Rursus autem cum vidisset
ilium ancilla, coepit dicere circum-
stantibus : Quia hie ex illis est.
Mailh. 26, 71.
sa face et a le meurtrir de coups de
poing et a lui dire : Proplietise!
Et les serviteurs le meurtrissaient
de soufflets.
66. Et tandis que Pierre etait en
has dans la cour, une des servantes
du grand-pretre y vint.
67. Et, lorsqu'elle eut vu Pierre
se chauffer, elle dit, en le regar-
dant : Toi aussi, tu etais avec Jesus
de Nazareth.
68. Mais il le nia, disant : .Te ne
sais ni ne connais ce que tu dis. Et
il sortit devant la cour et le coq
chanta.
69. La servante, Tayant vu de
nouveau, commenca a dire a ceux
qui etaient presents : Gelui-ci est
un d'entre eux.
yeuxdesSanhedristesqui laisserenl faire, I'ob-
jet de?traitement> les plus indignes.La haine
saiivage de la soldatesque chai gee de garder
Notre-Seigneur s'elale avec toulo sa I'ureur
dans la description vivanle de S. Marc.Notons
en particulier le trail velare faciem ejus, que
S. Mallhieu n'avait pas menlionne, el qui
aide a mieux comprendre la suite de la scene :
Prophetiza! Devine qui t'a Jrappe! A la fin
du verset, au lieu de pain'atJiaaiv aijxov eSaX^ov
de la Recepta [alapis eum ccedebaitt), on lit
dans divers temoins anciens : paTtitjfxaaiv
a'jTov e>.a6ov, et telle parait elre la logon au-
thentique. Cette expression equivaudrait au
latin « verberibus (ici, « alapis ») aliquem
accipere. » — Admiron? I'adorable patience
<le Jesus devanl ces outrages sanglants. Son
amour pour nous le soulenail.
i 9. — Le triple reniement de S. Pierre.
^, XIV, 6(5-72 — t'aiall. Jlattli. xxvi, 69-75; Luc.
I XXII, 55-ti-i; Joan, xmi, lJ-18; 25-27.
66. — Cimi esset Petrus... L'Evangeliste
revient maintenanl sur ses pas (Gir. t. 54),
pou- signaler une autre tragedie lugubre qui
se passail a peu pres en mem(> temps que la
precedenle, et qui realisail aussi une prophe-
tic anlerieure de Jesus. Cfr. t. 30. — in atrio
deorsum. S. Mallhieu dit : « Foris in alrio. »
Mais les deux descriptions sent exactes.
« Atrium enim et foris erat, si ad interiorem
ffidium partem species, et deorsum, si ad su-
periorem, ad quam per scalas adscensus pa-
tebat. » 1-atrizi, h. 1. Jesus etail « intus et
sursum » ; S. Pierre « foris et deorsum. » —
Venit una ex ancillis... Sur la vraie maniere
de compter les irois reniements de S. Pierre,
voypz I'Evangile selon S. Mallhieu, p. 526.
67. — Cum vidisset Petrum... aspiciens
ilium. La servante apergut d'abord S. Pierre
qui se chauffail auptes du feu; puis, frappee
des ce simple coup d'oeil de son visage morne,
de sa conlcnanc'e grave, qui conlrastaient
avec I'attilude des valets et des soldats, elle se
mil a le contempler altentivemeni. S. Marc
distingue tresbien ces deux regards dislincls,
I'un rapide et a demi inconscient, TSouffa,
I'autre allenlif et prolonge, ifxeXe'^/affa.
68. — At ille negavit. Ce second regard,
et la question qui le suivit suffirenl pour trou-
bler le timide Pierre, au point de lui arra-
cher un premier reniement. — Neque scio,
neque ?iowt.Commesa negation est accentuee!
(Elle est specialea S. Marc sous cette forme).
Cependantelle n'estencore qu'indirecle : I'A-
potre ne renie pas formellement son Mailre,
il affecle seulement de ne pas comprendre de
quoi ni de qui il est question. — Quid dicas;
dans le grec, Tt (jij Xsyek;, « quid tu dicis »,
avec emphase sur le pronom ou. — Ec gallus
cantavit. Trail propre a S. Marc.
69. — Cam vidisset ilium ancilla. Dans le
grec, rjuatSiffxY) avec I'article, la servante.
Neanmoins, cetie maniere de parler n'indique
pas necessairementque cefut lameme femme
qu'au V. 66. Elle designe la servante. quelle
qu'elle fut, aupres de laquelle S. Pierre se
irouva quand il se fut ecarte du foyer. En
effel, nous savons, d'apres S. Mallhieu eS
S. Jean, qu'il s'agit d'une « alia ancilla ». —
208
CHAPITRE XIV
70. Mais il le nia de nouveau. Et
peuapres ceux qui elaient la dirent
encore a Pierre : Tu es vraiment un
d'entre eux, car tu es aussi Galileen.
71. Et il commenca a faire des
imprecations et a jurer : Je ne con-
nais pas cet homme que vous dites.
72. Et aussitot le coq chanta de
nouveau. Et Pierre se souvint de la
parole que Jesus lui avait dite :
Avant que le coq chaute deux fois,
tu me renieras trois fois. Et il se
mit a pleurer.
70. At ille iterum negavit. Et
post pusillum rursus qui astabant,
dicebant Petro : Vere ex illis es;
nam et Galilaeus es.
Luc. 22, 59; Joan. 18,25.
71. Ille autem coepit anathemati-
zare, et jurare : Quia nescio homi-
nem istum, quern dicitis.
72. Et statim gallus iterum can-
tavit. Et recordatus est Petrus verbi
quod dixerat ei Jesus : Priusquam
gallus cantet bis, ter me negabis.
Et coepit flere.
Matth. 26, 75; Joan. 13, 38.
Hie ex illis est. « Ex illis » est dedaigneux. II
fait parlift de leur bande! C'est-a-dire, c'est
un des disciples de Jesus.
70. — Iterum negavit. L'imparfait fjpvetTo
du texte original indique une denegation
prolongee. — Apres Galilceus es, on lit dans le
texte grec : xair,Xa).ii aov ofxoidl^et, « et lingua
tua similis est (scil. linguifi Galilaeorum) »;
et, en realite, nousavons vu dans le premier
Evangile ,^xxvi, 73 el le commenlaire) que
les habitants de la Galilee trahissaient leur
origine par leur prononciation vicieuse. Ce-
pendant ces mots, qui manquent dans les
meilleurs temoins, sont regardes a bon droit
comme un glosseme.
71. — Ce dernier reniement est le plus
triste et le plus grave des trois. Pierre, pour
rendre ses protestations plus energiques, leur
associa des anathemes et des serments ; en
outre, cette fois, il ai'firme tres directement
qu'il ne connaissait pa> Jesus, ce Jesus a qui
il disait naguere : « Tu es Chrislus, filius
Dei vivi ». 1! I'appelle honunem istum. pre-
nant soin d'ajoiiLer : quern dicitis, comme s'il
n'eut jamais enlendu parler de Jesus avant
que les servantes et les valets de Caiphe le
lui nommassent. Ces derniers mots sont une
particulariie de S. Marc.
72. — Statim gallus... L'adverbe a statim »
est omis par la Recepta; mais on le trouve
dans les meilleurs manuscrils. — Iterum est
propre a S. Marc, qui seul, nous I'avons vu,
t. 30, avait mentionne deux chants successifs
du coq dans la prediction de Jesus. — Le
premier chant avait probablemenl passe ina-
.perQu, mais le second produisit une reaction
dans le coeur de S. Pierre : recordatus est,
les paroles de son Maitre lui revmrent subi-
tement a la pensee, et alors, reconnaissant
toute i'etendue de sa faute, eTtioaXwv ixXaie,
comme dit le texte grec. Quel est le sens
exact de cette locution? L'amphibologie du
verbe iTtiSaXXw est cause qu'elle a regu peut-
etre plus de vingt interpretations diflerenles,
parmi lesquelles il est assez difficile de choisir.
La traduction de la Vulgate, c(epit flere, est ega-
lement celle de plusieurs versions anciennes,
telles que la Peschito syriaque, I'armenienne,
la gothique, etc; elle est adoptee par Suidas,
Euthymius, etc., et Ton cite, a son appui,
divers passages soit sacres, soit profanes, ou
lei parait etre le sens de smgdW.w; par exem-
ple, Diog. Laert., vi, 2, 4, im6ai.lt Tepext^Etv,
« cantillare coepit »; II Mach. xii, 38, xricoe
i856\Laooz im6a.llo<)orit„ Vulg. « Cum seplima
dies superviniret ». De la sans doute la legon
y.a.\ iip^axo y.).at£iv du manuscrit D. Theophy-
lacte conserve au participe £7:tod),wv sa signi-
fication habituelle, et traduit comme s'il y
avail : eTriSdXwv to Ifiaxiov x^ v.z!fci.lri e/Xate,
ayant jete son manleau sursa tete, il pleura.
D'aulres donnent a la phrase le sens de
« addens flebat », c'est-a-dire « repetitis vici-
bus Qevit. » D'autres sous-entendent t6v vouv
apres £7ii6dXcav : I'Evangeliste voudrait dire
alors que S. Pierre « ayant fait attention »
(a sa faute, ou bien au chant du coq) se mit
a pleurer. D'asseznombreuxauteursmodernes
traduisent sTitgaXwv par « etant aussitot
sorti » (se pronpiens, celeriter abiens). Les
passages paralleles de S. Matthieu (xxvi, 75)
et de S. Luc (xxii, 62) : « egressus foras
flevit amare », favorisent cette interpretation.
Voir Bretschneider, Lexic. man. t. I, p. 38i.
— On a de remarquables compositions du
Poussin, de Valentin, de Slella, sur les diffe-
rentes scenes du reniement de S. Pierre. Carlo
Doici a immortalise a sa maniere les larmes
du prince des Apotres dans son tableau connu
sous le nom de « S. Pierre pleurant ».
fiVANGILE SELON S. MARC
209
CHAPITRE XV
Jesus est livre aux Remains par le grand Conseil {t. 4). — II est interroge par Pilate,
(tt. 2-5). — Jesus et Barabbas (tt. 6-15). — Scene du couronnemenl d'epines [tt. 46-19),
— Le chemin de croix (tt. 20-22). — Crucifiement, agonie et morl de Jesus [ft. 23-37). —
Ce qui siiivit immediatement la mort de Jesus [tt. 38-41). — Ensevelissemenl du Clirist
{it. 42-47).
1. Et confestim mane consilium
facientes summi sacerdotes, cum
senioribus, et scribis, et universo
concilio, vincientes Jesum duxerunt
et tradiderunt Pilato.
Matth. 27, 1; Luc. 22, 66; Joa7i. 18, 28.
2. Et interrogavit eum Pilatus : Tu
1. Et, des le matin, les princes
des pretres s'etant assembles avec
les anciens et les scribes et tout le
conseil, ils lierent Jesus, I'emme-
nerent et le livrerent a Pilate.
2. Et Pilate I'interrogea : Es-tu le
10. — J6sus juge et condainn6 par Pilate.
XV, 1-15.
S. Marc abrege ici d'une maniere notable.
II ne dil rien de la mort de Judas, rien de la
femme de Pilate, rien d'Herode, etc. II va
droit au tragique denouement, auquel la con-
duite du Sanhedrin nous a deja prepares.
a. J^sus est livri aux Romains par les Juifs. xv, 1.
Parall. Matth. xxvu, 1-2; Luc. xxiii, 1 ; Joan,
xvm, 28.
Chap. xv. — 1. — Confestim mane, De
meme dans le texte grec, eOOe'w; inl t6 Ttpwt.
S. Matthieu dit simplement « mano facto. »
« Utrumque hoc verbum (c'esl-a-dire cette
reunion de deux adverbes), dit fort bien Mal-
donat, eo perlinet, ut indicet Evangelista,
quanta usi fuerint principi'S sacerdolum,
Scribae et Pharisaei diligenlia, ut, Christum
condemnarent ». — Consilium facientes, ou
mieux, d'apres le grec (Trot/i'javTei;), « quum
fecissent ». Cette seance, dislincle de celle
qui avait eu lieu pendant la nuit, xiv,55et ss.,
devait, d'une part, corriger ce qu'il y avait
eu de defectueux, d'apres la loi juive, dans
une sentence nocturne (Voyez Matth. xxvii, 1
et le commentaire) ; d'aulre part, permettre
aux Sanhedristes de se conccrtor sur la
maniere donl ils accuseraicnt Jesus devant
Pilate. — Et universo concilio. Expression
evidemment emphatique, puisque les Irois
categories du Sanhediin ont ete raentionnees
auparavant. S. Marc seul a pris soin de noter
que cette seconde assemblee fut pleniere.
(Au lieu de I'ablatif, il faudrait le nominatif,
car le grec porte xai 6>.ov to cruveSptov, apposi-
tion a apxiepei?)- — Duxcruiit et tiadideriint
Pilato. aComme les Juifs n'avaient plus alors
S, Bible.
I'exercice de la justice vindicative, ni le droit
de faire mourir un homme, mais seulement
de lui faire son proces, et de le juger suivant
leur loi, ils amenent eux-momes Jesus ci Pilate,
gouverneur de la province au nom des Ro-
mains, le prianl, qu'etant juge digne du der-
nier supphce selon leur loi, il lui plut de le
condamner et de le faire executer. » D. Cal-
met, Comm. litteral sur S. Marc, h. 1. Voyez.
TEvang. selon S. Matth., p. 530. Le nom
complet de Pilate, cet homme sinistre dont la
memoire restera a tout jamais associee au
plus grand crime commis sur la terre, etait
« Pontius Pilatus ». Cfr. Matth. xxvii, 2.
S. Marc ne mentionne que le « cognomen »,
qui etait sans douie plus usite que le « no-
men ». II ne signale pas le litre de Pilate
parce que c'etait un point d'histoire romaine
que ses lecteurs connaissaient parfaitement.
— En conduisant le Sauveur au pretoire, les
Sanhedristes realisaient sans le savoir une
partie de sa prophetie a laquelle nous avons
deja fait plusieurs fois allusion : « Tradent
eum (sacerdotes et scribae et seniores) genti-
bus », XIII, 33. lis livraient Jesus aux Ro-
mains; mais leur lour viendra bientot d'etre
livres eux-memes par Dieu entre les mains do
ces ennemis de leur nation.
b. Jesus interroge par Pilate, xv, 2-5. — Paralf,
Mauh. xxvu, 11-14; Luc. xxur, 2-5; Joan,
xvni, 29-38.
2. — Tu es rex JiidcBorum? « C'6tait la
seule, ou au moins la principale des accusa-
tions qui pouvail inleresser Pilate; car, poar
le blaspheme, par exemple, qui avait ete le
seul motif de la condamnalion prononcee par
les pretres, cela ne le regardait point. A son
S. Marc. — t^i
210
£va:;G!i.h -..lon s. marc
roi des JuJfs?Et il lui repondit : Tu
le dis.
3. Et les princes des pretres Tac-
cusaient de beaucoiip de choses.
4. Et Pilate I'interrogea de nou-
veau, disant : Tu ne reponds rien?
Vois de combien de choses ils t'ac-
cusent.
b. Mais Jesus ne repondit plus
rien, de sorte que Pilate etait etonne.
6. Or, au jour de la fete, il avait
coutume de leur delivrer un des
prisonniers, celui qu'ils deman-
daient.
7. Et il y en avait un qui se nom-
mait Barabbas, qui etait encliaine
es Rex Judseorum? At ille respon-
dens, ait illi : Tu dicis.
3. Et accusabant eum summi sa-
cerdotes in mullis.
Jft?»/t. 27, 12; Luc. 23,2.
4. Pilatus autem rursum interFo-
gavit eum, dicens : Non respondes
quidquam? vide in quautis te accu-
sant.
Joan. 18, 33.
5. Jesus autem amplius nihil res-
pondit, ita ut miraretur Pilatus.
6. Per diem autem festum solebat
dimiltere illis unum ex vinctis,
quemcumque petissent.
7. Erat autem qui dicebatur Ba-
rabbas, qui cum seditiosis erat vin-
egard, il ne s'agissail que de savoir si Jesus
elait un sediLieux, et un hommequi cherchat
a se faire un parli, el a se faire declarer roi ».
D. Calmet. En arrivanl aupres de Paale, les
Sanhedrisles avaienl done accuse Jesus d'un
delil politique, d'un crime de lese-majesle.
— Tu dicis. Ce que tu dis est vrai ; il en est
comme tu le dis. Cetle maniere de repondre
affirmalivement a une question est, aujour-
d'hui encore, usilee en Syrie. Elle n'a pas le
sens ambigu que lui prete Theophylacte,
lorsqu'il la commente en ces termes, Enarrat
in Evans. Matlh. xxvii, 11 : « Jesus autem
dixit ilH, Tu dicis, sapientissimo responso
dalo. Neque enim dixit, Non sum, nee contra,
Ego sum; sed medio quodana modo dixit, Tu
dicis. Hocenim potest el sic inlelligi/r Sum
sicuL dicis ; et sic : Ego quidem .hoc non dico
tu autem dicis. »
3. _ Accusabant eum... in muUis. Ce verba
a I'imparfait, et le Tco>,>.a aime de S. Marc,
sonl egalemenl significatit's. S. Jean, xvni, 30,
el S. Luc, XXIII, 5, ont conserve queiques-
•anes des accusations que les Sanhedristes
portaient conlre Jesus. « At illi invalesce-
banl, lisons-nous dans le Iroisieme Evangile,
dicentes : Conmiovet populum, docens per
universam Judaeam, incipiens aGalilaea usque
luic. » — Les mots « ipse vero nihil rcspon-
dit », qu'on lit a la fin du t. 3 dans plusieurs
manuscrits el quelques versions, sonl proba-
blemenl apocryphes, car ils sont omis par
les meilleurs temoins.
4 el 5. — Non respondes quidquam. Pilate
qui deja s'interesse a I'aceuse el voudrail lui
sauver la vie, le presse de se defendre, espe-
ranl bien qu'un homme en qui se manifeste
une telle dignile renversera sans peine les
allegations evidemmenl passionnees des San-
hedristes. Mais, Jesus amplius nihil respon-
dit, se conlenlanl du « Tu dicis » prononce
quelques instants auparavant. Le Sauveur se
tail ; il est pret a subir, par amour pour
nous, le sort qu'on lui destine; il ne veul rien
faire pour ecarter la coupe amere de sa Pas-
sion, — La legon y.aTyjyopouaiv, accusant de la
Vulgate, est favorisee par d'imporlants ma-
nuscrits, quoique la « Reeepta » ait -xaTaiiao-
Tupouow, « testimonium dicunl ».
c. Jesus et Barabbas. xv, 6-15. — Parall. Matth.
xxvn, 15-26; Luc. xxiii, 17-25; Joan, xvui,
39-xix, 1.
S. Marc raconle a peu pres de la meme
fagon que S. Matlhieu, quoique avee plusieurs
variantes inleressantes, eel episode qui put
faire croire pendant quelques instants a Pi-
late qu'il reussirait a delivrer Jesus.
6 el 7. — Avant d'arriver a la scene prin-
cipale, I'Evangeliste note deux faits prelimi-
naires, destines a orienter le lecteur sur la
suite de I'incidenl. Le premier fait, t. 6,
consisle en une coutume ayanl force deloi,
d'apres laquelle, a I'occasion de la Paque
(per diem festum; c'ost a tort que les versions
syriaque et arabe iraduisent xax' eop-ci^v par
« unoquoque die feslo »), le gouverneur ro-
main devait meltre en liberie un prisonnier
juif, que le peuple se chargeail lui-meme l^
d'indiquer. Voyez, sur eel usage, I'Evang.
selon S. Matlhieu, p. 536. [Solebat dimittere :
le lexte grec a seulemenl anilvv/, « dimitle-
bat »; mais Timpaifail indique en realile une
coutume). — Second detail prdliminaire, \\ 7.
II y avait precisement alors dans la prison
d*i pretoire un « vinclus insignis » (Matlh.},
CHAPITRE XV
2H
ctus, qui in seditione fecerat homi-
cidium.
8. Et cum ascendisset turba, coe-
pit rogare, sicut semper faciebat
illis.
9. Pilatus autem respondit eis, et
dixit : Vultis dimittam vobis regem
Judsejrum?
10. Sciebat enim quod per invi-
diam tradidissent eum summi sacer-
dotes.
11. Pontifices autem concitave-
runt turbam, ut magis Barabbam
dimitteret eis.
12. Pilatus autem iterum respon-
avec des seditieux et qui, dans nne
sedition, avait comrais un homicide.
8. Et la foule, etant montee, com-
menca a reclamer ce qu^il faisait
toujours pour eux.
9. Et Pilate leur repondit : Vou-
lez-vous que je vous delivre le roi
des Juifs ?
10. Gar il savait que les princes
des pretres I'avaient livre par envie.
11. Mais les pontifes exciterent la
foule pour qu'il leur delivrat plut6t
Barabbas.
12. Pilate leur parlant de nouveau-
nomme Barabbas, dont S. Marc caracterise
tres-netlement la conduile criminelle, afin
de mieux faire ressorlir le contrasle qui va
suivre {t. 11). 1° Cum seditiosis erat viuctus.
C'elail ua de ces nombreux sicaires qui s'in-
surgeaienl frequemmenl alors com re I'auto-
rile romaine, surtout depuis qu8 Pilate se fai-
sait comme un plaisir de blesser les senti-
ments religic'ux et nationaux des Juifs. 2° In
seditione fecerat homicidium. A la revolte i!
avait joint riiomicide. Ses mains etaicnt
souillees de sang. Voila I'iiomme qu'on va
bientot preferer a Jesus! — Au lieu du sin-
gulier « qui... fecerat », le texte grec em-
ploie le pluriel : ohive; ev t^i axaaet 96VOV
8. — Apres ce petit preambule S. Marc
reprond le fil du recit. — Cam ascendisset
turba. La Vulgate a lu avagi;, avec les ma-
nuscrits B, D, et plusieurs versions, au lieu
de I'avago-offa; du Text, recept., « quum cla-
masspl ». La traduction elhiopienne reunit les
deuxlegons : « ascendil et clamavit ». 'AvaSa;
indiquerait que la foule se rendit au pretoire
de loutes les parties de la viile, ou bien gra-
vit le Lilliostrolos (Gfr. Joan, xix, 13) qui
servait de tribunal au gouverneur. — Ccepit
rogare sicut semper faciebat. Construction
eliiptique, pour « coepit rogare ut faceret si-
cut... » La foule reclame "done agrandscris
I'exercice de sou privilege accoutume.
9 et 10. — Vultis dimittam vobis...'? Celte
demande du pcuple coincidait trop bien avec
les de~irs les plus inlimes du gouverneur,
pour qu'il liesilat un seul instant a I'exaucer.
Saisi>sant ce moyen inattendu qui lui etait
ofTert de sauver Notre-Seigneur. il suLrgere
aussilot a la multitude I'idee do lui appliquer
I'amnistie. Par les mots regem Judceorum, il
esperait peut-etre exciter davantage la piiie
du peuple : Ne vous laissez-vous ^as toucher
par I'etat miserable de cet hom.me qui dit
etre votre roi'i* On leur a donne parfois, mais
a tort, un sens ironique. — Sciebat enim. Le
cours memo des debats avait revele a Pilate
que c'etait par envie que les ch'fs du parti
sacerdotal (leur mention en cet endroit est
propre a S. Marc) voulaicnt a tout prix so
dei'aire de Jesus. Voila pourquoi, sans enga-
ger sa responsabilite, il essayaitde s'appuyer
sur la foule pour ieur arractier leur victlme.
11. — Pontifices autem... Les pretres com-
prirent la manoeuvre Qu « Procurator », et
lis s'empresserent de la dejouer en excitant
eux-memes le peuple centre Jesus. L'inter-
ruption produite dans I'audience par I'arrivee
du messager de la femme de Pilate (Cfr.
Matth. XXVII, 19 et 20) leur accorda quelques
minutes dont ils profiterent habilement pour
arriver a leurs fins sataniques. — Concitave-
runt. L'expression correspondante du texte
grec, ave'(7ci(jav, est d'une grande energie. On
ne la trouve qu'ici et dans S. Luc, xxiii; 5.
Elle designo des efforts vigoureux, operes en
vue d'agiter una reunion d'liommes en soule-
vant leurs plus mauvaises passions. — Ut
magis Barabbam... « Magis », plutot, de
preference. Les pretres representaient sans
doute au peuple que Barabbas etait, apres
tout, un valeureux champion de la nationa-
lite juive centre I'oppression romaine, ua
zelote plein de patriotisme, et, qu'a ce titre,
c'etait a lui qu'on devait donner la prefe-
rence.
12-13. — Quid ergo vuUis... Nous avons
ici un oxemple de la maniere dont S. lAIarc
abrege et condense les faits. 11 passe sous si-
lence, parce qu'elles etaient contenues « in
nuce » dans les deux lignes qui precedent
(t. 11), une question de Pilate et une reponse
di la foule. Nous Irouvons I'une et I'autre
dans le premier Evangile, xxvii, 21 : « Quern
212
EVANGILE SELON S. MARC
leiir dit : Que voulez-vous done que
je fasse au roi des Juifs?
13. Et ils crierent de nouveau :
Grucifiez-le !
14. Mais Pilate leur disait : Pour-
taiit , quel mal a-t-il fait? Et ils
criaient encore plus : Crucifiez-le!
15. Et Pilate, voulant satisfaire le
peuple, leur remit Barabbas, et li-
vra Jesus, dechire de verges, pour
6tre crucifie.
16. Or les soldats le conduisirent
dens, ait illis : Quid ergo vultis fa-
ciam regi Judeeorum?
Matth. 27, 22; Luc. 23, 14.
13. At illi iterum clamaverunt :
Crucifige eum.
Joan. 18, 40.
14. Pilatus vero dicebat illis :
Quid enim mali fecit? At illi magis
clamabant : Crucifige eum.
15. Pilatus autem volens populo
satisfacere, dimisit illis Barabbam;
et tradidit Jesum, flagellis ceesum,
ut crucifigeretur.
16. Milites autem duxerunt eum
vullis vobis de duobus dimilli? At illi dixe-
riint, Barabbam. » Ouoique degu dans son
esperance, Pilate cherche encore a sauver Je-
sus, en demandant au peuple : Que ferai-je
done au roi des Juifs? ou, d'apres une legon
tres-accreditee : Que ferai-je a celui que
vous dites c're le roi des Juifs? 11 pensait
oblenir, pour Jesus comme pour Barabbas.
un vote d'elargissement. — Crucifige euml
Telle fut la barbare sentence, prononcee par
la foule. Elle clioisit, pour son Messie, le plus
alroce et le plus ignominieux des supplices
remains. On voit jusqu'a quel point les prd-
tres avaient reussi a la fanaliser.
14. — Quid enim mali fecitf Tout enlier
aux moyens ingenieux, Pilate tache d'attirer
I'atlenlion de la multitude sur I'innocence de
celui dont elle demandait impitoyablement la
morl. Mais une populace ameutee, avide de
sang, s'inquiete bien de I'innocpnce de ceux
qu'elle egorgc! « Judaei, insaniae suae satisfa-
cientes, interrogationi praesidis non respon-
dent. » — At illi magis clamabant : Crucifige
eum, n ut imploretur illud Jeremiae (cap. xii) :
Facta est mihi haereditas mea sicut leo in
silva; dederunt contra me vocem suam. »
V. Bede. Pauvre peuple, que Ton egare au-
jourd'hui aussi facilement centre I'Eglise
qu'on I'egarait alors conlre Notre-Seigneur
Jesus-Christ! — S. Pierre reprochera plus
lard aux Juifs, Act. in, 13-15, leur conduite
criminelle : « Jesum, quern vos quidem tra-
didistis, et nogastis ante faciem Pilati, judi-
cante illo dimitti. Vos autem Sanctum et
Justuni negastis, et petistis virum homicidam
donari vobis : auctorem vero vitae interfecis-
tis. « Ces deicides ne se doutaient guere
alors qu'eux-memes ou leurs enfants expie-
raient bientot sur la croix le crucifiemenl de
Jesus. Un grand nombre de Juifs en effet
furent condamnes a ce supplice par les Ro-
mains, durant la guerre qui mit tin a la na-
tion theocralique.'Cfr. Jos. Bell. Jud. vi, 28.
15. — Pilatus autem... Pilate a fait preuve
assurement de quelque justice dans la scene
qui precede ; mais il n'a resiste que trop mol-
lement a la foule, el mainlenant il n'esi plus
mailrede la situation. AGesaree deja, comme
le raconte Josephe, Ant. iv, 3. 1 , il avait appris
dans une circonslance analogue jusqu'ou pou-
vait aller I'obslination d'un attroupement
Israelite. 11 cede done lachement aux deux vo-
lontes qui avaient ete exprimees devant lui : il
met Barabbas en liberte et condamne Jesus
au supplice de la croix. « Ibis ad crucem »,
telle elait, dans sa concision toute romaine,
la sentence du juge en pared cas. — Les mots
volens popiilo satisfacere (sur la locution
grecque xb Ixavov itoi^ffai, voyez les Lexiq.)
montrent le but que se proposait le Procu-
reur en decrelant ce supplice pour Jesus. II
voulait se debarrasser d'une foule devenue
menagante, relever par cette concession sa
popularite dcpuis longtemps ebranlee. II est
vrai qu'il sacrifiait pour cela un innocent.
Mais un gouverneur remain, et surtout un
Pilate, n'y regardait pas de si pres! — Fla-
gellis ccesum- : voyez I'Evangile selon S. Mat-
thieu, p. 541. Nous avons dit (ibid.) que,
dans rintention de Pilate, la flagellation de-
vail etre une sorte de compromis destine a
calmer les desirs sauvages du peuple et a
epargner la vie de Jesus. Mais, cet expedient
ayant echoue comme les aulres, ce ne fut en
realite qu'une cruaute inutile. II servit du
moins a realiser la prophetie de Jesus, « et
flagellabunl eum », x, 33, et k nous meriter
un surcroit de graces. — On a, sur la flagel-
lation du Christ, de beaux tableaux de Car-
rache, du Bassan. de Palmer (musee de Lyon),
de Murillo, de Rubens, etc.
11. — Jesus outrage au pr6toire. xv, 16-19.
Parall. Matth. xwn, 27-30; Joan, xix, 2-3.
16. — Mililes autem... Le contexte indique
qu'il s'agil des soldals remains. Cfr. Maltli.
CHAPITRE XV
213
in atrium prsetorii, et convocant to-
tam cohortem,
Matt?i. 27, 27; Joan. 19, 2.
17. Et induunt eum purpura, et
imponunt ei plectentes spineam co-
ronam.
18. Et coeperunt salutare eum :
Ave, Rex Judseorum.
19. Et perciitiebant caput ejus
aruudine : et conspuebant eum, et
ponentes genua, adorabant eum.
20. Et postquam illuserunt ei,
exuerunt ilium purpura, et indue-
runt eum vestimentis suis : et edu-
cuut ilium ut crucifigerent eum.
dans la cour du pretoire et convo-
querent toute la cohorte.
17. lis le revetirent de pourpre
et, tressant une couronne d'epines,
la mirent sur sa tete.
18. Et ils commencerent a le sa-
luer : Salut, roi des Juifs!
19. Et ils frappaient sa tete avec
un roseau, et ils crachaient sur lui,
et, flechissant les genoux, ils I'ado-
raient.
20. Et apres s'etre joues de lui,
ils lui oterent la pourpre et le reve-
tirent de ses vetements pour le cru-
cifier.
xxvii, 27, « milites praesidis ». Quand Jesiis
eut eie condamne a morl par le Saiihedrin,
lesvalels du grand-pretre se mirent a I'acca-
bler d'ouLrages. Cfr. xiv, 63. La soldalesque
imperiale agil de meme a son egard, quand
Pilate eut raiifie la sentence du grand Con-
seii. — In atrium prwtorii. Plus exacteraent,
d'apres le texle grec, « in atrium, quod est
prseiorium. » La scene a laquelle nous venons
d'assister s'etait passee dans la cour exte-
rieure du palais qui servait de residence a
Pilate, et qui poriait le nom de pretoire selon
la coutume romaine; ceile du couronnement
d'epines aura lieu dans la cour interieure,
avef-- laijuelle la caserne (caslra praetoriana)
^laii satis doat"^ en communication. — Con-
vocant tolam cohortein. La cohorte forraait la
dixieme partie de la legion, et comprenait de
cinq a six cents hommes. Cfr. Ant. Rich,
Dictionn. des anliq. rom. et grecq. pp. 176
et 358. Le « Procurator » de Judee avait six
cohortes a sa disposition : cmq d'entre elles
dtaient stationnees a Cesaree de Palestine ;
la sixieme resiait a Jerusalem. Cfr. Jahn,
Archa^.ol. bibl. § 240.
M. — Induunt eum purpura. « Comme on
avail appele Jtisus le roi des Juifs, et que le
crime que lui avaient reproche les Scribes et
les pietres etait d'avoir voulu usurper le pou-
voir sur le peuple d'Israel, les soldals en font
le sujet de leurs derisions, et c'est pour cela
que, )e depouillant de ses habits, ils le reve-
tent de la pourpre, distinction des anciens
rois. » V. Be le. D'apres la relaiion plus
exacte de S. Matlhieu, xxvii, 28 (voyez le
commentaire), c'est d'une chlamyde, d'un de
leurs manteaux ecarlates, que les soldats
revetirent Notre-Seigneur. Les anciens auteurs
ne se piquont pas d'une parfaite exactitude
lorsqu'il s'agit des couleurs : ils confondent
souvent les nuances voisines. C'est pour cela
que S. Marc el S. Jean appellent « purpura,
vestis pu.'-purea ». ce que S. Malthieu nomme
« coccinea ». Cfr. S. August., De cons. Evang.
1., Ill, c. IX. — Spineam coronam. La derision
sera complete : au simulacre d un vetement
royal, on ajoute celui du diademe royal.
18. — Ave, Rex Judceoruni. De mSme la
Recepta : XaTps, PauiXeO twv 'louSaiwv. Mais,
d'apres de nombreux manuscrils (A, C, E, F,
G, etc.), la legon authentique parait avoir
ete : Xatpe, 6 PadtXeu? tcov 'louoat'jov, Salut, toi
qui es le roi des Juifs. Cette seconde locution
est plus energique, par consequent plus outra-
geante.
19. — Percutiebant caput ejus arundine.
Nous Savons par S. Matthieu, xxvii, 29, que
ce roseau avait d'abord ete place en guise de
sceptre dans la main droite du Sauveur. —
Conspuebant... adorabant. Remarquez ces im-
pariails qui indiquent la repetition, la multi-
plication des insultes, chacun des soldats de
la cohorte voulanl jouer son role dans cette
scene affreuse. Ainsi se realisait une autre
partie de la prophetie de Jesus : « Illudent ei,
et conspuent eum (gentes), » x, 34. — La
derision du Christ et le couronnement d'e-
pines ont inspire des oeuvres magistrales a
Schidone, au Guide, a Valentin, a Luini, a
Titien, a Rubens. L'attitude vraiment royale
de Jesus y a ete en general bien reproduite»
12. — Le chemin de croix. xv, 20-22. — Parall.
Matth. XXVII, 31-:J3; Luc. xxiii, 26-32; Joan, xix, 16-17.
20. — Quoique deja rassasie d'opprobres,
comme I'avait predit Isai'e, Jesus n'a pas-
encore vide la coupe jusqu'a la lie. II lui faut
encore gravir peniblement le Calvaire et y
subir par amour pour nous une mort cruelie.
C'est pourquoi educunt ilium (milites) ut crw
314
fiVANGILE SELON S. MARC
21 . Et ils contraignirentun homme
nomme Simon de Gyrene, pere d'A-
lexandre et de Rufus,>qui passait
par la en revenant des ..champs, de
porter sa croix. ^
22. Et ils le conduisirent au lieu
21. Et angariaverunt prastereun-
tem quempiam, Simonem Gyre-
nseum, venientem de villa, patrem
Alexandri, et Rufi, ut tolleret cru-
cem ejus.
3/a«A. 27. 32 ;Z:mc. 23, 27.
22. Et perducunt ilium in Golgo-
cifigerent, afin que s'accomplit encore la pre-
diction du Sauveur : « El interficienl eum, »
X, 34. « Educiint », ils le font sortir d'aborrt
du pretoire, puis de la ville ; car, chez les
anciens, les executions avaienl lieu en dehors
•de I'enceinle des cites. Cfr. Matlh. xxvii, 32
el I'explicalion. C'esl aussi eu vertu d'une
coutume soil romaine, soil orienlale, que
nous voyons le supplice suivre d'aussi pres la
Bentence.
21 . — Et angariaverunt... \o\r, sur ce mot,
I'Evangile selon S. Matlhieu, p. 122, el Bee-
len. Gramm. graecitatis N. T. p. 20. II a ici la
signification generale de requisilionner. —
Simonem Cyrenceum. Ce surnom de Gyreneen
indique-l-il que Simon habiUiil la Cyrenaique,
et qu'il ne se trouvail en ce moment a Jeru-
salem qu'a I'occasion de la Paque? ou bien
signifie-t-il que le porte-croix de Jesus elait
simplemenl originaire de celte province, et
que son domicile actuel eiait depuis un cer-
tain temps fixe dans la capilale juive?Le de-
tail qui suit, venientem de villa (arc' dypoO),
commun a S. Marc et a S. Luc, rend la se-
conde opinion tres vraisemblable. En effet. il
parail supposer ou que Simon possedail aux en-
virons de Jerusalem une propriele delaquelle
il revenail en ce moment, ou, d'apres le sens
plus ordinaire du mot aypo;, qu'il avail sa re-
sidence accoulumee a la cainpagne, a quelque
distance de la ville. Le vague prwtereuntem
quempiam montre qu'il n'elail pas connu des
lecleurs de S. Marc; mais, d'un autre cote,
les mots patrem Alexandri et Rufi, propres a
notre Evangeliste, annoncent que les deux
fils du Gyreneen etaienl non seulemenl des
Chretiens' mais des Chretiens celebres dans
I'Eglise de Rome, pour laquelle etait specia-
lemenl compose le second 'Evangile. II est
meme probable qu' Alexandre et Rufus etaient
eux-memes alors, ou du -mbins avaienl ete
autrefois domicilies a Rome; car, parmi les
salutations personnelles qui terminent I'Epitre
de S. Paul aux Romains, nous trouvons la
suivanle, xvi, 13 : « SHlutaleRiifum, electum
in Domino, et matrem (>jus, et meam ». Or,
on admet communemenl que !■ Rufus de
S. Paul el celui de S. Marc sont idenliques.
CeUe opinion se rencontre deja dan-; I'ecrit
apocryphe intitule « Aria Andreae et P.Hri ».
Ptien ne prouve au contraire qu'il faille confon-
dre I'autre fils de Simon avec le personnage
du meme nom mentionne d'une maniere peu
honorable en divers endroits du Nouveau "Tes-
tament. Glr. Act. XIX, 33 ; I Tim. i, 20 ; 11 Tim.
IV, 14. Detail curieux : do ces trois noms que
nous trouvons dans une famille juive contem-
poraine de Nolre-Seigneur, le premier seul
(Simon) etait juif. Le second (Alexandre) elait
grec, le troisieme (Rufus) etait lalin. Ge simple
fait suffit pour montrer jusqu'a quel point le
Judaisme tendait a se de>agreger, pour deve'
nir cosmopolite. — Ut tolleret crucem ejus.
« Tout vice, ecrit Plutarque, porte son propre
tourmenl, de meme que tout criminel porte
sa propre croix. » De sera numinis vindicta,
IX. Gfr. Artemid. Oneirocrit. ii, 61. Aussi
Notre-S;Mgneur porta-t-il lui-meme pendant
un certain temps sa croix sur ses epaules. Si
les soldats I'en dechargerent avant la fin du
penible trajel, ce fut assuremenl parce que,
epuise de fatigue et de douleur, il n'avail plus
la force de trainer son pesanl fardeau. Cast
pour cela qu'au moment ou le convoi sortait
de la villo [a exeunt' s », Matth. xxvii, 32)
par la « Porta judiciaria » de la tradition, les
bourreaux, rencontranl Simon le Gyreneen,
I'obligerenl de porter la croix a la place de
Jesus. Du resle, le but principal etait alleint,
puisque le divin « Gruciarius » avail eu I'hu-
miliation de traverser, avec I'instrumenL de
son supplice sur le dos, les rues alors si po-
pnl MHOS de Jerusalem, et de recevoir miUe
outrages.
22. — Perducunt ilium. Dans le grec,
9Epouciv auTov. Quoique la signification habi-
luelle de (fipta Soil ^< porter », ce verbe s'em-
ploie souvent aussi dans ie sensdew adduco ».
Peut-etre indiquerail-il ici, comme font
pense divers auleurs, le grand etal de fai-
blesse de Jesus, de sorle que les soldats furent
forces de le soutenir landis qu'il gravissait le
Calvaire. Comp;irpz le t. 20, ou I'Evangeliste
s'etait servi de iliyu>. — In Golgotha locum.
Sur le nom el Templacemenl du Golgotha,
voyez I'Evangile selon S. Matthieu, p. 545. —
« Ge serail un beau probleme resolu, de re-
trouver a Jerusah-m le chemin que Jesus a
parcouru. arrosedeson sang pendant sa Pas-
sion. Malheureusemenl les traditions relatives
a la Voie douloureuse sont presque modernes;
c'est-a-direque les stations designees aujour-
CHAPITRE XV
2tS
tha locum, quod est interpretatum
Galvariae locus.
23. Et dabant ei bibere myrrha-
tum yinum : et non accepit.
24. Et crucifigentes eum, divise-
appele Golgotha, ce qui est inter-
prete : Lieu du calvaire.
23. Et ils lui donnerent a boire
du Yin mele de myrrhe, et il ne le
prit pas.
24. Et, Tayant crucifie, ils se par-
d'hui n'ont ete definitivement arrStees qu'au
moyen age. Les seuls points fixes sont le
preloire, qui certainement etait silue dans la
tour Antonia, le Calvaire et le tombeau : tout
le resle est conjectural. Les transformations
profondes et successives qu'a subies la Ville
sainte rendent presque impossible de recon-
naitre exactement la ligne parcourue ; on se
perd dans un dedale de constructions mo-
dernes qui empechent de Taborder. Au point
de vue de la loi une approximation est lout
a fait sufBsante. » Rohault de Fleury, Me-
moire sur les Instiuments de la Passion,
p. 280 et s. La « Via crucis », telle que les pe-
lerins la suivent a Jerusalem depuis plusieurs
siecles, a une longueur d'environ 4 200 pas.
Sa direction generale est de I'Est a I'Ouest,
entre la porte S. Etienne et le convent latin.
{Voir R. Riess, Bibel-Atlas, pi. vi ; V. Ancessi,
Atlas geograph. pi. xvii) De ces quatorze
stations, lis neuf premieres sont dans la rue,
les cinq autres dans I'Eglise du Saint-Se-
puicre. « 11 y a, dit un iuiteur protestant,
quelque chose qui impres-iotiue vivementdans
cette rue sombre, avec scs passerelles voii-
teos, ses laches d'ombre et de lumiere, et ses
pierres venerees aulour desquelles on aper-
^oit loujours quelques pelits groupes de pe-
lerins. » J. Porter, Handbook for Travellers
in Syria and Palestine, t^ edit., p. 208. La
partie de la Voie douloureuse qui monte au
Saint-Sepulcre d'une maniere assez abrupte
a un cachet tout a fait pittoresque. Voyez
Rohault de Fleury, 1. c,. p. 280-286 ; de Vogue,
Le temple de Jerusalem, p. 125 et ss.; Sepp,
Jerusalem u. das h. Land, t. I, p. ■161 et ss. ;
Schegg, Pilgerbuch, t. L p. 306 et ss. ; Gratz,
Theatre des Eveneraents racontes dans les
Saintes Ecritures, t. L pp- 375 et ss. ; Mgr Mis-
lin, les Saints Lieux, 2e edit. t. II, p. 206 et
ss. — Parmi les chefs-d'oeuvre presque
innombrables qu'a produits la representation
integrale ou parlieile du Chemin de la Croix,
bornons-nous a signaler un tableau de Titien,
« image saisissante du Christ portant sa croix
et ayanl autour du cou une corde tiree par un
Juif ignoble » (Rio) el le « Spasimo » de Ra-
phael. « Le melange de soullrance et de pitie
dans le regard du Christ, quand il s'affaisse
sous sa croix, et qu'il dit aux filles de Jerusa-
lem de ne pas pleurer sur lui, donne a cette
partie du tableau une force d'altraction qui
semble avoir die calculee pour provoquer un
elan d'amour ou de contrition » (Rio).
13. — Crucifiement, agonie et mort de
Jesus. XV, 23-37. — PaiaU Matlh. xwii, 34-50;
Luc. XXIII, 33-46; Joan, xxiii, 18-30.
23. — Ce verset raconte I'un des prelimi-
naires du supplice de Jesus. Quand Tauguste
victime fut arrivee chancelante sur le Gol-
gotha, en vertu d'un ancien usage juif on lui
offrit, tout a la fois pour la fortifier et pour
la rendre moins sensible aux horribles souf-
frances du crucifiement, un breuvage que
S. Matlhieu (xxvii, 34, voyez le commen-
laire) appelle « vinum (o^ov) felle mislum »,
mais quo S. Marc designe plus exactement
par les mots myrrhatum vinum, c'est-a-dire
un melange de vin et de myrrhe. On sail que
les anciens recherchaienl ce melange a cause
de son gout aromatique Ires prononce, Cfr.
Pline, Hist. nat. xiv, 15; mais, de plus, ils
le regardaient comme un puissant narcoti-
que [Cfr. Dioscorid. i, 77), et c'esl pour ce
motif que, d'apres I'opinion generalement
suivie, des personnes devouees I'offrirent a
Jesus. — Non accepit. Le Christ, en effel,
devail mourir vivant, et non pas endormi!
Neanmoins, comme le dit S. Matthieu, Jesus
consentil a prendre quelques goultes du vin
myrrhe.
24. — Crucifigentes eum. Quelles souffrances
dans ce seul mot! « Mes Freres, je vous en
conjure, soulagez ici mon esprit; meditez
vous-memes Jesus crucifie, et epargnez-moi
la peine de vous decrire ce qu'aussi bien les
paroles ne sont pas capables de vous faire
entendre :contemplez cequesouffreunhomme
qui a tons les membres brises et rompus par
une suspension violente ; qui, ayant les mains
et les pieds perces, ne se soutienl plus que
sur ses blessures, el lire ses mains dechirees
de lout le poids de son corps entierement
abattu par la perte du sang; qui, parml ses
exces de peine, ne semble eleve si haul, que
pour decouvrir de loin un peuple infini, qui
se moque, qui remne la tele, qui fail un
sujet de risee d'une extremile si deplorable ».
Bossuet, 4e sermon pour le Vendredi saint.
Edit, de Versailles, t. Ill, p. 488. Cfr. I'inte-
ressanl ouvrage de Chr. G. Richter, Disserla-
tiones quatuormedicse, Goatling. 1775. — Pour
loutes les questions relatives k la croix et att
216
fiVANGILE SELON S. MARC
tagerent ses vetements, tirant au
sort ce que chacun en emporterait.
25. Or, c'etait la troisieme heure
lorsqu'ils le crucifierent.
26. Et le litre de sa condamnation
6tait ainsi ecrit : Rui des Juifs.
27. Et ils crucifierent avec lui
deux voleurs , Tun a sa droite ,
Tautre a sa gauche.
28. Ainsi fut accomplie I'Ecri-
ture qui dit : II a ete range parmi
les criminels.
runt vestimenta ejus, mittentes sor-
tem super eis, quis quid tolleret.
Matth. 27, 35; Zmc. 23, 34; Joan. 19, 23.
et
25. Erat autem hora tertia
crucifixerunt eum.
26. Et erat titulus causae ejus ins-
criptus : Rex Jud.*:orum.
27. Et cum eo crucifigunt duos la-
trones ; unum a dextris, et alium a
sinistris ejus.
28. Et impleta est scriptura, quae
dicit : Et cum iniquis reputatus est.
Isai, 53, 12.
crucifiement, nous renvoyons le lecleur a noire
comraenlaire sur S. Mailhieu, pp. 546-548.
Au point de vue artislique, on pourrait rem-
plir un volume si Ton voulail decrire tout ce
que le crucifiement de Je-us a produit de re-
marquable en fait de tableaux, de gravures
et de sculptures. Avec la creche, c'est la
croix qui a le plus inspire les grands maitres
ie tous les temps. Les oeuvres de Duccio, de
Bernardino Luini, de Cavallini,de Lorenzetli,
d'Avanzi, de Ferrari, de Veronese, du Peru-
gin, de Rubens, de fra Angelico, nous plai-
sent entre toutes. — Diviserunt (scil. milites)
vestimenta ejus... Valenim et Lebrun ontbien
•reproduit cette scene. L^s licteurs ou soldats
qui remplissaienl I'office de Dourreauxavaient
droit aux vetements dcs suppiicies. Les des a
jouer, que tout guerrier remain portait habi-
tueliement sur lui, servirenl a determiner le
lot de chacun des qualre executeurs. — Sur
la locution quis quid tolleret, voyez Beelen,
Gramm. p. 539.
25. — Erat autem hora tertia. Trait propre
a S. Marc. La troisieme heure des anciens
equivaut environ a 9 h. du matin. Comme
d'apres S. Jean, xix, 14. Jesus se Irouvait
encore au pretoire vers la sixieme heure, on
a souvent pense, a la suite de S. Jerome, que
I'adjeclif « tenia » de notre texte devait etre
une erreur de copisle pour « sexla »; mais
nous verrons plus tard que S. Jean avait
adopte une numeration >peciale. II n'y a done
rien a changer. — Et crucifixerunt est pour
« quum crucifixerunt. »
26. — Titulus causce ejus... « Titulus »,
ii £iitYpa9rl, tels elaient bien les mots techni-
ques de la Grece et de Rome pour designer la
planchelte sur laquelle on ecrivait le motif
<le la condamnation des crucifies, et qu'on
attachaiiau sommetde la croix. Voyez Matth.
XXVII, 37 et le commeniaire. — Rex Judceo-
rum. Des quatre inscriptions qui nous ont ete
conservees dans les SS. Evangiles, celle de
S. Marc est notablement la plus courte. Elle
indique seulement la nature du crime im-
pute a Jesus. Peut-etre etait-ce I'inscription
latine.
27 et 28. — Cum eo crucifigunt... C'etait,
on le devine aisement, pour humilier davan-
tage Nolre-Seii^neur Jesus-Christ qu'on avait
crucifie aupres de lui deux scelerals de la
pire espece. En les plagant I'un a sa droite,
i'autre a sa gauche, comme des assesseurs, on
jouait encore sur son tilre de roi ; car, dans
cette situation, ils semblaient se tenir a cote
de son trone a la fagon de deux premiers mi-
nistres. «Ces deux larrons, dit Theophylacte,
etaient la figure des deux peuples, le peuple
juif et le pt^uple paien, tous les deux cou-
pables, mais celui-ci penitent, celui-la blas-
phemateur jusqu'a la fin. » — Et impleta est
Scriptura... On a doute parfois de I'authenti-
cite de ce f. 28, soit parc« qu'il est omis par
d'importants manuscrits (A, B, G, D, X,
Sinait. etc.), soit parce qu'il n'est guere dans
le genre de S. Marc de mentionner I'accom-
plissement des anciens oracles. Mais, a ces
allegations, nous repondrons, d'une part que
la grande majorite des manuscrits, des ver-
sions et des Peres citent le passage incri-
mine, d'autre part que notre Evangeliste,
tout a fait au debut de son recit, i, 2 et ss.,
a deja signale a propos du Precurseur la rea-
lisation des propheties de I'Ancien Testament.
Nous avons done des preuves largement suf-
fisantes pour maintenir que le t. 28 est au-
thentique. U forme une des particularites de
S. Marc, et nous tenons a la lui conserver.
— Et cum iniquis... Cette prophetie est
extraite d'lsaie, lik, 12. « Les anciens Juifs
et le paraphiaste chaldeen I'entendent du
Messie. S. Philippe, dans les Actes. viii, 32, 33,
lui en fail aussi I'applicalion. Et Jesus-Christ
lui-meme dansS. Luc, xxii, 37, avait averti
qu'il fallait qu'on en vit I'application dans sa
personne. » D. Calmet, h. I.
29-32. — S. Marc passe au recit navrant
des outrages dont les Juifs n'eurenl pasbont©
CHAPITRE XV
t17
29. Et praetereuntes blasphema-
bant eum, moventes capita sua, et
dicentes : Vah, qui destruis tem-
plum Dei, et in tribus diebus resedi-
ncas :
Joan. 2, 19.
30. Salvum fac temetipsum, des-
cendens de cruce.
31. Similiter et summi sacerdotes
illudentes, ad alterutrum cum Scri-
bis dicebant : Alios salvos fecit,
seipsum non potest salvum facere.
32. Ghristus Rex Israel descendat
nunc de cruce, ut videamus, et cre-
damus. Et qui cum eo crucifix!
erant, convitiabantur eis.
33. Et facta bora sexta, tenebrae
factse sunt per totam terram usque
in horam nonam.
34. Et hora nona exclamavit Je-
sus voce magna, dicens : Eloi, Eloi,
lamma sabacthani ! quod est inter-
pretatum : Deus mens, Deus meus,
ut quid dereliquisti me ?
Psal. 21, 2; A/a«/j. 27, 46.
29. Et les passants le blasphe-
maient, branlant la tete et disant :
Vah ! toi qui detruis le temple de
Dieu et le rebatis en trois jours,
30. Sauve-toi toi-meme en des-
cendant de la croix !
31. Et pareillement les princes
des pretres, se moquant, avec les
Scribes, se disaient I'un a I'autre :
II a sauve les autres et 11 ne pent se
sauver lui-meme;
32. Que le Christ, roi dlsrael,
descende maintenant de la croix,
pour que nous voyions et croyions.
Geux qui avaient'ete crucifies avec
lui I'outrageaient aussi.
33. Et, la sixieme heure venue,
les tenebres s'etendirent sur toute
la terre jusqu'a la neuvieme heure.
34. Et, a la neuvieme heure, Je-
sus cria d'une voix forte, disant :
Eloi, Eloi, lamma sabacthani? Ge
qui est interprete : Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m'avez-vous de-
laisse?
d'abreuver le divin Crucifie. Les details qu'il
doane a ce sujet different a peine de ceux que
nous avons lus dans S. Matthieu. II distingue,
lui aussi, trois classes d'insulteurs : les pas-
sants, Ut. 29 et 30, les Saniiedrisles, tt. 31
et 32a, et les voleurs 32b. \\ abrege un peu,
selon sa coutume : mais il a aussi plusieurs
petits trails originaux, par exeniple, le pilto-
resque ad alterutrum du t. 31 , et les mots
ut videamus du t. 32. — Cette affreuse scene
monlre jusqu'a quel point allait la haine des
ennemis de Jesus : elle est du reste tres con-
forme aux moE-urs de I'Orient, ou Ton ne
craint pas d'insulter les condamnes a mort
jusque sur le gibet oil ils agonisent.
33. — Tenebrw facta; sunt. Trois heures
deja s'eiaienl ecoulees depuis que Jesus avait
ete attache a la croix. Cfr. f. 25. Vers midi
{hora sexta), le ciel se voila tout a coup d'une
maniere mysterieuse et surnaturelle (voyez
I'Evangile selon S. Matthieu, p. 552), comme
f)0ur n'etre pas lemoin des souffrances et de
a mort du Christ. Ces tenebres, qui envelop-
gerent non seulement la ville deicide, mais la
alestine entiere et probablement une partie
considerable du vieux monde, totam terram,
persevererent jusqu'au dernier soupir de
Jesus.
34. — Hora nona. A trois heures de
Tapres-midi. C'est alors qu'on offrait dans le
temple le sacrifice du soir. A ce moment su-
preme, I'agonie de Jesus expirant atteignit
son plus haut degre. Delaisse de son Pere
celeste, de meme qu il etait delaisse des
hommes, Notre-Seigneur prononga d'une voix
forte ce texle des Psaumes : Eloi, Eloijamma
sabacthani! Ck. Matlh. xxvii, 46 et I'expli-
cation. Dans le premier Evangile, nous li-
sions « Eli » (iSn) au lieu de « Eloi » (inSx).
S. Marc a conserve la forme arameenne, qui fut
vraisernblablement celle dont le divin Maitre
se servit. Quelles angoisses dans cette excla-
mation dechirante! « C'est un prodige inoui
qu'un Dieu persecute un Dieu, qu'un Dieu
abandonne un Dieu, qu'un Dieu delaisse se
plaigne, et qu'un Dieu delaissant soit inexo-
rable : c'est ce qui se voiL sur la croix. La
sainle ame de mon Sauveur est remplie de la
sainte horreur d'un Dieu tonnanc ; et comme
elle se veut rejeter entre les bras de ce Dieu
pour y chercher son soutien, elle voit qu'il
tourne la face,... qu'il la livre lout entiere eo
248
fiVANGILE SELON S. MARC
35. Et quelques-uns de ceux qui
rentoiiraient, en Tentendant, dirent :
Voila qu'il appelle Elie.
36. Et Tun d'eux coiirut, remplit
de vinaigre une eponge, la mil au
bout d'un roseau et lui donna a
boire, disant : Laissez, voyons si
Elie viendra le delivrer.
37. Mais Jesus ayant jete un
grand cri expira.
38. Et le voile du temple se de-
cliira en deux, depuis le haut jus-
qu'en bas.
39. Le centurion qui etait debout
35. Et quidam de circumstantibus
audientes dicebant : Ecce Eliam
vocat.
36. Gurrens autem unus, et im-
plens spongiam aceto , circumpo-
nensque calamo, potum dabat ei,
dicens : Sinite, videamus si veniat
Elias ad deponendum eum.
37. Jesus autem emissa voce ma-
gna expiravit.
38. Et velum templi scissum est
in duo, a summo usque deorsum.
39. Videns autem centurio, qui
proie aiix fureurs de sa justice irritee. Ou
sera voire recoiirs, 6 Jesus? Pousse a bout
par les hommes avcc la derniere violence,
vous vous jetez enlre les bras de voire Pere;
et vous vous sentez repousse, et vous voyez
que c'esl lui-nieme qui vous persecute..., lui-
meme qui vous accable par ie poids inlole-
rable deses vengeances ». Bossuot, Troisieme
sermon pour le Vendredi sainl, 'i.'^ point.
33 el 36. — Ecce Eliam vocat. Notre Evan-
geliste raconte presque dans les memes termes
que S. iMalthieu I'incident auquel donna lieu
le cri de detresse pousse par Jesus. Le der-
nier trait, sinite, videamus, a neanmoins regu
dans sa narration une forme speciale. En
effet, tandis que c'est a une personne animee
d'un certain sentiment de compassion a i'e-
gard de Jesus qu'il fait dire : Laissez ! voyons
si Elie viendra I'aider a descendre, S. Mat-
ihieu prelecette reflexion a loule I'assislance:
« Caeleri vero dicebant : Sine, videam.us... »
Mais qui done prononQa en realite cetle pa-
sole? « Jntelligimus et ilium el caeleros hoc
dixisse », repoud fort bien S. Augustin, De
cons. Evang. 1. ii, c. 17. En combinanl les
deux recits, on oblient un tableau vivant de
la surexcilalion creee au pied de la croix par
le cri du Sauveur. — Nolons encore, d'un
cote I'expression ad deponendum eum [v.a.W.iiM
auTov), plus pittoresque que le « liberans
eum » du premier Evangile; d'un autre cole,
les quatre parlicipes Spa^i-wv, YE[j.i(ja;, TiEpiOei;,
).eYwv, qui, dans les meilleures editions du
texle grec, se suivenl sans liaison d'aucun
genre, ce qui rend la description aussi rapide
que dut I'etre le fait lui-meme. C'est bien la
le style de S. Marc.
37. — Emissa voce magna, expiravit. Ce cri
pousse dune voix forte elait le cri dun vain-
queur plutol que celui d'un agonisanl. Jesus
expira done dans la plenitude de sa liberie,
el non corame une victime de la sentence
terrible qui a condamne tous les hommes a
la mort. — « Avant de mourir, Prudhon pei-
gnit le Christ mourant (galeries du Louvre),
ce beau Christ qui ne ressemble a aucun
autre, qui est eclaire d'une lumiere fantas-
lique, el dont la sublime figure se pord dans
les ombres d'une tristesse intinie ». Ch. Blanc.
Autre beau tableau de Lebrun. Fresque de
Flandrin a Saint-Germain-des-Pres : les yeux
de Jesus ne sont pas encore fermes, mais
deja la mort les envahit; agonie tres-emou-
vante.
14. — Ce qui suivit immediatement la
mort du Christ, xv, 38-41. — Parall. Matth.
xxvir, 51-56; Luc. sxui, 47-49.
38. — « Poslquam narravit Evangelista
passionem el mortem Christi, nunc prosequi-
tur de his quae post moiteui Domini conli-
gerunl », Gloss, ord. S. Maic, commeS. Mat-
ihieu, mentionne irois series d'incidenls;
mais il abrege considerablem nt le premier
car, se contentant de parler du voile du
temple, il ne dit rien du tremblement de
terre, des rochers fendus, des morts ressus-
cites. — Premier fait .Velum templi scissum
est. Ce fut la cerlainemenl un eclatanl pro-
dige et un profond symbole. Voyez I'Evang.
selon S. Matlh. p. 554. Grcice a la mort de
Jesus, il n'y a desormais plus de barriere
enlre Dieu el les hommes. La porte du
royaume des cieux est largement ouverle.
Le -/aTaTiETaCTfAa qui separail les deux parlies
du temple nommees Sainl et Sainl des Saints
etait un voile magnifique : il elait compose
en grande partie de pourpre el d'or ; des Che-
rubms brodes le recouvraienl presque en en-
tier.
39. — Videns autem centurio. C'est le se-
cond fait. S. Marc, dans la relation qu'il en
donne, a plusieurs particularites interes-
santes. D'abord, il emploie pour designer le
centurion un mot latin grecise, xevTupt'wv,
tandis que les deux autres synoptiques sa
CHAPITRE XV
219
ex adverse stabat, quia sic damans
expirasset, ait : Vere hie homo Fi-
lius Dei erat.
40. Erant autem et mulieres de
longe aspicientes; inter quas erat
Maria Magdalene, et Maria Jacobi
minoris et Joseph mater, et Salome :
Matth. 'J7, 55.
41. Et cum esset in Galilsea, se-
quebantur eum, et ministrabant ei,
et alise multse quae simul cum eo
ascenderant Jerosolymam.
Luc.%.%.
42. Et cum jam sero esset factum,
(quia erat parasceve, quod est ante
sabbatum),
Matth. 27, 57; Luc. 23, 50; Joaii. 19, 38.
en face, voyant qu'il avait expire en
jetant un tel cri, dit: Vraiment cet
homme etait le Fils de Dieu.
40. Oril y avait aussi des femmes
qui regardaient de loin ; parmi elles
etaient Marie Madeleine, et Marie
mere de Jacques le Mineur et de
Joseph, et Salome,
41. Qui,lorsqu'il etait en Galilee,
le servaientet le suivaient,et beau-
coup d'autres qui etaient montees
avec lui a Jerusalem.
42. Et, comme le soir etait deja
venu (c'etait en effet le jour de la
Preparation, c'est-a-dire la veille du
sablDat),
servenl de I'expression classiqiie exaxovTap-
yo; : de meme aux tt. 44 et 45 (Voir la
Pret'iice, § IV, 3). En second lieu, ii est seul
a noter un trail piltoresque, qui ex adverso
Stabctt 10 irapEffTYixo); el Ivavxia; aytou, liUeral.
« stans ex adverso ejus » sell. Jesu), d'ou il
ressorl que le cenlurion avail parfailemenl
vu et entendu. En Iroisieme lieu, il signale
explicitement ie dernier cri du Sauveur
comme la cause de I'elonnement du Cente-
nier, quia sic damans expirasset. Cet homme
de guerre, qui avait sans doule assisle a un
grand nombre d'agonies, ne se souvenail pas
d'avoir jamais ele lemoin d'un pared fait.
Dans ce cri, d'aulanl plus extraordinaire que
les « cruciarii » mouraient presque toujours
d'epuisement, il vit done quelque chose de
surnaturel : puis, I'associant a la conduile si
noble de Jesus, a sa patience, aux tenebres
myslerieuses, etc., il en vint jusqua formu-
ler ce jugement inlerieur : Vere hie homo Fi-
lius Dei erat. C'est laseconde conversion ope-
ree par le Christ mourant : la premiere avait
ete ce!le du bon larron.
40 et 41. — Troisieme fait. Erant autem et
mulieres. « Et » a le sens de « etiam » : Avec
le Centurion, il y avait encore des femmes...
— De longe aspicientes. Ces mots font tableau,
de meme que « ex adverso stabat » au ver-
set precedent. — Comme S. Matthieu, S. Marc
signale a part trois des saintes amies de Je-
sus, les plus connues sans doute et les plus
devouees. Mais il y a quelque chose de spe-
cial dans sa mention des deux dernieres.
4o Au nom de Jacques, fils de Marie, il ajoute
I'epithete minoris (toO [ity.poO, le pelil), pour
le distinguer de I'Apotre S. Jacques dit le Ma-
jeur. D'ou provenait ce surnom? Suivant les
UD8 de la tdille, suivant d'autres de la jeu-
nesse relative du fils de Marie ; on a dit aussi
qu'il sel'etait lui-meme impose par modestie.
20 S. Marc designe la mere des enfants de
Zebedee par son nom de Salome Ci'r. Matlh
xxvii, 56. — In Galilcea sequebantur eum...
L'Evangeliste condense dans ces qui^lques
paroles une longue serie de services genereux
et devoues. Cfr. Luc. viii, 1-3. Remarquez
I'emploi de I'imparfait, ri-/.o>,o'J9oyv, otrixovoviv.
— QucBsimul cum eo ascenderant... Ces saintes
femmes n'onl pas voulu se separer de leur
Maitre : elles I'ont suivi jusqu'a la mort.
15. — La sepulture de Jesus, sv, 42-47. —
l^arall. Matlh. .\xvii, 67-61; Luc. xxui, 30-56; Joan.
XIX, 35i-42.
S. Marc est ici plus complet que S. Mat-
thieu. 11 a plusieurs details interessants qui
lui sent propres.
42. — Nous trouvons dans ce verset deux
circonstancesde temps, relatives, la premiere,
sero, a I'heure du jour vers laquelle se pas-
serent les fails qui vont etre raconles, la se-
conde, erat parasceve, au jour lui-meme. C'e-
tait un jour de « Parasceve », Ttapaffxsuri,
c'est-a-dire de Preparation ; or, comini' I'ln-
dique ensuite S. Marc pour ses lecleurs non-
juifs, ce mot technique napadxEMvi equivaut
(quod est, 6 EOTi) a TrpoodSoaTov, avant-saubat,
par consequent, a « vedle du sabbat ». C'est
done le vendredi qu'on designait ainsi dans
le Judalsme. Cfr. Maith. xxvii, 62. Mais,
comme le sabbat approchait (comp. Luc.
xxiM, 54 et le commenlaire) lorsqu'on pro-
ceda a I'enseveli.-sement du Sauveur, et
comme, d'un autre cote, les jours commen-
gaient chez les Juifs au coucher du soleil, la
vague formule cum jam sero factum esset doit
indiquer les dernieres heures du vendredi, da
820
fiVANGILE SELON S. MARC
43. Joseph d'Arimathie, noble
decurion, qui attendait, lui aussi,
le royaume de Dieu, vint et entra
hardimentchez Pilate et lui demanda
le corps de Jesus.
44. Et Pilate s'etonnait qu'il fiit
mort si tot. Ayant fait venir le cen-
turion, il lui demanda s'il etait deja
mort.
4d. Et, lorsqu'il fut instruit par
le centurion, il donna le corps a
Joseph.
43. Venit Joseph ab Arimathaea,
nobilis decurio. qui et ipse eratex-
pectans regnum Dei, et audacter in-
troivit ad Pilatum, et petiit corpus
Jesu.
43. Pilatus autem mirabatur si
jam obiisset.Et accersito centurione,
interrogavit eum si jam mortuus
esset.
4o. Et cum cognovisset a centu-
rione, donavit corpus Joseph.
trois a six heures environ. — Ces renseigne-
menls de I'Evangeliste onl pour but d'expli-
querpourquoi Joseph d'Arimathie etiesautres
amis de Jesus se haterent de I'ensevelir. Une
grande diligence etail necessaire, puisqu'on
ne pouvail disposer que d'un temps pen con-
siderable avant I'ouverture du repos sacre.
43. — Joseph ab Arimathcea. On ajoute au
nom de Joseph celui de sa patrie, pour le
distinguer de ses homonymes evangeliques.
Sur la situation probable d'Arimathie, voyez
I'Evangile selon S. Mallh. p. 557 et s. — 'No-
bills decurio. Dans le grec, euaxrijiwv PouXeuTr,;.
L'adjeclif eOox^QtAwv (de eu et ox^ixa) signiiie
au propre « forma pulcher, decorus », au
figure « honeslus ^), puis, « nobilis, speclabi-
lis », et telle est ici sa vraie signification. Cfr.
Bretschneider, Li^xic. man., s. v. Quant au
substantif PoyXevrr);, litteral. « consiliarius »,
il a eie differemment interprete. Lightfoot,
Hor. hebr. pp. 569 et ss., supposant que Jo-
seph d'Arimathie etait pretre, le traduit par
« conseiller du temple »; Erasme, Casaubon,
Michaelis (Begrsebniss.u. Auferstehungsgesch.
Christi, p. 44) et Grotius, par « conseiller
municipal », avec cette difference que le con-
seil municipal dont Joseph aurait fait partie
etait celui de Jerusalem d'apres Grotius, ce-
lui d'Arimathie suivant Eiasme. Mais on
admet communement et plus justement ^Cfr.
Luc. xxni, 50, 51 et I'explication) que poy-
lz\»ir]i signifie dans le Nouveau Testament
« assessor synedrii magni ». Joseph etait done
I'un des 70 membres du sanhedrin juif. —
Qui et ipse..., S^xatauTo;, expression empha-
tiqiie. Lui aussi, comme S. Simeon, comme
S'e Anne, comme tant d'autres Juifs pleins de
foi, « il attendait le royaume de Dieu », c'esl-
a-dire I'avenemenl du Messie et de son regno
mystique. Remarquez la construction erat
expectans (calquee sur le grec ^v TtpoaSexoixcvo;),
qui marque une attente anxieuse, conslanle
et fidele. Cfr. Beelen, Gramm. p. 38C. Mais,
voici que les pieux desirs de Joseph ont ete
satisfaits : le royaume de Dieu est arrive
pour lui. A en croire une tradition venerable,
ce« nobilisdecurio»,devenuplus tard mission-
naire, aurait evangelise la grande Bretagne,
et construit a Glastonbury, comte de Somer-
set, le premier oratoire chretien de i'Angle-
terre. Cfr. Dugdale, Monasticon, i, 1 ; Hearne,
Hist, and Antiq. of Glastonbury; Acta
SS. Martyr, ii, 507 et ss. : Giry, Vie des
Saints, iii, 328-331. Une autre tiadition, qui
presente moins de garanties, le range parmi
les 72 disciples. Cfr. Assemani, Bibliolh.
Orient. IH, i, 31 9 et ss. — Audacter introivit.
Excellente traduction du grec To)4Ai^(ja? elijjX8e
(litteral. ayant ose il entra). Ces mots sent si-
gnificatifs a divers titres:d'abord, parce qu'il
fallait en soi un courage reel pour faire alors
ouvertement une demarche favorable a Jesus;
en second lieu parce que, jusqu'a cet instant,
Joseph etait demeure disciple secret du divia
Mailre « propter metum Judaeorum », Joan.
XIX, 38. Mais la croix du Sauveur I'a trans-
forme en heros! Sa timidite anterieure dis-
parait completement, et il s'approche sans
crainte de Pilate pour lui demander le corps
de Jesus.
44 et 45. — Pilatus mirabatur... Detail
propre a S. Marc. Les « cruciarii » demeu-
raient ordinairement un jour et demi, deux
jours, parfois meme trois jours sur la croix
avant d'expirer. Aucun organe essentiel n'e--
tant lese en eux, la vie ne les quittail qu'a-
vec lenleur. De la cet etonnement de Pilate ;
de la aussi I'enquete qu'il fit faire aupres
du centurion de garde. — Donavit corpus.
'E8wpyi(jaTo signifie proprement « donner en
present, donner d'une maniere gratuile. » Ii
n'etait pas rare que les magistrals romains
ne consentissent que moyennanl une somme
considerable a livrer aux parents ou aux amis
les corps des supplicies, pour qu'on leur accor-
dat une sepulture honorable (Cfr. Cic. Verr.
v, 45; Justm. ix, 4, 6) : Pilate se montra ge-
nereux et ne demanda rien. C'est sans doute
ce que notre Evangeliste a voulu exprimer
par le verbe Swpew. Si, apres ce verbe, nous
«
CHAPITRP XVI
221
46. Joseph autem mercatus sindo-
uem, et deponens eum, involvit sin-
done, et posuit eum in monumento,
quod erat excisum de petra, et ad-
volvit lapidem ad ostium monu-
menti.
47. Maria autem Magdalene, et
Maria Joseph, aspiciebant ubi po-
neretur.
45. Et Joseph, ayant achete un
linceul, le detacha de la croix et
Tenveloppa du linceul, et le deposa
dans un tombeau qui etait taille
dans le roc, et roula une pierre a
I'entree du tombeau.
47. Or, Marie-Maleleine et Marie,
mere de Joseph, regardaient oil oa
le mettrait.
CHAPITRE XVI
Les saintes femmes au sepulcre (tt. 1-8). — Jesus apparait a Marie-Madeleine [tt. 9-11),
a deux disciples [tir. 12-13), aux Apotres reunis [t. 14). — Les dernieres paroles de
Jesus (tt. 15-18). — Ascension de Noire-Seigneur Jesus-Christ [t. 19). — Resume de la
predication apostolique (t. 20).
1. Et cum transisset sabbatum,
Maria Magdalene, et Maria Jacobi,
1. Et, lorsquele sabbat fut passe,
Marie Madeleine, et Marie mere de
lisons avec les manuscrits B, D, L, etc., t6
irxwixa, « cadaver », au lieu de -to (yai;jia, nous
oblenons une pelile nuance caracteristique,
qui serait tout a fait dans le genre de S. Marc.
Joseph demanda le corps sacre (t6 (jwjAa) de
Jesus, t. 43 ; Pilate lui fit donner le cadavre
du supplicie. Ces mots expriment tres bien la
difference des sentiments qui animaient Joseph
et Pilate a I'egard de Notre-Seigneur.
46. — Apres avoir raconte les preliminaires
de la sepulture de Jesus, I'Evangeliste passe
au J'ait meme de I'ensevelissement. — Merca-
tus est une particularif^ de S. Marc. C'est au
sorlir du pretoire que Joseph ^'.'la acheter le
sindon, c'est-a-dire une grande piece d'e-
toffe destinee a servir de linceul a Jesus. —
Deponens, xaOeXwv : expression cldssique pour
indiquer I'aclion de descendre de la croix les
corps des « cruciarii ». Cfr. Bretschneider,
Lexic. man. s. v. xaGaipc'w. — Posuit eum in
monumento, « suo novo », ajoute S. Malthicu,
xxvii, 60 (voyez le commenlaire). Ainsi s'ac-
complissait un oracle celebre d'lsai'e, mi, 9
(du moins d'apres la traduction probable de
I'hebreu. Cfr. le commentaire de M. Trochon,
p. 251). — Les grands maitres out souvent
pris ce verset pour theme de leurs magni-
fiques developpemenls. 1o Descente de croix :
Schidone, fra Barlholomeo, Andrea del Sarlo,
Raphael, Jouvenet, Lesueur, Bourdon, B. Lui-
ni, Antonio Razzi, Giotto, fra Angelico, Ru-
bens, etc. 2'' Le Christ porte au tombeau :
Schidone, Titien. 3° L'ensevelissement : le
Bas>an, Rosso, Van der Werff, Pinturicchio,
Raphael, etc.
47. — L'episodede la sepulture se termine,
dans les deux premiers Evangiles, comme
celui du crucifiement. Cfr. tt. 40 et 41 ; Matlh.
xxvii, 55, 56, 61. De part et d'autre nous
voyons, a I'arriere-scenfi du tableau, h>s saintes
femmes debout, et pourtant atlenlives a ce
qui se passait autour d'elles {aspiciebant,
eGswpouv) : elles ne quitteront le Calvaire que
lorsque les restes precieux de Jesus auront
ete mis dans le sepulcre, et encore no scra-ce
qu'avec I'intention de revenir au phis tot.
C'est pour cela qu'elles regardaient, ubi pone-
retur. Le grec flotte entre le present TiOsTai
et le parfait iiU%i:a.i.
TROISlEiME PARTIE
VIE GLORIEUSE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-
CHRIST. XVI.
Le ministere public et la Passion du Sau-
veur, tel est, :i vrai dire, le fond de sa vie
messianiqup. Aussi les Evang(Mi>tes passent-
ils Ires rapidement sur ses mysteres gloriiMix.
Us les signalent neanmoins, ','t S. Marc le fait
avec son origmalite ordinaire. Bien plus, il
parlage avec S. Luc le merite d'avoir men-
tionne I'Ascension de Jesus a la suite de sa
ResurrecUon.
222
fiVANGILE SE^ON S. MARC
Jacques, et Salome acheterent des
parfums pour veiiir embaumer Je-
sus.
2. Et parties de grand matin le
premier jour apres le sabbat, elles
arriverent au sepulcre le soleil
etant deja leve.
3. Et elles disaient entre elles :
Qui nous otera la pierre de Tentree
du sepulcre?
4. Et en regardant^, elles virent la
pierre otee; or elle etaitfortgrande.
et Salome emerunt aromata, ut ve-
nientes ungerent Jesum.
Match. 28, i; Luc. 24, 1; Joan. 20, i.
2. Etvaldemane una sabbatorum,
veniuut ad monumentum, orto jam
sole.
3. Et dicebant ad invicem : Quis
revolvet nobis lapidem ab ostio mo-
numeoti?
4. Et respicientes viderunt revo-
lutum lapidem. Eratquippe magnus
valde.
1. — Le Christ ressuscit6. xvi, 1-14.
a. Les saintes femmes au sepulcre. xvi, 1-8.
Parall. Matth. xxvm, 1-10; Luc. xxiv, 1-8.
Chap. xvi. — 1. — « Post sabbali trisli-
tiam, felix irradiat dies, quae primatiim in
diebus lenei, luce prima in eo lucescente, et
Domino in eo cum triumpho resurgente. »
Pseudo-Hieron. h. 1. Les details de ce pre-
mier verset sent propres a noti-e Evangeliste,
lis consistent en une dale, en un fail, en un
but. — lo La dale : Cum transisset sabbalum;
c'etait done le samedi soir apres le coucher
du soleil, puisque, a ce moment, le sabbat et
son repos obiigatoire cessaient. — 2° Le fait:
les trois saintes femmes que nous avions
vues la veille aupres de la croix de Jesus
expirant, xv, 40, achetent des baumes et des
parfums precieux, aromata. EUe?. le pouvaient
alors; car, aussitot que le sabbat avait pris
fin, les magasins, fermes pendant les vingt-
quatre heu'i-es precedenles. s'ouvraient afin
que chacLin put faire ses achats pour les be-
soiiis du soir et du lendemain matin. — Ma-
ria Jacobi est la meme que « Maria Joseph »
de la fin du chap, xv ft. 47). D'abord desi-
gnee, XV, 40, par les noms reunis de ses deux
Sis, elle i'est ensuile alternativemenl par les
noms separes de I'un el de i'aulre. — 3° Le
but : ut ungerent Jesum. L'en^evelissemenl
du Sauveur avait eu lieu a la hale et d'une
maniere imparfaile a cause de I'approche du
sabbat (Cfr. xv, 421 . Les pieuses amies de
Jesus se proposent de le completer.
2. — La formule una sabbatorum equivaut
a « prima die post sabbalum », el indique par
consequent le dimanche. Voyez I'Evang. selon
S. Mallh. p. o63.— Veniunt au present : trait
graphique. Le verbe est a I'aoriste dans les deux
autres synopliques. — Orto jam sole. S. Marc
ayant dil une ligne plus haul qu'il etait valde
inane,liy.w r.pwi. qiiand los saintes femmes vin-
rent aupres da sepulcre, divers inlerpretes an-
ciens et modernes ont donne a ivaTiO.avTo; le
sens du present dva~e),),ovToi; ( « oriente jam
sole », S. August.;, afin de mettre ainsi I'Evan-
gelisle tout a fait d'accord avec kii-meme.
Mais la grammaire s'oppose a une telle traduc-
tion. La conciliation se fait sans peine si Ton
admet que, parties dechez elles avanl le lever
du soleil, les deux Marie et Salome arriverent
au lombeau de Jesus quand cet asi ro cora-
mengait a parailre. Du reste, a cettf! ''pncuie
de I'annee, en Orient surtoul, Theure riii lever
du soleil peut s'appeler matinale. Comparez
Joan. XX, 4 et I'explication.
3 et 4. — Dicebant ad invicem. Chemin
faisant, Marie Madeleine el ses compagnes
ont un sujct d'anxiete. Se rappelanl qu'une
grosse et lourde pierre avait ete roulee a
i'entree. de la grolte sepulcrale, xv, 46, elles
se demandent : Quis revolvet nobis lapidem...?
Elles craignenl, a celte heure pen avancee du
jour, de ne renconlrer personne qui puisse
leur rendre ce bon office. On le voit, elles
sont dans une ignorance absolue de ce qui
s'etait passe I'avant-veille aupres du sepulcre.
Elles ne savenl rien des gardes, ni des
sceaux apposes sur la pierre. Cfr. Matth.
xxvii, 62-66. — Respicientes, avagXe'iaaai :
I'expression a ete Ires heureusemeni choisie,
car elle signifie « voir de bas en haul o. Or le
sepulcre etait precisementsur une eminence,
el les saintes femmes arrivaienl par en bas.
Ce trait est done lout a fait pitloresque.
D'ailleurs, tous les details contenus dan^ ces
deux vessels sont de nouvelles particuiarites
du second Evangile. — Erat quippe mugnus
valde. Ces mots viendraient peut-etro mieiixa
la suite du t. 3, et c'esl la en effi-l que les
placent le Cod. D et plu^ieurs m;inuscrits
latins. Dans leur situation actuelle, qui est
probabk-ment la bonne, ils expliquent com-
ment les saintes femmes purent reinarquer de
loin que la pierre avait ele roulee en avant
du lombeau.
o. — Introeuntes in monumentum. Les se-
pulcres juifs des environs de Jerusalem, du
CHAPITRE XVI
223
5- Et introeuntes in monumeii-
tum, videruiit juvenem sedentem in
dextris, coopertum stola Candida, et
Obstupuerunt. Joan. 20. 12.
6. Qui dicit illis : Nolite expaves-
cere : Jesum quaeritis Nazarenum,
crucifixum; surrexit, non est hie,
ecce locus ubi posuerunt eum.
Match. 28,5; iwj. 24, 4.
7. Sed ite, dicite discipulis ejus,
et Petro, quia prsecedit vos in Gali-
laeam : ibi eum videbitis, sicut dixit
YObiS. Supr. 14, 23.
b. Et, entrant dans le sepulcre,
elles virent un jeune homme assis a
droite, vetu d'une robe blanche, et
elles furent stupefaites.
6. II leur dit : N'ayez pas peur.'
Vous cherchez Jesus de Nazareth,
qui a ete crucifie ; il est ressuscite,
il n'est pas ici. Voici le lieu oii ils
I'avaient mis.
7. Mais allez, dites a ses disciples
et a Pierre qu'il vous a precedes en
Galilee. La vous le verrez, comme il
vous Fa dit.
moins les plus considerables, consistaient en
des cliambres plus on moins prnfondes, creu-
sees dans le roc. Comp. Jahn, Archaeol.
bibl. § 207; Burder, Oriental Ciis'.oms, no \ 046.
Lessaintes fenimes piirent done penelrer dans
le lombeau ou avail repose Jesus. — Vide-
runt juvenem. Ce jeune iiomnie elait evidem-
menl un ange, d'apres Tensemble du recit ;
niaisS.Marca surlout vouki decrire sa forme,
son apparition exterieure. De la le nom de
veaviaxo; qu'il lui donne. Etail-ce le memo
ange qui, selon le recit de S. Mallhieu,
XXVIII. 24, avait roule en avanl la pierre du
sepulcre, et fail fuir les gardiens posies par
le Sanhedrln? Tout porte a le croire. II est
vrai que I'auleur du premier Evangile nous
ie montre assis a I'enlree du lombeau et invi-
tanl les saintes femmes a entrer, tandis que,
d'apres S. Marc, Madeleine et ses compagnes
le irouverenl dans I'interieur du sepulcre. 11
est egalement vrai que S. Luc, xxiv, 4 el ss.,
p-arle non d'un seul ange, mais de deux angcs
qui seraient apparus aux saintes femmes.
Toutel'ois, ce sont la de simples nuances, qui
n'impliquent nullement une contradiction
reelle. Pour concilier les trois narrations, ii
suffil de rappeler, comme nous I'avons fait en
des circonslances analogues, qu'aucuu des
Evangelisles n'a voulu lout raconlcr, mais que
chacun d'eux s'est conlente de noler les cir-
conslances parvenues a sa connaissance, ou
qui enlraient le mieux dans son plan. Sans
doute, lous les fails qu'ils exposent ont eu
lieu tels qu'ils les exposent, mais successi-
veraent. De la ce principe que nous avons
deja mentionne : « Distingue tempera et con-
cordabit Scriptura. » Voyez le conimentaire
de Theophylacle, h. 1., et S. Augustin, de
Cons. Evang. I. ni, c. 24. — Sedentem in dex-
tris : a droile par rapport aux visiteuses;
ou, mieux encore, a droile d'une maniere
absolue, c'esl-a-dire au Sud, d'apres la ma-
niere des Juifs. On sail que, dans la langue
bebraique, le mot droite equivaut a Midi,
gauche a Septentrion. — Coopertum stola
Candida. Sur la « stola » des anciens, voyez
xii, 38 et I'explication. — Obstupuerunt.
Dans le grec, E5£9aii6Yi6r)ffav, expression ener-
gique, (jui designe une terreur extreme.
6 et 7. — Qui dicit illis. On trouvera I'ex-
plicalion des paroles de I'Ange dans I'Evan-
gile selon S. Matth., p. 564 el s. Elles sonl
encore plus rapides et plus entrecoupees ici
que dans ia narraliondu premier Evangeliste.
Du reste, ces « asyndeta » sonl Ires naturels
dans la circonstance. S. Marc ajoule deux
details speciaux. 1° Non seulement il men-
tionne la croixdu divinRessuscite, crucifixum,
dont le souvenir est acluellemenl si glorieux
pour Jesus, si consolant pour nous (« Radix
amara crucis cvanuit, flos viui3 cum fruclibus
surrexit in gloria », Gloss.), mais il donne au
Sauveur i'huinble nom de Nazarenum. Cfr.
Act. XXII, 8, ou Notre-Seigneur, parlant de
sa gloire celeste, s'appelle lui-meme Jesus de
Nazareth. — 2" Et Petro est un autre trait
caraclerislique du second Evangile. Voyez la
Preface, § IV. Mais pourquoi S. Pierre est-il
signale a part entre les disciples? Peut-etre
a cause de sa dignite; mais plus encore, ainsi
que le disait deja Victor d'Antioche, en signe
du pardon complet que le Siuivmir lui avait
accorde. Aussi comme ces deux mots, « et
Petro », durenl consoler le creiir desole du
prince des Apotres! — Sicut dixit vobis. Va-
rianle qui prouve I'independance des Evan-
gelisles. Selon S. Matthieu, I'ange aurait dit :
« Ecce praedixi vobis ». La prophetie de Je-
sus, a laquelle il est fait allusion en eel en-
droil, avait ete prononceea I'issue de la Gene,
XIV, 28. — Notons encore, au commencement
du t. 7, la particule dXXa [sed]. par laquelle
I'ange s'inlerrompl lout a coup pour passer a
un autre sujet. G"est une transition usiteo
dans la plupart des langues. Cfr. Winer,
Grammat. p. 392.
8. — Les saintes femmes se halent d'obeir.
S. 3Iarc, a propos de leur depart, note plu-
224
fiVANGILE SELON S. MARC
8. Et, sortaiit du sepulcre, elles
s'enfuirent; car le tremblement et
la peur les avait saisies, et elles ne
dirent rien a personne, a cause de
leiir crainte.
9. Or Jesus, ressuscite le matin
du premier jour apres le sabbat,
apparut premierement a Marie Ma-
deleine, de laquelle il avait chasse
sept demons.
10. Et elle alia I'annoncera ceux
qni avaient ete avec lui et qui se
lamentaient et pleuraient.
8. At illse exeuntes, fugerunt de
monumento : invaserat enim eas
tremor et paver : et nemini quid-
quam dixerunt, timebant enim.
9. Surgens autem mane, prima
sabbati, apparuit primo Marise Mag-
dalene, de qua ejecerat septem dse-
monia.
Joan. 20, 16.
10. Ilia vadens nuntiavit his qui
cum eo fuerant, lugentibus, et flen-
tibus.
sieurs circon?tances particulieres. D'abord,
trait piltoresque, il nous montre ce depart se
transformant aussitot en une vraie fuite, fu-
gerunt de monumento ; tayy ecpuyo^? ^^^ '^ ^6~
ccpla d'une maniere encore plus expressive,
elles s'enfuirent au plus vite. Pourquoi
fuyaienl-elles ainsi? Le contexte I'indique :
invaserat (dans le giec, tl^z, « habebat, pos-
sidebal ») enim eas tremor etpavor. Ce dernier
mot est represente dans le texte grec par
lx<TTafft;, d'oii il suit que les amies de Jesus
etaient hors d'eili's-memes d'epouvante. De Ik
leur fuite precipitee, pour echapper au do-
maine du surnaturel. Voyez dans S.Matthieu,
XXVIII, 8, une nuance non moins inleres-
sanle. — Nemini quidquam dixerunt. Ces
mots nesignifienl point que lessaintes femmes
negligereni d'executer les ordres de i'Ange,
puisque nous savons. d'apres le premier
Evangile, qu' « elles allerent en courant por-
ter la nouvelle aux disciples. » lis veulent
dire, ainsi que Tadraeltent de concert la
plupart des ex^getes anciens et raodernes,
qu'elles garderent. le long du chemin, toujours
par suite de 'a frayeur qui les animait, un
silence complet sur les evenements exlraor-
dinaires dont elles venaient d'etre temoins.
Cfr. Euthymius, Fr. Luc, Grotius, etc., h. 1.
b. Jesus apparatt a Marie-Madeleine, xvi, 9-11.
Parall. Joan, xx, 11-18.
(Sur Taulhenticite des versets 9-20, voyez
la Preface, § HI).
Apres avoir signale le fait de la Resurrec-
tion, S. Marc le prouve par une exposition
sommaire des principales apparitions du divin
Ressuscite. Sa narration, quoique extreme-
ment concise, abonde neanmoins en parti-
cularites interessantes. On peut meme dire
que la plupart des details qu'il mentionne lui
sont propres.
9. — Surgens autem. Le grec porte avaaToc?,
« quum resLirrexisset ». — Prima sabbati.
S. Marc, fidele jusqu'au bout a ses habitudes
de precision, repote la date qu'il avait indi-
quee deja au t. 2. Du reste, cette date ajoute
ici quelque chose a la narration ; car, plus
haut elle ne se rapportait qu'a la visite des
saintes femmes, tandis qu'elle indique main-
tenant d'une maniere stricte le jour de la
Resurrection du Christ. — Apparuit primo
Marice Magdalence. Des temoignages irrecu-
sables, par exeinple ceux de i'Ange, du se-
pulcre vide, avaient demontre deja que Jesus
etait vraiment ressuscite d'entre les morts;
mais on ne I'avait pas encore vu lui-meme.
C'est Marie Madeleine qui eut la premiere le
bonheur de le contempler apres son triomphe
(voyez dans S- Jean, xx, 11 et ss., les details
de celte ap^jQrtlion). Les mots de qua ejecerat
septem doemonia (Cfr. Luc. viii, 2 et le com-
mentaire) sont emphatiques, comma « et
Petro » du t. 7. lis ont pour but de meltre
en relief la bcnte, la condescendance gene-
reuse de Notre-Seigneur. Voyez Bede, Fr. Luc,
h. I. — Les mots E^dvri TtpwTov de S. Marc
peuvent se concilier sans peine avec la pieuse
croyance, deja partagee par S. Ambroise
(Lib. de Virginib.), S. Anselme (Lib. VI de
Excell. Virgin.!. S. Bona venture (Meditat. de
vita Christi). Maldonat, Suarez, etc., d'apres
laquelle c'est a sa sainte Mere que Jesus au-
rait tout d'abord apparu apres sa Resurrec-
tion.
10. — Ilia vadens, TtopsuSsiffa. Ceux qui
nient I'authcnticite de ce passage repetent a
tour de role que le verbe uooeuw, employe de
nouveau dans les ft.'i^ et 15, ne se retrouve
nuile part ailleurs dans le second Evangile. II
est aise de repondre que S. Marc se sert sou-
vent des composes de TtopsOw, et que c'est la
du reste une expression si commune, qu'il n'est
pas percnis d'attacher une importance quel-
conque a son omission ou a son emploi. — His
qui cum eo fuerant. Cette formule, qui designe
tous les disciples et plus spec alementlesApo-
tres, est, il est vrai , nouvelle dans le recit
evangelique; mais elle existedans les Actes,
CHAPITRE XVI
225
11. Etilli audientes quia viveret,
et visus esset ab ea, non credide-
runt.
12. Post hsec autem duobus ex his
ambulantibus ostensus est in alia
efiigie, eiintibus in villam :
Luc. 24, 13.
13. Et illi euntes nuntiaverunt
cseteris : nee illis crediderunt.
11. Et ceux-ci, entendant dire
qu'il vivait et qii^il avait ete vu par
elle, ne le cmrent pas.
12. Ensuite il se montra sous une
autre forme a deux d'entre eux,
pendant qu'ils marchaient etallaient
a la campagne.
13. Et ceux-ci allerent I'annoncer
aux autres qui ne les crurent pas
non plus.
XX, 1 8, et n'a rien non plus de bien particiilier,
D'ailleiirs, I'ideede disciples, de compagnons,
est en plusieuis endroils exprimee dans notre
Evangile par la locution analogue ol p-'
ouToO. Cfr. I, 36 ; ii, 25 ; v, 40. — Lugentibus
et flentibiis. Belle repetition, qui peint an vif
la desolation extreme dans laquelle les dis-
ciples elaient plonges depuis la raort de leur
Mailre.
'11. — Visus esset ab ea. Nouvelle objection
a propos du verba l^tMri (Cfr. t. 14), qui est
relalivement rare dans les Evangiles. Nous
repondons avec 31. Cook, Holy Bible, N. T.,
t. I, p. 297, que « les mots rares sont adaptes
aux rares evenements ; que celui-ci, qui est
tres solennel, convient parfaitement a la cir-
constance presente. » — Non crediderunt.
Et pourtant, M. E. Renan, Les Apotres, p. 13,
affirme audacieusement « que la gloire de la
resurrection appartient a Marie de Magdala.
Apres Jesus, c'est Marie qui a le plus fait
pour la fondation du Christ lanisme.Sa grande
affirmation de femme:Il est ressuscile! a ete
la base de la foi de I'humanite. » Or il se
trouve au contraire, et I'Evaiigile leditde la
fagon la plus formelle, Cfr. tuc. xxiv, 11,
que les Apotres refuserent les premiers d'ajou-
ler foi au lemoignage de Madeleine! lis ne
crurent que lorsqu'ils eurent eux-memesoon-
temple de leur propres yeux le Sauveur res-
suscile.
C. Apparition a deux disciples, xvi, 12-13.
j Parall. Luc. xxiv, 13-35.
12. — Dans cetle seconde apparition notee
par S. Marc, on reconnait sans peine celle que
S. Luc raconte « in extenso » dans son
xxive chapitre. C'est ainsi que les Evange-
lisles se confirment et se complelent muluel-
lement. — « L'expression Apres ces choses
((lETi xauTa, posthcEc de la Vulg.), dit M. Alford^
New Test, for english Readers, t. I, p. 288^
ne S9 rencontre nulle part dans S. Marc, quoi-
qu'il eut de nombreuses occasions de I'em-
ployer ». Nos reflexions precedentes ont
montre que ce raisonnement ne prouve abso-
lument rii'n. — Duobus ex his, scil. « qui
cum 60 fuerunt », 1. 10. Nous savons toute-
S. Bible. S.
fois par S. Luc que ce n'etaient pas des
Apotres. — Ostensus ett. Au t. 9, nous li-
sions « apparuit », eyavri; ici nous avons le
verbe saavepuSr,, litteralement, « manifesta-
tus est )\Q\m sembleavoir etechoisi a dessein
pour indiquer que Jesus ne fut pas immedia-
tement reconnu par les deux disciples. Cfr.
Luc. XXIV. 16, 31. S. Marc I'avait deja em-
iilovf' iiliH h 'ul. IV, 22, bii^n que les autres
synoptiqups ne s'en servent jamais.— In alia
ejfigie. « Effigies » represente ici, comme, <oa
equivalent grec [lop^-fi, I'apparence exterieure,
phy-ique. Cfr. Phil, ii, 7. Celte apparence
etail « autre », vraisemblablemeni parce quelle
avail quelque chose de transfigure, de plus
celeste, di'puis la Resurrection, ce qui faisail
qu'on ne reconnaissait pas toujours immedia
tement Notre-Seigneur. Mais il est possible
aussi que ce mot fasse allusion a I'apparition
precedL-nte : en efi'et. tandis que Jesus s'etait
jiiesenle a Marie-Madeleine souslafigure d'un
jardinier, Joan, xx, 15, il se presente main-
tenant aux disciples sous celle d'un voyageur.
— L'objection tiree de ce que I'adjectif s-repo;
n'apparaitpasailleursdans le recil de S.Marc
n'a pas la moindre force probante. — Eun-
tibus in villam. Dans le grec, « euntibus rus »
(eU aypov), la campagne par opposition a la
ville. Cfr. xv, 26 et le commentaire.
13. — Et illi euntes; mieux « redeuntes »
(a7re),96vT£i;). Les deux disciples reprirent le
chemin de Jerusalem aussitot apres I'appari-
tion, se hatant d"en porter la bonne nouvelle
aux autres amis de Jesus. Mais ceux-ci per-
sislerent dans leur incredulite, nee illis credi-
derunt. Ce nouveau teu)oignage les laissa
aussi froids quecelui de Madeleine, t. 11. —
Toutefois, I'episode des deux pelerins d'Em-
maiis se termine d'une maniere bien ditfe-
rente dans le Iroisieme Evangile, xxiv, 33-35 :
« Surgentes eadem hora, r"egressi sunt in
Jerusalem, et invenerunt congregates unde-
cim et illos qui cum illis erant, dicenles :
Quod surrexit Dominus vere el apparuit Si-
moni. Et ipsi narrabant quae gesta erat in
via, etquomodocognoverunt eum in fractione
panis. » Ainsi done, la on accueille les deux
jnessagers
M,\Rc. — 15
220
EVANGILE SELON S. MAIIC
14. Enfin il appaiut aux Onze
Jorsqu'ils etaient a table, et il leur
reprocha leur incredulite et leur
durete de coeur, parce qu'ils n'a-
vaieut pas cru ceux qui avaieut vu
*ju'il etait ressuscite.
lo. Et il leur dit : Allez dans le
monde entier, pr^chez I'Evangile a
toute creature.
1 4 . Novissime recumbentibus illis
undecim apparuit : et exprobravii
iucredulitatem eorum, et duritiam
cordis; quia iis. qui viderant eum
resurrexisse, non crodiderunt.
15. Et dixit eis : Euntes in mun-
dum universum praedicate Evange-
lium ouini creaturae.
on leur annonce que Jesus est vraiment res-
suscile. Des narrations aussi divergenles
peuvent-plles se conciiier'i'Quand on lit, dans
les quaire Evangiles, I'hisluire delaiilee des
incidents qui euient iieu le jour d!> la Resur-
rection, onestfrappe de voir que les disciples,
durantceltejournee memorable, furent agites
par deux sentinienls tres distincts, qui les
emportairnt tour a tour en sens divers, la
joie et I'iucredulite. Un moment, iis rroient
que leur Mailre a triomphe de la mort el du
lombeau; puis, Tinstaiil d'apres, le doute les
saisil et iis refusent de s'en rapporter a ceux.
qui Tonl vu et entendu. S. Luc a note un de
ces eclairs de foi, S. Marc au contraire I'autre
sentiment, qui avail presque aussilol repris
le dessus. Voyez Bede, Theophylacte, Fr. Luc,
et la Synopsis crilicorura, h. 1.
d. Apparition aux Apotres. xvi, 14. — Parall.
Luc. XIV, 36-43; Joan, xx, 19-25
14. — (I y a une gradation manifeste dans
les trois apparitions de Jesus dont S. ]Marc a
conserve le souvenir : le Sauveur se montre
d'abord a une femme, puis a deux disciples,
puis aux onze Apotres. — Novissime n'esl pas
une traduction exacte, car, dans le texte
grec, il n'y a point Oa-a-ov, mais iia-epov,
« postea ». Get adverbe n'inlroduil done pas
necessairement la dernierede toutes les ma-
rJleslations du Chrisl ressuscite, c'est-a-dire
cello qui eul lieu le jour de I'Ascension,
comme I'ont pense S. Augustin. De Cons.
Evang. 1. VII, c. xxv, S. Gregoire-le-Grand,
Hi) 1 11. in Evang. xxix, et 1*^ Yen. Bede, h. 1.
Nous croyons. avec la plupart des exegeies,
qu'il s'agit encore du jourde la Resurrection
et de I'apparition faite en presence des Apo-
Ire- dans le Cenacle, a la maniere racontoe
par S. Luc et par S. Jean. — Recumbentibus
tlliS unde< im, dvay.si[j.£vo'.c aOToT; toi; Evosza.
Le pronom « illis » est emphalique, de meme
que a-jTo;; du texte grec. Les Onze, ou plus
exactement les Dix, puisque 6. Thomas etait
abs.^nt, Joan, xx. 24 et ss., etaient done a
table quand Jesus semonlrasubitement aeux.
Cfr. Luc. XXIV, 41 el ss. — Apparuit. Dans
!e lext'> original, f.oavspwQTi, comme au t. 12.
—i Exprobravit increduiitalem... Le verbe
wveioKTE est tres expressif el designe de se-
rieux reproches, qui etaient d'ailleurs juste-
menl merites. Cfr. les tt. 11 et 13. S. Marc,
en signalant ainsi a pkisieurs reprises Tincre-
dulite des Apotres par rapport au grand I'ait
de la Resurrection du Sauveur, contirnieener-
giquemenl la realite de ce fait. « Sun recit
prouve que les temoins du miracle n'elaient
pas des enlhou^iastes qui crurent aussitot
ce qu'ils de-iraient etre vrai ». Westcotl,
Introd. to the Study of the Gosp., Se ed.
p. 334. « Apres ce VTset, on lisait autrefois
dans certains exemplaires. surtout dans les
grecs. ces paroles : Mais iis hii repoiidi-
rent. Ce siecle est forme d'iniquite et d'in-
credulite, qui nous empeche, par le moyeii
des esprils impurs, de parvenir a la vraie,
vertu de Dieu. C'est pourquoi, commencez
enfin a decouvrir voire justice. On voit aise-
ment que ces paroles soul une addition liree
de quelques livres apocryphes, et venue ori-
ginairement des Montanistes, ou de queltiues
autres heretiques qui admetlaienl dans le
monde un mauvais principe, cause necessaire
du mal ». D. Calmet, Comment, litter, sur
S. Marc. p. 162. Cfr. S. Jerome, Conlr. Pe-
lag. II, 6.
2. — Le Christ montant au ciel. xvi, 15-20.
a. Ordres donnas aux Apotres. xvi, 15-18.
15. — E'. dixit eis. « Non tunc quum illis
recumbentibus apparuit. et eorum expro-
bravit increduiitalem. sed postea ». Maldonat.
A la fagon des anciens historiens lorsqu'ils
voulaient abreger, S. Marc reunit, sans tenir
comple des intervalles ni des evenements
intermediaires, parce qu'ils n'entraient pas
dans son plan, deux fails qui furent en realile
separes par un temps plus ou moins notable.
D'apres divers auteurs, les paroles qui vont
suivre auraient ete prononcees lors de la
grande apparition que Jesus fit a ses disciples
en Galilee (Cfr. Matth. xxviii, 16-20). Nous
croyons, avec d'autres interpretes assez nom-
breux, qu'elles le furent plutot dans les der-
niers m >ments qui precederent TAscension
de Notre-Seigneur. Elles se composont d'uu
ordre intime, tt- 15 el 16, et de pouvoirs
CTTAPlTnE XVI
?57
16. Qui crediderit, et baptizatiis
fuerit, salvus erit ; qui rero non cre-
diderit, condemnabitur.
17. Signa autem eos qui credide-
riut hsecsequentur : In nomine meo
dsemonia ejicient : Unguis loquentur
novis ;
Act. 16, 18; Id. 2,4 et [0, 46.
18. Serpen tes tollent : et si mor-
tiferum quid biberint, non eis noce-
16. Celui qui croira et sera bap-
tise sera sauve ; rnais celui qui ne
croira pas sera condamne.
17. Ges signes accorapagneront
ceux qui auront cru : en mon nom
ils chasseront les demons, ils parle-
ront des langues nouvelles ;
18. lis prendrontles serpents et,
s'ils boivent quelque poison mortel,
considerables accordes aux disciple?, Hf. '17
el 18. par le divin M;iilre. L'ordre estd'abord
solennellement exprime, t. \o. — Euutes in
viundum universum... Cfr. JMatlh. xwiii, 19
et le- commentaire. Desormais pliisde restric-
tions! Toiitesiesbarrieres de nalionalites tom-
b;^nt devanl la predication evaii^elique. Ce
n'esL piusseiilement en Judee que les Apotres
doivenlannoncer la bonne nou\ die, ma is dans
I'univers enlier; ce n'est plus seulement a
leurs corciigionnaires qu'iis doivenl sadres-
ser en vue de les convertir, mais omni crea-
tur(v, -Kaari rfi -/.ziGzi, lilteral'Mnent, « orr.m
creation! ». Les Rabbins employaient de
]a meme manien^ I'expression identique
nN"'"a~S3i pour designer lout le genre hu-
main. Cfr. Lightfoot, Hor. hebr.'h. 1. Le
mot y.T(<7i?, qu'on trouve plusieurs fois dans
S. Marc, n'est pas usile dans its aiitresEvan-
'16. — Get ordre si formel : Prechez ! est
mainlenani motive. La predication excitera
la fni, el la foi prociirera le salut. Cfr. Rom.
X, '14 ft ss. — La necessite de la foi el du
Bapteme en vue du salul elernel est netle-
nienl marquee dans ce passage : Qui creJiilc-
rit et baptizalus fuerit... « Jesus n'a pas dil:
Ci'lui qui se conlOiUera de croire; il n'a pas
dil non plus : Celui qui se coiilenlera de se
faire baplisi^r; mais il a uni les deux choses,
car I'uno sans I'autre ne saurail suffire pour
sauver I'houime. » Eulhymiu-. Voyez les tbeo-
logiens, aux traites de la foi etdu bapteme.
— Qui non crediderit condemnabitur. C'esl le
conlraire du premier hemisliclie. II est a no-
ler que Jesus n'ajoute pas « et non bapliza-
tus fuerit », bien que le parallelisme semblat
exiger ces mots; mais ils eussent ele super-
flu-;, car il est evident que ceux qui refuse-
ronl de croire a I'Evangile ne consi^ntiront
jamais a se laisser baptiser. — Voyez dans
Maldonat un apergu des nombreuses erreurs
theologiques qui sonl nees de ce verset rnal
compiis.
-17 <t 18. — Pouvoirs accordes aux disci-
ples par Nolre-Seigneur Jesus-Christ. — Ces
pouvoirs qu'il nomuie des signes, signa, arniiioL,
ne different point do ce que S. Paul appelle
xapicrixaxa, ni des « graliae gratis datae » des
Uieologiens. lis avaient pour but de procurer
le bien general de lEglise, et tout d'al)ord
de conhrmer la predication de I'Evangile.
lis formaienl done, a ce point de \u^>, les let-
Ires de creance des Apotres, qnoiqu'iis ne
fussent pas exclusivemenl restreints au cercle
aposlolique, puisque Jesus promet de les
elendre sans exception a toutes les ames
fideles, eos qui crediderint. — Se(]uentu>\ Le
verbe grec 7:ap7.7.o),o-jfir;(7£i, bien que S. Marc
ne I'emploie pas ailteurs, rend admirable-
ment I'idee que I'ecrivain sacre voulait ex-
primer. On ne saarait done I'objecler comme
iin indice du caractere apocryphe de ce pas-
sage. — Les miracles que les amis de Jesus
pourront fairi^ par la verlu toute-puissanie
ou par I'invocalion de son nom {in nomuu
meo domine la li te entiere jusqu'a la fin du
t. 18)nepouvaientetre loussignales : les cinq
qui regoivenl ici une mention speciale ser-
vent done simplemenl d'exemples. Ce sonl du
reste les principaux, et ceux qui devaient
etre le plus fi-equemment accomplis. —
-lo Dcenionia ejicient. Les Apotres avaient use
deja de ce grand pouvoir, que leur Mailre
leur avail communique depuis assez long-
temps. Cfr. Ill, -to; Luc, x, 17, '18. Le livre
des Actes nous les montre plusieurs fois en-
core occupes a chass'r victorieusement les
demons, v, -16; viii. 7; xvi, 18, etc. Et. au
second siecle, c'etailnn tail si commun parmi
I'^s fideles, que Tertullien pouvait ecrire, Ad
Scapulam, c. ii : « Daemones de hominibus ex-
pel I imus, sicut pUiiimis notnm est ». Cfr. De
spectaculis, xxvi, et S. Ireiiee v, 6. — Lin-
(jais loquentur novix. Ce prodige devait se
realiser quelques jours seulement apres I'As-
cension. Cfr. Act. ii, 4 et ss. II devinl en-
suile l res-frequent dans la primitive Eglise
(Cfr. I Cor. xii-xiv) : S. Frangois-Xavier le
renouvela d'une maniere elonnante. Ladjec-
lif -/.aivat a ici le sens d' « etrangeres, incon-
nues ». — 30 Serpentes tollent, scil. « mani-
bus rt, comme S. I^aul a Malte, Act. xxviii, 3.
D'apres S.Luc, x, i9, ce pouvoir avail aussi
228
EVANGILE SELON S. MARC
ilne leurnuira point ;ils imposeront
Ipti mains sur les malades et ils se-
roni giK^ris.
19. Et le Seigneur Jesus, apres
qu'il leur eut parle, fut eleve dans
le ciel, et il est assis a la droite de
Dieu.
20. Et eux, etant partis, prS-
cherent partout, le Seigneur agis-
sant avec eux et confirmant leur
parole par des prodiges qui I'accom-
pagnaient.
bit : super segros manus imponent,
et bene habebunt.
Ac^28, 5;/(i. 28.8.
19. Et Dominus quidem Jesus,
postquam locutus est eis, assumptus
est in ccBlum, et sedet a dextris Dei.
Luc.%\, 51.
20. 111! autem profecti prsedicave-
runt ubique, Domino cooperanle, et
sermonem confirmante, sequentibus
signis.
€te confere precedemment aux Doiize. —
4° Si mortiferum quid biberint... Grfice au
privilege concede par Jesus a ses disciples,
cpux-ci n'auronl a redouler ni le venin des vi-
peres, ainsi qu'il vienl d'etre dil, ni les autres
poisons quels qu'ils soient. Le nom sacre du
Seigneur sera pour eux un puissant antidote.
La tradition raconte que S. Jean I'Evange-
liste et plusieurs autres saints personnages
ochapperent ainsi a one mort certaine. —
5o Super cegros.... Dans le grec, sttI appwcrxoy;,
sur les intirmes, les invalidos. Uni- simple
imposition des mains, et, comme resultat, le
prompt et entier retablisscmenl de la sante,
bene habebunt (I'expression xaXti^ £7.£tv est
aimee de S. Marc, qui en lait usage jusqu'a
six fois)! Pour I'accomplissement de cette
promesse, voyez Act. v, 15; xix, 12, etc.,
et S. irenee, ii, 32, 4. Elle aussi, elle avait
ete faite anterieurement aux Apotres. Cfr.
Matth. X, 1 ol parall.
b. V Ascension de Nolre-Saianeur Jesus-Christ,
XVI, 19-20; — Parall. Luc. xxiv, 50-S3.
Tableau d'une grandiose simplicite, qui
termine admirablement le second Evangile.
49. — Dominus quidem Jesus. Ce debut est
soli'nnel. Le litre de Seigneur, Kupio;, ainsi
applique au divin Maitre, n'est pas. comme
on I'a dit, « etranger a la diction de S. Marc »
(AHbrd), car notre Evangeliste I'emploie d'une
maniere analogue en deux autres endroits,
II, 28 et XI, 3. — Assumptus est (dveWjqjeY))
scil. « a Palre. » Ailleurs, Eph. iv, 40, I Pelr.
m, 22, on montre le Christ s'elevant au ciel
par sa propre vertu : ici et dans les Acles,
I, 2, H, 22 (Cfr. I Tim. in, 16) son Ascen-
sion est representee comme quelque chose de
passif. Cette ditference provient des points de
vue divers auxquels se -sonl places les ecri-
vains sacres : ici c'est la nature humaine de
Jesus, la sa nature divine qui est surtout
envisagee. Venu sur la terre d'une maniere
myslerieuse et toute celeste, c'est encore
d'une maniere mysterieuse et celeste que le
Sauveur quitte la terre pour retourner vers
son Pere. — Sedet a dextris Dei. Belle meta-
phore, pour exprimer que Jesus parlicipe a la
toiite-puissance de Dieu. Cfr. Act. vii, 55;
Rom. VIII, 34; Ejjh. i. 20-23. Ainsi done,
comme le dit Sedulius, Carm. lib. v.
^thereas evectns abit sublimis in auras,
El duxtram subit ipse Patns, mundumque giibernat.
20. — Illi autem profecti. Le pronom « illi »
designe les Apotres. Cfr. tt. 14, 15, 19. La par-
ticule« autem » [Bh] correspond a « quidem »
(jxev) du verset precedent. La vie de Jesus
paimi les hommes a pris fin avec TAscensiun,
aussitot commence, sans la moindre interrup-
tion, la vie de son E.i,'lise : c'est [)ar cette
grande pensee que S. Marc acheve son recil.
Voila pourquoi sesdernieres lignes sont con-
sacrees a decrire, avec cette rapid ile, ce pil-
toresque, cette concision, que nous avons si
souvent admiresdanssa redaction, lemmistere
des Apotres succedant a celuidu Christ, \'\l-
glise chretienne s'etablissant dans le monde
enlier. — Prcedicaverunt ubique. Dociles aux
ordresde leurMaitre, lesouvriersevangeliijues
se repandeni paitout. « Et quidem, |)uuvait
deja dire S. Paul, en leur appliquani un hxte
desPsaumes(xviii,5),inomnem lerram exivit
sonus eorum, et in fines orbis teriae verba
eorum. » Rom x, 18. — Domino coope route.
Si les disciples n'oublient pas les pr >sci'ipl ions
de Jesus, Jesus de son coie n'oublie i)as ses
promesses. 11 a dit :« Ecce ego vobiscum sum
omnibus diebus u-que ad co~umnia'ionem
saeculi », Matth. xxvni, 20, et vnici (|ii'en
offet, d'apres I'ener^ique parole rie S. Marc,'
il se lait le collaboraleur (auvepyouvTo?) de ses'
predicateurs. Et il manifeste sa colhiboralion
divine par les prodiges qui se multiplienl
sous les pas des Apotres, et qui communKju nt
a leur predication une efficacile loute divine.
L'hisloire de I'Eglise est la pour le prouver.
— Dans le texte grec, nous trouvons k la fin
du second Eivangile, comme a la fii du pre-
mier, un 'A[XTiv apocryphe et inutila.
TABLE DE L'EVANGILE SELON S. MARC
PREFACE
Pages.
I. — NoticebiographiquesurS.Marc. i VI. —
II. — Aulhenlicitedu second Evangile 4
III. — Integrite 7 VII. —
IV. — Originaetcompositiondiisecond VIII. —
Evangile 9 IX. —
V. — La langiie pri.nitive du second X. —
Evangile 43
Temps et lieu de la composition
du second Evangile. . .
Caractere du second Evangile.
Plan el division
Commentaleurs
Division synoplique de I'Evan-
gile selon S. Marc. . . .
Pages.
U
45
18
19
20
TEXTE, TRADUCTION, COMMENTAIRES.
PREAMBULE
Le Pr6curseur.
CHAPITRE 1 22
PREMlfiRE PARTIE
Vie publique de Notre-Seigneur
Jesus-Christ.
CHAPITRE I (suite) 30
CHAPITRE II = 41
CHAPITRE III 51
CHAPITRE IV 63
CHAPITRE V 77
CHAPITRE VI 88
CHAPITRE VII 106
CHAPITRE VIII 118
CHAPITRE IX 130
CHAPITRE X 144
DEUXlfeME PARTIE
Les derniers jours et la Passion
de Jesus.
CHAPITRE XI 158
CHAPITRE XII 168
CHAPITRE XIII 180
GIL-kPITRE XIV 190
CHAPITRE XV 209
TROISlfiME PARTIE
Vie glorieuse de Notre-Seigneur
J6sus-Clirist.
CHAPITRE XVI 221
FIN DE L'EVANGILE SELON S. MARC
J
LA
SAINTE BIBLE
fiVANGILE SELON S. LUC
IMPRIMATUR
•J- J. Hipp. Card. Guibert, archiepiscopus Parisiensis.
Parisiis, die la januarii, 1882.
Pour donner une id^e de I'esprit dans lequel notre travail
a H6 cotiQU et execute, nous ne croj'ons pas pouvoir mieux
t'aire que d'einprunter k Saint Bernard (Ep. clxxiv, u. 9) la
protestation suivante :
Bomanx' prsr-sertim Ecclesim auctoritati atqne examini,
totum hoc, sicut et csetera qum ejusmodi swil, universa
reservo, ipsius, si quid aliter sapio, paratus judicio emendare. »
PROPRIETE DE L'EDITEUR
S. Luc.
C
LA
SAINTE BIBLE
TEITE DE lA milATE, TRADWTM IRAJWSE EN MABD
AVEC COMMENTAIRES
THEOLOGIQUES, MORAUX, PHILOLOGIQDES, HISTORIQUES, ETC, KEDIGES d'aPRES LES MEILLEUR3
TRAVAUX ANCIENS ET CONTEMPORAIXS.
ET ATLAS GEOGRAPHIQUE ET ARCHEOLOGIQUB
EVANGILE SELON S. LUC
INTRODUCTION CRITIQUE ET COMMENTAIRES
Par M. I'abb6 L. CI. PILLION
Pretre de Saint-Sulpice, professeur d'Ecriture sainte a I'lnstitut catholique de Paris
TRADUCTION FRANCAISE
Par M. I'abbe BAYLE
Docteur en Theologie et professeur d'eloquence sacree h la Faculte de Theologie d'Aix
Ignorafio Scripturarum, ignorafio Christi est.
S. HlERON.
NOUVELLE EDITION
PARIS
P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-EDITEUR
lO, XTjie Oassette, 2.0
i8g7
L
EVANGILE SELON S. LUC
— »>5^ei«-4<. —
PREFACE
■ »>»iCH<-»« —
§ I. — NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR S. LUG (1).
Luc, en lalin Lucas, en grec Aouxa?, est la forme abregee de Lucianus
(Aouxcavo?), ou de Lucilius (AouxtXto;), ou plus probablemenl de Lucanus
(Aouxavo?) : plusieurs anciens manuscrils de I'llala (2) intitulent en effet Ic
Iroisieme Evangile « Evangelium secundum Lucanum (3). »
Ge nom apparait trois fois dans les ecrits du Nouveau Testament, Col.
• iv, 14; Philem. 24; II Tim. iv, 11, et toujours, d'apres le temoignage
unanime de I'antiquite, pour designer letroisieme des evangeiistes synop-
tiques. Mais c'est a tort que divers auteurs anciens et moderncs ont essaye
d'identifier S. Luc avec les deux personnages nommes « Lucius » dont il
est question au livre des Actes, xiii, 1 (4), et dans TEoitre aux Romains,
XVI, 21 (5).
Nous possedons sur la patrie et rorigine de S. Luc des renseignements
patristiques du plus grand prix.
L'liistorien Eusebe et S. Jer6me s'accordent pour le faire naitre a An-
tioche, capitale dela Syrie. AouxS? to ys'vo? wv twv o.tz' 'Av-ioydai, dit le premier,
Hist. Eccl. Ill, 4. De meme S. Jer6me : « Tertius (Evangelisla) Lucas...,
nalione Syrus, Antiochensis, » Prooem, in Matth. (6; Gelte tradition, bien
qu'on I'ait parfois attaquee, vaut assurement les conjectures de Greswell
et d'autres protestants contemporains, qui attribuent sans la moindreappa-
[\) Voyez Fabri, Vita lii S. Luca Evangelista, Venisft 1643.
(2) En parliculier les Cod. Vercell., Vindobon., Coitonian. Comp. Palrizi, de Evangel, libri
tres, I, 62.
(3) Les abrevialions de ce genre eiaicnt Ires frequenles cliez les Grecs el, les Romains; par
exemple Zenas pour Zenodore, Demas pour Demetrius, Arlemas pour Arleuiidore, Cleopas pour
Cleopater, Hermas pour Hermagoras, Alexas pour Alexandre, etc.
(4) « .Sed et, Lucium quidam ipsum perliibenl esse Lucam qui evangelium scripsil, pro eo
quod Solent nomma interdura seciinduiu palriam decliiiationem, interdum etiam secundum
graecara romanamque proferri. » Orig., Comm nt. in Ep. ad Rom. xvi, 21. Comp. Baronius,
Annal. ad ann. 58, no 57.
(5) Voyez Ad. Maier, Einleit. in die Schriften des N. Test., Fribourg 1852, p. 88.
(6] Comp. S. Jean Chrysosl., Horn, in Malih. i ; Tillemoni, Memoires ecclesiast . ii, p. 60. .
S. BlBLK. S. Lcc. — 1
2 fiVANGILE SELON S. LUC
rence de raison aiix Tilles de Troas ou de Philippes I'honneur d'avoir
doimo le jour a notre evangeliste.
S, Luc, par sa naissance, n'apparteuait pas au judaisme, mais a la gen-
tilite. Cela ressort tres clairement del'Epitre aux Golossiens, iv, 10 et ss.,
oil S. Paul, apres avoir mentionne trois de ses amis et collaborateurs, Aris-
larque, Marc et Jesus le Juste, en prenant soin d'ajouter qu'ils etaient
Juifs d'origine (« qui sunt ex circumcisione, » ^. 11), en nomme trois
autres, Epaphras, Luc et Demas, sans indication du meme genre, ce qui
suppose que ces derniers etaient nes de parents paiens. Les hebraismes
que Ton rencontre en plusieurs endroits des ecrits de S. Luc ne prouvent
rien contre celte conclusion, car ils s'expliquent Ires bien par les sources
juives auxquelles I'auteur du troisieme Evangile et des Actes a du. parfois
puiser. — Des quatre evangelistes, S. Luc est done le seul qui soit issu de
la gentilite. 11 est tres possible neanmoins, suivant une croyance qui
etait deja generale du temps de S. Jerome (1), et qui est aujourd'hui encore
assez communement admise, qu'il se soit fait affilier a la religion juive en
devenant proselyte (2), avant de se convertir au christianisme. Par la
s'explique sa parfaite connaissance des usages Israelites.
S. Paul nous apprend que S. Luc exercait la profession de medecin.
cf Salulat vos, ecrit-il aux Golossiens, iv, 14, Lucas medicus carissimus. »
Et Ton trouve une confirmation de ce fait non seuleraerit dans les nom-
breuses assertions des ecrivains ecclesiastiques des premiers siecles,
mais jusque dans les pages du troisieme Evangile et du livre des Actes.
Des termes techniques y trahissent en effet a differentes reprises le
« Doctor medicus. « Par exemple, iv, 38, I'auteur prend soin^de dire que la
belle-mere de S. Pierre etait malade d'une grande fievre, -rnjpsTw [j.f^'Uta, ex-
pression (ju^on rencontre precisement dans Galien. Dans les Actes, xiii,
11, il designe la cecite par un mot rare, ax^u?, egalemeut employe par
Galien. Ailleurs, Luc. xxii, 44, etc.^ il signale des pheuomenes patholo-
giques que les autres evangelistes avaient passes sous silence (3). Ges
traits sontassurement significatifs.
Partaiit de ce fait, et s'appuyant d'une part sur ce que les noms d'es-
claves eiait freqiiemment abreges en as comme celui de S. Luc (4),
d'aulre part sur ce que, chez les Grecs eta Rome, les medecins etaient
souvent de condition servile (5), divers exegetes ont pretendu que notre
evangeliste aurait ete un esclave affrancbi. "Mais rien, dans la Bible ni
dans la tradition, ne vient justifier cette singuliere hypothese.
S. Luc aurait-il etc peinlre en meme temps que medecin? G'etait la
croyance de S. Thomas d'Aquin (« Unde et B. Lucas dicilur depinxisse
Ghristi imaginem qu[e Romse habetur ») (6), comme aussi celle de Simon
Metaplirasle au milieu du x« siecle (7). Nicephore (xiv^ siecle) n'est done
pas le premier, ainsi qu'on le repete souvent, a menlionner cette opi-
(1) Quae-', in Gon. c. xlvi.
(2) Voycz Mallh. xxiii, 15, cl le commpnlaire.-
(3) Voyez Michaelis, Einlcit., ii, p. 1079.
(4) Voyoz p. \, el Kilto, Cydopa'dia of bibl. Literature, s. v. Luke.
(5) Comp. Suclon., In Caio, c. vm ; Senec, De benef. iii, 24; Ouintil., vii, 2, no 26.
(6) Summa, p III, q. 23, a. 3.
(7) Vita Luc, c. vi.
PRfiFACE 3
nion (1). Quoi qu'il en soit de rauthenticite des tableaux qui lui ont ete
altribues, il est certain, et le commentaire le fera voir a chaque instant,
que S. Luc avait une ame d'artiste, et qu'il excelle dans les descriptions de
tout genre, specialement dans les portraits psychologiques (2).
A quelle epoque et dans quelles circonstances S. Luc devint-il chretien?
La tradition est a peu pres muette sur cette question, a laquelle on ne pent
repondre, par consequent, qu'a I'aide de conjectures plusou moins hazar-
dees. Toutefois, S. Luc etant originaire d'Antioche, il parait vraisemblable
qu'il ait appris a connaitre et adopte la religion de Jesus dans cette ville,
qui posseda de si bonne heure une chretiente florissante, formee en
grande partied'elements paiens(3).Tertullien insinue Dieme,adv. Marcion.
IV, 2, que S. Luc aurait ete converti par I'apotre des Gentils en per-
sonne (4) : ce qui expliquerait tres bien du reste leurs rapports intimes
dont nous allons bientot parler.
S. Epiphane, adv. Hser. li, 6, et d'autres auteurs a sa suite, font de
S. Luc un des soixante-douze disciples. Qiielques-uns des partisans de
cette opinion alleguent, pour la justifier, que le troisieme evangeliste a seul
raconte I'envoi des soixante-douze, les instructions que Jesus leur adressa,
leurs travaux et leur retour (o). Mais S. Luc les a en quelque sorte refu-
tes d'avance, des le debut de son Evangile (6), en affirmant d'une ma-
niere implicite qu'il ne fut pas temoin oculaire des choses qu'il raconte.
Au reste, « TertuUien (7) dit comnie une chose constante que S. Luc n'a
point ete disciple de Jesus-Glirist... Le memeTerUiIlien etS. Irenee (8) se
contentent de I'appeler Homme apostolique (9). » Le canon de Muratori
affirme tout aussi nettement, que S. Luc « Dominum tamen nee ipsevidit
in carne. »
Le sentiment d'apres lequel notre evangeliste serait I'un des deux dis-
ciples d'Emmaiis (10) ne repose pas sur des fondements plus solides.
Mais voici que S. Luc va devenir son propre biographe pour une partie
considerable de sa vie. Sans senommer, et pourtant d'une facon tellement
claire qu'il est impossible de s'y uieprendre (I'l), il raconte en abrege le
ministere evangelique qu'il eut le bonheur d'exercer dans la societe de
S. Paul pendant plusieurs annees. « Le tres cher medecin, » partant de
Troas avec TApotre des nations, au moment oiicelui-ci se disposait a pas-
ser en Europe pour la premiere fois, I'accompagna jusqu'a Philippes, en
(i) Hist. eccl. n, 43; av.pwg t:?iv !;wYpa9ou te'/.v/iv eczm(j-i\i.Byoz. S. Liic aiirail fait, d'apres cet
aiileiir, les porlraits de Nolie-Seigiieur Jesiis-Chrisl, do la sainle Vierge el des priiicipaux
Apclrfs.
{i) Voyez Manni, Del vero piltore Luca, Florence 4764; Faber, Bethlehem, passim; Boii-
-e;aud, Jesus- Christ, 2e edit. pp. 87, 88, 93.
(3) Coinp. Act. XI. 19-30.
(4) « Lucas, non apostolus, sed apostolicus; noii inagister, sed discipuhis, ulique magistro
•Hinor, cerLe lanlo posterior quanto posterioris aposloli sectator, Pauli sine dubio. a
(5) Luc. X, 1 el suiv.
(6)1. 1.
(7) Loco ciiato.
(8) Lib. I, c. 20.
',9) Cairaet, Commentaire liUeral, t. XX, p. 182, Preface sur S. Luc.
(40; Luc. XXIV. 13 et ss. Voyez Tlioopliylacto, Comm. h. L
(11) Conip.S. Irenee, Haer. iii, 14. Voyez les commentairesdu livre des Actes, aux passage*
indiques ci-apres.
4 fiVANGILE SELON S. LUC
Macedoine, Act. xvi, 10-17 (1). Plus tard, Act. xx, d et ss., nous le retrou-
vons dans cetle meme ville avec son illustre maitre : ils traversenl de
nouveau THellespont, mais en sens contraire, pour rentrer a Troas, d'ou ils
font route ensemble vers Jerusalem en passant par Milet, Tyr el Gesaree.
Ibid- XX, i3-xxi, 17. Tout trahit le temoin oculaire dans ce recit plein de
details interessants. G'est sur ces entrefaites qu'eut lieu I'arrestation de
S. Paul a Jerusalem et sa longue incarceration a Cesaree. Quand le grand
Ap6tre, apres son appel a Cesar, fut dirige sur Rome avec d'autres pri-
sonniers, sou fidele S. Luc le suivit encore et parlagea son naufrage, ce qur
nous a valu Tune des narrations les plus vivantes et les plus instructives
du Nouveau Testament. Gf. Acles, xxvii, 1-xxviii, 16.
Quelques annees apres, durantsa seconde captivileromaine, S. Paul nous
montre lui-meme S. Luc a ses c6Les, comme un ami dont rien ne peut
ebranler I'iitlacljement : « Lucas est mecum solus ». II Tim. iv, 11 (2).
Que devint I'evangeliste apres la glorieuse mort de son maitre? Le&
sources certaines nous abandounent ici, et nous ne pouvons parser que
d'apres des traditions presque toujours indecises et flotlantes, quand
elles ne sont pas directement contradictoires. On nous le montre du moins
comme un missionnaire infaligable, qui porta en de nombreuses contrees,
meme jusque dans les Gaules d'apres le temoignage de S. Epiphaue (3)
le nom et la doctrine du Seigneur Jesus. L'Achaie semble toutefois avoir
ete le principal theatre de ses travaux (4).
II mourut martyr (5), a un age assez avance (6), probablement durant
le dernier quart du premier siecle chretien. Sedulius (7) ditexpressemeut
qu'il avait garde, comme S. Paul, une virginite perpetuelle. En 357, la
vingtieme annee du regne de Gonslance, ses precieux restes furent solen-
nellement transportes a Gonstautinople (8). G'est en verlu d'une tradition
legendaire qu'on montre aujourd'hui son tombeau parmi les mines
d'Ephese (Voyez Wood, Piscoveries at Eiiliesus, et Green, Pictures from
Bible Lands, p. 100).
L'Eglise celebre sa fete le 18 octobre (9).
§ II. — AUTHENTICITE DU TROISIEME ^VANGILE.
L'authenticile du troisieme evangile n'est pas moins certaine que celle
(1) Voyez V. Ancrssi, Atlas geogr. pi. XIX; R. Rie-^s, Atlas de la Bible, pi. V. Suivatit
S. Jeiome, De vins ill.c. vii, le(lisci|jle qui accomp.igna Tite a Gorintlie pour y recueillir les^
auniones dt^-^ (idelcsau nom de S. Paul (U Cor. viii, 18 et ss.), ne seraiL autroqueS. Luc.
'2) Poui' la cliioiiologie de celle parlie de I'liisloire de S. Luc, voyez Drach, Epitres de-
S. Paul, pp. Lxxii el LXXiil.
(3) //(PC, 1. LI, 11.
(4) Coinp. S. Greg, de Naz. Oral, xxxm, II; Garm. XII de veris S. Script, libris. Voyer.
D. Ciiliiv t, Piefaee sur S. Luc, p. 183.
(5) En Grece, pendu a un olivier, d'apres Nicephore, Hist. Eccl. ii, 43; en Blthynie, sui-
vanl S. Isidore, De orlu et de obilii Patrum, c. xcii.
(6) A soixanle-quarlorzo ou a qualre-vingl-un ans, selon les differenles traditions. Voyez
Niceplioie el S. Isidore, 1. c.
C?) Arguin. in Luc. Collect, nov. Vol. ix, p. 177.
(8) Coinp. S. Jei ome, De vir. illustr., c. vii ; S. Jean Damasc. ap. Spicil. rom. ed. Mai^
t. IV, p. 352. y ^ ^
(9) Voyez le Marlryologo remain, liac die.
PREFACE 5
des deux premieres biographies de N.-S. Jesus-Christ (1). Nous avons, pour
la demonlrer, des temoignages nombreux, qui remontent jusqu'aux temps
aposloliques (2). Nous pourrions dire que rauthenlicile du livre des Actes,
doiit oil aetabli ailleurs (3) Texislence par les raisonnemeuts les plusplau-
sibles, est un stir garant de celle de noire evangile, I'auteur des deux
ecrils etaiit le m^me, et affirmant en termes formels, Act. i, 'l.qu'il n'a
compose le second que pour completer le premier. Mais, pour le moment,
nous ne voulons faire apfiel qu'a la tradition proprement dite.
I. Les temoignages directs, c'est-a-direceuxqui designent nommeraent
S. Luc comme I'auteur du troisieme evangile, ne depassent pas, il est vrai,
le second siecle. Toutefois,il faut remarquer«qu'ilsne sent point I'expres-
sion du sentiment individuel des ecrivains chez qui ils se rencontrent,
mais qu'ils apparaissentaccidentelleraent, comme I'expression de la con-
viction antique, non interromjiue et non contestee, de I'Eglise enliere. Ges
ecrivains expriment le fait comme une chose que persoiine n'ignore. lis
n'auraient pas songe al'enoncer si une circonstance speciale ne lesy avait
appeles. Par ce caraclere ecclesiastique, tout a la fois universel et here-
ditaire, ces temoignages, lors meme qu'ils ne datent que du ii® siecle.
nous permeltent done de constater la conviction du premier. Ge qui
regnait alors, en efTet, ce n'etait pas la critique individuelle, mais la tra-
dition (4). » Le silence de Papias, que les rntionalistes aiment a nous
opposer, n'enleve done a S. Luc aucun de ses droits d'auteur (5).
Le premier temoignage formel est celui de S. Irenee. II est extreme-
men t net et precis ". AouxS? Bl 5 axoXouOoc UauXou to utt' £X£ivou xripuff<70i;L£vov euayyeXtov
ev ptSXtto xare'eeTo. Hser. Ill, 1 ; comp. XIV, 1. Du restc, le grand eveque de
Lyon cite plus de quatre-vingt fois le troisieme evangile.
A la m^me epoque (fin du second siecle), le Canon de Muratori (6) pro-
mulguait comme il suit, dans son curieux latin, Taulhenticite de I'evan-
gile selon S. Luc : « Tertio (tertium) Evangelii lihrum secundo (secundum)
Lucam. Lucas iste medicus post ascensum Christi, cum eo (eum) Paulus
quasi ut juris studiosum secundum assumpsisset, numine (nomine) suo
et opinione concriset (conscripsit) ; Dominum tamen nee ipse vidit in
carne, et idem, prout assequi potuit, ita et ab nativitate .Toannis incipet
{incipil) dicere. »
Tertullien n'est pas moins explicite : « In summa, si conslat id verius
quod firius, id prius quod ab initio, quod ab apostolis, pariter utique con-
stabit, id esse ab apostolis traditum, quod apud ecclesias apostolorum fue-
rit sacrosanctum... Dico itaque apud illas, nee jam solum apostolicas, sed
(\) « Rien de tres grave, ce sonl les paroles de M. Renan, ne s'oppose a ce cju'oii lienne
Luc pour lauteiir de I'Evangile qu'^m liii allribue. Luc n'avait pas assoz de celebnle pour
qu'on Hxpldiiat son nom en vue de donner de I'aulorile aim livri^. » Les Evangiles, Paris 1877,
p. io'i. Meme ainsi foimule I'aveii ne laisse pas d'avoir son prix.
(2 Nous laissnns de cole les preuves intiiiiseques, doni. la force probante nous parail con-
teslable. Voyez Langen, Grundriss der Einleit. in das N. T., Fribourg 1868, p. 44 el suiv.
(31 Voir le comminlaire. Preface. § 1.
(4) Godeu Commentaire sur I'Evaiigile de S. Luc, 2e edit., t. I, p. 32.
^5) L(* lecteiir se rappellc qij(^ Papias alliibue expressemenl a S. MaUhieu et a S. Marc la
composiiion du [inmicr ( t du second Evangile. Voir nos commenlaires, I. 1, p. 8; 1. II, p. 4.
On sail (lu resle que nous no possedons que de rares fragments des ceuvres de Papias.
(6) Voyez sur ceite piece imporlanle le P. de Valroger, Intrcd. hist, et crit. aux livres du
N. T., I. 1, p. 76 el suiv.
6 EVANGILE SELON S. LUC
apiid universas, quae illis de socielate sacramenli confoederantur, id;
evangelium Liicse ab initio editionis stare, quod eum maxime tuemur (1). »■
On Ic voit, comme nous le disions plus haut, nous n'entendons pas seulo-
ment ici le sentiment prive d'un grand docteur, mais la croyance de toute
Tancienne Eglise.
Origeue, cite par Eusebe. Hist. Eccl. vi, 2o, s'exprime ainsi sur le troi-
sieme evangile '. Kal xpiTov to xaxa Aouxav, to uub IlauXou ETcaivouasvov ev^'^fi'kio'J , toT?
e-rrb toSv lOvoiv TZZ-KOir^xoTcii (2),
Eusebe lui-meme n'hesite pas a admettre cet evangile parmi les
iixoAoyouusva, c'est-a-dire parmi les livres sacres universellement reconnus
comme authentiques dans la primitive Eglise. Gf. Hist. eccl. in, 4.
S. Jerome enfm, car il est inutile de descendre plus bas que le qua-
trieme siecle (3), ecrit dans son traite De viris illustr., c. vii : « Lucas
medicusAntiochensis,utejus scripta indicant, grseci sermonis nonignarus
full; sectator Pauli et omnis peregrinationis ejus comes. Scripsit Evan-
gelium. »
On pent egalement regarder comme des temoins directs du plus grand
prix les antiques traductions latines (I'ltala et la Vulgate), syriaques,
egyptiennes , etc. , qui intitulent le troisieme evangile « Secundum
Lucam. »
n. Lestemoignages indirects sont peut-etre encore plusimporlants, soit.
parce qu'ils reraontent beaucoup plus haut, soit parce que nous les recevons
de la Louche des ecrivains heretiques tout aussi bien que de celle des
auleurs orthodoxes, soit enfm parce qu'il nous prouvent que le troisieme
evangile a toujoursete ce qu'il est aujourd'hui (4).
1° Les ecrivains orthodoxes. — S.Justin, dont les citations multiples
nous ont ete si precieuses pour etablir I'authenticite du premier evangile,
ne nous sera pas ici d'un moindre secours. Recueillons d'abord quelques
aveux significatifs d'exegetes rationalistes. « La connaissance qu'a Justin
de I'evangile de Luc, dit Zeller, est demontree par une serie de textes
dont les uns sont a n'en pas douter, les autres selon toute vraisemblance,
des emprunts faits a cet ecrit (o). » « Outre Matthieu et Marc..., Justin
utilise encore TevangiJe de Luc, » ecrit Hilgenfeld (6). Et Volkmar :
« Justin connait nos trois evaugiles synoptiques, et les extrait presque
en entier (7). » Quelques rapprochements justifieront ces dires.
Dialog, c. c : « La Vierge Marie, quand I'ange Gabriel lui amionca que
(1) Adv. Marcion. iv, 5.
(2; Comparez Clem. Alex., Strom, i, 24.
(3) Voir d'aulres nombreuses citations dans le savanl ouvrage de M. Westcolt. A general
survey of the Canon of the Neio Testament, 2e edit. Londres 1866.
(4) Le iecleur smdieux Irouvera des documents asspz complels sur cette question dans Da-
vidson, Introduction to the study of the N, T., Londres 1868. t. 11, pp. 19-23 ; Feilmoser,
Einleitung in die Biicher des N. B., 2e edit. pp. 180 et s^.; L. Hug, Einleitung in die Schrif-
ten des N. T.. 3e ed. t. I, pp. 33 et ss.; C. Tischendorf, Wann'wurden unsere Evangelien
verfassl? 4e ed. p. 16 el ss. ; Westcolt, L c, p. 83 et ss. Nous devons nous borner ici aux.
pnncipales indications.
(3) Apostelgeschichte, p. 26.
(b) Der Kanon, p 23, Comp., du meme auleur, das Evangel. Justin's, pp. 101 el ss.
(i)Ursprung unserer Evangelien, p. 91. Comp. S.misch, die Denkwiirdigkeiten Justin's,.
pp. <34 el ss.
PREFACE 7
I'Esprit dii Seigneur viendrait sur elle et que la puissance du Tres-Haut la
couvrirait de son ombre, et que par consequent I'etre saint qui naitrait
d'elie seraitleFils de Dieu, repondit : Qu'il me soit fait selon ta parole (1)! »
Comparez Luc. i, 26-30.
Dialog, c. Lxxviii : « Le premier recensement etant alors fait en Judee
sous Gyrinus, (Joseph) etait venu de Nazareth, ou il habitait, a Bethleem,
oil nous le trouvons maintenant, pour se faire inscrire. II appartenait en
effet a la tribu de Juda, qui habitait cette contree. » Comp. Luc. ii, 2.
Dialog, c. cm : « Dans les memoires composes, comme je Tai dit, par les
Apotres et leurs disciples, il est raconte que la sueur decoula par gouttes
(de Jesus), tandis qu'il priait et disait : C}ue cette coupe, s'il est possible,
s'eloigne de moi ! » Comp. Luc. xxii, 44.
Dialog, c. cv : « Expiranlsur la croix, il dit : Mon Pere, je remets mon
^me entre vos mains. » Comparez Luc. xxiii, 46.
Rapprochez semblablementi?/«/. li de Luc. xvi, 16 ; Apol. i, 16 et Dial.
CI de Luc. xviii, 19; Apol. i, 19 de Luc. xx, 34; Apol. i, 66 de Luc.
XXII, 19, etc.
La lettre des Eglises de Lyon et de Vienne (2), ecrite en I'annee 177,
cite clairement Luc. i, b et 6.
Dans celle de S. Clement de Rome, c. xiii, Volkmar lui-mSme reconnait
un texte de S. Luc, vi, 31, 36-38 (3).
2° Les ecrivaius heterodoxes (4). — Gerdou admeltait I'autorite du troi-
sieme evangile, comme nous I'apprend un ancien livre attribue a Tertul-
lien : « Solum evangelium Lucse, nee tamen totum, recipit (Gerdo) (o). »
Dans les PhilosopJioumena, vi, 35 et yii, 26, fious Yoyons Basilide et
les Valentiniens citernotre evangile (i, IS), preuve qu'ils en acceptaient
Tauthenticite (6). Heracleon en commente plusieurs passages (7); Theodote
argumente sur divers autres textes (8). De meme les Homelies Clementines,
comme on le voit en etablissant une comparaison entre les passages sui-
vants: Hom. xii, 3o, xix, 2 et Luc. x, 18; Horn, ix, 22 et Luc. x, 20; Hom.
Ill, 30 et Luc. IX, 5; Hom. xvii, 5 et Luc. xviii, 6-8. etc. (9).
Mais, de tons les temoignages heretiques favorables a I'authenticite du
troisieme evangile, le plus important et le plus celebre est celui du gnos-
tiqueMarcion (vers 138 de Tere chretienne). Desireux de faire disparaitre
du christianisme tout element qui rappelat le Judaisme, cet heresiarque
trancha, coupa a sa guise dans les ecrits du Nouveau Testament, dont v
garda seulement quelques epitres de S. Paul et I'evangile selon S, Luc,
non sans leur avoir fait subir des changements et des modifications consi-
derables, pour les approprier a son systeme. Nous avons pour temoins de
ce fait plusieurs Peres, qui lui donnerent un grand retentissement par
[^) Voir anssi A]toL i, 33.
(2) Ap. Eiiseb. Hist. eccl. v, 1.
(3) Maier, Etnleit., p. in, raentionne quelques autres citations moins cerlaines provenank
d'ecrivains apo?toliques.
(4) V' y z Wcstcolt, /. c, p. 237 et suiv.
(5) Pseiiiio-Terlull., De pr(escript. hcer. c. li.
(6) Goiiiparoz aussi S. Irenee, Hwr. i, 8, 4, et Luc. ii, 29, 36.
(7J in, 17; xii, 8, 9, ap. Clem. Al., k la suite des Stromates.
(8) Theodoli Ecloge, c. v, 14, 85.
(9) Voyez Gredner, Beitrage, 1. 1, pp. 284-330; Zeller, Aposlelgesch., p. 53.
S fiVANGlLE SELON S. LUC
leurs denonciations energiques. « Et super haec, dit S. Irenee, id quod est
secundum Lucam evangelium circuracidens, et omnia quae sunt de gene-
ratione Domini conscripta auferens, et de doctrina sermonum Domini
multa auferens.., semetipsum esse veraciorem quam sunt hi, qui evange-
lium tradiderunt apostoli, suasit discipulis suis; non evangelium, sed
particulam evangelii tradens eis (1). » Tertullien ecrivait de meme :
« Lucam videtur Marcion elegisse quem csederet (2). » Gomparez Orig.
Gontr. Celsum ii, 27; S. Epipliane, Adv. H<bi\ xlii, 11 ; Theodoret, Heret.
Fab. I, 24 (3).
Que suit-il de ce traitement inflige par Marcion au recit de S. Luc, de
maniere a former ce que le fameux gnoslique appelait fierement « I'evan-
gile du Christ? » La conclusion evidente est que le troisieme evangile
preexislait a Marcion, qu'il etait recu dans I'Eglise des la premiere moitie
du second siecle. — Mais lesralionalislesont pretendu tout autre chose (4).
Prenant pour base le fait que nous avons signale, ils ont ose soutenir,
malgre I'interpretalion si claire qu'en avaient donnee les Peres les plus
anciens et les plus instruils, que, bien loin de tirer son origine du troi-
sieme evangile canonique, la composition arbilraire de Marcion est beau-
coup plus ancienne que I'oeuvre dite de S. Luc, celle-ci n'etant en realite
qu'un remaniement tardif de celle-la. De pareilles assertions meriteraient
a peine une reponse. La Providence a neanmoins permis que d'autres
rationalistes devinssent sur ce point d'ardents defenseurs de la verite, et
qu'ils devoilassent au grand jour les secretes manoeuvres de leurs rivaux :
« Gette opinion, ecrit Hilgenfeld (5). a meconnu la tendance reelle de
I'evangile marcionite, dans le but d'attribuer au texte canonique la date
LA PLUS RECENTE POSSIBLE. » « Nous pouvous admettre comme demou-
tre et generalement accepte, dit pareillement Zeller, non seulement que
Marcion a employe un evangile plus ancien, mais encore qu'il I'a retra-
vaille, modifie, souvent abrege, et que cet evangile plus ancien n'etait
autre... que notre S. Luc (G). » La question est done desormais tranchee,
et Marcion devient, quoique malgre lui, un garant de Tauthenticite du
troisieme evangile.
Ajoutons enfin que le paien Celse (Gfr. Orig. adv. Celsum, ii, 32) connait
les difficultes exegetiques qui proviennent des genealogies de Notre-Sei-
gneur Jesus-Christ, preuve que I'Evangile selon S. Luc existait de son
temps.
(1) U(KY. I, Ti, 2.
(2) Conlr. Marcion., iv, 2.
(3) On Irnuvi'ra dans Thilo, Cod. apocvyph. N. T., pp. 401-486, et dans Volkmar, dot
Evangel. Mdrdon's, pp. 150-174, des fragments considerables de I'evangile de Marcion,
recueilli;i a Uavers les ecrils des Peres.
(4) A la fin du xviiie siecl ■ Semler et Eichhorn, de nos jours Schwegler, Baiir, Ritschl
(das Evangel. Marcions u. das kanonische Evangel, des Lucas, Tubing. 1846), etc.
(5) Die Eonugdien, p. 27.
(6) Apostelge.schichte, I. c. Volkmar, das Evangel. Marcion's, Leipzig 1852, developpe sa-
vammenl la meme lliese. Cedant a ces raisons, Ritschl s'est vu oblige de si' relracter, Theolog.
Jaltrb., 1851, pp. 528 et ss. Voypz encore, sur cette « qupslio vexata » d^'S rapports de
S. Luc el de Marnon. Hahn, das Ecamj. Marcion's, Koenigsburg 182i ; Heim, Marcion, sa doc-
trine et son evangile, Strasbourg 1862 ; Mgr Meignan, LesEvaiigiles et la critique au XIX^ si»-
cle, Bar-le-Duc 1864, pp. 317 et ss.
PRfiFACE 9
On a parfois atlribne un caractere apocryphe aux deux premiers cha-
pitres, qui racontent I'histoire de la Sainte Enfance de Jesus. Celte opi-
nion, qui n'avait aucune base serieuse^ a ete depuis longtemps aban-
donnee. Aujourd'hui, les critiques sonl d'accord pour admeltre I'Evangile
tout entier, ou pour le rejeler tout enlier (1).
§ III. — LES SOURCES DE S. LUC.
I. S. Luc, nous I'avons vu dans la notico biographique qui ouvre ce
volume, a eu de longiies et inLiraes relations avec I'Apotre des Gentils.
« A priori » nous devons nous attendre a trouver dans son Evangile fjuel-
ques reflets de la doctrine et du style de S. Paul. Mais voici que, grace a
la tradition et a la critique, nos conjectures sur ce point vont se changer
en une complete certitude.
Aouxa; 81, lisons-noUS dans S. Irenee (2) , axdXouQo; IlauXou, to utt' exstvou
XYipuffaop.£vo^ euaYYs'Xtov Iv ^i&\m xaxeOcTO. Origcne dit semblablement : xal TOTpixov
TO xata Aouxav to utio Hav'kou £7:aivou|jLevov euayysXtov (3). Tcrtullien (4), apres avoir
appele S. Paul le « magister » et 1' « illuminator Luese », ajoute : « Nam el
Lucae digestum Paulo adscribere solent. Gapit magistrorum videri quae
discipuli promulgarint (b). » L'auteur de la Synopsis S. Scrlptiine hus-
sement altribuee a S. Athanase (6), ecrit aussi que to xaxa Aouxav euocYY^Xiov
u7rr,Yop£u9-/) |j.£v uirb IlauXou xou (xtto'ctoXou, auvsYpa'f'O Se xai IqE'SoOvj utto Aouxa. Enfin, plu-
sieurs Peres assurent que, selon I'enseignement de divers exegetes qui
vivaient de leur temps, S. Paul aurait voulu designer directement le troi-
sieme Evangile loutes les fois que, dans ses Epitres. il emploie cefte
expression : Mon Evangile (7). <^aat Ss Jj? apa tou xax' aOxov (Aouxav) euayYeXtou
pLvvi;jLCViU£tv 6 nauXo; eUoOiv, u7rv;vtxa w; Trept toiou xivo? eumyy-Xiou Ypa'-oojv zXzyB, Kaxa to £uav-
YeXwv [xou. Eusebe, Hist. eccl. in, k. « Quidam suspican'tur quotiescumque
in epistolis suis Paulus dicit : Juxla evangelium meum, de Lucse signifi-
care volumine. » S. Jerome, De viris iUustr. c. vii (8).
Sans doute nous ne devons pas prendre trop a la lettre ces divers pas-
sages : S. Luc lui-meme s'y opposerait (9). II ressort toulefois tres claire-
ment de leur ensemble que S. Paul a joue un role important dans la com-
position du troisieme Evangile. Son influence devient tout-a-fait palpable
si, de la tradition, nous passons a Texamen de plusieurs faits qui ont
depuis assez longtemps attire I'attention des interpretes et des critiques.
Premier fait. S. Paul a insere dans sa premiere Epitre aux Corinthiens,
XI, 23 et suiv., le recit de Tinstitution de la divine Eucharistie : or, la
narration parallele de S. Luc, xxii, 19 et suiv., d'une part s'ecarte de
(1) Voyoz Lan'^r-n, Giundriss dor Einl., p. 45; Maier, Einlcilung, p. -IIS ct ss.
(2) Hwr III, i. Cfr. xiv, i.
(3) Ap. Eusob. Hist. ecii. vi, 2o.
(4) Conlr. Marcion. iv, 2.
(5) Ibid., iv; 5.
(6» P. loo.
(7) Par exempip, Rom. ii, 16 ; xvi, 25 ; II Tim. ii, 8.
(8) Coinp. S. Jean Chrys. Horn, i in Act. Apost.; Orig. Horn. I in Luc,
(9) Vo\ez I, I el ss.
<0 EVANGILE SELON S. LUC
celle des deux aulres synoptiques (1), d'autre part coincide d'une ma-
niere presque verbale avec celle de S. Paul. Gette coincidence n'est cer-
tainement pas accidentelle (2).
Second fait. On remarque, dans les ecrits du grand Apotre et dans I'Evan-
gile selon S. Luc, un grand nombre d'idees communes. Gomme son maitre,
Tevangeliste releve a chaque instant le caractere universel de la religion
du Christ; il parle de la justification par la foi, de I'activite de la grace
divine dans la remission des peclies, etc. Vo^-ez en particulier les pas-
sages suivants : i, 28, 30, 68 et ss.; ii, 31 et 32; iv, 2o et ss.; vii, 36 et
ss.; IX, 56; xi, 13; xiv, 16 et ss.; xvii, 3 et ss., 11 et ss.; xviii, 9 et
ss., etc., (3).
Troisieme fait. Souvent, la ressemblance n'existe pas seulement entre
les pensees : elle alteint meme les expressions. Nous pourrions, a la
facon de Holtzmann (4) et de Davidson (5), remplir des pages entieres de
locutions communes a S. Paul et a S. Luc. II suffira d'en citer quelques-
unes, choisies parmi celles qui n'ont ete employeeb que par ces deux ecri-
vains sacres : 'Ao-ajao;, Luc. xi, 44 et I Gor. xiv, 8; abvi'Sto;, Luc. xxi, 34
et I Thess. v, 3; ai/aaAWTi'reiv, Luc. xxi, 24 et II Gor. x, 3; aXV ouoi, fre-
quemraent de part et d'autre; ava).w(7a'., Luc. ix, S4 et Gal. v, 15, II Thess,
II, 8; avTaTTo'Soixa, Luc. XIV, 12 et Rom. xi, 9; aTroAu-fwat?, Luc. XXI, 18 et sou-
vent dans S. Paul; apo-ciav, Luc. XVII, 7 et I Gor. ix, 10; IxStioxsiv, Luc.
XI, 49 el I Thess. ii, 1 5 ; eTtttj^s^sTcOat, Luc. et I Tim. iii, 5; xaraystv, Luc. v, 11,
Actes, et Rom. x, 6; x-jcieu^tv, Luc. xxii, 23 et Rom. vi, 9; ozraata, Luc, Act.
et II Gor. XII. 1 ; -jravojcyia, Luc. xx, 23 et II Gor. iv, 2, xi, 3; vtmt.'Ai;,z'.w, Luc.
xviii, 0 pt I Gor. IX, 27, etc.. etc. Gomparez aussi Luc. iv, 22 et Gol. iv, 6;
Luc. IV, 36 et I Gor. ii, 4; Luc. vi, 36 etil Gor. i, 3; Luc. vi, 48 et I Gor.
III, 10; Luc. VIII, 13 etGol. i. 10, 11; Luc. x, 8 et I Gor. x, 27; Luc.
XI, 36 et Eph. v, 13; Luc. xi, 41 et Tit. i, 13, etc. On le voit, « Fesprit de
I'evangeliste etait tout impregne des vues et de la phraseologie de
S. Paul (6). )) Aussi les critiques meme les plus sceptiques avouent-ils
qu'il est impossible de meconnaitre Taffmite qui oxiste entre I'Evangile
selon S. Luc et les epitres de S. Paul (7).
II. De meme que S. Pierre (8), S. Paul a done aussi d'une certaine ma-
niere son Evangile. Neanmoins, s'il exerca sur la rt§daclion de S. Luc
une influence incontestable, il ne I'exerca pas d'une maniere exclusive.
La tradition estde nouveau tres explicite sur ce point. S. Irenee, £[<£>'. iii,
(1) Comp. Malth. xxvi, 26 et ss., el Marc. xiv. 22 et ss.
(2) Gomparez encore d'lin cole Luc, x, 7; I Tim. v, 18, de I'autre Mallh. x, H.
(3) Voir aussi ce que nous dirons plus bas du but et du caraclere du troisieme Evangile,
§§4el5. ^
(4) Die synopt. Evangelien, Leipzig 1863, pp. 316 et ss.
(5) Introduction, I. IJ, pp. 12 et ss.
(6) Davidson, I. c, p. 19.
(7) Voir Gilly, Precis d' introduction a rEcriture Sainte, t. Ill, p. 221. II est vrai que quel-
ques-uns d'entre eus, par exemple I'Anonyme saxon ;Cfr. I'excellenl ouvrage dp M. Vigouioux,
La Bible cl les decouvertes modernes, I. I, p. 21 ct ss. de !a 2e edit.) ot i'ecoie detubinguu
(ibid. p. 79 et ss.), ont conclu de ia que noire Evangile est « un ecrit de tendance » desune
a operer une conciliation enlre le Pnulinisme ei le Petrinisme ; mais nous avons vu ailleurs
(Commentaire sur S. Malth., p. 18) le cas quil faul faire de pareilles assertions.
(8) Voyez I'Eoangile selnn S. Marc, p. 11 el 12.
PREFACE 44
10, 1, appelle S. Luc « sectator et discipulus Apostolorum (!) ». S. JerOme
dit de lui, d'apres des temoignages auterieurs, qu'il n'avaitpas seulement
appris I'Evangile de la boiiche'de I'Apotre S. Paul, « sed et a ceteris
ApOSTOLIS (2). » Suivant Eusebe (3), AouxS?... la ■Kkz'iaz-x auy^vpvdic, -rwIIauXw,
xat ToT; Xo'.ttoT; Sk ou Tracecyto; twv aitociTOAOJV waiXrjXWS, '?!? aTio to'jtcov TrpoaexxyjuaTO 'l'Uy(_c5v
QEpaTTSuTtx^i;, Iv S-jatv rjiJiTv uTroSEiyijLaTa OeoTcvEuaxot? xaTaXeXo'.TTc 8i6Xtot;.
Mais S. Luc est lui-merae encore plus affirmatif dans son Prologue,
I, 1 et ss. : « Quoniam quidem multi conati sunt ordiuare narralionem
quae in nobis completse sunt rerum, sicut tradiderunt nobis qui ab initio
ipsi viderunt et minislri fueruut sermonis, visum est et mihi, assecuto
omnia a principle diligenter, ex ordine tibi scribere, optime Tlieo-
phile (4). »
L'evangeliste S. Luc n'ayant pas eu le bonheur de contempler de ses
propres yeux les evenement divins qu'il voulait raconter, fait ainsi con-
naitre a ses lecteurs a quelles sources il recournt pour se procurer des ma-
teriaux bien authentiques. Avant tout, il s'adressa a des temoins oculaires
de la vie de Jesus (3), et il recueillit de leur bouclie les traditions qu'ils
avaient fidelement conservees. Or, « si nous cherclions, dans le cercle des
Ap6tres, quels liommes peuvent lui avoir fourni des renseignements, I'liis-
toire nous montrera d'abord S, Barnabe, fondateur de I'Eglise d'Antio-
che..., ensuite S. Pierre, aveclequel S. Luc fit cerlainement conuaissance
a Antioche..., puis S. Jacques de Jerusalem, frere du Seigneur, avec le-
quel notre evangeliste entra en relation (Act. xxi, 18), et qui, etant
membre de la sainte Famille, pouvait lui donner les renseignements les
plus stirs au sujet des premiers temps de la vie de Notre-Seigneur Jesus-
Christ (6). » Dans le cercle moins intime, il est vrai, mais plus nombreux
des disciples, il fut plus facile encore a S. Luc de recueillir de precieuses
informations sur le ministere du Sauveur. Ses longs voj^iges, ses sejours
a Jerusalem, a Antioche, a Gesaree de Palestine, en Grece, a Rome, du-
rent le mettre en rapport avec cent personnes dignes de foi, qui lui appri-
rent sur Notre-Seigiieur Jesus-Christ les ravissants details qu'il nous a
seul conserves.
La tradition orale, telle fut done la principale source a laquelle il
puisa. Mais il eut aussi a sa disposition les documents ecrits dont il parle
dans son Prologue. G'etaient, comme nous dirions aujourd'hui, de&
« Essais » plus ou moins considerables, s'occupant, les uns peut-etre de
la vie entiere de Jesus, les autres, la plupart sans doute, du compte-rendu
fragmentaire de telle ou telle partie de son ministere public, par exemple,
de ses discours, de ses miracles, d'autres encore de son Enfance, de sa Pas-
(1) Comp. Ill, 14, 1 et 2.
(2; De viris illuslr. I. c.
(3) Hist. eccl. iii, 4.
(4) Voyez le Commontaire.
(5) S. Paul ne I'avait pas ote.
(6) D,' Valroger, Introdurlion Iiist. et critique aux livres du N. T., t. II, p. 77 et siiiv. Pe-
trus Cantor (f vers la fin du xne siecle) pensait deja que S. Luc avait recueilli de la bouche
merae de la Tre-Sainle Vierge la plupart de> trait- qui remplisscnl los deux premiers cliapi-
tres do son Evangile. Comp. Pilra, Spicilegium Solesmense, ii, 67 ; Wiseman, Melanges reli-
gieuXj etc., p. 166 et ss. Cette pieuse opinion n'a rien que de Ires vraiscmblable; aussi a-t-
elle ele adoptee m6me par des exegetes protestanls. Cfr. entre autres Grotius, Annotat. in
Luc. II, 5.
ii fiVANGlLE SELON S. LUC
sion, etc. S. Luc puisa dans une piece de ce genre sa genealogie de Jesus,
III, 23 et ss., probablement aussi le « Benediclus », le « Magnificat », le
cc Nunc dimittis », sinon tout le recit des premieres annees du Precurseur
et de Jesus (1). — A-t-il egalement mis a profit les Evangiles de S. Mat-
thieu et de S. Marc, composes, selon toute vraisemblance, avant le sien?
Les critiques se sont prononces en sens contradictoires sur cette question,
qui a ele de nos jours vivement debatlue. On trouvera dans notre Intro-
duction generale les elements de cette grave et delicate controverse, qui
ne forme qu'une partie accessoire dans la vaste discussion relative aux
rapports reciproques des trois synoptiques.
G'est d'une facon toute arbitraire que divers rationalistes d'outre-Rhin
ont essaye de reconstituer exactement, dans le detail, les sources dont
S. Luc fit usage pour composer I'Evangile qui porte son nom. Schleierma-
cher (2) s'est cru assez perspicace pour distinguer dans le troisieme Evan-
gile quatre series de documents anterieurs a S. Luc, et compiles, cousus
ensemble, par le narrateur. Koestlin (3) constate de son c6te des sources
de provenance judaique, d'autres sources d'origine samaritaine. 11 n'y a
den de solide dans cette critique exageree (4).
§ IV. — DESTINATION ET BUT DU TROISIEME EVANGILE.
Ici encore, I'auteur lui-meme nous fournit de precieux renseiguements.
Nous n'avons done pas a insister beaucoup sur ces deux points^, grace au
Prologue que nous avons cite plus haut en grande partie.
1. Chose nouvelle et mfime unique dans la litterature evangelique, la
biographic deNotre-Seigneur Jesus-Christ selon S. Luc commence par une
dedicace : "EBoU xa[7.ol... aot ypa-lat, xpotTiaxe ©eo'cptXe, I, 3. Nous indiquerons dans
le commentaire les principales oi)inions qui se sont formees des I'antiquite
la plus reculee sur ce mysterieux personnage, auquel est dedie le troi-
sieme Evangile. II suffira de dire actuellement que ce devait elre un
homme d'une certaine distinction, paien d'origine et converti au Christia-
nisme. S. Luc, se conformant a une coutume alors en vogue dans Tempire
romain, le prit, suivant I'expression consacree. pour son « patronus libri. »
Mais, quoiqu'il s'adresse directement a Theophile, cela ne veut pas dire
qu'il n'ait ecrit en realite que pour lui. Un livre de ce genre n'avait pas
ete compose pour une destination si restreinte. Par I'intermediaire de son
illustre ami, I'evangeliste presentait done son oeuvre, ainsi que les Peres
Taffirmaient deja, soit d'une maniere plus speciale aux Eglises grec-
ques (5), soit a tons les convertis de la Gentilite (6), soit meme en general
(1) VoyezMaier, Einleilung, p. 107.
(2) Ueber die Schriften desLukas, Beilin 1847. Comp. Gfroerer, Gesch. des Urchristenthumt,
II, 1, pp. 33 el ss.
(3) IJer Ursprungu. die Composition der synopt. Evangelien, 1833.
(4) Voir MaitT. I. c, p. 106, nole 2.
(5) a Lucas igitur, qui inliT omnes Evangeli>tas graeci sormonis eruditissimus fuit, quippe
ut medicus, el tnii Evangeliuin Giaecis scripseril. » S. Jerome. Epist. w ad Dumas. Mapxo;
6' 'Ixali-^ lypai^e eaufiaxa XpiffToO, Aoy/.a; AxaiSi. S. Greg. Naz. Carmen de veris S. Script- H'jris,
XII, 31. Aciuxa; 6' '^E).).a5t aeTtTa 0£O-j tocSe 6ay[jiaTalypaiI/£v. Id. Carm. XXII, 5,. 1.
(6) Orig. ap. Euseb. Hist. eccl. in, 4 : xot; dTto xciv IQvuv.
PREFACE 13
k tous les Chretiens (1). Un examen attentifdu Iroisieme evangile corro-
bore ces donnees de la tradition, et montre que S. Luc n'avait pas en vue,
comme S. Malthieu, des lecteurs issus, au moins pour la pluj)art, du Ju-
daisme. En effel, im grand norabre de ses explications auraient ele par-
faitement inutiles pour des Juifs, tandis qu'elles elaient indispensables
pour des Gentils. Par exemple, iv, 31, « Descendit in Capharnaum, civi-
iatem Galil<B(B »; viii, 26, «Navigavcrunt ad regionem Gerasenorum, qu<B
est contra Gcdileam «; xxi, 37, « Morabatur in monte qui xocatiir Oli-
veti »; XXII, 1, « Appropinquabat aulera dies festus Azvmorum, qui di-
citur Pascha »; xxiii, 51, « Ab Arimallisea, civHate JudcscB »; xxiv, 13,
« Ibant... in castellum, quod erat in spatio stadioritm sexaginta ah Jeru-
salem, nomine Emmaus », etc. Gomparez ii, 1 et in, 1, oil I'evangeliste de-
signe par le regne et par le nom de deux empereurs remains la date de la
naissance de Jesus et du ministere de S. Jean-Baptisle.
2. Le but du troisieme evangile n'est pas moins clair que sa destina-
tion. G'est avant tout un but historique. Composer une biographie du Sau-
veur plus complete et mieux coordonnee que toutes celles qui avaient
paru jusque-la (2), fournir par consequent a ses lecteurs un nouveau
moyen d'affermir leur foi (3), telle fut la double fin que se proposa S. Luc.
G'est ce qu'exprime fort bien I'historien Eusebe (4) : '0 11 Aouxa? ac/o'asvo; xal
auTO? Tou xa-' auTov (iUYYfa[jL(x«Toi; r/jv aixtav 7rcou9r,X£, oC v^v TrsxoiriTa'. Tr,v ffuviacw St^mv, w;
aca TToXXoiv xal aXXoiv 7rcoTr£T£7T£cov £7rtT£Tr,0£uxdTOJv or/^Y''"|t>tv Trotr'aacSat cov auTo; 7r£7rXr,po'io'-
pr,TO Xoywv, avxY^aioj; a-aXXocTOJv yjua; ■ks.ci tou? aXXou? aaor|Ci(7"ou UTioXr/iiEw; . xbv aasaXv)
Xo'yov, triv a'JTO? ixavw; Tr,v oLkrfiv.'x^/ /.'■XTtikrfin, Ix t^? aij.a IlauXw (juvo-jGia; tj xal SiaTpiSv)?
xal Ty;i; twv aoittSv aTiojToXojv StxtXia? wcp£Xri[j.£vo?, Sta tou tStou Traceotoxsv euaYY'Xioj. Duraut
Fere apostolique, les discours et les actions de N.-S. Jesus-Ghrist formaient
la base de I'enseignement chretien; la catechese des premiers predica-
leurs s'appuyait toute entiere sur la vie du Maitre. En ecrivant a son tour
un abregede cette vie divine, S. Luccontribuaitdonc eminemmenl a la dif-
fusion du christianisme. Dix-huit siecles apres leur premiere apparition,
ses pages inspirees contribuent encore a fortifier dans les coeurs les con-
victions chretiennes. G'est seulement en ce sens qu'elles ont un but
dogmatique (b).
§ V. — CARACTERE DE L'EVANGILE SELON S. LUC.
1. Gomme nous Tavons indique plus liaut (6), en parlaut des rapports de
ressemblance qui existent entre le troisieme evangile et les epitres de
S. Paul, ce qui frappe surtout quand on etudie I'oeuvre de S. Luc en tant
qu'evangeliste, c'est son universalile. Les limites du christianisme y sont
aussi vastes que le monde. Jesus y apparait comme le Sauveur de tous les
hommes sans exception, mSme des paiens : « imo et gentium, « ajoute-
(1) S. Jean Chrysost., Horn, in Matth. I : 6 6e Aou-/.a; ate xotv^ uaat 5ta).£Y6(xevo;.
(2)Comp. I, i-3.
(3) « Ut cognoscas eorum verborum, de quibus erudilus es, veritatem », i, 4.
(4 Hist. tccl. MI, 24.
(5) Voyez p. 10, note 7.
(6) P. 10.
14 EVANGiLE SELON S. LUC
rons-nous avec S. Paul. Aiicune distinction n'y est etablie, sous le rapport
du salut, entre les Juifs et les Genlils, les Grecs et les barbares, les justes
et les pecheurs : on dirait pUitot que si, d'apres S. Luc, il y a quelque pri-
vilege a ce point de vue, ce sont les Gentils, les barbares' et les pecheurs
qui en jouissent (1).
Gitons quelques examples a I'appui de celte theorie. S. Luc, iii, 23 et
ss., communiquant a ses lecteurs la genealogie de Jesus, ne renionte pas
seulement jusqu'a Abraham, ainsi qu'avait fait S. Matthieu ; d'anneau en
anneau, il va jusqu'au pere de toute I'humanite : « Qui fuit Adam, qui fuit
Dei. » A la naissance du Redempteur, les anges, apres avoir annonco
d'abord ce grand evenement a des pasleurs juifs, se hatent d'en indiquer
les heureuses consequences pour tous les hommes : ev avQpwTcot? suooxt'oc, n,
14 (2). Quarante jours plus tard, c'est la bouche d'un fils de Jacob qui
profere ces mots sublimes : « Lumen ad revelationem gentium, et gloriam
piebis tuse Israel, » ii, 32. Au debut de sa vie publique, Jesus lui-meme,
a propos d'un passage d'Isaie, rappelle bien haut a ses compatriotes que,
des les jours d'Elie et d'Elisee, des pa'iens avaient recu les benedictions
divines de preference aux Israelites. Gfr. iv, 23-27. Ailleurs, ix, 32-56,
XVII, 11-16, nous le voyons accorder ses bienfaits meme aux Samaritains'
maudits. La parabole du festin, xiv, 16-24, annonce de meme que les
Gentils auront part au salut messianique.
Par combien de traits analogues S. Luc ne releve-t-il pas la predilection
accordee par le bon Pasteur aux ames les plus pauvres, les plus egarees !
Qu'il suffise de mentionner ceux de la pecheresse, vii, 37 et ss., et de I'en-
fantprodigue, xv, 11 et ss., comme deux des types les plus celebres (3).
Tandis qu'il met ainsi constarament en relief les dispositions bienveil-
lantes que Dieu nourrit, non-seulement a I'egard des Juifs, mais encore
a regard des pa'iens et des pecheurs, S. Luc passe sous silence les details
qui auraient pu blesser les convertis du paganisme (4), ou du moins qui
presentaient moins d'inter^t pour eux (5).
2. Nous indiquerons mieux encore lecaractere du troisieme evangile en
faisanfc voir la maniere dont S. Luc a trace le portrait de Jesus.
Fidele a sa promesse, il a donne a I'Eglise la plus complete de toutes les
biographies du divin Maitre (6). Prenant le mystere de Tlncarnation pour
point de depart, il conduit le lecteur jusqu'a TAscension de Jesus, atravers
lous les fails principaux qui constituent notre redemption. Sans lui, nous
(1) Noiis ne voiilons pas dire, assuremenl, que les aulres recils evangeliques n'enseigiienl
pas la meme doctrine : mais nous essayons de metlre en lumiere le cole specifique et caracle-
ristique du troisieme Evangile. Voyez Bougaud, JesioChrist, 2me drj., pp. 89 ^^t ss.
(2) Coraparcz ii, 1 et ss., oil Jesus nous est montre comme uii sujet de Cesar, comme un
ciloyen de I'empire remain.
(3) « A peine est-il une anecdote, une parabole propre a Luc qui ne respire cet esprit de mi-
sericorde el d'appt-l aux pecheurs.... L'Evangile de Luc est par excellence I'Evangile du par-
don. » E. Renan, leo EvangUes, p. 266 et ss. II est vrai que M. Renan ajoute aussilol :
« Toules les delorses lui sonl bonnes (a S. Luc!) pourfaire de chaque liisloire evangelique uive
msLoire de pecheurs rehabilites. » De quel cote sont vraiment les « delorses »?
(4) Vdyez Patrizi, de Eoangeliis, i, 78.
(5) Davidson, Iniroduction, t. U, p. 44 et suiv.
(6) « On a calcile qu'un tiers du lexte de Luc ne se trouve ni dans Marc ni dans Mal-
thieu. » E. Renan, Us Evaagiles, p. 266. Comparez Bougaud, Jesus-Christ, 2* ed., p. 92 et
SUIV,; S. Irenee, m, 44.
PRfiFACE <5
n'ciissions corinu que d'une maniere tres imparfaite Tenfance et la vie
cachee de Notre-Seigneur : grdce aux details qui remplissent ses deux
premiers chapitres, nous pouvons nous faire une jusle idee de cette impor-
tante periode. Sa description de la vie publique aboude en traits nou-
veaux, qui comblent de nombreuses lacunes. Un passage considerable,
IX, bl -XVIII, 14, lui appartient presque totalement en propre : il est do
meme seul a raconter les episodes de Nazareth, iv, 16 et ss., et de Zachee,
XIX, 2-10. On compte, durant cette epoque de la vie de Jesus, jusqu'a
douze paraboles (1) et cinq miracles (2) qu'on ne trouve pas en dehors du
troisieme evangile. Son recit de la passion n'est pas moins richo en parti-
culariles du plus grand prix, telles que la sueur de sang et rapparilion de
range consolateur a Gethsemani, xxii, 43 et 44 , I'interrogatoire chez
Herode, xxiii, 6-12, les paroles de Jesus aux sainles femmes, xxiii, 27-3 1^
I'episode du bon larron, xxiii, 39-43 (3). On voit par ces traits nombreux
que les recherches de S. Luc n'avaient pas ete values. Nous en sigualerons
beaucoup d'autres dans le commentaire.
II a pourtant omis plusieurs incidents remarquables, rapportes par les
deux premiers sj'uoptiques : par exemple, la guerison de la fille de la
Chananoenne, la marche de Jesus sur les eaux, la seconde multiplication
des pains, la malediction du figuier, et divers autres miracles (4).
L'image de Jesus qui se degage du recit de S. Luc a un caractere tout-
a-fait special. Ge n'est pas celle du Messie prorais aux Juifs, comme dans
S. Matthieu; ce n'est pas celle du Fils de Dieu, comme dans S. Marc et
dans S. Jean: c'est celle du Fils de I'homme, vivant parmi nous, semblable
a I'un de nous. Les premieres pages du troisieme evangile sont tres signi-
ficalives a ce point de vue, car elles nous montrent, par une serie de
rapides gradations, le developpement humain de Jesus. D'abord xapTrbs xri;
xotAtas (« fructus ventris »), i, 42, le Sauveur devient successivement Ppetpo;
(t< infans »), ii, 16, puis uatSiov (« puerulus »), ii, 27, puis T^aT? (« puer «),
II, 40, enfin avr'p, houime parfait, iii, 22. Quoique hvpostatiquement uni a
h\ Divinite, ce Fils de Thomme est pauvre, il s'humilie, il s'agenouille a
chaque instant pour prier (Gf. in, 21; ix, 29 ; xi, 1 : xxii, 32, etc.) (b), il
souffre, et nous lo vo^yons memo yjleurer (xix, 41). Mais, d'un autre cote,
c'est le plus aimable des enfants des hommes : nous le disionsdans la pre-
miere partie de ce paragraphe, la misericorde deborde de son cceur sacre,
il s'apitoie sur toutes les miseres, physiques ou morales, il met du baume
sur toutes les plaies. Tel est le Jesus de S. Luc.
(1) 10 Les deux debileiirs, vii. 40-43; 2o le bon Samariiain, x, 30-37; So les deux amis,
XI, 5-10; 40 le riche iiiionse, xii, 16-21 ; oo Ic figuier slerile, xui, 6-9 ; 60 la di-achme perdue
el retrouvee, xv, 8-10; 7o renfaiil prodiguo, xv, 11-32; 80 I'ecoiiome infidele, xvi, 1-8,
90 le riclio et Lazare, xvi, 19-31 ; 10° le juge inique, xvni, 1-8; 11° le Pharisien et le publi-
cain, XVIII, 9-14; 120 les ininos, xix, 11-27.
(2;1o La premiere peclie iiiiraculeiise, v, 5-9; 2o la resurrection du fils de la veuve, vn,
i1-17; 30 la guerison d'une femme infirme, xni, 11-17; 4o la guerison d'un hydropique,
XIV, 1-6; 50 les dix lepreux, xvii, 12 19.
(3) Comparer encore xxii, 61 : « Ei conversus Dominus respoxil Pelrum; xxiii, 34, etc.
(4) Voici SOS principalos omissions: i\Iatlh. xiv, 22-xvi, 12 ;Cfr. Marc. vi. 45-viii. 26) ; Malth.
XIX, 2-12; XX, 1-16, 20-28 (Cfr. Maic. x, 35-43) ; Mallti. xxvi, 6-13 (Cfr. Marc, xiv, 3-9);
Mallh. XVII, 23-26, etc.
(5) « Sicul verus Pontifex (Jesus) obLulit preces; nam in Evangeli oaBspe legitur orasse, et
tnaxime apud Lucam, » S. Anselme, In Epist. ad Hebr. cap. 5.
46 fiVANGILE SELON S. LUC
3. Ajoutons encore quelques points dignes d'observation touchant le
caractere du troisieme evangile.
1° On I'a parfois appele « I'Evangile des conlrasles. » Cast par un con-
trasle qu'il debute, les dontes de Zacharie mis en opposition avec la foi de
Marie. Bienl6t apres, ii, 34, il nous montre Jesus comme une occasion de
mine pour les uns, comme une cause de salut pour les autres. Plus tard,
dans la reproduction abregee du sermon sur la raontagne, il place les ma-
ledictions a cote des beatitudes. L'orgueilleux Simon et i'humble peche-
resse, Marthe et Marie, le bon pauvrc et le mauvais riche, le Pharisien et
le publicain, les deux larrons : ce sont la quelques autres frappants con-
trastes du troisieme evangile (1).
2° La part laissee aux femmes est aussi un trait caracteristique de
cette oeuvre admirable. En aucune autre des redactions evangeliques il
n'est si longuement question de la Sainte Vierge. Ste Elisabeth, Anne la
prophetesse, la veuve de Nairn, Marie-Madeleine et ses compagnes (viii, 2
et 3), les soeurs de Lazare, les « fiUes de Jerusalem » (xxiii, 28), et bien
d'autres, apparaissent tour a tour dans le recit de S. Luc comme des
Ereuves vivanles de I'interet que ])ortait Jesus a cette partie alors si
umiliee, si maltraitee de I'liumanite (2).
3° S. Luc est le poete, I'hymnologue du Nouveau Testament. A lui seul il
nous a conserve quatre canliques sublimes, le Magnificat de Marie, le
Benedidus de Zacharie, le Nunc dimittis du vieillard Simeon, enfin le
Gloria in excelsis chante par les anges. — II est aussi I'evangeliste psy-
chologue. II parseme son recit de reflexions delicates et profondes, qui
jettent un grand jour sur les faits dont elles sont rapprochees. Gomparez ii,
50 et b1 ; III, 15; vi, 11; vii, 2b, 30, 39; xvi, 14; xx, 20, xxii, 3;
XXIII, 12, etc.
4. Au fond, la composition de S. Luc surpasse certainement en beaute
celles de S. Matlhieu et de S. Marc. Elle ravit I'esprit et le coeur, et con-
tribuepuissamment a faire connaitre Notre-Seigneur Jesus-Christ. S. Marc
Temporte cependant sur S. Luc pour le piltoresque et le dramatique des
recits : ce qui n'empeche pas le troisieme evangile de contenir une foule
de traits graphiques, par exemple in, 21, 22; iv,"l ; vii, 14; ix, 29, etc.
§ VL — LANGUE ET STYLE DU TROISIEME EVANGILE.
G'est en grec que S. Luc composa son evangile; il n'y a jamais eu le
moindre doule a ce sujet.
L'antiquite jugeait deja tres favorablement son style. « Evangelistam
Lucam, ecrivait S. Jerome (3), tradunt veteres Ecclesise tractatores...
magis Grsecas litleras scisse quam Hebrseas. Unde sermo ejus, tam in
Evangelic quam in Actibus Apostolorum...^ comptior est et ssecularem
redolet eloquentiam (4). » En efFet, aucun des autres evangelistes ne
(\) Voyez Kitlo, Cyclopcedia of the Bible, s. v. Luke (Gospel of).
(2) Voyez I'interessant opuscule de A. Wiinsche, Jesus in seiner Stellunq mitden Frauen, Ber-
lin 4872.
(3) Comment, in Is. vi, 9. Comp. De viris illustr., I.e., Epist. xx ad Damas.
H) a L'Evangile de Luc est ie plus lilieraire des Evangiles... Luc... montre una vraie en~
PREFACE 17
I'egale sous ce rapport. Sa diction est facile^ generalement pure, parfois
meme d'une exquise elegance. Le prologue en particulier est tout-a-fait
classique.
Mais des details et des exemples feront mieux ressortir la culture litte-
raire de S. Luc.
Sigue de la plus haute importance quand il s'agit de demontrer la con-
naissance d'une langue, notre evangeliste emploie un nombre conside-
rable d'expressions. A lui seul, il fait usage de plus de mots grecs que
S. Matthieu, S. Marc et S. Jean reunis. Les mots composes, qui marquent
si delicatement les nuances varices de la pensee, reviennent a chaque
instant sous sa plume. II a une predilection pour ceux dans la composi-
tion desquels entrent les prepositions ettI et 8'.k (1).
Ses phrases sont pour la plupart bien formees (2); il les varie avec
aisance. Les constructions les plus compliquees ne sont pas un embarras
pour lui.
II prend. soin d'eviter les expressions ou les idees trop hebraiques qui
auraient pu presenter de I'obscurite a ses lecteurs. G'est ainsi qu'il em-
ploie eTncTocTvi; au lieU dc pa66i (3), val, a?^r|Ooj; on Itc aX/iOsfa? au lieu dc a,av]v (4),
vo(/.ty.oi au lieu de ^^aiKit-aitii (5), aTrxstv Ivywov au lieu de xautv Xu/wv, cpo'p; au lieu
de x5iv(7o;, etc. II appelle le lac de Gennesareth %vyi et non OaXacaa (6j. Parfois
neanmoins, surlout dans les deux premiers chapilres, ainsi qu'il a ete dit
precedemment, quelques hebraismes se sont glisses dans ses phrases. Les
principaux sont: l^eyavsTo Iv tS..., '2 'nn (vingt-trois fois, deux fois seule-
ment dans S. Marc, jamais dans S. Malthieu) ; 2° i^i^t-zo w?..., '^ »nn ; 3° oTxo;
dans le sens de « famille », a la facon de nu; 4° le nom de "T'J/kjto; (^vSy)
applique aDieu (cinq fois, une seulement dansS. Marc); 5" aTroTou vuv, nnya
(quatre fois, jamais dans les autres evangiles); 6° Trpoffe'QsTo TO.a^at, xx, 11,
12(7). _
Parmi les particularites de construction les plus remarquables du troi-
sieme evangile on pent signaler les suivantes : 1" Le participe mis au
neutre et accompagne de I'article, pour remplacer un substantif ; v. g. : iv,
16, xaxa TO ettoeb; auTw ; VIII, 34, tSoW; to Ysy^vvvjasvov ; XXII, 22; XXIV, 14, etc.
2''L'auxiliaire«elre » construit avec le participe, au lieu du verbe au atem-
pus finitum. » Gf. iv, 31 ; v, 10; vi, 12; vii, 8, etc. (8) 3° L'article to place
en avant d'une phrase interrogative, v. g. : i, 63, eve'v^uov ok tS TraTpi auTou, to t{
tente de la composition. Son livre esl un beau recit bien suivi,... joignanl I'emolion du drame
a la serenite d;' Tidylle. » E. Ri'nan, Les Evangiles, p. 282 el suiv. « Nolro ignorance est
lelle aujourd'luii, qu'ii y a peul-elre de> gens de lei ties qui scronl etoniies d'apprendre que
S. Luc I'sl nn ires grand ecrivain. » Chati'aubriand, Genie du Chi'istianisme, liv. V, c. 2.
(■1) E. g oid.Sa.llevj , oiayivwazctv, StaYpriYopeTv, 6ta5oxoc, oiazoOeiv, StafxtxyscfOai, SiaTiopeiv, SiaaTtei-
pstv, £7ti6iSdi;£iv. £t:i6ou).ii, iTziyl^ea^on, ETiiSiiv, STrievat, eTiixoupta, ETrtxpiveiv, ETttjXEAwi;, etc.
[2;Q>iell(' (liflerence par ex( mple, eniro la lourde phrase de S. ftlarc, xii, H8 et suiv., pX£'ir€T»
-Alto Twv Ypa|J-tAaT£wv xtjjv 6£>,6v'rajv £v oTo).at; TiEpiuaTEtv -/ai aiTtafffiou; £v Tat; aYopai;, el celle de
S. Luc. XX. 46, itpoffsx^Ti i-izo... Twv 9£).6vTCi)v..., -/at 9i),o\JVTwv a(jitao[iou;... !
(3) Six lois.
(4) On leiiconlre pourlant sept fois eel adverbe dans le Iroisieme Evangile j raais S. Mal-
thieu la employe trente fois, S. Marc qualorze fois.
(5) Six fois.
(6) Voyi'Z Kiito. Cyclopwdia, I. c.
(7; Voyez Davidson, Introduction, p. 37.
.(8) Qu'arante-huit fois.
S. Bible. S. Lcc. — S
18 EVANGILE SELON S. LUC
av Os'Xot xaXeTffSai auro'v; VII, 11 ; IX, 46, etc. 4° L'infinitif precede de I'article-
au genilif, pour marquer un resultat ou im dessein. Gf. ii, 27; v, 7; xxi,
22, etc. (1) 5° L'emploi frequent de certains verbes au participe, pour
donner plus de vie et de couieur au recit; par exemple, avaaxa; (dix-sept
fois), cxpacpsi's (sept fois), TOffcov, etc. 6° e'^eTv Trpo? (soixante-sept fois) (2), XaXeTv
TCcb; (quatre fois), Xeyeiv Trpb; (dixfois).
Voici maintenant queiques-unes des expressions propres a I'auteur du
troisieme evangile, ou qui du moins reviennent le plus souvent dans son
recit (3) : Kupw; au lieu de 'Ir,(Tou; (quatorze fois), dwr/ip et dOTvipia, x,ap'.? (huit
fois), tboLj^e'kiio^a.i (dix fois), uTroarpecpa) (vingt-et-une fois), uTTapxw (sept fois),
ocTra? (vingt fois), ttX^Oo; (huit fois), Ivcomov (viugt-deux fois, jamais dans les
deux premiers evangiles) , arsvi^w, octotto;, SouXti, Ppi^fo?, Seop-at, Sox4 ecptaxavat,
IcaicpVY];, 0a[jL6o?, 0£[jleXiov, xXafft?, XcTo;, ovo'[/.aTt, oSuvaaOat, 6[i.o9u[ji.aSov, 6[xtX£tv, oixovoixo;,
TTXtSeuio, Tcauu), TrXeto, TrX'/jv, Trapay^pvjixa, Trpac-cw, ctYaco, cxtpTocw, Tup6aCo[/.at, X'^P*> ®^*^-
S. Luc emploie quelques mots latins grecises : aaaaptov, xii, 6; Srivaptov,
VII, 41 ; Xsyewv, VIII, 30; [Ji.o'5tov, XI, 33; aouSapiov, xix, 20.
§ VII. — TEMPS ET LIEU DE LA COMPOSITION.
A defaut de renseignements certains sur ces deux points, nous pou-
vons du moins apporter des conjectures probables.
1. Le livre des Actes, ainsi qu'on I'admet generalement, fut ecrit vers
I'an 63 (4). Or, des ses premieres lignes, ce livre s'annonce comme una
suite et un complement du troisieme Evangile (5). L'auteur indique par
la meme qu'il avait compose depuis un certain temps la biograpliie de
Notre-Seigneur Jesus-Christ, quand il se mit a ecrire I'histoire du Ohris-
tianisme naissant. L'an 60 de I'ere chretienne, telle est done la date ap-
proximative de i'Evangile selon S. Luc. G'est celle que la plupart des
exegetes ont adoptee, d'apres un raisonnement analogue a celui que
nous venons de faire. II est vrai que divers manuscrits et auteurs
grecs mentionnent expressemeiit la quinzieme annee qui suivit TAscen-
sion comme celle ou S. Luc publia le premier de ses ecrils (6) ; mais ces
donnees paraissent tout-a-fait exagerees (7). L'exageration est pire encore
de la part des critiques, presque tons rationalistes, qui reculent la compo-
sition de notre Evangile jusqu'a une periode plus ou moins avancee du
second siecle (Volkmar, Fan 100; Hilgenfeld, de 100 a 110; Davidson, vers
Tannee 115; Baur, en 130, etc.). En effet, des arguments par lesquels
(\) En tout, vingt-sept fois : une fois seulemenl dans S. Marc, six dans S. Malthieu.
(2) Une fois seulemenl dans le premier Evangile.
(3) On en trouvera la lisle a pen pres complete dans Davidson, 1. c, pp. 58-67. Voir aussi
Kitto, Cydopcedia of the Bible, 1. c, et Westcolt, Introduction to Ihe study of the Gospels,
5c ed., p. 377 et suiv.
(4) Voyez Gilly, Precis d' Introduction generale et particuliere a VEcriture Sainte, t. Ill,
p. 256; P. do Valroger, Introduction hislor. et critiq., t. II, p. 458.
(5) I, 4 : T6v [jLEv upaJTov \6yov euoirjffajiyjv irepi TcavTwv, w ©eoqpiXe, iv :?jp?aTo 6 'Irjaoui; nonTv ta..
xat 6t5a(jxetv. Les mots t6v Tipwrov Xoyov designent certainement I'Evangile selon S. Luc.
(6) Metd le x,P^^"'o\)i x^;tou iwTfjpo; ^(j.wv avairjvl'etoi;. Theophylacte et Eulhymius.
(7] Voyez de Valroger, I. c, p. 86.
PREFACE 49
nous avons demontre plus haut (1) raulhenlicite du troisieme Evangile, il
resulte qu'une pareille opinion est tout-a-fait insoutenable au point de
vue historique (2).
2. S. Jer6me, dans la Preface de son commenlaire s-ur S. Matthieu,
parlant de I'Evangilo selon S. Luc, dit qu'il fut compose « in Achaise Beo-
liaeque partibus. » S. Gregoire de Nazianze place egalement Torigine du
troisieme Evangile ev 'Ax.ataot. Mais I'antique version syrienne nommee
PescJiiio affirme au contraire, dans un titre, que S. Luc publia et precha
son Evangile a Alexandrie-la-Grande. Ne sachant auquel de ces deux ren-
seignements contradictoires il valait mieux se ranger, les exegetes oi?t,
complique la question en fixant d'autres berceaux a I'oeuvre evangeliquo
de S. Luc, par exemple Ephese (3), Rome (4) et Gesaree de Palestine (-5).
Lardner, Hilgenfeld et Wordsworth se rapprochent toutefois du sentiment
de S. Jer6me quand ils font ecrire S. Luc^ le premier en Grece, les deux
autres en Macedoine. Rome ou Gesaree conviendraient tres bien au point
de vue historique, S. Luc ayant eu tout le temps de composer son Evan-
gile durant les loisirs forces que lui donna la longue captivite de S. Paul
dans ces deux villes (6). Mais I'aulorite du grave S. Jerome fait impres-
sion sur nous, et nous ne croyons pas q.u'on ait des motifs suffisants pour
rejeter son temoignage.
§ VIIL — PLAN ET DIVISION.
1. Le plan de S. Luc est contenu tout entier dans ces lignes du Pro-
logue, I, 3 : (( Visum est et mihi, assecuto omnia a principio diligenter,
EX ORDINE... scribere ». 'AvwOsv et xaTe^vi?, tels sont les mots les plus impor-
tants de cette declaration. Notre evangeliste voulait done remonter aussi
haut que possible dans I'histoire de Jesus; d'un autre cote, il se proposait
de coordonner de son mieux les evenements d'apres leur suite naturelle
et chronologique. II a tenu fidelement sa promesse.
En premier lieu, personne , pas meme S. Matthieu, ne reprend les
choses d'aussi loin que lui pour ce qui concerne la vie humaine de Notre-
Seigneur Jesus-Christ. Gommencer son recit par la naissance du Sauveur
ne lui paraissait pas suffisant; il a done expose d'abord I'etonnant mystere
de rincarnation. Mais, comme si cela meme n'eiit pas encore ete assez, il
(^)§2.
(2) Voici encore quelques aiitres senlimenls particuliers sur la date de I'Evangile selon
S. Luc : Alford, de 50 a 58 ; MM. Vilmain el Gilly, 53 ; Bisping el Olshausen, 64 ; Maier, enlro
67 el 70; von Burger, vers 70 ; Gredner, de WeLte, Bleek, Reuss, elc, apres 70; Holtzmann,
cnlre 70 el 80; Keim, en 90. On voit, par ces variatUes, qu'il y a necessairemenl quclque
chose de subjeclif dans la fixalion des dales de ce genre, quand la Iradilion n'a pas claii'e-
menl parle. M. E. Renan monlre qu'il ne connail pas lous les auteurs, lorsqu'il ecrit : « Tout
le monde aJmel que le livre est poslerieur a I'an 70. » Les Evangiles, p. 252 et 253. 11 ajoiUe
pourtanl : « Mais d'un autre cole il ne peut elre de beaucoup poslerieur k cette annee. »
(3) Koesllin. Celle opinion est compleiemenl invraisemblable.
(4) Ewald, Keim, Olshausen, Maier, Bisping, elc.
(5) Berlholdl, Kuinoel, Humphrey, Ayre, Thiersch, Thomson, elc.
(6) Comp. Act. XXIII, 33 ; xxiv, 27 ; xxvui, 4 4 et ss., et les commenlairetr
20 fiVANGlLE SELON S. LUC
a place avant ce divin episode rannonciation faite a Zacharie et la nati-
vite du Precurseur.
En second lieu, S. Luc est, plus qu^aucun autre evangeliste, attentif
aux dates et a I'ordre historique des faits. Le plus souvent, dans ses pages
lucides, les incidents se suivent a la maniere meme dont iis se sent passes :
les encliainements facLices y sont plus rares que dans les deux auti'es sy-
nopliques. Tantot il fixe clairement les epoques, v. g., i, 5; ii, 1, 2, 42; in,
23; IX, 28, etc., ayant meme parfois recours au synchronisme pour les
mieux indiquer (comp. iii, 1 el 2) ; tan lot, il unit entre eux les divers inci-
dents par des formules de transition qui en dcmontrent la connexion reelle.
Gomparez iv, 14, 16, 31, 38, 42, 44; v, 1, 12, 17, 27; vi, 1, 6, 12;
v!i, 1, 11 ; VIII, 1, etc. Cela ne veut pas dire, neanmoins, qu'il se soit tou-
jours rigoureusement astreint a I'ordre clironologique : le commeutaire et
I'Harmonie evangelique placee a la suite de noire Introduction generale
montrent des exceptions sous ce rapport : mais ces cas sont peu nom-
breux, et n'empechent pas le plan de S. Luc d'etre en somme Ires regulier.
L'exactitude clironologique de noire ecrivain sacre se manifeste encore
avec un caractere assez frappant par le soin qu'il prend d'enlourer les
conversations du Seigneur Jesus des circonslances secondaires qui leur
avaient servi de cadre (1).
2. On a divise de bien des manieres I'Evangile selon S. Luc, au moyeii
de combinaisons plus ou moius ingenieuses, c'est-a-dire plus ou moins
artificielles. Belirmann (2) le partage en quatre sections : I'hisloire preli-
minaire, i, 3-iv, 13, le ministere de Jesus en Galilee, iv, 14-ix, 50, le recit
du dernier voyage a Jerusalem, ix, 51-xviii, 30, la Passion, la Resurrec-
tion et I'Ascension, xviii, 31-xxiV, 53. Davidson (3) admel cinq divisions :
1° i'enfance de Jean-Bapliste et de Jesus, i el ii; 2" les preliminaires du
ministere public de Jesus, in, 1-iv, 13; 3° la Vie publique en Galilee,
IV, 14-ix, SO; 4" ce qu'on nomme parfois la « gnomologie », avec I'entree
a Jerusalem, ix, 51-xxi, 38; 5° les derniers incidents jusqu'a I'Ascension,
xxii-xxiv. Plus communement, quoique avec differentes nuances, on se
borne a trois parties, qui correspondent a la Vie cachee, a la Vie publique,
a la Vie soulfrante et ressuscitee de Notre-Seigneur Jesus-Christ (4). Telle
sera aussi noire division, dont on Irouvera plus bas les details.
§ IX. — COMMENTAIRES.
(
S. Ambroise a compose sur le troisieme Evangile un commentaire com-
plet, que Ton pent ranger parmi ses raeilleures oeuvres exegetiques (5).i
Le saint Docteur apparlient, comme Ton sait, a I'ecole allegorique et
(1) Voyez siirtoul ix, 5l-xviii, 14.
(2) Bibiiwprk fur die Gemeinde, I. I, p. 271 et suiv.
(3) Iittruduction, p. 25.
(4) M. Gilly, Precis d' introduction, I. c. : i, 1-iv, 13; iv, 14-xxi, 38 : xxii-xxiv. M. Lan-
^en : i ol n; iii-xxi ; xxn-xxiv. Lo Dr van Oo:,lerzee : i et ii; iii, 4-xix, 27; xix, 28-
ixiv, 53.
(5) Exfositiar Evangelii secundum Lucam libris decern comprehensa.
PREFACE 21
mystique : soiivent il ne fait qu'indiquer le sens litteral, pour s'elendre
snr ses siijets de predilection. S. Jer6me lui reproche de trop jouer sur
les mots.
Anterieurement, Origene avait ecrit cinq livres de commenlaires sur
S.Luc : on n'en possede qu'un tres petit nombre de fragments (1). En
revanche, il nous reste du « Doctor Adamantinus » trente-neuf Homilies
in Liicam traduiles par S. Jerome (2).
Les explications du Ven. Bede (3), de Theophylacte (4), d'Euthymius
Zigabenus (5), sont, pour le troisieme Evangile, ce qu'elles avaient ete
pour les deux precedents, c'est-a-dire pleines d'excellentes choses malgre
leur brievete.
Nicetas Serron, diacre de TEglise de Constantinople, puis eveque d'Ke-
raclee (xi" siecle), a reuni dans une sorte de Ghaine (6), naguere publiee par
le Card. A. Mai (7), un grand nombre d'explications patristiques relatives
a notre Evangile, Cordier a rendu un service analogue aux exegeles dans
les premieres annees du xvii^ siecle (8).
Dans les temps modernes, oulre les oeuvres d'Erasme, de Maldonat, de
Cornelius a Lapide, de Cornelius Jansenius, de Luc de Bruges et de
Noel Alexandre, qui embrassent les qualre Evangiles, nous n'avons a si-
gnaler, parmi les calholique?, que deux commenlaires speciaux sur S. Luc,
celui de Stella, publie en 1575 et frequemment reedile depuis, et celui de
Tolet, qui paruL en 1612 (9).
Les plus recentes explications du troisieme Evangile composees par des
ecrivains orthodoxes sont celles de MM. Reischl,"Schegg, Bisping (1(1),
Gurci (11), et de Mgr Mac Evilly (12). Celles des exeg^tes hereliques
sontbeaucoup plus nombreuses : les principales proviennent des Docteurs
de Wette, Kuinoel, H. Meyer, Ewald, Baumgarten-Crusius (13), Borna-
mann(14), von Buraer (1*5), van Oosterzee (16), Bleek(17), Behrmann,
Keil (18), Sevin (19), Zittel (20) en Allemagne, des Reverends Abbott (21),
(4) Ap. Migne, Patrol, graeca, I. XIII, col. 1901 et S8.
(2) Ihid., col. 1801-1900. Le tpxle grec a ele perdu.
(3) ]n LiKW Evaiigelium expositio, op. iMii^iic Patrol, lat. t. XCII, col. 301 et 83.
(4) Enarralio in Ecang. Lmicp, ap. Migne, Pair, graec, t. CXXllI, col. 691 et S3.
(5) liiterpri'tatio Ecnngdii Lucw, ibid., I. CXXIX, col. 857 el ss.
(6) SvivaytoyYi £?7iYr,a£wv et<; to xaxa Aoyy.av dyiov eOaYyeXtov... iiapa Ntxrjxa 5iax6vou.
(7) Scrijitor. vet. nova Cullectio, I. IX, |)p. 626 d s.-^.
(8) Corderii (latea grcecor. Patium in Liicam, .An vers 1627.
(9) Commentarii in sacrosanditm J. C. I). N. Eoangelium sec. Lucam.
(10) Voir les litres de ces ouvrages dans VEvaugile selon S. Mullhicu, p. 29.
(41) // Nuovo Testnmento volgarizznio ed esposlo in note esegeticlie e morali. Vol. I. Vangeli
HC. Matleo, Marco e Lnra, Torino, 1879
(12] An Exposition of the Gospel of S. Luke, consisting of an Analysis of each chapter, and cf
a commentury critical, exegetual, olc, Dublin, 1879.
(13) Voir V Evangile scion S. Mallh., ibid.
(14) Scholia in Lurce EvnngcUum, Lips. 1830.
(15) Die Evangelien nach Matthceus, Markus u. Lukas deutsch erklcert, Noerdiingen, 1865.
(16) Dan Eoniig. nark Luk'is Iheologisch homilet- bedvbeitet, 38 edit., Leipzig, 1867.
\\l)Syni)plische Erklcernngder dreiersten Ecangelien, herausgeg. von Hollzuiann, Leipz.1862.
(181 Conmieiilar uber die Evangelien des Murkas und des Lukns, Leipzii^ 1879.
il9) Syiioptische Erklwrung der drei enten Evangelien, Wiesbaden 1873.
(20j Die vier Evangelien iibersctzt u. erklxrl, II. Theil, das Evangelium nach Lukas, etc.
Karlsruhe, 1880.
(21) The Gospel according to Luke, with notes, comments, etc., Londr. 1878.
22 EVANGILE SELON S. LUC
Wordsworth (1), Plumptre (2), Trollope (3), Alford (4), Jones (b), Far-
rar (&) et Norris (7) en Angleterre, de M. Godet (8) en Suisse.
(1) TheN. Test, of our LordJ.C. : The four Gospels, Lond. 1877.
(2) A N. Test. Commentary for Engl. Readers, t. I, Lond. 1878.
(3) The Gospel according to S. Luke, with Prolegomena, Appendices, a. grammat. and
explanatory Notes, Cambridge. 4877.
(4) The New Testament for English Readers, I. I, 3e edit. Cambridge, 4872.
(5) Speahr's Commentary, Neiv Test. vol. L Londr. 4878.
(b) The Gospel according to S. Luke, with maps, notes and introduction, Cambridge 4880.
(7) The Neto Testament... tcith Introduction a. Notes, vol. 7, Th; four Gospels, Lond. 4880.
(8) Commentaire sur I'Evangile deS. Luc, Neuch&tel 4872, 2^ edito
DIVISION SYNOPTIQUE DE L'fiVANGILE SELON S. LUC
PROLOGUE. I, 1-4.
PREMlfiRE PARTIB
VIE CACHEE DE NOTRE-SEIGNEUR JESOS-
CHRIST. I-II.
\. — Annonciation de Zacharie et concep-
tion miraculeuse de Jean-Baplisle.
■ I, 5-25.
2. — L'AnnonciaLion de Marie et I'lncar-
nalion du Verbe. i, 26-38.
3. — La Visilalion el le Mag)nficat. i, 39-56.
4. — Les premieres annees de Jean-Bap-
tiste. I, 57-80.
1° Nativite du Precurseiir. i, 57-38.
2° L% circoncision de Jean-Baptisle et le
Benediclus. i, 59-79.
30 Educaiion et developperaent de S.Jean.
I, 80.
5.— Noel. II, 1-20.
1o Jesus nait a Bethleem. ii, 4-7.
2° Les premiers adoraleurs de Jesus.
II, 8-20.
6. — La circoncision de Jesus, ii, 21.
7. — La presentation de Jesus au temple
et la purification de Mario, ii, 2S-38.
1° Les deux preceptes. ii, 22-24.
2° Le saint vieillard Simeon, ii, 23-35.
30 Sainle Anne, ii, 36-38.
8. — Vie cachee de Jesus a Nazareth.
II, 39-52.
1o Abrdge de I'enfance de Jesus, ii, 39
et 40.
20 Jesus parmi les Docteurs. ii, 41-50.
30 De douze a Irenle ans. 11, 51-52.
DEUXlfeME PARTIE
VIE PUBLIQUE DE NOTRE-SEIGNEUR JESOS-
CHRIST. Ill, 1-XIX, 28.
•^1 re SECTION. — FERIODB DE TRANSITION
TiON : LE PRBcaasEua et le hessie. 1
ET D'lNAnOOBA-
I, 1-lT. 13.
1. — MinisleredeS.Jean-ByplisLe. Ill, 1-20.
10 L'apparition du Precurseur. iii, 1-6.
20 Predication de Jean-Baptiste. in, 7-18.
30 S. Jean est mis en prison, iii, 19-20.
2. — Les preliminaires du minislere de
Notre-Seigneur. iii, 21-iv, 13.
I0 Le bapleme (ie Jesus. 111, 21-22.
2o La geneaiogie de Jesus, in, 23-38.
30 La lentation do Nolre-Seigneur Jesus-
Christ. IV, 4-13.
i* SECTION. — WNISTBRB DE JE8D8 EN OALILEE. IT, 14-IX, 50^
1. — Retour de Jesus en Galilee, et coup
d'oeil general sur les debuts deson
minislere. iv, 14-15.
2. — Jdsus a Nazareth, iv, 16-30.
3. — Jesus a Ca|)liarnaum. iv, 31-44.
a. Aper^u general do I'aclivile du Sau-
veur a Capharnauin. iv, 31-32.
b. Guerison d'un deinoniaque. iv, 33-37.
c. Guerison de la b 'llo-mere de S. Pierre
et d'aulres malarles. iv, 38-41.
d. Retrailo do Jesus sur les bords du
lac. II evangelise la Galilee, iv, 42-44.
4. — La peche miraculeuse et les premiers
disciples de Jesus. \, 1-11.
5. — Guerison d'un lepreux. v, 12-16.
6. — Guerison d'un paralylique. v, 17-26.
7. — Vocation de S. Mallhieu cl fails qui
s'y rallachenl. v, 27-39.
8. — Les epis et le jour du sabbat. vi, 1-5.
9. — Guerison d'une main dessechee.
VI, 6-11.
10. — Choix des Apotres et discours sur la
nionlagne. vi, 12-49.
a. Jesus choisit les douze Ap6tre8,
VI, 12-16.
b. Discours de Jesus sur la Montagno.
VI, 17-49.
1) La mise en scene, tt. 17-20^.
2) Premiere partie du discours : Le
vrai bonheur. 1tt. 20b-26.
3) Deusieme parlie du discours : La
vraie charite. tt. 27-38.
4) Troisieme parlie du discours : Regies
de vraie sagesse. ft. 39-49.
11. — Le servileur du centurion, vii, 1-10.
12. — Resurrection du fils de la veuve de
Nairn, vii, 11-17.
13. — Jesus, Jean-Bapliste, et la gdn^ration
presenlc. vii, 18-33.
1 0 L'ainbassade du Precurseur. vii, 1 8-23.
20 Discours a propos de I'ambassado
VII, 24-35.
14. — Simon le Pharisien el la p^cheresso.
VII, 36-50.
13. — Un voyage apostolique de Jesus
vnr, 1-3.
16. — Deux journeesconse'ctitivesde Jesus.
VIII, 4-56.
1o La parabole du semeur et son explica-
tion, vni, 4-15.
20 N^cessite d'ecoutcr atlcntivement la
divine parole, viii, 16-18.
2i
DIVISION SYNOPTIQUE DE L'EVANGILE SELON S. LUC
30 La vraie famille ds Jesus, viii. 19-21.
40 La teir.pele miraculeusement apaisee.
VIII, 22-25.
50 Le pds-ede de Gadara.viu, 26-39.
(jo L'hemonlioisse el la fille de Jalre.
VIII. 40-36.
<7 — L'cnvoi des Douze. ix, i-6.
<8. — Opinion d'Herode au sujet de Jesus.
IX, 7-9.
19. — Relour des Douze el mulliplicalion
des pains, ix, 10-17.
20. — Confession de S. Pierre el premiere
annonce de la Passion, ix, 18-27.
21. — La Transfiguration, ix, 28-36.
22. — Gueiison d"un paraiyiiqup. !X, 37-43.
23. — Seconde prediclion' ofiicieile de ia
Pas-ion. IX. 44-45
24. — LpQon d'humiiile et de tolerance.
IX, 46-30.
5« .<;EcriON. — regit dd nEnsiKB toyagb de jesos a je-
RD5ALEM. iX, 51 -XIX, 28.
1. — Les Samaritains inhospitaliers. ix,
51-36.
2 — Ce qu'il faut pour suivre Jesus, ix,
57-62.
3. — Les soixante-douze disciples, x.
1-24.
4. — La parabole du bon Samaritain. x,
23-37.
5 — Marilie el 3Iarie. x, 38-42.
6 — Enlrdien siir la priere. xi, 1-13.
7. — J.,e blaspheme des Pharisiens et le
signe du ciei. xi, 14-36.
8. — IVeuiiere malediclion conlre les Pha-
risiens et les Scribes, xi, 37-54.
9. — ))ivprs enseignements a I'adresse des
disciples el du peuple. xii, 1-59.
1° Piemiere serie d'avertissements aux
disciples, tf. 1-12.
20 Elraiige interruption, et parabole du
riche insense. tt. 13-21.
30 Seconde serie d'avertissements aux
disciples, tt. 22-53.
4>^ Giave iegon pour le [)euple. tt. 54 59.
<0. — Necessile de la penitence, xiii, 1-9.
1° Deux fails histcriijues qui prouvent
celie necessile. xiii, 1-5.
20 Parabole du figuier sieiile. xiii, 6-9.
11 . — Guerison d'une ferame infirme. xiii,
10-17.
12. — Paraboles du grain de sdneve el du
levain. xiii,"l8-21.
13. — Grave reponse a une demande vaine.
XIII, 22-30.
^4. — L=' renard Herode. xiii, 31-35.
15. — Jiisus dans la maison d'un Pharisien
en un jour de sabbat. xiv, 1-24.
1° GuJrison d'un hydropique. xiv, 1-6.
Jo Le repas. accompagne des instructions
du Sauveur. xiv, 7-24.
46. —Ce qu'il en coiite pour suivre Jesus.
XIV, 25-35.
17. — La misericoide de Dieu a I'egard de»
peclieurs. XV, 1-32.
I0 Occasion du discours. tt. 1-3.
2o La parabole de la brebisegai-ectt. 4-7.
30 La parabole de la drachme perdue.
tt. 8-10.
40 La parabole de I'Enfant prodigue.
tt. 11-32.
1 8. — Du bon usage des richesses. xvi, 1-31 .
I0 L'econome infidele. Vt. 1-12.
2o L'avaiice des Pharisiens reprouvee
par la parabole du pauvre Lazare.
tt. 14-31.
19. — Quaire avis imporlants. xvii, 1-10-.
20. — Guerison des dix iepreux. xvil, 11-19.
21. — L'avenement du rovaume de Dieu.
XVII, 20-37.
22. — Parabole de la veuve et du juge
inique. xviii, 1-8.
23. — Parabole du Phaiisien et du publi-
cain. xviii, 9-14.
24. — Jesus el les peiits enfanls. xviii^
15-17.
23, — L'episode du jeune homme riche.
XVIII, 18-30.
26. — Jesus predit de nouveau sa Passion.
XVIII, 31-34.
27. — L'avou^le de Jericho, xviii, 35-43.
28. — Zachee"^, xix, 1-10.
29. — La parabole des mines, xix, 11-28.
TROISIEMi- PARTIE
VIE SOUFFRANTE ET GLORIEUSE DE JESUS.
XIX, 29-XXlV, 53.
4. — Entree solennelle du Messie dans sa
capilale. xix, 29-44.
■\c Prepa:atifs du trioniphe. xix, 29-35.
2'' La marche Iriomphale. xix, 36-44.
2. — Jesus rei:neen Messie dans le temple.
XIX, 43-xxi, 4.
I0 Expulsion des vendeurs. xix,45et 46.
2* Description generale du ministere de
Jesus dans le temple, xix, 47-48.
30 Le Sanhediin el I'origine des pouvoirs
de Jesus, xx, 1-8.
40 Parabole des vignerons rebelles. xx,
9-19.
50 Question relative a I'irapot. xx, 20-26.
60 Les Sadduceens defaits a leur tour.
XX, 27-40.
70 David et le Messie. xx, 41-44.
8° Jesus denonce les vices des scribes.
XX, 45-47.
90 L'obole de la veuve, xxi, 1-4.
3. — Discours sur la ruine de Jerusalem
et la fin des temps, xxi, 5-36.
a. Occasion du discours. xxi, 5-7.
b. Parlie prophelique du discours. xxi,
8-33.
c. Partie morale du discours. xxi,
34-36.
DIVISION SYNOPTIQUE DE L'fiVANGILE SELON S. LUC
4. — Coup d'oeil d'cnsemble sur les der-
niers jours du Sauveiir. xxi, 37-38.
5. — Trahison dft Judas, xxii, 1-6.
io Le Sanhedrin cherche le moyen de se
defaire de Jesus, xxii, 1-2.
20 Judas et le Sanhedrin. xxii, .3-6.
6 — La derniere cene. xxii, 7-30.
|o I'leparalifs de la Paquo. xxil, 7-13.
:!o Lps d'ux cenes. xxii, -14-23.
7. — Conversation intiine raltacliee a la
cene. xxii, 24-38.
s. — L'asonie fl«^ Jesus a Geth-;emani.
XXII, 39 46.
9. — L'arresiation de Jesus. XXII, 47-53.
\0. — Rrntom nl de S. Pierre, xxii, 54-62.
11 . — Jesus insulte par les valets du StJihe-
drin. xxii, 63-65.
12. — J(j«us devanl le Sanhedrin. xxii,
66-71.
13. — Jesus comparalt devanl Pilate el de-
vant Ilerode. xxiii, 1-25.
1o Prorniere |ihase du jug-^ment devant
Pilate xxiil, 1-7.
2'J Jesus devanl Herode. xxiii, 8-12.
30 Seconde phase du jngemenl devaal
Piiate. XXIII, 13-25.
14. — La via dolorosa, xxiii, 26-32.
15. — Jesus mi ui tsurla croix.xxiii, 33-46.
I0 Le crucifiement. xxiii, 33-34.
20 Les insulleurs el le boa larron. xxiii,
35-43.
30 Les derniers momenls de Jesus, xxii,
44-46.
i6. — Temoignages rendus au Sauveuraus-
sitoi apres sa mori. xxiii. 47-49.
17. — Sepulture de Jesus el prepaiaiil's de
son embaumernenl. xxiii, 50-56.
18. La Resurii'ction de Jesus el ses preuves.
XXIV, 1-43.
1° Les sainles femmes trouvent le se-
pidcre vide, xxiv, 1-8.
20 Eiles averlissenl les disciples qui re-
fusenl de croire. xxiv, 9-11.
30 S. Pierre au sepulcre. xxiv, 12.
40 Jesus apparail anx disciples d'Ena-
maiis. xxiv, 13-35.
50 Jesus apparail aux discipli^s reunis
dans le cenacle. xxiv, 36-43.
19. — Les dernieres instructions di Jesus.
XXIV, 44-49.
80. — L'Ascension de Noire Seigneur Jesus*
Chrisl. XXIV, 50-53,
EVANGILE SELON S. LUC
CHAPITRE 1
IVologue (ft. -1-4). — Zacharie et Elisabetii [ft. 5-7). — L'Ange Gabriel annonce a Zacharie
qu'il aura biinlot un fils destine a de grandes choses (tf. 8-22). — Conception de S. Jean-
Baptiste [tt. 23-23). — L'Annonciation de la Sainte Vierge et I'lncarnation dii Verbe
[tt. 26-38). — La Visitation et le Magnificat (tif. 39-56). — "Nativite do S. Jean-Baptisle
{tt. 57 et 58). — Sa circoncision (59-66). — Le Benedidus {tt. 67-79). — Le Precurseur
se prepare a son role sublime [t. 80).
1. Quoniam quidem. multi conati
sunt ordinare narrationem, quae in
nobis completae sunt, rerum,
1. Puisque plusieurs ont entre-
pi'is de mettre en ordre le recit des
choses qui se sont accomplies parmi
nous,
PROLOGUE. I, 1-4.
Cette Preface est unique en son genre dans
la lilterature evangelique; mais S. Luc en a
place une autre de meme naturL\ quoique
plus courte encore, en lete du livre des Actes,
1, ]. Bien qu'elle contienno plusieurs points
obscurs, elle nous fournit cependant des ren-
seignements du plus grand piix. Elle est d'un
tres beau style, qui rappelle les debuts ana--
logues des nieilleurs historiens grecs : elle
consiste en une penode admirablement ca-
dcncee, aux lours et aux expressions vrai-
ment attiques.L'Epitreaux Hebreux presente
seule quelques passages qu'on puisse rappro-
cher de celui-ci au point de vue litleraire.
Chap. i. — i. — Quoniam quidem est une
excellente traduction de I'elegant eneiS^Tcep,
qui n'apparail qu'en cet cndroit du Nouveau
Testament. — Mulli conati sunt. Quels sont
ces homraes nombreux qui, des les premieres
annees du Christianisme, avaient entrepris
d'eciire la vie de Nolre-Seigneur Jesus-
Christ, et quelle idee doil-on se iaire de leurs
lenlatives? Les auciens commeutateurs ont
souvenl pris en mauvai^e pait les expressions
•nou.oi et imxtip-ri(j^y. lis ont vu, dans la pre-
miere, la de>lgna!ion dos Evangilcs apocry-
plu'S. ou meme liereliqu"S, qui-ne tarderent
pas a envahir d'une maniere etrange I'Eglise
primitive, et par suite, dans la seconde, un
bifime vigoui eux adres-e par S. Luc aux au-
leurs des « Essais n en quuslioii. « Hoc quod
ait, Conati sunt, latentem habet accusatio-
nera eorum qui, absque gratia SpiritusSancti,
ad scribenda Evangelia prosilierunt. Mat-
thaeus quippe et Marcus et Joannes et Lucas
non sunt conati scribere, sed scripserunt. »
Origene, Horn, i in Lucam. Comp. S. Ambr.
Exposilio in Luc. 1. i, 4, Salmeron, Tolel, etc.,
h, 1. Mais tous les exegetes modernes sont
d'accord pour reconnaitre, commu le iaisaient
deja Maldonat ct Luc de Bruges, que ces deux
expressions n'onl ni piir ellcs-memes, ni dans
le contexte, une siguiGcation aussi severe.
« Multi » ne saurait s'appliqner aux ecrils
apocryphes et heretiques qui se parerent du
nom d'Evangiles, altendu quo ces ecrits
n'existaicnt pas encore qiiand S. Luc publia
sa biograpliie du Sauveur : ce mot designe
done des auteurs inconnus, dont les Biriyri(jtii
ou « Memorabilia » furent peua peu relegues
dans Toubli, quand Dieu eut donne a I'Eglise,
et quo celle-ci eut marque du sceau de son
aulorite, les quatie Evangili's canoniques. De
meme, le verbo euex^ipvicfav (de iiti et x^'P) la
main sur) signifie simplement « admovere
manum », par consequent « conari, aggredi »,
en frangais « entreprendre » : son choix est
neanmoins heureux, parce qu'il suppose assez
souvent, et c'est ici le cas, une cntreprise
delicate, imporlante, qui n'est pas sans difli-
culte. Aussi, sans blamer precisement ces
« Essayists », puisqu'il se place, au t- 3,
sur la meme ligne qu'eux (SooSe xinot), S. Luc
fait peut-elre une allusion indirecle a I'im-
perfection, au caractere insuflisant de leurs
OBuvres. II montre du moins qu'ils n'ont pas
S8
EVANGILE SELON S. LUG
2. Gomme nous les oiU Irans-
mises ceux qui les out vues eux-
memes des I"^ commencement et
out cle les minislres de la parole,
2. Si cut tradiderunt nobis, qui ab
initio ipsi viderunt, et ministri fue-
runt sermonis;
epuise le sujot, et, s"il |)rf>nfJ !a plume a son
son lour, c'e>L assuremcnl pour le trailor
dan-; des conditions plu-; avanutginises. —
Onlmure nancdionem. Lis dfux mots grecs
corri'spondanl? , avaTd^acSai Sirj-yriotv, no se
rpnconui'nl pas aiileuis dans le Nnuveau
Testament : lis sonl tics elegants Fun el
i'aulre. — Quce in nobis complelcv sunt rerum.
On devin>> sans peine de qiielles « clioses »
S. Luc veul parler. II s'agit evideinmenl des
fails adMiiiablcs qui coinposeiit la vie de
Nolre-S;'ignrui-. « In nobis » peul designer
soil, d'uni' inauiere geneiale, le inonde en-
tier, c'e.-t-a-dire le inoiide contcmporain de
Jesus, soil le cercle biaucoup plus restreint,
inais chaque jour grandissanl, des amis el
disciples .lu Sauveur. Ce second sens parail
le plus probable, puisque c'esl iin cliretien
qui s'adnsse ici a un cluelicn; c'esl aiissi le
plus commi;ni'menl admis. « Com[)lei£e sunl »
traduil Ires biin, croynns-nnus, le verbe grec
iie7c).Yipo^opr)(XEva)v. nifipo^foptlv, quand il se dil
des choses, siguifie en effel Ires habituelle-
ment « accomplir », ou , niieux encore,
« piorsus pel ficere », car il est plus fori que
n>.yipouv. Comparez Act. xii, 25; Rom. xv, 19;
11 Tim. IV, 5,-17; voir Bretschneider, Lex.
man. in libr. N. T. s. v. Peut-etre, en em-
plnyanl celte expression, I'ecrivain sacr^
voulail-il faire une allusion aux anciennes
proplielies, que Jesus avail si parfailement
realisees. II esl vrai que des auleurs anciens
el modernes, en assez grand nombre el fai-
sant aulorite ( specialemenl le traducleur
symn, Oiigene, Thecphylacle, Eulliymius,
Erasim-, Groiius, Hug, Olshausen, elc), ex-
plicjuenl 7r£7c),yipo:opiri[i£vwv autrement (lue nous
venon-< de le laire a la suite de la Vulgate et
do la plufiarl des exegetes. Pour eux, ce par-
licifie equivaudrait a « compertissimae »,toul
a fail accreditees (Emhym. : PeSaiwec'vTwv ev
i?ljxfvj. Mais, si le verbe TrXripoipopew a parfois
celte sigiiiticalion iorsqu'on Tafiplique aux
personnes (v. g. Rom. iv, 21 ; xiv, 5). il ne
I'a pas, nous I'avons dil, quand il s'agil des
choses.
2. — Sicul tradiderunt nobis. Dans ie ver-
set qui precede, I'evangeliste a signale un
fait : « Multi conali sunt... » ; il indique dans
ce!ui-ci la source a laquelle avaient puise les
nombreux ecrivains qu'il se propose d'imiter
en les perfi'clionnant. En effel, ce n'esl pas
sur « coinpli'tse sunl » que relombe la phrase
« sicut tradidcriinl... », comme divers exe-
getes I'ont prelendu (Theophylacle, Kuinoel,
Olshausen, etc.), mais bien sur « conati sunt
ordinaro nanalioncm », suivanl I'opinioD
commune. — « Tradiderunt », TtapeSoaav, de-
signe la tradition orale, donl le role elail si
considerable dans I'Egiise naissanle. Le verbe
napx5i6a)(j.i et le subsiaulif napaSoaic elaient
vraimeiil des expressions icclinuiues en ce
sens. Cfr. 1 Cor. xi, 23-25 ;xv, 1-7; 11 Thess.
II, 14, elc. — Qui ab initio ipsi viderunt et
ministri... Nous fixerons peut-etre plus exac-
temenl le vrai sens de celle proposition en
ri'coiirant an texle grec. Nous y lisons i
01 in' apx^i; auTouxai xai (iTtripiTai "jfev-JjAEvot xov
XoYou, liLleral. : « qui ab initio Icsles oculali
el ministri facti sunl seimonis. » Quoique la
difference ne soil pas essentielle, elle a iiean-
moins son importance Iorsqu'on veul deter-
miner les personnes representees par auxoTtxai
el OuYipsTat. S. Luc avail-il en vue deux cate-
gories distinctes d'individus, ou tout a fait
les meines, designes sous un doulile carac-
tere? La premiere opinion serait [ilus favo-
risee par notre version laline, qui semble
ranger les « leinoins » dans une classe et les
« minislres » dans une autre. Elle est adoptee
par Fr. Luc, Maldoiial, Salmeron, Grotius,
Olsiiau.-en, elc. La seconde esl certainement
plus conforme a la construction du li'xte pri-
mitif, oil les subslantifs auxo-Rxai, UTtripexai,
sonl places sur une meme ligne, raitaches
aux memes mots (an' ^pyM "'t- "^o^ '>~'jyo\j), et
paraissenl ainsi repiesenler une caiegurie
unique de p -rsonnages, ceux qui furent lout
ensemble lemoins et auxiliaires, c'esl-a-dire
les disciples de Jesus dans le sens strict.
O'apres cela, I'expression « ab initio » (scil.
rerum ([uae in nobis completae sunl) ne desi-
gnerait pas les premiens annees du Sauveur
(Kuinoel, Olshausen, Bisping, etc.), mais seu-
lement le debut de sa Vie publique; elle
aurait une signification relative el non abso-
lue. Celle interpretation nous esl suggeree
par Jesus-Chrisl lui-meme, qui disail un jour
a s 'S apolres : « Vos testimonium p rhibe-
bilis, quia ab initio mecum eslis, » Joan.
XV, 27. Comparez Act. i, 21 et 22 el Luc.
III, 23. oil le commencement du miiiislere
piibliede Nolre-Seigneur esl indiipie par ap$d-
(levo?, ap)^6|jievo;. — TnYipe'Tyji; (de Ono > t ^pexr;;,
remex) signilie proprement « rameur en se-
cond » ; il designe au figure tome Sifte de ser-
viteurs. Comp. Bretschneider, Lex. man., s. v.
Les disciples nous apparaissenl ainsi, comme
on I'a dil, « tamquam remiges in navi quae
est Ecclesia ». — 11 nous reste k preciser le
CIIAPITRE I
29
3. Visum est et mihi, assecuto
omnia a principio diligenter, ex or-
dine tibi scribere, oplime Theophile,
3. A moi aussi il m'a paru bon,
apres m'etre diligemment informe
de tout des rorigine, de te I'ecriie
par ordre, excellent Theophile,
sens de xAu Xoyou. D'anciens exegeles, lels
qu'Origene, S. lionec, S. Alliaiia-e, Eulliy-
miu-. aiixqiiels s't'sl asr^ocie li'. Dr Woids-
vvorlh, voicnL sou> ce iiiol le Logos person-
nel on Virbe divin; inais il est. diBicile do
croiro qu'ils aieiiL voiilii donner ici iino inter-
pretation stride, atleiidu que lo subslantif
^oyo; n'esL employe de la sorLe (|iie dans le
qiiainenie Evangiie. Aussi la Vulguto ne I'a-
l-ii pa> traikiit [)ar « Verbum », mais par
scrmo, monlranl ainsi que S. Luc a vouhi
parler seuleinenl de la predicaiiun evange-
iique, qui e>l l(^ langage, le discours par
excellence ; ou. mieux encor'^, dis actions de
Jesus en general, de soi le que « sermonis »
correspoiidrail a " rerum » du •)>■. 1, et serail
synonyme du i::"f lieb:eu. — La tradition
aposioiique, voi!a d nt; la base sur laquelle
s'elaienl appnyes les ecrivains inentiunnes
par S. Luc : base excellenle, qui sera egale-
menl la sienne. II suit de la que S. Maltliieu
n'est pas compris dans les « mulli », puis-
qu'il avait ele personnellement « testis et
minister sermonis. » S. Marc (n faisail-il
partie d'apres la pensee de S. Luc? C'est pos-
sible en soi, mais si peu vraisemblable, que
Ja plupart des exegeles se decident pour la
negative, a quelque ecole du resle qu'ils
apparliennont.
3. — L'evangelisle fait part maintenant
au lecleur de sa melliode, des principes di-
recleurs qu'il suivra en tant qu'hisioiien de
Jesus. — Visum est et mihi. 'E5o|e pourrait
se traduire egalemeiil par « placuit. » Les
mols « et Spirilui sanclo », inseres apres
« mihi » par la version golhique et plusieurs
xnanuscrits latins, soni apocryplvs, bien
qu'ils expriment une idee juste. K,dixoi, a moi
aussi; S. Luc s'auloiis' en quelque sorte de
I'exemple des ecrivains qui I'ont precede. Ce
qu'ils ont fait, il est pareillement en droit de
I'enlreprendre. Mais il insinue ensuite deli-
<;alemeiil en quoi il essaiera de les surpasser.
Quatre expres-^ions choisies indiquent les
(lualites qu'il s'efTorcera de donner a sa nar-
ration. 10 II sera aussi complet que possible,
fisseruto omnia. Le verbe TtapazoXouOew si-
gnifie liileralement « suivre pas a pas »; les
meilleurs auleurs grecs rap[)liquent comme
■S. Luc aux investigations intellectuelles.
Ccnip. Polyh. i, 12; Demoslh. Pro corona,
c. 53. etc. Quoique le Ttaoiv grec soil ambigu,
la Vulgate a eu raison de ie traduire par le
neutre, car il designe en realite les Glioses,
ies fails, et non les teraoins el minislres,
ainsi qu'on I'a quelquofois affirme. 2o S. Luc
reinontera jusqu'a I'origine la plus reculde
de I'liistoire du Sauveur, « ab ovo » fiour
ainsi parler, car « il se propose d'lntio-
duire dans son tableau memo I'aurorc du
jour» qui en forme le fond (Bisping). 'Avw6£v,
a principio, (lit ainsi quelque cliose de plus
que an' apx*); [t. 2). Les tif- 5 el ss. nous
monlreronL ce que S. Luc a enlendu par le
« commencement de toules les choses. » 3oll
raconteia avec loule IVxactitude dont il sera
capable, d(/t(/('ji<er, dxptgco;; la metliodesuivie
par lui dans iion recil corauie dans ses re-
cherches sera « crili(|ue », selon I'expri ssion
qui est a la mode aujourd'luii. 4° 11 organi-
sera les evenements d'apres un ordre regu-
lier, qui sera generalemenl celui de la chro-
nologie, ex or dine , xaTe?ri; (moL special a
S. Luc dan-; le Nouveau Testament; les au-
teurs cla-si(|ues I'l mploienl aussi, bien qu'ils
prelerent £?£??,?;. Nous avons vu en divers
endroits de la Preface, §§ V et VIH, que
S. Luc a ele fidele a toutes ses promesses. II
est plus complet qu'aucun autre evangelisle
(comp. S. Ambr. Exp. in Luc. I. i, 11); il
remante non-seulemenl jusqu'a I'lncarnation
du Veibe, mais jusqu'a la conception du Pie-
curseur; il est nnnarrateur Ires exact; enfin
un ordre luminoux regne a peu pres parlout
dans Ses pages. — Tihi scribere, oplime Tiieo-
pliile. Ces mots rent'ermeni la dedicaco de
I'ouvrage. Voyoz la Pieface, § IV. Mais
qu'etail ce « lies excellent Theophile » au-
quel S. Luc adressail ainsi premierement et
direclement son Evangiie? Les avis ont ele
de tout temps tres partages sur ce point. De
la signification myslique de son nom (0£6(pt).o«
= 0eou (pD.o;, ami de Dieu) on a parfois
conclu (Hammond, Leclerc, E. Renan, etc.),
a la suile d'Origene, Horn, i in Luc, de
S. Epii)hane, Haer. I. li, et de Salvianus,
Epist. IX ad Salonium, que c'elait un per-
sonnage purement ideal et suppose, destine a
represenler tout lecteur chrelien, a la faQon
de la Philotht^e de S. Fiangois di; Sales. Mais
c'est a bon droit que les exegetes rejetlenl
pour la plupart ce sentiment : car, d'un cote,
il est contraire a I'ensemble de la tradition,
laquelle a vu ires generalemenl dans Theo-
phile un personnage historique et reel, vivant
en m^me tem[)S que S. Luc; d'un autre cote,
il est suQisauiment refutd par I'epitheie
xpdTioTe, associee au nom de Theophile. En
eifet, on ne donne pas de litres honorifiques
k un 6lre imaginaire; or, I'adjectif xpdxtaTos,
30
fiVANGlLE SELON S. LUC
4. Afin qvic tu connaisses la ve-
rite cle ces paroles dont tu as ete
instriiit.
5. Aux jours d'Herode, roi de Ju-
4. Utcogiioscas eorum verborum,
de cfuibns eruditus es, veritatem.
b. Fuit in diebus Herodis, regis
^.faivalanl au « splendidiis » dcs Lalins,
apparail soil dans les ecrils du Nouveau Tes-
laiiunt (romp. Acl. xxiii. 26; xxiv, 3;
XXVI, 2o), i^oil siir les moiuiments antiques,
d vanl le nom de personnages officiels el
dif^tinirue.-s. On a infeie de la, sans doule avec
lasoii, (jue le Gsc^t).©; aiiquel est dedie lo
iroisieme Evangile elail selon toule appa-
rence un liomme d'un rang assez eleve,
par exemple un magistral superieur. Tout
piouve aussi ciu'il elait clirelicn, el d'origine
pai'enne. Tuiilefois, on n'a pas voulii sc borner
a ces idees generales : il n'esL meme sorle
d'hypolhese quo les exegetes n'aienl faito
pour determiner au juste sa personne el sa
patrio. C'esl ainsi qu'on I'a identifie tanlol
avec le gran l-prelre juif du memo nom, flis
d'Anne, el depo.-^e par le roi Agrippa (voyez
Josephe, Ant. xviii, 5, 3; xix,"6, 2), tantot
avec un autre Tlieophile, habitant d'Alhenes,
menlionne par Tacite, Annal. ii, 55, 2,
tantot avec le celebre Philon d'Alexandiie
(car on est alle ju?qno-la!), tantot avec deux
autres homonymes donl I'un, d'apres les Re-
cognit. Clonienlinae, i. x, c. 7, aurail ete
I'un des premiers citoyens de la ville d'An-
iioche, donl Tautre, d'apres les Conslil.
Aposlol. vii, 46, serail devenu le troisienie
eveque de Cesaree de Palestine. Tout cela
est bien lia.-aide. On a pourtanl conjcclure
(rune manieje as-sez ingenieuse que Theo-
pliile habilail piobablement I'llalie quand
S. Luc lui dedia son Evangile ou du moins
le livredes Acles.Tanfiis que partoul ailieurs
les eciaircissements geograpliiques abondent,
lis cessent loul a coup dans le dernier cha-
piirc des Actes ; des qu'il est question do
I Italie, I'ecrivain saere se borne a menlionner
les localites, supposant que son illuslre ami
( St suffisammjnl renseigne sur leur compte.
El cep ndanl plusieurs de ces localites sonl
sans importance, comme « Forum Appii,
Tres Tabernae » : c'esl done que Theophile
les connaissait, el il ne pouvail guere les
connaitre qu'a la condition d'etre domicilie
dans io pays. On trouvera les developpo-
menls de celte these dans Hug, Einleilung,
I. IL Pour de plus araples details sur Theo-
phile, nous renvoyons a Winer, Realwoer-
lerbuch, el a Smith, Diciionary of the
Bible, s. V.
4. — Ut cognoscas... S. Luc consacre la
derniere partie de eel inleressant Prologue a
cxposer le dessein qui lui avail fail prendre
la plume. II veul que son lecteur.orincipal, el
lous les autres avec lui, soient confirmes
dans la foi cbretienne par une connaissance
plus approfondie de lEvangile : ut cognoscas,
d'apres toute la force du grec ETityvw; (enl
el yivwaxw, connailre en sus), « ut accurate
cognoscas. » — Eorum verborum... lei, do
meme qu'au t- 2, Xoyo? designe I'enseigne-
menl evangelique, ou les eveneiuents qui lui
servaienl de base. Le vcrbe xarrixi^Gyii; {erudi'
tus es] est, comme plus haul irapsooaav [t. 2),
une expression technique de I'idiome Chre-
tien qui s'etait alors deja en partie forme.
Nous en avons fait « catechiser, calechese,
catechisme, catechumene ». — Le substantif
veritatem est renvoye a la fin de la phrase
d'une maniere emphalique : son correlalif
grec aa©i).£'.av signifie proprement « secu-
rite, parfaile certitude ». — Noiez la cons-
truction extraordinaire du lexte primitif :
Iva iTtiYVw^Ttepi uvxaTyi)^y,9y5;),6Ywv Tyivdff^dXeiav.
On I'explique habitiiellemenl par I'altraction.
La structure reguliere serail : iiept twv ),6ywv
oO; xaTrixriOric .
Dans cette entree en maliere digne d'Hero-
dote ou de Thucydide, le rationalists Baur s&
complait a voir I'oeuvre d'un faussaire. Ewald,.
autre rationaliste, en admire au contraire la
modestie delicate, I'aimable candeur; carac-
lerequi est en effetlres frappent. — Au point
devue theulogique,celle petite piece a une tres
grande importance, car elle est d'un precieux
secours pour determiner la nature de I'inspi-
ralion. S. Luc « parle comme aurail fait un
auleur ordinaire, qui releve sa fidelile, son
exactitude et la i)arfaile connaissance qu'il a
des choses qu'il raconle... L'inspiralion du
Saint Esprit n'exclul pas la science, la di-
ligence, la fidelile de I'ecrivain. Plus sa di-
gnile est relevee, et plus les choses qu'il
raconte sonl divines et surnaUirelles, plus il
doit apporler d'exaclitude et de fidelile a
s'inslruire et as'eclaircir de tout ». D. Calmet,
Comment, lilt, sur S. Luc, p. 267 el suiv.
Si Dieu est le principal auleur des saintes^
Lettres, il laisse pourtant quelque chose a
faire aux hommos qu'il inspire.
PREMIERE PARTIE
VIE CACHEE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-
CHRIST. I-M.
1. Annonciation de Zacharie et conception,
miraculeuse de Jean-Baptiste. i, 5-25.
En annonganl a Zacharie la conceplioa
miraculeuse de celui qui devait etre le pre-
CHaPITRE I
34
Judsese, sacerdos quidam nomine
Zacharias, de vice Abia; et uxor il-
lius de filiabus Aaron, et nomen
ejus Elisabeth.
1 Paral. 24, 10,
dee, il y eut un prStre nomme Za-
charie, de la famille d'Abia, et sa
femme, de la race d'Aaron, s^appe-
lait Elisabeth.
curseur du Messie, I'ange Gabriel emploie
le mot « evangelizare », t. 19; preuve que
cet evenement faisait en realilc parlie de
I'hisloire evangeliquo. II elaii done bien na-
tiirel que S. Luc commengal par ce beau pre-
lude le recil du grand drame qui expose la
vie et la morl du Christ. S. Jean-Baptisto
est ainsi le lien qui unit les deux Testaments ;
il ouvre i'Evangile de meme qu'il clot k'S
Propheties (Cfr. Mai. iv, 5 et 6).
5, — Le style deS. Luc, si classique dans
les Tft. l-i, se Iransforme lout a coup au
debut du cinquieme. Au lieu de belles periodcs
admirablement cadencees, nous ne trouvons
plus, pendant quelque temps, que les phrases
courtes et simples de la prose hebrai'que,
rattachees sans art les uncs aux autres par la
conjonction xaJ, et chargees d'aramaismes. Ce
contrasle provient sans nul doute des docu-
ments hebreux dont S. Luc se servit pour
CL'tte partie de sa narration, et qu'il y insera
meme dans une large mesure, se contenlant
di; les traduire el do les abreger. — Fuit in
diebus... Voila deja de I'hebreu tres pur :
'>12'^'2 'iTV Les recils orienlaux commencent
oidinairement par ce M>1, « fuit »; nous en
avons phisieurs examples dans la Bible. Comp.
Ruth, I, i; Eslh. i, 1, etc. Quant au mot
(I diebus », qui correspond aux locutions
latines « sub imperio, in tempore », il indique
la date de I'incident que i'evangelisie se
propose d'exposer tout d'abord. Sur celte
date assez vague (714-750 de Rome fondee)
et sur Herode-le-Grand , voyez I'Evangilt!
selonS.Matlh., p. i9.— Regis Judcew. \\sag\l
ici de la Judee dans le sens large, c'est-a-
dire de la Palestine enliere, puisque tel etait
le terriloire gouverne par Herode. Plus loin,
lu, 1, il ne sera question que d'une Judee
notablement restreinte. — Sacerdos quidam
numine Zat/mrias.L'Evangile, lo livre le plus
universel, le plus catholique qui ail jamais
f xiste , debute par un episoda dont une
simple famille juive est le theatre 1 Voici
d'abord, dans les tt. 5-7, quelques details
interessanls sur les deux heros de I'episode,
Zacharie et Elisabeth. Le premier, dont le
nom {r\'^'\Zi'f-, Zecariah; racine I3"f, zacar, il
s'est souvcnu, el ^^ luh, abrevialion pour
mn>, leliova), souvent porle duranl I'ere de
I'Ancien Testament (Cfr. Smith, Diction, of
the Bible, s. v.), signiQe « Jehova se sou-
vienl », n'etait pas le grand-pretre d'alors,
conuue on I'a souvent redit a la suile ciu
S. Augustin, mais un simple pietre, ainsi
qu'il ressort de [)lusieurscirconstances du re-
cil. L'expression « sacerdos » (UpsO;, com-
parez iii, 2; Act. iv, 6, etc., oil S. Luc
nomme le grand-pretre apxiepsu?;, a plus forte
raison « sacerdos quidam » (lepeu? tk;), ne
saurait designer qu'un preire ordinaire. De
plus, le souverain Pontile du judaisme n'ap-
parlenait a aucune classe speciale, landis
que Zacharie, nous I'allons voir, faisait partie
de celle d'Abia. Enfin le grand-pi'6tre n'etait
jamais « de semaine », et n'avait pas besoin
de tirer au sort poursavoir quellesseraient ses
fonctions. Tout au plus pourrail-on dire avec
Wouters, Dilucid. select. S. Scripturee, 1792,
t. II, p. 151, quo Zacharie elait « summus
sacerdos vicis susb », et encore n'esl-ce la
qu'une simple hypolhesc, qui presenle peu
de garanlies. — De vice Abia; d'apres lo
gix'C, de « rephenierie » d'Abia. Le mot eyvuxs-
pia, inconnu des classiques, est employe a dif-
iercntes reprises dans la traduction desLXX,
pour designer ce que les Hebreux nommaienl
npSna (i Par. xxm, 6; xxviii, 13, 21;
II Par. xxxi,2, 15)ou mau;a(Neh.xii, 24;
XIII, 30; I Par. xxv, 5), c'esl-a-dire, cha-
cune des families sacerdolales lelles qu'elles
se trouvaienl organisees soil a I'epoque do
David, soil apres le retour de la caplivite Ba-
bylonienne. Voyez Brelschneider, Lexic.man.
2e ed. t. I, p. 441. S. Luc lui donne ici la
meme signification. Sous David, les descen-
dants d'Aaron formaienl vingt-qualre fa-
milies, qui portaienl le nom de leurs chefs
respectifs; celle d'Abia etail la huitieme,
I Par. XXIV, 10. Le saint roi decida qu'elles
scrviraient dans le temple a tour de role
pendant une semaine, du samedi au sa-
medi:cc qui faisait deux semaines seulement
chaque annee (independamment des giandes
solenniles, pour lesquelles les besoins du
culle exigeaient le concours de la pluparl des
pretres). Apres I'exil, il ne revinl en Palestine
que quatre families saceidolales (comp.
Esdr. II, 37-39); mais on les parlagea en
vingt-qualre classes, auxquelles on donna les
anciens noms pour garder le souvenir du
passe. Voyez Josephe, Anliq. vii, 15, 7;
Lighlfoot, llor. hebr. in Evang. Lucse, h. 1.;
T. Robinson, the Evangelists and the Mishna,
Londr. 1859, p. 190 el suiv. C'est done a la
huilieuie de ces classes qu'appartenait Za-
charie.— Et uxo)' illius de filiabus Aaron. Li
ler.on primitive du texte grec parait Stra
32
EVANGILE SELON S. LUC
6. Et ils etaient tous deux justes
devant Dieu, marchant sans repro-
che dans tons les commandements
et lois du Seigneur.
7. Et ils n'avaient point de fils,
parce qu'Elisabelh elait sterile et
que tous deux etaient avances en
age.
6. Erant autem justi ambo ante
Deum, incedentes in omnibus man-
datis et justificalionibus Domini sine
querela;
7. Et non erat illis filius, co quod
esset Elisabeth sterilis , et ambo
processissent in diebus suis.
^uvyi aCiTw (soiis-fnl. ■^v), « uxor erat ei », au
lieu de ^ "V'Jvi^ *'^'^°^" « Do filiabus Aaron »
est un noiivel hebraiVme, pour « e familia
Aaron ». Les prelres avaicnl le droil de se
marier dans n'importe quelle hibu d'Israel
(comp. Lev. xxi, 7; Ezech. xliv, 22); mais
la frnime que Zacliarie s'elail choisie t'aisail
parlie comine lui de la race sacerdoiaie.
L'evangelHle n'a pas releve ce detail sans
une inlrnlion parliculiere : il voulail evi-
demment meltre en relief la noble oiigine de
Jean-BaplisLe, en montrant qu'il se ratiacliait
et par son pere el par sa mere a rilluslre fa-
mille d'Aaron, la plus glorieuse qui existSl
alors apres celle d.' David, donl devait nailre
le Messio. Voycz dans Joseplie, Vila, I, com-
bien I'origine sacerdoiaie pa^sail alors pour
elorie use. — Noiiien ejus Elisabeth, en hebreu
y3y;iSx, Elischebali, « le sermenl de Dieu »,
nom qui n'est pas moius significalif que celui
de Zacliarie. La fcmme d'Aaron I'avail deja
porie, Ex. vi, 23, el Ton conQoil qu'il ail eie
souvent donne aux filles des pietres en I'hon-
neur et en souvenir de h ur ai'eule.
6. — Zacharie et Elisabelh avaient encore
una aulre noblesse plus precieuse que celle
du sang; c'etait la noblesse de la verlu.
L'evangeliste se hdle de nous I'apprendre en
traganl leur portrait moral. — Erant jusli
ambo. « Jiislus » equivaut ici au pn2f hebreu,
et represente par consequent loule la per-
fection dont on etait capable sous le regime
de I'ancienne Alliance. Einge bien significalif
duranl ce tiisle regne d'Herode, ou il legnail,
soil dans le peuple juif en geneial, soit en
particulier dans le cor()s des prelres, une si
profonde corruption. S. Joseph, IMallh. i, 19,
etle vieillard Simeon, Luc. ii, 25, ont egale-
menl merilede le rccevoirdaiis I'Evangilo. —
Les mols ante Deum (DMSx ^^sb) indiquenl,
ainsi que I'onl note frequeminent les saints
Peres, la sincerite. la veiile de celle justice
qui brillait dans les deux saints e|unix. « Co-
rum Domino, ecril S. Gregoire, Moral.
J. XXXV, c. 5, ssepe multorum vita displicet,
qucEeliam I'oiis hominibus placel. Caute ergo
niinin in laudem... Zachaiiae et Elisabeth ab
Evangelisla diclum est : Erant jusli ambo
anleDeum. Non enim secura laus est, juslos
ante homines apparere ». La suite de la
phrase, incedentes in omnibus..., expliqiie en-
core, en la paraphrasanl, celle belle epilhele
de « jusli ». Rcmarquoz le verbe pitloie-que
« incedere ». caique sur I'hebieu nbn, qui, au
moral, a bien des fois la sign ilication de
^ijv, H vivere » (Cfr. en particulier 111 Reg.
vni, 51. ou nous iiouvons une phrase lout a
fait seniblable a la noire). D'apres cetle ma-
niere d ■ parler, les commandeincnls divins
sont pour ainsi dire une voie royale sur
laquello s'avancent les justes el les saints. —
In omnibus viandatis et justi/ir.c.tlouibus...
llaaaic est emphalique : loiis les preceples
(le Dieu sans ('xc{>ption. Faul-il, avec la
plupart des exeget(>s modernes, voir dans
« mandatis » (ev-roXai?) I'indication d.-s pre-
ceples moraux, et dans « juslificalionibus »
(5f/caiw(Aaffi) celle des preceples cereuioniaux?
On le peul; iiiais nos deux sub^lanlifs n'in-
diquent poml par eux-meines celle diffe-
rence. Au fond ils sont a peu pres synonymes.
D'apres I'etymologie, le premier designe les
lois divines en tanl qu'elles sont I'expression
d'un ordre impose par le Souverain Mailre,
le second ces memi s lois en tanl que leur
accomplissemenl parfail esl pour rhomme
uni! source de juslificalion. — Sine querela
(o([A£iJ.7tToi, liller. « iireprehensibiles ») com-
plele I'eloge. Aussi pouvons-nous dire avec
Maldonal : a Non poliiil Evangclnla gravio-
ribus, illuslrioribus, honorificentiorlbus ver-
bis eorum sanctitalem declarare ».
7. — Malgre le bonheur qu'ils Irouvaient
dans raccoii)()lissemenl de la loi de Dieu,
Zacharie et Elisabeth avaient cependanl un
grand chagrin domeslique : non erateis filius
(dans le grec, rey-vov, enfanl). L'evangeliste
fait connaitre le molif de celle douloureuse
privation : eo quod esset Elisabeth sterilis; et,
si tel avail ete le [lasse, I'avenir n'otlVail [)lu5
aucune esperance au point de vue huinain,
allendu que a[ji90T£poi irpoSsgrixoTe; ev xai;
:filj:e'pat; autwv i^aav. Nous prefererions vn lalin
« procisserant », I'lndicalif au lieu du siib-
jonctif, car ce verbe ne parait plus dependre
de « eo quod ». La locution TtpoSeSyixoxe; ev
Tate -fip-ipaic, {processissent in diebus) est i mi lee
de I'hebreu D'a""! Nin.Comp. Gen. xvm, 41 ;
XXIV, 1 ; Jos. I, 23; xill, 1, etc. Les Grecs
disaient d'une maniere analogue 7tpo6e6ir)x(i><
I
CHAPITRE I
33
8. Factum est autem, cum sacer-
dotio fungeretur in ordine vicis suae
anteDeum,
9. Secundum consuetudinem sa-
cerdolii, sorte exiit ut incensum
8. Or il arriva, lorsqu'il rempiis-
sait les fonctions du sacerdoce dc-
vant Dieu, selon le rang de sa I'a-
mille,
9. Qu'il lui echut par le sort, selon
la coutume des pretres, d'entrer
TTj fjAtxta oil XP'^^V) ou -im^)leinent itpoSegrjxw;.
— Co? details doimes par S. Luc onl pour but
manife.-le de raieiix Jaire ressorlir i'eUndue
du miracle qu'il va bienloL raconLer. Comme
I'a dit le poeie Juvencus,
Nee fuit lis sol oles, jam turn vergcnlibus anois,
Graliui ul doaura jam desperantibus esset.
Jean-Ba|)iislo sera nn enfant de prodige,
conime aulrefois Isaac it Samuel. « Deii>,
lison>-nou> dans TEvangiie apocryphe de la
Nativite de Marie, ap. Tliilo, Cod. apocryph.
I. 1. p. 332, Dons quum alicujus uLerum
claudit, ad hoc facil, ul inirabilius denuo
aperial, et non libidinis esse quod nascitur,
sed divini muncris cognoscalur ».Ce ful cer-
tainemenl le cas pour Elisabeth.
8. — Apres celle courte enlree en matiere
(tt. 5-7;, nous arrivonsau fail qu'elle devait
preparer : uii tils esl miraculeusemenl promis
a Zacharie el a EHsabelh, tir. 8-22; puis ii
esl bientot miraculeusemenl congu, tt- 23-25.
— Factum est autem. 'Eyc'vexo Ss esl la tran-
sition favoiite de S. Luc, de meme que xat
l8ou esl celle du premier evangelisle. lei en-
core Cfr. t. 5), c'esl le i~iT des ecrivains
hebreux. — Cum sarerdotio fungeretur, sv
T({) lepaTcUEiv aOtov, Ijn32. Zacharie est done
de service dans le temple avec la classe d'Abia
(in ordine vicis suce, comp. le f. 5 et IVxpli-
catioii I. C'esl la, dans le lieu sainl [ante Dium\
qui eiail comme le palais royal habile par
Jehova, que Taltendenl les bienfails celestes.
— Sur la nnie S!m[ilemi'nl accideulelle ev tyj
Ta$ei T^; eiiTi(iepia? auToO, divers exi'geles. en
parlicuiicr Scaliger, Limbrun, van Till. Ben-
gel, el de nos jours Wieseler, onl echalaude
lout un systeme chronologique. D'une part
le premier livre des Machabecs, iv, 38 et
S3., raconle que Judas Machabee resiaura
et reorganisa le culte du temple; d'aulre
part, le Talmud menlionneexpressemeni que
c'etaii la premiere des classes sacerdolales
qui eiaii en fonciions au mois de Ab (aout)
quand le temple ful delruil par les Romains.
Pananl de la. ccs auleurs onl essaye de
fixer la date pxacie de la nativite du Precur-
seur, tanlot, en redescendant. tantot en re-
monlanl If cours d s annees, jusqu'a ce
qu'ils rencoiu I assent le tour de la classe
d'Abia SIX mois avanl la naissance de Jesus-
Christ. Mais leurs calculs sont plus ingenieux
que solides, comme le montre la varieie de
S. Bible. S
leuis iippitHiiiiintis On on trouvora un boii
expose duns Wieseler, Cliruii. Syiiops.,
pp. 4 40 145.
9. — Secundum consuetudinem sarerdotU.
Cesmols no retombent pas sur la pioposilion
piecodonte, « quumsaoerdotio fungeretur. ..»,
mais sur sorle exiit, £>.«•/.£, (plus lilterale-
ment : il oblinl par le son). Le sort jouail
un Ires grand role chez tons les pcnples
anciens, (jui lui atlribuaii'nl genefalemenl
un caraclere religieux, paice (ju'ils voyaienl
en lui I'expression d'une volonte suporicuro,
des indications toutes provideniitlles. Comp.
Jon. I, 7; Act. i, 24 el ss. Cost pourquoi,
a Jerusalem, lorsque les pretres de semain!'
avaient a se partagcr les difTerrnlos fonrlioiis
qu'ils devaienl remplir dans le ieiii;il •. ;iu
lieu de faire cette distribution d'une maniore
arbilraire, ils roperuieni en retuuiiuu aii
sort. Les Rabbins nous out conserve sur ce
point des details que le lecleur vcrra sans
doute avec interei. Voici d'abord les cere-
monies quoiidiennes qui eiaienl reservees
aux pretres, ei, Fcrdre d'apres lequol il fallaic
les accomplir : « Allare magnum li. e. sacri-
ficii) praecedil altare minus (i. e. thymiama-
tis). Altare minus praecedil dnoseginina ligui
(appesita ad focum aliaris magtii). Apposiiiu
duorum segmenloruin ligni praecedil deci-
nerationem aliaris inlei loris (i. e. Ihyiniama-
tis). Decineralio aliaris intenoris piaecedit
emendatioiiem quinque lainpadum. Emon-
datio quinque lainpaduin praecedil sparsioiieni
sangumis sacrificn jiigi-:.S()arsio sanguinis sa-
crificii jiigis piaecedit einendationeiii dua:uni
lamj)a(lnm reliquarum. Emendalin duarum
laiiipaduni praecedil ihymiama. Thymiama
praic<'dil appo-ilionem pariiuui sacrificii in
altari. Appositio partuim pr;ecedil Minchani
(le sacrifice non-sanguint). .Mincha praecedil
dua> moias(i. 0. pane.-)Siimini Pontificis. Duae
molaepraeceduni libationem. Libaiio praecedil
sacrilicia additilia ». Gloss, in Taiiiid, c. vi.
Au momonl de faire le pariage, les pretres
8' reunissaieiil dans le Gazziih ou salle
des pierros laillees (voyez I'Evang. selon
S. Matlh., p. 492) Le Talmud nous montre
le mailredos ceremonies convoqiiaiil ses col-
legues poiir cette operation : « Dicii eis Pr;e-
I'ectus : Venite, el suites projicile. I'ut deler-
miiv tur' qui-nam mactabit viclimam, quis
sparget .«anguinem, quig decinerabit allare
iiiterius, quis decinerabit candelabrum, qui?
Lcc — 3
34
EVANGILE SELON S. LUC
dans le temple du Seigneur pour y
oiiVir rencens,
10. Et toule la multitude du peu-
ple etait dehors, priant a I'heure de
I'encens,
11. EL un ange du Seigneur lui
apparut, debout a droite de I'autel de
i'encens.
poneret, ingressus in templum Do-
mini :
10. Et omnis multitudo populi erat
orans foris liora incensi.
Exod. 30, 7; Lev. 16,47.
11. Apparuit autem illi angelus
Domini, stans a dextris altaris in-
censi.
porlabil paries ad ascensiim aliaris, caput,
cm?, duos armos, caudam spinae dor.si, cms
alterum, |)ecUis, gulam, duo latera. viscera,
faritiam. duas molas el vinum. Is oblinetcui
sorle obtingiL ». Tainid, cap. in, hal. 1.
Ailleur.s, loma, fol. 25, 4, on nous apprend
la maniere donl se fai.-ait le tiragg au sort :
c'elail d'apres une melhodn analogue a celle
quo les enfants suivent encore aujourd'hui
<lans leurs jeux. « Circumdederunl sacerdo-
tes in circuio et Praefeclus accedens arripil
cidarim (i. e. pileuin) a capile hujus vel illius,
alque hinc norunl quod sorlilegium ab eo
inciperet ». La giose ajoute, f. 22, 1 : « Cir-
cumsleierunl in circuio, accedensque Prae-
ieclus cidarim arripil a capite alicujus,
atque ab eo incipit sorlilegium numerari,
elevatque unusquisque digiUim suum ad
numerum. Dicilque Preefeclus : In quocum-
<|ue desinel numerus, i!le hoc vel illud raunus
sortilur; cnarral pariler numerum. ex. gr,
■cenlum ve! scxaginia. pro mulliludine sacer-
•dolum astanlium. Numerare incipil ab eo
cujus cidarim arripuil, cl circuranumerat
•donee excurril ntimerus. Alque in quem-
■cumqne nuniprus cxsijiiat, ille inuniis illud
sorlilur de quo fil .sorlilegium. El sic in sor-
lilegiis omnibus ». Voyez Liglilfoot, Horae
hi'br. HI Evang. Lucae, li. I. — Ut incensum
2)onerel (dans le texie grec, le genilif toO
■Sufj-iaaai est gouverne par le verbe IXaxs). Tel
lul le role qui echul a Zacharie : il etait re-
garde comme le plus honorable de lous ceux
qui elaient exerces par les simples prelres.
€elui auquel il incombail enlrail deux fois
•chaque jour, le matin et le soir, dans la
iparlie du temple nommee le Saint (ingressus
in templum, et; t6v vaov, Sd'H I Reg. xi, 5) et
y encensait I'autel des parfum.^. Ici encore,
giace au Talmud, nous pouvons fournir d'in-
leressanls deiads sur cetle fonction, telle
qu'elle se praliquail au tem|)5 de Nolre-Sei-
gneur. Le preire qui en etait charge etait
accompagne de trois auxiliaires : le premier
nettoyail I'auLel, adorait el sortait; le second
apportait sur I'autel quelques charbons ar-
denls extrails du brasier des holocausles,
adorait et sorlail ; le troisieme recueillait les
grains d'encens torabes a terre, et ne cessait
de rappeler a i'officiant qu'il devait user
d'une grande vigilanci^ puis il adorait el sor-
tait. Enfin le celebrant, demeure seul dans le
Saint, versait sur les charbons de I'autel une
quantite delerminee d'encens, et, a son tour,
il adorait el se relirait. Voyez Lighlfool et
T. Robinson, ubi supra.
40. — Et omnis multitudo populi... Les
heures de I'encensemenl coincidaient avec
celles du « sacrifice perpeluel » immole le
matin (9 h.) et le soir (3 h.), et ces deux ce-
remonies etaient les plus solennelles du culte
quotidien : aussi les personnes pieuses y
accouraienl-elles en grand nombre. De la
celle mullilude menlionnee par I'Evangile. II
n'esl done pas besoin, pour expliquer une
pareille affluence, de supposer avec divers
auleurs que I'annoncialion de Zacharie eut
lieu en uu jour de fete ou de Sabbal. La foule
n'enlrait pas dans le vao? propremenl dil;
elle reslail dans les cours qui rentouraient
(foris; voyez I'Allas archeolog. de V. An-
cessi, pi. X), unissant ses prieres [orans] k
celles du preire, de sorle que les deux par-
fums, le parfum materiel ei le parfura mys-
tique, s'elevaient ensemble, I'un comme un
type. I'autre comme une realite, vers le trone
de Jehova. Une clochelle indiquail aux
assistants le moment precis ou le preire re-
pandail I'encens sur I'autel, car le voile qui
separail le Saint du parvis les empechait de
voir celte ceremonie.
11. — Apparuit autem illi. Apres ces de-
tails prelimmaires, tt- 8-10, I'hislorien sacr^
arrive a I'apparilion de I'ange Gabriel, el il
note en passant I'lmpression qu'elle produisit
sur Zacharie, tt. 11 el 12. Le phenomene
decrit au t. 11 ne consista pas en une vision
exlatique ; ce fut une apparition exterieure,
reelle, qui tomba sous les sens du saint pietre.
Cela resulle soit de I'emploi du mot w^Ori,
« visus est », soit de la description qui suit :
stans a dextris altaris incensi. L'aulel de
I'encensement ou des parfums, qu'il ne faut
pas confondre avec celui des holocausle.s
etait en bois de sillim (sorle d'acacia) revetu
d'or. 11 se dressail vers le milieu du Saint,
un pen du cole de I'Orient. Au Nord se trou-
vait la table des pains de proposition, au Sud
le chandelier k sept branches ; c'est done
aupres de ce candelabre, situe k droite de
12. Et Zacharias turbatus est vi-
>dens, et timor irruit super eum.
13. Ait aiitem ad ilium angelus :
Ne limeas, Zacharia, quoniam exau-
dita est deprecatio tua : et uxor tua
Elisabeth pariet tibi filium, et vo-
cabis nomen ejus Joannem :
CHAPITRE I 35
12. Et Zacharia en le voyant fut
trouble, et la crainte le saisit.
13. Mais range lui dit : Ne crains
point, Zacharie, parce que ta priere
a ete exaucee : ta femme Elisabeth
t'enfanteraun fils, et tu I'appelleras
du nom de Jean,
i'autel , que se lenait rArchango lorsque
."Zacharie I'apergut tout a coup. Des rensei-
^neuients aussi posiiifs prouvenl le caiac-
tere lout a fait hislorique du I'incident. —
Telle fut la premiere des apparitions ange-
liques qui se ratlachenta rEnfanci' de Jesus.
Les Evangiles on raconlent plusiours aulres:
t. 26; II, 9; Mattli. i. 20; ii, 13 et 4 9. —
Remaiquons que c'est dans le sanctuaire de
Jeliova que la nais.-ance procliame du Pre-
curseur sera prophelisee. 11 convenail que ce
lieu, oi souvent lenioin des maiiilestalions
divines, lut, en ce moment le centre d'oii s'e-
cliapperaient les premiers rayons lumineux
qui devaient former bienlot le soleil evange-
lique.
12. — Zacharias turbatus est videns.
L'homme est toujours saisi d'effi oi a la vue du
surnalurel quand il se prescnie sous celte
forme. La Bible nous en fouinit di' nombrcuses
preuves. Comp. Ex. xv, 16; Judith, xv, 2;
Dan. viii, 17 et 18; x, 7-9; Act. x, 4;
XIX, 17, etc. — Et tiiKor irruil super eum.
Repetition empiialique de la meme idee avec
des expressions plus fortes, a la maniere du
style hebiai'iiue 'CIV. Gen. xv, 12), pour
aiieux decrire la terieui' di' Zacharie.
13. — Ail... aiirjelus : Ne timeas. G'(■^t
la parole amif, ra>surante, adiessee liabi-
luelleraent paries anges en pareil cas. Comp.
■*■. 30; II, 10; Apoc. i, 17. « Siciit luimanae
fragililatis est, dit ires delicalemini lu Ven.
Bede, h. I., spiritalis creaturae visioius lui-
bari, ita angelicae benignilaiis est paventes
de aspeclu sno morlali's mox blandicndo so-
lari )>.La prcmierr purolu celeste qui retentii
dans le Nouveau Testament est ainsi une
■ parole d'encouragement et do consolation.
Elle est iramediatement suivie de la grande
nouvelle qui etait le motif de l'ap()arilion :
Exaudita est deprecatio tua, et uxor tua...
Mais quelle etait cetle priere a laquelle
I'angK fait tout d'abord allusion?Il s'est forme
sur ce point deux sentimi ntsconlradictoires.
Maldonat, Bengol, Olshausen, Meyer, MM. Bis-
ping, Schegg. Godet, etc., pensent que Za-
charie, en offrant I'encens au Seigneur, ve-
nait de formuler avec une ardeur nouvelle
la priere que pendant longtemps il avail
-adressee a Dieu chaque jour : Donnez-nous
tun Glsl El, au premier regard, le conlexle
paratt favoriser cette opinion , puisque
I'ange ajoute aussitot : « Tu auras un fils »,
semblant etablir ainsi une connexion Ires
etroile entre la priere de Zacharie et la pro-
messe qui va suWre. Neanmoins, en etudiant
le texle de plus pres, on est frappe de plu-
sieurs difScultes serieuses qui vont a I'en-
conlre de celte interpretation. L'evangeliste
n'a-l-il pas dit (t. 7)que Zacharie et ElisabiMh
avaient pprdu moralement tout espoir d'avoir
un fils'i'Bien plus, dans un inslanl. quand
I'ange aura acheve son message, Zacharie ne
sera-l-il pas saisi d'etonneraent, et n'objec-
tera-t-il pas sa vieillesse el celle d'Elisabelh?
Aussi les SS. Peres (notamment S. Augustin,
S. Jean Chrysoslome, le Yen. Bede), et apres
eux la plupart des exegetes, onl-ils cru que la
priere de Zacharie avail un autre objet, plus
releve, jilus general, p!us sacerdotal : « Pro
advenlu Messise deprecabatur ». « Hoc alten-
dendum est, dii encore S. Augustin, quia non
est veii.-iiiiii(! ut, quum pro peccatis populi
vel salute vel redempliune sacrificium ille
otferrct, poluent publicis volis reliclis homo
sen(>x, uxorem habcns anum, pro accipiendis
filiis orarc; praeserlim vero quia nemo oiat
accipere (piod se accP|)tiirum e.-se dcspt rat...
Ergo quod ei dicitur, Exaudita est depreca-
tio tua, pro populo intelligendum est; cujus
populi quoniam salus et redemptio et picca-
torum abolilio per Christum futura eral,
adhuc nuiUiatur Zachari;e nasciturus filius,
quia piaecursor Christi destinabatur. » De
quae^tlon. evangel., 1. II, q. 1. Celte derniere
reflexion du saint Docteur montre la liaison
qui cxiste entre les premieres paroles de
Tango, « exaudita est... », el les suivantes :
Elizabeth pariet tibi filium (ulov, au lieu du
vague T£xvov que nous lisions au T^. 7; yf^y^y
dans le sens de Ttxireiv, de meme que Gal.
IV, 24). A la joyeuse promesse, I'ange associe
un ordre : Et vocabis... Comme Isaac dans
I'Ancien Testament, comme Notre-Seigneur
Jesus-Christ dans le Nouveau, S. Jean regoit
son nom directemenl du ciel ; et quel beau
nom! Joannes, en hebreu pnV {lochandn) ou
pmni {Yehochandn) . for me des deux mots
pn mni,signifie« Jehova estpropice, Jehova
a fait grace », el exprime de la faQon la plus
claire les intentionsbienveillantes du Seignpur
a regard de son peuple, L'idee de la Re-
36
fiVANGILE SELON S. LUG
14. II sera pour toi uii sujet de
joie et de transport, et beaucoup se
rejoiiiront de sa naissance.
lb. Gar il sera grand devant le
Seigneur; il ne boira ni vin ni cer-
voise, et sera rempli de I'Esprit
saint des le sein de sa mere.
16. Et il couvertira beaucoup
14. Et erit gaudium tibi, et exul-
tatio , et raulti in nativitate ejus
gaudebimt :
15. El it enim magnus coram Do-
mino : et vinum et siceram non bi-
bet, et Spiritu sancto replebitur
adhnc ex ulero matris suae :
16. Et multos liliorum Israel con-
drmption y est conlenue toule enliere. II est
vrai qu'il avail eie soiivetU por le h des
epoqucs anLerieiires(comp. IV Rpg. xxv, 23;
11 Par. XVII, 15; XX 1 11, 1 ; xxviii, 12;Nrhem.
VI. 48; XII, 13); luais alors c'eiaienl des
hoinmes qui I'avaienl iinpo.>e. el jamais t^a
significalion n'avail eld n-alisee.
14. — Et eiil gaudium tibi et exuUatio.
Deux siibslanlifs pour mieux indiquer la vi-
vaciie de la joie des parenls du Precurseiir.
Mais ce n'esl pas seulemcnl dans le cercle
uilime d'uno familie juive que celle mer-
veilleiise nai<sai!ce repaiidrale bonheur : elle
r^jouira un grand nombre d'hommes, pour les
molif's qui scronl devcloppes dans it'S tt. 16
el 17. El en cffcl. I'Eglise enliere ne celebre-
t-elle pas cliaque annee joyeusen)enl la Nali-
vile de S. Jean-Baplisle? Des paiens niemcs,
audire des anciens. n'onl-iis pas fete reguiie-
leiiicnl eel annivi isaire par desrejouissances
publiques ? Voyez D. Calinel. Conunenl. lilter.
surS. Luc, p. 174.— In iKilivitdlee^l poiirw ob
nalivilaiem » (eTttTTg Yewyiaet, ou Yeveoei d'a-
pre.< de noiiibreux mami.^ciils).
15. — Erit enim... Comme le nnonlre la
parlicule y«P' I'ange va mainlenant indiquer
les causes de ci lie joie universelle. II le fail
a Irois poiiils de vue : 1o par rapporl a la
nature iniime, au caraclere moral de I'enfanl
de benedictioti qui vienl d'etre promis a Za-
cliaiie, 20 par rapfiorl a linfluence qu'il
exercera sur les aulres hommes, 3o par
iap|iori a son emploi en lanl que Precur-
seur du Messie. — 1° Nalure morale de I'en-
fanl, t- 15 S. Jean sera grand ; mais. ce qui
vaul mieux, il sera magnus coram Domino,
c'esl-a-dire qu'il possedera la veritable
grandeur. « SiiiiiificaUir, dil Ires bien Lucde
Biugos, singularitas magniludinis, quod Do-
minus eum faciei magnum ». En effel, 6lre
giand devanl Dieu,ce n'est pas jouirdes lion-
neursleire>tres, mais c'esl po-seder la verlu,
lasainlele a undegie eminent, el nous savons
combien Jean-Bapliste a eie grand sous ce
rapport. L'acconqilissement de celle predic-
tion de laiige peul se resumer flans les pa-
roles prononcees plus lard pai' Nolre-S 'ign(>ur
Jesus-Chiisl, IMatlh. xi, 11 : « Inter naios
mulierum non surrexit major Joanne Baptis-
ta ». — La grandeur spirituelle de I'enfanl
sera manifestee par deux signes, I'un exte-
rieur, Tautre inlerieur. Exierieurement, il
menera la vie parfaile, qui consiste loujours,
chez lous les peuples el atoutes les epoques,
dans la morlificalion des sens, dans un re-
gime auslere : vinum et siceram non (oO (ai^,
nequaquani) bibet; il sera done jusqu'a un
certain po nl un Nazir perpeluel (par oppo-
sition au Nazareal lemporaiie. Voyez le moL
Naziraeus dans Otlio, Lexic. rabbin.), a la
fagon de Samson, Jud. xiii, 4, de Saumel.
1 Reg. I, 11 el des Rechabiles, Jer. xxxv, 6-
et ss. Le mot cixepa (generalement indecli-
nable • Eusebe, Praep. evang. vi, 10, emploie
pourlanl le genilif ffuepo?) e-;i nin' reproduc-
tion grecqu{; de I'hebreu 'ySJ xcliecar (rac.
1DU7, srharar, enivrer) et de.•^,gne toules le.s-
liqueurs enivrantes aulres que le vin, la biere
par exemple, I'liydromel et plu-i urs I'spec'es
de cidre ou de boissons feimeniees dont les
Orienlauxonl toujours fait leurs delic! s. Cfr.
Pline, Hist. nat. xiv, 19. S. Jerome, Epist. ad
N.'pol., donne aussi d'mteressanls details a
ce sujel : « Sierra hebraeo sermoni' omnis
polio quie inebriare potest, sive ilia qug&
i'rumenio conficitur, sive pomorum sueco, aul
quum favi decoquuntur in dulcem et barba-
ram poliouem. aul palmonim frucius expri-
munlur in liquorem coclisqu" frugibus aqna
pinguior coloralur ». — liilerieurement,
S. J an aura une marque bien plus cxcellenle
encore de sa grandeur : Spiritu sancto reple-
6((((r, c'esl-a-dire qu'il recevra dans leur ple-
nitude les dons de I'Espnt divin,car telle est
la force de celteformule toules les foisqu'elle
est employee dans les ecrils bibliques. Les
mots suivanls. adiiac ex utero (Iti ex xoiXfa;;
la version syr. tiaduit a bon droit par « in
utero ») matris sua', indiquent le moment
auquel comnvncera cetli' effusion mer-
veilleiise de I'Eprit Saint : elle aura lieu des^
avanl la nai-sance du Precurseur, dans la
circon-tance racontee plus bas, t. 41, else
coniinuera durant toule sa vie. Cfr. S. Ambr..
Expos, in Luc. I. I, 33 ; Orig Horn, iv in LiC.
16. — 20 L'eniant annonce a Ziicharie
exeicera sur ses semblables une puissanie
influence religieuse. II les delournera du mai,
il les conduira vers Dieu. en un mot il les ,
converlira {convertet, inia'zpi'^u, le 2'tt7iT
CHaPITRE I
37
"vertet ad Dominum Deum ipsorum :
17. Etipse praecedet ante ilium in
spirilu et virlute Eliae : ut con-
verlat corda patrura in filios, et in.-
crediilos ad prudenliam justorum,
parare Domino plebem perfectam.
Mal.i., 6; MaHk. 11, U,
d'enfants d'lsragl au Seigneur leur
Dieu.
17. Et il marchera devant lui dans
I'esprit et la vertu d'Elie, pour ra-
mener les coeurs des peres aux fils
et les incredules a la prudence des
justes, et preparer au Seigneur un
peuple parfait.
hebreii). Toiitpfoiscelte influence sera bornee
dans ses limiu^s : elle s'elendra aux seuls
Jiiifs, (>l encore, (lelas! ne les alteindra-l-elle
pas tons; un grand nombre du nioins (mul~
tosj cimsenliionl a la snbir. Nous vcrrons
le Precuispur accomplir admirablem^nt ce
bfau role duranl son ininislere public, pre-
chanl la fuile du peche, la connaissance du
Chri.-^t, el ramenanl ainsi les fils d'l^iael a
Jeliova (Dominum] qui, en verlu de I'alliaiice
du Sinal, esl jusienienl appele par I'evange-
lisle li'ur Dieu special, Deum ipsorum. Ra-
mener les anies au Seigneur, c'est aussi la
fonclion principaU' du prelre,
17. — 30 Au point de vue de sa vocalion
pro()remenl dile, Jean-BapUste S'ra le Pre-
cursour du Messie. — Et ipse [avec emphase,
Nim) prcecedet ante ilium, c'est- a-dire, « Do-
minum Deum ip-;orum ». En effet, grammali-
calenieiit, le pronom « ilium » ne peut se
rapporler qu'a ces mols du t- 16, et pourlant,
d'aprfes I'iilee, il est certain qu'il s'agit ici
<3u Messie. La conclusion eslmanifesle : Done
le Messie est Dieu, le iMessie est. le Jehova
de I'ancienne Alliance. Cfr. Patrizi, de Evang.
lib. Ill, Dissert, iv, 7 el 8. Du resle, ce n'est
point la une notion nouvelle, puisque les
Propiieles decrivaienl deja I'avenemenl du
royaume ^essianique sous la figure d'une
entree soleunelle de Jehova parmi son peuple.
Comp, Is. XL, 3; Mai. iii, 1, etc. — L'ange
fait lout a coup un rapprochement des plus
elogieux pour Jean-Bapiiste. quand il dit
qu'il viendra in spiiitu el virlute EVce, car
Elie est un des plus saints, un des plus grands
personnages de I'Ancien Testament. Le Pre-
curseur heritera done, plus encore qu'Eiisee,
de I'esprit de ce rel'orraateur celebre, il agira
avec une vigueur el une auiorite semblables
a la vigueur et a I'aHlorile d'Elie. Pius tard,
Nolre-Seigneur Jesu-^-Christ fera lui-meme
un laiiproeh rn'm identiqu". el il dira hauie-
menl que Jeai\-Baplisie etail une copie par-
faite du prophete Elie. Comp. Matih. xi. 14
et le commeniaiie ; xvii, 10-12. — Ut con-
verlat curila pntrum in filios. L s par^l'S qui
precelenl eiaienl une allusion evidente a
i'oiacle de Malacliie, in, 1 el iv. 5; mais
voici que l'ange Gabriel cite mainlenant
d'uno manieie litterale, pour les ap[)liquo:- k
Jean-Bapliste, les dernieres lignes de cetle
prophetie, iv, 6 : « Et convertet (Elias) cor
palrum ad lilios, et cor filiorum ad patres
eorum ». Voyez Patrizi, I. c. Dissert, v. La
locution « convertere coralieujus in aliquern »
est assez claire par elle-mem' : elle sig.nifie
rendre favorable, bien dis|)ospr, concilier.
La diSiculte poi te sur « les peres » el ^ur
« les fils » doiil S. Jean, le nouv"! Elie. devait
unir et pacifier les ccEurs sepaies. D'apres
Theophylacle, les peres represenieraienl la
nation juive, les fils seraient au cintraire leg
apolres de Jesus. Suivant Tlieixioret, Words-
worth, etc., les peres soni egalementia figure
des Juii's, inais les fils symb'lisenl les paien-;.
D'uutres exegetes assez nombreux (Maldonat,
Meyer, Bleek, etc.) pr^nnent ces deux expres-
sions a la lettre : l'ange annonc rail simple-
ment que les liens de famille. alors bri>es
dans un grand nombre de maisons par les
discor<les poliLiques el religieuses qui avaient
envahi la nation theocralique. seraient re-
noues lieureusement par le Christ et par son
Precurseur. A ces inlerprelations, nous pre-
ferons celle qu'admellent coinmunement les
anciens auleurs el la plupail des modernes.
Les « peres » ne sont auirescpie les Abraham,
les I<aac, l:'S Jacob, el les aulres pairiaiches,
glorieux ancein sdu peuple choisi. Les « fils »
represenlenl le-^ Juifscontempoi ains de Notre-
Seigneur el de S Jean. Aulaiit ceux-la etaient
pleins de foi au Messie, aiiiaiU ceux-ci etaienl
incredules. malgreleur atli nlesuperslilieuse:
de la une snrle d aniniosile bien nalurelle des
premiers a I'egard de li urs descendants dd-
generes. Or, en amenanl les fils a la vraie
croyance mes^ianique, le Precurseur leur
rendra les Palriarihespropices; il reuniia ces
coeurs longtempssepares. On trouve une pen
see analogue dan-lsaie, xxix 22 ets>. :« Nor
modo confundetur Jacob, nee morlo vultut
ejus erubescei ; sed quum vident filios sues...,
in medio sui saiiclificanies nomen meum,
el sanetifirabunl sanctum Jacob..., el scient
enantes -pinlu intellectum, et miis-sitatores
disceni legem >>. Comp. ibid, lxiii, 16elss.
— Les mnis et incrediiloK ad prudeidimn jus-
torum ((XTtetOet!; iv 9povyiaet Sixattov, liiieial. il
rainenera '< les rebelled au seniimenl des jus-
tes »1 ne ditferent pas, quant au sens, de ceui
38
fiVANGILE SELON S. LUC
18. Et Zacharie dit a Tango :
Comment le saiirai-je? car je suis
vieux et ma femme est avancee en
19. El I'ange hii repondit : Je suis
Gabriel, qui me tiens devant Dieu, et
j'ai ete envoye pour te parler et
t'annoncer colte bonne nouvelle.
20. Et voila que tu seras muet et
ne pourrns pnrler ju«r|n'nn jour oil
18. Et dixit Zacharias ad ange-
lum : Unde hoc sciam 'go enim^
sum senex, et uxor mea processit in
diebus suis.
19. Et respondens angelus dixit
ei : Ego sum Gabriel, qui adsto ante
Deum; et missus sum loqui ad te, et
hsec tibi evangelizare.
20. Et ecce eris tacens, et non po-
teris loqui, usque in diem quo hsec
qui precedent. Les jusles sonL ideiiliqiies aux
peres, les rebt'lles idoiiiiques aiix fils. —
Parare Domino flebein perfectam, c'est a-dire,
« ut parel... » BuL iiiiul de la sainle aclivile
dii Piecursc-iir : sos excinplcs et sa predica-
tion prepareront au Messie, parnii les Israe-
lites, nn noyau parlailemenl dispose (xaxea-
xeuaa[j.£'vov) a le recevoir et a profiter des
graces qu'ii apportera an monde. — Ces pa-
roles de I'ange. qii'on a tronvees « vagues et
decoloiees »"Reuss, Hist, evangeliq. p. 123),
ne pouvaienl etre au conlraire ni plus nettes,
ni plus precises. Elles exprinienl ailniirable-
raent le caraclero el la vie de Jean-Baptisle.
Elles ouvrenl de splendides horizons messia-
rwques, dont nous constatorons bicnlot la
reaiile.
48. — Ce vciset niconte I'accueil fait par
Zacharie aux proiiiesses de rangi\ Unde
UaxoL Ti, le nD2 hebreu, litteral. d'apie? quoi?)
hocscunn? s'eciie-t-il aussilot. A quel indice
recounaitrai-je la verile de voire prediction?
Aiiisi Zacharie demande un sigue dont la
realisation imniediaie lui prouvera que son
interlocuteur est sincere et veridique. II
rappelle cnsuile I'obstacle qui s"opposj a ce
qu'il deviinne pere, comme on le lui proniet :
Ego eniin. xuni senex et iixor mea... Les lois
de la nature ne le [)ermettraient pas. — Les
fonctions religiouses des Leviles cessant
quand ils avaient atteint leur cinquanlieme
annee (comp. Num. iv, 3; viii, 24 et ss.), on
a parfois pretendu que Zacharie n'avait pas
encore cinquanle ans lorsque I'ange Gabriel
•lui apparut, de sorte que le mot a senex » ne
designerait pas ici un age bien avance. Mais
celte observation manque tout a fait de jus-
lesse, attendu que I'ordonnaace en question
ne concernait pas los pretres : le Talmud le
dit formeliement. Comp.Lightfoot, Hor.hebr.
in Evang. Luc, h. I.
49. — Et resTpondens angelus... Au doute
de Zacharie, le mci-rsager celeste repond de
deux manieres : il lui presente d'abord ses
lettres de creance, if. 19, puis il lui accorde
le signe qu'il desirait, t. 20. Ses lettres de
creance consistent ilans I'indicalion de son
nona, de son titre, de sa mission. Son nora est
Gabriel, hi^illi, « vir Dei », nom celebre qui
rappela rnssitol a Zacharie deux des passages-
les plus importanls de la prophetie de Daniel,
VIII, 16; IX, 21. Son tilre est ceiui d'assis-
tant au l-oue de Dieu, qui as/o (napsaTrj/.w;,.
le 1:0]} htJbreu) ante Deum : Gabriel etait
done I'un des sept anges superieurs (D'lU^,
Dan. X, 13; Tob. xii, 15) qui, a la maniere-
des esclaves de TOrient (comp. Ill Reg.
X, 8 ; xvii, 1 ; xviii, 15; Ps. cxxxiii, 1;
cxxxiv, 2, etc.), se tiennent constaminent
debout devant leur augusle Mailii-, loujours-
piets a execuler ses ordres. Sa mission ac-
tuelle consistait precisement a porter la bonne
nouvelle conlenue dans les ft- 13-17, hcec
tibi evangelizare. etil venaitde s'en acquitter
fidelement. Notons le verbe &\iix.yy£liaa(j^a.i,.
qui est une des expressions fa\oiiles de
S. Luc, et qui a fait justemcnt donner a
I'archange Gabriel le surnom d'Evangeliste
celeste. — Comme tout se suit aumirable-
ment dans les plans divins! II y a environ
cinq siecles, ce meme ange annonQail a Da-
niel, au sein de la profane Babylone, le futur
etablissement du royaume du Messie, non.
sans fixer une date fameuse ; et voici qu'il
annonce maintenant a Zacharie, dans len-
ceinte du temple de Jerusalem, que les temps-
sont accomplis et que ses anciennes pro-
messes vont enfin se realiser!
20. — Le signe accorde a Zacharie est
en meme temps une punition severe : Ef.
ecce eris tacens... « Tacens » a evidemmenl
ici le sens de « niutus », puisque I'ange
ajoule aussitot : et non poteris loqui. Za-
charie ne demeurera silencieux que parce
qu'il lui sera impossible de parler. Ces der-
niers mots ne sont done pas une tautoiogie,
comme on I'a pretendu sans raison. — Le mu-
tisme miraculeux de Zacharie durerawsgue i»-
diem quo hcec fiant, c'esl-a-dire, j usque vers
I'epoquf^ de la naissance de I'eiifant, plus
exactement, « ex eventu », jusqu'au jour de
sa circoncision. Comp. le t. 64. La cause du
chatimi-nt est eusuile claireineht indiquee :
Pro eo quod [a,y^^ «5v. Sur cette formule qu'on-
retrouve xix, 44; Act. xii, 23; II Tliess^
II, 10, voyez Beelen, Gramm. graecit. N. T-
CHAPITRE I
39
fiant, pro eo quod non credidisti
verbis meis, quae implebunlur in
tempore suo.
21. Et erat plebs expectans Za-
cliariam : et mirabantur quod tar-
daret ipse in temple.
22. Egressus autem non poterat
loqui ad illos, et cognoverunt quod
visionem vidisseL in tempio. Et ipse
Brat innuens illis , et permansit
mutus.
23. Et factum est, ut impleti sunt
dies officii ejus, abiit in domum
suam.
ces choses arriveront, parce que tu
n'as pas cru a mes paroles qui s'ac-
compliront en leur temps.
21 . Et le peuple attendait Zacharie
et on s'etonnait qu'il s'attardat dans
le temple.
22. Or, etant sorti, il ne pouvait
leur parler, et ils connurent qu'il
avait eu une vision dans le temple.
Etilleurfaisaitdes signes, etilresta
muet.
22. Et lorsque les jours de son
office furent accomplis, il s'en alia
en sa maison.
p. 395 : c'osl le itt/"N rnn liiibrou) noa cre^
didisti verbis meis. Zacliarie n'esl pas puni
pour avoir demandd iin sigiie : d'autres
I'avaient fail avanl lui, prosque dans les
memes lermes (comp. Gen. xv, 8 ; Jud. vi, 171,
sans qu^h' Soii^neur hniradresjal le moindre
reproche. II csl ciiSlie, I'ange le dit, parce
que sa I'oi a un luomenl delailli, parce que
lui, pretre du Ties-llaul, a mis on doute la
verile des paroles d'un messager divin. Les
prcniiers exegeles chrelions aiinaiont deja a
monLrer le ra|)poi t parfait qui exisle enlre la
faute de Zacliarie tl sa puuilion : « Ut qui
discredondo loculus esl, lacendo credere
discal ». V. Cede, li. I. — Gabriel, avanl de
s- lelircr, alliim' (|ue loules ses paroles se
realiseroiit (')( tempore suo, au temps, d'aillcurs
prochain, que la Providence de Dieu avait
iixe de louto eternile.
21. — Pendant que cetle scene avait lieu
dans I'inlerieur du Saint, le peuple se de-
mandait avec elonnemenl cL aieme avec
anxiete sous les parvis pouiquoi la cere-
monie de rencen>emenl durail si longlemps
ce jour la. D'ordinaire, on iirt'l-, quelques
instants suHisaient pour I'accomplir, ci voici
qu'on ne voyail pas sortir Z;icliarie! Lui
serait-il arrive quelque malheur? Un trait
raconie par le Talmud monlre combien faci-
lemenl ces Juifs religieux s'inquietaient en
pareilles circonstances : « Summus pontifex
fudit oralionem br(>vem in Sancto... Frolixus
in oratione non fuit, ne formidinem aliquam
incuterct populo. Hisloria est de quodamqui
prolraxus luitet parati eranl posteum intrare.
Ferunt oum fuisse Simeonem justuin. Dicunt
ei : Ouare tamdiu moraris'i* Rcspondit ille :
Ego supplicavi pro tempio Dei vestri ne exci-
dalur. Regerunt illi : Ulcumque; non con-
venit tamen ut tamdiu moreris ». Babyl.
loma, r. 43.
22. — Egressus... non poterat loqui. L'ap-
parition de Zacharie fut loin de meltre fin iSt
I'elonnement de la foule. A I'emotion qui s;?
trahissait sur sa physionomie, on reconnut
immediatement qu'il avait ete lemoin de
quelque evenement extraordinaire; en de-
couvrant aussitot apres que I'usage do la
parole lui etail enleve, on conjectura que cet
evenement avait du elre surnaturel, lant on
elait accoutume, par la lecture de I'hisloire
nationale el sacree, aux interventions divines^
surlout dans le temple. Ainsi done, concluant
de I'effel a la cause, les assistants cognoverunt
quod visionem vidisseL « Visio », comme sea
equivalent grec ouxadia, designe ici une appa-
rition exlerieure. Comp. xxiv, 23; Act.
XXVI, 19. Zacharie, par des gestes repeles
[erat innuens), leurappiit que leur hypothese
elait exacte ; mais ii ne donna sans doute a
personne la clef du mystere qui lui avait ete-
revele. — Permansit mu'.uf .L'\myiav[a\l oii\i.t>)s.
exprime plus fortem.'nt encore la perseve-
rance du mutisme. Sur I'adjectif xwcpoi;, voyea
I'explication du f. 62. — Dans ce pretre
juif, devenu muet tandis qu'il exergait ses
fonctions sacerdotales au coeur meme du
temple, les Peres ont vu un profond symbole.
Par la, disenl-ils, elait figure le silence auquel
la religion mosaique allait elre prochaine-
menl reduile par la propagation de I'Evan-
gile. Voir en particulier Ongene, Horn, v in
Luc.;S. Ambroise, Enarr.in Luc.,I.L 41 et42.
23. — Ce verset et les deux suivants ra-
content la conception miraculeuse de S. Jean-
Baptiste. — Et factum est, xal eyevexo. Voyez
le f. 8 et le commenlaire. — Ut impleti sunt
dies officii ejus. C'est-a-dire, d'apres les
explications donnees plus haul, a la fin do la
semaine. U.ly\^ea^a.i. du texte grec est employe
dans le sens de itX-opoOaOai (Cfr. t. 57). G'est
le nSd hebreu. — Abiit in domum suam.
Durant leur semaine de service, les prfitres
ne sortaient pas du temple et it leur elait
interdit d'aller dans leurs habitations privees,
Du resle, ils eiaient pour la plupart domici-
40
fiVANGlLE SELON S. LUC
24. Et apres ces jours Elisabeth
sa femrae concut et elle se tint ca-
chee pendant cinq mois, disant :
23. Voila ce qu'a fait pour moi le
Seigneur, aux jours oii il m'a re-
gardee pour me dnlivrer de men
opprobre parmi ies hommes.
26. Or au sixieme mois, I'ange
Gabriel fut envoye de Dieu dans la
ville de Galilee appelee Nazareth,
24. Post hos autem dies concepit
Elisabeth uxor ejus, et occultabat se
mensibus quinque, dicens :
25. Quia sic fecit milii Dorainus
in diebus, quibus respexit auferre
opprobrium meum inter homines.
26. In mense autem sexto, missus
est angelus Gabriel a Deo in civita-
tem Galilaese, cui nomen Nazareth,
lies hors de Jerusalem, el tel elait le cas
pour Zacharie, ainsi que nous le verrons en
expliqiiaiit le f. 39.
24. — Post hos autem dies concepit Eli-
sabeth. L'accompiisseinent des divines pro-
messes ne se fil pas longtemps allendre : en
effel, la formule [iexa xauTa? xi; fiixs'pa; ne
peul indiqiier ici qii'iin iniorvalle 6f lemps
assez courl. — Et occullabat se memibas
quinqne. Dans la pi?nsee d'ElisabeUi, eel iso-
lement dovail dmer jusqu'au jour de la nais-
sance de son enfant; mais, coinme i'ecrivain
sacre le dira bieiilol (comp. Ies til. 26 el 39),
Marie vinl y metlre un lerme au dixieine
mois. De la ce « mpnsibus qiiinijiie » men-
lionne d'line facon expresse : c'cst une dale
qui en prepare une aulre. Mais pourquoi Eli-
sabeth se cacliail-elle ainsi? On a explicpie
sa coiiduito par Ies raisons Ies plus vaiieos,
parfois meme Ies plus invraisemblables.
« Quia quinque primis mensibus nondum sa-
tis ccrla erai de sua graviditale », dit Rd-
senmiiller (Scholia in Luc, p. 21) a la suile de
Paulas. C'eiail. suivanl de Wctle, um^ sim|)li'
precaulioii liygieni.|Ui\ destiriee a ecai'ler
d'Elisabelh el du fruit de son sein tout acci-
dent Icii'lieux. Plu-ieurs Peres et diver- an-
ciens exegetps (Origene, S. Ambroise, Theo-
pliylacle, Eulhyiiiius, etc.) pensenl que ciHle
relraite avnit pour mobde la delicatesse de la
pudi HP : « Parlus sui erub-scebat aetalein »,
ecrit S. Anibroise Bleek croit qu'elle elait
dictee par un besoin profondement senli de
reconnaissance. di' recucilleineiit et de pnere.
Nous preferons adini>ttre, avec un assez
grand nnmbre d'autours contemporains (entre
aulresM.M. von Burger, Bisjiing, van Oos'pf-
zeo), qu Elisabi'ih, de meme que la Tres
Sainte Vierge d'apres le premier Evangile
(Mallh. I, 4 8 20; voyez le commenlaire), se
cachail par respect pour le secret du ciel. Le
S 'igneur lui avail lout a coup accorde une
grace inesperee; mais elle ne croyail ()as
qu'il lui apiiatlinl a elle-meuie de !a reveler
aux homm s. Elle voulut done allendre dans
la solitude qu'il inanifeslal par le cours or-
dinaire des eveiiements I'immense faveur
qu'il avail daigne lui faire.
25. — Quia sic fecit mihi Dominus. Parole
toutehebraique: mn' nyyy ih "ID '3. La con-
jonclion oTi est recilalive; nous ne croyons
[)as que la phrase inirodiiile par elle ait
aucun rapport avec Ies rai-ons pour lesquelles
E isabeth enlrait dans sa pieuse retrait '. Les
niot-i « sic » (d'une maniere si admirable, si
misericor<iieuse) el « Dommus » sont eiiiplia-
liques. C'est a Dieu, el a Dieu siul que la
^ainle epouse de Zacharie rapporte la gloire
de sa maiernite. Goinme Eve, elle s'ecrie :
« Possedi hominem per Deum », Gen. iv, 1.
— In diebtis quibus respexit auferre... Cons-
truction singuliere, direclement ralquee sur
le grec, £v r;ti£pai; aT? eirEiSev d^EXeiv. Le Sei-
gneur, d'apres une penseequi revienla chaque
instant dan- la Bible, est ci nse avoir jete du
haul du ciel un regard favorable sur Eli-
sabeth, en vue de faire cesser la longue
epreuve qu'elle avail enduree. — Opprobrium
menm inter homines. Rachel, devenue mere
apre-; plusieurs annees de steriliie, s'ecriait
aussi avec bonheur : « Ab-lulit Deus oppro-
brium meum! » Gen. xxx, 23. Chez Ies Juifs
en elTet, et en general dan-* toul i'Orient, la
privation d'enfants a loujours ele consideree
conime un indice du meconleniem?'nt divin
el. par suite, comme un ■ grande humilialion.
Coinparez 1 Reg. i, 6, il : Is. iv, 1 ; XLVll, 9*
Liv, 4, etc.
■i. JL'Annonciation de Marie et I'lncar-
nation du Verbe. i, 23-38.
11 y a deux manieresderaconler Ies grandes
choses. La premiere consislea s'elever autant
que possible a leur hauleur, h prendre un
genre imposant el sublime. La seconde, qui
esi souvent la meilleure lorsqu'il s'agil des
divins my>teres, se conienle d'un expose
tres simple des evenem nts, auxquels elle
laisse h' soin de se faire valoir par euxmemes.
S. Luc a ariopte ici celte deiniere meihode.
Rien de plus simple, mais aiis-i rien de plus
Irais, de plus virginal que S(m recit de Yhn-
cai nation du Verbe. Nous le liions avec foi
et avec amour.
26 el 27. — L'evangelisle, dans Ies t». 26
et 27, Commence par donnir quelques pre-
CHAPITRE I
41
27. Ad virginem desponsatam
viro cui nomen erat Joseph, de domo
David, et nomen virginis, Maria.
28. Et ingressiis angelus ad earn
dixit : Ave, gratia plena; Domi-
27. A una vierge, fiancee d'lm
homme nomme Joseph, de la mai-
son de David. Et le nom de la
vierge etait Marie.
28. Et I'ange elant venu a elle,
dit : Je vous salue, pleine de graces.
cieusps indications (ie temps, de li:^u et de
personni~s. 1° Le temps : in )iiense sexto. Non
pas ie sixieme mois d'une maiiiere abs ilue,
c'esl-a-dire io sixieme mois de I'annee ji#ve,
mais, comme il ressort clairpmcnl de lout le
contexle, el specialetnent du f. 24, le sixieme
mois de la giO'Sesse d'Elisabelh. Compaiez
le t- 36. S. Jean-Ba|)tiste aiiia done six mois
de plu< que Not re-Seigneur Jesus-Chnsr.. —
20 L'' lieu : hi civilatem Galdwce, cui nomen
Nazaielk. Sur celte ville privilegiee et sur la
province de Galile'% voyez I'Evangile scion
S. iMailhieu, pp. 63 et 94. Conipaiez aiis-i
Schubert, R'ise in das Morgenlann, I. ill,
p. 170 et ss.; B^deker, Palaeslina und Syrien,
pp. 37.3 el ss. — 3° Les per.sonnes sonl Ga-
biiel, Marie et Jose()li. Les semain'^s prediles
a Daniel sonl mainlcnanl ecoulees. et Gabriel,
apies avoir [)ielude, vers la fin dc I'Ancien
Testament el sur le seuil du Nouvi^au a sa
bcll(> mission d'aujnurd'hui, est enfin d'une
maniere complete I'ange de la Redeinpiion.
€fr. Honor. Niquelus, S. J., de Angi-lu Ga-
brielc, Lyon 1653, et Faber. Bethlclum,
Londr. 1860, p. 73. Marie ou Miriam, nna
(voyez I'Evang. selon S. Mallh., p. 38J. est
i'heroine du recit. Sans donner aucun delail
sur la vie aiilericure de celle qui va devemr
bienlol la mere du Christ, S. Luc sc born ■ a
dill' qu'au mnmcnt oil elle reg.ul le mcssnge
dc I'ange elle etail vierge {ad virfjint'm, upo?
■nap6svov), bicn qii'dhj eul ete fiancee quclque
lemps au|iaiavanl k S. Joseph. Sur cdlH
signification du parlicipe desponsatam, voyez
noire commcniaire sur S. Matlliieu, i, 18.
•et ss. De riiomme qui devait jouer un role si
important duranl les premieres annees du
Vei be incarne, notre evangelisle dil simple-
raent qu'il el ait de domo David, par conse-
quent de race royale. S. Mallhieu complete
eel eloge en ajoulaiit an no:n de Joseph I'e-
pilliete significative de « jusius ». — Les
mots e? olxou Aa6iS ne reiombenl pas sur
Marie (S. Jean Chrysost., Wieseler. etc.), ni
tout a la fois sur Marie el Joseph (Theopliy-
lacte, Euthyuiiiis, Bengel, Pali izi, etc.), mais
seulement sur S. Joseph, comme Tadmetienl
la pliipart ile^ interpreies d'apres la construc-
tion meiiie de la phrase. II est certain nean-
moiiis que Marie a[)partenailaussi a la famille
de David. Cmniianz les tt. 32 el 69.
28. — Et ingressus angdns (6 iyytloi:
manque dans les manuscrits B, L, el dans
pliisieurs versions). L'ange « pnlra »: preuve
qu'au moment oii elli' rcgut la visile du ce-
leste « Pionubus », Mane etail dans I'inle-
rieur de sa cliambre, comme piusieurs Peres
I'onl aflirme. Gabriel salue celle qui sera
dans quelqups instants sa Reine et la Rcine
de lout i'liiiivers. De meme que les rois de
la lerre eiivoicnt solennellement leurs plug
fideles ministres proposer a quelque glorieuse
princesse une union vivement desiree, de
meme Dieu I'achoisi pour porter a Marie des
pr0f)0silif)ns loutes celestes, el pour con-
Iracter avec elle, au nom du cie!, un engage-
ment incomparable : « Mis-us est Gabnel iil
inter creaturam ei Greatorem sponsalia con-
traheret », S. Greg, ie Thaumaturge. Dans
les pn-mieres paroles de I'ang' (t. 28). C"m-
pleiees par I'Egiise de maniere a devenir
r« Ave Maria » cher a tois les ccBurs calho-
liques, et commenteessouvenl d'une maniere
exi|uise par des compositeurs celebres (Cher
rubini. Vittoria, Muzart, M nddsolin, Nie-
dermeyer, Guilmant , Saint-Saens, etc.),
piusieurs commenlaleurs distinguenl a bon
droit quaire parti(\s: la salutation et les trois
graces de la Tres Sainle Vierge. — 1 . La salu-
tation : Ave,x<^'^P^- Chez les anciens peuples,
les formules de ,-alulation elaient plus carac-
lerstiques qu'aujourd'hui. Chaquc nation
employail un mol distinct, parfailemenl ap-
pioprie a ses moeurs et a sa vie. Le Komain
belliqueux souhailait la force el la sanle :
« Salve, Ave. Vale ». Le Grec ami du plaisir
disait, le sourire sur les levres : XaTpe, sois
heureux! Chez les vicilles tribus de I'Orienl
qui, dans le principe, menaient une vie no-
made, exposee a mille dangers iinfirevus, a
mille rencontres f'^cheuses, on se saluait par
ces mots : « La paix soil avec vous I » El,
lei elail au lemps de Nolre-Sei^neor Jesus-
Christ, tel est encore actuellemeiil Ie m'lde
de salutation usite dans lo ute laPrile~ine.
C'esl done de la formiilc "jS DlSuT, S'hnlom
/dfr. (|ue I'ange diit se servir pour salu 'r la
Viergi? Mane. Aussi, Serarius bles^p-t-il
grievement la verile etymologiquH lorsqu'il
fait deliver le mol latin « Ave » de Jhi'breu
mn. Hawaii, « vive! » el que, partani d • la,
il met dans la pen<ee de lange une allusion
au nom de la premiere femme el le raisonne-
ment que voici : « Eva non fuit mn. i. e.
Mater vilae, sed mortis. Tu vero, o Maria,
vere es Eva, quia Mater vilae, gloriae el gra-
42
fiVANGlLE SELON S. LUC
le Seigneur est avec vous; vous etes
benie enlre les femmes.
29. Elle, I'ayant entendu, fut
troublee de ses paroles, et elle pen-
sait quelle pouvait etre cette salu-
lalion.
30. Et I'ange lui dit : Ne craignez
point, Marie, car vous avez trouve
grace devant Dieu.
nus tecum ; benedicta tu in mulie-
ribus.
29. Quae cum audisset, turbataest
in sermone ejus, et cogitabat qualis-
esset ista salutatio.
30. Et ait angelus ei : Ne timeas^
Maria, invenisti enim gratiam apud
Deum :
liae ». Toulefois, I'idee qui accompagne I'er-
reur de Serarius est assiirement pleine d'a
propos. On la rotrouve souvent chez les Peres
d'Occident, auxquds elle a inspire d'inge-
nieiises coraparaisons enlre Eve el Marie. Des
les premiers siecles, on avail decouvert qu'en
lisanl au rebours les leltres du mot « Ave »
on oblienl « Eva », le nom de la premiere
femme. Or, Jesus elanl le second Adam, on
ful ainsi amene a appeler Marie uneseconde
Eve, toul aupsi dili'ereiile de son type que
Jesus le sera lui-meme dn premier homme.
C'est pour cela que I'Eglise chanle dans
r 0 Ave Maris stella » la slrophe suivante :
Sumensillud AVE
Gabi'ielis ore,
Funda nos in pace,
Mulans EViE nomen.
— 2. La triple gr^ce de la Tres Sainte Vierge.
—a. Gratia plena : c'est la grace consideree par
rapport a Marie elle-raeme. Le participe grec
y.£)(_oip'.-z(xi\xi\ri (expression inconnue des clas-
siques; les saints Livres ne remploienl que
deux fois, ici et Epli i, Gjsignifie proprement
■;< qui a rcQu la i;iace, ornee de la iirace ». La
traduction latini; n'esl done point d'une lilte-
ralile parl'ait"; neanmoins elle rend fort bien
la significalion du texte i)rim ilif. Couip. la
version syiientu' : xn^^'U niSa. En ofl'el,
depuis loiigtemps deja Dieu s'dlait complu a
enricliir des graces les plus singulieres celle
qu'il deslinait a el re la Mei'e de son Fils, el,
entre les mains de la Vierge fidele, ces Iresors
s'elaient mukiplies chaque jour. Marie etait
done verilablemeiil pleine de graces au mo-
ment de la visile de I'Archange, comme le
font remarquer al'envi les saints Peres (voyez
leurs paroles dans Luc de Bruges, Cornelius
a Lap., etc. , etles theologiens. Aussi la bulle
« Ineffabilis » a-t-elle justement tire du mot
xexapiTW|x£'vifi un argument en faveur de I'lm-
maculee Conception de Marie. — b. La grSce
de la Sainle Vierge par rapport a Dieu : Do-
minus tecum. Pailbis, les anciens Juifs em-
ployaient celle merae formule pour se saluer.
Cfr. Rulh, II, 4, etc. Mais alors elle avait
seulement la valeur d'un souliait, d'une
priere. Prononcee par I'ange Gabriel elle
exprima qnelque chose de plus qu'un ddsir
(Que le Seigneur soit avec vous! J on qu'une
promesse (le Seigneur sera avec vous); elle
afDrme un fait qui exislait deja depuis long-
temps : Le Seigneurt est avec; vous. C'est done
IffTt qu'il facil sous-enlendre, el non pas e<JTai.
ni eoTo. — c. La grcice de Marie par rapport
au genre humain ; Benedicta tu in mulieribu»
(double hebraisme, pour « benedicta es inter
mulieres ». Voyez Beelen, Gramm. graecit.
N. T. p. 234). Ces mots, qui manquent dans
plusieurs manuscrils imporlanls (B, L, divers
minuscules) et dans quelques versions an-
ciennes (I'armenienne , la cople, la sy-
rienne, elc), sont rejetes par beaucoup de
critiques, comme un emprunt fail au ■*'. 42.
Mais rien n'empeche qu'un tel eloge n'ait el&
adresse deux fois a Marie. II place a bon
droit la Sainle Vierge au-dessus de toules
les femmes sans exception, puisqu'elle les
depasse loutes par sa saintete incomparable
et par ses glorieux privileges. Elle est la
femme ideale, de meme que son divin Fils est
I'homme ideal.
29. — Qua cum audisset. EITot produit sur
la vierge de Nazareth par I'apparilion de
I'ange et par son langage elogieux. Au lieu
de « audisset » nous lisons dans le Icxle grec
iSouoa, ayant vu. D'apres celle leQon, dont
raulhenlicite est suffisamment garaiKie bien
que les manuscrils B, D, L, X, Sinail., el
plusieurs versions portent simplemenl :?i5e£TCl
Ttj) X6y«!> StETapaxQii) le premier motif du trouble
qui s'empara de Marie fut done la viie de
I'ange, ct il n'y a en cela rien que de tres
naturel. Mais ce trouble avait, dans les pa-
roles memes du divin message, une cause
encore plus serieuse : turbatn est in sermone
ejus. C'est pourquoi I'evangelisle, devenu
psychoiogue, ajoute que I'liunible et pun^
jeune fille cherchait en elle-meuK^ (SieXoyt^eTo)
quels pouvaienl bien elre le sens et le but
(TTotaTros; D a TtoSaTto;) d'une telle salutalion.
30. — iVi3 tiimas, Maria. L'Aichange se
hate de rassurer Marie, en lui exposant le
role sublime qu'elle elail appelee a jouer
dans I'oeuvre de la Redemption, tt- 30-33.
Les mols invenisti gratiam apud Deum servent
d'inlroductionalagrandenouvelle. « Trouver
CHAPITRE I
43:
31. Ecce concipies in utero, et pfi-
ries filium, et vocabis nomen ejus
Jesum.
Isa. T, li; In fr. 2, 21.
32. Hie erit magnus, et Filiiis Al-
tissimi vocabitur, et dabit illi Do-
minus Deus sedem David patris
ejus : et regnabil in domo Jacob in
seternum;
Dan. 7, U-27; Mich. 4,7.
33. Et regni ejus non erit finis.
31 . Voila que vous concovrez dans-
votre sein et vous enfanterez un
fils, et vous I'appellerez du nom de
Jesus.
32. II sera grand et sera appele le
fils du Tres-Haut, et le Seigneur
Dieu lui donnera le tr6ne de David
son pere, et il regnera eternellement
sur la maison de Jacob,
33. Et
de fin.
son regne n'aura point.
grace devanl quelqu'iin » est une phrase fa-
milierca la langue hebraic|ue('Tn KJ^Q; comp.
Gen. VI, 8 ; XVIII, 3, etc.), pour signifier
qu'on possecJe la faveiir de la personne en
question. La dignite incomparable qui va
etre olTerle k Marie, monlre jusqu'a quel
point elle avail Irouve grace devanl Dieu.
3'l-33. — Pour une Juive familiariseecomme
retail Marie avec les oracles de I'Ancien
Testament, les paroles coiitenues dans ces
trois versets elaient aussi claires que le jour,
car elles contenaient, comme le dit Ires bien
M. Schegg, h. 1., « une description populaire
du Messie », un resunne des propheties mes-
sianiques les plus celebres. L'enfant que
I'ange promet a Marie devail avoir tons les
litres, remplir tous les ministeres altribues
par Dieu et par la voix publique au Libera-
teur impatiemmentaltendu. Ce portrait elait
d'une ressemblance Irop frappante pour
n'elre pas aussilot reconnu, el la Sainle
Vierge n'eut certainement pas mieux compris
si Gabriel se fut borne a lui dire : Vous eles
destinee par Dieu adevenir lamere du Messie.
— Des les premiers mots, ecce concipies in
utero (pleonasme a la fa'gon des Hebreux),
I'ange fait une allusion evidenle a la predic-
lion d'lsai'e, vii, 14 (comp. Mallh. i, 23 el le
commenlaire). A son Fils, Marie devra donner
un nom, dans ioquel sera exprimee en abrege
la grace ;ipportee par lui sur la lerre. En
effet, Jesus, 'IrjaoO? (formes latinisee et gre-
cisee de I'hebreu yw^, leschouah), signifie
Sauvcur, ou plus complelcmenl, Jehova sauve.
Voyez I'Evang. seion S. Mallh. p. 44. — Ga-
briel trace ensuite une description magni-
fique de I'aveiiir reserve a Fenfant de Marie.
Hie erit magnus ; non-seulemenl « gi and
devanl Dieu », comme Jean-Baptiste (Cfr.
t. 15), niais grand par anlonomase. le plus
grand de tous les hommes. — Films Altissimi
vocabitur. KXviSi^CTeTai n'esl pas precisemenl
un syiionyme de eatat, « erit » ; ce verbe dit
en oulre que la vraie nature de Jesus sera re-
connue et admise par les hommes. Or, d'apres
sa nature intime, le Sauveur sera « Fils du
Tres-Haut » (pibs/, Elion, nom frequemment
donne a Dieu chez les anciens Hebreux. Voyez
S. Marc, v, 7 et le commenlaire). Les litres
de Fils du Tres-Haut, de Fils de Dieu {f. 35),
ne designent pastoujours necessairementune
fdiation divine dans le sens strict. La Bible
et les Rabbins les appliquenl souvent aux
Juifs en general, aux anges, aux hommes qui,
par des fonclions elevees, representent la di-
vinile sur la lerre, au Messie enfin, en tant
qu'il devail etre le ju-le par excellence et-
I'ami privilegie de Jehova. Mais le conlexle
prouve que nous devons les entendre ici
d'une maniere lillerale el d'apres toute leur
valeur iheologique. L'enfant de Marie sera
veritableinenl Fils de Dieu, puisqu'il sera
en.Licndre par Dieu lui meme, V- 35. — Da-
bit illi DominusDeus... Doue de deux natures,
I'une divine, I'autre humaine, Jesus aura
comme deux peres distincts, I'un au ciel, le
Kupio; ©£0?, I'autre ici-bas, David, dont Marie
etail la fille. 11 herilera done du trone {sedem;
dans le grec, 6p6vov) de son pere terrestre,
et, le royaume juif elant Iheocralique, c'est
le Seigneur lui-meme qui I'installera sur ce
trone. Tous les mots de I'ange onl done leur
porlec, et tous ils correspondent a quelque
prophelie de I'Ancien Testament. Comp.
H Reg. VII, 12-16; Ezech. xvii, 22 et ss. ;
Am. IX, 11 ; Mich, iv, 7, etc. — Ragnabit in
domo Jacob in wternum. La « maison de
Jacob », c'est d'abord la nation juiv(>, issue
de ce grand patriarche selon la chair, et
heriliere direcle des promesses du ciel. Mais
c'est aussi, comme le prouvera la vie de
Nolre-Seigneur Jesus-Christ, la poslerile spi-
riluelle d'Israel, composee, sans distinction
de race, de tous coux qui croiront au Messie ;
c'est, en un mol, la sainle Eglise du Christ.
On comprend mainlenant que le royaume de
Jesus doive durer a tout jamais, puisque
I'Eglise a des promesses de vie elernelle, et
qu'elle ne cessora d'exisler sur la terre qu(3
pour arriver k sa glorieuse consomraation'
44
fiVANGlLE SI:L0N S. LUC
34. El Marie dit a I'ange : Com-
ment cela se fera-l-il? car je ne con-
nais point d'homme.
33. Et I'ange lui repondit : L'Es-
prit saint surviendra en vous et la
"verlu du Tres-Haut vous couvrira
34. Dixit autem Maria ad ange-
Inm : Qiiomodo iiet islud, quoniam
virum non cognosco?
3b. Et respondens angelns dixit
ei : Spiritus .sanctus sujierveniet in
te, et virtus Allispimi obumbrabit
dans le ciel. La repetilion emplialique et
I'egni ejus non erit finis, a pour but d'msister
sur ci'Ue porpeuiile, (jui d'ailknirs a\aii ele
si formt'lleinenl aiinoncee par les Propheles :
a Potesias ejus, polestas aelerna quae non
aufiMciur, el reguuui ejus quod non cor-
rumpetur », Dan. vii, 14. Comp. Is. ix, 7.
Sur le royaume du Clirisl voycz encore Jer.
xxxiii, 15-26; Ezech. xxxiv, 23 et ss. ;
Os. in. o, etc.
34. — Dixit autem Maria... D'apres les
idees juives de cetlu epoqui-, eire me'e du
Mes^ie el devenir mere de Dieu ri'eiaii pas
nect'ssaiitMiienl une seule et meme chuse,
car la divuiile du Messie elail a peine pres-
sentie d'un p til nombre : la masse du peuple
etail dans le vague el rincerliUide louchant
I'origine du LiberaU-ur promis. Voyez Lan-
gen.Iudinthum in Palaestmazur Zeil Chiisti,
pp. 433 el ss. Assurement Marie, si versee
dans les Sainles Ecrilures, conuaissail ce
mystere, et elle avail compris, d'apres les
paroles de I'ange, que c'elail la dignite de
mere de Dieu qui lui elail offerte. Pourquoi
done dcmande-l-elle : Quomodo fiet islud?
Halons-nous de dire que celte question dif-
fera;l bien de celle de Zacliarie \t. 48 ; voyez
S. Ambroise, Expos, in Luc. il, 15), el
qu'elle n'elail nullemenl le resultal d'un
doule. « Non est Virginis diffidenlia quod
ait : Quomodo fiet islud? Quod enira fulurum
e.-S!'l ceria eral ; modum quo fierel in-
quirebal ». dit S. Augustin. De civil.
Di'i, lib. XVI, c. 24. Et Ma:ie avail une
raison speciaie d'inierrogor I'angi' sur ce
point, cuniiue elle I'indique en ajouianl :
Quoniam virum non cognosco. Au piemiiT
regard, ccs paroles peuv' nl sembli-r eloiiuan-
les, puisque S. Luc vient de dire, f . 27, que
Marie etait alor> fiancee a S. Josefih. Mais il
ne faiil pas beaucoup de lemps pour decou-
vrir leur significalion veri;able. Pour qui-
conque li-s "etudie sans idees precongues,
elles supposent de la uianiere la plu- evi-
dente qu'a une epoque anlerieure de sa vie
Marie avail consacre a Dieu sa virginiie par
un engdgoiuenl irrevocable. Aiilr^ment, elles
n'auraiiiil aucun sens. « Pour(|Uoi diMuander
avec etonneinent comuienl elle devicndra
mere, si elle f^nlrail dans le mariage comine
les aulres, pour avoir des enfants^ » D. Cal-
mcl, in h. I. Ainsi done, de concit avec
S. Joseph, Marie avail promis au Seigneur
de re-ter vi.'rg(>. Dans eel elat de clioses,
c'elail pour eiK- plus qu un droit di' di man-
der a I'envoye du ciel dcs erlaiicissemenls
sur le « Comment » de sa maierniie. Ainsi
I'a compris la iradilion loule enlie-e (S. Aug.
Lib. de Vug. c. iv ; S. Greg. Ny>s. Ural, de
Clirisli naiiv. ; S. Anselm. Lit), de excell.
Virgin. ; S. Bernard. Serm. iv de Assumpt. ;
voir Pelavius, Dog(n. iheol., t. VI. de Incar-
nat. XIV, c. 3, § 9 et ss.); ainsi raduii-lient
a I'envi tons les llieologiens du mnyenage et
lous les exegeles cailioliques des lemps mo-
deines. Celle interpretation est meme si na-
turelle el si obvie, que plusieuis ecrivains
proti'Siants ne peuvenl s'emjiechi^r, a !a suite
deGrotiu-:, de la trouveraeccpiable. L'' temps
present •^i.-JuiG-/.tji, am-i que le disail Erasme,
de^igne aussi par sa generaliie le passe et I'a-
venir. Sur le sens donne ici par Marieau verbe
« connailre » voyez Brelschtieider, Lex. man.,
8. V. yivwoxw. et "G'Senius, Tliesaurus. an mot
yivCel emploi, ires frequent dans les langues
arabe et syriaque, n'etail pas inconnu des
classiques grccs et latins.
35. — Respondens angelus. Gabriel s'em-
presse de repondre a la demande si legitime
de Marie. Qu'elle se Iranquilise au suji-t de
la dii:nile malemelle qui lui a ele proposee,
car la chair et le sang n'y auroni aucune
part : c'esl lEpril saint qui produira divine-
menl en elle le corps du Veib.> incarne. Telle
est la substance des explications qu'il lui
donne. — Spiritus sanrtus superveniet in te.
Au commencemenl du monde, G'U. i. I'Es-
pril de Dieu elail descendu fur la nature en-
core informe, et I'avail predi-^posee aux
Iran-formations admirables qu'elle devail
ensuite -ubir : d ■ meme, le germe de vie
depose dans le sein de Marie devait etre le
fruit de son operation myslerieuse. — Et
virtus Altissimi obumbrabit tibi. « Nous re-
marqiions dans la rep inse de I'ange le paralle-
lisme qui esl toujours, clicz les Hebn ux. I'ex-
pressionrlerexaltaliondu seniimenlel le ca-
ractere du style poetique. L'ange aborde le
plus saint des mysteres; sa [larnle devienl
un chant », Godet, h. 1. La (ihrase Suvaai;
Cn!/ioTou iTtttrxtdffEt aot exprime done lout a fait
la meme idee que la precedente, Tiveftta Syiov
£7te).£0(7£Tai eni ffl : il n'y a do difference que
dans les termes. « Virtus Allis-imi » (miiJ
"IVIU. I'eneigie crealrice el loule puis-ante
du Seigneur) equivaut a « Spiritus Sanctus »
CHAPITUE 1
45
tibi. Ideoque et quod nascetur ex te
Sanctum, vocabitur Filius Dei. "
36. Et ecce Elisabeth cognata tua,
et ipsa concepit filium in senectute
sua : et hie mensis sextus est illi,
quae vocatur sterilis :
37. Quianon eritimpossibileapud
Deum omne veibum.
38. Dixit autem Maria : Ecce an-
de son ombre. C'est pourquoi le
fruit saint qui naitre de vous sera
appele le Fils de Dieu.
36. Et voila qu'Elisabeth votre
parente a concu, elle aussi, un fils
dans sa vieillesse, et ce mois est le
sixieme pour celle qu'on appelle
sterile.
37. Car rien n'est impossible k
Dieu.
38. Et Marie dit : Voici la savante
et repie'st^nte la troisieme personne de la
Sainie Tiimte. « Obumbrabil libi » e?t syno-
nyine de « siiperveniel in Le», maisavec une
bflle imago en &us, pour forliQer la pensee.
On a pnuitanl inlfipitMe de manieres bien
diveises celle ombre donl la Verlu du Ttes-
Haui devail couvrirMarie pour la rendieraere
du Clirisl : peut^ire, en comptanl birn. liou-
veraii-on plus de quinze ( xplicalions diffe-
rentps erai-es dans le cours des sieeles.
Voyez Cornelius a Lapide, hoc loco. Suivant
ropiuion qui esl Ires communemenl admise
de nos jours, il y a dans la meiaphore de
I'ombre une allusion aux iheoplianies de
I'Ancien Testament, c'esl-a-dire aux mani-
festations de la substance divine sous la
forme d'une nuee qui recoiiviait I'arche
d'alliance. En tout cas, le langage humain ne
pouvail pas designer en lermes plus clairs et
plus cliasles le myslere admirable qui allait
bientoL s'accomplir. Marie, comme le chante
I'Eglise, reunira sur sa lete les deux plus
belles couronnes de ce monde, la <ligiiite
d'une mere it la purele d'une vierge. — /deoqne
et quod uascetur ex te santtum... Coiiyu par
I'opeiation du Sainl Esprit, le Qls de Marie
(to Y£vva)[i£vov, litter. « quod gignitur »; ex te
esl probablemi'nt une glose), sera necessai-
rem nl lui-meme ayiov (ce neutre esl pleiu
de force), une chose sainte ; il sera neces^ai-
remeiit aussi le Fils de Dieu, el le monde
enlier le reconnaitra comme lei {vocabitur:
voyez le t. 32 et I'explicalion). Rien n'est
plus rigoureux que cetle double deduction de
i'ange.
36. — Les Prophetes, quand ils predi-
saienl au nom du ciel un evenement impor-
tant, mais surhumain, annongaienl parfois
un autre evenement plus rapproche, doiit la
realisation devail prouver la verite de leurs
paroles. Comme eux, le messager celeste
donne a Marie un signe ipii lui demontrera
qu'elle n'a pasete trompee. La vierge de Na-
zareth obtienl ainsi, sans le demander, ce
que Zacharie n'avait regu qu'en punition de
son incredulite. Ce signe miraculeux lui esl
noli fie avec toutes ses circonstances : Ecce
Elisabeth... Quand on precise a ce point, on
ne craint pas d'etre dementi par les fails, et
quiconque propheti-e une chose si diUicile,
merile qu'on lui ajoule foi, alors meme qu'il
en predit une autre mille fois plus difficile
encore. Si une femme sterile el agee pent
devenir mere, pourquoi une vierge n'enfan-
terail-elle pas?-^ A propos des mols cognata
tua, ^ ffWYYEvyi; cou (d'ass; z nombreux ma-
nu<crils ont a^yyt^k, furme extraordinaire],
on s'esl souvent deinande comment Marie et
Ell^abelh pouvaient elre parenles, puisque
celle-ci etail de la tribu de Levi, el celle-la
de la tribu de Juda. Mais il n'exi-te sur ce
poinl aucunediCBculte reelle. Puurcreer enlre
elles des liens de parenle, il suflisait d'un
maiiage enlre leurs families. Par exemple, la
mere de la Sainie Vierge elail piul etre fille
d'Aaron, ou bien la mere de same Elisabeth
pouvail appartenir a la race de David. — Et
ipsa esl einphatique; de meme les mols in
senevtuLa sua, quae vacatur sterilis. — La struc-
ture de la phrase /tic mensis sextus est esl toule
hebraique.
37. — Quia non erit... Par ces paroles,
I'ange raltache a un principe cominun, qui
est la loute puissance de Dieu, les deux
naissances iniracuienses qu'il a propheti^ees.
Le futurest employe dans le sens du present.
Voyez Beelen, Gramma t., p. 300 — Omne
verbuin est un autre hebraism* (121 Sd. Cfr.
Gen. xviii, 14, lilteral. loute clios •). Sans
doute les clioses annoncees par Gabriel de-
passonl les forces de la nature ; mais le
Createur esl-il done enchaine par les lois
qu'il a posees? — Plu-ieurs exegeies (Meyer,
Olshausen, etc.), conservanl a prjixa son ac-
ception ordinaire, et donnanl au verbe
dSuvaTso) celui de « dobilis esse », Iraduisenl:
Aucune parole divine na saurait demeurer
sans etfei. Mais celle interpretation esl peu
nalurelle.
38. — L'Archange a accompli sa mission.
II se tail, el attend respeclueusemenl la re-
ponse de Marie. Quel instant solennell « 0
46
fiVANGILE SELON S. LUC
du Seigneur; qii'il me soil fait selon cilia Domini, fiat mihi secundum
votre parole. Et Tange s'eloigna verbum tuum. Et discessit ab ilia
•d*elle. angelus.
39. OrMarie se levant en ces jours- 39. Exurgens autem Maria in die-
beala Maria, s'ecrie S. Augiislin, saeculurn
omne captiviim tuum deprpcalur assensum...
Noli inorai'i, Virgo; nunlio festinanter res-
poiide verbum et suscipe filium » (Serm.
XVII, de tempore. Comp. S. Bern. Serm iv
sup. Missus, et. Faber, Bethlehem, p. 74 et 75).
Marie, sure desormais de conserver la virgi-
nite qui lui est si chere, n'a aucun motif de
refuser ce que le Singneur lui demande. Aussi
repond-elle, dans le double sentiment de son
'humilite et de son ardent desir : Ecce andlla
Domini, fiat mihi...! II y a la aussi une foi
sublime, qui faisait dire a Terlul!ien,De carne
HJhristi, c. XVII : « Crediderat Eva serpenti,
rredidit Maria Gabneii ; quod ilia credendo
deliquit, hoic credendo deiisit ». — Heureux
de eel asseniiment. I'ange discessit ab ea, et
aussitot, selon I'opinion commune des Iheo-
logiens, eut lieu le myslere de rincarnation.
Du sang le plus pur de Marie I'Esprit saint
forma le corps de Jesus, et I'unit a une ame
iiumaine qu'il crea au meme instant : le Verbe
prit possession de ee corps et de cetle ame,
v.l le mystere tut accompli. Ex verbum caro
FACTUM liSTET HABITAVir IN NOBIS. — ApieS
-avoir adoi'e les aneanti-seuieiits du Verbe, il
faut admirer ici la beaule, la giandeur du
■caractere de Marie. Comme eile est bien,
■auiant du moins que cela etait compatible
avec une nature creee, a la hauieur du role
qui lui estofferl! Quel « type ideal depurete,
d'humilite, de candi'ur, de foi naive et forte ! »
Boiigaud. Jesus Cluist, 2e edit. |). 147. Vrai-
meut, dil uu autre ecrivain, « Marie appnrait
sur le vieux tronc du judai'sme comme la fleur
sur I'arbre, pour annoncer la saison de matu-
rite ». Admirons aussi la narration de S. Luc,
si ijobre, si exquiso, si delicate, si simple-
ment sublime. Ce n'esL pas ainsi que I'Anuon-
ciation est raconlee dans les Evar.giles apo-
cryphes ! Voyez Tliilo, Tischendorf et Brunei.
Est-il surpreuant (pi'uu tel episode, ou I'hu-
niaiu et le divin s'associent de la maniere la
plus etonnante, aitete Irequemment repioduit
par i'att chretien, a I'aide du i)inceau ou du
•ciseau? Voy(Z Rohaultde Fleuiy, I'Evangile,
■etudes iconograph. et archeolog. t. L pp. 41
el ss. ; Grimouard de S. Laurent, Guide de
I'art Chretien, t. IV, pp. 401 et ss. Parmi ces
nombreux chefs-d'oeuvre nous preferons, a
■cause de leur grace, de ieur piele et de leur
purete, les tableaux de Fra Angelico, de Lo-
renzo di Credi, de Baroccio, du Guide, de
liic. Poussin, et les sculptures des cathedrales
d'Amiens et de Reims. « La Anunciacion »
a aussi inspire un beau cantique a Moratin.
3. La Visitation et le « Magnificat ».
1, 39-56.
On a justement regarde ce recit comme
la synlhese des deux precedents. 11 nous
presente en effet, reunies dans une sainte en-
trevue, les meres benies aulour desquelles
lout s'etail groupe jiisqu'ici dans la narration
de S. Luc. « 0 Marie, 6 Elisabeth, 6 hai\,
que vous nous monlrez aujourd'hui de graudes
choses! Mais, 6 Jesus, Dieu cache, qui sans
parailre failes lout dans cetle sainte journee,
je vous adore dans ce mystere ». Bossuet,
Elevat. sur les mysteres, xive sem., SeElevat.
39. — La joie que lui avail apporlee la
malernile divine et ses delicieux enlreliens
avec le Verbe incarne dans son sein ne Qrent
pas oublier a Marie les dernieres paroles do
i'Ange : « Et ecce Elisabeth... » En les en-
tendanl. elle avail senli un mouvemenl inte-
rieur de I'Esprit Saint ([ui la piessait d'aller
visiter sa paiente. Docile a la voix de Dieu,
elle se mil bientol en chemin pour se rendre
aupres d'Elisabeth. « Ubi audivit hoc Maria,
non quasi incredula de oracuio, nee quasi
incerla de nunlio, nee quasi dubitans de
exem()io. sed quasi laela pro volo, religiosa
pijE officio, festinans piae gaudio, in mon-
lana penexil ». S. Ambioise, h. I. Le Messie
aliail ci'ailleurs se servir de cetle rouconlie
des deux mei-es pour sanciifier son i^iecur-
seur. — Exurgens, ubiit, inliavit, salulavil :
on reconnait, dans cetie accumulation rapide
des details, le style pitiorerciue de I'tJrient. —
In diebus iliis, c'est-a-dire. Ires peu cli^ temps
apres I'Annoncialion. Cela ressort 1° du par-
ticipe « exurgens », employe ici a la faQon
hebrai'qiie (Dpm; voyez Gesemu-;. Thesaurus,
s. V. aip) 1)0 ur designer une grande promp-
titude; "2" d'un rapprnchemeiil entie leg
lit- 26, o6 el 57. Elisabeth est deja au sixieme
mois de sa grossesso ; Maiie demeure trois
mois aui)res d'elle et revient sinon avant, du
moins peu de temps apres la naissance de
Jpan-Bai)lisle : ces dates supposenl que la
mere du Christ ne difTera pas son voyage au-
dela de quelques jours. — Abiit in montana.
Dans le grec, el; xriv opetvrjv (s. enl. -/wpav),
Le nom de Juda, que nous trouvons a la ligne
suivanle, montre que, dans celte legion
monlagneuse oil se rendit Marie, il faut voir
le massif de hauteurs qui forme au Sud de
CHAPITRE I
47
bus illis abiit in monlana cum fes-
tinatione, in civilatem Juda :
4U. Et intravit in domum Zacha-
Tise, et salutavit Elisabeth :
41. Et factum est, ut audivitsalu-
tationem Marise Elisabeth, exultavit
infans in utero ejus ; et repleta est
Spiritu sancto Elisabeth ;
la s'en alia en grande hate vers les
montagnes, en une ville de Juda;
40. Et elle entra dans la maison
de Zacharie et salua Elisabeth.
41. Et il arriva que des qu'Elisa
beth entendit la salutation de Ma-
rie, I'enfant tressaillit dans son sein,
et Elisabeth fut remplie de I'Esprit
saint :
Jerusalem un plateau eleve donl ralliiude
varie eiilre 1500 et 2500 plods. Voyez I'Allas
biblique de R. Hies-;, pi. VII. Lo lieu special
vers lequ ■! la Vierge de Nazareth S'dirigeait.
avec nil SiiiiiL eiii|)resseiiionL est de*igne par
les niols in cioiiatem Juda, el; u6),iv (sans
article') 'loOSa. La geiieraiile de {'expression
I'liiployee par Tevaiigeliste et, d'un autre cole,
le desir bieii nature! de connailre au juste la
patrie de S. Jean-Baplisto, a fait naitre des
hypotlieses assez noinbreuses. Cfr. Caspar!,
Chron.-geogr. Einleitiing in das Lebcn
J. C, p. 48 el PS. Plusieiirs anciens (enlre
autres S. Ambroise et le Yen. Bede) s\i sent
-declares en faveur de Jerusalem, quoiqu'it
paraisse de prime abord bien ditiicile que la
capitale juive ait ete designee par un nom
aussi vague. D'autres ont pris parti pour
Macheronte, ou pour Emmaiis (voyez Adri-
(liomius, Descript. Tei rae sanclie, p. 55).
D'autres encore (en particulier le P. Paliizi,
do Evang. lib. Ill, Disseit. x, c. 4), supposant
Mu'd y avail primilivement dans le lexte gn-c
'louxa au lieu de 'lo-joa, idonlifient la ville de
Zacharie et d'Elisab'. th avec Taniique cite de
louta, mcntionnee deja dans le livre de Josue
ixv, 55; XXI, 56; comme um^ viile saceidn-
tale, el sur remplacement de laquelle s'e-
leve un village musuUnan egalemenl nomme
loulta. Voyez Robinson, Palaeslina, t. II,
p. 417. Mais aucun manu-crit ne favorise
cette hypolhese. C'est Hebron qui a reuni de
110= jours le plus grand nombre de suHVages.
Le double caractere nole par S. Luc convient
du resle parfaitement a cette localile ceiebre,
car elle s'elevait au milieu des monlagnes les
plus elevees de la Judee (comp. R. Riess.
Alla^ de la Bible, pi. IV; V. Ancessi, Atlas
geogr. pi. XV), et c'etait un des sejours atlri-
bues par Josne aux descendants dAaron dans
la tribu de Juda. Cfr. Jos. xxi, 11-13. Quoi
<|!i'il en soil de loutes cesconjeciures, la ville
•en question eiani situee au Sud et a quelque
■distance de Jeru-alem, le voyage entrepris
par Marie devait durerde qualreacinq jours.
i*robablement assise sur une Snesse, d'apres
ia couiume ancienne el moderne do la Pa-
lestine, couverle de i'habillement tradilionnel
el pittoresque de sa contree (robe rouge et
manteau bleu, ou robe bleue et manteau
rouge, avec un grand voile blanc qui enve-
loppe lout le corps), accompagnee dune ser-
vanle ou jointe a quelques Galileens qui se
reudaient a Jerusalem, Marie franchil la
plaine de Jesreel, les monlagnes d'Ephralra,
la Samaria el une grande [larlie rle la Judee
avant d'arriver chez Elisabeth. Tout parait
p'ouver que S. Joseph ne vinl pas avec elle.
II n'etait alors que son fiance; I'evangeliste
ne menlionne point sa presence, et surtout,
commi'nt expliquer ses doules ulterieuis re-
laiivemenl a la grossesse de Marie (Malth.
I, 19), s'il eut entendu les paroles que les
deux meres prononcerenl en s'abordant
m. 42 et ss.)?
40 el 41. — Arrivee au terme de son
voyage, Marie se fit indiquer la maison de
Zacharie, et, etant entree, salutavit Elisabeth.
« Elle lui souhaila la paix ». dit la version
syriaque, faisaiil allusion aux paroles donl
la Sainte Vierge se servil ?ui vant la coutume
pnnr saluersaconsine :"lS Dl'lU^i « paxiibi ».
L'evangelisle signale celte salutation a
cause des merveilleux effels qu'elle pioduisii
sur-le-champ. C'eiail !e signal attendu par la
griice. A I'instanl meme (et factum est, ut
audivit... Sur la formule emphatique xal
eye'veto, voyez les tt. 5, 8, el le coinmen-
laire], rentant d'Elisabelh reconnut a sa ma-
niere la presence de son Messie el de son
Dieu : exultavit infans in utero ejus. Quoique
l-utes les meres senlent parfois leurs enfanls
s'agiter dans leur sein, il est evident que
S. Luc a voulu relator ici un fait extraordi-
naire, un tressaillemenl surnaturel, qui euL
pour cause la proximite du Verbe incarne
(a divinilus in infante, iion humanitus ab in-
fante. » S. Ambr.). Le Precurseur saluait
ainsi le Redempleur. « Quem lingua el voce
non potuit, animo exultante et eliam motu
salutavit. Movebatur in utero, quasi gestiens
salutare et Domino suo assurgere, ac quasi
egredi vellel ex utero el ei occurrere ».
Ludolph. Saxon, Vita J. C. p. i, c. 6. Comp.
Bossuet, 1. c. 39 elev. Au meme instant, re-
plela est Spiritu sanclo Elisabeth, et ce divio
48
£vangile selon s. lug
42. Et elle s'e'cria d'une voix forle
et dit : Vons ^tes beiiie enlre les
femmes et le fruil de voire sein est
belli.
43. Et d'ou m'arrive ceci que la
mere de mon Seigneur vienne vers
moi?
44. Gar des que votre voix, en me
saluanl, a frappe mes oreilles, I'en-
fant a tressailii de joie dans mon
sein.
42. Et exclamavit voce maa:na, et
dixit : Benedicta tu inter muiieres,
et benediclus fructus ventris tui.
43. Et unde hoc mihi ut veniat
mater Domini mei ad me?
44. Ecce enim ut facta est vox
i-a'ulationis tuse in auribus meis,
exullavit in gaudio infans in utero
mt?o.
Esprit liii levela soudam lout ce qui s'elait
pa;se en Marie, comm^' nous I'allons voir par
les veisi'i> siiivanis.
42. — ExdaiiiaVilvoce magna. Expressions
plein'^s d'enipliase (le ms. B a xpa-jy^ an lieu
de 9wv^; poui- inlroduire ralloculion inspiree
de sainlc Elisab(>lh. Elles ailesienl la vive
emolion. le saisisscniiMil qui s'empara de la
mere deS. Jean sous i'lnfluence de I'Espritde
Dieu. Elisabeth commence par louer Marie
dans les memes t(>rmes que I'ange : Bene-
dicta tu inter mulicres (couip. le t 28), puis
elle loue le fruil qu'elle porte dans son sein
virginal : Bem-diclus fructus ventris tui.
V ijenedicla arbor, benidictus et arboris
fruclus. Benedicta virga de radice Jesse, be-
nediclus el flos qui de tali radice ascendet ».
Ludolph Saxon. , ubi supra. L'expression
xapTio; Trj; xouta; est un hebraisme. 7133 '^D.
43. — Et unde hoc nnhi... On I'a vu par
le versel precedeni, Elisabeih sait tout. On
comprend done que tout a coup elle s'inler-
rompe afin d'exprimer son eionnemeni, sa
reconnaissance, au sujet d'une visile si hono-
rable pour elle. Comment ai-je merile une
pareille condescendance? La mere de mon
Seiirneur chez moil iJu resie, la fagon entre-
coupec dont parle Elisabeth est vraiment
reniarquable. Elle passe d'une idee a I'autre
a cliaque versel; ses phrases ne se suivenl
[)Oinl parfaitemenl. Mais que cela est naturel
et vrai I Tel est bien le langage de I'emotion,
de la surprise ei de renlhou-iasme. — « Parmi
les paroles d'Elisabelh, dit Olshausen, Bi-
blischer Commentar, h. 1., il faut remarquer
les siiivanles : 'h v-'fi'^A? toO xuptou jiow [mater
Domini mei). Que Ton dise ce qu'on voudra,
noiis ne pourrons jamais expliquer convena-
blement le litre de xupio; applique a un enfant
qui ii'esl pas encore ne, a moins de supposer
qii'Elisabeih, eclairee par i'E<pril saint, re-
connul la nature divin'- du Me-sie, landis
qu'elle saluaii Marie, cumuie sa meie. Go
pas-age est done parallele au 1. 17 « |>arare
Domino... ») et xupio?y correspond a I'hebreu
''i'W {Adonai) ou mni [Jehova]. «> Plusieurs
aulres commeiUaleurs proLesiants (Brown,
Alford, etc.; laisonneul, et bien jusiement,
de la meme raaniere. II n'y a pas a douter en
effet que l'expression ^ f.'n'fTjp toO xupiou \>.o\i
ne signifie en eel endroil Mere de mon Dieu.
44. — Ecce enim. Elisabeth raconle main-
tenant a sa cousiue le miracle (|ui a\aiteu
lieu au moment ou celle-ci lui disait en I'a-
boidant : La paix soil avec vous! E'leexplitjue
en meme temps [^ip] la aiaiiiere Hoiii i-lle a
connu les prodiges operes en Marie. Eclairee
divinement par I'Esprit saint, elle a compris
que le iressailli'meni surnaturel de son enfant
etail produit par la presence du Verbe in-
carne. — La construction faita est vox salu-
tationis tuce in auribus meis est a demi lie-
braique. — Aux mots ea;«/^ii;i/ in/fuis Elisa-
beth ajoute une observation impoitante.
C'est in gaudio, ev ayo-'/liiaei ;expr( S3 '>n ener-
gique), par suite d'nn mouvemenl de joie,
que Jean a tressailii dans le slmu malernel.
De ce trait, prrsque tous les ancietrs ecrivains
ecclesiasliques onl conclu que le Precurseur
avail ete en eel instant meme done de raison.
« Irenaeus, lib. iv, c. 18. dicil, quod Domi-
num cognoscens exultando salutaverii ; Ter-
lullianus, lib. de Carne. Chr. c. 21. Domini
sni conscium infantem vocal, et Origenes,
Horn, viii (in Luc.) docei idem latuis; Am-
bro-ius : Hab'bal inlelligendi sensum, qui
exuliaudi habebat effrctum. » Jansenius,
Giimment. in h. I. S. Auguslin est a pen pres
seul a soulenir I'opininn contraire'Cfr. Epist»
Lvii ad Dardan. : a Hanc exultationem fac-
tam sine ralionalicognitione »). II est possible
que cette illumination inlerieure ail ete
pour Jean- Bapi isle aussi transiloire que
brillante et soudaine : lei est du moins I'avis
d'un certain nombre de Peres el de iheolo-
giens. Selon d'autres, elle aurait duie coiis-
tamm-nt depuis celte epoque. En memo-
lemps qu'il jouissait de sa raison d'lme ma-
nieie antii-ipee, le futur Precursi ur etait pu-
rifie de la taehe originelle. II n'existe ()as l»
moindre doute a ce sujei, car l^lle a toujour*
ete la croyance univeiselle de I'Eglise.
45. Et beata qnse credidisti, qiio-
niam perficientur ea quae dicta sunt
tibi a Domino.
56. Et ait Maria : Magnificat
anima mea Dominum;
CHAPITRB I
45
4'l
Et bienheureuse, voiis cjri
avez cm ! car ce qui vous a etc ait
par le Seigneur s'accomplira
46. Et Marie dit : Mon ame glo-
rifie le Seisrneur.
45. — Elnabelh leimine son allocution
.par iin bel eloge de la foi si parfaite dc Marie :
Beata quce crtdulisti. Et en eliel, « bealior
t'liil percipiendo fidein Chrisli quam conci-
pieiido carnem Christi », dil S. Aiigii-lin,
de Virgin, c. 3. On voil encore pjr ce delail
que ia revelation faite a sainte Elisabeih
n'avail pas nioins eie circonslanciee que ra-
pide ; elli' avail deroule sous les yeux de la
mere de S. Jean, comme un admirable pano-
rama, lout ce qui s'etaiL passe enLre i'ange
el Marie. — rj'a(>res le texte grec, Elisabeih
•n'adresse pas direclemenl a sa cousine les
paroles de ce versel ; mais elle parle a la
IroisieniP personne : « Beala quae credidit
(ii iti(jT£uaa<ja)... quae dicla sunl ei (aux^) ».
Elle proclauie [)ar maniere d'aphorisme une
verile generale (comp. Ps. lxxiii, 1 3 ; cxlv, 7 ;
Prov. XVI, 20) qu'elle applique neaiimoins a
Marie. Comuie on I'a dil, sa pensee seinble
se piMdre dans une sorle de contemplation,
et sa parole, cessant d'etre une apustrophe
a sa Cdusine, devieni un hymne a la I'oi. —
Autre parlicidarite du texie grec: le second
hemisliche, quuniam perficientur, peul rece-
voir deux iraduclion^ dilierenies, selon qu'on
rend la parlicule oti par « quia » ou par
« quod ». La Vidgate a choisi le premier
sens : Bienlicureux celle qui a cru, car les
paroles di' Dieu s'accomplironl. D'asscz iiom-
breux commenlaleurs adoplent le second:
Bienheureuse celle qui a cru que les pro-
messes divines s'iiccompliraieul. « Q da » ou
« quoniam » explique pourquoi Marie est
proclameo bienheureuse; « quod » complete
« credidisti » el nous fait coimailre I'objet
■de la foi de la Sainle Vierge. Ce n'est la
qu'une nuance Srtns gravite.
46. — Telles lurcnl les felicilalions que
Marie regul d'Elisabrth. Pour toule repon^e,
transformee par I'E-prit Saint en une lyre
harmonieuse, elle cntonne son admiralile
•canliqiie : Mon ame glorifie le Seigneur! Elle
repond aux louangps de sa cousine [lar la
louange de Dii-u. Les grandi'S merveilles
accoujplies par Jeliova avaienl inspire |)lu-
sieurs fois deja des canli(jues a des fi mmes
d'Israel. L'-s [)lus celebres elaienl ceux de ia
«ORur de Moi'-^e, Ex. xv, 21, de Debora, Jud. v,
d'Aniie, meie de Samuel, 1 Reg. ii. II etail
reserve a Mane de cliant'T la merveille des
merveilles, I'ceuvre de la ReiJ. mplion, dans
un liyiun ^ qui est li> couronuemcnl de lous
les cantiqu.^s do I'ancienna Alliance, le pre-
S. BiDLE. S.
luiie de Idus les canliqui's du Nouveau Te.-ia-
menl. Flymne sublime en i ffil dans sa -ini-
plicile; chant magnifique d'aciiim ne giares,
donl I'Eglise se serl clia(|ue jour pour remer-
cier Dieu de ses bi idails. Au point di- vue
de la forme, le « Magnificat » a tons les ca-
racleres que la poesie reveiail ch z les
Hebreux : on y Irouve le rliyilim •. el suitout
le parallelismedes nicmbres. ll res^emble aux
P.-aumes euchaiistiques de Dav,d. Ce liean
poeme s'ecliappa sponlanemenl ou cceur ih:
Mane, sous I'mspiration divine, a Tocca-ion
des parol 'S d'Elisabelh : c'esl done une ve-
ritable improvisation , I'effusion jusque-!a
comprimee d'une fime profondemenl emue par
les grSces du ciel, mais qui n'avail pas en-
core irouve I'occasion de s'epaneher au
dehors. — Ait Maria. Divers mauu-erils de
ri'.a'a,S..reneeetOrigene lis ni « Elisabeth i
au iieu de « Maria » ; mais c'esi uikj erreui
enorme. Le Magnificat est I'oeuvre de Marie,
et non d'Elisabetli. Les exegetes, rapprochant
ces simples mots « ail iMatia « de la formule
« Exclamavil voce magna et dixit » it. 42)
qui avail inlioduil I'allocution de la mere de
S. Jean, aimenl a faire lessorlir la douce
serenite, la profonde quietude qui regnent
dans le canlique de Marie. C'esl la en realite
un caractere frappant du Magnificat, dont le
lyrisme respire un calme vraiment divin. —
Mmimficat anima mea... La plupart des
poemes hebr.Mix peuvent se diviser eti stro-
phes, qui sonl plus ou moiiis bien marquees
par la « direction » nouvelle donnee aux
pensees. Les exegetes modernes, appliquanl
ce principe au canlique de Marie, onl essaye
de le pariager en stances a p( u pres cgales,
qui correspondent a aulant d'ldees nouvellos.
Mais raccoid ne regno pasenireeux, les divi-
sions de ce genre ayani toujours quelque
chose de subjeclit. Evvald, von Biiiger,
Godet, etc., admetlenl quatre strophes :
tH. 46-48a, 48b -50, 51-53. 54-55. Les
Drs Scliegg <'t Ueisclil n'en admetlenl que
deux : t'si. 46-49, louange a Dieu pour la
part per.sonnelle qu'il a laile a Marie daus le
myslere de la RediMiijjiion ; tt. 50-53,
louange a Dieu pour les bienfails qii'il n'a
cesse d'aecorder soil aux petils en general,
soil S[ieciali-inent a Israel. M L. Abbott en
distingue trois : *t?. 46-49, 50 53, 54 el 55.
Nous adoptions cette division qui nous s''mble
la |)lus logi(jue. — Premiere strophe. Mane
lemoigne au Seigneur la phis vive reconnais-
Lcc. — 4
m fiVANGILE SELON S. LUC
A7. Et mon esprit a tressailli d'al
legresse en Dieu mon sauveur.
48. Parce qu'il a regarde Thumi-
lite de sa servante, et voila que de-
sormais toutes les generations me
dirout bienheureuse;
/lO. Gar celiii qui est puissant a
fait en moi de grandes choses et son
Dom est saint;
47. Et exultavit spiritus meus in-
Deo salutari meo.
48. Quiarespexithumilitatem an-
cillse suae; ecce enim ex hoc bea-
tam me dicent omnes generationes.
49. Quia fecit mihi magna qui
potens est, et sanctum nomen ejus.
sance pour sa maternite divine. La pensee
contenue dans les premiers roots du canlique,
Mon ame glorifie le Seigneur, retenlit a
Iravers le Mas^nificat lout enlic-r et « i'on
pourrait, dii M. Scliegg, la repeler comma
un refrain apres cliaqiie versel ». Elle est
pour ainsi dire le Iheine que Marie se pro-
pose de developper : loiiLes les idees qui
suivent en seronl de jimpies variations. — Le
verbe iJieyaWvet ti;; differe pas de I'hebreu
hf^j^n ■ il a ici le sens de « exloUere verbis »,
celebrer.
47. — Les paroles et exuUavit spiritus
meus in Deo correspondent, en vertu du pa-
rallelisme, k « Magnificat anima mea Domi-
num ». Mon esprit tressaille d'allegresse,
mon &me glorifie, sont des hebiaismes bien
connus pour : je tressaille, je glorifie. C'est
toulefois avec raison que les commentateurs
voient une legere diiTerence enlre la "J/vix^ et
le TTveuiia. L'ame ('I'VX^) 1^2^) dont il est ici
question tient comme le milieu enlre I'esprit
(Tcveufjia, nn) et le corps; elle est inferieure au
•jtv£y[Aa; celui-ci au contraire comprend les
puissances les plus relevees de notre etre in-
terieur. Ce sont done loutes les parlies de
Vkme de Marie qui sont doucement etsainte-
ment agiiees. — Salutari est un adjoctif pris
substantivoment et souvent tmploye pour
« Salvalor » dans la basse lalinite. Voyez
les dictionnaires de Ducange, de Forcellini,
et Roensch, ilala und Vulgata, p. lOO.G'esl le
salul messianique, promis depuissi longlcmps,
el sur le point d'etre accorde au monde par
son intt'rmediaire, qui excite la joie la plus
vive dans le coeur de Marie.
48. — Quia respexit humilitatem ancillw
suae. Si les paroles qui precedent etaient un
eri de reconnaissance jele vers le ciel, celles-
ci expriment la plus parfaite humilite. De
nouveau (comparez le t- 38) Marie se nomme
I'humble servante du Tres-Haut. Elle parle
de sa p'titosse, de sa bassesse, eiri tyiv TaTtet-
vwfftv : elle est pourtant Bile de rois, elle est
meme la plus pure et la plus sainle des crea-
tures; mais qu'est-ce que tout cela devant
la grandeur et la saintet^ de Dieu! Aussi,
pour representer la bont^ du Seigneur a son
^gard, emploie-l elle encore le verbe pitto-
resque eite6Xei]/Ev, « respexit », qui designe
un regard favorable, mais jete de haul en
bas, par consequent, un regard de grando
condescendance. Comp, Gen. xxxi , 42 ;
I Reg. I, 41 ; IV Reg. xiv, 26, etc. — De
I'expression de son indignile, Marie, divine-
ment eclairee, rapproche celle de sa gloire
futuie : Ecce enim... Elle sail que son nom
sera desormais inseparable du nom du Messie-
Dieu ; elle voil, dans la suite des siecles, les
hommages publics et prives qu'elle recevra
sur loute la terre, de la part de loutes les
generations. — Ex hoc (scil. tempore; dans
le giec, ctnb Tou vuv), Elisabeth vient d'etre
(tt, 42 et 45) le premier anneau de cette
chalne glorieuse; mais dcpuis lors les chants
de louange et d'amour n'ont jamais cesse de
relentir dans I'Eglise catholique en I'honneur
de Marie. Que les protestants nous accusent,
s'ils lo veulent, d'adorer la Vierge de Naza-
reth; ils savent tout aussi bien que nous que
nous n'adorons que Dieu. Mais nous venerons
d'un culte special (« hyperdulia ») la Merc de
Notre-Seigneur Jesus-Christ et nous aimons
en elle noire propre mere. Ceux-la seuls re-
fusent de s'associer a nos hommages, qui ne
comprennenl pas le sens de ces deux litres.
49. — Quia fecit mihi... Motif pour lequel
chaque generation s'inclinera devant Marie
et s'ecriera : Bienheureuse I Dieu a fait en
elle de grandes choses. — Macjua ((j-eyaMa
du lexle grec eslun augmentatif de [Asya^) .
hebraisme (nibnJl) pour « opera mirabi-
lia ». Gombien de merveilles le Seigneur
n'avait pas operees en la Tres Sainle Vierge!
Elles se resumaienl toutes dans sa maternite
divine. Mais seul le « Tout- Puissant » avail
pu realiser de telles merveilles; aussi Marie
rappelle-t-elle le pouvoir infini de celui
qu'elle loue : qui potens est, ou mieux « potens
ille », 6 ouvaxo?, le puissant par excellence,
ll^nn, comme le noinme I'Ancien Testament.
— El sanctum nomen ejus ; pour « cujus nomen
sanctum est ». Marie vient de prononcer
I'un des noms de Dieu. Or les Orientaux
unissenl presque loujours aux noms divins
une epilhete de louange (Dieu, qu'il soil
beni ! etc.). Les Hebreux, a qui le Seigneur ■
avait donne tant de marques de sa sainteie, .
CHaPITRE I
51
50. Et misericordia ejus a pro-
genie in progenies timentibus eum.
51. Fecit potentiam in brachio
suo : dispersit superbos mente cor-
dis sui.
Isai. 51,9; Psal. 32, 10.
50. Et sa misericorde se repand
d'age en dge sur ceux qui le crai-
gnent.
51. II a deploye la force de son
bras ; il a disperse ceux qui s'enor-
gueillissaient dans les pensees de
leur coBur.
louaient de preference celte perfection, et
divers passages des sainles Lellres (comp.
Is. VI, 3 ; Lvii, 15; Ps. xcviii, 3 ; ex, 9, etc.)
prouvent qu'ils donnaicnt surtoul a Dieii I'e-
pilhete de Saint quand ils avaienl recemment
parle de sa puissance. Marie se conforme a
ce pieux usage. Le signe el la chose signifiee
se cont'ondanl en Dieu, dire que « son nom »
est saint c'est affirmer laparlaile sainlete de
son essence.
50. — Deuxieme strophe, tt. 50-53. La
mere du Christ generalise niaintenant sa
pensee ; ellc !oue la bonle divine s'exergant
d'une maniere universeile envers les humbles
et les petils. Elle ne parle done plus direcle-
inent d'elle-mome et des I'aveui's specialcs
donl elle a ele I'objet. Neamnoins, tout ce
quelle vadire lui convienl encore a un degre
snreminent. Quelle pauvre a ete plusenriclii?
Quelle Sme humble plus elevee? Le *. 50
emel I'idee principale, qui est ensuile deve-
loppee par des exemples dans les Irois sui-
vants. — MisericGrdia ejus... timentibus eum.
La crainte de Dieu elait , sous I'Ancien
Testament, une vertu des plus etenducs, qui
comprenait, de meme que la justice, des
devoirs tres multiples, el raccomplissement
pai lait des volonles celestes. Voiia pourquoi
on promet une si magnifique recompense a
ceux qui la pratiquenl. La locution aprof/eiiie
ill piogeiiies (le Texlus recept. porte : eU
ysvedti; •ye^ewv, « in prOi,'enies j)rog enierum »)
est empruntee a i'hebreu (1111 miS) et signi-
lie : Conslamment; d'une generation a la sui-
vante, sans qu'il y ait jamais de Ireve.
51. — Les exeg'etes se demandent a propos
des tf. 51-53 si, en les pronongant, Marie
avail a I'espril le passe, le present ou I'ave-
nir. Dans le premier cas, elle aurait deci it a
grands traits I'histoire juive, oil Ton voil a
cliaque instant le bras tout-puissant deJtMiova
delivrer el soutenir son peu|)li% renverser les
irones cliananeens, etc. Dans le second cas,
elle eul peintsous des couleurs poeliques la
conduile habituelle de Dieu k I'egard des
justes qui le craignent et des iinpies qui le
meprisent. Dans la troisieme hypothese, elle
tracerait un tableau prophetique du regno
fulur du Messie. « Maintenant, dit Meyer qui
adopte cette derniere opinion (Comment.
h. 1. ; de mdme Janseniug, Kistemaker, de
Wette, Olsliausen, etc.), Marie contemple la
catastrophe messianique quo son Fils doit
produire, et, a la fag m des Propheles, elle
i'annonce comme un lait accompli, taut elle
est sure de sa realisation ». 3I;iis les paroles
de Marie nous paraisseut bien generales
pour conveiiir d'une maniere exclusive aux
aux temps messianicjues. Peut-elre sonl-elles
bien generales aussi pour designer des Tails
parliculiers de I'hisloire sainlc, el nous se-
rious tenles de dire avec Maldoiial, h. 1. :
« Ego Bedam sequor, qui nullum aut praete-
rilum aut inlurum etiam exemplum nolari
pulat aut significari, quod lacium facien-
dumque sit, sed quid Deus facere possit ac
soleal ». Les fails signales par Marie ont
lieu indislinctemenl a lous les ages et dans
tons les pays ; ce sont des actes habituels de
la Providence. Toulefois, nous preferons adop-
ter la premiere opinion (avec Luc de Bruges,
Noel Alexandre, Sylveira, Massl, etc.), parce
que I'aoriste n'a Jamais le sens du present
dans les ecrils du Nouveau Testaraeni. Voyez
Winer, Gramm. p. 248 ; Beelen, Gramm.
p. 297. — Fecit potentiam (hebraisme :
S'n nU^y) in brachio suo. Bel anthropomor-
phisme, qu'on rencontre plusieuis foisdans les
iivres poeliques de la Bible. Cfr. Ps.Lxxxviii,
ft. 9-14, etc. Le bras elant le siege de la
vigueur, cetle expression signifie que Dieu a
pour ainsi dire ramasse toules ses forces,
comme un guerrier qui se prepare a 1 utter
contre ses ennemis. Et, de ce bras auquel
rien ne pent resisler, dispersit superbos mente
cordis sui. AtecrxopTitaev est un mot des plus
energiques : Dieu a disperse, balaye devant
lui les impies « sicut stipulam ante faciem
venli » (Ps. lxxxii, 14). Ouanl a I'expres-
sion u7cjpri9dvou<; Stavoia xapSia; aOxaiv, elle est
toute hebrai'que pour le fond comme pour la
forme. Nous I'expliquerons en rappelant au
lecleur un principe de la psychologie des
Hebreux. Dans les saints Livres. le coeur est
habituellement envisage comme le siege non-
seulement des desirs, mais encore des pen-
sees ; de la vient la frequente association des
mots xapSia et Stavoia oude leurs synonymes.
Les anciens Hebreux avaient vu, en se re-
pliant-ur eux-meraes, que le plus souvent
les pensees derivent du cceur comme de leur
premiere source, et qu'elles ne passent dans
52
tVANGlLE SELON S. LUC
o2. II a renverse de leiir Irone les
puissants et il a eleve les humbles.
53. II arempli debienslesaffaraes
et renvoye vides les riches.
54. II a releve Israel, son servi-
teur, se souvenant de sa miseri-
corde,
35. Seloii ce qu'ii avail dit a nos
52. Deposuit potenles de sede, et
exaltavit humiles.
53. Esurieiites implevit bonis : et
diviles dimisil inaues.
I Reg 2,5; Psal. 33, H
54. Suscepit Israel puerum suum,
recordalus misericordise siise.
53. Sicut locutus esl ad patres
rinlellpcl qii'apres avoir pris nai-i-ance dans
les inclinations de la volonle. C'est pour cela
qu'ils pailaieiit d'liommcs « orgueiliiHix dans
les pen-ees, dans i'espril de Icur coeiir ».
L'orgiieil alfccte iminediaLpmf^nl I'esprit :
(t supcrbos menle »; mais cetle eslime dere-
glee de sa propre excellence [)rovienl Loiijuurs
d'un amour iramodere de soi-merae : « su-
perbos rm^nle cordis sui ».
52 el 53. — D 'ux antitheses frappanles,
qui confirmenl I'exemple precedcni. L"S
siiperbes, enncnnis de Dieu, ^onl d'onlinaire
los favoris de la fortune, les puissanls el les
riches de ce inonde. Leur souvenir ameiie
nalurellement ceiui des pelils el des pauvres,
chez lesqiiels on Irouve plus souvcnt la
crainle du Seigneur el I'accomplissemenl de
ses preceples. Marie caraclerise en lertnes
pilloresques la cunduite de Dieu a I'egard des
iins el des aulres. Les puis>anls, « les
dynastes », coinme dit le lixte grec, il les
renverse de leurs Irones (ano 6p'-vwv) ; les
liches, il les renvoie prives de loul. xevoO?,
inanes. Au contraire, il ( xalle les humbles,
il comble de biens les pauvres qui mourai'nt
de laim. Les livres de I'Ancien Teslamenl
sonl remplis de s 'nlences analogues. Comp.
Ecoli. X, 14; Ps. xvii, 28; xxxiv, 11, elc.
De meme les ecrils du pagani.-m '. Seneque :
<( Sequilur superbes uitor a tergo Dmis ».
Xeno|)h.. Anjib. in, 2, 10 : oitive; (Oeot) ixavot
Eiat y.ai tou; [izyalovt; rayii (At/pou; itoietv, -/at
Tou; [iixpoy? oco^eiv. D'apres Laerl. i, 69,
couime on di'inundail a Esope quelle elail
rocciipalion de Jupiter, il repnndil : -ra [tev
\)<^r{/.a TauEivoOv, xa. Sk Tocitstva u^jyoOv. Etc. —
NolOMS encure... avanl de quilier cetie strophe,
le b-au croisem. nt des menibres dans les
iinliihe-;es qu'elle contienl. « Dans le premier
ronirasli' [t. 51). les jnsles occnpenl la pre-
miere place, li'S orgueilleux la seconde ; dans
le second au coniraire (if, 521, les (luissants
occupent la premiere, de maniere a se ralla-
cher immediatenient aux orgueilleux du
t. 51, el les p'tiis la seconde. Dans le troi-
siume enfin [t. 53), les affames viennenl en
premier lieu, se lianl aux petils du t- 52, el
ies riches I'orment le second membre. L'esprit
passe ainsi, comme par une sorte d'ondula-
lion,dii semblable au semblable, et le senti-
ment n'est pas heurte, comme il I'eui el(i par
une syinetiie qui eul presente a chaque fois
les numbres homogenesdu contrasle dans le
memo Old re ». Godel.
54 el 5o. — Ces deux versels fonnent la
treisieme strophe du Magnificat. Marie y
expniiie en termes empliuiiijues la part spe-
ciale (pi'aura le pcupi(> juit an salul opere
par le Messie-Dieu qu'eiie porle dans son
sein. — Suscepit Israel piierunt suum. Par le
mysiere de rincarnation, Dieu a done, sui-
vanl loule la delieatesse du lexte grec (avxe-
XaSsTo) souleve de lerre, en lui lendant une
mam secourable, la nation Iheooralique, de-
signee ici comme en tant d'aulres passages
d ' la Bible par le nom mystique du pali iarche
Jacob. Le mot c puerum », Ttatoo;, auquel
divers exegeles donnenl la signification de
fils, regoiL plus commnnement el plus exacle-
menl en cet endruil celle de s-rvileiir. Comme
le dit M. Bisping a la suite do Dr Meyer,
« I'ldee llieocralique de la filiation n'esl jamais
exprimee par le subslanlif Ttat?. » Du resle,
la ver-ion syriaque fail disparailre toute
ambigiiile en tradui-^ant uato,; par miV,
« servum suum ». — Recordntas misericordiw
suce. Belle expression. Di u avail semble
oulilier sa misericorde a I'egard du peuple
juil'. au(|U I il avail inflige de()u:s tanl d'an-
nees de si prefondes humilialions. de si rudes
soiiffrances. Mais voi(;i qii'il se ressouvient
enfin de sa bonte ! La phrase grecque (iviod-
6yivai iliov;, litleral. « recordai i misericor-
diae », [)Oiirrail se traduiie par « ita ul me-/"
mor -il, miseiic(ji'di;e » : dan-; ce cas, Marie
n'aiirait pas designe le moiif, inai-; la conse-
quence de la conduile misericordii'use quo
le Seigneur vent desormais lenir a I'egard de
son people. — Sirut locutus est ad patres
nostras esl une pioposition incidenle, une
sorte de parenthese, qui explique pourquoi
Dieu tiailera maintenanl Isiael av(-c compas-
sion. Ne s'y esl-il pas engage depuis long-
temps par des promisses solennelles, reilerees
viniit lois aiix premiers peres (in [leuple juif?
— Les mots Abraham et seminiejns relombent
sur (I recoidatiis ». non sur « luculus est »,
el indiquonl Tobjet de la misericorde divine
CHAPITRE I
53
nnstros, Abraham et semini ejus in
ssecula.
peres, a Abraham et a sa posterite,
pour tou jours.
Sans doute il y avail des siecles qu'Abraham
n'etail plus : Marie ppul neanmoins affirmer
quo Dieii, eii liailanl avec lendresse la poste-
rile de ce grand palriarclie, user a par la-
meme de iiiisericordo cnvers lui, parce qu'un
pere est suppo-e, apres sa mon coinme rie
son vivanl, prendie pari an sorl de ses en-
fants, se rejotiir avec enx de ieur bonheur.
— In scprula : colle formule, qui lermine
souvenl les p-aumes, serl aussi de conclusion
au canlique de Maiie. C'esL un cri de vive
confiance jole a la fin du Magnificat. La race
du perc descroyant^, race dilutee, il est vrai,
et spirilualisee, durera jusqu'a la fin des
temps. Pendant les siecles des siecles, Dieuse
souviendia envers elle de ses misericordes !
a Et lu Israel, serve raeus, Jacob quein elegi,
semen Abraham amici mei ; in quo ap[)reliendi
le el a longinq'iis ejus vocavi le et dixi tibi :
Serviis meu^ es tu; elegi tj et non abjeci te.
Ne limeas, quia tecum sum; ne declines, quia
ego Deus luus; conforiavi te et auxiliaius
sum libi et suscepit te dextera jusli inei ».
Is. XLI. 8-10. — Tel est le canliqiie de la
Tres Sainte Vierge.Mais nous n'avoiis pas dit
encore que, si on I'examine attenlivem 'nt,
on ne larde pas a decouvrir qu'il paiail eire
en grande paitie un echo.etmeme une repro-
duction de divers passages de I'Anci n Testa-
ment. Presque loutes ses expressions ra-
Mienenl a la pensee soil le cantique d'Anne,
1 Rei;. II, 1-10. soit certains psauines, etc.,
coinme, le prouvera le tableau ci joint :
Recordatus njisericoidiae
su*, sicm loiulus est ad
patres noslros, Abraham....
Mich. VII, 20 : Dabis Te-
ritati.'iii Jacob, misericor-
iiiam Abrahain : qua ju-
lasii paiiiiius aostns a die-
bus antiquis.
Ma^nifical anima mea
Doniiiiiiin
El i'\ul tavit spiritas meus
JD Deo.
Quia respexit hamilita-
tein ancili% $u;e.
Bu'aiam rae dirent omnes
genera tiones.
Fecit mihi magaa.
Safictom nomea ejus.
.Mi^ericnplia pjus a pro-
gfnie in progenies tiinenli-
Bus cum.
Fecit poleatiam in bra-
chio >iio.
Dis{u;r>it snpei bos mcnt(!
cordis suis.
D>!po nil potentpsde sede
et e'altavil huniiles.
E-iiiientes implevit bonis
•t diviles diiuistl inanes.
Ps. xxxiit, 4 : Magni6cale
Doniinitm mccum.
1 R 'g. II, I : lixuUa\it cor
meum in Domino.
i Reg. I, H : Si re-picii'ns
videris alSicUoneni aiiciilx
lux.
Gen. XXX, 13 : Reatam
qui|i|ie me dici'nl muliires.
Ps. Lxx, 19 : Fecisli ma-
gnalia La ressiMnblance
e<t I'lus grande dans les
textes grecsi.
P<. a, 9 : Sanctum et
terribile nomen ijn-;.
Ps oil, 17 : Mrsricnrdia
Domini ab cKlemo el usque
in aetei'Qum sup^r limeat' s
euai.
Ps cxvii, 16 : Dextera
Domini fecit virluicri.
t's. Lxxvviu. 1 1 : Tu hu-
inilia- ti . . . .upi'rbiiin
dispersi^li inimico? tuos
EccI . X. 17 : t:"e .es du-
cnm supeiior.im destrnxil
Doiis el sv'dere fecit mi es
■ 0 oi<.
I l-ii'g. II, 5 : Repieti prus
pro paiiilius SI- locaverunt,
et fauieiiui saturati sunt.
De cetle ressemblance manifeste, les rationa-
li-;l(>s se sonl hates de conclure que le Magni-
ficat ne saurail elre I'ceuvre ()ersonnelle de
Marie, qu'il t si apocryphe par conseijuent; par
consequent aussi que les d.vers evemmenls
dont il est enloure dans le Iroisieuie Evan-
gile scinl de rn'me I'oeuvre d'un I'aus^aire.
Atlirmaiions bien audacieuses, mais qu'une
sinipl ' reflexion pcut reduiie a neant. Si ce
priiK'ipe etaii vrai, que toulo oeuvre litleraire
doil avoir ele supposee quand elle a une cer-
taWie analogic avec des ecrils plus aiiciens,
coiiibien de livres cesseiau'iit d'etre auilien-
liques ! Virgile imile paifois les diseours ou
les descriptions d'Homere : done I'Eneide a
ele composee deux ou irois siecles apres Vir-
gile. Le canlique de Jonas et la priere d'Ha-
bac'uc soul des com|)llalio^sdesp^aulnl's, etc. :
done les propheties de Jonas et d'Habacuc
sonl apocryphi's! Sonl-ce la des conclusions
bien legiiimes?La viaie critique raisonne au-
Iretnenl. Eile se conlrntera de dire, mais en
loule vente : Done Virgile connaisait les
poemes d'Homere, done Jomis el Habacuc
avaieni lu les psaumes. En ellVt, une lecture
serieuse de la Bible prouve que les ecrivains
sacies connaissaient a fond les parties de
I'Ecrilure anlerieure-; a Ieur epoque et qu'ils
aimaient, dans I'ocea-ion, a en ciier les pa-
roles. Les reminiscences ou allusions que
nous avons reinarque.'S dans le Magnificat
s'i'xpliquent dela meme mamere. Marie avail
lu et relu les saints Livres : au moment done
oil elle ouvrait la bouche pour louer et re-
iiiercier son Dieii, les textes inspires se pre-
senierenl en foiile a sa meinoir(>. Se les appro-
pnaiit, elle les employa p.irce qu'ils conte-
naient la parfaile exjjression deses sentiments
pnves Quoi de plus nalurel? Et en realit^
tout, dans le Magnifical, est admirablement
ailapie a la sitiation de Marie, convient a
merveille a la Vieige de Nazareth devenue
Mere du Christ. II esl done en ce sens une
oeuvi e tout a fait originale. Ce n'est pas ainsi
qu'on aiirait invente apres coup, car on out
alors avideinent recherche des idees et des
.•"ormules neuves. — II n'esl [leul-elre pas de
compositeur ci'lebre (jui n'ait annote le beau
canlique do Marie : le^ceuvres les (ilus renom-
mees sonl celles d Orlando di Lasso, do Pa-
leslrina. de Seb. Bach, de Mendelsohn, de
Morales, de Sheppard. On a du peintre Botti
54
fiVANGlLE SELON S. LUG
56. Marie demeura avec Elisabeth
eDviroii Irois mois, et elle s'en re-
tourna ensuite en sa maison.
57. Or le temps d'enfanter s'ac
complit pour Elisabeth et elle en-
fanta iin fils.
58. Et ses voisins et ses parents
apprirent que le Seigneur avait si-
gnale en elle sa misericorde et ils
s'en rejouirent avec elle.
59. Et il arriva que le huitieme
jour ils vinrent pour circoncire I'en-
56. Mansit autem Maria cum ilia
quasi mensibus tribus : et reversa
est in domum suam.
57. Elisabeth autem impletum est
tempus pariendi, et peperit filium.
58. Et audierunt vicini, et cognati
ejus, quia magnificavit Dominus
misericordiam suam cum ilia, et
congratulabantur ei.
59. Et factum est in die octavo,
venerunt circumcidere puerum, et
celli « un incomparable chef-d'oeuvre » (Rio)
qui represente la Vierge ecrivant le Magni-
ficat.
56. — Mnnsit aulcm Maria... En terminanl
le recil dr> la Visitalinn, S. Luc nous apprend
que la Sainte Vierge demeura « environ Irois
mois » aupros d'Eli-aboth, ct qu'ensuile « elle
revint dans ?a maison », c'e.-t-a-dire a Na-
zareth. Lo depart de Marie eut-il liou avanl
ou apres la naissance de Jean-Bapliste? Le
texle sacre ne le dit pas expressemcnt.
Toutefois, en le menlionnanl avanl de ra-
conter la nativiie du Precurseur, il semble
indiquer a-^-oz dairemenl quo Marie avail
repris le chemin de la Galilee quand « le
temps d'Elisabeth ful accompli », D'aillours,
le but du voyage de la Mere de Dieu n'avait
pas ele precisem'Mit de soigner sa cousine .
aucun motif de charite ne la retonait done
dans la maison de Zacharie. Un certain
nombre de commentateurs ancieiis et mo-
dernes croient neanmoins que Marie demeura
plus longlemps aupres d"Eli>abcth : suivant
eux, le t. 56 serail place par anticipation
avanl la nais?ance de S. Jean. — Le myslere
de la Visiialion a inspire de beaux tableaux
a Raphael, au Pialuricchio, a Ghirlandaio, a
Jouvenel, etc.
4. Les premieres ann6es de Jean-Baptiste.
1, 57-80.
Ce paragraphe comprcnd Irois fails : la
nativite du Precurseur, sa circoncision, son
developpement myslerieux dans le desert.
1° La naissance de S. Jean. jf. 57 et 58.
57. — Eiisabeth {ifi ^e 'E).«ya6e~) impletum
est lempiis pariendi (oxp'Jvoc too xey-Eiv auTTJv).
Cnn-triiclion loule hebraique, que Ton croi-
rrit roproduile d'apres la Genese , xxv, 24 :
v.ui £7iAV)?tt'9'iQ<7av ou rifAEpai toO TExetv auTriv
(LXX).
58. — Et audierunt tncini et cognati ejus.
L'heureuse mere esl bientol enlouree d'un
oercio intime, forme des voisins, des amis et
des parents de la famille, venus pour la feli-
ciler. Dans cette merveilleuse naissance,
chacun roconnut un grand bienfail de Dieu.
L'expression maguificavit Dominus misericor-
diam suam cum ea esl un nouvel hebraisme,
nay ion h^i:)^:}. Comp. Gen. xix, 19 et
I Reg. XII, 24. Elle equivaul a « magnam
ostendit graliam suam ergo illam ». —
Congratulabantur ei. Le grec, auvsyaipov auTrj,
serail mieux iraduil par « congaudebanl cum
ea », de sorle que nous avons ici un premier
accompiissemenl de la pro[ihelie de I'ange,
t. H. — Belle peinlure d'Andrea del Sarlo.
2° La circoncision de S. Jean et le Benedictus.
t^ 59-79.
59. — la die octavo venerunt circumcidere
puerum. « Venerunt » a sans doule pour
sujet les mois « vicini ol cognali » du versel
precedent, a moins qu'on ne prefere traduire
d'lme maniere generale : On vint, c"e>l-a-dire,
ceux-la vinrenl qui devaient circoncire I'en-
fant. Cette operation n'elail n'elait nullement
I eservee aux prelres : lous les Israelites, meme
Irs femmes, pouvaient I'accomplir. Gependant,
comme olle etail a-sez delicate, on ne con-
liail generalemenl le role de Mohel (Sma,
« circumcisor ») qu'a des personnes experi-
mentei^s. Elle etail accompagnee de vives
rejoui<sances, auxquelles preriaient part les
parents el les amis de la maison : c'etait en
effel un saint evenemenl, qui faisail entrer
un nouvel elre dans I'alliance de Jehova. La
circoncision devait avoir lieu li; huitieme
jour qui suivait la naissance; telle avait ele
I'ordonnance expresse du Seigneur, Gen.
xvii, 12; Lev. xii, 13. Gette loi ne souffrail
pas memi! d'exception quand le huitieme
jour lombail im samedi. Gomp. Joan, vn, 23,
Aucun local parliculier n'avail ete fixe pour
la ceremonie : quoique les Juifs I'accom-
plissent aujourd'hui dans leurs synagogues,
elle se passait alors le plus souvenl au sein
meme des families, el c'est ici le cas, puisque
Elisabeth joue un role important dans la
CHAPITRE 1
55
vocabant eum nomine palris sui
'Zachariam.
60. Et respondens mater ejus,
dixit : Nequaquam, sed Tocabitur
Joannes,
61. Et dixerunt ad illam : Quia
nemo est in cognatione tua, qui vo-
cetur hoc nomine.
62. Innuebant autem patri ejus,
quem vellet vocari eum.
63. Et postulans pugillarem ,
fant et ils I'appelaient Zacharie, du
nom de son pere.
60. Et sa mere, prenant la parole,
dit : Non pas, mais il s'appellera
Jean.
61. Et ils lui dirent : II n'y a per-
sonne dans voire famille qui soit
appele de ce nom.
62. Et ils demandaient au pere,
par signes, comment il voulait qu'on
le nommdt.
63. Et demandant des tablettes il
•scene siiivante, ct qu'elle nc puuvait (|uiUt'r
■sa iiiaison avanl quiironte joins. Sur la cir-
concision dans le Judai-iii:' ancicn ct, mo-
deriio, voyez Leon de Modenc, Ceremonies
et coLiUimes de-; Juils, 4e partie, cli. viii;
Buxtori", SyiKigi'g. judaica, cap. ii ; Winer,
RealwoerU'ibuch,s. V. Besclineidiing; Coyiiel,
Le jiidai'snie, esquis.-c des nicens juivcs,
pp. 96 et ss. — Et vocabant eum »o)nine
patris sui {in\ xw 6v''(iaTt, I'.iteral. conforme-
■menl an nom, d'a|)ies le nom). SuivanL un
antique usage qui nmoniait jusqu'a I'epoque
•d'Abraliam (fOin|). Gen. xvir, 5, lo; xxi, 3
et 4), on a-sociait ires ordinaireim-nt a la
•ceremonie de la ciiconci>ion I'imposilion du
nom de renlanl. Le choix de ce noir. etait le
plus souvent reserve au [lere ; mais, dans la
circonstance presenle, les assistants, voulant
•sans doule laire a Zacharie une agreable
surprise, et ?u|iposanl d'aiileurs son consen-
teinent, se halerenl de donner son nom au
fils de sa vieillesse. Voir au livre de Ruth, iv,
13-16, un trail analogue. 'E-xa),oyv, ils vou-
laient appeler, ils avaienl meme deja pro-
nonce le nom, lorsque Elisabeth les arreta
tout a coup par sa proleslation energique.
60. — Respondens : Prenant la parole.
Voyez, sur ce sens du verbe « respondere »,
I'Evangile selon S. Matthieu. p. 231. — AV
quaquam, ovx^; il ne sera pas tail selon voire
desir, mais I'enfant vocubitur Joannes. On
s'esl souvenl deniande par quelle voie Eli-
sabeth avail appris le nom destine divinement
a son fils. La plupart des modernes pensent
qu'elle le lenail de Zacharie, qui avail dii lui
raconter par ecril lous les details de I'appa-
rition dont il avaitele favorise dans le temple.
Les anciens au conlraire airirmenl d'une
voix unaninie qu'elle le connui par revela-
tion, au moment de lacirconci-ion de I'enfant.
'H 5i 'E).i(jd6ex eb? irp'.9^Ti; eXa).Y)(j£ Ttepi xoO 6v6-
(xaTo;, dil TiK'Ophylacte ; de memo Euthymius:
ev. 7rv£U(AaTo; ayiou y.ai aOxr] to 6vo(ia toO TiaiSo?
V.E(j.d6ri-/e. Gomp. S. Aiiibroise, h. I. Tel est
aussi I'avis de plusieurs exegetes contempo-
rains, mdnie ralionalisles ou proleslanls.
« L'esprit de toul le recil, el I'elonnemenl
exprinie au sujetde I'accord des deux epoux,
nous fail preferer la supposition que le desir
de la mere lui venait egalemenl d'une inspi-
ration subite ». Reuss, Hist, evangelique,
p. 33. Nous partageons complelemenl cette
antique opinion.
61 el 62. — Quia nemo est in cognilione
tua... L'objeclion des assistants suppose
qu'alors, comme de nos jours, il etait d'usage
d'imposer aux enfants le nom d'un de leurs
propres parents. — Innuebant autem patri
ejus. Rebut es du cole de la mere, les amis
irop empresses s'adressenl a Zacharie lui-
meme, et le prient de lour indiquer le nom
qu'il a choisi pour son fils {quern vellet vocari
eum; dans le grec, to ti dv ^iloi xaXetaOai aOxov.
Sur I'emploi de I'article, voyez Winer,
Gramm. p. 162; xi au neiitre pour Tiovo;j.a;
les nianuscrits 15, D, F, G, Sm. onl aOxo, scil.
■rtaiSt'ov, au lieu du masculin auxov). De ce
qu'ils lui adre-senl leur demande par signes,
beaucoup d'exegetes anciens el modernes,
entre aulres S. Jean Chry^ostome, Theo-
phylacte, Euthymius, Jansenius, Maidonat,
Lightioot, Groiius, Alford, Plum[)lre, Abbott,
onl conclu qu'il n'avait pas ete seulemenl
frappe de mulisine depuis I'apparition de
I'ange, mais aussi de surdile. Nous dirons a
la suite de plusieurs aulres coinmentaleurs
que cette conclusion ne nous parait pas suiB-
samment justifiee. On parte tres souvenl par
signes aux personnes simplement muetles.
Dans le cas actuel, un signe pouvait sufBre,
Zacharie ayant assisie a la deliberation prece-
denle. Au resle I'ange, au t. 20, n'avait parle
que du mulisme, « ecce eris lacens », et,
au t. 64, il n'esl question que d'une « apertio
oris el linguae ».
63. — Postulans (oia vEuiAaxoi;, Euthymius)
pugillarem. Le< Lai ins appelaient « pugillaris »
(scil. tabula) ou plus voiontiers « pugillares »
au pluriei, de peliles tablettes enduites de
cire, sur lesquelles on ecrivait au moyen d'un
56
fiVANGILE SELON S. LUC
ecrivit : Jean est son nom. Et lous
furent elonnes.
64. Aiissit6t sa bouche s'ouvrit,
sa langne se delia et il parlait be-
nissaiit Dieu.
65. Et tons leurs voisins furent
saisis de crainle el toutes ces choses
furent divulguees dans toutes les
monlagnes de la Judee.
66. Et tous ceux qui les enten-
dirent les recueillirent dans leurs
scripsit, dicens : Joannes est nomen
ejus. Et mirati sunt universi.
Supi: 13.
64. Apertum est autem illico os
ejus, et linpua ejus, et loquebatur
benedicens Deum.
65. Et factus est tiraor super om-
nes vicinos eorum : et super omnia
montana Judseae divulgabantur om-
nia veiba hsec :
66. Et posuerunt omnes qui au-
dierant in cordesuo, dicentes : Quis,
stylet ou poinQon d'acier, d'os ou d'aiiire
maliere. Ces [ilanchetles eiant p'imiiive-
meiit on bois de pin (rJvo;), les Grec- les
nommaienl Triva/ioiov. Voyez A. Rich, Dic-
lionnaire des anliquiles rom. et grecq.
p ol7. — Sr.ripsil ilirens : hebraisme pour
a scripsil haec verba ». Comparez IV R"g.
X, 26 p!2Nb) it Jos. Ant. xiii, 4, 1. C'est
pour n'avoir pas compris eel idiutisme qu'on
a parfois suppose que la parole aurait ele
rendue a Zacharie a eel inslanl meme.
Sed proh raira fides, tabulis qnum scribere leotat,
Implicilam solrit per verba soaautia liDguam.
Jiireacas.
— Joannes est nomen ejus. L'eraploi dn temps
present a ici qiielijue chose d'emphatique,
d'ener^iqui^ La (pieslion n'est pas a di cuier,
veut dire Zacharie; mon fils -'appeile J'.'an :
il n'y a |>oiiit a s'occupor d'uii auiie nom
pour iui. — « Prima heec scriplma Nov!
Testament i. a-t-on dil avec assoz de deiica-
tessp, incTpil a gratia » (allusion a la signifi-
cation du nom de Jean). Le grave Ti'itullii^n
lui-meiue s'esl pennis un jeu de mols sur
celle scene : « Zacharias lo(]uiUir in stylo,
auditur in cera ». — Quand ils lurenl les
deux niou hebreux ecrits par Zacharie.
^)2VJ lini' les assistants furenl vivement
surpris, remarque I'eciivain sacre. mirati
sunt universi. 11 >'elonnaieiit de voir Zacharie
etElisabth coinpletemcnl d'accord pour in-
trodtiire un nom etrangiT dan- hur famillo.
64. — L'adiiiiration de I'as-eniblee dut
etre a son comble lorsque, toul a coup,
apertum est os ejus et lingui ejus. Celte
bouche avail ele fi-rmee d'une maniere raira-
culeuse; eiie s'ouvre au-si par Telfel d'un
miracle, et au moment mem' quo I'ange
avail predii, t. '20= L'mcrediiliie avail enleve
a Zacharie i'u-age de la parole ; c'est un acte
de foi el a'ubes-ance qui le Iui rend, comine
le fait reniarquer S. Ainbroise. II c( sse d'etre
ranet aussiioi qu'il a clonne a son fils le nom
prescrit par Dieu. Le verbe « apertum est »
(dvcwx0ri) ne relombe que sur « os ejus », car
on ne dil pas qu'um; langue s'ouvre, mais
qu'elle se delie (ccmp. Marc vn, 35); il est
loutefois rallache a « lingua » en verlu de la
construclion dile « zeu;:ma «. De ces deux
organes du langage meniionuej a la faQon
hebriilijue par S. Luc, le preinier est plus
general, le second plus special. — Loque-
batur benedicens Deum. Zacharie consacre
a Dieu h s premices de la faculle qu'il ve-
nail de recouvrer raerveilleu-iment apres
un silence de neuf ou dix mois. Les hom-
magps ici raenlionnes ne sont autres que
le canlique « Benedictus », donl la vraie
place serait a cet endroit; mais Tevangeliste
i'a renvoye un pni plus bas pour inserer,
par mod' de parenihese. une note relative
a I'irnpression (|iie produ sirenl dans toiile la
conlree les prod ges qui avaient accompagne
la na s-ance de. futur Precuisi-ur. Ti'ile est
du mo ns I'opinion la plus nalurelle (t la plus
ciimiuiine. On n'a aucun motif serieux de
p°nser que Zacharie composa plus lard s 'ule-
ment, el pour ainsi dir(> a tete reposee, son
canlique d'aciion de graces, qui est au con-
iraire, daiisle meme sens que lc« Magnificat y\
uiip vive improvi-ation.
63 et 66. — Timor super omnes vicinos
eorum. II s'agil de ce mysterieux i ffroi donl
sonl presque toujours saisies les personnel
lemoins de phenomenes surnaturels. Coin[).
Marc. IV, 41. — Apres avoir rempli toul le
voisiniige d'une sairile frayeur, le bruit de»
merveilles racoiiteps ci-dessus {ouuiia verba
hoer, hebrai-;me : nSxH Dmzn Sd) envahit
p;'u a p u la contree eniier:% h'S moniagnes
de la Jiiilee 'voyez le romm ntaire du f. 39).
Diruljitbnntur : 8te),a),£T-o , on en I'aisait
robjd de muluels eniieli ns. — Fr><iuerunt...
in coriLsuo. Locution liebiaique (aS SjT □'U,'.
Comp. I R"g. XXI. 12 qui signifie « pes r at-
ttniivem nt. prendre pour obj't de la consi-
deration la plus attentive ». Les cla-^siques
empl'iii'iil des expressions analogues : t(^t)|j.i
iv ffTr(8£(T(ji, ^v fpsffi ^Hom.) ; « sensibus imis
CHAPITRE 1
87
putas, puer iste erit? Etenim ma-
nus Domini erat cum illo.
67. EL Zacharias pater ejus re-
pletus est Spiritu sancto : et prophe-
tavit, dicens :
68. Eenedictus Dominus Deus Is-
ccEurs, disant : Que pensez-vous que
sera eel enfant? car la main du Sei-
gneur elait avec lui.
67. Et Zacharie son pere fut rem-
pli de I'Esprit saint et il prophelisa,
disant :
68. Beni soil le Seigneur, Dieu
repon^re » (Virg ). — L'evangeliste nous fa.t
enletidre I'echo d*^ ces profundes retV xions :
Quia put'is ji apa, quid ei§o]puer isle erit?
Evidi'mment, iin Piifanl venu au inonde in
de pareilles cunditiuiis dexuii eire piedesline
par Dit'ii a di" grnndes choses. Les iiiois
su\\'aol'f,eienimma)ius Domini..., ne si nt pa-,
comm:> on I'a quelquefois ailii me (Evvald,
Kuinoel, Pauiu?:, etc.), la conlinuation dcs
reflexions popnlaires; c'esl tin jug'menl per-
sonnel de S. Luc, destine a apf)iiyer, a jiisti-
fier ces refl xions. On avail raison d;' parler
ainsi. puisque la main du Seigneur (belie mi'la-
ptiore pour dire: la proleclion louiepuissantc;
de Dieu) elait vi-iblemenl avec renl'anl. Le
« textus receptus » porle simplemenl, il est
vrai, xaix^'P* maisdes manuscrits (B, G, D. L,
Sm.) et des versions (Itaia, eiliiop., copte)
d'une grave auloiite ont lu -/.at yip x^'Pi
comme la Vulgate.
67. — Et Zacharias... Ces mots nous ra-
menent au t. 64 auquei lis serveni de deve-
lopp^menl. Nous allons apprendre en effei la
raaniere donl Zacharie, apres avoir rccouvre
Tu^ag ' d(! la parole, si' mit a louer el a re-
merCier le S'igneur. Mais, ajoute Tevange-
lisle pour caracieriser d'avance le « Ben^dic-
tus », ses remeiciements, ses louanges fur: nl
bien plus I'ceuvre de Dieu que la .-^lenne
propre : ils lui furent inspires d'en haul,
repletus est Spiritu sancto. De tons h-s mem-
bres de C'ltesainle famille il e<t dii quils
furent tour a lour remplis de I'E-prit Saint.
Comp. les tt. 15 el 41. — Proplietavit. (^e
verbe, comu»e son equivalent iiebreu x^J,
designe ici tout a la fois un oracle propheti-
que (vaticinium edere) et un chant lyrique,
enflamme. jaillissant du coeur comme les
sour(-es jaiili>sent des montagues (ebidiire,
scaturire. carmina sacra cancre). Voyz Ge-
senius, Th'saurus I. II, p. 838. El tel e>t
bien le caiitiipie de Zacharie. G"est (i'une part
une pi-ediclion surnaUirelle. relative au role
du Christ el de son Precurseur, el dans la-
\ quelle, a-l-on dit justement, « le pere s'elface
\ derniere le propliete », dernen^ ie pr ''ire.
C'esl d'autre part un be! hymne religieux,
une poesie sacre(> en tous pomis conform^
comme le » M.iiiiiiricat ». aux lois de la ver-
sificaiion hebraique. Son style est aussi com-
|>lelement hebreu, mSme sous le maiileau
grec dont S. Luc I'a revetu; a tel point que
le plus modeste hebraisaui pourrailsans peine
le reconsiiluer a peu pres tel qu'il dui eire
prononce. La consiruciion est done nalurel-
lemenl pi'u elegante dans nos traductions
gr.'cqup et laline; elle paiait meme au pre-
mierregard asstzenchevelree. Irs propositions
elant raiiachees I'une a Tauire par des infi-
nilil's et des cas d'a|)(iOsilion. de maniere a
former seuiemenl deux longuis phrases cunli-
nues. Mais, avec un peu d'aitenton, la clarte
lie larde pas a se faire; il n'y a qu a bien sui-
vre cha<]Ui' anneau de la clKiiue. — Le « Be-
nedicins » a deux parlies neit ment indiquees.
Dans la premiere, tt. 68-7o, Z<tcliarie re-
m -rcie Dieu de raveiieraenl du Chri>t ; dans
la seconde, ft. 76-79, il expo-:e la role de
son fils a regard de ce divin Redempteur.
Chaqu5 parlie pent se subdivi-i'r en deux
strophes : ft. 68-70, 7i-7o; 76-77. 78-79.
68. — Premiere strophe ile la picmieie par-
lie : Beni sou le S'igni'ur qui daigne enfin
nous envoyer le Liberateur (iroinis depuis
longlemps. Tt't. 68-70. — Bi-nedirtuf ey).OYriTO(;,
s. enl. ecTw, pour z\i'>.o'(ffiei-f\j Duininus DeUs
/srae//A rEpe[)hetadivln Zacharie repond par
un jiiyeux .Alli-luia. Ei cei alleluia, qu'il
empninte aux doxologies |)ar lesquelles se
lermineni jiiu-ieurs livies du Psaulier. "7113
Sxl"^*' imSx mni (comp. Ps. xl, heb.
XLi, 14; Lxxi. heb. lxxii, 18; cv, heb.
cvi. 48), il I'aoresse a Jehova. le Dieu d'ls-
rael. Rien de plus naturel (pi'une telle dedi-
cacc, puisque c'( st Jehova qui ( nvoie le Mes-
sie, puis(pie Israel doit jnuir en premier lieu
de la delivrance 0()eree par le Christ, enfin
P'lisque c'e>tun [iretre juif qui chanle cecan-
tique. Du reste, dans le « Beiicdiclus », le sa-
lul mess anicpie est i nvi-age exclusivi raenl
au point de vue de la nation pnvilegiee : il n'y
est qu"iiidirectement (piesiinn de la rtklemp-
tion des palens. — Motif pour lecpiel le Sei-
gneur est beni : Quia visituvit et fecit redeinp-
tionein... II a v:site son peuple : parc'-ite ex-
pression les ecnvams de I Ancien Tesiarai^nt
uesgU' nl soiivent un gracieux el (iuis>aiil se-
Cituis venu du ciel. Voir Gesenius, Thesau-
rus, au mot ips. 'Eir£(jy.£<3<aTo du lexte grec
a le meine sens comp. Bretschueid^r. L.ex.
giaec. lal. s. v.). II a delivie sou p uple :
litter, d'apres le grec (euoirjas Wxptodiv), il a
58
fiVANGILE SELON S. LUC
d 'Israel, car il a visite et rachete son
peuple.
69. Et il a el eve pour nous une
corne de salut. dans la maison de
David son serviteur.
70. Selon ce qu'il a dit par la
bouclie de ses saints prophetes qui
ont vecu jadis :
71. Qu'il nous sauverait de nos
ennemis et de la main de tons ceux
qui nous haissent,
72. Pour accomplir ses miseri-
rael, quia visitavit et fecit redemp-
tionem plebis suae :
Psal. 73, 12.
69. Et erexit cornu salutis nobis,
in domo David pueri sui.
Psal. 131, 17.
70. Sicut locutus est per os sanc-
torum, qui a saeculo sunt, propheta-
rum ejus :
Jevem. 23, 6 ef 30, 10.
71. Salutem exinimicis nostris, et
de manu omnium qui oderunt nos ;
72. Ad faciendam misericordiam
JaiL iuie liiiiQon pour son peuple. Comparez
Matlh. XX. 28, oil Jesus dira lui-meme qu'il
est la ).uTpw(7i; (in monde. — Plebis suae.
Dans le arec, 'w /aw, au dalil, ce qui rend la
construction un poii nioins irreguliere. —
Les preterits c visitavit, frcil ». et plus has
« erexit », sont a remarquer. II scmble en effet
que le fuuir ou le present convitndrail mieux,
puisque la naissance du Piecurseur est bien
loin d'avoir accompli le saint d"lrael. Mais,
dan? celle naissance, Zacharie voit d'line ma-
mere anticipee la ixvilisalion de I'oeuvre en-
liere du Messie. Ce sont done la des « pre-
terits proplietiqnos »,commeles nomment les
grammairiens. Comp. le t. 54.
69. — Erexit ffn'etps, DipH, lilt. « suscita-
vit ») ccrnu solutis 'hebiaisme pour « cornu
salutiferum ». nyVkL*' "ilp) nobis (soil. Judceis).
Le poete inspire ex pose comment a eu
.ieu la redemption de la nation choisie : Dieu
lui a envoye un protecteur invincible dans la
personne du Mes~ie. Ainsi que le disait deja
S. Ephrem, I'image de la corne « ab anima-
linm natura desumpta est. » La force de p!u-
sieurs especes d'animaux reside en effet dans
leurs cornes : munis de ces armes offensives
et defensives, ils ne craignent aucun ennemi
et affrontent tous les dangers. Cetie meta-
phore revient assez frequemment dans les
saints Livres. Comp. I Reg. ii. 10; Ps.
xvii. 3; Lxxxviii, 18; cxlviii. 16; Eccli.
XLVii, 8, etc. Voiraussi Schoellgen, Hor. hcb.
p. 2o8 ets.; Horace, Carm. in. 21. 18; Jahn,
Arch. bibl. § 47. — In domo David pueri sui
{c'est-a-dire « servi sui », comme au t. 54.
Cfr. Act. IV, 2o). Dans un psaume messia-
nique, cxxxi. 17, le Seigneur promet de sus*
citer « une corne « a David. Zacharie annonce
que Dieu a tenu sa promesse : il nous monlre
la corne de salut crigee dans la maison, en
d'autres termes, parmi les descendants du
saint roi. De part et d'autre la corne symbo-
lise le Christ.
70. — Siatt locutus est... Mais ce n'est pa
seulement a David que le Seigneur avail pro-
mis la redemption de la nation juive par le
Messie; tous les prophetes avaient successi-
vement predit celle merveille de la miseri-
corde divine, comme le rappelle le pere de
S. Jean. En realite, I'Ancien Testament, et
surtoul sa partie prophetique, se resume
dans I'ldee du Messie. — L'adjeciif sanctorum
se rapporte a prophetarum , dont il n'aurait
pas du etre separe. — L'incidenle qui a sce-
culo sunt (ywv octi' alwvo;) a le sens large de
I'hebreu D'^IVQ. Elle designe d'une maniere
geneialc les temps anciens el ne signifie pas
absolumenl « ab orbe condilo. » Comp.
Act. III. 21.
71. — Les tt. 71-75. qui forment la se-
conde strophe de la premiere partie du Beni^-
dictus. decrivent I'oeuvre du Messie d'apres
ses tiaits principaux. — Snlulem est une ap
position a « cornu salutis », par suite un
complement direct de « erexit. » — Le salut
chanle par Zachai ie vient done du Christ, ei
c'est a la nation juive qu'il est accorde. Mais
quels sont los ennemis dont le Sauveur par
excellence delivrera les Juifs? Noions bien
que Tanleur du cantique est im pretre el non
un simple pairiote. II ne scrait done pas na-
turel de supposer qu'il avail specialement en
vue les ennemis exterieurs et poliliques de son
peuple, les Roinains par exemple; sa pensee
se portail d'une maniere directe sur les enne-
mis spirituels des Juifs, les demons, le peche
sous toutes ses formes. Voyez TheophyJacle,
Maldonat, etc. Ce n'est dailleurs qu'en ce
sens que la prophetie de Zacharie s'est accom-
piie. — Les mots qui oderunt nos sont syno-
mr s de inimicis nostris. Celte repetition, due
au parallelisme poetique, est ires frequenle
diins les eciits de I'Ancien Testament. Comp.
Ps. XVII, 18 41 ; XX, 9; xliii, 11 ; Liv, 13;
Lxvii, 2 ; LXXXVIII, 24;cv, 10, etc.
72. — Ad faciendam mitericordiam cum...
CHAPITRE I
59
«um patribus nostris, et memorari
testament! sui sancti;
73. Jusjurandura, quod juravit ad
Abraham patrem nostrum, daturum
se nobis,
Gen. 22, 16; Jerem. 31, 33; Hebr. 6, 13-17.
74. Ut sine timore, de manu ini-
micorumnostrorum liberati, servia-
mus illi,
75. In sanctitate ct justitia coram
ipso, omnibus diebus nostris.
76. Et tu. puer, propheta Altis-
cordes envers nos peres et se sou-
venir de son alliance sainte,
73. Du serment qu'il a jure a
Abraham notre pere, qu'il ferait
pour nous,
74. Qu'etant delivres de la main
de nos ennemis, nous le servions
sans crainte :
75. Marchant devant lui dans la
saintete et la justice tous les jours
de notre vie.
76. Et toi, enfant, tu seras appel6
Hebraisino que nnus avons deja rencontre au
f. 58 (ici, Di? IDn niZJy). En envoyant son
Christ siir la icne, Dimi miinilesleia <a bonte
infinie a rei;aid du pcuple juif, el parLiculie-
remenl a I'egard des saints paUiarclics qui
avaient ele les fondaleurs do la nation iheo-
cralique, 'palnhxix voslris (Clr. f. 55). Ceux-
ci fiii^fTel, du lond des limbes ou ils vivaicnt,
desiraient ai'di'nimenl la vonue du Mossio,
^oil pour eux-nieuK'S, afin dn pouvoii- jouir
comijlelempnl de Dieu dans le ciel, soil pour
leurs descendants, doiit les interets n'avaient
pas cesse de leur etre chers. Le Seigneur
exercera done envers eux une miseiicorde
reelle et personnelle. Luc de Bruges nous pa-
rail exprimer I'idee de Zacharie d'nne maniere
incomplete, lors(|u'il dil : « Non ereilo hie
<igi de propria patrum salute sed rpiod pa-
Uum intuitu erga posteros bencficrnham
suaui Dcus voluerit exercere. » — Et me-
morari testumenti II cut ete plus clair
el plus correct de traduire le second infi-
nitif du lexte grec ([j.vy]<j6rivai) comme !(" pi''-
mier (noiriGai e>,£o;) par le gerondif : « ad me-
morandum. » Le testament dont Dieu veut
bien se souvenir pour en executer les clauses
ii'est autre que I'alliance solennellemenl con-
traclee par lui avec Abraham. Isaac et Ja-
cob, ainsiciu'il est dil au v( rset suivant.
73. — Jiisjarandum (juodjaravit. Regulie-
rement, il < lit fallu le genilif, « jurisju-
randi », puisque cc. sub-tantif forme une
apposition a « tostamenti ». Mais comme le
texle grec emploie ['accusalif (opxov 6v &\i.o<i£.,
pour opxoO ov) en vertu de raltraclion, le tra-
ducleur laiin a suivi serviliment la m^me
■construction. Voyez Beelen, Grammat. pages
163 et 516; Winer, Gramm. pp. 291 el 553.
D'autres expliqui'nt cette tournure par une
ellipse : xax' opxov, « secundum jusjuran-
dum ». — Ad Abraham : de meme en grec,
itpo; 'ASpadf/., quoique le datif soil plus ordi-
naire en (lari'il cas. Zacharie fait ici allusion
k la circoniUace racontee dans la Genese,
XXII, 16-18. Comp. Hebr. vi, 13 et 14. —
Daliiriim se nobis. Le grec dit simplement
Tou ooi'vat -^[aTv, « daturum nobis ».
74-75. — Ces deux versels se rattachent
immediatement a « daturum » : ils expriment
le but principal de la Redemption, qui etait la
gloiic de Dieu procuree par des hommes me-
nanl im(> vie sainte et paifaite. — Sine ti-
more, dqj'iSw?, mis en avant d'une maniere
(mphatiquo, est ensuite developpe paries
mots rle manu... liberati (voyoz le 1^. 71 et
['explication}. — Serviamus designe le culte
divin dansson ensemble, ainsi qu"il ressort de
I'expression plus energiquc du texle grec,
),aTp£U£tv. Quand on est sous I'impression de
la crainte, en bulti; aux attaques incessantes
de dani;ereux ennemis. geneialement on ne
sell pas aussi bien le Seigneur qu'au milieu
du calme et de la paix. Mais le Mossie appor-
tera precisemont cette paix et ce calme, de
sortc qu'on pourra so livrer en toute liberie
aux choses deDieu. — La premiere partie du
f. 75 designe la maniere dont les Juifs deli-
vres par le Christ pourronl servir Jehova :
in sanctitate et justilia coram ipso. La seconde
pai'tie indique la duree de ce service, omni-
bus diebus nostris (le lexte grec ordinaire porte
Tzicac, Toc; f,|i.£pag Trj? ^w^; i?i(ji.wv. Mais tJj? I|(h^c,
qui manque dans de nombreux manuscrits,
est probablemenl une glose).Les mots « sane-
titas » (ost&TY);] et « justilia » (Stxaioauvr)) sont
a pen pres synonymes, bien qu'ils represen-
tenl des nuances differentes. Ces nuances sont
assez difficiles a determiner. D'apres les uns,
il faudiail voir dans daioxri; une qualite pure-
menl negative, I'absence de souillure, et dans
SixaioCTuvY) une qualite positive, le culte pro-
premenl dil. Selon d'autres, le premier sub-
stantif corrt'Spondrail k une disposition int^-
rieure, le second a la conduite exlerieure. Ou
bien encore, la saintete se rapporterait aux
relations des hommes avec Dieu, la justice
aux relations des hommes entre enx.
76. — "ETTEixa (A£Ta6a(vei (Zaxap^a;)... icpic
60
feVANGILE SELON S. LUG
le prophete du Tres-Haiit, car lu
marclieras devant la face du Sei-
gneur pour lui preparer les voies,
77. Pour donner a son peuple la
science du salut pour la remission
de leurs peches;
78. Par les entrailles de la mise-
ricorde de notre Dieu, avec les-
quelles est venu nous visiter d'en
haul ce solell levant;
simi vocaberis : prseibis enim ante
facieni Domini parare vias ejus :
Ad dandam sciontiara salutis
ejus, in remissionem pecca-
//,
plebi
torum eorum :
Mai. 4,3; Supr. 17.
78. Per viscera misericordiie Dei
noslri ; in quibus visitavit nos oriens
ex alto :
Zacli. i, 8 el 6, 12; Mai. *, 2.
ia'JToO Ttaioa 'Iwavvr.v, Eulliyniiu?. El, avec
ceUe bollf aposliojihe. commi'iiot' la si'CoiidK
pailie du canlKiue. — Premiere strophe,
tir. 76 el 77 : role de S. Jean. — Et lu piier
(le iirc'C einpioie le diininulil'Ttaioiov . Zacharie
a aileiidu j.isqu'a ce inoinenl pour p.ii ier de
soil fils; cVsl (]iie, dans le» evencm.^iU> qu'il
decril, Jean ne doit paraiire qu'au second
plan, n'livoir qn'un role secondairc — Pru-
pheta Allissimi vocaberis. De Jesus il avail
eie dit : ;t Fiiius Aili«simi vocabiiur », t. 32
(voyez en eel endroil ri'xplicalioii du verbe
« vocari »); a Jean on n'assi.une que la fonc-
tion de Propliele. Nubie fonclion pourianl.
donl le fidelH accomplissrmenl lui valul un
magnifique eloge de Jesus, Mallli. xi. 9, el
la contiance de tnute la naiion juive. Voyez
ibid. XXI. 26.— Pra'iliis eniin ante fariein Do-
mini... Zacliarie imlique par ces paroles la
nianiere speciale donl son fils STa le pro-
phete du Ties-Kaul. II sera profiliele en tanl
qn'il sera le Precui s 'ur du .M ssie, en lanl
qu'il anri'incira la prochaine inamfi'Slalion du
divin Reilempiiur el que, a la fagon de I'O-
rieni, il maruh ra devanl lui cdtmne un he-
raul, lui p eparanl en tons lieux une voie
royal". Coiii|>. Is. xl, 3; Mallh. iii, 3 el
ie comiH^niaire. Du liire d^ « Doininus »
== m."ii| aUribue ici au Christ, on a legiti-
raemeiii conclu a la divinile de Jesus.
77. — Ad dandam... Dans le ,i;rec, toO SoOvai,
iufinilif du bul. En pieparanl les voii's du
Mes>ie selon qu'ii vii'nt d'etre dit. Jean pio-
ciirera aux Jiiil's, peuple |)riviiegie du Sei-
gneur {plebi fjiis,, « la science du salul » ; il
leur apprcndra commenl lis pourronl elr.'
>auves. — In remissionem (le grec ev a.fiazi
est pour el; iosctv) pec.ratorum eorum (ce
prcnoni est au pluriel en verlu dune v con-
sliuflio ad syuesin »;. Ici encore. Ton voil
eombit^n soni pures les idees mes^iatiiques
de Zacharie. La redem(>iion qu'il iinnonce ne
sera pas politique el sociale; avant loul eile
sera S|)irlluelle el religieuse : elle aura pour
tin la juslificalion des pecheurs. Sur la reali-
sation de celte prediction par S. Jean-Bapliste.
coni|iairz 111, 3; Mai ill. ill, 6; .Mnrc. i, 4, 5.
— La -iroplie comprise dans les tlf. 76 el 77
repoiid done a cetle question : Fourquoi le
M ssie di'vail-il avoir un Precursi'ur? La
naiion theocralique avail ete egaree; mille
prejuges regnaiciit parmi elle louchiint la
p rsonne el I'cBuvre du Christ; le peclie I'en-
iagait de toules parls. II fallail done qu'elle
fill ins(ruite el pirifiee, afin de se Irouver
prele qiiand viendrait son Liberateur.
78 ei 79. — Seconde slrophe de la seeonde
paiiie : EfT.^is produit- pai la viMiue de Messie.
— Ici plus que jamais il est inymresle que « ie
Christ est I'objel [)rin(ipal, le cominencement
el la fin du caniique de Zacharie. S. Jean
n'apparail que d'uiie maniere accessoire : on
dil diMix mots de lui, puis on revienl imme-
diatemenl au .Messie n.Munkd. Ces dernieres
paroles de Zacharie sonl les plus belles et les
plus fortes de son ehanl inspire. — Per vi-
scera miserirordia;... se rattaclie a « in remis-
siomm peccatoruin eorum >>, el signale la
cause efficient' de la remis-ion des [)eches,
la source d"ou decoulera la giace qui sancti-
fiera tanl de conpables. Le sens special du
mot « viscera » dans ce passay;e se retroiive
chez lous les pr-uples. Voyez Gesenius, Th"-
samus. s. v. cril- Corap. Col. iii, 12. — In
quibus 'scil. visceribu- inisericordiae' fisifau't
nus (Cfr. le t. 68) Oriens ex dlo. (Juel beau
nom donne an M ssie! Plus lard Jesus lui-
memi s'appellera la lumiere, Joan. viii. 12;
IX, o; le qiialrieme Evangiie i. 9, dira de lui
qu'il I'Sl « lux vera quae illuininal omnem
hominem venienlem in hunc mun iuin ». Ici
on nous montre le Sauveur a son d(>biil sous
la noble et gracieuse figure d'lin soleil levant,
avxTo).r,, qui piom'l une rarlii'us' journee.
Cetle inetaphore remonte d'ailleurs a I'Aneien
T siamenl, ou le .M 's-ie e-l plusieurs fois
Compare a une briHante lumiere : « Populus
qui anbulabal in lenebri- vidil lucem ma-
gnum; habiianlibus in regione umbiae mortis
lux orla est eis », Is. ix, 2. « El ori'lur vo-
bis liinenlibus nomen meura s>l justihae »,
Mai. IV, 2. Comp. Zach. iii, 9. T.?. vi}/oy; con-
CHAPITRE r
61
79. Illuminare his qui in tenebris
<et in umbra mortis sedent : ad diri-
gendos pedes noslros in viam pacis.
80. Puer an I em crescebat, et con-
forlabalur spiiilu : eL erat in deserlis
79. Pour illuminer ceiix qui sont
assis dans les tenebres a I'ombre
de la mort, pour diriger nos pieds
dans la voie de la paix.
80. Or Tenfanl cioissait et se for-
lifiait, en es[)riL et ii demeurail dans
tienl unft allusion a la cek'Sle orii;ine dn
Messie. L'a^lre dii jour semble soilir de re-
gions soutiM'raini'S, mais le soleil rje justice
\ irndra (i'en haul, du sein de Dim. — Divers
ault'urs, s'appuyanl sur ce que les LXX Ira-
duiscnl qufiquol'ois le noni liebreu na2f)
gorme, n-j'lon, par avaToXri (comp. Jt^r.
XXIII, 5; Zaoli. vi, 12], onl pret^idu que tel
■est. ici lo Sins de notre sui)-tanl,if gicc. Le
(■onlexle ieur donne tort, car « la phrase en-
liere repose sur Taniitliese de la himiere el
<Jcs tenebrvs ». Rcnss. — Illuminare esl un
nouvi'l « infiniiil' du bul », pour « ad illum:-
nandum ». Voyez les t*. 72 el 77. — His
yai in teneoris... sedent vepreienle d'uni' ma-
tiiere figuiee les Juifs, donl I'elal moral elait
alors si misei able. « L'ombre de la morl »
iniaSsf des Hi'breux) est un synonyine euer-
gique des leuebies : les regions ou regne la
morl sonl ccnsees couverles dfs ombres les
plu-; noircs. — Ad dingendos pedes nostras.
Oonliiiualion de Tiinage. Grcice au suleil du
.M 'ssie, lespauvres voyagmirsqui cheicliaienl
jii-que-la pendilemenl Ieur route la irouve-
Tonl sans peine, el c'esl une route qui lo^s
coiiduira a la paix, au bonheur, in viam, pa-
cts. Zacharie termine son hymne saccrdolal
pai ceUe douci' perspeclive du salul dans le
M''ssie. Coininc Marii!, il a clianle un abiege
de I'Evangile ; couinie Marie, il a resume les
idees ii'S plus saillaiiles de I'Ancien Testa-
incnl relaiivi s au Chrisl. Pas un mol de son
canlique n'esl inml)e a teire; toul s'esl pa~se
ainsi qu'il le predisait, el le pretre chrelien
peul dire chaque jour avec plus de verile
(jue le pielre juif pere du Precurseur : « Be-
ncdiciu> Doiniiuis... quia... fecil redem()lio-
n ni plebis suae ». — On a un beau « Benc-
-diclus » di! Haydn.
3° Education et d^veloppement de S. Jean. f. 80.
80. — Ce versel resume les Irenle premieri's
annees du Precurseur. Malgie Ieur grande
i-nncision, les renseigiiemenls qu'il reiiferme
sufli-ienl pour nous monlrer la maniere donl
.le.in-Baplisle I'ul pre[iare a ses haules fonc-
uoiis. — Puer crescebat. Ce verbe indique la
iTOis^ance pliy-i(|ue de ronfanl. Qioique issu
de parents affaibli< par I'age, Jean, grde.e a
uno beiiedlciioii speciale du Siigmuir, deve-
nail lous lis jours plus robuslc; el se deve-
iiippail dan-i d'excelienles conditions. — Sa
Cfi issance morale, marquee jiar l<'s mot-; cou'
fortabalur spiritu, n'etait pas moins rapidi-,
car Dieu s<' plai-ail a I'lionorer de loule sorte
de dons. — Et erat in deserlis. La solitude
a-l-on dii, esl la palrie des giands homuies.
Ce ful la palrie de I'auslere Jean -Ba|. lisle.
S m exeuiplaire, Elie, avail vecu assez long-
lemps dans le deserl ; pour lui, il y passa la
plus grande |)ailie de. sa vie, n'ayani sans
doule qu ■ d' rares communicalions avec les
hoinmes, ei plonge lout enlier en Dieu el
dans les choses divines. Ou ignore I'age exacl
auqiiel il qiuua sa lamill.' pour se reliier
dans le deserl; mais ce dui, eire d'assez
btmn(^ heure. Le pluriel £v xafi; epriao'.; sem-
blerail supjios r que J^an n'avaii pas de resi-
dence fixe, mais qu'il piissail d'uiie solitude
a I'aulre. Le deserl de Juda, oil S. Matthieu
nou-; le monlre au debul de son minisleie,
elaii preciseiiieiil enloure ile plu-ieuis autres
dislricls pieS(|U(; inhabiles ou il pul se fixer
lour a lour. Voyez noire coram ■ntaire sur
S. Mat ill p. 66. La gracieuse ioealile nommee
« S. J an dans le de~eii. » par les chreliens,
Ain-Karim par les musulmatis, el siliiee a
deux lieues au S. 0. do Jerusalem, dans une
vallee ferlile oil abondenl les roses, les oli-
viers el les planls de vignes, n'a aucune
chance serieuse d'avoir servi de reiraile con-
stanle au Precurseur (Voir Scheg;;, Evaiig.
nach Liikas, i. J, p 106). C'esl la du moins
qu'on honore d'uiie maniere plus speeiali' le
inystere de sa vie cacliee. — Usque in diem
oslensionis suce. L'avaoei^i; ou « oslensio » de
Jean-Baplisie eul Ii 'u (^uaud il commenga a se
maiiifesler d'une maniere officielle comme le
iieraul el ravant-couieur du Messie, in, 1-3.
— Li's Essenien- ayani, d'apres le lemoi-
gnage de Pline, Hisl. Nal. v, 17, plusieurs
eiablissements dans le deserl de Juda. il a
eie de mode dans un lemps de prelendre que
Jean-Baplisle ('tnil enire en relations avec
eux et avail adopte en parlie leurs doctrines.
Mais lE-senisme du Precurseur esl aujour-
d'hui abandonne par tons lesciiliques seriiux,
aussi bien que rEss('nisme de Je-us (voyez
I'Evang. selon S. Mallh. p. 71). Jean iut formt;
direcleinenL par rE-piii-Saiiil ; il n'avail done
pas besoin de legons humaines, surloul de
leQons prov(>nanl d'un" source qui etailhere-
iK^ue el scliisinatique au poinl de vue de la
religion juive. — Parmi les noinbieuscs p in
lures coinposees en vue de reproduirequelque
scene d(! la vie de S. Jean au deserl, on si-
62
fiVANGILE SELON S. LUC
les deserts jusqu'au jour oil il devait usque in diem ostensionis suse ad
se montrer a Israel. Israel.
GHAPITRE II
Jesus nait k Belhleem (tt. i-T). — Les bergers, averiis par iin ange, viennent I'adorer
(ft. 8-20). — La Circoncision [t. 21). — Les mysleres de la Purificalion el de la Presenla-
tion (ft. 22-38). — Abrege de I'enfance de Jesus [tt. 39-40). — Jesus parmi les Docteurs
{tt. 41-50). — De douze a treiite ans (*t. 51-52).
1. Or il arriva qu'en ces jours-la
un edit fut publie par Cesar- Auguste
1. Factum est autem in diebus
illis, exiit edictum a Gsesare Au-
gnale au premier rang celles de Murillo et du
Gruerchin.
5. No61, II, 1-20. Parall. Matth. ii, I.
II regne un parfait organisme dans les pre-
mieres pages du troisieme Evangile. Apres
la conception miraculeuse de Jean-Baptisle,
I, 5-23, S. Luc a raconle I'lncarnation du
Verbe, i^ 26-38 ; apres la naissance el la cir-
concision du Precurseur, accompagnees du
« BenedicUis », i, 57-79. ii relale de meme
la nalivile el la circoncision du Christ, ac-
compagnees du canlique des anges, ii, 1-21.
Enlre les doux conceptions ol l.-s deux nais-
sances s'etail place, comme un beau trait
d'union, le mystere de la Visitation de Marie,
avec le « Magnificat », i. 39-56. Du reste I'e-
crivain sacre n'a\aileu qu'a reproduire dans
son recit I'harmonie des fails eux-memes. —
Nous diviserons en deux parties ce nouveau
paragraphe. S. Luc expose d'abord, tt. 1-7,
comment le CIkIsI, par suite d'une mesure
loule providentielle, naquil a Bethleem ainsi
que I'avaienl predil les prophetes. Cfr. Mich.
V, 2. II monlre ensuite, tt. 8-20, quels furenl
les premiers adoraleurs de I'Enfanl-Dieu.
lo J^sus nalt a Belhleem. ff. 1-7.
Les tt. 1 et 2 conliennent une note hislo-
rique destinee a expliquer pourquoi Jesus ne
naquit pas a Nazareth ou vivaienl sa Mere et
son pere nourricier, mais a Bethleem, bien
loin de la Galilee. Ces queiques ligncs sonl
tellement herissees de difiBcultes qu'on a pu
It bon droit leur donner le nom d'enigme
chronologique. Aussi onl-elles ele I'objet de
discussions sans cesse renouvelees, de sys-
lemes nombreux et, dans le camp rationaliste,
d'accusalions passionnees conlre I'authenti-
cite ou la v^racite de ce passage de S. Luc.
Cfr. Strauss, Vie de Jesus, § 31, I. I, p. 232
et ss. II n'esl pas possible, dans un commen-
taire, de trailer a fond une question aussi
compliquee; nous indiquerons du moins les
meilieurs principes de solution, et nous ren-
verrons lelecteur studieux a quelques disser-
tations et monographies speciales ou il trou-
vera lous les renseignemenls desirables,
nolammenl a Sanclemente, de anno Chr.
Dom. natal, iv, c. 3 el 4; Huschke, Ueber
den zur Zeit der Geburt Jesu Chrisii gehal-
lenen Census, Breslau, 1840; H. Wallon, De
la croyance due a I'Evangile, Paris, 1858,
pp. 296-339; Wieseler, Chronologische Sy-
nopse der vier Evangelien, 1843, pp. 79-122;
Id., Beitraege zur richligen Wiirdigung der
Evangelien, p. 16 el ss. ; Kitlo , Cyclopae-
dia of biblical Literature, el Smith, Dictio-
nary of the Bible, au mot Cyrenius; Wi-
ner, Bibl. Realwoerterbuch, s. v. Quirinius ;
Browne. Oido saecloruni , Appendix ii, 40
el ss. ; Zumpl, Commentatio ne Syria Roma-
norum provinciaa Cyesare AugusloadT. Ves-
pasianum; Id., das Geburtsjahr Chrisii, 4869;
Patritii, de Evangeliis lib. Ill, dissert, xviii ;
Aberle. Thoolog. Quartalschrifl, 1874; Tho-
luck, die Glaubwiirdigkeil der evangelischen
Geschichte, p. 162 et ss. ; Caspari, Chronolog.-
geograph. Einleitung indasLeben J. C, 1869,
p. 30 el ss.
Chap. ii. — 1. — In diebus illis. Celte
date, vague en elle-meme (comp. Matth. iii, t
et I'explication), est precisee par le contexte,
I, 26, 36, 56 ; II, 6 et 7; elle noug ramene au
t. 79 du chap, i, par consequent aux jours
qui suivirent la naissance de Jean-Baptisle. —
Exiit edictum est une bonne traduction du
grec e|Yi),6e Sofixa. Le substanlif Soyp-a (de
Soxe'w, « slatuo ») etait en effet classique chez
les Grecs pour designer une ordonnance offi-
CHAPITRE II
63^
gusto, ut describeretur universus
orbis.
pour que toute la terre fut denom-
bree.
cielle. un decrel rigoiireiiS( ment obligaloire.
Comp. Act. XVII, 7. 'ESrjXee est. un hebraisme
(H2lf. Comp. Dan. ii, 13; ix, 23; Esth. 1,49)
pour « latum est, promulgalum esi. » —
L'editen question emanaila Ccesare Augusto,
neveu du celebre Jules Cesar et le premier
des empereurs remains. II avait pour objet
ut describeretur universus orbis. Quolque {'ex-
pression itaffa f) olxoujievYi rcpresente parfois
dans la Bible la seule Palestine, il n'est pas
possible de lui donner ici avec Paulus, Kui-
ncel, Hug, etc., cetle signification restreinte:
la maniere dont elle est ratlachee au nom
d'Auguste s'oppose a une telle interpretation.
II s'agit done vraiment de I'empire remain,
que les Latins appelaient fierement « orbis
terrarum »; I'hyperbole n'avait au reste rien
de trop exagere, puisque la plus grande
partie du monde connu subissait alors les
lois de Rome. Par « describi », a-noypifza^M,
il faut entendro ce que les Romains appe-
laient (( census », un recensement propreinent
dit, ou Taction d'inscrire sur les registres
civils le nom, I'cige, la condition, la fortune,
la patrie de tous les habitants d'une coniree.
Comp. Polyb. x, 7. L'evangelisle n'a done
pas voulu parlor d'une simple operalion ca-
dastrale, comme Font cruKuinoel, Olshausen,
Ebrard, Wieseler, etc. — Le fail si claircment
enonce par I'evangeliste dans ce premier
verset souleve deja de grosses diKiculles,
parce que, nous dit-on, lo les historiens
latins el grecs de Tepoque gardent un silence
absolu sur cet edit d'Auguste ; 2° le deeret
eul-il ete porle, il ne pouvait s'appliqucr a
la Judee, qui n'etait pas encore jirovince
romaine au moment de la naissance de Jesus-
Christ puisqu'elle etait gouvernee par He-
rode. Pesons tour a tour ces deux objections.
— \o L'histoire profane fut-elle enlier(Mnent
muette sur I'edit signale par S. Luc, son
silence ne conslituerait qu'une preuve nega-
tive, qui ne saurail intirmer le temoi,uniige
si formel de l'evangelisle. Les annalisies
conlemporains omettent de la memo uianiere
les recensements operes anterieuiement par
Jules Cesar, et pourtant leur existence ne
crdo pas le moindre doute (voyez Wieseler,
Beilraege zur richtig. Wurdigung der Evan-
gelien, 1869, p. 51). De plus, comment se
fait-il que Celse et Porphyre, ces ennemis si
acharnes du Christianisme, qui se sont fait
un malin plaisir de relever les prelendues
contradictions ou erreurs des Evangiles,
n'aient rien objecte contre ce passage de
S. Lue ? Mais nous avons des raisons plus
positives a alleguer. Corame Tadmeltent au-
jourd'hui les archeologues, les juristes et
les historiens les plus distingues (Savigny,
Huschke, RitschI, Peterson, Marquardt, etc.),
la compilation de rapports et de documents
slatistiques forme un des traits distinctifs de
la politique d'Auguste. Des pieces impor-
tantes, dont nous possedons au moins quel-
ques fragments, prouvent jusqu'a I'evidence
que le premier empereur remain dikt faire
pendant son regne plusieurs operations ana-
logues a cell"? que signale S. Lue. A sa mort,
lisons-nous dans Suetone, Aug. c. ci, on.
trouva trois protocoles reunis a son testa-
ment. « De tribus voluminibus uno mandata
de sue funere complexus est; alteio indicem
rerum a se gestarum, quem vellet incidi in
seneis tabulis quae ante mausoleum stalue-
rentur ; terlio breviarium imperii. » De
r « Index rerum gestarum » il existe une
copie celebre, gravee a I'entree du temple
d'Ancyre (en Galatie), qui avait ete eleve en-
I'honneur d'Auguste : il y est expressement
question de trois recensements dont I'un eut
lieu I'an de Rome 746, c'est-a-dire peu de
temps avant la naissance de Notre-Seigneur
Jesus-Christ (Voyez Wallon, I, c. p. 300 el s. ;
Bougaud, Jesus-Chrisl, 20 edit. p. 158 et ss.).
Le '( Breviaiium imperii » a disparu. Nous
Savons iH'aninoins par les resumes qu'en
donnent Tacite el Suetone (1. c.) de quelles
matieres il trailait : « Opes publicse conti-
nebantur ; quantum civium sociorumque in
artnis, quot rhisses, regna , provincIjE,
tributa aul vectigalia et necessitates et lar-
gitinncs. » Tacit. Annal. i, 11. N'est-il pas
evident que, pour reunir toules ces notions,
il avail fallu laire des denombrements dans
loule releiidue.de I'empire et m6me chez les
peuples allies? Ajoulons enfin que les histo-
riens poslerieurs confirment de la faQon l;t
plus positive les donnees de S. Luc, et cer-
tainement d'apres des sources independantes-
de I'Evangile, puisqu'ils ajoutent les plus
minutieux details. « Cesar Augusle, ecril
Suidas (ap. Wieseler, Beitraege, p. 53), ayaiil
cheisi vingt hommes d'entre les plus excel-
lents, les envoya dans toules les contrees
des peuples soumis, el leur fit faire i'enn'-
gislrement des hommes et des biens. » De
m6me S. Isidore de Seville, Cassiodore, etc.
Voyez Wallon, L c, p. 305 et ss. — 2o Au
moment de la naissance de Notre-Seigneur
Jesus-Christ, la Judee, il est vrai, n'etait pas
encore province romaine, et Herode-le-Grand,
qui !a gouvernait, avail le litre de « Rex
socius »; mais ceile apparence de liberie
n'empechail pas le pays et son chef d'dtre
d'humbles vassaux de I'empire, comme le
prouve Thistoire juive de ces temps. L'inde-
64
fiVANGILE SELON S. LUC
2. Ce premier denombrement fut
fait par Gyrinus gouverneur de
Syrie.
2. Hsec descriptio prima facta est
a praeside Syriee Cyrino :
ppndance de la nation iheocralique etail
alors [jiirpmeiil numinale, el I'on n? voii pas
ce qui eul einjieihe AugusLe do denombier
le peupie d'l.-<iael j^i cela enlraii dans ses
vucs. Qui ne ^aIl qn'on pratique HerodK ne
ce?sa d'agir coinme un ser%'ili'iir lies obeis-
sanl d'Augusie? Un jour qii'ii avail monlre
qu'lqiies velieiles de s'afTranchir de celle
sujeLion absoluo, i'einpereur ne craigml pas
di? lui ecnrc que ?i «ju-qiie-la il I'avail tiaile
en ami, desonnais il le tiaileriiil en sujd. »
Jos. Ant. XVI 9. 3 (ua).at xpwjievo; auTw 9i).w,
vuv unr.xow xpr,(JcTai). D'aiileurs un ex inple
po?iiir, celui des « Cliiae », petit peiqiji' de
Cilicie (Tacit. Ann. vi, 41). nnus apprend
que les Ronains forQaienl paifL'is les nations
alliees de siibir lo reci'nsement.
2. — Hwc descriptio prima facta est est
iini' traduction lilierale dii « tixUi> receptus »:
ouTT) :^ d-0Ypa9/; TTpcb-ri iyi^t-o- « Prima » doit
etie cunsulere coinme un atiribul Ce recen-
semenl lut le preini<'r de ci'ux qu'opera Gyri-
nus;. et non cumine un qtialificalif direct de
« d>'Scri()lio » ( Ci' premier reCi n-ement fut
execute par Cyrinu-). Conip. Marc, xii, 30 :
«urri itpwTYj £VTo>.:o. L'ecrivain sacre distingue
done plusieurs denombreinenls operes par
Cyrinus (Gfr. Act. v, 37), et il affiim^ que
celui donl il paile presenlenn nt ful !(> pre-
mier. — A prcesidf Syrice Cyrino. Dan-; le
texie grec (e$ s. ent.) -/lYeixovE-jovTo; Tfj; i;ypta!;
Kwprjviou. L" verb.^ tjYciaoveuo) ^ig!!lfn' d'une
maniere generale « elre chef. izouvcrniM- « ;
mai-; >on sens particulier est ici detennine par
les mots Tr,; lupia?. La Syrie etail alors un ^
province roinaine (burnee au N. par le Tau-
rus, a I'E. par lEuphrate, au S. par la Pa-
lesiine, a TO. par la Me>literrane'", avcc An-
tioche pour cafiilale); or, elre chef dune
province, c'etaii etre a procon>iil ». Tel eiail
done le litre officiel du per.<onnage que la
Vulgate numme Cyiinus d'apre- le grec
Kwpr,vto;, el qu'il serait phis < xact d'appi'ler
« Quirinus », car lei eiait son vrai nom hilin.
Cfi. Su'lon. Tib. 49; Tac. Ann. iii, 48. Pu-
blius Sulpicius Quiiinu-^, ne a Lanuvium de
parents ob-curs. sul s'elever par son ai<leur
ij;uerriere el son liabilele dans ].■> affaires
(« impiger inililiae et acnbus miiii<i(-riis, »
Tac, I. c.) jiistpi'aiix premier s functions
de I'Eiat. II ful consul en 742 (U. C), ob-
linl qui Iqiie t-mps a|)res les lionneurs flu
Irinmjilie pour avoir souinis les farouches
moniagniiids d'Uniuona en Pi-idie, aeeoin-
pagna en 755 le jeune Gains Cesar en Ariiie-
oie coinme conseiller, et gouverna la Syrie
de 759 a 764. Mais c'esl precispment celie
dermeie dale qui cree a Texegele la plus
gran ie des difiiculles contenues dans ci' pas-
sage, puisque, d'apres S. Luc, Quirinus au-
raii e e proconsul de Syrie I'annee mem- de
la nai<sance du Sauveur, tandis que. d'aftres
les hi^toriens romains, il ne le serait devenu
qu'enviion dix an> plus tard. Les raliuna-
listes les plus moderes conrluent de la que
le recit de S. Luc e-t « evideramenl errone »
(offenbar irrig, M yei). Les aulies crieni au
mytlie. a la legende, a la duperie meme.
Comm'^nl resoudre ce probleme? Parmi les
iioinbn ux sysieni! s proposes succ< ssivemenl
dans ia louable intention de iiistifier S. Luc,
il en est d'une grande faiblesse, par exem-
ple celui de Venema, Valckenaer. Kuinoel ,
Olshausen. etc., qui voudraient suppriuier le
t. 2 comme uiie interpolation, et en general
tons ceux qui consistent a introdnire quelque
inodification dans le lexle (Koivu/iou, ou
Kpovio'j, traduction grecque de « SaUirninus »,
ou SaTO'jpv{-/oy, a la place de Kuprjvioy; tipmth
eye'veto ^rpoTrj? fjYepiovEuovTo?, etc. : Ce denom-
brement luL le pri'inier avant celui du pro-
consul Qiirinus;. L'auih nticile parfaite du
t- 2 est Irop bien demontree pour que Ton
piiisse recourir a des conjectures aussi ar-
bitraires. Mais les hypotheses serieuses ne
manquenl pas. 1o Heiwarl. Bynaeus. Perizo-
nius, le P. Petau , D. Calfn-t. Husclike,
Wieseler, Ernesii , Ewald , Haneberg el
d'aulr>'S critiques donn;Mit a Ttpw-rri le sens
de TtpoTe'pa et traduisent : Ce denombrement
eut lieu avant que Quirinus fut gouvimeur
de la Syrie. lis croient pouvoir jtistifier leur
opinion a I'aide d'exemples assez nombreux,
pris dans les auteurs soil sacres soit clas-
siques. 20 Dapres Lardner el Miiuter, le
litre de « praeses » serail donne a Quirinus
par anticipation (Ce premier rlenombiement
eut li u sous la direction de Quirinus qui fut
plus taid proconsul de Syrie). ou bien 3<* il
ne (le-ignerait pas le proeonsulat pnipreinent
dit, mais des pouvoirs extraordmaires en
vertu (iesquelles Quirinus aurait pre-ide au
recensemenl de 750 ( Casaubon , Grotius.
Deyling, Sanclemente, Neand r, Hng. Sepp,
Seln'gg. etc.) On explique ainsi comment
T rtullien, Adv. Marcion. iv, 19, atlnbue a
Senlius Saiuminus, gouverneur de Syrie
quelque temps avant la naissance de Jesus,
le recensemenl signale en eel endroit par
S. Luc, tandis que S. Jusiin dit a plusi-'urs
reprises qu"il ful diriue par Quirinus (ApoL
I, 34, 46; Dial. c. Tryph. 78,. Nosdoux ecpi-
CHAPITRE IF
65
3. Et ibant omnes ut profiteren-
tur singuli in suam civitatem.
4. Ascendit autem et Joseph a
Galilaea de civitate Nazareth in
3. Et tons allaient se faire ins-
crire. chacun dans sa ville.
4. Joseph aussi monta de Galilee,
de la ville de Nazareth, en Judee,
vains ecclesiasliques auraient raison. puis-
qiie, dans ce sysleme, Salurniniis et Quit inus
avaient preside de concert au denombre-
menl. 4" Le recensement aurail ele com-
mence en realite vers 750 sous les ordres du
proconsul d'alors; mais, inlenompu bienlot
apres par la morl d'Herode, il n'aurait ele
repris el acheve que sous le gouvemement
de Quirinus, quand la Judee pordit entiere-
menl le pen d'independance qui lui reslait
(Paulus, J. P. Lange, van Ooslerzee, Hales,
Wallon. etc.). Pour donner plus de force a
cette opinion, plusieurs de ses defenseurs
changent rautrj du « texlus receptus » en
a-jTri, « ipsa », ce qui reviendrait a dire, en
reuiiissaiit les tt. \ et 2 : En ce tempsla
Cesar Augusle porta un edit pour que lout
I'empire lui denombre ; mais I'entiere execu-
tion de ce decrel n'eutiieu en Judee que sous
le ptoconsulat de Quirinus. 5o Des calculs
aussi savants qu'ingenieux de M. Zumpt (I.e.)
ont rendu entierement vraisemblable I'hypo-
these d'apres laquelle Quirinus aurait e[6
proconsul de Syrie a deux reprises, une pre-
miere fois enlre P. Quinctilius Varus el
M. Lollius, precisemeni vers I'epoque de !a
Nalivile du Sanveur, et une seconde fois
de 759-764. Le rationalisle E. de Bunsen
admel lui-meme la possibilite de ce fait
(Chronology of the Bible, 1874, p. 70).
S. Justin affirme d'ailleurs tres formellemenl
dans un des passages cites plus haul (Apol.
I, 46) que Jesus est ne « sous Quirinus »,
c*est-a-dire sous le gouvernement de Quiri-
nus. — Assurement, aucun des systemes qui
precedent ne fait disparailre d'une maniere
absolue la difficulte que nous avons signalee,
attendu qu'aucun d'eux n'est completement
certain ; du moins lis en fournissent lous une
solution tres raisonnable, specialement les
trois derniers. lis suffisenl dans tous les cas,
pour d^montrer que S. Luc ne s'est pas
trompe el qu'il a'a pas fausse I'hisloire. Mais
admirons les exigences inouies, nous ne vou-
Ions pas dire la mauvaise foi, de MM. les ra-
tionalistes a I'egard des ecrivains sacres. « Si
nous trouvions dans Zonaras, ou dans Ma-
lalas, ou dans quelque autre compilateur
byzantin, nn nnseignemenl analogue a celui
que nous fournil ici le troisieme Evangile,
nous le regarderions simplemenl comme une
precieuse nchesse pour la science hislorique,
comme un complement des sources ancieimes
si souvent incompletes. Pourquoi done S. Luc
serait-il moins bien traite? » Aberle, 1. c,
9. Bible. S.
p. 102. Comp. Wallon, I. c, p. 298, et
I'Evang. selon S. Matih. p. 60. Nous en
avons dit asscz pour monlrer qu'cntre S. Luc,
contemporain des evdnements qu'il raconte,
el les critiques qui jiigent ces memes fails a
1900 aus de distance, un homme raisonnable
n'a pas de peine a faire son choix.
3. — Apres avoir mentionne I'edit de
Cesar Augusle, t. 1, el noinme le commis-
saire imperial qui fut charge de Tcxecuter,
t. 2, S. Luc e.xpose rapidement la maniere
dont le recensement eut lieu dans les pays
juifs. En effet c'esl a la Palestine que nous
devons reslreindre, d'apres le contexte, I'ap-
plicalion du t. 3. — Ibant omnes ut profite-
re/ifur (scil. « nomen suum »). Dans le grec,
aitoYpaqjeoSai, coinm.e au t 1, « ut descnbe-
rentur. » — In suam civitatem, Et; ^riv lotav
7to),iv, ou bien el; Triv iauxoO 7r6),iv d'apres
B, D, L, Eiiseb., etc. Chez les Juifs, la cite
propre d'un chacun n'eiait ni cell' de sa
naissance, ni celle de son domicile ; c'elai*
celle ou avail ete fondee la I'amille a laquelle
il apparienait (voyez le ■*■. 4). Tout Israelite
etail done cense faire partie de la vilie ou de
la bourgade habilee primitivemenl par ses
ancetres. La du reste se conservaient les
registres (Je la famille, it la aussi, pour ce
motif, cheque citoyen venail faire controler
son identite lorsqu'il y avail un denombre-
ment. II est vrai que, suivani le droit remain,
les inscriptions otficielles de ce genre avaient
lieu soil au « forum origmis, » soil a la resi-
dence actuelle, el les ralionalistes n'ont pas
manque d'accuser ici encore noire evange-
liste d'incoherence et d'inexaclitude ; mais.
pour renverser cette nouvelle objection, il
suEBt de rappeler que les Remains, par poli-
tique, se pliaient souvent pour les details
non essentiels aux u-ages particuliers des
peuples qu'ils avaient soumis. C'esl done
conl'ormeraent aux anciennes coutumes d'ls-
raei que fut execute le present edild'Auguste.
Voyez Wallon, 1. c., pp. 33i et ss.
4. — Ascendit autem et Joseph. De I'em-
pereur remain, du proconsul de Syrie, du
recensement des Juifs, nous arrivor.s, par
des eercles de plus en plus reslreinls, a
S. Joseph el a Marie. 'A-iiSri, « ascendit »,
etait, dans la litlerature juive, Texpres-ion
consacree pour designer un voyage a Jeru-
salem et auxalenlouis, parce que,de quelque
cote que Ton virit, il fallait monti r avanl d'y
arriver. Voyez ,Matth. xx, 17, Gesenius,
Thesaur., s. v. nSy, et dans Riess, Atlas de
Luc. — 5
66
EVANGILE SELON S. LUC
dans laville de David, qui est appe-
lee Bethleem, parce qu'il etait de
la maison et de la faraille de David,
5. Pour se faire inscrire avec
Marie, son epouse, qui etaitenceinte.
6. Or il arriva que, lorsqu'ils
etaient la, les jours oii elle devait
enfanter furent accomplis.
7. Et elle enfanta son fils premier-
Judseam. 'n civitatem David, quaa
vocatur Bethlehem : eo quod esset
de domo et familia David,
/ Reg. 20, 6; Mich. 5, 2; Matth. 2, 6.
0. Ut profiteretur cum Maria des-
ponsata sibi uxore prsegnante.
6. Factum est autem, cum essent
ibi, impleti sunt dies ut pareret.
7. Et peperit filium suum primo-
la Bible, le profil (ie la planche VII. — Les
mots suivants, a Gnlilcea... Bethlehem, indi-
quenl le poinl de depart i-i le lerme du
vovage des saints ppoux. De la Galilee Joseph
el iMarie se rendircnl en Judee ; de !a cite de
Nazareth iis vinrcnt in civitatem David, quce
vocatur Bethlehem. Le irajet etaii long et pe-
nibie : du resle il differe a peine de celui
que la Mere de Dieu avail accompli qnelques
mois aiipdravanl (voir la note de i. 39- pour
alien visiter sa cousine Elisabeth. Comp.
R. Rioss, Atlas de la Bible, pi. IV; Yict.
Ancessi. Atlas bibliq. pi. XV. Sur Bethleem,
voyez I'Evangile selonS. Maltli. p. 49; Tobler,
Belhlehi m in Palap-tina topog. nnd. histor.
geschildi rt. !849 ; Robinson, Palae?tina, t. II,
pp. 379-3S6; BaedektTS Palae-iina u. Syrian,
pp. 2o3 tt ss. On appelait Bethleem la « cite
de David » parce t|Ui' h; fondatcur de la plus
celebre des dyna>iies juives y etaii ne el y
avail passe les atmees de sa jennesse. Comp.
I Reg. XVI. I ; xvii, 12. — Eo quod ipse...
Motit' pour lequel S. Joseph vint se laire en-
registrcr a B(4hieem : il elait de domo el fa-
milia David. Comp. i, 27. Les mots « doiuus »
el « familir. » sonl a peu pies synonymcs
dans ce passage : neanmnins il est possible
d'etablir enlre eux une legere dilTenMice. si
Ton se reporte cl I'anlique oiganiScUion du
peuple juif. « Familia » parnil corrcspondre,
de meiue que son equivalent grec ■natpCa,
au subslantif hebreu mnSUTD, qui designail
les grandes branches entre lesquelles se
partageaienl les tribus ou),ai, nVi2?3i ; « do-
mus ». oTxo;, designerait par melonymie les
subdivisions de ces branches, c'l si-a-dire les
families (mZN T\i2)- La signification du pre-
mier de ces noms (« familia ») serai: iun-i plus
elendue que celle du second (« domus »).
Voyez Brelschneider, Lex. man. s. v. Tra-rpta
el oTy.o;. S. Luc les associe evideinmt^nl pour
montrer que S. Joseph se rattachail de la
fagon la plus stride a la race de David.
o. — Ut profiteretur {sc\\. a nomen suum, »
comme au t. 3; d'apres le grec. « ut descri-
berelur ») cum Maria. Ces derniers mots
relomb-^nt sur « profiteretur », el non sur
« ascendil » du verset precedent. Mais Marie
etait-elle done tenue de comparaitre person-
neilemenl a Bethleem? Beaucoup d'inter-
preies Tonl pense a la suite de plusieurs
Peres. Elle etail, disenl-ils. Iillf unique et
heriliere, el en celle qualile. il fallait qu'elle
vinl elle-meme se faire enregistrer. Selon
d'autres, elle avait accompagne libreraent
S. Joseph a Bethleem. Comprenanl que « la
Providence disposail ainsi des evenements et
qu'elle voulail que Jesus-Chrisl naquit a
Bethleem pour accomplir les propheties qui
I'avaient ainsi marque » (Calmel. h. I.), elle
s'etait mise genereusemeal en route, s'aban-
donnanl sans reserve a la conduite de Dieu.
— Les mots desponsata sibi uxore decrivent
avec une exquise delicatesse la condition
actuelle de Marie. Elle etail maintenanl I'e-
pouse de Joseph, leur mariage ayantete ce-
lebre quelque temps apres qu'elle ful revenue
d'Hebron (comp. I'Evang. selon S. Mallh.
pp. 41 el ss.] ; mais elle etait demeuree vierge
comme une fiancee : de la celte surprenante
association d'idees.
6. — Cum essent ibi. En apparence, les
sainis epoux elaienl venus a Bethleem pour
on motif vulgaire, comme d'humbles ci-
loyens qui obeissaient a un decret de I'em-
pereur ; mais Dieu se sert des actions libres
des hommes pour accomplir ses grands des-
seins. Sans qu'il s'en cloulat, Augusle ser-
vait les interels du Royaume des cieux. Sa
signature au bas ri'un edit avail contribue
a la realisation d'un ancien oracle. Comp.
Bossuel, Elevations sur les Myster., xvie se-
maine, 5e Elev. — Impleti sunt dies ut pare-
ret. Voyez I, 57 el le commentaire. Tout
porie a croire, d'apres I'ensemble du recit,
que I'enlantemenl de Marie eul lieu durant
la premiere null qui suivii son arrivee k
Bethleem. Alors, selon la magnifique expres-
sion de S. Paul, Gal. iv, 4, sonna la pleni-
tude des temps. « Ubi venil plenitudo tem-
poris. misit Deus Filium suum, factum ex
muliere. facium sub lege. »
7. — Et peperit filium suum primogenitum.
L'anliquite est unamme a le dire, la nais-
saiice de Jesus fut prodigieuse el surnatu-
lurelle comme sa conception. Marie ie roit
CHAPITRE II
67
-'genitiim, et pannis enm involvit :
et reclinavit eum in prsesepio, quia
ne et I'enveloppa de langes et le
deposa dans une creche, et il n'y
au monde sans douleur el sans cesser d'etre
vier^e. « Virgo ante parlum, in parlu, post
parlum. » S. August. Serm. cxxni.
Fit porta Chrisli pervia,
Referla plena gratia,
Transitque rex et permanet
Clausa, ut fuit, per saecula. S. Ambroise.
Sur le mot « primogenilum » voyez I'Evan-
gile selon S. Malthieu, p. 47. Ainsi que I'a
remarque S. Cyiille, edit. Mai, p. 123, Jesus
est nomme TiptoToxoxo; a deux points de vue,
corame fils de Dieu et comme fils de Marie;
il est done tils unique dans le second cas
lout aussi biiMi que dans ie premier. Nous
lisons dans Theopliylacte, Comment, in h. 1.:
upwTOTO/.o; /iyeTai d irpoiTo; xexOsi?, xav p,ii
SjuTepo? ETteTJxOr,. Comp. Suiccr, Thesaur.
eccl. s. V. TtpooTOToxGi;. — El pannis eum in-
volvit. Dans ie i'rec, ednapyavtociv autov. Sndp-
yavov est en effel ['expression usuf'le pour
denoter les langes dans lesquels ou jnve-
loppe les nouveaux-nes. Avant de quitter
Nazarelli, Marie s'etail inunie de tout ce qui
devait lui etre necessaire pour le divin Enfant
qu'elle atlendait. — Et reclinavit eum in
prwsepio. Dans les soins que la Vierge-Mere
rendit elle-meme a son fils, avuc un melange
inenarrabie dc respect et de tendresse. nous
aimon> a voir, a la suite des anciens exegetes
catholiques, une prcuve de son eiitanleinenl
mirnciilcux. « Sumitur (X hoc loconon mini-
miiin argumcnlum ad conlirinamhim Ecclesiae
catlioiicse sententiam, Mariam sine ruptura
ulla corporis, sine ullo dolore prperisse. »
MaUonat. h. I. [voycz la suite dn son rai-
soiinement!. L'J mot grcc (paTvvi, de mera'^ que
le latin « prses'piuni >\ [)eut desgiier indilfe-
roinment une etable ou une cieitie, une man-
geoire (voyez les diclionnaires) ; raais le
second sens parait convtmir ici davaiilage,
puisqu'il s'agit du bercpau d"un nouveau-ne.
Du reste, il resulte en toule hypoihese de ce
passage que le Clirist est nti dans une etable.
Quel lieu d'orijzine et quel berceau! Mais, re-
marque Bossuet,6e Elevat.de la 'I6e semaine,
« digne retraite pour celui qui dans le pro-
gres de son age devait dire : Les renards ont
leurs trous, et les oiseaux du ciel, qui sont
les families les plus vagabondes du monde,
ont leurs nids, landis que le Fils de rtiomme
n'a pas ou reposer sa tete... El a la leltre,
des sa naissance, il n'eul pas ou reposer sa
tele. » Digne berceau, ajouterons-nous, pour
Celui qui devait mourir sur une croix! Jesus
entre au monde comme il en sortira, dans la
paiivrete et dans I'humilialion. De ce que le
« lextus receptus » emploie i'article, ev t^
•.^(XTvg, dans LA creche, on a souvenl conclu
que J^sus dtait ne dans une etable deter-
minee par le contexte, c'est-a-dire dans celle
qui appartenait a I'hotellerie mentionnee plus
bas, conjecture en effel tres plausible. Nous
devons toutefois observer que I'article est
omis par des manuscrils importants, tels
que A, B, D, L, Z, Sinait., etc. Aujourd'hui,
c'est dans une grotle ( surmoniee d'une
riche basilique que sainte Helena construisit
en 327) qu'on montre au pelerin emu le lieu
consacre par la naissance de I'Homme-Dieu;
et les ecrivains proteslants, d'ordinaire si
pen respectueux pour ce qu'ils appellenl des
« traditions raonacales », sonl obliges de
reconnaitre que la crypte dite de la Nativile
a des litres reels a noire veneration. Voyez
Thomson, the Land and the Book, p. 645 ;
Geikie, Life and Words of Christ, 9e ed.,
t. I, p. o58 ; Farrar, Life of Christ, 23e ed.
t. I, p. 5; etc. Cette grotle est mentionnee
des le second siecle par S. Justin Marl., adv.
Tryph. 78. Origene la signale egalemenl,
contr. Cels. i. 51 ; de meme Eusebe, Demonslr.
Evang. VII, 2, Vita Const, iii, 43; de meme
S. Jerome, Epist. XLix ad Paul., qui passa
dans une grolte voisine les dernieres annees
de sa vie; de meme le Protevangile de
S. Jacques, ch. xviii. « Similia habent, ecrit
Wetstein, Alhanasius, Gregorius Nyssen.,
Theodoretus, Beda, Socrates... Quod testi-
monium cur teinert- ^il rejiciendum, causam
non video. » En effet, de nos jours encore
on utilise a Bethleem plusieurs grolles en
guise d'etables. La petite chapelle de la Nati-
vile a environ 15 pieds de long, 5 de large et
10 de haul : elle va en se retrecissanl vers
le fond. Elle est loule enliere revetue de
raarbres precieux. En avant de I'aulel, on lit
sur une dalle blanche, ornee d'une etoile d'ar-
genl et surmnntee de lampes nombreuses qui
brulenl constammenl, ces paroles bien elo-
quentesdans leur simplicile : « Hie de virgine
Maria Jesus Chrislus nalus est. » Heureux
ceux qui se sonl agenouilles en eel endroit
beni! [Voir le plan et la description des sanc-
luairesde Bethleem dans Baedeker, Palaeslina
und Syrien. pp. 255 el ss. ; Sepp. Jerusalem
u. das"h. Land, t. IL pp. 436 el ss. ; Mgr Mis-
lin, les Saints Lieux, 2e edit. I. HI, pp. 313
et S3.; Tobler, Bethlehem in Palaeslina,
S. Gall 1849). — Quanl au boBuf el a I'ane
si souvenl representes aupres de la creche
de Jesus, il est sans doute permis de ne voir
en eux, a la suite de graves auteurs, qu'nne
application allegonque de divers passages
d^s prophetes, noiamment d'lsaie, i. 3, et
d'Habacuc, iii, 2 ;d'apres les LXX et I'ltala :
« in medio duorum animaliuminnotesceris »),
68
fiVANGILE SELON S. LUG
avait pas eu de place pour eux dans non erat eis locus in diversorio.
riiolellerie.
8. Et il y avait au meme lieu des 8. Et pastores erant in region©
par consequent qu'une pieiise et naive le-
gende. Neanmoins il est remarquable 4o que
plusieuiH Peres, et des plus autorises, affir-
menl en lermes formels la presence de ces
deux aniinaux. par exemple S. Pierre Chry-
solog., Seim. cLvi, cLix; S. Jerome, Ep. ad
Eustoch. cviii, al. xxvii, 10; S. Paulin de
Nole, Ep. XXXI, al. XI, ad Sever., etc. (comp.
I'Evang. apocr. de Nativ. Mari£B, c. xiv);
2° que le bceuf et laoH apparaissenl sur les
monuments les plus antiques de I'art Chre-
tien. Comp. Botiari, Roma solterran., 22,85,
86, 143. « Nullam harum effigierum, ecrit le
P. Paliizi (De Evang. lib. Ires, diss, xxiii),
priorem saeculo xi tiacleniis reperire potui,
a qua liaec duo auimalia abessent. » A coup
sur une tradition si ancienne et si conslante
n'est pas sans valeur. Voyez Curci. Lezioni
esegeliche e morali sopra i qualtro Evan-
geli, 1874, I. I, p. 274 et s. ; Baronius, ad
ann. Chr. I, n. 3 ; Benedict. XIV, de Fesiis
J. Chr., lib. I, c. XVII, nn. 36 et 37. Rien
n'etait plus naturel que la presence d'un
boeufet d'un ane dan> une etable. — Sur la
crectie conservee a Rome dans I'eglise de
sainte Marie-Majeure, voyez Rohault de
Fleury, Memoire sur les Instruments de la
Passion de Notre-Seigneur Jesus-Christ,
pp. 278 et s. — Quia non erat eis locus...
L'evangeliste indique par celte reflexion, a
la lois si simple et si pathelique, pourquoi
Mane el Joseph durcnt se lefugier dans une
etable. On dirait qu'il appuie sur le pronora
« eis », aCiToi;. Pour des personnes de dis-
tinction on se serait peut-etre gene afin de
leur faire de la place; mais aucun des pre-
miers occiipauls ne voulut sacrifier de ses
aises en faveur d'elrangfrs d'aussi pauvre
apparence, et c'ost ain-i que Jesus ne Irouva
en naissant d'aulre abri quune etable, meme
dans le pays de ses royaux ancetres. Da
resle. dans celte meuie contree, Ruth et
David n'avaient-ils pas mene la vie la plus
humble, celh^-la glanant son pain dans les
champs de Booz, Ruth, ii, 2 et ss., celui-ci
faisant pailre les troupeaux de sa famille,
I Reg. XVI, 11? Voyez March, Walks and
Homts of Je^us, pp. 9 et ss. — In diversorio.
Souscetle expression, une imagination d'Oc-
cidental voil une holellerie proprement dite,
avec le confort plus ou moins grand qu'on y
peut obienir pour son argent; mais nous
sommes en Orient, et I'Orient, surtout alors,
ne connaissait guere ce genre d'elablissement.
.11 s'agit done ici du khan ou caravanserail
(iv x<p"xaxaXu[xaTi, dit le lexte grec, avec I'ar-
ticJe : I'hoLellerie unique, I'hotellerie par ex-
cellence) que le voyageur trouve presquer
toujours dans les bourgades orientales, et oil.
on Uii fournit gratuitement, non pas les vivres
dont il doit lui-meme s'occuper, mais le cou-
vcrt, c'est-a-diro un simple abri. Un cara-
vanserail consiste d'ordinaire en un liatiment
assez vasle. peu eleve, sans etages. grossie-
rement construit, qui devienl bieniot tres
malpropre. V^oyez une inleressante descrip-
tion de M. Dixon, Holy Land, t. I, ch. xiii.
Chaque voyageur s'y inslalle a son gre ; en
cas de presse les derniers venus s'arrangent
comme ils peuvent, et Ton comprend sans-
peine qu'a la veille d'un recensement I'ho-
tellerie publicjue de Belhleem regorgeat d'e-
trangers. — Admirons, avantd'alirr i)Ius loin,,
la siir.ylicile du recit de S. Luc. O.ielques
ligiies sculeinent pour raconter la iiaissance-
du Messie! Est-ce ainsi qu'on aurait ecrit un
mylhe ou une leg"nde? Lisez Ips Evangiles^
apocryphes et vous verrez la ditrerence.
(Voyez Hoffmann, Leben Jesu nach den Apo-
kryphen). a G'est comme si Ton comparaii a
une belle nuit d'ete, doucement eclaiiee par
la lune, un; decoration theatiale illummee a
la chinoise, » van Oosterzee, h. I. Et pour-
tant, malgre celte extreme concision, quelle
beaule, quelle f'raicheur, quel piltoresque,
quel charme vraiment ilivin 1 II y a la, on I'a
dit bien souvent, une preuve evidente d'au-
thenlicite el de veracite.
2« Les premiers adorateurs de J6sus. ff. 8-20.
Nous pouvons partager cette scene deli-
cieiise et vrainienl idyllique en divers pelits
tableaux : les bergers, t. 8, I'ange du Sei-
gneui', f. 9, la bonne nouveile, tt. 10-12, le
cantique celeste, tt. 13 el 14 la visile de&
pasteurs, tt. 15-20.
8. — Pastores. Les premiers temoins, les
premiers adorateurs du Christ sont humbles-
el pauvres comme sa mere, comme son pere
adopiif. comme le triste reduit oil il est ne.
Jesus n'appelle pas a sa creche des membres
du Sanhedrin, des pretres. des scribes ou des
docieurs, mais des bergers. « Quae slulta
sunt mundi elegit Deus ut conlundal sapien-
les, el infirma mundi elegit Deus ut confun-
dal forlia, et ignobilia mundi et contem-
ptibilia elegit Deus, ut non glorietur
omnis caro conspectu ejus. » I Cor. i, 27
et ss. Comp. Matlh. xi , 25 ; Luc. x, 21.
Les representants du paganisme aupres du
berceau de I'Enfant-Dieu seront neanmoins
plus nobles et plus illustres. Mais il y avait
CHAPITRE II
69
cadem vigilantes, et custodientes
Tigilias noctis super gregem suum.
9. Et ecce angelus Domini stetit
juxta illos, et claritas Dei circum-
fulsit iUos, et timeruunttimore ma-
gno.
10. Et dixit illis angelus : Nolite
bergers qui gardaient leurs trou-
peaux pendant lesveilles delanuit.
9. Et voila qu'un ange du Sei-
gneur apparut pres d'eux et une
clarte divine brilla autour d'eux,
et ils furent saisis d'une grande
crainte.
10. Et range leurdit: Necraignez
t
t
dans la nation juive, tant d'orgueilleux pre-
juges relalivemenl au Messie , et le Seigneur
voulait luller conlre eux des I'abord. — On
ne possede auciin detail certain touchant les
heureiix pasteups en faveur desquels eut lieu
la premiere manifestation du Christ. Nul do«t«
cependant qu'ils n'aient compte parmi ces
Ames fifJeles qui allendaient alors avec une
saint^ impatience « la consolation d'lsrael. »
Voyez le t. 38. La legende suppose qu'ils
etaienl au nombre de quatre el qu'ils s'appe-
laient Misael, Acheel, Cyriacus el Stephanus.
Comp. Hofmann, 1. c, p. 117. — In regione
eadem, c'est-a-dire dans la conlree oil elait ne
Jesus, par consequent aux alenlours de Beth-
leera. D'apres une tradition tout-a-fait ve-
nerable (voir Sepp, Jerusalem u. das heil.
Land, t. I, pp. 469 et ss.), c'esl sur le terri-
toire du village actuel de BSt-Sahour, dans
une petite plaine rianle, chauie el fertile,
remplie d'excellenls pSlurages ou Ton en-
graissail autrefois les troupeaux destines aux
sacrifices du temple, el situee au pied et a
Test de la colline sur laquelle s'eleve Belh-
leem, que se tenaientles pasteurs quand I'ange
leur apparut. On voit encore pres du village
les ruines d'une antique eglise, erigee des les
piemiers siecles en souvenir de ce mystere,
et nommee par les croises <■ Gloria in excel-
sis. » Chaque annee, le jour de Noel, les
Chretiens de Bethleem vonl en procession sur
ce site beni. — Vigilantes. Le verbe grec
dYpa^^oy^te? (de aypoi; et axMi) signifle littera-
lemenl : avoir son habitation dans un champ,
camper en plein air, comme I'ont fait les ber-
gers de lous les temps et de lous les pays.
D'aiileurs, il n'exclul nullemeni I'usage de
tentes ou de cabanes. — Custodientes vigilias,
^u^iffffOVTe? 9u),ay.a?, le miQiyD 1DU? des He-
breux. Num. i, 53, etc.; du reste Platon, Xe-
nophon el d'autres classiques emploienl des
repetitions analogues. — Noctis super gregem
suum. Dans le grec, ttj; vuxtoi; ne depend pas
de ipuXay.di;, c'esl un « genilivus temporis u
qui doit se traduire par : pendant la nuit. Le
pluriel « vigilias » designe les quatre divi-
sions de la nuit chez I'S anciens (de 6 h. du
soir k 9 h., de 9a12,de 12 a 3, de 3 a 6h.du
matin) : les pasteurs veillaient done a tour de
role et se remplagaient probablement loutes
les trois heures. Ce detail piltoresque de I'e-
vangelislp, qui nous montre bergers et trou-
peaux dans les champs au coeur de la nuit de
Noel, a souvenl servi de point de depart a
des attaques parfois assez violentes conlre
la date traditionn'^lle du 25 decembre. Nous
avons dit ailleurs (Introduclion generale. chro-
nologie d: s Evangiles) ce qu'il faul penser de
ceUe date : mais I'objection presenle est sans
aucune porlee, car il resulte d'observations
failes par de nombreux voyageurs (voir en
particulier Schubert Reise in das Morgenland,
I. Ill, p. 107; Tobler, ap. Schegg, Evangel.
nach Lukas. h. I.; Barlh, ap. liiUer. Eid-
kunde, I. XVI, p. 37; Rauwolf, Reisen, t. I,
p. 118) qu'a la suite des premieres pluies, on
a frequemmenl en Palestine, vers la fin de
decembre el le commencement de Janvier,
une temperature douce et agreable. L'herbe
commence a croitre et, meme la nuit, Ton
rencontre beaucoup de troupeaux daus les
champs.
9. — Angelus Domini; d'apres le grec,
« un ange du Seigneur », car il n'y a pas
d'article. Get ange, comme I'onl cm plusieurs
anciens. etait probablement S. Gabriel, que
nous avons vu plus haul constamment mele
au mystere de I'lncarnation. — Le verbe
stetit, de mSme que I'adverbe ecce, indique le
caraclere soudain, la rapidite de ('apparition.
Comp. XXIV, 4; Act. xii, 7. Les classiques
grecsemploient aussi iniazt) pour designer les
manifestations subites des dieux, des demons,
des fantomes. — Claritas Dei circumfulsit
illos. Pour Kuinoel, la locution 6o5a xupiou se-
rait synonyme de « splendor plane eximius »,
c'esl a-dire que nous aurions ici un super-
latif hebreu analogue a « monies Dei, cedri
Dei. » Mais ceite opinion est peu vraisem-
blable. II est plus naturel de voir dans ces
deux mots (mn' 1123 de la Bible hebraique)
la designation de I'eclal vif et mysterieux
qui accompagne presque toujours les theo-
phanies el qui. cette fois, formait autour -^lo
I'ange un nimbe eblouissanl. — Timue-
runt... L'impression si souvenl mentionnee
dans les Saints Livres quand ils nous mon-
trent I'homme en contact immedial avec le
divin.
10. — Apres avoir rassure les pasteurs par
70
fiVANGILE SELON S. LUC
point, car voici que je vous annonce
une grande joie, qui sera pour tout
le peuple ;
11 . Car il vous est ne aujourd'hui
uu Sauveur, qui est le Christ, le Sei-
gneur, dans la ville de David.
12. Et Yoici le signe pour vous :
vous trouverez un enfant enveloppe
de langes et pose dans une creche.
13. Et soudain se joignit a I'ange
une troupe de I'armee celeste, louant
Dieu et disant :
timere : ecceenim evangelizo vohis-
gaudium magnum, quod erit omni
populo :
11. Quia natus est vobis hodie
Salvator, qui est Christus Dominus,
in civitate David.
12. Et hoc vobis signum : Inve-
nietis infantem pannis involutum,
et positum in praecepio.
1 3. Et subito facta est cum angelo
multitudo militise coelestis, lauda-
tium Deum, et dicentium :
Ja phrase usilee en parcil cas, I'ange leur
annonce la bonne nouvelle par excellence,
evangelizo (expression caiquee sur le grec
euaYyeXt^w, « iaela anniintio »). L'Evangile va
vraiment relenlir au moncle pour la premiere
fois, car si les Prophetes, parlant tin Christ,
ont crie frequemmenl : II naitra! desormais
on peuL dire : II esl ne! Voila pourquoi le
messager celeste annonce aux bergers que la
nouvelle donl il est le porteur sera le sujet
d'une grande joie {gaudium magnum, meloxiY-
mie pour « rem maxirae Lnetam, ingentem
materiam laetandi » ), non-seulement pour eux,
mais pour tout le peuple juif, dont lis fai-
saient parlie, el auquel le Messie avait ete
specialement promis. Ce sens restraint des
mots omni iiopulo est exige par le contexie et
aussi par le grec, oil on lit avec I'article :
wavTi TwXau (la nation bien delerminee).
1i. — Natus est vobis... Ce pronom est em-
phatique- Isai'e avait dil autrefois de la meme
maniere par anticipation, ix, 6 : « Parvulus
nalus est nobis, el filius datus est nobis. »
Jesus esl ne pour tous les hommes et pour
chacun d'eux en particulier. li etait done ne
pour Ips pasteurs de Bethleera. — Saivator,
ccuT^p. L'ange n'indiqua pas aux bergers le
nom du divin Enfant : il le leur designa du
moins par une expression equivalenle, puis-
que Jesus signifie Sauveur. — Qui est Chris-
tus Dominus. « Magnifica appellatio », s'ecrie
a bon droit Bengol. Gnomon, b. I. Le Christ
Seigneur, cela veut dire en effei « le Christ
Jehova, » par consequent « le Chri-t Dieu. »
Comp. Act. II, 36. et R. Ziemssen, Christus
der Herr. Kiel 1867. — On le voit, les pa-
roles de I'ange aux pasteurs, comme prece-
demment cejles de Gabriel a Marie, i. 31
ei 32, cont'.ennent uni' definition populaire
du Messie : elles annoncent le Sauveur et le
Seigneur par anlonomase , qui esl ne, ainsi
que I'avaienl annonce les propheles. in civi ■
tate David. Meme des bergers pouvaient com-
prendre, et ils comprirent, ainsi que le dira
la suite du recit.
4 2. — Et hoc vobis signum. De meme que
Marie, les pasteurs re^oivent un signe sans-
I'avoir demande. Les anciens exegetes ont
souvent discule sur la nature de ce signe.
Etait-ce un a signum probativum », c'est-a-
dire un moyen par lequel les bergers pour-
raienl controler la veracile de I'ange ;Eulhy-
mius, Maldonat, Schegg, elc), ou un « si-
gnum distinctivum », une note qui servirait
a faire reconnailre Jesus enlre tous les autres
enfanls (Jansenius)? C'elaienl ces deux signes
a la fois, repondrons-nous avec Luc de Bru-
ges : « Angelus hie dat signum mixtum, ma-
gis tamen distinctivum. » Mais quel contraste
entre cet indice et la nouvelle donnee plus
haul I — Invenietis infantem : un lout petit
enfant, dit le texte grec, un Ppc^oi;, el cet en-
fant sera couche dans une crechf I De ses pre-
miers adoraleurs Jesus exige la foi, comme
il I'exigera de tous les suivanls. Le signe
donne par I'ange suffisait d'ailleurs ample-
ment pour distinguer le CIs de Marie. Celte
nuii-Ia il n'etail probablement pas ne d'aulre
enfant dans la petite bourgadedeBeihleem ; a
coup sur un seul etait ne dans une etable el
reposait dans une creche I
13. — Et subito. A peine I'ange avait-il
cesse de parler, qu'on entendit retentir dans
les airs le « Gloria in excelsis », chante par
une multitude d'aulres.esprils celestes. —
Facta est {i-^ivero pour itapeyevexo) cum Angelo.
Le premier messager ne disparut done point ;
la multitudo militiw coelestis (denomination
poeiiquedes anges emprunlee a I'Ancien Tes-
tament. C'est le D'aU7n XSy des Hebreux ;
comp. Gesenius, Thesaur., s. v. N2i*) se joi-
gnit a lui. formant un choeur donl il elait le
« praecenlor ». — Laudanttum Deum (le plu-
riei a cause du nom collectif « miliiiae ». Cfr.
I, 21 ; IX. 12; xix, 37; xxm, 1, 2; Act.
XXI. 30, etc.). Les anges avaient chante la
premiere creation, Job. xxxviii, 7 ; il etait
bien juste qu'ils chantassent la seconde, d'au-
tanl mieux que le Seigneur leur en avait fait
un commandement expres, Hebr. i, 6. D'ail-
CHAPITRE II
71
14. Gloria in altissimis Deo, et
in terra pax hominibus bonse volun-
tatis.
15. Et factum est ut discesserunt
ab eis angeli in coelum, pastores lo-
quebantur ad invicem : TranseHmus
usque Bethlehem, et videamus hoc
14. Gloire aDieuauplus haut des
cieux, etsur la terre paix aux hom-
mes de bonne volonte.
15. Et lorsque les anges, montant
au ciel, se furent eloignes d'eux, les
bergers se dirent Fun a Tautre :
Passons jusqu'aBethleem, et voyons
verbum quod factum est, quod Do- cequi est arrive, ce que le Seigneur
minus ostendit nobis. nous a fait connaitre.
leurs Noel n'est pas moins la fele du ciei que
celle de la terre; c'est pour cela que les
anges manifestent leur joie par un hymne do
louanges.
14. — Le cantique do i'armee celeste est
lout-a-fail cxpressif dans sa brievele. C'est
une doxologie sublime, qui resume admira-
blement. les avantages do rincarnalion du
Verbe. Comnu' le chant des Seraphiiis devant
le trone de Jehova, Is. vi, 3, il se compose
de deux notes, dont I'une s'adresse au Sei-
gneur, tandis que {'autre concernc la terre.
— Premiere note : Gloria in altissimis Deo.
Acelui qui reside dans les regions superieures
du ciel (£v u^/ifftoK;, D'ailJO^ des Hebreux.
Cfr. Jos. XVI, 18, etc.) la naissance du Christ
procure la gloire, une gloire qui est en corre-
lation parfaite avec sa grandeur infinie. Apr^s
66$a, on pent sous-entendre euxi oueotw; mais
nous preferons ia-zi (« est ») a la suite des
ineilieurs exegetes , car les anges affirment
iciplutot qu'ils ne souhaitent. lis n'exprimenl
pas un simple desir, mais ils proclamenl une
heureuse consequence deja realisee. De meme
apres elprivy) — Seconde note : Etin terrapax
hominibus... Aux hommes qui vivent sur la
terre, la nativite de Jesus apporie la paix,
c'est-a-dire le bonheur pour ce m.onde et
pour I'aulre. Comp. i, 79. Depuis longlemps
il avait ete predit que le Messie donnerait la
paix a notre panvre terre si troublee (Cfr. Is.
II, 4; IX, 6, T i XI, 6-9, etc.); les ecrils du
Nouveau Testament disent en terraes formels
que ces divins oracles ont ete accomplis (Cfr.
Joan. XIV, 27; Eph. ii, U. 17; Col. i, 20;
Rom. V, 1, etc.). Cependant, ce ne sont pas
tous les hommes qui jouiront de la paix mes-
sianique ; elle ne sera vraiment accordee
qu'auxhomme bonw voluntatis, et il fautvoir
sous ces deux mots (iln'yeii a qu'un seul dans
le texte original, eOSoxta;, correspondanl au
I12fl hebreu) la bonne volonle divine, la bien-
veillance, I'amour du Seigneur envers nous,
et non la bonne volonte humaine, les sainles
dispositions des hommes envers Dieu. Comp.
Ps. V. 13; L, 20; Phil, ii, 13. L'expression
« homines bonae voluntatis » est done oppo-
see a « filii irse » (Eph. ii, 3) ; elle designe,
comme le dit Bossuet, les homme cheris du
ciel. — II regne entre les deux parties de la
symphonie angeliqueun parallelisme parfait :
« pax » correspond a « gloria », « in terra »
a « in altissimis », « hominibus bonae volun-
tatis » a « Deo. » 11 est vrai que les editions
communes du texte grec donnent trois mem-
bres au « Gloria in excelsis », car elles lisent
eu5oxia au nomicatif (« bona voluntas ») et
commencent une nouvelle phrase apres eiprjvTi :
Gloria in altissimis Deol
El ill terra pax !
Uomiuibus benigQa Tolantasl
Mais la plupart des critiques modernes donnent
a bon droit la preference a la legon de la
Vulgate, qui est garantie par de nombreuses
et puissantes autorites, specialement par les
manuscriLs A, B, D,Sin., les versions ital. et
golh., tous les Peres latins, etc. D'ailleurs,
s'il y avait trois merabres, la conjonclion xa£
aurait sans doute ele repetee devant fev
avOpMTioii;; enfin le troisieme niembre ne
serait guere ici qu'une reproduction du se-
cond.— Maldonat a dans son commentaire
une excellente explication du cantique des
anges ; voyez aussi Muntendam, Dissert, de
hymno angelico, Amstelod. 1849.
15. — Et discesserunt Angeli. Apres leur
celeste concert, les anges disparurent aussi
subiteraent qu'ils s'etaient montres. Mais leur
manifestation avait produit I'effet voulu par
Dieu, et I'evangeliste, revenant aux pa^teurs,
nous les monlre pleins de foi, admirablement
deciles a la giAce, et s'excilant les uns les
autres a partir en toute hSle pour la ville afin
de voir I'Enfant divin qui leur est ne. —
Pastores. Le grec porte oi avGpwTioi ol itotfieve?,
« les hommes les pasteurs », soit par oppo-
sition a oi (XYYeXoi qui precede immediatement,
soil par pleonasme ; mais I'omission de ol
iMOpwiioi par les manuscrits B, L, Sin. et par
les versions copt., sahid., armen., syr., pers.,
ital., etc., semble prouver que c'est \k une
glose marginal(> iriseree dans le texte. —
Transeamus, 6t£).6io[iev (le grec ajoute la par-
ticule6ifi,« agedum ») ; litteral. « lraversons»
De la plaine oil demeuraient les pasteurs
(voyez la note du t. 8) il fallail environ vingl
minutes pour so rendre sur la coUine que
k
72
fiVANGILE SELON S. LUC
16. Et ils vinrent en grande hate,
et ils trouverent Marie et Joseph, et
I'enfant couche dans une creche.
17. Et en le voj^ant ils reconnu-
rent ce qui leur avait ete dit de cet
enfant.
18. Et tout ceux qui I'apprirent
admire rent ce qui leur etait dit par
les bergers.
19. Or Marie conservait toutes
ces choses s'en entretenant dans son
coeur.
16. Et venerunt festinantes : et
invenerunt Mariam, et Joseph, et
infantem positum in prsesepio.
17. Videntes autem cognoverunt
de verbo quod dictum erat illis de
puero hoc.
18. Et omnes qui audierunt mi-
rati sunt : et de his quae dicta erant
a pastoribus ad ipsos.
19. Maria autem conservabat om-
nia verba haec, conferens in corde
suo.
domino Bethleem. — Hoc verbum, hebralsme :
n7n 121, celle chose. — Ostendit a le sens de
« revelavil ».
4 6. — Sans larder i festinantes), ils exe-
culent leur pieux dessein : ils arrivenl dans
la ville, trouvenl I'etable apres quelques
recherches indiquees dans le lext'^ grec par
un verbe compose, aveOpov (voyez Brel-
schneider. Lex. man. s. v. aveupi'axw), et,
dans I'etable, I'Enfanl divin positum in prcB-
pio comme I'avail annonce i'ange, et enioiire
de Marie et de Joseph. Seion d'autres (Olshau-
sen, etc.), les bergers se seraienl diriges lout
droit vers I'etable, guides par une grace se-
crete ; ou meme c'eul ete leur propre etable
(van Ooslerzee), I'ange leur ayant dit avec
I'arlicle, t- i2, 6 Iv t^ ^arviri. Mais ce sont
la des conjpcliires peu fondees.
M. — Videntes autem, cognoverunt
D'apres la Vulgale, ce verset est la continua-
tion du precedent et signifie, qn'apres avoir
trouve les chores telles qu'elles leur avaient
ete prediles, les bergers « re ipsa compere-
runt vera fuisse quae sibi angeli dixissenl »
(Maldonat). et reconnurent leur Sauveur dans
le polit enfant de la creche. D'apres le sens
le plus ordinaire du verbe grec oieYvwptaav, il
se raltache au t- 18 pour indiquer d'une ma-
niere anticipee ce que firent les bergers
aussitot apres leur visile a I'elable (« rem
divulgarunt »), et I'accueil qui fut fait a leur
recit.Celte seconde interpretation, que favo-
risent les versions syrienne. armenienne, etc.,
parail §lre la plus probable. Elle nous montre,
dan> les pa^teu^^de Bethleem, les premiers pre-
dicalPursdel'Evangiie.w Ilfallail, ditBossuet,
41e Elevat. de la 16e semaine, de lels te-
moins a celui qui devait cholsir des pecheurs
pour 6tre ses premiers disciples et les doc-
teurs futurs de son Eglise. Tout est, pour
ainsi parler, de meme nature dans les mys-
teres de Jesus-Chrisl. »
18. — L'humble cercle auquel les bergers
firent part des raerveilles que Dieu leur avait
revelees fut naturellemenl saisi d'etonnement,
d'admiration. Plusieurs crurent sans doute
et allerenl a leur tour visiter i'Eufant-Dieu.
Tout porte a croire neanmoins que leur
nombre ful Ires reslreint. puisqup le souvenir
de Jesus semble s'etre bientol efface a Beth-
leem, de meme qu'ii s'effaga plus lard a Je-
rusalem malgre les evenem-nts extraordi-
naires qui accompagnerent la Presentation
{tt. 25-38). — Au lieu d' miratisunt : et de
his..., il faudrait, d'apres le texte primilif :
« mirati sum de hii », sans points et sans
conjonclion.
19. — S. Luc intercale ici, relalivement k
Marie, un trail precieux et ravissanl, qui
nous ouvre de vasles horizons sur cette kaxe
admirable : Maria conservabat (uuvsinnpei,
a mente recondebal ») omnia verba hcec (tant
de choses elonnantfs donl elle elait lemoin,
ou bien, les recits qu'elle tenait des b-rgors).
C'est unsplendide portrait en quelques mots.
La Vierge benie neperdait passa lianqtiillit^
interieure parmi les grands evenements qui
se passaienl autour d'elle. Recueillie en Dieu,
elle observait attenlivemenl les prodiges de
tout genre qui avaient lieu au sujet de son
Fils et en son Fils : aucun fait, aucune pa-
role ne lui echappait, et, de ses souvenirs,
elle composait un tresor sacre qu'elle trans-
mit plus lard aux disciples, peul-etre direcle-
ment a S. Luc (voyez la Preface § in'. Gom-
binant entre elles (conferens in corde suo,
au[i,6d).Xouffa) les moindres circonstances. elle
faisait en quelque sorle la phdosophie de
I'hisloire de Jesus. Quelle profondeur dans
ses sereines contemplations! Mais Tevange-
liste ne dit point qu'elle ait parle, quoiqu'elle
eul a reveler tant de prodiges. Car « sa
bouche etait chaste comme son coeur »
(S. Ambroise), et « les grandes choses que
Dieu fait au-dedans de ses creatures operenl
naturellemenl le silence, le saisissemenl, el
je ne sais quoi de divin, qui supprime loute
expression » (Bossuet, I. c, 12eElevai.).
CHAPITRE II
73
20. Et reversi sunt pastores, glo-
rificantes et laudantes Deum , in
omnibus quae audierant etviderant,
sicut dictum est ad illos.
21. Etpostquam cousummati sunt
dies octo ut circumcideretur puer,
vocatum est nomen ejus Jesus, quod
vocatum est ab angelo priusquam
in utero conciperetur.
Gen. 17, 1-2; Levii. 12, 3; Matt/,. 1, 21; Sup. 1, 31.
20. EL les bergers s'en retourne-
rent, glorifiant et louant Dieu de
tout ce qu'ils avaient entendu et vu
selon ce qui leur avait ete dit.
21. Et lorsque furent accomplis
les huit jours pour la circoncision
de I'enfant, on lui donna le nom de
Jesus, nom qui lui avait ete donne
parl'ange ayant qu'il fut concu dans
le sein de sa mere.
20. — Et reversi sunt pastores. Apres les
tt- i7-i9, qui form 'lit une sorle de paren-
ihese, S. Luc repieiid la suite du recit et
expose quels fureiil les sentiments des bergers
a leur sortie de I'eiable. Glorificanles et lau-
dantes Deum : ces mots resumenl lout ce qui
se passait dans leur ccBur. lis glorifient, c'est-
a-dire qu'ils proclament la grandeur dont
Dieu faisait preuve dans les mysteres qu'ils
avaient conlemples ; ils louent, c'est-a-dire
qu'ils chanlent sa bonle non moins eciatante.
Leur reconnaissance avait pour objel et ce
qu'ils avaient entendu de la part des anges
(selon d'aulres, de la part de Marie et de
Joseph^ et ce qu'ils avaient vu a Bethleem,
vision si conforme a la prediction angelique
{sicut dictum est...).
Autour des touchants mysteres de Noel
racontes dans ces vingts versets, « I'art
"jlastique, la poesie et I'eloquenee onl tresse
une couronne imperissable » (Sch^gg. Evang.
nach Lukas, t. I, p. \Si), dont on trou -
vera une description assez complete dans
W. Ziethe, Leben Jesu, Berlin 1865, p. 86
■et ss. Nous signalerons seulement, selon noire
<;outume, les principaux chefs d'ceuvre. Ce
sont, pour la peinlure, les tableaux de
Filippo Lippi, du Perugin , de Lorenzo di
Credi, d'Albert Durer, de Botticelli, d'Ercole
Orandi, de Raphael, et surtout du Correge
(la celebre « Notte ») ; pour la poesie, les
hymnes a A soils ortus cardine » (de Sedn-
lius\ 0 Jesu, redemptor omnium » (d'un
auteur inconnu),« Quid est quod arctum cir-
culum » (de Prudence), « Agnoscet omn? sae-
culum » (de Fortunat), la gracif'use sequence
« Arieste, fideles », mille « Noels » ou can-
tiques lantot simples et naifs, tanlot releves
et sublimes, les odes de Milton, de Pope, de
Metastase, de Manzoni, etc. ; pour ['elo-
quence, les sermons de Bossuet, de Bour-
daloue et de Massillon.
6. La circoncision de J6sas. ii, 21.
« Jesus souffre d'etre mis au rang des pe-
eheurs : il va comrae un vil esclave porter
sur S3 r.hair un caractere servile, el la
marque du peche de notre origine ». Bossuel,
Ire Eleval. de la Mo seniaine. « Certes,
a-t-on dit encore fort ju-tMuent. une histoire
inventee n'eut pas suppose des rites qui sem-
blaienl contredire sa purele originelle, et
qui n'elaient que les signes de sa complete
infeodation a son pcuple et a I'liumanite ».
A peine ne de la feraine, comme s'exprimo
S. Paul, Gal. IV, 4, Jesu-; est sourais a la loi.
Comp. Rom. viii, 3 ; Ilebr. ii, 17. A peine
son sang est-il forme, qu'il en verse pour
nous les premieres goutles en attendant qu'il
le repande « a gros bouillons » (Bossuet) sur
le Galvaire. Mais ne dira-l-il pas un jour,
Matlh. Ill, 15 el v, M, qu'il convient d'ac-
complir loute justice, qu'il est venu pour
accomplir la Loi, non pour la renverser?Il
agil dejk d'apres ces grands principes.
21 . — Postquam consummati sunt dies octo.
Prise a la lettre, celle formule indiquerait le
neuvi^me jour, tandis qu'elle designe seule-
ment le huilieme, selon la fagon juive de
parler. Gfr. i, 59. — Ut circumcideretur
puer. Le texte grec emploie le « genitiv.
objecli » : toO neptTefjieTv to iraiSfov (aOrov d'a-
pres les manuscrils A, B. Sm., etc.). Nous
dirions en franQai- : Quand fut venu le hui-
lieme jour, auquel on devait circoncire Ten
fant. — Vocatum est nomen ejus... (dans le
grec, xal £-/./.ii9r], « el vocatum est », apodose
equivalanl a « tunc vocatum est ». Voyez
Wmer, Gramm. p. 533). L'evangeliste ne
mentionne pas direciem'i'nt le fail de la cir-
concision du Sauveur, auquel il n'atlachait
qu'une importance secondaire; le principal
pour lui etait I'iinposilion du nom, ordinaire-
ment associee a celte sanglante ceremonie
(voir I, 59 et I'explication), et c'esl sur ce
sscond point qu'il in^iste surtout. Notre-
Seigneur regut done alors pour la premiere
fois le nom sacre de Jesus, nom de tout temps
cher aux Juifs, parce qu'il leur rappelait
I'lllustre ca[)ilainf! qui avail conquis la terre
promise, et le grand-prelrequi en avait repris
possession apre-; Texil de Babylone (Gfr. E>dr.
11,2; III, 2; Zach. in, 1); nom plus cher
encore aux Chretiens, pour lesquels il est,
suivant le mot si juste de S. Bernard, « rael
in ore, in aure melos, in corde jubilum ».
74
fiVANGlLE SELON S. LUC
22. Et apres que furent accomplis
les jours de la purification de Marie,
selon la ioi de Moise, ils le porterent
a Jerusalem pour le presenter au
Seigneur,
23. Selon ce qui est ecrit dans la
Ioi du Seigneur : Tout male naissant
22. Et postquam impleti sunt
dies purgationis ejus secundum le-
gem Moysi, tulerunt ilium in Jeru-
salem, ut sisterent eum Domino ;
Lev. 12, 6.
23. Sicut scriptum est in lege-
Domini : Quia omnes masculinum
Philon,de Mulal. nom. § 21. en donne le ve-
ritable sens quand il le Iraduil par owrvipta
Kupiou, salul du Seigneur. — Quod vocatum
est ab Atigelo,.. Corap. i, 31. — « Nous autres
Chretiens, nous avons le bapteme, rite plein
de grace et degage de toute souff'rance. Nous
devons neanmoins pratiquer la circoncision
du coeur. » S. Bonavent. Vita Christi, v. (Ta-
bleaux de Guerchin, de Barbieri, du Parme-
san, etc.).
7. La Presentation de Jesus au temple
et la Purification de Marie, ii, 22-38.
Ce beau recil a trois parties : 1o Les deux
precepies: ft. 22-24 ; 2° le saint vieillard Si-
:neon,)irSr. 25-35; 3o sainte Anne, ft. 36-38.
1" Les deux pr6ceptes.
22-24. — Les trois versels par iesquels
S. Luc ouvre ce nouvel episode de rEiilance
-iu Sauveur resumenl , d'uiie maniere un peu
nbscure a force d'etre concise, deux lois et
leux ceremonies bien dislincles du Judaisme.
La premiere regardail les meres et leur pres-
■:rivaii, apres chaque enfaiilemenl, une pu-
rificiition speciale, qui devait les delivrer de
la souillure legale qu'elles avaieni coutractee •
o'est d'elle qu'il s'agit au t- 24 ct au com-
mencement du t. 22. La soconde concernait
les premiers-lies, quand c'etaient des cmfants
males, et enjoignait a leurs parents de les
presenter au Seigneur, el de les racheter
moyennant une somme determinee : c'est
d'elle qu'il est question a la fin du f. 22 et
au t. 23. — Postquam impleti swit dies pur-
gationis ejus. Ce pronom « ejus » de la Vul-
gate semble designer Jesus d'apres le contexte,
mais il s'applique en realite a Marie d'apres
I'idee, puisque c'elait aux meres, el non aux
enfanls, que la Ioi juive imposait une purifica-
tion. Cependant le feminin aOi^s qu'on lit
dans le « Textus receptus » est regarde ge-
neralement comme une correction tardive.
La variante aOxoO, qui ne se irouve que dans
un petit nombre de manuscrits (D et quelques
mitiiiscules), doit etre une faute de copiste.
La legon la plus autorisee est autoiv, « eo-
rum », pluriel qui designerait soit les Juifs
en general (la pui ification des Juifs) , soit
Marie et Jesus, soit plus probablement Mane
et Joseph d'apres la structure de la phrase
grecque. Sans doute Joseph n'etait tenu k
aucune purification ceremoniale, mais c'est
iui que regardait, comme pere adoptif, la
presentation de I'Enfant : c'est pour cela que
I'evangeliste applique collectivement aux.
saints epoux ce qui Its regardait isolement;
il les traite comme une personne morale. —
Secundum legem Moysi. Voyez le chap. xii»-
du Levitique, qui est lout enlier affecte acelte
matiere. L'impurete legale des meres ne du-
rait a proprement parlerque sept ou qualorze
jours, selon qu'elles avaient enfante un his
ou une fille; mais, ce temps ecoule, elles de-
vaient encore attendre 33 ou 66 jours avant
de se presenter au temple. Elles n'etaient
done completemenl punfiees que le 40e ou le
80e jour, a la suite de la ceremonie reli-
gieuse. Ainsi, les « dies purgationis » men-
lionnes ici par S. Luc representcnt les qua-
ranle premiers jours qui s'ecoulereiit apres
Noel. — Tulerunt ilium in Jerusalem (la dis-
tance qui separe Bethleem de la capitale
juive est d'environ deux lieues). Nous passons
ici a la seconde Ioi, qui regardait les pre-
miers-nes. D'apres une disposition anterieure
de Jehova, tout enfant male « adaperiens
vulvam », suivant I'expression du texte sacre,
devait, en sa qualite de premices, appartenir
au Seigneur et le servir toule sa vie comme
pretre. Mais, plus tard, Dieu modifia cette
Ioi quand il confia exclusivement les soinsdu
culte a la tribu de Levi : il exigea seulement
que les premiers-nes Iui fussent olTerts dans
le temple [ut sisterent eum Domino. Ilapa-
CTT^o-ai represenle ici le verbe hebreu lilpn,
(jui etait I'expression technique pour designer
les victimes et les oblations sacrees), en signe
de son domaine sur tout leur etre, et il per-
mit aux parents de les racheter moyennant
I'offrande de cinq sides, c'est-a-dire d'en-
viron 45 francs, qui etaient jetes dans le
tresor des Levites. La ceremonie de la pre-
sentation ne se renouvelait pas pour les au-
tres fils; elle n'avait meme lieu a I'egard du
premier-ne que lors qu'il etait, selon le Ian-
gage rabbinique, ^noS 1122, « primogenitus
idoneus sacerdoti. » S'il venait au raonde
avec qui'lqu'une des difformites corporelles
qui, d'apres le rituel mosai'que, excluaienl
les Levites eux-memes des fonclions saintes,
il n'avait pas a 6tre presente au Seigneur,
CHAPITRE II
75-
adaperiens vulvam, sanctiim Do-
mino vocabitur.
Exod. 13,2; iVijm. 8, 16.
24. Et ut darent hostiam secun-
dum quod dictum est in lege Do-
mini par turtm^um, aut duos pul-
los columbarum.
Lev. 12, 8.
25. Et ecce homo erat in Jerusa-
lem^ cui nomen Simeon, et homo
iste juxtus, et timoratus, expectans
consolationem Israel , et Spiritus
sanctus erat in eo.
le premier sera consacre au Sei-
gneur;
24. Et pour ojBfrir I'hostie, selon
ce qui est dit aans la loi du Sei-
gneur, une couple de tourterelles ou
deux petites colombes.
25. Or, il y avait a Jerusalem un
homme nomme Simeon, et cet
homme juste et craignant Dieu at-
tendait la consolation dlsrael, et
I'Esprit-Saintetait en lui.
non plus qu'a ^Ire lacliele. Voir Lighlfoot,
Horae hebr. in Luc. ii. Comp. Ex. xiii, 2, 12-15;
Num. viii, 16-18; xviii, 15, 16. La citation
de la loi au t. 23 est faite d'une maiiiere
assez libre, comme il arrive parfois aux ecri-
vains du Nouveau Testament. — Adaperiens
vulvam : hebraisme, Dm "llDSi pour designer
les premiers-nes. — Saiiclum Domino : chose
sainle pour le Seigneur, consacre au Sei-
gneur. La signification primitive du mot Saint
est : mettre en reserve, separer. — Et ut da-
rent hostiam. Ici, I'evangeiiste nous ramene
a la purification de Marie et au sacrifice qui
devait accompagner ce rite. « La mere ap-
portera au tabernacle du temoignage un
agneau d'un an pour Thoiocauste el une jeune
colombe ou une tourlerelle pour le sacrifice
expialoire. Elle les donnera au pretre , qui
les offrira devant le Seigneur ot qui priera
pour elle : c'est ainsi qu'elie sera purifiee...
Si une femme ne peut faire la depense d'un
agneau, elle prendra deux tourterelles ou
deux petits de colombes, I'un pour I'holo-
causteet I'autre pour le sacrifice expiatoire. »
Lev. XII, 6-8. Tel est le texte complet de la
loi. S. Luc n'en cite que la derniere partio,
indiquant par la m^me que le sacrifice de
Marie fut celui que les Rabbins nommaient
^2V plp» le sacrifice de I'inriigent. Mais ne
va-l- elle pas offrir bientot a Dieu la plus riche
des victimes? — Est-il besoin d'ajouter ici,
k la suite des Peres et des anciens exegetes,
que les deux preceptes menlionnes parS. Luc
n'obligeaient ni Jesus, ni Marie? La mere du
Christ avail enfante en dehors de toutes les
regies ordinaires de la nature ; aux termes
m6mes de la loi mosaique ell ■ etait exemple
de la purification ordinaire. Quant au divin
Enfant, puisqu'il n'etait autre que Jehova,
le legislatpur d'Israel, il est n)anifest(^ qu'il
ne lombail pas sous ses propies decrets
(comp. S. Hilaire, Horn, xvii in Evang.). lis
n'hesiterent pas neanmoins a se souinettre
k C8S prescriptions humiliantes. « 0 profun-
ditassapientiae et scientiae Dei, s'ecrie S. Cy-
rille (Cat. graec.j. Qui legis est conditor sicut
Deus, legem custodivit ut homo. » L'humi-
lite, I'obeissance, ont toujours ele les vertus
caracteristiques de Jesus et de Marie.
2» Le saint vieillard Simeon.
Voyez dans le Breviaire romain, au 2 fe-
vrier, les leQons du second Nocturne.
25. — Etecce homoerat... S. Luc ne donne
aucun detail sur le fait mSme de la purifica-
tion de la Sainle Vierge et de la presentation
de Jesus; mais, en revanche, il s'arrete avec
amour sur deux incidents, non moins signi-
ficatifs que pittoresques, qui arriverent en co
beau jour. Le premier incident place toul-a-
coup S. Simeon au centre du tableau. Qu'e-
tait ce pieux habitant de Jerusalem? On a
paifois essaye de I'identifier avec divers per-
sonnages de Fhistoires juive, qui porlaient
egalemenl le nom alors si commun de pyD^J,
Schimeon, en parliculier avec Rabbi S imeon,
president du Sanhedrin vers I'an 13 de Tere
chrelienne, filsdu celebreHillel et pere du non
moins celebre Gamaliel. Voyez Lighlfoot, Hor.
hebr. h. I.; Winer, Bibl. Realwoerlerb. s. v.
Simeon; Otho. Lexic. rabbinic, p. 698. D'au-
tres en ont fait un grand-prelre, a la suite de
I'Evangile apocryphe de Nicodeme, ch. xvi.
Mais toutes ces conjectures sonl denuees de
fondementshistoriques. II est d'ailleurs invrai-
semblable que S. Luc eiit simplemenl designe
un grand-prelre ou un grand president par les
mots « homo, homo iste. » Une tradition tres
legitime, appuvee sur le texte evangelique
(Cfr. les ft. 26'et 29), fail de Simeon un vieil-
lard, non touiefois necessairemcnl un vieil-
lard decrepit, comme le veul la litlerature apo-
cryphe. Du resie, si I'ecrivain sacre ne nous
dit lien de la situation exlerieure de S. Si-
meon, il trace en quelques lignes un magni-
fique portrait moral de son heros. C'etait un
homo justiis et timoratus (eOXa6r,?, « pius, rell-
giosus ») ; un pni' et un VDT], aurait-on dit
76
fiVANGILE SELON S. LUC
26. Et il avait ete averti par I'Es-
prit-Saint qu'il ne verrait la mort
qu'apres avoir vu auparavant le
Christ du Seigneur.
27. Et il vint dans le temple con-
duit par I'Esprit et lorsque les pa-
rents de Tenfant Jesus I'amenerent
afin de faire pour lui selon la cou-
tume legale,
28. II le prit entre ses bras et
benit Dieu et dit :
26. Et responsum acceperat a
a Spirilu sancto, non visurum se
mortem, nisi prius videret Christum
Domini.
27. Et venit in spiritu in tem-
plum . Et cum inducerent pue-
rum Jesum parentes ejus, ut face-
rent secundum consuetudinem le-
gis pro eo :
28. Et ipse accepit eum in ulnas
snas, et benedixit Deum, et dixit :
en hebreu, un hoinme parfait au point de vue
de la religion juive. C'elait surtout un homme
de foi qui, au milieu dcs humiliations de son
peuple, n'avait oublie ni les promesses faites
aux palriarches, ni les oracles successifs des
propheles reiativement au Messie : Expectans
consolationem Israel. « La consolation d'ls-
rael », c'est-a-dire (abslr. pro concrelo) le
grand liberateursi frequemment designe sous
le nom de nnJO, consolaleur par excellence
(voyez Ligliifoot, 1. c), celui auquel Isale,
LXi, 4-3, prele ce langage : « Spirilus Domini
super me..., misit me ut mederer contritis
corde..., ut consolarer omnes lugentes, ut da-
rem eis coronam pro cinere, oleum gaudii pro
luclu, pallium laudis pro spiritu moeroris. »
La justice, la piete el la foi de Simeon avaient
en quelque soi te fixe I'Esprit saint dans son
coeur : Spiritus sanctus erat in eo (eh' aOxov
dans le textegrec, « in eum », scil. ven^rat).
Get imparfail, i]v, comme le font remarquer
les commenlateurs , designe une habitation
permanente de I'Esprit de Dieu, et pas un
simple sejour Iransiloire.
26. — Dans un da ces moments d'intirae et
suave union qui accompagnent souveni la re-
sidence du Sainl-Espritdans uneame, il avait
ete clairement reve'le a Simeon (responsum
acceperat ; fi^ aut^ x£Xpr,[jLaTta[i.£vov, « divine
oraculo edoctus erat. » Voyez Bretschneider,
s. V. Xpr)|j.aTt!;a>) qu'il aurail le bonheur de
voir le Christ avant de mourir. — L'anlilhese
dii divin oracle est a remarquer : non visu-
rum... mortem nisi videret... Dans le qua-
trieme Evangile, viii, 51 , il est aussi question
de « voir la mort. » Comp. Ps. lxxxviii, 48,
el Delitzsch, System der bibl. Psychologic,
Leipzig 4 855, p. 190 et 4 91. — Christum Do-
mini: non plus le Christ Jehova, comme au
t. 41, mais le Christ de Jehova, c'esl-a-dire
envoye, donne par le Seigneur.
27. — Venit i?i Spiritu... c'est-a-dire « ins-
(iganle Spiritu sanclo », par suile d'une im-
pulsion irresistible qui provenait du divin
Esprit. Comp. Maith. xxn, 43. La piomesse
celeste allait enfin se realiser pour Simeon. —
Cum inducerent (~cil. in templum) puerum..,
parentes ejus. Les ralionalistes ont prelendu
qu'il exist ■ une contradiction entre le mot
Yovei;, « parentes », et la pensde anlerieure
du recii de S. Luc (i, 34 et ss.); mais les pro-
testants eux-memes se chargent de les refu-
ter. « Quelle critique! Le mot parents est em-
ploye tout simplemenl comme designant la
qiia'lite en iaquelle Joseph el Marie parais-
saient en ce moment dans le temple et presen-
taienl I'enfanl » (Godel). — Quand le vieiliard
Simeon rejoignil les saints epoux, ceux-ci fran-
chissaienl done la porte du temple pour offrir
Nolre-Seigneur Jesus-Christ au Dieu d'Israel
et payer sa rangon. II suit de Ik que Marie
avail ele purifiee tout d'abord, car I'acces du
temple lui etait inlerdit lant qu'elle n'aurait
pas ete lavee de la lache legale dont elle
etait censee atteinle comme les meres ordi-
naires. Le prelre de semaine etait venu la
Irouver a la porle de Nicanor, ou de I'Rst,
reservee a cette sorte de ceremonie (voyez
Lighlfool, Hor. hebr. in Luc. ii, 22), el avail
accompli sur elle les riles accoulumes. Rien
n'empechail desormais la mere du Christ
d'ofTrir elle-meme son Fils au Pere celeste.
28. — Et (xal d'apodose, comme au t. 21,
dans le sens de « tunc ») ipse accepit eum...
Depuis son Incarnation, Jesus avail eu divers
temoins, qui avaient proclame son enlrde
dans ie monde et chanle sa Redemption : au
ciel les anges, sur la lerre Elisabeth, Jean-
Baplisle, Zacharie, les pasteurs de Belhleem.
II en complete aujourd'hui le norabre. « Om-
nisseta'^ et ulerque sexus evenlorumque mi-
racula fidem aslruunl. Virgo general, slerilis
parit, mulus loquitur, Elisabeth prophetat...,
utero dausus exullat, vidua confiletur, Justus
expeclat ». S. Ambr. Expos, in Luc. h. I. —
In ulnas suas. Simeon, dans son extase, arra-
cha done doucement I'enfant des bras de Marie
ou de Joseph pour le presser dans les siens.
De la le surnom de OcoSoxo; que les anciens
ecrivains grecs aiment a lui donuer. « Beatas
manus quae Verbum vilse palpaverunt , et
ulns quoque quas ad susceplionem paravit! »
CHAPITRE H
77
29. Nunc dimittis servum tuum,
Domine, secundum verbum tuum
in pace :
30. Quia viderunt oculi mei salu-
tare tuum,
31. Quod parasti ante faciem om-
nium populorum;
32. Lumen ad revelationem gen-
tium, et gloriam plebis tuae Israel.
29. Maintenant, Seigneur, laissez
votre serviteur s'en aller en paix
selon votre parole,
30. Puisque mes yeux ont vu le
Sauveur qui vient de voiis,
31. Que vous avez prepare pour
etre devant tous les peuples,
32. La lumiere qui eclairera les
nations et la gloire d'Israel votre
peuple.
S. Greg. NyrS. in Cat. S. Thorn. Quel ta-
bleau viaim 'OL divin ! S. Luc I'a si bien trace
que les ai lisles n'ont eu qu'a le copier, et
c'est ce qu'ont fait admirablem^nt. parmi
bicn d'aiilres, van Eyck, le Guide, Rubins,
fra Barioloineo Pliii. il(3 Cliainpaigne, Fran-
cia, Veronese, fra Angelico, le Titien, Raphael.
Voyez dans la lilteraUire auoc! yphe (Evang.
de I'enfance, ch. vi, el Prolevang. de S. Jacq.
oh. XV) de curieuses legendes siir la raaniere
dont Simeon reconnul le Messie. — Benedixit
Deum et dixit. Iiiondede consolations, eclaire
plus que jamais par I'Esprit Saint, Simeon
devenant tout a la fois prophete et poete,
chante son sublime cantique, qui fut pour lui
Jp chant du cygne, comma on I'a souvent
repet^.
:29. — Nunc dimittis. Maintenant 1 ou
meme, Enfin! Rien desormais ne s'oppose a
sa mort, puisqu'il a contemple le Messie. Les
exegeles font justeraent observer que I'emploi
du present, « dimiitis », corrobore I'idee
exprimee par I'adveibe « nunc ». Simeon
parle de sa mort comme d'une chose pro-
chaine, donl le retard n'aurait aucune raison
d'etre, puisque la condition pour laquelle
Dieu I'avait conserve sur la tcrre venail de
s'accomplir. Le verbe du textegrec, aTtoWsi;,
est encore plus expressif que cehii de la Vul-
gate ; on s'en sen pour designer la delivrance
d'un prisonnier. Taction de licencier des
troupes, de relever un soldat de sou poste
(voyez Bretschneider, Lex. man. s. v.). II
marque toujoursun heureux affranchissement.
Les classiques I'emploienl aussi pour designer
la mort (voyez Rosenmiiller, Schol. h. 1.) Le
pieux vieillard parle done comme un homme
pour lequel la vie presente elait desormais
un fardeau et la vie future un doux repos,
une emancipation vivement desiree. — Ser-
vum tuum, Domine. Expressions correlatives,
surloul dans le lexte grec. oil en elFet Dieu
est app?le par S.Simeon Sicmoxx, « here ». —
Secundum verbum tuum; Toracle mentionne
plus haut, t. 26, par S. Luc. — In pace, non-
8eulement tout a fait rassure sur I'avenir de
son peuple (Euthymius), mais ayant ses desirs
personnels entierement combles. Ge aiS'Jl
(comp. Gen. xv, 15) a la fin du premier
vers produit un effet admirable : il est en
outre d'une incomparable suavite.
30. — Simeon nous fait connaitre mainte-
nant le motif de sa paix et de son bonheur :
Quia viderunt oculi mei... ETSov mis en tete
de la phrase, puis le pleonasme cmphatique
« mes yeux out vu » (comp. Job. xix, 27),
renforcentsingulierement la pensee.L'heureux
vieillard aurait pu dire aus-i que ses bras
avaient porte le Christ ; mais il meiitionne.de
preference la realisation de la promesse di-
vine, t. 26, « non visurum se mortem nisi
videret Christum ». — Salutare tuum, le salut
messianique donne au monde par le Seigneur
dans la personne de Jesus.
31. — Ante faciem (hebraTsme, ^JsS) om-
nium populorum. Voila bien la catholicite,
I'universalile du royaume du Christ claire-
ment opposee par un Juif a I'eiroit particu-
larismt; de ses contemporains. Les Israelites
d'alors, oubliant les oracles si nets (Cfr. Is.
XLVi, 13; xnx , 6; lii, 7-10. etc) (jui
avaient annonce un Messie destine a sauver
tous les peuples sans exception, n'atlendaient
pour la plupart qu'un Sauveur dont les bien-
fails seraient restreints a la nation iheocra-
tique. Simeon sort de ce cercle mesquin : le
Christ chante par lui ne sera pas un Redemp-
teur partiel, il procurera le salut du monde
enlier.
32. — Gependant, le Messie ne benira pas
tous les hommes de la meme maniere. Au
point de vue de la vraie religion, I'humanite
se partageail alors en deux categories bien
disiinctes, Israel et les Genlils. Simeon ter-
mine son cantique par I'indication des faveurs
speciales que Jesus apporlera a chacune
d'ellns. Pour les Gentils il sera lumen ad re-
velationem, une lumiere qui eclairera leurs
tenebres, qui leur revelera la veritd. Gette
imago est parfailcraent appropriee a I'etat
dans lequel se trouvait alors I'uuivers palen.
« Avaut la venu! du Christ, dit S. Athanase
(ap. Cat. D. Thom.), les nations, privees de la
connaissance de Dieu, etaient plongees dan-;
les dernieres tenebres... Mais le Christ faisant
son apparition, ajoute S. Cyrille (ibid.), fut la
78
33. Et son pere et sa mere admi-
raient ces choses que Ton disait de
lui.
34. Et Simeon les benit et dit a
Marie sa mere : Get enfant-la a ete
etabli pour la ruine et la resurrec-
EVANGILE SELON S. LUC
33
Et erat pater ejus et mater
mirantes super his quae dicebantur
de illo.
34. Et benedixit illis Simeon, et
dixit ad Mariam matrem ejus : Ecce
positus est hie in ruin am, et in re-
lumiere de ceux qui etaienl dans les tenebres
de I'erreur, et que la main du demon avail
elreints; ils fiirenl appeles par Dieu le Pere
a la connaissance du Fils, qui est la veritable
lumiere ». Comp. Is. xxv, 7 ; xlii, 6; xux,6;
Matth. IV, 46. — Aux Juifs, Jesus-Christ
procurera une gloire toute particuliere, glo-
riani plebis tuce Israel : gloire, parce quec'est
a eux surtout qu'il avail ete promis el donne
directement(Cfr. Mallh, i, 21 et le commen-
taire) ; gloire. parce qu'il est sorti de leurs
rangs ; gloire aussi parce qu'il vivra et agira
personnellement au milieu d'eux. Dans le
temps Pl dans I'eternite leur lilre de freres
du Christ selon la chair sera pour eux un
sujet de legilirae fierle. — Tel est le « Nunc
Dimitlis », delicieuxa joyau lyrique », poeme
d'une grande richesse malgre sa concision,
puisqu'il resume I'histoire religieuse de tous
les siecles a parlir du Christ. Comme le
« Magnificat », comme le « Benediclus », il
a ele conserve par S. Luc pour la consolation
perpetuelle de I'Egiise ; aussi ces poemes ter-
minent-ils chaque jour trois des principaux
ufliccs lilurgiques. Le canlique du saint
vieillard Simeon continue et complele ceux
de Marie et de Zacharie. On peul dire qu'il
ouvie de plus vastes horizons : ceux-ci en
cfTcl elaient i)liis specifiquemenl Israelites,
Mai-ie n'ayant thante i'lncarnalion du Verbe
■qu"au point de vue d'elle-meme et de son
p:'uple, Zacharie s'etant egalement borne a
louer le Sauveur d'Israel, landis que, nous
venons de le voir, Simeon est alle plus loin
puisqu'il a celebre dans Jesus le Liberateur
unive'rsel. — Le paralielisme du « Nunc di-
mitlis » est moins parlait que celui des deux
cant iques precedents ; il vane du reste presque
k chaque verset. Synthetiqiie au V. 29, anli-
thetique au t. 32, il est simplement rhylh-
mique dans les tt- 30 el 31 .
33. — Et erat paler ejus et mater mirantes.
Sur ceUe construclion elrange en apparence
(i'auxiliaire au singulier, le participe au plu-
riel) el calquee sur le texte grec (^v... 6au[jLd-
^ovte;), voycz Winer, Grammaiik, p. 460.
On trouve des exemples semblables dans
Demoslhene, Xenophon, etc. Les sujets sont
envisages d'abord i?oIemenl, puis simultane-
ment. Au lieu de « paler ejus », les editions
ordinaires du lexte grec portent 'Ia)ffr,ip, d'a-
pies la plupart des temoins anciens. Nean-
tnoins, la legon de la Vulgate est souienue par
d'imporlents manuscrits, tels que B, D, L,
Sinait., el par Origene ; il est tres probable
qu'elle est aulhenlique. — Mirantes super
his... de illo (scil. Jesu). En entendant les pa-
roles du saint vieillaid, Mane et Joseph ne
purenl retenir leur admiration. Non qu'eiles
leur apprissent des choses nouvelles. A quel
plus haut degre n'auraient-ils pas eux-memes
excile I'etonnement de Simeon , s'iis lui
eussentrepele ime faible partie des merveilles
dont ils avaienl ete les auleurs el les temoins
depuis quelques mois! Ce qu'ils adniiraient,
c'etaicnt hs circonslances prodigieuses qui
accompagnaii nl chaque mystere de la vie du
divin Enfant. Surtout, la maniere dont le
Seigneur manileslait Jesus a des cceurs aussi
humbles que le leur les remi)lissail d'une
surprise toujours croissanle. Comme le dit
lort bien un ancien (ap. Caien. graec). « re-
rum supernaluralium raanifestatio, quoties
renovalur, renovat in mente admiralionem ».
34. — Apres avoir acheve son chant d'alld-
gresse el d'amour, Simeon « benit » Marie
et Joseph. Assurement il ne s'agil pas d'une
benediction propremcnt dite : Benedixit
( eO),6Yr,(T£v ) signifie en cei endroit « il les fe-
licita, il les proclama bienheureux ». Comp.
Brelschiieider, Lex. man. s. v. euXoye'to, et
Gesenius, Thesaurus, s. v. "pa. — Mais voici
qu'il regoit lout a coup d'en haut de nouvelles
revelations. La lumiere qu'il avail si admira-
blement chantee, il la voit assombrie par de
prochains miages. Alors, se tournant vers
Mane tad Mariam matrem ejus : la mere,
dont I'atfeclion est plus vive el plus lendre ;
la mere, par opposition a Joseph, qui n'etait
que le gardien), il lui dit avi c I'accent de la
douleur : Ecce positus est hie... Ces paroles
conlienneni une prediction tres importante
relalivement a I'Enfanl-Dieu. 'I6oO, a ecce »,
est ici une exclamation de douloureux elon-
nemenl. « Posilus est » ; dans le grec, y.£tTai,
litleral. « jacel », mais avec le sens genera-
lement admis de « deslinalus est » (comp.
Phil. I, 17; I Thess. iii, 3;. Non que Jesus
ful destine dans lesens strict de celle expres-
sion a la ruine de personne au monde : au
conlraire, il est venu pour sauveret racheler
tous les hommes. II sera neanmoins une
cau^e indirecle et involonlaire de mine pour
un grand nombre. — In rtiinam : on com-
prend sans peine de quelle ruine fd'apres
le texte grec, de quelle chule, eU titcoctiv)
CHAPITRE II
^surreclionem multorum in Israel;
et in signum cui contradicetur.
Isai. 8, 14; Rom. 9, 33; Z Pet. 8, 7.
35. Et tuam ipsius animam per-
transibit gladius, ut revelentur ex
multis cordibus cogilationes.
79
tion d*un grand nombre en Israel et
pour etre un signe auquel on con-
tredira ;
35. Et un glaive traversera votre
ame, afin que les pensees de beau-
coup de coBurs soit revelees.
Simeon veul parler : c'est d'une mine spiri-
tuelle, d'une clnite morale, soit on ce monde
soit dans i'aulre, pour lous ceux qui resiste-
ront a Jesus. La resurrection menlionnee en-
suite est de meme nature : c'est, des cette
vie, I'elevatiou [el? avdaTaaiv, « jn erectio-
nem », par opposition a eU titwctiv), la regene-
ration dcs fimes qu'avait abaissees le peche,
la gloire celesio apies la mort. — Cause in-
voloiitaire do ruiiie pour les uns, cause directe
dn resurrection pour les autres, le Sauveur
sera par la-mem (^ in signum cui conlradicetur,
el; oTi(Ji£iov avTO,£Yc[xevov. Isaie avait predit
avec nun moins de clarte que Simeon ce ca-
raciere du Messie : « Et erit vobis in sancti-
ficationem ; in lapidem autem offensionis et
in pelram scandali duabus domibus Israel, in
laqueum et in ruinam habitantibus Jerusalem.
Et offendent ex eis plurimi, et cadent, et
conterenlur, etcapientur ».Is.viii, 14et1o.
« Ouvrons I'Evangile, et surtout relui de
S. Jean, oil le mystere de Jesus-Christ esf,
decouvert plus a fond : c'est le plus parfait
commentaire de la parole de Simeon. Ecouf ons
murmurer le peuple : Les uns disaient, C'est
un homme de bien ; les autres disaient, Non,
il Irompe le peuple... Les uns disaient, C'est
le Christ ; les autres disaient, Le Christ doit-
il venir de Galilee...? II y eut done sur ce
sujet uni" grande discussion... C'est un pos-
sede, disaient les uns. c'est un fou ; pourquoi
I'ecouler davantage ? D'autres disaient, Ce ne
sent [tas la les paroles d'un possede? »Bossuet,
426 Elevat. de la I8e sem. (Voir les Ele-
vat. '13-18). Du reste, quelques jours seule-
ment apres sa naissance Jesus elait deja en
butle a la contradiction : il elait une occa-ion
de ruine pour Herode, une cause de resur-
rection pour les bergers, pour les Mages et
les ames fideles. La lulte s'est conlinuee dans
le cours des siecles (comp. Hebr. xii, .3) ; de
nos jours elle est plus ardente que jamais, et
file durera jusqu'a la fin du monde. Toujours
I'humanite sera divisee en deux camps au
sujet de Jesus et de son Eglise : le camp des
amis et celui des ennemis.
35. — Objet de la haine et des contradic-
tions d'un grand nombre. Jesus sera .done
abreuve d'amertumes : cela ressoit claire-
ment du t- 34. Mais, a la « Passion » du
Christ, correspondra naturellemenl la « Com-
passion » de sa Mere, comme I'ajoule main-
tenant le saint vieillard : Et tui ipsius ani-
mam... L'Sme est ici nommee pour le coeur,
en tant qu'elle est le siege des affections,
par consequent de I'amour malernel. Voyez
Bretschneider, Lex. man. au mot 'J^x'h, 3.
Le glaive (dans le grec, fojA^ata, le long et large
glaive des Thraces par opposition an glaive
plus petit desRomains; voy< z Hesychius s. v.)
symbolise ici les vives et poignanles douleurs
qui transpercerent plus d'une fois le coeui- de
Marie pendant la vie de son divin Fils, mais
qui le dechirerent surtout auCalvaire, comme
le chanle I'Eglise :
Cujns animam gementera,
Conlristatam et dolentem,
Pertransivit gladius.
Voyez Euthymius, h. I. Gelte belle meta-
phore est lout a fail classique. Cfr. Wetstein,
Hor. hebr. h. I. C'est done a tort que S. Epi-
phane dans I'antiquite, Lightfool dans les
temps modernes, et quelques autres exegetes
a leui- suite, ont pris le mot glaive dans un
sens liUeral,et conclu des paroles de Simeon
que Marie devait mourir de mort violente.
Comme le dil fort bien le Yen. Bede expli-
quanl ce passage, « nulla docet historia
bealam 3Iariam ex hac vita gladii occisione
migrasse; |)iaesertim quum non anima, sed
corpus, ferro soleat interfici. » Mais il est
une autre interprelytioii plus etrani^e encore ;
elle consiste a voir dans la ^oix^aia la desi-
gnation fisuree d'un combat qui devait se
livrer en Marie entre le doute et la foi au
sujet de son Fils, comme si Jesus devait etre
momentanemeni un signe de contradiction
meme pour sa Mere! Que plusieurs protes-
tants conleniporains adoplent ce sentiment,
nous n'en sommes point surpris; il est plus
etonnant d'en rencontrcr des traces chez
d'anciens orthodoxes (voir des citations dans
D. Calmel', et jusque dans les ecrits de
S. Augustin (Cfr. De quaest. Nov. et Vet.
Teslam. c. 73), car il ne pent s'appuyer ni
sur le lexle de S. Luc. ni sur le reste de
I'histoire evangelique : aussi est-il justement
rejol-e par la filupart des commentateurs,
quelle que soil du reste leur cioyance. — Ut
revelentur ex ww/tis... Ces dernieres paroles
de la prophetic sonl claires par elles-memes,
mais les commentateurs ne sonl pas d'accord
pour determiner leur enchainement avec les
propositions qui precedent. Quelques-uns les
rattachent seulemenl a « signum cui con-
80
EVANGILE SELON S. LUC
36. II y avait aussi une prophe-
tesse, Anne, tille de Phanuel, de la
tribu d'Aser; elle etait chargee de
jours et n'avait vecu que sept ans
avec son mari depuis sa virginite.
37. Restee veuve et arrivee a
quatre-vingt-quatre ans, elle ne
quittait point le temple et servait
Dieu nuit et jour dans les jetines et
la priere.
36. Et erat Anna prophetissa,
filia Phanuel, de tribu Aser : haea
processerat in diebusmultis,etvixe-
rat cum viro sue annis septem a
virginitate sua.
37. Et hsec vidua usque ad annos-
octoginta quatuor, quae non disce-
debat de teraplo, jejuuiis et obse*
crationibus serviens nocte ac die.
tradiceliir ». Jesus, disent-ils, par cela meme
qu'il sera un sii^no de conlradiclion, forcera
ses ennemis de devciler los plus secreles
pensees de ienr cceur. La prediclion relative
h Marie etant des lors comme isolee enlre
deux membres de phrase auxquels elle ne se
rallache pas direclemenl, on la met entre
parentheses. Mais nous croyons, aver, d'autres
exegetes, qu'il est plus nalurel et plus con-
forme a la liaison des pensees d'envisager
cetle proposition finale de Simeon comme la
conclusion, la consequence des irois prece-
denles prises ensemble. La prophetie eniiere
forme une strophe a quatre membres :
Ecce positus est hie. . . in Israel,
et in signum cui contradicetur,
et tui ipsius animam pi-rtrausibit gladins :
at revelentur. . . cogitaliones.
Lestroispremiers membres consliluentuntout
inseparable : Marie aura beaucoup a souffrir
h cause des contradictions dont son Fils sera
I'objet; ces contradictions provienilront du
role meme de Jesus par rapport a Israel.
Toutes ces choses reunies auront pour con-
sequence la manifestation des coeurs. En
prenant parti pour on contre le Christ, les
hommes devoileront necessairement ce qu'ils
pensent et ce qu'ils veuient, leurs intentions
et leurs affections les plus cachees.
3° Sainte Anne.
36 et 37. — Simeon se tait ; son role ^van-
gelique est termine. Une ancienne legende le
fait meme expirer de bonheur en cet instant
aux pieds de I'Enfant Jesus. Alors s'approche
Anna... filia Phanuel, de tribu Aser. « L'e-
vangeliste, s'ecrie Theophylacte, s'arrete avec
complaisance a representer sainte Anne! »
S'il nous indique non-seuleraent le nom de
cette pieuse femme. mais encore celui de
son pere et celui de sa tribu, serait-ce a
cause de leur sens figuralif? M. Schegg
(Evangel, nach Lukas, t. L h. 1.) I'a pense :
0 Comme Anne (pn, Chanan) signifie Grace,
Phanuel (b><13S) Visage de Dieu, et Aser
{l^H, Ascher] I'Heureux, on pouvait trouver
dans cette triple appellation une convenance
merveilleuse. Tout cela s'etail verifie dans
Anne : ces noms contenaient son histoire. »
Mais le raisonnement nous parait plus inge-
nieux que vrai. Le texte sacre ajoute qu'Atme
etait prophetissa, c'est-a-dire une Nebia
(X'33) ou propheiesse dans le sens strict. Elle
avait regii, elle aus?i, des lumieres surnalu-
relles qui, pour la plupart, concernaient san&
doute le Messie : lo t. 38 semble du moins
I'indiquer. S. Luc insisie encore sur I'age
avance de son heroine, processerat in diebu^
multis (voyez i, 7 et I'explication) ; il precise
le temps qu'elle avait vecu dans le maiiage.
cum viro sao septem annis; puis il releve sa
qualite de veuve, et de sainte veuve : vidua.
erat usque ad annos octcginta quatuor (Le
« textus receptus » porie w;, « quasi » ;
mais les manuscrits A, B, L, Z, etc., out ew;.
comme la Vulgate). Ce dernier chifTro a
occasionne une division parmi les exegetes,
les uns pensanl qu'il designe I'age total do
sainte Anne a cette epoque de sa vie; les^
autres, a la suite de S. Ambroise, I'appli-
quant seulement aux anneos de son veuvage.
En supposant, d'apres cette seconde hypo-
Ihese, (ju'Anne se fiit miiriee a 15 ans, selon
la coutume jiiive,elle aurait ele alors flgee de
106 ans fl5 -|- 7 + 84^. Mais nous croyons
le premier sentiment plus probable. — Dans
I'antiquile le veuvago eiait beaucoup plus
rare qu'aujourd'hui : les femmes se rema-
riaient presquo toujours, du moins lors-
qu'elles elaient encore jeunes a la mort de
leur premier mari. Anne, comme Judith, fut
une glorieuse exception a cette regie ; et elle
usait de sa liberte pour servir Dieu avec une
plus grande perfection. — Non disc.edebal de
templo. Faut-il prendre ces mots a la lettre,
et supposer que sainte Anne avait reellem»nt
sa residence dans quelqu'une des annexes du
temple? Ou bien, ne vaut-il pas mieux croire
que Tecrivain sacre les a employes par hyper-
bole, pour dire que la pieuse veuve passait
une grande parlie de ses jonrnees dans les
sacres parvis [conip. xxiv, 53; Act. ii. 46)?
Nous inclinons davanlage vers cette seconde
interpretation. On voit par la. dans tons leg
cas {jejuuiis et obsecrationibus...), qu'Anno
CHAPITRE II
81
38. Et hsec, ipsa hora superve-
niens, confitebatur Domino; et lo-
quebatur de illo omnibus qui ex-
pectabant redemptionem Israel.
39. Et ut perfecerunt omnia se-
cundum legem Domini, reversi sunt
38. Et survenant, elle aussi, a
cette meme heure, ellelouait le Sei-
gneur et parlait de Tenfant a tous
ceux qui attendaient la redemption
d'Israel.
39. Et lorsque ils eurent tout ac-
compli selon la loi du Seigneur, 11
■etait morte au mondeet qu'elle nevivait que
pour Dieu. Elle realisail d"avance le portrait
de la vrale veuve trace par S. Paul, I Tim.
V, 5. « Elle perseverait dans son incessanle
adoration la nuit aussi bien que lo jour.
Qiioiqu'elie ciit depuis bien longlemps de-
passe I'age oil les macerations corporelles
formenl un element important de la sainlele,
neaiimuins ?a vie etait un jeune conlinuel. Si
la priere etait I'oeuvre do sa vie, la penitence
en etait la recreation. » Faber, Bethlehem,
p. 225.
38. — Et li(Bc... supervenieiis (bonne tra-
duction du verbe eittaxaaa, si cher a S. Luc
qu'il s'en sert jusqu'ci dix-huit fois, tandis que
les aiitres ecrivains du Nouveau Testament ne
J'emploient que deux fois). Poiissee, comme
Simeon, par un vif raouvement du divin Es-
prit qui residait en elle, Anne survint ipsa
hora, c'est-a-dire a peu pres au meme mo-
ment que le saint vieillard, au moment ou
Marie et Joseph aliaient accomplir la cere-
raonie du rachai de I'Enfant, et, reconnais-
sant a son tour dan^ ce nouveau-ne le Libe-
rateur d'Israel, le Messie, elle se mit a glo-
rifier haulpment le Seigneur. — Confitebatur,
comme av6wiJ.o>,0Y£TTo, coiTespond a I'hebreu
nnn , « laudibus celebiavit » ; I'expression
grecque, qui >ignifie litlerallcmenL « vicissim
confiteri », fail allusion aux louanges ante-
rieures de Simeon. « Laudabal Deam, confir-
mans ea quae a Simeone dicta fuerant », Mal-
donat. — Depiiis lors, sainlo Anne mit loute
sajoie a parler de Jesu? (de illo : ce pronom
desigueevidemment leSauveur d'apres I'idee)
a lous ceux qui attendaient le Messie. L'im-
parfait loquebntur indique des actes repetes.
Au lieu de redemptionem Israel, le i^rec porle
7.uTpw(Tiv ev 'l£po-joa).iQu., ou d'aoies divers
manuscrits el vers.ons, Iv-puxjiw 'lepoyc-aV/itx..
— L'episode est clos brusquement par ce de-
tail, el S. Luc noiis rainene a Nazareth, a la
sulLe de la sainte Famille.
7. Vie caches de Notre-Seigneur Jesus-
Christ a Nazareth, ii, 39-53. (Harall. Matili.
II, 23).
Ce nouveau paragraphe s'ouvre par un
abrege de I'Enfance du Sauveur, tt. 39 el 40,
et il se termine par un abrege de son adoles-
cence, Vt. 51 el 52. Encadre pour ainsi dire
S. Bible.
enlre ces deux sominairos, se deploie un ra-
vissant tableau, qui expose I'unique evene-
ment qu'il ait plu a I'Esprit Saint de nous
conserver de la vie cachee du divin Redemp-
teur.
lo Abr6g6 de I'enfance de Jesus, ff. 39 et 40.
39. — Ce verset forme une transition entre
le myslere de la presentation de Jesus au
temple et ceUii de son obscuie relraile k
Nazareth. — Ul perfecerunt omnia secundum
legem. Nous avons vu plus liaut, en expliquant
les versets 22-24, ce que la loi mosaique exi-
geait des meres el de ieurs premiers-nes.
Avant de passer a un autre ep sode, I'evan-
vangelisle a soin de dire que Marie el Joseph
furent fideles a toutes ses prescriptions. —
Reversi sunt... in civitatem suam. Betlileem
etait la « cite de David », leur ancetre, t. 4,
et ils n'y etaienl venus qu'en passant, pour
obeir a un decrct do Cesar, ou pUilolaux vues
de la divine Providence ; mais Nazareth etait
leur propre cite, celle ou ils elaieni depuis
longlemps fixes (Cfr. i, 56) : ils y reviement
done aussitot qu'il n'y a plus iien pour les
relenir en Judee. — Tout parait Ires-simple
dans ce detail, el pourtanl quelles ditficultes
n'a-t-il pascreees! Ici en olTel sedresse devant
nous la grosse question de I'accord a etablir
entre les recils de S. Malthieu et de S. Luc
louchant lEnfance de Jesus. Chacune di s deux
narrations peutserediure a cinq fails disiiucts.
D'apies le premier Evangile, chap, ii, il y a
'to la naissance de Jesus a Belhleem, 2o I'a-
doration des Mages dans cette meme bour-
gade, 30 la fuiie en Egyple, 40 1" massacre
des SS. Innocents, 5o le I'eleur d'Eiiypte et
I'etablissement de la Samle Famiiie a Naza-
reth. D'apres S. Luc, 11, 1-39, il y a lo la
naissance de Jesus a Belhleem, 2o I'adora-
lion des bergers, 3o la circoncision, 4o la Pu-
rification de Marie et la Presentaiion de Jesus
au tem[)le, 5o le retour de la Sainle Famille
en Galilee A part le premier et le dernier
fait, tout ditfere dans les deux recils; bien
plus, el la se trouve precisement le noBud de
la difBculle, tandis que S. Malthieu conduit
Jesus, JIarie et Joseph de Betlileem en Egyple
avant de les ramener a Nazareth, S. Luf
semble ailfirmer en termes expres que, partis
de Belhleem, ils revinrent tout droit a Naza-
Luc — 6
82
fiVANGILE SELON S. LUC
I'etournerent en Cjalilee, a Nazareth
ieur ville.
40. Et I'enfant croissait et se forti-
in Galilseam in civitatem suam Na-
zareth.
40. Puer autem crescebat, et con-
relli. A la suite de Celse el de Porphyre
(comp, S. Epiph. Haer. li, 8), les rationalistes
coniemporains ne manquenl pas d'opposer ici
S. Maithieu a S. Luc, tanlot pour rejeler I'un
des recits auxdepensde Tautre (Sclileierma-
cher, Schneckenburger, elc), lanlol pour les
rejcter Tun el I'aulre (Slrauss, Leben Jesu,
1835, § 34 el 33]. Meyer lui-nieme, quoique
beaucoiip moins avance, assure que « la con-
ciliation esl impossible. » Alford, toutcroyant
qu'il ful, n'a pas ciainl de due ; « Dans Petal
acluel des deux rdalions, il n'esl pas du tout
possible de suggerer une melhode satisfai-
sanle pour les uiiir. Quiconque la essaye a
viole, dans quelque parlie de son hypolhese,
la probabilile ou le sens commun. » Quoique
nous suivions, comrae exegele calliolique,
des regies de critique aulremenl severes que
cellesauxquellesesl aslreinl un ministreangli-
can, nous avouons ne rien comprendre a ceUe
impossibilile prelendue de conciliation. Du
reste, en dehors du camp ralionalisle, c'est
presque a I'unanimite des voix que les com-
mentateurs nient I'exisience d'une opposition
reelle enlre les deux evangelistes. — 1. On
conQoit d'abord sans peine que les ecrivains
sacres n'aient pas raconle absolumenl les
memes fails : S. Maithieu a choisi de prefe-
rence ceux qui rentraient davantage dans son
plan (voyez notre commentaire de Matth.
n, 22, p. 64) ; S. Luc a insere dans sa nar-
ration ceux qu'il trouva dans les documpnls
dont il se servait. — S. La concorde s'opere
de la maniere la plus simple pour les premiers
evenemenls : Jesus nail a Beihleem d'apres
les deux evangelisies; il est adore par les
bergers, puis circoucis le builieme jour, d'a-
pres S. Luc. Elle existe aussi pour le dernier
fait, le sejour a Nazareth, que S. Maithieu et
S. Luc relalenl de concert. — 3. Pour har-
moniser entreeuxlesautres evenements, on a
iuvente irois principaux syslemes qui raon-
trenl, chacun a sa maniere, que les deux
narrations ne sont nulleraent inconciliables.
1o Enlre la Circoncision de Jesus et sa Pre-
senlalion au lemple, e'est-a-dire entre les
verseis 21 el 22 du second chapilre de S. Luc,
on insere Matth. ii, 1-21, par consequent
I'adoratioii des Mages, la fuiie en Egyple. le
massacie des SS. Innocenis el le reto'ur d'E-
gyple. Avant de rentrer a Nazareth, Marie
t-e serait arretee a Jerusalem pour se faire
purifier el pour racheler I'Enfani Jesus. 2° On
place la visile des Mages enlre la Circonci-
sion et la Purification. A la suite de ce der-
nier mystere, on ramene la Sainle Famille a
Beihleem pour quelques jours : puis ont lieu
successivement les mysleres de la fuite en
Egyple, du massacre des SS. Innocenis et de
I'lnslallation definitive a Nazareth. 3° Tout
se passe d'abord comme le raconle S. Luc
jusqu'a la Presentation inclusivemeni. Les
Mages viennent ensuite adorer Jesus a Beih-
leem, oil ses parents Tavaienl rapporie au
sortir de Jerusalem. Apres cela , It-s autres
fails racontes par S. Maithieu ont lieu a tour
de role jusqu'a ce que finalemenl Jesus, Ma-
rie et Joseph s'etablisspnt a Nazareth. — C'est
a celle troisieme hypothese que nous donnons
la preference. La premiere a un double incon-
venient. D'abord elle accumule bien des eve-
nemenls dans I'intervalle restreint d'environ
irente-deux jours. A la rigueur, il est vrai,
quelques semaines suffisent pour tout ce que
rapporie S. Maithieu, y compris la fuite el le
sejuur en Egyple; car, de Beihleem, on pou-
vait alieindre en quelque jours la frontiere
egyplienne. Neanmoins il est peu vraisembla-
bles que I'exil de la Sainle Famille n'ait dure
qu'environ deux semaines. De plus, ce sys-
leme s'accorde difficilement avec le recit de
S. Maithieu : comment Marie ot Joseph au-
raienl-ils ose porter TEnfant Jesus a Jerusa-
lem silol apres le massacre des SS. Innocents,
quoique le roi Herode ful mort? La seconds
hypoihese a cela de lacheux qu'elle scinde en-
plusieurs parties, pour faire de ces debris une
espece d'entrelacs, des narrations dans les-
quelles les evenemenls paraissenl avoir une
suite tres-logique. La troisieme. au contraire,
laisse les recils dans Ieur integrile primilive,
puisqu'elle se borne a placer celui de S. Mai-
thieu apres celui de S. Luc de la fa^on la plus
naturelle : aussi est-elle la plus generalement
admise. — Ainsi done, les deux evangelistes
ne se conlredisent pas, mais ils se comple-
tent I'un I'aulre. S. Luc, n'ayanl pas I'inten-
lion de rapporter la visile des Mages el ses
douloureuses consequences, a ires bien pu
cunduue directement la Sainle Famille de Je-
rusalem a Nazareth, sans exclure des voyages
inlermediaires. Les historiens profanes usent
fiequemment de celle liberie et personne ne
songe a Ieur en faire un crime. — Voyez sur
celle question S. August., De consensu Evan-
gel.; Wieseler, Chronol. Synopse der vier
Evangelien, Hambourg 1843, p. 132 et ss.;
Dehaut, I'Evangile explique, defendu, Seedit.
t. I, p. 343 et ss.; Farrar, the Life of Christ,
23e edit., i. L p. 17 el ss.; Maldonat, Com-
menl. in Malth. ii, 13, 22, 23.
40. — Puer (to itai5iov, le petit enfant) au-
fortabatur, plenus sapientia
gratia Dei erat in illo.
41. Et ibant parentes ejus per
omnes aiinos in Jerusalem, in die
solemni Paschse.
Exod. 23. i5 et 34, 18; Deut. 16, 1.
42. Et cum factus esset annorum
CHAPITRE I[
: et
8»
fiait, plein de sagesse^ et la grace
de Dieu etait en lui.
41. Or ses parents allaient tou&
les ans a Jerusalem au jour solennel
de Pdque.
42. Et lorsqu'il fut age de douze
tern crescebat... L'evangelisle resume dans ces
quelques lignes les douze premieres annees
de Notre-Seigneur Jesus-Christ : ii les repre-
senled'une inaniere generalecommeun temps
de croissance el de developpement nniversel,
ainsi que cela a lieu pour lous les homraes.
Comp. Justin M., Dial. c. Tryph. c. lxxxviii.
Apres expaxaiouTO, con fortabatur, le u lexlus
receptus » ajoute TtveOfjaTi; inais ce mot, qui
manque dans d'importants manuscnts (B,
D, L, Sinait., etc.) et dans plusieurs aucieii-
nes versions (Vulg. Itai., sati., copl., aim.,
sax.), est probablement une glose provenanl
du chap. 1, t- 80. — Plenus sapienlia. Sous
les dehors d'un humble petit enl'anl, Jesus
cachail une infinie sagesse, par suite de son
union au divin Logos. Voyez I'explication du
t. 52. Dans le grec, le participo present
«)-Tipou[A£vov semblerait indiquer une effusion
perpeiuelle et constamment reiteree do la
Sagesse divine sur I'ame de Notre-Seigneiir
Jesus-Christ. Comp. Schegg, h. 1. — Gratia
Dei erat in illo, ou inieux « in ilium » ;£7c'
auTo), avec I'accusalif du mouvement, cc qui
est plus energique. La faveur de Dieu repo-
sait done, ou plulol, descendait visiblement
sur le Fils de i\larie : le Seigneur mellail des
lors toules ses complaisances en eel Enfant
beni. Combien la pensee deviendrait fade si
Ton voyait dans x«P'' Q^ou, a la suite de qnel-
ques exegeli s ^Raphel, Wolf, etc.], I'lndica-
tion des bonnes graces corporelles de Jesus!
— S. Luc avail fait precedemment une re-
marque analogue a propos du Precurseur,
I, 66 et 80. Mais quelle difference entre la
croissance de S- Jean el celle du Christ!
La du reste on disait seulement que la main
de Dieu etait avec le fils de Zacharie, tandis
qu'ici c'esi la grace memo de Dieu qui reside
en Jesus.
2» J6sus parmi les Docteurs. yy. 41-50.
« L'evangelisle montre mainlenant la vi-
rile de ce qu'il vient de dire. » S. Cyrille ap.
Cal. D. Thomae. S. Luc releve en effet par
une gracieuse el touchanle anecdote la sa-
gesse loule divine de Jesus. Cet episode a
d'autant plus de prix pour nous qu'il con-
tienl la premiere manifestation personnelle
du Sauveur, qu'il nous permel de jeter un
respeclueux regard au plus profond de son
fime et de sa vie d'enfant, et qu'il est unique
dans les saints Evangiles. 11 est vrai que la
lilteralure apocryphe a essaye de lirer le
voile qui recouvre les premieres annees do
Notre-Seigneur Jesus-Chrisl, et qu'elleabondo
en informations sur la vie cacheo de Naza-
reth. Mais, a part quelques trails que Ton.
peut comparer avec S. Jerome, Epist. ad
Laeiam, a un peu d'or dans beaucoup de
boue, quelle pauvre idee no nous ijonne-t-elle
pas de I'Enfaiit-Dieu! Un etalage theairal de
miracles inuliles, des fables choquantes, un.
Jesus qui n'est ni humble, ni obeissant, ni
simple, qui pose devant lout le inonde, voilai'
ce qu'on y Irouve. La Providence a permis
que ces livres elranges arrivassenl jusqu'a.
nous, pour qu'on vit mienx la difference qu'il
y a entre les Evangiles du ciel et les Evan-
giles de la terre. Voyez les ouvrages deja
cites de Hofmann, de Brunei, et les recueils-
de Fabricius, de Thilo, de Tischendorf.
41. — Ce versel el le suivant conliennent
les details preliminaires du recit. — Ibant
parentes ejus... Premier detail, dune nature
plus generale. Chaque annee (xax' Ito; du
lexte grec est une ellipse pour xa6' exaoxov
ItoOi a I'occasion de la fete de Paque (le grec
porte sinipleinent t^ sopTij au lieu de in die
solemni), les parents de Jesus faisaient done
un pelerinage a Jerusalem. Mais il est a
croire que l'evangelisle abrege en cet endroit,.
et que, s'il se borne a mentionner la Paque;
c'esl parce que I'incident qu'il raconte eut
lieu pendant celle solennite. En effet, d'apres^
la loi juivec'etail Iroisfois par an, a Paque, a
la Penlecole el pour la fete des Tabernacles,
que les Israelites devaient visiter le sanc-
luaire et resserrer ainsi les liens qui les at-
tachaient a la iheocratie. Cfr. Ex. xxiii, 44
et ss. ; xxxiv, 23; Deut. xvi, 46; Michaelis,
Mosaisch. Recht, § 483. II n'y avail d'excep-
tion que pour les malades, les vieillards, ]e&
petils enfants el les fenimes. Mais celles-ci,
par esprit de piele, allaient souvent celebrer
au moins la fete de Paque a Jerusalem. Comp.
I Reg. I, 7; Matth. xxvii, 55; Marc, xv, 4;
Luc. xxm, 55. Hillel avail meme pretendu
rendre celle assistance obligaloire pour elles.
Dans tous les cas,nous ne sommes nullement
surpris de voir que Marie accompagnait son
saint epoux a Jerusalem « per singulos annos.»
42. — Cum factus esset annorum duodecim...
Cet age avail thez les Juifs, par suite d'un
8&
fiVANGILE SELON S. LUG
ans, ilsmonterent a Jerusalem selon
la coutume au jour de la fete.
43. Et tandis qu'ils revenaient
apres que les jours de la fete furent
passes, I'enfant Jesus demeura a
Jerusalem et ses parents ne s'en
apercurent point.
kk. Et [lensant qu'il etait avec
ceux de leur com [ agnie, ils marche-
duodecim, ascendentibus illis Jero-
solymam , secundum consuetudi-
nem diei festi,
42. Gonsummatisque diebus, cum
redirent remansit puer Jesus in Je-
rusalem, et uon cognoverunt pa-
rentes ejus.
44. Existimantes autem ilium
esse in comitatu, venerunt iter diei.
anliqiH' usage qu'on rattachail a divers trans
de la vie de MoiSP,de Salomon, etc., une im-
portance capiiale. Enfant on ]VJ3p \kal6)\,
petit) avant de i'altein nre , on devenait
homme, U'N [isch) on SttJ [gadol, grand)
apres I'avoir IVanchi ; inais surtout. I'on de-
venait vers cetle epoque Ben-halthorah
-mirin~p. « filius legis ») ou Bar-mitz'oili
:mjf)2~"ia- « liiius prsecepli »), c'esl-a-dire
qu'on eiait soumi? a louics li\s prescription-^
de la loi rao~ai(|iie, parce q'i'on etait censa
de^ormai* as?ez furt pour hs observer meme
dans ce qu'elh^s avaieiit de jilus onereux. Par
con?:eqiient, a doiize ans revolus, le jeun3
Israelite etait tenu aux jviiiies, et aux pele-
rmages dont nous avons [)arle. Suit-il de la
que le voyaga decrit on eel endroit par
S. Luc serait le premier de ceux que Jesus fit
a Jerusalem apres sa Pre-entaiion an temple?
Divers exegeles contemporains i'ont admis
(von Burger, Abbott, etc.). Mais il nous pa-
rait plus naiurel de croire avec S. Angustin,
Maldonat. Luc de Bruges, Jansenin-, etc.,
que ses parents ne s'olaient pas separes de
lui a leurs p6lorinogPS anterieurs. La circon-
stance d'ago ( st lout a fait accessoiro dans
!:' recit do revangelistc, — Axcendenttbas
illis... Les manu>(r:i> A,B, K.. L.Sinail.,etc.,
ont de memo avaga'.vwxuv, an participe pre-
sent. D'anlres lemoins anciens ont au con-
Iraire ivaSdvTwv au participe aoriste, comme
!e a text, receptiis » : cette leQon donne un
sens plus clair a la phrase. Le mot Jevoso-
lymam (remarqu z ci tte nuance : dans les
tt. 41 et 43 on lit « Jerusalem ») est rejete
par plusieurs critiques; il e>t omis en des
manu-crits ou versions qui font auiorile.
43 el 44. — Je-u-; prrdu a Jerusalem,
tt. 43-45. — Co)isuminati>'f)ue diebus. Dans
le grec, xai Te).E'.a)T(xvTwv xa: -/jie'pa;, « quum
con-ummassenl dies ». Les fel"s pascales
duraient toule une octave (Cfr. Ex. xii, 13;
Lev. xxiii, 3 et s.; Deut. xvi, 3), et il est
fort probable, d'apres I'expression de S, Luc,
que Marie et Jo> p'l demeurerent huil jours
entiers a Jerusalem avant de songer au de-
part. Neanmoins on pouvail aussi se mettre
en route des le troisieme jour, quand la partie
la plus im[)ortante de la solennite etait passee.
— Remansit puer Jesus.ll resta, comme il I'ex-
plique lui-:iieme un peu plus bas, t. 49, parce
que « les affaires de son Pere » I'exigeaii nt ;
il n'averiii point sa Mere ni S. Josi pli. parce
qu'il tnlrail dans les desseins secreis de Dieu
qu'ils fussppt eprouves par sa perte inomen-
tanee. — Noacognooerunt pirentes ejus. Dan>
le « text, receplus », oOx eyvw 'Iworja y.ai i^
[i-fi'n? a'JToO. Les manuscrils B, D, L, Sin. el
plusieurs versions onl la mem? leQon que la
Vulgate. Voyez le t. 33 et rexplication. 11
semble d'abord bien eirange que Marie et
Josoi.h ai' nt eie aiiisi separes de Jesus, el
qu'ils aient en^uile quiite Jerusalem sans
Tavoir retrouve. Mais tout s'explique aise-
menl si I'on so represente les circonslances
parmi lesquelles eut lieu la disparilion de
I'linl'ant. La sainte Famille ne voyageait pas
isoleraent (Cfr. t- 44); elle revenail a Naza-
reth avec une caravane eompo>ee de nom-
breux pelerins galileens. Or, le depart d'une
caravane orientale est aussi lent el confjs
qu'il est bruyant. Souvent done, la jeunesse
impatiente prend les devants, et Ton se re-
trouve a la prochaine station; les meres le
savent et ne s'inquietent pas. Ou encore, fut-
on pai ti ensemble, des groupes varies ne
tardent pas a se former, Les femraes el les
homines ages chevauchent habituellemenl
sur des anes; les hommes et les jeunes gens
vont a pied; mille incidents ralenlissent ou
accelerent la marche ; les enfants, qui cou-
raient d'abord a cole de leur pere, s'atla-
chent bientot a un group? voisin (voir
Abbott, Luke, p. 241; Tholuck, Glaubwiir-
digkeit der evang. Gesch. p. 215 et s.). N'ou-
blions pas, du resie, que nous sommes en
Orient, ou, a douze ans. on est deja souvent
traite comme un jeune homme. Eiifin Marie
et Joseph connaissaient NotreSeigneur, et,
si sa sagesse avail eclate a tous les ycux des
ses annees les plus tendres, personne n'en
avail autant de preuves que sa Mere et son
gardien. Pour toutes ces rai?ons, auxquelles
nous pouvons ajouter encore a la suite d'Eu-
thymius I'economie de la divine Providence
xaxa Oiiav olxovoiiiav), Marie et Joseph ntk
CIIAPITRE II
85
el requirebant eum inter cognatos
et notes.
4b. Et non invenientes, regressi
sunt in Jerusalem, requirentes eum.
46. Et factum est post triduum
invenerunt ilhim in templo, seden-
tem in medio doctorum, audientem
illos, et interrogantem eos.
rent durantunjour, puis ils le clier-
cherent parmi leurs parents et leurs
connaissances.
45. Et lie le trouvant pas, ils re-
vinrent a Jerusalem pour le cher-
cher.
46. Et apres trois jours ils le trou-
verent dans le temple, assis au mi-
lieu des docteurs, les ecoutant et les
interroseant.
lurenl point Irop surpris de I'absence de
Je-U3, pensanl a bon droit ilium esse in comi-
tatu. Le mot grec auvoota (de oOv, el oSo?,
chemin) signifie piemierement o iter a pluri-
bus simul occupalum, » Rosenmiiller; inais
il designe aussi par synecdoche, el c'esl ici
le cas, les personnes memes avec iesqu^Ues
on voyage. Comp. I'hebreu nmx, Gen.
XXXVII, 25. — Gependanl, apres una journee
de marche (liter diei correspond en Orienl a
6 oil 7 heures) duranllaquelle I'Enfanl n'avail
pas reparu, la caravane (il halle pour la nuit,
et les membres de chaque famille se reunirenl
en vue d'un campemenl commun. C'esl alors
que Marie el Joseph, voyanl que Jesus ne
les rejoignait pas, se mirenl a le rechercher
parmi les differenls groupes [requirebant,
i^t^rixQw, ce verbe compose denote une grande
sollicilude).
45. — Apres de vaines demarches, ils re-
prirent irislement le chemin de Jerusalem.
II est probable cependani que ce ne ful pas
le soir raeme, mais seulement le lendemain
matin ; aulremenl, ilsauraient couru lerisque
de croiser sans I'apercevoir celui qu'ilscher-
chaient. — Le participe requirentes eum nous
montre les saints epoux recommengant leurs
investigations douloureuses des I'eiidroit oil
ils s'etaienl arretes et les continuant loul le
long de la route jusqu'k Jeru^alem. Ce jour-
\k, le glaive de doulenr predil par Simeon
ddl se relourner cruellemenl dans V&me de
Marie 1
46. — Jesus reirouve dans le temple,
tt. 46-50. —Post triduum invenerunt... Cette
maniere de parler est toute iiebrai'que el
correspond a « die lerlio. » Comp. Mallb.
xxvii, 63. De plus, oe n'est pas le relour des
parents de Jesus a Jerusalem, comme le veu-
lent de Wetle, Baumgarlen-Crusius , etc.,
mais leur depart, qui serl de « terminus a
quo » k la numeration. Le premier jour, ils
quitterent la ville sainte el se dirigerenl vers
le Nord ; le second jour, ils vinrenl a Jeru-
salem; le troisieme, ils retrouverenl le Sau-
veur. — In templo; ev t^ iepw, dil le texte
grec. Jesus n'etait done pas dans le vao;, ou
sancluaire propremenl dit, mais dans unc
des dependances du temple. Parmi les nom-
breuses constructions designees sous le nam
de Ispov, se trouvaienl d"S apparlements qui
servaient pour les cours academiques des
Rabbins : c'esl dans un' de ces salles qu ■
lut retrouve Jesus. — L't'vangeliste decrit
son attitude en termes piUoresques, qui font
revivre la scene sous nos yeux : sedentem in
medio Duclonim. II est as-is parmi les Doc-
teurs, non tonteroi.-,comine I'un d'eiix, « super
calhedram Moysi, »ainsi que le croient a tort
les peinlres (cetixqui ont le mieux represenle
celle scene sont Giotto, Ferrari, B 'rnardino
Luini, Pmturicchio, Jean d'Udine. Valentin),
mais sur une nalte, a la fagon des ecoliers
orientaux. II esi, vrai qu'il ne se bornait pas
a ecouter I'ens'^ignement des Rabbin>, puisque
le texte sacre ujoute expressement qu'il pre-
nait hii-meme la parole pour les interroger;
mais en cela encore il agissait plutot comme
un etudiant que comme un mailre. En effel,
la meihode rabbinique favorisait beaucoup
les questions et les objections des eleves : on
le voit d chaque pag.^ du Talmud, o J'ai
beaucoup appris des Rabbins mes maitres,
disaii. un ancien professeur juif ; j'ai appris
davanlage encore desRabbin> mes collegues;
mais c'est aupres de mes eleves que j'ai le
plus appris. » Comp. Lighlfoot, Hor. h 'br.
in Luc. II, 46 ; T. Robinson, 1. c, p. 201 . Du
reste, notre opinion est celle des Peres
(comp. Orig. h. I. ; S. Greg. Pastoral, in, 26 ;
Maldonal el D. Calmet), et I'idee conlraire
serail absolument opposee a I'espril de Jesus
enfant. — Quel elail I'objel des interroga-
tions de Jesus? On peut le conjeclur> r par
la suite de sa vie, « Que pensez vous du
Christ? demandera-l-il plus tard a ux Doc-
teurs juit's. De qui e?l-il fils? » Les ques-
tions de I'enfant etaienl sans doule de meme
na>ii."e que celles de I'homme parfait. Un
Evangile apocryphe suppose que Jesus se
mil a exposer aux Rabbins ^merveilles le
nombre des i^pheres etdes corps celestes, leur
nature el leurs operations, a leur expliquer
la physique, la metaphysique, I'hyperphy-
sique et rhy()ophysiqueI Cfr. Evang. intan-
liae arabicum,ch. xlviiii-lii. Voir dans S.^pp
86
EVANGILE SELON S. LUC
47. Et tous ceux qui rentendaient
etaient emerveilles de sa sagesse et
de ses reponses.
48. Et en le voyant ils furent
elonnes. Et sa mere lui dit : Mon
tils, pourquoi avez-vous agi ainsi
envers nous? voila que votre pere
et moi, pleins de douleur, nous
vous cherchions.
49. Et il leur dit : Pourquoi me
cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas
47. Stupebant autem omnes qui
eum audiebant, super prudeutia et
responsis ejus. ,
48. Et videntes admirati sunt. Et
dixit mater ejus ad ilium : Fill, quid
fecisti nobis sic? ecce pater tuus et
ego dolentes quaerebamus te.
49. Et ait ad illos : Quid est quod
me quserebatis? nesciebatis quia in
Leben Jesu, I, § 47, de curieuses hypotheses
sur les Docleursjiiifsqui pouvaienl se trouver
alors aupres de Jesus.
47. — Slupebant : EltaxavTo, relonnement
les mettail hors d'eux-memes. — Super pru-
denlia et responsis ejus. Peut-6tre y a-t-il ici
la figure noinmee « hendiadys », de sorte que
'tii t^ ouv£'(7£i xai TaT; auoxp(o£cnv serait pOur
/nl x^ (jyv. iu>v QLTToy-pioewv. Mais on peat s'en
tenir aussi a la traducliun lilterale du texte
grec : « prudenlia » representerait I'objet le
plus general ile radmiralion. et « responsis »
son objet special. L'histoiien Josephe, tou-
jours prompl a parler de lui-meme, raconte,
Vita, c. I, qii'a i'age de -14 ans il elonnait
tout le inonde par la precocite et la profon-
deur de son intelligence, a tel point que les
pretres et les docteurs aimaient a lui poser
des questions sur la loi mosaique. Mais qu'e-
tait la sagesse d'un enfant des hommes com-
paree a celle de Jesus! La reponse de Notre -
Seigneur a sa 3Iere, f. 49, nous fera com-
prendre la proiondeur de celles qu'il faisait
aux Rabbins.
48. — Videntes admirati sunt. A leur tour,
Joseph et Marie s'etonnent. « Non sicut alii,
propter prudentiam et responsa ejus : nam
ejus prudentiam scienliamque non ignora-
bant (comp. le t. 37 et I'explicalion) ; sed
quod eum praeter opinionem in medio docto-
rum dispiitanlem reperissent », Maldonat,
h. I. Aussi I'evangelisle a-t-il ajoule « viden-
tes ». — Dixit mater ejus ad ilium. Dans le
grec, Tcpo; aOxov est mis en avarit d'une ma-
niere emphatique. C'est Marie qui prend la
parole et point Joseph : trait parfaitement
naturel, car I'afifection d'une mere est plus
vivc que celle d'un pere, a plus forte raison
que celle d'un pere adoptif. Plusieurs anciens
interpreles (Salmeron, Maldonat, etc.) suppn-
sent delicalement que la saintc Vierge alttn-
dit, pour faire part a Jesus de ses angoisses
maternelles, que I'assemblee au milieu de
iaquelle elle I'avail trouve se fut dissoute.
Dans cetle hypothese, la petite scene qui va
suivre n'auralleu pour temoins que les mem-
bres de la Sainte Famille. — Fill, quid (t(
pour Siaxi, a quare ») fecisti nobis sicf Get
oOxwi; dit beaucoup! Jamais encore Jesus n'a-
vait contriste ses parents. Dans I'exclcjmation
qui s'echappe si spontanement du ccEur de
Marie, des ecrivains protestants et rationa-
listes ont voulu trouver de la durete. Nous
avons beau chercher, nous n'y trouvons que
I'expression d'un sentiment de tendre affec-
tion, uni au plus profond respect. Voyez Luc
de Bruges, h. I. Marie ne se plaint pas direc-
tement ; elle se borne a laisser parler les faits,
qui etaient si pleins d'eloquence : dolentes
qucerebamus te. Le mot grec qui correspond
a « dolentes » {65uvw[Aevoi) est d'une grande
energie : il designe des douleurs aussi vives
que celles de i'enfantement. L'imparfait
eCriToOfjiev renforce egaleuien. la pensee, car
il indiqus de iongues et penibles recheiches.
— Paler tuus et ego. Mane se nomme hum-
blement apres S. Joscpii, et elle donne au
gardien de Jesus la glorunise appellation de
pere. G'elait !e titre qu'il portait au -ein de
la famille, comme devant I'opinion publique;
et il la meriiait par la gencTosile de son
amour k I'egard du divin Enfant. Comp. Bos-
suet, 5e Elevat. de la xxe semaine.
49. — Ait ad illos. Marie avait parl6 au
nom de S. Joseph non moins qu'en son pro-
pre nom : c'est pourquoi Notn^-Seigneur leur
adresse collectivement sa reponse. Cette re-
ponse est pour nous d'un prix infini, non-seu-
lement a cause de son immense porlee, de
ses IcQons pleines de gravite, mais aussi parce
qu'elle contient la premiere parole evangeli-
que de Jesus, bien plus, la seule parole que
les SS. Evangiles aient conservee de ses trente
premieres annees. Le rationalisme, qui ne
sail rien respecter, I'a egalement atlaquee,
pretendant que Jesus y fait preuve de raidem-
et ineme d'insubordinalion a I'egard de sa
mere et de son pere adoptif; tandis qu'elle
est au contraire admirable a tous egards et
vraiment digne de Jesus. Noble et simple en
raeme temps, alliant a un haut degre la ma-
jesie et I'tiumiiite, elle ne convient pas moins
CHAPITRE II
87
liis, qiise Patris mei sunt, oportel
me esse ?
50. Et ipsi non intellexerunt ver-
burn quod locutus est ad eos.
51. Etdescendit cum eis, et venit
qu'il faut que je sois aux choses
qui sont de mon Pere.
50. Et ils ne comprirent pas ce
qu'il leur disait.
51. Et il descendit avec eux et
au Fils de rhomme qu'au Fils de Dieu. Mais
elle a des profondeurs insondables. el Ton
conQoit que des esprits eiroils, superficiels,
aveugles par les piejuges religieux, aienl ele
incapables de la comprendre. — Quid est
quod...^ Ti on dii lexle grec est pourTi Scttiv
oTi. Aux deux questions de Marie, I'Etifant.
divin repond par deux conlre-queslions. Je-
sus no blame nullement sa Mere et S. Joseph
d'avoir clierche avec anxiele leur fils bien-
aime; il se conlenle de leur rappeler en ter-
mes respeclueux, delicals, sa nature supe-
rieure et les grands devoirs qu'elle lui im-
pose. Voyez le Ven. Bede, h. 1. — Nesciebalis.
C'est-a-dire : Ne saviez-vous pas niieux que
personne? — La locution in his quce Patris
mei suntf £v xoti; toO naxpo? (xou, a reQu deux
inlerprelalions egalement autorisees par i'u-
sage classique. Les versions syrienne et ar-
luenieuni', plusieurs Peres (Origene, S. Epi-
|ihane, Thi'opliylacte, Euthymius) et divers
I'xeyetes (Kuiucfil, Meyer, etc. jl'ont envisages
lomiue uM synouyme de « in domo Patris
inci », [)ar consequent de « in tempio ». Pour-
(juoi n'avoir pas immediatement suppose,
u.^lle serait la pensee de Jesus, que j'etais
dans le palais de Jeliova, mon Pere cele.-;te?
Yous vous seriez ainsi epargne de pembles
reclierclies. La plupart des commenlaleurs
donnent a ^a xou ixaxpoi; le sens de « negolia
Patris » : ce qui vaut beaucoup mieux,
croyons-nous, car la premiere maniere de
iraduire limite inutileinent I'idee. « Friges-
cit », dit a bon droit le P. Patrizi (voyez la
savante dissertation qu'il a ecrile surce pas-
sage dans son ouvrage celebre De Evangeliis
libri III, diss, xxxviii, c. ii, § i&). Comp,
I Tim. IV, 15, et Gen. XLi, 5, dans les LXX.
— Patris mei. Marie avait fail mention du
« pere » de Jesu-^:leSauveur reprend ce litre,
mais pour lui donner une signification infmi-
ment plus relevee, la seule du resle qui cor-
I espondit k la realite des fails. « Corrigcns
■ luodammodo dictum ejus (Mariae), de eo qui
puiabatur pater, verum Palrem manifestat,
ilocens... in altum extolli. » Graec. ap. Cat.
D. Thom. h. 1.— Oporlet, Set : il s'agit d'une
absoluo nec^^ssite;meesse, oil « me versari.n Je-
sus indique ainsi pouiquoi il etait reste a Jeru-
salem : les affaires de son Pere celeste Tavaient
retenu. Distinction sublime enlre les droits de
Dieu el de Marie sur lui. Jesus affeclionnait
vivement sa mere et son p6re adopiif; mais
son amour pour eux ne pouvait I'emporler
sur le devoir, sur la volonle du ciel. 11 s'e-
lonne done pour ainsi dire qu'ils n'aienl pas
eu plus lot cette pensee, de meme que « I'ai-
maut s'etonnerail si Ton voulail lui attribuer
une autre direction que celle du pole Nord. »
— On a juslement trouve dans cette parole
le « programme » de toute la vie de J^sus,
la clef de lous ses mysleres. Eire occupy des
affaires de son Pere, lei fut conslamment son
ideal. Comp. Joan, iv, 34; viii, 29; ix, 4;
XIV, 34, etc. Si jamais une expression d'en-
fant a ete prophetique,c'esl bien celle que nous
venons de lire. Mais elle predisait le renonce-
menl et le sacrifice, genereusement acceptes
loutes les fois que la gloire de Dieu serait en
cause.
50. — Et ipsi non intellexerunt verbum...
La rongeur monte au front de I'exegete Chre-
tien, quand il lit celle profonde reflexion.
11 ose, lui, lenebres et peche, commenler ce
quo Marie el Joseph ne comprirent pas ! Mais
la suite de la vie du Sauveur et les enseigne-
ments del'Eglise nous ontfourni des lumi^res
qu'il n'avait pas p!u h la divine Providence
de donner aux saints epoux des cette epoque
avancee. Du reste, ce verset ne signifie pas que
la parole de Jesus ful pour ses parents une
enigmeabsokie, puisque, mieux que personne,
ils connaissaient sa nature divine. S. Luc a
sculemenl voulu dire qu'ils n'en saisirenl
pas alors toute I'etendue. Quelle relation y
avait-il enlre le sejour actuel de I'Enfant
dans le temple et les affaires de son Pere ce-
leste? Allait-il done des mainlenant se ma-
nlfester au monde? Cesproblemes et d'autres
semblables se pressaient dans leur esprit,
et ils n'en pouvaient trouver la complete
solution. Voyez Wouters, Dilucid. select.
S. Script. I. 11, c. VI, q. 3; Calmet, Comment.
in h. 1.
3° De douze a trente ans. ^f. 51-52.
51. — Descendit (le correlalif de « ascenden-
tibus », t. 42) cum eis. La divinite, qui avait
si visibU'iTient resplendi en Jesus, rentredans
I'ombre apres cet eclat inoinentane. La gra-
cieuse fleur de Nazareth s'etail enlr'ouverte
el avait laisse eehapper quelques uns de ses
parfums; mais voici qu'elle se referme pour
de longues annees, pour dix-huit annees en-
lieres,queS. Luc a resiimeesen deux versels.
11 est vrai quo ce resume est d'une richesse
inepuisable. — Erat siibdilus illis, riv <jnoxa.(s-
a6(jLevo( auToT;. « Je suis saisi d'etonnement
88
Evangilh: selon s. lug
vint a Nazareth, et il leiir etait
soumis. Etsamere conservaittoutes
ces choses en son coeur.
52. Et Jesus avancait en sagesse
Nazarelh; et erat siibditus iJlis. Et
mater ejus conservabat omnia verba
hsec in corde suo.
52. Et Jesus proficiebat sapientia^
k celle parole, ecrivait Bossuet, Be Eleval.
de la 20e semaine. Esl-ce done la tout I'em-
ploi d'un Jesu«-Chrisl, dii Fils de Dieu? Tout
son exercice est d'obeir a deux de ses crea-
tures. » Comp. Phil. 11, 7» Quel admirable
tableau dans ces trois mots : « Erat subdiuis
illisl » — Cependant, inaler ejus conservabat
omnia verba hcec... Au t. 19, S. Luc avait
deja signale cette perpeiuelle conlpmplation
de Marie en face des mysteres de Jesus; tou-
lefois, il use ici d'une expression plus euergl-
que, Sietripet au lieu de ouvsropst. La divine
Mere medilait done jour et nuit les paroles
et les actions de son Fils. Cette retraite de
Nazareth fut pour elle une epoque do joies
bien douces, que rien ne vint troubler depuis
r^pisode du temple, si ce n'est la mort de
S. Joseph, arrivee, selon toute vraisenn-
blanee, quelque temps avant le minislere pu-
blic de Notre-Seigneur. Comp, Joan li, 12,
oil le saint palriarche n'est pas ineme men-
tionne dans un denombrement tres exact de
la famille humaine du Sauveur.
52. — S. Luc avait signale plus haut, t- 40,
I'enfance de Notre-Se:gneur Jesus-Christ
commR un temps de developpemont univer-
sel. Avant de quitter la Vie cachee pour
passer a la Vie publique, il fail une reflexion
idenlique a propos de I'adolescence du Mes-
sie. — Jesus j)rojiciebat; I'expression laline
est mollis piltoresqUv! que le grec irposxoTiTe
(litteialement; poussaiten avant). Cette crois-
sance avait un triple objet: I'esprit, scipientia
(coqs'a) , le covps, a^lale [iilvAa.) . et Tame, gratia
(XapiT.). — 1o L'espril. Des les premiers sie-
cles de I'Eglise, on a souleve sur ce point une
grave discussion. Dans quel sens, s'esl-on de-
mande, peut-on parler de developpenunt in-
lellectuel pour Notre-Seigneur Jesus-Christ?
L'accord n'a pas toujours regne a ce sujet
parmi les iheologiens. Plusieurs Peres, et spd-
cialemenl S. Athanase, Orat. iiicontr. Arian.
c. 51 etss., n'onl pas crain*. d'admettre un ve-
ritable progres dans les connaissances du
Christ. En lant que Dieu, disaient-ils, Jesus
savait loules choses de toute eternile ; mais,
en tant qu'homme, il croissait en sagesse, au
fur etamesure que son intelligence eiait illu-
minee par les splendcurs du Verbe. II avait
semble a S. Athanase et a d'auires saints Doc-
teurs qu.e cette interpretation des paroles de
S. Luc permellait de refuler plus clainment
et plus aisement les Arions, qui en abusaient
pour pretendre que Jesus-Cnrist n'elait pas
Dieu, puisque son Stre avait el6 born^. Mais
d'autres Peies affirmaient en meme temps
qu'en Jesus il n'y avait pas eu de develotipa-
ment inlellectuel proprement dit. D'apres
S. Cyrille, Thesaur. assert., 1. X, c. vii, s'il
croissait, « ce n'est pas que son huraanite,
qui fut parfaite des le debut, pilt s'accroJlre,
mais elle se manifestait progressivement. »•
La croissance avait done liei' seulement par
rapport aux hommes, - non vere ac reipsa,^
sed demonstralione, ostensioneque et homi-
num opinione » (Maldonat, Comm. in Luc.
n, 40). Au moyen Sge, la question fut reprise
et ()recisee de la I'aQon la plus heureuse. Les
iheologiens scolastiques elablirent une dis-
tinction entre la « scientia divina » (ou « in-
creala ») de Notre-Seigneur, laquelle ne dif-
f6re pas de la science de la sainte Trinite, efe
la « scientia hiimana » (ou « creala »), que
le Christ possede en tant qu'homme. lis divi-
serent encore cette science humaine en trois
branches, la « scientia beata » (ou « visio-
nis » ), la « scientia infusa », et la « scientia
acquisita » (ou « experimentalis « ). Par
science de vision, ils eiilendent les connais-
sances que I'ame du Christ puisait, a la fagon
des anges el des bienheureux, dans la con-
templation inlu'tive de la divine essence;
par science infuse, les luraieres que Dieu lui
tran-mettait sans cesse directement (sur la
difference qui existe enlrela « scienlia beata »
el la « scienlia infusa », voyez Franzelin.
Tract, de Verbo Incarnate, p. 420); par
science acquise, les noiions qui lui prove-
naient du raisonnement, de I'experience, etc.
Or, d'apres I'opinion commune, la « scientia
beata » el la a scientia infusa » de Notre-Sei-
gneur Jesus-Christ ont ete parfaites des le
premier instant de sa conception ; elles n'ont
done pu reeevoir aucun accroissemenl. Seu-
lement, elles emettaient chaque jour de plus
briliants rayons, « quemadmodum sol ab ortu
in meridiem progrediens clarilate quoque di-
citur proficere; non quod ilia in se crescat,
sed in effectu lanlum, quia majorem lucem
apud nos paulalim diffundit. » Corn. Janse-
nius, Comm. in Luc. n, 52. Au conlraire, So
science experimentale grandissait constam-
ment. Non loutefois qu'elle apprit a Jesus des
chose-! entierement nouvelles; mais elle lui
monlrait sous un aspect nouveau des idees
qu'il connaissait deja en vertu de sa science
infuse. C'est ainsi que, d'apres I'Epitre aux
Hebroux, v, 8, « didicil, ex lis quae passus
est, obedientiam. » Ces disliiictions nous pa-
raissent elucider parfaitement ce point deli-
CHAPITRE II
89
et setate, et gratia apud Deum et
homines.
et en age et en grace, devant Dieu
et devant les hommes.
cat : elles relablissent d'aiileurs I'liarmonie
enire les Peres, car elles expliquent comment
les uns ont pu admetlre un progres dans la
sagesse du Sauveur landis que les aulres le
rejelaienl. Sur cells queslion imporlante,
voyez Suarez, Comment, ac dispulat. in ter-
liam partem D. Thomae, edit. Vives, 1860,
t. XVIII, pp. 1-90 ; De Lugo, de Myslerio In-
carnal., dispul. xix-xxi ; Franzelin, I. c,
thesis XLii; Jungmann, Tract, (ie Verbo in-
carnalo, ed. 2a, n. 241-230; J. Pra, i'Hypo-
these du developpemenl progressif dans le
Christ ^Etudes reiigii^uses, par des Peres de
la Comp. de Jesus, 22e annee, 6® serie, I. II,
p. 205 et ss.). Voir aus>i dans Bisping, Er-
klaerung des Evang. nach Lukas, 2^ edit.,
p. 208-212, une savanle exposilioii, donl
nousavons largemenl profile. — 2° Le corps.
Le subslantif grec ^Xixia estamphibologique,
et pent signifier tout aussi bien « slaUira »
que « aeias ». Comp. Bretschneider, Lex.
man., s. v. Nous preferons, a la suite de
nombreux exegeles, le premier de ces deux
sens. D'aiileurs la difference n'esl pas grande,
puisque, duranl une partie notable de la vie
humaine, le developpemenl de la taille ei de
la vigueur physique accompagne la croissance
en Sge. — 3° L'ame, ou le developpemenl mo-
ral. Nous retrouvons ici la meme difficulie que
pour le progrfes intellectuel de Jesus. Elle se re-
sout d'une raaniere analogue. Nous distinguons
encore, a la suite des iheologiens, « les habi-
tudes et les actes surnalurels, les princi-
pes el les effets. Les oeuvres de grfice ou
les acles de verlu croissaienl et se raulli-
pliaient sans cesse; mais les habitudes infu-
ses, les dispositions vertueuses, la grace
sanclifiante, lout ce qu'exigeait en son ame
sa qualile d'llomm^-Dieu, ne pouvail croilre.
Le Sauveur a loujours possede ces dons au
degre le oius eleve. » Bacuez, Manuel bibli-
que. t. Ill, Nouveau Testament, Paris 1878,
p. 171. Telle est bien la doctrine de S. Tho-
mas, p. Ill, q. VII. a. 12 : « In Chrislo non
poteral es^e graliae augmfnlum, sicul nee in
Bealis... nisi secundum effectus, in quantum
scilicet aliquis... virtuosiora opera facil. »
Camp. Franzelin, 1. c, thesis xli, p. 409. On
conQoit, d'apres cela, comment la croissance
do Jesus, soil en sagesse, soil en grSce, avail
lieu non-seulement apud homines, mais aussi
apud Deum. Cfr. I Reg. ic, 26, oil une reflexion
semblable est faile a propos du jeune Samuel.
Desormais le silence le plus complet se fail
autour de Nolre-Seigneur Jesus-Chrisl. Les
premiers evenemenls de sa vie paraissaienl
annoncer une serie non-inlerrompue de prodi-
ges ; mais voici que la chroniquo sacree nous
le monlre vivanl dans une profonde obscurite,
comme un pauvre artisan (comp. Marc, vi, 3)
qui gagne son pain a la sueur de son front.
Toutefois, dil S. Bonaventure, Vita Christi,
c. XV, « en ne faisani rien de merveilleux il
accomplissail precisement une sorle de pro-
dige. »
Si Ton voulait mainlenant comparer enlre
eux les recits de la Sainle Enfance d'apres
S. Matthieu et d'apres S. Lnc, on pourrait
dire que, tout en s'harmonisanl fort bien,
ainsi qu'il a ete demonlre plus haul (voir la
note du t. 39), ils different neanmoins beau-
coup I'un de I'autre el pour le fond et pour
la forme.
1° Quant au fond, ils n'ont que trois
points idenliques, la conception virginale de
i'Homme-Dieu, sa naisrsance a Betlileem, sa
vie cachee a Nazareth. Dans I'Evangile selon
S. Matlhieu, S. Joseph parail etre le person-
nage principal ; dans le recil de S. Luc, c'est
au contraire Marie qui est generaiem^^nt a
I'avanL-scene. S. Luc raconle un pUn grand
nombre d'evenem>nts; sa narration nous fait
mieux connaitre les trenle premieres annees
de Jesus. On dirait, suivant une gracieuso
fiction du P. Faber, Bethlehem, p. 239 el ss.,
qu'il elail aupres de la creche parmi les pre-
miers adoraleurs de Jesus, qu'il assisla de
ineme aux mysleres de la Presentation, de
Nazarelh, etc., tant ses peinlures sonl de-
taillees et vivanles. II est par excellence I'e-
vangelisle de la Sainle Enfance, de m^me
que S. Jean est I'evangelisle de la divinile du
Verbe.
2o La forme est simple, populaire, dans le
firemier evangile; dramalique et tenant par-
ois de I'idylle dans le troisieme.
90
EVANGILE SELON S. LUC
CHAPITRE III
Le Precurseur fait son apparition (tt. 1-6). — Sa predication soit generale [tt. 7-9), soil
particuliere (ft. -10-14), soit directpment relative an Messie (tt. 15-18). — II est mis
en prison par Herode Antipas {ft- 19-20;. — Baplerae de Nolre-Seigneur Jesus-Christ
(tt. 21-22). — La genealogie de Jesiis [tt. 23-38;.
1. L'an quinzieme du regne de
Cesar Tibere, Ponce-Pilate etant
gouverneur de la Judee, Herode
1. Anno autem qumto decimo im-
perii Tiberii Caesaris, procurante
Pontio Pilato Judaeam, tetrarcha
DEUXIEME PARTIE
VIE PU5LIQUE DE NOTRE-SEIGXEUR lESUS-
CIIRIST. Ill, 1-XlX, 28.
Quoiqiie S. Luc se soil eienriu plus longue-
ment que les autres synnptiqups sur la vie
cachee de Jesus, c'est neanmoins la vie pu-
blique, c'esi-a-diro I'cxpose de la predication,
des miracles el des exemples du divin Mai-
tre, qui forme le fond de son Evangile, comme
il avail forme le fond des deux premieres
narrations. Son recii , d'abord en grande
partie conforme a coux de S. Mallhieu et de
S. Marc, nc tarde pas a devenir complete-
menl neuf, de maniere a enrichir d'une fa-
Qon considerable la biographie de Jesus,
soil au point de vue des discours, soit au
point de vue des faits.
lr« SECTION. — PEHIOOE de transition et D'lNAUOnRA-
TION : LE PRECDRSECR ET LE MESSIE. HI, 1-lV, 13.
1. Minist^re de S. Jean-Baptlste. in, 1-20.
Dans la Vie publique de Notre-Seigneur
Jesus-Christ comme dans sa Vie cachee. nous
voyons le Precurseur apparailre tout d'abord
sur la ?cene. Ne quelques mois avant le Mes-
sie, Jean-Bapliste devance aus-i de quelques
mois par son minislere le ministere du Christ,
auquel il devait preparer les voies. S. Luc
(lecril 1o Tapparition du Precurseur, tt- 1-6,
20 sa predication, tt. 7-18, 3° son emprison-
nemt-nt, irfl'. 19 et 20.
1* L'apparilion du Precurseur. ff. 1-6. (Parall.
Matth. Ill, 1-6; Marc i, 1-6).
Chap. hi. — 1. — Ce paragraphe com-
mence par une periode solenneile, magnifique-
ment agencee, qui a pour but de fixer I'epo-
que vers laquelle s'ouvrit le minislere de
S. Jean. Au moyen d'une date synchronique
qui est du plus haul inlerSt pour la chrono-
logie de la vie du Sauveur (voyez I'lnlroduc-
tion generale aux SS. Evangiles), S. Luc rat-
tache rhisloire sacree a I'hisloire profane, et
allribue aux evenemenls qu'il va raconter
leur vraie place sur le grand theatre de i'ac-
tivite des peuples. « Ne nativilaiis quidem,
aut mortis, resurreclionis, ascensionisChristi
tempus lampraecisp definilur » (Bengel). Mais
l'apparilion du Precurseur avail une impor-
tance particulieie : c'elait « le debut de I'E-
vangile ». Marc, i, 1 (Cfr. Thorn. Aq. Summa,
p. 3. q. 38, a. 1), el par consequent le debut
de rEgiisp. Cette date, unique en son genre
dans leNouveau Testampnl, est une nouvelle
preuve de I'pxaclilude avec laquelle S. Luc
precede en tant que narraleur evangelique.
Comp. I, 3. Elle a pour ainsi dire six faces
dislinctes, qui se complelent Tune I'aulre :
ou bien, ce sent comme six spheres concen-
triques, se rapprochant successivement de
leur centre, et consacrees a chacune des au-
torites civiles et religieuses qui adminis-
traienl alors, sous un tilre ou sous un autre,
le pays oil Jean-Baplisie allaitse manifester.
— 1o Anno qvintodecimo... Tibcrii Casaris.
En tele dp la lisle, nous trouvons nalurelle-
menl le nom de I'empereur remain, car a
celle epoqiie la Judee dependait direcieaient
de Rome. C'eiait Tibere (ClaudiiH Tiberius
Nero), fils de Tibere Neron el de la fameuse
Livia Drusilla. Sa mere etanl devenue plus
tard I'epouse d'Auguste, il parvint rapide-
ment aux plus hautes dignites : il ful enfin
associe a I'empire deux ou trois ans avant la
mort de son beau-pere. Celte association
cree precisement ici une petite diChculle.
Faut il la regarder comme le point de de-
part de la dale fixee par S. Luc? ou bien
I'evangeliste a-l-il suppute les annees du
gouvernemenl de Tibere seulemenl drpuis la
niort d'Auguste, arrivee le 7 aoul 767 U. C,
c'esl-a-dire l'an 14 ou 15 de I'ere chrelienne?
La plupart des exegetes modernes adoplent
|p premier sentiment, qui esl plus conforme
a la donnee chronologique du t. 23. En effet,
si Ton complait la quinzieme annee a partir
CHAPITRE III
94
autem Galilsese Herode, Philippo
autem fratre ejus tetrarcha Itursese,
et Trachonitidis regionis, et Lysa-
nia Abilinse tetrarcha,
Tetrarque de la Galilee, Philippe
son frere Tetrarque d'lturee et du
pays de Trachonite, et Lysanias
Tetrarque d'Abylene,
I
dii momenl ou Tibere regna seul, il faiidrait
descendre ju-qii'a I'an de Rome 781 ou 782,
et Jesus, nevers la fin de 749 ou au commen-
cemenl de 750, aurail eu de 32 a 33 ans a
I'epoque de son bapleme, tandis que S. Luc
ne lui en donne alors que « Irente environ. »
Au conlraire, en prenant rassociation de
Tibere a I'empiro pour « terminus a quo, »
nous obtenons I'annee 779 ou 780, qui coin-
cide as-spz exaclement avec la treniieme de
Notre-Seigneur. Wioseler a recemmenl de-
montre, a I'aide d'inscriplions el de me-
dailles, que celle maniere decalculer le temps
du regne des empereurs elait usitee dans ies
provinces de I'Orient. Voyez ses Beiticege
zur richlig. Wiirdigung der Evangelien, 1869,
pp. 191-194. Coinp. Patrizi, de Evang.
lib. Ill, Dissert, xxxix; Caspari. Chionolog.-
geograph. Einieilung in das Leben J. C.
pp. 36 et ss Au reste, I'auire senliment se
concilie sans beaucoup de peine avic la date
eiaslique du t. 23, « quasi triginta anno-
rum. » Voir Wallon, de la Croyance dui^ k
I'Evangile, pp. 335 et 8S. Quoi qu'il en soit,
nous trouvons la quinzieme annee de Tibere
entre 779 et 782, ce qui ne fait pas un bien
grand ecart. Cetle premiere date est la plus
importante des six, parce qu'elle est la plus
limitee, par consequent la plu> precise. —
fo ProruraiUe Pontio Pilato Judceam, Du
chef supreme de I'empire, S. Luc passe au
magistral romain qui le representaii en Ju-
dee. Un changemenl radical s'elail opere
dans la constitution polilique de celte pro-
vince depuis d'assez longues annees. Eile
n'etait plus gouvernee par Ies princes de la
famille d'Herode. mais elle elail sous la ju-
ridiclion iminediale de Rome, el, a ce litre,
c'elait un « procurator » ou gouverneur qui
I'administrait. L'expression fiYsjAoveuovTo? du
lexle grec est employee ici d'une maniere
impropre, car elle desiene le pouvoir souve-
rain; le vrai mot technique serait imtpo-
KeuovTo; qu'on lit dans le Cod. D. : c'esl done
dans le sens large que 5. Luc, de m6me que
I'historien Josephe, Ant. xviii, 3, 6, etc.,
appelle Pilate un -Jiyeixwy. Sur Ponce-Pilate,
qui etail le sixieme gouverneur de la Judee,
voyez Malih. XXVII, 2 et le commentaire. Son
gouvernement dura dix ans, de 779 a 789. —
30 Tetrarcha Galilcece Herode. Cfr. I'Evangile
selon S. Mallhieu, p. 287. C'esl le second des
Herodes du Nouveau Testament. Devenu te-
trarque en 750, a la mort de son pere Herode-
le-Grand, il conserva le pouvoir pendant
42 ans : il fut destiiue par Caligula en 792 et
banni a Lyon. LaPeree faisait egalemenl partie
desa telrarchie. — 4° Philippo fratre ejus...
C'esl aussi en 750 que Philippe, fiereou plutot
demi-frere d'Herode Anlipas, car ils n'avaieni
pas la meme mere, heritades provinces men-
tionnees par S. Luc. II Ies conserva jusqu'a
sa mort, qui eul lieu vers 786. II ne faul pa.->
le confondre avec le prince du meme nom.
epoux legitime d'llercdiade, dont il est ques-
tion dans S. Marc, VI, 17 (voir le commen-
taire). — Tetrarcha IlurwcB et Trachonitidis
regionis. L'lturee, dont on ratlache genera-
lement le nom a Jelhur, fils d'Ismael, Gen.
XXV, 15. qui fut sans doute un de ses an-
ciens possesseurs, ne devait pas beaucoup
difFerer du Djedour actuol, contree situee a
IE. du Jourdain et de I'Hermon, au S. 0.
de Damas, pres des limites septentrionales
de la Palestine. Voyez R. Riess, Atlas de la
Bible, pi. IV et VII; V. Ancessi, Atlas geogr.
pi. XVI. C'est un plateau k surface ondulee,
muni par intervalles de monticules k forme
conique. La partie meridionale est bien ar-
rosee et tres fertile ; le Nord au contraire est
rocailleux, denue de sol et a peu pres sterile.
La nature du terrain et des rochers annonce
partout une formation volcanique. Les habi-
tants du Djedour sont peu nombreux et tres
iniserables. Voyez Smith, Diclion. of the
Bible, s. v.Ituraea. La Trachonite (dexpaxwv,
« locus asper «, est idenlifiee par les meil-
leursgeographesavec le district d'EI-Ledscha,
qui forme une sorle de triangle dont les
pointes sont tournees au N. vers Damas, k
I'E. vers la Batanee, a TO. vers I'Auranite,
Josephe en a trace une description que Ton
croirait d"hier, tanl elle est encore exacte :
« Les habitants n'ont ni villes, ni champs;
ils demeurenl dans des cavernes, qui leur
servenl de refuges ainsi qu'a leurs trou-
peaux... Les portes de ces cavernes sont tel-
lement eiroites que deux hommes n'y sau-
raienl passer de front ; mais I'inlerieur est
iiiimensement large. La contree forme une
pldine. ou p"u s'en faul : seulement, elle est
couverle do roches raboteusesel elle est d'un
acces difficile. On a besoin d'un guide pour
trouver les sentiers, qui font mille detours et
circuits. » Ant. xv, 10, 1. Comp. Burckhardl,
Travels in Syiia. p. 112; Wetzstein, Reise-
berichl ub. Hauran u. die Trachonen. D'apres
Josephe, la domination du tetrarque Philippe
s'elendait aussi sur la Batanee, I'Auranite et
le pays de Gaulon : le Nord-Est de ia Pales-
fiVANGILE SELON S. LUG
2. Sous les grands pretres Anne
et Gaiphe, la parole du Seigneur
2. Sub priucipibus sacerdotum
Anna, et Caipba : factum est ver-
tine liii apparlenaiL done en entier, Voyez les
Atlas df R. Rie>s ct de V. Anci'S>i, I. c. —
50 Lysania Abdince telrarcha. Pendant un
cerlain c mp-, il a eie de mode, dans ie camp
ralionaliste, d'accuser S. Luc d'lgnorance ou
d'erreur a propos de celle cinquieme date.
Le Lysanias qu'il mentionne ici corame un
contemporain de la Vie publique de Jesus
serait, disait-on, ce roi de Clialcis qui ful
mis a morl par Marc-Anloine vers I'an 34
avanl I'ere chreii^ine /Dio Ca?s. 49, 32 ; Jos.
Bell. Jud. I, 13, 1. Voyez Strauss, L^ben
Jesu, Ire edit., pp. 3M el ss.;de Welle,
h. 1., etc.). Mais des reclierches conscien-
cieuses et des decouvertes providentielles
onl donnii completement gain de cause au
recit inspire, si bien qu'aiijourd'hui les ra-
lionalistes sont les premiers a defendre notre
evangeliste. Comp. Schenkel, Bibel-Lexicon,
s. V. Abilene; E. Riehm, Handwoerierbuch
desbibl. Allertliimis, s. v. Lysanias; Rcnan,
Mission de Phenicie, pp. 316' el ss.; Id., Me-
moire sur la dynastie des Lysanias d'Abilene
(dans les Mena. de I'Academie des Inscrip. el
Belles-Letlres, t. XXVI, 2e part.. 1870,
pp. 49-84 . On a done reconnu qu'il exisla
plusieurs Lysanias, et que I'un d'eux elait
certainement telrarque d'Abilene a I'epoqua
de Nolre-Soigneur Jesus-Christ, Cela resulte
de divers passages de I'hi^torien Josephe, dans
lesqiiels le telrarque d'Abda apparaii comme
un prince enlieremenl distinct du roi de
Chalcis mentionne plus haul. Celui-ci est
rallaiiie a Marc-Antoine, celui-la aux regnes
de Claude el de Caligula. Cfr, Jos. Anl.
XIV, 3, 3; XV, 4. \ ; xviii, 6. 'IO;xix, 5, i,elc.
Voir au.-si Wallon, De la croyance due a
I'Evangile, pp. 393 et ss. ; Patrizi'. de Evansel.
lib. Ill, Dissert, xli, § 6-13; Wieseler, Bei-
traege zur richlig. Wurdig. der Evang.,
pp. 196-204. Cela resulte encore d'une ins-
cription trouvee par Pococke dans les ruines
d'Abila el conlenanl ces deux mots: Auaaviou
TETpdpxou. Voy. Winer, Bibl. Reallexic. s. v.
Abilene. Qu'etait la tetrarchie d'Abilene?
On n'en saurait 6xer les limiles exactes, les
provinces d'Oiient ayanl subi de frequents
changemenls a celle epoque orageuse; mais
son emplacement n'esl pas douteux. Les
ruines de sa capitale, Abila (aujourd'hui
Suk-Ouadi-Barada), se voienl encore sur le
versant oriental de I'Anliliban, a quHques
lieues au N. 0. de Damas, dans une region
aussi fertile que gracieuse, arrosee par le
Barada. Comp. Baedeker, Palaeslina und Sy-
rien. 1875. p. 511 .
2. — 60 Subprincipibus sacerdotum... Apres
avoir signale les hommes qui exergaienl I'au-
torite civile en Palestine quand S. Jean inau-
gura son ministere public, S. Luc mi'nlioime
aus«i ceux qui, dans le meme temps, elaient
maiUes du pouvoir religieux a Jerusalem.
Mais la mamere donl iTle fail a cree une
difBculle d"exegese assez serit-use. I0 Per-
Sonne n'ignore que, dans la religion mo-
salque, il n'y avail jamais deux grands
prelres a la fo'is. 2° De plus, a I'epoque donl.
parle noire evangelisie, Anne ('Awa;, Annas,
dans les ecrils du Nouveau Testament, 'Avavoc
dans Josephe, en liebreu 7;n, Chanan, avail
cesse depuis de nombreu s;sannees d'etre le
ponlife supreme des Ju.fs. puisque, eleve a
cette dignile I'an de Rora> 759. il avail ete
depo>e en 767 par le procureur Valerius
Gratus. II est vrai que la ieQon primitive du
texte grec ful probablemenl etcI apxtspe'toc
'Avvaxai Kaidfia, « sub [irineipe sacerdotum
Anna el Caipha » (voyez Tischendorf, Nov.
Testam. graece, h. I.); mais celte correction
ne sert qu'a accroilre I'embarras de I'exe-
gete, puisqu'elle fait retomber uniquement
sur Anne un tilre que Caiiihe s^^ul possedait
alors en propre. On a imagine differenles
hypotheses pour expliquer ce semblant
d inexactitude. I0 Anne et Caiphe auraient
gere alternativemenl, d'annee en annee, le
souvcrain Pontifical. Comp. Joan, xi, 49,51 ;
xviii. 13, el le commenlaire; 2° Anne au-
rail ete le UD [Sagan], c'esl-a-dire le substi-
tul du grand-pietre Caiphe; ou bien 30 il
aurait rempli les fonclions de Naci (K'^Ji),
ou de president du Sanhedrin. ce qui lui eiil
confere une grande autorite au point de vue
religieux. Mais ces conjectures sont bien
peu fondees. Nous aimons mieux supposer
avec plusieurs comraentateurs conlemporains
4° que S. LuC: peut-etre avec une legere
poinle d'ironie, a veulu decrire ainsi le veri-
table etal des choses, c'est-a-dire montrer
que I'exereice du sacerdoce supreme etait
alors b'aucoup plus enlre les mains d'Anne
qu'enlre celles de Caiphe; ou 5o que Ton
conlinuait a donner a Anne le tilre honori-
fique de grand-prelre, bien que Caiphe fiit
le vrai tilulaire; ou enfin 6" que, dans ['opi-
nion generale, Anne elait regarde malgre
sa deslitulion comme le ponlife de droit,
puisque. d'apres la loi juive, le souverain
pontifical elait a vie : Caiphe n'ciil ete alors
qu ' le grand-pretre de iait. Voyez Act. iv, 6
el le commenlaire. Josephe, Ant. xx, 20,.
applique aussi a Anne le litre de Ponlife;
S. Luc ne saurait done elre taxe d'eneur
pour avoir employe celte meme expression.
Cfr. Wieseler, Beitraege, pp. 205 el ss. Sur
Caiphe, voyez lEvang.'selon S. Mauh.p.492.
CHAPITRE 111
93
bum Domini super Joanuem, Zacha-
riae filium in deserto.
Act.i, 6.
3. Et venit in omnem regionem
Jordanis , prsedicans baptismum
poenitentise in remissionem pecca-
lorum,
Malt. 3, 1; Marc. I, 4.
4. Sicut scriptum est in libro Ser-
monum Isaise prophetse : Vox cla-
mantis in deserto : Parate viam
Domini : rectas facite semitas ejus.
Isai. 40, Z;Joan. i, 23.
5. Omnis vallis implebitur : et
omnis mons et collis humiliabitur :
et erunt prava in directa, et aspera
in vias planas :
descendit sur Jean fils de Zacharie
dans le desert.
3. Et il vint dans toute la region
du Jourdain, prechant le bapteme
de la penitence pour la remission
des peches.
4. Ainsi qu'il est ecrit au Iivre
du prophete Isaie : voix de celui qui
crie dans le desert : preparez la
voie du Seigneur, rendez droits ses
senliers;
b. Toute vallee sera comblee et
toute montagne et toute colline se-
ront abaissees, leschemins lortueux
seront redresses et les raboteux
a pi an is.
— A lous les noms que Tevangelisle vi nl
de ciler se rattachaienl pour le peuple juif,
sous le double lappoi t moral et polilique, les
miseres les plus prolondos. Comme Israel
avait alorsbesoin de penitence etde ledemp-
tionlC'e^t preciseiiient cetle heure desolee
que la Piovidence choisit pour envoyer le
Piecurseur de son Christ. — Factum est ver-
bum Domini : r^^r^^ "!2t \"iiV Foimile ma-
jeslueiise, pour exprimer les coramunicalions
divines faites aux piopheles. Comp. ill Reg.
XVII, I ; Is. xxwiii. 4, 5; Jer. i, 2; Ezech.
I, 3 ; Os. I, 1 ; Jon. i, I , etc. Elle designe ici
le nioment solennel ou Dieu fit entendre a
Jean-Bapliste qu'il etait temps de quitter son
desert ^Cl'r. i, 80) et d'aller preparer les voies
au Messie. — Super Joannem. Hebraisme
iSlTU pour « ad Joannem ». Les noms de
Tibere, de Pilate, des tetrarques et des
grands-pr^tres n'avaient done pour but que
d'introduire celui du fils de Zacharie! Pour
juslifier un si grand appareil I'evenement
parait lout d'abord bien pelil : mais qu'e-
taient.en comparaison de Jean-Baptiste, tous
les dignitaires de I'empire remain et des
pays juifs?
3. — Fa oenit. Docile aux ordres de Dieu,
Jean abandonne sa retraite et s'en vient in
oinnein regionem (dans le grec, el; irdaav Trjv
Tcpixwpov, in omnem confinem regionem »)
Jordanis, c'est-a-dire dans la prol'onde vallee
du Jourdain, et aussilot il commence a prd-
chor. S. Luc indique dans les memes terraes
que le second des synoptiques, i, 4. I'objet
priiicip?il dr> la predication de Jean-Baptiste :
prcodicans baptismum pcenitenlice in remissio-
nem pecailoium. Comparez I'Evang. selon
S. Marc, p. 25. II nous montrera plus bas,
t. 7, quoiqu(? d'une maniore incidente, le
Precursenr administrant lui-meme ce bap-
teme de penitence.
4. — Sicut scripium est, Comme ses deux
devanciers, S. Luc applique au iiiini>tere de
S. Jean-Baptiste la belle prophelu; d'lsai'e
qui, plusieurs siecles a I'avance, en avait si
bien determine la naiure. Seulement il la
cite d'une maiiiere beaucoup plus complete :
S. Mallhieu el S. Marc s'etaiint bornes a en
rapporter les premieres paroles. II nomme la
collection du grand prophele un libtr sermo-
num (ev pio),w Xoywv), confoimemenl a Fusago
hebreii. Comp. Am. i, 1, D^'DV iiaT ; LXX,
>,6yoi 'Afio);. — Vox clnmantis. « Bene vox di-
citur Joannes, Verbi preenunlius, quia vox
praecedil inferior, verbum sequitur, quod
praecellit ». S. Arabroise. h. 1. — La voix du
Precurseur criera aux Juifs : Parate mam
Domini...; Jean sera ainsi le pionnier mys-
tique de Jesus.
5. — La sublime metaphore continue, le
prophete decrivant par quelques details com-
ment il faut preparer la voie du Seigneur,
redresser les routes sur lesquelles il doit
bientot passer, -lo Omnis vallis implebitw.
Operation qui consiste a combler, au moy. i
de remblais, les depressions de terrain "qui
rendraient la route dangereuse on impra-
ticable. Dans I'hebreu, N^y;' N'J Sd, touio
vallee sera elevee. Le mot grec ipapayl si-
gnifie liileralement fcnte, crevasse. 2" Om-
nis mons et collis humiliabitur, c'est-a-dire
« deprimetur », a I'aido de tianchee. pour
eviter les moniees trop raides. 3o Enmt
prava in directa. Le grec porte : ioTat -i
av-oVioL (a obllqua , tortuosa ») el? sOOEtav,
8cil. 6oov (« in reclam viam »); i'hebreu .
94
fiVANGILE SELON S. LUC
6. Et toute chair verra le salut
de Dieu.
7. II disait done aux foules qui
accouraient pour etre baptisees par
lui : raies de viperes, qui vous a
montre a fuir la colere a venir?
8. Faites done de dignes fruits
du penitenee et ne eommencez pas
par dire : Nous avons pour pere
6. Et videbit omnis caro salutare
Dei.
7. Dicebat ergo ad turbas, quae
exibant ut baptizarentur ab ipso :
Genimina viperarum, quis ostendit
vobis fugere a ventura ira?
Luc. 3, 7 et 33, 33.
8. Facite ergo fructus dignos poe-
nitise, et ne coeperitis dicere : Pa-
trem habemur Abraham. Dieo enim
IWab aoyn n»m. 4o Aspera m vias pla-
nus, a! Tpa/stai Ei; 63ou; ).£ia? (LXX, v.at :?i
TpaxJ'a £'; TiEoia), hebr. nypiS D'D3"im. Le3
endroits ^cabreux, raboleux , devroni elre
egalement Iravailles de maniere a foiirnir
une voie plane el aisee. Quatre belles figures
des obstacles moraux qui s'opposent a la pre-
dication de I'Evangile, el que chacun doit
renverser s'il veul posseder pleinemenl Jesus-
Christ. Voyez la Chains d'or de S. Thorn.
d'Aq., h. I.
6. — Et (pour « tunc ») videbil omnis caro
(hebraismp pour « omnis homo » ) salutare
Dei, c'esl-a-dire le salul messianique. Ces
deux derniers mots sont une addition des
Septante. On lit dans le lexte primitif : a Et
videbit omnis caro pariter quod os Domini
locutiim est. » Ainsi done, quand lout obsta-
cle aura disparu, le Roi-Messie fera dans les
coeurs son entree triomphale, el persoiine,
sauf les hommes volontairempnl rebelles a la
grace, ne sera exclu de sa visile. Celie idee
est bien conforms au caraclere universel du
iroisieme Evangile. Voyez la Preface, § 5.
2» La predication de S Jean-Baptiste. ni, 7-10.
Cette predication, telle qu'elle nous a ete
conservee paries recits- evangeliques. elait
lantol generate, tanlot speciale, Generale,
olle exhorlait a la penitence et coiiduisail a
.lesus tons ceux qui accouraient pour I'en-
lendre. Speciale, elle indiquait a chaque
categorie d'auditeurs ses principaux devoirs
d'elal.
a. Exhortation a la penitence, iii, 7-9.
(Parall. Matth. ni, 7-10.)
Dans ce passage, la narration de S. Luc
coincide presque mot pour mot avec celle de
S. Malthieu (voyez le commentaire) : on y
rencontre neanmoins plusieurs trails carac-
lerisliques. De part et d'autre les paroles du
Precurseur ont un lour vif et polemique
qu'appelaient les tendances corrompues de
ces temps.
7. — Dicebat ergo. La parlicule « ergo »
renoue le fil du r^cit, qu'avait moraenlane-
raent brise la citation tiree d'Isale. L'impar-
i'ail montre que S. Jean-Baptiste adressait fre-
quemmenta la fouleles lerribles objurgations
qui vont suivre. — Ad turbas qucs exibant
(^x7lop£uo|xevol?) : les multitudes « sorlaient »
des lieux habiles, pour venir dans les con-
trees sauvages et desertes oil prechait et
bapiisail S. Jean. — Genimim viperarum.
Ce n'esl point la une « captatio benevolen
liae »! Mais S. Matlbieu, in, 7, a pris soin de
dire, pour expliquer cette apostrophe severe,
qu'un grand nombre des Juifs sur lesquels
elle retombail elaienl des Fharisiens hypo-
crites ou des Sadduceens depraves. Ces chefs
de la nation I'avaienl formee toute entiere a^
leur image. — Quis ostendit vobis... Le verbe
grec uTriSeiSev est plein d'energie. II signifie
proprement « ob oculos ponere aliquid alicui
ut videat. » Qui done avail pu faire croire
k ces pecheurs endurcis qu'ils pourraient,
sans changer de sentiments ou de conduile,
el en vertu d'une pure ceiemonie {ut baptiza-
rentur: voyez, sur ce bapteme, I'Evang. se-
lon S. JIallh.. p. 70), echapper aux thali-
ments divins? Par ventura ira il faut enten-
dre principalemenl la colere que le souverain
Juge manifeslera dans I'aulre vie contre les
pecheurs impenitents, comme I'indique celle
parole analogue de Jesus, Matlh. xxni, 33 :
« Serpentes, genimina viperarum, quomodo
fugieiis a judicio gehennse? »
8. — Facite ergo... 05v, puisque vous n'avez
pas d'aulre moyen de vous sauver. — Fruc-
tus dignos pcenitentia. S. Malthieu emploie le
singulier : « fructum dignum... » Ces fruits,
c'esl-a-dire ces acles de penitence, monlre-
ront la realite de leur conveision. Le Precur-
seur en signalera quelques-uns dans les ver-
sets suivants. — Ne coeperitis dice7-e. S. Mal-
thieu : « Ne velilis ((xri So^irce; dicere ». La
phrase de noire evangelisle est plus expres-
sive : N'essayez pas raeme de tenir ce Ian-
gage: c'csl lout-a-fail inutile I Le grec ajoute
£v ia-jToi;, en vous-memes. — Patrem habe-
juus Abraham. Les Juifs, et avec raison ,
elaienl tiers d'avoir Abraham pour pere;
mais ils auraient dil se souvenir que eerie
filiation, toute glorieuse qu'elle ful, ne suf-
fif"'*. pas pour les delivrer au jour de la co--
CHAPITRE III
95-
yobis, quia potens est Deus de la-
pidibus istis suscitare filios Abrahse.
9. Jam enim securis ad radicem
arborum posita est. Omnis ergo ar-
bor non faciens fructum bonum
excidetur, et in ignem mittetur.
10- Et interrogabant eum turbse,
dicentes : Quid ergo faciemus?
11. Respondens autem dicebat
illis : Qui habet duas tunicas, det
Abraham ; car je vous dis que de
ces pierres memes, Dieupeut susci-
ter des enfants a Abraham.
9. Deja la cognee a ete mise a la
racine de I'arbre; tout arbre qui ne
porte pas de bon fruit sera coupe et
jete au feu.
10. Et les foules Tinterrogaient,
disant : Que ferons nous done?
11. Et ii leur repondit : Que celui
qui a deux tuniques en donne une
lere divine. Comp. xvi, 24-31 ; Rom. ii, 17-
29. 0 Si filii Abrahae estis. opus Abrahae fa-
cite », leur repondra justement Jesus quaad
ils se vanteront d'etre les fils d'Abiahain,
Joan. VIII, 39 el ss. — Dico enim vobis...
S. Jean, opposant la dpscendance spiriluelle
a la paterniie charnelle, continue de ren-
verser sans pilie les oii;iieilleuses el soltes
prelensions de ses audileurs. Abraham est
I'ami de Dieu (les Arabes le nomment em-
phaliquement El-Khalil , I'aini par excel-
lence), el c'esi la mi grand avantage pour ses
eiifanls, soil ! Mais quels sonl les veritables
enfants? « Qui noii ex sanguinibus, neque ex
voluntate carnis neque ex voluntate viri sed
ex Deo nali sunt. » Joan, i, 13. Or cehii qui a
fait nailre miraculeusemenl I>aac pourra bien
(potens est; SOva-rat, « potest »), s'il le veut,
susciter a Abraham d'autres enfants de pro-
dige [suscitare filios correspond a yiT D'pH
des Hebreux. Cfr. Gen. xxxviii, 8), qii Ml
lirera, non plus seulemenl d'un sein sterile,
mais des pierres memes du desert. S. Jean
designail ain.-i les palens, qui allaient bienlot
remplacer, par droit d'adoption, les Juifs
desherites.
9. — Jam enim securis... Prenez garde,
continue Jean-Bapliste, la « venlura ira »
pourrait bien ne pas tarder a atteindre ceux
qui refuseraient de se converlir. La hache
git deja aupres des mauvais arbres, ou plutot
elle est meme appuyee conlre leurs racines,
ad radicem. 11 n'y a plus qu'a la saisir, k
frapper un coup docisif, el les pervers seront
k tout jamais perdus. — Excidetur, mittetur :
le temps present, employe dans le texle pri-
mitif, exprime plus 6nergiquement Texecu-
tion rapide des celestes menaces.
b. Predication tpiciale de S. Jean-Baptiste.
HI, 10-14.
Seul parmi les evangelistes S. Luc nous a
conserve quelques-unes des exhortations par-
ticulieres que le Precurseur adaptait admire'
i)Iemenl aux differentes classes de son audi-
toire.Lea inedicuscarissimus»nes'interessait
pas moins a la therapeutique des fimes qu'i-
celle des corps. Pour nous aussi il est extre*
moment interessant de voir comment S. Jean-
Baptisle repondait aux questions de la foule
et donnait a lous des remedes appropries a
leurs besoins. On I'a dit avec justesse, c'est
le confe^sionnal apres la chaire. Quel regard
penetrant devaii posseder eel asc^te qui,
malgre sa vie retiree, connaissait si parfai-
lemeiit les defauts et les besoins de ses cora-
palriotesl
10. — Et interrogabant eum turhce. Ce
nouvel imparfail est a noter ; car il indique
aussi un fait qui se renouvelait souvent. —
Quid ergo faciemus? « Ergo », puisqu'il re-
sulle de vos paroles, 1it. 7-10, que nous
avons quelque chose a faire pour operer noire
salut. En quoi doit consister pour nous I'ac-
tivile morale que vous nous recommandez
d'une maniere si pressante? Question bien
naturelle, que posenl aussilot les ames deci-
dees a se converlir sincerement. Comp. Act.
II, 37; xvi, 30; xxii, 10. Elle prouve done
les bonnes dispositions de ceux qui I'ddres-
saient a S. Jean. La plupart des manus-
crits grecs emploienl le conjonctif deliberalif
woti^dwjAsv, « faciamus », au lieu du simple
fulur.
11. — Le Precurseur acquiesce avec bonte
au pieux desir de la foule. Mais que penser
de sa premiere reponse? Maldonat faisait deja
remarquer, avec toute la finesse de sa criti-
que, qu'elle semble, au premier abord, assez
eloignee de la question. Et pourlanl comme
le conseil, si on I'examine de pres, correspond
bien aux intentions et aux besoins des inler-
rogateurs! Les Orientaux, a la vive imagi-
nation, s'expriment raremenl en termes pu-
remeni speculatifs. Chez eux, les preceptes
se traduisenl volontiers par des exemples
concrels et pratiques. Aussi, sous ce morceau
de pain, sous celle tunique, que S. Jean re-
commande de donner auxpauvres, devons-
nous voir le preceple de I'amour du prochain
dans toute son etendue, sans nous borner a la
leltre du conseil. Notre-Seigneur Jesus-Christ
96
EVANGILE SELON S. LUC
a celui qui n'en a point, et que celui
qui a des aliments fasse de m^me.
12. Et ^!es publicains vinrent
aussi pour etre baptises et ils lui
dirent : Maitre, que ferons-nous ?
13. Et il leur dit : Ne faites rien
de plus que ce qui vous a ete pres-
ent.
14. Et des soldats aussi Tinterro-
non liabenti ; et qui habet escas
similiter faciat.
Jac. 2, 15; IJoan. 3, 17.
12. Venerunt autem et publicani,
ut baptizarentur, et dixerunt ad
ilium : Magisler. quod faciemus?
13. At ille dixit ad eos : Nihil am-
plius, quam quod constitutum est
vobis, faciatis.
14. Interrocrabant autem eum et
use de formules analogues dan? le Discours
sur la monlagne pour inculquer le meme
commandement. Ainsi du resle avaient fait
les propheles. « Fraiige esiirienli panem
luum,... quum videris niiduin operi eum »,
Is. LViii, 7. « Peccala lua eleemosyrns re-
dime, et iniquitates luas misericordiis paupe-
rum », Dan. iv, 24. Ce dernier lexle nous
montre h quel point I'avis de jean-Baplisle
elait judicieux, el comment, sans sortir des
idet'S de I'ancienne Alliance, le Precurseur
pouvait conseiller la misericorde, la cliariie
traternoUe, corame osuvre de penitence et
comme moyon de conversion. — Duas tuni-
cas, Suoxi'wva;. II s'agit de la tunique inte-
rieure (sorte de chemise), portee « super
nudo B, le plus souvent munie de manches,
el descendant parfois jusqu'aux chevillcs. —
Det, scil. a unam. » Dans le grec, \l£-col^6tu),
« communicet. » — Escas, ppwaaTa : expres-
sion generale qui represenle toute sorle de
mets. — Yoila done la charite decrile d'une
iagon populaire par deux de ses CEuvres prin-
cipales. Le velement et la nourriture, lels
sont bien les deux besoins les plus pressants
des pauvres.
12. — Venerwit autem et publicani. Sur
cette classe alors si decriee, voyez I'Evangile
selon S. Mallh., p. '124. Apres I'allocution
pratique adressee a toute la foule. tt- 40
etll,nousen trouvonsdeux autresayant pour
objectifs des categories speciales, les publi-
cains et les soldats. — Magister. lis disaient
en hebreu : m, rabbi. Voyez Matth. xxiii, 7,
et le commentaire. Les publicains donnent
seuls a S. Jean ce titre honorable. GIr. les
tt. 10 el U.
13. — At ille dixit. A ce qu'on appelait par
euphemisme I'c immodeslia publicanorum »,
quelle digue opposera I'austere Precurseur!
Uniquemcnt, et nous en sommes presque
surpris, celle de la justice el du devoir. Au
lieu des vifs reproches que nous attendions,
/iQus trouvons simplement ces mots, qu'on
'raiterait p( ut-elre de telaches s"ils tombaient
■*'une autre bouche : Nihil amplius... N'exigez
•fien de plus que la taxe legitime! C'est qu'il
jxiste certaines carrieres, cerlaines fonctions,
dans lesquelles la justice et la verite se
touchent en quelque sorte. carrieres et font-
lions ou il faul une vertu energique pour se
tenir dans les limites du « quod justum ».
Tel etait I'ofQce des publicains d'apres le
syterae de perception alors en usage. 11 facili-
tail en effet les exactions les plus odieuses, et
les colleclPUi> d'impots profitaient largement
de ieur situation pour s'enrichir aux depens
du public. Cfr. xix, 8 ; Tac. Annal. xiii, 50;
Winer. Bibl. Reallexic. t. II, p. 835. — Fa-
ciatis, i;pa<jffE-e. Les classiques donnent quel-
quefois aussi au verbe Tipicraw celle signifi-
cation speciale (« exigere >■>). Comp. Wahl,
Giavis N. T. philologica, s. v. et Luc. xix, 23.
Du reste, a Athenes. le receveur des finances
etail nomme irpaxTtop.
14. — Interrogahant... et milites.(f Ostendit
(Lucas) quanta vis fuerit orationis Joannis,
quaeetiam militesplerumqueferocesemollit »,
Maldonat. Le grec n'emploie pas I'expression
ordmaire, oxpaTiMTat, mais le parlicipe (rrpa-
Teu6(X£voi, qui designe des hommes actuelle-
ment sous les armes et en service actif. Ces
soldats faisaienl-ils parlie de I'armee d'He-
rode Antipas? ni bien etaienl-ce des legion-
naires remains? II serait assez difiicile de le
dire. II parail certain du moins qu'ils elaient
Juifs d'origine, car on trouvait des merce-
naires Israelites dans tou tes les armees d'alors.
Voyez Grolius, in h. 1. La reputation des
soldais de cette epoque agitee etait, s'il est
po-sible, pire encore que celle des publicains.
Ce que nous avons vu durani les guerrea
conlemporaines ne saurait sufiire pour nous
donner une idee de leurs depredations, de
leur ferocite. La maniere dont les armees
etaienl formees entrait deja pour beaucoup
dans la barbarie des moeurs miliiaires. Elles
se composaient en grande partie d'aventu-
riers venus de lous les coins du globe et
surtout des contrees reputees les plus rudes
(la Thrace, le Dalmalie, la Germanie), de d^-
biteurs insolvables, d'enfants prodigues qui,
apres avoir mange !eur fonds avec leur re-
venu. avaient cherche un asile dans la milice,
de bandits, de paresseux, etc. Les nom-
breuses guerres qui avaient eu lieu recemroenli
CHAPITRE III
97
milites, dicenlei: Qaid faciemus et
uos ? Et ait illis . Neminem concu-
liatis, neque calumniam faciatis :
et content! estote slipendiis vestris.
15. Existimante autem populo, et
cogitantibus omnibus in cordibus
suis de Joanne, ne forte ipse esset
Gbristus :
16. Respondit Joannes, dicens
omnibus : Ego quidem aqua baptize
geaient, disant : Et nous, que ferons-
nous? Et il leur dit : N^isez de vio-
lence envers personne et ne faites
point de calomnie et contentez-vous
de votre paie.
15. Or, comme le peuple croyait
et que tons pensaient dans leurs
coeurs an sujet de Jean qu'il etait
peut-etre le Christ,
16. Jean repoudit, disant a tons :
Pour moi je vous baptise dans I'eau;
el la liberie que Rome donnait a .<(>> le^'ions
dans les pays envahis ou cotiquis avaienl d^-
veloppe auti d^gre formidable ces mauvaises
disposilion-; : aiissi, les troupes repulees les
meilleures et les plus exemplaires elaienl-elles
fori a redouler elles-meuies. Toulc I'liisloire
ancienne, comme celle du irjoyen-age, est
remplie de gemissemenls a ce sujeU El
pourtant, voila que la predication de Jean-
Baptiste a touche quelquis-uns de ces riides
coeurs! Et noSj demandeni-ils avee emphase a
la suite des publicains (ces mols sont mis en
avanl de la proposition dans le lexte grec),
quid faciemus? — A eux aussi le Precurseur
se borne a tracer des regies de perfection qui
ne depassent point les limiles du strict devoir.
1o Neminem concutiatis; en grec lAYiSevaSia-
ffe(oTiTe. Le verbe Siaaeio) signifie vexer, lour-
menler, el specialement « vi et terrore ab
aliqao exprimere ». Par cetle premiere re-
commandaiion, S. Jean interdisait done aux
soldats qui le consullaienl la rapine, le ma-
raudage, les requisitions violentes el injusles.
2o Neque calumniam faciatis est aussi une
bonne traduction de [iriSe (Tuxo9avT^aY)Te. L'o-
rigine de ce mot est connue (voyez les dic-
tionnaires). Apj'6s avoir lout d'abord designe
une esp6ce particuliere de delaieurs (ceux qui
denoiiQaient les marchands coupables d'avoir
exporle les figues de I'Altique, ouxov, et (paivw),
il servil a representer les delateurs en gene-
ral. Ici il a le sens d'accuser a faux. Pour
obtenir plus facilement le pillage d'une
maison, d'un village, les soldats invenlaienl
des denoncialions mensongeros centre les
habitants. C'esl ce mode d'exlorsion que
S. Jean leur inlerdil. 3o Contenti estote
(apxeT<76e) stipendiis vestris (tol; b^iavioiz, di-
rectemcnl • la ration, plus lard : la solde). Ce
Iroi^ieme avis ^lait pratique alors, car h
chaque instant les troupes se mulinaient a
propos de solde et de nourriture. Plusieurs
fois les empereurs romains furent obliges
d'augmenter considdrablemeni la paie et les
vivres des legionnaires. Le « stipendium »
quoiidien, apres avoir ete de dix as (le -1/3
S. Bible. S.
d'un denier) sous Jules Cesar, fut porte par
Auguste a deux deniers par jour (environ
1 fr. 70;. Cfr. Tacit. Ann. v, 17.
Le Precurseur et le Messie. in, 15-18. Parall.
Malth. Ill, 11 et 12; Mare, i, 7-8.
15. — Comme les deux premiers synopti-
ques, S. Lucassocie a lapredicalion de Jean-
Bapliste le temoignage que le lieraut rendit
a son Maitre en face de tout le peuple ; mais
il en a seul note I'occasion, qui u'est pas
sang importance. — Existimante populo. Le
grec TtpoffooxwvToi; indique plutol une attenle
anxieuse, une vive tension des e^pnts, Celle
attenle, celle tension, sont expnmo(>s plug
forlement encore [)ar les mots cogitantibus
( 8iaXoYt?o[jieva)v , litter. « perpendenlibiis »,
pesant le pour et le centre) omnibus in cordi-
bus suis. lis ne durent pas larder a se cem-
muniquer mutuellement leurs penseos, qui
avaienl S. Jean et sa mission pour objel : ne
forte (pourw utrum forte n)ipse esset Christus.
Cetle reflexion de I'evangelisle nous permei
d'entrevoir I'influence enorme que le Baplisle
avail cenquise, I'elonnanle impression qu'il
avail produile. « Emerveille de tout ce qu'il
veil et de lout ce qu'il entend, frappe de la
saintele manifeste du nouveau prophele, emu
ae sa brulante eloquence, voila done le peuple
qui se demande s'il ne se trouverail point en
face du Messie attendu. Un peu de science
ou de reflexion le detournerait de cetle con-
jecture, puisque le Messie doit nailre de la
race de David el que Jean-Baptiste n'en
descend pas. L'imagination et la spontaneite
popuiaires ne s'arrelent point a ce genre
d'obstacle ». M. I'abbe Planus, S. J(>an-
Baptiste, Etude sur le Precurseur, Paris 1879,
p. 180. Quelle ardente surexcitation des
esprits apjtarait dans la simple reflexion de
S. Luc! Mais on y voit en im^me temps com-
bien S. Jean avail reussi k rendre vivante la
pensee du Messie. Comp. Joan, i, 19-28.
16 et 17. — Respondit Joannes... omjiibus.
Get &iiaffi est plein d'emphase : il montre que
Jean rendit sa protestation aussi publique que
Luc — 7
EVANGILE SELON S. LUG
mais il en viendra un plus puissant
■que moi, des souliers de qui je ne
suis pas digne de delier la courroie ;
lui vous baptisera dans TEsprit-
•Saint et le feu.
17. Son van est en sa main et il
purifiera son aire, et il rassemblera
le froment dans son grenier, et il
Lrulera la paille dans le feu inex-
tinsfuible.
vos : veniet autem fortior me, cujus
non sum dignus solvere corrigiam
calceamentorum ejus : ipse vos
baptizabit inSpiritu sancto, et igni;
Mauh. 3, 11; Marc. {, 8; Joan. 1, 26; Maiih. 3, H;
Act. 1, 5 et 11 16 et 19. 4.
17. Cujus ventilabrum in manu
ejus, et purgabit aream suam, et
congregalDit trilicum in horreum
suum, paleas aulem comburet igni
inextinguibili.
Mauh. 3. 12.
possible. II correspond d'ailleurs an uavxtovdu
* . 45. « Au premier indice des senliinenls qui
sedessinent. Jean-Baplisle prend l'oirensi\e. II
va au-dovanl de i'estime exageree qu'on s'ap-
prele a faire de lui, il se derobe aux accla-
malions qui se preparenl, il s'efface devanl
-Ceiui qu'il est charge d'annoncer au monde :
en quels leriues, avec (juelle energie eL quelle
>oudainele »1 M. Planu>, ibid. p. '181. « Nee
sibi sed sponso zelat, ecril. S. Auguslin; odit
araari pro illo ». 'ATtexpivaxo, il repondil a
la demande tacite de tous les ccEurs. Voir,
sur I'emploi de ce verbe dans I'Ancien et le
Nouveau Testament, Gesenius, Thesaurus
Img. hebr., au mot nr^? ; Bretschneider,
Lex. man. N. T., s. v. aTroxpivw. — Dans
les circonstances solennelles, les Orientaux
-donnent volonliers a leurs paroles une forme
poetique, non-sculement par le choix d'ex-
pressions plus relevees, plus imagees, mais
aussi par la coupe ei la struclure des phra-
ses. Le present lemoignagne du Precur-
seur en est un frappanl cxc'm[)le. Nous y de-
couvrons sans peine un veritable rhytnme,
qui s'esl conserve meme dans le lexte grec,
et qui consiste en Irois periodes ou strophes
bien marquees, les deux premieres a Irois
membres et correlatives, la troisieme k deux
membres seulement, corame il suit :
Ego quidem aqua baplizo tos.
Venii't autem forUor rae,
cujus non sum iligims solvere corrigiam calceamentc
Ipse vo> b^iptizaljil in Spiritu sancto et igni. [ramejuE
Cujus ventiUibruiu in manu ejus,
et purgabit aream suara.
Et congiegabit ti'iticum in horreum suum,
paleas autem co)iiburot igoi iaextinguibili.
Ceite division rend beaucoup plus palpable
le rapprochement que Jean-Baptisle etablit
entre sa propre personne et celle du Messie.
Voyez Schegg, Evang. nach Lukas, h. 1. —
■lo Le bapteme de S. Jean et celui du Christ
sent compares I'un k i'autre au moyen d'une
forte antithese.
Auxoc 0[i.a; PaTtxicjet IIvejuaTt &Y^w xal iropt.
Ge sont les premiers vers des deux strophes a
trois membres. Ego quidem est oppose a ipse,
aqua baplizo a baptizabil in (cette preposition
n'existe pas dans le grec) Spirtlu sancto et
igni. Ce que le feu est a I'eau, le bapleme
du Christ le sera done a I'egard du baplSme
de S. Jean. L'eau ne lave qu'au dehors, le
feu purifie au dedans, lavant pour ainsi dire
jusqu'a la moelle, et eela est vrai surtout au
moral, a propos du leu de TE-prit-Saint dont
il est ici question. Voir, pour I'explication dd-
taillee, I'Evang. selon S. Malth., p. 79 et s.,
et Palrizi, de Evangel, lib. IH, dissert, xliu,
§52. — Les mots « in poenitentiam », ajoutes
par les manuscrits G, D, apres« baplizo », sont
un empiunt fait a S. Mallhieu. — 2o La di-
gnile de S. Jean et celle du Christ. Autre an-
tithese, qui comprend le second et le troi-
sieme vers des deux premieres strophes.
'Epytxai 81 6 loxupoxepo? [iow,
o5 oux ei(J.t ixavos XOffai tov Ijiavra twv wiro5Ti(i4-
Tcov auToO.
Ou TO itxOov iv T'Q x^'P' aOxoy,
y.a.1 otaxaSapiet xrjv aXtova aOxoO.
Au lieu du fulur veniet il faudrait le present
« venit », qui iudique une apparition immi-
nenle. « Ut Christum intelligas jam fuisse in
via. » — Notez aussi I'arlicle emphatique
place devant laxvpo-zzpoz, la frequente repe-
tion du pronom auxoO, et le double hebralsme
cujus... ejus. — 'Ixavo; pent designer uiie
capacite soit physique, soil inlellectuelle, soit
morale : il a ici ce dernier sens. La Vulgate
I'a done Ires bien traduit par dignus. — La
figure si pittoresque et si modesle par la-
quelle Jean-Baptiste exprime son inferiorile
personnelle relalivement au Messie est vrai-
ment admirable. Le Precurseur ne se croil
pas meme digne de rendre au Christ le plus
humble service! Au contraire, continue-t il
en employant une autre image loute majes-
tueuse (Cfr. xxii, 11 et Jer. xv, 7), le Messie
S'3 manifestera comme un juge souverain,
auquel personne ne pourra resister. Pour les
details nous renvoyons encore ie lecteur k
CHaPITRE III
99
18. Multa quidem et alia exhor-
tans evangelizabat populo.
19. Herodes autera tetrarcha,
cum corriperetur ab illo de Hero-
diade uxore fratris sui. et de omni-
bus malis, quae fecit Herodes,
Maith. 14, 4; Marc. 6, 17.
20. Adjecit et hoc super omnia,
et inclusit Joannem in carcere.
21. Factum est autem cum bapti-
18. II evangelisait ainsi le peu-
ple, lui donnant beaucoup d'autres
exhortations.
19. Mais Herode le tetrarque
ay ant ete repris par lui an sujet
d'Herodiade, temme deson frere, et
de tous les maux qu'il avait fait,
20. II ajouta encore celui-ci a tous
les autres et fit mettre Jean en
prison.
21 . Or lorsque tout le peuple rece-
I'Evang. selon S. Mallh., pp. 74 el 75. —
Ventilabrum designe ici la pelle donl les
Orientaux se servent, pour vanner le ble. —
« Peimundabil » (Cfr. Malth. iv, 12) corres-
pondrail mieux que purgabit an verbe com-
pose SiaxaGapiei. — La iroisienie slrophe est
simpleinenl une amplification dii verbe « pur-
gabit » employe dans la secondi? : elle decril
le sort oppose qui attend dans I'aulre vie les
jusies (triticum in horreum) et les pecheurs
{paleas... igui inexlinguibili) . — C'est en ces
termes que S. Jean, au faile de sa popula-
rite, rejeta energiquement I'lionneur indu
qu'on voulait lui altribuer. Rien ne put le
faire sorlirde son lole de Precurseur.
48. — Midla quidem el (dans !e grec :
« multa (jiiidem igilur et ») alia. L'evange-
liste lei mine par eel abrege sommaire, qui
lui apparlienl en propre, son expose de la
predication de Jean-Baplisle. — Exhortans
evangelizabat (nouvel imparfait). Sur les
levres du Precurseur, I'annonce de la bonne
nouvelle, c'est-a-dire de Tavenemenl pro-
chain du Messie, s'a^S()ciait a de prcssanles
exhortations, qui avaient pour but de prepa-
rer les ccBurs a cet avenemenl. S. Jean etait
done tout ensemble un predicaleur de I'An-
cien Testament et un evangelisle du Nou-
veau.
S'L'emprisonuement deS. Jean-Bapiiste. iii, 19 et20.
Parall. Matth. xiv, 3 et 4; Marc, vi, 17 et 18.
Tandis que les deux premiers synoptiques
ne racontent rincarceration du Precurseur
que d'une maniere tardive, k roccasion de
son martyre, S. Luc la place par anticipation
a la suite du minislere de Jean-Baplisle,
comme s'il vonlail degager les voies avant
de passer a la Vie pubiique de Jesus.
49. — Herodes autem tetrarcha. La parti-
cule II sert de transition enlre la predica-
tion du Precurseur et son emprisonnement.
Sur le tetrarque Herode, voyez la note du
'i. \. — Les mots quum corriperetur ao illo
de Herodiade... indiquent la raison pour ia-
quelle Antipas avait ose faire arreter S. Jean.
Celui-ci, avec son noble courage, avait repris
le telrarque au sujet de I'union criminelli;
qu'il avail conlraclee avec Herodiade, la
femme de son frere. (Apres fratris sui, la
Recepla, la pluparl des manuscrils grecs et
des versions anciennes ajoutent « Phiiippi »).
Voyez les details dans I'Evang. selon S. Matth.
1. c. S Jean avait egalemenl reproche a He-
rode lous ses autres scandales, et de omnibus
malis...
20. — Adjecit et hoc super omnia (scil.
mala) : il mil le comble a toules ses iniquites
anterieures par un nouveau forfail, qui joi-
gnait la malice du sacrilege k celle d'une
arrestation injuste. Celle lournure energique
est speciale a S. Luc. C'est du resle notre
evangelisle qui accuse le plus formellement
Herode dans celle circonsiance. S. Marc,
VI, 20, a quelques traits a la decharge du te-
trarque. — Inclusit Joannem in carcere : pro-
bablement dans la forleresse de Macheronle
ou Macliaerus, au Nord de la mer Morle.
Voyez R. Riess, Atlas de la Bible, pi. IV;
V. Ancessi, Atlas geogr. de la Bible, pi. XVI.
2. Les prelimlnaires du minist^re de Notre-
Seigneur Jesus-Christ iii, 21 -iv, 13.
1<> Le bapt&me de J^sus. in, 21-22. Parall.
Matlh. m, 13-17; Marc, i, 8-11.
Nous n avons qu ■ pen de chose a ajouter
aux details ecrils, a propos de ce fait impor-
tant, dans nos commentaires sur les deux
premiers Evangiles.Le recit deS. Luc est en
effet le plus court et le moins complet des
Irois. On dirait que le narrateur a moins
voulu relater le bapl^me de Jesus que les
manifestations divines auxquelles celle cere-
monie donna lieu. Neanmoins il nous a con-
serve plusieurs trails nouveaux et caracteris-
tiques ; aussi S. Ambroise lui adresse-t-il
cet eloge bien merile : « Pulchre in his qu8B
a ceteris dicta sunt Lucas compendium
sumpsil » (Enarraiiones, h. 1.).
24. — La locution factum est autem rat-
400
EVANGILE SELON S. LUC
vait le bapleme et que Jesus, apres
avoir ete baptise, priait, il advint
que le ciel s'ouvrit,
22. Et I'Esprit- Saint descendit
sur lui sous uue forme corporelle,
comme une colombe, et une voix
vint du ciel : Tu es men Fils bien-
aime, en toi je me suis complu.
zareturomnis populus, et Jesu bap-
tizato, et orante, apertum est coe-
lum :
Matlh. 3, 16; Marc I, 10; Joan. i. 32.
22. Et descendit Spiritus sanctus
corporali specie sicut columba in
ipsum : et vox de coelo facta est : Tu
es filius mens dilectus, in te com-
placui mihi.
Mauh. 3, 17 et 17, 5; Intr. 9, 35; // Petr. 1, i7.
lache ce versel au 18e. — Quumbaptizaretur
omnis populus est un premier irait propre k
S. Luc. Mai~, le lexle grec employant I'infin.
aorisle, ev -rtj) PaTtTi(78?,vai, « quum baplizaliis
essel )>, il n'est pas necessaire d'admetlre
que le bapteme de Nolre-Seigneur eut lieu
en nieine lemps que celiii de la foule, par
consequent en presence de nombieux le-
moins. Cette locution paraitiail plulot sup-
poser que Jesus se trouvait Si-ul aiors avec le
Baptiste, Comp. Malth. in, IS-lo. Au leste,
telle qu'elle a ete Iraduile par^ la Vulgate,
elle peut simplemenl signifier : a I'epoque ou
le peuple se faisait baptiser. « Omnis po-
f)ulu5 » est une hyperbole destinee a monirer
e grand concours qui avail lieu aupres de
S. Jean. — Jesu baplizalo et oranle. Second
trait special : a peine baptise, Jesus se met
en priere ^ur la rive du Jourdain.Nous avons
deja fait observer dans la Preface, § V, 2,
que S. Luc note avec un interet parliculier
qiielques-unes des oraisons de rHomme-
Dieu, par exemple celles qui precedeient le
bapleme, le choix des Apolres, la Transfi-
guration, etc. Comp. v, 16; VI, 12; ix,i8,29;
X. 21 ;xi,1 ;xxi. 37;xxii, 31,32;xxni, 34;
XXIV, 33. — Apertum e^t caelum. C'est la
premiere des manifestations divines, qui
conliennenl en quelque sorle la reponse de
Dieu a la priere de Jesus. Elle rappelle, par
sa nature, le mot du poete :
Video medium discedere ccBlnm.
(Vij^.l
21. — Seconde raanifesialion : Descendit
Spiritus sanctus... S. Luc mentionne a cette
occasion un troisieme trait special, corporali
specie (awjAaTf/tw e'lSsi) ; I'apparition de I'Es-
prit Saint sous ia forme d'une colombe ful
done un phenomene exlerieur et reel. — La
troisieme manifeslalion consiste dans la voix
celeste qui. adressant a Jesus iTu es; de
meme S. Maic; » hie est » d'apres S. Mat-
thieu) des paroles lout a fait expressives
(6 Mioc, (jLou 6 dya-r^Toi;, avec deux articles), le
reconnut pour le Fils bien-aime du Pere eler-
nel. C'est la premiere des voix mysierieuses
qui retenlirent duranl la Vie publique de
Jesus pour lui rendre temoignage. Conrip».
Matth. XVII, 5 ; Joan, xil 28. Le manuscnt I>,
S.Justin, quelques Codd. de I'llalael I'Evan-
gile selon les Hebreux (cite par S. Epiph.
Haer. XXX, 13) ajouUnl a la fin du versel :
« Ego hodie genui te »; interpolation mani-
feste. L'emplacement tiaditiannel du bepteme
de Jesus est a peu de distance dis lumes
d'un monaslere ball en I'honneur de S. Jcan-
Bapiisle par sainte Ileieno et nomine aujour-
d'hui par les Aiabes Kasr-el-Yelioud (ohatcau
des Juifs]. Voyez Gralz. Theatre des evene-
menls racontes dans les divines Ecritmes,.
t. L pp. 307 et s. de la liaiiucl. IVangaise;
Scheirj:, Gedeiikbuch einer Piigerreise, l. I,
pp. 460 et ss. ; R. Riess, Atlas de la Bible,
pi. VIL — « Tanquam homo in flumen ve-
nisti, Chrisle rex, servile baptisma accipere.
Feslinas, o bone, sub Praecursoris manu,
propter peccata nostra, o pliilanthrope... iMira
res eratvidere coBli terraeque Dominumfluvio
denudalum baplismum a servo pro nostra
salute suscipientem quasi servum, el stupe-
bant Angelorum chori in tlmore et gauciio^
Cum illis te aJoramus. Salva nosl » Extrail
des Menees de I'Eglise grecque (ap. D. Gue-
ranger, Annee liturgiq. t. II, pp. 294 et s.
2» La gdn^alogie de J^sus. ni, 24-28. Parall.
Malih. I, t-16.
Dans le troisieme Evangile comme dans le
premier nous trouvons une genealogie dii
Sauveur; inais, tandis que cetie piece sert
d'lnlroduction au recit de S. Mallhieu, elle
n'a ete placee par S. Luc qu'au debut de ia
Vie publique de Nolre-Seii^neur. Chacun des
deux evangelistes s'est laisse diriger en cela
par son plan general. Aux Juifs pour lesquels-
ecrivait S. Mallhieu il convenail de fournir
immediatemenl une demonstration ofiBcielle,
irrecusable, du caractere messianique de Je-
sus : S. Luc pouvait atlendre, et il semble
s'etre complu a rapprocher de la voix celeste
qui venait de proclamer Jesus fils de Dieu,
t. 22, un document par lequel la filialioa
humaine du Christ eiail prouvee de la fa^ott
la plus aulhentique. Dans I'Exode (vi, 14) oq
n'elablit de meme la genealogie de Mol3&
CHAPITRE III
404
23. Et ipse Jesus erat incipiens
quasi annorum triginta, ut puta-
batur, filius Joseph, qui fuit Heli,
qui fuit Mathat,
24. Qui fuit Levi, qui fuit Melchi,
qui fuit Janne, qui fuit Joseph,
2o. Qui fuit Mathathiae, qui fuit
Amos, qui fuit Nahum, qui fuit
Hesii, qui fuit Nagge,
26. Qui fuit Mahath, qui fuit
Mathathiae, qui fuit Semei, qui fuit
Joseph, qui fuit Juda,
27. Qui fuit Joanna, qui fuit
23. Et Jesus etait, en ce commen-
cement, dge d'environ trente ans,
et comme on le croyait, fils de Jo-
seph, qui le fut d'Heli, qui le fut de
Mathat,
24. Qui le fut de Levi, qui le fut
de Melchi, qui le fut de Janne, qui
le fut de Joseph,
2o. Qui le fut de Mathathias, qui
le fut d'Amos. qui le fut de Nahum,
qui le fut d'HesU, qui le fut de
Nacjge,
26. Qui le fut de Mahath, qui le
fut de Mathathias, qui le fut de
Semei, qui le fut de Joseph, qui le
fut de Juda.
27. Qui le fut de Joanna, qui le
•qu'au moment oil il se prdsenle muni de pleins
pouvoirs devanl le Pharaon.
Nous allons d'abord parcourir rapidemenl
la lisle genealogique de Jesus d'apres S. Luc :
nous la comparerons ensuile k celle de
S. Malthieu et nous essaierons de resoudre
Jes diflQcult^s que soulevera celte compa-
raison.
23-27.— Et ipse Jesus. Le pronom est em-
phalique. Le m6me Jesus qui avail eie na-
guere I'objel des manifestation-; divines; ou
encore : Jesus par opposilion au Precurseur,
Jesus qui sera desormais I'objel unique de
la narration de S. Luc. — Erat incipiens...
Ces mots ne signifienl pas, comme le pen-
sait Erasme, que Notre-Seigneur Jesus-Christ
« commengait a avoir trente ans, » c'esl-a-
dire qu'il enlrait dans sa trentieme annee,
quand il ful baplise par S. Jean. Le parti-
cipe ipx'^t^evo; doit se prendre d'une maniere
absolue (comp. Acl. i, 21 et 22) : Jesus avail,
quand il commenQa (son minislere), environ
trente ans. Ainsi iraduisaient ddja Origene
€t Eus^be. « Jesus, ecrivait ce dernier... Iri-
cpsimum agpns aetatis corporeae annum, adesi
ad baptisma Joannis, el inde incipit doclri-
nam el opera miranda. » Ad Sleplian. qu. 4,
ap. Mai, Script, vet. nova collect., t. I, p. i.
— Quasi annorum triginta. II est bien con-
forme aux habitudes de precision- chronolo-
gique du troisieme evangeliste de fixer une
dale; or, une indication do ce genre ne pou-
vait dire raieux placee qu'au moment ou
Jdsus recevait I'mauguration messianique
dans le raystere de son bapi^me. « Quasi »
(&«() monlre loutefois que S. Luc n'a point
voulu parler avec une exactitude rigoureuse.
Le Sauveur avait done aiors « environ »
trente ans, c'est-a-dire qu'il n'etail ni beau-
coup au-dela ni beaucoup au-de>sous de cet
cige. Nolons que c'est I'age repute parfait.
S. Jean-Baptisie avail pareillement trente ans
lorsqu'il quitta son desert pour precher.
Joseph, ce gracieux type du Messie, avait
aussi trente ans quand il fut cree vice-roi
d'Egypte, Gpn.XLi,46.— Ut pulabatur, filius
Joseph. Uy a dans cetle locution une allusion
manifeste a la conception miracuieuse de
Jesus. La foule, non initiee au mystere ra-
conte par S. Luc des sa premiere page,
I, 26-38, supposail quo Notre-Seigneur etait
le fils de Josoph el do Marie (comp. iv, 22);
mais c'etait la une grossiere erreur, que la
Providence ne devait pas larder a detruire.
Voyez des indications semblables dans
S. Malthieu, i. 16. 18, 23. L'E-^pnt Saint
sauvegarde delicatement, toutes les fois que
I'occasion s'en pre-^ente, I'honneur' virginal
de Jesus et de Marie. — Qui fuit Heli.
A parlird'ici ju>qu'au t. 27 inclu<ivement,
nous iisons les noms des ancetres du Sauveur
qui vecurent apres la captivite de Babylone.
lis sent generalemenl ecrits avec de gi'andes
variantes dans les manuscrits et voV^inns :
ce sont en efifot des mots hebreux, diflieiles k
transcrire, que les copistes ne pouvaient
manquer de defigurer. Tous les personnages
qu'iU repr^sentent sonl inconnus, a part
Salathiel et Zorobabel (t. 27), que nous avons
trouves dans la lisle de S. Malthieu. Quelques
exegeles, il est vrai (Paulu>, Wie-eler, etc.),
ont pretendu qu'il y a ici une simple ressoi.i-
blance de noms ; mais leur opinion est ires
communement r('jelee,oi a bon droit, puisque
ces noms se rencontrent dans les deux nomen-
clatures vers la meme epoque et quMs expri-
menl les memes relations de pere k fi!s.— La
construction du texle grec differe un peu en
102
EVANGILE SELON S. LUC
fut de Resa, qui le fut de Zorobabel,
• jui le fut de Salalhiel, qui le fut de
Neri,
28. Qui le fut de Melchi, qui le
fut d'AdHi, qui le fut de Gosan, qui
ie fut d'Elmadan, qui le fut de Her,
29. Qui le fat de Jesus, qui le fut
d'Eliezer, qui le fut de Jorim, qui
le fut de Malhat, qui le fut de Levi,
30. Qui le fut de Simeon, qui le
fut de Juda, qui le fut de Joseph,
qui le fut de Jon a, qui le fut
d'Eliakim,
31 . Qui le fut de Meiea, qui le fut
de Menna, qui le fut de Nathan, qui
le fut de David,
32. Qui le fut de Jesse, qui le
fut d'Obed, qui le fut de Booz, qui
le fut de Salmon, qui le fut de
Naasson,
33. Qui le fut d'Aminadab, qui le
fut d'Aram, qui le fut d'Esrom, qui
le fut de Phares, qui le fut de Juda,
34. Qui le fut de Jacob, qui le fut
d'Isaac, qui le fut d' Abraham, qui
le fut de Thare, qui le fut de
Naclior,
Resa, qui fuit Zorobabel, qui fuit
Salathiel, qui fuit Neri,
28. Qui fuit Melchi, qui fuit Addi,
qui fuit Gosan, qui fuit Elmadam,
qui fuit Her,
29. Qui fuit Jesu, qui fuilEliezer,
qui fuit Jorim, qui fuit Mathat, qui
fuit Levi,
30. Qui fuit Simeon, qui fuit
Juda. qui fuit Joseph, qui fuit Jona,.
qui fuit Eliakim,
31. Qui fuit Melea, qui fuit
Menna, qui fuit Mathatha, qui fuit
Nathan, qui fuit David,
32. Qui fuit Jesse, qui fuit Obed,
qui fuit Booz, qui fuit Salmon, qui
fuit Naasson,
33. Qui fuit Aminadab, qui fuit
Aram, qui fuit Esron, qui fuit Pha-
res, qui fuit Judae,
34. Qui fuit Jacob, qui fuit Isaac,
qui fuit Abrahse, qui fuit Thare, qui
fuit Nachor,
eel endroit de celle de notre traduction la-
tine : ii est important d'exciter Tattention
du lecteur ?ur ce point, a cause des conse-
quences qu'ii en vcrra tirer plus bas a un
grand nombre d'exegetes. On lit dans la Re-
cepta el dans la pluparl des manuscnt- : wv
vlbi, iiyt; evoiit^STO, toO Iuot^?, toO 'H/£t, too
MaeOctT..., a elantfils, comme on le croyait,
de Joseph, d'Eli. de Malhat, » et ainsi de
suite jusqu'a la fin de la lisle.
28-34. — Qui fuit Melchi... Ces quatre
versets correspondent au temp-: qui s'ecoula
entre la captivile de Babylone et le regno de
David. Meme observation que precedemment
a propos de I'orthographe d' presque tous ces
noms propres. — Avec Nathan, la liste ge-
nealogique de S. Luc entre en contact avec
celles que nous irouvons dans I'Ancien Tes-
tament; olle suivra desormais pas a pas This-
loire juive. Nathan elait, comme Salomon,
fils de David par Bethsabe. Cfr. II Reg. v, 14.
32-34a. — C'est la troisieme phase de la
gdnealogie : elle nous conduit di^ David h.
Abraham. — Au verset 33, quelques manus-
crits remplacent Aram par « Arni » ou
a Admei » : ce sont des fautes de transcription.
34b-38. — Quatrieme phase : d'Abraham
a Adam. — Le premier Cainan [t. 36) occa-
sionni^ une assez grosse diEBculle. car aucun
palriarclie de ce nom n'est mentionne dans
le texte hebn-u enlre Arphaxad el Sale (comp.
Gen. XI, -12-15), non plus que dans le Pen-
taieuque samaritain, le Targum chaldeen ,
la version syriaque el la Vulgale. D'un autre
cote, il doit avoir fait partie tres-ancienne-
mont de la nomenclature de S. Luc, car on
le irouvedans tous lesmanuscrits du Nouveau
Tesiament'a partun seul, leCod. D), dan-les
meilleures versions (V'.lg., Ital.. syr.. elliiop.)
et dans les Peres. Trul s'explique si Ton con-
suite le texte des Septante au passage de la
Genese cite plus haul; on y lit en i fFel en
termes expres le nom de Cainan : f . 12.
Kal l!(iriff£v 'Ap^a^aS Ixaxov TpiaxovxaTrevTe Inr),
xai syswrjae Tov Kaivav. t. 13. Kai £^r|i7£v 'Ap-
9a?a3 |j.£Ta to yewrjoai auTov tov Kaivav exTj te—
Tpa-/.6(7ta.. . Kat llTtOZ Kaivav ly.atov -/at Tpia-
•/ov-a ETr), y.oH eyivvTiffE tov 2a),d. Kai E^rjiE Kai-
vav [jLETa 16 yevvrjCai auTOv tov 2a>.a etti Tptaxoffia
Tpidy.ovTtt, xai £Y£vvr|ff£v uiou; xai 6uYaT£pa;, xa^
iuEOave. II est done vraisemblable que, de la
version d'Alexandrie, ce nom aura passe de
CHAPITRE III
103
35. Qui fuit Sarug, qui fuit Ra-
gau, qui fuit Phaleg, qui fuit Heber,
qui fuit Sale,
36. Qui fuit Cainan, qui fuit Ar-
phaxad^ qui fuit Sem, qui fuit Noe,
qui fuit Lamech,
37. Qui fuit Mathusale, qui fuit
Henoch, qui fuit Jared, qui fuit
Malaleel, qui fuit Gainan,
38. Qui fuit Henos, qui fuit Seth,
qui fuit Adam, qui fuit Dei.
35. Qui le fut de Sarug, qui le fut
de Ragaii, qui le fut de Phaleg, qui
le fut d'Heber, qui le fut de Sale,
36. Qui le fut de Gainan, qui le fut
d'Arphaxad, qui le fut de Sem, qui
le fut de Noe, qui le fut de Lamech,,
37. Qui le fut de Mathusale, qui
le fut d'Enoch, qui le fut de Jared,
qui le fut de Malaleel, qui le fut de
Cainan,
38. Qui le fut d'Henos, qui le fut
de Seth. qui le fut d'Adam, qui le
fut de Dieu.
bonne hmire, par le faild'un copiste, dans la
lisle de S. Luc. Voyez dii resle les commen-
laires siir la Genese, i. c. — Mathusale du
t' 37 (en giec, MaOoucraXd) esl la forme he-
braiqiH! du noiii de Malhusalern (nStJina,
Methousrheluch]. — Adam, qui [mt IJei. « At-
que luc deiiuim esL lerminus quo nullus est
ullerior », Bcngel. LesJuil's appliiinaienl vo-
lonliers a Adam le lilre de fils de Dieu, qui
lui convenail si bien, puisqu'il elait sorli di-
reclemcni des mains du Crealeur ('ASdji, ov 6
0e6i; £Sri(AtoupYY)(j£, Philon, de Opif. mundi).
Titre en oulre si glorieux pour toute I'huma-
nile. CtV. AcL. xvii, 28. « Quid pulchrius po-
tuit convenire, s'ecrie S. Ambroise, h. 1.,
quam ut sancla generalio a Dei Filio incipe-
ret el usque ad Dei Fiiium ducereiur? » Voici
done i'hisloire abregee de quaranle siecles.
Nous avons mainlenanl a eludier la lisle
genealogique de S. Luc dans ses rapporls
avec cede de S. Matlliieu. Ge n'est pas un
problems d'une solution facile. II y a long-
temps que les incredules de toule nuance
proBteni de I'obseurile qui I'environne pour
essayer de miner la veracile, rauilienlicite
des SS. Evangiles. Le palen Celse el le mani-
cheen Fauslus (Cfr. Augu-;t. conlr. Faust.
Ill, \) furenl des premiers ^ lancer celle ob-
jeclion aisee. Maisil y a longtemps aussi que
les apoiogistes el les exegeles croyanls s'ef-
forcenl de i'eclaircir. Voyez la lettre de Jules
I'Africain ap. Euseb. Hisl. eccl. i. 7 (Gir. A.
Mai, Script, vet. nov. Gollect. I. I, p. 21 et
8S.); S. Auguslin, de Gonsensu Evangel, ii, 2
et3 (Gfr. Sermo Li ; Quae>t. evang. ii, 5). Les
raeilleurs iravaux des temps modernes ou
contemporains sont ceux de D. Calmel, Dis-
sertation ou I'onessayede concilierS. Matth.
avec S. Luc sur la gen^aiogie de Jesus-Christ ;
de P. Schleypr,Ueb. die von Mailh. und Luk.
mitgelheilhn (jenealog. Jesu Ghrisli (Tubing.
Theolog. Quarlalschnfl, 1836, n. 3, p. 403
et SS., n. 4, pp. 539 el ss.) ; du Docleur Mill,
Vindication of our Lord's Genealogy; deLord
A. G. Hervey, Genealogies of our Lord Jesus-
Chrisl, Lond. 1853; du P. Patrizi, de Evan-
geliis lib. Ill, disserl. ix. Voyez aussi H. Wal-
Ion, De la croyance due a I'Evangile, Paris
183S, pp. 160 el ss. ; Wieseler, Beiua3gezur
ricluig. Wiirdigung der Evaiigelien, p. 133
et ss.; Tariicle Genealogy of Jesus-Christ
dans KiUo, Cyclo[)sedia of tiie Bible, et dans
Smitli, Diclioiiary of Ihe Bible ; Glaire, Les-
Livres saints venges , Paris 1845, t. 11,.
pp. 273 el ss.; Dehaul, I'Evangile explique,
defendu, 1. 1, pp. 248 et ss. de la 5e edit.; Le
Camus, Preparation exegelique a la Vie de
Nolre-Seigneur Jesus-Chrisl, Paris 1869,
pp. 318 el ss., elc. Assurement, on ne sau-
rait aSirmer sans exageration que les diffe-
renles solutions donnees an probleme sont de
nature a salisfaire I'espril d'une maniere com-
plete. « Le dernier mot de la difficulte n'a
pas ele dil, et probablemenl ne le sera ja-
mais » (Le Camus, 1. c, p. 342) ; les donnees
nous manquoni pour cela. Aussi bien n'est-il
pas necessaire que nous en arrivions a ce
degrede clarte. « Notre position esl de beau-
coup meilleure que celle de nos adversaires.-
Ils s'efforcent de mellre en reiief les contra-
dictions des deux arbres genealogiques; mais-
lanl qu'ils n'onl pas elabli une impossibilite
ABSOLUE de lesconcilier, ils n'onl rien avance
conlre nous. Une simple hypothese que I'a-
pologiste demonlre possible el acceptable
renverse toutes leurs argumenlalions. lis se
brisenl, comme disait Theodore de B^ze,
conlre une enclume qui a use d'aulres mar-
teaux, » Ibid., p. 333.
Ainsi que nous le faisions observer dans
notre commenlaire sur S. Mallhieu, p. 40,
la genealogie de Nolre-Seigneur d'apres
S. Luc differe et quant a la forme et quand
au fond de celle qu'on lit dans le premier
Evangile. Voici les principales divergences
de forine : 1° S. Mallhieu suit une marche
descendants : il part de la souche et va de
branche en branche jusqu'a Jesus, le dernier
40i
EVANGILE SELON S. LUC
rejelon. S. Luc remonle au contraire le cours
des generations. L'ordre suivi par S. Mal-
thieu est le plus nalurel : c'est celui des re-
gistres publics. L'ordre qu'a suivi S. Luc
semble avoir ele prefere par les Grecs. Du
reste, nul doute que les deux evangelisles
ne se soient conformes aux documenis qu'ils
avaient sous les yeux. %o S. Malihieu a par-
tag^ les ancfilres du Christ en trois groupes
symetriquesqiiicorrespondenta Irois epoques
distincles de I'histoire juive; aussi, pour ob-
tenir cette division reguliere, a-l-il omis
plusisurs noms moins celebres. II enlremfile
en oulre a sa nomenclature des details histo-
riques et chronologiques. S. Luc se conlente,
a la fagon d'un strict rapporteur, de men-
tionner les personnages les uns a la suite des
autres : sa lisle n'a done rien de subjectif,
mais elle tr6s complete. 3° Le premier « liber
generationis » n'elablit la filialion de Nolre-
Seigneur Jesus-Christ qu'a partir d'Abraham,
tandis que le second la poursuit jusqu'a
Adam, jusqu'a Dieu. Cette difference a pour
cause la diversile du but que se proposaient
les deux evangelisles. S. Matlhieu ecrivait
pour des Juifs; or, a des Juifs, il suEBsail de
prouver que Jesus di-scendait de David el d'A-
braham. S. Luc s'adressail a des palens con-
verlis; il lui imporlail done de montrer que
Jesus elait le Redempteur de tous les hom-
mes, et qu'il n'appailenait pas seulement a
une race speciale, mais a la grandb race hu-
maine, issue toule enliere d'Adam.
Les differences maierielles sont autrement
considerables. Le tableau ci-joint permettra
au lecleur de les embrasser d'un seul coup
d'oeil. Les noms des personnages communs
aux deux listes sont imprimes en caracleres
italiques.
S. MATTHIEU.
S. LUC.
Adam.
Seth.
Henos.
Cainan.
Malaleel.
Jared.
Henoch.
MathusaU.
Lamech.
Noe.
Sem.
Arphaxad.
Cainan.
Sale.
Heber.
Phaleg.
Ragau.
Sarug.
Nachor.
Thare.
Abraham.
A braham.
Isaac.
Isaac.
Jacob.
Jacob.
Juda.
Juda.
Pharos.
Pharos.
Esrom.
Esron.
Aram.
Aram.
Aminadab.
Aminadab
S. MATTHIEO.
S. LUC.
Naaason,
ifaasson.
Salmon.
Salmon.
Booz.
Booz,
Obed.
Obed.
Jesse.
Jessi.
David.
David.
Salomon.
Nathan.
Roboam.
Mathatha.
Abia.
Menna.
Asa.
Melea.
Josaphat.
Eliakim.
Joiam.
Jona.
Joseph.
:i trois noms omis)
Juda.
Simeon.
Ozias.
Levi.
Joalban.
Matbat.
Aebaz.
Joritn.
Ezechias.
Eliezer.
Manassei.
Jesus.
.\inOD.
Her.
Josias.
Elmadan.
(un nom omis]
Cosan.
Jechonias.
Addi.
Melchi.
Neri.
Salaihiel.
S-lathiel.
Zorobakel .
Zero babel.
Abiud.
Resa.
Joanna.
Eliacim.
Juda.
Josep.h.
Azor.
Seraei.
Mathathiat
Sadoc.
Ma hath.
Nagge.
Achim.
Hesli.
Nahum.
Eliud.
Amos.
Maihathias
Joseph.
Eleazar.
Jannd,
Melchi.
Mathan.
Levi.
Ma that.
Jacob.
Hell.
Joseph.
Joseph.
Jesus.
Jesus.
11 resulte de cette juxtaposition ioque les
ancetres de Nolre-Seigneur sonl no',ablement
plus nombreux dans la seconde lisle que dans
la premiere, 2" qu'enlre David et S. Joseph
nous ne trouvons que des noms difierents, k
pari ceux de Salaihiel el de Zorobabel.
La difficulle qui provienl de la divergence
des nombres se resoul encore assez aisement.
Qiioi d'etonnanl d'abord qu'il n'y ait d'une
part que 41 nom>, landis qu'il y en a de
I'aulre jusqu'a 77 (onze fois 7, le nombre sa-
cre, observent les auleurs mystiques; S. Ir^
nee, qui reduil ce chiffre a 72, on ignore par
quel proced^, fait un rapprochement entre les
"72 aieux du Christ et les 72 subdivisions de
la Table des penples, Gen. x), puisque le point
de depart n'esl pas la m^me! Si nous com-
parons les epoques partielles nous arrivona
au resultat suivant : d'Abraham k David,
14 generations de part d d'aulre; de David
k la caplivite, 14 generations d'apres S. Mat-
lhieu, 20 d'apres S. Luc; de la captivile k
Jesus-Chrisl, 14 el 21 generations. Ou en-
core : de David k S. Joseph, 41 noms dans
CHAPITRE III
105
S. Luc, 27 seulement dans S. Mallhieii ; ce
qui fait en moyenne 25 ans d'un cote ol 40 de
de i'autre pour une generalion. Mais 11 faut
se souvenir que S. iMalthieu a elimine plu-
sieurs noms. De plus, des phenomenes ana-
logues se prestntent frequemment dans les
branches diverses d'une meme famille.
Le vrai « nodus difficultalis nconsiste dans
la difference des noms cites par les evange-
listes. S. Malthieu et S. Luc pretendenl nous
livrer Tun el I'autre I'arbre genealogique au-
thenlique de Notre-Seigneur Jesus-Christ, et
voici que celui-ia rallache Jesus a David par
Salomon, tandis celui-ci Ten fait descendre
par Nathan! Celui-ci donne Neri, celui-la
Jechonias pour pere a Salalhiel. D'apres celui-
la S. Joseph est fils de Jacob; d'apres celui-
ci il est fils d'Heli. Comment toutcela peut-il
dire vrai en meme temps?
Les systemes imagines par les exegetes
pour etablir Tharmonie entre les deux ecri-
vains sacres peuvent se ramener a quatre
principaux.
I. Le premier systeme a pour base ce qu'on
iiommait cliez les Juifs la loi du Levirat.
D'apres cetLe loi, quand un homme, apres
avoir ele marie, mourait sans laisser de
poslerite, son frere, ou meme son plus proche
parent, etait tenu d'epouser la veuve, si elle
^taitencoreen age dedevenir mere. Les enfants
qui naissaient de ces secondes noces etaient
censes appartenir au defunt, donl ils etaient
comme la descendance legale. Comp. Dent.
XXV, 6. Or, on suppo.^e que Jacob el Heli
Etaient freres ulerins, c'est-a-dire qu'ils pro-
venaient de la meme mere quoique de peres
dislincts (Malhan et Mathal). De plus, Heli
serait moil sans enfanls. Jacob, ayant alors
epouse la veuve de son frere, en aurail eu
un fils, nomme Joseph. Memo hypnlhese a
propos de Jechonias (pere reel), de Neri son
iVere uterin (pere legal), el de son fils Sala-
thiel. Cela pose, on conQoit que les genealogies
soientsi di-semblables, puisque Tune d'elles,
cello de S. Matthieu, cite les peres nalurels,
tandis que I'autre, celle de S. Luc, mentionne
les peres selon la loi. Les series devaient ne-
cessairementdivergerd'une maniere notable,
fluoiqu'elles se renconlrenl a deux r(>prises.
11 n'y a rien d'impossible a ce que la loi du
Levirat ail ele ainsi appliquee deux fois dans
une meme famille durant un intervalle de
mille ans (entre David et S. Joseph). — Telle
est I'opinion adoptee en substance par la
plupart des Peres et des commenialeurs, de-
f»uis Jules I'Africain qui en donna le premier
a formule, jusque vers la fin du XVe siecle
{a Haec sententia est communis et constat ex
Iraditione Ecclesiae, ex communi sanctorum
Palrum consensu ac approbaliono gravissi-
morum thi'ologorum », Sylveira). S. Am-
broise, S. Jerome,, S. Augustin (il parle, il est
vrai, d'une adoption et non d'un mariage de
levirat; mais cela revient k peu pres au
meme), S. Gregoire de Nazianze, S. Thomas,
Salmeron, Maldonat, le D"" Hug, comptent
parmi ses plus illustres defenseurs.
H. Les deux genealogies sent encore celles
de S. Joseph, mais on en explique les diver-
gences par un autre precede. Le premier
Evangile indiquerait le droit de succession au
trone, le troisieme la descendance reelle.
Voici quelques details. La branche ainee,
issue de David par Salomon, s'etanl etemle
apres Jechonias, une branche collaterale,
celle de Nathan, herita (peut-elre par adop-
tion) de la succession royale dans la personne
de Salalhiel. Plus 'lard encore, nouvelle
extinclion de la branche ainee (ou d'Abiud)
dans la personne de Jacob, el nouvelle trans-
mission des droits royaux k la branche ca-
delle (ou de Resa) sur la l6le de Joseph, fils
d'Heli.
S. MATTHIEU
SalomoD
Jechonias
Daviil
S. LUC
Nathan
Nen
Abiod
Jacob
Salalhiel
Zorobabel
Joseph
R^sa
I
I
HeU
D'apres ce sentiment, donl les principaux de-
fenseurs sont Grotius, Possinus, le D' Mill,
Lord Hervey, M Schegg, etc., nous aurions
done dans S. Luc la genealogie priv^e de
S. Joseph, la serie de ses ai'eux naturels et
reels, dans S. Matthieu sa genealogie en tant
qu'herilier legal el officiel du trone, c'est-k-
dire la serie des rois legitimes de la theocra-
tie. Par exemple, dil avec esprit M. Trollope,
the Gospel according to S. Luke, Cam-
bridge 4 877, p. 144, si Ton voulait tracer la
genealogie complete de la reine d'Angleterre,
il faudraii, lo pour elablir ses droits au trone
du Royaume uni, passer par Georges ler, les
Stuarts, les Tudors et remonier jusqu'k
Guillaume le Conqu^rant, 2° pour donner sa
descendance naturelle, passer encore par
Georges ler, mais quitter aussitot ia ligne des
monarques anglais et suivre celle des dues
de Brunswick.
in. D'apr6s Cornoille de Lapierre, nos
deux listes conliendraient I'arbre genealo-
gique non de S. Joseph, comme dans les
systemes qui precedent, mais de la Tr6s
Sainle Vierge. Seulement, les ancetres de
Marie seraienl cites a ex latere materno »
406
EVANGILE SELON S. LUC
dans la nomenclature de S. Maithieu, « ex
latere palerno » dans cells de S. Luc. Les
choses se soraienL passees de la maniere sui-
vanle : Sainte Anne, epouse d'Heli, el mere
de Marie, elail la soeur de Jacob, la fille de
Mathan ; de la sorle, Joseph, fils de Jacob, se
trouve avoir ele neveu de sainte Anne, et
par consequent le cousin germain de la
Sainte Vierge en meme temps que son epoux.
8. MATTfllEU
SalomoQ
David
I
Mathaa
Jacob
Anne femme d'
S. LUG
iNathan
Mathat
Heli
Joseph Marie
Fr. Luc de Bruges admel egalement cette
hypolhese avec quelques moditications. Peut-
elre se demandera-t-on comment on peut la
concilier avec la croyance de I'Eglise, d'apres
laquelle le pere de Marie se serait appele
Joachim el non Heli. Mais il existe une ires
grande analogie enire ces deux noms, et on
les Irouve employes i'un pour I'aiitre dans la
Bible, par exemple au livre de Judilh, ou le
meme grand-prelre, appt'led'aburd Eliachim,
IV, 5, 'M, apparail ensuite, xv, 9, sous la
denomination de Joachim. Eli, 'bx, est en
effel une abrevialion de Eliachim, (n''p''bN);
or, Eliachim et Joachim (aip'in'lont une
signification prpSi]ueidenti(iiio (« f)eus slabi-
lit », ou « Jchova slabilit »). D'aiUeurs,
meme d'apres la tradilion juive, Marie aurait
eu uii Hell pour pere. « Miriam Qile d'Heli »,
lisons-nous dans le Talmud, Hieros. Gha-
gigati, I'oi. 77, 4. Comp. Lighllool, Hor. hebr.
in Luc. Ill, 23.
IV. Des deux lisles genealogiques, I'unc
IS. Malih.) se rapporle a S. Joseph, I'autre
(S. Luc) a la Sainle Vierge, conforraement.au
tableau suivanl :
S. MATTHIEU
S. LUG
David
Salomon
Jecboaias
Nathan
Neri
Salathiel
I
Zorobabel
Abiod
I
I
Jacob
I
Resa
I
I
HeU
I
Marie = Josepb
Ce sysleme s'appuie, de meme que le pre-
mier, sur la loi mosalque, mais d'une autre ma-
niere. II sii()pose que Marie elait fille unique,
et par suite fille heritiere (e7ttV.>.r,po; napOe'vo;,
comme s'exprimait la con.-titulion d'Athenes),
ce qui I'obligeait, d'apres Num. xxxvi, 5-8,
a se marier dans sa propre iribu. Or dans ce
cas le mari, ne faisant qu'une seule per.-onne
morale avec sa femme, recueillait lous les
litres de celle-ci : il avail en quelque sorle
deux peres, son pere nature] et son pere legal
(son beau-pere). C'est pour cela que S. Joseph
est appele d'nne part fils de Jacob, de I'autre
fils d'tJeli. Sans doute il eAl ele plus clair dfr
nomm r dircclement Marie ; mais il etait
conlraire a I'usage antique d'^lablir en
termes expres la genealogie d'une femme
(a Genus palris vocalur genus; genus malria
non vocalur genus », Baba balhra, fol. IIO,-!):
S. Luc I'a done elablie d'une maniere indi-
recte, en substituant S. Joseph a la Sainte-
Vierge. On prouve que JMarie etait fille heri-
tiere soit par la Iraailion. qui rafrequemmont
afQrme, soit a I'aide du recil meme de S. Luc,
II, 4 el ss. Pourquoi la Merede Jesus va-t-elle
a Belhleem avec S. Joseph, a I'occasion du
recensement ordonne par Auguste, sinon
parce qu'elle etait tenue di' se presenter en
personne devani les officiers imperiaux? Or,
elle ne pouvail 6tre aslreinle a cette obliga-
tion que parce qu'elle ri'presentail une lige
de la famille de David. En elle se terminait
la branche de Nalhan, de meme que celle de
Salomon aboulissail a S. Joseph. — Cetle
hypothese est adoptee par la plupart des exe-
gel "S modernes et contemporains (Surenhu-
sius, Lighlfoot, Bengel, Rosenmiiller, Wie-
seler, MM. von Burger, Behimann, Arnoldi,
Godel, Bisping, van Ooslerzee, Le Camus,
Arnoldi, Plumptre, Ewald, J. P. Lange,
Riggi'nbach. etc., etc.) : elle est actuelle-
meiiL aussi populaire que la premiere I'etait
dans I'antiqiiile, et nous inclinons a lui doimer
aussi DOS preferences, parce qu'elle nous
semble resoudre de la maniere la plus simple
et la plus naturelle le problems des genea-
logies evangeliques.
En etfet, 1o si les deux listes s^^ rapportent
a S. Joseph, c'est-a-dire a un pere putatif,
Jesus n'a ete I'heritier de David que par
adoption, en d'autres termes par une son©
de fiction legale. Suppose que cela ait suffi
aux lecleurs juifs de S. Matlhieu, puisfpie
c'etait conforme aux principes theocratiques,
les lecleurs palens de S. Lnc auraient bien
pu ne pas s'en contenler : il fallait pour eux
la preuve d'une descendance reelle, et la
genealogie de Jesus par Marie contenait
seule celte demonstration d'une maniere ab-
solue. — 2° Depuis le commencemenl de son
recil, S. Luc a toujours mis S. Joseph a
I'arriere-plan : Marie a ete consiammei*!.
pour lui le personnage principal. II ne s'esl pa?
CHAPITRE HI
107
lasse de montrer que, si Jesus avail daigne
prendre une mere ici-bas. aucun homme ne
pouvait ie revendiquer comrne fils dans le
sens propre de celte expression. Bien plus,
au debut meme de sa nomenclature, ii oppose
la realite iiislorique a I'opinion du vulgaire :
a ut putabatur, films Joseph ». Serail-il
consequent avec lui-meme s'll idendifiait,
immediatemenl apres celte reflexion, les an-
cetres de Jesus avec ceux de Josepii? —
3° Le texte grec de S. Luc [t. 23) se ramene
sans trop de peine a noire inter[)retalinn ;
car, en premier lieu, si les mots « qui fuit
Dei «, designent une filiation impropremenl
dile, pourquoi n'en serail-il pas de meme
quand il s'agil dts rapports de S. Joseph et
d'Heli, « qui full Heii »? En second lieu,
d'assez nombreux inlerpretes croienl pouvoir
traduire le t. 23 de la maniere suivante :
« El ipse Jesus erat (dum putabalui' filius Jo-
seph> filius Hi'li, Maihat, etc. », c'est-^-dire
qu'ils raitachenl a J^sus lous les geniiifs de
la lisle, de maniere a meltre S. Joseph tout
h fail en dehors de I'arbre genealogique.
Nous avouons cependant que cet expedient
nous parait un peu force. — 4° Plusieurs
Peres, sans afBrmer direclement que la ge-
nealogie donnee par S. Luc est celle de Marie,
semblenl le supposer d'une maniere indi-
recte, par exemple S. Ir^nee, adv. Haer. in, 29,
Tertullien. de Carne Ghristi, c. 21 el 22,
S. Alhanase, rontr. Apollin. i, 4. Voir Kitto,
Cyclopaedia, s. v. Genealogy of J. C.
Le premier sysleme a egalemenl unegrande
valeur, soil a cause de son anliquite et des
graves autoriles sur lesquelles il s'appuie,
soil parce que les evangelistes, si on prend
toutes leurs expressions a la lellre, semblent
dire qu'ils se proposent de donner Tun el
I'aulre la genealogie de S. Joseph. Mais il
muliiplie les hypotheses, el on peul lui re-
f)rocher d'etre assez complique. Le second el
e troisieme presentent, a noire avis, moins
de garanties; celui-1^ parce qu'il prend le
verbo « genuil » dans un sens figure qui ne
saurait lui convenir, celui-ci parce que I'une
des deux listes, celle de S. Matlhieu, se rap-
porle evid( mment a S. Joseph. Au reste,
comme Marie, aussi bien que son saint epoux,
apparlenaii a la famille de David (voyez I'E-
vang. seloa S. Mallh., p. 40), en toute hypo-
these sa genealogie est au moins implicilement
contenue dans celle de Joseph.
Resumons el concluons. Deux Evangelistes
ont conserve la genealogie du Sauveur, et il
se trouve que leurs listes varient etonnam-
menl. Toutefois, meme abstraction faite de
I'inspiralion, il n'est pas croyable qu'ils se
soient trompes ou qu'ils aienl voulu Iromper.
Les documents genealogiques abondaient
chez les Juifs, comine on le voil par les livres
des Paralipomenes, d'Esdras, de Nehemie et
de Tecrivaiii Josephe (Cfr. Vita, c. i ; contr.
App. I, 7), el il elail aise de les consulter,
Des ecrivains senses auraient-ils bien inser©
dans leurs narrations des pieces errondes,
qu'il eiil ete facile d'atlaquer et de refuter?
Puisqu'ils nous ont laisse des catalogues si
distincls, S. Matlhieu el S. Luc avaienl done
quelques raisons de s'ecarter I'un de I'aulre.
Nous en avons suggere plusieurs, qui sont
parfaitement plausibles; cela suffit. Vraisem-
blablement, c'esl une table de rois que nous
irouvons dans le premier Evangile, et une
table d'ancelres dans le troisieme : ici Jesus
nous apparait comme « semen mulieris ». la
nou-; lesaliions comme herilierdu Irone tlieo-
cratique. Quoi qu'il en soil, les deux listes
aboulissenl glorieusement au Mcssie, en qui
revit a jamais la race do David, ainsi que le
Seigneur I'avait promis. — Voyez dans Dcren-
bourg, Essai sur I'histoire el la geographie
de la Palestine, Paris 1867, p 349, une im-
portante confirmation de la descendance
royaledu Sauveur par le Talmud. Le Iraite
Sanliedrin, 43, 6, dit formellement (]ue Jesus
elail niDSaS Slip, " propinquus regno (i. e.
regise domui) ».
L'arl cliretieu s'est occupe aussi, el avec
moins de secheresse que la science apologeti-
que, de « I'arbre de Jesse » ou de la genealogie
de Nolre-Seigneur Jesus-Christ. On le trouve
parlout represenle, surtoul au moyen-age :
les vitraux des eglises, les vignettes des ma-
nuscrits, les tapisseries, les tableaux, les
sculplures; le reproduisent avec un grand
melange de grfice el d'originalite. Voyez
aussi un beau poeme de Lowlh, insere dans
la traduction frangaise de ses Legons 3ur la.
poesie sacree des UebreuX),
408
fiVANGILE SELON S. LUC
CHAPITRE IV
La tentalion de No'.re-Seigneur Jesus-Christ (tt. i-\3). — Retour de Jesus en Galilde at
apergu general des debuts de son ministere [tt. 14-15). — Les habitants de Nazarelh
veulent le mettre a morl a la suite d'une predication celebre [tt. 16-30:. — Jesus a
Capharnaiim (tT(^. 31-32).— Guerison d'un demoniaque 'tt. 33-37). — Guerison de la
belie-mere de S. Pierre el de nombreux malades {tt. 38-41). — Jesus se retire dans une
solitude des bords du lac, puis il evangelise la Galilee [tt. 42-44).
1. Or Jesus plein de TEsprit-
Saint revint du Jourdain et il fut
conduit par I'Esprit dans le desert,
2. Pendant quarante jours, et fut
tente par le diable. Et il ne mangea
1. Jesus autem plenus Spiritu
sancto regressus est a Jordane : et
agebatur a Spiritu in desertum,
Matth. ♦, 1; Marc. 1, 12.
2. Diebus quadraginta, et tenta-
batur a diabolo. Et nihil manduca-
3» La tentation de Notre-Seigneur Jesus-Christ.
IV, 1-13. (Parall. Matth. iv, 1-1 1 ; Marc, i, 12-13).
Le premier acte de Jesus apres sa conse-
cration messianique consisle a reparer la
chute du premi r homme, en trioraphant du
demon el de ses suggestions perfides. Comp.
S. Hilaire, in Matth. iii, 5; S. Ambr. Expo-
sit, in Luc. IV, 7. Le chef de rhumanile nou-
velle el regeneree passe comme Adam, le
chef de I'humanite dechue, par I'epreuve de
la tentation ; mais avec qutUe difference dans
les resultatsl — La nairaiion de S. Luc,
quoiqu'elle ressemble beaucoup ici a celle
de S. Matthieu (voyez noire commenlaire,
pp. 79-87;, s'en separe neanmoins par de
legeres modiQcations dans les termes, par
I'addilion de plusieurs idees nouvelles, el
surtoul par un changemenl notable dans
I'ordre des tenlations.
Chap. iv. — 1. — Les tt. < et 2 contien-
nenl les details preliminaires du recit. Le
premier nous montre d'abord Jesus quittant
le Jouidain Iregressusest, dans leque! il avail
ele baptise, et gagnant, sous une vive impul-
sion de I'Esprit Saint, la solitude du desert.
Sur le theatre special de la tentation. voyez
I'Evangile selon S. Matth. p. 80. Au lieu de
I'accusatifiH deserfi/ni (Recepla.ei;t>ivep/iiiov),
plusieurs manuscrits (B, D, L, Sin.) et ver-
sions portent ev t^ epiQH-V* Celte lecon, qu'a-
doptenl les meilleurs critiques, semblerait
supposer que Notre-S^igneur ne demeura pas
constammeiil au meme endroil du deseri,
mais qu'il allait et v^^nail en divers lieux :
elle s'accorde du reste Ires bien avec I'im-
parfait opeftatur, ^Y£To, qui indique la conti-
nuite de Taction. — A Spiritu : dans le grec,
iv ty Kvcunau, a in Spiritu. » D'apres S. Mat-
thieu, Oi:6 ToO 7iveij(jiaTo;, par I'Esprit. — La
note plenus Spiritu sancto est speciale a noire
evangeliste. Elle desii-ne la plenitude de
ronction divine regue par Jesus a son bap-
teme, in, 22. A son Chrisl « non ad men-
suram dat Deus Spirilum, » Joan, iii, 34.
Aussi bien, Satan ne trouvera-t-il en Jesus
que I'esprit de Dieu. Voyez Maldonat et
Fr. Luc, h. 1.
2. — Diebus quadraginta, et tentabatur...
La conjonction o et » manque dans le texte
grec, ou on lit simplemenl in>.ipoi<i Teejaapdxovta
itetpa^6[Aevo;. .., c'esl-a-dire & diebus quadra-
ginta, lentatus... » (le parlicipe present au
lieu de I'imparfait). D'apres cetle traduction
litterale, S. Luc paraitrait au premier abord
combiner les recits divers de S. Matthieu et
de S. Marc, et dire, comme le second, que
Jesus fut lente pendant quarante jours;
comme le premier, que, ce temps ecoule. le
Sauveur subil encore trois tenlations dis-
tinctes. Mais nous avons vu, dans notre
explication do I'Evangile selon S. Marc(p. 29),
que la vague locution « tentabatur a Sa-
lana » est une formule abregee, qui doit
etre interprelee d'apres la narration plus pre-
cise el plus detaillee de S. Matthieu. De
meme ici. II est bien plus naturel de ratla-
cher, comme I'a fait la Vulgate, les mots
"^llispa; teffoapaxovxa a ^ysxo qu'a iteipaI[6(i£vo5,
el I'on peui, a la fagon de la version syriaque,
traduire ce parlicipe par « ut tentarelur »
(ce serait le a parlicip. causale » ou « 6nale •
des gramraairiens). Au reste, il est peu
croyable en soi que Notre-Seigneur ait subi
pendant quarante jours les assauts de I'es-
pril mauvais. Comp. les Hom. Clement, xix, 2.
— A diabolo. Le prince des demons apparut
en personne et visiblemenl a Jesus pour le
CHAPITRE IV
i09
vit in diebus illis : et consummatis
illis esiinit.
3. Dixit autem illi diabolus : Si
filius Dei es, die lapidi hiiic ut pa-
nis fiat.
4. Et respondit ad ilium Jesus :
Scriptum est : Quia non in solo pane
vivit homo, sed in omni verbo Dei.
Deut.%, 3; Matth. 4,4.
5. Et duxit ilium diabolus in
montem excelsum; et ostendit illi
rien pendant ces jours, et apres
qu'ils furent passes ileut faim.
3. Et le diable lui dit : Si tu es le
Fils de Dieu, dis a cette pierre
qu'elle devienne du pain.
4. Jesus lui repondit : II est
ecrit : L^homme ne vit pas seule-
ment de pain, mais de toute parole
deDieu.
5. EL le diable le conduisit sur
une haute montagne et en un ins-
porter au mal. — Nihil manducavit in diebus
illis : la mention du jeune absolu du Sauv(>ur
pendanl quaranle jours est speciale a S. Luc
sous celte forme. Le verbe « jejuna re »,
qu'emploie S. Matlhieu. eiil ete moin> clair
pour Ips lectenrs de S. Luc. — Esuriit.
« Poslea i^udTepov) esuriit » d'apres la Recepta ;
mais eel adverbe, qui manque dans les ma-
nuscrits B, D, L. Sin. et dans les versions
cople, aimen.. elhiop., et sahidiqbe, est a
bon droit regarde comme un glos>eme.
3 et 4. — Nous pa>sons a I'hisloire pro-
prement dite d<' la tentalion de Jesus. Elle
consiste en Irois assauis consecutifs du de-
mon et en trois victoires du Messie. La pre-
miere suggestion mauvaise de I'esprit tenta-
teur est habilement rattachee a la faim dont
souffrait le divin Maitre : Die lapidi huic ut
panis fiat. Hoiez ie singulier xw Xi9w Touxti) ;
ilesi plus piitoresque que le pluriel « lapides
isti » employe par S. Matlhieu. Les anciens
peintres, se conformant a ce deiail du troi-
sieme Evangile, mettaient une pierre k la
main de Satan au moment ou il lentait Jesus
pour la premiere fois. Nolez aussi I'entree en
raatiere Si Filius Dei es.Le demon avait plus
d'une raison de supposer que Jesus etait le
Christ; neanmoins il pouvait lui rester
quelques doutes, et c'esl pour cela que
0 eum tentavit, an Christus esset explorans »
(S. August, de Givit. Dei, xi. 21). 11 pensait
I'obliger ainsi a se reveler lui-m6me. — Res-
pondit... Jesus [La Recepta et de nombreux
manuscrils ajouient ^eir^v, a dicens »). On a
invite Notre-Seigneur a faire usage de ses
pouvoirs surnaturels pour satisfaire le besoin
qui le presse. II repond d'une maniere aussi
forte que simple, en s'approprianl un lexte
biblique (Gfr. Deut. viii, 3), qu'il se gardera
bien de se secourir lui-mSme de la sorte : ce
n'est point pour un motif personnel qu'il fera
des miracles. Apres tout, Dieu connait les
necessites humaines el, d'une seule parole, il
fjeut procurer k ses amis, I'histoire sainle est
ci pour le demontrer, une abondanle nour-
riture. Le8 mots non in solo pane (hebralsme
pour « solo pane ») designent done le pain or-
dinaire et en general tout ce qui peut servir
d'aliment a I'liomme. A ce pain Jesus oppose
des mels fournis miraculeusement par Dieu,
in omni verbo Dei. S. Matlhieu cite plus com-
plelement le texte d'apres les LXX ; S. Luc
n'en donne qu"un sommaire.
5. — Seconde tentalion tt- 5-8. Apres
avoir essaye de rendre Jesus simplement in-
fidele a Dieu, Satan le pousse a une aposlasie
complete. — G'est ici qu'il exisle, entre nos
deux narrations paralleles, une grande diver-
gence au point de vue de I'arrangement exte-
rieur. S. Matlhieu en effet ne place qu'en
troisieme lieu la tentalion qui aurail ete la
seconde d'apres S. Luc, el reciproquement.
De quel cole se trouve la vraie suite des
fails? Tout porle a croire que c'est le pre-
mier evangeliste qui a le plus exactement
suivi I'ordre historique, comme le pensaient
deja S. Anibroise el d'autres Peres. On le
prouve par deux raisons principales, I'une
inlrinseque, I'aulre extrinseque. 1° La ten-
talion racontee au second rang par S. Luc a
ete justemenl appelee « la plus seduisaute
des irois » : c'est la plus forte de toules ma-
nieres; c'est aussi celle que Jesus a repous-
see avec le plus d'horreur (« Vade Salana »,
Mailh. IV, 10.) 11 convenail done qu'elle fut
la derniere. 2o S. Luc se contente en cet en-
droit de juxlaposer les divers incidents, sans
empUyer aucune des formules qui indiquent
unesuccession strictementchronologique: V.S,
xai etTtev; "f, 5, xal avaYayiov; "if. 9, xai rjyaYev.
S. Matlhieu au contraire en emploie plusieurs,
cequi parail monlrer qu'il a I'lnlenlion de mar-
quer un ordre reel : t.3, xai npo(jEX6wv; t^, 5,
TOTS irapa).a[i6av£i; f. 8, itiXiv TtapaXaixSivti;
♦■. 'II, TciTo iyiridiv auTov. Voir Greswell, Dis-
sertations. I. II. p. 1 92 et ss. : On the Order of
the Temptations. Parmi les exegetes recents
nous n'en connaissons que Irois (le P. Cole-
ridge, MM. ReischI et Godet) qui preferenl
I'ordre suivi par S. Luc. — Duxit; dans le
grec, avaYaywv, conduisant en haul. — Les
mots diabolus in montem excelsum sont omi a
10
fiVANGILE SELON S. LUC
tanl lui montra tous les royaumes
de la terre,
6. Et il lui dit : Je te donnerai
kuU teito puissance et la gloire de
ces royaumes, car ils m'ont ete
livres et je les donne a qui je veux.
7. Si done tu te mets en adora-
tion devant moi ils seront tous a toi,
8. Jesus lui repondit : II est ecrit :
Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et
tu ne serviras que lui seul.
9. Et il le conduisit a Jerusalem et
le posa sur le liaut du temple et lui
dit : Si tu es le Fils de Dieu, jette-
toi d'ici en has;
omnia regnaorbis terraein momento
temporis ;
6. Et ait illi : Tibi dabo potesta-
tem banc universam, et gloriam
illorum : quia mihi tradita sunt, et
cui volo, do ilia.
7. Tu ergo, si adoraveris coram
me, erunt tua omnia.
8. Et respondens Jesus, dixit illi :
Scriptum est : Dominum Deum
tuum adorabis, et illi soli servies.
Deut. 6,iZet 10, 20.
9. Et duxit ilium in Jerusalem, et
statuit eum super pinnam templi,
et dixit illi : Si filius Dei es, mitte
te hinc deorsum.
par B, L, Sin., les versions copte, sahid. et
par plusieurs manuscrits latins. — Omnia
regna orbis terrce (Trig olxoufAevr)?, de la terre
habilee) : d'apres S. Matlhieu, « omnia regna
mundi » (toO xooiaou). L'expression de S. Luc
est plus classique. — In momento temporis
(£v (jTtYiA^ xp^^o" , expression analogue kit
(tni% 6i?9a),(xoy de I Cor. XV, 52) est un trait
pitloresquc, propre a S. Luc. H prouve que la
perspective en question ne fut pas deroulee
peu a peu et successivement sous les yeux
de Jesus, mais qu'elle lui fut presentee d'une
maniero instantanee, par une sorte de fan-
tasraagorie diabolique.
6. — Satan offre a Notre-Seigneur la pos-
session de ces royaumes qu'il vient de lui
montrer. Avec quel art il releve la valeur
d'une telle royauie au moyen d'expressions
emplialiques ! Potestatem hanr. universam;
gloriam illorum, scil. regnoium (« construclio
ad synesin »). S. Matthieu lui fait dire seule-
raent : « Hsec omnia tibi dabo ». Avec
quelle habilele aussi (nouveau trait propre a
S. Luc) il essaie de prouver qu'il en est le
veritable maitre, quia mihi tradita sunt, et
qu'il peul les dormer en fiefs a qui bon lui
semble, cui volo do ilia (dans le grec, aOxiQv,
« illam », scil. potestatem)! Qui lui a donne
une telle aulorite sur iemonde?!! se garde
bien de I'indiquer. II trouve plus facile d'af-
firmer ses droits pretendus. Au reste, ses as-
sertions ne sont pas completement denuees
de verite, puisque Jesus lui meme I'appelle
le Prince de ce iiionde, Joan, xii, 3 1 ; xiv, 30;
comp. II Cor. iv, 4; Eph. ii, 2 ; vi. 12.
7. — Ce n'est pas gratuitement que le de-
mon concedera au Messie le pouvoir de gou-
verner le monde. A son offre il se hSle de
mettre une condition ; Tu ergo si adoraveris
•coram me, Le verbe itpoaxuv^n^en, qui corres-
pond dans le texte grec a « adoraveris »,
mdique, comme I'hebreu rinri'kyn, la pro-
stration complete, geste par lequel, dans les
conlrees de I'Orient, un inferieur rend com-
munement hommage k son superieur. Satan
proposait done a Jesus de le reconnaitre pour
son Seigneur et maitre. II y a encore de I'em-
phase aans erunt- tua omnia (ou, d'apres plu-
sieurs manuscrits grecs, « erit tua omnis »,
scil. potestas).
8. — Jesus dixit illi. Les mots OTtaye fiirCfft*
(I.OU Saiava, intercales ici par la Recepta ,
mais omis par les manuscrits B, D, L, Sin.,
la plupart des versions (vuig., copte, armen.,,
syr., golh.) el des Peres, sonl vraisemblable*
ment empruntes au texte de S. Matthieu. —
Dominum Deum tuum adorabis... Par cetle ci-
tation (Gfr. Deut. vi, 13) Jesus oppose aux
seductions diaboliques le grand principe mo-
nolheiste. Et pourtant il sera roi, mais son
royaume n'auia rien de lerrestre, et il ne so
rapportera qn'a Dieu , illi soli I
9. — Troisieme lentation. tt. 9-12. Selon
la juste remarque de M. Schegg, le premier
assautdu tentateuravaiteu pour butd'exciter
Jesus a s'aider lui-meme sans raison suffi-
sante, et le second I'avait engage a s'appuyer
sur le concours de Satan : par le troisieme il
est pousse k exiger sans necessite les secours
divins. — Duxit ilium in Jerusalem. Ce nom
propre etait [ilus clair pour des lecteurs non-
juifs que la designation toule hebraique de
S. Matthieu .« in sandam civitatem ». — Sur
la nature du Ti-rspyYiov toO lepoO (pinna tem-
pli] voypz- I'Evangile selon S. Matthieu,
p. 84. C'est de ce meme endroit, d'apres He-
gesippe (ap. Euseb. Hist. eccl. ii, 23), que
S. Jacques le Juste fut precipite par les Juifs.
— « Nil mirum est, dit fort bien S. Gregoire-
le-Grand a propos du pouvoir dont le demon
GHAPITRE IV
411
10. Scriplum est enim, quod an-
gelis suis mandavit de te, ut con-
servent te : Ps.90, n.
11. Et quia in manibus tollent te,
ne forte ofFendas ad lapidem pedem
tuum.
12. Et respondens Jesus, ait illi :
Scriptum est : Non tentabis Domi-
num Deuiii tuum.
Deut. 6, 16.
13. Et consummata omni tenta-
tione, diabolus recessit ab illo, us-
que ad tempus.
14. Et regressus est Jesus in vir-
10. Gar il est ecrit qu'il a ordonn^
a ses anges de te preserver,
11. Et qu'ils te porteront dans
leurs mains, de peur que tu ne
heurtes ton pied centre une pierre.
12. Et Jesus lui repondit : Tu ne
tenteras pas le Seigneur ton Dieu.
13. Et ayant consomme toute
tentation, le diable s'eloigna de lui
pour un temps.
14. Et Jesus revint, par la vertu
semblo avoir joiii dans les deux dernieres ten-
rations sur le cor[)S sacre de Nolr>'-Seigneur
Jesus-Chrisl, nil minim est si Chrislus a dia-
bolo se permisil circumduci, qui se a mem-
bii-i illius se permisit crucifigi. » Ou encore:
« Noli in hac re diaboli poicntiam, sed po-
tius Salvaloris patientiam luirari », Deyling.
10 el 11. — Scriptum est enim... Pour
donner plus de poids a sa perfide suggestion,
I'esprit mauvais, imitant Jesu-;. se met ei
ciler rEcrilure,« meiidacium abscondens per
Scrip! uram sicut omnes haeretici », ecrit
S. Ireiiee, Heer. v, 31. II allegue done un ad-
mirable passage des Psaumcs (xi, 11 et 12),
duquel il prelendail conclure que Jesus pou-
vait sans aucun danger se precipiter du haut
du temple, Dieu ayanl promis do prendre un
soin louL special de ses amis {ut conservent :
le verbe grec Siaq)u>,d5at est Ires expressif).
S. Bernard (in Psalm. Qui habitat, Serm. xv)
refute avec vigueur I'application faite par
Satan : « Scriplum, inquit, quoniam angelis
suis mandavit de le... Animadverlile el vi-
dete quoniam subticuit malignus el fraudu-
lentus quod malignilalis suae commenta dis-
solverel. Quid enim inandavii? Nempe... ut
custodianl le in omnibus viis luis. Nuinquid
in praecipiliis? Qualis via haec de pinnaculo
tcmpli mittere se deorsum? Non est via haec,
sed ruina ». — Cette fois, c'esl S. Luc qui
rapporle le teste biblique de la maniere la
plus complete.
12. — Dictum est. S. Matthieu : « rursum
scriptum est. » — Non tentabis Dominuiii...
Nolre-Seigneur indique ires neltemenl par
ces mots le vrai caractero de la derniere sug-
gestion de Satan. Fairs co qu'on demandait
de lui, ce serait tenter Dieu. « employer la
puissance divine au service d'un caprice »;
or il ne s'y rdsoudra jamais.
13. — Epilogue de tout le recit. S. Luc, il
est vrai, ne raenlionne pas les anges qui s'ap-
procherent de Jesus oour le servir des que le
demon sefut retire; mais en revanche il nous
fournit deux renseignements particuliers tout
a fait instruclifs. — Premier trait : Consum-
mata omni tentatione. II n'y a pas d'arlicle
dans le lexte grec ((yyvTeXeaas TcavTairetpafffiov).
Nous traduisons done avec la pluparl des
exegeles : « Quum consummasset omne ge-
nus lentationis. » Les trois lentations spe-
ciales auxquelies Satan avail eu recours pour
porter Jesus au peche embrassent en effet,
comme le font remarquer les moralistes, le
germe et I'abrege de toules les autres. « Tria
sunt ista et nihil iuvenies unde tentatur cu-
piditas humana nisi aut desiderio carnis, aut
desiderio oculorum, aut ambitionesaeculi. Per
ista tria tentalus est Dominus a diabolo. »
S. August., h. 1. Cfr. S. Greg. Horn, xvi in
Evang.; S.Thom. Summa Theol., p. 3, q. 41,
a. 4. — Second trail " Recessit... usque ad
tempus loLXp: xaipoO). L'expression est signifi-
cative : Satan ne se retire que pour un tempsl
Quand il aura trouvd une occasion favora-
bles ou, selon d'autres, quand Dieu le lui
permetlra, il reviendra ceriainemenl a la
charge, car, quoique batlu, il est loin de re-
noncer a la lulle. Une parole de Jesus, Joan.
XIV, 80, nous montre que sous ce « temps
opportun » nous devons voir en particulier
celui de sa douloureu-e Passion. Cfr. S. Bo-
nav., de Vita Christi, xiv. — Puissions-nous,
dans nos lentations, vaincre toujours comme
noire Mailre ! « Ad hoc enim pugnat impe-
rator, ut milites discant. » S. August. Serm.
cxxii, 2.
i» SECTION. — MINISTERS DE JESDS EN OALItBB.
IV, 14-IX, 50.
1 . Retour de Jesus en Galilee et ooup d'oeil
general sur les debuts de son minist^re.
IV, 14 el 15. (Paiall. Matlh, iv, 12-17; Marc, i, 14-15;
Joan. IV, 43-45.
14. — Avani d'enlrer dans -s details du
ministere galileeo de J^siis,S. Luc decrit
442
fiVANGILE SELON S. LUC
de I'Esprit, en Galilee, et sa renom-
mee se repandit dans tout le pays.
15. Et il enseignait dans leurs
synagogues et tons lui donnaient de
grandes louanges.
16. Et il vint a Nazareth ou il
avait ete nourri, et il entra, suivant
sa coutume, le jour du sabbat, dans
la synagogue et il se leva pour lire.
tute Spiritus in Galilseam, et fama
exiit per universam regionem de
illo.
McUlh. 4. 12; Marc. 1, U; Joan, i, 45.
15. EL ipse docebat in synagogis
eorum, et magniticabatur ab om-
nibus.
16. Et venit Nazareth, ubi erat
nutritus, et intravit secundum con-
suetudinem suam die sabbati in
synagogam, et surrexit legere.
Matth 13, 5i, Marc. 6.1.
rapideiui 111 ici, cl d'une manieie tout a fait
neuve, I'aspecl general qu'il eiit durant sa
premiere phase. Voycz, vm, i-3, quelque
chose d"analogiie. — Regressus est Jesus...
in Galilceam. Le Sauveur avail quitte sa
chere Galilee pour aller se faire baptiser par
le Precursciir : il y renire mainteiianl apres
une absence d'environ six mois (voyez I'E-
vang. selon S. Matlh., p. 87 et s.). L'arresla-
tion de Jean-Baplisie fut roccasion de ce re-
tour (comp. Mattli. iv, 42 et Marc, i, 14);
mais c'esl in virlute Spiritus sancti qu'il faui
chercher sa cause delerminante. Gfr. le t. 1.
L'evangelisle. en reiterant cetle reflexion,
nous donne a entendre que, dans lout ce
qu'il raconlera desormais louchant Notre-
Seigneur, nous devrons voir la conduile se-
crete de I'Esprit divin. — Et fama exiit per
universam regionem... Los debuts de I'acti-
vile messianique de Jesus en Galilee fureut
magnifiques. A peine anivait-il que sa re-
nommee remplissait deja tout le pays. Tl est
possible que ce detail soit une anlicipalion
sur le t- 15; niais le prompt enlhousiasme
des bons Galileens peut tres bien s'expliquer
aussi par le bruit des miracles que Jesus
avait operes, d'apres le quatrieme Evangile,
soit a Caaa, soit a Jerusalem. Cfr. Joan.
II, 1-H,23.
45. — Et ipse docebat. Get « ipse » est
plein d'emphase. Quand Jesus se presentait
en personne dans les lieux ou sa reputation
I'avait precede, son enseignement lout divin
confirmait la bonne opinion qu'on s'etait for-
mee de lui, et lui gagnait meme de noiiveaux
suffrages. II n'y avail qu'unevoix pour chanter
ses louanges : magnificabatur (d'apres le grec,
« magnificaius »] ab omnibus. II est vrai qu'il
8e conteiitait alors d'annoncer la bonne nou-
veiie d'une manifere generale, c'esta-dire le
prochain avenement du Messie (Cfr. Malth.
IV, 47; Marc, i, 45); rien encore, dans sa
predication, ne choquait les pr^jugds du peu*
pie : il n'avait done que des amis en com-
meogant. Mais I'episode de Nazareth va
bientot nous montrer le levain d'antagonisme
se remnant des cetle epoque centre Jesus. —
In synagogis eorum, c'esl-a-dire « Galilaeo-
rum. » lei encore nous avons la « construclio
ad synesin. » Comp. Malth. iv, 23.
2. J6sus k Nazareth, it, 16-30.
Recil dramaliqiie el vivant, tpie S. Luc te-
nait sans doule de quelque lemoin oculaire.
Nous avon? expose dans noire rommenlaire
surS. Matlhieu, p. 282 els., ladifficulle d'har-
monie qu'd occasionne. Mainlenanl comme
alors, malgre la similitude des fails, nous
croyons a I'existence d'une double visite faite
par Notre-Seigneur Jesus- Christ a ses conci-
toyensde Nazareth. Voyez Wieseler, Chronoi.
Synopse, p. 284 et s.; Tischendorf, Synopsis
evangel., p. xxxii, § 54. S. Luc relate la pre-
miere ; S. Malthieu el S. .Marc racontenl la
seconde. De partttd'autre la chronologie est
trop bien marquee pour qu'on puisse identi-
fier les fails.
16. — Venit Nazareth. Sur cette localite
non moins graeieuse que celebre, voyez I'E-
vang. selon S. Malth. p. 63. C'esl la que Jesus
avail ete eleve [nutritus]; nous avons vu en
effet (n, 39-52; comp. Matih. ii, 23) que la
plus grande partie de son enfance et toute
sa jeunesse s'etaienl passees a Nazareth. —
Intravit secundum consuetudinem suam (xari
TO £tw9o; aCiTu) du lexle grec est une belle tour-
nure antique). Precieux detail sur la vie reli-
gieuse de I'Homme-Dieu durant sa longue re-
traite de irente ans. Car nous ne pensons pas
que la coutume mentionnee par I'evangeliste
se rapporie seulement aux debuts du minis-
tere public de Jesus (t. loj.Le contexte (« ubi
erat nutritus ») exige un temps plus conside-
rable. Les enfanls elaienl du reste astreints
cl la frequenlalion des synagoguis a partir
de leur ireizieme annee. — Die sabbati in
synagogam. Sur ce jour et sur ce local spe-
cialement consacres au culte juif voyez JE-
vang. selon S. Malthieu, p. 94, Buxtorf, de
Synag. Judmor., c. x; Jahn, Archaeolog.
CHAPITRE IV
17. Et traditus est illi liber Isaiae
prophetae. Et ut revolvit librum,
invenit locum ubi scriptum erat :
17. Et on lui
prophete Tsa'ie.
113
donna le livre du
Et lorsqu'il eut
deroule le livre 11 trouva I'endroit
oh il elait ecrit :
^344 et 397. Dans I'humble boiirg de Naza-
reth il n'y avait qu'une synagogue, comme
I'indique I'arlicle du lexle grec, el; Triv suva-
"YWYT^v. — Surrexit legere (plus correctpment
« ut legeret, ad legendum » : on a copie
servilement la phrase grecque). Non s.nilo-
ment tout est graphique dans la description
de S. Luc, mais lout y est aussi de la plus
f>arfa;te exaclilude, comme nous le prouvent
es renseignemenls archeologiques parvenus
jusqu'a nous. Assis lout d'abord parmi les
assistants, Jesus se leva pour faire la lec-
ture de la Bible, qui a loujours forme le
fond du culte des synagogues. On se tenail
en cffet dobout pendant cotle lecture, par res-
pect pour la parole in^piree. Cfr Neh. viii, 4
et 5. Le Rosch-hakkeneceth (presidonl de la
synagogue) I'avait-il invite ce jour-la d'une
maniere expresse a remplir les fonclions de
Maplitir, c'esl-a-dire de lecteur, selon la pra-
tique habiluelle? ou bien s'offrait-il de kii-
meme, ainsi que le pouvait tout Israelite
honorable? Celte seconde hypolhese nous
parait plus conforme aux expressions de
S. Luc. Dans I'un ou I'autre cas , voila que
Notre-Seigneur gravit les degre de la Bimah
ou tribune situee aupres du petit sanctuairu'
de la synagogue.
■17. — Traditus est illi liber Isaice. Chaquo
?amedi on lisait, et on lit encore chez les
Juifs, deux passages de la Bible : le premier
se nommail Paraschah [nVJ'^'D' \ le second,
exlrait des Propheles. elait appele Haphtarah
{niTSSn). Puii^qu'on presente a Jesus le livre
{le grec porle simplcment piSXtov sans article,
c'esl-a-dire 'me copie, un exemplaire) des
propheties d'lsaie, c'est done que la Para-
schah avait ete lue, et qu'on etaii alors airive
a la derniere partie de la ceremonie, qui se
concluait en effet par I'Haphlarah litteral.
acle de congedier). — Ayant regu le livre
(ici t6 pt6).tov) des mains du Chazzan ou sa-
crislain de la synagogue (rOmoperr,; du t. 20),
Jesus I'ouvrit, ou mieux il le deroula, revolvit
(ivaitx'j^a; *, les manuscrits A, B, L, Z, le
copie et le syriaque ont par erreur avoi^a?),
car les livres lilurgiques chez les Juifs ont
loujours consiste en mombranes de parclie-
min cousu! s boul a bout et roulees aulour
d'un ou deux batons plus ou moins oi ties.
C'est pour cela qu'on les appelait Meghdlah,
rouleau. Telle est d'ailleurs la forme primi-
tive des livres [« volumina », de « volvere »),
quoique les « libri » proprement dils, com-
poses de feuilles carrees ou rectangulaires
S. Bible S.
placees I'une sur I'autre (« codices, tabulae »),
fussent connus des avant I'epoque de Notre-
Seigneur. Les louleaux bibliques sonl parfois
enoim-s, et parconsequenttres incommodes.
M. Scliegg, dans une note inleressaiite ;Evang.
nach Lukas, t. I, p. 214^ en decril un^ conte-
nanl les Parasches, qui n'a pas moins de
138 pieds de long sur 2 de large, el qui pese
11 livres 1/2. Pour obvier aux inconvenients
d'un lei poids et de telles dimensions, on di-
visait souvent les « volumes » en plusieurs
tomes, qui conlonaient chacim une partie
dislincte. C'est ainsi que Jesus regnt une
Meghillah specialcmeni rescrvee a Jiai'e :
d'oii \\ suit que I'Hafihiarah de ce jour devait
elre prise dans l( s oracles du fils d'Araos. —
Invenit locum... Le divin Mailre choisit-il de
lui-meme oe passage? ou bien otaii-il fixe
pour la lecture du jour? Comme les Juifs le
iisent actuellement pour la fete du « loin
Kippour » ou de I'cxpiation, divers auteurs out
suppose qu'on celebrait alors cette solennilii.
Mills il est aise de It ur demonlrer que I'ordre
actuel des Haphtarah est loin de lemontcr
au temps de Jesus (comp. Zunz, Gotles-
dienstl. Vortraege der Juden, p. 6). Revenant
a la question proposee, il nous semble plus
nalurel de conclure de I'expression employee
par S. Luc, eype, « il irouva », que Jesus, ea
deroulant le volume, tomba providenlielle-
ment sur une colonne consacree au cha-
pilre LXie, el s'y airela pour en lire les pre-
mieres lignes. Rien ne pouvait eiie mieux
appropi ie a la circonstance, car si un passage
relaiif a la descenle royale du Missie, a ses
prerogatives judiciaires, a sa puissance irre-
sistible, eut ele peu en rapport avec les pre-
juges de I'assomblee, un texte qui developpe
son role paciTique et humble, sa condescen-
dance el sa douceur, convenait au contraire
admirablement ; or, dans celui que trouva
Jesus, le « Christus consolalor » est peint au
vil avec toules ses divines amabilites. avec
sa predilection pour les pelits el les afHiges,
eu ineme temps qu'avec I' s graces qu'il a
regues du ciil pour apportor le bonhpur k
tons. S. Luc citi> ces paroles d'lsale d'apres
la traduction des LXX, raais avec quelques
varianles remarquables, ainsi qu'il arrive
presque loujours quand un fragment de I'An-
cien Testament est insere dans les ecrils du
Nouveau. Jesus les lut en hebreu, et le me-
turgheinan ou interprete en donna probable-
menl la Iraduclion en arameen, I'idiorae parle
alors dans toute la Palestine.
Lnc. — 8
ill
^VANGILE SELON S. LUC
18. L'Esprit du Seigneur est sur
moi, c'est pourquoi il m'a oint el
m'a envoye evangeliser les pauvres,
guerir ceux qui ont le coeur brise,
19. Annoncer aux captifs leur
delivrance et auxaveugles le recou-
vremeiiLde la vue, mettre en liberie
ceux qu'ecrasent leurs fers, publier
I'annee salutaire du Seigneur et le
jour de la retribution.
18. Spiritus Domini super me ::
propter. quod unxit me, evangeli-
zare pauperibus misit me, sau.are
contritos corde,
Isal. 61, 1.
19. Prsedicare captivis remissio-
nem, et csecis visum, dimittere con-
fractos in remissionem, prsedicare
annum Domini acceptum, et diem,
retributionis.
48 et 19. — Spiritus Domini super me.
Des ces premiers mols nous troiivons, comme
aimaienl a le dire les anciens auleurs, I'lndi-
calion fJes Irois pcrsonnes divines : le Pere,
marque par « Doininus » (Jehova du lexte
hebrcu), le Fils (« super me »), qui ne dif-
fere pas du Messie, el I'E^prit Saint. Qui,
mieux que Jesus, pouvait. s'appliquer de lelles
chosi's? Gomp. 1>. xi, 2; xlii, 2. Voila la
qua! nemo fois, depuis !e conimencement de
ce cliapitre, qu'on nous ie montre possedant la
plenitude de I'Espi it de Dieu I — Propter quod
unxit me. La locution conjonclive du latin,
de meuie que ou gvexev du texte grec, equi-
vaut simplemenl a « quia » (vjf de I'hebrcu).
La preuve que I'Esprii Saini dirige le Christ
est manifesto : n'a-t il pas abondamment re-
pandu sur lui son onction?Il y a ici, dans
le lexte primilif comme dans la traduction
grecque, uu jeu de mols inleressant : Messie
vienl de nU7D [maschach), « unxit », de memo
que Christ derive de XP'*^' Toutefois, c'est
au moral qu'il faut entendre cette onclion du
Messie : elle designe une destination sainte,
une consecralion. Jesus venait de la recevoir
au bapteme. Comp. Act. iv, 27. — La suite
de la cilation caracterise d'une maniere su-
blime I'ceuvre misericordieuse du Christ, au
moyen d'expressions a peu pres synonymes,
donl la repetition emphalique est du plus bel
effet. Dieu a done envoye son Messie sur la
terre pour annoncer la bonne nouvelle (evmi-
gelizare, iW^h) aux pauvres, generalement
oi delaisses ; pour guerir les coeurs brises, el
il y en a taut en ce monde [sanare contritos
corde, proposition aulhenlique quoiqu'elle
manque dans plusieurs documents important?,
lels que les manuscrits B, D, L, Z, Sin., et
les versions cople, armen., elhiop., ilal.) ;
ponr crier aux captifs qu'ils sent libres [re-
missionem = « dimissionem »), aux aveugles
qu'ils voient (liUeral.,d'apres I'hebr.eu, « aux
enchaines une ouverlure » : les prisonniers
longiemps plonges dans d'obscurs cachols, et
enlin delivres, sont assimilespar la traduction
Alexandrine a des aveugles qui recouvrent
subitement la vue) ; enfin pour prdcher annum
Domini acceplum, I'annee loule aimable de
Jehova : Sexto; du texte grec, que la Vulgale
Iraduit servilement,equivauteneffet aapeoto?
(comp. \et. 24). Isaie, par cesderniers mols,
faisait allusion a I'annee jubilaire, qui, en re-
mettant toules les deltes, et en rendant la
liberie a lous les esclaves. faisait cesser tant
de douleurs! Voyez Lev. xxv, 8 et ss. Le
jubile de TEvangile est mille fois plus aimable,
car il remet dcsdetles autrement ecrasantos,
il brise des chaines aulrement lourdes, les
deltes et les chaines du peche! — Pour avoir
pris irop k la lellre cette « douce annee du
Seigneur », divers ecrivains ece.lesiasiiques
de I'anliquite, lels que Clement d'Alexandrie,
Strom, i; Ongene, de Princip. iv, 5; Tertul-
lien, conlr. Jud. 8; Laclance, Instit. Div. iv, iO
(comp. S. August, de Civ. Dei, xviii, 54), et
plusieurs sectes bereliques (les Valentiniens
et les Alogi; voyez Hase, Leben Jesu, p. 21)
ont cru a lort que le minislere public de
Notre-Seigneur Jesus-Christ n'avail pas dure
au-dela d'un an. On refute aisement cette
opinion a I'aide de la tradition et des textes
evaiigeli(|ues. Voir lechapitre do noire Intro-
duciiou generale relalif a la Chronologie des
Sainls Evangiles, et Winer. Bibl. Realwoer^
terbuch, I. 1, p. 568 de la 3e edit. — La iigne
dimittere confractos in remissionem ne fait
point partio du chap. LXie d'lsaie; niais on
la Irouve un peu plus haul, lviii, 6 (Vulg.
H dimille eos qui confructi sunt liberos »).
S. Luc, citant de memoire, I'aura inseree ici
a cause de la ressemblance des pensees. —
Quant aux mots et diem retributionis, quoi-
qu'ils apparliennent au texte du prophele, il
est probable qu'ils ont ete ajoules en eel en-
droii par suite d'une erreur des copistes, car
40 ils manquent dans le lexte grec de S. Luc
ainsi que dans plusieurs versions; 2° comme
ilsexpriment une idee terrible, annongant les
vengeances du Seigneur centre les impies, ils
ne cadrent pas Ires bien, du moins dans la
situalion decrite par I'evangeliste, avec le
but que se proposait Notre-Seigneur. Jdsus-
CIIAPITRE IV
115
20. Et cum plicuisset librum, red-
didit ministro, et sedit. Et oainium
in synagoga oculi erant intendentes
in eum.
24. Coepit autem dicere ad illos :
Quia hodie impieta est hsec scrip-
tura in auribus veslris.
22, Etomnes testimonium illi da-
bant : et mirabantur in verbis gra-
tiae qnse procedebant de ore ipsius,
et dicebant : Noune hie est filius
Joseph?
23. Et ait illis : Utique dicetis
20. Et lorsqu'ii eut replie le livre
il le rendit an ministre et s'assit. El
tons dans la synagogue avaient les
yeux fixes sur lui.
21. Et il commenca a leur dire :
Aujourd'hui s'est accomplie cette
Ecriture que vous venez d'entendre.
22. Et tous lui rendaient temoi-
gnage, et ils admiraient les paroles
de grace qui sortaient de sa iDouche
et disaient : N'est-ce pas la le fils de
Joseph?
23. Et il leur dit : Sans doute
s'arreta done apres « annum Domini accep-
tuin », de maiiiere a n'avoir quo des choses
graciouscs a developper d(>vanl ses conci-
toyens de Nazaielh. — Habiluellement, il
est vrai, le maphlir lisail 21 versels des pro-
pheles; mais il arrivail aussi qu'on se con-
teniSt d'en lire Irois, cinq ou sepl. Jesus
profila de celle lalilude.
20. — Les details de ce verset sonl tous
exlrememenl pitioresques ; c'est un tableau
vivanldu peinlre S. Luc. En avant, nous con-
templons le heros de la scene, el tout autour
les spectaleurs. Cliacun des gestes de Jesus
est decril : sa lecUne acheveo. lo il roula la
Meghillah (quum jiliruiiset librum; le grec
porle nTO^a? to ptoXt'ov, « quura revoivij^sei. li-
brum » : c'esl le coirelatif de avaTiTu^ai; du
t. n); 20 il la rendil au Chazzan (ministro)
qui la replaga aussilol dans I'arclie sainle
(thebah) situee au fond du saiicluaire; 3o il
s'assit dans la chaire du lecleur, monlrant
ainsi qu'il allail prendre la parole pour expli-
quer lo texle qu'il venail de lire. — L'audi-
loire est vivcmenl iuipressioue : omnium...
oculi eranl intendentes fd-rsvi^ovTe? du grec est
encore plus expressif) in cum. Tous les re-
gards sonl fixes sur Jesus. Cliacun des assis-
tants sedemande ce que pourra bien dire, sur
un texle aussi remarquable. ce jeune hommo
qui n'a paru jusqu'alors dans le pays que
comme un humble charpeulier, maisqui s'esl
distingue aux alenlours par sa predication et
par ses miracl-es.
21 . — Quel commenlaire tout divin Jesus ne
dul-il pas faire des paroles d'lsaii' 1 Toutcfois
il n'a pas plu a I'Espril Saint de nous le con-
server. S, Luc n'on donne que I'exorde [coepit
dicere], qui duletre en merrn^ temp^ le theme
du discours de Notre-Seigneur : Quia hodie
implelaest... « Quia » est redondant; «liodie»
plein d'empliase; « impieta est » ne designe
pas uno simple accommodation, mais un
accomplissement lilteral et parfail. In auri-
bus vestris est un hebrai'sm ; pour « vobis au-
dientitus » : au moment meme ou Jesus
lisail aux habitants de Naziii elh la proplietie
d'lsaie, elle Irouvail sa realisation; I'Evan-
gile etait preche par le Messie. L'interpreta-
lion d'Eulhymius, de Paulus, de Rosen-
miiller, etc.,'« scriplura haec quam audivis-
lis ». est done tres inexacte.
22. — L'ecrivain sacre decril avec force
I'effel produit par le discours de Jesus.
Omnes testimonium illi dabant : c'esl-^-diro
que tous louaiont le celeste oraleur^tJ^apTup£tv
est employe dans ce sens par Philon, Josephs
el meme les classiques) et mirabantur... Eiil-
il ete possible de ne pas admirer, de ne pas
louer? « Les paroles qui sortaient de la
bouche de Notre-Seigneur » (ox[)ression lr6s
eleeante) n'etaient-elles pas remplies, el pour
le fond et pour la forme, d'une grace surna-
trjrellc que rien n'avait egale jusqu'alors'^
« Diffusa est gratia in labiis luis, » propheti-
sail de lui le Psalmisle, Ps. xliv, 3, et ses
ennemis eux-memes reconnaitront, Joan.
VII, 46, que personne ne savait parler comme
lui. Voir sur I'eloquence de Jesus-Chrisl
I'Evang. selon S. Matth. pp. 96 el s. — Et
dicebant. C'esl a bon droit que Fr. Luc ajouUi^
a la conjonclion « el » une pariicule adver-
sative : « et tamen. » A la suite du discours
qu'ils avaienl enlendu el justemenl admire,
les assistants auraient du acclamer d'une
seule voix Jesus comme le Messie. Mais voici
qu'une reflexion loule humaine transformo
soudain leuis sentiments : Nonne hie est
filius Joseph? lis se rappellent que celui qui
vii nt di' k'ur parler n'est que le fils du pauvre
charpcntier Joseph, qu'il n'a regu aiicunc
education, et aussitol leur foi naissante fait
place a la plus complete incredulite. Ils re-
iusent de reconnaitre a Jesus une mission
venue d'en haul parce qu'il etait de condition
obscure.
23. — Et ait illis. Jesus a rem<jrque le
changoraent qui s'est opdre dans I'assislance :
peut-elre meme a-t-il enlendu les expres-
I
116
EVANGILE SELON S. LUG
vous me direz celte similitude :
■VIedecin, gueris-toi toi-meme; ces
grandes choses faites a Gaphar-
naiim, dont nous avons entendu
parler, fais-les ici dans ta patrie.
24. Et il ajouta : En verite je vous
disqu'aucun prophete n'est accueilli
dans sa patrie.
25. Je vous le dis en verite : il y
avait beaucoup de veuves en Israel
aux jours d'Elie, lorsque le del fut
mihi hanc similitudinem : Medice,
cura teipsum : quanta audivimus
facta in Capharnaum, fac et hie in
patria tua.
24. Ait autem : Amen dico vobis,
quia nemo propheta acceptus est in
patria sua.
25. In veritate dico vobis, multae
viduse erantin diebusElise in Israel,
quando clausum est coelum annis
sioris dedaigneiises qui circiilaient a son
egard, les Juifs tie se gonant giiere pour ma-
nifesler, meine an sein des asseiiiblees reli-
gieuses, Icurs dispo.-ilions hoslile-; on bien-
veiltentes (Cfr. Farrar, Life of Christ, l. I,
p. 224 de la 23e edit ). li prend de nouveau
la parole pour y repondre. — Utiqae (TtavTui;,
« oranino, ccrle » ; comp. Act. xxvm, 4)
dicetis mihi hanc similitudinem (dans le groc,
t91v 7tapa6o).riv TauxTiv; ici le mot Parabole
equivaiit a Provorbe. Sur ce sens large
voycz I'Evang. selon S. Matlh., p. 2o7; lout
proverbe conlient una comparaison). Notre-
Seigneur suppo-e done que sos auditeurs
meconlents Uii cilent, par mode d'objeclion,
le provcibe Medice, cura te ipxum,, que I'on
ne rcnconlre pas sans un iiiteret special dans
i'Evangile du o Medicu? carissitnus. » II est
d'ailleurs frequemment employe non-seule-
ment par les Riibbins, mais aussi par les
classiques remains et grecs, car la verite
naive et mordanle qu"ii exprime apparlient
a la sagesse p pulaire de lous les tomps et
de tous les pays. « Medice sana claudica-
tionem luam », Tanchuma in Gen. p. 61.
« Et faleor, medicu^ tnrpiter aeger eram »,
Ovide, dp lie amat. 316. 'A),),tov Ix-cpb:, aOxi;
SXy.eai Ppuwv, Eurip. Fr. 247. « Hanc priraum
tutare domum », Virg. (ap Sch( gg, h. I.). Ce
mot du grand poele latin indique ties bien
la signification que pouvait avoir noire pro-
verbe place sur les levr(^s dcs rudes habitants
de Nazareth. « Fais d'abord pour les liens,
si tu V(ux qu'ils croient en ta mission, ce
que lu operes si bien pour d'aulr. s. » Au
resle, Jesus ajoule lui-memo I'explication,
en conlinuant de parler au nom de ses con-
citoyens' Quanta audivimus facta in Caphar-
naum (ii'S manuscrils B, D, L, etc. ont etc,
en faveur de, au lieu de Iv de la Recepta)...
S. Luc n'a metitionne nulle part fncore Io6
miracles que Jesus avait accomplis a Caphar-
naiiin : mais celie reflexion suppose qu'ils
exislaient,eclalants et nombrcu\.
24. — Ait autem. Souvent S. Luc, comme
parfois S. Marc, emploie cette Tormule au
milieu des discours de Jesus. Comp. vi, 39;
xii, 16; XIII, 20; xv, 11, elc. Elle indique
une pause rapide. en meme lemps qu"elle
sort a mettre en relief une parole du divin
Mailre. Ici elle introduit en outre la reponse
faile par Notre-Seigneur a I'objeclion tacite
de ses compatriotf s. — Nemo propheta (pour
« nullus propheta »)... C'est la preii)iere partie
de la reponse. Au proverbe « Medice cura to
ipsum » Jesus repond par un aulre proverbe.
Celui qu'il choisit ne pouvait etre cile plus
a propos, puisque les liabiianis de Nazarelh
refusaieiit precisemcnt ds crcire a la mission
cel( ste du Proplielc qui daignait se mettre
en communication avec eux. Le Sauveur ex-
pliquait ainsi pourquoi il n'avait pas fait de
miracles dans sa palrie. Quiconque refuse de
recevoir un prophete est-il ( n droit de se
plaindreqiiecelui-ci nelui accorde aucun bien-
fait extiaordinaire? Done a vous la faute, et
pas a moil « Ingrata patria », dit une sen-
tence semblablo des Latins. L'exemple de
Jeremie a Analhoth (Cfr. Jr. xi, 21 ; xu, 6^
ne I'avait que trop bien monlre. — Acceptus,
caique sur le grec Sexto;, signifie en cet en-
droit « honore, esiime. » Comp. Matth.
XIII, 57 et s.; Joan, iv, 44 ; .4ct. x, 35.
25. — Dans les tt. 25-27 le Sauveur jus-
tifie encore sa conduite par des fails em-
prunles a I'histoire des deux plus celebres
prophetes d'Israel. Elie et Elisee, parmi des
circonslances analogues a celle ou il se trou-
vait, n'avaienl opere aucun prodige en faveur
de leurs concitoyi-n-:, landis qu'ils en avaimt
accompli pour dcs elrangeis, bien plus, pour
des parens. — Premier exemple, tif. 25 el 26.
— In veritate, lit' a).Y)8£ta;, est une locuti >i>
aimee de S. Luc. Cfr. xx, 21; xxii, 59;
Act. IV, 27; X, 30 fS. Maic I'l-mploie aus-i
a deux reprises, xii, 14, 32); elle equivaui a
« amen , vere ». — Quando clausum est
coelum : belle metaphore pour designer un
long manque de pluie. Cfr. Gen. vii, 2;
II Par. VI, '26; vii, 13. La secheresse a la-
quelle Notre-Seigneur fait allusion est men-
lionnee d'une maniere expresse au troisierae
CHAPITRE IV
Ml
tribus et mensibiis sex, cum facia
esset fames magna in omni terra :
26. Et ad nullam illarum missus
est Elias nisi in Sarepta Sidonise,
ad mulierem viduam-
HI Reg. 7, 9.
27. Et multi leprosi erant in
Israel sub Elisseo propheta : et nemo
eorum mundatus est, nisi Naaman
Syrus.
irReg.5, 14.
28. Et repleti sunt omnes in sy-
nagoga ira, hsec audientes.
29. Et surrexerunt, et ejecerunt
ferme pendant trois ans et six mois
et qu'il y eut une grande famine
sur la lerre;
26. Et Elie ne fut envoye a au-
cune d'elles, mais seulement a une
femme veuve a Sarepta de Sidon.
27. Et il y avait beaucoup de le-
preux en Israel du temps du pro-
Elisee, et aucun d'eux ne fat gueri,
mais seulement Naaman le Syrien.
28. Et ils fiirent tous remplis de
colere dans la synagogue, en enten-
dant ces paroles.
29. Et ils se leverent et le reje-
livre des Rois, ch. xvii el xviii. Si'ultMiient,
Jesus en fixe la duree a Irois ans el deini,
annis tribus et mensibus sex, laiidis que I'An-
cien Teslainenl (I. c, xviii, 1) seinble dire
qu'elle ne fui pas meme de Itois annees com-
pletes : « Factum est verbum Domini ad
lilliam IN ANNO TERTio dicens : Vade, et os-
tende le Achab, ul dem piuviam super faciem
terrae. » Mais (des ralionali:?tos eux-memes
I'admellenl) il n'y a pas la une veritable
antilogie; car il put s'ecouler un certain
temps encore avant qu'Elie allat Irouver
Achab el fit cesser la secheresse. Voyez
Ligliifool, Hor. h^br. in h. 1. II nous resle
done assez de latitude pour Irouver six ou
huit mois. S. Jacques, v, 17, cite d'ailieurs
tout a fait les memes cliitiVes que le Sauveur,
preuvo que la tradition juive les avait dopuis
iongtemps determines. La varianteeTiiexyiTpia,
qu'on lit dans plusieurs manuscriis el ver-
sions, pourrait bien avoir ele creeo lout
expres en vue de faciliter la solution de ce
petit probleme exegelique. — In omni terra
est une hyperbole populaire pour designer
la Palestine.
26. —Ad nullam illarum missus est Elias.
Detail interessanl, que nous aurions ignore
sans Jesus ; en effet, si I'histoire sainte parle
tout au long de la veuve de Sarepla, elle
n'ajoule pas que seule elie ful I'objei de I'in-
tervention miraculeuse du prophete Elie. —
Sarepta etail un? bourgado phenici^^nne bSlie
sur les bords de la Mediterranee, k peu pres
k egale distance de Tyr et de Sidon. Voyez
V. Ancessi, Atlas geogr. pi. XVI; R. Rie'ss,
Atlas de la Bible, pi. IV. L'epilhete Sidonice
(mieux « Sidonis » d'apres le texte grec)
prouve qu'elle dependait de celte derni^re
ville. Son nom hebreu etail Zarpal. Non loin
de son antique emplacement s'eleve aujour-
d'hui le petit village de Surafend.
27. — Second exemple, tire de ia vie
d'Elisee. Voyez les deiails au qualrieme livre
des Rois, ch. v. — JHulti erant leprosi. Sur
la multiplicite des lepreux a cetle epoque,
comparez Ibid, vii, 3 et ss. — Sub Elisceo
propheta est unn formule equivalant a « in
diebus Eliae », t- 25. Cfr. iii, 2 ; Marc, ii, 26 ;
Act. XI, 28, etc. Les prophetes celebres, de
mSme que les pretres et les rois, servaient
a marquer les principales periodes de I'his-
toire juive. — Mundatus est : termo th^o-
cratique pour designer la guerison de la
lepre, cette maladie rendant impurs au
point de vue legal les malheureux qu'elle
alleignait. — De ce second fail, aiusi que
du premier, il resultail d'une fagon tres evi-
denle que les faveurs celestes ne sont nulle-
monl restreinles a telle ou telle zone geogra-
phique : elles accompagncnl la foi et non la
nationalile. Que l-s habitants de Nazareth
croienl done en Jesus, el il fera des prodiges
chez eux comme i\ en a fait a Gapharnaiim.
28. — Ce verset signale, comme le 22e,
I'efTet produil par les paroles de Jesus; mais
quel contiasle! « Omnes testimonium illi da-
bant », repleti sunt omnes... ira. C'est que,
en tous licux. « Veritas odium paril. » Quoi-
qu • Jesus n'lut pas fail directcm inl a ses au-
diteurs I'applicalion des exemples qu'il avait
signales, ils comprirenl sans peine le rappro-
chement. Vaudrions-nous done moins, se di-
renl-ils, que la paienne de Sarepla, que I'im-
pur Naaman? Cetle pensee les remplit aus-
silol de rage. On sail que les Galil^ens ^talent
des liorames violenls, passionnes. « Leurs
cceurs etaient souleves par des temp^les aussi
soudaines que celles qui, en un moment,
mellent en furie la surface, calme comme un
miroir, de leur beau lac. » Farrc r, Life of
Christ, t. I, p. 227 de la 23e edition.
29. — Surrexerunt, el ejecerunt... (dSe'SaXov,
418
EVANGILE SRLON S. LUC
terent hors de la ville et le mene-
rent jusqu'aii sommet du mont sur
leqiiel leur ville etait batie, pour le
precipiter.
30. Mais lui, passant au milieu
d*eux, s'en alia.
ilium extra civitatem : et duxerunl
ilium usque ad supercilium mentis
super quern civitas illorum erat sedi-
ficata, ut prsecipitarent eum.
30. Ipse autem transiens per me-
dium illorum, ibat.
mot energique), et duxenint. Admirons en
passant la rapidite du recil : elle reproduil
le caractere tragiqu > des fails. La synagogue
de Nazarolh fuL done teinoin d'line scene at-
freuse. Deux ou irois voix poussenL un cri de
raorl contre Jesus : touie I'assemblef serallie
aussitol a ce projel sanguinaire; des mains
brutales saisissent Notie-Se'igneur. On a
pourlant assez de sang-froid pour ne pas
execuler sur place Taffreux atlenlal. Ces for-
cenes irainent leur victime hors d.- I'enceinle
sacree, puis hors de la ville. Les voila bientoL
aupres du s!//)?rci/a(Ht (expression tresclassi-
que; Comp. Yiig. Geoig. i, iOS : de meme
69pu; du lexle grec) montis super quern civi-
tas... "rat cedi(icata. Le genre desuppiice qu'il
veule "ifliger a Jesus esl maiiilenant ma-
nifesto »!i; TO xaTaxpriijLviGai auTov [ut prwci-
pilarent eum); il elail assez usile chez lous
les peuples d'alors, et I'histoire juive en con-
lenait un terrible example. Clr. II Paral.
XXV, 12. L'S giacieuses montagnes qui en-
lourent Nazareth, en particulier le Djebel es-
Sich sur le versanl duquel s"appuie et s'eiage
la cite de Jesus, renfermenl plus d'un rocher
a pic parfaitement approprie aux intentions
homicides de la foule. Gelui que I'on designe
au moins depuis I'epoque des croisades sous
le noni de « Mons piaecipitalionis » presents
un aspect grandiose et terrible. Voyez Schegg,
GedenkbucheinerPilgerreise, t. II. p. 131 e^s.
Sur la route qui y conduit, le pelerin coniem-
ple avec emotion les ruines de i'eglise « del
Tremore)), batie autrefois a I'endroil oil Marie
serait accourue desolee en apprenant le sort
qu'on reservait a son divin Fils. II est vrai
que le « Mons praecipilationis » est silue a
3200 metres de la ville, distance qui semble
un peu longue vu les circonslances. C'est
pourquoi beaucoup de voyagcurs lui subsli-
tuent un rocher perpendiculaire, haul de
40 a 30 pieds, qu'on voit aupres de I'Eglise
des Maroniles, loul a fait sur les limites de
Nazareth. Voyoz Sepp, Jerusalem u. das h.
Land. I. II, p. 88 ; Robinson. Palaeslina, I. Ill,
p. 419; Stanley, Sinai and Palestine, ch. x.
A propoi de ces executions sommaires que le
fanalisme judaique elail si prompt a decreter
etqu'un faux zeie servait ajustifier,comparez
Act. VII, 56 el ss.; xxii, 22. C'elait I'equi-
valent de la loi Lynch des Americains.
30. — Ipse autem... (locution emphatique).
Ua venait d'arriver, et le cruel desseio etait
sur le point de recevoir son accomplisse-
menl ; mais voici que Jesus se degage lout a
coup des mains deses bourreau.^ et, transiens
per itiedium illorum, ibat. Quelle scene, el
comme elle esl aduiirablement decrite! Get
« ibat » (remarquez firaparfait) rejele a la
fin de la phrase n'est pas moins majestueux
que la demarche du Sauveui- s'en allanl avec
calme, sans prcsser le pas, comme s'll eut
traverse les rangs presses d'une foule inoffen-
sive. Que s'esl-il done passe? Jesus, usant de
sa puissance siirnatureile, a-t-il aveugle ces
baibaresV a-t-il raidi subitement leurs mem-
bre-;? s'est-il rendu lui-meme invisible? Ces
expedients, auxquels ont eu recours d'anciens
exegetes, nous paraissent un peu forces.
Touiefois nous ne dirons point, avec des
commenialeurs conlemporains, que le phe-
nomene pent s'expliquer d'lme maniere pure-
ment naiurelle ; nous ne croyons pas suOhsant
de rappelera leur suite que I'histoire presenle
plus d'un cas oil le calme et la majesie de
I'innocence ont suffi pour paralyser la fureur
de populaces ameutees. Nous admettons ici
I'existence d'un miracle, tout en pensant que
le miracle fut seulement moral, interieur,
et qu'il eonsista on ce que nous appelions
ailleurs (voir I'Evang. sdon S. Matlh. p. 152)
un triomphe remporle sur des volontes en-
nemies, par la seulo volonte du Thauma-
turge. Clr. Joan, vii, 30, 46; viii, 59; x, 39;
xviii, 6. L'hypothese d'apres laquelle Nolre-
Seigneur aurail profile, pour s'echapper, des
rues etroiies el lortueuses dela ville, esl tout
simpiemenl absurde. — Selon la juste remar-
que de Theophylacle, si Jesus fit alors un
prodige pour eviler la mort, « ce n'est pas
qu'il redoulAl de souffrir, mais il altendail
son heure. »
3. Jesus k Capharnaum. iv, 3i-44.
Touehant recil. qui nous fournit nn remar-
quable specimen de ce qu'etail la vie de
Notre-Seigneur Jesus-Christ durant la pre-
miere periode de son ministere public. Nous
y Irouvon-, apres un coup d'oeil general sur
le ministere du Sauveur, tt. 31 el 32, la
guerison d'un demoniaque, tt. 33-37, de la
belle-mere de S. Pierre el d'aulres malades,
tt. 38-41 , une courle relraile de Jesus el son
depart pour une mission pr^chee en Galilee,
tt. 42-44. Comme nous le faisionsremarquer
ddrs notre commentaire sur S. Marc, p. 3S
CHAPITRE IV
419
31. Et descendit in Ccapharnaum,
civitatem Galilsese, ibiqiie docebat
illos sabbatis.
Maith. 4, 13; Marc. 1, 2i.
32. Et stupebant in doctriua ejus,
quia in poteslate erat sermo ipsius.
Malth. 7. 28.
33. Et in synagoga erat homo
habens dseinonium immundum, et
exclamavit voce masfna,
Mure. 1,23.
34. Dicens * Sine, quid nobis el
31 . Et il descendit a Gapharnaum,
ville de Galilee, et la il les ensei-
gnait les jours de sabbat.
32. Et ils etaient ravis de sa doc-
trine parce qu'il parlait avec auto-
rite.
33. Et il y avait dans la syna-
gogue un homme possede d'un
esprit immonde, etil cria d'une voix
forte,
34. Disant : Laisse-nous, qu'il y
et 33, ce paragraphe contienl I'hisloire d'une
journee complete de la vie de Jesus. M. F.
Delitzscli en a fait un delicieux recit sous ce
litre : Ein Tag in Kapeinaum, Leipzig 1871.
a. Apergu general de Vaclivile du Sauveur d Ca—
j)harnaum.iv,i\ et 32. (Paiall. Marc. i, 21 et22].
31 . — Descendit in Capharnaum. Gette locu-
tion, propre a S. Luc, est d'une parfaile exac-
titude au point de vue topographique, car la
difference de niveau enlre les viiles de Caphar-
naiira et de Nazareth esld'environ 1900 pieds.
Celle-ci est batio sur le plateau eleve de Ga-
lilee, celle-la dans le profond bassin qui con-
tienl le beau lac an sujet duquel un Rabbin
faisait prononcer par Dieu ces paroles signi-
ficalives : « J'ai cree plusieurs lacs dans la
trre de Chanaan; mais je n'en ai choisi
qu'un seul. celui de Gennesarelli. » Voyez
R.Riess,Allasdela Bible, pi. VII. Jesus venait-il
alor.-; a Capharnaum pour y elablir son sejour
definitif (corap. Mallh. iv, 13 et le commen-
laire), ou s'y elail-il deja fixe quelque temps
aupaiavanl? G'est ce qu'il est difficile de de-
terminer. La seconde hypolhese nous parail
plus probable. Voyez I'Harmonie evangelique
qui termine I'lntroduction generale. Quoi qu'il
en soil, Capharnaiim servira desormais de
centre au Sauveur . cette civitas Galilcece ,
comme I'appelle S. Luc pour la mieux desi-
gner a SOS lecleurs qui ne connaissaient pas la
geograpliie de la Terre Sainte, etait fort bien
appropriee au plan actuel de Notre-S 'igneur.
Voyez TEvang. selon S. Matth., p. 88 ets. —
Docebat illos (c'est-a-dire les Capharnaites,
< conslructio ad synesin ») sabbatis. Cette
phrase seuible indiquer unecouluiiie generale
de Jesus fremarquez I'imparfait « docebat »,
ou mieux encore, d'apres le grec, « erat do-
cens », et le pluriel tol; aiSSctai) ; mais on
pent I'appliquer aussi au fait special qui va
bienlot etre raconte, t. 33 et ss.
32. — Et stupebant in (pour « super », M;
comp. Marc, i, 22) doctrina ejus. Le verbe
« stupebant » a ete fort bien choisi pour
rendro le grec ^?£ir>r;<ToovTo, liileralemenl
a percellebantur ». — Quia inlroduit le motif
de cet etonnement extraordinaire. — In
poteslate erat sermo ipsius. Sur la locution
elvai ev rivi « aliqua re preeditus esse »,
voyez Winer, Grammatk des neutest.
Sprachidioms ; Beelen , Grammal. graecit.
N. T ; coinp. 1 Cor. ii. 4; Eph. vi, 2;
II Thess. II, 9. S. Marc dit plus dairement :
« Erat docens eos quasi potest atem habens,
el non sicut Scribae ». Cfr. Matth. vii. 29.
Jesus parlait done comuie un Legislateur
tout puis-ant, non comme un legisle denu6
d'autorile; son langage etait esprit et verite,
il ne consistait pas en arides formules con-
ventionnelles.
b. Guerison d''un dimoniaque. iv, 33-37.
Parail. Marc, i, 23-28.
Ce prodige, omis par S. Maltliieu, est ra-
conte en termes presque identiques par les
deux aulres synoptiques. Pour I'explicalion
detaillee nous renvoyons a I'Evang. selon
S. Marc, p. 34 et ss.
33. — In synagoga. « Si Capharnaum ne
differe pas de Tell-Houm (voyez noire com-
menlaire sur S. Matth., p. 230). les ruines de
niarbre blanc qui gisent encore surune petite
eminence siiuee non loin du lac, et qui en-
combrent des fragments de leur sculpture
elaboree remplacement aujourd'hui desert et
desole de la ville, poiirraient bien elre des
restes de cette synagogue », Farrar, Life of
Christ, t. I, p. 235. — Hovio habens dcemo-
nium imnuindam. Dans le grec, av9pw7ro; Ixia^
TtveOj.a Satjiovioy dxaOapTou, un homme ayant
I'esprit d'un demon impur : locution extraor-
dinaire donl il n'exisle pas d'auire exemple
dans le N TesiamMit. Les deux derniers mots
servent de quahlicatif a irveOjxa. Sur la
nature et la i-eahle des posses>ions, voyez
I'Evang. selon S. Matth., p. 165 et s. —
Exdainavit. Ce cri violent (le I rait pitto-
resque voce magna est propre a S. Luc; fut
arrache au demon par I'in-^tinct du danger
donl le menagait la sainte presence de Jesus.
34. — Sine (lot, imperalif de edw, je laisse,
120
EVANGILE SELON S. LUC
a-t-il entre nous et toi, Jesus de
Nazareth? es-tu venu nous perdre?
Je sais qui tu es : le Saint de Dieu.
3b Mais Jesus le reprimanda, di-
sant : Tais-toi et sors de cet homme.
Et le demon I'ayanl jete a terre au
milieu de Vasseniblee sorlit et ne lui
fit aucun mal.
36. Et tons furent saisis de peur
et ils se parlaient I'un a Tautre,
disant : Qu'est-ce que ceci? II com-
mande avec puissance el force aux
esprits immondes et ils s'en vont.
37. Et sa renommee se repandait
par tout le pays.
38. Et Jesus etant sorti de la syna-
gogue enlra dans la maison de Si-
mon. Or la belle-mere de Simon
etait retenue par de fortes fievres,
et ils le prierent pour elle.
tibi, Jesus Nazarene? venistiperdere
nos? scio te quis sis : Sanclus Dei.
35. Et increpavit ilium Jesus, di-
cens : Obmutesce, et exi ab eo. Et
cum projecisset ilium dsemonium
in medium exiit ab illo, nihilque
ilium nocuit.
36. Et factus est pavor in omni-
bus, et coUoquebanlur ad invicem,
dicentes : Quod est hoc verbum,
quia in potestate et virtute imperat
immundis spiritibus, et exeunt?
37. Et divulgabatur fama de illo-
in omnem locum regionis.
38. Surgens autem Jesus de syna-
goga, introivit in domum Simonis.
Socrus autem Simonis tenebatur
magnis febribus : et rogaverunt
ilium pro ea.
ATaU. 8, 14; M-irc. 1, 30.
ou bien, simpli^ interjection) est en effel
une exclamation do terreur. — Quid no-
bis... perdere nosf Le demon parle au plu-
riel, au nom de tous les espiils mauvais
('< unus pro omnibus, quasi indicans Christum
omnibus beilum indixisse », Maldonal\ —
Scio te quis sis a ele caique sur lo grec oTSa ae
xi; eT (voyez sur celte attraction, frequente
chez les classiques, Wint>r, Giamuiat. p. 551).
— Sanctus Dei, c'est-a-dire, le Messie. Cfr.
Joan. VI, 69 ; Act. iv, 27. LVnfer, malgre lui,
rend temoJgnage a Notre-Seignour. « Et dae-
mones credunt et contremiscimt ».
35. — Mais Jesus ne veut pas de ce temoi-
gnage. Prenant un ton severe el parlanl
comme un maitre a qui tout doit obeir, incre-
pavit ilium :'i\ donnecoup sur coupau demon
deux ordres expriuies en termes brefs mais
energiques : Obmuttscel puis Exi ah eo! Ces
dernieres paroles sent reraarquables a cause
du dualisme qu'elles supp jsent d'une maniere
81 evidente dans le phenomene de la posses-
sion : il y a I'esprit poss^sseur auquel Jesus
prescril un prompt depart, ei le malheureux
possede que ie Sauveur va delivrer. — Quum
projecisset ilium... in medium (scil. synagogae)
^quivaut a « discerpens eum » de S. Marc. Le
trait final nihilque ilium nocuit est propre au
o medecin bien aime ».
36 et 37. — Ces versets racontent les
effels du miracl ■. Les lemoins oculaires de
cette cure merveiilous? furent saisis d'unj
Vive frayeur (lYeveto 621160?. S. Marc emploio
luLe expression idenlique, eeaii6Ti9r,(iav). Les
reflexions qu'ils echangeaient au soitir de 1»
synagogue montrent ce qui les avait surtout
frappes : In potestate et virtute (associatioa
eraphalique, speciale a S. Luc, de subslan-
tifs a peu pres synonymes) imperat... Ce n'e-
tail pas ainsi que les exorcistes juifs expul-
saient les demons : il leur fallait de longues
adjurations, un anneau, je ns sais quelle ra-
cine, un vase plein d'eau (voyez Jos. Ant.
VIII, 2, 5; Bell. Jud. vii, 6, 3), et encore ne
reussissaient-ils pas toujours. Un mot de
commandement sufiBsait a Jesus. — Fer6um.
est un hebrai~me (121; pour « res ». S. Marc
a une legere variante. 11 a aussi « obediunt
ei » au lieu de exeunt. — Dioulgabatur fama
(Jan.s le grec, r,yoi, « sonus », mot rare et
expressif) de illo... La sensation produite par
la guerison du demoniaque ne fut pas seule-
ment locale; elle se reproduisit au loin dans
loute la contree.
<;. Gu6rison de la belle-mere de S. Pierre et de
nombreux malades. iv, 38-41. — Parall. Matth.
VIII, 14-17; Marc, i, 29-34.
Ici encore les narrations de S. Marc et de
3. Luc se ressemblenl beaucoup; celle de
S. Matthieu est un simple sommaire.
38. — Surgens autem... Le nouveau mi-
racle suivit done de tres pres celui qui avait
eu lieu dans la synagogue. — Domus autem
Simonts. S. Pierre est ici menlionne pour la
premiere fois dans le troisieme Evangile.
S. Luc, en ne donnant sur le prince des
Apoires aucun detail preiiminaire, suppose
CHAPITRE IV
itf
39. Et stans super illam, impera-
■vit febri : et dimisit illam. Et con-
tiniio surgens ministrabat illis.
40 Gum autem sol occidisset ,
omiies qui habebant infirmos variis
languoribus, ducebant illosad eum.
At ille singulis manus imponens,
curabat eos.
41. Exibant autem dsemonia a
multis, clamantia etdicentia : Quia
tu es Filius Dei : et increpans non
sinebat ea loqui, quia sciebant ip-
sum esse Christum.
Marc. I, 34.
42. Facta autem die egressus ibat
in desertum locum, et turbse requi-
rebant eum, et venerunt usque ad
ipsum : et detinebant ilium ne dis-
cederet ab eis.
~ 39. Etdeboutaupres d'elle il com-
manda a la fievre, qui la quitta, et
se levant aussit6t elle les servait.
40. Lorsque le soleil fut couche,
tous ceux qui avaient des infirmes
atteints de di verses langueurs les
lui amenaient, et lui, imposant les
mains sur chacun, les guerissait.
41. Et les demons sortaient de
plusieurs, criant et disant : Tu es le
Fils de Dieu. Et les reprimandanl
il ne leur permettait pas de dire
qu'ils savaient qu'il etait le Christ.
42. Lorsqu'il fut jour il s'en alia
en un lieu desert et le peuple le
cherchait, et ils vinrent a lui et ils
le retenaient pour qu'il ne les quit-
tdt pas.
que ses lecleurs le connaissaienl dcpuis long-
lemps. — Magnis febribus : les deux autres
synopliques se conlentenl de dire que la
belle mere de Simon etail « febricilans ».
S. Luc emploie naturellemenl une expression
medicale, qu'on relrouve dans les ecrits pa-
thologiqiies des lamps anciens. Les fievres
sonl assez frequenles aupres du lac de Tibe-
riade : produiles par un simple refroidisse-
ment, elles devienneiit promplement malignes
et meUent la vie en danger.
39. — Stans super illam : expression pi,'to-
resque el speciale a noire evangelisle [du
reste, chacun des trois narrateurs ajoule ici
quelquf^ irait particulier). La malade esl
etendue sur son lil; Jesus, debout auprps
d'elle, se penclie pour la toucher et la gue-
rir. — Impefavit febri m^ rend pas loule la
force du grec snexipiviffe : il faudrail « incre-
pavit », comms au t. 35. Celte belle person-
nificatiqn faisail dire a S. Basile : « Luc parle
d'une maniere figuree, comme d'un comman-
dement adresse a un elre intelligent » (Gal.
D. Thorn.). CoiTip. viii, 24. — Ministrabat
illis. Le pronom au pluriel indique que Jesus
n'etait point seul : nous savons par S. Marc
que ses qualre premiers disciples, Pierre et
Andre, Jacques el Jean, I'accompagnaient.
40. — Les deux miracles opeies isolemenl
dan> le courant di>. la journee, c'est-^-dire, la
guerisoii d'un deinoniaque et d'une malade,
se renouvelerent par masses le soir, apres Ic
coucher du soleil, ainsi que nous rapprenuonl
les tt. 40 el 41 . — 1° Gueiison di's malades.
Singulis (dan^ le grec, SxaaTw, <( unicuique »)
manus imponens est unnouveau detail propre
a S. Luc : il exprime la grando facilile avec
laquelle Jesus operait les guerisons. L'impar-
fait curabat (S. Mallh. el S. Marc ont le par-
fai'l « curavit ») marque des acles frequem
ment repetes duranl celle soiree celebre.
41. — 2° Guerison des deinoniaques. Exi-
bant (non\Q\ imparfail) dcemonia : c'elail, dil
S. Malthieu, sur un commandemenl expres
de Jesus. En se relirant, les dernons procia-
rnaieni, comme le malin dans la synagogue,
le caraclere messianique de Jesus : Quia (re-
cilalif) lu es FUius Dei (la R cepla porle :
cu eT 6 xpio'^o? 6 uios ToO 0eoO : mais les mots
6 xpKJ'To?) omis par les manuscrils B, C, D, F,
.Sin., etc., de meme que par la Vulgate, sont
probablemont apocryph'S). Comme le matin,
Jesus leur imposail silence. Les delails « Tu
es F;lius Dei », increpans, esse Christum,
sont particuliers au Iroisieme Evangile : ils
ajouteni de la clarle ou de la vie au recit.
d. J^ius se retire dam une solitude des bords du lae,
puis il vaprtcher en Galilee, iv, 42-44. — Parall.
Marc. I, 35-39.
42. — Facta autem die. « Diluculo valde
surgens », dil S. Marc avec un3 piecision plus
grande encore. Le lenlemain malm, Jesus
(piiUa doncde tres bonne hi-ure la maison de
S. Pierre, oil il avail pas^e la nwM [egressus], et
il gagna [ibat,Q\x mieux « ivil » d'apres le lexle
grec), pours'y livrer vn paix a la priere, i'une
des nonibreus;^s solitudes qu'on Irouve aupres
du lac de Tiberiade. Chose etonnanle, celte
fois ce n'est point S. Luc, mais S. Marc, qui
ineniionne la priere spdciale du Sauv'ur! —
Turbce requirebant eum : I'imparfail signifie
422
fiVANGILE SELON S. LUC
42. II leur dit : II faiit que j'an-
nonce aussi en d'autres villes le
royaume de Dieu, car je suis envoye
pour cela.
43. Et il prechait dans les syna-
gogues de Galilee.
43. Quibus ille ait : Quia et aliis
civitatibus oportet me evangelizare
regnum Dei : quia ideo missus sum.
44. Et erat prsedicans in synago-
gis Galisese.
CHAPITRE Y
La p^che miraculeuse et les premiers disciples de Jesu? iltt. \-\i). — Guerison d'lin lepreux
[tt. -12-16). — Guerison d'un paralytique (tt. 17-26). — Vocation de S. Matlhieu k
raposloial [tt. 27 el 28). — Repas chez Levi el scandale des Pharisiens (tt. 29-32). —
Les disciples de Jean-Baptisle el la question du jeiine [tt. 33-39).
1. Et il advint, lorsque lafoule se
pressait sur lui pour entendre la
parole de Dieu, et qu'il etait lui-
m^me pres du lac de Geunesareth,
1. Factum est autem, cum turbae
irruerent in eum ut audirent ver-
bum Dei, et ipse stabat secus sta~
gnum Genesareth.
que la foule conlinua ses recherches jusqu'a
ce qu'elle eut irouve Jesus [usque ad ipsum].
La tin du versel, detinebant (autre imparfait,
pour niarquer des elforts proionges) ilium ne
discederet..^ speciale a S. Luc, conlient aussi
un detail bien touchant, qui montre jusqu'^
quel point Notre-Seigneur etait alors aime.
11 est vrai que les sentiments de ce bon
peuple n'eiaient pas completement purs d'e-
golsme.
43. -^ C'est ce que Jesus leur montre dans
sa reponse : Aliis civitatibus oportet me evatic.
gelizare... II est vonu pour tons, et pas seule-
menl pour une zone privilegiee : il ne saurait
done demeurer toujours aux environs de Ca-
pharnaiim, ainsi qu'on I'y convie. Sur le
regnum Dei,\'oyez I'Evang. selon S.Matthieu,
pp. 67 et 68. — Weo [ei? foOxo, litter. « ad
hoc ») missus sum. Parole propre a S. Luc
sous cette forme. Nous lisions dans S. Marc :
« Ad hocenim veni ». Mais, de part et d'autre,
c'est Lien la memeidee, celle de I'lncarnation
du Verbe et de son avenemenl au milieu de
nous pour nous sauver. Le Christ a regu de
Dieu sa mission et il veut y 6tre fidelc.
44. — Et erat prcedicaiis: Getle construc-
tion indique un fait constant, par consequent
des predications reiterees. La Galilee entiere
eut sansdoutele bonheur d'enlendreJesu-:. —
In synagogis Galilcew. La leQon T»i? louSa(a;
des manuscrils B, C, L, Sin., etc., et de la
version copte, est rejelee presque unanime-
ment par les critiques comme une faule dc
copiste. M. Godel la traits a bon droit d'ab-
surde, car elle est en contradition ouverte
avec la suite du recit.
4. La pSche miraculeuse et les premiers
disciples de Jesus, v, 1-11 — Parall. Mallh.
IV, l8-i-2; Marc, i, 16-20.
Sur I'idenlite des evenements racontes ici
par les irois synoptiqiies, voyez i'Evangile
selon S. Matlhieu, pp. 90 et s. S. Matthieu,
et S. Marc ne donnent qu'une esquisse ra-
pid^ de cet episode ; S. Luc est au contraire
tres complet : de la les differences notables
de sa narration. Relativem'^nt a la suite
des fails nous pieferons I'ordre adopte par
5. Marc, d'apres lequel la vocation definitive
des premiers disciples aurait precede les
guerisons exposees dans le paragraphe pre-
cedent. Voir noire Harmonie evaugelique;
Tischendorf, Synopsis, xxviu ; Wieseler,
Chonol. Synopse, p. 285 et ss.
Les trois premiers versels contiennent la
mise on scene; nous avons ensuite, tt. 4-7,
le recilde la peche miraculeuse, puis,tV^. 8-11,
celui de la vocation de S. Pierre et de ses
compagnons. La narration entiere est exlre-
menient pittoresque et vivante.
Chap. v. — 1. — Quum turbce irruerent
in eum (au lieu de eTtixelaOai, « inslare » des
Latins, le Cod. Sinait. a cyvaxOfjvai) . Touchant
detail, qui peint au vif I'amour et I'enlhou-
siasrae du p'uple pour le bon Sauveur. —
Les mots suivants, ut audirent verbum Dei,
CHAPITRE V
4«3
2. Et vidit duas naves stantes se-
-cus stagnum : piscatores autem
descenderant, et lavabant retia.
Matt?i. 4, 18; Marc. I, 16.
3. Ascendens autem in nnam na-
vim quae erat Simonis, rogavit eum
a terra reducere pusillum : et se-
dens docebat de navicula turbas.
4. Ut cessavit autem loqui, dixit
^d Simonem : Due in altum, et
laxate retia vestra in capturam.
b. Et respondens Simon, dixit
2. Qu'il vit deux barques arrStees
sur le bord du lac; les pecheurs
elaient descendus et lavaient leurs
filets.
3. Et monlant dans une barque
qui etait a Simon, il le pria de s'eloi-
gner un peu de la terre. Et s'etant
assis, de la barque il enseignait le
peuple.
4. Lorsqu'il eut cesse de parler 11
dit a Simon : Avance en mer et jetez
vos filets pour la peche.
5. Et Simon lui repondit :Maitre,
montretiL I'espril de foi avec lequel les foules
recherchaieni Jesus : dies ne lui deman-
-daienl pas seulemcnt des miracles, inais
aussi le pain de la divine parole, qu'il ron:i-
pail a lous si abondamment, si suavemeiit.
— Et ipse. Sur la con>lruction liebrai'que
iYs'vETo 6s... xai auto? (1... ^7^1^) que nous re-
trouverons bientol a plusieurs reprises, Tfiir. 12
el 17, voyez li^s grammaires de Winer et de
Beelen. — Stabat. La locution grecque ^v
IcTTw; parait supposer que Notre-Seigneur
s'elait deja lenu debout pendant quelque
temps sur la grevo de sable blanc duici,
telle qu'elle oxisle aux alenlours de Gaphar-
naiiin, quand il monia dans la barque de
Siuion-Pierre pour etre moins presse par la
foule. — Secus stagnum Genesareth. Voyez
la description de ce i^racieux lac dans I'Evang.
selon S. Matlh. p. 91. Tandis que les deux
autres synopliques le nomment « mer de
Galilee », S. Luc s > sert habituellement pour
le designer de I'l xpression ).t[Aviri; moins am-
bigue pour ses Ipcleurs non-juifs.el employee
dureste par les LXX, par Josephe et par les
^eographes Strabon el Ptolemee.
2. — Autre tableau du peintre S. Luc.
Apres la foule qui se presso de lous coles
aulour de Jesus, avide de recueillir sa parole,
nous voyons des pecheurs lavanl leurs filets
tout aupres de leurs barques qu'ils avaient
eu soin de lirer a demi sur le rivage. —
Naves slantes. Get emploi de cTfjvai et de
« stare » est tr^s classique (« frequcnler po-
nitur de navibus porlum lenenlibus «, Rosen-
miiller, SchoL, in loco).Gomp. Horn. II. i, 44 ;
Propert. I. ii, eleg. 7, 68. — Lavabant retia.
Cast la coutume des pecheurs de ne nettoyer
leurs filets que « peraclo opere ». lis en enle-
venl la vase, les pierres, les herbes qui s'y sont
accumulees, puis ils les suspendent pour les
faire secher. Notre evangeliste suppose que
les fiiturs disciples de Jesus etaient tons en
dehors des barques, occupes a laver leurs
filels; d'apres S. MaJ.lhleu et S. Marc deux
d'enlre eux seulemeut, Jacques et Jean,
« erant in navi .. reficienles retia sua »,
tandis quo Pierre (I Andre « erant railtentes
retia in mare ». Mais ces contradictions ne
gonl qii'apparentes ; elles s'exptiquenl aise-
ment par le motif allegue plus haul. Les deux
premiers synoptiqucs abregenl le recil pour
transporter immediatemint le lecleur a la
parole « Faciam vos piscatores hominum. »
Les fails, ainsi condenses, se sont Irouv^s
legeremenl modifies.
3. — Troisieme scene admirabiement re-
tracee : Jesus monle dans la barque de
Pierre, ct de celle chaire d'un nouveau genre,
que les vagues du lac bergaient doucement,
il enseignc la fouli; qui Sf' lenail sur le rivage.
— A terra reducens. 'ETiavaifaYeTv est un
autre lerme technique de marine, signifianl
« in altum proy. here, a littore subducere. »
— Docebat de navicula... Plus lard encore,
quand il cxposera les paraboles du royaume
des cieux, Nolre-Ssigneur aura recoups k
cette chaire gracieuse. Gomp. Mallh. xiii, 2;
Marc. IV, 1.
4. — iJt cessavit loqui. Apres ce pream-
bule, nous arrivons aux parlies les plus im-
porlantes de lout ce recil, la peche rairacu-
leuse el la peche des fimes. — Due in altum;
iitawiyaye (meme verbe qu'au ♦. 3) eU to
Pd6o?, litleral. a in profundum ». Nouvelles
expressions techniques. Jesus donnecet ordre
au siiigulier parce qu'il s'adressait plus spd-
cialemenl a Pierre, le patron de la barque;
mais il parle ensuile au pluriel, laxale retia
vestra..., la pSche devant 6lre executee par
lous ceux qui elaient presents.
5. — Dans sa r^ponse, Simon nous appa-
rait deja sous les trails do I'homme de foi,
du partisan devoue de Jesus, que nous reve-
lera de plus en plus la suite de I'histoire
evangelique. Le litre de praceptor (ima-zixT.,
lilteral. c praeses ») qu'il donne a Nolre-Sei-
gneur remplace habituellement dans le troi-
sieme Evangile I'expression hebralque Rabbi.
424
EVANGILE SELON S. LUG
pendant tout la nuit nous avons
Iravaille et nous n'avons rien pris ;
mais sur votre parole je jetterai le
filet.
6. Et quand ils I'eurent fait ils
prirent une copieuse quantite dc
poissons, et leur filet se rompait.
7. Et ils firent sigae a leurs com-
pagnons qui elaient dans I'autre
barque de venir les aider. Et ils
vinrent et ils remplirent les deux
barques au point qu'elles etaient
pres de submerger.
8. Lorsque Simon-Pierre le vit, il
lomba auxgenoux de Jesus, disant :
illi : Prseceptor, per totam noclem
laborantes, nihil cepimus : in verba
autem tuo laxabo rete.
6. Et cum hoc fecissent, conclu-
serunt piscium multitudinem copio-
sam; rumpebatur autem rete eorum.
7. Et annuerunt sociis, qui erant
in alia navi, ut venirent, et adju-
varent eos. Et venerunt, et imple-
verunt ambas naviculas, ita ut pene
mergerentur.
8. Quod cum videret Simon Pe-
trus, procidit ad genua Jesu, di-
— Per totam noclem laborantes (xoTridoavTei;,
mot energique). La miil a lonjours eto regar-
doe comnie plus piopice que le jour aux
travaus des pecheurs. « Vaganlur gipgalim
fere cujusqu.! gi'neris squamosi. Ca[)iuiiUir
ante solis ortuii) ; tinn maxime piscium lalli-
lur visus. Noclibu.s, quies », ecrivaii Piin3
I'Ancien. Hisl. nal. ix, 23. Cornp. Tnslram,
Natural History of the Bible, Se edit. p. 289.
— Nihil cepimus. S. Pierre in^inuait delica-
tem.'nt par la qu'il elait peu probable qu'uno
nouvelle tentative reussit mieux en plein
jour. Neanmoins, ajoula-t-il d"un ton decide,
la parole de Jesus serail pjur Uii un ordre
(lei est ici lo sens de verhwn, pwa.) auquel il
voulait immediatenipnl obeir, persuale que
cette fois il ne Iravaillorait pas en vain. Re-
marquez l\>mploi du pronom Je : laxaho rete.
Simon parle coin:ne le chef de lexpedition.
6 et 7. — Concluserunt, scW. « in rele »;
ffUY^'^eio) est un ternit) tchnique de peclie el
lie chasse. Cfr. Brelsclin 'id'^r, Lex- man.,
8. V. — Piscium multitudinem copiosam. Le
filet, en verlu de la divine prescience de
Je.-:us, eLait tombe au milieu d'un de ces
enormps bancs de poissons qu'on irouve dans
loules les mers el parliculieremenl dans le
lac de Gennesarilh. Voyez Tiislram, Natural
History of the Bible, p. 283. La fin du t. 6
et le f. 7 tout enti^r renfi-rment des details
destines a rehausser I'eclat du prodige :
io Rumpcbalur rete, c'est-a-dire « rum[)i
incipiebal » ; il y eut en realite un commen-
cement de rupture : le secours apporle a
temps [t. 7) einp^cha seul le filet de se de-
chirer complelement. — 2o Annuerunt so-
ciis... ut... adjuvarent. D'apres Theophylacte
et Euthymius, Pierre et ceux qui elaient
dans sa barque auraient ele obliges de r cou-
rir au langage des signes, (ati Suvd[isvoi).a).Ti(jai
iwitii; lxit),r,$s6D;xai toO 9660U. Mais cette ex-
plication nous semble un pou forceo. II est
plus simple de dire avec la plupart des exe-
geles qu'on employa les signaux parce que
I'aulre nacelle etail trop lorn pour que la
parole arliculee fut facilem 'nl enlendue. Le
substantif (ie'to/.oi, qui correspond a « socii »
de la Vulgate, designe proprem^it des asso-
cies (xotvwvoi (Ju t. 10 est encore plu-; expres-
sif) ; et en efTel il arrive souvent aux pecheurs
de mellre en commim pour un temps deter-
mine leurs embarcalions, hurs filels et leurs
benefices. — 3° Impleverunt ambas naviculas,
et 40 non-seulement les deux cancts furenl
remplis de poissons, mais ils le furent a lei
poml que pene mergerentur, lanl la charge
etail pesanle (PuO'^^oOai du lexle groc ne se
trouvequ'ici et I Tim. vi, 9).
8. — Quod qnum videret Simon... D'un
bout a I'autre de la narration. Smon-Pierre
nous apparalt comme le heros principal. C'est
lui qui a preside aux operations de la peche,
de ineine qu'il dirigera un jour la grandi^
peche mystique dans I'Eglise de Jesus; c'est
lui qui eprouve el manifesto la plus forte emo-
tion ; c'est lui qui parle au noin de tous; c'est
a lui que Nolre-SMgneur s'adrcssera d'un&
maniere plus speciale. — Procidit ad genua.
Trait graphiquc, qui denote I'am • ardenle do
Simon. A cetle genuflexion il ajoula une
exclamation plf'ine de foi et d'hunniile.Isale,
quand il fut admis dans son exlase k contem-
pler le celeste sejour, les aiiges et Jehova,
s'ecria, p^'netre de sa profonde indignile :
Malheur a moi, je suis perdu, parce que je
suis un homm ! impur de levros. etc. (Is.
VI, 5-9). Ces.'. un sentiment semblable qui
fait dire a S. Pierre : Exi a me, Domine
(xupte, litre plus respeclueux encore quo
emffxd-cadu t. 5), quia homo percator sum.
Non qu'il desirSi reellement eloigner di' lui
Nolre-Seigneur; mais le grand miracle donl
CHAPITRE V
Ml
\
cens : Exi a me, quia homo peccator
sum, Domine.
9. Stupor enim circuradederat
eum, et omnes qui cum illo erant,
in capturapiscium, quam ceperant;
10. Similiter autem Jacobum et
Joannem, filios Zebedsei, qui erant
socii Simonis. Et ait ad Simonem
Jesus : Noli timere : ex hoc jam ho-
mines eris capiens.
11. Et subduclis ad lerrara navi-
Retirez-vous de moi, Seigneur, parce
quejesuisun homme pecheur.
_ 9. Gar il etait frappe de stupeur.
ainsi que tons ceux qui etaient avec
lui, touchantla capture des poissons
qu'ils avaient pris.
10. Et pareillement Jacques et
Jean fils de Zebedee, qui etaiem
compagnons de Simon. Et Jesus di!
a Sunon : Ne crains rien; desormais
tu prendras des hommes.
11. Et ramenant les barques a
il viont d'etre lemoin lui a revele de plus en
plus la puissance el la sainlete de Jeus; or,
il sent qu'il n'e-l pas digne de la socieie d'un
homme uni a Dieii par des liens si elroils.
Au fond, sa parole revient done a celle dii
centurion : * Domine non sum digiius ut
inlres sub teclum meum ». Aussi Jesus, bion
loin de la prendre a la letlre comme il fit
plus lard pour les avares Gadareniens
(viii, 37), resscrra-t-il au conlraire les liens
qui deja I'unissaienl a Simon-Pierre.
9-10a. — Stupor enim... L'evangeliste ex-
plique, par cetle reflexion, ce qui pouvait
senibler extraordinaire dans la conduile de
S. Pierre. II avail agi el parle sous I'impres-
sion de la frayeur religieuse excitee on lui et
dans tons ses compagnons par la p^ciie mira-
culcuse. — Circumdederat (uepiidxsv) equi-
vaul ici k I'hebreu 32D. qui s'emploie dans
le meme sons. C'esl une locution ires expres-
sive (« undique occupaverat el quasi conclu-
sum lenebal », Luc de Bruges) el d'ailleurs
tres classique. Comparoz hs U rmes ana-
logues : « Circumslelit horror » du poele
latin. — In (dans le greo, ini, au sujet de)
captura... quam ceperant. Les expressions
du lexle grec sonl plus variees : t^ aypcf... ^
(altraclion pour ^v] (n)v£),a6ov.
^Oe. — Et ait... Jesus. Quelle douce et ai-
raable reponse va s'eehai per des levres di-
vines du Messiel Apres avoir rassure Simon
par un mol que nous lui enlendrons snuvenl
prononcor en semblable occasion, noli timere,
il I'eleve lout a coup a une dignite sublime,
en Iransfornianl Thumble pecheur de Belh-
SiiiVla en un pecheur d'homraes . Ex hoc jam
(tt-o ToO vuv, a parlir de eel instant) homines
eris capiens. La tournure « oiis capiens » d^-
signe la permanence de I'aclion, et Taction,
suivant loule la force du toxle grec que la
Vulgate n'a Iraduit qu'lmparfaiUment, doit
consisler a « prendre vivants les hommes. »
Le verbe CwyP''"? de t[to6; el a.ypz\)tii, signifie
en effet a vivum capio ». Quelle sublime me-
laphore et quel beau role allribue a S. Pierre !
« El b-'iiu apo tj.ica iu-truuiunla pi^cani i
rctia sunl; quae non captos perimunt, smI
reseivant. el de profundo ad lumi n exlra-
hunl, el fliicluantos de infernis ad s ip rr.i
perducunl », S Ambroise, h. I. « Nfiuveli.'
melhode de pechcr assui-emonl . ecni do son
cote S Jean Chrysosl.. Horn. iniMatlli. iv, H',
car les pecheurs lirenl les poissons liors de
I'eau pvjur leur donner la mo; t ; mais nous
langons iios filels dans I'oau el ceux que nous
prenons sonl vivifies. » S. Auguslin, eiablit ;i
ce sujct un parallele inleiessant cnlre I i
chasse el la peehe : « Quare Aposioli ncmineni
coegerunl, neminem itnpul(MHinl?Quia pisc;.-
lor est, relia millil in mare, (luod incurrern
trahil'loul se passedonc avec douceur). Vei:a-
tor auiem silvas cingit, sentes exculit, terrc-
ribus undique muliiplicatis cogil in retia. N ■
hac eat, ne illiceat, indeoccuire, indecaede,
int^ tcrre; non exeat, non elTugial (Loul -e
passe avec violence). » De ulilii. jejun. i\.
Apres la seconde peehe miracuieuse, Joan.
XXI, 16,Je-us, faisanl usage d'une autre rig-.iri-
pourexprimerle m^merole, dira au prince ds
Apolres : Paism::'£ brebis, pais mes agneau\.
— Qtioique la promesse « ex hoc jam honn-
nes eris capiens » fiil adressee direclemc ut
a Simon-Pierre, elle retombait d'une manicre
implicile sur ses compagnons, comme on le
voil par les deux aulres recils : « Faci; m
vos fieri piscatores hominum. »
H . — Subduclis ad terram navibus. KaTdyw
est encore une expression naulique. — i}*;-
lictis omnibus : ils renoncent gdnereusemeut
a tout (aitavxa est emphalique) pour se fairo
les disciples de Jesus. Sans doule leurs ri-
chesses ne devaienl pas elre bien considera-
bles; mais, ainsi que le dit S. August ni,
Enarrat. IIF in Ps cm, 17, o multum dim:-ii
qui non solum dimisit quidquid habebal, s m1
etiam quidquid habere cupiebal » ; par
con>equenl, ajoule S. Gregoire, Hom. v in
Evang., « mullum Pelrus et Andreas dimisit,
quando ulerque etiam dosideria habendi di-
misit. » — Seciiti sunt (um, d'une maniere
426
fiYANGILE SELON S. LUC
terre, ils laiss^rent tout et le sui-
vireDt.
12. Et lorsqu'il etait dans une
des villes, voila qu'un homme cou-
vert de lepre, en voyant Jesus, se
prosterna la face contre terre et le
pria, disant : Seigneur, si vous le
voulez, vous pouvez me guerir.
13. Et, etendant la main, 11 le
toucha, disant: Je leveux,soisgueri.
Et aussit6t la lepre le quitta.
14. Et il lui ordonna de ne le
dire a personne; mais Va, montre-
toi au prelre, et off re pour ta puri-
fication ce que Moise a ordonne,
pour leur 6tre un temoignage.
bus, relictis omnibus, secuti sunt
eum.
12. Et factum est, cum esset in
una civitatum, et ecce vir plenus
lepra, etvidens Jesum, etprocidens
in faciem, rogavit eum, dicens :
Domine, si vis, potes me mundare.
Matlh.8,i; Marc. I, 40.
13. Et extendens manum, tetigit
eum dicens : Volo, mundare. Et
confestim lepra discessit ab illo.
14. Et ipse praecepit illi utnemini
diceret; sed : Vade, ostende te sa-
cerdoti, et offer pro emundatione
tua, sicut praecepit Moyses, in tes-
timonium illis.
Lev. 14, 4.
habituelle ct definitive, car si S. Jean a ra-
conle, I, 37 et ss., I'appel des premiers disci-
ples « ad nociliam et familiarilatem », les sy-
noptiques exposeni ici la « vocatio ad aposto-
latum ». — Uii ancien hymne de TEglise, com-
pose en riionneur de S. Pierre, resume admi-
rablement en qiielques vers le miracle de la
peche miracuieuse et si^s rt^sultals:
Te piscantem Pi^catoris
Ad capluise melioris
Usuin Iraxit gratia.
CDncla linqiiis, nave spreta,
Temporalis miindi meta
Judices ut omaia.
Mais le grand pechcur d'horames par excel-
lence, c"e>t Notre-Seigneur Jesus-Christ,
comme on le voit par ce meme episode qui
inspirait a Clement d'Alexandne d'aulres
vers non moins beaux et plus celebres :
'AXieO (iepoiitov
raJv (jw^o[X£va)v,
■KElayo\)i; y.axia?
v/Ji\)Z ayvou;
yXuzepr) i^wrj 6e)>£d!Ju)v.
Ufi d sur la peclie miraculeuss un admirable
tableau de Rapiuiel.
B. Gu^rison d'un lepreux. v, 12-16. -- Parall
Matth. viii, 2-4; Marc. I, 40-45,
12. — Exuna cioitatum est un trait propre
k S. Luc. La ville temoin du miracle etait
siluee, d'apres ie contexle ;Cfr. iv, 43;, dans
la province de Galilee, ou Jesus faisait alors
une sorte de tournee pastorale. — Et ecce
vir... La conjonclion xal, la particuie l3ou et
I'absence de verbe rendent ce passage extrd-
mement dramatique. Notre evangeliste a seul
note que le suppliant etait plenus lepra : lout,
le corps etait done affecle de cette affreuse
maladie, qui; nous avons decrite ailleurs
(Evangile selon S. Malth. p. 453), el qui, a
un lei degre, etait complelement incurable.
VoyezrinteressanlopusculeduDrF.Deiitzscli
Durch Krankheit zur Gennsung, eine jerusa-
lemische Gescliichle der Herodierzeit, Leipzig
4873. — Procidens in faciem. S. Malthieu :
a adorabal » ; S. xMarc : « genu flexo. » Trois
expressions diverses pour decrire un meme
fait, la prostration du lepreux aux pieds de
Jesus. — Si vis, potes me mundare. « Voluntas
tua potentia tua est », Cassien, lib. v, c. 21.
Les trois synopliques client dans les menies-
lermes cette priere pleine de foi. Sur I'ex-
pression technique « mundare », le irra he-
breu, voyez EOlre commentalre sur S. Mal-
thieu.
13. — Et extendens manum. D'apres S. Marc
(« Jesus autem misortus ejus ») , c'eiait le
cceur compalissant de Jesus qui dirigeail sa
main loule-puissanle. — Volo, mundare.
« Responsio pulchre orationi respondens »,
dit fort bien Fr. Luc. Et a peine le Sauveur
avait-il prononce cetle parole [et confestim),
que la lepre abandonnail pour toujouis le
malade. En efFet, « nihil medium est inter
opus Dei et praeceptum, quia praeceplum est
opus », S. Ambroise. S. Malihieu envisago
la guerison au point de vue ceremonial; voilit
pourquoi il ladesignepar le verbe « mundala
est. » S. Luc s'exprime en medecin : lepra
discessit ab illo. S. Marc combine les deux
manieres de voir : « Discessit ab eo lep**" <^*
mundalus est. »
14. — Et ipse prcecepit... Les trois narrtt-
tions synoptiques exposent en des termea
presque identiques les deux ordres que con-
1
CHAPITRE V
4n
13. Perambulabat autem magis
sermo de illo : et conveniebant
turbse multse ut audirent, et cura-
rentur ab infirmitatibus suis.
15. Ipse autem secedebat in de-
sertum, et orabat.
1 6. Et factum est in una dierum,
et ipse sedebat docens. Et erant
PharisEei sedentes, etlegis doctores,
qui venerant ex omni castello Gali-
Isese, et Judsese, et Jerusalem; et
virtus Domini erat ad sanandum
eos.
lb. Mais ce qu'on disait de lui se
repandait de plus en plus, et des
troupes nombreuses venaient pour
recouler et pour 6tre gueries de
leurs maladies.
16. Mais il se retirait au desert,
et priait. "
17. Et ii advint qu'un jour il etait
assis et enseignait. Et il y avait des
Pharisiens assis et des docteurs de
la loi qui etaient venus de tous les
villages de la Galilee, et de la Judee,
et de Jerusalem. Et la vertu du Sei-
gneur agissait pour les guerir.
lienl ce verset : io wi nemini diceret (voyez
dans rE\ant,'. selon S. Mallh., p. 434, les
mollis de cetle interdiction qui parail tout
d'abord surprenanie); 2o Vade , osteiide te...
En passant ainsi brusqueminl du iangage
indirect au discours direct, S. Luc a donne
une grande vie au recit. Les auteurs classi-
ques onl souvent recours a ce procede.
15. — Fcrambulnbat autem magis sermo...
Un mot de S. Marc explique pourquoi la re-
putation de Jesus se propagoa ainsi avcc une
nouvelle rapidite : « Ille (leprosus) egressus
coepil piaedicare et diffamare sermonem. »
« Perambulabat », Stripx^O) psI une expression
Ires piltoresque qu'on trouve egalem'nt dans
Thucydide : SiiqXGev 6 Xoyo?. — Conveniebant
turbai... ut audirent et ciirarentur. On est,
heureux de lire que les foules n'accouraienl
pas seulement aupres de Jesus dans un but
egoiste, pour se faire guerir, niais aussi pour
recueillir de sa bouche la parole divine, dont
elles etaient saintemenl avides.
46. — Jpse autem secedebat... « Erat scce-
dens » rendrait plus exactement la lournure
grecque iiv uTtoxwpwv, qui de-igne mieux les
habitudes de relraite adoptees par Notre-Sei-
gneur tant que dura reffiTvesccnce popnlaire
qu'avait excitee la guerison du lepreux. —
Au lieu du singulier in desertum ie grec dit
« in desertis ». — Et orabat. Voyez, sur ce
detail caracteristique du iroisieme Evangile,
111,21 et I'explication. Qnand Jesus etail em-
p^che de S"' livrer k la predication, qui etait
alors son oeuvre par excellence, il se retirait
dans les solitudes qui avoisinent le lac, et il
y passait de longues heures a prier.
6. Gu6rison d'un paralytique. t, 17-26.
Parail. Matth. «, 5-8; Marc, ii, 1-12.
Sur la vraie place de eel incident remar-
quable, voyez I'Evangile selon Matth., p. 171
et s., et I'Harmonie evangelique. La narra-
tion de S. Luc a ici une tres grande ressem -
bJance avec celle de S. Marc : S. Mallhieu ne
donne qu'une somraaire.
17. — In una dierum (trail special) est une
dale bien vague, dont la formule est em-
pruntee a la langue liebrai'que : D'aT? inN3,
pour « quadam die. » — Et ipse sedebat do-
cens. Delail piUoresque, encore propre a
S. Luc. Nous Savons par les deux aulres sy-
nopiiquos que la scene se pa-sait a Caphar-
naiim, la nouvelle paliie de Jesus, dans une
maison qui elail probablement celle do
S. Pierre. En face de Jesus I'evangelisle-
peinlre nous monlre , egalement assis, des
Phaiisiens el des docteurs de la loi (S. Mat-
Ihieu et S. Marc ne menlionnenl que ces der-
nieis", accourus. ajoute-t-il avec emphase,
ex omni castello Galilwce et Judww, el memo
de la cite sainte. La presence de ces person-
nages influents prouve que le Sauveur jouis-
sait deja d'une immense consideration : ce
n'esl pas pour un Rabbi ordinaire que co
monde officiel, qui dirigeail le Judai'sme d'a-
lors , aurait daigne se derangcr. Toutefois
ces iiouveaux auditeurs n'onl rien de bien-
veillant pour Jesus : ils sent venus au con-
liaire dans le but expres de surveiller ses
acies, de voir si sa doctrine esl conforme a
leurs tradition-;; voila pourquoi nous les
tronvons au premier rang parmi I'assistance
enorme qui s'etail groupei> ce jour-la autour
de Nolre-Seigneur.' Cfr. Marc, ii, 2. Geux
d'entre eux qui avaient fait a cetle intention
le voyage de Jerusalem a Capharnaiim etaient
selon toute vraisemblance des delegues du
Sanhedrin. — Les vonoSioaoxa^oi de S. Luc ne
different pasdes Ypa|A(AaT£T; fScribes) des autres
Evangiles : les deux expressions represenlent
les legistes religieux des Juifs.D'ailleurs notre
evangeliste emploie quelquefois aussi le litre
describes. Cfr. t. 21. — Et virtus Domini
erat... Kupiou ne designe pas directement
Notre-Seigneur Jesus-Christ, mais Jehova,
dont la loule-puissance, communiquee it sob
128
EVANGILE SELON S. LUG
18. Et voil^ des gens portant dans
un lit un homme qui etait paraly-
tique, et ils cherchaient a i'intro-
duire et k le placer devant lui.
19. Et ne trouvant pas de quel
cote I'introduire a cause de la foule,
ils monterent sur le toit, et par les
tuiles ils le descendirent avec le lit
au milieu, devant Jesus.
20. Des qu'il vit leur foi, il dit :
Homme, tes peclies te sont remis.
21. Et les Scribes etlesPharisiens
comraencerent a penser et a dire en
eux-memes : Quel est celui-ci qui
profere des blasphemes? Qui peut
remettre les peches sinon Dieu seul?
18. Et ecce viri portantes in lecto
hominem, qui erat paralyticus : et
quserebant eum inferre, et ponere
ante eum.
Matlh. 9,2; Marc. 2, 3.
19. Et non invenientes qua parte
ilium inferrent prse turba, ascende-
runt supra tectum, et per tegulas
summiserimt eum cum lecto in me-
dium ante Jesum.
20. Quorum (idem ut vidit, dixit :
Homo, remittuntur tibi peccata tua.
21. Et coeperunt cogitare scribse,
et Pharissei, dicentes : Quis est hie,
qui loquitur blasphemias? quis po-
test dimittere peccata, nisi solu*
Deus?
Christ, I'aidaii a accornplir en eel inshinl dos
guerisons aiissi nombreusos qu'eionnanie>. il
y a line graiide energie dans I'impai fail ^v
(« aderat, sese manifesiabat »). Eos rst uae
I conslnicl. ad synesin » : les malades it non
les Pharisiens. LalrQ,on auxov des inaiiusciits
B, L, Sin. (el; t6 laaOai auTov, c'esl-a-dire « ut
ipse sanaret ») offre pen de garanties.
i8 et 19. — Voyez I'explicalion delaillee
dans I'Evang. selon S. Marc, pp. 42 et 43.
— Paralyticus. L'expression correlative da
texte grec, ■rtapaXe).vi[A£'vo;, est pcul-etre plus
technique que le itapaXuxixo; de S. Malthieu
el de S. Marc. — Quwrebant ilium infene,
scil. « in domum », comme il n's'ille du con-
texte. — Non invenientes qua parte... (dans
le grec imprime, 6ta uoia; scil. 66oy, ellipse
familiere aux classiques : mais los mi'illeurs
manuscrits onl simplrmont ito(a?, genitif du
lieu). Quand le malade et los quatre amis qui
le porlaiont vin nt qu'il leur elail absolnmiint
impossible de penetrer par Irs moyons ordi-
naires dans la maison qui conlenait pour eux
le salut, ils durcnt eprouvcr un mouvcraent
petiible; mais leur foi etait plus forte que les
obstacK'S naturels, ct elle leur apprit a les
surmonlor. — Ascenderunt supra tectum :
tel fut le premier acte. II elai' d'une i xecu-
lion facile, grcice a I'oscalicr exterieur donl
sont generalean'iU munies les habiialions de
I'Orient. Cfr. Mallli. xxiv, 17. Le second
acte des poiteurs est conlinu en abrege dans
lesmois per tegulas, (jui equivali'nt a « nu-
daverunt ledum » deS. Marc. Qmlques luilcs
enlev^es au toil plat de la maison eurcnt
bientot laisse une ouverture assez large pour
le passage du malade. Alors, summiserunt
eum cum lecto, au raoycn de cordes qu'il pu-
rent aisement se procurer. Le loxte grec a ici
it),tvtoiov, au lieu de x).ivri employe au verset
precedent : ce diminutif represente mieux
la pauvre couchette, ou, corame (lit S. Marc,
le grabat du malade. — Le detail grapliique
in medium ante Jesum ne se Irouve quo dans
S. Luc.
20. — Quorum /idem ut vidit... L'incredu-
lite SHile deplaisait a Jesus : la foi des sup-
pliants ne trouva jamais son coeur insen^ible ;
or, rhistoireevangeliqueronfcrme peu d'exem-
ples d'une foi aussi vive que celle du paraly-
lique el de ses humbles amis (I'Evangile apo-
cryphe de Nicodemo les appelle a bon droit
Tiv^i itidTOTaToi). Bu n loin done de se plaindre
d'avoir ele interrompu au milieu d'un dis-
coiirs auquel les circonstances (Cfr. t. 17)
pretaicnt une gravile exceptionnclle, le bon
Maiir.? oublia tout le resle pour ne s'occuper
que du nialade. Sans meme lui laisser le
lemps de profercr sa demande, il lui (lit avec
un ton d'inoxprimable mansuelude : Homo, re-
mittuntur tibipercuta. L'apostrophe jilus douce
encore qu'on lit dans S. Mallhieu, « Confide,
fili », fut probablement celle dont Jesus se
servil. Le Sauveur remet tout d'abord les p6-
ches du paralyiique, parce qu'il y avail entre
eux et la maladie exterieure une connexion
inlime, que pene'trait son divin regard. Voyez
I'Evang. selon S. Malth. p. 172.
21. — Cette formule d'absolution, qui arri-
vail d'une manicre si inattendue, frappa vive-
mint loute I'assi-tance : mais elle produisil
aussitot [loeperunt] sur les Phaiisions et les
Scribes mentionnes plus haul rimpression
parliculiere d'un grand scandale. Le recit
sacre nous fait lire ce sentiment au fond de
leurs coeurs. Qu'est done, se disaient-ils, cet
homme qui s'altribue un pouvoir reserve k
Dicu seul ? Peut-etre quelques-uns d'entre eux
CHAPITUE V
429
22. Ut cognovit autem Jesus cogi-
taliones eorura, respondens, dixit
ad illos : Quid cogitatis in cordibus
"veslds?
23. Quid est facilius dicere : Di-
mittuntur tibi peccata; an dicere '
Surge, et ambula?
24. Ut autem sciatis quia Filius
hominis habet poteslatem in terra
dimilteudi peccata (ait paralytico) :
Tibi dico, surge, tolle ledum tuum,
et vade in domum tuam.
2b. Et confestim consurgens co-
ram illis, tulit lectum in quo jace-
bat : et abiit in domum suam, ma-
gnificans Deum.
26. Et stupor appreliendit omnes,
et magnificabant Deum. Et repleti
22. Mais comme Jesus connut
leurs pensees, il leur dit : Que pen-
sez-vous eu vos coeurs?
23. Quel est le plus facile de dire :
Tes peches te sont remis, ou de dire :
Leve-toi et marche?
24. Or, afin que vous sachiez que
le Fils de I'liomme a sur la lerre le
pouvoir de remeltre les peches, Je
te le commande, dit-il au paraly-
tique, leve-toi, prends ton lit et va
en ta maison.
25. El aussit6t se levant devant
eux, ilpritle lit surlequel il gisait,
ets'enalla dans sa maison glorifiant
Dieu.
26. Et la stupeur les saisit tons, et
ils glorifiaient Dieu. Et ils furent
se souvinrenl-il du texle II Reg. xii, 13,
oil Nathan, cecelebre prophete, annonce sim-
plement a David que le Seigneur Jul avail
remis sa laute. Et voici que les paroles de
Jesus revenaient a dire : Je le remels les
Decbes.
22. — Ut cognovit [S. Marc ajoule « spirilu
suo », monlrant qu'il s'agil d'une intuition
surnalurelie)... Jesus ne laissa pas k ses ad-
versaires le temps de developper centre lui
leurs accusations interieures de blaspheme.
Les prenant direclement a parlie, il mainlint
viclorieusement, d'abord k I'aide du raison-
nement, puis par un eclalant prodige , son
droit de parler coaime il venait de le faire.
— Cogilalis in cordibus. D'apres la psycho-
logie hebralque, c'est le cceur, non la tele,
qui est le laboratoire principal des pensees.
23. — Surcette argumentation vigoureuse,
voyez I'Evang. selon S. Malth., p. 173 et s.
Dicere, deux fois repele, en est le mot capi-
tal. Un imposteur pourrail aisement se dire
capable d'accorder la remission des peches;
mais qui oserait pretendre, k moins de se
sentir invest! d'un divin pouvoir, qu'il pent
guerir les maladies du corps?
24. — A la question que leur adressail
Notre-Seigneur, les Pharisiens et les Scribes
n'eurent rien a repondre. II reprlt done apres
unecourte pause : Ut autem sciatis... Comme
on I'a dit, un miracle ainsi annonce prend
la valeur d'une importante demonstration.
« Declaravit ideo se ilia facere in corporibus,
ut crederetur animas peccatorum dimissione
liberare ; id est, ut de potestate visibili po-
testas invisibilis mereretur Odem. » S. Aug.
S. Bible. S.
Exp. ad Rom. § 23. — Sur le Hire Filius
hominis, voyez rEvaiigile selon S. Mallh.,
p. 161 et s. — Ait paralytico... Le recit de-
vienl aussi vivant que la scene meme. Du
reste, en cet endioit il varie a peine dans les
trois synopliques, preuve que la tradition
avirit conserve parfailement le souvenir du
prodige et de loutes ses circonslanccs.
23. — Confestim consurgens. La gueiison
fut immediate et loute Tassislance pul la
conslater [coram illis). — Detail louchunl non
moins que pitloresque : celui qui avail ete
I'objet du miracle, obeissanl d'ailleurs a
I'ordre de Jesus (t. 24), tuUt lectum in quo
jarebat (pour « jacueral ») et abiit... u Lec-
tulus hominem tuleral, dit a ce sujet un an-
cien aulear; nunc homo leclulum ferebal ».
Cfr. Arnob. in Gen. i, 43. La couche qui
avail ele autrefois le sigiie de son inQrmiie
devenait tout a coup une preuve evidinle de
sa guerison. (Au lieu de « ledum in quo »,
le texte grec porte seulemmt e?' w, « super
quo »). — On est heureux d'apprendre que le
paralytique a qui Jesus avail ainsi merveil-
leusemenl rendu la sanle ne fut pas un ingrat,
el qu'il s'en relourna chez lui magnificans
Deum. Nous devons ce trait a S. Luc.
26. — L'impressionprodiiitesur les temoins
du miracle fut immense. Elle consisla en un
melange bien naturel d'admiralion et do
sainte frayeur, mentionne de concert par les
trois synoptiques. 1° L'admiration est expri-
m^e en termes energiques : stupor (le grec
parle d'extase) appreliendit omnes. E!le eut
pour resultat de meltro la louange de Dieu
sur toutes les levres. 2° La frayeur fut granda
Luc. — 9
4 30
EVANGILE SELON S. LUC
rcmplis de crainte, disant : Nous
avoDS vu aujourd'hui des clioses
merveilleuses.
27. Apres cela il sortit et vit un
publicain nomme Levi assis au bu-
reau du peage, et il lui dit: Suis-moi.
28. Et laissant tout, iJ se leva et le
suivit.
29. Et Levi lui fit un grand festin
dans sa maison, et il y avait une
foule nombreuse de publicaius et
d'autres qui etaient atable avec eux.
sunt timore, dicentes
mus mirabilia hodie.
Quia vidi-
27. Et posthaec exiit, et vidit pu-
blicanum nomine Levi, sedentem
ad telonium,et ait illi : Sequere me.
Match. 9, 9; Marc. 2, 14.
28. Et relictis omnibus, surgens
secutus est eum.
29. Et fecit ei convivium magnum
Levi in domo sua : et erat turba
multa publicanorum, et aliorum,
qui cum illis erant discumbentes.
aussi [repleti sunt timore] , el chacun la mo-
tivait en disant a ceux qui Fenlouraienl :
Quia (recitalif) vidimus mirabilia. Le texLe
grec emploie ici I'adjectif wapaSo^a, qu'on ne
trouve pas aillours dans le N. T., et qui, pris
a la lellre, signifierait « des choses eirangps,
paradoxales ». Mais les classiques s'en ser-
vant aussi pour designer des ev^nements
merveilleux. « Sunt maxime mirabilia quae
sunt maxime inexsppctala, utque Graeci ma-
gis exprimunt, 7rapd5o?a ». Plin., Epist. lib.
IX, 26. Cfr. iElian. Yar. ix, 21. Symmaque,
dans sa traduction de I'A. T., le met par-
foi-; a la place du eavijidata des Septante, du
nxSsJ hebreu.
7. Vocation de S. MattMeu et faits
qui s'y rattaehent. v, 27-39.
Ici encore, il exisle une tres-grande res-
semblance entre les recits de S. "3Iarc et de
S. Luc. Nous nous bornerons done, le plus
sou vent, a noter les parlicularites de notre
evangelisle. Pour I'explication detaillee, nous
renvoyons le lecteur a nos commentaires des
deux premiers synoptiques.
ft. La vocation de S. Matlhieu a fapostolat. ff. 27-28.
Parall. Matth. ix, 9; Marc, ii, 13-14.
27. — Post hwc exiit. Dans les trois narra-
tions, I'appel du publicain Levi a I'aposlolat
est rallache a la guerison du paralylique.
Jesus, eiant sorti de la maison oil avait eu
lieu cette cure merveilleuse. vint aussitot
aupres du lac qu'il aimait {.Marc, ii, 13), et
c'est la que vidit publicanum nomine Levi. Le
verb^ grec eOeaffaxo serait mieux Iraduit par
« aspexil, contemplatus est », car il suppose
un regard attentit'et prolonge. Sur I'idenlite
de S. MaKhieu et de Levi, voycz I'Kvangile
selonS. Matlh., p. 175. Levi (HSi avait eie le
nom du publicain; Matlhieu (»na, don du
Seigneur) devint celui de I'Apolre de Jesus.
— Sedentem ad telonium. Le nouvel elu etait
dans le plein exercice de ses fonctions abhor-
r^es des Juifs, quand le Messie daigna I'atla-
cher k sa personne divine. Jesus montrait
ainsicombien peu il redoutait les prejugesde
ses compalriotes. Cfr. les ft. 30 et ss.
28. — Relictis omnibus est un trait touchant,
propre a S. Luc. II prouve que Levi etait
digne d'etre associe a Pierre el a Andre, k
k Jacques et a Jean, qui, sur un mot du Sau-
veur, avaient de meme tout abandonne pour
le suivre. S. Matlhieu renonce done a ses
esperances de fortune, et s'attache avec
bonheur a celui qui n'avait pas une pierre ou
reposer sa tele.
b, Le festin chez L6vi et le tcandale des Phari-
siem. ^^. 29-32. — Parall. Matili. ix, 10 13;
Marc. II, 15-17.
29. — Fecit ei convivium. Le substantif
Soxin, qui correspond ici et xiv, 13, a « con-
vivium » dans le texte grec, signifie propre-
ment reception. Les LXX I'emploient quel-
quefois de la meme raaniere pour traduire
I'hebreu nn^*D- H est d'ailleurs elegant el
classiqiie dans ce sens. Le banquet somp-
lueux [magnum : S. Luc seul releve ce detail)
donne par S. Matlhieu en Fhonneur de son
nouveau Mailre n'eut lieu vraisemblablemf^nt
que plusieurs jours apr^s I'appel : telle elait
deja I'opinion de Tatien dans son Diatessa-
ron; mais on conQoit que les synoptiques
aient voulu Ten rapprocher dans leurs narra-
tions. — Et ernt (c'est-a-dire o aderat »)
turba multa publicanorum... « Conveiierant
enim ad eura pubiicani sicut ad collegam el
hominem ejusdem oEBcii, sed et ipse, glorians
de praesentia Chrisli, convocavit omnes »,
S. Jean Chrysost. Horn, xxxi in Matth. Pe-
tite circonstance a noter : les deux premiers
synoptiques ajoutent qu'a la table de Levi
des « pecheurs » etaient assis en compagnie
de Jesus et du publicain ; mais S. Luc ne de-
signe tout d'abord cette autre categoric de
convives que par la vague expression el alio-
rum. Dans son recit, e'est sur les Pharisiens
CHAPITRE V
134
30. Et murmurabaiit Pliarissei, et
;scrib8e eorum, dicentes ad discipu-
los ejus : Quare cum publicanis et
peccatoribus manducatis et bibitis ?
Marc. 2, 16.
31. Et respondens Jesus, dixit ad
illos : Non egent qui sani sunt me-
dico, sed qui male habent.
32. Non veni vocare justos,
peccatores ad pcenitentiam.
sed
33. At illi dixerunt ad eum : Quare
■discipuli Joannis jejunant frequen-
ter, et obsecrationes faciunt, simi-
liter et pharisseorum : tui autem
edunt, et bibunt?
Marc. 2, 18.
34. Quibus ipse ait : Numquid
potestis filios sponsi, dum cum illis
est sponsus, facere jejunare?
30. Et les Pharisiens et les Scri-
bes murmuraient, disant a ses dis-
ciples : Pourquoi mangez-vous et
buvez-vous avec les publicains et
les pficheurs ?
31. Et Jesus leur repondit : Ge ne
sent pas ceux qui sont en sante qui
ont besoin de medecin, mais ceux
qui sont malades.
32. Je ne suis pas venu appeler
les justes mais les pecheurs a la
penitence.
33. Mais ils lui dirent : Pourquoi
les disciples de Jean et ceux des
Pharisiens jeunent-ils et font-ils des
prieres, tandis que les v6tres man-
gent et boivent?
34. II leur dit : Pouvez-vous faire
jeuner les fils de I'epoux tandis que
I'epoux est avec eux?
que retombe tout I'odieux de l'epiih6te
« peccatores ». Voyez le f. 30. — Le pronom
illis ail pluriel designe directcmont Jesus el
Levi, indireclemenl les quatre premiers dis-
ciples de Notre-Seigneur, d'apres les deux
autres narrations.
30. — Murmiirabant (trait propre a S. Luc)
Phariscci et Scribce eorum. Qurlqiies manus-
crits omellent « roriim ». La R-cepta inter-
verliL I'ordie et dit : ol Y?a[X[J.aT£i; auTwv (c'est-
-a-dire des Juifs, « conslr. ad syn 'sin ») xal ol
4>api(7aTot. La meillenro iegon parait elre celle
de la Vulgate, d'apres laquello le pronom re-
tombe sur (' Phari^aei » : les Pharisiens, el les
Sciibes qui les accompagiiaient comme le-
gislcs ofBciels pour epier la conduile de Jesus.
Cfi . V, 17. — Dicentes ad discipulos. En s'a-
dressanl aux disciples, ils se pro[)Osaient, se-
lon la judicieuse remarque de S. Jean Chry-
soslome, d'exciler en eux des soupgons contra
leur Mailre.
31 et 32. — Respondens Jesus. Peut-etre
les amis de Jesus eussent-ils ete embarrasses
pour repondre ci I'insidieuse question des
Pharisiens ; aussi se hSte-t-il de defendre
lui-m^me leur conduite et la sieime. Des
deux plirases doni est composee son apoiogie
'dans noire Evangile, la premiere, t. 31, con-
siste en une sentence populaire, la seconde,
t, 32, en un resume caracteristique du role
do Notre-Seigneur. S. Luc cite le proverbe
avec une nuance qui rappelle sa condition de
medecin : ilremplacepar un lerme technique,
ot {lYiaivovTs;, le mot plus general de S. Mat-
Ihieu el de S. Marc, o! lirxuovTe?.
C. Les disciples de S. Jean-BapHste et le jeHne.
ff. 33-39. — Parall. Matth. ix, 14-17; Marc.
II, 18-22.
''33. — At illi dixerunt. D'apres la narration
de S. Marc, qui est ici la plus complete et
par consequent la plus exacte, ce ne furent
pas loul a fail les memes interlocuteurs qui
adresserent a Jesus celle seconde question :
elle lui fut posee conjoinlement par les Pha-
risiens et par les disciples du Precurseur. —
Quare est omis par les temoins les plus auto-
rises. Dans ce cas, il n'y aurail pas eu d'in-
terrofjalion proprement dite : les adversaires
de Nolre-Seigneur se seraient conlentds de
signaler le fail. Celle legon rendrait peut-
etre plus frappant encore le contrasle etabli
entre les jeunes ansleres des Joannites et les
bons repas roproches a Jesus. — Et obsecra-
tiones faciunt : ces mots, qu'on Irouve seule-
menldans le iroisieme Evangile, representent
des prieres speciales et prolongees, qui ont
toujours ele associees au jeiine pour'ie rendre
plus meritoire.
34 el 35. — Quibus ipse ait. La replique
faile par le divin Mailre k cette nouvelle ob-
jection est divisee en deux parties dans la
redaction de S. Luc. La premiere parlie,
tt. 34 et 35, lend simplemenl a prouver
qu'il ne conviendrait pas de faire jeviner pour
le moment les disciples de Jesus ; la seconde,
13l
fiVANGILE SELON S. LUC
3b. Mais viendront des jours ou
I'epoux leur sera enleve; ils jeiine-
ront ces jours-la.
36. Et il leur faisait aussi une
comparaison : Personne ne met a
un v^tement vieux une piece d'un
v6tement neuf ; autrement le neuf
est dechire et la piece du neuf iie
s'accorde pas avec le vieux.
37. Et personne ne met du vin
nouveau dans des outres vieilles;
autrement le vin nouveau rompra
les 'outres, il se repandra et les
outres seront perdues.
38. Mais on doit mettre le vin
nouveau dans des outres neuves, et
tons deux sont conserves.
39. Et personne venant de boire
3b. Venient autem dies, cum
ablatus fuerit ab illis sponsus, tunc
jejunabunt in illis diebus.
36. Dicebat autem et similitudi-
nem ad illos : Quia nemo commissu-
ram a novo veslimento immittit in
vestimentum vetus : alioquin et
novum rumpit, et veteri non con-
venit commissura a novo.
37. Et nemo mitlit vinum novum
in ulres veteres : alioquin rumpet
vinum novum utres, et ipsum ef-
fundetur, et utres peribunt;
38. Sed vinum novum in utres
novos mittendum est, et utraque
conservantur.
39. Et nemo bibens vetus, statim
tt. 36-39, flemoiUre qu'ils ne sont pas ca-
pables de jeuner. — Numquid potestis... On
lit dans les autres recils : « Numquid possunl
filii sponsi... » L'aposlrophedirecte a quelque
chose de beaucovip plus energique. « Auriez-
vous bien !e coeur de condamner aujeune
ceux qui celebrent joyeusement une fete
nupliale? » De la sorte, I'inconvenance du
jeune est mieux mise en relief, — Filios
sponsi, ou plutot, d'apr&s le grec, les fils de
I'appartement nuptial: expression hebralque
pour indiquer les amis les plus inlimes du
fiance. — Par cette cliarmanle metaphore,
emprunlee du roste au langage meme de
Jean-Baptiste (Cfr. .loan, in, 29), ce qui iui
donne ici loule la force d'un argument a ad
hominem », Jesus compare sa presonce au
milieu de ses disciples aux gaies ceremonies
qui accompagnaient, huit jours durant, les
noces juives. Toutefois, ajouLe-t-il d'un ton
empreint d'une gravile solennelle, je ne res-
terai pas loujours parmi les miens, et alors
ils pourronl jeuner sans inconvenient.
36. — La foruiule dicebat outem et (pour
« eliam ») simililudinem..., speciale a S. Luc,
sert d'inlroduction a la seconde partie de la
replique. Le mot irapa6o>.io y est pris dans un
sens large, pour designer une comparaison.
Les deux nouvelles images employees par
N. S. montrent fort bien I'incompalibilile qui
existait cntre les prescriplions severes du
Pharisaisme el la formation encore imparfaite
des disciples de Jesus, ou mioux, pour prrndre
les choses de plus haut, rincompalibilite de
la Loi ancienne el de la religion du Christ. —
Nemo commissuram... En rapprochant la re-
daction de S. Luc de celle des autres synop-
tiques, le lecteur remarquera ici une nuance
d'expressions qui n'est pas sans interet*
S. Malthieu et S. Marc parlent d'un vieil'
habit raccommode simplement ^ I'aide d'une
piece neuve : le troisieme Evangile suppose
deux vetements dont I'un, enlierement neuf
[a novo vestimento), est mis en morceaux par
un tailleur iiisense pour rapieceter I'aiitre,
deja mur et vieilii [veslimentum vetus), ce qui
fail deux habits gales. La figure acquiert
ainsi une plus grande force, car un habit
neuf a plus de valeur qu'une piece d'eloffe
neuve : il y a en sus la main d'oeuvre, qui
est parfois considerable. — Lrs verbes rum-
pit et convenit (ouixtptDvet, locution Ires ele-
gante) sont au fulur dans plusieurs manu-
scrils. Voyez d'ailleurs dans Tischendorf, Nov.
Test, graece, h. I., les nombreuses variantes
qui exislenl a propos de ce versel.
37 L'l 38. — Autre figure, pour dire qu'au
point de vue moral et religieux, de nieme
que sous le rapport materiel, le vieux et le
neuf ne vont pas ensemble, et qu'on les gSte-
rait I'unet I'aulreen voulant lesjoindre d'une
maniere inconsideree. Le vin jeune et ge-
nereux de I'Evangile ferait eclater, par sa
force d'expansion, les vieilles outres phari-
salques. — Les raois et utraque conservantur,
qui terminent le t. 38, sont omis par les
manuscrits B, L, Sin. el plusieurs minuscules-.
39. — Dans le lexle grec, la premiere
moitie dece verset, oOSei? m«i)v naXaiov eOOe'wc
ee),ei v£ov, forme un vers iambique ; mais c'est
la, selon toule vraisemblance, un fait pure-'
ment accidentel. Au t. 21, la phrase tU
eoTiv oStoi; 6; ).a).er pXaff^riixta;; pouvait d^ja se
scander comme un ianibe. — Cette nouvelle
comparaison, qui n'esl pas moins pittoresque
que les precedentes, est une particularity de
CHAPITRE VI
133
vult novum, dicit enim : Vetus me-
lius est.
du vin vieux n'en veut aussitCt du
nouveau, car il dit : Le vieux est
meilleur.
CHAPITRE Vi
Les epis ot !e jour du sabbat {tt. 1-5). — Guerison d'line main degsechee {tt. 6-11). —
Choix des 4p6lres {tt. 12-16). — Foules iiombreuses aiUour do Jesus [tt. 17-19). —
Discours sur Ja monlagne [tt. 20-49).
1. Factum est autem in sabbato
secundo primo, cum transiret per
1 . Or il arriva qu'un jour de sab-
bat second-premier, comme il pas-
S. Luc. Elle semble egaietnent empruntee a
la situation : on elait a la fin du repas et ie
-vin circulait dans les coupes. Rien de plus
•clair que son sens direct. Quel est Thomme
qui, apres avoir bu du vin vieux pendant un
certain temps (iriwv du texte grec, « quum
biberit », au lieu do b'bens, pent supposer
una dur^e plus ou moins considerable), aura
la pensee d'en demander tout a coup du
nouveau? II seditau contraire. et habituelle-
•ment avec raison : Vetus melius est (ou mieux,
d'apres une variante suffisammpnt garantie :
« Vetus bonum », xpi'i'^'^o? au posit'!) ; car ie
vin vieux est en general plus doux et plus
savoureux au palais. Au moral ci'la signifie
que tous les changements sont penibles, que
J'on ne s'accoutume pas en un instant a un
genre de vie ou d'ldees lotalemenl nouveau,
noire esprit prenant peu h [leu. sous I'inflence
des vieilles habitudes, un pit qu'il lui est en-
suite bien difficile d'abandonner. Or. voila
precisemenl ce que Jesus voulait indiquer
^ar cetle image. Le vin vieux dont il parle
represents en etfet I'antique religion mosaique
sous la forme rigide que lui avaieni donnee
les Pharisiens; le vin nouveau symbolise la
religion i hrelienne. Eut-il eie naturel que les
Juifs renongasspnl tout a coup (statiin. expres-
sion capiiale. niaiadroitcment om.se par les
manuscrils B. C, L, Sm.) a des idees. a des
prejuges, dont ils etaient d^puis longtemps
imbus, pour (aire un parfail accueil a I'en-
seignement du Sauveur? C'est done, on le
voit, une excuse aimable de leur conduit? et
de leur incredmite qui est contenuo dans ce
verset. Laiss^zfaire nosaccusateurs scmblait
dire Jesus a ses disciples : li-ur resi-lance est
nalurelle. Mais ils finiront par s'habituer au
vin nouveau de I'Evangile, qui, du reste, ne
manquera pas lui-mSmo de vieillir. — Les
Rabbins aussi emploient quelqucfois au figur^
cette comparaison du vin vicMix oi dii'vin
nouveau. Par exemple, Piike Abolh, iv,
20 : « Celui qui a des homines age-; pour
profes>eurs, a quoi ressemble-l-il ? 11 res-
semble a un homme qui mange des grappes
mures et qui boit du vm vieux. Et celui qui
a des jeunes gens pour instructeurs, a quoi
ressemble-t-il? A ua homme qui mange des
raisins verts et, qui boit du verjus ».
8. Lies epis et le jour du sabbat. vt, 1-5.
Farall. Matth. xii, 1-8; Marc, ii, 23 'iii.
Les evenemmts anterieurs (Cfr. v, 21, 30
et ss.) ont devoile une opposition secrete des
Pharisiens centre Jesus et nous ont fail pres-
senlir un conflit. Voici que la lulle eclate
maintenant au grand jour. — Sur les discus-
sions de Not-(!-SiMgneur avec les Juifs a
propos du sabbat, voyez Wiseman, Melanges,*
p. 205 et ss.
Chap. vi. — 1. — In sabbato secundo
pvimOj £v aaSSi^bi SsuTepoTipwrw. Noire evan-
geliste a seul menlionne cette dale, qui est
demeuree tres mysterieuse, nalgre les efforts
des commentateurs pour I'eclaircir. L'oxpres-
sion ScUTspoTtpwro; ne se renconlre en elfcl
nulle part aillenrs dans la litterature profane
ou sacree : a defaul d'analogies, on en est
done leduit, a son sujet, a des conji'ctures
plus ou moins vraisi^mblables. Qu'il Slffi^ede
signaler les principales. 1° D'apres S. Jean f
Ciirysoslome (Horn, xl in Matlh ), Paulus,
Olsliausen, etc., il s'agirait d'une feti> chomee
succedant sans interruplion ^devxipa.] a la so-
lennito du sabbat (Tiptoxri). 20 S. Isidore de
Peluse (ep. iii, 110). Euthymius. elc, sup-
posent que S. Luc a ainsi designe le premier
jour des pains azyines (irpwTT) xwv d^Oawv), qui
se trouvail elre d'une certaine maniere le
434
EVANGILE SELON S. LUC
salt le long des bles, ses disciples
rompaient des epis et, les froissant
dans leurs mains, les mangeaient.
2. Quelques-uns des Pharisiens
leur disaient : Pourquoi faites-voiis
ce qui n'est pas permis les jours de
sabbat?
3. Et Jesus leur repondit : N'avez-
sata, vellebant discipuli ejus spi-
cas, et manducabant confricantes
manibus.
Mallh. 12, 1; Marc. 2, 23.
2. Quidam autem Pharieaeorum
dicebantillis : Quid facitis quod non
licet in sabbatis?
3. Et respondens Jesus ad eos^
second de la fete pascale (osuispa xou 716.0^0-].
30 Louis Cappell, Lampe el plusieurs autres
voient dans i'epithete Seu-epoTrpto-ov une allu-
sion a la double annee des Juifs, I'annee
civile, qui conimenQail au mois de Tischii
{vers I'aulomne), el I'annee ecclesiaslique,
qui s'ouvrail le 'ler Nisan (vers le prinlemps) :
ii y aurail eu ainsi deux premiers sabbats, le
premier-premier en Tischri, el le second-
premier en Nisan. 4'' D'apres Maldonal et
Grolius, les Juifs disiinguaient par des noms
particuliers les Irois grands sabbals (npw-ra
(jagoaTtt) qui lombaienl dans les octaves de
Paque, de la Penlecole el des Encenies : le
premier s'appelail itpioxoTtpw-ov. Ie second osu-
xepoupuTov, le Iroisieme tpitottowtov. oo Wet-
slein, Slorr, etc., se decidenl en faveur du
premier sabbat du second mois de Tannee
•ecclesiaslique (lyar). 60 Comme il exi-lail
chez les Juifs, en vertu d'une prescriplion
divine (Cfr. Ex. xxiii, 10 et ss.; Lev. xxv,
2 el ss.) , des annees diles sabbatiques,
qui revenaient tous les sept ans , Wiese-
ler, Chron. Synopse, pp. 226-237, van
Ooslerzee et d'aulres exegetes ont assez in-
genieusement conclu de celle institulion que
le jour designe par Texpression obscure do
S. Luc etail le premier sabbat de la srconde
des sept annees qui formaient un cycle sab-
baliqup. 7o Le sentiment le plus co'mmune-
ment admis csl celui de Scaliger, de Emendal.
tempor. 1. vi, suivanl lequel, dans le adggatov
ScUTepoTrpcoTov, il faudrail voir le premier
sabbat qui suivait le second jour de la Paque.
La loi ordonnait en effel qu'a parlir de ci;
jour, celebre enlre les autres dans Toctave
pascale parce qu'on y offrail a Dieu, au mi-
Jieu de grandes rejouissances, les premiers
epis murs, on comptal sept sabbats jusqu'a
la Penlecole; or, a leur numero d'ordre aurait
ele ajoule, pour les distinguer des autres
sabbats de Taniiee, un mol qui indiquail leur
point de depart. AEUTepoTrpwiov equivaiidrait
ainsi a Tipwrov t^; SEwxepa?, c'esl-a-dire, dTto
Tj;; oeuTe'pa;. Clr. Lev. xxiii. 10 el ss.; Winer,
Realwoerlerbuch, s. v. Sabbath ; Lighlfoot,
Hor. hebr. in Malth xii. Quoi quil "in soil
d'ailleurs de loutes ces hypotheses, I'epoque
de I'annee ou eut lieu I'incldent raconle par
S. Luc est clairement marquee par le con-
texte : c'etait pen de temps avant la moisson.
— Tregelles el Meyer suppriment I'adjeclif
6eu-£poTrpwTov comme une glose marginale,
sous preiexte qu'il a ele omis par d'impor-
tants maniiscriis (B, L, Sin., plusieurs mi-
nuscules) et par les versions copte, ethio-
pienne, arabe, gothique, etc. Mais celle omis-
sion s'expliquesuCDsamment « ex ignoratione
rei », comme le disait deja Bengel : au con-
traire, I'mserlion d'un mot si obscur n"a au-
cune raison d'etre. Aussi Tischendorf, qui
I'avail efface dans ses premieres editions, I'a-
t-il a bon droit reinlegre dans les suivanles.
— Qmun Irausiret per sata. S. Maic emploio
le verbeTtapa-opeOccOat, S. Luc a otaTtopeusaOat;
S. Maltliieu a simplement ettopeOOyi — Confri-
cantes manibus est un trait pilloresque, spe-
cial au Iroisieme Evangile. L s Apotres use-
rent en cette. occasion du privilege accorde-
anx imii'^'enls par la loi mosaique, Deut.
xxiii, 25.
2 — Quidam Pharisaorum. Expression plus
precise que le « Pharisaei » (oi 4>api(jatoi) des
deux aulres evangelisles. Le frugal repas des
disciples fut done bientot inlenompu par la^
malignile phaiisaique. Yous vioUz le sabbat,
leur crierent rudement ces puritains du Ju-
dai-me. Les amis de Jesus anachai: nt des
ej.i-, pui> ils les frollaient enlre leurs mains :
c'etaienl la deux violations enormes du repos
sabbatique, le premier acleelanl, au dire des
Rabbins, analogue a celui des mois-onneurs,
le second ideniique au battage du bie! Voyez
I'Evang. selon S. Matlh., p. 23^ et s. II est a
noler que, d'apres S. Luc, les Pharisiens s'a-
dressent directement aux disciples {quid fa-
citis...], landis que, suivant S. Mauh;eu et
S. Marc, il auraienl inlerpelle le Sauveur lui-
meiiie. Le Yen. Bede indiquail deja le vrai
moyen de concilier les lecils. « Alii (Matth.et
Marc.) dicunl ipsi Domino hsecfuisse objecta;
sed a diversis, et ip>i Domino el discipulis
potiierunl objici ». — Le pronom illis man-
que dans les manuscrils B, C, L, X. etc.
3 el 4. — Ces deux verseis contieniient la
premiere parlie de I'apologie du Sauveur.
L'exemple de David est admirablemenl alle-
gue pour prouver qu'il est des cas, et leL
CHAPITRE VI
M5.
dixit : Nee hoc legistis quod fecit
David, cum esurisset ipse, et qui
cum ilio erant;
4. Quomodo intravit in domum
Dei, et panes propositionis sumpsit,
et manducavit, et dedit his qui cum
ipso erant : quos non licet mandu-
care nisi tantum sacerdotibus?
I Reg. 21, 6; £xod. 29, 32; Lev.U, 9.
5. Et dicebat ilUs : Quia dominus
est Filius hominis eliam sabbati.
6. Factum est autem et in alio
sabbato, ut intraret in synagogam,
et doceret. Et erat ibi homo, et ma-
nus ejus dextra erat arida.
Macth 1-2, ^0;Marc. 3,1.
7. Observabant autem scribse et
Pharissei, si in sabbato curaret : ut
invenn^ent unde accusarent eum.
vous pas lu ce que fit David, lors-
qu'il eutfaim, lui et ceuxqui etaient
avec lui?
4. Comment il entra dans la mai-
son de Dieu et prit les pains de pro-
position qu'il n'est pas permis de
manger si ce n'est aux pretres seuls,
et en mangea et en donna k ceux
qui etaient avec lui?
5. Et il leur disait : Le Fils de
riiomme est maitre meme dusabbat.
6. Et un autre jour de sabbat il
advint qu'il entra dans la synago-
gue et enseigna. Et il y avait la un
homme dont la main droite etait
dessechee.
7. Or les Scribes et les Pharisiens
observaient s'il guerirait un jour de
sabbat pour trouver de quoi Tac-
cuser.
etait cekii des Apolres, oil la loi positive doit
le ceder a la loi naturelle. Yoyez, xiii, 41
el ss., un raisonnement du meme genre,
mais plus pressant encore parce qu'il revel le
caraclere d'argumenl « ad hominem ». Les
trois narralions different a peine ici I'line de
I'aulre par qiielques nisances in>igniriantes.
L'action de David est introduilo dans celle de
S. Liic avec plus d'emphase : toOto avsyvwTe
6 eTtoCrjde an lieu de avsyvtoxe xi ETtotriffe). L'em-
ploi des conjonclions oTioTE el w; (h s aiitres
synopliques onl oit et •jvw;) , I'addilion du
parlicipe ovte;, el du verbe eXaSs {sumpsit)
sonl d'aiities pelits details propres a notre
evangeiisle. 11 est vrai que ovte; et lla.6e sent
omis par divers manuscrils (B, C, D, X onl
>.d6(ov).
5. — Seconde partie de I'apologie, intro-
duite par la t'ormule et dicebat illis. Non-seu-
lemenl la conduite des disciples pouvail elre
juslifiee au moyen d'exeraples ceiebies, mais
le Fils de rhomme, c'esl-a-dire le Messie,
leur Mailre, avait eu le droit de I'autoriser,
en sa qualile de Legislaleur souverain. Si le
service du temple, comme radmeltaienl les
Rabbins eux-memes, I'emportail de beaucoup
sur le repos du sabbat, a plus forte raison la
volonte dn Messie. — Le Cod. D. transpose
ce verset a la suite du lOe, et inserc a sa
place les paroles suivanles, que plusieurs
exegetes regardenl a tort comme auiht-nti-
ques ; ttj aut?) fiiiipa. 6ea(ja(Aevo; tiva epyailojiE-
vov Tw (jaSSaTw eiTiev auxw" avOpwirs, el [aev oIook;
ti Ttotei;, ixay.dcpto; eV el 5e [jly) oioa;, eTiiy.axdpaToi;
xaiirapafidTY)!; eT touvojaou. Jesus cliiil trop ami
de la loi pour lenir un pared langage.
9. Guerison d'une main dessechee. vi, 6-H^
Parall. Matth. xii, 9-14; Marc, iii, 1-6.
Voyez rexplication detaillee dans I'Evang.
selon S. Malih. p. 239 et ss.
6. — Factum est... et in alio sabbato,
S. Luc a seul mentionne celle dale. La pre-
dication de Jesus dans la synagogue [doceret]
et I'epilhele dextra, digne du « medecin bien-
aime », sonl egalement des traits qui lui ap-
partiennenl en propre.Les Saints Peres, s'ap-
puyant sur la tradition qui fait de I'homme
a la main aride un ancien magon, aiment a
voir dans ce pauvre infirme un type du Ju-
daisrae, qui, a I'epoque de Notr'e-Seigneur,
elan loi.l a fait incapable de baiir un temple
a la gloire de Dieu.
7. — Observabant (itapeTifipoyv « accurate
aspiciebant » ) eum scribes et Phariscei. Ici
couime en plusieurs aulres passages, la men-
tion des Scribes est speciale a S. Luc. Noire
evangeiisle met ties forlemenl en relief les
intentions hosliles de ceux qui observaient
ainsi Notre-Seigneur : ut invenirent unde ac-
cusarent turn (lilteralement, d'apres le grec :
« ut invenirent accusalionem ejus », c'esl-a-
dire « materiam accusandieum »).S.Malthieu
et S. Maic onl simplement : « ul accusarent
eum ». — Au lieu du futur GepaTreOaei, les
manuscrils A, D, L, Sin., etc., emploi-nt le
present eepaTteuet, « curat », qui donne plus
de vie au recil. — D'apres ces Pharisiens
sans coeur, guerir un malade en un jour de
sabbat etail done un crime enorme, a moins
de circonslancf's exlraordinaires. Quelques
Rabbins n'allaient-ils pas jusqu'a regarder
f36
EVANGILE SELON S. LUC
8. Mais il connaissait leurs pen-
sees et il dit a riiomme qui avail la
main dessecliee : Leve-toi et tiens-
toi debout au milieu. II se leva et se
tint debout.
9. Mais Jesus leur dit : Je vous
demande s'il est permis, les jours
de sabbat, de faire du bien ou du
mal, de sauver la vie ou de Toter?
10. Et apres les avoir regardes
tous, il dit a cet homme : Etends ta
main. EL il Tetendit, et sa main fut
guerie.
11. Mais ils furent remplis de de-
mence, et ils parlaient ensemble de
ce qu'ils feraient a Jesus.
12. Et en ces jours-la il s'en alia
8. Ipse vero sciebat cogitationes
eorum : et ait homini qui habebat
manum aridam : Surge, et sta in
medium. Et surgens stetit.
9. Ait autem ad illos Jesus : Inter-
rogo vos, si licet sabbalis benefa-
cere, an male; animam salvam fa-
cere, an perdere?
10. Et circumspectis omnibus
dixit homini lExtende manum tuam.
Et extendit, et restituta est manas
ejus.
11. Ipsi autem repleti sunt insi-
pientia, et colloquebantur ad invi-
cem, quidnam facerent Jesu.
12. Factum est autem inillis die-
corame une violation du repos sabbaiique
I'aciion de consoler les personnes mala-
des! Cfr. Scliabbal, 42, 1; Schoeltgen, Hor.
hebr. IV, p. 123.
8. — Ipse vero sciebat cogitationes eorum :
nouveau trail prop:e a noire evangeliste,
comma aussi, dans la scene vraiment drama-
lique qui lermine le versel, les mots et sta,
puis I'execution de I'ordre da Sauveur : et
surgens stetit. Jesus vouluL donner un grand
dclal a la guerison.
9. — Interrogo vos est une expression eni-
phatique, speciale a S.Luc. Nous mainlenons
le lemps present a la suite des manuscrits
B, L, etc., el de la version cople, quoique la
Recepla ait le fulur BTzipM-r^aw. — Si licet :
de meme les manuscrits B, D, L, la version
cople ( t ritala. La Recepla porle ■" e^icn;
« quid licet ». — Benefacere an male, dya6o-oiri-
aat 9i y.a/.o-o'.f,G-au Les nioLs suivants, animaiii
(hebrai's;iic pour a vitam ») salcam facere an
perdere expriment 'la meme idee d'une ma-
niere plus energique. — La question, ainsi
posee, etail loule resohie : le Sauvjeur avail
raontre par son dilemne irrefutable que le
bien omis equivaut souvenla un mal commis.
10. — Circumspectis omnibus. Jesus a beau
regarder tout autour de lui : il ne voit per-
sonne qui ose lui repondre. « At iili tace-
banl >;, Marc, iii, 4. II opere alors victorieu-
sem?nt la guerison. — Au lieu de et extendit,
on lit dans le texle grec : 6 5s s^Toiridev oOtw.
On y lit aussi; apres inanus ejus, i; rj a).),Ti,
a sicul allera ». Cfr. Matlh. xii, 13.
H . — Ipsi autem repleti sunt tnsipientia.
Trait propre a S. Luc. Le Iriomphe public de
leur adversaire el leur propre humiliation re-
doublerent, on le conQoit, I'exasperalioii des
Pharisicns; mais leur fureur meme, ainsi
qu'il arrive souvenl , les remplii d'avcugle-
menl el de folie. — Colloquebantur ad invi-
cem est plus piltoresque que le « concilium
faciebanl » des autros synoptiques. Mais ,
d'autre part, les mots quidnam facerent Jesu
caraclerisent moins neltom'^nt que I'exp-es-
sion parallele de S. Mailhien ot de S. Marc
(« quoinodri eum perdcrent ») les no.rs pro-
jets des Pliarisiens ft des .Scribes. L empioi
de la forni!^ eolienne de i'optdtif dans le texte
grec (-rtO'-rjaEiav) est neanmoins delicate. La
traduciion exacie serait : « Quid forte facien-
dum vider( tur ». S. Luc a voulu indiquer
par cette nuance qu'ii regnail encore une
cerlaine indecision dans I'esDril des ennemis
du Sauveur.
10. Choix des Apotres et Discours
sur la montagne. vi, 12-49.
Deux fails de la plus grande importance,
entre lesquels il existe une elroite connexion.
Le choix des Douze et le discours sur la mon-
tagne sent, a vrai dire, les premieres demar-
ches decisives que Jesus enirepril en vue de
constituer son Eglise. Par I'une il se donnait
des aides et des assesseurs. par i'autre il
promulguait la « grande charle » du royauine
des cieux. Aussi esl-il lout a fail prooable
que S. Luc a conserve ici I'ordre hislorique
des evenements (voyez I'Harmonie evangeli-
quej. D'ailleurs S. Marc raconte comaie lui
le choix des Douze immedialemenl apres la
guerison de la main dessechee.
a. Choix des Apotres. vi, 12-16. — Parall. Matth.
X, 2-4; Marc, m, 13-19.
M. — In illis diebus. Date as-ez vague en
soi ; elle suppose neanmoins qu'il ne devait
pas s'etre ecoule un temps notable entre cet
CHAPITRE VI
437
bus, exiit in montem orare, et erat
pernoctans in oratione Dei.
13. Et cum dies factus esset, vo-
cavit discipulos suos : et elegit duo-
decim ex ipsis (quos et apostolos
nominavit) :
Matth. 10, 1 ; Marc. 3, 13.
14. Simonem, quern cognomina-
vit Petrum, et Andream fratrem
ejus, Jacobum et Joannem, Philip-
pum et Bartholomseum,
15. Matthseum et Thomam, Jaco-
bum Alphaei et Simonem, qui vo-
■catur Zelotes.
16. Et Judam Jacobi et Judam
Iscariotem, qui fuit proditor.
sur la montagne pour prier, et il
passa toute la nuit a prier Dieu.
13. Et lorsque le jour fut venu
il appela ses disciples et choisit
douze d'entr'eux (qu'il nomma aussi
ap6tres) :
14. Simon, auquel il donna le
surnom de Pierre, et Andre son
frere, Jacques et Jean, Philippe et
Barthf^lemi,
15. Matthieu et Thomas, Jacques
fils d'Alphee et Simon appele le
Zele,
16. Judas frere de Jacques et
Judas Iscariote qui fut le traitre.
■evenemenl et celui qui precede. — Exiit in
montem; dans le grec, eT; t6 opo?, avec I'ar-
ticle (sur la moiUagne), comme dans S. Mal-
thi;u el. dans S. Marc. Voyez iiutre commen-
taire du premier Evangile, p. 98. — Orare,
et erat pernoctans... Tiail special. Le verbe
SiavuxtepeOw, qu'on ne rencontre qu'en ce
passage du N. T., designe une veille proion-
gee pendant toute la nuit. Cfr. Brelschneider,
Lexic. man. s. v. In oratione Dei est un « ge-
niliv. objecti » pour « in oral, ad Deum ». Cfr.
Mallh. X, i ; Act. iv, 9 ; Gal. ui, 22 ; I Joan.
II, 5. Comme les Juifs hellenistes donnaienl
le nom de Trpodsuxii aux oraloires qu'ils eri-
goaienl paifois en des localites ou ils etaient
en irop pelil nombre pour avoir une synago-
gue (Cf. Act. XVI, 13; Juv. Sat. iii, 296),
divers auleurs onl conclu du texle grec de
S. Luc, £v TY) Tipoceux^ '^°^ 0iou, que Notre-
Seigneur aurait passe la nuit dans un de ces
edifices. Mais c'est la un^ hypolhese sans
fondemenl, d'autanl mieux qu'il n'est nulle
pari question de « proseukai » consiruiles
sur des raonlagnes el en des lieux solitaires.
— Jesus proslirne aux pieds de son Pere ce-
leste au sommel du Kouroun-Hatlin, et pas-
sant loule la nuit a prier, quel spectacle
grandiose! Que denoancla-t-il duranl sa lon-
gue oraison? Le contexle I'indique. II pria
inslamraent pour ses futurs Apolres, afin
qu'ils fussenl dignes de leur sublime voca-
tion. S. Jean nous lera entendre, xvii, 6-9.
un echo de cette fervente priere.
13. — Plusieurs des details renffTmes dans
ce versel sonl propres a S. Luc, nolamment
ia circonstance de temps, quum dies factus
esset, puis le nom d'apolres, c'esl-a-dire
d'envoyes, donne par le Sauveur a ses douze
dius 'quos et apostolos nominavit). Des mots
cocaoit discipulos suos (dans le grec, Ttpooe^w-
vrjffE, il appela a lui) on peut induire qu'un
certain nombre de disciples avaienl accom-
pagne Jesus jusque sur la montagne des
beatitudes, et qu'ils y etaient demeures avec
hii pendant la nuit.
14-16. — Simonem... Judam Iscariotem. Sar
les lisles des douze Apolres, voyez I'EvHngile
selon S. .Matthieu, p. 192 etss. Celle de S. Luc
se distingue par deux particularites : 1o le
second Simon [t. \n) y est appele Zelotes,
nom plus clair que « Gananaeus » donl il est
vraisemblablemenl la traduction grecque;
20 la phrase « qui et traduiil eura » par la-
quelle S. .Matthieu el S. Marc sligmatisent la
conduite de Judas Iscariote est ici remplacde
par I'epithete plus energique de proditor, qui
n'exisle qu'en eel endroil des Evangiles. Re-
lativement a la biographic de chaque Apotre
pris en particulier on ne peul que s'associer
au vceu de S. J an Chrysostome (in Epist.
ad Philem.) : « Utinam non defuisset qui
nobis Apostolorum historiam diligenlissime
Iraderel! ».
b. Discours sur la montagne. vi, 17-49.
Parall. Matth. v, 1-vir, 29.
Ainsi que nous le disions dans noire com-
menlaire sui- le premier Evangile, p. 99, a la
suite de la pluparl des coramentateurs, c'esl
biin un seul el meme discours de Notre-
S'i^neur JesusChrisl qui a ete relate par
S. Matthieu et par S. Luc. 11 y a Irop d'ana-
logies, dans les deux redactions, soil enlro
les principales circonstances exlerieures, soil
entre h s idees emists, pour qu'on puisse
raisonnablemeal admetlre que les evange-
listes ont eu en vue deux fails dislinds. L '.s
d'ilferences proviennent surtoul de ce que
S. Luc a notablemenl abrege r« Oralio mon-
tana », tandis que S. Matthieu I'a Iranscriio
438
EVANGILE SELON S. LUG
17. Et descendant avec eux, il
s'arreta dans la plaine, ainsi que
toiite la troupe de ses disciples et
une grande multitude de peuple de
toute la Judee et de Jerusalem et
des bords de la mer et de Tyr et de
Si don,
18. Qui etaient venus pour I'en-
tendre etpour etre gueris de leurs
17. Et descendens cum illis,stetit
in loco campestri, et turba discipu-
lorum ejus, et multitudo copiosa
plebis ab omni Judsea, et Jerusalem,
et maritima, et Tyri, et Sidonis,
18. Qui venerant ut audi rent
eum, et sanarentur a languoribus
au complet, d'apr^s son admirable organisme.
Et S. Luc abrege en vertu de son plan. II
retranche les details plus slrictement ju-
daiques, qui n'auraient eu qu'une ulilite me-
diocre pour ses lecteurs d'origine paienne,
ou encore ceux qu'il se proposait de men-
tionner plus loin parce que Nolre-Si'igneur
les avait repelesplusieurs t'ois. Voila pourquoi
sa redaction a ici un cachet fragmenlaire,
qui conlraste avec la belle unite que presenle
celle de S. Mallhieii. Quelqiies phrases seule-
ment lui appartiennenl en propre : les male-
dictions opposees aux Beatiludes, tt- 24-26,
ct les sentences coiUenucs dans les tf. 39
et 40. Au contraire il n'a pas, ou du moins il
n'a pas en eel endroil, les passages suivants
du premier Evangde : IMallh. v, 13-38, le
chap. VI tout enlier, VII, 6-11. 43-15, 22et23.
Quant aux portions communes aux deux
ecrivains sacres, elles a|)paraissent souvont
avec ces varianles de I'oi'me que nous aimons
a noLor comme une preiive de i'independance
des biographes de Jesus, et comme une
marque palpable de lour veracile. Ajoulons
eniin que, dans le premi(n- Evangile, le dis-
cours sur la montagne ressemble davantage
a une promidgalion judiciaire, oflicielle,
landis que, dans le lioisieme, il a plulot
I'aspect d'une exhortation adressee sur un
ton paternei et familier : la, c'est un code
de lois; ici, une douce homelie.
l)La mise en scene, vi, 17-20«. — Parall.
JWalth. V, 1 et 2.
17. — Descendens cum illis. Avec les
apotres qu'il venait de se choisir, Jesus
descend du sommol menlionne au t. 12, el il
rejoinl la I'oule pour lui donner la « magna
charta regni coelorum ». C'est ainsi que
Moi'se elait autrefois descendu de la cime du
Sinai, portant les tables de la loi. Ex.
xxxiv, 29. — Stettt in loco campestri. II n'y
a rien, dans ces expressions, qui contredise
le recit de S. iMalthieu. Le verbe eaTV), qui
signifie propremeiu « il s'arreta », ne designe
pas I'attitude du diviii Orateur pendant son
discours ; Ini TOTtou TTEoivoO (sans article) pent
fort bien s'entendre d'un plateau silue, il est
vrai, au-dessous du sommet eleve sur lequel
Jesus avait passe la nuil, mais faisant encore
partie de la montagne. Cfr. Is. xni, 2 d'a-
pres les LXX : e^t' opou? neSivoO apate ffrjiAeTov.
Telle etait deja la pensee de S. Auguslm, de
Cons. Evang, 1. ii, 47 : « Quanquam eliam
illud possil occurrere, in aliqua excelsiore
parte montis primo cum solis discipulis Do-
minum fuisse, quando ex eis illos duodecim
elegit : deinde cum eis descendisse, non de
raonte, sed de ipsa montis celsitudine in
campestrem locum, id est, in aliquam cequa-
lilatem quae in latere montis erat, et multas
turbas congregare poteral ; alque ibi sielisse
donee ad eum turbae congregarentur, ac
postea quum sedisset, accessisse propinquiua
discipulos ejus... » Voir dans I'explication
du premier Evangile, p. 98, comment cette
henreuse conjecture se trouve justifiee par la
configuration du Kouroun-Haltin, ou mon-
tagne des Beatitudes. — Twha discipulo-
rum... et multitudo copiosa plebis. Autour de
Jesus se forme done comme une triple cou-
ronne d'auditeurs : les Douze, puis la foule
deja nombreuse des disciples, puis la masse
du peuple. Les details geographiques ajoules
par I'evangeliste montrent jusqu'ou s'etendait
alors la renommee du Sauveur. Au coeur da
la Galilee, ou se passe la presente scene,
Jesus voyait a ses cotes des habitants de Je-
rusalem et de la Judee, de Tyr et de Sidon,.
meme de I'ldumee et de la Peree, ajeute
S. Marc, in, 7 et 8 (voyez le commentairc).
Maritima (sous-ent. « regione ») represente
toutle littoral paleslinien de la Medilerranee.
Neaninoins, I'omission de la conjonclion et
dans le texle grec entre ce mot et Tijn (ttji;
TcapaXou TOpou xai Siowvo;) montre qu'il ne
designe directement ici que les cotes de la
Phenicie.
18 et 19. — Deux motifs avaient determine
ces masses populaires a accourir ainsi aupies
de Jesus. Elles elaienl venues d'abord ut ou
dirent eum, puis ut sanarenlur... Ces deux
desirs vont etre salisfails; le premier, place
en tele comme le principal, par le grand
discours de Jesus ; le second par des guerlsons
immediales, operees en favour di' lous ceux
qui en avaient besoin, quel que fuL du reste
le genre de leurs infirmites ; qui vexabantur a
CHAPITRE VI
139>
suis. Et qui vexabantur a spiritibus
immundis, curabantur.
1 9. Et omnis turba quserebat eum
tangere : quia virtus de illo exibat,
et sanabat omnes.
20. Et ipse elevatis oculis in dis-
cipulos suos, dicebat : Beati paupe-
res, quia vestrum est regnum Dei.
Matlh. 5, 2.
langueurs. Et ceux qui ^taient tour-
mentes par des esprits immondes
etaientaussi gueris.
19. Et toute la foule chercliait a
le toucher, parce qu'une vertu sor-
tait de lui eL les giierissait tous.
20. Et lui, les yeux leves vers ses
disciples, dit : Bienheureux etes-
vous, pauvres, parce que le royaume
de Dieu est a vous.
spiritibus immundis... ; saiiabal omnes. Re-
marqiiez ces cinq iinparfails, qui marquenl
des acles constamment reiteres. Jesu.-; elait,
suivant ia belie parole de Tlieopliylacic, iine
source intarissablede miracles, irriYviSuva[Aewv.
— La phrase omnis turba qucerebat eum tan-
gere (comp.Marc. ni, 9-1 2) forme a eile seiile
un vivanl tableau-. Qiiolle sainto agitation
aulour du Thaumaturge! Tout a I'heure, au
conlraire, le plus profond silence regnera
aulour de TOraleur. — S-.ir I'expression vir-
tus de illo exibat, voyez Marc, v, 30 et le com-
mentaire. Auvafjiii;, une force toute divine. La
chair sacree du Sauveur, de meme que la
matiere dan-5 les sacremenls, servait a Irans-
mettre les graces.
20a, _ Apres avoir appuye d'avance sur ces
nombreux miracles i'autorite de sa parole,
Jesus s'asseoie a la fagoti des docteurs, Matlh.
V, 1, et commence son discours. Toulefois,
comma le note S. Luc (Cfr. xxii, 61) d'une
mani^re non moins delicate que pittoresque,
avanl d'ouvrir la bouche il embrassa d'abord
d'un regard plein d'amour le cercle intime
des disciples ranges aupres de lui. C'est a
enx on efifet qu'il s'adressait plus immediate-
meni. ; c'elait par eux que ses memorables
paroles devaient etre porlees dans peu d'an-
neesa I'univers entier.Son audiloire mystique
etait done aussi vaste que le monde. — Di-
cebat. De nos observations anlerieures il re-
sulte que, dans I'edition abregee du discours
sur la monlagne, telle que nous roITre le Iroi-
sieme Evangile, il n'existe pas un plan par-
failement accentue. On y ddcouvre pourtant
quelques points d'arret, quelques direclions
nouvelles donnees a la pensee, qui peuvent
servir de divisions pour classer les preceptes
de Jesus. Les Beatitudes et les maledictions
qui leur correspondent, ft. 20b-26, forment
une premiere partie que nous intilulerons
avec M. van Oosteizee « la salutation de
I'amour », ou, avec Bleek, « la doctrine du
bonheur ». Les tt. 27-38 exposenl ensuite
le g'-and precepto de la charile, qui est par
excellence le commandement de ia Loi nou-
velle : c'est la seconde partie. Dans la Iroi-
Bieme, tt. 39-49, introduite comme la se-
conde par une formule de transition, S. Luc
a groupe diverses recommandations que Ton
pourrail appeler « la doctrine de la sagesse »,
parce qu'elles fournissenl a quiconque les
praliquerait fidelement un moyen prompt et
sur de parvenir a la vraie sagesse.
2) Premiere partie du disconrs, vi, SOt-ae : Le vrai
bonheur. — Parall. Matlh. v, 3-12.
20b. — « Quatuor tanlum bealitudines
sanclus Lucas dominicas posuit, octo vero
sanctus Mailhseus », ecrivait S. Ambroise, et
c'est la un fait qui frappe tout d'abord des
que Ton compare les deux redactions de
1 « Oraliomonlana ». Mais ledocle Pere avail,
raison d'ajouler : « In his oclo illse quatuor
sunt, et in istis quatuor illae octo », car S. Luc
donne vraimenl « le precis, la quintessence »
(D. Calmel) de I'octave des Beatitudes. —
Comme ce debut de la charte messianique est
sage et parfait! « Aptissimum exordium Doc-
tori sapientiee, tradere;in quo sila sit beati-
tude. Hanc enim velut finem omnium omnes
omnino appelunt, sed in quo sit sita, et qui-
bus mediis oblinealur, miserrime allucinan-
tur ». Corn. Jansenius. Ainsi done, le Docteur
supreme de la sagesse a soin de metlre
aussitot, comme le dit gracieusemenr, Theo-
phylacle, le rhylhme et I'harmonie (puQixi^Bi)
dans I'ame de ses disciples au moyen des
Beatitudes. — Sur la forme exterieure et
I'aspect paradoxal des Beatitudes, voyez
I'Evang. selon S. M-althieu, pp. 101 et 102. —
Beati pauperes... Cette Beatitude est la pre-
miere dans I'expose do S. Luc comme dans
celui de S. Matlhieu. Seulement, notre evan-
geliste a supprime le mot « spiritu » apres
« pauperes », ce qui donne de prime abord
plus de clarte a la pensee, mais qui lui enleve
peut-6trede sa profondeur. Toulefois, comme
il s'agit evidemmenl ici ou des pauvres qui
supporlent avec courage, dans un sentiment
Chretien, la privation des biens de ce monde,
ou des riches qui vivent delachcsde leurs ri-
chesses, la pensee est au fond la meme de
part et d'autre. — 01 titwxo' est au vocatif
et equivaul a y[ie'<; ol Ttxwxoi, ainsi qu'il ressort
du conlexte, fiti y[ieTep«. . ., quia veslrumest...
440
fiVANGlLE SELON S. LUC
21. Bienheureux, vous qui main-
tenant avez faim, parce que vous
serez rassasies. Bienlieureux vous
qui pleurez mainlenant, parce que
vous rirez.
22. Bienheureux serez-vous lors-
que les hommes vous hairont et
vous repousseront et vous oulra-
geront, et rejetteront votre nom
comme mauvais a cause du Fils de
rhomme.
23. Rejouissez-vous en ces jours-
21. Beati qui nunc esuritis, quia
saturabimini. Beati qui nunc fle-
tis, quia ridebitis.
22. Beati eritis cum vos oderint
homines, et cum separaverint vos,
et exprobraverint^ et ejecerint no-
men vestrum tanquam malum, pro-
pter Filium hominis.
Matih. 5, 11.
23. Gaudete inilla die, et exul-
En effet, d'apres S. Luc, les Bealitndps sont
adressees directemenl par Jeiu> a ses dis-
ciples (comp. les ft. 21-23; de mdra ■ les
maiediclions, ti?. 24-26;, landi- (ju (.■.u.-s ap-
paraissent dans le recil de S. MaUhieu sous
!a forme d'aphorismes generaux : « Beali pau-
pere:-..., quia ip?orum... » elc. C'esl precise-
ment en cela qu'apparait le caracteri^ fami-
iier, en quelque sorte homiletique. du discours
sur la inontagne tel que le reiale S. Luc.
Comparez encore vi, 46 et Maltli. vii. 21 ;
VI, 47 et MalUi. vii, 24, elc. — Regnum Dei:
le royaume du Messie-Dieu. S. Luc substitue
ce norti a celui de « regnum coelorum »
(MaUh. V, 3), qui, enongunt une idee juive
(voyez I'Evang. selon S. Matlh. p. 67), cut ete
moins accessible a ses lecieurs de la gen-
tilite.
21. — Beati qui nunc esuritis... C'est la
qualrieme Beaiiiude dans S. MaUhieu. Ici
encore nous avons a noter une oiiTission ca-
racterislique, celle du substantif « jusliliam »
(le p~i* hebreu, mot un peu vague, pour desi-
gner la .-ainteteen general;. La vieoiiabondent
le confort, le luxe, les deiices malerielles, est
souvent incompalible avec le gout de la per-
fection el des choses du cie! : ce qui fail que
les deux redactions reviennent a peu pres au
meme. — Nunc fletis. Cetle Beatitude est la
troisieme chez nos deux evangelisles. Nunc
est une particularite de S. Luc (de meme
dans la Beatitude precedente^ : eel adverbe
oppose avec empliaS3 les miseres presentes
aux joies inenarrables que I'on goutera dans le
royaume raessianique parvenu a sa consom-
malion glorieuse. Le piltoresque ridebitis
(Matlh. « consolabuntur ») est egalement
special a S. Luc. Employe au t. 25 el par
S. Jacques, iv, 9, pour designer la joie pro-
fane et coupable des mondains, ce mot n'ap-
parait qu'en eel endroit comme cmbleme du
bonheur sacre des elus.
22 et 23. — Ces versets contiennenl la
qualrieme Beatitude de S. Luc, qui est paral-
lele a la huilieme de S.Malthieu, v, 10-12. —
Beaii eritis. Le verbe grec est au present, lart,
et I'emploi de ce temps est remarquable,
pui-qu'il est question d'un bonheur a venir :
mais I'acquisition de ce bonheur est si siir
pour ceux auxquels s'adresse le divin Maltre'
— Si S. Luc omel I'enunce general de la Bea-
titude, tel qu'on le irouve dans le premier
Evangile, v, 10, en revanche il accentue avec
plus de force la gradation des outrages qui,
courageus^menl suppoi les, formenl ce der-
nier « macarisme » nom grec des Beatitudes).
S. MaUhieu ne di^tinguait que Irois sorles de
persecutions, representees par les locutions
oveiStVioffi, « maledixerint », Stw^wdi, « per-
seculi fuerint » , einwfft irav itovTjpov ^rjjix,
V dixerint omne malum (verbum) » : S. Luc
rn menlionne qualre qu'il exprime, a part la
iroisieme, ovetSiffwui (Vulg. exprobraverint],
au moyen de mots nouveaux. Oderint, v-^Tr,-
ffwertv, mdique les sentiments du coeur. Sepa-
raverint vos {a(fopia(Dai\) nous montre la
haino. d'abord laiente, passant a Taction. Les
disciples du Christ seronl « excommunies »
de la societe rdigieuse el civile : tel est le
sens du verbe d9op(!;u. Cfr. Suicer, Thesau-
rus, s. V. Viendrool ensuile les injures gros-
sieres, oveiSiffwat, puis, comme conclusion, le
ejecerint nomen vestrum tanquam malum
(comp. 5n an K^jfin des Hebreux, Deut.
XXII, 19) : on liniia par raaudire, par execrer
avec un mepris souverain, le nom pourtant
si noble d' Chretien. Mais cela aura lieu
propter Filium hominis, c'est-a-dire qu'on
n'aura commis d'autre crime que celui
d'etre le disciple de Jesus : el c'est precise-
ment pour cela qu'on devra se croire bien-
heureux pl se rejouir, comme TexpHque le
T. 23. « Noil eniin ista perpeli frucluosum
est, sed ista pro Christi nomine... tolerare ».
S. Aug. Serm. Dom. in monte, i, 5. — Gau-
dete... Cfr. Matlh. v, 12. In ilia die est em-
phatique et special a S. Luc : au jour ou Ton
vous Iraitera d'une maniere si ignomineuse.
— Exultate : le grec erxtptrioate signifie lilte-
ralemenl « bondir de joie ». Quelle energie
CHAPITRE VI
tate : ecce enim merces vestra
multa est in coelo; secundum haec
enini faciebant prophetis patres
eorum.
24. Verumtamen vae vobis diviti-
bus, quia habetis consolatiouem
vestram.
Eccli. 31, 8; Amos. 6. 1.
25. Vse vobis qui saturati estis ,
quia esurielis. Vse vobis qui ridetis
nunc, quia Uigebitis et flebitis.
Isai. 65, 13,
la et tressaillez de joie, parce que
votre recompense est grande dans
le ciel; car leurs peres agissaient
ainsi envers les prophetes.
24. Gependant malheur a vous,
riches, parce que vous avez votre
consolation.
2o. Malheur a vous qui etes ras-
sasies, parce que vous aurez faim.
Malheur a vous qui riez maintenant,
parce que vous vous lamenterez et
pleurerez.
d'expressions! Excommunies, bafoues, perse-
cutes, les disciples (ie Jesus non-seulemenl
ne devroni pas s'allrister et se decourager,
mais lis pourronl s'abandonner a la joie. Bien
plus, la simple joie serail insuBQsante : il
faudra qu'ils iressaillent d'allegresse. Nolre-
Seigneur aurail dit, d'apres S. Malthieu,
Xaipexe xal ayaXlioiaQe. Le verbe ffxiptdw n'ap-
parail que irois fois dans ie Nouveau Testa-
ment, el c'esl toujours S. Luc qui Temploie.
Cfr. I, 41, 44. — Ecce enim merces vestra... Mo-
tif de cette recommandalion en apparence si
extraordinaire. « Proposito bravio, ad ani-
mosuiii suos certamen agonolhela hortatur »,
Luc de Bruges. L'homme natiirel se desole
quand on lui enlere son bien, son honneur ; le
Chretien depouille de lout pour Jesus se re-
jouit, parce qu'il se souvienl de la recompense
qui I'attend au ciel. — Secundum hcec (les
nieilleurs temoins portent xata tk au-d, au
lieu de xata xavTa).., La parlicule enim iiilro-
duil un second moiif de consolaiion. Les
prophetes, ces augustes personnages de la
theocralie, n'onl pas ete mieux trailes de
leur temps. Or, qui ne serail heureux
el fier de ressembler aux prophetes? — Pa-
tres eorum ne designe pas les peres de:.
prophetes, mais, d'apres la « constructio ad
synesin » dont nous avons rencontre de si
frequents exemples, les ancetres des hommes
menlionnes au t. 22, par consequent, les
Juifs des siecles anlerleurs. Jesus s'exprime
plus clairement dans le premier Evangile :
« Sic enim perseculi sunt prophetas qui
fuerunt ante vos ».
24. — Laissanl de cole les autres Beati-
tudes (la seconde : « Beali miles », la cin-
quieme : « Beali misericordes », la sixieme ;
0 Bi^ati mundo corde », et la seplieme :
« B'^ati pacifici »), S. Luc oppose a celles
qu'il vienl de citer qualre terribles male-
dictions de Jesus, tt. 24-26. Dans Jeremie,
XVII, 5-8, le mot mx, uiaudil, contrastail
deja trisiemcnt avec "^nn, beni : mais les
maledictions precedaient les benedictions;
tandis qu'ici, conformement a la delicatesse
de I'espril evangelique, les « Vde » n'appa-
raissenl qu'apres les « Beali ». Le Messie ne
maudit ue ceux qui auront refuse, rejete ses
benediction-;. — Verumtamen. u).ov, est une
particL'le adversative qui sen do transition.
Elle inlroduit fort bien les quatre proposi-
tions anlitheliques deslinees a ramener a \'p?'
prit chretien par la lerreur ceux que les re-
compenses promises plus haul n'auraienl pas
suffisammenl gagnes. — 4 o Vw vobis divitibus.
Le monde dit au conlraire : Bienheureux les
riches, malheur aux pauvres! Mais les idees
de Jesus ne sont pas celles du monde. Ge-
pendant, si le roi mes-iariiquG maudit les ri-
ches, ce n'esl pas direclemenl parce qu'ils sont
riches, mais en taut qu'ils mettent leur com-
plaisance entiere, toule leur ame, dans leurs
richesses. « Non census, sed affectus in cri-
mine est », S. Auibroise. II est en effet des
riches qui sont pauvres d'espril. — Quia ha-
betis consolatiouem.,. Jesus avail motive les
Beatitudes; il motive de la memo maniere
les maledictions. Le correlatif grec de « ha-
betis », dnc'xeTE, est d'lme grande energie :
« vous possedez complelement, vous avez
lotalemenl regu. » Cfr. xvi, 23; Phil, iv, 18.
lis auront joui sur celle terre des consola-
tions piofanes de Mammon, ce sera lout : ils
n'aurout aucune pari aux saintes consolations
d'Israel, dont au reste ils ne s'inquielent
guere. — Nous trouvorons plus loin, xvi, 19
ct ss., le developpenicnl dramalique de celle
premiere malediction, dans la parabole dc
Lazare el du mauvais riche.
23. — 20 Ici encore I'anlilheseesl parfaile.
Les idees sont opposees aux idees, les mots
aux mots : vce a n beati », qui salurali estis
a « qui esurilis », quia esunetis a « quia sa-
turabimini ». Nolez de nouveau I'energie du
texle grec : iinzz-:z}.riG\j.iyoi. Mais ce ra^sasie-
ment de la chair (Cfr. Col. ii, 23) sera suivi
d'unc faim affreuse, qui demeurera h tout
U2
EVANGILE SELON S. LUC
26. Malheur quand les hommes
diront du bien de vous, car leurs
peres agissaient ainsi envers les
faux prophetes.
27. Mais je vous dis, a vous qui
ecoutez : Aimez vos ennemis, faites
du bien a ceux qui vous haissent.
28. Benissez ceux qui vous mau-
dissenlet priez pour ceux qui vous
■calomnient.
29. A celui qui vous frappe sur
une joue presentez encore I'autre.
26. Vse cum benedixerint vobis
homines; secundum haec enim facie-
banl pseudoprophetispatres eorum.
27. S^ed vobis dico, qui audilis :
Diligite inimicos vestros, benefacite
his qui oderuntvos.
Matth. 5, 46.
28. Benedicite maledicentibus
vobis, et orate pro calumniaulibus
vos.
29. Et qui te percutit in maxil-
1am, prsebe et alteram. Et ab eo,
jamais ina?souvie. — 3o Vce vobis qui ridetis
nunc. Malheur, car ces rires Lerreslre?, qui
n'auront dure que peu de jours, feront place
a d'eLernelleset poignanLes trislosscs, figurees
emphaliquemeiU pardeux verbes synonyraes,
lugebilis et flebitis. Cfr. Jac. iv, 4, 9.
26. — 4o Vw cum benedixerint... Lemonde
n'accorde >a favour el ses bonnes graces
qu'a ceux qui lui plaisenl, ct, pour plaire k
ce raonde corrompu, il est rare qu'il ne faille
pas Qalt'^r ses passions mauvaises, se raetlre
lie connivence avec ses coiipables caprices.
•Souvenl done la popularile d'lin honime est
de facheux augure relalivomenl a son ca-
ractere el a sa conduile. Est-il elonnant apres
cela que Jesus raaudisse ceux qui recherchenl
^t regoiveni les caresses du monde? Ne vaut-
il pas mieux etre, comme S. Alhanase, seul
a contra mundum »? Telle elail au?si, mainl
axiome antique en fail foi, la conviction de
la sagesse palenne. Corap. Elien, Hist, var.,
II. 6 : iza.piotiy[L3. OTt oO 5ti toTi; 7to)loic apiaxeiv.
Piiilistrate, Nic. Soph.: (poSoDiiat Siijiov ir.ai-
pov-a iia),>,ov r) ),otSopoO(ievov. Seneque, Epist.
"26: « Quis enim placere potest pnpulo, cui pla-
cet virtus? » Etc., etc. Voyez Wetsiein, h. 1.
Phocion, inlerrompu contre I'ordinaire dans
un de ses discours par de vifs appUiudisse-
raenls de la foule alhenicrme, demanda tlne-
ment a ses amis s'il uc lui etait pas echappe
quelque sottise. — Secundum licec enim facie-
banl pseudoprophetis. C'est-a-dire qu'on les
comb, ail d'honneurs; mais a quel prix pour
leur conscience! Ces faux prophetes accom-
modaient criminellement leurs pretendus
oracles aux desirs depraves des princes el
du peuple : il leur etail aise de gagner ainsi
tous les sulfrages. « Pro[)hetae proplietabant
raendacium, etsacerdotes applaudebanl raa-
nibus suis, et populus meus dilexit lalia »,
Jer. V, 3< . — Patres eorum a le meme sens
qu'au t. 23.
3) Deuxieme partie du discours, ff. 27-38 : La vraie
charite. — Parall. Matlh. v, 39-48.
27 rl 28. — La transition sed vobis dico
qui audUis ( sl d'une giande delicatesse. Jesus
semble supposer que les terribles apostrophes
des tt. 24-26 ne s'appliquaient a aucun
de ses auditeurs actuels. II revienl done a
eux comme au sortir d'une digression qui
n'auraii concerne que des miserables vivant
bien loin du Kouroun-Hatlin. Ce qu'il leur
dit dans celte seconde partie est un commen-
laire saisissani de ce qu'il nommera plus
tard ;Joan. xui, 34; xv, 12;« son » comman-
dement, le commandement « nouveau ». En-
trant dans des details pratiques, piltoresques,
il montre en quoi doit consister la charite fra-
ternelle pour les sujets du royaum?! messiani-
que. — 11 place en premier lieu ce qu'il y a de
plusdifBcile,etrecommande d'abord auxsiens
I'amour des ennemis, amour sincere et reel,
diligite, qui, du coBur oil il a sa source, passe
dans les mains par les acles, benefacite. etsnr
les levres soil par de bonnes paroles, benedi-
cite, soil meme par de ferventes prieres, orate.
A chaque manifestation de la haine il faut
done, comme I'inrlique cetle serie de sublimes
antitheses, repondre par une manifestation de
charite, rendanl toujours le bien pour le mal.
Cfr. Rom. xii, 21.
29. — Apres la charite active vienl la cha-
rite patiente, qui lolere, qui sacrifie volon-
tiers, dans I'occasion, ses droits les plus
stricts, si elle espere pouvoir gagner le pro-
chain par cetle condescendance genereuse.
Sut le veritable esprit de ces deux rncomman-
dalion-, voyez I'Evangile selon S. Matlh.,
p. 121. — Qui te percutit...; ce au lieu de
u[jleT; : ce brusque changemenl de nombre,
ainsi quele notail Erasme, « facit ad inculcan-
dum praeceplum, quod unusquisque sic au-
dire dcbeat, quasi sibi uni dicatur ». — A
7naxiUaniS. Matlhieu aiouie dexteram. Au lieu
du vague Ttapexe {prcBbe], il emploie le drama-
tique atpstj/ov, tourne. — Ab eo qui aufert...
CHAPITRE VI
143
qui aufert tibi vestimeiitum, etiam
tun'cam noli prohibere.
Mau/i.5,W;ICor.6, 7.
30. Omni autem pelenti te, tri-
bue : et qui aufert quse tua sunt, ne
repetas.
31. Et prout vultis ut laciant vo-
bis homines, et vos facit ^ illis simi-
liter.
Tob. i,i6;MaUh.7, 12.
32. Et si diligitis eos qui vos di-
ligunt, quae vobis est gratia? nam
€t peccatores diligentes se diligunt.
Malth. 5, 46.
o3. Et si benefeceritis his qui vo-
Et a celui qui vous prend votre
manteau iaissez prendre encore
votre tunique.
30. Donnez a quiconque vous de-
mande et ne reclamez pas votre
bien a celui qui vous le ravit.
31. Comme vous voulez que les
hommes vous fassent,faites-leur pa-
reillement.
32. Si vous aimez ceux qui vous
aiment quel est votre merite? car
les pecheurs aussi aiment ceux qui
les aiment.
33. Et si vous faites du bien a
La pensee est generalisee par S. Luc : le pre-
mier Evaiigile, v, 40, supjiosail tin proces
sur le point d'etre iiUenle devant les tribii-
naiix. Notre evangeliste renverse en outre
I'ordre des vetements : Donnez meme votro
tunique (t6v x'Twva) a quiconque veut vous
ravir vioiemment votre manteau {vestimen-
tum, xi l(jidxiov) ; dans S. Matlhi u Jesus de-
sire au contraire que ses disciples abaiidonnent
leur manteau a I'homme injusLe qui voudrait
les depouiller de leur tunique. Mais c'est la
m^me idee exprimee avec une nuance. Chez
les Juifs, et S. Matlhieu ecrivait piiinilive-
ment pour des Juifs, le manteau du pauvre
elait regarde comme son veiement le plus
indispensable, Ex. xxii, 25; d'aulre part, en
soi le « pallium » est I'habit le plus exlerieur,
que la main du voleur saisit nalurellemenl
en premier lieu. Des deux cotes il y a done
gradation, quoique en un sens difTerent, et
S. Luc a choisi I'arrangem nt qui devait etre
le plus clair pour ses lecteurs non juifs. —
Noli prohibere, c'est-a-dire, « denegaro ». La
recommandation est positive dans S. Mat-
lhieu : « dimitte ei ».
30. — Omni autem petenti... C'est encore
la charile sous une autre de ses faces multi-
pleSo Jesus inculque, dans la premiere moiiie
de ce verset, I'esprit de liberalite qui vient
genereusement au secours de tous, sans au-
cune acception de personnes (itavxt mis en
avant et special a S. Luc est empliatique),
quoique selon les mesures de la prudence;
puis, dans la secondo moitie, il revienl d'unc
maniere generale sur le sui'port chrdlien
des injustices : qui aufert quce tua sunt...
Voir une variante dans S. Matthieu, v, 42.
— Ne repetas ne doit evidemmont pas se
firendre d'une maniere absolue, pas plus que
a plupart des conseils evangeliques enonces
ici par le divin Maitre : du moins ne doil-on
pas reclamer son bien avec une rigueur trop
grande, qui bles?erait la charite.
3\. — Et prout vultia... S. Luc a place
des cet endroit la beile « regie d'or » de la
charite, qui n'apparait dans le premier Evan-
gilc que beaucoup plus loin, vii, 12, et d'a-
jires un autre encliaintMiient. Mais ce grand
principe de I'amour fraiernel vient tres bien ici
au milieu d'injonctions pratiques Itt. 27-33)
qu'il relie a la fagon d'un noRud gracieux et
fort.
32. — Ce verset et les deux suivants con-
tiennent trois raisonneme.nls paralieles, des-
tines a prouver qu'une charite simplement
hiimiiine., c'est-a-dire egoi'-te, est tout a fait
nulle diwant Dieu. II y a, dans cette argu-
menialion pressante, une fin^ critique de la
bonle purement naturelle, et, par suite, une
forte excitation a la charite surnaturelle. —
1o Quand nous nous bornons a aimer ceux
qi'i nous aim nt, quel est notre merite? La
rcponse n'est pas directemenl donnee, mais
la phrase finale, nam et peccalores..., qui re-
tentit trois fois comme un Irisle refrain. Fin-
dique suffi-amment. — Gratia, un des mots
favoris de S. Luc et de son maitre S. Paul.
est pris ici dans le sens objectif : quel gre
vous saura Dieu? — Autre trail caracteris-
tique. Nous lisonsdansS. Matlhieu : « Nonne
et publican!..., nonne etethnici hoc faciunt? »
Le premier evangeliste conserve aux paroles
de Jesus la couleur juive qu'elles avaient eue
d'abord ; S. Luc remplace les idees par-
licularistes de publicains et de palens (cette
derniere avez une touchante sollicitude pour
les SM)timents de ses lecteurs) par la notion
generale de pecheurs.
33. — 20 Et si benefeceritis... Par une gra-
dation manifesto (CIr. t. 27), Jesus passe des
sentiments du coeur aux actes qu'inspire I'af-
feclion, et vl raisonne sur eux de la meme
Hi
EVANGILE SELON S. LUC
ceux qui vous font du bien, quel
est voire merite?car les pecheurs
aussi le font.
34. Et si vous pretez a ceux de
qui vous esperez recevoir, quel est
votre merite? car les pecheurs aussi
prStent aux pecheurs pour recevoir
une somme egale.
35. Ainsi done aimez vos enne-
mis, faites du bien et pretez sans
en rien esperer, et votre recompense
sera grande, et vous serez les lils du
Tres-Haut, car il est bon pour les
ingrals et les mechants.
36. Soyez done misericordieux
bis benefaciunt, quae vobis est gra-
tia? siquidem et peccatores hoc fa-
ciunt.
34. EL si mutuum dederitis his
a quibus speratis recipere, quae gra-
tia est vobis? nam et peccatores
peccatoribus foenerantur, ut reci-
plant sequalia.
^eut. 15,8; Malth. 5,42.
35. Verumtamen diligite inimicos
vestros : benefacite, et mutuum date,
nihil inde sperantes : et erit morces
vestra multa, et eritis filii Altis-
simi, quia ipse benignus est super
ingratos et malos.
36. Eslote ergo misericordes, si-
raaniere. Ce trail est propre a S. Luc; de
meme celui da t. 34. S. MaUhieu, v, 47, a
un autre example tire des sahitaiion.s entre
amis.
34. — 30 Et si mutuum dederitis. Nouvelle
gradation : apres les bienfaits en general, un
bienfait d'une nature parlicuiiere, qui coute
toujours, meme dans i'hypolhese laite par
Nolre-Seigneur {his a quibus speratis recipere),
tant rhomme est attache aux richesses ma-
lerielles. D'ailldurs, ceux qui pretent courenl
toujours quelque risque, et les services de-
sinleresses sent rares. — Ut recipiant cequa-
lia, Ta Iffa, c'esl-a-dire le meme service a
I'occasion, ou bien le remboursement exact
de la somme pretee, de sorte qu'ils ne per-
dent absoiumenl rien.
35. — A la conduile egolsle qu'il vient
d'exposer et de blamer dans les tt. 32-34,
J^sus oppose mainienaul celle que devront
tenir ses disciples. II emploie les menies ter-
mes que precedemment et suit la meme gra-
dation : Diligite inimicos vestros, et pas Si'u-
lemenl ceux qui vous aimcnt, t- 32; bene-
facite... nihil inde sperantes, et pas snile-
raeiit quand vous esperercz quelque autre
liienfail en relour desvotres; mutuum date...,
pretez san-; espoir de gain ou de recouvre-
nient. Voila la conduite du vrai chretien. —
La traduction que la Vulgate donne des mots
grecs (tTjSfev dTteXirt^ovTe; {« nihil inde speran-
tes »), quoiqu'elle fournisse le sens le plus
clair et le plus conforme au conlexte (Cfr.
t. 24), est peul-§lre difficilemenl justiQable
au point de vu-^ de la critique; au?si est-elle
rejetee par la plupart des exegeles contem-
porains. Elle a centre elle : i" I'etymologie el
la signification habituelle de inzlni^u). Bien
que ce verbe ne soil employe qu'en ce seul
endroit du Nouveau Testament, son sens est
partoiil a:lleur>. c'esl-a-dire dans la ver.-ion
des Sei.iante (Jud. ix, 'M, II Mnch. ix, 18;
Eccli. xxii, 21) et chez ios clii>>i(pies, confor-^
memenl a ^^a raciiie (ixtvo ut D.m^ta), ceUii de
desesperer ; 2o les plus anciens manuscrils^
latins et la version golhique, qui ont r
« nihil desperantes »; les versions syriaque-
et arabe, qui partenl : « nee prsescindelis spem
unius » (elles ont lu ixr,5£--' ou ^vi8£va, au-
masculin), c'est-a-dire, Ne poussez personne-
au de.-espoir en refusanl de lui preler. Nous
adoptons I'antique legon latine, « ne deses-
peranl de rien », c'esl-a-dire, ne vou? inquie-
tant pas de la somne prelee. Voyez la sa-
vante noledeM. Schegg, Evang. nach Lukas,
t. I, pp. 323 et ss.; Breischneider, Lex. man.,
s. v. x7:£),7tt'^w. — Et eril merces vestra multa ;•
des ici-bas ceile conduile genereuse des Chre-
tiens sera recompensee; mais elle le sera da-
vantage encore dans le ciel. — Et erislis filii
Altissimi. Autre precieux motif d'encourage-
nierit. Cfr. Mullli. v, 45. Agir ainsi, c'est
montrer, par un de ce> traits de ressemblance
qui trompent raremenl, qu'on est fils du
Tres-Haut, car lui aussi il est bon a I'egaid
soil des ingrals (4xap:oTou;) qui ne lui savenk
aucun gre do ses bienfaits, soil des pecheurs
(izovYipoOi;) qui en abusenl ouvertement. Dans
le premier Evangile, la description de la
bonie divine est expriraee d'une faQon plus
concrete : a Qui solem suum oriri facil super
bonos et malos, el pluil super justos rt in-
justos ». Le noio de AUissimus pour designer
le Seigneur est propre a S. Luc. Cfr. i, 32,
35, 76. Les autres evangelistes ne s'en ser-
venl jamais, et c'esl ici le seul endroit ou
Notre-Seigneurle donne lui-memea son Pere.
36. — Estate ergo misericordes... Grand
principe de charite, analogue a celui du t. 31,
mais d'une perfection notablement plus hauteur
CIIAPITRE Vr
U5
I
cut et Pater vester misericors est.
37. Nolite judicare, et non judi-
cabimini : noiite condemnare, et
non condemnabimini. Dimittite, et
dimittemini.
Matth. 7, 1.
38. Date, et dabitur vobis; men-
surara bonam, et confertam, et coa-
gitatam, et supereffluentem dabunt
in sinum vestrum. Eadem qiiippe
meiisura, qua mensi fueritis, reme-
tietur vobis.
Malth. 7,2; Marc. 4, 24.
comme votre Pere est misericor-
dieux.
37. Ne jugez point et vous ne
serez point juges; ne condamnez
point et vous ne serez point con-
damnes ; remettez et on vous re-
mettra;
38. Donnez et on vous donnera :
on versera dans votre sein une
bonne mesure pressee, entassee, de-
bordante. Gar on vous mesurera
d'apres la mesure mSme avec la-
quelle vous aurez mesure.
:S. Maiihieu, V, 48, elatgit I'idee en disanl
« perfecli » au lieu de « misericordes »,
« perlectus « an lieu de misericors. Les Orien-
taux ont loujours aime a raltacher au nom
ds Dieu I'epiihetede 7T2m, inisericordieux.
37 el 38. — Ces versetscoirespondenia
Matlh. VII, < el 2; rnais S. Luc I'emporte de
beaucoup par la ricliefse des details. DiMix
-choses sunl d'abord inleidites par Nulre-Sei-
gneur, puis deux aulres choses sonl vi vemenl
recommandees. A chacun de ses ordres, soil
negatifs, soil positifs, il lattache une sanc-
tion, tiree de leur nature nieme et bien capa-
ble d'en obtenir le parfail acconiplissemenl.
— Nolite judicare : c'esl la prentiiere des in-
jonclions negatives. A ceux qui s'y mjntre-
Tonl fideles, Jesus promel que le souverain
Juge les iraitera avec une telle misericorde,
qu'ils ecliapperont en quelqiie sorle a ses re-
■doulables jiig'MnenLs. — Si;conde injonclion
negalive : nolite condemnare... Gondamner,
c'esl plus que juger, puisque c'esl prononcer
une sentence qui declare I'accuse coupable,
xaxaSixd^o). En evilanl de condamner injus-
lemenl nos freres, nous nous preparons done
un arret favorable de la pari de L)ieu. Grand
encouragement I — Premiere recommanda-
lion positive : Dimittite et dimiltennni. Dans
le grec, aTtoXOexe..., liueralement : deliez et
vous serez delies. Belle raelaphore pour
exprimer le pardon. Cfr. Bretschneider, Lex.
man., s. v. aTioXuw. — Date et dabitur vobis.
Seconde rccommandalion positive, qui est
(>n5uite fori(!inent developpeo dain une des-
<Tiption piltoresque : Mensurani bonam
Quelle accumulation empliatique d'epilheles!
Mais I'idei' de la liberalite infinic du bcigneur
est admirablement inculquee au moyen de
ces redondances. La premiere epithete, « bo-
nam », est generate : nous I'employons ega-
ment dans la locution populaire « faire la
bonne mesure ». Les trois suivantes font
image; elles sonl emprunlees au raesurage
S. Bible. S.
des cereales ou aulres graines analogues, lei
qu'il se pratique de nos jours encore sur les
marches de^Jerusalem et de rOrient, Comp.
L. Abbott, Comm., h. I. Confertam : le grec
7te7:i£0(jL£'vov seraii mieux Iraduil par « com-
pressam » ; avec ses mains, au besoin avec
ses pieds, celui qui mesure presse fortement
les graitis pour qu'il en tienne une plus
grande quanlile. Coagitatain : on agile dans
le meme but le vaisseau qui sen a mesurer.
Enfin superejpjientem : on comble si bien la
mesure, quelle deborde de tous coles. —
Dabunt in shmni vestrum. L'image est encore
plus orienlale que precedemment. En effet,
« sinus » equivaut ici au pin hebreu , qui
designe souvenl par melony mie ia parlie du
vetement qui recouvre ia poitrine et I'es-
tomac. Cfr. Gesenius, Thesaurus, t. I, p. 457.
La robe large elflollantodesOrientaux forme
au-dessus de la ceinture de vastes plis donl
on se sert en guise de poches, el qui peuvent
contenir des objets d'un volume assez consi-
derable. Le sujel de « dabunt » n'esl pas de-
termine : I'idee est claire neanmoins. C'est
Dieu qui, par ses minislres celestes, mesurera
ses bieni'aits aiix elus avec une munificence
digne de lui. Peut-elre le pluriel esl-il un
hebraisme pour « dabitur ». Cfr. Vorstius, do
Hebr. p. 577. — Eadem\quippe mensura... Je-
sus clot ses quatre exhorlaiions des tt- 37
et 38 par le principedominateur qui leur avail
servi de base : Vous serez traites comme vous
aurez Iraile les autres.
!>) Troisieme parlie du discours, ^f. 39-49 : Qaelques
regies de viaie sagesse. — Parall. Malth. vii, 3-27.
Dans celte derniere parlie, les pensees ne
se suivenl pas avec un enchainemenl aussi vi-
sible que dans les aulres; le liaison est meme
parfois obscure. Nous n'en serons point
etonnes, puisque S Luc abrege et resum:}. II
s'est done contenle en plusieurs endroits de
placer simplement les unesa cote des autres
Lcc. — iO
n'^
fiVANGILE SELON S. LUG
3*9. II leur faisait aussi cette com-
paraison : Un aveugle peut-il con-
duire un aveugle? ne tomberont-ils
pas tous deux dans la fosse?
40. Le disciple n'est pas au-des-
sus du maitre, mais tout disciple
sera parfait s'il est comme son
maitre.
41. Pourquoi vois-tu une paille
dans I'cBil de ton frere et ne consi-
sideres-tu pas la poutre qui est dans
ton oeil?
42. Ou comment peux-tu dire t
ton frere : Frere, laisse-moi 6ter la
paille de ton ceil, ne voyant pas toi-
meme une poutre dans ton oeil?
Hypocrite, ote d'abord la poutre de
ton oeil et tu regarderas ensuite pour
Cterla paille de I'cBil de ton frere.
43. Gar il n'est pas un bon arbre
39. Dicebat autem illis et simili—
tudinem : Numquid potest caecus
caecum ducere ? nonne ambo in fo-
veam cadunt?
40. Non est discipulus super ma-
gistrum : perfectus autem omnis
erit, si sit sicut magister ejus.
Malt. 10, 24; Joan. 13, 16.
41. Quid autem vides festucam in
oculo fratris tui,trabem autem, quae
in oculo tuo est, non consideras?
Maith. 7, 3.
42. Aut quomodo potes dicere
fratri tuo : Frater, sine ejiciam fes-
tucam de oculo tuo, ipse in oculo
tuo trabem non videns? Hypocrita,
ejice primum trabem de oculo tuo ;
et tunc perspicies ut educas festu-
cam de oculo fratris tui.
43. Non est enim arbor bona, quae
des idees qui s'enchainent d'af>'es un ordre
parfait dans la redaction de S. Maiihieu. Di-
vers exegeles, il est vrai. ont vente d'eiablir
une connexion rigoureuse enlie chacune des
maximes conlenues dans ce passage; mais
leur embarras nianifeste et leur piod'gieux
desaccord nous enlevent toute conQanee el
nous empechent de iessuivre.
39. — Dicebat auleni... Formule de transi-
tion, comme au t. 27. Le pronom eis repre-
sente la masse des audileurs (ibid.) et plus
speoalement les disciples. Cfr. t. 20. — Simi
litudinem : dans le grec, 7;apa6o).r;v, une para-
bole dans le sens large, c -a-d. un proverbe,
Sy^a. Voyez I'Evang. seion S. Mallhieu,
p. 257. — Numquid potest coecus ccecum..A
Ce maschal ou proverbe n'apparail point dans
I'oOratio monlana » du premier Evangile;
mais S. Mallhieu le cite plus lard, xv, 'i4, a
propos des Pharisiens, que Jesus compute a
des aveugles conduisani d'autres aveugles.
Preuve que Nolre-Seigneur le profera en dif-
ferentes circonslances. II exprime d'une ma-
niere pittoresque cette verite generale, que
*^ quiconque se charge de diriger autrui doit
commencer par elre lui-meme tres eclaire :
c'esi done une excellente regie de sagesse.
40. — Non est discipulus... Nouveau pro-
verbe, destme a fortifier le precedent. S. Mat-
thieu le mentionne aussi en un autre endroit,
X, 24, 2o. legerement modifie, pour annoncer
les oppositions et les persecutions qui atten-
daient les chreliens dans le monde. Ici, il si-
goifie que le disciple, reconnaissant la supe-
riority de son maitre, leprend naturellement
pour modele; mais, si le maitre est aveugle,
que deviendra le pauvre disciple? — Kaxrip-
Tt(j(j£vo;, ['equivalent grec de perfectus, se
traduirait mieux par « comparatus, forma-
tus ». Du reste, le sens eniier du second he-
mistiche varie legerement dans le texte pri-
mitif : xaTTipTiajievo; 5k wSc eotat tb; 6 SiSdff-
xa),o; auToO, « tolus ad exemplum m;igistri
ent composilus (discipulus) ». Le disciple
mettra toute son ame, tous ses efforts, a de-
venir bien semblable a son maitre.
41 et 42. — Comp. Mallh. vii, 3-5 et le
commenlaire. Les deux redactions coincident
presque litleralement en eel endroit, surloul
dans le texte grec. Les principales parlicula-
rites de S. Luc sont : Quomodo poies dicere
au lieu de « Quomodo dicis », frater omis
par S. Mallhieu, ipse in oculo tuo trabem noti
videns au lieu de « et ecce trabes est in
oculo tuo ». — Quid vides? dans le grec,
Ti p/ETreii;; B>.£'7ra) suppose un regard altenlif
el prolonge; -/.a-avcEw iconsideras) s'emploie,
surloul au moral pour designer un relour de
Tame sur elle-meme ; Sia6liTZ(a {perspicies) si-
gnifie litleralement « pervidere », ou, selon
I'explicalion de Bentiey, in Horar. Serra.
I, 25, 26, « acule et perspicue et penitus
rem videre v. Ces Irois veibes font image et
sonl d'un bel efifet dans ce petit drame ironi-
que, admirablement decrit. Jesus ne pouvait
inculquer avec plus de force la regie de sa-
tcpsse pratique qui se degage si ciairement
des ft. 41 et 42.
43-45. — Comp. Matlh. vii, 15-20, et
XII, 33-35. 11 y a, dit ici le divin Oraleur,-
CHAPITRE VI
U7
facit fructus malos : neque arbor
mala, faciens fructum bonum.
Man. 7, 18 et 12, 33.
44. Unaquseque enim arbor de
fructusuo cognoscitur. Neque enim
de spinis colligunt ficus : neque de
rubo vindemiant uvam.
4o. Bonus homo de bono thesauro
cordis sui profert bonum; et raalus
homo de malo thesauro profert ma-
lum. Ex abundantia enim cordis os
loquitur.
46. Quid autem vocatis me Do-
mine, Domine, et non facitis quae
dico?
Malth. 7, 21; Rom. 2, 13; Jac. 1, 22.
47. Omnis qui venit ad me, et
audit sermones meos, et facit eos,
ostendam vobis cui similis sit.
celui qui fait de mauvais fruits, ni
un mauvais arbre celui qui fait de
bons fruits.
44. Gar chaque arbre se connaifc
par son fruit. On ne cueille pas les
iigues sur les epines, et on ne ven-
dauge pas le raisin sur les ronces.
45. L'homme bon tire le bien du
bon tresor de son coeur et l'homme
mauvais tire le mal d'un mauvais
tresor. Gar la bouche parle de I'a-
bondance du coeur.
46. Pourquoi m'appelez-vous Sei-
gneur, Seigneur, et ne faites pas ce
que je dis?
47. Quiconque vient a moi et
ecoute mes paroles et les met en
pratique, je vous montrerai a qui il
ressemble.
une frappanle analogie unlrc les lois qui
gouverneiu le regne vegelal ei celles qui di-
rigent le royaume des amos. La nature ou la
valeur de I'arbre se reconnall a son fruit.
Bon fruit, bon arbre ; mauvais fruit, mauvais
arbre : la figue sur le figuier et pas ailleurs,
le raisin seulementsur la vigiie I De meme
au moral pour les hommes. L'homme bon a
au lond de son coeur un bon tremor, duquel
ne s'echappent que de bonnes clioses; au con-
Iraire, le iresor du mauvais homme est mau-
vais, et il en sort naturellement des choses
mauvaises. Comparez ce trait rabbinique :
« Rabbi Jochanan dit a sos disciples : Allrz
el voyez quelle eslladroile lii;ne de coiiduile
a laquelle l'homme doit adheicr. R. Eliezer
dit : G'esl un bon oeil (la bberalite). R. Josua
dit : G'esl d'etre un bon compagnon. R. Jose
dil : G'esl d'etre un bon voisin. K. Simeon dit :
G'esl de pourvoir a I'avenir. R. Eleazar dit :
G'est un bon coeur. II leur dit : Je prefere a
vo5 paroles celle d'Eleazar Gls d'Aruch, car
vos ()aroles sont contenues dans la sienne, II
leur dit encore : Allez et voyez quelle est la
voie mauvaise dont l'homme doii se garder.
R. Eliezer dit : G'esl un mauvais oeil (I'ava-
ric<'). R Josua dil : G'esl d'etre un mauvais
compagnon. R. Jose dil : G'est d'etre un mau-
vais voisin. R. Simeon dil : G'esl (i'empi'unter
et de ne pas rendre. R Eleazar dit : G'est un
mauvais coeur. II leur dit : Je prefere a vos pa-
roles celle d'Eleazar, car vos [)aroles sont
contenues dans la sienne ». Pirke Abolh, ii, 9.
Or, ajoutft Notre-Seigneur, c'esl par la bouche
que se manifesle i'etat du coeur de rhomme.
— De spinis... ficus et de rubo... uvam. On
lit dans S. Matthieu : « de spinis uvas aut de
tribulis ficus ». Le « rubus », PaTo; (« horrens
rubus » et « rubus asper » de Virgile], que
S. Luc mentionne a la place des chardons ou
herbes epineuses du premier Evangile, n'est
autre que la ronce : « rubus fructu nigro,
caule aculealo, foliis ternalus ». — Du pro-
verbe ex abundantia cordis os loquitur, les
anciens commenlateurs rapprochenl de nom-
breuses sentences analogues empruntees aux
classiqucs; v. g. : avopo? x«P*"'''^^P ^^ l6-(uiv
yvwpi!^£Tai, JNIenandre j oTo; 6 TpoTto; totouTO!; xai
6).6yo;, Arist. Cfr. Wetslein, Hor. in h. I.
46. — La peroraison du discours com-
mence en cet endroit. Le Sauveur proleste
d'abord energiquement centre ces hommes
qui, a en croire les paroles pleines de de-
vouemenl qu'on enlend k toule occasion sor-
tir de leur bouche [Domine repeie deux fois
d'une maniere emphalique), seraient ses dis-
ciples l(!s plus fervenls, mais qui dementenl
leurs belles paroles par leur conduite anti-
chrelienne. « Iter regni Dei est obedientia
el non nominis nuncupatio », Gloss, ord., ou,
comme le dit S. Hilaire, « regnum coelorunr
sola verborum officia nun oblinent ». Done,
« estole faclores verbi el non audilores lan-
lum », Jac. I, 22. Gl'r. Malth. vii, 21 el le
commenlaire.
47. — Apres la protesta.lion indign^e qui
precede, Jesus montre par deux tableaux pil-
toresques, 1it. 47-49, 4 quoi ressemblenl les
deux categories de personnos qui viennent
dcouler la predication evangelique. Voyez
448
CHAPITRE VI
-48. II est semblable a un homme
qui, batissant une maison, a creuse
profoudement et a pose le fonde-
ment sur la pierre. L'inondation
survenant, le fleuve s'est brise
contra cette maison et n*a pu I'e-
branler, car elle etait fondee sur la
pierre.
49. Mais celui qui ecoute et
ne pratique pas est semblable a
rhomme ([ui balit sa maison sur la
terre, sans fondement. Le fleuve
s'est brise centre elle et aussitot elle
est tombee et il s'est fait de cette
maison une s^rande mine.
48. Similis est homini sedificanti
domum, qui fodit in altura, et posuit
fundamentum super petram. Inun-
datione autem facta, illisum est flu-
men domui illi, et non potuit earn
movere; fundaia enim erat super
petram.
49. Qui autem audit, et non facit,
similis est homini sedificanti domum
suam super terram sine fundamento,
in quam illisus est fluvius, et conti-
nuo cecidit; et facta est ruina do-
mus illius masrna.
SMatlhieii. vil, 24-27. L'iiilroduciioii, I'orinee
par le t. 47, est plus complete el plus solen-
nelle que dans le premi t Evangile. Qui venit
ad me el ostendam vobis cui simtlis sit t^otil des
traits propies a S. Luc.
48. — Premier lableau, qui represente los
« faclores verbi ». L'audileur serieux de la
divine parole batil sur des fondemenls ine-
branlables Tedifice de sa perfection : aussi
n'a-l-il pas a redouter les orat^f'S que susci-
lenl centre lui I'enfer, le monde el ses pro-
pres passions. — Qui fodit in aUum et pusuit
fundamentum. S. Luc releve admirablement,
par celle description draraatique qui lui est
spe'ciale, le soin pris parle conslrucieur pour
appuyer sa maison sur une bas3 solide. Sans
redouter sa peine, il a creuse dans le roc,
puis il a creuse encore plus profond , comrae
le dit cxpressivcment le texle grec, eaza^'s v.at
ioi%vz. Tel est du reste aujourd'liui encore
I'usage communement suivi en Palestine :
certaines fondations vonl cherclier la roche
dure jusqu'a trente pi^ds au-dessous du sol.
Cfr. Robinson. Paloestina, t. IH, p. 428. —
Inundatione autem facia... S. Malihieu donne
ici a son tour une peinture plus vivante.
St Luc emploie neanmoins plusieurs expres-
sions particulieres, qui sont tout ensemble
elegantes et fortes; par exemple, 7t>,Tiij.[xupa
pour designer rinondation,itpo(7£ppri?£v,i/ii.';um
est, pour depeindre l^ choc terrible des flols
centre la maison. Non polutt earn movere
monlre peul-6tre mieux aussi que le simple
t non cecidit » de S. Matlhieu I'impuissance
des vagues irriiees — Au lieu des mots
fundata enim erat super petram, qui termi-
nenl le verset dans la Recepta grecque, dans
la Vulgate el dans la plupart des anciens te-
moins. lesmanuscrits B. L, Sin.. etc. portent :
5ia TO xaXiJi); olxoSou.£to8xt auT^^v, variante qui
pou: rail bien avoir ete la leQon primitive. —
La conjecture d'apies laquelle un orage sur-
venu lout a coup vers la tin de 1' « Oratio mon-
tana » aurait suggere a Notre-Seigneur les
images de sa peroraison, est « ingeniosa ma-
gis quam vera ».
49. — Second tableau, pourrepresenter les
« auditores tantum » , auditeurs purement
passifs, qui ne se donnent aucune peine pour
pratiquer la parole divine. Eux aussi ils bSlis-
sent un edifice ; mais leur paresse est cause
qu'ils ( n assoient simplement les bases sur le
sol. Sine fundamento, ajoute emphatiquement
S. Luc afin de mieux marquer le conlraste
qui existe entre eux el les constructeurs du
t- 48. Aussi, lorsque les eaux que la lempete
a versees coinme une trombe sur li> pays se
sent precipitees (de nouveau npo<7£'ppr,isvj a la
fagon d'un fleuve in "sislible centre la pauvre
maison, elle s'est ecroulee au premier choc.
— Continuo est une particularite de S. Luc;
de meme I'emplei du substantif grec ^*iYt*'«
[ruina, litteral. « ruplura »), plus fori que
iTToiai; de S. Matlhieu, et qui, associe k
7rpo'7£'pp-nl£v, produit une belle paronomase.
— « C'esl en agissant, dit S. Augustin, que
Ton conlirme et consolide ce qu'on a en-
tendu »,
EVANGILE SELON S. LUC
149
CIIAPITRE VII
jO seiviieur du ceniurion [tt. 1-10). — Resurrection du 61s de la veuve de Nairn (tt. ii-i7).
— Le Precurseur envoie d;nix de ses disciples a Jesus pour lui demander s'il est le Messie
{tt- 18-23). — Hommage public rendu par Nolre-S igneur a S. Jean (lifif. 24-28]. —
Jesus, Jean-Baplisle el la generation presenle [tt. 29-33). — Simon le Pharisien et la
pecheresse (tS-. 36-50).
1. Gum autem implesset omnia
verba sua in aures piebis, intravit
Gapharnaum.
Macth. 8, 0.
2. Genlurionis autem cujusdam
servus male habens, erat moritu-
rus, qui illi erat pretiosus.
3. Et cum audisset de Jesu, misit
ad eum seniores Judseorum, rogaus
eum ut veniret, et salvaret servum
ejus.
l.Lorsqu'il eut acheve de faire
entendre au peuple toutes ces pa-
roles, il entra dans Gapharnaiim.
2. Or le serviteur d'un centurion
elait malade et moribond, et il lui
etait tres cher.
3. Ayant entendu parler de Je-
sus, il lui envoya quelques anciens
d'entre les Juifs, le priaut de venir
et de guerir son serviteur.
11. Le serviteur du centurion, vii, 1-10.
Paiall. Matth. viii, 5-13.
Nous avons ici un des plus grands mira-
cles de Notre-Seigneur Jesus-Chrisl. Mais il
acquiert une iuiporlance toule nouvelle dans
le troisieniL! Evaiigile, quand on se souvienl
qu'il ful accompli en laveur d'un pai'en. Aussi
S. Luc I'a-l-il raconte avec plus de details
que S. Mat hieu.
Chap. vii. — 1. — Ce versel precise I'e-
poque et le theatre du prodige. — Cum au-
tem (£it£' Ss : la legon euetoT) des manuscrits
A, B, C. X, etc., n"a pas de sens) implesset...
La guerison eul done lieu peu de temps apres
le Uiscours sur la moiitagne. Des mots intra-
vit Gapharnaum il requite qu'elle ful operee
dans la cite qui servail de residence habi-
tuelle a Jesus. — L»s exegetes anciens el
modernes relevent a bon droit le caraclere
solennel de la formule eirei iii\7\pu>(jz Ttdvxa ta
fr((j.aTa auToO eU ra; dxoi; tou XaoO. L'evange-
liste semble y indiquer en outre assez claire-
menl {omnia verba sua) qu'il n'a pas rapporte
dans leur entier les paroles de Jesus. Notez
encore I'arrangemenl tout liebraique de la
phrase : il suffit de calquer mot piur mol, et
Ton a de I'hebreu lout pur : V12tSd nSd' id
2. — Les deux heros du miracle nous sonl
ici presentes. C'etaieni un centurion palen
(voyez I'Evangile selon S. Maithieu, p. 135
et s.), prepose a une parlie de la garnison de
Capharnaiim, el son esclave gravemeni ma-
lade. Avec sa precision toule medicale,
S. Luc affirme que ce dernier eral moriturus.
II ajoule encore, pour expliquer I'interet par-
ticulier que le serviteur moribond inspirait a
son maitre : qui illi erat pretiosus. G'etait
pourlant un proverbs du paganism3 que
« quot servi lot hosles » ; mais le ceniurion,
a derai converli a la religion du vrai Dieu,
pratiquail plulot ce conseil des SS. Livres :
« Servus sensalus sit libi dileclus quasi
anima tua », Eccli. vii, 23.
3. — Cum audisset de Jesu : « non solum
aure corporis, dit fori bien S. Bonaventure,
h. I., sed el aure cordis ». II a entendu parler
de Jesus, de sa sainlete, de ses miracles, et
il congu pour lui une haule estime : il croit
en ses pouvoirs surnaturels, el voici qu'il se
dispose a y recourir dans la pressanle neces-
sile ou il se irouve. — Misit ad eum seniores
(irps(j6u-£'pou; sans article) Judceorum. On a
vu paifois dans ces a anciens » qui servirent
d'ambassadeurs au ceniurion, les officiers de
la synagogue; mais cette opinion n'est pas
fondee, car irpsaouTepoi n'esl jamais syno-
nyme de apx'.<yuvdYwYot. II s'agil simplement
de quelqucs-uns des notables de Gapharnaum.
— Rogans eum ut veniret... Et pourlant, un peu
plus loin, t. 6, le ceniurion fera prier Jesus
ne pas venir, se reconnaissant indigne de re-
cevoir chez lui un si saint personnage. o Fa-
cile responderi potest, ecril MalJonat pour
concilier ces deux donnees en apparence con-
iradictoires, id (scil. ut veniret) seniorei Ju-
^50
*:VANGiLE SELON S. LUC
k. Lorsqu'lis furent veniis aupres
le Jesus, ils le prierent avec in-
stance, lui disant : II est digne que
vous fassiez cela pour lui ;
5. Car ilaimenotre nation etil nous
a bati lui-meme une synagogue.
6. Jesus s'en alia done avec eux.
Et lorsqu'il n'etait plus guere loin
de la maison, le centurion envoya
vers lui des amis lui dire : Seigneur,
ne prenez pas la peine, car je ne
suis pas digne que vous entriez sous
mon toit.
7. G'est pourquoi je ne me suis
daeorum di' suo addidisso ». Nous pieferons
admetlre que le centurion, apres avoir d'a-
bord demande la visile du Thaumaturge, re-
vint ensuite humblement sur sa requ6le,
pour la retirer comma trop piesomplueuse.
— II est, a proper de cet episode, une autre
concilialion, de prime-abord bi^aucoup plus
difficile,etpourtantbeniicoup plusimportanle.
Elie concerne les ecarts considerables qui
existent entre les recits de S. Mallhieu et de
S. Luc. Voyoz sur ce point noire explication
du premier Evangilc p. 155. Le coiiflit n'est
qu'apparont. car, selon le mot de S. Augus-
tin. dans lisecrils inspires, « diversa multa,
ADVERSA nulla esse possunt », et tout obser-
valeur atlentif reconnail sans peine qu'il n'y
a pas ici antilogie proprement dile, mais
t>implement diversite. S. Matthieu, qui con-
dense les faits, neglige les personnages inter-
mediaires, et ne met en scene que le centu-
rion ; S. Luc expose les choses telles qu'elles
se sont passees objeclivement.
4 et 5. — Al illi... rogabant eiim solli-
cite (traduction litterale de aTrovifaiw?, pour
« enixe »). Les delegues s'acquitterent fidele-
ment de la commission qui leur avait ete con-
fiee.Oubliant lours prejugesjudfii'ques. ilsplai-
derent avec chaleur la cause de i'ofllcier pai'en.
Dignus est, s'ecrierenl-ils. landis qu'il dira
Ijienlot lui-meme : « Non sum dignus ». —
Prcestes ; dans le grec, irape^Y) d'apres les
meilleurs nianuscrits. Sur la forme TcapeSei de
la Recepta, voyez Winer. Grammal. des
neutesl. Sprachidioms, 6e edit, p. 70. — L'^-
vangelisli' nous a conserve quelques particu-
larites inieressantes alleguees par les notables
en Caveur du centurion. Diligit gentem nos-
Iram: beaucoup de paiens delesiaient alors
la nation juive; plusieurs neanmoins se sen-
laient al tires vers elle par ses dogmes si
eleves, sa morale si pure, et le centurion etait
de ces derniers. Or, sa situation lui tournis-
sait des occasions quotidiennes de temoigner
4. At illi cum venissent ad Je-
sum, rogabant eum sollicite, dicen-
tes ei : Quia dignus est ut hoc illi
prsestes.
5. Diligit enim gentem nostram,
et synagogam ipse sedificavit nobis.
6. Jesus autem ibat cum illis. Et
cum jam non longe esset a domo,
misit ad eum centurio amicos, di-
cens : Domine, noli vexari : non
enim
meum intres
Matth. 8, 8.
7. Propter quod et meipsum non
sum dignus ut sub tectum
sa bienvoillance par des actes aux Juifs de
Capharnaiim. Parmi ces actes, les notables
en meniionnent un d'une nature vraiment
extraordinaire : Synagogam i/jse (pronom em-
phatique : lui-meme, quoique pai'en) wdifica-
vit nobis. Le centurion n'etait done pas seule-
ment I'ami des Juifs ; c'elait pour eux un
bienfaiteur, et un bienfaiteur au point de vue
de la religion. 11 leur avait bSli a ses frais
une synagogue : rt\v auvaywY^v, dirent les
delegues en appuyant sur Tanicle. Ils desi-
gnaient sans doute ainsi la synagogue de leur
quartier, ou du moins I'edifice bien connu
qui provenait de la generosite du centurion ;
car une ville aussi considerable que Caphar-
naiim pos>edait necessairemcnt plusieurs sy-
nagogues. L'empereur Auguste avait publie
nagueie un edit tres louangeur sur les syna-
gogues juives, qu'il represeniait comme' des
ecoles de science et de vcrtu : le centurion
de Capharnaiim avait tire la conclusion pra-
tique de cet edit. P^ui-etre sa maison de
priere etail-elle celle donL on voit aujourd'hui
a T:'ll-Houm (voyez I'Evang. selon S. Matlh.,
p. 230) les restes, qui attestant une grande
mai:nificence.
6-8. — Jesus ibat... S. Matlhieu a conserve
la reponse prealable du Sauveur, toute em-
preinte de sa divine amabilile : « Ego veniam
et sanabo eum ». — Misit... centurio amicos.
Averti de I'approche de Je-us, ou ayant
apergu lui-meme le cortege du spuil de sa
maison, le centurion se hate d'envoyer une
seconde ambassade. composee de plusieurs
amis, que son malheur avait reunis a ses
cotes. — Dicens (le texte grec ajoule : aOxto;.
Hebraisme pour « qui dicerent ». — Noli
vexari. Le grec v-^ axu),).ou est d'une grande
energie. Voyez Malth. ix, 26 et I'explication. —
La suite des paroles du centurion est men-
tionnee d'une maniere a peu; .res identique
par les deux ecrivains sacres. S. Luc a nean-
moins en propre la premiere moitie du t. 7
CHAPITRE VII
451
sum dignum arbitratus ut venirem
ad te; sed die verbo, et sanabitur
puer meus.
8. Nam et ego homo sum sub po-
testate constitutus, habens sub me
milites, et dico liuic : Vade, et va-
dit; et alii : Veni, et venit; et servo
meo : Fac hoc, et facit.
9. Quo audito, Jesus miratus est^
et conversus sequentibus se turbis,
dixit : Amen dico vobis, nee in Is-
rael tantam fidem inveni.
10. Et reversi, qui missi fuerant,
domum, invenerunt servum, qui
languerat, scinum.
pas juge digne de venir moi-meme
a vous; mais dites une parole et
mon serviteur sera gueri.
8. Gar raoi je suis un homme sou-
mis a d'autres, ayant sous moi des
soldats, et je dis al'un : Va, et ii va;
et aun autre : Viens, etilvient; et
a mon serviteur : Fais ceci, et il le
fait.
9. En entendant cela Jesus ad-
mira, et se tournant vers la fouls
qui le suivait, il dit : En verite je
vous le dis, je n'ai pas trouve en Is-
rael meme une si grande foi.
10. Et ceux qui avaient 6te en-
voyes etant retournes a la maison
trouverent en sante le serviteur qui
avait ete malade.
{propter quodet meipsum... ut venirem ad te),
si pleine de I'oi et d'humilile, et, au t- 8,
['addition dii parlicipe xa(7(76|j.£vo?. Get homme
comprenait tres bien son interiorile vis a vis
de Jesus; mais comma il comprenait bien
-aussi la puissance de Notre- Seigneur ! II
I'xprime ces deux idees avec force au moyen
d'une saisissante anaiogie , empruiitee aux
fails journaliers dont il etait I'acteur et le
lemoin. 11 sait par experience ce que pent
obtenir une parole de commandement. Slip
un mot de ses ch^s, il obeil ; un de ses mots
h lui, simple olTicier subalterne, suffit pour
faire aller et \enir ses inferieurs. Done, die
verbo, et le mal disparaitra soudain. « Si ergo
ego, inquit, homo sub potestate. jubendi
hab;>o poteslatem, quid tu possis, cui omnes
serviunt potentates »? S. Auguslin, Enarr. in
Ps. XLvi, 9. Cfr. Severusap. Cramer, Catena
in h. I. — Sanabitur puer meus. Au lieu du
futuf, les manuscrits B, L, etc., ont I'optatif
la0riT(o, qui exprime d'une maniere plus deli-
cate le desir du centurion.
9. — Quo audito, Jesus miratus est. Sur cet
etonnemenl de Jesus, voyez I'Evangile selon
S. Matthieu, p, '157. — Le trail pittoresque
conversus e?t propre a S. Luc ; de meme I'ad-
dilion du mot turbis. — Nee in Israel tantam
fidem inveni. Pas mSme en Israel, le peuple
de ralliancel G'esl un paien qui fournissail a
Jesus I'exemple de la foi la plus vive qu'll eAt
renconlree jusque-la. S. Thomas d'Aquin ne
crainl pas d'affirmer a la suite d'Origene, de
S. Jean Chrysostome, de S. Ambroise, qu'en
tenant ce lanjjage Nolre-Seigneur n'exceptait
ni les Apolres, ni plusieurs autres saints du
Nouveau Testament, bien devoues pourtanl
k sa personne sacree : « Quseslio est de Apo-
slolis, Martha el Magdalena. Et dicendum
quod centurio majoris erat fidei ». Inulile de
direqu'il nes'agit nullemenl icidela« Vierge
fidele », pui^que I'experience a laquelle N.-S.
Je-;us-Chri?t fait allusion (« inveni ») ne re-
tombe que sur le temps de son ministere pu-
blic. — D'apres S. Matihieu, vii, 11 et 12,
Jesus unit a I'eloge du centurion une prophetie
relative a I'adoption des Gentils et au rejet
prochain des Juifs. On est d'abord surpris de
voir que S. Luc n'a pas insere dans sa re-
daction ce passage significatif ; mais on
s'explique celte omission en rencontrant plus
loin, XIII, 28. la grave prediction de Jesus.
Notre evangeliste n'aura pas cru necessaire
de la repeter deux fois.
10. — Et reversiqiii missi fuerant .. . Le pre-
mier Evangile mentionne simplement le mi-
racle : « Et sanatus est puer in ilia hora ».
S. Luc le fait constaler « de visu » par les
delegues du centurion. — Qui languerat.
L'exprcssion grccque correspondante, daOe-
vouvTa, manque dans les manuscrits B, L,
Sin., ritala et la version copte. Mais elle
est probablemenl aulhenlique. Sa traduction
exacte serail « languentem »; la Vulgate a
suivi I'esprit pluiot que la hutre. En realile
V' serviteur avait deja cesse d'etre malade. —
II est plus que probable que le cenlurion de-
vint des lors I'ami et le fervent disciple de
Jesus, comma I'insinue delicatement S. Au-
guslin : « Dicendo se indignum, praestitit
dignum, non in cujus parieti'S, sed in cujus
cor Ghristus intranet. Neque hoc dicerel cum
tanta fide et humilitate. nisi ilium quern ti-
mebat intrare in domum suam. corde gesta-
ret ». Serm. lxii, 1. El ailleurs, Serm.
Lxxvii, 8 : « Teclo non recipiebat, corde re-
459
EVANGILE SELON S. LUC
11. El il advint qu'il alia ensuite
dans une ville qui estappelee Xaim,
et ses disciples allaient avec lui,
ainsi qu'une foule nombreuse.
12. Or comme il approchait de la
porte de la ville voila qu'on empor-
tait un mort,tils unique de sa mere ;
11. Et factum est: deinceps ibat
in civitatem, quae vocatur Nairn, et
ibant cum eo discipuli ejus, et turba
copiosa.
12. Gum autem appropinquaret
portae civilatis, ecce defunctus effe-
rebatur filius unicus matris suae : et
ceperat. Quanto hmnilior, lanlo capacior,
tanto plenior. Colles enim aquam repcllunt,
valles implenlur. »
12. Resurrection du fils de la veuTe
de Nairn, mi, 11-17.
Cette narralion, qui est une des plus tou-
chanles de I'histoire evangelique, appartieni
en propre a S. Luc. II est seul du lesle a
allrib.ier plusieuis miracles de resurrection
a Notre-S'^igneur Je>us-Christ. S. Matthieu el
S. Marc n,' parienl que do la fille de Jaire;
S. Jjaii ne parle que de Lazare : pour lui il
nous monUe successivement deux morts sor-
lanl du loiiibeau sur un mot de Jesus, le fils
de la veuve d'^ Nal'ra el la fille de Jalre.
11. — Et fartu.n est. Gotte formule gene-
rale fail passer le lecieur d'un prodiije ecla-
lanl il un auiro prodign plus eciatant en-
core. Comme Je-us, I'evangeliste w mira miris
anneclil » (S. Cyrille, Cat. graec. Pair.). —
De nouv au, la dale el la localile sonl indi-
quees. Cfr. t. 1. La dale est un peu vague,
du moins dans la Vulgate {deincepsj el dans
les manuscrits grecs qui portent • ev tw eHrj;
(scii. ZP'-^'V i- Mais peut-etre faut-illire iv i^ lift-,
(scil. r,;j.i'pa), « le jour d'apres ». avec d'autres
temoins graves et nombreux (nolammenl les
manuscrits C, D, K. 51. S. n, Sin., ies ver-
sions syr.. ital., etc.). Dans ce cas I'epoque
serait ires nettement indiquee. — In civitatem
quce vocatur Nairn. Le nom grec est Natv,
qui correspond idenliquemenl a I'appellalion
arabe encore en usage de nos jours, Nain ou
Nein, Ce nom. qui s'ecrivait sans doute en
hebreu a^JT^, signifie « la belle », el il etait
justifie a merveille par la situation gracieu-e
de la ciie. Celle-ci s'elalait en effet sur le
ver?ant septentrional du petit Hermon, et,
de leminence qui lui servail de trone, elle
cont inplait, a ses pieds, la vaste el ferlile
plaine d Esdrelon ; en face, les belles collines
boisees de Galilee, que suimonlenl les pics
neigeuxdu Liban el du grand Hormon. Au-
jourd'liui la perspective est la meme ; mais la
cite galileenne a fail place a un miserable
hameau quhabilenl des mu?ulman> lana-
tiqiies. Voyez V. Ancessi, Alias biblique,
pi. XVI; R. Ries>, Atlas de la Bible, pi. IV;
Stanley. Sinai and Palestine, p. 337 ; Porter,
Handbook of Syria a. Palestine, 2' edit, p. 349 ;
Sepp. Jerusalem und das h. Land. t. II, p. 66
el s. II n'esl pas fail d'autre mention de Naini
dans la Bible. La distance qui la separe de
Capharnaiim I'si d'pnviron une journee de
marche. — Ibant cum eo discipuli : Tadjectif
ixavoi, « multi », ajoute par la Recepta, est
omis par plusieurs manuscrits iB, D. F, L, etc.)
el V( r.-ions qui foni aulurite. — Et turba
copiosa. A celle heurcuse periode de sa vie
publiqu.', Notie-Seigneur, partout oil il allait,
elait habituelleraenl accompagne de foules
amies, aviles d ^ le voir el de I'l ntendre. A
coie d • celte multitudequi suivait Jesus, nous
aliens bienlot voir une aul'e foule, egidnment
nombreuse, qui formait le convoi funebre.
Dieu permit qu'il en fut ainsi dans la cir-
con>iaiiCi' pres 'ute , afin de multiplier le&
temoins du prodige, seion la remarque judi-
cieuse du V. Bede.
12. — Cum appropinquaret portae civitalis^
Les villes anciennes eiaient presque toujours
fortifiecs. D'aillours, les localites de I'Orient
ont liabituellem-^nt des portes, alors nieme
qu'elles ne possedent aucune enceinte de-
remparls. Au moment done oil le Prince de
la vie allaii fianchir avec son escorle le por-
tail massif par ou Ton peneirait dans Nairn,,
lout a coup [ecce marque ires bien le carac-
tere subit. inaitendu de I'appariiion', une vic-
lime de la morl le franchit > n sens contraire»
avec le cortege accoulume qui la conduisait
au tombeau. — Efferebatur. Dans le grec,
e?cxou.i^£To : I'un des mots cla?siques pour
designer la marche vers le cimeliere. Cl'r.
Act. v, 6. La parlicule ex qui entre dans
sa composilion fait allusion a la coulume
juive d'enlerrer toujours les morls en deliora
des villes. — Par queiques trails fort sim-
ples, mais delicatemenl choisis, I'evangelisle
depeint de la faQon la plus touchanle la de-
solation pariiculiere qui s'attachail k celte
scene commune en soi. La morl n'avait pas
seulemenl frappe un jeune liomme a la Qeur
de Tage (veavi'cncc, « adolescens », f. 14;; ce
jeune homme etait plius unicus, ou plus
exactement d'apres le grec, un unique enfant^
(iovoYevi^?, et la pauvre mere etait veuvel
Elle restait done seule, sans espoir, sans ap-
pui, sans joie. Ces deux afllictions incompa-
rables, ceile du veuvage, et plus encore celle
que cause la perle d'ua fils unique, elaieni
CHAPITRE YII
4C3
haec vidua erat; et turba civitatis
multa cum ilia.
13. Quam cum vidisset Dorai-
nus. misericordia mot.us super earn,
dixit illi : Noli flere.
1 4. Et accessit, et teligit loculum.
(Hi autem, qui porlabant, stete-
runl). Et ait : Adolescens, tibi dico,
surrje.
15. Et resedit qui erat morluus,
et elle etait veuve, et 11 y avalt avec
elle une grande foule de erens de la
ville.
13. Lorsquele Seigneur I'eut vue,
touche de compassion pour elle, il
lui dit : Ne pleurez pas.
14. Et il s'approcha et toucha le
cercueil (ceux qui le portaient s'ar-
retereut). Et il dit : Jeune homme,
je te le commande, leve-toi.
15. Et celui qui etait mort se mit
deveiuies |)roveibiales chez les Jui(s. Gfr. Jer.
VI, 26; Zach. xii, iO; Am. viii, iO; Rtilh,
I, 20 et 21 ; Job. xxiv, 3, etc. — On a depuis
longlemps admire ce labloau viaiment ira-
gique du peinlre S. Luc. no).).a Si' oXtywv Siri-
ftl-zai ^ iCTTopt'a, ecrivait deja S. Gregoire de
Nysse, De Horn. Opif. c. 23, (Jan^ iin hmgage
digne de la circonsiance ; 6pyivoi; avtixpu; ectti
TO Sn^VYjua. . . 'Opa^xo papo; Trj; Gujxqjopai;, itw?
£v 6).iYw TO TrdOo? 6 Xoyo; £$£TpaYcp6r,(j£. — Et
turba civitatis multa... Par syiupatliie pour
une douleur aussi navranle, iin grand nombre
deshabilants de la ville avaient vouki assislor
aux funerailles du jeune homme. — Les voyu-
geurs et les geographes signalent toui aupres
de Nairn rexi?tence de plusieurs >epulcres
tailles dans le roc : ils sont precisement a
I'Esl, pres de la rampe escarpee par laquelle
arrivait Notre-Seigneur. Gfr. Kiiio, Cyclo-
paedia of bibl. Literature, s. v. Nain ; Thom-
son. The Land and the Book. 2e edit., p. 445.
is. — Quam cum vidisset Dominiis. Le litre
de KOpto;, que S. Luc applique d'ailleurs fre-
quemment a Jesus (Gfr. vii, 31; xi, 39;
XII, 42; xvii, 5, 6; xviii, 6; xxii, 31,
61, etc.), a ici une emphase speciale, car le
divin Maitre va vraiment se manifester
comme le S;^igneur par excellence. — Miseri-
cordia motus (c(TirXa'i'xvt'30T|, expression ener-
gique} super earn (hebralsme, ni'^y). Le ccEur
si compatissant de Jesus nous est revele tout
entier dans cetle ligne. A la vue de celte
veuve desolee qui conduisait son fils au torn-
beau, il fut violemmenl « decliire ». L'ecri-
Wain sacr6 appuie visiblement sur les pro-
noms (( quam, earn », pour montrer que le
desir de consoler la m^re du defunt fut le
mobile direct (« causa movens », S. Bona-
ture) du prodige. Au moment oil elle pa^sait
aupres de lui. Noli flere, lui ditil avec bonle.
Les hommes aussi adressent cette parole a
ceux qui pleurent. Mais qu'elle a peu de
force sur leurs levres! car la plupart du
temps lis sont incapables de fournir la conso-
lation qui etanche les larmes. Mais celui qui
Ja prononce actuellement est le Dieu Para-
ciet, assez puissant pour faiie cesser a tout
jamais les pleurs dans le ciel (Apoc. xxi, 4).
14. — Accessit et tetigit loculum. Scene
loule graphique, nnnmoinsbien racontee que
la precedente. Sopo; ou « loculus », rrcD des
Hebreux, ne designe pas un cercueil teime h
la faQon des nolrcs, mais une de ces bieres
ouvertesdans lesquelles les morts, recouverts
de leur linceul et d'un drap morUiaire, sont
aujourd'hui encore poiies au j^epulcre a
Gonstantinople et en diverses parties de I'O-
rient. — Lorsque, sans prononcer une seule
parole, Jesus eiit touche I'extremite de la ci-
viere, les porteurs, comprenant sa pensee,
ou plutot frappes de la majesle qui brillait
sur son visage, s'arrel^rent soudain. Quelque
remarquable que soil ce stelerunt, nous ne
nous croyons pas autori-;e a voir en lui, a la
suite de plusieurs exegetes, le resullat d'un
premier miracle. — La voix qui avait dit
predi^mment avec emotion « Noli flere », s'e-
crie mainlenant sur un ion d'irresi^tible au-
torile, au milieu du silence el de Tallention
universels : Adolescens, tibi dico, surge. Les
deux aulres resurreclions que raconle I'Evan
gile furent produites par dis paroles de puist
sance analogues a celles-ci. Ofr. vm, 54 et
Joan. XI, 43. Que c'est grand ! mais qu9 c'es,
simple! « Nemo lam facile excilat in lecto.
quam facile Ghristus in sepulcro », S. Aug-
Serm. xcviii, 2. « Elie ressuscite des morls, il
est vrai ; mais il est oblige de se coucher
plusieurs fois sur le corps de renfdint qi'il
ressuscite : il souffle, il se relrecit, il s'agne;
on voit bien qu'il invoque une puissanc-
etrangere, qu'il rappelle de I'empire de ia
mort une ame qui n'est pas soumis ' a ?a voix,
et qu'il n'est pas lui-meme le mailre de Iq
mort et de la vie. Jesus-Ghrist ressuscite les
morts comme il fait les adions les plus com-
munes; il parle en maitre a ceux qui dorment,
d'un sommeil elernel, et Ton sent bien cju'd
est le Dieu des morts comme des vivants,
jamais plus tranquille que lorsqu'il opere U-s
plus grandes choses ». Massillon, Disc, sur
la divinitede Jesus-Ghrist.
15. — Et-resedit... et ccepit loqui. Deux in-
dices immediats d'un complet retour a la vie ;
Jj4
EVANGILE SELON S. LUG
sur son seant et commenca de par-
ler. Et il ie donna a sa mere.
16, Et tons furent saisis de crainte
<et ils gloi'ifiaient Dieu, disant : Uii
grandprophete s'est eleve parmi
nous, et Dieu a visile son peuple.
17. Etle recit de ce fait se repan-
dit dans toute la Judee et tout le
pays d'alentour.
18. Et les disciples de Jean lui
raconterent toutes ces choses.
et coepit loqui. Et dedit ilium matri
suse.
16. Accepit autem omnes timor;
et magnificabant Deum, dicentes :
Quia propheta magnus surrexit in
nobis, et quia Deus visitavit plebem
suam.
Infi-.n, 19; Joan.k, 19.
17. Etexiit hie sermo in univer-
sam Judseam de eo, et in omnem
circa regionem.
18. Et nuntiaverunt Joanni disci-
puli ejus de omnibus his.
le mort se dresse sur son seant et se mot a
parler. Un rdcit legendaire se serait complu
a signaler Ips prpmiercs paroles du ressus-
cile; Ic r^cit inspire les laisse dans I'oubli
commo une chose lout a fait accessoire. —
Dedit ilium matri suce. II y a dans ce trait
final « quclqiip chose d'ineffablement doux »,
Wiseman. Melanges religieux , I. II, Les
Miracles du N. T., p. 4 27. C'etail en vue de
la mere affligep que Jesus avail opere le pro-
dige : il lui ofTre mainlenant coinme un don
precieux son fils ressuscite. Fr. Luc de Bru-
ges ecril fori bien, a propos du verbe Kwy.ev :
« Vere donum eral Jesu. qui non fuerat nisi
per Jesum recuperabili^ ». Comm. in h. I. —
Une tradition qui semble Ires peu sure donne
au jeune homme le nom de Maternus, et fait
de lui le premier eveque de Cologne. Cfr.
Sepp, Jerusalem u. das h. Land. I. c.
46. — Ce verset et le suivant decrivor.t
I'effet produil par le miracle, d'abord a Nairn,
puis dans loute la Palestine. Parlout la sensa-
tion ful immense. Les temoins oculaires furent
d'abord saisis d'unecrainle religieuse fort na-
turelle en pareil cas; mais ils ne tarderent
pas a s'elever a un sentiment plus noble,
celui d'une grande reconnaissance envers
Dieu [magnificabant Deiim), excite par les
magnifiques esperances qu'un prodige aussi
eclalant avail fait naitre dans leur coeurs.
Prophela (un prophele, car il n'y a pas d'ar-
ticle dans le texle grec) magnus surrexit in
nobis, se disaient-ils. En effet dans Tanliquite
sacree des Juifs, les prophetes seuls, et meme
uniquoment les plus grands d'enlre eux (Cfr.
HI Reg. XVII, 17-24; IV Reg. iv, 41-27),
avaient re^u de Dieu le pouvoir de ressusciler
les raorts. — La foule ajoulait encore : Deus
visitavit (scii. « amabiliter »; comp. i, 68 et
rexplicalion) plebem suam. — La conjonction
quia est employee deux fois d'une maniere
recitative, comme disent les graramairiens, a
la faQon du o hebreu.
47 — De Naira et de ses alentours le bruit
du miracle (hie sermo : hebraisme, 121), fran-
chissant la Samarie, gagna bientol toute la
province de Judee {universameil emphatique;
de meme omnem un peu loin) : il se repandit
ensuito dans lous les pays circonvoisins, tels
que ridumee, la Decapole, la Phenicie, spe-
cialemenl la Peree oil etait emprisonne
S. Jean. Cfr. t. 18. — M. Zeller, Apostel-
gesch., p. 1 77, raille agreablement les raliona-
lisles, qui osent soutenir que les morts rendus
a la vie par Jesus et ses apotres etaient sim-
plemenl plonges dans un sornmeil lethargique.
« Pour admeitre cette explication, dil-il, il
faut irouver croyable que, duranl la courte
periode de I'histoire evangelique et apostoli-
que, on a vu se renouveler a cinq reprises
conseculives, c'esl-a-dire trois fois dans les
Evangiles et deux fois dans les Actes, cette
circonsiance ideniique, ce m^me remarqua-
ble hasard d'une lelhargie qui, resiee ina-
pergue de loutes les personnes qui s'elaient
occupees du mort, cede a la premiere parole
de I'envoye divin et donne lieu de penser a
une resurrection veritable ».
13. J^sus, S. Jean-Baptiste et la gren6ratIon
pr6.sente. vii, 18-35. — Parall. Matth. xi, 1-19.
S. Luc et S. Matthieu se rencontrent de
nouveau pour cet episode; mais ils ne le
placent pas tout k fait a la meme epoque.
On prefere generalement I'ordre adopte par
notrc evangeliste. Voyez I'Harmonie placee
a la suite de I'lnlroduction generale. S. Luc
e en outre le merile d'etre le plus complel.
Dans son recil nous dislinguerons ■\o I'am-
bdssade du Precurseur, 2o le discours qu'y
ratlacha Notre-Seigneur Jesus-Christ.
1° L'ambassade du Precurseur. vii, 18-23.
18. — Nuntmverunt Joanni discipuli ejut
est un trait propre au troisieme Evangile.
Qiiand ses disciples lui apporiennt la nou-
velle des miracles et de la reputation crois-
sante de Jesus [de omnibus his : voyez dans
CHAPITRE VIl
155
19. Et convocavit duos de disci-
pulis siiis Joannes, et misit ad Je-
sum, dicens : Tu es qui venturus
es, an alium expectamus?
Matth. H,2.
20. Gum autem venissent ad eum
viri, dixerunt : Joannes Baptista
misit nos ad te, diceus : Tu es qui
venturus es, an alium expectamus?
21. (In ipsa autem hora multos
curavit a languoribus, et plagis, et
19. Et Jean appela deux de ses
disciples et les envoya vers Jesus,
disant : Etes-vous celui qui doit
venir, ou en attendons-nout* mi
autre?
20. Etant done venus a lui ces
hommes lui dirent : Jean-Baptiste
nous a envoyes vers vous pour de-
mander : Est-ce vous qui devez ve-
nir ou en atten dons-nous un autre?
21. (A cette lieure meme Jesus
gueritbeaucoupde gens quiavaient
S. Matlhieii une expression plus caracterisli-
qu<'), Jean-Baptiste etail prisonnier du telrar-
que Anlipas, dans les cachotsde Macheronlc
Cfr. Ill, 19 et 20. Comme ie fait olserver
M. Planus a la suite du Y. Bede, de Theo-
phylacle, de Fr. Luc, etc., on voit pcrcer h.
iravers celte ligne de S. Luc les prejnge- ( t
I'anlipalhie que les disciples do Jcan-Iiapt ste
nouirissaient a I'egard Notre-Seigneui . « La
brievete, Ie laconisme de ce veiset ne iais-
senl aucun doute sur les dispositions d'esprit
et de cceur de ces amis trop jaloux de la gloire
de leur maitre. Evidemmenl, ii y a dans leur
enapressemenl... une arriere-pensee centre
Jesus ». S. Jean-Bapliste, Elude sur Ie Pre-
curseur, p. 249-
19. — Convocavit duos de discipulis... Le
grec 6iJo xivdi; n'equivaul pas a noire locu-
tion « environ deux... », car nulle part il
n'est d'usage d'employer une formule ap-
proximative lorsqu'il s'agil d'un chiffre si r^-
duit. S. Luc s'est servi de tic a la lagon des
meilleurs classiques pour montrer qu'il n'a-
vait aucun detail a fournir sur la personne
des messagers. Done, « deux disciples quel-
conques ». Cfr. Act. xxiii, 23. — Misit ad
Jesum... Sur les fausses interpretations qu'on
a donnecs, specialemenL dans les temps mo-
derncs, de I'ambassade et de la question du
Piecurseur, voyez I'Evang. selon S. Mallhieu,
p. 2i8 et s. La verite est que la conduite
actuelle de S. Jean n'eut pour mobile ni un
acces dimpalience qu'aurail excite dans
Fame du prisonnier de Macheronte la lenteur
de Jesus a eiablir son royaume, ni un doute
proprement dit sur le caractere messianique
du Sauveur. Pour quiconque eludie a fond le
S. Jean des Evangiies, ces deux choses sent
psychologiquement impossibles : elles sont
bien plus impossibles encore au point de vue
durole divin de Jean-Bapiiste. Ainsi done, par
son message, « non suae sed discipulorum uli-
liiali Joannes consulu it »,S. Hilaire, Can.ix in
Matlli. II voit que, dans les dispositions ou ils
«e trouvent, ses disciples ne seront complete-
nicnt convaincus que par Jesus lui-meme :
c'est pour cela qu'ils les adressR a Jesus —
Qui venturus es. D'apres le grec, « veniens »
aa presMit, denomination du Messie chez les
Juils. Suivant une opinion ires ancienne et
assez eirangc, qu'on est siirpns de voir
adopt r par S. Jerome et par S. Gregoire-le-
Grand, le Prdcurseur. en tenant ce langage k
son Maitre. se serait propose do lui demander
s'il lallail annoncer sa venue prochame aux
patriarches relenus dans les limbes, car Jean
prevoyait, qu'Herode !e ferait bienlol mou-
rir. « Manda mihi ulrura te el inferis debeam
nuntiaro, qui nunliavi superis. An non con-
venial Filio Dei ut gustel mortem, et alium
ad haec sacramenta missurus es? » S. Je-
rome, in caj). XI Matth. Cfr, S. Greg. Horn, vi
in Evangel., el Hom. i in Ezech. « Omnino
reprobanda esl talis opinio, ecrivait S. Cy-
rille, Cat. grasc. Patr.; nusquam enim reperi-
mus sacram Scripluram disserere quod infer-
nalibus praenunliaverit Baptista Joannes Sal-
vatoris adventum ».
20. — S. Luc nous montre, et ce trait est
encore special a sa narration, les disciples
de S. Jean s'acquiltant de leur mission avec
fidelite.
21. — A la question de son Precurseur
Jesus repondit de deux mauieres; en actes,
f. 21 , et en paroles, ft. 22 et 23. — La re-
ponse des fails (Spyo'? xo'P'?"°" '^'^'^ auoxpiotv,
S. Basil. Seleuc), qui vient au premier rang,
n'est menlionnee en termes expres que dans
notre Evanizile ; mais S. Matthieu la suppose
impliciiemenl (xi. 4). — In ipsa hora. Au
moment ou les delegues se presenlerent, Jesus
etait done en plein exercice de sa puissance
miraculeuse : eolncidenee assurement toute
providentielle. Sous leurs yeux, il continua
d'operer de nombreux prodiges de guerison
[multos, tnultis) que I'evangeliste a groupes
sous quatre chefs : la cure des maladies de
langueur {languoribus, "tocui-v), celle des souf-
frances aigues {plcgix, ixadTi'Ywv), I'expulsion
des demons (spiritibus malis), la vue rendue
156
EVANGILE SELON S. LUC
des maladies, des plaies, des esprits
mauvais, et il rendit la vue a plu-
sieurs aveugles).
22. Et il leur repondit : Allez an-
noncer a Jean ce que vous avez en-
tendu et vu, que les aveugles
voient, les boiteux marchent, les
lepreux sont purifies, les sourds
entendent, les morls ressuscitent,
les pauvres sont evangelises;
23- Et bienheureux est celui qui
ne sera pas scandalise de moi.
24. Et lorsque les envoyes de
Jean furent partis, il commenca a
parler deJean a lafoule : Qu'eles-
vous alles voir dans le desert? Un
roseau agite par le vent?
23. Qu'etes-vous alles voir? Un
homme vetu avec mollesse? Ceiix
qui portent des velements precieux
et vivent dans les delices sont dans
les maisons des rois.
spiritibus malis, et caecis multis
donavit visum).
22. Et respondens, dixit illis :
Euntes renunliate Joanni quae au-
dislis et vidistis : Quia cteci vident,
claudi ambulant, leprosi mundan-
tur, surdi audiunt, mortui resur-
gunt, pauperes evangelizantur.
Isai. 33, 5.
23. Et beatus est quicumque non
fuerit scandalizatus in me.
24. Et cum discessissent nuntii
Joannis, coepit de Joanne dicere ad
turbas : Quid existis in desertum
videre? arundinem vento agitatam?
2o. Sed quid existis videre? ho-
minem mollibus vestimentis indu-
tum? ecce qui in veste pretiosa
sunt et deliciis, in domibus regum
sunt.
aux aveugles. — Les exegetes moderns? font a
bon droit remarquer centre les rationali^tes
que S. Luc, I'evangeliste medecin, elablil
aussi bien que les autre? biographes dii Sau-
veur une distinction enlre les possessions et
les maladies ordinaires. — Donaoit. Le verbe
Xapii;o[i.ai, qui revient trois fois dans ce cha-
pilre, n'est employe en aucun autre endroit
des Evangiles.
22 et 23. — C'est la reponse proprement
dite : reponse breve, mais decisive. Elle est
identiquement la meme dans les deux Evan-
giles (voyez Matlh. xi. 5, 6 et le comraen-
taire". Comme le fait remarquer un exegete.
sa force demonstrative ne res-oi t pas seule-
menl des miracles operes par Nolre-SMgneur,
mais plus encore du rapport eiroit qui exis-
tait entre eux et le portrait du INL^ssie trace
par les prophetes (Gfr. Is. xxxv, 4 et 5 ;
LI, 1 et s.). Jesus semblait dire aux me.-sagors
de S. Jean : Voyez vous-memes. La propheiie,
sous vos propres yeux, s'e^t iransformee en
histoire, en realite. Celui que vous cherchez
est done devanl vous. Mes oeuvres out occa-
sionne votre question : pour vous repondre,
je n"ai qu'a vous renvoycr a mes oeuvres, car
leur langage est manifeste.
2" Discours a propos de Tambassade. vii, 24-33.
Voypz I'explication delaillee dans I'Evangiie
selon S. Malthieu, p. 220 et ss., car le plus
souvent il exisie entre les deux recils paral-
jeles une ressemblancequi va jusqu'aux plus
petites expressions. Neanmoins S. Luc a ses
particulariles tout aussi bien que S. Mal-
thieu : eiles seront Qdelement n>lees.
a. Hommage public rendu au Pricurseur. ^f. 24-28.
L'hisioire de S. Jean-Baptiste est admira-
blement concenlreedanscesquelques paroles
d'apologie.qui plaisentpar leur ton vif, anime,
rhythme.
24. — Cum discessissent nuntii... : a7:=).6ovTwv
a quelque chose de plus precis que le Ttooevio-
[jivwv de S. Matthieu. — Quid existis... vi-
dere? Jesus rappelle a ses aiiditeurs I'enlhou-
siasme qui avait autrefois pousse loutes les
classes de la naiion juive vers le desert de
Juda. Qvi'allait-on conti-mpler (8£dffa(7eai)i
dans ces lieux sauvages? Elait-ce un roseau
mobile, c'esl-a-dire un homme sans fcrmete
de caractere, qui afBrmait un jour la mission
divine de Jesus et la mellail en doute le len-
demain, comme scrablaii le demonirer son
ambassade? Un roseau, celle colonne de
bronze qui resistait aux pretres, aux Phari-
siens et au tetrarque 1 Un roseau, ce noble
cedre que I'orage de la persecution n'avait
pas deracine! (S. Cyrille) Aussi Notre-Seigneur
laisse-l-il sans reponse cette premiere mter-
rogytion.
23. — Sed quid existis videre^ Repetition
emphatique, d'un bel efrL't;de meme au
t. 26. Ce n'esi plus le solennel 6rx<ja(r9at qui
est niaintenant employe, mais le simple ISeTv.
— Ecce qui in veste... La description du luxe
CHAPITRE VII
457
26. Sed quid existis videie? pro-
phetam? Utique dico vobis, et plus
quara prophetam.
27. Hie est, de quo script.um est:
Ecce mitto angelum meum ante fa-
ciem tuam, qui pra3parabit viam
tuam ante te.
Mai. 3, 1; Mallh. H, 10; Marc. 1, 2.
28. Dico enimvobis : Major inter
natos mulierum propbeta Joanne
Baptista nemo est : qui -lutem minor
est in regno Dei, major est illo.
26. Qu'etes-vous done alles voir ?
Un prophete? Oui, je vous le dis, et
plus qu'un prophete.
27. G'est celui dont il est ecrit :
Voila quej'envoie mon ange devant
ta face, ii preparera ta voie devant
toi.
28. Gar je vous le dis : Personne,
parmi ceux qui sontnes des femmes,
n'( st plus grand prophete que Jean-
Ba|)liste; mais le plus petit dans le
royaume de Dieu est plus grand que
lui.
cffrene des coursorienlales esl plus compleie,
plus brillanle, dans S. Luc que dans S. Mal-
ihieu. D'apres celui-ci, Jesus se borne a dire :
« Qui mollibus vesUuntiir » ; noire evange-
lisle mfiitioniie en lermes expres el les vele-
nients precieux [ev56?w, lilleral. « iliu-lri »),
et les delices corruptnces (^puip^) de la cour
royale.
26. — Prophetam. Si Jean-Baplisle n'esl ni
un roseau flexible, ni un courtisan volu|)lueux:
sprait-il bien un prophete, comme le lepelait
alors la voix publique? Cfr. Malih xxi, 26.
A celte troisieme question, Notre-Seigneur
repond d'abord d'une uianieie afDrmalive ;
puis il surencherit encore, en disanl sans
hesiterque le fils de Zacharie etail plus quam
propheta. v Major prophela, quia Onis pro-
pheiarum ». S. Ambroise.
27. — Plus qu'un prophele, dil mieux en-
core le Sauveur Jesus, parce qu'il est mon
Precurseur predil par les SS. Livres, I'ange,
c'est-a-dire I'envoye glorieux qu'annongait
Malachie, iii, 1 .
28. — Jesus reitere solennellement [dico
enim vobis) son assertion relative a S. Jean :
c'est un prophele, plus qu'un prophele. Les
temps aiiciens avaient vu de bien grands
proplieles, les Samuel, les Elie, les Elisee,
ies I^aie, les Jeremie, les Ezechiel, el tant
d'autres ; mais aucun de ces hommes inspi-
res n'elait a la hauieur de Jean-Baptiste, le
Precurseur du Messie. — Dans le premier
Evangile, xi, 41, la pensee est exprimee en
termes plus generaux, car S. Jean est mis
non-seulement au-dessus des propheles, mais
de tons les « fils de la femme » sans excep-
tion. Toulef'ois, il est possible que le mot
■propheta soil apocryphe dans noire versel ;
il est omis en etfel par plusicurs des temoins
ies plu-! aulorises (les manuscrits B, K,
L,M, etc., les versionssyr., copte, ethiop.etc).
— Qui autem minor est... Sur ce passage dif-
ficile, voyez I'Evang. selon S. Matlh., p. 222
el s. Apres avoir eleve S. Jean plus haul
que lous les hommes (|ui avaient vecu jus-
qu'alors, Jesus fail mainlenant nne restriction,
sous la forme d'une aiuiihese frappanle. Mon
pretuiseur, avail-il dit, est, imi vitIu de son
litre meme,le premier personnagede fAncieii
Testament; et pourlanl il est inferimir en
dignite au plus petit des meuibres de mon
Eglise (in regno Dei). Nutre-Seigneur, dans
celte conclusion si consolanle pour les chre-
liens, laisse complelement decole la sainlele
personnelle ; c'est sur les privileges et la di-
gnite de deux spheres dislinctes qu'il rai-
sonne. II y a la sphere de I'ancienne Alliance,
a laqueile appartenait S. Jean ; il y a la
sphere de la nouvelle Alliance ou duroyaum'S
de Dieu. Or, cette seconde sphere eiant placee
beaucoup au-dessus de la premiere, le inoins
eleve des objels qu'elle renf'erme doraine evi-
demment encore le plus eleve de ci ux qui sunt
coiitenus dans I'autre. « Quoique nous jiuis-
sions elre depasses en merites par quelques-
uns des hommes qui vivaient sous la Lui et
que Jean rcpresente, acluellement, apres la
Passion, la Resirrection, I'Ascen-iion et la
Penlecole, nous possedons de plus grandes
benedictions en Jesus-Christ, elanl devenus,
eraee a lui, participants a la nature divine. »
S. Cyrille.
b. Accueil divers fait d Jean-Baptiste par ks con-
temporains. jf. 29 et 30.
Si S. Luc a passe sous silence plusieurs re-
flexions impcrlant'^s rattachecs par Notre-
Seigneur a la pensee qui precede (Cfr. Matlh.
XI, 4 2-'! 5), en revanche il est seul a mcn-
lionner ici I'accueil de differenle natures qui
flit fail au Precurseur par la societe juive.
Toutefois ies exegeles disculent sur I'origine
premiere de ces deux versels. Plusieurs
d'enlre eux, lels que Bengel, Lachmann, Bor-
nemann. Slier, Alford, ne croient pas qu'ils
fassent partie du discours de Jesus : ilg les
458
29. Et tout le peuple et les publi-
cains,enFecoutant,ontjustifieDieu,
ayant ete baptises du bapteme de
Jean.
30. Mais les Pharisiens et les
docleurs de la loi ont meprise le
dessein de Dieu sur eux. n'ayant pas
ete baptises par lui.
31. Le Seisrneur dit encore : A
fiVANGlLE SELON S. LUG
29. Et omnis populus audiens^
et publicani, justificaverunt Deum,,
baptizati baptismo Joannis.
30. Pharisaei autem et legis pe-
riti consilium Dei spreverunt in se-
metipsos, non baptizati ab eo.
31. Ait autem Dominus : Gui ergo
regardent comme une appreciation person-
nelle de I'evangelisle, inlercalee a la raaniere
d'une parenlhese au milieu des paroles du
Sauveur. lis Irouvent la justification de leur
sentiment soil dans la formule c Ait autem
Dominus » (*. 31), qui semble renouer le fil
interrompu du discours, soil dans le ton mo-
difie, disent-ils, du recit, le langage indirect
prenanl tout a coup la place du langage direct.
Mais nous leur montrerons plus bas que les
mots « Ait autem Dominus » sonl salon
toute vraisemblance un glosseme. Quant au
changement de ton, il est en reaiite bien peu
sensible ; on pourrait d'ailleurs I'expliquer
en disant que S. Luc condense, comme il le
fait parfois, les expressions du Sauveur. Aussi
n'hesltons-nous pas a voir dans ces versets,
avec la plupart des interpretes anciens et
modernes, la continuation Ju discours de
Jesus. En tout cas, les resuitats ires divers que
produisirent sur le peuple et sur les hie-
rarques juifs la predication et le minislere de
S. Jean-Baptistey sontneltementet forteraent
decrit.
29. — io Gonduite du simple peuple a i'e-
gard de Jean-Baptisle. Ce fut une conduite
dictee par la foi : en entendant la voix du
Precurseur {audiens}, la foule, el jusqu'aux
publicains que nous avons vus en etfet accou-
rir a sa predication, iii. 12. crurent entendre
la voix de Dieu lui-mera^. ►'t ils agireni en
consequence [baptizati baptismo Joannis), era-
brassant avec zele le moyen exteri.ur qui
leur elail otfert pour arriver plus aisemenl a
la vraie conversion. Et, par la, justificaverunt
Deum, c'est-a-dire qu'ils « rendir nt gloire
au Seigneur, profiterent des offres de sa mi-
sericorde, approuverent sa conduite et en-
trerent dans leS desseins de sa misericord- ».
D. Calmet. h. l.Surce sens special de o'.y.aiow,
voyez Breischneider, Lex. man. La multi-
tude declara done, d'une maniere toute pra-
tique, par sa fagon d'agir a I'egard de S. Jean,
que Dieu avail bien fait d'envoyer au monde
un si sainl homme.
30. — 2° Conduite des Pharisiens et des
Docteurs. Tout, dans ce versel, conlra-te
avec ce que nous lisions au precedent. Les
Pharisiens et les Docteurs de la Loi ilegis pe-
riti, vojiixoi, appeles ailleurs voiJioo'.5d(5y.o).ot,.
V, 17, etc.), c'est-a-dire les prelendus saints
et les savants de la societe juive, sunt oppo-
ses au peuple el aux publicains, qui represent
tent les igiiorants el les pecheurs. Tandis
que ceux-ci avaient regu le bapteme de
S. Jean, el proclame parla-meme I'excellence
et facilite la realisation du plan divin, ceux-
la, en rejetani le Precurseur el son bapteme,
avaient Tail echouer completeinent, du moins
pour ci^ qui concernail leurs propres per-
sonne-. les desseins inisericordieux du ciel.
Le c-^nsinun Dei (PouXri toO OeoO) dont parl&
ici Nu'j eSeigneur etait le desir nourri par
Dieu que chacun se prt'paiat de toutes ses
forces, specialeraent au moyen du bapteme
de S. Jean, a la prochaine venue du Messie.
— Spreveruui ne rend pas toute la force du
verbe grec riOeT»ioav, qui signifii^ proprement :
aneantir, annuler. — In semetipsos, quo plu-
sieurs interpretes ratiachenla « spreverunt »
(scil. « in proprium damnum ») nous paiait.
s'unir plus commodemenl a « consilium Dei » :
le dessein du ciel relativement a eux. En effet,^
les decret divins demeurent. et piTSonne ne
saurait vraim^nl les rendre vains d'une ma-
niere absolue. Ce n'esl que par rapport a sol
que chacun peut les aneanlir.
^. Quel caa le* Juifs contemporains ont fait de Jean
et de Jesus, ff. 31-35.
Apres avoir ainsi indique le resultat ge-
neral du ministere de S. Ji^an, Notre-Sei-
gneur, passant a une application encore plus
directe et se meltant lui-meme en scene, de-
peint en lermes saisissants la maniere dont
son Precurseur et Lui furent afiprecies par 1»
generation contemporaine, c'est-a-dire par
leurs ennemis communs du parti pharisalque.
31. — Ait autem Dominus. Ces mots^
qu'ometlenL la plupart des anciens temoins,
sonl justement reiranches du texle par les
meilleurs critiques. On admel communement
cu'ils proviennent de quelque evangeliaire
ou ils inauguraienl une legon sacree, a la
faQon de la formule encore existante « in illo
tempore dixit Jesus... » — Cui ergo similes
dicam... et cui similes sunt? Cetle repetition
emphatique est speciale a S. Luc. On a tres
CHaPITRE vu
i5»
similes dicam homines generationis
hujus? et cui similes sunt?
Maith. 11, 16.
32. Similes sunt pueris sedenti-
bus in foro, et loquentibus ad invi-
cem, et dicentibus : Gantavimus
vobis tibiis, et non saltastis; lamen-
tavinaus, et non piorastis.
33. Venit enim Joannes Baptista,
neque manducans panem, neque
bibens vinum, et dicitis : Dsemo-
nium habet.
Matth. 3, 4 el 11, 18; Marc. I, 6.
34. Venit Filius hominis mandu-
cans et bibens, et dicitis : Ecce
homo devorator, et bibens vinum,
amicus publicanorum, et pecca-
torum.
qui done comparerai-je les hommes
de cette generation? a qui sont-ils
semblables ?
32. lis sont semblables a des en-
fants assis sur la place publique,
se parlant Tun a I'autre et disant :
Nous avons joue de la flute et vous
n^avez pas danse; nous avons
chante des lamentations et vous
n'avez pas pleure.
33. En effet Jean-Baptiste est
venu, ne mangeant point de pain et
ne buvant point de vin, et vous dites :
II est possede du demon.
34. Le Fils de I'homme est venu,
mangeant et buvant, et vous dites :
Voila un homme qui mange beau-
coup et boit du vin, un ami des
publicains et des pecheurs.
justemenl observe qu'elle donne quelque
chose de poignant a la question du Sauveur.
Jesus semble chercher a quoi il pourra bien
comparer une conduile aussi insensee, aussi
iriste que cells doiU il est le temoin. II trouve
une image qui exprime delicateraent sa pen-
s6e, el il la signale comme une reponse paifaile
a la double question qu'il venail de poser.
32. — Similes sunt pueris... Voyez I'Evang.
selon S, Matlhieu, p. 225 et s. Les deux re-
dactions different a peine I'une de I'autre.
S. Luc emploie cependanl a),).ir)).oi(; (ad invi-
cem) au lieu de '^ot; d-ai'poi; au-tiv (ou d-s'poi;),
oux exXauaa-re [non piorastis) au loin de oOx
i*6<^a(ybs, [« non planxistis »). — 11 s'agit done
de deux groupes d'enfants reunis sur la place
publique a I'heure de la recreation. Avec
I'esprit d'imitalion qui caracteriso cet age
lis essaient de mimer dans leurs jeux d'abord
une scene de mariage, puis des funeraiiies.
Du moins c'est ce que voudrail le premier
groupe, qui s"est mis alternalivement a chan-
ter des airs gais et des airs lugubres : i:iais
le second groupe, auque^ on ollVail ainsi le
cboixentre les jeux tristes ou joyeux, a refuse
obslinement son concours, ce qui lui attire
les reproches des aulres enfants. Cfr. Vors-
tius, de Adag. N. T., c. xi. Avec quelle di-
gnite Notre-Seigneur expose, el avec quelle
grSce il releve ces details empruntes a ce que
la vie humaine a de plus familicrl L'Orient
moderne en offre d'adleurs chaque jour la
realisation. « Sur les places publiques du Le-
vant, vous pourriez souvent voir quelque en-
fant jouant de la Mte, tandis que ses petits
camarades dansent a ses cotes. Souvent aussi
nous avons vu passer des convois funebres ou
plusieurs personnes poussaient des cris la-
mentabl'^s, tandis que d'autres leur repon-
daieut en mesure sur le meme ton ». Prof.
Jacobus, Notes on the Gospels, t. 11, p. 484.
33 el 34. — Venit enim... « Aperuit sanc-
tus Lucas, ecril S. Ambroise sur ce passage,
specialibus additis quod quasi generalibus
sancUis Matlhaeus sububscurum reliqueral ».
Les iiiols panem et vinum comptenl en pre-
miere ligne parmi ces heureuses addilions :
ils recliiient ce que la redaction de S. Mat-
lhieu, « neque manducans neque bibens »,
paraissait avoir d'exagere et d'inexact. —
Jesus applique mainlenant sa comparaison.
en prouvaiiL par des fails inconli'Slables que
la generation juive contemporaine re.-sem-
blail au premier groupe des en laiils men tionnes
plus haul (voir dans I'Evang. selon S. Mallh.,
p. 226, la maniere dont on juslilie cetle ap-
plication). C'est en vain que la Sages^^e di-
vme a recouru a tous les moyen> CKoXuixepu;
xal Tio/uTpoTiw;, Hebr. I, \. Clr. Eph. in, 10 :
ii noJjyTToixtXo; aozia, tou 0£ou) pour convertir
ces Juifs endurcis, essayanl de les gagner
tanlot par la predication severe el la vie
mortifiee du Precurseur, tantot par les doux
appels et les exemples plus accessibles de
Jesus. Ces Sraes rebelles a la grace n'ont ja-
mais ete salisfailes. Jean-Baptiste leur a paru
trop austere, et Jesus trop semblable aux
aulres hommes. Elles se sont plaintes du pre-
mier parce qu'il n'a pas voulu meler sa voix
a leurs joyeuses melodies, du second parce
460
EVANGILE SELON S. LUC
35. Mais la sagesse a ete justifiee
par tous ses enfants.
36. Or un Pharisien le pria de
manger avec lui. Et etant entre
35- Et justificata est sapientia ab
omnibus filiis suis.
36. Rogabat autem ilium quidam
de pharisseis ut manducaret cum
qu'il a refuse de prendre comma elles un
Ion lamentable et lugubre. Apres tout, c'est
li dies seules qu'elles devronl s'en prendre
lorsque viendronl les chalimenis divins, pui?-
qu'elies ont rejele successivemenl, sous les
plus futiies prelexles, les divers ambassa-
deurs de Jehova.
3o. — Et (pour « et tamen ») justificata
est... Cependant, Je-^us est heureux de I'a-
jouu-r, lous les yeux ne s'elaient pas fermes
a la lumiere, ni tous les coeurs a la grace.
L'.s « fiUde la sagesse » (hebralsme pour de-
siizner cenx d'enlre les Juifs qui s'elaient
converli< a la voix dti Precur-:eur ou du di-
vin Maiire) avaienl rtconnu leur mere soit
sous les trails austeres de Jean-Bapliste, soit
sous I'exterieur si suave de Jesus, et ils I'a-
vaient honoree de leur mieux par leurs acles,
la vengeant ainsi des accusations que langait
centre elle un monde reprouve. — Omnibus
est une particularite de S. Luc. Le mauuscrit
Sinailique, au lieu de texvwv, a la varianle
Ipywv, qui est une correction manifeste des-
tines a eclaircir, maisd'unemaniere peuheu-
reuse, ce passage logerement obscur.
14. Simon le Pharisien et la p^cheresse.
TIT, 36-50.
Ravissant tableau, qui a sa place d'honneur
dans la riche galerie du peinlre S. Luc; cure
admirable, qui meritait d'elre raconiee par
le « medicus carissimus » ; channant epi-
sode, ou abondent les veriles psycliologiqu s,
el qui, a ce litre, devait allirer Fallenlion
specialedu plus « psychologue » des evange-
lisles (II a in-pire de' belles pages au P. Dal-
gairns. Devotion to ihe Heart of Je-us,
p. 437-140, et au P. Lacordaire, Sainte Marie-
Madeleine, chap. III;. Nous disons speciale,
parce que nous croyons fermemeiit, avec la
pluparl des comnientateurs, que S. Luc ra-
come seul ce trait delicieux ae la vie du
Sauveur. Pourlant, quel(|ues anciens et plu-
►ieurs modernes (Hug. Ewald, Bleek, etc.),
^'appuyant sur des analogies exterieures, ont
ossaye'de le confondre avec ce qu'on nomuie
i'onction de Belhanie ( Cfr. Mallh. xxvi ,
6-13; Marc, xiv, 3-9; Joan. xii. i-M). De
part et d'aulre, disenl-ils. Thole s'appelle
5imon; en outre, durant les deux repas,
,'ne femme vienl pieusement parfumer les
j^ieds de Jesus et les essuyer avec ses che-
veux; enfin, cliaque fois, quelqu'un des as-
sistants se scandalise a la vue de eel hom-
mage extraordinaire. Trois objections aux-
quelles il est aise de reponJre. \o Les deux
amphytrions portent, il est vrai, le nom de
Simon; mais ce nom elait alors tres-com-
mun en Palestine, de sorte qu'il serait de-
raisonnablrt d'attacher de i'imporlance a sa
reapparition. II designe, dans les ecrils du
Nouveau Testament, neuf personnages dis-
tincts, jusqu'a vingl dans ceux de Ihistorien
Josephe. Du reste, des epithetes soign^Hise-
menl notees par les narratenrs prouvenl qu'il
est bien question de deux individus distincts :
ici nous avons Simon le Piiari-ien , la au
conlraire Simon le Lepreux [Matth. xxvi, 6).
20 Pourquoi un fait qui est en parfate con-
formile avec les usages anciens el modernes
de TOrienl ne se serail-il pas renouvele deux
fois a regard de Notre-Seigneur Jesu>-Christ
dans des circonstances ditferenles? L'hoin-
mage qu'un profond senlinipnt de foi el de
charite avail inspire a ime pieuse feinrae pou-
vail tres bien se nproduire sous I'impulsion
d'un sentiment identique. Or les circcmstances
sonl reellement differenles-. lei nous sommes
en Galilee, dans la premiere periode du mi-
nislere public dc Jesus; la c'est la derniere
semaine de sa vie, et la scene se passe ea
Judee, pres de Jerusalem. Ici I'herolne de I'e-
pisode se presente le coeur brise par le re-
penlir; la elle vienl poussee par la reconnais-
sance. 3° Si, a deux reprises, la conduiledes
sainles amies de Jesus est criliquee, ce n'est
pasde la meme maniere : la plainte dc Tavare
Judas est loin de ressembler a celle du Pha-
risien Simon. Et puis, quelles nombreuses
divergences dans le fond et la forme des re-
cits, dans la leQonqui s'en degage, etc.! Aussi
esl-on surpris de voir des hommes de talent
(par exemple, Hengslenberg) (aire, de nos
jours encore, de prodigieuses depenses d'es-
prit el d'aigum nt^ en faveur d'une these
aussi peu souU nab e que celle de I'identitd
des deux onction.-., Cfr. Deyling, Observa-
liones sacr., t. Ill, p. 291.
36. — Rogabat aulem ilium. Ni le temps,
ni le lieu ne soot marques, et il n'est pas
possible de les determiner avec certitude. On
peut dire toutefois, pour ce qui concerne le
premier point, que le repas chez S:mon dut
suivre d'assez pres le grand miracle df^ Naim
et le message de S. Jean-Baptiste. G'esl du
moins ce qui ressort de I'ensemble du recit.
Quant au second, les exegetes ont nomme
tour a lour Bethanie , Jeiusalem, Magdala,
Nairn et Capharnaiim. L'article ajoule dans
ie texle grec au mot ii5),ei {t. 37j e^ favo-
CHAPITRE VII
461
illo. El ingressus domum pharisaei
disrubuit.
'M . El ecce mulier, quae erat in
civiiate peccatrix, ul cognovit quod
accubiiisset in domo pharisaei, attu-
11 1 alabastrum unguenli :
M'-Uih. 26. 7; Marc. 14, 3; Joan. it. 3
dans la maison du Pharisien, il se
mil a table.
37. Et voila qu'une ferame, qui
etait dans la vilie une pecberesse,
ayant su qu'il elait a table dans la
maison du Pharisien, apporla un
vase d'albatre plein de parfum.
rable a colle derniere cite. — Ut tnanducaret
cum illo. CeUe invilalion parail d'abord sur-
prcnanie, car les Pharisien?, S. Luc nous i'a
suliisarameiU demontre, elaient deja en lulla
ouverle avfc Nolre-Seigneur. Cfr. v, 30. Ce-
pendanl Jesus n'avail pas encore complele-
menl rompu avec eux, el i'on ne voil point
pourquoi \\ n'y aurait pas eu, ineaie dans
leurs raiigs. quelques parlicuiier.-^ bien dis-
poses en sa faveur. Du resle, la suite des faits
nous prouvera que la reception de Simon ful
pleine de reserve et de froideur. On dirait
que eel homnie elait hesitant au sujel de
Jesus, (t qu'il I'invilait precisement pour
avoir I'occasion de Tobserver de pres. — In-
gressus domum... Le divin Maitre accppla de
diner chez Simon le Pharisien comme il avail
acceple de diner chez le publicain Levi. li ne
recherchait pas ces sorles de fete, mais il ne
les ^vitait pas non plus, car il y accomplis-
sail lout aussi bitn qu'ailleurs I'oBuvre de son
P6re celeste. — Pour la suite de la narration,
le lecteur doit se souvenir que le festin avail
lieu a I'orientale. La posture des convives,
exprimee par le verbe discubuit, « tenait le mi-
lieu enlre se coucher tout a fail et s'asseoir :
les jambes et la parlie inferieure du corps
^taienl etendues de toute leur longueur sur
un sofa, pendant que la parlie superieure du
corps elait legeremenl elevee el supporleo
sur le coude gauche, qui reposail sur un
oreiller ; le bras droit et la main droile elaient
ainsi laisses libres pour qu'ils pussenl s'e-
tendre et prendre de la nourriture ». A Rich,
DictionTi. des antiq. rom. et grecq., trad.
franQ. . p. 6. La table, vers laquelle se Irouvail
tournee la l^le des convives, elait au centre
de I'hemicycle forme paries divans : chacun
avail par consequent les pieds en dehors
(o retro », t. 38), du cole de I'espace reserve
aux serviteuis.
37. — Et ecce mulier. La parlicule « ecce »
marque tr^s bien le caraclere imprdvu, ino-
pin4, de I'apparition. — Qu(b erat... pecca-
trix. On ne devine que trop le genre de fautes
d^signe delicat'DQent par cet euphemisme.
C'esl en vain (juo divers auteurs onl essaye
•jj reduire la culpabilite k una vie siinple-
menl raondaine : ils ont contre eux la « con-
Blans oninium veterum auclorum opinio »
(Maldonat), et i'usage analogue du mot pe~
S. BiBLB. S.
cheresse dans toutes les langues classiques.
Cfr. Welstein, h. 1. « Erat » a-t-il le sens du
plus qu'-pail'ait, comme on I'a egalement
affirme a tin de pouvoir rejeler les peches de
ceLle femme dans un pas-e lointain ? Nous ne
le croyons pas. II nous si mble plus conforrae
k I'e-pril de tout I'episode de dire avec
S. Auguslin, Serm. xcix : « Accessil ad Do-
minum immunda, ul red. ret munda; accessil
aegra, ul rediret saiia ». Simon ne se serail
pas aulaiil formal bS de I'accueil charitable
qu'elle reQul de Jdius, si elle eul fait oublier
son ancienne condition par une longue peni-
tence. Quel serail d'ailieurs, dans ce cas, le
sens de Tabsohilion que lui donne Jesus?C'esl
done lout recemment qu'elle s'etait decidee
a changer de vie, et elle venait, en ee moment
meme, demander son pardon au Sauveur
Peul-6tre avait-elle ete vivement impres-
sionnee par quelqu'une des d?riiieres paroles
de Jesus, notamm nt par le « Venile ad me
omiies », Mallh. xi, 28 et ss., qui avail ter-
mine le discours precedmi. — (Jt cognovit.
Le verbe grec emYvoOda parail supposer des
informations prealables. La re[)enlie avail
cherche Jesus. — IndomoPhariscei, altuUt...
Les habitudes si rigides de TOccident nous
font trouver etrango.de prime-abord , une
demarche empreinte de tanl de liberie. Mais
pile s'accorde fort bien avec les usages plus
familiers de I'Oricnt, oil les voy^igeurs mo-
denies nous a-sureiit qu'iU ont vu des traits
analngues se reproduire en plus d'une cir-
con<tance. Meme dtins les mai^ons les plus
honorables, il se fait au moment du repas,
quand quelque elranger a ete invite, un va et
vienl considerable que personne ne songe a
einpecher, parce qu'on le liouve tout ordi-
naire. Voir dans Trench, Notes on the Pa-
rables of our Lord, fie edit. p. 299. plusieurs
exeraplesde ce genre, curieux et interessanis.
Cfr. T. Robinson, ihe Evang "lists and the
Mishna,p.214et s.On nesaurait nierpourtant
qu'il n'y eul une sainle audace et un noble
courage dans I'acte de la pecheresse. « Vi-
dislis mulierem famosam... non invitatam
irruisse convivio, ubi suus raedicus recumbe-
bat, el qiise-isse pia impudentia sanilatem :
irruens quasi iraportuna convivio, opportuna
beneficio ». S. August., 1. c. o Quia lurpilu-
dinis suae raaculas aspexit, lavanda ad foniem
Luc. — 11
162
EVANGILE SELON S. LUC
38. Et se tenant derriere lui, a
ses pieds, elle commenca par arro-
ser de larmes ses pieds et les es-
suya avec les cheveux de sa tete, et
elle baisait ses pieds et les oignait
de parfuin.
39. En voyant cela le Pharisien
qui I'avait invite dit en lui-meme :
Si celui-ci etait prophete, il saurait
assiirement qui est et quelle est la
femme qui le touche, car elle est
peclieresse.
38. Et stans retro secus pedes
ejus, lacrymis coepit rigare pedes
ejus, et capillis capitis sui tergebat,
et osculabatur pedes ejus, et un-
guento ungebat.
39. Videns autem pharisaeus, qui
vocaverat eum, ait intra se dicens :
Hie si esset propheta, sciret utique
quae et qualis est mulier quae tan-
git eum : quia peccatrix est.
misericord ise cucurrit, convivanles nou eru-
buii; nam, quia semetipsam graviter erubes-
cebal inlii?, nihil esse credidit quod verecun-
darelur foris ». S. Grregoire-ie-Grand , Ilom.
xxxiii in Evang. — Alabnstrum unguenti.
Voyez Malth. xxvi, 7 el le commenlaire.
38. — La description esl d'un pitloresque
acheve. A peine entree dans la saiie dn feslin,
la pecheresse eiit bienlot reconnu la place
du Sauveur. La voila debont [stans] a I'extre-
mite inferieure du divan [retro], aupres des
pieds sacres de Jesus, que le narrateur men-
lionne trois fois de suite, comme pour mieux
faire ressorlir I'liumilile de son heroine.
Sans doute, le dessein de celle-ci avail ete
de proceder immediaiement a I'onclion ;
mais tout a coup, vaincue par le sentiment de
son vif repentir, elle se met a fondre en
larmes. « Fudit lacrymas, sanguinem cor-
dis », S. Aug. Toutefois, quel heureux parti
elle tirera de cello circonsiance meme I S'a-
genouillant, lacrymis roepit rigare ped^s ejus
(les pieds de Je^iis etaieiil nus, a la fiiQon
orienlale); pms.. capillis capitis sui tergehat
(imparfait qui marque la repetition de I'acte);
puis encore, osculabatur (le grec xaT£(pt),si
signifie litteralement « mtiltum osculaba-
tur ») ; enfin, elle put accomplir ronction
pieuse qu'elle avail surlout projetee, unguento
ungebat. Elle ne pi'ononQa pas une seule pa-
role; mais quelle eloquence flans toute sa
conduite ! Ses divers acles n'ont rien que de
naturel : lout autre coeur contrit et aimant
les eiit facilement inventes. D'ailleurs on
pent rapprocher de chacun d'eux des traits
analogues, empruntes aux coulumes de I'an-
tiquile, qui les rendent plus nalurels encore.
« Demplis soleis odoiibus illinuntur pedes »,
^crit Qiiinte-Curce (viir, 9) des monarques
indiens. Tile-Live, iii, 7, nous montre, en un
temps de grande detresse, les femmes « cri-
nibus templa verrenles », dans I'espoir de
calmer ainsi les dieux irrites. Toutes les
marques de respect temoignees a Jesus par la
pecheresse avaient lieu quelquefois k I'egard
des Rabbins celebres. Cfr. Wetstein, h. i.
39. — Videns Pkariswus. Frappant con-
Irasle psycholugique. Nous disions plus haul
que ce Pharisien sernble n'avoir pas eu alors
d'opinion bien arretee au sujet de Jesus. Sa
foi naissanle, suppose qu'elle existSt, fut sou-
misL' en ce moment a une rude epreuve.
« Videns » : il avail assiste a la scene prece-
dente avec la plus profonde stupefaction. Sa
reflexion [ait... dicens est un hebralsme)
prouve qu'il n'ava'it absolument rien compris
a un spectacle donl les anges du ciel avaient
ete ravis. ]l discute le cas en vrai disciple de
ces Phari-iens pour lesquels la question du
pur el de I'impur, mais d'un pur et d'ua
impur toul exterieurs, primait toutes les
autres. — Tangit eum : cette expression
technique ne pouvail manquer d'apparailre
ici. Apres tout, a la demande « Quanlo spatio
a meretrice recedendum esl? » le pieux et
docte Rabbi Chasda n'avait-il pas nettement
repondu : « Ad qualuor cubitos »? (Cfr. Schoett-
gen, Hor. hebr. t. I, p. 348) El voila que
Jesus ne craignait pas de se laisser toucher
par une femme de ce genre! Ah! s'ecrie
S. Augustin, « si voluisset mulier tangere
Pharisaeum, calcibus earn repulisset, dixis-
selque illud Propheiae : Recede a me, noli me
tangere, quia mundus sum ». Simon conclut
done i}ue Jesus ne merilail pas le litre glo-
rieux que I'opinion publique se plaisait alors k
lui decerner (Cfr. vii, 16). Le raisonnement qui
traversa son esprit consista dans le dilemne
suivanl : Ou bien Jesus ignore le vrai caractere
de cette femme {quceet quails avec emphase),
et alors il ne possede pas le don de discerner
les esprits qui est habituellemenl la marque
desenvoyesde Dieu ; ou bien il sail quelle
est celle qui le louche, et alors il n'est pa>
saint, aulrcmenl il fremirait k son profane
contact. Voyez Trench, I. c. Ce raisonnement
avail pour base la croyance, appuyee sur
divers fails bibliques (Cfr. Is. xi,3, 4; III Reg.
XIV, 6 ; IV Reg. i, 3 ; v, 26 ; etc.) et a peu
pres gdnerale chez les Juifs contemporains do
CHAPITRE VII
163
40. Et respondens Jesus, dixit ad
ilium : Simon, habeo tibi aliquid
•dicere. At ille ait : Magister, die.
41. Duo debitores erant euidam
foeneratori : unus debebat denarios
quingentos, et alius quinquaginta.
42. Non habentibus iliis unde
redderent, donavit utrisque. Quis
•ergo eum plus diligit?
43. Respondens Simon dixit :
^stimo quia is cui plus donavit. At
ille dixit ei : Recte judicasti.
40. Et Jesus prenant la parole lui
dit : Simon, j'ai quelque chose a te
dire. Et il repondit : Maitre, dites.
41 . Un creancier avait deux debi-
teurs; Tun lui devait cinq cenls
deniers et I'autre cinquante.
42. Comme ils n'avaient pas de
quoi payer leur dette, il la remit a
tous deux. Lequel done I'aime da-
vantage?
43. Simon repondit: Je pense que
c'est celui a qui il a remis davantage.
Et il lui dit : Tu as bien juge.
J('sus (Cfr. Juan, i, 47-49 ; ii, 25 ; iv, 29, etc. ;
Vitringa, Observat. sacr,, t, I, p. 479 et ss.),
qua tout vrai prophele pouvait lire au fond
dis coeur-;.
40. — Respondens Jesus. Jesus a discerne
Ics pensees fes plus intimos de son hole
(n aiidivil Pharisaeum cogilantera », S. Aug.
Sorm. xcix). el c'est a ell-es qu'il repond. II
diimonlrera ainsi au Pharisien sceplique qu'il
est capable, comme ies plus grands propheles,
de scruter Ies socrets des Smes. — Simon...
Quelle suavile dans celte reprimaiide 1 Du
reste, la bonte eclatera jusqu'a la fin du recit.
Jesus dut parler neanmoins d'un ion grave
et penetrant. — La phrase E/.to wof ti eiTtciv,
SUP laquelle a ete caique lo lalin habeo tibi
aliquid dicere, est tres grecque et so trouve
dans Ies meilleurs classi(|ues. — Magister,
die. Simon ne pouvait pas adresser a Jesus
une reponse plus polie. L'appellalion de Rabbi
(« magisler »), qu'il lui auresse sans hesiter,
est pleine de re-pect.
41 et 42. — Ce que Jesus avait a dire a
■son bote, c'etail d'abord une suave el char-
mante parabule, ^t. 41 et 42, sous le voile
de laquelle il lui intimera delicatement une
profonde verile; c'etail ensuite, tt. 44-47,
I'applicalion de cetle meme verile en un Ian-
gage clair et direct. — La parabole des deux
debileurs n'esl pas sans analngie avec celle
que cile S. Malthieu, xvni, 23-35 ; mais,
outre que celte derniere est beaucoup plus
developpee, la morale des deux pieces n'esl
pas du lout la m^me, et la pluparl des details
different entierement. — Duo debitores. L'ex-
pression assez rare xpE'^?^'^"*)^ (de xp^'"?i
-attiqiie pour xp^o?." mutuura, ses alienum »,
et 6(pei>ixrii;\ employee dans le texle primitif,
equivaul a 6 xp^o? S^siXtov. Aaveiati^i; [foenera-
tor) n'apparait qu'en eel endroit du Nouveau
Testament : Ies Latins en avaienl fait le
mot Danista., dont usentparfois leurs auleurs
comiques. — Denarios quingentos, quinqua-
■ginta. Les dettes variaient done dans la pro-
portion de dix a uu. Eiles elaient I'une et
I'autre peu considerables, car la piece d'argent
que les Remains nommaient denier valant
environ 85 centimes de notre raonnaie (voyez
A. Rich, Diction, des anliquites tom. et
grecques, s. v. Denarius), la premiere revient
a 42o francs, la seconde a 42 francs 50. — iSon
habentibus... Les deux debileurs sonl egale-
menl insolvables. Idee parfaitemenl juste,
car les pecheurs, dont ils sonl la figure, M
pourront jamais par eux-memes, quoi qu'ils
fassenl, s'acquitter a I'egard de Dieu. Mais
le creancier est d'une misericorde infinie ;
aussi, donavit (e/avt'daTo) utrisque, — Conclu-
sion de cette touchanle hisloire : Quis fxi?
pour iroxepo; : de meme en beaucoup d'autres
passages) ergo eum plus diligit? ou mieux,
« diliget », comme porlent d'anciens ma-
nuscrils latins : car le verbe est au futur dans
le grec, el ce temps est requis par le sen-.
De quel cole done sera le plus grand deploie-
menl de reeonnais-ance? — - EiTte, ajoute dans
le texle gi ec apres « quis ergo », est omis
par les nrianuscrits B, D, L, et les versions
ilal., cople, syr., ethiop., de memo que par
la Vulgate.
43. — Ainsi interpelle, Simon decide le cas
que Notre-Seigneur lui proposail. Se doulait-
il qu'il etait, dans la pensee de I'interroga-
teur, I'un des debileurs de la parabole, et
qu'on allait tirer de sa reponse un argument
conlre lui? On le dirail, aux precautions
dont il s'enveloppe : ^stimo, uiroXaiigavto.
Pourquoi ce « je suppose », alors qu'il etait
completement sur, sinon pour eviler de irop
s'engager? — Eede judicasti : « contra
teipsuin », ajoute un ancien commenlateur.
En effel, le Pharisien s'elail condamne indi-
rectement iui-meme comme celui qui n'ai-
mait pas, ou qui aimait bien peu. On a fait
observer que Socrate aimait a s'ecrier :
6p9toC)it*vu 6p6w;, quand il avait pris dans les
Qlets de ses raisonnements quelque inlerlo-
cuteur maladroit.
464
fiVANGlLE SELON S. LUC
44. Et se tournant vers la femrae,
il dit a Simon : Vois-tu cette femme?
Je suis entre dans ta raaison, et
tu n'as pas donne de I'eau a mes
pieds ; elle, au contraire, a arrose
mes pieds de ses larmes et les a
essr.yes avec ses cheveux.
45. Tu ne m'as pas donne de
baiser; elle, au contraire, depuis
qu'elle est entree, n'a pas cesse de
baiser mes pieds.
46. Tu n'as pas oint ma t6te
d'huile;elle,aucontraire, aointmes
pieds de parfum.
47. G'est pourquoi je te le dis :
Beaucoup de peches lui sent remis
44. Et conversus ad mulierem,
dixit Simoni : Vides banc mulie-
rem?Intravi indomumtuam,aquam
pedibus meis non dedisti; hsec au-
tem lacrjmis rigavit pedes meos,,
et capiliis suis tersit.
45. Osculum mibi non dedisti ;
bsec autem ex quo intravit, non ces-
savit osculari pedes meos.
46. Oleo caput meum non unxisti;
bsec autem unguento unxit pedes-
meos.
47. Propter quod dico tibi : Re-
mittuntur ei peccata multa, quo-
44. — Je?us passe a I'application de la pa-
rabole. — Conversus ad mulierem est pitto-
resque. La pecheresse elail toiijours « retro
seciis pedes ejus » [if. 38), et le Sauveur ne
I'avail pas encore regaidee : il se lomne
mainlenant virs elle; puis il commence
par une parole expressive [vides luinc...?
pXsTcet; ail lieu du simple opa;), vl poursiiit
par un C( nliaste frappant, eiabli enlrs la
conduile de Simon a son egard el cell' de
I'hiimble fcnime. — Premier trail : Aijuam
pedibus me is... L'amphyliion (in doiuuni tuam
est emphalique ; ffou el; ttiv olxiav, avec. le
pronom en avant, Test davantago encore)
s'etait disp nse rnvcrs Jesus de co (jiemior
devoir de ri)osj)ilaliLe orii nialc, auqii''l on
allacluiil une ccrtaine importance dans cetle
conlree p uidreuse oil Ton n'a generalenient
qiiedes saniiales pour Loute cliaussure 'comp.
Gen. xviii, 4 ; xix, 1 ; Jud. xix, 21 ; I Reg.
XXV, 41 ; II Thess. v, 10 . — Hwc cnilem
lacrymis... La peclieiesse a lave les pieds de
Jesus avec ses larmes, « aquaium preliosis-
simaa )> (Bengel), ei elle les a essuyes avec ses
cheveux, a les cheveux de sa lete », ajoute
ici la Recepia, comme au t. 38. Sur quoi
Maldonal ecrit tres a propos:« Satis erai di-
cere capitis, etiamsi non addidisset capitis
suj ; sed addidit ut oration! emphasim adhi-
berel, et caput pedibus opponeret ».
45. — Second trait : Osculum mihi 7wn de-
disti. Telle a toujours ete, merae entre
hommes, la salutation accoulumee de I'Orient.
Voyez Smith, Diction, of the Bible, au mot
Kiss. Ce baiser devenait, suivanl les circon-
stances. un signe d'affection ou de respect.
Simon I'avait egaloment su|)prime k I'egard
de Jesus. Mais, par centre, hcec... non cessavit
osculari [do nouvcau un verbe compose dans
Ic grec) pedes meos. — La legon ex quo intra-
vit de la Vulgate, bien qu'elle paraisse d'»-
bord, au point de vue de la verite historique,
plus exacte que celle du texte grec, a?' ^ic
(scil. wpac) elayjASov, o ex quo inlravi », n'est
pas soutrnable sur le terrain de la critique,
presque toutes les autorites elant centre elle.
Du reite, rien n'empeche que la pecheresse
ne soil ei.lree chez Simon presque aussilot
apres Jesus, de sorte qu'elle s'etait trouvee Ik
pour honorer le divin Maitre des qu'il s'etait
mis a table. On peul aussi regarder I'expres—
sion coinme legerement hyperbolique.
43. — Troisieme trait : Oleo caput meum...
Autre pratique anciinne (t modeine d&
rOrient. Clr. Ps. xxn.S.XLiv, 7; cxl, 5, etc.
Les qu'lques gouttes d'liuile d'olive qu'oo-
avail refuse de repandr(> sur la tele de Jesus
avaienl ele largemenl comp nsers par 1©-
paifum precieux qu'une main amie et gene-
reuse venail de verser sur ses pieds. Comme
ce rapprochement lout enlier est pressant,
enorgique, bien reussi sous le rapport ora-
toire! II n'etail pas po-sible de mieux mon-
trer, dans la reserve calculee de Simon, le-
manque complel d'affection, et, dans les-
attentions delicates de I'eirani^ere, les signes
d'une briilanle charite. La repetition inces-
sante el accent uee du pronom [jlou dans Is'
texte original e-t du plus b I effet.
47. — Propter quod dico tibi... Ce verset
est celebre dans I'liisloirt^ de I'exegese, k
cause de la controverse ardente qu'il a sus-
cilee entre les catholiques et les prolestanls.
Pour ces derniers, qui pretondenl que la fci-
seule justifie, il conlionl im;> parole cxirdmo-
ment embarrassante, Remitluntur ei peccalct
multa (dans le grec, a.\ 7toX),a(, avec un article
plein d'emphase) qoomam dilexit moltdm:
aussi ont-ils tout fail pour luienlevcr sa signi-
fication nalurelle; mais en vain, car elle est.
CHAPITRR Vir
465
niam dilexit miiltum : cui antem parce qu'elle a aime beaucoup. Mais
minus dimiUitur, minus diligit. celui a qui on remet moins aime
moins.
48. Dixit autem ad illam : Remit- 48. Et il dit a cette femme : Vos
tuntur tibi peccata. peches vous sont remis.
Matth. 9, 2.
49.Etc(Eperuntqui simulaccum- 49. Et ceux qui etaient a table
de la plus grande clarle. Jesus ne pouvait
dire en Lcimes plus obvies que la pecheresse
avail mente son pardon par la perfection
de son amour. Comp. Bellaruiin, de Poenit.
lib. I, c. 19. Du resle la meme doctrine est
€xprimee ailleurs tout aussi neltemenl. Cfr.
1 Petr. IV, 8. Aujourd'hiii la discu-sion s'est
notabiemont calmee, el pUisjeurs commenta-
leurs proteslants interprelenl ce pas-^age lout
a fail comme nous. Voir dans Maldonal, in
h. 1., la maniere dont se i'appropriaient au-
trefois les deux partis- II est vrai que la con-
clusion, « S -s nombreux peches lui sonl remis
parce qu'elle a b aucoup aime », cause d'a-
'bord une certaine surprise, parce qu'elle
n'est pas lout a fail cellc que Ton attend.
D'apres le f. 42, la manifestation d'une cha-
rite plus vive semblerail devoir eli'e la con-
sequence et non le motif dun pardon plus
integral. Pour echapper a celtc riifliculte, on
a parfois propose de regarder oti [quoniam]
corame un synonym' de 5i6, « idcirco, ideo »
(voypz D. Calmet, h. l.).Le sens serail alors :
Elle a regu la remise d'un(> detle considerable,
c.'esl pourquoi elle a temoigne beaucoup
d'amour. Mais celte interp elation, qui est
peu conciliable avec les lois de la grammaire,
a ete gen^ralem'^nt abandonneo. Au fond la
difficulle est plus apparente qu^ reelle, et,
comme le dit fort bien M Scli^gg. ce sonl
les exegelps eus-m§raes qui I'ont cre^e, en
supposant d'une faQon loute gratuile que
Noire-Seigneur voulail suivre ici pas a pas
■la paraboleqn'il avail exposee precedcmmenl,
rallacher d'une maniere rigoureuse, anxieuse,
I'applicaiion a IVxemple, landis qu'il pro-
cede, com ne loujours, avec I'ampleur el la
liberie de TOrieni. Au surplus, il sufDl d'un
peu de reflexion pour se convaincre que I'en-
chainemenl des p nsees est parfait. Jesus
vienl de decrire les actes louchanls qu'une
vive charite unie a un repentir profond avail
suggeres a Thumble femme agenouillee a ses
pieds : n'elaitil pas naturel el logique qu'au
momenl de notifier la remission des peches
il indiqiiSl quell • en avail ele la cau-e la plis
menloire? 11 I'a fail pour nous consoh^r et
•nous iD'lruire. Ainsi done, I'amour precede
le pardon commi un motif qui agit pui-sara-
menl sur le coBur de Dieu ; d'un autre cole
J'amour suit le pardon comme une conse-
quence loute legitime, etant exciledans notre
coeur par la contemplation des divines mise-
ricordes. On conQoil par la que les ardeurs
de la charite, environnanl le peche de toules
parts, Bnissenl par en consumer la malice;
mais on ne voil point de quelle maniere les
simples rayons de la foi reussiiaient a pro-
duire eel hnireux resuilal. — Cui autein mi'
nM.9... (Le lexle grec a deux fois d/iyov, « pa-
rum », au heu du comparaiif « minus »).
Grave « Nota bme » qui retomb^ en plein
sur Simon, quoiquo Jesus, dans sa bonie,
Tail revelu d'une forme generale. a Dictum
est hoc a Christo propter Phansaeum, qui
nulla vel pauca se pulabat habere; peccata...
0 Pharisae\ parum diligis, quia parum tibi
dimitti suspicaris ; non quia parum dimilli-
lur, sed quia parum pulas quod dimitlitur. »
S. August., Serm. xcix. En passant du fait
concret a I'axiome, NolreS^igneur renverge
en outre sa pensee, pour lui donner plus de
force sou-; ce nouvel aspect. Mais la verite
exprim'ie est bien la meme, car la phrase :
Celui a qui Ton pard'inm.' peu, aime peu, ne
differe pas es-enliellemenl de cette autre
phrase : A celui qui aime peu, I'on pardonne
peu. On trouve fiequemmenl dans les Livres
sapienliaux de la Bible des inlerversions ana-
logues, destinees a mieux met Ire une idee en
relief.
48. — Dixit autem ad illam. Pour la pre-
miere fois depuis le debut de cetie scene,
Jesus adresse direclemeni la parole a la pe-
cheresse. Ce sera pour lui dunner I'assuranoe
solennel de son entier pardon. — Remit-
tuntur tibi peccata. Sur la foime dorique
asEwvrai employee dans le lexte , voyez
Maith. IX, 2, 5,et le commenlaire. Plus haul,
t. 47, Jesus avail ajoutea ^c peccata » I'epi-
ihele c multa » ; il la suppiime delicalement
dans sa formule direcle d'ab-olution.
49. — Et coepeiunt... S. Luc a une a rele-
ver par cette expression piilorescju > le com-,
mencemenl des actions que signale son recil.
Cfr. t. 38. etc. — Dicere intra se, dv d»yTor; :
en eux-m^mes, chacun au fond de son coe.ir.
II n'y eul pas. du moins immediatemenl,
ecliange de refli'xions entre les invites. —
Qais est hie, qui etiam peccata... a On pout
donner deux sens a ces paroles, I'un bon et
I'autre mauvais. Le bon est de dire quo les
466
CHAPITRE VII
avec lui commencerent a dire en
eux-memes : Quel est celui-ci, qui
remel meme les peches?
50. Mais il dit a la femme : Ta foi
t'a sauvee, va eu paix.
bebant, dicere intra se : Quis est
hie, qui etiam peccata dimittit?
bO. Dixit autem ad mulierem :
Fides tua te salvam fecit; vade m
pace.
assislanls... admirent ici la plenitude dii pou-
voir (ie Jesus-Chiisl, qui peul aus£i remellre
les peclies. II faul que celle homnie ne soil
pas iin simple prophetp, parco que non-seu-
Icmenl il res^^uscite les morts, mais aussi
il pardonno les peches (Grolius el d'aulres).
Le maiivais sens osl do dire dans un espril
de critique : Gel homme est un blasphema-
leur. Qui peul remetlre les peches si ce n'esl
Dieu? » Calinet, h. I. Tout porte a croire
que ce second sens esl le vrai. Cfr. v, 21 ;
Marc. II, 7.
50. — Fides tua te saloam fecit. Sans s'in-
quieler de ces protestations injustes qu'il
lisait au plus profond des consciences, et qui
se manit'ejlaient d'ailleurs probablemenl sur
Ja physionomie des convives, Jesus adresse
h la convertie une seconile parole, pour la
congedier douceinenl. En lui disant que c'est
ga loi (jui I'a sauvee, il ne delruit pas son
assertion du t. 47; car ce n'esl pas la foi
seule, mais « fides caritale formaia, » qui
avail accompli I'oeuvre de regeneration. L'u-
nion de la foi el de I'amour avail ele neces-
saire pour ccla. « Fides ad Christum mulie-
rem adduxeral, et sine fide nunquam ila
Christum dile-xisset ul pedes rigarel lacrymis,
capillis dtHergeret, unguento ungeret. Fides
salutem inchoavil, consummavil carita^. »
Maldonal. — VaJe in pace : mieux « in pa-
cem », el; eip^^viQv. Cfr. Marc, v, 34 el U) com-
menlaire. — Tel esl ce beau recit, qu'on a
juslement appele un « Evangeliura in Evange-
lic. » On veil maintenant qu'il avail sa place
loute marquee dans les pages de S. Luc, ou
I'universalile du salul est si clairemenl an-
noncee. Voyez la Preface, § V. Bien des
peinlres ontessayede le retracer apres notre
evatigelisle (en particulier Jouvenei, Paul
Veronese, le Tinlorel, Nic. Poussin, Rubens.
Lebrun) ; mais aucun d'eux n'a surpasse
S. Luc. S. Gregoire, dans la belle homelie
au'il lui consacre, el oil il commence par
ire d'une maniere si pathetique qu'au sou-
venir d'une pareille scene il lui serail plus
facile di! plmirer que de precher, en fait une
excellente application morale : « Quem
Pharisaeus designat de falsa justiiia praesu-
mens, nisi Judaicum populum? Quem pec-
calrix mulier, sed ad vestigia Domini veniens,
et plorans, nisi conversam gentilitatem de-
eignat? Nos ergo, nos ilia mulier expressit,
si tolo corde ad Dominiim post peccala re-
deamus, si ejus pcenitenliae luclus imitemur »■
(Voir dans Tholuck, Blulhensammlung aus
der raorgenl. Mystik, p. 251, une interes-
sante narration persane qui semble calquee
sur celle de S. Luc). — Mais quelle elail cette
femme? II nous reste a le chercher rapide-
ment. Depuis I'epoque et grSce a I'autorit^-
de S. Gregoire-le-Grand, qui le premier sou-
tint cette opinion en termes clairs et formels,.
on a . toujours generalemenl suppose dans
I'Eglise iaiine que la pecheresse de S. Luc,
Marie-Madeleine, el Marie soeur de Lazare-
se couroiidenl en une seule et memo per-
sonne. L'office de sainle Marie-Madeleine, tel
qu'il existe depuis des siecles dans la liturgie-
romaine (voyez le Breviaire el le Missel ro-
mains, au 22 juillel), ex()rirae nctlement
Tidentile, el, quoique I'Egli^i^ ne vcuille pas
se faire garanl infaillible de tous les details-
hisloriques contenus dans ses prieres ofii-
cielles, on ne saurail nier que ce fait consli-
tue un argument digne de tout noire respect.
II est vrai que la tradition des premiers-
siecles est souvent douteus-, ombarrassee,
parfois meme conlraire k la croyance actuelle.
Origene, el plus lard Theophylacte, Eulhy-
mius, admettenl trois saintes ft mmes dis-
linctes, el tel esl encore lo Sf^ntimenl de
I'Eglise grecque, qui celebre separement la
fele de la pecheresse penitenle, de Marie-
Madeleine el de Marie soeur de Lazare. Si
S. Jean Chrysoslome identifie la pr( miere et
la seconde, il distingue clairemenl celle-ci.
de la troisieme. S. Ambroise esl hesitant :
« Polest non eadein esse, » dit-il. S Jerome
est lantot favorable, tanlol oppose a I'iden-
tite. D'autre part, il est certain que le lexte
evangelique semble de prime abord plus con-
forme k la distinction. « S. Luc, vii, 37 (nous
citons les reflexions de Bo.-suet, Sur les trois
Magdeleines, CEuvres, edit, de Versailles,
t. XLIII, pp. 3 et ss.) parle de la femme pe-
cheresse qui vint chez Simon le Pliansien
laver de ses larmes les pieds de Jesus, les-
essuyer de ses cheveux, el les parfumer. II
ne la nomme point, viii, 3, deux versets
apres la fin de I'histoire precedenle, il nomme,
entre les fi mmes qui suivaicnt Jesus, Marie-
Magdeleine, doiil il avail chasse sept demons.
X, 39, il dit que Mailho, qui regut Jesus
chez elle, avail un;; soeur nominee Marie. Ces
trois passages semblent marquer plus aise-
mcnt trois personnes differenles que la meme..
EVANGILE SELON S. LUG
467
CHAPITRE Vm
Un voyage apostoliqiie de Jesus {tt. i-3). — Parabole du semeuret son explication {tt. 4-15).
— Necessile d'ecouter allentivomont la divine parole [tt. 16-18). — La vraie famille de
Jesus {tt. 19-21',. — La lempeie miraculeuseiuenl apaisee (tt. 22-25). — Le possede de
Gadara [tt. 26-39). — L'hemorrhoisse el la Glle de J aire (tt. 40-56).
1. Et facliim est deinceps, et ipse
iter faciebat per civitates, et cas-
1. Et il advint ensuite que Jesus
parcourut les villes et les villages^
Car il est bien difficile de croire que si la
pecheresse elait Magdeieine, il ne I'eiit pas
nominee d'abord. plutot que deux versels
apres, ou non-seulemont il la nomine, mais
la designe par ce ([ui la faisait le plus con-
nailre, d'avoir eie delivreu' di^ sepl demons.
El il semble nous parler de j\lane, soeur de
Maiihe, comrae d'une nouvelle personne dont
il n'a point encore parle.. S. Jean parle de
Marie, scEurde Marl he el de Lazare, xi,etxii.
Dans ces deux chapitres... il ne la nomme
jamais que Marie. commoS. Luc; el toutefois
dans les chapiires xix et xx, oil il parle de
Marie-Magdeieine, il repete souvont ce sur-
nom...II est done plusconforme a la leltrede
I'Evangile de dislinguer ces Irois sainles : la
pecheresse qui vinl chez Simon le Pharisien ;
Marie, soeur de Martheol de Lazare ;olMarie-
Magdeleine. » Cetle difficulle exegeliqu.i est
tres reelle.commes'accordenl ale reconnaitre
les meiileiirs iniprp:eiosconlemporains{voyoz
en parliculier MM. Bisping, Schegg, Curci,
Pairizi). Aussi a-l-elle suscile en France,
pendant le XVle et le XVlIe siecle, conlre
i'identil^ des trois ?aintes femmes, un mou-
vement assez accenlue, (« magnis scriplis
volurainibus », Maldonat) auquel prirent pari
non-seulement des hommes ardenls et incon-
sideres comme Launoy et Dupin, mais des
savants de la Irempe de Tilleniont, d'Estius,
de D. Calmet, el noire grand Bossuel lui-
mdme, ainsi qu'on I'a vu plus haul. Nous
n'avons pas la pretention de la resoudre, et
nous avouons meme que nou-; avons ele ires
forteineni inQ« iice par elie. Neaiimoins, il
nous semble qu'on pent lui opposer avec assez
de succes la consideration suivante.
Enlre la pecheresse que now- venons de con-
lem|)ler aux piedsde Jesus, et Marie-Madeleine
telle que la representenl les recils de la Pas-
sion et de la Resurrection, il existe certaine-
menl une frappante ressemblance de carac-
tere. C'esl, de part et d'aulre, le meme devoue-
menl sans b'lnes pour la personne sacree du
Sauveui-, la meme nature d'ame el d'aclivile:
aussi I'ldentificaiion esi-elle plus aisee pour
ce qui les concerne.Mais il n'est pasraoins re-
marquable de voir, quand on etndie rhistoir&
evangeli(|ue de Mane, soeur de Lazare, qu'en
elle aussi se manifesle un caraclere analogue
k celui de la pecheresse et de Madelfine. Son-
Sme esl pareilicnient aimante ct genereuse,
contemplalivt-, calme et sniiiieniiMil enthou-
siaste; il n'y a pas jusqu'a son aililude aux
pieds de Nolro-Sjigneur qui ne rappelle celle
de la femme penilenti' cnez Simon le Phari-
sien, celle de Marie-Madeleine aupres du se-
pulcre et du divin ressuscite (voyez un beau
developpement de celle pensee dans Isaac
Williams, On the Passion, pp. 404 et ss.j. —
Nous aureus plus lard I'occasion de signaler
d'aulres arguments exegetiques qui onl aussi
leur force. En attendant, voici quelques
sources auxquelles pourront puiser les lec-
leurs qui s'interessent ci celle belle question:
D. Calmet, Dictionnaire de la Bible, aur
mots Marie-Madeleine et Marie de Belhanie;
Tilit^mont, Memoires, I. II ; Noel Alexandre,
Histor. eccles.. Sae-. i. Dissert. 17; les Bollan-
disles, Acta Sanctorum. 22 juillel (disser-
tation tres savanle) ; Woulers, Dilucidat.
select. S. Script., de Concord. Evangel.,
c. XV, q. 1 ; Fadlon, Monuments inediis sur
Tapostolat de sainle Marie-Madeletne en Pro-
vence, Paris,184S; Dublin Re view, juillel 1872,
pp. 28 el ss., S. Mary Magdalene in the Gos-
pel; Lacordaire, sainle Marie-Madeleine.
15. Un voyage apostoUque de J^sos.
YIll, 1-3.
Esquisse touchanie el pittoresque, qui re-
sume la seconde mission donnee par le Sau-
veur aux habitants de la Galilee. Voyez I'E-
vang. selon S. Malthieu, pp. 93 et 189'. S. Luc
nous a seul conserve ces details interessanls,
grace auxquels la divine pliysionomie de Jesus
missionnaire se dresse loute vivanle devanl
nou-, au milieu de I'enlourage qui lui ser-
vait de cadre.
Chap. viii. — 1. — Factum est deincept
(ev xw xaTeSrj;, scil. XP^^H*)- Dale generale pour
inlroduire une nouvelle periode de la vie de
168
EVANGILE SELON S. LUC
pr^chant et annoncant le royaume
de Dicu, et les Douze etaient avec
lui,
2. Et quelques femmes qui
avaient ete gueries des esprits
mauvais et de leurs maladies :
Marie, qui est appelee Madeleine,
de qui sept demons etaient sortis,
3. Et Jeanne, femme de Ghusa
procurateur d'Herode, et Suzanne et
tella, prsedicans et evangelizans
regnum Dei, et duodecim cum illo,
2. El mulieres aliquse, quje erant
curatae a spiritibus malignis, et
infirmitatibus : Maria quae vocatur
Magdalene, de qua septem daemonia
exierant.
Marc. 16, 9.
3. Et Joanna uxor Gliusse procu-
ratoris Herodis, et Susanna, et alias
Jesus, periode de grande activite, de succes
rapides et de joies intimes. — Et ipse. Siir
cetle conjoiiclion, dile d'apodoso, qu^^ S Luc
(>mploie ordinaiiemeni apres le verbe i-(ivf:o
[Civ. V, 12, etc.), voyez les grammaiies de
Beelenel de Winer. « Ipse » par opposilion a
la sociele d'amis mentionnee plus bas. —
Iter fadebal, ScwSe-je : il allait de ci de la (Sti)
a traviTS la contrqo,' evangeiisanl lour a tour
les giandes (cimtales) el les p^tiies localites
[caHella), selon qu'elles se presontaient sur
son passage. L'imparfail marque un fail ha-
biliicl, con-lammenl renouvele durant la pe-
riode doiil S. Liic nous donne ici un resume
rapide. — Prcedicans, evangelizans. Le pre-
mier de ces participes expriuie une notion
plus generale; le second est plus particulier,
et ajoule I'idee d'une grSce precieuse atla-
chee a la predication. — Et duodecim... De
Jesus, I'evangelisle passe ci son saint inilou-
rage. Les Douze en composaient nalurelle-
ment la parlio principale : le sacre college,
conslilue dopuis un certain temps d'une raa-
niere definitive, accompagne desormais Jesus
en tous lieux, a part de rares exceptions, se
formant a sa divine ecole.
2 et 3. — Et mulieres aliqnw. Trait com-
pletemenl nouveau, qui a bien lieu de nous
frappi'r. II y a quelques mois a peine (Cfr.
Joan. rv. 27) les disciples s'etonnaienl de voir
leur Maitre s'enlrett-n^r en public avec une
femme, et voici maintenant que plusieurs
femmes raccompagnent frequemment dans
ses voyages! S. Jerome rai)porte , il est
vrai (in Matlh. xxvn, 56), que, d'apres une
coulume appuyee sur une ancienne tradi-
tion, les femmf'S juives aimaienl a fournir
aux Rabbins des velements et lout ce qui
etail necessaire^ leur enlretien;et, en realite,
le Talmud encourage fort ces f)ieusps prati-
ques : 0 Quiconque, dit-il, regoit cliez lui un
disciple des sages, le nourrit, I'abreuve. et
lui donne de son bien, fait la meme chose
que .s'il olTrait un sacrifice quotidien »,
Neveh Schalom. f. 156. Mais on ne voit nulle
part que des femmes les aient suivis dans
leurs courses. Nolre-Seigneur Jesus-Christ
innove dune sous ce rapport, et lui seul pou-
vait le faire en un point si delicat. II rompt
de sa main divine le cercle elroit que I'Orient
avail irace aulour de la femme; il I'eman-
cipe d'apres le sens le plus noble de cette
expression, et lui ouvre le large champ des
bonnes oeuvres dans I'Eglise chreticnne. —
QucE erant curalce... Ces mots nous rev^lent
le mol if principal qui avail attache ces saintes
femm 'S a la personne du Sauveur : elles le
suivaicnt par reconnaissance, car elles avaient
reQu d- lui do grandes favcurs, soil qu'il les
eAi delivrees du malin esprit qui les tenait en
son pouvoir, soil qu'il leur eill accorde la
guerison de quelque grave infirraile. — Troig
d'entro elles sonl mentionnes a part : 1o Ma-
ria... Magdalene. Ce surnom de Madeleine a
ete differemment inlerprete. Origene, Tract,
in Matlh XXXV. lerapproche du verbe hebreu
Sia 'gddnl), etre grand, et y voit une allusion
prophetique a la grand 'ur morale doni Marie
devait jouir en servant Notre-S igneur Jesus-
Christ. D'aulri sJenparliculierLighlfoot, Hor.
hebr. in Matih. xxvii, 56, et in tuc. viii, 3),
impressionnes par une anecdote talm idique
oil il est question d'une femme de mauvaise
vie, egalem Mil nommee Miriam ou Marie, qui
est ensuile qualifiee de Xi»*jj "i^yu; xSiaa
{magdila cehir naschdya), « plicatrix capillo-
rum feminarum », identifient celte coiffeuse
a Madeleine, et font deriver <r Magdaiena '»
du mot hebreu qui designait son occupation
anlerieure. Mais on s'accorde generalement
aujourd'hui a chercher I'etymologi,^ du « Mag-
daiena » dans Magdala, nom d'une petile ville
siluee sur le rivage occidenlal du lac de Ti-
beriade (voyez I'Evang. selonS. Matlh. p. 315).
Marie availdoncelesurnommee« Magda'ene*
parce qu'elle etail originaire de Magdala.
Rien de plus simple et de plus nalurel. S. Je-
rome, jouanl surce nom de Magdala ou Mig-
dol, qui signifie tour, ecrivail : « Recte voca-
lain Magdalenen, id est turrilam, ob ejus
fidei acardoris constaniiam ». — Le detail qui
suit, de qua septem dcemonia exierant, a sem-
CHAPITRE VIII
169
multse, quae ministrabant ei de fa-
cultatibus suis.
4. Gum aulem turba plurima con-
beaucoup d'autres, qui I'assistaient
de leurs biens.
4. Et comme une grande foule
blablement divise les exegetes. Deux expli-
cations existent a son sujel, I'une lillerale,
raulresymbolique. S. Ambroise, el beaiicoiip
d'aulres a sa suite, croient que Marie avail
cie reellom nt possedee par plusieurs esprils
mauvais {seplem est un nombie rond pour de-
signer la pluralile, selon )a mode liebral-
que), en cliSlimenl de sa conduile immoraie;
S. Gregoire (Horn, xxxiii in Evang.), le Ven.
Bede el un grand nombre d'auleurs nfiodernes
voienl dans ces mols un symboh de la con-
version de Marie. II est en effet assez con-
forme au langage figurd des Juifs de trailer
les vices comaie des demons incarnes dans
les Smes. « Malus affectus est Satan », di-
saient-ils; ou encore : « Ebrielas... est dae-
moniuui ». Voyoz Liglilfool, h. 1. Mais, d'un
autre cote, I'evangeiiste a dil exprt^ssement
que plusieurs des femmes qui accompagnaienl
Jesus avaient ele gu6ries « a spiritibus im-
miindis»,circonsiance qui nou-; parail rendre
la premiere interpretation plus vraisembla-
ble. Le fait que signale S. Luc est aussi mi n-
tionn^ dans le second Evangile, xvi, 9, oil I'ac-
lion directe du Sauveur est mieux mise en
relief: « de qua ejeceral septem daeravonia ».
— 2" Joanna... En hebreu n^nV {lochannah),
forme feminine de "l^rw {Iochanan].L<imari
decettesaintefemmc', Cliusa (en hebr. >7in,
II Par. xxxiii, 191, procurator Herodis, est
idenlifie par quelques commenlateurs avec
I'officier royal (PaoiXixo;) donl Jesus avail
gueri le fils d'apres S. Jean, iv, 46 el ss.
C'est la loutefois une simple conjoncture. Le
litre de o procurator <){dans le grec, iTtapoito;)
equivaul ici a « procurator rei domeslicae »,
tresurier parliculier. Comp Brotsclineider,
Lex. man., s. v. Nous relrouverons plus lard
sainte Jeanne avec Marie Madeleine aupres
du sepulcre de Jesus ressuscile, xxiv, 10. —
3° Susanna {7\ZM}W, Schousihanaiih).No[n ce-
^lebr^' dans I'Ancien Testament : il signifie lis;
mais la sainle amie de Jesus qui le porlait
nous est toula fait inconnue. — Et (dice mulice.
La suit ' de la vie de Notre-Seigneur nous
kapprcndia h en connaltre quehjues autres,
par excmple. Salome. L'evangeli-le ne veul
pas dir(! qu'elles aienl constamrnent el loules
ensemble accompagne le Sauveur: lescircon--
tances ne I'auraient pas loujours permis. C'e-
taient du moins laulot celle?-ci, tanlol celles-1^,
<jui se joignaienl § lui, et qui pourvoyaien
pieusement a tons ses besoins el h ceux de se
disciples : ministrabant ei (plusieurs m-^s. et
versions lisent auxoTc, « eis ») de lacultutibus
tuis. Sur ce sens special de « rainistrare »,
voypz Rom. xv, 25; II Cor. viii, 49, 20. Le
Fils de Dieii, qui daigne manger le pain de
la charite! — Arretons-nous un instant pour
voir passer devant nous la troupe sacree dont
nous venons de signaler les merabres princi-
paux. Jesus estau milieu des Douze, qui I'en-
lourenl avec affection et respect. Les ung
sonl en avant, les autres a ses coles, le re^te
par derriere, mais tous aussi pres de lui que
possible, afin de ne rien de perdre de ses ce-
lestes lemons. Le plus souvent c'esl lui qui
parle ; toulefois il permd volontiers a ses
apotres de I'interrogi-r familierement. A qu.^1-
que distance, marchent plusieurs femmes
voilees. Elles sontmunies de paniors a provi-
sions, et conversenl modestement -^ntre elles.
Les regards qu'elles jettenl de temps en ti mps
dans la direction de Jesus moulrent qu'il
est vraiinent leur centre. C'esl pareillement
sur lui que nous fixons nos yeux. II est de laille
moyenn ! ; sa physijnomie est grave, mais
resplendissante d'une celeste beaute. Sa t^le
n'est point nue, I'usage ne lepermellail pas",
conlrairem nt auxr presentation-; habituelleg
des peintres, elles est couverte d'un soudar
(le koufi: h des Arabes), c'est-a-dire d'un
mouchoir attache sous le menton et flottant
sur le ecu et sur les epaules. Son vetcment
principal consisle en une longue tunique, qui
recouvre lout le corp , ne laissant k decou-
vert que les mains et les pieds. Eile est de
couleur grisStre stride de rouge. P'ar-dessus
cette tunique Jesus porte un tallith (inan-
leau) bleu, dont les amples replis permettent
a pr-ine d'entrevoir par instants la koationeth
(tunique). et la ceinlure qui la rcleve vers la
laille. Enfin ses pieds nus sont cliausses de
sandales. Telle dtait la figure humain^i du
Verbe divin. Voyez le. charmanl opu-cule de
F. Deliizsch, Sehel welch ein Mensch, Leip-
zig, 1872, p. 3 el ss.
16. Deux joarn6es cons^cutives de J^sus.
viu, 4-56.
1" Parabole du seraeur et son explication, viii, 4-15.
Parail. Matlh. xiii, 1-23; Marc, iv, 1-20.
S. Luc est encore moins complet que
S. Marc relalivement aux paraboles dites du
royauinedes cieux. II se bome a en rap|)(irler
Irois, celle du semeur, celle du grain de se-
neve et celle du levain. Ces deux dernieres
no viendront meme que beaucoup plus loin
dans sa narration, xki, 18-21 . C'est dune au
premier dvangelisl(! qu'apparlient le uKTite
d'avoir le mi ux expose le premier groupe
des paraboles de Jei>ut).
no
EVANGILE SELON S. LUC
s'assemblait et accourait a lui des
villes, il dit cette parabole :
5. Gelui qui seme s'en allasemer
sa semeDce, et pendant qu'il la se-
mait, une partie tomba le lonfi^ dii
chemin et fut foulee aux pieds et
les oiseaux du del la mangerent.
6. Et une autre tomba sur la
pierre, et ayant germe elle secha
parce qu'elle n'avait pas d'humidite.
7. Une autre tomba entre des
epines, et les epines croissant avec
elle Tetoufferent.
8. Et une autre tomba dans une
bonne terre, et, ayant leve, elle porta
du fruit au centuple. En disant cela
il criait : Que celui quia des oreilles
pour entendre entende.
venirent, et de civitatibus propera-
rent ad eum, dixit per similitu-
dinem :
5. Exiit qui seminal, seminare
semen suum : et dum seminat, aliud
cecidit secus viam, et conculcatum
est, et volucres coeli comederunt
illud.
Matlh. id, 3; Marc. I,., a,
6. Et aliud cecidit supra petisai ;
et natum aruit, quia non habebat
humorem.
7. Et aliud cecidit inter spinas,,
et simul exorlae spinas sufiFocaverunt
illud.
8. Et aliud cecidit in terram bo-
nam, et ortum fecit fructum centu-
plum. Hsec dicens clamabat : Qui
habet aures audiendi, audiat.
4. — Cum autem turba... Comme les deux
autres synopliques, S. Luc releve d'abord le
prodigieux concours depeupleen face duquel
lutprononceela premiere parabole duroyaume
des cienx. Aiiifi qu'il res-orl du icxl'e grec
(xal Twv xaxa 7t6),iv eTinropsuouiEvtov npo; auTov),
de chacuiie dis viiles tiavcisi'es par Je«iis on
se precipitail sur ses pas, afin lic le voir et
de i'enlendre rncore : c'etail u:i conlingent
qui grossi.-sait toiijoiirs, jusqn"a co qu'on
arrival aux bords du lac de Tiberiade ; car
tei fill, d'apres S. Maiiliieu el S. Maix, le
theatre du presenl episode. — Dixit per si-
militudineiu : par ijaraboli'. comuie dit le lexle
gr<c. Sur celle forme d'ensci^ucment: qui
dissiraule a demi les choses ceiesles sous uii
velement humain, et qui correspond par con-
sequent si bien a I'lncarnalion du Verb?,
voyez i'Evang. seion S. Maltli., p. 237 et ss.
5-8. — Assis sur une barque, et ayant en
face de lui son nombrtux audiloire rasscmble
sur le rivage Malth. xiii, 2; Marc, iv, 1),
Jesus donne a son Eglise une grave leQon. II
indique quols sonl le- |)iiiicipaux obstacles
qu;.' rencontre dans ihaque ame la predica-
tion de la divine parole, celt ■ precieuse se-
ntience dont le grain jele en lerre par I'agri-
cnlteur est un parfail embleme. Le giain
materiel tombe sur qualre sorles de terrains
et a, par suite, qualre dosiinees Ires dis-
tinctes. -Jo n y a le terrain durci par les pieds
des passants, t. 5 ; la semence n'y penelre
raSnne pas, mais elle est perdue loule entiere
lorsqu'elle y tombe, soil qu'elle soil bienlot
6crasee [conculcatum est, trait piopre a
S. Luc), soil qu'elle serve de pSture aux
oiseaux du ciel. Pour elle il ne saurait done
6tre question de germination ; aussi le verbe
9U(o, repele dans les 1ft. 6, 1 el 8, ne paiail-il
pas au cinquiemj. 2° II y a le terrain sans
profondeur, a base de rocher, car tel est 1&
sens de super petram (les deux aulres narra-
teurs emploient I'expression plus claire « in
petrosa ») : la graine y germ.' dabord prompte-
ment, mais elle peril ensuite faule diiumidite
[nouveau trail special; loutefois S. Mallhii-u
el S. 3Iarc dislinguent mieux les deux causes
de ruine, I'aridile d'en bas el la chaleur d'en
haul;. 30 II y a le terrain deja occupe par
d'autres semences envahis-antes (inter spinas
est une parlicularite de S. Luc : les autres
synopliques disenl simplement « sur les
epines ») : les grains bons ( t mauvais croissent
ensemble {simul n'esl que dans le iroisieme
Evangile) ; mais les bonnes herbes ne tardent
|)as a etre etouffees paries mauvaises. Ovide,
Meiam., v, 483 et ss , enumeranl les divers
obstacles qui desappoinlenl l.'S esperances du
semeur, a plus d'un trait commun avec notre
parabole :
Kt modo sol Dimius, nimiiis modo corripit imber;
Sideraqne ventiqnc nocent; avidaeqiie volucres
S.-miiia jacta h'gunt; loliiim triimlique fatigaat
Tnticeas messes, et iaex|iugoabiltf gramen.
40 II y a enfin le terrain bien prepare, dans
1 'quel la graine ne trouve aucun obstacle :
elle croil done a merveille el produit cent
pour un, fructum cenluptum. S. Luc est ici
moins complet que S. Mallhieu et que
CHAFITUI
9. Interrogabantaulemeumdisci-
piili ejus, quse esset liaec parabola.
10. Quibus ipse dixit : Vobis da-
tum est nosse mysterium regni Dei,
cseleris autem in parabolis : ut vi-
deutes non videant, et audientes
non intelligant.
Isa. 6, 9; Matth. 13. 14; Marc. 4, 12: Joan. 12 40 :
Act. 28, 26; Rom. 11,8.
11. Est autem hsec parabola: Se-
men est verbum Dei.
12. Qui autem secus viam, hi
sunt qui audiunt : deinde venit dia-
bolus, et tollit verbum de corde eo-
rum, ne credentes salvi fiant.
13. Nam qui supra petram, qui
cum audierint, cum gaudio susci-
piunt verbum; et hi radices non
habent; quia ad tempus credunt,
et in tempore tentationis recedunt.
14. Quod autem in spinas cecidit,
VllI
471?
9. Mais ses disciples Tinterro-
geaient sur le sens de cette para-
bole.
10. II leur dit : A vous il a ete
donne de connaitre le mystere de
Dieu, mais aux autres par des para-
boles, afin que voyant ils ne voient
pas, et qu'entendant ils ne com-
prennent pas. -
11. Voici ce que c'est que cette
parabole : La semence est la parole
deDieu.
12. Ge qui tombe le long du che-
min, ce sont ceux qui ecoutent;
ensuite le diable vient et enleve de
leur cceur la parole, de peur qu'en
croyant ils ne soient sauves.
1 3. Ge qui tombe sur la pierre, ce
sont ceux qui, lorsqu'ils ecoutent
la parole, la recoivent avec joie; et
ceux-ci n'ont point de racines, car
ils croient pour un temps et au mo-
ment de la tentation ils se retirent.
14. Ge qui tombe parmi les
S. Marc, car il signale seiilement un degrd
de produciion : il est vrai qn'il a choisi le
plus favorable. — La formule qui habet au-
res..., qui icrmine la parabolo dans les Irois
redaclions, esl inlroduile ici par I'expres-ion
empliatiquo : Hcec dicens daniabat (scpwvei).
Le divin predicateur altirail ainsi ralLenlion
de la foiile sur les paroles imporlanles qu'il
venait de prononcer.
9. — Inter rogahant... quce esset; c'esl-a-dire,
ce que signifiait. Familiarises dcpuis noire
plus tendre enfance avec les paruboles de
Jesus, dont la significalion nous a ele mainte
fois expliquee, nous somines suipns dabord
de voir que les disciples n'aienl pas imme-
dialeraenl compris les mysleres caches sous
le voile de la semence el de ses differenles
deslinees. Mais a leur place nous n'aurions
pas ete plus avances qu'eux, et nous aussi
nous eussions demande au Sauveur de vouloir
bien nous eclaiier. — Le parlicipo o dicen-
tes » (XeyovTe;), qu'on lit dans le Texl. recepl.
apres ejus, est omis par les manuscrits B, D,
L, R, Z, Sinait., etc., comme par la Vulgate.
10. — Vobis datum est... A la question
parliculiere des disciples, Jesus raltache una
explication generale, dont I'objet est d'in-
diquer le motif pour lequel le divin enseigne-
ment retentira ddsormais aux oreilles du
peuple sous la forme obscure des paraboles.
Notre-Seigneur distingue deux categories
d'hommes relalivement a lui : les amis tideles
pour lesquels il n'y a pas de secret, puis
« les auLres », les ennemis ou les indifferenls.
A ceux-ci, ajoule-t-il, jc parlerai in parabo-
lis, et ce sera un chalim Mit : ut videntes, non
videant. ..Yoycz dans S. Matlhieu, xui, 11-17,
la pensee complete du Sauveur. S. Luc la
donne, comme S. Marc, en lermes tres con-
denses.
11-15. — Est autem hcec parabola. Voyez
nos commentaires sur S. Matthieu, p. 266
el ss., et sur S Marc, p. 67 et ss. Nous n'a-
vons a relever qu'un petit nombre de par-
liculariles nouvelles. 1o Les expressions qui
autem secus viam hi sunt, 1[. 12, nam fpour
« autem », 8i) qui supra petravi, t. 13,
par lesqueiles Jesus idenlifie la semence
avec le terrain qui la regoit, sont au premier
regard etranges el hardies; mais elles sont
tres exactes, surtout au moral, la parole
divine et le coeur qui doit la faire fructifier
ne faisanl qu'un. 2° Les noms divers donnes
au demon par nos trois evangelistes, diabolus
(S. Luc), « malus » (6 irovripo;, S. Mallh.),
« Salanas » (S.Marc), sont une variante int^
res-ante a noter. 3° Ne credentes salvi fiant d^
t. \2, voluptatibus, euntes dn t. 14(leparticipb
47«
fiVANGILE SELON S. LUC
epines, ce sont ceux qui ont ecoute
la parole de Dieu et qui s'eu vont el
sont SLiffoques par les soUiciludes,
les richesses et les soucis de la vie
et ne portent point de fruits.
15. Mais ce qui tombe dans une
bonne terre, ce sont ceux qui. en
ecoutant la parole, la conservent
dans un coeur bon et excellent et
portent du fruit par la patience.
16. Personne,allumantunelampe,
ne la couvre d'un vase ou ne la met
sous un lit, mais il la place sur un
candelabre afin que ceux qui en-
Irent voieut la lumiere.
17. Gar il n'y a rien de cache qui
hi sunt qui audierunt, et a sollici-
tudinibus, et divitiis, et voluptati-
bus vitse euntes suffocantur, et non
referunt fvuctum.
15. Quod autem in bonam tcrram,
hi sunt qui in corde bono et optimo
audientes verbum retinent, et fru-
ctum afferunt in patientia.
16. Nemo autem lucernam accen-
dens, operit eam vase, aut subtus
lectum ponit; sed supra candela-
brum ponit, ut intrantes videant
lumen.
Manh.5, 15; Afarc. 4. 21.
17. Non est enim occultum, quod
o puntes)) retombe probablement sur suffocan-
tur el semble correspond re au "iSn liebreu ,
signifianla pen a peu»;oubien, pri«aparl,il
decrild'une manierepilloresquele va il vi nl
dela vie active), in corde bono et oplimo{y<.cii%
xai ayaOxi, redondance aimee des classiques;
la locution entiere depend de retinent, « au-
dientes verbum » formant une sorte de pa-
renlheje), et in palientia (avec Constance, per-
severanc''1 du 1. 15, sont des traits speciaux a
S. Luc. Sa redaction conlient en outre plu-
sieurs locutions originales : par exemple,
t- 13, ad teinpits credant au lieu de « tempo-
rales sunt », in tempore tentntionis au lieu de
« facia tiibulalione et p^rseculion::' pro[)ter
verbum », recedunt au lieu de « scandalizan-
tur »; t- \i. ou xeXeaqjopoOffi du texle grec
[non referunt fruclum), dont la traduction
liiterale serail : a non ad maluritalem per-
ducunl », trail d'une parfaite exaclitu ie, car
I'epi a bien pu se former meine parmi les
epines, raais il lui a ete impo.-sible de murir ;
t. 15, verbum relinent, ce qiii esl plas fort
que 0 verbimi su-cipiunt » de S. Marc. Sans
etre importanls en eux-memes, ces details
montr.Mil Tindep'^ndance desecrivains sacres;
ilsservent du resle a eiablir la vraie doctrine
relativemenl a la composition des SS. Evan-
giles. Voyez I'lni reduction genera'e. —
S. Augustin. Serm. Lxxiii. 3, tire en ires
beaux lermes la conclusion morale de la pa-
rabole du srmeur. « Mulamini quum polestis;
dura arairo versate, de agro lapides projicile,
de agro spinas evellile. Nolile habere durum
cor, uniecilo verbum Dei pereat. Nolile ha-
bere lenuera terram, ubi radix cai ilatis alta
non sedeat. Nolile curis el cujiidilatibus sae-
cularibus offocare bonum semen... Sed estote
terra bona ».
2° Necessity dMcouter attentivcment la ''(vine parole.
Yiu, 16-18. - Parall. Marc, v 21-25.
L'enchainement soil genera' soil particu-
lier des formules proverbiales contenues dans
ces trois versets parail tout d'abord assez
obscur; il exisle neanmoins, ainsi que nous
avons essaye de lo prouver en exp!i>]uanl le
passage parallele de S. Marc. L'idee domi-
nante qu'ils developpent a eie exprimee plus
haul, tt. 8 et 10. II faul que les dseiples de
Jesus ecoulenl avec attention sa parole, vu
qu'ils seront charges de la manifester au
monde.
16. Nemo lucernam accendens... Le mot
« lucerna »(Xux^o;)designeces pelites lampesk
()0ignee, faites d'argile ou d'airain, qui ontet^
de loul li'inps usiteesdans lescontrees orien-
taU'S. Quand on veut se passer momenlane-
menl de leur lumiere, on p?ut aisement les
placer sous un vase de quelque dimension, ou
sous les divans, hauls d'un ou do deux pieds,
qui servenl pour les repas. Le recueil de
Wetstein cite plusieurs passages des clas-
siques qui font allusion a celle coutume :
c NDvacuIam sub pulvinar abscondit, lucer-
namque modio coniegil », Fulgentius, Myth,
in, c. 6. « Si qua re tecla fuerit lucerna »,
Servius in JEn. vi. 724; etc. Au lieu de vase,
S. Marc a o modio », comme Fulgi^nce. —
Ul intrantiis videant lumen esl une pariicula-
rite de noire evangelisle. La redaction de ce
vers^H a d'ailleurs le merite d'etre la plus
vivante.
17. — Non enim occultum... C'est la radrae
pensee, avec les images en moins. et une pe-
tite explication en plus, ainsi qu'il ressort de
la particule « enim ». Les disciples de Jesus
devront placer sur le candelabre la lumiere
des verites evangeliques, car elle est faite
CHAPITRE VIII
173
non manifestetur : nee abscondi-
tum, quod non cognoscalur, et in
palam veniat.
Match 10, 26; Marc. 2,22,
1 8. Videte ergo quomodo audiatis. *
Qui enim habet, dabilur illi : et
quicumque non habet, eliam quod
putat se habere, auferetur ab illo.
Malili. 13, 12 et 25, 29.
19. Venerunt autem ad ilium ma-
ter, et fratres ejus, et non poterant
adire eum prse lurba.
Maith. 12, 46; Marc. 3, 32.
20. Et nuntiatum est illi : Mater
tua, et fratres tui slant foris, volen-
tes te vide re.
21. Qui respondens, dixit ad eos :
Maler mea, et fratres mei hi sunt,
ne soit manifesto, et rien de secret
qui ne soit connu et ne vienne au
grand jour.
18. Prenez done garde k la ma-
niere dont vous eeoutez : car celui
qui a, on lui donnera; et celui qui
n'a pas, ce qu'il croit avoir lui sera
meme 6te.
19. Or sa mere et ses freres vin-
rent vers lui, et ils ne pouvaient
I'aborder a cause de la foule.
20. Et on I'avertit : Votre mere et
vos freres sont la dehors et veulent
vous voir.
21 . Jesus leur repondit : Ma mere
et mes freres sont ceux qui ecou-
pour eclairer le inonde. AcluelleinenL, il esl
vrai, I'Evangile esl un secret que beaucoup
ignorenl (oixitUum, abscond! turn) ; mais ce
secret est fait pour ^tre revele, connu de
tous, mis au grand jour, seion que le dit
Notre-Seigneur dans une belle gradation.
18. — La conclusion de tout cela {ergo)
c'est, pour les fulurs nii?sionnaires du Christ,
Videte quomodo audintis; XP^ Y«P» dit fort
bien Eulhymi'.is oxpliquatil ce « quomodo »
(S. Marc a « quid », expression moins heu-
reuse), (yrcouSaJw; y.al eTtijAeXw;... axpoacfOai.
Savoir bL n ecouter la parole de Dieu, quel
precipux el rare tah-nil — Qui enim habet...
Jesus mutive d'une maniere pressante la re-
commandalion qui precede. Hcoutcz comme
il faut, car, en ecoulant, vous grossirez le
trcsor de vos connaissances spiriluelles, et,
plus vous serez riches, plus Dieu vous don-
nera, tandis que, dans le cas conlraire, il
vousenleverait le ppu que vous croirioz avoir.
— Quod putat se habere (dans S. Marc et
Luc. XIX, 26, nous lisons « quod habet «).
Ges mols sont d'une profonde verite psycho-
logique. puisque en realile le minisire infi-
d61e dont il s'agit ne possede- absolument
rien [quicumque non habet) : sa prelendue
richesse morale n'l st qu'une affaire d'imagi-
nation, les jugemenls divins le lui mon-
treronl bion. — On a jusleuif>nl afBrme de ccs
fiaroles qu'ellessonl la formule d'une des lois
es plus profondes du monde moral.
3» La vraie famille de Jdsus. vm, 19-21. — Parall.
Malth. XII. 46-50; Marc, in, 31-35.
Voyez I'explicalion des passages paralleles,
qui sont notablemenl plus complets.
19. — Venerunt autem... S. Luc parait
supposer qu(> cet incident ne vinl qu'k la
suite des paraboles du' royaume des cieux ,
les deux aulres synopliques le placi nt aupa-
ravanl, el d'assez noinbreux exegeles prefe-
renl leur chronologie. — Mater et fratres
ejus. « Fratres autem Domini qui secundum
carnem dicuntur, non filii bealae Marise ge-
nilricis Dei, secundum Helvidium, noc filii
Joseph de alia uxore, secundum quosdara,
pulandi ;^unt, sed eorum polius inlplligendi
sunt esse cognali. » V. Bede. Comp. I'Evang.
selon S. Mallh. pp. 283 et ss. — Non pote-
rant adire eum. Le mot grec oyvtuxEtv est
plus exprrssif; lilleralement, se irouveravec
iui. Un detail plltoresque de S. Maic, iii, 20,
montre jusqu'a quel point Jesus elail alors
entoure par la foule.
20. — Apres nuntiatum est ilU, on lit dans
10 Text, recept. >.ey&vtuv, genitif absolu qui
equivaudrail au latin « a dicentibu> ». Mais
CO mot, qu'omeltcnt les meilleurs lemoins
(B, D, L, A, Z, Sinail., le syr., i'ltala, etc.)
est vraisomblabli ment un glosseuie.
21. — Qui respondens ait. Les deux aulres
evangelistes out ici des traits griiphiqui s et
vivanls. « Et exlendens manum in discipulos
suos (S. Mallh.), et circumspiciens eos qui in
circuilu ejus sedebant (S. Marc). » En re-
vanche S. Luc presente la reponse de Jesus
sous un aspect nouv( au. D'apres sa redac-
tion, la mere et les freres mystiques du Sau-
veur sont ceux (pii verbum Dei audiunt et
faciunt (S. Matlh. et S. Marc : « « Quiconque
fera la volonle de mon Pere », ou « do Dieu »).
11 y a dans ces paroles une allu-ion evidento
a la parabole du semeuri raconlee par S. Luc
474
fiVANGILE SELON S. LUC
tent la parole de Dieu et la prati-
quent.
22. Or il advint qu'un de ces
jours il monta dans une barque avec
ses disciples, et il leur dit : Passons
de I'autre c6te du lac. Et ils par-
tirent.
23. Pendant qu'ils naviguaient il
s'endormit,etun vent d'oragefondit
sur le lac et la barque s'emplissait
et ils etaient en peril.
24. S'approchant done, ils le re-
veillerent. disant : Mailre, nous pe-
rissons. Alors se levant il raenaca
le vent et les flots, et ils s'apaiserent
et il se (it nn arand caln\e.
qui verbum Dei audiunt, et faciunt.
22. Factum est autem in una die-
rum, et ipse ascendit in naviculam,
et discipuli ejus, et ait ad illos :
Transfretemus trans stagnum. Et
ascenderunt.
Match. 8, 23; Marc. 4, 36.
23. Et navigantibus illis, obdor-
mivit, et descendit procella venti in
stagnum, et complebantur, et peri-
clitabantur.
24. Accedentes autem suscitave-
runt eum, dicentes : Prseceptor, pe-
rimus. At ille surgens, increpavit
ventum et tempestatem aquae, et
cessavit : et facta est tranquillitas.
immedialemont avanl eel episode. Gombien
nous devons nous eslimer heiireux de pou-
voir ainsi devenir lesfreres de'JesusI
4« La tempftte miraculeusement apais6e. vin, 22-25.
Parall. Matth. viu, 23-27 ; Marc, iv, 35-40.
Les synoptiques s'accordenl pour raconler
h la suile I'un de Taulre Irois miracles de
puissance operes a celle epoque par Notre-
Seigneur Je.-us-Christ. Le premier prodige
doinpla les forces de la nature ; le second
(viii, 26-39) consisla en une grande victoire
reiTiporlee sur les puissances infernales ; le
troisieme (vm, 40-56; ravit a la mort une de
ses viciimes.
22. — La dale donnee par S. Luc, in una
dierum (Cfr. I'hebreu DiD'nnriNn), est bien
vague. S. Marc la precise on disani que I'a-
paisemenl miraculeux do la lempele cut lieu
le soir du jour oil avaient eie prononcees les
paraboles du royaume dcs cicux. — Et asccn-
derunt; dans le grec, avi^y_0y)aav . « 'Avdyotiai,
omi?sa voce vaOv, est verbum naulicura, pro-
veho, solvo navem, in altuin maiis duco. »
Rosenmiiller, Scholia, h. I. Uii pen plus bas,
xaTeSr), (juvcT:Xr)po\JvTo, exivSOveyov, sont CiiCOi'C
des expressions techniques du meme gsiire.
Cfr. Schegg, das Evangel, nach Lukas, t. L
p. o47. Du resle, au chap, xxvii des Acies,
S. Luc nous apparait comme un ecrivain tres
verse dans le langage nautique.
23. — Obdorinivit. Le verbe grec corres-
pondant, aqp-jTrvtotre, ne se trouve pas aillenrs
aans le Nouveau Testament. II est d'une
grande energie et signifie : s'endormir de
fatigue. — Prorella oenti. Sur le mot grec
).aiXa<V, voypz I'Evang. selon S. Marc, p. 75.
Sa racine est XaS, saisir, ce qui exprime trds
bien I'eflfet produit par un lourbillon de vent.
D'anciens voyageurs, qui avaient deja remar-
que la frequence des ouragans de ce genre
dans le bassin du lac de Gennesareth. dedui-
sent naivement son nom des mots ycwSv «t
a7)p. Cfr. Jac. de Vilriaco. in Gesta Dei I,
c. o3, p. 1075. — Descendit : du ciel, ou
mieux encore, des monlagnes environnantes.
Poiybe, 30. 14, 6, dit avec une exactitude
semblable : XaCXaTto; xtvo; ^xireTiTwxufa; etc
aOxoO;. — Complebantur et periditabantur.
Deux imparfaits, pour mieux faire ressortir
la gravite de la situation. Peu a peu la barque
s'emplissait d'eau, et bienlot on courut un
danger reel de couler a fond. Remarquez la
maniere toute nautique donl la narration
applique aux passagers ce qui arrivail au
bateau.
24. — PrcEceptor, perimus. Dans 1.^ giec,
la repetition du mot EitioTdra (trail special a
S. Luc) dep'int bien I'angoisse des di-ciples.
A propos (les paroles legerement dilTerentes
que les Irois evangelisles piacenl ici sur les
levres de Nolre-Seigneur, S. Augusiin fait
cetti< reflexion judiciouse : « Per hiijusmodi
evangelistarum loculiones varias, sed non
contiariys, rem plane ulilissimam discimus
et peinecessariam : nihil in cujusque verbis
nos debere inspicere, nisi volunlalem cui de-
bent verba servire : nee mentiri quemquam,
si aliis verbis dixerit quid ille voluerit cujus
verba non dicil; ne miseri aucupes verbomm,
apicibus quodammodo lilterarum pulent li-
gandam esse veritatera, quum utique non in
verbis tantum, sed etiam in ceteris omnibus
signis animorum , non sit nisi ipse animus
inquirendus. » De cons. Evangel, ii, 28. —
Surgens. Les Irois synoptiques mentionnont
de concert cette pose majestueuse du divin
Maitre ; lous aussi ils distinguenl deux com-
25. Dixit autem illis : Ubi est
fides vestra? Qui limentes, mirati
sunt ad invicem, dicentes : Quis pu-
tas hie est, quia et ventis el raari
imperat, et obediunt ei?
26. Et navigaverunt ad regionem
Oerasenorum, quae est contra Gali-
laeam.
27. Et cum egressus asset ad ter-
rain, occurrit iili vir quidam, qui
habebat dsemonium jam temporibus
multis, et vestimento non indueba-
tur, neque in domo manebat, sed in
monnmentis.
CHAPITRE VIII <75
2b. Et il leur dit : Oii est votre
foi?Pleins de crainte ils se regar-
derent les uns les autres, disant :
Qui pensez-vous que soit celui-ci ?
car il commande aux vents et a la
mer, et ils lui obeissent.
26. Et ils aborderent au pays des
Geraseniens, qui est vis-a-vis de la
Galilee.
27. lit lorsqu'il fut descendu a
terre, d rencontra un homme ui
ivait en lui depuis longtemps un
demon; il ne portait aucun vele-
ment, et ne demeurait en aucune
mai-son mais dans les sepulcres.
mandemenls deJosus, adressds I'lin au vent,
I'autie aux eaux du lac. — L'expression tern-
pestatem oquw (ttji x)>u5iovt toO yofl^To;) est
propre a none evangelisie.
25. — Ubi est fides vestra? Les Apotres
■auraienl dil se souvenir qu'ils elaienl avec
Jesus, et qu'iis ne couraient aucun risque
aupres de lui. — Mtrali sunt ad invicem.
L'elonnemenl des specialeuis est exprime a
peu pies dans les mSmes leimei par les
divers ecrivains sacres. L'idee d'un ordre
energique inlirae aux forces de la nature
limperat) ne se Irouve toutefois que dans le
troisieniL' Evangile.
5=> Le possddd de Gadara. viii, 26-39. — Parall.
Matth. VIII, 28-34; Marc. T, 1-20.
Tem|ieie d'un autre genre, nlus terrible en-
core que celle du lac, suivie d'un inomphe
non moins complet de Jesus. La narration de
S. Luc a ici de nombreuses analogies avec
celle de S. Marc (voyez le commentaire), c'est-
a-dire qu'elle est tres complete et tres vi-
vanle; raais elle a de nombreuses particula-
rites qui la distinguent.
26. — Navigaverunt. KaTSTrXeysav du grec
estun nouveau lerme nautique ; on ne le ren-
contre pas ailleiirs dans les recits de la vie
de Jesus. — Ad regionem Gera&enorum. Re-
lativement a cetle contree, il regne dans la
troisieme Evangile les memesdivergences que
dans les deux autres (voyez I'Evang. selon
S. Malthieu, p. 4G7|. II est probable qu'il
faut lire FaSaprivtSv. Le champ des mines de
Gadara n'a pas moins de cinq kilometres de
circonference : mais c'est a peine si Oum-
Keis, le miserable village qui remplace au-
jouid'hui I'aurbs insignis » de la Decapole,
comme I'appelle S. Jerome, est habile par
deux cents fellahs. Le lerritoire de la ville
antique allait sans aucun douie jusqu'^ i'ex-
tremile S. E. du lac. — La polite nolo geo-
grapliique quce est contra [a.vz-Kipa.\, en faceet
de I'autre cote du lac) Galiloeam, est speciale
a S. Luc. Elle prouve que sa narration etail
ecrite pour des lecteurs non-juifs.
27. — Ocrurril illi vir quidam. Les mot?
Ix Tfj; TToXeo);, c de civitate », ajoutes dans
le texte grec, ^loivent se rattacher_ h avrjp
TIC, el non a « occurrit », car le demonia-
que ne venait pas alors de la ville, qu'il
avail cessede frequenter, mais des sepulcres
qui lui servaient de residence. Cfr. Matth.
VIII, 28 ; Marc, v, "i. — Qui habebat dwmonium;
d'apres lo grec, « deemonia » au pluriel, ce
qui est plus conforme a la suite du recit. —
A temporibus mullis, ici et au t. 29, est un
trail propre a S. Luc, destine a rehausser la
granrl( ur du prodige. — Vestimento non in-
daebatar (autre particularite d:^ noire evan-
geliste) doit se prendre a la lellre. Les fous,
laisses a eux-memes, ont I'elrange manie de
se depouiller de leurs vStemenls <voyez Pri-
chard, On Insanty, p. 26); or la possession
est la phis furieuse et la plus triste de loules
les folies. De ce detail et du suivani, mane-
bal... in monumentis, il est interessant de
.rapprocher un incident raconte par le voya-
geur anglais Warburton, the Crescent and
the Cross. I. U, p. 332. « En descendant des
cimes du Liban, je me Irouvai dans un ciine-
liere, dont les turbans sculples (sur les tom-
bes) m'annoncerenl que j'elais dans le voisi-
nage d'un village^ musulman Le silence de la
nuit fut tout a coup inti-rrompu paides cris
et des hurlements farouches que poussait ,
ainsi que jele reconnns bientot, un fou com-
pletement nu qui dispulail un os a quelques
cliiens saiivages. I)e^ qu'il ra'api-rgut, s'elan-
garit par bonds rapides, il saisit la bride de
mon cheval et le for^a presque dc nculer par-
dessus le rocher ». D'apres la croyance juive,
476
EVANGILE SELON S. LUC
28. Des qu'il vit Jesus il se pros-
temadevant lui,et criant d'une voix
forte, il dit : Qu'y a-t-il a moi et a
toi, Jesus, Fils de Dieu Tres-Haut?
Je t'en conjure, ne me tourmente
pas.
29. Gar Jesus commandait a I'es-
prit immonde de sortir de cet
bomme. II s'etait en effet saisi de
lui depuis longtemps, et quoiqu'on
:e gardat lie de chaines et les fers
j.ux pieds, il rompait ses liens, et il
elai't pousse dans le desert par le
demon.
30. Or, Jesus Tinterroi^ea, disant:
Quel est ton nom? Et il dit : Legion,
parce que beaucoup de demons
etaient entres en lui.
31. Et ils le priaient de ne pas
28. Is, ut vidit Jesum, procidit
ante ilium : et exclamans voce
magna, dixit : Quid mihi et tibi est,
Jesu, Fill Dei Altissimi? obsecro te,
ne me lorqueas.
29. Prsecipiebat enim spiritui im-
mundo ut exiret ab homine. Multis
enim temporibus arripiebat ilium,
et vinciebalur catev.is, et compedi-
bus custoditus. Et ruplis viuculis
agebatura dsemonio in deserta.
30. Interrogavit autem ilium Je-
sus, dicens : Quod tibi nomen est?
At ille dixit : Legio : quia intrave-
rant dsemonia multa in eum.
31. Et roijabant ilium ne im-
les lomb.aux scrvaienl de residence habi-
luelle aux demons. Cfr. Nidda, fol. 17; Cha-
gigah, f. 3, 6. « Quand un homnie passe la
nuit dans un cimeliere, un espiil maiivais
desci nd sur lui ». Vovcz Gfrcerer, Jahihund.
des Heils. l. 1, p. 408.
28. — Is ut vidit.-. Ge versel decrit fort
bien deux senliments disiincLs qui agitaient
le demoniaque. II elail lout ensemble allire
el etfraye par Jesus. Allire, car il accourt et
86 prosUrne on signe de veneralion ; effraye,
comme I'exprimenl son cri de delresse (S. Luc
emploie seul le verbe compose avaxpa^a;) et
sa stipplicaticn. Le dualisme qui regnHil en
luieslaussi tresnellemenl marque. L'homrae
vienl au-devanl de son Liberaleur, mais les
demons sonl en proie a i'cffroi.
29 — Prcecipiebat enim... Cetle reflexion
de I'evangelisle (Xpliquo pourquoi le demon
priait Jesus avec tant d'insislance de ne pas
i'expuiser du corps qu'il posserlail. Quoique
le Texliis rec( pi. et divers manuscnls em-
ploicnt I'aorisle [nap-nfyiike, dans le sens du
pUis-que-parfail), la leQon le plu^ autorisee pa-
rail elre •tzapriyytykz'j a I'lmparfaii. Jesus insis-
laitdonc lui aussi pour contraindre le demon
de se relirer. — Multis enim temporibus... La
description precedenle du demoniaque, t. 27,
avail rapport a son elat present, lei qu'il frappa
les regards du Sauveur et des disciples ; cellc-
ci est relative au passe, el decrit I'histoire
anterieure du mallieureux possede. — Arri-
piebat eum : trail special. Le verbe grec
awv)pitdtx(i est d'une grande energie. — Compe-
dibus depend, comme catenis, de vinciebalur.
Le parlicipe custoditus, calqud Irop servile-
menl sur le grec, serail mieux Iraduit par
I'imparfait, « cuslodirbalur ». — Agebatur...
in deserla est encore une particulaiile de
S. Luc. Les deserts n"oni jamais manqu^
dans l( g regions siluees a I'E. (.'t au S. E. du
lac de Tibenade.
30. — Quod tibi nomti? Les saints Livres
attribuent en divers endrtits des noms spe-
ciaux a cerlams demons; par exi-mple, il est
question d'.Vsmodee au livrc de Tobie. iii, 8,
de Bee zebub dans les Evangilcs, Malth.
X, 25, etc., de Belial dans la -econde Epitre
aux Corinlliiens, vi, 15. L'-s Rabbms men-
lionncnt d'aulr.'S denominations des esprits
mauvais, telles que Nacluisch, Azaz:-!, Sam-
mael. La demande de Jesus n'a done rien de
suriireiiant. — Ille dixit : Legio. L'anlique
ville de Mageddo porlail alors le nom de « Le-
gio », a cause de la milice romaine qui y tenait
garnison. Le demon avail peul-eire I'espoir
d'inlimider Jesus quand il s'arrogcaitce tiire
pretenlieux. — Damonia multa. Sylveira si-
gnal • ici une opinion bizarre. « Aliqai asse-
runt fuisse saltern duo millia daemonum, si-
quidem duo millia porcorum dimis;'runt in
mare, ita ut singuli in singulos iniraverint
porcos ». Mais il la refute en.->uite a bon droit-
a Gonjectura non est multura elUcax; nam
ad oinnes deslruendos in mare sutliciebat
solus spiritus. Quod ergo cerium habemus,
nomine legionis mullos daemonessignificari ».
II est inutile d'en vouloir preciser cxacle-
ment le nombre.
31. — Ef rogabant ilium... A la fagon de*
hommos, les demons ont leurs desirs et leurs
crainles. Geux qui etaient alors en presence
CHAPITRE VIII
Ml
peraret illis ut in abyssum ireut.
32. Erat autem ibi grex porcorum
multorum pascentium in monle : et
rogabant euro, ut permitteret eis in
illos ingredi. Et permisit illis.
33. Exierunt ergo daemonia ab
homine, et intraverunt in porcos :
etimpetu abiit grex perprseceps in
stagnum, et suffocatus est.
34. Quod ut viderunt factum qui
pascebant, fugerunt, et nuntiave-
runt in civitatem, et in villas.
35. Exierunt autem videre quod
factum est, et venerunt ad Jesum :
€l invenerunt hominem sedentem,
a quo dsemonia exierant, vestitum,
ac Sana mente, ad pedes ejus, et ti-
muerunt.
leur commander d'aller dans I'a-
bime.
32. Et il y avait la un nombreux
troupeau de pores qui paissaient
sur la montagne, et ils le prierent
de leur permettre d'entrer dans ces
pores, et il le leur permit.
33. Les demons sorlirent done de
rhomme et entrerent dans les pores,
et le troupeau impetueusement alia
se precipiter dans le lac et fut suf-
foque.
34. Lorsqu'ils virent ce fait,ceux
qui les faisaient paitre s'enfuirent
et I'annoncerent dans la ville et
dans les villages.
35. Et on sortit pour voir ce qui
etait arrive et Ton vint a Jesus. lis
trouverent assis a ses pieds et sain
d'esprit Thomme dont les demons
elaient sortis, et ils furent remplis
de crainte.
de Jesus comprennenl qu'ils vonl 4lre obliges
d'abandonner leur proie;ils vouriraienl du
jnoins resler dans le dislricl de Gadara, el
ils conjurenl Nolre-Seigneur en termes pres-
sants de le leur permellre (notez rimparfail;
S. Marc dit plus fDittMnenl encore : « Depre-
cabalur eum muluim »). — Ne imperavet...
ut in abyssum... (iSuooo;, de a privatif et
p'jffooi;, pour PyOv;, fond). Lpup prier'S sous
cello foim^ esl !;peciaie a S.Luc. Par I'abime,
il ne faul pas miendre les eaux profondes du
lac, ain>i que Font voulii quelques commen-
taleurs, mais lo monde inferieiir oil vivenl
d'ordinair*' les demons, c'esl-a-dire I'enfer.
Cfr. Apoc. IX. 1 , XX, 3. Pour les mauvais
esprils. quitter les contrees oil Dimi li>ur a
permis d'habiter el d'asjir equivaul a rentrer
dans renfcr. Voila pourquoi nous disions en
ixpliquanl h pa>-age paiallele. mais un pen
<iiffer>-nt. de S. Marc (v, 10), que les deux
K'daclions 'xprimcnl en realiie une seule el
Illume pen<e ■.
32. — Erat ioi grex porcorum... Voyez
noire commentaire sur S. iMallhieu, p. 169.
L s demons onl adr>'sse deja d^ux pi:eres a
Jesus, lis lui onl demando, t. 28, mais en
vain, de conserver leur residence acluelle, le
corps du possede. Ils vienni-nl de fui demander
encore, -^f. 31, d • pouvoir au raoins resler dans
le pays. Voici qu'iU confirm 'nt el develop-
penl mainlenanl celle seconde supplique, en
exprimanl le de^ir d'entrer dans les pour-
S RiCLE. S.
ceaux. II osi bien evident qu'ils ne s'atlen-
daient pas au resultal qui va suivre.
33. — Intraverunt in porcos, et impetu
abiit (wp[j.r,(7ev ... Description vivante de ce
fait remarq liable. 'ATceirvfYTi (suffocatus est)
est un mot bien clioisi, car il s'pmploie fre-
querament pour marquL-r la suffocation dans
I'eau (S. Marc a I'expression equivalente
eirvCyovTo; S. Malthieu dit simplem*^nt iireOa-
vov). « On a demande si Jesus avail le droit
de disposer a nsi d'une propriete etrangere.
C'esl commesi Ton demandaii si Pierre avail
le droit de disposer de la vie d'Ananias et de
Sapliira. II est des cas oil le pouvoir, par sa
nature mame, garanlit le droit. » (Godet;.
34. — Nous pas>ons aux effets immediats
du prodige sur les porchers. sur les habitants
de la conlree et sur le demoniaque. Les
pcilres allerent en couranl porter la nouvelle
in civitalem, c'est-adire a Gadara, et in
villas, el; xou; dypou?, dans les meiairies ou
hameaux isoles qui etaient sur leur pas-
sage.
35. — Exierunt (scil. « de civitale et de
villis »). Un grand concours se fit aussilot
vers le theatre du miracle. — L'effel produit
sur le pjssede est decrit par S. Luc a ptiu
pres dans les mem 'S term 'S que par S. Marc :
le troisieme evangelisle ajouie seulemenl les
mots pilloresques ad pedes ejus, (|ui nous
naonlrent assis aux pieds du Sauveur, comme
un disciple docile aux pieds de son mailre,
Luc. — 12
478
EVANGILE SELON S. LUG
36. Et ceux qui I'avaient \u leur
raconterent comment il avait ete
deiivre d'une legion.
37. Et toute "une multitude du
pays des Geraseniens le pria de s'e-
loigner d'eux, parce qu'ils etaient
saisis d'une grand e frayeur. Et lui,
montant dans la barque,- s'en re-
tourna.
38. Etrhomme de qui les demons
etaient sortis lui demanda instam-
ment de rester avec lui. Mais Jesus
le renvoya, disant :
39. Reioume en ta maison, et ra-
conte quelles grandes choses Dieu
t'a faites. El il s'en alia par toute la
ville, publiant les grandes choses
que Jesus lui avait faites.
40. Et il advint que lorsque Jesus
fut revenu, la foule le recut, car
tous I'attendaieut.
41. Et voila qu'il vint un homme
36. Nuntiaverunt autem illis et:
qui viderant, quomodo sanus factus
esset a legione :
37. Et rogaverunt ilium omnis
multitudo regionis Gerasenorum ut
discederet ab ipsis : quia magno ti-
more tenebantur. Ipse autem ascen--
dens navim, reversus est.
38. Et rogabat ilium vir, a quo
dsemonia exierant, ut cum eo esset.
Dimisit autem eum Jesus, dicens :
39.Redi in domum tuam, et narra
quanta tibi fecit Deus. Et abiit per
universam civitatem , prsedicans
quanta illi fecisset Jesus.
40. Factum est autem, cum re-
disset Jesus, excepit ilium turba :
erant enim omnes expectantes eum,
41. Et ecce venit vir, cui nomen
celui qui, plus haul, nous avail eie represenle
dans les plus afFceux paroxysmes.
36. — Nuiitiaveruiit (luleyn... Les porchers
n'avaienld'abord repanduqu'en gros le bruit
de ce qui seiail passe : les Gadareniens re-
goivent maintenant des details complets sur
le miracle. — Quomodo sanus factus esset a
U'QVjne. L" giecdit. avpc une iegere varianle :
itw; EC7a)9ri 6 oat[jLovic9£ii;, comment le demo-
niaque avail ele sauve.
37. — Rogaverunt illuin... TrxsiB demande,
qui leveie i'espiii mercantile et vulgaire de
celle populalion. II e^l vrai qu'eile elail a
demi palenne, comme nous i'apprend I'hislo-
rien Josephe. Meleagre et Philodemus, deux
poetes de rAnlhologie grecque, naquirent a
Gadara vers Fan oO. — La repelilion em-
phatique magno thnore tenebantur est une
particularile de S. Luc.
3s el 39. — Et rogabat ilium. Ce beau re-
cit e?t rempli de prieres adressees au Sau-
venr. Cfr les tt. 28, 31, 32, 37. Mais ici
"^ seulement nous avons une priere digne de ce
nom. Toutefois elle ne fut pas exaucee, tan-
dis que deux des precedtntes [tH- 32 et 37)
I'avaient ele. En efifet, dimisit eum Jesus
(dans le grec, aTreXuo-e, il le delia, il le laissa
libre), ou, comme dil S. Marc, o non admisil
eum. » El pourtant ce nouvel ami de Jesus
deyinl plus qu'un disciple, puisqu'il fut aus-
silot invesli du role d'apolre et d'evangelisle,
narra quanta... ; role dont il s'acquilta avec
lepius gtand zele,a6t»t... pradicans. Nolens
ici, comme dans le second Evangile, une
nuance inleressante dans les formules. Jesus
dit au possede qu'il venait de guerir: « Narra
quanta tibi fecit Deus »; le possede s'en va
prechanl quanta illi (pour o sibi ») fecisset
Jesus.
6" L'h^morrhoisse et la fille de Jaire. vin, 40-56.
Parall. Matth. ix, 18-26; Marc, v, 21-43.
Le*recit de S. Luc lient le milieu entre
celui de S. Malthieu el celui de S. Marc : il
se rapproche neanmoins davanlage de ce
dernier, qui est le plus complel des irois.
40. — Cum rediisset. Des environs de
Gadara, Jesus revint a Capharnaiim. d'oii il
elait parLi le soir precedent. — Exrepil ilium
turba. Le verbe antdilano, 'un des mols ca-
racierisliques de S. Luc)de>igne un accueil
aimable, empresse. Le conlexle, erant enim
omnes exspectantes eum (trail propre au iroi-
sieme Evangile). fortifie encore celle idee.
Le peuple que Nolre-Seigneur avait charmd
la veille par ses divines paraboies, et qui
I'avait vu partir avec peine. Taundait done
impaiiemmenl sur la plage. Peul-etre re-
gnail-il une cerlaine inquietude au sujet du
bon Mailre, car on savail qu'il avait couru
de grands dangers sur le lac. Q.iel coniraste
avec la conduiie egolste des Gadareniens!
41 . — Apres cetle mise en scene, I'evan
geliste aborde la narration du double pro-
dige opere par Jesus aussitot apres son
debarquement. — Jairus,... princeps syna-
CHAPITRE VIII
479
Jairus, et ipse princeps synagogsB
erat : et cecidil ad pedes Jesu, ro-
gans eum ut intraret in domum
ejus;
Maith. 9, 18; Marc. 5, 22.
42. Quia unica filia erat ei, fere
annorum duodecim, et lisec morie-
balur. El contigit, dum iret, a tur-
bis comprimebatur.
43. Et mulier qiisedam erat in
fluxu sanguinis ab aunis duodecim,
quae in medicos erogaverat omnem
substantiam suam, nee ab ulio po-
luit curari :
44. Accessit retro, et tetigit fim-
briam vestimenti ejus : et coufestim
stetit fluxus sanguinis ejus.
4b. Et ait Jesus : Quis est qui me
nomme Jaire, chef d'une synagogue,,
et il se jela aux pieds de Jesus, le
priant d'entrer dans sa maison ;
42. Parce qu'il avait une fille
unique d'environ douze aus qui se
mourait. Et il arriva qu'en y allant
il etait presse par la foule.
43. Et il y avait une femme affli-
gee d'un flux de sangdepuis douze
ans, qui avait depense tout son bien
en medecins et n'avait pu etre guerie
par aucun.
44. EUe s'approcha par derriere
ettouchale bord de son vetement,
et aussit6tson flux desangs'arreta.
45. Et Jesus dit: Qui m'a touche?
gogw. Sur ce nom, el sur cette fonclion qui
elail legarrlee coiiime Ues honorable, voyez
I'Evang. selon S Marc, p. 8'2. — Cecidit ad
pedes Jesu. C'est la un acte significaiif de la
part d'un personnage ofEciel, d'aulanl mieux
que le monde ecclesiaslique d'alors elail
loin d'Slre sympatliique a Jesus; mais le
malheur fail courber ineme les teles les plus
allieres. Les miracles accomplis par Notre-
Seigneur a Capharn;ium (CIV. iv, 31 et ?s. ;
V, '12 el ss. ; vii, 1 et ,>^s.) avaienl sans doute
vi\iMnent impressionne Jaire, et 11 se souvinl
du Tliaumalurge des qu'il so trouva lui-meme
dans le besoin.
42. — Quia tmica filia... Les deux autres
synoptiques emploieiil le langage direct, qui
donne plus de vie au recit. — Unica est une
particularile de S. Luc. Ce detail fail bien
ressorlir la douleur du suppliant. S. Marc
mentionne aussi I'age de la jeune fille {fere
annorum duodecim), mais seulemenl apres
avoir raconle la resuireclion. L'evangelisle-
medecin place ce trail des le debut de sa
narration. D'apres le t. 43, la fille de JaiCe
etait done nee vers i'epoque ou I'hemor-
rholsse ressentail les premieres ulteinles de
son mal. — Moriebatur. La Vulgale a Ires
bien rendu le sens du verbe grec aTieOvriffxev .
La jeune fille n'elail pas morte quanil son
pere vinl Irouver Jesus (Cfr. t- 49), quoi-
qu'elle ful alors a I'agonie. — Compri-
mebatur. L'expression du tcxte primitif,
ouvETtviYov auTov, litleralement « suffocabant
eum (lurbag) », est plus forte encore que le
<tuve6Xi6ov do S. Marc. C'est d'ailleurs le m^me
mot qu'au t. 33. Les rues de I'Orient sent
generalemenl lorlueuses, elroites, et une
foule ne s'y meut qu'avec peine. Seneque,
Epist. xci, emploie la meme image, « sufifo-
cari turbam (scil. a seipsa) ».
43. — A partir de cet endroit jusqu'au
t. 48, S. Luc passe a la guerison de I'henaor-
rhoisse, qu'il enclave, conformement a la
realiiedes fails, dans I'episode relatif a Jaire.
II expose avec des couleu-rs moins vivea
que S. Marc, mais d'une maniere plus com-
plete que S. Malthieu, Feiat de la malade.
Le verbo TtpocravaXcoffaoa (Yulg. qucB erogave-
rat, liUeral. « quae superimponderal »] a une
grande energie : on ne le Irouve pas ailleurs
duns le Nouveau Testament. — Omnem sub-
stantiam suam est une bonne traduction de
o),ov Tov ptov (Cfr. XV, 12 ; Marc, xii, 44). Par-
fois aussi les Latins emploienl « vita » dans-
le sens de fortune. — In medicos... nee ab
ullo... L'evangeliste-medecin ne crainl pas
de faire ccl aveu ,; il reconnaitra de meme plus
bas la realite du miracle de Jesus, landis
qu'un si grand nombre de medecins modernes
se refusenl a admetlre le surnalurel dans les
guerisons.
44. — Accessit retro... A bout de res-
sources, rhemorrhoi'sse pense, elle aussi, a
Je.^iis. Mais esperant oblenir, sans avoir a
faire une confession penible, la faveurqu'elle
anibilionnail, elle profile a merveille de I'oc-
casion, el reu-sit a louclior fimhriam vesti-
menti ejus (vuyi'Z, sur ceUc expression,
I'Evang. selon S. Maltli., p. 183). Sa con-
fiance n'avait pas ele vaine, car, ainsi que
I'expose S. Luc avec une precision loute rae-
dicale, confestim stetit flu.vus sanguinis ejus
(comparez la vague formule de S. Malthieu et
la phrase eleganle de S. Marc).
45. — Quis me tetigit"^ Dans S. Marc :
a Quis letigil vestimenta mea? » La premiere
180
fiVANGILE SELON S. LUC
Comme lousniaient, Pierre dit,ainsi
que ceux qui elaieiit avec lui :
Maitre, la fouls vous presse et vous
accable, et vous dites : Qui m'a
touchy?
46. Et Jesus dit : Qaelqu'un m'a
louche, car j'ai connu qu'une vertu
etait sortie de moi.
47. Et la femme, voyant qu'elle
ne restait pas cachee, vint trem-
blante et se jeta a ses pieds, et re-
vela devant toutle peuple pourquoi
elle I'avait touche, et comment elle
avait ete guerie aussitot,
48. Et Jesus lui dit : Ma fille, ta
foi I'a sauvee ; va en paix.
49. Comme il parlait encore, quel-
qu'un vint dire au chef de la syna-
gogue : Votre fille est morte, ne le
tourmentez pas.
teligit? Neganlibus autem omnibus,
dixit Petrus, et qui cum illo erant:
Praeceptor, turbse te comprimunt,
et affligunt, et dicis : Quis me te-
tigit?
46. Et dixit Jesus : Tetigit me
aliquis : nam ego novi virtulem de
me exisse.
47. Videns autem mulier, quia
non latuit, tremens venit, et proci-
dit ante pedes ejus : et ob quam
causam tetigerit eum, indicavit co-
ram omni populo : el quemadmodum
confestim sanata sit.
48. At ipse dixit ei : Filia, fides
tua salvam te fecit; vade in pace.
49. Adhuc illo loquente, venit
quidam ad principem synagogae,
dicens ei : Quia mortua est filia tua,
noli vexare ilium,
do ces deux questions e?l la plus nalurelle.
« Le Christ, dil Tertullien (contr. Marc. I. iv,
c. 20), parle comme s'il ignorait, pour obtonir
un aveu. C'est ainsi que Dieu avait iiit'rroge
Adam.s. — Negantibus omnibus (detail lout
a fail graphiqu '), est uno particularite de
S. Luc; ci<^ meme la mention exprosse de
S. Pi-':i'e ;uiXit Petrus); de mem' i'emploi
de deux verbos synonymes, te comprimunt et
afjligunt (plus fortementdansle grec, aws^^oyaf
ffs -/cai d7:o8).i6ouffi), pour mieux marquer la
pr.'sse qui se faisait alors autour de la per-
sonne sacree du Sauveur. — Dicis: Quis me
tetigit? Ne serail-il pas plus juste, semblenl
dire li\s Apolres, de demander qui ne vous a
pas touche ?
46. — jr>sus insisle, mais en alTirmant au
lieu d'intiMToger . Tetigit me aliquis (Irait
special). II inJique par ces mols la nature
pailiculiere du contact donl il avait parle;
ce n'a pas ele un simple accidf^ni, mihis nn
acte cnnscient el volonlaire. '0 rTcxpo; \i.h
w£TO Ttspi air),Y^? eTtacpfj: M'^ziv tov XpicTov...,
aii-zbz 5e oO Tcepi TotaOx/ic D.eysv, d/la Ttepl tJ)?
yevou-evr,; ex tiioteoi;, dil fori bieii Eulliymius,
il. i. — Nam ego novi. NolreS 'ignour motive
son n-scrlion : il sail paifaium iit (eyvwv) de
quoi il parle, car son intelligence divine lui
a revele qu'une « vertu » sorlait de son
corps sacre. Sur celle expression elonnante,
donl les rationalistes onl abuse, voyez I'Evan-
gile selon S. iMarc, p. 8i. Seulement, S. Marc
ne rem[)loyail que comme narraleur, tandis
que, d'a|)res S. Luc, le Sauveur I'avail lui-
meme prononcee.
47. — Beau tabli-au. qui ajoule plusieurs
traits a celui de S. Marc, nulamment : vi-
dens... quia non latuit, ante pedes, coram
omni populo. Ce dernier detail est emphalique
et expiiine forlement ce qu'il (iut en couier
k Thumble femmo de faire sa confession en
presence d'une multitude si nombreuse.
48. — Apres avoir exauce lacilement la
demande tacile de ^llemoITilOl&s^ Jesus lui
octioie maintenanl sa grace d'une maniere on-
verle II l<ii indique eti mem • tem|i-(|u 'lie avait
ete la vraie cause d(^ son succes : Fides tua sal-
vam te facit. Celle foi etail remarquable en
eff 't. Dans ce meme recil, nous avons vu Jal
s'approcii^^r har^lim n'. du Sauveur comm ■ un
hoinnv) anime de la confiance la plus ferme ;
mais en realile nn certain doute serrail son
coeur ICfv.t. 50^. L'hemonlioi-sen'a pasosdse
presenter directemenl a Jesus, mais au fond
elle n'eprouvail pas la moindic In'sitalion, la
plus legeii' df'fiance. Le divin Maitre peut
done, loupf publiquemenl sa foi.
49. — Adimr. illo loquente. Nous trouvons
dans S. Marc la meme lormule de transition,
prcuve qu'il n'y eut rerlli'ment aiieiin inter-
\a!le notable cntre les deux incidents racon-
tes. — Le present venit ipxe-^ai dramalise
les fails. — Quidam ad pi inripem : dans le
grec, irapa toO ioxK^wayMyov, iiHeral •■menl,
« a principe synagogae », expre.>sion employee
par metonymie pour signifier : de la maison
du chef (le la synagogue. Voycz I'Evangile
selon S. Marc, p". 86. — Quia est rdcitaiif.
Moitua est (tsOvtixev) est mis en avanl d'une
maniere emphatique.
CHAPITRE VIII
181
50. Jesus autem , audito hoc
verbo, respondit patri puellae : Noli
timere ; crede tantum, et salva erit.
51. Et cum venisset domum, non
permisit intrare secum quemquam,
nisi Pelrum, et Jacobum, et Joan-
nem, et patrera et raatrem puellae.
52. Flebant autem omnes et plan-
fi^ebant illam. At ille dixit : Nolite
llere; non est mortua puella, sed
dormit.
53. Et deridebant eum, scientes
quod mortua esset.
54. Ipse autem tenens manum
ejus clamavit,dicei]s : Puella, surge.
55. Et reversus est spiritus ejus,
et surrexit continuo. Et jussit illi
dari manducare.
56. Et stupuerunt parentes ejus,
50. Mais Jesus, ayant entendu
cette parole, repondit au pere de la
jeune fille : Ne crains point, crois
seulement et elle sera sauvee.
51. Et quand 11 fut arrive a la
maison, il ne permit a personne
d'entrer avec lui, si ce n'est a Pierre,
Jacques et Jean, et au [)ere et a la
mere dela jeune fille.
52. Or, tous pleuraient et se la-
mentaient sur elle. Et il dit : Ne
pleurez pas; la jeune fille n^est pas
morte, mais elle dort.
53. Et ils se riaient de lui, sachant
qu'elle etait mortp.
54. Mais lui, prenant sa main, s'e-
cria et dit : Jeune fille, leve-toi.
55. Et son esprit revint et elle se
leva aussitot, et il commanda de lui
donner a manger.
56. Et ses parents furent dans la
50. — Noli timere, crede tantum. De ceUe
parole d'encouragement adressee par Jesus
au malheureux pere, il resulte que la foi de
ce dernier avail ete ebranlee par le message
qui venait de lui elre communique. Peut-6tre
pensait-il, lui aussi, qu'il etail Irop lard
raainlenanl pourconserver quelque espoir.Le
Sauveur le soulienl par une joyeuse promesse,
salva erit, que S. Luc a seul nolee en lermes
explicites. Voire foi vous a sauvee, avail-il
^le dil a rheaiorrhoisse, t. 48 : voire foi sau-
vera voire enfanl, esl-il dil a Jaire. II lui fal
aise de faire ce rapprochemenl el de se confier
absolumenl en Jesus.
51. — Non permisit intrare... est un detail
anlicipe, dont la place reguliere serail a la
suile du t. 53. Ces raols designenl en effel
i'enlree dans la chambre raorlu;iire.
5? el 53. — Sorte de parenlhese, aux de-
tails pilloresqaes.Elle nous monUe la maison
de JaiYe remplie dliomuics ol de femmes qui
flebant... et pltngebant,k la fagon Uunullueuse
pl >auvagf de I'Orient. Voyez I'Evang. selon
S. MatllK p. 184. Quand Jesus veul calmer
ces pli'ureurs otliciels en leur disanl que la
jeune fille n'esl pas morle, ils se rienl de lui
ixaxEYcXw^, mol energique), scientes quod mor-
tua esset, aionlf r.olr^i e\ange\\iilG. Ge Irait du
« medicus carissimus » proiive la realite de
la morl el la signification raelaplioriquo dcs
paroles de Nolre-Seign^ur.
54. — Tenens manum ejus. Les trois
synopticju^s onl relate ce gesle. S. Luc no
cit) pas en arameen, coinmo S. Marc, les
« ipsissima verba » du Sauvour. II est du
reste celui des evangelist's qui inlercale le
moins de mots hebreux dan- son recit. — Sur
le nominatif Y) Ttat; avec rariicle, au lieu du
vocatif, voyez Winer cl Beelen.
55. — Heversus est spiritus ejus est une
nouvelle particulariie de S. Luc. Cette locu-
tion est frequt^mment usilee dans les livres de
I'Ancien Testament. Cfr. Ill Reg. ix, 1 {^VJm
vha imij;xvii,22; Ps. lxxv, 13; lxxvii. 39;
oil, 16; Eccl. XII, 7, etc. — A propos de la
resurrection de la fille de Jalre et des autres
fails analogues mentionnes soil dans la Bible
soil par I'histoire, on s'est quelquefois de-
mande ce qti'etail deveniie rauiv"' pendant sa
separation inomenlanee du corps. Nous pen-
sons, a la suile de divers Iheologiens, que
ses operations se Irouvaienl alors miraculeu-
semenl suspend ues, de sorte qu'au moment de
la resurrection elle n'avait pas plus conscience
de ce qui s'elail pa-se pour elli^ depuis la
morl, qu'une personne eveillee d'un profond
sommeil n'a conscience de ce qui I'a occu
pee taiidis qu'elle dormait. — Jussit illi dari
manducare. On n'invenle pas les penis details
de ce genre : au^si sont-ils une forte prcuve
d'auihenlicite. Jesus, en donnant un pared
ordre, monlrait que la jeune fille jouissait
mainlenanl d'une parfaile saiile.
56. — Slupucrunt parentes. On conQoil que
les parents d ■ la ressascitee fussont hors d'eux-
mein(>s E^iffTridxv, lisons-nous dans le teste
original) ; miii-!, lout d'abonl, on compreiid
moins rinjonctioii suivante du Sauveur, ne
iSi
EVANGILE SELON S. LUC
slupeur; etil leiir commanda de ne
dire a personne ce qui s'etait passe.
quibus praecepit ne alicui dicerent
quod factum erat.
GHAPITRE IX
L'envoi des Douze (tt. i-6). — Opinion d'llerode au sujet de Jesus {ft 7-9). — Retour des
Douze et muUiplicalion des pains 1ft. iO-17). — Confession 6e S. Pierro el promiere
annonce de la Passion (tt. -18-27). — La Transfiguralion [tt. 28-36). — Giierison d'un
paraiylique (tt. 37-43). — Second(' prediction officielle de la Passion [tt. 44-45). — Legon
d'huniilite et. de tolerance [tt. 46-50). — Les Sannaritains inhospitaliers (tt. 51-56). — Ge
qu'il fadl pour suivre Jesus (tt. 57-62).
1. Or, ayant appele les douze
ap6tres, il leur donna la force et la
puissance de chasser tous les de-
mons et de guerir les maladies.
1. Gonvocatis autem duodecim
apostolis, dedit illis virtutem et po-
testatem super omnia daemonia, et
ut languores curarent.
Malt. iO, 1; Marc. 3, 15.
alicui dicerent... Elle devienl neanmoins faci-
lemenl explicable, de rneme que les precau-
tions prises preaiabiement par Jesus pour
ecarter la foule, t. 31 , si I on se rappelle
que ''enlhousiasme des Galileens elait alors
tres surexcile, et que Notrc-Seigneur vouiait
autanl que possible eviler tout eclat. Sans
doule il ne podvaiteuipecherle miracle d'^ire
<:onnu Cfr. iMatih. viii, 26). Du moins, en
lais-anl s'ecouler peu a peu la multitude qui
S'eiait rassemblee a la porte de Jaire, il
echappa a una ovation populaire. rt son but
principal fut ainsi atteinl. — Terminons I'expli-
calion de ces deux prodiges par une reflexion
tres exacte de M. van Oosterzee, Das Evang.
nach Lukas, 3e edit. p. 137 : a La presente
narration porte presque sur chacun de ses
trails le sceau de la verite, de la simplicite,
de la subliniite. Celle angoisse du pere et
celte limidite de la femme, cette agitation
du peuple el ce calme de Nolre-Seigneur,
eel etonnemenl des disciples el la reponse si
precise du Mailre : Quelqu'un m'a louche, ce
nre de I'incredidite a cote des transports de
!a douleur, celte majeste pour manifester sa
|)uissance miraculeuse et celle sollicitude a
la (lissimuler : tout cela forme un ensemble
U'llemenl inimitable, qu'on peut y saisir en
quelque sorte la verite k pleines mains ».
17. L'envoi des Douze. ix, 1-6. Parall.
Matlh. X, i-42; Marc, vi, 7-13.
S. Luc, apres avoir signale la mission con-
fine aux Apolres par Nolre-Seigneur Jesus-
Chrisl, GO borne, comme S. Marc, a ciler
quelques extra 1 is de I'lnslruction remarquable
que le divin Mailre leur adressa en celte cir-
constance. Laissant de cole les details relalifs
aux grandes fonclions que it s Douze el leurs
succes-purs devaient exercer dans I'avenir
(Cfr. Matlh. x, 16-42), il n'envisage que leur
role plus mof'eite el plus facile du moment
present.
Chap. ix. — 1. — dnwocalis duodecim
apostolis. Les manuscrils A, D, K, M, S, etc.,
les versions armen., sahid., etc., lisent sim-
plement touc SwSexa, les Douze, et sans doule
a bon droit, car c'esi ainsi queS. Lucdesigne
d'ordinaire les Apotres. Cfr. vici, 1 ; ix, 12;
xviti, 31 ; XXII, 3, 47 ; Act. vi, 2 ; etc. Divers
temoins ont cependanl 5w5£xa dTtooto^ou;
comme la Vulgate, OU toui; ScoSsxa [xaSirrai: auxou
comme le Text, receptus. — Dedit illis virtu-
tem... Avant d'envoyer les Apolres en mis-
sion, Jesus leur confere, en guise de leltres
de creance destinees a les accrediter aupres
de tous, des pouvoirs extraordinaires ana-
logues a ceux qu'il exergail lui-meme. Le pre-
mier des deux substanlifs, SyvaiJiiv, est le plus
general et designe la puissance « in se »,
le second, d^ouffiav [potestalem], est la raise en
oeuvre de cotte puissance. — Super omnia
dcemonia. « Omnia » est emphatique et propre
k S. Luc. La phrase et ut languores curarent
(xai vouou; Ospaireueiv) depend, suivanl les
uns, du verbe « dedit », suivanl les aulres et
vraisemblableraent, des substantifs « virtutem
et polestatem ».
CHAPITRE IX
483
2. Et misit illos praedicare regnum
■ Dei, et sanare infirmos.
3. Et ait ad illos : Nihil tuleritis
in via, neque virgam, neque peram,
neque pan em , neque pecuniam,
neque duas tunicas nabeatis.
Matlh. !0, 9; Marc. 6, 8.
4. Et in quamcumque domumin-
traveritis, ibi manete, et inde ne
exeatis.
5. Et quicumque non receperint
vos, exeuntes de civitate ilia, etiam
pulverem pedum vestrorum excu-
tite in testimonium supra illos.
Act. 13, 51.
2. Et il les envoya precher le
royaume de Dieu et rendre la sante
aux infirmes.
3. Et il leur dit : Ne portez rien
en route, ni bdton, ni sac, ni pain,
ni argent, et n'ayez point deux tu-
niques.
4. Et en quelque maison que
vous soyez entres, demeurez-y et
n'en sortez point.
b. Et quand on ne vous aura pas
recus, sortez de cette ville et secouez
la poussiere meme de vos pieds en
temoignage contre eux.
2. — Prwdicare regnum Dei, tel elait le
but principal do I'erivoi des Doiize. Sanare
inlirmos elait, ainsi qu'il vienl d'etre dit, un
inoyen d'atleindro plus aisement ce but.
Toutefois, el cela rcssorl tres npllement de
la narration plus explicile de S. Mallhieu,
X, 7, les Apotres n'avaient pas a s'etendre
alors sur la nature, les conditions, etc., du
royaume de Dieu : ils devaient simplemenl
en annoncor le prochain etablissement par le
Christ.
3. — Et ait ad illos. II etait juste que
Notre-Seigneur donnat aux Douze avanl leur
depart quchpies piincipes cnpablesde diriger
leur conduiie dans ces circcnstances loutes
nouvelles pour eux. II le fait dans les ft. 3-5.
Li' re-unie de cette instruction est qu'ils se-
ront toujours « si vertutnix, si constants et
modestes, on un mot, si celestes, que la doc-
trine evangfMique ne sera pas moins propa-
gee par leur maniere de vivre que par Icui-
parole ». S. Greg, de Nazianze, in Cat. graec.
Pair. — Nihil tuleritis in via (« in viam »
d'iipres le grpc) est une injonction generale,
que Jesus developpe ensuite par cinq traits
speciaux : neque virgam (la Ri cepla porle
fdSSou; au pluriel, mais nous lisons le singu-
iier avec les manuscrits Sinait., B, C, D,
L, M, etc., les versions syr., ethiop., sahid.,
el la Vulgate), neque peram, etc. — Neque
duas tunicas liabcatis : dans le grec, (X'OTe iva
(distributif) 8jo x"wva(;ex£iv, avec un brusque
passage de I'imperatif k I'infinitif. Voycz,
Act. I, 4; XVII, 3, des constructions analo-
gues. G'est le lansage direct qui devient in
direct : « El ail ad illos... non habere ». —
11 est int^ressanl de signaler les nuances qui
existent ici entre les synoptiques. D'apres les
Irois recils, les Apolrc^s ne doivent emporter
avec eux ni argent, ni sac de voyage, ni lu-
nique de rechange ; S. Marc et S. Luc ajou-
tenl : « neque panem », detail omis par
S. Maltliieu. Dans le premier et dans le Iroi-
sieme Evangile, Jesus inlerditaux Douze d'a-
voir un baton; dans le second, il leur perraet
d'en emporter un. S. Luc ne dit rien des
chaussures; S. Mallhieu parail indiquer
qu'elles ne furent pas non plus autorises par
le Sauveur; S. T.Iarc nous montre les Apotres
munis de sandales. Voyez du resle notre
commentaire sur S. Mallhieu, h. 1.
4 el 5. — La premiere recommandation con-
cernait le depart ; elle inculquait aux Douze
cette grave el belle pensee : « La simplicity
esl pour le chrelien le meilleur vialique » (Cle-
ment d'Alex., Paedag. ii). La seconde, com-
prise dans ces deux versets, regarde leur se-
jour dans les localites ou ils peneiraient pour
preclier. — In quamcumque domum intrave-
ritis... Ces mots ne signifienl pas que les en-
voyesde Jesus devaient dem a nderl'hospi I alit6
aux premiers venus (Cfr. Malth. x, 11). II
faut entendre par « quaecumque domus » la
premiere maison ou la piudence leur per-
meltrail de s'clablir. — Inde ne exeatis. Le
lexte primitif ditau contraire:xat exstOev e^ep-
Xeo0£, « el inde exeatis ». Et pourtant la Vul-
gate a tres bien traduit la pensee de J^siis,
car la phrase grecque, prise dans son entier
(« Dans quelque maison que vous soyez en-
tres, restez-y et sorlez-en ») , revient a dire :
Faites de cette mai-on le centre de vos al-
lees et venues dans la localite pour voire mi-
nisiere, el ne cliangez pas trop legeremenl de
domicile. Comp x, 7. Ce trait, ainsi arrange,
e-t une particularile de S. Luc. — Et qui-
cumque non receperint vos... L'hypoth^se n'e-
tail nullm^nt chimerique, Jesus ayani alors
des ennemis declares qui reluseraient cer-
tainement d'accueillir ses disciples, malgre la
48i
fiVANGlLE SELON S. LUC
6. Etant done partis, ils parcou-
raient les villages, evangelisant et
guerissant parlout.
7. Or, Herode le tetrarque enten-
dit parler de tout ce que faisait Je-
sus, et il etait perplexe parce que
quelques-uns disaient :
8. Jean est ressuscite d'entre les
morts; etd'autres : Elie est apparu;
et d'autres : Un des anciens pro-
phetes est ressuscite.
9. Herode dit : J'ai decapite Jean ;
qui est done celui de qui j'entends
caractere si hospitaller de I'Orienl en general
et des Juifs en parliculier. Cfr. SchcEitgen,
Hor. hebr., 108. — Eliam (emphalique el
special) pulveyem... excutite. Sur celle action
symbolique, voyez I'Evang. selon S. Mallh.,
p. 203. All lieu de in testimonium supra illos,
mieux vaudrail « contra illos » : el; ll^rx.^^
auTwv xai xaTa-xpidiv, dit Ires bicn Tlieophy-
lacle.
6. — Egressi autem... De concert avec
S. Marc, noire evangeli&le d^cril en pen de
mots roeuvre el le succes des Apolresdnranl
celle mission. Le trail pitloresqiie circuibant
per castt'lla hii est propre, comine aussi Tad-
verbe final ubique, el I'emploi du verbe evan-
gelizare. « En lanl que docteurs. dit Eiisebe
sur ce pas-age (ap. Cat. D. Tliomae), les
Douze annongaient la bonne nouvelle ; en lant
que medecins ils gneris-aienl, confirmant
leur predication par leurs miracles ».
18 Opinion d'Herode au sujet de J^sus.
IX, 7-9. — Parall. MattU. xiv, i-2; Marc, yi, 14-16.
Voyez le commenlaire sur S. Mallliieu,
p. 287. Sans varier beaucoup pour la sub-
stance, cet incident a un coloiis tout parlicu-
lier dans le iroisieme Evangile (ci'mparez les
trois redactions dans noire Synopsi-).
7 el 8. — Omnia quae fiebant ab eo. Ces
deux dorniers mots On' auToO) sonl omis par
les manuscrils B, C, D, L, Z, Sinait. lis pour-
raient bien etre un glos^eule. Dans ce cas,
il s'agirail lout a la fois des oeuvres de Jesus
et de'celles de ses Apoires, tt. '1-6. On con-
ceit que la mission donnee par ceux-ci avec
accompagnenient de miracles ail produit au-
tour du nom de Nolre-Seigneur une recru-
descence d'eniliousiasme. Sa renommee, qui
penelre aujourd'hui qu'a la cour, met I e te-
trarque dans i'euibarras : hcesitabat, SiriTiopet.
fl ne sail d'abord a quel parti s'arreter au
sujel de la personnalile de Jesus. G'est que,
continue S. Luc, il regnait sur ce poinl dans
6. Egressi autem circuibant per
castella, evangelizantes et curantes
ubique.
7. Audivit autem Herodes tetrar-
cha omnia quae fiebant ab eo, et
bsesitabat eo quod diceretur
Mauh. 11, 1; Marc. 6, 14.
8. A quibusdam : Quia Joannes ,
surrexit a mortuis; a quibusdam V
vero : Quia Elias apparuit ; ab aliis
autem : Quia prophela unus de an-
tiquis surrexit.
9. Et ait Herodes : Joannem ega
decollavi. Quis est autem iste, de
la sociele juive des bruits diveis, dont I'echO'
Tfrirti'i aux oreilles d'Herode, et qui I'empe-
cFiaient de parveuiraune conclusion ccrlaine.
Trois des conjectures populaires regoivenl
uni" mention speciale. \o Joannes surrexit...
20 Elias appaiuit (Jfavrj), mot bien clioisi^
puisque Elie n'cst pas morl ; de Jean-Bap-
tiste el des aulres proplietes on disait : « sur-
rexit »). 30 Propheta utius de antiquis, quel-
qu'un de ces grands prophetes qui n'avaient
pas eu leurs pareils depuis plusieurs si^cles.
9. — Et ait Herodes... Le langage du te-
trarque indicpie une perplexilequi ne fait que
s'accroilre. Fourlant, le nom de sa viclime
semble avoir produil en lui une impressiott
plus vive. Mais, se hale-t-il d'ajouler comme
pour rassurer ses craintes, Joannem ego de-
collavi; par consequent il n'esl pas vraisem-
blable que ce soil Jean-Bapiiste. Qui sera-cfr
done? Quis est iste de quo ego (nolez celle re-
petition emphatique du pronom) talia audiof
« Talia », d:\schoses si surprenantes! — Et
qucerebat videre eum : trail special, bien na-
turel (lu reste apres ce qui precede. Herode
esperait pouvoir s'assurcr « de visu » que Je-
sus n'etait pas Jean-Baptisle. Son desir no fut
realise qu'au temps de la Passion, comme
nous I'apprendra S. Luc, xxiii. 8. — D'apre*
les deux aulres synopliques, le tetrarque An-
lipas, au lieu de demeurer ainsi en suspens-
sans savoir a quel parti s'arreter, se prononce
aucontrairesansliesilersuria naturede Jesus:
« Hie est Joannes Bapti?ta; ipse surrexit a-
mortuis, el ideo virtules operanlur in eo ».
Mauh. XIV. 2 (Cfr. Marc. xi. 14). Est-ce une
contradiction? Pas le moins du monde. II est
aise de resoudre celle antilogie appareiite en.
disant que le moment psycl)ologi(jue decril par
1( s narraleurs n'esl pas le meme. S. Luc nous
represente les premieres impressions d'He-
rode ;S. Matlhieu et S. Marc considerenl le te-
trarque in peu plus tard, alors qu'il avail pris
un parti definitif. « Post banc bsesitaiioneiui
CHAPITRE IX
IS5
quo ego lalia audio? Et quserebat
videre eum.
10. Et reversi apostoli, narrave-
runt illi quaecumque fecernnt; et
assumptis illis secessit seorsum in
cum desertum, qui est Bethsaidse.
11. Quod cum cognovissent tur-
bae, secatse sunt ilium ; et excepit
eos, et loquebatur illis de regno
Dei, et eos, qui cura indigebant,
sanabat.
12. Dies autem coeperat declinare.
Et accedenles duodecim dixerunt
dire de telles choses? Et il cherchait
a le voir.
10. Et les ap6tres etant reveuus
raconterent a Jesus tout ce qu'ils
avaient fait, et les prenant avec lui
il se retira a Fecart en un lieu de-
sert du terriloire de Bethsaida.
11. Lorsque la foule I'eut appris
elle le suivit, et il les recut, et il leur
parlait du royaume de Dieu et gue-
rissait ceux qui avaient besoin de
guerison.
12. Or le jour commencait a de-
cliner, et les Douze s'approchant lui
(t. 7) intelligendus est confumasse in animo
suo quod ab aliis dicebatur ». S. August., de
Cons. Evang. I. ii, c. 33. — Noire "evange-
liste, qui avail mentionne plus haul, iii,l9
et20, i'cu^pli^on^emenl Qa Piecurscur, ne
donne aucun detail ^ur son mat tyre, se con-
lentant du « Joannem ego decollavi » d'He-
rode. t, 8. En cela, M. Renan voil la preuve
3ue S. Luc « clierche a diminuer les niet'ails »
u tetrarque, o et a presenter son interven-
tion dans rhisloire evangelique comme bien-
veiHante a quelques egaids ». Les Evangiles,
Paris 4877, p. 255. II faut une grande puis-
sance de critique pour arriver k de idles
conclusions!
19. Retour des Douze et multipUcation
des pains, ii, 10-17. — Parall. Matth xi?, ia-2i;
Marc. Ti, 30-44; Juan, vi, 1-13.
10. — Et reversi apostoli. Gombien de
temps avail dure leur absence? Un jour seu-
lemcnt, d'apres une singuliere hypothese de
Wieseler. Mais le rdcit anlerieur de S. Luc
(Cfr. en particulier les versets 4-6) suppose
que la mission avait embrasse un nombr'i
assez considerable de villes et de bourgades,
et que les Apotres avaient sejourne dans plu-
sieurs d'entre piles, ce qui deraande un inter-
valle d'au moiiis qur-lques S'lnaines. — As-
sumptis illis secessit... Sur les deux motifs
simuilanes de cette relraile, voyez I'Evang.
selon S. Maltliieu, p. 292. Nous apprenons
dans les aulres redactions que la premiere
parlie du Irajel ful faite en barque. — In lo-
cum desertum qui est Bdhsaidce. Le teste grec
esL indecis en eel endroit. La Recepta porte :
eU TOTTOv eprifAov 7t6).e(i); xaXoyjievYj; ByjOffalSi.
Lf manuscrit Sinallique a simplement : el;
xoTtov epr,|j.ov. La leQon el? iroXiv y.a),ou|xevTiv
BTi9(Tat5a (B, L, X, elc ) semble offrir le plus
de garanlies. En combinant ce pa.~sai;e de
S. Luc avec une note subsequenie de S. Marc
(VI, 45; voyez le commentaire). on rst arrive
a la conclusion t:6- Iei:itime qu'il exi-tait
alors deux Brlhsiiuia dans la Palestine du
Nord. Celle que noire evangelisle menlionne
actuelleaient etait liatie sui- une coilino qui
domine la plaine descrte d'EI-Bulilii h : il
n'en reste plus que des ruiucs -ans nom. Cfr.
Wilson and Wiirrtn. The Recovery of Jeru-
salem, p. 351-366; Baedtker's Palestina und
Syrien, 1875, p. 386.
il. — Tuibw serulw sunt ilium. Gomparez
les details pilloresques de S. Marc, vi, 33.
G'est a picd. et en longeanl le rivage, que la
foule rejoignil Nolre-S;"ign' ur qu'elle avail
vu partir avec peine. — Excepit eos . irait
special el bien touchant. Jesus cherchait un
peu de repos pour les siens. S'll eut voulu,
il lui etait aise d'ecliapper a la nn.uliitude ou
de la congedier ; ma is 1 1 prelere I'accueillir
avec sa bonle accoutumee.L'expression grec-
que aito8s?dt(ievoi:, employee par les mcilleurs
leinoin-; B, D, L, X, S:nait., i tc.) au lieu de
Sc^diJievo? qu'on lit dans la Reci'pla, est cflle
qui avait servi a depeindreplus haul, viii, 40,
i'aiinable reception faite a Jesus par les Ga-
lileens. — Loquebatur..., sannbat. Jesus,
comme toujours, associe etroiteraent sa pre-
dication et ses miracles, ccnQimaot la doc-
trine par les oeuvres. S. Luc a seul signal^
cette union dans la circonstance presenle.
S. Malihieu parity uiiiquement de la predica-
tion. 0epairsia«, I'e piivalent grec de cura, est
une expression medicale.
12 et 13. — Ges deux V( rsets exposent les
preliminaires du piodige. — La locution dies
coeperat declinare fy :?ijj.£pa iipjaro xXiveiv), pro-
pre au troisieuie Evangile, est d'un grtlce toute
atliqiie : elle dcsigue environ 4 heures de
I'apies-midi. L'in(|uielude gagni^ a ce mo-
mint les Apotres. V^uyantquela foule s'oublie,
ils rappellent k leur maitre le cote pro?aIque
de la situation et la necesaile dn licencier
•4 86
EVANGILE SELON S. LUC
dirent : Renvoyez la foule, afin que
s'en allant dans les bourgs et les
villages d'alentour, ils se logent et
trouvent des aliments; car ici nous
sommes dans un lieu desert.
13. Mais il leur dit : Donnez-leur
vous-memes a manger. lis lui di-
rent : Nous n'avons que cinq pains
et deux poissons, a moins que nous
i^'oiii/^ia* ^'^v^-ffiemes acheler des
aliments pour toute cette foule :
14. Or, ils etaient environ cinq
mille hommes; et il dit a ses
disciples : Faites-les asseoir par
groupes de cinquante.
lb. Et ils firent ainsi et ils les
firent tous asseoir.
16. Et ayant pris les cinq pains
et les deux poissons, il leva les yeux
au ciel et les benit, les rompit et
les distribua a ses disciples pour
qu'ils les offrissent a la foule.
17. Et toug mangerent et furent
rassasies. Et Ton emporta douze
corbeilles de fragments qui etaient
restes.
illi : Dimitte turbas,iit euntes in cas-
tella, villasque quse circa sunt, di-
vertant, et inveniant escas : quia
hie in loco deserto sumus.
Mailh. li, la; Marc. 6,36
13. Ait autem ad illos : Vos date
illis manducare. At illi dixerunt :
Non sunt nobis plus quam quinque
panes, et duo pisces : nisi forte nos
eamus, et emamus in omnem banc
turbam escas.
Joan. 6, 9.
14. Erant autem fere viri quinque
millia. Ait autem ad discipulos
suos : Facite illos discumbere per
convivia quinquagenos.
15. Et ita fecerunt. Et discum-
bere fecerunt omnes.
16. Acceptis autem quinque pani-
bus, et duobus piscibus, respexit
in coelum, et benedixit illis : et fre-
git et distribuit discipulis suis ut
ponerent ante turbas.
17. Et manducaverunt omnes, et
saturati sunt. Et sublalum est quod
superfuit illis, fragmentorum co-
phini duodecim.
promptement le peuple. — Divertant, xaxa-
-ludwat, est une parliciilarite de S. Luc; de
meme I'emploi du subslanlif eTriffiTtffjAo?, escas
de la Vulgale (S. MaUli. a Ppwixaxa, S. Marc
■apTou; : varianles pleines d'inleret;. — Vos
date illis manducare. Dans le lexle pr^.i-itif,
les Irois synopiiquts leproduisent, idealique-
menl celle reflexion de Jesus. Les n:iots siii-
vants, non sunt nobis... et duo pisces, sont
comrauns a S. Maiihieu et a S. Luc. La Qn
du t- 4 3, nisi forte nos (emf)hatique) eamus...
in omnem banc turbam (nouvelle em phase)...,
se rolrouve avec uiie nuance dansS. Marc.
'14-47. — Recil du miracle. Voyez I'E-
vang. selon S. Maiihieu, p. 294 et s. —
Quoique Jesus ait devanl lui plus de cinq
mille personnes a nourrir (MaUh. viii, 24 ;
Marc, vr, 44), les cinq pains et les deux
poissons que les Apotres ont mis a sa dispo-
sition lui suffisent amplement, car sa puis-
sance u'a pas de bornes. Mais lout d'abord il
procede au placement de ses convives, pour
rendre la distribution di^s vivres plus facile :
facite illos discumbere (xaTax).tvaTe aOTou;) per
eonvivia (xXiaia;, litteral. « per discubitus a,
.par divans, ou par tables, comme nous di-
rions) quinquagenos (iva 7tevTY)xovTa) . Comp.
Marc. VI, 39, 40 et le commeniaire. « Quod
Lucas hie dicit quinquagenos jussos esse dis-
cumbere, Marcus vero quinquagenos et cen-
tenos, ideo non movet, quia unus partem
dixit, alter tolum... Existunt saepe aliqua
ejusmodi, quoe parura inlendenlibus, lemere
judicantibus, contraria videantur, el non
sint », S. Auguslin, de Cons. Evangel. I. iv,
c. 46. — Distribuit; dans le grec, iSidov 4
I'imparfait, comme dans le second Evangile :
il donnail el conlinuait de donner ce pain
miraculeux, jusqu'a ce que tout le monde fut
servi. Comme le dit S. Augustin, Enarrat. ii
in Ps. ex. 10, « fontes panis erant in mani-
bus Domini ».
20. Confession d© S Pierre et premiere
annonce de la Passion, tx, 18-27. — Parall.
Matlh. XVI, 13-28; Marc viii, 27-39.
II regno ici ime lacune considerable dans le
troisieme Evangile. Tous k-s evenemenls ra-
contes parS. .Maiihieu, xiv, 22-xvi, 4 2, et par
S. Marc, vi, 45-vin, 26. c'est-a-dire la marche
de Jesus sur les eaux, les miracles operas
dans la plaine de Gennesareth, la discussion
CHAPITRE IX
187
18. Et factum est. cum solus esset
orans, erant cum illo et discipuli :
et interrogavit illos, dicens : Quern
me dicunt esse turbse?
MaClk. 16, ^3■, Marc. 8,J27.
19. At illi responderuut, et dixe-
Tunt : Joannem Baptistam ; alii au-
tem Eliara ; alii vero quia unus pro-
pheta de prioribus surrexit.
20. Dixit autem illis : Vos autem
-quern me esse dicitis? Respondens
Simon Pelras dixit : Christum Dei.
21. At ille increpans illos, prsece-
pit lie cui dicerent hoc.
IS.Etil advint qu'etant a prier
seul, il y avait avec lui ses disci-
ples. Et il les interrogea disant : La
foule, qui dit-elle que je suis?
19. lis lui repondirent : Jean-Bap-
tiste; d'autres, Elie; d'autres, un
des anciens prophetes qui est res-
suscite.
20. Et il leur dit : Mais vous, qui
dites-vous que je suis? Simon Pierre
repondantdit : Le Christ de Dieu.
21. Mais il leur enjoignit avec au-
torite de ne le dire a personne;
avec les Pharisiens au sujel dii pur cl de
I'lmpur, le voyage de Notre-Seigneur en Phe-
nicie, la guerison de la jeiine Chananeentie,
le retour de Jesus dans la Decapole, la se-
<:onde mulliplicalion dos pains, la demande
d'un signo par les sectaires jmfs, etc., onl eld
passes sous silence par S. Luc (voyez I'Har-
monie evangelique). Mais a son tour il nous
fournira bienloi de nombreux details omis
par les autres biographes de Jesus.
a. La confession de S. Pierre, ff. 18-20.
18. — Et factum est... La iocalite nVst
pasmentionnee ; mais nous savons, grace aux
deux pre,..iiTS synopliqurs, qm; Auin-Si'i
gneur se Lrouvail alors aux alentours de Ce-
sarde de Philippe, a environ 40 kilometres au
N. de Bolhsaida-Julias. Cfr. Baedeker's Pa-
lestina und Syrien, p. 396, el nos coinmen-
taires sur S. Mallhieu, p. 320, et sur S. Marc,
p. 125. — Cum solus esset orans. Details pro-
pre^ a noire evangelisle. La solitude de Jesus
n'elail pas absoluis puisque erant cum illo et
discipuli (dans le grec : « cum illo disci-
puli », sans la cor.jonclion xat), niais seule-
menl relative, par rapport a la foule qui sui-
vail le divin Mailre a quelque distance. Cfr.
1^. 23 (:t Marc, viii, 34. Quynt a I'objet de la
priere du Sauveur, il est clairement indique
par les circonstances : « orans Patrem pro
discipulorum illuminalione, ut Paier reve-
laret eis cognilionem ipsius ». Fr. Luc de Bru-
ges. C'etait alors une epoque de crise dans la
vie de Jesus, comme le demontreronl les in-
cidents qui suivent ; c'est pourquoi il s'adres-
salt avec instance a son Pere celeste. —
Quern medii-unt esse turbce? ol 3x^°' (S. Matth.
et S. Marc, ol dveptoTtoi, « homines »>), le peu-
ple en general, ces multitudes enlhousiastes,
mais ignoranles, qui me suivent. Assurement,
Jesus n'inlerrogeait pas les Douze pour avoir
sur ce point une information proprement
dile; mais il voulait obtenir d'eux un acte de
lui formel au sujel de son role messianique
et de sa, nature divine.
19. — At illi responderunt... Les Apotres,
dans leur reponse, menlionnenl les trois hy-
potheses que nous avons entendu relentir
precedemment (lir. 8) dans le palais d'Herode
a propos de Jesus. Voyez le commentaire sur
S. Malthieu, p. 321. La locution propheta
de prioribus est de nouveau uue parlicularite
de S. Luc. Alii autem (aXXot S^) supposeraitun
« alii quidem » ol (J-ev) qui n"fsl pas exprimd,
20. — Vos autem. « Ali! que de grandeur
dans ce Vous! II les di>lingue de la foule,
afin qu'ils onevilenl les opinions; comme s'il
disail : Vous qui, par mon choix, avrz ete ap-
peles a raposlolat; vous, les temoins de mes
miracles, qui dites-vous que je suis »? S. Cy-
rille. Cat. graec. Pair. — Respondens Simon
Fetrus. « S. Pierre s'elance en avant iTrpo7i-/i8a)
pousse par I'ardeur de sa foi ». S. Jean Chry-
soslome. Le texte grec ne cite que le second
nom du prince des Apotres, 6 Ui-zpoQ. —
Christum Dei, plus energiquement dans le
grec, Tov XpioT^v xoO 0eou. Les termes de la
confession de S. Pierre varienl dans les trois
synopliques. S. Matthieu a conserve la for-
mule complete de ce bel actede foi : « Tu es
Christus, filius Dei vivi ». La redaction de
S. Marc est la plus condensee : « Tu es
Christus ». Celle de S. Luc tient le milieu
entre les deux autres. Au fond ils expriment
tons clairement !a m6me pensee. Le litre
« Christ de Dieu » avait deja fait une pre-
miere apparition dans noire Evangile, ii, 26.
— Voyez dans S. Matthieu, xvi, 17-19. les
magnitiques promessesque S. Pierre re^ut de
Jesus en echange de sa noble confession.
b. La Passion du Christ. }}. 21 et 21.
21. — At ille increpans... Dans le grec,
I'rttTifiri.Ta;, mol tres fort, souvent employ^
par les synopliques en de? circonstances ana-
logues. Voyez Bretschneider, Lexic. man..
188
EVANGILE SELON S. LUC
22. Ajoutant : II faiit que le Fils
de I'homme souffre beaucoup, qu'il
soil rejetc par les aiiciens et les
princes des prelres et les scribes, et
qu'il soil mis a mort et qu'il ressus-
cite le Iroisieme jour.
23. II disait encore a tous : Si
quelqu'un veut venir apres moi,
qu'il se renonce lui-meme et porta
sa croix chaque jour et me suive.
24. Gar celui qui voudra sauver
sa vie la perdra, et celui qui perdra
sa vie a cause de moi la sauvera.
25. Kt que sert a Thomme de ga-
22. Dicens : Quia oportet Filium
hominis multa pati, et reprobari a
senioribus, et principibus sacerdo-
lum, et scribis, et occidi, et tertia
die resnrgere.
Malt. 17, 21; Marc. 8, 31 et 9, 30.
23. Dicebat autem ad omnes : Si
quis vult post me venire, abneget
semetipsum, et tollat crucem suam
quolidie, et sequatur me.
Maith. 19, 38 et 16, "24; Marc. 8, 34; Joe. J4, 27.
24. Qui enim voluerit animam
suam salvam facere, perdet illam :
nam qui perdiderit animam suam
propter me, salvam faciei illam.
Infr. 17, 33; Joan. 1-2,25.
2o. Quid enim proticit homo, si
S. V. — Ne cut dicerenl hoc [a quia ipse essel
Chrislus », S. Matlh.). Le lemps n'eiail pas
encore venu de faire ceite revelation au peu-
ple. On eut loul compromis en manisfeslanl
Irop t6l la nature superieure de Jesus a des
esprils mal prepiires. Du reste, comineNnlre-
Seigneur va I'indiquer au t. 22, couibien,
apres avoir cru d'abord a son caraciere mes-
sianiqu^i el h sa divinile, se seraienl cnsuite
scandalises de sa Passion el de sa moril
Ainsi done, suivanl une heurcuse pensee de
Riggenbach, il se revele et se voile en meme
temps.
22. — II regne, toucliant celle douloureuse
prophetie de Jesus, une coincidence frap-
panledans les trois recits. On congoitque des
paroles aussi inaltendues se soient gravees
en trails ineffagables dans ie coeur des Douze
et, par suilo. dans la catechese rhreiienne.
La description est lellement precise, qu'on
la croirait composee apres coup par un his-
torien. Voyt^z {'explication des passages pa-
rallel's deS. Slalihieu eldeS. Marc. Le verbe
grec dTvooox'.fiaaSrivat, qui correspond a repro-
bari de la Vulgate, a une grande energie
(Cfr. Breischneider, Lex. man. s. v.) : sa tra-
duction litlerale serail « repudiari tanquam
spurium el inutile ».
c. Le renoncement Chretien, yf. 23-27.
Voyez I'explication detaillee dans I'Evan-
gile selon S. Matlhieu, p. 330 el ss., el dans
I'Evang. selon S. iMarc, p. 128 et ss. La res-
semblance est rarement aussi complete entre
les trois synopiiques : c'est a peine si quel-
ques expression- diireront.
23. — Dicebat ad omnes. A ce moment,
Jesus n'etail done plus seul avec ses disci-
ples ;Cfr. t. 18). « Et convocala turba cum
discipulis suis, dixit cis... », li.-ons-nous dans
le second Evangile. — Tollat crucem suam :
chacun sa croix personnelle, celle qui lui a
e'te destinee par la divino Providence. —
Quotidie : mot important, qui aftpanii-nl en
propre a la redaction de S. Luc. L'abnegalion
du Chretien ne doit pas se borner k quelques
moments isoles de sa vie : il faut qu'elle soil
qiiotidii-nne, perpetuelle. La locution adver-
biale y.a6' f,|x£pav manque, il est vrai, dans
d'assez noinbreux maniiscrits; lontefois sa
presence dans les meilleurs temoins (A, B, K,
L, M, Sinait,, etc.), suffit pour garantir son
authenlicite. S. Jerome I'avail trouvee deja
a in vetustissimis exemplaribus a ,Ep. xvi
ad Princip ), < t I'lm ne coraprendrail guere
que ce fut une glose inseree dans le texte,
des lorsquelcs deux autresevangelistes n'ont
rieii de scmblable. — Et sequatur me. Les
Chretiens dignes de ce nom forment, a la
suite de Jesus qui ouvre la marche, une ton-
gue proces-ion de crucifies.
24. — Qui enim vulueri',... Notre-S'^igneur
demonlre maintenant la necessite, pour le
Chretien, de cette a via cruci- » quolidienne.
Ses divers arguments, tt- 24-26, sont pre-
sentes sous la forme piquante des jeux de
mots et des antitheses. Ici, nou-avons I'lmage
d'un liomme qui se sauve en sa p rdanl, ou
qui S3 p^rd en voulant se sauver. — Nam
qui... : mii ux vaudrait a qui autom », con-
lormement au grec.
25. — Quid enim proficit... Ce n'est qu'une
nuance, mais en meme temps c'est une con-
firmation (Yap) de la pensee qui precede. —
La fin du verset, se ipsuni perdat etiu aul »
d'apres le grec) detrimentum sui faciatga
CIIAPITRE IX
189
liicretur nniversum mundum, se
autem ipsum perdat, et detrimen-
tum sui facial?
26. Nam qui me eriibuerit, et
meos sermones, hanc Filius homi-
nis enibescet, cum venerit in ma-
jestate sua, et Patris, et sanctorum
anp:elorura.
Matih. 10, 33; Marc. 8, 38; // Tim. 2, li.
27. Dico autem vobis vere : Sunt
aliqui hie stantes, qui non gusta-
bunt mortem donee videant rei?num
Dei.
Malth. 16, 28; Marc. 8, 39.
28. Factum est autem post hsec
verba fere dies octo, et assumpsit
Pelrum, et Jacobum, et Joannem,
€t ascendit in montem, ut oraret.
Matth. 17, 1; Marc. 9, 1.
gner le monde entier s*il se perd lui»
meme et cause sa propre ruine?
26. Gar celui qui aura rougi de
moi et de mes paroles, le Fils de
I'homme rougira de lui lorsqu'il
viendra dans sa majeste et dans
celle du Pere et des saints anges.
27. Or, je vous le dis en verite :
II y en a quelques-uns ici presents
qui ne gouteront point la mort avant
d'avoir vu le royaume de Dieu.
28. Environ huit jours apres qu'il
eut dil ces paroles, il prit Pierre et
Jacques el Jean, et monta sur una
montagne pour prier.
regii dans noire Evangiieune forme S[)eciale,
legerem'-nl emphalique. Comparoz les pas-
sages paralleles.
26. — Qui me erubuerit... hunc Filius ho-
minis erubescet. « Par pari refertur », et
jamais los vengeances de Jesus n'auront ele
plus legitimes, lant il est honteux el lache
do rougir de lui el de sa doclrini^ apres lout
ce qu'il a daigne faire pour nous. — Ici
encore nous avons une legere modification
(Cfr. Malll). XVI, 27; Marc viii, 38). Nolre-
Seigneur m'^niionne trois gloires distmctes
dont il si'ra magnifiquemeni enloure quand
il vi 'ndra juger les hommes a la fin des
temps : sa gloire personnelle (in majestate
sua), la maj'^siede son Pere celeste (et Patris
sui), Teclal brillanl des anges qui compose-
ronl sa cour [et sanctorum angelorutn).
27. — Dico autem vobis vere • a).7i6to;, au
lieu de ['expression hebraique ifAifiv des deux
autres ^vangelislos. — Sunt aliqui hie stantes.
« Hie » est emphalique, a slanles » pitto-
resque; les disciples et la foule se tenaient
done alors deboul aulour du Sauveur. — Sur
h sensde la promesso non gusta bunt mortem
donee..., voyez I'Evangile selon S. Mallhieu,
pp. 332 et"333.La Transfiguration, malgre
loiiies ses spli'nieurs, n^ saurail meriier
d'lin'^ maniere adequate le nom de regnum
Dei (« n(>n proprie regnum, seii fijluri
reiiiu imago erat », Maldonal); elle ne realisa
pas dans leur entier ies paroles de Jesus.
21. La Transfiguration, ii, 28-36. — Parall.
Matth. XVII, 1-13; Marc, ix, 1-12.
All point d) vue de la forraj exlerieure,
oous avons en cet endroit le conlraire de ce
qui a ele remarque a propos des versets
precedents, car il regne dans les trois re-
cits une grande variele d'expressions. Pour
le fond, nous sommes redevables a S. Luc
de plusieurs delads bien precieux, entre
autres : t. 32, « gravati erant somno », « et
evigilantes... », « qui siabaiu » , t.33, « quum
disced^-rent ab ilio »;t- 34, « intrant b is illis
in nubem. » — Ce glorieux evenement
marque le faite de I'existence humaine du
Sauveur. Jusqu'ici on peut reconnaitre, spe-
cialement dans sa vie publique, un mouve-
ment ascensionnel constant pour ce qui
regarde son succes aupres des liommes. De-
sormais altendons-nous a descendre. Ses
miracles seront pen nombreux (on n'en
compte que cinq depuis la Transfiguration
jusqii'a la Passion); sa predication publique
deviendra rare; il aura souvent sur les levres
des allu-ions a sa mort prochaine; il vivra le
plus habiluelleraent dans la relraile, avec
ies siens.
28. — Post hcec verba fere dies octo. Sur
cette maniere speciale de compter les jours
qui separerent la confession de S. Pierre d3
la Transfiguration, voyez I'Evangile selon
S. Mallhieu, p. 334. — Ascendit (avs'gri;
S. Mat til. et S. Marc, iva^epeO in monlem
(T6 6po;avec rarticle). Celle montagne etail
le Thabor suivant les uns, I'Hermon suivant
les autres. « Verisimile fit. salvo m^liori
judicio, ut superiora (tt. 18 et ss.) ila et haec
consequenlia , in parlibus Caesareae Plulippi
conligisse » (Luc de Bruges), par consequent
sur I'Hermon ou I'un de ses conireiorts.
Voyez Schanz, Cominentar iiber das Evang.
des heil. Matlh., 1879. pp. 385 el s. — tjt
490
fiVANGILE SELON S. LUC
29. Et pendant qu^il priait, I'as-
pect de sa face devint tout autre, et
sou vetement devint blanc et bril-
laut.
30. Et voila que deux hommes
s'entretenaient avec lui, el c'etaient
Moise et Elie,
31. Apparus avec majeste. Et ils
parlaient de sa sortie du monde
qu'il devait accomplir a Jerusalem.
32. Gependant Pierre et ceux qui
29. Et facta est, dum oraret, spe-^
cies vultus ejus altera; et vestitus
ejus albus et refulgens.
30. Et ecce duo viri loquebantur
cum illo. Erant autem Moyses, et
Elias,
31. Visi in majestate : et dice-
bant excessum ejus, quern coraple-
turus erat in Jerusalem.
32. Petrus vero, et qui cum illo-
oraret : lei fut le but direct que Jesus se
proposail en gravissaiU la montagne avec ses
disciples privilegies.
29. — Dum oraret (repetition pleine d'era-
phase pour relever le rapport qui exista entre
le prodige et la priere de Jesus). Pendant
que le Sauveur elait plonge aans sa profonde
et mysterieuse oraison, sa personne devint
lout a coup robjet d'un merveiileux pheno-
raene. Pour decrire la [)articularile priiicipale
du miracle, S. Luc n'emploio pas le verbe
(i.eT£(iop(pw9Yi. donl S. Matlhieu et S. Marc
avaient fail usage : peut-etre, comme on I'a
dil, I'a-t-il eviie a dessein, parce que les
palens en abusaient pour designer les meta-
morphoses de leurs dieux, et qu'il voulait
ecarter de I'esprit de ses lecteurs lout sou-
venir profane et superslitieux. II a done re-
cours a une circonlocution, facta est species
vullus ejus altera ; ce qu'il rie faut pas en-
tendre d'un changiMneiit opere dans les linea-
ments du visage, uiais do Fecial surnatu-
rel, de la beaute divine, qui firent resplendir
la pliysionomie de Jesus. « Transformalio
splendoreni addidit, faciem non subtraxil. »
S. Jerome. — Veslitus ejus albus et refulgens,
Xsuy.o; xai £$affTpd7tTwv ; ce dernier mot si-
gnifie lilleralement : langant des eclairs.
« TransGiiuralur in eminenlem quamdam ac
Deo convenienlem claritalem, ul ipsum etiam
vestimentum lucis quosdam radios evibrarel
et fulguri esse simile viderelur. » S. Cyrill.
in Cat. graec. Pair. La preposition il indique
fort bien que la lumiere eblouissante des ve-
temenls provenait « ab intra », c'est-a-dire
du corps transfigure de Jesus.
30. — Et ecce duo viri... Gelle maniere de
presenter au lecleur les deux temoins celestes
du myslere de la Transfiguration est spe-
ciale a S. Luc. 11 se place au point de vue
des trois apotres, pour lesquels les interlo-
cuteurs myslerieux de Jesus ne furentd'abord
que des hommes inconnus. Mais bientol il
devint manifeste que c'etaient Moise et Elie
(comparez S. Maiihieu et S. Marc). Quel
spectacle sur la sainte montagne 1 « Hie Do-
minuSv hie Lex et Prophelae ; sed Dominus
lanquam Dominus; Lex in Moyse, Prophelia
in Eiia; sed ipsi tanquam servi, lanquam
ministri. » S. August., Serm. Lxxviii.
31. — Visi in majestate ev oo^t;, c'est-a-
dire « in gloriosa specie ». lis etaienl, eux
aussi, brillanls et transfigures. — El dice-
bant excessum ejus. Le mot grec l^oSo;, de
meme que son correlalif latin « excessus »,
signifie propremenl « depart ». La suite du
verset, quern complelurus erat in Jerusalem,
designe clairement de quelle espece de de-
part il est ici question. Jesus avail eu soa
elffoSo; (Act. xiii , 24) a Bethleem : son
« exode » de Jerusalem n'esl autre que sa
morl : Tov GavaTov, dit Theophylacte ; ou
plulot.ce « vocabulum valde grave, » comme
I'appelle juslemenl Bengel, ne correspond
pas seulemenl au dernier soupirdu Sauveur,
mais il embrasse loutes les scenes du grand
drame par lequel Jesus devait soriir de c©
monde et remonter au ciel ^« quo continelur
passio, ciux, mors, resurrectio, ascensio »).
Sur cet emploi de e^ooo? et de « excessus »,
voyez Sap. ni, 2; vii, 6; II Pelr. i, 13 (lieToc
TT.v e|jir)v E$o5ov) ; Cic. de Rep. II, 30 ; Bret-
schneider, Lex. man. s. v. 11 est elonnant
qu'a deux reprises S. Jean Chrysoslome ait
lu 66?av pour e5o5ov. Aucun manuscrit, au-
cune version n'appuie sa varianle. — Quel
theme de conversation entre Jesus, Moise et
Elie en ce moment glorieux ! La morl du
Christ etail done bien le point central de la
Loi el des Propheles 1 De la Loi, par le&
nombreuies viclimes figuratives; des Pro-
pheles, par leurs oracles aussi nets que nom-
breux.
32. — Du Sauveur transfigure et de ses
deux compagnons celestes, I'evangelisle nous
ramene aux apotres. Le premier trail, gra-
vali erant somno iplus fortemenl encore dans
le grec, ^sav p£6apyi[ji£votuitvw', semble indi-
quer que le miracle de la Transfiguration
eut lieu pendant la null (Cfr. t. 37). Nean-
moins il est possible, suivant I'excellente re-
flexion de S. Jean Chrysoslome el de S. Am-
CHAPITRE IX
<W
eranl, gravati erant somno. Et vi-
gilantes videmnt majestatem ejus,
et duos viros, qui stabant cum illo.
33. Et factum est cum discederent
ab illo, ait Petrus ad Jesum : Prse-
ceptor, bonum est nos hie esse; et
faciamus tria labernacula, unum
tibi, et unum Moysi, etunum Elite :
nesciens quid diceret.
34. Hsec autem illo loquente, facta
est nubes, et obumbravit eos :
et timuerunt intrantibus illis in
nubem.
35. Et vox facta est de nube di-
cens : Hie est filius meus dilectus,
ipsum audite. n Peir. i, n.
36. Et dum fieret vox. inventus
etaient avec lui etaient accables d&
sommeil, et se reveillant ils virent
sa gloire et les deux hommes qui
etaient avec lui.
33. Et, lorsqu'ils s'eloignerent de
liii, Pierre dit a Jesus : Mai'tre, c'est
bon pour nous d'etre ici; faisons trois
tentes, une pour vous, Fautre pour
Moise, I'autre pour Elie. II ne savait
ce qu^il disait.
34. Gomme il parlait ainsi,une
nuee se forma et les enveloppa de
son ombre, et, lorsqu'ils entrerent
dans la nuee, eux furent saisis de
frayeur.
35. Et une voix sortit de la nu6e
disant : Gelui-ci est mon Fils bien-
aime, ecoutez-le.
36. Et pendant que la voix par-
broise, que S. Luc n'ail pas tani voulu si-
gnaler ici une somnolence naturelle que I'es-
p6ce de lorpeur dans iaquelle les sens humains
8ont quelqiiefois plonges par la vue des divins
phenomenes : uuvov evTa06a xaXtov (6 Aouxa?)
tiv itoXuv xdpov Tov airo ttj; v^toD^ exeivrii; auxoi?
•Ylfivoixevov (S. Jean Chrys,). — Evigilantes.
Cette Iraduclion de SiaYprjyopviffavTe; esi con-
teslee par divers philologues qui, s'appuyanl
d'une part sur relymolugie (6ia et ypTiYopew,
lilleral. je veille a lravers),de I'aulru sur les
auleurs classiques, donnunl a notre verbe
grec le sens de demeurer eveille. D'apres
eux et les commentateurs qui se sent in-
pires de leur avis, les apoires auraierU done
domine a I'aide de vigoureux eflorls le som-
meil qui les envaliissait. Mais la version de
la Vulgate a encore de nombreux defenscurs:
elle est du resle beaucoup plus nalurelle.
Ajoutons que le grec du Nuuveau TesLament,
comme celui des Seplaale, n'est pas loujours
d'accord avec celui des classiques, les ecri-
vains sacres altribuant a certains mots des
ecceplions peu ou point usilees en dehors de
leurs livres. — Viros qui stabant cum illo:
trait pitloresque, qui nous fail connailre I'at-
tilude de Jesus, de Molse et d'Elie.
33. — Cum discederent ab illo (scil. « Moyses
el Eliasa). La conversation a pris fin, elvoici
que les represenlanls de la Loi et des Pro-
" >hdles coiiimencenl a s'eloigner. S. Pierre s'en
ipergoil el, desireux de prolonger le plus
jossible ces monii nls fortunes, il propose a
son Maitre de se mettre immedialcment k
Tosuvre (« Pelrus, non solum affeclu, sed
etiam faclorum devolione praeslantior »
S. Ambr ) avec Jacques el Jean, pour cons-
truire trois abris qui permeUroul aus trois
augustes inlerloculeurs de resler longlemps
sur la montagne.Mais il parlait ainsi nesciens
quid diceret ; il avail I'espril tout trouble par
sa vive emotion. — Praceptor : in^a16.^a,
Kupie dans le premier Evangile, (xxBSi dans le
second.
34. — Facta est nubes: « lucida », ajoule
S. Malthieu. — Et obumbravit eos, c'est4-dir©
Jesus, Molse et Elie, comme il ressort du
conlexie : intrantibus illis (exeivoui;, ceux-la;
la varianle auTous des manu-criis B, C. L,
Sinait., est muiiis aulorisee) in nubem. Les
apotres reslerenl done en dehors de la nuee,
qui eiait precisemenl destinee, dit S. Am-
broise, a leur pei lueltre de supporter la pre-
sence de la divinite. Ce nuage bnllanl ful
sans doule de meuie nature que celui qui
voila plus lard le Sauveur montant au ciel,
Act. 1, 9. — Timuerunt : les disciples furent
saisis d'effroi a la vue de cette nouvelle ma-
nifeslion surnalurelle, plus mysterieuse quo
loules les piecedenles.
35. — C'esl ici le fail principal. Dieu lui-
meme prend la parole pour rediie clairenient
(Cfr. III. 22) l(^s relations qui I'uiiissent a
Jesus : Hie est Fdius meuslAa lieu de dyairoTo;
(dilectus), plusietirs critiques disiingues
(Lachmann, Tiscliendorf, Tregelles) adoplent
la leQon exXeXeytie'voi; (« eleclus »), que palron-
nent les manuscrils B, L, Z, Sinail., et la
version cople.
36. — S. Luc abrege notablement la fin du
recil; voyez dans les passages parallelesde
S. Mallliieu et de S. Marc les details qu'il a
condenses en eel end roil. — Ipsi lacnerunl et
nemini dixerunt. Repelilion emphatique, pour
49S
fiVANGILE SELON S. LUC
lait, Jesus se trouva seul. Et eux se
turent et ne dirent a personne
en ces jours-la rien de ce qu'ils
avaient vu.
37. Et le jour suivant, lorsqu*ils
desceiidaient de la montagne, uue
foule nombreuse vint au-devant
d'eux.
38. Et voila qu'un homme de la
foule s'ecria, disant : Maitre, je vous
en supplie, jetez un regard sur men
fils, car c'est mon unique fils.
39. Et voila qu'un esprit se saisit
dc lui et aussit6t il crie, puis il le
jette en terre et I'agite en le faisant
ecumer, et a peine le quitte-t-il
apres I'avoir dechiro.
40. J'ai prie vos disciples de le
chasser et ils n'ont pas pu.
est Jesus solus. Et ipsi tacuerunt,
et nemini dixerunt in illis diebus
quidquam ex his quae viderant.
37. Factum est autem in sequenti
die, descendentibus illis in monte,
occurrit illis turba mulla.
38. Et ecce vir de turba exclama-
vit, dicens : Magister, obsecro te,
respice in filium meum, quia uni-
cus est mihi :
Multh.n.li; Marc. 9, 16.
39. Et ecce spiritus apprehendit
eum, et subito clamat, et elidit, et
dissipat eum cum spuma, et vix
discedit dilanians eum :
40. Et rogavi discipulos tuos ut
ejicerenl ilium, et non poluerunt.
mettre en relief le silence garde par les trois
lemoins privilegies du miracle. Jesus leur
avail dii resle fortement prescril de garden
le secret. — In illis diebus represente, d'apres
S. Marc, IX, 8, le temps qui s'ecoula jusqu'a
la Resurrection de Notre-Seigneur.
23. Gu6rison d'un paralytique. ix, 37-4J.
Parall. Matlh. xvii, i4-20; Marc, ix, 17-28.
S. Luc abrege encore; il a meme omis
divers traits. Sa description de I'eialdu ma-
lade au If. 39 rappelle neanmoins celle de
S. Marc, qui est si belle ct si graphique.
37. — In sequenli die. D,> ce petit detail
chroiiologiqii!% signale par le seui S. Luc, il
rcsulle que Jesus et les siens avaient pas>e
la nuit sur ia montagne de la Tran-figuraiion ,
probablement meme que le prodige avait eu
lieu pendant la nuit. — Oaurrit illis turba
multa. Voyez dans la narration de S. Marc
des particularile- pleines d'interet.
38. — Magisler... Cette premiere partie de
la demande du suppliant est exposee dans
noire Evangile sous un-^Lrme tres (ouchante.
— Ohsccro te, quia unirus est mihi, sent des
traits propres a S. Luc. Respice in filium meum
(S. Matlh. « miserere filio meo ») est d'une
>;rande delicatesse. « J'admire la sagesse de
eel hnmme. s'ecrie Tito de Bosra (Cat.
D. Thorn., h. 1.). II ne dit pa- an Sauveur :
Faites ceci on cela, mais : RegardezI car
tela puffit pour lo guerir. C'est ainsi que le
Prophele disait : Regardez et prencz pitie de
moi ».
39. — Le pauvre pere essaie d'exciter da-
vaniage encore la piti^ de Jesus par une
peinlure energique des terribles crises qui
saisissaient freqnemmenl son fils. — Spiritus
apprehendit eum. La maladie nerveuse dont
souffrait I'enfant elait done la consequence
d'une possession demoniaque. — Subito cla-
mat (trait special). Remarquez le brugque
changemenl des sujets, si conforme aux sen-
timents emus du suppliant. « Clamat » re-
tombe en effet sur le malade et non sur le
demon. — Elidit (scil. « spiritus ») et dissi-
pat eum. II n'y a qu'un verbe dans le texte
grec, (jnapiffcrei, « dislorquet ». — Cum
spuma. Paulus JEginela, I'ui) des derniers
medecins illustres de I'anliquite, cite, dans
sa description de I'epilepsie, plusieurs cir-
coiislances qui presenteiu une giande analo-
gie avec le trisle tableau trace de concert
par les trois synopliques : « Morbus comi-
lialis est convulsio tolius corporis, cum prin-
cipalium actionum laesione... Fil haec affectio
maxime in pu(?ri5, postea vero in adolescen-
tib.is... Ins! ante vero jam syinptomate, col-
lapsio ipsis derepente coulingil et convulsio,
et quandoque nihil significans eidamatio.
Praecinuum vero ipsoruui signum est orit
spuma » (Ap. Trench, Notes on the Miracles
of Our Lord, 1870, p. 388;. L'enfant elait
done viaisemblablement epilepiique ; mais
I'evangeliste medecin n'hesite pas k recon-
nailre ici quelqiie chos > de plus que le mal
physique. — Vix discedit (le grec ajoute :
« ab eo ») dilanians eum (ouvxptgov, litlerale-
ment : « conlerens »]. Nouvelle particularite
de S. Luc. pour clore le tableau.
40. — El rogavi... et «on potuerunt. Dans
les deux aulres narrations, Jesus explique uh
CHAPITRE IX
493
41. Respondens autem Jesus,
dixit : 0 generalio infidelis, et per-
versa, usquequo ero apud vos^ et
patiar vos? Adduc iiuc filiiim tuum.
42. Et cum accederet, elisit ilium
dsemonium et dissipavit.
43. El increpavit Jesus spiritum
immundum, et sanavit puerum, et
reddidit ilium patri ejus.
44. Stupebant autem omnes in
magnitudine Dei; omnibusque mi-
rantibus in omnibus quae faciebat,
dixit ad disci pulos suos : Ponite vos
in cordibus vestris sermones istos :
Filius enim hominis futurum est ut
tradatur in manus hominum.
4b. At illi ignorabant verbum
41. Jesus repondit : 0 race infi-
dele et perverse, jusques a quand
serai-je avec vous et vous suppor-
terai-je ? Amene ici ton fils.
42. Et comme il approchait, le
demon le jeta contre terre et I'agita
violemment.
43. Et Jesus raenaca I'espril im-
monde et guerit I'enfant et le rendit
a son pere.
44. Et tous etaient dans la stu-
peur devant la grande puissance de
Dieu. Et comme tous admiraient
tout ce qu'il faisait, il dit a ses dis-
ciples : Pour vous, mettez dans vos
coeurs ces paroles : II arrivera que
le Fils de Thomme sera livre entre
les mains des hommes.
4b. Mais ils ne saisissaient pas
pen plus bas aux disciples le motif de leur
impuissancc humilianle. Voycz I'Evang. selon
S. Mallh., p. 343 et ss. Le t. 41 indique du
moins implicitement ce motif.
41. — Le Sauveur est vivement affecte de
I'echec des siens. Ne leur avail-il pas donne
de pieins pouvoirssur tons les demons? Mais
ni eux, ni le peuple, n'ont une foi suffisante,
et c'est pour cela qu'ils sent vaincus. La pen-
see de cette incredulile parlielle chez les
uns, totale pour les aulres, fait souhailer a
Jesus de remonler bienlol vers son divin Pere.
42 et 43. — Et cum accederet. Dans le grec,
Iti 8i itpoaepxofievou autoO, « adhuc illo acce-
denle »; trait pillorrsqu >. qui nous montre
I'enfant s'approchant du Thaumaturge, mais
eioigne encore de quolques pas. — EUsit eum
dcemonium et dissipavit. Les deux verbes du
texle primitif, Ip^riSev, eruveaTtapaSev (S. Marc
n'emploie que ce dernier, a la forme simple :
dffuapa$ev), designent vigoureusemont la der-
ni^re et violente convulsion que I'esprit mau-
vais fit subir a sa victime. Mais, sur I'ordre
foraiel de Jesus [increpavit], le demon fut
bien oblige de se retirer. Le divin Mailre
remit alors entre les mains du p6re recon-
naissant son fils complelement gudri. Ce trait
touchant, reddidit ilium patri , propre a
S. Luc, pent servir de pendant a vn, 5 :
« Dedit ilium (le ressucit^ de Nairn) inaln
suae B.
Seconde prediction offlcielie de la Pas-
sion. IX, 44 et 45. — Parall. Matlh. ztii, 21 et 22;
Marc, iz, 29-31.
44. — Stupebant (§5eTtX:fi<j<jovTo, ils Etaient
S. Bible. S.
vivement frappes) autem omnes... S. Luc re-
live seul, et commo on le voit, en termes
energiques, Tiiiipression produile par la gue-
rison du lunatique. La divine puissance de
Jesus s'etait rareinonl deployee sous les yeux
de la foule avec tanl d'eclal. Mais ce prodige
en rappela d'autres a ceux qui venaient de
le conlempler; cliacun se mil a les raconter
avec admiration, comma I'ajoule notre evan-
geliste avec emphase : omnibusque mirantibus
super omnibus quw faciebat. Jesus, ce semble,
craignait que I'enihousiasme universel ne fit
oublier k ses apotrrs les humiliations qu'il
leur avait recemment annoncees; c'est pour-
quoi il leur en renouvelle la sombre prophe-
lie. — Ponite vos in cordibus vestris... (dans
le grec, « in auribus vestris <>). Gelle solen-
nelle formule d'inlroduclion n'a ele conserv^e
que par S. Luc. « Vos » est emphatique :
vous, mes disciples, par opposition a la foule
superficiello vl ignorante. — Sfrmones istos
ne designe pas, comme le veut Moye., les
paroles louangeuses du peuple, mais la pre-
diction suivante de Jesus. — Filius hominis...
in manus hominum : antilhese remarquable,
qu'on trouve dans les trois synoptiques.
S. Luc se borne a un rapide sommaire de la
prophetie, qui paralt d'autant plus lugubre
dans son recit, qu'il omet de mentionner la
joyeuse esperance do la Resurrection. Cfr.
Matth. xvii, 22 ; Marc, ix, 30.
45. — Nous avons eu I'impression de la
foule a propos du miracle ; nous apprenons
maintenant celle qu'eprouv^rent les disciples k
I'occasion de la sombre nouvelle qui leuretait
ainsi r^iter^e par Jesus. S. Luc la decrit en
Ldc — 13
^94
EVANGILE SELON S. LUC
cetle parole; elle elait voilee pour
eax de sorte qu'ils ne la compre-
naient pas, et ils craignaient de Tin-
terroger sur cette parole.
46. Mais line pensee entra en eux :
Lequel d'entre eux etait le plus
grand.
kl. Or Jesus, voyant les pensees
de leur coeur, prit un enfant et le
mit pres de lui,
48. Et leur dit : Quiconque recoit
• cet enfant en mon nom me recoit, et
quiconque me recoit, recoit celui
qui m'a envoye. Gar celui qui est le
plus petit entre vous, celui-la est le
plus grand.
49. Mais Jean, prenant la parole,
■ dit : Maitre^ nous avons vu un
homme qui chasse les demons en
voire nom et nous Ten avons empS-
che, parce qu'il ne- vous suit pas
avecnous.
istud, et erat velatuin ante eos, ut
non sentirent illud : et timebant
eum interrogare de hoc verbo.
46. Intravit autem cogitatio in
eos: quis eorum major esset.
Matth. 18, 1; Marc. 9, 33.
47. At Jesus videns cogilationes
cordis illorum, apprehendit pue-
rum, et statuit ilium secus se.
48. Et ait illis : Quicumque sus-
ceperit puerum istum in nomine
meo, me recipit : et quicumque me
receperit, recipit eum qui me misit.
Nam qui minor est inter vos omnes,
hie major est.
49. Respondens autem Joannes,
dixit : Prseceptor, vidimus quem-
dam in nomine tu<) ejicientem dae-
monia, el prohibuimus eum : quia
non sequitur nobiscum.
psychologue. Le premier (at iHi igyiorabant...)
el le dernier trail [et timebant eum interro-
gare] lui sont, il est vrai, communs avec
S. Marc (voyez lo commentaire p. 138). Mais
la pensee intermediaire, exprimee a I'aide
d'une vivante image, et erat velatum ante
eos..., lui appartient en propre (iiapay.exa>.u|x-
(xevov, verbe compose, qui a plus de force
que le simple « velaliim » ; ataOwvTat, senti-
rent, expression delicate, digne do I'artiste
S. Luc). Tel elait encore, apres de longs mois
passes en la sociele de Jesus, I'elat d'Sme
des apolres. Mille prejuges les aveuglaienl. —
Voir dans Bossuel, ler sermon pour le Dim.
de la Qiiinquagesime (edit, de Versailles,
t. XU, pp. 27, 33, 36 et 37), un beau com-
mentaire de toui, ce passage.
23. Le?on d'humilit6 et de tolerance, ix, 46-30.
Parall. Matth. xvii, 1-6; Marc, u, 32-39.
Les lignes qui precedent (t. 45) nous ont
monlreque les Douze elaient loin d'avoir des
ideescompletement exactes sur le role de leur
Maitre:celles-ci revelent en eux de nouvelles
imperfections. Mais Jesus les redresse avec
bonle. leur enseignant le veritable esprit de
son Eglise.
46 48. — LpQon d'humilile, molivee par
I'elrange discussion (Gfr. Marc, ix, 32 et 33)
ani s'elait elevee naguere ehtre les Apolres :
s s'eiaient demande quis eorum major esset.
line question de preseance, de vanite, les
occuyait en un pareil moment, aiors que la
croix de J^sus ^tait deja dressee k I'horizonl
Mais voici que leur Maitre leur rappelle les
aust6res pensdes du Chrislianisme. — Appre-
hendit puerum (dans le grec itatSfov, un petit
enfant), et statuit eum secus se. G'est I'un des
trails les plus louchants de I'Evangile. li dflt
rendre ^argumentation du Sauvenr tout k
fait saisissanle. Voyez dans S. Matihieu les
details de cette argumentation. S. Luc I'a-
brege plus encore que S. Marc; mais il en a
bien conserve la substance dans le double
axiome du if. 48. — lo Quicumque suscepe-
rit... Les petits et ceux qui leur ressemblent,
c'esl-^-dire les humbles, sbnl ainsi eleves au
rang le plus sublime. 2° Qui minor est inter
vos... Consequence du premier axiome, expri-
mee sous une forme paradoxale : devenez
petits pour elre grands.
49 et 50. — Legon de tolerance, occasionnee
par un petit probl^me moral que le disciple
bien-aime posa en cet insianl meme a Notre-
Seigneur. S. Luc et S. Marc ont seuls raconte,
d'une fagon presque idenlique, ce precieux
incident. Aussi aurons-nous bien peu de
chose a ajouter aux explications aonnees
dans noire commenlaire sur le second Evan-
gile, p. 140 el 441. — Respondens (prenant
la parole : hebralsme) Joannes. II est vrai-
semblable que S. Jean avait jou6 le role
principal dans la sc6ne qu'il va brievement
exposer. Les mols in nomine tuo paraissent
contenir la raison d'etre de rinterrogation
adress^e k J^sus d'une manidre si subite, au
CHAPITRE IX
495
50. Et ait ad ilium Jesus : Nolite
'prohibere ; qui enim non est adver-
sum vos, pro vobis est.
51. Factum est autem. dum com-
50. Jesus lui dit : Ne Ten empS-
chez point, car qui n'est pas contre
vous est pour vous.
51. Or, comme se completaient les
milieu de rinslruction qu'ii avail commencde.
Le divin Maitre avail parle de recevoir « en
son nom » meme les peiiis enfanls, el void
que les apolres s'elaient couduils avec sdve-
rite envers nn homme qui agissail en ce nom
beni. — Prohibuimus eum. Nous trouvons
dans les manuscrits B, L, Z, Sinait, la va-
riante pilloresque « proliibebainus ». —
Quia non sequitur nobiscum. Tel elait le molif
-qui avail inspire celle conduite des Douze.
Les seuls disciples habituels du Christ, pen-
saienl-ils , devaienl jouir du privilege en
queslion : il ne pouvait etro permi? au pre-
mier venu de se i'approprier. — Nolite prohi-
here, repond Jesus; puis, a son tour il motive
sa decision en opposant au « non spquilur
nobiscum » celte profonde parole : Qui non
est adversum vos... Comme dans S. Marc, la
Recepta porte « nos, nobis » ; mais la le^on
O[i(ov, que favorisent, outre la Vulgate, les
manuscrits B, C, D, K, L, M, Z, les versions
syr. et italique, est selon loute probability ia
veritable.
3* SECTION. — REGIT DU PERNIER VOTAOE DE jiSOB
A JERUSALEM. IX, 51-XIS, 28.
Belle et importante parlie du Iroisieme
Evangile, avec une marche completement in-
dependanle de celle des autres synopliques,
des details nouveaux pour la pluparl. et un
style pres^que clas-^ique. II est vrai qu'elle
s'esl altiree, precisement par ses caracteres
dislinclifs, la haine du camp ralionaliste. Sa-
batier n'y voit qu'un recit qui « fourmille de
contradictions et d'impossibililes » (Es-ai sur
les sources de la vie de Jesus, p. 25); de
Wette, h. 1., qu'un « amalgame sans ordre
chronologique »; Reuss, Hi.>loiro evangelique,
p. 436, que « des scenes delacheos, donl la
liaison se fait reconnaiire comme purement
arbitraire ». Divers exegetes protestants, qui
n'hesitent pas a reconnaiire I'inspiration des
Saints Livres, se sont laisse influcncer par
ces jugements, et ont pareillement affirmd,
quoique en des termes plus respeclueux, que
S. Luc n'a pas tenu compte de la suite reelle
des faits dans ce long passage, mais qu'il y a
group6 les incidents k sa maniere d'apres un
enchainement tout pragmalique (Keil, Com-
ment, uber die Evangel, des Markus u. des
Lukas, 1879, pp. 160 etss., 314 etss.;Grau,
Entwickelungsgesch., t. I, p. 274 et ss. Cfr.
Theolog. Sludien u. Krit., 1876, p. 265
elss.; 1877, p. 440 el ss ; W. Stewart, The
^lan of St. Luke's Gospel, Glasgow, 1873}.
Toutefois ce ne sont 1^ que des voix discor-
dantes dans un grand concert. En effel, la
plupart des commentaleurs anciens el conlera-
porains appliquent a celle partie du troisieme
Evangile aussi bien qu'a loules les autres la
devise de S. Luc xaxel?)? ypi^ai (« ex ordine
scribere )),i, 3), ne Irouvant aucune raison suf*
fisantede croire que I'ecrivainsacre auraitou-
blie ici SOS engagements anlerieurs. Non sans,
doute qu'il faille presser outre mesure une
telle promesse (voyez la Preface, § VIII), car
notre evangeliste peutbien avoir sacrifie dans
V
an
d'apres la verite objecli\
comme I'a savammenl demontre, parmi beau-
coup d'aulres, le Dr Wieseler, Chronolog.
Synop-e, p. 316etss ,etBeitraege zurrichtig.
WiirdigimgderEvangelien, p. 127 el ss. Cfr.
Tischendorf, Synops. evang., 2eedit. 1854,
p. XII et ss.; Ca-pari, Chronolog. -geograph.
Einleitung in das Leben Jesu Chrisli, 1869,
p. 136 elss. ;Farrar, The Life of Christ, 23eed.,
I. II, p. 90 et 91. Pour les divers traits qui
sont egalemenl racontes par le premier Evan-
gile, mais a une autre place, il faut admettre
ou queS. Malthieu ne s'esl pas conforme a la
suite hisloriijue des faits, ainsi qu'il lui arrive
si souvent(comp. I'Ev. selon S. Matlh.,p.27),
ou qu'il y eut sur plusieurs points de doctrines
des rediles de Noire-Seigneur en de nouvelles
circon>tances, ce qui ne pouvait guere man-
quer d'arriver, vu la nature el la forme de
son cnseign(>mei>t. Or les conversations et les
discours abondent precisement dans cello
'section; les faits n'y apparaissent gu6re
que pour indiquer I'occasion des paroles.
L'idee qui predomine dans le recit, servant
do lien aux episodes varies qui le composenl,
est celle d'un voyage, avec la Galilee pour
point de depart, Jerusalem pour but, el la
Peree comme lieu de passage. Mais ce voyage,
commence peu de temps apres la Transfigu-
ration el terming seulement quelques jours
avant la Passion, s'accomplil lentement, en
plusieurs mois. Plus semblable k un va-et-
vienl en des sens opposes qu'Ji une marche
directe, souvent interrompu par des sejours
en diverses localiies, il ne fui du moing ja-
mais abandonn^ : I'^vangelisle en montre
c'.airement la suite par des formules qui re-
vienmnl de temps k autre comme des points
de repere. Cfr. ix, 57; x, 38; xni, 22;
XVII, 11. Nous tirerons parti de ces jalons
pour essayer de combiner le rdcit de S. Luc
196
fiVANGILE SELON S. LUC
jours cii il devait etre enleve du
monde, il afFermit son visage pour
aller a Jerusalem.
52. Et il envoya devant lui des
messagers, et s'en allant iis entre-
rent dans une ville des Samaritains,
pour lui preparer w^i logement.
53. Et ils ne le recurent point,
parce qu'il avail I'aspect d'un
homme allant a Jerusalem.
plerentur dies assumptionis ejus, et
ipse faciem suam firmavit ut iret ia
Jerusalem.
52. Et misit nuntios ante con-
spectum suum : et euntes intrave-
runt in civitalem Samaritanorum,
ut pararent illi.
53. Et non receperunt eum, quia
facies ejus erat eunlis in Jerusalem.
avec celui du qualriema Evangile. Voyez
noire Harmonie evangelique, et Patrizi, de
Evangeliis lib. ui, dissert. 48.
1. Les Samaritains inhospitaUers. u, 31-56.
51. — La narration du voyage s'ouvre par
une expression solennelle et myslerieuse :
dum complerentuf dies assumptionis ejus.
Mais qu'etaient, pour Jesus, ces i^tiepat tra
iva).ri4'e<«)i; qui approchaient alors d.' leur
terme et de h^ur accomplissement? Le sub-
slantif ava)>TnJ/i? n'apparail qu'en cet endroit
du Nouveaii 'fcslament; toutefois, le verbe
dva),a(ji6avcff9at, d'oii il derive, est employe a
plusieurs reprises pour designer I'Ascension
glorieuse de Notre-Seigneur Jesus-Chrlst (Cfr.
i\Iaic. XVI, 19;Acl.i,2;xi 22;l Tim. in, 16),
de meine qu'il I'avaitele par lesLXX pourre-
prespntercelled"Elie{IVR,i^g ii, 11; IMach. ii,
58; Eccli. xlviii, 9'. Sa significalion lilterale
a done ele bien rendue par la Vulgate, et bien
expiiquee par Euthymius : f.ns'pa; xr,; ava).iQ-
<}/£a)? aOxou liyti tov -/atpovxov dspopioGivTa iic'xpt
Tf,? dvaXrn|/£M; aOxoO t^; dTto 7?,; eU oOpavov.
Sans doule Jesus n'anivera aux splendeurs
du ciel que par les ignominies el les souf-
frances du Calvaire; mais il conlemplait
loutes choses a Iravers sa sublime consom-
malion, et I'evangeliste enlre adm.rabiement
dans sa pensee. Cfr. Joan, xiu, 33 ; Suicer,
Thesaurus, s. v, avaXruj/K;. — Ipse est empha-
tique. — Faciem suam firmavit... • nouvelle
locution soleiin lie, qui nous rappelle d'une
part le vaillanl portrait du « Christus paliens »
trace par Isaie, l, 7 : a Posui faciem meam
ut petram durissimam, et scio quoniam non
coiifundar », de I'autre un detail I'rappant de
S. Marc, x, 32 : « Eranl aulem in via asc< n-
deniesJerosolyinan; etpraecedebat illos Jesus,
el stupebant, el sequentes timebant » (voyez
le commenlaire). Cfr. Hebr. xii, 2. Jesus csl
en maiche vers Jerusalem, sachanlbien quels
maux I'y atlendenl, et pourtant il s'y dirige
« magno el erecto animo » (S. Jerome, Epist. li
ad Algas., qusest. 5), pret a affronter lous les
dangers. — Ul erit.., Dans le grec, toO iro-
f«ve<T6at, geniufde la direction.
52. — Misit nuntios ante conspedum suum
(hebraisme, in'Jsbj... Jesus etait alors accom-
pagne de nombreux disciples (Cfr. x, 4) : par
mesure de prudence il se faisait done preceder,
dans les localites oil il devail sejourner, par
des messagers qui preparaienl les logemcnls-
el les vivres pour lui el loule sa suite. — In-
traverunt in civitatem Samaritanorum. Le
grec dilsimplenu nl eU v.(i)[Airiv, dans une bour^
gade, preuve qu'il ne s'agit pas ici, comme
I'onl voulu plusieurs exegeies, de la ville
pnncipale des Samaritains. Jesus arrivanl de
Galilee, on a conjecture que la bourgade etv
question pnuvail bien avoir ete En-Gannim,
aujourd'liui Djenin, situee sur la fronliere
septentrionalo de la Samarie, el renomm^e
pour le fanalismo de ses habitants. Cfr. Far-
rar. I. c, p. 105; Thomson, The Land and the
Book, ell. xxx. Pour aller de Capharnaiim a-
Jerusalem, la route la plus courte el la plus
naturelle traversail ia Samarie entiere, du
Nord au Sud. Voyez R. Riess, Atlas geo-
graph. el histor. de la Bible, pi. IV. — Ut
pararent illi : phrase elliptique (de meme en
grec), quil est aise de completer k I'aide du
conlexle.
53. — Non receperunt eum. Ce refus gros-
sier ne fut pas exprime directement a Jesus,
mais a ses envoyes. Pourquoi les Samaritains
ne voulurent-ils pas accorder a Notre-Sei-
giieiir Ihospitalite qu'il leur demandail? La
suite <lu versft le moiilre clairemenl : quia
facies ejus {-zo upoffwTtov aOtoO.pourlatroisieme
fois depuis le i.b\) erat euntis (dans le grec,
7top£uo[iEvov au nominatif) in Jerusalem. Sur
cetle phrase a savpurhebralque, voyezIVReg.
XVII, W, dans I'hebreu et les LXX. Les rela-
tions enlre Juifs el Samaritains, deja fort peu
gracieuses en temps ordinaire (Cfr. Joan, iv, 9;
viii, 48), redoublaient encore d'animosite i
I'appioche des grandes fetes nalionales, qui
conduisaienl par foules les pelerins juifs k Je-
rusalem. La haine des deux peuples avail en
effit pour cause priocipale la difference de
leurs culles, el c'esl en de tels moments que
cellH difference devenait plus saillanie. Voir
dansWetstein, in Joan, iv, 20, quelqucsechan-
tillons des amenitesqui s'echangeaienl alors.
Des insulles on en vinl souvent aux voies d©^
CHAPITRE IX
54. Gum vidissenl autem disci-
puli ejus Jacobus et Joannes, dixe-
runt : Domine, vis dicimus ut ignis
descendat de coelo, et consumat
illos?
5b. Et conversus increpavit illos,
■dicens : Nescitis cujus spiritus estis.
197
faitjComme le raconlent Josephe, Bell. Jiid. ii,
4 2, 3-7, Anl. xx, 6, 4 , el S. Jerome, in Osee,
V, 8 et 9. Or Jesus (ni liii ni ses mes^agers
n'en faisaienl un myslere) se rendail a Jeru-
salem. Geux qui abhorraienl ia cite sainte
comme une rivale de leur temple du Garizim
refuserent pour ce motif de lui rendre service.
Autrefois pourtant (Cfr. Joan, iv) les Samari-
1ains de Sycliar avaient fail a Jesus le plus
aimable accueil ; mais il tournait le dos a
Jerusalem , et les circonstances n'etaient
plus les mfimes. — D'apres Meyer, Alford,
Reischl, etc., les envoyes de Nolre-Seigneur
i'auraient ouvertemenl annonce comine le
Messie, et c'est pour cela que les Samaritains
auraient agi avec tant de durete. Mais rien
dans le texle n'autorise une pareille con-
jeciure.
54. — Cum vidissent... Divers commenta-
teurs, entre autres Euthymius, Maldonat,
Mgr Mac Evilly, le P. Curci, etc., interpre-
tant a la lettre le verbs « videre », ont sup-
pose que les deux fils de Zebedee avaient ^te
les messagers du Sauveur repousses par les
Samaritains, ce qui expliquerait la vivacity
pariiculiere de leur ressenlimenl. Mais cette
opinion est rejetee par la grande majorite
des exdgeles, et k bon droit, car ISovtec
n'oxigo nullemenl la presence personnelle de
S. Jacques et de S. Jean : ils furent d'ailleurs
« lemoins » de I'insulle quand les messagers
raconterent I'insucces de leur mission. —
Domine, si dicimus... consumai illos? La
Recppta, la plnparl des manuscrits, des ver-
sions et des Peres, ajoulenl ; iii xal 'HXfa;
iuotriffe. « sicut et Elias fecit », et quoique
ces mots an^nt ele omis par les manuscrits
B, L, Z, Sinail., tout porle a croire qu'ils
.'iont aulhenliques. lis conviennent du moins
fori bien a la situation, car les deux frdres
avaient vu naguere Elie sur la sainie mon-
lagne, etil etait naturel qu'ils se ressouvins-
senl mainlenanl de I'acie de sele qu'il avail
precis^menl exerce dans la province de Sa-
marie, en faisant lomber le feu duciel sur les
minislres d'un roi sacrilege, IVReg. i, lO-lg.
Ils demandenl done a Jesus la permission de
venger son honneur mcssianique, meconnu
et outrage. « Si ad servi Eliae injuriiim ignis
descendit de coelo, et Judaeos consumpsit in-
54. En voyant cela ses disciples
Jacques et Jean dirent : Seigneur,
voulez-vous que nous disions que
le feu descende du ciel et les con-
sume?
55. Et se tournant vers eux il les
reprit, disant : Vous ne savez pas
de quel esprit vous Stes.
cendium, quanio magis ad contemptura Filii
Dei in impios Samarilas debet flamma ve-
nire? » S. Jerome, ad Algas. 5. « Quid mi-
rum, dil S. Ambroise, h. 1., avec beaucoup
d'a-propos, filios lonilrui fulgurare voluisse?»
55. — Le desir des fils de Zebedee pro-
venait certainement d'une foi profonde et
d'un ardent amour a I'egard de Jesus. II etait
neanmoins Ires imparfail; aussi Nolre-Sei-
gneur rei'usa-l-il avec force de le realiser.
— Conversus. Trait pitioresque. Jesus mar-
chail, selon sa coulume, en tele du cortege:
il se retourne pour reprimaiuler les deux
freres qui etaient dernere lui. Ce detail
prouve que Jacques et Jean n'etaient pas les
messagers envoyes chez les Samaritains, car
alors ils eusseni ele en face du Sauveur. —
Dicens. Dans les manuscrits Sinait., A, B, C,
E, G, H, L, S, et beaucoup d'aulres, (a
phrase se termine brusquemeni apres ce mot
(xal elTtev), et les paroles de Jesus (nescitis...
salvare) sonl completemenl omises. Toute-
fois il ne nous est pas possible, quoi que
disent Lachmann, Tischendorf el Tregelles,
de les regarder coumie une interpolation.
Eliiev annonce en effet quelques mots du
Sauveur : que sont-ils devenus si les deux
phrases « Nescitis cujus spiritus estis » et
« Filius hominis... » ne sonl pas authen-
tiques? Au resle, ces phrases sonl parfaile-
ment dansl'esprit de Nolre-Seigneur, el nous
les croyons sulBsammenl gaianlies par le
temoignage do la Vulgale, de I'llala, de di-
vers Peres pt de manuscrits grecs assez nom-
breux (D, F, K, M, V, etc.). Leur omission
peui d'ailleurs s'expliquer par un homoiole-
leulon : KAIEin... t. 55, KAIEU... *. 56. —
Nescilis cujus spiritus estis (Quelques exe-
g6tes donnent un tour interrogalif ^ la pen-
see : N(! savez-vous pas...?). Le lexle grec
ajoule k la fin un Ojiei; plein d'emphase. Vous, .
les apotres de la nouvelle Alliance, par oppo-
sition a Elie, le propheto terrible de I'Ancien
TestamenUCe sonl en effet les deux Alliances,
et les deux esprits si distincls qui les domi-
naient, que Jesus met en regard par maniere
de contrasle. Or, comme le dil magnifique-
ment S. Auguslin, contr. Adim. 17, « haec
est brevissima et aperlissima differentia duo-
rum Testamentorum, timor et amor. » Mai.s
498
EVANGILE SELON S. LUG
56. Le Fils de rhomme n'est pas
venu perdre les ames, mais les sau'
ver. Et ils s'en allerent dans un
autre village.
57. Pendant qu'ils marchaient
dans le chemin, quelqu'un lui dit :
Je vons SLiivrai partout oil voiis irez.
58. Jesus lui ait : Les renards ont
leurs tanieres et les oiseaux du ciel
leurs nids, mais le Fils de rhomme
n*a pas oii reposer sa tete.
56. Filiiis hominis non venit ani-
mas perdere, sed salvare. Et abie-
runt in aliud casteilum.
Joan. 3, 17 el d2. 47.
57. Factum est autem, ambulan-
tibus illis in via, dixit quidam ad.
ilium : Sequar te quocumque ieris.
58. Dixit illi Jesus : Vulpes foveas-
habent. et volucres coeli nidos :
Filius autem hominis non habet ubi
caput reclinet.
Matth. 8, 20.
Yoici que les fils du Tonnerre, par leur
demande inconsiderde, voulaient ramener
I' « ignea lex » du Sinai, oublianl la loi d'a-
mour apporlee par I'Evangile : n'elait-ce pas
meconiiaitre I'espril de rinslitulion a laquelle
ils appartenaient? (Sur la locution eivaiTivo;,
pour exprimer un rapport de dependance et
de sujetion, voyez Winer, Grammat. §30, 5).
Sans doiite, Eiie avail agi par un mouvement
de I'E^prit de Dieu, el le Sauvpur ne bi^me
nullemenl sa conduite; mais le temps d'Elie
^tail passe, et Jehova avail modifie ses voies
envers les homines, se faisanl tout aimable
et misericordicux apres avoir ele un Dieu
terrible. — Les deux freres montrerenl plus
tard admirablemenlcombien ilscomprenaient
I'esprit de I'Evangileile premier, S.Jacques,
en verifianl le mot celebre de Lactance,
Inst. V, 20, « defendenda est (religio) non
occidendo sed inoriendo » ; le second, S. Jean,
quand il vinl avec S. Pierre dans ces memes
contrees pour faire descendre sur el!es un
autre feu du ciel, en administrant le sacre-
ment de confirmation a leurs habitants con-
verlisau Me^sie. Cfr. Act. viii, M.
56. — Filius hominis... Parole loute di-
vine, qu'on a justemenl appelee la devise du
Diou redempleur. Elle indique de la fagon la
plus noble en quoi consisle I'espril de la nou-
velle Alliance, confoimement auqii' 1 Jesus
souhaite que ses coiiaboraleurs se conduisent.
Voyez, Joan, m, 17; xii, 47, des dires ana-
logues du divin Maltre. — Apres animas, il
est probable que le texte primitif portait
0 hominuin », comme lisent divers manus-
crits. ce qui donne plus de force a la pensee.
Le « FiiS de I'homme » est venu pour sauver
les Ames « des hommes » : n'est-ce pas juste
et nalurel? — Abieii'^nt in aliud casteilum.
De ce que le texte grec emploie ici ixepav et
non SUkiv, plusif urs auteurs ont conclu que
la nouvelle bourgade vers laquelle Jesus et
leg siens se dirigerenln'etait pas en Samarie,
mais en Galilee. II est assez vraisemblable
en eflFet qu'apres Techec dprouve sur la fron—
liere de la region samariiaine, Jesus n'ait
pas voulu penetrer plus avanl dans la pro-
vince.
2. Ce qu'il faut pour suivre J6sas. ix, 57-62^
Parall. Matth. vjii, 19-22.
Nous avons dit, en expliquant le passage
parallele de S. Matlhieu, que le troisieme
Evangile nous parail avoir fixe la vraie place-
du present episode. S. Luc a en outre le me-
rite d'ajouler un troisieme tableau a cette
pelile galerie de portraits non moins interes-
sants qu'instrucljfs. Rien ne prouve que les
trois incidents aienl ele artificiellemenl
groupes par I'evangeliste, comme Taffirment
divers inlerpreles modernes; ils peuvent fort
bien s'dire passes immediatemenl a la suite
I'un de I'aulre, ainsi qu'ils sont racontes.
57 et 58. — Premier cas (voyez les details
de Texplicalion dans I'Evang. selon S. Mallh..
p. 161 et s.). — Ambulantibus illis.,. Jesus
s'esl remis en marche, et c'est in via que le^
triple dialogue aura lieu : trait pittoresque,
digne de S. Luc. — Dixit quidam ad ilium :
c'etait un Scribe, d'apres S. Matlhieu. —
Sequar te quommque ieris. « Quocumque »
est einphatique : n'imporle ou vous irez. Cfr.
IV Reg. XV, 21. Get homme demande done
a faire parlie du cercle des disciples intimes
qui, depuis quelque temps, ne quillaient.
guere la persoime du Sauveur; mais il com-
prend qu'il s'exposera par la-meme k certains
inconvenients, peul-^tre a des dangers reels.
Toulefois, se faisanl illusion sur ses forces,
il se croil capable de lout braver pour Jesus.
Le Maiire au conlraire le decourage par une
description breve, mais significative, de sa
vie pauvre el morlifiee, semblant dire : A
mon service on ne Irouve d'autre recompense
que la croix; voyez si vous pouvez vous con-
tenter de ce salaire ! L'evenemenl anterieur
avail prouve jusqu'a quel point Jesus ^lait.
en droit de dire; A'^oh habet ubi caput reclinet^
CHAPITRE IX
f99'
59. Ait autem ad alterum : Se-
quere me. Ille autem dixit : Do-
mine, permitte mihi primum ire, et
sepelire patrem meum.
60. Dixitque ei Jesus : Sine ut
mortui sepelianl mortuos suos : tu
autem vade, et annuntia regnum
Dei.
61. Et ait alter : Sequar te. Do-
mine; sed permitte mihi primum
renuntiare his quae domi sunt.
62. Ait ad ilium Jesus: Nemo mit-
tens manum suam ad aratrum, et
59. II dit a un autre : Suis-moi;
et celui-ci lui dit : Seigneur, per-
mettez-moi d'abord d'aller ense-
velrr mon pere.
60. Et Jesus lui dit : Laisse les
morts ensevelir leurs morts; pour
toi, va et annonce le royaume de
Dieu.
61 . Un autre dit : Je vous suivrai
Seigneur, raais permettez-moi d'a-
bord de disposer de ce qui est en
iffa maison.
62. Jesus lui dit : Gelui qui met
la main a la charrue et regarde en
59 et 60. — Second cas (voyez I'Evangile
selon S. Mallh., p. 462 el s.). C'est, apres le
disciple enihousiasle el precipite, le disciple
« cimclalor » el Irop circonspect. Le premier
s'elail offeri de hii-meiiKi a Jesus ; celui-ci
a I'honneur d'filie direclemenl appele par
Notre-Seigneur : Ait (Jesus)... : Sequere me
(trail propre a S. Luc). II y consent moyen-
nanl une reserve qui sembk" de prime-abord
tout k fail legitime : Permitte mihi primum.,,
II vonail d'apprendre la morl de son pere :
que Jesus lui permetle d'aller I'ensevelirl
Bientot, dans quelques jours au plus, il sera
a son poste de disciple pour ne plus le quit-
ter. — Le Sauveur n'accorde pas ce delai.
Non! mainlenant ou jamais. Quiconque aime
son pere ou sa mere plus f)ue moi n'esl pas
digne de moi (Mallh. x, 37). S. Augustin,
Serm. lxii, 2, a Ires bien commenle le refus
de J^sus et le jeu de mols (sine ut mortui se-
peliant morluos suos) a I'aide duquel il est
exprime : « Honorandus est pater, sed obe-
diendum est Deo. Amandus est generator,
sed prgeponendus est Creator. Ego te ad
Evangelium voco. Majus est hoc quam quod
visfacere... Paler tuus mortuus est, sunt el
alii morlui (id est infideles) qui sepeliant
morluos. Nolile igituranleriora poslerioribus
subdere. » Ainsi raisonnait d'ailleurs la loi
juive, qui inlerdisail parfois aux parliculiers
de rendre les devoirs funebr.^s a leurs
proches. Cfr. Lev. xxi, 10-12; Num. vi, 6-7;
XIX, 11-14. — Tu autem vade...S. Matlhieu
n'avjiil pas menlionne cetle injonclion lor-
melle de Nolre-Seigneur, qui dut trancher la
question d'une maniere definitive.
61 el 62. — Troisieme cas. propre a S.Luc.
— Ait alter : Sequar te... Gel autre disciple
se presente spontanemenl au Sauvour, comme
le premier; mais, comme le second, il de-
mande un pou de repil avant de s'allacher
k sa vocation d'une maniere definitive. II
voudrait, dit-il, renuntiare (iTtoTd^aoOat, « va-
ledicere ») his qua domi sunt, Le grec toTc
el; Tov olxov |jlou est amphibologique, et peut.
se iraduire aussi bien par le masculin que
par le neutre, c'esl-a-dire qu'il peut s'appli-
quer aux personnes ou aux choses. S. Au-
guslin adople le premier sens • « Permitte
ut nunliem meis, ne forte, quod tieri solet,
me quaerant », Sermo vii de Verbis Domini.
De meme S. Irenee (« domesticis ») el Ter-
tullii n (adv. Marc. 1. 4. : « et lerlium ilium
prius suis valedicere parantem »). D'ailleurs,
plusieurs anciens manuscrits latins (a, b, c)
out « qui » au lieu de « quae », et, de fait,
celte interpretation nous parait plus appro-
priee k la circonslance. Neanmoins, de nom-
breux commenlaleursadoptenl celle de noire
Vulgate actuelle, supposanl que le disciple
en question voulait tuui d'abord aller mettre
ordre a ses affaires. — A lui aussi Jesus
apprend qu'il n'y a pas de delai possible
quand il s'agil d'une vocation ceh sie, et il
le lui dit au moyen d'une image Ires expres-
sive. « Metlre la main a la charrue » elait
une locution metaphorique en u-age chez les
Grecs pour signifier « opus quoddam aggi'edi. »
Mais, quand un hoinine serieux comuience
une entreprise, il doit la poursuivre avec
vigueur, s'y adonner lout enlier, sans se
lais>er dislraire par aucun objel etrauger,
ainsi que I'indique la suite des paroles de
Jesus. — Respii.iens retro. Un bon labou-
reur se courbe sur sa charrue nous dil Pline,
et r( garde a ses pieds ou devanl lui, mais
point en arriere; autrement, il iracera des
sillons lorlueux (« Arator, nisi incurvus,
praevaricabitur », Hisl. nal. xviii, 29). Le
disciple qui s'adressail en ce moment auSau-
veur elait done dans la fausse siination d'un
homme qui met la main a la chariue et qui
jelle derriere lui des regards distrails. Aussi
Jesus lui dil-il qu'il ne pouvail compter sur
le succes, specialement dans le royaume de
Dieu, car un coeur parlage nuit plus encore
£00
fiVANGILE SELON S. LUG
arriere n'est pas propre au royaume respiciens retro, aptus est regno
de Dieu. Dei.
CHAPITRE X
Envoi des soixante-douze disciples, {tt. i-^6). — Leur relour aupr^s de Jesus {ft. 47-24).
— Parabole dii bon Samarilain (tt. 25-37). — Marlhe el Marie (tt. 38-42).
1. Apres cela le Seigneur designa
encore soixante-douze autres, et les
envoya deux a deux devant lui dans
1. Post hsec autem designavit Do-
minus et alios septuaginta duos : et
misit illos binos ante faciem suam,
a I'ouvrier evangeliquequ'acelui qui laboure
un champ maieriel. Qu'il melle done fin a
son irresolution ! qu'il ne regarde pas du
cole de i'occidenl quand c'esl I'orienl qui
I'appelle (S. Aug., 1. c.) I II y a la un pre-
ceple d'une profonde et perpeluelle verite. il
est devenu proverbial a tout jamais. On en a
rapproche parfois la parole de Pylhagore :
et«to lepov i7repxo[J.evo; jiY] imaipi^ov, et mieux
encore cclle d'Hesiode, Op. ii, 60 : IOeiyiv
aCXax' iXaSvoi, (XTIxeti TraTitaivtov (jteO' otxi^Xixai;,
SkV iid 5pY«p6u{i,6vlxwv.— Quel grand maitre
que Jesus pour la direction desSmes! Voila
irois hommes qui se presentent a lui dans des
conditions exterieures a peu presidentiques;
mais il emploie envers chacun d'eux des
meihodes bien diverses, suivaiit leurs diffe-
renles dispositions. II ecarle le preini_M-, qui
est presomptueux;il aiguillonnel'irresolulion
de I'aulre; quant au troisieme, qui semble
avoir tenu le milieu enlre les deux premiers,
il ne le decourage pas, mais ii ne ie pousse
pas non plus en avant: il se borne a lui faire
entendre une gravo reQexion, lui abandon-
nant le soin de prendre un parli. Dans ces
Irois disciples, les GnosUques, au rapport de
S. lren^.-\ i, 8, 3, voyaient des representants
decequ'ilsappelaient rhommeCi).ix65, 1'homme
ir»eu[AaTix6; et I'hojume <]/uxtx6;. Quelqties au-
leurs modernes les regardenL comme les types
des temperaments sangiiins, melancoliqueset
flegmaliques : le temperament bilicuxou cole-
rique aurait lait, d'apres eux, son apparition
un peu plus haut,t. 54, dans la pcrsonne des
Gls de Zebedee (I!)
3. Les soixante-douze disciples, x, 1-24.
Quoique propre a S. Luc dans ?on ensem-
ble, cet episode ne contient qu'un tres-pelit
nombre de traits nouveaux. Les inslruclions
donnees par Nolre-Seigneur aux soixante-
douze disciples different a peine de celles
qu'avaient precedemment reQues les douze
Apolres. Les maledictions prononcees centre
les villes du lac et les tressaillements du
coeur de Jesus nou^ ont ete presentes deja
par S. Matthieu (xi, 20 et ss.j dans une cir-
constance anterieure. Les commentaire rendra
raison des ressemblances et des differences.
l<»L'envoi des soixante-douze. x, 1-16.
Chap. x. — 1. — Post hcer, c'est-^-dire
apres les evenements raconies k la fin du
chap. IX. — Designavit (bonne traduction
du grec avESsiJev. Cfr. Act. I, 24) Dominut.
Le litre de Kupio? est plein d'emphase en ce
passage : c'est en effet comm? S 'igneur et
Maitie que Jesus precede a I'organisation
d'un corps special parmi ses nombreux disci-
ples. A mesure qu'il approche du lerme de
sa vie terreslre, le Sauveur mulliplie les in-
stitutions destinees a la propagaiion rapide de
I'Evangile, a la prompte diffusion de son
Eglise. Neanmoins le college des soixante-
douze disciples ne devail pas elre permanent
comme celui des Douze : son existence ne fut
que temporaire et iransitoire. II n'esl plus
question des Soixante-douze dans la Bible
apres leur retour. Mais ils foimercnt un
noyau de missionnaireszeles, qui diirenL elre
plus tard d'uliles auxiliaires pour les Apo*-
Ires. — Et alios septuaginta duos. « Alios »,
selon Schleiermacher et Meyer, par opposi-
tion aux messagers mentionnes naguere,
IX, 52; plus probablement, de I'avis com-
mun, par opposition aux apolres (ix, 2
et ss.). D'apres les editions grecqucs ordi-
naires, le nombre des nouveaux elus n'eiit
el^ que de soixante-dix (e65o|j.i^xovTa; ; mais
le legon de la Vulgate, qu'approuvent plu-
sieurs manuscrits imporlanls (B, D, M, R),
avec quelques Peres et d'autres versions an-
CHAPITRE X
801
in omnem civitatem et locum quo
erat ipse venturus.
2. Et dicebat illis : Messis qiii-
dem multa, operarii autem pauci.
Rogate ergo dominum messis, ut
mittat operarios in messem suam.
Malih. 9, 36.
3. Ite; ecce ego mitto vos sicut
agnos inter iupos.
^ Malih. 10, 16.
toutes les villes et les lieux oil il
devait venir lui-m6me.
2. Et il leur disait : La moisson
est grande sans doute, mais les ou-
vriers sont peu nombreux; priez
done le maitre de la moisson d'en-
voyerdes ouvriers dans sa moisson.
3. Allez, voila que je vous envoie
comme des agneaux parmi des
loups.
ciennes (Uala, syr. Cureton), semble §tre !a
plus exacte. Ce nombre, qui equivaut a six
lois cclui des apoires, est probablemenl
symbolique. On i'a rapproche, suivanl qu'on
le lisaii dans la Vulgaie ou dans le Text, re-
ceplus, lantol des 72 membres qui compo-
saient le Sanhedrin juif, tanlol des 70 vieil-
lards que Dieu avail adjoints a Moise comme
assesseurs (Num. xi, 4 6 et ss ), tanlot des 70
i)U 72 peuples iss?f.s de Noe (Gen. x). Les par-
tisans de celte derniere opinion voienl dans
rinslilulion des 72 disciples un symbole de
I'universalilederEvangiie. Maisenloulceia il
n'y a rien de bien certain. — Misit illos binos
(iva Suo, distribulif) : de la meme maniere et
pour le m6me motif qu'autrefois les apoires,
Marc. VI, 7. « Prater qui adjuvalur a fratre
lanquam civilas firma », Prov. xviii, 19. —
Ante fai:iem suam est un hebralsme (pour
« ante se ») donl la signification se trouve du
reste expliquee par les mols m omnem civita-
tem et locum... Le Dr Sepp dotin(% dans sa
Vie de Jesus, la lisle des Soixanic-Douze :
mais c'est una lisle toule subjeclive et legen-
daire, car Eusebe, Hist. eccl. i, 12, elaitdej^
dans I'impossibiiite de la reconstituer.
2. — Avanl de jeter ce filel d'amour (d'a-
pres I'heureuse expression de Riggenbach)
sur les provinces meridionales de la Pales-
tine, avant de faire un vif et dernier appel
aux intelligences et aux consciences par ces
nombreux predicaleurs qu'il repandait k tra-
vels toule la contree, et donl il venail en-
suite en personne confirmer I'enseignement,
Jesus adressa nalurellemenl h ses envoyes
qu^lques inslruetions relatives h leur mi-
nislere, tt. 2-12. II etail dans I'ordre m&ne
des choses qu'elles eussenl une grande ana-
logic avec les recommandations faites aux
Douze avant leur premiere mission (voyez
Malih. IX, 37-x, 16 el parall., car c'est avec
la redaction de S. Maltliieu, la plus complete
■des trois, qu'il faul surtout dlablir la compa-
raison). Elles debutent egalement par une
reflexion qui a trait au manque d'ouvriers
^vangeliques, t. 2. Puis, apres une rapide al-
Jution (t. 3) aux dangers qui menacent les
missionnaires du Cliiist, elles interdisent k
ceux-ci tout ce qui pourrait ressembler a un
sentiment de detiance envers la Providence
de Dieu, t. 4. Elles indiquent ensuile aux
disciples ce qu'ils auront a faire soil au debut
{tt- 5 el 6), soil durant le cours [tt. 7-9),
soil h la fin [ft. 10 el 11) de leur minislere
dans cliaque localile. Elles se terminenl par
I'annonce du clialiment terrible quo Dieu
reserve aux cites incredules, til. 12-16. —
Messis quidem multa... Comp.Maltli. ix, 37 38
et le commenlaire. Jesus avail dit, des le com-
mencement de sa vie publiquo : « Levate
oculos vestros, et videte regiones, quia albaB
sunt jam ad messem » (Joan, iv, 33). Et, de-
puis cette epoque deja loinlaine, la moisson
evangelique avail couvert des milliers de
champs nouveaux. — Operarii aulem pauci.
Voici pourtant que Nolre-Seigneur a douze
apoires el soixanle-Jouze disciples pour I'aider
a rentrer sa recolte! Mais, qu'elaienl ces qua-
Ire-vingl-qualre moissonnours «p6« td «Xij6oc
Twv (ieXXovTwv TcioTeiieiv, suivaut la juste re-
flexion d'Euthymius? Aujourd'hui Ton peut
dire encore a un autre point de vue qun « les
ouvriers sont peu nombreux ». Sans doute,
« ecce mundus est sacerdotibus plenus, sed
tamen in messe Dei rarus valde reperitur
operator; quia ofiicium quidem sacerdolale
suscipimus, sed opus officii non implemus ».
S. Greg., Horn, xvii in Evang. — Rogate...
ut millet... : exgaXir), le correlalif grec de
« miltat », est ires-eneigique, et exprime
fori bien qu'il y a urgence dans I'envoi.
3. — Ecce ego mitlo vos... L'image change
subitemenl : les moissonneurs spiriluels
du royaume messianique nous apparaissenl
conune de limides agneaux entoures de loups
devoranls. Jesus ne pouvait insinuer avec
plus de clarte ni avec plus do force que ses
missionnaires devaient etre prets a mourir
pour lui. Voyez Malih. x, 16 et lo commen-
laire. II avail alors des ennemis Ires nom-
breux et ires acharnes a sa perte, et il pre-
voyail que la haine porlee au Maitre rejailli-
rait bientol sur les disciples. — Sicut agnos.
Parlanl aux Douze, Malth., I. c, Nolie-S"i-
gneur avail dil : « Sicut oves » (Ttpo^axa).
L'expression grecque apvo;, employee ici par
J02
EVANGiLE SELON S. LUC
4. Ne portez ni bourse, ni sac, ni
chaussure, et ne saluez personne en
chemin.
5. En quelque maison que vous
entriez, dites d'abord : Paix a cette
maison.
6. Et s'il s'y trouve un fils de la
paix, votre paix reposera sur lui;
sinon elle reviendra a vous.
7. Demeurez dans la maison,
mangeant et buvant ce qui sera
chezeux; car I'ouvrier merite son
salaire. Ne passez point de maison
en maison.
4.Nolite portare sacculum, neque
calceamenta, et neminem per viam
salutaveritis.
Matlh. 10, 10; Marc. 6, 8; IV Reg. 4, 29.
5. In quamcumque domum intra-
veritis, primum dicite : Pax huic
domui.
6. Et si ibi fuerit filius pacis, re«^
quiescet super ilium pax vestra ; sin
autem, ad vos revertetur.
7. In eadem autem domo manete,
edentes et bibentes quae apud illos
sunt ; dignus est enim operarius
mercede sua. Nolite transire de
domo in domum.
Deul. 24, 14; Maiih. 10, 10; / Tim. 5, 18.
S. Luc, ne se trouve pas ailleurs dans 1h Nou-
veau Testament. — « Hoc fuit manifeslum
indicium praeclari iriuuiphi, ul, quuincircum-
dali essenl discipuli ab hoslibiis, quasi agni
inier lupos, eos lamenconverlerenl ».S. Jean
Chrysost., Horn, xiv in Malih. Voyez une
belle reflexion du meme genre dans S. Au-
guslin, Serm. lxiv, c. i.
4. — Nulite portare... Jesus interdit aux
soixanle-douze, comme aulrefois aux apolres,
IX, 3, tout preparalif humain : il veut qu^ le
predicateur de I'Evangiie soil pauvre, desin-
leiesse, « ne diun mens occupaUir ad lempo-
ralia, minus aliis pi ovideal aeU'ina ».S. Greg ,
I. c. — Saciuluin, Pa/dvxiov, Ic petit sac dans
lequel on met ^on argeni, ia bourse; peram,
le sac a provisions. L'ylloculion aux apolres,
IX, 3 eiparail., ne signaiait que ia « pera ».
— Neminem per viam sululaoentts. Aulrc trail
propre a ce passage. II taut si' souvenir, pour
le bien comprendre, que ies Orientaux ont
toujoursele de grands i'ormal'..-tes. En Orient,
saluer quelqu'un ne consiste pas simplement,
comme chez nous, a t'aire une geste rapide,
ou a echanger queiques breves paroles :
quand cetlo operation est faile selon toutes
Ies regies, elle devienl tres complexe el peul
facileraent consumer deux ou irois heures.
Cfr. Jahn, Archaeolog. § 175; T. Robinson,
the Evangelists and the Mishna, p. 206; Bo-
nar, Desert of Sinai, p. 141. De meme qu'fi-
lisee a Giezi, IV Reg. iv, 29, Notre Seigneur
interdit aux messagers de TEvangile ces de-
tails inuliles et encombrants. Hatez-vous,
leur dil-il, et allez droit au but! Voire temps
est rop precieux pour que vous le perdiez a
debiler ou k entendre de vaines lormules.
S. Ambroise a tres bien expose le sens de
cette injonction :«Non salutationis sedulitas
lufertur, sed obstaculum impediendae de-
votionis aboletur, ut quando divina mandan-
tur, paulisper sequestrenlur humana. Pulchra
est salutalio, sed pulchrior matura executio
divinorum : ideo et honesta prohibentur, ne
impedialur minislerium cujus mora culpa
sit ». Expos., h. I. Comp. Euihymius.
5 et 6. — Ce que Ies disciples devronl faire
en entrant dans une localiie pour y prficher
ia bonne nouvelle. Voyiz Matth. x, 12, 13 et
le coramentaire. — Filius pacis [Q'h'QJ 73)
est un hebraisme propre a ce passage de
S. Luc (S. Matth., I. c, a « dignus ») ; mais le»
locutions analogues ne raanquenl pas dans Ies
ecrils du Nouveau Testament, Comparez
Matlh. IX, 15; xxiiv, 15; Luc. xvi, 8;
XX, 36: Joan, xii, 36; xvi, 12; Eph. ii, 2;
V, 6; I Thess. v, 5; II Pelr. ii, 14, etc. —
Requiescet super ilium: belle image(S. Matlh. .
« veniet super »). Le verbe grec, doublement
compose, Inavanauoexat, ne se trouve qu'ici et
Rom. II, 17. — Ad vos reverlelur est une
maniere hebralque de dire que Teffel souhaite
ne sera pas produil. Voyez Sylveira et Luc
de Bruges, h. 1.
7-9. — Gonduile que Ies envoyes de Jesus
devronl tenir lant qu'ils sejourneront dans
une localite. Aux apolres aussi le Seigneur
avail recommande de ne pas changer de
residence, a la maniere d'hommes dilFiciles
ou inconstanls; mais actuellement il ajouli;
un detail nouveau : edentes et bibentes.. , di-
gnus est enini... Cette seconde proposition
(S Paul, I Tim. v, 18, la cite comme une pa-
role scripturaire) conLienl le motif de la pre-
miere. Asseyez-vous sans scrupule a la labli;
de vos holes, car, en leur donnanl Ies biens
elernels, vous meritez largemenl I'humble
compensation qu'ils vous oITrent sur cette
terre. Voyez le beau developpemenl ecrit sur
ce theme par I'Apoire des Gentils, I Cor.
CHAPITRE X
20^
8.Etin qusecumque civitatem in-
traverilis et susceperint vos, man-
ducate qiise apponuutur vobis.
9. Et curate intirmos qui in ilia
sunt, et dicite illis : Appropinquavit
in vos regnum Dei.
10. In quamcuraque autem civi-
tatem intraveritis et non suscepe-
rint vos, exeuntes in plateas ejus,
dicite :
11. Etiam pulverem, qui adhsesit
nobis de civitate vestra, extergimus
in vos : tamen hoc scitote, quia ap-
propinquavit regnum Dei.
Act. 13, 5i.
12. Dico vobis, quia Sodomis in
die ilia remissius erit quam illi ci-
vitati.
13. Vae tibi Gorozain, vse tibi
Bethsaida : quia si in Tyro et Si-
done factse fuissent virtutes quae
8. Et en quelque ville que vous
entriez et oii vous serez recus, man-
gez ce qu*on vous presentera.
9. Et guerissez les malades qui
s*j trouveront, et dites-leur : Le
royaume de Dieu s'est approche de
vous,
10. Mais dans toute ville oii vous
serez entres et ou on ne vous aura
pas recus, sortez dans ses places et
dites :
11. La poussiere m6me de votre
ville, qui s'est attachee a nos pieds,
nous la secouons contre vous; ce-
pendant sachez ceci : le royaume
de Dieu s'approche.
12. Je vous dis qu'en ce jour il y
aura plus de remission pour Sodome
que pour cette ville-la.
13. Malheur a toi, Gorozain, mal-
heur a toi, Bethsaida; car si les mi-
racles qui ont ete faits dans vous
IX, 3 et ss. — Nolite transire de domo in do-
mum est un cominenlaire de « in eadem
domo manete », de raeme que la phrase man-
ducate qum apponuutur vobis developpe et
expliqiiea edenies et bibenies quae apud illos
sunt ». Jesus ne saurait tolerer, dans ses mi-
nistres, des exigences indignes de I'Evangile :
il veut qu'iis sachent se conlentcr du logis et
de la nourrilure qui leursont offerls. On peut
aussi , k la suite de Noel Alexandre, h. 1., et
de plusieurs exegeles contempoiains (Sepp,
Schegg, etc.), voir dans les paroles « Mangez
ce qu'on vous servira » une recommandalion
deslinee ^ metlre les disciples a I'aise relali-
veraent aux lois pharisaiques qui interdisaient
certains aliments. Voir I Cor. x, 27, un con-
seil idenlique deS. Paul. — Curate iiifinnos...
Comme les apotres, les soixanle-douze disci-
ples avaient par consequent regu le don de
guerir les malades. — Dicite illis. Le pronom,
qui retombe en apparence sur a infirmos »,
designe en realile tous les habitants de la
maisoii. G'est la « constructio ad synesin »,
si freqiienle dans les saints Livres. — Ap-
propinquavit in vos regnum Dei : tel devait
6tre le (heme general de la predication des
nouveaux missionnaires.
<0-11. — Regies a suivre pour le cas,
nullement chimerique, oil toute une popula-
tion ferait aux disciples un accu il defavo-
rable. Voyez Mallh. x, 14 et le commentaire.
— Dicite. Cette union du langage a Taction
n'existe pas dans le discours adress^ aux
apotres. Les paroles dont les missionnaires
insultes devront accompagner leur geste
syrabolique sent d'une grande energie; etiam
pulverem (xai t6v xoviepxov) ! Nous ne voulons
pas meme emporter d'aupresde vous un seul
grain de poussiere I — Apres qui adhcesit nobis,
plusieurs manuscrits grecs (Sinait., B, D, R,
iisent : eUxou; TtoSa;, a in pedibus » (Itala). —
Le pittoresque auoiJaaootxeOa (extergimus)
n'existe pas ailleurs dans le Nouveau Testa-
ment. — Tamen hoc scitote quia appropin-
quavit... Les disciples, quoique rejiies, an-
nonceroiil quand ineme la grande nuuvelle. II
est vrai qu'elle revelira dans cette inconslance
un caracte'-e terrible. Prenez garde 1 I'heure
de votre chatiinenl est proche.
12. — Voyez Mallh. x, 15 et le commen-
taire. — Diro vobis est soleniiel. In die ilia
designe le jour formidable du jugi^ment mes-
sianique. — Sodomis remissius erit... Sodome,
en effet, nialgre ses vices epouvaniables,
n'aura pas abuse d'autant de greets, n'ayant
pas regu d'aus^i vives lumieres que les cites
au milieu desquelles a reienli la predication
de I'Evangile.
i3-lo. — Jesus vient de parler en general
des villes quise refuseroni a recevoir si^s en-
voyes, tt- 10-12. Celle piMisee lui rappelle
de trisles souvenirs personnels. Trois localitds .
imporlantes des bords du lac, honoiecs entre
tout( 8 par sa presence, par son en-^eignement,
par ses miracles, n'elaient-elles pas demeurees
incredules? Au moment oil il va quitter la
204
EVANGILE SELON S. LUC
avaient ete fails dans Tyr et Sidon,
elles auraient fait penitence il y a
iongtemps sous le cilice et assises
dans la cendre.
14. G'e3t pourquoi au jour du ju-
gement il y aura plus de remission
pour Tyr et Sidon que pour vous.
15. Et toi, Gapharnaum, elevee
jusqu'au ciel, tu seras plongee jus-
qu'au fond de I'enfer.
16. Qui vous ecoute m'ecoute et
qui vous meprise me meprise. Mais
faclse sunt in vobis, olim in cilicio
et cinere sedjntes poeniterent.
Matth. 11, 21.
14. Verumtamen Tyro et Sidoni
remissius eril in judicio, quam vo-
bis.
lb. Et tu, Gapharnaum, usque ad
coelum exaltata, usque ad infernum
demergeris.
16. Qui vos audit, me audit : et
qui vos spernit, me spernit. Qui au-
Galilee pour n'y plus revenir, il lance conlre
riles un adieu terrible, qui consisle en un
iriple analhenie, tt. \3-15. S. MaUhieu,
XI, 20-24 (voyez le commenlaire), nous a
<leja presenle ces maledictions de Jesus, et
d'une maniere un peu plus comjilete, mais
avec una aulre enchaiiiemenl. D'apres sa
chronologie elles se ratiacheraienl a Luc.
VII, 35, par consequent elles appartiendraient
a une epoque bcaucoup moins avancee. Elles
nous paraisseni niieux convenir a la dale
que leur assigne notre evangeliste, car elles
elaient alors plus justifiees. Divers auteurs
admeltent neanmoins qu'elles purent bien
etre repeiees deux fois. — Corozain (dans le
grec, x'^pa.li'^; o'apres Eusebe, Onomast.,
XwpaileTv; dans le Talmud deBabylone, D'HIS,
Vliorazaiin)..., Bethsaida : deux cites juives,
opposees a deux villes paiennes, in Tyro et
Sidone, et menacees de chciliments beaucoup
plus grands que ces dernieres, qui eussenl fail
penitence de leurs crim' s, el renoiice a leurs
irafics sordides, a leur luxe coupa-ble, si elles
avaient ete lemoins des prodiges (virtutes) de
Jesus. — In cilicio et cinere sedenles (trail
piopre a S. Lnc] pcBnilerenl est une belle per-
sonnification : Tyr ot Sidon nous apparaissenl
comme deux penitenies humblemenl assises
a terre, revetues d'un sac, la tele couverte
de cendre. — Et tu, Gapharnaum... Des trois
villes maudites, Capharnaum elait la plus
in2;rate, ayant eie la plus privilegiee, puis-
qu'elle avail eu le bonheur de servir de resi-
dence habiluelle a Jesus. Aussi I'analheme
(|ui la concerne a-t-il uncaraclere plus grave,
plus emphalique. Au lieu de y.aTa6i6ac8viffT(l5
demergeris, les manuscrils B, D, el la version
syriaque Cureton lisenl xaTafi^^aij, « descen-
<les », variante peu aulorisee. — Pour I'ac-
complissement integial de celte prophelie,
voyez I'Evangile selon S. Mallhieu, p. 230.
K Sur lout le pays la malediction est tombee.
(Ju 'i(|ue tuujours oxquis dans sa beaule, il
I'st inaiiitenant desole, dangereux meme. Les
■o seaux y chanlcnt toujours par troupes in-
nombrables, se jouant sur le crislal des eaux.
Les ruisseaux accourenl au lac des hauteurs
voisines, le sein rempli de perles (comme di";
le poele), el inondant leur sentier d'emcraudes
Les plantes aromaliques repandenl encore
leurs parfums quand le pied du passant les
ecrase, et les grands lauriers roses remplissea
I'air comme autrefois de leur delicate se*
leur. Mais les vignobles et les vergers onl
disparu ; les flolilles et les barques de pd-
cbeurs cessent de traverser le lac;le brui
des fouleshumaines ne se fail plus entendre
les sources du commerce prospere sont taries
Meme les noms et les sites des bourgades (»
des villes sonl lombes dans I'oubli, et, la ou
illes s'elalaient un jour brillanles et popu-
lauses, jetanl leurs ombres a Iravers les
ondes dorees par le soleil, on ne discerne
mainlenant que des monticules gris, oil les
ruines sont trop ruines pour qu'on puisse y
dislinguer quclque chose ». Farrar, The Life
of Christ, 23e ed.l. II, p. 4 00 eH01. L'hislo-
rien Josephe, Bell. Jud. iii, 40, 8, immedia-
lemi'nl apres avoir decrit, dans un passage
celebre, les splendeurs du lac el de la plaine
de Gennesareth, raconte les maux affreux
que les le^rions romaines firent subir a toule la
contree. Quelques pages plus haul, iii,7, 31,
il confessail que :< c'etail Dieu, a n'en pas
douler, qui avail amene les Romains pour
punir les Galileens el pour faire detruire les
villes par leurs ennemis avides de sang ».
Cela se passait irente ans k peine apres la
morl de Jesus 1
4 6. — Qui vos audit... Conclusion de
I'inslruction pastorale adressee aux soixante-
douze disciples. L'idee qu'elle renferme est
des plus consolanles pour eux, puisqu'elle
identifie en quelque sorte les envoyes mes-
sianiques, passes, presents et a venir, au
Christ lui-meme et a son divin Pere. Du reste
I'ambassadeur, dans lous les temps et dans
tous les pays, est cense ne former qu'une
seule personne morale avec celui qu'il repre-
sente. Voyez des pensees analogues dans
CHAPITRE X
205
tem me spernit, spernit earn qui qui me meprise meprise celui qui
misit me.
Matth 10, 40; Joaw. 13,20.
17. Reversi sunt autem septua-
ginta duo cum gaudio, dicentes :
Domine, etiam dsemonia subjiciun-
tur nobis in nomine tuo.
1 8. Et ait illis : Videbam Satanam
sicut fulgur de coelo cadenlem.
m a envoye.
17. Or, les soixante-douze revin-
rent avec joie disant : Seigneur, les
demons memes nous sont soumis
en votre nom.
18. Et il leur dit : Je voyais Satan
tombant du ciel comme la foudre.
Malth. X, 40 et Joan, xiii, 20. — Spernit.
Le vcrbe aOeTsw du texle primitif est encore
plus fori, car il exprime I'idee d'un renver-
semenl, d'une destruclion (« e loco siio deji-
cio »). Voyez Brelschneider, Lex. man. s. v.
2* Le retour des Soixante-douze. x, 17-24.
47. — Reversi sunl... En jiixtaposant ainsi
le depail et le retour des soixanle-douze
disciples, S. Luc nous donne a penser lo qu'il
ne s'elail passe dans I'lnLervalle aur.un fait
notable, 2o que leur absence ne fut pas de
longue duree. Le ministere que Jesus leur
avait confie pouvait au besoin s'accomplir en
quelqucs jouis. 11 est possible aussi que I'evan-
geliste, omellaut quelques evenoinents inter-
mediaires, ait reuni les deux incidents d'apres
une connexion logique, pour achever d'un
seul coup ce qu'il avait a dire des soixante-
douze et de leur CBiivre. — Septuaginta duo.
Le recit paraii siipposer que les disciples
revinrent tous ensemble aupresde PeurJIailre.
Rien n'empeclie d'ailleurs que Jesus ne leur
cut fixe uii jour et un lieu preci-; de rendez-
vous. — Cum gnudio. La joie qui remplissait
leurs coeurs se lisail sur leurs visages : elle
va se manifestordans leurs paroles. — Elinm
dwmonia subjicinntur 7iobis. 11 y a une em-
phase visibli! dans cet « eliam ». On voil (|ue
les disciples ne s'alti'ndaieui pas an fail qu'ils
exposenl a Jesus avec une >implicile naive,
semblant mellre a Tarriere-sreno tous les
autres acles de leur minisiere. En realiie, si
nous nous reporlons a I'allocution du Sau-
veur, nous ne voyons pas qu'il l-^ur cut con-
fere en termes expies le pouvoir de chasser
les demons (Cfr. t. 9). Et voici neanmoins
que les possedes avaient ete gueris quand on
avait invoque sur eux le nom du divin Mailre.
De la relonnement et la joie des disciples (le
present « subjicinntur » indique une expe-
rii^nce recenti').
'18. — Et ait illis. Au retour des soixanle-
douze disciples S. Luc rattache trois admi-
rables paroles de Jesus. Cfr. t. 21 et 23. Les
tt. 18-20 renferment la premiere. — Vide-
bam Satanam... On a beaucoup discule sur
ia signification ou, plus exactement, sur le
« terminus a quo » de I'imparfait eOewpouv.
Assez geneialement, les Peres (S. Cyprien,
S. Ambroise, S. Jean Cliysostome, etc.),
aiment a supposer que Jesus fait appel en ce
passage a ses souvenirs de Aoyo? aaapxot, et
que, pour donner une logon taciie d'humilite
aux Soixanle-douze, Irop humainement af-
fecles de leur succes sur les demons, il leur
propose Ic terrible chalimcnt de Lucifer,
comme s'il leur eut dit : Ddfifz-vous de I'or-
gueil, car c'est lui qui a [irecipite Satan de
son trone glorieux I De mes propres yeux je
I'ai vu autrefois tombor du ciel. Mais les
meilleurs exegeles calholiquos des temps
moderncs, enlre autres Maldonal, Corneille
de Lapierre, D. Calmel, s'accordenl a penser.
d'un cole que rien n'aulorise a prendre en
mauvaise part la joie ot les paroles des
disciples, de ['autre que I'inluilion a laquelle
Nolre-Seigneur fait allusion est loin de re
monler si haul. Elle avail eu liou, disont-ils,
pondant la mission mema des Soixanle-douze.
Ceux-ci venaienl de raconter joyeusemint a
leur Maitre leurs glorieux iriomphi's sur les
puissances infernales. Vous ne m'apprenez
rien, re[)ondit le Sauveur, car, vous suivani
d'un regard prophetique, je voyais Satan
depossdde parloul, ^ur votre parcours, de
sou pouvoir usurpe. Nous trouvons, commi)
D. Cdlniet, ce second scnlimrnl » plus simple
rl plus liUeral ». Dans lous les cas, quell ■
majesle dans cetle courle descripiiou de
Jesus! Pouvait-il mieux depeindre les efTeis
merveilleux de son Incarnation, les vicloires
remporlees par le royaume de Dieu sur In
royaume de I'espril mauvais? « Nunc judi-
cium est mundi, dira-t-il ailleurs (Joan.
xii. 31) ; nunc princeps hujus mundi ejicietur
foras ». Et la parole de Jesus est toujours
vraie. Lo « videbam » dure encore, puisqu ■
les bons prelres conlinuent chaque jour
I'oeuvre des prrmiers discipK^s. — Sicut ful-
gur de coelo cadenlem est une magnifique me-
laphore, probablement empruniee a Isai',
XIV, 9-13. Ces mots expriment une chute
rapide en meme temps que la perle d'un grand
pouvoir. Comparez les figures analogues de
Giceron : « ex astris deciders », ad Atlic.
Ep. HI, 21 ; a de coelo detrahere », Phil.
II, 42.
206
EVANGILE SELON S, LUC
19. Voil^ que je vous ai donnele
pouvoir de fouler aux pieds les ser-
pents et les scorpions et toute puis-
sance de I'ennemi, et rien ne vous
nuira.
20. Gependant ne vous rejouis-
sez pas de ce que les esprils vous
sont soumis, mais rejouissez-vous
de ce que vos noms sont ecrits dans
les cieux.
21. En cette heure mSme il tres-
19. Ecce dedi vobis potestatem
calcandi supra serpentes, et scor-
piones, et super omnem virtutem
inimici : et nihil vobis nocebit.
20. Verumtamen in hoc nolite
gaudere, gaudete autem quod no-
mina vestra scripta sunt in coelis.
21. In ipsa hora exultavit Spiritu
19. — Ecce dedi vobis... Faiil-il lire 8i8to(«
;ui present, avec le Textus recopl., on bien
osSwxa au parfait, avec les manii-crits Sin.,
IJ, C, L. X. etc., el la Vulgate? Dans le pre-
mier cas, Jesus confirmerait ici d'line maniere
lormelle a ses disciples les pouvoirs dont ils
avaienl usesansles avoir ofljciellement regus;
dans le second, qui nous parait le plus
vraisemblable, il leur explique les recenls
triomplied qui leur ont mis au coBur una joie
si Vive. Ne vous etonnez pas; en realileje
vous avais armes d'une puissance irresistible
conlre les demons. Les expressions em-
ployees par Notre-S'^igneur sont d'une vi-
gueur remarquable. Elies representent les
envoyes evangeliques sous les trails de fiers
conqu^ranls qui foulent aux pirds, selon
I'anlique usage de I'Orient (Cfr. Ps. cix, i)
et en signe d'une victoire lotale, leurs en-
nemis vaincus (calcandi supra). L'ennemi
qu'elles designent smioul. (6 ex^po? par anto-
nomase) c'esl Sal an ; mais c'esi aussi, d'une
maniere generaic^, toute I'armee de ce chef
terrible [virlulem, 1(! Sti hebreu), c'esl-a-dire
lous ses suppols. Or, paruii les aiixiiiaires
de Satan, Jesus mentionne en particulier(peut-
etre par allusion au psaume xc, *•. 13) ser-
pentes etsrorpioues, animaux redoutes, choisis
a bon droit comme des sjieeimens frappants
de lous les eleuients naturels liosiiles a notre
race que les demons peuvent utiliser contre
nous. La maniere donl le Sauveur rattache
a Satan tout ci' qui, dans le monde present,
est ca|)able de nous nuire, a qnelque chose de
tres profond et de Ires instiuctif. Aussi la
penseedut. 19 nous semblel-elle avoir ete
afTaiblie par les exegetes qui ne voient dans
les serpents et les scorpions que des em-
blcmes des esprits nuiuvais. — Nihil vobis
nocebit (dans le grec, iSixrjoio, au figure). Les
ambassadeurs du Christ demeureiont invio-
lables parmi tant d'adversaires; leur Maitre
le leur re|ietera quelque temps apres sa rd-
aurrection. Marc, xvi, 10.
20. — Verumtamen sert de transition k
une nouveile idee, qui nous ramene au
t. 17, et met fin a la premiere parole de
Jesus. — In hoc nolite gaudere quia... Sous
cetle tournure hebraique. it est aise de re-
connaitre la vraie pensee du Sauveur. « Non
reprehendit, sed docet ac perficit; nee pro-
hibet propter subjecta sibidaemonia gaudere,
sed monet ul propter scripta in ccelo ipso-
rum nomina magis gauderent. » Maldonat,
Comment, in Luc. x, 17. C'esl done comme
s'll y avail : « Non lam gaudete quia spiri-
lus..., quam gaudete... » (le (laXXov ajould
par la Recepta el par le Cod. Sinait. au se-
cond hemisiiche est une correction heureuse
quant au sens, mais apocryphe). Jesus sug-
gere done aux disciples un motif de joie su-
perieure el beaucoup plus parfaile. Chasser
les demons n'est, comme disenl les iheolo-
giens, qu'une « gratia gratis data », qui ne
prouve pas absolument I'araitie de Dieu (Cfr.
Matth. VII, 22 el 23; I Cor. xm, 2). On pent
la posseder et se damner quand mSme. Elle
ne saurait constituer le vrai bonheur. Mais
savoir qu'on est predestine, qu'on jouira sans
fin de la vue de Dieu, voila une source de
joies solides auxquelles on peut se livrer sans
reserve. — La belle figure nomina vestra
scripta sunt in ccbUs revienl frequemment
dans la Bible. Cfr. Ex. xxxii, 32 el ss. ;
Ezech. XIII. 9; Dan. xii, 1; Mai. in, 16;
Phil. IV, 3; Apoc. iii, 5; xiii, 8, etc. Elle
provient de la coulume immemoriale et
universelle d'inscrire les citoyens d'une ville
ou d'un Eiat sur des registres speciaux. Dieu
est cense avoir pareillement son grand livre
qui contienl la lisle de tons les ehis. « Liber
isle, ecrit S. Auguslin, in Psalm, lxviii, 29,
est notitia Dei qua praedeslinavil ad vitam
quos praescivil. » Ainsi done, sans image,
« nee discipulos de subaclione spirituum, sed
de Candida salute (Christus) gloriari vole-
bat. » Tertull. adv. Marc, 1. iv. Comp. Jer.
XVII, 13, oil les impies sont menaces a avoir
leurs noms ecrits « in terra », sur le sable
mouvanl d'oCi ils disparailront bientot.
21 el 22. — Seconde parole raltachee par
Jesus au retour des Soixante-douze. Elle con*
1
CHAPITRE X
207
sancto, et dixit : Gonfiteor tibi, Pa-
ter, Domiiie ccbII et terrse, quod
abscondisti hsec a sapientibus et
f)rudentibus, et revalasti ea parvu-
is.Etiam Pater, qiioniam sic placuit
ante te.
Matth. li, 25,
22. Omnia mihi tradita sunt a
Patre meo. Et nemo scit quis sit Fi-
lius, nisi Pater; etquis sit Pater, nisi
Filius, et cui voluerit Filius reve-
lare.
23. Et conversus ad discipulos
saillit de joie par I'Esprit-Saint et
dit : Je vous rends gloire, Pere, Sei-
gneur du ciel et de la terre, de ce
que vous avez cache ces choses aux
sages et aux prudents et les avez
revelees aux petits. Oui, Pere, car
il vous a plu ainsi.
22. Toutes choses m'ont ete don-
nees par mon Pere, et personne ne
sait qui est le Fils, sinon le Pere, et
qui est le Pere, sinon le Fils et celui
a qui le Fils aura voulu le reveler.
23. Ettourne vers ses disciples il
sisle en une louange qu'il adresse a son Pere,
V. 21, et en une revelation sur les liens
elroils qui I'unissenl a ce Pere celeste, 1^.22.
Nous la retrouvons lexiuellement dans le
premier Evangile, x, 23-27 (les variantes
des deux textes grecs, eTtiYvwdy.et deux fols
employe par S. Malthieu au lieu de yivwoxei,
Tt; loTiv 6 «li; et t£; eaxiv 6 Trarrip de S. Luc
au lieu de tiv «t6v et t6v Ttaxe'pa, sont sans
importance). Pour I'enchainement nous don-
nons ici encore la preference a S. Luc, qui
fixe une date plus precise : in ipsa hora, au
lieu du vague « in illo tempore » de S. Mat-
thieu. — Exultavit : precieux detail, propre
k notre evangelisie. Le verbe grec, ^YaX),id<7aTo,
designe, comme son correlatif latin, un sen-
timent de Vive jouissance qui inonda toule
I'Ame de Jesus, et occasionna ce divin epan-
chement. « Convenientissime dixit {(^vange-
lista) Exultavit. Exullalio namque dicitur
quasi extra se sallatio, quando videlicet ex
abundantia gaudii inlerioris signa laetiliae
foras erumpunt. » Stella. Cette allegre«se de
Jesus ne fut pas le resultat d'un mouvement
purement humain : elie fut produile en son
ccEur par I'Esprit Saint Iui-ra6me, ajoute
S. Luc. II est vrai que I'adjectif sancto (ayiw)
manque dans le Text, recepl. ; mais la Vul-
gate, rilala, la version syriaque Cureton et
les manuscrits B, D, Z, Sinait., suffisent pour
nous garantir son aulhenticite. — Coufiteor
tibi... Voyez I'explication detaillee dans
I'Evang. selon S. Malthieu. p. 231-233. Notre-
Seigneur Jesus-Christ loue Dieu, son Pero
bien-aime, pour deux traits speciaux de sa
conduits providentielle. 1° Abscondisti hcec
(les mysteres du royaume des cieux) a sa-
pientibus... (les sages et les prudents selon
ia chair); 2o revelasti ea parvulis (aux vr,7tioi
moraux, c'est-a-dire aux humbles). Voyez
I Cor. I, 23 et 8s., le motif de ces etonnantes
« pusiilitates Dei, » comme les appelle Ter-
tullien dans son langage energique (conlr.
Marc, 1. II, c. 27). Ainsi done, « h I'orgueil
de I'inlelligence il est repondu par I'aveugle-
ment; a la simplicite du cceur qui veut la
verile, par la revelation, » Ge?s (Lire Bos-
sui't, Panegyrique de S. Frangois d'Assise).
— Etiam Pater... Jesus s'arrete un moment,
afin lie se delecter a la pensee qu'il a plu au
Seigneur d'agir ainsi plutot que de toule autre
maniere. — Les lignes suivanles '(t. 22) sont
du plus grand ()rix pour le dogme catholique,
car elles affiiraent aussi neltement que pos-
sible la nature divine de Jesus. Mais elles
jeilent les ralionalisles dans un embarras
facile a comprendre. Pour s'en defaire, ils
ont recours a leurs moyens accoulumes, rien
moins que scienlifiques. C'est « une interca-
lation tardive! » s'ecrie M. Renan. M. Reville,
Hisloire du dogme de la divinile de Jesus-
Chrisl, p. 17, les attribue de meme « a I'in-
fluence d'une theologie ulterieure ». Mais ce
n'est point par des assertions fantaisistes
qu'on n nversera les textes de I'Evangile. —
Le Christ Jesus a regu de Dieu son Pere
la lonle-puis-ance;il n'est coniiu que par son
Pere d'uno maniere adequate ; seui il connait
a fond la nature de son Pere • telles sont les
Irois verites qui^ Nolre-Seigneur daigne nous
devoiler dans ce passage. Les mots et cui vo-
luerit Filius recelare, quil ajoute a propos
de la derniere, sont bien consolants pour
nous. Prions-le de nous faire dans le temps
etdans Teternite cette precieuse revelation.
— On lit au debut du t. 22, d'apres d'assez
nombreux manuscrits, la formule : xal axpa-
qpei? Ttpo; Tou; (xaOyixa; eTitev. Mais sou omission
par la Vulgate et plusieurs autres versions, par
le Text, recepl. et les manuscrits Sinait., B, D,
L, M, Z, etc., piouve sufBsamment qu'elle
n'est pas authenlique : elle sera passee du
t. 23 au t. 22 [)ai < rrcur de transcription.
23 et 24. — Troi^ieme parole de Jesus.
S. Matlhieu, qui la cite egalement, xiii, 46
et i7 (voypz le comuienlaire), la rattache aux
paraboles du royaume des cieux, lesquelles
demeuraient cachees pour la foule, mais que
208
fiVANGILE SELON S. LUC
dit : Heureux les yeux qui voient ce
que vous voyez.
24. Car je vous le dis, beaucoup
de prophetes et de rois out voulu
voir ce que vous voyez et ne I'ont
point vu, et entendre ce que vous
entendez et ne Font point entenda.
2o. Et voila qu'un docteur de la
loi se leva pour le tenter et dit :
Maitre que dois-je faire pour posse-
der la vie eternelle ?
26. Et Jesus lui dit : Qu'est-il
ecrit dans la loi? qu'y lisez-vous?
suos, dixit : Beati oculi qui vident
quae vos videlis.
Mallh. 13, 16
24. Dico enim vobis quod mulli
prophetse et reges voluerunt videre
quae vos videtis, et non viderunt;
et audire quae auditis, et non audie-
runt.
2o. Et ecce quidam legisperitus
surrexit tentans ilium, et dicens :
Magister, quid faciendo vitam aeter-
nampossidebo?
Maich. 2-2, 35; Marc. 12, 28.
26. At ille dixit ad eum : In lege
quid scriptum est? quomodo legis?
le Sauveur expliquait a ses disciples. — Et
conversus ad discipulos suos : [vail pillorosque
(le grec ajoiilc xaT'lSiav^. Tanclis qu'il [)arlail
^ son divin Pere, Jesus avail sansdoule tenu
ses yeux eleves vers le ciel. Mainli'nanl il se
retourne vers les siens, pour les feliciler de
ce qu'ils compiaieni parmi les privilegies a
qui Dieii avail fait de bienheureuses revela-
tions iif'. 21). — Beati oculi... Lo pronom oo»,
repete a deux reprises devanl videtis, est
plein d'emphase. Vous, mes disciples si fa-
vorises. Quelles merveilles leurs yeux ne
purent-ils pas contempler en Jesus! « Vidi-
mus gloriam ejus, » s'ecriera S. Jean avec un
enlhousiasme bien legitime. — Multi pro-
phetce et reges. Dans le passage parallels de
S. Matlliieu, on lit : a Mulli prophetae et
justi. » Parmi les rois juifs qui avaient ar-
demment souhaile de voir la personne sacree
du Messie, nous pouvons nomuier David,
Salomon a ses beaux jours, Ezechias. Mai-
monide (in Sanhedr. xi, 1) disail aussi que
« les prophetes el les hommes saints avaient
viveraent souhaile de voir les jours du
Messie. »
La parabole du bon Samaritain. x, 25-27.
Ce n'est pas sans surprise qu'on voit des
critiques intelligonts , lels qu'Ewald, de
Welle, Baumgarlen-Crusius, S^pp, etc.,
identifier I'episode du bon Samaritain avec
le fail raconte plus lard par S. Malthieu,
XXH, 34-40, et par S. Marc, xii, 28-34. Le
debutseul presente quelques analogies; mais,
soil pour la dale, soil pour la suite du recit,
les dissemblances sont aussi frappantes que
Eossible. — Dans ce passage, le style de
. Luc est d'une purele qu'on a souvent admi-
rde. D'assez nombreuses expressions y sont
employees qui n'apparaissenl pas ailleurs
dang le Nouveau Testament. Voyez Sevin,
Synopt. Erklaerung der drei ersten Evange-
lien, Wiesbaden, 1873, p. 220etss.
l" L'occasion. Jf. 25-29.
23. — Et ecce. Formule pilloresque. L'e-
vangelisle ne precise ni le lieu ni Tepoque de
I'incidenl, il se conlenle de I'aligner a la
suite du relour des Soixante-douze, cu'il
suivil probablemenl de pres. — Quidam legis-
peritus, « Legisperitus » et « scnba » ne dif-
ferenl pas pius que vojaixo; et YpatifAateuc.
Nous avons vu deja quo S. Luc use plus vo-
lonliers du premier de ces deux litres. —
Surrexit: autre trail pittoresqu', duquel on
a conclu, et ce semble a bon droit, que la
scene se passa dans une maison. Je-us par-
lait sans doute , et ceux qui I'ecoulaient
etaient assis autour de lui. Tout k coup le
scribe se leve pour proposer une question;
mais son mobile n'etail point pur, ainsi qu'il
resuHe de la remarque tent'ius eum (EXTreipa^Mv
du grec est encore plus fori), qui est loujours
prise en mauvaise pari dan-; TEvangile. [I
avail done un'^ arriere-pensee insidieuse, es-
peranl. par exeniple, que Jesus rehausserait
un divin precepte aux de()ens des aulres, ou
qu'il dirait quelque chose de conlraire aux
traditions rfQues. ce qui fournirait aussilot
la maiiere d'une objection, d'une accusal ion.
— Quid faciendo (dans le grec : tl itoi-haai,
a quid quum fecerim ») vitam ceternam...f
Le jeune honime riche adressera bientol,
xviii, 18 et parall., une demande identirpie
a Notre-Seigneur, mais dans un but praiiqui^
et serieux. — Possidebo : raieux, « haert^di-
tabo » (■x).Tipovojj.r;<3a)), la vie eternelle elanl
comparee a un masnifique heritage que le
Seigneur d«.-nnira aux elus. Comp. Matlh.
V, 5 et le commentaire.
26. — At ille dixit... Jesus, ainsi int' rrog^,
aimait a poser au queslionneur une centre-
CHAPITRR X
?0*
27. Ille respondens dixit : Diliges
Dominiim Deam tuum ex toto corde
tuo, et ex tota anima lua, el ex
omnibus vinbus tuis^ et ex omni
mente tua : et proximumtuum sicut
teipsum.
Deut. 6, 5.
28. Dixitque illi : Recte respon-
disli : hoc fac, et vives.
29. Ille autem volens justificare
seipsura, dixit ad Jesum : Et quis
est meus proximus?
27. II repondil : Tu aimcras le
Seigneur Ion Dicu dc loul ton coeur,
de loule ton amc. de Ionics les
forces el de tout Ion esj)ril; et Ion
prochain commc loi-mcme.
28. Et Jesus lui dit : Vous avez
bien repondu; faites cela et vous
vivrez.
29. Mais lui, voulant se justifier,
dit a Jesus : Et quel est mon pro-
chain?
question ; « non enim simplici responso di-
gnus erat qui non simpliciter inlerrogabat »,
dit. fort bien Maldonal, h. 1. C'est d'ailleurs
uiie methode Ires nalurelle, que les profis-
seurs emploienl souvent ponr repondre aux
objections de leurs disciples. — In leije quid
scriptum est? « In lege » est mis en avanl
par emphase. Docleui- de la loi, que vous dii
la loi sur ce point? Charge par vos fonclions
d'enseigner la Thora , vous devez savoir
mieux que personne ce qu'elle cnseigne. —
Quomodo legis? repete le Sauveur. usanl
d'une locution souvent employee par les Rab-
bins quand, dans une discussion, ils deman-
dent a leurs adversaires une citation de I'E-
criture ; nx"ip (pour HD) ^NQ- Cfr. Liglit-
foot, Hor. hebr.' h. I.
27. — Ille respondens... La reponse du le-
giste est exacte, du moin> pour ce qui con-
cerne la letlre, car nous verrons dans un in-
stant qu"il n'avait pas compris le sens complel
<Jes paroles qu'il cite. C'est la reponse donnee
par Jesus lui-meme a un autre Docteur en
des circonstances analogues, Marc, xii, 29-31 .
Elle se compose de deux texles bibliques
reunis, Deut. vi, 5 (diliges... mente tua) et
Lev. XIX. 18 [el p^oximuin tuum...). Voyez-
en I'explication deiaillee dans I'Evang. selon
S. Matih., p. 433 et s., et selon S. Marc,
p. 176.
28. — Recte respondisti, lui repliqu:? Jesus;
en effet, il avait donne un excellent sommaire
de la loi juivp, unissant comrae deux parties
inseparables Ic [)receple de I'amour du pro-
chain ct 11' precepte de I'amour de Dien. Toute-
fois, bien repondre ne suflitpas pour ac.querir
la vie eternelle; voila poiirquoi le Sauveur
ajoute : Hoc fac el vives. Pratiquez les com-
mandements que vous avez mentionnes avec
tant d'a-propos, et vous vivrez de cette vie
eternelle au sujet de laquelle vous m'interro-
giez. Cfr. Rom. xii, 10; xiii, 8 ;Gal. v, 13. —
Excellente reflexion morale du Yen. Bede :
« Dum Legisperilo respondet, perfecium
nobis Salvator iter vitae coelesiis osten-
dit ».
29- — Ille volens juslificere se ipsuni. La
locution Stxaiouv iauTov n'a pas ici le sens de
uuepTtOevat Toiv aW.wv, que lui atlribue gratui-
temeiit Eulhymiu>. Elle equivaul au Irangais
« s'excuser ». Or le legiste, mis dins I'em-
barras par la direction inattendue que Jesus
venait de donner a I'enlretien, avail reeile-
ment a s'excuser, a se justifier devant toute
I'assislance d'avoir voulu entamer une con-
troverse sur une preiendue difiiculte qu'il
avait ensuile lui-meme si promplement et si
aisement resolue. Essayant done de montrer
que sa premiere question n'etait pas aus?i
vaine qu'elle pouvait mainlenant le parailre,
les termes de la Loi manquant parfois de
clarle et ayanl besoin d'un commentaire, ii
ajoute : Et quis (« quis igitur n) est meus
proximus? Relai.ivement a Dieu m:s obliga-
tions sont tiaires : je le reconnais; mais if
n'en est pas de memeconcerna^L le prochain,
Tout d'abord, quel esl-il, ce prochain que je
dois aimer comme moi-meme? Voila bien le
Juif d'alors, aux sentiments elroils ol particu-
laristes, ne voulant pas admeltre, les Talmuds
en font foi, que tons les hommes sont ses
freres en Dieu, elablissant au conlraire de
vasles categories d'excpptions. Par pxemple,
loraa, I, 7, il est permis a un Juif d'enlever,
en un jour de sabbat, les decombres qui sont
tombe-s sur un autre Juif; la meme opera-
tion est expre^semmt interdite s'il s'agit
d'un paien. Un passage du livre Aruch, cite
par Lighll'ool, Hor. hebr., h. 1., va jusqu'a
dire que les G-;^nl ils ne sont pas compiis dans
le mot « prochain ». Mais ne nous irritons
pas irop contre celte question etrange, puis-
qu'elle nous, a valu I'une des « piij caro
gemme evangeliche » (Gurci). Cfr. Wiseman,
Melanges religieux, etc., i, les Paraboles du
N. T., p. 52 et ss.
S. Bible. S. Lcc. — 14
210
fiVANGILE SELON S. LUC
30. Jesus reprenant, dit : Un
homme descendait de Jerusalem a
Jericho, et il tomba entre les mains
de voleurs qui le depouillerent et le
couvrirent de plaies, et s'en alle-
rent le laissant a demi-mort.
31. Or,il arriva qu'un pretre des-
cendait par le meme chemin, et en
le voyant il passa outre.
30. Suscipiens autem Jesus, dixit :.
Homo quidam descendebat ab Jeru-
salem in Jericho, et incidit in latro-
nes, qui etiam despoliaverunt eum,
et plagis impositis abierunt, semi-
vivo relicto.
31. Accidit autem ut sacerdos
quidam descenderet eadem via : et
yiso illo prseterivit.
2» Parabole du bon Samaritain. f^. 30-37.
30. — Suscipiens. Expression solennelle
pour inlroduire ia parabole. 'r7To),a6(iov, dont
elle est la traduction litlerale, ne se trouve
qu'eri ce passage da Noiiveau Testament;
mais les classiques tmploient souvent ce
■verbe dans le sens de « respondere ». Nolre-
Seigneur, cetio I'ois encore, ne fera pas au
scribe une reponse direcle ; mais il saura lui
demonlrer, par un exemple dramaliqne, plus
clair et plus saisissant que lis plus belles
theories, quelle est I'extension du precepte
de TaiTiour du prochain. — Homo quidam.
La nationalite de eel liomme est laissee a des-
sein dans le vague. « Bene est (Jesus) generis
appellaiione usus,.., nam sermo fuit de tola
humanilale ». Cat. graec. Pair. La morale de
I'hisloire n'en sera que plus evidenle. Nean-
moins, il ressort du conlexle (« descendebat
ab Jerusalem ») et les interpretes admeltent
generalement qu'il eiaitjuif. Seul, et sans
raison aucune, Olshausenen fait un paien. —
Descendebat ab Jerusalem in Jericho. Le verbe
« descendebat » est ici dune parfaile exacti-
tude, car Ton sail que la vijie de Jericho,
bien qu'elle ne soil separee de Jerusalem que
par une distance de 150 stades (enviion 6
ou 7 heures de marche), est siluee a plus de
3000 pieds au dessous de la capilale juive.
Voyez dans R. Riess, Alias histor. et geogr.
de la Bible, les prnfils qui accompagnenl la
planch(^ VIL La route qui unit les deux cites
a toujours joiii d'une reputation trislement
celebre Elle tiaverseun alfreux desert (epYip-ov
xal irexpfoScc, Jos, Ant. iv, 8, 3), oil les col-
lines calcaires denudees, d'une blancheur
eblouissante quand le soleil les eclaire, aller-
V, nenl avec des vallees sans eaux, el egale-
■ ment denudees. Voyez Lamarline, Voyage en
Onenl ; Murray's Handbook for Travellers in
Syria and Palestine, 2e ed. p. 216 elss.; Bae-
deki r's Palseslina und Syrien, p. 269 et ss.;
Stanley, Sinai and Palestine, 2e ed. p. 424.
Mais elle est encore plus dangereuse que pe-
nible. S. Jerome, De locis hebraicis (s. v.
Adummim), assure qu'elle portait le nora
d'Aduiiimim (Cfr. Jos. xv, 7; xviii, 17) par
allusion au sang humain « qui ilh loco a la-
tronibusfiindilur ». Ailleurs(In Jerem. iii, 2)
il ajoute : « Arabes,... quae gens latrociniis
dedita usque hodie incursal tenuinos Palaes-
tinaeet descendenlibus de Hierusalem in Hie-
richo obsidet vias ». El de nos jours elle n'a-
pas plus change sous ce rapport que sous le
premier. Elle n'est pas moins infeslee de bri-
gands qu'a I'epoque de Jesus et de S. Jerome,
el il serail tout a fait imprudent do la suivre
sans une escorte « equipeeen guerre », comme
dit un voyageur conlemporain. Aulrement
on courrait risque, a quelque detour de che-
min, ou deiriereune anfracluosile de rocher,
ou dans un etroil defile, d'avoir le sort du-
malheureux Juif donl parle la parabole : inci'
dit in latrones (bonne traduction du grec
Xxi<TTai< : le mot « voleurs » ne serail pas
assez fort. Voyez Trench, Synonymes of the
N. Testam., § 44). — La conduite cruelle
de ces bandits est decrile en lermes pitlo-
resques. 1o Etiam (xat) despoliaverunt ilium,
c'ost-a-dire qu'ils le depouillerent do tout,
meme de ses veteraents, ainsi que font encore
les Bedouins issus d'eux. 2o Plagis impositis :
comme il resislait, ils le frapperent sans pi-
lie. 3° Semivivo relicto (dans le grec, dqjevxec.
fiSiieavT) TUYx«vovxa : ce dernier mot est omis
par les maiuiscrils Small., B, D, L). Enfin ils
le laissenl etendu sans connaissance, expose
a une mort cerlaine s'il ne lui arrivait un
prompt secours.
34. — A cole du blesse le divin narrateur
amene coup sur coup trots homines, un prd-
tre juif, un levite el un Samaritain, donl il
depeinl la conduile de la mamere la plus
graphiqtie. — Accidit autem... Dans le grec,
xttToi CTuyxuptav, « fortuito quodam casu » :
hasard lout providentiel assuremenl. — Sa-
cerdos quidam descenderet. Ce pr^lre va done,
lui aussi, de Jerusalem a Jericho. Tout porte
a croiie qu'il avail son domicile dans celte
derniere cite, car, bien qu'elle ne fut pas une
ville sacerdolale, nous savons que des mil-
liers de pretres et de leviles y residaient
alors. Cfr. Sepp, Leben Jesu, t. Ill, p. 272.
II y retournail tranquillemenl, apres avoir
passe au temple sa seraaine d'oDBce. Voyez
Luc. I, 8, 23, el le commenlaire. — Viso Ulo
prwterivit. Le verbe grec choisi pour expri-
CHAPITRE X
iH
32. Similiter et levita^ cum esset
secus locum et videret eum, per-
transiit.
33. Samaritanus autem quidam
iter faciens, venit secus eum : et wi-
dens eum, misericordia motus est.
34. Et appropians alligavit vul-
nera ejus, iufundens oleum et vi-
num : et imponens ilium m jumen-
tum suum, duxit in stabulum, et
curam ejus egit.
32. Pareillement un levite qui se
trouvait en cet endroit et qui le vit,
passa outre.
33. Mais un Samaritain qui voya-
geait vint pres de lui, et en le voyant
fut touche de compassion.
34. Et s'approchant il banda ses
plaies, en y versant de I'huile et du
vin; il le mit sur son cheval, le con-
duisit dans une hdtellerie et prit
soin de lui.
mer ce depart inhumain est d'une grande
vigiieur : avxinapviXeevjliiieral. : il passa oulre
vis-a-vis de lui. Ge preire avail de nobli s sen-
timents! II apeiQoii un homme eiendu sur ia
route el il passe.
32.*— La conduile du levite sera pire en-
core. Parvenu sur le IheSlre du crime, il fail
un mouveraenl de plus que le pretre : £).8wv,
dit le lexie grec (la Vulgate n'a malheureuse-
ment pas traduitce veibe); il s'approche du
blesse pour mieux voir, tandis que le pre-
mier passant elait reste de I'aulre cote du
chemin. Sa curiosite a done ele eveillee ;
mais son coeur demeure glace, car a son lour
dvTiitap>i).6ev. El pouriant la loi juive conle-
nait ce lexle formel : « Si videris asinura
fratris lui, aul bovem, cecidisse in via, non
despicii s, sed sublevabis cum eo ». Deut.
XXII, 4 [Cfr. Ex. xxiii, 5). Que ne devait-on
pasfaire pour un frerc malheureux!
33. — Quel conlrasti' ! Taciie a beau vanler
la misericorde que les Juits se temoignaienl
entre eux (Hisl. v, 5 : « Apud ipsos miseri-
cordia in promplu w) : un preire et un levite
onl laisse, sans lui porter secours, un de leurs
coreligionnaires mourant sur le grand che-
min. M.iis voici qu'un Samaritain va faii e avec
amour ce qu'ils out neglige hoiileusemi^nl.
Un Samaritain ! Ce nom dil beauconp dans
le petit drame si bien retrace par Jesus. 11
siguifiait pi>ur les Juifs un ennemi national,
un excommunie, un hoirime pire qu'un pai'en.
Nous lisons en effel au livre de I'Ecclesias-
tiqiie, L, 27 et 28, ces lignes significalives :
« II esl deux nations que mon Sine doleste,
et il en esl une troisieine que je ne puis souf-
frir : ceux qui habitenl les montagnes de
Seir, les Pliilislins et le piuiple insense qui
reside a Sichem ». — Ce heios de noire lou-
chante histoire ne vient pas de la capitale
juive, que les Samaritains ne frequentaienl
guere ; le lexle sacre nous le represente siin-
plemi-nt sous les trail-* d'un voyageiir ordi-
naire {iter faciens, 65z<Kiiy\. Coinme le preire,
il apergoit le blesse; comme le levite, il s'en
approcbe: mais il eprouve un sentiment qui
n'avail penetre dans le coeur ni du pretie ni
du levite [miseriiordia motus est, ednXayxviaSY)),
sentiment qui va lui dieter les actes gene-
reux decrils dans les deux versets suivants.
0 Exleriora largiens, rem extra semetipsum
praebuii, dit S. Gregoiro (Moral, xx, 36) avec
beaucoup de verite. Qui autem lletum et
couipassionem proximo tribuil, ei aliquid
etiam de semelipso dedit ». Le Samaritain
commenga done par donner ce qu'il avail de
mieux, la pilie de son cceur. Et pourlanl il
avail du reconnaiire que le blesse elait uo
Juil', un ennemi de sa nation!
34. AUigavtt vulnera... Sens s'arreler k la
pensee que les brigands ne sonl peut-^tre pas
loin el qu'il court lui-m6me un grand danger,
il se met a panser de son mieux les plaies du
malheureux. Les bander elait bien la pre-
miere opeialion a faire, pour arr6ler I'epan-
chemenl du sang. Tout en s'y livrant, lb
Sainaiilain versait le melange de vin et
d'huile qui a depuis porle son nom (baume
du Samaritain). C'esl la du reste un grand
remede de I'antiquite, et il convenail a mer-
veille dans le cas actuel, le vin dtant un
abstersif qui devail puriQer les plaies, I'huilt
un linilif qui en pouvail calmer I'irritation.
« Fiacia pecuduin non aliter quam hominum
crura sanantur involuta lanis oleo atque vino
insuccalis », Columelle, vii, 5, 18. « Succidae
plurima praestanl reraedia ex oleo vinoque »,
Plini\ Hist. nat. xxix, 9. Voyez d'autres ci-
talions analogues dans Welslein. Les Orien-
laux voyagenl raremenl sans einporler avec
eux UUP pel it" provision de ces deux liquides.
CI. Gen. xxviii, 18. — Imponens ilium in ju-
menlum... II allail done lui-meme a pied, sou-
tenant doucem nt le malade. — Duxit in sta-
bulum. Sur cet emploi du mot « stabulum »
voVf'Z Forcellini. Le grec TtavSoxeTov, qu'on
irouve dans les ecrils rabbinKpies sous la
form ' legeremenl modifiee depiJiS {pon'dok)
designe une auberge propremenl diie, ou
Ton peut se procurer des vivres en meme
temps que le couverl, et pas seulemenl,
comme x«Ta>,y|j.a (Cfr. ii, 7), un caravanserail
Hi
fiVANGILE SELON S. LUC
35. Et le jour suivantil prit deux
deniers, les donna a I'hotelier et
dit : Ayez soin de lui; et tout ce
que vous depenserez de plus je vous
le rendrai quand je reviendrai.
36. Lequel de ces trois vous pa-
rait avoir ete le prochain de celui
qui tomba aux mains desvoleurs?
35. Et altera die protulit duos de-
narios, et dedit stabulario, et ait :
Curam illius habe : et quodcumque
supererogaveris, ego, cum rediero,
reddam tibi.
36. Quis horum trium videtur tibi
proximus fui&se illi qui incidit in
latrones?
oriental, qui ne tournit que le simple giie.
C'esl au Khan Hadrour, donl Irs mines
sont, sitiiees a mi-chemui enlre Jerusalem et
Jericho, que la tradition conduil les dc^ux
heros de la parabole.
35. — Altera die... Compatissant pour le
passe, lendrement serviable dans le present,
le bon Samaritain son;:e au-si a raveiur du
pauvre blesse.Le leiuiemain done, oblige de
gft remettre en route (s^j/Owv du texte groc
eslomis par ia Vulgate. rUala.L"? manuscrils
B, D, L;, prolitlit duos denuriox et dedit slabii-
Itirio. « Prolulil » (ey.6a/a)v; est pilloresque :
il lira de sa bourse. La somuie remise a I'ho-
teller paraiirait aujourd'lini bien modu]ue et
meme in*utli-ante, car die equivaut a moins
de deux fiaiics ^1 fr. 70 environ). Mais c'elail
alors la solde de deux joumees de tiavail ;
elle devait suffire pour defiayer les depenses
du malade deux jours durant, el le Sauiari-
lain supposait que, ce delai passe, il n'aurait
plus besoin d'aucun secours. Au reste, le ge-
nereux bier.faiieur esl pret a completer au
Desoin son cEuvre de misericorde : quodcumque
aupererogiweris ego... reddam. Quel beau type
de la charite chretienne! Mais aussi, quel
saisissanl portrait de Notre-Scigneur Jesus-
Christ liii-memc! En effel. « hs Peres unani-
memenl ont reconnu dans cette |)arabole un
sens mystique. Le Juif qui descend de Jeru-
salem a Jericho, et qui est depouille et iaisse
pour morl, osl Adam noire premi t pere qui,
par son peciie, esl dechu de son innocence,
et a perdu toutps les graces que Dieu lui
avail doniiees en le creant (ou, mieux encore,
« homo isle... genus d 'signal humanum. quod
in primis parciilibus supernam civi;alem de-
serens, in hnjus sieculi el exilii miseriam per
culpam corruens, per antiqui hostis fraudu-
lentiam vesle innocenlise el inimorialilatisest
spoliatum i't originalis culp;e vitiis graviter
vulneraium », Hugo a S. Victore, Annotal.
in Luc. h. 1.)... Les voleuis qui le blessent
el le depouillenl sonl les demons. Le pretre
-^t le levile qui passent sans secourir ce mi-
serable represiMilent la loi de Moi'se, avec
tons ses sacrifices el ses ceremonies, inca-
pnbles de guerirnos blessures.LE charitable
Samaritain est Jesus-Christ. L'hotellerie
oil i! porle son malade esl I'Eglise. L'liuile el
le vin sonl les sacremenls... Ceux a qui ii
recominande le blesse sonl les pasieur> de
I'Eglise ». D. Calmet, Comment, litieral sur
S. Luc, X. 30 (Voyez les texles des SS. Peres
dans la Chaine d'or de S. Tiiomas, dans Cor-
nelius a Lapide). La parabole du bon Sa-
maritain a egalement allire I'allention des
peiiilres. J. Fr. Gigoux el Vanloo en ont re-
presenie d'une inaniere a-sez lieureuse la
scene principale. — Sur le second groupe des
paraliules evangeliques. qu'elle inaugure si
admirublimenl, voyez I'Evang. seloii S. Mat-
ihieu, p. 258 ci 259. II dilieie ^Ultouldu
premier groupe (les paraboles du royaume
des cieux) par le cole moins general el plus
individuel, plus subjeclif, des veriles morales
qu'il expose. On y voit davantage chaque
ame liumaine consideree isolemenl, avec ses
verlus qui sonl recompensees el ses vices qui
sonl punis. On y voit encore tres aeltemenl
marque, et c'esl la uu autre caradere dis-
tinctif. I'appel au salut de tous les hommes
sans exception, el la gravite de cei appel :
aussi esl-il bien naturel que la pluparl des
pieces qui le composenl soient des specialiies
du troisieme Evangile, que nous avons
nomme dans la Preface I'Evangile universfl.
Ces poesie-:, qu'on s'accorde a trouver ex-
quises pa; mi loules les autres, sonl d'ordi-
naire empruntees aux evenemenls de la vie
des homines beaucoup plus qu'au domaine
&i la nature, comme c'elail le cas pour les
paraboies du premier groupe.
3' L - raorat '3 la parabole. ^y. 36-37.
36. — Quis \\.jruin trium... Pour la se-
conde fois (Cfr. tt. 25, 26, 29) Jesus repond
a une question du Legiste par une conlre-
qupstion. Jusqu'au boul eel homme est con-
damne a resoudre lui-meme. le probleme qu'il
avail souleve avec des intentions ^i pen
avouables. 11 semhle neanmom-:, a premiere
vue, que Notre-Seigneur n'emploie pas le
mot proximus dans le sens qu'exigerail ia pa-
rabole. Duquel de ces trois homines le blesse
a-l-il ete le prochain? qui d'enlre eux I'a
iraite comme son prochain? Tel ne devrail-il
pas etre le lour donne a rinleriogalion?
Peul-elre, si Jesus eut voulu suivre sa pensee
en toute rigueur. Mais, comme le disa
CHAPITRE X
213
37. At ille dixit : Qui fecit mise-
ricordiam in ilium. Et ait illi Jesus :
Vade, et tu fac similiter.
38. Factum est autem, dumirent,
et ipse intravit in quoddam castel-
lum : et mulier qusedam Martha no-
mine, excepit ilium in domum
suam.
39. Et huic erat soror nomine
37. II repondit:Celui qui a exerce
la misericorde envers lui. Et Jesus
lui dit : Allez et faites de meme.
38. Or, il advint pendant quils
etaient en chemin, qu'il entra dans
un village, et une femme nommee
Marthe le recut dans sa maison.
39. EUe avail une soeur nommee
S. Auguslin, de Doctrina christ., I. i, c. 30,
« proximi nomen ad aliqnid est, nee quisquam
esse proximus nisi proximo polesl ». Le nom
de prochain impliquanl la nolion de recipro-
cile, il n'y avail pas le moindre inconvenient
k renverser ies lerrnes, et, de la sorte, le
Sauveur montrail avec plus de force a son
antagoniste que la difference de religion, k-s
prejuges de race, leshaines inveterees, etc.,
loutes choses qui separaient Ies Juifs des
Samarilains, n'emp^chent pas Ies homnips
d'etre vraiment « prochain » Ies uns a I'egard
des autres.
37. — Qui fecit misericordiam (dans legrec,
TO l)>eo; avec {'article, Toeiivre de misericorde
avec tous ses details precedemment racon-
tes)... II eul ete plus simple de repondre :
« Samaritanus ». Mais le Scribe ne peul se
resoudre a prononcer ce mot abhorre ; il fait
done usage d'une circonlocution. Tant mieux
d'ailleurs, car, en parlant ainsi, il enlrail
plus intimement dans la pensee de Jesus; il
enonQait un principe, au lieu de s'arreter h
un fait isole. — Vade et tu fac similiter. De
nouveau (Cfr. t. 28), le divin Maitre invite
le Scribe a Taction, conformement du reste
k la premiere demande de ce!ui-ci (t. 25).
Allez et imitpz ce modeiel La difficulle qu'il
avait proposee est en effel une de celles dont
on a dit avec tant de justesse : « Solviiur
amando ». — Le temps n'a rien enleve de sa
verite, de sa beaule, a la pressanle injonction
de Jesus. Les paiens pouvaient bien affirmer
brulalement qu'un homme est comme un
iouD Dour un autre homme nui ne le connait
pas. La religion insliluee par Jesus ne voil
dans les hommesque des freres auxquels elle
prescrit de s'entr'aimer toujours.
5. Marthe et Marie, x, 38-42.
Nous avons ici, en quelques lignes, une
des plus belles eludes psychologiques de
S. Luc. Le caractere cies aeux sceurs est
trace de main de maitre. C'esl aussi d'une
maniere magistrale que S. Auguslin, de
Verbis Domini, Serm. xxvii, el S. Bernard,
In Cai)!.ic. Serm. vii, onl commente ce char-
manl recit, el que Jouvenei, Lesueur, Ary
Scheffer, I'ont reproduil avec leur jjinceau.
Cfr. A. WiiU'Che, Jesns in seiner Sleilung ru
den Frauen, Berlin 1872, p. 69 el ss.
38. — Dum irent. Celle date generale nous
fail souvenir que Jesus est en route pour Je-
rusalem. Cfr. IX, 51, 57; x, 1. La conjonc-
lion et, devant ipse, esl I'apodose accoulu-
mee du grcc apies iyivzxo. — Intravit in
quoddam castellum. « S. Luc ne nomme point
ce bourg, mais S. Jean dil son nom el I'ap-
pelle Belhanie. » Origene. Cfr. Joan, xi, i
etxii. '1. Nolre-Seigneur s'eiail done bien
rapproche a cetleepoquede la capilale juivo,
aux porles de laquelle etail situe le Iran-
quille village habile par Marthe et Marie. II
y elail venu a I'occasion d'une des fete*
mentionnees par S. Jean, vii, '2, 10, x, 22.
Voyez le chapitro de I'lnlroduction generale
consacre a la chronologie des Evangiles el
I'Harmonie evangelique. — Mulier qucedam
Martha nomine. Cenom,qui n'apparait nuUe
part dans I'Ancicn Teslamenl, esi menlionne
par Plularque (Marius, xvii) comme celui
d'une prophetesse juive qui accompagna le
famcux general remain dans plusieurs de ses
campagnes. Sa forme n'esl pas hebralque,
mais arameenne : en effel N'niD {Martha;
en syriaque ^niQ, Morlh) esl le feminin de
yo [mar) et correspond an grec xOpta, au
latin « donnna,hera ». Cfr.Schegg, Evangel.
nach Luk., I. II, p. 530. — Excepit (OTreSs'^aTo,
« suscepit hospitio ») illuin in domum suam.
II est probable que ce n'eiait pas la premier"
fois que Jesus faisail k Marthe I'honneur de
sejourner dans sa maison : la scene enliere
SUDDOSe au contraire des relations ante-
neures tres mtimes.
39. — Huic... soror nomine Maria. Sur
ridentile de Marie, soRur de Marihe, avec
Marie Madeleine, voyez vii, 50 et le com-
menlaire. Le frere de Marihe et de Marie,
S. Lazare, n'apparait pas plus dans le Iroi-
sieme Evangile que dans les narrations de
S. Mattnieu et ae S. Mure. 11 etait reserve 9
S. Jean de decrire les liens elroils qui I'uniS"
saient a Je-us el le glorieux prodige de sa
resurrection. — Quw etiam (xaJ) sedens. Sui-
vanl la judicieuse remarque de D. Galmet,
eel « etiam », qui semble d'abord etrange, a
simp''?meni pour but d'insinuer que plusieurs
iM
fiVANGILE SELON S. LUC
Marie, qui, assise aux pieds du Sei-
gneur, ecoulait sa parole.
40. Mais Marthe s'occupait autre-
ment a servir beaucoup de choses.
Elle s'arreta et dit : Seigneur, n'a-
vez-vous pas souci de ce que ma
soeur me laisse seule a servir? Dites-
lui done de m'aider.
41. Et le Seigneur lui repondit :
Marthe, Marthe, vous vous inquie-
tez et vous tremblez pour servir
beaucoup de choses;
Maria, quae etiam sedens secus
pedes Domini, audiebat verbum
lUius.
40. Martha autem satagebat circa
frequens ministerium : quae stetit,
et ait : Domine, non est tibi curae
quod soror mea reliquit me solam
ministrare? Die ergo illi ut me ad-
juvet.
41. Et respondens dixit illi Domi-
nus : Martha, Mai tha, soUicita es,
et turbaris erga plurima.
personnes etaient alors assises aupres de
Jesus. L'aUitiide de Marie est designee d'une
maniere pittoresque par les mols sezus pedes
Domini (les nipilleurs manuscriis oni Kupiou,
quoiqiie le Text, recep. porte 'Ir)aoO). Les
anciens auteurs juifs (Gfr. Act. xxu, 3 et
Wetstein sur cc passage) disent que les dis-
ciples se tenaient ainsi accroupi-; a la fagon
orientale aux pieds de leiirs mailres, par
humiiite et par respect. — Audiebat verbum
lUius. Elle ecoulait Jesus dans une sainte
quietude, recueillant avidement chacune des
paroles du Maitre bien-airae. Marii-, soeur de
Marllie et do Lazare, aura bien le nneme
caraclere dans le quatrieme Evangile : nous
I'y retrouvi rons avec sa nature calme, son
ame contemplative, et son coeur livre lout
entier a Jesus.
40. — Marihe aussi reviendra dans le recit
de S. Jean avec le caractere bien tranche
que nous lui voyons ici, el qui forme un con-
trasle si frappant avec celui de Marie. Quelle
differenci> en efTet entre ces deux sopurs, et
dans les manifestations de leur amilie pour
Jesus I Pour mieux opposer au repos de I'une la
fievreuso activiie de I'autre, S. Luc emploie
une expression des plus enorgiquis, quoique
tres elegante: itepieffiTdTo (salagebat), litteraie-
ment, « dislrahebalur » : ellcetait tu'eeendi-
versscns, allanl, venaiit, s'in(iuietant,s'agitant
circa frequens iuoW.^v) ministerium, comme le
!ont les mailresses de maison aux jours oil
olles reQoivent de grands et de nombreux
personnages. Jesus etail sans doule accom-
pagne de ses disciples, ce qui ne devail pas
dirainucr la soliicilude hospitaliere de sainte
Marthe. Voila done les dinix soeurs, profon-
demont devouees I'une el I'autre au Sauveur,
inais I'honoranl par des procedes si divers.
M Martha Dominura pascere praeparans circa
multum m;nisterium occupabatur. Maria
soror ejus [)a-(i a Domino magis elegit. In-
tenta erat Martha quomodo pascerel Domi-
«mn; interna Maria quomodo pasceretur a
Domino. Ilia multa disponebat; ista Unum
aspiciebat. » S. August , Serm. cm. — Qnoe
stetil. Le verbe gr^c imG-ziaa. serabln indi-
quer d'abord un mouvemenl de Marihe pour
s'approcher de Jesus {ini], puis un brus(|ue
arret aupres de I'hote auguste. — Et ait.
Son iangage, respectueux et fam:lier lout
ensemble, exprime allernativement une
plainie et un desir. Elle se plaint du Sei-
gneur lui-meme : Non est tibi euro...; mes
soucis ne vous inquietent guere. Des mots
suivants, soror mea reliqnit mesolam..., nous
pouvons induire que Marie, apres avoir aide
sa sceur pendant quelque temps, I'avait en-
suite laissee, pour venir prendre aux pieds
du Maitre la position dans laqui'lle nous I'a
monlree Tevangelisle. Elle avail compris
qu'elle honorait ainsi beaucoup mieux Notre-
Seigneur, et qu'elle mettrait plus parfaite-
ment a profit le temps precieux de sa visile.
— Die ergo illi..., demande Marthe comme
conclusion (« ergo ») de son observation
plaintive. Elle n'ose ordonner elle-m^me k
Maiie de quitter sa place d'honn^ur, crai-
gnant, ou de recevoir un refus. ou plutot de
manquer de respect au divin Maitre qui con-
ver^all avec elle; mais elle pense tout conci-
iier en priant Jesus d'lnterposer son auto-
nte. — L" correlatif grec de adjuvet, <mvavTt-
).d6riTai, exprime Ires fortemeni la pensee de
!-ainle Marihe. II se compose de trois mots
anxqueis correspondent autant d'idees :
)>d[jL6avw, prendre une chose sur soi,avTi. pour
un autre, et ouv, de concert avec un autre.
41. — Respondens... Dominus. Ici encore
la Recepta porie 6 'Itictou?; mais lesmeilieurs
manuscrits lisent oK-jpio?. — Martha, Martha.
Repetition pleinedegravite, cornme plus loin
« Simon, Simon » (xxu, 31), pour inlroduire
un affectU'ux reproche, — SoUicita es et tur-
ba)ts erga plurima. « Dominus pro Maria
respondit Marihaj, et ipse ejus factus est ad-
vocatus, qui judex fuerat interpellatus »,
S. Aug. de Verb. Dom. Le Seigneur bl&me
CHAPITRE X
215
42. Porro unum est necessariiim.
"Maria optimam partem elegit, quae
non auferetur ab ea.
42. Or, une seule chose est n^-
cessaire. Marie a choisi la meil-
leure part qui ne lui sera pas otee.
doucem(>nl la sceur meconlenle, de ce qu'elle
est en ce momt-nl liop preoccupee, Irop Irou-
blee : xw^uet, dil furt bit>n Tlieophyiacle, t^v
itoixiXtav xai TupSiriv, tout' loTt tov 7iept(T7ta(7(t6v
xai TTjv Tapa^iov . Lcs deux VBibes qui decri-
venl ceile surcxcilation de Marlhe dans Is
tcxle grec sont, de nouvoau ties expressifs.
Le premier, (xeptjxvdc (Cfr. Maith. vi, 25), re-
.preseiile ia soliuiiude inleneure poiissee k
un dcgre exiremi'; le second, Tupga^ig (B, C,
D, L, Sin. onl Qopvoilin), se dil de I'agiialion
exteneure (Ics classiques I'emploient pour
designer I'eau trouble).
42. — Unum est necessarium. Belle et riche
parole! Mais Ics inierpreles ne sont d'accord
ni siir sa fonne piiinilive, ni sur sa significa-
lion reeile. Relaliv mcnl a la forme, il existe
trois Irgons prinripales : oXtywv Se ia-zi XP^'*
(quekiu s iiianiiscrils peu iniporianls), iXiytov
6e e<jxi xpst'a 11 evog (Sinait., B, L, ies versions
copl., elhiup., syr.), Ivo? 5^ e<7Ti xpei'a {ie Text,
recepl. d'apres de nombreux nianuscrils, la
Vulgale, etc.) Lps criliqiiPS preferenl gene-
rahmint celte troisieme legon : o)itYa)v
semble en effi t avoir eie ajoiile apres coup
afiii de rendri' plus clair le sens de 4v6;. Get
« unum necessarium » peut s'entiMidre de
plusieurs manieres. Nous ne nolons que
comme une curiosite d'exegese I'opinion de
Nacliligall ot de Stoiz, d'apres laquelle Sv6;
Hesigneiail uno personne el non une chose.
Jesus aurait voulu dire a Marlhe : Une scule
d'onlre vous ^uflil pour le service; laissez
done voire sceur aupi es de moi ! Evidemment
ivo; est au neulie, comme le monlre son op-
position a -noyia. du f. 41 ; mais en outre la
pensee du Sauveur doit etre plus profonde.
Toutefois, de graves auleurs anciens et mo-
derncslS. Basile,S. Cyrille,Tlieophylacte, Cor-
neiHe de Lapicrre Wctslein, etc.), la rendenl
encore moiiis profonde en regardant « unum»
comme synonyme de « calinum unum. » A
quoi bon tant de choses? Un seul plat ne
suflirait-il pas? II y a, dans cetle inlerpre-
taiion par irop lilterale, je ne sais quoi de
trivial, qui ressemble a un manque de gout
el qui parait peu digne de Jesus. Aussi vaut-
il mieux, avec la plupari des exegeles,
prendre dv6« au spirit uel, au figure : Une
seule cho-e est necessaire, la vie de Tame, le
divin aincur, la pensee du ciel et du salut;
le resle tv est qu'accessoire et on doit le reje-
ter au second rang. Et pouriaut ce sens,
quoique plus releve, n'est pas encore le plus
exact parce qu'il est Irop general. La vraie
pensee de Jesus se trouve mieux indiquee
par la suite de ses paroles. Dans I'eloge
qu'il fail de Marie, le Sauveur commente en
effet lui-meme le mot ^v6;; car il affirme ira-
plicitemenl que la soeur de Marlhe praliquait
alors « I'unique necessaire », qui consists
par consequent a se livrer sans reserve k
I'amour de Jesus, a oublier pour lui Ies choses
exlerieures. — Optimam partem elegit. Le
grec a simplemeiit ttjv dyaeriv, au positif;
mais la bonne portion par anlonomase est
assuremeni la meiileme. « La meilleure » :
done celle de Marthe n'elait pas mauvaise en
elle-meme, comme I'observaient deja Ies
SS. Peres, quoiqu'elle lui d'une nature inf^-
rieuie. « Nee ergo Dominus opus reprehen-
dil, sed munus dislinxiL. » S. August. Serm.
XXVII de Verbis Domini. « Nee tamen Martha
in bono ministerio reprehendilur, sed Maria
quod meliorem partem elegerit anleferlur, »
S. Ambr. h. I. — Quce non auferetur ab ea.
En eflel, dit encore S. Augustin, « hoc elegit
quod semper manebit. Sedebat ad pedes
Capitis noslri; quanto humilius sedebat,
tanio amplius capiebat. Constitit aqua ad
humililaii m convaiiis. Unum esl necessarium:
hoc sibi Maria elegit. Transit labor mullitu-
dinis, manet cariias unitalis. A le quod ele-
gisti auferetur; hoc ilia elegit quod semper
manebit. » En effet, Ies doux entretiens avec
Jesus peuvent durer toujours ici-bas, et ils
ne cesseronl jamais au ciel. — Dans Marthe
et dans Marie, lelles que nous Ies presente ce
gracieux episode, nos grands auleurs mys-
tiques onl vu, et a bon droit, Ies types de la
vie active et de la vie contemplative. Marie
la Carmelite, Marlhe la soeur de charite;
Marie qui a plus trait de ressemblance avec
I'apotre S. Jean, Marlhe I'emule de S. Pierre;
Marlhe qui veut donner beaucoup, Marie qui
ouvre son ame pour recevoir beaucoup de
Jesus. Roles bien beaux, quoique divers. C'est
la Providence de Dieu qui Ies departit k
chaciin. Ils so rompleteni I'un I'autre, el
la main active de Marlhe, associee au coeur
aimant et calme de Marie, a produil des
merveilles dans I'Eglise et dans la societe.
Quoique la part de Marie ait quelque chose
de plus celeste, le mieux, dans Ies situations
ordinaires, est d'uuir Ies natures de Martha
et de Marie.
216
EVANGILE SELON S. LUG
CHAPITRE XI
Jd8u5 enseigne le « Pater » a ses disciples (iff. 1-4). — Les qualites de la pri6re {tlf. 5-13).
— Expulsion d'un demon (f. 14). — Les ennemis du Sauveur I'accusent d'operer ses
miracles grSce au concours de Beelzebub, et lui demandent un signe du ciel [tt. 15 et 16).
— Jesus refute la calomnie (ft. 17-28), el rejette la requ6te (tt. 29-36). — II maudit
les Pharisiens et les Scribes [tt 37-52). — Ses adversaires redoublent de haine centre
lui (tt. 53-54).
1. Et factum est, cum esset in
quodam loco orans, ut cessavit, dixit
umis ex discipulis ejus ad eum :
Domine, doce nos orare^ sicut do-
cuit et Joannes discipulos suos.
2. Et ait illis : Cum oratis, dicite :
1. Un jour qu'il priait en un cer
tain lieu, lorsqu'il eut fini un de
ses disciples lui dit : Seigneur, en-
seignez-nous a prier, comme Jean
i'a enseigne a ses disciples.
2. Et il leur dit : Lorsque vous
6. Entretien sur la priSre. zi, 1-13.
!• Le « Pater ». ^f. 1-4.
Chap. xi. — 1 . — Cum esset in quodam
loco... G'est la une des courtes introductions
historiques dont S. Luc accompagne iVequem-
ment les discours de Jesus. Le temps et le
lieu sont laisses dans le vague, comme des
circonslances secondaires, ou plulol ils sont
determines d'une maniere generale par le
conlexte. La scene se passe aux environs de
Belhanie (Cfr. x, 38 et le commentaire), pro-
babiement sur le versanl occidental de la
montagne des Oliviers, non loin du sommet,
au S. 0. de Kefr-et-Tour (voyez R. Riess,
Atlas hist, el geogr. de la Bible, pi. Vl),
comme I'enseigne la tradilion. Sur ce site
v^nere, une Frangaise, la princess? de La
Tour d'Auvergne, faisait naguere conslruire
une belle eglise pour remplacer celle des
Croises. Dans le cloilre qui entoure I'edifice, on
voit 31 plaques qui portent le « Pater » grave
en 3i ianguea iiiuerentes. Cfr. Bsdekers
Palaeslina und Syrien, p. 229. L'epoque est
celle du grand voyage de Jesus a Jerusalem
peu de temps avanl sa Passion, ix, 51 et ss.
— Orans. Nouvelle piiere de I'Homme-Dieu
menlionnee seulement dans le troisieme
Evangile. Elle servit d'occasion a I'enlrelien
qui V5 suivre. Rien ne prouve que Jesus Id 0^
^ haule voix, comme I'ont pense divers inler-
preles (Stier, Plumptre, etc.). — Ut cessavit :
trait pitloresqne. Au moment meme oil
J^sus, ayant acheve sa priere, se rapprochail
de ses disciples, I'un d'eux (ce devail etre un
des Soixante-douze, car les Apotres connais-
sail deja le « Paler ») lui Bt cette demands
touclianle : Doce nos orare, c'est-a-dire,
comme il ressort des mots suivants : Ensei-
gnc-z-nous une formule speciale de priere, que
nous recilerons en souvenir de vous, et qui
renferinera le meilleur abrege des supplica-
tions que nous puissions adresser a Dieu. —
Sicut et Joannes... Allusion precieuse a un
trail de la vie du Precurseur. « On ne sai-t
pas quelle elait celle forme de prieres que
S. Jean-Baplisle avail donnee a ses disciples ;
mais il y a lieu de croire qu'elle roulail prin-
cipalemenl sur la manifestation du Messie,
qui etail le principal objel de la predicaliore
et de la mission du Precurseur, et sur les
dispositions du coeur et de I'espritn^cessaires
pour le recevoir ». D. Calmet. « Ulinam
tiaberemus! » dirons-nous avec Maldonat.
Au resle, g'a loujours ete la coulume des
Saints, comme c'etait autrefois celles des
Rabbins celebres (voyez Rosenmiiller, Schol.
h. I.. Liglitfoot, Hor. hebr. h. 1.), de laisser
quelque priere caracleristique a leurs amis.
z. — Cum orsiis. dicite. Jesus accaeiiie i^
requele des siens avec sa bonle ordinaire, et,
lentement, pieusemenl, il se met a recite
devant eux la formule divine a laquelle on a
donne son nom (!' « Oraison dominicale, » ou
priere du Seigneur). C'etait la seconde fois
qu'il la prononQait, comme radmellent la
plisparl des inierp-rste.^. Deis elle avail fSi'
pariie inlegranle du Discours sur la mon-
tagne, Mallli. VI, 9-13; il la repele aujour-
d'hui, soil pour la mioux graver dans le coeur
de ses disciples et de son Eglise, soil pour
monlrer qu'on ti'en saurail composer de plus
beile. Mais, en la r(5peiant, il I'abrego et la
CHAPITRE XI
217
Paler, sanclificelur nomen tuum.
Adveniat regnum tuum.
priez, dites : Pere, que votre nom
soil sanctifie, que votre regne ar-
rive.
modifie legeremenl, ainsi qu'il ressorl du
tableau suivant :
S. MATTHIEU.
Paler noster qui es in
ccelis,
Sanclificelur nomen
tuum,
Adveniat regnum tuum.
Fiat voluntas lua sicul
in coelo el in terra.
Panem nostrum siiper-
subslaatialem da nubis
hodie,
Et dimiUe nobis debila
nostra sicul et nos diniil-
timus deLitoribus noslris,
Et ne nos inducas in
tenlationem,
Sed libera nos a malo.
Amen.
S. LUC.
Paler,
Sanctificelur nomen
tuum,
Adveniat regnum taum.
Panrm nostrum quoti-
dianum da nobis hodie,
Et dimitte nobis peccala
nostra siquideiii et ipsi di-
miltimus omni debeuti no-
bis,
Et ne nos inducas in
teatalionem.
Le Second « Pater » n'a done que cinq de-
mandes au lieu de sept : mais la troisierae et
la seplieme, qu'il onnet, ne sonl-elles pas com-
prises dans « Adveniat regnum tuum » et
« Ne nos inducas in lenlalionem », comrae
le faisait deja remarquer S. Augustin (Enchi-
rid. c. cxvi)? Aussi, quand I'exegele protestant
H. W. Meyer a voulu conclure de ces va-
riantes que I'Egiise primitive ne recilait pas
I'Oraisondominicale, et que, pource motif, la
tradition oublieuse avail communique aux
evangelistesdeuxtextesdifferenlsduH Pater »,
un autre protestant, Alford, lui a ferme la
bouche par cette question habile : « Si I'E-
giise apostolique n'employail pas la Prieie
du Seigneur comme foimule, quand done a
commence I'usage du Paler, puisque nous le
Irouvons dans toutesles liturgies connucs? »
C'est de Notn -Seigneur lui-rneme que pro-
viennent les dissemblances signalees plus
haul. II est vrai que, dans laRecepta grecque
et dans plusieurs manuscrits ancicns, ces
'ii>semblance5 sonfc a peine sensibles, les
passages omis ayatit ele restitues a leur place;
par exemple, :?i|jiwv 6 ev toT; oupavoT; apres
lldxep, Y£vr,6iiTw to 6£).yi|xa tou w? ev oOpavw xat
ItzI Tri; Yfj; apies paat)£ta oou, a).),a ^Ocrai ii\iai
inb ToO TTovripou apres 7t£ipaff[x6v. Mai>, sur
I'auiorite de la Vulgate, de la version arme-
nienne, de plusieurs Peres (Origene, S. Au-
gu?iin, 5. jetomi^) ei des ceiebres manuscrifa
Sinail., B, L, les critiques (enlre autres
Tischendorf) regardent a bon droit ces mots
comnie des interpolations, II etait difBcile
qu'on relranrliat volonlairement la moindre
expression d'uiie priere aussi imporlante ; il
etait si nalurel au contraire que des copistes
indiscrets essayassent de completer le Pater
de S. Luc par des emprunls faits k S. Mat-
thieu 1 — Pour Texplication detailiee, nous
renvoyons le lecteur a notre commentaire du
premier Evangile, p. 129 et ss. (Voir aussi
les Meditations sur le Pater Noster el I'Ave
Maiiacomposeesen allemand parA.F. Lennig,
traduites en frangais par M. I'abbe Mabir'e,
Caen, 1878, excellent opuscule qu'on ne sau-
rait trop recommander). Nous nous bornerons
ici a quelques notes rapides. Rappelons d'a-
bord que le « Pater « se divise en deux par-
ties, les euxat ou souhaits, et les akrifAaTa ou
supplicaiions. Les souhails correspondent,
dans la foimule de S. Luc, aux deux pre-
mieres demaiides, les supjilications aux trois
dernieres. La premiere parlie concerne done
les inlerels de Dieu, mis en avant d'une ma-
niere aus^i juste que naturelle, conlormemenl
a I'art de la pnere dont nous avons de si
beaux modeles dans les Psaumes; la seconde
se rappoit« a nos propres interets, car nous
y conjuron^ le Seigneur, ou plulot notre Pere,
de subvenir a nos besoins materiels et spiri-
tuels. Ou encore : la pensee fondamenlale du
Paler peut se ramener a un desir ardent du
royaume de Dieu. La premiere demande
(loujours d'apres S. Luc) expose le but de ce
regne divin; la seconde se rapporte k son
accomplissement ; les trois autres pressent le
Seigneur d'enlever les obstacles qui em-
pecheni le royaume des cieux de se deve-
lopper iei-bas. — Pater. « Primus sermo
quantae gralice! Faciem tuam non audebas
ad coelum atlollere, et subito accepisli gra-
tiam Chrisli ; ex malo servo factus es bonus
Alius : ideo prgesuine, non de tua op;"ratione,
sed de Chrisli gratia.. Ergo attolle oculos
tuosad Patrem ;... Patrem dicas quasi filius »,
S. August., de Verbis Dom. Serm. xxvii.
S. Bonavenluro commenle admirablement
aussi c tie premere parole : « 0 dulcedo in-
credibilis, ojucunditas inaestimabilis. ojubi-
iatio ineiTat)iiis, mel et iavus m ore meo, quura
te, Deum meum, patrem invoco meumlO
exultalio, o admiratio, o medullaris modula-
tio, quia pater meus es tul Quid ultra pro-
cedam, quid ultra dicam, quid ultra petam?
Pater meus es lu 1 » Stim. amoris, p. lii, c. i 4.
Cfr. Joan, in, 1. Nous devons done tout
o aoora nous adresser a uieu avec un esprii
filial, par consequent avec le sentiment de la
plus Vive confiance. « Quid enim jam non del
tiliis pelentibus, quum hoc antea dederit ut
filii essent? » S. Aug. — Sanctificetur iiomen
tuum. Tel est le premier souhait que nous for-
mons en Thonneur de notre Pere bien-aime.
«I8
fiVANGlLE SELON S. LUC
3. Donnez-nous aujoiird'hui notre
pain de chaque jour.
4. Et remellez-nous nos peches
comme nous remettons nous-memes
a quiconque nous doit, et ne nous
induisez pas en tenlation.
5. Et il leur dit : Si quelqu'un de
vous a un ami et va le trouver au
milieu de la nuit et lui dit : Ami,
piete-moi trois pains,
6. Parce qu'un de mes amis en
voyage est venu chez moi et je n'ai
rien a mettre devant lui ;
3. Panem nostrum quotidianum
da nobis hodie.
4. Et dimitte nobis peccata nos-
tra, siquidem et ipsi dimitlimus
omni debenti nobis. Et ne nos in-
ducas in tentationem.
5. Et ait ad illos : Quis vestrum
habebit amicum, et ibit ad ilium
media nocte, et dicet illi : Amice,
commoda mihi tres panes;
6. Quoniam amicus mens venit
de via ad me, et non habeo quod
ponam ante ilium;
II signifie. sous son vetement oriental: Soypz
.gloiifie par Ions le> hommesi — Notre se-
cond souliait, adveniat regnum tuuin, appelle
la diffusion da royaume de Dieii, cV^Jl-a-dire
de I'Eglise, dans i'univers entier. Qu'il n'y ait
qiuun spul troupeau et qu'nn seiil pasteur!
3. — Panem nostrum... « II y a deux sortes
de prieres, dit S. Basile (Conslit. monast.,
c. I), I'une de louange..., I'autre de demande,
qui est moins parfaile. Lors done que vous
priez, ne vous halcz pas de demander, autre-
ment vous profanez voire intention, paraissant
supplier Dieu par necessite; mais, au com-
mencement de voire priere, oubliez loute
creature visible ou invisible, et louez d'abord
celui qui a lout cree. » Toulefois, la louange
terminee, nous pouvons bien penser a nos
besoins meme matorJL'ls, comm^ nous I'a in-
dique le Seigneur Jesus par cetle autre de-
mande de son Oraison. C'est d'ailleurs la
senle requeie temporelle du Pater : loutes
les aulres sont spirilueiles. « Unam solam
ppiilionem sensibilem quaerimus, ui prsesen-
tibus non affligamur ». S. Jean Chrys. Horn.
XXIV in Matlh. — Quotidianum. Oans le grec,
nous lisons I'adjectif ettiouciov, sur le sens
duquel nous a\ons discule en expliquant
S. Matlhieu, vi, 11. La version synaque le
tradtiit par « necessaire » (Tremf^lli^u-^ : « pa-
nem inciigentiae »). — Hodie : to y.ctb' ri\iipav,
lilleralcment : jour par jour, au lieu du critJ-epov
de S. Matthieu.
4. — El dimitte nobis peccata nostra. Le « Pa-
ter » du premier Evangile dit avec une meta-
phore: « debila nostra ». La formule de priere
que nous a laissee Je>us ne pouvait manquer,
malgr^ sa brievcte, de trailer ce point mal-
henreusement si important de noire vie. Tous
nous avons peche; par le peche nos relations
filiales avec Dieu ont ete rompues et, pour
qu'elles soient r6tablies, il nous faul son mi-
sericordieux pardon. Afin d'obtenir celte fa-
vour, nous lui suggerons, instruits par le
divin Maltre, un motif bien capable de tou-
cher son ccBur : siquidem et ipsi dimittimus.,..
rt nous pardonnons sans exception omni de
benti nobis. Dans ces quelques par oli-s, que
admirable principe de rharite fraternelle I
S. Jean Chrysostome s'ecriail, en les lisant :
« Haec animadvertenles, gratias agere debe-
mus debitoribus noslris; sunt enim nobis, si
sapimus, causa indulgoniiae maximae, et
pauca exhibentes plurima reperiemus, nam
el nos mulla debemus et magna debita Do-
mino » (Cat. graec. Patr.). CIV. S. Bonavent.
Stim. amor. p. iii, c. 17. Ce motif de pardon,
qui constiluerait a lui seul une philosophie
superieure a loutes cplles de la terre, est
exprime avec plus de force et d'une raaniftre
plus direcle dans la redaction de S. Luc que
dans celle de S. Matlhieu. — Ne nos inducas
iti tenlnlionem, « c'esi-k-dire, dans la tpniation
qui nous lerait succoinber, car nous somrae-;
comme I'athlete qui ne refuse point la lutte
que les forces humaines peuvent soutenir. »
S. August, de Verb. Dom.Serm. xxviii.
2<> Qualit^s de la priere. ff. 5-13.
« Supplicandi normam ipse tibi, qui exo-
randus est, iribuit » (S. Jean Chrysost.), et
c'est la pour nous une grande consolation,
car notre celeste inslrucleur savaii mieux
que nous par quel art, par quellos requites,
par quelles expressions nous toucherions le
mi(>ux son ocEur. Mais voici qu'd nous ensei-
gne maintenanl, chose non uioins precieuse,
jps conditions d'une bonne priere, qui sont
1o une sainle hardiesse produisanl la perse-
verance, t. 5-10, 2° une enliere confiance,
tf. 11-13.
5 et 6. — La premiere condition est expri*
mee d'abord au moyen d'une petite jiarabole
familiere, tt. 5-8, qui est d'un piltoresque
acheve. — Quis vestiuoi habebit... 1 Cetle in-
terrogation au debut du recit I'animp, et
pique I'attenlion. Mais la construction devient
bientot tout a fait irreguiiere, car la phrase
s'acheve autrement qu'elle avail commence,
le tour interrogalif disparaissant a la fin du
t. 6 pour se transformer en une proposition
CHAPITRE XI
t19
7. Et ille deintus respondens di-
■cat : Noli mi hi molestus esse; jam
ostium clausum est, et pueri mei
mecum sunt in cubili, non possum
surgere, et dare tibi.
8. Et si ille perseveraverit pul-
sans : dico vobis, et si non dabit
illi surgens eo quod amicus ejus sit,
7. Et si I'autre repond de I'int^-
rieur:Ne m'importune pas; deja la
porte est fermee et mes enfants
sont au lit comme moi; je ne puis
me lever ni rien te donner;
8. Et si le premier continue de
frapper, je vous le dis, quand
I'autre ne se leverait pas et ne lui
condilionnelle. Voir au t. 11, et Matlh. vii,
9 el ss., d'aulres exemplcs de ccs « anacolou-
iha », comme les appellenl les grammai-
liens. — Ibit... media norte. Jesus menlionne
cetle heute a dessein, comme la moins op-
portune pour oblenir une faveur de la part
des hommes. Le suppliant propose du moins
sa requite aussi bien que possible. II met en
tete un amice plein d'emphase, qui servira de
« caplatio benevolentiae ». Ensiiile il va droit
au but; Commoda milii tres panes. Apres tout,
n'elail-ce pas demander un bien petit ser-
vice? Ce n'esl d'ailleurs pas pour lui-meme,
ajoute-t-il par maniere d'excuse, qu'il vient
importuner son ami a un pareil moment;
mais un hole lui est arrive a I'improviste,
fatigue, affame, et il se trouve n'avoir rien k
lui offrir, toules ses provisions elanl epuisees
depuis le repas du soir. N'est-ce pas la une
raison sufBsanle pour venir frapper, meme a
minuit, a la porte d'un ami? D'autant mieux
que I'hote est egalemeni un ami du deman-
deur {amicus mens] et que « les amis de nos
amis sont nos amis ». — Le correlatif grec de
commoda, XP^'^'^'^5 ne se rencontre qu'en cet
endroit du Nouveau Testament — A propos
des irois pains, Maldonat fait cette naive et
intdressante reflexion, qu'on retrouve d'ail-
leurs dans plusieurs autres commentaire r6~
cents : « Tres, ut opinor, dixit, quia uno
ipsi, qui petebat, allero, amico opus erat,
et tertium oporlebat esse communera, si forte
unus uni non esset satis ». Nous preferons
dire simpl'menl avec M. Bisping que « le
nombre trois ne sert qu'a rendre I'lmage plus
concrete ». Le lecteur sait que les pains de
rOiienl consistent en des galeltes peu epais-
ses, donl la dimension ne depasse pas celle
de nos a^^siettes. Notons encore que Irs Orien-
taiix, pour eviter la brulante chaleur du jour,
voyagenl d'ordinaire la nuit durant la belle
saisou : c'est pour cela que I'hote de la para-
bole arrive si lard et occasionnedesi grands
derangements.
7. — Et ille deintus. De son lit ou il repo-
sait conlorlablemenl, I'ami interpelle repond
par un rcfus peremptoire, sii^nifie en termes
tres durs. On voil, k travers son langage,
I'homme eveilld en sursaul au beau milieu de
son premier sommeil, et plein de mauvaise
huraeur contre celui qui est venu le iroubler.
Ainsi, pas de ?iXe en relour du litre aimable
qu'on lui avail lout d'abord adresse; mais,
immedialement, ces mots si rudes, noli mihi
moleslux esae. plus rudes encore dans le lexte
grec, fjLii [xot xciuoy; Ttipexs- Cependanl, il croit
devoir legitimer sou refus. En premier lieu
sa maison etait diiment fermee ; or les lour-
des pieces de bois ou de fer qui servaienl k
barricader lesportes desanciens{xXau(it' Gupov,
lei etait leur ncm chez les Grecs) ne s'enle-
vaienl pas en un instant. De plus, et ce de-
tail si delicat contenait une raison en appa-
rence parfailemenl plausible, ses petils en-
fanls (nolez le diminulif xa naiSia] dormaient
a ses coles ; el ne les eveillerait-il pas en re-
mnant les barres de la porte, en ouvrant les
placards pour rendre le service demande?
Done, comme conclusion, non possum, (beau
palliatif de a nolo ») surgere et dare tibi. TS-
cliez de voas procurer vos pains ailleurs. —
Plusieurs commentaleurs, a la suite de S. Au-
gustin, Epist. cxxx, 8, donnent a TtatSia le
sens de serviteurs. Alors I'idee serait : Tout
le monde est couche, il n'y a personne pour
m'aider a ouvrir, ou bien, pour chercher les
objets demandes. Mais si itat? designer par-
fois les serviteurs, il n'en est pas de meme
du (iiminutif itatSiov, qui ne s'applique qu'anx
fils de la maison. — II n'est pas necessaire
de prendre trop a la lettre les mots mecum
sunt in cubili, quoique le grec ait I'article de-
vant xoiTYiv : ils deineurent vrais quand meme
chacun des enfants eiit repose sur sa propre
couchette, etendue k terre dans la chambre
commune, aupres du divan du pere. Gelte
interpretation semble plus conforme aux
moeurs de I'Oiient.
8. — Etsi ille perseveraverit pulsans Toute
cetle ligne manque dans le lexte original :
la pensee qu'elleexprimese supplee d'ailleurs
sans peine. On suppose done que le deman-
deur, malgre le refus de son ami, aura con-
tinue de frapper k la porte sans se decoura-
ger. Jesus se sert, pour caracteriser cette
conduile finalcmenl couronnee d'un plein
succes {surget et dabit illi...), de I'expression
energique avaiSeia (de a priv. et ai8to<;, pu-
deur), lilleral. impudence, indelicalesse, quo
la Vulgate traduit assez bien par improbitas.
« Nihil est quod non improbitas extorqueat »,
ecrivaitPelrone dans le mdmesens. Les Grecs
220
EIANGILE SELON S. LUC
donnerait pas parce qu'il est son
ami, poiirlant a cause de son im-
porLunite il se levera et lui donnera
tout ce qui lui est necessaire.
9. Et moi je vous dis : Demandez
et on vous donnera, clierchez et vous
trouverez, frappez et on vous ou-
vrira :
10. Gar quiconque demande re-
coit, et qui cherche trouve et a qui
fraf)pe on ouvrira.
11. Si i'un de vous demande du
pain a son pere celui-ci lui donnora-
t-il une pierre ? et s'ii demande du
poisson, lui donnera-t-il un serpent
au lieu de poisson?
12. Et s'il demande un oeuf, lui
presentera-til un scorpion?
propter improbitatem tamen ejus
surget, et dabit illi quotquot habet
necessarios.
9. Et ego dico vobis : Petite, et
dabitur vobis : quaerite, et invenie-
tis : pulsate, et aperietur vobis.
MaUh. 7, 21; Marc. 11, 24; Joa7i. 14, 13; Jacob. 1, 5.
10. Omnis enim qui petit, acci-
pit : et qui quaerit, invenit : et pul-
santi aperietur.
11. Quis autem ex vobis patrem
petit panem, numquid lapidem da-
bit illi? Aut piscem : numquid pro
pisce serpentem dabit illi?
Matlh. 7, 9.
12. Aut si petierit ovum : num-
quid porriget illi scorpionem?
disaient aiissi d'une maniere provKrbiale :
©eo; avaiSeta, I'impudence est un dieu. Et
les Juifs : « Impudenlia est rognum sine co-
rona », ou bien, ce qui cadro parfailement
avec la morale de noire parabole : « Impu-
denlia eliam coram Deo proficil ». — Sur les
inlerpretalions ailegoriques(parfois tres belles
bien qu'elles s'ecarlenl beaucoiip de la leltre)
que les Peres onl donnees de celle petite his-
toire, voyez la Chaine d'or de S. Thomas d'A-
quin, Bede, h. I., S. Aiigustin, Serm. cv, 2,
Trench, Notes on ihe Parables of Our Lord,
Par. 18.
9 et 40. — Dans ces deux versets, Nolre-
Seigneur tire la conclusion de son charmant
recil. « ManilVstal quod pusillanimitas in
oralionibus damnosa est ». Cyrille(Gat. graec.
Pair.)- — El ego dico vobis. II y a iiiie grande
force dans ce « el ego « • S. Cyrillefa raison
d'ajouler que « vim habet juramenli ». II y a
egalement une grande force dans les trois
verbes petite, qucevite, pulsate, ranges par
gradation ascendanle, pour n presenter I'e-
neraie du suuDlianl. sa uerseverance infali-
gable, en un mot son avaWeia croissant cyec
les obstacles el reussissanl a les surmonter.
En effet, dabitur, invcnietis, aperietur, disent
Irois aulres verbes qui correspondent aux
premiers. « Quia lenti et pigri ad orandum
sumus, el fere parum libsraliter de Palris
Dostri beneficentia senlimus ac fidimus, tri-
bus ioqueiidi lormis eamaera rem iierai aique
urget ». Luc de Bruges. Gfr. 31aUh. vii, 7
et >s., oil Ton trouve la reproduction de la
meme pensee. — Done, ne craignons pas
d'agir envers Dieu avec une sainte hardiesse
quand nous lui demandons ses graces. Si la
persislance dans la demande triomphe de la
durete des horames, comblen plus triom-
phera-l-elle de la bonte de Dieu. En effet,
dans I'application de la parabole, la compa-
raison a lieu « non a simili sed a majore » ;
I'argument est « a fortiori ». « Ut hinc intelli-
geremus, si dare cogilur qui, quum dormiat,
a peiente excitatur invitus, quanto del be-
nignius, qui nee dormire novit, et dormientes
nos excital ut petamus ». S. August. Epist
cxxx, 8.
11 et 12. — Jesus developpe mainlenant,
tt. 11-13, une seconde condition lie la priere.
qui est la confiance. Quand nous prions Dieu,
c'est a un pere que nous nous adressons, et
ce pere ne saurait manquer de nous ecouter
favorablement. Ainsi done, apres nous avoir
monlre ce que Ton pent atteiidre d'un ami,
Nolre-S.Mgneur nous indique ce que nous
sommes en droit d'attendre d'un pere, mais
d'un pere celeste. Voyez, Matlh. vii, 9-11,
cette idee exposee anlerieurement par Jesus.
— Quis autem ex vobis patrem petit panem.
Telle est aussi la leQon du Cod. Sinait. : t^
6e £$ (ifidiv t6v uaxepa ait^aei apTov. Mais la
Kecepta, soutenue par la puipari aes anciens
lemoins (x£va 81 i% ujiciv t6v Ttarepa ahi^ffet 6
ulosdpxov, « quern ex vobis patrem petit filius
panem ») , parait meriler ici la preference.
Avec quelle grfice Jesus choisit ses compa-
raisons dans le petit monde de la famille,
afin de mieux frapper ses auditeurs et d'in-
cuiquer pius proionaemeni ses legonsi Le»
trois rapprochemenls qu'il elablit sont des
plus naturels, a cause de la ressemblanci- qui
exisle entre les objets menlionnes : panem
et lapidem (comparez le mot de Phedre :
« qui me saxo pelierinl, quis panem dede-
rii' »}, vro pisce serpentem, ovum et scoipio-
CHAPITRE XI
S24
13. Si ergo vos, cum silis malij
nostis bona data dare filiis veslris :
quanto magis Pater vester de coelo
dabitspirilumbonumpetentibiisse?
14. Et erat ejiciens daemonium,
ct illud erat mutum. Et cul. ejei-
cisset daemonium, locutus est mutus.
et adrairatse sunt turbse.
Match. 9, 32.
15. Quidam autem ex eis dixe-
13. Si done vous, qui 6tes mau-
vais, vous savez donner a vos en-
fants des choses bonnes, combien
plus votre Pere qui est au ciei don-
nera-t-il un esprit bon a ceux qui
le lui demanderont.
14. Or il chassait un demon et ce
demon etait muel. Et lorsqu'il eut
chasse le demon le muet i^arla, et
la foule fut dans I'admiration.
15. Mais quelques-uns dirent : II
nem. Ce dernier trail est propre a S. Luc, il
n iOn ecpiivalcnl dati"; la gnomnlogie des
Grecs : avTi TiEpy-yjc oxooTitov. El en elTel, qiiand
lo scorpion s'enroulc sur lui-meme, il a bien
la forme d'un oeul quoiqu"il n'en ail pas la cou-
leur. Le rapprociiement devient encore plus
?aisis<anl rlan-; le cas ou Jesus aurail en en viie
noil le pcorpion ordinaire, mais, comine tout
porica Ic croire, legros scorpion bianc qu'on
irouve IrequemmenL en P.ih'Siinoel (n S\rie.
Voycz nine. Hist. nat. xi, 25; Bochart, Hie-
rozoicon, t. II, p. 641. Le Ircleur sait qu9
cet animal, qui appaitienl a la ciasse Arach-
nida el a I'ordre Puimonaria , est une des
pcsies de i'Oriont biblique. li porta a I'extre-
mile de sa queue un dard charge de venin,
€t sa piqure, toujours douloureuse, occa-
sionne parfois la mort. Quel pere serait done
assez inhumain pour metlre un scorpion au
Jieu d'un ceuf dans la main de son enfant?
13. — Si ergo vos, cum sitis mail... Dans
repilhete severe, mais malheureusement Irop
juste, que le Sauveur adresse a rhumaiule,
un ancien commentaleur Irouve a bon droit
un « illustre testimonium de peccalo origi-
nali ». — Quanco magis ; la conclusion tiree
par Jesus est de nouveau « a minori ad ma-
jus ». — Pater vester de coelo : le pere par
excellence, « ex quo omnis paternitas in coelis
€t in terra nominatur », Epli. in, 15. —
Dabit spiritum bonum; dans le grec, irveOtAa
&T'-ov, I'Esprii Saml, car c'egl bien de lui
qu'il quesiion. L'opposition ne saurait 6lre
plus loi-te : les homuies donnenl a leurs en-
faiits de bonnes choses, aulant qu'ils le peu-
veiil; Dieu accord(> aux siens son Esprit, ce
qu'il a el ce qu'il y a de plus parfail! Com-
ment no le supplierions-nous pas avec con-
fiance?
7. Lie blaspheme des Pharisiens et le signe
du ciel. XI, 14-36.
1° L'occasiou. Jf. 14-16. — ParalL
Matlh. xit, 22-^4.
14. — Et erat ejiciens dwmonium. » Erat
ejiciens » est une periphrase pitloresque,
aimee de S. Luc. — « Et illud erat mutum :
dans le grec, xwyov, cxpro.Nion ainbigue qui
peut designer la surdilti ci'i:-.-: birn que le mu-
lisme, ou nieme ces deux innrniiles rounies.
Cfr. Theophylacle, li. I. Le contexie (locutus
est mutus) montie cpie I'evangelist'i voulail
surtoul paricrde la secoudc. D'aurcs S. Mat-
thieu, le demoniaque eiait en ouire avcuglo.
La locution V- 'Jajuiouium nfat mutum .;, qui
parait dabord s.trpicnanli", esl d'une graurie
exactitude [).-yclic.!'>gique, car elle ideulifie
le demon et le po-sede. ne faisanl d"eux
qu'une. seule persnnne r.-ioraie, ce qui corres-
pondait tout a fail a la realile. S. Luc i.idi-
que ainsi que I'infirmite guerie par Nolre-
Seigneur dans la circonstance presenle ne
provenail pas d'un defaul d'organi^me, mais
qu'elle etait un resullat de la possession dia-
bolique. ^- Locuius est mutus. Ce cliange-
nient de genre atteste de nouveau la preci-
sion toute medicals de I'ecrivain sacre. Le
demon chasse, Thoraiue seul rosiait. et re-
prenait tous ses droits personnels t c'est co
qu'indique le masculin « mulu-; ». — Admi~
ratcB sunt turbce, « et diccbanl : Numquid hie
eslFilius David o? Matlh, xri, 23. Mais quand
est-ce qu'eut lieu co miracle, el, par suite,
quanil fut prononce io discours auquel il ser*
vild'occasion'S. Malthieu (Cfr. Marc- in, 20
et ss.) et S. Luc lui aitribuent en eflet una
dale Ires difFerenle. Nous n'osons recourir
pour cetle fois, comm^' le font plusieurs exo-
geles, a I'hypolhese d'une repelition, car ia
rtssembiance des deux recils, qui va souvenl
jusqu'a I'identite, semble renverser d'avanco
une pareille opinion. Au roste, aucun d 'S
evangelistes ne determine ici le irinps d'une
maniere precise, ce qui nous iaisfo 'jn>- plus
complete libei'tdd'.'ipprociation. Nouscroynns
doncl'arrangcuient doS. Mjl'.hieu, qiiccorm-
bore en partie ce!u; do S. Marc, \i\\\-, con-
formo a TordrL' chrunologiquc, ot nou.-. pla-
Qons I'incident ^ wu- e[ioquo moin> tardive
do la vie do Jesus. Voyez I'llarmonie cvan-
gelique.
15. — Quidam autem... C'^taient, d'aprds
222
chasse les demons
prince des demons.
EVANGILE SELON S. LUG
par Beelzebub
16. Et d'autres, pour le tenter,
lui demanderent un signe du ciel.
17. Mais comme il vit leurs pen-
sees, il leur dit : Tout royaume divise
contre lui-meme sera devaste, et
une maison tombera sur une autre
maison.
18. Or si Satan est divise contre
lui-meme, comment son royaume
subsistera-t-il? car vous dites que
je chasse les demons par Beelzebub.
19. Mais si moi je chasse les de-
runt : In Beelzebub principe dae-
moniorum ejicit dfemonia.
Mauh. 9, 34; Marc. 3, 22.
16. Et alii tentantes, signum de
coelo quserebant ab eo.
17. Ipse autem, ut vidit cogita-
tiones eorum, dixit eis : Omne re-
gnum in se ipsum divisum desola-
bitur, et domus supra domum cadet.
18. Si autem et Satanas in se
ipsum divisus est, quomodo stabit
regnum ejus? quia dicilis in Beelze-
bub me ejicere deemonia,
19. Si autem ego in Beelzebub
les deux aulres synoptiques, des Pharisiens
el des Scribes. — In Beelzebub (mieux « Beel-
zebul »)... ejicit deemonia. Sur ce dieu des
Philislins, dont le noin eiail devenu chez les
Jiiifs un synonyme de Satan, voyez I'Evang.
seion S. Matih.,'p. 209. Voiia Jesus accuse
de complicite avec le prince des demons!
Par une caioninie si bardie el si grossiere, ses
ennemis esperaienl ruiner son aulorile au-
pres du peuple. Les Talmndisles I'onl equi-
valemnienl reproduite, quand ils ont prelendu
que Nulre Seigneur operail ses miracles a
I'aide de foniiules magiques, dont il avait
pui^e la connai<sance en Egypt''. Bab. Sihab.
1. 404, 2; 43, -1 . Ge qui inspiraita Lighlfoot,
Hor. hebr. ad Mailh. x, 25, celie verle re-
piique • « Lalrant caluli isli (les Talmudisles)
siciil a cariibus his (les Pharisiens) edocli
I'ueriint )). Qu'il suffisede direavec un ancien:
« Ubi ad exlremuiu Ccecitalis venil impielas,
nullum est tara maiiifeslura Dei opus quod
non perviTlat ».
16. — Alii tentantes, signum de coelo...
Ceite demande ne fut adressee a Notre-Sei-
gneur, suivant. la narration plus precise de
S. Matthieu (xii, 38), qu'apres qu'il eut re-
fute I'accusation des Pharisiens. S. Luc
unit logiquemnnt les deux reflexions, parce
que chacune d'elles provoqua une parlie de
la repon>e de Jesus. « Judaei signa petunt »,
disail S. Paul, I Gor. i, 22 pour caracleiiser
ses anciens coreligionnaires. Abusanl de la
bonle de Dieu, qui avail prodigue les miracles
en leur I'aveur, ils s'etaient peu k peu livres
k celle facheuse tendance.
2» Premier point du discours : J^sus refute la ca-
lomnie des Pnarisiens. ff. 17-26. — Parall. .Matth.
XII, 25-37, 43-43; Marc. lu, 22-30.
Pour les details du commentaire, voyez
I'Evangile seion S. Matlhinu, p. 245 et ss.
<7 et 18. — Ut vidit r.ogitationes eorum. Le
grecaelSws, v( cum cognovisset » ; la S'ulgate
aura lu iSwv. ^e substantif 6iavori(jia n'esl em-
ploye qu'en ce passage du Nouvt-au Testa-
ment. — Dixit eis L'apologie du Sauveur se
subdivise en deux parties, dont I'une est
negative, tt. 17-'! 9, et I'autre positive,
tt. 20-26. Dans la premiere, Jesus se con-
tente de demonlrer quM n'esl nuilemenl I'as-
socie de Beelzebub; dans la seconde, il indi-
que la vraie cause de r^a puissance sur les
demons. La premiere coniient deux raisonne-
ments, quisontdf'ux appels a des experiences
diverses. — ]o (j^. n et 18). C'est une loi
de I'histoire que omne regnum in se ipsum di-
visum (SiaixepiffOsiCTa, un des verbes favons
de S Luc) desolabitur. Le royaume infernal
n'echappe pomt a celte loi. Si Jesus ne chasse
les demons que par le concouis de Satan leur
chef, il faudra done dire quf Satan iravaille
a se ruiner lui-meme. Quelle absurdite! —
On a interprete en deux si-ns d liferents les-
mots et dumus supra domum cadet. Quelques
commenlaleurs, s'appuyant sur les passages
paraileies de S. Matihieu el de S. Marc,
sous-entendent » in seipsam divisa » apres
a domus 1), el supposni que Jesus joint a
i'exemple lire de la politique un autre exem-
ple pris dans la vie de famiUe. Mais, la phrase
de S. Luc paraissant ne se preter qu'avec
peine a celte interpretation, la plupart des
auteurs la regardi nt comme un developpe-
ment de « desolabitur ». Leg guerres inles-
tinc^s des empires amenenl bientol la separa-
tion et, par suite, la mine dfS lamilles, qui
tombent tristement les unes apres les autres.
Ce dernier sens nous parail eire le plus vrai-
serablable. — Quia dicilis me... S. Luc a
seul conserve celte reflexion finale du pre-
mier raisonnement.
19. — 2° L'argument « ad hominem »
apres l'argument o ex concesso ». Si vous
pretendez que je ne reussis a expulser f^
demons qu'en vertu d'un pacte fait av; c
Beelzebub , j'accuserai semblablemeni vos-
CHAPITRE XI
223:
ejicio daemonia : filii vestri in quo
ejiciunt? Ideo ipsi judices vestri
erunt.
20. Porro si in digito Dei ejicio
dsemonia : profecto pervenit in vos
regnum Dei.
21. Gum fortis armatus custodit
atrium suum, in pace sunt ea quae
possidet.
22. Si autem fortior eo superve-
niens vicerit eum, universa arma
ejus auferet, in quibus confidebat,
et spolia ejus distribuet.
23. Qui non est mecum contra
me est; et qui non colligit mecum,
dispergit.
mons par Beelzebub, par qui vos
enfants les chassent-ils? ils seront
done eux-m^mes vosjuges.
20. Et si c'est par le doigt de
Dieu que je chasse les demons, as-
surement le royaume de Dieu est
arrive jusqu'a vous.
21. Lorsque le fort arme garde
Tentree de sa maison, tout ce qu'il
possede est en surete.
22. Mais si un plus fort que lui
survient et triomphe de lui, il em-
portera toutes ses armes dans les-
quelles il se confiait et distribuera
sesdepouilles.
23. Qui n'est pas avec moi est
centre moi, et qui ne recueille pas
avec moi dissipe.
disciples {filii vestri] de lenir de Satan leurs
pouvoirs dVxorcisles. EL que pouirez-vous
me repondre? Eux-memes, ils demonlreront
que vous m'avez calomme.
20. — Les preuves negatives de Jesusetaienl
irrefutables; mais shs arguments positifs se-
ront encore plus forts pouraneantir le hideux
sophisme de ses adversaires. Nous irouvons
le premier dans ce verset. — Porro si... Cflle
tournure hypotheli(|ue eslbien mod( sle, a la
suite des raisonncmenls victorieux qui prece-
dent. Jesus n'en affirme pas moiiis un Fail
tres evident. — In digito Dei : belle figure,
qui raftp^'lle rexclamalion des sorciers egyp-
tiens a la vue des prodii^es operes par Moi-e :
« Digitus Dei est hic », Ex. vni. 19. La redac-
tion de S. Mallhit^u poite « in Spirilu Dei ».
C'est la meme pensee, moins I'image. —
Pervenit in vos regnum Dei : le royaumo mes-
sianique est fonde. Nolre-Seigneur demonlre
done, par eel argument, qu'il est muni d'un
pouvoir irresistible eonlre I'empire des de-
mons, par consequent, qu'il est le Messie
promis.
21 et 22. — Seconde preuve positive, qui
f consists en une belle allegoric, exposee par
, S. Luc d'une maniere plus compleu; et plus
vivante que par les deux autres narraleurs.
Peut-6lre etait-ee en parlie une reminis-
cence d Isale, XLix, 24 et 25 : a Numquid
tolletur a forti piaeda? aut, quod capium
fuerit a robuslo salvum esse poteril ? Quia
haec dicit Dominus : Equidem et captivitas
a forti tollclur; et quod ablalum fueril a ro-
busto, salvabitur ». — Cum forlis armntus.
« Cum » (Stav) signifie: aussi longtemps quo.
Dans le texle grec, Tadjectif l^xvpi; (« lor-
tis »), pris substartivement, est precede de
I'article ; il designe done un personnage de-
termine, qui n'est autre ici que Satan. La
belle expression xaOtouXiaixsvo; n'est employee
qu'en eel endioit des Evangiles. — Alrium
suum, c'esi-a-dire, au figure, le monde oil le
demon regnait en mailre avant la venue de
Nolro-Seigneur Jesus-Christ. Direclemenl,
ocOXtj represeiite tantol la cour qui precede
lin edifice important, lantot, et c'est iei le
cas (comp. Matlli. xii , 29, « in domum »),
I'edifice meme, un palais. Gfr. Brdschneider,
Lex. man. s. v. — In pace sunt. Hebraisme,
mSur^. pour dire : en sureie. — Si aufem, ina.\
Se, mais aussiiol que : c'est le correialif de
oTav. — Fortior eo. Le grec a d- nouveau
I'article, 6 iffx^p-j-cepo;. Or « le plus fort » par
opposition au prince des demons n'est autre-
que Jesus. — Superveniens : mii-ux « inva-
dens », car, selon la juste observation de
Kuinoel, le verbe eTcepxeQat , employe dans le
lexte primilif, si» dit su^tout d'uiie irruption
hostile (£ite'px£Tat,T6 a)ciro).£'[iio; ti? im ttva epx*-
Tai, Phavonnus). — Vicerit eum : prompt ro-
sullal du duel declare a Saian par Jesus. —
Unioersa arma ejus..., spolia ejus. Ces mots,
qui terminont I'allegorii', figurent les posse-
des gueris par le Sauveur. Les substantifs
grecsqui leur correspondent, navonXiav (gra-
cieuse expression, la pauoplie de Satan) et
ffxuXa, ne se Irouvent paa ailleurs dans le
Nouveau Testament.
23. — Troi'ieme prouve positive, donnee
comme une deduction de lonte i'argumenta-
tion qui precede, et montrant qu'il n'est pas
possible de demeurer neutre k I'egard de
Jesus dans ia lutle a outrance qui se livre-
entre lui et les demons. Les Irois S[iou repe-
t^s k de brefs inlervalles sont pleins d'em-
224
fiVANGILE SELON S. LUG
24. Lorsqu*un esprit impur sort
d'un homme, il erre en des lieux
arides, clierchant le repos, et ne le
trouvant pas il dit : Je retoiirnerai
dans ma maison d'oii je suis sorti.
2b. Et revenant il la troiive net-
toyee de ses ordures et ornee.
26. Alors il va et preud avec lui
sept autres esprits plus mechants
que lui. Et etarit entree dans cetle
maison ils y demeurent. Et le der-
nier (''tat de eel homme devient pire
que Ic premier.
27. Or comme il disait ces choses,
une femme dans la foule elevant
J a voix lui dit : Heureux le ventre
qui vous a porle et les mamelles
que vous avez sucees.
24. Cum immundus spiritus exie-
rit de homine, ambulat per loca
inaquosa, quaerens requiem : etnon
inveniens, die'*. : Revertar in do-
mum meam unde exivi.
25. Et cum venerit, invenit earn
scopis mundatam, et ornatam.
26. Tunc vadit, et assumit sep-
tem alios spiritus secum, nequiores
se, et ingressi habitant ibi. Et fiunt
novissima hominis illius pejora prio-
ribus.
27. Factum est autem, cum haec
diceret : extollens vocem qusedam
mulier de turba, dixit illi : Beatus
venter qui te portavit, et ubera quae
suxisti.
phase. Le second hemisliche, qui iioii colli-
(jit..,, ne differi? du premier que par la meta-
phore sai>issante dont il revet la pensee.
24-26. — Qiiairieme argument posilif, dans
lequel Jesus relorque I'accusation de ses en-
nemis el leur prouve qu'ils sont eux-memes
possedes du demon. Gelte nouvelle allegorie
conlienl un resume parfailde I'hisloire juive,
depuis la fin de la captivite babylonienne
jusqu'a I'epoque de Noire-Seigneur. L'homme
donl le demon est sorli n'est autre en effet
que la nation theocratique, purifiee, par
les souffrances de I'exil, des superslilions
paiennes qui I'avaient livree au pouvoir de
Satan. Malhenreusement, elle s'elail laissee
ressaisir. et plus forlemenl que jamais, par
le prince des tenebres. Aussi son etat acluel,
nous en avons la preuve dans les sentiments
d'hoslilite qu'elle manil'eslail envers son
Messie, etait-il pire que sa situation anle-
rieure. Mais elle se preparait par la un clia-
liment plus terrible encore que I'exil de
Babylone. Voyez I'Evang. selon S. Matth.
p. 2o3 et ss. A part quelques expressions
omises ou legeremenl modiliees. la redac-
tion de S. Luc est ici complelemont iden-
tique a celle de S. Matthieu : loutefois nos
irois versets n'occupent pas la meme place
dans les deux recils. Le premier Evangile les
rejelle, peul-etre avcc plus de precision, k
la fin de I'apologie du Sauveur,
3" Deux bcalitud 8. ff. 27 et 28.
Le Portable Commeitary dit a bon droit
que nous avons dans ces deux versets un
« petit incident delicieiix et profondement
instructif ». Quelle vie en effet, quel naturel,
quelle fraicheurl mais aussi quelle grave et
belle leQonlC'est une des plus inieressantes
parlicularites de S. Luc.
27. — Factum est autem cum hoec diceret.
Jesus fut done tout a coup inlerrompu dans
son discours; ou du moins I'heroine de cet
episode profita, pour donner un libre cours k
I'enlhouiiasme qui la pressait, d'une courle
pause que le divin orateur fit sans doute
avant de passer au second point qu'il avail k
trailer. — Extollens vocem. a Emphasim ha-
benl verba, dil Ires bien Maldonat ; magnum
enim declarat affectum, magnamque fidem
in clamorem erumpentem. Et intimis animi
sensibus loquebatur, quae quanta poleral
maxima conlentione clamabat. » Cfr. Euihy-
mius, h.l. Par leur atroce calomnie, les Ph'a
risiens n'avaient pas reussi a tromper cette
fims candide. Mais ne dirait-on pas qu'ils ont
Iransmis leurs sentiments d(^ haine a ces
exegetes proteslanis, malheureusempnt trop
nombreux, qui ne voienl, dans rexclamation
naive et touchante de Thumble femme,
qu' « une admiration inintelligente du mer-
veilleux Thaumaturge et predicateur ». que
« le premier exemple de cet esprit de Mario-
latrie (qu'on nous pardonne de copier ces
lignesl] qui a plus tard penetre dans I'Eglise
pour la corrompre, et qui aujourd'hui, dans
la ville de Rome comme cj de nombreuses
contrees 'nlholiques, place la Vierge Marie
au-dessus a\ Fils qu'elle a porle dans son
sein! » — Qiiccdam nnilier de turba. G'etait
probablemenl une mere, comme il ressort de
son langage. — Ses paroles, beatus venter... et
ubera..., deponillees de leur velement, figurd,
reviennent a dire : Ohl que voire mere est
heureusel Le Talmud et les ouvrages clas-
siques abondent en felicitations semblables.
CHAPITRE XI
223
28. At ille dixit : Quinirao, beali
qui aiidiunt verbum Dei, et custo-
diunt illud.
29. Tui'bis aiitem concurrentibus
coepit dicere : Greneralio haec, ge-
neralio nequam est : signum quse-
rit, et signum non dabitur ei, nisi
signum Jonse prophetse.
Match. 12, 39.
30. Nam sicut fuit Jonas signum
Ninitivis; ita erit et filius hominis
geuerationi isti.
Jon. 2, 1.
28. Mais 11 dit : Heureux plutot
ceux qui ecoutent la parole de Dieu
et qui la gardent.
29. Gomme la foule accourait, il
commenca a dire : Gette generation
est une generation mauvaise. EUe
demande un signe et il ne lui sera
point donne de signe, si ce n^est
le signe du prophele Jonas.
30. Gar comme Jonas fut un signe
pour les Ninivites, ainsien sera-t-il
du Fils de I'homme pour cette ge-
neration.
nnS' 'TJN, lison>-nous dans l(^ ecrils des
Rabbins; on encore : « Israelilae dicent,
Felix hora qua creatus est, felix uterus ox quo
prod lit. » Tpt; [idxape; jaev aoi ys naiiip xai
uoTvia (i^^TYip, Horn. Od. Vll, 154. 'OXSioi; 8; d'
|ipijT£y(T£, v.a.1 6),6iYi 9\ xe'xe \tyixy\p, FadTi^p ij o'
eX6x£«(7£, [laxapTdTY], Mu-seu?, V. 138. « 0 fe-
licem, inquil, malrem tuam quae le peperit, »
Pelrone, 94. Cfr. Ovide, Metam. iv, 321.
28. — C'esl ici la reponse de Jesus. Le Sau-
veur ne conteste pas la verite de I'eloge
adresse a sa sainte Mere. Marie elle-mdme,
divinement inspiree, s'etait ecriee dans son
cantique, i, 48 : « Ecce enim... bealam me
dicenl omnes generationes »,el lous les jours
les prieres lilurgiques nous font redire : Heu-
reux le sein qui vous a porte! heureuses les
maoielles qui vous ont allaite! Mais NoLre-
Seigneur aimail a elever toujours ceux qui
I'ecoutaienl, vers des spheres superieures.
C'esl ainsi que, ddja a propos de sa Mere,
vHi, 20 el 24, il avail prononc^ ce mot su-
blime : « Maler mea el fratres mei hi sunt
qui verbum Dei faciunt et audiunt. » De
meme actuellement, opposanl un fait a un
autre fail, il affirms que mioux vaul lui etre
uni inlimemenl par I'obeissance que par des
relations purement exlerieures. C'elail dire
en termes indirecls que Marie etail deux fois
bienheuieuse. « Eadem autem Dei Gcnitrix,
el inde quidem beata, quia Verbi incarnandi
ministra est facta temporalis, sed inde multo
beatior. quia ejusdem semper amandi custos
manebal aeti>rna. » Ven. Bede, h I. Ou,
comme s'exprime S. Auguslin, « malerna
propinquilas nihil Mariae profuisset, nisi feli-
cius Christum corde quam carne gesttisset.
Beatior ergo Maria percipiendo fidem Chrisli
quam concipiendo carnem Chrisli. » — Qui-
nimo (« imo vero ») est une bonne Iraduclion
de la parlicule composee [xevoOvye, doni. Sui-
das donne la paraphrase suivanle : to aXr]9e'i;,
(jiaXXov (ifev ouv. « Uuque » ne rendrail ici la
pensee qu'imparfaitement. Custodiunt equi-
vaul a « faciunt, vita faclisque exprimunt. »
4» Deuxifeme point du discours : Le sictne du del.
ff. 29-36. — Parall. Malth. xti, 33-42.
29 el 30. — Turbis concurrentibus est un
trait dramatique, propre a S. Luc. Le verbe
grec Eua9poti;ou.£va)v, qui designe un immense
. concours de peuple, n'est employe qu'en cet
endroit du Nouveau Testament. — Conpit
dicere. « Dupiici Dominus fueral queeslione
pulsalus : quidam enim calumiiiabunlur eum
in Beelzebub ejecisse daemonia, quibus hacle-
nus est responsura, ol alii lenlantcs signum
de ccelo quaerebanl ab eo, quibus abhin'c res-
pondere incipit. » Ven. Bede, h. 1. CIV. 1. 16
« Coepit » est pitloresque : souvent nous
avons vu S. Luc metlre en relief par celto
expression le debut des discours de Jesus. —
Generatio nequam : dans le premier Evangile,
a I'epilheie de irovripd le Sauveur ajoute celle
de (xotxaXti;, a aiiullera. » Par ce jugemenL
terrible, mais irop bien merite, Notre-Sei -
gneur motive d'avance son refus, signum
non dabitur ei. Pourquoi auraiL-il egard aux
desirs d'uue race si perverse, qui ne lienl
aucun comple des nombreux miracles qu'il a
operes en signe de sa mission divine? Nean-
moins, il rcnvoie solennellem/nl les Phari-
sietis, comme dans une circon>lance ante-
rieure de sa vie publique (Joan, ii, 18 el ss.l.
a i'eclatant prodige de sa resurreclion. Tel
est le signum Jonce {prophetce est omis par les
meilleuis manuscrit>) qu'il leur promet eii
ce moment. Voyez I'Evangile selon S. .Matlh.
p. 231 et ss. — Nam siut fuit... Euthymius
resume en quelques mols heureus^menl clioi-
sis le caraclere du signe auquel Nolre-Sei-
gm^ur fait allusion. Jonas fut uu signe pour
les Ninivites oti UTtJo^utio; ex tti; xoiXia? toO
xTJToui; £ppu(j9if) Tpiyi(x.£po;. Jesus fut un signe
pour les Juil's ses contemporains on Oixepfwo;
EX TYJ; xoiXta; t^; y^? ivia-zr^ xpiriaepoi;. Cl'r.
Malih. XII, 40, oil la pensee du divin Maitre
est plus pleinemenl exprimee.
S. Bible. S. Luc. — 15
226
EVANGILE SELON S. LUC
31. La reine du midi se levera
au jugement avec les hommes de
cetle genefation et les condamnera,
car elle vint des extremites de la
terre ecouter la sagessede Salomon^
et il y a ici plus que Salomon.
32. Les hommes de Ninive se le-
veront au jugement avec cette ge-
neration et la condamneront; car
ils ont fait penitence a la predica-
tion de Jonas, et 11 y a ici plus que
Jonas.
33. Personne n'allume une lampe
et ne la met en un lieu cache ni
sous le boisseau, mais sur un can-
delabre afin que ceux qui entrent
voient la lumiere.
31 . Regina Austri surget in judi-
cio cum viris generationis hujus,
et condemnabit illos : quia venit a
finibus terras audire sapientiam Sa-
lomonis; et ecce plus quam Salo-
mon hie.
///. Reg. lO.Jl; // Pat al. 9, 1.
32. Viri Ninitivae surgent in ju-
dicio cum generatione hac, et con-
demnabunt illam : quia poeniten-
tiam egerunt ad prsedicationem
Jonse, et ecce plus quam Jonas hie.
Joan. 3, 5.
33. Nemo lucernam accendit, et
in abscondito ponit, neque sub mo-
dio; sed. supra candelabrum, ut qui
ingrediuntur lumen videant.
31 et 32. — Deux exemples pour legitiraer
ras^ertion du t. 29 : « Generalio haec ge-
neratio nequam est. » Ils sont presenies
par S. Matihieu dans un ordre inverse, les
Ninivites passant avanl la reine de Saba,
peut-etre parce qu'il avait ele question de
Jonas immediatement auparavant, II est im-
possible de dire avec certitude quel fut
I'agencement primitif. — Regina austtn.
Dans le grec, PaatXnyna n'est pas accompagne
deTarlicle; mais. comme le dit Butlmann
dans sa Giammaire grecque, § 124, 8, « cette
omission est fi'equente poiii' les substantifs
qui sont individualises d'une mai;iere suffi-
sante par le contexte ». ot tel est bien ici le
cas. — Surget... surgent in judicio : Iv r?)
xpi<7£i, le jugement par excellence, les grandes
assises de la fin des temps. Alors la reine de
Saba et les Ninivites condamneront la gene-
ration incredule qui aura ete contemporaine
de Jesus. — A part un mot {viris, t. 31)
ajoute dans le tioisieme Evangile, la ressem-
blance des recils paialleles estabsolue en cet
endroit. Nous n'avuns qu'une explication
nouvelle a fournir, encore serace un eniprunt
fait a M. Schegg, Evang. nach Lukas, t. II,
p. '191 : « Salomon represente la manifesta-
tion de la divine sagesse dans I'Ancien Testa-
ment, Jonas celle de la divine puissance : en
Jesus-Christ, ces deux attnbuts sont unis et
se manifestent avec une plenitude inconnue
jusqu'alors. Si done il est plus que Salomon
et que Jonas, combien grand doit etre le
peche d'lsrael qiti ne I'ecoute pas et ne croit
point en lui, puisque des palens ont ecoule
et ont cru, alors que Dieu se revelait a eux
dans une mesiiro beaucoupplus limiteel »
33. — La liaison des pensees presente ici
queique difficulle, et les commentateurs ne
sont guere d'accord pour la determiner. Plu-
sieurs memo, s'appuyant sur I'omissioa des
1ft. 33-36 dans le passage parallele de S. Mat-
ihieu, n'ont pas craint de supposer que notre
evangeUste les avait detaches de leur place
primitive pour les inserer en cet endroit. Sans
aller aussi loin, d'autres renoncent siraple-
ment a etablir une connexion, croyant la
tentative mutile. Nous dirons lo que S. Luc
a uni ces paroles au discours apologetique
de Jesus parce que Notre-Seigneur les avait
reellement proferees alors, comme un grave
averlissement qu'il doonait, en terminant, a
lout son au'litoire ; 2° que les tf. 33-36 ren-
ferment des sentences generates, applicables
a bien des -ujets, et repetees pour ce motif
en differenles occasions par le divin Maitre.
Cfr. VIII, -leiMatth. v, 15; vi, 22 et s. ;
Marc. IV, 21 ; 3" que I'enchalneraent, quoique
obscur en realite, peut neanmoins etre fixe
raisonnablement de la maniere suivanle : La
resurrection de Jesus est un signe destine a
repandre partout les plus brillantes claries,
t. 33 ; mais la lumiere ne luit bien que pour
ceux dont les yeux sont en parl'ail etat,
t. 34; que chacun veille done a la bonne
constitution de sa vue spirituelle et morale,
ifir, 33 et 36. — Nemo lucernam... Voyez
VIII, 16 et le commenlaire. Les expressions
in abscondito (au lieu de « operit vase ») et
sub modio (au lieu de « subtus ledum ») don-
nent ici un nouveau decor k la pensee. La
premiere a regu deux interpretations legere-
ment nuancees : ceux qui lisenl ei; xpuirTiiv
(scil. x^^pav, ellipse a la fagon de eU (Aiav, eU
(Aaxpav) iraduisent comme la Vulgate (un
lieu cache en general); ceux qui preferent la
leQon els xpy7r-cr,v (avec la premiere syllabe
aceentuee), et nous sommes de ce noinbre,
CHAPITRE XI
S27
34. Lucerna corporis tui est ocu-
lus tuus. Si oculus tims fuerit sim-
plex, totum corpus tuum lucidum
erit : si autem nequam fiierit, etiam
corpus tuum tenebrosum erit.
Mallh. 6, 22.
3b. Vide ergo ne lumen quod in
;te est, tenebrse sint.
36. Si ergo corpus tuum totum
lucidum fuerit, non habens aliquam
partem tenebrarum, erit lucidum
totum, et sicut lucerna fulgoris 11-
luminabit te.
34. Votre oeil est la lampe de
votre corps. Si votre ceil est net
tout votre corps sera lumineux,
mais s'il est mauvais votre corps
aussi sera tenebreux.
3b. Prenez done garde que la
lumiere qui est en vous ne soit te-
nebres.
36. Si done votre corps est tout
entier lumineux sans aucun me-
lange de tenebres, tout sera lumi-
neux et vous serez eclaire comme
par une lampe brillante.
font de xpuiTXT) un substaiiiif qui designe une
cave, un lieu souterrain (une« crypte » comrae
nous disons aussi). La varianie etc -/puTtrov
du Text, recepl. est regardee comme sans
valeur, car elle n'est soutenue que par de
rares documents. — Sur la seconde expres-
sion, comparez Malth. v, \o et I'explicalion.
34. — Trois ventes familieres, choisies dans
le champ de noire experience quotidienne,
pour expli<juer plus forlemenl des notions
superieures. Premier fait bien evident et gra-
cieusement exprime : nos yeux sent la lampe
[lucerna] qui eclaire noire corps. Second fait :
si nos yeux sont simples (a7r>,ou;), c'esl-a-dire
sains, lout notre dire physique sera lumineux.
Troisieme lail : si nos yeux sont malades
[nequam an figure, comme simplex], nous
marcherons dans les lenebres. De m§me au
moral, pour reconnaitro le vrai role de Notre-
Seigneur Jesus-Chrisi. — Voir dans i'Evang.
selon S. Mallh. p. 136 et s., I'explicalion de-
laillee de ce versei et du suivanl.
35. — Vide ergo ne... Telle est bien la vraie
iraductioii du grec crxoTTEt oiv (iiq ; celledeRo-
senmiiller et de plusieurs autres commenla-
leurs, « con«:idera num )i, est incxacle. —
Nousavons ici une application etune deduction
(les fails d'cxperience menlionnes plus haul.
Puisque Tojil est pour nous un organe si im-
portant, il faut veiller sur lui avec un tres
grand soin. Mais il est plus urgent encore de
prendre garde a noire oeil interieur [lumen
quod in te est), h noire lumiere morale ; que
deviendrions-nous en effet si celle lumiere,
n^cossaire pour nous conduire a Jesus, elait
tran-^formee par nos passions en de sombres
lenebres ?
36. — Reprenant, dans ce verset qui est
propre a S. Luc. son raisonnement anterieur
[t. 34), Jesus-Christ depeint sous les plus
vives couleurs lesprecieux avantagesque pro-
curent, an propre et surtout au figure, des
yeux sains et limpides. II sembie pourlant au
premier aspect que le second hemisiiche se
borne a repeter la pensee du premier : Si.,,
corpus tuum totum lucidum fuerit.... erit luci-
dum totum. A\iss'\ des lecieurssuperficiels onl-
ils crie a la taulologie; M. Reuss lui-meme
n'a vu dans ce versei qu'« une assez froide
redite » (Hisloire evangelique, Paris 1876,
p. 454). Mais, sans recourir, comme on I'a
fait quelquefois, a des conjectures sans fon-
demenl (par exemple, lire lazoX cwteivov tJ
oXov, ou jotat 9«oT£tv6v 6).o6v, ou encore 6\i\t.ct
au lieu de ffw^xa; elfacor le premier 6),ov;
transformer la ponclualion comme il suit :
ei oiv to owfid aou oXov, (pco-cetvov [ii?i ex*^^ ?*
(xepo;, (TxoTstvov, eiTTai tpwreivov oXov, « quamvis
essel corpus tuum totum, nullam habens lu-
cidam partem, tenebrosum, erit lucidum to-
tum »), il est aise de venger de ce reproche
la parole du Sauveur. Pour cola il suliil, sui-
vanl I'heurcuse suggestion de Meyer, adoptee
par la plupart des commentateurs modernes,
de faire porter I'idee principale sur o),ov
[totum) dans la premiere moilie du verset,
sur ipcoTstvov [lucidum] dans la seconde, el d'en-
visager les mots non habens aliquam partem
tenehrarum comme un devehppement du
premier « totum », la phrase ct sicut lucerna
fulgoris... comme un developpement du se-
cond « lucidum ». On oblionl alors ce sens,
qui n'est nuUement tautologique : Si done
votre corps TouTENTiEResl lumineux, n'ayant
pas la plus petite parcelle de lenebres, alors
il sera aussi lumineux que s'il etail eclaire
par une lampo brillante (voyez Bisping,
Erklaerung der Evangel, nach Markus u.
Lukas, 2e ed. p. 321). S. Paul donne une
sublime explication de ce passage quand il
ecrit, II Cor. in, 18 : « Nos vero omnes, re-
velala facie gloriam Domini iJesu) speculan-
tes, in eamdem imaginem translormamur a
claritate in clariiatem, lamquam a Domini
Spiritu ». Voila bien en effet ce que voulait
due le Seigneur Jesus.
2:'8
EVANGILE SELON S. LUC
37. Pendant qu'il parlait, uuPha-
nsien le pria de manger chez lui.
Elant done entre il se mit a table.
38. Or le pharisien, reflechissant,
commenca a se demander pourquoi
il ne s'etait pas lave avant le repas.
39. Et le Seigneur lui dit : Vous
autres, Pharisiens, vous neltoyez
.e dehors de la coupe et du plat,
mais ce qui est au dedans de vous
est plein de rapine et d'iniquite.
37. Et cum loqueretur, rdgavit
ilium quidam Pharisaeus ut pran-
deret apud se. Et ingressus reou-
buit.
38. Pharisaeus autem coepit intra,
se reputans dicere, quare non tap-
tizatus esset ante prandium.
39. Et ait Dominus ad ilium :
Nunc vos, Pharisaei, quoddeforis est.
calicis, et catini, mundatis ; quod
autem intus est vestrum, plenum-
est rapina et iniquitate.
Matlh. 23, S5.
8. Premiere malediction centre les Phari-
siens et les Scribes, m, 3T-o4.
L'occasion. y}. 37 el 38.
37. — Par les mo is cum loqueritur, S. Luc
montre avec sa precision accoutumee que ce
nouvel epi-ocle suivii de ires [)res celui aiiquel
avail doiine lieu rin-hgiie calomnip des Pha-
risiens. — Bogavit ilUun quidam Phmiswus...
L'invilalion, les fails le prouveronl bieiUol,
etail loin de pai lird'uncoRur bon el loyal. Elle
avail sans doute ete combinee par les enne-
mis de Jesus pendanl sa vigoureuse apologia,
comme un nioyen de Tobserver de plus pres,
a huis clos, el de le coinpromeitre par des
qut'Slions in-:idieuses. Cfr. xiv, I. — Utpran-
deret. La Vulgate a fori bien traduil le verbe
grec ipia-riQ'TTj, (lui ne designe pas la « ccena »
ou repas du soir, mais le « prandium » ou
second deji uner, qu'on prenait vers midi
comme mius faisons en France, quelques
heures apres le « jenlaculum », peiil dejeuner
du malin. Cfr. xiv, -12 et 16 (dans le lexte
grec), oil S. Luc distingue ces deux repas. Voir
aussi A. Piich, Dictionn. des anliquiles rom.
et greC(i. au mot Prandium. — Ingressus re-
cubuit (av£;t£C£v, « acciibuil ad inensam », a
la fagoii de I'Orienl). Ces deux verbes, juxta-
poses a drssein par I'evangelisle, signiaent
qu'a peine enlre Jesus se mit a table sans
s'inquieter d'aulre chose.
38. — PhariscBus... coepit intra se repu-
tans dicere quare... Le grec porte, avec une
legere variant e : 'O oe $ap'.(7ato; ISwv eOautiacsv
o-t — a Pharisaeus autem quum vi-Jisset ad-
miratiis esl quod... » La leQon de la Vulgate
n'esi appuyee que par leCod. D. L'amphyinon
lie semble pas avoir manifesie au dehors I'e-
lonnemenl que lui causait romission de
Jesus. « Apud S'^ipsum Pharisaeus cngiiavil,
vocem non soiiuit. Ille tamen audivil, qui in-
teriors cerni'bat ». S. August, da Verbis
Dom. Serm. xxx. — Non (le grec ajoute un
itpwTov emphalinue : avant loules choses) bapti-
satus est. Selon toute vraiseinblance le verbe
^%--'C(i} ne designe pas ici un bain complet,
mais une simple immersion des mains el de-
I'avanl-bras. Sur cdte cereraonie et sur I'im-
porlance qu'y altachait I'ecole pharisaique,.
voyez I'Evang. selon S. Matlh., p. 301, et
I'Evang. selon S. Marc, p. lOS-iOS. Le scan-
dale du Pharisien dui elre d'autant plus gi and
que Jesus revenait d'aupres d'une toule con-
siderable, el qu'il s'etait mis en contact avec
un impurpossede.
39. — Et ait Dominus. Expression solen-
nelle : c'est comme Seigneur que Jesus va
parler. On a remarque depuis longlemps que
son discours presenle une ressemblance frap-
panle avec celui qui est relate au xxiii^ chap.
de S. Mallhien. Mais chacun des narraleurs
fixe si neltement Ins dates en ce double pas-
sage, el ces dales, de meme que les localites,
different tellement, qu'il est impossible de ne
pas admeitre une repetition des meraes ve-
rites (levant divers audiloires. Telle etail
deja I'opinion de S. AugusUn : « Haec omnia
Mallhaeus iiariai esse dicla postquam Domi-
nus in Jerusalt'm veneral; Lucas autem hie
narrat, cum adhuc Do:iiinus itT agerel in
Jerusalem. Unde mihi similes videntur esse
scriuones; quorum ille altc^rum. i»tr' alieiu-n
n.^iiiivit ». De cons. Evang. I. n, c. 75.
D'ailleurs, dansle lroi>iemi'Evangili'. lesidees
sont moins developpees. el puis, ce ne sont
pas seulemenl les Pharisiens. mais aussi les
Scribes, qui reQoivent les maledictions de
Jesus. Cfr. t. 45 et ss. Cetle autre diffe-
rence proiive encore que les deux discours ne
sont pas compleli^ment paralleles. Le Sauveur
aura done flagelie uue premiere Ibis les vices
de ses enneinis devant un audiloire plus
reslreinl, avant de fulminer contre eux, a
Jerusalem meme, sous les portiques du temple
et en presence d'une foule immense, son grand
requisiloire. Cfr. xx, 45-47. — Nunc, vos
Phariscei. Jesus ne s'adresse pas exclusive-
menl a celui qui I'avail invite, mais aux con-
vives en general, car ils appartenaient lous
sans doute a la secte. On a ose trouver mau-
CHAPITRE XI
229
40, Stulti, nonne qui fecit quod
•deforis est, etiam id, quod deintus
•est, fecit?
41. Verumtamen quod superest,
40. Insens^, celui qui a fait le
dehors n'a-t-il pas fait aussi le de-
dans?
41 . Gependant de ce qui vous reste
vais que Notre-Seigneur ail lance des re-
iproches si energiqiies contre un homme dont
il avail accepLe riio^pilalile, el ct la dans sa
propre maison, a sa propre table. Mais Jesus
avait des motifs sufiisanls pour s'ecarier en
•cette occasion des lois ordinaires du « deco-
rum » humam. Toujours aimable el condi'S-
cendant a i'egard des pecheiirs meme les plus
'degrades, il s'est toujours monlre severe,
inexorable , a i'egard des hypocrites qui
^alaicnt son peuple : ce roi de verite ne peut
supporter le mensonge, et il a bien le droit
de le ddma^qiier partout, m^me chi'Z un
-ampliylrion deloyal (voyez le t. 37 el I'expli-
calioii). Ans-i Ebrard repondail-il de la ma-
niere la plus heureuse a cctle objection de
•Strauss • « Je puis certifier a Straus-; que, si
Notre-Seigneur s'asseyait de nosjoursa sa
table, il serail lout aussi peu civil » (cite par
Slier, Reden des Herrn, h. 1.). Cfr. S. August.,
de Verb. Dom. Serm. xxxviii. — L'adverbe
•vOv, qui ouvre d'une fagon ass'z etraiige la
vigoureuse plaidoirie de JesurJ, a ele diverse-
ment explique. Suivanl Meyer, il serail place
la pour opposer les vices actuels des Phari-
siens a un meilleur « quondam ». D'aulres
le iraduisent par « voici », comme s'il etail
■synonyme de I'hdbreu r\2n. Peul-elrc est-il
plus simple d'en faire un synonymede xal vOv,
c'esl-a-dire une particule de transition ana-
logue au J jam » desLatins. Cfr. Brelschneider,
;Lex. man. s. v. Jesus relierait ainsi ses pre-
mieres paroles a lincident qui vient d'etre
raconte. — « Vos » est plein d'emphase. —
Quod deforis est ['^b l^oif>z^) cdlicis... « Dominus
capiat t i'mpiis, et ex his quae eranl prae ma-
nibus contexil documenlum. Hora namque
mensae el pabuli sumil pro exempio calicem
etcalinum ».S. Cyrille, Cat. graec. Pair. Aussi,
rien ae plus nalurel quo ce debut el, par la-
meme, rien de plus frappanl. — Quod autem
■iutns estvestrum (to SffwOev upitov) : voire Srae,
la partie la plu-; inlime de vous-memes.
Quelle oppositiun hardie! La vaisselle et les
ame>. Mais Jesus ne fai^ail que decrire ce
qu'il conlemplail. Aulant les plats el les
coupes qu'il avail devanl lui sur la table,
lavfts, froUes dix fois le jour, etincelaienl et
brillalenl, aulant les coeurs des hommes qui
rentouraient eiaient souilles, car la rapine
(un vice designe en particulier) et I'iniquite (le
ce en general) les remplissaient d • maniere
•a losfaire debord -r (rJ(A£t). — Quelqu 's inier-
•preles (Kuinoel. Bleek, etc.), railacliaul d'une
le pari pronom y[Awv aux subsiantils apuaY^;
et Ttovripia;, d'autre part to lawOev a 7toT>)piou
et Ttivaxo;, obtiennent eel autre sens : L'inie-
rieur de la coupe et du plat regorge de votre
■ rapine el de voire iniquite; c'esl-a-dire :
Vos repas sont le produit de I'injustice. Cfr,
Matlh. XXIII, 25, dans lo texle grec. Mais
c'esl la evidemmenl une construction forces.
40. — Slulti. Epithele parfaitemenl choi-
sie, car Jesus va demontrer par un raisonne-
raent rapide, mais lumineux, combien la
conduite des Pharisiens elail deraisonnable
au point de vue moral el religieux. — Nonne
qui fecit... C'e.-t bien a tort que plusieurs
coumientateurs (Eisner, Kypke, Kuinoel, etc.)
supprimenl Tinlerrogalion, el donnent a
6 Tconnffa; le sens de « qui purificavii n, de
maniere a pouvoir traduire : Celui qui a pu-
rifie le dehors n'esl pas pur au dedans pour
cela.Rien nejuslifie ce double ecarl. 'Or.oir,-
ffa; (par anlonomase), c'esl Dieu, createur
de loules choses (Cfr. Gen. 1,1,011 le verba
n^y, « facere » , est egalement pris dan.«
I'acception de « creare »); to i?w9sv, quod
deforis est, represcnle ici le corp. humain, el
TO iawOsv, id quod deintus est, I'amc liumaine.
La pensee de Jesus revienl done a cos mots
du Ven. Bede : « Qui utramque hominis na-
turam fecit, utramque mundari desiderat. »
Ne serait-il pas absurde de vciller a la pro-
prele materielle du corps, et de negliger la
sainlele de I'Sme? de croire qu'un corps bien
lave peut rendre agreable a Dieu un cceur
souille par le peche?
41. — Pendant longtemps nous avons
aime a voir dans ce verset, avec dc nom-
breux exegetes contemporains, un trail do
mordante ironie. II nous semblail peu nalu-
rel, peu conforme a I'espril general du dis-
cours, de supposer que Nolre-Seigneur eut
glisse une exhortation isolee au milieu de si
vifs reproches. Vobis nous paraissail donj
signifier : « e veslro perverse judicio », ei
toute la phrase equivaloir k celle traduction
libre de Kuinoel : « Atlamen date mode sti-
pem pauperibus. tunc ex veslra opitiione
parum solliciti esse poleslis de viclu injuste
coraparalo, tunc vobis omnia pura sunt. »
Mais, tout bien considere, nous preferons
revenir au sentiment des anciens, qui, pre-
nanl les paroles de Jesus dans leurs sens
obvie, en ecarlent loute allusion ironique.
S'interrompanl done au milieu de ses ter-
ribles repruches, leSauveur indique aux Pha-
risiens, a la place de leurs vaines ablulions
qui elaienl incapables '^» les purifier, un
230
EVANGILE SELON S. LUC
faites TaumSne et
pour vous.
tout sera pur
42. Mais malheur a vous, Phari-
siens, car vous payez la dime de
la menlhe, de la rue et de toutes
les herbes, et vous negligez la jus-
tice et Tamour de Dieu; il fallait
faire ces choses et ne pas omettre
les autres.
43. Vse vobis Pharisaeis, quia di-
date eleemosynam : et ecce omnia,
munda sunt vobis.
42. Sed vse vobis Pharisaeis, quia
decimatis mentham, et rutam, et
omne olus, et prseteritis judicium
et caritatem Dei : hsec autem opor-
tuitfacere, et ilia non omittere.
43. Malheur a vous, Pharisiens
moyen serieux d'lffacer leiirs peches. Failes
I'aumone, leur dil-il, et vous serez purs de-
vant Dieu ! L'Ecrilure Sainte abonde en
texles analogues, qui meitent en relief le
caraclere propitialoire de I'aumone. Qu'ii
suffisc de citer Dan. iv, 24; Tob. iv, 11, 12;
I Pelr. IV, 8. Et les Rabbins dijaienl d'une
maniere analogue : « Eleemosyna aequipollet
omnibu.-^ virlulibus. » Bava bathra, f. 9, 1.
Non sans doule que I'aumone puisse, a elle
seule, expier toiite espece de crimes. Du
moins, el telle elail surtonl la pensee de
Jesus, elle est beaucoup plus propre a purifier
I'fime que toutes les eaux de la mer et des
rivieres, appliquee^ en lotions exterieures
(D. Calmet. Cl'r. Maldonat). — Verumtamen;
el pourtanl, cependant. — Quod superest,
qui depend de date comme complement di-
rect, ne peul guere signifier autre chose que
t hi saperDu » • Donntz en aumone voire su-
perflu Mais telle n'est. certainemeut pas la
tiaduction exacte du grec xaivovxa. Toule-
fois, on (liscute sur le veritable sen? de ce
participe. D'apres Theophylacle, evovTaserait
synonyrae de vi7:dpxo^ta> les biens, la fortune.
D'autres sous-en t'.Mid en t en avant la preposi-
tion y-axa, ce qui donne a noire locution le
sens de « pre viribus ». II est plus conforme
a retymologie e'. a I'usage de traduire toc
ivovTa par « quBB insunl » ce qui est dedans,
c'esl-a dire le contenu de voire coupe el de
voire plat, par consequent : voire breuvage
el votre nourriture. — Et, et alors, si vous
agissez ainsi — Ecce indique d'une maniere
pittoresque la prompliiude avec laquelle le
resultal (omnia munda sunt vobisi sera pro-
duil.
42. — Cfr. Matth. xxiii, 23 et le commen-
taire. Jusqu'ici, tt. 39-41 , Notre-Seigneur
Jesus-Christ a reproche aux Pharisiens leur
affreuse hy[)Ocrisie, qui les portail a croire
qu'un peu d'eau passee sur leurs mains suf-
fisait pour laver leurs souillurts morales.
Dans irois maledictions qu'il prononce main-
tenant contre eux, tt. 42-44, il decril de
plus en plus leur e?prit fr.ux et antireligieux.
— Premiere malediction : Malheur aux Pha-
risiens qui praliquenl scrupuleusemenl do
pelits details exlralegaux, mais qui negligent
I'essentiel de la loi divine. — Sed ratlache la
pensee precedente a celle-ci. Mais je vols
bien qu'il est inutile de vous faire de lelles
recommandations; aussi, malheur a vous. —
Phariswis est au dalif par suite de I'atlrac-
tion. Cfr. tt. 43, 46, o2. — Decimatis men-
tham et rutam...: plus correclement,u decimas
solvilis menthae... » Les Pharisiens, appli-
quanl le precepte de la dime (Lev. xxviii,
30 et ss.) de la fagon la plus rigide, avaient
compris dans ses limiles toutes les pianles-
polageres en general [omne olus), et meme
quelques herbes mediclnales lelles que la
menlhe el la rue. Getle derniere (itriYavov, la
« Ruta graveolens » de Linne), qui n'est pas
mentionnee ailleurs dans la Bible, a une tige
de 6 k 9 decimetres, sous-ligneuse a la base-
el Ires ramiQee au sommet, des feuilles
glauques d'une odeur forte el repoussanle,
des fleurs d'un beau jaune en corymbe. Elle
elail tenue en grande eslime par les anciens,
qui I'employaient comme assaisonnemenl et
comme vermifuge. Cfr. Pline, H. N., xix, 8;
Columelle, de Re Rust., xii, 7, 5 ; Diosco-
rides, in, 45; Fred. Hamilton, La Bolanique
de la Bible, Nice 1871, p. 102 el s. Le Tal-
mud (Schebiilh, IX, 1) la cite pourtanl parmi
les planlcs non aslreinles a la dime ; mais le
formalisme pharisalquo jugeait autrement
sur ce point. — Et prceteritis (belle expres-
sion, analogue a I'hebreu lay, qui signifie
souvent : passer pres d'une chose sans y faire
attention) judicium (Trjvxpifftv, la vertu de
justice) et caritatem Dei. Quel conlrastel el,
dans ce contrasts, quelle grave accusation
contre les Pharisiens 1 Renversant i'ordre
nalurel, ils accomplissent les plus petites
choses avec un soln meticuleux, mais ils
ometlenl les plus essenlielles sans pudeur
el sans remords ; ils multiplienl les pratiques-
de surerogation, mais ils negligent les pre-
miers devoirs de la religion!
43. — Seconde malediction : Malheur aux.
Pharisiens superbes qui ambilionnenl el re-
cherchentparloul les hoiineursl Comp.xx, 46,
ou nous verrons Jesus renouveler ce bl^me.
— Primas cathedras in synagogis. Ils por-
taienl done I'orgueil jusqu'au sancluaire.
« Extant ID Hebrieorum libris (voyez ea par
CHAPITRE XI
23r
ligitis primas cathedras in synago-
gis, et salutationes in foro.
Matth. 23, 6; Mxrc. 12, 39; Infr. 20, 46.
44. Vae vobis, quia estis ut mo-
numenta, quae non apparent, et ho-
mines ambulantes supra, nesciunt.
45. Respondens autem quidam
parce que vous aimez les premiers
sieges dans les synagogues et les
salutations sur la place pnblique.
44. Malheur a vous, parceque
vous 6tes comme les sepulcres qui
ne paraissent pas et sur lesquels
les hommes marchent sans le savoir.
45. Mais un docteur de la loi.
ticulier Hilch. Tephillah, xi, 4) decreta de
hac re, quo legisperili, quo Pharisaei sedere
debeanl. Alque inde natum proverbium, ut
plebs rudis, quam populum tense vocabanl,
diceretur scabelkim pedum Phansaeoiuin ».
Grolius. Aujourd'hui meme, en cenaines
contrees juives, on paie pour occupcr dans
les synagogues les places repulees les plus
honorables. Cfr. AbboU, h. 1. — Salutationes
in foro. Ch\ Matlh. xxjii, 7 el I'explicaLion.
En Orient, plus encore qu'en Occideni, Ton
a toujours ete a cheval sur I'etiquelte sous
ce rapport. D'apres le Talmud, ne pas donner
a un Rabbin le titre (jui lui est du, c'est irri-
ler la majeste divine. R. Jochanan ben Za-
chai est regarde comme un modele d'humi-
lile parce que, mSme sur la place publique, il
saluait le premier les gens (Berachoth,
f. 27, 1. Voyez Scliegg, t. fl, p. 208).
44. — Troisieme malediction : Malheur
aux Pharisiens qui, malgre leurs belles appa-
rences de piele, portent au fond de leur coeur
la corruption du tombeau. — Vce vobis. La
Recepta ajoule : fpaiKiLoiizii; -/.al ^apiccdoi Ciiro-
wpixat. De nombreux manuscrils ont simple-
menl: oual OjjiTv, *apiaatov Mais la vraie h gon
parait etre celle de la Vulgate, que favoii-
senl les manuscrits Sinait., B, C, L, les ver-
sions copte et armeiiieime, etc. — Estis ut
monurnenta quce non apparent... Les lois
juives expliquent celte comparaisou si liumi-
liante pour les Pharisiens. D'apres Num.
XIX, 16, le contact d'un tombeau rendail
legalem'mt impur pour huit jours, de memo
que celui d'un cadavre, et c'est pour cela
qu'on devail rendre les sepulcres aussi appa-
rents que possible, afin que les passants pus-
seiit les eviler. Comp. D. Calmet, h. 1. Les
Pharisiens etaient done, par suite de leurs
vices secrets, des lombeaux dissimules sous
le gazon. CIV. E. Renan. Mission de Plienicie,
p. 809. Samis im appaience, ils n'etaienl en
realile que des hommes corrompus. Dans
S. Malthieu, xxiii, 27 el 28, le point de com-
paraison n'est pas tout a fait le meme,
quoique I'idee genera'.e soil identique. —
De ces accusations du Sauveur, il ne sera
pas sans iulerct de rapprocher une descrip-
tion vivaiite du Talmud (Sola, f. 22, 2) rela-
tive au Pharisai'sme. Nous en empruutons la
traduction a M. J. Cohen, Les Pharisiens,.
Paris 1877, t. 11, p. 30. « 11 y a sept sorles
de Pharisiens : 1° les forts d'epaules; ils
ecrivent leurs actions sur leur dos pour so
faire honorer des hommes; 2° les bron-
cheurs, qui vont par les rues tralnanl, pour
se faire remarquer, les pieds centre terre et
les heurtant sur ies cailloux ; So les cogne-
t^les, qui ferment les yeux pour ne pas voir
les femmes, et se cognent le front centre-
les murs; 4o les humbles renforces, qui
marchent plies en deux; 5o les Pharisiens
de calcui, qui n'observeut la loi que pour les
recompenses qu'elie proraet ; 60 les Phari-
siens de la peur,qui ne font le bien que dans
la crainte du chaiimenl ; 7° les Pharisiens du.
devoir ou les Pharisiens d'amour : ceux-ci
seuls sent les bons; parmi les autres, il n'en
est pas un seul qui soil digne d'estime. » Ce
triste et veridique portrait n'empeche pas
M. Cohen d'excuser le plus qu'il peut ses core-
ligionnaires,(le transformer en une exception
ce que Notre-Seigneur Jesus-Christ signala
comme la regie, de pretendre memequ'a part
« quelques incidents ofageux et quelques
paroles irritees, » Jesus, n'eut pas avec les
Pharisiens des rapports si hostiles qu'on In
suppose, bien plus, qu'il leur emprunla des
pomis assez nouibreux de sa doctrine! (Voir
les chap, i et 11 du tome II). II exisle aujour-
d'hui encore a Jerusalem une secte phari-
sai'que formee d'environ 900 membres et
vivant separee des autres communautes
juives. Dans son curieuxouvrage Nach Jeru-
salem, Leipzig 1878, t. II, p. 48, le Dr Israe-
lite L. A. Frankl caraclerise comme il suit
ces dignes fils des ennemis de Jesus : « Fa-
natiques, bigots (sic), inlolerants, querelleurs,
et au fond irreligieux; pour eux raocomplis-
sement exlerieur des lois ceremoniales est
lout, la morale theorique peu de chose, la
morale pratique n'est rien. » Aussi, la pire
injure qu'un Juif de la secte des Chassidim
(les pieux) puisse proferer dans un acces de
colore consiste a dire : « Tu es un Porisch! »
c'est-a-dire un Pharisien. Ibid. p. 55.
i" Malheur aux Docteurs de la l»i. J^. 45-52.
45. — Respondens... quidam ex legisperitis^
Ce scribe esperait sans doute delourner par
232
EVANGIL'E SELON S. LUG
prenant la parole, lui dit : Maitre,
en disant cela vous nous faites in-
jure a nousaussi.
46. Et il lui dit : Et a vous aussi,
docteurs de la loi, malheur! parce
que vous chargez les hommes de
fprdeaux qu'ils ne peuveiit porter,
et qoe vous ne louchez pas meme
du doigl ces fardeaux.
47. Malheur a vous qui b^tissez
des tombeaux aux prophetes, et ce
sont vos peres qui les ont tues.
48. Assurement vous lemoignez
((ue vous consentez aux oeuvres de
vos peres, car eux les ont tues, et
vous vous leur batissez des sepul-
cres,
49. G'est pourquoi la sagesse de
ex legisperitis, ait illi : Magister,
liBDC dicens etiam contumeliam nobis
facis.
46. At ille ait : Et vobis legis-
peritis vae; quia oneratis homines
oneribus, quae portare non possunt,
et ipsi uno digito vestro non tangi-
tis sarcinas.
Malth. 23, 4.
47. Vae vobis, qui sedificatis mo-
numenta prophetarum : patres au-
tem vestri occiderunt illos.
48. Profecto testificamini quod
consentitis operibus patrum vestro-
rum : quoniam ipsi quidem eos oc-
ciderunt, vos autem sedificatis eo-
rum sepulcra.
49. Propterea et sapientia Dei
son inlerpellalion I'orage qui eclatail depiii-;
quelqiies inslanls sur la tete des Pliarisiens.
II le delourna en effel, mais pour I'amener
sur lui-meme et lous ses pareils. — Magister,
Si5acxa),e. L'interruption est polie dans la
forme. Le Docteur decerne a Jesus sans he-
sitation le titre de Rabbi. D'ailieurs tous les
partis rendaient sponlanement eel hommage
a sa profonde sagesse. Cfr. vii, 40; x, 23;
XII, 43; XIX, 39; xx, 21, 28, 39, etc. —
Eliam contumeliam nobis facis; xai i?i[xa;
w6pi^£i;, dit le texte grec avec plus d'energie.
« Eiiani nobis » est empliatique : Nou-, les
docteurs oHiciels; ne remarquez-vous pas que
nous sommes egalement atteints par vos
censures? En effel, observe justement Luc de
Bruges, « Pharisa&i non eraiit nisi rigidi ob-
servatores doctrinse Scnbarum. Pharisaeus,
ut Pharisaeus, nihil docebat. »
46. — Et vobis legisperitis voe. Ce Scribe
avail parfaitemenl dit. Oui, mes reproches
riHombeni aussi sur les Legisles, repond
Nolre-Seigneur sans se laisser intimider, et,
s'adressant ci eux desormais jusqu"a la fin de
son discours, 1it- 46-32, il leur jette a la face
une triple malediction motivee, comrae il
avait fait pour les Pharisien?. Sur le premier
« Vae » que contient ce verset, voyez Matth.
xxiii, 4 el le commentaire. — Oneratis homi-
nes... Charges d'interpreler la Loi, mais
ajoutaat a ses prescriptions, deja nombreuses
et souvenl penibles, d'autres prescriptions
plus nombreu-es el plus penibles encore, lis
chargeaienl vraim'^nl les hommes de fardeaux
insupportables (oyaoddTaxta du text' ()rimitif
n'esl employe qu'en ce passage du Nouveau
Tcslament). Mais, ce qu'il y avail de pir^',
c'est qu'ils se gardaient bien d-y toucher
eux-meraes tino digito. Jesus n'avait-il pas
raison de sligmatiser a lout jamais une telle
conduite?
47 et 48. — Vce vobis qui... S-conde male-
diction, la plus longue des trois, 1ft. 47-51.
Votre situation, dit Jesus aux Scribes, n'est
pas moins fausse a I'egard des prophete*
qu'a I'egard de la Loi. Vous maltraiiez la
Thorah par des glos'S exagerees ; vous mal-
traiiez de m^me les prophetes par un culte
d'ap|)arat, qui n'a rien du vrai, d'inlerieur.
Jesus exprime cette idee d'une faQon hardie,
paradoxale en apparence, mais d'autant plus
vigoiireuse. II signale d'abord un premier fait
(wdificatis monumenta prophetarum], qui se
passait alors au su et vu de lout le monde Israe-
lite. II en signale ensuite un second {palres
vestri occiderunt illos), dont la verite est
cerlifiee par maint endroit de I'histoire juive.
Alors, les rapprochant I'un de I'autre et lirant
une conclusion inattendue {profecto, opa), il
affecle de voir dans I'oeuvre des fils la conti-
nuation et I'ajiprobalion ouverte (testificamini
quod consentitis) de celle des peres Ceux-ci
onl fait mourir les prophetes, ceux-la les
ensevelissent : n'est-ce pas un seiil el memo
acte? Voyez les details de I'explication dans
I'Evang. selon S, Matth., p. 448 et s. — Le
beau verba ffuveuSoxeiTe (« consentitis ») ne se
rencontre pas ailleurs dans les Evangiles. —
Lps mots eorum sepulcra sonl reganles com me
authenliques, bien qu'ils aieiil ote omis par
les manuscrits B, D, L, Sinail., la version
copte, etc.
49. — Jesus va montror m-TintPnanl,
tt. 49-31, qu'utii' telle mauierc d'agir (;)ro;};e-
rea] allirer'a infaiiliblemi'nl la colere el les
vengeances du tiel sur louie la nation. — Sa-
i
CHAPITRE XI
133
dixit : Mittam ad illos prophetas,
et apostolos, et ex illis Occident, et
persequentur.
50. Utinquiratur sanguis omnium
prophetarum, qui eflFusus est a con-
stitutione mundi a generalione ista;
51. A sanguine Abel, usque ad
sanguinem Zacharise, qui periit in-
ter altare et sedem. Ita dico vobis,
requireturab hac generatione.
Dieu a dit : Je ieur enverrai des
prophetes et des ap6tres, et ils tue-
ront les uns et ils persecuteront les
autres;
50. De sorte qu'on redemande a
cette generation le sang de tons les
prophetes qui a ete verse depuis
la formation du monde;
51. Depuis le sang d'Abel jus-
qu'au sang de Zacharie qui perit
entre Tautel et le temple. Oui, je
vous le dis, il sera redemande a
cette generation.
fientia Dei dixit. Ces mots, si simples en ap-
parence, ont suscile un assez grand nombre
d'opinions diverses parmi les exegele.'^. Le P.
Curci el d'aulres croient, mais sans le moin-
dre fondement, qu'ils ne furent point pronon-
ces par Nolre-Seigneur Jesus-Christ, et que
S. Luc lui-meme les a inseres dans le discours.
Plu-iit'urs auteurs conlemporains les regardent
comme une formule de citation biblique, « sa-
pienlia Dei » equivalant suivant eux a « Scrip-
tura sacra » ; toutefois, ils ne peuvent tom-
ber d'accord touchant le passage cite, et cela
se comprend, puisque les paroles suivantes
du Saaveur, mitiani advos..., n'existent nuile
part d'une maniere identique dans les ecrils
de I'ancienne Alliance. M. Godet renvoie le
lecleur a Prov. i, 20-31 : « La sagesse crie
dans les rues, et fait entendre sa voix siir les
places publiques... Voici, je ferai venir sur
vous mon esprit el je vous ferai connailre
mes paroles... Mais vous avez fail echouer
mon conseil el resisle a mes reprimandes.
C'esl pourquoi, quand voire caiamiie sur-
viendra, je me rirai de voire mallieur... (et
je dirai) : Qu'ils mangent du fruit de leurs
(Duvres » 1 II a soin de rappeler en outre
jjue S. Clement Remain, S. Iren^e, Meli-
Ipn, donnenl au livre des Proverbes le nom
(Je ffo(p(a. Olshausen, Slier, Alford aiment
raieux voir ici une reminiscence de II Par.
XXIV, 18-22 » : Et dereliqiierunt templnm
Domini Dei tui,... et facta est ira contra Ju-
dam et J rusaiem propter hoc peccatum.
Miltebalque eis prophetas ul reverlcrenlur ad
Dominum, quos protestantes, illi audire no-
lebanl... etc. » Ewald et Bleek peu satis-
faits, et a bon droit, de ces rapprochements,
supposent que la citation faite par Jesus pro-
venait d'un livre reellement intitule « Sa-
pientia Dei », mais perdu depuis. N'est-il pas
faeaucoup plus nalurel, sans recourir k tanl
d'hypoihescs mal appuyees, de dire que, par
« sapientia Dei ». Jesus n'a pas designe autre
chose que les decrels divins. lesquels sont
censes prendre la parole (« dixit ») quand
ils sont mis a execution? Plus lard, sous les
galeries du temple, le Sauveur se meltra lui-
meme directemenl en cause : « Ideo ecce ego
mitload vos prophetas... »(Malth.xxiii, 34);
preuve qu'il est la sagesse elernelle du Pere.
— Prophetas et apostolos, c'esl-a-dire lous
les predicateurs do I'Evtngile. Cfr. Eph.
II, 20; III, 5, oil le nom de prophele, utii a
celui d'apolre, est pareillement applique aux
dignitaires de I'Eglise du Christ. — Perse-
quentur. Dans le lexte grec, le verbe com-
pose exSttoSoufftv signlfie lilleralemenl « expel-
lenl », ils vous exileront du pays.
50 el 51. — Ut inquiralur. Nouvelle ex-
pression Ires forte dans le texte primitif,
ex!;7iTri8^, « ut studiose exquiralur ». C'est Ik
une hebralsme bien connu (Dl W\l ou U7p3.
Cfr. Gen. IX, 5; II Reg. iv, 11 ; Ezech. iii, 18)
pour signifier : « ut vindicta sumatur ». —
Qui effusus est a constitutione mundi {anb xa-
Ta6o),r); x6ff[x,ou, belle expression) a genera-
tione ista. C'esl en vertu de la solidante qui
regne entre les crimes el 'es crimmels de
lou< les temps, que Jesus pi^ut rendre la ge-
neration juive contemporame rpsponsable de
lous les homicides injusles commis depuis les
premiers jours du monde. Voyez I'Evangile
selon S. Malthieu, p. 450. — A sanguine Abel
justi (ces mots determinent le sens precis de
« a constitutioiie mundi ») usque ad sangui-
nem Zacharice. Zacharie ne differanl pas,
comme nous I'avons admis dans noire expli-
cation de S. Malthieu, p. 450 el s., du pro-
phele mentionne au second livre des Parali-
pomfenes, xxiv, 20-22, et ce livre occupant
la derniere place dans la Hilile hebraique,
Nolre-Seigneur Jesus-Christ signalail de la
sorte le sang repaudu en premier et en der-
nier lieu d'une maniere crimiiielle d'apres le
canon sacre dt s Juils. En outre, chacun de
ces deux meurlres elait rendu plus alroce
par des circonslances particulieres : ceiui
d'Abel elait un fratricide, a celui de Zacharie
s'ajoutaii la malice du sacrilege. — JUdem,
Tou o'lxou, la maison par excellence, ou le lera-
234
EVANGILE SELON S. LUC
52. Malheur a vous, docteurs de
la loi, parce que vous avez pris la
clef de la science et n'y 6tes point
entres et avez empeche ceux qui
entraient.
53. Gommeilleurdisaitceschoses,
les Pharisiens et les docteurs de la
loi cominencerent a le presser for-
tement pour lui fermer la bouche
sur une foule de questions,
54. Lui tendant des pieges et
cherchant a tirer de sa bouche de
quoi I'accuser.
52. Vae vobis legisperitis, quia
tulistis clavem scientise ; ipsi non
introistis, et eos, qui introibant,
prohibuistis.
53. Gum autem hsec ad illos dice-
ret, coeperunt Pharisaei et legispe-
riti ^raviter insistere, et os ejus
opprimere de multis,
54. Insidiantes ei, et quaerentes
aliquid capere de ore ejus, ut accu-
sarent eum.
Genes, 4, 8; Par. 24, 23.
pie, comme nous lisons expressement dans
S. Matlhieu. Celte signification dii mot mai-
son est familiere aux Hebreux et aux Arabes.
— Ita, dico vobis, requirelur... Repetition
breve et solennelle de la menace qui vient
d'etre developpee. Oui, j'en donne ma parole,
celte generation sera chSliee! Plus d'un au-
diteur, lemoin peut-etre des effroyables mas-
sacres qui firent couler des Dots de sang juif
*ans toute la Palestine, dutse souvenir alors
de Jesus et de sa prophetie terrible.
52. — Vce vobis... Troisieme malediction h
I'adresse des Scribes. Voyez Matlh. xxiii, 1 3.
— Tulistis clavem scientice. « Elegans locutio,
dil justement Eisner, qua nolalur verae re-
ligionis docendae mlerpretaiid<B(|iie munus,
quo si recle del'ungaris, mens audilorum ut
clave aperilur ». Les Docteurs de la loi
avaient done entre les mams, en vertu ni^me
des fonclions qu'ils exerQaient, la clef de la
science religieuse, par coiise(|uenl du salut
et du ciel. Et voici qn'au lieu d'ouvrir, ils
tfnaient la porle fermee ! — Ipsi non introis'
Us : c'elait leur affaire; mais, crime impar-
donnable, eos, qui introibant (tou; elaepx^t^^"
vou;, « ingredieoles >^) proliibuistis. A [)h\s d'un
pretre le Souverain Juge adressera un jour
le meme reproclie. — Riun nn prouve qu'il
faille prendre en mauvaise part le verbe iipaTs
(« vobis vindicastis.. , docirinam divinae cogni-
tionio vobis usurpalis », S. Ambroise el divers
interpreles a sa suite), car le pouvoir des Scri-
bes eiait tres legitime. Cfr. Mallh. xxiii, 2 et 3.
II ferait plutot allusion, comme I'ont pense
quelques commentateurs, a une antique ce-
r^monie par laquelle les Juifs « clavem iis
tradere solebant, quos docendi officio [)ublice
volebant defungi ». Mais nous preferons ne
voir dansce verset qu'une simple metaphore.
4* Le r^sultat imm^diat du discours. fy. 53 et 54.
53 et 54. — Ge resultat fut un redouble-
ment de haine de la part des Pharisiens et des
Scribes. S. Luc decrit a merveille, en un ta-
bleau pleinde vie, les efforts qu'ils tenterent
sur-le-champ pour arracher a Jesus quelque
parole imprudente, qui leur permeltrait de
le citer devant les tribunaux juifs ou remains
el d'accelerer sa perle. — Cu7n hcec ad illos
diceret. D'apres une variante favorisee par
les manuscrils Sinait., B, G, L, etc., les ver-
sions copt. el syr., et probablemenl aulhen-
tique, il faudrait lire : xaxetOev e^eXSovto; aO-
ToO, « quum exiret inde ». La Recepia est
d'accord avec la Vulgate (Xe'^ovto; 6e auxou
xaOxa npo; au-rou?). — Phariscei et legisperiti.
La leQon propable du texle grec paiail ^tre :
o\ YpafijAa-ceii; xal ol qjapiffaiot. — Tous les motS
qui suivenL sonl d'une grande energie, sur-
tout dans le texle grec. Graviter insistere,
Siivwi; ivExeiv, designe une pres;-ion vive et
hostile. Os ejus opprimere... indique quelle
fut la nature particuliere de celte pression :
elle consisla en toute sorle de questions insi-
dieuses posees coup sur coiipaNotre-Seigneur,
de maniere a I'obliger a parler sans prepara-
tion eta repondrede travers, s'il etait possible.
Tel est du uioins le sens de la locution grecque
auoaTO(xaxi^eiv aOtov, qu'on tie trouve pas ail-
leurs dans le Nouveau Teslamenl (la Vulgate
a lu avec quelques manuserit-; : eiiiffxo[jii$£tv).
Compaicz Siiidas : anouToiAXTiCeiv cpaal xov St-
5d(Tza).ov oTav XiXsuet tov 7:7.?'"" ■ AJysiv oixTa auo
ato^jiaxo;. Insiilicintes e-l ni e 1 iniie traduc-
liou de evcopo'jovTE;; inai> i..,,,ji-e ne rend paa
tout(! la force de OrjosOoai, qui signifie lille-
ralement « venari ».
I
CHAPITRE XII
S35^
CHAPITRB XII
J^sus donne divers avertissements a ses disciples {tir. 1-12). — Etrange interruption qui
occasionne la parabola du riche insense {tif. 43-21). — Nouvelie serie d'avertissements
aux disciples (tt. 22-53). — Grave legon pour tout ie peuple [tt. 54-59).
1. Multis autem turbis circums-
tanlibus, ita ut se invicem concul-
carent, coepit dicere ad discipulos
suos : Altendite a fermento Phari-
saeorum, quod est hypocrisis.
Matth 16,6; Marc. 8,15,
1. Or une grande foule ^tant ras-
semblee autour de lui, de sorte
qu'ils marchaient les uns sur les
autres, il commenca k dire a ses
disciples : Gardez-vous du levain
des Pharisiens, qui est Thypocrisie.
0. Divers enseigrnements adress6s par J6-
sas aux disciples et au peuple xu, 1-59.
II est aise de dire, avec Rosenmiiller el
d'autres exegeies prolestants, a propos de ce
chapilre : a Multa diversi temporis dicta in
unum congessil Lucas, quorum coliaereniiam
texere nihil necesse est. Sunt enim velul apho-
rismi » (Scholia in Luc, ii. I.)- Qu'importe
que les elements donl il se compose apparais-
sent pour la phipart en d'autres parlies de I'his-
toireevangelique?Nousavons admis a la suite
des meilleurs interpietes que Notre-Seigneur
a dO repeter en differentes circonstances plu-
sieufs de ses principaux enseignemenls, et
I'elude approfondie des lextes sacres nous
confirme de plus en plus dans ceite opinion.
II nous repugnera toujours de croire que les
^vangelistes ont fait des compilations arbi-
traires des paroles de Jesus, que telle partie
de leur recit, donnee par eux comme un
discours suivi, n'esl en realite qu'une simple
chrestomalhie (le mot a ele prononce! ). Au
reste, pour ce qui est de ce passage, S. Luc de-
montre par deux notes hisioriques \tt.1, 13)
et deux formules de transition {ift. 22, 54)
qu'il ne I'a nullement arrange a sa guise,
mais qu'il a raconle les faits et les discours
d'apres leur realite objective. De phis, si un
certain nombre des pensees se retrouvent
ailleurs, elles sent diversement combinees,
eiles subissenl des variations pour le fond et
pour la forme : et cela sufBt pour prouver la
non-identite. — Les formules d'introduction
et de transition mentionnees plus haut di-
visenl ce chapilre en quatre pailies : tif. 1-12,
premiere serie d'avertissemenls aux disciples;
tt. 13-21, la parabole du riche insense;
■ft. 22-53, secondesdrie d'avertissemenls aux
disciples; tif' 54-59, une grave legon pour
le peuple.
1" Premi&re s^rie d'avertissements aux disciples.
XI, 1-12.
Chap. xii. — 1. — Le chapilre commence
dans le texte grec par la locution iv ol;, « in-
terea », qui etabiit une connexion etroite
enlre la scene qui precede et tout ce dis-
cours. Tandis que Jesus etait a table avec
les Pharisiens et les accablait de si justes re-
proches, un concours enorme de peuple s'e-
tait done fait non loin de la, et le Sauveur,
des qu'il sortit (xi, 53), fut entoure par cetle
foule avide de le voir et de I'entendre. La
polite description de S. Luc est vraiment dra-
matique; mais il faut se reporter au texte
primitif pour en saisir loute la force. Au lieu
de multis turbis, nous y lisons twv (lupiaSwv
ToO 6x>.ou, les myriades de la foule, et, au lieu
de circumstantibus, eittJuvay^eetaoSv, verbe dou-
blemenl compose, qui indique unn affluence
grossissant de minute en minute. La legon de
la Vulgate est pourtant favorisee par le
Cod D . TioXXwv Se ox^wv <juviiepiex''^vTwv xuxXtj).,
— Ila ut se invicem conciilcarent : detail
pittoresque, analogue a plusieurs traits de
S. MarC: i, 33 ; ii, 2 ; iii, 9 ; vi, 31. — Ccepit
dicere ad discipulos. Ces mots determinent la
portion speciale de son immense audi Loire a
laquelle Jesus adressa d'une iiianiere direcle
ses premiers avertissements : il avait surlout
en vue les disciples, langes auiour de lui
comme une garde d'honneur. Toulelois ses pa-
roles devaient egalement proQter a la foule ;
c'est pourquoi il les pronongait devant toule
I'assistance. Elles se ramenent a trois graves
logons : Fuyez I'hypocrisie pharisai'que, ne
craignez pas les persecutions huraaines, soyez
fermes dans la foi I La premiere est contenue
dans lesf !('. 1-3. — Le texte grec fait prec6der
attendite de I'ad verbe Tcpwtov, avanl loutes
cboses, et il le fait suivre du pronom iauTot^,
236
fiVANGILE SELON S. LUC
2. Gar rien de couvert qui ne
soit devoile, et rien de cache qui ne
soil su.
3. Gar ce que vous avez dit dans
les tenebres se dira dans la lumiere,
et ce que vous avez dit aToreiile
dans les chambres sera preche sur
les toils.
4.0rje vousdis, a vous mes amis:
Ne craignez pas ceux qui tuent le
corps et apres cela n'ont rien de
plus a faire.
5. Mais je vous montrerai qui
2. Nihil autem opertum est, quod
non reveletur : neque absconditum,
quod non sciatur.
Maiih. 10, 26; Marc. 4, 22.
3. Quoniam quae in tenehris dixis-
tis, in lumiiie dicentur : et quod
in aurem locuti estis in cubicuHs,
prsedicabitur in tectis.
4. Dico autem vobis amicis meis :
Ne terreamini ab his qui occidunt
corpus, et post haec non habent
amplius quia faciant.
0. Ostendam autem vobis quern
« vobismelipsis », deux expressions pleines
<l'emphase. — A fermento Pkavisworum :
voila conire quoi les di-ciples doivent ge
inellre en garde avec la plus grande vigi-
lance, et Jesus exprime aussitol ce qu'il
entend par le levain des Pharisien> : quod est
hypocrisis... Defiez-vous, veut-il dire, de ces
loups revelus de peaux dagneaux, el n'allez
pas imiter leur conduite. Voyez dans S. Mat-
ihieu, XVI, 6, el dans S. iMarc. viii, 15, la
meme idee reproduile anlerieurement par
Nolre-Seigneiir.
2. — Nihil autem opertum est... Un jour
viendra oil lout sera devoile; les actions les
les plus secretes, les desseins les mi^ux di?si-
mules seronl mis en pleine lumiere, el aiors
ii'S liypocriles seront demasques. Jesus se
serl a bon droit de ce raolif pour pre.-S'.^r plus
forl(M:i!'nt les siens d'eviier I'hypocrisie pha-
risaique.
3.— Quoniam (4v9' wv, « propterea )>)qucRin
tenehris... Le rideau sera done lire de riessus
loules choses. Mais la publiciie, terrible pour
les uns (les Phaiisiensj. auxquels elle appor-
tera la honle, sera glorious' pour los autrts
(les disciples), car elle proclamera la verite
de leur predication, la legitimile de leur con-
duit?. Les expressions proverbiales employees
par Noire-Seign ur designent d'une maniere
piltoresque (in aurem... in cubiculis, in tectis)
les commencemenls timides du minislere
aposlolique, comrae aussi le prodigieux eclat
donne ensuite a I'Evangile. A propos de la
locution louleorienlaiew praedicare in leclis »,
rappelons que les toils des niaisons en Pa-
lestine sont generalemenl plals. Du haul de
ces ti'rras^es. qui sont d'ailleurs peu elevees,
on se fail ires bien entendre des gensgroupes
dans les rues, sur l?s places, ou sur les toils
voisins, et une nouvelle ainsi publiee obtient
en un din d'oeil du retenlissemenl dans
toute une ville. — S. Mallhieu, x. 26 el 27
(voyez le commentaire), place egalement sur
les levres de Jesus, mais d'apres une liaison
toute differente et avec quelques modifica-
tions dans la forme, les aphorismes des tt. 2
et 3. Notez la lournure poetique de ces pro-
veibes ; le parallelisme des mots s'y dessine
clairement :
Niliil opertum est quod non reveletar,
neque abscou litum quod non sciatur.
Qux in lenebris dixistis in lamiae ilicentnr,
et qaoi in aurem loculi estis in cubiculis praedicabi*
[lur in tectis.
Or, c'est justement en cela que consists le
caractere principal de la poesie hebralque.
4 et 5. — Deuxiem^ legon, tt. 4-7 : Dieu
vous protege, ne craignez pas les hommesl
— Jesus vient de predire la publiciie qui sera
donnee plus lard a I'Evangilp. Mais cette pu-
bliciie meme devait allirer de lerribles per-
secutions sur les predicaleurs de la bonne
nfiuvelle : c'est pourquoi le divin Maitre les
rasjure. — Dico autem vobis amicis meis.
Qielle irndressedansceite appellation! Nulle
part ailleurs, dans les Evangiles synoptiques,
les disciples ne refoivenl de Jesus le doux
nom d'amis; mais nous retrouverons ce litre
dans le quatrierae Evangile, xv, 15. — iVe
terreamini... Le Sauveur affirme d'abord k
ses chers disciples qu'ils n'ont rien a craindre
des hommes, alors meme que ceux-ci les
condainneraient aux derniers supphces; car,
ajoute-l-il pour motiverson assertion, quand
les hommes onl donne la mort a ceux qu'ils
perseculenl {post hcec), ilsontepuise toute leur
puis-ance. — Ostendam autem vobis... Mais si
les hommes, fussent-ils des bourreaux, n'ont
rien de vraimpnt redoulable, il est quelqu'un
qui est lormidable jusqu'au-dela du trepas :
c'est Dieu, car il a le pouvoir d'envoyer a tout
jamais dans I'enfer ceux qui I'ont offense.
Aussi Jesus repete-t-il sur un ion grave et
solennel : Ila (vai, oui],(iico vobis, hunctimete.
Voyez d"ailleurs. sur ces deux versels, Mallh.
X, 28 et'le commentaire. — S.Luc n'empioia
CHAPITRE XII
237
timeatis : timeteeum qui, poslquam
Occident, habet potestalem mittere
in gehennam : ita dico vobis, hunc
timele.
6. Nonne quinque passeres ve-
neunt dipondio, et unus ex illis non
est in oblivione coram Deo?
7. Sed et capilli capitis vestri
omnes numerati sunt. Nolite ergo
timere; multis passeribus pluris
estis Yos.
8. Dico autem vobis : Omnis qui-
cumque confessus fuerit me coram
hominibus, et Filius hominis confi-
tebitur ilium coram angelis Dei :
9. Qui autem negaverit me coram
hominibus, negabitur coram ange-
lis Dei.
10. Et omnis qui dicit verbum
vous devez craindre : craignez celui
qui, apres avoir tue, a le pouvoir
de Jeter dans la gehenne. Oui, je
vous le dis, craignez celui-la.
6. Cinq passereauxne se vendeiil-
ils pas deux as? Et pas un d'eux
n'est oublie devant Dieu.
7. Meme les cheveux de votre
tSte sont tous comptes; ne craignez
done point, vous valez plus que
beaucoup de passereaux.
8. Or je vous le dis, quiconque
m'aura confesse devant les hommes,
le Fils de I'homme aussi le confes-
sera devant les anges de Dieu.
Matlh. 10, 32; Marc. 8, 38; //. Tim. 2, 12.
9. Mais celui qui m'aura renie
devant les hommes sera renie devant
les anges de Dieu.
10. Et quiconque parle centre le
qu'eii eel endroil le mot gehenna pour desi-
gner I'enfer.
6 el 7. — Apres avoir rassure ses disciples
en face des dangers avenir, en leur monlianl
rimpuissance de ieurs perseculeurs, Jesus les
rassure encore par une touchanle peinture
dea bonlrs paternelles de Dieu a leur egard.
Deux ex -mpl' s, choisis a dessein dans le do-
maine des plus poliles choses (« de rebus
vilioribus », S. Ambroise), sont apporles en
preuve. 1o Qu'y a-t-il de inoins precieux que
les vulgaires passereaux? Us tombt-nl si
nombreux dans les pieg-s de divers genres
que leur dressent les oisi^leurs orientaux,
qu'on peut, aujourd'hui corame an lemps de
Notre-Seigneur, en livrer cinq a I'achplcur
pour la modique sommede deux as [dipondio,
ioffaptuv Suo), c'esl-a-dire d'c^nviron 12 cen-
times (voyez A. Rich, Diclion. des anliquiles
rom. et grecq., au mot As). El pourtanl,
chacun d'eux esl I'objet d'une « providentia
speciaiissima ». Quelle gracieuse variiinle du
passage parallele de S. Mallhieu, x, 29 :
» Noime duo passeres asse vcneunt? » — In
oblivioiie coram Deo est un hebraisme. Celle
locution a d'ailleurs une excollenle base
psychologique, les personnes donl nous nous
souvenons eianl en quelque sorle presentes a
notre esprit et a noire coeur. — 2° Sed et
capilli... MSme nos cheveux, el ils onl encore
beaucoup moins de valeur qu'un humble
passereau. atlirenl rattention de la divine
Providence. Dieu en connail le nombre (on
dit qu'il est de 140000!) el pas un seul ne
lombera sans sa permission. Grand moiif de
conQance, dit Jesus en lirant la conclusion de
son raisonnemenl : Nolite ergo timere! Cora-
bien (ie passereaux, ajoule-l-il avec une char-
inanlu simplicile, ne I'audrail-il pas pour va-
loir un homme! Cfr. iMatlh. x, 30, 31 el le
commentaire.
8 el 9. — Troisieme legon, tt. 8-12 :
Gardez soigneusemcnl la foi, meme au milieu
des persecutions. La iransition esl assez bien
marquee par ces lignes d'un recent commen-
laleur : « La profession de TEvangile peut
cciiler cher aux disciples sans doule; mais,
s'ils y persevertnl, eUe leur assure une re-
com[)ense magnifique ». Quelle recompense
en effctque de s'enlendre proclamer chrelien
fidele par Jesus iui-meme. devanl loules les
l)halanges angeliques. c'esl-a-dire au jugement
general auquel les anges a-^sisteroiit! Toute-
fdis, a la recompense est opposes un chaliment
terrible, qui alleindra les laches apostals :
Qui negaverit me... negabitur. Une nuance
delicate, propre a la reviacilion deS. Luc, me-
rito d'etre notee. Plus haul, Notre-Seigneur
Jesus-Christ avail prouiis de reconnailre lui-
m^me [Fdius hominis confitebilar), en pre-
sence des anges, ceux qui Tauraii-nl coura-
geusement reconnu el confesse devanl les
hommes; mainlenant qu'il s'agit d'une con-
damnalion epouvaulable, ilevite de se metlre
personnellemenl en scene, et il dit d'une noa-
mere generale : « Negabitur ». — Voyez sur
ces deux versels Mallh. x, 32, 33 et le com-
mentaire.
10. — Autre grand peril qui menace la
foi des disciples : ils sont exposes non-seule-
ment k renier leur Maltre, mais encore a
blasphemer contre I'Esprii Saint, ce qui e.-t
238
fiVANGILE SELON S. LUC
Fils de rhomme, il lui sera remis;
mais celui qui aura blaspheme
contre I'Esprit Saint, il ne lui sera
point remis.
H. Lorsqu'on vous conduira dans
les synagogues, devant les magis-
trats et les puissances, ne vous in-
quietez pas de quelk maniere ou
de ce que vous repondrez, ou de ce
que vous direz ;
12. Gar I'Esprit Saint vous en-
seignera a I'heure meme ce qu'il
faut que vous disiez.
13. Mais quelqu*un dans la foule
lui dit : Maitre, dites a mon frere
de partager avec moi notre heritage.
in Filium hominis, remittetur illi :
ei autem, qui in Spiritum sanctum
blasphemaverit, non remittetur.
Maith. 10, 32; Marc. 8, 36; T'im. % 12.
11. Gum autem inducent vos in
synagogas, et ad magistratus, et
potestates, nolite solliciti esse qua-
liter aut quid respondeatis, aut quid
dicatis.
12. Spiritus enim sanctus docebit
vos in ipsa hora, quid oporteat vos
dicere.
13. Ait autem ei quidam de turba :
Magister, die fratri meo ut dividat
mecum hsereditatem.
une fauteenorme, h. tout jamais irremissible.
— Omnis qui dicit verbum... : un-i parole en
Eassant, comme serait de renier par fai-
lesse Jesus et son Eglise.Malgre la grievetd
de ce peche, on peut obLenir un prompt et
g^nereux pardon pourvu qu'on se repente;
mais le crime designe par les mols in Spiri-
tum Sanctum btaspliemare ne saurait 6tre
pardonne, parce qu'il consiste, nous I'avons
dit aiileurs (Evang. selon S. Malth. p. 247
et ss.), dans la haine de la verity reconnue
corame telle, et qu'il suppose I'endurcisse-
ment volontaire dans le mal. Jesus repute ici
h ses disciples la grave inslruction qu'il
avail autrefois adressee aux Pharisiens. Gfr.
Matth. xn, 31 et32; Marc, iii, 28-30.
Il et 42. — Jesus a promis aux siens,
pour soutenir leur foi. une splendide cou-
ronne dans la bicnheureuse eternite, t.S; il
leur proraet encore dans le meme but un se-
cours tout paiticulier de I'Espril Saint k
I'heure de leurs plus graves dangers. Cfr.
Matth. X, 17-20 et I'explication. lis seront
conduits comme des crimineis taniot devant
les tribunaux religieux des Juifs, in synago-
gas, tantot devant les tribunaux civiis des
palens, ad magishatus el potestates (iitl xa;
ipxa? xal xa^ l^ouorta;, expressions a peu pres
synonymes, qu'on Irouve plusieurs fois asso-
ci^es dans le Nouveau Testament : Luc.
XX, 20; I Cor. xv, 24; Eph. iii, iO; Col.
I, 16; II, 15; Tit. in, 1); mais qu'ils deraeu-
rent calmes quand mdmel Or, c'est un fait
d'exp^rience que ce qui trouble surtout un
accuse, durant la penible attente de son
proc6s, ce sont d'une part les rdponses k
laire jux interrogatoires des juges : qualiter
(la maniere de les presenter) aut quid (la
substance raSme) respondeatis; d'autre part
Jes arguments de la plaidoirie, quid dicatis.
Mais, pr^cis^ment sur ces deux points, les
disciples du Christ peuvent garder la paix de
rSme, car, in ipsa hora, I'Esprit de Dieu leur
inspirera des improvisations vigoureuses, qui
rdduiront leurs adversaires au silence. Les
magnifiques discours des Pierre, des Etienne,
des Paul, Act, iv, 8 et ss.; vii, 2 et ss. ;
xxiii, 1 et ss.; xxiv, 10-21; xxvi, 2-29, prou-
vent que Jesus n'avait pas fait a ses amis une
vaine promesse.
2' Etrange interruption et parabole du riche in-
sens6, xn, 13-21.
13. — Ait autem quidam. Etrange inter-
ruption en effet. Jesus parle d'interets tout
spirituels, tout celestes, et voila que, proQ-
tant sans doute d'une courte pause, un in-
connu, preoccupe uniquement de ses interdts
materiels, le conjure de la faQon la plus inop-
portune de I'aider a recouvrer une partie de
son patrimoine, qu'un frere aine semble
avoir retenue injuslement. Mais comme cetle
inopportunile m^me montre bien I'exactitude
de S. Luc a suivre I'ordre historique des ^ve-
nements! — On ne saurait dire en termes
precis quel etait ie point en lilige : la gene-
ralite des mots ut dividat mecum hceveditatem
ne le permet pas. D'apres la loi mosalque,
Deut. XXI, 17, I'aine recevait une double
part des biens du p6re; mais la fortune de la
mere etait divis^e en portions egales entre
tous les enfanls. Gfr. Selden, De success, in
bona, V, 6 ; Saalschlilz, Mosaisches Recht,
t. II, p. 821. Du moins, I'impression pro-
duite par le debut du recit est que le suppliant
avait ete redhMuenl lese dans ses droits. Ce
n'eiait, helas! ni la premiere ni la derniere
fois que la division existait entre des freres
k propos d'heritagel Ou a parfois soutenu,
mais sans le moindre fondement, que I'au-
teur de I'interruption ^tait un disciple de
Notre-Seigneur. Sa requfite prouve au con-
CHAPITRE X
f^
14. At ille dixit illi : Homo, quis
me constituit judicem aut diviso-
rem super vos?
15. Dixitque ad illos : Videte,
et cavete ab omni avaritia : quia
non in abimdantia cujusquam vita
ejus est ex his quae possidet.
16. Dixit autem similitudinem ad
illos, dicens : Hominis cujusdam
divitis uberes fructus asjer attulit.
14. Etil lui dit : Homme, qui ra*a
etabli sur vous juge ou faiseur de
partages?
Ib.ll leur dit aussi : Ayez soin de
vous garder de toute avarice, car
lavie'^de chacun ne depend point
de I'abondance des choses qu'il pos-
sede.
16. Et il leur dit cette parabole :
Le champ d'un liomme riche rap-
porta beaucoup de fruits;
traire qii'il neconnaissait pas du lout I'espril
du divin Maitre. Seulement, il avait compris
que Jesu> etait iin homme d'une profonde
sages-;e , il avail enlrevu qn'il jouissait d'une
grande autorite : c'esl pourquoi il avail im-
plore son arbitrage, dans I'espoir de recou-
vrer grcice a lui sa propriele.
M. — Dixit illi : Homo... La r^ponse du
Sauveur est un refus formel, et un refus em-
preinl d'une certaine severite (sur eel empioi
de « homo », voyez Rom. n, 1, 3). Evidem-
ment, elle fait allusion aux dures paroles qui
furenl un jour adressees a Moi'se par un de
ses concitoyens mecontenl de son interven-
tion, Ex. II, 14: « Quis te con>lituit princi-
ppm et judicem super nos? » Le royaume de
Jesus n'est pas de ce monde : Nolre-Si^igneur
ne veut done se meler ni d'affaires d'lieri-
tage, ni d'affaires politiqups (Cfr. Matlh.
xxii, 17 et parall.), tout cela elanl elranger
a sa mission, et n'ayanl aucun rapport direct
avec i'etablissement de la vraie religion.
« Bene terrena declinat, qui propter divina
descenderat..., unde non immerilo rtfutatur
hie frater, qui dispensatorem coelestium ges-
tiebat corruptibiiibus occupare. » S. Am-
broise, h. I. Plus lard, il est vrai, S. Paul
reeommaudera aux Chretiens de juger entre
eux leurs alfaires contentieuses, I Cor. vi, 1-6;
mais le cas n'etait plus le meme. S. Augus-
tin, eonstamment derange dans ses occupa-
tions inlellecluelles et mysliques par la
foule des plaideurs qui vrnaienl le prier
d'etre leur arbilre, regrettait, nous dil-il,
(Enarrat. in Ps. cxviii, 115), de ne pouvoir
repondre h la suite de Jesus : « Quis me con-
stituit...? » — Judicem aut rftotsorem,5ixaoT7jv
(les manuscrils Sinait , B, D, L, etc., onl
itpiTf|v) ij {ispKTTrjv. Deux expressions tech-
niques, donl la premiere de^igne le juge
charge de Irancher la question de droit, la
seconde I'oxpert qui divise I'heritage confor-
mement k la sentence des tribunaux.
15. — Dixitque ad illos. C'csl-a-dire i tous
ceux qui IVnlouraient alors. Cfr t.^. « Oc-
casione hujus stulti petitoris, adversus ava-
riliae pestem, et turbas et discipulos prae-
ceplis pariler et exemplis munire satagit. »
V. Bede, h. I. — Videte et cavete (repeiilion
pleine d'emphase) ab omni avantia. L'adjec-
iif « omni » manque dans la Recepta ; mais
son authenticile est garantie [lar de nom-
breux manuscrils (A, B, D. K, L, M, Q, R,
U, X, etc.) el par plusieurs versions (-yr.,
llala). Le motif ailegue par Jesus, quia non
in abiindantia..., estun peu obscur dans I'ex-
pression; mais, comme le dil fori bii-n Mal-
donat, « ditficiliora sunt verba quam sensus.
Si'HSum enim hunc esse manifeslum est, et
omnes consenliunl auctores, vitam hominis
in opum abundantia minimeconsistere.sNon,
la vie d'un homme ne consiste pas dans I'a-
bondance des biens qu'il posseiJe! L'opulence
ne fait pas vivre une minute de plus; elle
n'est pas une condition essentielle de I'exis-
tence humaine, ni du bonhenr humain.
16. — Dixit autem simililudinem... (dicens,
lUvh, hebrai'sme). Jesus commente par une
belle parabole, par un fra|ipanl exemple,
I'importante verite qu'il vioni d'enoncer en
termes generaux. — Hominis cujusdam divi-
tis. C'est le heros du petit drame expose par
le divin Mailre ; trisle heros pourtant, car
nous ne decouvrirons en lui rien de spiriluel
ni d'eleve : il est mondain jusqu'a la moelle
des OS. Quoiqu'il possede deja beaucoup, son
ideal est de posseder encore davantage. Mais
voici que ses desirs vont etre ploinement sa-
tisfails : uberes fructus ager atlulit. Son
champ! ce n'est point assez dire, carle texte
grec n'emploie pas ici le substanlif x^ptov,
qui est I'equivalent ordinaire de « ager »,
mais xwpaidontia signification litteraloserait
« la region, la conlree », ce qui designe de
vastps domaines. Le verbe zvf6pr\(stv, traduit
dans la Vulgate par « uberes fructus attulit »,
ne se trouve qu'en ce passage de la Bible. —
Les exegetes anciens et modernes font ob
server a bon droit que rhoinme riche present©
par Notre-Seignpur comme un modele a evi-
ter avait une fortune tr6s legitimemenl 8C-
quisp. « Non limite perlurbato, non spoliaio
paupere, non eircumvenlo simplice ».. S. Au-
gust., Serra. clxxviii. 2. « Modus hie dites-
240
fiVANGILE SELON S. LUG
17. Et il pensait en lui-meme,
disant : Que ferai-je? car je n'ai
pas ou rassembler mes fruits.
18. Et il dit : Je ferai ceci : je
detruirai mes greniers et j'en ferai
de plus grands', et j'y rassemblerai
ious mes produits et tous mes biens.
19. Et je dirai a mon ame : Mon
Ime. tuas beaucoup de biens amas-
ses pour plusieurs annees ; repose-
toi, mange, bois, fais bonne chere.
17. Et cogitabat intra se dicens :
Quid faciam, quia non habeo quo
congregem fructus meos?
18. Et dixit : Hoc faciam : des-
truam liorrea mea, et majora faciam ;
et illuc congregabo omnia quae nala
sunt mihi, et bona mea;
19. Et dicam animse meae : Anima,
babes multa bona posita in annos
piuiimos: requiesce, comede, bibe>
epulare.
Eccli. 11, 19.
cendi innocenlis-iiiius, » dit aussi Bengel; mais
ii ajoulo bien jii?lemenl : « el tamon periculo-
sus ». Cfr. Maldonal, h. I. En pffet, il y a
longtemps quo ie sage I'a prophetise. Prov.
I, 32 : « La prosperite des in>en'^es les de-
iruira. » Corap. Eccl. v, 10. Les Grecs et les
Latins avaient d'ailieurs des m;iximes ana-
logues, fruils d'line experience souventveri-
fiee. To 9dpiiay.6v aou triv voffov [lei'Cu} iroiti,
disail Pliilarqiie a un avare. « Avarum irri-
tal pecunia,non saliat » (axiome romain).
47. — Ce vcrset et les deux suivants
contiennent un monologue d'une paifaite
exactitude psychologique, et admirablemenl
decrit. — Quid farmm? se demande a%'ec
anxiete le riche proprietaire, mis snbiteraent
dans I'embarras. EL(|uel ( mbarrasl Non habeo
quo congregem... « Tuibavit hoiniiieui copia
plus quam iiiopia », S. Augustin. « 0 angus-
lia ex satielate natal De uberiale agii an-
gustalur animus avari. Dicens namque : Quid
faciam? profecto indicat quia votorum suo-
rum affectibus pressus, sub quodam rerum
i'asce laborabat », S. Greg. Moral, xv, 22.
C'est le cas de citer le vers de Virgile,
Georg. I, 49 :
Illias (segetis; immenss rnperaot horrca messes;
OU celui de TibuUe, ii, 5, 84 :
liistpndet spicis horrea plena Ceres.
Le vieux proverbe a raison : « Crescentem
sequitur cura pecuniam. » Si la plupartdes
hommes se tourmentent parce qu'ils n'ont
pas tout ce doiil ils ont besoin ou tout ce
qu'ils desirenl, il en est d'autres qui s'in-
quietent parfois a propos de leur superflu,
dont ils ne savent que faire. Comme s'll n'y
avait pas des pauvres pour les cielivrer de ce
soucil (( Habes apolhecas, inopum sinus, vi-
duarum domus, ora infaniium. » S. Am-
broise, deNabulhe, 7. Cfr. S. August. Serm.
XXXVI, 9; S. Ba^ile, op. Cat. S. Thom. ;
Eccli. XXIX, 12. Mais c'est Tegorsme qui
donne ici le ton. Le riche de notre parabole
ne ppnse qu'a lui-meme, comme le monire le
pronom ixou repele cinq fois avec empbase :
Tou? xaoTToO; uou, \).ov Ta; auo9-oxac, xi Yevv>5iiaT«
[J.OU, 10. aya9i (lou, tt| <^'J'/(rj [xoy.
48 et 19. — Hoc. faciam. Apres avoir
cherche pendant quelque leuips d'uno ma-
niere anxieuse, il arrive enfin a une solution
qu'il a tout lieu de croire excellente. Ses
greniers sonl trop eiroils, qu'imporieV II les
detruira, et il en construira de plus vastes,
capables de contenir ses splendides recoltes,
ses xapTioO?, ses ye^^rt[t.a-:a, ses dyaOa, comme
il les appelle a trois repiises. Et alors, con-
clut-il, diciim aiiimce mece... C:'tte maniere
de parler, qui correspond a I'hebreu i;i'2wS,
est beaucoup plus energique que le simple
ejiof, « mihi. » Et que dira-l-il a cette
pauvre ame. qu'il n'envisage pas ici comme
la partie superieure de son etre, mais comme
le siege des piaisirs et le cenlre des jouis-
sances?Il lui tiendra un langage d'Epicurien :
Habes multa (einphatiquo] bona positu (xetiAe-'O,
mis en reserve) in annos plurnnos (nouvelle
emphase). II se delecte dans cette pensee;
mais quelle erreur est la siennel Un palen
va lui t'aire la leQon :
.... Tanqaani
Sit propriam quidquam, punclo qnod mobilis horaj.
Nunc prece. nunc prelio, nunc vi, nunc niorte suprcma,
Permuiet dominos, et cedat in altera jura.
Horat. Ep. ii, 2, 171.
II a beau accumuler dans ses greniers
toutes sortes de richesses, il ne saurait,
comme dit le salirique grec (cite par Trench,
Notes on the Parables," 1870, p. 338), Ccurjc
ffupeOoat (le'-rpa Tiepiffffcxepa. On dirait qu'il
veut copiiT les sentiments et les paroles de
cet autre tiche que le livre de I'Ecclesiasti-
que, XI, 1 8 et 1 9, signale pour le condamner •
« Est qui locupletalur,... et haec est pars
mercedis ejus in eo quod dicit : Inveni re-
quiem mihu et nunc manducabo de bonis
meis solus » ; mais il en copiera aussi le sort,
car « nescii quod tempus praeieriet, el mors
appropinquet, etrelinquat omnia aliis et mo-
rietur », — Requiesce (dvanauou, mot ires
fort), comede, bibe, epulare (le grec eO^paivow
signifie pluiol « delectare »). Quelle emo-
CHAPITRE XII
241
20. Dixit autem illi Deus : Stulte,
hac nocte animara tuam repetunt
•a te : quae autem parasti. cujus
<erunt?
21. Sic est qui sibi thesaurizat,
et non est in Deum dives.
22. Dixitque ad discipulos suos :
Ideo dico vobis : Nolite solliciti esse
animae vestrae quid manducelis, ne-
que corpori quid induamini.
Psal. 54, 23; MaClh. 6, 25; /. Pet. 5. 7.
23. Anima plus est quam esca,
20. Mais Dieu lui dit : InseDse,
cette nuit meme on te redemandera
ton dme, et ce que lu as amas^e a
qui sera-t il?
21. Tel est celui qui thesanrise
pour soi et n'est pas riche devant
Dieu.
22. Et il dit a ses disciples : G'est
pourquoi je vous dis : Ne vous in-
quielez pas pour votre vie de ce que
vous mangerez, ni pour votre corps
de quoi vous le velirez.
23. La vie est plus que la nour-
lioa, quelle rapidile, dans celte derniere ligne
>d\i soliloquel Le malheureux semble jouii-
;deja par avance. Mais il ne jouira pas long-
lemps, bitv' que o longa securitalis spalia
cogilavil B (Terlullien). S. Basile lui adresse
■juslement ces terribles reproches, qii'on ose-
lait. a peine Iraduire : 'Q xijc aXoYia; ! et Sexot-
.petov eTxe; <j'"X^i^> '^' ^"^ ^^^^ ^ toOto aO-c^ euiflT"
Ye),((T««); ovJto) xTYivwSri; el, outw; duyvsTo; xwv xfn
.«|;vx^i? dyaOdiv, toT; Trj; capxo; aOnov Ppufiadi
S£$ioO[j.evo;* xai Oda 6 d9£6pa)v uTCoSe'xefai, TaiJT*
•ZTQ ^yx^ TtapaTre'iAitei;;
20. — Dixit illi Deus. Fin terrible d'un
beaa rdve. Peu imporle du resle le raoyen
auquel Dieu aura recouru pour se faire en-
tendre : nous n'avons pa' a nous inquieter
de ce detail (voyez dans Maldonat le resume
des anciennes opinions), car I'essentiel con-
sisle dans les paroles memes. — Stulte, i^ptov.
Celui sur qui retombe cette epilhele avait
pourlant paru si sa.i;p! il avail combine des
plans si ingenieux! Mais en realite il n'elait
qu'un insense. « Quam stultum est, ecnvail
Seneque. Ep. ci, aeialem disponere! Ne cras-
.tino quidem dominamur. 0 quania dementia
j??,l spes longas inchoantiuin. Emam, aedifi-
■cabo, credam, exigam, honores geram : tum
demum lassam el plenam seneclutem in olium
roferam ». Cfr. Jac. iv, 13 et 14. Done,
« slulie ». C'est, comm i le dit juslement Vi-
tringa. Erkl. der Parab.. p. 781, le Nabal du
Nouveau Testament. Cfr. 1 Reg. xxv, 25
f>l ss. — Hac nocte : celle nuit meme, c'est-
a-dire dan> quelqnes instants, dans qurlques
lieures toiil an plu-, car on le .suppose etendu
sur sa couclie pendant la nuit, ei demeurant
-evcille par suite de ses preoccupations et de
ses projets. — Animam tuam repelunt a te.
'AirotpoiJoiv : I'emploi du temps present indi-
que aussi un Ir^s court delai. Quanl au plu-
riel, on l*a divers m-'nt int'rpreto. On lui a
fait designer tour h tour des assassins (Pau-
lus, Born mann), les ariges de la morl (von
'Gerlach, etc. Cfr. Job. xxxiii, 22!, Dieu lui-
.'la^nje (ce serait alors un pluricl de majesle;.
D'aulres le regardent coiiime i;ii synunsm'
de « repelitur ». Laissons-lui, a la'suih" de
Jesus, son « effrayanle obscurite » (Tiencti.).
Cfr. t. 48; xiv, 35. — {Juce... pmosli, injux
erunt? Tiranl le voile sur le sort qui attend
dans I'autre \ie une ame aussi mondaiiie, la
parabole revient, el c'esi son dernier tiail,
sur les richesses accumnlees par celui doni
elle raconte la trisie histoire. A qui anpar-
tiendronl lanl de tresors? Les ennuis causes
par cetle incerlilude sont Irequemmeul si-
gnalesdans les saints Livres. Ps. xxxviii, 7 :
Thesaurizat, el ignoral cui congregabil ea »;
Eccl. II, 18 el ss. : « Ruisus detesiatus sum
omnem inauslriam meam qua siudiosissirae
sub sole laboravi., habiturus haeredera post
me, quum ignore, utrura sapiens an siul-
lus sit... El est quidquam tarn vaniira? »
Cfr. Ps. XLviii, 16-20; Jer. xvn, 11; Job.
xxvii, 16 el 17.
21 . — Sir; est... Conclusion et morale de la
parabole. Jesus met en regard deux sortes de
tresors, les Iresors materiols. perissables, et
les Iresors spinliieis, elerneis. Il nomme inge-
nieusement les premiers sibi thesaurizare, les
seconds esse in Deum dives, devenir riche par
rapport a Dieu. Malheur a quiconque ne (he-
saurise que pour lui-meme, dans de? vues
egolslesi II perira, et ses richesses periront
avec lui. « PecunitE tuae captivus el servus es ;
servas pecuniam, qu.ne lesMvata non s^rvat;
palrimonium cumulas, quod te pondere suft
gravius oneral : nee meministi quid Deui
respondeat diviti exuberantium frucluumco-
piam slulla exultatione jaclanti. Quid divi-
tiis tuis solus incubas. qui in [loenam tuan.
patrimonii tui pondiis oxaggeras, ut, quo lo
cuplelior sae-:ulo fueri-;. pniperior Deo fias? )•
S. Cypr., de Op. et Eleeinos.
3o Seconde s^rie d'avertissements aux diaciplet.
XI, 22-53.
22 et 23. — Dixitque ad discipulos suoi
Apres avoir repondu a rinterpellaiion singu
Here (t. 13) qui I'avait interrompu au milieu
S. Bible. S. Ldc. — 16
142
fiVANGILE SELON S. LUC
riture et le corps plus que le vete-
ment.
24. Gonsiderez les corbeaux : ils
ne sement ni ne moissonnent; ils
n'out ni cellier ni grenier, et Dieu
les nourrit. Gombien yous valez plus
qu'eux !
2b. Qui de vous en reflechissant
peut ajouter a sa taille une coudee?
26. Si done vous ne pouvez meme
ce qu'il y a de moindre, pourquoi
vous inquietez-vous du reste?
27. Gonsiderez les lis, comme ils
croissent : ils ne travaillent ni ne
filent; pourtant je vous le dis, Sa-
lomon meme dans toute sa gloire
u'etait pas vetu comme Fun d'eux.
28. Or si I'herbe qui aujourd'hui
et corpus plus quam vestimentunir
24. Considerate corvos, quia nons
seminant, neque metunt, quibus-
non est cellarium, neque horreum,
et Deus pascit illos. Quanto magis
vos pluris estis illis?
25. Quis autem vestrum cogitando
potest adjicere ad staturam suam
cubitum unum?
26. Si ergo neque quod minimuni
est potestis, quid de ceteris solliciti
estis?
27. Considerate lilia quomodo
crescunt : non laborant, neque nent;
dico autem vobis, nee Salomon in
omni gloria sua vestiebatur sicut
unum ex istis.
28. Si autem foenum, quod hodie
desaverlissements qu'il donnait aux disciples,
Jesus s'adresse de nouveau d'une maniere
plus speciale a ces derniers. Mais, au lieu de
reprendre la suite de ses premieres legons,
il continue de parler pendant quelque temps
{ft- 22-34) du sujet sur lequel on I'avait
amsDe, et il profite de cette occasion pour
redire quelques-unes de ses plus belles maxi-
mes du Sfimon sur la monlagne. Cfr. Matlh.
VI. 25-34 et le commentaire. « Docuit supra
cavendum esse ab avaritia;... deinde, proce-
dente seruione, neque de necessariis sinit nos
soUicitudinem gerere, avariliae radicem evel-
lens. » Celte reflexion de Theophylacle indi-
que fort bion I'enchainement et la gradation
des pensees. ^- Ideo dico vobis... « Ideo «,
puisque tel est le sort miserable de ceux qui
s'attachent aux biens temporels. — Nolite
solliciti esse, \>.9i [xeptiivaTe. L'anxiele trop vive
a regard des choses necessaires k la vie
(Notre-Seigneur mentionne les deux princi-
pales, la nourriture et les vStemenls) ressem-
blerail a I'avarice, et ne nous delournerait
pas moins de notre fin que I'amour exagere
des richesses. — Les paroles du t. 23 con-
tiennent la demonstration logique de I'aver-
tissement qui precede. « Praeeminel autem
>anima (c'esl-a-dire la vie) cibo, et corpus
vestiiui... Quasi dicat : Deus qui quod raajus
estexhibuit, quomodo non dabit quod minus
est? » S. Cyrille, Cat. Patr. greec.
24. — Jesus continue de fortifier son grave
avertissemenl par des preuves. Passant a
des fails d'experience, et argumenlant en-
core a a minoii ad majus », il allegue les
raisons les plus louchantes, et en mSme
temps les plus convaincantes, pour nous en-
gager k nous confier pleinement en la Provi-
dence de Dieu. — Considerate corvos. Dans^
S. Matthieu, vi, 26, c'etaient les a volalilia
coeli 1) en general qui etaient apporles eo^
exemple ; Jesus mentionne ici les corbeaux
d'une maniere speciale et pittoresque, parce
que ces oiseaux, d'apres la croyance des an-
ciens ;Cfr. Job. xxxviii, 41 ; Ps. cxlvii, 9;
Aristote, Hist, anim., ii, 7; Hist. nat. vii, 5),
auraient au debut de leur existence des diffi-
cultes particulieres pour se nourrir. a En
effet, dit naivement Theophylacle suivant
cette vieille tradition, les corbeaux, apr^s
avoir engendre leurs petits, no les nourris-
sent pas, mais les abandonnent. Le vent leur
porte a travers les airs une merveilleuse p4-
ture ; ils la regoivent dans leur bee entr'ou-
vert et sent ainsi nourris. »
25 et 26. — Autre raisonnement : lequel
d'entre les hommes, fiit-il un genie, serait ca-
pable, apres de longues, d'habiles et de peni-
bles combinaisons {fo^j^ando; mieux : « anxie
cogitando », (lepiixvcBv), d'agrandir sa vie d'une
coudee. c'est-a-dire de quelques jours, ou de
quelques scmaines? Sur ce sens de i^Xixia,
voyez I'Evang. selon S. Matthieu, p. 138
et 139. Au lieu de ad staluram suam, d'an-
ciens manuscrits latins portent k bon droit
« ad aetatem suam o, ou a ad slatum aelatis
suae ». — Si ergo neque... C'esl la conclusion
de I'arguraent, Si nous ne pouvons de nous-
memes realiser quod minimum est, et Jesus
designe par la I'humble ailongement de notre
vie signale plus haut, combien plus serions-
nous impuissants h pourvoir k lous nos be-
soins materiels, compris dans les mots de cce~
leris I Noire incapacite nous invite done k>
nous reposer sur Dieu.
27 et 28. — L'exemple des lis aprds celur
CHAPITRE XU
24»
est in agro, et eras in clibanum
mittitur, Deus sic vestit, quanto
magis vos pusillsefidei?
29. Et vos nolite quserere quid
manducetis, aut quid bibatis, et
nolite in sublime tolli :
30. Hsec enim omnia gentes mundi
quserunt. Pater autem vester scit
quoniam his indigetis.
31. Verumtamen quserite primum
regnum Dei et justitiam ejus : et
haec omnia adjicientur vobis.
32. Nolite timere pusillus grex,
quia complacuit patri vestro dare
vobis regnum.
est dans les champs et demain sera
jetee au four, Dieu la revet ainsi,
combien plus vous, hommes de peu
defoi?
29. Ne demandez done pas ce que
voiis mangerez ou ce que vous boi-
rez, et ne vous jetez pas en de pro-
fonds soucis.
30. Car les nations du monde re-
cherchent toutes ces choses, mais
votre Pere sait que vous en avez
besoin.
31. Gherchez done premierement
le royaume de Dieu et sa justice, et
toutes ces choses vous seront don-
nees par surcroit.
32. Ne craignez point, petit trou-
peau, parce qu'il a plu a votre Pere
de vous donner le royaume.
des corbeaux. Jesus decril d'abord [t. 27),
en se servant d'une comparaison bien forte
pour quiconque est familiarise avec I'histoire
juive, la beaute de ces gracieuses fleurs. Un
lis, dit-il, est mieux vetu que le roi Salomon !
Et pourtant I'art isiaelile avail su realiser
des merveilles sous ce prince en fail do splen-
dides ornemenls. Le Sauveur indique ensuite
au moyen d'un frappant conlrasle le neant
de ces vegelaux ephemeres : hodie... in agro,
dans loute leur splendeur ; eras in clibanum^
pour faire cuire des aliments vulgaires (voyez
I'Evang. selon S. Matlh., p. 440, el L. AbboU,
The Gospel according lo Luke, p. 79). Aussi
la jolin fleur ne porle-l-eile plus maintenanl
que le nom de f'cenum. Done, quanto magis
vast Un homme cree a I'image de Dieu n'a-l-
il pas inGniment plus de valeur qu'un lis?
29 et 30. — Notiveaux motifs de confiance
absolue en la Providence divine : se preoc-
cuper du v^tement et de la nourriture, ce
serait imiter les paiens, ceserait oublier que
Dieu est noire Pere. — Et vos, avec emphase;
ne vous inquietez pas plus que les oiseajx du
ciel, pas plus que hs lis des champs. — Aux
mois nolite in sublime tolli correspond, dans
le texte grec, la locution plus concise \Li\
jiexewpiileoOe, que les oxegeles traduisent de
deux manieres differenles, selon la double si-
gnification attribuee par les classiques au
verbe (leTewpt^eiv. Parfois en effet ce mot de-
signe I'elal d'un vaissiau qui, so trouvanten
pleine mer, est batlu, agite par les vagues,
puis, au figure, les angoisses d'une ame sus-
pendue entre differenles crainles, ou bien
entre la crainte et I'esperanco. Mais, le plus
souvent, d'apr^g sa racine itexEcapo;, dont le
vrai seus est « alius, sublimis », il signifie
« animo efferri, in sublime tolli » (Theophy-
lacte, 0<|>r)Xo9povetv) ; ici, par consequent :
avoir des desirs pretentieux, des viseessuper-
bes, des esperances exaltees, au point de vue
des vivres et de rhabillemenl. La traduction
de la Vulgate est done suffisamment garaniie.
Voyez Bretschneider, Lex. man., s. v., et
les savantes notes de Kuinoel et de Schegg,
h. 1. — Par gentes mundi (comparez I'expres-
sion idenlique des Rabbins, dSiVH mDIK) il
faul entendre, par opposition aux Juifs, les
nations paiennes, dont la vie et les aspirations
onl loujours ete dirigees vers les jouissances
malerielles et mondaines. — Pater autem
vester... Dans le grec, le pronom ujxwv est
place en Idle de la phrase d'une maniere em-
phatique. Dieu est noire Pere, et un tel pere
ne subviendra-l-il pas certainement aux be-
soins de ses enfants ?
31. — Verumtamen qucerite... Apr6s avoir
dit plus haul a ses disciples, t. 29, qu'ils ne
devaient pas se livrer k des inquietudes exa-
gerees par suite de leurs necessiles tempo-
relies, Jesus designe maintenanl a leur acti-
vile un vasie domaine sur lequel elle pourra
s'exercer en premiere ligne et sans reserve,
regnum Dei et justitiam ejus (les meilleurs
manuscrils ont simplement t:^v PaaiXet'av autou,
a regnum ejus »). A quiconque fera du celesie
royaume I'objet principal de ses recherche?,
il promet une ample satisfaction des legitimes
besoins de la vie.
32. — La pensee de Jesus s'eleve par degres.
II a condamne sev6rement I'avarice, tt- 4 5-21 ;
il a m6me condamne, comme une tendance
paienne, la sollicilude exagerde a i'^gard de?
kKl
EVANGILE SELON S. LUC
33. Vendez ce que vons possedez
el donnez-le en aumone. FaiLes-vous
des bourses qui ue s'usent point, un
tresor qui ne manque poinl, dans
les cieux, oii le voleur n'approche
pas et ou la teigne ne ronge pas ;
34. Car oii est votre tresor, 1^
aussi sera votre coeur.
35. Que vos reins soient ceints
etles lampes allumees en vos mains,
33. Vendite quae possidetis, et
date eleemosynam. Facite vobis
saccules qui non veterascunt, the-
saurum non decfiientem in coelis :
quo fur non appropiat, neque tinea
corrumpit.
Matlh. 19, 21: Id. 6, 20.
34. Ubi enim thesaurus vester
est, ibi et cor vestrum erit.
35. Sint lumbi vestri praecincti,
et lucernae ardentes in manibus ves-
tris.
necessiles rie la vie, tt. 22-31 : [nonianl lmi-
core plus haul, voici qu'il recoinmandc a ses
disciples lodetachemenl parfait. tt. 32-34. —
Pusillus grex (Cfr. Jor. L, 4o ; Zach. xiii. 1\.
I^ombienhtiinble, riiais bit>n louchant.sorti di-
I eclemenl (lu coeur dc Jesus. Lf^s brebi> fidelcs
de ce bon Pasleur ne formaieiil en effet, pour
le nombre, pour la condilion, pour les qua-
liles exterieuros, qu'un lout pelil lroup;'au,
sur lequel le monde jeiail <les regards de
inepris. Mais Dieu les coniemplaiL avec les
yeux d'un pere, el il leur deslinail dans sa
bonle, el meme il moUait ses complaisances
a leur desliner {complacuit), une recompense
grandiose [regiium,-^r,-^ PaffO.stav, li; royaume
par excellence, le rcyaume descieux). Voyez
le Psaume xxii, qui esl un commenlaire par-
fail de ce passage. — « Ergo ul possidealis
regnum ccelorum, opes lerrenas conlemnile »,
S. Cyrille, Cat. graec. Pair. Jesus va lirer la
meuie conclusion.
33. _ Vendite qucB possidetis... Cfr.Mallh.
XIX, 21 , Act. IV, 34-37. Cesl la sans doule
un conseil de perfection; inais oil se serait
li ouvee la perfi-clion chretii^nne, si les Apotres
et les premiers mis-ionnaires de Jesus ne
I'avaient point pratiquoe? II est des cas en
. ffet oil 'es conseils deviennenl des preceples.
— Facite vobis... Par ce nouvel emprunt au
Discours sur la monlagneJCfr.Matlli.vi, 19-21
(■l lecnmnQentaire;, Je-us developpe et appuie
sa recommandatioii : Eu donnant aux pauvres
ie produit di> vos bieiis. vous placerez au ciel
un cajiilal dont rmleret vous sera richemenl
el infaillibl 'ment servi pendant toute I'eler-
nite. — Saccidos qui non veterascunt. c'est-a-
dire, des bourses ^pa>,dvTia) .Les bourses des an-
liensconsislai^nt sou vent en de potits sacs de
cuirque Ton su-p iidailau cou p;iriin^courroie
Ivoyez A. Rich. Diet, des antiquites rom. el
LTecq., au mot Crumena) : quand elles eiaient
vieilles el usees, elles perdaienl facilemenl
I'argenl. — Thesaurum {de nouveau le conle-
nanl pour le conlenu) non deficienlem (ivex-
«titTov, mot rare et expressif. Ici-bas, un
iresor dimlnue vito quand on y puise fre-
(lucumient ; les tresors confies a Dieu ne
cesseront jamais d'etre pleins. Quel eiicoura-
gment aux bonnes oeuvres! — Fur, tinea :
les deux grands ermemis de nos tiesors ler-
resires. Mais iii hs Pa>.avTioT-;|xot (lateral.
« les coupeiirs de bourse »), romme disaienl
deja 1 'S anciens, ni les vers qui rongent los
beaux vetemenls, no pourronl ponetrer au
ciel.
34. — Ubi enim thesnuncs vester... Piofonda
verite psyclujlugique, par laquelie li; di\in
insirucleur termine S"s avi'rtis»cments rela-
tifs aux bieiis de ce mondt>. Notre coeur suit
notre tresor, c'csl un fail d'expirience jour-
naliere; si done ce iresor est au ciel. notre
coeur sera tnnjours lourne en haul, el tel
elail preciseiueiit le resultal que Jesus se pro-
posail d'atieindre en parlant a ses disciples.
35. — La parole de Jesus prend un nouvel
essor. Apres avoir preche sous difftirenies
formes ie delachement des biens de ce monde,
voici qu'elle nous conduit d'emblee a la fin
des temps, au second avenera nt du Christ,
pour nous recommander d'une maniere [)re8-
sanle la vigdance, tt. 33-40. et la fidelite,
tt- 41-48. Le langage figure domine dans
celte partie de I'instruclion. Trois compa-
raisons (la premiere et la derniere sont
presque des parabolcs). ft. 33-38, 39 el 40,
41-48, toutes euipruntees a la vie de famille
de I'antiqu^ Orient, nous montrent de la
faQon la plus patnr'^sque comment nous
devons veiilir. eire fideles. Voyez dan- S.Mat-
ihieu, XXIV. 42-30, despensdes et des images
analogues, fai-anl parlie d'un discours plus
recnt, [)ronone.e p 'u de jours avant la Pas-
sion. — Premiere comparaison, tt- 33-38
Les serviteurs qui atteudenl leur mallri'.
Jesus Iraci' d'abord le role d'un serviteur vi-
gilant, tt- 35 et 36, puis il decril la recom-
pense magnifique qui lui esl reservee. —
Sint lumbi vcxtri prwcinrti. Premiere image
pour dire : Soyez prets quand le Fils de
Ihomme fera son avenemrnt 'Cfr. t- iO]. Le
vetemenl principal des Orientaux consiste en
une longue robe floiianie : pour I'empecher
CHAPITRE XII
S45
36. Et vos similes hominibus ex-
pectantibusdominum suum quando
revertatur a nuptiis; ut, cum ve-
nerit, et pulsaverit, confestim ape-
riant ei.
37. Beati servi illi, quos cum ve-
nerit dominus, invenerit vigilan-
tes. Amen dico vobis, quod prae-
cinget se, et faciet illos discumbere,
et transiens ministrabit illis.
38. Et si venerit in secunda vi-
giiia, et si in tertia vigilia venerit,
et ita invenerit, beati sunt servi illi.
39. Hoc autem scitote, quoniam
si sciret paterfamilias qua nora fur
36. Et vous, soyez semblables a
des hommes qui attendent que leur
maitre revienne des noces, afinque,
lorsqu'il viendra et frappera a la
porte, ils lui ouvrent aussitdt.
37. Heureux ces serviteurs que
le maitre, quand il viendra, trouvera
veillant! En verite je vous dis qu'il
se ceindra et les fera mettre a table,
et, allant de Tun a I'autre, il les ser-
vira.
38. Et, s'il vient a la seconde veille,
et s'il vient a la troisieme veille, et
qu'il les trouve ainsi, heureux sont
ces serviteurs.
39. Or sachez que si un pere de
famille savait a quelle heure le vo-
de g6ner les mouvemenls, on la rpjeve d'or-
dinaire, mais surloul quand on veul marcher
ou iravailler. par une ceinlure enroulee aulour
des reins. Cfr. Ill Reg. iv, 46 ; IV Reg. iv, 29 ;
IX, i; Job. xxxvm, 3; Jer. i, 17; Act.
XII, 8; etc. Les Romains faisaient de meme
pour leur toge (Horace : « Ptier alte cinctus »,
« Praeclncli recle pueri... aiinislrenl »). Que
les dij^ciplps de Jesus soieni done conslana-
menl « praeclncli ». Cfr. Eph. vi, 14. — Et
lucernw ardentes... Pensee idenlique,f'xprimee
par une seconde image. Les serviteurs dont
parle la parabole soni censes attendre pen-
dant la nuit (t. 38) le relour de leur maitre.
Qu'iU aienl soin par consequent de tenir leurs
lampes allumees, de maniere a ne pas perdre
un l( mps precieux pour les eclairer quand
le maiire se presentera. — Le piitoresque in
manibus vestris manque dans le texle grec.
36. — Vos similes hotuinibus (c'esl-a-dire, a
des serviteurs, commeil resultedu conlexte)...
Ce ver.»et explique le precedent ; aussi pour-
rait-on donnera la conjonciioii et la significa-
tion de « car ». — Quando revertatur a nuptiis.
Le maiire revieni d'une feie nnpiiale quel-
conque a laquelle il a ele invite. II ne s'agit
nullemenl de ses noces personnelles, comme
on la piirfois pretendu; rien du moins ne I'in-
dique dans le recit. Le verbe grec avaXuoei
est elegant etclassique. — Confestim est em-
phaliqiie et porte I'idee principale. Les ser-
viteurs doivenl ^ire si vigilanls, qu'ils soient
en eial d'ouvrir la porte au premier signal
(quuin .. pulsaverit), sans le moindre delai,
car un maiire n'aiine pas a attendre, et il ne
convient pas qu'il allende.
37' — Beati servi illi... Ces serviteurs
atientifs jouironi en effet d'un bonheur inef-
fable, que Jesus depeint dans la seconde moitie
du versel, en gardanl les couleurs de sa com-
paraison. Changeant de role avec eux, le
maiire reconnals^anl prwcinget se [Cfr. t. 35),
leur dirade s'assooir a la table preparee pour
lui-meme, el il se fera une joie de les servir
de ses propres mains (transiens, itapeXewv,
s'approchanl de chacun d'eux, est un trait
piitoresque). Quelle belle figure pour designer
le festin eternel du ciel que Dieu tienl en re-
serve pour ses Gdeles amis! Cfr. Apoc. iii. 20;
XIX, 9. Du resle, des ici-bas, Jesus realisa a
regard des Apolres sa solennelle promesse
[amen dico vobis], ainsi que le raconte le
disciple bien-aime en des termes si emus :
« Qiium dilcxi^set suos qui eiant in mundo,
in finem dilexil eos — Surgii a ccena, et
ponil vestimenia sua ; et quum accepisset
iinteum, piaecinxit se. Deinde millit aquam
in pelvim, el coepitlavare pedes discipiilorum,
et exlergi-re linteo quo erat praecinctus. »
Joan. xiii. 1-5.
38. — Si venerit... Repetition de la meme
pensee, avec un nouveau detail exprime gra-
phiquement : Heureux les serviteurs devoues
qui atlendronl leur maitre avec fidelite, alors
memo qu'il relarderailson relour jusque bien
avanl dans la nuit! Des quatre parties de la
nuitjuive, Nolre-Seigneur ne mentionne ni
la premiere (de 6 a 9 heures du soir) ni la
derniere ;de 3 a 6 heures du matin), la solen-
nile du mariage ayanl lieu pendant celle-la,
et le decorum ne permeltanl guere d'etre en-
core en fele ou a Iravers les rues durant
celle-ci. Le maitre est suppose renlrer de
9 heures a minuit [in secunda vigilia), ou de
minuil a 3 heures [in tertia vigilia).
39 et 40. — Seconde comparaison pour
exhort'r les disciples ci la vigilance : le pere
de famille qui fait le guet afin de surprendre
ti6
EVANGILE SELON S. LUC
l^ur viendra, il veillerait et ne lais-
serait pas percer sa maison.
40. Et vous aussi soyez prets,
parce qn'a I'heure que vous ne pen-
sez pas le Fils de rhomme viendra.
41. Mais Pierre lui dit : Seigneur,
est-ce a nous que vous dites cette
parabole, on a tons?
42. Et le Seigneur dit : Quel est,
a votre avis, le dispensateur fidele
et prudent que le maitre a etabli
sur tons ses serviteurs pour leur
donner au temps fixe leur mesure
de froment?
veniret, vigilaret utique, et non si-
neret perfodi domuin suam.
Matt/t. 21, 43.
40. Et vos estote parati : quia
qua hora non putatis, Filius homi-
nis veuiet.
Apoc. 16, IS,
41. Ait autem ei Petrus : Domine,
ad nos dicis banc parabolam, an
et ad omnes?
42. Dixit autem Dominus : Quis,
putas, est fidelis dispensator et
prudens, ^uem constituit Dominus
supra fa,fliliam suam, ut det illis
in temp jre tritici mensuram ?
•les voleurs au moment oii ils viendroent
piller sa dpineure. Voytz notte coraiiientaire
sur S. Matthieu, xxiv, 43 el 44. Le t. 39e
propose la comparaison, le 40e iiidique la con-
clusion que nous en devons tirer pour noire
conduite pratique : etre loujours prets a voir
apparailre le « dies Domini », puisqu'il doit
doit survenir « sicut fur in nocte », I Thess.
V, 2.
41. — Ait autem ei Petrus. A son tour
S. Pierre inlerroinpl Notre-Seigneur pour lui
adresser une question. Ges details minutieux
(Cfr. 1it. 1, 13. 22), soigneiisemeiil conserves
par S. Luc, mcmlrent combien il lenait a
rordre historique des faits, et refutent mieux
que tout autre argument j'opinion elrange,
signalee dejci a plusieurs reprises, d'a|)res
laqudle il anrait compile a son gre les ins-
tructions de Jesus. — Adnos diris... an et ad
omnes? Le pronom « nos » designe evidem-
menl les disciples [tt. 1 et 22), par opposition
^ la masse du peuple qui enlourait alors le
divin Mailre. Jesus, dans sa premiere compa-
raison, avail parle de serviteurs; or, les
Apolres et les disciples elaient par anlono-
mase ses serviteurs personnels. S. Pierre vou-
drail done savoir si la parabole les concernait
exclusivemenl, ou bien si elle etait univer-
selle dans son application. Tel sera le point
de depart de la troisieme comparaison annon-
cee plus haul (note du t- 35), celle du ma-
jordome recompense ou puni selon que .son
maitre, arrivant h I'improviste, le trouvera
Qdele ou infidele.
42. — Dixit autem Dominus. Jesus ne re-
pond pas directoment a la demande du prince
des Apotres; il semble meme conlinuer son
discours commo s'd n'en tenail aucun compte.
Et pourlant il lail en realile une reponse
f.Iaire, quoiquo indirecte, puisqu'il se met a
parler, non plus d'un serviteur en general,
maif. d'un inlendant prepose a tous les do-
mesliques de la maison. « Series sequentis
exempli dispensatoribus(hoc eslsacerdotibus)
videlur esse proposita ». S. Ambroise, h. 1.
Cfr. Theophylacte. Dans les irt. 42-44 il s'a-
git des bons majordomes et de leur recom-
pense; dans les tt. 45-48, des mauvais in-
tendants et de leur punition. — Quis, putas
(ipa, « igilur »)... La forme interrogative
rend la pensee plus piquante. Pierre et les
autres disciples sont ainsi invites a reflechir
altenlivemeni, pour voir s'ils ne seraienl pas
eux-m6mes figures par celui dont Jesus va
decrire la conduite bonne ou mauvaise. —
Dispensator, oIxovojaoc. On nommait ainsi,
cliez les Grecs et chez les Latins, un esclave
superieur, k qui Ton confiail la jnridiction
sur les autres esclaves, et parfois diverses
fonclions non moins delicales, telles que la
complabilite en tout ou en partie. Les adjeo
tifs fidelis, prudens, designeiit fort bien les
deux quaiites priiic.pales d'un majordome.
« Hie jam quaeritur inter dispentalores ut
fidelis quis invenialur », disait S. Paul au
sujet de la premiere, I Cor. iv, 2. Xenophon
parait les commenter I'une et I'autre quand
il ecrit, Mem. in, 4 : « Les bons inlendants
sent comme les bons generaux. Leurs obli-
gations consistent a commander et a rendre
leurs inferieurs bien disposes et obeissants,
a distribuer les recompenses et les chali-
ments, a 6tre les gardii-ns fideles des posses-
sions, a se montrer soigneux et industrieux,
k procurer des auxiliaires et des allies, enfin
a vaincre tous les ennemis ». — Constituit :
il faudrait le futur d'apres le texte grec, xa-
Ta<7Ti^aet. — Familiam suam, c'est-a-dire
« famulitium suum ». Le subslantif grec cor-
respondant, 6epa7teta, designe en prenfier lieu
les soins, les services que des serviteurs ren
dent k leur maitre, puis, au concret, les ser
CHAPITRE XII
247
43. Beatusilleservus, quern, cum
■venerit dominus, invenerit ita fa-
cieiitem.
44. Vere dico vobis, quoniam
supra omnia quae possidet, consti-
tuet ilium.
45. Quod si dixerit servus ilie in
•corde suo : Moram facit dominus
mens venire; et coeperit percutere
servos et ancillas, et edere, et bi-
bere, et inebriari :
46. Veniet dominus servi illius
in die qua non sperat, et hora qua
nescit, et dividet eum, partemque
ejus cum infidelibus poneL
47. Ille autem servus qui cogno-
vit voluntatem domini sui, et non
prseparavit, et non fecit secundum
voluntalem ejus, vapulabit multis.
48. Qui autem non cognovit, et
fecit digna plagis, vapulabit paucis.
43. Heureux ce serviteur que le
maitre, lorsqu'il viendra, trouvera
faisant ainsi.
44. Je vous dis en verite qu'il
Tetablira sur tout ce qu'il possede.
4b. Que si ce serviteur dit en son
coeur : Mon maitre tarde a venir,
et s'il commence a battre les servi-
teurs et les servantes, a manger,
a boire et a s'enivrer,
46. Le maitre de ce serviteur vien-
dra au jour oil il ne I'attend pas et
k riieure qu'il ne sait pas, et il le
retranchera et lui donnera sa part
avec les infideles.
47. Et ce serviteur qui a connu
la volonte de son maitre et n'a rien
prepare, et n'a pas fait selon sa vo-
lonte, sera battu de plusieurs coups.
48. Mais celui qui ne I'a pas
connue et a fait des choses digues
vileurs eux-memes. — Ul det illis in tempore
(scil. debito) t) itici mensuram (to (TtTOfXExptov,
expression qu'on ne trouve pas ailleurs clans
le Nouveaii Testament). Noiivelle allusion aux
coiilumes anciennes. Au lieu de distribuer
journellement aux esc'.aves leur nourriture,
on la leur donnait parfois pour tout un mois,
et lei etait en particulior le cas a Rome, du
moins en ce qui concerne le pain. La portion
mensuelle consislait en qualre a modii » de
ble, ce qui faisait par jour un peu plus de
deux livres. Voyez Schegg, h. 1.
4.3 Pt 44. — Cfr. Maliti. xxiv, 45-47 et le
commeniaire. Le f. 43 enonce en termes ge-
neraux la recompense de I'intendant fideie ;
le suivanl la deiermine d'une maniere expli-
cite : super omnia quce possidet, cotistituet
eum; role d'aulanl plus glorieux el sublime
que le maitre de la parabole ne differe pas de
Dieu.
45 et 46. — Voyez S. Matlhieu, xxiv, 48-51
et rexplicalion. Quel trisle conlrasie ! Nous
entendons ici I'odieux soliloque d'un major-
dome infidels qui, speculani sur I'absence
prolongee de son maitre, abuse indignement
de I'aulorite qu'on lui a confiee. Mais aussi,
comme il sera chatie quaud le perc de famiile,
rentranl au moment ou on I'allendra le moins,
surprendra le coupabie en flagrant delit! II
sera condamne au plus affreux de tons les
supplices (car les mailres avaient sur leurs
esclaves le droit de vie et de mori), celui de
4'^cartelement : let est ie sens Drobable du
verbe dividet, Sixo-co\j.r\<jti. Mais les mots par-
tem ejus cum infiddibus ponet representent
une peine plus terrible encore d'apres ce pas-
sage parallele de I'Apocalypse, xxi,8 : << In-
credulis... et omnibus mendacibus, pars ilio-
rum erit i^slagno ardenli igneel sulphure ».
47 el 48. — A I'idee duclialiment infaillible
qui alteint les mauvais servileurs de Dieu,
ces versets en ajoulent une autre. lis nous
app''ennent que la punition sera en raison di-
reclede la culpabilite, etque la culpabilite se
mesurera d'apres le degre de connaissance.
Rien de plus juste, par consequent, que les
jugements divins. — Servus qui cognovit vo-
luntatem... Tel etail I'econome menlionn^
precedrmment, lels elaient les Apoties etles
disciples de Jesus. Cfr. Joan, xv, -15. En pa-
reil cas, lorsqu'on desobeit on ne pent ap-
porler aucune excuse, car Ton a commis une
faute de pure malice; aussi est-on chatie en
toute rigueur de justice : vapulabit multis
(scil. « plagis ». L'ellipse exisie egalement
dans le texte grec, oapiiffeTat noXXd?. Elle etait
d'ailleurs tres usiiee clioz les classiques. Cfr.
Aristoph. Nub. 472 : TUTtxitJ-evo? itoUa;; Te-
rent. Heaul. ii, 4, 22 : « Diu eliani duras da-
bit »). On sait que le I'ouet etait le chciti-
ment habituel des esclaves. — Nonprcepara-
vit, est expliqiie par le contexle : non fecit
secundum voluntatem ejus. — Qui autem non
cognovit... Au serviteur grievemenl coupabie,
et grievemenl puni parce qu'il a enfreint en
pleine connaissance de cause les ordres de
248
fiVANGlLE SELON S. LUC
de chdtiment sera battu de peu de
coups. Gar a celui a qui beaucoup
a ete donne, beaucoup sera rede-
mande, et de celui a qui on a confie
beaucoup, on exigera davantage.
49. Je suis venu jeter un feu sur
la terre et que veux-je, sinon qu'il
s*allume ?
Omni autem cui multum datum est.
multum quseretur ab eo : et cui
commendaverunt multum, plus pe-
tent ab eo.
49. Ignem veni mittere in ter-
ram, et quid volo nisi ut accen-
datur?
son maitre, Notre-Seigneur Jesus-Christ en
oppose un autre, qui a iransgresse les mdmes
ordres, mais sans ie savoir. el de celui-ci en-
core il affirme qu'il sera chalie, quoique avec
moins de severile : vapulabil pouci<< '« lole-
rabilior damnatio », S. Augustiu). On est
tout d'abord surpris de telle assertion.
« Pourquoi rignoranl esl-ii puni? » se de-
mandait deja Theophylacle. Mais il donne
aussitolia vraie reponsc :« Parce que, landis
qu'il pouvaits'instruire, il nel'a pasvoulu, et
que, par sa paresse, il est lui-meme la cause de
son ignorance ». Ils'agit done d'une ignorance
coupable, puisque Jesus parle d'un servileur,
et qu'un servileur ne peul guere ignorer que
par sa faule la volonie de son mailre. Cfr.
Rom. II, 12. Du resle, depuis la legislation mo-
saique jusqu'a nos jours, il n'esl pas de code
f»^nal qui n'inflige quelque punilion pour
68 delils commis par ignorance. Cfr. Lev.
V, 17-19. — Omni cui multum datum est...
Autre regie des jugimenls divins. Elle est
analogue a la precedinle, quoiquR vn peu
plus generale. La pensee qu'elle exprinie est
repelee deux fois de suite dans deux phrases
paralleles : les verbes datum est (un don pur
et simple) el commendaverunt (un depot) ela-
blissent seuls une legere difference, qui existe
d'ailleurs beaucoup plus dans la forme que
dans I'idee. — Plus peteiit peul s'inlerpreler
de deux manieres : « plus quam ab aliis »,
ou bien « plus quam commendaverunt » (I'in-
t^ret avec Ie capital. Cfr. Malth. xxv, 15
et ss.). « Petent » (alTiQ<jou<ri) est employe pour
« repetent r (aitaitrjaovai) , a la fagon de I'he-
breu Sxy;.
49. — « Quomodo haec verba ad superiora
cohaereant, ecrit Maldonat sur ce passage,
quserendum non arbilror, disjuncla enim ab
aliis sunt, et alio fortasse tempore a Chi isto,
alio loco dicta », Beaucoup d'exegeles se ran-
gent a ce sentiment; mais il en est d'autres
aussi, el nous sommes de ce nombre, qui ne
Ie partagent point. Nous avons plus d'une
fois indique nos raisons dans Ie cours de ce
chapilre. Quoiqu'il ne faille pas chercher
toujours dans les discours de Notre-S;^igneur
une suite de pensees qui s'enchainent rigou-
reusement, nous ne croyons pas qu'on soil
en droit de reprocher aux tt- 49-53 un man-
que absolu de liaison avec les parties anle-
rieuresde I'instruction. Jesus vient d'exhorter
assez longuenienl les siens a la vigilance, a'
la fidelite. II acheve mainienanl la double
serie de ses avis par une idee analogue a celle
que nous avons lue des Ie debut, tt. 4-9;
c'esl-^-dire que, rappelanl aux disciples pre-^
senls el a veiiir la lutte inevitable qu'ils de-
vaienl soulenir centre Ie monde, il les presse,.
et lout d'abord par son propre exempie,
d'opposer un coeur courageux aux persecu-
tions qui les atlendent. — Ignem veni mit-
tere in tervam. Tile doBosra (Gal. S. Thoiiiae)
Irouve a bon droit dans cette parole une al-
lusion a I'origine divine du Sauveur : « Est
autem intelligendum cum de coelo venisse ;
non enim si de terra venisset in lerram di-
ceret ; Ignem veni mittere in lerram ». Mais
Ie sens exact du lexle considere dans son en-
semble n'esl pas anssi ciair que celle legitime
deduction. La ditSculte principale porte sur
Ie mot « ignem », au sujelduquel les inter-
preles sonl loin de s'accorder. La plupart
des Peres (voyez les citations dans Maldonat)
I'entendrnl de I'Esprit Saint. Nous diron*
neanmoins, d'accord cette fois avec Tillustre
Jesuile ; « Si praecedentia et consequentia
consideremus, non sal is mihi videtur cum
illis cohaerere ». Theophylacle et Euthymiua
pensent que Jesus a voulu parler du feu du
lele ou de la charite; mais nous rejelterons
encore cette opinio. n pour Ie meme molif.
N'esl-il pas a la fois plus simple et plus
litteral, comme s'exprime D. Calinel (Cfr.
Luc de Bruges), de croire qu'il s'agil du feu.
de la persecution, du brandon de la discorde
religieuse que Notre-Seigneur Jesus-Christ,
quoique prince de la paix, devail necessaire-
ment lane r (PaXelv) au milieu de la societe
qu'il venail regenerer? Les irt. 51-53 Ie prou-
vent, ainsi que I'observait deja Ires judicieu-
sement Tertullien, Adv. Marc, iv, et ce sen-
timent est con fume par plusieurs passages de
la Bible oil les mots « ignis, flamma » desb-
gnent Ie malheur, la souffrance. Cfr. Ps.
Lxv, 12, Is. XLiii, 2; Eccli. li. 6. — Et quid
volo 7iisi ut accendatur? Le traducteur de la
Vulgate a du lire : xal xi ^Dm el \iii dviiipOTj-,
tandis que Ie textegrecmanuscrit el imprime
porte : el JjSri ivi^^ey), litteral. « si jam accen-
sus est ». Mais les deux legon-^ reviennenl aus
meme si Ion donne a t( la MgniQcalion de
CHAPITRE XII
«9
50. Baptismo autem habeo bap-
tizaii : et quomodo coarclor usque
dum perficiaiur?
51. Pulatis quia pacem veni dare
in terram. Non, dico vobis, sed se-
parationem.
Maith. 10, 34.
52. Erunt enim ex hoc quinque
in domo una divisi; tres in duos, et
duo in tres
53. Dividentur : pater in filium
et hlius in patrem suum, mater in
filiam et filia in matrem, socrus in
nurum suam et nurus in socrum
suam.
50. Mais je dois etre baptise d'un
baptSme, et quelle est men angoisse
jusqu'a ce qu'il soil accompli!
51. Pensez-vous que je sois venu
apporter la paix sur la terre? Non,
vous dis-je, mais la division.
52. Car des ce moment, dans uno
m^me maison cinq seront divises :
trois conlre deux et deux conlre
trois
53. Seront divises : le pere centre
le fils et le fils conlre le pere, la
mere contre la fille et la fille centre
la mere, la belle-mere conlre sa
belle-lille, et la belle-fille conlre sa
belle-mere.
iTooov (Theophylacle. Cfr. Malth. vii, 14),
a £l ccUe d(^ 6x1, qu'il a parfois apres Ips ver-
bes qui oxprimenl I'etonnemenl (voypz Winer,
Grammalik, p. 479). Nous pouvons done tra-
duire avec S. Jerome el quelques anciens
manu>crils latins : « Qiiam volo ul jam ac-
cendatur I » El cependant, Jesus iie pouvail
pas desirer en elles-meraos les pprseculions
dirigees contre son Eglise nais^anle, les effer-
vescences si lerribles des guerres de religion I
Mais il les desirail en pensanl aux conse-
quences heureuses qu'elles devaient produire.
Puisque la lulle du raal conire le bien 6iait
necessaire, puisqu'elle devailconlribuer a re-
pandre partoul et k affertnir son royaume. il
ne pouvail s'empecher de souhaiter qu'elle
embiasSl an plus tot le monde enlier.
« Comme un conqueranl qui biule d'ardeur
de voir commencer une bataille donl le gain
lui est assure, el qui doil le remellre en pos-
session de ses Elals injuslemenl usurpes, »
D. Galmet.
50. —Mais, avanl que les flammes de la
persecution viennent creer dans le monde un
immense iiicendie, Jesus d6vail subir le pre-
mier, el plus que lous les siens, les plus vio-
lentos epreuves. C'esl pour cela qu'il s'ecrie,
prononQcinl une autre parole sublime : Ba-
ptismo habeo baptizari... (Iraduciion servile
du gri'C pour « baptismo baptizandus sum »).
Nous avon- la meiaphore de I'eau apres celle
du feu ; mais ici le sens ne saurait etre dou-
teux, celte meme locution designant d'une
maniere tres claire dans le second Evangile
(x, 38 el 39 ; voyez le coinmcnlairp) les eaux
ameres de la Passion, qui etaienl sui le poinL
de passer sur Nolre-Seigneur comme une
inondalion terrible. De nouveau le divin
Mailre nous fail connailre les scniimenis de
son coeur en face de cetle sombre previ-
sion : Quomodo coarclor usquedum perficuitur
(ille baplismus)! II n'y a qu'un inslanl il
eprouvail de vifs desirs [t- 49); les commen-
taleurs hesilenl pour delerminer son impres-
sion acluelle, car le vorbe grec axivixo^ai ppul
designer, d'apres son usage biblique d pro-
fane, les angoisses de la craitite ou les elans
les plus ardenls de la volonle. Divers mo-
dernes adoplenl le premier sens el voient,
dans celte exclamation de Jesus, « un pre-
lude de Gethsemani » (Gess), « la premier^
trace du conflit qui se Jivrait dans I'arai^ du
Christ a Tapproche de sa morl » (Neander),
« un cri indeniable de lamenlaiion arrache a
la faiblessp humainedu Dieu-liomme » (Slier).
Nous preferons, a la suite de S. Ambroise,
de Theophylacle, el de la plupartdes auleurs
catholiques, nous arreter a la seconde accep-
lion, d'apres laquelle Jesus uianifeslerail au
conlraire, par suite de sou amour pour nous,
un ardpul desir de consommpr au plus lol
sa Passion, afin de nous racluter au plus
lot. Voyez H. Slephanus, Thesaurus grsecje
linguae, s. v.
- 51-33. — Dans ce versel el dans les deux
suivants Not re-Seigneur expose d'une ma-
niere dramatique les effels de la persecution
predile un peu plus haul. G'est, quant a la
pimsee, la rpprnduclion exacle d'une pro-
phelie qu'il avail faile autrefois aux Douzi'
;iMallh. X, 34 el 35); mais Texfiression esl
plus vivanle et plus complete. Le lour in-
terrogatif donne aux premier's paroles,
pulatis quia pacem..., la reponse emplialiqut^
No>i, I'Hsserlion solennelle dico vobis, meri-
lent deja I'aUenlion sous ce rapport. 11 esl
vrai que separalionem n'a pas le caraclei'^
pilloresque de « gladium ». Mais I'enumera-
150
fiVANGILE SELON S. LUC
54. II disait aussi aux foules :
Quand vous voyez la nuee s'elever
du couchant, aussitot vous dites :
La pluie vient, et ainsi arrive-t-il.
55. Et quand vous voyez souffler
le vent du midi, vous dites : II fera
chaud, et cela arrive.
56. Hypocrites, vous savez appre-
cier I'aspect de la terre et du ciel,
comment n'appreciez-vous point ce
temps-ci?
54. Dicebat autem et ad turbas :
Gum videritis nubem orientem ab
occasu, statim dicitis : Nimbus ve-
nit : et ita fit.
Matth. 26, 2.
55. Et cum austrum flantem, di-
citis : Quia sestus erit : et fit.
56. Hypocritse, faciem coeli et
terrse nostis probare : hoc autem
tempus quomodo non probatis ?
lion qui suit, et qui commente pour ainsi
(]ire le mot otaixspiffixdv, la descriplion des
deux camps ennemis que le Chrisiianisme est
venu creer dans une meme famille, sont cer-
tainement dignes du pinceau de S. Luc. —
Erunt ex hoc (scil. tempore) quinque divisi.
Les cinq membres de la fauiille sonl, d'apres
le t. 53, le pere, la mere, la fille, le Ills et
la belle-fille, c"est-a dire la femme du fils ,ce
dernier elanl cense n'avoir pas encore de
menage a part ct vivre dans la maison de
ses parents. — Tres in^duos et duo in tres.
« Duo » represente lepereet la mere, « tres»
designs les enfants. Ceux-ci ont accepte la
religion de Jesus; ceux-la se sont endurcis
dans leurs vieux prejuges : trail delicat et
d'une grande verite psychologique. Ainsi
done li s liens les plus forts ct les plus saints
ont ete soudainement brise-* k I'occasion du
Christ et de sa doctrine. — Pater in filium,..
socriis in nunim... Le texle grec offre dans
cetle enumeration une variete de cas qui
n'est pas inieret. Tandis que la luile du pere
avec le fils et de la mere avec la fille est ex-
priraee par la preposition iizl suivie du datif
(TtaTrip if'' vlu> xat u'lo; etti TtarpC, \ir\Tfip ini
OuYaTpl v.a\ GuyaTrip litt (AriTpt), pour mar(]uer le
conflit de la mere avec la bru le narrat^ur a
employe I'accusatif (irsvOcpa eTtl xr^v vuia^Tjv y.al
vO[jL(pifi eTtiTTjv TtevGc'pav). Pourquoi cetle nuance?
Nous ne connaissons pas de meilleure reponse
que celle deWoidsworlh. Dans le premier cas
la guerre part du sein meme de la famille, il
n'y a done pas de mouveraent; dans le se-
cond elle vient du dehors, et elle eclate en
outre avec plus d'inlensite.
4' Grave legon pour le peuple. xn, 54-59.
Jesus termine son discours par quelques
averlissemenls severes adresses a toute la
foule qui Tentourait (Cfr. v. i). « Quia si
cognovisses et tu, et quidem in hac die lua,
quae ad pacem tibi I Nunc autem abscondita
sunt ab oculis tuis » (xix, 41j. Tel est le re-
sume des reproches par lesquels il condamne
la cecite spirituelle de la plus grande partie
du peuple juif.
54-56. — Les paroles contenues dans ces
versets sont une repetition legerement vari^
de Mallh. xvi; \-i (voyez I'explicalion). —
Quu7n videritis nubem. Dans le grec, t^v
vEipeXriv avec Tarticle, pour mcntrer qu'il
s'agit dun phenomene bien connu. — Orien-
tem ab occasu : par consequent du cote de la
Mediterranee. Les vents, en traversant la
mer, s'impregnent de vapeurs qui ne tardent
pas a se transformer en nuages pluvieux.
Ausyi, des que les Juifs voyaient les nu^es
accourir des regions occidenlales, ils s'^-
criaient spontaneraent, sans qu'ils eussent
besoin de reflechir {statim avec emphase) :
Nimbus venit, et ils ne se irompaient pas,
car une antique expeiiencc leur donnait
raison, et ita fiti GIr. Ill Reg xviii, 44;
Robinson. Palaestina, t. II, p. 305 ('0|x6po«,
I'equivalent grec de « nimbus », designe des
averses violenles, torrenlielles. Ce mot n'ap-
parail pas ailleurs dans le Nouveau Testa-
menl). Dans nos conlrees le ventd'Ouest est
pareillemenl un pronoslic assez certain de
pluie. — Quum austrum flantem. G'est le
contraire. Les vents d'Est ( DHpen bebreu),
avant d'arriver sur la Palestine, traversent
les deserts d'Arabie oil ils deviennent brii-
lants : ils apportaient done infailliblement
aux Juifs de grandes chaleurs ((Bstus,y.a.\><7u>y].
Cfr. Job. XXXVII, 17. — Hypocrilw. Par cetle
epithele severe, mais juste, le Sauveur fla-
gelle i'iiiconsequence que ses concitoyens
manifestaienl dans leur conduite. Lorsqu'il
fallaio simplem Mit probare (Staxptveiv, discer-
nere) faciem (to TcpoctoTrov, expression pitto-
resque) coeli et lerrce, ils eiaient de- physio-
noinistes pari'aits; mais, des qu'il elait
question d'apprecier ce que Jesus appelle
emphatiquement hoc tempus, c'est-a-dire les
jours de salut que sa presence et son oeuvie
leur avaient apporles, ils n'y entendaient
plus rien. Quelle triste contradiction 1 Sans
doute, a les conjectures des aslres sont ne-
CHAPITRE XIII
251
57. Quid aulem et a vobis ipsis
non jiidicatis quod jusUim est?
58. Gum autem vadis cum adver-
sario luo ad principem, in via da
■operam liberari ah illo, ne forte
trahat te ad judicem.. et judex tra-
dat te exactori, et exactor mittat te
in carcerem.
McUtJi. 5, 75.
59. Dice tibi, non exies inde,
donee etiam novissimum minutum
reddas.
57. Comment ne jugez-vous point
par vous-memes ce qui est juste ?
58. Lorsque tu vas avec ton ad-
versaire vers un magistrat, en che-
min efforce-toi de te delivrer de lui,
de peur qu'il ne te traine devant le
juge, et que le juge ne te livre a
I'exacteur, et que I'exacteur ne te
mette en prison.
59. Je te le dis, tu n'en sortiras
pas que tu n'aies rendu jusqu'a la
derniere obole.
CHAPITRE XIII
La n(5cessite de la penitence prouvee par deux evenemenis historiqiies (ft. 1-5). — Parabola
dii figiiier sterile {tt. 6-9). — Guerison d'une femme infirme [tt. 40-17). — Paraboles du
grain de senevd et du levain {tf. 18-21). — Reponse grave a une demande valne
(tt. 22-30). — Le renard Herode (tt. 31-35).
1. Aderant autem quidam ipso in
tempore, nuntiantes illi de Galilseis,
1. En ce meme temps quelques
uns etaient 1^ ! lui parlant des Gali-
cessaires h la vie humaine... En effet, 11 est
utile de connaitre les pluies qui vonlvenir...
ainsi que I'inlensild des vents. II imporle
au navigateur de prevoir les perils de la
tempete; au voyageur, les. changements
de temps; au cultivateur, I'abondance des
fruits », S. Basile, Horn, vi in Hexam. Aussi,
comme ledit le poele (Virg.Georg. 1,351-353),
Haec ut certis possimus discere signis,
iEstusque, pluviasque, el ageates frigora ventos,
Ipse Pater staluit.
tiais ne devail-on pas avoir I'esprit encore
plus ouvert aux signes par lesquels le Dieu
de la revelation avalt rendu si visible I'ap-
proche de I'ere messianique?
57. — Quid autem... Jesus repele solennel-
lemenl son bldme, en appuyani sur les mots
a vobis ipsis, montrant ainsi que ces illettres
eux-memes, aides de leur simple bon sens,
etaient capables de discerner quod justum
est, c'esl-a-dire, comme il resulte du contexte,
les justes jiigements par lesquels Dieu se ven-
gera de ceux qui aiiront meconnu son Christ.
58 et 59. — Cum autem vadis... ou pliitot,
eum enim... d'apres le grec, car cette petite
parabole est intimement liee au t. 57, qu'elle
a pour but de confirmer. A pen de dilference
pres, Jesus I'avaiL deja proposee dans le dis-
cours SLir la montagne, Matth. v, 25 et ss. ;
mais alors il s'en servait pour recommander
d'une manierespeciale la charite a I'egard du
prochain , tandis que rappHcalion actuelle
est generalisee, spiritualisee pour ainsi dire.
idee dominante est celle-ci : Pendant qu'il
en est temjjs encore, faites votre paix avec
Dieu [adversario tuo) s'il a sujet d'etre irrit^
centre vous, de crainle que vous n'encou-
riez des chcitimenis eternels. Lea details par-
ticuliers, qu'il ne faut d'ailleurs pas presser
outre mesure dans I'explicalion, sonl em-
prunles auxcoulumes jndiciairesdesanciens :
cela ressort des expressions techniques avxi-
St'xo; {adversarius]^ Sp/ovTa {principem, le
president du tribunal), a7nriX>,ax8at (liberari;
litteralement, « diinitti ab allero placalo »),
xaTadupig (irahat), xpitiii: (judex, le juge) et
TtpaxTwp {exactor ou « executor », I'huissier
charge deveiller a I'execulion de la sentence,
en malieres de dettes ou d'amendes), qui ont
toutes une couleur evidemment legale. Ai?
epyaatav [da operam) est un latinisme mani-
festo. — Minutum. Dans le texte primitif,
XewTov, la plus petite des monnaies division-
naires chez les Grecs : c'etait la moilid du
a quadrans », la huitieme parlie de I' « as »,
par consequent la huitieme partie de six cen-
times! On voit par la combien seront rigou-
reux les jugements divins.
10. Ndcessit6 de la pdnitence. ziii, 1-9.
Cette grave instruction, propre au troisieme
Evangile, est d'abord rattaohee par Notre-
Seigneiir adeux evenemertts contemporains,
tt- 1-5, puis exposde sous forme de para-
bole, tt. 6-9.
I" Deux fails historiques qui d^montrent lan^cessiti
de la p6nilence. ff. 1-5.
Chap. xm. — \. — Aderant, napfiam :
232
EVANGILE SELON S. LUC
leens dont Pilate avail mele le sang
avec celui de leiirs sacriHces.
2. Et il leur repondil : Croyoz-
vous que ces Galileeus fussent plus
pecheurs que tous les aulres Gali-
leens parce qu'ils ont souffert de
telles choses ?
3. Non, vous dis-je, mais si vous
quorum sanguinem Pilatus miscuit
cum sacrificiis eorum.
' 2. Et respondens dixit illis : Puta-
tisquodhi Galilsei prse omnibus Ga-
lileeis peccatores fuerint, quia talia
passi sunt ?
3. Non, dico vobis : sed nisi }icb
expression piiloresque, dont relTi'l i^>t en-
core reliaiisse par la note chronologiqne
ipso in teuipore, et par le parlicipe present
nuntiantes ;comparez la phrase loult' s m-
blable de Diodore de Sicile, xvii, 8 : Tcap^sav
Ttve; ain(x^yilXQv-zEz). Au moment done oil
Jesus acln-vail son discouis dn chap, xii, il
y avail la dcs homnu'squi se nnireiU aus.-itol
a lui raconler un incident horrible, arrive
recemment a Jerusalem, et dont ils appor-
taient peui-elre la premiere nunvcllp. — De
GalilcBis quorum sanguiitem Pilalus miscuil...
Le fait est relate en pea de mols, mais d'une
maniere vraimenl tragique, bien capable de
faire impression. On croirail voir ces mal-
heureux Galileens assaillis lout a coup par
les soldals de Filale dans le parvis du temple,
au mompnl oil les pr^tresimmolaienl en leur
nom des victimos, el immoles eux-memes
sans pilie, de sorte que I( ur sang se mela au
sang des animaux qu'ils offraienl en sacri-
fice. II y avail dans cetleculncidence quelque
chose d affreux (« Nefando sacro, mixta ho-
minum pecudumqup coede re-persus! » Tite-
Live, Hi?t. xix, 39). L'hisloire profane est
demeuree complelement silencieuse sur ce
drame sanglant, dont nous devons le souve-
nir a S. Lnc. Mais il est en parfaile harmonie
avec le caraclere de Pilate el celui des Gali-
leens, lels qu'ils nous sont connus par les
sources les plus authenliquos. Les sou'6ve-
menls conlre rautorile romaina n'elaient pas
rares a Jerusalena dans ces temps-la, surtoui
k I'occasion des feles. et, cheque fois qu'une
emeute avail lieu, on elail sur de renconlrer
les Galileens parmi les zeloles les plus exal-
les, les plus remnants. Cfr. Jos. Ant. xvii, 9, 3 ;
40, 2; Vila, § xvii. D'aulre pari, Pilate se
monirail alors sans pilie. II n'elait pas homme
a se laisser intimider par la sainlele du sanc-
luaire juif, bien qu'une slipnlalion specialo
inierdil au gouverneur romain d'introduire
ses soldals dans le temple. De la tour Anlonia,
qui communiquail avec I'edifice sacre (voyez
Ancessi, Alias d'archeologie biblique. pi. X),
et qui servait de garnison aux troupes impe-
riales, on penelrait en «n in«tanl dans les
parvis. Quand il y avail lutle. la victoire
restait infailliblement aux legionnaires, qui
egorgerent un jour jusqu'a 20,000 emeuliers
(Jos. Ant. XX, 5, 3).
2 el 3. — Respondens dixd... Sans portei
aucim jugemenl sur la c^nduile de Pilate,
Jesus, flemeurani dans son role spintuel, pro
file de celle lugubre nouvelle pour ey.horter
a la penilence lous ceux qui I'lntouiaicnl. —
Putalis quod hi GaliUui... II a divinement
compris el il met a nu la secrete pensee des
narrati urs. Raliachant leur recit a ses der-
nieres parole*, xii, 57-59, ils I'avaienl donntj
en realiie comme une preuve que les mal-
heureux Galileens tombes sous les glaives
remains dans I'enceinle meme dn temple,
bien plus, lout aupresde I'autel, landis qu'ils
accomplissaienl I'acte le plus augusle de la
religion, devaient elre exceplionnellement
coupables, puisque leurs sacrifices, au lieu
d'atlirer sur eux les graces du Seigneur,
semblaient avoir au conlraire provoque ses
vengeances. Telle elail bien d'ailleurs la ma-
niere de voir habiluelle de I'Orienl (Cfr. Job.
IV, 7), et paiticulieremenl ds Juifs (Cfr.
Joan. IX, 2 el le cummentaire; : les grands
malheurs etaient loujours cens('S ai river a la
suite de grands peches. Jesus allirme avec
energie (non, dico vobis qu'un pareil jugemenl
est souvenl injusle, qu'il I'esl du moin-^ ilans le
cas acluel. Non, ceux de ses compalrioles qui
venaient d'eprouver une fin si lamentable
n'elaient pas pires que les aulres Galileens
iprce 07nnibus Galilwis ; dans le grec, napa
Ttavta: xou? TaXiXxiou;, comparalif a la mode
hebralque, Cfr. f. 4; xviii, 14; Gen. in, I,
SlD^D U^'^'J]^ Sans doute il existe, toute la
Bible en fail foi, une relation elroile enlre
le mal physique et le mal moral, car il est
bien certain que toules nos souffrances
viennenl du peche. Mais il serail faux d • pre-
lendre qu'un malheur individuel est infailli-
blemenl le signe d'un crim" individuel, qu'un
homme chalie en ce monde est, pour ce sen!
molif, plus coupable que ceux qui vivenf
heureux autour de lui. Apies avoir renveise
d'un mot ce trisle prejuge, Notre-Seigneur
ecarle ces questions steriles pour altirer.
selon sa coulume. Tallenlion de ses audileurs
sur des considerations pratJqnes, perponnel.es,
de la derniere importance : Nisi pcenitcntiam
habueritis (eav jai^ [leTavofi-e, le verbe qui
exprime si parfaitement I'pssence de la vraie
conversion. Cfr. Mallh. in, 2 el le commen-
taire), omnes similiter peribilis. « Omnesi) esl
CHAPITRE XIII
233
nitenliam habueritis, omnes simili-
ter peribitis.
k. Sicut illi decern et octo, supra
quos cecidit turris in Siloe, et occi-
diteos : putalis quia et ipsi debito-
res fiierint prseter omnes homines
habitantes in Jerusalem ?
5. Non, dico vobis : sed si poeni-
tentiara non egeritis, omnes simili-
ter peribitis.
6. Dicebat autem et banc simili-
ludinem : Arborem fici habebat qui-
dam plantalam in vinea sua, et ve-
nit quaerens fructum in ilia, et non
invenit.
ne faites penitence vous perirez tous
pareillement.
4. Comme ces dix-huit sur qui
tomba la tour de Siloe et qu'elle tua,
croyez-vous que leur dette fuL plus;
grande que celle de tous les autres
habitants de Jerusalem?
b. Non, vous dis-je, mais si vous
ne faites penitence vous perirez tous
pareillement.
6. II leur disait aussi cette para-
bole : Un homme avait un fii^uier
plante dans sa vigne, et il vint y
chercher du fruit et n'en trouva
point.
emphaiique : lous sans exception ! a Simi-
liter », (bffauTco; : aussi miserablemont que
ceux dont vous venez de raconter la mort.
Renlrez done en vous-mSmes, en face d'une
telle calamite; proQiez de la legon qu'elle
vous donne : sinon, c'esi le glaive de Dieu, el
pas seulement celui de Pilate; qui fera de
vous un massacre epouvanlable. L'averiisse-
meni eiail en meme temps une prophelie,
comme le disent a I'envi les commentaieurs.
Parce que les Juifs ne firent pas penitence a
la voix de Jesus, ilsjperirent par millions du-
rant la guerre avec Rome, en Galilee, dans
toute la Palestine, a Jerusalem, el jusque
dans le temple (no).Xoi... itpo twv Ouixaxwv
lireoov auTot, Jos. Bell. Jud. v, \, 3).
4 et o. — Sicut (dans le grec, ^, oaui <>) illi
decern el octo... Pour forlilier sa conclusion,
Jesus rappelle a I'audiloire uu autre evene-
menl douloureux, donl Jerusalem avait ega-
lement ele lo theatre, et que nous n.; con-
naissons de memo que par S. Luc. Une tour,
probabltMiienl une lour des remparts, siliiee
non lorn de la piscine de Siloe [in Siloe; dans
le grec, ^v tw SiXwdn, dans la region bieri
connue qui porlait ce nom, au S. E. dt^ la ville.
Voyez la note de Joan, ix, 7) s'elait effondren
subiiemeni, et, dans sa chule, avait ecrase
dix-huit personnes. Devail-on supposer que
les viclimes de celle caiasuophe elaient les
habilanls les plus impies, les plus iinmoraux
de la capitale juive? (Sur le mot debitores
au lieu de « peccalores », t. 2, voyoz Malth.
VI. 12 et rexplicalion). Assuremeul non,
repond encore Jesus. Puis il repele, comme un
refrain terrible, sos paroles du if. 3 : Si pce-
nitentiam non egeritis (le grt>c ne varie pas,
iav |j.T) (jLexavorjTe), omnes similiter (celle fois on
lit 6(j.oic<}( dans la Recepla et dans la plupart
des leinoins)... Ici encore nous avons une
prediction qui se realisa d'une maniere litte-
rale aux derniers jours de I'Etat Wieocratique,
quaud dos Juifs nombreux furent broyes a
Jerusalem S)us les decombres des maisoti> et
des edifices. Mais nous pouvons, nous d"vons
meme, nous elever plus haul encore. L'avis
du Sauveur ne concernait pas seulement les
habilanls de la Palestine, el n'avait pas une
valeiir transiloire. Pris dans son acceplion
coujplele, il a une porlee universelle pour
I'espace comme pour la duree, et s'adresse
aux hommes de lous les temps et de tous les
pays. Nous aussi, nous perirons, et a lout
jamais, si nous ne faisons une sincere peni-
tence.
2o La parabole du figuier stdrl-le.
La conclusion du divin Maitre avait ete se-
vere : il semble niainLenaui I'adoucir par
celte louchante parabole qui montre, en Dieu,
la longanimite du pere toujours unie a la
justice rigoureuse du juge. Neanmoins, a
cote de I'aimable esperance que regoivent ic
les pecheurs, il y a de nouveau la grave leQon :
Gonverlissez-vous et porlez d 'S fruits de salut
landis qu'il en esl temps; n'abusez pas de la
divine patience, maisprofilez dusursis, peut-
6tre rapide, qu'elle. daigno vous accorder !
6. — Hanc similittidinem, xaOtriv xrlv napa-
6o'i,r\y. Nous avons vu en plusieurs autres en-
droils du iroisieme Evangile ^IV. 13; v. 36;
VI, 39; VIII, 4, elc.) le mol gr. c uapaooXii
traduit en latin par o similitude », landi^
qu'il Test plus ordinairemenl ailleurs (Mdtlh.
et Marc.) par « parabola ». La parabole du
figuier sterile se compose d'un fail rapidemeni
enonce, t. 6, et d'un court dialogue entre le
proprietaire de I'arbre et le cullivaleur,
tt. 7-9. C'est le developpement pneiique,
dramalique, de Matth. in, 10. — Arborem
fici (le grec porle simplemenl « ficuin ») ha-
bebat quidam... G'esi Dieu, evidemmenl, qui
esl designe par le vague pronom xn; evidem*
meni aussi, le figuier represenle le peupin
25i
fiVANGILE SELON S. LUC
7. Et il dit a celui qui cultivait la
vigne : Voila trois ans que je viens
clicrcher du fruit a ce figuier elje
n'en Irouve point, coupe-le done ;
pourquoi occupe-t-il encore la
Icrre ?
7. Dixit autein ad cullorem vi-
nese : Ecce anni tres sunt ex quo
venio quserens fruclum in ficulnea
hac, et uon invenio : succide ergo
illain : ut quid etiam terrain occu-
pat?
juif (Clr. Mallh. xxi, 19, 20, el le commen-
laire), plante an milieu de I'lmmense vignoble
i]iii est I'emblemt^ du monde entier. — Plan-
tc.lam in vinea. En Palestine, de meme qu'en
pIusRHirs de nos provinces vilicoles, on eleve
t^ouvenl des arbre? fniiliers dans les vign^'S,
el c'esl le figuier qui est le plus habiluelle-
monl choisi. Compaiez ce passage de Pline,
Mist. iiat. XVII, '18 : « Ficorura levis (umbra)
quainvis sparsa, ideoque inter vineasseri non
velanlur ». De la vienl la frequeiile iissocia-
lion de la vigne et du figuier dans les Sainis
Livres. — Venit qucerens fructum et non in-
ventl.Cfr. Marc, xi, 13. Dieu avail cependant
tout mis en ceuvre pour que son peuple de
predilection prodiiisit des Iruits excellenls et
Dombreux. Mais les Juifs s'etaienl moiitres
rebelles aux graces comrae aux menaces. lis
avaientmeme refuse de seconvertira la voix
de Jesus.
7. — Dixit ad cultorem vinece, up6; Tiv
ijjiKEXoupYov (ce mol n'apparait pas ailleurs
dans le Nouveau Teslam nt). Le proprietaire,
irompe dans son allente, se plaint avec une
cerlaine amerlume, el bien leeitimeraenl du
resle, car c'elait deja la troisieme fois qu'il
elail ainsi fiuslre : Ecce anni tres sunt... Un
bon aibre demeurerail-il si longtemps ste-
rile? Au moral, et dansl'application de la para-
bole, ces trois annees onl ete interprelees de
bien des manieres. -.i Quelques Peres les en-
tendent des trois etals sous lesquels les
hommes onl vecu : sous la loi naturelle, de-
puis le commencemenl du monde jusqu'a
Moise; sous la loi ecrite, depuis Moise jusqu'a
Jesus-Chri-l; sou-; la loi evangelique, depuis
Jesus Christ jusqu'a la fin du monde ^S. Am-
broise, S. Augustin. S. Gregoire). D'aulres les
enlendenl du triple gouvernement qui s'esl
vu sous les Juifs (rpel; iro).iTeta?, Euthymius) .
le gouvernement des jus^es, depuis Josue
jusqu'a Israel; le gouvernerm'-nl des rois,
depuis Saiil jusqu'a la caplivile de Babylone,
et if gouvernement des grands-prelres, depuis
la cajjliviie jusqu'a Jesus-Chri-l. D'aulres
(Theophylacle), des trois 5ges de I'homme :
renfaiice, I'age viril et la vieillesse. D'aulres
enfin, des trois annees de la predication de
Jesus Christ ». D. Caimel. Wieseler (Chro-
nolog. Synopse der vier Evang. p. 202 et ss. ;
Beitraege zur richiig, Erklaerung der Evang.,
p. 465 et ss.) s'esl distingue de nos jours
parmi les defenseurs de cette derniere opi-
nion. Cfr. Olshausen, h. I. Nous nous per-
mettrons de dire a la suite de I'illuslre exe-
gete lorrain que « ces explications sonl loutes
arbilraires », car les trois annees « marquent
simplement que Dieu a donne aux Juifs lout
le temps et tous les raoyens conv nables,
pour les mettre hors d'excuse ». II ne faut
done pas trop appuyer sur ce detail. Si I'od
insislaii pour eiitendre ceslrois ansd'unema-
niere slrictemenl chronologique et pour y
voir une allusion au minisiere public d©
Notre-Seigneur Jesus-Christ, nous repon-
drions que la qualrieme an;iee devrail se
prendre aussi a la letlre : or, il est certain
qu'elle represente le delai de quaranle annees
accorde aux Juifs enlre la mort de Jesus et la
ruine de Jerusalem. — Apres la plainle, la
senleace : succide illnm, el la sentence moti-
v^e : ut quid etiam terram occupat? Get
0 etiam » (xaC, a insuper ») est bien fori.
<( Non modo nil prodest (ficulnea), sed etiam
lalicem avertit, quem e terra suclurae erant
vites...,et spalium occupat. » Bengel. L'arbre
est sterile; de plus il nuil : double raison de
le detruire. Au lieude* occupal », I'ancienne
version latine portait « impedit », qui est
preferable; mais xatapYeT du texle grec (un
des verbes favoris de S. Paul, qui I'emploie
jiis(iu'a 26 fois dans ses epiires) est encore
plus energique, puisqu'il signifie proprement;
« inertem facil ». S. Gregoire en donne une
excellenle paraphrase : « Slat desuper arbor
infrucluosa, et subtus terra sterilis jacet ».
De meme Corneille de Lapieire : « Terram
inerlem el slerilem reddit, turn umbra sua,
tum radicibussuis, quibus succura terras vi-
cinis vitibus eripil el praeiipit ». Personne
ici-bas n'esl simplement inutile. Quiconque
ne fait pas le bien fail le mal, le prelre plus
que tout autre! — Quoique terrible en verile
(« cum magno tiinore audiendura est »,
S. Gregoire, Horn, xxxi in Evang.), I'ordre
du Seigneur, Coupez eel arbre, manifest©
bien sa bonle paternelle, comme le faisaient
observer les sainis Peres. « C'estun Irait par-
liculier de la clemence de Dieu envers les
hommes, de ne pas lancer les chatiments en
silence et secrelemenl, mais d'en proclamer
d'abord I'arrivee par des menaces, afin d'in-
viler ainsi les peclKurs au repentir », S. Ba-
sile (cite par Trench, Notes on the Parables,
lie edit. p. 353). « Si damnare vellel, ta-
cerel. Nemo volens ferire dicil : Observa I %
CHAPITRE XIII
ito-
8. At ille respondens, dicit illi :
Domine, dimilte illam et hoc anno,
usque dum fodiam circa illam, et
mittam stercora :
9. Et si quidem fecerit fructum :
sin autem, in futurum succides
earn.
10. Erat autem docens in syna-
goga eorum sabbatis.
8. Et celui-ci lui repondit : Sei-
gneur, laissez-le encore cette annee,
jusqu'a ce que je creuse tout autour
et quej'y mette du furaier;
9. Peut-etre porlera-t-il du fruit,
sinon vous le couperez.
10. Or Jesus enseignait dans leur
synagogue les jours de sabbat.
S. Aiigustin (ibid.). 'Amilti t^v Ttixwpiav, !va
9'jY(0[j.ev Tr)v usipav Trj; Tt|xti)pia;" 90661 xw ^6y«{>>
ha (iri xoXdoTfl tw £pY({), S. Jean Chiys., de PoB-
nit. horn. vii. Selon I'antiqiie adage, quand ils
ont la volonle arr^lee de sevir, « Dii laneos
habent pedes » ; ils n'averlissenl pas et s'ap-
prochent doucement des coupables qu'ils
veulenl surpendre.
8. — At ille respondens... Le vigneron, qui
est ici la figure de Notre-Seigneur Jesus-
Christ, intercede pour le figuier sterile : Di-
mitte (i^e?, « patere ») illam et hoc anno. Sus-
pendez pour une annee encore voire juste
sentence : peut-^tre des soins plus diligents
ameneront-ils cet arbre a fruit. 1! cite, comme
exemple de son redoublement de soiliciludes
pendant le temps d'epreuve, deux traits par-
liculiers, fodiam circa illam, mittam stercora,
qui symbolisent des graces speciales, plus
abondammenl versees. C'esl bien en cela du
resle qu'a toujours consiste le traitfment
des arbres malades ou sterile-:.
9. — Ces moyens extraordinaires une fois
pris, une double ellernalive devra se presen-
ter. Ou le figuier portcra des fruits, et alors
on le laissera vivre; on il perseverera dans
son etat d'infecondile, et dans ce cas le pro-
prietaire n'aura qu'a execuler son premier
dessein, in futurum (« in poslerum »; il est
inutile de sous-enlendre « annum «) succides
earn. Ce sort sera si parfaitement merite. que
la voix m^me de I'amour renoncera cette fois
a I'ecarter (Stier).— La phrase reste suspendue
apres si quidem fecerit fructum; c'est une
ellipse fainiliere aux classiques (voyez Wets-
tein et Kuinoel. h. 1.) el aux ecrivains sacres
(Cfr. II Reg. V, 8: I Par. iv. 10; Marc. ix,23;
Luc. XIX, 42, etc.). II est aise de suppleer
a bene eril >•> (xaXw; exei)j ou simpleinent
t Bene » (eu). Le maitre de la vigne ne fail
aucune reponse, cemme s'il ne voulail pas
s'engager a exaucer la demands du vigneron.
La parabole se lermine ainsi d'une faQon
brusque, raenaQanle. II est neanmoins dans
I'espnt de eel interessanl petit drame de
supposer que la priere ful agreee. — La le-
gon, nous I'avons dit, s'adresse directemenl
et principalement a Israel; mais on peul
aussi I'appliquer a tous les hommes. « Quod
de Judaeis dictum, omnibus cavendum arbi-
tror, et nobis maxime; ne foecundum Eccle-
siae locum vacui meritis occupemus : qui
quasi melogranata benedicli, fructus ferre
debemus internos, fructus pudoris,... fructus
mutuae carilalis el amoris, sub uno utero
Ecclesiae matris inclusi; ne aura noceal, ne
grando deculiat; ne septus cupiditatis exu-
rat, ne humoris imber elidat. » S. Ambroise,
Exp. in Luc. vii, 171. II y a bien reellement,
dans cette parabole, I'liisloire de la conduite
tout aimable de Dieu a I'egard de cbaque pe-
chciir. II supporle, il paliente, il soigne jus-
qu'a la derniere exlremite: il ne chAlie fina-
lement que lorsque tout espoir de conversion
a disparu. S. Gregoire de Nazianze (ap. Cat.
D. Thorn.) veul que nous imitions la divine
longanimile : « Ne soyons jamais prompts a
frapper, mais prevenons par la misericorde,
de peui' de couper un figuier qui peul encore
produire des fruits, et qui peut-etre serait
gueri par les soins d'un cullivateur habile. »
Nous ne pouvons nous empech^r de citer
ici tout au long, d'apres Rosenmiiller, Dat*
alte u. neue Morgenland, t. V, p. 187, la re-
celle suivanle qui est employee parfois en
Arable pour rendre la feriilite aux palmiers
steriles. « Prenez une hache, et allez aupres
de I'arbre avec un ami auquel vous tiendrez
ce laugage : Je vais couper ce palmier, car
il ne porle pas de fruits. L'ami repondra : Ne
le faitrs pas; cette annee il aura cerlaine-
ment des fruits. Le premier devra repliquer :
C'esl necessaire, il faul que je I'abatte; et il
frappera irois fois le trouc de Tarbre avec le
dos de sa hache. Son ami le retiendra en di-
sant : Non, ne I'abaltcz point; vous aurez
certainemenl des fruits de lui cetle annee.
Prenez patience une fois encore, ne vous
hatez pas trop de le couper. Mais, s'il refuse a
I'avenir de vous donner des fruits, alors vous
pourrez le couper. La meme annee, I'arbre
deviendra necessairemenl fertile, et il four-
nira une recolte abondante. » Quelle analogie
gracieuse avec noire parabole 1
11. Gu6rison d'une femme infirme. xiii, 10-t7.
10. — Erat docens in srjnagoga eorum (scil.
Judeeorum). Le grec porle : iv (xiS tcov ffuvayw-
Ywv, « in una synagogarum ». Sur le pluriel
sabbatis employe dans le sens du singulier.
S56
EVANGILE SELON S. LUC
11. Etvoiciune femme qui avail
un esprit d'inflrmite depuis dix-
huit ans, et elle etait courbee et
ne pouvait pas du tout regarder en
haul.
1 2. Lorsque Jesus la vit il I'appela
k lui et lui dit : Fcmme, tu es deli-
vree de ton infirmite.
13. Etil lui imposa les mains, et
aussitot elle fut redressee et elle
glorifiait Dieu.
14. Or le chef de la synagogue,
prenant la parole et s'indignant de
11. Et ecce mulier, quae habebat
spiritum infirmitatis annis decern
et octo : et erat inclinata, nee om-
nino paterat sursum respicere.
12. Quam cum videret Jesus, vo-
cavit eam ad se, et ait illi : Mulier,
dimissa es ab infirmilate tua.
1 3. Et imposuit illi manus, et con-
festim erecta est, et glorificabat
Deum.
14. Respondensautemarchisyna-
gogus, indignans quia sabbato cu-
voyez Bretschneider, Lexicon man. graeco-
latin., s. V. oaSgatov. — Jesus lermine son
ininislere comme il I'avail commence. Cfr.
Marc. 1, 21 el s. Au debut el a la fin de sa
vie publique nous le voyons pi^chanl I'Evaii-
:;ile dan:* les synagogues, aux jours de sab-
iial. Le divin Sauvcur ne se lasse \^a•> <1e jeter
dans les ccBurs le bon grain de I'Evangile.
i\. — Si I'hislorien sacre n'a designii que
d'une maniere generale le lieu el la date du
prodige, le « medicus carissimus » decril foit
bien I'etal patholooique de la malade. — Ecce
mulier. D'apr6s la Recepla : l5ou "^uvh i^v (pour
■napriv), « ecce mulier aderal ». Le verbe man-
que aussi dans les manuscrils Sinail., B, L, X,
«t dans piusieurs versions; cV-^t probable-
inenl un glosseme. — Quce habebat spiritum
infirmitatis (uvEOiJia a(T8£veias, un esprit de
(lebililo, de faibles-;e). Celle expression sera
coramentee plus loin (t. 16j par Notre-Sei-
gneur : elle designe la cause du inal, et cette
cause etait toute morale et spirituelle. L'in-
firmile provenait d'une possession de I'l'spril
mauvais. Comparez le itveOfia iXaXov de Maic.
IX, 25. — Le caractere particulierde la ma-
iadiij est ensuile indique. Depuis dix-huit
ans, la pauvre femme sur laquelle Jesus ve-
nait de jeter un regard de misericorde etait
toute courbee, repliee sur elle-meme {incli-
nata, ffUYxuitTouffa, soil. lauTi^v ou upofftdirov,
mot ^nergique employe seulement dans le
troisieme Ev?-igile), a tel point, ajoute
S. Luc pour inieux montrer combien elle etait
dignede pitie, que nee omninopoleiat sursum
respicere (ivaxu<|<at, « corpus erigere », par
opposition h avyv-inxoijaa.) . Le mal n'avait
done pas seulement son siege dans le cou,
mais il affcclait aussi le dos et les reins, en
un mot toute I'epine dorsale. — Les saints
Peres, dans leurs paraphrases morales, re-
gardent ce triste eiat comme la figure des
ames qui sent, suivant le mot du po6te,
« curvae in terras », tandis qu'il convient si
bien a rfaomme (la forme de son corps ne le
lui dit-elle pas sans cesse?) de « chercher
les clioses du ciel et d'elever ses regards au-
dessu-; de la terre. » S. Basil, Houi. ix in
Ilexarn. Cfr. S. August. Enarral.ii in Psalm.
Lxviii, 24 ; Tlieopiiylacle. li. 1.
12 el 43. — Vocavit eam ad se. Maldonat
fait a ce propos ime excellenle reflexion :
« Duplicis fuil benefieii alque liberalilaiis,
quod non solum sanavit, sed etiam invilavit
adsanitalem. Vix qui-mquam solebal Cliristus
non rogatus curare; banc muiierem non so-
lum non rogatus sanat, sed ipse quodam modo
ut sanari velil rogat. » — Dimissa es (mieux,
« solula es », aTtoXeXuffai) ab infirmilate tua.
« Parole tout a fail digne de Dieu, s'ecrie
S. Cyriile (Cat. D, Thomae), et remplie d'une
majesle celeste. » L'empioi du parfait est a
noler ; Tu as ete deliee! Avant m6me d'etre
enoiice, le resullal etait dejaopere dans la vo-
lontedu Tliaumai turge. Nolons aussi la belle
metupliore, toute ciassiquo d'aillenrs, par
laquelle la maladie est assimilee a des liens
qui retiennent captif : dans le cas present
elle etait d'une juslesso parlicuiiere. — Et
imposuit illi ma nus . Go geiU\ signe dela toute-
puissanco de Jesus, accompagna probable-
ment sa parole loule-puissante (S. Cyriile,
Eiiihyuiius, Trench). L'effel produit ful ins-
lame : confeslim erecta est (avtopOcieifi). Imm^-
dialemiMit aussi i'humble femme, delivree tout
ensemble de ses liens spirituels el corporel?.
se mil a prnclamer avec effusion la louange
da Dieu. Glorificabat : ce temps indique la
conlinuite; elle glorifiait et glorifiait encore
I'auteur de tout don parfait.
14. — Respondens autem archisynagogus. La
scene change snbitement. Dos paroles de co-
lere, d'indignation (indignans, iY»vaxTwv), in-
terrompenl bruyamment celles de Taction de
grSces, et c'esl le president de I'assemblee, le
« Rosch-hakkeneceth », qui les profere. Et
pourquoi done cet homme s'indigne-l-il ? Quia
sabbato curasset Jesus : voilk tout son motif I
« Bene scandalizati sunt de ilia erecta, ipsi
CHAPITRK XIII
8S7
rassel Jesus, dicebat turbee : Sex
dies sunt, in quibus oportet operari ;
in his ergo venite, et curamini, et
non in die sabbali.
15. Respondens autem ad ilium
Dominus dixit : Hypocritae, unus-
quisque vestrum sabbato non solvit
bovetn suum, aut asinum a praese-
pio, et ducit adaquare ?
j6.Hanc autem filiam Abrahae,
quam alligavit Satanas, ecco decern
ce que Jesus Tavait guerie le jour
du sabbat, disait a la foule : II y a
six jours pendant lesquels 11 faut
travailler; venez done ce jour la et
soyez gueris, mais non le jour du
sabbat.
1 5. Mais le Seigneur lui repondit :
Hypocrites, est-ce que chacun de
vous ne delie pas de la creche le jour
du sabbat son boBuf et son due et ne
le mene pas boire ?
16. Et cette fille d'Abraham que
Satan a liee voici dix-huit ans, ilnc
ciirvi. » S. August. 1. c. Esclave, comme tani,
fl'aulres , de Iradiiions insensees, il prenail
pour une oeuvre servile I'acte que Jesus venail
a accomplir. Les Rabbins n'en*eignenl-ils pas
que, s'il esl permis h un medocin do soigncr en
un jour de sabbal une maladie subile el dan-
gereuse, il esl ab>olumenl inlerdil de trailer
uneinfirmile chronique? Toulefois, le chofde
la synagogue n'ose interpeller direclement
Notre-Si'igneur': c'est sur la foule innocenle
{dicebat turbce), dent il sail n'avoir rien k re-
douier, que retombenl tout d'abord ses amers
reproches. Mais, comme le fonl remarquer
les exegeles, quelles inconsequences, quel ri-
dicule, dans son langage dicle par un zele
aveugle et par la hainel La remontianct
commence pourtant par une phrase qui est
presque une citalion lilterale de la Loi : Sex
dies sunt in quibus oportet operari. Cfr. Ex.
XX, 9, 10; Deut. v, 15 el ss. Mais elle s'a-
cheve de la fagon la plus elrange : In his ergo
venite, ut curamini. Qu'esl-ce que cela veut
dire? La maiade avail-elle done demande sa
guerison? El, alors meme qu'elle I'eul de-
mandee, et que Jesus exll ete coupable en
I'accordani, ou etait la fauie du peupic, qui
avail simplemenl joue le role de lemoin?
Un maiade a qui le Sanveur offrail miracu-
leusemenl la saule dovail-il la refuser, si c'e-
tait le sabbal? M. Farrar I'a dii a bon droit
(Life of Jesus, 23e ed., t. II, p. 115), « la serie
entiere des Evangiles ne fournil pas d'autres
exeinples d'une ingerence aussi illogique, ou
d'uiie soltise aussi incurable. » Cela rappelle
la conduile de ce pilole juif qui ISclia tout a
coup le gouvernail au beau milieu d'un:^ lem-
p6i(>, parce quo le jour du sabbat vi'iiaii de
comuicncer !
15. — Respondens autem (on lil o5v,
« ergo », dans la Recepla ; mais les m 'illeurs
autorjtes favoii-enl la IcQon de la Vtilgale)...
Le Seigneur {Dominus avec ( m|)hase) s'indi-
gne a son lour, reprouve a jusie litre de pa-
reils procede-. Quelle force dans I'aposlroplie
hypocritoi (la varianle « hypocrita » semble
moins gaianlie), par laquello il leve le mas-
que de religion sous lequel s'abrilail le depit
de ses adversaires ! Elle s'adresse a tous ceux
des membres de lassistance (el ils etaienl
asscz nombreux, d'apres le t. 17) qui paita-
geaienl les senlimenls du chef de la synago-
gue. Quelle vigueur aussi dans la courte apo-
logie qui suit! Elle se compose de deux par-
ties, un argument « ad hominem », t. 15,
et une conclusion « a minoii ad mjju-; »,
t- 16. — Unusquisque vestrum sabbato...
Etes-vous done si rigoureux quand vos inle-
rets maleriels sonl on cause? liesilez-vous
alors a vous livrer a des occupations qui
consliluent un veritable Iravail? El vous re -
prouvez en moi une parole el un gcsle? On
trouveformellemi'ntexprimee dass !e Talmud
la eoulume que menlionne ici Nolre-Sei-
gneur. « Non solum permillitur besliam edu-
cere ad aquam sabbato, sed et pro ea hau-
rire aquam, iia lam.m (etraiige disiinclion
ou se retrouvo lout le caiacteie pharisai'ijue)
nl accedal beslia ei bihal, non voro aqua
beslise affeialui' appoileturque. » Tr. Eru-
bhin, f. 20, 2. V y z Lighlfoot, Hor. hebr.
h. I. Mais, si Ton i uiit si respcclueux pour le
repos du sabbal, q'ue n'appoiiait-on des la
veille une provision d'cau dans I'elable? Nous
visilions un jour, en compai^nie d'un ami. Ic
eimetiere juif de la viHe de Lyon. Nous n'a-
vions pas fail allenlion que c'elail un samedi.
Accueillis par la concierge avec une repu-
gnance visible, nous resumes au depart ce
polil averlissomenl : Messieurs, vous pourrez
revenir lanl que vous le voudrez, mais pas
le samedi, pas le samedi! Le samedi n'avail
pas empeche le fossoyeur d'arroser aupres d ■
nous, une heure duranl, des flours peu alio-
rees. Rien n'a change! — Voyezdans S. Mai-
thieu, XII, 11, un raisonnement du m6me
genre, quoique pres'nie sous une autre forme.
16. — Hanc autem filiam Abraha'... Beau
conlrasle, vigoureusem'Mit trace. Qu'elail la
maiade? Une fille d'Abraham : litre glorieux
qui disait beaueoup au coeur d'un Juifl Cfr.
a. Bible. S Luc — 17
158
tVANGILE SELON S. LUC
fallait pas la delivrer de ce lien le
jour du sabbat ?
17. Et lorsqu'il disait ces choses
tous ses adversaires rougissaient,et
toutle peuple se rejouissait de tout
ce qu'il faisait de glorieux,
18. II disait done : A quoi est
semblable le royaume de Dieu et a
quoi le comparerai-je?
19. II est semblable a un grain
de seneve qu'un homme prit et mit
dans son jardin, et ii crut et devint
un grand arbre et les oiseaux du
ciel se reposerent dans ses ra-
meaux.
et octo annis, non oportuit solvi a
vinculo isto die sabbati ?
17 Et cum hsec diceret, erubesce-
bant omnes adversarii ejus ; et om-
nis populus gandebat in universis,
quae gloriose fiebaut ab eo.
18. Dicebat ergo : Gui simile est
regnum Dei et cui simile sestimabo
illud ?
19 Simile est granosinapis, quod
acceptum homo misit in hortum
suum et crevit, et factum est in ar-
borem magnam ; et volucres coeli
requieverunt in ramis ejus.
Matlh. 13, 3i: Marc. 4, 3i.
Malth. in, 9. El Jesus oppose celte fille
d'Abrabam aux vi!s animaux mentionnes pre-
cedemi^iut. Dans quel elat se trouvait-elle?
Au pouvoir de Salan {alligctvit, figure expres-
sive el pilloresquejdepuis de longues annees.
Fallait-il done la laisser souffrir davanlage,
alorsqu'on se refusail, legilimemenl du reste,
h faire endurer la soif pendanl quelques
heures a des betes sans raison? Assureraent
non. Non oporliiit ! Ce serait aller conlre
loules les intentions divines. « Cessez done
de manger el de boire el de parlor el de
chanter des psaumes le jour du sabbat, car
tout cela aussi est un travail » (S. Cyrille, in
Cat. D. Thorn.). — S. Irenee, iv, 19, de-
monlre qu'en operant de fiequenles gueri-
sons le samedi, Jesus rendait honneur au ce-
leste instiiuteur du sabbat, qui aimait a re-
pandre en cejour sur son peuple ses faveurs
les plus delicaii s.
i7. — Double effiH produit par I'arguraen-
tation du Sauvpur. Ses ennemis, coiiveils de
honte (erwiesce^aHf, xaTipaxjvovTo, forte pxpres-
sion qui n'apparail pas ailleurs dans I'livan-
gile). no pcuvent lui repondre. La masse de
I'assemblee [omnis populus) eprouve un vif
sentiment de joie en voyani Jesus accomplir
tant de mervoilles (toi? evSo^oi?, gloriose, cor-
respond au DInSdJ hebreu ; fxebanl, ytvofievoi?,
marque la conlinuite).
12. Deux parabolas, xui, 18-21.
« Erubescent ibus adversariiset populo gau-
denle de his quae gloriose fiebanl a Christo,
profeclum Evangolii consequenter sub qui-
busdam simililudinibus manileslat. » La
glose antique nous parail indiquer ainsi la
meilleure de loules les transitions. Beau-
coup d'interpretes modernes prelondenl, 11
est vrai, que ce passage a ete detache par
S. Luc de son enchainement primitif ; mais
'jous somoie* loin d'avolr trouve leurs preuves
decisives. II nous semble, comme a I'auleur
de la glose et comme a bien d'aulres, que Je-
sus, en voyant les heureuses dispositions de
la foule, avail une occasion Ires naturelle
d'exposer ses esperances relalivement a la
future diffusion du royaume des cieux. II le
fit en repelant deux paraboles qu'il avail deja
proposees anterieuremenl, el c'est pour cela
qu'elles n'oni pas ici la merae place que dans
les autres synopliques. Nous avons moins de
repugnance pour les redites de ce genre que
pour les bouleversements op^res a chaque
instant dans le recit sacre par ceux qui ne
les admellent pas.
1» Le grain de sdnev6. yy. 18-19. — Parail. Matth.
XIII, 31-32; Marc, iv, 30-31.
18, — Gui simile est.,. C'est la une formule.
dramalique, deslinee a rendro rattenlion plus
vive. La repetition et cui simile cestiinabo illud
grossit encore I'interet. Quelle sera, devait
se demander I'audileur, I'lmporlante verity
qu'on introduit en termes si solennels?
19. — Simile est grano sinapis... S. Mat-
thieu el S. Marc (voyez nos commentaires)
developpent un pen plus cetle parabole.
S. Luc, malgre la brievele de son recit, a
pourtanl divers traits speciaus. 1o U nous
monlre le grain de moutarde seme, non pas
dans un champ (S. Matlh.) ou dans la terre,
(i'une maniere encore plus generalefS. Marc),
mais dans un jardin. 2o 11 nous le montre en-
suite, par une hyperbole bardie, non seule-
mont devenu « majus omnibus oleribus »,
mais transforme in arborem magnam (I'ad-
jeclif lAsya manque toutefois dans plusieurs
manuscrils importanls, Sinait., B, D, L, etc.).
Quant a la signification, elle est absolument
la meme que dans les autres Evangiles. « Si-
cut sinapis semen superatur quidem quanti-
late a seminibus olerum aliorum, crescit au-
tem adeo, ut plurium fiat umbraculum avium ;
CHAPITRE XLI
259
20. Et iterum dixit : Gui simile
«estimabo regnumDei ?
21. Simile est fermento, quod
acceptum mulier abscondit in fari-
nse sata tria, donee fermentaretur
totum.
Mace. 13, 33.
22. Et ibat per civitates, et cas-
tella, docens, et iter faciens in Jeru-
salem.
23. Ait autem illi quidam : Domi-
ne, si pauci sunt qui saivantur?
Ipse autem dixit ad illos :
20. EtilditderechefrAquoicom-
parerai-je le royaume de Dieu
21. 11 est semblable au levain
qu'une femrae prend et mSle dans
trois mesures de farine jusqu'a ce
que le tout soit fermente,
22. Et il allait a travers les villes
et les villages, enseignanl et faisant
route vers Jerusalem.
23 Orquelqu'un lui dit : Seigneur,
y en a-t-il peu qui se sauvent? Mais
il leur dit :
«ic et salularis doclrina penes paucos eral in
principio, sed poslea recipit augrafnlum. »
S. Gyrille, I. c. Et quel accroissementl Le
monde n'est-il pas en grande partie chrdlien?
Cfr_ S. August. Serm. xliv, 2.
2» Le levain. ff. 20-21. — Parall. Malth. xiii, 33.
20. — Iterum dixit : il dit derechef, il
repeta. Les mots suivanis, cut simile..,, sont
en efifet une reproduclion abregee de la for-
raule employee plus haul, t. 48. « II dit en-
core » ne traduirail pas exactement ia phrase
itaXiv eiTie.
21 . — La parabole du grain de seneveexpri-
mait la puissance d'espansion dent jouit la
doctrine evanglique, le deveiopperacnt exle-
rieurdu royaumede Dieu; dans celie-ci il s'agit
d'nii developpemtnl. inlime, d'une puissance
de transformation. El en effet, le levain de
I'Evangile a lout envahi : la vie de famille, la
politique, les sciences, les arts; rien n'e-
chappe k son influence. Ceux-ia meme en vi-
venl qui prelendenl s'y t^oulraire. Voyez
d'ailleurs notre explication du passage paral-
lele de S. Mallhieu. Les deux redactions sont
tout-a-fait identiques dans le texte original.
13. Rdponse grave a une demande vaine.
xiu, 22-30.
22. — Ei ibat. Dans le grec, SteTTopeueto,
« circumibat ». C'est toujours la suite du
grand voyage commence un chap, ixe, t. 51
(voyez Texplication), ainsi qu'il ressort des
mots iter (itopctav avec lesens de 6S6v) faciens
in Jerusalem. Cetle formule introduit une
nouvelle serie de scenes inleri'ssanles. L'^-
vangelisto mentionne en passant que Jesus,
selon sa coiilume, annongait la bonne nou-
velle {docens) dans chacune de ses residences
temporaires.
23. — Ait autem illi quidem. Le question-
neur n'est pas autreraent determine par le
recit. Son caractere, I'occasion de sa de-
inande, sont laisses dans le vague. Nous ne
savons pas meme sic'^lait un disciple ou sim.
plement un Juif de la foule. Gar en general,
dans la narration evangelique, « toules les per-
sonnalites, a part celle du Christ, se retirent k
I'arriere-scene : leur histoire n'etant pas rap-
portee dans leur propre inter6t, mais a cause
de I'application que nous devons nous en faire,
et en lant qu'elle introduit les paroles qui nous
sont adressees k tous par Notre-Seigneur ».
Stier, Reden des Herrn Jesu, h. 1. — Si pauci
sunt qui saivantur (o! (Tti>!;6(xevoi, ceux qui sont
en voie d'arriver au salut. Cfr. Act. ii, 47.
Par opposition aux airoXXuixevot, I Cor. i, 18;
II Cor. II, 13). Interrogation a la faQon he-
bralque (DN), pour : « An • uci sunt...? »
Assuremenl, c'elait la une (juestion bien oi-
seuse, et nous prefererions I'entendre pro-
poser sous celle autre forme ; Seigneur, que
devons-nous faire pour obtenir le salul?
Toutefois nous la jugerons peut-6tre moins
severement, si nous nous souvenons qu'elle
elait alors tout a fait a I'ordre du jour chrz
les Juifs, par suite de la grande effervescence;
que I'atlente du Messie avail produite dans
leurs rangs. Voyez Lightfoot, Hor. hebr. h. 1.
a L'une des bizarres reveries cabalistiques
des Rabbins consistait a essayer de fixer le
nombre des elus par la valeur numerique des
lellres de tel ou tel texte scripluraire relalif
au royaume des cieux ». Plumplre, New
Teslam. Commentary for english Readers,
edited by Ellicoit, I. I, p. 308. On retrouve
I'echo de ces subtiles discussions au IVe livre
d'Esdras, viii, 1 : « Hoc saeculum fecit Altis-
simus propter mullos, fuUirum aulem propter
paucos ; « IX, 15 et 16 : « Olim loculus sum,
et nunc dico, et postea dicam : Quoniam plu-
res sunt qui pereunt quam qui salvabuntur;
sicul multipiicatur fluctus super guttam. »
— Ipse dixit ad Ulos. La reponse de Jesus
s'adresse done a toute I'assislance et pas
seulemenl k I'inlerrogateur. Les paroles sui-
vanies de S. Cyrille en caracterisent admi-
rablement la nature : « Non videtur aulem
560
£VANGILE SELON S. LUG
24. Efforcez-vous d'entrer par la
porle etroile, car beaucoiip, vous
dis-je, chercheront a entrer et ne
le pourront pas.
25. Lorsque le pere de famille sera
cntre et aura ferme la porte, vous
commencerez par rester dehors et
frapper a la porlc, disant : Seigneur,
ouvre-nous. Et il vous repondra :
Je ne sais d^'ou vous 6tes.
26. Alors vous commencerez a
dire :Nous avons mange et bu de-
vant vous, et vous avez enseigne
dans nos places publiques.
24. Gontendite inlrare per angus-
tam portam : quia multi, dicovobisy
quserent intrare, et non poterunt.
Maitlt. 7, 13.
25. Gum autem intraverit pater
familias, et clauserit ostium, incipie-
lis foris stare, et pulsare ostium,
dicentes ; Domine, aperi nobis ; et
respondens dicet vobis : Nescio vos
unde sitis.
Maith, 25, 10.
26. Tunc incipietis dicere : Man-
ducavimus coram te, et bibimus,
et in plateis nostris docuisti.
Dominus sali^facere quaerenti uLrum paiici
sunl qui salvanlur, dum declarat viam per
quam qiii:>qiie potest fieri juslns. Sed dicen-
dum quod inos eral Salvaloris non rcspon-
dere inlerrogantibus secundum qjod eis vi-
debatur, quolies inulilia quaerebanl, sed res-
picieiido quod utile audientibus foret. Quid
autem commodi provenirel audientibus scire
anmulti sinl qui salventur, an pauci?Neces-
sarium magis erat scire moduin quo aiiquis
pervenit ad salutem. Dispensalive ergo ad
qu£Estionis vaniloquium nihil dicit, sed traiis-
ferl suum sermonem ad rem magis necessa-
riam >; (ap. Cat. D. Tliom.). Ainsi, Jesus ne
repond pas directement. Du domaine de la
theorie ab^traile, il Iransporte la question
gur colui de ia pratique, de maniere a faire
rePschir sjs audiieurs sur eux-memes et a
exciter en eux un vif iiUeret pour leur propre
salul. « Peu ou bcaucoup, que vou-; nnporte?
Ne vous preoccupoz point de ces chiirres inu-
liles. L'essentiel pour vous, c'ri-i de faire
partie du noinb-e des elus, et vous n'y arri-
verez qu'au piix de vigoureux efforts. »
24. — Coiitendite intrare. Le verbs grec
&^(ji'Htz<yH (d'oii est venu noire subslanlif
« agonie ») iniplique I'idee d;^ lutte, de com-
bat. 11 est done necessaire de lutler, si Ton
veut reussir a penelrer dans le royauine des
cieux. Cfr. I Cor. ix, 25; 1 Tim. vi, 12. La
belle raeiaphore per avguslam porlam nous
e>t deja connue par un passage analogue du
premier Evangile (Matth. vii, 12; voyez le
commi^nlairc), ou nous I'avons vue plus deve-
loppea. Gette porte eiroile (il faut probable-
ment lire 6upa; avec lis nianuscriis Sin.,
B, D, L, etc., au lieu de mlr,i des autres le-
u)oin^) est ceile qui donne acces au palais
inessianique, c'est-a-dire, au sejour des bien-
heiiroux. — Quia miilti, dico vobis (assertion
soleniielle)... P'ar ces paroles, Noire -S igneur
motive et jusliQe sa vive recomuiandalion,
son app'l a la violence. Lullez, je vous le
dis. cai- il y in aura beaucouji qui ne pourront
franrhii Tintree du ciel, parce que leurs len-
latives [ijHcerent intrare] auronl ele molles et
inconstantes. lis ne devronl done s'en prendre-
qu'a eux-niemcs.
25 — Les tt. 23-30 commentent d'une
maniere dramalique la pensee generale qui
vient d'6lre exprim^e. Sous une vivante
allegoric, dont nous avons deja rencontre
dans S. Mallhieu (vii. 22 et ss. ; xxv, 10-12)
les elements principaux, empruntes a la vie
de famille de lOrient, Jesus represente une
scene terrible de la Qn des temps. II nous
montr? nn pere de famille qui, apres avoip
loiigu:>m'?nt allendu ses liotes invites pour le
repas du soir, entre avec eux dans la salle du
festin et ferme la porte derriere lui. Mai»
pUisisurs des convives se sont mis en retard.
Pendant quelque temps, ils se liennent debout
dans la rue a I'enlree de la maison {[oris
stare), e.-perant qu'on leur ouvrira bienlot.
Touli'fois, voici qu'ils s'impatientent et com-
mencent a frai)i)er vivement contre la port©
{pulsare). lis appellent meme tout haut le
maitre de la maison : Domine (dans le grec :
Kup'.e, y.upte, repel ilion pleine d'empliase, Cfr.
Maltli. VII. 22, 23), aperi nobis. Un dialogue
s'engage entre eux el lui, mais, helasl pour
leur plus granJe confusion, car ik ont la
douleur de s'enlendre dire : Ncsclo vos unde
sitis. Leurs prieres sont maintenant trop tar-
dives;« non enim post judicium patet precum
aul m.ritorum locus » (S. August. Serin. xx»
de Verbis Domini), lis devaient faire des
efforts pour penetrer a travers la porte
elioite : ils ne passeront jamais par la porle
fermee.
26. — Les reprouves insistent, essayant de
se faire reconnailre comme des amis du pere
de famille. De grace, rappelez vos souvenirsi
N'avons-nous pas mange, bu, en voire pre-
CHAPITRE XIII
261
27. Et dicet votols : Nescio vos
\inde silis; discedite a me oranes
&perarii iniquitatis.
Matth. 7, 23; Psal. 6, 9; Maith. 25, 41.
28. Ibi erit fletus, et stridor den-
tin m ; cum videritis Abraham, et
Isaac, et Jacob, et omnes prophetas
in regno Dei, vos autem expelli
foras.
29. Et venient ab Oriente, et Oc-
cidente, et Aquilone, et Austro, et
accumbent in regno Dei.
30. Et ecce sunt novissirai qui
erunt primi, et sunt primi qui erunt
novissirai.
Matth 19, 30; Marc. 10, 31.
27. Et il vous dira : Je ne sais
d*ou vousetes ; retirez-vous de moi,
vous tons, ouvriers d'iniqnite.
28. G'est la que sera le gemisse-
ment et le grincement de dents,
quand vous verrez Abraham, Isaac
et Jacob et tons les prophetes dans
le royaume de Dieu,etvous chasses
dehors.
29. Et il en viendra de Porient et
de I'occident et de I'aquilon et du
midi, et ils se mettront a table dans
le royaume de Dieu.
30. Et voici, il y en a des derniers
qui seront les premiers, et il y en a
des premiers qui seront les der-
niers.
6ence?0ui; mais, par ce coram te, ils se
condamnenl eux-meines sans paraitre le re-
marquer, car ils ne pouvaienl pas csprimer
plus forlemenl I'abc-ence de communion in-
time avec lui. Devanl vous, et pas « Avec
vous! wN'avez-vouspasenseignepubliquement
sur nos places ptibliques ? Oiii , mais comment
onl-ils reQU sa piedicalion? SufBl-il done
d'assister ^ un discours pour 6ire I'ami per-
sonnel de I'oraleur.
27. — Ces vaines excuses, sous lesquelles
il est aise de voir des allusions manifesles au
minislfere de Notre-Seigneur Jesus-Christ et
a I'mcredulite de la pluparL des Juifs, sont
reQue.-! comme elles le meritenl. Nescio vos
unde silis, repete froidement la voix du pere
de famille. En verlle, qui etes-vous? Nos re-
lations, s'il en a existe quelques-unes enire
nous, onl ele purement exlerunires; au lond,
nous sommes separcs par un abime. Aussi, je
ne veux pas vous ecouter davantage : disce-
dite a me /Vous n'etes pas mes amis, mais
des operarii iniquitatis. Sentence d'eternelle
damnation. « Nescio vos quum dixerit, nihil
aliud qnam gehenna et iiitolerabiiis crucialus
relinquitur, imo vero eiiam gehenna istud
verbum gravius est » (S. Jean Chrysost., cite
par Luc de Bruges).
28 et 29. — L'adverbe ibi n'a pas le sens
de « tunc » (Euthymius : ^v exeivw xw y.atptS) ;
il desigiie le lieu de desespoir et de touruients
oil seront rojcles les « operarii iniquitatis »
maudits plus haul. — Jesus signale ensuite
un deta'l qui constiluera pour les damnes
d'entre les Juil'i un supplice particulier. Du
sein de I'enfi r, ils verront (Cfr. xvi, 23 el le
ccmmenlaire) les saints de leur nation, spe-
cialement les patriarches et les prophetes,
jouis-ianl d'un eiernel bcnheur; bicii plus,
landis qu'ils seronl, eux, les fils de la pr<K
messe, exclus du festin des noces de I'Agneau,
ils verront de nombreux paiens, venus de
lous les coins du monde iab oriente et occi-
dente... Cfr. Is. xlix, 12), admis paimi les
convives de ce divin banquet {accumbent in
regno Dei]. Quel desolant spectacle, (juand ils
se souviendronl qu'il leur aurail ete relative*
ment facile de parvenir au salul! — Le
lecteur a rcmarque sans doule que, dopuis le
t. 22, Jesus s'adresse directement a scs audi-
teurs (« incipietis foris sttire; dicet vobis :
Nescio vos; mcipielis dicere; cum videritis
Abraham..., vos autem expelli foras »), comme
si sa description terrible devait etre realisee
en leurs propres personnes. On ne saurait nier
qu'il n'y ait, dans ce passage, une allusion
manifesle a la damnation d'un grand nombre
do Juifs, surlout parmi les conlemporains du
SauviHir. Au reste, le Talmud allirme le meme
fait a sa maniere. « De six cent mille hommes
qui sortirent de I'Egypte, dit-il, il n'y en eut
que deux qui entrerent dans la Terre pro-
mise : ainsi verra-t-on tres peu d'Israeliles
sauves au temps du Messie » (ap. Light-
foot, 1. c!).
30. — Conclusion de celle scene tragique,
sous la forme d'un adage plusieurs fois repe't^
par Notre-Seigneur 'Cfr. Alatth. xix, '30,
XX, 16; et bien adiip'.e k la circonstance pre
senle. — Ecce est pittoresque : c'est un des
mots favoris de S. Luc, quoiipi'il I'emploie
mnins souvent encore que S. Mailhieu (16 fo-_
conlre 23). — Sunt (scil. nunc, hodie) novis-
simi qui erunt (tunc) primi. Les pai mis si
misoiables, « sine Christo..., promissionis
spem non habenles, et sine Deo io hoc
«62
31. En ce m6me jour quelques
uns des Pharisiens s''approcherent
et lui dirent : Sors et va-t-en d'ici,
parce qu'Herode veut te tuer.
32. Et il leur dit : Allez et dites a
ce renard : Voila que je chasse les
demons et gueris les malades
aujourd'hui et demain, et le troisie-
tne jour je suis consomme.
EVANGILE SELON S. LUC
31 . In ipsa die accesserunt quidam,
pharisaeorum, dicentes illi : Exi, et
vade hinc; quia Herodes vult te oc-
cidere.
32. Et ait illis : Ite, etdicite vulpi
illi : Ecce ejicio dsemonia, et sanita-
tes perficio hodie et eras, et tertia
die consummor.
mundo » (Eph. II, 12), ont conquis la premiere
place; au contraire, sunt primi qui erunt no-
oissimi : beaucoup de Juifs ont ele rejeles au
dernier rang.
14. Le renard H6rode. xiii, 31-J5.
Nouveau trail propre au troisieme Evan-
gile, et bien interessanl pour I'hisloire des
relations muluelles de Nolre-Seigneur, d'He-
rode Anlipas et des Pharisiens.
31. — Au lieu de in ipsa die (le jour oil
avail eu lieu la conversation oui piecede,
tt. 23-30), les manuscrils A, B, D. L, R, X,
Sinait., etc., ont, d'une maniere plus precise :
ev aOx^ T^ wpa. — Accesserunt quidaiu Pliari-
sffo»'M?n. Demarche elrange assurennnl. Touts-
fois, il I'aut avoir bien mal compris I'ensemblo
de la nairalion evangelique dans ce qu'elle
rapporie dis relations anlerieures des Phari-
siens avec Jesus, ou il faul vouloir excuser h
lout prix la secle, pour dire avec M. Cohen,
les Pharisiens, 1877, t. II, p. 51 : « Herode...
avail incarcere Jean-Baplisle... II voulul de
meme faire saisir Jesus. Or, ce furent les
Pharisiens qui vinrent aveitir ce dernier des
raauvais desseins du telrarque el lui I'our-
nirenl les moyens do sa sauver a temps (I!).
Une telle demarche piouve que ce parii elait
loin d'etre^ malveillant a I'egard de Jesus »,
Comme si les Pharisiens ne nous elaient pas
au contraire apparus coiislamment comme les
ennemis acliarnes du Sauveur! Comme si
Jesus lui-meme ne montrail pas, dans ?a re-
ponseempreinle deseverile, qu'il comprenait
fort bien les intentions de ces ennemis hypo-
crites, el qu'ii ne se laissail point Iromper
par eux, meme quand ils affeclaienl d'etre
inquiets pour sa viel « Simulantos se eum
diligere », disait deja S. Cyrille (iff Cat.) en
loule ju-tesse. — Exi et vade hinc. Notre-
Seigneur elait alors, croyons-nous, en Peree,
provmce qui apparlenait comme la Galilee au
lerriloire d'Herode Anlipas. — Quia Herodes
vult te occidere. Ces prelendus amis alleguenl,
pour exciter Jestis a fuir au plus vite, ce
motif, qui pouvait parailre de prime abord
d'autant plus vraisemblable, que le telrarque
avail quelque temps auparavant fait mourir
. Jean-Bapliste. Enongaienl-ils un iait reel?
Herode nourrissait-il vraiment des projets
sanguinaires a I'egard de Jesus? Ou bien
^tait-ce une ruse dont se servaient les Phari-
siens pour effrayer leur adversaire, I'eloigner
d'une contree paisible oil il ne courait aucun
danger, le pousser dans la direction de la
Judee et de Jerusalem, le deconsiderer en le
montrant comme un homme timide et Idche?
Beaucoup d'mlerpreles (enlre autres Theo-
phylacte, Eulhymius, Maldonal, Corneille de
Lapierre, Fr. Luc, Calmet, Olshausen, Ebrard,
Slier) ont admis cetle derniere hypolhese,
parce qu'elle est en conformile partaite avec
le caractere fourbe, ruse, des Pharisiens, et
aussi parce que la premiere semble difficile-
menl conciliable avec les senlimenls habituels
d'Anlipas pour Jesus. Compaiez ix, 9, et
XXIII, 8, ou nous voyons le telrarque mani-
fesler un vif desir de voir Notre -Seigneur.
Toutefois, la maniere dont le divin Maitre
repond aux Pharisiens (« Ite et dicite vulpi
illi ») indique plutol qu'Herode jouait un role
personnel dans cet episode. Nous savons par
sa conduile a I'egard du Precurseur qu'il
avail une dme extremement mobile, ce qui pro-
diiisiiit en lui de perpeluelles contratliclions.
Jaloux de son pouvoir, il avail redout^ Jean-
Baptisle : n'elait-il pas nalurel qu'il craignit
de meme le Prophele, le Thaumaturge, qui
exergail sur la foule une si grande influence?
II est done assez probable qu'il s'etait enlendu
avec les Pharisiens pour I'intimider, sans
songer peut-6tre a executer la menace qu'il
luifaisait porter. Voyez dans Amos, vii, 10-17,
une intrigue du meme genre, deslinee a mettre
fin aux propheties que langait centre le
royaume d'Israel le pasteur de Thecue.
32. — Et ait illis. Les commentateurs ad-
mirent a I'envi la dignile, le calme, la sainte
hardiesse, le sens profond de la reponse de-
Jesus. Elle est presentee a dessein sous une
forme un peu obscure el enigmalique. Mais,
si Herode el ses ambassadeurs eprouverent
quelque embarras pour la comprendre, nous
pouvons aujourd'hui la saisir sans beaucoup
de peine. — lie. Vous me dites de m'en aller
{i^OSs. xat TTopeuou, f. 31) ; moi je vous donne
le meme conseil : Ttopeueevxet ! — Dicite vulpi
nil. Jesus est loin de lenir ici le langage d'uiv^
courlisan. Mais que cetle epilhele peu flat-
teuse accolee par lui au nom d'Herode elait
CHAPITRE XIll
263
33. Verumtamen oportet me hodie
et eras, et sequent! die ambulare ;
quia non capit prophetam perire
extra Jerusalem.
33. Gependant 11 faut que je
marche, aujourd'hui, demain et le^
jour suivant, parcequ'il ne convient
pas qu'un prophete perisse hors de
Jerusalem.
bien meritee! II n'est pas un peuple pour qui
le renard n'ail ele un embleme de ruse, de dis-
simulation, de meciiancete. 'A).wT:ri?t toOtou;
etaoEV, (b; xaxoupyou; xai 6o).£pou?, Schol. in
Theocril. ap. Maius, Observat. sacr. Fasc. 5,
p. 'I'12. Hesychius liaite le verbe aXwirExii^eiv
comme un synonyme de dtTtar^v. « Qtmm
duobus modis, id est, aul vi aui fraude fiat
injuria, fraus quasi vuipeculae, vis leonis vi-
detiir, ulruinque homine alienissimum, sed
fraus odio digna majore, »Cic. De offic. i, 13.
Elien, Histor. iv, 39, place les renards au
sommel de la malignite el de la ruse. « Astuti
fuerunt Jlgyplii, dil le Talmud (Schamoih
R. 22), ideoque comparanUir vulpibus. »
Voyez d'aultes exemplos dans Bocliart, Hie-
rozoi'con, t. I, p. 889, Wetslein et Schoeltgen,
Horse in h. 1. Or, Thistoire presenle rarement
des natures a:.issi intrigantes, aussi dissimu-
lees, aussi fourbesque celle d'Herode Anlipas:
sa vie, telle que nous la lisons 'x passim »
dans les ecrits de Josephe. est un tissu de ruses
malsaines. Et voici que Jesus lo prenait en
flagrant delil sous ce rapport! Le texte grec
porta : Tig dXtoitsxi TaO-cij, « vulpi liuic »,
comme si notre-Seigneur eut voulu designer
un etre actuellement present a sos cotes, et
non : t^ ildme-M iv.ei\xi, « vulpi isli », Oil
« illi », ce qui s'enlmiirait de quelqu'un
place a distance. Mais nous ne pensons pas
qu'il faille altacher de rimpoi tance a ce detail,
et dire avec divers commonlateurs (par
example, Maldonat) que Jesus faisait ainsi
retomber I'epilliete Qetrissante en premier
lieu sur les Pharisiens. II suffil, pour juslirier
I'emploi de xaunj, de se rappeler qu'Herode
etait alors present a la pensee du Sauveur. —
Ecce ejicio dwmonia, et sanitates perficio (Re-
cepta : e7iiT£).w, ainsi que la plupart des ma-
manuscriis; anoteXw d'apres B, L, Sinait.).
Par ces queiques mots, Notre-Seigneur de-
signe son ministere dans ce qu'il avait de
plus saillant, ['expulsion des demons et les
guerisons miraculeuses. II passait en faisant
le bien, en accomplissant des ceuvres de cha-
rite, et voila que ses ennemis le redoutaient
comme un homme dangercux, el cherchaienl
h se debarrasser de lui par des menacesl
Mais ces menaces n'eiaieni pas capables de
I'impressionner. Quelle noble fermete dans ces
ieuxverbes employesau lempspresent'wejicio,
perficion), qui denolent une resolution ine-
)ranlable d'agir quand meme,jusqu'a I'heure
larquee par la divine Providence. Les expres-
sions hodie, eras eltertia die ne doivent pas
se prendre a la leltre, comme si c'etaienl des-
dates striclemi nt chronologiques. La parole
de Jesus perdrait ainsi do sa grandeur. A la
suite des anciens, qui les avaient Ires bien
compiises, nous les ententlrons d'une maniere
large. « Per hodie et eras et lerliam diem
universi temporis requisili ad opus suum per-
fectio designatur, » Cajetan, h. 1. De meme
au t. 33. — Consummor est une traduction
Ires exacte du grec i£Xeiou[xat, ainsi que I'ad-
mettent la plupart des oommentateurs, et il
n'est pas difficile d'indiquer ce que represente
celle consummation dont Jesus parle avec
tanl de solennite. To... TeXetoO(xai, to... aitoOa-
veTv auTov dTtoorip-aivei, Eutliymius. « Mortem
suam consummationem vocal », Noel Alexan-
dre. Cfr. Joan, xix, 28; Hebr. ii, -10; v, 9.
Voir aussi les Lexiques de Schleusner et de
Brelschneider. Notre-Seigneur voulait dire
par ce langage figure : Ma mort ne tardera
pas beaucoup, mais men ministere n'est pas
encore arrive a son terme. Je reste done; je
n'ai pas a modifier les plans divins pour un
Herode. Aulant celle parole est bi'lle, autanl
serait mesquine. M. Reuss (Hist, evang.
p. 482) a raison de I'affirmer, I'interpretalion'
suivantede plusieursauleurs contemporains :
J'ai encore pour deux jours de guerisons et
d'expulsions a operer dans cepays; d'ici k
Irois jours j'aurai fini el je partirai! — Notons
en passant que si S. Luc ne mentionne qu'un
lout petit nombre de miracli s durant cette
periode de la vie publique de Notre-Seigneur
(qualre seulement du ch. x au ch. xvii ; il
en avait raconte quinze dans les ch. iv-ix),
le present verset prouve que ce silence n'in-
dique pas une cessation des prodiges. Jesus
continuail done d'operer des merveilles; mais
les ecrivains sacres ne pouvaient les signaler
toutes.
33. — Verumtamen, continue le Sauveur,
oportet me hodie... ambulare. Le moment fixe
pour mon depart (TropeusffOai) viendra pour-
tant, et alors je ni'en irai dans une autre
contree; mais ce ne sera point pour fuir,
comme si j'avais peur des embuches d'He-
rode : ce sera tout au contraire pour aller
affronter la morl au lieu oil je dois la subir.
En effel, non capit (o^x iv8ixzi<x{., locution
Ires classique, « non couvenit, fieri non
potest ») prophetam perire extra Jerusalem.
V Ce n'est pas que lous les prophetes soient
morts dans Jerusalem, ni qu'il y ait sur cela
aucune loi ; mais, pour exagerer la cruaute
de cette ville, le Sauveur dit qu'elle est si
264
EVANGILE SELON S. LUC
34. Jerusalem, Jerusalem, qui tues
les prophetes et lapides ceux qui te
iont envoyes, que de fois j'ai youlu
rassembler tes tils comme un oiseau
rassemble sa couvee sous ses ailes,
et tu ne I'as pas voulu!
3b. Voici que votre raaison vous
sera laissee deserte. Mais je vous
dis que vous ne me verrez plus,
jusqu'ace que vienne le moment ou
vous direz : Beni soit celui qui vient
au nom du Seigneur.
34. Jerusalem, Jerusalem, quse
occidis prophetas, etlapidas eos qui
mitluntur -id te, quolies volui con-
gregare filios tuos quemadmadum
avis nidum suum sub pennis, et no-
luisti ?
Malt. ^3, 31.
35. Ecce relinquetur vobis domus
vestra deserta. Dico autem vobis,
quia non videbitis me, donee veniat
cum dicetis : Benedictus qui venit
in nomine Domini.
accoutumeea repandre le sang des proplielcs
qu'il ne semble pas qu'un prophele puisse
moiirir ailleurs. » D. Calmet. Surtout, il con-
venait que le Messie mourul dans la capilalo
juive. Sa personne eiail done inviolable sur
le lerritoire d'Herode, quels que fussent les
desseins de ce lyran. Qu'imporlaienl au lion
de la tribu de Juda les ruses d'un timide
renard ^
34. — A cetle parole, dans laquelle plu-
sieursinterpretesont vn, peut-etre justemenl,
une fine etmordanle ironie soil a I'egard de
Jerusalem, soit envers Anlipas, Noire-Sei-
gneur ajoule quelques mots de lamentation
douloureuse. II mourra bientol dans la ville
sainte : la residtnce messianique sera done
unecile deicide, el quels malheurs ne s'alli-
rera-t-elle point par ee crime horrible! II ne
peut s'empecher de gemir ?ur elle. — On
trouve aussi dans S. Matlhieu, mais a une
autre place, xxiii, 37-39 (voytz le commen-
laire), cette apostrophe poignanle de Jesus a
Jerusalem. Aurail-elle eie repetee deux fois?
Cela nous parail fort vraisemblable ;du moins
Ton admel generalement qu'eile convient
tres bien dans les deux circonstaiiccs ou
nous la Irouvons. — Jerusalem, Jerusalem.
0 Geminalio verbi miserantis e?l autnimium
diligentis. » S. Cyrille. — A cette viile cou-
pable Jesus reproche rapidemenl son crime
principal. Quce occidis... et lapidus... : elle
massacre sans pitie ceux qui lui sont en-
voyes de Dieu pour la sauver. Les pai ticipes
iitoxTetvovffa, XWoSoXoiJaa, exprimenl plus for-
leraenl encore la frequence, la reitdralion de
I'acte incriinine. — Congregare (i-iauvdlat,
?erbe doublement compose)... quemadmodum
avis nidum suui'». sub pennis. Dans le texle
latin de S. Matlhieu, nous lisons : « Quemad-
modum gailina congregat pullos suos sub
alas »; mais \v texte grec a des deux parts
le substanlif opvu, qui desgne lanlol un
oiseau on general, tantol plus specialemenl
la poule, et c'esl ici le cas.Nocata, « nidus » :
I'abslrait pour leconcret; ou mieux, le con
tenant pour le contenu. S. Augustin, Enar-
ral. in Psalm, lxii, applique mystiquement
a lous les hommes cette gracieuse image :
« Sunt diabolus el angeli ejus quasi mihi;
sub illius gallinae alls simus, et non nos
potest altingere. Gailina emm quae nos pro-
legii forlis est. » — Noluisti est oppose
d'une maniere emphatique a volui. Les habi-
tants do Jerusalem, demeures incredules,
avaient refuse par la meme le puissant et
doux abri que voulait leur donner Jesus.
Aussi les aigles de Rome, en s"abaltant sur
eux, ies trouveront-ellcs sans aucune defense.
35. — Ecce relinquetur... La sentence est
clairemenl foimulee. La demeure sacree des
Juifs idoinus par antonomase, c'est-a-dire le
temple) sera delaissee par I'hote divin dont
elle elait le palais [L'adjectif deserta, quo-
raettenl les meilleurs raanuscrits, Sinait.,
A, B. K, L, R, S, etc., est probablement un
emprunl fail a S. Mallliieu). Le IVe livre
(apocryphe) d'Esdras, i, 30-33, annonce ce
terrible abandon presque dans les memes
terraes,el comme le resullal du meme crime:
(( Ila vos colli^gi, ut gailina pullos suos sub
alas suas. Modo autcm quid faciam vobis?
Projiciam vos a facie mea... Ego misi pueros
meos prophetas ad vos, quos acC'^pios interfe-
cistis, et laniast s corpora eorum... Haee dicit
Dominus omnipolrns : Domus vestra deserta
est. » Depuis des siecles. quand un peleria
juif arrive a Jerusalem, on fait dans son vd-
tement une petite dechirure (la k'rie) en
disanl : « Sion a ele cliangee en un desert,
elle git devastee, »Le Dr i>raelit8 A. L.FrankI,
de qui nous icnons ce detail ^Nach Jerusalem,
I. II, p. H], relate (ibid. p. 24) ces triples
paroles que lui adressa dans la ville sainte
un de ses coreligionnaires : « lei lout est
poussiere. En tout aiiire lieu de la lerre ce
qui avail ete detruil renail de ses ruin^s;
mais ici rien ne verdit, rien ne fleurit, quoi-
qu'il y murisse un fruit au goul amer, le
chagrin de voir que Jerusalem a dispaiu.
N".ii'o'ds ici aucune joie, ni des hommes, ni
CHAPITRE XIV
S65
CHAPITRE XIV
Jesiis acceple une invitation a diner chez un Pharisien [t. 1). — II gudrit un hydropique
(tt. 2-6). — II donne aux convives : 1o une legon d'tiumiiile [tt. T-ll) ; — 2° une iccon
de charite (tt. 12-14). — Parabole du grand festin [tt. 15-24). — Ce qu'il en coute pour
suivreNotre-Seigneur ^tt. 2o-3b).
1. Et factum est cum intraret Je-
sus in domum cujusdam principis
pharisseorum sabbato manducare
panem. et ipsi observabant eum.
l.Et il advint que Jesus eutra
dans la maison d'un chef de Phari-
siens, un jour de sabbat, pour y
manger du pain, et ils I'observaient.
des muiilai^nes. » Details caracteiistiques,
qui prouvcnl jusqu'a quel point s'est realisee
la prediction de Jesu?.Gependant le Sauveur,
iiiisericoidii ux alors mSme qu'il menace et
cliStie. ouvie aux Juil's, en teiminant, une
perspective de bonheur, leur laisse un espoir
de salut. Bientot i!-; cesseront do le voir ;
mais un jour, convcrtis et deveiius croyants,
ils le recevront en pou?sant ce cri d'allegresse
et d'amour : Benediclus qui venit... Ce sera
aux i^randes assises du jugement general. —
a Et mainlenant, jetons un coup d'oeil d'en-
semble sur la reponse de Jesus [tt- 32-35),
pour en contempler loute la richt'sse. Admi-
rons la maniere dont le Seigneur manifeste,
par ces quelquos paroles, sa parl'aile con-
oaissance du coeur humain, car il discernecn
un instant le ruse renard ; adm rons la ()reci-
sion fct la vigueur de sa promple repliquo, le
dedain qu'il oppose au fourlie letrarque, la
severile avec laquelle il traile les Pharisicns
hypocrites, la sainte serenile qui .domino
lout I'episode, I'irresisliLle energie de sa
denoncialion associee a la tendresse de son
amour qui gemit..., enfin la suhlimile du
regard prophetique qu'il jelle aussi bien sur
rhi-loire du passe que sur les evencments
fulurs de sa vie el de sa mort, el meme, au
t. 35, sur les scenes glorieuses el finales des
derniers jours. » Slier, Reden des Henn, h. 1.
Parlout et loujours, c'est le divin Jesns!
16. J6sus dans la maison d'an Pharisien
en un jour de sabbat. xiv, 1-24.
C'est une particularile du troisieme Evan-
gile, nous I'avons indique dans la Preface,
§ V, de nous faire connaitre le « Fils de
i'Homme. » De nouveau (Cfr. vii, 36 ot ss, ;
XI, 37 et ss.) nous irouvons ici Notre-Sei-
gneur assistant S un repas. Gelte fois encore
J'ecrivain sacre nous a conserve, si nous
osons le dire, ses « propos de table » ; mais,
comme loujours, ce sont des propos lout ce-
lestes, qui renferment de precieuscs instruc-
tions, valables a lout jamais.
1° Garrison d'une hydropique. ff. 1-6.
Chap. xiv. — ^. — Et factum est. L'evan-
gelisle ne menlionno ni le lieu, ni la dale.
La scene se passa vraiscmblablement dans
une autre contiee que I'episode raconie a la
fin du chap. xin. — Quum intraret : plus
litleralemenl, « quum mtrasset » (ev xw eXeeiv
auTov). — In domum cujusdam principis Pha-
ris(eorum. D'apres le grec : « dans la maison
de I'un des chefs (tivo? twv ap/.ovxwv) des Pha-
risiens. » Expression qu'il ne laut pas vouloir
trop pressor, car les Pharisiens, en lant que
parti, n'avaient pas de chefs ofiiciels. Elle
signifie simplement que I'amphylrion elait
un des houimes influenls de la secle. On n'a
aucune raison speciale de faire de lui un chef
de synagogue, ou meme un membre du San-
hedrin :Grolius). — Manducare panem est un
hebrai'sme bien coniui (Cfr. vii, 33;Matlh.
XV, 2 ; Leusdon, De hebraismis N. T., p. 63),
qui designo un repas qiielconque. Evidem-
monl, le Sauveur n'etait entre dans la maison
des Pharisiens que .=ur une invitation for-
melle. — Sabbato. Cdte ciiconslance de
temps est iin[)ortanle pour la suile du recit.
Cfr. t. 3 et ss. Elle s'accord.- fort bien avec
la couUime, loujours precieusementsuivie par
les Juifs, de feter le samedi ()ar des repas
plus soignes, plus copieux, auxquels ils invi-
tent leuis parents, k'urs amis, oi ui>ime les
elrangers et les pauvres. Cfr. Tob. ii, 5;
Neh. viii, 9-12; Buxiorf, de Synag. judaica,
cap. XV ; Olho, Lexic. rabbinic, s. v. Sabba-
lum; Liglilfool, Hor. hebr. h. I. « Prohibitum
est jejunare sabbato, dit IMaimonide, Sabb.
c.xxx; at vero e contra tenentur homines
cibo et potu se oblectare, lautius enim con-
vivandum est sabbalo quam diibus aliis. »
« Accueille le sabbat avec un vif apfieiil :
que la table soil couverte de poisson, do
266
fiVANGILE SELON S. LUC
2. Et voila qu'un homme hydro-
pique elait devant lui.
3. Et Jesus, prenant la parole, dit
aux docteurs de la loi et aux Phari-
siens : Est-il permis de guerir le
jour dusabbat ?
4.EtilF-e turent. Mais lui, pre-
nant cet homme par la main, le
guerit et le renvoya.
5. Et s'adressaut a eux il dit :
Qui de vous. si son dne ou son bceuf
tombe dans un puits, ne Ten reti-
rera pas aussitOt le jour du sabbat ?
2. Et ecce homo quidam hydro-
picus erat ante ilium.
3. Et respondens Jesus dixit ad
legisperitos, et pharisseos, dicens :
Si licet sabbato curare ?
4. At illi tacuerunt. Ipse veroap-
prehensura sanavit eum, ac dimisit.
b. Et respondens ad illos dici^ :
Gujus vestrum asinus aut bos in
puteum cadet, et non continue ex-
trahet ilium die sabbati ?
viande, et d'uri vingenereuxl que les sieges
soienl moellsux et ornes de splendides cous-
sins ; que I'elegance sourie dans la maniere
dont la table sera garnie! » Tdles etaient les
recommandations des Rabbin-! (vovez Abbott,
The Gospel according to Luke, 1878, p. 88),
et on les prenait si bien au serieux que la
sainte joie du sabbat degenerait souvent en
exces de tout genre, comme nous I'appren-
nent non seulement les Peres de I'Eglise (Cfr.
S. Jean Chrys. deLazaro, Horn, i ; S. August.
Enarrat. ii in Ps- xxxii, 2 ; Si-im. ix, 3),
mais les paiens eux-niemes, Plularque par
exemple. qui en prind occasion de railler les
Juifs : 'Oxav (TaSgaxov xiixouaiv, [x.i).iata. (xtv
TTtveiv xai olvo'jcOat TtapaxaXoOvxai d),),y]Xou?. —
Ipsi (scil. Pliari--8ei) observahant eum. Plus
fortenienl dans le texle grec : aOxoi ^axv
napat/jpoOijevot auTov. Toule'rassislance elait
done occupee a epiiT les paroles et les actes
du Sauveur. Cela prouve dans quel esprit
avail eu lieu I'invitalion. Cfr. vi, 7; xx, 20;
Marc, in, 2; Ps. xxxvi, 32. Mais, « quamvis
Dominus maliliam Pliarisaenrum cognosceret,
eorum lamen fiebal conviva, ul "piodesset
praesenlibu- p?r verba et niirucula. ». S. Cyrille
(Cat. D. Thoin.;. L'amour de Jesus ne se las-
sait jamais.
2. — Et ecce... La narration est pleine de
piltoresque. Quelque temps avant que le
repas commcuQSi (Cfr. t. 7), voici qu'un
homme alteint d'hydropisie, maladie loujours
graveet souvent incurable (notez I'expression
technique ()5pw7tix6? : on ne la rencontre pas
ailleurs dans le Nouveau Testament), appa-
rut tout k coup devant Jesus : erat ante
ilium! Ce n'elait certainement pas un con-
vive. Peut-etre, ainsi qu'on I'a conjecture,
avait-il ete amene la par les Pharisiens
comme un piege vivant pour le Sauveur.
Mais, selon la juste remarque de Maldonat, il
semble que dans ce cas « id Evangelisia non
tacuisset, qui non tacuit Pharisaeos intentos
fuisse ut Christum observarenl. » Nous
croyons done plus probable que le malade,
profitant de la liberie des mcBurs orientales,
s'etait glisse delui-meme dans la maison avec
I'espoir d'etre gueri. Quoi qu'il en soil, le
piege, s'il existait, fut promptement dejoue
par Notre-Seigneur.
3 et 4. — Respondens. Jesus va repondre
aux plus secretes pensees de ses adversaires.
— Si licet sabbato curare? El fait defaut dans
plusieurs temoinsimportanls; d'un autre col^,
les manuscrils Sinaii., B, D, L, ajoutent k la
fin de la phrase : fi ou, « an non ». Prece-
demment deja, vi, 9, nous avons vu le Sau-
veur prendre I'initiative dans une circons-
tance analogue, et couvrir les Pharisiens de
confusion par cetle simple question. Le r^-
sullat fut ici le meme : tacuerunt. Le grec
dit plus fortement encore : ^auxacrav, littera-
lement, « ils se linrent cois », n'osanl ni
parler ni remuer. Completenient justifie par
un pareil silence (car, si I'acte qu'il meditait
eut ete illegal, ces maitres en Israel, publi-
quement consulles, n'etaient-ils pas lenus de
Ten averlir?), Jesus repond lui-m^me d'une
maniere pratiquo a sa quesl'ion : apprehensum
(ditiXa66|XEvoi;, ayant pris doucement le ma-
lade par la main) sa^iavit eum ac dimisit
(aTteXuoe). Admirons le recit, qui n'est pas
moins rapide que les fails.
5. — Le miracle accompli, Notre-Seigne^
legitime sa conduite par un raisonnement
irrefutable, que nous avous deja rencontre en
substance dans le premier Evangile, xii, H
(voyez le rommentaire), a propos d'une gue-
rison du meme genre. Comparez aussi Luc.
xiii, 15. II en appolle a leur propre uidnieie
de faire [cujusvesli-um). el m^nlre la contra-
diction dans laquelle ils tombent loisqiie.
d'une part, ils lui reprochenl avec lant d'a-
crimonie les guerisons qu'il opere aux jours
de sabbat, tandis que, a'aulre part, ils ne
craignent pas, en ces mSmes jours, de se li-
vrer a de gros travaux pour extiaire dun
fosse, d'une citerne (« foveain » serait [irefe-
rable a puteum], leur cine ou leur bceuf qui y
est tombe. — Asinus aut bos. Les manuscrits
CHAPITRE XIV
26T
6. Et non poterant ad hsec respon-
dere illi.
Dicebat autem et ad invitatos pa-
rabolam, intendens quomodo pri-
mos accubilus eligerent, dicens ad
illos :
8. Gum invitatus fueris ad nup-
tias, non discumbas in primo loco,
ne forte honoratior te sit invitatus
ab illo ;
9. Et veniens is qui te et ilium
6. Et ils ne pouvaient rien repon-
dre a cela.
7. II dit aussi aux invites une pa-
rabole, en voyant comment ils choi-
sissaient les premieres places.
8. Lorsque tu seras invite k des
noces, ne te mets pas a la premiere
place de peur qu*un autre plus ho-
nore que toi n'ait ete invite aussi,
9. Et que celui qui vous a invites
grecsont presquea I'unaniinitewEo?, a iilius »,
au lieu de 6vo;, a asinus »; de meme plu-
sieurs versions ancieniies, et c'esl celle le-
gon, plus accreditee et plus difficile (« lectio
difficilior praeferenda »), qu'adoptenl la plu-
part des critiques. Mais il est incontestable
que ovo; nnerite de beaucoup la preference
au point de vue logique; en effet, i'argumen-
talion perdrait une grande parlie de sa force
si Jesus reprochail a un. pere de rompre le
repos du sabbat pour retirer son fiis d'une
citerne. Un passage bien connu de I'Exode,
XXI, 33, semble favoriser la \ariante de la
"Vulgaie, appuyee d'ailleurs par le manuscrit
Sinaltique. — Les anciens interpretes, rap-
prochantce miracle de la guerison raconleeun
peu plus haut (xiii, 45) parS. Luc, onl inge-
nieusement releve Ta-propos avec lequel Je-
sus modifie ses demonstrations, defagon a les
mieux faire cadrer avec les circonstances
exterieures. a Gongruenier hydropicum ani-
mali quod cecidit in puteum comparavit :
HUMORE enim laborabat; sicut et illam mu-
lierem quam decern et octo aiinis alligatam
dixerat... comparavit jumenlo quod solvitur
ut ad aquam ducalur ». S. August. Quaesl.
evangel, ii, 29.
6. — Non poterant ad hcec respondere (le
verbe grec avrauoxpierivai n'apjiarail qu'en ce
Eassage des Evangiles et Rom. ix, 20). Plus
out, if. 4, les Pharisiens s'etaient tus parce
qu'ils n'avaient pas « voulu » repondre;
maintcnant leur silence est force el provient
de I'embarras. Quelle riposte auraienl-ils pu
faire a la demonstration si frappante de Jesus?
C'est ainsi que Notre-Seigneur debarrassait
peu a peu I'lnslitution sabbatique des obser-
vances mesquines sous lesqueiles retouffait
h demi une traiJilion ininielligente.
2o Le repas, accompagn^ des instructions du Saa»
veur. t^ 7-24.
Ces instructions sonl au nombre de trois :
la premiere s'adresse aux invites, tir, 7-11 ;
la secondea ramphytrjon, tt. 12-44;la troi-
8i6me k toute i'assemblee, tt. 15-24.
a. Legon cfhumilili. )y. 7-11.
1. — Dicebat autem et ad invitatos est une
formule de transition, qui introduit un nouvel
ordre de faits. Plus haul, Notre-Seigneur
avail parle « in globo » k loule I'assemblee :
acluellement il se propose de donner une ins-
truction speciale aux invites, a I'occasioa
d'un abusqu'il signalera encore plus lard, xx,
46, et que I'evangeliste ratrace ici en termes
piltoresques : intendetis (ini■/u>■^ scil. x6v vouv^
quomodo primos discubitus (toc; itptoToxXiaiaif
les premieres places sur les « triclinia ») eli-
gerent. Le tableau de ces miserables petites
manoeuvres se dresse de lui-meme sous les
yeux du lecleur. EUes devaienl se renouveler
frequemment, comme on en pourra juger par
ce fail etrange emprunl6 au Talmud (voyez
Liglitfoot, Hor. hebr., h. I.), oil Ton voit
peintes au vif les pretentions superbes du
parti rabbinique. Un jour que le roi Alexan-
dre Jannee donnait a diner a pUisieurs sa-
trapes persans, Simeon ben Schetach se trou-
vait au nombre des convives. A peine enlci
dans la salle du festin, le Rabbi alia tout
droit s'asseoir entre le roi et la reine, a la
place d'honneur. Et, comme on lui reprochail
cette arrogante intrusion. N'esl-il pas ecrit
dans le livre de Jesus fils de Sirach (Eccli.
XV, 5), repondit-il sans hesiler : « Exalte la
sagessp, et elle I'exalLera et te fera asseoir
parmi les princes? » Voila jusqu'oii allait Tin-
fatualion des theologiens juifs a celte epo-
que : les legons du Sauveur venaient done
fort a propos pour guerir cette autre forme
d'hydropisie, rhydropisie du coeur. Aujour-
d'hui encore, meme parmi les chreliensjepla-
cemenl des convives occasionne bien des ani-
mosites secretes, plus d'une amere deception^
quoique I'orgueil soil moins apparent. — Re-
marquez le mot « intendens ». Jesus est ob-
serve par ses adversaires (Cfr. t. ^)^, mais lui
aussi il observe : seulement, il le fait par es-
prit de charite, landis que leur but manifesto
elait la malice. — Nous prenons le mot pa-
rabolam dans un sens large. Cfr. I'Evangile
selon S. Malth., p. 2o7. Ma'donal suppose
sans raison que Notre-Seigneur aurail plac4
ici une vraie parabole, omise par S. Luc, et
donl la morale seule serail reslee.
8 et 9. — Quum invitatus fueris... La
S68
EVANGILE SELON S. LUC
tous deux ne vienne et ne te dise :
Donne-lui cette place, et qu'alors tu
n'ailles en rougissant occuper la
derniere place.
10. Mais quand lu seras invite, va,
mets toi a la derniere place, afln que
lorsque viendra celui qui t'a invite,
il te dise : Ami, monte plus haut.
Alors ce sera pour toi une gloire
devant ceux qui seront a table avec
toi.
11. Gar quiconque s'exalte sera
humilie et quiconque s'humilie sera
exalte.
12. II disait aussi a celui qui I'a-
vait invite : Lorsque tu donnes a
diner ou a souper, n'appelle pas tes
amis, ni tes freres, ni des parents
ni des voisins riches, de peur qu'ils
ne t'invitent a leur tour et ne te
rendent ce qu'ils ont recu.
vocavit, dicat tibi : Dahuic locum;
et tunc incipias cumrubore novissi-
mum locum tenere.
10. Sed cum vocatus fueris, vade,
recumbein novissimo loco : ul.cum
venerit qui te invitavit, dicat tibi :
Amice, ascende superius. Tunc erit
tibi gloria coram simul discumben-
libus.
Prov. 25, 7.
11. Quia omnis qui se exaltat hu-
miliabitur : et qui se humiliat exal-
tabitur.
Mallh. 23, 12 ; lyjfra, 18, 14.
12. Dicebat autem et ei qui se
invitaverat : Gum facis prandium,
aut coenam,noli vocare amicos tuos,
neque fratres tuos, neque cognates,
neque vicinos divites : ne forte te et
ipsi reinvitent, et fiat tibi retributio.
Tob. 4, 7; Prov. 3, 9.
secondepersonne dii singulier, employee dans
les tt. 8-10, communique a Taposirophe
beaucoup de vie el de chaleur. — Ad nupiias,
6i« yaiLo^Ji, c'esl-a-dire a iin ropas de iioces.
Avec quelle delicalesse le bon iMaitre donne
sa legonl II semble ne faire aucune allusion
direcle a ce qui se passait sous S'^s youx. —
Non discumbas inpi'imo loco. La place du mi-
lieu sur chaque « lecUis iricliniaris » elail
regardee comme la plus honorable, el le
« leclus medius » recevail les principaux
convives. Voyez A. Rich, Diclionn. dis anti-
quiles rom.el grecq. s. v. Leclus, — hiDitatus
abillo (scil. « qui le invitavit ») : ellipse selon
la mode hebraique. — Veniens... Da hide lo-
cum;... incipias cum rubore. La scene est ad-
mirablemenl decrile : nous voyons les per-
sonnages se mouvoir, nous eiitendons leurs
paroles; je crois apercevoir I'oigueilleux in-
vile qui, la rougeur au front et tuul deconte-
nance, s'en va do la premiere a la derniere
place, au bout du « leclus imus ».
\Q, _ Vade, recumbe... Nouveaux details
pilloresques, mais pour recoinmander une
conduite toute conlraire a celle du t- 8,_et
pour signaler les avantages de la modestie.
Voyez des conseils analogues au livre des
Proverbes, xxv, 6 et 7, el dans le Talmud,
Vajikra Rabba, f. 4 64, 4, (ap. Liglitfoot,
1. c.l. — La conjonclion ut indique moms le
but qu'un resullat, car Nolre-Seigneur Jesus-
Chri-l ne voulait evidemmenl pas ens^iigner
ici une pratique de simple politesse mondaine,
basee sur des motifs egoisies, c'e^t a-dire
mcllri' iin orgueil plus raffine^la place de la
grossiere vanile. Sa pensee va plus loin que
ses paroles, el, sous celte forme aimable, il
cache une kgon de profonde humilile, comme
le prouve la sentence generale du t. M.
\\. — Omnis qui sfi exaltat... Nous retrou-
vons ailleurs (xviii, 14; Matlh. xxin, 12) ce
m6ma adago solennel. 11 correspond a un de-
cret providenliel donl I'experience prouve la
fidelo execuion. Meme le paganisme en avail
enlrevu la verile; temoin ce mot si juste
ecliappe a E-ope, un jour qu'on lui avail de-
manfie quelle etait Toccupation des dieux :
« Elala dcprimere, hurailia exlollere ». Les
Rabbins disent aussi : « Qui semelipsum de-
primit, eum Sanctus Benediclus exaltat; et
qui se ipsuni exallat, eumSanclus Bt^nediclus
deprimil ». Et los hommes,prec'.sement parcc
qu'ils sont tous orgueilleux, aiment comme
Dieu a elever Ips humbles et a rabaisser les
superbes.
b. Legon de charitS. ff. 12-14.
12. — Dicebat autem... Nouvelle formule de
tran>ilion. Cfr. t. 7. — Cum facis prandium
(apiffTov)aM( rcenam (SEtTrvov). Le premier de ces
deux sub^lantifs designe le repas du matin, ou
grand dejeuner; le second, le repas du soir, le
diner. — Noli vocare (iptoveiv dans le sens de
xa)>eiv. CIV. t. 16 et le commeiitaire) amicos
tuos... Nolre-Seigneur menlionne qualre ca-
tegories de personnes qui sonl habilueilement
inviiees aux repas des riches. En premier
lieu il olace )e.-a amis, ces fr6res que Ton s'est
CHAPITRE XIV
269
13. Sed cum facis convivium,
Toca pauperes, debiles, claudos et
csecos.
14.Etbeatus eris, quia non ha-
bent relribuere tibi : retribuetur
enim libi in resurrectione justorum.
13. Mais quand tu faisun festin,
appelle les pauvres, les debiles, les
boiteux et les aveugles.
14. Et tu seras heureux parce
qu'ils n'ont pas de quoi te le rendre,
car il te sera rendu dans la resur-
rection des jusles.
soi-meme choisis, coiiime dii le poelearabe;
viennent ensuite les freres selon la nature,
puis les parents en general (ffuyYeveT; ), enfin
les vois.ns. II est vraisemblable que c'est sur
cesderniers seuli'menl que relombe I'epithele
divites ; cela parait indique grammalioale-
ment par I'absonce de Tarlicle et du pro-
nom ffou avani ei apres ytiioyaz. Cependant,
de nombreux inlerpretes la raltachenl aux
quatre subslanlil's qui precedent, et cela est
au moins vrai dans la pensee. — Ne forte
te... reinvitenl (le verbo grec a.'vziv.aliatixji
n'est employe qu'en cet end'oit du N. Test.)
et fiat libi relnbutio (avTaTt'j6o[ia). C!"S inols
contiennent le motif de la recommandalion
du Sauveur. Helasl ils expriment une crainle
quo le monde ne connait gu6re, pui-qu'il est
plus que jamais de mode d'inviler afui d'elre
soi-mem3 reinvite {sur I'ancienne couiume
de rendre repas pour repas, voyez Xenophon,
Sympos. I, 15). Mais alors on a re^u sa r6-
(•6nii)(n-;e. Gfr. vi, 24; Matlh. vi, 2, 5, Ma.
Comparez aussi le vers de Martial :
Poscis maaera, Sexte, non amicos.
S. Ambroise ecrivait de meme : « Hospitalera
esse remuneraturis afifeclus est avariliae ».
13 et 14. — Sed inlroduit uii frappant con-
traste. — Cum facis convivium: dans le grec,
6ox»iv. une reception. Gfr. v, 27 et le com-
menlaire. — Voca (ici, v-ilti) pauperes... Aux
quaire categories de riches et d'amis qu'on
invite dans I'espoir d'obteiiir d'eux en retour
quelque favour, Jesus oppose quatre catego-
ries de malheurt-ux dont on n'a rien a atlen-
dre ici-bas, sauf peut-elre quelque sentiment
on parole de reconnaissance (avaui^pou;, de-
biles, les eslro[)ies : de meme au t. 21. Gfr.
Bielschneider, Lexic. man.,s. v., et Kuintel,
h. 1.). Mais, on revanche, quelle belle recom-
pense on recevra [retribuetur ; le verbe grec
correspondant n'apparait qu'en cet endroit
des Evangiles) de celui qui ne perd pas de
vue un simple verre d'eau donne en son noral
Aussi Notre-Seigneur, avec une emphase vi-
sible, proclarae-t-il bienheureux quiconqu3
se rendra digne de I'oblenir. L'expression
resurrectio justorum correspond a a resur-
reclio vitae » de S. Jean, v, 29 (Gfr. Ps. i, 5!,
et designe lesjoies ^ternelles du ciel. — IJ
est a peine bisoin de noter que ce con^eil de
Jesus est presente, comme plusieurs auir^s,
sous une forme paradoxale, a la maniere de
rOrienl, et qu'on tomberait dans d'elranges
exagerations si on voulait le pratiquer a la
lellre, d'une fagon absolue, ainsi que Font fait
plusieurs sories d'lUumines. « Jesus invita-
tiones ex nocessitudin^ nalurali et civili quasi
suo loco relinquit : ipse meliores praecipit.
Humanitatis officia non plane tollit », dit un
ancien commintaleur. Le but du Sauveur
n'est pas de brouiller les relations sociales,
mais de melire la charite a la place de I'e-
golsme, de rappeler aux siens la pensee des
pauvres. « Noli vocare... » du t. 12 signifle
done : « Non tarn voca... quam... », ou « Non
lantum... sed et... » D'ailleurs la Loi mosal-
que exhortait deja forlement les riches a in-
viter les pauvres danscerlaines circonstances
parlioulieres. Gfr. D mii.xii, 5-12; xiv, 28,29;
XV, 11; XXVI, 11-13; Nehem. viii, 10. Le
Talmud parle dans le mean sens : « R. Si-
meon haec protulit : Quicumque diebus festis
Ifietatur, neque Deo portionem suam dal, ille
est invidus; Salanas ipsum odit, accusat,
morti Iradil, et magnis suppliciis afficit.
PortiQautemDei estut pauperes cxhilar.'mus,
quantum qusque potest ». Sohar Genes,
f. 8, col. 29. Gfr. Sclioetigen, h. 1. Les paiens
eux-meines avaient compris cette verite :
« Volo eum qui sit vero liberalis, tribuere
amicis, sed araicis dico pauperibus, non ut
isli qui iis potissimum donant, qui donaro
maxime possunl », Pline, Ep. ix, 30. « A nos
fetes, nous devons inviler, non pas nos amis,
mais les pauvres et les miserables : s'ils ne
peuvenl nous recompenser, ils appelleront
par leurs voeux des benedictions sur nous ».
Platon, Phedr. 233. Gfr. Giceron, de Offic.
I, 15; Dio Ghrys. i, 232.
c. Parabole du grand festin. ff. 15-24.
Sur la non ideniite de cette parabole
avec celle que nous lisonsau chap, xxiie de
S. Matthieu, ft- 1 et ss., voyez notre expli-
cation du premier Evangile, p. 420. Sans
doute, elles representeni i'une et I'autre le
royaume des cieux sous rembleme d'un festm
auquel un grand nombre d'hommes sont in-
vites, et dont b 'aucoup s'absiiennent d'uno
maniere pleine d'irreverence. Mais, indepen-
damm'nt des circonstances de temps et de
lieu, qui different cerlainement, « la s'arrSte
le parallelism?. Dans S. Maltliieu, le feslia
270
fiVANGILE SELON S. LUG
lb. Lorsque il eut entendu cela,
un de ceux qui etaient a table lui
dit : Heureux celui qui mangera du
pain dans le rojaume de Dieu.
16. Mais Jesus lui dit: Un homme
fit un grand sou per et appela beau-
coup de convives.
17. Et il envoya son serviteur, a
rheure du souper, dire aux invites
de venir parce que tout etait pret.
15. Hsec cum audisset quidam de
simul discumbenlibus, dixit illi:
Beatus qui manducabit panem in
regno Dei.
16. At ipse dixit ei : Homo qui-
dam fecit coenam magnam, et voca-
vit multos.
Match. ii.i; Apoc. 19,9.
17. Et misit servum suum hora
coense dicere invitatis ut venirent,
quia jam parata sunt omnia.
est donne par un roi, les inviialions sont
rejelees avec dedain, ce qui consliUie. un
acte de rebellion, lequel est consomme par
le meurtre des serviteurs, mais est bienlot
puni par la mort des rebelles; les bons et
les mauvais sont. reunis dans la salle du
festin, et, firialemenl, I'un des convives est
mis a la porle... parce qu'il ne s'est pas re-
velu d'une robe nuptiale. Ici, au conlraire,
c'est un homme prive qui dosine le repas ; les
invitations sont declinees avcc qiielque appa-
rence de respect, de fa^on a denoter plulot
rindifference qu'un anlagonisme ouvert; le
cliiitiment ne consiste que dans rexclusion
des premiers invites...; il n'y a pas la raoindre
trace d'un incident analogue a celui de I'hote
depourvu du vetement nuptial », L. Abbott,
The Gospel according to Luke, p. 87.
45. — Hcec cum audisset.., L'occasion de
fa parabole est rapidement indiqueepar cette
petite introduction historique. — L'exclama-
tion Beatus qui manducabit panem... se rat-
chait d'une inaniere assez naturelle aux der-
nieres paroles do Jesus (Cfr. t. i4) : elle y
ajouiait. la metaphore bien conriue, qui com-
pare le bonheur eiernel des cieux a un joyeux
festin. Voyez xiii, 29;Mallh. viii, 11 ; Apoc.
XIX, 9. Sortait-elle spontanemfMit d'un coeur
pieux et smcere? ou bien n'elait-ce qu'un
expedient liabile pour detourner la conver-
«aiion d'un sujet qui devail elre peu agreable
pour la plupart des assistants? II est assez
malaise de le determiner avec certitude. Dej^
les anci ns exegetes etaient en desaccord sur
ce point : aujouid'hui les voix se partagent
de la meme maniere, el tandis que les uns,
prenant en mauvaise part les paroles de I'in-
lerrupleur, les regardent presque comme une
platitude (Farrar), les croient lout a tail hors
de saison (Slier), les autres y voient une
marque de joyeux onlhousiasme (Olshausen)
et de vive sympalliie pour Jesus (Trench).
Exterieurement, rien m' niontre qu'elles fus-
sent diciees par I'hypocrisie ; mais la defiance
est bien permise quand il s'agit des relations
de la secte pharisai'que avec Nolre-Seigneur.
16. — ilt ipse dixit ei. En toute hypolhese
Jeaus ne se laissa ni distraire, ni troubler
par I'exclamation de ce convive. II saisit au
contraire loccasion pour donner a loule I'as-
semblee une troisieme legon, empruntee,
comme les deux precedentes, a la circons-
tance du moment. — Homo quidam. a Homo
iste Deus Pater est, secundum quod imagines
ad simililudinem veritatis tiguranlur. »
S. Cyrille, in Cat. D. Thorn. — Fecit coenam
(Sevtcvov, le repas du soir) magnam et vocavit
(exdXeffe I'expression technique en pared cas.
Cfr. Matth. xxii, 3; Joan, ii, 2; I Cor.
X, 27, etc.) multos. II y a une emphase vi-
sible dans les adjeclifs « magnam, multos »,
qui relevent la richesse du festin, la multi-
tude des invites, c'est-a-dire, d'un cote, la
munificence avec laquelle Dieu traitera ses
elus, de I'autre, I'infinie bonte qui lui fait
offrir le salut k tous les hommes. Mais, di-
rectementet d'apres le contexte,les « multi »
appeles les premiers sont les chefs de la
theocratie juive (Cfr. S. Cyrille, in Cat.
S. Thom.); le « grand festin » auquel on les
invite reptesenle le royaurae du Messie,
I'Eglise chretienne, soit ici-bas, soit dans son
eternelle consommation.
'1 7. — Misit servum suum hora coencB...
Nous avons deja mentionne ailleurs (Evang.
selon S. Matth., p. 421) la coutum" orientale
qui consiste a lancer, au moins dans les
grandes occasions, plusieurs invitations con-
seculives. La derniere a lieu au moment
meme du festin sous une forme tres pres-
sante. « Tefouddoulou, el'ascha hader »,
Venez, car le repas est pret ! crient les ser-
viteurs de I'amphytrion dans les villes sy-
riennes, a la porte des invites. Voyez Thom-
son, the Land and the Book, 1876, p. 125;
Rosenmijller. Neues u. alt. Morgenland, t. V,
p. 192 et s, Ici, le serviteur (tov SoOXov avec
I'article, le serviteur par anlonomase, VEbed
Yehova d'l^aie) n'esi autre que Notre-Seigneur
Jesus-Christ, qui a daigne prendre par ainour
pour nous la forme d'un esclave, Phil, ii, 7.
On p'^'Ut aussi lui associer S. Jean-Baptiste et
les Apotres, attendu qu'ils ferment ensemble
comme un tout moral ; mais c'est surtout de
sa personne divine qu'il s'agit, car il annon-
gait avec une autorile et avec un zele in-
18. Et coeperunh simiil omnes ex-
cusare. Primus dixit ei : Villam
eini, et necesse habeo exire, et vi-
dere illam : rogo te, liabe me excu-
satum.
19. Et alter dixit: Juga boiim emi
quinqne, et eo probare ilia; rogo te,
-^nabe me excusatum.
20. Et alius dixit : Uxorem duxi,
et ideo non possum venire.
21 . Et reversus servus nuntiavit
hiBC domino °uo. Tunc iratus pater-
CHAPITRE XIV 271
18. Et ils commencerent tous en-
semble a s*excuser. Le premier lui
dit : J'ai achete une maison de
compagne etj'ai besoin d'aller la
voir; je t'en prie, excuse-moi.
19. Et un autre dit : J'ai achete
cinq paires de boeufs, et je vais las
essayer; je t'en prie, excuse-moi.
20. Et un autre dit : J'ai pris
femme, je ne puis done venir.
21. Leserviteur etant revenu rap-
porta tout ceci a son maitre. Alors
compaiablcs quia jam parata sunt omnia.
18. — Et ccepentnt [un (ios mots les plus
aimes de S. Luc) simul omnes excusare (soil.
« sese »; bonne iraduction de TtapaiTeTaOai.
Voyez Brelsclmeider, Lex. man. s. v.). Le
divin narrateiir appuie evidemment sur
« simul » el sur « omnes »; car il est frap-
panl de voir lous les invites s'excuser, c'est-
a-dire s'abslenir, et 11 n'est pas moins eton-
nant qu'iis le fassent tous cltzo [ita;, comrae
s'exprime le texle grec, ce qui signifie, d'apres
rinlerprelation la plus probable , « uno
animo » comme par suite d'une entente,
(s. ent. '^^yjni> ou xapSia;, ou yvwij-^i?; selon
d'aulres, ano (ita? ipwv^;, « uno ore » ; la Vul-
gate sous-entend wpa?; la version syrlaque
traduit par ^^ 1)2 « ab uno » = staiim). —
Primus dixit... : Villam emi. Notre-Seigneur
Jesus-Christ signale, par maniere d'exemple,
irois des excuses qui furent alleguees. La
premiere consislait dan? le recent achat d'un
doraaine. ou m6me, selon le sens ordinaire
du grec aypo;, d'un simple champ, que I'ac-
quereur voulait visiter au plus vile : non
sans doute qu'il I'eut achete sans I'avoir vu,
mais il avail hSte d'y penelrer en mailre
pour la premiere fois, de le parcourir avec
toute la joie qu'eprouve un nouveau proprie-
laire quand il contemple un immouble apres
lequel il a longuemenlsoupire et que souvcnt
il n'a pu obtenir qu'en iriomphant de mille
dilBcultes. — Habe me exrutatiim : de meme
dans le texle grec, lx^[>.eTtoipr\T:T,u.iyo'j, « quae
formula lalinisinum redoiel )),dii a bon droit
Kuinoel.
19. — Seconde excuse : Juga bourn emi
quinque, et une emplette si imporlanlo ne
m»jriie-l-elle pas qu'on aille iminedialemonl
s'assurer « de visu » de sa valeur? Aussi
bien, 60 (nolez le temps pre-enl, Tiopsuofiat,
k I'lnslant je pars] probare ilia; il no m'est
done point possible d'assi>ter a voire rnpas.
20. — Si les excuses alleguees precedem-
ment partaient d'un amour exagere pour les
biens de co mondo, la troisieme, uxorem
duxi-, nrovenail de la « concupiscentia
carnis «, « quae multos iuipedit », ajoute
S. Auguslin, De Verb. Dom. Serm. xxxiii.
11 esl remarquablo que celui qui la proiere
se montre dans son langage plus arrogant
que les deux aulres invites, comme I'a nol^
S. Gregoire, Horn, xxxvi in Evang. : « Is
qui propter villam, el is qui propter pro-
banda juga boum a coena sui inviiaioris se
excusal, humilitatis verba permiscet; dum
enim dicit, Rogo,... humililas sonat in voce ».
Oui, au moins dans la voix, quoique, « dum
venire coniemnil, superbia (sonat) in ac-
tione ». Le second se meltail pourtanl plus
a I'aisi^ que le premier, car, lout en s'excu-
sant il se conlenlail de dire : Je pars, sans
' indiquer qu'il agissait d'apres une necessity
vrai^ ou supposee {t. 18. « necesse habeo »).
Quant au troisieme, il dit tout court, sans
la moindre formule courloihe pour pallier
son refus : Non possum venire; lisez : Je ne
veux pas y allerl Apres tout, si la Loi juive
(Deul. xxiv, 5) dispensait les nouveaux
maries du service militaire, pourquoi ne se
seraienl ils pas examples d'a^sisler k un
feslin?Comparez cemol prononce par Cresus
en vue d'oblenir que son fils n'a-sistSl point
a la grande chasse officielle qui eut pour lui
une si fa tale issue : NsoYauo; yap eoti, xal
TaOraoi vOv p.iln (Herodole, 1,36). Un exegete
allemand, Herborger, a suppose d'une ma-
niere bien ingenue que les trois inviles de
la parabole tiguraient, dans I'intention du
Sauveur, les trois .'■ectes juive>! de ces temps,
« les Esseniens adonnes a Tagriculture, les
Pharisiens semblablesa des tauieaux violents
el superbes, les Sadducens charnels. » II y a
plus de verile dans ce distique d'llildebert
(cite par Trench, Notes on the Parables) :
Villa, boves, a\or, ccenam clausere vocatis;
MuQdus, cura, caro, c;elum clausere reuatis.
24 . — Quand il eut appris toutes ces chosea
[reversus servus nuntiavit...), le « pere de la-
rnille », comme on I'appelle mainlenanl,
eprouva une juste colere . iratus paterfami-
lias. Saas doute les excuses qu'on lui avail
272
fiVANGILE SELON S. LUG
le pere de famille irrite dit a son
serviteur : Va vile dans les places
et les rues de la ville, et fais entrer
ici les pauvres et les debiles et les
aveugles et les boiteux.
22. Et le serviteur dit : Seigneur,
il a ele fait comme vous avez com-
mande, et il y a encore de la place.
2'S. Et le maitre dit au serviteur :
Va dans les chemins et le long des
haies, etcontrainsd'entrer, alin que
ma maison soit remplie.
24. Mais je te dis qu'aucun des
familias, dixit servo suo : Exi cito
in plateas et vicos civitatis, et pau-
peres, ac debiles, et caecos, et clau-
dos introduc hue.
22. Et ait servus : Domine, factum
est ut imperasti, et adhuc locus est.
23. Et ait dominus servo : Exi in
vias, et sepes ; et compelle intrare,
ut impleatur domus mea.
24. Uico autem vobis, quod nemo
tiansmises elaieni jusqu'a iiii certain point
piausibles en eilos-memes : aiicnne du moins
n'elail direcleineni miuvaise; mais elles
elaieni si lardivts, n'arrivanl qu'a I'heure du
repas ! El puis, ne consislaienl-elles pa? toutes
en des inleiels mondains qui devaienl ceder
la place aux inlereis spirilueis mis en cause
dans noire parabole? II y avail uue verilable
impudence a les presenter; on ne pouvail les
recevoir sans aD'roni. Ntianmoins, apres un
premier mouvemenl d'irritation, le pere de
famille semble oublier les insulleurs, pour ne
songer qu'au moyen de trouver promplement
d'aulres convives. Sa resolulion esl bienlol
prise : Exi cito, dit-il a son servileur; le ■
temps presse, puisque « jam parala sunt
omnia », t- 17, II I'envoie in plateas (el; to;
nXaTcta;), c'est-k-dire, « in vias laliores ». les
mam de la langue hebrarque, et aussi « in
vias angustiores » (vicos est une traduction
inexacle de pu[Aa;), dans les affieuses peliles
rues de rOiieni, a iravers lesquelles un cava-
lier ne peul souvent passer qu'a grand peine.
Le mot civitatis est imporlanl pour I'applica-
lion de la parabole, car il montre que le Sei-
gneur va prendre encore dans le sein d'Isiael
les convives de>lines a remplacer les inviles
indignes : « la ciie » represent > en effet d'une
maiiiere melaphorique la llieocratie juive.
Toulefois, au lieu des Pliarisiens et des Sad-
duceens, des Scribes et des prelres qtii ont
refuse de venir (« post divitum resupina
faslidia », S. Ambroise), il appplle mainte-
nant pauperes ac debiles et ccecos ei claudos,
par lesquels sonl figurees les brebis egarees
de la maison d'israel, les publicains et les
pecheurs et I'enserable du peuple. A pari une
legere interversion dans les derniers mots
(du moins d'apres la Vulgale et les meiUeurs
manuscrjis grecs, B, D, F, K, L. Sinait.).
renumeiation e.-t ici la mefn^ qu'au V. 13,
comme si Notre-Seigneur voulait nous raon-
Irer une realisation toule celesle du conseil
qu'ii avail donne precedemmenl.
22 el 23. — Nous venons de voir la colere
de I'hoie offense faire place a un senliment
de profonde bienveillance ; mais voici que
cette bonte, car c'est la bonle divine, se ma-
nifesle sous une forme vraimenl incompa-
rable. Apres quelque intervallo, le serviteur
fidele el intelligent accourl aupres de son
muilre, et il lui raconte en quelques mots
comment il a execute S'S ordres. Mais, ajoute-
l-il, non sans emphase, adhuc locus estlQae
faul-il faire pour combler les vides? La re-
ponse a celte demande laciie ne se fait pas
attendre : Desormais, ne le borne pas a par-
courir les rues de la ville, mais exi in vias
(xai; 65oiJs, les routes qui conduiseiit du dehors
a la cite), va meme in sepes ((ppaytiov;), dans
les modesles « sentiers qui longent les haies
de la campagne » (Reuss), el ainene bon gre
mal gre lous ceux que lu rencontreras, com-
pelle intrare, Celle fois, loul le monde en
convienl, il ne s'agit plus des Juifs, mais des
Gentils (ol xaxoixiai twv eOvwv, Euthymius),
auxquels le Sauveur predii ici de la fagon la
plus aimable leur conversion future au Chris-
tianisme. lis formenl la troisieaie classe des
inviles de notre parabole. o Gompeiii! » ne
conlicnl evidemmenl aucun appel a la vio-
lence exlerieure. La coaclion dont parle le
pere de famille est celle que Ciceron (ad Din.
V, 6) definil si bien : « Ralionibus et persua-
sionibus, ctiam precibus saepius repetilis, ali-
quem permovere ». Cfr. Luc. xxiv, 29; Act.
XVI, 13. C'esl celle que S.Paul recommandea
Timolliee : « Praedica verbum, insla opportune,
importune : argue, obsecra, increpa in omni
paiienlia et doctrina ». C'est celle a laquelle
I'Eglise fait allusion dans cette belle priere :
« Ad te nostras eliam rebelles compelle pro-
pilius volunlales ». Quoi que diseni les pro-
lestants, les catholiquos n'en connaissent pas
d'aiitre.
24. — Terrible conclusion. Lrs mot dico
autem (plus exacieinent, « enira », y*P; vobis ont
fait croire a divers commentateurs que Jesus
la formula en son propre nom, s'adressanl a
toute I'asserablee (« vobis »), puisqus le dia-
CHAPITRE XIV
275
Tirornm illorum qui vocati sunt,
giistabit coeiiam meam.
25. Ibant aulem turbse multsB
■cum eo : et conversus dixit ad illos :
26. Si quis venit ad me, et non
oditpatrem suum,etmatrem, etuxo-
rem, et filios, et fratres, et sorores,
a Ihuc autem et animam suam, non
potest meus esse discipulus.
Matih. 10, 35.
27. Et qui non bajulat crucem
suam, et venit post me, non potest
meus esse discipulus.
MciUh. 10, 38; Marc. 8, 34.
hommes qui ont eteappeles ne goti-
tera de mon souper.
23. Or de grandes foules allaient
avec lui, et se tournant il leur dil :
26. Si quelqu'un vient a moi et ne
hait point son pere et sa mere et sa
femmeetses fils et ses freres et ses
soeiirs et en outre sa vie meme, il ne
pent etre mon disciple.
27. Et celui qui ne porte pas sa
croix et ne me suit pas ne peutfitre
mon disciple.
16
logue n'avail eii lieu jusque la qu'entre le
pere defamille et iin seiil serviteur. Mais il est
plus probable qu'il faut regarder cotte phrase
finale comme faisani encore parlie de la para-
bole. Celaressorlde I'expies on coenammeam,
d'apres laquelle I'hote figm alif einble 6tre tou-
jours en scene. Au reste, le plu iel « vobis »
s'explique par la presence soil des aulres ser-
vileurs, soil des nouveaux convives. Mais la
sentence retombait quand meme en plein sur
If^s Pharisiens qui entouraient alors Notre-
Seigneur.
Ce qn'il en coate pour suivre J^sua.
XIV, 'io-'iS.
to. — Ibant turb(B multCB cum eo. Autre
preambule historique, servant d'lnliodiiction
a un nouvel episode du dernier grand voyage.
Apres la scene qui precede, Jesus s'esl remis
en marclie dans la direction de Jerusalem.
Des foules nombreuses se pressent sur ses
pas, composiies sans doute i^n grande partie
de pelcrins qui se r('n.'laicnt egalement k la
capitale pour la procliaine fele. En apparerice,
lout ce peuple lui est piofondem'nL devoue;
mais il sait, lui qui connait L^s secrets des
coeurs, combien, dans la pluparl, Taffection
pour sa divine personne est suparficielle, de
sorte qu'il suffira d'un leg-r coup de vent pour
transformer ce « mobile vulgus ». Et cepen-
danl I'heure est decisive, car on est a la
veille de sa Passion : il faut done que tous
sachenl a quel prix Ton devient et Ton reste
vraimenl disciple du Christ. C'i'Sl pourquoi il
leur parle en tei luos energiquss, comm " ce mi-
nistreqiii disaii achacun d-,>sesfonclionnaircs,
en des jours perilleux : « Etes-vous pr6t a sa-
crifier votre t6te? » — Conversus esl un trait
pittoresque. — Dixit ad Ulos. Nous trouvons
irojs parlies dans cette courle mais impor-
tanle instruction du Sauveiir : lo la legon
direcle, tt. 26 et il ; 2° deux petites para-
jbo\es destlnees k inculquer plus fortement la
8. Bible. S.
leQon, 1ft. 28-33; 3o la conclusion, exprimeo
au moven d'une troisieme comparaison ,
ti^. 34et35.
26. — Si quis venit ad me. C'est quelque
chose assuieinenl de venir a Jesus, de se
meltre a la suite de Jesus, comme faisait ce
bon peu[)le ; mais Nolre-Seigncur s'inquielail
peu, surtout alors, d'avoir de simples compa-
gnons de voyage, quelque atlachement qu'ds
lui temoignassentd'ailleurs. A I'adhesion exte-
rieure, il voulait a bon droit (jn'on joignlt
Tadhesion interieure, la seule reelle, et il en
indique les conditions : conditions difficiles,
puisqu'elles ^e resument dans I'abnegalion la
plus complete, et dans le sacrifice courageu-
sement accepte. — Et non odit. Le Sauveur
nomrae les dtres qui sont le plus chers k
I'homme, un pere, une mere, une epouse, des
enfants, des freres, des soeurs, et, quoique la
nature et Dieu nous fassent un devoir de les
aimer tendrement, il nous commande de les
hair, sous peine de n'etie pas chreliens; bien
plus, a celte enumeration deja si etonnante,
il ajoute un mot qui la rend plus etonnante
encore : adhuc autem et animam suam; il
veut que nous nous halssions nous-memes 1
Mais on comprend qu'il ne parle pas d'une
haine absolue. C'est une maniere hardie de
nous ^ignifior que nous devons etre disposes
a delcsior au besoin les objols auxquels nous
tenons le plus, s'lls etaieni pour nous un obs-
tacle a la perfection chietienne. YoyezMatlh.
X, 37el le commenlaire de S. Jerome. Maisquel
langage, malgre cette restriction! Comme il
deva:i frapper, sous sa forme paradoxale, tou3
ceux qui entouraient alors Jesus! et comme ii
frappe encore tous ceux qui le medilent s6-
rieusement!
28. — Apres avoir exi^^ rte s'»<5 disciples le
renoncement pouss^ jusqu'k seS derni^res
jimites, un amour devant lequol palit tout
autre amour, Jesus leur indique, par une
figure deja bien forte, mais quo sa mort i?Da.
Lcc. — 18
m
fiVANGILE SELON S. LUC
28. Gar qui d'entre vous, voulant
batir une toiir,ne s'assied pas aupa-
ravant pour supputer les depenses
qui sont necessaires et s'il a pour
Tachever ?
29. De peur qu'apres avoir pose
les fondeme nts, s'il ne peut ache-
ver, lous ceux qui le voient ne com-
mencent a se moquer de lui,
30. Disant : Get horame a com-
mence abalir et il n'a pu achever.
31. Ou, quel roi devant aller faire
la guerre a un autre roi, ne s'assied
pas auparavant pour juger s'il peut
28. Quis enim ex vobis volens
turrim sedificare, non prius sedens
computat sumptus, qui necessarii
sunt, si habeat ad perficiendum;
29. Ne, posteaquam posuerit fun-
damentum, et non potuerit perfi-
cere, omnes qui vident, incipiant
illudere ei,
30. Dicentes : Quia hie homo coe-
pit sedificare, etnon potuit consum-
mare ?
31. Aut quis rex iturus commit-
tere helium adversus alium regem^
minieuse devait. rendre plus expressive en-
core, la vie de rudes sacrifices, de soufTrances
perpeluelk's, qui osl dans I'essence dii chris-
liaiiisine : Qui non bajulat crucem suam... Gfr.
IX, n, Matlh, X, 38; xvi, 24. — Notez,
dans la phrase non potest mens esse discipulus,
la place donnee par emphase an pionom pos-
sessif « raeiis ». De meme tt. 26 et 33.
28. — Deux exemples admirabiement choi-
sis vont montrerniainlenaniala fouleenlhou-
siasle qui suit Jesus a quelle huuiiliation, a
quels dangers s'exposerait quiconque aban-
donneiait la foi clirelieniie apres I'avoir pen-
dant quelque temps i)rofessee. Le premier
est celui d'un constructeur imprevoyant, qui
commence un edifice et se voit bientol dans la
honieuse impossibilile de lo conlinuer, faule
de moyens suffisanls. — Quis enim ex vobis.
Le tour interrogalif el I'aposlrophe directe
(« vobis ») donnent une grande vie a la pen-
s^e. « Enim » elablil la liaison entre ces
deux petit( s paraboli's et I'idee qui precede.
— Volens turrim wdificare. Nous ne croyous
pas, malgre I'avis conlraire de plusieurs in-
terpreles, que le mot « turris » conlienne la
moindre allusion a la tour de Babel. Le grec
mupYo; a du reste une signifiialion assez large
et peut s'enlendre en general d'une construc-
tion somplueuse el elevee. Quand done on a
uno fois arrete dans sa pensee le projel d'une
telle construction, il est de la prudence la
plus eleraentaire de faire quelques serieux
calculs {computat; le verbe grec correlatif,
4''n?«'£i n'esl employe qu'ici et Apoc.xiii, 18),
'[)our voir d'une part combien elle coiitera
{sumplus qui necessarii sunt; simplemenl dans
le grec, ttiv Sairavriv), d'autre part si Ton dis-
pose de ressources saffisantes pour la mener
a bonne fin (si habeat ad perficiendum). —
Sedens (xaOCaa; s'^tanl assis) est un detail pil-
toresque, destine h met Ire en relief le carac-
l6re grave, approfondi, des calculs. Les
hommes presses reslent deboul: au contraire,
quand on s'asseoie pour mdditer sur une
question, on lemoigne d^ja par cette seule
attitude que Ton est decide k prendre tout le
lemps necessaire.
29 el 30. — Ne posteaquam... Molif pour
lequel on ne doit entreprendre d'elever un
edifice considerable qu'apres avoir bien me-
sure ses forces. On deviendraii I'objet de la
risee publique, si Ton ne pouvait I'achevor
en entier {perficere, IxTsXeTv). Rien de plus ri-
dicule en effet que « ces bailments incomplels,
ouverts a lous les vents et a toutes les pluies
duciel » (Trench. Gfr. Sliakesp?are, Henry II,
Act. 4, sc. 3), que la malignite du peuple
nomme, el n'est-ce pas un peu son droit? la
Folie d'un lei ou d'un tel [hie homo, o5to; i
iv9pwito; : on monlre du doigt le malheureux
constructeur). Quelle e.-t la potilo viile de
province qui n'aita raconter quelque histoire
de ce genre? Gomme le dit le proverbe alle-
mand (cite par M. Schegg) :
ZuTorgethan, nachher bedacht.
Hat maDcheo in gross Leid gebracht.
II n'en est pas autremenl au moral et dans
I'application. La perfection chrelienne est
un palais splendide a construire (Gfr. vi, 47
el ss. ; Matlh. vii, 24-27; Eph. ii, 20-22;
I Gor. iir, 9 ; I Pelr. ii, 4, 5). Or, dit S. Gre-
goire de Nysse (in Cat. D. Thorn.), « de meme
qu'il ne suffit pas d'une pierre pour cons-
truire une lour, de meme il faut plus d'un
commandement pour conduire I'Sme a la
perfection. » Par consequent, que Ton sup-
pule bien de quoi on est capable, avant de^
se faire disciple de Je^us. Quelle honte n'y
aurait-il point ensuile a revenir sur ses pas!
31. — De plus, ainsi qu'il ressort du se-
cond exemple, a cole de la honle on trouvo-
rail le danger. La premiere comparaison avail
ete prise dans le doraaine de la vie privee;
celle-ci est empruntee a la conduite d un roi
inexperimente (comparez le proverbe grec :
■Y>.y/.u;a7:£tpti)7t6Xe|jio;), qui a follement engage
le bonheur et les inter^ts de toule une na-
CHAPITRE XIV
275
non sedens prius cogitat, si possit
cum decern millibus occurrere ei qui
cum viginti millibus venitad se?
32. Alioquin adhuc illo longe
agente, legationem mittens^ rogat
ea quae pacis sunt.
33. Sic ergo omnis ex vobis qui
non renunliat omnibus quae possi-
det,non potest meus esse discipulus.
34. Bonum est sal. Si autem
avec dix mille hommes marcher
centre celui qui vient a lui avec
vingt mille?
32. Autrement tandis que I'autre
est encore loin, il envoie une ambas-
sade et demande a faire la paix.
33. Ainsi done, quiconque parmi
voLis ne renonce pas a tout ce qu'il
possede ne pent etre mon disciple.
34. Le sel est bon, mais si le sel
tion dans une giirrre impiudenle. Ellcs se
complelent mutuellemenl, presenlanl la meme
verile sous deux aspecls dislincts, comme
Jes paraboles du grain de sencve el du levain
(Malth. XIII, 31-33), du tresor cache el de la
perle (Malth. xiii, 44-46), de la piece neuve
servant a rapieceter des veleinents uses el
du vin nouveau mis dans de vieillt^s oulros
(Mauh. IX, 16 et il). — L'equivalent grcc de
committere helium, cufiSaXeTv el? itoXejxov, esi
une expression elegante et classique (voyez
Kuinoel, h. I.). — Cum decern mdWms (sur la
locution £v 5Ey.a xi^'iafftv, cfc. i Mach. iv, 29
el Winer, Grammal.)... cum viginli millibus
(ici, (xeta etxooi xi)i7.Swv). La lutie sera done
dans la proporlion de deux centre un, c'est-
a-dire loul a I'aii inegale, a moins que le
premier roi n'ail des chances exceplionnelles
de succ^s. Ge soul precisemenl ccs chances
qu'il devra raiirement examiner (sedens prius
cogilat) avant de se lancer dans une expe-
dition qui pourrail devenir desaslreuse.
Temoin Cresus, lemoin Amasias (IV Rog.
XIV, 8-12), temoin Josias (IV Reg. xxin, 29
el 30), helasi temoin la France dans ces der-
nieres annees. — Divers exegeles, curieux
de lout savoir, d'entrcr dans les details les
plus minntieux des pai'abolos pour en faire
I'applicalion mystique (voyez I'Evang. selon
S. Mallh. p. 266), oni recherche ce que pou-
vaient bien figurer les nouibres i 0.000 et
20,000, quel est ranlilypo du second roi. etc.
Us onl trouve que les 10 000 soldats repre-
sentent les dix commaiuh^miMils de la Lui,
que le roi auquel la vicloire semble d"avance
reservee est i'embleme de Dieu (ce qui est
^Irange puisqu'alors nous serions sup|)oses
marcher au combat centre lui avec quelques
chances favorables), ou de Satan, (ce qui
n'esl pas moms elrange puisque Jesus nous
recommanderait de capiiuler avec I'enfer).
En face de ces idees singulieres ou conlra-
dicloires, nous preferons dire avec Corneille
de Lapierre (in t. 32) : « Special hoc ad em-
blema parabolae, quare rei significalae non
est adaptandum », elavec Maldonal: o Neque
quaerendum curiose est quis ille rex sil,...
quia, ul diximus, bellum .. nihil aliud est
quam aggredi rem arduam. »
32. — Alioquin... Si le premier belligerant
reconnail qu'il ne pent poursuivre la guerre
qu'en s'exposant a une issue falale, il se hate,
tandis qu'il en est temps oncore, c'esla-dire
avanlqne I'ennemi n'ail envahison lerritoire
[adliuc illo huge agenle), d'envoyer a celui-ci
une ambassade chargee de negocier la paix
(qucB pacts sunt; mii'ux, « quae ad pacena
sunt », tixTtpo; £lpiivr,v). — La morale est
aisee a lirer. La vie clirelienne est une
guerre perpeluelle (Cfr. Mallh. xii, 19; I Cor.
XVI, 13; 1 Thess. v, 8; Eph. vi, 11 clss.;
II Tim. 3 et 4;iv,7), et toute guerre suppose
des difficultes, des faligues, des dangers sans
nombre. Jesus le rappelle a ceux qui lesui-
vent, pour qu'ils sachenl bien ce qui les
attend s'lls persistent a devenir ses disciples.
Toulefois, ilest manifests qu'il ne faut pas
prendre ces deux comparaisons trop a la
leltre, car il en resulterait qu'en de nom-
breusescirconstances on ne devrailpas m6me
essayer de poser le fondemenl d'une vie chr^-
tienne, de combaltre les bons combats da
salut; or, demande judicieust^menl Maldonat,
« quomodo nos Chrislus dehortarelur ne
Chnsliani efBceremur? » Ici encore nous
sommes done en face d'expressions para-
doxales, dont le bul est de relever les diffi-
cultes que rencontre necessairemenl qui-
conque veut etre un vrai chrelien. G'esl uno
maniere energique de dire : L'entreprise est
aniiie ; mais "failes de genereux efforts, et
vous parviendrcz a reussir. Autrement, pre-
(lez garde a la banqueioule spirituelle, a la
totale defaite de voire Sme, c'esl-a-dire il
I'aposlasie.
33. — Sic ergo omnis... Ces paroles nous
rameneul aux tt. 26-27, et resument touie
la legon qui precede. Elles redisent en effi't
d'une fagon energique que le renoncement
universel est la "condition essenlielle pour
elre vraiment disciple de Jesus. Nolcz I'em-
phase des mots omnibus quce possidet. Le
verbe grec aTtoTdffffexat exprime elegammonl
I'idee d^'abnegalion : ?a significalion lilteraie
est « valedicere ». Cfr. ix, 61.
34 el 35. — Conclusion de ce petit dis-
cours, sous la forme d'une Iroisierae figure,
qui parail avoir ele chere k Notre-Seigneur,
276
EVANGILE SELON S. LUC
s'aflfadit, avec quoi I'assaisonnera
t-on ?
3o. II ne sert plus a rien ni dans
la terre ni dans le fumier, mais on
lejettera dehors. Que celui qui a
des oreilles pour entendre entendc.
sal evanuer-i, in quo condietur?
Mauh.5,13; Afacc. 9, 49
3o. Neque m terram, neque in
sterquilinium utile est, sed foras
mitletur. Qui iiabet auras audiendi,
audiat.
CHAFITRE XV
Los Pharisiens et les Scribes se scandalisent do ce que Je.>u> laisse venir h lu' les pechenrs
(tt. 4-2]. — II ieur repond par liois parabolcs : 1° par la parabole de la brebis egaree
■tt. 3-7); — 20 par la parabole de la draclim3 perdu.' [tt. 8-10); — 3o par la parabole de
I'enfanl prodigne ^tt. 1 1-3'2).
1. Or des publicains et des pe- 1. Erant autcm appropinquantes
ilieurs s'approchaienL de lui pour ei publicaui et peccatores, ut audi-
Tecouter. rent ilium.
2. Et les Pharisiens et les scribes 2. El murmurabant Phariscsi el
puisqu'elle rovienl juscju'a Irois ropriscs dans
]P5 pages evangdliques (Cfr. Mailli. v, 13;
Marc. IX, 50) ; il est vrai qu'a chaque fois il
s'agit d'une applicalion nouvelle. En eel en-
droit, voici quel csl rencliain'^rn^nl le phi^
probable : Quiconque ne se senlirait po;nl a
la hauteur de rabnegalion parfaie que je
vous preche, ressembiorail an sel aCFadi. qui
n'esl bon qu'a elre ji-le dans la rue et foule
oux piods. — Bonum est sd. a Nil sale el
sole ulilius », disail Piine. Hisl. Nal. xxi, 9.
en faisant un jeu dc mils. .M<iis ?i le sel perd
sa veitM [ecanuerit; iuo?av6o serait mieux
iradiiit pare in-ipiduni fnrii ») ; comnienl
piurra-t-on la lui rcndre? Aver, quoi Ta-sai-
-.^nnera-l-on (condiclur. ap--jQr,(jeTai) ? Dans
I iin[)0ssibilite de ruliliser a quolque cboss,
parce qu'aiors il ne pjut servir d'engrai?, ni
I. una inaniere direcle (neque in terrain), ni
inedialement, c'est-a-riire mele au fumier
{^leque in sterquilinium], on le jelle dan-; la
Mie pour s'en debarras>er. V^oyez I'explica-
i^on detaillee dans I'Evang. ^elon S. Matlh.,
ji. 107. — Qui liabel awes... Grave reflexion
ilnale. prononcoe par Je.-us en mainle circons-
!ance Reflecliisscz! dccidoz-voiis ! voyez si
vous conscntez a dovcnir mos disciples.
17. La mls6ricorde de Dieu k regard des
pecheurs. xt, 1-2
Telle esl b^en I'idee generale qui domine le
chap. XV lout enlier. Elle est preseniee sous
la foinie dc irois magnifiques paraboles,
tt. 4-32, apres une rapidc inlroduction his-
torique, tt. <-3.
l" Occasion du discours. xv, 1-3.
Chap. xv. — \. — Erant appropinquinte$
ei... C'tle lournure, calqueesur le grec (rjaav
iyyi^o-j-zi aO-o)), semble indiquer une habi-
tude, un fail qui se reproduisail frequem-
m^nl ; et en realite , divers passages des
sainis Evangi!es nous montrent Jesus enloure
de pechLHirs qui lui elaienl conduits par une
atlraclion mystericuse (voyez en particulior
Marc. 11. 1.5;'Luc. iv. 31 ; vii, 37, etc.). Mais
cIIl' design;' en mjme temps ici uno aclualile
du mim -nl. A I'heure memMlonl parlo S.Luc,
de- publicains ol de.i peclrurs s; pre.-saionl
en grand nombre au'our do Notre-Seigneur :
7:avT£; 01 TE/tova'. y.at ol a;j.ap-a)>.oi, (iil le Icxte
original omxes jiu'dicaiii et peccat.o'res, em-
ployant une hyperbol;' pop'ilairo. Par « pec-
catores n il faul entendre I:js pecheurs publics,
tou^ ceux qui tran-grossaient ouverl ment la
loi juive. Les publicains ou « porlitore- »
sont mrn'.ionncs a part el en premier lieu,
comme les plus criuiinels d'enire les pecheurs,
snrloul au point d > vne de la iheocralie.
S. Jean Chrysosiome. de Poenit. H .m. ii, 4,
le^ definil ainsi : OjSev d[),).o eutI Ts/cbvri;'^
TiTapsr,';tx'j{jL£vrj ^ta, lvv3[;.o;a;j.ap-:ta,E0T:p''jO7ro;
7:/.£ovifia, el nn piQvirbe grec \a jiisqua dire
que 0 le diabli^.s'il devenail pauvre, se ferail
publicain.D — Ut audirent ilium. C'eiail done
un excellent motif qui conduisait a Jesus tons
ces malheureux ; et il les recevait avec bonte,
11 Ieur parlail du royaume de Dieu, il les
converlis>aiL par ses discours celestes.
2. — Et murmurabant Phariscei et Scriba.
CHAPITRE XV
277
scribse, dicentes : Quia hie peccato-
res recipit, et manducat cum illis.
3. Et ait ad illos parabolam istam,
dicens :
4. Qais ex vobis homo, qui habet
centum oves, et si perdiderit unam
ex illis, nonne dimittit nonaginta
novem in deseito, et vadit ad Hlam
quae perierat, donee inveniaft earn?
Malth. 18, 12.
murmuraient,disant :Gelui-ci reco't
les pecheurs et mange avec eux *
3. Et il leur dit cette parabole :
4. Quel est parmi vous Thomme
qui, ayantcent brebis, s'il en perd
une ne laisse pas les quatre vingt-
dix-neuf dans le desert et ne court
pas apres celle qui s'est perdue,
jusqu'a ee qu'il la trouve ?
Ces pretendus saints, ces orgueilleiix « sepa-
r^s », car telle est la signification du nom de
Pharisien, ne pouvaienl supporter la con-
duite du medecin charitable, et ils s'en piai-
gnaient ouvertement (5uy6yyu!;ov, « murmu-
rabant ad alterulrum ») : Hk (expression de
dedain) peccatorcs recipil ^itpoaSex^aij « co-
miter recipit. »Cfr. Rom. xvi, 2 ; Phil. n,29)
et manducat cum illis. Recevoir les pecheurs
etait de]k une grande faute aux yeux des
Pharisiens; mais, manger avec eux, c'est-a-
dire, d'apr^s Tides orientale, s'associer a eux
de la maniere la plus intime, c'etait le cornble
de I'immoralite. Horames au coeur desseche,
s'^crie S. Gregoire (Horn, xxxiv in Evang),
qui osaient blSmer la source des miseri-
cordes! Ce que les Pharisiens et les Scribes
reprochaient a Jesus fait au conlraire sa
gloire et nous excite le plus a I'aimer. Jamais
il n'elait mieux dans son role que iorsqu'il
accueillait doncement los pecheurs.
3. — Ait ad illos... Jesus daigna repondre
h Todieuse accusation qu'il avait surprise sur
les levres de ses adversaires, et, pour se jus-
tifier de recevoir les pecheurs, il exposa suc-
cessivemcnt les Irois paraboles de la brebis
perdue, de la drachme relrouvee, et de I'en-
lant prodigue, qui cadrent si bien avec le
plan du li-oisieme Evangile. — Parcbolam
tstam, au singulier, ne retombe peul-6lre que
sur la premiere parabole ; mais rien n'era-
p^che que celle expression ne designe a la
fois nos trois gracieux r^cits, qui sont unis
entre eux de la faQon la plus etroite. G'est
vraimenl une « trilogie » de paraboles que
nous avons danscechapiire, comme le monlre
leur juxtaposition significative. Elles nous en*
seignent en effet la meme verite, a savoir, la
maniere dont Dieu va au-devant des pecheurs,
et la bonle avec laquelle il les regoit quand
ils se convertissenl. Toutefois, cetlo verite
unique nous est presentee sous des faces dis-
tincles. Ainsi, tandis que, dans les deux pre-
mieres similitudes, nous voyons surtout Dieu
cherchant les Smi^s coupables, agissant pour
les sauver, la troisieme decrit au conlraire
principalement I'aclivite personnelle du pe-
cheur, ses efforts pour chercher et pour trou-
ver son Dieu apres qu'il s'est separe de lui.
En se combinant, elles ferment un lout par-
fait et harmonicux, puisque le repentir ne-
cessite, selon les donnees de la iheologie (Cfr.
Cone. Trid. Sess. vi, cap. 4 et ss., de Jus-
lificat.), ces deux elements : ia grace qui pre-
vient au dehors et la correspondance subjec-
tive a la grace. — Autres notions generales qui
qui n^ soul pas sans interet : \o Les chiffres
cites dans les trois parabol s scmt arranges
d'apres une gradation descemJanle : un sur
cent, un sur dix, un sur deux; quoique 'a
gradation soit veritablement ascendanle >i
Ton envisage avant tout I'ldee, car la perie
d'une brebis sur cent est moindre que la perto
d'une drachme sur dix, et ces deux perles,
m4mes reunies, sonl loin d'equivaioir k ccIIh
d'un fils bicn-aime. S"^ La culpabilite paraii
suivre le m§mi^ mouvement ascensionnel. 11
y a le peche d'ignorance. figure par la bre-
bis insensee qui s'echappe du bercail ; le po-
che plus considerable dont nous trouvons
I'embleme dans la piece de monnaie, qui re-
presente, au dire des Peres, I'ame humaine
marquee a I'effigie divine et sat bant qu'elle
appariient a Di^u ; le peche tout a fait volon
lairedu prodigue, que rien nesaurailexcuser.
3° Comme conlraste, nous pouvons observer
un mouvement analogue dans la misericorde
du Seigneur, qui se manisteste avec une in-
tensite de plus en plus grande. Voyez Trench,
Notes on the Parables, Par. xxii.
2* Les trois paraboles. xv, 4-32.
a. La brebis ^gar^e. ff. 4-7.
S. Malthieu aussi, xviii, 12 et ss., a con-
serve cetto delicieusj hisloiro d'un? brebis
mysliqiie perdu* et retrouveo; mais la place
qu'il lui assigne, (>t divers traits secnndairos
du fond et de la forme, ne colncidant pas
avec II! recit de S. Liie, il en resulti» que
noire parabole lui. "vnnsee au moins deux
fois par Noire Seigneur «■. des circonstaiices
diffdrenlfs. Voyez I'explication du premier
Evangile. p. 356.
4. — Quis ex vobis homo... Comme prece-
demment, xiv, 28. Josus met ses auditeurs
27fi
EVANGILE SELON S. LUC
5. Et, lorsqu'il I'a trouvee, il la
met avec joie sur ses epaules,
6. Et revenant a la maison, il
convoque ses amis et ses voisins et
leur dit : Rejouissez-vous avec moi,
car j'ai Irouve ma brebis qui elait
perdue.
5. Et cum invenerit earn, imponit
ia humeros suos gaudens :
6. Et veniens domum, convocat
amicos et vicinos, dicens illis : Gon-
gratiilamini milii, quia inveni ovem
raeam, quae perierat ?
nn scene, afin de les frapper davanliigc. —
Habet centum oves et si (celte conjonclion
manque dans le grec) pevdiderit unam. La
perle n'esl en aucune fagon ini[)ulable au
proprieiaire, qui n'est autre que le Bon Pas-
teur par anionomase (« dives Pastor, cujus
omnesnoscentosima parssumus )),S. Anibr.) ;
mais la brebis s'est egaree par sa [)ropre
faule (Matlh. « erraverit una »). Pour ligurer
les coupables egarennents des peclieurs, il
n'etail pas possible de clioisir une comparai-
son plus exacte, car une brebis eloigned du
troupeau donl elle fait partie manque tout
ensemble et de sagosse pour retrouver sa
route, et de force pour se defendre. — Di-
mittit nonaginta novem. « Mais, demande
S. CyriUe (in Cat. D. Thorn.), esi-ce qu'en
voulant etre compalissant pour la brebis per-
due, le pasteur n'a pas ele cruel pour les au-
ires? Nullument, repond-il aussitol, car elles
sont en surete, protegees par une main toute-
puissante ». En effel, rien n'oblige de sup-
poser qu'elles courussent des perils serieux
en son absence. Du plus, avant de partir il a
pourvu a leur nourriture, puisqu'il les laisse
in desei'to, c'est-a-dire, d'apres le sens liabi-
tuel de celte expression dans la Bible, au mi-
lieu de savanes riches en patures, et simple-
ment appelees « desert » parce qu'on ne ren-
contre ni villes ni villages aux alentours.
Voyez T'-enrli, Notes on llip Parables, h. 1. —
Vadit (id illain. 11 daigne se ciiarger en per-
sonne de celte iSche penible, et il est decide
a chercher la pauvre egaree jusqu'a ce qu'il
I'ait trouvee. Quelle delicalesse dans ces
trails, el comme ilsconviennent bien a Jesus!
Aux pasteurs spirilueis du peuple juif, lespro-
pheles adressaient au conlraire ce sanglant
reproche : « Vous n'etes pas alles a ia re-
cherche des brebis perdues. » Ezech.
xxxiv, 4.
5. — Quum invenerit earn. Dans le premier
Evangile, Notre-Seigneur exprimait celte pen-
see sous une forme hypolhetique : « Si con-
ligerit ut inveniat eani ». — Imponit in Im-
meros suos iiauroO est emphalique : ses pro-
pres epaules) gciudpns Doux el glorieux
trophee de la vicioire du bon Pasteur. Un
mercenaire aurait maltraite la brebis coupa-
ble, qui lui avail cause tant de fatigues ;
quelle difference dans la conduite du celeste
bergerl « Ovem non punivit, non duxil ad
gregem urgendo; sed superponens humero
el porlans clementer, annumeravil gregi. »
S. Greg, de Nysse, Cat. graec. Pair. Tout
autre sentiment disparait devanl sa joie et
son amour. Quoique si riche en trails inimi-
tables, I'hisioire evangelique n'en offrirait
pas beaucoup qui fussent plus dignes du Cceur
sacre de Jesus. Aussi « n'est-i! pas d'image
que I'ancienne Eglise ait cherie aulanl que
celle-ci, comme le prouvo la multitude de
gemmes, desceaux, defragmentsde verre,etc.,
conserves jusqu'a nous, sur lesqnels nous
Irouvons le Christ ainsi represente. Elle ap-
parait ires-frequemment aussi dans les bas-
reliefs des sarcophages et dans les fresques
des catacombes, Quelquefois, d'aulres brebis
sonl aux pieds de Jesus, regardant avec un
plaisir manifeste le pasteur el son doux far-
deau. Le plus souvent Notre-Seigneur tient
dans sa main droite la flute de Pan, symbole
des altraits du d vin amour, landis que, du
bras gauche, il porle sa cbere brebis. De
lemps a autre il est assis, comme s'il etait
fatigue d'une longue marche. Celte represen-
tation occupe loujours la place d'honneur, le
centre de la voille ou du tombeau ». Trench,
1. c. Cfr. Didron, Iconographie chrelienne,
p. 346 ; Noi Ihcole et Brownlow, Rome sou-
terraine, irad. de Paul Allard, 2eedit. p. 347
et ss. Voyez aussi I'hymme gracieux (Hymn.
po-t Jnjun.) que noire parabole a inspire au
poeLe Prudence. — Au moral, selon la deli-
cate reflexiott de S. Auguslin, a redit ovis
perdiia, non (amen in viribus suis, sed in
humeris reportata pasloris, quae se perdere
potuit, dum sponte vagaretur, se autera inve-
nire non potuil, nee oranino invenirelur, nisi
pasloris misericordia quaererelur ». Enarral.
in Ps. Lxxvii, 19. Ou encore, d'apres S. Am-
broise : « Humeri Chrislicrucis brachia sunt.
lllic peccala mea deposui, in ilia patibuli no-
bilis cervice requievi. »
6. — Nouveaux traits destines a mettre en
relief I'amour incomparable du bon Pasteur.
Sa joie, comme louies les grandes joies, de-
mande a ^ire comuiuniquee. A peine renlr^
chez lui il reunit done ses amis et ses voi-ins
pour leurfaire part de son succes, pour re-
cevoirleurs felicilalions. Les mots ouem meaiii
quce perierat sont pleine d'emphase, surioul
dans le lexte grec : TO TrpoSatov {lou TO auo-
CHAPITRE XV
279
7. Dico vobis, quod ita gaiidium
-erit in coelo super uno peccatore poe-
nilentiam agente, quam super nona-
ginta novem justis, qui non indigent
poenitentia.
8. Aut quae mulier habens drach-
mas decern, si perdiderit drachmain
unam, nonne accendit lucernam, et
■everrit domum, et quserit diligenter
donee inveniat ?
9. Et cum invenerit, convocat
amicas et vicinas, dicens : Gongra-
tulamini mihi, quia inveni dracli-
mam, quam perdideram ?
7. Je vous dis quMl j aura de
meme plus de joie dans le ciel pour
un pecheur faisant penitence que
pour quatre-vingt-dix-neuf justes
qui n'ont pas besoin de penitence.
8. Ou quelle est la femme qui,
ayant dix drachmes, si elle perd une
drachrae n'allume pas sa lampe et
ne balaie pas sa maison et ne cher-
che pas s oigneusement jusqu'a ce
qu'elle la trouve ?
9. Et lorsque elle I'a trouvee, elle
couvoque ses amies et ses voisins et
leur dit : Rejouissez-vous avec moi,
parce que j'ai trouve la drachme que
j'avais perdue.
7. — Par la formule solennelle dico vobis,
Jesus inlroduil I'applicalion qu'il va faire de
sa parabole. — Ita gaudnim erit in ccelo. De
la lerre nous parsons an ciel, ou nous voyons
se reproduird la scene joyeuso decrite au
preced'nl verset. Seulement, c'esl la chose
signifiee qui nous est desormais presenlee a
la place du signe. — Super uno peccatore poS'
nilentiam agente : telle est I'occasion qui ap-
porle au ciel un surcroit de felicite. L'idee
qui suit, quaui (pour « magis quam »; de
meme dans le grec, ou ^ a eie employe a la
fagon du 7)3 hebreu) super nonaginta novem
justis..., est plus elonnantc encore. Quelques
commentateurs, desireux d'cn faciliter I'in-
telligence, ont pris les derniere? paroles dans
un ^ens ironique, comme si le Sauveur cut
voulu dire qu'une ?eule vraie conversion su^-
cile dans le ciel plus de joie quo la saintete
apparente d'un grand nombre de soidisant
jusles, tels qu'eiaienl les Pharisiens. Nous
preferons, k la suite des Peres el d'apres le
contexte [t. 4), voir la une de ces locutions
orientales que Ton doit bien se garder de trop
presser, et qu'il est du reste aise de justifier
par quelques comparaisons. « Et dux in
praelio plus eum militem diligit qui post fu-
gam revcrsus hostem fortiter premit, quam
eum qui nunquam lerga praebuit el nunquam
■aliquid fortiter fecit. Sic agricola illam ara-
plius terram amat, quae, post spinas, uberes
fruges profert, quam earn quae nunquam
spinas habuit el nunquam fertilem messem
prodiixil », S. Gregoire, Hom. xxxiv in
Evang. De mSme, une mere qui vienl de
{»er(ire un de ses fils semble oublier tous
es autres dans I'exces de sa douleur. Cfr.
S. Bernard, In canlic. serm. xxix.
b. La drachme perdue, j^, 8-10.
Autre image, pour exprimer au fond la
meme pensee, quoiquo avec les nuances indi-
quees dans la note du t. 3.
8 et 9. — Aut serl de transition. — Quce
mulier. S. Ambroise, et divers inlerpretes
apies hii, regardenl celle femme comme ua
- type de I'Eglise : « Qui sunt isti, pater,
pastor, mulier? Nonne Deus paler, Chrislus
pastor, mulier Ecclesia? » 11 nous semble
que 1p8 trois figures representent plutol une
seule el memo personne, Dieu ou Nolre-Sei-
gneur Jesus-Christ. C'etail la pensee de
S. Gregoire-le Grand : « Qui significalur
per pastorem, ipse et per mulierem; ipse
enim Deus, ipse et Dei sapienlia «, Hom.
xxxiv in Evang. — Habens drachmas decern.
C'etail la un avoir bien modesle, puisqu'il
n'equivalait pas lout a fait a dix de nos francs
(10 lois 97 centimes 1/2, valeurde la drachme
attique) ; mais, dans ces conditions, la perte
d'une drachme sera d'autanl plus conside-
rable, surtoul pour une pauvre femme qui
I'avail peniblemenl gagnee. La drachme des
Grecs, comme le denier de Rome, avail cours
k cetle epoque dans toute la Palestine, de
concert avec les monnaies juives. Son nora
venail au6 to'j SeSpdxQat, parce que six oboles,
c'esl-a-dire son equivalent en pieces de
bronze, elaienl tout ce qu'un homme pouvail
tenir la main fermee. — Nonne... Petite des-
cription vivante, pittoresque, montrant fort
bien qu'il s'agit d'une somme relativement
imporlante, puisqu'on se donne lanl de peine
pour la rccouvrer. La drachme, en effet,
symbolise \'&me des peclieurs.w Nos drachma
Dei sumus ». S. Cyrille. Cfr. S. August.,
Enarr. in Ps. cxxxviii. — Accendit lucernam.
Le recil nous a conduits dans une de ces
maisons pauvres de I'Orient. qui ne regoi-
venl, meme en plein jour, qu'uii peu de lu-
miere par la poite. Cfr. Trisirain, the Land
of Israel, 3e edit, p. 405. En outre, I'objet a
280
fiVANGILE SELON S. LUC
10. Ainsi sera, voiis dis-je, la joie
des anges de Dieu pour un pecheur
faisant penitence.
10. Ita dico vobis, gaudium erit
coram angelis Dei super uno pecca-
tore poenitentiam agente.
relrouver est petit :on allume done la lampe
pour rendrc les recherches plus faciles. —
Everrit dornum. Seconde operation, non
moms nalurelle que la premiere, et usilee
en tou3 lieux dans le meme but. Par suite
d'une faute de copisle, le verbe « everlil »
fut longlemps et souvent subs(itue a « ever-
rit » dans noire version laline. CIr. S. Greg.
M., I. c. — Qucerit diligeiita- donee... Trait
d'ensemble, qui porle I'ide'^ priiicipale. Cfr.
t. 4. — S.Bernard fait une belle application
morale d(! ces divers details : a Adhuc hie
I'oerla el defoimis jaeuisset imago (I'ame hu-
inaino, marquee au coin de Dieu, mais defi-
gurei^ pai' It3 peclie), si non evangelica ilia
mulicr lucernam acccnderet, id est, apientia
in carne appnreret, everreret domum, vide-
licet vitiorum, drachmam siiam requireret
quam perdiderat : hoc est imaginem suam,
quae nativo spoliata decore, sub pdle peccali
sordi ns lanquam in pulvere lalilabal, inven-
lam lergcrct, et tolleret de regione dissimi-
litudinis,prislinamquo in speciem reform a tarn,
simiiem laceret illam in gloria Sanctorum,
imo sibi ipsi per omnia rodderot quandoque
conformein. » De gratia (tlib. arbitr., x. —
Convocat arnicas elvuinas... Scene de joie et
de congralulalion comme an t. 6. La nuance
de langagi; drachmam quam perdideram, au
lieu lie « ovem nicam quae p^rierat », est
parfa lement appropnce a la circonstance : la
drailime n'appai lenail pas a la lemme au
meme litre que la brobis an pa-leur, ot Ton
ne perd pas une piece de bctail a la fagon
d'une piece d'atgent.
40. — Ita, dico vobis... Jesus renouvelle en
I'abregeant son assertion solennolle du 1f. 7.
Notez aussi les deux varianlos qu'il y inlro-
duil, du moins d'apres le texte grec. 1° il ne
parle plus au fulur (x*P* J<JTaO> mais au pre-
sent (xapa yiv£-cai). 2° 11 ne menlionne pas le
ciel en termes abslrails (« in coelo »), ma'S il
nous montre les anges chantant de joyeux
« Te Dcum » d'aclion de graces pour la con-
version des pecheurs. En effel, dit gracieu-
semenl S. Bernard, « poenilenlium lacrymae,
vinum angelorum ». Comparez Bossuel,
Seimon pour le iroisieme Dim. apr^s la Pen-
tecote, Migne, t. II, p. 435 et s. Sur la locu-
tion extraordinaire coram angelis Dei avi lieu
du simple dalif f« gaudium erit angelis »),
voyez Brelschneider, Lex. man. s. v. 'EvwTitov,
comme parfois son correlatif hebreu iJsS
(Cfr. Geseni'js, Thesaurus, pp. 1110 etilll),
designe direolemenl la per*onne. — Adres-
sons souvent a Jesus cette humble priere de
S. Auguslin: « Sum nummus Dei, a Ihesauro
aberravi, miserere meil » Et alors nous
aurons quelque espoir de voir se realiser oa
nous les vers de Prudi nee : \
Amissa drachma regio
(londita est jciario;
El ^'omma, deterso lalo,
Nilore vincil sidera.
C. Venfanl prodigue. ff, 11-32.
Parmi les paraboles evangeliques, U n'en-
est pas qui ail ete plus admiree, plus goiitee'
que celle-ci. Les rationalisles eux-memes ne
peuvenl conlenir leurs transports en face de
ce drame parfail, oil I'humain et le divin
s'associent d'une maniere vraiment inimi-
tablos. Aiis?i bien. comme le (lit M. van
Oosterzpo, serait-il aise de former loule une'
chreslomathie, en reunissant les principaux
eloges qui onl ete adrcs«es a celle delicieuse
composition. « Inter omnes Chrisli parabolas,
haee sane eximia est, pl^na affcctuum, et
pulcherrimis picta coloribus », Grotius.
« Jesus-Chris', n'cul-il fail autre chose que
proposer cette parabole, de combien I'huma-
nile ne lui serail-elle pas redevable ? Oui, je
le demande sans redouter aucune contradic-
tion : Oil Irouvera-l-on uno poesie compa-
rable a celle-ci? » Lavaler. « II faudrait des-
milliers de paroles pour cxprimer lous les
sentiments do rrspectueuse admiration que
nous epiouvons en la coiilemplant, en I'elu-
dianl. Que c'est simple, el pourlant que c'esl
profond! Cliapilre de la vie humaine raconte
sans art,(le la fagon !a plus transparenle. et^
en memo irmps. revelation des plus intime-
mysteres du royaume des cieux; tableau par-
fail'meiil nalurel dans son ensemble, (|iioi-
quil abonde en significations mystiques
jusque dans ses plus petits details, dans ses
moindres coups de pinceau. Comme chaque
mot se grave a jamais dans la memoire!
comme les applications morales sonl riches,
inepuisables! comme tout cela est drama-
lique et vivanl!... avec quelle force la con-
science se trouve arreleel » Slier. « S'il esl
perrais de comparer enlre elles les choses di-
vines, cetle parabole mei ite d'etre appelee \a
perle et la couronne de loutes les paraboles
de lEcrilure. » Trench. « Jamais cerlaine-
menl le langage humain n'a resserre rn si peu
de paroles, el de paroles imperissables, u»
tel monde d'amour et de sagesse. » Farrar.
— Mais passons : nous louerons plus digne-
ment I'oeuvre de Jesus en la meditant, et sur-
tout en realiaant les sublimes Jegons qu'elle
CHAPITRE XV
281
11. Ait autem : Homo quidam
habiiit duos filios.
12. Et dixit adolescenlior ex illis
patri : Pater, da mihi portionem
subslantise quae me contingit. Et di-
visit iilis substantiam.
11 . II dit encore : Un homme avait
deux fils.
12. Or le plus jeune des deux dit
a son pere : Mon pere, donne-moi la
portion de ton bien qui doit me
revenir. Et le pere leur partagea son
bien.
renferme. Ces enseignements sonl tellemenl
nombreux, qu'on a pii nominer sans exage-
ration la parabole de i'Enfant prodigue uo
0 Evangelium in Evangelio ». Mais ce qu'elle
propose par dessus lout, avec uiie linesse
psychologique vraimenl exquise, c'esl le mo-
dele d'une sincere et solide conversion. Les
divers degres de honte que traverse le pe-
cheiir avanl d'arriver a sa ruine completp,
puis les degres analogues de son reiour vers
Dieu, y sont dessines dans les termes les plus
touchauts el les plus instruclifs, d'une part
afin de tious rffiayer, de I'autro ])our nous
encourager. Quoq aimerait a connaiire I'his-
toire des heureux resultals qu'elle a produils
depuis qu'elle est lombeedes levres de Jesus!
— Sur ses relations avec les paraboles pre-
cedentcs, voyez la note du t 3. Elle a ete
Ires bien coramentee dans I'anliquite par
S. Jean Chrysoslome (Homil. de patre ac
duobus filiis) el par S. Jeronne (Epist. ad
Damas. de filio prodigo). — Ce drame ancien,
mais toiijours nouveau, se divise en deux
acles, auquel est raltache un assez long epi-
logue. Le premier acle comprend les tt. 11-16;
c'esl la parlie higiibre : on va de chuie en
ch<ite jusqu'a I'extreme misere. Le second
acte, tt. 17-24, decril au conlraire la con-
version du prodigue depuis le premier signe
de son repenlir jusqu'a sa lotale reinstalla-
tion dans ses anciens droits et privileges.
L'epilogue, tt- 25-32, expose el apprecie la
conduite de I'aine des deux freres.
11. — Ait autem. Petite formule de tran-
sition pour amener la principale des trois
paraboles. — Homo quidam... Le recit nous
introduil immedialeinent au sein d'une riche
famille, composee d'un pere et de ses deux
fils deja grands. Debut fort simple d'une
piece grandiose. Le pere n'esl autre que
Dieu; cela ressort eviderameiit du conlexte.
Mais il regne quelqui; incertitude parmi les
commentateurs relaiivement aux person-
nages donl les deux fils sont le type, a Sunt
qui dicunt,^crivait S.Jean Chrysoslome, l.c ,
de duobus filiis isiis seniorem angeios esse,
juniorem vero hominem ponunl, qui in lon-
ginquam peregrinationem abierit, quando in
terram de cce'is el paradiso cecidit. » Le
grand Docteur ajoulail A bon droit : « Hie
sensus pius quidem videlur; nescio lamen si
verus sit. » Nous verrons en effel que le fils
aine n'a rien de bien angelique. Les Peres et
les oxegetes du moyen-^ge ont vu assez fre-
quemmeut dans les deux fieres I'image des
Genlils et des Juifs : des Genlils, d'abord se-
pares du vrai Dieu et livres a tous les ega-
remenls de leurs passions, mais plus tard
genereusemsnt convert is a la foi el a la vie
chrelienne; des Juifs superbrs, qui auraienl
voulu jouir seuls des privileges du royaum.)
messianique, el qui preiererenl n'y avoir au-
cune pari plutol que de voir les palens en
beneficicr aussi. 11 est ceriain que les details
de la parabole cadrenl en general assez bien
avec celte intei prelalion. Neanmoins, les
meilleurs commentateurs des temps modernes
sonl d'accord pour reconnailre qu'elle ne doit
venir qu'en secoudi; Hgne, et que, directe-
menl, I'enfant prodigue represenle les publi-
cains el les pecheurs, landis que son frere
figure les Pharisiens et les Scribes. L'intro-
duclion hislorique des iit. 1-3 et I'analogie
des deux aulres paraboles indiquent en eifet
que la pensee premiere de Jesus, lorsqu'il
retragail ce drame admirabi?, elail d'opposer
la conduite de ses orgueilleux adversaires a
celle des pecheurs converlis qui sepressaienl
autour de sa personn • sacree. Voyez les
commentaires de Corneille de Lapierre, de
Maldonai, de Fr. Luc, de Mgr Mac Evilly, de
MAL Bisping, Crombez, Reisrhl, Dehaul, etc.
Du resle, telle etail deja Top nion de Tertul-
lien, de S. Cyrille, do Theophylacie, elc.
12. — Dint adolescentior. NewTepov 6vo(iaIJei
Tov 4ixapT(o>6v w? vriTrtofpova xai eOe^airdTriTov,
dit assez juslement Eutliymius. Mais on ne
doil pas trop pressor ceite circonstance, car
rien ne montre qu'il y ait eu une notable dif-
ference d'age enlre les deux freres. — Pater :
appellation de tendresse qui laisse a la de-
mande du jeune fils tout son caraclere odieux,
denature. Ce n'est d'ailleurs qu'un simple
pallialif. — Damihi... L'ingral expose sa re-
quete sous une forme quasi legale ; le langage
qu'il emploie, portionem substantice quae me
contingit, t6 ijctgdiXXov [XEpo; tri; oOaia? (mieux
en latin, « ralam heredilalisparlem »), estaussi
terlinique que celuid'un jurisle. Voyez Sevin,
Synopl. Eiklaerung der drei ersten Evans.
h.' I. II semblo reclamer comma un droii, non
comrae une faveur, ce partago premalure,
Le ton, non moins que la chose mome, fait
pressenlir jusyu'k quel point son coBur a
282
tVANGII.E SELON S. LUC
13. Et peu de jours apres, ayant
'assemble tout ce qu'il avait, le plus
jeune fils partit pour une region
etrangere et lointaine, et la il dis-
sipa son bien en vivant dans la
luxure.
14. Apres qu'il eut tout con-
somme, il J eut une grande famine
dans ce pays, et 11 commenca a sen-
tir I'indisrence.
13. Et non post multos dies con-
gregatis omnibus, adolescentior fi-
lius peregre profectus est in regio-
nem longinquam, et ibi dissipavit
substantiam suam vivendo luxu-
riose.
14. Et postquam omnia consum-
masset, facta est fames valida in
regione ilia, et ipse ccepit egere.
perdu tout senliment Glial. La « rata pars »
donl il demandail le paiement immedial etait
probabiement la part d'heritage qui devait
lui revenir apres la inorl de son pere. D'apres
la loi jiiive (Deul. xxi, 17. Cfr. Michaelis,
Mosaisches Recht, § 79), elle ne consistait,
pour les cadets, qu'en la moilie de celle de
I'aine. — Tel est le premier pas du prodigue
vers le mal : il veut etre libre, il veut jouir.
Mais, d'apres les principes de ce monde, il
n'y a ni liberie ni plaisirs sans argent. G'esl
pour cela que !e jeune fils desire eire mis au
plus lot en possession de sa fortune. Image
des pecheurs, dont la vie criminelle commence
d'ordinaire par un amour immodere de I'in-
dependance, de la jouissance : ils trouvent
le joug divin trop iotird, et ils le rejettent
impaliemment de leurs epaules. — Divisit
illis substantiam. Quoique rien ne I'y forgal,
li pere accede a la demande de son fils.
Essayer de le retenir malgre lui au sein de la
lauHiie dans son elat d'aine acluel eiit ete
peine perdue, ou meme un mal pire que ceux
qu'on pouvait redouter. C'est ainsi que Dieu
nous laisse libres de I'abandonner, d'abuser
de ses dons pour I'ofTenser, permettant que
nous decouvrions, apres une iriste expe-
rience, combien son service est doux quand
on le compare a la tyrannic du monde etdes
passions. — D'apres le contexte, t. 29, le
pere, apr^s avoir divise ses biens entre ses
d 'ux fils, mil seulement le cadet en posses-
^lon de la part qui lui revenait, el garda celle
de I'aine en quaiile d'adminislrateur.
13. — Mainlenanl que le jeune fils est en
quelque sorte emancipe, quel usage fera-t-il
de sa liberie? On ne le prevoit que trop. Le
t. M a raconte le debut de sa ruine morale :
celui-ci en expose les developpemenls aussi
rapides que terribles. L'aposlasie de la vie
suit h\en[6l{7ionpostmuHos dies) l'aposlasie du
ccBur. Cfr. S. Bernard, De divers. Serm. viii.
— Chaque trail porte dans celle tragedie
lamentable. Congregatis omnibus : tout sans
exception! Le prodigue converlil toute sa
fortune en especes pourl'emporter et en jouir
plus commodemenl; cela fail, peregre pro-
fect'jis est in religionem lougiiiquam. Pou vail-
on designer plus forlement la maniere dont
le pecheur s'eloigne de Dieu, la distance
enorme qu'il met par sa vie coupable entre
lui et le souverain Mailre? C'csld'abord une
expatriation, aireSrijArjffev, et la tirre d'exil est
aussi lointaine que possible, eUx'^?°'^ [idxpav.
« Fugilenim Deura peccalor, ut a longinquo
stet », S. Jean Chrysost. « In regionem lon-
ginquam quae est oblivio Dei », S. Augustin
(Cat. D. Thom.). « Quid enim longinquius
quam a se recedere, nee regionibus, sed mo-
ribus separari ? » S. Ambroise. h. 1. — Et ibi
dissipavit substantiam suam. Le mal va vitel
Nolle prodigue (el c'esl precisemenl le verbe
SieoxopTTioe, « dilapidavil », qui lui a valu ci'
surnom) est a peine arrive sur la terre etran-
gere, que nous I'y voyons lance en plein dans
celle vie de folles debauches qui detruit une
fortune aussi rapidement qu'une ame. Au
mot « substantia », irois fois employe dans
les tt. 12 et -13, correspondent en grec deux
substanlifs dislincts, mais a peu pres syno-
nymes, ovata et pio;. — Vivendo luxuriose.
Quelle reserve delicate dans celle description 1
Mais I'adverbe grec aawTw; est encore supe-
rieur sous ce rapport a noire mot latin. Sa
racme est a privalif et owJ^eiv, sauver : il de-
signe done la conduite d'un homme qui ne
s'linpose aucune retenue, dont la vie est un
melange d'inlemperance el de prodigalite, en
un mot d'un « perditus », comnie disaienl les
Latins (affwTo?, oSe auTovaTioXXOfievo?, AristOle),
Cfr. Dialing. Observal. sacr. t. Ill, p. 435;
Trench, Synonymes du N. Test. § xvi. On ne
le irouve pas ailleurs dans la Bible; mais le
substantil aawxta est employe deux fois par
S. Paul, fiph. XV, 18; Til. i, 6, et une fois par
S. Pierre, I Petr. iv. 4.
14. — Ici commence un second tableau,
celui de la misere du prodigue, fruit de ses hon-
teuses dissipations, Tk'i^. 14-16. — Postquam
omnia consutnmasset : par opposition a « con-
gregatisomnibus»dut. 13.Si(lu moinsil n'eilt
sacrifie ''.U'^ ses biens materiels 1 — Facta est
fames valida... C'esl par une permission spe-
ciale de la Providence que la famine eclala
juste au moment ou le prodigue se trouvait
denu6 de ressources. Celui qui ne s'etaii re-
CHAPITRE XV
383
1 5. Et abiit, et adhassit uni civium
regionis illius. Et misit ilium in
"villain suam, ut pasceret porcos.
16. Et cupiebat implere ventrem
suum de siliquis quas porci man-
cabant : et nemo illi dabat.
lb. II s'en alia done et s*attacha
a un habitant de ce pays, qui I'en-
voja dans sa maison des champs
pour faire paitre les pores.
16. Etildesi rait remplir son ventre
des siliques que mangeaient les
pores, et personne ne lui en donnait.
fuse aucune jouissance seiilit bieiitot I'ai-
guillon de la f'aim : et ipse (pronom empha-
lique) roepit egere. Quel conlrase avec sa vie
precedenLel Mais cola est vrai siirlout au
moral. II est utie foule de prodigues qui, tout
en etant di m 'iires k la tele d'une fortune flo-
rissante, au faite des honneurs, soulfrent
reelleraenl de la faim, de la soif, comma I'a-
vait predil le prophete Amos, viii, H.
« Eleiiim, dil admirablemenl S. Ambroise,
h. !., qui recedit a verbo Dei esurit... ; qui
recedit a fonte silil ; qui recedit a thesauro
egel; qui recedit a sapienlia hebelatur. »
15. — Et ubiit. Si du moins il quiltait le
pays de sa ruine pour se diriger immediate-
raent vers la maison palernellel Mais iion ; il
faut que de nouvelles souffiancps, de plus
profondes humiliations, viennent briser I'or-
gueil de son coeur. Le verbe TcopeuOev; designe
done simploraenl des demarches faiths par le
prodigue en vue de pourvoir d'une maniere
quelconque a sa sub~istance. — Et adhcesit,
dxoX)>Yi6ri; mot tres fort, quiequivaula I'hebreu
pll, et suppose d'une part de vives instances
pour oblenir un emploi, de I'autre la plus
complete depi^ndance. Ou est ce fierjeune
homme qui tenail tanl a sa sa liberte? Au
moral, « subjicit se tolaliter daemoni, qui
vere est civis regionis peccali. » Cajelan.
Cfr. S. Bernard, Do divers. Serm. viii. —
Misit ilium tn villam suam (eU loy; aypoO;
aCiToO, dans ses champs) ut pasceret porcos.
L'auditoire dut fremir en enlendant ce detail.
Un Juif prepose a ia garde de ranimal repute
le plus impur au point do vue legal, quelle
degradation! Les puntains d'Israel crai-
gnaientde sesouiller en prononQant le nomdu
pore, qu'ils remplaQaienl par une periphrase
^abar azher, "ynn. 121, « I'autre chose »), et
nous savons par Herodote, ii, 47, quo les
seulespersonnesexcluesdestemplesegyptiens
etaient les gardeurs de pourceaux. — Les
moraiistes voienl justemeiit dans ce trait un
type du peche pousse jusqu'Ji ses limites les
plus nonteusos.
1C. — Et cupiebat {--Tii^'^v-^u il desirait vi-
vement) implere ventrem suum. Expression
qui etonne tout d'abord sur les levres deli-
cat's de Jesus ; aussi a-t-eile ete parfois,
qii(ii(]U'5maladroitement,corrigeeon«sa(i;iri »
(XopTotuG-zivai, B, I), L, R, Sinait.). Mais le Sau-
veurse proposail de rendre sa narration aussi
forlo que possible, el certcs, le contraste
qu'il elablit a dessein entre le mandiicabant
du vil troupeau et le « cupiebat implere ven--
trem suum » du porcher, a (ludijuc chose de
saisissant. II y a la du rcsle I'eiionce d'un fait
tres exact au point de vue physiologiqui^ « So-
lent qui admodiim fainelici sunt cupere va-
cuum omnino ventrem de re aliqua implere,
nee ullum ciboruin habere discrimeii, mode
rabidam famem sedent », Maldonat, h. 1. Ei
puis, ce qui est une nournture sullisanle
pour des animaux no Test pas loujours pour
i'homme, et tci elait preeisdment le cas .
« Clbus quo corpus non ledcitur sed imple-
tur ». S. Ambrois'. Enfin, c'esl une veritd
morale souvent relevee a cette occasion par
les Peres, que les plaisirs sensuels ne par-
viennent jamais a rassasier le coDur humain.
0 Non poterat satiari, quia ?em[)er voluptas
famem sui habet, et iransacta non saliat, »
S. Jerome (loc. cit.). Le poele paien I'a dit
aussi : « Atque ex|)lere bonis rebus satiareque
nunquam » (Lucrece). — De siliquis. Les
gousses en question sont, selon toute vrai-
semblance, celies du caroubicr (« Ceratonia
siliqua » des botanistes), arbre de la famille
des legumineu-es, qui croit abondainrnent
dans toute la Syrie, en Egypte, et memo en
Italie et en Espagne. Les Grecs les appelaient
xepaT(a (c'est le mot du texte original) pares
qu'elles sont pour la plupart recourbees ca-
pricieuseraent en forme de comes (comparez le
nom allemand « Bockhornsbaum »). Lei.>r lon-
gueur habituelle est d'environ un demi pied,
ieur largeur de 6 a 8 centimetres. El'es con-
tiennenl une puipe blanchatre au gout fade,
quoiquelegerement Sucre (I'epithetede « prae-
dulces » que Ieur donne Pline I'ancien semble
fort exageree : il est vrai que les echanlillons
de notre petit musee biblique ont un peu
vieillis). Aujourd'hui, comme au temps do
Jesus, les Orienlaux les servent en palureau
betail : les [)lus pauvres seulement essaient
queiquefois de s'en nourrir. Leur nom semi-
tique est « caroubes » (du chaldeeniTin, dm-
roub), qu'on relrouve dans I'espagnol « algaro-
ba ». On les a aussi appi'lees« figuesd'Egyple*,
ou bien « pain de S. Jean », parct; qu'on
croyait que le Precurseiir s'en elait nourri
dans le desert. Voyez Winer, Bibl. Real-
wcBiterbuch, s. v. Juhannisbiodbaum ; Fred.
Hamilton, La Botanique de la Bible, p. 44
234
EVANGILE SELON S. LUC
17. Rentrant alors en lui-mSrae il
dit : Que de mercenaires dans la
maison de mon pere ont du pain en
abondance ! et moi ici je meurs de
faim.
18. Je me leverai et j'irai vers
mon pere, et je lui dirai : Pere, j'ai
peche conlre le cicl et conlre loi.
19. Je ne suis plus digne d'etre
appele Ion fils, traite-moi comme
Tun de tes mercenaires.
20. Et se levant il vint vers son
pere. Et lorsque il claiL encore loin,
17. In se anlem reverses, dixit :
Qnanti raerconarii in domo patris
raei abundant panibus, ego aatem
hie fame pereo!
18. Surgam, et ibo ad patrem
meum, et dicam ei : Pater, peccavi
in ccelum, et coram te :
19. Jam non sum dignus vocari
filius tuns : Fac me sicut unum de
mercenariis tuis.
20. Et surgens venit ad patrem-
suum. Cum autem adhuc lonse es-
et <5. — Nemo illi dabat (I'imparfait exprime
la conlinuite : On ne lui en donnail jamais).
Quelqiies auleurs sous-enlendent. : « aiiud »,
ou « aliquid melius » (Alford, SUor, etc.) ;
mais le conlexle s'oppose a toule addition de
ce genro. Pcrsonne dune n'offrait au prodigue
de ces miserablrs fruils. On a doiitie dilFo-
renlec- explications de ce fait. Voyi z Mal-
donat, Corneille de Laf)ierrp, etc., h.' I. La
plus naturelle el la plus simple consiste a
supposer que d'autres servileurs elaienl
charges de distriburr les caroubt'S aux poiir-
ceaux, el qu'aucun d'eux ne s'inquietail du
malhfiureux gardien. Cela monlre a quelle
delresse ce derninr elail reduil! Mais avait-
il le droit de se plaindre' a Mento siliquas
esuriil el non acci'pit, qui porcos pascere ma-
luit, quam paiernis epulis saliari », S. Ber-
nard, De Convors. vm.
M. — Mous passons au second acts de
I'histoire du prodigue, tt- <7-24. On y voil
egak^menl d ux tabh^aux : 1o la penitence,
tt. iT-SOa, 20 le pardon, tt. 20t)-24. « Nous
avons suivi pas a pas le mallicursux egaie
sur une vole qui rocaiiait de plus en plus de
son Dieu. Maintpnanl nous sommps arrives a
la crise, a la nepmeTeCa de celle tragedie
d'une sime, et une lacho i)lus agreable nous
reste, celle de relracer les aivcMS degres de
son retour. » Trench, I. c. — In se autem re-
versus. Heureuse expression, souvenl em-
ployee dans le meme sens par les classiques
grecs et latins. Voyez Kuinoel, h. 1. » Bene
in se revertilur, quia a se recessit : etenim,
qui ad Deum regreditur se sibi reddit, el qui
recedit a Christo se sibi abdical », S. Am-
broise. A I'ecole severe de la misericorde di-
vine, comme s'exprime S. Auguslin, il a fini
par s'inslraire et comprendre. Son mono-
logue est bien beau, et digne d'un vrai peni-
tent. II s'ouvre par un conlrasle saisissanl :
Quanti mercenarii (de simples mercenaires,
jitoOioi, et en grand nombre) in domo patris
met (ic grec dit seuleraent « *nc.rceDarii patris
mei »; abundtint pantbui (iis ont lout a sa-
tiete dans ceite maison benie que j'ai qniltee
pour mon malheur) : ego autem (moi, ie fils
bien-aime, helasi fils rebelle, aposial] hie
(avec emphase : dans cette coniree affreuse)
fame pereo.
1 8 e 1 1 9. — Surgam et ibo. . . Concl usion toule
naturelle apiesde telles premisses. II dilo Sur-
gam, quia jacebat ; et Ibo, quia longe aberat;
Ad patrem meum, quia sub principe porco-
rum erat », S. Augustin, De quaest. Evang.,
xxxni. Puis arrive aupres de son pere, donl
il se rappelle avec confiance toule I'ancienne
tetidiesse, que fera-t-il ? Une humble et sin-
cere confession ; Dicam ei. Pater, peccavi in
ccelum le ciel personnifie, en tant que resi-
dence de Dieu) et coram te (« te teste »). Cri
d'un cceur coupable, allanl droit au ccEur mi-
sericordieux du divin offense; mais encore
faut-il que ce cri soil pousse : « Eslo accu-
salor tuus, <t Ille eril indullor luus », S. Au-
guslin. « Tantum relevat confessio deliclo-
rum quantum dis?iinulaiio exaggerat. Con-
fessio enim satisfactionis consilium est, dissi-
mulatio contumaciae. In quantum non peper-
ceris tibi. in tantum libi Dens, crede, par-
cel », Terlullien, de Poenil. 9, <0. Cfr
S. Ambroise, h. 1. — Jam (apres tout ce qui
s'esl passe) non sum dignus vocari... t 11 n'ose
pas aspirer a I'affection du fils, qui ne doute
point que toul ce qui est a son pere ne soil
a lui ; mais il demande la condition du mer-
cenaire, pret a servir desormais pour un sa-
laire, el encore declare-t-il ne pouvoir me-
riler ce sort que par I'indulgence paternelle 1 »
V. Bede. — Fac me (c'est-a-dire « iracla
me ») sicui... Ce « sicut » est plein de delica-
tesse. Malgr^ tout, le prodigue est le fils de la
maison ; il ne saurait done devenir un merce-
naire pur el simple chez son pere. Du moin?
desire-l-il 6tre Iraite comme tel.
20a. _ Et surgens venit... II execute sans
larder sa noble resolution, montranl par la
combien sa penitence etait sincere. II en est
CHAPITRE XY
285
set, vidit ilium pater ipsius, et mi-
sericordia motus est, et accurrens
cecidit super collum ejus, et oscula-
tus esteum.
21. Dixitque ei filius : Pater, pec-
cavi in c<elum, et coram te,jam non
sum dignus vocari filius tuus.
22. Dixit autem pater ad servos
suos : Gilo proferle stolam primam,
etinduite ilium, et date annulumin
manum ejus, et calceameiita in pe-
des ejus :
son pere le vit et il fut touche de
compassion, et accourantil tomba
sur son cou etle balsa.
21 . Et le fils lui dit : Pere, j'ui
peche contre le ciel et contre toi; je
ne suis plusdigne d'etre appele ton
fils.
22. Mais le pere dit a ses servi-
teurs : Vite, apportez sa robe pre-
miere et Ten revetez, et metlez lui
un anneau a la main et des chaus-
sures aux pieds;
lani qui t-prouvent des velleites de conver-
sion el que ne se converlissenl jamais! Ren-
Irer en soi-meine n'esi pas loujours revenir a
Dieu. Aussi, dit S. Gregoire de Nysse (in
Cat. D. Tliom ), esl-ce la un bcl exemple que
I'Esprit Sainl nous a irace, a6n que nous
apincnions comment nous devonsdeplorer les
egaremeiit? (li> iioiri^ coeur.
20b. — Scene louc-lianle au-dela de toute
fxpressioii, veiifianl a la leUre plusieurs des-
ciiplions antiques de la misericorde divine.
Cfr. P=. cii, 8-i2; Is. XLix. 15. — Quim
adhuc longe esset. D'apres un proverbs orien-
tal, pour un pouce de distance q I'un homine
franchit afin des'approcher de Dieu, Dieu en
Iranchil une aune a sa rencontre. Cfr. von
Ilammor, Fundgr. [des Orients, t. IV, p. 91.
Le prodigue est encore bien loin que deja
son pere I'a reconnu : car il I'altendait, eU
comine la mere de Tobie, il epiait conslam-
meni le reiour de son Qls. — Misericordia
motus est, ianla.Y/yi<j^r\. Lilteralemenl, ses en-
irailles s'emurenl : mot par lequel les evange-
listesexprimentsi souvenl la tendrepiiiede Je-
sus. — Et accurrens cecidit super collum ejus...
Les peiiilr.'s qui onl e:isaye do rcpresenter
I'histoire de renfanl prodigue se sent inspires
pour la plupart de ce momnl delicieux iSal-
vator Rosa, le Guercliin, Muiillo, Spada).
Le tableau de Spada contient seulemenl deux
figures a mi-cor[)s; mais « il serait impos-
sible de rendre avec plus de bonheur celte
lendre commiseration d'un pere oubliant les
torts de son GIs... La t^lcdu vieillard est ad-
mirable. La compassion et I'amour le dispu-
lent a ratlendrissemenl, tandis que le ropenlir
t'l I'espoir anim-ni les trails du fils, dont la
bouche semble prononccr les mols si tou-
rhants : Mon pere, j'ai peche. » Musee Chre-
tien, p. 140 bis (voir le magnifique poeme
de Werner, « Gib, Valer, mir horaus mein
Elbe »). — Osculalus est eum. Dans le grec,
)iaT£9i).Ti(Tev,verbe compose qui signifiewexoscu-
lari », couvrir de bai-^ers. Cfr. Mallh. xxvi, 48
£t le comm 1 1 lin-.
21. — Dixitque ei filius. Malgre ces mar-
ques evidenies de recoiicilialion et de par-
don, le prodigue n'oublie pas la confession de
ses faules. Son pere a tire !c voile sur son
triste passe, et I'a rego coinme le fils le plus
aimant; neanmoins, il le Sr-nl, c'est un de-
voir pour lui de s'accus'r, de shuniilier.
Toutefois il est remarquable qu'il ne piononce
pas en enlier le petit di>cours qui lui elait
venu a la pensee des les premiers instants de
sa conversion (Vt. 18 el 19). II oniet de dire
(en depit des manuscrits Siiiait., B. D, U, X,
qui les repelenl inaladroiioment ici) les mots
fac me sicut uimm..., qui seraienl desormais
deplace- apres I'accueil si atfectueux qu'il
a reQu. « Q.iid eniin rogaret patrem ul ab eo
lanquam mercenarius reciperetur, qui se jam
lanquam filium recrpLiim videbat? » Maldo-
nat. a Quum panem non haberet, vel merce-
iiarius esse cupiebat; quod post osculum pa-
trisgenerosissime jam dedignalur », S. Au-
gust. Q.iae-t. Evang. ii, 33. Les baisers pa -
terneb arreierenl done celte parole sur sea
levres.
22. — Dixit.-, paler ad servos (non pas les
|xiff8ioi, mais les 5o-j),oi.). L; pere, dan? celte
scene entiere, demuire loul-a-fait muet a
regard de son fils. Quanl I'emotion lui permet
de parler, ce n'est pas a hii qu'il s'adresse
pour le rassurer, mais a ses serviteurs pour
leur donner des ordres. Touiefois, que cela
est naturel, et commo ces ordres sint expres-
sifsl lis impliquent la rehabililation la plus
complete du coupable, lo pardon le plus ab-
solu. — Cito proferte stolam primam. L'ad-
verbe « cito » manque dans la Recepta; mais
sonaulhenticiteest >u(Lsainmenl garanlie par
rilala, la Vulgate el les meillinirs manuscrits
grecs. Par « stolam primam » (dans le grec,
TTiv oTo^v Ti^v Tt-wTTiv, avec deux articles em-
plialiques), il faut entendre vraisembiable-
ment la robe la plus belle eila plus precieuse
(ttiv TipuwTdtTiv. Eulhymius; d'apres Theo-
pliylacteet d'autres, -riiv ipx^iof-) qui fut dans
le vesiiaire palernel. Les haillons du prodi-
286
EVANGiLE SELON S. LUC
23. Et amenez le veau gras et
tuez-le, et mangeons-le et faisons
grande chere ;
24. Gar mon fils que voici elait
mort et il revit, il etait perdu et il
estretrouve. Et ils commencerent a
faire grande chere.
2o. Or son fils aine etait aux
champs, et comme il revenait et
s'approchait^le la maison, il enten-
dit une syraphonie et des danses.
23. Et adducite vitulum sagina-
turn, et occidite,et manducemus, et
epulemur :
24. Quia hie filius mens mortuus
erat et revixit, perierat et inven-
tus est. Et coeperunt epulari.
23. Erat autem filius ejus senior
in agro : et cum veniret, et appro-
pinquaret domui, audivit sympho-
niam et chorum :
giie vonL faire place a co noble vetemenl des
fils de famille. Cfr. Marc, xii, 38; xvi, 5;
Anl. Rich, Diet, des aniiq. rom. el grecq.
s. V. Stola. All moral, ceUe robe figure l'«in-
dumenluu) Spirilu? sancLi »^TtTluliien), le re-
couvrement (le la dignile que !e peche nous
avail enlevee (S. Auguslin). — Dale annuluin
in manu ejus. Dans I'anliquile, Taiineau, el
specialenienl lanneau a gemme servanl de
sceau, comme le porlaient les tiommi^s, elait
un signe de dislinclion . d'aulorile. Cfr.
Gen. XLi, 42; Jac. ii, 2. Voila pourquoi on
le passe au doigl du prodigue. Quanl aux
chaussures [calceamenta in pedes ejus), elles
elaienl regardees comme une marque de li-
berie, car It's csclaves allaienl loujours nu-
{)ieds. Elles repreS-Mili'nt ici lezeleaveclequel
e nouveau conveiii niarchera de.-ormaisdans
la voie desdivins piec: pies (Cfr. Eph. vi, 15),
de meme que I'annoau symbolisail son union
eternelle avec le Si'igneur iOs. ii, 19 cl 20).
23 el 24. — Adducile vitulum saginatum
et orr.idite (bonne liaduclioii de b-Jaait, qui
n'a pas ici le sens de <- sacrificate »]. L'lieu-
reux pere veul enoulre feler le relour de son
61s par un joyeux banquet, en vue duquel
.1 .-omiiiande a ses scrviieurs de tuer sur le
champ le veau le plus grasde I'elable (il y a de
nouveau deux articles dans le lexle grec, t6v
jtocTxov Tov oucUTov], miscH rcscive el delicate-
menl nourri (<7i-£"JT6;,de cIto;, engraisse au fro-
ment), selon I'nsage oiienial, pour celebier le
premier eveiiemenl pios[i6re qui surviendrait
dans la famille. — Les Peres onl volonliers
en\iS3ge ce « vilulus saginalus » coram3
renibleme de Notre-Sei.L-neur Jesus-Christ,
« cujiis quolidie carne paseimur, cruore po-
tainur « (S. Jerome). Toulifois, nous dirons
avec Maldonat, que celle inlerprelalion, quel-
que ingeiiieuso qu'elle paraisse. n'esl pas lilte-
rale, mais simplemeni mystique. Voyez dans
S. Irenee, iii, M, un aulre rappi ochemenl
plein d'inleret. — Mmiducemus et epulemur
(dans le grec : 9ay6vTe; eOypavOdJixev . Le verbe
eOqppaivw, qui ai moyn signifie ordinaire-
ment « laetari », est souveni employe par les
auteurs sacres el profanes dans le sens de
« laele convivari a. Cfr. Brelscbneider, Lex.
man. s. v.). Les proprielaires de la brebis-
egaree, de la drachme perdue, avaienl desire
que leurs voisins el amis prissenl pait a leur
joie ; le pere de famdie invile de meme ses
scrviieurs a parlager la sienne. Car Dieu a
ses jours de fete, dil admirablemenl Origene
(Hom. xxiii inLevil.); « Deus dies feslossiios
liabel : e-l enim ei magna feslivilas bumana
salus. » Et quel motif, s'ecrie ce bon peri-,
n'avons-nous pas de nous livrer a I'allegresse !
Hie (avec emphase) filius mens inortuus erat
et revixit. C'elail bien en realile une resur-
reciion mesperee I Le second conlrasle, ;5c-
rierat (aTio),a)),a>; r^v, il avail ete perdu) et in-
ventus est, repele la meme idee pour la ren-
forcer. — Coeperunt epulari (euypatvEoOai
comme au versel precedent). Le fils renlre
en grace, assis a la place d'honneur, se sou-
vint peul-etre alors du « coepitegere » (t. 14}
qui avail occasionne sa conversion.
25. — Le fils aine, que nous avions com-
fileleraent perdu de vue depuis le debut de
a parabole, nous est a son tour presente
dans un long epilogue (tt. 25-32). Sa con-
duile fera surgir une aulre legon. — Erat...
filius ejus senior in agro. Telle etail son occu-
pation accoulumee. Tandis que le prodigui>
se livrait aux plaisirs, lui il avail fait valoir
peniblemenl les champs palernels. Pourquoi
n'ava.l-il pas ele immedialemeni averli du
relour de son frere? Comment avail-ou com-
mence le repas sans I'atlendre? Peul-6tre
voulail-on lui menager une agreable sur-
prise; ou bien, il se trouvait dans quelque
ioiniain domaine, el le bonheur du pere etait
Irop vif pour souCFrir uu retard dans sa ma-
nifestation. — Audivit symphoniam et cho-
rum. C'esl par la seulemenl qu'il sul, m
approchanl de la maison, qu'il elait survenu
une cause de joie inopinee. Sujipwvja desigue
un conC'Tl d ' voix el d'inslruments x°po? un
choeurde dansi (ces deux substanlifs n'appa-
raissent pas ailleurs dans le N. Testament).
Sur ce double accompagnemi nt obligaloirc
des feslins chez les Orieiitaux et en geneial
dans rantiqiiite, voyez Is. v, 12; Am. vi, o;
Matth. XIV, 6; Sueton. Caligula, 37; Horace.
Ars poet. 374 ; Keil, Hebr. Archaeologie, § 1 36^
CHAPITRE XV
26. Et vocavit unum de servis, et
interrogavit quid hsec essent.
27. Isqiie dixit illi : Frater tuus
venit, et occidit pater tuus vitulum
saginatum, quia salvum ilium rece-
pit.
28. Indignatus est autem, et no-
lebat introire. Pater ergo illius
egressus coepit rogare ilium.
29. At ille respondens, dixit patri
sue : Ecce tot annis servio tibi, et
Dunquam mandatum tuum prsete-
rivi, et nunquam dedisti mihi hoe-
dum ut cum amicis meis epularer :
30. Sed postquam filius tuus hie,
qui devoravit substantiam suam
cum meretricibus, venit, occidisti
illi vitulum saginatum.
26. Et il appela un des servileurs
et lui demanda ce que c'elait.
27. Et celui-ci lui dit : Ton frere
estrevenu, et ton pere a tue le veau
gras, parce qu'il I'a recouvre sain
et sauf.
28. Mais il s'indignaet ne voulait
pas entrer. Son pere done, etant
sorti, se mit k le prier.
29. Mais il dit a son pere : Voila
tant d'annees que je te sers et jamais
je n'ai transgresse ton commande-
ment, et jamais lu ne m'as donne un
chevreau pour faire bonne chere
avec mes amis.
30. Mais lorsque ton fils la, qui a
devore son bien avec des courtisa-
nes, est v»nu, tuas tue pour lui le
veau gras.
Ce n'etaient pas les convives eux-memes qui
chaniaienl el dansaient, mais des musiciens
el des danseuses a gage, releiuis pour la cir-
conslance.
26 et 27. — Vocavit unum de servis. Au
Jieu d'enlrer, el de voir par lui-meme queile
elait la cause de ces rejouissances inatien-
dues, le fils aine, inonlrant ainsi lout ce qu'il
y avail de maussade, de raide dans son ca-
raclere, prend des informations aiipres d'un
serviteur. La repon^^e de celui-ci esl empreinle
d'une grando delicalesse, d'une discretion
toute respeclueuse. Le pere avail bien pu
{t. 24) apprecif r le caraclere moral du relour
de son Ills, mais ce langage n'aurait pu con-
venir dans la bouche d'un servileur; aussi
Jesus lui fait-il dire simplemont : salvum
(byici.iyoyT:<x, « salvum et sospilem » des clas-
siques) ilium recepit. Chaque Irait est vrai-
menl d'une exquise perfection.
28. — Indignatus est, wpYt'treri. Un autre se
serail precipile dans les bras de ce frere que
Ton croyail a jamais perdu. Four lui, li s'ir-
rite violemment et demeure a la poite (I'lm-
parfail nolebat indique la conlinuile de son
refus), afin de marqiier par la combien il
r^prouvail une pareille fete. — Pater ergo...
egressus. Quel bon perel avec quelle miserl-
corde il supporte les divers defauls de ses
enfanls! II va au-devant de I'aine comme il
est alle au-devanl du prodigue. el il le conjure
in^tammonl d'piilrer [coepit rogare; dans le
grec, rogabal a I'imparfait, comme « nole-
bat »).
29. — Celle d-marche pleine do condes-
cendance n'allira au pere que d'insolents el
d'amers reproches. Ecce tot annis servio tibi.
« Toi annis » : ne dirait-on pas que ce fils
orgueilleux avail sacrifie des vies enlieres?
« Servio libi » : SouXeuw aot, dil-il dans le
lexle grec, manifeslanl ainsi avec plus de
force son manque coraplel de senlimenls ge-
nereux; il a servi a la fagon d'un esc'avr,
non pas avec I'amour d'un fils. 11 ajouto,
comme ces Phari^iens super bes donl il est li>
type acheve : Nunquam mandata tua prceterivi
(Cl'r. xviii, 11. 12). Qii'ai-je regu (reniarquez
le pronom e|iot mis par emphase en lete de la
phrase), ose-t-il dire encore, en echange de
ma fidelile, de mes fatigues? Pas menie un
chevreau pour le manger (encore eOippattvoixai)
en compagnie de mes amis! Le bonlieur d'a-
voir joiii constammenl de la presence de son
pere ne compte pour rien aux yeux de co
sufierbe.
30. — Son langage atteinl ici le comble de
I'indignHe. A sa propre conduite il oppose
dans les lormcs les plus cruels la conduiie du
prodigue; il etablil de meme un odieux py-
rallele entre ce que le pere a fait pour fieux
his si dissoniblables. Sa conclusion lacite e.-t
qu'il a subi un traitemenl iiiique. — Filiua
tuus hid II ne dit pas Mon frere, mais 11 em-
ploie une formule qui n'etail pas moiiisoulra-
geanle pour le pere que pour le prodigue. —
Devoravit substantiam suam (dans le grec,
« I am » : <tou t6v piov) cum meretricibus. Le
fait n'etail que irop reel sans doiite. Toute-
fois apiiartenail-il a un fils, a un frere, de le
relever ainsi? Avec quelle delicalesse le di-
vin narrateur I'avail mentionne plus haul
i^. /|3)] — Venit, au lieu de « rediit »; ne
diraiton pas qu'il parle d'un eiranger vciiu
dans le pays pour la premiere fois? — Occi-
EVANGILE SELON S. LUC
31 . Et le pere lui dit : Mon fils, tu
es toujours avec moi, et tout ce qui
est a moi est a toi.
32. Mais il fallaitbien faire bonne
chere et se rejouir, car ton frere que
voici elait mort et il revit, il etait
perdu et il est relrouve.
31 . At ipse dixit illi : Fili, tu sem-
per mecum es, et omnia mea tua
sunt :
32. Epulari autem et gaudere
oportebat, quia frater tuushic mor-
tuus erat et revixit, perierat et in-
ventus est.
disti illi vitulum saginalum, par opposition k
« nunquam dodisii mihi lioedum. »
31 et 32. — C'esl avec la plus grande dou-
ceur que le pere daigne repondie k ce fils
impudent. II eAl el^ en droit do chSlier par
un blSme severe ies observalions irrespec-
lucuses qui venaient de lui elre adressees;
mais il aime nnieux faire entendre la voix de
la bonle. Ses paroles sonl neanmoins gi aves,
seiicuses, et meme grosses de menaces si
Ton en pese bien toule la portee. El Ies refu-
leni pas a pas Ies plainles du fils aine, de
SOI te que le t. 31 correspond au t. 29, !e
t. 32 au t. 30. — Fili : non pas simplement
«T£, mais xexvov, appelialion plcine de ten-
dresse. Pourtanl, son fils ne lui avait pas
meme donne le tilre affectueux de « pater ».
— Tu semper mecum es... Quelle force dans
chacun de cos mots! Toi, mon aine, ma prin-
cipals esp^rance. Ne m'ayant jamais quille,
la vie, que tu appelles si mechammonl un
esclavage, n'a-t-elle pas ele, si tu m'aimes,
line fSte perpdluelle? Je ne I'ai jamais rien
donne! Mais, omnia mea tua sunt^ el tu jouis
de mes biens comme moi-mSme. Qu'as-tu
done a envier? Serais-tu jaloux de ce feslin,
de ce veau gras? Mais ton esprit, a d^faut do
ton coeur, ne te dii-il pas que nous devrions
tous nous livrer a la joie en celte heurense
circonslance?Et le bon pere repele sa double
phrase du t. 24; mais il a soin de substituer
frater tuus hie a « hie filius raeus », pour
mieux protester centre le « filius tuus hie »
qu'on lui avail precedemmenl (t. 30) jel^ a
la face d'line maniere si cruelle. — L^-
dessus, la parabole se lermine brusquement,
sans nous dire quelle fut I'impression pro-
duite par ces jusles remontrances. Helas! ce
silence est de trisle presage pour Ies Phari-
siens el pour Ies Juifs, figures par I'aine des
deux freres. Du moins ils ne sonl pas formel-
lem 'nl exclus de la maison palornelle. Disons-
leur avec S. Anselme, nous prodigues de la
Genlilite : « Age nunc,... noli stare foris,
nee invideas siolae et calceanaentis et annulo,
fidei signaculo, quae mihi poRiiilenli filio
Pater dedil;sed veni inlus, et esto soeius
gaudii, parliceps eonvivii. Quod si non facis,
ex^peelabo... donee egres?us Paler ipsete ro-
get; el interim dicam ad gloriam ejusdem
Palris : Annulus mens mihi, annuliis tni-us
mihi » (Dialogus Chrisliani et Judaei,sub fin.).
CHAPITRE XVI
t89
CHAPITRE XVI
Parabole de I'econome infidele {ft. 1-13). — Les Pharisiens se moqiienl de Jtsus {t. 14). —
II Icur rappelle qiielques grands piincipes du royaume des cieux [tt. 15-18). — Parabole
dii mauvais riche et du pauvre Lazare (1ft. 19-31).
1 . Dicebat autem et ad discipulos
suos : Homo quidam erat dives, qui
habebat villicum; et hie diffamatus
estapud ilium quasi dissipasset bona
ipsius.
1 . II disait encore a ses disciples :
Un liomme qui etait riche avait un
econome, et celui-ci fiit accuse au-
pres de lui d'avoir dissipe ses biens.
18. Du bon usage des richesses. xri, 1-31.
II existe iine elroile connexion entre ce
chapitre el le precedent. II se compose aussi
de paraboles, qui furent prononcees a la
mSme occasion, et devant le meme audiloire
(Cfr. ft. 1, 14, 15, et xv, 1-3). Le but seul
differe, car Jesus abandonne le ton de I'apo-
logie pour prendre celui de I'instruclion. 11
ne justifie plus sa conduite a I'egard des pe-
cheurs, mais il enseigne soil a ses disciples
dans la parabole de I'econome infidele, soil
aux Pharisiens dans celle du mauvais riche,
I'usage qu'il faut faire des richesses pour
parvenir au salut.
1" L'^conome infidfele. xvi, 1-13.
Cette parab'^le a ele. pour maint oxegele,
une vraie pierre d'achoppement. Le cardinal
Cajelan, qui ne manquait ni de science, ni
de hardiesse, declare qu'a sesyeux 1' « appli-
calio per singula » est « valde difficilis si non
impossihilis »; et il est en effel des details
qu'il renonce a interpreter, de crainte de
tombrr dans des inconsequences manifestes.
La nomenclature des travanx composes tout
expresen vue d'eclaircir ce petit diame serait
considerable (voyt z I'indication des plus re-
cents dans les commentaires de Meyer et de
Baumgarten-Crusius) ; celle des explications
qu'ils proposent aurait de quoi stupefier le
lecteur, tant on y trouve d'extravagances de
toute espece. Aujourd'hui Ton est cependanl
tombe d'accord sur les points principaux,
chose du resle qui serait arrivee depui?; long-
temps si Ton eut moins subtilise, surtout
dans le camp heterodoxe, et si Ton eut tenu
un plus grand compte des indications four-
nies par Nolre-Seigneur Jesus-Christ lui-
meme (voir les ft. 8-13 et les commpntairps\
Le but general du divin narrateur esten eft'el
bien manifesle : c'est de montrer aux chrd-
tiens la .aianiere dont ils doivent se servir
des biens de ce monde pour arriver au salut.
S. Bible. S,
Chap. xvi. — 1. — Dicebat autem et
(« etiam ») ad discipulos (le pronom suos man-
que dans plusieurs manuscrits importanls,
B, D, L). Apres une pause de quelqiies ins-
tants, Jesus prit He nouvoau la parole; tou-
tefois, comme I'indique cette formule de
transition, c'est aux disciples et non aux
Pharisiens qu'il s'adresse desorinais directe-
menl [tt. 1-13). Par le mot « disciples » il
ne faut entendre ni les douze Apotres d'une
mani^re exclusive, ni les seuls publicains si-
gnales plus haut (xv, i), mais tons ceux des
auditeurs qui croyaient en Jesus. — Homo
quidam eral dives. Co riche proprietaire est
la figure du Seigneur, auquel tout appartient
dans ie ciel et sur la terre. Les commen-
lateur^ qui lui font represenler Mammon
(Meyer, J. P. Lange, Schenkil), Satan (Ols-
hausen), le monde personnifie tSchegg), I'era-
pereur romain (I), ou qui hiis-ent a dessem sa
nature dans le vague (de Wette, Ciombez),
nous semblent s'ecarler de la veritable inter-
pretation. — Qui habebat villicum. S. Jerome,
Ep. cxxi, ad Algas., quaest. 6, relablil en
ces termes le sens exact du mot grec oixovo(xoc:
« Villicum, sive dispensatorem , hoc enim
ol/ovofio? significat; viliicus autem proprie
villae gubeinator est,... ceconomus autem
tarn pecuniae, quam frugum, et omnium quae
dominus possidet dispensator est ». « Vilii-
cus » ne designerait done qu'un fermier, tan-
dis qu'il est question d'un liomme d'affaires,
d'un adminislrateur general dPS bieu'^, muni
de tres amples pouvoirs, a la fagon d'Eliezer
chez Abraham. Get inlendant symbolise tous
les hommes, en tant qu'ils devronl un jour
rendre a Dieu un com|)le severe des talents
multiples qui leur auront ele conBes. Com-
mont divers exegeles ont-ils pu voir en lui
le tvpe de Judas Iscariote, do Ponce-Pilate,
des"Pharisiens,des publicains?— flicdf/ya^no-
tus est. Le verbe StagdXXetv, employe dans le
lexle primitif, signifie souvent« calomnier »;
mais on admet communem^pt qu'il equivaut
Luc — 19
EVANGILE SELON S. LUG
2. II I'appela et lui dit: Qu'est-ce-
qiie j'entends dire de toi ? Rends
compte de ta gestion, car desormais
tu ne pourras plus gerer.
3. Et reconome dit en soi-mSme :
Que ferai-je, puisque mon maitre
m'ote la gestiou ? Je ne puis travail-
ler laterre, je rougis de mendier.
4. Je saisce que je feral afin que
lor s que j'aurai ete renvoye de la
geslion lis me recoivent dans leurs
maisons.
5. Ayant doncappele cliacun des
2. Et vocavit ilium, et ait illi :
Quid hoc audio de te ? redde ratio-
nem villicationis tuae : jam enim
non poteris villicare.
3. Ait autem villicus intra se :
Quid faciam, quia dominus mens
aufert a rae villicationem ? fodere
non valeo, mendicare erubesco.
4- Scio quid faciam, ut, cum amo-
tus fuero a villicatione, recipiant me
in domos suas.
5. Gonvocatis itaque singulis de-
ici a y-aTYiyopeTv, accuser : il re?sorl en effetdu
contexle que raccusation n'etail que trop fon-
dee. Neanmoins, 6ia6d),>,(o (liileral. « je jetle
a iravers ») riejigne en outre une denoncia-
lion secrete, faite par un moiif de malignite,
d'envie, Celts expression iiapparait pas ail-
leurs dans le Nouveau Testamont. — Quasi
dissipasset, ou plutot « quasi dissipans »
(Erasme : « ut qui dissipnret », w; 6iaffy.op-
Tt!:o)v], car ce sont des malversations actuelies
qu'on lui reproche. Nous avons rencontre
le meme mot dans I'liistoire du prodigue,
XII, 13.
. — Voravit ilium. Cette histoirefamiliere,
dont le monde offie des exemples quolidiens,
continue sa maiche naturelle. Le mailre fait
venir aussilol i'accuse. — Quid hoc audio de
te? « Vox indignanlis et exprobranlis », Kui-
noel. C'est aussi une parole d'etonnement :
Esl-il possible que j'appienno sur vous de
pareiiles chos's? « De le, quern procurato-
rem constilui 1 » Welstein. La Vulgale a tra-
duit servilcment le grec ti toOto dzoOw, qui
est une ellipse poui' tI ia-zi toOto 6 azouw,
« quid est lioc quod audio ». — Redde ratio-
netn villicatiouis luw (t^i; oly.ovo[xia;, « admi-
nistrationis »). Avant de congedirr son legis-
iseur inlidele, car c'est un conge definiiiret en
regie (]u'il lui dnnne par les mots suivanls,
jam enim non poleris {« pnt- s » d'apres les
oiss. B, D, Smait., etc ) villicare (olxovofietv,
« adminislrare »), le proprielaire exige de
lui, selon I'usage en pared cas, des comples
rigoureux, embleme de ceux que nous aurons
a renrire au souveiain Juge apres notre mort.
Ses paroles ne conliennenl done pas une sim-
ple menace hypollietique, car il est comple-
tement sur du fail.
3 et 4. — Alt villicus intra se. Son pelit
monologue est admirable de pittoresque et
de verile psychologique. II ne cherche pas a
se jusiifier : par qmlles excuses pourrail-il
pallier ses dilapidations? Mais, sur de perdre
sa place {dominus meus auferet...; dans le
grec,' le piesonl « aufert » montre la chose
comme inevitable), il se demande quels pour-
ront etie desormais ses moyens d'existence.
— Quid faciam'^ Exorde « ex abrupto » du
conseil qu'il lient avee lui-meme. C'est que
la misereest son unique perspective; en effet,
il ne s'est pas enrichi aux depens de son
maitre, mais il a depr-nse au jour le jour,
en debauches'sans doule, le fruit de ses vols
donnesliques. — Avec quelle habilete il pese
les differents partis enlre lesquels il peut
choisir! Tout bien considere, il n'a que cette
alternalive : fodere (cxaTcxeiv, becher, piocher),
mendicare. Travailler la lerre. ii en est inca-
pable : non valeo t Faxai YewpyeTv xtipti; e5
T£8paa(j.evai, disait a bon droit Euri()ide (ap.
Rosenmiiller, Scholia in li. I.). El Quintilien,
Decl. IX : a Quid vis porro faciam! agreslia
opera? delicalior, quod a fortuna non di-
dici ». Mendier, il ne saurait s'y resoudre :
erubesco I Plutot mourir que d'en venir h
celie honte! Cfr. Eccli. xl, 28-30. — Alors
il reflechit quelques instants. Son embarras
n'est pas de longue duree, car voici qu'il s'e-
crie lout a coup : Scio {iyvu)\) quid faciamf
C'est son joyeux eOprixa : il a conQu un plan
habile pour vivre a I'aise sans travailler et
sans trop s'humilii r. II vas'arranger de telle
sorle qu'il ail jusqu'a la fin de ses jours des
amis chez qui il sera surde irouver les vivres
et le convert : ut... (sint qui) me recipiant in
domos suas. Et pourlant, le genre de vie qu'il
ambitionnait est decrit dan- les sainls Livres
sous les plus sombres couleurs : « Melior est
viclus pauperis sub legrnine asserum quam
epulae splendidae in peregre sine domicilio...
Vita nequamhospitandi de domoin domura, »
Eccli. xxix, 29-31. JIais mifux valait encore
ceia que la misere. — Trait nalurel et dra-
matique : le sujet de « recipiant » n'est pas
nomme ; il resle dans la pensee du regisseur,
mais la suite du recit nous le revelera.
5. — Convocatis itaque... Aussilotdit, aus-
sitot fait. Du reste, I'intendant n'avait que peu
CHAPITRE XYI
rgn
l)itoribus domini sui, dicebat primo :
Quantum debes domino meo ?
6. At ille dixit : Centum cados
olei. Dixitque illi: Accipe cautionem
tuam ; et sede cito, scribe quinqua-
ginta.
7. Deinde alii dixit : Ta vero
quantum debes? Qui ait: Centum co-
res tritici. Ait illi : Accipe litteras
tuas, et scribe octoginta.
debiteurs de son maitre il dit au
premier : Combien dois-tu a mon
maitre ?
6. II repondit : Cent barils d'huile.
II lui dit : Prends ton obligation,
assieds-toi vite et ecris cinquante.
7. II dit ensuite a un autre : Et
toi, combien dois-tu ? II repondit :
Gent mesures de froment. II lui dit:
Prends ton billet et ecris quatre-
vingts.
de temps a sa disposition pour regler et pre-
senter ses comptes. — Singulis dehitoribus.
Ces « debitores » n'etaient pas, comme I'ont
pense quelques inlerpretes, des fermiers qui
payaient leurs redevances en nature; ie mot
grecxpEwyeO.eTTi? ne peut designer que des debi
teursordinaires, auxqueis avaienlelefournies
a credit des denrees qu'ils n'avaient encore
pas payees. On a egaleni'-nt suppose d'une
■maniere toute gratuite qu'ils etaient insolva-
bles, et que le regisseur passe acluellement
avee eux un concordat avantageux a la fois
pour eux-memes et pour ie proprielaire; on
bien, qu'en esprit de reparation, I'econome
infideie avait tire de sa propre bourse et re-
mis ci son maitre les somines dont il leur
faisait grSce. Mais le lexte et le conlexte
supposent au contraire de la fagon la plus
-manifeste que nous sommes on face d'une
criante injustice, simplenient dcstinee a me-
nager dans ravctiir a son auieur une situation
tolerable. — Dicebat primo. Tous les debi-
leurs fiireiit convoques, piobablement I'un
apres I'autre (Iva Exa<jTov% La parabole n'en
mentionnera nommement que deux, mais ce
sera « per moium exeuipli » : le regisseur se
comporta de raeme avec tous.
6 et 7. — Ceulum cados (Pixou;) olei. Le
substantif grec Pato?, inconnu des classiques
dans I'acception que no is lui trouvons ici, est
evidemment caique sur I'hebreu T\2. Or le
bath desigiiait chez les anciens Juifs la plus
grande m 'Sure pour les liquides, qui equiva-
lait d'apres les Rabbins au contonu de 432 oeuf's
de pouie, a 72 « sexlarii » remains, ou au
« metretes » at lique (environ 40 litres) d'apres
I'historien Josephe. Cfr. Keil, Handbucti der
bibl. Arcliseologio, t. 11, p. 139 ot es.; Smith,
Diet, of [\w Bible, au mot Weights a. Mea-
sures; Welztf ct Welte, Diet, encycl. de la
Theologio catholiq., art. Mesures des anc.
Hebreux ; Winer, Bibl. Realwoerterbuch, s.v.
Maasse. D'ailleurs Ton n'esl pas encore par-
venu a determiner d'une maniere certaine la
valeur des mesures hebraiques. — Accipe
cautionem tuani : bonne traduction du grec
(70U TO YpafJLfia, litteral. ton ecrit (x£tpoYpa<pov,
Col. II, 1 4; ou, Ypa(A(iaTeTov ypeov; 6[io>.oYr|Ttx6v) ;
ton regu, comme nous dirions.Les manuscrits
Sinail., B, D, L, ont xi ypdjiiAaxa au pluriel ;
de meme la version cople. — Et sede. Trait
pittoiesque; danslegrec, "/aOtuai;, t'etanlassis.
— Cito depend du verbe scribe. Gela encore est
tout a fait naturel et graphique. L'intendant
redoutp une surprise fAcheuse ; il presse ses
genspour que la transaction soitpromptement
termmee. — Quinquaginta. De la sorte, la
dette se trouvait reduite d'une moitie, par
consequent de 2000 litres, e'est-a-dire de plu-
sieurs milliers de francs. II est difficile de
dire si I'operation demandee consista simple-
ment a modifier les chiffres du reQu primitif
(chose d'une execution aisee, puisque les let-
tres hebraiques, qui servent aussi a marquer
les nombres, ont souvent enlre elles une assez
grande ressemblance), ou si le debiteur dill
^crire en entier un nouvel acte. Le texle
semble favoriser la premiere hypothese.^ —
Centum coros (xopou;) tritici. Le kor (12) elait
chez les Hebreux une autre m>sure de capa-
cile, la plus grande de celles qui servaient
pour les legumes sees : il contenait iO bath,
c'esl-a-dire environ 400 litres. — Accipe lit-
teras tuas (le grec porle encore xi YP^f^t**) ^
scribe octiginta Cette fois, I'econome ne re-
mettait que la cinquierae partie de la dette :
il est vrai que la remise equivaut a 8000 li-
tres. Pourquoi cette difference? Est-ce. ainsi
qu'on I'a pens^, un detail insigniGant (Eulhy-
mius : « superfluum inquirere »), une simple
variante deslinee a rendre le rdcit plus vi-
vani? Nous preferons y voir un trait de
grande finesse psychologique de la part de
t'inlendant. II connait son monde, comme
Ton dit, et prevoit que les m^mes effets
seront produits avec des concessions diffd-
rentes, selon les circonslances personnelles
des debiteurs.
292
fiVANGILE SELON S. LUC
8. Et le maitre loua reconome in-
fidele d'avoir agi prudemment, car
les fils de ce siecle sont plus pru-
dents que les fils de la lumiere, dans
leur Gjenre.
9. Et moi je vous dis : faites-vous
des amis avec I'argerit del'iniquite,
afin que lorsque vous viendrez a
manqucrils vous recoivent dans les
tabernacles eternels.
8. Et laudavit Dominus villicuna
iniquitatis, quia prudenter fecisset;
quia filii hujus sseculi prudentiores
filiis lucis in generatione sua sunt.
9. Et ego vobis dico : facite vobis-
amicos de mammona iniquitatis;
ut, cum defeceritis, recipiant vos in
aeterna tabernacula.
8. — Et laudavit dominus. Kupio; ne de-
signe pas ici Noire-Seigneur (Eiasme, clc),
mais le iiiailre de reconome. Jesus ne se
metlra lui-meme en scene quau *. 9. —
Ayanl appris ce qui s'elail passe, le mailre
ne peul s'empecher d'admircr d'une certaine
maniere la cunduile de son legisseur. Assu-
reinenL sa louange ne relombail pas sur I'acle
en lui-meme, qui elail iine msigne foiirberie;
aussi la parabole prend-elle soin d'appeler
en cet cndroil rinleiuianl fi7/icu(/i iniquitatis
(expression beaucoup plus forte que « villicum
iniquuin » ; c'esl une sorle d'hebiaisme, ou le
« genitivus qualilatis ndes grauimairiens). Ce
que le pioprielaiie louait, c'elaiL le caiaclere
ingenieux de rcxpedicnl , I'liabileie avec
laquelle cetle hoiuaio avail imuiedialemenl
Irouve un moyen piaiiiiue pour se tirei- d'em-
banas : quia prudenter (9povi|X(i);) fecisset.
« Cor ejus laudavit dommus eju^, noii alten-
dins damnum suuin, sod ingeniura ejus »,
S. August. Enai lat. in Ps. un, 2. C'esl faule
de n'avoir pas elabli celte distinction qu'on
s'esl si souvrnl ni!'|M-is sur le sens general de
noire parabolo, el qu'on a vu dans ce vtrsel
laniol un indite evident de la conversion du
regisseui- (voyez la note dut. 5), lanlomelle
elaill'opinionde Julien I'aposlal) une apologie
(le I'mjustice etdu vol. L'emploi de I'adverbe
9poviiiw; ne montrait-il pas suffisammenl que
I'acle en question n'est pas apprecie au point
de vue moral, mais siniplenv.nt coiiime une
heureuse adaptation des moyens a la fin?
Cfr. Trench, Synonyinesdu N.T., trad, frang.,
§ Lxv. Ainsi done, le maitre « laudat inge-
nium, damuat factum » (Clarius) : les paroles
qui suivenl I'lndiqucnt clairrment. — Quia
fiiii hujus sceculi... Nom parfaitement appro -
prie pour de:-igner les mondains, qui s'in-
quietent avanl tout des interets materiels,
()ui ont toutes leurs pensees, tous leurs desirs
diriges vers la lerre. Cfr. xx, 34. C'est le
NaSy 'J3 des Rabbins (voyez Schcellgen et
Wetstein, h. I ). Evidemmenl I'econome inG-
dele etait un rrrn dlVJ p (« films hujus sae-
culi »). — Prudentiores. L'llala disaiUc aslu-
liores ». CIV. S. August. 1. c. — Filiis bids.
Aux fils do ce monde, Jesus oppose les fils
de la lumiere, c'esl-a-dire, comme 11 ressort
du contexte et de plu^ieurs passages ana-
logues (Joan, xn, 36 ; Eph. v, 8 ; 1 Thess. v, 5),.
ses disciples, si divinement eclaires. nagrant
en quelque sorte dans un ocean de clarle. —
In generatione sua. Dans le grec, el; ti?iv yeveav
TT|v iauTwv, a regard de leur propre race, pai"
consequent, « erga idem sentienles », ou-
bien, « inler se »; non pas « in liac vita »
(Theopliylacte), ni c in rebus suis » (Grotius)..
Les liommos du monde sonl censes former
une seule el meme famiile, qu'animenl des
sentiments idenliques, et, comme on I'a vu
dans notre parabole, lis savenl admirable-
ment s'entendre quand leurs interets sont
en jeu.
9. — Jesus voudrait que les enfants de la
lumiere fissent preuve dune pareille habilete
pour l( s clio^es du riel : il le leurditen leruies
solennels [et ego vobis dico; nolez I'emphase
des dmixpronoms) dans ce verset qui conlient
la clef de toute la narration. 11 argumente
« a minori ad majus », ou bien « e conlrario j>
comme dans les paraboles de I'ami importun
(XI, 6 et FS.) el du juge inique (xvm, 1-8); il
propose aux bons I'exemple des mechants en
guise de stimulant energique. Voyez S. Je-
rome, Ep. ad Algas. ; S. Augustin, Quaest.
Evang. II, 34; Maldonat, etc. — Facile vobis
amicos (ainsi qu'avait fait le regi-s?nr infi-
dele) de mammona iniquitatis. « Mammona »
est un nom arameen qui signifie i ichesse ;
nous savons par S. Augustin (I. c.) qu'il exis-
tail aussi dans la langue pnnique (« mamon »).
Quant a I'epilhete « iniquitatis », c'est bien
justement qu'elle est apjjiiquee aux ricliesses,
qui sonl en t ffet la cause, I'occasion, I'instru-
ment d'iniquiles sans nombre. « Rarae vel
nullae sunt divitiae in quarum congrogalione
seu conservalioiie non intervenerit peccatum
vel habenlium, vol ministrorum, vel palruin
seu avorum », Cajetan, h. I. Comparez les^
expressions identiques des Rabbins : pCD
yU^IT pOD, 1pU7"I. Jesus ne parlaitdonc pus
seulem enl des biens acquis d'une maniere
injuste, mais de la richesse en general. Nous
ne nous arreterons pas a refuler I'opinion ra-
tionalisle (M. Renan, de Wette, I'ecole d&
CHAPITRE XVI
293
10. Qui fidelis est in minimo, et
in majori fidelis est; et qui in mo-
rlicoiniquus est,et in majori iniquus
■est.
11. Si ergo in iniquo mammona
•fideles non fuistis ; quod verum est,
quis credet vobis?
12. Etsi in alieno fideles non fui-
stis; quod vestrum est quis dabit
vobis ?
10. Gelui qui est fidele dans les
plus petites choses est fidele aussi
dans les grandes ; et celui qui est
injuste dans les petites choses est
injuste aussi dans les grandes.
11. Si done vous n*avez pas ete
fideles dans les richesses injustes,
qui vous confiera les veritables ?
12. Etsi vous n'avez pas ete fide-
les dans le bien d'autrui, qui vous
donneraceliii qui est a vous?
Tubins^uo) d'apres laquelle Nolre-Seignour
condamnerail ici les richesentant que riches,
comme le fit plus lard la secte Ebionile, car
c'esl une allegalion toutegraluite, condamnee
par I'ensemble du recil. — Et, cum defece-
ritis : c'esl-a-dire, quand vous serez morls.
*Ex),i7rif)Te (soil, tiv Ptov ou ti ?fiv) de la Re-
ccpla e?l un euphemisme du meme genre ;
maiSt d'apres les manuscrits Sinait, B, D, L,
R, 11, etc., el les versions cople, elhiop.,
syr., armen., la leQon primilive sensible avoir
«ie IxXtTixi au singulier, avec iiajiuva pour
sujet, « cum defeceril mammona ». C'est au
fond le meme gens, puisque I'argenl manque
^ tout le raonde apres la mort. — Recipiant
vos in ceterna tabernacula. D'ordinaire, rien
n'est moins stable qu'un sejour sous la tenia
(Cfr. II Cor. v, i) : toiilefois il est au ciel
des lentes eternelles, comme le dii pareille-
menl le IVe livre (apocryphe) d'Esdras. Plu-
sieurs exegeles sous-enlendent « angeli »
devanl o recipiant » ; selon d'autres, ce verbe
« posset inleliigi impersonaliter » (Cfr.
xii, i 1 , 20 ; XXIII, 3i) ; mais, ajoute a bon droit
Cocceius, « filum parabolae poslulat ui refe-
ratur ad amicos », el ces amis ne sonl aulres
que les pauvres avec lesquels on a genereuse-
ment parlage ses biens. Non que les pauvres
soienl direciement lesporliersdu ciel : nean-
moins leurs pri^res, leur bon lemoignage,
p^netreront jusqu'^ Celui qui regarde comme
faite a lui-meme Taumone donnee h I'un de
ces pelils, et il ouvrira on leur nom le ciel a
lous leurs bienfaileurs. Cfr. S. Auguslin, I. c,
el Maldonat.
4 0. — Li s tt. iO-IS sonl elroilemeni unis
jnlre eux ainsi qu'a noire parabole, donl ils
tonlieniienl d'ailleurs la morale de concert
ivec Ic t. 9. On a pretendu bien a lorl que
§. Luc les a places ici dune maniere arbi-
iraire. Les trois premiers (10-12) rdpelenl,
quoique avec une nuance, une seule el meme
pensee ; le qualrieme pf'ecise lo genre do
fidelile requis par Dieu dans les aphorismes
qui precedent. — Qui fidelis est in minimo
(Iv IXaxiffTw) et in majori (ev ttoXXw, lilleral. « in
inullo »)... C'esl 1^ une verile de simple bon
sens aussi bien que d'experience journaliere,
reproduile dans le second hemisliche sous une
autre forme : qui in modico (le grec a oncoro
£v EXaxtcTTtp) iitiquus est... Par « minimum »
ou « re? minoris pretii » il faut etilendie ici,
d'apres le conlexle, les richesses mondaines,
qui Gill on realite si peu de consistance, et,
par « majus », les biens spiriluels qui sonl a
mille lieues au-dessus d'olles.
11 el 12. — Si ergo... Jesus applique main-
tenant ce grand principe. Quiconque se mon»
trerait infidele in iniquo mammona (voyez la
note du f. 9) meriterail-il done qu'on lui con-
fial quod verum est (to aXyiOtvov)? Evidemmenl
« iniquum mammona » est synonyme de
« minimum » el de « modicum », landis que
« verum » I'esl de « majus ». Quelle belle
epilhele que celle de iWOivo; allribuee aui
tresois celestes, par opposition a la fausset^
des biens de la lerre (" diviiiae fallaces »)!
— Autre application : Et si in alieno (ev t$
dXXoTpCo)).,., quod vestrum est (t6 u[xeT£pov)...
De nouveau les expressions sonl admirable-
menl choisies, el le conlrasle est Ires frap-
pant. « Alienum » represenle, comme le disait
S. Jerome, « omne quod saeculi est » : c'est
done un autre nom de la fortuii\ « Alienas
appellal lerrenas facultales, quia nemo eas
secum moriens auferl », S. August., I. c.
Denomination de la plus parfaite exactitude,
puisque, les palens eux-merae I'avaient com-
pris, « nil neque meum est, neque cujus-
quam, quod auferri, quod eripi, quod amitli
potest », Ciceron, Parad. iv. Au conlraire,
les biens du ciel sont appeles d'avance noire
propriete, parce qu'il nous sont destines et
qu'il nous est relativem.Mit facile de les acqu^-
rir a tout jamais. Quoi de plus clair, mais
aussi quoi de plus irresistible que celle simpb
argumentation? S. Paul faisail un raisonne-
menl semblable, lorsqu'il eciivail ^ propos
du choix des eveques I Tim. iii, 45 : « Si
quis domui suae praeesse nescil, quomodo
ecclesice D(M diligenliiim habi^bil? » La fide-
lite est entiero, universelle, absolue, ou elle
n'est pas. Voyoz dans Schoeltgon, llor. liebr.,
t, 1, p. 300, plusieurs exemples ou paraboreg
«94
EVANGILE SELON S. LUG
13. Aucun serviteur ne peut ser-
vir deux maitres, car oii il haira I'un
et aimera I'autre, ou il s'attachera a
I'un et meprisera I'autre : Vous ne
pouvez servir Dieu etTargent.
14. Or les Pharisiens, qui etaient
avares, ecoutaient tout cela et riaient
de lui.
15. Et il leur dit : Pour vous, vous
tachez de paraitre justes devant les
hommes, mais Dieu connait vos
coeurs ; car ce qui est grand pour
les hommes est en abomination
devant Dieu.
13. Nemo servus potest duobus-
dominis servire ; aut enim unum
odiet, et alterum diliget ; aut uni
adhserebit, et alterum contemnet;
non potestis Deo servire, et mam-
monae.
Matt. 6, 24.
14. Audiebant autem omnia hsec
phariseei, qui erant avari : et deri-
debant ilium.
lb. Et ait illis : Vos estis qui jus-
tificatis vos coram hominibus ; Deus
autem novit cordavestra; quia quod
hominibus altum est, aborainatio
est ante Deum.
que les Rabbins alleguaient pour monlrer
coramenl Dieu eprouve les hommes en de
pelites chores afin de voir s'ils seronL fideies
dans les grandes. C'est ainsi, disenl-ils, qu'il
ne eonfia dabord a David qu'un lout petit
nombre de brebis avant de I'etablir pasleur
de son people privilegie.
-13. — Nemo potest... Deja nous avons ren-
contre celle grave sentence dans le Discours
sur la montagne,Matlh. vi,24fvoyez le com-
menlairej. Jesus la repete acluelleraent pour
indiquer de quelle maiiiere les riches devront
manifester la fidelite qu'il vienl de leur re-
commander en lermes si urgenls : lis seront
■fideies s'ils n'hesilenl pas a'preferer le culte
deDieu a celuide Mammon. Cesdeux mailres
en effel se dispulent nos affections, nos ser-
vices. Or, Ton ne saurait rien imaginer de
plus incompatible que leurs caracteres, leurs
desirs, leurs exigences, car ils sent comme aux
antipodes i'un de I'autre. Cfr. Jac. iv, 4. Enlre
eux nous avons a choisir : auquel appar-
tiendrons-nous ? { Remarquez I'emploi de
SouXeuiv, servire, mot ires fort qui designe
uiie vraie servitude]. Les fails ne tarderunt
pas a le proclamer, comme I'exprime celte
\ivanle comparaison de Stella (h. 1.) : « Si
duobus hominibus aliqua via incedentibus
canis sequitur, non facile judicare poleris
uter illorum dominus ejus sit. Gelerum si
alter ab alteio discedal (et c'est precisement
le cas), slatim apparel clarissinie quis domi-
nus sit. Canis enim, ignoto rcliclo, ad nolum
acced;t, eumque dominum esse suum clare
oslendit. »
2» L'avarice des Pharisiens r^prouv^e dans la para-
bole du pauvre Lazare. xvi, 14-31.
44. — Audiebant... otnnici hcec... ;c'est-a-
dire la parabole de I'econome infidele et la
morale que Jesus en avail liree, tt. 1-13. II
8 agit '.oujours des Pharisiens menlionnes au
debut du chap.fxv (voyez xvi, 4 et le com-
mentaire). — Qui erant nvari. La locution
grecque 9i).apYupot v)7;apxov-e; exprime plus
fortemenl encore la meme pensee. Les Pha-
risiens sont done presentes ici comme des-
amis de Mammon, « accusation que juslifienl
amplemenl les allusions failes par le Talmud
h la rapacite des Rabbins de ceite epoque.
Cfr. Malih, xxiii, 13. » Farrar, The Gospel
according to St. Luke, p. 266. — Ei deride-
bani ilium, ilB\Lw.-:-r\piZ,o'<> auxiv. uc? Jexico-
graphf^s et les commeiitaleurs sont d'accord
pour voir dansle verbe compose exfiuxTript^eiv-
(la forme simple (luxTripi^eiv, de {tuxTiip, a na-
sus, » parfois « nasutus, irrisor, » est deja
Ires forte) I'indication d'une derision insigne,
ouverte,alteignanile5derniereslimilesde I'in-
solence (o adhibito quodam gestu narium. »)
C'est I'equivalenl du « naso suspendere
adunco »des Latins. Comparezl'expression al-
lemande « die Nase riimpfen ». Ces Pharisiens
superbes Irouvaient sans douteeirange qu'un
pauvre, comme I'^lait Jesus, pritsur lui d'en
remonirer aux riches. Comme si, d'ailleurs,
la richesse et la religion etaient deux choses
inconciliables! N'etaient ils pas tout ensemble
favorises desbiens de cemonde et neanmoins
pleins de piete? De tels discours leur parais-
saienl done ridicules,
45. — Ait illis. Jesus ne laissa point passer
sans y repondre celte grossiere insulte. S'a-
dressanl directement a ses adversaires (vos
estis, avec emphasp), il comm ^nga par leur
reprocher avec une indignation bien legitime
leur honteus.^ hypocrisie. — Jusiificatis vos
coram hominibus. Ils affectaient en effel de
paraitre saints aux venx de leurs sembiables.
Cfr. VII, 39 el ss.'; Maith. xxm, 25 ; etc.
Nous verrons bienlot (xviii. lO) I'un d'eux se
justifier meme devant le Seigneur. Toutefois,
si Irs hommes etaient dupes de ces values
apparences, Dieu, pour qui rien ne dsmeure
CHAPITRE XVI
295
16. Lex et prophetse, usque ad
Joannem ; ex eo regnum Dei evan-
gelizatur et omnis in illud vim
facit.
Malt. H, 12.
17. Facilius est autem coelura et
terram pneterire, quam de lege
unum apicem cadere.
Matth. 5, 18.
16. La loi et les prophetes ontdure
jusqu'a Jean; depuis le royaume
de Dieu est annonce et chacun fait
effort pour y entrer.
17. Mais il est plus facile que le
ciel et la terre perissent qu'un seul
point de la loi ne tombe.
cache, connaissail loute leur misere morale.
Maldonal Iraite fori justement de lilole la
phrase Deus autem novit corda vestra. « In-
sinualioesl,ecril.-il,qua plusdiciUir quam si-
gnificalur, nempe corda ipsorum iniquilatis
plena esse. » Cela ressorl en effel du con-
texle : quia quod hominibus altum est, abomi-
natio (P&s).yy[ia, mot eneigitiue « res exse-
cranda »J... Que lepresenienl eel « altum »,
celle « aboniinalio », sinon la conduile des
Pharisiens jugee d'apres un double principe,
le principe des hommes el le principe de
Dieu?
46. — A parlir de ceverset jusqu'au \B»,
I'enchainemenl des pensees est ob-cur et pre-
senle des difficulles reelles. Beaucoup d'in-
lerpreles renoncenl a I'elablir, enlre autres
M. Reuss, d'apres lequel ces versels conlien-
draient des maximes « qui paraissent elre tout
a fait eliangeres au texle el qui ne se irou-
venl la que par Teffet d'un hasard inexpli-
cable », Hisloire evangeliq., p. 49o. Le iheo-
logien hoUandais van der Palm dil meme, et
d'un ton ires grave, pour expliquer leur pre-
sence en cet endroit, que S. Luc. voulant
commencer sur une nouvelle page la para-
bole du mauvais riche, el desireux pourlanl
d'utiliser lo court espace qui lui reslail au
bas de la precedente, I'aurait rempli par ces
lignes, separees violemment de leur con-
nexion logique et chronologique ! 1 L'exegese
croyante n'en est pas encore reduile a de tels
expedients. Nous n'avons aucun molif de
supposer que I'evangelisle a delache de leur
place primilive ces « effala » du Sauveur;
raais il est possible qu'il les ait nolableinent
abreges, ce qui aurail fait disparailre en
parlio la liaison. Pourquoi du resle, dans I'in-
tenlion de fi-apper davantage ses auditeurs,
Jesus n'aurail-il pas lenu a degsein ce langage
en apparence incoherent, enigraalique?Sans
ccmpler que I'assisiance pouvail entendre
^ mols converts ce qui est aujourd'hui moins
inlelligiblo pour nous. Apres tout, la liaison
n'esl pas impossible, bien quo les cominen-
taleurs ne soient pas d'accord sur le meilleur
moyen de la deUrminer. Parini les nom-
breuses tentalives failes pour I'elablir, nous
donnons nos preferences k la suivante :
Quoique si sainls devant les hommes, vous
eles pour Dieu unobjel d'horreur {t. 15), car,
malgre I'evidence avec laquelle elle se mani-
feslait, vous avez refuse de croire a la verile,
c'est-a-dire a Teiablissement de mon royaume
(t. 16). Ne pensez pas d'ailleurs que je sois
venu pour aneanlir la Loi ancienne : ma mis-
sion est au conlraire de la perfectionner
(t. 17). C'est vous qui la detruisez par votre
laxisme, en parliculier pour ce qui regarde
la divine inslilulion du mariage; mais je la
relablis dans loule sa vigueur primordiale
(t.18).Voyezle Yen. Bede, Bisping, Slier, etc.,
h. 1. — Lex et prophelw.., Jesus avail deja
propose celle belle idee en une autre occasion
(Mallh. XI, 12 el 13); il la presenle acluelle-
ment sous une forme plus concise, plus ser-
ree. Apres les mols usque ad Joannem on
peut suppleer « prophelaverunt » (c'esl le
mieux, d'apres le passage paralleie de S. Mat-
lhleu),ou a fuerunt )),ou « praetlicata sunt ».
Jusqu'a S. Jean-Baptisle on elait encore
dans I'ere de la Loi et des prophetes : I'an-
cienne Alliance durait encore ; raais, depuis
I'apparilion du Precurseur (an6 xoxs, ex eo
scil. tempore), leNouveau Testament a com-
mence, on est enlre dans la periode evan-
gelique, messianique : regnum Dei evange-
lizal^ir. S. Jean avail ele en effet le premier
a repandre bien haul cette bonne nouvelle;
Jesus I'avail fait relentir plus forlement en-
core, et deja se monlraient les heureux re-
sultats de leur predication : omnis in^ illud
vim, facit fpia^exai, au moyen); c'elait a qui
entrerait le premier dans le divin royaume.
Cfr. XV, 1 ; Joan, xii, 19. Pour les develop-
pemenls, voyez I'Evangile selon S. Mallh.,
p. 223. Jesus n'a certainement pas voulu
parler ici d'une agression hostile centre son
Eglise, mais au conlraire d'une manifestation
qui provenail de I'eslime et de I'amour.
17. — Facilius est autem... L'ouverture du
Discours sur la monlagiie, Malth. v, 18
(voyez le commentaire, p. 110), annoncait en
des lermcs a peu pres iilentiques que la loi
du Sinai persevererail meme sous le regime
Chretien, quoique a I'eiat transrigure,_ sous
une forme idealisee, perfeclioniiee. Mais ici
encore la redaction de S. Luc a le merit©
296
fiVANGILE SELON S. LUG
18. Quiconque renvoie sa femme
et en epouse une autre commet un
adultere et qui epouse celle que son
mari a renvoyee commet un adul-
tere.
19. Ily avail un homme riche qui
etaitvetu de pourpre et de byssus,
et chaque jour faisait une chere
splendide.
18. Omnis qui dimittit uxorem
suam, et alteram ducit, moechatur :
et qui dimissara a viro ducit, moe-
chatur.
Matlh. 5, 32; Marc. 10, 11; / Cor, 7, 10.
19. Homo quidam erat dives, qui
induebatur purpura, et bysso; et
epulabaturquotidie splendide.
d'une plus grande energie. — Coelum et ter-
rain prceterire ; car le ciel el la lerre dure-
ronl au moins jusqu'a la fin dii monde. — De
lege unum apicem cadeve. « Uniiin apicem »,
liiav xepaiav, un de ces pelils crochets a peine
percepiibles qii'on avail invenles pour ditl'e-
rencier certaines lellres hebralques. Voyeza
ce sujel dans Lightfool, Hor. hebr. in Mallh.
V, 18, de curieuses argulies des Rabbins.
« Cadere », TtcffeTv, belle image pour signi-
fier : perdre de sa force, cesser d'cxister,
etre annule. El de fait, « la Loi n'esl pas
tombee a terre ; son abrogation ne ful autre
que son accomplissement integral dans lous
ses principes eternels, » Farrar, The Gospel
according to S. Luke, p. 267. Lps Pharisiens,
si pleins de reverence au dehors pour la
lettre de la loi, en violaienl neanmoins fre-
quernmenl /'esprit : voila ce qui tendail a la
renverser, a la ruiner.
48. — Omnis qui dimittit... Exemple a
I'appui du principe qui precede. Peu de pres-
criptions divines avaienl ete aussi obliterees
que celle qui concernail I'unite, I'indissolu-
bilile du mariage. Jesus lui rend dans le
code messianique loule sa force originaire,
montranl ainsi qu'il perfeclionnail la loi
mosaique, bien loin de la delruire. Pour I'ex-
plication detaillee voyez Matth. v, 32 ; xix, 9 ;
Marc. X, 11, et les notes correspondantes.
19. — Apres cette apostrophe adressee aux
Pharisiens, ft. 15-18. el sans autre liansi-
tion que la particule 6e (avOptono; hi ti; ^v),
omise par la Vulgate, Notre-Seigneur revient
k son sujel, la necessite pour les riches de
faire un excellent emploi de leurs richesses
|Cfr. iff. 1-13). Dans une seconde parabole,
que Ton range a juste litre parmi les plus
belles et les plus instructives du troisieme
Evangile, il eclairs une autre face de celle
grave question, montranl, par I'exemple ter-
rible du mauvais riche, oil conduit finale-
ment la possession des biens de la terre si
Ton n'en use que pour sa propre jouissance,
au lieu d'en jiHer une partie dans le sein de
pauvres, c'est-a-dire dans le sein de Dieu.
Voyez les commentaires de S. Gregoire-le-
Grand (Horn, xl in Evang.), de S. Jean Chry-
soslome [Horn, iv de Lazaro), de S. Augustin
iSerm. xiv, xxvi, XLi),et I'admirable sermon
de Massillon, Le mauvais riche. — II y a
comme deux acles dans ce drame; le pre-
mier, t*. 19-21, se passe sur la lorre, ie
second, t)i^. 22-31, dans I'aulre monde. De
part et d autre nous trouvons un frappant
contraste entre Telat des deux personnages
autour desquels roule le recit. — loSurla
terre : Homo quidam erat dives. C'etail un
Juif d'apres les tt. 24, 25, 29-31. Le divin
narrateur evite de mentionner son nom, soil
par delicatesse, soil plutot, comme le conjee-
lurail deja S. Augustin, parce qu'il n'avait
pas merite d'etre inscrit au livre de vie. D'a-
pres une tradition probablemenl legendaire,
que signale Eulliymius et dont on liouve des
traces encore plus anciennes dans la version
sahidique, il se serait appele Ntveuyj?, NivEut;,
ou Nineve. — Les evangelistes avaienl re-
sume en deux traits significatifs, dont I'un
concernail rhabillement, I'r.utre la nourri-
ture, la vie moitifiee du Precurseur; en deux
trails analogues Jesus resume toule la vie
sensuelle el mondaine du mauvais riche. Pre-
mier trait : qui induebatur purpura et bysso.
La pourpre eclatante de Tyr, le fin lin dE-
gypte aussi blanc que la neige, elaient ega-
lement celebres dans I'antiquite. Cfr. Gen.
XLi, 42; Esth. viii, 15; Prov. xxxi, 22;
Ezech. xxvii, 7; Dan, v, 7, 16, 29; I Mach.
X, 20; XI, 58; xiv, 43; Apoc. xviii, 12.
Ces etolTes qui vaiaient parfois leur pesant
d'or (CIV. Pline, Hist. Nal. xix, 4), fournis-
saient aiors aux rois, aux nobles, aux riches
en general, des velemenls somplueux. La
pourpre etait le plus souvent reserves aux
habits de dessus, le lin aux velements inte-
rieurs : on a i mail a les associer a cause de
la gracieuse combinaison de couleurs qu'on
oblenait amsi. — Second trail : epulabatur
quotidie splendide 'dans le grec : eCiqppatv6[ievo;
xaO' T;tjL£pav Xaaitpu;, ce que I'ltala traduisait
par « jucundabatur nitide » ; mais la Vulgate
rend Ires bien la pensee. Voyez xv, 23, 24, 29
el le commentaire). G'esl le luxe de la table
a cote du luxe des velements. Quelle force
dans ces quelques mots I On ne pouvait pas
mieux peindie, en deux coups de pinceau,
une vie d'oisivele, de mollesse, de perpetuels
el splendides festins, de magnificence toute
royale.Il est a remarquer que Notre-Seigneur
CIIAPITRE XVI
59?
20. Et erat quidam mendicus, no-
mine Lazarus, qui jacebatadjanuam
ejus, nlceribus plenus,
21. Gupiens salurari de micis, quae
cadebant de mensa divitis, et nemo
illi dabat; sed et. canes veniebant,
et lingebantulcera ejus.
20. Et il y avait un mendiant
nomme Lazare, qui gisait a sa porta,
plain d'ulceres.
21. Desirant se rassasier des
mieltes qui lombaient de la table du
riche, et personne ne lui en donnait,
mais les chiens venaient et lechaient
ses ulceres.
ne reproche pas d'autre crime.au maiivais
riche que ce culte de la chair el sa diirele
pour le pauvre Lazare. « On ne I'accuse ni
de violence, ni de concussion, ni d'avarice,
t)i d'injuslice » (D. Calmet),ni meme d'orgies
Hde debauches. Voyez Massillon, 1. c, Exode
el debul de la premiere parlie. Aiix yeux du
« monde » il passail pour un parfail inno-
cent. Et pourtanl Dieu le condamnera. Ce
riche, d'apres le contexte (Cfr. t. 14), est
evidemment Tembieme des « Phaiisiens
avares, » auxqueis Jesus voulail prouver
qu'il ne suffii pas, pour parvenir au salul, de
mener une vie respectable au dehors, si Ton
n'y joint les pratiques de la chariie. C'esl a
lort qii'on a vu parfois en lui un type des
Sadduceens voluplueux el incredules, car
« nullum adesl vestigium vel menlio transitus
ullius a Pharisaeis ad Sadducaeos » (Bengel).
20 el 21. — El erat quidam mendicus
(TtTtox'^?, un pauvre)... Tableau de la plus ex-
ireme misere apres celui de la plus grande
felicile lemporelle. — Nomine Lazarus. « Le
monde donnait un nom au riche el laisait
celui du pauvre; le Sauveur tail le nom du
riche et menlionne celui du pauvre »,S. Au-
gu3l:n. Ce nom de Lazare, egalement porte
par I'ami de Jesus, t'rere de Marlhe et de
I^larie, Joan, xi, 1, introduit dans la plupart
des langues europeennes sous les lormes de
(I lazaret, lazzarino, lazar, etc., » sirail,
d'apres quelques hebralsanls, une coiitrac-
lion de L6 ezer ("iTy kS), « auxilio deslilu-
lus » ; mais on le regarde plus habituellement
comme une formr' abregee de Eleazar ntV Sn;
par aphereso TtVh, Lazar), « Deus auxilium ».
Lightfoot, Hor. hebr. in h. 1., demontre fori
bien, par divers exemples tires de la littera-
lure rabbinique, que parfois le meme per-
sonnage etail indifferemmenl appele Lazare
el Eleazar. C'etail d'ailleurs une denomina-
tion Ires commune a I'epoque de Notre-Sei-
gneur, ainsi qu'on le voil par les ecrits de
Josephe. Elle convenait admirablement au
pauvre qui nous e?t ici presente par le divin
Maitre, car elle exprimait d'une maniere
eymbolique sa confiance en Dieu, sa palirnce
au milieu de ses miseres. Aussi bien,quoique
aucun autre nom propre n'apparaisse dans
les paraboles evangeliques, nous ne croyons
pas qu'elle sufEse a elle seule pour prouver
que, dans ce cas special, Jesus decrivail une
hisloire re.'lle ct non un simple fait imagi-
naire. Sur cette question, conlroversee des
les temps les plu-^ recules, voyez S. Irenee,
contr. Her. iv, 2, 4, Theophylacte, h. ].,
D. Caimel, Maldonat, Corneille de Lapierre,
Scliegg, elc. — Jacebat ne rend pas loule la
force du grec i8i6lt]XQ, qui signifie lilierale-
ment « avail eie jele, » comme si les amis
de Lazare I'cussenl apporle et abandonne a
la porle du riche, dans la pensee que celui-ci
lui viendrail largement en aide. — Ad ja-
nuam. Le mot grec icu).wv designe la porte
cochere , I'entree principalc Cfr. Matlh.
XXVI, 71. — Ulceribus plenus est une excel-
lenle traduction du participe tiXxw|X£vo? (verbe
denominatif forme de £Xxo;, ulcere). Pour
Lazare, la maladie, et quelh; affreuse mala-
die 1 s'ajoutail au denument le plus absolu.
Dans sa detresse, ce malheureux desirail ar-
demment (Cfr. xv, 16) se rassasier de micis
quw cadebant de mensa divitis; mais, nemo
illi dabat, car les serviteurs, fa^onnes a I'i-
mage de Icur maitre. etaient inhuraains
comme lui. Bien que celte deiniere phrase,
qui manque dans le lexte primitif, soil pro-
bablemenl apocryphe, elle ne parait que irop
conforme a la realite exteiieure ; jamais en
effel, quoi qu'on ail dil, emOuixsw n'a ete syno-
nyme de « contenlus sum, gaudeo ». La glose
de la Vulgate correspond done parfaitement
au sens general du recit. — Sed et canes
veniebanl... Trail pittoresque, dramalique et
toucliant, quelque signification qu'il faille
d'ailleurs lui atiribuer. Les exegetes se divi-
seot en effet a sonsujet, les uns le regardant
comme une anlilhese, les autres y voyant
line gradation asceiidante.Ceux-l a (S.Jerome,
llugues de S. Victor, Erasme, Welstein,
Slier, Trench, etc.),peiisant, conformement
a la croyance populairc qui altribue a la
langue des chiens une vertu medicinale, que
la narration oppose sciemment a la cruaute
du niauvais riche envers Lazare la pilie de
betes denueesde raison. Ceux-ci, el c'esl le
plus grand norabre (enlre autres Jansenius,
Fr. Luc. ReischI), voient dans ce trait final un
indicede la plus extreme misero : incapable
de se defendre, Lazare devaii subir les cruels
coups de langue (notez dans le grec I'emploi
du verbe compose, a;ie).£ixov) des chiens de
298
EVANGILE SELON S. LUG
22. Or il arriva que le mendiant
mourut et fut porte par les anges
dans le sein d'Abraham. Et le riche
mourut aussi et il fut enseveli dans
Tenfer.
22. Factum est autem ut morere-
tur mendicus, et portaretur ab ange-
lis in sinum Abrahse. Mortuus est
autem et dives, et sepultus est in
inferno.
I'Orient, qui errenl sans maitre dans Ics
rues, constammenl affames. La parlicule
4>,>.a y-ai, « main en oulre; » el la coulume
bibiiquo de presonler ces animaux sous un
jour peu favorable, sembleni appuyer le
second sentiment.
22. — 2o Nous sommes lout a coup trans-
pories dans I'autre monde, ou nous retrou-
vons les deux heros de noire parabole. Mais
leurs roles sont desormais bien changes ! Cette
fois, c'eslLazare qui nous esl le premier pre-
sente. — Factum est (formule de transit ion)
ut moreretur inendicus. La morl vint enQn le
delivrer de ses cruelles souffrances ; bien plus,
nous le voyons, a peine enlre dans I'autre vie,
comble d'hontieurs el jouissant des sainles
delices reservees aux elus. — Portaretur ab
angelis. Celui que les hommes avaient au-
trefois delaisse est mainlenant servi par les
esprils celestes, qui le porient douceraent au
sejour des bienheureux. « lis accourenl en
grand nombre, s'ecrie S. Jean Chrysoslome,
1. c, afin de former un chcBur joyeux; cbacun
des anges se rejouit de toucher a ce fardeau,
car ils aimenl a se charger de lels fardeaux
pour conduire les hommes au royaume des
cieux. » C'etait la croyance des Juifs que les
ames des justes elaient ainsi portees par les
anges au paradis. « Non possunl ingredi Pa-
radisum nisi justi, quorum animse eo ferun-
tur perangclos «, Targum Cant, iv, -12. Cfr.
Lighlfoot, Hor. hebr. Ii. I.; voyez aussi Thilo,
Cod. apocrypiius N. T. I. I, pp. 25, 45, 777.
— In sinimi Abrahw. Autre image emprunlee
par Notre-Seigneur a la iheologie rabbinique.
D'ailleurs prenque toutes les couleurs qu'il
emploie ici pour peindre I'etat des bons et
des mediants dans Taulre vie sonl extraites
des ideesqui avaient a^ors coursen Palestine.
Voyez Schegg, Evang. naihLuka-, t. II, p. 486
el ss. Ces idees etaientgeneralemenl exacles,
el, en s'y accommodani. le Sauveur ne pou-
vaitque rendre ?a narration plus saisis-anle.
Or, corame le demonire Lighlfoot (1. c.) a
I'aide de plusieurs passages du Talmud, les
Juils conlemporains de Jesus se servaienl de
trois iocutiuns principales pour designer le se-
jour des bienheureux : nj; p2- dans le jar-
din d'Eden ; Tin^n ND3 Tinn, sous le Irone de
gloire; DH^nx SxiT Ipina, dans le sein d'A-
braham. Cette derm ere exprimait d'une fa-
<;on loule gracieuse le repos el le bonheur
des ^lus, « metaphora ducla a parentibus,
qui puerulos suos diuturna discursilatione
fessos, vel experegrinationedomumreversos,
aut ex adverso aliquo casu ejulantes, solatii
causa in sinum suum recipiunt, ut ibi sua-
viler quiescant, » Gerhard, Loc. Iheolog.
xxvu, 8, 3. Cfr. Lud. Capellus, Spiciiegium,
p. 56. Nous la relrouvons, legeremenl ampli-
fiee, au IVe livre (apocryphe) des Machabees,
XIII, i6 (ouTw Y«P Oavovxa; fi[iia; 'Afipaaij. xal
'laaax xai laxwS (iTtoSe^ovtai eI? tou; xoXtiou; au >
Twvj. Par I'inlermediaire des SS. Peres (voyez
Suicer, Thesaiiius, s. v. -/.olnot,; S. Augusiin,
Episl. cLXXXvn ; Confess, ix, 3; de Anima,
1. IV, c. 4 6), elle passa dans la lilurgie et la
iheologie catholiques, oil ello represenle
lantot le « Limbus pairum », tantot le ciel
proprement dil (« In sinum Abrahae angeli
deducanl le ». Prieres des agonisants). Cfr.
S. Thomas d'Aq., Summ. fheolog. p. iii,
q. 52. art. 2, et Mamachius, de Animabus
juslorum in sinu Abrahae ante Chrisli mor-
tem, Rome 1766, t. II, p. 834 et ss., lOU,
et s. L'arl chrelien, surlout au xiiie siecle,
represenlait volontiersle ciel sous cette naive
figure. On la voil sculptee a S. Elienne de
Bourges, a Moissac, a Vezelay, a Nolre-Dame
de Reims (voir Ch. Cerf, Histoire el descrip-
tion de N.-D. de Reims, t. II, p. 49 el s.). Com-
parez du reste I'expression analogue du qua-
iriemeEvangile, l, 48 « Filius, qui esl in sinu
Patris. » — Mortuus esl autem et dives. Alors
se realisa la parole de Job, xxi, 43 : « Du-
cunt (impii) in bonis dies suos, et in puncto
ad inferna descendunt. » Cette mort semble
avoir suivi de pres celle de Lazare. — Et se-
pultus est. Dans le teste grec et dans plusieurs
manuscrits latins (6 : el in inferno elevans ;
c ; in inferno elevans autem), la phrase s'ar-
rele apres ce verbe. de sorte que les mots in
inferno (xal iv tu aoig) commencent une nou-
velle proposition. Ceux qui preferenl cette
construction mettent voiontiers en relief la
mention expres>e de la sepulture du riche. II
ful enseveli, c'esl-a-dire qu'on lui fit des fu-
nerailles splendides, conft)rm;'S a sa fortune
et a son rang. Le recil elail reste comple-
lement muel sur I'humble enterrement de
Lazare. Mais la ponctuaiion de la Vulgate
nous parail plus claire, plus naturelle et plus
conforme au parallelisme. — In inferno. Par
enfer il faul entendre ici le sejour des morts
en general, le Scheol hebreu, divise, d'apres
le contexte, en deux parlies di>tincles, le sein
d'Abraham pour les justes, la Gehenne pour
les mechants; mais, naturellement, c'est au
fond de la gehenne que le mauvaise riche ful
plonge.
CHAPITRE XVI
29»
23. Elevans autem ociilos suos,
cum esset in lormentis, vidit Abra-
ham a longe, et Lazariim in sinu
ejus ;
24. Etipse damans dixit : Pater
Abraham, miserere mei, et mitte
Lazarum,utintigatextremum digiti
sui in aquam, ut refrigeret linguam
meam, quia crucior in hac flamma.
23. Et levant les yeux, lorsqueil
etait dans les tourments, il vit de
loin Abraham et Lazare dans son
sein.
24. Etjetantun cri il dit : Pere
Abraham, aie pitie de moi et envoie
Lazare, afin qu'il trempe dans I'eau
Textremite de son doigt pour ra-
fraichir ma langue, car je suis tor-
ture dans cette flamme.
23. — Elevans autem oculos. Ce delail et
quelques-iins des suivants ont parfois cause
k ceux des anciens auleurs qui les prenaient
a la letlre, un Ires grand embarras, « usque
60 prorsus, dil Maldonal, ut mullos in erio-
rum compulerint », (entre aulres Terluliien,
De anima, \ii). lis en concluaient que I'^me
est corporeile. Mais evideniment, ajoule Mal-
donat, « quod oculos dives ille levaverit,
quod cum Abrahamo loculus fuerii, quod
gultam aquae, qua linguam suam refrige-
raret, postulaverit, parabola est, sumpia non
ex iis quae mode fiunt, sed ex iis quae post
resurreclionem lutura sunt, et ad nostrum
caplum accommodata. » C'est une maniere
de parler lout a fait analogue aux anlhropo-
morphismes qui pretent si souvent a Dieu
dans la Bible un corps, des membres, et les
passions humaines. Mais la realite se devine
aisement sous ces figures, et, selon ie Ian-
gage pittoresque de Val. Herberger (cite par
Stier, Reden des Herrn, h. I.), « nous avons
verilablemenl dans celle parabole une fenStre
ouverle sur I'enfer, et nous pouvons voir a
travers elle ce qui se passe dans cet affreux
sejour. » « La parabole du mauvais riche et
du pauvre Lazare, dit semblablemenl M. van
Oosterzee, Das Evang. nach Lukas, 3e edit.
p. 259, conlienl la description la plus sublime
qui ait jamais eie faite de ce monde et de
Tautre vie dans leurs conlrastes frappanls.
Qu'est-ce que la trilogie dans laquelle Dante
a chanle I'enfer, Ie purgatoire et le ciel, si on
la compare a la trilogie de celle parabole,
qui nous met lout d'un coup sous les yeux,
au moyen de trails peu nombreux, mais vi-
vanls el parlants, la lerre , la gehenne et
le paradis , comme une grande et parfaite
unile?... Le Sauveur nous fournit ici les
explications les plus surprenantes, et il sou-
16ve le voile qui cache les mysteres de I'a-
venir ». — Cum esset in tormentis. Pluriel des
plus expressifs. « Islum inGnila tormenta pos-
sidebant. Unde non dicit (evangelista) : Quum
esset in tormenlo, sed. In tormentis; lotus
enim in tormentis erat, » S. Jean Chrys.,
1. c. — Vidil Abraham a longe el Laza-
rum... LesRabbins enseignaient aussi que les
damnes pouvaient contempler les bienheureux-
dans les Limbes. « Paradisus et gehenna ita
posita sunt , ut ex utio in allerum prospi-
ciant, » Midrasch Kohelelh, vii, 14. II est vrai
que, d'apres eux, ces deux parties du Sclieol
n'etaient separees que par une largour de
main, ou par I'espace qu'occupe une muraille
ordinaire. Voyez A. Wiinsche , liibliolheca
rabbinica, Leipzig 1880, p. 103. —In sinu
ejus. Au lieu du singulier, ie texte grec a celle
foisiv Toi? xoXiroi; auToO, pluriel d'inlensiteou
de majeste. Cfr. Winer, Grammat. p. 159;
Beelen, Grammat. Graecit. N. T. p. 177.
24. — Ipse (aOxo; avec emphase) : meme
lui, il est reduit k demander. — Clamans
dixit. 11 crie, dit S. Jean Chrysost., parce
que « magna poena magnam vocem redde-
bat », ou, plus nalurellement , pour se
mieux faire entendre d'Abraham qu'il aper-
cevait « a longe », t. 23. Un dialogue du
plus vif inleret s'engage enlre Ie reprouve-
et Ie Pere des croyants {ft. 24-31). Celui-ci
refuse coup sur coup, hon sans alleguer de
puissants motifs, deux suppliques du mau-
vais riche. — Pater Abraham. A trois re-
prises (Cfr. tt. 27 et 30) le suppliant aura
soin de rappeler a Abraham les liens elroits
de consanguinile qui les unissent. 11 esperail
sans doule, par ce litre d'affection et de res-
pect, le rendre plus exorable a sa priere.
iviais en vain, comme le disait autrefois
S. Jean-Baplisle aux Pharisiens, iii, 8. —
Apies un miserere mei emphatique, qui ins-
pirail a S. Augustin un rapprochement frap-
pant (((Superbus tf^mporis, mendicus inferni «),
nous eiilendons la premiere requetn : Mitte
Lazarum... Pourquoi desire-l-il que la favrur
si liutnblemonl imploree lui soil uccordee par
renlremisedu i)auvre Lazare? Divers auleurs
(Beiigel, J. P. Laiige, etc.) out vu dans ce
trait, mais bleu a tort, un resle de mepris
pour le mcndiant anpres duquel le mauvais
riche passail si fierrmenl autrefois : il le regar-
derait encore comme son scrviteui! La vraie
raison est pourtaiil manifcsle. L'ordre des
choses ai)pelail celle circonslance. Le riche ne
pouvail raisonnablemenl conjurer Abraham de
lui rendre en personne le service demande;.
300
fiVANGILE SELON S. LUG
2b. Et Abraham liii dit : Mon fils,
souviens-toi que lu as recu des biens
pendant ta vie et Lazare pareille-
ment des maux ; or maintenant il
est console et toi lu es torture.
26. Et par-dessus tout entre nous
et toi un grand abime a ete affermi,
2b. Et dixit illi Abraham : Fili,
recordare quia recepisti bona in
vita lua, et Lazarus similiter mala:
nunc autem hie consolatur, tu vero
cruciaris.
26. Et in his omnibus, inter nos
et vos chaos magnum fiamalumest:
mais, ayant. reconnu parmi les bienheureiix
le pauvre qu'il avail vu si soiivent elendu
a sa porle, il le designe de la faQon la plus
nalurelle comme un inlermediaire entre
Abraham et lui. De plus, el d'une maniere
plusprofonde, d'apres Rlaldonal, « id sensus
parabolae requirebal : volcbat enim docere
Chrislus, mutalasfuis^e vices diviiis el Lazari.
Id ul docerel, oporlebal dicere divilem in
altera vila Lazari auxilio indiguis^se, illudque
poslulasse; quemadmodum dum in hac erat
vita, Lazarus auxilio divilis inaigueral, illud
saepe poslulaveral : neulruni vero oblinuisse,
Lazarum crudelitale divilis, divilem quia
.sero postulassel. » S. Greg. Horn, xl in
Evang. — Ut intingat extremum digiti sui
in aquam (dans le grec, toO uSato;, « genilivus
materiae » des grammairiens). Quelle raodeste
requite 1 Une legere mitigation de ses tour-
menls, le bout d'un doigt irempe dans I'eau
ex applique sur sa langue bruianle, pour la ra-
fraichir un pau ! Mais la voix de sa conscience
I'emp^chededemanderdavanlage: il?enlqu'il
ne pourrait obUnir une delivrance complete.
Les prooedes de la justice retributive du Sei-
gneur sent admirables et terribles : « Nunc
petit guttarn, qui negaverat micam » (S. Ce-
saire, Horn, do Lazaro). « Lingua maxime
peccaral » (Bengel). — Le correlalif grec de
intingat [v-oLia-iidlri] \V appar ail pas ailleursdans
le Nouveau Ti'slamenl. — Qniacrticior (65uvw-
nai, expression energique) in hac flamma. Le
leu de I'enfer ne sauiail etre plus clairement
designe.
25. — Dixit ilUAbraham.W y adanscelter^-
ponse d'Abraham une dignite, une delicalesse,
qu'on a sou vent admiree^. Les paroles de Jesus
sont pas d'aillours toutes marquees au coin
de la perfection, comme I'ecrivail Brouwer,
De Parabolis J. C. specimen, Lugd. Bat. 1 825 :
« Conspicuum est in omnibus oplimi magislri
sermonibus decoris illud el honestatis stu-
dium, quo efficitur, ul nunquam sine maxima
voluptale illos Icgere et relegere possimus. »
— Fili, Ts'xvov. Le pere des croyants ne refuse
pas au mauvais riche ce nom de tendresse.
"Opa 9t).oao9iav, opa 9i),offTopYtav Sixatov oux
cTtiev, dudvOpcoTie, xat wji^ xal irav7r6v»ipE (S. Jean
Chrysost.). mais il daigne I'appeler aimable-
menl : Mon fils. Toutefois, il est remarquable
aussi que tout sentiment de compassion est
«xclu de sa rdponse ; en effet, selon la pro-
fonde reflexion de S. Gregoire le Grand,
Hom. XL in Evaug., « Sanctorum animae,
quamvis misericordes, tunc tamen, Dei jusli-
tiae conjunctae, lanta reclitudine constrin-
gunlur, ul nulla ad reprobos compassione
moveantur. Ip^ae quippe judici concordant cui
inhaerenl, et CIS quos eripere non possunl nee
ex misericordia condescendunt, quia lanlura
illos nunc a se videbunl extraneos, quantum
et ab eo quem diligunl auclore suo conspi-
ciunt repulsos. » — Ricordare. Abraham fait
d'abord appel aux souvenirs du suppliant,
pour I'amener a conclure par Iui-m6me qu'il
serail injusle d'exaucer sa priere. — Rece-
pisLi [dans le grec : d7te).aSec, tu as pleinement
reQu) bona (le grec ajoute : « lua ») in vita
tua. II est au nombre de ceux dont il a ^te
dit : « Receperunt mercedem suam », vi, 24.
II a joui sur la terra comme il le souhailait;
cela doit lui suffire. — Lazarus similiter
mala. C'esl le conlrasle developpe dans !es
tt. 19-21. — Nunc autem (les meilleurs ma-
nuscrits ajoutent : mSs, ici). Acluellement
lout le contraire a lieu : hie consolatur (sur
celie signification! passive d'un verbe depo-
nent, voyez Roensch, Ilala und Vulgata,
2e edit. p. 388) lu vero cruciaris. Abraham
se borne a mentionner les fails : son in-
terloculeur en pouvait aisemenl apprecier la
justesse. — De quel droit les rationalistes
prelendent-ils encore a propos de ce passage
(Baur, Ueber die kanon. Evangel, p. 444;
Hilgenfeld, die Evangelien, p. 202, elc.) que
I'evangeliste S. Luc attaque el condamne les
riches en lanl quo riches? Non: des deux
hommes juges dans celle parabole, le premier
« n'esl pas torture pour avoir ele riche. mais
pour n'avoir pas etemisericordieux » (S. Jean
Chrysost.), le second avail d'aulres letlres de
creance aupres de Dieu que sa pauvrete;
cela ressorl fort bien du conlexte, qui a taci-
lemenl decril la palience de Lazare et la du-
rete du mauvais riche. En soi, «non omnis
sancta pauperlas, aut divitiae criminosae»;
mais, « lit luxuria infamat divilias, ita pau-
perlatem commendat sanclitas » (S. Am-
Ijroise), el I'Evangile n'a pas d'aulre doclrine.
26. — Seconde parlie de la reponse d'A-
braham ; le mauvais riche demand?^ une
chose non-seulement injusle, mais impos-
sible.— Inhis omnibus; dansle grec, M itaoi
xouToi;, « super haec omnia », en outre de
CIIAPITRE XVf
301
Ut hi, qui volunt hinc transire ad
vos, non possint, neqiie inde hue
Iransmeare.
27. Et ait : Rogo ergo te, pater,
ut mittas eum in domum patris
mei :
28. Habeo enim quinque fratres,
ut testetur illis, ne et ipsi veniant
in hunc locum tormentorum.
29. Et ait illi Abraham : Habent
de sorte que ceux qui voudraient
passer d'ici a toi, ou de la venir ici,
lie lepeuventpas.
27. Et il dit : Pere, je te prie done
de Tenvoyer dans la maisonde mon
pere.
28. Gar j'ai einq freres, alin qu'il
leur atteste ces choses, de peur
qu'ils ne viennent eux aussi dans
ee lieu de tourments.
29. Et Abraham lui dit : lis ont
tout cela. — Inter nos et vos : entre nous, les
elus, el votis, les leprouves. — Chaos magnum.
Le siibstantifgrecxa<rtJi-a, qui n'apparait qu'en
cet ondroit dii Nonvt^au Testameiil. serait
plus clairement traduit par « hiatus, vorago »,
car il designe plulol un goutTre, un abime, que
ce qu'oii enlend generaleinpiil par chaos.
Neanmoins, il ne faul pas oublier quexao; et
Xa<TiJ.a elaient dans le principe des mots
synonymes chez les Grecs, el de meme chez
les Latins qui avaient emprunte ces expres-
sions aux Grecs. G'est done dans le sens de
« barathrum » que le traducteur latin a em-
ploye ici le mot o chaos ». Cfr. Forcellini,
s. v.; Groiius, in h. I. — Firmatum est
(effTT^puTat). Maniere tr6s energique de dire
que le goufTre qui separe le paradis de la
gehenne est non-seulement beant, raais
eternei. « Hiatus... non solum est, verum
eliam firmatum est. )■> S. Aug. Epist. clxiv.
Les damnes sont done a tout jamais dans
I'enfer; leur sentence est irrevocable. — Ut
hi qui vulunt hinc (du sein d'Abraham)... Con-
sequence de CO qui precede. De part et
d'autre la barriere ne saurait etre franchie.
Desormais, plus do merilo personnel, plus
d'inlercession des Saint?, capable d'elablir un
pont a Iravers le terrible abime.
27. — La pai'iibolo aurait pu s'arreter apres
le t. 26. Mais Jesus veut la rendre encore
plus complete, en monlrant par de nouveaux
details ce qui conslitue le danger special des
richessi s. Les privilegies de ce monde, plon-
ges dans touto sorte de jouissances, de-
viennent facilement incredules, du moins
dans la pratique, et ne s'occupent guere de
letir salut. G'est ce qu'exprime la suite du
dialogue. — Et ait. Refuse dans sa premiere
requete, le mauvais riche en presente une
seconde, qui ne concerne plus sa propre per-
sonne, mais le bien spiriluel de ses freres.
— Bogo (IpwTaw avec le sens de prier. Cfr.
IV, 38; V, 3 ; vir, 3; etc.) ergo {« saltern »,
au moins cette autre faveur) te... ut mittas
eum... Si i'cspace qui nous separe est infran-
chissable pour Lazare, il n'existe sans doute
aucun abime entre vous et la terre.
28. — Habeo enim quinque fratres. On a vii
parfois dans ce trait, mais sans raison suffi-
sante, une allusion aux cinq fils du grand-
pretre Anne, qui lui succdderent a lour de role
dans Texercice du souverain pontifical. —
Ut testetur illis (tiotez le verbe compose
SiaixapTupYitai). C'est comme temoin, coinme
temoin oculaire, que Lazare devait aller
trouver les freres du riche, a la fagon de ce
personnage que Plalon, Republ. x, 14, fait
revenir du sejour de- morts sur la terre,
iYY^Xov av9pa)noti; YevsaOai twv ixet, « pour
annonceraux hommoscequi se passe labas, »
pour leur certifier {'existence des realites
terribles qu'il avail vues de ses propres yeux.
— Ne et ipsi veniant... lis n'en prenaienl que
Irop le chomin, car ils vivaienl eux aussi
dans les delices, sans se soucier des pauvres,
ni de Dieu. II serait faux d'admetlre, a la
suite des Iheologien-! proleslants, que cette
altention d'un dainne a empecher I'eternelle
reprobation de ses frens e.-tl'indice d'un sen-
timinl de foi, ou de jo ne sais quels aulres
germes de bien surnalurel qui s'agitaient
dans son ame, car les re|irouves sont inca-
pables do produire un acte de vertu. Les
saints Peres el les interpretes calholiques
atlribuent lo souhait du mauvais riche tanlot
a Tegoisme (S. Giegoire, Dial, iv, c. 23, ie
Yen. Bede, Luc de Bruges, Corneille de La-
pierre, etc.), « ne videlicet sibi toimenta ex
iis augerenlur, quos excmplosuo ad eamdein
vitae dissolutioncm ei immisericordiam pro-
vocaverat, » comme s'exprime Jansenius,
laniot a la charite fraternelle (S. Jean Chry-
sostome, S. Augiistin. S. Ambroise, Theo-
phylacte, Mgr Mac Evilly, etc.), dans la
supposition, assez vraisemblable d'ailleurs,
quo, la nature n'etant pas eleinte dans li'S
damnes, ils peuvent encore desirer les biens
de I'ordre naturel, par exemple le bonlieur
de lours proches. Voycz pourtant S. Thomas,
Suinm. llieol. Suppl. ad 3 part. q. 98,
a. 4.
29. — Ait illi Abraham. Celte fois, Abraham
ne reitere pas I'aimable t£-/vov du t. 25. Sa
reponse est tr^ve et memo severe. — Habent
302
EVANGILE SELON S. LUC
Mo'ise et les prophetes; qu'ils les
ecoutent.
30. Mais il dit : Non, pere Abra-
ham, mais si quelqu'iin des morts
va vers eux, ils feront penitence.
31. Et Abraham lui dit : S'ils n'e-
coutent pas Moise et les prophetes,
quand mSme quelqu'un des morts
ressusciterait, ils ne croiraient pas.
Moysen , et Prophetas ; audiant
illos.
30. At ille dixit : Non pater Abra-
ham ; sed si quis ex mortuis ierit ad
eos, poenitentiam agent.
31. Ait autem illi : Si Moysen, et
Prophetas non audiunt, neque si
quis ex mortuis resurrexerit, cre-
dent.
Moysen el prophetas : c'esl-k- dire, toute la
Bible, ainsi designee parses deux parlies prin-
cipales. la Loi el les prophetes. Cfr. Joan, i, 46.
— Audiant illos. La parole de Dieu doil leur
suSire ; c'est pour eux un lemoignage qu'aucun
autre ne saurait surpasser. Voyez Joan.
V, 39, 45-47.
30. — At ille dixit. Le suppliant s'etait
soumis sans rien dire au refus qui I'altei-
gnait personnellement {t. 27); mais ici, il
propose nne objection au pere des croyants,
ou plutotil se permet de le conlrediro : Non,
pater Abrah.tn! Non, ils n'ecouteront pas
Mol^^e el les proplieies; c'cst la pour eux un
moyen lout a fait insulBsant. Je les connais;
je sais par ma propre experience qu'il faut,
pour les frapper et les convertir, quelque
chose d'extraordinaire, comme serait I'appa-
riticn d'un mort [sed si quis ex mortuis...) —
Poenitentiam agent, (letavoiQffouffiv. Non-seule-
ment ils croironi, mais ils seront moralement
transformes, et ils manifesteront leur conver-
sion par des oeuvres.
31. — Ait autem illi. Abraham rejette froi-
dement cetle vaine allegation. La parole ins-
piree ne leur sudit pomt : tant pis! Qu'ils
n'attendent pas de faveur extraordinaire. Du
resie, si la voix des saints Livres ne les
touche pas, celle d'une mort ne les laisserait-
elle pas egalemenl ins n?ibles?« Audilufideli
salvamur, non apparitionibus, » Bengel. En
tenant ce iangage, Jesus devait penscr a ce
qui arriva bientot apres. Les Pharisiens
crurent-ils done k sa divinile quand il eut
ressuscite Lazare? y crurent-ils quand il eut
brise victorieusement pour lui-meme les
portes du tombeau ? — Notez la maniere dont
Abraham reproduit, mais en les renforgant,
les expressions employees par son interlocu-
teur : ti? ex vsy.pwv, au lieu de th; o-tzq vsxpwv
[t, 30); avaffTV], resurrexerit, avi lieu du simple
iropevO^ , « ierit » ; TieiaOriffovTai, credent (mieux,
d'apres d'anciens mauuscnts latins, « persua-
debuntur »), au lieu de (lexavoifia-oyatv. Comme
s'il disait : Un miracle beaucoup plus grand
que celui que tu implores ne reussirait pas
m^me a operer un resultat moins conside-
rable que celui que tu promets si hardiment.
— Apres ces mots, le voile est encore brus-
quement lire, ainsi qu'il arrive a la fin de
plusieurs paraboles du troisieme Evangile.
L'auditoire devait se sentir saisi, impres-
sionne, et porle par Ia-m6me a mieux cher-
cher, pour se I'appliquer ensuite, la significa-
tion de ces brulantes legons. — Sur les
applications allegoriques que les Peres ont
faites quelquefois des principaux traits de la
parabolo du mauvais riche (« Per divitem
Judaicus populus designatur..., per Lazarum
forma populi gentilis exprimitur, » S. Gre-
goire le Gr., etc.; « Ulcera Lazari passiones
sunt Domini ex infirmitate carnis, » S. Au-
gustin; de meme pour les autres details),
voycz la chaine d'or de S. Thomas, h. 1. —
M. J. Raymond a donne recemment, dans six
eaux forles frappantes par leurs contrastes
lumineux, un beau commenlaire artistique de
ce drame interessant.
CHAPITRE XVII
303
CHAPITRE XVII
Quatre avisimportanls(tt. l-iO).— Guerison de dixlepreiix {tt. 11-19). — Discours de Jesus
sur Tavenemenl du royaume de Dieu (it. 20-37).
1. Etait ad disci pulos siios : Im-
possibile est ut non veniant scan-
aala ; vse autem illi per quem ve-
niunt.
2. Utilius est illi, si lapis molaris
imponatur circa collum ejus, et pro-
jiciatur in mare, quam ut scanda-
lizet unum de pussillis istis.
Matlh. 18,7; Marc.9,il.
1. Ildit aussi a ses disciples : II
est impossible que des scandales
n'arrivent; mais malheur a celuipar
qui ils arrivent.
2. Mieux vaudrait pour lui qu'on
mitautour de son cou une meule de
moulin et qu'il fut jete dans la mer,
que de scandaliser un de ces petits.
19. Quatre avis importants. xtii, 1-10.
Ces qualre paroles de Jesus auraient-elles
^tegroupees arbitrairement parl'evangeliste,
ou par les antiques recils qui servaient de
base a sa redaction? Maldonat et d'aulres
commentaleurs I'ont suppose. De prime abord
en effel, ron ne voil guere entre eiies d'en-
chainemenl iogique, et les diverses tentatives
qui ont ete faites pour les roller Tune k I'autre
(voyez-les dans Theophylacle, Meyer, etc.),
semblent a quelques inlerpretes plus inge-
nieuses que vraies. De plus, les memes pen-
sees se relrouvenl dans S. Matlhieu el dans
S. Marc en des places loutes differenles. Nean-
moins, d'apres nos principes et d'accord avec
la plupart des commentateurs, nous croyons
pouvoir affirmer que ces « dires » du Sau-
veur sont vraiment ranges au lieu que leur
assignait I'ordre chronologique. Pourquoi
n'auraient-ilspas elerepele5,coinmed'aiitres,
en plusieurs occasions, a cause de leur im-
portance? Au reste, le recit de S. Luc contient
des variantes notables; mais, commo il est
evidemment tres condense, plusieurs des
anneaux intermediaires auront disparu, ce
qui empdchela liaison d'etre aussi manifeste.
Premier avis, relatif an scandale. ff. 1-2.
Chap. xvn. — 1 . — Et ait (sTttev 5e) ad
discipulos suos, De nouveau (voyez xvi, 1)
Jesus s'adresse k ses disciples apres I'inter-
ruption qu'avaient occasionnee les grossieres
manifestations des Pharisiens (xvi, 14-35).
Suivant Theophylacle, Bisping, etc., c'est pre-
<;isement cette attitude scandaleuse de ses
adversaires qui auraitamen^ le present avis,
dirige contre le scandale. — Impossibile est.
La iocution grecque iv^vSixTov i<jTiv, qu'on ne
rencontre nulle partailleurs dans Ic Nouveau
Testament, signifie propremf^ni « inaccep-
table »; elle equivaut aoux ivSixtxon de Luc.
XIII, .33.Comme dans le passage analogue du
premier Evangile (Gfr. Matlh. xviii, 7 et le
commentaire;, il n'est question assurement
que d'une impossibilile morale. « L'absence
de scandales est une supposition inadmissible
dans Petal de peche oil est plongele monde ».
— Utiwnveniantscandala.Damlegvec, d'apres
les mi^illiures autorile-, "roO to. axdvSaXa \i.r\
dXOeiv. Sur ce genitif extraordinaire, qui de-
p;'nd de radjectifavexSsxTov, voyez les gram-
maircs de Winer et de Beelen. — Vce autem
illi... Cfr. I'Evangile selon S. Malthieu, p. 353-
2. —- Uiilius est (le verbe grec ).ufftTe),st
n'est employe qu'en cet endroit du Nouveau
Testament) illi si... Jesus monlre par un de-
tail significatif I'enormite des peches de scan-
dale : plutot que d'y lomb?r, mieux vau-
drait elre plonge au plus profond de la mer
sans aucun espoir de salut. En effet, « qui-
conque est auteur du scandale, selon tous
les principes de la religion devient homicide
des Ames qu'il scandalise. Peche monstrueux,
peche diabolique..., peche essentiellement
oppose a la redemption de Jesus-Christ,
peche dont nous aurons singulierement a
rendre compte,... peche d'autant plus dan-
gereux qu'il est plus ordinaire dans le
monde. » Bourdaloue, Sur le scandale. —
Lapis molaris : les manuscrits B, D, L, etc.,
les versions italique, cople, armenienne, ont
cello m^me Ipqoii ().t9oi; iJLy).ix6?), au lieu de la
la variante X(9o; ivtxo?, qu'appuient de nom-
breux temoins, mais qui parait 6lre une cor-
rection. Cette seconde espece de pierre mo-
laire. mise en mouvement par un Sne, etait
nolablement plus grosse que I'autre, qu'uno
304
fiVANGILE SELON S. LUG
3. Attendite vobis* Si peccaverit
in te frater tuus, increpa ilium : et
si poenitenliam egerit, dimilte illi.
Eccli. 19, 13; Matth. 18, 15.
4. Et si septies in die peccaverit
in te, et septies in die conversus
fuerit ad te, dicens : Pcenilet me :
dimitte illi.
5. Et dixerunt apostoli Domino :
Adauge nobis fidem.
6. Dixit autem Dominus : Si ha-
3. Prends gardeatoi. Si ton frere
a peche contre toi reprends-le, et
s'il faitactederepentir pardonne-lui.
4. Et si sept fois le jour il a peche
contre toi, si sept fois le jour il s'est
tourne vers toi disant : Je me re-
pends, pardonne-lui.
5. Et les apotres dirent au
Seigneur : Augmente en nous la foi.
6. Mais le Seigneur dit : Si vous
femme pouvait tourner sans trop de peine.
(Siir le supplice dii xaTa7rovTi(j|j.6i;, voyez noire
explication dii premier Evangile, i. c). —
Unum de pusillis istis : ces pelits au moral,
c'esl-a-dire les disciples, auxquels Jesus don-
nait volonliers eel liumble nom.
Second avis, relalif au pardon des injures, ff. 3-4.
3 el4.— ComparezMatth. xviii, IS, 21, 22
et le commentaire. Les mols altendite vobis
peuvent se rallachersoit a I'avis qui precede,
comme un « Nota bene » soiennel (Prenez
garde vous-mSmes de scandaliser vos freresl)
soil au present enseignement (Remarquez
bien celte aulre chose que je vais vous dire,
el pratiquez-la). On donne en general la pre-
ference a la premiere de ces deux con-
nexions. — Peccaverit in te. D'imporlanls
raanuscrils ometient eU oi, qui parail elre
une glose marginale inseree dans le lexte :
cette variante esl neanmoins tres conforme
a I'idee exprimee. — Increpa ilium, i'Kni\i.ri(yoy
auT(^. Le mot est energique; mais il faut
que la charile chrelienne sache I'interpreler
avec moderation. 'ETtiit),riSov d52),9txui; xe xat
SiopewTf/.toi, dit fori bien Eulhymius ; car le
reproche en question ne pouvanl avoir d'aulre
fin que ramendement d'un frere egare, le
but desire serait lout a fait manque si Ton
aigrissait ce frere au lieu de le calmer. —
Si poenitentiam egtrit, dimitte illi. L'offense
a des droits legitimes dont Jesus ne iui re-
fuse pas I'exercice ; mais il a aussi un grand
et noble devoir que le divin Mailre iui rap-
pelle, le devoir du pardon, de I'amnistie ple-
niere, aussitot que le coupable lemoigne du
repenlir.
4. — Et si septies in die... Hypolhese »
coup sur peu vraisemblable dans les relations
ordinairesde la vie, car, horrais les enfanls,
qui done, ayanl vraimenl la contrition d'une
faute, y retombera neanmoins sept fois dans
une journ^e?Mais ici, comme en m.aint aulre
passage, Jesus a recours au paradoxe pour
mieux inculquer son precepte. « Septies » (le
concret pour rabstrait, a la fagon orienlale)
est d'ai'Wurs un nombre indetermine pour
signifier : Toujours. — Le second in diff
manque en de nombreux manuscrils. — Con-
versus fuerit, inioipz'^ : trail pilloresque, si
Ton prmd celle expression au propre. Mais
elle peul aussi designer d'une maniere figu-
ree le relonr inierieur a de meilleurs senli-
menls. — Dans S. Malthieu, 1 c, repondant
a S. Pierre, co n'esl pas senlement « usque
septies » que Jesus reclame le pardon des
injures, mais « usque septuagies septies. »
Troisifeme avis, relatif a I'efficacit^ de la foi. yf, 5-6.
5. — Dixerunt apostoli Domino. C'est
avec une emphase evidente que S. Luc
applique a Jesus le liire de Kupio?. Cfr.
VII, 31 ; XXII, 61, etc. A celui qu'ils envisa-
geaient comme le Mailre souverain, comme
le Christ, Fds de Dieu, les douze ap6lrf"s
adressent de concert une sublime priere. En
aucun autre endroit des rdcits evangeliqu'S
nous ne les voyon? implorer ainsi « uno ore >•
quelquc I'aveur de Jesus. Vraisemblablement
ils avait'nt enleiidu, meles aux rangs des dis-
ciples, I'instruclion precedente, dont ils com-
prenaienl loute la difficulte. Ce n'est pas
sans faire violence a la chair et au sang qu'on
parvient a pardonner toujours. De la cetle
supplication si belle : Seigneur, rendez-nous
facile par un accroissemenl de foi ce qui est
impossible a la nature. Tel semble bin
etre le veritable enchaincment des pensees
{Olshausen. Meyer, Bisping, e\c.). — Adauge
nobis (idem. Mieux : « adde » (tcpotOs?), litter,
ajoute-nous de la foi. Nous en avons, mnis
pas assez, et nous en voudrions encore.
6. — Jesus repond a cetle demande, digne
du college apostolique, en decrivanl par un
trait piltorosque les effets admirables de la
foi. — Fidem sicitt granum siuapis. Maniere
proveibiale d'indiquer la quaniiie la plus
modique, puisque, parlanl ailleurs (Malih.
xiii, 32) du grain de seneve, le Sauveur dit
qu'il est « minimum ex omnibus seminibus. »
— Dicetis huicarbori moro. D'apres qu'lques
interpretes le substanlif grec ouxdixtvo? desi-
gnerait plutot un sycomore qu'un milrier;
mais la traduction de la Vulgate est iustiQee
CHAPITRE XVII
305
bueritis fidem sicut granum sina-
pis, dicetis huic arbori moro : Era-
dicare, et transplantare in mare; et
obediet vobis.
Matth. 17, 19.
7. Quis autem vestrum habens
servum arantem aut pascentem, qui
regresso de agro dicat illi : Stalim
iransi, recurabe :
8. Et non dicat ei : Para quod
coenem, et prsecinge te, et ministra
mihi donee manducem et bibara, et
post hsec tu manducabis et bibes ?
9. Numquid gratiam habet servo
illi, quia fecit quae ei imperaverat ?
10. Non puto. Sic et vos, cum fe-
aviez de la foi comme un grain de
seneve, vous diriez a ce murier : De-
racine-toi et transplanle-toi dans la
mer, et il vous obeirait.
7. Qui de vous ayant un serviteur
occupe au labour ou au pdturage,
lui dit quand il revint des champs :
Va de suite te mettre a table ?
8. Et ne lui dit pas : Prepare-moi
a souper, et ceins-toi et sers-moi
jusqu'a ce que j'aie mange et bu, et
ensuite tu mangeras et tu boiras.
9. Est-ce qu'il rend grdce a ce
serviteur parce qu'il a fait ce qu'il
lui avait commande ?
10. Je ne le pense pas. Ainsi vous-
lo par remploi dii mol ouxoixwpea un peu plus
bas (XIX, 4), quand S. Luc voudra parler du
■syconiore; 2o par I'idiome grec-moderne, oil
on se sen piecisemenl de auxd[xtvo; pour de-
•nommer le murier noir. Cf'r. Tristram, Nalural
History of the Bible, p. 396. TavT^ (« huic »),
pronom si graphique, duquel il resulte que
Jesus avail alors sous les yeux un murier
qu'il montrait de la main aux Douze, est
malenconlreusemenl omis par les manuscrits
Sinail., D, L, X. — Eradicare et transplan-
tare in mare. Ordre bien etrangel S'arracher
peniblemenl du sol san-> le secours de bras
humains el aller se planter ailleurs, serait,
de la part d'un arbre aux fortes dimensions,
■semblables a celles qu'alleinl le murier en
Paleslitio, un phenomene des plus merveil-
leux. Toulefois, apres s'eire arrache, prendre
do nouveau racine, i\on pas au milieu des
sables du rivage, mais dans los eaux memes
•do la mer, sur les vagues coiislammenl agi-
lees, c'osl le « nee plus ultra » du prodige dans
lo ccrcle des fails naturels, parce que c'esl
uno impossibilile absolue. Quelle maniere
•expiossive de demonlrer la puissance sans
borne de ia foi I Dans Ic passage analogue de
S. Mallhieu (xviii, 49; voyez le commen-
taire), c'est a una monlagne qu'esl faile i'in-
jonclion.
Quatrifeme avis, concemant Ihumilit^. ff. 7-10.
Celte pelile instruction, composee d'une
"sorle de parabole {tt. 7-9) el de son applica-
tion pratique {t. 10), est une parlicularite de
.notrn Evangile.
7 et 8. — Transition : Jesus vient d'affir-
mer solennellemenl aux Douzo qu'ils sont
capables d'accomplir les plus grandes mer-
weillesau moycn d'una foi viva. II veut main-
tenant les pr^munir contre les tentalions de
vaine gloire qui pourraienl prendre leur
source dans I'exercice d'une auiorile si ecla-
tanle : c'est pourquoi il les ramene a des
sentiments d'humilile en leur rappelant qu'ils
ne sont que neant devant Dieu. — Quis
autem vestrum... Le fait sur lequel Notre-Sei-
gneur appuie sa grave leQOQ est d'une expe-
rience quotidienne; il n'en a que plus d'inte-
ret,d'autanl plus que la description est toute
dramatique. — Servum, SoOXov (par opposi-
tion a [itoeiov), par consequent un serviteur
dans le sens strict, qui depend entieremenl
de son maitre, et qui ne s'est pas seulement
engage a rendre tel ou tel service parlicu-
lier. — Regresso de agro dicat illi. II y a re-
dondance du pronom. Cfr. Winer el Beelen. —
Para quod coenem. Dans le grec : ti Stm^-fitju,
Ti pour 6, Tt, comme en beaucoup d'autres
endroils des Evangilos. — Prwcinge te. Cfr.
xii, 35. Les Orientaux, quand ils travaillent,
retroussenl d'ordinaire leur ample veiement
de dessus, afin de rendre leurs mouvemenls
plus libres. — Donee manducem et bibam :
Sw;, aussi longtemps que. Le serviteur ne
devra songer k conlenter ses propres besoins
que lorsquG ceux de son maitre auront ele
bien satisfails (post hcec, et pas avanll Tu est
emplialique).
9. — Dernier trail, auquel Jdsus ratta-
cliora sa m.orale. Quand ce serviteur aura
(ideleinent execute les ordres qu'il avai'
reQus, lui saura-t-on gie de son zeie?Eu ge-
neral on n'y songera guere. II est paye pour
cela, comme Ton dit vulgairemenl, el sou-
vent il n'aura pas meme un simple merci en
sus de ses gages. Apres lout, il n'a fail que
son devoir.
40. — Sic et vos. .11 en est do m^me, conclut
S. BiBi.R. S. L[ic. — 20
S06
fiVANGILE SELON S. LUC
memes, quand vous aurez fait lout
ce qui vous a ete commande, dites :
Nous sommes des servileurs inuti-
les, nous avons fait ce que nous de-
vious faire.
11. Et il advint, pendant qu'il
allait a Jerusalem, qu'il passa au
milieu de la Samarie et de la Galilee.
12. Et comme il entrait dans un
village, au devant de lui vinrent
dix lepreux qui se tinrent loin,
13. Et eleverent la voix, disant :
ceritis omnia quae prsecepta sunt
vobis, diciteiServi inutiles sumus:
quod debuimus facere. fecimus.
11, Et factum est, dum iret in Je-
rusalem, trausibat per mediam Sa-
mariam, et Galilseam.
12. Et cum ingrederetur quoddam
castellum,occurrerunt eidecem viri
leprosi, qui steteruntalonge.
13. Et levaverunt vocem, dicent
ie Sauveur, de voire conduite relalivement k
Dieu. Fussiez-vous des servileurs irreprocha-
bles, eussiez-vous accompli parfailemenl,
sans en excepler un seul (remarquez I'emphase
de omnia), lous les ordres du souverain Sei-
gneur, rcconnaissez que vous n'avrz fait que
payer votre delle : Quod debuimus facere, fe-
cimus. En effet, o non esl beneQciura, sed
officium, facere quod debes », Seneque,
Controv. ii, 43. Si le divin Maitre promet
ailleurs aux servileurs fideles une recom-
pense grandiose (Gfr. xii, 37), c'est par pure
generosile, car, sans ses graces parliculieres,
y aurait-il des servileurs fideles? a Coro-
nando merita, coronas dona tua. » C'est par
cet admirable principe d'humilite que Jesus
termine la serie de discours commencee au
chap. XV. — Sur I'ancienne controverse sou-
levee par les premiers protestanls a propos de
ce lexte el de la prelendue inulilite des
bonaes CBuvres, voyez Maldonat, h. i. — Les
mots non puto sont aulhenliques, quoiqu'ils
manquent dans les manuscriis B, L, X,
Sinail.
20. Guerlson des diz Idprenz. xtii, 11-19.
41. — Le miracle esl inlroduit dans ce
versel par une nolice qui n'esl pas sans im-
portance au poinl de vue des voyages de
Notre-Seigneur. Les premiers mots, et fac-
tum est dum tret in Jerusalem, nous ramenent
a IX, 54, XIII, 22, el renouenl le fil inler-
rompu du recit. Les suivanls, transibat per
mediam Samariam et Galilwam, onl autrefois
occasionne des divergences parrai les com-
mentaieurs, qui les Iraduisaienl lanlol par :
11 traversait la Samarie el la Galilee, lanlol
par : II passait enire la Samarie et la Galilee.
La seconde inlerpretalion esl aujourd'hui
presque universellement adoptee, et k bon
droit d'apres la lopographie. En effet, puis-
que Jesus se rendait alors de Galilee a Jeru-
salem, et que la Samarie esl siluee juste entre
ces deux termes, si I'evangeliste eOt simple-
went voulu dire que Notre-Seigneur traversa
par le milieu le territoire Samaritain, it au-
rait dii, pour parlor exactemenl, ne men-
tionner la Samarie qu'en second lieu : « Ibat
per mediam Galilaeam et Samariam ». Voyez
R. Riess. Atlas historiq. el geogr, de la Bible;
pi. IV; V. Ancessi. Alias geogr., pi. XVL II
faul done donner a 6ia (ieoou la signification
Ires classique de « inler », ei alors lout s'ex-
plique aisemenl. Arrive sur les confins de la
Galilee el de la Samarie, Jesus, au lieu de
conlinuer sa marche vers le Sud de maniere a-
gagner Jerusalem par la voie direcle, lourna
subilement vers I'Est, du cole du Jourdain et
de la Peree, longeant selon loule vraisera-
blance I'ouadi de Bethsean ; de la sorte, il
voyageail precisemenl « entre » les deux
provinces, se lenc nl sur leur zone limitrophe,
« in conQnio », et ayani a sa droile la Sa-
marie, a sa gauche la Galilee. Son but elait
sans doute d'eviler le lerriloire inhospitalier
des Samaritains. Cfr. ix, 52 et ss.
\ 2. — Cum ingrederetur quoddam castellum.
Ce village, aupres duquel eul lieu la scene
qui va suivre, elail vraisemblablemenl sur la
rive cis-jordanienne. — Decern vii'i lepi'osi.
Separes du resle des hommes par leur hor-
rible infirmile, ils avaient trouve quelque
consolation a meltre en commun leurs souf-
frances el leurs modiques ressources. Voyei
IV Reg. VII, 3, un antique exemple d'une as-
sociation semblable. — Steterunt a longe. La
loi inlerdisail aux lepreux soil I'enlree des
lieux habiles, soil I'approche des personnes
saines, de crainte qu'ils ne coramuniquassent
leur mal. Cfr. Lev. xiii, 45 el s. Pour ce der-
nier point, lesreglements rabbiniques avaient
meme essaye de preciser la distance a la-
quelle devaieat se tenir les lepreux : mais ils
varienl de 4 a 400 coudees. Cfr. Lighlfool
Hor. h br., in Evang. h. I. Tout ce que tou-
chail un lepreux etail pollue.
4 3. — Levaverunt vocem. Trail pittores*
que. Reconnaissanl Jesus, et pleins de con-
fiance en sa bonte toule-puissante, ils pou3-
senl lous ensemble ce cri lamentable : Jesu
CHAPITRE XVIi
307
tes : Jesu prseceptor, miserere Jesus, maitre, aie pitie de nous,
nostri.
14. Quos ut vidit, dixit : Ite,
ostendite vos sacerdotibus. Et fac-
tum est, dum irent, mundati sunt.
15. Unus autem ex illis, ut vidit
quia mundatus est, regressus est,
cum magna voce magnificansDeum.
1 6. Et cecidit in faciem ante pedes
ejus, gratias agens ; et hie erat
Samaritanus.
17. Respondens autem Jesus,
dixit : Nonne decern mundati sunt?
et novem ubi sunt ?
17. Non est inventus qui rediret,
et daret gloriam Deo, nisi hie alie-
nigena.
14. Des qu'il les vit, il dit : Allez,
montrez-vous aux pr^tres; et ilar-
riva que pendant qu'ils allaient ils
furent purifies.
15. Or un d'entre eux, des qu'il
vitqu'il elait purifie, retourna glori-
fiant Dieu a haute voix.
16. EL il tomba la face contre terre
devant sespieds enrendant graces;
et il etait Samaritain.
17. Et Jesus prenant la parole dit :
Est-ce que dix n'ont pas ete puri-
fies ? Et les neuf ou sont-il ?
18. II ne s*en est point trouve qui
soit revenu et qui ait rendu gloire a
Dieu, sinon cet etranger.
prceceptor (dittotaTa au lieu de Rabbi, ou de
xupie, selon la couUime de S. Luc. Gfr. v, 5;
VIII, 24, 45 ; ix, 33, 49), miserere nostri.
14. — Quos ut vidit, dixit... Rien n'est plus
propre k exciler la pilie que la vue d'un le-
preux; aussi le coeur compalissanl da Sau-
veur accedail-il toujours immedialemeni aux
demandes de ce genre. Mais nous savons que
Jesus aimait d'ordinaire a exercer la foi des
suppliants, et c'est pour ce motif qu'il se
borne a repondre dans la circonstance pre-
senle : Ite, ostendite vos sacerdotibus. C'e-
lait du moins promeltre impliciteinenl une
prompte guerison, puisqu'il apparteiiait aux
prelres, d'apres les dispositions do la loi (Gfr.
Lev. xm, 2 ; xiv, 2 ; Matih. vii, 3 el lo cora-
•mentaire), de conslaler officiellement la dis-
parilion de la lepre. — Dum irent. Pleins de
foi, ils se mettent en chemin, el voici que
leurobeissance est lout a coup recornpensee :
mundati sunt I (Surcelle expression, qui elait
technique chez les Juifs pour designer la euro
de la lepre, voyez I'Evang. selon S. Malth.
p. 153).
15 el 16. — Unus autem ex illis. Jusqu'a-
lors la conduite des dix avail ete idenlique;
nous les irouvonsdesormaisdi vises, neuf d'un
cole, un seuleiiient de I'autre. Helas! ce der-
nier cole est celui di3 la reconnaissance. —
Regressus est. On voil par celte expression
que la guerison ne s'eiail pas accomplie en
la presence immediate de Jesus; peul-
6tre avail-elle ele operee assez loin de lui :
mais la distance ne ful pas un obstacle a
ia gratitude du lepreux samaritain. Com-
parez I'exemple de Naaman, qui vint aussi
rendre graces a Elis^e, apres avoir ete gueri
miiraculeusement dela lepre, IV Reg. v,15.—
Cum magna voce magnificans... 11 eleve la voix
pour remsrcier, comine precedemmenl pour
implorer, t. 13. — Cecidit... ante pedes ejus,
gratias agens. De Dieu, I'auleur de tout don
parfait, son action de graces se reporle sur
Jesus, son bienfaiteur immediat. Or, ajoule
S. Luc avec une intention qu'il est ais^ de
decouvrir : hie erat Samaritanus, c'est-a-
dire qu'il appartenail a une race abhorree des
Juifs, etrangere aux divines promesses, tandis
que h's neuTautres eiaienl de la nation choi-
sie. N'etait-ce pas afBrmer tacitement, selon
la teneur generale du troisieme Evangile
{voyez la Preface, § V), que les Israelites ne
seraient pas seuls a participer au salut mes-
sianique, mais que les porles du royaume des
cieux seraienl ^galement ouverles pour les
autres peuples, el que ces derniers pour-
raient meme ravir a Israel ses privileges,
s'ils se monlraienl plus parfaits que lui ? "Telle
est, au point de vue theologique, la significa-
tion des touchanls details de ce miracle.
Quant au fail mSme de la cohabitation d'un
Samaritain avec des Juifs en depil des haines
nationales (Gfr. Joan, x, 53 et le commen-
taire), il n'a rien d'extraordinaire dans le cas
present : le malheur avail renverse toutes les
barrieres. G'esl ainsi qu'a Jesuralera, dans le
Biut el Masakin (« residence des infortunes »)
ou quartier des lepreux, on voit des Maho-
metans et des Juifs habiler ensemble, tandis
qu'ils se detesient et se fuienl partout ail-
leurs. Du resle, le miracle avait eu lieu sur
les limites de la Samarie, ce qui rend une
telle confraternite plus explicable encore.
17 el 18. — Respondens Jesus. Quoique
habitue k I'ingratitude des hommes, Jesus
manifeste une sorte d'etonnemeot en voyanl
308
EVANGILE SELON S. LUG
19. Et il lui dit : Leve-toi, va, car
ta foi t'a sauve.
20. Interroge par les Pharisiens
quand doit venir le royaume de
Dieu, il leur repondit : Le royaume
de Dieu ne vient point en frappant
les regards.
21. On ne dira pas : II est ici, ou
il est la: car void que le royaume
de Dieu est au dedans de vous.
19. Et ait illi : Surge, vade ; quia
fides tna te salvum fecit.
20. Interrogatus autem a Phari-
sseis : Quando venit regnum Dei ?
respondens eis, dixit : Non venit
regnum Dei cum observatione ;
21.Neque dicent : Ecce hie, aut
ecce illic. Ecce enim regnum Dei in-
tra vos est.
qu'un seul des lepreux, un seul sur dix, se
monlrail reconnaissanl. — Novem ubi sunt?
(plus energiquement dans le grec, oi Se ewsa,
iroO; ) Lo biunfail qu'ils avaient regu etail a
peine infericiir a celui de la vie : coiniiieiil
n'avaienl-ils aucune gratitude a leinoigner!
Ainsi va le monde, s'ecrie S. Bernard : c lin-
porUini ut accipianl, inquieti donee accepe-
rinl, ubi acceperinl ingrali. » On dirail (|ue
les faveurs divines c( lonibenldans un ?e[)iilcre
profond el silencieux » (J. P. Lange). — C'esL
avec une vive Irislesse que le Sauveur diil
ajouler : Non est mvenius... ; du moins lui
elail-ildoux defaireressorlir la belle conduile
du lepreux elranger (alienigena; aXXoyevrn du
texle grec n'apparail qu'en eel endioil du
N. T. Voyez IV Reg. xvii, 24, la justification
deson emploi relalivement aux Saraarilains).
19. — Surge (le lepreux etait prosterne
aux pieds de Jesus, t. 16)... (ides tua... Par
cetle parole de bonle Jesus eonfirma sa grAce
anlerieure, joignant peut-eire en ce moment
la guerison de I'ame a celle du corps, comme
Tout pense quelques inlerpreles.
21. Li'av6nement du royaume de Dieu.
STii, 20-37.
C'est a bon droit que de Welle appelle ce
passage « une perle precieuse », car il con-
tienl pour lous les siecles des avei tissements
du plus giand prix. Le sujel Iraile par le di-
vin Mailre n'esl pas sans analogie avec celui
qui est developpe plus au long dans le Dis-
cours (sclialologique du mont des Oliviers
(Matih. XXIV, Mare, xiii, Gfr. Luc. xxi) ;
muis d est bion nalurel quo Jesus soil re-
venu plusieurs fois sur ces graves pensees.
Rien n'aulorise done les ralionalisles a pre-
tendre qu'ici encore S. Luc a bouleverse les
fails et les paroles, dedouble des ehoses qui
auraienl ete unies dans le principe. — Nous
distinguerons deux parlies : la reponso de
Notre-Seigneur a une question des Pliar isiens,
tt- 20 et 21, el le petit discours adresse
aux disciples, Ift. 22-37.
1" J^sus r^pond aux Pharisiens, ^f. 20 el 21.
SO et 2<. — Quando venit [Ipyjiai, le pre-
S( ni, parce qu'on atlendait d'heuro en heure
r,apparition du royaume)... L'expression re-
giium Dei represente, comme partoui ailUurs
dans TEvangiie (voyoz noire commenlaire
sur S. MaUh..p. 67 et p.), I'empire du Messie
annonce par les propheies. Toutefois nous
savons que les Pharisiens, et en general lous
les Juifs d'alors, rallacliaicnl a celte grande
ideo mille prejuges humains, esperanl que lo
Messie leur apportiM-ait gloire, puissance, ri-
eliesses, et loulo sorle d'avanlages lerreslres.
La (juestion, d'ailleiirs, n'etail ni sans malice
ni sans ironie. Ccux qui la posaient voulaienl
embarrasser liMir advcrsairo. Depuis plusieurs
annees il annongait la proximite du rovaume
de Dieu (Gfr. Maitli. iv, 17 et parall.), el
pourlaiil les cliosvs scmblaiont etre loujours
au meme point! N.; fournuail-ii pas quelquo
explication la-dessus? Gomparez Maldonai,
Gomm. in Luc. xvii.20. — liespondens dixit.
Jesus ne repond d'abord pas diieclemenl a
la demande iasidieuse des Pharisiens. Au lieu
de determiner I'epoque en qursiion. il in-
dique, d'une uianierc lies nolle, (pin!(|ue ne-
gative, la nature du « lovauine de Dieu. » —
Non venit... rum observatione ((/.sti Tzaoazripri-
oew:;, poui" aTtapaTrjpTQTw;. lIapaTr,p-/]oi(; designe
une observation Ires atlenti\e, telh; qu'est
cello d'un ennemi. Gfr. xiv, 1), c'est-a-dire
v( ita ut observari possit », par consequent
avec accompagnemenl de coups do iheaire,
de signes eclalanis et multiples qui (rappent
bientol 1( s regards les moins perspieaces,
comme serail rinstallation d'une nouvelle
dynaslie chez un peuple puissant. Voyez
D. Galmet, Gomm. Ii. I. N'etait-ce pas dire aux
Pharisiens qu'ils se plagaient a un faux point
de vue, quand ils chercliaicnt avec les yeux
du corps un regno loulspirituel? — Neque di-
rent (pour « non erit (|iiod dicatur ») : Ecce
hie, aut ecce (ce second iSou manque dans les
manuscrils Sinail., B, L) illic. G'est le deve-
loppement de la meme pensee. Le royaume
de Dieu est de telle nature, qu'on n'en sau-
railconstater la presence comme celle d'un fait
materiel. — Ecce enim. Au « voici » et au
« voila i des homines, Jesus oppose son
propre « ecce », par lequel il inlroduit la
CHAPITRE XVII
309
22. Et ait ad discipulos suos : Ve-
nient dies quando desideritis videre
umim diem Filiihominis, et non vi-
debitis.
23. Et dicent vobis : Ecce hie, et
ecce illic. Nolite ire, neqiie secte-
mini.
Maith. 24, 23; Marc. 13, 21.
22. Et il dit a ses disciples : Vien.'
dront des jours ou vous desirere2
voir un jour du Fils do I'homme et
vous ne le verrez pas.
23. Et on vous dira : Le voici el
le voila ; n'y allez pas et ne les su^'-
vez pas.
parlie principale de sa reponse aux Phari-
siens : Reguiun Dei intra vos est. Mais quel
est vraimenl le sens de celle profonde pa-
role? Nous en liouvons dans les conimenta-
teurs trois explications principales, qui va-
rieni d'apres la iradiiclion donnee a evto;
{([xujv. Ces rnols signifieraient, 1o suivant
Origene, S. Cyrille el Maldonal . « in poles-
tale vestra « ; mais rien ne juslifie leur in-
terpretation, qui affaibiit du resle la pensee
du Sauveur; 2° d'apres la piuparl des com-
ntientaleurs: « in medio veslrum, inler vos »,
parmi vous, a cole de vous; la phrase enliere
equivaiidrail alors a celie-ci (xin, 20) .
« Pervenit in vos regnum Dei. » Ei, en rea-
lile, I'ere du royaume des cieux n'avail-elle
pas deja commence? Le Messie, chef de ce
royaume, ne vivait-il point parmi les Phari-
siens? 3o D'apres d'aulres exegeles assez
nombreux (onLre aulres S.Jean Chrysoslome,
Theophylacle, Ei asme , Olshausen, Godet,
Keil) : « in animis veslris », dans vos coeurs,
en vous-memes ; el lelle nous parail elre I'ex*
plication la plus exacle, quoique la seconde
ne soil pas sans de grandes probabililes. Le
contexte nous esl favorable, puisque Jdsus a
dil plus haul que I'avenemenl du divin regne
ne tombe pas sous les sens, el qu'il si; pro-
pose precisemenl ici d'indiquer le molif de
cetle invisibilile (remarquez la parlicule
enim). Voire inquisition esl vaine, voulail-il
dire, allendu que retablissemenl du royaume
de Dieu esl un fait moral, interne. On peul
objecter, il esl vrai, la perveisite pliari-
salque : le royaume de Dieu otail-il done au
fond du coeur'deces hypocriles?Mais il n'csl
pas necessaire d'appliquer le pronom vos aux
Pharisiens d'une fagon exclusive. Quelques
auleurs (Farrar, elc.) reunissent les deux
dernieres interpretations. La philologie les
autorise I'une el I'aulre. En louie hypolhese
d'ailleurs, la parole do Jesus revienl a dire
qu'au lieu de s'inquieter curieusemenl de
I'epoque el des signes du royaume de Dieu,
il serait bien preferable de cliercher les
moyens do se I'approprier ; el e'et-t \k une
insUuction valable pour lous les temps.
2° Instruction poar les disciples, ff. 22-37.
22. — Et ait ad discipulos. Apres cetle
breve mais solide reponse, Jesus ne devait
plus rien a des ennemis insidieux. 11 leur
avail montre le veritable ideal de son
royaume; il avail essaye de tourner vers le
present leurs regards qu'ils dingcaient trop
du cole de I'avenir : cela sulTi-ail. A eux
mainlenanl de renlrer en eux-memes! C'esl
a ses disciples qu'il adresso la suile de son
discours. Deveiojipanl le memo sujel, mais
passant du premier avenemenl au second, de
la fondation du royaume messianique a sa
consommation, il in^iste sur les daiigirs qui
rem[)liront lere finale du monde afin de nous
les fane eviter. Ses enseignemenls se grou-
pent aulour de Irois pensees, qui correspon-
dent aux tir. 22-25, 26-30, 31-37. Premiere
pensee : Ce que sera la fin des temp^, el ce
que le Christ doit d'abord subir. — Veniunt
dies, jours de peines el de tribulations pour
les disciples de Jesus. Aussi, durant ces
heures lerribies, desireront-ils ardemment
voir unum diem Filii hominis, mais sans que
ce desir soil salisfail [non videbitis). Par ce
a jour du Fils de I'homme », auquel aspire-
ronl les fideles comme a .un doux rafraichis-
semenl au milieu de leurs souffrances, les
uns (Kuiiioel, Slier, Ewald, von Burger, elc.\
enlendent le passe, c'esl-a dire le temps oil
vivail Nolre-Seigneur, les heureux instants
durant iesquels les premiers disciples joui.s-
saienl de sa socieie visible; les aulres
(Olshausen, Bleek, Meyer, etc.) I'avenir, I'e-
poque de la divine Tiapouaia, du retour glo-
rieux de Jesus a la fin du monrie. L'emploi
de la meme locution dans ce second sens aux
tt. 24, 26 el 30 nous porte a lui accorder
nos preferences. Les epilres de S. Paul,
celks surloul qu'il ecrivil aux Thessaloni-
citns, allestent le vif desir qu'avaienl les
premiers Chretiens de voir arriver les der-
niers jours, pour jouir au plus lot du Christ.
23. — Lorsqu'on souffre, on doit se pre-
munir centre les fausses esperances, car Ton
y esl plus facilf'meni accessible. C'est pour
ce molif que Jesus met ses amis en garde
centre les pseudo-messies, qui ont deja fail
lani de dupes (voyez I'Evang. selon S. Mallb.
p. 457). — Dicent vobis : Erce... Cela ne con-
iredit pas le Ti^. 21, pui.-.qu'il s'agit d'un autre
avenemenl du royaume do Dieu : aulanl les
310
fiVANGILE SELON S. LUC
24. Gar comme un eclair brillant
sous le ciel, illumine tout ce qui est
sous le ciel, tel sera le Fils de
I'homme en son jour.
2o. Mais ilfaut d'abord qu'il souf-
fre beaucoup de choses et qu'il soit
rejete par cetle generation.
26. Et comme il en fut aux jours
de Noe, ainsi en sera-t-il aux jours
du Fils de I'homme.
27. lis mangeaient et ils buvaient,
ils epousaient des femmes et elles
celebraient des noces, jusqu'au jour
ouNoe entra dans I'arche. Etle de-
luge vint et les perdit tous.
28. Et pareillement comme il en
24. Nam sicut fulgur coruscans
de sub coelo, in ea quae sub coelo
sunt fulget : Ita erit Filiis hominis
in die sua.
23. Primum autem oportet ilium
multa pati, et reprobari a genera-
tione hac.
26. Et sicut factum est in diebus
Noe, ita erit et in diebus Filii ho-
minis.
Gen. 7, 7; Mailh. 24, 37.
27. Edebant et bibebant, uxores
ducebant et dabantur ad nuptias,
usque in diem qua intravit Noe in
arcara : et venit diluvium, et perdi-
dit omnes.
28. Similiter sicut factum est in
debuts furenl lent?, my?lerieux, insensibles,
auiant la fin doit etre iiianifesle el glorieuse.
— Nolite ire, neque sertemini. Repeiitioii de
I'ordre, pour le renforcer; le second verbe
(5iu^riTe) est du reste plus ej:pre<sif que le
premier.
24. — Nam, sicut fulgur... Preuve qu'il
sera bien inutile do courir apres les faux
Chrisls : I'apparition de Je-us pour le juge-
ment dernier ne sera pas locale, inais uni-
vers'^lle el simultanee. L'imnge de I'eclair
explique admirablemenl colte pensee. Pour
voir un eclair, va-l-on se metire rn tel ou
tel endioil ? Non, sa hieur resplondil a la fois
d'(in bouldr ihorizoii a i'aulre, il est visible
parloul en meme temps. De memo sera le
second avenement du Christ, de sorle qu'on
n'aura pas besoin d'etre averli de son appa-
rition. — La phrase barbare coruscavs de sub
ccelo in ea quce sub ccelo sunt fulget est un peu
mcins obsc ure dans le texle grec : aa-zpanxovija
Ix zf,i 'scil.X'^P*?) ^7^0 '^o'' oupavov el; ty;v fytopav)
ut:' oupavov Xaanei, litleral. « coruscans de ea
(pane quae est) sub coelo in earn ipai tern quaB
est) sub ccelo fulgei », c'esl-a-dire d'une
extremile du ciel a I'aulre exiremite. — Les
mots in die sua sonl authenliques. quoiqu'iU
manqiient dans les manusciils B, D.
25. — Piimum autem... Un jour d'humi-
iiations, de souiTrances, precedera pour Jesus
Jui-meme ce jour de gloire. — Oportet, SeT :
c'est une necessile d'apres le plan divin. El
ces souffrances {multa pali), ces humiliations
[reprobari; a7to5oy.tu.ac6rjvat, expression ener-
giquej, lui seroni infligees par la generation
conlemporaine [a generationc hac . Nouvelle
et claire annonce de la Passion ! Cfr. ix, 22.
26 et 27. — Seconde pensee, tt. 26-30 :
quand le Christ viendra fonder glorieusement
et definitivement son royaume, il trouvera le
monde insouciant, non prepare. Notre-Sei-
gneur, pour exposer ce fait douloureux, rap-
proche de la Gn des temps deux des plus
sombres epoques de I'histoire sainte, les
« jour de Noe », tt. 26 et 27, et les « jours
de Lot », tt. 28-29, montranl que d'une
part I'indifference des horames, de I'aulre le
caraclere epouvanlable des jugemenlsdivins,
seroni les memes a ces trois eres critiques,
t. 30. — In diebus Noe, c'est-ai'dire ppudanl
les cenl-vingl ans qu^ dura la construction
de I'arche. — Edebant, et bibebant... Dans les
meilleures editions du texle grec les quatre
V(>rbes se suivenl sans conjonction, ■^oOiov,
Imvoy, i'{6i\ii.om,i-<(a\i.'Xo\zo, ce q\u rend I'enu-
meralion plus rapiae. 'Eya|xouv est bien tra-
duil par uxores ducebant, car c'est rhomme
qui recherche en mariage; eyajAtJovTo (dafian-
tur ad nuptias) s'applique aux femmes, qui,
dans toutes les contrees bibliques, sont don-
nees en mariage par leurs parents et ne jouent
aucun role direct dans le choixde leurs maris.
Ces details i it oresques prouveni que I'huma-
nite d'alors, o^cupee seulement de ses interets
charnels, ne se laissa impressioner en rien
par les avertissements du ciel, et continua
jusqu'au bout [usque in diem qua intravit...)
sa vie voluplueuse. 11 fallut le deluge pour
y mellre un terme. Voyez dans S. Matlh.
XXIV, 37-39 (Cfr. le commentaire), un deve-
loppemenl tout a fait semblable. — Dduvium.
L'expression grecque correlative, v.a.tai%>..v<j^6t,
est, dans les LXX (Gen. vi,17;vii. 6 etss.;
IX, 11, 28) el dans le Nouveau Testament
(Matlh. XXIV, 1. c; II Pelr. ii, o) ie terme
technique pour designer le deluge.
28 el 29. — Similiter, sicut factum est... La
phrase est inachevee; il faut suppleer aprea
CHAPITRE XVII
341
diebus Loth : edebaut et bibebant :
emebant et vendebant : plantabant
et sedificabant :
Gen. 19, 25.
29. Qua die autem exiit Loth a
Sodomis, pluit ignein et sulphur
de cceIo, et omnes perdidit :
30. Secundum hsec erit qua die
Filius hominis revelabitur.
31. In ilia hora, qui fuerit in
tecto, et vasa ejus in domo, ne des-
cendat tollere ilia; et qui in agro,
similiter non redeat retro.
fut aux jours de Loth : lis man-
geaient et buvaient, ils achetaient
et vendaient, ils plantaientet batis-
saient.
29. Mais le jour ou Loth sortit de
Sodome, une pluiedefeu et de sou-
fre tomba du ciel et les perdit tous.
30. Ainsi en sera-t-il le jour oii le
Fils de rhomme sera revele.
31. }']n cette heure-la, que celui
qui sera sur les toits et dont les
hardes seront dans la maison ne
descende pas pour les prendre; etpa-
reillement que celui qui sera dans
les champs ne retourne pas en
arriere.
in diebus Loth : « ita eril el in diebus filii ho-
minis », conformemeni au f. 26. On poiirrait
aussi, mais moins bien, croyons-nous, ouvrir
une parenlhese enlre « edebanl » et « perdi-
dit », el regarder le f. 30 comme la suite de
la proposition « Similiter sicut... » Les jours
deLolh sonldonc unnouvpau type {special au
troisieme Evangile) de I'insouciance avec la-
quelle les hommes de la fin des lemps se pre-
pareront au jugement de Dieu. — Edebant...
La nomenclature commence de la meme ma-
niere, mais elle est ensuite iin peu modiflee :
les idees de trafic, de plantation, de cons-
truction {emebant, vendebant, plantabaiit, cedi-
ficabant: la conjonclion est encore omisedans
le grec) remplacenl celle de mariage ; mais
le I'ond n'a pas change : toujours c'est le souci
du bien-elre materiel qui prime tout le reste,
car helas! sous ce rapport le genre huraain
S3 resserable conslamment k lui-meme. Qui
CGnnait une phase d(3 son histoire connait
toutes les autres, et particulieremenl les plus
mauvaises, celles qui preparent les chali-
ments. — Qua die... pluit (scil. Deus) ignem..
Voyez les details dans la Genese, xix, 23-28.
C'est le jugement par le feu, de meme que
le deluge avail ete le jugement par I'eau. —
Sulphur : en grec, Oetov, mol qui designe pro-
prement la foudre, « ignem quasi divinum »
(Kuincfil), puis par extension le soufre. « quo-
niam fulmen odorem acvim quasi sulphuream
habet. » Cfr. Apoc. xiv, 10; xix, 20; Brct-
schneider, Lex. man. s. v.
30. — Secundum hcec. Pius probablement,
« haec » retombe sur les epoques reunies de
Loth et de Noe ; c'est done une recapitulation
que nous lisons dans ce verset. — Qua die
Filius hominis revelabitur. Dans le grec, ctua-
jtaXiinTexat au present, ce qui exprime mieux
la certitude du fait. Le verbe a.no-/.al\mzeit
convient d'ailleurs fort bien pour designer la
manifestation glorieuse de Nolre-Seigneur J^
sus-Chrisl a la fin du monde. Cfr. I Cor. i, 7;
II Thess. I, 7 ; Col. m, 3 el s.; I Petr. iv, 13.
Le voile qui recouvre ses splendeurs sera tir6
alors a tout jamais.
31 , — Ici commence la troisieme pensee,
ft. 31-37 : Disposition d'ame qui pourra seule
alors procurer lesalut. De nouveau nous trou-
vons dans ce passage, quoique avec des va«
riantes de fond ou de forme qui atlestent Tori-
ginalilede S. Luc, plusieurs des paroles fon-
daraentales du discours eschatologique. Cfr.
Matth. xxiv,17, 18, 28. C'estainsi que le troi-
sieme Evangile applique aux derni'rs jours du
monde ce qui, d'apres lo premier, convient
seulemont a la mine de Jerusalem. — In ilia
hora (« die » dans le texte grec), c'est-a-dire
lorsque le Christ fera son second avenement.
A cette heure solennelle, quiconque voudra
hii demeurer eternellement uni devra tout
laisser pour voler sans retard a sa suite,
comme I'expriment deux details concrets au
t. 31, un exemple terrible au f. 32, un
grand princip!;- au t. 33. Voyez, pour Texpli-
cation du t. 31. risvang. seloti S. Matth.
p. 462. — Vasa ((xxsyri) correspond a I'liebreu
iSs (Cfr. Gesenius, Thesaurus, s. v.) et re-
presente en general toute sorte d'objets, ici
les ustensiles les plus precioux du menage.
— Non redeat retro; d'apres le grec (ek Ti
iuiaoi), « ad ea (quae) retro » (scil. fuerunt
relicia). Jesus recoinmandeainsi le plus parfait
degagement descho-;i's liumainesen vuedesa
supreme apparition. Combien, a I'heure d'une
inondation, d'un incendle, perissont cnsevelis
sous les mines de leur maison, parce qu'ils
onl voulu y enlrer poursauvcr quelquo objet J
3<2
fiVANGlLE SELON S. LUC
32. Soiivenez-vous de la femme
(ie Loth.
33. Qiiiconque cherchera a sau-
ver sa vie la perdra, et qiiiconque la
perdralasauvera.
34. Je vous le dis : En cette nuit
deux seront dans le meme lit; I'un
sera pris et I'autre sera laisse.
35. Deux femmes moudront en-
semble; Tune sera prise, Tautre
laissee. Deux seront dansun champ;
Tun sera pris et Tautre sera laisse.
32. Memores estote uxoris Loth-
33. Qnicumque quaesierit animam.
suam salvam facere, perdet illam :
et quicumque perdiderit illam, vivi-
ficabit earn.
Supra. 9,24; Joan, 12, 25.
34. Dico Yobis : In ilia node erunt
duo in lecto uno ; unus assumetur^
et alter relinquelur :
Matth. 2i, 40.
35. Duae erunt molentes in unum;.
una assumetur, et altera relinque-
tur : duo in agro; unus assumetur,.
et alter relinquelur.
32. — Memores estote uxoris Loth. Allusion
toule naturelle, puisque Jesus venail de rap-
peler a ses audileiirs la ruine de la Penla-
pole. « Respiciens uxor ejus post se, ( st-il
dil de la femme de Lotli dans la Genese,
XIX., 16: versa est in slatuam salis. » Cfr.
Sap. X, 6-9. Fatal regard, qui prouve que
cette malheureuse avail laisse son coeur a So-
dome, et qui a fait d'elle un lypr; de I'atta-
che desordonnee auxbiensde ce monde! Crux
qui, aux derniers jours, imiteront sa con-
duite, risqueront fori de perdre le saliil eter-
ncl. « Couime la femme de Loth, ecrit Ic juif
Philon (cite par Maclellan. h. I.j, quiconque,
meprisanl les ordies (de Dieu), se lelourne
vers les choses laissees en arriere el oublie
celles qui sont en avant, devient seinblable a
une pierre. »
33. — Quicumque qucesierit Grave
maxime, que Jesus repeta en plusieurs cir-
constances pour mieux I'inculquer a ses dis-
ciples. Cfr. Matth. x, 39 ; xvi, 25, et le com-
mentaire. EUe est synonyme de notre expres-
sion familiere : Qui perd gagne! On perd
quelquefois la vie eternelle en voulant sauver
(saloam facere; en grec itepiuotriO-affOai, acque-
rir. se procurer) sa vie tcmporelle fmaisil est
au contraire d'heureux cas oil Ton gagne I'e-
lernile en sacrifiantjgenereu^ement le peu de
jours qu'on pourrait encore passer sur la
terre. Telle e.-t la pensee du Sauveur, avec
im jeu de mots tout oriental sur « anima »
lame el vie). L'oxpression grecque traduite
par I'lvi^caiif signifie litleralem nt « vivi-
pariet » (^woyovViffet ) ; on ne la rencontre
qu'ici et au livre des Acles, vii. '19. Les LXX
iemploient pour rendre le pihel et I'hiphil
de ri»n. Elle est Ires energique. Perdre la vie
naturelle dans les circonstances dont parle
Notre Seigneur, c'esl en quelque sorte, dil
un auieiir moderne, « la reenfanler pour la
reproduu-e sous la forme de la vie spirituelle,
glorifies, eternelle. »
34 et 35. — Dico vobis : transition solen-
nelle, par laquelle Jesus inlroduil divers-
exemples destines a raontrer comment, dans
la catastrophe finale, le salut on la ruine al-
teindronl les hommes selon leur diversile-
morale, quelque identiques que soienl leurs
conditions exterieures. — Premier exemple .'•
Duo in leclo uno. K).ivr, du texte grec peul de-
signer aussi bien le « lectus triclinaris w que-
le « leclus cubicularis » ; il est neanmoins
plus probable qu'il s"agit du second. — Unus
assumetur et alter relinquetur. Cette phrase,
qui retentit a Irois reprises comine un grave
refrain, decrit les destineesdiverses reservees-
aux hommes a I'heure du jugement general.
« Assumetur » (irapa).r)[i3p6riff£Ta() est pris en
bonne part : il sera regu dans le royaiirae de&
cieux; « relinquelur » ;d?£6r|(TeTai) en mau-
vaise part : il sera mis de cote, c'est-a-dire-
exclu. Voyez3Ialth. xxiv, 40, 41 et le com-
mentaire. — In ilia nocte equivaul a « in die,
qua die, in ilia hora » des veisels 24, 30 et 31 .
11 est fait mention de la nuit au figure, parce
qu'elle est souvenl regardee comme I'enj-
bieme du malheur. et que les derniers jours
du mondo seront une ere calamileuse. Ou
bien, selon d'autres, elle est nommee d'une
maniere specials en eel endroit a cause de
I'idee qui suit : « erunt in lecto ». En lout
ca* il n'est pas necessaire de prendre ce[|(>
locution a la lettre, comme si la Qn du monde
devait avoir lieu pendant la nuit. — Deuxieme
exemple : Duw molentes in unum. Sur la ma-
niere dont cette operation est faile en Orient,
voyez I'Evangile selon S. Tiatthieu, p. 471. —
Troisiemc exemple : Duo in agro... II est pro-
bable pourtant que c'est la une glose em-
prunlee a S. Malthieu, car ces deux ligncs
mancjuent dans la plupart et les meilleur*
des raanuscrits erecs (A, B, E, G, H, K, L,,
M, Q. R, S, V, X, r, A, A, etc.). Ain^i done,
les personnes les plus intimemenl liees ici-
bas pourroni elrc separees tout a coup par
CHAPITRE XVIII
313
36. lis lui'dirent : Oti, Seigneur?
37. II leur dit : Partout ou sera le
corps, la aussi les aigles s'assem-
bleront.
36. Respondentes dicunt illi : Ubi
Domine ?
37. Qui dixit illis : Ubicumque
fuerit corpus, illuc congregaburilur
et aquilse.
CIIAPITRE XVIII
Parabole de la veuve et du jnge inique {Ht. 1-8). — Paiabole dti Phari^ien et du publicain
[tt. 9-14). — Jesiis el les petiLs enfarils (Tt. 15-17). — Episode du jeune homme riclie
{tt. 18-30), — Jesus predit encore sa Passion (lit. 31-34). — L'aveuele de Jericho
in. 35-43).
1 . Dicebat autem et parabolam ad
illos. quoniam oportet semper orare,
et non deficere.
1. Et il leur disait aussi en para-
bole qu'il faut prier et ne jamais se
lasser.
Eccli. 18 22; / Tlies. 5, 17.
uii abime elernel au si>cond aveneiuonL du
Ctirist, suivanl I'elal respeclif di' leurs cons-
ciences. Ges (lescriplions, dramatiques dans
leur simpiicile, monlrenl que le deinier jour
s'ouvrira a la fagon des aulres, el Irouvera
les hommes vaquani a leurs occupations ordi-
naires ; mais il ne Gnira point conime les
aulres !
36 et 37. — Respondentes (soil, discipuli,
t. 22) dicunt... Les disciples, aiixquels Jesus
racontail ces scenes mysterieuses et leiribies,
lui demandenl lout alarmes : Ubi Domine"^
c'est-a-dire, quel sera le theatre de tels eve-
nemcnts? Obscur a dessein dans sa reponse,
il se borne h leur dire qu'il n'y a pas plus a
s'inquieler de la lopographie quede la chro-
nologie (Cfr. ft. 20 el 21) de son royaucne.
En effel, le proverbe ubicumque fuerit cor-
jms... signifie dans sa generalite qu'en quel-
que endroil que se trouvenl les mechants
(figures par « corpus », synonyme de « ca-
daver », d'ou la varianle itxwtxa au lieu de
oai|ia dans plusieurs manuscrits), ils seront
infailliblement alleinls par les vengeances
celestes, qui prendront vers eux leur vol
comme font les oiseaux de proie vers les ca-
davres abandon nes. Voycz du resle dans
S. Matlhieu, xxiv, 28, une reproduction de
celte phrase proverbiale, mais avec un sens
un pen modifie. — Les aigles no vivanl
point par troupes {illic conxjrecjabunlur) et ne
mangeanl pas la chair morle, aquilw designe
ici les vaulours qui abondi-nt en Palestine.
Cfr. K. Furrer, die Bedeulung dcr bibl Geo-
graphic fUr die bibl. Exegese, Zuiich, 1880,
p. 12 el 13 ; Tristram, The natural History of
the Bible, p. 170 el s.
22. Parabole de la veuve et du juge inique.
xvui, 1-8.
1. — Dicebat aulem el parabolam ad
illos (scil. discipiilos. Clr. xvii, 1, 22, 37).
Rosenmiiller ecril jusLement a propos de la
conjonclicn « et » (qui manque, il est vrai,
dans les manuscrils Smait,, B, L, M, mais
donl I'auihenticite est suffisamment garantie
par ailleurs) : « Particula xal non obscure
mdical sequenlem parabolam prioribus ser-
moiiibus Chrisli arclissime conjunclam eo-
deinque tempore pronunliatara fuisse. »
Scholia, h. 1. L'unile generale du sujel iraile
corrobore celte opinion. En effet Jesus lui-
meme, en achevanl sa parabole, f. 8, pren-
dra soin de la ratlacher aux graves ensei-
gnements qui precedenl (xvii, 22-37), c'est-
a-dire, a I'avenenienl supremo du Flls de
I'homme. La liaison logique sera done celle-
ci : Priez sans cesse en allendaul ma'venue;
par la seuli'menl vous echapperez aux graves
dangers qui menacenl voire salut. 11 n'cst
done pas necossaire d'admellre avec Schleier-
macher, Olsliausen, etc., que plusieurs inci-
dents intei mediaires onl ete omis par I'evan-
geliste. — Quoniam uportcl (i:p6; to Setv, ayant
p lur fin de monirer qu'il faut) semper orare
(quelques manuscriis ajoulent : auToui;;. C'est
assez raremenl que le but des paraboles
evangeliques est ain-i indique d'avance par
le? ecrivains sacres : nous trouverons encore
plu? bas, t. 9, une preface du meme genre.
La parabole du juge inique est done deslinee
a demonlrer, par un argument « a dissiuiili »,
comme s'exprime S. Augustin (De Verbis
Dom., Serm. xxx\j), la necessite oil nous
31i
EVANGILE SELON S. LUC
2. II disait : II y avait dans une
ville un juge qui ne craignait pas
Dieu et ne se souciait pas des
hommes.
3. Or il J avait dans cette ville
une veuve, et elle vint a lui, disant :
Pais-moi justice de mon adversaire.
2. Dicens : Judex quidem erat in
quadam civitate, qui Deum non
timebat, et hominem non revere-
batur.
3. Vidua autem qusedam erat in
civitate ilia, et veniebat ad eum,
dicens : Vindica me de adversario
meo.
sommes de perseverer constamment dans la
prieie. Deja il a ete dit (voytz xi, 5 et le
commpntaire) qu'elie n'esl pa's sans analogie
<ivec la parabole de I'ami imporUm. Seule-
menl elle a un caraclere plu5 general, a
cause de la maniere dont elle est mise en
rapport avec la fin des tomps. II va de soi
qu'on nedoit pas trop presser la signification
fie I'adverbe « semper » (TcavtoTe). G'esl une
hyperbole populaire, qui s'applique moins a
I'acte exterieur (paroles prononcees, mains
jointes ou lendues, genoux a lerrc) qu"a celle
disposition interieure en verlu de laquelle
un vrai disciple de Jesus vit toujours en esprit
d'oraison, en communion ititime avec son
Dieu. Nous avons, en tant qu'hommes, des
devoirs et des soucismultipl<>s, qui absorbent
une partie de nos journees ; nonobslant cela,
il ne lient qa'a nous de faire de notre exis-
tence une « grande et unique et conlinuelle
priere » (|j.ta [leYdXri (ruv£3(0[X£vr) npoczxiyri, Ori-
gene). En effet, « ipsum desiderium tuum
oratio tua esu et si continuum desiderium,
continua oratio... Frigus caritatis, silentium
cordis est. flagrantia caritalis, clamor cordis
est... Lingua tua ad horam laudat. vita tua
semper laudet, » S. Augustin, Enarr. in
Ps. XXXVII, iO ; Epist. cxxx, 8. La priere est
la respiration de I'homme moral : i! faut done
prier toujours, de meme que I'on respire sans
cesse. — Et nunquam deficeref ne ja;nais
nous decourager, malgre les divines lenieurs
k exaucer noire demande, et en vue des dan-
gers perpetuels que nous courons. L'Eglise
railitante doit etre une Eglise supplianie :
ses prieres sont les armes dont elle a b'soin
pour lutter viclorieusement. L'equivalent
grec de « deficere », exxaxeiv (leQon probable;
divers raanuscrils portent eyxay-erv, ou lvxay.£iv)
est un mot expressif, aime de S. Paul. Cfr.
11 Cor. IV, i , 1 6 ; Gal. vi, 9 ; Eph. iii, \ 3 ;
II Thess. in, 13.11 signiSeproprement « etre
Ijiche » et se dit souvent des soldats qui
abandonnent leur poste; au moral il peut se
traduire par « animura despondere », defaillir.
Voyez Bretschneider, Lex. man. s. v. Com-
bien de tristes defaillances sous le rapport de
la priere, malgre les frequentes exhonations
paralleles k celle-ci qu'on rencontre dans
46$ Merits apostoliques (Rom. i, 1 0 ; Col. iv, 1 2 ;
I Thess. V, 17; II Thess. i, 11. Cfr. Eccli.
xvjii, 12). « Miilti languescunt in oralione, et
in tiovitale suae conversionis ferventer orant,
postea languide, postea frigide, poslea negli-
genter : quasi securi Gunt. Yigilat hostis;
dormis tu... Ergo non deficiamus in ora-
tione; ille (Deus) quod concessurus est, etsi
differt, non auferl. » S. Aug. Enarr. in
Ps. LXV, 20.
2. — Dicens (« dicebat... dicens » : he-
braisiiie]. Apres cette pelile introduction, la
scene s'ouvre, et nous voyons paraitre
(tt- 2 et 3) les deux principaux acteurs :
un troisieme personnage, le persecateur de
la veuve, demcure a I'arriere-plan. — Judex
quidam... in quadam civitate. D'apres la le-
gislation mosaiijiie. Dent, xvi, 18, cha-
cune des villes de la Palestine devait avoir
ses juges et son tribunal local. Divers
passages des Evangiles (Cfr. Matth. v, 21 et s.)
proiivent que cetle prescription etait encore
en vigueur a I'epoque de Jesu>. — Qui Deum
noil timebaf... Deux traits seulement pour
caracteriser ce juge : mais comme la pein-
ture est achevec! La conscience est morte en
lui, puisqu'il ne craint pas Dieu ; mais peut-
elre redoutera-t-il au moins I'opinion pu-
blique. ct sera-t-ii contraint de respecter le
droit sous I'influi^nce desjugemenls humains?
Pas davantage : hominem (le singulier pour
le pliiriel, « enallage numeri ») non revereba-
tur (£VTp£7:£ff6ai du grec est un mot rare dans
le N. T./. Les deux tables de la Loi n'exisient
point pour lui. Quels arrets arbitraires,
iniques, infames, seront rendus par un tel
juge! Ce cas n'csl pas rare en Orient, oil bon
nombre de « cadis « tout-puissants, irrespon-
sables, rendent la justice selon leur bon plai-
sir et portent des sentences sans appel.
D'ailleurs les classiques emploient parfois
ces deux memes expressions pour critiquer
les juges de la Grece et de Rome. Cfr. Hero-
dote, II, 133, Tite-Live, in, 5 (voyez Wets-
tein, h. I.).
3. — Vidua aulemqucedam. ..L'aul\ihese ne
pouvait pas elre plus frappante. En face de
ce despote impie et sans pudeur, la parabole
place une femme, bien plus, une veuve, c'est-
a-dire, dans toutes les litieratureS; le type
universellement admis de ce qu'il y a de plus
CIIAPITRE XVIII
315
4. Et nolebat per miiltum tem-
pus. Post hsecautem dixit intra se :
etsi De'im non tiraeo, nee hominem
revereop;
5. Tamen quia molesta est mihi
hsec vidua, vindicabo illam ne in
novissimo veniens suggillet me.
6. Ait autem Dominus : Audita
quid judex iniquitatis dicit :
7. Deum autem non faciet vindic-
4. Et pendant longtemps il ne le
voulut pas, raais ensuite il dit en
soi-meme : quoique je ne craigne
pas Dieu et ne me soucie pas des
Iiommes,
5. Gependant comme cette veuve
m'importune, je lui ferai justice, de
peur qu'a la fin elle n'en vienne
jusqu'a me frapper.
6. Etle seigneur ajouta: Entendez
ce que dit ce juge d'iniquite.
7. Et Dieu ne fera pas justice a
faibIe,f]o moinsa redoiiter.el en meme temps
de ce qu'il y a de plus digne de piiie (Com-
parez le mot de Terence : « Non, ita me dii
amenl, auderet, facere lisec viduae miilieri
Quae in me fecit », et Ward, II lustrations of
Scripture from the manners and customs
of the Hindoos). Aussi le Legislateur et les
Prophetes juifs signalent-ils roppression des
veuves commo une des formes les plus
odieuses de la tyrannie. Cfr. Ex. xxu, 22;
Deut. X, 18; xxvii, 19; Is. i, 17, 23; Ez.
XXII, 7; Mai. yi, 5; etc. — Et veniebal ad
eum. L'imparfait est a noter, car il indique
un fait souvent reitere : c ventitabat » (Gro-
tius). Voyez dans Burder, Oriental Illustra-
tions, t. II, p. 382, divers exemples qui font
ressoriir I'habileie avec laqueile les Orien-
taux savent parfois obtenir justice de leurs
nombreux petits lyrans, a force d'importu-
nites. — Vindica me de adversaria ineo. La
phrase du grec, ey-Sty.yjtJov [is aTc6 toO avxiSixou
ixou, est toute juridique. 'ExSixiiv signifie
plulot « rcndre justice » que « venger », el
dvTi8txoi; ne de.-igne pas un ennemi quel-
conque, mais la partie adverse dans une affaire
litigieuse. Ici, i'adversaire est su[)pose in-
juste, influent, decide a fouler aux pieds le
droit de la veuve, si rien ne Ten empeche.
« Ipsa vidua, dit fort bien S. Augustin,
Quaest. Evang. ii, q. 45, potest habere simi-
litudinem Ecclesiae , quae desolata videtur
donee veniat Dominus, qui tamen in secreto
etiam nunc curam ejus gerit. » Elle a pour
adversaires le moiide et le demon.
4 et 5. — Et nolebat. Nouvel imparfait qui
correspond a « veniebat » du verset prece-
dent (faoristi'viQeXriCTEvde la Recepta est moins
garanti que ii9£).ev). Chacun des deux acteurs
demeura ainsi dans son rolepermultum tempus,
on siinplemont, d'apres le groc, ^< pendant un
certain temps » {i-Kiy^povoy, « per tempus »
oil « in aliquot temporis », disent les mss.
latins a el d). Le juge donl on a trace plus
haul le portrait s'inquielait bien des plaintes
et des larmes d'une veuve sans credit! Son
delai a rendre justice figure les retards que
Dieu met parfois a exaucer nos requetes,
quoique, « si non exauaimur ad voluiitatem
(c'est-a-dire confoiraeinei)t a nos desirs),
exaudimurad salulem. » S.Aug. Episl. cxxx.
II sera pourtant vaincu dans cette lulte qui
parait inegalc. — Post licer. dixit intra se,
Voici que tout a coup Ic juge tient conseil
avec lui-meme. Rien de plus dramatique que
son monologue, page bien triste, mais trop
reelle, de riustoire du coeur humain. II com-
mence par une horrible profession de foi,
echo vivant de la description anticipee de
Jesus {t. 2) -.Etsi Deum no?i<meo... G'est avec
la memo arrogance sacrdege que parlent les
Cyclopes dans Homere, Odyss. ix, 275-278.
— La particule tamen (6ia ye) va donner au
discours une direction qu'onn'oserait altendre
apres un tel exorde. Elle introduit le motif
par lequel le juge inique s'excuse en queique
sorte de manquer de conslance. Motif tres
noble assurementi Quia mild molesta est
(5ia t6 itapE'xeiv {jiot xouov)... vindicabo illam
(ixSixeiv comme ci-dessus). Elle I'ennuie dans
le present, etelle (\n\r a [in yiovissimo scil. tem-
pore ; eU teXo? pput^neanmoins signifier aussi
« in aelernum », n^S^l dit la vei-sionsyrienne)
par lui « casser la tete » : au figure, bien enlen-
du car sugillare (pour « subcillare », de « sub,
cilium»),demerae que uiruTcta^civ (^de 0^6, wt}<),
designaitprimitivem ■nl,enslylede pugilat,un
coup de poingou de ceste applique avec vi-
guf^ur au-dessous de I'oeil de maniere a laisser
des traces livides. Comparoz le.s ex|3ressions
analogues « assommer, to plague, as.-as>inare,
blaeuen, ahorcar >), etc., qui, dans nos langues
modernes, s'emploiont indifferemment dans
le sens propre on metaphorique. Tnwma^etv,
comme IxxaxeTv [f. 1), fait partie du vocabu-
laire commun a S. Paul et a S. Luc. Cfr,
I Cor. IX, 27.
6 et 7. — Ait autem Dominus (le Seigneur
Jesus. Cfr. vii, 13, etc.) S. Luc interrompt
momentanement par cette formule le recit
du Sauveur, pour mieux meltre en relief I'an-
tithese qui va suivre, Ht- 6 et 7, et qui con-
lient I'application de la parabole. — Audite
316
fiVANGILE SELON S. LUC
ses elus qui orient vers lui jour et
ruiit, et il aura patience pour eux?
8. Jc vous dit qu'il leur fera jus-
tice bienlol. Mais pensez-vous que
ie Fils de riiomme venant trouve
de la foi snr la terre?
tarn electorum suorum clamantium
ad se die, ac node, el patienliam
liabebil in illis?
8. Dico vobis, quia cito faciet
vindiclam illorum. Verumlamen Fi-
lius hominis veniens, putas inve-
niet fidera in terra?
(dans Ie groc: a.Y.oi(ja.re) quid judex iniqiiitatis
(pour « judex iniquus »; comp. xvi, 8 ct Ie
cummeniaire)... Scion la ju^lL' observation de
Stier. a premieri? vue il senible qu'il cut ele
plus nalur I de dire : Voyez ce qu'a fait celle
veuve, el iiuilez-la. Mais il y a precisemenl
dans ce loui- rapide,inaltendu, quelque ctiose
qui frajip' I'allenlion, el qui loiiitie beau-
coup la ptn-ee. — Deus antem... Quelle jux-
taposition hardie! DieuJa souveraine justice
(« omnis justiliae dux », Tlieopliylacle), el la
souveraine bonle (« nemo tam pater ») ainsi
compare a un monslre d'iniquite! Toulefois,
rarguuioniaiion de Jesus n'en sera que plus
irresistible. « Si ergo exaudivil qui oderal
quod rogabatur, quomodo exaudil qui ul
rogemus tiorlatur? » S.August., Serm. cxv, \ .
£l puis, ceux que Dieu exauce de la sorle
sont ses elus (Ie mot elecli apparail ici pour
la premiere fois dans S. Luci, c'est-a-dire
ses enfanis de choix, qu'il aime de toute
eternite d'un amour infini; enfin, comme la
veuve de la parabole, ils implorent constam-
inenl (die ac node) son secours centre leurs
ennemis : ils font done a son coeur une sainle
violence. Remaiquez I'energie du verbe da-
mare; mais poav du grec (« mugire <>. traduit
Terlullien) a une force plus grande encore.
— Les derniers mots, et paiientiam habebit
in illis (mieux « circa eos »), ont souleve
dassez vifs debals parmi les commenlateurs,
qui different d'opinion soit sur la forme pri-
mitive du text", soil sur i'idee merae qu'il
oxpiiuie. B''aucoup adoptenl la It-gon des
manuscrilsE, G,H, K,iM,S, U, V, r,A, A, de
la Rocepta et de la Pescliilo syr., -/.at (laxpo-
6u(iwv l7t' auToI:; les autres lisenl. d'apres
une seconde calegoiie d'anciens temoms
(A, B, D.L. 0, X, il, Si nail , etc.): xal (laxpo-
tijjiei £7t' aijToT;, ce qui revient presque a la
Vulgate (Ie present an lieu du futur). Ceux-la,
donnant a xai la signification de ■/a£';T£p, tra-
duis nt : « Licet palienliam habeat circa
illos », ou, plus clairemenl et plus elegam-
menl : « Quamvis lente ad vindicandum ipsos
procedat » Suicer). Ceux-ci prennenl xaC
dans racceplion de « sed « : Dieu ne vengo-
rait passes elus..., mais il tarderail a leur
rendre justice! De part etd'autre on oblienl
un sens Ires logique et, en oulre, assez bien
adapte au conlexle. Car, si la premiere opi-
nion parait preferable d'apres I'er.semble de
la parabole, qui suppose que, suivant Ie pro-
verbe, « liabcl Deus suas horas el moras »,
meme quand il est queslion de venger ses
ami- opprimes, la seconde est favoiisee par
la reflexion juivante de Jesus : « Dico vobis
quia ciTO faciet vindictam illorum » (comp
Eccli. XXXV, 2t et ss.). C'est a celle derniere
que nou- nous rangeons, a cause de I'aulo-
rite superieure des maoiiscrits et versions
sur lesquels elle s'appuie. Le sentiment d'a-
pres lequel « illis » s'appliquerail non aux
elus de Dieu, mais a leurs oppresseurs, me-
rile a peine d'etre menlionne.
8. — Dico vobis : asserti^^n pleinj de so-
lennile, comme de coulume. Jesus, repon-
(lant a sa propre queslion [t. 7), atlirmo que
Dieu ne manquera pas de faire justice a ses
amis. CUo {h -rdxei) ne signifie pourlant pas
qu'ils seront cxauces des leur premiere de-
mande, ce qui serait contraire au but de la
parabole, mais que la grace leur arrivera
aussiiolque le moment en sera marque dans
le plan providenliel. Cotte h'ure venue, il
n'y aura pas un instant de retard. Gfr.
II Petr. Ill, 8 ; S. Aug. Enarr. in Ps. xci, 6.
— Verumlamen (itXi^v) serl de tran-ition a la
pensee finale, cri douloureux qui s'echappe
du coeur de Jesus. — Filius hominis veniens.
Mieux, « quum venerit » (r/.Owv) ; quand if
aura fait son apparition glorieuse a la Qn
des temps. Cl'r. xvii, 24-37. — Putas : Ie
grec a s^mplement apa. « Hac inlorrogationis
ligura raros dicit lerrae inveniendos fideles, »
Theophylacte. — Inveniel fidem in terra. « Sur
la lerre », par opposition au ciel d'oii it
viendra. « La foi », c'est-a-dire cette con-
fiance speciale dont il a parie dans la para-
bole, et sans laquelle i! n"y a pas de priere
perseverante. C'est habiluellement au manque
de foi qu'il faut attribuer la defaillance dans
la priere. « Si deficit fides, oralio peril; quis
enim oral qui non credit? » S. August, de
Verb. Dom. Serm. xxxvi. Sur la defection
d'un grand nombre de croyants aux derniers
jOurs, voyez iMallh. xxiv, 12, 24; II Thess.
II, 3; I Petr. m, 3, 4.
23. Parabole du Pharisien et du pnbllcaln.
xviii, 9-14.
Nouveau tableau bien admirable el propro
k S. Luc, comme le precedent. On ne sauiail
dire si cette parabole exquise ful proposee
CHAPITRE XVIII
317
9. Dixit aiitern et ad quosdara,
qui ill se confidebant tanquam jusli,
et aspernabantur caeteros, parabo-
1am islam :
10. Duo homines ascenderunt in
templum uL orarent : unus phari-
sseus, et alter publicanus.
11. Pharisseus slans. hsec apud
se orobat : Deus, gralias ago libi,
quia non sura sicut ceteri hominum :
raptores, injusti, aduileri : velut
eliam hie publicanus.
9. Et il dit aussi cette parabola
pour quelques-uns qui avaient con-
fiance en eux-memes comrae etant
justes et meprisaient les autres.
10. Deux hommes monterent au
temple pour prier : un pharisien et
un publicain.
11. Le pharisien debout priait
ainsi en Ini-meme : Mon Dieu je te
rends graces de ce que je ne suis
pas comme les autres hommes, vo-
leurs, injustes, adiilteres, ni m^me
comme ce publicain.
imiiiL'iluUemciU apres celle clu juge iiiique :
il |jul s'ecouler quelque inlervalle enlio les
deux.
9. — Dixit niilem et ad qnosdam (bonno
trafluclion de TipoqTiva;, nun jjus « de (|uibus-
dam », commo on Iraduil pai fob). Ici encore
(Cfr. t. 1,, le bul de I'lnstruclioii est neLto-
nienl indiqiie d'avance. Les auditeurs que
Jesus avail specialement en vue, Pharisiens
scion les nns, plus probablemenl, selon Ips
autres, disciples irabus de Tesprit phari-
saique, manifeslaienl les deux grands symp-
lomes ri'unede- plus graves maladies morales,
I'orgucil, el Jesus desirail les guerir. — In se
(£?' lauToi;, de se) confidebant tanquam jiisti
(oTt eioiv 5ixatoi, litler. « quod sunt jusli ») :
a leiirs propres yeux ils etaient des D'pli*,
des D'"lU7i. litres pour ain?i dire tethni ques
par lesquels on desigiiail chez les Juifs la
sainlele parfaite. — Aspernabantur ccetcros.
Le verbe grec £$ou9evto, que S. Luc csl seul
a employer parmi les evangelistes (Cfr.
xxiii, <1), signifie propremenl « aneanlir,
trailer de neanl. » L'idee de sa propre excel-
lence et le mepris des autres vont ensemble,
aussi bien que riiumilite el ia cliarile. A ces
superbes, Jesus va monlrer de la maniere la
plus dramalique I'horrcur qu'ils inspirent a
Dieu. — Ce n'est qu'en un sens toul a fail
secoiidaire qu'on peul voir, dans le Phari-
sien el dans le publicain de nofre parabole, la
figure des Juifs reprouves de Dieu el des
Genlils rcQus en grace, selon celte reflexion
de S. Auguslin : « Hoc latius accipienles,
inleiiigainus duos populos; J;ida3:)rum et
Gentium. Judaeomm populus Ptiansaeus ille,
Gentium populus Publicanus ille. Judaeorum
populus jaciabat sua meriia, Gentium con-
Gtebalurpeccalasua, w Enarr. in Ps.lxxiv, 8.
Cfr. Hug. de S.Victor, Annot. in Luc. h. 1.
'10. — Duo homines.. Cos deux person-
nages sont des types bien connus, choisis
auK antipodes de la sociele juive conlempo-
raine do Notrc-Seigneur. Le premier, Phari-
sctus, represenle la perfection des moeurs,
I'orlhodoxie complete de la foi : I'autre, pu-
blicanus, ia demoralisation et rinditference
religieuse. Autanl celui-la etait eslime, ve-
nere, aulant celui-ci etail souverainemenl
meprise. — Ascenderunt in templum ut ora-
rent. Le temple elail en effel, comme nos
eglises, « une maison de prieres », xix, 46,
et les pieux [sraelites aimaienl a s'y rendre
pour iiivoquer Jeliova, specialement a cer-
laines heures consacrees, telles qu'etaienl
celles de I'encensement, du sacrifice quoti-
dien. Voyez Jahn, Arch. § 396. Le verbe
ivsg-ziaav est d'une parfaile exactitude topo-
graphique, car le temple etail bdti sur le
raont Moria.
ii. — Deux portraits d'un fini sans pareil
vont mettre sous nos yeux le Pharisien et le
publicain en prieres. Les touches sont peu
nombreuses, raais avec quelle finesse psycho-
logique elles ont eie choisies! — Pharisceus
slans. Les deux « oranLes » sont deboul (Cfr.
t. 13) conformemenl a I'usage qui prevalail
Chez les Juifs (Cfr. Ill Reg. viii, 22 ; 11 Par.
VI, 12; iMarc. xi, 25, etc.); mais il est ditficilo
de ne pas voir une inlention parliculiere dans
les expressions differenl\s qu'i mploie le divin
narraleur, d'apres le lexle grec, pour decriie
cette altitude (ici aTaOstc, plus bas Icttw?).
STaOei; est plein d'emijhase, el semble indi-
quer une postuie hardie, affeclee. Cfr. Matth.
VI, 5. Divers (>xegetrs rallachent a ce verbe
les mots tpo; lauTov [apud se], et nous miin-
Irent le Pharisien superbe s'isolant a dessein
de la foule des supplianis pour eviter leur
contact qui pouvail le souiller (« slabat
seorsim ») ; loutefois la combinaison adopiee
par la Vulgate est plus nalurelle. ITpo? lauxov
retombe done sur npoaviuxeTO, et denote une
priere mental?. — Deus, gralias tibi aijo. Ce
debut est irreprochable, car I'aclion do
graces est une partie essenliello de la priere;
malheureusement , sous prelexte d'exprimer
k Dieu sa reconnaissance, c'est son ^loge per^
318
fiVANGILK SELON S. LUC
12. Je jeune deux fois la semaine;
je paie la dime de tout ce que je
possede.
13. Et le publicain, se tenant
loin, ne voulait pas meme lever les
yeux au ciel, mais il frappait sa poi-
trine, disant : Mon Dieu, aie pitie
de moi pecheur.
12. Jejuno bis in sabbato : deci-
mas do omnium, quse possideo.
13. Et publicanus a longe stans^
nolebat nee oculos ad coelum levare :
sed percutiebat pectus suum, di-
cens : Deus, propitius esto mihi
peccatori.
sonnel que fail ensuite le Pharisien dans les
termes les plus audacieux. « Quid rogaverit
Deum, quaere in verbis ejus, nihil invenies;
noluil orare, sed se laudare, » S. Aug.
Serm. cxv. — Quia non sum sicut cmteri
homines. II divise I'humanite entiere en deux
calegories, de maniere a former a lui seul la
premiere, qui est evidemment loule parfaite,
tandis qu'il jeUe avec dedain « le reste des
homraes b dans la seconde. Et que sonl, pour
lui, les autres hommes?Il les caraclerise a
I'aide de Irois epilheles qui designent trois
des vices les plus honleux : raplores, injusti,
aduUeri. Puis, ses regards s'elanl alors arre-
tes sur rhumble publicain qui priaii a dis-
tance, il le mele a sa prelendue priere, se
servant de lui « comme d'un fond obscur sur
lequel les brillanles coukurs de ses propres
vertus ne devaient que plus splendidement
ressortir » (Trench) : velut eliam hie publica-
nus. « Hoc jam non est exultare, s'ecrie
S. Auguslin, sed insultare »,Enarr. i in
Ps. LXX, 2.
12. — Le Pharisien passe maintenant de
I'eloge de sa personnea celui de ses oeuvres ;
c'est le cote posiiif de sa sainiele apres le
cole negaiif. II mentionne avec complaisance
deux oeuvres de surerogalion qu'il accom-
plit. 1° Jejuno bis in sabbato (« sabbatum »
dans le sens de semaine , comme Marc.
XVI, 9). La loi n'avait inslitue qu'un jeune
annuel (Lev. xxvi 29-31 ; Num. xxix, 7. Cfr.
Buxtorf, Synag. jud. cap. xiv); mais c'elait
assez I'usage pour quiconque faisail profes-
sion de piete en Israel, comme aussi pour
quiconque voulait se donner des airs de
piele, de jeuner deux fois par semaine. Cfr.
Taanilh. f. 64, 3. Ailleurs deja, Malth.
VI, 16, Jesus a depeint I'affectation avec la-
quelle les Pharisiens pratiquaient le jeune.
Au reste, disaienl-ils, « le jeune I'emporlesur
I'aumone, car I'aumone n'alteint que noire
bourse, tandis que le jeune retombe sur
notre corps. » R. Eliezer, Berach. f. 32. 2. —
2° Decimas do... C'elait la dime universelle,
au lieu de la dime restreinle ordonnee par le
L^islateur, laquelle ne concernait que les
Kroduits des champs el du betail (voyez
lallh. xxiii, 23 et le commentaire; Keil.
bibl. Archaeol. § 71). Possideo traduit inexac-
jement le grec xTu|iai, qui ne ddsigne pas
au-dela des revenus annuels : seul le parfaifc
xExtriiJiai represenle I'idee de possession. —
Encore une fois, quelle priere I Ne dirait-oi»
pas un creancier qui rappello ses droits a son
debileur? Mais de lelles dispositions n'e-
taient pas rares dans le monde pharisalque;
lemoin celle autre priere que Rabbi Nechu-
nia ben Hakana avail coulume de laire au
sortir de son cours : « Je vous remercie. Sei-
gneur mon Dieu, de ce que ma pari m'a eie
assignee parmi ceux qui visilenl la maison de
la science, et non parmi ceux qui iravaillent
au coin des rues; car je me leve de bonne
heure et ils se leveni de bonne heure : des
I'aurore je m'applique aux paroles de la loi,
mais eux a des choses vaines; je travaiile et
ils Iravaillenl : je iravaille et je regois une
recompense, ils iravaillenl el ils n'en regoi-
vent aucune; je cours et ils courent : je cours-
k la vie eternelle, tandis qu'ils courent vers
I'abime. » Berach'jth, f. 28, 2 (voyez la Re-
vue des Sciences ecclesiasl., 2e serie, t. X^
p. 247). Que ne meitaienl-ils en pratique celte
belle recommandalion des Puke Aboth, 2, 13 :
« Quando oras , noli in precibus bona lua
enumerare, sed lac preces misericordiarum
et pro gratia impelranda coram Deo. »
13. — El publicanus... Admirable con-
trasle 1 C'est, de loules manieres, le tableau
d'une parfaile humilite. 1o Dans le choix da
lieu : a longe slans, II s'esl place loin du
sancluaire, pres ducjuel au conlraire se lienl
le Pharisien superbe. 2° Dans I'altiludo :
nolebat nee oculos ad coelum levare. II n'osail
pas meme, tant eiait vif le sentiment de sa
misere, se permeltre ce geste si naturel aux
suppliants (Cfr. Ps. cxxiii, 12). Comparez ce
passage de Tacile, Hist, iv, 72 : « Slabant
conscientia flagitii moestae, fixis in terram
oculis. » a Nee oculos », a plus forte raison
les mains, selon la coutume generale de ces
temps, I Tim. ii, 8. De plus, percutiebat pec-
tus suum, a la fagon des vrais penitents de
tous lesdges(Cfr. viii, 52; Nah. ii, 7 ; Wets-
tein, h. 1.). o Dbi dolor, ibi manus. » 3o Daps
sa priere meme, si ditferente de celle du Pha-
risien, profond soupir qui part d'un coeur
contril et humilie : propitius esto mihi pec-
catori (ixoi Tw a\iap-zu>\u> : moi, le pecheur par
excellence). G'etait beaucoup dire en peu de
mots: en effet, « satis apud Deum loquelur
CHAPITRE XVIII
34 »
14. Dico vobis, descendit hie jus-
tificatus in domum suam ab illo :
quia omnis qui se exaltat, humilia-
bitur: et qui ?e humiliat, exalta-
bitur
iMa«/!. 23, 12; Supr. 14.11.
lb Afferebant autem ad ilium et
infantes, ut eos tangeret. Quod cum
viderent discipuli, increpabant illos.
Macih. 19, 13; M^rc. 10, 13.
16 Jesus autem convocans illos,
dixit : Sinite pueros venire ad me,
et nolite vetare eos. Talium est enim
reguum Dei.
17. Amen dico vobis : Quicumque
14. Je vous ledis : celui ci redes-
cendit justifie dans sa maison, et
Tautre non ; car quicouque s'exalte
sera humilie et quiconque s'humilie
sera exalte.
15. Or on lui portait aussi des en-
fants pour qu'il les touchdt; les
disciples en voyant cela les repous-
saient.
16. Mais Jesus les appelant, dit :
Laissez les enfants venir a moi et ne
les empechez pas, car le royaume de
Dieu est a ceuxqui sont tels qu'eux.
17. En vcrite je vous le dis :
salisque apud enmdisertecausam suam agit,
qui se humilem peccatorem agnoscit {Mal-
donal). »
M. — Dico vobis. Cfr. f. 8. Conclusion
pleine de majesie sur les levres du Fils de
rhomme : Je vous I'afBrme, car je le sais. —
Descendit (par opposilion a « ascenderunt »
du 1r. iO) hie juslt^caius (8£8txaiw[xevo;, ayant
ete jusliQe, c'est-a-dire completemenl justi-
fie)... Le publicain renlra done chez lui {in
domum suam, trait pillore.-que) pur de tout
peche ; son humble pnere avail perce les
nues, sa contrition avail ele un sacrifice pro-
pitiatoire d'agreable odeur. Le Pharisien aussi
quilte le temple, sans doule avec la cons-
cience d'avoir grandement honore Dieu et
accru la somme de ses merites. Mais quel
arret terrible est porte conlre lui dans I'eu-
phemisme ab illo {^ iiap' e^eTvov, comparalif a
iafaQon hebraique, i;aa;« magisquaui ille, »
dit S. Cyprien ; Tertull. : « jusliiicalior illo «) !
Gar cela revient evidemmenla dire« alterum
reprobatum, allerum justiiicatum desceii-
disse, » Tertullien, adv. Mare. iv,36; ou avec
S. Auguslin:« Superbia inPliarisaeode lemplo
damnala descendit, el humililas in publicano
ante Dei oculos approbaia ascendit. » Cfr.
Euihyraius, h. 1. — La legon ^ Tcap' exetvov,
que nous avons adoptee, ne repose que sur
I'aulorile des manuscrits Sinail., B, L, et de
la Vulgate ; mais ces garanlies suffisent, car
la variante ^ yoLo exelvos, qu'on lit dans la
pluparl des lemoins, est assez obscure et s'ex-
plique par une erreurde copislc (HAP change
en TAP et, consequeraraent, exEtvov devenant
IxeTvo;). Pour lui trouver un sens acceptable,
on est oblige de donner a la phrase un lour
interrogalif qui est pen nalurol : « Ou bien
done celui-la? » Quanta la leQon du Tixt. Re-
cept., n Jitetvo;, elle n'ar.ucuu appui serieux.
— Quia ojnnis qui se exallat... Jesus aim;3 k
clore ses paraboJespar quelque grand axiome
moral, qui raltache une instruction particu-
liere au vaste ensemble de la philosophie
chretienne. Celui qu'il cite actuellemenlnous
estdeja connu (Cfr.xiv, 11 ; Malth. xxin, 12),
mais il n'elait pas possible de le repeier plus
a propos.
S4. J6sas et les petits enfants. xvm, 15-17.
Parall. Matlh. six, 13-15; Marc, x, 13-16.
Nous relrouvons les Irois synopliques a
I'occasion de ce trait delicat, profondemeni
inslructif, « qui a charme I'imaginaiion des
poetes et des peinlres de tous les temps »
(Farrar). S. Luc quille ici les sources parti-
culieres qui Tavaient guide depuis ix, 54,
et revient aux matoriaux communs. II omet
tontefois les graves instructions sur I'indisso-
lubilile du maiiage el sur I'excellence de la
vir^^initequi, dan>S. Matlhieu etdansS. Marc,
precedent la benediciion des petits enfants.
13. — Afferebanl ad ilium et [v.al avec em-
pha-e : « elia u ») infantes. Dans le grec, xi
Ppsspri, les nouriissons (Cfr. ii, 16), expression
propro a S. Luc, el moins generale que natSta.
des deux aulres evangelistcs. C'elaienl done
de lout pelils enfants que de pieuses meres
avaienit apportes a Jesus pour qu'il les benit.
— Discipuli incre'pabant . illos (aOxoO;, scil.
afferenies;. L"S disci[)les ne voyaienl en cela
qu'une demarche impurUme, do:it ils voulu-
renldelivrerleurMaitre.L'imparfait eirsiifAwv,.
que nous lisons avec la Vulg. el les manus-
crits B, D, G, L (A, E, F, H, 1, K, M, P, S, U,
V, X, etc., onl I'aoriste eTistiaviaav), denole la
continuile de I'acle. Aux efforts repeles des
meres pour s'approch m- du Sauveur on oppo-
sail des menaces repelees.
16 et 17. — Jesus autem convocans illos.
Dans le grec, aOta au neutre, c'esl-a-dire.
Ta ^pi<fr\, et 7rpoCTxd).£ffa!JLSvo;, « quum convo-
cassel » (scil. « comi voce et nutu », Bengel).
Go beau trait est propre a S. Luc. — A I'actiOE
SiO
EVANGILE SELON S. LUG
Qniconque ne recevra point le
royaume de Dieu comme un enfant
ii'y entrera point.
18. Et un des principaux I'inter-
rogea, disant: Bon maitre, quedois-
je faire pour posseder la vie eter-
iielle?
19. Mais Jesus lui dit : Pourquoi
ra'appelles-tu bon? personne n'est
bon si ce n'est Dieu seul.
20. Tu connais les commande-
ments : Tu ne tueras point, tu ne
commettras point d'adullere, tu ne
feras point de vol, tu ne diras point
de faux temoignage ; honore ton
perc et ta mere.
21. II dit : J'ai garde tons ces
commandements depuis raa jeu-
nesse.
non acceperit regnum Dei sicul
puer, non intrabit in illud.
18. Et interrogavit eum quidam
princeps, dicens : Magister bone,
quid faciens vitam SBternam possi-
debo.
Matth. 19, 16.
19. Dixit autem ei Jesus : Quid
me dicis bonum? nemo bonus nisi
solus Deus.
20. Maudata nosti : Non occides :
Non moechaberis; Non furtum fa-
des: Non falsum testimonium dices :
Honora palrem tuum et matrem.
Exod. 20, 13.
21. Qui ait : Hsec omnia custodivi
a juventute mea.
\e fjivin ami des pelils enfanls joint la parole :
Sinite pueios (cette fois to. uctiZia] venire ad
me... II indiqiie ensiiite [talium est enim...)
pourquoi il lui est si agreable de se voir en-
toure de cette troupe innocente. Puis, profi-
lant de cette occasion pour donner un E;rave
nnseignempnl aux disciples, il prend a le-
inoin la divine verite (amen dico vobis) que
non-seulement le royaume des cieux appar-
lient aux enfants, mais qu'il n'appartieni qu'a
eux seiils et a leurs sombiabies. Sur ces pa-
roles, pour lesquelies il y a coincidence ver-
bale eiitre S. Luc et S. Marc, voycz notre
ixplication du second Evangile, p. i48. —
S. Luc n'acheve pas la scene : « El com-
plexans eos, et imponens manus super illos,
benedicebat eos, » Marc, xiii, 16.
25. L'6pisode du jeune homme riche. xvui,
18-30. — Parall. MaiLh. xix, 16-30; Marc, x, 17-31.
Voyez dans S. Matthieu et dans S. Marc
des details plus complets, plus precis, plus
dramaliques. S. Luc abrege et condense les
Il 3 faits : comme ci-dessus, il se rapproche
davantage du second synnplique en cilant
les paroles de Jesus. Pour le fond de Pexpli-
cation, nous renvoyons le leclour a nos com-
meniaires des deux premiers Evangiles.
<8. — La designation quidam princeps
(ti« apxwv) est une particularite de noire
evgngeiisle (Matih. et Marc, ont simplement :
^i?>« unus, quidam »); mais on a de la peine
.a en bien determiner le sens. D'apres quel-
j_jue.-;-uns, elle equivaudrait a « membre du
:Sanliedrin »; on la regarde plus commune-
jBent el avec pigs de vraisemblance comme un
synonyme de ipxi<yuvaY«oYo;. Lui laissani sa
generalite, nousconclueronssimplementd'elle
que le heros de cette hisloire jouissait d'une
haute position (« procer ») en m6me temps
que d'une grande fortune \tt. 23). — Quid
faciens (tc Ttoirjaa?, « quid quum fecero »)...
Ce jeune homme desiraitardemment lesalut,
mais il senlail que, pour I'obtenir, le tr^sor
de ses bonnes oeuv.-es etait encore insufiB-
sant : il etaitdonc a la recherche de queiquo
action genereuse capable de lui assurer ce
celeste heritage (xXripovotividto), et il avail
pense que Jesus pourrait la lui indiquer.
19. — Quid me rficis ftoiuu/j? Notre-Sei-
gneur, au debut de sa reponse, semble trailer
d'une raaniere bien severe un homme qui
I'interrogeail avec candeur et humiliie. Mais
il voulail eviter tout malendendu, et montrer
a son interlocuteur qu'il n'acceptait pas le
tilre de Bon Maitre dans un sens vulgaire,
comnie s'il eilt ete un simple Docteur juif. —
Nemo bonus nisi solus Deus. Assertion claire
comme le jour, si I on envisage, et c'esl le
ras, touie I'e'tendue de la bonle. Comparez
I- mot de Platen, Phaed. 27 : « Etre un
homme bon est impossible; Dieu seul peut
avoir cet honneur. » Cfr. I Joan, iii, 5.
20. — Mandata nosti. Le decalogue, lei
est le chemin qui le conduira droit au ciel. —
Non occides... Dana le texte grec, le septieme
commandement (non moechaberis) est place
avant le sixieme. La meme interversion
exisie dans le passage parallele de S. Marc,
et Rom. XIII, 9.
21 . — HcEC omnia custodivi... Cette repoh*e
denote la surprise. Quoil me suffirait-il de
CHAPITRE XVIII
331
22. Quo audito, Jesus ait ei :
Adliuc unum libi deest : omnia
qiisecumque habes veiide, et da
paiiperibus, et habebis thesaurum
in coelo : et veni, sequere me.
23 His ille auditis, contristatus
est : quia dives erat valde.
24. Videns aulem Jesus ilium
tristem factum, dixit : Quam diffi-
cile, qui pecunias habent, in regnum
Dei inlrabunt !
2b. Facilius est enim camelum
per foramen acus transire, quam
divilem inlrare in regnum Dei.
26. Et dixerunt qui audiebant: Et
quis potest salvus Heri ?
27. Ait illis : Quae impossibilia
sunt apud homines, possibilia sunt
apud Deum.
28. Ait autem Petrus : Ecce nos
dimisimus omnia, etsecutisumuste.
29. Qui dixit eis : Amen dico vo-
22. En entendant cela Jesus lui
dit : Une cliose te manque encore;
vends tout ce que tu as et donne-le
aux pauvres et tu auras un tresor
dans le ciel , ensuite viens suis-
moi.
23. Lui, entendant cela, fut at-
triste, car il elait tres riche.
24. Or Jesus le vovant devenu
triste dit : Que difficilement ceux
qui ont des richesses enlreront dans
le royaume de Dieu !
2b. Gar il est plus facile a un cha-
meau de passer par le chas d'une
aiguille, qu'aun riche d'entrer dans
le royaume de Dieu.
26. Et ceux qui Tentendaient di-
rent : Qui done pent etre sauve?
27. II leur dit : Ge qui est impossi-
ble aux hommes est possible a Dieu.
28. Et Pierre dit : Voila que nous
avons tout quitte etque nous I'avons
suivi.
29. II leur dit : En verite je vous
n'eire ni aduliere, ni homicide, ni vokur?
Mais c'est la une perfection banale, que j'ai
pratiquee loute ma vie !
22. — Adhuc unum libi deest (Xeinei,
S. Marc a CtoTepeT). II demande un acle lie-
roique, Jesus le lai indiquera. Qu'il renonce
a toul pour suivre le « bon Maitre »! Par ce
geniirt'ux saciiiice il rendra son saint mo-
ralernent certain. — Da pauperibus. Les
meiileurs manuscriis grecs lisenl StdSo;, « dis-
Iribue », au lieu de S6«.
23. — His lUe auditis,.. C'elait Irop pour
s;i vertu : il voulait les choses du ciel, mais
^ condilion de ne pas abanaonner celles de la
terre. — Contnstatas est : uepiXuTtos marque
un sentiment de iris^tesse poignanle.
24 et 25. — Videns autem Jesus... Jesus
aussi ful aliriste, car il avait conQu, comme
le raconte S. Marc, x, 21, une vive affliction
pour ce jeune homrae. — Les mots tristem
factum sont omis dans les manuscriis B, L,
Siiiaiu, olsupprimds du text" par divers cri-
tiques. — Dixit : Quam difficile.,. Nolre-
Seigneur na iil celle reQexion qu'apres le
depart du « princeps». Lespalens eux-memt'S
admeltaient qu" « ceux qui sont tres riches
ne sont pas boiis. » Stobee, xciii, 27. —
Voyez dans I'Evang. selon S. Mallh., p. 381,
IVxpiralion du celebre proverbs facilius est
eamelum..., qui nous represenle une veritable
S. Bible.
impossibilile humaine. « Le Seigneur eiit-il
nomine une mouche au loin d'un chameau,
que la chose serait encore impossible, » dit
S. Anguslin. D'apres I'Evaiigile apocryphe
« secundum Hebreeos », Jesus se serait alors
adrpsse d'une maniere plus speciale a
S. Pierre. — Per foramen acus transire. La
\cQon primitive du texte sernble avoir ete
Sia Tf^lJ-axo? PiXovri? (Sinait., B, D, L) SieXeetv
(A, D. M, P), el non Sia Tpu[Aa)>ia; pa9i8o;
eloeXOetv.
26 el 27. — Dixerunt qui audiebant ; c'est-
ci dire les disciples, d'apres le contexte
[t. 28). Gfr. Mallh. el Marc. Jesus les rassura
en dirigeant leurs pensei s vers la loule-puis-
sance de Dieu, si frequemmcnl celebree dans
les Saiiiles Ecritures; Jer. xxxii, 17; Zach
VIII, 6; Job. xLi, 2, etc.
28. — Ait aulem Petrus. L'ardent et gd-
nereux S. Pierre prend alors la parole au
noin des Douze (Gfr. Mallh. xix, 28), pour
rappeler a Jesus dans un elan d'amour (nulle-
ment par vaine complaisance, comme le di-
senl qunlques prolestants)avec quelle joie ils
onl lout quitte pour s'allacher a hii. — Di-
misimus omnia. La moillcure logon parailelre:
a^EvTt; xd loia, d'apres B, D, L, Siuait., etc.
29 et 30. — Amen dico vobis... Queiles
splendides esperancesl La nature de racto
meiiloire est d'abord indique : qui reliquit
S. Loc. — 21
322
EVANGILE SELON S. LUC
le dis, il n'y a personne qui ait
quilte sa maison, ou ses parents, ou
ses freres, ou sa femme, ou ses en-
fanls pour le royaume de Dieu,
30. Qui ne recoive beaucoup plus
dans le temps present et la vie eter-
nelle dans le siecle futur.
31. Mais Jesus prit a part les
douze et leur dit : Voila que nous
montons a Jerusalem, et que s'ac-
complira tout ce qui a ete ecrit par
les prophetes touchant le Fils de
rhomme.
32. Car il sera livre aux Gentils
et moque et flagelle et conspue.
33. Et apres qu'ils I'auront flagelle
lis le tueront, et le troisieme jour il
ressuscitera.
34. Et eux ne comprirent rien a
bis, nemo est, qui reliquit domum,
aut parentes, aut fratres, aut uxo-
rem, aut filios, propter regnum Dei,
30. Et non recipiat multo plurain
hoc tempore^, et in sseculo venturo
vitam aeternam.
31. Assumpsit autem Jesus duo-
decim. et ait illis : Ecce ascendimus
Jerosolymam, et consummabunlur
omnia quse scripta sunt per prophe-
tas de Filio hominis.
32. Tradetur enim gentibus, et
illudetur, et flagellabitur, et cons-
puetur :
33. Et postquam flagellaverint,
Occident eum, et tertia die resurget.
34. Et ipsi nihil horum intellexe-
domum, aut parentes, aut fratres id' apves, les
aulres synopliques, Jesus mentionne separe-
menl les freres et les scEurs, el, a leur suite,
le pere et la mere ; il clot la nomenclature
par les champs)... Nous apprenons ensuile le
motif qui doit inspirer c renoncement uni-
versal : propter regnum Dei; il doit etre pur
et surnalurei. Entin la recompense est de-
crile en peu de mots : ei non recipiat [aTroHoig,
le veibe compo-e, plus expressif que le
■^Siple ).a6TQ, Irt'^ifzcui, de S. Marc et de
S. Matlh.)... Ell,' est promise soit pour le
temps present (multo plura in hoc tempore :
eviiJemment, « non pas en meme espece,
mais t n merite et en valeur » D. Calmet ;
7io).),a7t).affiova du grec est un mot rare), soit
pour la vie future [et in sceculo venturo...).
26. Jesus pr6dit encore sa Passion, xvin,
31-34, — Parall. .Matlh. xx, 17-19 ; .Maic. x, 32-34.
31. — Assumpsit Jesus duodecim. Notre-
Seigneur prend a part les Douze, pour leur
reilerer la triste nouvelle qu'il leur avail
annoncee deja plusieurs fois (Cfr. ix, 22, 44;
xvii, 2o). Elle allait bienlot s'accomplir, et il
voulait preparer encore les siens au grand
scandals de la crois. — Consummabuntur
(Te),sff6r,a£Tai, « perficienlur, effectu coinple-
bunlur ») o?H?ita... Getie idee generate, qui
inlroduit solennellement les details de la
Passion (tt' 32 el 33|, est propre au troisieme
Evangile. Jesus embrassait alors d'un seul
regard toules les propheties de I'Ancien
Testament relal'ives au « Christus patiens »,
enlre autres les suivanles : Ps, xvi, 40;
XXI, 7, 8, 16, 18; XLix, 15; Is. liii; Dan.
IX, 26 ; Zach. xi, 12 et ss. ; xii, -lO; xiii, 7.
— De Filio hominis. Dans le grec, twuIwtou
4v9pw7roy, au « dativus incommodi».
32 et 33. — Voyez ['explication detaillee
dans nos commcntaires sur S. Matthieu et sur
S. Marc. II nVsl pas sans interet denoler que
S. Luc, I'evangelist'^ des genlils, ne fait ici au-
cune mention du rolejouepar les Sanhedrins
dans la Passion de Notre-Seigneur, et passe
immedialoraent a celui dos pai'ens : tradetur
enim gentibus (c'csl-a-dire aux Romains). —
Pof-tqunm flagellaverint. Trait special. Plus
haul. fl'ig?U<ibiture&l une traduction inexacte
de <iSpiabrifjf!on, qui signifie « contumeliis
afficielur ». — Occident eum. S. Mallhieu est
seul a nomm?r explicitemenl le genre de
morl, cTsupoiffai. — Et tertia die... La dou-
loureuse enumeration ( remarquez les xol
accu mules qui en inlroduisent cbaque membre)
se lermine d'une maniere inallendue par une
perspective de bonheur et de gloire.
34. — Et jp5i?ii/iii iiifeW(?JceruHt(<rvv73xav)...
Cette fine observation psychologique est en-
core une particularile de S. Luc. Mais nous I'a-
vons deja rencontree plus haul (ix. 45 : voyez
le cominentaire) a I'occasion d'une prediction
semblable. — Eratverbum isliid absconditum.
Expression pittoresque. — Et non intellige-
bant (cette fois, eytvwffxov, « cognosC''banl »).
Repetition dont Fr. Luc explique Ires bien la
poriee : « Pleonasmis iteratis, quam fuerint
aposloli alieni a concipienda ammo morte
Christi, docetur, » Les apotres avaient, k
propos du Messie, des idees fixes qui les
aveuglaient. Rien ne devoile raieux, sous ce
rapport, I'etat de leur Ame que les visees
CHAPITRE XVHI
323
runt, et erat verbiim isliid abscon-
ditiim ab eis, et non intelligebant
quae dicebantiir.
35. Factum est aiilem, cum ap-
propinquaiet Jericho, csecusquidam
sedebat secus viam, mendicans.
Matlh 20, 17; Marc. 10, 32.
36. Et cum audiret turbam prse-
tereuntem, interrogabat quid hoc
asset.
37. Dixeruntautem ei quod Jesus
Nazarenus transiret.
38. Et clamavit, dicens : Jesu,
fili David, miserere mei.
39. Et qui prseibant, increpabant
eum ut tacerel. Ipse vero multo ma-
gis clamabat : Fili David, mise-
rere mei.
40. Stans autem Jesus jussit ilium
adduci ad se, Etcum appropinquas-
set, interrogavit ilium,
41. Dicens : Quid tibi vis faciam?
At ille dixit : Domine, ut videam.
cela et cette parole etait cachee
pour eux et ils necomprenaientpas
ce qui leur etait dit.
35. Or il advint, lorsqu'il appro-
chait de Jericho, qu'un aveugle
etait assis an bord du chemin, men-
diant.
36. Et lorsqu'il entendit la foule
passer il demanda ce que c'etait.
37. Et on lui dit que Jesus de
Nazareth passait.
38. EL il cria, disant : Jesus, fils
de David, aie pitie de moi.
39. Et ceux qui allaient devant
lui commandaient rudement de se
taire ; mais il criait beaucoup plus
fort : Fils de David, aie pitie de moi.
40. Et Jesus, s'arretant, ordonna
de le lui amener. Et lorsqu'il se fut
approche il I'interrogea,
41. Disant : Que veux-tu que je
fasse? Et il repondit : Seigneur, que
je voie.
ambitieuses des fils de Zebedee, qui se firent
jour immediaiement apres celle prophetie dii
Sauveur, dans une scene omise par S. Luc,
mais raconlee par les deux autres evange-
listes. L'on comprend que Jesus ail eu a
coeur t. ciouffer ces esperances mondaines.
27. Li'aveugle de Jericho, xtiii, 35-43.
— Parall. Malth. xx, 2J-34.; M.irc. x, 46-52.
35. — Cum appropinquaret... ccecus qui-
dam. C'etait alors le 7 ou le 8 nisan, une se-
niaine environ avant la mort de Nolre-Sei-
gneuft Sur les antilogies apparentesdes recits
^varrgeliques a propos de ce miracle, voyez
I'Evang. selon S. Malth., p. 397. L'exegese
est impuissante a resoudre le probleme d'une
maniere entierement satisfaisante, malgre
les nombreux systemes d'liannonie (on en
compte au moins une quinzaine) proposes
tour a tour par les apologisles; mais aucun
homme serieux. memo dans lo camp ration-
naliste, n'oserail en induire aujourd'hui le
defaut de veracite des Evangilcs. C'est le cas
de ri'dire avec S. Jean Clirysostome, Praef.
in Malth. : Aut6 (a^v toOto (ieyittov SeiYtia t^{
iXriOeia; IdtCv el y«P TiavTa ffuvE^wvvioav (jieTa
dxpioeia;, oOoeU a'^ littaTeuaev twv ej^Optiv, oti (at)
ouv£),0 -v-:e;di:6 auvO^^xr); Ttv6;dv9ptoTcivr];£Ypa4'av
anep lYpa'^av...
36. — Cum audiret turbam {une foule, car
le grec n'a pas d'article) prcetereuntem. La
foule qui se pressail sur les pas de Jesus
etait sans doute en grande partie composee
de pelerin*, qui ailaiont a Jerusalem pour la
Paque. — Interrogabat... Detail propre a
S. Luc.
38. — Clamavit : dans le grec, eSo-hae,
terme plus fort que xpdijstv des aulres synup-
tiques. Cfr. t. 7. — Jesu fili David. La foule
avait simplemenl designe h: Sauveur par son
nom populaire, « Jesu-; de Nazareth » (t. 37) :
I'aveugle pl'Mn de foi lui donne sans hesiter
son vrai litre, « Fils de David », c'est-a-dire
Messie. Cfr. Matlh. i, \ ; ix, 27, et le com-
menlaire.
39. — Et quiprmbant,c'e?t-k-d\re ceux qui
elaienten leie du cortege. Ce trait est special
au tioisieme Evangde. — Lxrepabant eum...
Comme precedemment les apolres (f. 18),
ces gens voulaienl debarrasser Jesus d'un
mendianl im[)0rlun. L'inlenlion elail bonne;
mais qu'ils connaissaicMil mal celui qu'ils
pretendaient proiegcr de la sorte 1
40. — Ilium adduri ad se. Detail pitlo-
resque, bien natunl dans la circonstance, et
propre h S. Luc. S. Marc raconte dans les
termes les plus charmanis cominnnt I'aveugle
sut courir Iui-m6iuti aupres do Jesus.
41.— Quid tibi vis faciam? "^i oot OiXet?...;
(Tot est mis en avant par emphase. — Ut vi-
deam. Ainsi interpelle, ce n'est plus une
324
EVANGILE SELON S LUC
42. Et Jesus lui dit : Vols, ta foi
I'a saiive.
43. Et aussitCt il vit et il le sui-
vait glorifiant Dieu, et tout lepeuple,
voyant cela, loua Dieu.
42. Et Jesus dixit illi : Respice,
fides tua te salvum fecit.
43. Et confestim vidit, et seque-
batur ilium magnificans Deum. Et
omnis plebs ut vidit, dedit laudem
Deo.
CHAPITRE XIX
L'episode de Zachee [tt. 4-10). — Parabole des mines (tt. 11-28). — Enlr^e solennelle di>
Messie dans sa capitalo (tt. 29-44). — Jesus expulse les vendeurs dii icraple (tt. 43-46).
— Description generale de son minislere durant les dprniers joins de sa vie publique
(tt. 47-i8),
1. Et Jesus, apres y etre entre,
traversait Jericho.
2. Et voila un homme nomme
Zachee, et il etait chef des publi-
cains et riche.
1 . Et ingressus perambulabat
Jericho.
2. Et ecce vir nomine Zachseus :
et liic princeps erat publicanorumy
et ipse dives :
vague priere qu'ii adresse a Jesus . il le con-
jure inslauimeni de lui rendre la vue.
42 el 43. — Respice est encore une parli-
culariie de S. Luc. De ineme magnificans
Deum, et omnis plebs... dedit laudem Deo. On
a remarqiie que iiotre evangelisle aime a
signaler les sentiments de reconnaissance
auxquels donnaieiiL lieu les miracles du Sau-
veur. Cfr. v, 26; vii, 17; ix, 43 ; xiii, vS7 ;
xvir, lo : xxiii, 47.
28. Zaehee. xix, 1-10.
Episode oil tout respire la fraicheur et la
verite. S. Luc, qui est seul a le raconler, se
manifet-te de plus en plus a nous, par ces de-
tails speciaux, comme I'liislorien aux pro-
fondes redierches (Cfr. i, 3), et comme
I'eyangelisle du salut universe! (voyoz la
Preface, § VI. Mais quel contrastc enlre ce
sejour de Jesus chez ie publicam de Jeri-
cho el ceiui qu'il avail fait auparavant
ixiv, 1 ftss.)cliez un Pliarisien superbe! La,
aucun resullal n'avail eie obtenu parceque
les coeurs elaienl endurcis, landis que nous
ailons assister ici a la transformation rapide
dune auie simple et genereuse. Cfr. S. Jean
Chrys., Horn, de Zachaeo.
Chap. xix. — 1. — Ingressus perambulabat
(eicr£).8tov SiripxeTo)... Jesus avait done fail son
entree dans la \ iile, el ;iel!e est la force de I'im-
parfaitjil etait alorsoccupe a la traverser. II
semble que, ?ans !a rencontre interessante
<|u'il fit bieiitot, il neseserail pasarretecelle
<ois a Jericho. C'esl 4 tort que plusieurs in-
lerpretes ;Siier, Schegg) donnent k « peram-
bulabat » le sens du preterit, et supposenl
que la scene suivanie se passa en dehors des-
inurs.
2. — Et ecce. L'adverbe favori de S. Mat-
thieu ne pouvait 6tre mieux employe. « Parat
(Lucas) aiteniionem ad rem admirandam
quam statuit narrare, » F. Luc. — Le heros
de cetle hisloire esl decrit pur son nora, par
sa profession, par sa condition. — 1° Vir
nomine Zachceus. « Vir *, dvop, et pas simple-
raenl avepwTioc, « homo » (de meme au t. 7),
probablemenl pour indiquer d'avance un
personnage d'une cerlame distinction, c No-
mine » : dans ie grec, ovoixatt xa),o'Jix£vo;, pleo-
nasme extraordinaire (D, G, el le syriaque ont
comme la Vulgale). « Zachaeus »,Zaxxaio;, nona
hebreu (»37, Zaccai, ou iXD"), avecun^ lormi-
naison grecque ou latine. II signifie a pur »
(comparez I'antique denommation chretienne
« Innocentius »), et apparait de temps en
lemps soil dans la Bible (Escir. ii, 9; Neh.
vii, 14, etc.), soil dans le Talmud (voyez
Lightfoot, Hor. h br. h. I.). — 2o FA hie (les
manusrrils vanenl entre ovto^rl a-jTo;! erat
princeps publiranorum. Le mot grec apxixe-
>^r,£ (a arch:publi(aniis») ne se irouve nulle
pan ailleurs; aussi est-il difficile de deter-
miner au jusle sa valeur. Peut-elre designe-
t-il le ri ceveur generiil du district, ayanl sous
lui lous les « porlitores »; mais il est pos-
sible aussi qu'ii represenle un litre moins
eleve, lei que seraif nl ceux de conlroleur. ou
de brigadier des douanes. Lieu de grand
CHAPITRE XIX
335
3. Et qusDrebat videre Jesum,
qiiis esset; et non poterat prsB
turba, quia statura pusillus erat.
4. Et prsecurrens ascendit in ar-
torem sycomorum, utvideret eum,
quia inde erat transiturus.
5. Et cum venisset ad locum,
suspiciens Jesus, vidit ilium, et
dixit ad eum : Zachsee, festinans
descende, quia hodie in domo tua
oportet me manere.
3. Et 11 cherchaita voir qui etait
Jesus, et il ne le pouvait pas a cause
de la foule, car il etait petit de taille.
4. Et courant en avant, il mouta
sur un sycomore pour le voir, car il
devait passer par la.
5. Et lorsqu'il arriva en cet en-
droit, Jesus levant lesyeux le vit et
lui dit : Zachee, hdte-toi de des-
cendre, car aujourd'hui il faut que
je demeure dans ta maison.
transit par sa silualion, et d'iinraenses res-
sources agricohspar la ferliliie de ses terres
(son bauine surloul el ses fruits elaient ex-
porles ail loin ; Jos. Ant. xiv, 4, 1 ; xv, 4, 2 ;
Justin, Hist, xxxvi, 3 ; Pline, Hist. nat.
■XII, 54), Jeticho avail naturcllemerit dans
ses murs une petite armee de publicains. —
30 Et ipse dives. La suite du recit [t. 8) per-
met d'liiduire qu'il s'elait enrichi dans I'exer-
<;ice de sa profession.
3. — Cliarmanls details, naivementet gra-
cieusrmenl depeints. Et qucerebat (= sata-
gebat)... Le temps indique des efforts rdi-
teres, mais constamment frustres. Videre Je-
sum, quis esset; c'esi-a-dire, d'apres Maldonat
ft plusieurs d'aiitres, 0 quis esset eorum quos
ui conferla et ctnfusa videbat turba; » plus
^itnplem nt et beaucoup mieux,croyons-nous,
« quis e.-S't vullu, habitu exterior!. » Ddsir
bien legitime, en loule hypoihese, car on
aime a connaitre « de visu » les hommes
celebres, et Je.-;us avail alors una reputation
sans pareille. Mais, comme nous lo disent les
Peres, ce n'elait pas uniquemont la curiosile
■naturelle qui portait Zachee a contempler de
|)res Notre-Seigueur : un commencement de
i'oi s'agilail dans son coeur cnvers Celui qu'il
savail eire, au rebours du sentiment uni-
versel, I'ami devoue des publicains. « Pullu-
iaveral in eo si^men salutis, quia cupiebal
J(-sum videre, » Tilus Boilr. 'Cat. D. Thorn.).
— N n polerat : pour deux motifs, I'un gene-
ral, pi(B lurba (aTcd toO 6x).ou, h-braiVnin 'Q;
du resie tout ce pas-age a une forte saveur
aramaique, preuve que le document primilif
de S. Luc eiail ici aramecn), I'aulre per-
sonnel, stiitura pusillus erat. Un homme de
petite taille, perdu au miliiu d'uno foale
compacte. a peu de chances de bien voir!
4. — Et prwcurrens : dans le grec, nou-
veau pleonaS:np : xal irpo6po[[j.tj)v efxitpoaOev.
Le recit di-vieni de plus en |)lus pittoresque,
comme la scene meme. Les obstacles ne tai-
sant qti'aviver les samts desirs de Zachee, il
se precipile vers un eiidroil ou il prevoil que
Je cortege devra passer, — Ascendit in arbo-
rem sycomorum. II ne faut pas entendre par la
noire faux sycomore de I'Occident (« pseudo-
platanus »), mais le « ficus sycomorus » ou
« ficus ^gyplia », qui lient tout ensemble
et du figuier el du murier, comme I'exprimi^
son nom (compose de auxo; et ixwpo?) : du
figuier par les fruits, du murier par les
feuilles. II ne croil que dans les parties les
plus chaudes de la Palestine, specialemenl
dans la profonde et tropicale vallee du Jour-
dain, Cfr. Ill Reg. x, 27; U Par. i, 45;
Am. VII. « II est facile de grimper dessus,
grfice a son tronc court, et a ses larges
branches laterales, qui s'ecarient dans loutes
les directions. » Tristram, Natural History
of the Bible, p. 398. Cfr. Thomson, the Land
and the Book, p. 22 el ss. ; Winer, Bibl.
Realwoerterbuch, s. v, Maulbeerfeigenbaum.
— Quia inde... : St' exetvYii; (scil.63oO),<( iliac » ;
mais les meilleurs manuscrits ont ?impleinent
IzetvY);. Sur ceite ellipse de Sii, voyez les
grammaires de Winer el de Beeleii. — Le
raiionali-te Keim, dans son Jesu von Nazara,
t. Ill, p. 17, prolesle conlre I'invraisemblance
de ce trail (« die Unwahrscheinlichkeit einer
Baunikleliirung des Mannes von Geld und
Stelliing »), d'oii il conclut que tout I'episode
de Zachee est legendaire : nous pensons au
conlraire qu'on n'invenle pas de tels details !
5. — Suspiciens {i.woLEli<\i(X!„ quum sus-
pexis=el) Jesus. Autre trail pilloresque. —
Vidit i7/Mm. Celui qui avail lu surnalurelle-
menl dans le coeur de Nalhanael malgrii
I'epais feuillage d'un figuier (Joan, i, 48], lit
de la meme maniere dans I'ame de Zachee
malgre I'ombre du sycomore. « Opus ei non
erat ut quis testimonium perhiberet de ho-
mine; ipse enim sciebal qui! esset in ho-
miiie », Joan. 11, 25. — Dixit ad ilium :
Znchcee. Deja il le connait! Quelqu'un de
I'assisiance le lui aurait nomme, d'apres
Paul us. Idee mesquine. Comme si le bon
Pasteur ne savail pas les noms de ses brebis!
Joan, X, 3. « L'impre-sion que nous recevons
du recit est favorable a la supposition que
JeSLis reconnut Zachee par une espece d'ln-
326
fiVANGILE SELON S. LUG
6. Et il se h^ta de descendre et il
le recut avec joie.
7. Et tous, en voyant cela, mur-
muraient disant qu'il s'arretait chez
un homme pecheur.
8. Mais Zachee debout dit au Sei-
gneur : Voila que je donne aux pau-
•vres, Seigneur, la moitie de mes
Mens, et si j'ai fait tort a quelqu'un
je lui rends le quatruple.
6. Et festinans descendit, et ex-
cepit ilium gaudens.
7. Et cum viderent omnes, mur-
murabant, dicentes quod ad homi-
nem peccatorem divertisset.
8. Stans autemZachseus, dixit ad
Dominum : Ecce dimidium bonorum
meorum, Domine, do pauperibus :
et si quid aliquem defraudavi,reddo^
quadruplum.
tuition immediale el miraculeuse : il lisail
^ans ses yeux ce qu'aucun autre ne pouvait
y voir », dit tres bien M. Reuss (Hist, evang.
p. 542), qui est bon exegele quand il n'est
pas en proie a ses prejuges rationalisies. —
Quia hodie... Srjiiepov (aujourd'hiii meme),
place en avant avec emphase, expiique le
festinans descende : c'esl iin3 hosp:talite im-
mediate que demande Je«us. — Oporiel me
manere. La maison de Zachee devail etre
ce jour-lk le lieu de repos du Sauveur, d'apres
les desseins providenlieis de Dieu son Pere.
Jesus s'invite d'une fagon loute royaie : nulle
part aiileurs dans I'Evangile nous ne le
voyons agir ainsi, circoiislance qui releve
I'honneur fait au publicain de Jericho. Heu-
reux Zachee! « Yolebas videre transeuntem;
hodie hie apud te invenii^s habitanlera. »
S. August. Serm. cxiii. Mais, continue le
meme Pere, « suscipitur Chri>lus in doraum,
qui jamhabitabal in corde. » Au reste, « etsi
yocem invilantis Jesus non audierat, viderat
tamen affectum, » S. Ambroise, h. 1.
6. — Festinans descendit. Echo de i'ordre
donne par Jesus, f . o. On conQoit du reste
ce joyeux cmpressement (excepit... gaudens).
Que de choses dans les quelques paroles de
ce verset 1 S. Ambroise nous montre gra-
cieusement Zachee tombanl du sycomore
comtiie un fruit miir, des la moindre ?ecousse
imprimee a I'arbre par Jesus. « Zachaeus in
sy Comoro, novum novi lereporis pomum »
^Espos. in Luc. ix, 90).
7. — Tout le monde ne partagea point le
bonheur de Zachee, qui fit au coniraire une
multitude d'envieux. — Omnes (aTiavTj- (»x-
pressiin emphatique, « omnino omne- »t mur-
murabant {Sizfjyyvloy, « niurmuraljant ad
invicoiii »). I es murmures furent unanimes
et se prolon^:'ent longtenip-J. — . Ad liomi-
nem peccatorem divertisset {darf/.^zv xataVJaai,
a venissel diversatum »). II y avail a Jericho,
ville sacerdolaie, un tres grand nombie de
pretrt'S(Cfr.x, 31 i-t le comnn nlaire), presque
aulanl qu'a Jerusalem, dil le Talmud, et. au
lieu de demander a I'un d'eux Thospilalile,
J^sus ^tablissail sa residence chez un publi-
cain abhorre, dont la profession eiait regar-
dee par les Juifs comme un crime insigne.
8. — Slans autem Zachwus. Celle scene
touchanle ne se serail passee, d'apres di-
vers commeniali urs (Olshausen, Schleierma-
cher, etc.), que le Imdemain matin, au
moment oil Jesus so mettail en route pour
Jerusalem. II est beaucoup plus naturel de
la placer soil immediaiement, dans la rue
memp, en face des insulteurs (^t alors le mot
otaOei;, qui designait plus haul, xviii, 11, la
pose affectee du Phaiisien, represenlerait
I'atlilude noble el fiere de la prolpstalion)^
soil peu de temps apres I'entree du Sauveur
chez son hole, par exemple a la fin du repas
du soir (comparez I'expression « hodie » des^
tt. 5 el 9). Zachee, debout devanl Jesus,
emel publiquemenl un voeu genereux, indice
de sa complete conversion. C'esl a tort qu'on
a vu parfois dans I'emploi du temps pre-
sent [do, reddo) i'enoncialion d'un fait anle-
rieur el habiluel, comme si Zachee eut voula
dire : Seigneur, je suis moins mauvais qu'on
le croit: voyez quelles sont mes pratiques
accoutumeps! Je donne... je restitue... De
I'avis a peu pres universel, le present est mis-
pour le lutur, en signe du caractere inebran-
lable et de I'executjon prochaine de la reso-
lution. La chose est si sure qu'on peut la
regarder moraleraenl comme deja faite. —
Ecce (particule d'un bel &^q{) dimidium bono-
rum... De la part d'un homme riche, c'etait
un sacrifice enorine. a Ecce camelus, dit
agreablemenl le Yen. Bede, faisanl allusion
a une recente parole de Jesus (xviii, 25),
deposita gibbi sarcina per foramen acus tran-
sit; hoc est, reliclo amore divitiarum, con-
tempto sensu fraudum, benedictionom domi-
nicae susceptionis accepit. » — Et si quid
aliquem defraudaoi (dans le grec, (Tuxo9av:etv,
extorqu^-r de I'argent au moyen de fau?ses
accusations. Cfr. rn, 14 et le commcniaire).
La locution £i xiserait-elle une sorle d'euphe-
misme derriere Icquel Zachee nia>qui'rait a
demi ses fautcs?L('S exegel^s modernes I'onl
souvent affiraie, quoique bien a tort, selon
nous. Quil interel Zachee avail-il a ne pas
CHAPITRE XIX
327
9. Ait Jesus ad eum : Quia hodie
salus domui huic facta est, eo quod
et ipse filius sit Abrahae.
10. Venit enim Filius hominis
quserere, et salvum facere quod pe-
rierat.
Mate. 18, 11.
11. Hsec illis audientibus, adji-
ciens dixit parabolam, eo quod es-
set prope Jerusalem, et quia exis-
9. Jesus lui dit : Aujourd'hui le
salut a ete accorde a cette maison,
parce que celui-ci est aussi un en-
fant d'Abraham.
10. Gar le Fils de Thomme est
venu chercher et sauver ce qui etait
perdu.
11. Et comme ils ecoutaient ces
paroles^ il leur dit de plus une para-
bole sur ce qu'il etait pres de Jeru-
faire alors une confession humble et complete?
Nous supposons done, d'apres son langage,
qu'il n'a pas conscience d'avoir \e>6 volon-
tairement les droits du prochain. Mais il salt
combien ses fonclions sont delicates, el avec
quelle facilite Tinjiisiice malerielle, sinon for-
melle, peut s'y glisser (comp. le proverbe
Italian : II n'y a pas de grand fleuve ou il ne
soit entre un peu d'eau trouble) : il est pret
h reparer tous ses lorls, si on lui en decoavre.
Et avec quelle generosile il les reparera!
Reddo quadruplum. La loi juive n'exigeait
cette « restitutio in quadruplum » qu'en cer-
tains cas, V. g. quand I'objet vole avait ete
aliene par le voleur ou avait peri chez lui
(Ex. XXII, 1); ordinairemeni on n'elait con-
darane a restituer que le double (Ex. xxii, 4-9),
et meme, quand on reslituail sponlanemenl,
il suffisait d'ajouter un cinquieme en siis de
la valeur. Quant aux lois romames, un article
special, a de publicanis », n'exigeait de ces
fonclionnaires que la reslilulion pure et
simple, quoique les voleurs communs dussent
la faire au quadruple.
9. — Ait Jesus ad eum : np6? auTov ne si-
gnifie pas « de eo » ; Jesus s'adresse directe-
ment a Zachee, quoiqu'il parle de lui a la
troisi6me personne. — Quia (recitalif) hodie
salus... Douce assurance pour Zachee, et
pour loute sa maison {domui huic), qui avait
regu comme lui avec de vifs senlimenis de
foi la visite duSauveur. — Ipse filius Abmhce.
De graves auteurs anciens el mcdernes
(S. Cyprien, S. Jean Ghrysost., S. Ambroise,
Maldonat, Stella, Reuss, Cnrci) oiil conclu
de ces mots que Zachee devail elre pai'en
d'origine; mais telle n'esl certainemonl pas
leur signification direcle. 11 n'y a aucune
raison de no pas les prendre a la lellre, et
c'est d'une maniere lilleralc qu'on los inler-
prete generalement aujourd'hui. Zachee elait
Juif, comme le prouve son nom (note du t. 2);
mais, en se faisant publicain, il s'elait de-
grade aux yeux de ses conciloycns, il avait
enquelque sorle renonc^ a sa precieuse filia-
ion : converli desormais, il a recouvr^ tous
ses droits au salut promis k Abraham, son
illustre aieul.
4 0. — Jesus continue de repondre au bl&me
de la foule. II a justifid sa conduite par un
premier motif, lire des droits de Zachee; il
en expose maintenant un second, qui con-
sisle dans I'indicalion generale de son propre
r61e en tant que Messie : venit enim Filius
hominis... N'e.-t-il pas venu tout expres pour
chercher les brebis egarees el les ramener au
bercail? Voyez dans S, Malihieu, xviii, 41
(Cfr. lecommentaire), la reproduction de cette
admirable pensee. Ici, le verbe qucerere est
une parlicularile de S. Luc. — Que devint
Zachee apres sa conversion? D'anciens au-
teurs penseiit qu'il s'attacha immediatement
h la personne de Jesus. Quelques-uns (a la
suite de Clement d'Alexandrie, Strom, iv, 6)
Font identiBe avec S. Malhias, qui devint
plus tard apolre a la place de Juda. D'au-
tres font de lui le premier eveque de Cesaree,
en Palestine. Mais une antique iradilion,
« innumeris teslinioniis firmala ac praesprtim
auctorilate Martini Papse Quinti, in bulla
anni 1427 » (Propre du breviaire de Tulle,
au 3 seplembre), demontre que Zachee ^migra
de bonne heure dans les Gaules, et qu'il so
fixa finalement dans un lieu sauvage et pit-
toresque (Roc-Amadour) qui apparlient au-
jourd'hui au dioce-se de Gahors, oil il esi
honore sous le nom de S. Amadour(Amator).
29. La parabole des mines, xix, 11-18.
Sur la difference qui, malgr^ des analogies
nombreuses, exisle enlre celle parabole et
celle des talents, conservee par S. Malthieu,
XXV, 14-30, voyez noire explication du pre-
mier Evangile. p. 478 el p. Des les premiers
siecles, Amiiionius d'Alexandrie, Eu^ebe et
S. Jean Clii ysostome, en faisaieni deux piece*
dislincles.
]\. — Petite introduction historique, prd-
cieuse pour decouvrir le vrai but et le sens
de la parabole. Cfr. xviii, 1 et 9. — HcBf
illis audientibus. Ces deux pronoms relom-
benl et sur les choses et sur les personnes
328
EVANGILE SELON S. LUG
salem et qu'ils pensaient que le
royaurae de Dieu serait aussitCt
manifeste.
12. II dit done : Un homme de
haute naissance s'en alia dans un
pays loinlain pour prendre posses-
sion d'un royaume et revenir en-
suite.
13. Ayant appele dix de ses servi-
teurs, il leur donna dix mines, et
timarent quod confestim regnum
Dei manifestaretur.
12. Dixit ergo : Homo quidam
nobilis abiit in regionem longin-
quam accipere sibi regnum, et
reverti.
13. Vocatis autem decem servis
suis, dedit eis decem mnas, et ait
Jonl il a ele question auparavanl, tt. 7-10.
Nous sommes encore a Jericho (Cfr. t. 28),
et probablement dans la nnaisun de Za-
chee. — Adjiciens dixit esl un hebralsme :
inS ^DV^. Cfr. xx, 11,12, et dans les LXX,
Gen. xviu, 29 ; xxxviii, 5, Job. xxix, 1 , etc.
— Eo quod esset prope Jerusalem. Jericiio
n'est en effel qu'a 150 stades de Jerusalem,
c'est-a-dire k une petite journee de marche
(environ 6 ou 7 heures). — Et quia existima-
rent... Depuis quelque temps i'enthousiasme
esl toujour? alle croissant dans I'eiitourage
de Jesus. Cfr. xiv, 25, xviii, 31, 38; xix, 1-3.
Ses pailisans, raeme les plus eclaires, s'obs-
tinent a croire que, s'il va maintenanl a Je-
rusalem, la capiiale de la Theocralie, c'esl
pour y fonder sans delai [confestim en avant
[>aremphase), pour y faire briller, selon loute
a force du lexle (maiiifestarelur, ava<paiv£o8ai,
« in lucem ederelur ». Cfr. Act. xxi, 3), le
royaume du Messie avec son cortege oblige
degloires huniaiiies. Jesus repond a ces gros-
sieres esperances en montranl, sous les trails
de cette belle composition poetique, 1° qu'il
s'ecoulera encore un long temps avant la
crise decisive qui elabliia definilivemi^nt son
regne, 2° que ses amis devront employer ces
siecles d'attenle a un travail serieux, s'ils
veulent eire recompenses au dernier jour,
30 que ses ennemis, specialemcnt les Juifs,
n'echapperont pas a ses vengeances.
12. — Homo quidam nobilis (eOyevio?, de no-
ble race) : digne figure de Notre-S.^igneur
Jesus-Christ qui, « quamvis servus lactussit,
est tiimen nobilis secundum ineffabilem ortiim
a Palre » (S. Cyrille, in Cat. D. Tliom.), Ou
plutol, « non solum secundum deiiatem no-
bilis esl, sed eliam secundum genus huma-
num, ex semine David... exorius » (5. Ba-
sile, ibid.). — Ahiit in regionem longinquam
(el; xwpav (jiaxpdv) aussi loin qu'il y a de la
lerre au ciel, ci^ qui huppise une absence pro-
longee. — Accipere sibi regnum et reverti.
L'iuiage est einpriiiiteeaux coulumes d'alors.
Combien de pelils princes, en Palestine et
aulour d'i la Paleslina (en Judee, a Clialcis,
a Abila, a Euiese, a Damas, en Comma-
gene, etc.), avaient du se rendre a Rome
pour recevoir leur investiture du senal ou de
i'empereurl Le premier livre desMacchabees,
VIII. 13, fail a ce sujet une reflexion signifi-
cative : « Quibus vellent (Romani) auxilio
esse ul regnarent, regnabanl; quos autem
velleni, regno delurbabant. » C'esl ainsi
qu'Herode-le-Grand avail enlrepris le voyage
de Rome pour oblenir le litre de roi desJuifs;
que son fils Archelaiis elait alle, quoique en
vain, faire sa cour a Auguste pour qu'il lui
fut accorde de conserver cette dignity. De
meme, Jesus etait sur le point de partir pour
le ciel oil Dieu son Pere, le « rex regum el
dominus dominantiura », devail lui conferer
une aulorite souveraine, eternelle, sur I'ein-
pire messianique : mais ce n'est qu'a la fin
des temps qu'il revicndra dans Tetat de sa
gloire et de sa puissance royales. — Le heros
de la parabole des talents esl un simple pere
de famille, qui n'aspire a aucune dignile.
13. — Vocatis decem serois suis, Non pas
a ses dix servileurs », comrae s'ii n'en eAt
pas eu davantage, mais « dix de ses servi-
leurs ». 11 se propose de metlre leur fidelity
k I'epreuve riurant son absence : c'est pour
cela qu'il leur confio a chacun decem mnas,
desireux de voir comment ils sauronl les
faire fructifier a son profit. La « mne », dont
le nom grec ((xva) vienl de I'hebreu nJD
{maneh) en passant par le pnenicien xao
(mnd). n'etaii pas une monnaie reelle, ayanl
cours : a()res avoir servi de poids, elle eiail
devenue une monnaie ficlive, comme le ta-
lenl. II esl probable qu'il s'agit ici de la mine
attique, qui contenail 100 draclimes, c'est-a-
dire environ 90 francs. Cfr. Winer, Bibl.
Realwoerlerbuch, t.II, p. 96 de la 3eedil. La
sommeconfiee a chacun desservitenrs n'elait
done que de 900 francs; la somm^> lotale, de
9000 francs. Quelle difference dans la para-
bole des talents, Mattli. xxv, 15 el ss., oii le
maitre partage toule sa fortune, qui elait
considerable, enire Irois seulrmenl do ses
servileui's! — Negotiamini dum venio (ev w
pcil-xpo''" £PX°t**') d'apres la legon probable;
£w; lpy_o\i-M d'apres la Ri'Cepla). « Negotia-
mini » esl une traduction tr6s lilterale du
verbe TtpayixaTeuffaaOe, qui n'apparail qu'en
CHAPITRE XIX
329
ad illos : Negotiamini dum venio.
14. Gives autem ejus oderant
eum, et miserunt legationem post
ilium, dicentes : Nolumus hunc re-
gnare super uos.
15. Et factum est ut rediret ac-
ceplo regno : et jussit vocari servos
quibus dedit pecuniam, ut sciret
quantum quisque negotiatus esset.
16. Venit autem primus dicens :
Domine, mna tua decem mnas ac-
quisivit.
17. Et ait illi : Euge, bone serve,
leur dit: Faites-les valoir jusqu'a ce
que je revienne.
14. Or ses concitoyens le hais-
saient; ils envoyerent done apres
lui une deputation, disant : Nous no
voulons pas que celui-ci regne sur
nous.
1o. Or il arriva qu'il revint apres
avoir pris possession du royaurae;
et il fit appeler les serviteurs aux-
quels il avait donne de I'argent,
pour savoir combien chacun I'avait
fait valoir.
16. Et le premier vint, disant :
Seigneur, ta mine a produit dix
mines.
17. Et il lui dit : Bien, bon servi-
cet endroit du Nouveau Testament. Les Rab-
bins employaient dans le mdme sens plusieurs
derives analogues de -npiyiia., v. g. XitaDHIS,
pragmnthia (TtpaYtiateCa), D'tDDPiD. pragmatis
(irpaYfiateu?), DITDTOPS' pragmatotos (irpaY-
jAaxeuTT);) . Da reste, nous n'usoiis pas autre-
ment di>s mots negoce, negociant, negocior.
— Dan-; {'application, a significat (Jesu^) per
eos qui mnas recipiunt, suos discipulos...
Nullum autem aliud negotium erat, nisi
dogma regni sui intentis mortalibus praedi-
candum per sues discipulos, « Eusebe (ap.
Cat. D. Tliom.). Cela convient donc'eiicore
a tous les preir 'S.
a. — Gives autem ejus oderant eum. Les
conciloyons de Jesus, ce sont eviderainenl les
Juifs. p'uisqu'il etait comrae eux membre de
retaltlieociaLiqui\ Joan, iv, 22 ; Rom. ix, 5.
Leur haine envers lui n'apparait que irop a
ciiacune des pages evangeliques. — iMiserunt
legationem post ilium (6:;{aw aOtoO, lilteral.
derriere lui). Les ambassadenrs devaient pro-
tester de loutes leurs forces conlre I'eleva-
lion de r«lioino nobilis » a la dignile supreme,
en romonlraiit au suzerain que cet acte se-
rait loui a fait imiioliiique, altendu qu'il
elait contraire anx voeux de la nation en-
tiere.Nous apprenons par I'historien Josephe
Ant. XVII, 11,1 (Cfr. B '11. Jud. xi, 2, 1) que
les choses se passerent a la leltre de ceite
sorte quand Archelaiis alia revendiquer a
Rome la succession de son pere. — Nolumus
hunc... Exj)ies-!ion diidaigni'use : toutov, o<^t
hommeque i\<m< detcslons. Les Juifs. a d"ux
reprisi'S au mom-^, |)arlerent en ce sens a Pi-
late coniro Je-u-, quand ils crierent : « Non
tiabemu-; rcgi'in nisi G;esarem », et . o Noli
scribere : Rex Judaeorum », Joan, xix, 45,
21. — Tous ces details sont piopres a la
parabole des mines; on ne trouve rien de
semblable dans celle des talents.
15. — Malgrd tant d'opposiiions (elles de-
vinrent plus vives encore apres la mort de
Notre-Seigneur, Cfr. Act. xii, 13; xin, 45;
XIV, 18 ; XVII. 5; xviii, 6; xxii, 22 ; xxui, 12,
et, du moside juif, elles passerent au monde
entier, qui les continue chaque jour), le can-
didat au trone vit ses droits reconnus. Le
voici maintenant qui revient, muni da pleins
pouvoirs [recepto regno), dont il fait aussitot
un double u^age : il recompense ses amis et
se venge de S'"S ennemis. — Jussit vocari...
Voyez, pour I'explication detaillee, I'Evang.
selon S. Matth. p. 481 et ss., car c'est ici
surtout que les deux paraboles se ressemblent.
Celle des mines a pourlant encore des va-
rianles notables, conformement a la diversite
de son but et deson ordonnanee generale. —
Quantum quisque negotiatus esset. Le verbe
grec (employe seuleraent en cet endroit du
N. T.) n'est'pas lout a fait le meme qu'au
Ti^. 1 3 : c'est le compose SiaTrpaffxa-ceuoiiat, « ne-
gotiando lucroi' ». Tt; ti, lilteral. « qitis
quid », construction classique chez les Grecs
et ciiez les Romains. Ce sont « duae quaes-
tiones in unuui concinnatye, i. e. quis aliquid
lucralus esset, et quid is lucralus esset, »
Borueniann.
16 et 17. — Primus... L'-'S serviteurs, du
moins les trois dont le recit fait une men-
tion speciale, se presenlent au roi d'apres un
ordre conformed leurs succes, par con-;c(iu'nt
a leurs inerites. — Ahia tua... arqaisivil
{upoaTipY«aaTo, a fait cii sus : mit propre a
S. Lucj. Langagft d'une profond(! humilite. Le
servileur seuible atlribuer lout le profit a
330
fiVANGlLE SELON S. LUC
teur, puisque tu as ete fidele en
chose modique, tu auras puissance
sur dix villes.
18. Et un autre vint, disant :
Seigneur, ta mine a produit cinq
mines.
19. Et il lui dit : Et toi sois etabli
sur cinq villes.
20. Et un autre vint, disant :
Seigneur, voici ta mine que j*ai
gardee deposee dans un linge.
21. Gar je t'ai craint parce que tu
es un homme severe ; tu enleves ce
que tu n'as pas depose et tu mois-
sonnes ce que tu n'as pas seme.
22. II lui dit : Je te juge par ta
quia in modico fuisti fidelis, eris
potestatem habens super decem
civitates.
18. Et alter venit, dicens : Do-
mine, mna tua fecit quinque mnas.
19. Et huic ait : Et tu esto super
quinque civitates.
20. Et alter venit, dicens : Do-
mine, ecce mna tua, quam habui
repositam in sudario ;
21. Timui enim te, quia homo
austerus es : tollis quod non po-
suisti, et metis quod non seminasti.
22. Dicit ei : De ore tuo te judico.
I'argent de son maitre, et ne tenir aiicun
comple de son activile, de son habilete per-
sonnelles. II en est aulrement dans la para-
bole des talenls : « Domine, quinque lalenla
tradidisli mibi, ecce alia quinque superlu-
cralus sum. » — En echange de sa fidelile, il
reQoit, outre un bel eloge {euge, bone serve],
une recompense vraimenl princiere : Eris po-
testatem habens (dans le grec, TdOi e$ouaiav Ix^v,
scias te habere...) super decem civitates. Dix
cites, pour dix miaes avec iesqueiles on au-
rait a peine achete une modesle maison.
Dans I'antiquile, ies rois recompensaientassez
frequemmeni leurs amis et serviteurs fideles
en leur atlribuanl le revenu d'une ou de plu-
sieurs villes. Dans la parabole des talents, le
maitre, n'etant qu'un homme prive, se con-
tente de dire : a Intra in gaudium Domini
tui; » il n'a pas de cites a donner.
48 et i9. — Alter (dans le grec, 6 SeOrepo;,
le second), C'est la meme scene reiteree. a
part cinq mines et cinq villes an lieu de dix.
La recompense, et c'etail bien juste, est done
proportionnee au succes ou plutoi aux ef-
forts, a la generosite de Taction. Dans I'ordre
moral aussi, Ies memos dons ne produisent
pas toujours des resuitals identiques. Puis-
sions-nous du moins gagner cinq mines I —
Fecit, eirotYjae, comme i\lalih. xxv, 16, dans
le sens de gagner.
20 et 21. — Alter venit. On lit, dans piu-
sieurs des manuscrils giecs qui font auto-
rile, 6 grepoi; avec Particle: I'aulrc. Ln nar-
rateur parle mainlenant comine s'li n'eut
confie de I'argeni qu'a irois serviteurs. « De
aliis sijetur, ecril S. Ambroise (Expos, in Luc,
vni, 95), qui quasi prodigi debitores, quod ac-
ceperant perdiderunt. »Mais rien,dans la pa-
rabole, ne nous aulorise a croire que Ies sopt
autres aient ete si pervers. Peul-etre est-il
mieux de dire qu'on Ies passe sous silence
pour abreger, leur condnite ayant el6 ana-
logue ou a celle des deux premiers, ou a celle
du troisieme. — Quam habui (« servavi ») re-
positam in sudario. SouSdpiov du texte grec
est un latinisme, de m^me que nno [soudar)
des Rabbins. Le « sudarium » ^lait, comma
I'exprime son nom, un mouchoir destine k
essuyer la sueur du visage. II n'est pas sans
inler^t de voir, d'apres le Talmud, des Juifs
se servant precisement du soudar pour enve-
lopper de petites sommes d'argeni, a I'instar
dece negligent serviteur. Cfr. Lighlfoot, Hor.
hebr. h. 1. Du reste, aujourd'hui encore, Ies
paysans occidentaux n'emploienl-ils pas ce
meme linge en guise de bourse? D'apres la
parabole des talents, I'argent avait ete enfoui
en terre. Au moral, « pecuniam in sudario
ligare est percepla dona sub olio lenli tor-
poris abscondere », V. Bede. — Timui miin
te... Dans Ies termes Ies plus arrogants, le
coupable essaie d'excuser sa conduite, qu'il
voudrait faire passer pour de la prudence. II a
eu peur de son maitre, lequel est si severe,
et dont il craignail Ies reproches, ou meme
Ies vengeances. Austerus, caique sur le grec
aii(TTrip6;, <i proprie de eo dicitur quod acer-
bum saporem habet,... deinde tropice de mo-
ribus, asper, severus », Bieischneider. — Les
locutions proverbiales « prendre ce qu'on n'a
pas depose, moissonner ce qu'on n'a pas
seme » (voyez-les dans S. Malthieu, xxv, 24,
avec une legere varianlc) peuvenl exprimer
soil I'approprialion injuste du bien d'autrui,
soil I'accumulalion des richesses sans travail
personnel, au prix de la sueur des pauvres
gens. Celle seconde acception est ici la plus
probable.
22 el 23. — De ore luo te judico. Cfr. Ci-
ceron, Verr. vii : « Tua te oratione accusn.
Tuo te gladio juguias. » Le roi repond a ce
miserable par un foudroyant argument « aii
CHAPITRE XIX
331<
serve nequam. Sciebas quod ego
homo auslerus sum, tollens quod
non posui, et metens quod non
seminavi :
23. Et quare non dedisti pecu-
niam meam ad mensam, ut ego
veniens cum usuris utique exegis-
sem illam ?
24. Et astantibus dixit : Auferte
ab illo mnam, et date illi qui decern
mnas habet.
25. EL dixerunt ei : Domine, habet
decern mnas.
26. Dico autem vobis, quia omni
habenti dabitur, et abundabit : ab
eo autem qui non habet, et quod
habet auferetur ab eo.
Match. 13,-'12; Marc. 4,25.
27. Verumtamen inimicos meos
illos, qui noluerunt me regnare su-
per se, adducite hue, et interficite
ante me.
28. Et his dictis, praecedebat as-
cendens Jerosolymam.
propre bouche, mauvais serviteur.
Tu savaiaque je suis un homme se-
vere, enlevant ce que je n'ai pas
depose et moissonnant ce que je n'ai
pas seme.
23. Pourquoi n'as-tu pas donne
mon argent a la banque, pour qu*en
revenant je le retirasse avec usure ?
24. Et il dit a ceux cjui etaient
presents : Otez lui la mine et don-
nez-la a celui (^ui a dix mines.
25. Et ils lui dirent : Seigneur, 11
a dix mines.
26. Mais je vous dis qu'on don-
nera a celui qui a et il sera dans
Tabondance; quant a celui qui n'a
pas, meme ce qu'il a iui sera 6te.
27. Neanmoins amenez ici me&
ennemis qui n'ont pas voulu que je
regnasse sur eux et tuez-les devant
moi.
28. Ges choses dites, 11 marchait
devant eux, montant k Jerusalem.
hominem ». — Quare non dedisti pecunimn
meam : dans le grec, {iou t6 apyuptov avec
emphase (d'apres les mannscrils A, B, L, etc.).
— Ad mensam : sur la table des banquinrs,
donl lenomgrecTpaueiJiTai, derive de TpaneW,
table, de meme que leur nom frangais vient
de banque. Le servileur aurait done dii pour
le moins preter k inter^ls ia somme qui iui
avail ele confiee : son royal maitre en eut
ainsi lire quelque profit : cum usuris (oOv
toxti), voyez sur ce mot I'Evang. seion S. Maiih.
p. 483)... exegissem (TrpaaaEiv dans le meme
sens que itotelv au ir. 48. Cfr. in, 13)... Dans
le texle grec, ie point d'inlerrogalion est
place apres xpairellav, el on lit ensuile xai i^tH
iXOwv..., « el (tunc) ego veniens »..., au lieu
de ut ego veniens.
24-26. — Adstantibus dixit. Ces « adstan-
tes » etaient les servileursdu roi en general,
ses gardes. — Dixerunt ei... : Habet decern
mnas. Surpris d'un pareil ordre, ils se per-
mettent uni^ observation respectucuse, Mais
celui auquel vousdonncz la mine, n'esl-il pas
deja le plus riche de lous? — Dico autem vo-
bis (la pluparl des manuscrits grecs ont
Xeyw Yop, « dico enim »). Aiiisi qu'il convienl
k sa dignit^, le prince n'a pas I'air de s'apgr-
cevoir qu'on I'a interpelle ; il repond nean-
moins h robjeclioa par I'axiome bien connu :
Omni habenti... Cfr. viii,48, etc. — Abun~
dabit n'a rien qui lui corresponde dans le
texle grec.
27. — Verumtamen. Apres avoir recom-
pense ou puni ses serviteurs selon leur con-
duite respective, le roi, par cette transition,
introduit un terrible arr^l centre ceux de ses
concitoyens qui lui avaient fait autrefois une
opposition si hostile, t. 14. La sentence est
majeslueuse, sans appel, executee sur-le-
champ sous les yeux memes du juge {addu~
cite hue... ante me), ainsi que cela se pratique
frequemment dans les conlrees orientales
(xttTairqpdSaTe, « trucidate », Tequivalenl grec
de interficite, n'est employe que par S. Luc :
c'est un mot d'une grande ^nergie), Le voile
lombo brusquemenl apres ces effrayantes pa-
roles. Quelle impression ne durent-elles pas
produire sur I'assistance! C'esl une prophetie
de la ruine de Jeru-alem, et, dans le sens
large, dos chaliments qui alteindronl ^ la fin
du monde tons lesennomisde Notre-Seigneur
Jesus-Christ el de son Eglise.
28. — Et, his dictis, pvcBcedebat. Jesus so
mil done en route aussitol apres avoir achev^
la parabole des mines. II y a une emphase
visible dans ce « praecedebai » 'iTvopeOexo iy.-
TcpoorQev), qui rappelle une phrase plus significa-
tive encore de S. Marc, x, 32. Jesus s'est mn
332
EVANGILE SELON S. LUG
29. El il advint, lorsqu'il appro-
chait de Belhphage et de Belhanie,
pres de la montagne qui est appelee
des Oliviers, qu'il envoya deux de
ses disciples,
30. Disant : Allez au village qui
29. EL factum est, cum appropin-
quasset ad Bethphage et Betha-
uiam, ad montem qui vocatur Oli-
veli, misit duos discipulos suos,
Mauh.21, ^•, Marc. H, 1.
30. Dicens : He in castellum,
en t6te du cortege nombreux qui I'accom-
pagne, el, bien qu'il sache ce qui I'allend, il
s'avance vaillammenl, a la fagon d'un chef
que rien n'cffi ale. — Ascendens est ici d'une
reaiile plus parfaile que jamais , car on
monte perpetuelk'menl(d'enviion 3500 pieds)
pour aller de Jericho a Jerusalem. Voyez,
dans I'Allas de la Bible de M. Riess, les pro-
fils de la planche VII. Roule lugubre et de-
solee, qui traverse un des plus affreux deserts
qui soient au moiide (Cfr. x, 25 el ss. el i'ex-
plicalion). Pour le moment du moins , elle
menait Jesus a un triomphe.
TROISlfeME PARTIE
VIB SOUFFRANTE ET GLORIEUSE DE JESUS.
XIX, 29-XXlV, 53.
Voypz le recent el instruclif opuscule du
Rev. W J. Walsh, Harmony of the Gospel
narratives of the Passion, Rosurrection and
Ascension of our blessed Lord from iheVulgale,
with english notes, Dublin 1879.
Compare aux deux aulres synoptiques pour
celte Iroisieme et derniere parlie de son Evan-
gile, S. Luc est en general moins complet,
moins precis: il abrege, el omet par consequent
beaucoup de details. Mais, d'autre pari, nous
trouverons de lemps en temps et jusqu'a la
fin dans son recil de ces particularites pre-
cieuses auxquelles il nous a habitues des le
principe.
1. Entree solenneUe du Messie dans sa
capitals, xix, 29-54.
Parall. Matth. xxi, 1-11; Marc, x:, 1-11; Joan, xii, 12-19.
La foule qui se pressait aulour de Jesus a
Jericho n'avait pas completoinent tort (t. 11) :
le royaume di; Christ allait se manifester
sans retard. Mais, dans le plan divin, ce ne
devail etre la qu'une investiture temporaire
et locale, qui ne concernait directement que
le pniple theocralique. II faut attendm la rin
du monde pour voir briilor dans toute sa
splendeur le regne univorscl de Jesus. La
scen(! qui va se passer a Jerusalem sera toule-
fois un type de celle qui aura lieu aux der-
niers jours. — Voyez, pour I'pxplication de-
laillee, les Evangili's selon S. Matth. (p. 398
el ss.) et selon S. Marc (p. 158 et ss.). C'est
de S. Marc que noire evangeliste se rap-
proche le plus. ^
1<> Prdparalifs du triomplie. }y. 29-35.
29. — Et factum est... Nous devons inler-
caler ici, d'apres la suite chronologique des
dvenempnls un piHil sejour deNotre-Scigneur
a Belhanie. Voyez I'Harmonie evangelique, et
Joan. xii. 1-19. — Ad Bethphage et Betha-
niam. Sur Bethphage, comp. Matth. xxi et le
commeiitairp. D'apres Caspari, Chronolog.-
geograph. Einleilung in das Leb-n J. C.,1869,
p. 1 6 1 et s., ce n'eui pas ele un village, mais
un district, qui aurait embrasse tout le lerri-
toire compris enire la muraille orientale de
Jerusalem el Belhanie, y comf)ris cetle der-
niere localite. Porter, Handbook for Syria a.
Paleslina, p. 215, fail de Belhanie el de Beth-
phage deux quarliers d'un m6ine village. Ces
hypotheses ne sonl pas fondees. Cfr. Hug,
Einleii. in's N. T. 4e ed. 1. 1, p. 16 et s. Quoi-
que S. Luc el S. Marc m nlionnpnl Belhphage
a vant Belhanie, il resulledes r^cils compares
de S. Matlhieu el de S Jean que Bethphage
elail plus rapproche de Jerusalem, puisque
Jesus, allanl de Belhanie a la capitale juive,
Irouva celle localite sur sa roule. Mais
cornme, d'une pari, S. Luc abrege, et que,
d'autre part, les deux villages etaienl tr6s
peu disianls I'un de I'autre. cetle maniere de
parler n'a rien de foncierement inexact.
Voyez Bocharl, I, I. p. 209. elSepp. Jerusalem
u. das h. Land, 1869, t. I, p. 579 (Robinson,
P.ilaesiina, t. II, \), 302, place au coniraire
Belhphage a I'E. de Belhanie). — Ad mon-
tem... Oliceti. Bonne traduction, car il faut
lire dans le texte grec ^Xattiv (au nominal,
sing., bois d'oliviers, « olivelum ») et non
£),atwv (genii, plur. de IXa£a, les oliviers). La
colline qui s'eleve a I'Orient de Jerusalem est
du resle appelee par I'historien Josephe
couime par le Nouv^au Tesiamenl laiilot
opoi; ToJv e>.aiu)v, « mons olivarum », laulot
((juoique plus frequemment) opo; £),atwv,
« moiis Oliveli ».Bienqu'elle soil aujourd'hui
en gratirie parlie denudee, elle merile pour-
tanl encore son nom (Caspari, I. c).
30 el 31 . — Le Messie donne lui-meme des
ordres en vue de sa marche triompliale. II
ne songe plus a se soustraire aux honneurs
comme autrefois, cai' ihinire maiquee par la
Providence a sonne. — Inveuietis ptillum
aninw. Ce dernier mot a ele ajouie par la
Vulgate, comme un determinaiif de ir(i).o«,
qui convienl aussi bien au petit du cheval
quod contra est : in quod introeuu-
tes, invenietis pullum asinse alliga-
tum, cui nemo unquam hominum
sedit : solvite ilium, et adducite.
31 . Et si quis vos interrogaverit :
Quare solvitis? sic dicetis ei : Quia
Dominus operam ejus desiderat.
32. Abierunt autem qui missi
erant : et invenerunt, sicut dixit
illis, stantem pullum.
33. Solvenlibus autem illis pul-
lum, dixerunt domini ejus ad illos :
Quid solvitis pullum?
34. At illi dixerunt : Quia Domi-
nus eum necessarium habet.
35. Et duxerunt ilium ad Jesum.
Et jactantes vestimenta sua supra
pullum, imposuerunt Jesum.
Joan. 12, 14.
36. Eunte autem illo, substerne-
bant vestimenta sua in via.
37. Et cum appropinquaret jam
ad descensum montis Oliveli, coepe-
CHAPITRE XIX 333
est 1^ devant; en y entrant vous
trouverez un dnon attache sur lequel
jamais aucun homme ne s'est assis;
deliez-le et amenez-le.
31 .Etsi quelqu'unvous demande
Pourquoi le deliez-vous? vous re-
pondrez ainsi : Parce que le Sei-
gneur desire s'en servir.
32. Et ceux qui etaient envoyes
s'en allerent,et ilstrouverenti'dnon,
comme il leur avait dit.
33. Et comme ils doliaientTdnon,
ses maitres leur dirent : Pourquoi
delieZ'Vous I'anon?
34. Et ils dirent : Parce que le
Seigneur en a besoin.
35. Et ils le conduisirent a Jesus,
et jetantleurs vStements sur I'dnon,
ils placerent Jesus dessus.
36. Et tandis qu'il allait, ils eten-
daient leurs vStements sur le che-
min.
37. Et comme il approchait de la
descente du mont des Oliviers, lous
qu'a celui de I'ane. S. Luc, comme S. Marc,
parle seulement de I'anon. Cfr. Mallh. xxi, 2.
— Cui nemo... sedit. De in^me le second
evangelisle (a pari remphalique unquam, qui
est propre a S. Luc), — Dominus [\e SiMgneur
par anlonomase, le roiMessie) operam ejus de-
siderat.La phrase est idenlique dansles Irois
recils d'apres lo lexle grec : 6 KOpto; auToO
(Malth. aCiTwv) xpei'av ly^Ei, le Seigneur en a
t)esoin ; mai- la Vulgate I'a traduile de irois
diffep^nles manieres (Cfr. Mallh. el Marc),
ici d'linp inaniero moins hrureuse.
32-34. — Au t. 32, les mols stantem -pul-
lum, qui manquent dans lous les manuscrits
grecs el dans la version syrienne, sonlpro-
bablemenl un gloss6me. — Soliieutibus autem
illis... S. Luc e.-t seul a dire qun ce ful au
moment m^me ou les envoyes de Jesus de-
liaienl I'anon qu'ils regurenl los observations
des proprietaires [domini ejus; S. Marc est
moi:is precis: c quidam de hie stantibus »).
— Quid suloitis, pour « quare solvitis »,
t. 31 (xt au lieu de StaxQ. — Dominus eum
necessarium habet (dans le texte grec, les
motssoiit les memes qu'au 1;. 31). Seul encore
S. Luc cite directemenl la reponse des deux
apoires.
35. — Les disciples ornent I'humble mon-
lure pour la rendre moins indigne de Jesus. —
Jactantes. L'expression correlalive du t xte
primitif, impp\.^a.v:E(, (ayanl jete dessus), nese
trouve qii'ici et I Petr. v, 7. S. Matlhieu em-
ploie eiriOrivcav, S. Marc eTitSaXXoudiv : nuances
utiles a noter.
2° La marche triomphale. ff. 36-54.
Apres quelques trails rapides sur cette
marche polennelle du Messie vers sa capitale,
tt. 36-38, S. Luc releve deux episodes ca-
raderistiques, tf. 39 el 40, 41-44, qu'on
renconlre uniqueinenl dans sa iianaiion.
36. — Eunte illo. Des que la proces-
sion s'ebranla. — Substernebant. Le verbe
grec vire<7Tpwvvuov n'apparait qu'en cet en-
droit du N. T. II est plus pitloresque que le
simple Iffxptoffav di>S. Matlhieu el de S. Marc.
Reinarquez I'emploi de I'imparfail, qui in-
dique un acte conslammenl n nonvele au Cur
el a niesure que Jesus avangiiit. — Vesti-
menta sua in via : et, avec leurs vel( menls,
(les branches qu'ils coupaieiit aux arbre-
planli^s le long du clicmin (Cfr. S. Mallh. et
S. Marc).
37. — Cum appropinquaret jam ad des-
censum (itpo; T^ xaxaSaffet, expression tech-
ni{]ue, qui n'rst pas employee ailleurs dans
le N. T.)... Precieuse note lopographique, spe-
ciale ciS. Luc. « Troischeminsconduisent do
334
fiVANGILE SELON S. LUG
les disciples en foule commencerent
plains de joie a louer Dieu a haute
voix pour tons les prodiges qu'ils
avaient vus,
38. Disant : Beni soit le roi qui
vient au nom du Seigneur! Paix
dans le ciel et gloire dans les hau-
teurs.
39. Et quelques Pharisiens dans
la foule lui dirent : Maitre, repri-
mandezvos disciples.
runt omnes turbee discipulorum
gaudentes laudare Deum voce ma-
gna super omnibus, quas viderant,
virtutibus,
38. Dicentes : Benedictus qui
venit rex in nomine Domine; pax
in coeio, et gloria in excelsis.
39. Et quidam Pharisseorum de
turbis, dixerunt ad ilium : Magis-
ter, increpa discipulos tuos.
Bethanie a Jerusalem. L'un d'eux se glisse
entre les pointes septenlrionale et cenirale
du moiil des Oliviers; un autre graviL sa
cime la plus elevee, pour descendre ensuite
en traversant le village moderne d'Et-Toiir ;
le troisieme, qui est el doit loujours avoir el^
la route proprement dile, conlourne la masse
du centre, passant entre elle et le mont du
Scandale. Les deux autres sent plutol des
sentiers de montagne que de vrais chemins,
et, comme Jesus etait accompagne d'un si
grand nombre de disciples, il est clair qu'il
dut prendre cette route, la plus commode
des trois, » Farrar, Life of Christ, 23e ed.,
t. II, p. 195 et s. Voyez R. Riess, Atlas de la
Bible, pi. VL Cest done au moment ou le
cortege, apres avoir franchi le vcrsanl oriental
du mont des Oliviers, arrivait h I'endroit oil
!e cheinin debouche tout k coup sur le Qanc
occidental, que les acclamations de la foule
commencerenl. La en efifet, la ville, aupara-
vant cacliee par la cime de la colline, appa-
raissait subitemenl dans touts sa splendour.
Si, maintenant qu'elle n'esl plus qu'un pale
reflet de son ancienne bcaule, elle presente
encore de ce lieu aux regards du pelerin un
magnifique panorama, qu'il lui est impossible
de jamais oublier, que n'elait-ce pas dans ces
temps, oil on la regardait a juste titre comme
une drs merv^illes du monde (Tacite, Hist.
V, 8)? Le temple surtout se montrait de ia
tout rayonnani de grace. Voyez I'Evang.
selon S. Matih. p. 434; Porter, Handbook fur
Syria and Palestine, p. 138. On congoit done
qu'en face de cespixtacle admirable, rehausse
a celle epoque de I'annee par les charmes du
printemps, qu'en face de la capi tale etdu palais
du Messie, Tenthousiasme de la multitude qui
escoriail Jesus n'ait pu se contenir. — Omnis
turba discipulorum : des disciples dans le
sens le plus large de celte expression. — .
Coeperunt laudare (alvetv, un des ra Us que
S. Luc et S. Paul sent seuls a employer; Deum...
Ce trail, propre au troisieme Evangile, fait
deja ressorlir d'une maniere generale le ca-
ractere religieux de celte belle manifestation
populaire. — Voce magna est pittoresque.
« Clamabant », disent S. Matihieu et S. Marc.
— Super omnibus... virtutibus (SuviixEwv.
Voyez I'Evang. selon S. Matth. p. 151) : c'esl-
^-dire, a propos des nombreux miracles du
Sauveur dont ils avaienl ete temoins, mais
specialemeut , ajoute S. Jean, xii, 17, a
propos de la resurrection de Lazare.
38. — Dicentes. Les acclamations du
peuple, d'abord conformes dans noire Evan-
gile a celles des autres synoptiques (hormis
I'addition de rex, qui correspond toulefois h
une idee analogue de S. Marc, xi, 1 0), prennent
ensuite un caractere particulier : Pax inccelo
et gloria in altissimis (au lieu de wsawi iv
ToTi; u»}/(oToi; de S. Matth. et de S. Marc). On
croirait entendre un echo du canlique des
anges, ii, 14. « Pax in coelo » : le ciel est en
paix avec nous, grAce a la mediation, a I'o-
blation volontaire du Christ. Gfr. Rom. v, 1 ;
Col. I, 20; II, 14. 15.
39. — « La brievete relative de la descrip-
tion de S. Luc est plus quo compensee par
I'interet des deux narrations qui suivenl »
(Cfr^tt. 41 et ss.), Plumptre, h. I. Elles fu-
rent sans doute fournies a I'evangeliste par
les documents qu'il avail reunis avec tant de
soin. La premiere, qui contient un dialogue
rapide de Jesus avec les Pharisiens, a quel-
que analogic avec un fait relate par le pre-
mier Evangile, xxi, 15 et 16. — Quidam
Pliarisaorumde turbis. Parlout nous trouvons
ces eiinemis du Sauveur. Les voilk deja re-
pandus parmi les rangs de la foule qui
honore Jesus comme le Messie. — Magister
(equivalent de Rabbi) : dern^re ce titre res-
pectueux, qu'ils lui donnaient de temps a
autre (Cfr. x, 25, etc.), ils dissimulent mal
leur envie, leur meconlentement. — Increpa
discipulos luos. « Vous n'enlcnlez done pas
ce qu'ils disent! Par quelque reprimande se-
vere, arretez au plus lot leurs blasphemes ».
Pour ces incredules, le langage des disciples
etait en cflfel blasphdmatoire et ils rendaient
le Maiire responsable de la conduite des
siens.
CHAPITRE XIX
335
40. Quihus ipse ait : Dico vobis,
quia si hi tacuerint, lapides clama-
bunt.
41. Et ut appropinquavit, videns
civitatem flevit super illam, dicens:
42. Quia si cognovisses et tu,
et quidem iu liac die tua, quae ad
pacem tibi ; nunc autem abscon-
aita sunt ab oculis tuis.
43. Quia venient dies in te : et cir-
cumdabunt te inimici tui vallo, et
circumdabunt te, et coangustabunt
te undique,
Malth. 24, 2; Marc. 13, 2; In ft: 20, 6.
40. II leur repondit : Je vous dis
que s'ils se taiseut les pierres crie-
ront.
4 1 . Et lorsqu'il fut proche, voyant
la ville il pleura sur elle, disant :
42. Ah! si tu connaissais, toi
aussi, au moins en ce jour qui est
encore a toi, ce qui te donnerait la
paix ! mais maintenant c'est cache
a tes yeux.
43. Gar des jours viendront sur
toi oil tes ennemis t'environneront
de tranchees et t'enfermeront et te
serreront de^toutes parts,
40. — Qaibiis ipxe ait (dans le grec , xal
iTioxpiOeii; elTtev auToT;). Grave el sublime re-
ponse de Je?us. Non-s-ulement il accepte les
homraages qu'on lui rend, mais il affiime avec
une majesle digue du Messie [dico vobis), et
en employanl une locution proverbiaU^ em-
prunt^e peul-6lre a la prophetie d'Habacuc
(II, 11), que, si les homraes ces-^aienl de I'ac-
claraer, les pierres raemes devraient le faire.
C'etait dire : « Vox popuii, vox Dei! » G'e-
tait reconnaitre lui meme Ires explicilement
sa dignite me>sianiqui^. Sur une expression
semblable de Virgile, Eel. v, 28 (« montosque
feri sylvaeiiue ciamabunl »), Servius a ecril ce
juste coinmeniaire ; « Hyprrbolic ■ diclum,
quum res hujusmodi est ul nulla ralione
celari aut occulta manere possit. » Cfr. Ovide,
Metam. ii, 697, et, dans le Talmud, le traite
Cliagigah, f. 16, 1 : « Ne dicas, Quis testa-
bitur contra mo? Lapides domus ejus et ira-
bes domus hominis illius teslabuntur contra
eum. »
41. — Et lit appropinquavit. Quand il fut
parvenu a son lour au lieu decrit plus haul,
f. 37. — Fleoit super earn. C'est a bon droit
qu'on a regarde celte scene touchanle comme
« un des joyaux de noire Evangile » (Godet).
En contemplant Jerusalem, Jesus en embrassa
toute I'hisloire pas^ee, presenle et future :
histoire du divin amour qui setail manifeste
avec des lendresscs sans pareilles, hisloire
de ringralitude humaine podssee a son com-
ble, histoire des veng.'ances celestes les plus
terribles. Ce doulouieux tableau excita en lui
une vive emotion, k laquelle il donne un libro
cours au plus beau moment de son iriomphe!
Deux fois seulement nous lisons dans sa vie
qu'd pleura, ici et avant de ressusciter
Lazare, sur son ingrate patrie etsur I'ami de
son cceur. Mais 1^ il n'eiait question que de
larmes silencieuses, ISaxpuaev (Joan, xi, 35),
tandjs qu'ici il pleura a baule voix et san-
glote, |y.Xa\j(jev. Qu'il est beau et divin, le
Fils de Dieu pleurant! Et loutefois S. Epi-
pliane raconte qu'il s'etail trouve de son
temps des hommes qui, Irouvanl ce trait in-
digne de Jesus, I'avaienl relraiiclie d'un main
aussi brulale qu'ininlelligenle. Cfr. D. Cal-
met. h. I.
42. — Jesus va moliver ses pleurs. II gd-
mit sur I'eiidurcissemont de sa chere patrie
et sur les maux affreux qui en seronl la con-
sequence inevitable : Quia (recilatif) si cogno-
visses et tu... Toi aussi (avec emphase),
comme mes disciples fideles. La repetition
frequenle des pronoms <nj, oou, ere, ctoi dans
les ft. 42-44 (qualcrze fois!) est du plus bel
effet. — Et quidem (la particule xal ys. a ete
omise a tort par les manuscrits B, L, Sin. :
elle est ici Ires expres>ive) in hac die tua.
Chaque mot porte. Ce jour- la avail encore
ete donne a Jerusalem pour se repentir et
pour croire a Jesus : mais c'etait un jour de-
cisif. — Quce ad pacem tibi (Cfr. xiv, 32) •
c'est-a-dire les conditions auxquelles Dieu
est dispo-e a t'accorder la paix, le salut.
Peut-eire y a-t-il dans ces mots une parono-
inasc, par laquelle le Sauveur jouerait, -^uivant
un usage aiine des Orientaux, sur le nora de
Jerusalem (lieu ou vision de la paix). — Nunc
autem... La phrase qui precedi' n'est pas
achevee, comme le notail deja Eulhymius :
« Defeclivus est sermo. Solent eiiim flentes,
continue-t-il en indiquant Ires bien la raison
de celte aposiopese, verba prse affectus vehe-
nientia abrumpere. » On la completerait en
en ajoutant : « Longe aliler te gereres »,
ou quelque autre idee analogue. Par ce
vOv 6e plein d'empliasc, Jesus laisse done
tout a coup, pour revenir a la triste rea-
lite, ce bel id^al qu'il avail un instant con-
templd, — Abscondita sunt (scil. « quae ad
pacem tibi ») ab orulis tuts. Aveuglement tout
a fait volontaire de la part de Jerusalem :
336
44. Et renverseront par terre toi
et tes enfanls qui sont au milieu de
toi, et ils ne laisseront pas en toi
pierre sur pierre, parce que tu n'as
pas connu le lemps oij tu as ete
visitee.
45. Et etant entre dans le temple,
il commenca k chasser ceux qui y
vendaient et y achetaient,
46. Leur disant : II est ecrit : Ma
maison est une maison de priere,
mais vous en avez fait une caverne
de voleurs.
fiVANGILE SELON S. LUG
44. Et ad terram prosternent te,
et filios tuos, qui in te sunt, et non
relinquent in te lapidem super lapi-
dem, eo quod non cognoveris tem-
pus visitationis tuse.
Matlh. 21, 12; Marc. U, 15.
45. Etingressus intemplura. coe-
pit ejicere vendentes in illo, el
ementes,
Matlh. 17, 19.
46. Dicens illis : Scriptum est :
Quia domus mea domus orationis
est. Vos autem fecisti illam spelun-
cam latronum.
Isaie. 56, 7; Jerem. 7, 11.
elle a d'elle-meme lerine les yeux a la lumiere
(comparez la fin du t. 44).
43 et 44. — Descri|jiion magnifique et
douloureuse tout ensemble. La plupart des
expressions du lexte grec sont techniques,
lout a fait noble.-^, et propres au troisieme
Evangile. — Quia (ici, « elenim »). Jesus
passe aux affreux chcilimenls que Jerusalem
atlirera sur elle par uneconduile si coupable.
— Venient, mis adessein en tele de la piirase,
indique la certitude des malheurs prophelises.
— 1)1 te : mieux « super te » (eut az). — Et
circumdabunt ^7vepi6a),o0ffiv). Chacun des hor-
ribles deiails lour a tour signales par Jesus
est introduit d'une maniere emphalique par
la conjonclion xai, qui les met li ijloment en
relief. — Vnllo (xapaxa). Nous prenons x«P«S
dans le sens large, comme representant !'« ag-
ger » tout enlier, c'est-k-dire le relranche-
mtnt ou rempari artificiel destine soil a pro-
teger un camp, soil a mveslir une ville. « C'e-
tail ordinairemenl une vasle levee de terre,
surmontee de palissades (« vallum » dans le
sens strict) et proiegee exterieuremenl par
une tranchee (fossa). » A. Rich, Diclionn. des
antlq. rom. et grecq., aux mots Agger et
Vallum. — Et circumdabunt te : cetle fois,
dans le grec, 7tepticux)-u)(7ouat at, « circumcin-
gent ». Les Juifs, dans une habile sortie,
ayant incendie le « vallum » que les Ro-
mains avaient elabli aiitour de Jerusalem,
Titus en construisil rapidement un second,
raais en maQonnerie, qui n'avait rien a crain-
dre du feu. — Coangustabunt te (duve^oviaC oe)
undique. Accumulalion energique de syno-
nymes. Mais ce ne sont pas de vaines pa-
roles. La circonference ili- Jerusalem etail de
33 slades : le retranchement de Titus n'en
avail que 39. — Ad terram, prosternent (eSa-
9io0a(, de ISaqjo;, sol, terre) te et filios tuos in
te. Image d'une ruine univer?elle. La ville
sera rasee ; ses ills (ses habilanls, par raelo-
nymie) seront massacres sans pilie. — Non
relinquent in te.., Voyez Matlh. xxiv, 2, oil
J^sus lance en particulier cetle sombre pro-
phelie centre le temple. El tout s'est realise
k la leltre! Comparez Josephe, de Bell. Jud.
VII, 1, 1. Aussi, un jour quo Frederic-le-
Grand demandail h Gellert ce qu'il pensait
du Christ, ce celebre professeur se contenla
de lui repondre : Que pense Voire Majesle de
la destruction de Jerusalem? (Slu r, Reden
des Herrn Jesu, h. I.). — Eo quod (av6' »v)
non cognovisti... iesus, termine comme il avail
commence [t- 42), en reproclianl a la cite
juive son iriste aveuglement. Le tempus visi-
talionis qu'elle a meconnu n'esl autre que le
cemps de la vie publique du Sauveur, durant
lequel elle avail regu de lui lanl de visiles
pacifiques Sur le mot « visilatio * voyez i, 68
et le commenlaire).
2. J6SU.S rdgnant en Messie dans le temple.
XIX, 43-xxi, 4.
Le triomphe de Jesus continue, mais sous
une autre forme. Deux jours durant, le lundi
et le mardi de la semaine sainle, nous le
voyons manifesler en face de ses enneinis son
autorile missianique, par les acles d'abord,
puis par la parole. C'est vraimenl un roi qui
trone dans son palais.
!• Expulsion des vendeurs. xix, 45-48. — Parall.
Malth. XXI. 12-13; Marc, xi, 13-17.
45 et 46. — Voyez nos commeni aires sur
les deux premiers Evangile?. S. Luc ne fail
guere que loucher cl cetle majeslueu-^e action
de Jesus. — litgressus in temphim. C'eiaiU
comme le note expre>semenl S. Marc, xi, 12
et ss., le lendemain de I'enlree solennelle a
Jeiusalem. — Vendentes et ementes. Ces deux
derniers mots sont omis par Tischendorf, sur
CHAPITRE XX
337
47. Et erat docens quolidie in
templo. Principes aiUem sacerdo-
tum et scribse et principes plebis
quaerebant ilium perdere.
48. Et non inveniebant quid face-
rent illi. Omnis enim populus sus-
pensus erat, audiens ilium.
47. Et il enseignait tous les joiirs
dans le temple. Mais les princes des
prelres et les scribes et les princi-
paiix du peuple cherchaient a le
perdre.
48. Et ils ne trouvaient pas ce
qu'ils pourraientlui faire, car tout le
peuple elait transporteen recoutant.
CIIAPITRE XX
Les Sanhedri-tes interrogent Notre-Seignenr sur I'origine de sps pouvoirs (tt. 1-8). —
Parabole des vignerons rebelles {tt. 9-19). — Qiieslion relative a I'lmpoi (tt. 20-26).
— Les Saddiicee'ns defails a leur lour (tt. 27-40). — David et le Me^^sie [ft. 41-44). —
Jesus denonce les vices des Scribes [t1f. 45-47).
1. Et factum est in una dierum,
docente illo populum in templo, et
1. Et il advint qu'un de ces jours-
Ik, comme il enseignait et evangeli-
t'auloriie des raanuscrits B, L, Sin., elc. C'e-
tail la seconde fois que Jesus chassait des
sacres parvis les gro>siers usurpaleurs qui
les prolanaient avec la tolerance el inenie la
compiicile (li'S prelres. Cfr. Joan, ii, 14 etss.
— Vos fecistis illam spehtncam latiwnim.
Cinquantc ans apres, la inaisoii de Dieu allail
devenir dans un sens encore plus desolanl un
repaire horrible de bandils. Parlanl des atro-
cites conimises par les « sicaires » dans I'in-
terieur du lemple, Ananus s'ccriait : « II eul
ele bon pour inoi de mourir avanl de voir le
sancluaire souille par de Idles abomina-
tions, ces lieux sacres liorriblement pielines
par des scelerals sanguinaires. » Jos. Bell.
Jud. IV, 3, 10.
2" Description g^n^rale du ministJre de J^sus dans
le temple peiid;int ces deiniers jours, ux, 47 et
48. — Parall. Marc, xi, 18.
Beau tableau, vigoureusement trace, A
Tavanl-scene, Jesus qui emploie les demieres
heures de sa vie a instruire le p^i'ple: aniour
de lui, son audiloire clianne; dans roinbre,
par derriere, ses ennemis furieux qui com-
plotenl sa moil. La plupart des trails sonl
propres a S. Luc.
47. — Et erat docens. Tnurnure qui ex-
prime la coniinuile; elle est cornplolee du
resle par i'advibe quolidie (dans ii- grec,
TO y.aO' :fiM.epav, jour i)ar jour). — A cetle phy-
sionomie celeste de Jesus enseignanl, le nar-
raleiir oppose les conciliabules de liaine que
lipiinenl s s cruels eniiiniis. Les mols yjrui-
£i])es sarerdutnm el scribw et principes plebis
(oi TipwToiToy >,aou, « primores plebis «, Jes
notables) represenlenl les trois cliambres du
Sanhedrin. — Qucerebant ilium perdere : Tim-
parfait indique la Constance de ieurs lenia-
lives haineuses.
48. — Non inveniebant quid facerent (to x(
TtoiTOdfoffiv. Le pronom illi manque dans le
lexle grec). Decides a se defaiie de Jesus, les
Sanhedrisles etaii nl dans I'embarras ^ur les
moyens auxquels ils aui aienl nconrs pour le
mellro a mori. — Omnis enim populus. Motif
de celte hesitation, et en meme temps beau
conirasle. Tandis que les ennemis du Sau-
veur s'acliarneni a sa p rle, le peuple ecoute
Jesus avec transport. La loculion suspensus
erat (E^expcV-aro), -peciale a noUe evaiiLielisle,
n'esl pas moins elegante qu'encMgique ,
conimo le fail observer Suicer, Thesnuius,
t. I, p. 1063. Les auteurs classiqu'^s I'em-
ploiei)t freqiiemment. Voyez Virg. JEn. iv,
79; Ovid.Ep. i, 30: Horal., Ep. i, 105, elc.
Cfr. G n. XLiv, 30. Nous dison-i dans le
meme sens : eire suspindu aux levres de
quelqu'un. Que! eloge, en un seul m it, de
I'eloquence toulc divine de Notre Seigneur I
3« Le Sanhddrin et i'origine des pouvoirs de J^sns.
XX, 1-8. — Parall. Matth. xxi, 23-27; Mare, xi,
27-33.
Chap. xx. — 1. — « Quum rommemo-
rassel Lucas ejeclos de templn cmi'nies et
vendenles, praeierniisil quod exibal (Jesus)
in Bi thaniam, et regrediebalur in tiviiaii m,
et quod de liculnea laclum est, et quod mi -
ranlibus discipulisde iidei virUile responsum
S. Bible. S. Luc. — 22
338
EVANGILE SELON S. LUG
salt le peuple dans le temple, les
princes dej pretres et les scribes
"vinrent ensemble avec les anciens.
2. Et ils dirent, s'adressant a lui :
Dis-nous par quel pouvoir tufais ces
choses, ou quel est celui qui t'a
donne ce pouvoir.
3. Et Jesus leur repondit : Je vous
ferai moi aussi une question ; repon-
dez-moi.
k. Le bapteme de Jean etait-il du
ciel ou des hommes ?
5. Et ils reflechissaient, disant
en eux-memes : Si nous repondons :
Du ciel, il dira : Pourquoi n'y avez-
vous pas cru ?
6. Et si nous disons : Des hommes.
evangelizante, convenerunt princi-
pes sacerdotum et scribse cum se-
nioribus.
MalUi.. 21, 23; Marc, 11, 27.
2. Et aiunt dicentes ad ilium : Dic-
nobis in qua potestale hsec facisf
aut quis est qui dedit tibi banc
potestatem ?
3. Respondens autem Jesus, dixit
ad illos : Intcrrogabo vos et ego
unum verbum. Respoudele mihi.
4. Baptismus Joannis de coelo
erat, an ex hominibus ?
5. At llli cogitabant intra se, di-
centes : Quia si dixerimus : De coelo,
dicet : Quare ergo non credidistis
illi ?
6. Si autem dixerimus : Ex homi-
est; atque his praetermissis, non quasi ex
ordine dies prosequcns (sicut Marcus), intu-
lit, dicens : Et, factum est in una dierum. »
S. August, de Cons. Evang. ii, 69. Le grec
porte : Iv (xiqi twv ri(xepwv dxeivwv, mais exetvwv
est omis par les manuscnls B, D, G, L, Sinait.,
el par la version syrienne, comnae par la
Vulgate. « Dierum » represenle les derniers
jours que Nolre-Seigneur passa a Jerusalem
entre son triomphe el sa mort ; « una » le
mardi sainl, d'apres S. Marc, xi, 20 (voyez
le conimentaire). Nous avons deja rencontre
a pUisieurs reprises dans le troisieme Evan-
gile (v, 17; viii, 22) cette formule generaie.
— Docente illo populum... Le mot suivant,
evangelizante, tant aime de notre evangelisle
et de S. Paul (ils remploienl a eux deux jiis-
qu'^ 45 fois), precise la nature de I'enseigne-
menl aclud du Sauveur dans le temple : il
prfichait I'Evangile, la bonne nouveile; il
parlait du royaume messianique. — Convene-
runt... Le verbe grec E7t£aT*](7av signifie sou-
vent : arriver a rimpiovisle, avec des inten-
tions hostiles, « irruere ». Cfr. ii, 38 ; Act.
IV, 4 ; VI, 12 ; xxiii, 17. II caraclerise beau-
coup mieux que les expresssions paral-
l^les de S. Matlhieu (irpoerfjXeov) el de S. Marc
(SpXovTai) le but que se proposait la deputa-
tion du Sanhedrin {principes sacerdotum,
scribce cum senioribus), quand elle vint lout
k coup interrompre le discours de Jesus.
2, — Aiunt (grec, eTttov ou eiitav) dicentes
(hebraisme). La question a deux parlies bien
dislinctes : 1o in qua potestate... Quelle est
la nature de voire mandat? 2o (avec la par-
licule aut pour servir de transition), quis est
qui dedit (plus fortement en grec, xt's eonv 6
SoutJ...? par quel intermediaire vous a-t-il eid
transmis, d'oii vient-il? Les Sanhedristes
avaient autrefois adresse une demande du
meme genre a S. Jean-Bapliste, mais dans
un esprit moins hostile, Joan, i, 19 et ss.
Elle est si parfaitement conforme a toutes les
habitudes rabbiniques. telles qu'elles nous
sont devoilees par le Talmud, que Strauss
lui-meme n'he^ite pas a admettre I'authen-
ticite de cette scene,
3 et 4. — Respondens Jesus. Quelle ma-
jesle, quel calme, quelle douceur dans la re-
ponse de Jesus! Mais aussi quel k propos tout
divin pour confondre ses adversaires pen-
dant cette « journee des tentations »I Cfr.
t1f. 20 el ss., 27 et ss.; Marc, xii, 28 et ss.
— Unum verbum : §■«« est omis par les ma-
nuscrits B, L, R, Sinait. — Respondete mihi.
Dans le grec, xat etitare [lot, « et dixerilis
mihi. » Les paroles du Sauveur sont citees
plus complelement dans les deux autres re-
cits. — Baptismus Joannis... En d'autres
termes, Jean-Bapliste etait-il un prophete ou
un imposleiir?
5 et 6. — At illi cogitabant (mjveXoYi'oavTo,
« rationes colligebant », expression qu'on ne
Irouve pas ailleurs dans le N. T. ; S. Mat-
lhieu : 6i£),oyi!;ovxo, S. Marc : iXoyt^ovTo;
Irois nuances differentes) intra se (ou plulot
« inter se », car tel est ici le sens de mp6;
^auTou;). Embarrasses par ce tour inaltendu
donne a i'enlretien, ils deliberent entre eux
pour chercher une echappaloire. — Si dixeri-
mus... Comme ils pesent habilement toutes
les evenlualites possibles! Mais en vain; ils
ne reussiront pas k trouver une issue hono-
rable, des la qu'ils ne s'inquietent que de
leur vanile personnelle, et nullement des
droits de la \6ril4. — Plebs universa (aves
CHAPITRE XX
339
nibus, plebs universa lapidabitnos :
certi sunt enim Joannem prophetam
esse.
7. Et responderunt se nescire
unde esset.
8. Et Jesus ait illis : Neque ego
dico vobisin quapotestatehsecfacio.
9. Coepit autem dicere ad plebem
parabolam banc : Homo plantavit
"vineaiii, et locavit earn colonis : et
ipse peregrefuit multis temporibus.
Muu. 21, 33; iMarc, 12, 1.
10. Et in tempore misit ad culto-
res servum, ut de fructu vinese da-
rent ilii. Qui csesum dimiserunteum
inanem.
11. Et addidit alterum servum
tout le peu})le nous lapidera, car ils
sontcertaius que Jean etaitpropiiete.
7. Et ils repondirent qu'ils ne sa-
vaient pas d'ou il etait.
8. Et Jesus leur dit : Moi non plus
je ne vous dis pas par quel pouvoir
je fais ces choses.
9. Et il commencaadireaupeuple
cette parabole : Un homme planta
une vigne et la loua a des vignerons,
et lui-memes'en fut pourlongtemps
dans un pays lointain.
10. Et dans la saison il envoya un
deses serviteurs aux vignerons pour
qu'ils lui donnassent du fruit de la
vigne. lis le battirent et le renvoye-
rent vide.
11. II envoya encore un autre
empliase) lapidabit nos (dans le grec, y.aTaXi-
•aaei, mot lies fori, employe en ce seiil en-
droil du N, T.). La reflexion des Sanhedrisles
est speciale a S. Luc sous cetle forme ener-
gique (comparez S. Malth. et S. Marc). La
crainle qu'iis expriment elail d'ailleurs Ires
serieuse, comme le demontrent divers fails
du Nouveau Testament relatifs soil a N. S.
Jesus-Christ, Joan, x, 31, soil a S. Eiienne,
Acl. VII, 56-59. La lapidation etait le sup-
plice legal pour les delits religieux, el les
foulesjuives ne craignaient pas ^ I'occasion
de I'infliger sommairement. — Certi sunt
enim... Encore uno expression vigoureuse,
propre a S. Luc. Le teujps du veibe grec
(iteireicrijievo; £<yTtv) indique une cerlitude par-
faite, immuablo. Et c'etait vrail Josephe
tffirme egah menl que la foi du peuple a la
mission divine de S. Jean etait aussi ardente
qu'unanime. Ant. xviii, 5, 2.
7. — Responderiuit se nesrire... S. Malthieu
et S. Marc emploient le langage direct :
« Nescimus. » D'apres un beau proverbe tal-
rnudique, I'homme doit appiendre a sa
langue a dire, Je ne sais pas (n31u;S laS
yiV ''i^iH IDnS), eten effel, dans bien des
cas, une pareille reponse est noble parce
qu'elle est humble; mais c'elait ici un iSche
mensonge.
8. — Neque ego dico vobis... Parfaite appli-
cation ds I'axiome : « Responde siulto juxla
stultitiam suam », Prov. xxvi, 5. Si vous etes
incompelenls pour poit' r nn jugcment sur
I'aulorile de S. Jean-Bapti-te, vous Teles
aussi au sujet dela mienne. — Voyez du resle
I'explicat^on delaiilee de tout ce passage dans
nos commenlaireSf sur S. Malthieu et sur
S. Marc.
i» Parabole des vignerons rebelles. xix, 9-19. —
Parall. Matlh. xxi, 33-46; Marc, xu, 1-12.
Le lecit de S. Luc est le plus court des
trois. La ressembiance entre les .>ynopliques
est d'ailleurs ires frappante; nous n'aurons
done qu'un petit nombre de trails particuliers
a signaler.
9. — Coepit dicere ad plebem. D'apres les
autres evangelisles, Jesus aurait continue de
s'adresser aux delegues du Sanhedrin quand
ii exposa la parabole des vignerons perfides.
Les deux choses furent vraies en meme
temps, puisquri les Sanhedri-lcs aussi bien
que la i'oule etaient alors aiipres de Notre-
Seigneur. Cfr. t^. 19. — Homo plantavit vi-
necim. S. Luc ne dit rien des soins multiples
dont avail ele entouree cette plantation. —
Locavit earn agricolis. Le proprietaire sym-
bolise Jehova; les vignerons figurent les
chefs spintuels de la nation juive, qui est
elle-meme representee par la vigne. Cfr. Is.
V, 1-7. — Multis temporibus (xpovou; Ixavou;.
Cfr. VIII, 29) ejt un trait special. II (aut en-
tendre, par cette longue absence du proprie-
taire, le temps qui s'ecoula depuis I'alliance
du Sinai el I'entree des Juifs dans la Terre
promise jusqu'a la venue du Messie, c'esl-^-
dire environ 2,000 ans. n Multis temporibus
alifuit, remarquo delicatement S. Ambroise,
Exp. in Luc. IX, 23, ne praepropera vide-
retur exactio : nam quo in(liilg(nitior libera-
lilas, po inexcusiibilior pervicacia. »
40-12. — In tempore (soil. « frucluum »;
340
fiVANGILE SELON S. LUG
serviteur, mais ilslebaltirent aussi
et Taccablant d'oulrages le renvoye-
renl vide.
12. Et il en envo^-a un troisieme,
et ils le chasserent apres I'avoir
blesse.
13. Et le maitre de la vigne dit :
Queferai-je?j'enverrai montils bien-
aime; peut-elre que lorsqu'ils le
verront ils le respecteront.
14. Lorsque les viguerons I'eu-
rent vu, ils reflechirent, disant en-
treeux: Gelui-ciesiriieritier, tuons-
le afni que I'heritage soit a nous.
15. El I'ayaiit jete hors de la vigne
ils le luerent. Que leur fera done le
maitre de la vigne?
16. II viendra et perdra ces vi-
gnerons, et il donnera la vigne a
S'autres. En enlendant cela ils lui
dirent : Qu'il ne soit pas ainsi !
miltere. Illi autem hunc quoque cse-
dentes, et afficientes contumelia,
dimiseriint inanem.
12. Et addidit tertium mittere :
qui et ilium vulnerantes ejecerunt.
13. Dixit autem dominus vineae :
Quid faciam? miltam filium meum
dileclum : forsitan, cum hunc vide-
rint, verebuntur.
14. Quem cum vidissent coloni,
cogitaverunt intra se, dicentes : Hie
est liseres, occidamus ilium, ul nos-
tra fiat hsereditas.
1 b. Etejectum ilium extra vineam,
occiderunt. Quid ergo faciet illis do-
minus vinese ?
16. Veniet, etperdetcolonos isles:
et dabit vineam aliis. Quo audito,
dixerunt illi : Absit.
la lecon primilive ciu greo par ail en(! /.aipw
sans preposition, d'api es B, D, L) misit... Sui-
vant la ioijuive, Lev. xix, 23-'25, on no pou-
vail jouir d('*fiuils d'une vigne que cin(i ans
apres sa plantation. Elle elail censee impare
les trois premieres annees, el,la qualrieme,
les fruits appart<'naienl au Seigneur comme
premices. — Servum : ce serviienr el les
deux suivants sonl le type des prophetes qui
furenl, aux d iff ''rentes periodes de riiisloire
juive, d s intermediaires entre Jehova et son
p.^uple. — Aditidttiniltere (npoaiQexo rA[i.^y.i) :
tiebralsnv^ mSuS =]3'in. Cfr. xix, I! et
I'explication. Dans les auires recils : a ilerum
misil. » — Ccedentes et afficientes contumelia.
Les outrages vonl croissant, comme aussi la
paliince vraiment. divine du pro|irielaire. Un
honime ne subirail pas deux iois impunement
de pareijles injures. — Vulnerantes : dans le
grec, Tpa'j!iaTt(javT£;, expression a deuii tech-
nique employe • seulement ici el Act. xix, 16.
43. — Sublime deliberation, que S. Luc
seul a reialee compleiem -nl. — Quid [anainf
Comme en d'aulres ( ircons'.ances solenneiies.
Gen. I. 26; vi 7, Dieu lienl pour ainsi dire
conseil av c lui-meme avanl de prendre une
decision mioorianle pour Ihuuiamie. —
Miltam filuni )ninm... G'est encore la mise-
ricorde qui I'l itip irte ; mais la misencorde
poussee a son exiieme limite. — Forsitan
[lawi n'apparai! (ju'en eel endroit du N.T.)...
»ere6«/i<u)'.Ci't 'ow;esl unanlhropomoi pliisine
evident. II esL ires bien commenle par S. Je-
rome : a Quod autem dicil, Verebuntur forte
filium ra Uiu, nun de ignoranlia dicitui- .
quid enim nescial paterfamilias, qui hoc loco
Deus inlelligUur? sed semper aiiib:gere Deus
dicitur, ul libera Voluntas homini reserve-
lur. » — Les mots rum hunc viderint sonl
omis par les manuscrils B. C, D. L. Q, Sinail.
ii. — Quem rum vidissent. Les v gnerons
apeiQoivent a distance el reconnaisseni ie fils
de leur pro[)) ieiaire. Aussitol ils deiiberent a
leur lour [rogitnverunt intra se; plus exacie-
ment, d'apres le grec, « perpendeiunl inter
se » ; mais e'esl pour prendre un- horrible
resolution : Hie est hceres, ocridnmus ilium.
Sur ce litre d'herilier, applique a Nut re-
Seigneur, voyez Hebr. i, 2. Avec quelle tbrce
et quelle clarle lout ensemble Jesus devoile
devani le p'uple les tram s lionieus 's de ses
chefs el I(> motif reel de la liaineilonl ceux-ci le
poursuivaienl ! Ces hoinmes onl fait de la theo-
ciatie leur proprieie, et, co pouvoir qu'ils
onl exploile jusqii'ici a leur profit, ils ne
peuvent se resoudre a 1" deposer entre les
mains du Fils, qui vienl le reclamer au nom
de son Pere.
15 et 16. — Et eji'ctum ilium extra vineam...
Les irois recils mentionn nt celte circons-
tani'-. Naboth, que lesSS. Peres client volau-
tiers comme un typede lamorldn M .-sie, avait
elepareiliemenl traine hors desa vigne avanl
d'etre lapide. Hi Reg. xxi, IS. Cfr. S. Ambr.
Expos, in Luc. ix, 33.— Quid ergo faciet...
Conijiari^z le « quid faciam » du t. '13. .Mais la
conclusion sera bien differenle. — Veniet et
perdtt...S. Luc, commeS. iMarc, sembk metlre
CIIAPITRE XX
341
17. Ille autem aspiciens eos, ait :
Quid est ergo hoc quod scriptum est:
Lapidem quern reprobaverunt sedi-
ficanles, hie faclus est in caput
anguli?
Rom. 9, 33; /. Pelr. 2, 7.
18. Omnis qui ceciderit super
ilium lapidem, conquassabitur : su-
per quern autem ceciderit, commi-
nuet ilium.
19. Et quserebant principes sacer-
dotum fct scribse mittere in ilium
man us ilia hora : et timuerunt popu-
lum, cognoverunt enim quod ad
ipsos dixerit similitudmem banc.
20. Et observantes miserunt insi-
17. Mais les regardant il dit :
Que signilie done ce (|ui est ecrit :
La pierre qu'ont rejclce ceux qui
batissaient est devenue la lete de
Tangle?
18. Quiconque tombcra sur cette
pierre sera brise, et elle ecrasera
celui sur qui elle tombera.
19. Et les princes des pretres et
les scribes cherchaient a mettre la
main sur lui a I'heure meme, mais
ils craignaient le peuple; car ils
avaient reconnu qu'il avail dit celte
parabole pour eux.
20. El I'observant, ils cnvoverent
cet arret severe sur les levros de Notre - Sei-
gneur,landi:^ que, d'apres S. Malthieu, il aurail
ile pmfere par les Saiihedrisles. il n'y a pas
d'antilogie leelle, car Ton pful dire, ou bien
(et c'isi le plus probable) que le second el lo
troisieme des synoptiques abregenl, ou bien
que Je-us repeia, pour I'acceniuer, la juste
sentence que ses adversaircs avaient portee
centre eux-memes. — Absil, (xt) ^i^oi-^o. Celte
formule dcprecatoire, qui n'ap[)arail qu'en
ce pa>sage des Evangiles, mais que S. Paul
emploie jusqu'a dix Ibis dan^ la seule epitre
aux Rom<iins (c'est le nS'Sn hebreu, le con-
traired'Auien), ful sans douie piononcee par
le peuple, comme pour detournrr un « ma-
lum omen ». L assistance avail done compris
le sen- de la paiabole. — DabU viueain aliis.
SubslilmioM terrible, mais pai I'aileinenl legi-
time. CiV. Act. xni, 46.
17 et 18. — Ille autem aspiciens eos. Trait
piltoresque, propre k S. Luc. Le grec i[t.6li-\ia.<i
(regarder dedans) marque un regard Qxe, pe-
netrant.— Quid est ergo hoc. a Ergo », c'esl-
i-flir-", dans le cas ou voire « Ab-it » serail
exauce, comment s'accoinpliraienl les Ecri-
tures, {|ui piednent aux enncmis du Clinst
les cliaiim nls les plus rigomeux? Jesus
donne aiiisi plus de force a sa menace en I'ln-
seiaiit dans unr revelation divine. Le pa-;sage
cite, lapidem quern reprobaverunt..., est tire
du inline Psaumecxvii (it'. i2] auquel la foule
emprunlail n;igiiere ses vivats entliousiastes
(XIX. 38). II expriiiic sous une forme nouvelle
et pill-; eneigi(|ue la pensee developpee dans
la parabole ; ear Jesus est la pierre d'abord
mepri<ee. (lUis [)lacee au point I'ondamenlal
de Tedifice, lamiis que les constructeurs,
comme plus haiit les vignerons, figurenl les
autorilesjuives.Voyezl'Evang.seiunS. Matlh.
p. 418. — Omnis qui ceciderit... Ci s paroles
composent un vers anlilhelique. avec grada-
tion ascendante de la pensee dans le second
herai-tiche.
Oranis qui ceciderit super ilium lapidem cmquassabitur;
Super quera aulem cccideiit, commiuuut illii.'ii.
Les correlalifs grecs des verbes conquassa-
bitur ((7uv6)>aaef,ff£Tai), comminuet [Ao/.(j/oa£i),
sunt ires expressifs. Le second, qui est en-
core plus energique que le premier, a le sens
de passi'r au cribh;. Voyez dans I C-v. i, 13,
la realisation de cetle menace.
19. — Et quwrebaiit principes... Je-us n'a-
vait pas seulemenl refuse de repcn'lre a la
« quesiioii diclatoriale » des Sanhednsles ;
il avail in outre denonce a la face d i peuple
lour cotiduile anlilheocralique etfait retentir
au-ilessus de leurs letes le lonnerre des ven-
geances celestes. Aussi, plus irntes que
jamais, se m'ttent ils a deliberer encore
(Cfr. XIX, 47 (I ss.) pour liouver le mey; n do
s'euipari'r de lui sui-le-champ {llln hora, plus
forteinenl dans le grec, ev auT^ t^i wpa : c'est
la un trail propre a S. Luc) ; mais de nouveau
la craiiile du peuple les n'lini. — Cognove-
runt quod ad ipsos dixerit : c'est-^ dire « de
ipsis ». lis disaienl juste. C'etait la realisa-
liuii de I'adage : « Mulato nomine de te fa-
bula narralur. » Celte refiixmn, commune
aux trois synoptiques, est procieuse, parcc
qu'elte nous revele le but imiri«^diat de la
parole des vignerons liomicides
5o Qucslinn relative aPimpdl. xx, 20-26.— Parall.
Matth. XXII, 15-22; Marc, xu, 13-17.
Voyez nos commentaires sur S Malthieu
et sur S. M.irc.
20. •=■ Petit pre^mbule liistorique, plui
342
fiVANGILE SELON S. LUC
des gens qui feignaient d'etre justes
pour lui tendre des embuches eUlo
surprendre dans ses paroles, afin da
le livrer au magistral et au pouvoir
du gouvernenr.
21 . Et ils rinterrogerent, disant :
Malt re, nous savons que tu paries et
enseignes avec droiture, que tu ne
fais pas acception de persoiine, mais
que tu enseignes la voie de Dieu
dans la verite.
22. Nous est-il permis de payer le
tribut a Cesar ou non ?
'^3. Gonsiderant leur ruse, il leur
dit : Pourquoi me teutez-vous?
24. Montrez-moi un denier. De
diatores, qui se justos simularent,
ut caperent eum in sermone, ut tra-
derent ilium principatui, et potestati
prsesidis.
Malth. 22, 15; Mtrc. 12, 13.
21. Et interrogaverunt eum, di-
centes : Magister, scimus quiarecte
dicis et doces : et non accipis per-
sonam, sed viam Dei in veritale
doces :
22. Licet nobis tributum dare
Gsesari an non ?
23. Considerans autem dolum illo-
rum, dixit ad eos : Quid me tentatis?
24. Ostcndite milii denarium. Gu-
complet dans le troisieme Evangile que dans
les deux auires. S. Luc a de vigourf ux coups
de pinceau pour decrire Ja conduite basse et
hypocrite des pniiemis de Jesus. — Et obser-
vanies (itapaTriprjaavTei;) : en mauvaise part,
comnie en rraulres endroils. Cfr. vi, 7;
XIV, 1 ; XVII, 20. — Miserunt insidiatores. Le
mol grec eyxaxeOo; (de ev, dans, et xoLer,[jiai, je
suis assis), employe seuleuient en cc passage
du N. T., esl classiqup pour designer les horn-
mes perfides « qui subsidunl in loco occullo, in
queui se demiserunt ad insidias aliis slruen-
das » (Rosenmiiller. Cfr. IJrelschneider, Lex.
man. s. v.). Les recits paralleles nous ap-
prennent que ces emissaires elaient les dis-
ciples des Pharisiens. — Qui se justos si'muJa-
>tf«f. TTcoxptvoiJLEvou;, expression parfaiiemenl
choisie, puisqu'elle signifie : faire I'hypo-
crite; on ne la Irouve qu'en cet cndroil du
N. T. (( Justos », des modeles de justice au
point do vue de la loi juive et de la Iheocra-
tie. — Ut ca'perent eum in sermone (bonne
traduction des deux genitifs grecs axnovloyoxi,
dont le premier est celui de la personne, le
second celui de la chose, et qui sont gou-
vernes I'un et I'autre par ETtiXdSwvTai) C'etail
I'objet direct de ce noir complot : surprendre
sur les levres de Jesus quelque parole com-
promeitanle. Cfr. Eccli. viii, i\. Puis,
comme consequence naturelle en cas de
reussite, ul traderent eum (la vraie leQon
grecque parait eire wate, d'apres B, C, D, L,
Sinait.)..., le livrer augouverneur romain, car
ils avaienl perdu le « jus gladii » Prcesidis
ne dep-nfl que ^^ potestati {■(% e?ou(7ia). Pi'inci-
patui (t^ apyj,) designe raulorile romaine en
general; I'autre sulistanlif est plus special et
represenie le pouvoir delegue du a procura-
tor » qui exergait ses fonctions au nom de
I'empereur. •
2i et 22. — Non contents de se couvrir
du masque de la perfection legale, les tenta-
teurs essaient encore de dissimuler leurs
embuch s derriere un faux-semblant de cour-
toisie, de def'en nee. Leurs compliments ont
dans S. Luc un coloris special : Scimus quia
recte [opewc, sans devier de la ligne droite)
dicis et dores (la parole de Thomme prive et
renseignemeni du docteur)... La locution
accipere personam est tout hebraique : c'est
le Di:S riNtt; de la Bible, Lev. xix, 15; Mai.
I, 8, etc. De son equivalent grec TrpoawTcov
Xdjjioaveiv derivent les mots 7tpo(TW7ro).r,il'ta,
TzpoatDTio^.riTztriz, qu'emploient S. Luc (Act.
X, 34), S. Paul (Rom. ii, H ; Eph. vi, 9;
Col. Ill, 2.5), et S. Jacques (ii, i). On a dit
Ires jusiement qu'il y a dans ces elogps pha-
risai'ques quelque chose d'aussi affreux que
dans le baiserdu irailre Judas. — Licet nobis
tribulum dare (S. Luc fait seul usage du
mot teclmique (popo?, qui designe la taxe
annuelle de capitation et les impols fonciers,
par opposition a t£>.oi;, I'impot sur les mar-
chandises), Etrange question, qui n'avait
nullement embarrasse le saint roi Ezechias,
non plus que le prophete Jereraie, non plus
qu'Esdras et Nehemie; car, sans cesser d'etre
de vrais Israelites, ils n'hesiterent pas k re-
connailre la suzerainete de Ninive, de Ba-
bylone ou de la Perse; mais les principes
elroils des Pharisiens avaient suscite des
scrupules touchant un point parfait^ment
clair. Aussi Jesus, par sa reponse, pouvait-il
attirer sur lui les represailles soil des Re-
mains, s'il disait Non, soit de ses compa-
triotes, s'il disait Oui.
23 et 24. — Considerans : xaTavoriaa?. Tvoti;
d'apres S. Matthieu; elSw; dans S. Marc :
cliaque evangeliste emploie une expression
differente. — Dolum eorum. Le substanlif
CHAPITRE XX
343
jus habet imaginem et inscriptio-
nem? Respondentes dixerimt ei :
CjBsaris.
2b. Et ait illis : Reddite ergo qiise
sunt Ga3saris, Gsesari ; et quae sunt
Dei, Deo.
Rom. 13, 7.
26. Et non potuerunt verbum ejus
reprehendere coram plebe; et mi-
rati in response ejus, tacuerunt.
27. Accesserunt autem quidam
qui porte-t-il I'image et I'inscri-
ption? lis lui repondirent : De Cesar.
25. Et il leur dit : Rendez-donc a
Cesar ce qui est a Cesar et a Dieu ce
qui est a Dieu.
26. Et ils ne purent reprendre ses
paroles devant le peuple, et ayant
admire sa reponse, ils se turent.
27. Et quelques-uns des Sad-
grec TtavoTjpY'a est parfois pris en bonne part
dans le sens dc « solerlia » : mais ici tl est
evidiMiiment pris en mauvaise part. S. Luc
el S. Paul (Cfr. II Cor. iv, 2;xi, 3) sont seuls
k en faire Ujage. — Lrs mots quid me lenta-
tis ont ete omis dans les manuscrils B, L,
Sinait. — Ostendite mihi denarium. La leQon
Erimilive parail 6lre Sei^ate (d'apres A, B, D,
, M, Sin.), au liou du compose ImSeJ^Te de
la Recepta. S. Luc, comme S. Marc, men-
lionne des mainlenant le denier par anticipa-
tion; car Nolre-Seigiieur ne demanda pas
une piece de monnaie determinee, mais d'une
nianiere generale « numisma census », sui-
vant la redaction plus precise de S. Matlhieu.
Les mols oi os eoec^av xat eTuev, qu'on lit apres
Srjvaptov dans plusieurs manuscrils (Sin., B, L)
el versions (la copte, la syrienne, I'ethiop.,
I'armenienne, la persane), sont probablcment
un glosseme. — Cujus habet imaginem.,. CeiiQ
simple question conlenait deja la solution du
probleino. — Respondentes dixerunt ei (B, L,
Sin. ont seulement : ol 6^ eluov) : CcBsaris.
Helas I ce n'etait plus la monnaie nalionale et
sacree, que battaient naguere les princes as-
moneens, et sur laqnelle s'etalait fierement
cet exorgue : rTiHO ob'^UIIi, Jerusalem la
Sainte (comp. Snu lii. Diction, of the Bible,
s. V. Money; de Saulcy, Numismatique ju-
daique; Cavedoni, Biblische Numismalik,
p. 105 et s.). C'etait un denier romain avoc
I'eCBgie de Tibere, I'empereur aclu(^llement
regnant.
25. — Reddite ergo... A part une tres legere
modification (toCvw, S. Luc ; o5v, S. Matlhieu ;
S. Marc omel la parlicule), ce celebre « effa-
tum » de Jesus est idenliquement reproduit
par les Irois evangelistes. « Reddite »,
iuoSoxel Les tentateurs avaient demande s'il
etait perrais de donner (ooOvar, t- 22) le tri-
but : Jesus leur repond qu'ils sont tenus de
le rendre, c'est-i>-dire de le payer comme une
detle. « Ergo », car le Sauveur tire une con-
sequence de leur propre langage, 1r. 24. Qiuie
gunt Cwsuris Cfpsari :l'imp6tet tout ce qui est
encore du a Cesar outre I'impot, car Jesus
^largit la pens^e. — Et quae sunt Dei Deo;
« siium cuique » par consequent. Celte parole
du Sauveur, querEglisecalholique a toujours
prise pour base de ses theories diploinatiques,
demonlre combien se trompcnt ceux qui
pretoiident que le Chrisliani^m^^ consiilue un
danger pour FElal. Voyez aussi Rom. xiii,
6 et 7, ou la meme verite est fortement in-
culquee. Mais n'entendrons-nous pas bientot
(xxiii, 2) les Pharisicns affirmer que Jesus
avail defi'ndu de payer limpot a Cesar?
26. — Et non potuerunt... Celte premiere
reflexion est propre k S. Luc. Elle contient
une iiouvelle indication du but .ue s'elaient
proposes les adversaires de Notre-Seigneur,
verbum ejus reprehendere (plus exactement,
d'apres le grcc, « capere eum in scruione »,
car c'est la m6me locution qu'au t. 20). Co-
ram plebe est < mphatique : en face de la
foule, qui se monirait en masse favorable k
Jesus, et qu'on esperait detacher de sa per-
sonne en le deconsiderant. — Mirati in res-
ponse ejus. Aulrefois, les Docleurs de Jerusa-
lem avaient admire la sagesse du divin En-
fant ;ii, 47); mainlenant ils admirent malgr^
eux celle de I'homme mur. — Tacuerunt est
une autre particularite de S. Luc. « Que
dire contre Jesus apres une parole si sage, si
simple, si precise? A quel tribunal I'accu-
ser?... Cesar (8t salisfait, Dieu est glorifid,
ses ennemis sont pris par leurs propres pa-
roles el reduils a se taire. II dejoue lous leurs
vainsartific( s avec une s;igesse qu'on ne peut
assez admirer, avec une douceur inalterable
et une majeste touie divine. » Dehaul, I'E-
vang. explique, defi^ndu, medite, 5e ed.,
t. IV, p. 4 el 5.
6<> Les Sadducdens d(5fails a leur tour, xx, 27-40. —
Parail. Matlh. xxn, 23-33; Marc, xn, 18-27.
Semblable aux deux aulres pour la plupart
des details, la relation de S. Luc contient
plusieurs parlicularites importantes. Cfr.
tt. 34-38.
27. — Quidam Sadduraiorum. Sur cette
secte du JudaiVme voyez TEvang. selon
S. Matth., p. 71. Jusqu'ici les Sadduceenss'^
taient montr^s beaucoup moins hostiles k J^sus
344
fiVANGILE SELON S. LUG
duceens, qui nient qii'il y ait une
resurrection, s'approcherent et I'in-
terrogerent,
28. Disaut : Maitre, Moi'se a ecrit
pour nous : Si le frere de quelqu'un
meurt ayant une femme, mais
n'ayant pas d'enfants, que son frere
receive sa femme et suscite une
posterite a son frere.
29.11y avait done septfreres,et le
premier prit une femme et mourut
sans enfants.
30. Et le suivant la prit et mourut
aussi sans enfants.
31. Et le troisieme la prit, et pa-
reillement tons les sept, et ils n'ont
point laisse de posterite et ils sont
morts.
32. Enfin apres eux tons la femme
aussi est morte.
33. Or, a la resurrection, duquel
d'entre eux sera-t-elle la femme?
Gar sept Font eue pour femme.
34. Et Jesus leur dit * Les fils de
ce siecle se marient et sont donnes
en mariase.
28. Dicenles
scripsit nobis
Sadducseorum , qui negant esse re-
surrectionem, et interrogaverunt
eum
Mallh. 22, 23; Marc. 18.
Magister, Moyses
Si frater alicujus
moriuus fuerit habens uxorem, et
hie sine liberis fuerit, ut accipiat
eam frater ejus uxorem, et suscitet
semen fratri suo.
Beu!. 25, 5.
29. Septem ergo fratres erant : et
primus accepit uxorem, et mortuus
est sine filiis.
30. Et sequens accepit illam, et
ipse moriuus est sine filio.
31. Et tertius accepit illam. Simi-
liter et omnes septem, et non reli-
querunt semen, etmortui sunt.
32. Novissime omnium morlua est
et mulier.
33. In resurrections ergo, cujus
eorum erit uxor? siquidem seiitemr
liabuerunt eam uxorem.
34. Et ait illis Jesus : Filii hujus
caeculi nubunt, et traduntur ad
nuptias.
que le parli pharisalque. car « la mondanile
epicurienne es' plus tolerante que le I'ana-
tisrae B (Fairar); mais aujourd'hui lous les
chefs de la nation juive lultent conlre le
Messie. — Qui negant esse... Dans le grec, ot
avTi).£Yovxe; avdaTaatv [irj elvai. Pour eviter ce
pleonasme, les nianuscrits Smait., B, C,
D, L, etc., ont coirige avrOiYovxe; en XsyovTe;.
28. — Magister, i]]oyses... Les Sadduceens
exposent dab ird le principe sur lequel ils
appuieroRt ensnile leur objection. Cf prin-
cipe consist" en une loi ediciee par Morse (t
connue souslenom de loidulevirat. Cfr. h 't.
XXV, 3 el 6. — Scripsit nobis : ypayeiv , c
le sens de « legem ferre. l ge sancire » (uir.
Friizsch' in .Marc, xii, 19;; ou bien, d'apres
racception ordinaire : Molse nous a laisse par
ecrit I'ordre suivant. — Habens uxorem. ethic
sine liberis... Comparez les nuances d'l xpres-
sion dans les trois recits. L'adjeclil atexvo? de
S. Luc napjiarait pas en deliors de ce verset
et du suivant.
29-32. — Expose de la difficulte, sous la
forme d'un cas de conscience probableinr-ni
iraaginaire, quoique possible (Cfr. Tob.
V), 4 4), et presente de maniere k jeter du ri-
dicule sur le dogme de la resurrection. Voyez
notre commentaire sur S. Malthieu. p. 429
et s. — Sequens : dans le grec, 6 6£UT£pos. —
II existe d'assez nombrcuses varianies dans
les anciens raanuscrils a propos des tt. 30
et 31. Les deux legons qui presentenl le plus
de garanties paraissent elre celle de Lach-
m;inn, assez conforms a la Vulgate ^xai eXaSev
6 ^vjzzpoz '■fit yyvaTy.a* xai outo; a7t=9av£v dTevc-
vo;, xal 6 xpiTO; sXaSev a'jTr,v, (bcraOtw; ok xai ol
in-i' oO xaT£),t-ov TExva xat oLTraOavov), et Celle
de Tiscliendorf (xai 6 Ss-JTspo; xal 6 Tpi'-ro; D.a-
6ev aOxr;v, (IxTavTw; 0£ xai ol iii'ot, ou xaT£).ntov
T£xva xai aTrsQavov].
33. — In resurrections ergo... C'l st la
conelusion de loute rargumeniation qui pre-
cede, tt. 28-32. — Cujus eorum erit uxor?
Le verbe est au present (yi'vETat) dans la |)lu-
part des manuscrils grecs. Que.ques-uns des
mieux autorises B, L) ont celle varianle .
i\ YUvYi ouv Ev T^ ava(jTa(7£t Ttvo; Ywv:^; « mu-
liiT aulcm in les irroitiono cujus vorum est
uxor ? »
34. — Alt illis Jesus. Lc participe dnoxpi-
Qei';, qu'ajoule la Recepta, est onus par les
manuscrils Sinait., B, D, L, etc., par les
CHAPITRE XX
345
35. Illi vero qui digni habebnntur
sseculo illo, et resurrectione ex mor-
tuis, neque imbent neque ducent
uxores;
36. Neque enim ultra mori pote-
runt : eequales enim angelis sunt,
et filii sunt Dei, cum sint filii resur-
rectionis.
37. Quia vero resurgant mortui,
35. Mais C5ux qui seront trouves
dignes du siecle a venir et de la re-
surrection des morts ne se marieront
pas et n'epouseront point de ft^mme;
36. Car ils ne pourront plus mou-
rir, car ils seront egaux aux anges
et fils de Dieu, etant fils de la resur-
rection.
37. Or, que les morts ressuscitent,.
versions pyriennc, italique, coinrae |iarla Vul-
gate ; il a eie sans douie eniprunte aux au-
ires redactions. A la question des Sadduceens
un Rabbin vulgaire aurait repondu (car les
Docleurs juifs avaient examine le cas) en af-
firmant que la femme apparliendiail dans
I'autrc' monde a son premier mari. Solulion
bien m'Squine a cote de ctHe de Je>us, qui
ouvre en parlie pour nous les porles du cie!
et nous pi rmet de jeter sur I'etal fulur des
predestines un regard ravi. — Filii hujus
scBculi. Hebrcisme pour designer les liorauies
tels qu'ils vivenl presentemi nt sur la lerre.
Ailleur> (par exemple xvi, 8; voycz le commen-
taire) ceUe locution est employee au pomt de
\ue moral el signale la parlii- la plus depravee
du genre liumain; mais tel n'esl point ici le
cas. — Nubeni et traduntur ad iiuplias: Ya|Aoyffi
(les homines) xal exYai^iT/ovxai : les f inmes
qui son! donnees en mariage par leurs pa-
rents). Plus haul, XVII, 27, ce meme detail
elail note commo I'indice d'une vie fensuelle
el mondaine, il apparait simplement m ce
passage commo une necessile de la condition
actuelie des hommes, par opposition a I'etal
des bienheureux (tt. 33 el 36). Le freqiien-
talir iA.-(ix\t.i<iv.ia^ai ne se trouve pas ailleurs
(lans le Nouveau Testament. La proposition
ix i\u\ enlre dans sa composition est Ires
expressive ; litteral. etre donnee en mariage
au dehors.
33 — Qui digni habebuutur sceculo illo.
« Saeculi>m lUud », ou le monde a venir, est
miseii conirasie avec«saeculiim hoc ^> (f. 33),
ou le monde present. L'expression ol xaTa^iw-
eevTe; luoiitre que Noire-Seigneur ne pailait
alors (jue des eUis. «Sane magna diirnatio! »
a-t-oii dil ju-t m nl. Cfr. xi. 36; 11 Tliess.
1, 3; .Apoc. Ill 4. Comparez aussi la locution
labbiiiique : N^n D^iy HDIT, digne du siecle
fuUii- (ap. Sclioeiigen el Wdslein;. L'l mploi
redoiidant de tuxetv est d'tine elegance louie
classique, comuie Tenseignent les graminai-
riens. — Neque nubent... Les verbes sonl
an pies lit dans le lexte giec, do meine
(ju'au il. 34.
36. — Neque enim (les meilleurs manus-
crits onl oOos ydp au lieu de o'jTe yap qu'on
lit dans laRtcepia) idtra moripoieyunt (dans
le grec, Suvavtai au [iresf nt;. Jesus explique
pourquoi il n'y aura plus de mariages dans
le ciei. II I xiste, tel est son raisomii ment, une-
elioite cirrelalion (« enim »; eiitre la morl
( t la g('neration charnelle, celle-ci n'ayant
ri'aulre but que de reparer les bieches pro-
duili s [lar celle-la. Quand la moil sera de-
truile le mariage cessera de meme. Aclu He-
menl il I'aut des naissances quolidiennes^.
sans quoi I'espece humaine no tarderait pas
a disparailre : quand I'l spece sera deveuue
imuiuhile, immortelle, il n'y aura plus besoin
d'iiidividus nouveaux. « L'aibre de I'huma-
nile ne poussera plus de branchi^s fraiches,
sa crois-aiice etant complete » (Schegg, h. l.)»
— ^Eijuaies angelis ^ludYyeXoi, mot compost
quf S. Luc estseul a employer). Le Seigneur,
poursuivanl son argumentation, indique les
motif,^ (encore enim} pour lesquels les ressus-
cites ne sauraient luourir. Leur nature sera
tran-foiraee, car 1° ils participeront a I'etat
angelique fvoycz 1 Evang. silon S. Mallh.
p. 431), 2° ils seront filii Dei, par !a-meme
qu'ils seront filii resurreitionis (hebralsme
qui equivaut a « ressusciles »]. Nos peres
morlels ne peuvent noiiscommuniquer qu'une
vie mortelle; Dieu, lorsqu'il deviendra noire
pfere d'une maniere tout admirable par le
grand ae.iedela resurrection, li'quel est «un©
espece de generation nouvelle pour Timmor-
talite » ^D. Caliuet. h. I.), fera passer dans
nos membres iratisfigures quelque chose de
son essence spiiituelle, et des lors ils ne
pourront plus maui ir. — On le voit, si S. Luc
a omis le debut de la reponse du Sauveur
(Cfr. Maith xxii, 29; Marc, xii, 24), en re-
vanche quilles particularites precieuses n'a-
t-il pas cons :rvees !
37. — Apies avoir refute les ^dees prdcon-
gues des Saddureens sur la condition des
bienheureux dans I'autre vie itt. 34 a 36),
Notre-Si'igneur, dans cette secoiide partie
de sa deuionslraiion {tt- 37 el 38), leur
prouve par les sainies Ecrilures la certitude
de la resurrection. Voyez rex|)lHalion de-
laillee dans I'Evang. selon S. Maltli.,p. 432.
— ICl Mouses ostundtl (ijii^vvaEv, litter." pale-
fecit »); c'est-a-dire « ip-o Movses », Mol'se
lui-meme sur qui vous prdtendez vous ap-
346
fiVANGILE SELON S. LUG
Moise le montre a Tendroit du buis-
son lorsqu'il appelle le Seigneur
le Dieu d'Abraham , et le Dieu
d'Isaac et le Dieu de Jacob.
38. Or Dieu n'est pas le Dieu des
morts mais des vivants, car tous
vivent devant lui.
39. Et quelques uns des scribes
lui repondirent : Maitre, vous avez
bien dit :
40. Et lis n*osaient plus lui faire
aucune question.
41. Mais 11 leur dit : Gomoient
dit-on que le Christ est fils de David ?
42. David lui-m6me dit dans le
livre des psaumes : Le Seigneur a
dit a mon Seigneur : Assieds-toi a
ma droite.
et Moyses ostendit secus rubum, si-
cut dicit Dominum Deura Abraham,
et Deum Isaac, et Deum Jacob.
Exod. 3, 6.
38. Deus autem non est mortuo-
rum, sed vivorum : omnes enim vi-
vunt ei.
39. Respondentes autem quidam
scribarum, dixerunt ei : Magister,
bene dixisti.
40. Et amplius uon audebant eum
quidquam interrogare.
41. Dixit autem ad illos : Quo
modo dicunt Christum filium esse
David?
42. Et ipse David dicit in libro
psalmorum : Dixit Dominus Domino
meo, sede a dextris meis,
Ps. 109, 1; Matth. 22, 44|; Marc. 12, 36,
puyer pour nier la resurrection des morts.
— Secus rubum, ou raieux, comma nous
lisons dans S. Marc, « super rubum », car
I'expression grpcque est la mSme de part et
d'autre (Itii -rvj; Paxou; Marc, xii, 26, etii toO
Paxou au masculii), Paxo; elant du genre com-
mun). Ainsi que, nous I'avons monlre dans
..dtrecommentairedu second Evangile p. 175,
cslte iocution designelechap.iiie de I'Exode,
oil est racontee I'apparilion de Dieu a Molse
aupres du buisson ardent. Coraparez les
exemples suivanls emprunles au Talmud :
Berath. fol. 2, 4. « Quod scriplum est in
Micliaele », c'est-^-dire Is. vi, 6; fol. 4, 2,
« Haec extant in Gabriele », c'esl-k-dire Dan.
IX, 21. Voyez dans le commentaire de Fritz-
sche snr I'epilre aux Rom., xi, 2, Temploi de
formules analogues ch'Z les ecrivains romains
et grecs. — Sicut dicit Dominum... Les deux
autres synnpijques citenl directement les
paroles du Seigneur a Moise; S. Luc se sort
du langage indirect, pour abreger.
38. — Deus autem non est mortuorum...
II n'y a pa? d'article dans le texie grec; il
faut done traduire : Le Seigneur n'est pas
un Dieu de morts, mais de vivants. La pens^e
est ainsi tres energique. Quelle force, quelle
profondeur, et en m6me temps quelle sim-
plicite de raisonnemenl! — Omnes enim vi-
vunt ei (scil. « respectu ejus »). Ces mots,
propres a S. Luc, sonl destines k demontrer
(yap) que Jehova est par excellence le Dieu
des vivants. Cfr. Rom. xiv, 8, 9, et les lignes
bien connues de Jo.-ephe, de Macchab. 16 :
Ot 5ia t6v Geov airoGvvi(T7tovTec t^woi xtji Osqi, wauEp
A6paa|;., 'IdaoK xai 'Iaxa)6 xai Ttavxe? ot na-
^pidpx«.
39. — Ge trait n'est raconte que par
S. Luc. — Quidam scribarum. Les Scribes
etaient g^neralemcnt hostiles a Jesus; ilsne
purent neanmoins s'empecher d'aclmirer la
sagesse avec laquelle il avail refute 'es scep-
tiques Sadduceens :quelques-uns d'entre eux
lui adresserent meme un eloge public, bene
dixisti! Ce ful un triomphe parfait — Notre
evangeliste omet ici, probablement parce
qu'il en avail raconte plus haul (x, 25 et ss.)
un semblable, i'episode relalif au plus grand
commandement, qui eul lieu, suivanl les
deux autres synoptiques (Matth. xxii, 34-40;
Marc. XII, 28-34), aussitol apres que Jesus
eul reduit les Sadduceens au silence.
40. — Et amplms non audebant... Cfr.
Matth. XXII, 46; Marc, xii, 34. Le texte
grec flotte entre oOxen M (Recepta), « amplius
autem »; el oOxexi yap, « amplius enim »
(B, L, Sin., etc.). Ce sont deux nuances de la
meme pensee. D'apres la premiere leQon, lea
Scribes louent Jesus, mais se gardenl bien de
le queslionner davantage ; d'apres la seronde,
qui est plus expressive, leurs louanges
avaienl pour but de masquer leur retraite.
7» David et le Messie. xx, 41-44. —
Parall. Matth. xxu, 41-46; Marc, xxii, 35-37.
Jesus s'est tenu assez longtemps sur la de-
fensive; il attaque maintenant a son lour.
Des trois redactions, celle de S. Luc est la
plus courle, celle de S.Matthieu la plus com-
plete (voyez le commentaire, p. 435 et s.).
41-43, — Dixit... ad illos. La sc6ne se
passa encore dans le temple (Marc, xii, 35),
et de nombreux Pharisiens etaient alors
reunis autour de Jesus (Matth. xxii, 41). —
CHAPITRE XX
347
43. Donee ponam inimicos tnos,
scabellum pedum tuorum.
44. David ergo Dominnm ilium
vocat : et quomodo filius ejus est?
43. Audiente autem omni populo,
dixit discipulis suis :
46. Attendite a scribis, qui volunt
ambulare in stolis, et amant saluta-
tiones in foro, et primas cathedras
in synagogis, et primes discubitus
in conviviis :
Matth. 23, 6; Supr. 11. 43.
47. Qui devorant domos vidua-
rum, simulantes longamorationem.
Hi accipient damnationem majorem.
43. Jusqu'a ce que je fasse de tes
ennemis I'escabeau de tes pieds.
44. David I'appelle done Seigneur,
alors comment est-il son tils?
4b. Et comme tout le peuple ecou-
tait ildit a ses diseiples :
46. Gardez-vous des seribes, qui
veulent se promener en longues
robes, et aiment les salutations sur
les places publiques et les premiers
sieges dans les synagogues et les
premieres places dans les festins;
47. Qui devorent les maisons des
veuves sous pretexte de longues
prieres. lis recevront une plus
grande condamnation.
Quomodo dicunt. Les inanuscriLs A, K, M,
n, elc, ajoutent : tive;, « quidam ». S. Marc :
« Quomodo dicunt Scribae. » Ici, d'une ma-
niere geiierale : Dans quel sens dit-on...?
— Et ipse David... C'est-a-dire : Et pourtant
David Iui-m6me semble affirmer le conlraire.
Les manuscrits Sinait., B, L, R, ont aCixo? yip,
ce qui revient au meme. — In libro Psalmo-
rum. Trait propre h S. Luc. — Dixit Domi-
nus Domino meo. La traduction iiUerale du
teste hebreu serait : Oracle du Seigneur
{Jehova) a mon Seigneur {AdonaA). — Sede a
dextris meis. C'est la place d'lionneur que
Jehova donne a son Christ, symbole des pou-
voirs egaux aux siens qu'il lui confie. —
Donee ponam... Cfr. I Cor. xv, T6.
44. — David ergo... quomodo filius ejus
est? A la fin de son raisonnement, Je.-us rei-
t6re sa question en la preci:^ant davantage :
Comm-nt ost-il possible d'etre en meme
temps I'inferieur et le supericur de quel-
qu'un? Aujourd'hui, un enfant du catechisme
repondrail a celte difBculte. Le Messie, dirait-
il, est fils de Davi.l par sa generation tempo-
relle, et le SiMgneur de David par sa gene-
ration elernolle. Mais c'elail alors la plus
delicate, la plus complexe des questions
theologiques. Aussi, pour la seconde fois
dans ce jour memorable, les Docteurs fu-
reni-il^ contraints d'avouer leur ignorance.
Cfr. t. 7.
8" J^sus ddnonce les vices des Scribes. \x, 45-47.
— Pill-all. Matth. xxiii, 1-36; Marc, xn, 38-40.
Dan? ces trois versets S. Luc nous donne,
comme S. Marc et presque dans les memes
termes, I'abrege d'un grand discours. Mais
deja il a signale plus haut, xi, 39-52, une
sorte de requisitoire analogue a colui que
presente ici la redaction de S. Matthieu, et
il evile, dans I'interet de la narration, la re-
petition des faits qui se ressemblenl.
45. — Petite introduction historique, dont
le premier trait, audiente omni populo (avec
emphase sur « omni »), est propre a notre
evangeliste. Ce fut done en pres(^nce d'une
I'oule considerable (Cfr. Matlh. xxiii, i) que
Jesus denonQa les vices des docteurs juifs.
Toutefois, comme Texpriment les paroles sui-
vantes, dixit discipulis suis, il s'adre-sait
alors plus specinlement a ses apotres et k ses
disciples, qu'il voulait premunir centre les
mauvais exemples venus do si haut.
46. — Attendite {■npoaiyt-^z; dans S. Marc,
^linm) a scribis. S. Malliiieu mentionne les
Pharisiens a cote des Scribes. Comme les
docteurs de la loi etaient les membres les plus
influents du parti pharisai'que, nous avons ici
la parlie pour le tout. — Qui volunt (c esl-a-
direqui se complaisent a) ambulare ip stolis,
amant salutationes... primas cathedras.,.
primos discubitus... Ces divers trails mettent
admirablement en relief I'esprit d'ostenlalion
des Scribes. Sur la « ^tola », voyez xv, 22 et
le comraentaire. Le Talmud d^nonce egale-
ment et menace du tribunal supreme « h>s
hypocrites qui se drapent dans leurs talliths
(stolae) pour faire croire qu'ils sont de vrais
Pharisiens. »
47. — Qui devorant domos. Expression
toute classique. Comparez Hnm. Oil. iv,348,
oTxo; EaOietat; Liban. o5 xAv oTxov ia^itxt; Plut.
ia^U-zai |xoi olxo; (ap. Schegg, h. I.). — Vidua-
rum. C'etait la, d'apres Ex. xxii, 21 et s.,
un crime dont la vnix g'^levait jusqu'au ciel.
Cfr. Is. X, 1,2. Josephe au-si, Ant. xviii.2, 4,
reproche aux Pharisiens d'exercer une in-
fluence abusive sur le mondo feminin (ol;
uuTjxTo :?) YuvaixwviTtc). Mais le reproche du
Sauveur est encore plus explicitcment con-
i
Hi
fiVANGlLE SELON S. LUG
CHAPITRE XXI
L'obole de la vonve (tt. 1-4). — Jesu-; predil la mine du temple de Jerusalem (tt. 5 et 6^. —
Snr la d( mamlo de scs disciples il annonce les div rs signes qui precedeiunl soil la fin de
I'Elat jiiil', soil la fin du moiide [tt ■ 7-33). — Exhoitalion a la vigilance [tt. 34 36). —
Coup d'oeil d'eiisemble sur les dei niers jours du Sauveur [tt. 37-38:.
1. Jesus regardant vit ceux qui,
etant riches, meltaient leurs ofTran-
des dans le Ironc.
2. II vit aussi une veuve pauvre
ineltant deux petites pieces de mon-
aaie.
3. Et il dit : En verite je vous dis
que cette veuve pauvre a mis plus
qu'eux tous.
4. Gar eux tous ont mis dans les
ofiFrandes a Dieu ce dont ils abon-
daient, mais elle de ce qui lui man-
que; elle a mis lout ce qu'elle avait
pour vivre.
1. Respicensautem, viditeos, qui
mittebant munera sua in gazophyla-
cium, diviles.
Marc. 12, 41.
2. Vidit autem et quamdam vi-
duam pauperculam mittentem sera
minuta duo.
3. Et dixit : Vere dico vobis quia
vidua hsec pauper plus quam omnes
misil.
4. Nam omnes hi ex abundanti
sibi miserunt in munera Dei : hsec
autem ex eo quod deest illi, omnem.
victum suum quern habuit, misit.
firme par ce passage du Talmud (Sola Hieros.
» 20, 1) : « Est qui consulial cum orplianis,
ut aliraenla vidiiae eripiat. Viduae cujusdam
opes R. Sabbali d(>praedalus esL. R. Eleazar
dixil ad earn : Plaga Phansaeorum teligil le. »
— Siniulantes longam orationem, xal Ttpo^acet
[Aay.pd upoaeuxo^Tai- lis iinissaienl ainsi I'hy-
pocnsie a la rapacile Mais leur chaliment
^qiiivaudra a h ur malice!
9" L'obole de la veuve, xxi, 1-4. —
PardU. Marc, xu, 41-44.
Vraie « rose au milieu d'un champ d'e-
pines » 1 S. Luc parlage avec S. Marc I'hon-
neut d'eii avoir conserve le souvenir, quoique
sa relalion soil un p'u nioins complete. Voyez
I'explicatmn delaillee dans noire coraraen-
taire dii second Evangile, j). 179 el s.
Chap. xxi. — 1. — Respiciens, atixoli^cK;.
Ayatil leve Ics yeux p)ur conlempler la scene
nouvelle qui se passail autour de lui.S. Marc
raconte en effei qu'apres avoir maudil les
Pharisiens ei les Scribes, Jesus elait venu
s'asS'oir « contra gazophylacium », et c'est
1^ que nous le relrouvons apres un court
inlervalle. — Guzophylacium : mol hybride,
comme le disaienl deja P. Cyrille el Quinle-
Curce (ill, 13;, derive du persan cl du grec,
et servant a designer ici les [.re\ze. schopharolh
(riT^SI^. « lubae »}, ou Irenes en foime de
trompeiles {« id est superius angusiiores,
inforius vero dilatatae »), dans lesqueis les
Juifs jetaient les aumones {munera sun) qu'ils
destinaiont aux frais du cuke, cli I'embellis-
sement du temple, etc. Cfr. Olho,Lex. rabbin.
8. V. Gaza; Lighlfoot, Hor. hebr., Decas
chorogr. in Marc. c. in. — Le mot divites
est renvoye d'une raaniere eraphalique a la
fin de la phrase.
2. — Vulit autem et quamdam viduam. La
conjonclion « et ». qui manque dans les ma-
nuscrits B, K, L, M, X, Small., est pcut-etre
un glosseme,Les codd. A, F, G, Tent comme
la Vulgate, mais ils la placent apres Ttva:
« vidil aliquam, earaque viduam ». — Pau-
perculam, iieviypav (S. Marc : •ttwxii, « pauper »)
est un diminulif plein de delicalesse, qui
n'est pas employe ailleurs dans le Nouveau
Testamenl. — Mittentem (le grec ajoule :
IxeT) (era minuta duo : SOo Itmi, dil le lexto
grec; deux proutah (.TOTID) aurait dit UD
Rabbin. C'eiail un pou plus qu'un do nos
centimes. Les prescriptions talmuliquos ne
permellaient pas d'offrir un seul ieplon.
3 et 4. — Et dixit. Plu-; d'un spectateur
dfll sourire dedaigneusemenl qunml rhumblo
veuve glissa son offrande dans le Ironc: Jesus
loueau conlraire publi(]Uement eel acle, dont
il devoile loule la generosile. — Vere (d>.ri6a)?.
S. Marc : 'A^r,^) dico vobis. Affirmation solen-
nelle, pour mieux relever le grand principi^
qui va suivre. — Plus quam omnes misit.
ClIAPITRE XIX
349
'5. Et qiiibusdam dicentibus de
temjilo quod bonis lapidibus et do-
nis ornatum esset, dixit :
6. Haec qute videtis, venient dies
5. Et a quelques-URs qui disaient
du temple qu'il etait beiti de fortes
pierres. et orne de dons, il dit :
6. Viendront des jours oii de ce
El pouiUiiil d'apies S. Maic, v de I'.oiubreux
riches avaicnt donne beaucoup. » Mais Dieii
juge parl'ois aulremenl que Ics homines. « Si
enim vohintas proinpla est, secundum id
quod liabel accepia esl, non secundum id
quod lion habel », II Cor. viiiJ2. Lis pdii-ns
eux-mem s admeUoieuL ce jusle criienum.
fl Ce n'esl pas la ^ommo qui deleimme le
plus ou le moins, mais la condition d.' celui
qui donne », Xenoj)h. Anab. vii, 7, 36. Cfr.
Memorab. i, 3, 3. « La magnanimite ne se
mesure pas d'apres la grandeur du don, mais
d'apres le rapport qui existe eiiire lui el la
fortune du doiiaiaire », Aristole, Eihic. iv,2.
Le Talmud raconte (ap. Welslcin, Hoiae in
Marc. XJi, 43) qu'un grand-prelre, ayanl du-
rement refuse una poignee de farine qu'une
pauvre femme lui odiail pour le temple, ful
reprimande par Dieu dans une vision el obligd
d'accepter ci' modeste sacrifice. — Ex abuH'
danti sibi miserunt : niieux, d'apres le grec
(ex Tou itEptcrceuovTo; auToti;), de leui" sup itlu.
El quel meiiie y a-t-il a cela? nousdisailun
jour un genlilliomme aussi genereux que
riche. — la niunera Dei. Les niols tov 0eou
sonl orais dans B, L, X, Sin., etc. — Hcec...
ex eo quod deesl sibi : ex too uffTepr.fxaToi; aytris,
par conlrasie avec le Tteptacjeuov des riches.
— Oiiinem virtum sinim : I'acle de citte
femme elait done vraimenl heroique. « Ube-
rior eslnummus de parvo; quia non quantum
detur, sed quantum resideat, expi nditur.
Nemo plus tribuil quam quee nihil sibi reli-
quit. » S. Ambr. De viduis, c. v. Les anges
seuls, avec Dieu, sent capables de suppuler
les gros interels qu'a produils Tobole de la
pauvre veuve.
8. Dlseoars sur la ruine de J6rusalem et
sur la fin du monde. xxi, 5-36. — Parall. Malth.
XXIV, l>5i; Marc, xiii, i-37.
G'esl ce que nous avons appeie ailleurs
(Evang. selon S. Matth. p. 453, Evang. selon
S. Marc, p. 180), a la suite des exegetes con-
temporains, le discours eschatologique. Dans
sa redaction, le troisieme evangel iste se rap-
proche beaucoup plus de S. Marc que de
S. Miiithnu; mais il lui arrive -ouvenl aussi
des'ecarler el de I'un el de I'aulre. II a plu-
sieiirs})anicularites impoi tantesquesignalera
Je commonlaire.
a. Occasion du Discours. xxj, b-1
5. — Qiiibusdam dlentibus de templo. De
prime-abonl on croirait, d'apres S. Luc, que
celle nouvelle sc6ne avail encore lieu sous
les parvis ; mais les deux autros synopliques
nous apprenn'nl qii'au moment ou njie cora-
menga Jesus franchis^ait Tenciinte du temple
(Matth. « egressus », Marc. « cum egreueie-
tur )■>) U abiegedonc; mais ilesl aisede com-
pleter son recit. II taut vouloir liouver de la
contradiction quand meme dandles SS. Evan-
giles pour coneluie de celle vanante, et
d'autres semblables, que les ecrivains sacres
sonl en opposition les uns avec les aulrcs. La
verile consisle a dire qu'ils parlenl avec plus
ou moins de precision. Les « quidain » qui
atlirerenl I'atienlion du Sauveur sur les
beaules el les richesses du temple n'eiaifnl
autres que les disciplrs. — Bonis lapnlibus.
iv. ),i6wv Xeuy.wvTS xai 'jro).\jTe>.wv xai xpaxepwv,-
dil Joseph.-, Aul. xv, 11. 3. Voyez, au sujel
de ccs iiiagniti(|ues monolilhes. I'Evang. sejon
S. Marc, p. 181.— Ei donis. Trait S(iecial. 11
s'agil. comme le prouve I'emploi du mol grec
ava8r,[xa, classique dans ce sens (voyez Kui-
notjl, h. I., Brelschneider el Grimm, Lexic.
s. v.), des dons sacres que les p-rsonnages
les plus celebres el les p'u> divers (enlrc
autres Augusli», Julie, Ptolemee Evergete. etc.)
avaient tenu a honneur d'offiir au ti mple do
Jerusal ra, de maniere a en faire « un sanc-
tuaired'une immense opulence », suivanl I'ex-
pression de Tacite, Hist, v, 8. Leg principaux
etaienl, indep 'ndammenl de coup s, de cou-
ronnes et de boucliers sans nombre, la chaine
d'or offerte par Agrippa, la table et ie cande-
labra de la reiue Helene d'Adiabene, et surtoui
I'enorme cep d'or. d'un travail exquis, aux
grap[)es at leignant la laille d'un homme.qu'He-
rode-le-Grand avail fait placer au-dcssus du
prtrlique. Voyez le Talmud, Miiidolh, 3, 8 ;
11 Mach. in, 2 ; v. 16 ; Joseph. Ant. xiii, 3 ;
Bell. Jud. v, 5, 4 ; Winer, Bibl. Realwoerler-
buch, t. II, p. 590; Lighti'oot, Drscnpiio
tempii hierosolvmilani ; de Saulcy, Herode,
p. 239 ; Delnz-ch, Durch Krankheil zur Gene-
sung, Leipzig 1873.
6. — Jesus fait a ses disciples une reponse
terrible. — Hwc quce videlis... La [)hrase ainsi
commenceedemeure ensuilesuspendue ; c'est
le « nominaiif absolu » des giammairiens,
qui communique ici une grande emphase a
la pensee. Plusieurs critiques suppleent bien
a tort un point d'inlerrogation apies « vide-
lis », de maniere a traduire : « Haeccinesunl
quse videlis? » — Venient dies : a[)rcs en-
viron 40 ann^i'S. — Non relinquelur Inpis
super Inpidem. Vnvez xix, 44 et le commen
taire. L adverbe wSe, qu'ajoutenl ici plusieurs
manuscrits, est probauleraent apocryphe.
350
fiVANGILE SELON S. LUG
que vous voyez il ne restera pas
pierre sur pierre, qui ne soit detruit.
7. Et il rinteiTogereut disant :
Maitre, qnand sera-ce et quel sera
le signe que ces choses commence-
ront d'arriver ?
8. II dit : Prenez garde d'etre se-
duits, car plusieurs viendront en
mon nom, disant : G'est moi, et le
temps approche. N'allez done pas
a leur suite.
9. Etquand vous entendrezparler
de guerres et de seditions, ne soyez
pas effrayes; il faut d'abord que ces
choses arrivent, mais ce n'est pas
encore aussitot la fin.
10. Alors il leur dit : Nation se
soulevera contre nation et royaume
centre royaume.
11. Et 11 y aura de grands trem-
in quibus non relinquetur lapis su-
per lapidem, qui non deslruatur.
Matth 24, 2; Marc. 13, 2, Supra, 19, 44.
7. luterrogaveruut autem ilium,
dicentes : Prseceptor, quando hsec
erunt et quod signum cum fieri inci-
pient ?
8. Qui dixit : Videte ne seduca-
camini : multi enim venient in no-
mine meo, dicentes quia ergo sum,
et tempus appropinquavit : nolite
ergo ire post eos.
9. Gum autem audieritis praelia
et seditiones, nolite terreri : oportet
primum hsec fieri, sed nondum sta-
tim finis.
10. Tunc dicebat illis : Surget
gens contra gentem, et regnum ad-
versus regnum.
11. Et terrse motus magni erunt
7. — Interrogaverunt autem ilium... De
nouveau S. Luc condense les fails. Jesus est
mainienarit assis au sommel de la montagne
des Oliviers, entoure de ses qualre disciples
les plus inliines, Pierre el Aivlre, Jacques et
Jeau, el ce sonl eux qui I'interrogenl fami-
liereraenl pour lui faire expliquer le a veibura
ominosum » profere sur le seuil du temple.
Voyez les passages paralleles. — Quando hoee
erunt et quod signum... ? Deux questions que
le Sauveur ne iraitera pas de la meme ma-
niere: a la premiere il ne fera qu'une reponse
vague et indirecte, parce qu'il ne jugeait pas
utile d'instruire bsapolres sur ce point; niais
il donnera de piecieux renseignemenls sur
la seconde.
b. Parlie prophe'tique du discours, xxi, 8-33.
1" Preludes communs a la ruine de Jerusalem et k
la fin des temps, yf. 8-33.
8. — Videte ne seducamini. Debut frappant
et solennel, qu'on trouve dans les trois re-
dactions. — Multi enim... iesiis fait connaitre
clairenacnl aux siens les hommes dangereux
qui pourraient les seduire. — Venient in no-
mine meo, c'est-a-dire, « nomen meum usur-
pantes ». — Dicentes quia tempus appropin-
quavit. Trait propre a S. Luc. '0 xaipo!;, le
temps par antonomase, le momont fixe pour
I'inauguration du royaume messianique. —
Nolite ergo ii-e post eos. Celle recommanda-
tion de Jesus est encore une specialile de
notre evangeliste. La parlicule ouv, omise par
ifes manuscrits B, D, L, X, etc., n'est vrai-
seniblablement pas aulheniique. — Tel est
le premier prelude, qui consists dans I'appa-
rition de faux Christs.
9. — Second prelude : ebranlfments formi-
dables dans le mondo politique. — Prcelia.
Le grec a uoX£[xou;, des guerres, et non (iaxas,
qui (iesignprait seulement des combats isoles.
— Et seditiones. Le mot correspondant du texte
primitif, axaTaoxaita?, n'est pas employe
aiileurs dans les Evangiles ; il signifie lille-
rallemenl : « perturbaiiones, lumulluatio-
nes ». Cfr. I Cor. xiv, 33; Jac. in, 4 6. Les
aulres synoptiques onl ici une polite va-
riante : axoa? noXeauv. — Nolite terreri;
{11^ nzofib^xi, expression energique que nous
retrouverons plus loin, xxiv, 37; litteral. i
ne soyez point emus, agues (S. Matth. et
S. Marc, [i^ GpoetaSc). — Oportet (le grec
ajoule yip) primum hcec fieri : par conse-
quent deuieurez calmes enlre les bras de la
divine Providence, en attendant la fin. —
S'atim est une nuance propre a S. Luc.
10 et il. — Tunc dicebat illis. Formulo de
transition, ponr mettreen relief les idees qui
vont suivre. Jesus reprend el developpe sa
prediction du t. 9. — Terrce motus magni...
Troisieme prelude. Aux commolions poli-
tiques, signaleos sous une nouvelle forme
dans le 1. 1 0, s'ajouteronl celles de la nature.
Comme I'a dil Niebuhr, les grands boule-
versements physiques coincident frequem-
ment avec les grandes crises de I'hisloire.
— Per lora : xara TOTtou?, xaToc avec le
seas distriijulif (Cfr. xiii, 22). — Pestilen-
CHAPITRE XXI
3at'
pel loca, et pestilentisB, et fames,
terroresque de coslo, et sigua magna
erunt.
12. Sed ante hsec omnia injicient
vobis manus suas, et persequentur,
tradentes in synagogas et custodias,
trahentes ad reges et praesides, pro-
pter nomen meura :
13. Gontinget autem vobis in tes-
timonium.
14. Ponite ergo in cordibus ves-
tris non praemeditari quemadmodum
respondeatis.
15. Esfo enim dabo vobis os et sa-
blements de terre en divers lieux, et
des pestes et des famines, et des
choses terrifiantes dans le ciel, etde
grands signes.
12. Mais avant tout cela ils jette-
ront leurs mains sur vous et vous
persecuteront, vous livrant aux
synagogues et aux prisons, vous
trainant devant les rois et les gou-
verneurs a cause de mon nom.
13. Mais cela vous arrivera pour
rendre temoignage.
14. Mettez done ans vos coeurs
de ne pas premediter comment vous
repondrez.
15. Gar je vous donnerai moi-
tice el fames : XiiaoI xai ),oi[jioi, aieme parono-
mase que dans S. MaUhicu. — Le detail
qui 6uil, terroresque de ccelo el signa magna
erunt, est propre a S. Luc. D'aptes la cons-
truction du lexte grec (966Yi9pa xe xai ar\\LzXix
in' oupavou (ieYd),a Saxai), « de coelo » et '.' ma-
gna » paraissent retomber sur les deux sub-
stantifs « terrores » et « signa », dont le
premier, employe seuleraent en cet endroit
du Nouveau Testament, designe des appari-
tions leriibles, le second, des phenomenes
extraordinaires precurseurs d'une crise. « Des
signes evidents annoncerenl le siege et la
ruine de Jerusalem, car une eloile en forme
de glaive et une comele furent suspendues
sur la villo duranl une annee entiere; en
pleine nuit la plus massive des portes du
temple s'ouvrit d'eile-merae, el, chose faba-
leuse en apparence, mais raconlee par des
temoins dignes de foi, avant le couchT du
soleil on vit des chariots et des troupes de
guerriers amies s'elancer a travers les rues
et envirouner les cites. » Josephe, B. J. vi, 5.
Cfr. Tacile, Hist, v, 13; IV Esdr. v, 4.
42. — Sed ante hoec omnia. Nouveau trail
special. S. Mauhieu dil vagu( mi>nt ; tote,
c tunc » ; nous apprenons au contraire par
la redaclion de S. Luc que les persecutions
dirigees contre I'Eglise, soil avant la destruc-
tion de I'elal juif, soil avani ia fin du monde,
devaient ou doivenl preceder tous les autres
preludes (a haec omnia »), c'esi-a-dire, les
^uerres, les revolulions des empires, etc.
Cela eut lieu en effet, comme nous le voyons
au livre des Actes, avant la ruine de Jerusa-
lem : ce signe se r^alisa le premier de tous.
U en sera de m6me aux derniers jours du
monde. — Injicient vobis manus... Les details
de celte violente persecution sont plus
nombreux dans noire Evangile que dans les
deux aulres. G'elait la du resle une ancienne
prophetie de Jesus aux Douze. Cfr. xii, 44 ;
Malili. X, 47 et ss. — In cuslodias {(pyXaxai;)
Euphemisrae des Grecs pour designer les
prisons « raili vocabulo ». — Trahentes ad
reges... : d'apres le grec, « iraclos ad re-
ges... » (peut-6lre faul-il lire auaYotie'vou;
avi'C les manuscrits B, D, L, etc., au lieu du
simple ayofievoui; de la Recepta). Les auloriles
palennes, aussi bien que les aulorites juives
[in synagogas), Iraiterenl les premiers fideles
avec la plus grande cruaule. — Les molspro-
pter nomen meum serapportent au versel lout
enlier.
43. — Gontinget autem. Bonne traduction
du verbe grec auoSinffiTat, qu'on trouve seule-
ment ici el Phil, i, 49. II indique habiluelle-
menl un resullal heureux. Cetle parole de
Jesus contienl done une consolation. — Vobis
in testimonium. Quelques-uns sous-enlendent :
a verilalis » (scil.me esse Christum'; d'aulres :
a eorura improbilalis » ; d'aulres, plus pro-
bablerainl : « fidei veslrae ». On lit dans
S. Marc avec une nuance : « in testimonium
illis ».
4 4. — Ponite ergo in cordibus vestris, c'est-
a-dire : prenez citle ferme resolution. —
Non praemeditari quemadmodum... L" lexlo
grec est ici d'une energi(iue brievete, qui
defi(^ toule traduction : (ati irpoixeXeTqcv dnoXo-
Yri9f)vai. Comparez le passage parallele de
S. Marc. Les disciples de Jesus ne devront
pas, en vue de leiir apologie, se conQer aux
artifices de la rhelorique. Us auront un
secours plus puissant qu« I'eloquence humaine.
45. — Ego enim. Quelle emphase visible
dans cet « Ego » ! — Daho vobis os. Melo-
nymie Ires expressive, qu'on trouve dans
toulos les langues. Comparez, pour I'idee,
XII, 14 et 42 ; Matlh. x, 49, 20 ; Ex. iv, 15,46;
352
fiVANGILE SELON S. LUC
meme une bouche et une sagesse a
iaquelle ne pourront resister ni con-
tredire tous vos adversaires.
16. Voiis serez livres par vos
peres el vos meres et vos freres et
vos parents et vos amis, et ils met-
tront a mort quelques-uns d'entre
voiis.
17. Et vous serez hais de tous a
■cause de mon nom.
18. Et pas un cheveu de votre
tele ne pi^rira.
19. Vous possederez vos ames
dans la patience.
pientiam, cui nonpoterunt resistere
et contradicere omnes adversarii
vestri.
16. Trademini autem a parenli-
bus, et fralribus, et cognalis, et
amicis, et morte afficient ex vobis :
17. Eteritisodio omnibus propter
nomen meum :
18. Et capillus de capite vestro
non peribil.
19. Inpatientia vestra possidebitis
animas vestras.
4er. I, 9. — Et sapientiam. Le Seigneur four-
nira aux si'^ns les pen-ee» non moms que les
paroles. — Cui non poterunt resistere et con-
tradicere... Le ipxlegrec flfiite cnlre plusieurs
leQOn-^ : avTeiireTv ovol avTKTTTjvai (Rt^c^pla),
avTEiTtsTv 71 dvTtaTf/vai, si m piemen I avriaivivat,
avTi(7TT)vai 9i avTetuetv. o Contradicere » cor-
respond a « OS », « resiflere » k « sapien-
liam ». Voyrz au livre di^s Actes, iv, 14;
VI, 10, la realisalion iitterale de cetle pro-
mi'Sse , el Tinfliience irresistible des ar-
gum 'His que I'Espril Sainl inspirail aux
Apolres. Plus lard, combien de fois lesjiiges
palens ne fureni-ils pas reduils au silence par
les reponses des martyrs! — Ailversarii.
L'expiession grecque correlative, ol ivTtxetjjie-
voi, ( si cliere a S. Paul el a S. Lue, : ils sont
seals a Temploycr dans ie Nouveau T^'Slamenl.
— La forme donnee a la pense- de Jesus
dans ce verset est proprea noire evangelisle.
Cfr. Marc. xin. II.
16. — C'estia persecution drrri'^siique apres
•la perseculion pubiique et officielle. — Tra-
demini autem Le grec ajoule « etiam ».
Mdme vos parents et vos amis vous persecu-
teronl! Cfr. i, 34; xii, 53, ou nous avons
dejii vu la desunion se glissor dans les fa-
milies a i'occa-ion du Chrislianisme. — Pa-
rentibus, fralribus, cognalis, amicis. Desi-
gnation, en gradaiion desccndante, des
qualresortes de personnf-s desqmlles, habi-
tuellement, nou-; ii'avons a allendre qu • de
raffeclion. — Morte ajfieienl ex vobis (scil.
quosdaiii). Lis qnatre Apolres qui enlen-
daif^nt celte prophelie, S. Pierre, S. Andre,
5. Jacques el S. Jean, subirenl tous plus lard
le raariyre.
17. — Universalile de la perseculion :
Eritis odio omuihus. Cfr. xii, 7; Matlh. x, 30.
« Delractani de vobis lanquam de malefaclo-
ribu< », ecrivait deja S. Pierre aux premiers
fideles (I Peir. ii, 12. Cfr. II Petr. iv, 18).
ilais les viciinies injuslement persecuiees
pourront s) consoler en pensanl qu'elles
souffrent pour le nom de Jesus.
18. — El capillus de capite vestro... Pro-
messe d'niie protection loule particuliSre
duranl la prseculion. Nous avons deja ren-
contre adi uis (XII, 7; Matlh. x, 30) cetle
assurance donnee aux disciples par Jesus. La
forme piUoresque sous laquelle elle esi
exprimee marque Ires bien la securite. C'elait
du resle une locuiion proverbiale qui avail
cours depuis longlemps chez les Juifs. Cfr.
I Reg. XIV, 43 ; llReg. xiv, 1 1 ; III Reg. i. 52.
Voyez anssi Act. xxvii, 34. Mais, ici" n'est-
elle pas en contradiction avoc le t. 16, ou il
est dit : « Morte aflicient ex vobis »? Plu-
sieurs ratinnalisles I'ont preiendu. Tout'^ois,
comme I'admetlent franchemenl d'auiresra-
lionalistes. I'antdogie n'est qu'apparente, et
il est aise de la faire tomber, soil en sup-
pleant quelque idee sous-enlendue , par
exeinple : « Tanl que vous serez utiles au
service de Dieu », ou bien : « Sans la vo-
loiile divins » (de Weili^) ; soil en apjiliquant
ce vprset a I'eglise consideree dans son en-
semble : a La chretienle ne souffrira rien de
facheux, alors meme que plusieurs particu-
liers p Tdraienl la vie » (Godel); soil en pre-
nant la phrase au spiriluel : a Votre salut est
assure qiiand meme »; soit enfin, d'apres
M. Scliegg, en voyant ici la regie et plus
haul [t. 16] I'exception. Telle nous parait dtre
la meilleiire solution de la difTicidle. Elle n'a
rien de subtil elelle s"harmoni-e fort bien avec
I'hisloire qui nius montre le Seigneur prole-
geantd'une maniere merveilleusela masse des
fideles, dans le corns des persecutions, lout
en permetlant le martyre d'un grand nombre.
Kai ovTw;, fai-;ait deja obs^^rver Euihymius,
ito),).oi Twv TTiffxtov e' TiOp e;j6),if)9evTc5 oOSe Tpixot
dTtukaav. — Non j tribit. Le lexle grec nn-
force la negation rn la doublant. c\i [Aiij aiT6).T)Tat.
19. — Ces paroles encore sor.t propres au
recit de S. Luc, quoique Nolre-Seigneur les
CHAPITRE XXI
353
20. Gum autem videritis circutn-
dari ab exercitu Jerusalem, tunc
scitote quia appropinquavit desola-
lio ejus;
JUatlh. 24, 13.: Marc. 13, 14.
21. Tunc qui in Judaea sunt, fu-
giant ad montes : et qui in medio
ejus, discedant : et qui in regioni-
Lus, non intrent in earn.
22. Quia dies ultionis hi sunt, ut
impleantur omnia quae scripta sunt.
23. Vae autera prsegnantibus et
nutrientibus in illis diebus; erit
20. Mais, lorsque vous vorrez Je-
rusalem investie par une armee,
alors sachez que sa desolation ap-
proche.
21 . Alors, que ceux qui sont dans
la Judee fuient vers les montagnes,
et que ceux qui sont au milieu d'elle
en sortent, et que ceux qui sont dans
les regions voislnes n'y entrent pas.
22. Parce que ce sont les jours de
la vengeance, afin que s'accomplisse
tout ce qui est ecrit.
23. Or malheur aux femmes en-
ceintes et a celles qui nourriront en
eut egalement proferees en d'auires circons-
lances (Cfr. ix, 1 4 ; Mallh. xvi, 25), ei qu'elles
existent sous une forme egiiivalenle dans les
passages paralleles de S. Matlhieu (xxiv, 13)
el de S. Marc (xiii, 13). — In patientia ves-
(ra, c'est-a-dire « per palientiam... » — Pos-
sidebitis. Mieux, d'apres le texlegrec, c acqiii-
relis B, corame portent d'ailleurs plusieurs
manuscrils latins. Les codd. grecs A, B, etc.,
onl xTi^ffeaOs au fuiur, comme la Vulgate, au
lieu de rimperatifxTiiCTaa8s (Recepta). — Ani-
mas vestras : ici, vos ames, par consequent
le salut eiernel.
2» Preludes propres a la ruine de Jerusalem.
t^ 20-24.
20. — Cum autem. La pariicule 6s sert de
transition a celte nouveile serie de predic-
tions terribles. — Circumdari ab exercitu Je-
rusalem. Dans le grec, Ot:6 CTTpaxoTteSwv (« ab
exercilibus ») au pluriel, pour tioter le grand
nombre des assaillants. Et, en realile, Jeru-
salem fut atlaquee de irois cotes a la fois,
par trois colonnes d'inveslissoment qui for-
maienl comme autanl d'armees. S. Luc sem-
ble avoir rempiace a dessein par ce detail
tres clair I'expression toute judalque « abo-
minatio desolationis », qu'emploienl S. Mat-
thieu et S. Marc pour designer les signes pre-
curseurs de la ruine de Jerusalem. II a du
moins conserve le mot desolatio k la fin de
la phrase.
21. — Tunc... G'est grSce a cette pres-
sanle recommandation de Jesus que les Chre-
tiens de la Judee durent d'echapper aux hor-
reiirs indicibles du siege. — Qui in medio ejus...
(scil. « Jerusalem », d'apres le t- 20, el non
« JudaeaB » , ce qui serait une lantologie).
Trail propre k S. Luc. Le verbe IxxwpsiTwoav
(de ex el x^^P*) discedant] n'apparail qu'en cet
endroit du Nouveau Testament. -— Et qui in
regionibus..., Iv -ratt x'*P'*''!> dans les campa-
gnes, dans les districts ruraux, par opposi-
tion a la ville; selon d'autres, mais moins
bien, dans les provinces. C'esl encore un
trait propre a noire evangeliste. — Nun in-
trent in earn. En temps de guerre, les habi-
tants des campagnes sont portes, comme
nos recentes ei douloureuses experiences ds
1870 le prouvent, a se refugier dans lea
places fortes du voisinage a I'approche des
armees ennemies. Cfr. Jer. \v, 5 et 6. Cette
circonslance, a laquelle se joignil le peleri-
nage annuel des fetes pascalcs, accumula
dans Jerusalem une multitude enorme de
Juifs qui perirent miserablement. Phisieurs
ayant essaye de s'enfuir, le farouche s-ieaire
Simon de Gerasa les fit egorger sans pilie.
Cfr. Jos. Bell. Jud. iv, 9, 10.
22. — Nouveile parlicula: ite de S. Luc.
Jesus indique [quia] ponrquoi on devra fuir
alors bien loin de Jerusalem : ce sera pour
ne pas s'exposer a parlager la triste destine^
de cette ville coupable. — Dies idtionis hi
sunt : les jours de la vengeance divine, la
ruine de Jerusalem etant irrevocablement ei
depuis longtemps decretee. — Ut impleantur
(dans le gi'ec, toO TiXrjaOrivai, genilif du but)
omnia (avec emphase) qacB scripta sunt. Les
menaces du Seigneur avaienl rctenli aux
oreilles des Juifs depuis les jours de Moise,
Deut. xxvni, el les derniers prophetes les
avaienl solennellemenl reproduces. Cfr. Dan.
IX, 26 et s.; Zach. xi ; xiv, 42.
23. — Vce autem pra'gnantibus... Comm&
dans les deux autres synopliqnes, c'est la un
« vae » plein de compassion. Ce « vae » est
motive {erit enim...) par des leriibles details,
dont la m nition et propre a S. Lu:- liflf. 23b el
24). — Pressura magna, avdyx-/] \j.z-{x>f\ : moti
tout a fait expres^ifs (nSna my des He-
breux), pour designer une angoisse puprem".
— Super terram : plus probablement dan^
un sens reslreinl, c'est-^-dire, sur la terre
S. Bible. S. Luc. — 23
3oJ
fiVANGILE SELON S. LUC
ces jours -la: carily auraunegrande
detresse dans le pays et une grancle
colere contre ce peuple.
24. lis tomberont sous le tran chant
du glaive et seront emmenes captifs
danstoules les nations, et Jerusalem
serafoulee aux pieds par les gentils,
jusqu'a ce que les temps des nations
soient accomplis.
2o. II y aura des signes dans le
so]eil,danslalune etdanslesetoiles,
et sur la terre accablement des na-
tions, a cause du bruit confus de la
nier et des flots.
26. Les hommes secheront dans
enim pressura magna super terram,
et ira populo huic.
24. Et cadent in ore gladii : et
captivi ducentur in omnes gentes;
et Jerusalem calcabitur a gentibus :
donee impleantur tempora natio-
num.
25. Et erunt signa in sole, et luna,
et stellis, et in terris pressura gen-
tium prse confusione sonitus maris,
et fluctuum :
Matth. 44, 29; Marc. 13, 24.
26. Arescentibus hominibus prsB
juive, en Palestine, ainsi qu'il ressort des
mots puivants, ira populo huic. Ce pronom
« huic » est dedaigneux et terrible.
24. — Jesus indique maintenant de quelle
maniere se manifestera la colere divine. —
El cadent (le pluriel parce que « popuius »
est un nom collectif) in ore gladii (dans le
grec, oTojjiaTi [Aaxatpac, dalif de I'instrumenl).
Belle et forte figure, employee frequem-
ment dans les litleratures semiliques. C'est
le mn isb ibsi des Hebreux. Cfr. Gen.
XXXIV, 26 ; Deut. xiii, 15; Jos. viii, 24;
Hebr. XI, 34. — El captivi ducentur... D'a-
■pres I'historien Jo?ephe, Bell. Jud. vi, 9, 2,
le nombre des Juifs qui perirent a Jerusalem
fut de 1,100,000; celui des captifs, de
97,000. « Apres que le soldat ful las de tuer,
Titus ordonna qu'on gardat les jeunes hommes
les plus robustes et les mieux faits, pour
orner son triomphe. Pour les autres qui
etaient au-dessus de I'age de 17 ans, il les
envoya en Egypte pour y Iravailler aux mines.
Titus en dislribua un giand nombre d'autres
dans Ir-s provinces, pour servir dans les thea-
tres aux speclacles du peuple, pour 6lre
■exposes aux betes, etc. Ceux qui n'avaient
pas 17 ans fiirent vendus et menes pour es-
claves en divers endroits ». D. Calmet, h. 1.
La prediction se realisa done k la lettre. On
eut dit que la nation entiere s'etait donnee
rendez-Yous dans sa capitale pour s'y faire
^gorger ou charger de chaines. — Et Jeru-
salem caleabilur... La tournure grecque,
IffTai 7ratou[A£viri (litteral. : sera etant foulee
aux pieds), est plus expressive que le simple
futur et denote un fait permanent. Ici encore
la propheiies'est accomplie en toute rigueur :
Jerusalem a ete prise, saccagee, foulee aux
pieds tour a tour par les Remains, par les
Perses, par les Sarrasins, par les Francs, par
les Turcs. Les Juifs, ses anciens maitres, y
«ont simplement toleres, movennant une re-
devance qu'ils paienl au sultan. Et cepen-
dant, apres I'exil de Babylone, lis I'avaient
precisement lortifiee « ne quando venirent
gentes, et conculcarenl eam , sicul anlea fe-
cerunt », I Mach. iv, 60. Cruelle ironie du
sort! — Donee impleantur tempora nationum.
Ces derniers mots presenlent quelque obscu-
rite. Le pluriel xaipoi semble indiquer une
dur^e assez considerable; neanmoins les exe-
getes ne sonl pas d'accord sur ce qu'il faut
entendre par les « temps des nations », dont
I'accoiriplissement metlra un terme au ch5-
timent d'Israel. II est p( u probable que ce
soient les « lempora mundi », c'est-a-dire
« usque ad mundi tinem », comme I'ont pense
Eulhymius, Fr. Luc, etc. Le delai a'lnsi ac-
corde aux Gentils doit avoir des limites plus
precises. Peut-etre les temps en question re-
presenteraient-ils I'epoque ou les peupies non-
juifs seront a leur tour murs pour le juge-
meni, ou bien celle durant laquelle ils con-
tinueront a etre les executeurs des vengeances
divines, ou mieux encore, croyons-nous, les
jours qui leur seront accordes a eux-mSmes
pour se convertir. Telle etait deia I'opinion
duV.Bede: « Donee plenitudo gentium intret
in Christi Ecclesiam », et un passage de I'epi-
tre aux Remains, xi, 25, « caecitas ex parte
contigit in Israel donee plenitudo gentium in-
traret », semble la favoriser singulierement.
Mais I'expression demeure en partie myste-
rieuse, et il est difQcile de la preciser da-
vantage.
3<» Preludes propres i la fin du monde.^ f. 25-33.
25 et 26. — Et erunt. Comme les deux
premiers evangelistes, S. Luc passe tout a
coup aux derniers jours du monde, condui-
sant ses lecteursd'un horizon rapproche a un
horizon lointain. II abrege d'abord notable-
ment, quand il se borne a mentionner des
siqna in sole, et luna, et stellis (comparez Matth.
CHAPITRE XXI
365
timore et expectatione, qiise super-
venient universe orbi : nam virtutes
coelorum movebuntur.
27. Et tunc videbunt Filium homi-
nis venientem iu nube, cam potes-
tate magna et majestate.
28. His autem fieri incipientibus.
Tattente de cequi doit arriver a tout
I'univers, car les vertus des cieux
seront ebranlees.
27. Et alors ils verront le Fils de
I'homme venant dans une nuee avec
unegrande puissance etune grande
majeste.
28. Et quand ces choses commen-
XXIV, 29 ; Marc, xiil, 24 el 25, ou la des-
cripiioii de Jesus est plus developpee); mais
il signale ensuiie plusieurs traits particuliers
et tres-expressifs, a partir des mots « et in
lerris » jusqu'^ « universe orbi ». — In ter
ris : par opposition aux signes du ciel. Dans
le grec, liri Trj; yfa au singulier. II est a noler
que I'article a eteseulement place devant le
mot yft el qu'il iraccompagne aucun des dix
subsOntifs qui suivent. — Pressura gentium.
L'expressiou du lexlc primilif qui correspond
a « pressura » n'esl pas iLy(i.yY.-r], conime au
t. -13, mais <mvoxTi, qu'on trouve ici seule-
raent et II Cor. ii, 4. Elle est pareillement
•tres energique et s'emploie soil au propre,
soil au figuie. Cfr. Brelschneider, Lex. man.
s. V. — PrcB confusione. Le grec aTropia, qui
est un des ana? Xeyojieva du Nouveau Testa-
ment, signifie plutot « perplexitas, status
ejus qui est consilii in^ps ». Cfr. Grimm,
Lex. s. V. — Les mots soniius 7naris et fluc-
tuum (dans le grec, ffa).ou au singulier) indi-
quent ce qui produira la perplexile des peu-
ples : les vagues s'avanceront mugissantes,
menaQantde tout engloulir. Des deux legons
^X0^<"1? QaXaorari? xai ffdXou (D, E, G, H. K, S,
U, V, olc), « resonanle mari et fliictu », et
iixous OaXdadYi!; xal 0d),ou(A, B, C, L, M, R, Si-
nail.), qui est celle de la Vulgate, nous pre-
ferons la seconde, parce que les documents
qui la favorisent onl plus d'autorite. Les mots
^Xo«et ffaXo; n'apparaissenl pas dans les au-
ires ecriis du Nouveau Testament. — Comme
dans notre explication du passage parallele
de S. Matthieu (xxiv, 29), nous prenons a
la leltre ces predictions de Je^us, tout en ad-
mettani qu'elles sonl exposees d'apres les
idees populaires ot non dans le langage des
savants. Les proph^tes decrivenl de la mSme
maniere I'agonie du monde, les convulsions
suprfimes qui annonceront sa dissolution.
Cfr. Am. viii, 9; Joel, ii, 30 el s.; Is.
xiii, 9-<3 ; XXXIV, 2 ; Ezech. xxxii,7, 8, etc.
Comparez ces beaux vers de Lucain, qui
expriment des fails analogues :
Sic qanm, compage solnta,
Sxcala tot mundi suprema coegerit hora,
Aaliqua repetent iterum chaos omnia, miitis
Sidera sideribus concurrent, ignea pontura
Astra piUent, teilus extendere littora nolet
Exculietqae fretum... Phare. i, 72.
— Arescentibus hominibus prce timore...
Quelle energie de langage ! Le mot grec
ano'^xtxo'^ibi'^ (de aTto et '^^X'Oi), propre a la dic-
tion de S. Luc, aurait ete plus exaclement
traduit par « exanimari, exspirare ». Un ma-
nuscrit latin (a) porle « refrigerantibus », par
suite d'une erreur d'etymologie (inb el '{'yx°5»
fraicheur). C'est du resle partoul la meme
idee. — Et exspedatione : le substantif npoa-
6oxia, que S. Luc est egalement seul a em-
ployer parmi les ecrivains sacres, designe
une atlente pleine d'inquietude, « metusira-
minentis mali ». — Quw supervenient : pour
V eorum quae... », irpodSoxia; twv iTrspxotJtevwv.
•— Univi'rso orbi est une bonne paraphrase
de T^ otxou(x£viQ. — Virtutes ccelorum. Sur
celte locution, voyez I'Evang. selon S.Matth.,
p. 467. Le Juif Philon appelle aussi les astres
Td; avw SuvdjAsi;, et Eschyle les nomme « les
brillanls dynastes ».
27. — rtittc : c'est-Si-dire apres qu'auront
paru les phenomenes decrits dans les tt. 25
et 26. — Filium hominis... in nube. S. Matlh.
et S. Marc onl le pluriel : « in nubibus ». —
Cum potestate magna et majestate. L'adjectif
reiombe vraisemblablement sur les deux noms,
comme le pensait deja S. Cyrille : xax' k^^o-
Ts'pwv OS wv.oiJOTp TO noXXrj;, (iexd Suvdjxeo); yap
uoAArj? xal Sc^r)); TtoXXrji; Ti^v SeuTspav aCiToO uot^-
oETat 6£09dv£tav (cite par Schegg, h. I.). Lo
premier avenemenl de Jesus avail eu lieu au
contraire dans la faiblesse el I'humilile.
28. — Tout ce verset est propre a S. Luc.
Ris autem fieri incipientibus. Le pronom
a his )■> denote les signes terrestres el celestes
qui viennenl d'etre mentionnes. Ces signes
devant avoir une certaine duree, Jesus attire
ratlention des disciples sur le « debut » de
leur apparition. Aussitot, dil-il, que vous les
reconnaitrez d'apres ma prediclioii, respicite
(dans le grec avaxOtJ/aTe, « corpus erigite ».
Cfr. xiii, 11 et le commentaire) et levate
capita vestra. C'est-a-dire, « bono anirao
esiole », comme traduit la version syrienne ;
soyez « laeti et erecli », dit Ciceron (pro
Font, xi) parlanl tout ensemble au propre et
au figure. Celte belle metaphore est basee
sur I'experience universelle, « Solent enina
caput altollere el sursum aspicere, qui bono
ac laeio sunt animo, et quibus spes affulget
emrgendi e malis; ut demitlere caput et
terram aspicere, qui tristi afflictoque sunt
animo, et sine spe evadendi mala. » F. Luc.
356
EVANGILE SELON S. LUC
ceront d'arriver, regardez et levez
la tete, parce que votre redemption
approche
29. Et il leur dit cette comparai-
son : Voyez le figuier et tous les
arbres.
30. Lorsque deja ils produisent du
fruit vous savez que Fete est proche.
31. Ainsi quand vous verrez
ces choses arriver, sachez que le
royaume de Dieu est proche.
32. En verite je vous dis que
celte generation ne passera pas
jusqu'a ce que toutes ces choses
n'adviennent.
33. Le ciel et la terre passeront,
mais mes paroles ne passeront pas.
34. Mais veillez sur vous, de peur
que vos coeurs ne s'appesantissent
dans la crapule, Tivresse et les sou-
cis de cette vie, et que ce jour ne
vienne sur vous soudainement.
respicile, et levate capita vestra r
quoniam appropinquat redemptio-
vestra.
Rom. 8, 23.
29. Et dixit illis similitudinem r
Videteficulneam, et omnes arbores r
30. Cum producunt jam ex se fruc-
tum, scitis quoniam prope est aestas.
31. Ita et vos cum videritis haec
fieri, scitote quoniam prope est re-
gnum Dei.
32. Amen dico vobis, quia uon
preeteribit generatio haec, donee
omnia fiant.
33. Coelum et terra transibunt r
verba autem mea non transibunt.
34. Attendite autem vobis, ne
forte gravenlur corda vestra in cra-
pula, et ebrietate, et curis hujus
vitse : et superveniat in vos repen-
tina dies ilia.
— Quonitnn appropinquacit redemptio...
aTto/Otpwai?, expression aimee de S. Paul
Cfr. Rom. iii, 24; viii, 23; I Cor. i, 30.
Eph. I, 7; Hebr. ix, 1o; xi, 35, etc. Ce qui
troublera k- resle des hommes devra done
rejoiiir les chreiiens, parceque ce sera pour
eux I'dnnonce de la delivrance, du bonheur
eternel.
29-31. — Pelile parabole pour re>umer
et pour faire ressortir, a I'aide d'une image
claire el simple, les enseignomenls d'^s
tt. 23-28. — Et dixit illis similitudmein (Ttapa-
6o>.riv). De nouveau (Cfr. t. iO) S. Luc inler-
rompt lediscours de Jesus par uiie formule de
Iransilion qui lui est propre. — Videle ficnl-
neain... Jesus se trouvail alors sur le monl
des Oliviers, et eel arbre y eroi-;>ail en abon-
dance, comme I'indique le nora do Betlithage,
« maison des figues ». Di^plus, le mouvem:Mil
de la vegetation avail deja commence. Cfr.
Matlh. XXI, 19. — Et omnes arbores est une
parlicularile de S. Luc. Les aulres synopli-
ques ne citent que le figuier. — Cuvi produ-
cunt. L" mot frudum n'esl pas dans le lexle
grec. oil 7:poSa),/.stv est pris d'une maniere
absolue, confonnemenl a I'usage clas>ique,
pour signifi'M- « cmiltere flores » ou i folia ».
Uii manuscril latin (a) porle : « florient ».
L'adiiilion t6v xapTiov aO-rtSv du cod. D est un
glosseme evidenl. Coai[)arez les nuances des
recits paralleles. — Jta el vos... Morale de la
parabole. Elle est exprimee en lermes a peu
pres idenliques dans les trois synoptiques r
notre evangeliste a seulemeni regnum Dei (le
royaume du Messie dans sa glori.nist con-
sommalion) au lieu de la vague locution « in
januis » lie S. Maltliieu et de S. Marc.
32 el 33. — Conclusion de la parlie pro-
pheiique du Discours, tt. 8-31. Ici encore il
exisle une rcssemblance frappante entre les
trois reciis. Voyez I'explication dans I'Evang.
selon S. Matth. p. 468 el s. — Non prceieri-
bit : dans le grec, ou ixri napilt^^, avec une
double negation pour fortifier I'lde^'. Dj meme
un p HI ()lus ba-, t. 33, oO (lyj TvapiXSoiffi {ou fii^
TTapsAcucovTat d'apres les manuscrits B, D, L,
Sin.). — Verba autem mea... « Deducla enim
ex aelernitate, id in se conlmenl virlutis ut
maneanl; ilia ^coelum el terra) ex conditione
creationis suae, id est, profecla do nihilo,
habent id in se necessiiatis ut mulari el non
esse possinl. » S. Hilaire, Horn, in Evang. h. I.
C. Parlie morale du discours. xxi, 34-36.
C'est une peroraison pleine d'energie, oon-
sislanl en pxliorlations pratiques qui varient,
pour les details, dans chacun de nos evange-
lisles, mais qui se resumenl chez tous dans
celte imporlanle legon : « Vigilale ». S. Luc
est encore le moins complel des trois.
34. — Attendite autem vobis. Ce pronom
est emphatique. Des phenomenes exlerieurs
qu'il vienl d'annoncer pour un avenir plus ou
moins lointain, Jesus ramene I'att niion des
CHAPITRE XXF
357
35. Tanquam laqueus enim super-
■veniet in omnes qui sedent super
faciem omnis terrse.
36. Vigilate itaque, omni tempore
orantes, ut digni habeamini fugere
ista omnia quae futura sunt, et stare
ante Filium hominis.
35. Car il viendra comme un filet
sur tons ceux qui habitent sur la
surface de la terre.
36. Veillez done et priez en tout
temps, afin que vous soyez trouves
dignes d'echapper a toutes ces
choses qui doivent arriver et de
rester devant le Fils de I'homme
disciples siir icur propre personne. — Ne
forte gvavenltir corda vestra. Locution Ires
expressive. Un coeur alourdi est entraine
vers la icrre par son propre poids; il est in-
eapnble de s'elever vers les hautes spheres
oil Jesus voudrait le conduire. La leQon pro-
bable du lexle grec est Pap7i6woiv, d'apres les
manuscrils Sin., A, B, C, L, R, etc. Ge verba
n'esL employe que par S. Luc. — In crapula
et ebrielate (ev v.pa.mil-^ y.ai (ie9iri) ; deux sub-
slanlils liequemment associes par les clas-
siques grecs et latins (« crapula » a d'ailleurs
ete caique sur xpai^dXT]). Les anciens rhe-
teurs en ont netlement fixe le sens. KpaiTtaXTj
xai (Aeeiri Siatfipti, dit Ammonius (ap. Wetstein,
h. I.). KpatTraXY) \lIv yap eoxtv •?) x^coiv^ (i£6l'
[Jie6ri ok ii vi](; autr^? ripiepa? yivofjie'vyi otvMdi;. Cfr.
Clem. All X. Paedag. ii, 2; H. Etienne, Bret-
Schneider et Grimm, s. v. MsStj designe done
I'acte d'intemperance considere en lui-m^rae,
et xpat7t(x).Yi eel acte envisage dans ses suites
(« le mal de tSte, de coeur, etc., qui suit Ti-
vresse ». Hesychius). II est bon de rappeler
que ce vice etait pousse a ses dernieres li-
miles chez les peuples de I'antiquite. Com-
parez Giceron, Alt. xiii, 52 ; Phil, ii, 25;
Verr. v, 11 ; Seneque, ad Helvid. ix; Juve-
nal, VI, 427, etc. S'enivrer n'avait rien
d'humiiiant, meme dans la haute societe,
mais faisait partie du « bon ton ».0n aimait
a dire par maniere de proverbe qu'il fallait
oiv({) Tov oivov £|£>,ayveiv, ou bien xpaiird).Yiv
xpatitdXTf). Cfr. Plutarch., De san. luend.11.
Jesus met ses disciples en garde contre toutes
ces horreurs.Cfr. I Thess. v, 6 : I Petr. iv, 7:
vr)ij;dTe, soyi z sobres ! — II ajoute : et curis
biijus vitcp ft^Epifjivat; Ptw-cixat;, « curis saecu-
laribus », comme traduisent les manuscrils
latins a, b, d). Une inquietude exageree,
toule mondaino, relativemenl aux necessiles
tjuotidiennes de la vie, est bien capable aussi
de rendre le coeur pesant, incapabh; de vraie
vertu. Cfr. viii, H. — Et superveniat in vos
■repentina (al^vtSic;, ici seulement et I Thess.
V, 3).., Si le coeur est ainsi gale ou preoc-
■cupe, comment serait-il attentif? et, s'il n'est
.pasattcntif, il sera inevitablement surpris par
lie dernier jour, nomme(/iesi7ia par anlonomase.
35. — Tanquam laqueus... (■reayt;, i!!ot aime
de S. Paul ; S. Luc est le seul des evange-
iisies qui I'emploiej. Befio et viyanie image
d'une ruine qui siavienta I'improviste. Nous
reliouvons la meme metaphore dans Is.
XXIV, 17; Rom. xi, 9 ; I Tiui. iii, 7, et tout
particulieremint Eccl. ix, 12: « Nescithomo
finem suum : sed sicut pisces capiuntur
hamo, etsicui aves laqueo comprehenduniur,
sic capiuntur homines in tempore malo, quum
eis extemplo supervenerit. » D'autres fois,
xii, 39, 40; 1 Thess. vi, 3; Apoc. iii, 3;
XVI, 15, etc., la mort et le jugemeni sont
representes sous la figure d'un voleur qui
arrive egalement quand on s'y attend le
moins. — Superveniet (le mot grec ne so
trouve qu'en cet endroit) super o?>ines... Jesus
designe ainsi I'universalite du jugeraent.
Remarquez I'emphase de omnes et de omnis,
— Qui sedent super faciem... Hebraisme :
yiKnSD i^sSirn^y'. Cfr. II Reg. iv, 8 ; Act.
XVII, 26, etc. « Sedere » ne designe point
particulierement une vie commodo, volup-
tueuse (van Oosterzee, etc.) : c'est un simple
synonyme de « habitare. »
36. — Vigilate itaque : mot principal de
celte exhortation pratique. — Omni tempore
orantes. II est probable que les mots £v uavti
xaiptjj retombent lout a la fois sur i-yp-jiFJiX-cz et
sur Se6(xevot. Ce dernier verbe n'est pas cplui
que les autres evangelistes emploient habi-
tuellement pour exprimer I'idee de la priere
(Ttpo<7etixo('-aO : S. Matlhieu seul en fait une fois
usage (ix, 38) ; mais nous le trouvons quinze
fois dans les ecrits de S. Luc, et six fois dans
ceux de S. Paul. Notez celte association de
la vigilance et de la priere (Cfr. xvui, 1;
Eph. VI, 18) : la prudence humaine serait in-
suffisante sans les divins secours que la
priere nous obtient. — Ut digni habeamini.
Comp. XX, 26. Plusieurs des manuscrils
(B, L, X, Sin.) el versions (copt., syr., arab.)
qui font auiorite ont xattox'JfJ^Te, « ut va-
leatis », au lien de xaTa$iw6f)T£. — Stare
ante... . c'est-a-dire, d'apres Ps. i, 5, el MaL
III, 2, vous tenir avec confiance pour louer
et aimer elernellement Dieu dans le ciei.
C'est la un doux et consolant horizon que nous
ouvre Jesus.
4. Coup d'oell d'ensemble sur les derniers
jours du Sauveur. xxi, 37-38.
Ces precieuses indications sont une parli-
cularite de S. Luc.
358
EVANGILE SELON S. LUC
37. Or le jour il enseignait dans
le temple, mais la niiit il sortait et
demeurait sur la moutagne qui est
appelee des Oliviers.
38. Et tout le peuple de grand
matin venait au temple pour I'ecou-
ter.
37. Erat autem diebus docens ia
templo : noctibus vero exiens, mora-
batur in monte qui vocatur Oliveti.
38. Et omnis populus manicabat
ad eum in templo audire eum.
CHAPITRE XXII
Le Sanhedrin cherche le moyen de se debarrasser de Jesus {ft. \ el 2). — Judas lui offre son
horrible concours {Hft. 3-6). — Jesus fail faire ies preparatifs de !a Paque {l!t. l-\3\ —
La double cene {tt. 14-23). — Conversalion itilime avec Ies Apotres (tt. 24-38). —
L'agonie de Gelhsemani {tt. 39-46). — Jesus arrele comme un malfaiteur (ft. 47-54). —
Le reniemenl de S. Pierre [tt. 55-62). — Jesus cruellemenl oulrage par Ies valels du
Sanhedrin {ft. 63-65). — Son inlerrogaloire devanl le grand Conseil i(Vt. 66-71).
1 . Or la fSte des azymes, qui est
appelee la Pdque, approchait.
l.Appropinquabat autem dies fes-
tus Azymorum, qui dicitur Pascha.
Matlh. 26, 2; Marc. 14, 1.
37. — Erat autem. Imparfail qui ex|>rime
una coulume, des fails reileres. — Diebus
docens in templo. Cfr. xix, 47 et 48. Le dis-
cours cschalologique ayant ete prononce le
mardi soir, et Jesus, depuis lors, n'elanl plus
relourne au temple, la presenle nolice est
dvidemment reirospeclive; elle resume la
vie de Nolre-Seigneur a parlir du dimanche
des rameaux jusqu'au mardi saint. — Nocti-
bus vero exiens morabatxir : tjOXiCeto du toxle
primilif signifie « il passail la nuit en plein
air », ce qui d'ordinaire ne presenle pas d'in-
convenieni en Judee au debul du printemps.
S.Jean nous apprend neanraoin?, xviii, 48,
que la null de I'arreslation de Jesus ful froide.
D'apres Mallh. xxi, 17, Jesus rcgul i'hospi-
talile a Belhanie duranl la null du dimanche
au lundi. C'elail pour echapper aux embuches
de ses ennemis que le Sauveur quiltail ainsi
Jerusalem cliaque soir. — In monte. Dans le
£;rec, ei; t6 Spo?, avec I'accusatif du mouve-
ment.
38. — Et omnis 'populus : expression em-
phalique. — Manicabat, ('< mane veniebat » ;
Terluil. : « diluculo convenicbanl )^), verbe
derive de « mane », el appartenanl a la
basse latinite (voyez Ies dictionnaires deFor-
cellini el de Du Cange), iraduit fort bien,
d'apres le conlexte, Tidee du grec wpOptlJe
,employe en ce seul endroil du Nouveau Tes-
lamcnD.qiii correspond a DOtt^n desHebreux.
Voyez Bri'tschneider, Lex. man. « Chercher
avec einpressemiMil » ne rondrail pas ici
loute la pensde, quoique 6p6pt!;w ail parfois
celle signilicalion dans Ies LXX, v. g. Ps.
Lxxiii, 1 ; Lxxviii, 34. Quel admirable ta-
bleau de Taffeclion des muliiludes pour
Jesus ! EUes avaienl peine a allendre le retour
de I'aube, el se reunissaienl de grand raalin
sous Ies galeries du temple, afin d'etre la des
que le Docleur lant goiite reprendrail son
enseignemenl inLerrompu la veille. Helas !
pour un grand nombre, ces beaux sentiments
ne devaieni pas eire de longue duree. Cfr.
xxiii, 18. — Quelques manuscrils en letlres
minuscules inlercalent ici « I'Evangile des
penitents »,c'esladire I'episode de la feiume
adultere, Joan, vii, 53-viii, 11 : mais c'est
evidemment une interpolation.
Apres elre enlre comme un roi dans Jeru-
salem, apres avoir parle de I'avenir comma
un divin prophele, Jesus va se manifesler
raainlenant comme prelredanssa douloureuse
Passion. « Viciima sui sacerdotii et sacerdos
suse victimee. »
5. Trahlson de Judas, xxu, 1-6.
Ce sombre episode sert, dans Ies troia
premiers Evangiles, de prelude a la Passion
propreraenl dile. II est lui-meme introduit
par le complot du Sanhedrin contre Jesus.
lo Le Sanhedrin cherche Ies moyens de se d6bar-
rasser de J6sus. t^ 1-2. — Parall. Matlh. xxvi,
3-5; Marc, xiv, 1-2.
Chap. xxii. — 1. — Appropinquabat.
D'apres Ies redaclions plus precses de
S. Malthieu el de S. Marc, la Paque devait
CHAPITRE XXII
359^
2. Et quserebant principes sacer-
doliim, et scribse, quomodo Jesum
interficerent : timebantveroplebem.
3. Intravit autem Satanas in Ju-
dam, qui cognominabatur Iscario-
tes, unum de duodecim.
Mallh. 26, 14: Marc. 14, 10.
4. Et abiit, et locutus est cum
principibus sacerdotum et magis-
tratibus, quemadmodum ilium ira-
deret eis.
5. Et gravis! sunt, et pacti sunt
pecuuiam illi dare.
2. Et les princes des prfitres et les
scribes cherchaient comment il met-
traient a mort Jesus, mais ils crai-
guaient le peuple.
3. Or Satan enlra dans Judas, qui
etait surnomme Iscariote, Fun des
douze.
4. Et il alia, et parla aux princes
des pretres et aux magistrals de la
maniere qu'il le leur livrerait.
5. Et ils se rejouirent et convin-
rent de lui donner de Targent.
commencer « post bidiiiim. » — Dies festus
{•^ ioptri) Azymorum, qui dicitur Pusclia.
Voypz, siir ces deux noms, I'Evang. selon
S. Mallh. p. 491 et 501. Le second est ajoute
ici par maniere d'expiicalion pour les Chre-
tiens convertis du paganisme, qui pouvaient
ne pas comprendre le premier. Comparez la
formuie analogue de I'hislorien Josephe :
2. — kt fjucerebant. L'lmpariait exprime
tres bien la continuile des suppulalions, des
recherches. — Principes sacerdotum et scribce.
De meme S. Marc. S. Mallhieu menlionne
les princes des prStres et les anciens du peuple.
En rdunissant les trois recits nous voyons qu'il
s'agil du Sanhedrin lout enlier. — Quomodo,
xi TTw; (sur la presence de I'arlicle voyez la
Preface § VI). Ge que les membres du Grand
Conseil se demandaient avec anxieie, ce
n'elait point s'ils se debarrasseraicnl de
Jesus : leur haine I'avait condamne a mort
depuis longtemps; ils cherchaient seulement
un moyen aise de le faire disparailre {inter-
ficerent; aveXaxjiv, litleral. « e medio lolle-
rent »). — Timebant vero plebem. D'apres le
grec : « timebant enim... >y Voyez les recils
plus complels de S. Matihieu et de S. Marc.
2« Judas et le Sanhedrin. ff. 3-6. — Parall. Mallh.
XXVI, 14-16; Marc, xiv, 10-11.
S. Luc omet ici, sans doute parce qu'i'
avail raconle plus haul (vii, 37 el ss.) un
fait analogue, I'onclion de Marie, que les
aulros synopliques intercalent cnlre le corn-
plot du Sanhedrin et le perfide marche de
Juda.
3. — Intravit autem Satanas. Gelte expres-
sion energique pour sligmaliser le crime du
traitre est propre k S. Luc et k S. Jean
(xiii, 2, 27).Rien ne pouvait mieux depeindre
la malice de Judas : c'elait une malice sata-
nique, digne du prince des demons et deve-
loppee sous son influence. Neanmoins, ces
paroles ne doivent pas s'enlendre d'une pos-
session physique et proprement dite (Cfr.
VIII, 30, 32 et ss.; xi, 26), mais seulemeni
d'une possession morale. C'est dans le ccBur
de Judas, non dans son corps, que Salan
avail penelre. — Qui cognominabatur... De
meme la Recepta : t6v e7tty.a)>oyiJLsvov. Les ma-
nuscrits A, B, L, X, ont t6v xa),oy[xsvov, « qui
vocabatur ». — Unum de duodecim; d'apres
le grec : « un du nombre des Douze. »
4. — Locutus est cum...LG verbe auveXdXTiffe-
resume Ibrl bien I'horrible negociation que
Judas enlama avec les Sanhedristes, et dont
S. Matthieu donne le cynique debut : « Quid
vullis mihi darv. et ego vobis eum tradam? »
— Apres dpxispeOdt {jjrincipibus sacerdotum),
les manuscrits C, P, etc., les versions syrienne
et ilalique, ajoutenl : v.al tok ypafj-iJiaTsOffcv,
« et Scribis ». — Mugistratibus (xatxoT? axpa-
TYiyoK, liueral.a ducibus, pieelcclis »; C,P, etc.,
ajoulent encore : toO lepoO, du temple) est
une parlicularile de S. Luc. On designait
ainsi les cliefs de la niilice levitique charges
de mainlenii- I'ordre dans le temple. Cfr.
IV Reg. XII, 9; xxv, -18; Lighlfoot, Hor.
hebr. h. I. En realile il n'existait qu'un seul
atpaxriYoi; toO kpou, nt2n "IH V^'iii (« vir
monlis domus »), comme on I'appelait en
hebreu (Neh. ii, 8; vii, 2; Jer. xx, 1. Cfr.
li Mach. Ill, 4; Aci. iv, 1; v, 24); mais il
avait sous lui des officiers suballernes, et ils
sont tons menlionnes a in globo » dans ce
passage. II eiait nalurel qu'ils fussent con-
sulles dans le cas present, car personne mieux
qu'eux ne pouvait rendre comple do I'etat
des esprils, et des diHiculles plus ou moins
grandcs que presenlail I'arreslalion de Jesus.
5. — Gavisi sunt. Ils se rejouirent do cette
olTre sponUinee, inal (endue, qui semblait
rendre desormais facile I'execulion de leur
sinistre projet. S. Marc el S. Luc ont seuls
signale ce detail. — Pucli sunt SuveSevto si-
gnifie proprement : « conveneruni, communi-
360
EVANGILE SELON S. LUC
6. Et il s'engagea. Et il cherchait
une occasion opportune pour le li-
vrer a l*insu du peuple.
7. Vint le jour des azymes, ou il
etait necessaire d'immoler la Pdque.
8. Et Jesus envoya Pierre et Jean,
disant : AUez et preparez-nous la
Pdque pour que nous la mangions.
9. Et ils dirent : Ou voulez-vous
que nous la preparions?
10. Et il leur dit : Voici qu'en en-
trant dans la ville. vous rencontre-
rez un homme portant une cruche
d'eau; suivez-le dans la maison oii
il entrera;
6. Et spopondit. Et quserebat op-
portunitatem ut traderet ilium sine
turbis.
7. Venit autem dies Azymorum,
in qua necesse erat occidi Pascha.
8. Et misit Petrum et Joannem,
dicens : Euntes parate nobis Pascha,
ut manducemus.
9. At illi dixerunt : Ubi vis pa-
remus?
10. Et dixit ad eos : Ecce introeun-
tibus vobis in civitatera, occurret
vobishomo quidam amphoram aquae
portans : sequimini eum in domum
in quam intrat,
consensu decreverunt », ce qui suppose que
la chose fut debattue de part et d'aulre.
Celle expression est done plus forte que celles
des reciis paraileles ^S. Malih. eo-noffav, S. Marc.
eixriYYetXavTo). Vraiscmblablement, Judas eut
deux enlrevues avec les princes des pr^tres;
c'esl a la seconde, apres qu'il eikt rempli la
condition de son inlame contrat, que les
trcnte deniers iui furenl comples.
6. — Et spopondit {ik(^[i.o\6-{-fi<si, mot compose
qui forlifie I'idee) : il consenlit a I'arrangement
propose, el se mit aussilot en devoir d'exe-
cuter sa part de la convention (notez la force
de rimparfail qucerebat). — Sine turbis (dans
le grec, dTspoxXouau siiigulier), c'esl-a-dire
sans tumulte, d'une maniere toute pacifique.
Ce trait est propre a S. Luc. La preposition
a*ep n'est employee qu'ici et au t. 35.
6. La derni6re c6ne. xxii, 7-30.
Epi?ode grandiose, sur lequel S. Luc
nous a conserve piusieurs details nouveaux,
quoique, pour le fond, sa redaction se rap-
proche notablement de celle de S. iMarc.
i" Prdpavatifs de la Pique, ff. 7-13. —
Parall. Matth. xxvi, 17-19; Marc, xiv, 12-16.
7. — Venit... dies Azymorum. Au t. <,
iopxiQ Twv 'A^upiwv designait I'octave entiere de
la Paque, du 1 4 au 21 nizan; il ne s'agit ici
que du premierjour, c'est-a-dire de la soiree
du 14. — In qua (les manuscrits B, C, D, L,
omeltent la preposition £v) necesse erat... Done,
quoi qu'on ait dil. Je.^us celebra la Paque
au jour legal, en meme temps que tous ses
compalriotos. Voyez I'Evang. selon S. Marc,
p. 193. — Pascha represente ici I'agneau
pascal.
8 et 9. — Misit Petrum et Joannem. Notre
evangeliste a seul conserve les noms des deux
envoyes de Jesus. Comme il s'agissait d'une
mission de confiance, il n'est pas elonnant
que le Sauveur ait choisi ses disciples les plus
intimes. En piusieurs autres endroits de I'B-
vangile ou des Actes nous Irouvons S. Pierre et
S. Jean fraternellement associes. Cfr. v, 10;
Joan. XIII, 23-25, xx, 2-10; xxi, 20 et s. ;
Act. HI, 1-11; IV, 13-22; viii, 14-25. —
Euntes, parate... D'apres les recits paraileles,
c'est des apotres que serait partie I'initiative
sur ce point. S. Luc I'atlribue au contraire
a Jesus, et il est probable qu'il raconle les
faits d'apres leur ordre reel, parce qu'il est
le plus complet. Les autres synoptiques, pour
abreger , auront supprime la question du
Sauveur, tandis que S. Luc remel celle des
apotres [ubi vis paremus] dans sou vrai milieu
primilif. II est done inutile de lire au t. 9,
eTTtav, « dixerant », au lieu de etuov, dixerunt.
Celte lecon, quoique soutenue par les manus-
crils B, C, D, L, ressemble beaucoup a une
correction posthume.
10. — Ecce introeuntibus vobis... Detail
propre a S. Luc : les autres narrateurs ne
ileterminent pas le lieu de la rencontre. —
Occurret (ouvavT^^trei. S. Marc : aTiavTi^aei) vobis
homo quidam... Le Dr Sepp, Leben Jesu,
t. in, p. 390, a lu dans son imagination fe-
conde que eel homme elait I'rsclavo de Nico-
deuie. — Amphoram aquce portans : sur !a
lete, suivant la mode orienlale. — Sequimini
eum in domum... S. Cyrille d'Alexandrie (ap.
Mai, p. 369) avail parfailemmt compris le
but de ces indications mysterieuscs : "Iva S^
(ir) irpo Trji; lopTf)? toO niorx* "^o'' ©ovwo-iv auTov
TiapaSci, oO 8tap.eiJ.iQvuy.ev 6 ao>xr,p i] xov oTxov ^
Tov avOpwTTov. Voyez lEvang. s;'lon S. Malth.
p. 502. — In qiiam... De meme les Codd.
Sinait., B, G, L (el? ^v) au lieu de o5 (« ubi »,
D,E, G,H,S,elc.),oi5£dv (A,K,M, P, R.-'^c j.
CHAPITRE XXII
301
11. Et dicetis patrifamilias do-
mus : Dicit tibi Magister : Ubi est
diversorium, ubi Pascha cum disci-
pulis meis manducera?
12. Et ipse ostendet vobis coena-
culum magnum stratum, et ibi
parate.
13. Euntes autem, invenerunt si-
cut dixit illis, et paraverunt Pascha.
14. Et cum facta esset hora, dis-
cubuit, et duodecim apostoli cum eo.
Maeth. 26, 20; Marc. 14, 17.
15. Et ait illis : Desiderio deside-
ravi hoc Pascha manducare vobis-
cum, antequam patiar.
16. Dico enim vobis, quia ex hoc
11. Et vous direz au pere de fa-
mille de la maison : Oil est la salle
oil je mangerai la Paque avec mes
disciples?
12. II vous montrera un grand
cenacle meuble, la preparez tout.
13. S'en allant done ils trouverent
tout comme il leur avait dit et pre-
parerent la Pdque.
14. Et quand I'heure fat venue il
se mit a table, et les douze apotres
avec lui.
15. Et il leur dit : J'ai desire d'un
grand desir manger cette P^que avec
vous avant de souffrir.
16. Gar je vous dis que desormais
11 et 12. — Patrifamilias domiis Pleo-
nasme. S. Marc a seulemenl « domino do-
mus ». — L'equivalent de diversormm dans
le Icxte grec est xaTd),v[ia, expression que
nous avons precedemmenl renconlree (ii, 7);
mais ici, au lieu de designer une hotellerie,
elle a simplemenl le sens de « coenaculum ».
Cfr. I Reg. IX, 22, d'apres la traduction
des LXX. Ccenacidum. Dans le grec, avifatov,
litteralemenl : une chambre haute. — Stra-
tum. Celte chambre devait 6tre munie de
tout le mobilier necessaire pour la celebration
de la Paqu". Jesus veut un appartement digne
de sa derniere cene.
13. — Invenerunt sicut dixit: « dixerat »
d'apres les mar,u?crils B,G, D,L,Sin.(elp1^y.£0•
La rencontre des disciples el du porleur d'eau
cut lieu probablement vers la porte de la
Fontaine, siluee au S. E. de Jeru-alem, non
loin de la piscine de Siloe. Voyez Riess, Atlas
de la Bible, pi. VI. Qiiant a la maison, « com-
munis traditio est banc domum fuisse Joannis
qui cognominalus esl Marcus » (Sylveira).
2» La double cfene. xu, 14-23. —
Parall. Matlh. xxvi, 20-30; Marc. 17-26; Joan, xiii
14. — Cum facta eiset hora : c'pst-5-dire
Theuro fixee legalement pour la c^ne pascale.
« Vcspere facto », disent les deux aulres
syno|)tiques avec plus de precision. — Discu-
buit (avsneffe. Cfr. xi, 17; xiv, 10. Dans
S. Matlhieu : ivexetto). Depuis lougtemps les
Juifsavaientcesse de manger la Paque debout
el er tonue de voyageurs. — Et duodecim
apostoli. AoiSsxa, qui manque dans plusieurs
maniiscrils Ires anciens, poiirrait bien 6tre
un glos-em '. Sur le placement des convives
de Jesus nous ne connaissons que les details
conserves par S. Jean, xiii, 23 et s. (voyez
le commentaire).
\^. — Et ait illis. Ge petit discours du
Sauveur [tt. 15 et 16), prononce au debut du
festin legal, ne se trouve que dans le troi-
sieme Evangile. — Desiderio desideraoi est
un hebraisme (inSDSJ ^^DD:, Gen. xxxi, 30.
Comparez la traduction des LXX), d'oii Ton
a quelquefois induit que S. Luc s'est servi
pour ce passage d'un document aramalque.
Cette repetition corrobore singulierement
I'idee (Cfr. Matlh. xiii, 14 ; Joan, in, 29;
Act. IV, 17; v, 18); elle exprime une grande
intensite de desirs. — Hoc Pascha manducare
vobiscum.v Hoc Pascha » avec emphase,celto
PSque enire toutes les autres, soil parce que
c'etait la derniere, soil a cause de I'institution
de la sainte Eucharistie (voyez Bossuel ,
Explication des prieres de la Messe, xxiii).
« Hinc Eucharistia ab antiquis Desiderata
vocabatur, et quum recens baplizaii e sacro
fonle ad altare ducerentur, Eucharisliam
p'rcrpiuii, psalmus ille recitari vel cani ex
Ecclesiae instiluto solebat : Quemadmodum
desiderat cervus... » Noel Alexandre. — An-
tequam patiar. C'est, croyons-nous, le seul
endroit des Evangiles ou ce verbe est em-
ploye d'une mani^re absolue, sans delermi-
natil d'aucun genre. — Le verset, apr6s avoir
commence par un sentiraeol de joii', se ter-
mine par une parole de U'istesse.
16. — Dico enim vobis. Jesus explique da-
vantage le molif de son ardent desir. — Ex
hoc (scil. tempore) 7ion manducabo illud (Re-
cepla : e$ autoO, « ex illo » ; les codd. Sinait.,
B, C, L : auTo, comme la Vulgate). Un grand
nombre de manuscrils grecs ont ici jusqu'a
trois negations : oOxeti oO {ii^ (payw. Comparez
Marc. XIV, 25; Act. xviii, 14. II est vrai quo
ouxETi manque dans A, B, C, II, L, Sinait.
— Donee impleatur in regno Dei. L'agneau
pascal, que J^sus allaii manger pour la der-
362
EVANGILE SELON S. LUC
je ne la mangerai plus, jusqu'a ce
qu'elle soit accomplie dans le
royaume de Dieu.
17. Et ayantpris le calice, il ren-
dit graces et dit : Prenez et parta-
gez entre vous.
18. Gar je vous dis que je ne boi-
rai plus du fruit de la vigne jusqu'a
ce que vienne le royaume de Dieu.
19. Et ayant pris du pain, il ren-
dit graces, et le rompit et le leur
donna, disant : Geci est mon corps
non manducabo illud, donee implea-
tur in regno Dei.
17. Etaccepto calice, gratias egit,
et dixit : Accipite, et dividite inter
vos :
18. Dico enim vobis quod non bi-
bam de generatione vitis, donee re-
gnum Dei veniat.
19. Et accepto pane, gratias egit,
et fregit, et dedit eis, dicens : Hoc
est corpus meum, quod pro vobis
ni6re fois, etail iin type; dans le royaume de
Dieu parvenu a sa consommalion,c'est-a-dire,
dans le ciel, ce type sera completemenl rea-
lise. Nolre-Seigneur fail done allusion par
ces paroles a la PSque eternelle des cieux, oil
il n'y aura plus d'ombres iraparfaites,mais
une reaiile magnifique.
47. — Et accepto calice. Les meilleurs
manuscrits grecs ometlent I'article devant
noTiQptov. Par consequent : une coupe. A£^d[xe-
vo;, ayant regu des mains d'un serviteur ou
de quelqu'un des assistants (plus bas : li6e-ze,
prenez). — II s'el6ve ici une assez grosse dis-
cussion entre les commentateurs. Le calice
menlionne des cet endroit par S Luc, el par
lui seul, est-il idenliquo a celui dont il sera
queslion au t. 20, c'est-a-dire au calice de
I'Eucharislie? ou bien si'rail-ce simplemenl
uno des coupes du i'esiin legal (voyez i'Evang.
selon S. Mallh., p. 504)^eii particulier la pre-
miere ou la Iroisiem? Ces deux sentiments
ont ete adoples par des inierpreies d'un egal
renom, depuis ranliquite jusciu'a nous, a Hie
calix, ecril le Ven. Bede, ad volus illud
Pascha, cui finem dofiderabat (Jesus) inipo-
nere, perlinel. » De memo Theophylacte, Ca-
jetan.F. Luc, D. Calmet, Grotius, Olshausen,
Word-worth, Abbolt, etc. D'autre pari Ori-
gene (in Matlli. tract. xxx^ S. Cyprien (Episl.
ad Csecii. Lxxxiif, S. Augu'stin (Quaest.
evangel. I. i, c. 42), Maldonat (h. 1.), Langen
(die lelzlenLebenstage Jesu, p. '191 els.), etc.,
pensent que S. Luc parle des mainlenant de
la coupe eucharistique, pour la signaler une
seconde fois plu-; loin (t. 20) a sa place veri-
table, avec ia formule qui servit a la consa-
crer. La raison qu'ils alleguent nous parait
assez plausible. Si le calice du ■#•. 17 est un
de ceux du festin legal, Jesus, en s'absienanl
d'y toucher (ir. 18), aura contrevenu sans
motif apparent aux regies de la Paque sur un
point assez grave, ce qui semble oppose a sa
maniere de faire accoutumee. Sans doute, la
double mention du calice de I'Eucharislie
parail tout d'abord surprenante, car elle
accuse un defaut d'ordre dans le recit. Mais
on peut fort bien repondre que S. Luc a et6
conduit a anticiper de quelques instants par
la symetrie qui existe entre les paroles ante-
rieures de Jesus, l!t. 1 5-1 6, et celles du 1. 1 8.
II aurait done suivi un certain ordre logique,
quille a revenir plus loin a la marche re«lle
des fails. — Accipite. Le grec et le syria^ju©
ajoutent « illud ». — Dividite inter vos : de
telle sorle que chacun ait sa part. Recom-
mandation Ires nalurelle, Jesus ne voulant
consacrer qu'une seule coupe pour tous ses
convives.
18. — Dico enim vobis... S. Malthieu et
S. Marc placent cette assertion solennelle a
la fin de la cene eucharistique: d'apres Topi-
nion que nous venons adopter a propos dir.
Tt^. 47, c'est alors en efFel qu'elle fut pro-
noncee. Les partisans du sentiment conlraire
supposent , tantot qu'elle terinina le repas
legal, lantol que Jesus la repeta deux fois,
Voycz-on Texplication dans I'Evang. selon
S. Mallh. p, 509 et s. Le parallelisme signals
plus haui> entre ce verset et le 16^ est vrai-
menl tre? frappant :
V. 16. Hy(j> yotp upiTv v. 18. Xeyw yap ufAiv
OTt ouxsTi ou |Xifl oTt ou (jLY) 7:iw.. .
§601; oTou 7t)vr)pw6r) ew^oTouf; PaaiXeiot
ev trj Pa(7t),£ia toO tou 0£ou £).9-(].
0£OO.
— Apres 6ti {quod) d'importants manuscrils
inserent : a.iz6 toO vOv, « amodo ». — De ge-
neratione, i-ab tou y£.\vrni.a.zoi, c'l'Sl-a-dire « de
fruclu ». — lei comme au t. 16 le regnum
Dei est envisage dans sa glorieuse consom-
malion du ciel.
19. — Accepto pane ().a6a)v fipxov) : « in
sanctas ac venerabiles manus suas », ajoutent
la pluparl des liturgies. « Ces mains qui
avaient operd lant de merveilles, donue la vue
aux aveugies, gueri les maladies el multiplie
les pains dans le desert », Lebrun. Explication
dos piieres et des ceremonies de la messe,
Paris 1777, t. I, p. 458. Les liturgies men-
lionnent un autre gesle de Jesus ; « Elevatis
CHAPITHE XXII
datur. Hoc facite in meam comme
morationem.
/. Cor. 11, 24.
20. Similiter et calicem, postquam
coenavit, dicens : Hie est calix No-
vum Testamentum in sanguine meo,
qui pro vobis fundetur.
363:
qui est donne pour vous, faites ceci
en raemoire de moi.
20. 11 prit de mSme la coupe
apres qu'il eut soupe, disant : Ge ca-
lice est le nouveau testament en mon
sang qui sera repandu pour vous.
oculis in coelum ». — Gratias egit : eOxa-
ptffT^ffa?. De merae S. Paul, I Cor. xi, 24.
S. Matlhieu el S. Marc : vjlorhaon. — Fre-
git... « Le pain etail si mince parmi les He-
breux, ainsi que parmi les aulres Orienlaux,
qu'onle rompail loiijoursavecles doigis pour
le distribuer, sans se servir de couteau ».
Lebrun, 1. c, p. 460. — Dicens. Avant de
consacrer le pain en son corps, Jesus dil a ses
disciples : « Accipite et comedile » (Maith.,
I Cor, xi], mots omis par S. Luc. — Hoc est...
Le tableau qui suit permellra au lecleur de
comparer enire elles les paroles de la conse-
cration dans les divers recits.
S. Matthieh.
S. Marc,
TouTo eoTi
TO a(d(id( (J.OU.
ToOto ea-i
S. Luc.
S. Paul.
ToUTO £<7Tl
TO ad)(Aa [AOU
TO uuep uawv
TOUTO 7:ocjTt£
TouTO (lOU ioTi
TO owu.a,
TO UTrep iifAoJv
X^WfXEVOV
TO'JTO TlOlElTe
eU t:^v lEfii^v avajxv/jffiv. el; tt^v eix^jv dvafxvriffiv.
Comme on le voit, les recits se groupent deux
h deux : il exi>le un tres grand rapport de
ressemblance d'une part enire S. Mailhieu et
S. Marc, de I'aulre entre S. Luc et S. Paul
son maitre (Comp. la Preface, § III). Ces der-
niers donnenl la formule d'une inaniere beau-
coup plus complete, evidemment telle qu'elle
fut prononcee, car si I'on comprend qu'on ait
pu I'abreger, on ne concevrail pas que les
ecrivainssacres se fussent permis d'y ajouter
d'eux-m6mes quoi que ce soit. — Quod pro
vobis datur. a Qui est livre pour vous (au
present), parce que c'elait deja un vrai sacri-
fice, dans lequel Jesus-Christ se trouvait
reellement, et qu'il offrait par avance a son
Fere... » D. Calmet. Ou encore, I'emploi du
temps present peut siguifier la proximile de
i'oblation sai!glante de Jesus sur la croix,
oblation prefiguree dans Tinslilulion de la
divine Euchaiistie. — Hoc facite... Autre
f)articularile de S. Luc et de S. Paul. Ce sonl
a de merveilleuses parol' s, au moyen des-
quelles Jesus crea le sacerdoce chretien ,
comme il vena it de creer le sacrcment de
I'autel. « Faites cela », c'est-a-dire : A voire
tour prcnvz du pain, dites que c'esL mon
corps, et, entre vos mains demdme qu'actuel-
lement ( ntre les miennes, il sera change en
ma chair. Ce pouvoir sacre n'esi pas limite.
Faites cela demain, toujours, vous et vos sue-
cesseurs. Ainsi I'a juslement compiis I'Eglise
primitive, oil Ton voit, des les temps les plus
recules, la messe celebree en vertu de cet
ordre du Sauveur. Cfr, Cone. Trid. Sess. xx,
c. 1 ; Bellarmin, Conlrov. de Sacrif. Missee,
1. I, etc. — In meam commemorationem. La
PSque juive avail ete instituee comme un
memorial de la delivrance du joug egyptien :
« Ha bebitis hunc diem in monumentum
(Tn^fS, litleral.in memoriam) »,Ex. xii, 4 4.
Cfr. xiii, 9. La nouvelle aussi sera comme-
morative, mais d'une delivrance superieure,
operee sur la croix par Notre-Seigneur Jesus-
Christ.
20. — Similiter et calicem, scil. « acci-
piens ». a In calicis mentione, dit energique-
ment TertuUien, testamentum constituens
sanguine suo obsignalum, subslantiam cor-
poris confirmavil. Nulliusenim corporis san-
guis potest esse, nisi carnis » (cite par Slier,
in Maith. xxvi;. 'QaauTw? (trait propre a
S. Luc et a S. Paul) : de la meme maniere que
le pain, c'est-a-dire avec action de graces et be-
nediction. To TtoTiTiptov : nous avons ici I'arti-
cle, parce qu'il a ete fail mention de la coupe
unpeu plus haul, t. 17. c Hunc piaeclarum ca-
licem », dit le pretre dans la liturgie romaine.
CJ'r. Ps. XXII, 7. — Postquam coenavit. De
meme S. Paul, 1. c; c'esl-a-dire, apres la
cene legale. — Hie est... Voici un tableau-
compare de celte seconde formule.
S. Matthieu.
TouTO yap EOTt
TO aTj/.d [jiou,
TO Trj; -/.atvrj; Sta8y)xyi?,
TO TTEpi 7ro),),aJv
EV.XUVOfXcVOV
eti; d9E(Jtv a(jLapTiaiv.
S. Ldc.
ToOtO t6 TTOTl^piOV
■i) y.aivy) SiaOrixvi
Ev Tw al'jxaxt \).<j\),
TO VTtEp Ut^-WV
£XXUv6(JloV0V.
S. Marc.
ToiJTO EffTt
TO ai[xa (Aou,
TO Tfjii v.atv?ic StaOi^/ri?,
t6 Tispl ito),).wv
£X5(V)V0(Jl.£V0V.
S. Pail.
ToUTO TO TCOTI^piOV
■i\ -/.aivY) ota6i^y.r) egtiv
£v Tw £(j.a) asiiaTs.
ToOto ITOIEITE,
oodxK dv TtfvrixE,
fel? Trjv £[i.ov avciii;,vy)(nv.
Nous retrouvons ici nos deux groupes, avcc-
364 fiVANGILE SELON S. LUC
21. Gependant void que la main 21. Verumtamen ecce manus tra-
leurs nuances caracieriftiques ; iiiais Ics dif-
ferences sont plus accenluees. La premiere
parlie de la formule est moins claire dans les
redactions de S. Luc el de S. Paul; aussi
est-il probable, selon ie principe « Leciio dif-
ficilior est praeferenda », que telles fureiU veri-
tablement les parohs de Jesus. — La copule
est, ajoutee duns la Vulgate, serail bien mieux
placee apies « calix ». — Cette coupe que je
vous offie, dit Jesus, est novum Testamentum
in sanguine meo. L'ancienne Alliance avail
eie scellee des son origine par du sang re-
pandu, Gen. xv, 8 el ss. Plus tard, Ex. xii,
22 el s. ; xxiv, 8, c'esl encore en faisant couler
du sang qu'on la renouvela. La nouvelle
Alliance est pareillemenl ratifiee par du sang
verse, mais c'est Ie sang precieux du Sauveur.
Cfr. Hebr. ix, 15, 18-22. Or, comme la coupe
eucharislique, des qu'elle eiil ete consacree,
conlenait reellement Ie sang de Jesus, il est evi-
dent que la phrase « Ce calice est la nouvelle
Alliance en men sang », equivaul a celle-ci :
« Hie est sanguis meus novi Tcstamenti »
(S. Matth.., S. Marc).— Pro vobis. Dans les deux
autres synoptiques : « Pro mullis ». La liturgie
romaine dit en unissanl les deux expressions :
« Pro vobis et pro multis ». — Fundetur.
Le verbe csl au present dans Ie lexte grec.
Nolez qu'il retombe sur « calix » et non sur
« sanguine », preuve que le coulenu de la
coupe etail des lors du sang, non du vin. De
ce vin consacrd , comnae du pain transsub-
slanlie, Nolre-Seigneur afSiine solennelle-
menl la verlu propitialoire el I'union morale
avec son sacrifice du lendemain. D'apres le
recil de S. Paul, Jesus repeta en eel endroit
I'injonction finale du t. 19 : Faiies ceci en
memoire de moi. — Dans un commentaire
protestanl qui n'est pas sans valeur, nous
avons rencontre, a la suite de IVxplication
des tt. 17 et 20, les reQexions suivantes :
« Dans I'acte merae (du rite ( ucharistique)
sont representees les deux faces de I'oeuvre,
TofTre divine el racceptation humaine. Le
cole de racceptation humaine est clair a la
conscience. II s'agit simplement... d'annoncer
la mort du Seigneur. I Cor. xi, 26. II n'en est
pas de meme du cote divin : il esl insonda-
ble et mysterieux... Nous connaissons claire-
ment ce que nous avons a faire pour bien com-
munier. Nous pouvons laisser a Dieu le se-
cret de ce qu'il nous donne dans une bonne
communion. » Laisser a Dieu son secret!
Mais oil est ce secret? Jesus n'a-t-il pas dit
clairemenl que ce qu'il nous donne c'est sa
chair pour nourriture et son sang pour breu-
vage? II est triste d'en etre reduit a de si
pauvros echappatoires (comp. Farrar, Life
of Christ, 23e ed., t. II, p. 292). Le catholi-
que, appuye sur les paroles du Sauveur,
croit a la presence reelle comme il croit a
rincarnation el a la Resurrection.
II nous reste a tenir une ancieniie promessa
(voyez I'Evang. selon S. Matth., p. 307) eii
signalani ici les formules de consecration usi-
tecs dans les principales liturgies. Elles se
raltachenl loutesde Ires pres aux recils evan-
geliques, donl elles combineiit pai fois les va-
rianles, et auxquels parfois aussi elles ajou-
lent quelques developpemenls.
Liturgie romaine : « Hoc esl enim corpus
meum. Hie esl enim calix sanguinis mei, novi
et aelerni Testamenti, my>terium fidei, qui
pro vobis el pro multis effundetur in romis-
sionem peccalorem ». — Liturgies de S. Jac-
ques et de S. Maic : « Hoc (St corpus meum,
quod pro vobis frangiluret dalur in reinissio-
nem peccalorum. Hic esl sanguis meus novi
Testamenti, qui pro vobis et pro mullis effun-
ditur el datur in remissionem peccalorum. »
(La liturgie de S. Marc se borne a inserer en
sus la paiticulp « enim » apres les pronoms
« hoc »el « hic »). — Liturgies de S. Basile et
de S. Jean Chrysostome : « Hoc esl corpus
meum, quod pro multis fiangitur in remis-
sionem peccalorum. Hic esl sanguis meus,
novi Testamenli, qui pro vobis et multis effun-
ditur in remissionem peccalorum ». — Li-
turgie ethiopienne ; « Hoc esl corpus meum,
quod pro vobis iradelur in remissionem pec-
calorum. Amen. Hic esl calix sanguinis mei
qui pro vobis effundetur, el pro redempiione
multorum. Amen. » — Liturgie cople : « Hoc
est enim corpus meum quod pro vobis fran-
gitur el pro mullis dalur in remissionem pec-
calorum. Hic est enim sanguis meus novi
Testamenti qui effundilur pio vobis et pro
multis in remissionem peccalorum ». — Li-
turgie de S. CyriUe : « Hoc est corpus meum
quod pro vobis et pro multis tradetur in re-
missionem peccalorum. Hic est sanguis meus
novi Testamenti, qui effundetur pro vobis et
pro mullis tradetur in remissionem peccalo-
rum ». — Liturgie armenienne : « Hoc est cor-
pus meum, quod pro vobis dislribuitur in ex-
piationem peccalorum. Hic esl sanguis meus
novi Testamenti qui pro vobis el multis effun-
ditur in expiaiionem et remissionem pecca-
lorum ». — Liturgie mozarabe : « Hoc est
corpus meum quod pro vobis tradetur. Hic
est calix novi Testamenti in meo sanguine,
qui pro vobis el pro multis effundetur in re-
missionem peccalorum ». Voyi z D. .Martene,
De antiquis Ecclesiae ritibus,' lib. I, rap. iv,
art. viii, n, 19; Lebrun, Explication de '4;
Messe, I. II et HI, passim ; Th. J. Lamy, Dis^
sertaiio de Syrorum fide et disciplina in ti
eucharistica,'Louvain 1839.
21. — Verumtamen serl de transition a utt
sujet douloureux, la trahison de I'un de*
CHAPITRE XX[I
365
dentis me mecum est in raensa.
Maith. 26, 21; Marc. 14; 20; Joan. 13, 18.
22. Et quidem Filius hominis, se-
cundum quod definitum est, vadit ;
verumtamen vse homini illi, per
quem tradetur.
Psal. 40, 9.
23. Et ipsi coeperunt quserere in-
ter se quis esset ex eis, qui hoc fac-
turus esset.
de celui qui me trahit est avec moi
a cette table.
22. Pour ce qui est du Fils de
I'homme, il s'en va selon ce qui a
ete determine ; mais malheur a cet
homme par qui il sera trahi.
23. Et ils commencerent a s'entre-
demander qui etait celui d'entre eux
qui devait faire cela.
Douze [tt. 21-23). S. Luc abrege notable-
menL eel episode, dont les details complets
sonl surtout fonrnis par S. Malthieu, xxvi,
21-25, el par S. Jean, xui, 48-30. — La
parlicule ecce releve fortement le caraclero
affreux du crime devoile par Jesus. II en esl
de meme du conlrasle elabli par les paroles
suivanles : manus tradentis me mecum est (le
lexte groc omcl ce verbo) in mensa. « Manu fit
tradilio, maiiu Iraditur quis hostibus, manu
rursus ex mcnsa accipilur comedendus cibus.
Esl igiuir quasi dical : Qua manu jam infert
in OS suum cibiim mensae moae, eadem mox
hostibus meis me tradet. 0 ingratam et im-
piam manuml » F. Luc.
22. — Et (les manuscrits B, L, T, Sinait.
out oTt au lieu de xaij... FiUus hominis vadit
(nopeuETai. S. Malth. el S. Marc : Cmayei). La
pliiparl des interpreles regardent ce « vadil »
comme un eupheinisme pour « morilurus esl »;
ce qui esl Ires conforme a I'usage classique.
« Giaeci dicunl aTre'pX'cSai, oix£G9at,Lalini abire
pro mori », Rosenmiiller, h. I. Tel esl aussi
parfois le sens de I'hebreu nSn (Cfr. Ps.
XXXIX, 14).0npourrait neanmo ins conserver
iri a 7rop£iJO[xat sa fignificalion ordinaire. —
Sicut dcfiniluiii est, xard x6 wpiajjisvov. Belle
expression, aimee de S. Luc. Cf. Aci. n,23;
X, 42 ; XVI , 26, 31 : selon qu'il a eie fixe de
toule elernite par les decrels divins. La pen-
see esl plus reslreinle dans les recits paral-
leli'S : •/.a9w; Y^YpaTC-cat, a sicul sciipUim esl. »
— Venunlamen (de nouveau itXriv. Mallli. el
Mi. re. : -J rce homini illi... Teri'iblo mais juste
sci ence • damnalion prononcee conlre Ju-
dii.-. Les d . 'isdela Providence iie I'empe-
chui.^. po II d'etre libre : a iui done toule la
respon^ublllle de son epouvantable trahison.
23. — Et ipsi coeperunt... Le reeil de
S. Luc decril fori bien, maigre sa brievele,
la vive emotion que produisil parmi les
apolres cette prediction inattendue. — Qucc-
rere inter se; plus fortemenl encore dans le
grcc : CTuviiriTeTv TTpo; Jauxou;, « conquirere... »,
comme on lit dans les manuscrits latins a et b.
— Qais esset (sur la construction grecque
t6t(«... voyez la Preface, § VI). On veil par
ces details avec quelle habileie Judas avail
cache son jeu, puisque les soupQons de ses
confreres ne paraissenl pas s'elre portes sur
Iui plulot que sur un autre. — A propos du
Irailre, nous avons h examiner rapidement
ici une question qui n'esl ni sans inlerel ni
sans difficulle. II s'agil de savoir s'il assista
comme les autres h la cene eucharislique,
ou si son depart du cenacle (Cfr. Joan.
XIII, 30) eul lieu avant I'instilulion du divin
sacrement de I'autel. La plupart des Peres
(Origene, S. Cyrille, S. Jean Chrysoslome,
S. Ambroise, S. Leon, S. Gyprien, S. Augus-
tin ; voyez Corn, a Lapide, in Mallh. xxvi, 20)
et des anciens exegetes ou theologians ont
admis le premier de ces deux sentiments. Le
second, qui a prevalu de nos jours a lei point
que les commenlateurs sonl presque una-
nimes a I'adopter, est loin cep^ndanl d'etre
une creation moderne. On peul alleguer en
sa faveur une tradition qui, pour Sire moins
glorieuse que la precedenle, n'en a pas moins
une valeur reelle, specialemenl sur un point
qui n'inleresse d'uno maniere direclenila foi
ni les moBurs. Talien, Arnmonius, S. Jacques
deNisibe, les Constitutions Aposloliques, S. Hi-
laire, excluaient deja Judas Iscariote du ban-
quet eucharislique. Theophylacle assure que,
de son temps, plusieurs partageaienl celle
opinion. Plus tard elle a ele soulenue par
Rupert de Deulz, Pierre Comesior, le pape
Innocent HI, Turrianus, Salmeron, Barra-
dius, Lamy, ete. Pour qu'une telle dissidence
se soil produite, il faui assuremenl que le
lexte evangelique presente une certaine ob-
scurite. Nous avons done a comparer enlre eux
les divers recits pour voir s'ils favorisent une
opinion plulot qu'une autre. D'apres S. Mat-
Ihieu (xxvi, 21-30) el S. Marc (xiv, 18-26),
Jesus celebra d'abord la Paque a la fagon des
Juifs; puis, avant de passer a rinsiilution de
la sainle Eucharislie, il predit a sos disciples
que I'un d'eux le Irahirait. Judas Iui demanda
eomm'^ les autres : Esi-ce, moi Seigneur? et
regut une reponse aflirmative. Alors seule-
menl Nolre-Seigneur consacra le pain, levin,
et communia les assistants. Nous avons vu
(tt. 15-23) que S. Luc coordonne les fails
d'une auiro maniere. A la suite du repas
366
EVANGILE SELON S. LUC
23. II se fit aussi parmi eux une
-contestation : lequel d'entre eux
serait estime le plus grand.
2b. Mais il leur dit : Les rois des
nations les dominent, et ceux qui
24. Facta est autem et contentio
inter eos quis eorum videretur esse
major.
25. Dixit autem els : Reges gen-
tium dominantur eorum : et qui
legal Jesus institue I'Eucharistie, qu'il dis-
tribue aux convives; puis il parle du traiLre
qui doit bienlot le livrer a ses ennemis.
Quant kij. Jean (xiii, 21-30), il a omis, comme
I'on sait, la cene eucharistique. Sa redaction
nous montre Jesus lavant les pieds des
apotres, se troublant, et annonganl qu'il sera
prochainement trahi. Le disciple bien-aime
se penche sur la poilrine du Sauveur et le
prie de lui faire connaitre le trailre ; Jesus le
lui indique en donnant un morceau trempe
(<|;(o[x(ov] a Judas, auquel il dit en m^me temps :
Ge que tu fais, fais-le plus vile, Le mise-
rable sort aussitot pour consommer son
crime. — II ressort de ce resume que S. Luc
parail tranclier nelteraent la question dans
le sens de la premiere opinion, puisqu'il ne
place qu'apres I'institution de I'Eucharistie la
prediction relative au traitre, laquelle, sui-
vant les trois autres recits, fut prononcee en
presence de Judas. Mais \o I'autorite des
deux premiers evangeiisies, dont I'un avail
ete temoin oculaire,'ne contrebalance-t-elle
pas ceile du troisieme? 2° Entre le t. M et
le t. 30 S. Luc serable ne s'etre pas preoc-
cupe de suivre rigoureusement I'ordre chro-
nologique. On dirait qu'il precede par frag-
ments, se bornant a ranger les uns a la suite
des autres, presque sans transition, les divers
evenements qu'il expose. C'est ainsi que les
tt. 17 et 18 nous onl paru n'etre pas a leur
place, et nous en dirons lout a I'heure autant
des tt. 24-30. D'apres cela, nous pouvons
croire qu"il a aniicipe, en racontant I'institu-
tion de la sainte Eucharistie avant la denon-
ciation du traitre. 3° Selon S. Jean, Jesus,
voulanlcongedier le traitre, lui donna le <l;w(i.tov
(Vulg. « buccella »). Cetie bouchee n'etait
autre chose qu'un petit morceau d'agneau
pascal, que le pere de famiUe presentait quel-
quefois a unou aplusieurs convives vers la fin
du repasliturgique(voyez notre commenlaire
de Joan, xni, 26, 27). Or la cene legale et la
cene eucharistique ayanl ^te corapletement
distinctes, de sorte que la seconde commenga
sewlement apres que la premiere eut dteache-
vee, nous sommes en droit de conclure que
Judas reQut le <|/wutov et quitta la salle du
festin avant la consecration des saintes es-
peces. 4° Si I'on veut taire appel aux raisons
de convenance, il parait difficile d'admettre
que Jesus ail laiss^ profaner Tun de ses
plus grands mysteres d6s le premier moment
de son institution. Pour ces divers motifs.
que nous avons autrefois developpes dans la
Revue des Sciences ecclesiastiques, 2e serie,
t. V, p. 528 et ss., nous regardons comrae
plus probable le sentiment d'apres lequel
Judas n'assista point k la creation de la
Paque chrelienne. Cfr. Schegg, Evang. nach
Lukas, t, II, p. 245 el s.
7. Conversation intime , rattach^e & la
cene. xxii, 24-38.
Dans ce paragraphf, dont la pluparl des
details sent propres a S. Luc, nous pouvons
distinguer trois series de pensees : 1o I'ideal
de la vraie grandeur chrelienne, tt. 24-30;
2° une glorieuse promesse el une triste pre-
diction adressees a S. Pierre, tt. 31-34;
3° ce qu'on a souvent appele de nos jours le
Discours du glaive, 1[t. 35-38.
24. — Facta est autem contentio. Le mot
grec 9t).ovetxia, employe en ce seul endroit
du Nouveau Testament, designe a proprement
parler une querelle d'ambition. On ne s'al-
tendrait guere k voir une dispute de ce genre
surgir parmi les apotres a un pareil instant,
c'esl-k-dire aussitot apres I'institulion de la
sainte Eucharislie. C'est pourquoi la plupart
des interpretes supposent, et a bon droit,
croyons-nous, qu'ici encore S. Luc aurait
quelque peu inti^rverti I'ordre historique des
fails, pour unir logiquemenl diverses paroles
de Jesus. Sans admetlre avec Maldonat que
la querelle en question remonlait a une se-
maine au moins en arriere (Matth. xx, 20 et
parail.), ce qui nous parait exagere, nous di-
rons a la suite de Salmeron, « non esse alie-
num a verisimililudine quaesticnem banc
excitatam fuisse ante pedum ablutionem. >
De m6me D. Calmel. Peui-etre fut-elle occa-
sionnee par le placementdes convives (V.Bede,
Hofmann, Keil, Langen, etc.) au debut du
repas. — Videretur esi pour « esset » : sorte
d' « urbanilasattica » frequente chez lesclas-
siques remains et grecs. Cfr. Fritzsche in
Matth., p. 129. — Ge n'etait d'ailleurs pas
la premiere fois que les apotres se mon-
traient chalouilleux sur le point d'honneur.
Ctr, IX, 46; Matlh. xviii, 1 ; Marc, ix, 34.
25. — Dixit autem eis. Je?us arrete dds
son debut cetle triste discussion, en propo-
sanl a ses amis une consideration bien ca-
pable de leur montrer jusqu'k quel point ils
s'ecartaient alors de I'espril chretien. Cfr.
Matth. XXIV, 35 ; Marc, x, 42, et ie commeo*
CHAPITRE XXII
367
potestatem habent super eos, bene-
fici vocanlur.
Matth. 20, 25; Marc. 10, 42.
26. Vos autem non sic : sed qui
major est in vobis, fiat sicut minor :
et qui prsecessor est, sicut minis-
trator.
27. Nam quis major est, qui re-
cumbit, an qui ministrat?nonne qui
recumbit? Ego autem in medio ves-
trum sum, sicut qui ministrat.
28. Vos autem estis, qui perman-
sistis mecum in tentationibus meis :
29. Et ego dispone vobis sicut
disposuit mihi Pater mens regnum;
30. Ut edatis et bibatis super
ont pouvoir sur elles sont appeles
bienfaiteurs.
26. Pour vous qu'il n^'en soit pas
ainsi, mais que celui qui est le plus
grand parmi vous soit comme le
moindre et celui qui preside comme
celui qui sert.
27. Gar quel est le plus grand,
celui qui est a table ou celui qui
sert? n'est-ce pas celui qui est a
table? or moi je suis au milieu de
vous comme celui qui sert.
28. Mais c'est vous qui etes de-
meures avec moi dans mes tenta-
tions.
29. Et moi je vous prepare le
royaume comme mon pere me I'a
prepare ;
30. Afin que vous mangiez et bu-
taire. — Kupteuoudiv [dominantur) est une
expression propre a S. Luc ; i^ovaiaZowxei {qui
potestatem habent] ne se Irouve qu'ici et I Cor.
VI, 12; VII, 4. Super eos au masculin,quoiquo
« gentes » soil un nom feminm, est une
« enallage numeri ». — Benefici (euepye'Tai)
vocantur. Vers Tepoque de Jesus, le litre
d'Evergete se donnait en effel avec une ^ton-
nante faciliteauxrois et auxdynastes. Cyrus,
deux Ptolemee, Antigone Doson de Macd-
doine, Milhridate V du Pont, Arlavazdes
d'Armenie, el bien d'auires, le porlerent :
mSme des tyrans Tavaienl reQu. Cfr. Diod.
II, 26; Alhen. 549.
26. — Vos autem 7ion sic (sous-ent. « eritis ».
ou « facielis » : ellipse pleine d'energie).
II ne faut pas que les mceurs du paganisme
s'introduisent dans le corps apostolique I —
Sed [par opposition k la conduite des princes
pai'ens) qui major est... sicut minor. Liltera-
lement d'apres le grec, « sicut junior » (<b{6
vewxepo?) : expression piltoresqiie. Dans les
families, le plus jeune a la derniere place et,
specialement en Orient, c'est a lui que re-
viennenl la plupart des petiles corvees do-
mesliques, de sorle qu'il est souvent comme
le serviteur de tous. — Et qui processor est
(6 ■^Yovjievo?, le commandant)... : c'est la m6me
fensde sous une autre figure. Voyez dans
Petr. V, 3, jusqu'a quel point la legon de
Jesus ful comprise des siens. L'Eglise aura
done son aristocratic, qui sera tout ensemble
une arisiocratie de grandeur et d'humilite.
27. — Nam quis major est... J^sus inter-
pose ici UD raisonneiuent d'ezp^rience, pour
mleux inculqner son assertion anterieure. —
Qui recumbit (6 avaxefjievoi;) an qui mintstratf
Voici deux hommes, donl I'un est mollement
etendu sur un sofa, devant une table bien
garnie, tandisque I'aulre, debout, sert le pre-
mier : quel est le superieur? Personne ne sau-
rait s'y meprendre. Et pourtant, contmue le
Sauveur, resumant toutes les relations qu'il
avail cues avec ses apolres depuis sa vie
publique, moi, voire chef [ego emphatique), je
me suis fail voire serviteur Pensons au la-
vement des pieds, qui allail suivre, ou, selon
d'auires, qui avail immedialement precede
ces paroles I
28. — Vos autem estis... Apres ce doux re-
proche, Jesus releve le courage des apolres
en louanl leur fidelite k son service et en leur
promettant des places glorieuses dans son
royaume. — Qui permansistis mecum (ol 5ia-
(xeixevYixoTEs [jtet' Ijaou) in tentationibus meis. Le
Sauveur designe par ce nora les epreuves, les
tribulations de divers genre, les persecutions,
qu'il avail cues constamment kendurer depuis
le debut de son minislere ; or les Douze lui
elaienl demeurds fideles quand meme, quol-
qu'ils s'exposassenl ainsi au mepris, a la
haine de leurs compalriotes. Avec quelle
bonle Jesus les en rem3rcie! Bientot, il est
vrai, il devaienl fuir el i'abandonner a I'heure
de sa plus grande detresse; mais cetle defail-
lance momentanee n'effacail pas tant d'acles
de devouement el de noble courage.
29 et 30. — Et ego dispono vobis. « Prono-
men ego el conjunctio et singuiarem habent
emphasim , quse in anlilhesi Ctirisli et disc-i>
368
fiVANGILE SELON S. LUC
viez a ma table dans mon royaume,
et que vous siegiez sur des trones
pour juo-er les douze tribus d'lsrael.
31. Et le Seigneur dit : Simon,
Simon, voila que'Satan t'a demande
pour te cribler comme le froment.
32. Mais j'ai prie pour toi, afin que
ta foi ne defaille pas ; et toi, quand
tu seras convert!, confirme tes freres.
mensam meam in regno meo, et
sedeatis super thronos judicantes
duodecim tribus Israel.
31. Ait autem Dominus : Simon,
Simon, ecce Satanas expetivit vos,
ut cribraret sicut triticum :
32. Ego autem rogavi pro te ut
non deficiat fides tua : et tu ali-
quando conversus confirma fratres
tuos.
pulorum posila est. Vos hoc pro mo fecislis,
ut mecum in lenialionibus meis permane-
retis; ego hoc vicis>im pro vobis facio. ut dis-
ponam vobis regnum ». Maldonat. « El ego »
est done pour « vicissim ego ». Le verbe
« dispono » (5iaT(6eiJLat) ne doit pas se prendre
ici dans le sens d'one disposition testara 'ii-
taire, car le contexle s'y oppose [disposuit
mihi Pater mens regnum] ; ii coutient du moins
unepromesse solennelle. Evidemraent, la con-
jonciion sicut « similiLudinem signiScal, non
aeqiialitatem ». F. Luc. — JJt edatiset bibatis.
Jesus decrit par deux images pitloresques K'S
splendeurs de co royaume qu'il vient de pro-
mettre aux apolres. La premiere est celle
d'un festin splendide, comme en d'aulres en-
droits de I'Ecriture (Ps. xvi, 45; xxxv, 9;
Luc. XIV, 45, etc.). Les mois super mensam
meam paraiss?nl indiquer un privilege special
reserve aux amis les plus fideles du Sauveur :
« quemadmodum non omnes qui in dome
regia sunt in ipsa regis mensa cibum su-
munt, sed pauci quidam majores principes,
quibus id rex honoris causa concedit », ecrit
Maldonat avec sa justesse accoulumee. — Et
sedeatis super thronos. Seconde metaphore,
qui exprime la puissance reservee aux apolres
dans le ciei, de meme que la precedenie eiait
I'embleme de leurs joies eiernelles. Peu de
temps auparavant, le Sauveur avail deja
parle aux siens dans les memes termes de ce
pouvoir judiciaire. Cfr. Mallh. xix, 26 et le
ftommenlaire. — Duodecim manque en plu-
sieurs manuscrils; de meme in regno meo.
— Quelles paroles I el c'esl la veille de sa
morl ignominieuse que Jesus dislribue des
irones et des couronnes!
31. — Ait autem Dominus (6 Kupio;. Cfr.
VIII, 13). Bien qu'elle soil omise dans les ma-
nuscriis B, L, T, et plusieiirs versions, celle
phrase est suffisamment garanlie par la plu-
parl des anciens lemoins. Elle introduil la se-
conde parlie de i'enlrelien, tif. 31-34. —
Simon, Simon. Repetilion pleine de soleiinile.
iesus va faire k S. Pierre une promesse gran-
diose, digne d'etre associee , par son sujet
comme par son importance, a Mallh. xvi, \ 7-1 9,
el a Joan, xxi, 15-17. — Ecce Satanas expeti-
vit vos. a Eccel » prenez bien garde, o Sata~
nas B (Cfr. Marc, i, 13; : I'enfer el son chef
etaienl dans une grande agitation ce jour-la,
maisla ruine de J udasneleur sufEsail pas. « Ex-
petivit » : ilxi-r^aa.-zo, expression en':'rgique, si-
gnifie propremenl « poslulare ut sibi quis de-
dalur ». C'e.-l probat)lement un.! allu-ion a 1»
premiere page du livre de Job. Satan est cense
avoir demande au Seigneur, sans la permission
duqucl il ne pent agir, carle blanche pour
tenter S. Pierre el les autres apolres resies
fideles. — Ut cribraret sicut triticum. Autre
expression energique, qui designe fort bien la
violence des moyens qu'emploiera le demon
aBn d'ebianler la foi du college apostolique et
d'aneantir ainsi dans sa basei'Eglis:; de Jesus.
Cfr. Amos, ix, 8 et 9. Les cribli-s des anciens
etaienl fails tanlot de feuiUes de papyrus ou
de parchemin dans lesqueiles on avuil prati-
que un grand nombre de peliti'S ouverlures,
tanlot d'un tissu de sole, ou de crins de
cheval. Le mot grec aivti^eiv est de forma-
tion relativement recente ; les classiques em-
ployaienl d'ordinaire xooy.t^eyeiv.
32. — « O-lenderat perictilum, oslendit re-
medium », Maldonal. — Ego autem rogavi.
Qjelle majeste dans eel « Ego »! Jesus op-
pose sa personne divine el son intercession
toute-puis-ante a la pprsonno el a la demande
de Satan. 'E5£r,9y)v : deja. commoce lemp- i'in-
dique, la piiere de Jesus est moniec- vers
Dieu. — Pro te. Plus haul. f. 31, le Sauveur
annongail que les piegcs de Satan menagaient
tous les apolres, « expetivit vos »; mainte-
nanl il declare que sa priere a ete form.ilee
d'une maniere speciale en faveur de S.mon.
Ce trail est vraiment reinarquable. Mais en
voici I'explication : ut non deficiat [e-x/.stV.Y;,
prorsus deficial) fi-des tua. II y a done une
importance particuliere a ce que la foi de
S. Pierre n'eprouve pas de defaillance tolale.
ab~olue Noions en passant 1o que celle
priere de Jesus a ete necessairemenl oxaucee
(Cfr. Joan, xi, 42. « Majus est palrocinium
quam perlurbationis illius tenlamenuim »,
S. Ambroise) ; 2° que le reniemenl de S. Pierre
n'a pas ete reellemeni une « aposiasia a fide »,
quoique ce fiit une faute grave (voyez Syl-
CHAPITRE XXII
369
33. Qui dixit ei : Domine, tecum
paratus sum et in carcerem, et in
mortem irt.
3'i. At ille dixit : Dico tibi, Petre,
non canlabit hodie gallus, donee ter
33. Pierre lui dit : Seigneur, je
suis pret a aller avec toi et en pri-
son et a la mort.
34. Mais il lui repondit : Je te le
dis, Pierre, le coq aujourd'hui ne
■veira, Maldonal, el meme Grolius, h. I.). —
Et tu. II n'y a pas moins d'emphase dans ce
pronom que dans « Ego autem ». Toi aussi,
fais a I'egaid de les freres ce que j'ai fait en-
•veis toi. — Conversus, eTrioTps'l^a?, n'est pas
un simple hebrai'sme pour « vicissiiii » (le Ven.
Bede, Maldonai, Grolius, etc., i'onl pen»e),
mais un synonyme de (XETavoiQaai; (Cfr. xvii, 4 ;
Acl. in, 19). Ce luol signifie done t resipis-
cens, conversus ad pceniienliam », ainsi qu'on
I'a toujours generalement compris; il insinue
par consequent la chute passagere que Jdsus
va bienlol predire en lermes formels a Si-
mon, t. 34, el aussi sa promple conversion.
Voyez d'aiileurs sur celie locution rarticle de
M. Schneemann dans le Kalholik, 1868, t. I,
p. 409 et ss. — Confirma fratres tuos, c'est-
■a-dire les autresapotres, comma ilressort Ires
clairement du conlexle. Le verbe grec crryi-
pt$ov exprime une solidile h loule epreuve,
Cfr, Bretschneider, Lex. man. s. v. avripi^^ta;
i Thess. iii, 2 ; I Pelr. v, i 0 ; II Petr. i, 1 2 ; etc.
Quel beau parallele du « Tu es Pelrus, el su-
per banc petram sediBcabo Ecclesiam meam,
€t porlae inferi non praevalebunt adversus
earn » 1 De part et d'autre les conclusions
dogmatiques sont les m^raes. En premier lieu
la primaule de S. Pierre : « Totus sane hie
sermo Domini praesupponit Pelrum esse pri-
mum apostolorum » ; Bengel I'admel avec
beaucoup d'autres proleslants. En second
lieu, le privilege de I'infaillibiliie pour le
prince des apoires : « Qui pent douier que
S. Pierre n'ail regu par celte pnere (de Jesus)
une foi consiante. invincible, inebranlable, et
si abondante d'aiileurs, qu'elle fut capable
d'affermir, non seulemeni !e commun des
fideles, mais encore ses freres les apoires et
les pasleurs du Iroupeau, en empechant Sa-
tan de les cribler ». Bossuel, iMediiat. sur
I'Evang., 70e jour. « Chrislus... Petro pro-
miltit quod aliis non promillil. Non enim
dixit. Ego rogavi pro vobis, quemadmodum
ante dixeral, Ego dispono vobis... rognum...,
sed dixil uni Pelro : ligo autem rogavi pro te
ul non deOcial fides lua. Atqui ui o.-len-
deretur infallibilitalis privilegium tribui Pelro
ut Ecclesiae capili, addiUir : El lu alujuando
conversus confirma fratres luos. Confinnare
autem fratres Pelrus non poluisset, nisi fuisset
in fide slabiiis... Ex quibiis omnibus... coili-
gitur Pelrum in^jgniluma Clirislo fuisse privi-
legio infallibilitalis ». Galli, Inslilutionesapo-
jog. polemicse de verilate et divinilale religio-
S. Bible. S.
nis el Ecclesiae caihollcEe, 1867, I. Ill, p. 631
et s. En Iroisieme lieu, les papes successeurs
de S. Pierre parlicipenl naturellemenl a ce
double privilege. « Gette parole, Afformis les
freres, n'esl pa^ un commandement que Jesus
fasse en particulier a S. Pierre. C'est un
office qu'il erige el qu'il inslilue dans son
Eglise a perpeluite... Une eternelle succes-
sion fut deslinee a S. Pierre. II devail lou-
jours y avoir un Pierre dans I'Eglise pour
confirmer ses freres dans la foi «. Bossuet,
1. c , 728 jour. G'est-a-dire que chaque ponlife
romain possede la primaule soil d'honiieur
soil de juridiclion, et linfaillibilite. VoirBel-
larrain, Gontrov. Ill, de Rom. Ponlif. 1. iv,
c. 2-7; Billuarl et Perrone, dans leurs
trailes a de Ecclesia <> ; Galli, 1. c, p. 657
ets.; Bouix, Traclatus de Papa, I. II, p. 176
el ss.; Mgr I'Archeveque de Bourges, La tra-
dition calholique sur I'infaillibiliie pontifi-
cate, I. I, p. 54 el ss.
33. — Qui dixit ei. S. Pierre a compris
que, tout en lui conferant de glorieuses pre*
rogatives, Jesus revoquait en doule sa com-
plete fideliie; n'ecouiaiit done que Telao de
son amour, il replique par une couragpuse
parole, qu'un prochain avenir pourra bien
demeniir, mais qu'un avenir plus eloigne
realisera d'une fagon lillerale. — Tecum est
mis en avanl par emphase. — Paratus sum.
Helas! il presumait liop de ses forces, car il
n'etait pas encore vraiment prepare. — Et
in carcerem et inmortem ire. Belle gradation :
meme jusqu'a la morl! La prison el la mort,
telles etaient les deux formes sous lesquelles
Simon-Pierre se represenlait les dangers qui
menagaient alors Nolre-Seigneur.
34. — Dico tibi, Petre. Jesus ne se borne
plus a une simple insiniialion, il affirme cate«
goriquement. II emploie celle fois, peut-6lre
avec une cerlaine jjoinle d'ironie, le nom
messianique qu'il avail lui-meme donne a son
futur vicaire (« Pelro » au lieu de « Simon »,
■?, 31). — Non cantabit (la Recepta el la plu-
parl des munuscrils : oO |jiri 9a)vr,<7ei, avec
deux negations; Sinait., B, L, Q, oO 9iovT^oei)
hodie gallus... Manieie pilloresque de dire ■
Avanl la procliaine aurore Ui in'auras reniii
Irois fois. Voyez I'Evang. selon S. Matlb.
p. 511, el I'Evang. selon S. Marc, p. 198. —
Donee ter abneges nosse me. II y a ici plusieurs
variaiiles dans le lexle grec : irpiv fi, gw; ou,
simplemenl £w;, pour « donee » ; puis auapv^o/)
jjiT) elSsvai (xe (avec un [iri pleonastiqu>:), et lui
Luc — 24
370
EVANGILE SELON S. LUG
cliantera pas que tu n'aies trois
fois nie me connaitre. II leur dit
ensuite :
35. Quaud je vous ai envoy es
sans bourse ni sac ni chaussures,
quelque chose vous a-t-il manque?
36. Et ils dirent : Rien. II ajouta
done : Mais maintenant, que celui
qui a une bourse la preune, et pareil-
lement celui qui a un sac, et que celui
qui n'ena point vende satunique et
acliete une epee.
37. Gar je vous dis qu*il faut que
ce qui eat encore ecrit s'accomplisse
en moi : Et il a ete mis au rang
abneges nosse me. Et dixit eis :.
Malth. 26, 34; Marc, 14, 10.
35. Quando misi vos sine sacculo
et pera et calceamentis, numquid
aliquid defuit vobis ?
Mauh. 10, 9.
36. At illi dixerunt : Nihil. Dixit
ergo eis : Sed nunc qui habet saccu-
lum, toUat; similiter et peram : et
qui non habet, vendat tunicam
suam, et emat gladium.
37. Dico enim vobis, quoniam
adhuc hoc quod scriptum est oportet
impleri in me : Et cum iniquis de-
dTrapvTjfftj elSsvai. Les nuances qui existent
entre lesrecils evangeliques a propos de celte
triste prediction faite par Jesus a S. Pierre,
et les places differentes qu'iis paraissent lui
atlribuer ont donne lieu a plusieurs inlerpr^
tations. S. Augustin pense que Notre-Sei-
gneuf la repela jusqu'k trois reprises dans la
soiree ; d'autres sont pour une seule predic-
tion diversement relalee; d'aulres, en assez
grand nonibre (Cornelius a Lapide, Noel
Alexandre, Luc de Bruges, Olshausen, Abbott,
Alford, Langen , van Oosierzee, etc.), suppo-
senL qu'ede ful prononcee au nooins deux fois,
d'abord au cenacle d'apres S. Luc et S. Jean
(xii, 36-38J, puis sur le chemin de Geihse-
mani, dapres S. Matthieu (xxvi, 30-35) et
S. Marc (xiv, 26-31). — Et dixit eis. Ces
mols, qui seraient beaucoup mieux places au
verset suivant, inaugurent le « Dialogue du
glaivL- », t1f. 35-38.
35 et 36. — Quando viisi vos. Allusion a
la premiere mission des apolres, ix, 3 ss. et
parail. Jesus, voyant ses amis si pleins de
de confiance, juge bon de les ramener a la
douloureuse realite de la situation. — Sine
saccule et pera, iTep PaXavxfoy xaJ mipa;. Gfr.
IX, 3 ; X, 4. « Sacctihis » designe la bourse,
« pera » (a valise oil Ton meilait les provi-
sions. Voyez A. Rich, Djclionn. des anliqui-
tes rem. el grecq., p. 472 et 544. — Numquid
aliquid defuit vobis? C'etaient alors d'heu-
reux temps, qui ne devaient plus revenir
pour les apolres. Eux-memes, dans leur re-
ponse {nihil], reconnaissent que la Providence
avail alors amplement pourvu k tous leurs
besoins. — Sed nunc. Les circonstances sont
desormais bien changees, comme I'explique
Jesus par un langage pittoresque. A I'avenir,
plus d'hospilalilegenerpiise,ppontanee,offerte
aux eiivoyes du Prophete venere; ils devront
done se munir dargent et de provisions .
sacculum... similiter et peram. En outre^
comme ils auront a courir de serieux dangers,
6tani devenus pour la plupart des hommes
un objet de naine, li sera bon qu'ils se pre-
parent k la lulte, qu'ils ailieni jnsqu'a se
munir d'un glaive! — Quelques inlerprelos-
(Kuinoei, Oishauseu, etc.) prennenl les mots
qui non habet d'une maniere absolue : Celui
qui est sans avoir; d'autres (en assez grand
nombre de nos jours) sous-entendent « gla-
dium »; d'aulres enfin (a la suite d'Euihy-
mius), et telle est, croyons-nous, la meilleure
explication, rep^tenl le mot « sacculum »
apres « habet » : Que celui qui n'a ni bourse
ni argent, etc. — Vendat tunicam suam :
Td IjAatiov auiou du texte grec designe plus
particulierement le manteau ou v6lement de
dessus, dout on peut se passer au besoin. Du
resle, on se dispense de bien des choses pour
sauver sa vie; or il s'agit precisement ici
d'avoir un glaive protecteur, et Jesus suppose
qu'on ne se procurera de I'argent pour I'a-
cheter qu'a la condition de vendre une partie
de son vesiiaire. — Einal gladium. Elrange
recommandation, qui dut vivemenl surpren-
dre les apolres! II est vrai que nous ne lea
imiterons pas en la prenanl a la lettre {t- 38).
C'elail une maniere concrete, hguree, et tre*
expressive de dire : Attendiz-vous a la haine,
a la iutte, aux perils (voy z D. Calmei,h. !,).
37. — Dico enim vobis. Jesus motive sa
recommandation. Le disciple n'esi pas plus
que le maitre; or le mailre va 6tre bientot
outrage, persecute : il est done naturel quff
les disciples s'attendent aussi a la persecu-
tion. — Adhuc hoc. Deux mols emphatiques:
cela encore, comine tout ie resle. Nous
croyons a I'authenlicile de I'adverbe l^t,
quoiqu'il soil omis dans les manuscrils A, B,
D, H, J, Q, X, Sinait. et dans plusieurs ver-
sions (syr., copt., ethiop.); sa resserablance-
CHAPITRE XXII
,*71
pulatus est. Etenim ea qiiie sunt de
me finem habent.
Isai. 53, 12.
38. At ilii dixerunt : Domine, ecce
duo gladii hie. At ille dixit eis :
Satis est.
39. Et egressus ibat, secundum
consuetudinem, in montem Oliva-
rum. Secuti sunt aulem ilium et
discipuli.
Matlh. 26, 36; Marc. 14, 32; Joan, 18, 1.
40. Etcumperveuisset ad locum.
des scelerats. Gar tout ce qui a ete
ecrit de moi touche a sa fin.
38. Et ils lui dirent : Seigneur,
voici deux epees. Et il leur dit :
G'estassez.
39. Et etant sorti, il alia selon sa
coutume a la montagne des Oliviers
et ses disciples le suivirent.
'40. Et lorsqu'il fut arrive a Ten-
avec 8x1, qui le precede, suffit pour expliquer
sa disparilion. — Quod scripluni est : par
Isaie au chap, lui [t. 12), qui est un des
points culminaiils de sa prophelie, et qui
trails si admirablemont des souffrances et des
humiliations du Messie. Voyez le commen-
taire de M. Trochon, el le Manuel biblique
de M. Vigouroux, t. II, p. 525 el 526. —
Oportel imjoleri in me. Aei, c'est une neces-
site d'apres le plan divin; x£>,£ff6»ivai exprime
une complete realisation. — Et cum iniquis
deputatus est (sur I'articie xd qui precede la
citation dans le texte grec, voyez la Preface,
8 VI). 'Avoii.0?, employe en ce seu! endroit des
Evangiles, signifie proprement « sans loi »,
et par suite « scelerat », homme qui ne tient
aucun compte de la loi. Celle prophelie
s'accomplissail peu d'heures apres Tapplica-
tion que s'en faisait Jesus. Nous verrons en
effet Notre-Seigneur traite comme un ivojio;,
crucifie enlre deux scelerats. — Etenim in-
troduil une explication des dernieres paroles.
Pourquoi la prediction d'Isaie est-elle sur le
point de se realiser? Reponse : Ea quce sunt
de me finem habent. U y a deux raanieres d'in-
terpreter cette reponse. 1° Tout ce qui a ete
ecril a mon sujet dans les saints Livres doit
s'accomplir ; 2° ce qui me concerne approche
de sa Gn. Nous preferons le second sens, qui
est plus litteral et plus nalurel (Cfr. Eulhy-
mius, etc.).
38. — Ecce duo gladii hie, s'ecrient nalve-
menl les disciples, se meprenant, comme
dans une circonstance anleri(ure (Matlh.
XVI, 6-i2), sur la portee des paroles de Jesus.
D'oii provenaient ces deux glaives? Peul-etre
se Irouvaient-ils dans ia inaison ; peut-elre
les apolres les avaient«ils apportes de Galilee
on prevision des dangers que leur maitre
et eux-m(^mes courraienl a Jerusalem. Du
moins il est peu vraisemblableque ce fussenl,
comme le pense S. Ji'ati Chrysoslome, deux
grands couleaux qui avaient servi a immoler
I'agneau pascal. Nous verrons dans peu d'ins-
tants I'un de ces glaives entre les mains de
S, Pierre. « Quelques-uns ont expliqu^ ces
deux glaives de la puissance temporelle el
spiriluelle de I'Eglise; mais cette explication
est purement allegorique el ne prouve nulle-
menl ce pouvoir. » D. Calmet, h. I. Cfr. Mal-
donal. — Satis est. Non pas : Deux glaives
pourront suPlire (avec ou sans ironie ; Theo-
phylacte, Meyer, Sevin,etc.), mais: « Satis de
his dictum », cela suflil! Cfr. I Mach. ii, 33.
Dans la plupart des langues (comparez le
yy; des Rabbins, lilteraK : la sutiisancell
cette formule est usitee parfois pour eluder
une conversation dans laquelie on prefere ne
pas s'engager k fond.
8. L'agonie de J6sus. xxii, 39-46. —
Parall. Matlh. xivi, 36-46; Marc, xiv, 32-42.
C'esl ici le « sanctum sanctorum » de la
Passion. Plus courte que les deux autres sur
la plupart des fails, la narration de S. Luc
conlient plusieurs renseignements speciaux
d'une grande importance, surtoul I'apparition
de I'ange consolateur el la sueur de sang de
Jesus.
39. — Egressus. Trait propre h notreEvan-
gile; il s'agit probablemenl de la sortie du
cenacle (selon quelques auteurs :« egressus
e civilale » Cfr. Joan. xviii,4). — Ibat secun-
dum consuetudinem. Sur cette coutume, com-
parez XXI, 37, el surtout Joan, xviii, 2.
L'imparfait denote peut-6lre une marche
grave el lenle, car nous savons d'apres
S. Jean (xiv, 31; xvii, 1; xviii, 4), que,
chomin faisanl, Jesus parla longuement aux.
apolres el adressa aussi a son Pere une lou-
chanle priere. — Seculi sunt... ilium... disci-
puli. Judas seul manquait. 11 pourrait bien
se faire que, cache dang I'ombre, ii se soit
assure par lui-meme de la direction que pre-
nait le Sauveur.
40. — Cum pervenisset ad locum, au lien
qu'il avail en vue. La localiie est clairement
determinee dans les aulres narrations : c'elait
le jardin de Gelhsemani. Voyez I'Evang. selon
S. Matlh. p. 512. — Dixit illis. S. Luc abrege
el omel de dire que Jesus, en entrant dans
le jardin, s'etaitseparedu plus grand nombre
372
EYANGILE SELON S. LUC
droit, il leur dit : Priez,afm que vous
n'entriez pas en tentation.
41. Et il s'eloigna d'eux a la dis-
tance d'un jet de jDierre, et s'etant
mis a genoux, il priait,
42. Disant: Mon pere, situ le venx,
eloigne de moi ce calice ; cependant
que ma volonte ne se fasse pas mais
la tienne.
43. Et un ange du ciel lui appanit
le forlifiant, etetanttombeen agonie
il priait plus longuement.
dixit illis : Orate, ne intretis in ten-
tationem.
41. Et ipse avulsus est ab eis
quantum j actus est lapidis : et po-
sitis genibus orabat,
Mau/i. 26, 39; Marc, 14, 35.
42. Dicens : Pater, si vis, trans-
fer calicem istum a me. Verumta-
men non mea voluntas, sed tua fiat.
43. Apparuitautem illi angehis de
coelo, conforlans eum. Et factus in
agonia, prolixius orabat.
de SOS disciples, ne gardaiil aiipres de lui
qus S. Pierre, S. Jacqiies-ie-Majeiir ot S.Jean
(comp. ies recils paralleles). G'est a ces der-
niers seulemenl qu'il dit : Orate ne inlyetis
(el(r£),e£Tv, entrer dans, pour exprimer I'idee
do succomber; ail conliaire oieXOeiv, lra\er-
ser, denote la vicloire)... La menlion de ces
paroles avant Tagonie est une parlicularite
de S. Luc.
41. — Et ipse avulsus est... Expression
energique, dont ['equivalent grec (aite<T7iaceri)
ne se Irouve qu'ici el Mallh. xxvi, 51 (mais
a I'actif et dans un aulre sens). Elle est d'ail-
leurs toule ciassique. « Eleganter dicuntur
anoffndcffOat vel airoo7taa89ivat qui ab amicissi-
morum amplexu vix divelli possunt ac disce-
dere », Schoeitgen. Elle marque done la re-
pugnance qu'eprouvait Notre-Seigneur en
tant qu'homme a se separer de ses amis pour
aller seul alfronter une angoisse extreme. —
Quantum jadus est lapidis (wuei >.tOou PoXi^v,
a I'accusatif du mouvement. Comp. Gfn.
XXI, 16, dans ia traduction des LXX. : &ioi\
To^ou Po).r,v). Trait piltoresque propre a S. Luc,
comme le precedent. Jesus n'etant qu'a une
petite distance de ses trois apotres privile-
gies (50 pas environ), ceux-ci, tant qu'ils
lurent capablesde resister au sommeil [f. 45),
purent etre temoins des principaux details de
son agonie. — Positis genibus, 8ei? xa yovaxa,
locution souvcnt employe' par S. Luc (Cfr,
Marc. XV, 19). Chez Ies Juifs, « communis
naos orandi erat stando : in genibus orabant
quoties res major urgebat », Grolius.
42. — Dicens. La priere de Jesus est expo-
see avec de legeres vaiiantes dans nos trois
recits paralleles.
S. Matthied. S. Marc.
ndtep (xou, 'A66a (6 iraTvip),
el SuvaTov eati, TiavTa Suvaxd aot,
7tap£),6£'Tto itapsviyxe
dn' EjjLoO TO iroT^ptov to iroTiipiov in' e[xou
TOWTO' TOUTO*
ii)>i^v oOy w; eya) 6eXw, d).X' oO Ti iyii 6i').(i),
dXX' Cai o\). d)ld ri cu.
S. Luc.
ndrep,
ei PouXei
TTapsvEYxeTv
t6 Tcoxripiov ToOxo dn' ejiou"
TiXv^v (jL/i t6 OeXeixd (j.ou,
d),Xd TO GOV ycVEffOo).
— Si vis. « Factus obediens usque ad mor-
tem, mortrm aulcm crucis », Pliil. ii, 8. L'o-
beissance fut le mobile perpeluel, unique, de
Jesus. Cfr. Joan, v, 30; vi, 38. — Transfer
calicem istum. ..Yoycz I'Evang. selon S. Mat-
Ihieu, p. 514. Dans la Recopla grecque, cilee
plus haut, le verbe est a rinfinilif (« si vis
transferre... a me ») et la phrase demeure
inachevee, ce qui forme une aposiopese aussi
forte que delicate. La legon ■na.piwzyv.e. des
manuscrits B, D, etc., adoptee par la Vulgate,
est probablement une correction tardive. —
Non mea voluntas sed tua... Nuance remar-
quable : au debut de la priere de Jesus nous
trouvons le verbe pouXofiat, a la fin le sub-
Stanlif 0£),7)i;.a; or Wkr\[j.a. dil plus que Pou),o(Aai.
Cfr. Mallh. i, 19 et le coinmenlaire. EI Poii),ei,
si Ies desseins Ies comportent;T6 aov (OeXrijia)
Yeve'iSw, que tes decrets s'accomplissent !
43. — Tout est nouveau dans ce verset
et dans le suivant : Ies fails qu'ils exposent
appartiennent aux particulariles Ies plus pre-
cieuses dont S. Luc a enrichi la biographie
du Sauveur. II est vrai qu'on a formula des
doules sur leur aulhenticite, 1° parce qu'ils
sonl omis par d'importants manuscrits (A, B,
R, T. De plus, E, G, V, A, qui Ies onl, Ies
nolenl d'aslerisques), 2° parce que celte
omission est deja signalee par S. Hilaire el
S. Jerome. Neanmoins, il esl a peine croya-
ble qu'ils aient ete inheres frauduleusement
dans le lexle primilif du Iroisieme Evangile.
En effel, nous Ies trouvons dans I'lmmenso
majorile des manuscrits (en parliculier dans
le Cod. Sinaiticus, qui est peut-elre le Nestor
en ce genre), dans Ies versions Ies plus an-
ciennes et Ies plus celebres, a part de rares
CHAPITRE XXII
373
44. Et factus est sudor ejus sicut
guttas sanguinis decurrentis in ter-
ram.
44. Et sasueur devint comme des
gouttes de sang decoulant jusqu'a
terre.
exceplions (un seiil manuscrit de I'ltala, quel-
ques manuscrils de la iradiiclion arme-
nicnne, etc.), dans les ecrils des premiers
Peres, notamment de S. Justin (Dial. c.
Tiyph., 103), de S. Irenee (m, 22, 2), de
S. Hippolyle. etc. Voila pour les preuves ex-
Innseque*. Intrinsequemenl, il n'y a rien,
soil dans le siyle, soil dans les fails, qui s'op-
pos(' a I'authenticile du recil. De plus, on ne
peul assigner aucun molif capable d'expli-
quer une aussi grave interpolaiion, tandis
qu'il est aise de concevoir que des prejnges
dogmatiques aient ele assez puissanls en di-
vers lieux pour faire omeltre nos deux ver-
sets. On a cru I'apparilion de I'ange et la
supur de sang inconciliables avec la divinile
de Jesus, et I'on ne craignii pas de supprimer
comme apocryphe le passage qui en renforme
la narration. Voyez Galland., t. Ill, p. 250;
Bi'llarmin, De vcrbo Dei, i, 16; Langen, Die
lelzlen Leben-^lage Jesii, p. 210 els.; Trol-
lope and Rowlandson, The Gospel according to
S. Luke. p. 1 64 el ss. Deja Nicon reprochait aux
Armeniens, ei Pholius aux Syriens, d'avoir
enleve les ft. 43 et 44 de leurs traductions.
— Appaniit illi. L'emploi de w^Ori I'lilieral.
fut vu) denote le caractere exierieur de I'ap-
parition : ce ne ful pas un fail puremenl in-
terne, comrao le pretend Olshausen. — An-
gelus de ccelo... Lrs anges avaieni pour ainsi
dire introduil Nolre-Seigneur sur celle lerre
(Cfr. I, 26 el s<.; n, 9-13; Maltli. ii, 13, 19;; ils
i'avaienl assisle aux premiers jours de sa vie
publique (Marc, i, 13); ils se teront les te-
moins de sa Resurrection et de son Ascension :
n'est-il pas naturel que nous les irouvions
aupres de lui au moment de ses plus cruelles
souffrances? Mais quel indice d'une an-
goisse indescnplible. intolerable pour la na-
ture humaine abandonnee a ses propres for-
ces! En meme temps, quelle humiliation
poor le Verbe incarne! Toutefois, il pouvait
bien « recevoir la consolation d'un ange, lui
qui par son humanite s'elail rendu inlerieur
aux anges » (D. Calmel). — C on for tans ,
i^\.af<iu>'^ (ici seulement). Ge mot indique la na-
ture de la consolation apportee du ciel h.
Jesus : elle consista dans une effusion de male
courage pour qu'il ne plial point sous son
epouvanlable fardeau — Plusieurs interpreles
ont suppose que cet episode n'eut lieu qu'a la
fin de I'agonie du Sauveur, comme si ce n'e-
tail pas precisemenl en vue de cetle agonie
ra6me qu'il avail re^u d'en haul un surcroil
de forces; d'aulres ont afSrme d'une maniere
encort> plus arbilraire que I'apparition s'elail
renouvelee trois fois, c'est-a-dire, apres cha-
cune des prieres de Jesus. — Factus in ago
nia. Le substantif grec dtywvia n'esl employe
qu'en cet endroit du N. "Testament : il mdi-
que une lulle violenle, supreme, el peintsous
une vive couleur les souffrances de Jesus en
ce moment terrible. Mais le Sauveur, recon-
forte par la celeste apparition, opposail aux
assauls reiieres de son agonie des elans tou-
jours plus sublimes de priere et de resigna-
tion : Prolixius orabal. Eulhymius : « Pro-
lendebat orationem » ; mieux, « inlensius,
enixius orabal, » car le mot grec ey-Teveaxepov
designe plutol Tinlensite de I'acte que sa
duree. Le comparalif se rapporte soil a I'ap-
parition de I'ange (a sa suite, la priere de
Jesus ful plus fervenle encore qu'auparavant),
sou a chaque Iranse nouvelle de I'agonie (plus
elles avaieni de violence plus le S.'igneur
priait). Voyez dans I'Epitre aux Hebreux,
V, 7 el ss., un beau developperaent de ce
trait incomparable.
44. — Et factus est sudor ejus... « Detail
qui trahil le medecin », van Ooslerzee. Mais
dans quel sens faut-il rinterpreter?Nous n'a-
vons pas a nous occuper des ilieories faciles
de Strauss, de Schleiermacher, etc., qui voienl
ici ou un mythe, ou un embellissemenl poe-
tique : il s'agit seulement de savoir si la
sueur arrachee au corps sacre de Jesus par
les tortures de son agonie consista en gouttes
epaisses et larges comme seraient des goulles
de sang, ou bien si les expressions de S. Luc
designenl une sueur loul h fail extraordi-
naire, dans laquelle le sang entrait pour une
partie notable. Tlieopiiylacle, Eulhymius, By-
naeus, Olshausen, Hug, etc., adoptenl la pre-
miere opinion parce que, disenl-ils, I'evange-
lisle montre lui-meme, en employanl la par-
ticule<5)<jet (sicut], qu'il ne voulail point parler
d'une vraie sueur de sang. Nous leur repon-
drons 1° que le mot essentiel de ce passage
est sanguinis : la maniere doni il est employe
le prouve, car c'esl a lui que se rapportent
toutes les autres expressions du versel ; or ce
mot perd sa principale raison d'etre g'il ne
designe pas la nature meme de la sueur :
comme le dit juslemeut Bengel, « si sudor non
fuisset sanguineus, menlio sanguinis plane
abesse poterai, nam vocabulum eponSoi (guttae)
eliam per se compelebal sudori spisso » ;
%o que le « terlium comparationis », comme
disent les grammairicns, n'esl ici ni dans la
couleur, ni dans la quantiie, mais dans la qua-
lite : la plirase a sa sueur fut comme du sang »
suppose done qu'il y cut du sang, et en partie
374
EVANGILE SELON S. LUG
45. Et loi^qmi se leva apres sa
priere et vint a ses disciples, il les
trouva dormant a cause de leur tris-
tesse.
46. Et il leur dit : Pourquoi dor-
mez-vous? Levez-vous, priez afin
que Yous u'entriez pas en tentation.
47. Gomme il parlait encore, vint
une troupe, et celui qui s'appelait
Judas, un des douze, les precedait
et il s'approcha de Jesus pour le
baiser.
48. Mais Jesus lui dit : Judas, tu
trahis le Fils de Fhomme par un
baiser!
4o. Et cum surrexissel at) ora-
tione, et venissetad discipulos suos,
invenit eos dormientes prse tristitia.
46. Et ait illis : Quid dormitis?
surgite, orate, ne intretis in tenta-
tionem.
47. Adhuc eo loquente, ecce turba :
et qui vocabatur Judas, unus de
duodecim, antecedebat eos : et ap-
propinquavit Jesu ut oscularetur
eum.
Matth 26, 47; Marc, ii, 43; Joan, 13, 3.
48. Jesus autem dixit illi : Juda,
soculo Filium hominis tradis?
notable, dans la sueur de Jesus ; ies parliciik s
«5)ffei, (b;, onl a plusieurs reprises dans les ecrils
de S. Luc cat emploi qui se rapproche du
pleonasme iCfr. xv, 49; xvi, \ ; Act. ii, 3;
XVII, 22); 30 que leur interpretation donne
un sens tres faible et emousse entiercm^nt le
trait. D'ailleurs les exegeles les plus anciens
et les plus distingues, tels que S. Justin,
S. Irenee (sa pensee est formulee aussi nette-
ment que possible : oOB' dv lopwoe epojASoy;
atfiaxo?, il n'tul pas sue des goutles de sans,
adv. Hser. in, 22, 2), S. Athanase, S. Hiiaire,
Theodoret. S. Jerome, S. Auguslin, Erasme,
Maldonat, D. Cainiet, Sylveira, el pnsque tous
les conlemporains, calholiques, protestanls
et rationalUles, prennent parti sans hesiter
pour la seconde opinion, dont nous croyons la
verile indiscutable. En outre, des fails nom-
^reux, constates des les temps les plus re-
cules, demonlrenl jusqu'a I'evidence la possi-
bilited'une sueur de sang dans des conditions
analogues k celle oil se irouvait Noire Sei-
gneur, c'est-a-dire parmi de mortelles en-
goisses. Cfr. Arislole, Hislor. animal, in, -19;
Theophraste, de Sudore, c. xii ; Diodor. Sic.
Hist= 1. XVII, c. 90; Calmet, Dissert, sur la
sueur de sang; Gruner, Dissert, de morte
Chrisli vera, p. lOS-loS; Rosenmiiller. Alt.
undneuesMorgenland, I. V, p. 218; Loenariz,
de Sudore sanguinis, Boim 1850; Smith,
Diction, of the "Bible, s. v. Sweat (bloody);
Schegg, Evang'l. nach Lukas, t. Ill, p. 271
et ss.; Ebrard , Wissenschaftl. Krilik der
evangel. Geschichte, p. 651 el ss. ; Stroud,
Physical Cause of Christ's Death, p. 115
ei ss., elc. Rappelons enfin que c'est un me-
decin qui a pris soin de noter ce fait, circons-
tance qui ajoule un poids considerable au le-
moignage du iroisieme Evangile. — Decur-
rentis in terrain. Presque tous les manuscrits
^recs lisenl xaTaSaivovtec, « decurrentes » ;
quoique appuyee par le Cod. Sinaiticus, la lo-
gon de la Vulgate est probablemenl une correc-
tion. « In lerram », jusqu'a terre, lant cette
sueurelail abondante! « UtinamguUa sangui-
nis, quae de agone suo sudat, usque ad terram
currat, et aperiat terra os suum, et bibat il-
ium el claniet... ad Patrem, melius quam
sanguis Abel! » Drago Osliensis, 4 Gen.
n. 10. « Ventum est ad orationem, et factus
in agonia orabat, ubi quidem non solum ocu-
lis, sed quasi membris omnibus flevissc vi-
delur ». S. Bernard. Serm. in de ramis.
Voyez la Controverse, 1881, t. I, p. 190-210.
45. — Dormientes prce tristitia. S. Mat-
Ihieu et S. Marc se bornent a signaler le fait;
S. Luc en indique la cause, et celte cause,
loute physiologique, denote encore le « Dr me-
dicus ». Quoique la Iri-tesse soil souvenl une
cause d'insomnie, souvenl aussi (nous I'avons
nous-meme constate en de robusles jeunes
gens) elle produit une tension qui ne tarde
pas a engoudir les sens et a plonger dans un
somraeit de plomb. Cfr. Jon. r, 5. « Tandem
gravat um anmii anxietate corpus altior somnus
oppressil », Q. Curt, iv, 13, 17. « Adstru-
ctus miseris lamentationibus marcentem ani-
mam sopor circumfusus oppressil », Apul lu
Cfr. Welstein, h. 1.
46. — Quid dormitis? Surgite, orate... De
nouveau S. Luc abrege, et unit des paroles
qui furent prononcees k divers intervalles,
Comparez les recits paralleles. Jesus a main-
tenant repris, si I'on peul parler a nsi, la pleine
possession de lui-meme: il estsorii viciorieux
de sa terrible agonie.
9. li'arrestation de Jesus, xxii, 47-53. — Parall,
Matlli. xsvi, 47-56; Marc, xit, 43-52; Joan xtiii, 2-11.
47 el 48. — C'est la description de I'in-
fame baiser de Judas. — Ecce turba I Le recit
de S. Luc est pitloresque, rapide. Cette band©
CHAPITRE XXII
375
49. Videntes autem hi qui circa
ipsum erant, quod futurum erat,
dixerunt ei : Domine, si percutimus
in gladio?
50. Et percussit unus ex illis ser-
viim principis sacerdolum, et ampu-
lavit auriculam ejus dexteram.
51. Respondens autem Jesus, ait :
Sinite usque hue. Et cum tetigisset
auriculam ejus, sanavit eum.
52. Dixit autem Jesus ad eos qui
venerunt ad se, principes sacerdo-
lum, et magistratus templi, et se-
49. Et ceux qui etaient autour de
lui, voyant ce qui allait arriver,
hii dirent : Seigneur, si nous frap-
pions de I'epee?
50. Et I'un d'eux frappa le servi-
tenrs du grand-pr^tre et lui coupa
I'oreille droite.
51. Mais Jesus prenant la paroles
dit : Demeurez-en la. Et ayant tou-
che I'oreille decet hommeil le guerit.
52. Et Jesus dit a ceux qui etaient
venus vers lui, princes des pretres,
magistrats et anciens : Vous 6tes
de loups fiirieux, comme on I'a justement ap-
pelee, qui tomba lout a coup ?ur le divin
Agneau, etait, composee de soldats romain?,
de sergents d'aimes du grand Conseil, de
curieux, de fanatiques, et meme de Sanhe-
drisles. Voyez le f. 52. — Antecedebat eos.
Le pluriel reloiube siir le nom colleclif « tur-
ba».— f/t oscularetur eum. Judas baisa en rea-
lite Notre-Seignour, ainsi qu'il res^orl du con-
lexle [t. 48) el des deux autres synopliques.
— Juda... S. Luc' seul menlionne cps pa-
roles de Jesus. Voir dans Malth. xxv\, 50, une
aulre petite allocution qui dut preceder celle-
ci. — Osculo Iradis : IVappant contrasle. Le
baiser, signe ordinaire de raffection, devenu
le signal de la Irahison la plus noire, a I'e-
gard de la personne sacree du Messie (Filium
hominisjl
49. — Les details de ce verset sont pro-
pros a S. Luc. — Deux incidents conseculifs
relarderent I'arrestation du Sauveur : les
quatre evangelisles racontent de concert le
premier {tif. 49-.d'1 ) ; nous irouverons le second
dans S. Jean, xviii, 3-9. — Hi qui circa ipsum
erant : c'est-a-dire les onze apolres fuieles,
qui s'etaienl groupes aulour de Icur Mailre a
I'approche des sbires de Judas. — Videntes
quod futurum erat, to E(j6aevov : voyant i|u"on
allait arreler Jesus. — Si percutimus gladio?
Hebralsme pour « Percutimusne... ? » Cfr.
XIII. 23; Act. I, 6 ; XIX, 2; xxi, 37, etc. Les
disc'ples se souviennent de « iVnlrelion du
glaive 1, et croient le moment vonu de faire
usage de leurs armes. « Les Galileens avaient
rSmc guerriere », comme le rappelle a pro-
pos D, Calmet (Cfr. Jos. Bell. Jud. in, 8).
30. — Et percussit unus.... Quoique inutile,
cet acte elail plein de vaillance. On avait
demande I'avis du Sauveur; mais I'ardent et
genereux S. Pierre (Cfr. Joan, xviii, 10)
frappa sans allendre la reponse. — Amputa-
vit auriculam. Le diminulif wtJov de.'^igne I'o-
reille entiere, et pas seulemenl le lobe charnu
•qui ia lermine. Voyez Bretschneider, Lex.
man. s. v. — Dextram, est un trait propre k
S. Luc et h S; Jean.
51. — Sinite usque hue, iate ew; toOtou.
Celte parole, un peu ambigue daiii le texte
grec, a regu des inlerpreiations bien diverses.
Plusieurs pensent que Jesus I'adressait aux
Juifs venus pour I'arreter. lis la traduisent
tanlot par « Sinite usque ad hoc (opus) »,
excusez celte resistance; tantot par « Sinite
(m^') usque ad hunc (liominem) », perraettez
que je m'approche du blosse pour le guerir ;
tantol par « Sinite (me) usque ad id lempus »,
lai.-S( z-moi libre un instant pour que je le
guerisse. Mais ces explications sont recher-
chees, peu naturelles, el d'ailleurs refulees
par les mots respondens Jesus ait, qui prou-
vent que Notre-S 'igneur voulait alors parler
a res disciples (Cfr. t. 49). Relalivement aux
apotres un double sens est |)ossible : Lai.ssez
faire mes ennemis (« Non vos moveat hoc
quod futurum est.permittendi sunt hue usque
progredi, hoc est, ut me a[iprehendant et im-
pleantur quae de me scripta sunt », S. August,
de cons. Evang. I. iii, c. 5, 47 Cfr. Maldonat,
Luc de Bruges, Cajetan, etc.), ou bien : Ne
resislcz pas davantage (Corn, a Lap., Noel
Alexandre. Erasme, etc.). Nous adoptons de
preference celte derniere interpretation, qu'on
trouve deja dans la version syriaque, S. Luc
omet ici une courte allocution, que Jesus pro-
nonga dans le but d'expliquer aux siens pour-
quoi il se livraii sans resistance. Cfr. Maltb.
XXVI, 52-54. — Cum tetigisset auriculam...
sanavit. Pariiculariie medicale, qui meritait
bien d'etre relevee par S. Luc. La maniere
dont le fait est expose scmble indiquer que
I'oreille n'avail pas ete couipletement deta-
chee, mais qu'elle tcnait encore par quelque
lambeau de chair. Celte cure, unique en son
genre, fut le dernier miracle de guerison
opere par Jesus : la bonto du divin Maitres'y
nianifesle admirablenient.
52 et 53. — Dixit nutcm Jesus ad eos qui
venerant... Tout en refusani do ropondre a
376
EVANGILE SELON S. LUC
sortis comme pour un voleur avec
des epees et des batons.
53. Quand j'etais tous les jours
avec Yous dans le temple vous n'avez
pas mis la main sur moi, mais voici
votre heure et la puissance des
tenebres.
b4. Et I'ayant saisi ils Temmene-
rent a la maison du grand-pretre; et
Pierre le suivait de loin.
5o. Ayant allume du feu au milieu
de la cour ils s'assirent autour, et
Pierre etait au milieu d''eux.
niores : Quasi ad lalronem existis
cum gladiis et fustibus.
b3. Gum quotidie vobiscum fuerim
intemplo, non extendistis manus it
me : sed hsec est liora vestra, et po-
testas tenebrarum.
b4. Gomprehendentes autem eum,
duxerunt ad domum principis sa-
cerdotum : Petrus vero sequebatur
a longe.
Match. 26, 57; Marc. 14, 53; Joan. 18. 24.
bb. Accenso autem igne in medio
atrii, et circumsedentibus illis, erat
Petrus in medio eorum.
Malth. 26, 69; Marc. 14, 66; Joan, 18, 23.
la violence par la violence, le Sauveur pro-
tesie avec una noble femieie centre les pro-
cedes au?si Inches qu'injustes de ses adver-
saires. Dans ce passage, commun aiix evan-
gelisies synopliqup>. Irois trails sonl propres
a S. Luc. 1° au t. 52, la presence, parmi les
rangs des soldats, des valets et de la foule
fanalique. d'un certain nombre de princes
des prelres. de capitaines des levites [magi-
straiiis templi : voyez la note du t. 4) el
d'anciens du peuple. C'est sur eux que re-
lombe direclemenl le fier reproche du Sauveur.
Queiques rationalisles (Bleek, Meyer, etc.)
ont irouve cetle presence peu nalurelle : nous
trouvons au conlraire tres naturel que des
Sanhedristes et d'aulres personnages influents
soienl venus surveiller une operation deli-
cate, qui avail pour eux une si grande im-
portance. 2o au t". 53, les mots pitloresques
non extendistis manus in me, au lieu de « non
me tenuistis » S. Matth. el S. Marc). Cfr.
Jor. VI. 12. 3° la phrase finale sed hcec est
hora vestra (notez I'emphase du grec : 4X),»
au-r, u'jLcov eotiv if| wpa]-.., qui est d'une si
grande energie, en qu'^lque sens du resle
qu'on la prenne. 11 est en effet deux manieres
de I'interpreter, au propre ou au figure. Au
propre, elle signifierait que les Sanhedristes,
en venant arreter Jesus au milieu de la nuit,
se conduisaient comme tes bandits el autres
malfaiteurs, qui profilent ordinairemenl des
tenebf'S pour perpelrer leurs crimes. Cfr.
Joan, in, 20. Au figure, d'apres un^ signi-
fication plus relevee, les mots potestas te-
nebrarum (r, l^ouaCaxoiJ ffxoTou;), qui se ralta-
chenl a « hora vestra » sous forme d'appo-
silion. designeraientSatan avec son tenebroux
empire (Cfi-. Col. i, 13). Votre heure, telle
serait alors la p^nsee de Jesus, est i'heure
m^me du demon; mon Pere lui a concede ce
temps pour me nuire, el voici que vous
vous faites ses complices! Comparez Joan,
VIII, 34, 44. Nous nous rangeons de prefe-
rence a celte explication, a la suite d'Euthy-
mius, de Maldonat, de D. Calinet, de Keil, etc.
10. Reniement de S. Pierre, xxu, 54-62.— Parall.
Mailh. XXVI, hi, 58, 69-75; Marc, xiv, 53, 54, 66-72 ;.
Joan, xvni, 12-18, 25-27.
Lps quatre recits ont une ressemblance ge-
nerale tres frappante; mais chacun d'eux a
pareilleraent « ses nuances deiicales el ses-
irails particuliers... S. Malthieu est ceiui
qui fail le mieux ressortir la gradation des
trois reniements, » Godel. Voyez I'explicalioB-
deiaillee dans TEvangile selon S. Malth. ,^
p. 526 el ss.
54. — Gomprehendentes eum. Le verbe
(TvXXatioaveiv a ici. comme en beaucoupd'autres
passages, le sens de saisir violemment, d'em-
mener prisonnier. — Duxerunt. Dans le grec,
i\'{a-iQ^ V.W. tl<sr;'^nyoy , « duxerunt el introduxe-
runt. » — Ad domum principis sacerdotum.
S. Luc est seul a dire que Jesus fut conduit
dans « la maison » du prince des prelres.
Elle elail situee sur la declivite sepientrio-
nale de la colline de Sion. Le prince des
prelres en question etait Caiphe, d'apres
Mallh. XXVI, 57. Sur la contradiction appa-
rente qui exisie enlre S. Jean et les synoj!-
tiques, voyez noire explication du qualrierae
Evangile, I. c. — Petrus vero sequebatur oi
longe : « ut viderel finein », ajoule S. Mal-
thieu. Les trois synoptiques ont le trait pil-
toresque (laxpoOev.
55. — Accenso igne : un feu de charbon
de bois, peut-elre dans un « brasero » a la^
fagon orieniale. Au lieu de a4'*v-wv, les raa-
nuscrits B, L, Smait., ont le compose i^ept;*-
il/avTwv '^ayant allume lout autourj, qui se dil
CHAPITRE XXII
377
56. Quern cum vidisset ancilla
qusedam sedenlem ad lumen, et eum
fuisset intuita, dixit : Et hie cum
illo erat.
57. At ille negayit eum, dicens :
Mulier, non novi ilium.
b8. Et post pusillum alius videns
eum, dixit : Et tu de illis es. Petrus
vero ait : 0 liomo, non sum.
59. Et inlervallo facto quasi horse
unius, alius quidam affirmabat, di-
cens : Vere ethic cum illo erat : nam
et Galilseus est.
Joan. 18, 26.
60. Et ait Petrus : Homo, nescio
quid dicis. Et conlinuo adhuc illo
loquente cantavit gallus.
61. Et con versus Dominus res-
pexit Petrum. Et recordatus est
56. Lorsqu'une servante, I'ayant
vu devant le feu et Tayant regarde,
lui dit : Gelui-ci aussi etait avec lui.
57. Mais il le nia, disant : Femme,
je ne le connais pas.
58. Peu apres, un autre le voyaut,
dit : Toi aussi tu es de ceux-la. Mais
Pierre dit : Homme, je n'en suis pas.
59. Et apres un intervalle d'envi-
ron une heure un autre affirma, di-
sant : Vraiment celui-ci aussi etait
avec lui, car il est aussi Galileen.
60. Et Pierre dit : Homme, je ne
saiscequetudis.Et aussitot, comme
il parlait encore, le coq chanta.
61. Et le Seigneur se retournant
regarda Pierre. Et Pierre se souvint
habituel lenient d'un grand feu. — hi medio
atrii. C'esl-a-dire au milieu de la cour qua-
drangulaire, a ciel ouverl, qui occiipe le
centre des riches habitations de I'Orient.
Voycz A. Rich, Diclionn. des anliquiles rom.
et grecq., aux mols Atrium ci Domus. —
Circumsedenlibus illis : nouveau detail gra-
phique. La Recepta lit ouYx.a9i(7avTwv : les
manuscrits B, D, Q, L, out Ttepi/.aeiadvTtov,
leQon qui correspond a la Vulgat\ « Illis »
designs d'apres le contexte les valets du
Sanhedrin. — Erat Peb-us in medio eorum ;
dans le grcc, « sedebat (IxiOYiTo) ».
56 et 57. — Premier reniement. Les qualre
narrateurs sont d'accord pour dire qu'il fut
occasionne par la question d'une servante. —
Sedenlem ad lumen, 7tp6;T6<pw;, c'est-a-dire
aupres du feu, dont Teclat dessinait forte -
ment les profils de ceux qui se chauffaient
alenlour. Cfr. Brctschneider, Lex. man. s. v.
9w;. — Fuisset intuita, dTevi'aaffa, indique
un regard prolonge, penetrant. Cfr. iv, 20.
Plus haul, nous avions vidisset, ISoOoa, verbes
qui exprimenl le simple phenomena de la
vision. Cfr. Marc, xiv, 67 et le commenlaire.
— Et hie, lui aussi 1 Les quatre evangelistes
client ce xaiemphatique, quoiqu'ils different
pour la suite des paroles de la servante. —
L' « allocutio » mulier n'a 6[6 conservde que
par S. Luc.
58. — Second reniement. Le detail chro-
nologique par lequel il est introduit, j^ost
pusillum, est propre au troi?ieme Evangile.
— Alius videns [IStii^] eum... C'ela'il sansdoule
quolqu'un des valets du grand Conseil. Les
autresrecils parlenl encore d'une servante.
Voyez la conciliation dans I'Evang. selon
S. Matth., 1. c, el dans noire commenlaire
sur S. Jean, xviii, 27. — 0 homo, dvOponie :
trail special, comme precedemmenl « mulier ».
59 et 60. — Troisieme reniement. Inler-
vallo facto (otaCTTtxari;) quasi horce unius est
encore uns precieuse parliculariie de S. Luc.
— Alius quidam. G'elait un parent de Mal-
chus, d'apres S. Jean: d'autres se joignirent
bienlol a lui, d'apres S. Matlhieu el S. Marc.
— Affirmabat. Le mot grec correspondanl
est Ires energique (5u(jxyp'^6To) : on ne le
trouve qu'ici it Act. xii, 45. — Vere est mis
en avant par emphase : Cerlainement cet
homme est un disciple de Jesus. Le motif de
certitude est ensuile exprime : iVawi et Gali-
Iceus est. C'est aussi (comme la pluparl des
partisans de Jesus) un Galileen. S. Pierre
avail Irahi sa nationalile par son accent.
Voypz Matlh. xxvi, 73 et le commenlaire.
— Nescio quid dicis. Cette troisieme proles-
laiion fut accompagneo desermenls el d'ana-
ihemes destines a la rendre plus eclatante,
Malth. XXVI, 74. — Continuo (napaxp^ixa).
Les quatre recils notent celle circonslance;
mais S. Luc ajoute seul d'une maniere em-
phalique : adhuc illo loquente.
61. — Conversus (aTpa^ei!;) Dominus respexit
(£V£6)x4(£) Petrum. Detail bien louchant., que
S. Luc a le merile d'avoir seul cons^^rve.
Mais n'esl-ce pas en affaiblir la porlee, la
beaule, que de dire avec S. Auguslin : « Inlus
actum est, in menle actum est; misericordia
Dominus latenler subvenil, cor leligit, me-
raoriam revocavit, inleriore gratia sua visi-
tavil Petrum, interioris hominis usque »d
378
EVANGILE SELON S. LUC
de la parole du Seigneur qui iui
avait dit : Avant que le coq chante
tu me renieras trois fois.
62. Et etant sorti, Pierre pleura
amerement.
63. Et les hommes qui tenaient
Jesus se jouaient de Iui et le meur-
trissaient.
64. Et ils le voilerent et le frap-
perent au visage et I'interrogerent
disant : Prophetise, qui est-ce qui
I'a frappe?
Petrus verbi Domini sicut dixerat :
Quia prius quam gaUus cantet, ter
me negabis :
Mallh. 26, 34; Marc. 14, 30; Joan. 13. 38.
62. Et egressus foras Petrus flevit
amare.
63. Et viri, qui teiiebant ilium,
illudebant ei, ceedentes.
64. Et velaverunt eum, et percu-
tiebant faciem ejus : et interroga-
bant eum, dicentes : Prophetiza,
quis est qui te percussit?
exteriores laerymas movit ei produxil e£fec-
tum » (De Gialia Christi, i, 49)? ou avec
S. Laurent Juslinien (Lib. de triumphali
Chrisli agotie, c. viii) : « Respexit Peirum
non corporis, sed pielalis intuitu » (de meme
Nicolas de Lyre, etc.)? Nous le craignons. ■
Les verbes arpacpeK, IveSXe^/e, designent des
fails exlerieurs, et nous n'avons ici aucun
motif de leur attribuer un sens melapho-
rique. Luc de Bruges objecte, il est vrai, que
« non potuitDominus Pelrum oculis corporis
adspicere », vu que le premier se trouvait dans
IMiUerieur du palais, I'autre dans la cour.
Mais Tobjeclion lombe d'elle-m§me si nous
admetlons, comme on le fait generalemcnt,
que cette scene emouvante et rapide out lieu
&a moment ou, apres son premier inlerroga-
toire devant le Sanhedrin, Jesus etail conduit
a I'appartement qui devait Iui servir de
prison jusqu'au matin. Traversant alors
1' « atrium », il se retourna lorsqu'il passa
pres de I'apotre infid^le, et fixa sur Iui un
regard penetrant (telle est la signification de
e[j.6)iirw), pour Iui reprocher lacitemenl sa
faute. Comp. S. Jean Chrysostome, Theophy-
lacte, etc. — Recordatus est Petrus. « N( c
enim Qeri polerat ut in negationis tenebris
permaneret, quem lux respcxeral mundi ».
S. Jerome, in Matih. xxvi. Quoi d'etonnant
que le coem- de S. Pierre ail ele transpcrce
par ce regard de Jesus I — Au moral, d'apres
la belle application de S. Ambroise,
Jesu, labentes respice,
Et nos videndo corrige ;
Si respicis, lapsi slabaDt,
Fletuque culpa sol?ilur,
— Les manuscrits B, K, L, etc., ajoutent
o^ixepov (hodie) apres ^wvrjoat [caiUet).
62. — Egressus foras Petrus. Les mots
4 IIcTpo; sont omis par les meilleurs manus-
crits (A, B, D, K, L, M, etc.). ■- Flevit. Dans
le grec, IxXauoe, il pleura en sangiotanl. La
faute le mdntail bien. Si nous la considerons
a la lumiere de la vocation de S. Pierre, elle
est inexcusable; neanmoins, rappiochee du
caractere de I'apotre, elle s'explique; rap-
prochee des circonslances du moment, elle
pcrd de sa grievele; enfin, si nous la rap-
prochons de nos propres peches, Taccusation
n'expirera-l-elle pas sur nos levrescoupables?
(van Oosterzee)
11. Jesus insult6 par les valets du SanhA-
drin. xxn, 63-G3. — ParaU. Jialili. xxvi, 67-68;
Jlarc. XIV, 65.
La narration de S. Luc est la plus comp
des trois.
63. — Viri qui tenebant ilium : c'est-a-dire
les apparileurs du grand Conseil, qu'on avait
donnes a Jesus pour gardiens. Cfr. S. Marc,
1. c. — llUidebant (evsTiaillov) ei. L'imparfait
denote la conlinuile, la repetition des ou-
trages (de meme dans les deux versets sui-
viinis). — Ccprfeiifes, 8Epov7£5. Lps synopliques
etnploienl quatre expressions differ'entes pour
decrire les craelles voies de fait que Jesus
eut alors a endurer : SipovTs;, J-cutitov (avec
son compose evsTCTuaav, Malth. xxvi, 67),
exo>.aq;t(Tav, eppotTricav.
64. — Ft/at'CJWJit e»m. VoyezMarc. xiv, 65
el le commentane. Fra Ange'lico a reproduit
admiiablenient ce detail. « Par une innova-
tion qui demandait quelque chose de plus
que du genie, il a couvert les yeux du Sau-
veur dun bandeau transparent, a travirs le-
quel on voit reluire, outre la majeste de ses
traits, la douce aulorite de son regard »
(Rio). — Et percutiebant faciem ejus. Gett©
phrase est omise dans les manuscrits Sinait.,
B, K, L, M, etc. — Prophetiza (S. Matth.
ajoute : « Chrisle »)... Odieuse pjirodie du
role prophetique attribue au Messie dans les
saintes Ecritures.
CHAPITRE XXII
379
6b. Et alia multa blasphemantes
dicebant in eum.
66. Et lit factns est dies, convene-
runt seiiiores plebis, et principes
sacerdotiim, et scribse, et diixenint
ilium in concilium siiiim, dicentes:
Si tu es Ghristus, die nobis.
Matlh. 27, 1; Mai-c. 15, 1; Joan, 18, 28.
67. Et ait illis : Si vobis dixero,
non credetis mihi.
68. Si autem et interrogavero,
non respondebitis mihi, neque di-
mittetis.
63. Et ils disaient contre lui beau-
coup d'autres choses eu blasphe-
mant.
66. Et lorsque le jour se fit, les
anciens du pen pie et les princes des
pretres et les scribes s'assemblerent
etilsl'emmenerent dansleurconseil,
disantiSi tuesle Christ, dis-lenous.
67. Etil leur repondit : Si je vous
le dis vous ne me croirez pas.
68. Et si je vous interroge vous ne
me repondrez pas et ne me laisserez
point aller.
63. — Et alia multa (dvcc emphaso) bias-
phemantes... G'e.-t la line precieuse parlicii-
larile do S. Luc. Elle nous monlre combien
Jesus out a souffrir durant la derniere nuit
de sa VIP.
12. J6sus devant le Sanhedrin. xxii, 66-71. —
Parall. Malth. xxvii, 1; Marc, xv, 1«.
66. — Divers auleurs (Maldonat, Corn, a
Lapide, Jansenius, etc.) ideniifienl ce passage
de S. Luc avec Matlh. xxvi, 57-66 et Marc,
xtv. 53-64; mais Topinion commune des exe-
geles est que notre evangeliste parle ici d'un
second interrogaloire de Jesus devant le
Sanhedrin. Le premierjugemenl, raconte tout
au long par les aulres synopliques, avait eu
lieu pendant la nuit et peu de temps apres
I'arreslation da Sauveur : il correspond au
t. 54, bien qu'il n'y soil pas mentionne for-
mf^llement, Mais, d apres les lois alors en vi-
gu ur, il etail nul et invalide (voyez I'Evang.
sdon S. Mallh. p. 529). Pour lui'donner un
semblant do legalite, le grand Consei! tint
de grand matin {ut farius est dies] une nou-
velle seance {conve)ierunt\, on ignore en quel
local, et se mil en di^voir de ratifier sa sen-
tence nocturne. S. Matthieu (xxvi, 57, 59;
XXVII, 1) et S. Marc (xiv, 53, 35; xv, 1) dis-
linguent nottfment les deux sessions du San-
hedrin ; S. Luc, s'il ne dil rien de la premiere,
a seul conserve les details de la seconde, de
sorte qu'on reunissant les Irois r^cits nous
obtenons un expose assez complet de la con-
duite du grand tribunal juif cnvers Nolre-
Seigneur. — Seniores plebis. Dans le grec, tb
TtpeoSuxeptov toO XaoO, « presbyterium plebis »,
le nom collectif au lieu de I'expression accou-
tuniee, oi npecSm-epoi. Cfr. Act. XXII, 5. D'or-
dinaire, Its anriens du peuple no sont nom-
mes qu'apres les deux aulres sections du
Sanhedrin {pruicipts sacerdotum et scrib(B) :
ilsouvrent la lisle en cet endroil, — Duxe-
unt ilium in concilium suwn. Le grec em-
ploie I'expression technique : el; to 0\jv£optov
^auTwv. Le verbe avriYaYov (litleral. ils con-
duisirenl en haul) feiait allusion, d'apres
quelquescommentateurs, a la situation elevee
du local oil I'assemblee se reunit; mais il
n'est pas necessaire de presser ainsi le sens,
car avayw de.Mgne parfois simplement Taction
deconduire un prisonnier devant sesjuges. Au
reste, les manuscriis B, D, K, F, SinaiT., etc.,
ont auriyayov. — Dicentes : Si tu es Christus...
Dans Ic grec : Es-tu le Christ? Dis-le nous.
Les jugps de Jesus, qui sont en meme temps
ses accusateurs, vont droit au point principal
dans cette seance du matin. lis veulent fairs
vile, on le voit au premier coup d'oeil, quoi-
qu'une des fameuses « Prescriptions 4e8
Peres » fut : Agissez avec lenteur dans les
jugements. Pirke Aboth, i, 1. Le Sanhedrin
etait en general renomme pour sa douceur
^Cfr. Salvador, Institut. de Moise, ii; Vie de
Jesus, t. II, p. -108); mais actuellement une
rage farouctie et aveugle le pousse.
67 et 68. — Ait illis. Dans cette premiere
partie de la reponse de Jesus brillent une sa-
gpsse et un calme vraiment divins. C'est un
dilemme auquel les raembres du grand Conseil
auraient eu dela peine ^repondiel Aussi n'y
repoodirent-ils pas. Les deux parlies de I'ar-
gument n'elaient que trop bien basees sur une
experience recente. — Si vobis dixero, non
credetis. Cfr. Joan, viii, 39; x, 31 ; Malth-
XXVI, 63-66. Si interrogavero, non responde^^
bitis. Cfr. xx, 1-8 ; Matlh. xxii, 41-46. Ainsi
done, soil que Jesus eut ouvertement fait
connailre aux magistrals juifs, sur leur de-
mande, sa mission celeste, soil qu'il eiit es-
saye d'argumenler aveceux, il n'avait lrouv6
aupres de ces hommes passionnes, haineux,
quo I'endurcissement volontaire. II y a, dans
ces paroles de Jdsus, une protestation energi-
que. quoique indirecte, contre les precedes
iniques de ses juges. — Les mots neque dt-
rniltetis sont omis par plusieurs manuscriis et
3S0
fiVANGILE SELON S. LUC
69. Mais desormais le Fils de
riiorame sera assis a la droite de la
puissance de Dieu.
70. Et tous dirent : Tu es done le
Fils de Dieu? II repondit : Vous le
dites, je le suis.
71. Et ils dirent : Qu'avous-nous
encore besoin de temoignage ? Gar
nous TaTons entendu nou sememes
de sa bouche.
69. Ex hoc autem erit Filius ho-
minis sedens a dextris virtutis Dei.
70. Dixerunt autem omnes : Tu
ergo es Filius Dei ? Qui ait : Vos di-
citis quia ego sura.
71. At illi dixerunt : Quid adhua
desideramus testimonium? ipsi enim
audivimus de ore ejus.
versions qui font aiilorite. S'ils sent authen-
tiques ils exprimcnl un « a fortiori *> : Non
seulemenl vous no me repondrez point, mais
vous me relacherez bien moins encore.
69. — Ex hoc autem... Jesus accorde loti-
lefois, quoique en termcs menaganis, ce qu'ii
avail paru tout d'abord refuser. Comine a la
fia du premier inlerrogaloire (Cfr. Mallh.
XXVI, 64, Marc, xiv, 62"; voyez le commen-
raentaire), il evoque devanl srs ennemisl'i-
mage glorieuse et terrible du Fils de I'homme,
assis a la droite de Dieu, et muni d'une puis-
sance a laquelle rien ne pourra resisler.
70. — Dixerunt omnes. Celle locution est
emphatique et pitioresque lout ensemble.
« Omnes, in turba, contuse et importune,
nuUo ordine servalo » {F. Luc) ; en un mot,
d'une fagon lumultueuse. — Tu ergo es Fi-
lius Dei? lis ont compris, et ce n'etait pas
chose difficile, que Jesus avail voulu se desi-
gner lui-m^me en parlanl du Fils de I'homme.
Comp. le Ps. cix, ou le Messie est represenle
comme tronant a la droite de Dieu son Pere.
— Vos dicitis, quia ego sum. Formule orien-
tale qui equivaut a une affirmation solennelle.
Cfr. Schoeltgen, Hor. hebr. p. 225.
71. — At illi dixerunt. Le recil n'esl pas
moin-; dramalique quo In scene elle-mSrae.
— Quid adhuc desideramus testimonium ? II
ne semble pas que le Sanhedrin ait fait com-
parailre des lemoins a charge duranl celte
seance du matin : ces paroles font done allu-
sion a la session nocturne, duranl laquelle de
nombreuses depositions avaient eie regues
centre Jesus. Cfr. Malth. xxvi. 60 et ss.;
iMarc. XIV, 56 el ss. Quant aux temoin^ a
decharge, le Talmud a Ijeau dire que, pendant
quaranle jours consecutifs, on fit inviter par
des herauts lous ceux qui croiraient pouvoir
mainlenir I'innocence de Jesus a se presenter
devanl le Sanhedrin, sans que personne re-
pondit a I'appel : ces fables grossieres depas-
sent le but. — On le voil, Tassemblee du
matin ressembia beaucoup h celle de la nuil
par ses divers details : nous trouvons de part
et d'autre a peu pres les memes questions,
les memes reponses, finalement la mSme con-
damnation ; ici et la les juges ont recours aux
precedes les plus odieux, ici el la le divia
accuse a une attitude digne du Messie : seu-
lement, dans la derniere session les chosesse
passent avec une plus granda rapidite. II n'y
a pas de discussion proprement dile : on se
borne a faire repeler au Sauveur ses paroles
incrirainees precedemment, et a ralifier I'arr^t
de mort.
CHAPITRE XXm
381
CHAPITRE XXIII
R-emi^re phase du jugement de Nolro-Seigneur devant Pilate {ft. 4-7). — Jesus au palaig
d'Herode (tt. 8-12). — Seconde phase du jiigement devant Pilale (tf. iS-'iS). — L'episode
des femmes de Jerusalem sur le parcoiirs de la voie douloureuse [tf. 26-32). — Le cruci-
fiemeni (tf. 33*-34). — Las insulies et le bon larron [tt. 35-43). — Les derniers moments
de Jesus {ft. 44-46). — Divers temoignages qu'on lui rend aussitot apres sa morl
[tt. 47-49). — Sa sepulture [1ft. 50-56).
1. Et surgens oranis multitudo
eorum, duxerunt ilium ad Pilatum.
2. Goeperunt aulem ilium accu-
sare, dicentes : Hunc invenimus
subvertentem genlem nostram, et
prohibentem tributa dare Ceesari, et
dicentem se Christum regem esse.
Matlh. 22, 21; Marc, 12, 17.
1 . Et se levant tons en foule, ils
le menerent a Pilate.
2. Et ils commencerent a Taccu-
ser, disant : Nous avons trouve
celui-ci pervertissant notre nation
et defendant de payer le Iribut a
Cesar et disant qu'il est le Christ roi.
13. J6sus comparalt devant Pilate et de-
vant H6rode. xxni, 1-25. — Parall. Malth. ixvu,
1-26; Marc, xv, 1-15; Joan, xviii, 28-xix, 16.
S. Luc difFere ici notablement des autres
synoptiques; sa narration abonde en parlicu-
larites interessantes. 11 decrit k merveille,
quoique d'une raaniere moins complete que
S. Jean, les efforts de Pilate pour sauver
Notre-Seignear.
!• Premifere phase du jugement devant Pilate.
n- 1-7.
Tableau vivanl, agite, des manoeuvres aux-
quelles durent recourir les auloriles juives,
pour obtenir de roEBcier imperial qui gouver-
nait alors la Judee et Jerusalem la ratihcation
de leur sentence.
Chap, xxiii. — 1. — Surgens est un he-
bralsme qui denote la promptitude. Gfr. i, 39
et le commentaire. — Omnis multitudo eorum
(c'est-a-dire des membres du Sanh^drin, xxii,
66) : expression pleine d'emphase, dont 11 ne
fauicependantpaspresser iesens. Elleindique
du moins que la plupart des Sanhedristes
vinrent en corps au pretoire, dans I'intention
evidente d'impressionner Pilate par celte ma-
nifestation solennelle, et d'obtenir plus aise-
raent de lui la permission d'executer la sen-
tence qu'ils avaient prononcee centre Jesus.
Sur la perte du « jus gladii », qui occasion-
nait celte demarche humiliante du grand Con-
seil des Juifs, voyez I'Evang. selon S. Malih.,
p. 530. — Ad PUatum. Le pretoire elait pro-
bablementinstalle dans la forteresse Antonia.
Voir ibid., et Fergusson, The Temples of the
Jews, p, 176. La remise de Jesus a Pilate par
les Juifs est signalee comme un fait impor-
tant par les qualre recits evangeliques. En
effet, c'est un nouveau slade du proces qui
commence (van Oosterzee); de la juridiciion
spirituelle nous passons a la juridiction civile.
Cfr. Monnier, de Pilali in causa Servatoris
agendi ratione, Lugd. Balav. 1825.
2. — Coeperunt autem, rip^avTo Se. « Versus
sequentes omnes, remarque Raphel ( ap.
Schegg, Evang. nach Luk., t. Ill, p. 510),
excepto solo seplimo, usque ad 13 per parti-
culam Se cannectunlur ». f. 3, 6 SI; f. 4,
6 Ss; t. 5, olSe; t. 6, no.airo? 6c'; f. 8, 6 Se;
t. 9, eiDQpwxaSs; f. 10, etoTiQ/.Etaai Se; i^. 11,
e$ou0ev^ffac 6e'; etc. L'eminent helleniste ajoute
a bon droit que cet emploi de la parliculeesl
elegant, classique. — 7//«m accusai'e...S. Luc
expose avec une parfaite neltete cet acte d'ac-
cusation, et distingue Ires bien les divers
griefs. — Hunc e^t dedaigneux en meme temps
que pittoresque. Les Sanhedristes, en pronon-
Qantce pronom, montraient Jesus a Pilate. lis
durent appuyer au,-si sur le verbe invenimus^
2upo[iev.« Dicuntnemposeadducere Jesum non
lanium facinoris accusatum sou suspeciura,
sed etiara confessum et convictum », Rosen-
miiller, Scholia, h. I. A ce supeibe eupopiev Pi-
late opposera plus loin, tf. 4, 14 et 15, son
propre ^upyjxa et celui d'flerodo. Voycz du resto
dans S. Jean, xviii, 29 el ss., le debut de celte
n^gociation si habilement conduile de part et
d'autre. — Subvertentem gentem nostram. Le
pronom :?itiajv manque dans la Recepla; maison
le trouve dans les meilleurs manuscrits et ver-
sions (Cfr. Tischendorf, Nov. Testam., h. 1.).
AtaarpetpovTa signififl proprement « detor-
quentem », puis airmoral, « corrumpentem*;
382
EVANGILE SELON S. LUC
3. Et Pilate Tinterrogea, disant :
Es-tu le roi des Juifs? Et il repon-
dit : Vous le dites.
4. Et Pilate dit aux princes des
pretres et a la foule : Je ne trouve
en cet homme aucune cause de con-
damnation.
5. Mais eux insistaient, disant :
II agite le peuple en enseignant
dans toute la Judee, commencant
par la Galilee jusqu'ici.
3.Pilatiisauteminterrogaviteum»
dicens : Tii es Rex Judseorum? At
ille respondens ait : Tu dicis.
Matlh. 27, 11; Marc. 12, 17; Joan, 18, 35
4. Ait autem Pilatus ad principea
sacerdotum, et turbas : Nihil inve-
nio. causae in hoc homine.
5. At illi invalescebant, dicen-
tes : Gommovet populum, docens
per universam Judseam, incipiens a
Galilaea usque hue.
ju bien, et c'est ici le cas, « seducenlem »
(scil. ad rebellionem). Cfr. Brelschneider, Lex.
man. I. L p. 234. D'apres cetle premiere
charge, qui esL la plus generale el qui sera
espliqiiee par les deux suivaules, Jesus eiail
done an MecUh, comme disaient les Juifs,
un seducleur qui donnail au peuple une
fausse direction, qui troublait par consequent
la paix de I'Elat. — Deuxierae charge* prohi-
benteni tribtita dare Ccesari. Quelle iiifame
calomniel Comp. xx, 25 el les passages pa-
ralleles. Mais on vouiail se debarrasser de
Jdsus « per fas et nefas ». Or les Sanhedrisles
avaienl compris que, pour gagner Pilate a
leurs vues, il fallaildonner ci I'accusalion una
couleur politique. Jesus aflBrmant qu'il etait
le Messie, et le Messie, d'apres les idees alors
en vogue chez les Juifs, devant delivrer son
peuple de toute servitude romaine, ce grief
etait capable de frapper le gouverneur. —
Troisifeme charge : Dicentem se Christum re-
gem esse. Cette derniere allegation avail une
apparence de verite; raais les accusateursde-
figurenl maligneraenl le sens du mot Christ
eu le traduisant par roi, dans le but de faire
accroire que Jesus s'etail rendu coupable
d'un crime de lese-majeste centre I'erapereur.
Voila done les autorites juives prises tout k
coup d'un beau zele pour les interets de
Rome 1 Remarquons les ressources et la sou-
plesse de leur hairie Quand le Sauveur avail
comparu k leur propre barre, les Sanhe-
drisles avaient donne au merae tilre de Christ
la signification de Fils de Dieu, afin de mo-
tiver une accusation de blaspheme; mainte-
nanl ils onl besoin de prouver que Jesus est
un rebi'lle : de la cette transformation.
3. — Pilatus interrogavit eum. S. Luc
«(br6ge nolablcment la scene. Voyez les trois
aulres narrations. C'est dans I'inlerieur du
pr^toire, d'apres S. Jean, que Pilate interro-
gea Notre-Seigneur. — Tu es rex .. II y a
beaucoup d'emphase dans le pronom t6. La
maniere donl Pilate precise le sens du mot
t rex », en ajouiant Judceorum, est reraarciua-
ble : il ne pouvait gu6re ignorer les espe-
rances messianiques des Juifs ni leur nature.
Au reste, sa question et la reponse de Jesus
sonl absolumenl identiques da.-S les irois sy-
nopliques.
4. — De retour vers les Sanhedrisles, et
vers la multitude loujour3grossissante(tMr6as)
qui etait accourue au preioire, Pilate donna
clairement son opinion sur le cas porte devant
son tribunal : Nihil invenio causce (oCi8^v eO-
ptffxw aktov, expression de barreau pour « nul-
lum crimen ». Cfr. Bretschneider, s. v.) in hoe
homine. Cela revenait a la formule juridique
« Non liquet », que pronongaienl les juges
roniains quand la culpabiliie d'un accuse n'a-
vail pas eld demoniree. A quatre reprises
(ici, tt. 14-13, 20, 22) Pilaie protesia ainsi
de i'innocence de Jesus. Cetle premiere con-
clusion parait biea abrupte dans le troisieme
Evangile : les details donnes par S. Jean la
rendenl tres nalurelle.
5. — Illi invalescebant. Le verbe grec
iidaxyu>, que S. Luc est seul a employer, peeut
se Iraduire aussi par « argumentis aliquid
roborare », avec un sens actif. II exprime
energiquement la crainte qui s'empara des
Sanhedrisles quand ils virent que leur proie
etait sur le point- de leur echapper. — Com-
movet populum. 'Avaoeiet, autre mot lies
expressif, qu'on trouve seulement ici el Bhirc.
XV, 11. L'emploi du temps present renforce
encore I'idee : « il ne cesse d'agiler le peu-
ple ». — Au simple enonce du fait les Juifs
ajoulent une explication, en vue d'indiquer
d'une part le moyen auquel Jesus avail re-
cours pour revolulionner le pays, docens,
d'autre part le vasle deploiement de son acti-
\\le, per universam Judwam, incipiens... Toute
la contree etait done Iroublee, suivant eux,
par ce dangereux Iribun. L'aveu a pour nous
quelque chose de precieux. Les synoptiques
etant a peu pr§s muets sur le minislere de
Nolre-Seigneur en Judee, qu'il etait reserve
k S. Jean de decrire tout au long, les ralio-
nalisles n'ont pas manque de trouver une coa-
CHAPITUE XXIII
38:i
6. Pilatu-3 autem audiens Gali-
laeam, interrogavit si homo Gali-
Iseus esset.
7. Et ut cognovit quod de Hero-
dis potestate esset, remisit eum ad
Herodem, qui et ipse Jerosolymis
erat illis diebus.
8. Herodes autem, viso Jesu, ga-
visus est valde ; erat enim cupiens
ex multo tempore videre eum, eo
quod audierat multa de eo, et spe-
rabat signum aliquod videre ab eo
fieri.
6. Pilate entendant nommer la
Galilee, demanda s'il etait Galileen.
7. Et des qu'il sut qu'il etait de
la juridiction d'Herode, il le renvoya
a Herode qui etait aussi a Jerusa-
lem en ces jours-la.
8. Herode, en voyant Jesus, se
rejouit beaucoup; car depuis long-
temps il desirait le voir, parce qu'il
avait entendu dire de lui beaucoup
de choses, et il esperait lui voir faire
quelques prodiges.
tradiclion perpetuelle entre les Irois premiers
Evangiles el le qualrieme : mais voici que
les plus ardenls adversaires dii divin Mailre
se chaigent d'etablir I'liarmonie, en affirmant
qiK' Jesus n'avait pas eie moins aclii' en Judee
qu'en Galilee. Cfr. Act. x, 37. — Incipiens a
Galiloia : c'esL en effel dans les regions spp-
tenlrionales de la Palestine que Notre-Sei-
gneur s'elait d'abord mis a precher d'une
maniere reguliere et suivio. Ct'r. iv, 14. II est
probable qu'en nommant la Galilde les Juifs
esp^raient exciter davantage la defiance de
Pilate : les Galileens elaient alors une race
turbulente, assez a redouter pour Rome ; p^r-
Sonne ne le savait mienx que le gouverneur
actuel, qui avait eu a luiter conlre enx. — Us-
que hue, c'esl-a-dire jusqu'a Jerusalem, au
coeur raeme du pays. Ces derniers mots con-
tenaient sans douie une allusion particuliere
k I'entree triomphale du Sauveur.
6. — Audiens Galilceam. Les manuscrils
B, L, T, Sinait., etc., ont seulement : a/.oyaai;,
etomettent FaXtXatav-LesSanhedi istesavaient
frappe juste : le nom de la Galilee n'a pas
en vain retenti aux oreilles de Pilale, puis-
qu'aussitot le gouverneur veut savoirsi Jesus
(homo ; dans le grec, 6 ivOpwuo;, avec I'article,
I'homine en question) est originaire de celle
province. Tous ces details, tt. 5-16, sont
propres a S. Luc : ils completent de la fagon
la plus precieuse I'hisloire de la passion du
Sauveur.
7. — Ut cognovit; emYvou;, « quum cogno-
visset ». — De Herodis potestate (melonymie
pour (( dilioni^ » : de nieme en grec). 11 s'agit
d'Herode Antipas, le fameux tetrarque de la
Galilee et de la Peree (Cfr. in, 4), provinces
sur lesquelles Pilate n'avait aucune juridic-
tion. — Remisit eum ad Herodem. C'est
Ik de nouvcau une expression technique du
droit remain, « nam remittitur reus qui ali-
cubi comprehensus mitlitur ad judicem aul
originis aut habilalionis ». Rosenmiiller, Scho-
lia, b. 1 Comp. Pbilem. 40; Jos. fiell. Jud.
II, 20, 5. Le motif de ce renvoi est manifesto :
tout monlre que Pilate, en I'ordonnant, espe-
rait echapper a une grave responsabilite, se
delivrer d'une affaire epineuse dont ii pre-
voyait la difficile conclusion. II essaie done
de faire prononcer le jugemenl par un autre,
car il n'ose pas encore condamner un homme
dont il a reconnu I'innocence, et il manque
du courage necessaire pour I'elargir en face
des reclamations de la foule. Le contexle
{t. 4 2) montre que le « procurator » se pro-
posail en outre, quoique d'une maniere sc-
condaire, de reconquerir par cet acte de
courtoisie les bonnes gi aces du tetrarque, avi c
lequel il etait en de^accord depuis un certain
temps. Plus tard Vespa-ien eul pour Herode
Agrippa une attention analo°;ue. Cfr. Jos. 1. c
III, 4 0, 40. — Qui et ipse jerosolymis... An-
tipas residait ardinairement a Tiberiade, la
capitale de ses Etats; mais, comme Pilate, il
se trouvait alors a Jerusalem a I'occasion des
solenniles pascales (illis diebus). Tout porte a
croire qu'il occupait dans celte circonstance
le palais des Asinoneens, situe a gauche du
temple, au pied de la colline de Sion (voyez
Jos. Bell. Jud. II, 46, 3 ; Ant. xx, 8, 44), a
moins qu'il ne se fut etabli dans celui de son
pere, Herode-le-Grand, bati un peu plus ii
I'Ouest (Langen, die letzlen Lebenstage Jesu,
p. 268. Comp. R. Riess, Atlas de la Bible.
pi. vi). C'est a tort que Ton a donne parfois k
Herode et a Pilale une seule et meme resi-
dence (Aberle, Lichtensteioj.
2« J^sus devant Herode. ff. 8-12.
8. — Herodes, visu Jesu, gavisus est valde :
beau detail psychologique,qui ouvretresbi n
cetle nouvelle scene. Le monarque blase s.3
promet, a la vue de Notre-Seigneur, un plaisir
d'un genre parliculier. — Erat enim cupiens.
Cetle tournure, qui existe aussi dans le texte
primilif (^v yap OsXwv) denote des desirs d'au-
laiit plus vifs qu'il elaient demeures plus
longtemps inassouvis [ex multo tempore : le
384
fiVANGILE SELON S. LUC
9. II rinterrogea done avec beau-
coup de paroles, mais Jesus ne lui
repondit rien.
10. Et les princes des pr§tres et
les scribes elaient la I'accusant opi-
niAtrement.
11. Mais Herode avec sa cour le
Qtt'^prisa, et se jouanl de lui, il le re-
t^til d'une robe blanche et le ren-
voya a Pilate.
9. Interrogabat autem eum mul-
tis sermonibus. At ipse nihil illi
respondebat.
10. Stabant autem principes sa-
cerdotum, et scribse, constanterac-
cusantes eum.
11. Sprevit autem ilium Herodes
cum exercitu suo : et illusit indu-
tum veste alba, et remisit ad Pila-
tum.
grec floUe enlre ik txotvwv y_p6^u)y, eS Ixavou
xpivou, el £$ ly.avou). Voyez IX. 7 el s., les pre-
mieres traces de ce desir d'Herode. — Eo
quod audierat... [muUa est orais dans les ma-
nuscrils B, D, K, L, iM, Sinait., etc.)..- Motif
qui avail ainsi pique la curiosile du telrarque.
Ayanl appris que Jesus etait un grand tiiau-
maiurge, eel homme frivole esperait en avoir
quelques preuves « de visu », car il ne dou-
lait pas que I'accuse ii'essayat de gagner par
lous les moyens la faveur du juge dont son
sort dependail.
9. — Interrogabat... Get imparfait, qui
exprime deja si bien la duree, la repetition,
est encore renforce par les mots multis sermO'
nibus. II n'a pas plu a I'Esprii-Saint qui,
lorsqu'il inspirail les ecrivains sacres, avail
en vue noire ulilite ot non pas noire curio-
site, de conserver une seule des vaines ques-
tions adressees par Antipas a NotreSeigneur
Jesus-Christ. Au reste, la majestueuse alti-
tude du Sauveur nous montre suffisammi^nt
le cas que nous devons en faire : ipse nihil
illi respondebat (notez ce nouvel imparfait).
Jesus avail repondu a Calphe et a Pilate : il
ne juge pas Herode digne d'une seule parole,
tt se renferme dans un noble silence.
10. — Stabant autem [un troisieme impar-
fai!)... Les ennemis de Notre-Seigneur ne .se
laisent point. Dans eel admirable tableau
nous les voyons deboul et constanler accusan-
tes eum, car ils I'avaient accompagne chez le
telrarque, pousses par Pilate lui-meme (Cfr.
t. 15) et encore davantage par leur haine im-
placable. L'equivalent grec de « constanler »,
eiJT&vw;(employeseulemenlicietAct.xviii,28),
signiQa plulot « acritor ». Les Sanhedristes
en seront pour leurs frais de zele, car Herode
ne tiendra aucun compte de leurs accusations.
11. — Pourtant il tiendra comple do son
amour-propre blesse, et il se vengera de la
maniere la plus mesquinede la deception, de
j'humiliation que hii avail occasionnees le
divin accuse. — Sprevit : e^ouSev^aa?, expres-
sion ires forte {lilteral., i'ayanl reduilaneant.
Cfr. Is. Liii, 3). — Cum exercitu suo. Dans le
grec, ouv Toi; oTpaTeOfiaffiv aOToO, « cum exer-
citibus suis ». Mais c'est la une locution hy-
peibolique, que la version syrienne rend jus-
tement par « cum minislris suis », c'est-a-
dire, avec ses ofliciers et ses gardes. Suivant
la couiume des princes orienlaux, qui ne
voyagent jamais sans un grand deploiement
de luxe et de faste, Herode avail amene a Je-
rusalem une suite considerable, en partie
composee de soldats. — Illusit. Le texle pri-
milif emploie encore une expression energi-
que, e[i:iat^a«. Companz XXII, 63 ; voyez aussi
xviii, 32, ou Jesus lui-meme s'en est servi
pour predire les scenes humiliantes de sa Pas-
sion : £[A7iaix9iQffeTat. — Indulum vesle alba.
Ces mots complelent ceux qui precedent, en
determinant par un trait special, caracleris-
lique, la nature des outrages que Notre-Sei-
gneur eut a subir chez Herode. On voulut
tourner en derision sa dignite royale. Les in-
terpretes disculenl, il est vrai, sur le sens pr^
cis du qualificalif grec XafAnpo; (proprement ;
« splendidus, lucidus, fulgens »; voyez Bret-
schneider, s. v.), que plusieurs Iraduisent par
« purpureus », k la suite de la Peschilo sy-
rienne ; mais on prefere generaleraenl I'ac-
cepiion dans laquelle le prend la Vulgate, et
k bon droit, car il est noloire \o que telle est
d'ordinaire la signification de ).a[X7rp6; dans
les ecrits du N. Testament, 2° que dans I'an-
tiquile les vetements blancs elaient portes
comme habits de gala par les plus illustres
personnages. Cfr. Act. x,30 ;xxvi, 13; Apoc.
XV, 6; XIX, 8; xxii, 16; Tacile, Hist, ii, 89;
Jos. Ant. VIII, 7, 3 ; Bell. Jud. ii, 1, 1. Voyez
Rosenmiiller, Alt. u. neues Morgenland, t. V,
p. 219 ; D. Calmet, h. 1.; J. Langen, die letz-
ten Lebenslage Jesu, p. 270;Keim, Geschichte
Jesuvon Nazara, I. HI, 2, p. 380. — Remisit:
av£Tre(jnJ/£v comms au t. 7. Herode renvoie
JesusauM forum apprchensionis». — M.Reus3,
Hist, evangeliquo, p. 676 et 677, fait a pro-
pos de ce verset, comme du reste beaucoup
d'autres ralionaiistes, une elrange reflexion :
« Les scenes insulianles et les mauvais trai-
tement- que la soldatesque fail essuyer k J^
sus sent transporles par Luc dans le palais
d'Herode, landis que, d'apres les deux autres
auteurs (S. Mallh. et S. Marc), tout cela se
passa dans le pretoire romain. L'une de ees
12. et facti sunt amici Herodes
et Pilatus, in ipsa die : nam antea
inimici erant ad invicem.
1 3. Pilatus autem, convocatis prin-
cipibus sacerdotum, et magistrali-
bus, et plebe,
14. Dixit ad illos : Obtulistis mihi
liunc hominem quasi avertentem
populum; et ecce ego coram vobis
interrogans, nullam causam invenio
in homine isto, ex his in quibus
eumaccusatis.
Joan, 18, 38, 19, 4.
CHAPITRE XXIII 385
12. Et Herode et Pilate devinrent
amis ce jour meme, car auparavant
lis etaient ennerais Tun de I'aulre.
13. Or Pilate, ayant convoqae les
princes des pretres, les magistrals
et le peuple,
14. Leur dit : Vous m'avez pre-
sente cet homme comma soulevant
le peuple, et voila que Tinlerrogeant
devant vous je n^ai trouve en cet
homme aucune cause de condamna-
tion dans tout ce dont vous I'accusez.
versions est loul aussi plausible que i'aulre;
toujours est-il qu'il y en a deux ». Certaine-
menl, 11 y en a deux, el, I'aveu est precieux a
recueiiiir, elies sonl loules deux ires piausi-
bles ; mais se conlredi>ent-elles, comme on
voudrait I'insinuer? Pas le inoins du monde,
puisqu'elles corre?pondenL a des episodes
completemenl dislincts, qui n'eurent lieu iii
au meme endroil, ni devanl les memos per-
sonnages. ni a la meme heure. ni de la meme
maniere. Le Iroisieme synoptique raconle un
fait que les deux premiers avaient omis; puis,
^ son tour, il oinet des delails exposes par
eux. Les hisloriens profanes se conduisent
tousles jours de cette fagon : leur reprochera-
l-on de se contredire?
42. — S.Luc termini par un trait psycho-
logique digne de lui le reeit de la comparu -
tion du Sauveur devanl Herode : facli sunt
amici Herodes et Pilatus, in ipsa die. II y a
dans le pronora « ip?a » une emphase evi-
denle. — !^am antea inimici erant..; TtpoOTrrjp-
xov (ici seulemenl el Act. viii, 9) yap ^"^ ^y3p^
ovre? (pleonasme apresTtpoOuJipxov)... On a par-
foi^^ pense que celie inimiiie avail eclate a
la suite de I'incident menlionne plus haul,
XIII, 1 ; d'aulres I'onl rattachee aux denoncia-
tions secretes ou publiques qu'Anlipas s'etait
permis de faire a Tibere contre Pilate ;Jos. Ant.
xviil, 4, 5) : mais on ne peuL rien determiner
de certain sur ce point. Entre le gouverneur
remain do la Judee et le telrarque de la Ga-
lilee il exislait des occasions perpeluelles de
fro'ssement; le moindre conflit de juridic.lion
avail pu rompre violemment des relations
qui n'avaioiit jamais ele bien inlimes. Mais
voici qu'aujo.iid'liui Jesus reconcilie ces deux
hommos !
30 Seconde phase du jugement devant Pilate. H.
13-25.
Apres avoir comparu successivemont de-
vant Anno, Joan, xviii, 13, devant le Sanhe-
drin, Malih. xxvi, 57 et parall., une seconde
S. BiBLB.
fois devant le Sanhedrin, Luc. xxii, 66 et ss.,
devant Pilate, xxiii, 1-7, devynl Herode An-
tipas, xxiii, 8-12, le divin Maiiio est de nou-
veau conduit au tribunal du gnuvemour re-
main. Nous allons assisler a I'l-sue i ru He de
son proces.
13. — Pilatus, convocatis ((iuY''-a5£<JaiA£vo?)...
Detail piltoresque. Pilate fail grouper aulour
de son tribunal, dre.^se en plein air, soil les
accusaleurs principaux de Jesus [principibus
sacerdotum et magistratibus : par magistrats,
fipyovTo; du grec, il faut entendre les deux
auires sections du Sanhedrin, c'est-a-dire les
Scribes ot les notables. Gfr. xxiv, 20), soit
les masses populaires {el plebe. Gfr. t. 4). II
compiait sur ces dernieres i)Our le succes du
plan qu'il avail deja forme en vue do delivrer
Jesus. G'( si elles surlout qu'il va tacher de
convaincre et d'cmouvoir, n'osant toujours
pas faire acte d'aulorite et prononcor un ver-
dict d'acquittement.
14. — Dixit ad illos. Le « procurator »
commence par resura -r les debats en tant
qu'il y a joue un role direct, f. 14; il rap-
pelle eniuito quelle a ete la conduite d'He-
rode, t. 13; enfin il propose une sorte d'ar-
rangoment a I'amiable, t. 16. Gotle petite
allocution est vivanle et ires habile. Eile est
presque loul entiere propre a noire evange-
liste. — O'jiulistis mihi (TrpouTjvsYxaTi jaoi, vous
m'avez conduit)... quasi avertentem (auoffrps-
90VTa. Au t- 2, SiatTxpe'ipovTa) populum (tov Xaov.
Au t. 2, ti IQvo; : nuances interessanles).
Telle avail ete en effot la premiere charge
des Sanhedrisios; ils y elaient memerevenus
ime seconde fois, t. 5, on voyanl Pilate favo-
rable a I'accuse. — Et ecre ego (avec emphase)
coram vobis jwferco^ans (avaxpi'vai, lerme ju-
ridique frequemmenl (mpioye par S. Luc.
a Judicum est, pro polesiate roos vel testes
interroganlium », Wetstein). L'mterrogatoire
prive que S. Jean a raconte tout au long,
xviii, 33 et ss., n"ox(;lu' pas la possibilitd
d'une enqyfile publique. On ne saurait done
S. Ldc. — ""i
386
EVANGILE SELON S. LUC
1o. Ni Herode non plus, car je
vous ai renvoyes a lui et on n'a rien
produit contre lui qui merite la mort.
16. Je le renverrai done apres
I'avoir fait chalier.
17. Or 11 etait oblige de leur de-
livrer quelqu'un pendant la fete.
18. Mais toute la foule criait a la
fois : Enlevez celui-ci et delivrez-
nous Barabbas.
19. Lequel, k cause d'une sedition
faite dans la ville et d'un meurtre,
avait ete mis en prison.
15. Sed neque Herodes : nam
remisi vos ad ilium, et ecce nihil
dignum morte actum est ei.
16. Emendatum ergo ilium di-
mittam.
17. Necesse autem habebat di-
mittere eis per diem festura, unum.
18. Exclamavit autem simul uni-
versa turba, dicens : Tolle hunc, et
dimitte nobis Barabbam.
19. Qui erat, propter seditionem
quamdam factam in civitate et ho-
micidium, missus in carcerem.
Idgitimemeni opposer les mots « coram vobis
interrogans » du troisieme Evangile a la nar-
ration (iu qiiatrieme. Voyez D. Calmet, h. I.
— Nullam causam,o'j5kv atTiov,commeau t. 4.
15. — Sed neque Herodes. Nouvelle em-
phase. Herode, I'un des volres, qui est tres
au courani de vos affaires. La phrase est
eiliptique : « Neque Herodes invenit... » Au
lieu de nam remisi vos ad ilium (av£'7ie[X(V* Y«P
0|ia?7cp6(; auTov), les manuscrils Sinait., B, K,
L, M, T, H, etc., les versions saliid. et copte,
ont « remisil enim eum ad nos» (ave'TresjuJ^e yap
aOxiv irpoc r,aa;); iiiais c'esl la vraisemblable-
ment une correction posleri^ure, car la legon
de la Vnlgale el de la Recepta est mieux
garantie. Voyez Keil, Cominenlar, h. 1. —
Nihil dignum morle actum est ei, « scil. Jesu,
ab Heroile. » Chez le lelrarque, on n'a rien
fait a Jesus qui marque qu'on I'ait juge digne
de mort (D. Calmel, Fr. Luc, etc.) xMais le
texte grec se prele a une autre traduction,
qui e.~t plus generalement adoptee de nos
jours : Et voici que Jesus n'a rien fait qui
merite la mort. Dansce cas, aOxM serait pour
(in' auToO. Voyez Winer, Grammat. p. 196.
16. — Emendatum : TtaiSeuoa; (« quum
emendavero »). Ce mot grec, que S. Luc est
seul a employer dans leN. Test, (iciet xvi, 22J,
signifie en premier lieu « pueros instituo »;
puis « castigo J, comme on fait les enfanls :
de la, par eupherai^me, et c'est aciuellement
le cas, « flagellis ceedo ». Gfr. Bretschneider,
s. V. Sur I'horrible supplice de la flagellation,
voyez I'Evang. selon S. Matlh. p. 541 ; Keim,
Gesch.Jesu von Nazara, t. IIL2, p. 391 etss.
— Ergo. Conclusion a laquelle on etait loin
de s'altendre, apres de telles premisses.
Pourquoi punir J^sus s'il est innocent? Mais
Pilate veut faire une concession k V a aura
popularis », en m6me temps qu'il esp^re
epargner a J^sus, par ce moyen terme, les
figueurs d'uno condamnaiion k mort [ilium
dimittam, anoKiauii).
47. — Plusieurs critiques ont r^voque en
doute raullienlicite de ce verset, qu'omettent
les celebres manuscrits A, B, K, L, les ver-
sions copte, sahidiq., etc., et au sujet duquel
il existe une grande confusion dans les divers
textesqui le contiennent. Griesbach,Ti^chen-
doiJ el Tregelles le suppriment comme un
emprunt fait a Maith. xxvii, 15. Neanmoins,
sa presence dans la plupart des documents
anciens (en parliculier dans le Cod. Sinait.)
nous empeche de croire a une interpolation.
— Necesse habebat est une locution propre k
S. Luc. S. Malthieu et S. Jean patient d'une
couiume ; S. Marc mentionne simplement le
fait, ait£).u£v. — Dimittere eis... unum :
« quem voluissent », ajoute S. Matthieu, pour
montrer que le droit de gr&ce etait exerc^
par les Juifs. — Per diem festum: v.a.ia. iopvffi,
comme dans les deux autressynoptiques, c'est-
a-dire a chaque relour de la solennite pascale
(xaxii distributif) . Sur cet antique usage,
voyez I'Evang. selon S. Matlh. p. 536.
18. — Exclamavit siinul universa turba.
Expression tres forte. L'equivalent grec de
« simul » estirauitXriOeC (employe en cet unique
endroit du N. Testament), dont la traduction
litterale serait : « cum tola multiiudine, con-
fertim », k I'unanimite. Cfr. H. Slephanus,
Thesaurus, t. Ill, p. 380. S. Matthieu et S. iMarc
racontent la pression que les princes des
prSlres avaient exercee sur le peuple pour
obtenir ce vole infSme. — Tolle. De m^me
dans S. Jean, xix, 18. C'est. aux mauvais
jours, I'horrible demande des foules surexci-
tees ; Enlevez-lel Les paiens criaient egale-
ment aTpe, quand ils demandaient la mort
des premiers chretiens. Cfr. Euseb. Hist
eccles. IV. c. 14 ; Suicer, Thesaur. t. I, p. 134
19. — Qui erat... L'evang^liste caracterise
en quelques mots Thomme qui eut I'honneur
d'etre prefere a Jesus. Sa description est .
plus complete de toutes. Elle ajoute mdme
celie de S. Marc un detail int^ressant : iv t
noXei, « in civilate ». C'esl done a Jerusalem
qu'avait eu lieu la tenlalive de soul^vement.
CHAPITRE XXIII
387
20. Iterum autem Pilatus locutus
est ad eos, volens dimittere Jesum.
21. At illi succlamabant, dicen-
tes : Grucifige, crucifige eum.
22. Ille autem tertio dixit ad illos :
Quid enim mali fecit iste? nullam
caiisam mortis invenio in eo : cor-
ripiam ergo ilium, et dimittam.
Maiih. 27, 23; Marc. 15, 14.
23. At illi instabant vocibus ma-
gnis postulantes ut crucifigeretur :
et invalescebant voces eorum.
24. Et Pilatus adjudicavit fieri
petitionem eorum.
25. Dimisit autem illis eum qui
propter homicidium et seditionem
missus fuerat in carcerem, quern
petebant : Jesum vero tradidit vo-
lunfati eorum*
20. Et Pilate leur parla de nou-
veau, voulant delivrer Jesus.
21. Mais eux criaient plus fort,
disant : Grucifiez-le, crucifiez-le !
22. Et pour la troisieme fois il
leur dit : Qii'a-t-il fait de mal? je ne
trouve en lui aucune cause de mort.
Je le chdtierai done, et je le ren-
verrai.
23. Mais ils insistaient avec de
grands oris, demandant qu'on le
crucifidt, et leurs oris etaient de
plus en plus forts.
24. Et Pilate ordonna que leur
demande fut executee.
25. Et il leur delivra celui qui
pour meurtre et sedition avait et6
mis en prison et qu'ils demandaient,
mais il abandonna Jesus a leur vo-
lonte.
20et21. — Iterum Pilatus locutus est..
Dans le grec, npooeqiuvYiffe, mot qui indique
une alloculion propremelit dite. Cfr, Act.
XXI, 40. Ouand le lumulte se fut un peu
apaise, Pilaie e.-saya de faire quelques repre-
sentations a la foule toucliant la monstruo-
site de son choix; mais en vain : ce fut plu-
tol de I'hnile jetee sur le feu. — Illi succla-
mabant. L'imparfail el le verbe compose
(eiTe(pwvouv) fortifient doublemenl I'idee. —
Crucifige... Gette fois, la foule d^signe le
genre de mort qu'eile desire pour Jesus, le
cruel supplice de la croix, generalemenl usite
dans les provinces romaines. Ce n'est pas
sans une vive eaioiion que nous venons d'en
relire les details complels, empruntes aux clas-
siques, dans Keim, 1. c, p. 409 et ss. Voyez
aussi I'Evang. selon S. Matlh. p. 546 et ss.
22. — Ille autem tertio... Comparez les
irt. 4 el H. Ces efforts reildres de Pilate
pour sauver Notre-Seigneur sont vraimenl
remarquables, selon la belle reQexion de Luc
de Bruges : « Quum alii evangelistae inno-
centiam Domini diligenler oxponant, Lucas
earn exponit luculentissime. Hue enim narra-
tio totius actionis Pilati, et toties tentatae
liberationis pertinel, ut intelligamus Jesum
fuisse innocenlem..,, quin polius semetipsum
pro aliis obtulis-e. » — Corripiam ergo. Le
^rec porte TraiSeuoa; o5v comrae au t. 16.
23. — Description tout a fait dramatique,
avec emphase sur la plupart des mots : insta-
bant flTTExefvTo) vocibus magniSy... itivalesce-
bant (xaTioxuov) voces eorum. Pilate ne r^ussit
■done qu'a ddchainer un veritable orage de
protestations, au milieu desquelles retentis-
saienl comme un refrain sinistre les mots
cent fois repetes a Tolle, cruciGge I » — A la
fin du verset, la Recepta grecque ajoute :
xai TMV ipvigpewv, d'oii il res\ilterait que les
princes des pretres eux-memes, oublieux de
tout decorum, auraienl mele leurs oris homi-
cides a ceiix de la foule. Mais ce nesl peut-
etre la qu'tme glose apocryphe.
24. — Et Pilatus adjudicavit (livlxptvs,
« decrevit »)... Pilate aurait dii se souvenir
en cet instant soltnnel d'une belle recom-
niandalion de la loi des douze Tables : « Vanaa
voces populi non sunt audiendae, quando aui
noxium crimine absolvi, aul innocentem con-
demnari desiderant ». Lex xii, de poenis.
Mais au conlraire il finit par ceder honleuse-
menl. Une experience anterii^ure avail appris
aux Juifs qu'on pouvait, en insistant avec
force, Iriompher de ses volontes les plus opi-
niatres. « II craignait, dit Philon, Legal, ad
Caium, p. 38, qu'ils n'envoyassenl une ara-
bassade (a Rome) pour denoncer ses actes de
mauvaise admoistralion, ses extorsions, ses
decrets injustes, ses cliatiments inhumains,
et celle crainte le reduisait a la plus gratide
perplexite. » C'est par 'consequent Tinterdt
personnel qui lui fit sacriu Notre-Seigneur
avec une dvavSpia (lachete) qae les Constitu-
tions aposloliques, v, 14, sligmatisent a bon
droit.
25, — Dimisit autem... eum qui... Au lieu
de nommer simplement Barabbas, S. Luc (et
ce trait lui est propre) rappelle d'une maniero
emphatique les antecedents du criminel que
388
fiVANGILE SELON S. LUC
26. Et comme ils Femmenaient,
lis prirent un certain Simon de Gy-
rene qui revenait des champs ct
Tobligerent de porter la croix der-
riere Jesus.
26. Et cum ducerent eum, ap-
prehenderunt Simonem quemdain
Gyrenensem, venientem de villa :
et imposuerunt illi crucem portare
post Jesum.
Maith. 27, 32; Marc, 15, 21.
les Jiiifs avaieiU us6 preferer a Jesus. Cfr.
t. 19; Act. HI, 16. C'csi une maniere saisis-
saiile de meltre on relief loule I'liorreur dn
forfail qu'il raconte. Apres dix-neuf siecles,
on sent encore, sous ces irois lignes. la vive
emotion du narrateur. — Quern peicbant.
Comme d'ordinaire en pareil cas, I'linpaifail
est piltoresque el inar{]ue la continuile. —
Jesum vero tradidit voluntati eoruin. Autre
locution energique !S. iMatlhieu et S. Marc se
conlenlent d'ecrire : a Tradidit eis »). Nous
Savons tjuelle eiait, relalivement a Jesus, la
volonlii do la foule en fureur!
14. La « Via dolorosa ». xxui, 26-32. — Parall.
MalUi. XXVII, 31-34; Marc, it, 20-23: Joan. xi.x,
16-17.
Sans parler de la flagellation, ni des ou-
trages particuliers que ies pretoriens fircnl
encore subir a Notre-Seigneur (voyez les re-
cits paralleles;, S. Luc arrive direclemenl
au douloureux episode de la « Via ciucis »,
au sujet duijuel il a une longue et importante
particular! I e ,tt. 27-32;.
26. — Cum ducerent eum (aTtrjYaYov du
lexlegrcc est un termejuridique). Les prepa-
raiifs du supplice n'avaient pas demande
beaucoup de leaips. Aussilol apres la s n-
tence, landis que se passaient les scenes
cruelles du pieioire, on avait grossierement
equarri el reuni les deux pieces de bois qui
I'oimaient un' croix (« crucem comparare »,
Hu).a TExTaivetv, 3r,ix'.oupY£tv, etaienl les expres-
sion-^ classiques) ; les soldals de garde avaient
eledesignes, et munis de leurs provisions pour
le resle de la journee (voyez Keiui, 1. c.
p. 392) : le convoi se mil done promptemenl
en marche. Nul doute que, selon la barbare
coutume de ces tom|)S, I'auguste victime n'ait
ete abreuvee sur tout le parcours d'injures et
de coups ;« Ila te forabunt palibuiaium per
viam slimulis », Plaul. Most, i, 1, 53,. Sur
riateressanle legcn'ie du Juif eirant, qui se
raltache a cc fait, voytz Wdzer el Welte,
Diclionn. encycl. de la llieologie calliol.,
t. XII. p. 431 el ss.de la traduclinn IranQaise, —
Apprehenderunt (lT:i>,a66[i£voi) Simonem ijuem-
dam... Lf'> autres synopliques emploient I'ex-
pression legale « angariare ». Voyez dans
I'Evang. selon S. Malih., p. oi4, el dans I'E-
vang. selon S Mnrc, p. 214, les details rela-
lifs a CO droit da requisition et a la personne
du Cyreneen. Les soldats lures requisitionnenl
aujourdhui encore les habitants de la Pahs-
line avoc le meme sans gene qu'autrefois log
pretoriens remains. Cfr. Tristram, the Land
of Israel, p. 402. — Venienlem de villa (iw'
dypou, do la campagne). Ceite circonstance
a etd souvenl alleguee comme une grave ob-
jection centre le senlimenl de ceux qui fixent
la dale de la moil du Sauveur au 15 nisan,
c'esl-a-dire au grand jour de la Paque : meis
le lexte dil seulemenl que Simon reveuaii
alors de la campagne, non qu'il y avail tra-
vaiile. — Crucem portare post Jesmn. La plu-
pail des peinlres et queUjues oxc'getes iCaje-
lan, Lipsius, van Ooslerzee, Wordsworth)
concluent de eel expose, dont la forme est
propre a S. Luc. que Jesus ne ful pas com-
pletemenl decharge de sa croix; il auraii
meme continue d'en porter la parlie la plus
lourde, et tout son allegcm'nt out eonsiste
en ce que le Cyreneen en soulevait la base.
Mais c'esl la ung fausse inlerprelalion des
mots a post Jesum >% que I'on doit prendre
d'une maniere absolue, comme il resulle des
passages paralleles de S. Mailhieu el de
S. Marc (« ut tollerel crucem ejus »). Tell ■
etait deja I'opinion de S. Jerom -, in Matlb,
xxvii, 32, el de S. Ambroise, Expos, in Luc.
1 X, 107. Du concours prele, quoiiiue force-
mcnl, a Notre-Seigneur Jesus-Christ par Si-
mon (le Cyrene, les anciens gnostiques eon-
chuiicnt que ce dernier avail ete cruciQe a la
plac^ de Je.~u3. Cfr. S. Irenee, adv. Hfcr.
I, 23 ; S. Epiph. Hter. xxiv, 3. Cette elrang©
asscriion a ete inseree dans le Coran. Sur.
Ill, 4. — Sur la forme de la croix, voyez I'E-
vang. selon S. Malth., p. 546. D? cuiieu«es
traditions avaient cours autrefois lnuchant la
nature du bois qui la composa. D'apies lo
Vener. Bede, I'inscriplion elail en buis, la
lige en cypres jusqu'a I'inscriplion, la tra-
verse en cetlre, la parli.; superioure en pn.
Guillaume Durand assure que le pied etail de
cedre, la ligre en cypres, la traverse en pal-
mier, la tete en olivier. Une louchanle le-
gendo populaire dil que loule la croix etait
en bois de tremble, el c'esl de la, ajoule-t-
elle, que provienl I'agitation perpeluelle des
feuilles de cet arbre (Cfr. Smith, Diet, of iho
Bible, t. I, p 366). Juste Lipse, de Cruce,
HI, 13, veui qu'elle ail ete de chene, arbre
assfz commun en Palestine; mais il result©
d'observatious consciencieuses faites au mi-
croscope sur plusieurs reliques de la vraid
CHAPITllE XXllI
389
27. Sequebatur autem ilium miilta
turba populi, et mulierum : quae
piangebant et lamentabantur eiim.
28t Conversus autem ad ilias Je-
sus, dixit : Filise Jerusalem, nolite
Here super me; sed super vosipsas
flete, et super filios vestros.
27. Or une grande foule de peu-
ple et de femmes le suivaient, pleu-
rant et se lamentant.
28. Et Jesus se tournant vers elles
dit : Filles de Jerusalem, ne pleurez
pas sur moi, mais pleurez sur vous
et sur vos enfants.
croix (nolamment par M. Decaisne, membre
de rinslitui, el par M. P. Savi, professeur a
rUniversile de Pise), que rinstrumenl du sup-
plice do Jesus elail en bois de pin. Voy*?z le
savant Memoire de M. Rohauli de Fleury sur
Jes lustiuiiicnls de la Passion, pp. 61-63,
359 et 360.
27. — Co verset et les suivants jusqu'au 3<«
decrivent une emouvante scene que notre
evangelisle a seul conservee. — Sequebatur...
muHa turba populi. De tout temps les execu-
tions capilales ont attire les foules. II faut
se souvenir en outre que Jerusalem rcgorgeail
alors de monde a cause de la P5qne. el que le
supplicie etait le « prophete e celebre au loin
par fa doctrine el par ses miracles. — Et
mulierum... Si la mullitudc menlionnee plus
haul conlenait un certain nombre d'ennemis
du Sauveur et beaucoup de curieux, elle ren-
fermait aussi des personnos au ccBur pieux et
compalissanl qui, malgre !a defense expresse
du Talmud (« non plarxenint eductum ad
supplicium », Bab. Sanhedr., f. 4?, 2; voyez
Lightfoot, Hor. hebr. in Matth. xxvii, 31),
manifesierent courageusemenl leur sympaihie
pour le divin condamne. On ne ie saurail
nier, ?i).c8axpu... itw? del to 8f,).u "^i^Oi, xat x6v
vo'jv Eii; eXeov eu8id8pu7tTov i^ov (S. Cyrille, edit.
Mai, p. 396); mais I'ecrivain sacre a vouhi re-
tracer ici autre chose qu'un trait de senti-
menlalile banale. Les femmes qu'il signale ne
pleuraienl pas en Jesus un vulgaire « crucia-
rius ». C'est a tort qu'on les a parfois identi-
fiees avec lessainies Galileennes qui accom-
pagnaienthabilueliemenlNolre-Seigneur (Cfr.
t. 55), car, d'apres les paroles de Jesus lui-
m^me, t. 28, elles habilaient Jerusalem. II
n'est pas sur qu'elles fussent deja chreliennes
dans le sens strict. — Quoe piangebant et la-
mentabantur. « Lamenlari est oris el oculo-
rum (elles pleuraienl a haute voie), plangere
matiuum » (elles se frappaienl la poilriiie),
■F. Luc. L'associalion de ces deux verbes nous
fournil une representation plastique des vio-
Sentes manifesialions de la douleur chez les
Orientaux.
28. — Conversus.., ad illas. Detail pitlo-
resque, qui provenail evidemmenl d'un le-
moin oculaire, peul-elre de quelqu'une des
saintes femmes. Aucune d'elles ne diil oublier
la douce expression des regards de Jesus, ni
JBOn visage pale et ensanglante. — Jesus dixit.
C'esl peul-elre la seule parole que le Sauveur
ait prononcee enire sa condamnation a mort
et son crucifiement ; du moins nous n'en pos-
sedons pas d'aulre. Elle est grave, solennelle,
car elle roule tout entiere sur la ruine pro-
chaine de la capitale juive. — Filia JerusO'
lem. Melaphore Lien connue, d'apres laquelle
on appelait en hebreu les habitants d'une
ville ses fils ou ses filles. Cfr. Cam. i, 3;
Is. Ill, 16, etc. — Nolite flere super me, sed
super vos ipsas. « Si vous saviez les maux qui
vous menacenl, et qui doivent lomber sur
voire ville,... sur vous-m4mes el sur vos en-
fants, vous conserveriez vos larmes pour d6-
plorer vos propres malheurs », D. Calmet.
Plusieurs de ces femmes compalissanies pa-
rent ^tre lemoins des horreurs de la guerre
romaine et du siege de Jerusalem, c'esl-^-dire
des ten ibies represailles que leur nation s'al-
tira du ciel pour avoir verse le sang de
I'Homme-Dieu. Nos lecteurs savent que cha-
que vendredi soir, a Jerusalem, il se passe
dans un coin du quartier juif une scene emou-
vante, mainles fois decrile par les voyageurs.
Deboul, ou accroupis en face d'un mur aux
assises gigantesques, qui, d'apres plu-ieurs
archeologues eminents, faisail partie des
constructions de I'ancien temple, des Juifs de
tout age el de toule condition prienl et 3
laaienlent.baisanl de temps a autre lespierres
avec le transport du desespoir. lis recitent
cetle lugubre lilanie :
Le lit urge.
Le peuple.
rons.
Le lilurge.
Le peuple.
Le liturge.
Le peuple.
Le lilurge.
Le peuple.
Le lilurge.
k terre
Le peuple.
Le lilurge.
calcinees.
Le peuple.
Le lilurge.
Le peuple.
Le lilurge.
Seigneur.
Le peuple.
roDs.
A cause du palais qui est desert.
Nous sommes assis solilaires et nous plen-
A cause do temple qui est detruit.
Nous soinines assis...
A cause des murs qui sent renyersSs.
Nous sommes assis...
A cause ile noire grandeur evanonie.
Nous sommes assis...
A cause de nos grands homraes qui gisent
Nous soiimes assis...
A cause des pierres precieuses qui ont eli
Nous sommes assis. .
A cause du nos pietros qui onl bronchi.
Nous soinincs assis...
A cause de nos rois qui out meprise le
Nous sommes assis solitaires et nous pleu-
Et Ton voit do grosses larmes couler sur
leurs jouesl Larmes steriles pourtanl, car
3i>0
fiVANGILE SELON S. LUG
29. Gar voici que viendront des
jours ou Ton dira : Heureuses les
steriles et les entrailles qui n'ont
pas engendre et les mamelles qui
u'ont pas alia! te!
30. Alors ils commenceront a dire
aux montagnes : Tombez sur iious ;
et aux collines : Gouvrez-nous.
31 . Gar si on traite ainsi le bois
vert, que sera-ce du bois sec?
29. Quoniam ecce venient dies,,
in quibus dicent : Bealae sleriles,-
et ventres qui non genuerunt, et
ubera quae non lactaverunt.
30. Tunc incipient dicere monti-
bus : Gadite super nos; et collibus :
Operite nos.
31. Quia si in viridi ligno hsec
faciunt, in arido quid fiet?
Isai. 2, 19; Osse, 10, 8 ; Apoc. 6, 16.
ce n'est pas sur eux-memes qu'ils pleurent,
mais sur des ruines. Voyez Gralz, TheAlre
des evenements racontes dans les divines
Ecrilures, t. I, p. 410 de la traducl. frang.;
Baedeker, Palaeslina und Syrien, p. 192 el s.;
L. A. FrankI (auteur juif), Nach Jerusalem,
t. II, p. 28 el ss.
29 et 30. — Quoniam ecce... Jesus enum^re
dans ces deux versels les motifs du « super
?os ipsas flete ». Des jours approchent, dit-il
(au lieu du futur venient le grec a le present
Ipxo^'Tai, qui marque la certitude), oil la plus
grande benediction humaine, ceiledela mater-
nile, seraregardeecomme un affreux malheur
(t. 29), ou une mort violenle, a condition
qu'elie soit subile, passera pourun sort envia-
ble (t. 30). — Beatce steriles. La privation d'en-
fants avail ete autrefois presentee par le pro-
phdle comme une malediction. Cfr. Os. ix, 14.
Au debut du troisieme Evangile, i, 25, nous
entendions sainte Elisabeih remercier Dieu
de ce qu'il avail fait cesser son « opprobre »
en lui donnani un fils. El voici qu'a trois re-
prises (et ventres... et ubera...) coup sur coup,
J^sus repele celle beatitude eirange et nou-
velle I Mais il est des jours d'angoisses el de
mis^res oil une femme est heureuse en effet
de n'avoir pas d'enfants (« o slerilitas liberis
potior »1 Apul. Apoll.), des jours ou les
m6res s'ecrienl comma I'herolne d'un grand
tragique grec : *I2; Seiva ■nia'/ui, xi Si jii xal
texeiv ixp^^ > ^X^o; 5' lit' ax8ot TcpSe itpoffGeaOai
JiTiXoOv, Euripid. Androm. 395; et lels de-
raienl 6tre preciseinenl ceux auquels Nolre-
Seigneur fail allusion dans sa terrible pro-
phetic. Ne vit-on pas alors des m6res juives
ddvorer le fruit de Icur propre sein? Cfr. Jos.
Bell. Jud. VI, 3, 4. Voila pourquoi les« benedic-
tiones uberum el vulvae », promises aux temps
antiques par Jacob, Gen. xnx, 25, cessent
mainlenanl d'etre des benedictions.
31 . — Tunc incipient dicere. Le sujet de « in-
cipient » est « homines » sous-entendu : On
commencera. — Montibus : Cadite...; colli-
bus : Operite... Ces paroles sent e.mprunlees
au propheie Osee, x, 8, chez qui elles represen-
taienl d^jk une scene d'borrible desespoir. On
ne saurait exprimer au moyen d'une image
plus forte le desir d'echapper par une fin sou-
daine a d'intoidrables calamites : aussi S.Jean
dans I'Apocalypse, vi,1 6, la met-il sur les levres
des reprouves. Cfr. Is. n, 10. L'hislorien Jo-
sephe raconte, Bell. Jud. vi, 9, 4, que les ha-
bitants de Jerusalem, dans I'espoir d'echapper
aux horreurs du siege, se refugierent en grand
nombre dans les egoiils el les souterrains de
la ville, oil Ton trouva ensuite leurs cadavres
par milliers.
31. — Quia... Le Sauveur justifie par une
frappante comparaison les menaces impliciles
des deux precedents versets. — Si in viridi
ligno hcBc faciunt (impersonnel : Si Ton traite
de la sorte)... L'idee semble si claire, malgr^
son vetemenl image, qu'on a de la peine k
s'expliquer les hesitations de plusieurs inter-
pretes a son sujel. Comme on I'admet gen6-
ralement, le bois vert (^Ypo«> lilt, humide,
n'apparail qu'en cet endroil du Nouveau Tes-
tament), c'est en general I'arbre encore debout,
vivant, qui porte des fleurs et des fruits ; le
bois sec, au contraire (in arido), c'est I'arbre
coupe depuis longtemps, mis en reserve pour
le feu. De mSme que ce dernier symbolise les
pecheurs, a I'Sme aride, sterile, de m^me le
premier represento les justes, semblables, dit
le psalmiste, i, 3 et 4, ^ un arbre planle sur le
bord des eaux, qui fournit son fruit en sa
saison, el donl les feuilles ne tombent jamais.
Voyez aussi Ezech. xx, 47 (Cfr. xxi. 3 et 4)
et J. Roberts, Oriental Illustrations of the
sacred Scriptures, p. 566. Or ici, d'apres I'ap-
plicalion immediate, Jesus est le juste par
excellence que figure le bois vert, tandis
qu'Israel pecheur, impenitent, est le tronc
desseche qui ne donne plus aucun espoir de
recolle. Si done Jesus subil de lels chStiraents
malgr^ son innocence, a quoi ne doiventpas
s'atlendre les Juifs, dont la malice crie ven-
geance vers le ciel? Voyez I Pelr. iv, 47, la
mSme pensee, quoique plusgenerale, et expri*
m^e sans figure.— Le divin Mailre rentre dans
son majeslueux recueillement. Sur le cliemin
du Calvaire il venait de tenir au fond le miSme
langage que pendant sa recente marche triom?'
CHAPITRE XXllI
39!
32. Ducebantur aiitem et alii duo
nequam cum eo, ut interficerentur.
33. Et postquam venerunt in lo-
cum qui vocatur Galvariae, ibi cru-
cifixerunt eum ; et latrones. unum
a dextris, et alterum a sinistris.
Match. 27, 33; Marc. 15; 22; Joan. 19, 17.
32. On menait aussi avec lui deux
autres malfaiteurs pour les mettre
a mort.
33. Et lorsqu'ils furent arrives au
lieu qui est appele Galvaire, ils le
crucinerent , et les voleurs aussi.
Tun a sa droite Tautre k sa gauche.
phale (Cfr. xix, 41-44); mais la ville dei-
cide 6lait sourde! — Sur la pieu3e tradition
relative a sainle Veronique (ou Berenice),
qui aurait ete I'une des femmes compaiis-
sanles menlionnees par S. Luc, et qui aurait
essuye de son voile la sainte faco du Sauveur,
soyez les Acta Sanctorum, Febr., t. Ill,
p. 451 et ss.; Si'pp, Leben Jesu, I. VI, p. 312
de la 29 edit. J. Langen, die letzten Lebens-
tage Jesu, p. 299 ; Rohault de Fieury, I. c,
{). 245 et ss. Les pieces intitulees « Mors Pi-
ati » et « Vindicla Salvatoris », dans Tischen-
dorf, Evangelia apocrypha, p. 43:2 et ss.,
contiennent sur ce point des details curieux,
quoiquelegendairesau moins pour la plupart.
Les « Acta Pilati », B, c. 10 (Tischendorf,
L c, p. 282 et ss.), racontent aussi, et gene-
ralement d'une mani^re touchante, la scene
qui se serait passee entre Jesus et sa Mere sur
la voie douioureuse : quelques traits pourtant
sont peu dignes de Marie.
32. — Ducebantur autem... Ce (rait encore
est propre a S. Luc. Nous pouvons adopter
la ponctuation proposee par Kuinoel, etc. ;
Et alii duoj nequam; on evite ainsi une appa-
rence de rapprochement entre Jesus et les
criminels conduits au supplici^ en m^me
temps que lui. Peut-^tre ces xaxoupyot avaient-
ils tail parlie, comme on I'a souvent conjec-
ture, de la bande commandee par Barabbas;
c'etaient des zelotes qui, sous le couvert du
palriotisme, exergaient k leur aiso le brigan-
dage et le vol. Or la croix elait le chStiment
habituel des malfaiteurs de celte espece. Cfr.
Jos. Bell. Jud. II, 13, 12; Petron. Sat. iii.
16. Jdsus meurt sur la crolz. xxiii, 33-46. —
Parail. Malth. xxvii, 34-50; Marc, xv, 27-37; Joan.
la, 18-30.
!• Le crucifiement. ff. 33 et34.
33. — Postquam venerunt. La Recepfa
porte (XTiJiXOov; mais les manuscrits Sinait.,
B, C, D, L, etc., onl ^X8ov, conformemenl a
la legon de I'ltala el de la Vulgate. — In lo-
cum qui vocatur Calvarice. Les trois autres
^vangelisles donnent le nom hebreu du ce-
lebre monticule (Golgotha); S. Luc se borne
k le tradiiire en grec, xpaviov. Sur cette deno-
mination voyez lEvang. selon S. Mallh.
p. 545. — Ibi crucifixerunt eum. D'apres une
fable talmudique (Gem. Bab., Sanh. 6),J^su8
aurait et^ d'abord lapide suivanlles prescrip-
tions do la loi juive, el les Romains n'au-
raienl altache a la croix qu'un corps sans
vie. Lo supplice subi par le divin Maitre pas-
sait pour si humiliant{« servile, infame sup-
plicium ») que les Peres eurenl plus d'une
fois a repondre h des objections que les Juifs
el les parens en tiraient conlre sa dignite
messianique ou sa nature divine, a Dicat
forte aliquis : Cur, si Deus fuil el mori voluit,
non saltem honesto aliquo mortis genere
(Cfr. Horn. Odyss. xxii, 462 : \i-h xaOapto
Oavittj)) affectus est; cur potissimura cruce?
cur infami genere supplicii, quod etiam ho-
mine libero, quamvis nocente, videatur in-
dignum? » Lactant. Inst, iv, 26. Le Juif
Tryphon disail pareillement a S. Justin :
DaSeiv (lev yap xai w; Ti:p66aTov d^O^^aeaOai (t6v
XpCoTov) oiSafASv el 6e xal OTauptoOyjvai xat o^xta^
alffxpwc xai axifxco; aitoGavelv 8ia xoO xsxaxKjpa-
jtevou £v T(ji v6(xw Oavaxou , ait65ei$ov r;[j.tv. Dial,
c. Tryph. 90. Mais, selon la belle parole de
S. Ambroise, (citee par Wordsworth, h. 1.)
« crucem trophaeum jam vidimus. Currum
suum triumphator ascendat, el patibulo
triumphali suspendat captiva de sseculo spo-
lia. Unus Dei triumphus facit omnes jam
prope homines triumphare, crux domini. »
La croix si meprisee est devenue un orne-
ment glorieux, dont les rois eux-memes veu-
lenl parer leur diademe, el que les braves
portent sur leur poitrine commo un signe
d'honneur. — Et latrones (dans le grec,
xaxoupyaji: comme au t. 32), unum adextris...
Les quatre evangelistes onl releve ce trail,
dont nous avons indique ailleurs le caract^re
ignominieux (Evang. selon S. Marc, p. 216).
Une antique tradition attribue au bon larron
la place de droite el celle de gauche au mau-
vais. — « Trois croix, I'une pres de I'autre,
ecrivail S. Augustin, Episi. xciii, alias
XLvm; sur la premiere nous voyons le mal-
faileur qui ful sauve, sur la seconde le mal-
failcur qui ful reprouve, sur celle du milieu
le Christ qui absout I'un el qui condamne
I'autre. En apparence , qu'y a-t-il de plus
semblable que ces trois croix? mais qu'y
a-t-il de plus disscmblable que les horames
attaches a leurs bras? »
392
EVANGILE SELON S. LUG
34. Et Jesus disait : Mon Pere,
pardonnez-leur, car ils ne savent
ce qu'ils font. Et se partageant ses
vetements ils les tirerent au sort.
35. Et le peuple etait la regardant,
et avec lui les chefs le raillaient,
34. Jesus autem dicebat : Pater,
dimitte illis : non enim sciunt quid
faciunt. Dividentes vero vestimenta
ejus, miserunt sortes.
35. Et slabat populus spectaus,
et deridebant eum principes cum
34. — Le premier hemisliche de ce versel
(Jesus autem dicebat... faciunt] manque dans
les manuscrits B, D, ainsi que dans les ver-
sions copte et sahidiq. ; mais celle omission
doil elre puremenl accidentelle, car on le
Irouve partoul ailleurs. U esL cile par S. Ire-
nee et par les Homelies Clemenlines, x, 20.
— Pater, dimilte illis... Ces moLs furent sans
doute prononces au moment ou les clous pe-
nelraienl dans la chair sucree de Jesus. Sous
la pression de la douleur la douce Victime
rompil de nouveau son majestueux silence,
non pour se plaindre, mais pour pardonner
a ses bourreaux. « Ce ful la premiere des
paroles de Jesus pendant son agonie. L'hu-
manite les a complees. II y en a sept, mar-
quees au coin d'une elevation, dune force,
d'une tendresse, d'une douceur infiiiies. Ces
sept paroles terminent la vie de Jesus comme
les huit beatitudes I'avaient ouverte, par la
revelation d'une grandeur qui n'est pas de la
tcrre. Seulement, il y a ici quelque chose de
plus beau, de navrant, de poignant, de plus
divin. » Bougaud , Jesus-Christ, 2^ edit.,
p. 548. Des sept paroles du Christ mourant
(chantees dans une rausique sublime par des
compositeurs celebres, surtout par Haydn),
trois, dont celle-ci, ne nous ont ete conser-
vees que par S. Luc, trois autres que par
S. Jean, la septieme est commune a la redac-
tion de S. Mattliieu et de S. Marc. Les voici
avec leur ordro probable : io Luc. xxiii. 34,
« Pater dimilte illis, non enim sciunt quid
faciunt » ; 2° Luc. xxiii, 43, « Amen dico
libi,hodie mecum eris in paradiso;»3o Joan.
XIX, 26 et 27, « Mulier, ecce Glius tuus...
Ecce mater tua »; 4o Mallh. xxvn, 46 et
Marc. XV, 34, « Eli, Eli, lamma sabacthani»;
5» Joan. XIX, 28, « Silio » ; 6o Joan, xix, 30,
« Consuminalum est » ; 7o Luc. xxin, 46,
« Paler, in manus tuas commendo spiritum
iiH'um ». Eiles concenient les ennemis de
Jesus, les pechcurs penitents. Marie et le di.s-
ciple bien-aime, les angoisses interieures du
divin patient, ses souffrances physiques, son
CEuvre et son Pere celeste. La premiere et la
dcrniere comniencent par I'appellati^n filiale
de u Pater ». S. Bernard (cile par Schegg,
Evang. nach. Luk., I. Ill, p. 32lj les nomme
gracieusement c< septem folia semper viren-
lia, quae vitis nostra, quum in crucem ele-
\ala fuit, emisit. » — Dimilte (5?e;) illis.
« Illis jam petebat veniam, a quibus adhuc
accipiebal injuriara; non enim altendebal
quod ab ipsis moriebatur, sed quia pro ipsis
moriebalur ». S. August. Tractat. xxxi in
Joan. Les exegeles different d'avis sur I'ap-
plication du pronom « illis ». Suivant les uns
(Kuinoel, Ewald, Plumplre, etc.), il designe-
rait specialement les soldals romains qui
remplissaient I'office de bourreaux. Nous pre-
ferons admetlre, a la suite du plus grand
nombre, qu'il se rapporle en general a tous
les ennemis de Notre-Seig/ieur, et surtout aux
Juifs qui etaient les vrais instigateurs de sa
mort. Nous oblenons ainsi un sens plus large
et plus profond pour cetie parole airaante.
Telle paraii d'ailleurs avoir ete I'interpreta-
tion de S. Pierre et de S. Paul, qui y font une
allusion manifeste, le premier dans un dis-
cours consigne au livre des Acles, iii. 17, le
second dans sa deuxieme epilr^ aux Corin-
thiens, ii, 8. — Non enim sciunt quid faciunt.
Jesus motive ainsi et appuie forlement sa
demande de pardon. II a toujours eie reQu
en effet, devant Dieu comme devanl les
hommes, que I'ignorance diminue d'ordinaire
la malice du peche. Or, les Juifs, au moins
pour la plupart, ne comprenaient cerlaine-
ment pas toute I'enormite du crime qu'ils
coramettaierit en crucifiant Notre-Seigneur.
lis ne pensaieiit pas mettre a mort leur Messie
et leur Dieu, quoique leur erreur fut loin
d'etre exempte de peche. — Dividentes ves-
timenta ejus .. Voyez des details plus com-
plets dans S. Jean, xix, 23 et 24. — Les
« cruciarii », avanl d'etre attaches a I'arbre
de la croix, etaient depouilles de leurs vete-
ments, que la loi romaine adjugeail aux lic-
teurs ou a ceux qui en faisaient I'ofBce.
2" Les insultes et le bon larron. ff. 35-43.
Pendant une partie des longues et cruelles
heures d'agonie que Jesus passa sur la croix,
repandanl son sang et sa vie goutte a goulte,
il fut abreuve de grossieres inquires, selon la
barbare couttiine de ces temps. Voyez I'cx-
plication detaillee dans les passages paral-
leles de S. Mallhieu et d,; 3. Mure.
35. — Et stabat populus spet-.taas (esiopciiv).
Trait piltore-^qwe, propre a S. Luc, et qui
rappelle la prophetic' de Zacharie, xii, 10 :
« Aspicient ad me quem confixerunt ». Gfr.
Ps. XXI, 17. — El deridebant eum principes
(ol apxovTs;, les Sanhedristcs, et non simple-
ment les princes des pretres). Le verbe grec
CHAPITRE XXIII
393
eis, dicentes : Alios salvos fecit, se
salvum facial, si hie est Ghristus
Dei electus.
36. Illudebant autem ei et milites
accedentes, et acetum ofifereutes ei,
37. Et dicentes : Si tu es Rex
Judseorum, salvum te fac.
38. Erat autem et superscriptio
scripta super eum litteris grsecis,
et latinis, et hebraicis : Hic est
Rex JuDiEORUM.
disarit : II a sauve les autres ; qu'il
se sauve lui-meme s'il estle Christ,
Telu de Dieu.
36. Et les soldats aussi se jouaient
de lui et s'approchant lui presen-
laient du vinaigre,
37. Disant : Si tu es le roi des
Juifs, sauve-toi.
38. Or il y avail aussi au-dessus
de lui une inscription ecrite en
letlres grecques, latines et hebrai-
ques : Ceiui-ci est le roi des Juifs.
iSef.wxTinp'^ov esl d'une grande energie. Cfr.
XVI, 4 4, el Ps. XXI, 8, dans la traduction
des LXX. Les mots cum eis, omis par les
meiUeurs manuscrils (B, C, D, L, Q, X,
Sinait.) el par pliisieurs versions (copt.,syr.),
pourraient bien n'elre qu'un glosseme. La
masse du peiiple semble donc,d'apres S.Luc,
etre demeureesilencieuse au pied de la croix.
En dehors des Sanhedrisles, ceux des Juifs
qui insullaienl Nolre-Seigneur etaient sur-
loul des passanis, selon les deux premiers
synopUques. — Alios salvos fecit... II exisle
de legeres variantes enlre les Irois narra-
tions, fait bien nalnrel, car les insuiteurs ne
lenaienl pas lous absolumenl le m^me langage.
— Le pronom hic si dedaigneux, I'addilion
del'epithele electus (Cfr. Is. xLii, 2) sont des
parliciilariles de S. Luc. Aujouid'hui encore
les Juifs GUI rag nl grossieiemcnl Nolre-Sei-
gneur, qu'ils designent par le surnom de I'hT)
[ihalotii) ou pendu, non sans ajouter la piu-
parl du lemps quelque imprecalion vulgaire.
Quant aiix chreliens, il les appellent les
ilSn ^"72^ {habede thaloui) , serviteurs du
pendu.
36 el 37. — Ge delail n'a ele conserve que
par S. Luc. A I'exemple des Juifs, les soldats
lomains qui monlaient la garde aulour des
li ois croix s • nietlenl a insuller Jesus. —
Illudebant (ev£'7taii;ov) est une expression plus
douce que « deridebanl a du t. S-o. — Acce-
dentes tail tableau. — Et acetum ojferentes.
« Ceci esl fori difTeronl de la potion du vin
avec dft la myrrhe qu'on offrit a Jesus avant
qu'il fiil mis a la croix (Matlli. xxvii, 34;
Marc. XV. 23), el du vinaigre qu'on lui pre-
senla apres qu'il eul crie : J'ai soif (Joan.
XIX, 28 ot s.. Malih. xxvii, 48 ; Marc, xv, 36). »
D. Calmet, h. I. Par « aceUim » il faut en-
tendre la « posca », melangf! acidule qui eiait
alors la boisson ordinaire des soidats romains.
Voyez Keim, Gosch. Jesu, t. Ill, Ih. 2, p. 430.
— Si tues rex Judasorum. L'insulle des rudes
pretoriens n'esl que I'echo de celle des pr6-
tres; elle presenle toutefois une nuance ca-
racleristique : « Roi des Juifs » au lieu de
V Ghristus ». — A loutes ces injures I'au-
guste et palienle victime n'oppose toujours
que son royal silence. « Elle aurait pu parlerl
Les tenures du crucifiemenl ne troublaient
pas I'inlelligpnce, ne paralysaient point les
organes du langage. L'hisloire signale des
crucifies qui, duranl des heures enlieres, dou-
naient un libre cours a leur douleur, k leur
rage ou k leur desespoir..., tantol en maudis-
sanl leurs ennemis sur lesquels ils crachaient
(Senec. de Vit. beat, xix), tanlfit en protes-
tant jusqu'au bout conlre I'lniquite de leur
sentence, tantol en imploranl avec one humi-
lile abject^ la piiie des speclateurs (Jos. Bell.
Jud. IV, 6, 1), lanlot en haranguant la mul-
titude du haul de la croix, comme dun tri-
bunal, et lui reprochant ses vices el ses fai-
blesses (Justin, xxii, 7). » Farrar, Life of
Christ, t. II, p. 409. Cfr. Keim, 1. c. p. 434.
Mais Jesus ne parla que pour encourager,
pour benir, ou pour se consoler en confiant
ses aiigoisses el son Sme a son Pere. Sa no-
blesse ne se demenlil pas un inslant.
38. — Erat autem et superscriptio... Le
litre de & Rex Judccorum », donne d'une ma-
niere derisoire a Nolre-Seigneur par les sol-
dais, rappelle a S. Luc un fait qu'il n'avait
pas encore menlionne, et cfu'il se hale d'in-
serer ici. Sur celle labk'tle, voyez I'Evang.
selon S. Mallh., p. 549. — Super eum, c'esl-
a-dire, comme s'exprimeS. Mallhieu, « super
caput ejus. » — Scripta, qui manque dans
la plupart des manuscrils (nolammenl dans
A, B, E, H, K. L, M, Q Sinait., clc), est
vraisemblablemeiit un glosseme. Quant aux
mols litteris greeds et latinis et hebraicis, leur
aullienlicile esl asscz bien garanlie malgre
li'iir omission dans B, L, Siiiail. et quelques
versions. Ils conliennent un precieux rensei-
gnement, donl nous sommes redevables ^
S. Luc el a S. Jean (xix, 29). Les Irois lan-
gues dans lesquelles fuL ecrite I'inscription
du « lilulus » etaient cellcs des Irois nations
los plus civilisees d'alors : le latin, languede
394
EVANGILE SELON S. LUC
39. Unus autem de his, qui pen-
debant, latronibus, blasphemabat
eum, dicens : Si tu es Ghristus,
salvum fac temetipsum et nos.
40. Respondens aut.em alter in-
crepabat eum, dicens : Neque tu
times Deum, quod in eadem dam-
natione es.
41. Et nos quidem juste, nam
39. Et un des voleurs qui etaient
pendus a la croix le blasphemait,
disant : Si tu es le Christ, sauve-toi
toi-meme et nous aussi.
40. Mais Tautre, repondant, le re-
prenait, disant : Est-ce que toi aussi
tu ne Grains point Dieu, quand tu
subis la mSme condamnation ?
41. Pour nous, certes, c'est avec
la force, le grec, langue do I'eloquence et de
la sagesse, I'hebreu, langue de la vraie reli-
gion, rendirent ainsi temoignage a la royaul^
de Notre-Seigneur Jesus-Christ. « Hoc sym-
bolum full quod poleniissimi gentium qua-
les Romani, et sapienlissimi quales Graeci,
et religiosissimi quales Hebreei, regno Chrisli
subjiciendi eranl, » Theophylacle, h. 1,
(Comp. ce passage du Talmud : « Tres sunt
linguae, Roraana ad praelium,Grseca ad ora-
tionem, Assyria, c'est-a-dire Hebraea, ad
preces, » Midr. Tiliin,xxxi, 20). L'inscription
avail el^ ecrite en latin parce que c'etait la
langue officieile du juge qui avait prononce
la sentence ; puis on I'avait traduite en grec
et en hebreu (plus exaclemenl, en syro-
chald^en) parce que c'etaient les idiomes
usiles en Palestine. — Hie est rex [t PaaiXsoc
avec rarlicle) Judceorum. Les paroles dutiire
varient legerement dans chaque evangeliste,
quoique I'essentiel soit parloul identiquement
conserve.
S. Matthieu. S. Marc.
6 PaaiXeu^Twv 'louoaiuv. 'O paacXcu; iwv *lou-
6ai(ov.
S. Luc.
S. Jean.
OOTOieffTtv 'IyiffoO?6 Na^wpato;
dPaatXew; xwv louSaJwv. 6 Pa(jt>>eu4Twv 'louSaCwv.
II est assez probable, comme on I'a souvent
conjecture, que dies nuances reproduisent les
formes diverses qu'avait l'inscription dans
chacune des trois langues. S. Marc aurait
conserve le tilre latin, car la brievete de sa
redaction rappelle tout a fait le genre des
^criteaux remains; S. Jean ie titre hebreu,
parce qu'il mentionne, conformement aux
usages juifs, le pays du crucifie a cole de son
nom; S. Luc enfin (ou S. Malthieu) le titre
grec. Voir Langcn, die lelzten Lebenstage
Jesu, p. 324 (Selon d'autres, c'est S. Luc qui
donnerait Tinscription laline. Cfr. Weslcott,
Introd. to the study of the Gospels, p. 307).
Nous renvoyons le lecteur aux interessanles
monographies de Reyherus, De crucifixi Jesu
titulis,1694, eidi! M. Drach, L'inscription h^
bralque du litre de la sainte Croix, Rome 4831 .
Gomparez aussi Rohault de Fleury, Memoire
sur les inslrumenls de la Passion, p. 183
et ss. — Pilate I'affirmait done d'une maniere
toute providentielle : « Regnavit a ligno
Deus. » Cfr. Ps. xlvi, 10, d'apres la version
des LXX; Teriuil. adv. Marc, iii, 19, etc.
39. — Unus autem... blasphemabat. L'im-
parfait denote des blasphemes reileres.
S. Matlhieu et S. Marc racontent d'une ma-
niere soramaire que Jesus fut aussi outrage
par les malfaiteurs crucifies a ses cotes :
S. Luc expose tout au long celte scene emou-
vanle, qui est une des perles de son Evan-
gile. Sur I'anliiogie apparente des recits,
voyez I'Evang. selon S, Matlh. p. 551. — Si
tu es Ghristus. Queiques manuscrits anciens
(B, C, L, Sinait.) donnent un sens interro-
gatif k la phrase : oOxt oCiel...; n'es-lu pas le
Christ? C'est pour la troisieme fois la meme
insulte (Cfr. tt. 35 et 37);mais elle relrouve
ici son cachet juif, car les deux larrons etaient
Israelites. Notez aussi I'addition significative
et nos.
40. — Alter increpabal (enexiixa) eum, Jdsus
continue de se taire; mais voici qu'il trouve
tout k coup un chaud defenseur. Ses meil-
leurs amis I'ont abandonne : si quelques-uns
d'entre eux commencent k s'approcher limide-
ment du Goigolha, ils n'osent elever la voix
en sa favour; le bon larron proteste conlro la
raillerie prononcee en dernier lieu, et fait une
belle apologie du « Chrislus paliens ». Son
allocution se compose de deux parties, dont
la premiere s'adresse a son compagnon, la
seconde {t. 42) a Notre-Seigneur. — Neque
tu... Avec eraphase. N'es-tu pas dans une
situation parliculiere qui devrait te rendre
plus reserve que les autres? — In eadem
damnalione es, scilic. « ac Jesus ». Comrae
lui tu vas bientoi mourir; il faul done penser
aux jugemenls divins.
41.— Apres celte parole de rdprimande,
nous en trouvons une aulre qui est tout en-
semble une humble conlcs^ion, el un magni-
fique eloge de Jt^sus. — Nos quidem juste
(soil. « patimur » : ellipse expressive). Les
rationalisles eux-m6uies admirent ce beau
trait. II est si rare de voir un condamne
accepter generousement sa sentence en esprH
CHAPITKE XXIII
39S
digna factis recipimus; hie vero
nihil mali gessit.
42. Et dicebat ad Jesum : Domine,
memento mei, cum veneris in re-
gnum tuum.
43. Et dixit illi Jesus : Amen dico
tibi, hodie mecum eris in paradiso.
justice, car nous recevons ce que
meritent nos actions ; mais celui-ci
ji'a rien fait de mal.
42. Et il disait a Jesus : Seigneur,
souviens-toi de moi, quand tu vieu-
dras en ton royaume.
43. Et Jesus lui dit : En verite je
te le dis, aujourd'hui tu seras avec
moi dans le paradis.
d'expialioni Voyez Schegg, Evang. nach Luk.
p. 333. — Hie vero (celui-ci au conlraire!)
nihil mali gessit. Dans le grec, oOSIv atoitov,
litt^ralement, rien de deplace, « nihil quod
virura bonum non decel », selon la juste pa-
raphrase de Maldonat. Cfr. II Thess. in, 2.
C'est une maniere Ir^s delicate et tres ener-
gique d'affirmer que Jesus etait tout h fait
innocent. S'il n'avait rien fait qui ful simple-
ment inconvenant, h plus forte raison rien
qui meritSl la mort. Ce verdict d'acquilte-
ment, rapprochd de ceux de Pilate et d'He-
rode, est signiQcalif. Sur quoi le bon larron
appuyait-il ce remarquable lemoignage?Peut-
6tre sur laconnaissance ant^rieure qu'il avait
de Notre-Seigneur Jesus-Christ (sans qu'il soit
pourtant necessaire d'admeltre, comme Tont
fait arbitraireraent Grolius, Michaelis, etc.,
au'il dtait UD disciple momentanement devoye
u Sauveur); mais la conduile de Jesus de-
puis le debut de la « via crucis » avail pu
sufiBre pour demontrer sa complete innocence
k I'oeil exerce d'un criminel.
42. — Le bon larron se tourne maintenant
du cote de Notre-Seigneur, et lui adresse une
humble et sublime pri6re : Domine (xupie est
remplac6 par iTjaou dans les manuscrils
B, C, L, Sinait., les versions copte, sah., etc.),
memento mei. Ne m'oubliez pas: voila tout ce
qu'il demande, certain du reste que si Jesus
daigne se souvenir de lui, ce sera avec un
sentiment de bonie, comme aussi, d'apres
Jes paroles suivantes {cum veneris in regnum
tuum), avec une parfaite efficaciie. Le sup-
pliant ne pouvait proclamer en termes plus
lorraels sacroyance au caraclere messianique
de J^sus : le royaume auquel il fail allusion
n'esl autre en effet que celui du Christ, men-
tionn^ si frequemment dans les SS. Evangiles
et dans les Talmuds. Acte de foi vraiment
admirable, vu les circonslances ou se trou-
Yait alors Notre-Seigneur. « Non contempsit
latro secum in crucependentem. » S. August.
Serm. xxiii, 2. Mais ce grand coupable avait
recu de Jesus en peu de temps les enseigne-
ments les plus prdcieux. « Crux illi scliola
erat. Ibi docuit Magister latronem; lignum
Eendentis cathedra factum est docenlis. »
i., Serm. ccxxxiv, 2. Dans le texte grec,
nous lisons avec une nuance : Sxav 2X6ifl{ Iv x^
Pa<iiXeC(f oou (le datif au lieu de I'accusatif, o in
regno luo » : le Cod. L a seul el; t:^v patri-
kiav), c'est-Ji-dire o quum veneris ul rex »;
quand, apres votre resurrection, vous ferez
votre avenemont glorieux. Comparez les pa-
roles analogues du Sauveur, Malth.xxv, 31 :
« Quum venerit Filius hominis in majeslate
sua. )). « Rpgnum » ne designe done pas di-
rectement et immediatement le ciel.
43. — Jesus s'est tu en face des blas-
phemes vomis de tous cotes conlre sa per-
sonne divine; mais il fait la plus douce r6-
ponse a la pridre du larron penitent. Nous le
voyons apparaitre comme roi celeste, pro-
meitant uno place du paradis, de meme qu'il
s'etait manifesle plus haul comme pr^tre,
quand il intercedait pour ses bourreaux
(f. 34), et anterieurement encore comme pro-
phete, lorsqu'il exhortait les femmes de Jeru-
salem [Ht. 28-31). — Les mots amen dico tibi
accentuent a la fagon ordinaire la certitude
de la promesse. L'adverbe hodie ne depend
pas de « dico », mais commence une propo-
sition nouvelle. Quoique « lea exegetes ca-
tholiques remains » aient k peu pres unani-
mement protesle, depuis I'epoque de Theo-
phylacle jusqu'a nous, conlre celte liaison
qui rendrait la pensee « insipida el enervis »
(Haldonal), M. van Oosterzee leur reproche
injustement de la soutenir. Sa partialite de-
vient revoltante quand il ajoute qu'ils agis-
sent ainsi « pour alfaiblir autant que pos-
sible la preuve constammenttiree dece texte
centre le dogme du purgatoire » (Evangel.
Lucae, 3e ed. p. 387). — A la date plus ou
moins lointaine que le bon larron avait fixde
(« quum veneris... »), Jesus oppose cet« hodie »
qu'il met en avant d'une maniere empha-
tique. Non, pas seulement au jour de mon
avenenicnt, mais aujourd'hui meme, avant
peu d'heiires. II y a une nouvelle emphase
dans \epvonom meciim, riuquol les theologiens
concluent d'ailleurs a bon droit que I'ame de
Nolre-Scigneur descendil aux limbes (« des-
cendil ad inferos » du symbole) aussilot apres
sa mort. Cfr. I Petr. in, 18 et s. — Eris in
paradiso. Pour avoir une juste idee de la pro-
messe faite par Notre-Seigneur au bon lar-
^6
EVANGILE SELOxN S. LDC
44. Or il elait environ la sixieme
heure et les lenebres couvrirent la
terre jusqu'a la neuvieme heure.
4o. Et le soleil s'obscurcit, et le
voile du temple se dechira par le
milieu.
44. Erat autem fere hora sexla,
el tenebrae factse sunt in universam
terram usque in horam nonara.
45. Et obscuratus est sol; et ve-
lum templi scisum est medium.
ron, nous avons a rechercher quel etait alors
le sens du mol Paradis. Ce subsiantif, iniro-
duil dans la langue hebralque sous la forme
de Pardes (DinB, Cant, iv, 13; Eccl. ii, 3;
Neh. II, 8), el, environ 400 ans avanl Jesus-
Christ, dans la langue grecque sous celle de
napaSstao;, d'ou decoulent les equivalents
lalin, frangais et autres, n'est certainement
pas d'origine semilique. Les anciens et les
modernes sont a peu pres unanimes pour le
lattacher directement a la langue persane.
Voyez Xenophon, Anabas. i, 2, 7; 4, 9, etc.;
E. Renan, Langues semitiques, p. 153. II si-
gnifie jardin, pare, comme les mots conge-
neres pardes rn arraenien et parade^a en
Sanscrit. Cfr. Gesenius, Thesaurus, p. 1124.
Aussi les LXX I'ont-ils employe Gen. n. 8,13;
III, 23, pour traduire la premiere partie de la
locution ny U {gdn Eden, jardin d'Eden)
dont ils ont fait : 6 TtapdSetao; tt); xpuyrj;,
Vulg. « paradisus voluplalis. » Partant de la,
les Juifs en vinrent peu a peu. par un rap-
prochement tres naturel, a donner le meme
nom de paradis an lieu ou les ames des
justes resident en attendant la resurrection.
En ce sens, dans la iheologie judalque, le
paradis ne differe pas du o sein d' Abraham »
que nous avons decrit plus haut (xvi, 22), et
il est pareillement oppose k la Gehenne. Telle
est ici, de I'avis de la., plupart de.s Peres et
des meilleurs interpretes (Maldonat, Cornel, a
Lapide, etc.)i Tapplicalion qu'en fait Xotre-
Seigneur : c'est done I'enlree prochiiiiio dans
le « limbus patrum » qui est promis ■ au bon
larron. Ce nom evoqua devant lui, pour le
consoler parmi ses horribles souffrances, les
douces images de la pais et du repos en Dieu.
Dans la litlerature chretienne des premiers
temps, II Cor. xii, 4; Apoc. ii, 7, le mot
•TtapiSetco; apparail pour designer le ciel pro-
prement dit, et c'e>t dans celte acception
relevee que nos idiomos europeens se le sont
incorpores. Voyez Smith, Diction, of the Bible,
8. V. Paradise. — La strophe siiivante, gra-
vee sur la tombe de Copernic, contient une
belle allusion au passage que nous venons
d'expliquer :
Non parera Paulo veniara reqniro
Gratiani Petri neque posco, sed qaam
la crijcis ligno dederis latroni
Sedulus oro.
L'enseignement qui ressort de cette scene est
infinimenl precieux : il n'y a pas de repenlir
trop lardif. Mais, ajoutent les maitres de la
vie spirituello, qu'on y prenne garde; la Bi-
ble ne ncus presente que ce senl exeraple
d'un homme qui se soit converti sur le
point de mourir. — Le bon larron est honore
comme un Saint dans I'Eglise latine. Nous
lisons au Marlyrologe remain, 25 mars :
0 Hierosoiymis S. Lalronis qui in cruce Chris-
tum confessus meruit ab eo audire. Hodie
mecum eris in paradiso ». Les Evangilesapo-
cryphes n'imilent point cette sage sobriete.
Remontant Irenle annees en arriere, ils nous
racontent qu'au moment oil la sainle Famille
fuyait en Egypte, elle fut assaillie par deux
voleurs nommes Dismas et Geslas (ou bien
Tilus et Dumachus) : celui-ci voulait la Iraiter
biuialement, celui-la au contraire la protegea.
L'Enfant-Die i leur aurait alors predit le
ciraine d i Calvaire lel qu'il vieni de se rea-
liser sous no.-; yeux. Cfr. Hofmann, Leben
Jesu nachd n Apokrvphen; Brunet, lesEvang.
apocrvphes, 2e edit', pp. 77, 78, 102, 243;
T:ScliPndorf, Evang. apocrypha, p. 339 et 341 .
L'tvangile de Nicodeme, ch. xxvii, ri'late en
terines expres rentier du bon larron dans les
limbes. Voyez aussi les Acta Sanctorum, au
25 mars.
3« Les derniers moments de Jdsus. xxiu, 44-46.
44 et 45. — Erat autem fere (les manus-
crils Sinait., B, C, L ont : xat ^v fj5r, tbffei, « et
erat jam fere ») hora sexta; c'est-a-dire en-
viron midi. II se produisit alors un phenonr.fene
etrai ge qui dura jusqu'au dernier soupir de
Jesus (usque in horam nonam), jusqu'a Irois
heures du soir; : Tenebrce factce sunt... La
nature parut se couvrir d'un voile de deuil
pendant I'agonie de son auteur. « Qiium pa-
terelur, omnis ei compassus est mundus »,
CI ra. Recognit. i. 41. « Talem vultum...
meruerunt sortiri elementa, ut cujus ortu lae-
tala sunt, tristarentur occasu », Sedulius,
Paschal, v, i 6. Voyez I'Evang. selon S. Maith,
p. 531 et s. — Super universam terram,
S. Luc, commo S. Marc, emploie I'adjectif
6).r,v, plus expressif queuaaav de S. Mallhieu.
— Sol obscuratus est (trait propre a S. Luc).
C'elait pourlant I'heure du jour ou la kimiere
du soleil est le plus eclalante, et, a cette epo-
que de I'annee, il brille deja sur la Palestine
avi'C une vivacite comparable a celle qu'il a
chez nous au mois de juin. « Sol tibi signa
CHAPITRE XXIII
397
46. Et damans voce magna Jesus
ail : Pater, in raaniis tuas commendo
spiritum meum. Ethsec dicens, ex-
pi ravit.
Ps. 30, 6.
47. Videns autem centurio quod
factum fuerat, glorificavit Deum,
dicens : Vere hie homo Justus erat.
46. Et criant d'une voix forte,
Jesus dit : Mon Pere je remets mon
esprit entre tea mains. Et disant
cela 11 expira.
47. Mais le centurion voyant ce
qui etait arrive glorifia Dieu, di-
sant : Vraiment eel horame etait
juste.
dabiti » pouvons-nous dire plus exacUmcnt
que Viigile. La varianie explicative des ma-
nuscrits Sinail., B, C, L, etc., des versions
copt. el sahid., too :?;>,tou IxXittovto?, « sole de-
ficiente », elail deja connue d'Origene, qui la
rejelail a bon droil. — Velum templi scissiun
est. Ce second miracle n'eul lieu qu'apres la
mort da Nolro-Seigneur, ainsi qu'il lesulle
des narrations plus precises de S. Mallhieu et
de S. Marc. S. Luc I'antidato de qu:^'ques
heures, aQn de grouper ensemble les divers
prodiges par lesquels Dieu le Pere rendil le-
moignage a son Fils en ces moments solen-
nels. Voyez dans I'Evang. selon S. Mallh ,
p. 554, la signiijcation de ce fait symboli(iue.
C'en e.-t lait di'sorraais du culle juif : bieniol
la destruction tolale du temple le dira plus
^loquemment encore. « Velum templi scissum
est velutlamentans excidiumloco imminens ».
Clem. Recog. i, 41.
46.— Clamans voce magna. Passant sous si-
lence divers incidents rapportes par les au-
tres evangelistes, S. Luc nous conduit droit
au fatal denouemi nt. Le grand cri de Jesus,
qu'il signale de concert avec S. Matthieu
el S. Marc, fut distinct de la parole a Pa-
ter, ii; manus tuas... », car la traduction
exacte du grec serail : « Quum clamassei
(9ajvyiffa;) . . . ail ». — Pater, in munits tuas...
Acte de 61iaie confiancc par lequel le Sauveur
lermina sa vie morlelle. 11 en emprunta i'ex-
pression au Ps. xxx, t. 6, a pari le doux
nom de Pere qu'd ajoula au texle sacre —
Cotnmendo. Les maiiuscrits A, B, C, K, M,
P. Q, X, etc., ont egalement le present, Ttapa-
Tt0e|xai (Recepta, irapae^aoiiai au fuUir), et
telle parait elre la vraie legon. — Expiravit,
iUiiytv<js.v. De raeme S. Maic. S. Matthieu :
dupvjxexo Tiveuiia. S. Jean : TtaoeSwxe TorrvEufAa.
11 est remarquable qu'aucuii des evangelistes
n'emploie la locution vulgaire • II raourut.
Tous, ils onl voulu faire ressorlir la liberie
enliere avec laquelle ie divin agoni.-anl exliala
son am;?. La maniere donl S. Luc rallache
la locution hcec dicens a « expiravii. . » prouve
qu'il n'y eut pas d'inlervalle notable entre
le « Paler, in manus... » el le dernier sou-
{)ir de Jesus. — C'est ici ie lieu de rappe-
er un etonnante reflexion de Plalon. Dans
sa Republique, ii, ii fail dire par Socrate
a Glaucus que le ju-le parfait, s'll apparais-
sail jamais parmi les hommes, serail a coup
sur charge de chaines, flagelle, torture,
el finalemenl crucifle ( avaoxivouXe-jO^csTai).
Voila que Jesus, le veritable iiomme paifait,
a realise ce vague pressentimeni du paga-
nisme, de meme qu'il a tolalement accompli les
lumuieux oracles des prophetes juifs.
16. Temoignages rendus |a J^sus aussitdt
apres sa mort. xxm, 47-49. — Parall. Matlli.
Mvu, 51-56; Marc xv, 38-41.
Ces temoignagfs sont au nombre de trois ;
celui du eenlurion [t. 47), cehii de la foulo
(t. 48) et celui des disciples [t. 49). Los deux
premiers sont les plus expressifs; Ie troisieme
est timide et muel, quoique plein de sym-
palhie.
47. — Videns aulem centurio : c'est-a-dire,
le capilaine remain qui avail 'ele prepose au
triple crucifiement. S. Luc mentionne dans
ses ecrils plusieurs bons centurions. Com-
parez, outre ce passage, vii. 2; Act. x, 1;
XXII, 26; xxvii, 43. — Quod factum fuerat.
S. Mallhieu el S. Marc precisenl davantage.
« Viso terrae molu... », dit le premier; « ^
dens quia sic clymans exspiravil », ecrit le
second. — Glorificavit Deum est un trait spe-
cial. Le crnlurioii rendil gloire a Dieu par la
confession toute chretienne que nous allons
entendre. — Vere (ovtw;; de meme xxiv, 34)
hie homo Justus erat. Dans les deux autres re-
cils, ii atiiibue formellement a Jesus le litre
de Fils de Dieu. On lait la conciliation tanlot
en supposanl qu'il prononQa lour a tour ces
deux jugeminls, tanlot en admetlant, a la
suite de S. Auguslin, de Consens. Evangel.
1. I, c. 20, que S. Luc aurait Iransfoi me la
phrase pour inli rpreler a ses lecteurs dans
quel sens un palen pouvait afDrmer que Je-
sus etait vraimenl le Fils de Dieu. D'apres
I'Evangile de Nicodeine, c. xi, le centurion
aurail porle Ie nom de Longinus. Une tradi-
tion que S. Jean Chrysoslome citail deja,
mais sans en garanlir la verite, le fait mourir
mariyr du Christ. II serail devenu eveque de
Gappadoce d'apres d'aulres documents. Voyez
les Ada Sanctorum au 15 mars; Baronius,
398
EVANGILE SELON S. LUC
48. Et toute la foule de ceux qui
assislaient ensemble a ce spectacle
et voyaient ce qui arrivait, s'en re-
tournaient frappant leur poitrine.
49. Et tous ceux de la connais-
sance de Jesus et les femmes qui
f avaient suivi de la Galilee etaient
la aussi a I'ecart voyaut cela.
30. Et Yoici un homme nomme
Joseph, qui etait decurion, homme
bon et ^'uste ;
51. II n'avait consenti ni aux des-
seins ni aux actes des autres ; il
etait d'Arimathie, ville de Galilee,
et attendait lui-m6me le royaume
de Dieu.
52. II alia trouver Pilate et lui
demanda le corps de Jesus.
48. Et omuis turba eorum, qui
simul aderant ad spectaculum istud,
et videbant quae fiebant, percutien-
tes pectora sua revertebantur.
49. Stabant autem omnes noti
ejus a longe, et mulieres quae se-
cutae eum erant a Galilsea, hsec vi-
deutes.
50. Et ecce vir nomine Joseph,
qui erat decurio, vir bonus et Jus-
tus :
Matth 27, 37 ; Marc. 13, 43; Joan, 19, 38.
51. Hie non consenserat consilio
et actibus eorum, ab Arimathsea ci-
vitate Judseae, qui expectabat et
ipse regnum Dei.
52. Hie accessit ad Pilatum, et
petiit corpus Jesu :
Annal. ad ann. 34, p. 127, 187, Cornel, a
Lap. h. i.
48. — Les details de ce verset sont piropres
a S. Luc. — Omyiis turba... Le grec dil avec
une emphase marquee : 7rdvTe;ot ffuiiTrapayevo-
ixevoi (mol rare) 6x).oi, loules los foules qui
assistaienl ensemDle. Cela suppose une af-
fluence tres considerable. — Videbant. Dans
le texte original, suivanl les meilleurs manus-
crils (Sinail., B, C, D, L, R, X), OEwp^offavxe;,
« quum vidissenl ». Qua fiebanl (-ra yevopieva)
a le meme sens que « quod factum fuerat »
^flh Yev6|jievov) du t. 47. — Percutientes pectora
sua. Par ce signe du deuil et de la douleur,
les Juifs confessaient, quoique tardivemenl,
leur regret d'avoir pris part a la raort de
Noire-Seigneur Jesus-Christ. Comp. Act. li, 36
ct 37; Is. LUI.
49. — Stabant autem omnes noti ejus. Notre
evangeliste a seul conserve ce trait; mais les
deux autres synoptiques mentionnent corame
lui la presence des saintes amies du Sauveur,
prenant meme le soin de nommer les prin-
cipales : Marie Madeleine, Marie, mere de
S. Jacques le Mineur, Salome. Voyez d'ail-
leurs VIM, 2 et 3. — Hcec videntes. Detail pit-
toresque, egalement special a S. Luc. Quels
sentiments animaient alors ces disciples rn-
times? Leur foi etait chancelante, leurs es-
perances obscurcies ; du moins leur amour
brAlait encore.
17. Sepulture de J6sas et prdparatifs de
son embaumement. xxm, £0-56. — Parall.
MaVlh. MTU, 57-61; Marc, it, 42-47; Joan, xix, 3842.
SO et 51 . — Et ecce vir nomine Joseph. Les
quatre evangelistes sont d'accord pour faire
jouer k Joseph d'Arimathie le role preponde-
rant dans la sepulture du Sauveur. Sur le
litre d'^ decurio (Poy).£UTri«), c'est-a-dire, selon
toute probabilite, de Sanh^driste, voyez I'B-
vang. slIoii S. Marc. p. 220. S. Luc seul re-
leve le caractere moral de Joseph par les
mots vir bonus et Justus. Seul aussi il prend
soin de dire, en termes emphatiques, que le
noble senateur n'avait pas pris la moindre
part a la mort de Notre-Seigneur : hie non
consenserat (oux ^v ffUYxaxaTeesitievo;) co»Si7tO et
actibus (dans le grec, t^ Trpd^ei au singulier)
eorum (des autorites juives). Par a conseil »
il faut entendre la sentence capitale; les « ac-
tes » etaient les dififerentes mesures prises
en vue d'executcr cette sentence. Le verbe
grec (TUYy.aTaTi9Yi|Ai est tout k fait classique.
aOmisso vocabiilo 'J'^qjo; proprie usurpatur de
iisqui una cum aliis calculura adjiciunt, veluti
dejudicibus, qui calculo in urnam demisso,
sententiam approbant vel reprobant ; ele-
ganter deinde ita quoque adhibetur, ut sit :
consenlire, annuere, alicujus seutentiae sub-
scribere ». Kuinoel, Comment, h. 1. — Sur
Arimathie voyez I'Evang. selon S. Matth.,
p. 557 et s. — Qui exspectabat et ipse... (Cfr.
II, 25 et le commentaire). De m^me S. Marc.
S. Matthieu dit formellement que Joseph etait
un disciple de Jesus.
52. — Hie accessit ad Pilalum et petiit... La
hardiesse de I'acte (Cfr. Marc, xv, 43) a pour
ainsi dire pass^ dans le style serre, rapide,
des quatre narrateurs. L'histoire signale plu-
sieurs suppliants de ce genre qui payerent de
leur vie leur d-marche g^nereuse. Cfr. Eu-
CHAPITRE XXIII
$^9
53. Et depositum involvit sin-
done, et posiiit eiim in monumento
excise, in quo nondiim quisquam
positus fuerat.
54. Et dies erat parasceves, et
sabbatum illucescebat.
55. Siibsecutse autem mulieres,
quae cum eo venerant de Galilsea,
\'iderunt monumentum, et queraad-
modum positum erat corpus ejus.
56. Et revertentes paraverunt aro-
mata, et unguenta : et sabbato
quidem siluerunt secundum man-
datum.
53. Et Tayan-t detacjie de la croix
il Fenveloppa d'un linceul et le de-
posa dans un sepulcre laille ou per-
sonne n'avait ete mis.
54. Et c'etait le jour de la pre-
paration et le sabbat allait com-
mencer.
55. Les femmes qui etaient ve-
nues de la Galilee avec Jesus sui-
virent Joseph et virent le sepulcre
et de quelle maniere son corps avait
ete place.
56. Et s'eh retournant, elles pre-
parerent des aromates et des par-
fums, et pendant le sabbat elles se
tinrent en repos, selon le comman-
dement.
seb. Mart. p. 1 i . D'apres les Actes apocryphes
de Pilate (B, c. xi), les Juifs auraient einpri-
sonne do ce chef Joseph d'Arimathie.
53. — Depositum. S. Luc, comme S. Marc,
emploie le lerme technique xaOeXwv (liiteral.
« quum deposuissel » ). On appelaii aussi
celte Irisle operation « delrahere » (Terlull.
Apol. XXl), a(priXoi)ff8at (S. Just. c. Typh. 108),
« refigere decrucibus » (Senec. Vit. beat. xix).
— Involvit sindone. II s'agit ici du linceul
principal : i'evangeliste parlera plus bas,
XXIV, 12, d'aulres linges secondaires. Gfr.
Joan. XX, 6 et 7. — Posuit eum in monumento
exciso. Aa^eyxo) du texle grec n'apparait qu'en
cet endroit du Nouveau Testament; la signi-
fication lilteraie est : tailie dans le roc (de
Xadi; et Sew). — In quo nondum quisquam...
Cetie circonstance, que S. Luc el S. Jean ont
seuls notee, est exprimee plus fortemenl encore
dans le grec : o5 oOx ^v oOSeirw oOoeU (trois ne-
gations 1) xet'tuvo;. Elle a pour but providen-
ticl de montrer que c'e-t bien Jesus et pas un
autre qui sortit ressuscite de ce tombeau.
54.— Dies erat parasceves. S. Marc, xv, 42,
explique celte expression grerqu!^ par un sub-
stantif k demi hebreu, itpoffdiegaTov, qui desi-
gnait le vendredi. On « preparait » ce jour-la
chez les Juifs tout ce qui elait necessaire pour
le sabbat, dont le repos etait inviolable : de i^
ce nom de Parasc^ve (7tapa«7xeviiQ) ou prepara-
tion. — Sabbatum illucescebat (^it£'<pa)(7xej. Et
pourtant c'etait le soirl Aussi, d'apres divers
auteurs, leverbo « illucescore » devrait-il s'en-
tendre ici ou de la lueurdes ^toiles, ou mdme
(Kuinoel) de celle des larapes k sept branches
qu'on allume le vendredi soir dans toules les
maisons Israelites pour Idler I'arriv^e du sab-
bat. Mais il est beaucoup plus juste de voir
daus cette locution une simple m^taphore,
par laquelle on applique au debut d'un jour
arlificiel (par exemple, du sabbat, qui com-
menQail le soir) ce qui ne convient directe-
ment qu'^ celni du jour naturel. Lightfoot a
d'ailleurs prouve que les Juifs employaient
precisement des expressions analogues pour
designer Touverlure de leurjour sacre. Gfr.
Hor. hebr. h. 1.
55. — Subsecutce autem mulieres : « ayant
suivi depr6s » Joseph et le convoi funebre. Le
participe xaTaxoXouOioCTaoai estenergique et pit-
toresque. — Mulieres, quce cum eo (Jesu) vene-
rant... Voy( z le t. 49. S. Matlhieu et S. Marc
mentionnent nommemenl Mane Madeleine et
I'autre Marie, mere de S. Jacques le Mineur.
— Viderunt monumentum ct quemadmodum...
Details graphiques, propres a S. Luc sous
celle foime. Comp. S. Marc : « Adspiciebank
ubi poncretur ».
56. — Et revertentes paraverunt... Ce verset
explique la fin du precedent. Nous y voyons
pourquoi les sainles femmes avaiont rcgarde
avec lant d'allerition en quel endroit du s^
pulcre on plagait le corps sacre de J^sus (les
tombeauxjuifscontenaienthabiluellement plu-
sieurs niches ou fours dans h squels on plagait
lescadavres) : c'ost qu'elles sc proposaient de
revenir bieniot completer sa sepulture des que
le repos du sabbat aurait cesse. — Rentrees
en viUe et chez elles, paraverunt aromata et
unguenta. Le second de ces deux subslantifs
{[ivpoL, de (jiupw, je coule) indiquant des par-
fums a I'elat liquide, le premier (apwiiaxa), qui
est plus general, doit s'entendre de substances
seches et solides. D'apres S. Marc, xvi, 4,
I'empleite des aromates n'aurait eu lieu que
le samedi soir. En unissant les deux r^cits
nous dirons que les pieuses Galileennes,
n'ayant pas eu le temps de se procurer dds le
400
fiVANGlLE SELON S. LUG
HAPITRE XXIV
Les saintes femm s trouvent le sepulcre vide [tf. 1-3). — Deux anges leur annnoncent la
resiirreclion de Jesus [tt- 4-8). — Elles font part de cette grande nouvelle aux disciples,
qui refiiscnl d'y croiro (Vt. 9-11). — S. Pierre visile a son tour ie saint sepulcre {t. i2). —
Les deux pelerms d'Erumaus [tt. 13-35). —Jesus apparail a ses disciples reunis(li^t. 36-43).
— Les derni^res legons du divin Mailre [tt. 44-49). — L'Ascension (tt. 50-51). — Retraite
des disciples a Jerusalem [tt. 52-33).
1. Mais le premier jour apres le
sabbat, elles vinrent de grand matin
au sepulcre, portant les aromates
qu'elles avaient prepares.
2. Et elles trouverent la pierre
du sepulcre renversee.
3. Et etant entrees, elle ne trou-
verent pas le corps du Seigneur
Jesus.
1. Una autem sabbati valde di-
luculo venerunt ad monumentum;
portantes quae paraverant aromata.
Malth. 28, 1; Marc. 16, 2; Joan. 20, 1.
2. Et invenerunt lapidem revolu-
tum a monumento.
3. Et ingressse non invenerunt
corpus Domini Jesu.
vendredi lout ce qu'elles desiraient, comple-
terent leurs provisions de parfums quand le
sabbal futecoule. La conciliation s'opere ainsi
sans la moindre violence. — Sabbato quidem
siluevunt (le grec porle i^axixiccn, « quieve-
runt ») secundum mandatum : c'est-a-dire,
ccnforinemenl aux prcscriplions de la loi mo-
salque, auxquelles les premiers Chretiens con-
tinueretil d'obeir pendant un certain temps.
La parlicule « quidem » (p-s'v) annonce un
« auttm » (Se) correlaiif, que nous Irouverons
seulement au t. 1 du chapitre suivant, la di-
vision ayanl eie faile ici d'une maniere assez
malhoureuse, au milieu d'une phrase.
18. La resurrection de J6sus et ses preu-
ves. XXIV, i-43.
II y a sur ce grand fail di'S varianlns nota-
bles dans les quatre recits : les ecrivains sa-
cres ne se rencontrunt un insiant sur les points
principaux que pour se separer cnsuile et ra-
conter chacun a sa maniere les traits parti-
culiers. lis demeurent tous neanmoins dans la
verite, parce qu'ils envisagent des faces dis-
tinctes d'un evenemont tres complexe. Voyez
I'Evang, seloa S. Mallh., p. 562. L'Esprit-
Saintapermisces divergences pour enrichir
d'uQ plus grand nombre de details I'histoire
de la resurrection du Sauveur. S. Luc de-
meure ici fidele a son caractSre accoutume :
tanlotil abrege, tanlotil s'etend longuement
sur un episode special. 11 ne dit rien des ap-
paritions de Jesus en Galilee.
t» Les saintes femmes trouvent le sdpulcre vide.
t^ 1-8. — Parall. Mallh. xxviir, 1-10; Marc.
XVI, 1-8.
4. — Una autem sabbati (pour « prima au-
tem... », le premieijour apres le sabbat. —
Valde diluculo. Dans le grec, op6pou PaOso?, ou
PaOew; d 'apres lesmeilleurs manuscriis (A, B,
C, D, G, Small., elc.'i; litleralem -nt : « di-
luculo profiindo ». Melaphore elegante el das-
sique. — De grand matin done, les saintes
femmes dont il a ele question a la fin du
chap, xxiii venerunt ad monumentum : elles
avaient hate d'accomplir leur lache doulou-
reuse et sacree. — Portantes... aromata Cfr.
XXIII. 56. Trait special an Iroisieme Evan-
gile. Divers manuscrils (A, D, X, T, etc.) et
plusieurs versions (armen., copt., ^thiop.)
ajoutent : xal Tive; ouv aOxai?. Mais ces mols
sonl geiierah ment regardes comme uiie glose
apocryphe provenant du t. 10; ils sent d'ail-
leurs ouiis dans les Cod. B, C. L, Sinail., aussi
bien que dans I'liala et la Vnlgale. Le ma-
nuscrit D a encore loule une ligne qui hii
est propre : 'E^.oyi^ovto 6s ev eauTai;* Ti? dpa
aitoxvXioet tov ).i9ov; c'est un emprunt a Marc.
XVI, 3.
2. — Invenerunt lapidem (t6v ).i6ov avec
I'article) revolutum... Quelle pierre? S. Luc
ne I'a pas menlionnee precedemment : mais il
la supposait connuede ses lecleurs. En eilLi
la calechese apostolique, non moins que le.-i
recils de S. MalthJeu (xxvii, 60) et de S. Marc
(xv, 46), I'avait i endue parlout celebre. C'e-
tait le golal des Juifs, « lapis magnus et la-
lus, quo oblurant vel claudunt os sepulcri su-.
perne » (Bartenora, ap. Keim). Cfr. jristram.
Land of Israel, p. 396 et s. de la 3e edit.
3. — Une seconde surprise autremeul
grarJe attendait les pieuses Galileennes : In-
gressa (etant entrees dans la chambre sepul -
cralej, non invenerunt corpus... Ce dernier
CHAPITRK XXIV
401
4. Et factum est, dum mente
consternalse essent de isto, ecce
duo viri steterunt secus illas in
veste fulgenti.
5. Cum tiraerent autem, et decli-
nareut vullum in terram, dixerunt
ad illas : Quid quseritis vivenlem
cum mortuis?
6. Non est hie, sed surrexit : re-
cordamini qualiter locutus est vobis,
cum adhuc in Galilsea esset,
7. Dicens : Quia oportet filium
4. Et il advint que pendant
qu'elles elaient consteru(5es en leur
ame de cela, pres d'elles parurent
deux hommes aux vStemeuts res-
plendissanls.
o. El comme, saisies de frayeur,
elles inclinaient leur visage vers la
terre, ils leur dirent : Pourquoi cher-
chez-vous parmi les morts celui qui
est vivant?
6. II n'est pas ici, mais il est res-
suscite. Rappelez-vous comment il
vous a parle lorsqu'il etait encore
en Galilee,
7. Disant : II faut que le Fils de
detail est une particularity de S. Luc. — Re-
marquez rassocialion des noms Domini Jesu.
On ne la Irouve pas ailleurs dans les Evan-
gile-, quoiqu'eile apparaisse quarante fois
environ dans les Actes el les Epilres. Voyez
Ziemssen, Chrislus der Herr, p. 12.
4. — Dum mente consternatce essent deisto.
Dans le grec, ev tw StanopeToeat aOxd:..., litle-
ral. : comme elles etaient perplexes a ce 8u-
jet. G'esi une aulre parlicularile de noire
evangeliste. Les locutions et factum, ecce, re-
levenl le caraclere inaltendu el soudain de
I'apparition. Steterunt (sTcsfftTiffav) est, comme
nous I'avons dej^ dit, le mol aime de S. Luc,
et aussi des classiques, dans les occasions de
ce genre. — Duo viri. C'eiaienl des anges
evidemmenl; mais on les appelle dvSps; d'a-
pres la forme exterieure sous laquelle ils se
manifesiaienl. Gfr. Act. i. 10. S. Mallhieu et
S. Marc ne pailanl que d'un seul ange, le ra-
lionalisme n'a pas manque de crier a la con-
tradiclion. Les exegeles croyanls repondent
ou bien que S. Luc ne raconle pas absolu-
ment le memo fait, ou que les deux auires
synopliqucs se sonl bornes a signaler celui
des anges qui adressa la parole ;iux sainles
femm^s. Oatis les deux cas Ihaimonie se pro-
duild'clle-meme. Voyez I'Evang.selonS. Marc,
p. 223. « Froids eplucheursde contradictions,
disait encrgiquemenl Lessing a nos adver-
saires, ne voyez-vous done pas que les evan-
gelistes ne comptenl point les anges? Tout le
sepulcre, tout le district qui cnvironnait le
sepulcre, elai'nt, remplis d'anges invisibles.
II n'y avail pas la seulemenl deux anges sem-
blables k deux senlinelles Isissees dovanl I'ha-
bilalion (Fun general meme apres son depart;
il y en avail des millions : el ce n'elail ni
loujours le m^me, ni loujours les deux m^mes,
qui apparaissaienl. Tantot I'un se inontrait,
tantol I'autre; lantol ici, tantot la; tantot
seul, lanlot en compagnie ; ils disaient
tantot ceci, tantot cela » (cite par van Oos-
terzee, Evang. Lucae, 3e ed. p. 397). — In
veste fulgenti. Les editions ordinaires du texte
grec onl le pluriel .* sv edOi^aedtv acTpaTtTouaat;
(mot tres fort : « fulguranlibus », langant des
eclairs). Les manuscrils B, D, Sinait. portent
Iv £o6yiTi aaTpaTTTOuffiri, au singulier.
5. — Cum timerent. La lournure grecque
si expressive i[t.if66o)^ ytvo^iytay est propre a
S. Luc dans lesecrits du Nouveau Testament.
— Et declinarent vultum... (les manuscrils
Sinait., B, C, D, G, L, X, etc., ont « vultus »
au pluriel). Detail d'un piltoresque acheve,
omiscependanlpar lesautresrecits. M. L. Ab-
bott I'explique d'une maniere bien lerne
quani il pretend que les sainles femmes s'in-
clinaienl pour saluer les anges. Non ! ce geste
etait le resultal nalurel, spontane, de la
frayiMir et du respect reunis. On peut ajouter
que I'eclat des v^tements angeliques obligeait
aussi pour sa part les visiteuses du S. Sepul-
cre a lenir les yeux baisses. — Quid queer Uis?
On croirait entendre le ton d'un leger blarae
sous cette forme interrogative, qui est spe-
ciale au troisieme Evangile. Cfr. Act. i, H.
Du moins, elle fail Ires bien ressortir I'inuti-
lile des rechprches en question. — Viventem;
T&v Cwvta, avoc une article [)lein d'emphase,
le vivant parexcellence. Comparez ce passage
de I'Apocalypse (i, 17 el 18), ou Jesus dit de
hii-meme : « Ego sum primus el novissimus,
et vivus, et fui morluus ; et ecce sum vivens in
saecula saeculomm, et habeo claves mortis ».
— Cum mortuis. C esl-a-dire dans un lieu des-
tine a recevoir les morts (le concrel pour
Tabslrait]. Cliercher la vie dans le tombeau
n'est-ce pas un contre-sens etrange?
6 et 7. — Non est hie, sed surrexit. Cfj
mots du messager cdleste ont ete presque
identique«ient conserves dans les trois nar-
S. Bible. S. Ldc. — 26
402
2VANGILE SELON S. LUC
rhorame soit livre entre les mains
des liommes pecheurs et qu'il soit
crucifie et que le troisieme jour il
ressuscite.
8. Et elles se rappelerent ses pa-
roles.
9. Et de retour du sepulcre, elles
annoncerent toutes ces choses aux
onze et a tous les autres.
10. Or, cefurent Marie Madeleine
et Jeanne et Marie mere de Jacques
et les autres qui etaient avec elles
qui dirent ces choses aux ap6tres.
11. Et ces paroles leur parurent
comme du delire et ils ne les cru-
rent pas.
12. Mais Pierre se levant courut
hominis tradi in manus hominum
peccatorum, et crucifigi, et die ter-
tia resurgere.
Marc, 9, 30; Sup. 9, 22.
8. Et recordatse sunt verborum
ejus.
9. Et regresses a monumento nun-
tiaverunt hsec omnia illis undecim,
et cseteris omnibus.
10. Erat autem Maria Magdalene,
et Joanna, et Maria Jacobi, et cae-
terae quae cum eis erant, quae dice-
bant ad apostolos hsec.
11. Et visa sunt ante illos sicut
deliramentum verba ista ; et non
crediderunt illis.
12. Petrus autem surgens cucur-
ralions synoptiques : ce sonl d'ailleurs les plus
imporiants de son allocution. — L'appel aux
souvenirs des sainles amies de Jesus, recor-
damini qualiter..., jusqu'a la fin du t. 7,
esl encore une parlicularile de noire evan-
geliste. Cfr. Mallh. xxviii, 7; Marc, xvi, 7.
— Locutus est vobis. Elles avaient done en-
tendu elles aiissi, probablement tandisqu'elles
accompagnaienl le Sauveur dans ses peregri-
nation de Galilee (Cfr. viii, 1-3; IX, 44; Marc.
IX, 29 el ss.), quelques-unes de ses prophelies
relalives a sa morl et a sa resurreclion. —
Tradi in manus hominum peccatorxim. II faul
prendre cette epilhele dans le sens special
que liii donnaienl les Juifs; or, pour eux, pe-
cheur equivalait frequemmenl a paien. Cfr.
Gal. II, 45.
8. — Et recordatw sunt... Elles avaient
oublie des paroles qu'elles n'avaient pas com-
prises (Cfr. IX, 45); mainlenant que la pro-
phetie de Jesus regoil des fails une inlerpre-
tation lumineuse, elles s'en souviennent. Co
phenoniene psychologique, signale seulement
par S. Luc, est confirme par une experience
journaliere.
2" Les saintes femmes avertissent les disciples qui
refusent de croire. f) . 9-11 .
9. — Regressa, nuntiaverunt hcec om,nia.
Cfr. Mallh. xxviii. 8. Au conlraire, d'apres
S. Marc, xvi, 8, « illae exeunles fugerunt de
monumenlo..., el nemini quidquam dixp-
runl : limebanl enim. » Mais les narrateurs
envisagenl deux momenis dislincls. Voyez
I'Evang.selonS. Marc, p. 224. Toul effrayees,
les sainles femmes garderent d'abord le si-
lence sur ce qu'elles venaient de voir et d'en-
tendre ; loulefois, rassurees bientot, elles se
hAterenl d'aller porter la bonne nouvelle
illis xmdecim, comme dit emphaliquement la
Vulgale (le grec a simplemeni : toT? SvSexa),
et en m6aie temps cceteris omnibus, c'est-k-
dire aux aulres disciples, car ceux des amis
de Jesus qui se trouvaient alors a Jerusalem
s'elaient nalurellement cherches et reunia
depuis la morl de leur Maitre, et ils atten-
daienl ensemble les evenements.
40.— Erat autem (•^v 8s)... quae dicebant...
Sur cet emploi aliernalif du singulier et du
pluriel avec plusieurs sujets, voyez ii, 33 et
le commentaire. La variante^^av de quelques
manuscrits esl une correction tardive. —
Maria Magdalene el Joanna. Marie Madeleine
est associee par tous les evangelistes el la
resurrection de Nolrc-Seigneur : S Luc seul
mentionne le nom de Jeanne. Cfr. viii, 3 et
I'explication. — Et ccetera>... Entre autres
Salome, dont parle S. Marc, xvi, 4 ; peut-
elre egakmenl Susanne, viii, 3.
41. — Visa .mnt ante illos (hebralsrae :
DH^jSS) sicut ii iUrjmentu7n ... V express'wn osl
d'une energie singoliere : >ripo<;, un non-sens,
un vain conte, unbadinage. Ce mot el ce de-
tail sont propres a S. Luc. — Verba ista. De
meme les manuscrils Sinail., B, D, L, la ver-
sion syrienne, etc. ; dans la Recepia : -ri
pritAaTaauTajv. — Non crediderunt. L'impar-
iail du lexle grec, ^Tttdtouv, denote mieux
encore une incredulite obstinee, qui refuse-
rait de se laisser vaincre.
3"» S. Pierre anssi trouve le sepulcre vide. y. 12.
42. — Ce verset important a eie supprira^
par Tischendorf, sous pretexte qu'il manque
dans le Codex D et dans quelques manuscrits
de rilala : mais sa presence pariout ailleurs
garantit sufiBsamment son authenticite, qui
est en outre confirmee par le t. 24 et par
CHAPITRE XXIV
403
rit ad moniimentum ; et procumbens
vidit linteamina sola posita, et abiit,
secum mirans quod factum fuerat.
13. Et ecce duo ex illis ibant ipsa
die in castellum, quod erat in spatio
stadiorum sexaginta ab Jerusalem,
nomine Emmaus.
Marc. 16, 12.
au sepulcre, et s'etant penche, 11 ne
vit que les linges poses a terre et 11
s*en alia, admirant en lui-meme ce
qui etait arrive.
13. Et voila que deux d'entre eux
allaient le meme jour dans un vil-
lage nomme Emmaiis qui eLail a la
distance de soixante Blades de Je-
rusalem.
1
Joan. XX, 2-iO. — Petrus autem surgens.La
particule 8e etablit un heureux contraste enlre
S. Pierre et lesaulres disciples. Luidu moins,
avanl de rejeter le temoignage des sainies
femmes, il veul le controler personnellement.
— Cucurrit ad monumentum. Trait gra-
phique, bien naturel dans la circonstance, et
tout a fail confoime au caraclere ardent
du prince des apolres. Quels sentiments de-
\'aient agiter alors le coeur de S. Pieire! —
Procumbens (itapaxu^J/aO : nouveau detail tres
piltoresque. « llapaxuTtToo proprie nolat In-
curvo me, sad specialira adhibetur de iis qui,
prono capita, inflexo coilo el corpora intros-
piciunt, ul aliquid penitus cognoscanl. »
Kuinoei, h. 1. L'entree des tombeaux elait
generalement assez basse. — Linteamina sola
posita. Cfr. Joan, xx, 6 el 7, ou la narration
est encore plus precise. L'adjectif (i6va est
omis a tort par quelques manuscrits. — Abiit
secum mirans. Beaucoup d'exegeles modernes,
ratlachant itp6; lautov (« apud se »^, au verbe
in^XOc, lraduisenl:Il s'enalla chez lui, s'elon-
nanl. Quoique cetle interpretalion soil auto-
risee par des exemples tires des classiques,
nous pref^rons le sens donne par la Vuigale,
qui est plus profond el mieux approprie a la
situation.
40 J^sus apparatt aux deux disciples d'Emmaus.
t^ 13-35. — Parall. Marc, xvi, 12-13.
C'est la une des pages les mieux ecriles du
troisieme Evangile : lous les critiques sent
d'accord pour I'admirer. a L'episode des dis-
ciples d'Emmaus, dit M. Renan, esi un des
r^cils les plus fins, les plus nuances qu'il y
ait dans aucune langue. » Les Evangiles et
la seconde generation chrelienne, p. 282.
Le P. Curci, Nuovo Testam. t. I, p. 471, y
trouve 0 una precisione di contorni e viva-
cita di tinte » donl il ajoute que c'est « un
incanto. » L'evangelisle peinlre el psycholo-
gue s'y reveletnerveilieusement.Presque lous
les details lui apparlienneni. en propre, car
S. Marc ne fait que signaler I'incident en
gros.
13. — Ecce presage un nouvel dvenement
extraordinaire dans cetle journ^e si remplie
de prodiges. — Duo ex illis : c'est-adire, de
la societe generale des disciples menlionnds
au t. 9. Ce n'elaient cerlainemenl pas dea
apotres. Cfr. V. 33. — Ibant ipsa die. D'apres
I'ensemble du recil ils avaienl du quitter Je-
rusalem dans I'apres-midi, vers deux o» trois
heures, puisqu'ils ariiverenl a Euimaiis peu
avant le coucher du soleil, qui avail lieu
vers 6 heures k celte epoque de i'annee, el
que la distance a parcourir etait de trois
petites lieues : in spatio stadiorum sexaginta.
Le slade etait une « mesure da longueur qui
comprenait 600 pieds grecs, ce qui vaut un
huitieme du mille romain, ou 185 metres ».
A. Rich. Diclionn. des anliq. rom. et grecq.,
p. 599. Dou il resuite que 60 stades equiva-
laienl a un peu plus de II kilometres. —
Castellum... nomine Emmaus. On a beaucoup
discute sur ['emplacement de cetle bourgade,
rendue celebre par le present episode. Eu-
sebe etS. Jerome, Onoma5ticon,s. v. Emaus,
Fidenlifienl a la ville du meme nom (devenue
Nicopolis au Ille siecle, aujourd'hui AmouAs,
miserable village musulman), dont il est
question au premier livre des Macchabees,
III, 40, 57, IX, 50, et dans Josephe, Bell.
Jud. II, 20, 4; el ce sentiment parail avoir
ele generalement admis jusqu'au debut du
XlVe siecle. 11 ful alors abandonne pour la
bonne raison que Nicopolis, situee sur la limite
N. E. de la riche plaine de Sephela, est dis-
tante de Jerusalem non pas de 60 stades,
mais de 176 (Cfr. Jos. 1. c). De nos jours,
deux eminents geographes palestiniens, le
Dr americain Robin-on (Neue bibl. Forschun-
gen in Palaestina, 1847, p. <91 et ss.) et notre
compalriote, M. V. Guenn (Description geo-
graph., hisloriq. el archeologiq. de la Pales-
tine : Judee, I. 1, p. 298 el ss). onl essay^ de
le faire revivre, en alleguant d'une part I'au-
torite assureraont tres venerable de la tradi-
tion, de I'autre celle dis manuscrits I, K, N,
Sinait., qui portent : Ixaxov £$iQxovTa (cent
soixante) an lieu de J$r)xovca. Mais, coinme le
reconnail M. Guerin avec sa parfaite loyaule,
« on pent opposer k S. Jerome, traducteur de
rOnomasticon (d'Eusebe),... S. Jerome auteur
de la Vulgate... ou le chifire de 60 stades est
marque » (I. c, p. 351); en outre, a la plu-
part dis manuscrits de S.Luc portent lemdme
404
fiVANGlLE SELON S. LUC
14. Et ipsi loquebantur ad invi-
cem de his omnibus quseacciderant.
15. Et factum est, dum fabula-
rentur, at secum quaererent, et ipse
Jesus appropinquans ibat cum illis.
16. Oculi autem illorum teneban-
tur ne eum agnoscerent.
17. Et ait ad illos : Qui sunt hi
sermones, quos confertis ad invi-
cem ambulantes, etestis trisles?
14. Et ils parlaient ensemble de
tout ce qui etait arrive.
15. Et il advint que pendant
qu'ils s'entretenaient et conferaient
ensemble Jesus lui-meme s'appro-
chant marcha avec eux.
16. Mais leurs yeux etaient re-
tenus afin qu'ils ne le reconnus-
sent pas.
17. Et il leur dit : Quelles sont ces
paroles que vous echangez en mar-
chant et pourquoi eles-vous tristes?
chiffre de 60 siades », el leg cnliques les
plus imparliaux n'hesilenl pa? a dire que telle
dul 6lre la legon primilive. Done « le doule est
possible. » Ajoutons encore 1° qu'Emmaiis-
Nicopolis etait une ville a?sez iroporlante,^ et
qu'il s'agil ici d'apres le lexte evangelique d'un
simple « caslellum » (xwttri); 2° que les deux
disciples, parlis deNicopolis apres le coucher
du soleil, auraient mis an moms cinq ou six
heures pour gagner Jerusalem a Iravers des
chemins « monlueux et difficiles », et au-
raient probablement eu peu de chances de
trouver les apotros rassembles (t. 33); 3° que,
depuis I'epoque des cioi?ades, le clerge et
les calholiques de Palestine venerent au vil-
lage d'El-Koubeibeh, situe au N. 0. et a en-
viron trois lieues de Jerusalem (precisement
la distance voulue), lemyslere de I'apparition
du divin Res^uscile. Voyez H. Zscliokke, das
neuteslam. Emmaus, 1865; Schuster, Hand-
l)uch zur bibl. Geschichte, 3e edit., t. II,
p. 448 et s. ; Schegg, Gedenkbuch einer Pil-
gerreise nach dem'h. Lande, t. 1, p. 482 et ss.
Une pieuse frangaise, Madame de Nicolay,
vient de restaurer tres richement les « saints
lieux B de Koubeib h, confies a la garde des
PP. Franciscains. Ouelques savants conlem-
porains (entre aulres Gralz, Theatre des ev6-
nemenls raconte- dans ies divines Ecritures,
t. I, p. 536; Riehiu, Handwceiti rbuch des
bibl. Alteruims, p. 377. et surtout Sepp, Je-
rusalem u. das h. Land, p. 52 ot .ss.) ont for-
mule une troisieme opinion, d'apres laquelle
il faudrail chercher a Ivoulonieh, surla route
de Jaffa a Jeiusalem, reniplacement de notre
Emmaus : mais ridentification qu'ils propo-
sent n'esl guere soulcnable, soil parcequ'ellc
manquo de loule base iraditionnelle, soit
parce qu'il n'existe enlre la ville sainte et
Kouloriieh qu'un inlervallo insuffisant (six
kilom. et demi au lieu de \\ environ).
14. — Et ipsi loquebantur... L'equivalent
grec de « ioqui », diiOiw, n'est ( mpioye que
par S. Luc dans le Nouveau Testament. Cfr.
t. <o; Act. XX, 11 ; xxiv, 26. La significa-
tion primitive de ce verbe etait « in coelu
hominum versor » (racine : 6[j.ou, ensemble,
et t).ri,' loule). II est dtvenu I'expression ordi-
naire des Grecs modernes pour designer le
langage. — De his omnibus... Voyez les de-
tails aux **•. 19-20. Cliemin faisant, les deux
disciples repassaienl done ensemble les der-
niers incidents de la vie de Nolre-Seigneur,
el cherchaienl k se les expliquer (if. i6\
15. — Dum fabularenlur : Iv t^i 6;iiXeTv
aOtou;. — Ipse Jesus. Locution emphatique :
Jesus lui-meme, dont ils s'entretenaient. —
Appropinquans ibat cum illis. Trail pillo-
resque. D'apres le contexte (Cfr. t. 18) il les
rejoignit par derriere, comme s'il venait
egalemenl de Jerusalem. L'imparfait « ibat »
indique qu'il marcha quelque temps en si-
lence aupres d'eux.
16. — Otuli eoi-um tenebantur {iv.ptx-co\)\-:o,
mot d'une iirande energie)... Cette reflexion
de I'evangeliste explique pourquoi les dis-
ciples ne reconnurent pas immedialemenl le
Sauveur : un voile avail ele jete devant leurs
?'eux d'une inaniere surnaturelle. Voyez des
ails analogncs dans S. Jean, xx, 1 4 ; xxi, 4.
S. Marc, XVI, 13, signale un tuilie motif de la
meprise des deux voyageurs : « Oslensus
est in alia effigie. » On voit, en reunissant les
recits, qu'elle provint tout ensemble du
dedans (S. Luc) el du dehors (S. Marc).
17. — Ait ad illos. Jesus adresse enfin la
parole aux disciples, a la faQon d'un ami
compalissant.il agil comme s'll s'elaitaper^u
a leur conversation, depnis qu'il les avail
rejoinls, qu'une vive inquietude pesail stir
eux, mais sans qu'il cut pu en saisir lout
I'objet. — Confertis. Le verbe grec (avxiga).-
).£Te) est tres expressif. « 'AvTi6a).),eiv proprie
est vicissim jacere, ul ludentes pila. Hinc
avTigd)v).eiv VSyou; de aliqua re disputare notat,
quia tunc neiiipe alter suas dubitaliones cl
arguniinta objieit, qua; ab altero vel rejiciun-
tur, vel admiltunlur. » Rosenmiiller, Scholia,
h. 1. On ne le trouve qu'en cet endroil du
Nouveau Testament. — Et estis trisles {av.\)Gpu_
CHAPITRE XXIV
405
18. Et respondens uiiiis, cui no-
men Gleophas, dixit ei : Tu solus
peregriniis es in Jerusalem, et non
cognovisti quae facta sunt in ilia his
diebus ?
19. Quibus ille dixit : Quae? Et
dixerunt : De Jesu Nazareno, qui
fuit vir propheta, potens in opere,
et sermone coram Deo, et omni po-
pulo :
18. Et I'un deux nomme Gleophas
lui repondit : Es-tu seul etranger
dans Jerusalem, et ne sais-tu pas
ce qui s'y est passe ces jours-ci ?
19. Et il leur dit : Quoi? Et ils
dirent : Toucbant Jesus de Nazareth
qui fut un prophete puissant en
oeuvres et en paroles devant Dieu
et devant le peuple.
itoi, de <ixu6p6;, lorvus, mcesLus, oLw^i, facies.
Cfr. Matlh. vi, -16). Plusieiirs manuscrits
antiques (Sinait., A, B, L) onl une varianle
notable , xal eaxdOTiffav (ou eCTT;^(jav) (Jxu6pti)uot,
qui a ete adoptee par les versions copte el
sahidique : « Et stelerunl Irisles ». La ques-
tion de Jesus s'arrelerail done a ambulantes,
et ces derniers mots conliendraienl un nou-
vel incident graphique du recil.
i8. — Unus cui nomen Gleophas (dam le
grec, K).e67ia;, abrevialion de K),eoTtaTpo;).
Comme on I'a dit justement, la mention d'un
nora si obscur prouve la veracite de I'histo-
rien. Les exegeies se demandent depuis des
siecles, sans pouvoir se raettre d'accord, si
celiii qui le porlail doit etre confondu avec
le K).oj7ta; de S. Jean, xix, 25. L'opinion ne-
gative nous parait presenter une plus grande
vraisemblance, 1o parce que Gleophas est un
nom grec, landis que Clopasest une transfor-
mation delaramern 'sbn (C/jaipai) ; 2o parce
que S. Luc, en d'autres endroils de ses ecrils
(VI. 13; Act. I, 13), appelle 'A).9aTo; (en latin
« Alphseus ») ce Clopas ou Chalpai de S. Jean,
qui etail le pere de S. Jaeques-le-Mmeur.
Neanmoins de graves auteurs sont partisans
de I'identlte. — Quel etait I'autre disciple?
On est reduit sur ce point aux conjectures;
mais les conjectures n'ont pas manque. II se
nommait Simon d'apres Origene, Ammaon
(habitant d'Emrnaiis?) d'apres S. Ambroise.
S. Epiphane i'ldentiQe a Nathanael , Lighlfoot
au prince des apotres, Wieseler a S. Jacqui'S
fils d'Alphee; Theophylacte , Nicephore,
MM. J. P. Lange et Godel a S. Luc lui-memel
Ces hypotheses se refutent d'elles-memes. —
Til solus peregrinus es in Jerusiilfm (ev
manque dans qu Iques manuscrits).. Pjroles
qui denotent un vif etonnemenl. Comment
pouvez-vous ignorer ces choses? Tous ceux
qui elaienl deriiieremenl a Jerusalem les
savent! Le verbe itapoixeTv, employe seule-
ment ici el Hebr. x' "^j dans le Nouveau
Testament, a ete bieii ^.a^luit par notrc Vul-
gate : il n'a pas la signification classique
d'habiter, mais celleque lui donnent frequem-
raent les Seplanie : o habito in aliquo loco
advena, sura peregrinus » (le "na hebreu), et
design;; la residence temporaire que faisaient
a Je.usalem. pi ndant la Paque el les autres
fetes analogues, les pelerins accourus de tous
les pays juifs. Voy z Suicer,Th -saurus, s. v.
Cleophas put aisenr. ni cuncluro de I'igno-
rance apparenle de son int rlocuteur qu'il
n'elait pas un habiianl de la capitale.
19. — QucB? reprend Jesus; ou mieux :
Qualia? [r.oia.;] quelle sorte de choses? Il
excite les disciples a parlor, pour faire ensuite
plus completement leur inslruclioii. — El
dixenint. Peut-elre Cleophas fut-il encore le
porte-parole, et alors nous aurions ici le plu-
riel « de categoric ». Ou bien les deux voya-
geurs parlerent a tour de role, se completant
I'lin I'auire, ce qui parait plus en rapport
avec I'enlrain qu'ils devaient metire dans
une conversation si plein^^ d'interel pour eux.
Neanmoins c'est d'line manierelres arbitraire
qu'on a voulu parfois (Kuinoel, etc.) deter-
miner la part exacte de chacun d'eux. Le.ir
polite narration a quatre parties : elle re-
sume d'abord la vie el le role de Notre-Sei-
gneur Jesus-Christ,*. 19; elle expose ensuite
sa fin cruelle, t- 20, les esperances a peu
pres lolalemont deques de s:s partisans, t. 21,
enfin, et plus lonu'uemenl, les divers fails qui
s'eiaient accouipi:s dans la matinee, t^*. 22-24.
C'est un fidele rellet des sentiments qui ani-
maient les amis du Sauveur duranl ces
heures critiqurs. — De Jesu N'-'zn^-eno. Telle
etait I'appellation populairedi' N .tie-Seigneur
en Palestine. — Qui full vir propheta. Voyez,
Act. 11. 22, une descripiiin (laiailele a celle-
ci. — Polens in opere et sermone. B •lie expres-
sion, toiile classique. Cfr. Thucydide, 1.139.
ou Pericles est represente comni' ).£y-'^ « xai
TtpaffoEtv Sviva-wTOTo; Dans son celebre dis-
cours, Act. VII, 22, S. Eiieniie dil aussi do
Molse qu'il etait « polens in verbis et in ope-
ribus suis ». Et en realile, n'esl-ce point par
la parole et par I'aciion que les hommes reve-
lent leur puissance? « Ici , iv Ipyw est mis eu
avant, parce que c'est surloul an moyen de
ses oeuvres que Jesus s'etait manilVsie comnae
le propliete envoye de Dieu ». Bisping. das
Evang. nach Lukas, p. 483 de la 2^ edit. —
Coram Deo et populo, Les miracles du Sau-
406
fiVANGILE SELON S. LUC
20. Et comment les princes des
pretres et nos chefs Font livre pour
6tre condamne a mort et I'ont cru-
cifie.
21. Et nous esperions que c'etait
lui qui devait racheter Israel : et
maintenant, apres tout cela, voila le
troisieme jour aujourd'hui que ces
choses se sont passees.
22. Mais quelques femmes des
notres nous ont efiPrayes ; elles sont
allees avant le jour au sepulcre,
23. Et n'ayant pas trouve son
corps , elles sont venues disant
qu'elles ont vu des anges m^me qui
disent qu'il est vivant.
20. Et quomodo eum tradiderunt
summi sacerdotes et principes nos-
tri in damnationem mortis, et cru-
cifixerunt eum.
21. Nos autem sperabamus quia
ipse esset redempturus Israel : et
nunc super haec omnia, tertia dies
est hodie quod haec facta sunt.
22. Sed et mulieres quaedam ex
nostris terruerunt nos, quae ante
lucem fuerunt ad monumentum,
23. Et, non invento corpore ejus,
venerunt, dicentes se eliam visio-
nem angelorum vidisse, qui dicunt
eum vivere.
veur avaieni prouve que Dieu meme elait
avec lui, el le peuple, avant de se laisser
egarer par les Pharisiens el les Sanhedristes,
s'elait montre plein de deference el d'admi-
ration pour Jesus, comme I'altesle mainie
page des evangiles.
20. — Les narrateurs passent maintenant
a la catastroplie finale, qui datail de deux
jours seulem^nt : Quomodo tradiderunt eum...
lis disenl franchemenl ieur pensee; sans la
moindre liesilalion ils allribuenl aux mem-
bres du grand Conseil, summi sacerdotes et
principes nostri (apxovTe;. Ctr. xxiii, 35), la
responsabilile pniicipale dans les eveiiements
qui preocciipaient si vivement leurs esprils.
Rien de plus exact, nous i'avons vu : Pilate
et ses pretoriens n'avaient eie que des instru-
ments enlre les mains des autorites juives.
21. — Nos autem. Avec empha^e : Nous,
ses disciples. Le pronom ipse est de meme
emphatique : Lui, el pasun autre. — Spera-
bamus. lis parient au passe .* c'est que Ieur
confiance a bien diminue depuis deux jours.
La variante ilnilo\i.zy, « speramus », soutenue
senleraent par le Cod. Sinailicus et quelques
manuscrits reiaiivemf^nt recenls, est une cor-
rection malliabiie, qui est en contradiction
avec le con(exle. — Esset redempturus Israel
(6 pL£X),wv ).uTpo-j(j67.i, cclui qui devait etre la
ranQon). Locution lOiisacreecbezles Juifspour
designer le Messie. Cfr. Act. i, 6, etc. — Et
nunc (dans le grec : a>>Xa ye, « at vero ») inlro-
duit une nouvelle idee, un fait qui, apres
avoir ete pour les disciples un motif d'espe-
rance dans ieur situation desolee, se irans-
forraail en un motif de plus complet deses-
poir. — Super haic omnia (c'est-a-dire outre
que Jesus a ete condamne et crucifie) tertia
dies est... Tel est le fait en question. II y a,
dans cette maniere particuliere de mention-
ner le troisieme jour, une allusion evidente
a la prophetie par laquelb Notre-Seigneur
avail annonce qu'il ressusciterait trois jours
apres sa mort. Cfr. xviii, 33 et parall. Ses
amis se Tetaient rappelee et avaieni conserve
quelque espoir le samedi et dans la matinee
du dimanche; mais voici que le troisieme
jour louchait a sa fin. Sur quoi pouvait-on
compter desormais? Dans la phrase giecque,
d'ailleurs toule c a .-ique, TptTviv Tau-y)v -oftEpav
fiyEi ( litleralemciiL « lerliam banc diem
agit »), le verbe ayct doit se prendre imper-
sonneilement, suivant I'excellenle traduction
de la Vulgate. II n'est pas necessaire de sous-
entendre 6 IyiooO;. L'adverbe cv)[i£pov (hodie)
est omis par des manuscrits importants
(Sinait., B, L).
22 el 23. — Continuant Ieur narration ad-
mirable d'impanialite, les compagnons du
divin voyageur arrivent enfin aux evene-
menls qui s'elaienl passes le matin meme,
et qui avaieni tout d'abord avive leurs espe-
rances. — Sed et (dX>.axal, autre formule do
transition) mulieres qucedam ex nostris. 'El
f,|jL(Sv, c'esl-a-dire de noire sociele;tb; :?i|A£i;
Triff-raC, dil Eulhymius. — Terruerunt nos.
L'expression grecque correlative. i^Ec-cTiffav
Yinai:, signifie propreinent : Nou> ont mis hors
de nous-m^mes. Elle decrit fort bien la vio-
lente agitation produile dans le cerclo des
disciples par la nouvelle que Ieur avaient
apporlee les sainles femmes. — Ante lucem :
op8piat (ou probableraenl 6p9ptvaC d'apres A, B,
D, K, L, A, etc.), « maluLinse ».— Dicentes...
visionem Angelorum qui dicunt (le temps pre-
sent est pilloresque}... Deux « oul-dir:? «
consecutifs, celui des femmes et celui des
anges. La maniere dont les disciples releyent
ce mode d'information montre qu'ils etaient
loin d'y ajouter foi. On voit neanmoins, par
CHAPITRE XXIV
407
24. Et abierimt quidam ex nos-
tris ad monumentum, et ita invene-
runt sicLit mulieres dixerunt, ipsum
vero non invenermit.
25. Et ipse dixit ad eos : 0 stulti,
et tardi corde ad credendura in om-
nibus quae locuti sunt prophetse!
26. Nonne hsec oportuit pati Chris-
tum, et ita intrare in gloriam suam?
27. Et incipiens a Moyse, et om-
nibus prophetis, interpretabatur illis
in omnibus scripturis, quae de ipso
erant.
24. Et quelques-uns des notres
sent alles au sepulcre et ils Font
trouve comme les femmes Font dit,
mais lui ils ne Font pas trouve,
2b. Et il leur dit : 0 insenses et
lents de coeur pour croire tout ce
qu'ont dit les prophetes !
26. Ne fallait-il pas que le Christ
souffrit toutes ces choses et entrdt
ainsi dans sa gloire?
27. Et commencant par Moise et
tous les prophetes', il leur interpre-
tait ce qui le concernait dans toutes
les Ecritures.
Tenscmblc de Icurs paroles, que leur ame
^lail toujours en su?pon?, quoiqu'elle parillt
incliner davantage du cote de la defiance.
24. — Abieritnt quidajii ex nostris (ici,
Twv crvv f,[xiv).. . II suit do la que S. Pierre
n'elail pas alle seul au sepuicre. Cfr. Joan.
"XX, 2 el s?. II est vraisemblable que d'aulres
disciples encore I'avaienl visile , soit par
.groupes, soit isolement. — Ita mvenerunt
siciit mulieres... lis Irouverent done a leur
lour le sepulcre vide ; toutefois. ajoutent
les narrateurs en lermes pleins d'emphase,
ipaitm non invenerunt, semblant sous-enten-
dre : Ne I'auraienl-ils pas vu lui-meme, s'il
elait vraiment ressuscile' Telle ful la « con-
clusion dramatiqiie » (Meyer) de leur recit.
Certes, quoi que disenl les ecrivains rationa-
lisles, esperant par leurs assertions auda-
-cieuses jeter des doules sur la Resurrection
de Jesus, il n'y a guere d'enlhousiasme en
lout cela! II fallut des fails blen palpables
pour convaincre des hommes qui esperaient
si peu, el dont la foi s'etail a demi brisee
conlre le lombeau de Notre-Seigiienr.
25. — Et ipse... « A son tour » Jesus
prend la parole. Son exorde consiste en une
vive reprimande : 0 stulti el tardi corde ad
credendum. La premiere epiihete (avoriTot, in-
senses ; ici seulemenl dans les Evangiles)
retombe sur Tintelligence alourdie, la se-
conde (PpaSei; t^ xapSCcx) sur le coeur encore
plus lourd des disciples. Los expressions sont
tres fortes, mais elles n'avaienl rien de bles-
sanl ; d'aulant mieux, fait observer a bon
droit M. Schegg, que les Orientaux usent
ordinairement entre eux d'un langag" ener-
gique. Du reste, le roproche elail tout a fait
merile. — In omnibus (pour « omnia »;
le traducleur latin a imile la construction
grecque, imiraaiv)... J^sus dut appuyer sur
le mot « tout », rappelant ainsi h ses com-
^agnons que leur foi n'avait pas et^ assez
wniverselle : par suite de leurs pr^juges ils
n'avaienl pas cru a tous les oracles prophe-
tiques.
26. — Apres ce bISme rapide, Jesus se fait,
comtne durant sa vie mortelle, I'instrucleur
des disciples. II aurait pu se manifester im-
medialement a eux ; mais il y avail ayaniage
pour eux, et plus encore pour nous, a rcce-
voir du divin pedagogue une sublime le^on
de dogme. — Nonne hcer oportuit... ? Remar-
quez la tournure interrogative et le pronom
« haec » mis en avanl : rieux circonstances
qui renforcenl I'idee. « Oportuit » maique
une vraie necessite, elant donnes les decrels
providenliels. — /«a, c'est-a-dire par la fOuf-
france el par la mort : ccl adverbe n'a rien
qui lui corresponde dans le texte grec. —
Intrare (expression piltoresque) in gloriam
suam : la gloire donl le Sauveur joui^sait deja
depuis qu'il avail triomphe de la mort, et
celle plus grande encore qui I'atlendait au
ciel. Ainsi done, « per crucem ad lucem ».
Ce qui paraissail aux disciples inconciliable
avec la grandeur du Messie elail au contraire
pour lui le vrai chemin de la grandeur, Cfr.
Phil. II. 8 et s. ; Hebr. ii, 10 el ss.
27. — Et incipiens a Moyse et omnibus pro-
phetis. Divers commenlaleurs, prenanl cett
locution a la lellre,onl pense que la demons-
tration de Je-us recommengait en quelque
sorte a chaque prophele ; mais ce sens nous
parait un ptu force. II est plus nalurel d'ad-
mettre qu'il y a une cerlaine negligence dans
la phrase, de' sorte qu'elh^ reviendrait h dire :
Jesus commenga par Moise el continua par
les Prophetes. Le Sauveur fit ainsi le tour de
la Bible, relevant dans chaque livre (in omni-
bus Scripturis) ce qui avail trail a sa personne
sacree (quce de ipso eranl). Depuis le Prote-
vangile, Gen. in, 13, jusqu'ai x dernieres
lignes de Malachie, le champ etait aussi vasle
qu'admirable, et I'imparfail i<ite)-pretabatur
(SiTip(i.:nvev£v, verba compose, tres energique)
montre que Jesus prolongea sa divine legon.
fiVANGILE SELON S. LUG
28. Or, ils approcherent du vil-
lage ou ils allaient et 11 feignit
d'aller plus loin.
29. Mais ils le presserent, disant •
Restez avec nous ; car il se fait tard
et deja le jour est sur son declin.
Et il entra avec eux.
30. Et il advint que pendant qu'il
etait a table avec eux, il prit du
pain, le benit, le rompit et le leur
donna.
28. Et appropinquaverunt cas-
tello quo ibant; et ipse se finxit lon-
giiis ire.
29. Et coegerunt ilium, dicentes :
Mane nobiscum, quoniam advespe-
rascit, et inclinata est jam dies. Et
intravit cum illis.
30. Et factum est, dum recum-
beret cum eis, accepit panem, et
benedixit, ac fregit, et porrigebat
illis.
Qui ne donnerail ce qu'il a do plus precieux
pour avoir assist^ a ce cours d'exegese, ou
du tnoins, commedil nai'vemenl un vieil inter-
prele (Valerius Herberger), pour en avoir une
copie ! Nous pouvons ccpendant indiquer les
passages messianiques de I'Ancicn Testament
qui durent entre Ions les autres arr^ter
Nolre-Seigneur. Ce furenl Gen. iii, 15;
IX, 25-27; xii. 3; xvii, 4 et ss. ; xviii, 17
ftss.; xxii, 16-18; xxvii, 27-29; xxviii, 43-15;
xux,10;Num.xxiv,15-19;Deut.xviii,15-18;
Ps. II, XV, XXI, xxxix (7-9), XLiv, cix, etc.;
Is. vii, 14 ; :x, 6, 7 ; xlii, 1 et ss. ; xux, 1
el ss.; L, 4-9 ; liii; lxi, 1-3; Lxm, 1-6; Jer.
xxiM, 1-8; xxxiii, 14-16; Ezedi. xxxiv, 23;
Dan. VII, 13 el 14; ix, 24-27 ;0s. xi, 1 ; Mich.
V, 2 ; Agg. II, 8 ; Zach. in, 8 ; vi, 12; ix, 9;
XII, 10; XIII, 7; Mai. iii, 1; iv, 2. Voycz
Bacuez, Manuel Biblique, t. Ill, p. 142 els.
28. — Appropinquaverunt castello... La
route avail du parailre bien couile aux dis-
ciples ravisl — [pse se finxit. Dans le groc,
icpoffeTtoieiTo, imparfail pittoresque; nean-
moins les manuscrits Sinail., A, B, D, L, ont
I'aoriste comme la Vulgate. S. Luc emploie
seul dans le Nouveau Testament le verba
itpoaitoisw. Celte conduile du Sauveur em-
barrassait beaucoup les anciens exegeles,
parce que divers heretiques I'avaienl alleguee
pour prouver que le mensonge est parfois
iicite. « Christum menlitum non esse certum
esse debet, ecrivait Maldonat; quomodo ejus
fictio mendaciuin non fuerit facdius est cre-
dere quam expiicare. » Comparez Jansenius,
Grotius, Estius, et, bien anterieurement,
S. Augustin, S. Gregoire, le Ven. Bede, etc.
Ils consacreni parfois des pages enlieres a
excuser le divin Maitre, tandis qu'il suffisait
de dire qu'en realite il aurail continue son
chemin sans les vivos instances des disciples.
Nous avons irouve dans Estius celte belle
refli^xion : « Composuit gestum et motum
corporis sui, sicul solet is qui vult longius
ire... Hoc ideo lecit... ut eorum erga seamo-
rem et benignitalem tali corporis composi-
tione excilaret : sicut mater componens ha-
bitum corporis sui tanquam digressura (de
filio) resuscitat in eo affecUim amoris. »
29, — Les disciples subirent A leur avnn;
tage celte derniere epreuve. Coegerunt ilium-
dans le grec, itapeStioavTo (ici seulement i3
Act. XVI, 15), verbe dont la signification
litlerale serail : « urgere precibus, diligen-
tius rogare. » — Mane nobiscum. Elaieni-ils
done d'Emmaiis, comme on I'a |)arfois deduii
de celte invitation? Le fait est possible en
soi ; mais il ne ressorl infailliblemenl ni du
pronom « nobiscum », ni de la locution in-
travit cum illis, qui piuvent s'entendre d»
n'linporle quelle niaison oil ils auraient eux-
memes regu I'hospitalile. — Quoniam adves-
perascit (7ip6; Iduepav iazl). . . Motif donl ils se
servenl pour persuader Jesus. L'expression
inclinala est dies (xexXixev -h iniipa.) (:St Iresele-
ganle. Eile etait usiteeen he'breu [QVn riTtaJ,
Jud. XIX, 8 et 11 ; Jer. vi, 4, etc ), de ineme
qu'en grec el en latin. Jam, omis par la
Recepta, existe dans les manuscrits Si-
nail., B, L.
30.— Dum recumberet:\e lerme technique
pour designer la poslure qu'on prenait aux
repas. Cfr. vii, 36; etc. — Accepit panem...
Jesus ne se conduit pas en siuipie invite; il
prend aussilol le role d'amphylrion, et se
met a remplir les fonclions qui incombaient
a celui-ci dans tout repas juif. — Benedixii ;
c'esl-a-dire qu'il prononga la berdkah (bene-
diction) ou priere que font les Israelites avant
de manger, loutes les fois qu'ils soul au
moins Irois a la meme table. TraiteBerachoth,
f. 45, 1. — Porrigebat illis. Imparfail pitto-
resque, pour dire qu'a cet instant ntiemo
eurenl lieu les incidents menlionnesau t. 31.
Jesus avail-il Iranr-substantie ce pain en le
benissant?etait-ce la sainte Eucharistie qu'il
preseniait aux deux disciples? S. Augustin,
Theophylacte. Maldonat, Bisping et d'autres
I'ont pense. La formule employee par I'ecri-
vain sacre est, disent-ils, a peu pres la meme
que ceile de rinstilulion du divin sacrement
de I'autel (Cfr. xxii, 19 et parall.), et on la
relrouve en plusieurs passages des Actes
(II, 42, 46, etc.) ou elle designe certainement
la celebration des SS. mysteres. De plus.
CHAPITRE XXIV
409
31. Et aperli sunt oculi eorum,
et cognoverunt eum; et ipse eva-
nuit ex oculis eorum.
32. Et dixerunt ad invicem :
Nonne cor nostrum ardens erat in
nobis dum loqueretur in via, et ape-
riret nobis scripturas?
33. Et surgentes eadem hora re-
gressi sunt in Jerusalem ; et inve-
nerunt congregatos undecim, et eos
qui cum illis erant,
34. Dicentes : Quod surrexit Do-
minus vera, et apparuit Simoni.
31. Et leurs yeux s'ouvrirent et
ils le reconnurent et il disparut k
leurs yeux.
32. Et ils se dirent Tun a, I'autre :
Notre coeur n'etait-il pas brulant en
nous lorsqu'il nous parlait dans le
chemin etnousouvrait les Ecritures?
33. Et se levant a I'heure meme
ils retournerent a Jerusalem et ils
trouverent assembles les onze et
ceux qui etaient avec eux,
34. Disant : Le Seigneur est vrai-
ment ressuscite et il est apparu a
Simon.
I'eflfet produii {1r. 31} semble digne du pain
consacre. Neanmoins tel n'esl pas le senli-
\ienl commun. Eulhymius, Nicolas de Lyre,
<iajetan, Jansenius, Eslius, Noel Alexandre,
de nos jours MM. Schegg, Curci, elc, regar-
dant comme plus probaiDle que TevangeTiste
a voulu parler d'un pain ordinaire. Ils ap-
puient leur assertion \o sur la generaliie des
expressions : h loutrepas, on benissail et on
rompail le painavanl de le disiribuer, « tinde
ex vocabuio Benedixit nulkini sumitur argu-
mentum pro consecrations corporis Domini »
(Estius); 20 surce fait, assuremenl tr6s grave,
qu'il n'est pas question de vin dans la nar-
ration ; « cerle Eucharisliam sub soils panis,
non vini, symbolis a Chrisio consecratano...
nemo probabil » (Natal. Alexand.); 3o enfin
sur I'incertilude qui regne, d'apre-; le con-
texle, relativemenl a un autre point impor-
tant : a Chrislus, in ipsa panis dislributione a
duobus discipulis agnitus, statim disparuit,
et statim e mcnsa surgentes regressi sunt in
Jerusalem... Dnde incertum est an panem
ilium comederint » (Id.). Ces diverses raisons
nous scmblent decisives.
31. — Et aperti sunt... Le verbe dvoCyvuiit
est frequemment employe dans les Evangiles
pour designer la guerison miraculeuse des
aveugles. Cfr. Matlh. ix, 30; xx, 23; Joan.
IX, 10, 14, 17; X, 21; xi, 37, etc. Mais ici
nous avons le compose SiavoCYsi'", cjui rend I'i-
mage plus forte encore. La cecite morale des
deux disciples avail ete decrite precedem-
ment (t. 16) en lermes non moins expressifs.
— Cognoverunt eum. Heureux moment, que
les pemtres ont ordinairemenl choisi quand
ils oiii voulu representer cet episode (enlre
aulres Appiani, Bi'llini, Raphael, lo Titien);
toutefois il fut auisi rapide que I'eclair, car
aussitot ipse evnnuit (a?avTo; iyi'^t-co, ici seu-
lement) ex oculis eorum. Getle derniere ligne
equivaudrait, d'apres Kuincel, Rosenmiil-
ler, etc., a « subilo ex iis discessit », ce qui
supprime tout prodige. Meyer, quoique ratio-
naliste, I'a mieux comprise : « Luc, dil-il,
veut esidemmenl decrire une disparition sou-
daine qui provenait d'une operation divine ».
Jesus disparut ainsi en vertu de I'agilite toulo
celeste que possedait maintenaiit sa chair
ressuscitee : il n'dtait plus soumis aux lois or-
dinaires de I'espace et de la pesanteur. Cfr.
t. 36 ; Joan, xx, 19, elc.
32. — Dixerunt ad invicem. Les disciples,
ayanl retrouve un peu de calme, se commu-
niquenl leurs impressions. Faisant un exa-
men retrospeclif de ce qu'ili avaient ressenti,
ils se rappelient surtout la bienfaisante cha-
leur qui avail echauffe leurs coeurs landis
que Jesus leur parlait sur la route. Cor nos-
trum ardens erat (lilleralement, brule. Belle
metaphore. La tournure grecque, y.aio[A£VTi sans
auxiliaire, exprime la continuite). Tout d"a-
bord ils ne s'elaient pas rendu comple de ce
mouvemenl cxlraorfiinaire ; ils savent main-
tenant qu'ils le devaient a la presence de Je-
sus. « Ardebant quia prope solem erant »,
Maldonat. Cfr. xii, 49. — Et aperiret nobis
Scripturas. Autre image belle el forte. Sans
le divin secours la Bible est pour nous un
livre ferme; par centre, les deux disciples
sentaienl qu'ils n'avaienl jamais mieux com-
pris les Ecritures qu'au moment oil Notre-
Seigneur les leur commentait. lis sonl done
etonnes et confus de n'avoir pas reconnu Je-
sus sur le champ, aux elfelssurnatureis qu'ils
eprouvaient.
33 et 34. — Surgentes eadem hora (auT^ t^
(»pa, une des locutions favorites de S. Luc,
pour dire : a I'instant mSme)... Precedim-
ment, \\< avaient dissuade Jesus de continuer
sa route parce que I'heure etait avanceo
[t. 29) ; mais ils n'hesilent pas k reprendro
eux-memes le chemin de Jerusalem, lanl ils
ont hale d'aller raconler aux aulres disciples
le grand fait donl ils ont ete lemoins. Ce4to
conclusion du recil {tt. 33-35) est lre» mou-
410
fiVAiNGILE SELON S. LUC
35. Et ils raconterenl ce qui leur
etait Ettrive en chemin et comment
ils I'avaient reciounu a la fraction
du pain.
36. Et pendant qu'ils disaient ces
choses, Jesus parut au milieu d'eux
et leur dit : La paix soit avec vous;
c'est moi, ne craignez point.
37. Mais troubles et epouvantes,
ils croyaient voir un esprit.
38. Et il leur dit : Pourquoi etes-
Tous troubles? pourquoi ces pensees
montent-elles dans vos coeurs?
3b. Et ipsi narrabant quae gesta
erant in via, et quomodo cognove-
runt eum in fractione panis.
36. Dum autem haec loquuntur,
stelit Jesus in medio eorum, et dicit
eis : Pax vobis; ego sum, nolite
timere.
Marc. 16, 14 ; Joan, 20, 19.
37. Gonturbati vero et conterriti,
exislimabant se spiritum videre.
38. Et dixit eis : Quid turbati es-
tis, et cogitationes ascendunt in
corda veslra?
vemenlee. — Congvegalos undecim ((jyvriOpoKr-
ti^ou;). D"apres S. Jean, xx, 24, dix apotres
seulement se Irouvaient alors dans le cenacle,
piiisqueS. Thomas etait absent; mais, depuis
la morl de Judas, ie college apostolique est
d^signe d'une maniere generale et uniforme
par ce chiffre. Cfr. t. 9; Marc, xvi, H. —
Dicentes. En entrant, les deux nouveaux
venus sent accueillis par la joyeuse nouvelle
qu'ils pensaienl 6tre les premiers a apporter.
— Surrexil Dominus vere (3vtw;). Vrai cri de
triomphe, qui fut dans I'Eglise primitive, et
qui est encore dans quelques parlies de I'O-
rient, la salutation usilee enlre cliretiens au
beau jour de PSque. Le verba est mis en avant
par emphase. a Vere » est oppose aux doutes
du matin, comme si les disciples eussent
voulu dire : Jusqu'ici nous n'avions pas de
preuves cerlaines; mais actuellement nous
avons une garantie infaillible, car apparuit
Simonil Voyez I Cor. xv, i, la confirmation
de celte apparilion, qui n'est rapport^e par
aucun autre evangeliste.
35. — Et ipsi narrabant. Ils racontaient et
raconlaient encore, comme il ressort de I'im-
parfait. lis repondaient ainsi a une bonne nou-
velle par une autre bonne nouvelle : ce fut
une magnifique anlienne (« antiphona ») pas-
cale. Le veroe grec d?riY£0[j.ai, a part Joan.
I, <8, n'apparait que dans lesecrits de S. Luc.
Voyez dans I'Evang. selon S. Marc, p. 225
et s., la solution de I'aniilogie que les ratio-
□alistes pr^tendent trouver ici entre le se-
cond et le Iroisieme synoptique.
5* J^sus apparatt aux disciples dans le cenacle. ^f.
36-43. -Parall. Marc, xvi, 14; Joan, xx, 19-25.
C'esl « la couronne » des apparitions de
oette journee grandiose. Toutes les aulres
avaient ete individuelles : celle-ci a lieu en
faveur de I'Eglise naissante du Sauveur. Les
tfBtails conserves par S. Luc sonl nouveaux
pour la plupart. Quelques-uns, par leur pre-
cision, qui donne a ces lignes I'aspt ct d'une
constalation medicale, Torment un argument
invincible en faveur de la realite du fait de
la Resurrection.
36. — Dum loquuntur, stetit Jesus. Debut
des plus pittoresques. Le recit tout entier
est d'ailleurs un vivant tableau. Au lieu de
i Itiuou? lesmanuscrits Sinail., B, C, L, etc.,
ont auTo;, « ipse ». — Pax vobis (ddS DlStt^).
C'est la salutation accoutumeedu Juifs; mais
quelle force pariiculiere n'avail-elle point sur
les levrcs de Jesus ressuscitel — Les mots
suivanls, Ego sum, nolite timere, sont omis
dans le texle grec : on les trouve neanmoins
dans presque toutes les versions anciennes
(ital., vulg., syr., arab., armen., pers., copt.,
ethiop.). 11 est difficile de se proiioncer a leur
sujet. lis s'harmonisent du moins parfaito-
ment avec la scene si bien decrite au t. 37.
37. — Conturbati et conterriti, itToyjBs'vTe?
xal SpifoSot Yevc(X£voi : deux expressions syno-
nymes, et toutes les deux tres fortes, pour
mieux representer Teffroi de I'assemblee. —
Spiritum, uvevixa (le manuscrit D a qpavxaffjAz) :
un fantome, unrevenant. Cfr. Matlh.xiv, 26;
Act. xxiii, 8 et 9; Hebr. xii, 23. L'appari-
tion si subite et si imprevue du Sauveur
(« cum fores essent clausae », dit expresse-
ment le quatrieme Evangile, xx, 49) favori-
sait cetle supposition.
38. — Dixit eis. Jesus rassure d'abord dou-
cement ses amis, t. 38 ; puis il leur demonlre
que c'esl bien lui en personne qui se trouve
aupres d'eux, t. 39. — Quid turbati estis. Le
grec n'cmploie pas ici le merae verbe qu'au
t. 37 : TETapaYixevoi eoTe. — Cogitationes :
6ia)oYiff|J-of> des raisonnements, pour signifier
loute sorte de p?nsees etranges, nolamment
celle qui vient d'etre signalee. — Ascendunt
in corda vestra est une locution hebralque,
bien pittoresque ; c'est le 3S~by nSy de Jer
CHAPITRE XXIV
411
39. Videte maniis meas, et pedes,
quia ego ipse sum : palpate, et vi-
dete : quia spiritus carnem et ossa
non habet sicut me videtis habere.
40. Et cum hoc dixisset, ostendlt
eis manus et pedes.
41. Adhuc autem illis non creden-
tibus, et mirantibus prse gaudio,
dixit : Habetis hie aliquid quod
manducetur?
42. At illi obtulerunt ei partem
piscis assi et favum mellis.
39. Voyez raes mains et mes pieds;
c'est bien moi. Touchez et voyez;
un esprit n'a ni chair ni os com me
vous voyez que j'ai.
40. Et lorsqu'il eut dit cela il leur
montra ses mains et ses pieds.
41. Mais comme ils ne croyaient
pas encore et qu'ils s'etonnaient
iransportes de joie, il dit : Avez-
vous ici quelque chose a manger?
42. Et ils lui presenterent un
morceau de poisson roti et un rayon
de miel.
HI, 16 ; IV, 15, 17; xliv, 21 elc. Le coeiir est
mentionne au lieu de I'esprit, conformement
aiix regies de la p>ycliologi;' des Hebreux.
39. — Videte manus meas et pedes. Ces
mots siipposenl de la faQon la plus evidonle
que les mains el les pieds riu Sauveur por-
taient encore, merae apres la Resurrection,
les empreintes des clous qui les avaient pcr-
ces : autrement, on ne veil pas ce qu'il y au-
rait eu de caracteristique dans ces parlies du
corps sacre de Jesus pour prouver son iden-
lile [quia ego ipse sum, avec omphase sur les
pronoms). II est probable que Notre-Seigneur
gardera eterneliement ces glorieux stigma*
tes, comme I'ont pense les ("ercs. Conoluons
encore de ce passage que 1 s pieds de Jesus
n'avaienl pas ete seulement attaches a la
croix avec des cordes, ainsi qu'on i'a parfois
affirm^. — Palpate, 4'^)>a9:o<J«Te. « Probenl
gibi manus vestrge si iiientiunlur oculi ves-
tri ». S. Auguft. S^rm. lxix de Divers. La
certitude obteuu ' par le sens du toucher etait
en effet plus foil? encore que celle que pro-
curent les yeux. — Spiritus carnem et ossa
non habet. Comparez Homere, Od. xi, 218,
ou yip ETi ffapxa; xe xal darea Tve; Ixovai, et
Ovide, Metam. iv, 443, « Exsangues sine
corpore et ossibus umbrae ». Voir Wetstein,
Hor. hebr., h. 1.
40. — Le Sauveur joint aussilot I'acte a la
parole et montre, c'est-a-dire fait voir et fait
toucher aux disciples, ses mains et ses pieds.
De Wette est-il do bonne foi quand il pre-
tend que les apparitions de Jesus ressuscit^
oat, dans les recils de S. Luc et de S. Jean,
'< un caraclere qui sent le spectre «? Nous
I'excuserionssi les Evangilescontenaient des
tables analogues a lasuivante, citee par Cle-
ment d'Alexandrie : S. Jean ayantvoulu i)ro-
iiterde la permission que lui donuait ledivin
Maitre, sa main passa a travers le corps de
Jesus sans rencontrer la moindrc resistance !
— L'omission de ce verset par le Cod. D. et
par quelques copies de I'llala n'est pas une
raison suffisante pour douter de son aulhen-
ticite.
41. — Adhuc illis non credentibus. Cetle
incredulite parait bien etonnante, surtout
apres le t- 34 qui nous a 'montre les disciples
pleinsde foi; elle est pourlanl tres-nalurelle
au point de vue psychologique. L'ensemble
flu recit a mis conslamment en relief la diffi-
culie qu'avaient les amis de Jesus a croire en
sa Resurrection. Mainienant meme que le Sei-
gneur est aupres d'eux, ils osent s'abandonner
ai doute. Mais la joie rend quelquelois scep-
tique. « Proprium hocmiscrossequitur vitium
nunquam rebus credere Isetis », Seneque,
Thyestr. « Vix sibimet ipsi prae ncc opinato
gaudio credentes », Tite-Livc, xxxix, 49. Et
S. Luc releve precisement cette circonstance
avec sa delicatesse accoulumee : « non cre-
d 'Mtibus pr en gaudio et mirantibus » (telle est
la construction du grec). Voyez W. J. Walsh,
Harmony of the Gospel Narratives..., p. 165
et ss. Au reste, dif S. Leon, Serm. lxxi, ce
(loute avait pour but providenliel de multi-
plier en notre favour les preuves do la Resur-
rection : « Dubilatum est ab illis ne dubita-
reiur a nobis ». — Jesus va donner en effet
nno autre demonstration p^remptoire de ce
grand prodige (Cfr. Act. i, 3 et 4 ; x, 40 et 41 ) :
Habetis aliquid quod manducetur (xi Ppwatnov,
ici seulement)?
42. — Obtulerunt ei... Les disciples offrent
a Jesus les restes de leur frugal souper : par-
tem piscis assi et favum mellis (d'apres le
grec, M de favo apiario »). Le premier de ces
luets ne nous oblige pas, quoi que dise
M. Renan, k transporter la scene sur les
bords du lac de Tiberiade, car il est certain
d'apres le Talmud qu'il y avait de grands
arrivages de poisson A Jerusalem an temps
des fetes (voyez Farrar, Life of Christ, t, 1,
p. <42l; le second est tout a fait palestinien,
la Terre promise ayant toujours ete decrite
comme un pays ou coulent le lait et le miel.
Bien qu'ils soient omis par quelques manus-
,12
fiVANGILE SELON S. LUC
43. Et lorsqu'il eut mange devant
eux, prenaat les restes, il les leur
donna.
44. Et il leur dit : Voila les pa-
roles que je vous ai diles lorsque
j'etais encore avec vous ; il faut que
s'accomplisse tout ce qui a ete ecrit
de moi dans la loi de Moise et les
prophetes et les psaumes.
43. Et cum raanducasset coram
eis, sumens reliquias dedit eis.
44. Et dixit ad eos : Heec sunt
verba quae locutus sum ad vos, cum
adhuc essem vobiscum, qaoniam ne-
cesse est impleri omnia quae scripla
sunt in lege Moysi, et prophetis, el
psalmis de me.
crils importanls (Sinail., A, B, I), L, etc.),
les mots aito (jieXifffftou xripiou sonl cerlainement
aulhenliques, altendu 1° qii'on les trouve
parloul ailleurs, 2° que S. Juslin ol S. Cyriile
de Jerusalem y fonl allusion, 3° qu'cm ne
peut decouvrir auciin motif d'inlorpolaiion.
lis auronl disparu de quelques copies par la
negligence des « amanuenses ».
43. — Le texle grec differe un peu de la
Vulgate ; il a seulement : xai ).a6uv dvwTiiov
auTwv l(paYev, a et quum sumpsisset coram
eis, manducavit ». Co;'a?n e?5 est omphatique.
II mangea ?ous leurs yeux afin de les niieux
convaincre. Sans douti^, un corps re>suscite
n'a nul besoin de nourriture; raais il con-
serve neanmoins la facuile de recevoir les
aliments et de les ab?orber en qui'lque ma-
niere. Voyez S. Augustin, de Civilale Dei,
XIII, 22, Theophylacte, Eulhymiu?, et D. Cal-
met, h. I. S. Jean, xxi, 6, sgnale une autre
circoDslance ou Notrr-Seigneur pril de la
nourriture apres sa resurrection.
l9. L.es dernieres instractions de J6sas
^ ses disciples xxir, 44-49.
Ce recit tout enlier est propre au troisieme
Evangile. *
44. — Et dixit ad eos. S. Luc ne donnant
plus aucune indication chronologique jusqu'a
la Qn du cliapitre, un lecleur superficiel
pourrait supposer d'abord que tous les de-
tails racontesdans les tt. 44-53 se passerent
au soir menie de la Resurrection. Cfr. tf. 43,
33, 36, 43. Mais cela est evidemnient impos-
sible pour I'Ascension de Jesus, tt. 50 el ss.,
qui eut lieu seulement quarante jours plus
lard, ainsi que TafTirme explicitemenl noire
evangeliste lui-meme au livredes Actes, i, 3.
Cela est impossible aussi pour la parole du
t. 49, a Vos autem sedetein civitate quoadus-
que... », puisqu'elle inlerdil aux disciples de
quitter Jerusalem, taniiis que d'autres sources
aulhentiqufs nous apprcnncnt qu'iis allerei.t
en Galilee enlre la Resurrection el I'Ascen-
sion fCfr. Maitli. xxviii, 16 et ss. ; Joan.
XXI, 1 et ss.). D'autre part, les recomman-
dalions conlenues dans les tt. 47, 48 et 49a
se retrouvenl d'une maniere equivalenle au
debut des Actes des ap6tres, I, 8, ou elles
sont raltachees au jour de I'Ascension : elles
onl en outre toute I'apparence a'uue parole
d'adieu, ce qui nous conduit a la raeme con-
clusion. Or, il est bien ditScile de les separer
de celles qui precedent, tt. 44-46, car elles
leur sont etroitement liees et pour le fond el
pour la forme. Nous somraes ainsi amenes a
croire, et c'est aussi I'avis de plusieuis excel-
lenls commcntateurs (enlre autres Maldonal),
que ces instructions finales de Jesus nefureDl
prononcees que peu de temps avant son As-
cension, lei comme en maml autre endroii
de rhisloire evangelique, les questions do
temps el de lieu auronl ete negligees pares
qu'elles n'avaienl qu'une importance secon-
daire. D'autres critiques cependant placent
au moins Ics tt. 44-47 au soir de la Resur-
rection. Voyez dans Slier, Reden des Herro
Jesu, h. 1., une interessante discussion de
ce petit probleme exegetique. — Hcec sunt
verba... Jesus jette en ce moment un regard
retrospeclif sur sa vie mortelle, pour rappelsT
aux disciples les prophelies qu'il leur faisail
alors el leur monlrer, mainieiianl que ces
predictions sont accom|)lies, I'harmonie par-
faite qui regne entre elles et les saintes Ecri-
tures. Ainsi avaient fait naguere les anges
parlant aux saintes fomm s xxiv, 6-8. —
Cum adhuc essem vobiscum. Pensee profonde.
Jesus n'etail plus present aux disciples de la
meme maniere qu'aulrefois. Cfr. S. Gregoire,
Hom. xxivinEvang. — Quoniam necesse est...
Plus clairement, d'apres la correction pro-
posee par Era.-me : « quod necesse foret ».
Ces mots retombenl directement sur o haec
sunt verba quae locutus sum. » Jesus avait
done dit aux siens, de la fagon la plus for-
melle et a bien des reprises, que les divins
oracles conlenus en si grand nombre dans
les SS. Livres sur sa personne el sur son
oeuvre devaii nl necessairement (Set) etint^-
gralement (Tiavxa, omuia) s'accomplir. Notre-
Seigneur designe ici la Bible par une peri-
phrase dont on trouve plusieurs exemples
dans la lilterature juive : In lege Moysi et
prophetis et psalmis. La loi de MoIse, c'est le
Pentatouque, la Thorah (min), comme disent
les Juif2. Les propheles ou Nebiim (D'Naj),
qui se divisaient en prophetes anterieurs
CHAPITRE XXIV
44 3
45. Tunc aperuit illis sensiim, ut
intelligerent scripturas.
46. Et dixit eis : Quoniam sic
scriptum est, et sic oportebat Chris-
tum pali. et resurgere a moituis
tertia die;
P*. 18, 6.
47. Et prsedicari in nomine ejns
poenitentiam, et remissionem pec-
catorum in omnes gentes, incipien-
tibus ab Jerosolyma.
4b. Alors 11 Icur ouvrit I'esprit
pour qu'ils comprissent les Ecri-
tures.
46. Et il leur dit : II est ainsi ecrit
et ainsi fallait-il que le Christ sonf-
frit et qu'il ressuscitat d'entre les
morts le troisieme jour;
47. Et que la penitence et la re-
mission des peches fassent prSchees
en son nom a loutes les nations, en
commencant par Jerusalem.
[nebiim risc/jOHim, D''jU/N'1 D»N*33),et en pro-
pheles posterieiirs (nebiim achardnim, D'K33
D^JIiriN), coiTcspoiidenl h la seconde parlie
du canon hebreu, laqiielle comprenail Josue,
lesJuges.les livres des Rois, IsaTe, Jeremie,
Ezechiel el les douze pelils Proplietes. Enfin les
Psaumes npresentent les Ketoubim [U^J^T\Z),
ou Hagiographes, Iroisiems section biblique
qu'ils ouvraienl el dont ils elaienl ia porlion
la plus riche et la plus celebre. Comp. Jose-
phe, C. Appion. I, 8 : v6{io;, 7ipo5pr,Tat xai uavot.
Voyez Light fool, Hor. hebr. h. I.
45. — Tunc, en eel inslani mems, a la
suile de rinstruclion qui precede. — Apei'uit
illis sensum (t6v vouv, « nientem », i'inlelli-
gence). C'esl la meme figure qu'au t. 32;
raais elle indique ici quelque chose de plus.
Jesus avail « ouvert - les Ecrilures aux deux
disciples d'Emmaiis en les kui' expliquanl
(Cfr. Act. XVII, 3] : acluellemenl c'esl I'ejpnl
de ses amis qu'il ouvre pour qu'ils sachenl
desormais interpreter d'eux-memes les sens
les plus profonds de la parole inspiree. Don
raagnifique, que I'Espril-Saint viendra com-
pleter bienlot. et en verlu duquel nous les
verrons commenter la Bible d'une maniere
lumineuse, rapportanl tout a Jesus-Christ.
Cfr. Act. I, 16, 20 ; ii, xvi, 25, el cent autres
endroils du livre des Actes el des Epilres.
Don magnifique, qui ful ensuite Iransmis k
I'Eglise, devenue I'unique depositaire du vrai
sens des livres sacres. Don qui nous a valu les
interpretations incomparables d s SS. Peres,
notarament des Jerome, des Augustin, des
Chrysoslome, des Gregoire, el de nos grands
exegeles callioliques. Don auquel nous vou-
drions avoir une humble pari, et que le pieux
lecteur voudra bien demander a Dieu pour
nous.Cen'esl en effet qu'a la claried'en naut
que I'on peut comprendre et espiiquer les
SS. Livres. La science humaine aide peu, sou-
venl m6me elle egare : on ne le voit que Irop
quand on lit les commentaires des Juifs, des
rationalistes, el memo des proleslanls qui
croient a rinspiration. « Usque inbodiernum
diem, cum Icgitur Moyses, velamen p-^situm
est super cor eurum », IlCor. in, \b. Scuvenl
ce sonl « magni passu?, sed extra viam. »
46 el 47. — Et dixit eis. Cello forniule
renoue le fil du discours, inlerrompti par le
grand prodige du t. 45. Desormais la parole
de Jesus va lomber sur un terrain fertile :
jamais les di-ciples n'auronl si bien coinpris
les allusions bibliques du divin Mail re. —
Quoniam sic scriptum est... La reflexion an-
lerieure [t. 44) se rapportait au passe ; Rap-
pelez-vous lout ce que je vous disais (4 a imi-
rez-en la pariaile realisation! Celle-ci s^appli-
que soil au passe (t.46Jsoit a I'avenir ,♦. 47).
« Quoniam » est redoniianl, a la maniere du
»3 hebreu. La repetition de sic est pleine
d'emphase. L'omi-sion des mols et sic oporte'
bat par les man iscrils Siuait., B, D, L, ne
prouve rien conlre leur aulhenlicite, car on
les trouve partout ailleurs. — Resurgere a
mortuis tertia die. \ propos de ce troisieme
jour voyez F. de Hieronymo Jovino, S. J.,
Crilico-biblical Disquisition on the lime
during which Christ lay in the tomb (tex'e
latin-anglais). Woodstock \Slb. — Et prcedi-
can... Jesus enumere successivement quatro
caracteres de la predication apostolique. Ellu
aura lieu en son nom; elle annoncera la peni-
tence el la remission des peches; elle atlein-
dra loutes les nations; elle devra commenc r
k Jerusalem. — Poenitentiam et remissionem
percatorum. Telle avail ete la predication du
Precurspur, iii, 3 et parall., el cello du Sei-
gneur Jesus lui-meme. Marc, i, 13 : le pre-
mier sermon de S. Pierre ti'aura pas d'autre
theme. Cfr. Act. ii, 38. Les deux choses
enoncees sonl correlatives : la penitence pro-
duil la remission des peches ((AETdvoiav el«
S^eoiv, commelisent lesmanuscrits Sinait.,B,
el la version syrienne); la penitence est la
part de I'homme, el le pardon la part de Dieu.
— In omnes gentes. Cfr. Matlti. xxviii, 19;
Marc. XVI, 13; Act. i, 8. Cost la catholicild
de la predication, par consequent de TEglise,
— Incipientibus ab Jerosolyma, Deja Isalo
m
fiVANGILE SELON S. LUC
48. Pour vous, vous etes temoins
de ces choses.
49. Et moi je vais envoyer en
vous le promis de mon Pere. Mais
restez en repos dans la ville, jusqu'a
ce que vous soyez revetus de la
force d'en liaut.
50. Puis il les mena dehors vers
Bethanie et ayant leva ses mains
il les benit :
48. Vos autem testes estis horum.
Ad. 1, 8.
49. Et ego mitto promissum Patris
mei in vos. Vos autem sedele in ci-
vitate, quoadusque induamini vir-
tute ex alto.
Joan. 14, 26.
50. Eduxit autem eos foras in Be-
thaniam, et elevatis manibus suis
benedixit eis
J'avait prophelise, i, 3 : « De Sion exibil lex,
el verbum Domini de Jerusalem. » Cfr. Mich.
IV, 2. Ell lant qii'elle etait la metropole du
Judai?ino. la capitale du roi Jehova, le foyer
antique do la vraie religion. Jerusalem avait
droit k CO privilege, et les apolres ne le lui
enleverenl point, car c'esl a Jerusalem qu'il
SB niircnt tout d'abord a precher. Voyez les
premiers chapilres des Acles.Tacitelui-meme
esl lemoin de ce fait : a La superstition qui
avail pour auteur un certain ChrisLus, qui
souffrii sous Ponce-Pilaie, se repandil rapi-
denicnt, non seulement h travers la Judee,
oil lo mal prilson origine,iiiais encore. ..etc. »
Ann. XV. 44. 'Ap$(x[ievov du lexte grec (les
varianles ap^apLevoi, Sinail., B, C, L, N, X,el
apSdpevwv, D, e^ont des corrections;, doit se
rallacher a y.rip\)x^i)\an comme un accusalif
neutre employe d'une maniere absolue.
48. — Vos aulem .. Ce verget exprime le
role des disciples relalivement au plan de
salul qui vient d'etre decrit. lis seronl testes
horum, lemoins de la vie, des miracles, de la
doctrine, de la morl, de la resurrection, de
la divinite de Jesus, temoins de I'exacte con-
formite de son caractere et de ses ceuvres
avec tout ce que les Ecrilures avaienl predit
du Messie, temoins qui se feronl egorger
(ixapxupes) . De nombreux passages des Acles
(II, 32; III. 15; iv, 33; v, 30-32, etc.) mon-
trenl combien les apolres avaienl pris au
serieux celle noble fonclion de temoins du
Christ.
49. — Et ego. Avec emphase : moi, de
mon cote (dans le grec: xaltSoi lyw). Jesus
annonco mainlenant a ses temoins ce qu'il
fera pour rendre leur minislere fruclueux. —
Mitto promissum Patris mei in vos. Dans ce
« promi? du Pere », ou, d'apr^s le grec, dans
celte r. promesse du Pere » (siraYYeXfav toO Ila-
Tp6«), il esl evident qu'il faut voir I'Espril-
Sainl, comme il esl dit si nellemenl au livre
des Acles, i, 5, 8. Cfr. Gal. in, 14. Ce nom lui
vient soil des passages de I'Ancien Tesla-
meni qui avaienl predit sa descente mer-
veilleuse (Joel, ii. 28 ; Is. xuv, 3 ; Ezech.
XXXVI, J6), soil des promesses plus recenles
encore de Jesus lui-m6me. Cfr. Joan, xiv, 16
el ss.; XV, 26; xvi, 7, etc. Remarquez le
present « mitto » (anoaziWui, on, d'apres les
manuscrils B, L, X, Aj e^aTtodTeXXw, verbe dou-
blemenl compose), qui exprime une prompte
el certaine ettusion du divin Esprit. De la part
que Nolre-Seigneur Jesus-Chrisl s'altribue
dans cemysterieux envoi, la Iheologie ajusle-
ment conclu que le Sainl-Espril precede du
Fils aussi bien que du Pere. Ce passage est
aussi un « locus classicus » pour prouver
I'existence et la distinction des Irois personnes
divines. — Vos autem sedele in civitate (le
grec ajoule *l£pou<7a),r)|ji, mot egalemenl orais
par B, C, D, L, Sinait., elc). Cfr. Act. i, 4.
Le verbe xaOJ^eiv (comparez I'hebreu 3X1?') ne
designe ici qu'un sejour temporaire, donl la
duree esl determinee d'une maniere generale
par les dernieres paroles de Jesus, quoadusque
induamini virlute ex alto. Cel « induamini »
(dans le grec, ivSOffriffOe k la forme moyenne,
« indueritis vos ») conlienl une forte el vive
image, aimeedeS. Paul (Cfr. I Cor. xv, 53, 54;
Gal. Ill, 27; Col. iii, 12; E[)h. iv, 24, Rom.
XIII, 13, etc.), comme des classiques (voyez
Welstein, h. 1.), et frequemment employee
deja par les ecrivains de I'Ancien Testament.
Comparez Is. li, 9 (Ty~'U7nS, rev^ls-loi de
force); Jud. VI. 34; 1 Par. xiii, 18; II Par.
VI, 41 ; XXIV, 20 ; Ps. cix (hebr.), 18; cxxxii
(hebr.) 9, 16, etc. II signifie que la verlu d'en
haul [ex alto, hebraisme pour « e coelo ». Cfr.
Job. XVI, 19; Luc. i, 78, etc.) penelrera jus-
qu'au fond de I'^me des disciples afin d'en
prendre possession. Auva[ii; £5 {)<}'o"? est une
nouvelle denomination de I'E-prit-Sainl.
20. L.'Ascenslon de Jdsus. xxit, 50-53.- f arall.
Marc, xn, 19-20.
S. Luc ne fail que toucher ici a ce mystere,
car il se reservail de le raconler avec plus de
details dans son second ouvrage. Son resume
est neanmoins beaucoup plus complet que
celui de S. Marc; il est expose d'une maniere
loute dramalique.
50. — Eduxit autem eos,... Sur la dale de
I'Ascension, voyez Act. i, 3. — Foras, c'est-
CHAPITRE XXIV
41 S.
51. Et factum est, dum benedi-
ceret illis, recessit ab eis, et fere-
batur in coelum.
Marc. 16, 19; Act. 1,9.
52. Et ipsi adorantes regressi sunt
in Jerusalem cum gaudio magnoj
53. Et erant semper in tempio,
iaudantes et benedicentes Deum.
A.men.
51. Et il advint que pendant qu'il
les benissait, il se retira d'eux et
il etait porte dans le ciel
52. Et eux, Tayant adore, revin-
rent a Jerusalem pleinsd'une grande
joie.
53. Et ils etaient toujours dans
le temple, loiiant et benissant Dieu.
ii-dire hors de Jerusalem, oil le Maltre et les
disciples s'etaienl retroiives apres leur.s ren-
contres en Galilee. — In Bethaniam. D'apr^s
le recit des Actes, i, 12, I'Ascension de Jesus
aurait eu lieu sur le mort des Oliviers, a un
quart d'heure environ do Belhanie; et c'est en
ctTel au sommet Drincioal de cetle montagne
celebre, pres dii village musulman Ei-Tour,
que les Chretiens out toujours venere I'empla-
ceme'nt de ce grand mvslere. Voyez R. Riess,
Atlas de la fitble, pl, VI; Gralz, Thesitre des
evenemenls raconles dans les Saintes Ecri-
tures, t. I, p. 256 et s.; Mgr. Mislin, les saints
Lieux, t. Ill, p. 233 et ss. de la seconde edit.
Mais, que la legon des manuscrits B, C, D, L,
Sinait. etc , (£w« Ttpc;, « jusque vers », au lieu
de ?u? et;) soit aulht ntique ou non, il n'est
pas necessaire d'interpreier les mots « in
Bethaniam » avec une rigueur malhcmati-
que ; ils peuveni fort bien s'appliquer au dis-
trict qui avoisinait la bourgade ainsi nommee.
— Elevalismanibus benedixit. L'elevation des
mains etait deja, dans la liturgie niosaique,
le gesle de la benediction. Cfr. Lev. ix, 22.
Ce rite subsiste encore chez les Juifs. Voyez
D. Stauben, Scenes de la Vie juivo en Alsace,
p. 168. II est touchant de voir que le dernier
acte du Seigneur Jesus sur la terre fut une
benediction.
51. — Dumbenedicei'et... Trait graphique :
au moment memo ou il benissait. — 11 y a deux
mani^res d'expliqner les mols recessit ab eis
(5uffxri iTi'auTtSv). Peul-etre sigtiilienl-ils qu'a-
vant de s'elever au ciel , Jesus s'ecarta le-
gerement de ses disciples, auquel cas il y
aurait eu deux mouvements distinclg, SieffXT],
puis avefepexo. Mais cette interpretation nous
parail un peu forcee. Nous preferons voir
dans le veroe « recessit » une premiere desi-
gnation du fait qui est ensuite indiqu^ plus
explicilemenl par ferebalw in coelum (dans le
grec : « sursum ferebatur in coelum »). L'im-
parfait est a noter : outre qu'il est tres pitlo-
resque, il prouve que Jesus ne disparut pas
Bubitement, mais qu'il s'^leva versle ciel avec
une majeslueuse lenteur, sous les regards
ravis de la sainle assemblee. Scene sublime,
que les poeles et les peintres ont soavent
commentee, entre aulresle V. Bede, Louis de
Leon, Lavater, Raphael, le Titien, Yeronese,
fra Angelico, Overbeck, le Perugin (« joyau
le plus precieux du musee de Lyon », Gri-
mouard de saint Laurent).
52. — Et ipsi adorantes (Tcpoffxuvo^ffavts;,
a quum adorassonl »). Prosternes a terre, ils
adorent Jesus comme le vrai Fils de Dieu.
0 Non legimus nisi hoc loco Christum a sui-:
discipulis adoralum », Maldonat. Mais jamais
sa divinite n'avait brille d'un plus vif eclai
aux yeux do. lout le cercie des disciples. —
Regressi sunt... cum gaudio magno. Et pour-
tant ils etaient mainienant prives de sa douce
presence, qui avait ete la source de leurs
joies les plus vives. Mais, selon la recomman-
dation qu'il leur adressait naguere, Joan.
XIV, as, ils etaient heureux, sachanl qu'il
s'en allail aupres de son Pere bien-aime.
53. — Nous apprenons, dans ce court recit,
la maniere donl 1.8 apotres et les disciples
de Jesus passerenl les dix jours qui s'ecoule-
renl entre I'Ascension et la descente de
I'Espril-Sainl. Le premier chapitre des Actes,
■ft. 12-16. nous fournit la-dcssus des details
plus complets. — Erant semper in te^nplo. II
ne faul pas exagerer le sens de la locu-
tion StaTravTo?, qui est ici une hyperbol ■
populaire. « Semper orat, dil S. Augustin,
Epist. cxx\, qui per intervalla certa tempo-
rum orat ». Gomp. Act. I, 13, oil I'ecrivaia
sacre rapporte expressement que le cenacl ■
etait la residence habiluelle des disciples. —
In tempio, sv x(S lepi^ (dans les parvis, ouverts
aux fideles a certaines heures; non pas^vxw
yatf). — Laudanles et benedicentes. S. Luc
termine son Evangile par cette belle formule,
qui est, nous I'avons vu, une de ses locutions
favorites. — Le mot Amen est probablemeni
une addition liturgique : il manque du moins
dans plusieurs manuscrits qui ibnl aulorild
(Sinait., G, D, L, etc.).
FIN DE L'£VANGILB SELON SAINT LUC.
TABLE DE L'EVANGILE SELON S. LUG
I. -
II. -
III. -
IV. —
Y. -
Nolicebiographiquesur S.Luc.
Authenlicile du iroisiem-".
evangile
Les sources de S. Luc. . .
Destination el but du troi-
sierae evangile
Caraciere de I'evangile seloa
S.Luc <3
PREFACE
Pages.
1
VI.
4
VII. ■
9
VIII.
12
IX. -
X. -
13
Page*.
Langue et style du troisifeme
Evangile 16
Temps et lieu de la composi-
lioi) 18
Plan et division 19
Commentaires 20
Division synoptique de I'evan-
gile selon S. Luc. ... 23
TEXTE, TRADUCTION ET COMMENTAIRES.
PROLOGUE
CHAPITRE 1 27
PREMIERE PARTIE
La vie cach6e de N.-S. J6sus-Clirist.
CHAPITRE I [Suite] .30
CHAPITRE II 62
DEUXifeME PARTIE
La vie publique de N.-S. J6sas-Christ.
CHAPITRE III 90
CHAPITRE IV 108
CHAPITRE V 122
CHAPITRE VI 133
CHAPITRE VII 149
CHAPITRE VIH 167
CHAPITRE IX. . . , 182
CHAPITRE X. ........ 200
CHAPITRE XI 216
CHAPITRE XII 235
CHAPiTRE Xni 251
CHAPITRE XIV 265
CHAPITRE XV 276
CHAPITRE XVI 289
CHAPITRE XVII 303
CHAPITRE XVIII 313
CHAPITRE XIX 324
TROISIEME PARTIE
La vie soufFrante et gloriease de Jdsas.
CHAPITRE XIX (Suite)
CHAPITRE XX. .
CHAPITRE XXI. .
CHAPITRE XXII. .
CHAPITRE XXIII .
CHAPITRE XXIV .
332
337
348
358
381
400
FIN DE L'EVANGILE SELON S. LUC.
Paris. — L. Maretheux, imprimeur, 1, rue Cassette.
1(^.' .aJlr '
^-^
■c^^
'^*A