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Full text of "La Sainte Bible : texte de la Vulgate"

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Digitized  by.  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lasaintebibletex21pari 


■.sa 


LA 


SAINTE  BIBLE 


fiVANGILE    SELON    S.    MARC 


p.   LETHIELLEUX,   Editeur,   10  rue  Cassette,   PARIS 


GENT    PSAUMES 

Traduits  litteralement   du   texte    hebreu    et    commentes   par  le   R.   P. 
Francois-Xavier   Patrizzi,  de  la  compagnie  de  Jesus,  avec  une   intro- 
duction a  la  lecture  du  Psautier.  Traduction  frangaise,  par  le  R.  P.  N. 
BoucHOT,  de  la  meme  compagnie.  Beau  volume  in-8'  Jesus    .     .     .     10.00. 
Le  weme,  relie  toile  tr.  rouges 12.50 j 

II  fautbien  le  reconnaitre,  en  raison  de  la  sublimite  des  pensees  et  du  caractere  poetique 
ie  rexpression,  du  genie  des  langues  orientales  si  different  du  genie  des  i^otres,  de  i'imper- 
fection  tres  grande   de   la  version   latine,  admise  si   anciennement  dans  la  lilnrgie  qu'on  ne 
put  reussir  a  y  substituer  la  traduction  bien   meUleure   de  saint  Jerome,  le  Psautier  est  un  ' 
des  Livres  de   I'Ecriture  les  plus   ditliciles  a  entendre:  Toute  traduction,  lout  conimenlairc  ■. 
propres  a  lever  ces  difficultes  sont  done  assures  de    trouver   un  bon  accucil  ciie/.  tousles* 
(icclesiastiques  soucieux  de  s'acquitter  dignement  du  grand  devoir  do   la  priere    pullique. 
Parmi  les   ouvrages    de    ce    genre,  celui   du    P.    Patri/./.i  est  assuremcnl  un  des  lueillours. 
L'illustre  Jesuite  que  Leon  XIII  a  prociame  la  «  lumiere  des  etudes   hibliciues  ».   et;\iL  adr.ii- 
rablement  pi'epare  par  ses  longs  et  remarquables  travaux  exegetiques  a  Iraduire  clairouient 
les  Psaumes  et  a  les  commenter  avec  autorite.  C'est  a  quoi  il  s'est  applique  avec  inlinimonl 
de  zele  et  de  succes    dans    ses  Cento    Salmi   tradotti  de   testo  ehraico    e  commendati^  ot 
comnie  le  dit  fort  bien   le  R.   P.  Bouchot,  il   anrait  ete  regrettable  «  que    la   langue   dans 
laquelle  ce  livre  est  ecrit  eiit  beaucoup  trop  circonscrit  le  champ  do  son  utilite  ». 

On  regrettera  assurement  que  le  P.  Patrizzi  n'ait  traduit  et  commente  que  les  deux  tiers 
du  Psautier.  L'ouvrage  n'est  pourtant  pas  inconiplet.  «  Mon  dessein,  dit  I'auteur  dans  sa 
preface,  n'est  pas  d'expliquer  le  Psautier  tout  entier,  mais  de  renseigner  mes  lecteurs  su/ 
ce  qui  me  seml)le  utile  pour  le  lire  et  le  comprendre.. .  Je  voudrais  montrer  pratiquoment 
la  uiethode  a  suivre  dans  I'etude  des  Psaumes,  et  telle  est  la  principale  tin  quo  je  me  suis 
proposee  en  composant  mon  livre  et  en  le  mettant  au  jour  ».  Experience  faite,  le  lecteur 
.serieux  pourra  s'ussurer  que  Teminent  exegete  a  fldelement  rempli  son  programme  et 
atteint  son  hut.  —  A. 

(Revue  catholique  de  Boi'deaux). 


BIBLIA 


VULGATAE    EDITIONIS 

SIXTI    V    ET    GLEMENTIS    VIII 

PONTT.    MAXX. 

JUSSU 
RECOGNITA    ATQUE    EDITA 

Et  ab  aucLoritate  ordinarii  canonicc  permissa. 

EDITIO    CURA    ET    STUDIO    CaROLI    VeRCELLONE,    AN.     1 86 1,    DATA, 
SCRTJPULOSIUS   INTENTA 

2  vol.  gr.  in-S",  ^ros  car«ciere5,  (/ra?^rfes  Wiarge^  (1600  p.) 12.00 

PRiX  DES  RELIURES  EN  PLUS  : 

1°  L'ouvrage  relie  en  deux  volumes  : 

N°  1  —  Toile,  biseaux,   tr.  rouges,  par  vol.  net l.GO 

—  2 — 1/2  chagrin,  plats  toile,  tr.  jaspees,  par  vol.  net.     .     .     .  2.50 

—  3 — 1/2  chagrin,  plats  toile,  tr.  rouges,  par  vol.  net.     .     .     .  o.25 

2'^  Uouvrage  relie  en  un  volume  : 
N"  4  —  1/2  chagrin,  plats  toile,  tr.  jaspees,   net 3.75 

—  5  —  1/2  chagrin,  plats  toile,  tr.  rouges,  net 4.50 

Par  la  purete  du  texte,   le  caractere  de  Timpression  et  le  format,  cette  .edition  se  recom 

mande  a  tous  ceux  qui  font  une  lecture  habituelle  de  la  Bible,  et  particulierement  a  coux  (p.ii 
Irouvent  les  editions  les  plus  repandues  fatigantes  pour  les  yeux  ou  trop  ■pen  dislinrjaees 
et  trop  incommodes  pour  etre  placees  dans  une  bibliotheque.  Cette  edition  a  etc  rcvisee  i)ar 
M.  I'abbe  Vigouroux,  et  est  I'evetue  de  Vimprimatur  de  Son  Em.  Mgr  Richard,  Cardinal- 
urcheveque  de  Paris. 


LA 


SAINTE  BIBLE 

TEXTE  DE  LA  VULGATE,  TRADUCTION  FRANCAISE  EN  REGARD 

AVEC    COMMENTAIRES 

TBBOLOGIQCES  ,     MORADX  ,    PDILOLOGIQUES  ,    HISTORIQUES,     ETC.,     REOIGES     D'APRES     LES     MElLLEnRS    TRAVAUX 

ANCIENS    ET     CONTEMPORAINS 


fiVANGILE  SELON   S.   MARC 

INTRODUCTION  CRITIQUE  ET  COMMENTAIRES 
Par  M.   I'abbe  L.  Gl.  PILLION 

Prfitre  de  Saint-Sul^ice,  professeur  d'Ecrilwre  sainte  au  Grand  S^minaire  de  Lyon 

TRADUCTION     FRANQAISE 
Par  M.  I'abbe  BAYLE 

Docteur  en  Th^ologie  et  professeur  d'Eloquence  sacrfie  a  la  Faculte  de  Theologie  d'Aix. 


Ignoratio  Scripturarum,  ignoratio  Chrisli  est. 

S.  Jerome. 


PARIS 

p.   LETHIEL.LEUX,    LIBRAIRE«:6dITEUR 

lO,  r-u.e  Cassette,    lO 
1895 

Tous  droits  reserves 


APR  I  ff  rg57 


IMPRIMATUR 


•j-  J.  Hipp.  Card.  Guiberl,  archiepiscopus  Parisiensis. 


Parisiis,  die  23  julii  1870. 


Pour  donner  nne  idee  de  I'esprit  dans  lequel  noire  travail 
a  ete  concu  et  execute,  nous  ne  croyons  pas  pouvoir  mieux 
faire  que  d'emprunter  a  saint  Bernard  (Ep.  clxxiv,  n.  9),  la 
protestation  suivante  : 

<  Romance  prceserlini  Ecclesice  auctoritati  atque  exa- 
mini,  totum  hoc,  sicut  et  ccetera  quce  ejtismodi  sun.:, 
universa  reservo,  ipsiua,  si  quid  aliter  sapio,  paratut 
judicio  emendare,  » 


PROPRIETE  DE  L'EDITEUR 


.filLB  DE   S.   llAtlC 


EVANGILE    SELON    S.    MARC 


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PREFACE 


— •>^^4««<«— 


§  I.  —  NOTICE   BIOGRAPHIQUE  SUR  S.   MARC 

Quel  est  ce  S.  Marc,  auquella  tradition  a  toujours  imanimement  attribue 
la  composition  du  second  Evangile  canonique?  La  plupart  des  exegetes  et 
des  critiques  contemporains  (1)  admettent  qu'il  ne  differe  pas  du  person- 
nage  mentionne  alternativement  dans  plusieurs  ecrits  de  la  nouvelle 
Alliance  sous  les  noms  de  Jean,  Act.  xiii,  5, 1 3 ;  de  Jean-Marc,  Act.  xi,  1 2, 2o ; 
XV,  37,  et  de  Marc,  Act.  xv,  39;  Col.,  iv,  10,  etc.  (2)  Baronius  (3),  Gro- 
tius,  Du  Pin,  Tillemont,  D.  Galmet,  de  nos  jours  Danko  (4),  leP.  Patrizi  (5), 
M.  Dracli  (6),  etc.,  nient  au  contraire  cette  identite.  Pour  eux,  I'evangelisle 
S.  Marc  serait  completement  inconnu;  ou  bien,  il  devrait  se  confondre  avec 
le  missionnaire  apostolique  que  S.  Pierre  appelle  «  Marcus  filius  meus  » 
dans  sa  premiere  Epitre,  v,  13.  D'autres  auteurs  (7),  allant  encore  plus  loin, 
distinguent  I'evangeliste  S.  Marc,  Jean-Marc  et  un  autre  Marc,  parent  de 
B.Barnabe.  Cfr.  Col.  iv,  10.  Mais  ces  multiplications  ne  reposent  pas  sur 
des  fondements  bien  serieux.  Quoique  plusieurs  ecrivains  apostoliques 
des  premiers  siecles,  en  particulier  Denys  d'Alexandrie  et  Eusebe  de  Ge- 
.■saree  (8),  serablent  vaguement  supposer  I'existence  de  deux  Marc  dis- 
tincts,  dont  I'un  aural t  ete  compagnon  de  S.  Pierre,  I'autre  collaborateur 
•de  S.  Paul,  on  ne  saurait  affirmer  que  la  tradition  se  soit  jamais  prononceea 


'Itoavvv)?,  ecrivait  dej a  Victor  d'Antioclie.  Cfr.  Gramer,  Gat.  I.  p.  263;  II,  p.  iv. 


[\)  Parmi  les  calholiques  MM.  Hug,  Wellp,  Schwarz,  A.  Maier,   Reithmayr,  de  Valroger, 
ReischI,  Gillv.  Dehaut,  Allioli,  Schegg,  Bispiiig,  etc. 

(2)  Voir  Frilzsche,  Evangelium  Marci,  Lips.  4  830,  p.  xxiil  et  s. 

^3)  Annal.,  ann.  45,  §  4G. 

h)  Ili^toria  revelationis  N.  T.  Vindob.  4867,  p.  274  et  ss. 

(5)  111  Maiciim  Comment.  Rom.  1862,  p.  233  etss.;  de  Evangeliis  Iibri  tres,  t.  I,  p.  35  et  9. 

^6)  Comment,  sur  les  EpiLr.  de  S.  Paul,  p.  503. 

(7)  Ap.  Colelier,  Cor.slitut.  aposl.  lib.  II,  c.  Lvi ;  Fabric.  Lux  evangel,  p.  147. 

(3J  Voyez  Patrizi,  1.  c. 

S.  BlBLS. 


2  fiVANGILE  SELON  S.  MARC 

Notre  Evangeliste  avail  recu  a  la  circoncision  le  nom  hebreii  de  Jean, 
-izr^v,  Jochanan;  ses  parents  y^ajouterent,  ou  il  adopta  liii-meme  plus  tard 
le  surnom  remain  de  Marc,  qui,  d'abord  uni  au  «  nomen  »,  ne  tarda  pas  a 
le  remplacer  completement.  G'est  ainsi  que  S.  Pierre  et  S.  Paul,  dans  les 
passages  cites,  ne  mentionnent  que  le  «  cognomen  »  (i).  S.  Marc  etait 
I'avE'lio;  de  S.  B.iniabe,  c'est-a-dire  le  tils  de  lasceur  de  ce  celebre  ap6tre; 
Cfr.  Col.  IV,  10,  et  Bretschneider,Lexic.  man.  grseco-latin.  in  librosN.  T., 
s.  V.  (iv4io;.  Peut-etre  etait-il  levite  comme  son  oncle;  Cfr.  Act.  iv,  26  (2). 
Sa  mere  se  nommait  Marie  et  residait  a  Jerusalem,  Act.  xii,  12,  bien  que 
la  famille  filt  originaire  de  I'ile  de  Ghypre.  Gfr.  Act.  iv,  36.  Gonvertie  au 
Ghristianisme,  soit  avant,  soit  depuis  la  mort  du  Sauveur,  elle  egalait  en 
zele  pour  la  religion  nouvelle  les  Marie  de  I'Evangile,  car  nous  voyons 
les  Apotres  et  les  premiers  Chretiens  se  reunir  dans  sa  maison  pour  la 
celebration  des  saints  mysteres,  Act.  xii,  12  et  suiv.  G'est  la  que  S.  Pierre, 
delivre  de  sa  prison  par  miracle,  alia  directement  chercher  un  refuge. 
Cette  circonstance  suppose  qu'il  existait  deja  d'intimes  relations  entre  le 
prince  des  Apotres  et  la  famille  de  S.  Marc;  elle  explique  en  meme  temps 
rinfluence  exercee  par  S.  Pierre  et  sur  la  vie  et  sur  I'Evangile  de  Jean- 
Marc  (3).  Quant  au  nom  de  «  fils  »  que  Cephas  lui  donne  dans  sa  premiere 
Epitre,  v,  13,  il  indique,  selon  toute  probabilite,  une  filiation  produite  par 
la  collation  du  bapteme  :  ce  n'est  done  pas  seulement  un  litre  de  ten- 
dresse  (4). 

S.  Ephiphane,  adv.  Hser.  li,  6,  Tauteur  des  Philosoplioumena,  vii,  20, 
et  plusieurs  autres  ecrivains  ecclesiastiques  des  premiers  siecles  (5)  font 
de  I'evangeliste  S.  Marc  I'un  des  soixante-douze  disciples.  On  a  dil  aussi 
qu'apres  s'etre  attache  de  bonne  heure  a  Notre-Seigneur  Jesus-Christ,  il 
ful  I'un  de  ceux  qui  I'abandonnerenl  apres  le  celeh)re  discours  prononce 
dans  la  synagogue  de  Gapharnaiim,  Joan,  vi,  66  (6).  Mais  ces  deux  con- 
jectures sont  refutees  parl'anlique  assertion  de  Papias  :  oute  tj/.o-jcts  toZ  y.u^io\> 
ouxe  TTacYixoXouOviaev  aiitw  (7).  II  est  possible  cepcudaut,  comme  divers  com- 
mentateurs  Tont  pe'nse,  qu'il  ail  ete  le  heros  de  I'incident  plein  d'interet 
dont  il  a  seul  garde  le  souvenir  dans  son  Evangile,  xiv,  51-52  (8). 

Les  Actes  des  Apdtres  nous  fournissent  sur  sa  vie  ulterieure  des  ren- 
seignements  plus  authentiques.  Nous  y  lisons  d'abord,  xii,  25,  que  Saul 
et  Barnabe,  apres  avoir  porte  aux  pauvres  de  Jerusalem  les  riches  au- 
mones  que  leur  envoyait  I'Eglise  d'Antioche,  Cfr.  xi,  27-30,  emmenerent 
Jean-Marc  en  Syrie;  de  la,  il  parlil  avec  eux  pour  File  de  Chypre,  quand 

(1)  Aujourd'hui,  les  Israelites  reQoivent  tres  habitiiellement  deux  prenoms,  I'un  emprunte  a 
lAncien  Testameni,  comme  Abraham,  Nathan,  Esther,  I'autre  tire  du  calendrier  chretien, 
par  exemple  Louis,  Jules,  Rose.  Le  premier  n'apparait  guere  que  dans  les  actes  civils  ou  reli- 
gieux;  I'autre  est  employe  dans  les  relations  ordinaires  de  la  vie,  et  11  a  pour  but,  sinon  tou- 
jours  de  cacher  ontierement  I'origine  iuive,du  moins  de  la  dissimuler  autant  que  possible. 

(2)  Voir  le  V.  Bedo,  Prolog,  in  Marcum. 

(3)  Voir  plus  bas,  §  IV,  no  4. 

(4)  Pkisieurs  exegetes  prolestants,  entre  autres  Bengel,  Neander,  Credner,  Stanley,  de 
Wette,  Tholuck,  prennent  le  mot  «  fils  »  a  la  lettre  et  snpposent  que  S.  Pierre  parle  de  I'un 
de  ses  enfanls.  Mais  cette  hypothese  n'a  pas  le  moindre  fondement. 

(5j  Voyez  Patrizi,  do  Evangel,  t.  I,  p.  33. 

lEl  9"=;.'  ^^  ''^^'^  '"  ^^^^^^^  fid*^;  Doroth.,  in  Synopsi  Procop.  diac.  ap.  Bolland.  25  april. 
(7)  Ap.  Euseb.  Hist.  Eccl.  Ill,  39.  ^         :     f  v  h  f 

18)  Voir  I'explicalion  de  ce  passage. 


PRfiFACE  3 

Paul  entreprit  son  premier  grand  voyage  de  missionnaire  (an  45  apres 
J.-C).  Mais  lorsque,  apres  plusieurs  mois  de  sejour  dans  Tile,  ils  arriverent 
a  Perga,  en  Pamphylie  (1),  d'ou  ils  devaient  s'enfoncer  dans  les  pro- 
vinces les  plus  inhospitalieres  de  I'Asie-Mineure,  pour  y  accomplir  un 
ministere  penible  et  dangereux,  il  refusa  d'aller  plus  loin.  II  les  aban- 
donna  done  et  rentra  a  Jerusalem.  Gfr.  Act.  xiii,  13  (2).  Neanmoins,  au 
debut  de  la  seconde  mission  de  S.  Paul,  Act.  xv,  36,  37,  nous  le  trouvons 
de  nouveau  a  Antioche,  resolu  cette  fois  a  affronter  toutes  les  difficultes 
et  tons  les  perils  pour  la  diffusion  de  I'Evangile  (an  52).  Aussi  son  oncle 
proposa-t-il  a  Paul  de  le  reprendre  en  qualite  d'auxiliaire.  Mais  TApotre 
des  Gentils  n'y  voulut  point  consentir.  «  Paul  lui  representait  que  celui 
qui  les  avait  quittes  en  Pamphylie  et  qui  n'etait  point  alle  avec  eux  a  I'ou- 
vrage  ne  devait  pas  etre  repris.  II  y  eut  alors  dissension  entre  eux.  » 
S.  Paul  ne  crut  pas  pouvoir  ceder  aux  instances  de  S.  Barnabe;  mais  les 
Ap6tres  s'arrangerent  a  I'amiable.  II  fut  entendu  que  Paul  irait  evange- 
liser  la  Syrie  et  I'Asie-Mineure  avec  Silas,  tandis  que  Barnabe,  accom- 
pagne  de  Marc,  retournerait  en  Ghypre.  Ge  dissentiment  occasionne  par 
Jean-Marc  servit  done  les  plans  de  la  Providence  pour  la  propagation  plus 
rapide  de  la  bonne  nouvelle. 

A  partir  de  cet  instant,  nous  perdons  de  vue  le  futur  evangeliste  . 
mais  la  tradition  enseigne,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  qu'il  devint 
le  compagnon  habituel  de  S.  Pierre;  Gfr.  I  Petr.  v,  13.  Toutefois,  il  ne  fut 
pas  a  tout  jamais  separe  de  S.  Paul.  Nous  aimons  a  le  trouver  a  Rome, 
vers  Tan  6X',  aupres  de  ce  grand  apotre  qui  s'y  trouvait  alors  captif  pour 
la  premiere  fois.  Gol.  iv,  10;  Philem.  24.  Nous  aimons  a  entendre  Paul, 
durant  sa  seconde  captivite,  Gfr.  II  Tim.  iv,  11  (vers  Tan  66),  recom- 
mander  instamment  a  Timothee  de  lui  conduire  Marc,  qu'il  desirait  voir 
encore  avant  de  mourir.  Heureux  S.  Marc,  qui  eut  le  bonheur  d'avoir, 
pendant  une  partie  notable  de  sa  vie,  des  relations  si  choisies  avec  les 
deux  iilustres  Apotres  Pierre  et  Paul! 

Nous  n'avons  que  de  rares  donnees  sur  le  reste  de  ses  travaux  aposto- 
liques  et  sur  sa  mort.  Les  Peres  disent  cependant  en  termes  formels  qu'il 
evangelisa  la  Basse-Egypte,  et  qu'il  fonda  I'Egiise  d'Alexandrie,  dont  il 
fut  le  premier  eveque"(3).  Gfr.  Eusebe,  Hist.  Eccl.  ii,  16;  S.  Jerome,  de 
Vir.  illustr.  c.  viii;  S.  Epiph.  Hser.  li,  6.  Suivant  une  conjecture  t.res-vrai- 
semblable  de  S.  Irenee,  adv.  Marc,  iii,  1,  sa  mort  n'aurait  eu  lieu  qu'a- 
pres  celle  de  S.  Pierre,  par  consequent  apres  I'an  67.  Plusieurs  ecrivains 
anciens  assurent  qu'elle  consista  en  un  douloureux  mais  glorieux  mar- 
tyre,  que  lui  fit  subir  le  peuple  d'Alexandrie.  Gfr.  Nicephor.  Hist.  Eccl. 
II,  43;  Simeon  Metaphr.  in  Martyr.  S.  Marci  (4).  L'Eglise  a  adopte  ce  sen- 
timent, qu'elle  a  consigne  dans  le  Breviaire  et  le  Martyrologe  (ad  diem  25 

(1)  Voir  Ancessi,  Atlas  geograph.  pour  TELiide  de  I'Anc.  et  du  Nouv.  Testam.  pi.  XIX; 
R.  Riess,  Bibel-Atlas,  pi.  V. 

(2)  Le  motif  de  son  depart  n'est  pas  indique ;  mais  la  conduite  subseqiiente  de  S.  Paul,  Act., 
XV,  37-39,  prouve  suffisamment  que  Jean-Marc  n'avait  pas  agi  d'une  maniere  irreprociiable 
et  qu'il  avait  momentanement  fait  preuve  ou  de  faiblesse,  ou  d'inconstance  et  de  iegerete. 
Cfr.  S.  Jean  Chrysost.  ap.  Cramer,  Calen.  in  Act.  xv,  38. 

f3)  Une  tradition  quisemble,  iegendaire  lui  fait  gagner  les  bonnes  graces  et  I'admiralion  du 
celebre  Juif  Philon.  Gfr.  Westcott,  Introd.  to  the  study  of  the  Gosp.  5e  ed.,  p.  230. 
(4)  Voir  D.  Calmet,  Dictionn.  de  la  Bible,  au  mot  Marc  I. 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


April.).  Pendant  de  loners  siecles,  on  conserva  a  Alexandrie  le  manteau 
de  S.  Marc,  dont  chaque  nouvel  eveque  etait  solenuellement  revetu  an 
jour  de  son  intronisation  (1).  Mais,  tandis  que  la  renommee  de  I'Evange- 
iiste  s'effacait  en  Egypte,  Venise  la  fit  refleurir  en  Occident :  cette  ville  a 
depuis  longtemps  choisi  S.  Marc  pour  son  protecteur  special,  et  a  cons- 
truit  en  son  honneur  une  des  plus  belles  et  des  plus  riches  basiliques  du 
monde  entier(2). 


§   II.  —  AUTHENTICITE  DU   SECOND  EVANGILE 

«  Libri  authentia  in  dubium  vocari  nequit  »,  dit  tres-justement  le 
DTritszche  (3).  Elle  est  tout  aussi  certaine  que  celle  de  I'Evangile  selon 
S.  Matthieu ;  les  Peres  des  premiers  siecles  affirment,  en  effet,  d'un  com- 
mun  accord  que  S.  Marc  est  vraiment  I'auteur  d'un  Evangile,  et  iln'y  a 
pas  la  moindre  raison  de  douter  que  cet  Evangile  ne  soit  celui  qui  est 
parvenu  jusqu'a  nous. 

1°  Temoignages  directs.  —  Ici  encore,  c'est  Papias  qui  ouvre  la  marche. 
«  Le  pretre  Jean,  dit-il  (4),  rapporte  que  Marc,  devenu  I'interprete  de 
Pierre,  consigna  exactement  par  ecrit  tout  ce  dont  il  se  souvenait;  mais 
il  n'observa  pas  I'ordre  des  choses  que  le  Christ  avait  dites  ou  faites,  car  il 
n'avait  pas  entendu  le  Seigneur,  et  ne  I'avait  pas  suivi  personnellement  *. 
Dans  ces  lignes,  nous  avons  ainsi  deux  autorites  reunies,  celle  du  pretre 
Jean  et  celle  de  Papias, 

S.  Irenee  :  «  Matthieu  composa  son  Evangile  tandis  que  Pierre  et  Paul 
prechaient  la  bonne  nouvelle  a  Rome  et  y  fondaient  I'Eglise.  Apres  leur 
depart,  Marc,  le  disciple  et  I'interprete  de  Pierre,  nous  livra  lui  aussi  par 
ecrit  les  choses  qui  avaient  ete  prechees  par  Pierre  (S).  » 

Clement  d' Alexandrie  :  «  Voici  quelle  fut  I'occasion  de  la  composition 
de  I'Evangile  selon  S.  Marc.  Pierre  ayant  publiquement  enseigne  la  parole 
(tov  Xo'yov)  a  Rome,  et  ayant  exprime  la  bonne  nouvelle  dans  I'Esprit-Saint, 
un  grand  nombre  de  ses  auditeurs  prierent  Marc  de  consigner  par  ecrit 
les  choses  qu'il  avait  diles,  car  il  I'avait  accompagne  de  loin  et  se  souve- 
nait de  sa  predication.  Ayant  done  compose  I'Evangile,  il  le  livra  a  ceux 


(1)  Les  Etudes  reli^ieuses  des  PP.  Jesuiles,  ISe  annee,  4e  serie,  t.  V,  p.  672  et  ss.,  contien- 
nent  un  arlicle  aussi  inleressant  que  savant  de  M.  Le  Hir  sur  la  chaire  de  S.  Marc  transportee 
d'Alexandrie  a  Venise. 

(2)  Oa  y  voil,  entre  autres  richesses,  le  magnifiqne  tableau  de  Fra  Bartholomeo,  qui  repre- 
sente  noire  Evangelisle.  Le  lion,  embleuifi  de  S.  Marc,  est  encore  grave  sur  les  amies  de  la 
celebre  republique.  —  Sur  la  vie  de  S.  Marc,  voir  les  Boliandisles  au  25  avril ;  Molini,  De 
Vita  el  lipsanis  S.  Marci,  Rom.  1864. 

(3)  Evaiigelium  Marci,  Lips.  1830,  Proleg.  §  5. 

(4)  Ap.  Euseb.  Hist.  eccl.  in,  39. 

(5)  Adv.  Ha^r.  iii,  1,  1  ;  ap.  Euseb.  Hist.  Eccl.  v,  8.  Cfr.  m,  10,  6,  ou  le  saint  Docteur  cite 
les  premieres  et  les  dernieres  lignes  de  I'Evangile  selon  S.  Marc  :  «  Quapropler  et  Marcus,  in- 
terpres  et  sectator  Petri,  inilium  ovangeiicse  conscriptionis  fecit  sic  :  Initium  Evangelii  J.^u 
Christi  Fili  Dei,  quemadmodiim  scriptum  est  in  Proplielis  :  Ecce  ego  mitto  angelum  meum 
ante  faciem  tuam  qui  praeparabit  viam  tuam...  In  flne  autem  Evangelii  ait  .Marcus  :Et  quidem 
Dominus  Jesus,  postquam  loculus  est  eis,  receptus  est  in  ccbIos,  et  sedet  ad  dexteram  Dei  ». 
Cfr.  M?.rc.  i,  etss.;  xvi,  19. 


PREFACE  5 

qui  le  lui  avaient  demande.  Quaiid  S.  Pierre  Tapprit,  il  n'y  apporta  ni 
obstacle  ni  encouragement  (1).  » 

Origene  (2):  «  Le  second  Evangileest  celui  de  S.  Marc,  qui  I'ecrivit  sons 
la  direction  de  S.  Pierre.  »  Tertullien  :  «  Marcus  quod  edidit  Evangelium 
Petri  affirmatur,  cujus  interpres  Marcus  (3).  » 

Eusebe  de  Gesaree  ne  se  borne  pas  a  signaler  les  assertions  de  ses  pre- 
decesseurs;  a  plusieurs  reprises  il  parle  en  son  propre  nom,  et  tout  a  fait 
dans  le  meme  sens.  Dans  sa  Demonstration  evangelique.  in,  3,  38  et  suiv., 
ildit  que  sans  doute  le  Prince  des  Apotres  n'a  pas  compose  d'Evangile, 
mais  qu'en  revanche  S.  Marc  a  ecrit  xa?  tou  UIt^ou  TOpl  twv  -Trpa^ewv  tou  %aou 

StaXs^Et?.  Puis  ll  ajOUte  ;  Travra  TocTrapi  Mapxov;Tou  HeTpou  StaXs^ewv  eivat  Xsysxat  aTtoavr,- 
fjLOV£U[ji.aTa  (4). 

S.  Jerome :  «  Marcus  discipulus  et  interpres  Petri,  juxta  quod  Petrum 
referentem  audierat,  rogatus  Romse  a  fratribus,  breve  scripsit  Evange- 
lium ».  De  viris  illustr.  c.  viii.  «  Marcus,.,  cujus  Evangelium,  Petro  nar- 
rante  et  illo  scribente,  compositum  est  «,  Epist.  cxx,  fO,  ad  Hedib. 

Nous  pourrions  citer  encore  des  affirmations  identiques  de  R.  Epipliane, 
de  S.  Jean  Ghrysostome,  de  S.  Augustin;  mais  les  temoignages  qui  pre- 
cedent montrent  suffisamment  qu'il  n'y  eut  qu'une  seule  voix  dans  I'E- 
glise  primitive  pour  attribuer  a  S.  Marc  la  composition  du  second  de  nos 
Evangiles. 

2°  Les  temoignages  indirects  sont  moins  nombreux  que  pour  les  trois 
autres  biographies  de  Jesus,  et  il  n'y  a  en  cela  rien  de  surprenant. 
L'oeuvre  de  S.  Marc  est  en  effet  la  plus  courte  de  toutes.  De  plus,  elle 
s'occupe  d'unemaniere  presque  exclusive  de  I'histoire  et  des  faits  :  elle  n'a 
presque  rien  de  didactique.  Enfin,  les  details  qu'elle  renferme  sont  pour 
la  plupart  contenus  dans  I'Evangile  selon  S.  Matthieu.  Pour  tons  ces  mo- 
tifs, les  anciens  ecrivains  Font  citee  plus  rarement  que  les  autres.  Nean- 
moins  elle  n'a  pas  ete  oubliee.  S.  Justin  (S)  rapporte  que  le  Sauveur  donna 
a  deux  de  ses  Apotres  le  nom  de  «  Fils  du  Tonnerre  «  (Boavspye?,  6'  eaxtv  ulo\ 
ppovT^?).  Or,  S.  Marc  seul  a  raconte  ce  fait,  iii,  17.  Le  meme  auteur  (6)  dit 
encore  que  les  Evangiles  furent  composes  par  des  Apotres  ou  par  des 
disciples  desx\p6tres  :  ce  dernier  trait  s'applique  necessairement  aS.  Marc 
et  a  S.  Luc.  Gomparez  encore  Apolog.  i,  c.  52,  et  Marc,  ix,  44,  46,  48; 
Apol.  I,  c.  16,  et  Marc,  xii,  30.  Les  Valentiniens  prouvent  aussi,  par  des 
citations  indirectes,  qu'il  existait  de  leur  temps  un  Evangile  tout  a  fait 
semblable  a  celui  que  nous  possedons  actuellement  sous  le  nom  de  S.  Marc. 
Cfr.  Iren.  adv.  Hser.  i,  3;  Epiph.  Hser.  xxxiii;  Theodoti  ecloge,  c.  ix  (7). 
On  trouve  des  reminiscences  analogues  dans  les  ecrits  de  Porphyre  (8). 
Enfin,  nous  savons  que  les  Docetes  preferaient  cet  Evangile  aux  trois 
autres  (9). 

(1)  Apud  Euseb.  Hist.  Eccl.  vi,  44. 
(2J  Ibid.  VI,  25. 

(3)  Conlr.  Marcion.  iv,  5. 

(4)  Cfr.  Hist.  eccl.  II,  15. 

(5)  Dial.  c.  Trypli.  c.  cvi. 

(6)  Ibid.c.  cm. 

(7)  Voir  A.  Maier,  Einleitung,  p.  80. 

(8)  Voir  Kirchhofer,  Queileii^ammlnng,  p.  353  et  ss. 

(9)  «  Qui  Jesum  separant  a  Chrislo  et  impassibilem  perseverasse  Christum,  passum  vero 


6  EVANGILE  SKLON  S.  MARC 

Du  reste,  a  defaut  de  tons  ces  temoignages  directs  et  indirects,  sa  seule 
presence  dans  les  versioi:s  svriaque'et  "italique,  composees  an  second 
I  siecle.  serait  une  garantie  suffisante  de  son  aullienticite.  Aussi,  pour  nier 
qu'il  fut  I'aiuvre  de  S.  Marc,  a-t-il  fallu  I'audace  du  rationalisme  contem- 
porain  (1).  Un  mot  de  Papias  avait  amene  nos  hypercritiques  modernes  a 
soutenir  que  le  premier  Evangile  etait  de  beaucoup  posterieur  a  I'ere 
apostolique  (2);  un  mot  du  meme  Pere  leur  a  fait  dire  aussi  que  le  second 
Evangile,  sous  sa  forme  actuelle,  ne  saurait  avoir  ete  ecrit  par  S.  Marc. 
Dansle  texte  que  nous  avons  cite  plus  haut,  Papias,  decrivant  la  composi- 
tion de  S.  Marc,  signalait  ce  trait  particulier :  eyca'J/sv  ou  ai^roi  -zdUi-  Or,  objec- 
tent  Schleiermacher  (3),  Credner  (4),  et  les  partisans  de  I'ecole  de  Tubin- 
gue,  il  regne  un  ordre  remarquable  dans  le  second  Evangile  tel  que  nous 
fe  lisons  aujourd'hui;  tout  j  est  generalement  bien  agenct3.  Par  conse- 
quent, le  livre  primitivement  ecrit  par  S.  Marc  s'est  perdu,  et  la  biogra- 
piiie  de  Jesus  qui  nous  a  ete  transmise  sous  son  nom  lui  a  ete  faussement 
attribuee,  car  elle  est  d'une  date  beaucoup  plus  recente.  — Pour  peu  qu'on 
lise  avec  attention  le  texte  de  Papias,  repondrons-nous  a  la  suite  du 
D""  Reithmayr  (b),  on  voit  qu'il  n'attribue  pas  un  defaut  d'ordre  absolu  a 
I'ecrit  de  S.  Marc.  Voici  la  vraie  pensee  du  saint  eveque  :  Marc  a  ecrit  avec 
un  grand  soin  et  avec  une  grande  exactitude  ce  que  Jesus-Christ  a  fait  et 
enseigne;  mais  il  ne  lui  etait  pas  possible  de  mettre  dans  son  recit  un 
ordre  historique  rigoureux,  attendu  qu'il  n'avait  pas  ete  temoin  oculaire. 
II  se  borna  a  retracer  de  memoire  ce  qu^'il  avait  appris  de  la  bouche  de 
S.  Pierre.  Mais,  quand  le  prince  des  Apotres  avait  a  parler  des  actions  ou 
de  I'enseignement  de  Jesus,  il  ne  s'astreignait  pas  a  un  ordre  fixe,  il  s'ac- 
commodait  chaque  fois  aux  besoins  de  ses  auditeurs.  Aiusi  comprises,  et 
tel  est  leur  veritable  sens,  les  paroles  de  Papias  ne  prouvent  absolument 
rien  contre  Tautbenticite  du  second  Evangile.  II  est  bien  certain,  en  effet, 
que  la  narration  de  S.  Marc  ne  tient  pas  toujours  compte  de  I'ordre  chrono- 
logique.  S.  Jerome  I'affirmait  deja,  «  juxta  fidem  magis  gestorum  narravit 
quam  ordinem  (6)  )>,  et  la  critique  negative  est  elle-naeme  forcee  d'ad- 
mettre  que  le  second  Evangile  intervertU  plus  d'une  fois  la  suite  reelle  des 
evenements.  Les  mots  o-j  osv-ot  -zihi  du  pretre  Jean  et  de  Papias  signifient 
done  cc  non  ordine  reali  »,  et  ils  sont  suffisamment  justifies  meme  par  I'etat 
present  de  I'ecrit  de  S.  Marc  (7). 


Jpsum  dicunt,  id  quod  secundum  Marcum  est  praeferentes  Evangelium,  cum  amore  veritatis 
legenles  illud,  corrigi  possunt.  »  S.  Iren.  Adv.  Haer.  in,  M,  17;  CIr.  Philosophum.  viii,  8.  Au 
contraire,  les  Ebionites  donnaient  leurs  preferences  au  premier  Evaneile  el  ies  disciples  de 
Marcion  au  troisieme. 

(1)  M  Renan,  dans  son  recent  ouvrage.  Ies  Evangiles  et  la  seconde  seneration  chretienne, 
admet  1  aulhenlicite  de  noire  Evangile.  Cfr.  p.  114. 

(2i  Cfr.  notre  Commentaire  ^ur  lEvangile  selon  S.  Malthieu,  Preface,  §  II. 

(3)  Stud,  und  Knt.  1832,  p.  758. 

(4)  Einleitung,  I,  p  123. 

(5)  Einleitung,  p.  381  et  ss.  M.  Renan,  loc.  cit.  p.  120,  ecrit  a  bon  droit  que  «  e'est  bi.-n  k 
tort  qu  on  pretend  que  le  Maic  acluel  ne  repond  pas  a  ce  que  dil  Papias.  » 

(6)  Comm.  in  Mallh.  Procem.  r  ^  f 

(7)  D'autres  les  Iraduisent  par  «  incompleta  serie  »,  par  allusion  aux  lacunes  quo  Ton 
trouve  dans  le  second  Evangile  plus  encore  que  dans  les  trois  autres:  mais  cette  interpretation 
est  moins  naturelle,  quoiqu'elle  resolve  tres-bien  aussi  la  difficulte. 


PREFACE  1 

Eichhorn  (1)  et  de  Wette  (2)  ont  fait  une  autre  objection.  Apres  un 
calcul  attentif,  lis  ont  decouvert  que  les  details  particuliers  a  S.  Marc  ne 
remplissent  pag  au-dela  de  \-ingt-sept  versets  :  tout  le  reste  de  I'Evangile 
qui  porte  son  nom  se  retrouverait  presque  mot  pour  mot  dans  la  redaction 
de  S.  Matthieu  ou  dans  celle  de  S.  Luc.  Evidemmeiil,  concluent-ils,  ce 
n'est  pas  une  oeuvre  originale,  mais  une  fusion  tardive  des  deux  autres 
synoptiques.  Pour  toute  reponse,  nous  renvoyons  ces  deux  critiques  aux 
assertions  si  ciaires,  si  nombreuses,  de  la  tradition,  qui  attribuent  a 
S.  Marc,  disciple  et  compagnon  de  S.  Pierre,  la  composition  d'un  Evangile 
distinct  de  celui  de  S.  Matthieu  et  de  celui  de  S.  Luc  (3). 

§   IIL  —  INTEGRITE 

Si  Ton  a  parfois  emis  quelques  doutes  relativement  a  I'authenticite  des 
deux  premiers  chapitres  de  S.  Matthieu  (4),  on  a  suscite  une  veritable 
tempete  de  protestations  a  propos  des  douze  derniers  versets  de  S.  Marc, 
XVI,  9-20. 

Voici  les  motifs  sur  lesquels  on  s'est  appuye  pour  les  rejeter  comme 
une  interpolation. 

II  y  a  d'abord  les  preuves  extrinseques,  qui  peuvent  se  ramener  a  deux 
principales,  tirees.  Tune  des  manuscrits,  I'autre  des  anciens  ecrivains 
^cclesiastiques.  —  1°  Plusieurs  manuscrits  grecs,  parmi  lesquels  le  Cod. 
Vaticanns  etle  Cod.  iSinaiticus,  c'est-a-dire  les  deux  plus  anciens  et  les 
deux  plus  importants,  omettent  entierement  ce  passage.  Do  meme  le  Cod. 
Veronensis  latin.  Parmi  ceux  qui  le  contiennent,  il  en  est  qui  I'entourent 
d'asterisques,  comme  douteux  (o);  d'autres  ont  soin  de  noter  qu'on  ne  le 
rencontre  point  partout  (6).  En  outre,  le  texte  est  en  assez  mauvais  etat  dans 
ce  passage  :  les  variantesy  fourmillent,  ce  qui  est  loin  d'etre,  nous  dit-on, 
favorable  a  son  authenticite.  —  2°  S.  Gregoire  de  Nysse  (7),  Eusebe  (8), 
S.  Jerome  (9),  et  d'autres  ecrivains  anciens  en  assez  grand  nombre,  assu- 
rent  que,  de  leur  temps  deja,  le  passage  en  question  manquait  dans  la  plu- 
part  des  manuscrits,  de  sorte  qu'il  etaitregarde  par  plusieurs  comme  une 
addition  relativement  recente  (10).  Les  premieres  Catenm  grecques  ne 
commentent  pas  au-dela  du  ■\.  8,  et  c'est  aussi  a  ce  verset  que  s'arretent 
les  celebres  canons  d'Eusebe. 

Aux  preuves  extrinseques,  on  ajoute  un  argument  intrinseque,  appuye 
sur  le  changement  extraordinaire  de  style  qui  se  fait  remarquer  a  partir 
du  \.  9.  P  bans  ces  quelques  lignes  qui  terminent  le  second  Evangile,  on 
ne  rencontre  pas  moins  de  vingt-et-une  expressions  que  S.  Marc  n'avait 


(1)  T.  V,  p.  49o. 

(2)  Einleil.  p.  175. 

(3)  Voir  au<si  ce  qui  sera  dil  plus  bas,  §  VII.  touchant  le  caraclere  du  second  Evangile. 

(4)  Voir  noire  Comm'^ntaire  du  premier  Evangile,  Preface,  p.  9. 

(5)  Par  example,  les  Codd.  137  et  138. 

(6)  V.  g.  les  Codd.  6  el  10,  ou  on  lit  la  remarque  suivanle  :  dv  -rioi  [jiv  twv  avTiYpa?wv  Iu»6 
wSe  ;c'est-a-dire  jusqu'a  la  fin  du  !?■.  8)  nXripoOtai  6  euaYYeJ>'<i'"i?' 

(7)  Oral,  de  Resuir. 

(8)  Ad  Marin,  quaesl.  i. 
J9)  Ad  Hedib.  iv,  172. 

(10)  Voir  les  ciialioiis  dans  Frilzsche,  Evangel.  Marci,  Lips.  1830,  p.  752  et  S3. 


«  EVANGILE  SELON  S.  MARC 

Jamais  employees  auparavant  (1).  2°  Les  details  pittoresques,  les  formules 
de  transition  rapide  qui  caracteriseut,  comme  nous  le  dirous  plus  loin,  la 
narration  de  notre  evangeliste,  disparaissent  brusquement  apres  le  f.  8. 
Cette  maniere  nouvelle  supposerait  done,  exigerait  meme  un  auteur  dis- 
tinct du  premier. 

Telle  est  la  conclusion  que  la  plupart  des  exegetes  protestants  mo- 
dernes  et  contemporains  deduisent  de  ce  double  argument  :  Toeuvre  ori- 
ginale  de  S.  Marc  s'arreterait,  suivant  eux,  au  f_.  8  (2).  lis  admettent 
pourtant  d'une  maniere  assez  generale  que  les  derniers  versets  remontent 
jusqu'a  la  fin  du  premier  siecle.  Nous  pretendons  au  contraire,  avec  tons 
les  commentateurs  catholiques,  que  le  passage  incrimine  est  de  S.Marc 
aussi  bien  que  le  reste  de  I'Evangile,  et  il  nous  parait  assez  facile  de  le 
demontrer.  1°  Si  deux  ou  trois  mauuscrits  Tomettent  (3),  tons  les  autres  le 
contiennent,  en  particulier  les  celebres  Godd.  A.  G.  D.,  au  temoignage  des- 
quels  les  critiques  attachent  tant  d'importance  (4).  2"  On  le  trouve  dans 
la  plupart  des  anciennes  versions,  specialement  dans  I'ltala,  la  Vulgate, 
la  Pescliito,  les  traductions  de  Memphis,  de  Thebes,  d'Ulphilas,  etc.  La 
version  syriaque  dont  le  D""  Cureton  a  decouvert  d'iraportants  fragments, 
en  contient  les  quatre  derniers  versets  (3).  3"  Plusieurs  ecrivains  de 
I'age  apostolique  y  font  des  allusions  manifestos  (6).  S.  Irenee  le  cite  (7); 
S.  Hippolyte,  Tertullien,  S.  Jean  Ghr^'sostome,  S.  Augustin,  S.  Ambroise, 
S.  Athanase,  et  d'autres  Peres  le  connaissent  et  le  mentionnent  aussi. 
Theophylacte  en  a  fait  le  sujet  d'un  commentaire  special.  Gomment  est-il 
possible,  demanderons-nous  aux  adversaires  de  son  authenticite,  qu'un 
passage  apocryphe  ait  reussi  a  se  faire  ainsi  recevoir  presque  partout? 
4°  Gomprendrait-on,  demanderons-nous  encore,  que  S.  Marc  ait  termine 
son  Evangile  paries  mots  If  oSotivTo  Yac(xvi,  8),  de  la  facon  la  plus  abrupte? 
«  Sine  his  versibus  (ff.  9-20)  »,  dit  fort  bien  Ben  gel  (8),  «  historia  Ghristi, 
resurrectionis  prsesertim,  abrupta  foret,  non  conclusa.  »  5°  Le  fond  de  ce 
passage,  quoi  qu'on  dise,  «  n'a  rien  qui  ne  soit  dans  la  maniere  rapide  et 
treve  de  Tevangeliste  (S.  Marc):  il  resume  encore  S.  Malthieu,  et  il  y 
ajoute  quelques details,  XVI,  13,  que  S.  Lucreprendra  pour  les  etendre  »(9). 
C°  Quant  aux  expressions  «  extraordinaires  »  emploj-ees  ici  par  le  narra- 
teur,  elles  sont  pour  la  plupart  tres-communes,  ou  bien  elles  proviennent 
de  la  nature  particuliere  du  sujet.  On  en  a  done  exagere  singulierement 

(1)  Par  exemple  :  y.  10,  TzopvMXaa,  toT?  jxst'  a-jToO  yevoule'voi;;  f.  11,  eOsiSr;,  fj-tffr/icav ;  f.  12, 
liSTot  Ta-jTa ;  7.  17,  iiafiay.oXoyOriiTS'. ;  7.  20,  £T:ay.o),ov)9oOvTwv,  etc. 

(2)  Bleek,  Olshaiisen,  Lachmann,  J.  Morisoa  el  quelques  autres  font  exception  et  se  decla- 
rent  favorables  a  I'aulhenticite  dos  tt.  9-10. 

(3)  II  est  a  remarquer  que  le  Cod.  B  laisse,  entre  le  t.  8  et  le  debut  de  I'Evangile  selon 
S.  Luc,  un  vide  suffisant  pour  recevoir  au  besoin  les  versets  omis.  Preuve  que  I'  «  amanuen- 
sis »  avail  des  doutes  sur  la  legitimite  de  son  omission. 

(4)  Voir  la  nomenclature  des  principaux  manuscrits  de  la  Bible  dans  M.  Drach,  Epitres  da 
5.  Paul,  p.  Lxxxvii  et  ss. 

(5)  Cfr.  Cureton,  Remains  of  a  very  ancient  recension  of  the  four  gospels  in  syriac,  hitherlo 
unknown  in  Europe,  Lend.  1838;  Le  Hir,  Elude  sur  une  ancienne  version  syiaqu?  des  Evan- 
giles,  Paris  1859. 

(6)  Par  exemple,  TEpitre  de  S.  Barnabe,  §  43;  le  Pasteur  d'Hermas,  ix,  23. 

(7)  Voir  le  §  II,  p.  4,  note  5.  Comp.  S.  Justin  Marl.  Apol.  1,  43. 

(8)  Gnomon,  hoc  loco.  «  On  ne  pent  guere  admettre  que  le  teste  primitif  finit  d'une  ma- 
niere aussi  abrupte  ».  Renan.  les  Evangiles.  1878,  p.  121. 

(9}  WalloD,  De  la  croyance  due  a  lEvangile,  p.  223. 


PREFACE  9 

la  portee  (1).  Plusieurs  auteurs  ont  conjecture  que  la  mort  de  S.  Pierre  ou 
la  persecution  de  Neron  avaient  bien  pu  interrompre  subitement  S.  Marc, 
avant  qu'il  eut  mis  la  derniere  main  a  son  Evangile,  de  sorte  que  la  finale 
aurait  ete  ecrite  un  peu  plnstard,  ce  qui  expliquerait  le  changement  de 
style  (2);  mais  cette  hypothese  parait  assez  etrange  (3).  En  tout  cas,  elle 
est  denuee  de  tout  fondement  exterieur.  7°  Eufin  deux  raisons  principales 
peuvent  rendre  compte  de  la  disparition  de  nos  douze  versets  dans  un 
certain  nombre  de  manuscrits.  1.  Quelque  copisteles  oublia  peut-etre  par 
megarde  dans  un  premier  manuscrit,  ce  qui  occasionna  leur  omission 
successive  dans  les  copies  auxquelles  ce  manuscrit  servit  plus  tard  de 
modele :  quand  ils  eurent  ainsi  disparu  d'un  certain  nombre  de  Codices, 
on  comprend  qu'un  mouvement  d'hesitation  se  soit  produit  a  leur  egard ; 
2.  la  difficulte  de  mettre  le  ^.  9  en  liarmonie  avec  les  lignes  paralleles  de 
S.  Matthieu,  xxviii,  1,  dut  contribuer  a  jeter  des  doutes  sur  I'authenticite 
de  tout  le  passage  qu'il  inaugure. 

Ces  preuves  nous  semblent  largement  suffire  pour  que  nous  soyons  en 
droit  d'admettre  laparfaite  integrite  de  I'Evangile  selon  S.  Marc  (4). 

§   IV.  —  ORIGINE  ET   COMPOSITION   DU   SECOND    EVANGILE 

Sous  ce  titre,  nous  traiterons  brievement  des  quatre  points  suivants  : 
I'occasion,  le  but,  les  destinataires  et  les  sources  de  I'Evangile  selon 
S.  Marc. 

1.  Dans  des  textes  cites  plus  haut  (o),  Clement  d'Alexandrie  et  S.  Je- 
r6me  ont  claireraent  indique,  d'apres  la  tradition,  I'occasion  qui  inspira 
au  second  evangeliste  la  pensee  d'ecrire  a  son  tour  la  biographic  de  Jesus. 
Les  Chretiens  de  Rome  I'ayant  presse  de  composer  pour  eux  un  abrege  de 
la  predication  du  Prince  des  Apotres,  il  ceda  a  leur  desir  et  publia  son 
Evangile. 

2.  Son  but  comme  ecrivain  fut  done  tout  a  la  fois  catechistique  et  histo- 
rique.  II  voulut  venir  en  aide  a  la  memoire  de  ces  pieux  solliciteurs  et 
continuer  ainsi  aupres  d'eux  I'enseignement  chretien,  et  c'est  par  un 
rapide  resume  desfaits  qui  composent  I'histoire  du  Sauveur  qu'il  entreprit 
de  leur  rendre  ce  double  service.  En  realite,  «  le  caractere  du  second 
Evangile  s'accorde  parfaitement  avec  cette  donnee,  car  on  n'y  apercoit  pas 
d'autre  intention  que  celle  du  recitmeme;  il  ne  presente  aucune  partie 
didactique  d'une  longueur  disproportionnee  avec  le  reste  de  la  narra- 
tion* (6).  A  ce  but  catechistique  et  surtout  historique,  S.Marc  n'associa-t-il 


(1)Cfr.  Langen,  Grundriss  der  Einleitung  in  dasN.  T.  1868,  p.  40.Ajoulons  que  les  tV^.  9-20 
du  chap.  XVI  conliennent  plusieurs  locutions  que  Ton  regarde  comme  caractt'risliques  du 
style  de  S.  Marc,  v.  g.  t.  12,  e<pav£pw9Yi ;  t.  15,  xTtoet;  etc.  Voyez  le  commentaire. 

(2)  Cfr.  Hug,  Einleitung,  t.  II,  p.  247  et  ss. 

(3)  Nous  en  dirons  autant  de  celle  de  M.  Schegg,  Evangel,  nach  Markus,  t.  II,  p.  230, 
d'apres  laquelle  les  1il!.  9-20  seraient  un  fragment  d'antique  catechese  insere  par  S.  Marc 
lui-meme  a  la  fin  de  sa  narration. 

(4)  Voyez  sur  cette  question  A.  Maier,  Einleitung,  §  21,  p.  80  et  ss. 

(5)  §  II,  pp.  4  et  5. 

(6;  Welzer  et  Welte,  Dictionn.  encyclop.  de  la  theologiecatholiq.,  s.  v.  Evangiles. 


40  fiVANGILE  SELON  S.  MARC 

pas  une  legere  tendance  dogmatique? Divers  auteursl'ont  pense  (1),  et  rien 
n'empeche"  de  voir  avec  eiix  dans  les  premieres  paroles  du  second  Evan- 
gile,  «  Initium  Evangelii  Jesu  Ghristi  Filii  Dei  »,  une  indication  de  cetle 
tendance.  S.  Marc,  d'apres  cela,  seserait  propose  de  demontrer  a  ses  lec- 
teurs  la  filiation  divine  de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ.  Mais  ce  dessein 
n'est  accentue  nulle  part  ailleurs  :  TEvangeliste  laisse  parler  les  faits,  il 
ne  soutient  pas  une  these  directe  a  la  facon  de  S.  Mathieu  ou  de  S.  Jean  (2). 
II  y  a  loin  d'une  tendance  aussi  simple  au  but  etrange  que  plusieurs  ratio- 
nalistes  contemporains  (3)  ont  prete  a  S.  Marc.  Suivant  eux,  tandis  que  les 
Evangiles  selon  S.  Matthieu  et  selon  S.  Luc  seraient  des  ecrits  de  parti, 
destines,  dans  la  pensee  de  leurs  auteurs,  a  soutenir,  le  premier  la  faction 
judaisante  (le  Petrinisme),  I'autre  la  faction  liberale  (le  Paulinisme),  entre 
lesquelles,  nous  assure-t-on,  se  partageaient  les  membres  du  Ghristianisme 
naissant,  S.  Marc  aurait  pris  dans  sa  narration  une  position  intermediaire, 
se  placant  a  dessein  sur  un  terrain  neutre,  afin  d'operer  une  heureuse  re- 
conciliation. D'un  autre  c6te,  Hilgenfeld  (4)  range  S.  Marc  parmi  les  Pauli- 
niens.  On  le  voit,  nous  n'avons  pas  a  refuter  ces  hypotheses  fautaisistes, 
puisqu'elles  se  renversent  mutuellement  (5). 

3.  S.  Matthieu  avait  ecrit  pour  des  Chretiens  sortis  des  rangs  du  Ju- 
daisme,  S.  Marc  s'adresse  a  des  convertis  de  la  Gentilite.  Independam- 
ment  des  temoignages  de  la  tradition  (6),  d'apres  lesquels  les  premiers  des- 
tinataires  da  second  Evangile  furent  les  fideles  de  Rome,  qui  avaient 
appartenu  au  paganisme  en  grande  majorite  (7),  la  seule  inspection  du 
recit  de  S.  Marc  nous  permettrait  de  le  conclure  avec  une  tres  grande  pro- 
babilite.  1°  L^evangeliste  prend  soin  de  traduire  les  mots  hebreux  ou  ara- 
raeens  inseres  dans  sa  narration,  par  exemple  Boanerges,  iii,  17,  Talitha 
cumi,  V,  41 ;  Corlan,  vii,  11 ;  Bartimaus,  x,  46;  Ahha,  xiv,  ^^\El6i,Eldiy 
lamma  sabackthani,  xv,  34  :  il  ne  s'adressait  done  pas  a  des  Juifs.  2°  II 
donne  des  explications  sur  plusieurs  coutumes  juives,  ou  sur  d'autres 
points  que  des  personnes  etrangeres  au  Juda'isme  pouvaient  difficilemenl 
connaitre.  G'est  ainsi  qu'il  nous  dit  que  «  les  Juifs  ne  mangent  pas  a 
raoins  de  s'etre  lave  frequemment  les  mains  »,  vii^  3,  Gfr.  4;  que  «  la 
Paque  etait  immolee  le  premier  jour  des  pains  azj^mes  »,  xiv,  12;  que  la 
«  Parasceve  »  etait  «  le  jour  qui  precede  le  sabbat  »,  xv,  42;  que  le  mont 
des  Oliviers  est  situe  xatevavTt  xoti  tepou,  xiii,  3,  etc.  3°  II  ne  mentionne  pas 
memele  nom  de  la  Loi  juive;  nulle  part  il  ne  fait,  comme  S.  Matthieu, 
d'argumentation  basee  sur  des  textes  de  TAncien  Testament.  Deux  fois 
seulement,  i,  2,  3  et  xv,  26  (8),  il  cite  les  ecrits  de  I'ancienne  Alliance  en 
son  propre  nom.  Ge  sont  la  encore  des  traits  significatifs  relativement  a 
la  destination  du  second  Evangile.  4°  Le  style  de  S.  Marc  a  beaucoup 

(1)  Cfr.  A.  Maier,  Einleilung,  §  18,  pp.  70  et  71. 

(2)  Voir  nos  Comraenlaires  sur  les  Evangiles  de  S.  Matlhieu  et  de  S.  Jean,  Preface. 

(3)  L'auteur  anonyme  de  I'ouvrage  intitule  :  die  Evangelicn,  ihr  Gei-^t,  etc.  Leipz.  1845, 
p.  327  Pt?s. ;  Schwegler,  Nachapostol.  Zeitalter,  p.  455  et  ss. ;  Baur,  Krit.  Untersuchungea 
iiber  diekanon.  Evangelien,  p.  462  et  ss. 

(4)  Die  Evangelien,  p.  41  et  s. 

(5)  Voir  A.  Maier,  Einleilung,  §  18,  p.  71  et  72. 

(6)  Voir  plus  haul,  no  \. 

(7)  Voir  Drach,  Epitres  de  S.  Paul,  p.  3-5. 

<8)  Suppose  que  ce  second  passage  soil  authentique.  Voir  le  commentaire. 


PREFACE  11 

d'affmite  avec  le  latin.  «  II  semblerait  dit  M.  Schegg  (1),  que  c'est  une 
bouche  romaine  qui  a  enseigne  le  grec  a  notre  evangeliste  ».  Des  mots 
latins  grecises  reviennent  frequemment  sous  sa  plume,  v.  g.  a7:Exou).aTO)p, 
VI,  27;  ^£Gr/i;  (sextarius),  vii,  4,  8;  TrpatTojptov,  xv,  16;  opixyzkiooi  (flagello), 

XV,    lb;  x^vao;,  XII.    \^;'kzyeMV,    V,  9,  15;  xevTuptojv,    XV,  39,    44,    43;  xoSpavxr,; 

(quadrans),  xii,  42;  etc.  (2).  Apres  avoir  mentionne  une  monnaie  grecque, 
iz-nra  ouo,  il  ajoute  qii'elle  equivalaitau  «  quadrans  »  des  Remains;  xii,  42. 
Plus  loin,  XV,  21 ,  il  mentionne  une  circonstance  pen  importante  en  elle- 
meme  «  Simonem  G j venoinm,  patrem  Alexandri  et  Rufl,  »  mais  qui  s'ex- 
plique  immediatement,  si  Ton  se  souvient  que  Rufus  habitait  Rome.  Cfr. 
Rom.  XVI,  26.  Ces  derniers  dt-tails  ne  prouvent-ils  pas  que  S.  Marc  a  ecrit 
parmi  des  Remains  et  pour  des  Romains  (3)? 

4.  Dans  notre  Introduction  generale  aux  Saints  Evangiles,  nous  avons 
etudie  la  delicate  question  de  la  source  commune  a  laquelle  vinrent  puiser 
tour  a  tour  les  trois  premiers  evangelistes  :  il  ne  pent  done  s'agir  ici  que 
d'une  source  speciale  aS.  Marc.  Or,  nous  avons  entendu  les  Peres  affirmer 
d'une  voix  unanime  (4)  que  la  catechese  du  Prince  des  Apotres  servit  de 
base  a  S.  Marc  pour  la  composition  de  son  recit.  «  Ne  rien  omettre  de  ce 
qu'il  avail  entendu,  ne  rien  admettre  qu'il  ne  I'eut  appris  de  la  bouche  de 
Pierre  y>  :  ainsi  s'exprimait  Papias  (5).  De  la  le  titre  d'epij.riveuTr,;  nirpou,  «  in- 
terpres  Petri  »,  que  notre  evangeliste  a  porte  depuis  Tepoque  du  pretre 
Jean  :  de  la  le  nom  de  «  Memoires  de  Pierre  »  applique  par  S.  Justin  a 
sa  composition  (6).  Non  pas,  assurement,  qu'il  faille  entendre  ces  expres- 
sions d'une  facon  trop  litterale,  et  faire  de  S.  Marc  un  simple  «  amanuen- 
sis »  auquel  S.  Pierre  aurait  dicte  le  second  Evangile,  de  meme  que  Jere- 
mie  avait  autrefois  dicte  ses  Propheties  a  Baruch  (7)!  L'influence  de 
S.  Pierre,  selon  toute  vraisemblance,  ne  fut  pas  directe,  mais  seulement 
indirecte,  et  elle  n'empecha  pas  le  disciple  de  demeurer  un  historien 
tres-independant.  Elle  fut  considerable  pourtant,  puisqu'elle  a  ete  si  fre- 
quemment signalee  par  les  anciens  ecrivains.  Elle  a  d'ailleurs  laisse  des 
traces  nombreuses  et  distinctes  dans  la  redaction  de  S.  Marc.  Oui,  le 
second  Evangile  est  visiblement  marque  a  I'effigie  du  Chef  des  Apotres  : 
tons  les  commentateurs  le  repetent  al'envi  (8).  Marc  n'ayant  pas  ete  te- 
moin  oculaire  des  evenements  qu'il  raconte,  qui  a  pu  donner  a  son  Evan- 
gile cette  fraicheur  de  recit,  cette  minutie  de  details,  que  nous  aurons  a 
mentionner  bientot?  II  n'avait  pas  contemple  I'oeuvre  de  Jesus  de   ses 


(1)  Evangel,  nach  Markus,  p.  12. 

(2)  Les  aulres  ecrivains  du  Nouveau  Testament  emploient  parfois  quelques-unes  de  ces 
expressions;  mais  ils  n'en  font  pas  iin  usage  constant,  comme  S.  Marc. 

(3)  Cfr.  Patrizi,  de  Evangel,  lib.  I,  c.  ii,  q.  3. 

(4)  Voir  les  lextes  cites  en  faveur  de  raulhenticile  du  socond  Evangile,  §  II. 

(5)  Loc.  cit.  :  ivo;  yap  ETtotT^aaxo  Ttpovotav,  tou  [J.ri5ev  uv  -/jy.ouae  itapaXiueiv,  ri  ^z\i(S(x.<z^'xi  Tt  bi 
oOtoTi;. 

y6)  Dialog.  C.  CVI  :  ev  ano(iviri{xov£y[jia(7iv  auTou,  scil.  ITeTpoy. 

(7)  D'apres  Reithmayr,  le  mot «  interprete  »  signifierait  que  S.  Marc  traduisait  en  latin  les 
instructions  grecques  de  S.  Pierre;  Cfr.  de  Valroger,  Introd.  t.  II,  p.  51.  Selon  d'autres.  c'est 
le  texle  arameen  de  S.  Pierre  que  Marc  aurait  traduit  en  grec.  Explications  tres  invraisem- 
blables,  assurement. 

(8)  Voyez  sur  ce  point  de  fines  observations  dans  M.  Bougaud,  le  Christianisme  et  les  temps 
presents,  t.  II,  pp   69  et  ss.  2^  edit. 


42  fiVANGlLE  SELON  S.  31  ARC 

propres  yeux, maisil  I'avait  vue  pour  ainsi  dire  par  les  yeiix  de  S.  Pierre  (1). 
Pourquoi  les  renseignements  relatifs  a  Simon-Pierre  sont-ils  plus  abon- 
dants  chez  lui  que  partout  ailleurs  ?  Seul,  il  nous  dit  que  Pierre  se  mit  a  la 
recherche  de  Jesus,  le  lendemain  des  guerisons  miraculeuses  accomplies 
k  Gapharnaum,  i,  56;  Gfr.  Luc.  iv,  42.  Seul,  il  rappelle  que  ce  fut  Pierre 
qui  attira  I'attention  des  autres  Apotres  sur  le  dessechement  rapide  du 
fiouier,xi,  21 ;  Gfr.  Matth.  xxi,  17  etss.  Seul,  il  montre  S.  Pierre  interro- 
geant  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  sur  le  mont  des  Oliviers  touchant  la 
ruine  de  Jerusalem,  xiii.  3;  Gfr.  Matth.,  xxiv,  1 ;  Luc.  xxi,  5.  Seul,  il  fait 
adresser  directement  a  Pierre  par  I'Ange  la  bonne  nouvelle  de  la  resur- 
rection de  Jesus,  xvi,  7;  Gfr.  Matth.  xxviii,  7.  Enfin  il  decrit  avec  une  pre- 
cision particuliere  le  triple  reniement  de  S.Pierre;  Gfr.  surtoutxiv,  68,72. 
N'est-ce  pas  de  Simon-Pierre  lui-meme  qu'il  teriait  ces  divers  traits?  II  est 
vrai,  d'uu  autre  cote,  que  plusieurs  details  importants  ou  honorables  de 
la  vie  evangelique  de  S.  Pierre  sont  completement  passes  sous  silence 
dans  le  second  Evangile,  par  exemple  sa  marche  sur  les  eaux,  Matth. 
XIV,  28-31 ;  Gfr.  Marc,  vi,  50,  51 ;  son  role  proeminent  dans  le  miracle  du 
didrachme,  Matth.  xvii,  24-27;  Gfr.  Marc,  ix,  33;  sa  designation  comme 
le  roc  inebranlable  sur  lequell'Egliseserait  batie,  Matth.  xvi,  17-19;  Marc. 
VIII,  29,  30;  la  priere  speciale  que  Jesus-Christ  fit  pour  lui  afin  d'obtenir 
que  sa  foi  ne  defaillit  jamais ;  Luc.  xxii,  31,  32  (2).  Mais  ces  omissions 
remarquables  ne  prouvent-elles  pas  de  nouveau,  ainsi  que  le  conjectu- 
raient  deja  Eusebe  de  Gesaree  (3)  et  S.  Jean  Chrysostome  (4),  la  partici- 
pation de  S.  Pierre  a  la  composition  du  second  Evangile,  ce  grand  Apotre 
ayant  voulu  par  Diodestie  qu'on  laissat  dans  I'oubli  des  evenements  qui 
etaient  si  precieux  pour  sa  personne?  Nous  I'admettons  sans  peine  a  la 
suite  du  plus  grand  nombre  des  exegetes  (5). 

Que  penser  maintenant  de  Topinion  de  S.  Augustin,  opinion  tout-a-fait 
isolee  dans  I'antiquite,  mais  souvent  acceptee  depuis,  d'apres  laquelle 
TEvangile  selon  S.  Marc  ne  serait  qu^un  abrege  caique  sur  celui  de 
S.  Matthieu?  «  Marcus  Matthseum  subsecutus  tanquam  pedissequus  et  bre- 
viator  ejus  (6)?  »  Elle  est  exacte,  si  elle  affirme  simplement  quMl  existe 
une  grande  ressemblance,  soit  pour  le  fond,  soit  pour  la  forme,  entre  les 
deux  premiers  recits  evangeliques;  elle  est  fausse,  au  contraire,  si  elle 
pretend  que  S.  Marc  s'est  borne  a  publier  une  reduction  de  I'oeuvre  de  son 


(1)  «  Omnia  quae  apud  Marciim  legiintur,  narralionum  sermonumque  Petri  dicuntur  esse 
commentaria  ».  Euseb.  Dem.  Evang.  1.  iii,  c.  5.  «  S.  Marc,  dil  M.  Renan,  Vie  de  Jesus,  1863, 
p.  XXXIX,  est  plain  d'observalions  minulieuses  venanl  sans  nul  doute  d'un  temoin  oculaire. 
Rien  ne  s'oppose  a  ce  que  ce  lemoin  oculaire,  qui  evidemmenl  avail  suivi  Je>us,  qui  i'avait 
aime  el  regarde  de  tres-pres,  qui  en  avail  conserve  une  vive  image,  ne  soil  I'apoire  Pierre 
lui-memo,  comme  le  vent  Papias.  »  Cfr.  Patrizi,  de  Evangel,  lib.  I,  cap.  ii,  quaest.  4. 

(2)  Comparoz  encore  Marc,  vii,  -17  et  MalLh.  xv,  15;  Marc,  xiv,  13  et  Luc.  xxii,  8, 

(3)  Dem.  Evang.  in,  3,  89. 

(4)  Horn,  in  Mallh. 

(5)  Nous  ne  croyons  pas  qu'on  puisse  tirer  une  preuve  peremptoire  de  certaines  coinci- 
dences de  pensees  el  d'expressions  qui  existent  entre  les  Epilres  de  S.  Pierre  el  divers  pas- 
sages du  second  Evangile  (V.  g.  II  Pelr.  ii,  1,  Cfr.  Marc,  xm,  22;  II  Pelr.  iii,  17,  Cfr.  Marc. 
XIII,  23;  I  Pelr.  i,  25,  Cfr.  Marc,  xm,  21  ;  1  Pelr.  ii,  9,  Cfr.  Marc,  xni,  20;  I  Pelr.  ii,  17, 
fXr.  Marc,  xii,  17;  I  Pelr.  ii,  25, Cfr.  Marc,  vi,  34;  II  Pelr.  iii,  41,  Cfr. Marc,  xm,  19;  etc.): 
ces  coincidences  n'onl  en  effel  rien  de  caracleristique. 

(6)  De  consens.  Evang.  1.  I,  c.  ii. 


PREFACE  43 


devancier.  Les  fails  qu'il  rapporle  sont  bien  les  memes  pour  la  plupait  (1), 
mais  il  les  expose  presque  toujours  d'une  maniere  tres-neuve,  qui  prouve 
sa  complete  liberie  d'ecrivain  (2).  Du  resle,  ce  senlimenl  esl  aujourd'hui  a 
peu  pres  abandonne. 


§   V.  —  LA  LANGUE   PRIMITIVE  DU   SECOND  EVANGILE 

t 

S.  Marc  ayanl  compose  son  Evangile  pour  des  Romains,  il  a  semble  na- 
turel  a  plusieurs  critiques  qu^il  Tail  ecrit  primitivement  en  latin.  Tel  a  ete 
en  particulier  I'avis  du  savant  Baronius  (3).  La  Peschito  syriaque  et  les 
suscriptions  de  plusieurs  manuscrits  grecs  affirment  sans  doute  que  le 
second  Evangile  lyp a-f v)  pwixataxi ;  mais  ces  assertions  anonymes  perdent 
toute  autorite  devant  les  temoignages  formels  de  S.  Jerome  et  de  S.  Au- 
gustin.  «  De  novo  nunc  loquar  Testamento,  dit  le  premier  de  ces  deux 
Peres  (4),  quod  grsecum  esse  dubium  non  est,  excepto  apostolo  Matthseo, 
qui  primus  in  Judsea  Evangelium  Christi  hebraicis  litteris  edidit.  »  S.  Au- 
gustin  n'est  pas  moins  clair  :  «  Horum  sane  quatuor  (Evangelistarum) 
solus  Matthaeus  hebrseo  scripsisse  perhibetur  eloquio,  cseteri  graeco  (5).  » 

Pourquoi  S.  Marc,  s'adressant  a  des  Romains,  n'aurait-il  p'as  ecrit  en 
grec?  N'est-ce  pas  dans  cette  langue  que  I'liistorien  Josephe  composa  ses 
ouvrages,  preciseftient  pour  etre  compris  des  Romains?  S.  Paul  (6)  et 
S.  Ignace  n'ecrivirent-ils  pas  aussi  en  grec  leurs  lettres  a  I'Eglise  de 
Rome?  «  Pendant  une  partie  notable  des  premiers  siecles,  dit  M.  Mil- 
man  (7),  I'Eglise  de  Rome  et  presque  toutes  les  Eglises  de  I'Occident 
etaient  en  quelque  sorte  des  colonies  religieuses  helleniques.  Leur  Ian- 
gage  etait  grec,  leurs  ecrivains  etaient  grecs,  leurs  livres  sacres  etaient 
grecs,  et  de  nombreuses  traditions,  comme  de  nombreux  restes,  prouvent 
que  leur  rituel  et  leur  liturgie  etaient  grecs...  Tons  les  ecrits  Chretiens 
connus  de  nous  qui  parurent  a  Rome  ou  en  Occident  sont  grecs,  ou  I'e- 
taient  primitivement :  et  les  epitres  de  S.  Clement,  et  le  Pasteur  d'Her- 
mas,  etles  liomelies  Clementines,  et  les  oeuvres  de  S.  Justin  martyr,  jus- 
qu'a  Cains,  jusqu'a  Hippolyte,  auteur  de  la  refutation  de  toutes  les  here- 


(1)  D'importantes  omissions  sont  neanmoins  a  signaler,  notamment.  Maltli.  in,  7-10;  viii, 
5-13,  etc.;  X,  -15-42  ;xi;  xii,  38-45 ;  xiv,  34-36  fxvii,  24-27;  xvm,  10-35;  xx,  1-16;  xxi, 
U-16,  28-32;  xxii,  i-14;  xxiii ;  xxvii,  3-10,  62-67;  xxviii,  11-15,  16-20 ;  etc.,  etc.  Un 
simple  «  abbrevialor  »  ne  se  serait  pas  ainsi  comporle. 

(2)  Si  roil  divise,  avec  M.  Reuss,  la  matiere  conleniie  dans  les  trois  premiers  Evangiles  en 
-100  sections  ou  paragraphes,  nous  ne  trouvons  dans  S.  Marc  que  63  de  ses  seclions,  tandis 
que  S.  Matthieu  en  a  73,  S.  Luc  82.  49  seclions  sont  communes  aiix  trois  Evangelistes,  9  a 
S.  MallhiiHi  et  a  S.  Marc,  3  a  S.  Marc  et  a  S.  Luc ;  S.  Marc  n'en  a  que  deux  qui  lui  soient  tout 
a  fait  spcciales.  Mais  combien  de  traits  qu'on  trouve  seulemcnt  dans  son  recit!  Cfr.  ii,  25; 
III,  20,  21  ;  IV,  26-29;  v,  4,5  et  ss.;  vm,  22-26;  ix,  49,  xi,  11-14;  xiv,  51-52;  xvi,  9-11,  et 
cent  autres  passages  que  nous  signalerons  dans  le  commentaire. 

(3)  Annal..  ad  ann.  45,  §  39  etss.  Voir  la  refutation  de  Tillemont,  Memoires  pour  servir  k 
I'Hist.  eccl.  S.  Marc,  note  4. 

(4)  Pracf.  in  iv  Evangel,  ad  Damasum. 

(5)  De  Consens.  Evangel.  I.  1,  c.  iv. 

(6)  Voir  Drach,  Epilres  de  S.  Paul,  p.  7. 

(7)  Latin  Chrislianily.  i,  p.  34. 


U  fiVANGII-E  SELON  S.  MVHC 

feies.  ))  Rien  ne  s'opposait  done  a  ce  que  S.  Marc  ecrivit  en  grec,  bien  qu'il 
destinat  son  recita  des  Latins  (1). 

L'hypolhese  de  Wahl,  d'apres  laquelle  le  second  Evangile  aurait  ete 
compose  en  langue  copte  merite  a  peine  une  mention  (2). 


§  VI.  —  TEMPS  ET  LIEU   DE  LA  COMPOSITION  DU   SECOND  EVANGILE 

l°La  tradition  ne  nous  fournit  pas  de  donnees  certaines  relativement  a 
I'epoque  oii  S.  Marc  ecrivit  son  Evangile;  ses  renseignements  sont  meme 
contradictoires.  Ainsi,  d'apres  Clement  d'Alcxandrie  (3),  le  second  Evan- 
gile aurait  ete  publie  du  vivant  de  S.  Pierre;  tandis  que,  suivant  S.  Ire- 
nee  (4),  il  n'aurait  paru  qu'apres  la  mort  du  Prince  des  Ap6tres,  par 
consequent  apres  Tan  67.  Les  critiques  se  partagent  entre  ces  deux 
sentiments.  MM.  Reithmayr  et  Gilly  adoptent  le  premier,  et  placent  la 
composition  de  notre  Evangile  entre  les  annees  42-49  (5).  MM.  Langen, 
J-P.  Lange,  et  la  plupart  des  autres  exegetes  contemporains,  se  rangent  k 
I'opinion  de  S.  Irenee,  qui  semble  en  effet  plus  probable.  D'autres  auteurs 
tachent  de  concilierles  temoignagespatristiques,en  admettant  une  double 
publication  de  I'oeuvre  de  S.  Marc,  la  premiere  a  Rome  avant  la  mort  de 
S.  Pierre,  la  seconde  en  Egypte,  apres  son  martyre.  «  S.  Marc,  dit  Ri- 
chard Simon  (6),  a  donne  aux  fideles  de  Rome  un  Evangile  en  qualite  d'in- 
terprete  de  S.  Pierre,  qui  prechait  la  religion  de  Jesu%-Clirist  dans  cette 
grande  yille;  et  il  I'a  aussi  donne  ensuite  aux  premiers  Chretiens  d'Egypte, 
en  qualite  d'apotre  ou  d'eveque.  »  Mais  ce  n'est  la  qu'un  subterfuge  sans 
fondement  solide.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  ressort  clairement  du  ch.  xiii,  14  et 
suiv.,  que  I'Evangile  selon  S.  Marc  dtit  paraitre  avant  la  mine  de  Jeru- 
salem, puisque  cet  evenement  y  est  prophetise  par  Notre-Seigneur,  sans 
que  rien  vienne  indiquer  qu'il  s'etait  accompli  depuis  (7). 

2°  Aucun  doute  ne  saurait  subsister  a  I'egard  du  lieu  de  la  composition. 
Ce  flit  Rome,  comme  I'affirment,  a  part  un  seul,  tons  les  Peres  qui  se  sont 
occupes  de  cette  question.  Clement  d'Alexandrie  (8)  rattache  cette  croyance 
a  une  antique  tradition,  TrapaSoatv  tSv  ave'xaOev  TtpeaguTs'pwv.  S.  Irenee,  S.  Jerome, 
Eusebe  de  Cesaree  la  signalent  comme  un  fait  indubitable  (9).  S.  Epi- 
phane  parte  dans  le  meme  sens  :  EuOu;  Se  {xexa  xbv  MaxOaTov  axoXouGo;  Y^w'jxevo?  5 


(1)  Voir  Richard  Simon,  Histoira  critiq.  du  Nouv.  Test.  ch.  xi;  Cfr.  Juven.  Sat.  vi,  2. 

(2)  Cfr.  Magazin  fiii-  aite,  besond.  oriental,  und  bibl.  Lileratur,  -ITGO,  in,  2,  p.  8.  Wahl 
allegup  comme  raison  la  fondation  de  plusieurs  chrelientes  egyptiennes  par  S.  Marc. 

(3)  Hypotyp.  vi,  ap.  Euseb.  Hist.  Eccl.  vi,  4  4. 

(4)  Adv.  Haer.  in,  i  :  ^iz-za.  toutwv  (scil.  Uexpoy  xai  ITaOXoy)  e|oSov .  Voir  la  citation  complete 
an  §  II.  Le  mot  £?ooov  ne  pent  designer  raisoimablement  que  la  mort  des  deux  apolres.  «  Post 
quorum  exitum  »,  disail  deja  Ruitin.  Toutes  les  autres  interpretations  sont  arbitraires.  Cfr, 
Langen,  Grundriss  der  Einleitung,  p.  87. 

(5)  Qiielques  manuscrits,  Theophylacte  et  Euthymius,  font  ecrire  S.  Marc  dix  ou  douze  ans 
apres  I'Ascension.  Cfr.  Baronius,  Annal.  ad  ann.  45,  §  29. 

(6)  Histoire  critiq.  du  Nouv.  Test.  t.  I, p.  107.  Cfr.  Bisping,  das  Evangel,  nach  Markus,  p.  6. 

(7)  Voyez,  sur  I'epoque  de  la  composition  du  second  Evangile,  une  savanle  dissertation  du 
P.  Patrizi,  de  Evangeliis.  t.  I,  pp.  36-51. 

(8)  Ap.  Euseb.  Hist.  Eccl.  \i,  14. 

(9)  Voir  les  lextes  cites  plus  haul,  §  II,  1o, 


PREFACE  45 

Mapy.o?  Tw  aylw  UsTpw  Iv  Pto(xr,  iTr'-TpeTrerat  to  EuaYyiXcov  £x6£c0at  (1).    S.   Jean    GhySOS- 

tome  ail  contraire  assure  que  le  second  Evangile  aurait  ete  compose  en 
Egypte.  AsyeTat,  dit-il  dans  ses  Homelies  sur  S.  Matlhieu,  xat  Mapxo?  §£  Iv 

AtyuTtTO)  Twv  [xa9Y)Twv  TtapaxaXsffdcvTOJV  auTov,  auto  touto  Trot^crai.  MaiS  CC  Sentiment  ISOle 

ne  saurait  contrebalancer  les  temoignages  si  formels  de  tous  les  autres 
ecrivains  anciens  (2).Du  reste,  le  coloris  latin  et  les  expressions  romaines 
que  nous  avons  signales  plus  haut  (3)  montrent  bien  que  S.  Marc  dut 
ecrire  sur  le  territoire  romain.  D'un  rapprochement  etabli  entre  S.  Marc, 
XV,  21,  et  Act.  XI,  20,  M.  Storr  a  conclu(4)  que  la  ville  d'Antioclie  avait  ete 
la  patrie  de  notre  Evangile ;  mais  nous  avouons  ne  rien  comprendre  a  cette 
conclusion,  qui  est  d'ailleurs  universellement  rejetee. 


§   VII.  —  CARACTERE  DU   SECOND  EVANGILE 

On  a  souvent  et  tres-justement  propose  d'inscrire  en  tete  de  I'Evangile 
selon  S.  Marc  les  paroles  suivantes  de  S.  Pierre,  qui  en  resument  admi- 
rablement  le  caractere  general  (5)  :  «  Vos  scitis  quod  factum  est  verbum 
per  universam  Judseara  :  incipiens  enim  a  Galilaea,  post  baptismum  quod 
pra^dicavit  Joannes,  Jesum  a  Nazareth  :  qnomodo  unxit  eum  Deiis  Spiritu 
Sancto,  et  virtute,  qui  pertransiit  beneiaciendo  et  sanando  omnes  oppres- 
ses adiabolo,  quoniam  Deus  erat  cum  illo  ».  Act.  x,  37,  38.  Nous  y  trou- 
vons  en  effet  un  portrait  frappant  de  Jesus  de  Nazareth.  Toutelbis,  ce 
portrait  n'est  pas,  comme  dans  le  premier  Evangile,  i,  1,  celui  «  du  Fils 
de  David  et  d'Abraham  »^  c'est-a-dire  duMessie;  ni,  comme  dans  le  troi- 
sieme  Evangile,  celui  du  «  Fils  d'Adam  qui  etait  Fils  de  Dieu  »,  Luc, 
III,  38  :  c'est  le  portrait  du  Dieu  Redempteur,  incarne  pour  notre  salut, 
faisant  le  bien,  operant  de  nombreux  miracles  parmi  les  hommes,  deve- 
loppant  sa  mission  beaucoup  plus  par  des  oeuvres  que  par  des  paroles. 

Ge  portrait  semblea  premiere  vue  notablement  reduit.  Le  second  Evan- 
gile est  en  effet  le  plus  court  de  tous  :  «  breve  Evangelium  »,  disait  deja 
S.  Jerome  (6).  II  n'a  que  seize  chapitres,  tandis  que  TEvangile  selon 
S.  Jean  en  contient  21,  celui  de  S.  Luc  24,  celui  de  S.  Matthieu  jusqu'a 
28.  II  tend  sensiblement  a  la  brievete.  Et  neanmoins,  comme  il  est  bien 
rempli!  Mais  ce  n'est  pas  une  simple  nomenclature  d'incidents  sechement 
enumeres  les  uns  a  la  suite  des  autres;  ce  sont  des  faits  qui  se  reprodui- 
sent  en  quelque  sorte  sous  le  regard  etonne  du  lecteur,  tant  la  precision 
est  grande  dans  les  details,  tant  le  pittoresque  abonde  a  chaque  page. 
Aussi  avons-nous  la  une  photographic  vivante  du  Sauveur.  Sa  person- 
nalite  humaine  et  divine  est  caracterisee  d'une  maniere  frappante.  Non- 
seulement  nous  apprenons  qu'il  participait  a  toutes  nos  infirmites,  telles 
que  la  faim,  xi,  12,  le  sommeil,  iv,  38,  le  desir  du  repos,  vi,  31 ;  qu'il  etait 


(1)  Haer.  li,  6. 

(2)  Horn.  I,  3. 

(3)  Voir  le  §  IV,  no  3,  4o. 

(4)  Zweck  der  evang.  Gcscli,  §  59  et  60. 

(5)  Voyez  M.  Bougaud,  1.  c.  p.  76  ets. 

(6)  De  viris  illiistr.  c.  viu. 


46  fiVANGILE  SELON  S.  MARC 

accessible  aux  sentiments  et  aux  passions  des  hommes  ordinaires,  par 
exemple,  qu'il  pouvait  s'attrister,  vii,  34;  viii,  12,  aimer,  x,  21,  s'api- 
toyer,  vi,  14,  s'etonner,  vi,  61,  etre  saisi  d'indignation,  iii,  5;  viii,  12,  33; 

X,  14;  mais  nous  le  voyons  lui-meme  avec  sa  posture,  x,  32;  ix,  3o,  son 
geste,  VIII,  33;  ix,  36;  x,  16,  ses  regards,  iii,  b,  34;  v,  32;  x.  23;  xi,  11. 
Nous  entendonsjusqu'a  ses  paroles  prononcees  dans  salangue  maternelle, 

III,  17;  V,  41 ;  vii,  34;  xiv,  36;  bien  plus,  jusqu'aux  soupirs  qui  s'echap- 
paient  de  sa  poitrine,  vii,  3'i;  viii,  12.  S.  Marc  nous  rend  egalement 
temoins  de  I'expression  saisissante  que  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  pro- 
duisait,  soit  sur  la  foule,  i,  22,  27;  ii,  12;  vi,  2,  soit  sur  ses  disciples, 

IV,  40;  VI,  51 ;  x,  24,  26,  32.  II  nous  montre  les  multitudes  se  pressant 
autour  de  lui,  iii,  10;  v,  21,  31;  vi,  33:  de  maniere  parfois  a  ne  pas  lui 
laisser  le  temps  de  prendre  ses  repas,  iii,  20;  vi,  31.  Gfr.  ii,  2;iii,  32; 
IV,  1.  Parmi  les  Evangelistes,  personne  mieux  que  lui  n'a  pris  soin  de 
noter  exactement  les  differentes  circonstances  de  nombre,  de  temps,  de 
lieux  et  de  personnes.  1"  Les  circonstances  de  nombre  :  v,  13,  «  grex 
prsecipitatus  est  in  mare  ad  duo  millia  »;  vi,  7,  «  coepit  eos  mittere  binos  »; 
VI,  40,  «  discubuerunt  in  partes,  per  centenos  et  quinquagenos  »;  xiv,  30, 
«  priusquam  gallus  vocem  bis  dederit,  ter  me  es  negaturus  ».  2°  Les  cir- 
constances de  temps  :  i,  3b,  «  diluculo  valde  surgens  »;  iv,  35,  «  et  ait 
illis  in  ilia  die,  quum  sero  factum  esset  »;  vi,  2,  «  facto  sabbato  coepit  in 
synagoga  docere  »  ;  xi,  11,  t  quum  jam  vespera  esset  hora,  exiit  in  Betha- 
niam  »;  xi,  19,  «  quum  vespera  facta  esset,  egrediebatur  de  civitate  »; 
Cfr.xv,  25;  xvi,  2,  etc.  3° Les  circonstances  de  lieux :  ii^  13,  «  egressus  est 
rursus  ad  mare  »;  iii,  1,  «  Jesus  autem  secessit  ad  mare  »;  iv,  1,  « iterum 
coepit  docere  ad  mare  »;  v,  20  »,  coepit  prsedicare  in  Decapoli  » ;  Gfr.  vii,  31. 
XII,  41,  «  Sedens  Jesus  contra  gazophylacium  »;  xiii,  3,  «  quum  sederetin 
monte  Olivarum  contra  templum  «;  xvi,  5,  «  viderunt  juvenem  sedentem 
in  dextris  »;  Gfr.  vii,  31 ;  xiv,  68;  xv,  39,  etc.  4°  Les  circonstances  de 
personnes  :  i^  29,  «  venerunt  in  domum  Simonis  et  Andrese  cum  Jacobo  et 
Joanne  »;  i,  36,  «  et  prosecutus  est  eum  Simon,  et  qui  cum  illo  erant  »; 
III,  22,  «  Scribse  qui  ab  Jerosolymis  desceuderant  » ;  xiii,  13,  «  interroga- 
bant  eum  separatim  Petrus,  et  Jacobus,  et  Joannes,  et  Andreas  »;  xv,  21, 
«  Simonem  Gyrenseum,  patrem  Alexandri  et  Rufi.  »  Gfr.  in,  6;  xi,  11; 

XI,  21 ;  xiv,  65,  etc.  II  faudrait  presque  transcrire  le  second  Evangile 
versetpar  veraet,  si  nous  voulions  noter  tons  les  details  de  ce  genre.  Qu'il 
suffise  d'ajouter  avec  Da  Gosta  (1),  que  «  si  quelqu'un  desire  connaitre  un 
fait  evangelique,  non-seulement  dans  ses  points  principaux  et  dans  ses 
lignes  generales,  mais  aussi  dans  ses  details  les  plus  minutieux,  les  plus 
graphiques,  c'est  a  S.  Marc  qu'il  doit  recourir.  »  On  concoit  aisement  la 
ifraicheur,  I'interet,  les  couleurs  draraatiques  que  doit  presenter  une  oeuvre 
ainsi  composee.  Nous  devons  ajouter  qu'elle  a  aussi  une  rapidite  extraor- 
dinaire; car  S.  Marc  ne  se  donne  pas  beaucoup  de  peine  pour  combiner 
entre  eux  les  evenements  qu'il  raconte.  II  ne  les  groupe  point,  comme 
S.  Matthieu,  d'apres  un  ordre  logique  :  il  se  conte'nte  de  les  rattachcr 
I'un  a  I'autre,  le  plus  souvent  selon  I'ordre  historique,  par  les  formules 
xal,  7ra>!v,  eiOe'io;.  Cctte  dcrniere  expression  revient  sous  sa  plume  jusqu'a 


{\)  Four  Witnesses,  p.  88. 


PREFACE  17 

41  fois  (1) !  II  vole  d'an  incident  a  un  autre  incident,  sans  prendre  le  temps 
de  faire  aes  reflexions  historiques.  Sans  cesse  la  scene  change  de  la  facon 
la  plus  ahrupte  sous  les  yeux  du  lecteur. 

Des  faits,  et  des  faits  brievement  racontes,  tel  est  done  le  fond  du  se- 
cond Evangile.  S.  Marc,  qui  est  par  excellence  Tevangeliste  de  Taction, 
n'a  conserve  en  entier  aucun  grand  discours  du  Sauveur  (2)  :  celles  des 
paroles  du  divin  Maitre  qu'il  a  inserees  dans  sa  narration  sont  habituelle- 
ment  les  plus  brulantes,  les  plus  vives,  et  il  a  su,  en  les  resumant,  leur 
•donner  une  tournure  incisive  et  energique. 

Son  style  est  simple,  vigoureux,  precis,  et  generalement  plein  de  clarte; 
il  y  regne  pourtant  quelquefois  une  certaine  obscurite,  qui  provient  de  la 
trop  grande  concision.  Gfr.  i,  13;  ix,  5,  6;  iv,10,  34.  Ony  remarque  —  1°  le 
frequent  emploi  du  present  au  lieu  du  preterit :  i,  40,  «  Un  lepreux  vient 
a,  lui  » ;  II,  3  (d'apres  le  texte  grec),  «  ils  viennent  a  lui,  portant  un  para- 

iytique  »;  xi,  1,  *  quand  ils  approcherent  de  Jerusalem, il  envoie 

deux  de  ses  disciples  » ;  xiv,  43,  «  aussitot,  pendant  qu'il  parlait,  se  pre- 
sente  Judas  »;Gfr.  ii,  10, 17;xiv,  66,  etc.;  —  2°le  langage  direct  au  lieu  du 
langage  indirect  :  iv,  39,  «  il  dit  a  la  mer :  Paix!  sois  calme!  »;  v,  9,  «  II 
lui  demanda  :  Quel  est  tonnom?  »  v,  12,  «  les  demons  le  suppliaient,  di- 
sant:  Envuie-nous  dans  les  pourceaux  » ;  Gfr.  v,  8;  vi,  23,  31 ;  ix,  25;  xii,  6; 
—  3°  la  repetition  emphatique  de  la  meme  pensee  :  i,  45,  «  ille  egressus 
coepit  praedicare  et  diffamare  sermonem  »;  in,  26,  «  non  poterit  stare,  sed 
finem  habet  » ;  iv,  8,  «  dabat  fructum  ascendentem  et  crescentem  » ; 
VI,  25,  «  statim  cum  festinatione  »;  xiv,  68,  «  neque  scio  neque  novi  quod 
dicas»,eLc.;  —  4° les  negations  accumulees :  oOxsTt  ouSsi?,  vii,  12;ix,8;xii,  34; 
XV,  5;  ouxETi  ou  (JLV),  xiv,  25;  [xyixeti  [XYiosi;,  XI,  14.  —  Outre  les  expressions  la- 
lines  et  arameennes  signalees  plus  haut,  notons  encore  les  locutions  sui- 
vantes,  dont  S.  Marc  use  volontiers  :  axa9apTov  mtZtxy.  onze  fois,  six  fois  seu- 
lement  dans  S.  Matthieu,  trois  dans  S.  Luc;  ^^aro  X£Y£tv,xca?£iv,  vingt-cinq 
fois,  les  composes  de  TropsuEc^at  :  zhmp  huit  fois;  IxTOp  onze  fois;  xapaTrop 
quatre  fois;  iTreptotaoi,  vingt-cinq  fois;  xr,puaaetv,  quatorze  fois;  les  diminutifs, 
V.  g.  GuyaTptov,  xuvapta,  xopocatov,  wxapiov ;   ccrtaius   mots  peu  usites,  tcls  que 

xajfiOTToXii;,  aXaXa(^£iv,  (JLeytdTavEi;,  vouve^w?,  TiXotaptov,  Tpu[xaXia,  CtC.  (.3). 

Goncluons  ce  paragraphe  par  une  reflexion  tres-juste  du  D"  West- 
cott  (4)  :  «  Par  le  fond,  et  par  le  style,  et  par  la  maniere  de  traiter  les  su- 
jets,  I'Evangile  de  S.  Marc  est  essentiellement  une  copie  faite  sur  une 
image  vivante.  Le  cours  et  Tissue  des  evenements  y  sont  depeints  avec 
les  contours  les  mieux  marques.  Alors  meme  que  Ton  n'aurait  aucun  autre 
argument  pour  combattre  ce  qui  a  ete  dit  touchant  Torigine  mythique  des 
Evangiles,  ce  recit  vivant  et  simple,  marque  a  Tempreinte  de  Tindepen- 
dance  et  de  Toriginalite  les  plus  parfaites,  sans  connexion  avec  le  sym- 
bolisme  de  Tancienne  Alliance,  depourvu  des  profonds  raisonnements  de 

(<)  Fritzsche,  Evangel.  Marci,  p.  XLiv,  en  est  offusque  :  «  Voces,  ecrit-il,  ad  nauseam  us(iue 
ileralas  et  eleganliae  incuriam  ».  Ella  est  pourtant  en  general  d'un  Ires  bon  effet,  et  equivaut 
a  1'  «  Ecce  »  de  S.  Matthieu. 

(2)  Voyez.  dans  le  commentaire,  le  debut  des  chap,  ivet  xiii. 

(3)  Voir  Fritzsche,  Evangel ium  Marci,  p.  xliv  et  8.  Kitto,  Cyclopaedia  of  bibl.  Literal. 
38  edit.  t.  Ill,  p.  72;  Smith,  Diction,  of  the  Bible,  s.  v.  Mark,  Gospel  of;  Credner,  Einleit. 
p.  102  et  s. 

(4)  Introduction  to  the  study  of  the  Gospels,  p.  367. 

S.  Bible.  S.  Marc.  — 


48  EVANGILE  SELON  S.  MARC 

la  noiivelle,  snffirait  pour  refuler  cette  tlieorie  subversive.  Les  details- 
qui  furent  primilivement  adresses  a  la  vigoureuse  intelligence  des  lecteurs 
Romains  sont  encore  remplis  d'instruction  pour  nous  (1).  » 

§   VIII.  —  PLAN  ET  DIVISION 

1.  Le  plan  de  S.  Marc  est  fort  simple  :  il  consiste  a  suivre  pas  a  pas  la 
catechese  historique  qui, nous  I'avons  vu  (2),  devait  former  le  fond  de  son  ou- 
vrage.  Or,  cette  catechese  n'embrassait  generalement  que  la  Vie  publique 
de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  a  partir  de  son  bapteme,  avec  la  predica- 
tion de  Jean-Baptiste  en  guise  de  preambule,  et  la  Resurrection  et  I'Ascen- 
sion  du  Sauveur  pour  conclusion  (3),  et  telles  sont  precisement  les 
grandes  lignes  suivies  par  notre  evangeliste.  II  omet  done  entierement  les 
details  relatifs  a  I'Enfance  et  a  la  Vie  cachee  de  Jesus,  pour  faire  entendre 
immediatement  au  lecteur  la  voix  et  les  austeres  preceptes  du  Precurseur. 
Pour  lui,  comme  pour  les  autres  synoptiques,  la  Vie  publique  du  Christ  se 
borne  auministere  exerce  par  Notre-Seigneur  en  Galilee;  mais,  au  lieu  de 
s'arreter  avec  eux  aux  scenes  de  la  Resurrection,  il  suit  le  divin  Maitre 
jusqu'a  son  Ascension,  jusqu'aux  splendeurs  du  Ciel,  compensant,  par 
cette  heureuse  addition  faite  a  la  Vie  glorieuse,  ce  qu^il  avait  omi^  dans 
la  Vie  cachee.  M.  J.  P.  Lange  a  fait  une  ingenieuse  remarque,  qui  pent 
servir  a  mieux  caracteriser  encore  le  plan  adopte  par  S.  Marc.  Pai  lant  de 
cette  idee  que  Jesus,  tel  que  le  represente  le  second  Evangile,  est  le  Dieu 
Fort  annonce  par  Isaie.  ix,  6,  le  lion  victorieux  de  la  tribu  de  Juda  dont 
parle  I'Apocalypse,  v,  o,  il  trouve  dans  la  narration  de  S.  Marc  une  suc- 
cession perpetuelle  de  mouvements  en  avantet  de  mouvements  en  arriere, 
de  charges  et  de  retraites,  comme  il  les  nomme,  qui  ne  sont  pas  sans  ana- 
logie  avec  la  marche  du  lion.  Jesus  s'avance  avec  vigueur  centre  ses 
ennemis;  puis  tout  a  coup  ii  se  retire  pour  emporter  le  butin  conquis  ou  pour 
preparer  une  nouvelle  charge.  Dans  le  tableau  analytique  qui  termine  la 
Preface,  nous  ferons  ressortir  ces  mouvements  varies  et  pleins  d'interet  (4). 

2.  Nous  avons  divise  le  recit  de  S.  Marc  en  trois  parties,  qui  correspon- 
dent a  la  Vie  publique,  a  la  Vie  soufirante  et  a  la  Vie  glorieuse  de  Notre- 
Seigneur  Jesus-Christ.  La  premiere  partie,  i,  14-x,  52,  raconte  le  minis- 
tere  de  Jesus  a  partir  de  sa  consecration  messianique  jusqu^a  son  arrivee 
a  Jerusalem  pour  la  derniere  Paque.  Elle  est  precedee  d'un  court  pream- 
bule, 1, 1-13,  oil  le  Precurseur  et  le  Messie  font  tour  a  tour  leur  apparition 
sur  la  scene  evangelique.  Elle  se  subdivise  en  trois  sections,  qui  nous  mon- 
trent  Jesus-Christ  agissant  d'abord  dans  la  Galilee  orientate,  i,  l4-vii,  23, 
puis  dans  la  Galilee  septentrionaie,  vii,  24-ix,  50,  enfin  en  Peree  et  sur  la 
route  de  Jerusalem,  x,  1-52.  Dans  la  seconde  partie,  xi,  1-xv,  57,  nous  sui- 
vons  jour  par  jour  les  evenements  de  la  derniere  semaine  de  la  vie  du  Sau- 

(1)  Voir  aiissi  Alford,  New  Testam.  for  English  readers,  3e  edit.  t.  I,  p,  29;  M.  Bougaud, 
1.  c.  pp.  7o,  76  et  82. 

(2)  §  IV,  no  2. 

(3)  Cfr.  Acl.  I,  21,  22:  X  37,  38,  xiii,  23-23. 

(4)Clr.  J.  P.  Lai)!,-,  Tiicolog-liomil.  Bibelwerk,  N.  Test.  2.  Th.,  das  Evangaium  nach 
Maikiis,  3e  edit.  p.  2  el  5, 


PREFACE  19 

veur.  La  troisieme,  xvi,  1-20,  presentera  a  notre  admiraticn  les  glorieux 
mysteres  de  sa  Resurrection  et  de  son  Ascension. 

§   IX.  —  LES  PRINCIPAUX    COMMENTATEURS  DU   SECOND   EVANGILE 

Aucun  Pere  latin  n'a  commente  I'Evangile  selon  S.  Marc  avant  le  Ven. 
Bede  (1).  Dans  I'Eglise  grecque,  il  faut  descendre  jusqu'au  cinquieme 
siecle  pour  trouv^r  un  ecrivain  qui  I'ait  explique;  car  les  quatorze  home- 
lies  «  inMarcumw,  reproduitesen  langue  latine  parmiles  oeuvres  de  S.Jean 
Ghrysostome,  ne  sont  pas  authentiques.  Victor  d'Antioche  est  done  le  plus 
ancien  interprete  de  notre  Evangile  (2).  Plus  tard,  Theophylacte  et  Euthy- 
mius  le  commenterent  dans  leurs  grands  ouvrages  sur  le  Nouveau  Tes- 
tament. 

Au  moyen  £ige,,  comme  dans  les  temps  modernes,  ce  furent  generale- 
ment  les  mgmes  exegetes  qui  entreprirent  de  commenter  S.  Marc  et 
S.  Matthieu  :  on  trouvera  done  leurs  noms  indiques  a  la  fin  de  la  Preface 
de  notre  commentaire  sur  le  premier  Evangile  (3).  Qu'il  suffise  de  rappeler 
les  noms  de  Maldonat,  de  Fr.  Luc  de  Bruges,  de  Noel  Alexandre,  de  Gor- 
neille  de  Lapierre,  de  D.  Galmet,de  Mgr  Mac  Evilly,  des  docteurs  Reischl, 
Schegg  et  Bisping  parmi  les  Gatholiques,  de  Fritzsche,  de  Meyer,  de 
J.  P.  Lange,  d'Alford,  d'Abbott  parmi  les  protestants.  Nous  n'avons  qu'un 
tres-petit  nombre  de  Gommentaires  speciaux  a  signaler  : 

Jac.  Eisner,  Comment,  crit.-i^liilol.  in  Evangelium  Marc.  Lugd. 
Batav.  1773.  3  tom.  in-4°. 

B.  de  Willes,  Specim.  liermeneut.  de  Us  qii(B  ah  uno  Marco  sunt  nar- 
rata  aut  copiosins  et  explicatms  db  eo  exposita.  Traject.  1811. 

F.  X.  Patritii,  S.  J.,  In  Marcum  Commentarium,  Rom.  1862. 

Rev.  G.  F.  Maclear,  TJie  Gospel  accorcliag  to  St.  March,  with  notes  and 
introduction,  Gambridge,  1877. 

(1)  Le  commentaire  publie  sous  le  nom  de  S.  Jerome  n'esl  pas  de  liii. 

(21  BixTwpo?  y.al  dtXXwv  elYiy/jcreK;  et;  to  xaxa  Mdpxov  eCiayYEXiov,  edid,  G.  F.  MatthaEi,  Mosq.  1775, 
2  tom. 
(3)  Page  29. 


20 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


DIVISION  SYNOPTIQUE  DE  L'EVANGILE  SELON  S.  MARC 


PREAMBULE.   I,   1-l3. 

1.  —  Le  Precurseur.  t,  1-8. 

2.  —  Le  Messie.  i,  9-13. 

a.  Le  bapteme  de  Jesus,  i,  9-H. 

b.  La  tentation  de  Jesus,  i,  IS-IS. 

PREMIERE  PARTIE 

VIE    PUBLIQUE    DE    NOTRE-SEIGNEUR    JESUS- 
CHRIST,    I,    14-X,   52. 

Ire     SECTION.    —   MINISTERK     DB     JESCS     DANS    LA     GALILEB 
ORIENTALE.    I,    li-VII,     -23. 

\ .  —  Les  debuts  de  la  predication  du  Sau- 
veur.  I,  14-15. 

2.  —  Les    premiers    disciples    de    Jesus. 

I,  16-20. 

3.  —  Une  journee  de  la  vie  du  Sauveur. 

I,  21-39. 

a.  Guerison  d'un  demoniaque.  i,  21-28. 

b.  Guerison  de  la  belle-mere  de  S.  Pierre 

el  d'autres  malades.  i,  29-34. 

c.  Retraite  de  J^sus  sur  les  bords 

du  lac.  Yovage  apostolic] ue  en  Gd- 
lilee.  I,  33-39. 

4.  —  Guerison    d'un    lepreux.    Retraite 

en  des  lieux  deserts,  i,  40-45. 

5.  —  Premiers  conflits  de  Jesus  avec  les 

Pharisiens  et  les  Scribes,  ii,  1-m,  6. 

a.  Le  paralylique  et  le  pouvoir  de  re- 

mettre  les  peclies.  ii,  1-12. 

b.  Vocation  de  S.  Malthieu.  ii.  13-22. 

c.  Les  apotres  violent  le  repos  du  sabbat. 

II,  23-28. 

d.  Guerison     d'une     main     dessechee. 

III,  1-6. 

6.  —  Jesus  se  retire  de  nouveau  sur 

les  bords  du  lac  de  Tiberiade. 
III.  7-12. 

7.  —  Les  douze  Apotres.  iii.  13-19. 

8.  —  Les   hommes   et    leurs    dispositions 

diverses    relativement    a     Jesus. 

III,  20-33. 

a.  Los  parents  du  Christ  selon  la  chair- 

III,  20  et  21. 

b.  Les  Scribes  accusent  Jesus  de  conni- 

vence avec  Beelzebub   111,22-30. 

c.  Les  parents  du  Christ  selon  I'esprit. 

Ill,  31-35. 

9.  —  Les  paraboles  du  royaume  des  cieux. 

IV,  1-34. 


a.  Parabole  du  semeur.  iv,  1-9. 

b.  Pourquoi  les  paraboles?  iv.  10-12. 

c.  Explication  de  la  parabole  du  semeui. 

IV,  13-20 

d.  II  faut   ecouter  avec  attention  la  pa- 

role de  Dieu.  iv.  21-25. 

e.  Parabole  du  champ  de  ble.  iv,  26-29. 

f.  Parabole  du  grain  de  seneve.  iv,  30-32, 

g.  Autres  paraboles  de  Jesus,  iv,  3.3-34. 
10.  —  La  tempete  apaisee.  iv,  33-40. 

<1.  —  Le  demoniaque  de  Gadara.  v,  1-20. 

12.  —  La  fille  de   Jaire  et  I'hemorrholsse. 

V,  21-43. 

13.  —  Jesus    rejete.    meprise   a  Nazareth, 

se  retire  dans  les  bourgades 
voisines.  vi,  1-6. 

14.  —  Mission  des  Douze.  vi,  7-13. 

<5. — Le    martvre    de    S.    Jean-Bapliste. 

VI,  14-29. 

16.  —  Retraite  en  un  lieu  desert,  et 

premiere  multiplication  des  pains. 
VI,  30-44. 

17.  —  Jesus  marche  sur  les  eaux.  vi,  45-32. 

18.  — Miracles  de  guerison  dans  la  plaine 

de  Gennesareth.  vi,  53-36. 

19.  —  Conflil  avec  les  Pharisiens  a  propos 

du  pur  et  de  I'impur.  vii,  1-23. 

2«     SECTION.    —  MINISTERE     DE     JESUS     DANS     \.A     GALILEB 
OCCIUE.NTALE   ET    SEPTE.NTRIONALE.    VII,    24-11,    49. 

1.  —  Jesus  se  retire  du  c6t6  de  la 

Phenicie,  et  guerit  la  Glle  de  la 
Chananeenne.  vii,  24-30. 

2.  —  Guerison  d'un  sourd-muet.  vii,  31-37. 

3.  —  Seconde   multiplication    des    pains. 

VIII.  1-9. 

4.  —  Le  signe  du  ciel  et  le  levain  des  Pha- 

risi^ens.  viii,  10-21. 

5.  —  Guerison  d'un  aveugle  a  Bethsalda. 

VIII.  22-26. 

6.  —  Jesus  se  retire   i  Cesar6e  de 

Philippe.  Confession  de  S.  Pierre. 
VIII,  27-30. 

7.  —  La  croix  pour  le  Christ  et  pour  les 

Chretiens,  viii,  31-39. 

8.  —  La  Transfiguration,  ix,  1-12. 

a.  Le  miracle,  ix,  1-7. 

b.  Entrelien  memorable  qui  se  raltache 

au  miracle,  ix,  8-12. 

9.  —  Guerison  d'un  lunatique.  ix,  13-28. 
\0.  —  La  Passion  predite  pour  la  seconde 

fois.  IX,  29-31. 


DIVISION  SYNOPTIQUE  DE  L'EVANGILE  SELON  S.  MARC 


21 


H.  —  Quelques  graves  legons.  ix,  32-49, 

a.  Legon  d'humilite.  ix,  32-36. 

b.  Legon  de  tolerance,  ix,  37-40. 

c.  Legon   concernant    le   scandale.    ix, 

41-49. 

3*  SECTION.  — JESUS  EN  FEREE  ET  SUR  LE  CBEMIN  DE  JERUSA- 
LEM, s,  1-52. 

i .  —  LeChrislianismeet  lafamille.x,  4-16. 

a.  Le  mariage  Chretien,  x,  1-12. 

b.  Les  petits  enfants.  x,  13-16. 

2.  —  Le   Chrislianisme  et   les    richesses, 

x,  17-31. 
a-  La  Legon  des  faits.  x,  17-22. 
b.  La  legon  en  paroles,  x,  23-31. 

3.  —  La  Passion  est  predite  pour  la  troi- 

sieme  fois.  x,  32-34. 

4.  —  Ambition  des  filsdeZebedee.x,  35-45. 

5.  —  L'aveiigle  de  Jericho,  x,  46-52. 

DEUXifeME   PARTIE 

LES  DERNIERS  JOURS  ET  LA  PASSION  DE  JESUS. 
XI-XV. 

I.  Entree  triomphale  de  Jesus  a  Jerusalem, 

et  retraite  k,  BSthanie.  xi,  1-11. 

II.  Le  Juge  messianique.  xi,  '12-xiii,  37. 

1.  —  Le  figiiier  maudit.  xi,  12-14. 

2.  —  Expulsion  des  vendeurs  et  retraite 

i  B6thanie.  xi,  13-19. 

3.  —  La  puissance  de  la  foi.  xi,  20-26. 

4.  —  Le  Christ  victorieux  de  ses  enneniis. 

XI,  27-xii,  40. 

a.  D'ou  viennent  les  pouvoirs  de  Jesus? 

XI,  27-33. 

b.  Parabole  des    vignerons    homicides. 
-   XII,  1-12. 

c.  Dieu  et  Cesar,  xii,  13-17. 

d.  La  resurrection  des  morts.  xii,  18-27. 

e.  Quel  est  le  premier  commandement? 

XII,  28-34. 

f.  Le  Messie  et  David,  xii,  33-37. 

g.  «  Cavete  a  Scribis  ».  xii,  38-40. 

5.  —  Le  donier  de  la  veuve,  xii,  41-44. 

6.  —  Lediscourseschatologique.  XIII,  1-37. 

a.  Occasion  du  discours.  xiii,  1-4. 

b.  Premiere  partie  du  discours  :  la  Pro- 

phetie.  xiii,  5-31. 


c.  Seconde  partie  :   la  parenese.   xiii, 
32-37. 
Ill  «  Christus  pattern  ».  xiv  et  xv. 

1.  —  Complot  du  Sanhedrin.  xiv,  1  et  2. 

2.  —  Le   repas  et  I'onction  de  lielhanie. 

XIV,  3-9. 

3.  —  Le  honteux  marche  de  Judas,  xiv, 

10-11. 

4.  —  La  derniere  cene.  xiv,  12-23. 

a.  Preparatifs   du    festin    pascal,    xiv, 

12-16. 

b.  Cene  legale,  xiv,  17-21. 

c.  Cene  eucharislique.  xiv,  22-25. 

5.  —  Trois  predictions,  xiv,  26-31. 

6.  —  Gethsemani.  xiv,  32-42. 

7.  —  L'arrestation.  xiv,  43-52. 

8.  —  JesusdevantleSanhedrin.  XIV,  53-63. 

9.  —  Le   triple   reniement  de   S.    Pierre. 

XIV,  66-72. 

40.  —  Jesus  juge  et  condamne  par  Pilate, 

XV,  1-15. 

a.  Jesus  est  livre  aux  Romains.  xv,  1. 

b.  Jesus  interroge  par  Pilate,  xv,  2-5, 

c.  Jesus  et  Barabbas.  xv,  6-13. 

W,  —  Jesus  outrage  au  pretoire.  xv.  16-19. 
<2.  —  Le  chemin  de  croix.  xv,  20-22. 
43.  —  Crucifiement,    agonie    et    mort   de 
Jesus.  XV,  23-37. 

14.  —  Ce    qui    suivit    immediatement    la 

mort  de  Jesus,  xv,  38-41. 

15.  —  La  sepulture  de  Jesus,  xv,  42-47. 

TROISlfeME  PARTIE 

VIE    GLORIEUSE     DE    NOTRE-SEIGNEUR    JESUS- 
CHRIST,    XVI. 

1.  —  Le  Christ  ressuscite.  xvi,  1-18. 

a.  Les    saintes    femmes    au    sepulcre, 

XVI,  1-8. 

b.  Jesus    apparait    a   Marie-Madeleine. 

XVI,  9-11 . 

c.  II  apparait  a  deux  disciples,  xvi.  12-13. 

d.  11  apparait  aux  Apolres.  xvi,  14. 

2.  —  Le  Christ  monlant  au  ciel.  xvi,  13-20. 

a.  Ordresdonnesaux  Apotres.xvi,  13-18. 

b.  L' Ascension  de  Notre-Seigneur  Jesus- 

Christ,  xvi,  49-20. 


fiVANGILE    SELON    S.    MARC 


CHAPITRE  1 


S.  Jean-Baptiste  remplit  son  role  de  Preciirseur  {tf.  1-8).  —  Bapteme  de  Jesus  (ft.  9-H). 
—  Sa  leiitation  dans  le  desert  {tt.  4  2-13).  —  11  commence  a  precher  (tt.  14-15).  —  Voca- 
lion  de  S.  Pierre  el  de  S.  Andre,  de  S.  Jacques  et  de  S.  Jean  lift.  16-20).  —  Jesus  preche 
dans  la  synagogue  de  Capharnaiim  {tt.  21-22).  —  II  y  guerit  un  demoniaque  {ft.  23-28).  — 
Guerison  de  la  belle-mere  de  S.  Pierre  et  d'autres  malades  (tt.  29-34).  —  Priere  solitaire 
du  Christ  [tt.  35-37).  —  Sa  premiere  course  apostolique  [tt.  38-39).  —  Guerison  d'un 
lepreux  [tt.  40-45). 


1.  InitiumEvangelii  Jesu-Ghristi, 
Filii  Dei. 


1.  Commencement  de  I'Evangile 
de  Jesus-Christ,  Fils  de  Dieu. 


PRfiAMBULE 
I,  1-13. 

Dansce  preambule,  que  les  commentateurs 
s'accordent  a  trouver  majestueux  et  saisis- 
sant  iiialgre  sa  grande  simplicity,  nous  voyons 
Je  Precurseur  et  le  Messie  faire  lour  a  lour 
leur  apparition  sur  la  scene  evangelique.  Jean 
preche  et  baptise  dans  ie  desert  de  Juda, 
tt.  1-8  ;  Jesus  inaugure  sa  vie  publique  par 
•deux  mysleres  d'humiliation,  tt.  9-13. 

1.  —  Le  Precurseur.  I,  1-8.  —  Farall.  Matth. 
Ill,  1:12;  Luc.  in,  1-18. 

CHAP.  I.  —  1.  —  Iintium.  S.  Marc  com- 
mence son  recit  de  la  fagon  la  plus  abrupte, 
nous  conduisant  aussitot  «  in  medias  res  ». 
Des  sa  premiere  ligne,  il  se  raonlre  a  nous 
comme  I'EvangtMiste  de  Taction  (Voir  la  Pre- 
face, §  VII;.  Les  deux  autres  synopliques  con- 
sacrent  quelquos  pages  aux  origines  humai- 
nes  de  Jesus ;  Cfr.  Matth.  chap,  i  el  ii ;  Luc. 
chap.  1  el  II ;  S.  Jean,  i,  1-18,  raconle  lout 
d'abord  au  lecteur  la  geiieralion  elernelle  du 
Verbe  :  rien  de  semblable  dans  S  Marc.  Pre- 
nant  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  dans  la 
plenitude  de' sa  vie,  il  passe  directement  aux 
fails  qui  preparerent  d'une  manifere  iirrme- 
■diate  le  ministere  messianique  du  Sauveur. 
Nous  trouvons  des  ce  debut  tout  ce  qui  le 
caracleri^e  comme  ecrivain,  c'est-a-dire  la 
rapidile,  la  concision,  le  pittoresque.  —  II 
regne  parmi  les  exegetes  le  plus  complet  di- 
saccord sur  renchainement  ei  i'orgaiiisalion 
interieure  des  qualre  premiers  verscls.  Qu'il 
suffise  do  menlionner  les  trois  opinions  prin- 
cipales.   1°  Theophylacte,  Euthymius,   Va- 


table,  Maldoiiat,  etc.,  suppleent  rjv  ou  «  fuit  » 
a  la  fin  du  t.  1,  qu'ils  raUaclient  ainsi  aux 
deux  suivants.  Una  nouvelle  phrase  com- 
mence avec  le  if.  4.  2°  D'autres  critiques,  lels 
que  Lachmann,  Mgr  Mac-Evilly,  le  P.  Palrizi 
(de  Evangel,  libri  III,  di-serl.  xliv.  1-2;  Cfr. 
In  Marc.  Comment,  p.  4).  sous-entendent  les 
mots  «  fuit  ita  »  apres  «  Filii  Dei  »  au  t.  1 ; 
ils  ouvrent  (>nsuile  une  parenthese  dans  la- 
quelle  ils  placenl  les  ft.  2  et  3.  Le  ir.  4  se 
relie  par  la-meme  directement  au  t.  1,  qu'il 
complete  et  explique.  «  Voici  quel  fut  le  debut 
de  I'Evangile...  :Jean  parul  dans  !e  desert...  » 
30  On  isole  tout  a  fail  le  premier  verset  des 
suivants,  de  maniere  a  en  faire  une  sorte  de 
litre;  puis  on  traite  les  tt-  2,  3  et  4  comme 
une  longue  phrase  conditionnelle,  de  sorte 
que  le  dernier  membra,  «  Fuit  Joannes...  », 
retombesur  le  premier, «  Sicut  scriplum  est  ». 
«  Ainsi  qu'il  est  ecrit  dans  le  prophete 
Isaie...  :  Jean  fut  dans  le  desert  baplisant  et 
prechant  ».  Cet  arrangement  nous  parait  le 
plus  naturel  et  le  plus  logique  des  trois.  — 
Evangelii. YoYezVe\])\ical\on  de  cetle  expres- 
sion dans  rinlroduction  generale,  chap.  i. 
Evidemmenl,  elle  no  desigtie  pas  ici  le  livre 
compose  par  S.  Marc,  mais  la  bonne  nouvelie 
messianique  dans  toute  son  etendue.  Quoique 
celte  bonne  nouvelle  eiit  deja  ete  annoncee 
si  frequemment  par  les  prophetes,  quoique 
Dieu  lui-meme  eut  daigne  en  faire  entendre 
los  premiers  accents  a  Adam  et  a  Eve  aussitot 
apres  leur  peche,  Gen.  iii,  15  (les  Peres  ont 
jusloment  nomme  ce  passage  «  le  Prolevan- 
gile  »),  neanmoins,  a  proprement  parlor,  I'E- 
vangile ne  commence  qu'avec  ia  predicatioa 


24 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


2.  Ainsi  qu'il  est  ecrit  dans  le 
prophete  Isaie  :  Voila  que  j'euyoie 
devant  ta  face  mon  ange  qui  prepa- 
rera  ta  voie  devant  toi ; 


2.  Sicut  scriptum  est  in  Isaia  pro 
pheta  :  Ecce  ego  mitto  angelum 
meum  ante  faciem  tuam,  qui  prse- 
parabit  viam  tuam  ante  te  : 

Mai.  3, 1. 


de  S.  Jetin-Baptiste.  —  Jesu-Christi.  Nous 
avons  expiique  I'etymologie  et  le  sens  de  ces 
beaux  noms  dans  notre  commentaire  sur 
S.  iMatlhieu,  p.  38  et  44.  La  maniere  dont  ils 
sont  rattaches  au  mot  «  Evangelium  »  («  ge- 
flitiv.  objecti  »  des  grammairiens,  I'Evangile 
concernant  Jesus-Chrisi)  indique  que  Jesus 
est  I'objel  de  la  bonne  nouvelle  quel'Evange- 
lisle  se  propose  de  raconter  tout  au  long.  — 
Filii  Dei.  Ces  mots  ne  sauraient  etre  ici, 
comme  le  pretendent  plusieurs  ralionalistes, 
un  simple  synonyme  de  «  Messie  »  :  on  doit 
Jes  prendre  dans  leur  acception  theologique 
Ja  plus  stride  et  la  plus  relevee.  S.  Marc 
attribue  a  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ,  des 
le  debut  de  sa  narration,  un  titre  dont  toutes 
les  pages  suivantes  prouveront  la  parfaite 
verite,  un  titre  que  les  premiers  predicaleurs 
du  Clirislianisme  joignaient  imraediatement 
a  son  nom  des  qu'ilss'adressaient  a  un  audi- 
loire  paien.  S.  Matlhieu,  ecrivant  pour  des 
Juifs,  commence  au  contraire  par  dire  que 
Jesus  est  fils  d'Abraham  et  de  David  :  il  ne 
parle  qu'un  peu  plus  tard  de  sa  divinite. 
Quoique  le  but  fut  le  meme,  la  methode  va- 
riait  suivant  les  circonstances.  Cette  appella- 
tion de  «  Fils  de  Dieu  »  est  employee  septfois 
par  S.  Marc;  S.  Jean  I'applique  jusqu'a 
•29  fois  a  Jesus.  Voila,  des  le  debut  du  second 
Evangile,  trois  noms  qui  contiennent  tout  le 
caractere  et  tout  le  role  du  Sauveur.  Jesus, 
c'est  I'homme;  Christ,  e'est  la  fonction;  Fils 
dtjDieu,  c'est  la  nature  divine. 

2. — Sicut  scriptum  est.  Anneau  qui  rattache 
le  Nouveau  Testament  a  I'Ancien,  I'Evangile 
aux  Propheles,  Jesus  au  Messie  promis.  En 
effet,  dit  Janseniiis,  «  initium  Evangelii  non 
I'orluitum,  vel  humani  consilii,  sed  sicut 
antea  prophelis  dictum  fuerat,  Deo  fidem 
suam  liberante  ».  S.  Matthieu  citait  a  chaque 
instant  les  ecrils  de  I'ancienne  Alliance, 
pour  prouver  le  caractere  messianique  du 
5auveur;  S.  Marc  ne  les  rapproche  de  lui- 
meme  qu'a  deux  reprises  (Cfr.  xv,  26)  des 
faits  evangeliques.  Voir  la  Preface  §  IV,  3,  So. 
Mais  le  rapprochement  actuel  est  significatif, 
-comme  le  fai^ail  remarquer  S.  Irenee,  c.  Haer., 
Ill,  10,  6  :  «  Marcus...  initium  evangelicae 
conscriptionis  fecit  sic  :  Initium  Evangelii..., 
manifeste  initium  Evangelii  faciens  sanctorum 
Prophetarum  voces  ».  11  ajoute  :  «  Unus  et 
idem  Deus  et  Pater,  a  Prophetis  annuntiatus, 
ab  Evangelio  traditus,  quern  Christiani  coli- 
xnus  et  diligimus  ex  toto  corde  ».  —  In  Isaia 


propheta.  Les  text.es  grecs  imprimes  et  la 
plupart  des  manuscrits  ne  mentionnent  pas  lo 
nom  d'Isaie ;  de  plus,  le  mot  projjhele  y  est 
mis  au  pluriel,  ev  rot?  Trpoq;r,Tai?,  «  in  prophe- 
tis »,  et  de  fait  la  ciiali'on  apparlient  a  deux 
prophetes,  \e  t.  2  a  Malacliie,  in,  1,  le  f .  3 
a  Isaie,  xl,  3.  S.  Irenee  avait  adopte  celle 
legon.  S.  Jerome,  in  Mallh.  iii,  3,  regardait 
de  son  cote  le  nom  d'Isaie  comme  une  inter- 
polation :  «  Nos  nomen  Esaiae  putamus 
additum  scriptorum  vitio  ».  Cependant,  plu- 
sieurs manuscrits  grecs  importants,  B,  D,  L, 
A,  Sinail.,  et  des  versions  assi^z  nombreuses, 
lelles  que  la  copte,  la  syrienne,  I'armenienne, 
I'arabe  et  la  persane,  portant  ou  ayant  lu 
£v  TO)  'laaiaxwirpoipyiT^  comme  la  Vulgate,  la 
plupart  des  critiques  se  decident  a  bon  droit 
en  faveur  de  cette  variante.  II  est  vrai  qu'elle 
cree  une  assez  grande  difficulte  d'interpreta- 
lion,  puisque  le  passage  cite  par  S.  Marc, 
ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  n'est  pas- 
seulement  extrait  de  la  prophelie  d'Isaie, 
mais  encore  de  celle  de  Malachie.  Toutefois 
eel  fail  meme  contient  une  raison  favorable 
a  I'authenticite,  conformement  aux  principes 
de  la  critique  lilteraire.  Du  resle,  les  exegetes 
ne  sont  pas  a  court  de  moyens  pour  justifier 
la  formule  employee  par  S.  Marc,  l^)  isaic 
serait  seul  mentionne  parce  qu'il  etail  le 
plus  celebre  et  le  plus  ancien  des  deux  pro- 
phetes; 20  ou  bien  son  nom  representerait  le 
livre  entier  des  prophelies  de  I'Ancien  Testa- 
ment, de  meme  que  le  mot  Psaumes  servail 
parfois  a  designer  tousles  Hag'ographes;Cfr. 
Palrizi,  In  Marc.  Comment.,  p.  5.  3°  Peut- 
etre  est-ii  mieux  de  dire  que  S.  Marc  use  id. 
de  la  liberie  que  les  ecrivains  de  I'antiquite 
soil  sacree,  soil  profane,  s'accordaient  volon- 
tiers  en  fait  de  citations  :  «  Quemadmodum 
Matlhaeus,  c.  xxi,  t.  5,  unius  prophetae  no- 
mine Zachariam  citat  et  quiddam  ex  Is. 
LXii,  11,  adspergit,  ac  Paulus.  Rom.  ix,  27^ 
Isaiam  appellal,  et  quiddam  ex  Os.  ii,  1, 
attexit  :  sic  Marcus  duos  alle^al...,  atqu& 
unum  Isaiam  prophetam  appellat  ».  Bengel, 
Gnomon  Nov.  Test.  h.  1.  Cfr.  Act.  xiii,  40, 
D'apres  un  grand  nombre  de  ralionalistes 
modernes,  S.  Marc  aurait  ete  mal  servi  par 
sa  memoire;  d'apres  Porphyre,  il  se  serait 
rendu  coupable  d'une  grossiere  maladresse 
en  nommanl  un  prophele  pour  un  autre!  Cfr. 
Homil.  de  principio  Evang.  sec.  Marc,  inter 
opera  S.  Chrysost.  —  Ecce  ego  mitto...  Nous 
avons  vu  dans  le  premier  Evangile,  xi,  10^, 


CHAPITRE    I 


25 


3.  Vox  clamantis  in  deserto  :  Pa- 
rate  viam  Domini,  rectas  facite  se- 
mitas  ejus. 

Isai.  40,  3;  Joan.  1,  23;  Luc.  3,  4;  Match.  3,  3. 

4.  Fuit  Joannes  in  deserto  bapti- 
zans,  etpraedicans  baptismum  poeni- 
tentise  in  remissionem  peccatorum. 

b.  Et  egrediebatur  ad  eum  omnis 
Judaeae  regio,  et  Jerosolymitse  uni- 


3.  Voix  de  celui  qui  crie  dans  le 
desert  :  Preparez  la  voie  du  Sei- 
gneur, rendez  droits  ses  senliers; 

4.  Jean  etait  dans  le  desert,  bap- 
tisant  et  prechant  le  bapteme  de 
penitence  pour  la  remission  des  pe- 
ches. 

5.  Et  tout  le  pays  de  Judee  et  tous 
les  habitants  de  Jerusalem  allaient 


Notre-Seigneurappliquerlui-memeces  paroles 
de  Malachie  aii  saint  Precurseur.  —  Angelum 
meum,  c'esl-a-dire,  d'apres  I'etymologie  du 
raol  avyeXoi;,  mon  envoye ,  mon  messager. 
Jean-Baptisle  n'a-l-il  pas  ete  le  vrai  7tpo6po[i.o; 
de  Jesus? 

3.  —  \ox  clamantis...  Voir  I'explicalion 
de  cette  prophelie  dans  TEvangile  selon 
S.  Mallh.,  p.  68.  —  Parate  viam.  «  Quand  un 
homme  de  qualite  doit  traverser  une  viiie  ou 
un  village,  on  envoye  un  messager  pour  aver- 
tir  les  habitants  qu'ils  aient  a  preparer  la 
route  et  a  attendre  ses  ordres.  On  voit  aussitot 
les  gens  se  mettre  a  baiayer  les  chemins, 
d'aulres  qui  etendent  leurs  vetements  sur  le 
sol,  d'autresqui  coupent  des  branches  d'arbre 
pour  etablir  des  guirlandes  et  des  arcs  de 
verdure  partout  oil  le  grand  homme  doit 
passer  »,  Roberts,  Oriental  illustrations  of  the 
sacr.  Script,  p.  555.  —  L'association  des 
textes  de  Malachie  et  d'Isaie,  telle  que  nous 
la  trouvons  ici,  est  une  des  particulariles  de 
S.  Marc.  Les  deux  autres  synoptiques  rat- 
tachent  bien  la  seconde  citation  a  I'apparition 
du  Precurseur,  Cfr.  Matlh.  iii,  3  et  Luc. 
in,  4-5  ;  mais  ils  reservenl  la  premiere  pour 
line  circonstance  beaucoup  plus  tardive.  Cfr. 
Matlh.  XI,  10,  et  Luc.  vii,  27.  Autre  diffe- 
rence :  dans  notre  Evangile,  c'est  I'ecrivain 
sacre  qui  signale  en  son  propre  nom  le  rap- 
port qui  exislait  enlre  Jean-Baptiste  et  les 
divins  oracles;  dans  les  deux  autres  narra- 
tions, c'est  Jesus  d'une  part  qui  se  sert  de  la 
prophetie  de  Malachie  pour  faire  I'eloge  de  son 
Precurseur,  c'est  d'autre  part  S.  Jean  qui  se 
sert  de  la  prediction  d'Isaie  pour  s'humilier 
profondement. 

4.  —  Fuit  Joannes.  Voici  I'ange  annoncd 
par  Malachie.  La  voix  dont  Isaie  avait  parle 
r(Hentit  enfin  dans  le  desert!  In  deserto  :  I'E- 
vangeliste  appuie  sur  cette  expression,  pour 
montrer  la  realisation  parfaile  de  la  prophe- 
tic qu'il  vient  de  ciler.  C'etait  le  desert  de 
Juda  (Cfr.  Matlh.  in,  1  et  le  commentaire), 
la  contree  desolee  qui  avoisine  la  Mer  Morte, 
et  a  laquelle  les  anciens  Jnifs  avaient  donn6 
parfois  le  nom  significatif  de  J'1D''^%  I'hor- 


reur.  Cfr.  I  Reg.  xxtii,  24.  —  Baptizans  et 
prcedicans.  Nous  avons,  dans  ces  participes, 
I'indication  des  deux  grands  moyens  par  les- 
quels  S.  Jean  accomplissait  son  role  glorieux 
de  Precurseur.  1o  1|  baptisait  :  il  adminis- 
trail,  le  plus  souvent  sur  les  rives  du  Jourdain, 
parfois  en  d'aulres  lieux,  Cfr.  Joan,  in,  23, 
ce  rite  symbolique  d'oii  lui  est  venu  le  surnom 
de  Baptiste.  Nous  en  avons  explique  la  nature 
dans  noire  commentaire  sur  S.  Maltliieu , 
p.  70.  2°  II  prechaitet,  dans  sa  predication,  ii 
recommandait  vivement  son  bapteme,  autour 
duquel  il  groupait  loules  les  veriles  qu'il  an- 
nongail,  la  necessite  de  la  penitence,  la  re- 
mission des  peches,  I'avenement  prochain  du 
Christ  [t-  8).  —  BajUismum  pcenitenti(e,  c'est- 
a-dire  «  baptismum  in  fcenitentiain  ».  Cfr. 
Beelen,  Gramm.  graecitat.  N.  T.,  p.  IQI.  Ce 
nom,  qu"on  retrouve  dans  le  troisieme  Evan- 
gile, in,  3,  et  au  livre  des  Act?s,  xix,  4, 
determine  tres-bien  le  caractere  du  bapteme 
de  S.  Jean  :  c'etait  un  signe  vivant  de  peni- 
tence pour  tous  ceux  qui  le  recevaient,  car  il 
leur  montrait  de  la  maniere  la  plus  expressive 
la  necessite  ou  ilsetaientde  laver  leurs  ames 
par  le  repenlir,  de  memo  que  leurs  corps 
avaient  ete  purifies  par  I'eau  dans  laquelle  ils 
s'etaient  plonges.  —  In  remissionem  peccato- 
rum.. Le  bapteme  du  Precurseur  n'avait  pas 
une  verlu  sufiisante  pour  remeltre  de  lui- 
raeme  les  peches,  mais  il  disposait  les  coeurs 
a  obtenir  du  Christ  ce  precieux  resultat.  — 
Sur  le  nom  de  S.  Jean,  voir  I'Evangile  selon 
S.  Matlh.,  p.  66  ;  sur  I'epoqtie  de  son  appa- 
rition, Luc.  in,  \  et  les  notes. 

5.  —  Apres  avoir  decrit  d'une  manl6re  ge- 
nerale  S.  Jean  et  son  ministere,  I'Evangeliste 
donne  quelques  details  particuliers  sur  ses 
auditeurs,  t.  5,  sur  sa  vie  mortifiee,  t.  6,  et 
sur  sa  predication,  lit.  7  et  8.  Le  tableau  est 
concis,  mais  ilest  vigoureusement  trace,  a  la 
maniere  accoutumee  de  S.  Marc.  —  Et  egre- 
diebatur. C'est  I'auditoire  qui  est  d'abord  mis 
sous  nos  yeux.  Les  epilheles  omnis,  universi, 
bien  qu'ellessoient  des  hyperboles  populaires, 
temoignent  neanmoins  d'un  concours  [irodi- 
gieux,  occasionne  par  un  immense  enlhou-- 


S6 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


vers  lui  et,  confessant  leurs  peches, 
ils  etaient  baptises  par  lui  dans  le 
fleuve  du  Jourdain. 

6.  Or,  Jean  etait  vetu  de  poils  de 
chameau,  et  d'une  ceinture  de  peau 
autour  de  ses  reins,  et  il  mangeait 
des  sauterelles  et  du  miel  sauva^e; 
et  il  prechait,  disant  : 

7.  Un  plus  puissant  que  moi  vient 
apres  moi,  et  je  ne  suis  pas  digne, 
me  prostern^vnt,  de  delier  la  cour- 
roie  de  ses  chaussures. 


versi,  et  baptizabantur  ab  illo  in 
Jordanis  flumine,  contitentes  pec- 
cata  sua. 

Matth.  3,  4. 

6.  Et  erat  Joannes  vestitus  pilis 
cameli,  et  zona  pellicea  circa  lumbos 
ejus;  et  locustas,  et  met  sylvestre 
edebat.  Et  prsedicabat,  dicens  : 

Matth.  3,  4;  Lev.  11,22. 

7.  Venit  fortior  me  post  me  :  cujus 
non  sum  dignus  procumbens  solvere 
corrigiam  calceamentorum  ejus. 

Matth.  3,  11 ;  Luc.  3, 16;  Joan.  1,  27. 


siasme.  La  plupart  des  habitants  de  la  Judee 
el  de  Jerusalem  accouraient  aiipres  du  Pre- 
curseur.  De  fait,  tout  le  pays,  represents  par 
lesdifferentesclassesdela  sbciele,Cfr.  Matth. 
HI,  7;  Luc.  Ill,  10-14,  se  Iranr^portait  sur  les 
bords  du  Jourdain.  —  Et  baptizabantur.  Tou- 
ches par  la  predication  de  S.  Jean,  tous  re- 
cevaient  avec  empressemenl  son  bapteme  : 
lo  texte  grec  le  dit  formellement,  -/.al  sSaTtri- 
^ovxo  zavTs;  ev  ~S>  lopoavr;.  Ce  ticxvte;  represente 
«  universi  »  de  hotre  texte  latin.  La  Vulgate, 
guidee  sans  doute  par  d'ancions  manuscrits, 
I'a  rattache  a  «  Jerosolymilae  ».  —  In  Jorda- 
nis flumine.  Un  de  ces  petits  traits  a  peine 
perceptiblos  par  lesquels  on  reconnait  la  des- 
tination d'un  ouvrage.  S.  Matthieu,  du  moins 
d'apres  les  m^illeurs  manuscrits,  ne  dit  pas 
que  le  Jourdain  est  un  fleuve  :  aucun  de  ses 
lecteurs  Juifs  ne  pouvait  I'ignorer.  Au  con- 
traire,  les  paiensconvertis  pour  lesquels  ecrit 
S.  Marc  ne  connaissaient  point  la  geographic 
de  la  Palestine;  de  la  cette  designation  par- 
liculiere.  —  Confitentes  peccata  sua.  Voyez 
quelques  details  sur  cette  confession  dans  I'E- 
vangile  selon  S.  Matlhieu,  p.  70. 

6.  —  En  S.  Jean,  tout  portait  a  la  peni- 
tence :  son  bapteme,  sa  predication,  son  aspect 
exterieur  et  sa  vie.  Nous  trouvons  ici  des 
informations  inleressantes  sur  ces  deux  der- 
niers  points.  —  Vestitus  pilis. ..Vour  I'aspect 
exterieur,  le  Baptiste  ressemblait  a  Elie,  son 
grand  modele  :  ils  avaient  I'un  et  I'autre  le 
meme  costume,  c'est  a-dire  une  lunique  gros- 
siere  de  poils  de  chameau  (□iS'Zi  "I'Si*  des 
Rabbins,  litt.  laine  de  chameaux)  et  une 
ceinture  de  peau  pour  la  retrousser  ;  Cfr. 
IV  Reg.  VIII,  8.  Voyez  Jahn,  Archaeolog. 
bibl.  §120  el  121. —  Locustas  et  mel  silvestre. 
Jean  ne  soutenait  sa  vie  qu'a  I'aide  des  mets 
les  plus  vulgaires  :  TEvangeliste  signale  les 
deux  principaux,  les  sauterelles  el  le  miel 
sauvage,  dont  les  Bedouins  nomades  font 
encore  aujourd'hui  leur  nourrilure  dans  les 
meraes  contrees.  Voir  Matth.  iii,  4  el  le  com- 


mentaire ;  Burden,  Oriental  Customs,  6e  ed. 
t.  IL  pp.  254  et  suiv. 

7.  —  S.  Marc  resume  en  deux  versets  tout 
ce  qu'il  a  juge  a  propos  de  nous  conserver 
sur  la  predication  du  Precurseur.  S'il  est 
beaucoup  moins  complet  la-dessus  que 
S.  Matthieu,  et  surtout  que  S.  Luc,  il  nous 
donne  cependant  une  idee  tres-exacte  de  ce 
qu'etait  I'enseigneraent  de  S.  Jean-Baptiste 
relativement  a  Jesus.  La  petite  allocution 
qu'il  cite  contient  trois  idees  :  lo  Jean  est  le 
Precurseur  de  Jesus  ;  2°  Jean  est  bien  infe- 
rieur  a  Jesus :  3o  le  bapteme  de  Jesus  Tem- 
portera  de  beaucoup  sur  celui  de  Jean.  — 
Venit  fortior  me...  G'est  la  premiere  idee. 
Celui  qui  vient  (Ip^cTat  au  present)  n'est  pas 
nomme;  mais  tout  le  raonde  comprenait  sans 
peine  qu'il  s'agissait  du  Messie,  du  Mesne  qui 
etait  alors  chez  les  Juifs  Tobjet  de  I'altenle 
universelle.  S.  Jean,  divinement  eclaire,  voit 
done  en  esprit  le  Christ  qui  s'avance,  qui  est 
«  in  via  »  pour  se  manifester.  —  Post  me.  Le 
Baptiste  joue  sur  les  mots.  Habiluellement, 
le  plus  fort  precede  le  plus  faible ;  le  plus 
digne  a  le  pas  sur  I'inferifiur:  ici,  c'est  le  con- 
traire  qui  a  lieu.  —  Cujus  non  sum  dignus... 
Seconde  pensee.  Jean  a  deja  dit  que  le  grand 
personnage  dont  il  annonce  la  venue  est  son 
superieur  (6  layupoTepoi;,  remarquez  eel  article 
plein  demphase) ;  mais  il  veut  appuyer  da- 
vantage  sur  ceite  idee  importante,  afin  qu'il 
n'y  ait  pas  de  meprise  possible,  et  il  I'exprime 
au  moyen  d'une  tres-forte  image,  que  nous 
avons  expliquee  dans  nos  notes  sur  S.  Mat- 
thieu, p.  74.  —  Solvere  corrigiam.  De  menae 
S.  Luc,  III,  16,  et  S.  Jean,  i,  27.  Le  premier 
Evangeliste  avail  dit  «  portare  » ;  mais  ce 
n'est  la  qu'une  nuance  insignifiante,  car  I'es- 
clave  charge  de  porter  les  chaussures  de  son 
maitre  avait  aussi  pour  fonction  de  les  lui 
mettre  et  de  les  lui  oter,  par  consequent  d'at- 
tacher  ou  de  delier  les  cordons  qui  servaienl 
a  les  fixer  aux  pieds.  —  Procumbens.  Detail 
graphique  qu'on  ne  trouve  que  dans  S.  Marc: 


CHAPITRE   I 


27 


8.  Ego  haptizavi  vos  aqua;  ille 
vero  baptizabit  vos  Spiritu  saucto. 

Act.  1,  S  e(  2,  4  et  H,  16  el  19,  4. 

9.  Et  factum  est,  in  diebus  illis, 
venit  Jesus  a  Nazareth  Galilsese;  et 
baptizatus  ost  a  Joanne  in  Jordane. 


8.  Moi,  je  vous  ai  baptises  dans 
I'eau,  mais  lui  vous  baptisera  dans 
TEsprit-Saint, 

9.  Or  il  arriva  qu'en  ces  jours-la 
Jesus  vint  de  Nazareth,  ville  de 
Galilee,  et  il  fut  baptise  par  Jean 
dans  le  Jourdain. 


c'est  un  de  ces  traits  pittoresques  qu'il  a 
inseres  en  grand  nombre  dans  son  Evangile. 
—  Cujus...  ejus  est  un  hebrai'fme. 

8.  —  Egc  haptizavi.  Troisieme  idee,  qui 
etablit  une  comparaison  cntre  les  deux  bap- 
temes,  pour  relever  celui  du  Christ  aux  de- 
pens  de  celui  du  Precurseur.  Les  parlicules 
[jiev,  5e  («  egoquidem.  ipse  autem  »)  du  lexte 
grecrendent  I'anlithese  plus  frappante  :  il  est 
vrai  qu'eilesj  manquent  dans  les  manuscrits 
B,  L,  Sinait. —  Spiritu  Sancto.ll  faudrait,  d'a- 
pres  le  grec,  «  in  Spirilu  Sancto  »,!a  preposi- 
tion iv  montre  que  le  Sainl-Esprit  est  comme 
lefleuve  mystique  el  vivifiant  dans  lequel  les 
Chretiens  sonl  plonges  au  moment  de  leur 
bapteme.  S.  Malthieu  et  S.  Luc  ajoutent  «  et 
igni  »,  mot  important  qui  sen  a  mieux  de- 
terminer les  effets  superieurs  du  bapleme  de 
Jesus.  Ainsi  done,  le  Christ  apportera  au 
monde  des  bienfaits  spirituals  que  le  Precur- 
seur etait  incapable  de  lui  donner.  —  Quelle 
humilite  dans  S.  Jean!  Elle  est  au  niveau  de 
sa  mortification.  Rien  de  semblable  n'avait 
ete  entendu  depuis  I'epoque  des  Prophetes. 
Qui  meritait  mieux  d'etre,  selon  le  langage 
de  Tertullien,  adv.  Marc,  iv,  33,  «  antecessor 
et  praeparator  viarum  Domini?  »  II  est  inte- 
ressanl  de  rapprocher.de  la  narration  evan- 
gelique  les  lignes  bien  connues  dans  les- 
quelles  I'historien  Josephe,  Ant.  xviit,  5,  2, 
decril  le  portrait  moral  el  le  ministere  de 
S.  Jean-Baptiste  :  «  C'etait  un  homme  par- 
fail  (aYa66v  dvSpa),  qui  ordonnail  aux  Juifs  de 
s'exercfr  a  la  vertu,  a  la  justice  les  uns  a 
regard  des  autres,  a  la  piete  envers  Dieu,  et 
de  se  reunir  afin  de  recevoir  le  bapteme.  En 
effet,  disait-il,  le  bapteme  ne  saurait  etre 
agreable  a  Dieu  qu'a  la  condition  qu'onevitera 
soigneusement  tous  les  peches.  A  quoi  seivi- 
rait-il  de  purifier  le  corps,  si  Tame  n'etait 
auparavanl  purifiee  elle-meme  par  la  justice? 
Un  immi^nse  concours  se  faisait  aulour  de  lui 
el  la  foule  elail  avide  de  i'entendre.  » 

2.  —  Le  Messie.  i,  9-13. 

Apres  avoir  ainsi  rapidement  decrit  la  per- 
sonne  et  le  ministere  du  Precurseur,  S.  Marc 
se  hale  de  passer  au  Messie.  II  nous  montre 
Jesus  proclame  Christ  et  Sauveur  par  la  voix 
celeste  tandis  que  Jeim  le  baptisait,  et  su- 
bis^ant  ensuile  I'epreu  'e  de  la  lentation. 


a.  Le  bapteme  de  Je'sus.  i,  9-11.  —  Parall.  Matth. 
Ill,  13-17;  Luc.  Ill,  21-22. 

9.  —  Et  factum  est.  C'est  la  formule  he- 
braique  i"",,  si  frequemment  employee  par  les 
ecrivains  de  I'Ancien  Testament.  Elle  a  ici  un 
cachet  tout  a  fait  solennel,  car  elle  inlroduit 
Notre-Seigneur  Jesus-Chri^t  sur  la  scene.  — 
In  diebiis  illis  :  autre  tournure  hebrai'que, 
Dnn  D^D'^,  assez  vague  en  elle-meme,  mais 
qui  est  habituellemenl  determinee  par  le  con- 
texte.  Dans  ce  pas-^age,  elle  designe  I'epoque 
de  la  predication  de  S.  Jean-Baptiste  dont  il 
vient  d'etre  question.  C'est  done  peu  de  temps 
apres  I'apparition  de  son  Precurseur  que  Je- 
sus commenga  lui-meme  sa  Vie  publique.  D'a- 
pres  S.  Luc,  ill,  23,  il  avail  alors  environ 
trente  ans,  I'age  auquel  les  Leviles  enlraient 
en  fonctions  suivanl  la  Loi  juive,  Num.  iv,  3. 
La  780e  annee  depuis  la  fondation  de  Rome 
approchail  de  sa  fin.  Voir  Wieseler,  Chronol. 
Synopse  der  vier  Evang.,  p.  170  c-t  ss.  —  A 
Nazareth  Galilcece.  Tandis  que  les  deux  autres 
Synoptiques  se  conlentenl  de  mentionner  ici 
la  Galilee  en  general,  S.  Marc,  en  vertu  de 
I'exaclilude  de  details  qui  le  caracterise, 
nomme  le  iieu  special  d'ou  venail  Jesus.  Le 
Sauveur  avail  done  recimment  quille  sa 
douce  retraite  de  Nazareth,  dans  laquelle 
s'etait  ecoulee  toute  sa  Vie  cachee.  Sur  cette 
bourgade  privilegiee,  voyez  I'Evang.  selon 
S.  Blalth.  p.  63. —  Baptizaius  est.  Notre  Evan- 
geliste  om^t  le  beau  dialogue  qui  s'engagea 
enlreleBaptisleelJesus  immedialemenl  avant 
radministration  du  bapteme,  sur  la  significa- 
tion duquel  il  jelte  de  si  vives  lumieres.  (Cfr. 
Malth.  Ill,  '13-15  et  le  commentaire)  ;  il  sn 
borne  a  signaler  simplemenl  le  fait.  —  In 
Jordane.  Dans  le  grec,  on  lit  el;  t6v  'lopoaviiv 
a  I'accusatif :  c'est  peut-etre  une  «  enallage 
casus  »,  figure  tres-usitee  dans  les  ecrits  pro- 
fanes et  sacres;  ou  bi^n,  il  y  a  construction 
pregnante  poury.aTEor,  eU  tov  'lopo.  ".a  .3a7rxia07i. 
—  S.  Jerome  raconte  (Onomasticon,  s.  v.  Jor- 
danis)  que,  de  son  temps,  un  grand  nombre 
de  pieux  croyants  avaient  la  devotion  d'aller 
se  faire  bapti-^er  dans  les  eaux  du  Jourdain  : 
il  leur  semblait  que  leur  regeneration  y  serait 
plus  enliere.  Aujouid'hui,  lespelerins  aimcnt 
du  moins  a  se  baigner  dans  le  flcuve  sacre  : 
c'est  meme  pour  les  Grocs  une  ceremonie 
officielle,  qui  se  renouvelle  chaque  annee  a  la 


28 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


10.  Et  aiissitot  qu'il  sortit  de 
Teau,  il  vit  les  cieux  ouverts,  et 
I'Esprit  descendant  comme  une  co- 
lombe  et  demeurant  sur  lui. 

11.  Et  nne  voix  des  cieux  se  fit 
entendre :  Tu  es  mon  Fils  bien-aime; 
je  me  siiis  complu  en  toi. 

12.  Et  aussitot  TEsprit  le  poussa 
dans  le  desert. 


10.  Et  statim  ascendens  de  aqua, 
vidit  coelos  apertos,  et  Spiritum  tan- 
quam  columbam  descendentem,  et 
manenteni  in  ipso. 

Lmc.  3,  22;  Joaw.  1,  32. 

1 1 .  Et  VOX  facta  est  de  coelis  :  Tu 
es  filius  mens  dilectus,  in  te  com- 
placui. 

12.Et  statim  Spiritus  expulit  eum 
in  desertum. 

Matlh.  4,  1 ;  Luc.  4,  1 . 


fete  de  Paque  au  milieu  d'lin  immense  con- 
cours. 

10  ct  11.  —  Dans  le  recil  des  manifesta- 
tions siiinatureiit'S  qui  suivirent  le  bapteme 
de  Jesus,  S.  Marc  ne  diftere  pas  nolablement 
lie  S.  Malthicu.  II  inentionne  egalemenl  irois 
j^rodiges,  savoii-  :  i'oiiverture  des  cieux,  la 
drscente  de  lE-pril-Sainl  sous  la  forme  vi- 
sible d'line  Colombo,  el  la  voix  du  Pere  celeste 
(]ui  se  fait  entendre  pour  ralifier  la  filiation 
divine  de  Jesus  (Voir  I'cxplication  de  ces 
phenomenes  dans  I'Evang.  selon  S.  Matth., 
[).  78  et  s).  Mais,  selon  sa  coutume,  il  a  rendu 
sa  narration  pitloresque  et  vivante.  C'est 
ainsi  1o  qu'il  nous  monlre  Jesus,  a  I'lnstant 
meine  ou  il  sortait  du  Jourdam,  voyant  de 
ses  propres  yeux  les  cieux  qui  s'ouvraient 
au-dessus  do  hii  :  statim  ascendens...  vidit. 
(Comparcz  le  vague  «  aperli  sunt  ei  coeli  » 
de  S.  Maltliieu);  2°  qu'il  emploie  une  expres- 
sion vr;iimenl  plastique  pour  decrire  ce  pre- 
mier phenomene  :  ayj.Zo\>.vio\Jz  fous  oOpavou?, 
lilLeraicmcnt,  les  cieux  dechues  (Com|)arez 
Luc.  V,  36;  xxiii,  45;  Joan,  xxi,  11  ;  Matth. 
xxvii,  51,  ou  le  verbe  cyj^w  est  applique  a 
un  vetement,  un  voile,  un  filet  qui  se  de- 
chirent,  ou  a  un  rocher  qui  se  fend  ;  apertos 
de  la  Vulgate,  est  done  une  traduction  impar- 
faite);  3o  qu'il  fait  adresser  la  voix  celeste 
directement  a  Jesui  :  Tu  es  filius  mens...,  in 
te...  Cfr.  Luc.  iii,  22.  S'll  n'appelie  pas  la 
Iroisieme  personne  de  la  Sainte  Trinite  I'Es- 
prit de  Dieu,  comme  le  premier  Evangeliste, 
ou  FEspril-Saint,  comme  le  troisieme,  il  a  soin 
de  faire  preceder  son  nom  de  Particle,  to 
•7rve\j(j.a,  pour  indiquer  qu'il  veut  parler  de 
I'Esprit  par  excellence.  —  II  n'y  a  rien 
dans  le  texte  grec  qui  corresponde  a  ct  ma- 
nentem  de  notre  edition  latine  :  ces  mots  ont 
probablement  ete  tires  de  I'Evangile  selon 
S.  Jean,  i,  33.  Gette  divergence  en  a  cree  une 
seconde;  car,  au  lieu  de  I'ablalif  in  ipso,  il 
faudrait  «  in  ipsum  »,  xaTsSaTvov  ek  avTw.  La 
Vulgate  a  rat  ache  I'adverbe  et  le  pronom  a 
«  manentem  »;  de  la  i'emploi  d'un  cas  qui 
exprime  le  repos.  Enfin  la  Recepta  porte,  au 


t.  11,  ev  M  eOSoxTjoa,  «  in  quo  complacui  » 
mais  les  nianuscrits  B,  D,  L,  P,  Sinail.,  etc.. 
et  plusieurs  versions  ont  in  te  (ev  oot.  Voyez 
Tischendorf,  Nov.  Testam.  graece),  comme  la 
Vulgate.  —  M.  Rohault  de  Fleury,  dans  ses 
belles  Etudes  iconographiquessur  I'Evangile, 
Tours,  1874,  t.  I,  pp.  102  el  ss.,  reproduit 
un  grand  nombre  de  representations  artis- 
tiques  relatives  au  baptemedeNotre-Seigneur, 
et  datant  des  douze  premiers  siecles.  Ellas 
conliennent  des  details  Ires-curieux. 

b.  La  tentation  de  J^sus.  i,  12-13.  —  Parall. 
Matth.  IV,  1-11;  Luc.  iv,  1-13. 

12.  —  Voila  Jesus  consacre  Messie;  mais 
combien  de  sacrifices  et  d'humiliations  lui 
vaudra  ce  role  pourtant  si  glorieux  !  Le  bap- 
teme d'eau,  reQu  dans  le  Jourdain,  appelle  le 
bapteme  de  sang  qui  lui  sera  confere  sur  le 
Calvaire.  En  attendant  cette  epreuve  supreme 
du  Golgotha,  il  y  a  I'epreuve  preliminaire  de 
la  tentation  qui,  dans  les  trois  premiers 
Evangiles,  est  elroitement  unie  au  bapteme 
du  Sauveur.  Mais  nulle  part  la  liaison  n'est 
mieux  marquee  que  dans  notre  Evangile  : 
Et  statim!  A  peine  baptise,  Jesus  enire  im- 
mediatement  en  lutte  avec  Satan.  II  etait  du 
reste  tres-naturel  que  son  premier  acte,  apres 
avoir  regu  i'onction  messianique,  consistat 
a  comballre  les  puissances  infernales,  puisque 
tel  etait  un  des  buts  principaux  de  son  In- 
carnation. Cfr.  1  Joan,  ni,  8.  Considerant  le 
bapteme  du  Jourdain  comme  une  celeste  ar- 
mure  dont  Jesus  avail  ete  revelu,  S.  Jean 
Chrysoslome,  Horn,  xiii  in  Matth.,  crie  a  ce 
divin  Capitaine  :  «  Allez  done!  car  si  vous 
avez  pris  les  armes,  ce  n'est  pas  pour  vous 
reposer.  mais  pour  combattre  »  ?  —  L'adverbe 
((Statim  »,  que  nous  venons  de  renconlrer  dejk 
pour  la  seconde  fois  (Cfr.  t.  10),  est,  comme 
nous  I'avon^  vu  dans  la  Preface,  §  VII,  la  for- 
mule  favorite  de  S.  Marc  pour  passer  d'un 
fait  a  un  autre  :  nous  la  relrouverons  a 
chaque  instant.  Elle  communique  a  sa  narra- 
tion beaucoup  de  vie  et  de  rapidite.  —  Spi- 
ritus expulit.  Quel  profond  mystere  1  C'est 


CHAPITRE  i  29 

13.  Eteratindesertoquadraginta         13.  Et  il  passa  dans  le   desert 
diebus  et  quadraginta  noctibus  :  et     quarante  jours  et  quarante  nuits,  et 


I'Espril  Saint,  hii-meme  qui  cnndiiil  Jesus  en 
lace  de  son  adversairel  S.  Mallhieu  (H  S.  Luc 
avaient  employe  des  expressions  bien  fortes 
pout-  repiesenter  celle  action  du  divin  Esprit : 
avr,x6Yi,  avait  dit  le  premier;  yjyr.io,  avail  ecrit 
ie  second;  mais  le  verbe  exSaXAsi  (au  present, 
temps  ainie  de  S.  Marc,  Cfr.  la  Preface,  I.  c) 
(jue  nous  lisons  ici,  a  une  energi(^  plus  grande 
encore.  «  Eodein  sensu  Ires  Evangelislae  lo- 
([uiinlur,  sed  Marcus  aliquanlo  etlicacius,  et 
quia  plus  est  £y.ga),)£'v  quam  aysiv,  el  quia 
pifesens  lempus  inajorem  habet  vim  remque 
magis  ante  oculos  ponit  »,  Maldonat,  Comin. 
in  Marc.  ii.  I.  Jesus  est  done  pour  ainsi  dire 
chasse  violemmenl  dans  le  desert.  —  Quelques 
t'xe^eles  peu  eclaires,  ou  desireux  de  mellre 
S.  Marc  en  contradiction  avcc  S.  Mallhieu  el 
avecS.  Luc,  supposenlque«  Spiritus  .>  designe 
ici  I't'spril  mauvais.  C'esl  iin  grossier  contre- 
sens.  —  In  desertum.  Selon  toute  probabiiite, 
c'esl  dans  le  desert  de  la  Quaranlaine  {|u'eul 
lieu  la  tentalion  du  Christ.  Voir  I'Evang. 
selon  S.  Maith.  p.  80. 

13.  —  Et  erat  in  deserto  :  dans  le  grec, 
i-A.tl  ev  TY)  ipriyw,  «  ibi  in  deserto  »,  avec  em- 
phase.  S.  Marc,  est  obscur  dans  ce  verset,  parce 
qu'il  a  vouhi  trop  abreger.  Heureusement, 
nous  avons  deux  autres  recits  pour  eclaircir 
et  pour  completer  le  sien.  S.  Mallhieu  et 
S.  Luc  nous  apprennent  que  Jesus,  a  peine 
arrive  dans  le  desert,  se  livra  a  un  jeiane 
rigoureux  qui  ne  dura  pas  moins  de  quarante 
jours  consecutifs,  qu'ensuile  le  Sauveur  fut 
atlaque  a  trois  reprises  par  I'espril  tentaleur, 
mais  qu'il  repoussa  victorieusement  ce  triple 
assaul  du  demon.  Au  lieu  de  ces  details  inte- 
ressanls,  nous  ne  trouvons  dans  le  second 
Evangile  qu'une  phrase  assez  vague  :  Tenta- 
batur  a  Satana.  Quel  est  le  sens  de  cet  im- 
parfait,  ou  du  particlpe  present  qui  lui  cor- 
respond dans  le  texle  grec  (7:£ipa!;6(jL£voO?  Ne 
dirait-on  pas  que,  d'apres  S.  Marc,  Jesus  I'ut 
tente  pendant  lout  le  temps  de  son  sejour  au 
desert?  seulement,  que  la  tentalion  eut  vers 
la  fin  des  paroxysmes  plus  violents?  Divers 
commenlateurs  I'ont  pense,  entre  aulres 
S.  Augustin,  de  Cons.  Evang.  I.  ii,  c.  16.  et 
Luc  de  Bruges,  In  Marc.  Comm.  «  Ex  hoc 
itaque  loco  inlelligilur,  dit  ce  dernier,  Jesum 
non  lantum  peractis  quadraginta  diebus..., 
verum  eliam  labentibus,  varie  et  frequenter 
a  Satana  fuisse  lentalum  ».  Cfr.  Maldonat, 
h.  I.  A  premiere  vue,  la  narration  de  S.  Luc, 
IV,  2  el  ss.  (voir  le  commentaire),  parait  favo- 
riser  ce  sentiment.  Neanmoins,  la  plupart  des 
exegetesonl  loujours  enseigne  que  telle  n'esl 
pas  la  veritable  inlerpretation,  mais  qu'on 
doit  ramener  les  recits  du  second  et  du  troi- 


sieme  Evangile  a  celui  de  S.  Mallhieu,  qui 
est  le  plus  clair  des  trois.  Or,  le  premier 
Evangeliste  suppose  formellement  que  la  ten- 
talion ne  commenga  qu'apres  les  quarante 
jours  de  jeune  et  de  retraite  :  «  Quum  jeju- 
nasset  quadraginta  diebus...,  poslea  esuriil. 
Et  accedens  tentalor...  »  Mallh.  iii,  2-3. 
Du  resle,  dans  le  texte  grec  de  S.  Marc,  le 
fail  de  la  tentalion  n'est  pas  associe  d'une 
maniere  aussi  etroite  aux  quftranle  jours  que 
cela  a  lieu  dans  la  Vulgate.  En  efifet,  la  con- 
jonclion  xat  n'exi>le  pas  devanl  Tt£ipa!;6|j.£voi;; 
les  diHix  evenemenls,  le  sejour  au  desert  et 
la  tentalion,  sonl  simplemenl  notes  I'un  a  la 
suite  de  I'aulre  :  pourquoi  vouloir  elablir  entre 
eux  des  rappoits  de  subordination,  tandis 
que  le  lexle  peul  s'expliquer  au  besoin  par 
ceux  d'une  simple  succession  ?  Voyez  Cornel. 
a  Lap.  —  Eratqae  cum  bestiis.  Malgre  sa  brie- 
vete  extraordinaire  en  ce  passage,  S.  Marc  a 
su  pourlant  nous  apprendre  deux  choses  nou- 
velles  :  la  premiere  consiste  dans  le  nom  de 
Satan,  que  nous  lisions  unpeu  plus  haul,  el  qui 
est  plus  expressif  que  le  «  diabolus  »  des  autres 
narrateurs;  nous  trouvons  la  seconde  ici 
meme.  Toutefois,  ce  trait  pittoresque  et  vrai- 
menl  digne  du  second  Evangile  devait  etre, 
malgre  son  apparenle  siinplicite,  une  pomme 
de  discordepour  les  commenlateurs.  Combien 
d'opinion  diverses  n'a-l-il  pas  suscitees  I 
\o  D'apres  les  uns,  il  exprimerail  les  dangers 
exlerieurs  que  courait  le  divin  Maitre  :  si  le 
demon  tentail  son  3me,  les  betes  feroces 
elaienl  la ,  menaganles  pour  son  corps. 
2°  Suivanl  les  aulres,  ce  ne  serail  pas  une 
realile,  mais  un  pur  symbole  :  les  animaux  du 
desert,  qui  sontcensesenlourer  Jesus, figurent 
les  passions  el  la  concupiscence  d'ou  provient 
habiluellement  la  tentalion. 3oD'aulres  voient 
dans  cecurieux  detail  I'expre^sion  d'untype: 
S.  Marc,  en  le  notanl,  voulait  etablir  un  rap- 
prochement entre  le  second  Adam  el  le  pre- 
mier; monlrer  Jesus,  meme  apres  la  chute, 
entoure  de  betes  sauvages  qui  ne  lui  nuisent 
point,  comrae  autrefois  le  pere  de  I'humanite 
dans  !o  paradis  terrestre.  4"  On  admel  plus 
communeuient,  a  la  suite  de  Theophylacle  et 
d'Euthymius,  que  c'esl  la  un  trait  destine  a. 
bien  mellre  en  relief  le  caraclere  tout  a  fait 
sauvage  du  desert  ou  residait  alors  Jesus. 
Cfr. ,  Maldonat,  Luc  de  Bruges,  D.  Calmel,  etc. 
Voyez  aussi  la  description  du  desert  de  la 
Quaranlaine  dans  I'Evang.  selon  S.  Mallhieu, 
p.  80.  Telle  est,  croyons-nous,  la  veritable 
interpretation.  Le  P.  Patrizi  afTaiblit  ccpen- 
dant  la  pensee  quand  il  dit  :  «  Nihil  aliud  eo 
significalur  quam  Christum  quadiaginla  illis 
diebus  cum  nemine  esse  conversatum  ».  la 


30 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


il  etait  tente  par  Satan,  et  il  etait 
parmi  les  betes,  et  les  auges  le  ser- 
vaient. 

14.  Mais,  apres  que  Jean  eut  ete 
livre,  Jesus  vint  en  Galilee;  pre- 
chant  I'Evangile  du  royaume  de 
Dieu, 


tentabatur  a  Satana;  eratque  cum 
bestiis,  et  angeli  ministrabant  illi. 

14.  Postquam  autem  traditus  est 
Joannes,  venit  Jesus  in  Galilseam, 
prsedicans  Evangelium  regni  Dei, 

Matlh.  4,  12;  Luc.  4,  14;  Joan.  4,  43. 


Marc.  Comm.,  p.  10.  Ces  animaux  du  desert 
etaient  alors,  comme  aujourd'hiii,  les  pan- 
tlieres,  les  hyenes,  les  ours  et  les  chacals :  plus 
dun  voyageiir  les  a  rencontres  ou  a  enlendu 
leurs  cris  dans  ces  parages.  —  Angeli  mi- 
nistrabant illi.  Les  anges  aussi  sont  aux  cotes 
de  Jesus,  pour  le  servir  comme  leur  Prince 
venere.  Quelle  elrange  reunion  autour  du 
divin  Maltrel  Satan,  les  betes  fauves,  les 
esprits  celestes,  c'est-a-dire  I'enfer,  la  terre 
et  le  ciel!  II  y  a  la  de  frappanls  contiasles, 
qui  sont  d'ailleurs  tres-netlement  marques 
par  S.  Marc.  Le  N^.  13  se  compose  en  effet  de 
deux  phrases  paralleles,  ayant  chacune  deux 
niembres  qui  se  correspondent  exaclement, 
enongant  des  idees  d'abord  connexes,  puis 
opposees  ;  Jesus  elait  dans  le  desert  et  tente 
par  Satan ;  il  etait  avec  les  betes  et  servi  par 
les  anges.—  Quoique  la  penseeexprimee  par 
le  verbe  «  minislrare  »  soit  des  plus  simples, 
elle  a  ete  mal  comprise  et  defiguree  par  plu- 
sieurs  ecrivains  prolestants,  qui  donmmt  aux 
anges  la  singuliere  mission  de  proteger  Notre- 
Seigneur  contre  les  altaques  des  animaux 
sauvages.  Lighlfoot  aussi  est  tombe  dans 
I'erreur  quand  il  a  regarde  la  presence  des 
anges  comme  un  second  genre  de  tentation 
pour  le  Christ :  d'apres  lui,  le  demon  ss  serait 
dissimule  sous  la  forme  angelique  afin  de 
mieux  reussir  a  tromper  et  a  vaincre  Jesus  ! 
Cfr.  Hor.  talm.  in  Marc.  h.  1.  —  Tel  est  done 
le  recit  de  la  tentation  du  Christ  d'apres 
S.  Marc  :  nous  y  voyons  un  remarquable 
exemple  de  I'indepeiidance  des  Evangelistes 
en  tant  qu'ecrivains.  —  Nous  avons  a  noter 
encore  sur  In  t.  13  que  les  mots  et  noctibus 
manquent  dans  le  texle  grec ;  c'est  probable- 
ment  un  emprunt  fait  a  S.  Matlhieu  par 
quelque  copiste. 

PREMlfiRE    PARTIE 

VIE   PUBLIQUE   DE   NOTRE-SEIGNEUR  JESUS- 
CHRIST.  I,    14-X,  52. 

D'apres  S.  Marc,  comme  d'apres  les  autres 
synoptiques,  c'est  dans  la  province  de  Galilee 
d'une  maniere  a  pen  pres  exclusive  que  Jesus 
deploie  son  activity  messianique  pendant  sa 
Vie  publiquo  :  il  etait  reserve  a  S.  Jean  de 
decrire  le  ministere  du  Sauveur  a  Jeru-alcm 
et  en  Judee.  Nous  avons  vu  dans  la  Preface, 


§  VIII,  que  cette  partie  de  I'existence  du  divin 
5lnitre  d'apres  le  second  Evangile  pent  se  par- 
tager  en  trois  sections,  dont  la  premiere  nous 
monlre  Jesus  agissant  plusspecialement  dans 
la  Galilee  orientale. 

Ire    SECTION.  —  MINrSTEHE   DE   JESUS    DANS   LA    GALILEE 
ORIENTALE.    I,    14-VII,    23. 

1 .  —  Les  debuts  de  la  predication  du  Sau- 
veur. I,  14-d5.  —  Parall,  Matth.  iv,  12;  Luc. 
IV,  14-15. 

14. —  Postquam  traditus  est,  sell.  «  in  car- 
cerem  ».  Voyez  I'Evang.  selon  S.  Malth., 
p.  88.  Nous  trouverons  plus  loin,  vi,  17-20, 
les  details  de  cet  emprisonnement  sacrilege. 
— Les  evangelistes  synoptiques  sont  unanimes 
pour  ratlacher  raclivile  messianique  de  Jesus 
a  ce  fait  important,  comme  aussi  pour  en 
fixer  le  premier  theatre  en  Galilee.  Le  mi- 
nistere auquel  Nolre-Seigneur  s'elait  livre 
en  Judee  d'apres  S.  Jean,  iii,  22,  presque 
aussitot  apres  son  bapteme,  doit  elrc  simple- 
ment  envisage  comme  une  oeuvre  de  prepa- 
ration et  de  transiUon.  En  realite,  la  Vie 
publique  ne  s'ouvre  qu'au  moment  de  I'arres- 
tation  du  Precurs'^^ur,  c'est-a-dire  lorsque  le 
herault  se  retire  poui-  faire  place  a  son  Maitre. 
—  Venit...  in  Galilcexm.  La  Galile.;  elait  la 
plus  septentriouale  des  trois  provinces  pales- 
tiniennes  situees  a  I'Ouest  du  Jourdain. 
Voyez  I'Atlas  biblique  de  V.  Ancessi,  pi.  xiii. 
De  magnifiques  promesses  lui  avaient  eie 
autrefois  adressees  au  nom  fie  Jehova,  Cfr. 
Is.  VIII,  22;  IX,  9,  et  Matlh.  iv,  14-16; 
Jesus  vienl  actuellement  les  acconijilii-.  Au 
resle,  la  Judee  elait  alors  peu  disposee  a  re- 
cevoir  I'Evangile  :  le  Sauveur  n'y  trouvait 
presque  personne  a  qui  it  put  se  fier.  Cfr. 
Joan.  II.  24.  La  Galilee  au  contraire  elait  un 
terrain  fecond,  sur  lequel  la  bonne  semence 
devait  promptement  germer  et  abondamment 
fructifier,  comme  nous  le  montrera  la  suitp 
du  recit.  —  Prcedic.ans  Evangelium  regni 
Dei.  Le  mot  «  regni  »,  qui  fait  defaut  dans 
les  manuscrils  B,  L,  Sinait.,  etc.,  dans  Ori- 
gene,  dans  les  versions  copte,  armenienne 
et  syriaque,  est  regarde  par  les  meilleurs 
critiques  comme  une  interpolation.  La  legon 
primitive  aurait  done  ete  to  zbc/.^'{iliov  toO 
0EOU,  I'Evangile  de  Dieu,  et  le  mot  «  Dei  » 
serait  au  cas  norame  par  les  grammairiens 


CHAPITRE    1 


31 


15.  Et  dicens :  Quoniam  impletum 
est  tempus,  et  appropinquavit  re- 
gnuin  Dei;  posnitemini,  et  credite 
Evangelio. 

16.  Et  prseteriens  secus  mare  Ga- 
lilsese,  vidit  Simonem  et  Andrseam 


IS  Et  disant ;  Le  temps  est  ac- 
compli et  le  roy.Mime  de  Dieu  est 
proche;  faites  penitence  et  croyez  a  ! 
I'Evangile. 

16.  Or,  en  passant  le  long  de  la 
mer  de  Galilee,  il  vit  Simon  et  An- 


«  genitivus  originis  »,  pour  signifler  :  I'Evan- 
giie  dont  Dieu  est  I'auteur.  Peu  imporle  du 
reste ;  le  sens  est  le  meme  en  toule  hypo- 
these.  —  Voiia  Jesus  prechant  I'Evangile! 
Comma  ia  «  bonne  nouvelle  »  elaitbien  placee 
sur  ses  levres  divines! 

15.  -^  Et  dicens.  S.  Marc  donne  a  ses  lec- 
teurs  un  resume  vraiment  sai?issant  de  la 
predication  du  Sauveur.  Son  style  est  ici 
rhythme,  cadence  a  la  fagon  orienlale,  plus 
encore  qu'au  t.  13.  Nous  avons  de  nouveau 
deux  phrases,  comppsees  chiacune  de  deiix 
propositions  ; 

Le  temps  est  accompli 

et  le  royaume  de  Dieu  est  proche. 
Faites  penitence    , 

et  croyLZ  a  I'Evangile. 

La  premiere  phrase  indique  ce  que  Dieu  a 
daigne  faire  pour  le  salut  des  hommes;  la  se- 
conde,  ce  que  les  hommes  doivent  faire  a  leur 
tour  pour  s'approprier  le  salut  messianiquc. 
Voir  Schegg,  Evang.  nach  Markus,  t.  I.  [).  35. 
■—  'loL'ocuvre  de  Dieu.  Quoniam  impletum  eat 
tempus.  V.  Quoniam  »e3t  recilatif.  «  Tempus  », 
en  grec  6  y.aipoi;,  le  temps  par  antonomase, 
c'esl-a-dire  I'epoque  designee  de  toule  eternite 
pour  I'accomplissement  .des  divins  decrets 
relalifs  a  la  redemption  de  I'humanite.  «  Gom- 
pletum  est  »  :  la  plenitude  des  temps  est 
arrivee,  s'ecriera  plus  lard  S.Paul  a  deux  re- 
prises, Gal.  IV,  4  et  Eph.  i,  10;  les  longs 
jours  d'attente  (Cfr.  Gen.  xlix,  10)  qui  de- 
vaient  preceder  la  manifeslalion  du  Christ 
sontenfln  passes.  Quelle  nouvelle!  Et  c'est  lo 
Messie  lui-merae  qui  I'apporte!  Mais  qui 
mieux  que  lui  pouvait  dire  ;  Les  temps  sent 
accomplis !  —  Appropinquavit  regnum  Dei. 
Le  royaume  de  Dieu,  c'cst  le  royaume  messia- 
nique  dans  toute  son  etcndue.  Expression 
consacree,  dont  nous  avons  oxplique  I'origine 
el  le  sens  dans  notre  Comnientaire  sur 
S.  Malthicu,  pp.  67  et  68.  —  2°  L'oeuvre  de 
I'homme,  ou  conditions  d'eniree  dans  le 
royaume  des  cieux.  Pcenitemini,  (jiexavoeiTe. 
On  n.!  pensaitguerealors  arealiser  cette  pre- 
miere condition,  quoique  ie  souvenir  et  le 
desir  du  Messie  fusseut  dans  tous  les  cc&urs 
el  sur  toules  ies  levres.  —  Seconde  condi- 
tion :  Credite  Ecangclio.  Le  grec  est  beaucoup 
plus  energique ;  il  dit :  TtiuTsucTe  ev-itTjeOaYVEXiw, 
litteralement  :  Croyez  dans  I'Evahgile!  L'E- 
vangile  est  pour  ainsi  dire  Telement  dans 
lequel  la  foi  devra  nailre  et  grundir;la  base 


sur  laquelle  elle  devra  s'appuyer.  Cfr.  Eph. 
1, 1.  Celle  foi  que  Jesus  exigo  rigourcusemenl 
des  siens  n'est  done  pas  un  sentiment  vague 
et  general  :  son  objet  special,  I'Evangile,  par 
consequent  tout  ce  qui  concerne  la  personne 
et  I'enseignement  de  Nolre-Seigneur,  est  de- 
termine de  la  fagon  la  plus  nelle.  —  S'il  est 
permis  d'employer  une  expresssion  qui  est 
actuellement  a  la  mode,  nous  dirons  que  lout 
le  «  programme  »  de  Jesus  est  contenu  dans 
ces  quelques  paroles.  On  y  voit  en  pi'emier 
lieu  sa  doctrinatoucluint  I'anciemie  Alliance: 
les  divins  oracles  sonl  accomplis.  On  y  voit 
ensuiie  I'idee  fondamentale  du  Chrislianisme  : 
le  royaume  de  Dieu  avec  tout  ce  qu'il  ren- 
ferme.  On  y  voit  enfin  les  conditions  prelimi- 
naires  da  saUit  :  la  penilence  et  la  foi. 

2.  —  Les  premiers  disciples  de  Jesus,  i,  16-20, 
Parull.  Matlh.  iv,  18-i:'2;  Luc.  v,  1-11. 

16.  —  Dans  cetle  touchante  narration,  qui 
nous  revele  la  puissance  de  Jesus  sur  les  vo- 
lonles  et  sur  les  ames,  S.  Marc  differe  a  jieine 
de  S.  Malthieu.  Nous  avons  pourtant  a  si- 
gnaler plusieurs  traits  caraclerisl upu^s,  qui 
prouveront  de  nouveau  i'iridependance  des 
ccrivains  sacres.  —  Prceteriens  :  expression 
pittoresque,  speciale  a  notre  Evcingelisle.  — 
Secus  mare  Galikece.  Le  divin  Maitre  a  quilte 
Nazareth  pour  venir  se  fixer  a  Ca|)harnaum, 
Cfr.  Matth.  iv,  13-18  ;  Luc  iv,  31  ;  v,  16,  sur 
les  bords  du  lac  si  charmanl  de  Tiberiade, 
que  nous  avons  decrit,  en  expliquant  le  pre- 
mier Evangile,  p.  81.  II  est  seul  encore; 
mais  voici  qu'il  veul  attaeher  d^finilivement 
a  sa  personne  quelques  disciples  avec  les- 
quels  il  a  eu,  vers  I'epoque  de  son  bapteme, 
des  relations  assez  etroites,  quoique  icmpo- 
raires,  Joan.  i.  35  et  ss.  lis  deviendront  ses 
quatre  principaux  Apolres.  —  Simonem  et 
Andream.  S.  Malthieu  et  S.  Luc.  dans  les 
passages  paralleles,  ajoutent  au  noui  do  Si- 
mon I'epithele  de  Pierre.  S.  Marc  e^l  le  seul 
a  ne  pas  mentionner  ce  surnom.  Nous  avons 
vu  dans  la  Preface,  §  IV,  4,  qui>ses  rapports 
intimes  avec  le  Piinco  des  A[)otres  ont  visi- 
blemenl  influe  sur  sa  narration  toules  les  fois 
qu'clle  louche  a  ce  saint  personnage  :  tantot 
elle  est  plus  complete,  tanlol  elle  est  moins 
precise  que  les  autres  recils  evangeliques,  se- 
lon  les  circonslances.  —  Mittentes  relia.  Le 
grec,  pdUov-ra?  a[j.9tr3),-/i<7Tpov,  determine  mieux 
la  nature  du  filet  dont  se  servaient  alors  les 


35 


EVANGILE  SELON  S.  MAUC 


dre,  s  jn  frere,  jetant  leurs  filets  dans 
la  mer,  car  ils  etaient  pecheurs. 

17.  Et  Jesus  leur  dit :  Venez  avec 
moi,   et  je  vous  ferai  devenir  pe- 


cheurs d'liommes. 

18.  Et  aussitot,  laissant  leurs 
filets,  ils  le  suivirent. 

19.  Et  s'etant  avance  un  peu  au- 
dela,  il  vit  Jacques,  tils  de  Zebedee, 
et  Jean,  non  frere,  qui  raccommo- 
daient  leurs  filets  dans  une  barque. 

20.  Et  aussitot  il  les  appela,  et, 
laissant  leur  pere  Zebedee  dans  la 
barque  avec  les  mercenaires,  ils  le 
suivirent. 


fratrem  ejus  mittentes  retia  in  mare, 
(erant  enim  piscatores) ; 

Matth.  4,  i8;  Luc.  5,2. 

17.  Et  dixit  eis  Jesus  :  Venite  post 
me;  et  faciam  vos  fieri  piscatores 
hominum. 

18.  Et  protinus  relictis  retibus, 
secuti  sunt  eum. 

19.  Et  progressus  inde  pusillum, 
vidit  Jacobum  Zebedeei  et  Joannem 
fratrem  ejus,  et  ipsos  componentes 
retia  in  navi; 

20.  Et  statim  vocavit  illos.  Et  re- 
licto  patre  suo  Zebedseo  in  navi  cum 
mercenariis,  secuti  sunt  eum. 


deux  freres.  'Au.9t'6),r,aTpov,  c'esl  I'epervier,  !e 
(ilel  que  l"on  jelte,  «  jaculiim  »  ou  «  funda  « 
des  Latins,  el  qui.  lor>qu'il  est  adroilemenl 
lance  par  dessus  i'epaule,  soil  du  rivage,  soil 
du  bateau,  lotombe  circulairement  (i^o:8il- 
).eTa'.)  sur  I'eau,  el  aiors,  s'enfonQant  ra'pide- 
menl  par  le  poids  des  plombs  qui  y  sont  aita- 
cties.  enveloppe  lout  ce  qui  est  "au-dessous 
de  iui,  »  Trench.  Synon.  of  the  N.  Test., 
§  Lxiv.  —  In  mare.'Le  lac  de  Tiberiade  a 
toujour?  passe  pour  elre  un  des  plus  poisson- 
neux  du  monde. 

17.  —  Prenant  I'humble  profession  de 
Pierre  et  d'Andre  pour  point  de  depart,  Jesus 
les  appelle  a  de  sublimes  destinees,  qui  ne 
seronl  pas  sans  analogie,  leur  dit-il,  avec 
leur  metier  de  pecheurs.  lis  seront  desormais 
piscatores  hominum.  Voir  sur  cette  expres- 
sion I'Evang.  selon  S.  Matth.,  p.  98.  ;Le 
P.  Curci,  dans  ses  Lezioni  esegetiche  e  morali 
sopra  i  quattro  Evangeli,  Firenze,  1874-1877, 
t.  II.  p.  139,  fait  a  son  sujel  d'ingenieux  et 
gracieiix  rapprochements).  C'est  ainsi  que, 
dans  le  langage  figure  du  Sauveur,  tout  de- 
vient  signe  ou  symbole  de  ce  qui  aura  lieu 
dans  son  royaume.  —  Faciam...  fieri,  Tvo-.r,- 
cw...  7£V£!76a( :  singulier  pleonasme.  Le  texts 
grec  de  S.  Maiihieu,  iv,  19^  porte  simplement 

18  —  Ce  versel  raconle  la  prompte  obeis- 
sance  des  deux  freres.  S.  Marc  ne  pouvail 
manquer  d'employer  ici  son  adverbs  favori 
•OQico;.  Cfr.  V.  20. 

19  St  20.  —  A  qaelque  distancs  de  la  {pu- 
sillum est  xxne  parlicularite  de  S.  Marc),  une 
scene  identique  se  renouvelle  pour  un  autre 
couple  de  freres,  S.  Jacques  et  S.  Jean.  — 
Componentes  retia.  Le  verbs  grec  -/.a-apiii^ui 
serait  mieux  Iraduit  par  «  sarcire,  reficere  ». 
Cfr.  Mallh.  iv,  21.  Tandis  que  les  fils  de  Jona 


etaient  occupes  a  jeter  leurs  filets  dans  le  lac, 
ceux  de  Zebedee  raccommodaient  les  leurs 
dans  la  barque  de  leur  pere.  lis  etaient  les 
uns  el  les  autres  dans  le  plein  exercice  de 
leur  metier.  —  Et  relicto  patre  suo.  Sacrifice 
aussi  rapide  et  plus  genereux  encore,  en  un 
sens,  que  celui  de  Pieire  et  d'Andre;  car 
ceux-ci  n'avaient  pas  eu  a  quitter  un  pere 
bien-aime:  rien  du  moins  nel'indique  dans  le 
recit.  —  Cum  mercenariis.  S.  Marc  a  seul 
menlionne  cette  circonstance  qui,  bien  qu'elle 
semble  insignifiante  a  premiere  vue,  a  pour 
nous  en  realite  un  grand  interet:  soil  parce 
qu'elle  prouve  qus  Zebedee  vivait  dans  une 
certaine  aisance,  puisqu'il  faisait  la  pecbe 
plus  en  grand;  soil  surlout,  comme  beaucoup 
d'interpreles  aimenl  a  le  dire,  pares  qu'elle 
nous  monlrs  que  Jacques  et  Jean  pouvaienl 
se  separer  de  leur  pere  sans  blesser  la  pield 
filiale,  attendu  qu'ils  ne  le  laissaient  pas 
completement  seal.  L'Evangeliste  aurait  done 
note  ce  detail  pour  adoucir  ce  que  I'acls  de 
Jesus  ou  des  deux  fils  semblerait  avoir  de 
dur  envers  un  pere.  Plus  lard,  probablemenl 
apres  la  raort  de  Zebedee,  nous  verrons  Salo- 
me, mere  des  Fils  du  tonnerre,  s'attacher 
elle-meme  a  Jesus.  Cfr.  Matth.  xx,  20  et  ss. 
—  Voila  done  quatre  Apotres  conquis  en  un 
seul  jour  par  le  divin  Maitre!  Jesus  est  veri- 
tablement  le  Roi  des  coeurs!  SaYTiveyei  aXizT;, 
dit  ingenieusement   Theophylacle,   tva  d),iet; 


3. 


Une  jourii6e  de  la  vie  du  Sauveur. 

1,21-33. 


Le  recit  de  S.  Marc  qui,  jusqu'ici,  avail 
suivi  d:'  pres  celui  de  S.  Matthif^u,  I'aban- 
donne  mainlenant  pour  Si  rapprocher  davan- 
tage  de  la  narration  ds  S.  Luc.  C'est  une 
journee  a  peu  pres  complete  de  la  Vie  de 


CHAPITRE    I 


33 


21  Et  ingrediuntur  Gapharnaum ; 
et  statim  sabbatis  ingressus  in  sy- 
nagogam,  docebat  eos. 

MaithA,  13;iMC.  4,  31. 

22.  Et  stupebant  super  doctrina 
ejus  :  erat  enira  docens  eos  quasi 
potestatem  habens,  et  non  sicut 
scribae. 

Maiih.  7,28;  Luck,  32. 


21.  Et  ils  entrerent  dans  Gaphar- 
naum, et  aussitot,  entrant  les  jours 
de  sabbat  dans  la  synagogue,  il  les 
iustruisait. 

22.  Et  ils  s'etonnaient  de  sa  doc- 
trine, car  il  les  enseignait  comme 
ayant  autorite,  et  non  comme  les 
Scribes. 


Jesus  au  debut  du  ministere  galileen  qu'il 
decrit  a  parlirde  cet  endroil  jusqu'au  ir.  39. 
La  malinee  se  passe  en  grande  partie  dans  la 
synagogue  de  Capharnaiim.  Apres  le  service 
religleux,  le  Sauveur  se  retire  avec  ses  quatre 
disciples  dans  la  maison  de  S.  Pierre,  oil  il 
demeure  toute  I'apres-midi.  Pendant  la  soiree 
et  une  partie  de  la  nuit,  il  guerit  les  malades 
qu'on  lui  amene  de  lous  coles.  Le  lendmnain, 
de  grand  matin,  nous  le  voyons  en  priere  sur 
le  bord  du  lac,  et  c'est  de  la  qu'il  commence 
son  premier  voyage  apostolique.  Tous  les  de- 
tails de  cette  laborieuse  journee  du  divin 
Maitre  peuvent  etre  groupes  sous  trois  chefs 
principaux  :  1°  la  guerison  d'un  demoiiiaque 
a  Capliarnaiim,  til-  21-28  ;  2°  la  guerison  de 
la  belle-mere  deS.  Pierre  et  d'autres  malades, 
tt.  29-34 ;  30  la  priere  solitaire  aupres  du 
lac  et  le  depart  pour  la  premiere  mission, 
tt.  36-39. 

a.   Guerison  d'un  dimoniaque  dans  la  synagogue  de 
CapharnaUm.  i,  21-28.  — Parall.  Luc.  iv,  31-37. 

21.  —  Ingrediuntur  Capharnaiim.  Cette 
ville  elait  situee  aupres  du  lac  de  Tiberiade, 
et  c'est  dans  son  voisinage  qu'avait  eu  lieu 
I'appel  des  quatre  premiers  Apotres.  Jesus  y 
entre,  suivi  deses  heureux  elus:  Capharnaiim 
eut  ainsi  I'honneur  de  posseder  immediate- 
ment  dans  ses  murs  les  premices  de  la  societe 
chrelienne.  —  Statim  sabbatis.  L'adverbe 
euOso);  ne  signifie  pas  que  I'entree  de  la  petite 
troupe  dans  la  ville  eut  lieu  en  un  jour  de 
sabbat,  mais  seulement  que  Jesus  profila  du 
sabbat  le  plus  piochain  pour  faire  entendre  la 
predication  messianique  aux  habitants  de 
Capharnaiim.  «  Sabbatis  »,  quoique  au  plu- 
riel  (de  meme  en  grec,  toT;  <7d66actv],  a  le  sens 
du  singulier.  Voyoz  S.  Matlh.,  xii,  1  et  I'ex- 
plication.  Touletois,  il  est  bien  Evident  que 
rEvangeli^to  ne  veut  pas  exclure  les  sabbals 
suivants,  du  moins  pour  ce  qui  regarde  I'en- 
seignement  public  de  Jesus  dans  les  syna- 
gogues; car  ce  fut  a  partir  de  ce  moment  une 
coulumo  reguliere  pour  Notre-Seigneur  de 
precher  le  samedi  dans  les  maisonsde  priere 
des  Juifs.  —  Ingressus  in  synagogam.  C'etait 
done  tout  ensemble  aux  jours  saints  et  dans 
les  lieux  saints  que  Jesus  faisait  entendre  la 

S.  Bible.  S. 


divine  parole  :  de  meme  aujourd'hui  les  pre~ 
dicateurs  de  TEvangile.  Sur  les  synagogues, 
voyez  I'Evangile  seion  S.  Matlh.,  p.  94.  — 
Docebat  eos,  scil.  «  Judseos.  »  On  rencontre 
souvent,  dans  les  ecrits  du  Nouveau  Testa- 
ment, des  pronoms  employes  de  cette  fagon 
irreguliere  et  ne  retombant  sur  aucun  des 
subslanlifs  qui  precedent.  Nous  en  avons  vu 
dans  S.  Mallhieu,  iv,  23,  un  frappant  exem- 
ple.  —  Quoique  Jesus  ne  fut  pas  un  Docteur 
attitre,  il  n'est  pas  surprenant  qu'il  put  ainsi 
precher  librement  dans  les  synagogues.  Les 
Juifs  laissaient  sous  ce  rapport  a  leurs  core- 
ligionnaires  une  assez  grande  latitude  :  les 
etrangers,  les  personnes  pieuses  ou  instruites, 
etaient  meme  frequemment  invites  a  edifier 
les  assemblees  par  quelques  bonnes  paroles. 
Cfr.  Act.  XII,  15. 

22.  —  Stupebant  super  doctrina  ejiis.S.  Marc 
indique  ici  I'effet  cause  par  la  predication  du 
Sauveur  et  le  motif  qui  le  produisait.  «  Stu- 
pebant »,  e^£7t),-o<iaovTo  :  les  auditeurs  etaient 
vivement  impressionnes.Toutefois,  leur  eton- 
nement  n'avait  rien  d'extraordinaire,  ajoutent 
de  concert  les  deux  Evangelistes  (Cfr.  Luc. 
IV,  32),  car  il  enseignait  avec  autorite.  — 
Quasi  potestatem  habens.  C'est  le  Verbe  divin, 
la  Sagesse  incarnee  qui  parle,  c'est  le  Legis- 
lateur  celeste  qui  interprete  ses  propres  loisl 
Comment  Jesus  n'aurait-il  pas  trouve  le  che- 
min  des  esprits  et  des  coeurs?  Ses  ennemis 
eux-memes  seront  obliges  d'avouer  que  «  ja- 
mais homme  n'a  parle  comme  cet  homme.  » 
«  Ses  paroles  pleines  de  vigueur,  de  verity, 
de  grace,  convainquaient  la  raison  et  lou- 
chaient  la  volonte  ;  elles  eveillaient  le  rcpen- 
tir,  la  frayeur  et  I'araour.  En  meme  temps, 
elles  donnaient  la  force  de  rechercher  ce 
qu'on  devait  aimer,  de  fuir  ce  qu'on  devait 
craindre,  de  quitter  ce  qu'on  aurait  pu  re- 
gretter.  »  Schegg,  Evang.  nach  Mark,,  p.  39. 
Voir  les  idees  generalcs  que  nous  avons  ex- 
posees  dans  notre  Commcntaire  sur  S.  Matlh., 
p.  96  et  suiv.,  touchant  reloquence  de  Jesus- 
Christ.  —  Et  non  sicut  Scribce.  Quelle  diffe- 
rence profonde  entre  la  methode  du  Sauveur 
et  celle  de  ces  Legistes  officiels!  Cesderniers 
n'etaient  que  les  organes  impcrsonnels  de  la 
tradition,  et  d'une  "tradition  lout  humaine  : 

Marc.  —  3 


3i 


]^VANGILE  SELON  S.  MARC 


23.  Or,  il  y  avail  dans  leur  syna- 
gogue un  homme  possede  de  I'es- 
prit  immonde,  et  il  s'ecria, 

24.  Disant :  Qu'y  a-t-il  entrenous 
et  toi,  Jesus  de  Nazareth?  Es-tu 
venu  nous  perdre?  Je  sais  qui  tu 
es  :  le  Saint  de  Dieu. 


23.  Et  erat  in  synagoga  eorum 
homo  in  spiritu  immundo  ;  et  excla- 
mavit, 

Luc  A, 33. 

24.  Dicens  :  Quid  nobis  et  tibi, 
Jesu  Nazarene?  venisti  perdere  nos? 
scio  qui  sis,  Sanctus  Dei. 


leur  enseignement  etait  froid,  compasse,  sans 
vie,  aussi  bien  pour  le  fond  que  pour  la  forme. 
Qu'on  lise  de  suite,  si  on  le  peut,  quatre 
pages  du  Talmud,  et  Ton  aura  une  juste  idee 
de  la  predication  des  Scribes.  Le  peuple  est 
done  justement  ravi  des  qu'il  a  entendu 
Jesus  :  c'est  un  genre  entierement  nouveau, 
approprie  d'une  fagon  admirable  a  ses  be- 
soins;  aussi  ne  peur.-il  se  lasser  de  I'entendre. 
Comparez  Matlh,  vii,  28  et  29.  Quel  eloge 
parfait  pour  Jesus  oraleur,  dans  les  trois  lignes 
de  ce  verset! 

23.  —  Et  erat  in  synagoga.  Mais  voici  un 
autre  fait  qui  va  redoublt-r,  a  un  nouveau 
point  de  vue,  radmiralion  des  habitants  de 
Capharnaiim  :  c'est  la  guerison  miraculeuse 
d'un  de  ces  cas  funcstcs.  alorssi  nombreux  en 
Palestine,  connus  sous  le  nom  de  possession. 
Le  divin  Orateur  se  transforme  tout  a  coup  en 
Thaumaturge,  etil  montre  qu'il  est  superieur 
aux  demons  les  plus  puissanls.  —  Sur  les 
demoniaques,  voyez  I'Evang.  selon  S.  Matth., 
p.  165  et  s. ;  sur  les  miracles  de  Jesus  en  ge- 
neral, ibid.,  p.  431  et  s.  —  Homo  in  spiritu 
immundo.  «  In  »,c'est-adire«  au pouvoir  de  » ; 
cette  locution  est  plus  expressive  que  «  cum 
spiritu  »,  car  elle  indique  mieux  la  puissance 
du  demon  sur  le  possede,  I'absorption  de 
celui-ci  par  celui-la.  Le  demoniaque  etait 
comme  plonge  dans  I'influence  satanique. 
Comparez  le  nom  grec  d'energumene  (evepyou- 
{jivo;).  L'epithete  a  immundus  »  est  accolee 
vingt  fois  environ  dans  I'Evangile  au  nom  des 
esprit  mauvais.  C'est  une  expression  tech- 
nique, empruntee  au  langage  liturgique  des 
Juifs,  qui  nommaient  impur  tout  ce  dont  ils 
devaient  eviter  le  conlacl.  Qu'y  a-t-il  en 
effet  de  plus  immonde  que  les  mauvais 
anges?  Leur  desobeissance  envers  Dieu  les  a 
profondement  souilles  ;  ils  se  sent  depuis  en- 
durcis  dans  leur  malice,  et  ils  ne  songent 
qu'a  profaner  les  hommes  en  les  portant  au 
peche.  —  Nous  ne  devons  pas  etre  trop  sur- 
pris  de  trouver  un  demoniaque  dans  la  syna- 
gogue de  Capharnaiim  :  quand  les  possedes 
etaient  calmes,  on  ne  leur  interdisait  pas 
I'entree  des  lieux  de  priere.  —  Au  figure,  le 
demon  avait  penetre  dans  la  synagogue,  c'est- 
a-dire  dans  le  Judai>me ;  Jesus  vient  pour  le 
chasser.  Helas!  il  reslera  quand  meme,  par 
suite  de  rendurcissemenl  des  Juifs. 


24.  —  Nous  trouvons  dans  les  versels  24-26 
des  details  dramatiques  sur  ce  premier  des 
prodiges  de  Jesus  raconles  par  S.  Marc.  L'E- 
vangeliste  communique  successivement  a  ses 
lecteurs  les  paroles  du  demoniaque,  if.  24,  le 
commandement  de  Jesus,  t.  23,  et  le  resultat 
de  ce  commandement,  t-  26.  —  lo  Le  de- 
moniaque, ou  plutot  le  demon  par  son  inter- 
mediairp,  exprime  trois  idees  de  la  plus  par- 
faite  verile.  Premiere  idee  :  (Juid  nobis  et  tibi  f 
II  n'y  a  rien  de  commun  entre  Jesus  el  le  de- 
mon. La  locution  que  le  possede  einploie  pour 
exprimer  cette  pensee  (Gfr.  Matth.  viii,  29) 
denote  une  separation  entiere  de  vie  et  de 
nature,  une  complete  opposition  d'inlerets  et 
de  tendances;  Cfr.  II  Cor.  vi,  14,  13.  Le 
pluriel  «  nobis  »  designs  la  solidarile  qui 
existe  entre  tons  les  esprits  mauvais  :  actuel- 
lement,  c'est  au  nom  de  toute  I'armee  sata- 
nique que  le  demoniaque  parle  a  Jesus.  —  Le 
mot  ea,  qu'on  trouve  dans  la  Recepta  grecque 
aussilot  apres  >,eYwv  [dicens),  peut  signifier  : 
Laisse !  c'est-a-dire  laisse-moi  I  Selon  plu- 
sieurs  exegetes,  ce  serait  i'exclamation  he- 
braique  grecisee  HNn,  Heach,  le  Vah!  des 
Latins.  Du  reste,  ea  ne  manque  pas  seulement 
dans  la  Vulgate,  mais  aussi  dans  la  version 
syriaque  etdans  des  manuscrits  importants, 
tels  que  B,  D,  Sinait.  —  Jesu  Nazarene:  telle 
etait  deja,  aux  premiers  temps  de  la  Vie  pu- 
bliquedu  Sauveur.sa  denomination  courante 
et  populaire.  Quelques  commentateurs  sup- 
posent,  mais  sans  raison  suffisante,  que  le 
demon  I'emploie  ici  avec  un  sentiment  de  de- 
dain.  —  Deuxieme  idee:  Venisti  perdere  nos. 
L'esprit  mauvais  ne  pouvait  pas  mieux  ca- 
racleriser  I'objet  de  la  mission  de  Notre-Sei- 
gneur  :  Jesus  est  venu  pour  ecraser  la  tete  de 
I'antique  serpent,  pour  miner  I'empire  de  Sa« 
tan  sur  la  lerre.  Remarquons  que  le  Sauveuf 
n'a  encore  rien  dit  au  possede  :  sa  seule  pre^ 
sence  suffit  neanmoins  pour  faire  trembler  le 
demon  qui  prevoit  sa  prochaine  defaite.  — 
Troisieme  idee  :  Jesus  est  le  Messie  promis. 
Scio  qui  sis,  s'ecrie  le  demoniaque  avec  em- 
phase,  ou  mieux  encore,  d'apres  le  texte  grec, 
«  novi  te  qui  sis  »,  oTSd  as  ti?  sT  :  le  bapteme 
et  la  tentation  ont  revele  aux  demons  le  ca- 
raclere  messianique  de  Jesus.  —  Sanclus  Dei, 
6  aytoc  To-j  ©eoO,  le  Saint  par  anlonomase 
(a  lUe  Sanctus  Dei  »,  Erasme),  comme  le  font 


CHAPITRE  I 


3!f 


2b.  Et  comminatiis  est  ei  Jesus, 
dicens  :  Obmutesce,  et  exi  de  ho- 
mine. 

26.  Et  discerpens  eum  spiritus 
immundiis,  et  exclamans  voce  ma- 
gna, exiit  ab  eo. 

27.  Et  mirati  sunt  omnes,  ita  ut 
Gonquirerent  inter  se  dicentes  : 
Quidnam  est  hoc?  qusenam  doctrina 


25.  Et  Jesus  le  menaga,  disant : 
Tais-toi,  et  sors  de  cet  homme. 

26.  Et  I'esprit  immonde,  en  le  tor- 
turant  et  en  criant  d'une  voix  forte, 
sortit  de  lui. 

27.  Et  tons  furent  dans  I'admira- 
tion,  de  sorte  qu'ils  s^interrogeaient 
entre  eux,  disant :  Quelle  est  cette 


justement  observer  les  vieux  interpretes  grecs, 
Victor  d'Anlioch°,  Thoophylacte  et  Euthy- 
mius.  Ce  titre,  d'apres  plusieurs  passages  de 
I'Ancien  Teslament,  P.-.  xv,  10;  Dan.  ix,  24, 
equivaut  a  celui  de  Messie.  Tertullien  et 
d'autres  exegetes  a  sa  suite  ont  pcnse  que  le 
demon  I'adressait  a  Jesus  par  flatlerie  :  il 
est  preferable  de  croire  qu'il  le  lui  donne 
en  toute  sincerite,  quoique  malgre  lui,  Dieu 
permetlant  que  I'enfer  meme  rendit  temoi- 
gnage  a  son  Christ. 

25.  —  20  Le  commandement  de  Jesus. 
Comminatus  est  ei,  £Tr£xt[Avicrev.  Les  Evange- 
listes  semblent  avoir  atfeclionne  cette  expres- 
sion ;  Cfr.  Matth.  viii,  26;  xvi,  22;  xvii,  18; 
XIX,  13  ;  Marc,  iv,  29;  viii,  31  ;  ix,  25  ;x,  13; 
Luc.  IV,  39  ;  ix,  55;  xviii,  15;  etc.  Elle  con- 
venait  d'ailleurs  parfaitement  a  la  dignile  et 
a  la  toute-puissance  de  Jesus,  car  elle  suppose 
un  ordre  absolu,  qui  n'admet  ni  la  resistance 
ni  meme  une  siuiple  replique.  —  Obmutesce ; 
litteralement,  d'apres  le  grec  :  Sois  musele ! 
C'est  la  premiere  partie  du  commandement. 
Notre-Seigneur  commence  par  imposer  silence 
a  I'esprit  immonde  :  il  ne  veut  pas  qu'il  y  ait 
de  relations  entre  le  royaume  messianique  et 
I'empire  des  tenebres.  De  plus,  il  y  aurail  des 
inconvenients  a  ce  que  son  caraclere  fut  ainsi 
divulgue  ;  aussi  verrons-nous  le  divin  Maitre 
defendre  liabituellement  aux  malades  gueris 
par  lui  de  proclamer  ses  prodiges  et  sa  di- 
gnite.  —  Seconde  partie  do  I'ordre  :  Exi  de 
homine.  Jdsus  a  pilie  du  pauvre  demoniaque, 
et  il  expulse  de  lui  I'esprit  qui  le  pos^ede. 

26.  —  3"  Nous  voyons  ici  Tadmirable  et 
prompt  resullat  du  commandement  du  Sau- 
veur.  Toulefois,  avant  de  quitter  un  sejour 
qui  lui  elait  cher,  le  demon  manifeste  sa  rage 
de  plusieurs  manieres.  —  Discerpens  eum.  11 
tourmente  une  derniere  fois  le  possede,  en  le 
faisant  entrer  dans  de  violentes  convulsions  : 
c'est  le  trait  du  Parlhe,  trait  impuissant  tou- 
tefois,  ajoute  S.  Luc,  iv,  35.  S.  Gregoire, 
Horn.  IV  in  Ezech.,  fait  sur  ce  point  de 
belles  reflexions  morales  :  «  Mox  ut  animus, 
qui  prius  terrona  sapuerat,  amare  coeleslia 
cceperit,  antiquus  adversarius  acriores  ei 
qnam  consueverat  tentationes  admovet,  ita  ut 
plerumque  sic  resistentem   animam  tenlet, 


sicut  antR  numquam  tentaverat,  quando  pos- 
sidebat.  Unde  et  dsemoniacus  qui  a  Domino 
sanatur  ab  exeunte  daemone  discerpitur.  » 
—  Exclamans  voce  magna.  Le  demon  pousse 
un  cri  de  rage  et  de  desespoir.  Mais  rien  n'y 
fait :  il  est  oblige  de  fuir  et  de  se  precipiter 
en  enfer.  —  Aucun  Evangelisle  ne  raconto 
autant  de  guerisons  de  demoniaques  que 
S.  Marc.  II  aime  a  representer  Notre-Seigneur 
comme  le  vainqueur  supreme  des  esprits  in- 
fernaux.  Cfr.  Koestlin,  die  Evangelien,  p.  313. 
27.  —  Les  versets  27-28  decrivent  I'impres- 
sion  profonde  que  produisit  ce  miracle  soit 
sur  ses  temoins  immediats.  t.  27,  soit  dans 
toute  la  province  de  Galilee,  t.  28.  —  Mirati 
sunt  omnes.  D'apres  le  texte  grec,  le  senti- 
ment qui  saisit  immediatement  I'assemblee 
fut  I'effroi  [i%c».\^&ri^r\aav,  mot  rare  dans  le 
Nouveau  Teslament),  plutotque  Tadmiration. 
A  la  suite  de  cette  manifestation  surnaturelle, 
tons  les  assistants  furent  en  proie  a  une  sainte 
frayeur.  —  lis  se  communiquerent  alors  mu- 
luellement  leurs  pensees  [inter  se  est  une 
bonne  traduction  du  grec  upo?  auTou;,  qui  si- 
gnifie  en  cet  endroit  upo;  a)>>.yi>,ou?.  Cfr.  Arnat, 
Comm.  dtj  pron.  reflex,  ap.  Gr.  usu,  p.  12 
etss.;  il  est  inexact  de  Iraduire  avec  Fritszche 
par  «  apud  animum  suum,  intra  se  » ;  le 
verbe  compose  «  conquirere  »,  au^viTeTv,  s'y 
oppose).  —  Quidnam  est  hoc?  De  memoire 
d'homme  on  n'avait  rien  vu  de  somblable;de 
la  cette  premiere  exclamation  generale.  — 
Qiicenam  doctrina  hcec...  L'assistance  specific 
ensuite  les  points  qui  excitaient  le  plus  sop 
etonnement.  C'etait  d'abord  la  doctrine  attes- 
tee  par  de  pareils  prodiges  :  chacun  venait 
de  I'entendre  et  avait  pu  se  convaincre  de  sa 
nouveaute,  Cfr.  '51^.  22 ;  mais  elle  avait  specia- 
lement  cela  de  nouveau  qu'elle  s'appuyait  sur 
des  miracles  de  premier  ordre.  Ce  nelaient 
pas  les  Scribes  qui  auraient  pu  offiir  rien  de 
semblable!  —  Quia  inpotestate.  On  admirait 
en  second  lieu  la  puissance  merveilleusede  Je- 
sus. Un  mot  de  lui  avail  produit  sur-le-champ 
le  resiillat  le  plus  frappant.  —  Etiam  spiriti- 
bus  immundis...  Cette  puissance  s'elait  en 
effet  exercee  dans  les  conditions  les  plus  dif- 
ficiles  :  Jesus  avait  montre  qu'il  etait  supe- 
rieur  meme  aux  demons.  II  y  a  une  grando, 


36 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


doctrine  nouvelle?  Car  il  commande 
avec  puissance  merae  aux  esprits 
immondes,  et  ils  lui  obeissent. 

28.  Et  sa  renommee  se  repandit 
aussitot  dans  tout  le  pays  de  Ga- 
lilee. 

29.  Etant  sortis  ensnite  de  la  sy- 
nagogue, ils  vinrent  dans  la  maison 
de'Simon  et  d' Andre. 


30.  Or,  la  belle-mere  de  Simon 
etait  au  lit,  ayant  la  fievre,  et  aussi- 
tot ils  lui  parlerent  d'elle. 

31.  Et,  s'approchant  et  la  prenant 
par  la  main,  il  la  fit  lever,  et  a 
i'instaut  la  fievre  la  quitta,  et  elle 
les  servait. 


hsecnova?  quia  in  j)otestate  etiam 
spiritibus  immundis  imperat,et  obe- 
diunt  ei. 

28.  Et  processit  rumor  ejus  statim 
in  omnem  regionem  Galilsese. 

29.  Et  protiuus  egredientes  de 
synagoga,  venerunt  in  domum  Si- 
monis  et  Andreae,  cum  Jacobo  et 
Joanne. 

Matth.  8,  14;  Luc.  4,  38. 

30.  Decumbebat  autem  socrus  Si- 
monis  febricitans;  et  statim  dicunt 
ei  de  ilia. 

31 .  Et  accedens  elevavit  eam,  ap- 
prehensa  manu  ejus  :  et  continuo 
dimisit  eam  febris ;  et  ministrabat 
eis. 


force  danscet  «  eliam  ». —  Acliiellemenl,  on 
admire  done  Jesus  a  cause  de  sa  predicalion 
nouvelle  et  de  son  empire  irresistible  sur  les 
esprits  maiivais.  Bientot,  quand  les  coeiirs  se 
seronl  retournes  centre  lui,  on  tirera  de  ces 
deux  fail^  les  griefs  les  plus  graves  pour  les 
lui  Jeter  a  la  face.  —  Nous  avons  suivi  pour 
I'explicalion  de  ce  verset  le  lexte  de  la  Vul- 
gate, qui  est  du  reste  conforme  a  la  Recepla 
grecque  et  qui  donne  un  sens  parfailement 
acceptable.  Toulefois,  les  critiques,  s'ap- 
puyant  sur  les  variantes  qu'on  rencontre  dans 
les  divers  manuscrits,  discutent  longuement 
sur  la  veritable  ponctuation,  et  sur  les  difife- 
rentes  nuances  d'interpretalion  qu'il  est  pos- 
sible d'adopter.  Nous  n'avons  pas  juge  qu'il 
fut  bien  utile  d'entrer  dans  ces  arides  debats. 
Voir  Scliegg,  Evang.  nach  Mark.,  1. 1,  p.  266 
et  suiv. 

28.  —  Processit  runior  ejus;  engrec,  ^  axori 
auToO,  sa  renommee.  Le  bruit  de  ce  miracle 
se  repandit  d'abord  dans  la  ville  de  Caphar- 
naiim,  el  de  la  il  fit  rapidement  {statim  est 
emphatique  dans  ce  passage)  le  tour  de  touts 
la  Galilee.  —  Plusieurs  commentateurs  sup- 
posent  a  tort  que  les  mots  el;6),yiv  iriv  itepixw- 
pov  T^;  ra)r/!xia;  designent  les  provinces  voi- 
sines  de  la  Galilee. 

b.  Gu^rison  de  la  belle-mere  de  S.  Pierre  et  d'autres 
malades.  i,  29-34.  —  Parall.  Matth.  viii,  14-17: 
Luc.  IV,  38-41. 

29.—  Etprotinus.  S.  Luc,  comme  S.  Marc, 
rattache  ires-etroitement  ce  miracle  a  la  gue- 
rison  du  demoniaque:  il  y  eut  done  une  con- 
nexion historique  reelle  entre  les  deux  pro- 
diges.  Les  recits  des  Synoptiques  sont  ici  les 
memes  quant  a  la  substance  :  ils  ne  variant 


guere  que  dans  I'expression.  Notre  Evange- 
listea  cependantle  merite  d'etre  le  plus  precis 
pour  la  plupart  des  details.  Tout  est  pris  sur 
le  vif  dans  son  recit :  on  devine  a  quelle  source 
il  avait  puise.  —  Egrediimtar.  Aussitot  apres 
le  miracle  raconte  au  t.  26,  Jesu^  sortit  de  la 
Synagogue  avec  ses  quatre  disciples,  et  ils 
vinrent  ensemble  dans  la  maison  de  Pierre  et 
d'Andre.  S.  Marc  est  le  seul  a  mentionner  en 
termes  expres  S.  Andre,  S.  Jacques  et  S.  Jean. 

30.  —  Decumbebat  autem  socrus  Simonis. 
Pierre  semble  avoir  ignore  cet  accident,  qui 
avait  pu,du  reste,  survenird'une  nianiere  tres- 
rapide  pendant  son  absence  des  jours  prece- 
dents. Cfr.  les  tt.  1 6  et  21.  Heureusemenl,  Je- 
sus est  la  pour  consoler  cette  famille  eploree. 
—  Sur  la  belie-mere  et  la  femme  de  S.  Pierre, 
voyez  rEvanir.  selon  S.  Matth.  p.  i59.  Cfr. 
Euseb.  Hist.  Eccl.  in,  30. —  Dicunt  ei  de  ilia. 
Expression  delicate.  On  ditsimplementau  boii 
Maitre  que  la  belle-mere  de  son  disciple  est 
malade ;  on  sait  que  sa  misericoi  de  el  ?a  puis- 
sance feront  le  reste.  Les  soeurs  de  Lazare  se 
contenteront  aussi  de  faire  dire  a  Jesus  :  Sei- 
gneur, celui  que  vous  aimez  est  malade! 

31.  —  La  confiance  n'avait  pas  ete  vaine, 
car  le  Sauveur  guerit  sur-le-champ  la  malade. 
S.  Marc  raconte  le  prodige  de  la  fagon  la  plus 
graphique  :  chacun  des  gestes  de  Jesus  est 
decrit  dans  sa  narration.  Accedens,  il  s'ap- 
proche  du  lit  de  la  malade  ;  apprehensa  manu 
ejus,  il  la  prend  par  la  main ;  elevavit  eam,  il 
la  souleve  doucemenl.  A  son  divin  contact,  le 
mal  disparait  inslanlanement  (continuo,  c'est 
le  troisiemeeue£w;depuisle  t.  29!)et  la  gue- 
rison  est  si  decisive,  que  celle  qui  gisail  na- 
guere  sur  son  lit  de  souffrance  peut  se  lever 
aussitot  et  vaquer  ases  fonclions  demailress© 


CHAPITRE  I 


37 


32.  Vespere  autem  facto,  cum  oc- 
cidisset  sol,  afferebant  ad  eum  om- 
nes  male  habentes,  et  deemonia  ha- 
bentes  : 

33.  Et  erat  omnis  civitas  congre- 
gata  ad  januam. 

34.  Et  curavit  multos  qui  vexa- 
bantur  variis  langoribus,  et  dsemo- 
nia  multa  ejiciebat,  et  non  sinebat 
ea  loqui,  quoniam  sciebant  eum. 

Luc.i,  41. 

3o.  Et  diliciilo  valde  surgens, 
egressus  abiit  in  desertum  locum, 
ibique  orabat. 


32.  Et,  le  soir  venu,  lorsque  le 
soleil  fut  couche,  ils  lui  amenerent 
tous  les  malades  et  les  possedes. 

33.  Et  toute  la  villa  etait  assem- 
blee  devant  la  porte. 

34.  Et  il  en  guerit  beaucoup  qui 
etaient  tourmentes  par  diverses  ma- 
ladies, et  il  chassa  beaucoup  de  de- 
mons, et  il  ne  leur  permettait  pas 
de  dire  qu'ils  le  connaissaient. 

33.  Et,  se  levant  de  grand  matin, 
il  sortit  et  alia  dans  un  lieu  desert, 
et  la  il  priait. 


de  maison.  —  Ministrabat  eis.  Le  verbe  «  mi- 
nislrare  »  sigiiifie  en  ceL  endroit  servir  a 
table.  Cfr.  Mallh.  iv,  11  et  le  Commentaire. 
II  s'agit  du  repas  joyeux  et  solennel  qui  ler- 
mine  chez  les  Juifs  la  journee  du  Sabbat. 
Voyez  Jos.  Vita,  §  liv.  La  beile-mere  de 
S.  Pierre,  rendue  completemenl  a  la  sanle, 
eut  assez  de  force  pour  le  preparer  eiie- 
meme.  Puissions-nous,  disent  les  inoralistes, 
quand  Dieu  a  gueri  misericordieuseir.ent  les 
maladies  de  notre  ame,  employer  de  meme 
notre  vigueur  spiriluelie  a  servir  le  Christ  et 
ses  membres!  Cfr.  Gerhard,  Harm.  Evang., 

XXXVIII. 

32.  —  Vespere  autem  facto.  Ce  miracle  en 
amena  un  grand  nombre  d'autres,  qui  occu- 
perent  Jesus  une  partie  de  la  nuit.  Quelle 
douce  soiree  pour  kii  et  pour  les  habitants  de 
Capharnalim !  Mais,  par  suite  d'uu  respect 
exagere  pour  le  repos  du  Sabbat,  Cfr.  in,  1  et 
suiv.,  on  ne  conduisit  les  malades  et  les  pos- 
sedes au  Sauveur  qu'apres  le  coucher  du  so- 
leil, le  saint  jour  ne  finissant,  d'apres  le  rituel 
juif,  qu'au  moment  ou  cet  aslre  disparaissait 
au  dessous  de  I'horizon. 

33.  —  Et  erat  omnis  civitas...  Trait  pitto- 
resque,  special  a  S.  Marc  :  on  voil  qu'un  te- 
moin  oculaire  le  hu  avait  communique.  Voila 
done  toute  la  ville  qui  assiege  en  quelque 
sorte  I'humble  maison  de  S.  Pierre!  Les  mots 
ad  januam  designent  en  effet  le  lieu  ou  se 
trouvait  alors  Jesus  el  point,  comme  on  I'a 
dit  quelquefois,  la  porte  de  la  cite.  —  Cet 
emoi  se  comprend  sans  peine.  Notre-Seigneur 
avait  opere  ce  jour-la  meme  deux  grands  mi- 
racles a  Capharnalim  :  le  bruit  s'en  etait 
promptemenl  repandu,  et  chacun  voulait  pro- 
filer de  la  presence  du  Thaumaturge  pour  la 
guerison  de  ses  infirmes. 

34.  —  Curavit  multos...,  dcemonia  multa. 
Est-ce  a  dire  que  Jesus  aurait  fait  un  choix 
parmi  les  malades  et  parmi  les  possedes? 
qu'il  aurait  gueri  les  uns  el  pas  les  autres? 


Des  exegetes  ancienset  modernes  Tent  pense: 
«  Cur  non  dixit:  Et  sanavitomnes,  sed  pro  eo 
multos  po?uit?  Forlasse  quibusdam  infideli- 
tas  impedimento  fuit  ne  sanarentur  ».  Poss. 
Cat.,  p.  33.  Cfr.  Meyer,  Comm.  h.  I.  La  foi 
aurait  done  manque  a  un  certain  nombredes 
personnes  presentees  a  Jesus;  ou  bien,  a-t-on 
dit  encore,  le  temps  eut  ete  insuffisanl  pour 
guerir  tant  de  monde.  Mais  ce  sont  la  des 
conjectures  sans  fondement,  que  refutent  les 
passages  paralleles  de  S.  Matlhieu  et  de 
S.  Luc.  «  Ejiciebat  spiritus  verbo,  et  omnes 
male  habentes  curavit  »,  Matth.  viii,  -16.  Non, 
il  n'y  eut  pas  d'exception,  et  ce  n'esl  pas  un 
contrasleque  notreEvangelistea  vouluetablir 
en  se  servant  des  expressions  citees  :  il  s'est 
plutol  propose  de  montrer  le  nombre  consi- 
deiable  des  guerisons.  Telle  etait  deja  I'opi- 
nion  de  Theophylacte  :  TtoUoy;  oe  E03pdi:£-joev 
ivTt  ToO  rcavxa;-  oi  yap  TidvTE;  ■<io).).oi.  —  j\on 
sinebat  ea  loqui.  Comme  dans  la  matinee,  t.  25, 
il  impose  silence  aux  demons,  donl  les  pro- 
clamations intempestives  auraienl  pu  nuire  a 
son  oeuvre. 

c.  Retraite  de  Jesus  sur  les  bords  du,  lac.  Voyage 
apostolique  en  Galilee,  i,  35-39.  — Parall.  Luc. 
IV,  42-44. 

3o.  —  Diluculo  valde.  Le  texte  grec  est  en- 
core plus  expressif :  irpwl  iwjyov  ),tav.  La  nuit 
du  samedi  au  dimanche  s'achevail  done  a 
peine,  que  Jesus  etait  deja  debout,  malgre  les 
fatigues  de  la  soiree  precedente^  el  quittait 
sans  bruit,  a  Finsu  de  tous,  la  maison  hospi- 
taliere  de  Simon.  Son  but  manifeste  etait  d'e- 
chapper  ainsi  aux  ovations  de  la  foule  en- 
thousiasmee  par  ses  miracles,  et  de  se  prepa- 
rer, par  une  priere  solitaire  de  quelques 
heures,  a  la  mission  qu'il  allail  bientot  com- 
mencer.  t.  38  et  s.  —  Abiit  in  desertum  lo- 
cum. «  Un  trait  remarquable  du  lac  de  Genne- 
sareth,  c'esl  qu'il  etait  entoure  de  solitudes 
descries.  Ces  places  solitaires,  siluees  a  proxi- 


38 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


36.  Et  Simon  le  suivit,  ainsi  que 
ceiix  qui  etaient  avec  lui. 

37.  EL  quand  ils  I'eurent  trouve, 
ils  lui  dirent  :  lis  yous  cherchent 
tous. 

38.  Et  il  leur  dit  :  Aliens  dans  les 
Tillages  prochains  et  dans  les  villes, 
Dour  que  j'y  preclie  aussi,  car  c'est 
pour  cela  que  je  suis  venu. 


36.  Et  prosecutus  est  eiim  Simon, 
et  qui  cum  illo  erant. 

37.  Et  cum  invenissent  eum,  dixe- 
runt  ei  :  Quia  omnes  quserunt  te.. 

38.  Et  ait  illis  :  Eamus  in  proxi- 
mos  vicos  et  civitates.  ut  et  ibi  prae- 
dicem ;  ad  hoc  enim  veni. 


mite;  soil  siir  les  plateaux,  soit  dans  les  ra- 
vins qui  abondent  pres  des  deux  rives,  four- 
nissaient  d'excellents  refuges  pour  le  repos  ou 
pour  la  priere...  Jesus  recherchail  ces  soli- 
tudes, tantol  seul,  tantot  avec  ses  disciples.  » 
Stanley,  Sinai  and  Palestine,  p.  378.  Les 
montagnes,  les  deserts,  les  lieux  retires,  Geth- 
semani,  tels  furent  les  principaux  oratoires 
du  Sauveur :  il  ne  priait  pas  sur  la  place  pu- 
blique  comme  les  Pharisiens.  —  Ibique  orabat. 
Autre  detail  particulier  a  S.  Marc  :  du  reste 
tout  ce  recit  est  marque  au  cachet  distinctif 
du  second  Evangile.  La  scene  est  exireme- 
ment  pitioresque  :  le  narrateur  la  met  vrai- 
ment  sous  nos  yeux.  —  Qu'il  est  beau  de  voir 
Jesus  en  oraison  apres  et  avant  ses  nombreux 
labeurs!  Sa  vie  se  compose  de  deux  elements, 
les  exercices  du  zele  et  les  exercices  de  reli- 
gion, le  cole  exterieur  et  le  cote  interieur. 
Telle  doitetre  aussi  la  viedu  pretre. 

36.  —  Le  jour  venu,  Simon-Pierre  remar- 
qua  le  premier  I'absence  du  bon  Maitre,  et 
aussitot  il  se  mit  a  faire  d'actives  recherches 
pour  le  retrouver.  Get  acle  revele  I'ardeur 
de  son  temperament  et  son  vif  amour  envers 
Jesus.  —  Prosecutus  est.  Le  grec  porte  v.a.zt- 
Siwlav  (au  pluriel),  expression  d'unerare  ener- 
gie,  qui  n'est  employee  qu'ici  dans  le  Nou- 
veau  Testament.  Elle  est  souvenl  prise  en 
mauvaise  part,  pour  designer  des  poursuites 
hostiles;  S.  Marc,  a  la  suite  des  Septante,  la 
prend  en  bonne  part,  afm  de  caracleriser 
le  zele  avec  lequel  les  disciples  coururent 
en  tous  lieux  puur  chercher  Jesus.  —  Simon 
et  qui  aim  illo  erant;  c'est-a-dire  les  trois 
compagnons  de  S.  Pierre  :  Andre,  Jacques  et 
Jean.  Celte  tournure  est  a  remarquer.  II  est 
evident  que  I'Evangeliste  accorde  ici  a  Simon 
une  preeminence  sur  les  autres  amis  de  Je- 
sus. C'est  la  primaute  par  anticipation.  «  Jam 
Simon  est  eximius. »  Bengel.Cfr.  Luc.  viii,  43  ; 
IX,  32. 

37.  —  Quum  invenissent  eum.  II  leur  fallut 
sans  doule  plusieurs  heures  avant  de  decou- 
vrir  la  retraite  du  bon  Maitre.  —  Omnes  quce- 
funt  te.  Ces  paroles,  qu'ils  prononcerenl  en 
Tabordant,  prouvent  que.  des  I'aube  du  jour, 
le  concours  de  la  veille  avait  recommence  de 
plus  belle.  On  voulait  encore  voir  Jesus  et 


obtenir  de  lui  de  nouveaux  bienfaits.  Ce  fut 
une  grande  deception  quand  on  apprit  qu'il 
avait  disparu.  Tous  se  mirent  alors  en  quete 
pour  le  trouver.  S.  Luc,  iv,  42,  ajoule  ici  une 
ligne  significative  qui  nous  aidera  a  mieux 
comprendre  la  reponse  subsequente  du  Sau- 
veur, t.  38  :  «  Turbae  requirebant  eum  et 
venerunt  usque  ad  ipsum  ;  et  delinebant  ilium 
ne  discederet  ab  eis.  »  —  La  conjonction  quia 
est  recitative. 

38.  —  £amws.  Jesus  ne  saurait  entrer  dans 
les  desirs  du  peuple  de  Capharnaiim  :  il  n'a 
pas  le  droit  de  reslreindre  a  cette  ville  le  don 
de  sa  presence,  de  ses  miracles  et  de  sa  pre- 
dication. D'autres  cites,  d'autres  bourgades 
I'attendent,  et  il  va  sans  plus  tarder  se  diri- 
ger  vers  elles.  —  On  lit  dans  plusieurs  ma- 
nuscrits  grecs  (B.  C.  L.  Sinait.)  aywjjLEv  d),).oiy_ou, 
allons  ailleurs;  raaisd"autresmanusciilSiA,D, 
E,  etc.)  ont  simploment  aywfiev,  comuie  la 
Vulgate.  —  Le  subslantif  y.w[io:i6).eii;,  que 
notre  version  latine  a  traduit  inexactement 
par  vicos  et  civitates,  ne  se  rencontre  qu'en 
cet  endroil.  C"est  une  expression  composee, 
qui  equivaut  litleralement  a  «  bourgades- 
villes  »,  el  qui  designe  les  bourgs  alors  si 
nombreux  de  la  Galilee,  trop  petits  pour  etre 
appeles  des  villes,  mais  Irop  gros  pour  etre 
sunplement  nommes  villages.  Cfr.  Jos.  Bell. 
Jud.  Ill,  II,  i  ;  Bretschneider,  Lexic.  man. 
N.  T.  t.  I,  p.  628.  L'epithete  proximos 
{iXo\iiyaLz,  a  la  ibrme  moyenne,  est  ties  clas- 
sique  dans  ce  sens  ;  voir  les  Lexiques.  Comp. 
aussi  Luc.  xiii,  33;  Act.  xx,  15;  Hebr. 
VI,  91  raontre  que  Jesus  commenga  son  tour 
de  missionnaire  par  les  localites  voisines 
de  Capharnaiim  :  c'etaient  Dalmanulha,  Co- 
rozain,  Belhsalda,  Magdala,  etc.  —  Ad  hoc 
enini  veni.  «  Ad  hoc  »,  c'est-a-dire  pour 
faire  entendre  la  bonne  nouvelle  a  toute  la 
contree,  et  pas  seulement  a  une  ville  spe- 
ciale.  Mais  quelle  esi  bien  ici  la  signification 
du  verl>3  «  veni  »?  Quel  est  le  point  de  de  • 
part  auquel  Jesus  fait  allusion?  II  vient  de 
Capharnaiim,  repond  de  Wette.  De  la  vie 
privee,  dit  Paulus.  De  sa  relraite  solitaire, 
t.  33,  ecrit  Meyer.  Interpretations  mise- 
rables,  dignes  dii  rationalisme!  Comrae  si 
Jesus  ne  voulait  point  parler  dans  ce  verset 


CHAPITRE   I 


3» 


39.  Et  erat  prsedicans  in  synago- 
gis  eorum,  et  in  omni  Galilsea,  et 
dsemouia  ejiciens. 

40.  Et  venit  ad  eum  leprosus  de- 
precans  eum ;  et  genu  flexo,  dixit 
el  :  Si  vis,  potes  me  mundare. 

MaUh.8,2■,Lltc.5,^% 

41.  Jesus  autem  misertus  ejus, 
extendit  manum  suam ;  et  tangens 
eum,  ait  ilji  :  Volo,  mundare. 

42.  Et  cum  dixisset,  statim  dis- 
cessit  ah  eo  lepra;  et  mundatus  est. 


39.  Et  il  precliait  dans  leurs  sy- 
nas^ogues  et  dans  toute  la  Galilee, 
et  il  chassait  les  demons. 

40.  Or,  un  lepreux  vint  a  lui  en 
le  suppliant,  et,  flecliissant  le  ge- 
nou,  il  lui  dit :  Si  vous  voulez,  vous 
pouvez  me  purifier. 

41.  Et  Jesus,  ayant  pitie  de  lui, 
etendit  sa  main,  le  toucha  et  lui 
dit :  Je  le  veux,  sois  purifie. 

42.  Et  lorsqu'il  eut  dit  ces  mots, 
la  lepre  aussitot  se  retira  de  cet 
homme,  et  il  fut  gueri. 


da  but  de  I'Incarnation,  par  consequent  de 
sa  mysteriiuse  sortie  du  sein  du  Pere  ce- 
leste !  11  n'est  [)a3  possible  d'expliquer  autre- 
ment  notre  passage.  C'est  ainsi  du  reste  que 
I'ont  compris  les  anciens  interpretes  :  el;  touto 
ilz>.r{>v^7.,  ~f,q,  GeoTYiTo;  auioO  t/iv  a06iv:tav  OtzoSt,- 
),(i)v,  Poss.  Cat.  li.  1.;  t6  6s  'E^sX'^Xuea,  w;  Oco;, 
Euthymius.  Ajoiilons  que  les  paroles  pronon- 
cees  par  Notre-Seigneur  d'apres  la  redaction 
de  S.  Luc,  IV,  41,  ne  permettent  pas  d'aulre 
exegese.  Cfr.  Joan,  xvi,  28.  —  Le  verbe  grec 
eH£),yi),vi6a  serait  mieux  traduitpar  a  exivi.  »La 
Vulgate  a  dii  lire  gXr^Xyfia,  de  raeme  que  les 
versions  copte,  syriaque,  armenienne  et  go- 
thique. 

39.  —  Et  erat...  Cette  tournure  est  a  re- 
marquer  :  elle  indique  une  continuite,  une  ha- 
bitude reguliere. —  Jesus  execute  immediate- 
ment  son  dessein.  QuiHant  Capharnaiim  avec 
ses  disciples,  il  se  met  en  route  a  travers  la 
Galilee,  repandant  en  tous  lieux  les  bonnes 
paroles,  prcBclicaus,  et  les  bonnes  oeuvres, 
dcemonia  ejiciens.  S.  Jlatthieu,  iv,  13,  est  plus 
explicite  relativement  aux  miracles  du  Cnrist 
pendant  ce  premier  voyage  apostolique  :  «  Sa- 
nans  omnem  languorem  et  omnem  infirmita- 
tem  in  populo.  »  —  Gombien  de  temps  dura 
la  mission  donl  S.  Marc  nous  donnc  un  som- 
maire  si  rapide  ?  Quelques  mois  probable- 
ment ;  toulefois,  les  donnees  evangeliques 
sont  trop  vagues  pour  qu'on  puisse  repondre 
d'une  maniere  precise  a  cette  question.  Cfr. 
II,  1.  —  La  conjonction  ef,  placee  par  la 
Vulgate  apres  synagogis  eorum,  n'exisle  pas 
dans  le  grec ;  elle  n'a  du  reste  aucune  raison 
d'etre,  car  elle  trouble  plulot  le  sens.  La  Ga- 
lilee fut  le  theatre  general  de  I'apostolat  de 
Jesus  :  les  synagogues  etaient  le  theatre  par- 
ticulier  de  sa  predication. 

4.  —  Guerison  d'un  lepreux.  Retraite  dans 
des  lieux  deserts,  i,  4U-43.  —  Parall.  Malth. 
VIII,  2-5;  Luc.  v,  12-ltJ. 

40.  —  Et  venit.  Ce  verbe  est  au  present, 
Ipxexai.  La  scene  se  passa,  d'apres  S.  Luc, 


dans  une  des  villes  evangelisees  par  Jesus 
durant  la  mission  qui  vient  d'etre  si  brieve- 
ment  racontee.  C'est  un  episode  interessant, 
que  les  trois  Synoptiques  ont  releve  de  con- 
cert, a  cause  du  grand  exemple  de  foi  que 
donna  le  lepreux.  Le  recit  de  S.  Marc  est  de 
nouveau  le  plus  complet,  le  plus  vivant.  — 
Leprosus.  Sur  cette  terrible  maladie  de  I'O- 
rient,  voyezFEvangile  selon  S.  Matth.,  p.  153. 

—  Genu  flexo.  Belle  altitude  de  supplication, 
qui  manifesto  deja  la  foi  du  malade.  —  Sa 
priere,  Si  vis,  potes  me  mundare,  est  d'une 
exquise  delicatesse.  II  appelle  justement  s? 
guerison  une  purification,  car,  aux  termes 
de  la  loi  juive,  quiconque  elait  atteint  de  la 
lepre  etait  impur  par  la-meme.  Cfr.  Jahn, 
Archaeolog.  bibl.  §  386. 

41  et  42.  —  Misertus  ejus.  S.  Marc  seul 
mentionne  ce  sentiment  du  coeur  de  Jesus.  Le 
bon  Maitre  s'attendrit  a  la  vue  des  souffrances 
de  I'infortune  qui  est  agenouille  devant  lui. 

—  Extendit  manum.  «  Manus  ilia  exlensa  po- 
lentiae  et  voluntatis  est  signum.  »  Fr.  Luc. 
Cette  main  si  pure  et  si  puissante,  Jesus  ne 
craint  pas  de  I'appliquer  sur  le  corps  du  le- 
preux, tangens  eum,  malgre  lasusceptibililede 
la  Loi.  II  n'avait  pa-;  a  craindre  de  souillure, 
lui  qui  enlevait  au  contraire  toute  impuret^ 
physique  et  morale.  —  Volo,  mundare.  Des 
qu'il  eut  prononce  ce  mot  raajestueux,  qu'il 
daignait  emprunter  a  la  priere  meme  du  le- 
preux, t.  40,  le  malade  ful  gueri  a  I'ins- 
tant;  ce  qui  donne  occasion  a  S.  Marc  de  re- 
peter  encore  I'ad  verbe  favori,  £u9c'w;,au  moyen 
duquel  il  aime  tant  a  accentuer  la  rapidile 
des  prodiges  de  Jesus. 

43  et  44.  —  Ces  versets  contiennent  deux  in- 
jonctionsduSauveur  adresseescj  celui  qu'il  ve- 
nait  de  guerir.  Et  com\ninatus  est  ei:  I'expres- 
sion  grecque  correspondante,  enSptjiriaitAsvo; 
aO-w,  est  d'une  force  extraordinaire.  Le  verbe 
eij.Spi[i.do[xat,  qu'on  ne  trouve  qu'en  cinq  en- 
droits  du  Nouveau  Teslament  (Malth.  ix,  30; 
Marc.  I,  43 ;  xiv,  '6 ;  Joan,   xi,  33,  38),  si- 


40 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


43.  Et  Jesus  le  menaca  et  le  ren- 
Toya  a  I'instant, 

44.  Et  lui  dit  :  Prends  garde  de 
ne  le  dire  a  personne;  mais  va, 
montre-toi  au  prince  des  pretres, 
et  ofFre  pour  ta  purification  ce  que 
Moise  a  prescrit,  pour  que  cela  leur 
soit  un  temoignage. 

4b.  Mais,  etant  parti,  il  commenca 
a  raconter  et  a  publier  partout  la 
chose,  de  sorte  que  Jesus  ne  pou- 
vait  plus  entrer  publiquement  dans 


43.  Et  comminatus  est  ei,  statim- 
que  ejecit  ilium; 

44.  Et  dicit  ei :  Vide  nemini  dixe- 
ris;  sed  vade,  ostende  te  principi 
sacerdotum,  et  offer  pro  emunda- 
tione  tua  quse  prsecepit  Moyses  in 
testimonium  illis. 

Lev.  14,  2. 

45.  At  ille  egressus  coepit  praedi- 
care,  et  diffamare  sermoueni ;  ita  ut 
jam  non  posset  manifesto  introire 
in  civitatem,  sed  foris  in  desertis 


gnifie  tantot  etre  sous  le  coup  d'une  vive  indi- 
gnation, lant6l,et  c'est  ici  le  cas,  donner  un 
ordre  sur  un  ton  severe  et  raenagant  (|x£Ta 
d7t£'.),7ii;  £v-ceXX6(X£vo? ,  Hesyctiius ;  auffTripwi; 
ili.Sle'^ai  xal  eirtoeiffa?  triv  x£<?a).riv,  Eulhym.) 
Sa  racine  Ppe[A  le  rapproche  d'une  longue 
categorie  de  mots  latins  (from)  et  sanscrils 
(brahm)  ayant  une  signilication  analogue. 
Voila  done  que  Jesus,  qui  s'etait  altendri  sur 
I'etat  du  lepreux,  le  menace  maintenanl  apres 
I'avoir  gueri!  — Stalimque  ejecit  eum.  Encore 
tyOew;!  Jesus  renvoie  brusquenient  le  iepreux, 
sans  lui  permettre  de  demeurer  plus  long- 
temps  aupres  de  lui.  Ces  deiails  sont  speciaux 
a  S.  Marc.  Le  Sauveur,  par  cette  conduite 
severe,  se  proposait  d'intimcr  avec  plus  d'e- 
nergie  les  ordres  qu'il  allait  donner.  —  Pre- 
mier ordre  :  Nemini  dixeris.  Dans  le  grec,  il 
y  a  deux  negations,  (Arioevl  [i.r,Sev  etTt^,?,  «  ne 
cuiquam  quidquam  dica-^  »,  ce  qui  est  con- 
forme  au  genre  de  S.  Mai  c,  Cfr.  la  Preface,VII. 
Jesus  redoute  les  agitations  politiques  de  la 
foule  :  de  la  ces  soins  minulieux  qu'il  prend 
pour  les  empecher.  II  veut  agir  sur  les  esprits 
plutot  par  le  dedans  que  par  le  dehors,  les 
convertir  et  non  les  eblouir  :  c'est  pourquoi  il 
recoramande  si  souvent  le  silence  a  ceux  qu'il 
a  gueris.  Voyez  I'Evangile  selon  S.  Matlh., 
p.  154.  —  Second  ordre  :  Vade,  a  Jerusalem, 
ostende  te  principi  sacerdotum,  ou  mieux,  d'a- 
pres  le  grec,  «  sacerdoli  »,  tw  lepet,  au  pretre 
de  semaine,  et  offer...  —  Le  detail  de  ces  sa- 
crifices est  indique  lout  au  long  dans  le 
chap.  XIV  du  Levilique.  Cfr.  Jahn,  Arch, 
bibl.  §  386.  —  ]n  testimonium  illis.  Les 
hommes  sauront  ainsi  que  tu  es  entierement 
gueri,  et  ils  I'admeltront  do  nouveau  dans 
les  rangs  de  la  sociele.  Ti'l  est  probablement 
le  veritable  sens  de  ces  mots  sur  lesquels  on 
a  beaucoup  discute.  Voir  noire  Gommentaire 
surS.  Matlh.  p.  455. 

43.  —  Egressus.Le  Iepreux  s'eloigne  comma 
le  voulait  Jesus;  bi-nlot  sans  doule  il  alia 
faire  declarer  officiellemenl  sa  guerison  par 
les  pretres.  Quant  a  I'ordre  qui  lui  enjoignait 


le  silence,  il  n'en  tint  aucun  compte.  Tout  au 
contraire,  coepit  prwdicare  et  diffamare  ser- 
monem.  Les  senlimenls  de  joie  et  de  recon- 
naissance qui  remplissaient  son  ame  furent 
plus  forts  que  son  desir  d'obeir  au  Sauveur. 
Du  reste,  il  ne  fut  pas  le  seul  a  se  conduir© 
ainsi :  plusieurs  aulres  malades  miraculeuse- 
nient  rendus  a  la  sante  par  Notre-Seigneur 
agirent  de  memo  dans  des  circonslances  ana- 
logues. Cfr.  Matlh.  ix,  30  el  suiv.;  Marc. 
VII,  36.  —  Le  texte  grec  ajoute  uoXXa  apres 
xyipij(j(T£iv,  «  praedicare  mulla  »,  c'est-a-dire, 
suivant  I'excellente  explication  de  Maidonat, 
«  multa  in  laudem  Christi  dicere.  »  Le  verba 
«  diffamare  »  doit  evidemment  se  prendre  en 
bonne  part,  car  le  grec  Statpyitxi^etv  signifie 
«  longe  lateque  famain  spargere  »,  divulguer. 
«  Sermonem  »  est  un  hebrai'sme  pour  «  rem  »  ; 
-\21  est  souvent  employe  de  la  meme  nianiere. 
—  Itaut  jam...  Le  resultat  de  celle  indiscre- 
tion fut  immense  :  il  est  decrit  par  I'Evange- 
liste  d'une  maniere  Ires  piltoresque.  —  Non 
posset  manifeste...  Jesus  perdit  une  grande 
partie  de  sa  liberie  d'action  :  il  ne  pouvait 
plus  se  montrer  dans  les  villes  sans  exciter  de 
vifs  mouvemenls  d'enthou-;iasme.  Lfi  trait  ra- 
conte  par  S.  Marc  au  debut  du  chapiire  sui- 
vant (ii,  2)  prouvera  jusqua  quel  point  allait 
cet  enlhousiasme.  —  In  civitatem;  dans 
quelque  ville  que  ce  fiit,  car  il  n'y  a  pas  d'ar- 
ticle  dans  le  grec,  el;  uoXtv. —  Sea  foris  m  de- 
sertis locis.  Le  divin  Maitre  fut  done  oblige 
de  se  retirer  dans  les  solitudes  meniionnees 
plus  haut  (note  du  t.  33;  Cfr.  Schcgg,  Ge- 
denkbuch  einer  Pilgerreise,  I.  II,  p.  300-302) 
et  de  vivre  eloigne  des  hommes,  contraire- 
ment  a  ses  desseins  apostoliques  (t.  38).  «  Fo- 
ris »,  dehors  par  rapport  aux  villes.  C'est 
par  emphase  que  I'adjeclif  epyjaois  precede  1© 
substantif.  Cfr.  Beelen,  Gramm.  p.  216.  — 
Et  conveniebant  ad  eum.  Autre  trait  char- 
manl:  Jesus  a  beau  faire,  la  multitude  qu'iJ 
a  ravie  sail  le  Irouver  quand  meme;  ou  plu- 
tot, Jesus  ne  sa  propose  pas  de  fuir,  mais 
simplement  d'eviter  des  manifestations  aussi 


CHAPITRE    11 


4t 


locis  esset;  et  conveniebant  ad  eum 
undique. 


aucune  ville,  mais  se  tenait  dehors 
en  des  lieux  deserts,  et  Toii  venait 
a  lui  de  tous  cotes. 


CHAPITRE    II 

La  guerison  d'un  paralytique  est  pour  Jesus  I'occasion  d'un  premier  conflit  avec  les  Scribes 
[tt.  4-12).  —  Vocation  de  Levi  [t.  i3).  —  Le  repas  donne  a  Notre-Seigneur  par  le  nouvel 
Apolre   suscile  un  second  conQit  (*Sr.  14-22).—  Troisieme  conflit,   occasionne   par  la 

"   conduits  des  disciples  en  un  jour  de  sabbat  (ift.  23-28). 


i .  Et  iterum  intra vit  Gapharnaum 
post  dies; 

Matth.  9,  1. 

2.  Et  auditum  est  quod  in  domo 
esset,  et  convenerunt  multi,  ita  ut 


1.  Et  il  antra  de  nouveau  dans 
Gapharnaum  apres  quelques  jours. 

2.  Et  Ton  apprit  qu'il  etait  dans 
la  maison,  et  ils  accoururent  en  si 


imprudentes  qu'inutiles.  II  se  livrait  done  k 
I'exercice  de  son  ministere  envers  les  bonnes 
ames  qui  parvenaienl  a  le  rejoindre. 

Ce  premier  chapitre  de  S.  Marc  nous  a  re- 
vele de  grandes  choses  sur  Jesus.  Nous  I'avons 
vu  faire  majestueusement  son  apparition  en 
qualitede  Messie,  precede  de  son  Precurseur, 
entoure  deses  premiers  disciples,  parcourant 
la  Galilee  comme  un  conquerani  pacifique 
des  cceurs,  excitant  partoul  I'admiration  par 
son  enseignement  ei  parses  miracles.  Aucune 
intention  hostile  ne  s'esl  encore  manifestee 
contre  lui.  S'il  etait  permis  demployer  un 
pareil  langage,  nous  dirions  que  c'est  le  beau, 
I'heureux  temps  du  Sauveur,  que  S.  Marc 
nous  a  decrit. 

Ce  chapitre  nous  a  rdvele  en  mSme  temps 
le  «  genre  »  de  notre  Evangeliste.Le  portrait 
de  S.  Marc  en  tant  qu'ecrivain,  tel  que  nous 
i'avtons  trace  dans  la  Preface,  s'est  trouve 
completementjusliBedes  les  premieres  lignes: 
brievete,  precision,  animation,  pittoresque, 
clarte,  interet.  A  coup  sur  cette  narration 
nous  a  plu;  suivons-la  done  jusqu'a  la  fin 
avec  amour. 

6. —Premiers  conflits  de  J6sus  avec  les 
Fharisiens  et  les  Scribes,  n,  l-iii,  6. 

Apres  les  manifestations  de  I'amour,  vien- 
nent  les  manifestations  hostiles.  Nous  allons 
en  effet  assister  aux  premiers  conflits  de 
Jesus  avec  sesennemis,  les  Scribes  et  les  Pha- 
risiens.  L'Evangeliste  va  raconter  suceessive- 
ment,  dans  ce  second  chapitre  et  dans  les  six 
premiers  versets  du  troisieme,  quatre  episodes 


qui  decriront  I'origine  de  la  lutte  en  Galilee 
et  les  premiers  combats. 

a.  Le  paralytique  et  le  pouvoir  de  remettre  les 
p^che's.  It,  1-12.  —  Parall.  Matth.  ix,  1-8;  Luc. 
V,  17-26. 

Chap.  ii.  —  1.  —  Et  iterum...  Get  «  ite- 
rum »  f%it  allusion  au  t.  21  du  chapitre  pre- 
cedent. Jesus,  apres  la  grande  course  aposto- 
lique  esquissee  plus  haut,  regagne  done  son 
centre  d'action.  Mais  Capharnaiim  se  trans- 
forme  aussitot  pour  lui  ea  un  champ  de  ba- 
taille.  —  Post  dies;  en  grec  Si'^pLepwv,  la  pre- 
position Sia  ayant  le  sens  de  «  post  ».  Cette 
ibrmule  est  tres  vague  et  indique  simple- 
ment,  sans  rien  preciser,  qu'un  certain 
nombre  de  jours  s'etaient  ecoules  depuis  que 
Jesus  avait  quitte  sa  ville  d'adoption.  Elle 
equivaut  a  la  phrase  latine  «  interjectis  die- 
bus  ».  C'est  par  suite  d'une  interpolation 
evidence  que  plusieurs  manuscrits  grecs  et 
latins  portent  :  Apres  huit  jours.  Ce  serait 
une  contradiction  avec  les  details  donnes  plus 
haut,  I,  38,  39. 

2.  —  Auditum  est...  Selon  sa  coutume, 
S.  31arc,  avant  de  raconter  le  fait  principal, 
decrit  d'abord  en  peu  de  mots  les  circon- 
stances  preliminaires.  II  est  vraiment  drama- 
lique  dans  ce  verset,  ou  plutot  il  Test  dans 
loute  cette  narration,  car  il  depasse  S.  Luc 
lui-meme  par  la  vivacite  des  couleurs.  — 
Bien  que  Jesus  eut  affecle  de  voyager  depuis 
quelque  temps  en  secret,  i,  45,  et  qu'il  eut 
probablement  choisi  la  nuil  pour  renlrer  a 
Capharnaiim,  le  bruit  de  son  arrivee  ne  tarda 


42 


£VAN&ILE  SELON  S.  MARC 


grand  nombre  que  I'espace  meme 
en  dehors  de  la  porte  ne  pouvait  les 
contenir  et  il  leur  prechait  la  pa- 
role. 

3.  Et  on  vint  lui  presenter  un  pa- 
ralytique  qui  etait  porte  par  quatre 
hommes. 

4.  Et,  comme  ils  ne  pouvaient  le 
lui  presenter  a  cause  de  la  foule,Hs 
denuderent  le  toit  au-dessus  du  lieu 


non  caperet  neque  ad  januam;  et 
loquebatur  eis  verbum. 


.  3.  Et  venerunt  ad  eum  ferentes 
paralyticum,  qui  a  quatuor  porta- 
batur. 

Luc.  5, 18. 

4.  Et  cum  non  possent  offerre 
eum  illi  pree  turba,  nudaverunt  te- 
ctum ubi  erat;  et  patefacientes,  sub- 


pas  a  se  repandre.  Un  parfum  peut-il  rester 
cache?  —  Quod  in  domo  esset.  Plusieurs  ma- 
nuscrits  grecs  ont  ev  olyJii  (B,  D.  L,  Sinait.) ; 
la  pluparl  ont  neanmoins  el;  olxov  avec  I'ac- 
cusatif,  et  telle  est  selon  toute  apparence  la 
lecon  primitive.  C'est  la  una  sorte  de  cons- 
truction pregnante  eqnivalanla  «  quod  in  do- 
mum  rediisset  »  (Voyez  Winer,  Gramm.  des 
neutest.  Sprachidioms,  6e  ed,  p.  369).  Les 
classiques  employaient  aussi  celte  tournure, 
el  les  Allemands  disenl  de  meme  :  Et  ist  in's 
Haus.  —  La  maison  en  question  etait  cellede 
S.  Pierre,  ou  bien  celle  que  Jesus,  d'apres 
divers  exegetes,  aurait  louee  a  Capharnaiim 
pour  y  demeurer  dans  I'inlervalle  de  ses 
voyages.  —  Coiwenerunt  multi.  Un  grand 
concours  se  forme  en  un  instant  dans 
I'interieur  et  aux  abords  de  la  maison.  Un 
trait  grapliique,  particulier  au  second  Evan- 
gile,  montre  dune  maniere  saisissante  jus- 
qu'a  quel  point  I'a-semblee  ainsi  formee 
etait  nombreuse  :  Ita  tit  non  caperet...  La 
pensee  est  claire,  bien  que  la  phrase  de  la 
Vulgate  soit  a  peu  pres  incomprehensible 
dans  ce  passage.  L'Evangeliste  veut  dire  que 
non-seulement  les  apparlements  interieurs 
furent  bienlot  envahis  par  la  foule,  mais  que 
les  alentours  de  la  porte,  a  I'exterieur,  regor- 
geaient  eux-memes  de  visiteurs.  Voici  main- 
tenant  le  lexte  grec  :  &axs.  [irr/.iii  yjjipziy  ^rfil 
TaTtpo?  TTjv  6'jpav,  «  ita  ut  jam  non  caperent 
nee  quae  ad  januam  »,  ou  plus  litteralement 
encore  en  franQais  :  A  tel  point  que  les  envi- 
rons memes  de  la  porte  ne  pouvaient  plus 
contenir  personne.  L'expression  ra  7tp6;  ttiv 
Oiipav  (sous-enteudu  (xeprii  est  synonyme  de 
Tsc  irpoOupa,  et  do^igne,  d'apres  les  anciens 
jButeurs,  le  vestibule  exterieur  des  maisons, 
une  sorte  de  cour  habituellement  muree  qui 
les  separait  de  la  rue  ( '.<  quae  sunt  ante  ja- 
nuam vestibula  »,  Vitruve;  «  locus  ante  ja- 
nuam domus  vacuus  per  quern  a  via  aditus 
accessusque  ad  aedes  est  »,  Aul.  Gell.  xvi,  5). 
II  y  a  done  dans  la  description  un  «  a  for- 
tiori »  tres-energique ;  car  si  la  cour  exte- 
rieure  etait  elle-meme  completement  remplie 


par  la  foule,  a  coup  sur  il  ne  devait  pas  y 
avoir  une  seule  place  libre  dans  les  apparte- 
ments.  Comme  Jesus  etait  alors  aime  de  ce 
bon  peuple ! — Loquebatur  eis  verbum ;  en  grec, 
Tov  ).6yov  avec  Tarlicle,  la  parole,  c'est-a-dire 
la  parole  par  excellence,  I'Evangile.  Et  I'au- 
diloire  toujours  grossissant  ecoutait  avec  ra- 
vissement. 

3  et  4.  —  Apres  la  mise  en  scene,  nous 
passons  a  I'episode  proprement  dit.  Quatre 
hommes  (detail  omis  par  les  autres  Evange- 
listes)  s'avancent,  portant  sur  leurs  epaules 
une  couchette,  sur  laquelle  est  etendu  un 
pauvre  paralytique  dont  ils  viennent  deman- 
der  la  guerison  au  divin  Thaumaturge.  Mais 
I'entree  de  la  maison  est  entierement  obstruee 
par  la  foule ;  il  leur  est  impossible  de  pene- 
trer  jusqu'aupres  de  Jesus?  Que  faire? 
Attendre  que  la  multitude  se  soit  dispersee? 
Non,  leur  foi  et  celle  du  malade  leur  suggere 
un  moyen  plus  rapide.  —  Nudaverunt  tectum. 
Pour  comprendre  cette  operation  et  celles 
qui  vont  suivre,  il  faut  se  souvenir  que  la 
scene  se  passe  en  Orient,  et  que  les  maisons 
orientales  differeiit  nolablement  de  nos  habi- 
tations europeennes.  D'abord  les  toits  sont 
plats  et  communiquenl  avec  la  rue  par  un 
escalier  ou  par  une  echelle.  Ils  sont  formes 
d'une  litiere  de  roseaux  ou  de  branchages 
etendus  sur  la  charpente,  d'une  couche  de 
terre  jetee  par  dessus  cette  couche  vegetale, 
et  enfin,  le  plus  souvent  du  moins,  quoiqu'il 
y  ait  des  exceptions  a  celte  regie,  d'une  gar- 
niture de  briques  reliees  ensemble  avec  de 
I'argile  ou  du  mortier.  Ajoutons  qu"habituel- 
lement  ils  sont  peu  eleves  au-dessus  du  sol. 
Cela  pose,  il  est  facile  de  concevoir  lo  com-, 
menl  les  porteurs  purent  hisser  le  paralytique 
sur  le  toit ;  2o  la  maniere  donl  ils  reussirent, 
sans  faire  de  bien  grands  degals,  a  y  percer 
une  ouverture  suffisanle  pour  que  le  malade, 
toujours  etendu  sur  son  grabat,  put  passer  a 
travers ;  3o  comment  il  leur  fut  possible  de 
descendre  leur  ami  jusqu'aux  pieds  de  Jesus. 
Voyez  Thomson,  The  Land  and  the  Book, 
Londres  4876,  p.  338  et  suiv.  On  lit  dane  le 


CHAPITRE    II 


43 


miserunt  grabatum  in  quo  paralyti- 
cus jacebat. 

b.  Cum  autem  vidisset  Jesus  fi- 
dem  illorum ,  ait  paralytico  :  Fili, 
dimittuntur  tibi  peccata  tua. 

6.  Erant  autem  illic  quidam  de 
scribis  sederites,  et  cogitantes  in 
cordibussuis: 

7.  Quid  hie  sic  loquitur?  blasphe- 
mat.  Quis  potest  dimittere  peccata, 
nisi  solus  Deus  ? 

Job.  14,  4  ;  Isai.  43,  25. 


ou  il  etait,  et,  faisant  une  ouver- 
ture,  ils  descend irent  le  grabat  oii 
le  paralytique  gisait. 

5.  Lorsque  Jesus  eut  vu  leur  foi, 
il  dit  au  paralytique :  Mon  fils,  tes 
peches  te  sont  remis. 

6.  Or,  il  y  avait  la  quelques  Scri- 
bes assis,  qui  pensaient  dans  leur 
coBur  : 

7.  Pourquoi  celui-la  parle-t-il 
ainsi?  II  blaspheme.  Qui  pent  remet- 
tre  les  peches,  si  ce  n'est  Dieu  seul? 


Talmud  de  Babylone,  Moed  Kalon,  f.  25,  1, 
qu'iin  Rabbin  elanl  inort,  on  ne  put  faire 
passer  son  cercueil  par  la  porte  de  la  mai- 
son.  On  fill  conlraint  de  le  mooter  siir  le  toit, 
d'oii  on  le  descendit  ensuite  dans  la  rue. 
C'est  le  rebours  de  notre  hisloire,  dont  la 
possibilite  se  trouve  par  la-meme  confirmee. 
—  Ubi  erat.  On  a  pense  parfois  que  ces  mots 
designaient  rouepwov  ou  chambre  haute  de  la 
maison,  parce  que  les  Rabbins  choisissaient 
volontiers  cet  appartement  pour  y  donner 
leurs  leQons;  mais  c'est  une  conjecture  peu 
probable,  soit  parce  que  toutes  les  habitations 
n'elaient  pas  munies  d'une  chambre  haute, 
soit  parce  qu'il  est  plus  conforme  au  contexts 
de  dire  que  Jesus  etait  alors  au  rez-de-chaus- 
see.  —  Patefacientes  :  le  grec  est  plus  ener- 
gique,  £?opu(javT£<;,  «  quum  effodissent  ».  — 
Submiserunt,  mieux  «  submiltunt  »,  y^xliaai-, 
au  temps  present  aime  de  S.  Marc.  —  Gra- 
batum. En  grec  xpa66aTov  :  c'est  une  de  ces 
expressions  latines  grecisees  par  S.  Marc, 
dont  nous  avons  parle  dans  la  Preface,  IV,  3. 
Les  anciens  appeiaient  grabat «  un  lit  petit  el 
bas  du  genre  le  plus  commun^Cic.  Div.  ii,  63; 
Virg.  Moret.  5),  semblable  a  ceux  dont  so  ser- 
vait  le  pauvre  peuple,  n'ayant  qu'un  reseau 
de  cordes  etendu  sur  un  chassis  (Lucil.  Sat. 
VI,  13;  Petr.  Sat.  i>7)  pour  supporter  le  raa- 
lelas.  »  Ant.  Rich,  Dictionn.  des  Antiquites 
rem.  et  grecq.  s.  v.  Grabatus. 

5.  —  Quum  vidisset...  fidem  eorum.  Cetto 
foi  etait  vive  et  profonde,  comme  venait  de 
le  montrer  la  conduile  qu'elle  avait  inspiree. 
Elle  avait  rcnverse  tous  les  obstacles;  aussi 
Jesus  lui  accorde-t-il  aussitot  la  recompense 
qu'elle  merilait.  —  Fili,  te-xvov,  douce  parole 
qui  dut  aller  au  ccEur  du  malade,  et  lui  an- 
noncer  que  ses  voeux  etaient  exauces.  Elle  ne 
prouve  pas  qu'il  fut  plus  jeune  que  Jesus,  car 
elle  est  prise  ici  au  moral,  de  meme  qu'en  un 
grand  nombre  de  passages  classiques.c  Saepius 
TExvov  est  blandientis  et  excitanlis  vocabu- 
lum  »,  Palairet,  Observat.  p.  33.  Le  mot  do 


S.  Luc,  avSpwue,  est  plus  froid ;  S.  Matthieu 
a  teV.vov,  comme  S.  Marc.  —  Dimittuntur  tibi 
peccata.  Voir  dans  I'Evang.  selon  S.  Mallh. 
p.  172,  le  motif  special  pour  lequel  Jesus  lint 
au  paralytique  ce  langage,  qui  semble  tout 
d'abord  ne  pas  se  rapporter  a  la  situation. 
Les  anciens  etaient  d'ailleurs  portes  a  regar- 
der  le  mal  si  terrible  el  si  soudain  de  la  pa- 
ralysie  comme  le  chatiment  de  peches  secrets 
ou  publics.  —  Ces  mots  du  Sauveur  forment 
le  noeud  de  I'episode,  car  ce  sont  eux  qui 
vont  occasionner  le  conflit  avec  les  Scribes. 

6  et  7.  —  Erant  autem  illic...  D'apres 
S.  Luc,  il  y  avait  aussi  des  Pharisiens  dans 
I'assemblee,  independamment  des  Scribes. 
De  plus,  ils  etaient  venus  les  uns  et  les  aulres 
«  ex  omni  castello  Galilaeee  et  Judseae  et  Je- 
rusalem. »,  Luc.  V,  17.  Ils  etaient  done  la 
d'une  maniere  pour  ainsi  dire  officielle,  en 
vue  d'epier  le  Sauveur.  —  Cogitantes  vi  cor- 
dibus suis.  lis  formerent  tous  le  meme  juge- 
ment  temeraire;  toutefois,  il  ne  I'exprimerent 
pas  au-dehors.  La  promptitude  avec  laqueile 
Jesus  repondit  a  leurs  pensees  les  plus  se- 
cretes ne  leur  laissa  pas  le  temps  de  se  les 
comnmniquer.  Cfr.  le  t.  8.  La  locution  «  Cogi- 
tare  in  corde  »  est  un  hebraisme  :  d'apies  la 
psycbologie  des  anciens  Hebreux,lecoeuretai* 
regarde  comme  le  siege  et  le  centre  di>s  ope- 
rations intellectuelles.  —  Quid  hie  sic  loqui- 
tur, ouTo?  oiirw.  «  Hie  »  est  dedaigneux ; 
«  sic  »  est  pris  en  mauvaise  part  :  de  cette 
maniere  coupable.  —  Blasphemat.  Les  Rabbins 
juifs,  s'appuyant  sur  le  Levilique,  xxiv,  15 
et  16,  distinguaient  deux  sortes  de  blas- 
pheme :  le  plus  grief,  qui  etait  puni  de  mort, 
supposail  une  profanation  ouverte  du  nom 
divin  ;  I'aulre  existait  toutes  les  fois  qu'on 
avait  dit  quelque  chose  d'outrageant  pour 
Dieu,  mais  sans  prononcer  son  saint  nom. 
Cfr.  Sanhedr.  vi,  5.  C'est  de  ce  dernier  bias 
pheme  qu'ils  durent  accuser  Jesus,  puisqu'i 
n'avait  profere  aucun  des  noms  divins, 

8.  —  Quo  statim  cognito.  Le  Sauveur  se 


44 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


8.  Aussitot  Jesus,  ayant  connu 
par  son  esprit  qii'iis  pensaient  ainsi 
en  eux-memes,  leur  dit  :  Pourquoi 
pensez-vous  ces  choses  dans  vos 
coeurs  ? 

9.  Lequel  est  le  plus  facile,  de 
dire  au  paralytique  :  Tes  peches  te 
sont  remis,  ou  de  lui  dire  :  Leve- 
toi,  prends  ton  grabat,  et  naarche? 

1 0.  Or,  pour  que  vous  sachiez  que 
le  Fils  de  I'liomme  a  sur  la  terre  le 
pouvoir  de  remettre  les  peches,  (il 
dit  au  paralytique)  : 

11.  Je  te  le  commande,  leve-toi, 
prends  ton  grabat,  et  va  dans  ta 
maison. 

12.  Et  aussitot  celui-ci  se  leva  et, 
soulevant  son  grabat,  s'en  alia  de- 
vant  tout  le  monde,  de  sorte  aue 


8.  Quo  statim  cognito  Jesus  spi- 
ritu  suo,  quia  sic  cogitarent  intra 
se,  dicit  illis  :  Quid  ista  cogitatis 
in  cordibus  vestris? 

9.  Quid  est  facilius  dicere  paraly- 
tico  :  Dimittuntur  tibi  peccata;  an 
dicere :  Surge,  tolle  grabatum  tuum, 
etambula? 

10.  Ut  autem  sciatis  quia  Filius 
hominis  habet  potestatem  in  terra 
dimittendi  peccata,  (ait  paralytico  :) 

11.  Tibi  dico  :  Surge,  tolle  graba- 
tum tuum,  et  vade  in  domum  tuam. 

12.  Et  statim  surrexit  ille  :  et  su- 
blato  grabato,  abiit  coram  omnibus; 
ita  ut  mirarentur  omnes,  et  honori- 


plaint d'abord  deTinjiislice de ses adversaires. 
Pourquoi  formez-vous  sans  raisons  de  tels 
jugements?  leur  demande-t-il.  II  ne  I'ignorait 
point,  le  raisonnpment  qu'ils  appuyaient  sur 
ses  paroles  n'etait  nuiloment  inspire  par  un 
vrai  zele  pour  la  gloire  de  Dieu,  mais  par  la 
jalousie  et  le  mauvais  vouloir.  —  Spii-Uu  suo. 
Expression  emphatique  :  «  per  se,  non  alio 
euni  docenle  »,  Patrizi.  S.  Marc  a  I'inlention 
evidente  de  montrer  que  Jesus  lisait  au  fond 
des  coeurs  et  qu'il  y  decouvrait  les  impres- 
sions les  plus  cachees.  Les  Propheles  avaient 
parfois  une  science  sembiable,  mais  elle  leur 
etait  communiquee  par  I'Esprit  de  Dieu.  Jesus 
la  possede  au  contraire  par  son  propre  esprit : 
done  il  est  Dieu. 

9-1 1 .  —  Le  divin  Maitre  fait  maintenant  une 
argumentation  invincible  centre  les  Scribes. 
Ceux-ci  lui  ont  fourni  la  majeure  de  son  syl- 
logisme  :  Qui,  a  part  Dieu,  est  capable  de 
remettre  les  peches?  II  pose  lui-meme  la  mi- 
neure  :  Moi,  je  puis  remettre  les  peches;  et 
il  la  prouve  par  un  grand  miracle.  La  conclu- 
sion est  evidente,  bien  qu'elle  ne  soit  pas 
exprimee  :  Done,  j'agis  au  nom  de  Dieu,  ou 
mieux  encore  :  Done,  je  suis  Dieu.  Cfr.  Pa- 
Irizi,  In  Marc.  Comment,  p.  18.  Pour  I'expli- 
cation  des  details,  voir  S.  Malthieu,  ix,  4-6, 
etie  commenlaire.  —  Quid  est  facilius...  Voici 
une  excellenle  pensee  de  Victor  d'Antioche 
sur  les  paroles  de  Jesus  :  «  Quel  est  le  plus 
facile?  dire  ou  agir?  Le  premier,  evidem- 
ment,  altendu  que  le  resultal  n'est  soumis  a 
aucun  controle.Ehbien!  puisque  vous  refusez 
d'ajouter  foi  a  une  simple  a>sertion,  j'y  vais 
associer  les  fails,  qui  serviront  de  preuve  h 


ce  qui  ne  tombe  pas  sous  les  sens  ».  —  Filius 
hominis.  Cetle  expression  imporlante  el  mys- 
terieuse  est  employee  quatorze  fois  par  le 
second  Evangeiiste.  Son  origine  et  sa  significa- 
tion ont  ele  discutees  dans  I'Evang.  selon 
S.  Matth.,  p.  161  et  s.  Voir  au«si  une  savante 
dissertation  publiee  par  le  Dr  Krawutzcky 
dans  la  Theol.  Quartalschrifl  de  Tubin- 
gue,  1869,  p.  600  et  ss.  —  Ait  paralytico. 
Parenlhese  ouverte  par  S.  Marc  enlre  deux 
paroles  de  Jesus,  afin  de  mieux  eviter  toute 
amphibologie.  Le  pronom  tibi  da  *^.  1 1  est  ainsi 
netlement  determine.  Le  Sauveur,  qui  s'etait 
adresse  aux  Scribes  dans  les  versets  prece- 
dents, se  retourne  tout  a  coup  vers  le  malade, 
pour  prononcer  la  parole  de  salut  que  celui-ci 
attendait  avec  foi. 

12.  —  Et  statim  surrexit...  La  sc6ne  est 
pour  ainsi  dire  pholographiee,  tant  elle  est 
vivante  et  detaillee.  On  voit  le  paralytique  se 
dresser  sur  son  seant,  sauter  promptement  k 
bas  de  sa  couchette,  la  charger  sur  ses  epaules 
et  s'en  aller  coram  omnibus.  Comme  tous  les 
regards  devaient  etre  rives  sur  lui  I  —  Ita 
ut  mirarentur...  L'admiration  est  univer- 
selle,  ou  plulot,  suivant  I'energie  du  texte 
grec  (wdTe  £?i(jxa(T9ai  Ttavxa?,  Cfr.  Luc.  V,  26) , 
c'est  une  sorte  d'extase  qui  s'emparede  toute 
I'assistance,  tant  le  miracle  a  ete  frappant 
dans  ses  differentes  circonstances!  —  Et  glo- 
rificaretit  Deum.  Du  fait  surnaturel  dont  elle 
vient  d'etre  teraoin,  la  pieuse  foule  remonte 
aussitot  a  Dieu,  I'auteur  de  tout  don  parfait. 
Ainsi  done,  les  Scribes  accusaient  Jesus  de 
blaspheme,  et  voila  qu'au  contraire  il  avait 
porle  le  peuple  a  glorifier  le  Seigneur.  —  Les 


CHAPITRE   II 


45 


ficarent  Deum,  dicentes  :  Quia  nun- 
quam  sic  vidimus. 

13.  Et  egressus  est  rursum  ad 
mare;  omnisque  lurba  veniebat  ad 
eum;  et  docebat  eos. 

14.  Et  cum  prseteriret,  vidit  Levi 
Alphsei  sedentem  ad  telonium,  etait 
illi  :  Sequere  me.  Et  surgens  secu- 
tus  est  eum. 

Matlh.  9,  9;  Luc.  5,29. 

15.  Et  factum  est,  cum  accumbe- 


tous  admiraient  et  glorifiaient  Dieu, 
disant  :  Jamais  nous  n'avons  vu 
rien  de  pareil. 

13.  Et  Jesus  se  retira  de  nouveau 
pres  de  la  mer,  et  tout  le  peuple 
venait  a  lui,  et  il  les  enseignait. 

14.  Etjlorsqu'ilpassait,  ilvitLevi, 
fils  d'Alphee,  assis  au  bureau  de 
peage,  et  il  lui  dit :  Suis-moi;  et,  se 
levant,  il  le  suivit. 

lb.  Et  il  arriva  qu'etant  a  table 


Juifs  se  sont  autrefois  excuses,  dans  leur 
Talmud,  de  n'avoir  pas  cru  en  Jesus  parce 
qu'il  n'avail  pas  le  pouvoir  de  remettre  les 
peches  :  «  Penes  eum  non  erat  poteslas  remit- 
tendi  peccata  nostra,  nos  ergo  eum  repudia- 
vimus  »,  Sanhed.  fol.  38,  2,  Gloss.  L'excuse 
est-elle  bien  valable?  —  Voyez  dans  les 
Etudes  iconographiques  de  M.  Rohaiilt  de 
Fleury,  t.  I,  p.  471,  d'anciennes  representa- 
tions artistiques  de  la  guerison  du  paraly- 
tique. 

k.  Vocation  de  S.  Matthieu.  ii,  13-22.  —  Parall. 
Matth.  u,  9-17;  Luc.  v,  27-39. 

Les  trois  synoptiques  insistent  sur  ce  fait, 
a  cause  de  sa  grande  importance  au  point  de 
\ue  du  salut  messianique.  II  contenait  une 
profonde  leQon  soil  pour  les  juifs,  soil  pour 
les  paiens.  Un  publicain,  un  excommunie, 
Apotie  de  Jesus!  Personne  ne  doit  done  de- 
se^jierer  d'etre  sauve.  —  A  la  vocation  de 
Levi.  S.  Marc,  de  meme  que  les  auteurs  du 
prcMniei-  etdu  troisiemeEvangile,  rallache  un 
nouvel  exemple  de  I'opposiiion  maligne  des 
Pharisiens  centre  Jesus.  11  nous  montre  ces 
adversaires  acharnes  cherchant  et  trouvant 
partoul  des  occasions  de  conflit. 

1)  Le  publicain  L^vi  appele  par  J6sus.  ii,  13-14. 

13.  —  Egressus  est  rursus.  Jesus  sort  de 
Capharnaiim  ou  nous  I'avions  vu  entrer  au 
debul  de  ce  chapitre,  t.  1.  L'adverbe  «  rur- 
sus »  relombe  sur  les  mots  SLiivants,ad  mare, 
el  nous  rappelle  qu'une  fois  deja  (Cl'r.  i,  16) 
Noire-Seigiunir  etait  allesiirle  rivagedu  he. 
CeltR  nouvelle  sortie  aura  le  mem  •  lesultat 
que  la  premiere,  car  elle  aboutira,  elle  aussi, 
au  choix  d'un  nouvel  apotre.  II  n'ost  question 
de  la  mer  qua  dans  le  recit  de  S.  Marc  :  le 
concouis  du  peuple  aupres  di>  Jesus,  les  in- 
tructions  (lue  le  divin  Mail  re  hii  donna  avec 
son  zele  accoulume,  sonl  egalemenl  des  traits 
interessaiils  i|ui  apparticnnent  en  piopre  a 
noire  Evangelisle. 

44.  —  Et  mm  nrceteriret.  Le  sermon  fini, 


Jesus  continue  sa  promenade  sur  les  bords 
du  lac,  et  il  fait  en  un  clin  d'ceil  la  conquete 
d'un  Apotre.  —  Vidit.  Les  hommes  s'etu- 
dient  muluellement  avant  de  s'unir  par  des 
liens  durables;  a  Jesus  un  regard  suffit,  ses 
yeux  penetrant  jusqu'au  fond  des  cceurs  !  — 
Levi  Alphcei,  c'est-a-d ire  fils  d'Alphee,  selon 
le  sens  ordinaire  de  celle  tournure  hebraique. 
La  mention  du  pere  de  Levi  est  encore  une 
particularile  que  nous  devons  a  S.  Marc. 
Qu'elait  cet  Alphee?On  ['ignore  totalement: 
il  parait  certain  du  moins  qu'il  ne  faut  pas  le 
conlondre,  comme  on  I'a  fait  quelquefois, 
avec  le  pere  de  S  Jacques  le  Mineur.  Voyez 
I'Evang.  selon  S.  Mattli.  Preface,  §  I.  Quant  a 
Levi,  dont  le  nom  etait  si  celebre  chez  les 
Hebreux  (ilS.  intimite,  Cfr.  Gon.  xxvii,  34), 
on  a  toujours  generalement  admis  qu'il  ne 
differe  pas  de  S.  Matthieu.  Comparez  Apost. 
Const.  VIII,  c.  22;  Orig.  Preefat.  in  Epist.  ad 
Rom.,  Cat.  in  Matth.;  August,  de  Cons. 
Evang.  I.  II,  c.  xvi ;  Hieron.  de  Viris  Illustr. 
c.  HI.  L'identite  des  deux  personnages  n'a 
ete  que  tres-rarement  conteslee  dans  I'anti- 
quite  :  elle  Test  a  peine  de  nos  jours.  Cfr. 
Matlh.  IX,  9  et  le  Commentaire,  p.  173.  Levi 
etait  I'ancien  nom,  Matthieu  fut  la  denomina- 
tion nouvelle,  qui  indique  le  grand  change- 
raent  par  lequel  le  publicain  avail  ete  trans- 
forme  lout  d'un  coup  en  Apotre  du  Christ.  — 
Sequere  me!  Jesus,  dit  admirablement  Victor 
d'Anlioche,  reconnait  la  perle  qui  git  dans  la 
boue,  il  la  ramasse  et  fait  admirer  au  monde 
son  eclat.  —  Semtus  est  eum.  La  perle,  dirons- 
noiis  pour  conlinuer  celte  belle  image,  se 
laisse  volontiers  enchasser  par  le  divin 
joaillicr. 

2)  Le  repas  chez  L6vi  et  raccusation  des  Pharisiens. 
II,  13-17. 

15.  —  Quiim  (iccumheret.  Peu  de  temps 
apres  sa  vocation,  Levi,  soil  pour  honorer 
son  nouveau  Maitre,  soil  pour  prendre  conge 
de  ses  amis  el  de  ses  anciennes  foiiclions,  Qt 
un  repas  solennel  auquel  Jesus  assislait  avec 


46 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


dans  la  maison  de  cet  homme,  beau- 
coup  de  publicains  et  de  pecheurs 
y  etaient  en  meme  temps  avec  Je- 
sus et  ses  disciples,  carily  en  avait 
beaucoup  qui  le  suivaient  aussi. 

16.  El  les  Scribes  et  les  Phari- 
siens,  voyant  quil  mangeait  avec 
les  Publicains  et  les  pecheurs,  di- 
saient  a  ses  disciples  :  Pourquoi  vo- 
ire maitre  mange-t-il  et  boit-il  avec 
les  Publicains  et  les  pecheurs? 

17.  Jesus,  Tayant  entendu,  leur 
dit  :  Ge  ne  sont  pas  ceux  qui  ont 


ret  in  domo  illius,  multi  publicani 
et  peccatores  simul  discumbebant 
cum  Jesu  et  discipulis  ejus ;  erant 
enim  multi  qui  et  sequebantur  eum. 

IG.Etscribae  et  pharissei  videntes 
quia  manducaret  cum  publicanis  et 
peccatoribus,  dicebant  discipulis 
ejus  :  Quare  cum  publicanis  et  pec- 
catoribus manducal  et  bibit  Magis- 
ter  vester? 

17.  Hoc  audito,  Jesus  ait  illis  : 
Non  necesse   habent  sani  medico, 


ses  disciples.  Cfr.  Luc.  v,  29.  —  In  domo 
illius.  Evidemment,  il  s'agit  de  la  maison  de 
S.  Matthieu,  ainsi  qu'il  ressort  du  contexte  el 
des  recits  paraileles  :  quelqiies  exegeles,  abu- 
sant  de  rambiguite  de  I'expression,  ont  a  tort 
pretendu  que  le  feslin  avait  eu  lieu  dans  la 
maison  de  Notre-Seigneur.  —  Multi  publicani 
et  peccatores.  «  3Iulti  »  est  emphalique.  Jesus 
et  les  siens  n'etaient  done  pas  les  seuls  invi- 
tes :  Levi,  non  sans  raison,  car  il  pensait  pro- 
bablement  a  leur  bien  spiriluel,  avail  voulu 
meltre  en  contact  avec  le  Sauveur  lous  ses 
coUegues  d'autrefois.  Combien  ne  devail-il 
pas  desirer  qu'ils  se  converlissenl  a  leur 
tour!  —  Erant  enim  multi  qui  et...  «  Hoc 
solus  dixit  Marcus,  u  I  efficacitat  em  fructumque 
preedicalionis  Chrisli  declararet,  qua  moti 
eliam  mulli  publicani  el  peccatores  eum  lan- 
quam  magistrum  discipuli  sectarentnr.  Hanc 
vim  habet  parlicula  ilia,  et,  quasi  dicat  pu- 
blicanos  et  peccatores  mullos  non  solum  li- 
benter  audivisse  Christum...,  sed  secutos 
eliam  fuisse,  quoque  pergeret  »,  Maldonal. 
Fori  bien!  Car  cetle  derniere  phrase  du  ver- 
set  a  reellement  pour  but,  comme  le  monlre 
la  parlicule  «  enim  »,  d'expliquer  le  «  mulli  » 
qui  precede.  C'est  done  par  erreur  que  le 
P.  Patrizi.  In  Marc.  Comment,  p.  20,  rap- 
porte  les  mots  «  erant  enim...  »  aux  disciples 
de  Jesus  :  «  De  Chrisli  discipulis  Marcus  duo 
narrat,  eos  el  mullos  fuisse  el  magistrum 
sequi  solilos.  w  On  n'obtiendrait  ainsi  qu'un 
sens  tres-affaibli! 

-16.  —  Scribw  et  Phariswi  videntes.  Ge  repas 
devail  scandaliser  doublemenl  les  Pharisiens. 
Premier  scandale  :  Jesus  ne  craint  pas  de 
manger  avec  des  publicains  el  des  pecheurs! 
—  Videntes:  ils  ne  tarderenl  pas  a  s'en  aper- 
cevoir,  attendu  qu'ils  epiaient  constamment 
les  demarches  de  Jesus  pour  trouver  de  quoi 
I'accuser.  —  Dicebant  discipulis  ejus.  N'osanl 
s'adresser  directement  au  Maitre,  donl  ils 
redoulent  les  verles  repliques,  ils  prennent 
les  disciples  a  partie.  —  Quare.  On  lit  dans 


le  grec  tI  oti,  «  quid  est  quod?  »  —  Cum 
publicanis.  Ce  nora  designe  dans  les  Evan- 
giles  des  fonctionnaires  inferieurs,  charges  de 
recueillir  les  impots  au  nom  des  chevaliers 
remains,  auxquels  I'Etal  les  avail  afi'ermes: 
leur  vraie  denominaiion  serail  plutol  «  por- 
titores  ».  Ils  etaient  generalement  abhorres  a 
cause  de  leur  odieuse  rapacite.  Aussi  les  epi- 
grammes  abondent-elles  sur  eux  dans  les 
ouvrages  classiques.  Suetone  raconle,  Ves- 
pas.  I,  que  plusieurs  villes  erigerenl  des  sta- 
tues a  Sabinus  «  I'honnete  publicain  »,  el, 
comme  on  demandait  a  Theocrite  quelles 
etaient  les  betes  sauvages  de  la  pire  espece, 
il  repondit  :  «  Sur  les  moixtagnes  les  ours  et 
les  lions;  dans  les  villes  les  publicains  et  les 
mauvais  avocats.  »  Les  Juifs  avaienl  excom- 
munie  ceux  des  leurs  qui  se  livraienl  a  ce 
metier.  Voyoz  I'Evang.  selonS.  Matlh.  p.  124. 
Les  Pharisiens,  c'est-a-dire  les  separes,  d'a- 
pres  I'etymologie  de  leur  nom  Cfr.  Ibid, 
p.  71),  se  seraienl  bien  gardes  d"avoir  le 
moindre  rapport  avec  ces  homines  profanes 
et  impurs,  et  voici  que  Jesus  ne  craignail  pas 
de  nouer  avec  eux  les  relations  les  plus 
inlimes,  manducat  et  bibit  !Qteidi\i  la  un  spec- 
tacle inoui'  en  Israel,  de  la  part  d'un  docteur 
el  d'un  saint.  —  La  question  ne  fut  sans 
doute  posee  aux  disciples  qu'apres  le  feslin; 
car  les  Pharisiens  et  les  Scribes  n'enlrerent 
probablement  pas  dans  la  maison  du  publicain 
Levi,  surtout  alors  qu'elle  elail  remplie  de 
pecheurs. 

17.  —  Hoc  audito  Jesu.  Jesus  prend  lui- 
meme  la  parole  pour  faire  I'apologie  de  sa 
conduite.  Dans  sa  reponse,  il  developpe  d'a- 
bord  au  moyen  d'une  image,  puis  au  propre, 
I'ideal  de  son  ministere  parmi  les  hommes. 
—  Non  necesse  habent :  traduction  litterale  et 
assez  peu  latine  des  mots  grecs  oO  xP-'«'' 
exo-jcrtv,  pour  «  non  opus  habenl  ».  —  Soni. 
ol  ia'/cjoy-zti,  les  gens  robustes  el  biens  portants. 
Le  proverbe  cite  ici  par  Jesus  se  relrouve  a 
peu  pres  chez  lous  les  peuples.  Yoyez  I'Evang. 


CHAPITRE    II 


47 


sed  qui  male   habent  :  non  enim 
veni  vocare  justos,  sed  peccatores. 

//  Tin.  I,  15. 

18.  Eterant  discipuli  Joannis  et 
Pharissei  jejunantes;  et  veniunt,  et 
dicimt  illi :  Quare  discipuli  Joannis 
et  Pharisseorum  jejunant,  tui  autem 
discipuli  non  j  ej  unant  ? 

19.  Et  ait  illis  Jesus  :  Numquid 


bonne  sante  qui  ont  besoin  de  me- 
decin,  mais  les  malades;  car  je  ne 
suis  pas  venu  appeler  les  justes, 
mais  les  pecheurs. 

18.  Les  disciples  de  Jean  et  les 
Pharisiens  jetinaient;  ils  vinrent 
done  et  lui  dirent :  Pourquoi  les  dis- 
ciples de  Jean  et  ceux  des  Phari- 
siens jetinent-ils,  et  vos  disciples  ne 
jeiment  pas? 

19.  Et  Jesus  leur  dit :  Est-ce  que 


selon  S.  Matlh.  p.  477.  Le  Saiiveur  daigne 
done  assurer  qu'il  est  notre  medecin  aimable 
el  lOLit-puis>ant.  Quelle  consolalion  pour  un 
monde  si  malade  que  le  notre!  «  Jacet  toto 
orbe  lerrarum,  ab  oriente  usque  ad  occiden- 
tem,  grandis  segrolus:  ad  sanandum  grandein 
aegrolum  descendit  omnipotent  medicus.  » 
S.  August.  Serm.  lxxxvii.  —  Non  vent  vo- 
care. bans  le  langage  du  Nouveau  Teslament, 
le  verbe  «  vocare  »  est  une  expression  tech- 
nique pour  designer  la  vocation  au  saiut  mes- 
sianique.  — Justos.  Theophylacte,  et  d'autres 
interpretes  anciens  et  modernes,  croient  que 
Jesus  appliquait  ironiquement  ce  nom  aux 
Pharisiens  :  6  6e  -/upio;,  oOx  •^),9ov,  (pyjic,  y.'xliaon 
Stxatou?,  ToyTEffxtv  ujia;  xou?  oixaioOvta;  sa-jTou; 
{■/.ax'  elpwvetav  yaoTouTo  ^y)(tiv),  a).)>a  aaapTwXo-j;. 
Les  justes,  c'esL-a-dire  vous  qui  vous  croyez 
justes!  —  Sed  peccatores.  Belle  anlilhese,  qui 
exprime  a  merveille  le  but  de  I'lncarnation 
du  Verbe,  et  qui  nionlre  que,  dans  la  circon- 
stance  presente,  Jesus  etait  tout  a  fait  a  sa 
place  et  dans  son  role.  Aussi,  conime  le  dit 
S.  Thomas,  2a  2* ,  quaest.  23,  les  Pharisiens 
se  scandalisaient-ils  d'une  chose  qui  aurait  du 
au  conlraire  les  edifier  et  les  porler  a  I'ad- 
miration!  La  Rece|)ta  grecque  ajoute  eli; 
jxETavo'.av,  «  ad  poenilentiam  »  ;  mais  il  est 
probable  que  ces  mots  sont  apocryphes.  — 
Voir  dans  S.  Malth.  ix,  4  3,  une  troisieme 
proposition,  tiree  de  I'Ancien  Testament,  que 
Jesus  joignit  a  sa  reponse. 

3)  Les  disciples  de  J^sus  et  la  question  du  Jeune, 
II,  18-22. 

18.  —  Second  scandale  :  Les  disciples  du 
Sauveur  negligent  de  jeuner.  —  Erant  disci- 
puli Joannis...  S.  Marc  place  en  avant  de 
cetle  nouvelle  scene  une  note  archeologique 
qui  pouvait  6tre  utile  a  ses  lecteurs  romams 
el  grecs,  peu  au  courant  des  usages  juifs. 
£lle  nous  apprend  que  les  disciples  du  Pre- 
curseur  et  les  Pharisiens  etaienl  dans  Thabi- 
tude  da  jeuner  frequemment  :  les  premiers 
imitaienl  ainsi  la  vie  severe  de  leur  Maitre; 
les  seconds  suivaient  en  cela  leurs  traditions 


humaines,  qui  leur  recommandaient  deux 
jeunes  par  semaine,  celui  du  kindi  parce  que 
Moise  elait  descendu  ce  jour-la  du  Sinai', 
celui  du  jeudi  parce  qu'il  en  avail  fail  alors 
I'ascension.  Cfr.  Babyl.  Bava  Kama,  f.  82.  — 
La  construction  de  la  phrase  est  extraordi- 
naire :  «  erant...  jejunantes  »  (f,oav...  vYja- 
TEuovTE?),  au  lieu  du  simple  imparfail.  Mais 
celte  tournure  a  ete  choisie  a  dessein  par  I'e- 
crivain  sacre,  parce  qu'elle  exprime  Ires-for- 
lementune  couiume  frequente,  une  chose  qui 
a  lieu  d'une  fagon  reguliere  Gomp.  S.  3Iallh. 
IX,  14;  S.  Luc,  v,  33  ;  Winer,  Grammal.  des 
neulest.  Sprachid.,  p.  311.  C'est  done  par 
erreur  que  Maldonal  et  Meyer  lui  font  signi- 
fier  que  les  personnages  en  question  eiaient 
en  train  de  jeuner  ce  jour-la  meme.  —  Ec 
veniunt  et  dicunt.  D'apres  S.  Mallhieu,  la 
question  aurait  ete  posee  par  les  seuls  Joan- 
nites;  les  seuls  Pharisiens  la  lui  adressent 
dans  le  troisieme  Evangile  :  S.  Marc  fait  la 
conciliation  en  la  mellant  sur  les  levres  et 
des  uns  et  des  autres.  Quelques-uns  des  dis- 
ciples du  Precurseur  s'etaient  rallaches  aux 
Pharisiens  apres  son  emprisonnemenl,  et  ils 
avaient  adopts  la  haine  de  la  secte  contra 
Nolre-Seigneur.  S.  Jerome,  in  Matth.  ix,  44, 
reprouve  par  un  blame  severe,  mais  juste, 
la  conduite  qu'ils  linrent  dans  la  circons- 
tance  presente  :  «  Nee  poterant  discipuli 
Joannis  non  esse  sub  vitio,  qui  calumniaban- 
tur  eum  quem  sciebant  magistri  voeibus 
praedicatum;  et  jungebanlur  Pharisaeis  quos 
a  Joanne  noverant  condemuatos  (Matlh. 
III.  7).  »  —  Tui  autem  discipuli  non...  Le 
eontraste  est  habilement  presente.  D'une 
part,  la  vie  mortifiee  des  hommes  qui  eiaient 
alors  veneres  par  lout  le  monde  comme  des 
saints;  d'aulre  part,  Jesus  et  les  siens  qui 
font  de  bons  repas!  Cfr.  Matlh.  xi,  19. 

19  et  20.  —  Le  Sauveur  repond  plus  longue- 
ment  a  celte  objection  qu'a  la  premiere,  parce 
qu'elle  elait  en  apparence  plus  grave  el  plus 
specieuse.  II  la  refute  a  I'aide  de  trois  images 
familieres,  qui  lui  servent  en  meme  temps  a 
caracteriser  d'une  maniere  admirable  la  diW^- 


48 


evang;le  selon  s.  marc 


les  fils  des  noces  peuvent  jeuner 
pendant  que  I'epoux  est  avec  eux? 
Aussi  longtemps  qu'ils  ont  avec  eux 
Tepoux,  ils  ne  peuvent  jeuner. 

20.  Mais  viendront  les  jours  ou 
I'epoux  leur  sera  enleve,  et  ils  jeu- 

j  neront  en  ces  jours-la. 

21 .  Personne  ne  coud  une  piece 
de  drap  neuf  a  un  vieux  vetement; 
autrement,  leneuf  emporte  une  par- 
tie  du  vieux  et  la  decnirure  devient 
plus  grande. 


possunt  filii  nuptiarum,  quamdiu 
sponsus  cum  illis  est ,  jejunare  ? 
Quanto  tempore  habent  secum  spon- 
sum,  non  possunt  jejunare. 

20.  Venient  autem  dies  cum  au- 
feretur  ab  eis  sponsus;  ettunc  jeju- 
nabunt  in  illis  diebus. 

Matth.  9, 15;  Luc.  5,  35. 

21 .  Nemo  assumentum  panni  ru- 
dis  assuit  vestimento  veteri;  alio- 
quin  aufert  supplementum  novum  a 
veteri,  et  major  scissura  fit. 


rence  qu'il  y  a  entre  I'Ancien  el  le  Nouveau 
Testament,  enire  la  Loi  et  I'Evangile.  Voir 
I'explication  detaillee  dansnotrecommentaire 
sur  S.  Mallh.  p.  4  78  et  ss.  —  Premiere  image, 
f.  19  et  20.  Tanl  que  durent  les  rejouis- 
sances  donnees  a  I'occasion  d'un  mariage, 
aucun  de  ceux  qui  y  participent  ne  saurait 
songer  a  jeuner :  ce  serait  un  vrai  contre- 
sens.  Mais,  les  fetes  nuptiales  achevees,  on 
peut  se  livrer  au  jeune.  Telle  est  la  figure 
dans  toute  sa  simplicile.  Quelques  expres- 
sions seulement  demandenl  un  commentaire 
rapide.  —  Filii  nuptiarum;  dans  le  grec, 
01  uloi  ToO  vujicpwvo;,  les  fils  de  la  chambre 
nupliale,  hebraisme  pour  designer  ce  qu'on 
nomme  chez  nous  les  «  gargons  d'honneur  ». 
Jesus,  le  divin  Sponsus,  venu  du  ciel  pour 
celebrer  ses  noces  mystiques  avec  I'Eglise, 
appelait  ainsi  ses  disciples.  L'application  du 
reste  de  la  figure  se  fait  maintenant  d'elle- 
meme.  —  Non  possunt  jejunare.  Ces  mots 
n'expriment  pas  une  impossibilite  absolue, 
mais  I'espece  d'inconvenance  qu'il  y  aurait 
a  jeuner  en  un  pareil  temps.  —  Quum  aufe- 
relur.  C'est  la  premiere  allusion  que  Jesus 
fait  a  sa  Passion  et  a  sa  mort.  En  effet,  le 
mot  dTraperi,  employe  de  concert  par  les  trois 
synopliques,  indiqueune  separation  violente. 
La  prevision  de  sa  fin  douloureuse  etait  done 
longtemps  d'avance  presenle  a  la  pensee 
du  Sduveur  :  il  est  vrai  que  ceux  qui  de- 
vaient  plus  tard  le  condamner  a  mort,  les 
Pharisiens,  sont  actuellement  occupes  a  lan- 
cer centre  lui  de  perfides  attaques  —  Tunc 
jejunabunt.  C'esl  la  coulumechez  les  Hindous 
de  se  livrer  a  diverses  manil'eslalions  de 
Irislpsse  le  lendemain  d'un  mariage,  quand 
le  nouvel  epoux  a  quitte  la  maison  de  son 
beau-pere.  Lorsquo  son  celeste  epoux  aura 
quilte  la  terre,  I'Eglise  pourra  justement 
gemir  et  jouner,  oxprimant  ainsi  la  [leine 
qu'elle  aui»  :'.e.  vivre  loin  de  cclui  qu'elle 
aime  par-dessus  lout.  —  La  redaction  de 
S.  Marc,  dans  ce  passage,  se  fait  remarquer 


par  plusieurs  redondances  pleines  d'emphase. 
Au  t.  19,  la  meme  phrase  est  repetee  deux 
fois  avec  de  legeres  variantes.  Dans  le  f  •  sui- 
vant,  nous  trouvons  trois  expressions  pour 
une  seule  idee  :  «  dies...  tunc...  in  illis  die- 
bus  »  (le  singulier  «  in  ilia  die  »,  pour  signi- 
fier  :  en  ce  triste  jour!  serait  preferable,  car 
la  legon  ev  exetvy;  T^  YijjLEpa  est  beaucoup  plus 
accreditee  que  celle  du  text.  Recept.). 

21 .  —  Ce  verset  contient  la  seconde  image, 
qui  est,  au  dire  de  S.  Luc,  v,  37,  de  meme 
que  la  troisieme,  unesortede  petite  parabole 
dans  le  sens  large.  Par  ces  deux  comparai- 
sons  empruntees  aux  details  les  plus  prati- 
ques de  la  vie  de  famiile,  Jesus  se  propose  de 
demontrer,  selon  les  uns,  qu'un  nouvel  esprit 
se  cree  des  formes  nouvelles,  c'est-a-dire 
que  le  Nouveau  Testament  peut  se  debarras- 
ser  de  certaines  observances  cereraonielles 
de  I'Ancien;  siinplement,  selon  les  aulres, 
que  les  disciples  elaient  encore  trop  faibles 
pour  mener  une  vie  austere  el  penitente. 
Nous  avons  examine  ces  deux  opinions  dans 
I'Evangile  selon  S.  Matth.  p.  180  et  181.  — 
Nemo  assumentum...  Un  sourire  nousechappe 
malgre  nous  loutes  les  fois  que  nous  lisons 
celte  parole  de  Jesus,  car  elle  nous  rappelle 
un  de  nos  condisciples  de  college,  donl  les  ve- 
temcnts  elaient  toujours  rapiecetes  de  la  fa- 
gnn  proscrite  par  le  divin  Mailre.  Mais  ce  pro- 
cede,  nous  nous  en  souvenons  aussi,  ne  man- 
quail  pas  de  donnergain  de  cause  a  la  para- 
bole, car,  sans  parler  de  la  bigarrure  etrange 
produile  paides  morceaux  d'eloffe  neuve  sur 
de  vieux  habits,  bientot  «  la  piece  fraiche 
emporlait  une  partie  du  vetement,  et  il  se 
faisail  une  plus  grande  dechirure.  »  —  II 
exislc,  relativement  ala  secondo  parlie  de  ce 
verset,  un  grand  nombre  de  variantes  dans 
les  manu^crits  grecs.  La  Vulgate  a  suivi  la 
legon  conservee  par  le  Cod.  D  et  quelques 
manuscrils  en  lettres  minuscules  :  atpst  t6 
ir)i^pa)[).a  to  y.atvov  a-KO  xoO  7ta>>aio0.  Le  Texte 
Recept.  porte  :  atpei  to  ■jvXvipwtJi.a  auTou  to  xai— 


CHAPITRE  II 


49 


22.  Et  nemo  mittit  vinum  novum 
in  utres  veteres,  alioquin  dirumpet 
Yinum  utres,  et  vinum  effundetur, 
el  utres  peribunt;  sed  vinum  novum 
in  utres  novos  mitti  debet. 


23.  Et  factum  est  iterum,  cum 
Dominus  sabbatis  ambularet  per 
sata,  et  discipuli  ejus  coeperunt  pro- 
gredi,  et  veliere  spicas. 

Malth.  12,  1 ;  Luc.  6, 1. 

24.  Pharisaei  autem  dicebant  ei  : 
Ecce,  quid  faciunt  sabbatis  quod 
non  licet? 


22.  Et  personne  ne  met  du  vin 
nouveau  dans  des  outres  vieilles; 
autrement,  le  vin  rompra  les  outres, 
et  le  vin  se  repandra,  et  les  outres 
seront  perdues;  mais  le  vin  nou- 
veau doit  etre  mis  dans  des  outres 
neuves. 

23.  Et  il  arriva  encore  que  lors- 
que  le  Seigneur  passait  un  jour  de 
sabbat  le  long  des  bles,  ses  disci- 
ples commencerent  tout  en  mar- 
chant  a  rompre  des  epis. 

24.  Et  les  Pharisiens  lui  dirent : 
Voyez,  pourquoi  font-ils  le  jour  du 
sabbat  ce  qu'il  n'est  pas  permis  de 
faire  ? 


v6v  Tou  iraiatoo.  On  lit  dans  le  manuscrit  A  : 

atpet  aTt'  auToO  to  Tz\r\^M]xa.  to  xatvov  xoy  7ra>-ato\j. 
La  meilleure  legon  semble  eire  celle  qu'ont 
adoptee  Lachniann  et  Tischendorf  a  la  suite 
des  manuscrits  B.  L.  etc.  :  aipEt  to  irXYJpwfia 
dir'  auxoO  TO  xalvov  ToO  ■rta),aioij .  Vovez  Schegg, 
Evang.  nach  Mark.  p.  280  et  s.  Au  fond  le 
sens  est  le  meme  dans  tons  les  cas,  malgre 
des  nuances  tres-legeres  dans  la  pensee. 

22.  —  Troisieme  image.  Nemo  mittit  vi- 
num.... Un  hymne  d'Adam  de  S.  Victor  pour 
la  f^te  de  la  Pentecole  abrege  ainsi  la  com- 
paraison  du  Sauveur  : 

Utres  novi,  aoa  vetusti, 
Sant  capaces  novi  musti. 

Dans  de  vieilles  outres,  la  peau  est  incapable 
de  resisler  a  une  viva  pression,  telle  qu'est 
celle  du  vin  nouveau.  Quiconque  I'oublierait, 
perdrait  tout  a  la  fois  le  contenant  et  le  con- 
tenu.  Bengel,  Gnomon  N.  T,  in  Matth.  ix, 
apprecie  tres-bien  les  liH.  21  et  22,  lorsqu'il 
dit  :  «  Magna  cum  sobrietale  et  festivitate 
respondet  Dominus;  a  veslibus  et  vino  (quo- 
rum usus  erat  in  convivio)  parabolas  desumit 
jucundas  ad  confutandam  quaerentium  tristi- 
tiam.  » 

c.  Con  flit  a  propos  du  Sabbat.  Premier  cas  :  Les 
ipis.  H,  23-28.  —  Parall.  Malth.  xii,  1-8;  Luc. 
u,  1-5. 

23.  —  Et  f actus  est  iterum.  Gfr.  t.  13. 
L'adverbe  «  iterum  »  n'est  pas  dans  le  texte 
primitif.  II  inlroduitici  une  nouvelle  occasion 
de  condit  entre  Jesus  et  les  Pharisiens.  La 
date  fixee  par  S.  Luc,  vi,  1,  maigre  I'incer- 
titude  qui  regne  autour  d'elle,  semble  indi- 
qner  quo  I'episode  des  epis  n'eut  pas  lieu 
immediatem.ent  apres  la  vocation  de  Levi, 
mais  k  une  epoque  plus  tardive.  S.  Marc  au- 

S.  Bible.  S, 


rait  done  suivi  en  cet  endroit  I'ordre  logique 
et  non  celui  des  fails.  —  Sabbatis  :  le  pluriel 
pour  le  singulier.  Voyez  plus  haut,  i,  21  et 
Texplication.  —  Ambularet  per  sata.  Le  grec 
TiapauopsuECTOat  a  plutot  le  sens  de  «  tran- 
sire  ».  Gfr.  Luc.  vi,  1.  Sur  la  construction 

eyevsTO...  irapaTiopeueijOai  auTov,  VOyez  Winer, 
Gramm.  p.  289.  —  Coeperunt  progredi  et  vel- 
iere... La  phrase  grecque  est  autrement  cons- 
truite :  rip^avTo  6o6v  ttoisTv  TtXXovTc?  tou;  (TTcxxua?. 
Sa  traduction  litterale  serait  :  «  Coeperunt 
iter  facere  vellenles  spicas.  »  Les  mots  6S6v 
TToieTv  ont  rcQu  plusieurs  interpretations. 
Quelques  exegetes  y  ont  vu  que  les  Apotres 
s'avangaient  jusque  dans  les  champs  pour 
prendre  des  epis.  Mais  comment  se  seraient- 
ils  permis  un  degSt  aussi  inutile,  puisqu'ils 
avaient  sur  le  bord  du  chemin  plus  d'epis 
qu'il  ne  leur  en  fallait?  D'apres  Fritzsche, 
les  disciples  auraient  pour  ainsi  dire  marque 
leur  chemin  en  le  jonchant  des  epis  egrenes 
qu'ils  rejelaient!  Un  tel  commenLaire  est-ilse- 
rieux?  Le  vrai  sens  semble  pourtant  bien 
simple  :  on  n'a  qu'a  faire  une  legere  transpo 
sition,  656v  itoioujie'voi  TiXUtv. . .,  et  Ton  obtien'i 
cetle  phrase  Ires-claire  :  Chemin  faisant,  ils  si( 
mirent  a  arracher  des  epis.  Que  voulaient-ili 
faire  de  ces  epis?  Notre  Evangeliste  n'en  d:.: 
rien ;  mais  le  contexle  le  monlre  suffisam  ■ 
ment;  Cfr.  f.  26.  Du  resle,  les  deux  autre^i 
synoptiques  le  racontent  en  toutes  lettres  : 
(('Vellebant...  spicas,  et  manducabant  confri- 
cantesmanibus.  »Luc.  vi,1  ;  Cfr.  Malth.  xi,1. 
24.  —  Phariscei  aulem...  Meme  dans  le 
calmo  et  la  solitude  de  la  campagne,  Jesus 
n'est  pas  a  I'abri  de  ses  ennemis.  lis  sent  la 
pour  incriminer  aussitot  I'acte  des  disciples, 
dont  ils  rejellent  sur  lui  toule  la  responsabi- 
lile.  —  Quid  faciunt...  quod  non  licet  f  D'a- 
pres ces  esprits  elroils,  arracher  quelques 

Mafic.  —  4 


50 


feVANGILE  SELON  S.  MARC 


2o.  Et  il  leur  dit  :  N'avez-voiis 
pas  lu  ce  que  fit  David  quand  il  eut 
besoin  et  qii'il  eut  faim,  lui  et  ceux 
qui  etaient  avec  lui? 

26.  Comment  il  entra  dans  la 
maison  de  Dieu,au  temps  du  grand- 
prStre  Abiathar,  mangea  les  pains 
de  proposition  qu'il  n'etait  permis 
qu'aux  pretres  de  manger,  et  en 
donna  a  ceux  qui  etaient  avec  lui? 

27.  Et  il  leur  disait  :  Le  sabbat 


2o.  Et  ait  illis  :  Nunquam  legistis 
quid  fecerit  David,  quando  neces- 
sitatem  habuit  et  esuriit  ipse,  et  qui 
cum  eo  erant? 

I  Reg.  21.6. 

26.  Quomodo  introivit  in  domum 
Dei  sub  Abiathar  principe  sacerdo- 
tum,  et  panes  propositionis  mandu- 
cavit,  quos  non  licebat  manducare, 
nisi  sacerdotibus,  et  dedit  eis  qui 
cum  eo  erant  ? 

Lev.  24,  9. 

27.  Et  dicebat   eis  :  Sabbatum 


epiff  equivalait  a  moissonner.  «  Qui  sabbato 
frumentum  metit  ad  qiiantitalem  flcus,  reus 
est.  »  Maimonid.  in  Scliabb.  c.  vii.  Les  dis- 
ciples avaieiU  done  fait  une  CEuvre  servile, 
el  viole  par  la-meme  le  repos  du  Sabbat. 
Voyez  a  ce  sujet  I'Evangile  selon  S.  Matth. 
p.  236  et  s.  Les  Juifs  dits  orlhodoxes  ont 
encore  aujourd  hui,  relativement  au  respect 
dii  au  sabbat,  toute  la  largeur  d'idees  des 
Pharisiens.  Compar.  Ed.  Goypel.  Le  Ju- 
daisme,  p.  170  et  ss. 

25  et  26.  —  Ait  illis.  Dans  ie  grec,  au-6; 
D.eyev  auToi;,  «  ipse  ait  illis.  »  Gel  avto;  est 
emphalique.  Jesus  s'empresse  de  defendre  les 
Apotres  centre  I'injusle  accusation  de  ses 
adversaires.  Son  argumentation  vigoureuse, 
a  laquelle  les  delaleurs  n'eurent  rien  a  re- 
pondre,  se  compose  de  deux  parties,  I'une 
liistorique,  I'aulre  rationnelle.  —  Premier  ar- 
gument, t-  23  et  26.  —  Numquam  legistis? 
Regarde,  to£,  s'elaient  ecries  les  Pharisiens. 
Lisez!  s'ecrie  a  son  tour  le  divin  3Iaitre.  II 
renvoie  ces  Doctcurs  aus  Saints  Livres  qu'ils 
etaient  charges  d'interpreter.  —  Quid  fecit 
David.  Cfr.  1  Reg.  xxi,  6.  L'incident  s'etait 
passe  a  Nob,  au  temps  ou  David  fuyait  la  co- 
iere  de  Saiil.  Presse  un  jour  par  le  besoin 
(necessitatem  habuit,  ce  detail  est  special  a 
S.  Marc  :  il  est  important  pour  ramener 
I'exemple  de  David  au  cas  des  disciples,:,  le 
royal  proscrit  alia  demander  des  vivres  au 
grand-pretre  qui,  nayant  alors  sous  la  main 
que  les  pains  de  proposition,  n'hesita  pas  a 
les  lui  livrer,  bien  qu'il  fut  permis  aux  seuls 
oretres  de  manger  cette  nourrilure  consacree. 
—  Sub  Abiathar,  c'est-a-dire  durant  le  pon- 
tificat  d'Abiathar.  Nous  disons  dans  le  meme 
sens  :  sous  Pie  IX,  sous  Leon  XIII.  La  men- 
tion expresse  du  nom  du  grand-pretre  alors 
regnant  est  une  nouvelleparticularite  durecit 
de  S.  iMarc.  Toulefois,  elle  cree  une  Ires- 
grande  difficulie,  puisque,  d'apres  le  premier 
Livre  des  Rois,  xxi,  I  et  ss.,  le  grand-pretre 
qui  remit  a  David  les  pains  de  proposition  ne 


fut  point  Abiathar,  mais  son  pere  Achime- 
lech.  Pour  resoudre  ce  probleme  exegetique, 
on  a  invente  toute  sorte  d'liypolheses  plus 
ou  moins  ingenieuses.  II  suffira  de  citer  les 
principales.  lo  Abiathar  serait  une  faute  de 
copiste,  pour  Achimelech.  2o  L'Evangeliste, 
mal  servi  par  sa  memoire,  aurait  confondu 
les  deux  noms.  3°  Le  grand-pretre  d'alors  se 
serait  appele  en  mems  temps  Abiathar  et 
Achimelech  :  de  la  I'emploi  de  noms  diffe- 
rents  paries  deux  ecrivains  sacres.  4°  Abia- 
thar, comme  precedemment  les  lils  d'Heli, 
I  Reg.  IV,  4,  aurait  ele  le  coadjuteur  de  son 
pere  dans  les  fonctions  du  souverain  Ponti- 
ticat  :  c'est  pourquoi  il  put  donner  de  ses 
propres  mains  les  pains  de  proposition  au 
prince  fugitif.  5o  Quoiqu'il  ne  fiil  pas  alors 
grand-pretre,  Abiathar  ctait  neanmois  em- 
ploye au  service  du  tabernacle.  On  le  nom- 
merait  ici  de  preference  a  son  pere  a  cause 
de  la  celebrite  qu'il  acquit  plus  tard  sous  le 
regne  et  au  service  de  David.  Les  deux  der- 
nieres  opinions  sont  les  plus  vraisemblabes  : 
la  seconde  est  rationaliste;  la  premiere  et  la 
troisieme  ne  reposent  sur  aucun  fondement 
solide.  —  Pour  eviter  la  difficulte  que  nous 
venons  de  signaler,  plusicurs  manuscrits  ont 
purement  et  simplement  omis  le  t.  26.  —  In 
domum  Dei:  c'etait  alors  un  simple  tabernacle. 

—  Et  eis  qui  cum  eo  erant.  Plus  exactement, 
d'apres  le  recit  du  livre  des  Rois,  le  grand- 
pretre  remit  les  pains  a  David,  qui  s'etait 
seul  presente  dans  le  tabernacle.  Les  com- 
pagnons  du  prince  etaient  restes  a  quelque 
distance. 

27.  —  Et  dicebat  eis.  S.  Marc  signale  par 
cette  formule  de  transition  le  second  argu- 
ment de  Jesus,  compris  dans  les  W.27  et  28. 
Ce  nouveau  raisoimementse  compose  de  deux 
principes  de  la  plus  haute  importance,  non- 
seulement  pour  ie  point  parliculier  qui  etait 
a  resoudre,  mais  encore  d'une  maniere  gene- 
rale  relativement  aux  observances  religieuses. 

—  Sabbatum  propter  hominem. ..Fremkv  prin- 


CHAPITRE  III 


51 


Eropter  hominem  factum  est,  et  uon 
omo  propter  sabbatum. 
28.  Itaque  Dominus  est  Filius  ho- 
minis  etiam  sabbati. 


a  ete  fait   pour  riiomme,  et  non 
rhomme  pour  le  sabbat. 

28.  Ainsi  done,  le  Fils  de  rhomme 
est  maitre  du  sabbat  m§me. 


CHAPITRE  III 


Gudrison  d'une  main  dessechee  {tt.  1-6).  —  Jesus  se  retire  pres  du  lac  de  Tiberiade  et  op6re 
de  nombreax  miracles  (tt.  7-- 12).  —  Choix  des  douze  Apotres  [tH.  13-19).  —  Les  parents 
de  Je^us  et  I'etrange  opinion  qu'ils  ont  de  lui  [tt.  20-21).  —  Accuse  par  les  Scribes 
d'operer  ses  miracles  avec  I'aide  de  Beelzebub .  Jesus  refute  cette  odieuse  assertion 
(tt.  22-30).  —  Quels  sent  les  vrais  parents  de  Notre-Seigneur  (tf.  31-35;. 


1.  Et  introivit  iterum  in  synago- 
gam ;  et  erat  ibi  homo  habens  ma- 
num  aridam. 


MaUh.  12,9;  Luc.  6,6. 


1.  Jesus  entra  une  autre  fois  dans 
la  synagogue,  et  il  y  avait  la  un 
homme  ayant  une  main  dessechee. 


cipe,  qui  ne  se  trouve  que  dans  la  redaction 
de  S.  Marc.  C'est  la  une  verite  aussi  piofonde 
qu'elle  est  obvie  :  mais  la  «  micrologic  » 
pharisaique  I'avait  completement  obscurcie, 
en  faisant  du  sabbat  un  but,  tand.s  qu"il 
n'etait  qu'un  moyen.  Ainsi  done,  le  sabbat  a 
ete  etabli  en  vue  de  Thomnie,  pour  son  bien 
spirituel  et  lemporel  :  par  consequent,  faire 
souffrir  riiomnie  a  cause  du  sabbat,  c'est  aller 
centre  I'inslilution  divine  et  renverser  Tordre 
naturel  des  choses.  Plusieurs  Rabbins  I'a- 
vaienl  compris,  entr'autres  R.  Jonatha  ben- 
Joseph,  qui  disait  :  «  Le  sabbat  a  ete  livre 
entre  vos  mains,  mais  vous  n'avez  pas  ete 
livres  cntre  les  siennes,  car  il  est  ecrit  :  Le 
sabbat  est  pour  vous  '^Ex.  xvi,  29)  ».  loma 
f.  80,  2.  Les  contemporains  de  Jesus  ne  ju- 
geaient  pas  de  la  meme  maniere.  —  Voyez 
au  second  livre  des  Machabees,  v,  19,  un 
principe  analogue  a  celui  de  Jesus  :  a  Non 

f)ropter  locum,  gentem,  sed  propter  gentem 
ocum  Deus  elegit.  » 

28.  —  Second  principe,  encore  plus  releve 
que  le  premier:  L'autorite  du  Christ  est  bien 
superieure  au  sabbat.  Jesus  oppose  done 
maintenant  son  autorite  messianique  aux 
mesquines  vexations  des  Pharisiens.  —  L'ex- 
pression  itaque,  woxs,  a  ete  differemment 
comprise.  Plusieurs  interpretes  la  traduisent 
par  «  au  reste,  en  fin  de  compte  »  (Cfr.  Fr. 
Luc),  parce  que,  disent-ils,  elle  n'introduit 
pas  une  consequence  rigoureuse  des  paroles 
qui  precedent,  mais  un  argument  nouveau  et 
peremploire.    «  Apres   tout  (telle  serait    la 


pensee  de  Jesus),  je  puis  dispenser  mes  dis- 
ciples de  la  loi  du  sabbal,  en  vertu  des  pou- 
voirs  dont  je  jouis  comme  Christ.  »  Mais 
n'est-il  pas  plus  naturel  de  conserver  a  (itaiz 
lesens  de  «  igitur  »,  et  d'adaietlre  une  liaison 
reelle  entre  let'.  27  et  le  notre?  Si  le  sabbat 
est  fait  pour  I'homme,  comme  Jesus  vient  de 
le  dire,  il  est  bien  evident  que  le  Fils  de 
rhomme,  c'est-a-dire  le  Messie,  en  est  le 
Maitre,  et  qu'il  a  le  droit  de  dispenser  a  son 
sujet  comme  il  lui  plait. 

d.  Conflit  a  propos  du  Sabbat.  Second  cas  :  La  main 
dessechee.  ill,  1-6.  —  Parall.  Matth.  xn,  9-14; 
Luc.  VI,  6-10. 

Chap.  hi.  —  1.  —  Et  introivit.  Dans  cet 
episode,  comme  dans  celui  qui  precede,  nous 
voyons  Jesus  ramener  le  sabbat  a  son  veri- 
table esprit,  de  meme  qu'il  avait  fait  un  peu 
plus  haut  pour  le  jeiine.  Cfr.  n,  18-22.  Ce 
n'elait  pas  sans  besoin,  car  peu  de  lois  avaient 
ete  aulant  tortureespar  les  Pharisiens,  et  par 
la-meme  autant  eloignees  des  intentions  que 
Dieu  s'etait  proposees  en  les  instituant.  —  Ite- 
rum in  synagogain.  «  Iterum  »  nous  reporle 
ant.  21  du  chap,  i,  oil  nous  avions  deja  vu 
le  Sauveur  entrer  dans  une  synagogue  pour 
y  operer  un  grand  miiacle.  Au  point  de  vue 
chronologique,  S.  Luc,  vi,  6,  a  ici  une  note 
importante  :  «  Factum  est...  in  alio  sabbato.  » 
D'apres  le  recit  de  S.  Marc,  onpourraitcroire 
que  I'incident  qui  va  suivre  eut  lieu  le  ineme 
jour  que  celui  des  epis.  —  Manum  aridam. 
Cette  expression  designe  une  paralysic  locale, 


hi 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


2.  Et  ils  Tobservaient  pour  voir 
s'il  le  guerirait  en  un  jour  de  sab- 
bat,  afin  de  ['accuser. 

3.  Et  il  dit  a  riiomme  qui  avait 
une  main  dessechee  :  Tiens-toi  de- 
bout  au  milieu. 

4.  Puis  il  leur  dit :  Est-il  permis, 
un  jour  de  sabbat,  de  faire  du  bien 
ou  du  mal?  de  sauver  la  vie  ou  de 
I'dter?  Mais  ils  se  taisaient. 

5.  Alors,  les  regardant  avec  co- 


2.  Et  observabant  eum,  si  sabba- 
tis  curaret,  ut  accusarent  ilium. 

3.  Etait  homini  habenti  manum 
aridam  :  Surge  in  medium. 

4.  Et  dicit  eis  :  Licet  sabbatis  be- 
nefacere,  an  male?  animam  salvam 
facere,  an  perdere?  At  illi  tacebant. 

5.  Et  circumspiciens  eos  cum  ira. 


qui  privait  le  pauvre  infirme  de  I'usage  desa 
main.  Jeroboam  avait  ele  miraculeiisement 
atteinl  d'un  mal  semblable  pour  sa  conduite 
sacrilege.  Cfr.  Ill  Reg.  xiii,  4. 

2.  —  Observabant  eitm.  «  Scribcn  et  Pha- 
risaei  »,  ajouie  S.  Luc,  vi,  7.  Le  verbb  est 
pris  en  mauvaise  part  («  observabant  ex  obli- 
quo  »),  comme  il  ressort  du  conlexte.  Cfr. 
Luc.  XX,  20;  Act.  ix,  24.  En  sol,  TtapaxYipetv 
signifie  simpiement  «  curiosos  oculos  cotjji- 
cere  »  ;  dans  le  cas  present,  les  Pharisiens 
observent  pares  qu'ils  epient.  —  Si  sabbatis 
curaret.  D'apres  les  prescriptions  impusees 
par  les  Docleurs  de  la  Loi,  a  part  le  cas 
d'extreme  urgence,  toule  operation  medicale 
etait  severemenl  inlerdite  aux  jours  de  sab- 
bat. Voyez  I'Evangile  selon  S.  Matlh.  p.  240. 
Jesus  se  monlrera-t-il  docile  aux  traditions? 
Ses  adversaires  esperent  bien  que  non,  car 
ils  sont  desireux  de  trouver  contre  lui  quel- 
que  grave  motif  d'accusation  :  ut  accusarent. 
Voila  leur  but  unique  bien  marque. 

3.  —  Et  ait  homini...  Les  regards  scruta- 
teursdeses  ennemis  n'epouvantentpas  Jesus. 
Au  contraire,  pour  mieux  attirer  Tattention 
de  toute  I'assemblee,  d'une  voix  ferme  il 
commande  a  I'infirme  de  se  placer  au  centre 
de  la  synagogue.  Le  divin  Thaumaturge  veut 
le  grand  jour  pour  ses  actions.  —  Exurge  in 
medium ;  construction  elliptique,  pour : «  Surge 
et  prodi  in  medium.  » 

4.  —  Et  dicit  eis,  au  present,  de  m^me 
dans  les  tt.  3  et  5.  S.  Marc  raconte  la  scene 
d'une  faQon  vivante  et  dramalique  :  on  croi- 
rait  encore  y  assister.  —  Licet  sabbatis...  D'a- 
pres S.  Matthieu,  ce  seraient  les  Pharisiens 
qui  auraient  eux-m^mes  demande  a  Jesus  : 
Est-il  permis  de  guerir  en  un  jour  du  Sabbat? 
L'accord  se  fait  aisemeni  entre  les  deux  nar- 
rations, si  Ton  admel  que  le  Sauveur  repon- 
dit  a  leur  question  par  une  contre-queslion 
analogue.  11  employait  volontiers  cette  tac- 
tique  pour  mettre  dans  I'embarras  ses  inter- 
rogateurs  insidieux.  Mais  la  contre-question 
est  arrangee  de  telle  sorte  qu'elle  resout 
vraiment  le  probleme  propose.  —  Bene  facere 


an  male.  Dilemne  habile,  propose  sous  une 
forme  abslraile  :  bien  faire  ou  mal  faire  en 
general,  ou  mieux  encore,  faire  du  mal  ou  du 
bien.  —  Animam  salvam  facere  an  perdere. 
C'est  la  meme  alternative,  exprimee  sous  la 
forme  concrete,  et  plus  direclement  appliquee 
a  la  situation  actuelia.  «  Anima  »,  de  meme 
que  I'hebreu  \Z7SJi  ne  designe  pas  ici  Fame 
proprement  dite,  mais  la  vie,  toute  creature 
vivante.  «  Perdere  »,  en  grec  aitoxxetvat,  tuer. 
Jesus  va  faire  le  bien  el  sauver  ;  les  Pharisiens 
et  les  Scribes,  en  ce  meme  jour  (Cfr.  t.  6), 
vont  former  de  noirs  projets  d'homicide.  Qui 
d'entre  eux  profanera  le  Sabbat  et  son  repos? 
Ainsi  done,  d'apres  la  vigoureuse  argumen- 
tation du  divin  Maitre,  bien  faire  et  mal 
faire  sont  des  choses  generales,  independantes 
des  circonstances  de  temps;  gueiir  est  une 
bonne  oeuvre,  qui  convient  tres-bien  pour  un 
jour  sanctifie.  «  S'il  est  permis  de  faire  le  bien 
en  un  jour  de  sabbat,  c'est  en  vain  que  vous 
m'epiez;  si  cela  est  defendu,  alors  Dieu  irans- 
gresse  ses  propres  lois,  puisque,  meme  aux 
jours  de  Sai)bat,  il  permet  au  soleil  de  se  le- 
ver, a  la  pluie  de  tomber,  a  la  terre  de  por- 
ter des  fruits.  »  Cat.  grsec.  in  Marc.  —  At 
illi  tacebant.  Ils  sont  saisis  entre  les  tenaiiles 
du  dilemne,  et,  pour  eviter  de  se  compro- 
metlre  eu  repondant,  ils  preferent  garder  un 
humiliant  silence  qui  les  condamne.  S.  Marc 
a  seul  note  ce  trait  saisissant.  —  Voir  dans 
S.  Matthieu,  xii,  41  et  12,  un  argument  «  ad 
hominem  »adresse  par  Jesus  aux  Pharisiens. 
5.  —  Toute  la  premiere  moitie  de  ce  ver- 
set  contient  de  nombreux  details  particuliers 
a  S.  Marc.  —  C  ircumspiciens  eos,  TZ£pi&lt<^iaEwoi 
aOxou;.  Jesus  embrasse  tous  ses  ennemis,  I'un 
apres  I'autre,  dans  ce  regard  noble  et  ferme, 
devant  lequel  leurs  propres  yeux  durent  se 
baisser  humblement.  Notre  Evangeliste  airae 
k  decrire  les  regards  de  Jesus.  Cfr.  iii,  34 ; 
V,  32;  X,  23;  XI,  41.  —  Cum  ira.  II  aims  a 
decrire  aussi  les  sentiments  humains  qui  agi- 
taient  son  Sme.  11  signale  ici  un  mouvement 
de  sainie  colere.  C'est  le  seul  endroit  des 
Evangiles  oil  il  est  dit  que  le  Sauveur  ait  ele 


CHAPITRE  III 


contristatus  super  csecitate  cordis 
eorum,  dicit  homini :  Extende  ma- 
num.  tuam.  Et  extendit;  et  restituta 
est  manus  illi. 

6.  Exeuntes  autem  Pharisaei,  sta- 
tim  cum  Herodianis  concilium  facie- 
bant  adversus  eum,  quomodo  eum 
perderent. 

Mauh.  12,  14. 

7.  Jesus  autem  cum  discipulis 
suis  secessit  ad  mare;  et  multa 
turba  a  Galilsea  et  Judaea  secuta 
est  eum, 

8.  Et  ab  Jerosolymis,  et  ab  Idu- 


lere,  contriste  de  Faveuglement  de 
leur  coeur,  il  dit  a  cet  homme  : 
Etends  ta  main.  Et  il  I'etendit,  et  sa 
main  fut  guerie. 

6.  Or  les  Pharisiens,  etant  sortis, 
tinrent  aussitot  conseil  contre  lui 
avec  les  Herodiens  sur  les  moyens 
de  le  perdre. 

7.  Mais  Jesus  se  retira  vers  la 
mer  avec  ses  disciples,  et  une  troupe 
nombreuse  le  suivit  de  la  Judee  et 
de  la  Galilee, 

8.  Et  de  Jerusalem  et  de  I'ldu- 


«mu  par  cette  passion.  On  plutot,  comme 
s'exprime  Fr.  Luc,  Comment,  in  h.  1.,  «  ira 
nobis  est  passio,  Chtisto  tanquam  actio  erat : 
nobis  sponte  oritur;  a  Christo  in  se  excita- 
tiir  :  orla  in  nobis,  reliquas  corporis  animique 
vires  turbat,  nee  pro  arbitrio  potest  reprimi; 
a  Christo  excitata,  movel  quod  ipse  moveri 
velil,  turbat  nihil,  denique  quiescit  pro 
voluntate  ejus.  »  En  effet,  dit  S.  Leon,  Epist. 
XI,  «  sensus  corporei  vigebant  (in  Christo) 
sine  lege  peccati,  (-t  Veritas  affectionum  sub 
moderamine  deilatis  et  mentis.  »  En  Jesus, 
tout  etait  pur  et  parfait.  —  Contrislaius. 
Etrange  association,  ce  semble  :  la  tristesse 
et  la  compassion  unies  a  la  colere !  Et  pour- 
tant  I'experience,  aussi  bien  que  la  psycho- 
logic, juslifie  ce  melange  de  sentiments  qui 
ne  sont  en  aucune  fagon  contradictoires. 
Jesus  s'irrite  contre  le  peche,  il  s'apitoie  sur 
les  pecheurs ;  ou  bien,  sa  colere  ne  dure 
qu'un  instant,  une  vive  et  perpetuelle  sym- 
pathie  la  remplace  aussitot.  —  Super  ccecitate 
cordis  eorum.  Le  substantif  grec  TttopwCTt;  de- 
signs plutot  I'endurcissemenlque  la  cecite  du 
coeur  :  Ttwpow  signifie  rafime  pelrifier.  Cfr. 
Marc.  VI,  52;  viii,  16;  Joan,  xii,  40.;  II  Cor. 
Ill,  li.Unehaine  implacablecontre  Jesusavait 
endurci  le  cceur  des  Pharisiens.  —  Extende... 
et  extendit...  et  restituta  est:  le  recitest  aussi 
rapide  que  les  faits.  Jesus  avait  deja  opere 
d'autresprodiges  en  des  jours  de  Sabbat.  Cfr. 
I,  21,  29.11  en  operera  d'autres  encore,  Joan. 
V,  9 ;  IX,  1 4 ;  Luc.  xiii,  1 4  ;  xiv,  1 .  Ses  enne- 
mis  ne  lui  pardonneront  jamais  cette  sainte 
liberte;  aussi  les  Evangiles  apocryphes  nous 
les  montrent-ils  langant  contre  Jesus,  a  I'e- 
poque  de  son  jugement,  cette  accusation  avec 
une  insistance  particuliere.  Cfr.  Thilo,  Cod. 
Apocr.  p.  502  et  558. 

6.  —  Exeuntes...  statim.  Mais  des  aujour- 
d'hui  nous  les  voyons,  emportes  par  leur  rage 
fanatique,  ourdir  les  plus  noirs  complots. 
«  Slatira  »  :  ils  ne  perdent  pas  un  instant;  la 


haine  qui  les  aiguillonne  les  rend  prompts  a 
agir.  —  Cum  Herodianis.  Sur  le  caractere  et 
les  tendances  de  ce  parti,  voyez  I'Evangile 
selon  S.  Matth.  p.  426.  M.  Schegg,  Evang. 
nach  Mark.,h.  1.,  dit  avec  esprit  que  c'elaient 
les  «  conservateurs-liberaux  »  du  temps.  Le 
Docteur  juif  Abr.  Geiger  suppose  sans  raison 
que  le  nom  d'Herodiens  designait  une  famille 
sacerdotale,  et  D.  Calmet  ne  se  trompe  pas 
moins  quand  il  fait  de  ces  hommes  des  dis- 
ciples du  revolutionnaire  Judas  le  Galileen. 
lis  formaient  un  parti  beaucoup  plus  poli- 
tique que  religieux  ;  or,  precisement  au  point 
de  vue  politique,  la  popularity  croissants  de 
Jesus  pouvait  les  effrayer,  d'autant  mieux 
que  la  residence  du  tetrarqueHerode  Antipas 
etait  non  loin  de  la,  a  Tiberiade.  De  la  leur 
alliance  avec  les  Pharisiens,  quoique  les  deux 
sectes  fussent  entre  elles  aussi  peu  homogenes 
que  le  blanc  et  le  noir.  —  Quomodo  eum  per- 
derent. L'alliance  est  conclue  dans  ce  but  : 
la  clause  en  sera  fidelement  executee  des 
deux  cotes,  car,  pendant  la  Semaine  Sainte, 
XII,  13,  nous  trouverons  les  parties  contrac- 
tantes  agissant  de  concert  pour  perdre  Jesus. 
Le  detail  de  cette  convention  inique  est  propre 
a  notre  Evangeliste. 

6.  J6sus  se  retire  pres  du  lac  de  Tibe- 
riade et  opere  de  nombreux  miracles. 
Ill,  7-12.  —  Parall.  Matth.  xii,  15-21;  Luc.  vi,   17-19. 

7  et  8.  —  Jesus  autem.  S.  Marc  trace  en  cet 
endroit  un  charmant  petit  tableau,  qui  nous 
donne  une  idee  aussi  nette  que  possible  de  ce 
que  devait  etre  la  vie  de  Jesus  a  cette  epoque 
de  son  ministere  public.  Nous  voyons  le  divin 
Maitre  entoure  de  foules  sympalhiques,  sur 
lesquelles  il  deverse  a  profusion  les  temoi- 
gnages  de  sa  bonte  :  c'est  encore  le  temps  de 
sa  popularite  en  Galilee,  bien  qu'il  ait  deja, 
nous  I'avons  recemment  appris,  des  ennomis 
alteres  de  son  sang.  L'Evangeliste  semble 
insister  avec  amour  sur  I'intimite  des  reia- 


54 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


mee,  et  d'au-dela  du  Jourdain;  et 
Tine  grande  multitude  des  environs 
de  Tyr  et  de  Sidon,  apprenant  ce 
qu'il  faisait,  vint  a  lui. 

9.  Et  il  dit  a  ses  disciples  de 
mettre  a  sa  disposition  une  iDarque, 
a  cause  de  la  foule,  pour  n'en  etre 
pas  accable. 

10.  Gar  il  guerissait  beaucoup  de 
malades,  de  sorte  que  tons  ceux  qui 
avaient  quelque  mal  se  jetaient  sur 
lui  pour  le  toucher. 


msea,  et  trans  Jordanem;  et  qui 
circa  Tyrum  et  Sidonem,  multitude 
magna,  audientes  quae  faciebat,  ve- 
nerunt  ad  eum. 

9.  Et  dixit  discipulis  suis  ut  navi- 
cula  sibi  deserviret  propter  turbam, 
ne  comprimerent  eum. 

10.  Multos  enim  sanabat,  ita  ut 
irruerent  in  eum,  ut  ilium  tange- 
rent,  quoquot  habebant  plagas. 


tions  qui  existaient  alors  enlre  Jesus  et  la 
masse  du  peuple.  Plusieurs  de  ces  traits  pit- 
toresques  dans  lesqiiels  il  excelle  animeront 
done  ici  encore  sa  narration,  qui  ne  ressemble 
d'ailieurs  aux  deux  aulres  que  d'une  maniere 
tres-generale.  —  Secessit  ad  mare.  «  Jesus 
auleni  sciens  recessit  inde  »,  iisons-nous  dans 
S.  Matthieu,  xii,  15.  C'est  done  la  eonnais- 
sancedes  projets  sanguinaires  des  Pharisiens, 
t.  6,  qui  engagea  le  Sauveur  a  se  retirer,  par 
mesure  de  prudence,  dans  les  solitudes  qui 
environnent  le  lac.  Voyez  i,  35  et  le  Gommen- 
taire.  Toulefois,  comme  I'avait  dit  le  Pro- 
phete,  Is.  XXXV,  i,  «  laetabitur  deserta  et 
invia,  et  exullabit  solitudo,  et  florebil  quasi 
lilium.  »  Voici  que  le  desert  s'anime  et  se 
peuple  sous  I'influence  de  I'affeetion  qu'on 
porte  a  Jesus.  —  Multa  turba...  secuta  est 
eum.  Celte  foule,  attiree,  dit  le  t.  8,  par  la 
renommee  des  ceuvres  de  Notre-Seigneur, 
vienl  de  toutes  les  regions  de  la  Palestine  : 
les  habitants  du  Nord  (a  Galilcea,  qui  circa 
Tyrum  et  Sidonem)  se  rencontrent  aupres 
de  Jesus  avec  ceux  de  I'Est  {trans  Jor^ 
danem)  et  du  Sud  [Judcea,  ab  Jerosolymis), 
meme  du  Sud  le  plus  lointain  {ab  Idu- 
mcea) ,  de  maniere  a  former,  repete  I'Evan- 
geliste  avec  ime  eertaine  emphase,  une  im- 
mense multitude,  multitudo  magna.  —  La 
ville  de  Jerusalem,  bien  qu'elle  fut  comprise 
dans  la  Judee,  est  nommee  a  part  a  cause  de 
son  importance  speeiale.  Les  mots  «  trans 
Jordanem  «  represenlent  la  province  do  Pe- 
ree  dans  son  etendue  la  plus  vaste.  Voyez 
TEvang.  selon  S.  Matth.  p.  367.  L'Idumee 
faisait  alors  partie  de  I'etat  juif,  auquel  elle 
avaiteteincorporee  paries  princesAsraoneens: 
ses  liabitanls  avaient  du  adopter  le  eulte  mo- 
saique.Elle  etait  gouvernee  par  Aretas,  beau- 
pere  du  tetrarque  Herode.  C'est  la  seule  fois 
que  son  nom  apparait  dans  les  eerits  du  Nou- 
veau  Testament.  Nous  devons  a  S.  Marc  de 
contempler  les  descendants  d'Esaii  reunis, 
malgre  des  haines  inveterees,  aux  fils  de  Ja- 
cob aux  pieds  du  Christ.  Dapres  celte  enu- 


meration, une  seule  province,  la  Samarie, 
n'etait  pas  representee  aupres  de  Jesus  :  cela 
provenait  de  la  profonde  antipathic  qui  sepa- 
rait  les  Samarilains  des  Juifs.  Voyez  i'Evang. 
selon  S.  Mai.th.  p.  198. 

9.  —  Dixit,  c'est-a-dire  «  imperavit  ». 
Ordre  aussi  interessant  en  lui-meme  que  dans 
son  but.  —  Ut  navicula.  Le  grec  aussi  a  un 
diminutif,  TcXotapiov,  une  petite  barque,  une 
nacelle.  Voila  la  flolte  de  Jesus!  —  Sibi  de- 
serviret. H.  Etienne,  Thesaur.,  appendix, 
p.  4725,  donne  la  definition  suivanle  du 
verbe  Ttpoffvcapxepew,  employe  ici  dans  le  texte 
primitif  :  «  Cum  loieranlia  et  perseverantia 
quadam  insisto,  incumbo,  seu  assiduus  et 
multus  sum  in  aliqua  re.  »  Appliquant  en- 
suite  sa  definition  a  notre  passage,  il  traduit 
tres-exaclement  les  mots  irXoidptov  Ttpoaxap- 
TspviaOTw  par  ((.navicula  sibi  assidua  comes 
sit  ».  Ce  que  Jesus  demandait,  c'elait  done 
que  la  barque  en  question  fut  mise  en  reserve 
pour  son  usage,  et  qu'elle  fut  conslamment 
a  sa  disposition  au  bord  du  lac.  Grcice  a  ce 
moyen,  il  pouvait,  d'une  part,  s'echapper  do 
tempsen  temps  etgagner  les  solitudes  de  I'Est, 
d'autre  part,  precher  plus  a  I'aise  de  cette 
chaire  improvisee,  sans  etre  trop  presse  par 
la  foule.  —  On  a  fait  observer  que  Notre- 
Seigneur  semble  avoir  aime  les  lacs  et  les 
monlagnes,  les  deux  spectacles  de  la  nature 
qui  renferment  le  plus  de  beautes  et  qui  par- 
lent  le  plus  aux  ames  vivos  et  delieates. 

10.  —  Multos  enim  sanabat.  II  parait  y 
avoir  eu  dans  la  Vie  publique  du  Sauveur 
des  periodes  plus  specialement  consacrees  aux 
miracles,  d'autres  en  grande  partie  reservees 
a  la  predication,  quoique  regulierement  ces 
deux  choses  fusseni  unies  de  maniere  a  s'ap- 
puyer  I'une  I'autre.  L'epoque  aetueliement 
decrite  parS.  Mare  fut  un  temps  denombreux 
prodiges.  —  Ita  ut  irruerent  in  eum,  aate. 
e7ri7Tt7iT£iv  auTw;  litteralement,  au  point  qu'on 
tombait  sur  liii.  Trait  tout  a  fait  graphique, 
qui  reproduit  la  scene  sous  nos  yeux.  —  Ut 
ilium  tangerent.  Motif  de  cat  empressement 


CHAPITRE  III 


55 


11.  Et  spiritus  immundi,  cum  il- 
ium videbant,  procidebant  ei;  et 
claraabant  dicentes  : 

12.  Tu  es  Filius  Dei.  Et  vehemen- 
ter  comminabatur  eis  ne  manifesta- 
rent  ilium. 

13.  Et  ascendens  in  montem  vo- 
cavit  ad  se  quos  voluit  ipse,  et  ve- 
nerunt  ad  eiim. 

MaUh.  10,  1 ;  Lice.  6,  13  et9,l. 

14.  Et  fecit  ut  essent  duodecim 


11.  Et  les  esprits  immondes,  lors- 
qu'ils  le  voyaient^  se  prosternaient 
devant  lui  et  criaient,  disant : 

12.  Tu  es  le  Fils  de  Dieu.  Et  il  leur 
defendait  avec  de  grandes  menaces 
de  le  faire  comiaitre. 

13.  Etetant  monte  sur  une  mon- 
tagne,  il  appela  a  lui  ceux  qu'il 
voulut  lui-meme,  et  ils  le  suivirent. 

14.  Et  il  en  choisit  douze  pour 


des  pauvres  malades.  Et  le  bon  Jesus  se  lais- 
sait.  faire!  —  Plagas,  en  grec  [xatjTiYa?,  des 
fouets,  des  coups  de  loiiel.  Ce  mot,  de  meme 
que  I'hebreu  T21U,  HI  Reg.  xii,  41,  designe 
au  figure  toule  sorte  de  souftrances  phy- 
siques. Cfr.  V,  29,  34;  Luc.  vii,  21.  Son  em- 
ploi  dans  celte  acception  provenail  de  I'an- 
Jique  croyance  que  les  maladies  etaient  tou- 
jours  des  chatimenis  divins. 

11.  —  Spiritus  immundi...  procidebant  ei. 
Q\ie\  beau  el  frappant.  contrasle!  Les  malades 
se  jeltenl  sur  Jesus  afin  d'oblenir  leur  gue- 
rison;  les  possedes  se  prosternent  devant  lui, 
reconnaissant  son  caractere  messianique,  et 
le  conjurant  sans  doute.  comme  en  d'autres 
circonstances,  de  les  laisser  en  paix.  Remar- 
quez  qu'on  parle  des  esprits  immondes  comme 
s'ils  n'eussent  fait  qu'une  seule  et  meme  chose 
avec  les  malheureux  dont  ils  s'etaient  empa- 
res.  Voyez  notre  commenlaire  sur  S.  Mat- 
thieu,  p.  165.  —  Cum  ilium  videbant.  La  con- 
jonction  a  ici  le  sens  de  a  quandocumque  »  ; 
<)Tav,  dit  le  texte  grec.  Les  trois  imparfaits 
de  ce  verset  sont  a  noter  :  ils  indiquent  un 
fait  habituel  et  constant. 

12.  —  Filius  Dei:,  c'est-a-dire  leMessie  en 
tanl  qu'il  elait  cense  avoir  avec  Dieu  les  re- 
lations les  plus  etroites.  II  n'est  pas  probable 
que  ce  litre  eut,  dans  la  bouche  des  demons, 
Je  sens  strict  de  «  Filius  Dei  naturalis.  »  — 
Vehementer  comminabatur...  uoXXa  in£.xi\ia. 
Nous  avons  recherche  plus  haul  (Comp.  i,  25 
et  la  note)  les  motifs  pour  lesquels  Jesus- 
Christ  imposait  ainsi  le  silence  aux  demons, 
S.  Matlhieu,  dans  le  passage  parallele, 
XII,  17-21,  releve  une  belle  prophetie  d'isaie 
que  Jesus  realisaii  a  cetteepoque  de  la  fagon 
la  plus  parfaite. 

7.  —Les  douze  Apotres.  iii,  13-19.  —  Parall. 
Matth.  x,2-4;  Luc.  vi,  12-16. 

13.  —  Ascendens  in  montem.  La  montagne 
lemoin  du  choix  des  douze  Apotres  ful  ties- 

f)robablement  celle  de  Kouroun-Hatlin,  dont 
e  lecteur  Irouvera  la  description  dansl'Evan- 
gile  selon  S.  Matlhieu,  p.  98.  Elle  etait  siluee 


a  une  courte  distance  du  lac,  qu'elle  sur- 
plombe  de  son  double  sommet.  L'article  du 
texte  grec,  t6  opo?,  suppose  qu'il  s'agil  d'une 
montagne  celebre  dans  la  conlree.  G'est  done 
la  que  Jesus,  apres  une  priere  mysterieuse  et 
une  veille  solitaire,  Luc.  vi,  12,  choisit  parmi 
ses  disciples,  deja  nombreux,  douze  hommes 
speciaux,  destines  a  un  role  superieur,  et 
dont  il  voulait  des  lors  faire  I'education  en 
vue  de  leur  destinee  si  importanle  pour  son 
ceuvre.  —  Vocavit  ad  se  :  il  proclama  sans 
doute  leurs  noms  devant  I'assistance,  les  de- 
signant  un  a  un  et  les  groupant  a  ses  cotes. 
Ce  fut  un  moment  bien  solennel :  il  est  solen- 
nellement  decrit  dans  la  narration  pourlant 
bien  simple  de  notre  Evangeliste.  —  Quos 
roluit  ipse.  Mot  de  la  plus  haute  gravite,  qui 
denote  de  la  part  de  Jesus  un  choix  tout  a 
fait  libre,  quoique  base  sur  les  plans  eternels 
de  Dieu.  II  appela  ceux  qu'il  voulut!  «  Non 
vos  me  elegistis,  dira-l-il  plus  tard  aux 
Douze,  Joan,  xv,  16,  sed  (go  elegi  vos  et  po- 
sui  vos  ut  ealis...  »  Les  Apotres  cux-memes 
ne  furent  done  pour  rien  dans  leur  vocation, 
de  meme  que  leurs  successeurs  a  divers  de- 
gres,  Eveques  ou  Prelres,  ne  doivent  etre 
pour  rien  dans  la  leur.  «  Nee  quisquam  su- 
mit  sibi  honorem,  sed  qui  vocalur  a  Deo, 
tanquam  Aaron  )^  Hebr.  v,  4.  Non,  personne, 
pas  meme  le  Christ,  continue  le  grand  Apotre: 
«  Sic  et  Christus  non  semetipsum  clarificavit 
ut  Pontifex  floret,  sed  qui  locutus  ad  eum  :... 
Tu  es  sacerdos  in  aelernum  secundum  ordinem 
Melchisedech  ».  —  Etvencrunt  ad  eum.  Voila 
done  le  cercie  intime  des  Duuze  diTinilive- 
mentconstitue;les  vocations  anterieuresdont 
les  membres  du  College  apostolique  avaient 
ete  I'objet  n'elaient  que  des  degres  prelimi- 
naires  et  preparatoires  a  la  grande  installa- 
tion faite  en  ce  moment  par  Jesus. 

14  et  15.  —  Dans  ces  deux  versets,  S.  Marc 
determine  avec  beaucoup  de  clarle  Toffice  et 
le  role  des  Apotres.  —  Fecit  ut  esseut  duode- 
cim... Le  grec  est  autrement  conslruit  :  xai 
iirotrjffe  otoSexa  I'va  oxii  (let'  auTou,  «  fecit  duo- 
decim   ut  essent    cum  illo    »,  c'est-a-dire 


56 

etre  avec  lui,  et  pour  les  envoyer 
precher; 

13.  Et  il  leiir  donna  la  puissance 
de  guerir  les  maladies  et  de  chas- 
ser  les  demons. 

16.  Simon,  a  qui  il  donna  le  nom 
dc  Pierre, 

17.  Et  Jacques,  tils  deZebedee,  et 
Jean,  frere  de  Jacques,  auxquels  il 


£7ANGILE  SELON  S.  MARC 


cum  illo ;  et  ut  mitteret  eos  prsedi- 
care. 

15.  Et  dedit  illis  potestatem  cu- 
randi  infirmitates,  et  ejiciendi  dae- 
monia. 

16.  Et  imposuit  Simoni  nomen 
Petrus. 

17.  Et  Jacobum  Zebedffii,  etJoan- 
nem  fratrem  Jacobi,  et  imposuit  eis 


«  conslituit  duodecim...  »  car,  tel  est  evidem- 
ment  ici  le  sens  dii  verbe  noi'ew,  qui  est  em- 
ploye a  la  fagon  de  I'hebreii  nUJy.  La  pre- 
miere note  de  rEvangeiisle  est  done  relative 
au  nombre  des  ApoLres.  Ce  fut  un  nombre 
mystique  :  douze  Apolres,  de  meme  qu'il  y 
avait  eu  douze  patriai  ches.  Voyez  I'Evangile 
selon  S.  Malthieu,  p.  491.  —  Cum  illo.  Se- 
cond renseignemenl  deS.  Marc,  relatifa  I'un 
des  principaux  roles  des  elus  de  Jesus  :  les 
Apotresdevaient  vivre  habituellement  aupres 
du  Maitre,  pour  etre  temoins  de  sa  predica- 
tion, de  ses  miracles,  de  sa  conduite,  et  pour 
recevoir  sa  formation  directe.  Cfr.  Act.  i,  21. 
—  Et  ut  mitteret  eos...  Troisieme  renseigne- 
ment,  qui  determine  une  autre  fonction  apos- 
tolique.  Apotre  signifie  envoye  :  les  Douze 
seront,  comme  leur  nom  I'exprime,  les  am- 
bassadeurs  de  Jesus,  ses  legats  «  a  latere  »; 
il  les  enverra  porter,  d'abord  dans  la  Pales- 
tine, puis  sur  toute  la  lerre,  la  bonne  nou- 
velle  du  salut.  —  Et  dedit  illis  potestatem... 
Pour  que  ses  Apotres  fussent  capables  d'exer- 
cer  avec  plus  d'aulorite  le  ministere  de  la 
predication,  Jesus  les  munit  de  pouvoirs  ex- 
traordinaires,  surnaturels,  qui  seront  comme 
leurs  leltres  de  creance.  Ces  pouvoirs  ne  dif- 
ferent pas  de  ceux  que  nous  avons  vu  le 
Sauveur  lui-m6me  exercer  a  differentes  re- 
prises d'apres  le  recit  ovangelique.  lis  sont 
de  deux  sortes  :  I'un  permetlra  aux  Apotres 
de  guerir  les  maladies,  par  I'autre  ils  pour- 
ront  d'un  mot  expulser  les  demons.  —  Ici 
encore,  la  Vulgate  a  traduit  piutot  le  sens 
que  la  lettre  meme  du  texte  original.  Au  lieu 
de  «  dedit  illis  »,  le  grec  porte  xal  £x^iv,«  et 
habere  »,  infinitif  qui  depend  de  inoi-nae. 
(t.  14)  :  «  fecit  ut  essent...,  el  ut  mitteret..., 
et  habere...  »  Mais  il  faut  reconnaitre  que  la 
construction  adoptee  par  notre  version  offi- 
cielle  est  beaucoup  plus  laline. 

16.  —  Apres  avoir  signale  les  pouvoirs 
conferes  par  Jesus  a  ses  Apotres,  I'Evange- 
lisle  donne  la  liste  complete  des  Douze,  que 
nous  nous  conienteroiis  de  parcourir  rapide- 
ment.  On  trouvera  dans  notre  commentaire 
sur  S.  Malthieu,  p.  192  el  ss.,  d'assez  nom- 
breux  details  sur  les  nomenclatures  du  memo 
genre  renfermees  dans  les  ecrits  du  Nouveau 


Testament,  sur  leur  organisation  interieure, 
sur  chaque  Apotre  en  particulier  el  sur  I'en- 
semble  du  college  aposlolique.  —  Et  impo- 
suit Simoni...  La  liste  commence  d'une  fagon 
assez extraordinaire  au  point  devuedu  style. 
La  construction  reguliere  serait :  «  Siraonem, 
cui  imposuit  nomen  Pelrum,  et  Jacobum...  et 
Joannem...  el  Andream...  et  Judam  Isca- 
riotem  »,  tous  ces  accusalifs  dependant  du 
verbe  «  fecit  »  {t.  14).Cfr.  Winer,  Grammat. 
des  neulest.  Sprachidioms,  p.  511.  Quelques 
manuscrits  grecs  ont  la  variante  itpdiTov 
Sifiwva,  «  primumSimonem  »,qui  sembieetre 
un  emprunl  fait  a  S.  Mattliieu,  x,  2.  — 
Nomen  Petrus,  ou  plus  correclement  d'apres 
le  grec,  «  nomen  Pelrum  ».  Jusqu'ici,S.  Marc 
a  toujours  donne  au  prince  des  Apolres  son 
nom  primitif  de  Simon;  desormais  il  I'ap- 
pellera  Pierre.  Cette  denomination  symbo- 
lique,  qui  fit  de  Simon  le  roc  inebranlable  sur 
lequel  Jesus  devait  fonder  son  Egiise,  avait 
ele  promise  au  fils  de  Jona  des  sa  premiere 
entrevue  avec  Nolre-Seigneur,  Joan,  i,  42; 
mais  il  ne  la  regal  d'une  maniere  definitive 
que  duranl  la  derniere  periode  de  la  Vie 
publique,  Matth.  xvi,  18. 

17.  —  Jacobum  Zebedoei,  ou  S.  Jacques  le 
Majeur,  le  seul  Apolre  dont  le  Nouveau  Tes- 
tament raconle  la  mort,  Act.  xii,  2.  —  Joan- 
nem, le  disciple  que  Jesus  aimait,  Cfr.  Joan. 
XIII,  23  ;  XIX,  26,  et  celui  des  Douze  qui  vecut 
le  plus  longtemps.  —  Et  imposuit  eis...  Trait 
special  a  S.  Marc.  Ainsi  done,  le  Sauveur 
avait  impose  des  surnoms  mysterieux  a  ses 
trois  disciples  privilegies.  —  Boanerges.  Go 
mot  n'a  pas  peu  embarrasse  les  anciens  phi- 
lologues  et  commentateurs,  qui  ne  irouvaient 
rien,  dans  la  langue  hebraique,  qui  lui  cor- 
respondit  exaclement.  lis  le  croyaient  done 
plus  ou  moins  corrompu  par  son  velement 
grec  ou  par  les  copisles.  «  Filii  Zebedaei,  di- 
sait  deja  S.  Jerome,  in  Dan.  c.  ii,  appellati 
sunt  Filii  Tonitrui,  quod  non  ut  plerique  pu- 
tanl  Boanerges,  sed  emendatius  legitur  Be- 
nereem.  »  Et  ail  leurs.  Lib.  de  Nomin. :  «  Hebr. 
Benereem,  Filii  Tonitrui,  quod  corruple  Boa- 
nerges usus  obtinuit.  »  Mais,  quoique  I'ex- 
pression  hebraique  la  plus  usilee  pour  desi- 
gner le  tonnerre  soil  en  effet  Din,  rehem,  il  CD 


CHAPITRE  III 


57 


nomina  Boanerges,  quod  eist,  Filii 
tonitrui; 

18.  Et  Andrseam,  et  Philippum, 
et  BartholomsBum,  et  Matthseum,  et 
Thomam,  et  Jacobum  Alphaei,  et 
Thaddseum ,  et  Simonem  Cana- 
naeum, 

19.  Et  Judam  Iscariotem,  qui  et 
tradidit  ilium. 


donna  le  nomde  Boanerges,  c'est-a- 
dire,  fils  du  tonnerre, 

18.  Et  Andre,  et  Philippe,  et  Bar- 
thelemi,  etMatthieu,  et  Thomas,  et 
Jacques,  fils  d'Alphee,  et  Thaddee, 
et  Simon  le  Gananeen, 

19.  Et  Judas  Iscariote,  qui  le  tra- 
hit. 


exisle  deux  aulresplus  raresel  poeliqiies,  V!X^, 
reghesch,  et  7i"i,  reghez  (Cfr.  Job.  xxxvii,  2), 
qui  ont  le  meme  sens  (comparez  le  chaldeen 
et  I'arabe)  et  qui  auront  pu  servir  I'une  ou 
I'autre  a  former  le  siirnom  des  fils  de  Zebe- 
dee.  II  est  vrai  que  ;yjl"iJ2,  B'ne-reghesch, 
ou  "liTija,  B'ne-reghez,  different  encore  de 
Boanerges ;  mais  I'accord  devient  aussi  par- 
fait  que  possible  si  i'on  se  souvient  que,  d'a- 
pres  la  prononciation  arameenne  et  gali- 
leenne,  le  Scheva  simple,  ou  e  muet,  devenait 
regulierement  oa.  De  la  oorle  nous  oblenons, 
avec  V!Sr\,  Boune-reghesch ;  avec  TJll,  Boane- 
reghez,  et  celle  derniere  expression  est  tout  a 
fait  identique  au  grec  BoavepYs'i;.  Voir  Patrizi, 
In  Marc.  Comment,  p.  29;  Vorst.,  Hebr.  479  ; 
Rosenmiiiler,  Scholia  in  h.  I.  —  Quod  est,  ce 
qui  signifie.  —  Filii  tonitrui,  c'est-a-dire 
«  tonitruantes  »  ;  en  effet,  dans  les  langues 
semitiques,  en  unissant  les  mots  12,  p,  a  un 
substanlif,  on  forme  I'adjeclif  ou  le  nom 
concret  correspondant.  Cfr.  Hoffmann,  Gram- 
mat,  syr.,  p.  287.  Mais  quelle  est  la  significa- 
tion de  cet  etrange  surnom?  Disons  d'abord 
que  Jesus,  en  I'imposant  a  Jacques  et  a  Jean, 
ne  songeait  nullement  a  leur  infliger  une  cen- 
sure, ainsi  qu'on  I'a  souvent  repele  a  la  suite 
d'Olstiausen.  Les  anciens  avaient  mieux  com- 
pris  cet  acte  du  divin  Maitre.  rtoy^Se  Ppovxrj?, 
dit  Theophylacte,  6vo(ia!;£t  lou;  xoO  Ze6zd(xio\j 
w;  [ityalo-)t.rip\)-Ayi(;  xat  OeoXoYixioTaTou;.  Cfr.  Eu- 
thymius,  Victor  d'Antioche,  etc.  «  Filios  Ze- 
bedeei  sic  nominat  propter  hoc  quod  magna 
et  clara  divinitalis  edicla  debebant  orbi  ter- 
ras diffundere.  »  S.  Jean  Chysost.  ap.  Thom., 
Cat.  in  Marc.  C'est  done  un  eloge  delicat  que 
Jesus  adresse  ainsi  aux  deux  freres,  une  ma- 
gnifique  prophelie  qu'il  fait  a  leur  sujet.  Les 
classiques  emploient  aussi  le  mot  tonnerre 
comme  symbole  d'une  eloquence  irresistible. 
Pour  Columelle,  Demosthene  et  Platon  sonl 
des  «  tonantes  » ;  Aristophane  applique  a 
Pericles  les  expressions  daTpairxeiv,  ppovr^v. 
Voyez  Rosenmiiiler,  Scholia,  1. 1,  p.  593  et  594. 
II  est  probable  cependant  que  Jesus-Christ, 
par  ce  surnom,  faisait  en  meme  temps  allu- 
sion aucaraclere  ardent,  au  zele  enlreprenant 
des  fils  de  Zebedee,  zele  et  caractere  dont  on 
apergoit  quelques  traces  dans  les  Evangiles. 


Cfr.  Luc.  IX,  54;  Marc,  ix,  38;  x,  37.  L'epi- 

thete  de  Boanerges  elant  collective  et  ne  pou- 
vant  servir  a  designer  isolement  les  deux 
freres,  on  congoit  qu'elle  n'ait  pas  fait  d'autre 
apparition  dans  le  recit  evangelique. 

18.  —  Et  Andream.  Tandis  que  S.  Mat- 
thieu,  X,  2-4,  et  S.  Luc,  vi,  11-16,  associent 
les  Apolres  deux  a  deux,  S.  Marc  les  men- 
tionne  simplement  les  uns  a  la  suite  des 
autres,  en  separant  leurs  noms  par  la  con- 
jonction  xat.  S.  Andre  forme  ici  le  premier 
des  trois  groupes  apostoliques  :  nomme  aussi- 
tot  apres  son  trere  dans  les  listes  du  premier 
et  du  troisierae  Evangile,  il  n'occupe  dans 
celle  du  second  que  le  quatrieme  rang.  Cfr. 
Act.  I,  13.  —  Et  Philippum...  S.  Philippe, 
qui  enlendit  le  premier  reientir  a  ses  oreilles 
la  belle  parole  «  Sequere  me  »,  Joan,  i,  43, 
bien  qu'i!  n'ait  regu  que  plus  tard  I'appel 
propreraent  dit  du  Christ,  S.  Barthelemi  que 
Ton  confond  generalement  avec  le  bon  Nalha- 
n.ael,  Joan,  i,  45  et  ss.,  S.  Matlhieu  qui  ne 
differe  pas  du  publicain  Levi,  Cfr,  ii.,  14,  et 
S.  Thomas,  nomme  en  grec  Didyme,  Joan. 
XI,  16;  XXI,  2,  constituent  le  second  groupe. 
—  Le  troisieme  se  compose  de  S.  Jacques  le 
Mineur  (Jacobum  Alphosi,  soil,  filium),  de 
Thaddee,  nomme  encore  Lebb^ ;  et  plus  coni- 
munement  S.  Jude,  de  Simon  le  Cananeen, 
c'est-a-dire  le  Zelole,  enfin  du  trailre,  auquel 
un  verset  special  a  ^Le  reserve. 

19.  —  Judam  Iscariotem.  Judas,  I'homme 
de  Carioth  (Voyez  Matlh.  x,  4  et  le  Commen- 
taire),  clot  ignominieusement  la  lisle,  de 
m6me  que  Simon-Pierre  I'ouvrait  glorieuse- 
ment.  —  Qui  et  tradidit.  Cette  note  infa- 
manle  estpresque  toujours  ajoutee  a  son  nom 
dans  I'Evangile,  comme  une  juste  et  perpe- 
tuelle  flelrissure.  Origene,  ne  pouvant  s'ex- 
pliquer  le  mystere  de  la  vocation  de  ce  mise- 
rable traitre,  imagina  qu'il  n'avait  pas  ete 
reellement  appele  par  J^sus  comme  les  autres 
Apolres,  mais  qu'il  s'lngera  de  lui-meme  dans 
le  college  apostolique,  oil  il  fut  seulement 
tolere.  Cette  singuliere  opinion  se  trouve  r^- 
futee  par  le  texte  formel  que  nous  lisions  plus 
haut,  t.  13,  et  qui  s'applique  a  Judas  tout 
aussi  bien  qu'aux  aulres  :  «  Vocavit  ad  se 
quos  voluit  ipse.  »  Si  I'on  s'elonne  d'abord 


58 


£VANGILE  SELON  S.  MARC 


20.  Et  ils  vinrent  a  la  maison,  et 
la  foule  s'y  assembla  de  nouveau, 
de  telle  sorte  qu'ils  ne  pouvaient 
pas  meme  manger  du  pain. 

21.  Et  les  siens,  I'ayant  appris. 


20.  Et  veniunt  ad  domum;  et  con- 
venit  iterum  turba,  ita  ut  non  pos- 
sent  neque  panem  manducare. 

21.  Et  cum  audissent  sui,  exie- 


que  Jesus  ait  pii  choisir  un  trailre  pour  le 
placer  parmi  ses  Apotres,  on  n'a  qu'a  se  sou- 
venir qu'il  «  ne  I'avail  pas  choisi  pour  etre  un 
trailre  et  qu'il  lui  avait  donne  toutes  les 
graces  necessaires  pour  repondre  a  sa  voca- 
tion. Le  Sauveur  voulait  nous  apprendre 
qu'on  peut  se  perdre  dans  les  vocations  les 
plus  saintes,  el  qu'en  permetlanl  le  mat,  la 
Sagesse  divine  devait  en  lirer  un  plus  grand 
bien  et  le  faire  servir  a  sa  gloire.  »  Dehaut, 
I'Evangile  explique,  defendu.  5e  edit.  t.  II, 
p.  4  96. 

8.  —  Les  hommes  et  leurs  dispositions 
diverses  relativement  ^  J^sus  in,  20-25.— 
Parall.  Matlh.  xii,  24-50;  Luc.  xi,  15-32;  viii,  19-21. 

Dans  ce  paragraphe,  I'Evangeliste  decrit 
les  dispositions  de  trois  sortes  de  personnes  a 
regard  de  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ.  II 
nous  monlre  d'abord,  tf.  20  et  24,  les  pa- 
rents du  Christ  selon  la  chair  formant  a  son 
sujet  I'opinion  la  plus  extravagante.  Son  ta- 
bleau nous  presenle  ensuite,  tt-  22-30,  les 
sentiments  de  plus  en  plus  liosliles  des  Phari- 
siens  el  des  Scribes.  Enlin,  comme  pour  nous 
consoler,  nous  enlendons  Jesus  lui-meme, 
tt.  31-35,  exprimer,  dans  les  termes  les  plus 
doux,  les  liens  sacres  qui  I'unissent  aux  ames 
hdeles. 

a.  Les  parents  da  Christ  selon,  la  chair,  in,  20-21. 
20. — £ti;e«iMnf.«  Jesus  cum  familia  nova  », 
Bengel ;  c'est-a-dire  avec  les  douze  Apotres 
qu'il  venait  de  se  choisir.  —  Ad  domum;  dans 
legrec,  el;  olxov  sans  article,  dans  une  maison. 
C'etait  probablement  a  Capharnaiim.  —  Con- 
venit  iterum  turba.  La  scene  racontee  au  com- 
mencement du  chap.  i[  [t.  2)  se  renouvelle 
une  seconde  fois,  quoique  d'une  maniere  beau- 
coup  plus  penible  pour  Jesus  et  pour  ses  dis- 
ciples. Celte  fois,  en  effet,  le  concours  dura 
si  longtemps,  que  le  Sauveur  et  les  Apotres, 
attenlifs  aux  besoins  de  la  multilude  qui 
accourait  sans  cesse,  n'avaient  pas  meme  le 
temps  de  penser  aux  leurs.  Quelle  force  dans 
ces  mots  :  ita  iit  non  po^sent  neque  panem 
manducare !  l[  est  peu  de  details  aussi  expres- 
sils  dans  toute  I'hisloire  evangelique,  et  c'est 
a  S.  Marc  que  nous  devons  cette  ligne  qui  en 
vaut  mille!  —  Sur  la  locution  «  panem  man- 
ducare »,  Maldonat  ecrit  avec  juslesse  :  «  He- 
braeorum  phrasisest,  quapanisproomni  sumi- 
turcibo,  et  panem  sumere  est  cibumsumere.  » 
—  D'apres  le  recit  de  notre  Evangeliste,  il 
serable  que  ce  fait  eut  lieu  immediatement 


apres  le  choix  des  douze  Apotres ;  mais,  si 
nous  ouvrons  une  Concorde  evangelique,  nous 
voyons  qu'il  existe  en  cet  endroit  du  second 
Evangile  une  lacune  considerable.  En  elTet, 
enlre  les  deux  evenements,  doit  se  placer  le 
Discours  sur  la  Montague,  que  S.  Marc  passe 
entierement  sous  silence.  Cfr.  Matlh.  v-vn ; 
Luc.  VI,  20  et  ss.  Mais  nous  avons  vu  dans 
la  Preface,  §  VII,  qu'il  s'inquiete  beaucoup 
plus  des  actes  que  des  discours  :  de  la  cette 
impoi  tante  omission.  «  En  grande  parlie  d'ail- 
leurs,  dit  tres-bien  M.  Bougaud,  Jesus-Christ, 
2e  edit.,  p.  79  et  ss.,  le  Sermon  sur  la  Mon- 
tagne  est  juif.  II  traite  de  I'inferiorite  de  la 
Loi,  de  la  perversite  des  commenlaires  qu'y 
avaient  joints  les  Pharisiens,  et  du  couronne- 
ment  de  celte  Loi  en  Jesus-Christ  :  toutes 
choses  que  les  Remains  n'etaient  point  pre- 
pares a  comprendre.  »  Les  points  de  morale 
universelle  et  elernelle  que  contient  aussi  ce 
discours,  tels  que«  le  sacerdoce  qui  est  le  sel 
de  la  terre,  la  lumiere  qu'il  ne  faut  pas  mettre 
sous  le  boisseau,  la  main  droite  qu'il  faut 
couper  si  elle  devient  un  scandale,  I'unite  et 
I'indissolubilite  du  mariage,  la  purete  du  coeur, 
la  priere,  le  pardon  des  injures  »,  sent  signa- 
les  en  divers  endroits  par  S.  Marc,  Jesus 
elant  revenu  plusieurs  fois  sur  ces  enseigne- 
menls  pleins  de  gravite. 

24 .  —  Ici  encore,  nous  avons  une  note 
propre  a  S.  Marc,  note  bien  elrange,  assez 
obscure,  et  differemment  interpretee  par 
les  commentateurs.  —  Cum  audissent  sui. 
Qu'est-ce  a  dire,  les  siens?  Le  grec  o!  Trap'  auToO 
est  assez  ambigu  et  pourrait,  au  besoin,  de- 
signer les  disciples,  comme  le  veulent  divers 
exegeles.  Neanmoins,  la  plupart  des  versions 
anciennes  et  des  critiques  supposent  a  bon 
droit  qu'il  s'agit  des  parents  du  Sauveur.  La 
Vulgate  a  done  bien  iraduit  (Comparez  le  sy- 
riaque :  ses  freres).  Le  contexte,  tt.  31  et 
ss.,  confirme  celte  interpretation.  —  Exie- 
runt.  D'oii  viennenl-ils?  Selon  les  uns,  de 
Capharnaiim,  oil  ils  seseraient  fixes  en  meme 
temps  que  Jesus ;  plus  probablement,  selon 
les  aulres,  de  Nazareth,  ou  nous  relrouverons 
bienlot  les  «  freres  »  de  Nolre-Seigneur. 
Marc.  VI,  3.  Cfr.  i,  9.  —  Tenere  eum.  Cette 
expression  ne  peut  avoir  qu'un  sens  :  se  sai- 
sir  de  lui  bon  gre  malgre,  le  contraindre  de 
les  accompagner,  et  I'empecher  de  se  mon- 
trer  en  public.  —  Dicebant  enim...  C'est  ici 
surtout  qu'existent  les  divergences  signalees 
plus  haul.  —  Indiquons-en  d'abord  la  cause 


CHAPITRE  III 


59 


runt  tenere  eum ;  dicebant  enim : 
Quoniam  in  furorem  versus  est. 

22.  Et  scribse,  qui  ab  Jerosolymis 
descenderant,  dicebant  :  Quoniam 
Beelzebub  habet,  et  quia  in  prin- 
cipe  dsemoniorum  ejicit  dsemonia. 

Matth.  9,  34  et  22,  24. 


vinrent  pour  se  saisir  de  lui,  car  ils 
disaient :  II  a  perdu  I'esprit. 

22.  Et  les  Scribes  qui  etaient  des- 
cendus  de  Jerusalem  disaient  :  II 
est  possede  de  Beelzebub,  et  c'est 
par  le  prince  des  demons  qu'il  chasse 
les  demons. 


principale,  en  empruntant  des  paroles  tres- 
"sensees  de  Maldonat  :  «  Hunc  locum  diffici- 
liorem  pietas  facit  :  quia  omnis  animus  hor- 
ret,  non  solum  credere,  sed  cogilare  etiam, 
Christi  cognalos  aut  dixisse  aut  exislimasse 
eum  esse  furiosum,  pioquodam  studio  nonnulli 
rejecia  verborum  proprielale,  alias  quae  mi- 
nus a  pietale  abhorrere  viderenlur  inlerpre- 
lationes  quaesierunl.  Nescio  an,  dum  pias 
quaererent,  falsas  invenerint.  »  Ce  a  nescio  » 
est  un  pur  euphemisme.  Les  fausses  hypo- 
theses, qui  se  sonl  mullipliees  depuis  le  temps 
de  Maldonat,  portent  deja  sur  le  sujet  de 
«  dicebant.  »  Malgre  la  grammaire  et  la  lo- 
gique,  qui  font  dependre  ce  verbe  de  ol  uap' 
avTou,  de  meme  que  «  audissent  et  exierunt  », 
on  I'a  tour  a  tour  applique  aux  hommes  en 
general  (Rosenmiiller),  a  quelques  Juifs  en- 
vieux  (t'.ve;  mOovepot,  Euthymius),  aux  disciples 
de  Jesus  (Scnoellgen,  Wolf),  aux  messagers  qui 
seraient  alles  avertir  les  parents  du  Sauveur 
(Bengel),  etc.  —  Toutefois,  on  a  erre  davan- 
tage  encore  sur  le  sens  du  mot  grec  i\ia-:r\, 
que  notre  Vulgate  a  traduit  par  in  furorem 
vetsus  est.D'anciens  auteu>-s,  mentionnes  par 
Eulhymius.  lui  donnaient  la  signification 
de  airiffTY),  il  s'en  est  alle.  Selon  Kuinoel,  il 
equivaul  a  «  maxime  defatigatus  est  »  ;  d'apres 
Grotius,  il  represente  un  evanouissemenl  mo- 
mentane;  d'apres  Griesbach  etVater,  il  desi- 
gne  ime  apparence  d'insanite,  produite  par  un 
exces  de  fatigue.  Schoettgen  et  Wolf  lui  con- 
serveni  bien  sa  vraie  signification  de  (jLatve-rat, 
il  a  perdu  I'esprit;  mais  ce  seraient,  suivanl 
eux,  les  disciples  qui  auraient  applique  ce 
jugement  au  peuple!  etc.  etc.  Nous  sommes 
heureux  de  voir  que  ces  interpretations  erro- 
nees  sont  pour  la  plupart  le  faitd'auteurs  pro- 
teslants,  tandis  que  nosexegeles  catholiques, 
anciens  et  modernes,  ont  presque  toujours 
bien  traduit  et  bien  commente  le  verbe  iU(y^r\. 
Voyez  les  commentaires  du  Ven.  Bede,  de 
Theophylacte,  de  Corneille  deLap.,  deFrang. 
Luc,  de"  Noel  Alexandre,  de  Jansenius,  de 
MM.  Schegg,  ReischI,  Bisping,  etc.  Gfr.  Act. 
XXVI,  24;  II  Cor.  v,  13.  Les  prociies  du  Sau- 
veur affirmaient  done  hautement  qu'il  avait 
perdu  I'esprit,  qu'il  etait  devenu  insense  par 
suite  de  son  entnousiasme  religieux.  Quelque 
surprenante  que  paraisse  d'abord  leur  con- 
duite,  elle  devient  plus  explicable  si  Ton  se 
rappelle  une  grave  declaration  de  I'evangeliste 


S.  Jean.  «  Neque  enim  fratres  ejus  credebant 
in  eum  »,  ecrit-il  du  Sauveur,  en  parlant 
d'une  epoque  un  peu  plus  tardive,  vi,  5.  En 
ce  moment,  leur  incredulite  commence.  lis 
ne  se  rendent  pas  compte  de  la  nature  et  du 
role  de  Jesus  :  I'agiiation  qui  se  fait  autour 
de  son  nom  les  inquiete;  a  plus  forte  raison 
se  troublent-ils  en  pensant  aux  nombreux 
ennemis  qu'il  s'est  suscites,  et  dont  la  haine 
pourra  relomber  sur  toute  sa  famille.  C'est 
alors  qu'ils  formulent  le  jugement  odieux  qui 
nous  a  ete  conserve  par  S.  Marc  :  i^a-z-n. 
Rien  n'empeche  du  reste  d'admettre,  a  la 
suite  de  quelques  exegetes,  qu'ils  avaient  au 
fond  de  bonnes  intentions,  et,  qu'en  se  mon- 
trant  au  dehors  si  severes  pour  leur  parent, 
ils  se  proposaient  de  I'arracher  par-la  meme 
plus  commodement  aux  dangers  dont  ils  le 
savaient  entoure.  Hatons-nous  d'ajouter  que 
tous  les  proches  de  Notre-Seigneur  Jesus- 
Christ  ne  participerent  point  a  celte  appre- 
ciation, et  qu'on  ne  saurail,  sans  blaspheme, 
ranger  sa  tres  sainte  Mere  parmi  ceux  qui 
avaient  de  lui  une  telle  opinion. 

b.  J^sus  accuse  par  les  Scribes  d'etre  de  connivence 
avec  Bielzebub.  in,  22  30. 

22.  —  Scribes  qui  ab  Jerosolymis...  Ces 
Scribes  etaient-ils  les  memes  que  ceux  dont 
il  a  ete  question  dans  la  guerison  miracu- 
leuse  du  paralytique,  ii,  6,  Cfr.  Luc.  v,  17? 
ou  bien  formaient-ils  une  nouvelle  deputa- 
tion? Les  deux  hypotheses  sont  soutenables. 
Quoi  qu'il  en  soil,  cesont  des  ennemis  declares 
de  Jesus.  Une  malice  infame  los  anime  contra 
lui  :  il  leur  suffit  d'ouvrir  la  bouche  pour  le 
montrer.  —  Dicebant:  Quoniam  Beelzebub... 
D'apres  S.  MaUhieu,  xi,  22  et  s.,  Cfr.  Luc, 
X,  14,  le  Sauveur  avait  gueri  en  leur  pre- 
sence un  possede  qui  etait  sourd  et  muet. 
Bien  loin  de  voir,  comme  la  foule,  le  doigt  de 
Dieu  dans  ce  prodige,  ils  osenl  profiler  de  celte 
occasion  pour  formuler  centre  le  Thauma- 
turge la  plus  noire  calomnie  :  II  est  possede 
de  Beelzebub,  et  c'est  au  nom  du  prince  des 
demons  qu'il  expulse  les  demons!  C'est  ainsi 
que,  ne  pouvant  nier  la  rcalite  de  ses  mi- 
racles, ils  font  du  moins  tous  leurs  efforts 
pouramenerle  peuple  a  croire  qu'ils  sont  im- 
purs  el  memo  salaniques  dans  leur  source. 
M.  Schegg  cile  fort  k  propos  en  cet  endroit 
les  deux  proverbes  :  «  Calumniare  audacter, 


60 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


23.  Et,  les  ayant  appeles,  il  leur 
dit  en  paraboles  :  Comment  Satan 
peut-il  chasser  Satan? 

24.  Si  un  royaume  est  divise  cen- 
tre lui-mSme,  ce  royaume  ne  pent 
subsister. 

2o.  Et  si  une  maison  est  divisee 
centre  elle-meme,  cette  maison  ne 
pent  snbsister. 

26.  Et  si  Satan  se  leve  contre  lui- 


23.  Et  convocatis  eis,  in  parabolis 
dicebat  illis  :  Quomodo  potest  Sata- 
nas  Satanam  ejicere? 

24.  Etsiregnumin  se  dividatur, 
non  potest  regnum  illud  stare. 

25.  Et  si  domus  super  semetipsam 
dispertiatur,  non  potest  domus  ilia 
stare. 

26.  Et  si  Satanas  consurrexerit  in 


semper  aliquid  haeret.  Gladius  secat,  calum- 
nia  separat  amicos.  »  —  Sur  le  nom  de  Beel- 
zebiibj  applique  an  prince  des  demons,  vovez 
I'Evangile  selon  S.  Matth.,  p.  209.  M.  Reuss, 
Histoire  evangelique,  p.  282,  propose  une 
nouvelle  elymologie,  savoir  les  mols  syria- 
ques  «  Bee!  debobo  »,  maitre  de  I'inimitie, 
c'est-a-dire  I'ennemi  par  excellence.  Nous 
nous  en  tenons  a  celle  que  nous  avons  pre- 
cedemment  adoptee  —  L'expression  «  Beel- 
zebub habel  »  est  speciale  a  S.  Marc  :  elle  a 
une  tres-grande  energie,  et  designe  une  al- 
liance intime  de  Jesus  avec  I'esprit  mauvais. 
Elle  dit  beaucoup  plus  que  la  loculion  paral- 
lels :  etre  possede  de  Beelzebub, 

24.  —  Et  convocatis  eis.  Jesus,  attaque  dans 
sa  saintete,  releve  aussitot  le  gant  :  il  ne 
pouvait  pas  permeltre  que  de  pareille?  accu- 
sations demeurassenl  sans  replique.  II  com- 
mence done  une  habile  et  vigoureuse  plai- 
doierie,  que  nous  avons  etudiee  a  fond  dans 
le  premier  Evangile.  S.  Marc,  selon  sa  cou- 
tunie,  ne  nous  en  donne  qu'un  resume  rapide, 
bien  qu'il  ait  tres-exactement  reproduit  les 
principaux  arguments.  —  In  parabolis  dice- 
bat.  II  faut  prendre  ici  le  mot  parabole  dans 
le  sens  large,  comme  synonyme  de  figure, 
comparaison.  Les  images  abondent  en  efifet 
dan-  I'apologie  du  Sauveur.  Cfr.  tt.  24, 
25.  27.  «  Parabolas  appellat,  dit  tres-bien  le 
cardinal  Cajelan,  in  Marc.  comm.  c.  iii,  ra- 
tiones  subjunctas  ex  similitudinibus;  tum 
iregni  in  se  divisi,  tum  domus  in  se  divisae, 
tum  fortis  direpturi  domum.  »  Le  m6me  au- 
'teur  donne  ensuite  une  excellente  division 
du  discours  de  Jesus  tel  que  nous  le  lisons 
dans  S.  Marc.  «  Prima  ratio  ad  manifestan- 
dum  quod  non  ejicit  daemones  in  Beelzebub, 
se  tenet  ex  parte  daemonis  :  ducendo  ad  in- 
conveniens,  scilicet,  quod  daemones  agerent 
ad  desolationem  proprii  regni,  hoc  siquidem 
inconveniens  inferlur  dicendo,  Quomodo  ergo 
slabit  regnum  ejus?  Constat  enim  nulUun 
quantumcumque  tyrannum  studere  ad  desola- 
tionem proprii  regni,  quia  studet  ad  conser- 
tionem  proprii  boni.  Secunda  ratio  ex  parte 
ipsius  Christi  se  tenet,  scilicet  quod  ejicit 
daemonia  in  digiloDei,  et  est  probaiio  sumpta 


ab  effectu  seu  fructu,  introducta  tamen  ex 
metaphora  bellicae  direptionis.  »  —  Quomodo 
potest...  C'esl  la  premiere  preuve ;  elle  va 
jusqu'a  la  fin  du  t.  26,  et  deraontre  i'absur- 
dite  de  I'accusation  portee  contre  Jesus  :  Ce 
que  vous  affirmez  est  tout  simplement  une 
impossibilite.  Vous  pretendez  que  je  chasse 
les  demons  parce  que  je  suis  de  connivence 
avec  Beelzebub,  leur  chef;  mais  cela  revient 
a  dire  que  Satan  est  en  guerre  ouverte  avec 
lui-meme,  ce  qui  ne  saurait  etre,  car  le  de- 
mon ne  luttera  jamais  contre  le  demon.  La 
phrase  «  quomodo  potest...  »  ne  se  trouve 
que  dans  notre  Evangile. 

24  el  23.  —  A  I'appui  de  cette  assertion, 
Notre-Ssigneuf  apporte  deux  fails  evidents 
emprunles  I'un  a  la  politique,  t.  24,  Tautre  k 
la  vie  de  famille,  t.  23.  —  Si  regnum  in  se 
dividatur.  Un  royaume  divise  par  des  guerres 
intestines  est  un  royaume  ruine.  Satan  ne  I'i- 
gnore  pas,  et  il  se  donnerait  bien  garde  de 
partager  ainsi  son  empire  en  accordant  a 
quelqu'un,  contre  ses  propres  sujets,  un  pou- 
voir  qui  deviendrait  bienlot  desastreux  pour 
I'enfer.  OOy.  elxoi;  apx^'^  ^Ttt  apX^^  (TTpaxe-jtrai, 
dit  pareiliement  Thucydide.  —  La  preposi- 
tion «  in  »,  de  meme  que  son  correlatif  grec 
Itic,  employee  avec  I'accusatif,  a  souvent  le 
sens  de  «  contra,  ad  versus  ».  —  Et  si  domus 
super  semetipsam... ;  plus  correctement,  d"a- 
pres  le  lexle  primilif,  «  si  domus  in  semet- 
ipsam dividatur  »  ;  car,  a  part  olxia  au  lieu 
de  paffO.eia,  les  motssont  tout  a  fait  lesmemes 
qu'au  t.  24.  —  C'est  done  une  histoire  iden- 
tique  :  maison  divisee,  maison  ruinee,  comme 
maint  exemple  hislorique  le  demontre. 

26.  —  Et  si  Satanas.  La  preposition  xai, 
repeiee  pour  la  troisieme  fois  depuis  le  debut 
de  I'argument,  a  ici  la  signification  de  6e, 
«  igitur  »  (Cfr.  Matth.  xii,  18  :  elSsxai};  elle 
introduit  la  conclusion  manifeste  qui  ressort 
des  deux  fails  d'experience  signales  plus  haut. 
Royaume  divise,  royaume  ruine ;  famille  divi- 
see, famille  ruinee:  «  a  pari  »,  Satan  divise, 
Satan  ruine,  finem  habet :  e'en  est  fait  de  lui 
et  de  sa  puissance.  Quelle  simplicite,  et  pour- 
tant  quelle  force  d'argumentation !  —  L'ex- 
pression avEOTYj  £9'  eauTov,   consurrexerit  in 


CHAPITRE  III 


61 


semetipsum,  dispertitus  est,  etnon 
poterit  stare,  sed  finem  habet. 

27.  Nemo  potest  vasa  fortis  in- 
gressus  in  domum  diripere .  nisi 
prius  fortem  alliget,  et  tunc  domum 
ejus  diripiet. 

28.  Amen  dico  vobis,  quoniam 
omnia  dimittentur  filiis  hominum 
peccata,  et  blasphemiae  quibus  blas- 
phemaverint. 

Match.  12,  31;  Luc.  2, 10;  Joan.  5,  16. 

29.  Qui  autem  blasphemaverit  in 
Spiritum  sanctum,  non  habebit  re- 
missionem  in  seternum,  sed  reus 
erit  seterni  delicti. 

30.  Quoniam  dicebant :  Spiritum 
immundum  habet. 


meme,  il  est  divise,  et  il  ne  pourra 
subsister  et  il  prend  fin. 

27.  Personne  ne  pent  entrer  dans 
la  maison  de  I'homme  fort  et  piller 
ses  meubles,  a  moins  qu'il  n'ait  au- 
paravant  lie  I'homme  fort;  alors  il 
pillera  sa  maison. 

28.  Je  vous  dis  en  verite  que  tons 
les  peches  seront  remis  aux  enfants 
des  hommes,  ainsi  que  les  blasphe- 
mes qulls  auront  proferes; 

29.  Quant  a  celui  qui  aura  blas- 
pheme contre  I'Esprit-Saint,  il  n'ob- 
tiendra  jamais  remission,  mais  sera 
coupable  d'un  peche  eternel. 

30.  Parce  qu'ils  disaient  :  II  est 
possede  d'un  esprit  immonde. 


semetipsumj  propre  a  S.  Marc,  est  tres  pitto- 
resque. 

27.  —  Nemo  potest.  Nous  passons  a  la  se- 
conde  preuve,  qui  consisle  en  un  nouvel 
exemple  familiar.  Un  guerrier  arme  de  pled 
en  cap  monie  la  garde  a  I'entree  de  sa  mai- 
son. Pour  qii'on  y  penetre  et  qu'on  la  pille, 
que  faudra-t-il?  II  faudra  vaincre  tout  d'abord 
et  garrotter  ie  proprielaire  vigilant  et  robuste. 
Mais,  ceia  fait,  on  en  sera  le  maitre  absolu. 
Or,  des  deux  guerriers  de  cette  parabole,  I'un 
ifortem]  represente  Satan,  I'autre  [fortis]  est 
Jesus  lui-meme  :  la  maison  avec  les  objets 
qu'elle  renferme  figure  les  possedes  que  Jesus 
delivre  du  joug  honteux  des  demons.  La  con- 
clusion est  claire,  bien  qu'elle  ne  soit  pas 
exprimee :  Done,  Jesus  est  plus  fort  que  Satan ; 
par  consequent,  il  n'a  rien  a  recevoir  de  lui. 

28  et  29.  —  Apres  avoir  ainsi  refute  leur 
accusation  aussi  insensee  qu'injurieuse,  le 
divin  Maitre  donne  aux  Pharisiens  un  aver- 
tissement  des  plus  graves  ;  Prenez  bien  garde 
a  la  faute  que  vous  commellez  en  osant  me 
calomnier  ainsi  :  c'est  un  de  ces  peches  que 
la  misericorde  de  Dieu,  pour  infinie  qu'elle 
soit,  ne  saurait  pardonner.  —  Amen  dico  vo- 
bis :  formule  par  laquelle  Jesus  aimait  a  atli- 
rer  I'attention  sur  quelque  point  important 
de  ses  discours.  Voyez  I'Evangile  selon 
S.  Matth.,  p.  ]\0.  —  Omnia  dimtttuntur... 
Les  pecheurs  contrits  et  humilies,  quels 
qu'aient  ete  leurs  mefaits,  n'ont  qu'a  se  pre- 
senter au  divin  tribunal :  ce  n'est  pas  un  Juge 
severe,  mais  un  Pere  aimant,  qui  recevra  ces 
prodigues.  «  Quiescite  agere  perverse,  discite 
benefacere...,  et  venite,  arguite  me,  dicit 
Dominus  :  si  fuerint  peccata  vestra  ut  cocci- 
Dum,  quasi  nix  dealbabunlur ;  et  si  fuerint 


rubra  quasi  vermiculus,  velut  lana  alba 
erunt  ».  Is.  i,  16-18.  —  Peccata  represente 
le  genre;  blasphemies  une  espece  parlicu- 
liere,  en  vue  du  crime  impardonnable  qui  va 
etre  nomme.  —  Blasphemaverit  in  Spiritum 
sayictum.  Sur  la  nature  de  ce  peche,  voir 
Matth.  xii,  72  et  noire  commenlaire,  p.  247 
et  248.  Le  blaspheme  contre  I'Esprit-Saint 
est  moins  un  acle  qu'un  etat  peccamineux, 
dans  lequel  on  persevere  sciemment  et  volon- 
tairement  :  c'est  pour  cela  qu'il  ne  saurait 
etre  pardonne,  le  pecheur  n'offrant  pas  les 
dispositions  requises.  —  Sed  reus  erit...  Ces 
mots  qui  terminent  le  t.  29  n'ont  ete  conser- 
ves que  par  S.  Marc.  lis  ferment  un  «  confir- 
matur  »  energique  de  la  pensee  precedente  : 
Non,  les  blasphemateurs  impies  du  S.  Esprit 
n'obliendront  jamais  de  pardon,  mais  ils 
expieront  elernellement  leur  faute.  Get  em- 
ploi  d'une  proposition  affimative  a  la  suite 
d'une  proposition  negative,  pour  repeter  la 
meme  idee  en  la  renforgant,  est  quelque  chose 
de  tout  a  fait  oriental.  —  jEterni  delicti.  La 
plupart  des  manuscrits  grecs  portent  atwvt'ou 
xpiffcco;,  «  ajterni  judicii  »  :  quelques-unsont 
neanmoins  la  legon  aixapx^sAaTo;,  qu'a  suivie 
la  Vulgaleet  que  preferent  plusieurs critiques 
(entre  aulres  Tischendorf).  Du  resle  ce  n'est 
qu'une  simple  nuance,  puisqu'un  peche  eter- 
nel est  celui  qui  ne  sera  jamais  pardonne, 
pour  lequel,  par  consequent,  on  subira  un 
chatiment  eternel. 

.30.  —  Quoniam  dicebant.  S.  Marc  fait  ici 
une  reflexion  qui  lui  est  propre,  el  il  la  fait 
en  termes  elliptiques.  II  faudrait,  pour  que  la 
pongee  lut  complete  :  «  Sic  ioquebalur  quo- 
niam dicebant...  »  L'Evangeliste  se  pro|>?se 
done  d'indiquer  brievement  le  motif  qui  iuv.* 


62 


CHAPITRE  III 


31.  Sa  mere  et  ses  freres  vinrent 
et,  se  tenant  dehors,  ils  envoyerent 
Tappeler. 

32.  Etla  foule  etait  assise  autour 
de  liii,  et  on  lui  dit  :  Voila  que  votre 
mere  et  vos  freres  vous  cherchent 
dehors. 

33.  Et,  leur  repondant,  il  dit  : 
Quelle  est  ma  mere  et  quels  sont 
mes  freres  ? 

34.  Et,  regardant  ceux  qui  etaient 
assis  autour  de  lui,  il  dit :  Voila  ma 
mere  et  mes  freres; 

3b.  Car,  celui  qui  fait  la  volonte 
de  Dieu,  celui-la  est  mon  frere  et 
ma  soeur  et  ma  mere. 


31.  Et  veniunt  mater  ejus  et  fra- 
tres,  et  foris  stantes  miserunt  ad 
eum  vocantes  eum. 

Matth.  12,  46  J  Z,uc.  8,  19. 

32.  Et  sedebat  circa  eum  turba; 
et  dicunt  ei :  Ecce  mater  tua  et  fra- 
tres  tui  foris  quserunt  te. 

33.  Et  respondens  eis,  ait  :  QuaB 
est  mater  mea,  et  fratres  mei? 

34.  Et  circumspiciens  eos  qui  ia 
circuitu  ejus  sedebant,  ait  :  Ecce 
mater  mea,  et  fratres  mei. 

3o.  Qui  euim  fecerit  voluntatem 
Dei,  hie  frater  mens,  et  soror  mea, 
et  mater  est. 


pirait  a  Jesus  un  langage  si  severe.  —  Spiri- 
turn  immundum  habet.  En  proferant  ces  af- 
freuses  paroles,  les  Pharisiens  commeltaient 
precisement,  ou  du  nioins  ilscouraienl  le  ris- 
que de  commellre  le  peche  irremissible:  c'est 
pourquoi  le  Saiiveur,  loujours  charitable,  les 
avertissait  du  grand  danger  dans  lequel  ils 
etaient  lombes  au  point  de  vue  de  leur  salut. 

c.  Les  parents  du  Christ  selon  Vesprit.  iii,  31-35. 

31  et32. —  Et  re/iiun^Dansle  grec,  epxoyv- 
Tai  ouv,  «  veniunt  igilur  »,  ce  qui  rattache 
I'incident  acluel  au  t.  21.  Marie  accom- 
pagne  les  proches  de  Jesus ;  raais  il  est  inutile 
de  repeter  quelle  n'entrait  nullement  dans 
leurs  vues.  —  Foru  stantes.  S.  Luc  dit 
pourquoi  ils  resterent  ainsi  en  dehors  de  la 
maison  oil  se  trouvait  alors  Notre-Seigneur 
(Cfr.  t-  20)  :  «  Non  poterant  adire  eum  prae 
turba  ».  —  Miserunt  ad  eum.  C'est  la  encore 
un  de  ces  details  precis  qui  n'existent  que 
dans  le  second  Evangile.  II  en  est  de  meme 
du  suivant,  qui  est  si  piUoresque  :  et  sedebat 
circa  eum  turba.  —  Apres  fratres  tui,  le  texte 
grec  ajoute  -/al  at  do£>,9ai  co-j,  et  tes  soeurs, 
ce  qui  serait  une  nouvelle  particularite  de 
S.  Marc.  Toutefois,  ces  mots  manquent  dans 
d'importants  manuscrits,  tels  que  B,  C,  G,  K, 
Sinalt. 

33et34.  —  QucB  est  mater  mea...?  ?ar  ceile 
question,  Jesus  a  pour  but  d'attirer  I'alten- 
tion  de  la  foule  sur  la  parole  qu'il  va  pro- 
noncer.  Cela  fait,  il  jette  sur  tous  ceux  qui 
I'entourent  un  regard  plein  d'affeclion  et  de 
douceur,  ciirumspiciem  eos;  puis  il  s'ecrie  : 
Ecce  mater  mea!...  II  n'y  a  eu  que  Jesus  au 
monde  pour  lenir  un  pareil  langage.  —  La 
mention  du  regard  est  speciale  a  S.  Marc  : 
S.  Matihieu,  xii,  45,  avait  signale  un  autre 


geste  du  Sauveur  :  «  Et  extendens  manuni  in 
discipulos  ».  C'est  ainsi  que  les  Evangelistes 
se  completent,  tout  en  gardant  une  parfaite 
independance.  —  Au  lieu  dela  legon  it£pt6).£- 
(J/aiievo;  to'j;  iiEpi  aOtov  y.\i-/.lu>,  qui  a  ete  suivie 
par  la  Vulgate  [circumspiciem  eos  qui  in  cir- 
cuitu ejus)  et  qu'on  lit  dans  plusieurs  manus- 
crits ^B,  C,  L,  Smalt.;  etc.),  Is  grec  ordinaire 
porte  simplement  ■jtepi6>,£(}/i[X£voe  xuxXw,  ayant 
regarde  en  rond. 

33.  —  Qui  enim  fecerit.  Jesus  explique  son 
assertion  si  extraordinaire  du  verset  prece- 
dent. Ce  que  I'identile  du  sang  produit  entre 
les  proches,  raccomplissement  parfail  de  la 
volonte  divine  I'opere  entre  tous  les  hommes 
sans  distinction.  C'est  un  lien  qui  les  unit 
beaucoup  plus  elroitement  les  uns  aux  autres, 
et  au  Seigneur  Jesus,  que  celui  de  la  mater- 
nite,  de  la  fraternite  proprement  dite.  «  Non 
negans  matremhaec  dixit,  sed  ostendens  quod 
non  propter  nativitatem  solum  digna  fuerit 
hoc  honore,  sed  propter  omnes  alias  virtutes 
quibus  praedita  fuit  ».  Euthymius.  De  la  sorte, 
Marie  etait  done  deux  fois  la  mere  de  Jesus  I 
—  Ces  paroles  et  celte  conduite  du  Sauveur 
enseignent  admirablement  au  pretre  ce  qu'il 
doit  etre  dans  ses  relations  de  famille.  Mais 
il  y  a  la  aussi  pour  lui  un  grand  sujet  de 
consolation,  tres  bien  exprime  dans  les  re- 
flexions suivantes  du  venerable  Bede  :  «  Mi- 
randum  valde  est  quomodo  (is  qui  voluntatem 
Dei  fecerit)  etiam  mater  (Christi)  dicatur... 
Sed  sciendum  nobis  est  quia  qui  Jesu  frater 
et  soror  est  credendo,  mater  efficitur  prsedi- 
cando.  Quasi  enim  parit  Dommum.  quera 
cordi  audientis  infuderit.  Et  mater  ejus  effi  - 
citur,  si  per  ejus  vocem  amor  Domini  ia 
proximi  mente  generatur  ».  In  Marc.  Evang. 
Exposit.  lib.  I;  c.  III. 


fiVANGILE  SELON  S.  MAP.G 


13 


CHAPITRE  IV 

Jdsus  se  met  k  enseigner  sous  forme  de  paraboles  {tlf.  ^  et  2).  —  Parabole  du  Si^rat'ur 
(tt.  3-9).  —  Pourquoi  les  paraboles  {i!t.  11-12).  —  Explication  de  la  parabole  ciu  Seineur 
{tt.  13-20).  —  II  faut  ecouler  attentivement  la  parole  de  Dieu  [tt.  21-25).  —  Parabole 
du  champ  de  ble  {ft.  26-29).  —  Parabole  dii  grain  de  seneve  (tt.  30-32).  —  Aulres  para- 
boles de  Jesus  {ti.  33  et  34).  —  Miracle  de  la  tempete  apaisee  [tt-  35-40). 


1.  Et  iterum  coepit  docere  ad 
mare  :  et  congregata  est  ad  eum 
turba  multa,  ita  ut  navim  ascen- 
dens  sederet  in  mari,  et  omnis  turba 
circa  mare  super  terram  erat. 

Matlh.  13,  1;  Luc.  8,  4. 


1 .  II  commenca  de  nouveau  a  en- 
seigner aupres  de  la  mer,  et  une 
grande  foule  se  rassembla  autour 
de  lui,  de  sorte  que,  montant  dans 
la  barque,  il  se  tenait  sur  la  mer,  et 
toute  la  foule  etait  a  terre  le  long 
du  rivage. 


9.  Les  paraboles  du  royaume  des  cieux. 

IV,  1-34. 

Malgre  la  reserve  extraordinaire  de  notre 
Evangeliste  toules  les  fois  qu'il  s'agit  de  rap- 
porter  les  discours  du  Sauveur,  il  fail  nean- 
moins  deux  exceptions  a  la  regie  qu'il  s'etait 
imposee  d'omettre  presque  entierement  les 
paroles  pouraller  droit  aux  actes.  Nous  trou- 
vons  ici  meme  la  premiere  de  ces  exceptions  : 
la  seconde  viendra  au  chap.  xiii.  Elles  s'im- 
posaient  pour  ainsi  dire  d'elles-memesa  I'ecri- 
vain  sacre;  car  il  fallait  bien,  d'une  part, 
qu'il  signalal  I'enseignement  de  Jesus  sous  la 
forme  de  paraboles,  el  comment  le  signaler 
sans  en  donner  quelques  e.\emples?Il  fallait, 
d'aulre  part,  qu'il  transmit  a  ses  lecleurs  les 
graves  propheties  du  Sauveur  relatives  a  la 
fin  du  monde.  Neanmoins,  meme  dans  ces 
deux  cas,  il  demeure  fidele  a  son  role 
d'  «  Epitomator  ».  Ainsi,  pour  ce  qui  regarde 
les  Paraboles  du  royaume  des  cieux,  au  lieu 
d'en  citer  jusqu'a  sept,  comme  S.  Matlhieu, 
il  se  conlenle  d'en  relaler  trois,  celle  du 
Semeur,  celle  da  champ  de  ble  et  celle  du 
grain  de  seneve.  Et  pourtant,  selon  sa  cou- 
tume,  tout  en  donnant  si  peu,  il  a  su  elre 
original,  puisque  la  parabole  du  champ  de  ble 
ne  se  rencontre  nuUe  pari  ailleurs.  Du  reste, 
sa  concision  ne  Tempeche  nullemenl  d'etre 
complet  jusqu'a  un  certain  point,  car  ces  pa- 
raboles nous  representenl  le  royaume  mes- 
sianique  dans  ses  phases  principales  el  sous 
ses  traits  essentiels,  comme  on  le  verra  par 
le  commentaire. 

a.   La  parabole   du   semeur.  iv,  1-9.  —  Parall. 
Matth.  xni,  1-9;  Luc.  viii,  4-8. 

Chap.  iv.  —  1.  —  Et  iterum  ccepit...  La 
mise  en  scene  est  decrite  dans  ce  premier 
verset  d'une  maniere  graphique,  digne  de 


S.  Marc.  «  Iterum  »,  parce  qu'a  plusieurs  re- 
prises deja,  II,  13;  III,  7,  I'Evangelisle  avail 
monlre  le  divin  Mailre  enseignanl  au  bord 
du  lac.  «  Coepit)),  car  a  peine  Torateur  avait- 
il  pris  la  parole,  qu'il  se  fit  autour  de  lui  un 
immense  concours  de  peuple  {congregata  est 
ad  eum  turba  multa)  qui  Vohligead'inlenompve 
momentanement  son  discours,  afin  de  pren- 
dre quelques  mesures,  de  maniere  a  n'etre 
pas  trop  comprime  par  la  foule.  Au  lieu  de  la 
legon  auvTixQ^i . . .  ox^o;  ■noXO?,  qu'on  trouve 
dans  la  Recepta  el  dans  la  plupart  des  an- 
ciens  teraoins,  plusieurs  manuscrits  impor- 
tanls  (B,  C,  L,  a)  portent  auvayetai...  ©xXo; 
nltlaxoz,  «  congregalur...  turba  maxima  ». 
Celle  varianle  a  nos  preferences,  soil  parce 
qu'elle  est  plus  conforme  au  style  de  S.  Marc 
oil  I'emploi  du  temps  present  est  si  frequent, 
soil  parce  que  les  deux  aulres  synopliques 
parlenl  aussi  d'un  rassemblement  Ires  consi- 
derable :  «  lurbse  multae,  »  Matlh.  xiii,  2; 
«  quum  turba  plurima  convenirent  el  de  civi- 
talibus  properarent  ad  eum  »,  Luc.  viii,  4. 

—  Ita  ut  navim  ascendens.  II  y  a  dans  le  grec 
TO  TtXoiov  avec  I'article,  pour  montrer  qu'il 
s'agit  d'un  bateau  bien  determine  :  c'elait 
sans  doute  celui  que  Jesus  s'elail  reserve  pre- 
cedemment,  in,  9,  pour  les  occurrences  de  ce 
genre.  —  Sederet  in  mari,  c'esl-a-dire  «  in 
navi  deducla  in  mare  )).  Comme  lout  est 
gracieux  elpopulaire  dans  I'enseignement  de 
JesuslComp.l'Evangile  selon  S.  Mallh.p.97. 

—  Omnis  turba  circa  mare...  «  Versus  mare  » 
serait  une  traduction  plus  exacte  du  grec 
ivp6?Triv  QaXaoffav.  Ces  mots  font  tableau,  et 
nous  monlrent  le  nombreux  auditoire  groupe 
sur  le  rivage  el  lourne  du  cote  du  lac,  tan- 
dis  que  I'Orateur  etait  assis  dans  sa  barque 
a  quelque  pas  de  la  rive. 

2.  —  Docebat  eos.  D'apres         Matlhieu, 


6i 


EVANGi'LE  SELON  S.  MARC 


2.  Et  il  leur  enseignait  beaucoup 
de  choses  en  paraboles,  et  il  leur 
disait  dans  son  enseignement : 

3.  Ecoutez!  Voila  que  le  Semeur 
est  sorti  pour  semer. 

4.  Et,  pendant  qu'il  semait,  une 
partie  de  la  semence  tomba  le  long 
du  chemin,  et  les  oiseaux  du  ciel 
vinrent  et  la  mangerent. 

'  b.  Une  autre  partie  tomba  sur  un 
terrain  pierreux,  oii  elle  n'eut  pas 
beaucoup  de  terre,  et  elle  leva  bien- 
tot  parce  qu'elle  n'avait  pas  une 
terre  profonde; 

6.  Et,  quand  le  soleil  se  leva,  elle 
fut  echauffee,  et,  comme  elle  n'a- 
vait pas  do  racines,  elle  secha. 


2.  Et  docebat  eos  in  parabolis 
multa,  et  dicebat  illis  in  doctrina 
sua : 

3.  Audite  :  Ecce  exiit  seminans 
ad  seminandum. 

4.  Et  dum  seminat,  aliud  cecidit 
circa  viam,  et  venerunt  volucres 
coeli,  etcomederunt  illud. 

5.  Aliud  vero  cecidit  super  petro- 
sa,  ubi  non  habuit  terram  multam; 
et  statim  exortum  est,  quoniam  non 
habebat  altitudinem  terrse. 

6.  Et  quando  exortus  est  sol, 
exsestuavit;  et  eo  quod  non  habebat 
radicem,  exaruit. 


XII,  1,  ce  discours  fut  prononce  par  Notre- 
Seigneur  le  meme  jour  que  son  apologie 
contre  les  Pharisiens  iiii.  22  et  ss.).  Quel  con- 
traste  entre  les  deux  scenes  et  les  deux  modes 
d'enseignement!  —  In  parabolis  multa.  Dans 
notrecommentairesur  S.  Malthieu,  p.  2o7  et 
suiv.,  nous  avons  donne  de  longs  details  sur 
les  paraboles  de  Jesus  :  nous  y  renvoyons  le 
lecteur.  Clement  d'Alexandrie  definil  la  pa- 
rabole  :  ).6yo;  oltzo  tivo;  oO  xOptoy  (aev,  efji^EpoO; 
5e  Tw  y.upiw,  iizi  x'  alrfiii  xai  xuptov  aycov  xov 
CTvvtevTa,  «  oratio  ab  aliquo  non  proprio  qui- 
dem  sed  quod  est  simile  proprio,  ad  id  quod 
verum  et  proprium  deducens  eum  qui  intelli- 
git  »,  Strom,  vi.  —  Par  I'adjectif  «  multa  », 
et  par  les  deux  verbes  mis  a  I'imparfait, 
S.  Marc  indique  qua  cette  epoque  de  sa  Vie 
publique  ce  fut  pour  Jesus  une  coutume  a  peu 
pres  reguliere  de  presenter  sa  doctrine  sous 
forme  de  paraboles.  —  In  doctrina  sua  equi- 
vaut  a  «  inter  docendum  ». 

3.  —  Audite.  Le  Sauveur  commence  la 
serie  de  ses  paraboles  relatives  au  royaume 
des  cieux  par  cette  apostrophe  vive  et  so- 
lennelle,  quin'aeteconservee  queparS.  Marc. 
Ecoutez!  Ce  mot  n'etail  pas  de  trop  en  pa- 
reille  circonstance,  puisque  Jesus  allait  em- 
ployer un  discours  voile,  figure,  dont  i'intel- 
ligence  presenterait  degrandes  difficultes.  — 
Exiit  seminans.  Apres  nous  avoir  mis  en 
quelque  sorte  sous  les  yeux  Tauditoire  et  le 
Predicateur,  t.  ^,  apres  avoir  precise  le 
genre  d'enseignement  adopte  par  ce  dernier, 
f.  2.  ''Evangeliste  signale  trois  des  paraboles 
proposees  ce  jour-la  meme  par  Jesus.  La  pre- 
miere, celle  du  Semeur,  decrit  les  debuts 
penibles  du  royaume  de  Dieu  sur  la  terre  : 
mille  difSculles  I'environnent  alors,  et  empe- 
chent  son  avenement  dans  un  grand  nombre 


de  coeurs.  La  seconde  parabole,  celle  du 
champ  de  ble,  n.ontre  comment,  en  depit  de 
ces  difficultes,  le  royaume  messianique  se 
developpe  et  croit  surement,  quoique  d'une 
maniere  lente  et  silencieuse.  La  troisierae 
enfin,  celle  du  seneve,  nouspresente  I'empire 
du  Christ  parvenu  a  une  merveilleuse  diffu- 
sion et  presque  aun  elabli*sement  parfait.  — 
SeminaHS,  6  oTietpuv,  le  Semeur  par  excel- 
lence! 

4.  —Etdum  seminat.  A  partir  de  ce  verset 
jusqu'a  la  fin  du  huitieme,  il  existe  une  coin- 
cidence presque  verbale  entre  le  recit  de 
S.  Marc  et  celui  de  S.  Matthieu.  II  n'y  a  guere 
que  trois  variantes  principales  a  signaler 
dans  notre  Evangeliste  :  1°  il  parle  de  la 
semence  ans'm^uW^r,  aliud  cecidit...  illud,  etc., 
tandis  que  S.  Malthieu  empioie  constamment 
le  pluriel,  «  alia  ceciderunt,...  ea  «  etc.; 
2°  il  ajoute,  t.  7,  les  mots  «  et  fructum  non 
dedit  »;  3°  les  participes  «  ascendentem  et 
crescentem  »  du  t.  8  sont  de  meme  une 
particularite  de  sa  narration.  —  Cif-ca  viam. 
V  Non  ex  intenlione  salor  jacit  semen  secus 
viam  et  in  petrosa,  sed  hoc  contingit  ex  con* 
comitanlia  actus  seminandi  per  universum 
agruni  ».  Cajetan.  —  Les  mots  to-j  oupavoO 
[coeh  de  la  Vulgate)  sont  regardes  par  de  nom- 
breux  critiques  comme  une  interpolation, 
altendu  qu"iis  manquent  dans  presque  tous 
les  meilleurs  manuscrits. 

6-7.  ~  Voyez  Texplicalion  detaillee  dans 
I'Evangile  selon  S.  Matth.  p.  261.  —  In  spi- 
nas^ probablement  le  Nabk  ou  Nebek,  plante 
epineute  qui  abonde  en  Palestine  et  en  Syrie. 
— Sulfococerunt,  (juvETrvt^av.  S.  Malthieu  avail 
exprime  la  meme  idee  avec  une  nuance, 
aTTETTviEav.  Le  mot  de  S.  Marc  indique  mieux 
que  la  croissance  des  epines  et  le  deperisse- 


CHAPITRE  IV 


65 


7.  Et  aliiid  cecidit  in  spinas ;  et 
ascenderunt  spinse,  et  siiffocaverunt 
illud ;  et  fructum  non  dedit. 

8.  Et  aliud  cecidit  in  terram  bo- 
nam,  et  dabat  fructum  ascendentem 
et  crescentem;  et  afierebat  unum 
trigmta,  unum  sexaginLa,  et  unum 
centum. 

9.  Et  dicebat :  Qui  habet  aures 
audiendi,  audiat. 

10.  Et  cum  esset  singularis,  in- 


7.  Une  autre  partie  tomba  dans 
des  epines,  et  les  epines  grandirent 
et  I'etoufferent,  et  elle  ne  donna 
point  de  fruit. 

8.  Une  autre  partie  tomba  dans 
une  bonne  terre.  et  donna  du  fruit 
qui  monta  et  crut  et  rapporta  I'un. 
trente,  I'autre  soixante  et  I'autre 
cent. 

9.  Et  il  disait :  Que  celui  qui  a 
des  oreilles  pour  entendre  entende! 

10.  Et,  lorsqu'il  fat  laisse  seul. 


ment  de  la  bonne  semence  ftirent  deux  fails 
simultanes.  —  Et  fruclum  non  dedit.  Jesus 
n'avait  rien  dit  (ie  semblable  pour  les  deux 
premieres  parlies  de  la  semence,  parce  qu'il 
etait  bien  evident  qu'elles  ne  pouvaienl  rien 
produire,  vu  les  condilions  dans  lesquelles 
les  semailles  avaienl  eu  lieu.  Mais,  celle  fois, 
on  aurail  pu  s'altendre  a  des  fruits  nom- 
breux,  la  graine  ayanl  d'abord  cru  a  mer- 
veille;  c'esl  pour  cela  que  la  slerilite  esl  si- 
gnalee  en  termes  expres. 

8.  —  Et  aliud  cecidit.  Theophylacte  decrit 
fori  bien  les  quatre  deslinees  si  differenles 
du  grain  jele  par  le  Semeur.  Une  premiere 
partie  ne  germa  pa?  meme.  oOx  dvs'gatve;  une 
autre  leva,  mais  pour  perir  aussilot,  dvEoaivs 
(lev  d).V  o'jy.  r,u?av£ ;  la  Iroisieme  partie  germa, 
grandit,  mais  demeura  sterile,  ave'gatve  y.al 
Y,u?av£v,  d)),a  v.apTTOv  o'jy.  iow/e;  la  qualrieme 
seule  ful  leconde,  avjSaivs  y.ai  r,-j?av£  y.al  y.ap-6v 
I5wy.£...  TETapTov  ^Aovov  ctacwOiv.  On  obllent 
done  ainsi  une  belle  giadniion,  oil  Ton  veil 
agir  trois  causes  de  slerilite,  une  seule  do 
fertilile.  —  Fructum  ascendentem  et  crescen- 
tem, Cfr.  t.  4.  Le  mot  «  fruclus  »  ne  design© 
pas  les  grains,  donl  il  ne  s^ra  question  qu'un 
peu  plus  bas,  mais  I'epi  qui  les  contienl,  el 
dans  lequel  ils  se  formeront  el  murironlpeu 
a  peu.  Les  classiques  I'emploient  egalement 
dans  ce  sens.  Cfr.  Hom.  II.  i,  'lo6;  Xenoph. 
de  Venal,  v,  5.  «  Ascendentem  »,  par  oppo- 
sition aux  grains  pour  Ies(iuel3  il  n'y  avail 
pas  meme  eu  de  germination.  «  Crescentem  », 
par  opposition  aux  grains  qui  n'avaienl  eu 
qu'une  croissance  temporaire  :  on  veil  I'epi 
qui  sort  de  sa  gaine,  qui  s'alloiige  el  qui 
grossil.  —  Unum  triginla...  sexafjinta,  cen- 
tum. La  Vulgate  a  suivi  hi  le^on  svrpiiy.ovTa, 
xat  £v  s^'^y.ovTa. . .  On  lit  dans  plusieurs  ma- 
nuscrits  eI;  xptdyovxa,  £i;  ^;r,y.ovTa...  c"esl-a- 
dire,  jusqu'a  trente,  jusqu'a  soixante,  jusqu'a 
cent;  el  ailleurs,  |v  TptdyovTa,  £v  E^/ixovTa... 
«  in  triginta.  in  sexaginla...  »  II  esl  mora- 
iement  impossible  de  dire  quelle  dul  etre  la 
forme   primitive  du   texle.    L'emploi  de  gv 

S.  Bible.  S. 


semble  plus  conforme  au  style  biblique.  — 
S.  Maltliieu,  xiii,  8,  dans  son  enumeration, 
etait  alio  du  plus  grand  nombre  au  plus 
petit :  «  aliud  centesiunim,  aliud  sexagesimurn, 
aliud  trige.>imuiu  »;  S.  Marc  suit  I'ordre  con- 
Iraire,  qui  est  plus  naturel  et  plus  expressif. 
D'apres  ces  chitfres,  la  quanlite  totale  de  la 
semence  se  divise  done,  relativemenl  au  pro- 
duit,  en  deux  parts  tres  dislincles,  donl  Tune 
ful  tout  a  fait  sterile,  I'autre  plus  ou  moins 
feconde.  Dans  chacune  de  ces  parts,  on  dis- 
tingue ensuiie  trois  degres  soil  de  slerilite 
soil  de  succes. 

9.  —  Et  dicebat.  «  Clamabal  »,ditS.  Luc, 
employant  une  expression  Ires  energique.  La 
parabole  achevee,  Jesus  prononga  done  a 
haute  voix  les  paroles  qui  suivent.  —  Qui 
habet  aures  audiendi,  una.  dy-o-jtiv,  des  oreilles 
pour  entendre.  Formule  solennelle,  que  les 
trois  synopliques  mentionnentici  de  concert: 
Jesus  la  prononga  eu  six  occasions  diffe- 
renles :  Mattli.  XI,  15;  xiii,  43;  Marc,  iv,  9; 
IV,  23;  VII,  16;  Luc.  xiv,  35.  Elle  est  citee 
hull  fois  dans  I'Apocalypse  :  ii,7, 11,  17,29; 
III,  6,  13,  22;  XIII,  9.  —  Le  mot «  audiendi  » 
esl  important:  car,  si  tous  les  hommes  ont 
des  oreilles  au  physique,  combien  en  sent 
depourvus  au  moral?  «  Plusieurs  n'ont  pas 
d'oreilles  interieures  pour  ecouter  les  divines 
harmonies.  » 

b.   Pourquoi  les  paraboles?  IV,  10-12.  —  Parall. 
Matth,  xni,  10-17;  Luc.  vm,  9-10. 

10.  —  Quum  esset  singularis.  En  grec, 
y.ataaova;,  sous-enlendu  x^pa?)  seul,  «  seor- 
sum  1)  (iTzS  des  Hebreux).  CiV.  Bretschneider, 
Lexic.  man.  graeco-lat.  in  lib.  Novi  Tesla- 
menti  1. 1,  p.  564.  Les  details  qui  vont  suivre, 
jusqu'au  t.  25.  sent  done  raconles  ici  par 
anticipation.  D'apres  I'ordre  chronologique, 
leur  vraie  place  serait  entre  les  'S't.  34  et  35. 
En  effet,  Jesus  ne  ful  seul  qu'a  la  fin  de  la 
journee,  lorsqu'il  cut  acheve  sa  predication 
et  congedie  le  peuple.  Comp.  Matth.  xiii, 
10,  36,  el  leCommenlaire.Neanmoins,  I'ordre 

Marc.  —  5 


66 

les  Douze  qui  etaient  avec  lui  rin- 
terrogerent  sur  cette  parabole. 

ll.'Et  il  leur  disait  :  A  vousil  a 
ete  donne  de  connaitre  le  mystere 
du  royaume  de  Dieu;  mais,  pour 
ceux  qui  sont  dehors,  tout  se  fait 
en  paraboles ; 

12.  Afin  qu'en  voyant,  ils  voient 
et  ne  voient  point,  et  qu'en  enten- 
dant  ils  entendent  et  ne  compren- 
nent  point,  de  sorte  qu'ils  ne  se 
convertissent  pas  et  que  les  peclies 
ne  leur  soient  pas  remis. 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


terrogaverunt  eum  hi  qui  cum  eo 
erant  duodecim,  parabolam. 

11.  Et  dicebat  eis  :  Vobis  datum 
est  nosse  mysterium  regni  Dei;  il- 
lis  autem  qui  foris  sunt,  in  parabo- 
lis  omnia  fiunt  : 

12.  Ut  videntes  Yideant,  et  non 
videant;  et  audientes  audiant,  et 
non  intelligant;  nequando  conver- 
tantur,  et  dimittantur  eis  peccata. 

Isai.  6,  9;  Matth.  13,  14;  Joan.  12,  40;  Act.  28,  26; 
Sotn.  11,  8. 


logique  demandail  que  le  lecteur  apprit  im- 
mediatement  le  motif  pour  lequel  Jesus-Christ 
avail  lout  a  coup  transforme  sa  methode 
d'enseignement,  et  que  la  parabole  du  semeur 
'fut  aussitot  suivie  de  son  interpretation.  — 
Qui  cum  eo  erant  duodecim.  Cette  traduction 
est  inexacte,  car  il  y  a  dans  le  texte  grec 
01  Tztpl  tt'jTov  CUV  ToTc  owSsxa.  ceux  qui  I'accom- 
pagnaieul  avec  les  Douze.  S.  Marc,  a  qui  ce 
trait  est  special,  suppose  ainsi  qu'outre  les 
Apotres  il  y  avait  alors  aupres  du  Sauveur 
un  certain  nouibre  d'autres  disciples.  C'e- 
taient,  suivant  Eii  thymius.  ot  irj;  £g5o!J.r,y.ov-doo; 
Twv  aW.uv  iJ.a6r,TaJv .  L'entourage  intinie  de  Je- 
sus est  suipris  de  voir  que,  contrairement  a 
ses  habitudes  anlerieures,  il  a  employe  d'une 
maniere  continue  le  langage  figure,  et  tous 
voudraienl  connaitre  le  mot'if  de  cette  innova- 
tion extraordinaire.  —  Parabolam.  La  legon 
la  plus  accreditee  du  texte  grec  (Mss.  B,  C,  L,  a, 
et  plusieurs  versions  anciennes)  semble  etre  id; 
■TrapaooXd;  au  pluriel ;  ce  qui  est  d'ailleurs  plus 
.naturel,  puisque,  d'apres  ce  que  nous  venons 
de  dire,  la  question  des  disciples,  adressee 
seulement  le  soir  a  Jesus  devait  avoir  un  sens 
general  et  concerner  toutes  les  paraboles  du 
royaume  des  cieux.  Cfr.  Matth.  xiii,  1 0.  Mais, 
comme  une  seule  parabole  a  ete  signalee,  on 
comprend  que  le  singulier  se  soit  glisse  dans 
le  texte  a  la  place  du  pluriel. 

11.  —  Vobis  datum  est.  Dans  sa  reponse, 
Jesus  etablit  une  distinction  entre  ceux  qui 
croient  en  lui  et  les  ames  incredules.  Aux 
premiers,  qui  sont  desireux  de  connaitre  la 
verite  et  qui  prennent  les  moyens  d'y  parve- 
nir,  tout  est  revele  sans  restriction ;  les  autres 
n'ont  pas  le  meme  bonheur,  mais  c'est  leur 
faute.  A  «  vobis  »,^mis  en  avani  avec  em- 
phase  pour  designer  tous  les  vrais  disciples, 
presents  et  absents,  le  Sauveur  oppose  qui 
foi'is  sunt,  les  personnes  en  dehors  du  cercle 
ami  qui  formait  alors  I'Eglise  primitive.  Cette 
expression  energique  est  propre  a  notre  Evan- 
geliste ;  S.  Paul  I'emploiera  plus  lard  a  diffe- 


rentes  reprises  pour  representer  les  paiens. 
Cfr.  I  Cor.  V,  42,  13;  Col.  iv,  5 ;  I  Thess. 
IV,  2.  Jesus  partage  ainsi  les  Juifs  en  deux 
categories,  selon  la  nature  des  relations  qu'ils 
avaient  avec  sa  personne  divine :  ol  Tiepl  aO-ov, 
t.  10,  et  ol  ilu).  —  Le  verbe  nosse  est  pro- 
bablement  une  interpolation,  car  les  meil- 
leurs  manuscrits  I'omettent.  —  Mysterium 
(S.  Matth.  et  S.Luc  emploient  le  pluriel  «  my- 
steria  »)  designe  une  serie  de  verites  obscures 
ou  ignorees  jusqu'alors,  specialement  les 
verites  evangeliques,  et  a  la  connaissance 
desquelles  les  homines  n'ont  pu  arriver  qu'en 
verlu  d'une  revelation  divine,  «  datum  est  ». 
—  Regni  Dei  precise  la  nature  des  mysteres 
dont  parle  Jesus.  Le  royaume  messianique, 
comme  tout  autre  royaume,  a  ses  secrets 
d'Etat,  que  le  Prince  ne  confie  qu'a  ses  fi- 
deles.  Quant  aux  ennemis  ou  aux  indifferents, 
on  ne  les  leur  mentionne  que  sous  I'enveloppe 
et  le  voile  des  paraboles,  in  parabolis,  de 
crainte  qu'ils  ne  les  profanent  ou  n'en  abu- 
senl.  —  Omnia  fiunt,  t*  Ttavra  yive-at,  c'est- 
a-dire  «  proponuntur  ».  Cfr.  Herod,  ix,  46  : 
:?)[xtv  ot  ).6yo'.  ytyo^cLGi. 

12.  —  Apres  i'indication  preliminaire  con- 
tenue  dans  le  1. 1 1 ,  Jesus  entre  au  coeur  meme 
de  sa  reponse,  et  indique  aux  Apotres  la  vraie  ^ 
cause  pour  laquelle  il  enseigne  maintenanl  sous  ' 
la  forme  de  paraboles.  S.  Matihieu  cite  d'une 
maniere  beaucoup  plus  complete  les  paroles 
de  Notre-Seigneur ;  voyez  xiii,  12-1o  et  le 
commentaire :  S.  Marc  en  donne  du  moins  un  . 
bon  resume,  sous  une  forme  saisissante.  —  ? 
Ut,  en  grec  ?va,  comme  dans   le  troisieme  * 
Eeangile,  viii,  10,  c"est-a-dire  aGn  que.  Di- 
vers interpretes,  n'osant  traduire  ainsi,  don- 
nent  a  tva  le  sens  de  «  ila  ut  ».  «  Non  cau- 
saliter,  sed  consecutive  »,  ecrit  entre  autres 
le  Card.  Cajetan.  Mais  nous  croyons  qu'il  faut 
laisscr  a  la  conjonciion  sa  signitication  accou- 
tumee.  EUe  exprimerail  done  ici  une  inten- 
tion reelle  de  Jesus  a  I'egard  des  incredules, 
le  but  qu'il  se  propose  en  s'exprimant  d'une 


CHAPITRE  IV 


67 


13.  Et  ait  illis  :  Nescitis  parabo- 
1am  hanc?  et  quomodo  omnes  para- 
bolas cognoscetis  ? 

14.  Qui  seminat,  verbum  seminat. 

15.  Hi  ail tem  sunt,  qui  circa  viam. 
ubi  seminatur  verbum ;  et  cum  au- 
dierint,  confestim  venit  Satanas,  et 


13.  Et  il  leur  dit :  Vous  ne  com- 
prenez  point  cette  parabole?  Com- 
ment done  comprendrez-vous  toutes 
les  paraboles? 

14.  Gelui  qui  seme,  seme  la  pa- 
role. 

lo.  Geux  qui  sont  le  long  du  che- 
min  oil  est  semee  la  parole,  sont 
ceux  qui  ne  Font  pas  plus  t6t  en- 


maniere  plus  obscure  qu'autrefois.  Pourquoi 
ne  le  dirions-nous  pas  a  la  suile  d'auteurs 
eminenis?  Oui,  le  divin  Maitre,  par  les  para- 
boles, veut  cacher  la  lumiere  a  certains  yeux, 
chatier  certains  esprits  orgueilleux.  Mais  a 
qui  la  faute?  No  retombe-t-elle  pas  tout  en- 
tiere  sur  ces  yeux  qui  se  sont  tout  d'abord 
fermes  eux-memes  de  la  fagon  la  plus  cou- 
pable,  sur  ces  esprits  qui  se  sont  volontaire- 
ment  endurcis?  Pour  eux,  les  paraboles  ont 
done  un  caraclere  penal.  «  L'endurcissement 
des  Juifs  a  deux  causes.  La  premiere  el  la 
principale,  c'estieur  volonle  perverse  et  cor- 
rompue,  qui  repousse  la  lumiere;  la  seconde, 
qui  decoule  de  la  premiere,  c'est  le  juste  juge- 
ment  de  Dieu  qui  les  prive  de  graces  dont  ils 
se  sonlrendus  indignes.  »  Dehaut,  I'Evangile 
explique,  defendu,"5e  ed.  t.  Ill,  p.  389  et  s. 
Sur  la  remarquable  variante  o-rt  de  S.  Mat- 
thieu,  voyez  le  commentaire,  p.  264.  —  Di- 
mitlantur... peccata.  Ce  dernier  mot  ne  parait 
pas  avoir  cxiste  dans  le  texte  primitif :  les 
meilleurs  manuscrits  portent  simplement  : 
xat  a.^^^  aOxoT;,  «  et  dimittatur  eis.  »  Voila 
done  une  partie  du  peuple  juif  qui  est  exclue 
du  salut,  parce  qu'elle  I'a  elle-meme  rejete. 
—  Bien  que  S.  Marc  ne  menlionne  pas  le  nom 
du  prophete  Isaie,  dont  Jesus  citait  ici  les 
paroles  (Voyez  S.  Matlh.  1.  c.  etis.  vi,  8-10), 
il  est  ai?e  de  reconnailre  le  passage  prophe- 
tique  sous  cetle  forme  condensee. 

e»  Explication  de  la  parabole  du  semeur.  iv,  13-20. 
Parall.  Matth.  xiii,  18-23;  Luc.  vnr,  11-15. 

13.  —  Et  ait  illis...  Les  formules  de  ce 
genre  indiquent  habiluellement  dans  le  second 
Evangile  un  changement  plus  ou  moins  consi- 
derable de  sujpt.  Jesus  passe  en  effet  a  une 
autre  pensee.  Repondant  d'une  maniere  di- 
recte  a  la  question  de  ses  disciples,  t.  40,  il 
leur  explique  la  premiere  parabole.  —  Nesci- 
tis parabolam  hanc?  Cette  exclamation  n'ex- 
prime  pas,  comme  on  I'a  dit,  un  reproche 
severe;  mais  une  sorte  de  surprise  et  d'eton- 
nement.  Yous  devriez  comprendre,  vous  a 
qui  les  mysteres  du  royaume  ont  toujours  ete 
reveles.  —  Quomodo  omncs...  S.  Marc  seul  a 
conserve  ces  paroles  du  Sauveur.  La  para- 
bole du  Semeur  elait  la  premiere  de  celles 


que  Jesus  avait  proposees  sur  le  royaume  des 
cieux,  et  contenait  jusqu'a  un  certain  point 
la  clef  des  autres;  si  les  disciples  ne  I'ont  pas 
saisie,  comment  auront-ils  compris  les  sui- 
vantes?  ToDto  oe  eTirev,  observe  Euthymius, 
eyEipwv  aOxou;  xai  Stopaxixwrepou;  Tiotwv.  Co 
mot  de  Jesus  jette  de  vives  clartes  sur  I'elat 
actuel  de  ses  meilleurs  disciples  :  ce  sont  des 
ecoliers  lents  a  saisir  les  choses ;  ils  ont  du 
moins  la  bonne  volonte  de  s'instruire  et  ils 
prennent  le  boa  moyen  d'arriverala  lumiere. 

-14.  —  Qui  seminat...  Pour  le  commentaire 
de  la  Parabole  du  Semeur,  tt.  1 4-20,  de  meme 
que  pour  son  expose,  tt.  3-8,  il  existe  entre 
Its  Irois  Evangiles  synopliques  une  coinci- 
dence remarquable  :  el  pourtanl  chacun  des 
ecrivains  sacres  fail  preuve,  par  quelques 
nuances  dans  les  details,  d'une  complete  in- 
dependance.  Nous  engageons  lelecteur  afaire 
cette  interessantecomparaison.  — Le  Semeur 
de  la  Parabole  represente  d'abord  Notre- 
Seigneur  Jesus-Chrisl  :  «  Quemadmodum 
Chrislus  Medicus  est  el  medicina,  Sacerdos 
ethostia,  Redemplor  et  redemptio,  Legislator 
et  lex,  Janitor  et  ostium,  ila  Sator  et  semen.  » 
Salmeron,  Serm.  in  Parab.  Evang.  p.  30.  II 
figure  aussi  les  Apotres  el  tous  leurs  succes- 
seurs.  Le  plus  humble  pretre  qui,  devant  le 
plus  humble  audiloire,  preche  la  parole  de 
Dieu,  seme  le  bon  grain  dans  les  ames,  ver- 
bum seminat.  S.  Pierre  et  S.  Jean  signalent 
aussi  le  rapport  qui  existe  entre  la  semence 
el  la  predication.  Cfr.  I.  Pelr.  i,  23  ;  I.  Joan. 
Ill,  9.  Du  resle  les  auteurs  classiques  ont 
tres  souvent  compare  la  parole  en  general 
au  role  du  semeur.  Voyez  Grotius,  Annotat. 
in  h.  1. 

io.  —  De  meme  que  la  graine,  dans  la  pa- 
rabole, a  eu  quatre  desLinees  dilferenles, 
Jesus  distingue  de  meme,  dans  I'application, 
quatre  series  d'ames  relativemenl  a  la  predi- 
cation de  la  parole  divine.  —  lo  Hi  autem 
sunt...  Cette  lournure  est  particuliere  a 
S.  Marc  :  nous  la  retrouverons  dans  les  ver- 
sets  '16,  18  et  20.  Jesus  menlionne  en  pre- 
mier lieu  les  coeurs  endurcis,  sur  lesquels  la 
parole  divine  ne  produii  pas  la  moindre 
impression.  «  Via  est  cor  frequenli  malarum 
cogilationura    transitu    allrilum  et  arefac- 


68 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


tendue  que  Satan  vient,  et  enleve 
la  parole  qui  avail,  ete  semee  dans 
leurs  coeurs. 

16.  Et  pareillement,  ceux  qui  ont 
recu  la  semence  en  des  endroits 
pierreux,  sont  ceux  qui,  lorsqu'ils 
entendent  la  parole,  la  recoivent 
d'abord  avec  joie; 

17.  Mais  ils  n'ont  pas  de  racine 
en  eux  et  n'ont  qu'un  temps;  en- 
suite,  la  tribulation  et  la  persecu- 
tion survenant  a  cause  de  la  parole, 
ils  se  scandalisent  aussitSt. 

18.  Et  les  autres,  gui  recoivent  la 
parole  parmi  les  epines,  sont  ceux 
qui  ecoutent  la  parole; 

19.  Mais  les  soucis  du  siecle  et  la 
deception  des  richesses  et  les  au- 
tres concupiscences,  entrant  en  eux, 
etoufient  la  parole,  et  elle  est  ren- 
due  infructueuse. 

20.  Enfin,  ceux  qui  ont  recu  la 
semence  dans  la  bonne  terre  sont 


aufert  verbum  quod  seminatum  est 
in  cordibus  eorum. 

16.  Et  hi  sunt  similiter,  qui  super 
petrosa  seminantur ;  qui  cum  audie- 
rint  verbum,  statim  cum  gaudio 
accipiunt  illud; 

17.  Et  non  habent  radicem  in  se, 
sed  temporales  sunt;  deinde  orta 
tribulatione  et  persecutione  propter 
verbum,  confestim  scandalizantur. 

18.  Et  alii  sunt,  qui  in  spinis  se- 
minantur :  hi  sunt  qui  veri)um  au- 
diunt ; 

I  Tim.  6. 17. 

19.  Et  serumnse  sseculi,  et  dece- 
ptio  divitiarum,  et  circa  reliqua 
concupiscentise  introeuntes  suffo- 
cant verbum;  et  sine  fructu  effi- 
citur. 

20.  Et  hi  sunt,  qui  super  terrain 
bonam  seminati  sunt ;  qui  audiunt 


lum.  »  Hug.  de  S.  Victor,  Annot.  in  Malth. 
Quoique  le  succes  de  )a  semence  depende 
jusqu'a  un  certain  point  de  la  maniere  dont 
ie  semeur  I'aura  jetee  en  terre,  il  depend  sur- 
tout  de  la  natare  du  terrain  sur  lequel  elle 
tombe.  La  meme  chose  a  lieu  au  spirituel  : 
les  fruits  de  la  parole  de  Dieu  sont  attaches 
avant  tout  aux  dispositions  des  auditeiirs. 

i6  et  17.  —  2o  Similiter.  Apres  les  coeurs 
endurcis  danslesquels  le  bon  grain  ne  penetre 
pas  meme,  il  y  a  les  coeurs  superficiels  qui  le 
reQoivent,  il  est  vrai,  mais  qui  ne  lui  per- 
metlent  pas  de  se  developper.  —  Temporales 
sunt,  TTpocxatpoi  elo-tv;  «  ad  tempus  credunt  », 
dit  S.  Luc.  —  Orla  tribulatione.  Le  mot  tri- 
bulation, derive  de  «  tribulum  »,  machine  k 
triturer  le  ble,  fait  image  et  exprime  energi- 
quement  I'effet  des  afflictions  que  Dieu  envoie 
aux  hommes  pour  les  eprouver.  —  Scanda- 
lizantur. «  lis  se  henrtent  en  quelque  sorte 
conlre  la  sainle  parole  et  tombent  par  terre, 
comme  celui  qui  donne  contre  une  pierre  ou 
un  bois.  »  D.  Calmet,  Comm.  litter,  sur 
S.  Marc,  h.  1.  El  le  scandale  a  lieu  immedia- 
tement,  au  premier  choc,  comme  I'exprime 
I'adverbe  favori  de  notre  Evangeliste,  euQew;. 

48  et  19.  —  30  Alii  sunt...  Ce  sont  les 
coeurs  dissipes,  qui  regoivent  d'abord  la  bonne 
semence  et  lui  permettent  de  croilre  pendant 
quelque  temps,  mais  qui  la  laissent  etouffer 


ensuite  par  leurs  nombreuses  passions.  — 
jErumna;  sceculi.  Jesus  designe  par  la  tous 
les  soucis  mondains  qui,  d'apres  I'eiymologie 
du  mot  grec  [ieptfivai  (de  (jiepi;,  part),  divisent 
un  homme  en  plusieurs  parlies,  le  remplissent 
par  consequent  de  distractions  falales  a  la 
parole  divine  qu'il  a  entendue.  On  connait  le 
mot  de  Catulle  :  «  Spinosas  Erycina  serens 
in  pectore  curas.  »  —  Fallaciw  divitiarum 
Apres  le  genre,  «  les  miseres  du  siecle  »,  nous 
Irouvons  plusieurs  especes,  dont  I'une  con- 
sisle  dans  les  richesses  si  trompeuses  de  ce 
monde.  Les  autres  sont  indiquees  en  bloc 
par  I'expression  circa  reliqua  concwpiscentice, 
ou  plus  clairemenl,  d'apres  le  texte  grec 
(ot  nepi  Tii  loiTtii  £ni8ujj.tat),  «  concupiscentiae 
quae  circa  reliqua  >',  les  passions  relatives 
aux  autres  points,  par  exemple  I'ambilion,  la 
volupte.  etc.Ce  trail  est  special  a  S.  Marc. — 
Introeuntes  :  lout  cela  enlre  dans  le  coeur,  et 
etouffe  la  parole  qui  y  avail  penetre  aupara- 
vant. 

20.  —  4o  Et  hi  sunt.  La  semence  celeste, 
si  malhpureuse  ju?que-la,  trouve  pourtant 
des  coeurs  bien  dispoi^es,  dans  lesquels  elle 
produit  des  fruits  plus  ou  moins  abondants, 
selon  que  le  sol  spirituel  a  ele  plus  ou  moins 
parfaiiemenl  prepare.  Ce  bon  resultat  fait 
oublier  au  predicaleur  de  I'Evangile  tous  ses 
insucces  anlerieurs.  <(.  Non  ergo  nos,  dilectis- 


CHAPITRE  IV 


69 


verbum,etsuscipmnletfructificant, 
unum  triginta,  unum  sexaginta,  et 
unum  centum. 

21.  Et  dicebat  illis  :  Numquid 
venit  lucerna  ut  sub  modio  ponatur, 
aut  sub  lecto?  nonne  ut  super  can- 
delabrum ponatur? 

Match.  5, 15;  Luc.  8, 16  et  11,  33. 


ceux  qui  ecoutent  la  parole  et  la  re- 
coivent  et  produisent  du  fruit,  I'un 
trente,  Tautre  soixante  et  I'autre 
cent. 

21.  Et  il  leur  disait :  Apporte-t-on 
la  lampe  pour  la  mettre  sous  le 
boisseau  ou  sous  le  lit?  N'est-ce  pas 
pour  la  mettre  sur  le  caudelabre? 


simi,  aut  limor  spinarum,  aut  saxa  petrarum, 
aut  durissima  via  perterreat  :  dum  tamen 
seminanles  verbum  Dei  ad  terrain  bonam 
tandem  aliquando  pervenire  possimus.  Accipe 
verbum  Dei,  omnis  homo,  sive  slerili?,  sive 
fecundus.  Ego  spargam,  tu  vide  quomodo 
accipias  :  ego  erogam,  tu  vide  quales  fructus 
reddas.  »  Append,  ad  Oper.  S.  Aug.  t.  VI, 
p.  597,  ed.  Bened.  —  Les  Rabbins,  comma 
Jesus,  divisaient  en  qualre  categories  les 
audileurs  de  la  parole  celeste.  Leur  classifi- 
cation est  d'une  curieuse  originalite  :  «  Parmi 
ceux  qui  ecoutent  les  sages,  il  enestde  qualre 
especes,  I'eponge,  I'enionnoir,  le  fillre  et  le 
crible.  L'eponge  s'empare  de  lout;  i'enionnoir 
laisse  echapper  par  un  bout  ce  qu'il  regoit 
de  I'aulre ;  le  flitre  abandonne  la  liqueur  et  no 
garde  que  la  lie ;  le  crible  rejelte  la  paille 
pour  ne  garder  que  le  froment.  » 

d.  II  faut  icouler  avec  attention  la  parole  de  Dieu. 
IV,  21-25.  —  Parall.  Luc.  viir,  16-18. 

21.  —  «  Possent  videri  quae  sequunlur 
drcotpdasi?  non  lam  cohserenles  cum  superio- 
ribus,  alque  eliam  inter  se,  quam  in  unum 
locum  a  Marco  congestae...  Sed...  omnino 
arbitror  ista  cum  superioribus  coliaerere.  » 
Groiius,  car  ces  lignes  sonl  de  lui,  a  parfai- 
tement  raison.  Les  t1[.  21-25  ne  sont  pas  le 
moins  du  monde  une  pure  intercalation  de 
hasard  ou  de  fantaisie.  S.  Marc  et  S.  Luc  les 
placenl  en  eel  endroil,  paice  que  les  pensees 
qu'ils  contiennent  furent  reellement  expri- 
mees  par  Jesus  apres  I'explication  de  la  para- 
bole  du  someur.  I!  est  vrai  qut;  S.  Matlhieu 
les  cite  ailleurs,  comme  une  partie  inlegrante 
du  Discours  sur  la  Monlagne,  ou  db  I'inslruc- 
tion  pastorale  adressee  auxDouze  (Cfr.  v,  15; 
vii,  2;x,  26);  mais  rien  n'empeche  que  le 
Sauveur  n'ail  prononce  plusieurs  fois,  en  di- 
verges circonslances,  ces  proverbes,  qui  conte- 
naient  des  enseignemenls  d'une  grande  im- 
portance. En  tout  cas,  il  cadrent  fort  bien  ici 
avec  le  conLexle,  comme  le  montrera  le  com- 
mentaire.  D'un  autre  cole,  ils  s'encliainent 
I'un  a  I'aulre  et  s'expliquent  muluellement. 
—  Dicebat  illis.  Voyez  le  t.  13  et  I'explica- 
tion. Le  pronom  ne  designe  que  les  disciples, 
et  lie  saurait  s'appliquer  a  tout  I'audiloire 


decritau  commencement  du  chapilre,  1. 1  :  la 
suite  des  fails  suppose  que  Jesus  est  seul 
avec  les  siens.  Cfr.  -fr.  10.  —  Numquid  venii. 
De  meme  en  grec,  Epxerai,  avec  le  sens  de 
«  inferlur.  »  Quelques  manuhcrils  portent 
cependanl  xatsTat,  «  accendilur))  :  mais  celle 
varianle  n'csl  pas  pas  suflisamment  garan- 
i\e.  — Lucerna.  «  La  lucerna  (lampe  qui  briile 
de  I'huile,  par  opposition  a  candela,  chan- 
delle  ou  bougie)  etait  faite  generalement  de 
lerre  cuile  ou  de  bronze,  avec  une  poignee  d'un 
cote  et  de  I'aulre  un  bee  pour  la  meche,  et 
au  centre  un  orifice  servant  a  verser  I'luiile 
dans  la  lampe...  II  y  avail  bien  des  formes 
et  des  modeles  dilTerenis  de  lampes;  sui- 
yant  la  nature  des  maleriaux  dont  elles 
elaient  faites,  et  le  gout  de  I'arlisle  qui  met- 
tail  ces  materiaux  en  ceuvre;  mais,  quel  que 
fulleurdegre  d'ornemenlalion,  quelque  en- 
richies  qu'elles  pussenl  etre  d'accessoires  et 
de  detaiU  capricieux,  elles  conservaienl  ge- 
neralement... la  forme  caracteristique  d'un 
vase  en  forme  de  bateau.  »  A.  Rich.  Dictionn. 
des  Anliquiles  grecq.  et  rom.  s.  v.  Lucerna. 
—  Sub  modio.  Le  «  modius  »  elait  une  me- 
sure  romaine  equivalant  a  peu  pres  a  noire 
decalitre.  —  Sub  leclo.  Le  subslantif  -x),ivri 
du  texle  grec  ne  designe  pas  le  lit  pro- 
prement  dil,  ou  «  leclus  cubicularis  »,  mais 
le  «  leclus  tricliniaris  »,  qui  ne  servait  que 
pour  les  repas.  Du  resle,  I'idee  serait  la 
meme  dans  les  deux  cas.  Ainsi  done,  personne 
ne  songe  a  placer  une  lampe  allumee  sous 
un  boisseau  ou  sous  un  lit  :  ce  serait  une 
absurdile.  —  Sed  super  candelabrum.  Nous 
citons  encore  A.  Rich,  ibid.  p.  102.  «  Can- 
delabrum, pied  de  lampe  porlalif,  sur  lequel 
on  plagait  une  lampe  a  huile.  Ces  pieds 
elaient  quelquefois  fails  en  bois  (Pelr.  Sal. 
95,  6);  mais  la  plupart  du  temps  ils  elaient 
en  melal  (Cicer.  Verr.  ii.  4,  26),  et  desti- 
nes a  etre  places  sur  quelque  autre  piece 
du  mobilier...  lis  devaient  se  mettre  sur  une 
table  ou  reposer  sur  le  sol ;  dans  ce  cas,  ils 
elaient  d'une  hauteur  considerable,  ei  con- 
sislaient  en  une  lige  haute  et  elancee,  imitant 
la  tige  d'une  pianle ;  ou  bien  encore  c'elait 
une  colonne  elfilee,  surmontee  d'un  !^liil(>au 
rond  el  plat  sur  lequel  la  lampe  elait  placee.  » 


70 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


22.  Car  il  n'y  a  rien  de  cache  qui 
ne  soit  manifeste,  et  rien  de  fait  en 
secret  qui  ne  vienne  au  grand  jour. 


23.  Si  quelqu'un  a  des  oreilles 
pour  entendre,  qu'il  entende. 

24.  Et  il  leur  disait :  Prenez  garde 
a  ce  que  vous  entendez.  D'apres  la 
mesure  avec  laquelle  vous  aurez 
mesure  les  autres,  vous  serez  mesu- 
res  et  il  vous  sera  ajoute. 

25.  Gar  il  sera  donne  a  celui  qui 
a,  et  a  celui  qui  n'a  pas  sera  6te 
meme  ce  qu'il  a. 

26.  Et  il  disait  :  II  en  est  du 


22.  Non  est  enim  aliquid  abscon- 
ditum,  quod  non  manifestetur  :  nee 
factum  est  occultum,  sed  ut  in  pa- 
lam  veniat. 

Matlh.  10,26;  Luc.%,  17. 

23.  Si  quis  habet  aures  audiendi, 
audiat. 

24.  Et  dicebat  illis  :  Videte  quid 
audiatis.  In  qua  mensura  mensi 
fueritis,  remetietur  vobis,  et  adji- 
cietur  vobis. 

Matth.  7,2;  Lice.  6,  38. 

2b.  Qui  enim  habet.  dabitur  illi  : 
etqui  non  habet,  etiam  quod  habet 
aufereturab  eo. 

Matth.  13, 12  et  23,  29;  Luc.  8,  18  et  19,  26. 

26.  Et  dicebat :  Sic   est  regnum 


11  y  avail  aussi  le  candelabre  a  suspension, 
qu'on  altachait  au  plafond  ou  a  la  muraille; 
voyez  lEvang.  selon  S.  Matlh.  p.  108.  — 
Mainlenant,  que  signifie  ce  proverbe  k  la 
place  que  kii  assigne  S.  Marc?  Simplement, 
que  les  mysteres  du  royaume  des  cieux  ne 
sent  pas  destines  a  demeurer  caches.  Jesus 
les  communique  a  ses  disciples  pour  que 
ceux-ci  les  prechent  un  jour  sur  les  loits;  car 
la  verile  ne  doit  pas  et  ne  peut  pas  rester 
sous  le  boisseau. 

22.  —  Non  est  enim...  Meme  pensee  expri- 
meed'une  autre  maniere  :  Bienque  je  vous  aie 
fait  part  de  ces  explications  dans  le  secret, 
il  faudra  que  vous  les  proclamiez  ensuite  hau- 
tement  en  tons  lieux,  car  ma  volonte  est 
qu'elles  soient  partout  divulguees.  Dans  le 
T|r.  21,  Jesus  s'etait  servi  d'une  comparaison 
familiere ;  ici  il  emploie  une  forme  para- 
doxale  :  ces  deux  vetemenls  donnent  beau- 
coup  de  relief  a  I'idee. 

24.  —  Et  dicebat  illis.  «  Familiaris  est 
Marco  ista  transilio,  qua  vel  diversos  sermo- 
nes,  vel  diversas  ejusdem  sermonis  partes 
connectit  »,  Rosenmiiller.  Scholia  in  Marc. 
c.  III.  —  Videte  quid  audiatis.  Comme  Jesus 
insiste  sur  la  necessite  de  Tallention!  Ne  ve- 
nail-il  pas,  au  t-  precedent,  de  repeter  la 
formule  deja  employee  un  peu  plus  haut,"?.  9? 
Cfr.  t.  3.  Mais  ce  qu'il  dit  est  de  la  derniere 
importance  pour  les  siens.  «  Praedixerat  sua 
omnia  in  lucem  suo  tempore  proferenda  et 
divulganda ;  et  quia  mens  ejus  erat  ul  hoc 
fieret  per  discipulos,  serio  admonet  eos  ut 
doctrinam  allentis  animis  quam  diligenlis- 
sime  audi  rent.  »  Fr.  Luc.  —  In  qua  men- 
sura... Le  Sauveur  motive  sa  pressanle  invi- 
tation, et  indique  en  meme  temps  quelle 
grande  recompense  il  tient  en  reserve  pour 


les  predicateurs  diligents  de  la  parole  divine. 
«  Quantum  tidei  capacis  afferimus,  tantum 
gratise  inundantis  haurimus  ».  S.  Cyprien. 
Si  les  membres  de  I'Eglise  enseignante  sont 
atfentifs  a  I'Evangile,  ils  sauront  mieux  le 
faire  gouter  aux  fideles,  etplus  leur  zele  aura 
ete  aclif.  plus  leur  couronne  sera  belle  dans 
le  ciei.  Eiiiployons  done  de  larges  mcsures, 
puisqu'elles  serviront  un  jour  a  fixer  notre 
part  de  gloire  et  de  bonheur  et  d'amour! 

25.  —  Quatrieme  proviMbe,  qui  appuie  et 
developpe  le  troisieme.  de  meme  que  le  se- 
cond (t.  22)  avait  prouve  et  explique  le  pre- 
mier [t.  21).  Sa  signification  est  claire,  et 
juslifiee  par  miilo  fails  d'experience  journa- 
liere.  Vovez  rexplication  du  premier  Evan- 
gile,  p.  264.  Ajoutons  une  reflexion  tres-juste 
du  P.  Patrizi,  In  Marc.  Comment,  p.  46  et 
suiy.  :  «  Ceterum,  quum  proverbia  rei  de  qua 
agitur  ita  accomodentur  ut  illam  polius  ora- 
torie  exornent  atque  illustrent.  quam  omni- 
modiscertam  atque  indubiam  efficiant,  oorum 
interpretalio  non  ad  amussim,  ul  ita  dicam, 
exigenda  est,  sed  significationis  summa  quae 
eidem  illi  rei  respondeat  colligenda.  »  D'a- 
pres cetle  regie,  voici  quel  ncus  semblerait 
etre  le  sens  special  du  proverbe  dans  noire 
verset  :  Quiconque  est  attentif  croil  chaque 
jour  dans  la  connaissance  desdivins  mysteres 
et  devient  plus  capable  de  la  communiquer 
aux  autres  ;  celui  qui  est  inattenlif  oublie  tout, 
car  il  perd  bientot  le  peu  qu'il  possedait. 
Avis  aux  pretres  qui  seraient  tentes  de  ne- 
gliger  I'etude  de  la  parole  de  Dieu  et  de  la 
theoiogie. 

e.  Parabole  du  champ  de  bl^.  iv,  26-29. 
Comme  nous  I'avons  dit,  cette  petite  para- 
bole n'a  ete  conservee  que  par  S.  Marc,  cir- 


CHAPITRE  IV 


71 


Dei,  queraadmodum  si  homo  jaciat 
sementem  in  teriam, 

27.  Et  dormiat,  et  exurgat  nocte 
et  die,  et  semen  germinet,  et  incres- 
cat  dum  nescit  ille. 

28.  Ultro  enim  terra  fructificat. 


royaume  de  Dieu  comme  de  la  se- 
mence  qu'im  homme  jette  dans  la 
terre. 

27.  Qu'il  dorme,  qu'il  se  leva  de 
nuit  et  de  jour,  la  semence  germe 
et  croit  sans  qu'il  le  sache. 

28.  Car  la  terre  produit  d'elle- 


constance  qui  lui  prSte  un  interet  particulier. 
Les  commentaieurs  de  I'ecole  de  Strauss  ont 
bien  essaye  de  la  confondre  avcc  la  paraboie 
de  I'ivraie,  Mallh.  xiii,  24-30,  que  notre  Evan- 
geliste  on  la  tradition  auraient  defiguree; 
mais  la  difference  des  deux  pieces  est  trop 
palpable  pour  que  des  critiques  serieux,  sans 
prejuges,  puissenl  jamais  songer  a  admettre 
leur  identite  primitive. 

26.  —  Etdicebat.  Cfr.  t.  24.  Nous  repre- 
nons  la  suite  du  discours,  qui  avail  ete  in- 
terrompu  apres  le  f.  9,  car  le  recit  de 
S.  Matlhieu,  xiii,  31  et  36,  suppose  claire- 
ment  que  la  paraboie  du  grain  de  seneve, 
racontee  par  S.  Marc  apres  celle-ci  (Cfr. t.  30 
et  ss.],  ful  prononcee  devant  le  peuple.  — 
Sic  est  regnum  Dei.  Le  royaume  messianique, 
dans  I'ensemble  de  ses  phases  terrestres  et 
avant  d'arriver  a  sa  consommation  dans  le 
ciel  (Cfr.  if.  29).  a  une  ressemblance  frappante 
avec  le  fail  decrit  par  Je?us  dans  les  lignes 
qui  suivent.  —  Quemadmodum  si  homo... 
Quel  est  cet  homme?  C'cst  a  coup  sur  Nolre- 
Seigneur  Jesus-Christ,  qu'on  a  si  jusleraenl 
appele  le  divin  Semeur.  II  est  venu  sur  la 
terre,  et  il  a  repandu  abondammenl,  surtout 
pendant  sa  Vie  publique,  la  semence  par 
excellence  (il  y  a  dans  le  grec  t6v  anopov 
avec  I'article),  de  laquelle  devail  sortir  son 
royaume. 

27.  —  Et  dormiat...  Quand  un  agriculteur 
a  confie  son  grain  a  la  terre,  il  revient  chez 
lui  el  se  livre  a  ses  occupations  accoulumees, 
abandonnant  le  reste  aux  forces  mysterieuses 
de  la  nature  el  aux  soins  de  la  divine  Provi- 
dence. II  a  fait  tout  ce  qu'il  a  pu  pour  la 
reussite  de  son  operation  :  le  reste  n'est  plus 
son  affaire.  11  attend  done  paliommenl  que  la 
germination,  puis  la  crois»ance,  puis  la  ma- 
turite,  aienl  lieu,  sans  aller  comme  lesen- 
fanls  (nous  nous  souvenons  d'avoir  agi  ainsi 
plus  d'une  fois)  remuer  la  terre  de  lemps  a 
autre,  pour  voir  si  les  graines  emettenl  un 
germe  el  des  racines.  —  Et  exurgat  nocte  ae 
die.  Celtc  polite  description  est  vivante  elpit- 
toresque.  Naturellement,  «  nocte  »  retombe 
sur  le  verb.!  «  dormiat  »,  «  die  s  sur  «  exur- 
gat »  :  cost  une  sorte  d'hendiadys,  —  Et 

semen  germinet Tandis   que  le  semeur 

vaque  a  ses  aulres  iravaux,  la  graine,  qui 
se.mble  pourtant  inactive,  est  I'objet  d'ope- 


ralions  aussi  multiples  qu'admirables.  Dou- 
cement  echauffee  par  les  forces  fecondantes 
du  sol,  humeclee  par  la  rosee  ou  par  les 
pluies,  elle  eclate,  emel  en  haul  el  en  has  de 
petits  organes  qu'elle  tenail  soigneusement 
caches  dans  son  sein;  bienlol  elle  finil  par 
percer  le  sol.  —  Dum  nescit  ille.  Assure- 
menl,  le  semeur  n'esl  pas  demeure  indiffe- 
rent au  sort  du  grain  qu'il  avail  jete  en  terre. 
II  y  a  souvent  pense  avec  le  plus  vif  interet; 
neanmoins,  a  part  une  protection  generals 
qui  ne  va  pas  bien  loin,  tout  ce  qui  advient 
apres  les  semailles  est  place  en  dehors  de  son 
controle,  comme  aussi  en  dehors  de  sa  science. 
Mais  ce  trail  peul-il  bien  s'appliquer  au 
Christ?  Plusieurs  auteurs,  croyant  qu'il  elait 
impossible  de  le  concilier  avec  les  perfections 
de  sa  nature  divine,  ont  pense  a  tort  que  la 
paraboie  ne  le  designait  nullemenl,  et  ils  en 
ont  aussitol  reslreinl  I'application  aux  Apo- 
tres  et  aux  autres  predicateurs  de  I'Evangile. 
D'aulres  ont  suppose  que  les  details  contenus 
dans  ce  versel  ne  sont  que  des  ornements 
accessoires,  une  sorte  de  draperie  exterieure, 
et  qu'ils  n'onl  aucune  importance  relative- 
ment  a  I'idee-mere.  Mais  lout  ne  peut-ilpas 
s'expliquer  sans  exageration  d'aucun  genre? 
Jesus  a  seme,  comme  nous  le  disions  en  com- 
mengant,  tanl  qu'il  a  vecu  sur  la  terre  :  il 
posail  ainsi  les  fondemenls  de  son  royaume. 
Quand  le  moment  fixe  par  son  Pere  ful  venu, 
il  est  remonte  au  ciel,  pour  n'en  redescendr© 
visiblement  qu'a  la  fin  du  monde,  quand  il 
faudra  faire  la  moisson  universelle.  Entre  ces 
deux  epoques,  malgre  I'assistance  qu'il  donne 
perpeluellemenl  a  la  divine  graine,  il  res- 
semble  a  un  agricidteur  ordinaire,  qui  la  laisse 
croitre  d'elle-aieme  a  travers  mille  chances 
bonnes  el  mauvaises.  C'est  en  ce  sens  qu'il 
parait  dormir,  ignorer. 

28.  —  Ultro  enim  terra.  Dans  le  grec,  Ott 
lit  auTO[jLdiYi,  «  sponle  »,  qui  est  le  mot  im- 
portani  du  recit.  Derive  de  aOro?,  «  ipse  »,  et 
de  I'antique  verbe  [law,  «  desidero  »,  il  ex- 
prime  admirablemenlbien  la  spontaneite  avec 
laquelle  le  soin  de  la  terre  fail  fructifier  les 
semences  qu'on  lui  confie.  Aussi  les  classiques 
grecs  el  le  juif  Pliilon  I'emploienl-ils  dans  le 
meme  sens  que  notre  Evangeliste,  pour  mon- 
Irer  qu'apres  les  semailles  la  terre  agit  inde- 
pendamment  de  rhomme  et  de  sa  coopera- 


72 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


meme  du  fruit,  d'abord  de  I'herbe, 
puis  un  epi,  ensuite  dans  I'epi  un 
froment  plein. 

29.  Et,  lorsqu'elle  a  produit  les 
fruits,  il  J  met  aussitot  la  faucille, 
parce  que  c'est  le  temps  de  la  mois- 
son. 

30.  Et  il  disait :  A  quoi  assimile- 


primum  herbam,  deinde   spicam, 
deinde  plenum  frumentum  in  spica. 

29.  Et  cum  produxerit  fructus, 
statim  mittit  falcem,  quoniam  adest 
messis. 

30.  Et  dicebat  :  Cui  assimilabi- 


tion.  On  ne  le  rencontre  qu'en  un  seul  autre 
endroit  du  Nouveau  Testament,  Act.  xii,  10. 
—  Fructificat ;  de  nieme  en  grec,  xapTiocpopeT, 
avec  le  sens  de  ;<  proferre  ».  —  Primum 
herbam,  deinde...  Belle  gradation,  copiee  d'a- 
pres  nature  et  qui  nous  montre  les  trois 
principaux  elats  par  lesquels  passent  les  ce- 
reales  et  tous  les  autres  vegelaux  du  meme 
genre,  entre  le  temps  des  semailles  et  celui 
de  la  moisson.  II  y  a  d'abord  I'enfance  repre- 
sentee par  le  frais  gazon  qui  sort  de  terre, 
la  jeunesse  que  figure  I'epi  sortant  vigoureux 
de  sa  gaine,  enfln  la  maturile,  I'etat  parlait. 
Car,  d'apres  le  vieux  proverbe,  «  natura 
nihil  agit  per  saltum  ».  II  en  est  de  meme 
dans  le  regne  spiriluel. 

29.  —  Cum  produxerit  fructus.  D'apres  le 
grec  (oTav  oeTrapaSw  6  y.apTr&c),  «  fructus  »  est 
au  nominatif  singulier;  «  produxerit  »  a  le 
sens  de  «  se  produxerit  »,  ainsi  que  portent  du 
reste  quelques  anciens  manuscrits  de  la  Vul- 
Igate.  La  Peschilo  syriaque  traduit :  «Quando 
tautem  pinguis  reddilus  fuerit  fructus  »,  et  la 
'version  de  Philoxene  :  «  Qtiumautera  perfectus 
fuerit  fructus  ».  Le  recit  suppose  done  que 
le  ble  est  parfaitomunt  mur  etqu'il  est  temps 
de  le  moissonner.  —  Mittit  falcem,  iTzoo-zillBi 
TO  SplTiavov,  latinisme  de  S.  Marc,  ou  plutot 
hebraisine  de  Jesus  lui-meme.  Cfr.  Joel, 
in,  13;  SjiD  "inb'J.  La  faucille  est  mention- 
nee  encore  dans  un  autre  passage  du  Nou- 
veau Testament,  que  nous  citons  en  entier 
parce  qu'il  pent  nous  aider  a  mieux  com- 
prendre  celui-ci  :  «  Et  je  vis  :  et  voila  une 
nuee  blanche  et,  assis  sur  la  nuee,  quelqu'un 
de  semblable  au  Fils  de  I'homme,  ayant  sur 
sa  tete  unecouronne  d'or,  et  en  sa  main  une 
faux  tranchanle.  Et  un...  ange  sortit  du 
temple,  criant  d'une  voix  forte  a  celui  qui 
etaii  assis  sur  la  nuee  :  Lance  la  faux  et 
moissonne,  car  I'heure  de  moissonner  est 
venue,  parce  que  la  moisson  de  la  terre  est 
seche.  Et  celui  qui  etait  assis  sur  la  nuee 
jela  sa  faux  sur  la  terre,  et  la  terre  ful  mois- 
sonnee.  »  Apoc.  xiv,  14-16.  Dans  noire  para- 
bole,  comme  dans  ces  lignes  del'Apocalypse, 
la  moisson  represente  done  i'epoque  de  la  fin 
du  monde.  Voici  maintenant  la  signification 
generale  de  cette  gracieuse  histoire  de  la  se- 
mence  qui  croit  secretement.  On  peut  sans 


doute  I'appliquer  a  chaque  ame  individuelle 
et  a  I'influence  qu"y  exerce  la  parole  divine 
prechee  paries  nunislresde  I'Evangile.  Alors 
la  morale  serait  :  «  Ego  (Paulus)  planlavi, 
Apollo  rigavit,  sed  Dens  increnienlum  dedit  », 
I  Cor.  Ill,  6.  Le  predicateur  seme  le  bon 
grain,  maisce  n'est  paslui  qui  le  fait  germer. 
Qu'il  n'ait  done  pas  de  preoccupation  hu- 
maine  au  sujet  de  son  developpement  :  qu'il 
evite  de  s'inquieter  outre  mesure,  de  s'im- 
patienter,  si  la  cioissance  n'est  pas  aussi  ra- 
pide  qu'il  le  souliaiterait,  car  «  la  semence 
se  developpe  a  son  insu  ».  Ce  premier  sens 
est  evidemmenl  contenu  dans  la  parabole,  et 
il  est  a  coup  siir  tres  consolani  pour  nous, 
puisqu'il  nous  montre  I'energie  secrete,  ener- 
gie  pourtant  ires  reelle,  de  la  parole  divine, 
qui  lui  fait  produire  des  effels  merveilleux 
quoique  invisibles.  Toutefois,  on  doit  ad- 
mettre  aussi  un  autre  sens  plus  universel, 
qui  repond  directemenl  aux  intentions  pre- 
mieres de  Jesus.  En  cffet,  puisque  cette  para- 
bole est  rangee  parmi  celles  qui  traitent  du 
royaume  des  cieux,  il  est  manifesto  par  la- 
meme  qu'elle  doit  s'appliquer  avant  tout  k 
I'Eglise,  a  I'empire  messianique considere  dans 
son  ensemble.  A  ce  point  de  vue,  ainsi  qu'il 
a  ete  dit  dans  la  note  du  t.  26,  c'est  par  Nolre- 
Seigneur  Jesus-Christ  lui-meme  que  la  semence 
a  ete  jetee  :  c'est  par  lui  que  la  moisson 
sera  faite  a  la  fin  des  temps.  Enlre  ces  deux 
epoques,  le  grain  qui  represente  I'Evangile  se 
developpe  lentem'>nt,  d'une  maniere  inde- 
pendante  de  Taction  humaine;  mais  il  se  de- 
veloppe surement,  il  a  ses  Bvolulions  succes- 
sives,  ses  progres  magnifiques,  qui  font  que 
I'Eglise  du  Christ,  d'abord  semblable  a  I'hum- 
ble  gazon  qui  sort  timidement  du  sol,devient 
ensuite  peu  a  pen  un  riche  epi,  qui  se  courbe 
sous  le  poids  du  ble  qu'il  conlient.  Ainsi 
comprise,  cette  parabole  ajoute  reellement 
une  idee  neuve  aux  sept  autres  (Voyez I'Evan- 
gile selon  S.  Matih.  p.  281),  et  c'est  pour  cela 
que  I'Esprit  Saint  nousl'a  conservee  par  I'in- 
termediaire  de  S.  Marc. 

f.  Parabole  du  grain  de  se'nevi.  iv,  30-32.  —  Parall 
Matth.  sill,  31-32;  Luc.  xm,  18-21. 

30.  —  Cui  assimilabimus...  aut  cui  paror- 
holes...  Ces  formules  sont  destinees  lout  a  la 


CHAPITRE  IV 


73 


mus  regnum  Dei  ?  aiit  cui  parabolse 
comparabimus  illud  ? 

31.  Sicut  granum  sinapis,  quod 
cum  seminatum  fuerit  in  terra,  mi- 
nus est  omnibus  seminibus,  quae 
sunt  in  terra : 

Matth.  13,  31;  Luc.  13,  19. 

32.  Et  cum  seminatum  fuerit,  as- 
cendit,  et  fit  majus  omnibus  oleri- 
bus,  et  facit  ramos  magnos,  ita  ut 
possint  sub  umbra  ejus  aves  coeli 
nabitare. 

33.  Et  talibus  multis  parabolis  lo- 


rons-nous  le  royaume  de  Dieu?  Ou 
a  quelle  parabole  le  comparerons- 
nous? 

31.  II  est  comme  le  grain  de  se- 
neve  qui,  lorsqu'on  le  seme  dans  la 
terre,  est  la  plus  petite  de  toutes 
les  semences  qui  sont  dans  la  terre; 

32.  Et,  lorsqu'on  I'a  seme,  il 
monte  et  devient  plus  grand  que 
toutes  les  plantes  et  pousse  de 
grands  rameaux,  de  sorte  que  les 
oiseaux  du  ciel  peuvent  habiter  sous 
son  ombre. 

33.  Et  il  leur  annoncait  la  parole 


fois  a  relever  I'attenlion  des  auditeurs  et 
a  menager  une  Iransilioii  entre  deux  idees 
dislincles.  Elles  elaienL  fiequemment  em- 
ployees par  les  Rabbins.  —  La  parabole 
precedenle  nous  avait  reveie  la  croissance 
iniperceplible  du  royaume  des  cieux  sur  la 
terre,  les  revolutions  inlerieures  produites  par 
I'Evangile,  soil  dans  le  inonde  en  general,  soit 
dans  chaque  ame  en  particulier.  Celle-ci 
nous  fait  assister  a  ses  progres  exterieurs  et 
visibles. 

31  et  32.  —  Voyez  les  details  dans  I'Evan- 
gile selon  S.  Matlhieu,  p.  272.  S.  Marc,  bien 
que  son  recit  soit  conl'orme  aux  deux  autres, 
a  quelques  petites  varianles  quilui  sont  pro- 
pres.  II  dit  que  la  graine  fut  semee  in  terra; 
S.  Matlhieu  et  S.  Luc  ont  employe  des  ex- 
pressions moins  vagues  :  «  in  agro  suo  », 
«  in  hortum  suum  ».  En  revanche,  il  exprime 
par  deux  traits  piltoresques  le  merveilleux 
developpemenl  de  la  planle;  d'une  part  facit 
ramos  magnos;  de  I'aulre  les  oiseaux  vien- 
nent  se  refugier  in  umbra  ejus.  Nous  avons 
vu  de  nos  propres  yeux,  dans  I'ile  d'Oleron, 
de  nombreux  echantillons  de  la  «  sinapis 
nigra  »  parvenus  a  des  dimensions  presque 
aussi  surprenantes  que  celles  qui  ont  ete  men- 
tionnees  dans  le  conimintaire  sur  S.  Malthieu, 
p.  272.  —  «  Sicut  granum  sinapis  prima 
ironle  speciei  suae  esi  parvum,  vile,  despe- 
ctum,  non  saporem  prsestans,  non  odorem 
circumferens,  non  indicans  suavitalem  :  at 
ubi  teri  coeperit,  statim  odorem  suum  fundit, 
acrimoniam  exhibet,  et  tanlo  fervoris  calore 
succendilur,  ul  mirum  sit  in  tarn  frivolis 
(granis)  tantum  ignem  fuisse  conclusum... 
Ita  ergo  et  fides  Christiana  prima  fronte  vide- 
tur  esse  parva,  vilis  et  tenuis,  non  potentiam 
suam  oslendens,  non  superbiam  prseferens, 
r.on  gratiam  subministrans  ».  S.  August. 
Sermo  lxxxvii,  Appendix.  Les  Peres  aiment 


en  general  a  relever,  a  propos  de  celte  pa- 
rabole, la  verlu  cicre  et  brulante  de  la  graine 
de  moularde  (t6  Ttuppaxecxai  aOoxyipov,  S.  Ire- 
nee);  Cfr.  Tertull.  adv.  Marc,  iv,  30.  Nean- 
moins  ce  n'est  pas  sur  ce  point  special  que 
Jesus  appuie  dans  sa  comparaison,  mais  sur 
I'enorme  difference  qui  existe  entre  une  si 
petite  graine  et  la  piante  vigoureuse  qu'elle 
produit.  Le  divin  Maitre  aurait  pu  choisir 
d'autres  graines,  celle  du  cedre  par  exemple 
et  signaler  des  disproportions  encore  plus 
etonnanles;  toutefois  il  convenait  mieux  a 
son  but  de  signaler  Fun  des  vegetaux  les  plus 
insignifiants.  —  Voir  dans  Didron,  Iconogra- 
phie  chrelienne,  p.  208,  I'usage  frequent  que 
I'arl  Chretien  a  fait  de  cette  parabole.  Sup- 
posant  avec  justesse  que  le  grain  de  senev^ 
symbolisait  Jesus  lui-meme,  du  sein  duquel 
etait  sortie  peu  a  peu  I'Eglise  entiere,  on  se 
plaisait  autrefois  a  representer  «  le  Christ 
dans  un  tombeaurde  sa  bouche  sort  un  arbre 
sur  les  branches  duquel  sent  les  Apotres.  » 

g.  Autres  paraboles  de  J^sus.  iv,  33-34.  —  ParalU 
Matth.  xui,  34-35. 

33.  —  S.  Marc,  de  meme  que  S.  Matthieu, 
rattache  a  la  parabole  du  grain  de  seneve  une 
reflexion  generale,  dans  laquelle  il  faitressor- 
tir  la  coulume  que  prit  alors  Notre-Seigneur 
d'enseigner  sous  forme  de  paraboles.  Seule- 
ment,  landis  que  le  premier  Evangelists, 
apres  avoir  signale  cette  circonstance,  montre 
le  rapport  qu'elle  avait  avec  une  prophetic 
de  I'Ancien  Testament,  le  notre  etablil  un  con- 
traste  entre  I'enseignement  public  de  Jesus 
et  son  enseignement  prive.  Les  deux  nar- 
rations se  complelent  ainsi  I'une  I'autre.  — 
Talibus  multis...  S.  Marc  insinue  par  la-mSme 
qu'il  n'a  communique  a  ses  lecteurs  qu'un 
simple  extrait  tres  abrege  des  paraboles  du 
Sauveur.  —  Loquebalur  eis.  Le  pronom  «  eis» 


74 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


avec  beaucoup  de  paraboles  sem- 
blables,  selon  qu'ils  pouvaient  Ten- 
tend  re. 

34.  Gar  il  ne  leur  parlait  pas  sans 
paraboles,  et  en  particulier  il  expli- 
quait  tout  a  ses  disciples. 

35.  Et  il  leur  dit  ce  meme  jour, 
lorsque  le  soir  fut  venu  :  Passons  a 
I'autre  bord. 

36.  Et,  renvoyant  la  foule,  ils 
Temmenerent  dans  la  barque  tel 
qu'il  etait,  et  d'autres  barques  le 
suivaient. 


quebatur  eis  verbum, 
rant  audire : 


prout  pote- 


34.  Sine  parabola  autem  non  lo- 
quebatur  eis  :  seorsum  autem  disci- 
pulis  suis  disserebat  omnia. 

35.  Et  ait  illis  in  ilia  die,  cum  ser( 
asset  factum  :  Transeamus  contra 

36.  Et  dimittentes  turbam,  assu- 
munt  eum  ita  ut  erat  in  navi :  et 
aliae  naves  erant  cum  illo. 

Mauh.  8,  23 ;  Luc.  8,  22. 


designe  la  masse  du  peuple  :  cela  ressort  tres 
claiiement  du  t.  34,  ou  ce  meme  pronom  est 
mis  en  opposition  avec  «discipulis  suis  ».  — 
Prout  poterant  audire.  «  On  explique  ceci  de 
deux  manieres.  Selon  qu'ils  pouvaient  I'en- 
tendre,  c'esl-a-dire,  selon  leur  porlee.  Jesus- 
Christ  se  proporlionnait  a  la  capacite  de  ses 
audileurs,  se  rabaissant  a  leur  peu  d'inlelii- 
gence  pour  leur  etre  utile,  et  prenant  ses 
paraboles  des  choses  communes  et  triviales. 
D'autres  I'expliquent  dans  un  sens  tout  con- 
traire  :  il  leur  parlait  suivant  leur  disposi- 
tion, il  leur  decouvrait  les  verites  comme  ils 
etaient  dignes  de  les  ecouter.  Leur  orgueil, 
leur  peu  de  docilite  ne  meritaient  pas  d'etre 
mieux  traites,  ni  de  recevoir  une  plus  grande 
intelligence.  »  D.  Calmet,  Comm.  litter,  sur 
S.  Marc.  Ledocte  exegete  dit  ensuile,  en  par- 
lant  du  second  sentiment  :  «  C'est  la  vraie 
explication  de  cet  endroit.  »  Nous  le  croyons 
comme  lui  d'apres  le  contexte,  puisque  Jesus 
a  dit  nettement  plus  haut,  ft.  li  et  4  2,  que 
la  nouvelle  forme  donnee  a  son  enseignement 
avail  un  caraclere  penal. 

34.  —  Sine  parabola  non  loquebatur  eis. 
Expression  tres-energique  :  il  ne  faudrait 
cependantpas  en  trop  presser  la  signification, 
car, selon  la  juste remarque deD.  Calmet,  I.e., 
toutes  les  fois  qu'il  s'agissait  de  verites  pra- 
tiques et  morales,  le  divin  Maitre  employait 
toujours  un  langage  clair  et  simple.  II  semble 
done  qu'il  est  bon  de  restrjindre  au  dogme, 
et  plus  specialement  au  royaume  des  cieux, 
k  I'etablissement  de  I'Eglise,  la  note  de  I'e- 
crivain  sacre.  —  Seorsum  autem  discipulis... 
j  xat'  toiav  to"?  ISioi?  (AaS^Tarc,  d'apres  les  ma- 
nuscrits  B,  C,  L.  A.  Celte  legon.  qui  semble 
authenlique,  joue  sur  les  mots  d'une  maniere 
interessanle  :  en  particulier  a  ses  disciples 
particuliers.  —  Disserebat  omnia.  Ici  encore, 
le  texte  grec  emploie  une  expression  qui  me- 
rite  d'etre  signalee  :  c'est  le  verbe  iitilve.,  «  il 
resolvait  comme  une  enigme  »,  qu'on  ne 
trouve  nulle  part  aiUeurs  dans  le  Nouveau 


Testament.  Mais  S.  Pierre,  dans  sa  seconde 
Epitre,  i,  20,  ayant  a  parler  de  I'interpreta- 
tion,  fait  precisement  usage  du  subslantif 
imlvGic.,  derive  de  eTiiXuw.  Lis  critiques  n'ont 
pas  manque  de  relever  ces  deux  expressions, 
pour  montrer  les  ressemblances  de  style  qui 
existent  entre  I'Evangile  selon  S.  Marc  et  les 
ecrits  de  S.  Pierre. 

10.  —  La  tempSte  apals^e.  iv,  35-40.  —  Parall. 
Matth.  VIII,  23--27;  Luc.  viii,  22-25. 

35.  —  In  ilia  die,  cum  sera  esset  factum. 
Tandis  que  les  deux  autres  synoptiques  ne 
signalent  que  d'une  maniere  tres-vague  la 
date  de  ce  prodige,  S.  Marc  la  precise  avec 
une  grande  netlete.  C'etait  le  jour  meme  oil 
Jesus  s'elait  defendu  centre  les  Pharisiens  de 
chasser  les  demons  grace  au  concours  de 
Beelzebub,  iii,  20  et  ss.,  le  jour  meme  oil  il 
avait  inaugure  son  enseignement  sous  la 
forme  de  paraboles,  iv,  1  et  ss.  Cette  jour- 
nee  avait  ete  bien  fatigante  pour  le  divin 
Maitre;  neanmoins,  le  soir  venu.  il  dit  a  ses 
disciples  :  Transeamus  contra ,  5ii>3oi\i&^  di -zo 
Ttepav,  allons  de  I'autre  cote  du  lac.  Jesus 
etant  aupres  de  Capharnaiim  quand  il  donna 
cet  ordre,  et  Capharnaiim  etant  situe  sur  la 
la  rive  occidentale,  cela  revenait  a  dire  : 
Allons  sur  la  rive  orienlale,  en  Peree.  Ce  fut 
la  un  voyage  celebre,  accompagne  de  toute 
espece  de  miracles,  bien  qu'il  n'ait  dure 
qu'un  jour  et  une  nuit.  Jesus  y  trouva  I'oc- 
casion  de  manifester  sa  puissance  divine  de 
quatre  manieres  differentes.  II  montra  d'a- 
bord  qu'il  etait  le  roi  de  la  nature,  iv,  35-40  ; 
il  serevela  ensuite  tour  a  tour  comme  roi  des 
esprits,  v,  4-20,  comme  roi  des  corps  et 
comme  roi  de  la  mort  et  de  la  vie,  v,  21-43. 

36.  —  Et  dimittentes  turbam.  Les  disciples 
congedient  doucement  la  foule,  en  lui  disant 
que  le  Maitre  va  partir.  Cela  fait,  assumunt 
eum  ita  ut  erat,  c'est-a-dire,  «  sine  ullo  ad 
iter  apparatu,  »  Wetstein.  «  Elegans  est  di- 
dicendi  genus,  ecrit  Wolf  au  sujel  do  cette 


37.  Et  facta  est  procella  magna 
venti,  et  fluctus  mittebat  in  navim, 
ita  utimpleretur  navis. 

38.  Et  erat  ipse  in  puppi,  super 
cervical  dormiehs  ;  et  excitant  eum 
et  dicunt  illi :  Magister,  non  ad  te 
pertinet  quia  perimus? 


CHAPITRE  IV  75 

37.  Et  il  s'eleva  un  grand  four- 
billon  de  vent,  qui  jetait  \e?,  flots 
dans  la  barque,  de  sorte  que  la 
barque  s'emplissait. 

38.  Et  il  etait  a  la  poupe,  dor- 
mant sur  un  oreiller;  et  ils  le  re- 
veillent  et  lui  disent  :  Maitre,  vous 
est-il  indifferent  que  nous  peris- 
sions? 


expression,  quod  de  personis  usurpari  solet, 
quas  significare  volumus  in  eodem  habilu 
quo  tunc  forte  eranl  perseverasse.  »  Le  de- 
part fut  done  immediat.  Da  reste,  Jesus  etait 
deja  lout  embarque  d'apres  iv,  1.  Plus  loin, 
VI,  8,  nous  verrons  le  Sauveur  recommander 
h  ses  Apotres  de  se  mettre  en  route  sans  au- 
cun  preparatif,  quandils  entreprendront  leurs 
premiert  s  missions  :  il  commence  par  pre- 
ther  d'exemple.  «  Coepil  facere  et  docere.  » 
—  Et  dice  naves...  Ces  autres  barques,  qui  se 
mirent  a  la  suite  de  celle  qui  portait  Jesus, 
contenaient  des  disciples  desireux  de  ne  pas 
se  separer  du  Sauveur.  La  petite  flottille  fut 
probablement  dispersee  par  I'orage,  car,  au 
debarquement,  Jesus  parait  avoir  ele  seul 
avec  les  Apotres. 

37.  —  Et  facta  est  procella...  Voyez  I'E- 
vangile  selon  S.  Matthieu,  p.  163  et  ss.  La 
description  de  la  lempete  est  encore  plus  vi- 
vanle  dans  le  recit  de  S.  Marc  que  dans  les 
deux  autres  :  surtout  d'apres  le  texte  grec, 
ou  phisieurs  des  verbes  sent  au  temps  pre- 
sent :  xal  Ytve-rat  XaO.at}/.  •  •  w<Jt£  auTo  (to  tvXoTov) 
■jiSyi  yz\i.ii^za^c).i .  Le  mot  XaiXai]^,  egalement  em- 
ploye par  S.  Luc,  est  tres-expressif  :  Hesychius 
le  definit  av£'[i.ou  ffuaTpoqir)  (jieQ'  uetoO .  H  designe 
une  de  ces  violentes  tempetes  qui  se  dechai- 
nent  en  un  din  d'oeil  sur  le  lac  de  Gennesa- 
reth,  «  les  gorges  voisines  servant  comme  de 
couloirs  pour  amener  le  vent  des  monta- 
gnes  ».  Tristram,  Land  of  Israel,  p.  43.  — 
Fluctus  mittebat  :  d'apres  le  grec,  il  faudrait 
«  fluctus  sese  mittebant...  »,  les  vagues  bat- 
taient  fortement  la  nacelle.  Dans  notre  traduc- 
tion latine,  «  fluctus  »  est  a  I'accusatif  pluriel 
et  le  verbe  «  mittebat  »  depend  de  «  procella.  » 

38.  —  Et  erat  ipse  in  puppi...  Comme 
S.  Marc  a  bien  note  toutes  les  circonstances! 
S.  Matthieu  et  S.  Luc  se  contentent  de  men- 
tionner  le  sommeil  de  Jesus;  mais,  a  ce  fait 
principal,  notre  evangelisle  a  ajoute  deux 
traits  particuliers  qui  font  revivre  pouf  nous 
la  scene  enliere.  II  signale  d'abord  la  partie 
de  la  barque  ou  se  trouvait  Jesus  :  c'etait  la 
poupe  qui  est  habituellement  reservee  aux  pas- 
sagers  dans  les  bateaux  de  petite  dimension, 
parce  que  le  tangage  s'y  fait  moins  senlir. 
II  decrit  ensuite  I'attitude  du  divin  Maitre  : 


super  cervical  dormiens,  en  grec  to  upooxefa- 
>aiov  avec  I'article,  le  coussin  qui  se  trouvait 
dans  la  barque.  Jesus,  fatigue  par  ses  tra- 
vaux  de  la  journee,  a  appuye  sa  tete  sur  un 
coussin,  et  il  s'est  bientot  endormi.  Quel 
doux  tableau!  Michaelis  I'a  depoetise  en  sup- 
posant  sans  la  moindre  raison  que  le  Sau- 
veur s'etait  charge  du  gouvernail,  mais  que 
le  sommeil  I'avait  tout  a  coup  gagne  parmi 
ses  fonctions  de  pilote.  Jesus  dormait  pendant 
I'orage,  Jonas  aussi;  de  la  le  rapprochement 
suivant  elabli  par  S.  Jerome,  Gomm.  in 
Matlh.  VIII,  24  :  «  Hujus  signi  typum  in  Jona 
legimus,  quando  ceteris  periclitanlibus  ipse 
securus  est,  et  dormit,  et  suscitalur;  el  im- 
perio  et  Sacramento  passionis  suae  liberal 
suscitantes.  »  Autre  reflexioi\  interessantft  '. 
«  Hie  ille  unus  Evangeliorum  locus  est  in 
quo  Jesum  dormienlem  invenimus.  Expedit 
quippe  hujusmodi  locos  notare  in  quibus  is 
humanum  quid  agens  aut  paliens  invenitur.  » 
Palrizi,  in  Marc.  Comm.  h.  I.  Nous  aimons 
a  nous  rappeler  encore  Tinterprelation  mys- 
tique de  quelques  Peres,  d'apres  laquelle  le 
coussin  de  Jesus  n'est  autre  que  le  bois  sa- 
cre  de  la  croix,  sur  lequel  il  s'endormit  pen- 
dant sa  Passion.  Satan  profita  oe  ce  som- 
meil pour  susciter  une  lempete  terrible  contra 
lEglise  naissante;  mais  Jesus  s'eveilla  par 
la  Resurrection,  et  fit  immedialement  cesser 
I'orage.  —  Et  excitant  eum.  Les  disciples,  se 
croyant  perdus,  ont  recours  a  Celui  dont  ils 
connaissenl  deja  la  toute-puissance.  —  Ma- 
gister, non  ad  te  pertinet...  Ce  cri  indique  de 
la  part  de  ceux  qui  le  poussaient  un  mou- 
vement  d'impatience  cause  par  I'imminence 
du  peril  :  S.  Marc  seul  nous  I'a  conserve  sous 
cetie  forme  caracteristique.  D'apres  S.  Mat- 
thieu, les  Apotres  auraienl  dit  :  «  Domine, 
salva  nos,  perimus  »  ;  d'apres  S.  Luc,  plus 
simplement  encore:  «  Praeceptor,  perimus  ». 
Un  le  voit,  ce  ne  sont  pas  uniquement  des 
variantes  dans  les  paroles,  mais  de  vraies 
divergences  dans  le  ton,  dans  les  sentiraenls. 
II  est  probable  que  les  trois  phrases  furent 
prononcees  en  meme  temps,  chaque  disciple 
parlant  alors  d'apres  le  sentiment  qui  domi- 
nail  en  lui. 
39.  —  Et  exurgens  cowminatusesf...  Quelle 


76 


CHAPITRE  IV 


39.  Alors,  se  levant,  il  menaca  le 
vent  et  dit  a  la  mer  :  Tais-toi,  si- 
lence! Et  le  vent  cessa,  et  il  se  fit 
un  grand  calme. 

40.  Et  il  leiir  dit :  Pourquoi  etes- 
vous  effrayes?  N'avez-vous  point 
encore  la  foi?  Et  ils  furent  saisis 
d'une  grande  crainte,  et  ils  se  di- 
saient  I'un  a  1' autre  :  Qui  penses-tu 
que  soit  celui-ci,  puisque  et  le  vent 
et  la  mer  lui  obeissenf? 


39.  Et  exurgens  comminatus  est 
vento  et  dixit  mari  :  Tace,  obmu- 
tesce.  Et  cessavit  ventus,  et  facta 
est  tranquillitas  magna. 

40.  Et  ait  illis  :  Quid  timidi  es- 
tis  ?  necdum  habetis  fidem  ?  Et  ti* 
muerunt  timore  magno,  et  dicebani 
ad  alterutrum:  Quis,  putas,  est  iste, 
quia  et  ventus  et  mare  obediunt  ei? 


majesle  dans  celle  altitude  de  Jesus!  Quelle 
majeste  dans  ses  paioles!  Tace,  obmutesce, 
s'ecria-l-il,  parlaiil  a  la  mer  et  employant 
deux  verbes  synonymes  pour  imprimer  plus 
d'energie  a  son  commandement.  S.  Marc  si- 
gnals seul  les  paroles  du  Thaumaturge.  Re- 
marquons  la  gradation  qui  exisle  dans  les 
ordres  du  Sauveur  :  il  commence  par  menacer 
le  vent,  qui  elail  cause  de  la  tempeie;  il  im- 
pose ensuite  silence  aux  flots  courrouces,  les 
reprimandant  comme  un  mailre  fail  ses  eco- 
liers  rebelles.  II  y  a  la  deux  belles  personnifi- 
cations  des  forces  de  la  nature.  —  Cessavit 
ventus  :  dans  le  grec,  exouadsv,  mot  extraor- 
dinaire, qui  n'est  employe  qu'a  trois  reprises 
dans  le  Nouveau  Testament  (ici,  vi,  54  el 
Matth.  XIV,  3"2)  et  qui  indique  un  repos  pro- 
venant  d'une  sorte  de  lassitude.  —  Tranquil- 
litas magna :  Ya).r,vr)  du  grec  s'applique  specia- 
lemenl  au  calme  de  la  mer  et  des  lacs.  Le 
vent  s'est  soumis  a  la  parole  toute-puissante 
de  Jesus  :  les  flots  obeissent  a  leur  tour,  el, 
contrairement  a  ce  qui  se  passe  d'ordinaire  en 
pareil  cas,  reprennent  aussitot  un  equilibre 
parfail.  Quand  Jesus  guerissait  les  malades, 
il  n'y  avail  pas  de  convalescence;  quand  il 
apaise  une  tempeie,  il  I'arrele  brusquement 
sans  transition. 

40.  —  Les  disciples  meritaient  aussi  des 
reproches :  Jesus  les  leur  adresse  pour  leur 
instruction.  —  Necdum  habetis  fidem?  La  Re- 
cepla  porta  :  ■kSh;  oOx  exete  TtidTiv ;  Comment 
n'avez-vous  pas  la  foi?  Mais  les  manuscrils 


B,  D,  L,  Sinait.,  ontla  varianle  ouTtw,  que  les 
versions  copte  et  italique  ont  lue  de  meme 
que  la  Vulgate.  «  Si  les  disciples  avaient  eu 
la  foi,  ils  auraienl  ete  persuades  que  Jesus 
pouvail  les  proleger,  quoique  endormi  ». 
Theophylacte.  —  Et  timuerum  timore  ma- 
gno... Dans  le  texte  grec,  ces  mots  commen- 
cent  un  nouveau  verset,  qui  est  le  41  e  du 
chapitre  iv.  —  La  crainte  envahit  une  se- 
conde  fois  I'cirae  des  Apotres,  mais  c'est  une 
crainte  d'un  autre  genre  :  precedemment, 
t.  38,  ils  avaient  eu  peur  de  i'orage  qui  me- 
nagait  de  les  engloutir;  mainlenant,  le  mi- 
racle si  eclatant  de  Jesus  les  remplit  d'un 
effroi  surnaturel  et,  se  faisant  part  de  leurs 
impressions,  ils  se  demandent  les  uns  aux 
auires  :  Quis, putas,  est  iste...  Precedemment, 
I,  27,  apres  la  guerison  d'un  demoniaque,  les 
assistants  s'etaient  ecries  :  «  Quidnam  est 
hoc?  »  Aujourd'hui,  I'attenlion  est  plutot  di- 
rigee  sur  la  personne  meme  de  Jesus  :  Que 
doit  elre  celui  qui  opere  de  tels  prodiges? 
—  TerluUien,  adv.  Marc,  iv,  20,  rapproche 
ce  miracle  de  plusieurs  passages  propheti- 
ques  :  «  Quum  transfretat  (Jesus) ,  psalmus 
expungitur,  Dominus,  inquit,  super  aquas  mul- 
tas  (Ps.  xxviii,  3)  :  quum  undas  freli  discu- 
tit,  Habacuc  adimpletur,  Dispergens,  inquit, 
aquas  itinere  (Hab.  in,  15)  :  quum  ad  minas 
ejus  eliditur  mare,  Nahum  quoque  absolvitur, 
Comminans,  inquit,  mari  et  arefaciens  illud 
(Nah.  I,  4;,  utique  cum  ventis  quibus  inquie- 
tabatur.  » 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


17 


CHAPITRE  V 

J^sus  passe  dans  la  region  des  Gadareniens,  ou  il  guerit  un  deraoniaque  au  milieu  de  cir- 
conslances  exlraordinaires  [tt.  1-17).  —  A  son  depart,  il  charge  celui  qu'il  a  gueri  de 
precher  rEvangile  dans  la  contree  {tf.  18-20).  —  Quand  il  debarque  sur  la  rive  occiden- 
tale.  un  chef  de  synagogue  le  supplie  de  rendre  la  sanle  a  sa  fille  mourante  [tt.  21-24). 
—  En  se  rendant  chez  Jaire,  Jesus  guerit  I'heinorrhoisse  (tt.  23-34).  —  «  Talitha  curai  » 
(tt.  33-43). 


1 .  Et  venerunt  trans  fretum  maris 
in  regione  Gerasenorum. 

Match.  8,  28;  Luc.  8,  26. 

2.  Et  exeunti  ei  de  navi  statim 
occurrit  de  monumentis  homo  in 
spiritu  immundo, 


1 .  Et  ils  vinrent,  en  traversant  la 
mer,  dans  le  pays  des  Geraseniens. 

2.  Et,  comme  il  sortait  de  la  bar- 
que, tout  a  coup  vint  a  lui  du  milieu 
des  tombeaux  un  homme  possede 
d'un  esprit  immonde, 


11.  — L.e  d^moniaque  de  Gadara.  t,  1-20. 
Parall.  Malth.  Tin,  28-34;  Luc.  viu,  26-39. 

Nous  trouvons  ici  la  plus  merveilleuse  de 
toutes  les  guerisons  de  demoniaques  operees 
par  Jesus.  Le  recii  tres  detailie  de  S.  Marc 
renouvelle  en  quelque  sorte  sous  nos  yeux 
eel  incident  grandiose,  ou  le  caractere  mes- 
sianique  et  divin  du  Sauveur  se  manifeste 
avee  lant  d'evidence.  Les  traits  propres  a 
noire  Evangeliste  apparaissent  presque  a 
chaque  verset.  Bornons-nous  a  signaler  les 
principaux.  t.  4  :  «  nemo  poterat  eum  do- 
mare  »  ;  *.  3  :  «  in  montibus  erat,  damans 
et  concidens  se  lapidibus  »;  t.  6  :  «  videns 
Jesum  a  longe,  cucurrit  n ;  t.  1  :  <■(  damans 
voce  magna  »  :  «  adjuro  te  per  Deum  vivum  »; 
t.  10  :  ('  deprecabatur  eum  multum  ne  se 
expelleret  extra  regionem  »;  t.  13  :  «  ad  duo 
millia  »;  t.  20  :  «  coepit  praedicare  in  Deca- 
poli.  » 

Chap,  v,  —  1 .  —  Trails  fretum  maris : 
sur  la  rive  orientale ;  ou  mieux  encore,  d'a- 
pres  I'opinion  commune,  dans  la  contree 
situee  au  S.-E.  du  lac.  —  In  regionem  Gera- 
senorum. Nous  avons  fait  connaitre,  dans 
notre  commentaire  sur  S.  Matlh.  p.  167,  les 
differenles  legons  du  texte  grec,  des  versions 
et  des  Peres  relativemenl  a  ce  nom  propre, 
(ra5apr(Vtov,repaoyivwv,r£pYE<jrjV(JJvl  et  ia  grande 
dilTiculle  quelles  creent  a  I'exegete.  Notre 
choix  s'est  alors  porte  sur  Gadara.  II  est  venu 
depuis  a  notre  connaissance  que  plusieurs 
commentateurs  ou  geographes  (Weiss,  Volk- 
mar,  Farrar,  Tristram,  Cook,  Thomson)  re- 
viennent  a  I'opinion  d'Origene,  I'un  d'eux,  le 
Dr  Tiiomson,  ayanl  decouvert  aupi-e>  de 
I'ouadi  Semak,  en  face  de  la  plaine  de  Tibe- 


riade,  les  ruines  d'une  ville  que  son  guide 
arabe  nomma  Kersa  ou  Ghersa,  et  qu'il  n'he- 
site  pas  a  identifier  avec  I'antique  Gergesa 
oil  Je,-us,  selon  le  grand  interprete  alexandrin, 
aurait  gueri  le  demoniaque.  Cfr.  The  Land 
and  the  Book,  Lond.  1876,  p.  373  et  ss.  «  La 
ville  est  situee  a  quelques  metres  du  rivage 
et,  immediatement  au-dessus  d'elle,  se  dresse 
une  montagne  enorme  dans  laquelle  sont 
d'anciens  tombeaux...  Le  lac  est  si  rapproche 
de  la  ba>e  dela  montagne,  que  les  pourceaux, 
se  precipitant  en  bas  tout  affoles,  eussent  ete 
dans  I'impossibilite  de  s'arreter;  necessaire- 
ment  ils  devaient  tomb?r  dans  le  lac  et  s'y 
noyer.  »  Nous  admetlons  sans  peine  que  cette 
decouverte  semble  favoriser  I'opinion  d'Ori- 
gene, et  que  le  site  decril  par  i\L  Thomson 
concorderait  mieux  que  le  lerritoire  de  Ga- 
dara avec  la  narration  evangelique.  Toutefois 
le  texte  sacre  n'exige  nullement  que  la  ville 
fut  tout  a  fait  sur  lesbords  du  lac,  et  les  guides 
arabes  ont  si  frequemment  donne  de  fausses 
indications  sur  les  vieilles  localites  de  la  Pa- 
lestine, qu'il  y  a  tout  interet  a  ne  pas  se 
presser  trop  pour  les  adopter. 

2.  —  Exeunti  ei.  D'apres  le  grec,  «  egresso 
ei  »  (£$£),e6vTi  a-jTw)  :  c'etail  done  quelques 
instants  apres  le  debarquement  de  Jesus  et 
des  Apotres.  —  Homo  in  spiritu  immundo. 
Cfr.  I,  23  et  I'explication.  Un  homme  au 
pouvoir  du  demon ,  I'esprit  immonde  par 
excellence.  S.  Matlhieu  mentionne  deux  pos- 
sedes  (voir  le  commentaire,  p.  167  et  s.); 
S.  Marc  et  S.  Luc  nen  presentenl  qu'un  du- 
rant  toute  la  scene  qui  va  suivre  :  c'etait 
probablement  le  plus  celebre.  «  Intelligas 
unum  eorumfuisse  personae  alicujus  clarioris 


78 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


3.  Qui  faisait  sa  demeure  des 
tombeaux,  et  personne  ne  pouvait 
plus  le  lier  avec  des  chaines; 

4.  Gar,  souvent  attache  avec  des 
chaines  et  des  entraves,  il  avait 
rompu  les  chaines  et  les  entraves, 
et  personne  ne  pouvait  le  dompter. 

8.  Et,  le  jour  et  la  nuit,  il  etait 
toujours  dans  les  tombeaux  et  sur 
les  montagnes,  criant  et  se  meur- 
trissant  avec  des  pierres. 

6.  Or,  voyant  Jesus  de  loin,  il  ac- 
courut  et  Tadora. 

7.  Et,  criant  d'une  voix  forte,  il 
dit  :  Qu'y  a-t-il  entre  moi  et  toi. 


3.  Qui  domicilium  habebat  in  mo- 
numentis,  et  neque  catenis  jam  quis- 
quam  poterat  eum  ligare, 

4.  Quoniam  ssepe  compedibus  et 
catenis  vinctus,  dirupisset  catenas, 
etcompedes  comminuisset,  et  nemo 
poterat  eum  domare. 

b.  Et  semper  die  ac  nocte  in  mo- 
numentis  et  in  montibus  erat,  da- 
mans, et  concidens  se  lapidibus. 

6.  Videns  autem  Jesum  a  longe, 
cucurrit,  et  adoravit  eum ; 

7.  Et  damans  voce  magna,  dixit: 
Quid  mihi  et  tibi^  Jesu  Fill  Dei  al- 


et  famosioris,  quern  regio  ilia  maxime  dole- 
bat.  »  S.  August,  de  Cons.  Evang.  ii,  24. 
Voyez  dans  Lightfoot,  Horse  talm.  in  Marc. 
V,  4,  un  ^ingulier  essai  de  conciliation. 

3-5.  —  Ces  trois  versets  contiennent  une 
description  pitloresque  du  caractere  sauvage 
et  farouclie  de  notre  demoniaque.  Savie  etait 
un  perpeluel  paroxysme  de  folie  furieu^e,  ce 
qui  faisait  de  lui  un  objet  d'effroi  et  d'hor- 
reur  pour  toute  la  contree.  —  In  monumenlis. 
Cfr.  t.  5.  Les  vastes  chambres  sepulcrales 
creusees  dans  le  roc  aux  environs  de  Gadara, 
tel  etait  son  domicile  habituel ;  preuve  qu'il 
avait  completement  abandonne  la  sociele  des 
hommes.  L'esprit  impur  qui  le  dominait  lui 
faisait  hanter  les  tombeaux.  —  Neque  catenis 
jam...  Ainsi  portent  les  meilleurs  manuscrits 
grecs,  oOoe...  ouxexi.  Cfr.  Tischendorf,  Nov. 
Testam.  La  «  Recepta  »  a  simplement  oiixz. 
Le  contexte  est  favorable  a  la  legon  de  la 
Vulgate ;  les  details  suivants  niontrent  en 
effet  le  motif  pour  lequel  on  avait  «  desor- 
mais  »  cesse  d'enchainer  le  demoniaque.  Des 
experiences  reilerees  avaient  prouve  que 
c'etait  inutile.  —  Quoniam  scepe...  «  Dans  la 
civilisation  si  vantee  de  I'antiquite,  dit  juste- 
ment  M.  Farrar,  Life  of  Christ,  t.  i,  p.  334, 
il  n'y  avait  ni  hopilaux,  ni  etablissements  pe- 
nitentiaires,  ni  asiles ;  et  les  infortunes  de 
celte  espece,  trop  dangereux  pour  qu'on  les 
tolerat  dans  la  societe,  etaient  simplement 
expulses  d'aupres  de  leurs  semblables  :  pour 
les  empecher  de  nuire,  on  employait  a  leur 
egard  des  mesures  a  la  fois  insuffisantes  et 
cruelles.  »  II  fallait  le  Christianisme,  et  sur- 
tout  le  Catholicisme,  pour  creer  des  refuges  a 
ces  etres  malheureux.  —  Compedibus  designe 
des  entraves  mises  autour  des  pieds  et  des 
jambes,  catenis  des  liens  ou  des  chaines  qui 
attachaient  les  mains  et  les  bras,  peut-iitre 
aussi  le  corps.  —  Dirupisset  catenas...  Rendu 


plus  furieux  encore  par  ce  traitement,  le  pos- 
sede,  dont  le  demon  centuplait  les  forces 
musculaires,  mettait  en  pieces  chaines  et  en- 
traves. Ainsi  done,  comme  Fajoute  I'Evange- 
liste,  «  personne  n'avait  reussi  a  le  dompter.  » 
—  In  montibus.  Quand  il  n'elail  pas  cache 
danslessepulcres,  on  le  voyait  courant  comme 
un  forceneii  travers  les  montagnes  qui  bordent 
les  rives  orienlales  de  la  mer  de  Galilee.  Alors 
il  poussait  de  grands  cris  ,  bien  plus,  il  se  de- 
chirail  le  corps  en  se  frappanl  avec  des  pierres. 
Affreux  spectacle,  qui  prouve  jusqu'a  quel 
point  ce  malheureux  etait  au  pouvoir  du  d^- 
mon.  Un  Evangile  apocryphe,  faisant  allusion 
a  cette  lamentable  histoire  des  possedes  de 
Gadara,  note  un  autre  trait  caracleristique  ; 
<j'ao>co9aYouvTa;  iwv  IScwv  (aeXwv.  Cir.  Thllo, 
Co'd.  Apocr.  t.  I,  p.  808. 

6  et  7.  —  Mais  voici  que  le  Liberateur  se 
presente,  et  le  demoniaque,  un  instant  calme 
par  son  influence  qui  se  fait  sentir  au  loin 
(videns...  Jesum  a  longe),  accourtau-devant  de 
lui  et  se  prosterne  a  ses  pieds.  —  Quid  mihi 
et  tibi?  Cfr.  i,  24.  Qu'avons-nous  de  com- 
mun?  Pourquoi  ne  me  laissez-vous  pas  en 
paix?On  le  voit,  c'est  le  demon  qui  reprend 
son  empire,  et  qui  parle  par  la  bouche  du 
possede.  —  Jesu,  Fill  Dei  altissimi.  C'est  la 
premiere  fois  que  Dieu  regoit  ce  nom  dans 
les  ecrits  du  Nouveau  Teslament :  mais  il 
I'avait  frequemment  porte  sous  I'ancienne 
Loi.  Deja,  Melchisedech  nous  a  ete  presente, 
Gen.  XIV,  18,  comme  pretre  "IVTJ  IN,  c'est-a- 
dire  du  Dieu  tres  haut.  Les  prophetes  etles 
poetes  sacres  ont  oepuis  repete  sans  cesse 
que  le  Seigneur  est  El-Elyon.  Cfr.  Deut. 
xxxii,  8;  Is.  XIV,  44;  Thr.  in,  35;  Dan.  iv, 
47,  24,  32,  34;  vii,  48,  22,  25;  Ps.  vii,  47; 
IX,  2;  XVIII,  43;  xlvi,  4,  etc.  A  lui  seul, 
1  auteur  de  I'Ecclesiastique  a  repele  ce  litre 
quaranle  fois  au  moins.  Les  demons  le  con- 


CHAPITRE    V 


79 


tissimi?  adjurole  perDeum,  ne  me 
torqueas. 

8.  Uicebat  enim  illi :  Exi,  spiritus 
immunde,  ab  homine. 

9.  Et  interrogabat  eiim  :  Quod 
tibi  nomen  est  ?  Et  dicit  ei :  Legio 
mihi  nomen  est,  quia  multi  sumus. 

10.  Et  deprecabatur  eum  multum, 
nese  expelleret  extra  regionem. 

11.  Erat  autem  ibi  circa  montem 
grex  porcorum  magnus,   pascens. 


Jesus,  fils  du  Dieu  tri^s-haut?  Je 
t'adjure  par  Dieu,  ne  me  tourmente 
pas. 

8.  Car  il  lui  disait  :  Sors  de  cet 
homme,  esprit  immonde. 

9.  Et  il  I'interrogeait :  Quel  est 
ton  nom?  Et  il  lui  dit :  Men  nom  est 
legion,  parce  que  nous  sommes  plu- 
sieurs. 

10.  Et  il  le  priait  instamment  de 
ne  pas  le  chasser  hors  de  ce  pays. 

11 .  Or,  il  y  avait  la,  au  pied  de  la 
montagne,  un  grand  troupeau  de 
pores  qui  paissait. 


naissent  aussi  et  le  donnent  a  Dieu.  Cfr.  Luc. 
VIII,  28;  Act.  XVI,  17.  Ici,  I'esprit  impur  ose 
meme  s'en  servir  pour  adresser  a  Jesus  une 
adjuration  solennelle.  —  Ne  me  torqueas.  C'est 
toujours  Satan  qui  parle  ;  il  sait  que  Jesus  va 
I'expulser  It*'.  8),  et,  par  une  humiliante  sup- 
plication, il  essaie  d'echapper  a  ce  sort  qui 
i'effraie.  Selon  une  belle  pensee  de  S.  Jerome, 
les demons,  semblables  adesesclaves  fugitifs, 
nesongenl,  lorsqu'ilsapergoivent  leur  Maitre, 
qu'aux  chatiments  qui  les  aitendent.  Eux,  qui 
tourmentent  si  crueliement  les  hommes,  ils 
ont  peur  d'etre  tourmenles  a  leur  tour. 

8.  —  Dkebat  enim  illi...  Motif  de  cette 
adjuration  pressante  du  demon.  En  cet  ins- 
tant meme,  Jesus  lui  ordonnait  de  se  retirer. 
Habituellement,  quand  le  Sauveur  donnait  un 
ordre  de  ce  genre,  il  etait  aussitot  obei :  dans 
Ja  circoiistance  presente,  il  accorda  un  certain 
delai  a  son  ennemi,  afin  de  mieux  accomplir 
ainsi  ses  misericordieux  desseins. 

9.  —  Quod  tibi  nomen  est?  Ce  n'est  pas 
pour  lui-meme.  assurement,  c'est  pour  les 
assistants  que  Nolre-Seigneur  adresse  cette 
question  a  I'esprit  immonde  :  il  se  proposait 
par  la  de  faire  ressortir  la  grandeur  du  mi- 
racle qu'il  allait  accomplir.  —  Legio  mihi 
nomen.  Nom  superbe,  que  le  demon  se  donne 
en  ce  moment  pour  braver  Jesus.  La  legion 
romaine  se  composait  d'environ  6000  hommes : 
les  Juifs  en  avaient  tous  contemple  les  rangs 
serres  et  terribles.  Aussi  employaient-ils  vo- 
lonliers  le  mot  puS  [leghion,  caique  sur  le 
nomlatin  « legio  »)  pour  expriraer  un  nombre 
considerable.  Cfr.  Buxtorf,  Lexic.  rabbin. 
p.  4123;  Lightfoot,  Hor.  talm.  in  Marc,  v,  9. 
Satan  s'en  serl  de  meme  pour  monlrer  que  le 
possede  par  I'organeduquel  il  parlait  etait  au 
pouvoir  d'une  multitude  de  demons  inferieurs. 
—  Quia  muUi  sumus.  Exegese  du  nom  que 
I'esprit  mauvais  venait  de  s'attribuer.  Le 
pauvre  demoniaque  avait  done  ete  transfor- 


me  en  un  camp  satanique  ou  les  demons  te- 
naient  pour  ainsi  dire  garnison.  Dieu  aime  a 
s'appeler  le  Seigneur  des  armees  :  le  diable 
s'arroge  ici  par  bravade  un  titre  analogue ; 
mais  la  legion  infernale  n'efTraiera  point  Je- 
sus. —  Les  Evangiles  nous  offrent  d'autres 
exemples  de  possessions  multiples  dans  un 
meme  individu  :  Cfr.  xvi,  9;  Luc.  viii,  2; 
Matlh.  xn,  45. 

iO.  —  Depi^ecabatur  eum  multum.  Le  demon 
reitere  maintenant  sa  supplique.  II  y  a  ici, 
comme  au  t.  9,  un  changement  de  nombre, 
qui,  etrange  en  apparence,  s'explique  nean- 
moins  fort  bien  par  la  circonstance  indiquee 
ci-dessus.  Les  demons  sont  une  legion  :  de  la 
le  pluriel  «  sumus  »,  se  (aOtou;);  c'est  le  princi- 
pal d'entre  eux  qui  a  pris  la  parole  au  nom 
de  tous  :  de  la  le  singulier  «  mihi,  depreca- 
batur. »  —  Extra  regionem.  lis  se  plaisaient 
dans  cette  conlree  a  moitie  paienne,  oil  ils 
pouvaient  mieux  exercer  leur  puissance. 
«  Amare  videntur  regiones  illas  prae  aliis,  in 
quibus  mores  hominum,  propter  longam  con- 
suetudinem,  perspectiores  habent,  ac  ubi  ma- 
jor est  eis  nocendi  occasio  et  spes.  »  Fr.  Luc. 
Dans  le  troisieme  Evangile,  viii,  31,  les  de- 
mons «  rogabant  ilium  ne  imperaret  illis  ut 
in  abyssum  irent.  »  Ce  sont  deux  expressions 
differentes  pour  rendre  une  seule  et  meme 
idde. 

11.  —  Grex  porcorum  magnus.  Sur  la  pre- 
sence des  pores  en  Palestine,  voyez  I'Evang. 
selon  S.  Matth.  p.  169.  Nous  avons  ici  un 
exemple  interessant  de  I'independance  des 
trois  synoptiques,  malgre  la  grande  ressem- 
blance  de  leurs  recits.  S.  Luc,  pour  designer 
I'endroitou  paissaient  les  pourceaux,  emploie 
simplement  le  vague  adverbe  exet,  la;S.  Mat- 
thieu  dit  que  c'etait  [laxpav  au' auTwv,  a  une 
assez  grande  distance  du  groupe  forme  par 
Jesus,  ses  disciples,  le  demoniaque  et  les 
autres  temoins  du  prodige;  S.  Marc  concilia 


80 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


12.  Et  les  esprits  le  priaient,  di- 
sant  :  Envoie-nous  dans  ces  pores, 
pour  que  nous  entrions  en  eux. 

13.  EL  Jesus  aussitot  le  leur  per- 
mit. Et  les  esprits  immondes,  sor- 
tant  du  'possede,  entrerent  dans  les 
pores,  et  le  troupeau  d'environ  deux 
mille  se  precipita  impetueusement 
dans  la  mer,  et  ils  furent  noyes 
dans  la  mer  : 

14.  Mais  eeux  qui  les  faisaient 
paitre  s'enfuirent  et  repandirent 
cette  nouvelle  dans  la  ville  et  dans 
les  champs.  Et  on  sortit  pour  voir 
ce  qui  etait  arrive. 

J  5.  Ils  vinrent  vers  Jesus,  et  ils 
virent  celui  qui  avait  ete  tourmente 
par  le  demon  assis,  v^tu  et  sain 
d'esprit,  et  ils  furent  saisis  de 
crainte. 

16.  Et  eeux  qui  avaient  vu  leur 
raconterent  ce  qui  etait  arrive  a  ce- 
lui qui  etait  possede  du  demon  et 
aux  pores. 


12.  Et  deprecabantur  eum  spi- 
ritus,  dicentes  :  Mitte  nos  in  porcos, 
ut  in  eos  introeamus. 

13.  Et  concessit  eis  statim  Jesus. 
Et  exeuntes  spiritus  immundi  _in- 
troierunt  in  porcos,  et  magno  im- 
petu  grex  precipitatus  est  in  mare 
ad  duo  millia,  et  suffocati  sunt  in 
mari. 

1 4 .  Qui  autem  pascebant  eos,  fuge- 
runt,  et  nuntiaverunt  in  civitatem 
et  in  agros.  Et  egressi  sunt  videre 
quid  esset  factum. 

15.  Et  veniunt  ad  Jesum,  et  vi- 
dent  ilium  qui  a  dsemonio  vexaba- 
tur,  sedentem,  vestitum,  et  sanae 
mentis;  et  timuerunt. 

16  Et  narraverunt  illis,  qui  vide- 
rant,  qualiter  factum  esset  ei  qui 
daemonium  habuerat,  et  de  porcis. 


les  deux  autres  Evangelistes  en  nous  mon- 
trant  le  troupeau  h/.zl  Trpo;  tw  6pet,  ibi  circa 
montem  :  nolo  toiite  graphique. 

12.  —  Deprerabantur.  Pour  la  troisieme 
fois,  le  demon  s'humilieet  implore  Jesus.  Cfr. 
tt.  7  et  10.  Ne  me  tourmente  pas,  avait-il 
demande  tout  d'abord.  Precisant  ensuite  sa 
requete,  il  avait  supplie  le  Sauveurdele  lais- 
ser  dans  le  pays.  Maintenant  il  lui  dit :  Mitte 
nos  in  porcos...  II  desire  posseder  les  pour- 
ceaux,  de  meme  qu'il  avait  possede  jusque 
la  le  demoniaque  auquel  il  sesentait  force  de 
renoncer.  Sur  le  motif  de  cette  singuliere 
demande,  voyez  le  comment,  sur  S.  Matth. 
VIII,  31. 

13.  —  Concessit  eis.  «  Ite  »,  repondit  Jesus 
d'apres  S.  Matthieu,  avec  un  laconisme  plein 
de  majeste.  —  Les  demons  proQtent  aussitot 
de    la    permission    qui    leur    est  accordee. 

Exeuntes introieriint  :  ils    abandonnent 

Thomme  creeal'imagede  Dieu,et  ils  envahis- 
sent  le  troupeau  de  betes  denudes  de  raison. 
—  Et  magno  impetu...  Cette  scene  etrange 
esttres  bien  decrite  par  les  Irois  Evangelistes, 
qui  emploient  du  reste  a  peu  pres  les  memes 
expressions.  Les  animaux,  devenas  furieux 
comme  i'avait  ete  autrefois  le  demoniaque, 
tt.  3-5,  se  lancenta  toute  vitesse  le  long  des 
flancs  de  la  montagne  sur  laquelle  ils  pais- 
saient.  En  un  clin  d'oeil  ils  roulent  dans  le  lac : 


un  immense  lourbillon  est  produit, et  bientot 
I'abime  se  renferme  sur  sa  proie.  —  Ad  duo 
millia.  La  region  qui  servit  de  theatre  a  cet 
evenement  a  toujours  ete  celebre  par  des 
troupeaux  nombreux .  Les  bois  de  chene  qu'elle 
conlient  la  rendaient  specialement  propice  a 
I'elevage  des  pourceaux. 

14-17.  —  La  nouvelle  de  cet  eclatant  pro- 
dige,  mais  aussi  de  cette  perte  considerable, 
ful  portee  sur-le-champ  a  la  ville  voisine  et 
dans  toute  la  contree  par  les  bergers  epou- 
vantes.  Les  habitants  sortirent  alors  pour 
voirle  Thaumaturge.  Le  contraste  saisis?ant 
qui  frappa  leurs  regards  des  qu'ils  s'appro- 
cherent  de  Jesus  est  peint  au  vif  par  S.  Marc. 
—  Sedentem,  vestitum,  sanw  mentis.  Autrefois, 
on  voyait  le  possede  courir  comme  un  fou  a 
travers  toute  la  contree,  maintenant  il  est 
assis  aux  pieds  de  Jesus  el  se  tient  aussi  pai- 
sible  qu'un  petit  enfant;  autrefois,  dit  S.  Luc, 
VIII,  27,  «  vestimento  non  induebatur  », 
maintenant  il  porte  les  vetpments  que  Jesus 
et  les  Apolres  lui  ont  donnes;  autrefois  il 
agissaitsous  I'empiredu  demon,  aciuellement 
il  est  rentre  dans  la  pleine  possession  de  ses 
facu'.tes.  Apres  les  mots  '(  sanae  mentis  »,  le 
texte  grec  ajoute  avec  emphase  :  t6v  Ecxr.y.oxa 
Tov  ),£Y£wva,  celui  qui  avait  eu  la  legion  !  — 
Et  narraverunt  illis...  Au  fur  et  a  mesure  que 
de  nouveaux  curieux  arrivaienl,  les  temoins 


CHAPITRE   y 


81 


17.  Et  rogare  coeperunt  eum  ut 
discederet  de  fmibus  eorum. 

18.  Gumque  asceiideret  navim, 
coepit  ilium  deprecari,  qui  a  dsemo- 
nio  vexatus  fuerat,  ut  esset  cum 
illo  : 

■  19.  Et  non  dimisit  eum,  sed  ait 
illi  :  Vade  in  domum  tuam  ad  tuos, 
et  annuntia  illis  quanta  tibi  Domi- 
nus  fecerit,  et  misertus  sit  tui. 

20.  Et  abiit,  et  coepit  prsedicare 
in  Decapoli,  quanta  sibi  fecisset 
Jesus;  et  omnes  mirabantur. 


17.  Et  ils  commencerent  a  prier 
Jesus  de  s'eloigner  de  leurs  confins. 

18.  Et,  comme  il  montait  dans  la* 
barque,  celui  qui  avait   ete  tour-' 
mente  par  le  demon  commenca  a  le 
prier  pour  rester  avec  lui. 

19.  Et  il  ne  le  lui  permit  pas, 
mais  il  lui  dit  :  Va  dans  ta  maison 
vers  les  tiens,  et  annonce  leur  tout 
ce  que  le  Seigneur  a  fait  pour  toi, 
et  comment  il  a  eu  pitie  de  toi. 

20.  II  s'en  alia  done  et  commenca 
a  publier  dans  la  Decapole  tout  ce 
que  Jesus  avait  fait  pour  lui,  et  tous 
etaient  dans  I'admiration. 


du  miracle  leur  en  exposaient  les  divers  traits, 
parlant  el  du  demoniaque  et  de  porcis.  Celie 
derniere  expression  forme,  dans  I'intention  de 
I'ecrivain  sacre,  une  gradation  manil'este.  Les 
pourceaux,  leurs  pourceaux!  D'abord  sinfi- 
plement  elonnes,  les  Gadareniens  se  desolent 
maintenant  au  sujet  de  la  perte  qu'ils  ont 
subie  et  ils  redoutent  d'en  eprouver  d'autres 
encore.  Aussi  conjurent-iis  Jesus  de  quitter 
leurs  fronlieres.  lis  ont  bien  merite,  par  cette 
indigne  conduite,  que  leur  nom  servit  a  stig- 
matiser  quiconque  refuse  de  preter  I'oreille  a 
la  saine  doctrine !  Cfr.  Erasme,  Adagia,  p.  31 3. 

48.  —  Cumque  ascenderet  navim.  Au  mo- 
ment oil  Jesus  allait  s'embarquer  pour  retour- 
ner  sur  la  rive  occidentale  du  lac,  il  se  passa 
line  scene  touchante.  Celui  qui  avait  ete  I'objet 
du  miracle  adresse,  lui  aussi,  une  priere  au 
divin  Mailre.  Mais  que  sa  demande  differs  de 
celle  des  Gadareniens!  «  Rogare  coeperunt 
eum  ut  discederet  de  finibus  eorum  »,  lisions- 
nous  au  verset  precedent;  ici,  au  contraire, 
coepit  eum  deprecari...  ut  esset  cum  illo.  II 
implorait  done  la  favour  d'etre  le  compagnon 
habituel  de  Jesus,  c'esl-a-dire  son  disciple 
dans  le  sens  strict  de  cette  expression.  «  Si 
enim  non  tanquam  discipulus,  sed  quemad- 
modum  turba  Christum  sequebatur,  eum 
sequi  voluisset,  ejus  injussu  facere  potuisset, 
sicut  mulli  alii  facicbant:  discipulus  autem 
illius  esse  nisi  eo  approbante  admiltenteque 
non  poterat.  »  Maldonat,  h.  1.  Par  cette  oft're, 
il  temoignait  sa  profonde  gratitude  a  Tegard 
de  son  liberateur.  Theophylacle,  Eulhymius, 
Grotius,  etc.,  supposent  sans  raisons  suffi- 
santesqu'il  craignait  le  relour  des  demons, 
et  qu'il  desirait  pour  ce  motif  demeurcr  tou- 
jours  aupres  du  Thaumaturge. 

49.  —  Non  admisit  eum.  Jesus  refuse  en 
apparence,  mais  de  fait  il  accorde  au  sup- 
uliant  un  role  plus  meriloire  et  plus  utile.  — 

S.  Bible.  S. 


Annuntia...  Aux  autres,  Notre-Seigneur  enjoi- 
gnait  le  silence  :  il  prescrit  a  celui-ci  la  pu- 
blicite.  C'est  qu'en  Peree  Jesus  n'avait  a 
craindre  ni  les  memes  inconvenienls,  ni  les 
memes  prejuges  qu'en  Judee  ou  qu'en  Gali- 
lee. Dans  cette  lointaine  province,  il  n'avait 
pas  beaucoup  d'ennemis,  et  I'enlhousiasme 
messianique  n'etait  guere  a  redouter.  — 
Voila  done  I'ancien  hole  du  demon  constitue 
Apotre  et  missionnaire  du  Christianisme  dans 
ce  district!  C'elait  une  grande  misericorde 
de  Jesus  non-seulement  pour  lui,  mais  pour 
loute  la  contree.  «  Repulsus  a  Gerasenis  Do- 
minus  illos  quidem  in  prsesens,  ut  meruerunt, 
deseruit;  quoniam  aulem  nondum  desponderi 
salus  eorum  poluit,  reliquit  eis  Apostolum.  » 
Fr.  Luc. 

20.  —  Et  abiit  et  ca;pit  pradicare,  Avec 
quel  zele  ne  dut-il  pas  s'acquitter  de  cette 
noble  fonction!  II  parcourut  tout  le  territoire 
de  la  Decapole,  raconlant  les  merveilles  qui 
avaient  ete  accomplies  en  lui.  —  Sibi  fecisset 
Jesus.  Au  verset  precedent,  selon  la  juste  re- 
marque  d'Eulhymius,  Jesus  avait  dit  :  «  An- 
nuntia illis  quanta  tibi  Dominus  fecerit  », 
rapportant  ainsi  par  modestie  toute  la  gloire 
du  miracle  a  son  Pere;  mais,  dans  sa  recon- 
naissance, I'ancien  demoniaque  mentionna 
I'auleur  immediat  do  sa  guerison  :  il  attribue 
directement  le  prodige  a  Jesus.  —  Omnes 
mirabantur.  Tout  porto  a  croire  que  I'Evan- 
geliste  ne  veut  pas  soulcment  parler  d'une 
admiration  sterile  :  dans  beaucoup  de  ces 
ca3urs  sans  doute  I'etonnement  fit  place  a  la  ; 
foi  et  a  de  sinceres  conversions.  — Voir  dans  ' 
les  Eludes  archeologiq.  et  iconograph.  de 
M.  Rohault  de  Fleury,  t,  I,  p.  4  67,  d'an- 
ciennes  et  nai'ves  representations  artistiques 
de  ce  miracle. 


Marc.  —  6 


St 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


21.  Jesus  ayant  de  nouveau  tra- 
verse la  mer  dans  la  barque,  une 
grande  foule  s'assembla  autour  de 
lui,  et  il  etait  pres  de  la  mer. 

22.  Or,  un  des  chefs  de  la  syna- 
gogue, nomme  Jaire,  Tint  et  en  le 
"voyant  se  jeta  a  ses  pieds. 

23.  Et  il  le  priait  instamment, 
disant  :  Ma  fiUe  est  a  I'extremite; 
Tenez,  imposez  votre  main  sur  elle, 
afin  qu'elle  soit  guerie  et  qu'elle 
vive. 


21.  Et  cum  transcendisset  Jesus 
in  navi  rursum  trans  fretum,  conve- 
nit  turba  mulla  ad  eum,  et  erat  r 
circa  mare.  ' 

22.  Et  venit  quidam  de  archisyna- 
gogis  nomine  Jairus  :  et  videns  eum, 
procidit  ad  pedes  ejus. 

Luc.  8,  41 ;  Matth.  9,  18. 

23.  Etdeprecabatur  eum  multum, 
dicens  :  Quoniam  filia  mea  in  extre- 
mis est;  veni,  impone  manum  su- 
per eam,  ut  salva  sit,  et  vivat. 


12.  — La  fiUe  de  Jaire  et  rhemorrholsse. 

T,  21-43. —  Parall.  Matth.  ix,  18-26;  Luc.  viii,  40-56. 

Ici,  comme  an  paragraphe  qui  precede,  le 
recit  de  S.  Marc  est  encore  le  plus  graphique 
et  le  plus  compiet. 

a.  La  requite  de  Jaire.  v,  21-24, 

21.  —  Cum  transcendisset.  Ce  verset  ra- 
conle  I'occasion  du  double  miracle  opere  par 
Jesus  presque  aussilot  apres  qu'il  cut  franchi 
le  lac  el  debarque  sur  la  rive  occidentale. 
Sur  I'ordre  chronologique  des  fails,  voyez 
I'Evangile  selon  S.  Matth.  p.  181.  —  Conve- 
nit  turba.  A  peine  le  Sauveur  avail-il  mis  pied 
a  terre,  que  deja  une  multitude  considerable 
Tenlourait.  S.  Luc,  vni,  40.  signale  la  raison 
de  ce  rapide  concours  :  «  Erant  enim  omnes 
exspectantes  eum.  » 

22.  —  Quidam  de  archisynagogis.  S.  Mat- 
thieu  avail  simplemenl  dil  ^(  prmceps  unus  ». 
S.  Marc  et  S.  Luc  relevent  la  haute  fonction 
ecclesiastique  du  suppliant.  Chaque  syna- 
gogue elait  gouvernee  par  un  college  ou  cha- 
pitre  de  notables,  que  pre?idait  un  chef 
nomme  en  hebreu  T\02Dr{  'wNI,  Rosch-Hakke-- 
neceth,  u^ywi  Trj;  (juvaYwyr;;.  comme  traduit 
S.  Luc.  Cfr.'Vitringa,  de Synagoga,  p.  384  etss. 
Jesus  avait  bien  peu  d'amis  et  de  disciples 
parmi  ces  chefs.  Mais  voici  que  le  malheur 
lui  en  conduit  un!  —  Nomine  Jairus:  en  grec 
'Idti'.poi,  en  hebreu  liNi ;  Cfr.  Num.  xxxii,  41; 
Jud.'x,  3  ;  Esth.  ii,  3.  Les  Evangelistes  men- 
tionnent  raroment  les  noms  des  personnes  qui 
furenl  I'objet  des  miracles  du  Sauveur  :  ils 
font  une  exception  pour  Jaire,  sans  doute  a 
cause  de  la  grandeur  du  prodigo  qui  eat  lieu 

,  dans  sa  maison.  —  Procidit.  Malgre  sa  di- 
gnite,  il  tombe  aux  pieds  de  Notre-Seigneur. 
Ou'on  nous  permelte  de  ciler  une  belle  re- 
flexion de  M.  Schegg  a  propos  de  celte  pros- 
tration, «  Jesus  ne  courait  point  au-devant 
des  honneurs  humains;  pourtant,  nous  na 
lisons  nulle  part  qu'il  ait  refuse  des  hom- 
mages  de  ce  genre.  Jamais,  au  moment  de 


pareilles  scenes,  il  ne  s'ecria  comme  Paul 
et  Barnabe  :  Hommes,  pourquoi  faites-vous 
cela?  Nous  aussi,  nous  sommes  des  mortels 
comme  vous!  Act.  xiv,  14.  11  avait  remarque 
sans  peine  que  les  Pharisiens  en  etaienl  scan- 
dalises ;  et  neanmoins  il  laissait  faiie  ce  qu'il 
n'aurait  pas  pu  empecher  sans  temoigner 
contre  la  verite.  Celte  conduile  merite  notre 
pleine  attention  :  il  y  a  la  une  preuve  en  fa- 
veur  de  la  divinite  de  Jesus-Christ.  »  Evangel, 
nach  Mark.  p.  134. 

:23.  —  Deprecahatur...  multum  :  en  grec, 
■noW.a,  «  mulla  ». Expression  emphatique,  qui 
fait  Ires  bien  ressortir  le  caractere  pressant 
et  I'ardeur  des  prieres  de  ce  pere  inl'ortune. 
Elle  est  speciale  a  S.  Marc.  —  Filia  mea;  lil- 
teialement  :  «  filiola  mea  »,  to  Oyya'p'ov  (xou. 
Ce  diminulif  est  tout  a  fait  contorme  aux 
mcEurs  du  Levant,  car  les  Orientaux  emploient 
volontiers  les  appellations  de  tendresse.  — 
In  extremis  est.  La  phrase  du  texle  grec, 
EffxdTw;  ixct,  a  ele  quelquefois  rangee  parmi 
les'lalinismes  du  second  Evangile  :  c'est  par 
erreur,  car  elle  a  un  cachet  hellenique  de  bon 
aloi.  Cfr.  Fritzsche,  Evangel.  Marci,  p.  178. 
Elle  est  synonyme  de  eavaTtaw;  exe'.v,  etre  sur 
le  point  d'expirer.  Touchant  la  contradiction 
apparente  qui  existe  ici  entre  S.  Marc  et 
S.  Matlhieu,  voyez  notre  commentaire  sur  le 
premier  Evangile,  p.  182.  De  fait,  la  jeune 
fille  vivait  encore  lorsque  Jaire  I'avait  quittee 
pour  courir  a  la  rencontre  de  Jesus.  —  Veni, 
impone...  Le  texle  grec  offre  ici  une  phrase 
singuliere,  qui  ne  se  lie  d'aucune  fapon  avec 
les  antecedents,  bien  qu'elle  ait  I'air  de  s'y 
rattacher  :  tva  iXOwv  eTtiOri;  aOi^  la:  ydpxi, 
oTTw;  oto9-^  Y.a.\lr,'7z-oii,  «  ut  veniens  imponas  ei 
manus,  ita  ut  salva  sit,  et  vivat  ».  Quelques 
exegetes  sous-entendent  les  mots  7:apa-/.a).£'a> 
c£,je  te  conjure;  d'aulres  voient  dans  cette 
tournure  une  maniere  delicate  et  polie  d'in- 
viter  Jesus  a  venir  au  plus  vile, sans  paraitre 
toutefois  lui  donner  un  ordre.  Cfr.  Beelen, 
Grammat.  gra3citatis  N.  T.,  p.  346.  —  Saloa 


CHAPITRE    V 


83 


24.  Et  il  s'en  alia  avec  lui,  et  une 
grande  foule  le  suivait  et  le  pres- 
sait. 

2o.  Et  une  femme,  qui  avait  un 
flux  de  sang  depuis  douze  ans, 

26.  Et  avait  beaucoup  souffert  de 
plusieurs  medecins  et  avait  depense 
tout  son  bien,  et  n'en  avait  retire 
aucun  profit,  mais  se  trouvait  beau- 
coup  plus  mal, 

27.  Ayant  entendu  parler  de  Je- 


24.  Et  abiit  cum  illo,  et  sequeba- 
tur  eum  turba  multa,  et  comprime- 
bant  eum. 

25.  Et  mulier  quse  erat  in  proflu- 
vio  sanrruinis  annis  duodecim, 

26.  Et  fuerat  multa  perpessa  a 
compluribus  medicis  et  erogaverat 
omnia  sua,  nee  quidquam  profece- 
rat,  sed  magis  detenus  habebat, 

27.  Gum  audisset  de  Jesu,  venit 


sit  et  vivat.  Pleonasme  Ires  expressif :  du  reste, 
il  y  a  la  deux  idees  dislincles,  celle  de  ia 
gu'erison  et  celle  d'une  iongue  vie  apres  le 
relablissemenl. 

24.  —  Jesus  accede  aussilot  a  la  supplique 
de  Jaire.  La  t'oule  se  met  a  sa  suite,  esperant 
sans  doule  qu'elle  serait  temoiii  du  miracle. 
—  Comprimebant  eum  :  auviSXigov  auxov,  dit  le 
texte  grec,  employant  une  expression  Ires- 
^nergique,  qu'oa  ne  Irouve  qu'ici  et  au  t.  31. 
Cela  suppose  que  le  divin  Maitre  etait  a 
chaqiie  instant  heurte,  coudoye  par  la  mul- 
titude. 

b.  Gue'rison  de  Vhemorrho'isse.  v,  25-34. 

25.  —  Touchant  recil  d'un  miracle  en- 
chasse  dans  un  autre.  Voyez  TEvang.  selon 
S.  Matthieu,  p.  183.  S.  Marc  a  ime  descrip- 
tion tres-vivanle  du  trisle  elat  de  l"heraor- 
rhoisse,  tt.  2o  et  26.  II  a  condense  en  quel- 
ques  lignes  divers  traits  speciaux.  bien  ca- 
pables  de  nous  apitoyer  sur  ceLte  pauvre 
femme.  —  Qua  erat  in  profluvio.  La  maladie 
consistait  en  une  liemorrhagie  d'un  caraclere 
humilianl,  que  la  voix  publique  designait 
autrefois  conime  la  suite  d'une  conduite  de- 
reglee.  —  L'expres?ion  «  esse  in  »,  elvai  ev, 
pour  designer  un  elat  de  maladie,  est  ires 
classique  chez  les  Grecs  et  chez  les  Latins. 
Cfr.  Soph.  Aj.  V,  270  ;  Cic.  Tusc.  in,  4. 

26.  —  lei,  tous  les  mots  portent.  «  Elle 
avait  BEAUCOUP  soufTert  de  la  part  de  nom- 
BREUX  medecins;  elle  avait  depense  toute  sa 
fortune;  elle  n'en  allait  que  beaucoup  plus 
MAL !  »  S.  Luc,  vni,  43,  dira  au  fond  la  meme 
chose  ;  mais,  en  saqualite  de  «  Doctor  medi- 
cus  »,  11  parlera  avec  plus  de  menagements, 
afin  d'epargner,  dirait-on,  ses  anciens  col- 
legues.  —  Mulla  perpessa...  Dieu  salt  ce 
qu'etait  I'art medical  dans  ces  temps  recules! 
Le  Talmud  nous  a  conserve  tout  au  long  les 
prescriptions  qu'enjoignait  alors  la  Faculte 

Four  guerir  le  genre  de  malaise  dont  souffrait 
heroine  de  ce  recit.  Nous  en  signalons  quel- 
ques-unes,  qui  comraenteront  a  merveille 
notre  verset : «  Dicit  Rabbi  Jochanan :  Adduc 


gummi  alexandrini  pondus  zuzaei,  et  alumi- 
nis  pondus  zuzaei,  et  croci  hortensis  pondus 
zuzaei.  (^onti^ranlur  haec  una  et  in  vino  den- 
tur  I'eminae  hemorrhois^se.  —  Quod  si  haec 
non  prosint  :  Recipe  ceparum  persicaium  ter 
tria  log.  vino  coquanlur,  al(^ue  inde  earn 
potes,  dicasque  :  Surge  a  profluvio  tuo.  — 
Quod  si  hoc  non  valeat  :  Siste  earn  in  aliquo 
bivio,  raanuque  teneat  poculum  vini;  a  tergo- 
que  ejusvenialaliquis,eamque  terreatdicens: 
Surge  a  profluvio  tuo.  —  Si  autem  hoc  non 
oblmeat  :  Recipe  manipulum  cyinini,  et  ma- 
nipulum  foeni  graeci.  Haec  elixala  vino,  po- 
tanda  ei  dalo,  et  die  :  Surge  a  profluvio  tuo  ». 
Rab.  Schabb.  f.  110.  Et  cent  aulres  doses 
analogues,  dans  le  cas  ou  les  precedentes  de- 
meureraient  sans  effet.  Voici  I'une  des  re- 
cettes  les  plus  energiques  :  «  Fodiant  septem 
foveas,  in  quibusconiburant  sarmenta  vitium 
non  circumcisarum'c'est-a-dire  ayant  moinsde 
quatre  ans);  accipialque  in  manu  sua  pocu- 
lum vini.  Earn  autem  amoveant  ab  hac  fovea, 
alque  insidere  faciant  super  illam ;  atque  ab 
ilia  amoveant  atque  insidere  faciant  super 
aliam,  alque  in  unaquaque  amolione  dicen- 
dum  est  ei  :  Surge  a  profluvio  tuo!  »  Ibid. 
—  Erogaverat  omnia  sua:  dans  le  grec,  xi  nap' 
aOtrjiTidvTa.  Toutes  ses  ressources  avaier.t  eie 
prodiguees  en  remedeseten  honorairesde  me- 
decins. Encore,  si  elle  eut  recouvre  la  sante 
a  ce  prix!  Mais,  tout  au  contraire,  magis  de- 
terius  habebat.  On  connait  les  satires  mor- 
danles  lancees  dans  I'antiquite  classique 
centre  les  medecins.  lloXXwv  laTpoiv  eluooo; 
(a'  dnwXECiV,  Menandre.  «  Hinc  ilia  infelicis  nio- 
numenli  inscriptio  :  turba  se  medicorum  pe- 
riisse  ».  Pline,  Hist.  Nat.  xxiv,  5.  —  Le  rap- 
port apocryphe  envoye  a  Tibere  par  Pilate 
decrit  en  ces  termes  I'etat  auquel  I'hemor- 
rhoisse  avait  ete  reduile  :  u;  Ttdaav  ttjv  twv 
oCTxewv  dtpjioviav  ^aiveoOai,  xal  OeXou  oixtiv  5iau- 
YttCeiv.  Thilo,  Cod.  Apocr.  t.  I,  p.  808. 

28.  —  Cum  audisset  de  Jesu.  L'heure  du 
salut  a  Sonne  pour  cette  pauvre  femme.  Elle 
entend  parler  de  Jesus,  de  sa  puissance  a 
laquelle  aucune  maladie  ne   resiste,  de  sa 


84 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


sus,  vint  dans  la  foule  par  derriere 
et  toucha  son  vetement. 

28.  Car  elle  disait  :  Si  seulement 
je  louche  son  vetement,  je  serai 
guerie. 

29.  Et  aussitSt  I'ecoulement  de 
sang  fut  seche,  et  elle  sentit  en  son 
corps  qu'elle  etait  guerie  de  son 
mat. 

30.  Et  a  rinstant,  Jesus  connais- 
sant  en  soi-m6me  la  vertu  qui  etait 


in  turba  retro,  et  tetigit  vestimen- 
tum  ejus. 

28.  Dicebat  enim  :  Quia  si  vel 
vestimentum  ejus  tetigero,  salva 
ero. 

29.  Et  confestim  siccatus  est  fons 
sanguinis  ejus;  et  sensit  corpore 
quia  sanata  esset  a  plaga. 

30.  Et  statim  Jesus  in  semetipso 
cognoscens   virtutem  quae   exierat 


bonte  qui  ne  rejelte  personne,  et  elle  accourt 
aupres  de  lui.  —  Vestimentum  ejus.  S'etant 
melee  a  la  foule  qui  accompagnail  le  Sauveur 
jusqu'a  la  maison  de  Jaire,  elle  parvinl  a 
s'approchL-r  de  lui  par  derriere  et  a  toucher 
le  bord  de  son  manteau,  peut-etre  merae, 
d'apres  le  recit  de  S.  Matlhieu,  ix,  20  (Voyez 
le  conimenlaire,  p.  183),  les  tzizzithou  franges 
de  laine  qui  en  ornaient  les  extremites, 
conrormemcnt  aux  injonclions  de  la  Loi  mo- 
saique.  Son  acte  etait  ainsi  un  melange  de 
hardiesse  et  de  timidite. 

28.  —  Dicebat  enim,  scil.  «  intra  se  »,  ev 
eauTrj,  ainsi  qu'on  lit  dans  plusieurs  manus- 
crils.  Ctr.  Matlh.  ix,  21 .  —  Quia  est  recitatif. 
—  Si  taniiim  tetigero...  C'etait  la  conviction 
bien  arretee  de  I'hemorrhoisse,  sa  ferme  foi, 
que,  si  elle  pouvait  reussir  a  toucher  le  ve- 
tement de  Jesus,  cela  suffirait  pour  la  gue- 
rir  entierement.  Peut-etre  s'etait-elle  repete 
longtemps  a  elle-meme  ces  paroles  avant 
d'oser  meltre  son  projet  a  execution.  Cela 
sembledu  moins  ressortirde  rim|)arl'ait  («  di- 
cebat ))).  dont  I'emploi  denote  souvent  la  con- 
tinuite  d'un  acte. 

29.  —  Et  confestim  siccatus  est...,  eCiSsw; 
eErjpdvQr)  rj  TZTtyr,  toO  aiixafo;  auTy^c.  Expression 
tres  elegante  en  grec  et  en  laim.  Fons  san- 
gitinis  equivaut  a  la  locution  hebralque 
D^CT  "Ipa  du  Levitique,  xii,  7;  xx,  -18.  — 
Sensit  corpore.  Ce  fut  une  sensation  de  bien- 
etre.  de  force  interieure,  de  renouvellemenl, 
qui  lui  fit  comprendre  d'une  maniere  cer- 
taine  qu'elle  venait  d'etre  guerie.  Le  grec 
dit  avec  une  nuance  :  lyvoj  tw  ffw^J-aTi,  «  cog- 
novit corpore  ».  Mais  cette  connaissance  ne 
put  provenir  que  de  la  sensation  mention- 
nee  par  la  Vulgate  :  la  traduction  latine  est 
done  Ires  exacte.  —  A  plaga,  anb  xri;  (j.da- 
TiYo?;  litleralement  :  du  coup  de  fouet.  Cfr. 
m,  10  et  le  commentaire.  Quel  bonheur  pour 
cette  pauvre  femme,  apres  douze  ans  de  ma- 
Jadie! 

30.  —  Les  ft.  30-34  decrivent  d'une  faQon 
dramatique  une  petite  scene  qui  eut  lieu  aus- 
sitot  apres  ce  grand  prodige.  —  Jesus  in  se- 


metipso cognoscens.  L'hemorrholsse  a  senti 
qu'elle  etait  guerie  :  Jesus  aussi  a  eprouv^ 
quelque  chose  de  particulier,  qui  lui  a  fait 
connaitre  ce  qui  venait  de  se  passer.  Mais  ce 
quelque  chose  n'etait  pas  une  sensation  cor- 
porelle.  C'etait  une  perception  inlellectuelie, 
eTiiyvov;  £v  la-jTw;  c'etait  le  regard  divin  et 
prophetique  par  lequel  Jesus-Christ,  en  tant 
qu'Homme-DiRu,  suivait  jusque  dans  leurs 
derniers  resultats  ses  operations  les  plus  se- 
cretes. Voila  comment  il  sut  que  ce  n'etait 
pas  la  foule  qui  I'avait  louche  par  megarde, 
maisqu  il  avail  ete  I'objetd'un  contact  special, 
dont  I'eifel  inslantane  avail  ete  un  miracle, 
Cfr.  Luc.  VIII,  46.  Y  a-t-il  en  cela  de  o/aoi 
effaroucher  les  rationalistes?  Oil  voier-t-ils, 
dans  les  recits  paralleles  de  S.  Ma^o  et  de 
S.  Luc,  des  traces  de  ce  magneti^^me  grace 
auquel  Jesus  aurait  accompli  '<es  cures  les 
plus  merveilleuses,  parfois  malgre  lui  et  sans 
en  avoir  conscience?  L'ecrivain  sacre  dis- 
tingue nettement  la  connaissance  du  miracle 
telle  qu'elle  fut  produite  dans  I'espril  de  la 
malade  et  dans  la  sainte  ame  de  Jesus.  La 
femme  «  connut  par  son  corps  »,  Jesus 
«  connut  en  lui-meme  ».  Pour  lui,  il  n'est  plus 
question  de  corps,  et  le  verbe  employe  par 
I'Evangelisle,  Itiiyvou?,  indique  une  percep- 
tion tout  inlime,  toule  parfaite.  —  II  en  est 
de  meme  des  mots  suivants.  Virtutem  ne 
represente  rien  de  magique,  mais  une  force 
divine.  Exierat  est  une  figure  qui  depeint 
ties-bien  I'effusion  de  cette  force,  sans  qu'il 
faille  y  voir  le  moins  duraondejene  sais  quelle 
emanation  inconscienle.  «  Virtus  manens  ia 
Christo.dit  fort  bien  Corneille  de  Lapierre^ 
operabatur  efifectum  sanitatis  in  muliere.  i 
Cfr.  Luc.  VI,  19;  Jerem.  xxx,  22  ;Ruth,  i,  13, 
—  Conversus  ad  turbas.  Un  de  ces  gesles  du 
Sauveur  si  frequemmcnt  notes  danri  !e  second 
Evangile.  Jesus  se  retourne  done  brusque- 
ment.  et  demande  d'un  air  severe  .  Qui  m'a 
louche ?Nulnelesavait  mieux  que  lui;  maisil 
voulait  manifester  la  foi  de  I'hemorrhoisse, 
lui  accorder  ouvertement  ce  qu'elle  lui  avail 
en  quelque  sorte  derote  a  I'insu  de  toule 


CHAPITRE    V 


85 


de  illo,  conversus  ad  turbam,  aie- 
bat  :  Quis  tetigit  vestimenta  mea? 

31.  Et  dicebant  ei  discipuli  sui  : 
Vides  turbam  comprimentem  te,  et 
dicis  :  Quis  me  tetigit? 

32.  Et  circumspiciebat  videre 
earn,  quae  hoc  fecerat. 

33.  Mulier  vero  timens  et  tre- 
mens, sciens  quod  factum  esset  in 
se,  venit  et  procidit  ante  eum^  et 
dixit  ei  omnem  veritatem. 

34.  Ille  autem  dixit  ei  :  Filia, 
fides  tua  te  salvam  fecit :  vade  in 
pace,  et  esto  sana  a  plaga  tua. 


sortie  de  lui,  se  tourna  vers  la  foule 
et  dit :  Qui  a  touclie  mes  vetements? 

31.  Et  ses  disciples  lui  disaient : 
Vous  voyez  la  foule  qui  vous  presse, 
et  vous  demandez :  Qui  m'a  touche? 

32.  Et  il  regardait  tout  autour, 
pour  voir  celle  qui  avait  fait  cela. 

33.  Or  la  femme,  craintive  et 
tremblante,  sachant  ce  qui  s'etait 
passe  en  elle,  vint  et  se  prosterna 
devant  lui,  et  lui  dit  toute  la  verite. 

34.  Mais  il  lui  dit :  Ma  fille,  votre 
foi  vous  a  sauvee.  Allez  en  paix,  et 
soyez  guerie  de  votre  mal. 


Tassistance  par  une  pieuse  fraude;  il  voulait 
par  la  meme  que  la  guerison  de  celle  humble 
femme  devitil  pour  un  grand  nombre  I'occa- 
sion  de  croire  en  Lui  et  de  s'allacher  a  Lui. 

31.  —  Dicebant  ei  discipuli.  Les  disciples, 
ignorant  ce  qui  s'etait  passe,  ne  peuvent 
comprendre  celle  question  de  leur  Maitre. 
lis  en  sonl  meme  lout  etonnes.  Comment 
pouvez-vous  adresser  une  pareille  demande? 
lui  direnl-ils  avec  une  cerlaine  rudesse. 
Quand  on  esl  presse  par  la  foule,  comme  vous 
I'etes  en  ce  moment,  esl-ce  bien  le  temps  de 
se  plaindre  d'avoir  ete  legerement  touclie  par 
quelqu'un?  Les  Apotres  appuient  sur  les 
mots  comprimenlem  et  ietigit,  entre  lesquels 
ils  etablissent  un  contrasle.  Les  Peres  aussi 
se  plaisent  a  relever  la  meme  antilhese,  mais 
dans  un  sens  moral  et  mystique.  Aujourd'hui 
encore,  disenl-ils,  beaucoup  pressenl  Jesus, 
nul  ne  le  louche  avec  foi  et  respect.  «  Et  tan- 
quam  diceret  Dominus  :  Tangentem  quaero, 
non  premenlem.  Sic  etiam  nunc  est  corpus 
ejus,  id  est,  Ecclesia  ejus  :  tangil  eam  fides 
paucorum,  premit  turba  mullorum...  Caro 
enim  premit,  fides  tangit...  Erigite  oculos 
fidei,  langite  extremam  fimbriam  veslimenti ; 
sufiiciot ad  salulem.»  S.  August. Serm.  lxii,  5. 
Compari'Z  S.  Jean  Chrysost.  :  '0  TitdTeuwv  el? 
Tov  aoi-cfipa,  anTetat  aurou"  6  Se  drtto-xwv  6),i6£i 
auTov  xai  XuTisi.  —  S.  Luc,  VIII,  45,  dit  ex- 
pressemenl  que,  dans  cette  circonslance 
comme  en  lant  d'aulres ,  ce  fut  S.  Pierre 
qui  prit  la  parole  au  nom  des  Douze. 

32.  —  Et  circumspiciebat...  Autre  geste 
donl  la  mention  est  de  nouveau  speciale  k 
S.  Marc.  Nous  avons  vu  du  rcste  que  le  se- 
cond Evangelisle  aime  a  signaler  les  regards 
de  Jesus.  CiV.  in,  5  et  la  note.  L'emploi  de 
I'imparfait  indique  un  regard  scrutaleur  et 
prolonge.  —  Videre  eam  qucB  hoc  fecerat.  L'he- 
morrhuisse  est  designee  en  cct  endroit  par 
anlicipalion  :  le  narrateur  se  place  au  point 
de  vue  du  lecleur,  qu'il  a  deja  mis  au  courant 


de  la  situation.  Regulierement,  il  faudrait : 
«  Videre  quis  hoc  fecerat.  » 

33.  —  Mulier  vero...  S.  Marc,  dans  ce  ver- 
set,  est  un  peintre  plulot  qu'un  ecrivain.  II 
retrace  admirablement  les  sentiments  inle- 
rieurs  el  la  conduite  exterieure  de  I'hemor- 
rhoisse,  au  moment  oil  ellevit  que  son  secret 
elait  connu  de  Jesus. —  4°  Ses  sentiments 
interieurs  furent  ceux  de  la  crainle,  de  la 
terreur  :  timens  et  tremens.  Elle  est  saisie 
d'effroi  pour  avoir  ose  s'emparer  en  quelque 
sorte,  el  sans  permission,  d'un  bien  apparte- 
nant  a  Jesus.  'ESsSieiri  yuv^^jWCxXe'^'aijaTyjv  lautv, 
Theophylacte;  CIV.  Orig.  Caten.  in  Marc.  Elle 
tremble  par  suite  de  cet  effroi.  —  2"  Sa  con- 
duite consista  dans  un  humble  et  complet  aveu 
de  ce  qu'elle  avait  fait  quelques  instants  au- 
paravant.  S'approchant  du  Sauveur,  elle  se 
prosterna  devant  lui  et  lui  confessa  omnem 
veritatem  :  expression  emphalique,  pour  signi- 
fier  qu'elle  ne  dissimula  rien,  qu'elle  laconla 
les  moindres  details  au  Thaumaturge.  Cfr. 
d'aulres  circonstances  interessantes  dans 
S.  Luc,  viii,  47.  —  Les  anciens  commenla- 
teurs  remarquent  a  propos  de  ce  verset  qu'on 
y  trouve  les  trois  qualiles  d'une  bonne  con- 
fession :  «  timorata,  humilis,  generalis.  » 

34.  —  Filia.  Douce  appellation,  qui  dut 
rassurer  et  calmer  sur-le-champ  I'hemor- 
rhoisse.  C'est  la  seule  fois  que  nous  voyons 
Jesus  donner  ce  nom  a  une  femme  dans  I'E- 
vangile.  —  Fides  tua...  Le  Sauveur  met  en 
relief  la  foi  de  la  malade,  qui  avait  ete  comme 
I'instrument  et  le  canal  de  la  guerison.  — 
Vade  in  pace.  Nous  lisons  dans  le  texte  grec : 
ei;  elpiivriv,  avec  I'accusalif, «  in  pacem  ».  G'esl- 
a-dire  :  Enlre  dans  la  paix!  que  la  paix  soit 
desormais  I'element  de  ta  vie !  Les  Hebreux 
disaient  de  meme  :  DibujS.  Cfr.  I  Reg.  i,  17; 
II  Reg.  XV,  9.  On  trouve  pourtant  aussi,  en 
divers ecritsdu  Nouveau  Testament,  £v  eip/ivyji 
a  I'ablalif.  Cfr.  Jac.  ii,  16;  Act.  xvi,  36.  On 
lira  avec  interet  I'article  «  In  pace  »  dans  le 


16 


fiVANGILE  SELOK  S.  MARC 


3o.  Comme  il  parlait  encore,  on 
vint  dire  au  chef  de  ^la  s^^nagogue  : 
Voire  fille  est  morte,  pourquoi  fati- 
guer  davantage  le  Maitre? 

36.  Mais  Jesus,  entendant  profe- 
rer  cette  parole,  dit  au  chef  de  la 
synagogue  :  Ne  craignez  point, 
croyez  seulement. 

3*7.  Et  il  ne  permit  a  personne 
de  le  suivre,  si  ce  n'est  a  Pierre,  a 
Jacques  et  a  Jean  frere  de  Jacques. 


3b.  Adhuc  eo  loquente,  veniunt 
ab  archisynagogo,  dicentes  :  Quia 
filia  tua  mortua  est  :  quid  ultra 
vexas  magistrum? 

36.  Jesus  autem,  audito  verbo 
quod  dicebatur,  ait  archisynagogo  : 
Noli  timere ;  tantummodo  crede. 

37.  Et  non  admisit  quemquam  se 
sequi,  nisi  Petrum,  et  Jacobum,  et 
Joannem  fratrem  Jacobi. 


Dictionnaire  des  Antiquites  chreliennes  de 
M.  I'abbe  Marligny.  Ceite  formule,  d'origine 
juive,  inconnue  aux  palens,  a  ete  adoplee 
par  les  Chretiens  pour  exprimer  des  pensees 
vaiiees.  —  Esto  sana...  Par  ces  mots,  Jesus 
confirme  la  guerison  de  rhemonhoisse ;  il 
ratifie  solennellement  le  bienfait  qu'elle  avail 
cherche  a  iui  ravir  d'une  maniere  subreptice. 
«  Esto  »  a  le  sens  de  :  «  Sis  perpetuo  »,  ce 
qui  feisail  dire  a  Bengel,  Gnomon  in  Marc. 
VI,  34  :  «  Post  longam  miseriam,  beneficiiim 
durabiie.  » 

c.  Resurrection  de  la  fille  de  Jaire.  v,  35-43. 

33.  —  Adhuc  eo  loquente.  Celte  transition 
nous  ramene  a  Jaire.  Sa  foi  en  Jesus,  qui  avail 
du  s'accroitre  a  la  vue  du  prodige  auquel  il 
venail  d'assisler,  va  elre  aws^ilot  soumise  a 
une  rude  epreuve ;  car,  a  peine  Jesus  ache- 
vail-il  de  consoler  I'hemorrhoi'sse,  qu'on  vint 
annoncer  au  malheureux  pere  la  mort  de  sa 
fille.  —  Veniunt  ab  archisynagogo ;  de  meme 
dans  le  texle  grec  :  anb  toO  apxiauvaywyou. 
Evidemment,  cela  doit  signifier  a7:6  Trj;  olxeta? 
Tou  apxtduvaYuyoy,  selon  la  juste  interpretation 
d'Euthymius,  (;-  abaedibusprincipis  »,  comme 
traduit  la  version  syriaque),  puisque  Jaire 
etail  alors  aupres  de  Jesus.  Du  reste,  celte 
locution  est  ires  classique  dans  ce  s-^ns  soil 
chez  les  Latins,  soit  chez  Ip.s  Grecs.  Quelques 
vieux  manuscrils  latins  portent  :  «  Veniunt 
ad  archisynagogum  »,  ou  «  venerunt  ad  prin- 
cipem  synagogae.' »  Mais  ce  sonl  la  des  cor- 
rections maladroiles.  —  Quid  ultra  vexas... 
«  Ultra  »,  encore,  davantage.  A  quoi  bon 
ennuyer  le  Rabbi,  mainlenanl  qu'ii  n'y  a  plus 
rien  a  faire?  Ces  mauvais  conseillers  sup- 
posenl,  dans  I'imperfection  de  leur  foi,  que 
Jesus  est  incapable  d'operer  une  resurrection. 
Ol  yap  TTspl  Tov  apxiowvdywyov...  {)7r£).a[i6avov 
OTi  voo'ojjLaTa  iaev  navta  SOvaxott  OspaireOsiv,  ava<7- 
Trjffai  5e  vey.pov  o-j  Suvafat.  Euttiyuuu>.  —  Le 
verbe  crv.dllu),  que  la  Vulgate  traduit  par 
«  vexare  »,  est  ires  energique.il  signilie  pro- 
premenl  :  enlever  la  peau,  dechirer,  puis,  au 
figure  :  fatiguer  exlremement,  «  metaphora 


ducta  ab  eo  qui  alterum  distorquet  et  vi 
trahil  ut  venial,  facial  aliquid.  »  Bretschnei- 
der,  Lexic.  man.  in  libr.  N.  T.  t.  II,  p.  416. 
Cfr.  Suicer,  Thesaurus,  s.  v.  cxuUw. 

36.  —  Jesus  autem  aitdito...  Le  grec  ajoute 
eOOEui;,  «  slatim  ».  et  il  esl  regrettable  que 
eel  adverbe  ait  disparu  dans  notre  version 
latine,  car  il  exprime  d'une  maniere  Ires 
forte,  et  en  meuie  temps  tres  delicate,  la 
bonte  prevenante  du  cceur  de  Jesus.  Si  le 
Mailre  prend  immedialement  la  paiole,  c'est 
pour  empecher  le  pauvre  pere  de  se  laisser 
decourager  par  la  tiisle  nouvelle  que  Iui  ont 
apporlee  ses  ami<.  Ouelque  pensee  d'incredu- 
lile  auraii  pu  parser  de  leur  esprit  dans  le 
sieii  :  voila  pourquoi  Jesu>  se  hate  de  jeter 
dans  cette  iime  desolee  une  parole  (ie  vive 
est)erance.  Titus  de  Bosra  (Cramer,  Calen.  in 
Luc.)  exprime  Ires  bien  cette  idee  :  ""iva  yap 
[XY]  EiTir;  y.al  aOTo;"  'EmT/ti,  oO  xpstav  ffou  e^Wj 
KOp'.s,  rjSr,  yeyove  to  tzzot.^.  a:Ts8av£v,  v^v  Trpoue- 
Soy.toaev  uytaiveiv...  cp6av£i  n  Kupioc  y.al  or,ai*  Mr\ 
9060O,  iTaOafov  Trj;  amcxia..;  lit  pYiaaTa-  —  AU 
lieu  di>  la  leron  axouoa?,  qu'on  lit  dans  la  Re- 
cepta  et  dan-;  la  plupart  des  anciens  temoins, 
les  manuscrils  B,  C,  L,  A,  Sinait..  etc.,  ont 
le  verbe  compose  Tiapay.ouaa;,  que  plusieurs 
critiques  croienl  avoir  exisie  dans  le  texte 
primilif.  II  signifie  «  entendre  par  accident 
des  paroles  destinees  a  d'autres  ».  on  bien 
«  ne  pas  faire  attention.  »  —  Tantummodo 
crede.  «  Tu  contra  audeiitior  ito.  »  Jesus  sou- 
tient  ainsi  la  foi  de  Jaire,  la  mainlenanl  a 
flot  parmi  les  vagues  qui  menaQaient  de  la 
faire  soinbrer.  D"apres  les  intentions  du  Sau- 
veur,  le  miracle  devait  elre  la  recompeu'^e  de 
celte  foi  :  c'est  par  elle  qu'il  devait  elre  en 
quelque  sorte  gagne. 

37.  —  El  non  admisit...  Arrive  a  la  maison 
de  Jaire,  Noti-e-Seigneur  en  interdit  I'enlree 
a  la  foule.  IndepeiHtainment  du  pere  et  de  la 
mere  de  la  jeune  fiile,  il  n'y  aura  aiipres  de 
Iui  au  moment  du  prodige  que  ses  Irois  dis- 
ciples privilegies,  Pierre,  Jacques  et  Jean.  Ce 
petit  nombre  de  temoins  suffisait  largement 
pour  prouver  la  verite  de  la  resurrection.  — 


CHAPITRE    V 


87 


38.  Et  veniunt  in  domum  archi- 
synagogi,  et  videt  tumultum,  et 
flentes  et  ejulantes  multum. 

39.  Et  ingressus,  ait  illis  :  Quid 
turbamini,  et  ploratis?  puella  non 
est  mortiia,  sed  dormit. 

40.  Et  irridebant  eum.  Ipse  vero, 
ejectis  omnibus,  assumit  patrem  et 
matrem  puellee,  et  qui  secum  erant, 
et  ingrediturubi  puella  erat  jacens. 


41.  Et  tenens  manum  puellse,  ait 
illi  :  Talitha  cumi,  quod  est  inter- 
pretatum  :  Puella  (tibi  dice)  surge. 


38.  Et  ils  vinrent  a  la  maison  du 
chef  de  la  synagogue,  et  il  vit  beau- 
coup  de  tumulte  et  des  gens  qui  pleu- 
raient  et  poussaient  de  grands  cris. 

39.  Et,  etant  entre,  il  leur  dit  : 
Pourquoi  vous  troublez-vous  et  pleu- 
rez-vous?  La  jeune  fille  n'est  pas 
morte,  mais  elle  dort. 

40.  Et  ils  se  riaient  de  lui.  Mais 
lui,  les  ayant  tons  renvoyes,  prit  le 
pere  et  la  mere  de  la  jeune  fille  et 
ceux  qui  etaient  avec  lui,  et  entra 
dans  le  lieu  oh  la  jeune  fille  etait 
coucliee. 

41.  Et,  prenant  la  main  de  la 
jeune  fille,  il  lui  dit  :  Talitha  cumi; 
ce  qui  est  ainsi  interprete  :  Jeune 
fille,  (je  te  le  dis),  leve-toi. 


Nisi  Petrurn...  C'elait  la  premiere  fois  que  le 
fils  de  Jona  el  les  fils  de  Zebedee  recevaient 
unc  pareille  marque  de  dislinclion  :  mais  ce 
ne  sera  pas  !a  derniere. 

38.  —  Veniunt  in  domum.  En  Orient, 
quand  on  penelre  dans  riiabitalion  d'une 
personne  riche  ou  aisee,  on  Irouve  habituel- 
iement,  apres  avoir  franclii  le  seuil,  une 
grande  salle  qui  sert  aux  receptions  :  les 
apparlemenls  prives  soni,  ranges  de  chaque 
coiedecette  especede  salon.  —  Videt  tumul- 
tum. Quoiqiie  la  mort.  de  I'enfanl  datat  a  peine 
d'une  demi-heure,  la  maison  offrait  deja  un 
etrange  aspect.  Au  lieu  da  recueillement  et 
du  silence  qui  convienncnL  dans  ces  tristes 
circonslances  et  auxquelschacun  se  conforme 
de  nos  jours  en  Occident,  nous  y  trouvons  le 
tumulte  et  les  demonstrations  "bruyanles  de 
rOrient  ancien  et  moderne,  —  Flentes  et  eju- 
lantes. Ces  mols  designent  les  pleureurs  a 
gages,  dont  le  metier  consiste  a  faire  entendre, 
dans  les  maisons  mortuaires  et  pendant  I'en- 
terrement,  des  lamentations  lugubres.  Voir 
le  commentaire  sur  S.  Matlh.  p.  184;  Burder, 
Oriental  Customs,  t.  II.  p.  256  et  ss.  de  la 
6e  edit.  Le  premier  Evangile  mentionnait 
aussi  les  joueurs  de  flute. 

39.  —  Et  ingj^essus.  Le  narrateur  decrit 
graduellement  I'ontree  du  Sauveur.  Le  V.  37 
signalait  son  approche  Vfrs  la  maison  ;  le 
t.  38  le  montrait  arrivant  jusqu'a  la  porte  et 
jetant  un  coup  d'oeil  dan^  i'interieur  de  la 
salle  principale ;  celui-ci  rintroduit  d'une 
maniere  definitive.  Le  recit  est  dramatise  par 
la-meme.  —  Non  est  mortua,  sed  dormit.  La 
jeune  fille  etait  bien  morte  en  realite  :  Cfr. 
S.  Luc,  vni,  53;  mais  Jesus,  en  tenant  ce 
langage,  voulait  simpleraent  indiquer  qu'il 


allait  lui  rendre  la  vie  aussi  aisement  et  aussi 
promplement  qu'on  eveille  une  personne  en- 
dormie.  Sa  mort  aurait  dure  si  pcu  de  temps, 
qu'elle  ressemblerait  a  un  sommeil  passager. 
Sur  I'usage  do  cette  locution  et  sur  I'abus 
qu'en  ont  fait  les  rationaiistes,  voyez  I'Evan- 
gile  selon  S.  Matthieu,  pp.  184  et  183. 

40.  —  Irridebant  eum.  Jesus,  qui  n'avait 
pas  encore  vu  I'enfant,  qui  ne  faisait  meme 
que  d'entrer  dans  la  maison,  affirniait  que  la 
fille  de  Jai're  n'etait  pas  morte  :  eux,  au  con- 
traire,  ils  I'avaient  contemplee  et  touchee. 
lis  semoquent  doncouvertemenl  du  Sauveur. 
—  Ejectis  omnibus.  Admirons  la  sainte  auto- 
rite  de  Jesus  :  d'un  mot,  «  recedite  »  (Matth. 
IX,  24),  il  fait  sorlir  toute  cette  foule  aussi 
bruyante  qu'inutile,  et  il  penelre,  avec  les 
tem'oins  qu'il  avail  choisis,  dans  la  chambre 
de  la  defunte.  —  Le  mot  avazstfjievov  {jacens 
de  la  Vulg,),  qu'on  lit  dans  la  Recepla  a  la 
fin  du  verset,  est  probablement  une  interpo- 
lation. 

41 .  —  Et  tenens  manum puellw.  Jesus  avait 
fait  de  meme  pour  la  belle-mere  de  S.Pierre. 
Cfr.  I,  31.  —  A  ce  geste,  il  joignit  quelques 
paroles  que  S.  Marc  seul  nous  a  conservees 
dans  la  langue  arameenne,  telles  par  conse- 
quent qu'elles  furent  proferees  par  le  divin 
Maitre,  car  c'cst  cet  idiome  qui  etait  alors 
generalemenl  parle  dans  toute  la  Palestine. 
Talitha,  Nrfbp,  contraction  de  tal'yeta,  est 
la  forme  feminine  de  iStd,  fa/i,  jeune,  qui  est 
en  croissance.  Cfr.  Buxtorf,  Lexic.  chald, 
p.  875.  Cumi,  ou  mieux  koumi,  'Dip, 
est  a  la  seconde  personne  du  singul.  femi  n. 
de  mp.  koum,  forme  Kal.  Nous  verrons  en 
d'autres  endroils  encore,  vn,  34 ;  xiv,  36, 
S.  Marc  inserer  dans  son  recit  les  «  ipsissima 


'ss 


fiVANGILE  SELON  k.  MARC 


42.  Et  aussitot  la  jeune  fille  se 
leva  et  marcha;  or  elle  avait  douze 
ans.  Et  tous  furent  grandement 
frappes  de  stiipeur. 

43.  Etilleurcommandaavec  force 
que  personne  ne  le  sut,  et  il  dit  de 
lui  donner  a  manner. 


42.  Et  confestim  surrexit  puella, 
et  ambulabat :  erat  autem  annorum 
duodecim  :  et  obstupuerunt  stupore 
magno. 

43.  Et  praecepit  illis  vehementer 
ut  nemo  id  sciret;  et  dixit  dari  illi 
manducare. 


CHAPITRE  VI 


Jesus,  meprise  a  Nazareth  par  ses  compatriotes,  se  retire  dans  les  bonrgades  voisines 
{tt.  1-6).  —  InslrucUons  pastorales  donnees  aiix  douze  Apotres  [fir.  7-13).  —  Martyre  de 
S.  Jean-Baptiste  {tt.  '14-29;.  —  Premiere  multiplication  des  pains  (tt.  30-44).  —'Jesus 
marche  sur  les  eaux  (tt.  43-52).  —  II  guerit  de  nombreux  malades  dans  la  plaine  de 
Gennesareth  [tt.  58-56). 

1.  Etant  parti  de  la,  il  s'en  alia         1.  Et  egressus  inde,  abiit  in  pa- 


verba  »  de  Jesus.  II  les  tenait  sans  doute  de 
S.  Pierre. —  Quod  est  inter pretatum.  L'Evan- 
geliste  traduil  pour  ses  lecleurs  remains  et 
grecs  les  expressions  syro-chaldaiques  qu'il 
vient  de  citer.  —  Puella,  [dans  le  grec  t6 
y.opaaiov,  au  nominaiif  avec  I'article,  pour 
remplacer  le  vocatif  (Cfr.  Winer,  Gramma- 
tik,  6e  edit.  p.  465;  Beelen,  Grammalica 
graecit.  N.  T.  p.  182),  correspond  a  Talitha, 
surge  a  Cumi.  La  parenthese  tibi  dico  a  ete 
ajoutee  par  S.  Marc,  «  ul  sensum  vocantis 
atque  imperanlis  exprimeret.  »  S.  Jerome. 

42.  —  Et  confestim,  eOOiw;.  L'adverbe  fa- 
vori  de  S.  Marc  ne  pouvait  manquer  de  faire 
son  apparition  a  cei  endroit  du  recit.  Jesus 
est  la  Resurrection  et  la  Vie,  Joan,  xi,  23  : 
il  n'a  qu'a  piononcer  une  parole,  et  la  mort 
s'enfuit  soudain.  —  Et  ambulabat.  Trait  spe- 
cial a  S.  Marc,  destine  a  prouver  la  realite  et 
la  promptitude  de  la  resurrection.  Le  Pro- 
phete.  Is.  XXXV,  6,  avait  predit  que,  sous 
I'ere  du  Christ,  on  verrait  lesboiteux  marcher ; 
et  voici  que  ce  sont  les  morts  eux-memes  qui 
marchent!  — Erat...  annorum  duodecim.  Ge 
detail  a  pour  but  d'expliquer  la  parole  qui 
precede.  A  plusieurs  reprises,  dans  le  recit, 
lajeune  fille  avait  ete  appelee6uYaTpi6v,7:aiStov; 
I'Evangeliste  indique  ici  son  age  exact,  afin 
de  raontrer  que  ce  n'etait  plus  une  enfant, 
let  qu'elle  pouvait  se  lever  et  marcher  sans 
aide.  —  Obstupuerunt  stupore...  En  grec  : 
i$£(yTY)<rav  iv.G-aati  (jleyixXij.  Expression  empha- 
tique  et  d'une  graiule  energie,  qui  est  du 
reste  calquee  sur  I'hebreu.  Le  juif  Philon, 
Lib.  Quis  rer.  div.  haeres,p.515,  definit  ainsi 


rixaTaai;  :  ^  a^joopa  v.a.-iiTzlrX'-i  etti  toT;  £;aTrt— 
vaico;  xal  d-podSoxrj-rw;  outiSaivsiv  sitoOodiv, 
«  une  grande  frayeur  qui  s'empare  de  ceux 
auxquels  il  arrive  quelque  chose  de  subit  et 
d'inopine.  »  On  comprend  apres  cela  reffroi 
des  cinq  temoins  du  prodige. 

43.  —  PrcBcepit  illis,  c'est-a-dire  aux  pa- 
rents de  la  jeune  fille  et  a  ses  trois  disciples, 
plus  specialement  aux  premiers.  Cfr.  Luc. 
viii,  36.  Neanmoins,  il  etait  impossible  que 
le  secret  fut  garde,  puisqu'il  y  avait  a  la  porte 
de  la  maison  une  foule  nombreuse  qui  atten- 
dait  I'issue  de  cette  scene.  Aussi  S.  Matthieu 
ajoute-t-il.  ix,  26,  que  «  le  bruit  de  ce  mi- 
racle se  repandit  dans  toute  la  contree.  »  — 
Dari  illi  manducare.  Ordre  singulier  en  appa- 
rence,  mais  qui  avait  sa  raison  d'etre  dans  le 
cas  actuel :  Jesus,  en  le  donnant,  se  proposait 
de  montrer  que  la  jeune  fille  etait  rendue 
non-seulement  a  la  vie,  mais  encore  k  la  sante. 
a  Graviter  aegroti,  observe  justement  Grotius, 
vix  Solent  cibum  sumere  ».  La  ressuscitee  ne 
sortait  done  pas  de  lethargie,  comme  le  pre- 
tendent  les  rationalistes.  —  Les  guerisons  de 
femmes  sont  relativement  rares  dans  I'Evan- 
gile  :  ce  jour-la,  Notre-Seigneur  ea  opera 
deux,  qui  se  suivirent  de  tres  pres. 

13.  —  J^sus  k  Nazareth,  ti,  1-6.  —  Parall. 

Matth.  xui,  54-58. 

Chap.  vi.  —  1 .  —  Egressus  inde.  L'adverbe 
«  inde  »  ne  designe  [)oint,  comme  le  veut 
Meyer,  la  maison  de  Jai're,  dans  laquelle  nous 
avons  vu  Jesus  vers  la  fin  du  chapitre  v,  mais 
la  vilie  de  Capharnaum,par  opposition  a  «  la 


CHAPITRE  YI 


89 


triam  suam  :  et  sequebantur  eum 
discipuli  sui : 

Matth.  13,  54;  Luc.  4,  16. 

2.  Et  facto  sabbato,  coepit  in  syna- 
goga  docere  :  et  multi  audientes  ad- 
mirabantur  in  doctrina  ejus,  dicen- 
tes  :  Unde  huic  hsec  omnia?  et  quae 
est  sapientia,  quae  data  est  illi,  et 
virtutes  tales,  quae  per  manus  ejus 
efficiuntur? 

3.  Nonne  bic  est  faber,  filius  Ma- 


dans  sa  patrie,  et  ses  disciples  le 
suivirent. 

2.  Et  le  jour  du  sabbat  etant  venu, 
il  commenca  a  enseigner  dans  la 
synagogue,  et  beaucoup.en  Tenten- 
dant,  s'etonnaient  de  sa  doctrine, 
disant :  D'oii  lui  viennent  toutes  ces 
choses  ?  Et  quelle  est  la  sagesse  qui 
lui  a  ete  donnee  ?  et  quels  sont  ces 
prodiges  qui  se  font  par  ses  mains? 

3.  N'est-ce  pas  la  ce  charpentier. 


patrie  »  du  Sauveur,  dont  il  sera  question  dans 
un  instant.  Desormais  Notre-Seigneurmenera 
presque  toiijours  la  vie  d'un  missionnaire. 
Capharnaum  ne  cessera  pas  d'etre  son  domi- 
cile de  droit;  mais  il  n'y  residera  que  par 
intervalles,  entre  ses  differentes  courses  apos- 
toliques.  —  In  patriam  suam.  C'est-a-dire  a 
Nazareth,  a  deux  petiles  journees  de  Caphar- 
naiim  (Voir  I'Atlas  geograph.  de  M.  Ancessi, 
pi.  xvi).  «  Diximus,  ecrit  tres  bien  Maldo- 
nat,...  ex  Scripturae  et  bonorum  auctorum 
observatione,  triplicem  Christo  fuis«e  patriaoi, 
Beihlehem  nativitatis,  Nazareth  educationis, 
Capernaum  commoralionis  et  prsedicationis. 
Hoc  loco  neque  Bethlehem,  quae  nusquam,  ut 
opinor,  in  Scripturis  ejus  vocatur  patria, 
neque  Capernaum,  quia  ibi  erat,  cum  dicitur 
in  patriam  abiisse,  sed  solam  Nazareth  in- 
telligere  debemus,  ubi  ejus  fratres  et  sorores 
erant,  ut  dicitur  infra  ».  C'etait  la  seconde 
fois  que  Jesus  venait  a  Nazareth  depuis  le 
debut  de  sa  Vie  publique  (Cl'r.  les  commen- 
taires  sur  S.  Matth.  xiii,  54,  et  sur  S.  Luc, 
IV,  16  et  ss.)  Mai  regu  lors  de  sa  premiere 
visite,  il  veut  essayer  de  toucher  les  coeurs 
de  ses  compatriotes.  Helas!  sa  tentative  sera 
vaine.  Les  habitants  de  Nazareth  demeure- 
ront  incredules.  Celte  fois  du  moins,  ils  n'au- 
ront  plus  recours  a  la  violence  ouverte  :  ils 
se  contenteront  de  mepriser  Jesus.  —  Sur 
Nazareth,  voyezl'Evang.selonS. Matth.,  p.  63. 
—  Et  sequebantur  eum...  Precieuse  notice, 
speciale  a  notre  Evangeliste.  Elle  nous  ap- 
prend  que  les  di>ciples  furent  temoins  de 
ceite  nouvelle  humiliation  de  leur  Maitre. 

2.  —  Facto  sabbato.  Autre  detail  special  a 
S.  Marc.  A  Nazareth,  Jesus  demeure  fideie 
a  la  coutume  qu'il  avait  adoptee  des  les  pre- 
miers jours  de  son  ministere  (Cfr.  i,  21  et  ss.) : 
il  choisit,  pour  faire  entendre  ladivineparole, 
le  jour  du  sabbat  et  la  synagogue,  un  temps 
sacre  et  un  lieu  sacre.  Au  pieux  pelerin  qui 
visite  la  patrie  du  Sauveur,  on  montre  encore 
I'emplacement  de  la  synagogue  ou  pr^cha 
Notre-Seigneur.  —  Multi  audientes.  Les  meil- 


leurs  manuscrits  grecs  ont  ol  tzoIIoI  avec  I'ar- 
licle,  c'est-a-dire  «  plerique  »,  la  plus  grande 
partie  de  la  population.  —  Admirabantur. 
L'expression  du  texte  grec,  e^eTiX^affovro,  se- 
rait  mieux  traduite  par  »  obsLupescebant, 
percellebantur  »  :  elle  denote  un  tres  vif 
etonnement.  Les  habitants  de  Nazareth,  com- 
parant  le  passe  de  Jesus  a  sa  situation  pre- 
sente,  ne  pouvaient  comprendre  comment  le 
jeune  charpentier  etait  devenu  en  si  peu  de 
temps  un  puissant  thaumaturge  et  un  doc- 
teur  celebre.  De  la  pour  eux  une  profonde 
stupefaction.  —  Les  mots  in  doclrina  (he- 
braisme  pour  «  super  doctrinam  »)  et  omnia 
un  peu  plus  basmanquent  dans  le  texte  grec. 
—  Unde  hide...?  Celle  deliberation  interes- 
sante  des  concitoyens  du  Sauveur  nous  a  ete 
conservee  d'une  maniere  beaucoup  plus  com- 
plete dans  le  second.Evangile  que  dans  le  pre- 
mier. Au  lieu  d'une  simple  et  froide  mention 
de  la  sagesse  et  des  miracles  de  Jesus  (Cfr. 
Matth.  XIII,  54),  nous  avons  ici  une  descrip- 
tion pittoresque.  Ceite  sagesse,  il  I'a  regue 
d'ailleurs,  quce  data  est  illi.  D'oii?  G'est  pre- 
ciseraent  la  question.  Ces  miracles,  on  les 
voit  en  quelque  sorte  s'echapper  des  mains 
de  I'humble  ouvrier,  habituees  jusqu'alors  a 
manier  de  grossiers  oulils,  a  accomplir  de 
rudes  travaux. —  Notons  quo  ie  mot  virtutes, 
Suvd[i£i;  du  grec,  est  une  des  quatre  expres- 
sions qui  servent  k  designer  les  miracles  dans 
I'Evangile.  Nous  le  trouvons  encore  employe 
en  plusieurs  autres  passages  de  S.  Marc  : 
V,  30;  VI,  2,  14;  ix,  39.  Notre  Evangeliste 
ne  se  sert  qu'une  fois,  xiii,  22,  du  mot  «  por- 
tenta  »  (Tspaxa).  «  Signa  »  ((jr,tji£ta)  re\ient 
plusieurs  fois  sous  sa  plume  :  Clr.  xiii,  22; 
XVI,  17,20.  II  n'emploie  nuUe  part  la  qua- 
trieme  expression,  «  opera  »  (IpY*)- 

3.  —  Nonne  hie  est  faber.  Nous  lisons  dans 
S.  Matlhieu  :  «  Nonne  hie  est  fabri  filius?  » 
S.  Marc  fait  dire  aux  habitants  de  Nazareth, 
avec  une  legerc  variante  :  Colui-ci  n'est-il 
pas  un  TExTwv,  un  pauvre  ouvrier?  11  suit  de 
la  que  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ  avait  lui- 


90 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


fils  de  Marie,  frere  de  Jacques,  de 
Joseph,  de  Jude  et  de  Simon?  ses 
soeurs  aussi  ne  sont-elles  pas  ici 
parmi  nous?Et  ils  se  scandalisaient 
de  lui. 

4.  Et  Jesus  leur  disait  :  Un  pro- 
phete  n'est  sans  honneur  que  dans 
son  pays  et  dans  sa  maison  et  dans 
sa  parente. 


riae,  frater  Jacobi,  et  Joseph,  et  Ju- 
dge, et  Simonis?  nonne  et  sorores 
ejus  hie  nobiscum  sunt?  Et  scanda- 
lizabantur  in  illo. 

Joan.  6,  42. 

4.  Et  dicebat  illis  Jesus :  Quia  non 
est  propheta  sine  honore  nisi  in  pa- 
tria  sua,  et  in  domo  sua,  et  in  co- 
gnatione  sua. 

Matth.  13,  57;  Luc,  4,  24;  Joan,  k,  44. 


meme  exerce  diirant  sa  Vie  cachee  le  dur 
metier  de  son  pere  adoplif.  Cfr.  S.  Just.  Dial, 
c.  Tryph.  88  ;  Fabricius,  Cod.  apocr.  N.  T. 
t.  I,  p.  200.  Le  Verbe  incarne,  apres  avoir 
autrefois  cree  le  monde  d'une  seule  parole, 
Joan,  I,  2,  10,  n'a  done  pas  dedaigne  de  tra- 
vailler  penibleiti'^nt  a  la  sueur  de  son  front! 
Grande  consolation  que  le  pretre  doit  sou- 
vent  offrir  aux  artisans,  cette  partie  si  nom- 
breuse  et  si  interessanle  de  nos  populations, 
qu'on  egare  par  de  fausses  doctrines.  Com- 
bien  ils  gagneraient  a  contempier  Jesus  ou- 
vrier!  — Sur  le  sens  desmots  tsxtwv,  «faber  «, 
voyez  I'Evangile  selon  S.  Matlh.  p.  283.  Au- 
jourd'hiii,  le  bois  de  charpente  fait  comple- 
tement  defaut  a  Nazareth  et  aux  alenlours  : 
les  maisons  y  sont  pour  la  pliipart  voiilees. 
Ain?i  done  le  Sauveur  ne  pourrait  plus  guere 
exercer  dans  sa  patrie  sa  profession  de  char- 
pentier.  Helas!  par  les  rationalistes  mo- 
dernes.  comm-  alors  par  ses  compatriotes, 
Notre-Seigneur  Jesus-Christ  n'est  regardeque 
comme  un  simple  artisan!  —  Filius  Marios. 
De  Tomission  du  nom  de  S.  Joseph,  on  a  jus- 
tement  conclu  qu'a  cette  epoque  le  pere  nour- 
ricier  de  Jesus  avail  sans  doute  cesse  de 
vivre. — Frater  Jacobi...  Les  noms  seniles 
memes  que  dans  le  premier  Evangile.  Seule- 
ment,  Simon,  a  qui  S.  Matthieu  attribue  la 
troisieme  place,  occups  ici  la  quatrieme. 
Celui  que  la  Vulgate  appelle  Joseph  e-^l  nomme 
tour  a  tour  Itucr,  et  'Iwa7i9  dans  les  manus- 
crits  grecs.  —  Soro7-es  ejus.  La  legende  re- 
duit  le  plus  souvent  a  deux  le  nombre  des 
«  soeurs  »  de  Jesus: elles  se  seraient  appelees 
Esther  et  Thamar  (ou  Marlhe  selon  d'autres'. 
—  Nous  avons  prouve  dans  notre  commen- 
taire  sur  S.  Matthieu,  pp.  283  et  ss.,  que  les 

f)ersonnes  designees  dans  I'Evangile,  d"apres 
a  coutume  orientale,  sous  I'appellation  de 
freres  ou  de  sceurs  de  Jesus,  etaient  simple- 
ment  ses  cousins  et  ses  cousines,  issus,  selon 
I'opinion  la  plus  probable,  du  mariage  de 
Cleophas  avec  Marie,  sQeur,ou  du  moins  belle- 
soeur  de  la  Tres  Sainte  Vierge.  Voir  I'inte- 
ressanle  dissertation  du  P.  Corluy  inlitulee  : 
Les  Freres  de  Notre-Seisneur  Jesus-Christ 


(Etudes  religieuses  redigees  par  des  Peres  de 
la  Compagnie  de  Jesus,  18781.  M.  Renan, 
apres  avoir  audacieusement  affirme.  Vie  de 
Jesus,  13e  edit.,  p.  27,  que  «  Jesus  avait  des 
freres  et  des  scEurs,  dont  il  semble  avoir  ete 
j'aine  »,  se  corrige  a  moitie  quand  il  ecrit 
dans  son  recent  ou\  rage  (LesEvangiles,  1878, 
p.  537-549)  :  «  Seulement,  il  est  possible  que 
ces  freres  et  ces  scBurs  ne  fussent  que  des 
demi-freres,  des  demi-soeurs.  Ces  freres  et  ces 
scEurs  etaient-ils  aussi  fils  ou  fiUes  de  Marie? 
Cela  n'est  pas  probable  ».  D'apres  le  profes- 
seur  du  College  de  France,  les  «  freres  »  et 
les  «  soeurs  »  de  Jesus  seraient  nes  dun  ma- 
riage anterieur  de  S.  Jostph.  —  Et scandali- 
zabantur  in  illo.  Triste  consequence  des  rai- 
sonnements  lout  humains  que  nous  venons 
d'entendre.  Celui  qui  apporlail  aux  habitants 
de  Nazareth  des  paroles  de  salut  devenait 
ainsi  pour  eux  une  occasion  involontaire  de 
ruine  spirituelle.  Mais  pourquoi  fermaient-ils 
les  yeux  a  la  lumiere?  Pourquoi  commettaient- 
ils  de  gaiete  de  coeur  le  «  peche  centre  I'Es- 
prit-Sainl?  » 

4.  —  Les  Nazareens  n'etaient  ni  les  pre- 
miers ni  les  derniers  a  trailer  dedaigneuse- 
ment  un  prophete  sorti  de  leursrangs.  Noire- 
Seigneur  leur  rappelle  ce  triste  fait,  dont  on 
Irouve  plus  d'un  exemple  dans  les  fastes  sa- 
cres.  «  II  est  presque  necessaire  que  des  con- 
citoyens  se  jalousent  entre  eux.  Sans  regard 
pour  les  oeuvres  actuelles  d'un  homme,  ils 
n'ont  de  lui  que  le  souvenir  de  sa  fragile  en- 
fance.  »  V.  Bede.  «  On  estime  loujours  plus 
ce  qui  est  absent  quece  qu'on  ne  connait  que 
par  la  reputation,  ce  qu'on  n'a  pas  que  ce 
qu'on  a.  Quelque  merite  qu'ait  un  homme, 
des  qu'on  s'accoutume  a  le  voir  souvent  et 
familierement,  on  I'eslime  raoins.  Notre  Sau- 
veur. qui  avail  dans  lui-meme  un  fond  infini 
de  merite.  et  qui  n'avail  pas  I'ombre  du 
moindre  defaut,  n'a  pas  laisse  d'eprouver  cet 
effet  de  la  bizarrerie  de  I'esprilde  I'homme  », 
Calmet.  —  La  conjonction  quia  est  recitative. 
—  Sine  honore.  a-rifio?,  est  I'oppose  de  euTtjio;, 
«  in  pretio  habitus'.  »  —  Les  mots  et  in  cog- 
natione  sua  sont  propres  au  second  Evangilo, 


CHAPITRE  VI 


91 


5.  Et  non  poterat  ibi  virtutem  ul- 
km  facere,  nisi  paucos  infirmos  im- 
positis  manibus  curavit. 

6.  Et  rairabatur  propter  increduli- 
tatem  eorum,  et  circuibat  castella  in 
circiiitu  docens. 

7.  Et  vocavit  Duodecim  :  et  coepit 
eos  mittere  binos,  et  dabat  illis  po- 
testatem  spirituum  immundoriim. 

Matt?i.  10, 1;  Sup.  13,  3;  Luc.  9, 1. 


5.  Etil  ne  put  faire  la  aucun  mi- 
racle, si  ce  n'est  qu'il  giierit  quel- 
ques  malades  en  leur  imposaut  les 
mains. 

6.  Et  il  s'etonnait  de  leur  incre- 
dulite,  et  il  parcourait  les  villages 
d'alentour  en  enseignant. 

7.  Et  il  appela  les  Douze  et  com- 
menca  a  les  envoyer  deux  a  deux, 
et  il  leur  donna  puissance  sur  les 
esprits  immondes. 


lis  representent  toute  la  parenle,  landis  que 
in  domo  ne  designe  que  le  cercle  plus  res- 
treinide  la  maison  paternelle. 

5.  —  Et  non  poterat...  S.  Marc  emploie 
ici  line  expression  ties  fortC;  poiirindiquer  le 
facheux  resultat  produil  par  rincredulile  des 
compatriolesdu  Sauveur.  Tandis  que  S.  Mat- 
thieu,  XIV,  58,  se  borne  a  mpnlionner  simple- 
ment  le  fait,  noire  Evangeli>te  sembie  dire 
que  les  mains  du  divin  Tlianmaturge  elaient 
liees.  Mais  on  comprend  sans  peine  sa  pen- 
see  :  «  Non  potei  at  igitur  illic  vii  tutes  facere, 
non  quod  ipsi  vis,  sed  quod  ejus  civibiis  fides 
dee?set...  In  opeiationibiis  miraculorum  duo- 
bus  opus  est,  virtute  in  auctore,  et  fide  in 
illis  quibus  preestantur;  quarum  allerutra 
deficiente  altera  non  sufficit.  »  Vict.  Antioch. 
ap.  Caten.  griEC.  Pair.  ed.  Possin.  CIV.  Theo- 
phylacte  et  Eulhymius,  h.  I.  Les  miracles  de 
Jesus  elaient  en  effet  des  acies  moraux,  qui 
supposaient  dans  les  cceurs  de  bonnes  dispo- 
sitions. Ainsi  done, 

Talibus  iadignans  pressit  sna  manera  Cbri!<tns. 

JuvencQs. 

—  Nisi  est  pour  «  tantum  »  ou  «  attamen  ». 
L'evangeliste  corrige  en  quelque  sorle  son 
assertion  precedente,  pour  dire  que  si  Jesus 
n'opera  pas  alors  a  Nazarelh  des  prodiges 
insignes  [virtulem  itllam),  tels  que  la  resur- 
rection des  morls,  I'espulsion  des  demons,  les 
guerisons  a  distance  au  moyen  de  sa  seule 
parole,  il  y  accomplil  cependant  des  miracles 
de  second  ordre,  en  rendant  la  sante  a  quel- 
ques  infirmes  par  I'imposition  de  ses  mains 
divin 'S. 

6.  —  Et  mirabatur.  Plu^ieurs  manuscrits 
grecs  ont  i^vj\j.a.low  au  pluriel  (mirabantur), 
comme  si  c'etaient  les  habitants  de  Nazareth 
qui  se  fussent  etonnes.  Mais  c'est  la  evidem- 
ment  une  correction  malhcureuse,  emanee 
d'un  copiste  peu  intelligent  auquel  il  avail  ete 
impossible  de  comprendre  que  le  sentiment 
de  I'admiralion  put  trouver  place  dans  I'ame 
tie  Jesus  Oui,  le  Sauveur  s'etonne!  il  est 
surpris  (n  face  de  la  reception  qui  lui  est 


faite  par  les  siens!  Toutefois,  notons-le  bien, 
son  ctonnement  n'est  pas  la  suite  de  I'igno- 
rance  («  non  quasi  inopinata  et  improvisa 
miratur  qui  novit  omnia  »,  Bede),  il  provient 
au  contraire,  de  sa  parfaite  connaissance  des 
coeurs.  Les  Nazareens  avaient  tant  de  motifs 
de  croire!  N'elail-il  pas  etrange  qu'ils  de- 
meurassent  incredules?  Les  saints  Evangiles 
ne  nous  monlrent  qu'en  deux  endroils  Notre- 
Seigneur  Jesus-Christ  livre  a  I'etonnement, 
ici  et  Matth.  viii,  10,  a  I'occasion  de  la  foi 
si  vive  du  centurion.  Quel  conlraste  entre  les 
deux  fails!  —  Circuibat  castella.  Le  divin 
Maitre  ne  s'eloigne,  dirail-on,  qu'a  regret  de 
sa  patrie.  II  demeure  dan-  le  voisinage,  cher- 
chani  des  coeurs  mieux  disposes.  Les  bour- 
gades  qu'il  parcourul  en  y  repandant  ses 
bienfails  duient  etre  Dabrat,  Nairn,  Galh- 
Hepher,  Rimmon,  Endor,  Japliia,  etc.  Voyez 
le  Bibel-Ailas  de  R.  Riess,  pi.  iv,  et  I'Allas 
geogr.  de  M.  Ancessi,  pi.  viii. 

14.  —Mission  des  Douze.  vi,  7-13.  —  Parall, 
Matth.  X,  1-15;  Luc.  ix,  1-6. 

7.  —  Vocanit  duodecim.  Le  verbe  grec  est 
compose  et  au  temps  present,  TrpocxaXeiTas, 
«  advocat  ».  L'occasion  de  celte  reunion  so- 
lennelle,  et  du  discours  plus  solennel  encore 
que  Jesus  y  prononfa,  a  ete  fidelement  de- 
crite  par  S.  Matthieu,  ix,  33-38.  Avec  son 
coeur  et  ses  yeux  de  bon  Pasteur,  le  divin 
Maiire  a  reconnu  la  misere  morale  dans  la- 
quelle  ses  pauvres  brebis  sont  plongees.  II  se 
dispose  a  lessecourir.  et  c'est  pour  s'associer 
en  vue  de  ce  grand  oeuvre  des  collaboraleurs 
zeles  et  intelligents,  qu'il  transforme  pour  la 
premiere  fois  les  Douze  en  predicaleurs  de 
I'Evangile.  —  Ccepit  n'est  nullement  un  pleo 
nasme,  ainsi  qu'ou  I'a  pretendu.  En  ce  mo- 
ment, Jesus  entreprend  une  chose  nouvelle  : 
il  «  commence  »  ires-reellement  a  envoyer 
ses  disciples  en  qualite  de  mi^sionnaires, 
S.  Marc  a  eu  raison  de  noter  celte  nuance. 
—  Seul  aussi  il  a  note  une  circonstance  impor- 
tante  de  cetle  premieie  mission  des  Apolres, 
en  disant  que  le  Sauveur  les  avail  envoyes 


92 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


8.  Et  il  leur  commanda  de  nerien 
porter  en  chemin  qu'ua  bdton  seu- 
lement,  ni  sac,  ni  pain,  ni  argent 
dans  leur  ceinture, 

9.  Mais  de  se  chausser  de  sandales 
et  de  ne  point  se  munir  de  deux  tu- 
niques. 


8.  Et  prsecepit  eis  ne  quid  tolle- 
rent  in  via,  nisi  virgam  tantum; 
non  peram,  non  panem,  neque  in 
zonases.; 

9.  Sed  calceatos  sandaliis,  et  ne 
induerentur  duabus  tijnicis. 

Act.  12,  4. 


precher  deux  a  deux,  hinos  (SOo  Suo  du  texte 
grec  est  un  hebraisme  pour  xaxa  5uo,  ou  ava 
6uo.  Cfr.  Winer,  Grammat.  des  neulest,  Spsar- 
chidioms,  p.  223,  et  Gen.  vii,  9).  Jesus  agit 
ainsi  soit  pour  que  ses  missionnaires  pussent 
se  soulenir  muluellement,  soit  pour  donner 
plus  de  poids  a  leur  parole.  Voici  la  maniere 
dont  les  Douze  semblenl  avoir  ete  associes, 
d'apres  la  liste  que  S.  Matthieu  nous  fournit 
a  propos  de  cet  incident  :  Pierre  et  Andre, 
les  deux  fils  de  Zebedee,  Philippe  et  Barthe- 
lemi,  Thomas  et  Matthieu,  Jacques-le-Mineur 
et  Thaddee,  Simon-le-Zelote  et  Judas.  —  Da- 
hat  illis  potestatem.  Tout  en  les  separant  de 
lui  momenlanement  afin  de  leur  apprendre  a 
voler  de  leurs  propres  aiies,  Jesus  demeure 
neanmoins  d'une  certaine  maniere  avec  eux 
en  leur  leguant  son  autorile,  specialement 
celle  qu'il  exer^ait  sur  les  esprits  infernaux. 
—  Sur  le  genitif  irregulier  spirituum  immun- 
doruni,  au  lieu  de  «  adversus  spiritus...  » 
voir  Winer,  Grammat.  cap.  in,  §  30.  Cfr. 
Luc.  IX,  1. 

8.  —  Les  ft.  8-11  contiennent  des  regies 
tracees  par  le  Sauveur  a  ses  Apotres  concer- 
nant  la  conduite  qu'ils  auraicnt  a  tenir  pen- 
dant leurs  courses  apostoliques.  Jesus  ne  de- 
daigna  pas  d'entrer  dans  les  details  les  plus 
minulieux,  monlrant  aux  Douze,  au  moyen 
d'exemples  concrels  et  pratiques,  jusqu'ou  lis 
devaient  porter  I'esprit  de  pauvrete  et  de 
delachement.  II  est  question  du  viatique 
dans  les  tt.  8  et  9,  du  logement  dans  les 
tt.  10  et  11.  —  Prcecepit  eis.  Les  prescrip- 
tions donnees  en  ce  jour  par  Notre-Seigneur 
remplis>ent  un  long  chapitre  du  premier 
Evangile  (ch.  x)  et  concernent  les  missions 
de  tous  les  temps.  S.  Marc,  fidele  a  son  plan, 
d'apres  leque!  il  transcrit  des  faits  plutot  que 
des  discours,  s'est  borne  a  consigner  ici  quel- 
ques  avis  relatifs  a  la  mission  acluelle,  qui 
devait  se  passer  tout  entiere  sur  le  territoire 
de  la  Palestine,  en  plein  pays  juif.  —  Ne 
quid  tollerent...Ancune  provision  n'etait  per- 
mise  aux  Douze.  Le  Yen.  Bede  indique  fort 
bien  le  motif  de  cette  injonction  :  «  Tanta 
enini  praedicatori  in  Deo  debet  esse  fiducia, 
ut  praesentis  vilce  sumptus  quamvis  non  pro- 
videat,  lamen  hos  sibi  non  deesse  certissime 
sciat,  ne  dum  mens  ejus  occupatur  ad  tem- 
poralia,  minus  aliis  provideat  aeterna.  »  Au 


reste,  nous  avons  dit  dans  noire  commentaire 
sur  S.  Matthieu,  p.  200,  que,  dans  cette  con- 
tree  hospitaliere,  les  Apotres  n'avaient  pas 
un  besoin  urgent  de  viatique.  —  Nous  avons 
signale  aussi  au  meme  endroit,  p.  201,  la  di- 
vergpnce  qui  existe,  a  propos  des  mots  nisi 
virgam,  enlre  S.  Marc  et  les  deux  autres  sy- 
nopliques  («  Nolite  possidere  aurum...,  neque 
virgam  »,  Matlh.;  «  Nihil  tuleritis  in  via, 
neque  virgam  »,  Luc),  et  la  solution  de  ce 
petit  probleme  exegetique.  Les  deux  redac- 
tions sont  exactes;  mais  elles  ont  ele  faites  a 
divers  points  de  vue,  et  renferment  plutot  la 
pensee  que  les  «  expressions  memes  »  de  Jesus. 
—  Non  peram.  La  «  pera  »  des  Latins,  la 
^y.ri  des  Grecs,  etait  une  sorte  de  petit  ha- 
vresac,  habituellement  en  peau,  dans  lequel 
les  voyageurs  plagaient  leurs  provisions  pour 
la  route,  le  pain  en  particulier ;  de  la  les  mots 
suivants  neque  panem.  —  Rien  pour  porter 
les  vivres,  pas  de  vivres,  pas  d'argent  non 
plus  pour  s'en  procurer,  neque  in  zona  ces. 
On  revient  aujourd'hui  a  la  coutume  antique 
de  porter  Targent  dans  des  ceintures  de 
cuir  ou  d'etoffe.  —  Petit  trait  digne  de  re- 
marque  :  S.  Marc,  qui  ecrit  pour  des  Re- 
mains, emploie  I'expression  fj^X-^iv,  I'equiva- 
lent  de  «  aes  »,  qui  servait  souvent  a  designer 
I'argent  monnaye;  S.  Luc,  qui  ecrit  pour  des 
Grecs,  a  apyuptov;  S.  Matthieu  mentionne  les 
trois  metaux  usites  dans  tous  les  temps  pour 
servirdemonnaie,  I'er,  I'argent  etle  billon. — 
Au  lieu  des  ablatifs  «  in  via,  in  zona  »,  il  fau- 
drait,  d'apres  legrec,  «  in  viam,  in  zonam  »: 
rien  pour  la  route,  de  I'argent  destine  a  etre 
mis  dans  la  ceinture. 

9.  —  Calceatos  sandaliis.  Le  lecteur  a  dA 
remarquer  le  brusque  changement  qui  a  lieu 
ici  dans  la  construction,  et  I'agencement  sin- 
gulier  de  toute  cette  phrase.  Les  memes 
irregularites  existent  dans  le  texte  grec. 
C'est  ce  que  les  grammairiens  nomment 
«  oratio  variata  ».  Cfr.  Wliner,  Grammat. 
p.  507.  —  Nouvelle  divergence  dans  ce  pas- 
sage, le  Sauveur  ne  permettant  pas  a  ses 
apotres,  selon  la  redaction  de  S.  Matthieu, 
de  porter  des  chaussures  avec  eux.  On  peut 
choisir  entre  deux  solutions;  lo  d'apres  le 
premier  Evangeliste,  Notre-Seigneur  interdit 
aux  disciples  les  vnooiixa-nx,  sorte  de  brode- 
quins  montants  qui  couvraient  tout  le  pied 


CHAPITRE  VI 


93 


10.  Et  dicehat  eis :  Quocumque  in- 
troieritis  in  domum,illic  manete  do- 
nee exeatis  inde; 

11.  Et  quicumque  non  receperint 
vos,  nee  audierint  vos,  exeuntes  in- 
de, excutite  pulverem  de  pedibus 
vestris  in  testimonium  illis. 

Maith.  10,  U;  Luc.  9,  5;  Act.  13,  51  et  18,  6. 

12.  Et  exeuntes  prsedicabant  ut 
poBnitentiam  agerent : 


10.  Et  il  leur  disait :  En  quelque 
maison  que  vous  entriez,  demeu- 
rez-y  jusqu'a  ce  que  vous  partiezde 
ee  lieu; 

11.  Et  lorsqu'on  ne  vous  recevra 
pas  et  qu'on  ne  vous  ecoutera  pas, 
sortez  de  la,  et  secouez  la  poussiere 
de  vos  pieds  en  temoignage  contre 
eux. 

12.  Et,  s'en  allant,  ils  prSchaient 
qu'on  fit  penitenee. 


et  n'elaient  giiere  portes  mie  par  les  riches; 
S.  Marc  nous  montre  les  Douze  simplement 
chausses  de  sandales,  c'est-a-dire  d'une  se- 
melle  de  cuir  ailachee  aux  pieds  par  des  la- 
cets  oil  des  courroies  (On  Irouvera  dans  le 
diclionnaire  des  Antiquites  rom.  et  grecq. 
d'Ant,  Rich,  aux  mots  Calceolus  et  Calceus, 
de  curieiises  representations  des  chau^^sllres 
usitees  a  I'epoque  du  Sauveur).  2o  Dans 
S.  Matlhieu,  il  s'agirail  de  souliers  de  re- 
change;  dans  S.  Marc,  de  ceux  que  les  Apo- 
tres  avaient  aux  pieds  au  moment  de  leur 
depart.  —  Et  ne  induerentur  :  la  construc- 
tion change  encore  brusquement,  pour  re- 
prendre,  du  moins  dans  la  Vulgate,  la  forme 
qu'elle  avail  ;iu  t.  8.  De  nombreux  manus- 
crits  grecs  onl  evouariaOE,  «  induamini  d,  au 
lieu  de  evSuaaaeai,  «  indui  »,  de  la  Recepta. 
40.  —  Jesus  trace  maintenant  aux  nou- 
veaux  missionnaires  les  regies  qu'ils  devront 
suivre  a  propos  de  leursejour  etde  leur  loge- 
ment,  dans  les  lieux  ou  ils  s'arreteront  pour 
precher  I'Evangile.  S.  Marc  a  seulemenl  note 
deux  de  ces  regies.  La  premiere,  t.  4  0,  re- 
commande  aux  Apolres  la  stabilile;  la  se- 
conde,  f.  11,  leur  indique  ce  qu'ils  auront  a 
faire  quand  ils  trouveront  des  maisons  inhos- 
pitalieres  oil  on  refusera  de  les  recevoir.  — 
Et  dicehat  ew.Le  discours,  qui  avait  ete  indi- 
rect dans  les  deux  versets  precedents,  devient 
tout-a-coup  direct.  L'Evangeliste  cite  au  lieu 
de  raconter.  —  Quocumque  introieritis...  En 
Palestine,  «  lorsqu'un  etranger  arrive  dans  un 
village  ou  dans  un  camp,  les  voisins,  I'un 
apres  I'autre,  sont  tonus  de  I'inviter  a  man- 
ger avec  eux.  L'etiquetle  est  tres-severe  sur 
ce  point,  et  elle  exige  un  grand  deploiemont 
d'oslentation  et  de  courloisie;  le  moindre 
oubli  dans  les  formes  est  vivement  ressenti 
tl  occasionne  souvent  de  I'inimitie  ou  des 
luttes  entre  voisins.  Ce  sysleme  d'hospitalite 
consume  aussi  beaucoupde  temps,  cause  une 
grande  dissipation  d'esprit,  conduit  a  la  lege- 
rete,  et  en  un  mot  nuit  de  toutes  manieres 
au  succes  d'une  mission  spirituelle.  Les 
Apotres  etaient  envoyes,  non  pour  etre  f^tes 


et  honores,  mais  pour  inviter  les  hommes  a 
la  penitence,  pour  preparer  les  voies  du  Sei- 
gneur, pour  proclamer  que  le  royaume  des 
cieux  etait  proche.Ils  devaient  doncchercher 
tout  d'abord  une  habitation  convenable,  et 
demeurer  la  jusqu'a  ce  que  lour  oeuvre  fut 
accomplie  dans  la  localile  ».  Thomson,  The 
Land  and  the  Book,  p.  347.  —  Illic,  c'est-a- 
dire  «  in  hac  domo  »  ;  inde,  de  la  ville  ou  de 
la  bourgade. 

41.  —  Quicumque  non  receperint.  La  Re- 
cepta grecque  a  la  memo  logon  que  la  Vul- 
gate;  mais  de  nombreux  manuscrits  portent 
6; av  TOTTo;  (Ari  5e?r)Tai,variante  qui  a  de  grandes 
chances  d'originalite.  —  Excutite  pulverem. .. 
Voyez  I'Evaiig.  selon  S.  Mallh.,  p.  203.  Par 
ce  geste  symbolique,  les  Apolres  econduils 
montraienl  1°  qu'ils  rompaient  toute  commu- 
nion avec  ceux  qui  les  Iraitaient  d'une  fagon 
si  brulalo,  et  qu'ils  ne  vouiaient  avoir  abso- 
lument  rien  de  commun  avec  eux ;  2°  qu'ils 
declinaient  toule  responsabilite  dans  leur 
refus  obsline  de  recevoir  I'Evangile.  «  Pulvis 
nimirum  ille  argumentum  oral  el  signum  viae 
in  graliam  conlumacium  istorum  a  Ghrisli 
discipulis  fruslra  peractae.  »  S.  Cyrille,  cild 
par  Palrizi.  —  La  Recepla  ajoule  apres  le 
pronom  llllS  :  ajxrjv  Xeyw  CifjLiv,  avE/tToTEpov  eaxai 
SoSofiot?  9)  FofAoppot;  sv  •/ijxspa  xpiffsw?  v^  x^  TroXet 
exetv^.  Mais  c'est  la  vraisemblablement  une 
glose  inseree  dans  le  texte  el  emprunlee  au 
passage  parallele  de  S.  Matthieu,  x,  4  5. 

12.  —  Exeuntes  prcedicabant.  Ainsi  invites 
a  negliger  a  pen  pres  lolalement  les  moyens 
humains  pour  ne  s'appuyer  que  sur  Dieu,  ies 
Douze  parlent  deux  a  deux,  et  s'en  vonl  por- 
ter la  bonne  nouvelle  dans  les  regions  quo 
leur  Mailre  leur  avait  designees.  S.  Marc  de- 
crit  fort  bien  le  resultal  de  leurs  premiers 
efforts.  —  Pceniteniiaiu  agerent.  La  predica- 
tion des  Apolres  ne  differail  pas  de  celle  du 
Precurseur  (Cfr.  i,  4),  car  elle  elait  simple- 
ment preparatoire,  commo  la  sieiino.  Toule- 
fois,  le  versel  suivant  nous  dira  qu'ils  I'ai- 
saient  des  miracles  aussi  bien  que  lour  Mailre, 
ce  qui  les  dislinguait  de  Jcan-Baptiste.  — 


94 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


13.  Etils  cliassaient  beaucoup  de 
demons,  et  ils  oignaient  d'huile 
beaucoup  de  malades  et  les  gue- 
rissaient. 

14.  Or  le  roi  Herode  entendit 
farler  de  Jesus  (car  son  nom  avait 
ete  manifeste),  et  il  disait :  Jean- 


13.  Et  daemonia  multa  ejiciebant, 
et  ungebant  oleo  multos  aegros,  et 
sanabant. 

Jac.  5,  14. 

14.  Et  audivit  rex  Herodes,  (ma- 
nifestum  enim  factum  est  nomen 
ejus),  et  dicebat :  Quia  Joannes  Ba- 


L'omission  du  sujet  devant  «  agerent  »  est  un 
hebraisme  :  il  faul  sous-enlendre  «  homines  ». 
'13.  —  S.  Maic  nientionne  deux  categories 
de  prodiges  operes  par  les  Apotres  diuant 
cette  mission  ;  ils  chassaienL  les  demons,  ils 
guerissaient  les  malades.  Jesus  leiir  avail  pre- 
cisemenl  confere  ce  double  pouvoir  an  mo- 
ment oil  il  les  eloignait  dc  lui.  Cfr.  Matth. 
X,  \.  Mais  quel  est  le  sens  de  cetle  onclion 
mysterieuse  que  les  Douze  pratiquaient  sur 
les  infirmes  auxquels  ils  voulaienl  rendre  la 
sanle'?Les  mots  oleo  ungebant  ont  suscite 
autrefois  de  longues  et  vives  discussions  par- 
mi  les  exegetes.  L'huile  et  les  onclions  ayant 
toujours  joue  un  ties  grand  role  dans  la  me- 
decine  orienlale  (Comp.  Lightloot,  Horae 
talm.  h.  1.  Cfr.  Is.  i,  6 ;  Jer.  viii,  22 ;  Luc. 
X,  34,  et  les  lermes  e-j-xptaTa  9ap[i.ay.a,  laxpa- 
XetTtxat,  si  usiles  cliez  les  GrecS),  nos  ralio- 
nalisles  ont  pretend u  que  les  Apotres  les  em- 
ployaient  lout  bonnemenl  cou:me  des  remedes 
nalurels.  C'est  la  un  contre-sens  grossier, 
puisqu'il  s'agit  dans  lout  ce  verset  d'une 
puissance  surnalurelle  ou  miraculeuse.  D'un 
autre  cole,  Maldonat  (sa  longue  et  savanle 
dissertation  sur  ce  point  est  a  lire),  Fr.  Luc 
etd'autres  ont  pense,  a  la  suite  du  V.  Bede 
et  de  Nicolas  de  Lyre,  qu'il  est  ici  question  a 
n'en  pas  douter  du  sacrement  de  I'Exlreme- 
Onction.  Mais  ce  sentiment  est  a  bon  droit 
rejele  par  la  plupart  des  commenlateurs  ca- 
Iholiques.  Pour  le  refuter,  il  suffit  de  rappeler 
que  1  Exlreme-Onction  requiert  le  caraclere 
Bacerdolal  dans  celui  par  qui  elle  est  admi- 
nistree,  et  le  bapterae  dans  le  sujet  :  or,  a 
celte  epoque,  il  n'exislait  pas  encore  de 
prelres  chretiens,  et  rien  ne  montre  que  les 
Apotres  avaient  d"abord  baptise  les  malaaes 
sur  lesquels  ils  pratiquaient  I'onction  signa- 
lee  par  S.Marc.  La  verite  consiste  a  dire  que 
cette  onction  etait  un  symbole  du  divin  pou- 
voir exerce  par  les  Douze,  en  meme  temps 
qu'une  cause  mediatrice  de  la  guerisoii. 
Neanmoins,  il  serait  temeraire  de  n'y  pas 
.  voir,  selon  les  paroles  de  Bellarmin,  «  adura- 
'bratio  quaedara  et  figura  sacramenli.  »  Cfr. 
Cone.  Trid.  Sess.  XIV  de  Sacram.  exlr.  unct. 
c.  I  :  «  Instilula  est  lisec  unclio  infirmorum 
lanquam  vere  et  proprium  sacramentum 
Novi  Teslamenti  a  Cliristo  Domino  nostro, 
APUD  Marcu.m  quidem  insiauatum,   peiJaco- 


bura  autem...  promulgalum.  »  —  Evidem- 
ment,  les  Apotres  ne  songerent  pas  d"eux- 
memes  a  oindre  ainsi  les  malades  pour  les 
guerir  :  c'est  de  leur  Mailre  qu'ils  tenaient 
cetle  pratique,  comma  le  disait  deja  Euihy- 
mius. 

15.  —  Le  martyre   de   S.    Jean-Baptiste. 

VI,  14-29.  —  Parall.  Maltb.  xiv,  1-12;  Luc.  ix,  7-9. 

Les  trois  synoptiques  sont  Ires  inegaux 
dans  leurs  recits  de  ce  douloureux  evdniMuent. 
S.  Luc  se  borne  a  I'aire  connailrc  d'un  m^.c  'h 
decollation  du  Precurseur,  en  relatant  ro|)i- 
nion  qu'Herode  s'etait  fonniie  an  sujet  dt 
Jesus.  S.  Malthieuabiege,  ainsi  qu'il  lui  arrive 
presque  toujours  quand  il  passe  di\s  discours 
a  des  fails.  Noire  Evangelisle  au  conlraiie  a 
une  narration  parfaile  a  tons  les  points  de 
vue  et  pleine  de  details  pilloresques. 

a.  Jesus  dans  Vopmion  d'He'rode.  vr,  14-'l6. 

14.  — Et  audivit.  Le  complemuil,  q'ioii|ue 
omis,  se  supplee  sans  peine.  Ce  qii'Hero.lo 
appril,  ce  furent,  dirocienient,  les  miracles 
accompiis  par  les  Apotres  a  Iravers  les  bour- 
gades  galileennes,  puis,  a  cetle  occasion,  les 
ceuvres  de  Jesus  hii-meine,  que  chacun  sa- 
vait  etre  leur  3Iailre.  Toute  la  conliec  reten- 
tissait  done  alors  de  son  nom  beni.  Sa  repu- 
tation franchit  jusqu'au  seuil  de  la  cour!  — 
Rex  Herodes.  S.  Matthieu  et  S.  Luc  disent 
plus  exactement  «  Heiodes  telrarclia  »  ;  car 
cet  Herode,  donl  le  «  cognomen  »  elait  Anii- 
pas,  ne  fut  jamais  roi  d'une  maniere  piopre- 
ment  dile,  malgre  I'ardent  desir  qu'il  avait 
d'en  porter  le  nom,  malgre  les  demarches 
officielles  qu'il  fit  a  Rome  dans  ce  but  :  le- 
trarque,  tel  etait  son  vrai  tilre.  Mais  S.  Marc 
I'appelle  roi  dans  le  sens  large  et  populaiie 
de  cette  expression  :  de  fait.  Aniipas  exer- 
gait  vraimenl  en  Galilee  une  autonte  royale. 
C'est  le  second  des  Herodes  mentioiines  dans 
le  Nouveau  Testament  (Voir  I'Evang.  selon 
S.  Matth.  p.  49):  il  elait  fils  d"Hemde-le- 
Grand.  —  Dicebat.  C'est  a  ses  courlisans,  a 
ses  serviteurs,  qu'il  communiqua  le  sentiment 
que  nous  allons  entendre.  Cfr.  Matih.  xiv,  2. 

—   Baplista    resurrexit Devenu    depuis 

quelque  temps  le  meurlrier  de  Jean-Bapti>tev 
le  letrarque  avait  I'imagination  hanlee  cons- 
tamment  par  le  spectre  de  sa  victime.  II  est 


CHAPITRE  VI 


95 


plista  resurrexit  a  mortuis  :  et  pro- 
pterea  virtutes  operanturin  illo. 

Malth.  II,  I,  2;  Luc.  9,7. 

15.  Alii  autem  dicebant  :  Quia 
Elias  est.  Alii  vero  dicebant  :  Quia 
propheta  est,  quasi  unus  ex  pro- 
phetis. 

16.  Quo  audito,Hei'odes  ait :  Quern 
ego  decollavi  Joannem,  hie  a  mor- 
tuis resurrexit. 

17.  Ipse  enim  Herodes  misit,  ac 
tenuit  Joannem,  et  vinxit  eum  in 
carcere  propter  Herodiadem  uxorem 
Philippi  fratris  sui,  quia  duxerat 
earn. 

Luc.  3,  19. 

18.  Dicebat  enim  Joannes  Herodi : 
Non  licet  tibi  habere  uxorem  fratris 
tui. 

Lev.  18,  16. 


Baptiste  est  ressuscite  d*entre  les 
morts,  et  voila  pourquoi  des  miracles 
sont  operes  par  lui. 

15.  Mais  d'autres  disaient  :  G'est 
Elie.  Et  d'autres :  G'est  un  prophete, 
pareil  a  un  des  prophetes. 

16.  L'ayant  entendu,  Herode  dit : 
Ge  Jean  que  j'ai  decapite  est  ressus- 
cite d'entre  les  morts. 

17.  Gar  cet  Herode  avait  envoye 
se  saisir  de  Jean  et  I'avait  enchaine 
en  prison  a  cause  d'Herodiade, 
femme  de  Philippe,  son  frere,  parce 
qu'il  I'avait  epousee. 

18.  Gar  Jean  disait  a  Herode  :  II 
ne  t'est  pas  permis  d' avoir  la  femme 
de  ton  frere. 


done  nalurcl  qii'au  seul  bruit  des  miracles  de 
Jesus,  il  se  soil  persuade  que  Jean  etait  res- 
suscite d'enlre  les  morts  el,  sous  une  forme 
nouvolle,  levenu  en  Galilee  pour  y  conlinuer 
son  niinisleie  avec  une  puissaiu-e  encore  plus 
grande  qu'avaiit.  sa  mort.  —  Opcrantur  est 
employe  au  sens  neulre,  comme  le  nionlre  le 
texte  grec.  evspyouCTtv  :  des  forces  niiraculeuses 
sont.  energiques  en  lui,  agissent  par  lui. 

45.  —  De  I'opinion  d'Herode,  S.  Marc  rap- 
proche  les  sentiments  divers  qui  avaienl  cours 
parmi  le  people  louchant  le  Precurseur.  — 
Elias  est,  disaient  les  uns.  En  l9  conlondant 
ainsi  avec  le  grand  prophete  de  Thisbe,  ils 
n'etaient  pas  loin  de  la  verite.  Cf'r.  Matlh. 
XI,  14;  Luc.  1,  17;  etc.  —  Propheta  est,  di- 
saient les  auiresd'une  maniere  rnoins  deter- 
minee.  L'article  manquant  dans  le  lexte  grec, 
il  n'est  point  permis  de  traduire  :  C'esL  le 
Prophete,  le  |)rophele  par  antonomase,  le 
Messie!  Le  veritable  sens  est  precise  par  les 
mots  qiuisi  unus  expropltetis.  Done  :  G'est  un 
propheta,  semblablo  aux  ancien-;  prophetes. 
La  legon  de  la  llecepta,  6xi  7rpocp/)-:y];  eoTtv,  ^ 
w;  eT;  Ttov  TTpopYiTdiv,  a  contre  elle  les  meilleurs 
manusc'-its;  il  taut  lire,  comme  afailla  Vulgate, 

IG.  —  Quo  uudito.  «  Uuo  »,  c'est-a-dire 
ces  differeiites  opinions.  Herode  n'en  admet 
aucune,  mais  il  s'en  lienl  forlemenl  a  celle 
qu'il  a  deja  enoneee  lui-meme,  t.  14.  Re- 
marquons  I'assurance  avec  laquelle  il  affirme 
la  resurrection  du  Baptiste  :  c'esl  un  effel  de 
ges  crainles,  de  ses  remords,  du  ver  qui  le 
ronge  interieuremenl.  Ego  et  hie  sont  empha- 
tiques.  —  N'esl-ce  pas  une  allusiou  a  ces 


terreurs d'Herode,  devenuescelebresdans  lout 
le  monde  remain,  que  Ton  croirait  lire  dan3 
les  vers  suivants  de  Perse? 

At  quDm 

Heroilis  venere  dies,  iinctaqae  fenestra 
Dispositx'  pingueiii  nebulaiu  vorauere  lurernae, 
Poitanles  viota'!,  lubruinque  amplexa  caliQum 
Cauda  natat  tliymii,  tumet  alba  lulclia  vino  : 
Labra  moves  tacilus,  lecutitaque  sabbata  palles.  — 
Tunc  uigri  leiuures,  ovoque  pericula  luplo. 

Sat.  V,  169-185. 

b.  La  decollation  de  Jean-Baptiste.  VI,  17-29. 

17.  —  Ipse  enim  Herodes.  «  Marc  I'Evan- 
gelisle,  a  I'occasion  de  ee  qu'il  vient  de  ra- 
conler,  rappelle  iei  la  mort  du  Precurseur.  » 
Theophylaele.S.Matthieu  avait  faitdememe, 
signalant  d'abord  I'idee  singuliere  qu'Antipas 
s'elail  I'aite  de  Jesus,  et  revenant  ensuite  sur 
ses  pas,  afin  de  deerire  les  circonstances 
parmi  lesquelles  S.Jean  avait  ele  arrele,  puis 
decapite  par  le  telrarque  voluptueux  et  cruel. 
—  Misit  ac  te»uit.  Hebraisme.  Voycz,  sur  cet 
emploi  du  verbe  «  mitlere  »,  leThesaurus  phil. 
de  Gesenius,  au  mot  nSu?,  p-  1411.  — In  car- 
cere.  S.Jean  fut  incarcere  a  IMacheronte,  «  la 
forteresse  noire  »,eitadelle  batie  par  Herode- 
le-Grand  dans  la  province  de  Peree,  vers  lo 
N.-E.  de  la  mer  Morte,  pour  tenir  en  respect 
les  tribus  de  pillards  arabes  domiciliees  a 
I'Esl  du  Jourdain.  Voir  I'Atlas  geograph.  de 
M.  Ancessi,  pi.  xvi.  —  Propter  Herodiadem. 
Nous  trouvons  ici  le  motif  de  cet  emprison- 
neraenl  injuste  et  sacrilege.  C'elait  moins 
Herode  qui  I'avait  decrele,  que  sa  niece  et 
belle-soeur  Herodiade,  devenue  recemment 
son  epouse,  en  depil   des   lois  divines  el 


98 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


19.  Or  Herodiade  lui  tendait  des 
embuches  et  voiilait  le  faire  perir, 
et  ne  pouvait  pas. 

20.  Gar  Herode  craignait  Jean,  le 
sachantim  homme  juste  et  saint,  et 
il  le  gardait  et  faisait  beaucoup  de 
choses  apres  I'avoir  entendu,  et  I'en- 
tendait  volontiers. 

21 .  Mais  im  jour  opportun  arriva; 
Herode,  le  jour   de  sa  naissance, 


19.  Herodias  autem  insidiabalur 
illi  :  et  volebat  occidere  eum,  nee 
poterat. 

20.  Herodes  enim  metuebat  Joan- 
nem,  sciens  eum  virum  justum  et 
sanctum  :  et  custodiebat  eum,  et 
audito  eo  multa  faciebat,  et  libenter 
eum  audiebat. 

21.  Et  cum  dies  opportunus  acci- 
disset,  Herodes  natalis  sui  coenam 


humaines.  En  effet,  d'une  part,  la  femme  legi- 
time dutetrarqueetait  encore  vivanle:  d'au're 
part,  Philippe,  mari  d'Herodiade  et  frere  d'He- 
rode,  vivait  aussi.  II  y  avait  done  trois  ou 
quatie  empechements  an  manage.  Mais  la 
passion  des  deux  conjoints  avait  impudem- 
ment  franchi  tons  les  obstacles.  Pour  les  de- 
tails, voyez  I'Evang.  selon  S.  Malth.  pp.  253 
et  254. 

18.  —  Dicebat  enim  Joannes.  Le  nouvel  Elie 
rappela  energiquement  a  Herode  les  droits  de 
la  morale  outragee.  L'imparfait  «  dicebat  » 
montre  qu'il  ne  se  borna  pas  a  dire  une  seule 
foisau  coiipable :  iVon  /(oef,  mais  qu'il  lui  don- 
na sur  ce  point  des  avertissements  reiteres. 

19.  —  Herodias  autem.  Les  transitions  sont 
tres  elegamment  menagees  dans  tout  ce  recit, 
a  I'aide  des  particules  yap,  8e,  que  nous  ren- 
controns  presque  a  chaque  verset.  Voici  done 
la  Jezabel  du  Nouveau  Testament  qui  appa- 
rait  sur  la  scene  evangelique.  Eileagira  d'une 
maniere  digne  de  sa  conduite  anterieure.  — 
'Insidiabatur  ilk.  Nouvel  imparfait,  qui  ex- 
'prime  une  serie  interminable  d'embuches  et 
de  machinations  perfides,  telles  que  les 
femmes  savent  les  dresser.  Le  verbe  grec 
eveTxev  serait  peut-etre  mieux  traduit  par 
'«  elle  lui  en  voulait.  »  On  comprend  sans 
peine  pourquoi  I'epouse  adultere  etait  si  pro- 
fondement  hostile  a  S.  Jean.  «  Timebat  enim 
Herodias  ne  Herodes  aliquando  resipisceret..., 
atque  illicitae  nupliae  repudio  solverentur.  » 
Bede.  —  Volebat  occidere  eum  :  ses  souhaits 
de  vengeance  allaient  jusqu'a  I'homicide.  II 
lui  fallait  la  tete  de  I'audacieux  qui  i'avait 
attaquee.  Et  pourtant,  non  poterat.  Le  t.  20 
nousmontrera  d'ou  provenait  cette  impuis- 
sance  surprenante. 

20.  —  Tous  les  details  que  nous  lisons  ici 
appartiennent  en  propre  a  S.  Marc.  C'est  une 
profonde  elude  psychologique.  —  Herodes  me- 
tuebat Joannem  :  ii  le  craignait  d'une  crainte 
religieuse,  car  il  savait,  sciens,  I'ayant  appris 
par  sa  propre  experience,  que  c'etait  un 
homme  de  Dieu.  Virum  juslum  et  sanctum  : 
magnifique  eloge  du  Precuseur,  venant  d'un 
homme  tel  qu'Herode.  La  premiere  epilhete, 
eomme  le  fait  rem.arquer  la  «  Glossa  ordina- 


ria  »,  concerne  les  rapports  de  Jean  avec  les 
hommes,  la  seconde  ses  rapports  avec  Dieu. 
Avec  tous  il  etait  parfait.  —  Custodiebat  eum. 
Le  verbe  grec  auveropei  a  une  signification 
duuteuse.  Les  uns  le  traduisent  comme  la 
Vulgate  par  «  garder  en  prison  »,  et  cette 
interpretation  semble  autorisee  par  plusieurs 
passages  du  Nouveau  Testament,  Act.  iv,  3; 
V,  48,  oil  le  subslantif  T^pYjffi;  a  le  sens  de 
«  career  ».  D'autres  lui  font  signifier  tantot 
«  observer  »,  lantot  «  avoir  en  haute  consi- 
deration »,  tantot  «  proteger  ».  Nous  nous  en 
tenons  a  notre  version  latine.  —  Audito  eo 
multa  faciebat.  «  Multa  »  est  pris  en  bonne 
part  :  beaucoup  d'exeellentes  choses.  Helas  ! 
que  ne  commengait-il  par  la  plus  necessaire 
de  toutes,  par  celle  que  le  Preeurseur  lui  con- 
seillait  le  plus  vivcment  ?  Le  livre  des  Actes, 
XXIV,  26,  nous  montrera  le  proconsul  Felix 
s'inspirant  de  meme  des  conseils  d'un  autre 
prisonnier  non  moins  illuslre.  —  Au  lieu  de 
inoki,  «  faciebat  »,  le  Cod.  sinait.  a  une  cu- 
rieuse  variante  :  ^7:6pet,  il  etait  dans  I'embar- 
ras.  Si  cette  leQon  etait  authentique,  elle 
exprimerait  un  fait  tres  naturel,  nous  mon- 
trant  Herode,  au  sortir  des  entretiens  qu'il 
avait  avec  Jean-Baptiste,  deconcerte,  embar- 
rasse  sur  une  foule  de  points,  c'est-;i-dire 
agile  par  de  legitimes  serupules  a  propos  de 
la  plupart  de  ses  aetes.  Quoi  qu'il  en  soil, 
libenter  eum  audiebat,  la  verite  gardant  par 
intervalles  toute  sa  puissance,  meme  sur 
cette  ame  corrompue.  Herode,  dans  les  ea- 
chots  de  Macheronte,  ecoutant  son  prison- 
nier avec  une  respectueuse  attention  :  quel 
beau  sujet  pour  un  peintre  ehrelien! 

21.  — Cependant  I'ame  mobile  dutetrarque 
subissait  encore  un  autre  ascendant  que  celui 
du  Preeurseur,  et  c'est  du  cote  du  crime 
qu'Herode  finira  par  tomber.  —  Dies  op- 
portunus. Hammond,  Paulus,  Kuinoel,  etc., 
donnent  a  cette  locution  le  sens  du  miD  DV 
hebreu,  «  jour  de  fete  »;  d'autres  exegeles  pen- 
sent  que  I'Evangeliste  a  plutot  voulu  parler 
d'un  jour  opportun  pour  la  realisation  des  san- 
glanlsdesseins  d'Herodiade.  Selon  M.  Schegg, 
il  sagirait  simplement  d'un  jour  convenable 
pour  la  celebration  de  I'anniversaire  du  te- 


CHAPITRE  VI 


97 


fecit  principibus,  et  tribunis,  et  pri- 
mis  Galilsese  : 

22.  Gumque  introisset  filia  ipsius 
Herodiadis,  et  saltasset,  et  placuis- 
set  Herodi  simulque  recumbenti- 
bus,  rex  ait  puellse  :  Pete  a  me  quod 
vis,  et  dabo  tibi  : 

23.  Et  juravit  illi  :  Quia  quidquid 
petieris  dabo  tibi,  licet  dimidium 
regni  mei. 

Matth.  14,  7. 

24.  Quae  cum  exisset,  dixit  matri 
su8e  :  Quid  petam?  At  ilia  dixit :  Ca- 
put Joannis  Baptistse. 

25.  Gumque  introisset  statim  cum 
festinatione  ad  regem,  petivit  di- 


donna  un  festin  aux  premiers  de  sa 
cour,  etaux  tribuns  et  aux  princi- 
paux  de  la  Galilee. 

22.  Et  lorsque  la  fille  d'Herodiade 
fut  entree,  eut  danse,  et  eut plu  a  He- 
rode  et  a  ses  convives,  le  roi  dit  a  la 
jeune  fille  :  Demande-moi  ce  que  tu 
veux,  et  je  te  le  donnerai. 

23.  Etil le  lui  jura :  Je  te  donnerai 
tout  ce  que  tu  demanderas,  fut-ce  la 
moitie  de  mon  royaume. 

24.  Lorsqu'elle  fut  sortie,  elle  dit 
a  sa  mere  :  Que  demanderai-je?  Et 
celle-ci  lui  dit  :  La  tete  de  Jean- 
Baptiste. 

23.  Etant  rentree  aussitot  en 
grande  hate  pres  du  roi,  elle  fit  sa 


trarque.  Le  contexle  favorise  ce  senl.iment. 
—  Natalis  sui  ccenam;  les  «  nalalitiae  dapes  » 
des  Romains.  «  Soli  moiLaliiim  Herodes  et 
Pharao  (in  Scripliira)  legunlur  dies  nalalis 
sui  gaudiis  festivis  celebiasse;  sed  uterque 
rex  infauslo  auspicio  nalivitalem  siiam  san- 
guine foedavit.  Verum  Herodes  tanto  majors 
impielale,  quanto  sanctum  et  innocentem 
doctorem  veritatis  occidit,  et  hoc  pro  veto 
ac  petilione  saltatricis.  »  V.  Bede.  —  Princi- 
pibus... S.  Marc  seul  mentionne  ies  trois  cate- 
gories de  convives  invites  par  Herode.  La  pre- 
miere, nommee  en  grec  (j-eyiaxave;,  se  compo- 
sait  des  officiers  de  la  cour;  la  seconde 
(tribunis,  yO.iapyoi]-,  des  principaux  chefs  de 
I'armee,  CtV.  Act.  xxi,  31  ;  xxvi,  26;  la  troi- 
sieme  [pri^nis  Galilcece),  d'uii  certain  nombre 
de  notables  du  pays.  Go  detail  nous  donne 
une  idee  de  la  magnificence  avec  laquelle 
Antipas  celebrait  son  anniversaire.  Aussi  le 
0  Heiodis  dies  »  etait-il  proverbial  a  Rome. 
Cfr.  Peis.  Sat.  loc.  cit. 

"22.  —  Filia  ipsius  Herodiadis.  Le  pronom 
est  emphatique  :  ce  fut  la  fille  d'Herodiade 
«  elle-meme  »,  el  non  une  danseuse  de  pro- 
fession, qui,  sur  la  fin  du  rcpas,  vint  egayer 
Ies  convives  par  un  de  ces  ballets  en  general 
tres-licencieux  qui  ont  loujours  ete  I'accom- 
pagnement  obligatoire  des  fetes  orientales. 
On  y  represente  par  des  poses  varices  des 
caracteres,  des  siUiations  morales,  des  pas- 
sions. Cfr.  Ambr.  de  Virgin,  lib.  iii,  c.  6.  — 
La  fille  d'Herodiade  s'appelait  Salome.  Cfr. 
Jos.  Ant.  xviii,  5,  4.  —  Le  verbe  inlroisset 
suppose  qu'elle  n'assistait  pas  au  fostin  :  en 
effet,  Ies  femmes  en  Orient  ne  prennent  qu'en 
de  tres  rares  occasions  leurs  repas  avec  Ies 
hommes. 

S.  BiBLB.  S. 


23.  —  Quidquid  petieris  dabo.  Le  prince 
ecliauffe  par  la  volupte  et  par  le  vin,  promet 
a  la  jeune  danseuse,  sous  le  sceau  du  serment, 
de  lui  octroyer  toutce  qu'elle  lui  demandera, 
dut-elleexiger  la  moitie  deson  royaume.  Cette 
locution,  dimidium  regni,  dans  la  bouche  du 
roi,  etail  proverbiale  pour  signifier  qu'il  etait 
dispose  a  ne  rien  refuser,  quelque  extrava- 
gant que  put  etre  le  desir.  Cfr.  Eslh.  v,  3; 
vii,  2;  et  chez  Ies  classiques,  Hygin.Fab.  84; 
Hom.  II.  X,  602. 

24.  —  Quoe  cumexisset.  Embarrassee  d'une 
telle  promesse,  la  jeune  fille  sort  (trait  special 
a  S.  Mai'c)  pour  aller  consulter  sa  mere;  car 
Herodiade  non  plus  n'assistait  pas  au  ban- 
quet. —  Caput  Joannis.  Celle-ci  n'hesita  pas 
nn  instant.  Profitant  habilement  d'une  situa- 
tion qu'elle  ne  retrouverait  peut-etre  jamais, 
tirant  parti  de  I'imprudence  royale  qui  la 
rendait  elle-meme  toule-puissanle,  elle  veut 
que  sa  fille  demande  la  tete  du  Precurseur. 

25.  —  Quumque  introisset.  Quelle  vie,  quel 
pittoresque  dans  ce  recit  tragiquel  La  scene 
lout  entiere  est  mise  sous  nos  yeux.  — 
Statim  cum  festinatione.  Des  appartements 
d'Herodiade,  Salome  revient  en  courant  a  la 
salle  du  festin;  pas  une  minute  n'est  perdue 
par  cette  digne  fille  de  sa  mere.  Elles  avaient 
en  effet  I'une  et  I'autre  memes  raisons  de  hair 
et  de  redouter  Jean-Baptiste.  La  conversion 
du  roi  eut  ete  pour  toules  deux  le  renvoi  de 
la  cour  et  le  retour  a  une  position  relative- 
ment  humble  et  |)auvre.  —  Volo.  Elle  appuie 
sur  ce  mot  :  Je  veux,  vous  m'avez  donne  le 
droit  d'etre  absolue  dans  ma  volonte.  —  Pro- 
tinus  (en  grec  i'i,  outvig,  sous-entendu  wpa?,  sur 
i'heure),  immediatement,  car  elle  ne  veut  pas 
laisser  a  Herode  le  temps  de  se  rcpentir.  — 

Marc.  —  7 


\\Jxi^jl4    uj^xj\j±y    0>    lU^iilO 


demande,  disant  :  Je  veux  qu'a 
rinstant  tu  me  donnes  dans  un  plat 
la  tfite  de  Jean-Baptiste. 

26.  Et  le  roi  fut  afflige;  a  cause 
du  serment  et  a  cause  des  convives, 
il  ne  voulut  pas  la  contrister. 

27.  Mais,  envoyant  un  de  ses 
gardes,  il  lui  ordonna  d'apporter  la 
tfite  de  Jean  dans  un  plat. 

28.  Et,  on  apporta  la  tete  dans  un 
plat  et  il  la  donna  a  la  jeune  fille,  et 
la  jeune  fille  la  donna  a  sa  mere. 

29.  Ses  disciples^  I'ayant  appris, 


cens  :  Volo  ut  protinus  des  milii  ia 
disco  caput  Joannis  Baplistse. 

26.  Et  contristatus  est  rex  :  pro- 
pter jusjurandum,  et  propter  simul 
discumbentes,  noluit  earn  contri- 
stare, 

27.  Sed  misso  spiculatore  prsece- 
pit  afferri  caput  ejus  in  disco.  Et  de- 
collavit  eum  in  carcere, 

27.  Et  attulit  caput  ejus  in  disco, 
et  dedit  illud  puellse,  et  puella  dedit 
matri  suse. 

29.  Quo  audito,  discipuli  ejus  ve- 


Mihi  :  dans  ses  propres  mains,  de  crainle 
qu'on  ne  la  trompe.  Quel  langage,  et  dans 
quelles  circonstances! 

26.  —  Contristatus  est  rex.  Le  texte  grec 
est  tres  expressif ;  Tizp'Ovnoc,  y£v6[jievo?,  elant 
devenu  tres  afflige.  S.  Matthieu,  xxvi,  38,  et 
S.  Marc,  xiv,  34  emploienl  I'acijeclif  nepOvnot; 
pour  decrire  la  tristesse  qui  envahit  la  sainte 
&me  de  Jesus  a  Gethsemani.  —  Herode  re- 
grette  saparoleimprudenlo.il  pourrait,  il  est 
vrai,  la  retracter  ;  mais  son  serment  le  retient, 
propter  jusjurandum,  comme  si  un  pareil  ser- 
ment eut  ete  obligatoire!  Ce  qui  le  retient 
encore  davantage,  c'est  I'assisiance,  propter 
simul  discumbentes.  l\  cro\ra\l  forl'aire  a  I'hon- 
neur  en  retirant  ia  promesse  faite  devantune 
si  honorable  assemblee.  Cefauxhonneur  mon- 
dain  a  fait  commettre  bien  des  crimes!  — 
Noluit  earn  coiitristare.  Le  verbe  aSsTvicat 
devrait6tre  traduitpar  «  rejicere,  repudiare  ». 
Le  tetrarque  n'osa  done  pas  renvoyer  Salome 
sans  Texaucer. 

27.  —  Misso  spicidatore.  Nous  lisons  le 
meme  mot  ((TTtExouMxopa)  dans  le  texte  grec: 
c'est  la  une  des  expressions  lalines  grecisees 
par  S.  Marc.  Cfr.  la  Preface.  §  IV,  3.  Le 
substanlif  «  spiculalor  »,  derive  suivant  les 
uns  de  «  spiculum  <>,  selon  les  autres  de 
«  speculari  »,  avait  primitivement  la  signifi- 
cation de  sentinelle.  Les  ecrivains  latins  con- 
temporains  de  S.  Marc  I'emploiont  pour  desi- 
gner des  soldals  auxquels  on  confiait  les 
fonctions  d'eclaireurs  ou  d'aides  de  camp. 
Voir  Ant.  Rich,  Diet,  des  anliq.  rom.  et 
grecq.  s.  v.  Speculatores.  Cfr.  Sueton.  Calig. 
c.  XLiv;  Tacil.  Hisl.  xi,  73.  Mais  il  indiquait 
aussi  les  executeurs  des  hautes  oeuvres  (Cfr. 
Senec.  de  Benef.  iii,  25;  de  Ira,  i,  16;  Jul. 
Firmicus,  viii,  26)  et  tel  est  ici  son  veritable 
sens.  I,nvM\)ldi:u>p  6  Sriiiio;  li'^s.-con,  ffxpaxtwryi;, 
3i;irp6;T6  9ov£U£tv  xeiaxTat.  Theophylacte.  Les 
Rabbins,  du  reste,  I'avaient  fait  passer  dans  la 
angue  hebraique  et  s'en  servaient  aussi  pour 


nommer  le  bourreau  5lin  nTDSpSD  "iSqS 
nnia  nimnon.  Gloss,  ad  Tanch.  f.  72 ,  2. 
«  Le  spiklator  execute  ceux  qui  out  ete  con- 
damnes  a  mort  par  le  roi.  »  Cfr.  Liglitfoot, 
Horse  hebr.h.  I.;  Buxtorf.  Lexic.  lalm.  p.  1533. 

28.  —  Et  attulit  caput.  Chef  sacre,  que  Ton 
venere  aujourd'luii  dans  I'eglise  d'Amiens. 
—  Herode  n'eut  pas  honte  de  le  faire  porter 
tout  sanglant  devant  ses  botes  :  Salome  lo 
saisit  sans  fremir  pour  le  presenter  a  sa  mere. 
Mais  les  cours  orientaies  etaient  accoutumees 
a  de  pareils  spectales !  «  De  cet  horrible  exem- 
ple,  dit  pieusement  le  V.  Bede,  nous  devons 
conclure  qu'il  vaut  bien  mieux  nous  rappeler 
le  jour  de  notre  mort  dans  la  priere  et  la  ohas- 
tele,  que  de  celebrer  le  jour  de  notre  naissance 
par  la  luxure.  »  Citons  une  autre  belle  re- 
flexion de  S.  Grp.";oire,  Moral,  in,  5.  «  Je  ne 
puis  sansun  profor.d  etonnement  me  souvenir 
que  cet  homme,  rempli  de  I'esprit  de  prophelie 
des  le  sein  de  sa  mere,  lui  qui  n'eut  pas  plus 
grand  que  lui  parmilesfils  delafemme,  ait  ete 
jete  par  des  pervers  dans  une  prison,  decapile 
pour  payer  la  danse  d'une  jeune  fille,  et  que 
cet  homme  d'une  telle  austerilesoit  mort  sous 
le  rire  des  etres  les  plus  vils.  Pouvons-nous 
admettre  qu'il  y  ait  eu  dans  sa  vie  quelque 
chose  qui  excuse  sa  mort?...  D'oii  vient  que 
leDieu  tout-puissant  ait  pu  abandonnerd'une 
maniere  si  terrible  ceux  auxquels  il  a  accorde 
une  election  si  sublime  avant  le  commence- 
ment du  monde?A  moins  que  ce  ne  soit, 
ainsi  qu'il  parail  evident  a  la  piete  des  fideles, 
que  Dieu  brise  en  les  faisant  lomber  si  bas 
ceux  qu'il  sail  devoir  recompenser  en  les 
portant  sur  les  hauteurs.  Au  dehors,  il  les 
laisse  dechoir  jusque  dans  I'abjection,  parce 
qu'au  dedans  il  les  fait  penetrer  jusque  dans 
une  gloire  incomprehensible.  »  Voir  aussi  un 
beau  passage  de  S.  Ambroise,  de  Virgin. 
1.  IV  (leQons  du  2^  Noct.  dans  le  Brev.  Rom. 
pour  le  29  aout). 

29,  —  Malgre  sa  lache  cruaute,  Herode 


CHAPITRE  VI 


9d 


nerunt.  et  tulerunt  corpus  ejus,  et 
posuerunt  illud  in  monumento. 

Maith.  14,  12. 

30.  Et  convenientes  apostoli  ad 
Jesum,  renuntiaverunt  ei  omnia 
quae  egerant,  et  docuerant. 

31.  Et  ait  illis  :  Venite  seorsum 
in  desertum  locum,,  et  requiescite 
pusillum.  Erant  enim  qui  veniebant 
et  redibant  raulti  :  et  nee  spatium 
manducandi  habebant. 

Matth.  14,13;  Liu\%  10. 

32.  Et  ascendentes  in  navim,  abie- 
runt  in  desertum  locum  seorsum. 


vinrent,  et  prirent  son  corps  ct  la 
deposerent  dans  un  tombeau. 

30.  Or  les  apotres,  revenant  au- 
pres  de  Jesus,  lui  rendirent  compte 
de  tout  ce  qu'ils  avaient  fait  et  en- 
seigne. 

31.  Et  il  leur  dit :  Venez  a  I'ecart 
en  un  lieu  desert,  et  reposez-vous 
un  pen.  Car  ceux  qui  allaient  et 
venaient  etaient  nombreux,  et  ils 
n'avaient  pas  meme  le  temps  de 
manger. 

32.  Et,  monlant  dans  une  barque, 
ils  s'en  allerent  a  I'ecart  en  un  lieu 
desert. 


permit  cependantaux  disciples du  Precurseur 
de  donner  a  leur  Maitre  une  sepulture  hono- 
rabli'.  Dapres  la  tradition,  ils  I'enterrerenL 
^  Sebaste  en  Samaria,  aupies  des  tombeaux 
d'Elisee  et  d'Abdias.  Puis,  ajoule  S.  Malthieu, 
XIV,  12,  «  venientes  nunliaverunt  Jesu.  » 
16.  —  Prtmieie  multiplication  des  pains. 

\i,  30-44.  —  P;iiall    M;iUli.  mv,  Vi-ti;  Luc.  ix,  10-17. 

.loan.  VI,  1-13. 

a.   Retour  et  retraile  dans  le  desert,  vi,  30-31. 

30.  —  Convenientes  Apostoli.  Cependant, 
la  courte  mission  des  ApoLres  est  achevee,  et 
lis  reviennent,  avi  temps  qui  leur  avait  sans 
doute  ete  fixe,  rejoindre  le  Sauveur  a  Caphar- 
naiim.ce  Discamus  et  nos,  cum  in  minislerium 
aliquod  millimur,  non  elongari,et  ultra  com- 
missiim  officium  non  efferri,  sed  millenlem 
vi-ilare,  et  nnuntiare  ei  omnia  quae  ogimiis 
et  docuimus.  »  Tlieophylacte.  S.  Marc  et  S.  Luc 
mentioiment  seuls  le  retour  des  Douze  au- 
pres  de  Jesus,  et  le  compte-rendu  delaille 
qu'ils  lui  firentde  leur  predicalionet  de  leurs 
OBuvres. 

31.  —  Les  details  pleins  d'interet  que 
conlient  ce  verset  sont  propres  au  second 
Evangile.  lis  consistent  en  une  touchante 
invilalion  adressee  par  Jesus  a  ses  disciples, 
et  en  une  reflexion  pittoresque  du  narra- 
teur.  —  1o  La  parole  de  Jesus  :  Venite  seor- 
sum... Le  texte  grec  est  beaucoup  plusener- 
giquc  :  AsOte  u(xec;  autot  xax'  loiav,  «  illuc  VOS 
ipsi  seorsum  »;  c'est-a-dire  :  Vous  seuls, 
et  pas  d'autres,  venez  avec  moi  dans  une 
retraile  solitaire.  —  Requiescite  pusillum. 
Quel  bon  Maitre!  Lui  qui  ne  s'accordait  pas 
un  seul  instant  de  repos,  il  songe  a  procu- 
rer quelques  jours  de  recreation  et  de  va- 
cances  a  ses  Apotres  apres  leurs  labeurs 
evangeliques.  11  est  vrai,  comme  le  font  re- 
marquer  les  anciens  exegetes,  que  ce  ne  de- 


vaient  pas  etre  des  vacances  completement 
oisives,  mais  une  sorte  de  retraite  spirituelle, 
Jesus  voulant  apprendre  ainsi  aux  Douze,  et 
a  tous  les  missionnaires  ou  predicateurs 
apostoliques,  qu'un  pasteur  des  ames  ne  doit 
pas  s'oublier  dans  la  vaine  contemplation  du 
bien  qu'il  a  pu  faire,  mais  qu'il  a  des  obli- 
gations importantes  a  remplir  envers  soi- 
ineme,  —  2"  La  reflexion  de  I'Evangelisle  : 
Erant  enim  qui  veniebant...  Celte  reflexion 
pittoresque,  qui  monlre  si  bien  au  lecteur  le 
prodigieux  concours  dont  le  Sauveur  etait 
alors  ie  centre,  rent'erme  en  meme  temps  le 
motif  pour  lequel  Jesus  voulait  conduire  les 
siens  dans  la  solitude.  L'afiluence  etait  telle 
sur  la  rivo  occidenlale  du  lac,  qu'il  eut  ete 
impossible,  en  y  restant,  de  trouver  une 
seule  minute  de  repos.  La  sainte  troupe  n'a- 
vait  pas  meme  le  temps  de  prendre  ses 
repas!  s'ecrie  pour  la  seconde  fois  S.  Marc. 
Cfr.  Ill,  20.  «  Heureux  temps !  oil  tel  etait  le 
zele  des  auditeurs,  et  le  travail  de  ceux  qui 
enseignaient !  »  Bede.  G'etait  la  proximite  de 
la  Paque  qui  attirait  alors  a  Jesus  un  si  grand 
nombre  de  visiteurs.  Cfr.  Joan,  vi,  4.  Les 
pelerins,  accourus  en  foule  de  loules  les  con- 
trees  septentrionales,  se  groupaient  a  Caphar- 
naiim  et  partaient  de  la  en  longues  caravanes 
pour  gagner  la  capitale  juive. 

32.  —  Abierunt  in  desertum.  M.  Stanley, 
dans  son  bel  ouvrage  sur  la  Terre-Sainte 
(Sinai  and  Palestine,  p.  278  de  la  9e  edit.), 
releve  lecaractere  solitaire  et  I'aspect  desert 
de  la  contree  situee  au  N.-E.  du  lac  de  Tibe- 
riade.  Moins  arrosee,  moins  fertile,  elle  avait 
beaucoup  moins  d'habilants  :  elle  convenait 
done  a  merveille  pour  le  but  que  se  proposait 
Notre-Seigneur.  G'est  la  qu'il  se  rendit  avec 
les  Douze.  apres  avoir  franchi  lelac  dei'ouest 
a  Test.  Cfr.  Joan,  iv,  4. 


-100 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


33.  Mais  beaucoup  les  virent 
parlir  on  le  surent  et  ils  accoiirurent 
a  pied  de  toutes  les  villes  et  arri- 
Terent  avant  eux. 

34.  Et^  en  sortant  de  la  barque, 
Jesus  vit  une  grande  foule  et  il  eut 
pitie  d'eux,  car  ils  etaient  comme 
des  brebis  sans  pasteurs,  et  il  com- 
mencaaleur  enseigner  beaucoup  de 
choses. 

33.  Et  comme  I'heure  etait  deja 
fort  avancee,  ses  disciples  s'appro- 
cherent,  disant  :  Ge  lieu  est  desert 
et  deja  I'heure  s'est  ecoulee. 

36.  Renvoyez-les,  atin  qu'ils  ail- 


33.  Et  viderunt  eos  abeuntes,  et 
cognoverunt  multi  :  et  pedestres  de 
omnibus  civitatibus  concurrerunt 
illuc,  et  prsevenerunt  eos. 

34.  Et  exiens  vidit  turbam  mul- 
tam  Jesus  :  et  misertus  est  super 
eos,  quia  erant  sicut  oves  non  ha- 
bentes  pastorem,  et  coepit  illos  do- 
cere  multa. 

Malth.  9,  36  el  14,  14. 

35.  Et  cum  jam  hora  multa  fieret, 
accesserunt  discipuli  ejus,  dicentes : 
Desertus  est  locus  hie,  et  jam  hora 
prseteriit : 

36.  Dimitte  illos,  ut  euntes  in 


b.  La  foule  rejoint  Jesus  qui  Vinstruit.  vi,  33-34. 

33.  —  Description  plastique  et  vivante, 
meme  pour  S.  Marc  oil  tout  est  si  vivant! 
—  Viderunt  eos  abeuntes.  Le  sujet  de  «  vide- 
runt »  n'est  pas  exprime,  mais  on  le  devine 
aisement.  G'est  la  foule  mentionnee  au  t.  31 
qui  viL  parlir  Jesus  avec  les  siens.  La  nou- 
Telle  passe  de  bouche  en  bouche  {cognoverunt 
multi:.  et  sugirere  aussitot  a  ce  bon  peuple  une 
resolution  admirable,  qui  nous  monlrejus- 
qu'a  quel  point  il  aimail  le  Sauveur.  —  Pe- 
destres... concurrerunt.  De  toutes  les  villes  et 
bouigades  balies  auN.-O.  du  lac,  sortent  des 
cenlaine-;  d'hommes,  de  femmes  et  d'enfants, 
tous  desireux  d«  rejoindre  I'orateur,  le  thau- 
niaiurge  si  populaire.  La  barque  qui  le  porle 
est  la-bas  sur  les  eaux;  tandis  que  tous  les 
regards  suivent  sa  direction,  les  pieds  mar- 
chent  au  plus  vile,  de  crainte  qu'il  n'aborde 
el  ne  s'entonce  dans  les  terres  avant  qu'on 
ait  pu  I'alteindre.  —  Prcevenei-unt  eos.  Comme 
il  est  moralement  impossible,  a  moins  de 
circonslances  exlraordinaires  qu'il  n'y  a  pas 
lieu  de  supposer  ici  (des  vents  conlraires  par 
exemple),  que  des  pietons,  partis  de  Caphar- 
naiim  et  des  alontours,  meltent  moins  de 
temps  a  contourner  la  mer  de  Galilee  jus- 
qu'au  dela  de  I'embouchure  du  Jourdain 
quun  bon  canot  n'en  mellrait  a  parcourir 
en  droite  ligne  la  distance  qui  separe  ces 
deux  points  (Voyez  la  carle  no  xvi  dans 
i'Allas  geogr.  de  M.  Ancessi),  nous  inclinons 
a  adopler  la  legon  «  venerunt  ad  eos  »  qu'on 
rencontre  dans  plusieurs  manuscrits.  De  la 
sorte  toute  ditliculle  disparait. 

34.  —  Exiens.  G'esl-a-dire,  ayant  debar- 
que;  ou  bien,  selon  d'autres'compar.  S.Jean, 
VI,  3),  ayant  quilte  le  sommel  d'une  pelile 
colline  sur  laquelle  il  elait  monte  avec  ses 
disciples  tandis   que   la   foule   approchaii. 


Voila  Jesus  et  les  Douze  frustres  de  la  re- 
traite  el  du  repos  qu'ils  s'etaient  promis! 
Mais  le  bon  Pasleur  s'oublie  lui-meme  pour 
ne  penser  qu'a  ses  pauvres  brebis!  —  Miser- 
tus est,  ianltxyx^na^ri :  son  divin  coeur  est  saisi 
d'une  indicible  pitie  au  souvenir  des  miseres 
morales  du  peuple  qui  I'enloure.  Ces  miseres 
sont  decrites  brievement,  mais  vivemenl,  a 
I'aide  d'une  reflexion  propre  a  S.  Marc, 
quoique  S.  Mallhieu  Tail  aussi  faile  en  un 
autre  endroil,  ix,  36.  (Voyez  le  commentaire, 
p.  189).  —  Oves  non  habentes  pastorem.  Rien 
ne  monlre  mieux  que  cetle  image  le  triste 
etal  mora!  dans  lequel  etait  alors  la  nation 
theocralique.  «  Les  Pharisiens,  ces  loups  de- 
voranls,  ne  nonrrissaient  pas  le  peuple;  au 
contraire,  ils  le  devoraient.  »  Theophylacte. 
Plaise  a  Dieu  que  les  brebis  du  Christ  n'aient 
a  leur  tele  que  des  pasteurs  fideles!  —  Do- 
cere  multa.  ((  Loquebaturillis  de  regno  Dei  », 
dit  S.  Luc,  IX,  11,  et  il  ajoute  :  «  Et  eos 
qui  cura  indigebant  sanabat.  » 

e.  Prdliminaires  du  miracle,  vi,  35-40. 

35  et  36.  —  Hora  multa  fieret.  C'est-a-dire 
«  vespers  facto  »,  Mallh.  xiv,  15.  Les  heures 
s'ecoulerent  vile  pour  la  foule  emue,  atten- 
tive, comme  pour  le  divin  oraleur.  II  y  avait 
de  part  et  d'autre  lant  de  charmes  soil  a 
distribuer  .soil  a  gouter  la  nourriture  spiri- 
tuelle!  Voici  pourlant  que  le  besoin  d'une 
autre  nourriture,  plus  grossiere  mais  non 
moins  necessaire,  menace  de  se  faire  sen- 
tir  d'une  maniere  embarrassanle,  et  les  dis- 
ciples s'approchent  de  Jesus  pour  le  lui  rap- 
peler  respectueusement.  En  ce  lieu  desert, 
lui  disent-ils,  il  est  impossible  de  se  procurer 
des  vivres,  el  voila  que  la  nuit  approclie  (dans 
le  texte  grec  on  lit  de  nouveau  «  hora  multa  », 
au  lieu  du  simple  hora  de  la  Vulgate).  II  est 
dom  'ismps  de  congedier  celte  foule,  si  vous 


CHAPITRE  VI 


101 


proximas  villas  et  vicos,  emant  sibi 
cibos,  quos  manducent. 

Luc.  9,  12. 

37.  Et  respondens  ait  illis  :  Date 
illis  vos  manducare.  Et  dixerunt  ei : 
Euntes  emamiis  ducentis  denariis 
panes,  et  dabimus  illis  manducare? 

38.  Et  dicit  eis  :  Quot  panes  habe- 
tis?  ite,  et  videte.  Et  cum  cognovis- 
sent,  dicunt  :  Quinque,  et  duos  pis- 
ces. 

39.  Et  prsecepit  illis  ut  accumbere 
facerent  omnes  secundum  contuber- 
nia  super  viride  foenum. 

Joan.  6,  iO. 

40.  Et  discubuerunt  in  partes,  per 
centenos  et  quinquagenos. 


lent  dans  les  villages  et  les  bourgs 
voisins  acbeter  des  aliments  qu'ils 
mangeront. 

37.  Et  il  leur  repondit  :  Donnez- 
leurvous-meme  a  manger.  Etils  lui 
dirent  :  Allons-nous  acheter  pour 
deux  cents  deniers  de  pain  afin  de 
leur  donner  a  manger  ? 

38.  Et  il  leur  dit  :  Gombien  de 
pains  avez-vous?  Allez  et  voyez. 
Et,lorsqu'ils  se  furent  informes,  ils 
dirent :  Cinq,  et  deux  poissons. 

39.  Et  il  leur  commanda  de  les 
faire  tons  asseoir  par  troupes  sur 
I'herbe  verte. 

40.  Et  ils  s'assirent  par  troupes 
decent  et  de  cinquante. 


voulez  qu'elle  n'aie  pas  a  soiiffrir  de  la  faim. 
—  Le  mot  villas  designs  les  metairies  isolees 
(aypou?  du  texLe  grec  a  ici  la  meme  significa- 
tion. Cfr,  Bretschneider,  Lexic.  man.  in  lib. 
N.  T.  t.  II,  p.  13);  vicos  represenle  les  bourgs 
et  les  villages.  —  Emant  sibi  cibos.  Beaiicoup 
sans  doiite  n'avaient  pas  pris  de  provisions 
au  moment  de  se  metlre  en  route,  car  ils  ne 
songeaient  qu'a  rejoindre  Jesus  ;  les  autres 
avaient  consomme  celles  dont  ils  s'etaient  mu- 
nis le  matin.  Au  lieu  de  «  cibos  »,  le  grec 
porte  dcpTou;,  «  panes  »,  ce  qui  constitue  un 
hebraisme,  le  mot  pain,  chez  les  Hebreux, 
servant  a  indiquer  toute  sorte  de  nourriture. 
Le  Cod.  sinai't.  a  pourtant  ppwiiara. 

37.  —  Date  illis  vos.  «  Vos  »  est  empha- 
tique.  A  quoi  bon  me  donner  ce  conseil? 
Vous,  ne  pourriez-vous  point  trouver  des  ali- 
ments pour  cette  foule?  —  Les  voila  tout 
troubles  par  la  reflexion  de  leur  Maitre.  Aussi 
repondent-ils  avec  une  legere  pointe  d'ironie  : 
Euntes  ematnus...?  S.  Jlarc  et  S.  Jean  ont 
seuls  conserve  cette  reponse  des  Douze,  mais 
avec  une  divergence  que  les  ralionalistes  se 
halent  de  nommer  contradiction.  S.  Augustin 
expose  en  quelques  mots  la  diffic.dle  et  la 
solution  :  «  Hoc  Philippus  apud  Joannem 
(vi,  7)  respondet,  sed  Marcus  a  discipulis 
responsum  esse  commemorat,  volens  intelligi 
hoc  ex  ore  ctnterorum  Philippum  respondisse ; 
quamquam  et  pluralem  nuaierum  pro  singu- 
lari  usilati^sime  ponere  potuerit.  »  De  cons. 
Evang.  1.  II,  c.  xlvi.  —  Ducentis  denariis. 
Le  denier  etait,  comme  Ton  sait,  la  plus  petite 
monnaie  d'argent  des  Remains  ;  il  servait 
souvent  d'unite  quand  on  avait  a  supputer 
une  sonime.  II  avait  cours  dans  toute  la  Pa- 
lestine. Sa  valeur  etait  d'environ  85  de  nos 


centimes  :  200  deniers  equivalaient  par  con- 
sequent a  170  francs,  ce  qui  etait  un  chiffre 
eleve  pour  cette  epoque. 

38.  —  Le  dialogue  se  poursuit  entre  le 
Maitre  et  les  disciples.  La  demande  de  Jesus, 
Quot  panes  habetis?  et  I'injonction  rapide  qui 
la  suit.  Ite  et  videte,  n'ont  ete  relalees  que  pj^ 
S.  Marc.  —  Cum  cognovissent.  Les  Apotie* 
n'avaient  avec  eux  aucune  sorte  de  viatique; 
mais,  comme  le  raconte  S.  Jean,  vi,  8,  avec 
plus  de  details,  ils  surent  bientot  qu'unjeune 
homme  mele  a  la  foule  possedait  cinq  pains 
d'orge  et  deux  poissons. 

39.  —  Prwcepit  illis...  Jesus,  ayant  a  sa 
disposition  cette  modeste  base  du  festin  mira- 
culeux  qu'il  allait  donner  a  des  milliers  de 
convives,  s'occupe,  comme  un  maitre  de  mai- 
son,  de  placer  convenablement  ses  holes. 
Notre  narrateur  redouble  ici  de  pittoresque 
et  d'exactilude.  —  Secundum  contubernia  : 
dans  le  grec,  aujjnToffta  (jutATOcia,  ce  redouble- 
ment  imite  de  I'hebreu  donnant  a  I'expression 
le  sens  distributif  de  «  catervatim,  per  ordi- 
nes  ».  G'est  comme  s'il  y  avait  avd  ou|j.7rQ(Tta. 
Voyez  Bretschneider,  1.  c,  t.  II,  p.  4o3;  Lighl- 
foot,  Hor.  hebr.  in  Marc,  h.  1.  —  Super  vi- 
ride foenum.  Le  frais  gazon  qui  abonde  dans 
la  plains  d'EI-Balihah  elait  alors  on  pleine 
croissance,  car  le  printemps  avait  deja  com- 
mence. Cfr.  Tristram,  Land  of  Israel,  p.  439. 
II  remplaga  les  divans  usites  aux  repas  des 
Juifs. 

40.  —  Discubuerunt  per  partes.  Nouvelle 
reduplication  distributive  dans  le  texte  grec, 
TrpacTiai  Ttpaatai,  c'est-a  dire,  par  groupes,  ou 
tres  gracieusement  d'apres  toute  I'energie  de 
I'expression,  «  areolalim  »,  comme  les  carres 
d'un  parterre,  npaatai  yap  li^o^ncti  Ta  ev  toi? 


402 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


41.  Et,  ayant  pris  les  cinq  pains 
et  les  deux  poissons,  levant  les  yeux 
au  ciel, il  benit  et  rompit  les  pains  et 
les  donna  a  ses  disciples  pour  qu'ils 
les  missent  devant  eux  tous,  et  il 
partagea  les  deux  poissons  entre 
tous. 

42.  Et  tous  mangerent  et  furent 
rassasies. 

43.Etils  emporterent  les  restes, 
des  fragments  remplissant  douze 
corbeilles,  et  des  poissons. 

44.  Or  ceux  qui  mangerent  etaient 
au  nombre  de  cinq  mille  hommes. 

45.  Et  aussit6t  il  obligea  ses  dis- 


41.  Et  acceptis  quinque  panibus 
et  duobus  piscibus,  intuens  in  coe- 
lum,  benedixit,  et  fregit  panes,  et 
dedit  discipulis  suis,  ut  ponerent 
ante  eos ;  et  duos  pisces  divisit  om- 
nibus. 

42.  Et  manducaverunt  omnes,  et 
saturati  sunt. 

43.  Et  sustulerunt  reliquias  frag- 
mentorum,  duodecim  copliinos  pia- 
nos, et  de  piscibus. 

44.  Erant  autem  qui  manducave- 
runt quinque  millia  virorum. 

45. Et  statim  coegit  discipulos  suos 


'7ro/.),d-/i?),dxava.  Theophylacte.  Si  Ton  se  sou- 
vient  que  les  Orientaux,  fussent-ils  tres 
pauvres,  aiment  a  se  couvrir  de  vetements 
multicolores,  on  comprend  mieux  encore 
celte  ingenieuse  comparaison,  communiquee 
selon  loute  vraisemblance  a  noire  narraleur 
par  S.  Pierre,  sa  source  vivante,  qui  avail  ete 
lemoin  du  fait.  —  Per  centenos  et  quinqua- 
genos.  Indicalion  un  peu  obscure,  qui  a  eie 
diversement  interpreiee.  D'apres  quelques 
auteurs,  elle  signifierait  simplement  que  les 
convives  avaient  ete  partages  en  groupes  de 
cenl,  qui  alternaient  avec  des  groupes  de 
cinquanle.  L'opinion  de  M.  Schegg  est  plus 
compliquee.  Selon  ce  savant  exegete,  les  botes 
de  Jesus,  distribues  comme  le  raconte  I'Evan- 
geliste,  auraient  forme  un  quadrilatere  com- 
pose de  cinquante  files  qui  contenaient  cent 
hommes.  Nous  preferons  nous  represenler 
I'assemblee  divisee  en  une  vingtaine  de 
groupes  dont  chacun  avail,  commeles  tables 
des  anciens,  ia  forme  d'un  fer  a  cheval  et 
conlenail  2o0  hommes,  deux  lignes  de  400 
reunies  par  une  ligne  de  50.  Quoi  qu'il  en 
soil,  le  but  de  ce  placement  est  facile  a  com- 
prendre.  Jesus  voulail  d'une  part  rendre  la 
distribution  des  vivres  plus  facile,  d'autre 
part  eviler  la  confusion  qui  n'eut  pas  manque 
de  se  produire  si  chacun  des  5000  convives 
avail  ete  abandonne  a  sa  propre  inspiration. 

d,  Le  miracle,  vi,  4t-44. 

41 .  —  Quelle  simplicite  dans  le  recit  de  cet 
etonnant  prodige  !  On  croirait  que  les  Evange- 
listes  raconlent  la  chose  la  plus  simple  et  la 
plu^  naturelle.  —  Benedixit.  Ce  mot  designe 
probablement  la  priere  que  le  pere  de  famille, 
chez  les  Juifs,  recilail  au  nom  de  tous  avant  le 
repas.  —  Dedit,  en  grec  eSt'Sou  a  I'imparfait;  ce 
qui  suppose  que  le  Sauveur  ne  remit  pas  en  une 


seule  fois  tous  les  pains  aux  Apotres,  mais 
qu'il  leur  donnait,  par  des  actes  repetes,  les 
fragments  qui  se  multipliaient  entre  ses  mains 
divines. 

42-44.  —  Details  qui  onl  tous  pour  fin  de 
rehausser  la  grandeur  du  miracle.  \'>  t.  42. 
Non  seulement  tous  mangerent,  mais  tous 
furent  rassasies.  2°  t.  43.  Apres  que  chacun 
eut  mange  selon  son  appetit,  les  Apotres,  sur 
I'ordre  de  Jesus,  Joan,  vi,  i2,  ramasserent 
douze  corbeilles  pleines  de  restes,  c'esl-a-dire 
plus  de  douze  fois  la  quantite  de  pain  qui 
avail  servi  de  matiere  au  prodige.  3"  t.  44. 
Les  convives  etaient  au  nombre  de  cinq  mille; 
sans  compter  les  femmes  el  les  enfants,  ajoute 
S.  Mallhieu,  xiv,  22.  «  C'etail  la  I'oeuvre 
d'une  puissance  surabondante...  Si  Moise 
donnait  la  manne,  il  n'en  donnait  a  chacun 
que  le  necessaire...  Elie,  nourrissanl  la  veuve, 
ne  lui  donnait  non  plus  que  le  necessaire. 
Jesus  seul,  comme  Seigneur,  agit  d'une  ma- 
niere  surabondante.  »  Theophylacte.  Elisee 
pourtanl,  IV  Reg.  iv,  42-44,  avail  opere  un 
jour  un  miracle  analogue  a  celui  du  Sauveur; 
mais  il  avail  eu  vingi  pains  a  sa  disposition 
et  seulement  cent  hommes  a  nourrir. 

17.  —  J^sus  marche  sur  les  eauz.  ti,  45-53. 
Parall.  Matlb.  xiv,  22-33;  Joan,  vi,  14-21. 

Le  recit  de  ce  miracle,  dans  le  second  Evan- 
gile,  suit  de  tres  pres  celui  de  S.  Mallhieu; 
mais  il  I'emporte  de  nouveau  par  la  vivacite 
des  couleurs  et  le  grand  nombre  des  details. 

45.  —  Et  statim  :  immediatement  apres  le 
prodige  de  la  mullipiicalion  des  pains.  Le 
moindre  delai  aurail  pu  avoir  des  conse- 
quences facheuses,  et  permellre  a  la  foule 
enthousiasmeedes'entendre  avec  les  Apotres, 
pour  executer  le  plan  qu'elle  avail  congu  de 
s'emparer  du  Sauveur  el  de  le  proclamer  Roi- 
Messie.  Cfr.  Joan,  vi,  14  et  15,  et  I'Evang. 


CHAPITRE  VI 


4  OS 


ascendere  navirn ,  ut  prsecederent 
eum  trans  fretum  ad  Bethsaidam, 
dum  ipse  dimilteret  populum. 

46.  Etcum  dimisisset  eos,  abiit  in 
montem  orare. 

47.  Et  cum  sero  esset,  erat  navis 
in  medio  mari,  et  ipse  solus  in  terra. 

48.  Et  videns  eos  laborantes  in 
remigando  (eratenim  ventus  contra- 
rius  eis),  et  circa  quartam  vigiliam 
noctis  venit  ad  eos  ambulans  supra 
mare  :  et  volebat  prseterire  eos. 

Matth.  14,  25. 


ciples  a  monter  dans  la  barque, 
pour  le  preceder  de  I'autre  cote  de 
la  mer,  a  Belhsaida,  pendant  qu'il 
renverrait  le  peuple. 

46.  Et,  lorsqu'il  Teut  renvoye,  il 
alia  sur  la  montagne  pour  prior. 

47.  Et  quand  le  soir  fut  venu,  la 
barque  etait  au  milieu  de  la  mer,  et 
lui  etait  seul  a  terre. 

48.  Et  les  voyant  se  fatiguer  a 
ramer,  car  le  vent  leur  etait  con- 
traire,  vers  la  quatrieme  veille  de  la 
nuit  il  vint  a  eux  marchant  sur  la 
mer;  et  il  voulait  les  devancer. 


«elon  S.  Matth.  p.  295.  Sachant  bien  que  les 
Doiize  n'auraient  que  Irop  seconde  ce  dessein 
du  peuple,  Jesus  les  forga,  en  quelque  sorte 
malgre  eux  [coegit],  de  s'embarquer  en  toule 
hate,  et  de  se  dlriger  vers  la  rive  occiden- 
tale.  Comparez  le  t.  32  et  I'explication.  — 
Ad  Dethsaklam.  C'cst  la,  dans  la  patrie  de 
trois  d'enlre  eux,  Simon-Pierre,  Anrlre  et 
Simon-le-Cananeon,  qu'il  leur  fixail  un  pro- 
chain  rendez-vous.  Et  pourtant,  d'apres 
S.  Luc,  IX,  10,  le  lieu  desert  dans  lequel 
venait  d'avoir  lieu  le  feslin  merveilleusement 
improvise  par  Nolre-Seigneur  s'appelait  aussi 
Bethsaida  :  «  Assumplis  illis  (Apostolis)  se- 
cessit  seorsum  in  locum  deserium,  qui  est 
Bethsaidae.  »  Que  conclure  de  la?  Que  le  se- 
cond et  le  troisieme  Evangeliste  sent  en  des- 
accord?  Nullement,  mais  qu'il  existait  dans 
la  Palestine  du  Nord  deux  cites  du  meme 
nom,  dont  I'une,  celle  que  les  disciples  quit- 
taient,  surnommee  Julias  en  I'honneur  de  la 
fille  d'Auguste,  etait  situee  a  I'Est  du  Jour- 
dain,  a  peu  de  distance  de  I'endroit  oil  ce 
fleuve  penetre  dans  la  mer,  tandis  que  I'autre, 
celle  oil  lis  se  rendaient,  s'elevait  a  peu  de 
distance  de  Capharnaiim,  au  N.-O,  du  lac  de 
Tiberiade.  Voyez  le  Bibel-Allas  de  R.  Riess, 

Kl.  IV ;  I'Atlas  geogr.  de  M.  Ancessi,  pi.  xvi; 
:aumer,  Palae-tina,  4e  ed.  p.  122;  Porter, 
Handbook  for  Travellers  in  Syria  and  Pales- 
tine, 1875,  p,  407;  parmi  les  auleurs  plus 
anciens,  Reland,  PalaesLina  ex  monum.  vete- 
rib.  illustrala,  p.  654. 

46  et  47.  —  Dimisisset  eos,  Le  pronom  de- 
signe  la  foule  et  non  les  disciples.  Dans  le 
texte  grec,  le  verbe  n'est  pas  le  meme  qu'au 
■*•.  45.  La  nous  avisons  aTroXiJori,  tandis  qu'ici 
on  lit  a7toTa|a(i,£vo;,  ayant  dit  adieu.  —  Sero 
represenle  les  premieres  lueurs  de  la  nuit, 
puisque,  des  ie  t.  35,  il  etait  deja  tard, 
«  hora  multa  ».  —  In  medio  mari.  Le  verset 


suivant  nous  indiquera  le  motif  pour  lequel 
les  Apotres  n'avaient  pas  encore  pu  franchir 
la  distance  asscz  courte  qui  separe  les  ports 
des  deux  Belhsaida  :  ils  avaient  «  vent  de- 
bout  »,  comme  disent  les  marins,  et  ne  pou- 
vaient  avancer  que  tres-lentement.  —  Ipse 
solus  in  terra.  Beau  contrasle,  qui  fait  ta- 
bleau :  d'une  part  Jesus,  completement  seul, 
priant  au  sommet  d'une  colline  dans  le  si- 
lence du  desert  et  de  la  nuit;  de  ^c^ulre  les 
Douze,  dans  un  frele  esquif  violemment  agile 
par  les  vagues  en  furie,  et  ramant  de  toutes 
leurs  forces. 

48.  —  Vidms  eos.  Jesus  apergut  ses  dis- 
ciples soit  d'une  maniere  surnaturelle,  soit 
plus  vraisemblablement  de  ses  propres  yeux, 
du  bord  du  rivage  :  la  nuit  pouvait  6tre 
claire,  malgre  le  vent,  et  Ton  nous  a  dit  que 
les  Apotres  n'avaient  pu  reussir  a  s'eloigner 
beaucoup.  —  Laborantes  in  remigando.  L'ex- 
pression  grecque  traduite  par  ces  mots  est 
d'une  rare  energie  :  pacravi!;o[XE'vo\j?  ev  tw  sXau- 
vEtv;  litteralement  :  tortures  a  ramer.  Plus 
d'une  fois,  porte  nous-meme  sur  un  leger 
canot  au  milieu  des  flots  de  I'Ocean  que  sou- 
levait  un  vent  contraire,  nous  avons  pu  voir 
combien  etait  penible  en  de  telles  conditions 
Paction  de  ramer,  de  «  nager  »,  comme  di- 
sent familierem(?nt  les  malelots.  Le  mot  de 
S.  Marc  est  done  plein  de  couleur  locale  : 
S.  Pierre,  qui  le  lui  avait  sans  doute  suggere, 
se  souvenait  encore,  apres  de  longues  annees, 
des  rudes  labeurs  de  celte  nuit  orageuse.  — 
Circa  quartam  vigiliam.  La  premiere  des 
quatre  subdivisions  (appelees  veilles)  dont  se 
composait  alors  la  nuit  chez  les  Juifs  com- 
mengait  a  6  h.  du  soir,  la  seconde  a  9  h,,  la 
troisieme  a  minuit,  la  quatrieme  a  3  h.  du 
matin.  11  etait  par  consequent  de  2  k  4  h. 
quand  Jesus  s'avanga  vers  ses  disciples  en 
marchant  sur  les  eaux  du  lac,  affirmant  ain&i 


404 


EVANGILE   SELON  S.  MARC 


49.  Mais  eiix,  lorsqu'ils  le  virent 
marcher  sur  la  mer,  crurent  que 
c'etait  un  fantome,  et  ils  jeterent  des 
cris. 

oO.  Car  tons  le  virent  et  ils  furent 
epouvantes.  Et  aussitot  il  leur  parla 
et  leur  dit  :  Ayez  confiance,  c'est 
moi,  ne  craignez  point. 

51.  Et  il  monta  aupres  d'eux  dans 
la  barque  et  le  vent  cessa.  Et  ils 
etaient  bien  plus  stupefaits  inte- 
rieurement. 

52.  Gar  ils  n'avaient  pas  compris 
au  sujet  des  pains;  en  effet,  leur 
coeur  etait  aveugle. 


49.  At  illi,  ut  viderunt  eum  am- 
bulantem  supra  mare,  putaverunt 
phantasma  esse,  et  exclamaverunt. 

50.  Omnes  enim  viderunt  eum,  et 
conturbati  sunt.  Et  statim  locutus 
est  cum  eis,  et  dixit  eis  :  Gonfidite, 
ego  sum,  nolite  timere. 

51.  Et  ascendit  ad  illos  innavim, 
et  cessavit  ventus.  Et  plus  magis 
intra  se  stupebant. 

52.  Non  enim  intellexerunt  de  pa- 
nibus  :  erat  enim  cor  eorum  obcas- 
catum. 


sa  royaiite  sur  la  nature,  dont  il  renversait 
par  un  eclatant  prodige  les  lois  accoulumees. 
—  Volebat  prceterire  eos.  C'esl-a-dire,  «  prae 
se  I'erebaL  quasi  vellet  eos  prteterire  ». 
Fr.  Luc.  Cfr.  August,  de  Cons.  Evang.  1.  ii, 
c.  47;  Corn,  a  Lap.  h,  1.,  etc.  S.  Marc  parle 
au  point  de  vue  des  apparences  exterieures. 
De  fail,  Notre-Seigneur,  s'approchant  de  la 
barque  et  faisant  quelques  pas  sur  les  flots 
dans  una  direction  parallele  a  celle  qu'elle 
suivait,  semblait  vouloir  la  depasser.  C'etait 
une  maniere  d'eprouver  la  foi  des  Douze  : 
plus  tard,  il  eprouva  d'une  faQon  analogue 
les  deux  pelerins  d'Euimaiis,  Luc.  xxiv,  28. 
II  n'y  a  done  pas  la  moindro  contradiction 
entre  le  recit  de  S.  Marc  et  ceiui  de  S.  Jean. 
Voyez  Joan,  vi,  14-21  et  le  commentaire. 

49  el  50.  —  Deux  scenes  rapides  et  tou- 
chantes.  La  premiere  est  une  scene  d'effroi, 
la  seconde  une  scene  d'encouragemenl  et  de 
reconfort.  —  Putaverunt  j:ihantasma  esse.  Des 
qu'iis  apergurent  cette  forme  majestueuse  qui 
glissail  sur  les  flots,  les  Apolres  supposerent 
que  c'etait  un  de  ces  fantumes  dont  se  re- 
pait  I'imaginalion  populaire,  ou  Fame  d'un 
mort,  ou  en  general  qudque  apparition  dan- 
gereuse.Ils  pousserent  alors  une  exclamation 
de  frayeur.  Plus  lard  encore,  apres  sa  Resur- 
rection, ilsprendronl  Jesus  pour  un  fantome. 
Cfr.  Luc.  XXIV,  36  et  37.  —  Et  slatim  locu- 
tus est.  Leur  effroi  ne  dura  qu'un  instant,  car 
le  boil  Maitre  se  hata  de  les  rassurer  en  se 
faisant  connaitre.  —  S.  Marc  passe  cntiere- 
ment  sous  silence  un  incident  qui  se  pro- 
duisit  alors,  et  dont  S.  Pierre  fut  le  heros. 
Cfr.  Mattli.  XIV,  28-31  etie  commentaire.  Sur 
les  motifs  de  cette  omission,  vovez  la  Preface, 
§IV,4. 

51 .  —  Cessavit  ventus.  Cet  apaisement 
subit,  qui  coincida  avec  I'entree  de  Jesus  dans 
la  barque,  doit  etre  regarde  comme  le  resul- 


tatd'unnouveau  miracle.  Celaressort  du  con- 
texte  d'une  maniere  tres  evidente.  Pourquoi 
en  effet  la  recrudescence  d'admiration  de  la 
part  des  disciples,  signalee  immediatement 
apres  par  rEvangelist",  s'il  ne  se  fut  agi 
que  d'un  fait  nalurel?  On  sail  du  reste  qu'un 
vent  violent  ne  cesse  pas  tout  dun  coup, 
mais  qu'il  lui  faut  un  certain  temps  pour  se 
calmer. — Plus  magis...  stupebant.  Nousavons 
a  noter  ici  deux  expressions  tres  fortes  du 
texte  grec,  par  lesquelles  I'ecrivain  sacre  a 
voulu  metlre  en  relief  le  caractere  extraor- 
dinaire de  I'etonnement  des  Douze.  C'est 
d'abord  la  locution  adverbiale),tav  t/.  Tisptcrffou, 
«  valde  supra  modum  »,  a  peine  traduisible 
en  frangais.  C'est  ensuite  le  verbe  £?t(7TavTo, 
qui  denote  une  sorte  d'extase,  de  ravisse- 
ment,  et  qui  est  encore  corrobore  par  un 
autre  verbe,  eSaufia^ov.  On  dirait  que  S.Marc, 
ne  sachant  comment  exprimer  la  stupefaction 
des  Apolres,  accumule  les  synonymes  pour 
en  donner  au  moins  une  idee. 

52.  —  Non  enim...  Les  deux  «  enim  » 
que  nous  rencontrons  coup  sur  coup  dans  ce 
versel,  montrent  que  I'Evangelisle  se  propose 
d'expliquer  pourquoi  les  disciples,  habitues 
cependant  a  tant  de  miracles,  avaient  ete  si 
frappes  de  ceux  qu'iis  avaient  vus  en  dernier 
lieu.  C'est  la  une  note  speciale  a  S.  Marc  : 
elle  nous  ouvre  un  horizon  des  plus  instruc- 
tifs,  non  toulefois  des  plus  consolanls,  sur 
I'etat  moral  du  college  apostolique  a  cette 
epoque  de  la  vie  de  Jesus. —  iVo>t...  intellexe" 
runt.  lis  n'avaient  done  pas  compris  le  pre- 
mier des  trois  prodiges  recemment  operas 
par  leur  Maitre.  L'Evangelisle  semble  vouloir 
insinuer  que  leur  peu  d'inlelligence  sur  ce 
point  provenait  du  defaul  de  reflexion.  S'ils 
eussent  reflechi,  il  leur  eut  ele  aise  de  com- 
prendre  que  rien  n'elait  impossible  a  Notre- 
Seigneur,  et  aucun  miracle   ne  les  auraifc 


CHAPITRE  VI 


405 


53.  Et  cum  transfretassent,  vene- 
runt  in  terrain  Genesareth,  et  appli- 
cuerunt. 

Matth.  14,  34. 

54.  Cumque  egressi  essent  de  na- 
Ti,  continue  cognoverunt  eum  : 

55.  Et  percurrentes  universam  re- 
gionem  illam,  coeperunt  in  grabatis 
eos,  qui  se  male  habebant,  circum- 
ferre,  ubi  audiebant  eum  esse. 

56.  Et  quocumque  introibat,  in 
vicos,  vel  in  villas,  aut  civitates,  in 
plateis  ponebant  infirmos,  et  depre- 
cabantur  eum,  ut  vel  fimbriam  ves- 


53.  Et  apres  avoir  traverse  la  mer, 
ils  vinrent  dans  le  pays  de  Genne- 
sareth  et  aborderent. 

54.  Et,  lorsqu'ils  furent  sortis  de 
la  barque,^ /e5  gens  clu  pays  aussitot 
le  reconnurent. 

55.  Et,  parcourant  toute  cette 
contree,  ils  commencerent  a  lui  ap- 
porter  dans  leurs  grabats  ceux  qui 
etaient  malades,  la  oil  ils  enten- 
daient  dire  qu'il  etait. 

56.  Et  partout  oii  il  entrait,  dans 
les  bourgs,  dans  les  villages  ou 
dans  les  villes,  on  mettait  les  ma- 
lades sur  les  places  publiques,  et  on 


etonnes  de  sa  part.  —  Erat  enim...  Slupe- 
faits  parce  qu'ils  n'ont  pas  compris,  ils  n'ont 
pas  compris  parce  qu'ils  ont  iin  coeur  lent  a 
percevoir,  «  endurci  ».  Tel  est  en  effet  le 
sens  dii  participe  ■nE7topw|XEvy),  que  la  Vulgate 
a  traduit  par  obcoeratum.  Ge  sont  d'ailleurs 
deux  images  egalement  exacles.  S.  Paul  ne 
parle-t-il  pas,  Eph.  i,  48,  des  «  yeux  illumi- 
nes du  coeur  »  ? 

18.  —  Miracles  de  gu^rison  dans  la  plaine 
de  Genn6sareth.  vi,  53-56.  —  Parail.  Malih. 
XIV,  34-36. 

On  admire  de  nouveau,  dans  cette  petite 
narration,  la  richesse  de  details  et  la  vie  de 
notre  Evangeliste. 

53.  —  In  terram  Genesareth.  La  terre  de 
Gennesareth,meniionneeiciseulementetdan3 
le  passage  parallele  de  S.  Matlhieu,  est  une 
belle  plaine  en  forme  de  croissant,  situee  a 
I'Ouest  du  lac  de  Tiberiade  auquel  elle  a 
parfois  prete  son  nom.  Josephe,  Bell.  Jud. 
Ill,  10,  8,  la  compare  a  un  paradis  a  cause 
de  sa  fertilite.  —  Applicuerunt,  7tpo(7wp[jiiu6r)- 
<7av:terme  nautique  qu'on  ne  trouve  qu'en 
cet  endroit  du  Nouveau  Testament. 

54.  —  Continuo  cognoverunt  eum.  A  peine 
debarque,  Jesus  fut  reconnu  par  les  habitants 
du  lieu,  car  le  jour  avait  lui  dans  I'intervalle. 
Cfr.  t.  48.  Le  divin  Thaumaturge,  si  popu- 

?   laire  dans  toute  la  Galilee,  ne  pouvait  plus 

>   cacher  sa  presence,  surtout  a  une  si  courte 

distance  de  Capharnaiim.  Ses  traits,  une  fois 

contemples,  se  gravaient  dans  la  memoire 

d'une  maniere  ineffagable. 

55.  —  Et  percurrentes...  Serie  de  traits 
extremement  pittoresqups.  Nous  voyons  pour 
ainsi  dire  ces  bons  Gajileens  courir  a  travers 
la  grande  plaine  d'El-Ghuveir,  pour  repandre 
dans  Jes  moindres  hameaux  la  nouvelle  de 


I'arrivee  de  Jesus,  revenir  portant  des  ma- 
lades sur  leurs  epaules,  puis,  ne  trouvant 
plus  le  Sauveur  oil  ils  I'avaient  laisse,  parce 
qu'il  s'etait  avance  plus  loin,  s'informer  de 
sa  nouvelle  residence,  et  s'y  rendre  toujours 
charges  de  leur  pieux  fardeau,  qu'ils  prome- 
naient  ainsi  forcemenl  en  divfrs  lieux  {cir- 
cumferre).  —  Ubi  audiebant  eum  esse.  La  phrase 
grocque  est  moins  obscure  :  ot:o\>  •J^xouov  oti 
iv.tX  £(jtI;  ils  portaient  les  malades  «  la  oil  ils 
appienai(^nt  qu'il  se  trouvait.  »C'est  du  reste 
un  hebraisme  manifesto  :  I'tUa  Vj'OiiJ  "iD 
Nin  D'Q^-  Sur  Ips  grabats,  voyez  ii,  4  et  I'ex- 
plicalion.  —  «  Vide  quanta  fid'es  sit  hominum 
terrse  Genesareth,  ut  non  praesentium  tantum 
salute  content!  sint,  sed  mittant  ad  alias  per 
circuitum  civitates,  quo  omnes  currant  ad 
medicum.  »  Bede. 

56.  —  Autre  exemple  de  celle  foi  admi- 
rable. —  hi  vicos,  vel  in  villas,  vel  in  civi- 
tates. Le  grec  dit,  avec  une  legere  modifica- 
tion, ef;  xwfAai;,  ^  7t6)>£ii;,^  a.ypo\i<;,  ne  mention- 
nant  les  metairies  qu'apres  les  villes.  Cette 
nomenclature,  oil  nous  trouvons  reunis  pres- 
que  tous  les  noms  qui  servent  a  designer  les 
differentes  agglomerations  d'habitations  hu- 
maines,  suppose,  et  c'etait  vrai,  que  la  plaine 
de  Gennesarelh  nourrissait  une  population 
considerable.  —  Ut  vel  fimbriam.  Les  ma- 
lades etant  sans  doute  trop  nombreux  pour 
que  Jesus  leur  imposat  individuellemenl  les 
mains,  on  conjurait  le  bon  Maitre  de  leur 
laisser  au  moins  toucher  ses  tzizzilh,  c'est-a- 
dire  les  franges  de  son  manteau.  Voyez  I'E- 
vang.  selon  S.  Matth.  p.  439.  On  savait  ap- 
paremment  que  rhemorrhoi'sse  avait  ete  gue- 
rie  par  leur  contact,  v,  27  ;  Cfr.  Matth.  ix,  20. 
—  Salvi  fiebant.  L'imparfait  sert  a  indiquer 
une  coutume,  un  fait  qui  se  renouvelait  sans 
cesse.  Jesus  dut  passer  quelques  jours  de  pais 


406 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


le  priait  de  les  laisser  au  moins 
toucher  la  frange  de  son  vetement. 
et  tous  ceiix  qui  le  touchaient 
etaient  gueris. 


timcTili  ejus  taugerent :  et  quotquot 
taiigebant  eunij'salvi  fiebant. 


CHAPITRE  Vn 


Des  Pharisiens  et  des  Scribes  de  Jerusalem  accusent  les  disciples  de  violer  les  traditions 
juives  [tt.  1-5).  —  Jesus,  prenant  la  defense  des  siens,  montre  le  caraclere  irreligieux  de 
ces  Iradilions  hiimaines  {tt.  6-13).  —  Grand  principe  du  pur  et  de  I'impur  (tt.  14-16).  — 
Explication  de  ce  principe  (tt.  17-23).  —  Jesus  se  retire  sur  la  frontiere  de  la  Phenicie 
(t.  24).  —  II  guerit  la  fille  de  la  Chananeenne  (tt.  25-30).  —  II  revient  en  Galilee  apres 
avoir  franchi  tout  le  Nord  du  pays  (t.  31).  —  Guerison  d'un  sourd-muet  [tt.  32-37). 


1.  Et  les  Pharisiens  et  plusieurs 
Scribes  venus  de  Jerusalem  s'as- 
semblerent  aupres  de  Jesus. 

2.  Et  comme  ils  virent  quelques- 
uns  de  ses  disciples  manger  du  pain 
avec  des  mains  impures,  c'est-a- 
dire  non  lavees,  ils  les  blamerent. 


1 .  Et  conveniunt  ad  eum  PhaH- 
ssei,  et  quidam  de  Scribis,  venientes 
ab  Jerosolymis. 

2.  Et  cum  vidissent  quosdam  ex 
discipulis  ejus  communibus  mani- 
bus,  id  est  non  lotis,  manducare  pa- 
nes, vituperaverunt. 

Malth.  15,^. 


et  de  bonheur  an  milieu  de  cette  population 
respectueuse  et  ainaante. 

19.  —  Conflit  avec  les  Pharisiens  k  propos 
du  pur  et  de  I'lmpur.  vii,  1-23.  —  Parall. 
Matlh.  XT,  1-20. 

Chap.  vii.  —  1.  —  Conveniunt  ad  eum. 
Les  jours  de  bonheur  dont  nous  parlions  plus 
haut  nefurent  pas  de  longueduree.  Voici  deja 
que  les  Pharisiens  et  les  Scribes  se  chargent 
de  les  interrompre.  Au  reste,  les  conflits 
vont  desormais  se  multiplier  entre  Jesus  et 
ses  adversaires  :  le  divin  Maitre  en  profitera 
pour  meltre  ses  disciples  en  garde  centre  la 
corruption  morale  et  I'hypocrisie  des  Phari- 
siens. Le  verbe  «  conveniunt  »  designe  une 
reunion  officielle.  —  ^6  Jerosolymis.  S.  Marc, 
comme  S.  Matlhieu,  semble  appuyer  sur  le 
nom  de  Jerusalem.  Les  nouveaux  arrivants 
n'etaient  pas  les  premiers  venus,  mais  bien 
des  Docteurs  de  la  capitale!  On  admet  gene- 
ralement  qu'ils  avaient  ete  delegues  tout 
expres  pour  aller  epier  et  atlaquer  Jesus. 
Les  Pharisiens  de  Galilee,  ne  se  sentant  pas 
capables  de  lenir  tele  a  Notre-Seigneur, 
avaient  demande  du  renfort  a  ieurs  amis  de 
Jerusalem,  et  ceux-ci  leur  envoyaient  en  ce 
moment  Ieurs  Scribes  les  plus  habiles. 

2.  —  Le  fail  signale  dans  ce  verset,  et  le8 


notes  archeologiques  qui  leur  servent  de  com- 
mentaires  dans  les  deux  suivanls,  forment 
une  de  ces  nombreuses  special i les  qu'on  ren- 
contre a  chaque  page  du  second  Evangile. 
Ce  fait  et  ces  notes  contiennent  un  document 
important  pour  I'histoire  de  I'epoque  oil  vi- 
vait  Notre-Seigneur.  —  Cum  vidissent  quos- 
dam... Telle  fut  I'occasion  du  conflit.  Remar- 
quons  bien  que  ce  n'etaient  pas  tous  les  dis- 
ciples de  Jesus,  mais  seulement  quelques-uns 
d'entre  eux,  qui  s'etaient  donne  la  liberie 
incriminee  par  les  Scribes,  ce  qui  n'empe- 
chera  pas  ces  rigoristes  de  generaliser  I'ac- 
cusation,  t.  5,  el  de  parler  comme  si  les 
partisans  du  Sauveur  omettaient  reguliere- 
menl  les  ablutions  tradilionnelles.  —  Ciim- 
munibus  manibus;  de  meme  en  grec,  y.oivati 
Xepffi.  «  Les  Hebreux  appelaienl  communes, 
dit  fort  bien  D.  Calmet,  h.  1.,  les  choses  qu'on 
employail  a  des  usages  communs,  parce 
qu'on  presumait  qu'etant  touchees  indiffe- 
remment  par  loutes  sortes  de  personnes,  il 
est  moralemenl  impossible  qu'elles  ne  con- 
tractent  quelques  souillures,  au  lieu  que  les 
choses  et  les  personnes  saintes  et  pures 
etaient  separees  de  tout  usage  commun  et 
profane  ».  Cfr.  I  Mach.  i,  47,  62;  Act. 
X,  4  4,  28  ;  XI,  8 ;  Rom.  xiv,  1 4  ;  Hebr.  x,  29 ; 
Apoc.  XXI,  27.  «  Avec  des  mains  profanes  », 


CHAPITRE  VII 


i07 


3.  Pharissei  enim,  et  omnes  Ju- 
dsei,  nisi  crebro  laverint  manus,  non 
manducant ,  tenentes  traditionem 
seniorum  : 

4.  Et  a  foro,  nisi  baptizentur,  non 
comedunt :  et  alia  multa  sunt,  quae 
tradita  sunt  illis  servare,  baptismata 
calicum,  et  urceorum,  et  seramento- 
rum,  et  lectorum. 


3.  Gar  les  Pharisiens  et  tous  les 
Juifs  ne  mangent  point  sans  se  laver 
souvent  les  mains,  gardant  la  tra- 
dition des  anciens. 

4.  Et,  en  revenant  de  la  place  pu- 
blique,  ils  ne  mangent  pas  sans 
s'etre  laves ;  et  il  y  a  beaucoup  d'au- 
tres  choses  qui  leur  ont  ete  trans- 
mises  et  qu'ils  observent,  le  lavage 
des  coupes  et  des  vases  de  terre  et 
d'airainet  deslits. 


tel  est  done  le  sens  de  cette  expression  tech- 
nique. D'ailleurs,  le  narrateur  I'explique 
pour  ses  lecteurs  non-jiiifs,  en  ajoulant  aus- 
sitot  :  id  est  nonloiis.  —  Le  verbe  eixepupav-ro 
de  la  Recepta  grecque  {vituperaverunt  de  la 
Vulgate)  est  omis  par  quelques  manuscrits 
et  par  quelques  versions.  Peut-etre  serait-il 
apocryphe.  Dans  ce  cas.  la  phrase,  entr'ou- 
verte  apres  panes  pour  recevoir  la  parenthese 
formee  par  les  tt.  3  et  4,  ne  s'acheverait 
qu'au  f.  5. 

3  et  4. —  Nouvelles  explications,  en  faveur 
des  Chretiens  romains  pour  lesquels  ecrivait 
S.  Marc.  11  y  est  fait  mention  de  trois  especes 
d'ablutions  usitees  chez  les  Juifs,  et  regar- 
dees  comme  strictement  obligatoires  par  le 
parti  pharisaique.  —  ^o  Les  ablutions  des 
mains  avant  les  repas.  —  Phariswi  et  omnes 
Judcei.  Restreintes  d'abord  a  la  secte,  elles 
etaient  devenues  peu  a  peu,  grficis  a  son  in- 
fluence, d'un  usage  presque  general  chez 
les  Juifs  contemporains  de  Notre-S"''-rneur. 
Elles  avaient  lieu  frequemment,  creuvo,  et 
sur  le  moindre  pretexte,  mais  tout  ?;peciale- 
ment  avant  les  repas.  Yetre  fidele  s'appelait 
«lenir(legrec-/.paTouvT£;estd'une  grandeener- 
gie)  les  traditions  leguees  par  les  Anciens.  » 
Cfr.  II  Thess.  ii,  1 4.  —  Nous  venons  de  tra- 
duire  la  locution  Tcuyttig  a  la  faQon  de  la  Vul- 
gate [«  crebro  »),  de  la  version  copte  et  de  la 
version  gotliique  (ufta  =  «  oft »  des  Allemands), 
qui  auront  sans  doute  lu  uuxva  (c'est  la  legon 
du  Codex  Sinalt.).  Mais  telle  n'esl  pas,  selon 
toiite  vraisemblance,  sa  veritable  interpre- 
tation. Les  exegetes  anciens  et  modernos  ont 
vivemenl  discute  a  son  sujet.  D'apres  Theo- 
phyldcte  et  Euthymius,  le  subslanlif  uuy(i^ 
aurait  servi  a  designer  tout  I'avant-bras 
(iTUYiAri  )iYeTai  ih  aiio  xoO  aYXt^vo;  dtxpi  xal  twv 
expdw  oaxTuXwv,  Tlieophyl.).  Par  consequent, 
TcwY[j.r)  v{7CT£(76ai  signifierait :  se  laver  la  partie 
du  bras  comprise  entre  le  coude  et  I'extre- 
laile  des  doigts.  L'emploi  du  datif  rend  cette 
explication  peu  probable.  Du  reste,  le  vrai 
•^ens  de  7tuY(i.^  est  plut6t  «  pugnus,  pugillus  », 
(:ruy{j.ri,  >5Youv  to   auyxexXetoSat  tou;  SaxxOXou;, 


Hesychius) ;  de  la  cette  traduction  que  Ton 
trouve  dans  quelques  manuscrits  de  I'ltala  : 
«  nisi  pugillo  laverint  manus.  »  Mais  qu'est-ce 
que  se  laver  les  mains  avec  le  poing?  Cela 
ne  peut  vouloir  dire  autre  chose  que  frotter 
rudement  I'uno  des  mains  avec   I'autre,  qui 
aura  ete  prealablement  fermee,  «  faclo  pu- 
gno.  »  Cette   expression   piltoresque    decrit 
done  un  des  rites  presents  pour  I'abluLion 
des  mains.  Elle  est  du  moins  destineo  a  faire 
ressorlir  le  zele  avec  lequel   les  Pharisiens 
aceomplissaient  cette  operation  :  aussi  pour- 
rait-on  la  traduire  avec  la  version  syriaque 
et  divers  exegetes  par  «  sedulo,  studiose  », 
et   par  «  intense  »   avec  la   version   elhio- 
pienne.  —  II  est  a  remarquer  que,  dans  ce 
passage  el  dans  loute  la  discusssion  suivante, 
il  ne  s'agit  pas  des  soins  de  proprele,  mais 
d'ablutions  purement  ceremonielles,  imposees 
au  peuple  par  les  Docteurs,  et  analogues  a 
eelles  que  les  Mahometans  pratiquent  encore 
cinq  fois  le  jour.  —  2o  Les  ablutions  apres 
les  sorties  et  les  visiles.  A  foro,  scii.   «  ve- 
nientes  »   ou   «  redeuntes  »,   comme  on    lit 
dans  plusieurs  versions.  Sur  les  places  pu- 
bliques  et  dans  les  rues,  ou  Ton  rencontre 
toute  sorte  de  personnes,  ceux  dont  on  decrit 
la  conduite   avaient   pu,   sans  s'en  douter, 
etre  mis  en  contact  avec  des  objets  lega- 
lement  impurs,   et  contracter   par  ia-meme 
quelque  souillure.  II  leur  fallait  de  nouvelles 
ablutions  pour  se  purifier.  Le  mot  baptizen- 
tur designe-t-il  lei  un  bain  complet  ou   un 
simple  lavement  des  mains?  II  est  assez  diffi-.' 
cile  de   le  determiner.  Cependant  nous  ad- 
mettrions  volontiers,  avec  Meyer,  Bisping  et 
d'aulres,  la  premiere  opinion.  On  oblient  ainsi 
une  gradation   ascendanle,  qui  semble  avoir 
ete  inlentionnelle  de  la  part  de  S.Marc.  Avant 
leurs   repas,    ils  se   lavent   simplement    les 
mains;  s'ils  viennent  du  dehors,  ils  se  plon- 
gent  tout  entiers  dans   I'eau.  Olshausnn  et 
Bleek  font  un  contre-sens  evident  quand  ils 
traduisent  comme  s'il  y  avail  :  la.  auo  aYopa;, 
eav  [Ao  PaittiariTai,  oOx  EcOtouat,  ils  ne  mangent 
pas  les  mets  qui  proviennent  du  marche  sans 


408 


fiVANGlLE  SELON  S.  MARC 


5.  Les  Pharisiens  done  et  les 
Scribes  I'mterrogeaient  :  Pourquoi 
vos  disciples  ne  suivent-ils  pas  la 
tradition  des  anciens,  mais  mangent 
le  pain  avec  des  mains  impures? 

6.  Et  il  leur  repondit :  Isaie  a  bien 
prophetise  de  vous,  hypocrites, 
ainsi  qu'il  est  ecrit  :  Ce  peuple 
m'honore  des  levres,  mais  leur 
cceur  est  loin  de  moi ; 


7.  Et  ils  me  rendent  un  culte 
vain,  enseignant  des  doctrines  et 
des  ordonnances  humaines. 


b.  Et  interrogant  eum  Pharisaei, 
et  scribse  :  Quare  discipuli  tui  non 
ambulant  juxta  traditionem  senio- 
rum,sed  communibusmanibusman- 
ducant  panem  ? 

6.  At  ille  respondens,  dixit  eis  : 
Bene  prophetavit  Isaias  de  vobis 
hypocritis,  sicut  scriptum  est :  Po- 
pulus  hie  labiis  me  honorat,  cor  au- 
tem  eorum  longe  est  a  me  : 

Isai.  29,  13. 

7.  In  vanum  autem  me  colunt, 
docentes  doetrinas,  et  praecepta  ho- 
minum. 


les  avoir  laves.  Le  Codex  Sinait.  porte  la  cu- 
rieuse  vananle  pavTiawvxat,  «  aspeiganlur  », 
au  lieu  de  Pau-ritrwvTat.  —  30  Ablulions  des 
usteiisiles  servant  aux  repas.  Calirum,  ttotyi- 
pi'wv,  les  coupes  dans  lesquelies  on  louvait. 

—  Urceorum,  les  amphores  et  les  aiguieres 
placees  sur  la  table.  Voyez  A.  Rich,  Diet, 
des  Anliquites,  s.  v.  Urceus.  Le  mot  grec 
correspondant,  ^eotwv  [IzaTric,  au  nomin.)  est 
un  des  latinismes  de  S.  Marc,  Cfr.  Preface. 
§  IV,  3.  II  derive  par  une  legere  transposi- 
tion [sex  etant  change  en  xes ;  Cl'r.  Xystus 
el  Sixtus)  de  «  sextarius  »,  nom  d'une  me- 
sure  romaine  servant  a  la  fois  pour  les  li- 
quides  et  les  substances  seches,  et  contenant 
la  sixieme  parlie  du  «  congius  »  le  quart  du 
«  modius  »,  a  pen  pres  trois  quarts  de  litre. 
Voyez  Ant.  Rich,  1.  c.  au  mot  Sextarius.  — 
Mramentorum ,  yjx\v.[<xiv.  C'etaienl  les  grands 
vases  d'airain,degresoud'argile  places  dans  la 
salle  du  feslin,  et  rcnfermant  les  provisions  de 
vin  et  d'eau  qui  servaient  a  remplir  les  «  sex- 
tarii  »  devenus  vides.Cfr.  Joan.  11,  6.  —  Lee- 
torum,  xXtvoiv,  les  «  triclinia  »  ou  divans  sur 
lesquels  on  se  couchait  a-demi  pour  prendre 
les  repas.  Ces  divers  objets  ayant  pu  etre 
profanes,  quoique  a  I'insu  de  tons,  par  le  con- 
tact de  quelque  personne  impure,  les  Phari- 
siens, conformement  a  leurs  principes,  ne 
permellaient  pas  qu'on  en  fit  usage  sans  les 
sanctifier  auparavant  par  des  ablutions. 

5.  —  Apres  avoir  indique  I'occasion  du 
conflit.  1f.  2,  et  donne  quelques  details  neces- 
saires  a  ses  lecteurs  pour  la  claire  intelligence 
dii  recit,  tt.  3  et  4,  S.  Marc  revient  aux 
ennemis  du  Sauveur  et  a  leur  interpellation. 

—  Interrogabant ;  dans  le  grec,  enspwTwaiv, 
au  present.  —  JVo«  ambulant.,  ou  Tiepmaxouat, 
mot  pittoresque.  «  Id  est,  non  instituunt  vi- 
tam,  ex  Hebraeorum  idiotismo,  apud  quos 
^Sn,  ambulare,  idem  valet  quod  vivere,  et 

via  dicilur  vitae  genus  quod  aliquis  tanquam 


viam   sequatur.    »   Rosenmiiller,    Schol.   in 
N.  Test.  h.  1. 

6  et  7.  —  At  ille  respondens.  «  Pliarisaeo- 
rum  superfluum  latratum,  dit  energiquement 
S.  Jerome, furca  rationis(Christus)  obtundit». 
La  reponse  de  Jesus  est  plus  qu'une  defense  : 
c'est  une  vigoureuse  attaque  qui  rendra 
muets  les  Pharisiens  et  les  Scribes.  Quoi- 
qu'elle  soit  au  fond  la  meme  dans  S.  Matthieu 
et  dans  S.  Marc,  les  arguments  n'y  sont  pas 
reproduits  dans  un  ordre  identique.  D'apres 
le  premier  Evangeliste,  Notre-Seigneur,  ri- 
poslant  a  ses  ennemis  par  unecontre-queslion, 
leur  reproche  d'abord  de  violer  les  comman- 
dements  de  Dieu  les  plus  graves,  speciale- 
ment  le  quatrieme,  sous  pretexte  d'observer 
leurs  vaines  traditions.  Puis,  generalisant  la 
question,  il  leur  montre  a  I'aide  du  texte 
d'lsaie  toule  la  grandeur  de  leur  hypocrisie. 
Dans  le  second  Evangile  nous  retrouvons  ces 
deux  parties  :  seulement,  la  seconde,  qui  est 
plus  generale,  se  presente  a  la  premiere  place ; 
lefail  particulier  relatif  au  Corban  ne  vient 
qu'ensuite.U  serait  bien  difficile  de  dire  quel 
fut  I'ordre  suivi  reellement  par  Jesus.  —  Bene 
proja/ie(a?;t(...Cette terrible prophetie  qu'Isaie, 
XXIV,  13,  adressait  directement  a  ses  con- 
lemporains,  devait  Irouver  plus  tard  dans  la 
conduite  des  Pharisiens  un  second  accomplis- 
sement  voulu  par  I'Esprit-Saint.  Eile  decrit 
en  termes  tres-vifs  I'horreur  qu'inspire  a 
Dieu  un  culte  purement  exterieur,  I'honner. 
que  lui  procurent  des  hommages  sinceres 
Voyez  I'Evangile  selon  S.  Matih.  p.  304. u — 
In  vanum.  La  traduction  litterale  de  ce 
mot  en  hebreu  serait  :  Un  «  tohou  »  est  leur 
culte  (inn  designe  le  vide,  le  chaos).  Mais 
Isaie  ne  I'a  pas  ecrit  dans  ce  passage  :  il 
exprime  du  moins  fort  bien  la  pensee  divine. 
—  Doetrinas  et  prcecepta.  La  conjonction  el 
n'est  pas  dans  le  grec,  oil  on  lit  simplement : 
SiSaoxaXta;  tuTa).[i.axa  avOpwnwv.  Les  deux  der— 


CHAPITRE  VII 


409 


8.  Relinquentes  enim  mandatum 
Dei,  tenetis  tradilionem  homiiium, 
baptismata  urceorum,  et  calicum  : 
et  alia  similia  his  facitis  multa. 


9.  Et  dicebat  illis  :  Bene  irritum 
facitis  prseceptum  Dei,  ut  traditio- 
nem  vestram  servetis. 

10.  Moyses  enim  dixit  :  Honora 
patrem  tuum,  et  matrem  tuam.  Et : 
Qui  maledixerit  patri,  vel  matri, 
morle  moriatur. 

Exod.  20,  12;  Dent.  5,  16;  E-phes.  6,  2;  Exod.  21,  17; 
Lev.  20,  9;  Prov.  20,20. 


8.  Gar,  abandonnant  le  comman- 
dement  de  Dieu,  yous  gardez  la 
tradition  des  hommes,  les  lavages 
des  vases  et  des  coupes,  et  vous 
faites  beaucoup  d'autres  clioses  sem- 
blables. 

9.  Et  il  leur  disait  :  Vous  rendez 
entierement  vain  le  precepte  de 
Dieu,  pour  garder  votre  tradition. 

10.  Gar  Moise  a  dit  :  Honore  ton 
pere  et  ta  mere,  et  :  Que  celui  qui 
parlera  mal  a  son  pere  ou  a  sa  mere 
meure  de  mort. 


niers  mots  soul  une  apposition  a  otoaffxaXia;, 
el  la  pliiase  revient  a  ceci  :  «  Docenles  doc- 
tiinas  quae  sunt  praecepla  hominum.  » 

8.  —  La  particiile  enim  montre  que  Jesus 
passe  maintenanl  a  la  preuve  de  sa  prece- 
denle  assertion.  —  Relinquentes...  tenetis. 
Belle  anlilhese,  exprimee  avec  plus  de  force 
encore  dans  le  texte  original  :  a9=vT£;... 
-xpaT£T-2.  «  Lachant  »  les  divins  preceptes, 
vous  vouscramponnez  a  des  observances  tout 
humaines.  —  Baptismata  urceorum...  Ces 
mots, el  lous  ceux  qui  les  suivenl  jusqu'a  la 
fin  du  versel.  onl  ete  omis  par  quelques-uns 
des  ineilleurs  auuuiscrils.  On  les  regards 
neanmoins  comme  aulhenliques.  Tandis  qu'il 
serail  difficile  de  comprendre  pourquoi  ils 
eusseiit  ete  inseres  dans  le  recit  de  S.  Marc, 
il  es'  a-sez  probable  que  des  copisles  peu  in- 
telligeiils  les  auront  supprimes,  parce  que  le 
premier  Evangile  ne  les  conlient  pas.  — 
Touchanle  reflexion  morale  du  Yen.  Bede  : 
«  C'etail  une  coulume  superslilieuse  de  re- 
venir  sans  cesse  a  se  laver,  une  fois  que  Ton 
etail  propre,  el  de  ne  point  manger  avant 
d'avoir  fail  des  purifications.  Mais  il  est  ne- 
cessaire  pour  ceux  qui  desirenl  participer 
souvenl  au  pain  descendu  du  ciel  de  puri- 
fier souvent  leurs  oeuvres  par  les  larmes, 
les  aumones  et  les  aulres  fruits  de  justice.  II 
faut  ainsi  purifier,  sous  Faction  incessante 
des  bonnes  oeuvres  et  des  bonnes  pensees, 
les  souillures  qu'ont  pu  faire  coniracter  les 

j  preoccupations  du  siecle.  C'est  en  vain  que 
ies  Juifs  se  lavenl  les  mains  el  qu'ils  se  puri- 
fienl  a  i'exlerieur,  tant  qu'ils  se  refusent  a 
venir  se  purifier  a  la  fonlaine  du  Sauveur, 
et  c'est  en  vain  qu'ils  observent  la  purifica- 
tion des  vases,  lorsqu'ils  negligent  de  puri- 
fier de  leurs  veritables  souillures  leurs  corps 
el  leurs  coeurs.  » 

9.  —  Et  dicebat  illis.  S.  Marc  emploie  vo- 
lontiers  ceLle  pelile  formulc  de   transition 


pour  marquerdes  pauses  dans  les  discours  de 
Jesus.  Elle  equivaul  a  nos  alineas  de  I'Occi- 
denl.  —  Bene  irritum...  Le  Sauveur  repete 
pour  la  troisieme  fois  la  meme  pensee.  Gfr. 
les  tt.  1  el  8.  Ici  il  y  a  gradation  ascendants : 
maintenanl  en  effet  il  ne  s'agit  plus  d'une 
simple  negligence  des  commandements  di- 
vins, mais  de  leur  violation  absolue.  L'adverbe 
5ta),a3;,  que  Jesus  prononce  pour  la  seconds 
fois  dans  I'intervalle  de  quelques  lignes  (Gfr. 
t.  6),  est  pris  dans  un  sens  ironique.  Com- 
parez  II  Cor.  xi,  4.  —  Ut  tradilionem...  ser- 
vetis. Les  commentateurs  hereliques  se  sont 
parfois  appuyes  sur  ce  passage  pour  alta- 
quer  les  definitions  de  I'Eglise  calholique  re- 
latives a  la  tradition,  et  pour  prelendre  que 
la  Bible  doit  etre  notre  seule  regie  de  foi. 
Mais  ils  ont  fait  par  la-meme  un  grossier 
conlre-sens.  En  effet^  1o  Jesus  ne  parle  pas 
ici  de  la  tradition  en  general,  ni  de  la  tradi- 
tion en  lanl  qu'elle  remonle  a  Dieu,  mais  de 
traditionsabusives,  inventeespar  les  hommes. 
2°  II  ne  parle  pas  de  traditions  concernant 
le  dogme  et  la  morale,  ou  du  moins  s'y  rat- 
lachant,  mais  de  coulumes  purement  disci- 
plinaires,qui  sont  opposees  a  la  morale.  3oLa 
tradition,  telle  que  renlend  I'Eglise  romaine, 
n'esl  autre  chose  que  la  parole  divine  deve- 
loppee,  expliquee.  Du  reste,  nous  meltons 
nos  adversaires  au  defi  de  citer  une  seule  de 
nos  traditions  calholiques  qui  soil  opposes  le 
moins  du  monde  a  'a  parole  de  Dieu. 

10.  —  Moyses  enim  dixit.  Jesus  va  demon- 
trer,  tf.  '10-14,  par  un  frappant  exemple  em- 
prunts  a  la  casuislique  juive,  st  rapproche 
des  commandements  de  Dieu,  la  justesse  de 
I'accusalion  qu'il  a  lancee  a  Irois  reprises 
centre  sps  ennemis.  On  verra  quels  etaient 
les  resultats  immoraux  produitspar  la  substi- 
tution des  coulumes  pharisaiques  a  la  Thora. 
Les  textes  cites  par  Jesus  sunt  empruntes  k 
I'Exode,  XX,  12,  et  au  Deuteronome,  v,  16  : 


410 


liVAlslilLE  SELON  S.  MAKC 


11.  Vous  au  contraire  vous  dites  : 
Si  un  homme  dit  a  son  pere  ou  a  sa 
mere,  Tout  corban  (c'est-a-dire  don) 
que  je  fais  vous  profitera,  il  satis  fait 
a  la  loi. 

12.  Et  vous  n'exigez  pas  qu'il 
fasse  rien  de  plus  pour  son  pere  et 
sa  mere, 

13.  AlDolissant  le  commandement 
de  Dieu  par  votre  tradition,  que 
vous  avez  etablie;  et  vous  faites 
beaucoup  de  choses  semblables. 

14.  Et  appelant  de  nouveau  la 
foule,  11  leur  disait  :  Ecoutez-moi 
touset  comprenez. 


11.  Vos  autem  dicitis  :  Si  dixerit 
homo  patri,  aut  matri,  Corban  (quod 
est  donumj  quodcumque  ex  me,  tibi 
profuerit  : 

12.  Et  ultra  non  dimittitis  eum 
quidquam  facere  patri  suo,  aut  ma- 
tri, 

13.  Rescindentesverbum  Dei  per 
traditionem  vestram,  quam  tradi- 
distis  :  et  similia  hujusmodi  multa 
facitis. 

14.  Et  advocans  iterum  turbam, 
dicebat  illis  :  Audite  me  omnes,  et 
intelHgite. 

Matth.  15,10. 


ils  concernent  le  quatrieme  precepte  du  De- 
calogue, qu'ils  proposent  d'abord  d'une  ma- 
riere  positive,  l/oHom...,  puis  negativemenl, 
Qui  maledixerit... 

11  el  12.  —  Vos  autem.  Vous,  par  opposi- 
tion a  Moise,  c'esl-a-dire  par  opposition  a  Dieu 
dont  Moise  elait  le  repiesentanl.  —  Si  dixerit 
homo...  Corban.  S.  Marc  a  seul  conserve  ce 
mot  hebreu,  qui  apparait  souvent  dans  les 
livres  du  Levilique  et  des  Nombres,  mais 
qu'on  ne  rencontre  que  deux  fois  dans  I'An- 
cien  Testament  en  dehors  du  Pentateuque 
(Ezech.  XX,  2S;  xl,  43).  Les  Rabbins  I'em- 
ploient  tres  frequemment.  II  servait  a  desi- 
gner toute  sorte  d'offrandes  religieuses  et 
nterae,  d'apres  I'historien  Josephe,  Ant. 
IV,  4,  4,  les  personnes  qui  se  devouaient  au 
service  du  Seigneur.  —  Quod  est  donum. 
L'Evangelisle  indique  entre  parentheses  a  ses 
lecteurs  non  jiiifs  la  signification  de  pip- 
Josephe,  dans  I'endroit  que  nous  venons  de 
oiler,  en  donnait  une  interpretation  iden- 
tique  :  Swpov  oe  toOto  (le  mot  Corban)  atwialyzi 
xaxa  'EX>>^vwv  yXwttyjv.  —  Tibi  profuerit. 
Les  difficulles  grammaticales  que  presente  le 
texte  grec  et  ieurs  solutions  sont  ici  a  peu 
^  pres  les  memes  que  pour  le  passage  parallele 
;  de  S.  Malthieu,  xv,  5  et  6.  Nous  pouvons 
suppleerecTTt  ou  ecTw  aprfes  xopgdv  et  traduire  : 
C'est  Corban,  ou  bien,  Que  ce  soil  Corban, 
tout  ce  avec  quoi  je  pourrais  te  secourir! 
Nous  pouvons  adaiettre  aussi  une  aposiopese 
qui  laisserail  la  phrase  en  suspens :  Vous  diles : 
Si  quelqu'un  dil  a  son  pere  ou  a  sa  mere. 
Tout  ce  que  j'offiirai  en  Corban  vous  profi- 
tera..., et  vous  ne  lui  permeltez  plus  de 
faire  quoi  que  ce  soil  pour  son  pere  ou  sa 
mere.  Nous  avons  demontre,  dans  notre  com- 
mentaire  sur  S.  Malthieu,  p.  303,  que  la  pre- 
miere de  ces  deux  interpretations  est  la  plus 


vraisemblable.  —  S.  Ambroise  stigmatise  en 
ces  termes  des  chreliens  de  son  temps  qui 
voulaient  faire  passer  le  Corban  pharisaique 
dans  TEglise  du  Christ :  «  Dicis  te,  quod  eras 
parenlibus  collaturu'^,  Ecclesise  velie  conferre. 
Non  quaerit  donum  Deus  de  fame  parenium. 
Mulli,  ul  praedicentur  ab  hominibus,  Ecclesiae 
conferunl  quae  suis  auferunt,  quum  miseri- 
cordia  a  domestico  progredi  debeal  officio.  » 
Enarrat.  in  Luc.  xviii. 

13.  —  Rescindentes  verbum  Dei.  11  n'etait 
pas  possible  d'al'eguer  un  plus  frappant 
exemple  du  renversement  de  la  Loi  divine 
par  les  traditions  des  hommes.  Aussi  Jesus 
peut-il  repeter  viclorieusement,  pour  la  qua- 
trieme fois,  son  assertion  du  t.  7,  non  sans 
appuyer  sur  les  mots  traditionem  vestram, 
quam  tradidistis. En  ajoutanl:  Et  similia...,  li 
monlre  qu'il  a  signale  seulemeni  un  trail  en 
faveur  de  sa  these,  mais  que,  s'il  eiil  voulu 
multiplier  les  fails  semblables,  il  n'aurait  eu 
que  I'embarras  du  choix,  tant  la  morale  pha- 
risaique les  mullipliait  sur  tons  les  points  do 
la  conduite  pratique. 

14.  — Advocans  iierum  turbam.  La  Recepta 
grecque  porle  •jiaviaTov  6x>.ov,  louie  la  foule; 
mais  des  temoin-^  serieux  ont  la  variante  udAiv 
•vov  oxXov,qu'asuivie  la  Vulgate.  A  I'arriveedes 
Pharisiens  et  des  Scribes,  la  foule  qui  entou- 
rait  Jesus  s'etait  respectueusemenl  ecartee. 
Jesus,  apres  avoir  reduit  ses  adversaires  au 
silence,  la  rappelle  aupres  de  lui  pour  lui 
donner  une  instruction  importante.  «  II  lui 
presente  la  substance  du  debal  dans  une  do 
ces  formules  a  forme  tranchante,  quelqucfois 
paradoxale  el  plus  ou  moins  figuree,  ait 
moyen  desquelles  il  savait  si  bien  eveilleria 
reflexion  ».  Reu?s,  Histoire  evangel,  p.  379. 

15.  —  Nihil  est  extra  hominem...  Princijje 
d'une  importance  extreme  pour  la  vie  spiri- 


liUAeilKli    vil 


4lf 


15.  Nihil  est  extra  hominem  in- 
troiens  in  eum,  quod  possit  eiim 
coinquinare,  sed  quae  de  homine 
procedunt,  ilia  sunt  quae  communi- 
cant hominem. 

16.  Si  quis  habet  aures  audiendi, 
audiat. 

17.  Et  cum  introisset  in  domum  a 
turba,  interrogabant  eum  discipuli 
ejus  parabolam. 

18.  Et  ait  illis  :  Sic  et  vos  impru- 
dentes  estis  ?  Non  intelligitis,  quia 


15.  II  TLj^  a  rien  au  dehors  do 
I'homme  qui,  en  entrant  en  lui, 
puisse  le  souiller;  mais  ce  qui  sort 
de  I'homme,  voila  ce  qui  souille 
I'homme. 

16.  Si  quelqu'un  a  des  oreilles 
pour  entendre,  qu'il  entende! 

17.  Et  lorsqu'il  fut  entre  dans  une 
maison  loin  de  la  foule,  ses  disciples 
I'interrogerent  sur  cette  parabole. 

18.  Et  il  leur  dit  :  Ainsi,  vous 
aussi,  vous  etes  inintelli gents?  Ne 


tuelle,  et  montrant  a  Thomme,  d'une  part  ce 
qui  le  rend  impur,  de  I'autre  ce  qui  est  inca- 
pable de  le  souiller.  Jesus  I'expose  sous  la 
forme  d'une  anlilhese  frappante  et  d'une 
image  famiiiere. —  ^o  En  general,  et  a  moins 
de  circonslances  extraordinaires,  les  choses 
dont  rhomme  fait  sa  nourriture  n'ont  aucune 
influence  sur  sa  condilion  morale.  Peu  im- 
porle  qu'il  absorbe  tel  ou  tel  mets,  tel  ou  tel 
breuvage ;  il  importe  moins  encore  qu'il  se 
mette  a  table  sans  s'elre  auparavant  lave  les 
mains.  Ce  sont  ia  des  faits  qui  se  passent  en 
dehors  de  son  ame  :  ils  ne  sauraient  done  le 
rendre  impur  et  profane.  —  2°  Sed  quce  de 
homine...  11  n'en  est  pas  de  meme  de  ce  qui 
sort  de  I'homme  :  cela  {ilia  sunt  avec  em- 
phase),  faisant  partie  de  son  etre  le  plus  in- 
time,  pent  contribuer  a  le  souiller.  Pour  le  mo- 
ment, le  Sauveur  se  contente  de  promulguer 
cette  profondeverite  :  ilenferadans  quelqiies 
instants  I'exegese  a  ses  disciples,  tt.  18-23. 
S.  Matthieu  I'exprime  a  peu  pres  dans  les 
memos  termes,  mais  avec  une  legere  nuance 
qui  la  rend  plus  claire  et  plus  saillante.  Au 
lieu  des  notions  generales  «  introiens  in  eum, 
de  homine  procedunt  »,  il  a  ces  mots  qui  de- 
veloppent  I'image  :  «  Quod  intrat  in  os,  quod 
procedit  ex  ore.  »  Voyez  le  commentaire, 
p.  305.  Mais  de  m^me  que,  dans  le  premier 
Evangile,  «  os  »  etait  prls  successivement  en 
deux  sens  distincts,  d'abord  au  propre,  puis 
au  figure,  de  meme,  dans  S.  Marc,  la  locution 
\  «entrer  dans  I'homme  »  exprime  un  fait  reel, 

r  tandis  que  «  sortir  de  Thomme  »  doit  se 
prendre  au  moral.  Le  Sauveur  joue  sur  cette 
variete  d'acceptions.  —  Le  verbe  communi- 

)  cant  a  la  meme  signification  que  coinqumant. 

'  Cfr.  le  Hr.  2  et  I'explication.  Du  reste,  c'est  le 

_  memo  mot  qui  est  repete  a  deux  reprises 
dans  le  texte  grec  :  xoivwaai,  xa  xotvoOvxa.  — 
Jl  est  peu  probable  que  le  t.  15  ne  soit, 
comme  on  I'a  dit,  que  le  sommaire,  en  quel- 
que  sorte  le  texte,  d'un  long  discours  pro- 
nonce  dans  cette  circonstanco  par  Notre- 
Seigneur. 


16.  —  Si  quis  habet  aures...  Ce  verset  est 
omis  dans  plusieurs  manuscrits  importants 
(B,  L,  Sinait.  Et  quelques  minuscules).  Nean- 
moins,  il  est  trop  appuye  partout  ailleurs 
pour  n'etie  qu'une  interpolation.  La  formule 
qu'il  contient,  souvent  repetee  par  Jesus,  est 
destinee  a  attirer  la  reflexion  des  auditeurs 
sur  le  grand  principe  qu'ils  venaient  d'en- 
tendre.Elle  equivaut  aux  paroles  «  Audite  me 
omnes  et  inteiligite  »,  qui  avaient  precede  la 
mention  de  ce  principe,  f.  14. 

17.  —  Quum  introisset  in  domum.  S.  Marc 
a  seul  conserve  ce  detail:  il  omet  neanmoins 
un  dialogue  interessant  qui,  d'apres  le  pre- 
mier Evangeliste,  xv,  12-14,  eut  lieu  entre 
Jesus  et  les  siens,  immediatement  apres  qu'ils 
se  lurentsepares  de  la  foule.  —  Interrogabant 
eum  discipuli.  Toujours  d'apres  S.  Matthieu, 
XV,  IS,  ce  fut  S.  Pierre  qui  adressa  cette  de- 
mande  a  Notre-Seigneur  au  nom  du  college 
apostolique.  Ici,  comme  en  d'autres  occasions 
du  meme  genre  (voyez  la  note  de  vi,  50),  le 
prince  des  Apotres  supprimait  modestement 
son  nom  dans  les  recits  qu'il  faisait  de  la  Vie 
de  Jesus  aux  Remains  et  a  S.  Marc  lui-meme. 
Mais  S.  Matthieu,  temoin  oculaire,  a  pris  soin 
de  le  noter.  —  Parabolam.  Le  mot  parabole 
est  employe  dans  un  sens  large,  pour  designer, 
splon  la  definition  donnee  en  cet  endroit  par 
Theophylacte,  une  sentence  obscure  et  enig- 
matique,  telle  qu'etait  la  parole  du  t.  15.  La 
bonte  avec  laquelle  Jesus  avait  daigne  expli- 
quer  autrefois  a  ses  disciples  les  paraboles  du 
royaume  des  cieux  (Cfr.  iv,  10  et  ss.)  leur 
fait  justement  esperer  qu'il  viendra  encore, 
dans  le  cas  present,  au  secours  de  leur  intel- 
ligence. 

18  et  19.  —  La  reponse  du  divin  Maitre 
commence  par  un  reproche  que  nous  avons 
ddja  rencontre  en  des  circonstances  ana- 
logues. Cfr.  IV,  13.  —  Sic  et  vos.  Meme  vous  I 
Vous,  qui  auriez  dii  comprendre  sans  peme 
ce  qui  concerne  I'homme  inlerieur !  —  Impru- 
dentes;  dans  le  grec,  dauvexoi,  «  sine  intelle- 
ctu  »,  —  Jesus,  reprenant  ensuite  son  apho- 


112 


fiVANGILE   SELON  S.  MARC 


comprenez-vous  pas  que  tout  ce 
qui  est  exterieur,  en  entrant  dans 
Thomme,  ne  pent  le  souiller; 

19.  Parce  que  cela  n'entre  pas 
dans  son  coeur,  mais  va  au  venire 
et  descend  au  lieu  secret  qui  purifie 
tons  les  aliments? 

20.  Mais,  disait-il,  ce  qui  sort 
de  riiomme,  voila  ce  qui  souille 
rhomme. 

21.  Gar,  de  I'interieur  du  coeur  des 
hommes  sortent  les  mauvaises  pen- 
sees,  les  adulteres,  les  fornications, 
les  homicides, 


crane  intrinsecus  introiens  in  homi- 
nem,  non  potest  eum  communicare : 

19.  Quia  non  intrat  in  cor  ejus., 
sed  in  ventrem  vadit,  et  in  secessum 
exit  purgans  omnes  escas? 

20.  Dicebat  autem,  quoniam  quae 
de  homine  exeunt,  ilia  communi- 
cant hominem. 

21.  Ab  intus  enim  de  corde  homi- 
num  malse  cogitationes  procedunt, 
adulteria,  fornicationes,  homicidia. 

Genes.  6,  5. 


risme,  considere  isolement  les  deux  parties 
qui  le  composent,  et  en  explique  les  expres- 
sions les  plus  difficiles.  Ire  partie,  ft.  1 8  et  1 9. 
Comment  un  mets,  un  breuvage,  choses  tout 
exlerieures  a  I'homme,  pourraient-ils  salir  son 
Ame,  avec  laqueile  lis  n'ont  aucun  rapport?  — 
Non  inlrat  in  cor  ejus.  Manger  et  boire  sont 
des  phenomenes  purement  physiques.  C'est 
dans  I'estomac,  non  dans  !e  coeur,  que  pe- 
netre  la  nourriture.  La,  elle  est  soumise  a  des 
operations  dans  lesquelles  I'homme  moral  ne 
joue  pas  le  moindre  role.  Apres  que  ses  par- 
ties assimilables  ont  ete  absorbees,  ses  ele- 
ments les  plus  grossiers  sont  rejeles  par  la 
nature  [secessus,  le  lieu  secret;  a9£5pwv,  «  la- 
trina,  cloaca  »).  Par  la,  continue  le  Sauveur, 
le  reste  des  aliments  est  purifie  et  pent 
entrer  sans  inconvenients  datis  I'organisalion 
humaine.  Ainsi  done,  la  nutrition  est  un  phe- 
nomeno  physiologique,  et  ranger  a  la  reli- 
gion: on  mange  et  Ton  digere,  cela  ne  louche 
en  rien  a  la  partie  spirituelle  de  I'homme.  — 
Quelle  etonnanle  simplicite  de  langage  !  Mais 
en  meme  temps,  quelle  ciarte  jelee  sur  la 
question  du  pur  et  de  I'impur!  Cependant, 
«  queiques-uns  ont  abuse  des  paroles... ;  Ce 
n'est  pas  ce  qui  entre  dans  le  corps  qui 
souille  I'ame,  pretendant  que  mal  a  propos 
I'Eglise  avait  interdit  I'usagi^  de  la  viande  en 
certains  temps,  et  prescrit  des  jeunes  et  des 
abstinences  particulieres  en  d'autres.  Mais 
elle  n'a  jamais  fait  ces  defenses  dans  la 
croyance  que  ces  creatures  fussent  mau- 
vaises :  elle  les  defend  dans  la  vue  de  faire 
pratiquer  a  ses  enfants  la  verlu  de  penitence 
et  de  mortification...  Elle  est  fort  convamcue 
que  toute  creature  de  Dieu  est  bonne  en 
elle-meme,  et  qu'on  pent  en  user  avec  action 
de  grcices.  Cfr.  I  Tim.  iv,  4.  Mais,  aussitot 
qu'une  autorile  legitime  en  a  interdit  I'usage, 
la  chose  devient  par  la  defendue  .  la  deso- 
beissance  et  I'inlemperance  de  celui  qui  en 
use  coDlre  les  lois  souillent  son  dme,  et  la 


rendent  coupable  aux  yeux  du  Createur  et  de 
Jesus-Christ,  chef  de  I'Eglise.  »  Calmet.  A  ce 
point  de  vue,  le  protestant  Stier  a  raison  de 
dire  queer  ce  qu'on  mange  ou  qu'on  boit  n'est 
pas  une  chose  complelement  indiflerente,  car 
cela  aussi  provient  du  coeur  et  agit  dans  le 
coeur.  »  Reden  des  H.  Jesu,  h.  1. 

20.  —  Dicebat  autem...  Jesus  developpe 
dans  les  ft.  20-24  la  seconde  moitie  de  son 
aphorisme.  Cfr.  t.  15.  II  est  etrange  que  I'E^ 
vangeiiste,  qui  emploie  si  volontiers  le  lan- 
gage direct  la  ou  lesautres  synoptiques  usent 
du  discours  indirect,  se  contente  ici  de  ra- 
conter  les  paroles  du  Sauveur  au  lieu  de  les 
citer.  Cependant  Ton  pourrait,  conformement 
a  plusieurs  editions  du  texte  grec,  placer  deux 
points  apres  «  autem  »,  et  regarder  la  conjonc- 
tion  quoniam  (on)  comme  recitative.  Alors  le 
verbe  «  dicebat  »  serai t  une  de  ces  transi- 
tions propres  a  S.  Marc  dont  nous  avons  ren- 
contre un  recent  exemple  [1!^.  9),  et  le  discours 
redeviendrait  direct.  Telle  est,  croyons-nous, 
la  veritable  interpretation. 

21  et  22.  —  Ah  intus  cnim  de  corde...  Pleo- 
nasme,  pour  mieux  marquer  I'opposilion  qui 
existe  entre  les  deux  parties  de  I'apliorisme 
coramente  par  Jesus.  Le  coeur  est  done  vrai- 
ment  le  laboratoire  oil  se  prepare  tout  ce 
qu'il  y  a  de  bon  et  de  mauvais  dans  I'homme 
envisage  comme  etre  moral.  C'est  ce  que  les 
Egyptiens  exprimaient  ingenieusement  sur 
leurs  fresques  funeraires.  Les  hommes,  juges 
par  Osiris  apres  leur  mort,  y  sont  represenles 
par  le  coeur  qui  Irs  animait  autrefois,  place 
et  pese  dans  une  balance,  comme  la  source 
de  leurs  merites  et  de  leurs  demerites.  — 
Les  mystiques  et  les  exegetes  anciens  ap- 
puyaient  sur  ces  mots  du  Sauveur  uno  pro- 
londe  reflexion.  Dans  la  vie  pratique,  disaienl^ 
ils,  on  oublie  qu'on  porto  en  soi  le  germo  da 
tons  les  crimes  :  nous  rejetons  trop  souvent 
nos  tentations  sur  le  demon,  pas  assez  sur 
notre  propre  cceur.  «  Arguuntur  de  hm  sen- 


CHAPITRE  VII 


lis 


22.  Furla..  avaritise,  nequitise,  do- 
lus, impudicitise,  oculus.malus,  blas- 
phemia,  superbia,  stultitia. 

23.  Omnia  hsec  mala  ab  intus  pro- 
cedunt,  et  communicant  hominem. 

24.  Etinde  surgens  abiit  in  fines 
Tyri  et  Sidonis  :  et  ingressus  do- 
mum,  neminem  voluit  scire,  et  non 
potuit  latere. 

Matth.  15,  2i. 


22.  Les  larcins,  I'avarice,  les  me- 
chancetes,  la  fraude^  les  impudi- 
cites,  Toeil  mediant,  les  blasphemes, 
Torgueil,  lafolie. 

23.  Toutes  ces  choses  mauvaises 
viennent  du  dedans  et  souillent 
rhomme. 

24.  Et  s'eloignant  de  la,  il  s'en 
alia  sur  les  confins  de  Tyr  et  de  Si- 
don;  et,  entrant  dans  une  maison, 
il  voulut  que  personne  ne  le  sut  et 
il  ne  put  Tester  cache. 


\ 


tentia  qui  cogitationes  malas  immitti  a  dia- 
boio  pulant,  non  ex  propria  nasci  voluntate. 
Diabolus  enim  incentator  et  adjutor  malarum 
cogitationum  esse  potest,  auctor  aulem  esse 
noTi  potest.  »  Bede.  Cfr.  Schegg.  Evang.  nach 
Markus,  1. 1,  pp.  214  et  215.  —  Dans  I'enu- 
meralion  de  S.  Marc,  qui  est  plus  complete 
que  celle  de  S.  Malthieu,  le  Sauveur  signale 
treize  formes  particulieres  du  mal,  comma 
ayant  leur  foyer  au  coeur  de  Thomme  :  les 
sept  premieres  sont  nommees  au  pluriel  et 
designent  des  actes,  les  six  aulres  sont  nom- 
mees au  singuiier  (dans  le  texle  grec)  et  pa- 
raissent  representer  surtout  des  dispositions. 
II  ne  regne  pas  d'ordre  systematique  propre- 
ment  dit  dans  cette  nomenclature.  —  Avari- 
tice.  L'expression  grecque  Trkove^tat  a  une 
signification  plus  elendue.  Elle  indique  tous 
les  moyens  par  lesquels  I'homme  attire  a  sol 
la  creature,  aux  depen-^  du  culte  qu'il  doit 
rendre  a  Dieu.  —  Oculiis  mains.  Le  mauvais 
ceil,  yi  ]">>•,  est  bienconnu  dans  tout  rOrient, 
et  meme  dans  TEurope  occidentale  oil  Ton 
redoule  tant  ses  effets.  Cfr.  Prov.  xxiii,  6 ; 
xxviii,  22;  Matth.  xx,  15.  II  represente  ici 
I'envie.  —  Stultitia,  aopo(j<ivr\,  I'oppose  de  la 
cw^poaOvY),  ou  sagesse.  «  Causa  cur  insipientia 
exlremo  loco  ponatur  :  quae  etiam  reliqua 
omnia  facit  incurabiliora.  »  Bengel. 

23.  —  Apres  cette  enumeration,  Jesus  re- 
pete  la  meme  pensee  sous  une  forme  generale: 
«  Tous  les  maux  que  je  viens  de  nommer 
proviennent  evidemment  de  I'interieur  de 
1  homme ;  evidemment  aussi  ils  souillent 
rhomme.  »  Par  consequent,  la  verite  qu'il 
voulait  demontrer  est  maintenant  prouvee 
d'une  maniere  rigoureuse.  —  La  leQon  qui  se 
degage  de  tout  ce  passage  est  bien  claire.  La 
nature  humaine  est  foncierement  depravee. 
De  cette  source  deletere  sortent  des  peches 
sans  nombre ;  c'esl  done  I'homme  interieur 
qu'il  faut  regenerer.  Des  pratiques  purement 
exterieures,  teliesque  les  ablutionsauxquelles 
les  Pharisiens  attachaient  tant  d'importance, 

S.  GaBLG.  S. 


sont  tout  k  fait  insufiBsantes  pour  obtenir  ce 
resullat. 

2»     SBCTION.    —  MINISIERE     DE     JESUS     DANS     LA     GALILEC 
OCCIDENTALE  ET   SEPTENTRIONALE.  Til,   24-IX,   49. 

1.  —  La  Chanan6enne.  vii,  24-30.  —  Parall. 
Matth.  XV,  21-28. 

Le  recit  de  S.  Matthieu  est  un  peu  plus 
complet:  nous  trouvons  neanmoins  dans  celui 
de  S.  Marc  quelques-uns  de  ces  coups  de  pin- 
ceau  caracterisliques  auxquels  il  nous  a  de- 
puis  longtemps  accoutumes. 

24.  —  hide  surgens  abiit.  Hebraisme.  D''D 
(surgere),  dit  Gesenius,  «  sexcenties  praemit- 
titur  verbis  eundi,  proficiscendi  ».  Thesaurus, 
t.  Ill,  p.  1203.  Ce  prompt  depart  de  Notre- 
Seigneur  n'est  pas  une  fuite  proprement  dite 
loin  d'adversaires  qu'il  sait  avoir  exaspdres 
(Cfr.  Matth.  xv,  12),  car  son  grand  coeur  ne 
craignait  pas  les  hommes;  c'est  toutefois  una 
sage  retraite,  dont  il  profitera  pour  achever 
I'inslruction  de  ses  Apotres.  II  ne  veut  pas 
avancer  I'heure  que  la  divine  Providence  a 
fixee  pour  sa  Passion  et  pour  sa  mort.  —  In 
fines  Tyri  et  Sidonis.  Tout  d'abord,  le  Sau- 
veur ne  franchit  pas  les  limites  du  territoire 
de  ces  deux  villes.  Voyez  I'Evang.  seloa 
S.  Matth.  p.  309.  La  maison  dans  laquelle  il 
s'installa  semble  avoir  ete  bStie  a  peu  de  di» 
tance  de  la  frontiere.  Tyr  et  Sidon,  ces  an- 
tiques villes  rivales,  celebres  par  leurs  mal- 
heurs  autant  que  par  leur  gloire,  jouissaient 
alors  d'une  certaine  splendeur.  Leur  popula- 
tion etait  paienne  en  grande  majorite.  — 
Neminem  voluit  scire  est  une  traduction  litte- 
rale  du  grec  ouSsva  ri^tle  y\u>vai.  La  phrase  est 
amphibologique  et  pent  signitier  indifferem- 
ment  :  11  ne  vouluL  connaitre  personne,  ou 
bien  :  II  voulut  n'elre  r-'connu  de  personne.  Le 
contexte  monlre  qu'il  faut  adopter  le  premier 
de  ces  deux  sens.  L'intention  de  Jesus  etait 
done,  comme  Ton  dit,  de  garder  I'incognito; 
neanmoins,  non  ipotuit  latere,  a  la  fa^on  d'un 
parfum  qui  ne  tarde  pas  a  trahir  sa  presence. 
Marc.  —  8 


414 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


25.  Car,  aussilot  qu'elle  eut  oni 
dire  qu'il  etait  la,  ime  femme  dont 
la  fille  avait  en  elle  un  esprit  im- 
monde,  entra  et  se  jeta  a  ses  pieds. 

26.  Or  c'etait  line  femme  d'entre 
les  Gentils,  syro-phenicienne  de  na- 
tion, et  elle  ie  priait  de  chasser  de 
sa  fille  le  demon. 

27.  II  lui  dit :  Laissez  d'abord  les 
enfants  se  rassasier,  car  il  n'est  pas 
bon  de  prendre  le  pain  des  enfants 
et  dele  jeter  aux  chiens. 


2b.  Mulier  enim  statim  ut  audivit 
de  eo,  cujus  filia  habebat  spiritum 
immundum,  intravit,  et  procidit  ad. 
pedes  ejus.  ^ 

26.  Erat   enim   mulier  Gentilis,.  [ 
syrophoenissa  genere.  Et   rogabat>l 
eum  ut  dseraonium  ejiceret  de  filia 
ejus. 

27.  Qui  dixit  illi  :  Sine  prius  sa- 
turari  filios ;  non  est  enim  bonum 
sumere  panem  filiorum,  et  mittere. 
canibus. 


Ces  derniers  mots  proiivent  que  la  volonte 
du  Sauveur  n'etait  pas  absolue  dans  cette 
circonstance.  Tout  revienl  a  dire  qu'il  agis- 
sail  a  la  fagon  d'un  voyageur  qui  cherche  a 
eviter  la  publicile.  —  Les  details  contenus 
dans  la  seconde  nioitie  de  ce  verset  sont  spe- 
ciaux  a  S.  Marc. 

25.  —  Mulier  enim...  L'evangelisle  passe  a 
un  fait  particu'ier,  destine  a  demontrer  la 
justesse  de  son  assertion  prealable,  «  Non 
poluit  latere.  »  —  Statim  ut  audivit  de  eo: 
des  que  cette  femme  eulappris  la  presence  de 
Jesus  dans  ces  parages.  II  y  avait  longlemps 
que  le  bruit  des  miraci^s  du  Sauveur  s'etait 
repandu  en  Phenicie.  Cfr.  in,  8;  Luc.  vi,  17. 
—  Cujus  filia.  Dans  le  grec  :  f,;. . .  to  6uyaTp'.ov 
a'j-:f,z,  avec  deux  pronoms.  C'est  un  hebraisme 
(in2  ItTX)  qu'on  rencontre assezsouvenl  dans 
lesecrils  duNouveau  Testament.  Cfr.  Winer, 
Gramm.  pp.  133  et  suiv,  Notons  aussi  le 
diminutif  OuvaTptov,  —  Intravit  et  procidit,.. 
Description  piltoresque  de  toules  les  demar- 
ches de  cette  pauvre  mere. 

26.  -^  Erat...  mulier  gentilis.  L'equivalent 
de  «  gentilis  »  dans  le  texte  primitif  est  'EW.yi- 
■vic,  «  Graeca  ».  Et  pourtant  la  suite  du  ver- 
set prouve  que  la  suppliante  n'elail  nulle- 
ment  grecque  d'ongine.  Mais  il  faut  se  sou- 
venir que.  pour  les  Juifs,  le  mot  "E).)yiv  ser- 
vait  a  designer  tous  les  paiens,  sans  distinc- 
tion de  nationalite.  Cfr.  Bretschneider,  Lex. 
man.  s.  v.  Le  nom  de  Franc  a  eu  un  sort 
analogue  dans  la  Palestine  moderne  :  apres 
avoir  represente  d'abord  uniquement  les 
Frangais,  il  est  devenu  plus  tard  synonyme 
d'Occidental  en  general.  —  SyrophcBnissa  ge- 
nere. Pai'enne  au  point  de  vue  de  la  religion, 
la  femme  que  nous  avons  vue  se  proslerner 
aux  pieds  de  Jesus  etait  «  chananeenne  »  de 
race  :  tel  est  en  efFel  le  sens  de  Sypocpotv.crca 
(d'anciens  manuscrits  portent  Supa^oiviy.icrGa 
et2upoootvty.io(ja).  Cfr.  Malth.  XV,  22  :  «  mu- 
lier chananaea.  »  Mais  I'expression  de  S.Marc 
estd'une  exactitude  plus  parfaile.  Bien  que 
les  habitants  de  Tyr  et  de  Sidon  appartins- 


sent  a  la  grande  famille  chananeenne  (voir 
Gen.  X,  15-19),  leur  vrai  nom  n'en  etait  pas 
moins  «  Pheniciens  ».  Or,  au  temps  de  Jesus, 
la  Phenicie  faisait  partie  integrante  de  la 
province  romaine  de  Syrie  :  de  ia  les  deux 
mots  reunis  Syro-Pheniciens,  pour  distinguer 
ses  habitants  des  Carthaginois,  qu'on  appelait 
parfois  Atoy^oiviza?,  Pheniciens  d'Afrique. 
S.  Matlhieu  a  employe  I'expression  plus  com- 
munement  en  usage  chez  les  Juifs,  S.  Marc 
s'est  servi  du  nom  greco-romain.  Cfr.  Juven. 
Sat.  viii,  159  et  160.  —  Rognbat  eum. 
S.  Matthieu  a  conserve  les  termes  memes  de 
cette  pressante  demande  :  «  Ayez  pilie  de 
moi,  Seigneur,  fils  de  David ;  ma  lille  est 
cruellement  tourmentee  par  le  demon.  »  II 
note  ensuile,  xv,  23-25.  divers  incidents  que 
notre  Evangeliste  a  omis  pour  aller  droit  au 
coeur  de  I'episode. 

27.  —  Qui  dixit  illi.  Dans  sa  reponse,  Jesus 
affecte  un  langage  severe,  afm  d'eprouver  la 
foi  dela  Chananeenne.  —  Sine  prius  saturari 
filios.  Nous  ne  lisons  ces  paroles  que  dans  la 
redaction  de  S.  Marc.  Elles  exprimenl  une 
idee  importante,  le  droit  qu'avaient  les  Juifs, 
fils  de  Dieu  plus  que  tous  les  autres  peuples, 
de  recevoir  avant  les  paiens  les  bienl'aits  qui 
accompagnent  I'Evangile.  Voycz  noire  com- 
mentaire  sur  S.  Mallh.  p|).  45  el  s.  Nean- 
moins,  par  irpuTov,  «  prius  »,  le  Sauveur  in- 
diquait  delicatemcnl  cpie  les  Gentils  auraient 
bientot  leur  tour.  Cfr.  Tlieophyl.  rl  le  Ven. 
Bede,  h.  I.  Son  refus  d"exauccr  !a  priere  de 
la  suppliante  recevail  par  la  mCMue  un  cer- 
tain adoucisscment.  —  Non  est  enim  bomim... 
Verite  d'autanl  plus  evidento  que  Jesus  s'a- 
dressait  a  une  mere  de  famille.  La  Chana- 
neenne aurail-clle  jamais  consent!  a  priver 
sa  fille  de  nourriturc,  pour  rassasier  les  chiens 
a  ses  depens?  La  comparaison  contenue  dans 
les  mots  filiorum  et  canibus  (d'apres  le  grec, 
«  catellis  »,  les  petits  chiens)  sert  a  mieux 
exprimer  la  distance  qui  separait  les  Juifs 
des  paiens  au  point  de  vue  des  bienfaits  di- 
vins.  D'ailleurs,  «  c'est  pour  faire  eclater  la 


(HAPITRE  VII 


115 


28.  At  ilJa  respondit,  et  dixit  illi  : 
Utique,  Domine,  nam  et  catelli  co- 
medunt  sub  mensa  de  micis  piiero- 
rum. 

29.  Et  ait  illi  :  Propter  hunc  ser- 
moneni  vade,exiit  dsemonium  a  filia 
tua. 

30.  Et  cum  abiisset  domum  suam, 
inveuit  puellam  jacentem  supra  le- 
ctum  et  dsemonium  exiisse. 

31.  Et  iterum  exiens  de  finibus 
Tyri,  venit  per  Sidonem  ad  mare 


28.  Mais  elle  lui  repondit  :  G'est 
vrai,  Seigneur,  cependant  les  petits 
chiens  aussi  mangent  sous  ia  table 
lesmiettes  des  enfants. 

29.  Et  il  lui  dit  :  A  cause  de  cette 
parole,  allez,  le  demon  est  sorti  de 
votre  fille. 

30.  Et  s'en  etant  allee  en  sa  mai- 
son,  elle  trouva  sa  fille  couchee  sur 
le  lit  et  le  demon  etait  sorti. 

31.  Et  quittant  de  nouveau  les 
confins  de  Tyr,  il  vint  par  Sidon  a 


foi  constanle  de  celle  femme  que  le  Seigneur 
differe  e(  ne  I'exauce  pas  tout  de  suite.  II 
veut  aussi  nous  apprendre  a  ne  pas  laisser 
tomber  tout  d'abord  noire  priere,  mais  a  in- 
sisler  pour  obtenir  ».  Theophylacte. 

28.  —  «  Or,  elle  supporta  tout  sans  peine, 
dit  de  son  cote  S.  Jean  Chrysostome,  et,  de 
sa  voix  pleine  de  respect,  elle  ne  fit  que  con- 
firmer  la  parole  du  Sauveur.  G'est  par  reve- 
rence pour  Jesus  qu'eile  se  range  dans  I'es- 
pece  des  chiens,  comine  si  elle  disait  :  Je  re- 
garde  coinme  un  bienfait  meme  d'etre  placee 
au  nombre  des  chiens,  et  de  manger  non  a 
une  table  etrangere,  mais  a  la  table  de  mon 
niailre.  »  Cfr.  Caten.  D.  Thorn,  h.  I.  —  Come- 
dunt  sub  mensa.  Tour  pittoresque  donne  a  ia 
pensee  dans  lo  second  Evnngile.  Nous  lisions 
dans  S.  Matthieu  :  «  Edunt  de  micis  quae 
cadunt  de  mensa  dominorum  suorum.  »  — 
De  micis  puerorum  :  autre  detail  non  moins 
dramalique,  et  special  a  S.  Marc.  II  nous 
montre  les  enfants  de  la  famille  emieltant 
une  partie  de  leur  pain  pour  les  petits  chiens 
qui  attendent  cette  bonne  aubaine  sous  la 
table. 

29  et  30.  —  Propter  hunc  sermonem.  A  cause 
de  cette  reflexion  pleine  de  foi,  dhumilite  et 
de  sages-e.  Jesus  consentit  a  franchir  les  li- 
miles  qu'il  s'elait  prescrilcs  relativcmenl  aux 
paien-:,  et  il  accorda  aussi  tot  a  la  supfiliante 
le  miracle  qu'eile  implorait  de  sa  boiile.  «  II 
lui  avait  montre  pendant  quelques  instants, 
comme  autrefois  Joseph  a  ses  freres,  un  vi- 
■  age  severe ;  mais,  comme  Joseph,  il  ne  put 
sarder  longienips  cet  aspect.  »  Trench,  Notes 
on  the  Miracles  of  our  Lord,  9e  ed.,  p.  3o6. 
Huelie  joie  dans  le  coeur  de  cette  mere  afUi- 
gee,  quand  elle  entendit  la  promcsse  du  Sau- 
veur :  Le  demon  a  quitte  ta  fille!  Quelle 
joie  plus  grande  encore  quand  elle  trouva  la 
malade  guene !  La  description  de  S.  Marc, 
puellam  jacentem  supra  ledum,  est  toule 
gra(ihique  :  ia  jeune  fille  qui,  auparavant, 
etait  sans  cessc  en  proie  a  des  convulsions 
produites  par  I'esprit  mauvais,  est  a  present 


tranquillement  etendue  sur  son  lit,  et  jouit 
d'un  repos  bienfaisant.  —  C'etait  la  troisieme 
des  guerisons  operees  a  distance  par  Nolre- 
Seigneur  :  les  deux  autres  avaient  ete  accom- 
plies  en  faveur  du  fils  d'un  intendant  royal, 
Joan.  IV,  43,  et  du  servileur  d'un  centurion, 
Luc.  VII,  6.  —  Et  cicemonium  exiisse.  II  y  a  une 
inversio'i  dans  la  Recepla  :  eupe  to  6a'.[jivnov 
l?£/.r,),"j6o?,  v.ai  Trjv  ^yc/.-cspx  p£S/,y)a£vr|V  etiI  xyj; 
x/.ivr,;.  Mais  les  manuscrits  B.  L).  Sin.  et  les 
versions  cople  et  syriaque  ont  la  meme  logon 
que  la  Vulgate.  Ici,  la  description  represente 
les  choses  tellesque  la  mere  les  trouva  a  son 
relour;  la,  elle  suit  I'ordre  reel  des  fails.  — 
Voyez,  dans  les  Homelies  Clementines,  ii,  19, 
diverses  legendes  relatives  a  la  vie  subse- 
quenle  de  la  Chananeenne. 

2.  —  Guerison  d'un  sourd-muet.  tii,  31-37. 

31.  —  Et  iterum  exiens.  Ce  verset  decrit 
en  abrege  I'un  des  voyages  les  plus  conside- 
rables de  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ.  Tan- 
dis  qne  S.  Matthieu  n'en  parle  qu  en  tormes 
fort  vagues,  «  quum  Iransisset  inde  Jesus, 
venit  secus  mare  Galileete  »,  xv,  29,  la  note 
de  S.  Marc  indique  tres-claireineni  I'itiue- 
raire  suivi  par  Jesus.  —  De  finibus  Tjiri  :  tel 
fut  le  point  de  depart.  Les  mots  per  Sidonem 
designent  la  premiere  partie  du  trajet.  Apres 
avoir,  selon  loule  vraisemblance.  franchi  la 
Jiontiere  juive  et  traverse  une  partie  du  ter- 
riloire  de  Tyr,  le  Sauveur  se  diiigea  lout 
droit  vers  le  Nord,  du  cote  de  Sidon.  II  est 
peu  probable  que  Jesus  soil  entre  dans  cette 
cite  paienne  :  il  ne  faut  done  pas  prendre 
irop  a  la  leltre  la  locution  «  per  Sidonem  ». 
Elle  peut  fort  bien  signifier  :  Atravers  le  pays 
qui  dependait  de  Sidon.  II  est  vrai  que  la 
Recepla  grecque  a  une  varianle  d'une  cer- 
taine  gravity  :  e^£>,Owv  £-/.  tojv  opiwv  Tupou  xal 
Iiowvo;.  «  Mais,  dit  fort  bien  D.  Calmel,  le 
Co[)te,  I'Arabe,  I'Ethiopien  et  plusieurs  ma- 
nuscrits (B.  D.  L.  A,  etc.)  sont  semblables  a 
la  Vulgate.  L'on  n'a  mis  :  les  confins  de  Tyr 
et  de  Sidon,  au  lieu  de  :  les  confins  de  Tyr  par 


116 

la  mer  de  Galilee,  en  passant  au  mi- 
lieu de  la  Decapole. 

32.  Et  on  lui  amena  un  sourd- 
muet,  et  on  le  pria  de  lui  imposer 
les  mains. 

33.  Et,  le  prenant  a  Tecart,  hors 
de  la  foule,  il  lui  mit  ses  doigts  dans 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 

Galilsese  inter  medios  fines  Decapo- 
leos. 

32.  Et  adducunt  ei  surdum  et  mu- 
tum,  et  deprecabantur  eum,  ut  im- 
ponat  illi  manum. 

itfa«A.  9,  32. 

33.  Et  apprehendens  eum  de  turba 
seorsum,  misit  digitos  suos  in  auri- 


Sidon,  que  pour  eviler  la  pretendiie  incon- 
gruile  que  1  on  concevait  a  ce  que  Jesus  se 
rendildeTyr  parSidon  a  la  mer  de  Galilee,  a 
laquelle  il  semblaittourner  ledos.  »  La  leQon 
du  grec  imprime  est  done  una  fausse  correc- 
tion. —  L' adverbe  iterum  retombe  sur  venit... 
ad  mare  Galilwce,  et  non  sur  «  exiens  »,  car 
I'Evangelisle  n'a  signale  aucun  voyage  an- 
terieur  de  Jesus  vers  Tyr  el  vers  Sidon, 
tandis  qu'il  a  menlionne  a  piusieurs  re- 
prises ses  courses  aupres  du  lac  de  Tibe- 
riade.  —  Inter  medios  fines  Decapoleos.  La 
Decapole  etant  situee  a  I'Orient  du  Jourdain 
(voyez  I'Evangile  selon  S.  Mallh.  p.  95),  pour 
gagner  la  mer  de  Galilee  a  Iravers  son  ter- 
riloire,  quand  on  se  Irouvait  aux  alentours 
de  Sidon,  on  n'avait  pas  le  choix  entre  piu- 
sieurs itineraires.  II  fallait  se  diriger  d'abord 
vers  I'Esl  a  travers  le  massif  du  Liban  meri- 
dional, franchir  la  gorge  profonde  de  la  Coe- 
lesyrie  ou  Syrie  creuse,  et  arriver  dans  I'An- 
tiliban  aupres  des  sources  du  Jourdain.  De  la 
on  devait  marcher  directement  au  Sud,  en 
passant  par  Cesaree  de  Philippe  et  Bethsaida- 
Julias.  Voyez  la  planche  XV  de  I'Atlas  geogr. 
de  M.  Ancessi,  les  cartes  de  Kiepert  et  de 
Van  de  Velde.  Le  voyage  dura  sans  doute 
quelques  semaines.  Dans  ces  contrees  soli- 
taires el  pittoresques,  Jesus  et  ses  disciples 
purent  jouir  du  calme  et  du  repos  qu'ils 
avaiont  en  vain  cherches  quelque  temps  aupa- 
ravant.  Cfr.  vi.  31  et  ss. 

32.  —  Et  adducunt  ei.  Sur  la  rive  orien- 
tale  du  lac  (Cfr.  Mallh.  xv,  29,  39  et  le  com- 
menlaire),  le  Sauveur  opera  de  nombreux 
prodiges  :  «  Une  foule  nombreuse  s'approcha 
de  lui,  lisons-nous  dans  le  premier  Evangile, 
ayant  avec  elle  des  muets,  des  aveugles,  des 
boileux,  des  infirmes  el  beaucoup  d'autres 
malades;  et  on  les  jela  a  ses  pieds  el  il  les 
guerit.  »  Au  lieu  de  noter  toules  ces  gueri- 
sons  miraculeuses,  S.  Marc  a  prefere  en  rele- 
ver  une  seule,qui  avail  eu  du  resle  un  carac- 
tere  particulier.  Ce  recil,  qui  lui  appartient 
en  propre  [tf-  32-37),  abonde  en  details 
dramatiques.  —  Surdum  et  mulum.  La  Re- 
cepta  dit :  y.w(p6v  ij,o-ft>.a),ov,  un  sourd  parlant 
avec  peine,  'de  [Aoyn;?  segre,  difficulter,  et 
),a),o;,  loquens),  d'oii  Vatable,  Calmet,  Mal- 
donat.  M.  Schegg,  etc.,  concluent,  et  ce  semble 


a  bon  droit,  que  Tinfirme  n'etait  ni  sourd  de 
naissance,  ni  totalement  muet,  mais  qu'il  avail 
perdu  de  bonne  heure,  par  suite  de  quelque 
accident,  I'usage  de  I'ouie  et  en  grande  partie 
celui  de  la  parole.  Cfr.  t<  35.  La  Peschito  le 
nomme  un^sxp)  «  balbuliens  ».Nousdevons 
dire  cependant  que  les  LXX  traduisent  au 
moins  une  fois  (Is.  xxxv,  5)  I'hebreu  dSk, 
«  mutus  »,  par  (xoYi),a>o?.  Rien  ne  prouveque 
le  malade  iut  possede  du  ciemon,  comme 
I'onl  conjecture  Theophylacte  et  Eulhymius. 
—  Deprecabantur.  Le  verbe  grec  est  au  pre- 
sent, TiapaxaXoOffiv.  C'est  ici  I'une  des  rares 
circonslances  oil  I'Evangile  nous  montre  des 
amis  intercedant  pour  leurs  amis  aupres  du 
divin  Maitre.  Cfr.  u,  3-5 ;  viii,  22-26.  — 
Ut  imponat  illi  manum.  «  Manus  illi  a  Chrislo 
imponi  poslulabant,  aut  quod  scirent  eum 
manuum  impositione  alios  multos  aegrotos 
curavisse,  aut  quia  vetus  erat  prophetarum 
et  sanctorum  virorum  consuetudo  ut  impo- 
sitis  sanarent  manibus.  »  Maldonal.  C'eiait 
une  demande  indirecte,  mais  evidenle,  de 
guerison. 

33.  —  Apprehendens  eum...  seorsum.  Telle 
est  bien  la  signification  classique  du  grec 
a7to)va6o[jLevoi;  auTov  :  Eisner  et  Wetstein  le 
prouvenl  par  de  nombreux  examples.  Mais 
pourquoi  Jesus,  avant  de  guerir  ce  malheu- 
reux,  le  tira-t-il  du  milieu  de  la  foule  pour 
le  condiiire  a  I'ecart?  On  a  essaye  de  justi- 
fier  eel  acte  par  cent  raisons  differentes. 
Nous  pensons  que  le  Sauveur  se  proposait 
simplemenl  d'exciter  la  foi  de  I'infirme,  selon 
sa  coulume,  et,  d'un  autre  cole,  d'eviter  I'en- 
thousiasme  de  la  multitude.  Il  n'operait  que 
raremenl  ses  prodiges  sous  les  yeux  des 
masses  populaires.  —  Mais  les  autres  cir- 
conslances qui  accompagnerent  celle  gueri- 
son sonl  bien  plus  extraordinaires  encore. 
Apres  avoir  isole  le  sourd-muet,  misit  digitos 
suos  in  auriculas  ejus,  c'est-a-dire  qu'il  mit 
I'index  de  sa  main  droite  dans  I'oreille  gauche, 
I'index  de  sa  main  gauche  dans  I'oreille 
droite;  puis,  expuens,  tetigit  linguam  ejus, 
c'est-a-dire  qu'ayanl  humecle  son  doigt  avec 
un  peu  de  salive,  il  en  loucha  la  langue  de 
rinfirme.  C'etaient  la  evidemment  des  gesles 
symboliques.  «  Quia  ergo  qui  surdi  sunt  vi- 
dentur  re   aliqua   obturatas  habere  aures, 


CHAPITUE  VII 


117 


culas  ejus,  et  expuens,  tetigit  lin- 
guam  ejus  : 

34.  Et  suspiciens  in  coelum,  inge- 
muit,  et  ait  illi  :  Ephpheta,  quod 
est,  adaperire. 

3o.  Et  statim  apertse  sunt  aures 
ejus,  et  solutum  est  vinculum  lin- 
guae ejus,  et  loquebatur  recte. 


les  oreilles  et  toucha  sa  langue  avec 
de  la  salive; 

34,  Et  levant  les  yeux  au  ciel,  il 
soupira  et  lui  dit :  Ephpheta,  c'est- 
a-dire,  Ouvrez-vous, 

35.  Et  aussitot  ses  oreilles  furent 
ouvertes  et  le  lien  de  sa  langue  fut 
rompu,  et  il  parlait  dislinctement. 


mitlit  digitum  in  aures  surdi,  quasi  clausas 
et  obluralas  lerebralurus,  aiit  impedimenlum 
quod  in  illis  eral  ablaturus  digilo.  Et  quia 
qui  muti  sum  videntur  ligalam  nimia  sicci- 
tate  habere  linguam  palatoque  adhserentem, 
ideoque  loqui  non  posse,  sicut  Prophela  iile 
dixit  :  Lingua  mea  adiiaesit  faucibus  meis 
(Ps.  XXI,  16),..,  mitlit  saiivam  in  os  niuli 
quasi  ejus  linguam  humectalurus  ».  Maldo- 
nat.  Ci'r.  Cornel,  a  Lap.  Jansenius,  Fr.  Luc. 
Cast  sur  le  sens  de  I'ouie  que  le  Sauveuragit 
en  premier  lieu,  car  la  surdile  elail,  comme 
dans  tous  les  cas  semblables,  le  mal  principal. 
L'infirme  ne  parlait  indistinclement  que  parce 
qu'il  n'entendait  pas.  Mais  pourquoi  Jesus 
fait-il  lant  de  ceremonies,  au  lieu  d'operer 
la  guerison  par  une  simple  parole,  ainsi  que 
cela  avait  lieu  la  plupart  du  temps  ?  C'est  son 
secret.  Nous  pouvons  neanmoins  dire  encore 
avec  le  sage  Maldonat,  auquel  nous  aimons  a 
falre  des  emprunts  :  «  Videtur  voluisse  Chri- 
stus  non  semper  aequaliter  suam  divinilalem 
potentiamque  declarare,  quod  non  semper, 
etiamsi  nos  causa  lateat,  convenire  judicaret. 
Aliquando  solo  verbo  daemones  ejicit,  mor- 
tuos  exsuscitat,  osiendens  se  omnino  esse 
Deum;  aliquando  tactu,  saliva,  luto  sanat 
aegrotos,  accommodans  quodammodo  poten- 
tiam  suam  ad  modum  agendi  causarum  nalu- 
ralium,  et  ad  sensum  et  consuetudinera  ho- 
minum.  » 

34.  —  Suspiciens  in  cesium.  S.  Marc  n'a  pas 
omis  le  moindre  detail  :  il  reproduitla  scene 
sous  nos  yeux.  —  Avec  quelle  spontaneitele 
regard  de  Jesus  devait  se  diriger  vers  le  ciel! 
Cfr.  Joan,  xvn,  1.  Mais  ce  geste  etait  sur- 
tout  familier  au  divin  Maitre  quand  il  etait 
sur  le  point  d'accomplir  quelque  grand  pro- 
dige.  Cf'-.  Malth.  xiv,  19  etparail.;  Joan. 
X,  41,  42.  II  montrait  ainsi  que  des  liens  in- 
times  I'unissaient  au  Pere  celeste.  G'etait  une 
muelte,  mais  pressante  priere  de  noire  Me- 
diateur.  —  Ingemuit.  Ce  gemissement  ex- 
primait,  suivant  la  belle  pensee  de  Victor 
d'Antioche  (Cramer,  Catena  grsec.  Patr.  h.l.), 
le  sentiment  de  vive  pitie  qu'excitait  dans  le 
coeur  de  Jesus  la  vue  de  la  profonde  misere 
qu'avaient  apportee  a  I'humanite  dechue 
I'envie  du  demon  et  la  faute  de  nos  premiers 
parents.  Le  pauvre  sourd-muet  etait  en  effet 


un  type  vivant  de  toutes  les  infirmite?  phy- 
siques et  morales  auxquelles  I'homme  est  en 
bulte  sur  cette  terrre  —  Ephpheta.  Nous 
avons  deja  vu,  v,  14,  noire  Evangeliste  ciler 
les  paroles  du  Sauveur  dans  la  langue  ara- 
meenne.  C'est  la  une  des  parlicularites  de  sa 
narration  graphique  et  vivante.  Cfr.  xii,  3.  Le 
mot  qu'il  a  exprime  en  grec  par  e^^aOa  se 
pronongait  alors  ethphathach  (nnsriN).  C'est 
I'imperalif  dela  forme  ethpaal.  II  y  a  eu,  con- 
formement  au  genie  de  la  langue  grecque, 
assimilation  du  n  (le  premier  th  change  en  (p), 
et  apocope  du  n  {ch)  final.  On  pourrait  aussi 
rapprocher  £99a9a  du  niphal  hebreu  nnSH, 
ippdtach.  —  La  traduction  ajoutee  pour  les 
lecteurs  non  juifs  de  I'Evangile,  adaperire, 
est  tout  a  fait  litterale.  —  Quand  le  pretre 
catholique  confere  le  bapteme  solennel,  il 
adresse  cette  meme  parole  au  cathecumene, 
dont  il  humecte  les  narines  et  les  oreilles 
avec  un  peu  de  salive.  Ce  double  emprunt  fait 
a  la  conduite  du  Sauveur  a  pour  but  d'indi- 
quer  qu'avant  la  regeneration  operee  par  le 
sacrement  de  bapteme,  I'homme  est  sourd 
et  muet  relativement  aux  choses  de  la  foi. 
De  la  cette  allocution  de  S.  Ambroise  a  de 
nouveaux  baptises  :  «  Aperite  igitur  aures, 
et  bonum  odorem  vitae  eeternee  inhalatum 
vobis  munere  sacramentorum  carpite,  quod 
vobis  significavimus,  quum  apertionis  cele- 
brantes  mysterium  diceremus  Epheta,  quod 
est,  Adaperire  v.  De  Init.  i. 

35.  —  Et  statim.  La  parole  de  Jesus  pro- 
duit  immediatement  son  effet.  Les  oreilles 
s'ouvrent,  raconte  S.  Marc  dans  son  style 
image,  le  lien  qui  avait  jusqu'alors  retenu  la 
langue  captive  se  brise  en  un  din  d'ceil,  et 
le  muet  de  tout  a  I'heure  parle  parfaitement. 
«  Le  Createur  de  ia  nature  avail  fourni  cequi 
manquait  k  la  nature.  »  Victor  d'Antioche. 
—  Des  mots  loquebatur  rede,  les  exegctes 
dont  nous  avons  cile  plus  haul  les  noms 
(voir  la  note  du  f.  32)  concluent  a  juste  titre 
que  Tintirme  n'etait  ni  sourd  ni  muet  denais- 
sance.  «  Nam  hujusmodi  nihil  queat  loqui, 
etiam  omni  linguae  impedimentosublato;  non 
enim  loquitur  homo  quod  non  didicerit.  » 
Luc  de  Bruges.  Quoique  tout  fiit  possible  a 
Jesus,  nous  n'avons  aucune  raison  speciale 
de  supposer  que,  par  un  nouveau  prodige  il 


418 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


36.  Et  il  leur  defendit  d^'en  rien 
dire  a  personne;  maisplus  ille  leur 
defendait,  plus  ils  le  publiaient. 

37.  Et  ils  I'admiiaient  d'autant 
plus,  disant  :  II  a  bien  fait  toutes 
clioses,  il  a  fait  entendre  les  sourds 
etparler  les  muets. 


36.  Et  prsecepit  illis  ne  cui  dice- 
rent.  Quanto  autem  eis  praecipiebat, 
tanto  magis  plus  praedicabant. 

37.  Et  eo  amplius  admirabantur, 
dicentes  :  Bene  omnia  fecit :  et  sur- 
dos  fecit  audire,  et  mutos  loqui. 


CHAPITRE    VIII 

Seconde  multiplication  des  pains  [tt.  4-9).  —  Le  signe  du  ciel  et  le  levain  des  Pharieiens 
(tar.  10-21).  —  Guerison  d'un  aveugle  a  Bethsaida  (tt.  22-26).  —  Giorieuse  confession  de 
S.  Pierre  (tt.  27-301.  —  Necessite  de  la  croix  pour  le  Christ  et  pour  les  Chretiens 
(tt.  31-39). 


1.  En  ces  jours-la  encore,  comme 
la  foule  etait  grande  et  n'avait  pas 
de  quoi  manger,  il  appela  ses  dis- 
ciples et  leur  dit : 


1 .  In  diebus  illis  iterum  cum  turba 
multa  essct,  nee  haberent  quod 
manducarent,  convocatis  discipulis, 
ait  illis  : 


Matth.  13,  32. 


ait  siibiteraent  communique  au  sourd-muet  la 
connaissance  de  la  langiie  arameenne. 

36.  —  Et  prcecepit  illis...  Ce  pronom  au 
pluriel  designe  tous  les  temoins  du  miracle, 
par  consequent  Tinfirme,  ses  amis  qui  I'a- 
vaient  conduit  a  Jesus  et  les  disciples.  Les 
defenses  de  ce  genre  etaient  presque  toujours 
violees  :  au  reste,  ceux  qu'elles  concernaient, 
emportes  par  l'entliousia?me  et  la  reconnais- 
sance, ne  se  croyaientguere  obliges  au  secret. 
Dans  la  circonslance  presente,  comme  dans 
beaucoup  d'autres,  il  arriva  done  le  contraire 
de  ce  que  le  Sauveur  avait  prescrit.  L'Evan- 
geliste  emploie,  pour  exprimer  ce  fait,  des 
termes  a  la  fois  energiques  et  populaires  : 
Quanto  eis  prcecipiebat...Le  double  compa- 
ratif  tanto  magis  plus,  |jl5).).ov  TiepurffoTepov,  est 
surtout  a  noter.  Cfr.  II  Cor.  vii,  13;  Phil. 
I,  23,  et  Winer,  Grammat.  p.  214. 

37.  —  Et  eo  amplius  admirabantur.  Tous 
ceux  qui  entendaient  le  recit  de  cette  cure 
merveilleuse  etaient  saisis  de  I'admiration  la 
plus  vive;  •jnEpitspKraw;  £^£7r),r,(7(jov-o,  dit  le 
texte  grec  avec  plus  de  force  encore  que  la 
Vulgate.  L'adverbe  {iTrep'n^EptaCToj;,  qu'on  ne 
trouve  pas  ailleurs  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment, signifie  «  supra  modum,  valde  abun- 
danter.  »  —  La  surprise  arrachait  aux  foules 
une  exclamation  iouchanle,  Bene  omnia  fecit, 
qui  conlient  «  une  belle  apologie  du  Sauveur 
contre  les  accusations  et  les  murmures  des 


Pharisiens,  un  eloge  qui  ne  convient  propre- 
ment  qua  Dieu  seul.  »  Calmet.  Opera  do- 

MIXI  UMVERSA  VALDE  BONA,  Eccli.  XXXIX,  21; 
CUNCTA    QU.E   FECERAT    ERANT    VALDE    BONA, 

Gen.  I,  31,  esi-il  dit  du  Dieu  Createur.  — 
Les  paroles  surdos  fecit  audire...  (ou  mieux 
«  facit  »  au  temps  present,  TioTii)  sont  une  re- 
miniscence de  la  celebre  prophetic  dlsaie, 
XXXV,  3  et  6,  dont  elles  chantent  I'accom- 
plissement  parfail  :  «  Alors  (a  I'epoque  du 
Messie)  les  yeux  des  aveugles  s'ouvriront  et 
les  oreilles  des  sourds  seront  ouvertes...  et  la 
langue  des  muets  sera  deliee.  » 

3.  —  Seconde  mnltiplication  des  pains. 

vui,  1-9.  —  Parall   Malth.  xv,  3-2-38. 

Les  narrations  de  S.  Matlhieu  et  de  S.  Marc 
se  suivent  ici  presque  mot  pour  mot.  Nean- 
moins  celle  de  noire  Evangeliste  est  un  peu 
plus  longue,  parce  qu'elle  conlient  quelques 
details  particuliers,  dont  voici  les  princi- 
paux  :  t".  1,  a  Nee  haberpnl  quod  manduca- 
rent » ;  t.  3,  «  quidam  enim  ex  eis  de  longe 
venerunt  » ;  t.  7,  o  et  ipsos  (pisciculos)  bene- 
dixit.  » 

Chap.  viii.  —  In  diebus  illis.  C'est-a-dire, 
d'apres  les  antecedents  (Cfr.  vii,  31),  durant 
le  sejour  que  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ  lit 
aupres  du  lac  de  Tiberiade  apres  son  relour 
des  regions  pheniciennes.  —  L'adverbe  ite- 
rum nous  reporte  a  la  premiere  mulliplica- 


CHAPITRE    VIII 


M9 


2.  Misereor  super  ti.iibam  :  quia 
•eccc  jam  Iriduo  sustinont  me,  nee 
liaben!  quod  manducent  : 

3.  Et  si  dimisero  cos  jejuuos  in 
domum  suam,  deficient  in  via  :  qui- 
<lam  enJm  ex  eis  de  longe  venerunt : 

4.  Et  respondrruut  ei  di'^'^ipuli 
sui  :  Unde  ilJos  quis  poiont  hie  sa- 
turare  panibus  in  soliladine? 

5.  Et  interrogavit  eos  :  Quot  pa- 
nes iiabetis?  Qui  dixerunt :  Septem. 

G.  Et  prjecepit  turbaB  discumbere 
super  terrain.  Et  accipiens  septem 
panes,  gratias  agens  fregit,  et  dabat 
disci pulis  suis  ut  appouerent,  et  ap- 
posuerunt  turbte. 


2.  J'ai  pitie  de  cette  foule,  car 
voila  deja  trois  jours  qu'ils  sont 
avec  moi,  et  ils  n^out  pas  de  quoi 
manger. 

3.  Et  si  je  les  renvoie  a  jeun  dans 
leurs  maisons,  ils  tomberont  de  de- 
faillance  en  chemin,  car  quelques- 
uns  d'entre  eux  sont  venus  de  loin, 

4.  Ses  disciples  lui  repondirent : 
Comment  quelqu'un  pourra-t-il  les 
rassasier  de  pain,  ici  dans  le  desert? 

5.  Et  il  leur  demanda  :  Gombien 
de  pains  avez-vous?  Et  ils  lui  di- 
rent :  Sept. 

6.  Et  il  commanda  a  la  foule  de 
s'asseoira  terre.  Et,prenantles  sept 
pains  et  rendant  graces,  il  les  rom- 
pit  et  les  donna  a  ses  disciples  pour 
les  distribuer,  et  ils  les  distribue- 
rent  a  la  foule. 


tion  dcs  pain?,  opereo  quelqiies  mois  aiipara- 
vant  aux  environs  do  Bellisaida-Juiias,  vi, 
35-43.  II  est  vrai  que  eel  advorbe  manque 
dans  la  Recepla,  oil  on  lili^atiTcoXXou  6-/}o^  ovto<; 
au  lieu  de -d).'.v -oXXoO... ;  mais  les  meiileurs 
manusciil!:  (B.  D.  G.  L.  M.  A,  etc.)  ont  la 
meme  legon  que  la  Vulgate.  —  Turba  multa. 
Celte  foule  nombreuse  avail  ele  attiree  par 
les  miracles  recents  dii  Sauveur.  Cfr.  Malih. 
XV.  30,  3!.  —  Nee  haberent...  Ces  verbes  au 
pluriel  apres  un  >ujet  au  singulier  torment 
nne  «  constructio  ad  synesin  ».  Cfr.  Beelen, 
Gramm.p.244.  Le  p^uple  manquait  devivres 
parce  que,  rassemble  depuis  deja  trois  jours 
[t.  2)  aupres  de  Jesus,  il  avail  consomme 
outes  les  provisions  dont  il  s'etait  muni. 

"2.  —  Mi<!ereor  super  turbam.  Le  verbe 
grec  <TT:),aYX''''o!J.ai  designs  toujours  una  tres 
vive  emotion.  Presque  touLes  les  fois  que 
nous  I'entendons  prononcer  par  le  bon  Pas- 
teur, nous  apprenons  aussitol  apres  que  les 
pauvres  brebis  qui  excitaienl  sa  compassion 
regurent  de  lui  quelque  merveilleux  secours. 
Cfr.  1,41  ;  Matth.  ix,  37;xiv,'14;  xx,  34;  etc. 
—  Sustinent  me.  Dans  le  grec,  7tpo(j(i£'vou<7t  (loi, 
a  manent  apud  me.  » 

3.  —  El  si  dimisero...  D'apres  S.  Matthieu, 
XV,  31,  Jesus  aurait  dit  avec  plus  de  force  : 
«  Dimittere  eos  jejunos  nolo.  »  C'etail  une 
hypolhese  a  laquelle  son  divin  coeur  ne  vou- 
lait  pas  meme  s'arr^ter  un  instant.  Pouvail- 
il  exposer  ce  bon  peuple  qui,  par  amour  pour 
lui,  avail  oublie  ses  necessites  materielles,  a 
faire  une  longue  route  a  jeun,  avant  d'at- 
teindre  un  domicile  qui  etait  lointain  pour 


plusieurs?  Sans  compter  que,  dans  cette 
foule,  il  y  avail  des  femmes  et  des  enfants. 
Cfr.  Matih.  xv,  48.  —  Ge  court  preambul© 
nous  montre  que  les  deux  multiplications  des 
pains  eur-^nt  liju  dans  des  circonstances  a 
peu  pres  idsnfq.ies.  Sur  la  di-^tinclion  reelle 
des  deux  mira'los,  voyez  I'Evangile  selon 
S.  Matthieu,  p.  313,  el  Deliaut,  I'Evangile  ex- 
plique,  mediio,  def-ndu,  t.  Ill,  pp.  51  et  52. 

4.  —  Responderunt  ei  discipidi.  Au  lieu 
de  la  reponse  pl'ine  de  foi  qu'on  aimerait  a 
entendre  sortir  de  la  boucne  des  Apotres, 
Jesus  en  regoit  une  qui  fait  juslemenl  dire 
a  Victor  d'Antioche  :  «  Discipuli  videban- 
tur  adhuc  inlellectu  deSci,  Domini  potential 
post  priora  miracula  minime  fidentes.  »  He- 
las!  tairt  d'aulres  hommes  semblent  n'acque- 
rir  aucune  experience  au  contact  journalier 
des  choses  divines  !  Du  reste,  le  Sauveur  leur 
reprochera  bienlot,  ■?.  17,  d'avoir  I'intelli- 
gence  encore  aveugle.  —  In  solitudine  :  plus 
clairement,  «  in  deserto  »,  eti'  epr,aia;,  loin  de 
tout  lieu  habile.  Cfr.  vi,  32  et  Texplication. 

5  el  6.  —  Sans  tenir  comple  de  la  reponse 
des  Douze,  Jesus  se  conlenle  de  leur  deman- 
der  s'ils  ont  quelques  pains  a  leur  disposi- 
tion. II  agissait  ainsi,  dit  S.  Remi,  in  Matth. 
XV,  34,  «  ut,  dum  illi  responderent  septem, 
quo  pauciores  essent,  eo  magis  miraculum 
diffamarelur  el  notius  fieret.  »  Le  meme  au- 
teur  remarque,  a  propos  des  mots  discum- 
bere super  terram  :  «  In  superiori  refectione 
supra  foenum  discubuisse  dicuntur,  hie  vero 
super  terram.  »  Cette  nuance  a  sa  valeur 
pour  la  distinction  des  deux  fails.  —  Dabat, 


420 


E7ANGILE  SELON  S.  MARC 


7.  lis  avaient  encore  quelques 
petits  poissons ;  il  les  benit  aussi 
et  les  fit  distribuer. 

8.  Et  ils  mangerent  et  furent  ras- 
sasies;  et  ils  emporterent  ce  qui  res- 
tait  des  fragments,  sept  corbeilles. 

9.  Et  ceux  qui  mangerent  etaient 
environ  quatre  mille,  et  il  les  ren- 
voya. 

10.  Et  aussitot,  montant  dans 
une  barque  avec  ses  disciples,  il 
vint  dans  le  pays  de  Dalmanutha. 


7.  Et  habebant  pisciculos  paucos  1 
et  ipsos  benedixit,  et  jussit  apponi. 

8.  Et  manducaverunt,  et  saturati 
sunt,  et  sustulerunt  quod  superave- 
rat  de  fragmentis,  septem  sportas. 

9.  Erant  autem  qui  manducave- 
rant,  quasi  quatuor  millia  :  et  dimi- 
sit  eos, 

10.  Et  statim  ascendens  navim 
cum  discipulis  suis,  venit  in  partes 
Dalmanutha. 


a  I'imparfait ,  comme  precedemment.  Cfr, 
VI,  41 ,  et  la  note  correspondante. 

7.  —  Pisciculos...  benedixit  et  jussit...  D'a- 
pres  le  grec  :  «  et  quiim  benedixisset,  jussit  et 
eos  apponi.  »  Cette  benediction  est  designee 
dans  le  texte  primitif  par  le  verbe  eOXoysw ; 
celle  du  pain,  t.  6.  par  eOxaptsTEw.  Ces  deux 
expressions  sont  d'ailleiirs  idenliques.  Cfr. 
Matlh.  XXVI,  26;  Luc.  xxii,  17. 

8  et  9.  —  Details  qui  servent  a  montrer 
la  grandeur  du  prodige.  —  Sportas.  S.  Marc, 
comme  S.  Malthieu,  donne  ici  aux  corbeilles 
le  nom  de  ffTTjpiSei;.  Lors  de  la  premiere  mul- 
tiplication des  pains,  il  les  avail  designees  par 
celui  de  y.o^tvoi.  Voyez  I'Evang.  selon  S.  Mat- 
thieu,  p.  314.  A.  Rich,  dans  son  Diclionn. 
des  Antiq.  rom.  et  grecq.  p.  598,  donne  un 
specimen  de  la  «  sporta  >'  —  Dimisit  eos. 
Les  pasteurs  des  Smes,  ainsi  que  le  font  ob- 
server ici  les  moralistes,  ne  doivent  renvoyer 
leurs  peuples  qu'apres  leur  avoir  fourni,  a 
I'exemple  de  Jesus,  une  nourriture  substan- 
tielle  el  abondante.  Autrement,  combien  se- 
raient  saisis  de  defaillance  sur  le  long  et  pe- 
nible  chemin  de  la  vie,  et  ne  pourraient  par- 
venir  au  salul!  —  D'apres  S.  Auguslin, 
Serm.  lxxxi,  et  S.  Hilaire,  in  Matth.  xv,  les 
convives  du  premier  de  ces  feslins  rnira- 
culeux  represenleraient  les  Juifs,  landisque 
ceux  du  second  seraient  la  figure  des  Gen- 
tils.  «  Sicut  ilia  turba  quam  primo  pavit, 
ecrit  S  Hilaire,  Judaicae  credenliura  convenit 
turbae,  ita  haec  populo  gentium  compara- 
tur  ».  Ce  sont  les  mots  «  de  longevenerunt  », 
'III,  3,  qui  ont  suggere  cette  ingenieuse  dis- 
/inclion,  les  paiens,  pour  venir  a  Jesus, 
jyant  besoin  de  faire  au  moral  une  route 
plus  longue  que  les  Juifs. 

4.  —  Le  slgne  du  ciel  et  le  levaln  des  Pha- 
risiena.  vin,  10-21.  —  Parall.  Matlh.  xvi,  1-12. 

iO.  —  Ascendens  navim.  Dans  le  grec, 
TOTtXotov  avec  larticle  :  la  barque  qui  etait 
habituellement  a  la  disposition  de  Jesus.  Le 
Sauveur  se  hate  de  sortir  aussitot  apres  son 


miracle  [stalim],  pour  ne  pas  fournir  au  peuple 
I'occasion  de  nouvelles  tentalives  enlhou- 
siastes,  procedanl  de  fausses  idees  messia- 
niques.  Cfr.  Joan,  vi,  14  el  15.  —  Venit  in 
partes  (si;  xa  p.£pr,,c'est  le  l'^3  hebreu,«  trac- 
tus  »)  DaUnanuilia.  Au  lieu  de  ce  nom  propre, 
qu'on  ne  rencontre  nulle  part  dans  I'Ancien 
Testament,  ni  dans  les  ecrils  de  Josepne, 
S.  Malthieu,  xv,  39  (voyez  le  commentaire), 
menlionnait  celui  de  "Magedan  d'apres  la 
Vulgate,  de  Magdala  d'apres  le  texle  grec. 
C'est  sans  doule  pour  rendre  la  Concorde  plus 
facile  que  plusieurs  Peres  latins  et  divers 
manuscrits  grecs  ont  egalement  ecrit,  dans  hi 
present  passage  de  S.  Marc,  les  uns  «  Mage- 
dan »,  les  autres  MavSa),*.  Mais  Aa),aavoy6x 
est  certainemenl  la  le^on  authentiqiie.  Oil 
placer  la  localite  ainsi  designee?  Comment 
elablir  I'accord  enlrenos  deux  Evangelisles? 
Relalivement  au  premier  point,  nousciterons 
trois  opinions  principales.  II  y  a  d'abord  celle 
du  Dr  americain  Thomson,  qui,  dans  son  inte- 
ressanl  ouvrage  :  The  Land  and  the  Book, 
Londr.  1876,  p.  393,  essaie  d"identifier  Dal- 
manoutha  avec  un  village  en  ruines,  nomme 
Dalhamia  ou  Dalmamia,  et  situe  sur  le  rivage 
oriental  du  lac  deGennesareth.  Ce  sentiment, 
ou  plulot  celle  conjecture,  car  ce  n'est  pas 
autre  chose,  a  le  grave  inconvenient  de 
rendre  toute  harmonie  impossible  entre 
S.  Malthieu  et  S.  Marc,  puisque  Magdala 
s'elevait  certainement  a  I'ouest  du  lac.  Light- 
foot,  Opera,  H,  414,  suppose,  mais  sans  le 
moindre  fondement,  que  Aa),[jiavo'j9a  est  la 
forme  grecisee  de  llcSs,  Tsalmon,  nom  d'une 
ville  batie,  d'apres  le  Talmud,  aux  environs 
de  Tiberiade.  Resle  I'opinion,  generalement 
admise  de  nos  jours,  qui  consisle  a  faire  de 
Dalmanoutha  un  village  situe  a  peu  de  dis- 
tance de  Magdala,  dans  la  plainede  Gennesa- 
reth,  et  dont  le  nom  s'esl  perdu  depuis  I'e- 
poque  de  Jesus.  Le  Dr  Tristram  decrit  ainsi 
son  emplacement  probable  :  «  Juste  avant 
d'alteindre  Medjel  (Magdala),  nous  traver- 
sames  une  petite  vallee  ouverte,  Ain-el-Ba- 


CHAPITRE    VIII 


421 


11.  Et  exierunt  Pharissei,  et  cce- 
perunt  conquirere  cum  eo,  quseren- 
tes  ab  illo  signum  de  ccbIo,  tentan- 
tes  eum. 

Matth.  16,  i;  Luc.  II,  54. 

12.  Et  ingemiscens  spiritu,  ait: 
Quid  generatio  ista  signum  quserit? 
Amen  dico  vobis,  si  dabitur  genera- 
tioni  isti  signum. 


11.  Et  des  Pharisiens  vinrent  et 
commencerent  a  disputer  avec  lui, 
lui  demandant  un  prodige  dans  le 
ciel,  pour  le  tenter. 

12.  Et,  gemissant  du  fond  du 
coeur,  il  dit  :  Pourquoi  cette  gene- 
ration demande-t-elle  un  prodige? 
En  verite  je  vous  le  dis  :  aucun  pro- 
dige ne  sera  accorde  a  cette  gene- 
ration. 


rideh,  ornee  de  riches  champs  de  ble  et  de 
quelques  jardins  egares  parmi  les  ruines 
d'un  village.  Nous  vimes  aussi,  a  proximile 
de  plusieurs  sources  abondantes,  des  fonda- 
tions  considerables,  paraissant  assez  an- 
ciennes.  Elles  apparliennent  vraisembleraent 
au  Dalmanoulha  du  Nouveau  Testament.  » 
Land  of  Israel,  p.  413,  3e  edit.  Cfr.  Smith, 
Diction,  of  the  Bible  et  Kilto,  Cyclop,  of  the 
Bible,  s.  V.  Dalmanutha.  D'apres  cette  hy- 
pothese,  la  conciliation  est  aisee  :  le  premier 
evangeliste  aura  mentionne  la  ville  principale, 
pres  de  laquelle  Jesus  vinl  debarquer;  le 
second,  avec  sa  precision  accoutumee,  la 
localite  moins  connue  dont  le  Sauveur  foula 
tout  d'abord  le  sol  apres  etre  sorti  de  son 
embarcation.  En  somme,  comme  le  disait 
deja  S.  Augustin,  de  Cons.  Evang.  1.  II,  c.o, 
c'est  la  meme  region  qu'ils  auront  designee 
sous  deux  noms  differents. 

11. —  Exierunt  Phai^iscei.  Ces  adversaires 
implacables  ne  laissent  pas  de  repos  a  Jesus : 
des  qu'ils  le  savent  en  un  endroit,  ils  y 
accourent  pour  lui  tendre  des  pieges.  S.  Mat- 
thieu  nous  apprend  qu'ils  se  presenlaient 
cette  fois  accompagnes  des  Sadduceens  qui, 
bien  qu'appartenant  a  un  parti  oppose  au 
leur,  s'elaient  neanmoins  ligues  avec  eux 
centre  I'ennemi  commun.  —  Cceperunt  con- 
quirere, c'est-a-dire  a  discuter,  car  tel  est 
le  sens  derive  de  (rurriTeiv.  «  Mos  antiquissi- 
mus  disputandi  eral  per  interrogationes. 
Hinc factum  est  ut  (tv^yiteTv  dicalur  disputare  » 
Rosenmiiller,  Scholia  in  h.  I.  —  L'objel  de 
la  discussion  est  ensuite  clairement  indique  : 
(Jucerentes  signum  de  ccbIo.  En  quoi  consistait 
ce  signe  du  ciel  qui,  suivant  les  traditions  jui- 
ves,  devait  inaugurer  le  regne  duMe?sie?On 
ne  saurail  le  dire  au  juste.  En  ce  que  Jesus  fit 
pleuvoir  la  manne,  repond  le  Yen.Bede;  en  ce 
qu'il  arretat  le  soleil  ou  la  lune,  fit  tomber  la 
grele  et  changeat  I'etatde  I'almosphere,  ecrit 
Theophylacte.  Voyez  I'Evangile  selon  S.  Mat- 
thieu,  p.  316.  Quoi  qu'il  en  soil,  ce  signe 
opere  par  le  Sauveur  devait  6tre,  selon  la 
pensee  des  Pharisiens,  une  legitimation  pe- 


remptoire  de  son  caractere  messianique.  Ou 
plulot,  il  n'eut  rien  legitime  a  leurs  yeux, 
comme  le  montre  une  reflexion  significative 
de  I'Evangeliste  :  tentantes  eum.  Leur  but 
secret  etait  d'humilier,  de  confondre  Notre- 
Seigneur,  nullement  de  s'assurer  de  la  divinite 
de  sa  mission.  N'avaient-ils  pas  deja  toutes 
les  preuves  desirables?  Cette  tentation,  par 
son  objet,  rappelle  celle  du  desert.  Cfr.  Mat- 
thieu  IV,  1  et  ss.  De  nouveau  Ton  presse  Jesus 
de  recoui  ir  a  des  prodiges  eblouissanls  pour 
montrer  qu'il  est  le  Christ  attendu. 

12.  —  Ingemiscens  spiritu.  La  premiere 
reponse  du  divin  Maitre  est  un  profond  sou- 
pir  qu'arrache  a  son  Coeur  sacre  I'mcreduUte 
des  Pharisiens.  Precieux  detail,  dont  nous 
sommes  redevables  a  S.  Marc.  Le  verbe  com- 
pose ava(TT£vd?a?,  qu'on  ne  trouve  qu'en  cet 
endroil  du  Nouveau  Testament,  signiQe  d'a- 
pres toute  sa  force  :  «  Ab  imo  pectore  suspi- 
ria  ducens.  »  —  Quid  generatio  ista...  Nou- 
veau trait  particulier  a  noire  Evangile.  II  est 
vrai  qu'ensuite  S.  Marc  abregera  noiablement 
I'episode,  ne  citanl  que  le  sommaire  des 
paroles  de  Jesus,  sans  mentionner  le  «  signe 
de  Jonas  »,  et  le  bicime  energique  tire  des 
pronostics  du  beau  et  du  mauvais  temps.  Cfr. 
Mallh.  xvi.  2-4  et  le  commentaire.  Mais  nous 
Savons  qu'il  aime  mieux  depeindre  les  situa- 
tions que  citer  au  long  les  discours.  «  Ista  » 
est  emphalique.  Cette  generation  infidele,  en 
faveur  de  laquelle  Jesus  a  deja  fait  tanl  de 
miracles!  —  Qucerit;  dans  le  grec,  Em^TiTei: 
elle  cherche  un  nouveau  prodige,  en  sus  [I'kI) 
de  tous  ceux  qu'elle  a  regus.  —  Amen  dico 
vobis.  C'est  un  serment,  comme  I'indique 
cette  grave  formule,  que  le  Sauveur  va  main- 
tenant  prononcer.  II  attoste,  au  notn  de  la 
veracite  divine,  qu'il  ne  donnera  pas  aux  Pha- 
risiens le  signe  eclatant  qu'ils  desirent.  Si 
dabitur  est  une  tournure  tout  hebrai'que. 
Voyez  Winer,  Grammal.,  p.  444;  Beelen, 
Gramm.  graecitalis  N.  T.,  p.  501.  En  effet, 
les  Hebreux  emploienl  a  chaque  instant  la  con- 
jonction  Qn,  ^t  >i  ».  au  lieu  de  nS,  «  non  ».  Cfr. 
Gen.  XXI,  23  ;  xxiv,  37  ;  Deut.  i,  35 ;  III  Reg. 


422 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


13.  Et,  les  renvoyant,  il  monta 
de  noiiveau  dans  une  barque,  et 
passa  de  I'autre  cote  de  la  mer. 

14.  Or  ils  avaient  oublie  de  pren- 
dre des  pains,  et  ils  n'avaient  qu'im 
seul  pain  avec  eux  dans  la  barque. 

lo.  Et  il  leur  donnait  un  ordre, 
disant  :  Gardez-vous  avec  soin  du 
levain  des  Pharisiens  et  du  levain 
d'Herode. 

16.  Et,  reflechissant ,  ils  se   di- 


1 3.  Et  dimittens  eos,  ascendit  ite- 
rum  navim,  et  abiit  trans  fretum, 

14.  Et  obliti  sunt  panes  sumere  : 
et  nisi  unum  panem  non  habebant 
secum  in  navi. 

Malth.  16,  5. 

15.  Et  prsecipiebat  eis,  dicens  : 
Videte,  et  cavete  a  fermento  Phari- 
sseorum,  et  fermento  Herodis. 

16.  Et  cogitabant  ad  alterutrum, 


1, 51 ;  Is.  XIV,  24 ;  Ps.  xciv  (hebr.  xcv),  1  \ .  C'est 
un  moyen  de  renforcer  la  negation.  Dans  les 
constructions  de  ce  genre,  il  y  a  une  aposio- 
pese.  On  sous-enlend  :  «  Hoc  mihi  facial 
Deus  et  hoc  addal  »,  ou  quelque  idee  sem- 
blable,  en  avant  de  la  phrase.  VoyezGesenius, 
Thesaurus,  p.  iOS,  et  Fr.  Luc,  Coram,  h.  I. 
Ainsi  done,  comma  le  dil  Euthymius,  elSoGyi- 
cexai  a  ele  mis  avTt  toO  OO  Soe^aetai.  Aussi  la 
version  syriaque  traduit-elle  simpiement  par 
la  negation.  —  Signum,  le  signe  special  qu'ils 
desiraient.  Jesus  n'abaissera  pas  sa  puissance 
miraculeuse  pour  produire  des  actions  d'eclat. 

13.  —  Dimittens  eos.  «  Le  Seigneur  renvoie 
les  Pharisiens  comme  incorrigibles ;  il  faul 
insister  la  oil  il  y  a  espoir  de  guerison,  mais 
ne  pas  s'arreter  la  oil  le  mal  est  irreme- 
diable. »  Theophylacte.  —  Abiit  trans  f return. 
Sur  la  rive  orientale,  ou  mieux  encore  au 
N.-E.  du  lac,  puisque  nous  Iroiiverons  bientot, 
t.  22,  Jesus  a  Belhsaida-Julias.  C'est  une 
des  prudent"s  «  retraites  »  du  Sauveur.  Voyez 
I'Evang.  selon  S.  Malth.  p.  317  et  s. 

14.  —  Obliti  sunt.  Scil.  «  discipuli  ».  Cfr. 
t.  10.  Cet  oubli  elait  providentiel,  car  il 
allaitservir  a  donner  aux  Apotres  une  notion 
plus  vraie  de  la  toute-puissance  de  Jesus.  II 
se  congoil  du  reste  sans  peine  au  moment 
d'un  depart  precipite.  —  Nisi  vanem  unum... 
S.  Marc  est  seul  a  faire  cette  restriction,  qui 
denote  sa  parfaite  exactitude,  en  meme  temps 
qu'elle  rappelle  la  source  precieuse  a  laquelle 
il  avail  puise  tant  de  details  particuliers. 

15.  —  Tandis  que  la  barque  floltait  sur  les 
eaux  du  lac,  Jesus  fit  une  grave  recommanda- 
lion  a  ses  disciples.  Videte  et  cavete,  leur  dit-il 
en  appuyanl  sur  ces  deux  verbes,  a  fermento 
Pharisworum,  et  ferme^ito  Herodis.  Par  cetle 
expression  figures,  il  designait,  ajoute  S.  Mat- 
thieu,  XVI,  1 2,1a  doctrine  ei  les  ideas  perverses 
des  sectaires.  En  elfet,  «  lermentum  hanc  vim 
habet,  ut  si  farinee  mixtum  fuerit,  quod  par- 
vum  videbatur  crescat  in  majus,  et  ad  sapo- 
rem  suum  universam  conspersionem  Irahat : 
ita  et  doctrina  haeretica,  si  vel  modicam  scin- 


tillam  in  tuum  pectus  jecerit,  in  brevi  ingens 
flamma  succrescit  et  totam  hominis  posses- 
sionem ad  se  trahit.  »  A  ce  commentaire 
vigoureusement  trace,  on  reconnait  le  grand 
S.  Jerome  (In  Malth.  xvi).  Voyez  I'Evang. 
selon  S.  Matthieu,  p.  318.  C'est  a  cause  de 
ces  qualiles  penetrantes  et  envahissantes  du 
levain  que  les  hommes  doivent,  surlout  lors- 
qu'il  s'agit  du  domaine  moral,  veiller  avec  le 
plus  grand  soin  sur  son  action.  II  faut  voir 
d'abord,  puis  prendre  garde  :  opaxe,  pXETreTs, 
dit  le  texle  grec  sans  employer  la  conjonction 
xat,  ce  qui  rend  la  pensee  plus  rapide.  La 
locution  p),£'7teiv  (XTio,  que  nous  trouvons  ici  au 
lieu  du  7rpo(T£'x£tv  dTro  de  S.  Maltliieu,  est  bien 
iraduite  par  «  cavere  ab,  sedulo  cavere.  »  Les 
Juifs,  quand  ils  faisaient  disparaitre  le  levain 
deleursmaisonsia  veillede  la  Paque,devaient 
prendre  les  precautions  les  plus  minutieuses 
pour  n'en  pas  laisser  une  seule  parcelle;  Cfr. 
Ex.  XII,  15;  Biixtorf,  Synagog.  Jud.  c.  xii  : 
c'est  avec  un  zele  semblable  que  les  Apotres 
devaient  repousser  loin  d'enx  le  levain  pha- 
risai'que  ou  herodien.Nolons  ici  une  nouvelle 
nuance  dans  les  recits  evangeliques.  «  Mat- 
ihaeus  dicit  :  A  fermento  Pharisaeorum  et 
Sadducaeorum.  Marcus  vero  :  Pharisaeorum 
et  Herodis.  Lucas  vero  (cap.  xiii) :  Pharisaeo- 
rum solum.  Tres  ergo  illi  Evangf>lislae  Phari- 
saeos  nommarunt,  quasi  principaies ;  Malthaeus 
vero  et  Marcus  sibi  secundarios  diviserunt  : 
congrue  autem  Marcus  posuil  Herodis,  quasi 
reliclis  a  Matthaeo  Herodianis  in  supplemen- 
tum  narralionis  ipsius.  »  S.  Jean  Chrysost. 
ap.  Calen.  Peut-etre  serait-il  plus  exact  de 
dire  que,  les  principes  d'Herode  et  ceuxde  la 
secteSadduceenneetanlapeu  pres  lesmeme.s, 
les  expressions  «  fermentum  Herodis  »  et 
«  fermenium  Sadducaeorum  »  ne  difleraient 
guere  I'une  de  I'autre.  Cfr.  Patrizi,  In  Marc. 
Comment,  p.  90. 

16.  —  Cogitabant  ad  alterutrum.  Celle  re- 
flexion du  Maitre  causa  une  vive  agitation 
parmi  les  disciples.  Les  voila  tout  troubles 
parce  que,  I'idee  du  levain  reveillant  dans 


CHAPITRE   VIII 


423 


dicentes  :  Quia  panes  non  habemus. 

17.  Quo  cognito,  ait  illis  Jesus  : 
Quid  cogitatis,  quia  panes  non  ha- 
betis?  nondum  cognoscitis,  nee  in- 
telligitis?  adhuc  csecatum  habelis 
cor  vestrum? 

18.  Oculos  habentes  non  vidctis? 
et  aures  habentes  non  auditis?  Nee 
recordamini? 

Sup.  6,  41;  Joan.  6,    1. 

19.  Quando  quinque  panes  fregi 
in  quinque  raillia  :  quot  cophinos 
fragmentorum  plenos  sustulistis? 
Dicunt  ei  :  Duodecim. 

20.  Quando  et  septem  panes  in 
qualuor  millia,  quot  sportas  frag- 
mentorum tulistis?  Et  dicunt  ei  : 
Septem. 

21 .  Et  dicebat  eis :  Quomodo  non- 
dum intelligitis? 

22.  Et  veniunt  Bethsaidam,  et 


saient  Tun  a  Tautre  :  G'est  que  nous 
n'avons  pas  de  pain. 

17.  Jesus  I'ayant  connu,  leur 
dit :  Pourquoi  pensez-vous  que  vous 
n'avez  point  de  pain  ?  N'ayez-vous 
encore  ni  sens,  ni  intelligence? 
avez-vous  encore  le  coeur  aveugle? 

18.  Ayant  des  yeux,  ne  voyez- 
vous  point?  ayant  des  oreilles,  n'en- 
tendez-vous  point?  et  n'avez-vous 
point  de  souvenir? 

19.  Quand  je  rompis  cinq  pains 
pour  cinq  mille  liommes,  combien 
de  corbeilles  pleines  de  fragments 
remportates-vous?  lis  lui  dirent  : 
Douze. 

20.  Et  quand  je  rompis  sept  pains 
pour  quatre  mille  liommes,  combien 
de  corbeilles  de  fragments  rempor- 
tates-vous? lis  lui  dirent  :  Sept. 

21.  Et  il  leur  dit :  Comment  ne 
comprenez-vous  pas  encore  ? 

22.  Et  ils  vinrent  a  Bethsaida,  et 


leur  rsprit  celle  du  pain,  ils  se  rappellent 
qu'ils  n'ont  pas  pris  de  provisions!  lis  se  pre- 
occupent  d'lin  morceau  de  pain,  a  cote  de 
Celui  qui  a  pu,  de  rien,  nourrir  de  nom- 
breiises  multitudes! 

17-21.  —  Quo  cognito.  Ce  manque  de  foi 
meritait  nn  blaun^  :  Jesus  le  leur  adresse  a 
I'instaiit.  Le  recit  de  S.  Marc  est,  ici  encore, 
plus  vivant  et  plus  complet  que  celui  de 
S.  Matlliieu.  II  se  compose  d'une  longue  serie 
de  que>tions  (huil  ou  neuf,  selon  qu'on  place 
une  virgule  ou  un  point  d'interrogation  a  la 
fin  du  t.  18)  qui  se  succedent  coup  sur  coup 
avec  une  grande  rapidite.  D'abord,  les  pauvres 
disciples  demeurent  tout  a  fait  muets.  Puis, 
vers  la  fin,  ft.  19  et  20,  les  demandes  sont 
suivies  d'une  reponse  ;  c'est  un  vrai  dialogue 
qui  s'engage  entre  Jesus  et  les  Douze  sur  les 
evenements  anterieurs.  Enfin  I'interrogatoire 
se  ti  rrnine  au  t.  21  par  une  derniere  question 
qui  revient  au  point  de  depart :  Comment  se 
fait-il  que  vous  ne  compreniez  pas  encore? 
«  Mais  alors  ils  comprirent,  ajoule  S.  Mat- 
thieu,  XVI,  12,  que  Jesus  ne  parlail  point 
d'un  levain  materiel.  »  —  La  gradation  con- 
tenue  dans  les  ft-  17  et  18  est  vraiment  re- 
marquable.  Nondum  cognoscitisf  en  grec 
ouTTw  vo£tT£;'No£'a)  signifie  proprement  «  mente 
agilo.  in  animum  verso,  cogito.  »  Nee  intelli- 
gitU?  ouSe  oyvtsxe;  la  traduction  est  cette  fois 
plus  exacte,  car  auviyjui  a  le  sens  de  «  perspi- 


cio,  percipio,  intelligo.  »  Ce  second  verbe  dit 
quelque  chose  de  plus  que  le  premier.  L'erreur 
singuliere  des  Apotres  provient  done  d'abord 
de  ce  qu'ils  n'ont  pas  suflisamment  reflechi  a 
la  puissance  du  Sauveur  :  ce  manque  de  re- 
flexion les  a  empeches  de  comprendre.  Du 
reste,  comment  auraienl-ils  compris?  Leur 
coeur  etait  endurei,  leurs  yeux  aveugles, 
leurs  oreilles  sourdes  :  en  un  mot,  loutes  les 
grandes  ouverlures  par  lesquelles  la  connais- 
sance  entre  habituellement  dans  un  homme 
etaient  obstruees  chez  eux.  Bien  plus,  ils 
avaient  meme  perdu  la  memoire  des  plus 
recenls  prodiges  de  leur  Maitre!  Etait-il 
done  elonnant  que  les  choses  les  plus  evi- 
dentes  leur  echappassent? —  Sur  la  lournure 
fregi  in  quiiique  millia,  t.  19,  calquee  sur  le 
grec,  comp.  Beelen,  Gramm.  p.  214. 

5.  —  Gu6rison  d'un  aveugle  k  Bethsa'ida. 

VIII,  2-2-26. 

22.  —  Et  veniunt  Bethsaidam.  Le  P.  Pa- 
trizi  et  plusieurs  autres  coinmentateurs  sup- 
posent  qu'il  s'agit  ici  de  la  Bethsai'da  occi- 
denlale ;  mais,  des  versets  10  et  13  de  ce 
chapitre,  il  ressort  tres-clairement  que  Jesus 
et  les  siens  avaient  franchi  le  lac  de  I'Ouest 
au  Nord-Est  et  ne  pouvaient  se  trouver  alors 
qu'a  Belhsaida-Julias.  Voyez  vi,  45  el  Tex- 
plication.  La  leQon  el-  BriOavtav  des  manuscrits 
D  et  a  est  une  faute  manifesie.  —  S.  Marc  a 


124 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


on  lui  amena  un  aveugle,  et  on  le 
pria  de  le  toucher. 

23.  Prenant  la  main  de  Taveugle, 
ille  conduisit  hors  du  bourg,  et,  lui 
ayant  impose  les  mains,  lui  de- 
mauda  s'il  voyait  quelque  chose. 

24.  Ilregarda  et  dit :  Je  vois  des 
hommes  comme  des  arbres  mar- 
chant. 

2o.  II  mit  de  nouveau  les  mains 
sur  ses  yeux,  etil  commenca  a  voir 
et  il  fut  gueri,  de  sorte  qu'il  voyait 
clairement  toutes  choses. 


rogabant 


adducunt  ei   csecum,  et 
eura  ut  ilium  tangeret. 

23.  Et  apprehensa  manu  cseci, 
eduxit  eum  extra  vicum,  et  expuens 
in  oculos  ejus,  impositis  manibus 
suis,  interrogavit  eum  si  quid  vide- 
ret. 

24.  Et  aspiciens,  ait  :  Video  ho- 
mines velut  arbores  ambulantes. 

2o.  Deinde  iterum  imposuit  ma- 
nus  super  oculcs  ejus  :  et  coepit  vi- 
dere,  et  restitutus  est  ita  ut  clare 
videret  omnia. 


seul  raconte  la  guerison  miraculeuse  que  le 
Sauveiir  opera  en  ce  lieu.  Elle  rappelle  vive- 
menta  resprit,  par  tons  ses  details,  une  autre 
cure  analogue  que  Jesus  avail  recemment 
accomplie  et  dont  le  recit  etait  deja  propre  a 
S.  Marc.  Cfr.  vii,  31-37.  L'aveugle.  comme  le 
sourd-muet,  sera  conduit  a  I'ecart  par  le 
Thaumaturge  et  gueri  d'une  maniere  lente  et 
graduelle.  Les  motifs  qui  inspirerent  a  Jesus 
cette  methode  extraordinaire  furent  sans 
doute  les  memes  dans  les  deux  cas  :  defaul 
de  foi  suffisante  dans  le  patient,  desir  d'eviler 
Tentliousiasme  populaire.  Cfr.  Theophylacte, 
Eulhymius,  Luc  de  Bruges,  in  h.  I.  —  Addu- 
cunt ei  ccecum.  A  la  faQon  orienlale,  le  nar- 
rateur  rapproche  les  una  des  autres,  sans 
aucune  indication,  des  verbes  qui  n'ont  pas  le 
meme  sujet,  laissant  au  lecteur  le  soin  d'eta- 
blir  les  distinctions  necessaires.  C'est  Jesus 
qui  arrive  a  Bethsaida  suivi  des  siens;  c'est 
le  peuple  qui  amene  I'infirme.  —  Ut  ilium 
tangeret.  Cfr.  vii,  30,  et  le  commenlaire. 
«  Scientes,  ecrit  le  V.  Bede,  quia  tactus  Do- 
mini, sicut  leprosum  mundare,  ita  etiam  cae- 
cum illuminare  valeret.  » 

23.  —  Apprehensa  manu  cceci.  Detail  pitto- 
resque,  comme  tous  les  suivanls.  La  grada- 
tion qui  forme  le  caraclere  principal  de  ce 
miracle  est  netlement  accentuee  dans  le  recit : 
Jesus  prend  famiiierement  la  main  de  l'a- 
veugle, il  le  conduit  hors  du  bourg,  il  lui  fait 
une  onction  sur  les  yeux  avec  de  la  salive,  il 
lui  impose  les  mains  une  premiere  fois,  il  lui 
demande  ce  qu'il  ressent,  il  lui  fait  une  se- 
conde  imposition  des  mains.  Alors  seulement 
la  guerison  est  complete.  Qu'on  aime  a  se 
representer  par  la  pensee  ce  beau  tableau  : 
Notre-Seigneur  se  faisant,  selon  les  expres- 
sions de  S.  Jean  Chrysostome,  «  la  route  et  le 
guide  du  pauvre  aveugle  »,  puis,  a  sa  suite, 
les  disciples  et  les  amis  de  I'infirme,  I'accom- 
pagnant  en  silence! 

24.  —  Aspiciens,  iva6Xe«J;a?,  regardant  en 


haut :  gesle  bien  naturel  dans  la  circonstance. 
L'aveugle  leve  la  tete  el  les  yeux  afin  d'expe- 
rimenler  s'il  pourrait  voir  quelque  chose.  — 
Ses  paroles  sont  plus  naturelles  encore  :  Je 
vols  les  honimes  velut  arbores  ambulantes!  11 
voyait,  mais  imparlaitement.  A  ses  yeux  en- 
core a  demi  voiles,  les  figures  qui  s'agitaient 
alenlour  apparaissaient  vagues  et  confuses. 
Elles  ressemblaient  a  des  arbres  quant  a  la 
taille ;  mais  leur  mouvement  lui  montrait  que 
c'etaient  des  hommes.  «  Ceux  dont  la  vue  est 
encore  obscure  distinguenl  quelques  formes 
de  corps  qui  se  detachenl  sur  les  ombres, 
mais  ils  ne  peuvent  pas  saisir  les  contours  : 
c'est  ainsi  que,  pendant  la  nuit  ou  dans  le 
lointain,  les  arbres  apparaissent  indelermines, 
en  sorte  que  Ton  ne  sail  pas  si  c'est  un  arbre 
ou  un  homme.  »  V.  Bede.  II  suit  de  celte 
comparaison,  selon  la  juste  remarque  de 
F.  Luc,  que  cet  homme  n'avait  pas  toujours 
ete  frappe  de  cecite  :  autremenl,  il  hii  aurait 
ete  bien  difficile  de  tenir  un  pareil  langage, 
et  d'etablir  aussitot  un  rapprochement  entre 
des  formes  qui  lui  eussent  ete  jusqu'alors  in- 
connues.  —  Au  lieu  de  la  leQon  Bliizu)  touc 
avSpuTtoy;  w;  SevSpa  TrepraaToOvTa;,  identique  a 
celle  de  la  Vulgate,  Tischendorf  et  d'autres 
critiques  adoptent  une  variante  que  soutien- 
nent  d'importants  manuscrits  :  BXeitu  tou; 
avSpwTTOu;,  oTt  w;  SevSpa  opw  uepinaToyvTa;,  je 
vois  les  hommes,  car  je  vols  comme  des 
arbres  qui  marchent. 

25.  —  Quand  Jesus  eut  impose  une  se- 
conde  fois  ses  mains  divines  sur  les  yeux  de 
l'aveugle,  la  vue  redevint  parfaite  en  un  mo- 
ment; xai  5i£6X£4/sv,  disent  les  meilleurs  ma- 
nuscrits grecs,  suivis  par  les  versions  copteet 
ethiopienne.  Ata6),£T:£iv  signifie  en  effel  «  voir 
bien  et  fixement  ».  Le  raanuscrit  D  a  fip^aio 
ava6).£(}/ai,  comme  la  Vulgate.  La  Recepta 
porte  :  xai  £7rotr,<7£v  auxov  ava6)i<Vat,  «  et  fecit 
(Jesus)  eum  aspicere  ».  —  La  fin  du  verset 
montre  jusqu'a  quel  point  la  guerison  etait 


CHAPITRE    VIII 


425 


26.  Et  misit  ilium  in  domum  suam, 
dicens  :  Vade  in  domum  tuam  :  et  si 
in  vicum  introieris,  nemini  dixeris. 

27.  Et  egressus  est  Jesus,  et  dis- 
cipuli  ejus,  in  castella  Gaesarese  Phi- 
lippi,  et  in  via  interrogabat  disci- 
pulos  suos,  dicens  eis  :  Quern  me 
dicuut  esse  homines? 

Macth.  16,  13;i:!«c.  9,  18. 

28.  Qui  responderunt  illi,  dicen- 


26.  Et  il  le  renvoya  dans  sa  mai- 
son,  disant :  Va  dans  ta  maison,  et 
si  tu  entres  dans  le  bourg,  ne  dis 
rien  a  personne. 

27.  Et  Jesus  s*en  alia  avec  ses 
disciples  dans  les  villages  de  Ge- 
saree  de  Philippe,  et  en  chemin  il 
interrogeait  ses  disciples,  disant  : 
Qui  dit-on  que  je  suis  ? 

28.  lis   lui  repondirent   :  Jean- 


complete  :  ita  ut  dare  videret  omnia.  L'ad- 
verbe  TYiXauYwc,  de  irile  et  aOy/i.  clarle  qui  vient 
de  loin,  est  tres  expressif.  La  locution  entiere 
lv£6),£«}/E  xTiAauYw; ,  (comparez  Tif]>,auYe<rT£pov 
6p^v  de  Died,  de  Sicile,  i,  50)  signifie  donciil- 
teralement  «  erainus  et  dilucide  vidit.  » 

26.  —  Le  miracle  une  fois  accompli,  Jesus  re- 
commande  a  I'aveugle,  comme  il  avait  aupara- 
vant  recommande  au  sourd-muel.  vn,  36,  de 
garder  le  silence  sur  le  miracle  donl  il  venait 
d'etre  I'objet.  —  In  domum  suam.  Sa  maison, 
qu'il  lui  dit  de  gagner  a  rinstanl,etait  situee 
en  dehors  de  Belhsaida,  puisqu'il  pouvait  y 
arriver,  d'apres  le  conlexte.  sans  entrer  dans 
cetle  ville.  —  Si  in  vicum  introieris.  La  Re- 
cepta  grecqun  et  de  nombreux  manuscrits 
ont  une  leQon  nolablement  differente  :  MvjSI 
el?  TTiv  xw[iriv  eiffe'XO^;, "  ne  introeas  in  vicum  ». 
D'aulres  lemoins,  omeltant  ces  mots,  disent 
simplement  :  jatiSc'vi  etTtin?  elcx^v  xwp.7iv,  «  ne- 
mini dixeris  in  vicum  (scil.  intrans)  ».  Voir 
plusieurs  aulres  variantes  dans  Tischendorf, 
Nov.  Tesl.  h.  1.  —  La  defense  de  Jesus  fut- 
elle  observee  cetle  fois?  L'Evangelisie  ne  le 
dit  pa-.  II  est  probable  que  non,  «  ex  com- 
muniter  contingentibus.  » 

6.       Confession  de  S.  Pierre,  vin,  27-30. 
Parall.  Matth.  xvi,  13-20;  Luc.  ix,  18-21. 

Noussommes  arrives  a  Tun  des  points  cul- 
minants  de  I'histoire  evangelique.  De  graves 
incidents  vonl  se  multiplier  dans  I'espace  de 
quelques  jours  :  la  confession  de  S.  Pierre, 
1  annonce  de  la  Passion,  le  mystere  de  la 
Transfiguration.  A  mesure  que  sa  fin  ap- 
proche,  le  Sauveur  prepare  de  plus  en  plus 
ses  Apotres  a  leur  role  fulur.  Dansle  premier 
destrois  fails  que  nous  venons  de  ciler,  il  se 
propose  de  sender  leurs  propres  sentiments 
sur  son  caractere  et  sa  dignile.  II  trouvera 
ses  disciples  pleins  de  foi! 

27.  —  Egressus  est  Jesus.  II  sortit  de  Beth- 
salda,  *.  12,  pour  aller  plus  au  Nord  en  re- 
montant le  cours  du  Jourdain.  Apres  avoir 
traverse  une  contree  qui  s'est  loujours  fait 
reraarquer  par  son  aspect  calme  et  solitaire, 


il  arriva  in  castella  Ccesarece  Philippi,  c'est- 
a-dire  sur  le  territoire  et  aupres  des  villages 
qui  dependaient  de  la  riche  Gesaree.  Voyez 
R.  Riess,  Bibel-Atlas,  pi.  IV,  et  I'Evangile 
selon  S.  Matlh.  p.  320.  Cette  viile,  alors  sur- 
nommee  «  de  Philippe  »  en  I'honneurdu  telrar- 
que,  fils  d'Herode-le-Grand  et  frere  d'Anlipas, 
qui  I'avait  embellie,  a  merite,  parsa  situation 
ravissanle,  qu'un  iiiustre  voyageur  contem- 
porain  I'appelatle  Tivoli  syrien.Cfr,  Stanley, 
Sinai  and  Palestine,  p.  397,  2e  edit.  «  Et  de 
fait,  ecrit  un  autre  voyageur,  dans  les  ro- 
chers,  les  cavernes,  les  cascades,  la  beaute 
naturelle  du  paysage,ily  a  vraiment  de  quoi 
rappeler  le  Tibur  romain.Derriere  le  village, 
en  face  d'une  large  grotte  creusee  par  la  na- 
ture, une  riviere  s'elance  du  sein  de  la  terre  : 
e'est  la  source  superieure  du  Jourdain.  Des 
inscriptions  et  des  niches  sculptees  dans  le 
rocher  parlent  des  antiques  hommages  ren- 
dus  en  ces  lieux  a  Baal  et  a  Pan.  »  Tristram, 
Land  of  Israel,  p.  581.  Sur  ce  terrain  qui 
appartint  longtemps  aux  faux  dieux,  Jesus 
fera  proclamer  sa  divinite  par  les  siens.  — 
In  via  interrogabat.  «  In  via  »  est  un  trait 
propre  a  S.  Marc.  La  scene  grandiose  qui  va 
suivre  ne  se  passa  done  pumt  pendant  une 
halte,  mais  tandis  que  le  Sauveur  s'avangait 
avec  les  Douze  sur  la  route  de  Gesaree.  — 
Quern  me  dicunt  esse...?  II  y  a  plus  d'emphase 
dans  la  question  telle  que  la  conservee 
S.  Matthieu,  xvi,  13;  «  Quem  dicunt  homines 
esse  Filium  hominis?  »  S.  Luc,  ix,  18,  ecrit,  a 
peu  pres  comme  noire  Evangeliste  :  «  Quem 
me  dicunt  esse  turbae?  »  Jamais  encore  Jesus 
n'avait  demande  aux  Apotres  d'une  fagon  si 
categorique  et  si  solennelle  ce  qu'on  pensait 
de  sa  personne. 

28.  —  Qui  responderunt...  La  reponse  des 
Douze  nous  fait  connaitre  les  bruits  qui 
avaient  cours  dans  le  peuple  au  sujet  de 
Nolre-Seigneur.  La  divergence  des  opinions 
etait  grandel  —  lo  Joannem  Baptistam.  Nous 
avons  vu  que  c'elait  le  sentiment  bien  arrele 
d'Herode  Antipas,  vi.lietie.— 2o^iiii?/ia»j. 
On  pensait  que  ce  prophete,  enlevemyslerieu- 


<26 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


Baptiste;  d'autres,  Elie;  d'autres, 
Gomme  un  des  propheles. 

29.  Alors  il  leiir  dit :  Mais  vous, 
qui  dites-vous  que  je  suis?  Pierre 
repondant,  lui  dit  :  Vous  etes  le 
Christ. 


tes  :  JoannemBaptistam,aliiEliam, 
alii  vero  quasi  unum  de  prophetis. 
29.  Tunc  dicit  illis  :  Vos  vero 
quem  me  esse  dicitis  ?  Respondens 
Petrus,  ait  ei :  Tu  es  Ghristus. 


sement  siir  un  char  de  feu,  etait  revenu  ici- 
bas  sous  les  trails  de  Jesus.  — 3^  Quasi  unum 
ex  prophetis.  Ceux  qui  craignaient  de  trcp 
s"en?;ageren  s'arretani  a  un  nom  precisavaient 
du  moins  recours  a  celte  hypothese  generale. 
Voyez  VI,  15,  ou  nous  avons  deja  trouve  la 
seconde  et  la  Iroisieme  opinion  mentionnees 
a  cote  de  celle  d'Antipas.  S.  Maithieu  en 
ajoule  une  qualrieme  :  «  Alii  Jeremiam  ». 
«  Frappes  de  ['eloquence  toute  divine  du 
Sauveur,  de  sa  sagesse,  de  ses  vertus,  de  son 
zele,  des  oeuvres  raerveilleuses  qu'il  semait 
parlout  sur  ses  pas,  les  Juifs  etaient  bien 
forces  de  reconnaitre  que  ce  n'etait  pas  un 
homme  ordinaire,  que  c'elait  un  prophete 
suscitede  Dieu;mais,  domines  par  laulorite 
des  Scribes  et  des  Pharisiens,  aveugies  par 
leurs  prejuges...,  ils  avaient  peine  a  recon- 
naitre le  Messie  liberateur  dans  Thumble  fils 
du  cliarpentier,  qui  ne  prechait  que  le  me- 
pris  des  richesses,...  se  derobait  obslinement 
aux  ovations  et  aux  honneurs.  »  Dehaut,  I'E- 
vangile  explique,  defendu,  oe  edit.  t.  Ill,  p.  69. 
29.  —  Dixit  illis,  ou  mieux  peut-etre,  d'a- 
pres  les  raanuscrits  B,  C,  L,  a,  et  la  version 
copte,  a  interrogabat  eos  ».  —  Vos  vera.  II 
interroge,  lui  qui  salt  toutes  choses  ;  mais  ne 
fallait-il  pas  que  ses  disciples  les  plus  intimes 
exprimassent  sur  lui  de  meilieures  idees  que 
la  foule  ■?  (Pensee  de  Victor  d'Antioche).  C'est 
leur  sentiment  personnel  qu'il  desire  leur 
entendre  formuler  maintenant  d'une  maniere 
explicite.  —  Respondens  Petrus.  «  Discipulos 
(Jesus)  interrogat...  Quid  igitur  os  Aposto- 
lorum  Petrus  ?Ut  qui  ubique  ferveret,  cunctis 
interrogatis,  ipse  respondet  ».  Victor  d'An- 
tioche. Hatons-nous  d'ajouter  que  cet  em- 
pressement  du  prince  des  Apotres  n'avait 
alors  rien  de  naturel  :  il  provenait  de  sa  foi, 
de  son  amour,  et  de  Tinspiration  divine.  Cfr. 
Malth.  XVI,  47.  —  Tu  es  Chrislus.  Voila  la 
glorieuse  «  confession  »  de  S.  Pierre  :  elle 
est  prompte,  precise,  vigoureuse.  Vous  etes 
le  Christ,  le  Messie  promis  a  nos  peres, 
dXptcTTo?,  «  ille  Ghristus  »  par  excellence.  Et 
pourtant,  il  y  manque  quelque  chose,  du 
moins  dans  les  redactions  de  S.  Marc  et  de 
S.  Luc  :  ce  sont  les  paroles  si  importantes 
par  lesquelles  le  fils  de  Jona  completa  sa  pro- 
lession  de  foi  :  6  O-.o;  toO  0£o-j  toO  ^covto;. 
Voyez  I'Evangile  selon  S.  Matthieu,  p.  322. 
Mais  ocas  avona  a  signaler  ici  une  omission 
autrement  etonnante  de  la  part  de  S.  Marc. 


Comment  se  fait-il  que  1'  «  interpres  Petri  » 
ait  totalement  passe  sous  silence  la  prcmesse 
solennelle  par  laquelle  Jesus,  repondant  a  son 
apolre,  recompensa  sa  foi  en  lui  conferant 
la  plus  haute  dignite  qui  ait  jamais  existe, 
en  I'etablissant  Chef  visible  de  i"Eglise?  Cfr. 
Malth.  XVI.  18  et  19.  Cette  elrange  reserve  de 
notre  Evangelists  avail  deja  frappe  les  Peres  et 
les  exegetes  des  premiers  siecles.  lis  ont  aussi 
trouve  la  vraie  reponse  :  «  Jlarcus,  quum  ad 
ilium  historiae  locum  venisset,  ubi  Jesus  in- 
terrogavit  quem  se  esse  homines  dicerent, 
ipsique  sui  discipuli  quam  de  se  opinionem 
haberenl,  subjunxissetqiie  Petrus  :  Tanquam 
de  Christo,  nihil  illi  respondentem  Jesum  aut 
dicentem  desciibit...  Non  enim  interfuit  Mar- 
cus iis  quae  a  Christo  dicta  sunt,  ac  ne  P-lrus 
quidem  quae  ad  ipsum  ac  de  ipso  dicla  sunt 
abJesu,  proprio  testimonio  proferre  aequum 
putavit.  Haec  sane  Pelrus  merito  tacenda  ju- 
dicavit,  quare  eliam  Marcus  ea  praeteriit  ». 
Euseb.  Dem.  Evang.  I.  in,  c.  5.  «  Hunc  locum 
Matthseus...  accuratius  exponit.  Marcus  nam- 
que,  ne  quid  in  Petri  magislri  sui  graliam 
dicere  videatur,  compendio  contentus,  exac- 
tiorem  historiae explanationemprtetermiltit)). 
Victor  d'Antioche.  Ou  encore  :  «  Ce  que  le 
Seigneur  repondit  a  la  confession  de  Pierre, 
et  la  maniere donl ille  proclama  bienheureux, 
toutes  ces  choses  sont  omises  par  S.  Marc, 
qui  ne  voulait  point  parailre  les  dire  par 
complaisance  pour  S.  Pierre,  son  mailre.  » 
Theophylacte,  h.  I.  Cfr.  S.  Jean  Chrysost. 
Horn,  in  Matth.  xvi,  24;  Patrizi,  de  Evangel, 
lib.  I,  c.  II,  n.  63.  Les  proiestanls  eux-memes 
admettent  generalement  ces  raisons.  Aussi 
n'est-ce  pas  sans  surprise  que  nous  avons 
trouve  dans  le  commenlaire  sur  S.  Marc  pu- 
blic recemment  par  M.Cook  (Speaker's  Bible, 
New  Testam.  vol.  I,  p.  251,  Londr.  1878) 
cette  singuliere  reflexion  :  «  II  est  remar- 
quable  que  I'Evangile...  qui  met  le  moins  en 
relief  la  confession  de  S.  Pierre  est  celui  qui 
fut  ecrit  a  Rome,  pour  des  lecleurs  remains.  » 
Nous  repondrons  au  chanoine  anglican  par 
les  paroles  suivantes  du  pieux  et  savant  Doc- 
teur  Reischl :  «  Que  S.  Pierre  ait  pu  se  passer 
d'un  temoignage  ecrit,  favorable  a  sa  pri- 
maute,  et  cela  precisement  dans  son  Evan- 
gile  et  aupres  de  lecteurs  remains,  c'esc  un 
fail  qui  prouve  combien  grande  et  puissante 
elait  la  realite  de  celte  primaute,  et  avec 
quelle  solidite   elle   s'etail  etablie  dans  la 


CIIAPITRE    VIII 


427 


30.  Et  comminatus  est  eis,  ne  cui 
dicerent  de  illo. 

31.  Etcoepit  docere  eos,  quoniam 
oportet  filium  liominis  patimulta,  et 
reprobari  a  senioribus,  et  a  summis 
sacerdotibus,  et  scribis,  et  occidi  : 
et  post  tres  dies  resurgere. 


32.  Et  palam  verbum  loquebatur. 
Et  apprehendens  eiim  Petrus,  coepit 
iucrepare  eum. 


30.  Et  il  leiir  defendit  avec  me- 
nace de  le  dire  a  personne. 

31.  Et  il  commenca  a  leiir  erisei- 
gner  qu'il  fallait  que  le  Fils  de 
rhoinme  souffrit  beaucoup,  qu'il  fut 
repousse  par  les  anciens  et  par  les 
princes  des  pretres  et  les  scribes, 
qu'il  fut  mis  a  mort,  et  qu'apres 
trois  jours  il  ressuscitat. 

32.  Et  il  parlait  ouvertement.  Et 
Pierre,  le  prenant  a  part,  commen- 
cait  a  le  reprendre. 


conscinnce  de  I'Eglise.  »  Die  heilig.  Schrift. 
des  N.  Testam.,  1866,  p.  188. 

30.  —  Et  comminatas  est :  mot  expressif, 
destine  a  montrer  I'insistance  avec  laquelle 
Jesus  appiiya  sur  cet  ordre.  —  Ne  cui  dicerent 
de  illo,  oil  plus  clairement,  d'apres  S.  Mat- 
ihieii,  «  lit  nemini  dicerent  quia  ipse  esset 
Jesus  Christus  o.  Au  reste,  quelques  ma- 
nuscrits  contiennent  ces  deinieres  paroles. 
L'interdiclion  devait  durer  jusqu'apres  la 
Resurrection  du  Sauveur.  Sur  ses  motifs, 
voyez  I'Evang.  selon  S.  Malth.,  p.  228. 

7.  —La  croix  du  Christ  et  des  Chretiens. 

viii,  31-o9. 

a.  La  croix  pour  le  Christ,  vin,  31-33.  —  Parall. 
Matih.  XVI,  21-23;  Luc.  ix,  22. 

31 .  —  El  ccepit  docere  eos.  Les  deux  verbes 
semblent  avoir  ele  choisis  a  dessein  par  I'E- 
vangeliste.  Dune  part  en  effet  Jesus  «  com- 
mengait  »  viaimeiit  a  parter  aux  siens  de  sa 
Passion  et  de  sa  mort,  en  ce  sens  que  c'elail 
la  premiere  nouvelle  claire  et  officielle  qu'il 
leur  en  donnait;  de  I'aulre,  «  l'enseignem?nt  » 
qu'il  va  leur  fournir  sur  ce  point  sera  com- 
plet.  11  retracera  dans  les  termes  les  plus  pre- 
cis: 1°  la  necessite  ou  elait  le  Christ  de  souf- 
frir  et  de  mourir  pour  le  salut  des  hommes, 
oportet,  necessile  inherente  a  son  role  tel  qu'il 
avait  ete  predit  depuis  longtemps  par  les 
Prophetes;  2°  le  tableau  general  de  la  Pas- 
sion, pati  muHa;  3o  le  tableau  detaille  de 
cette  meme  Pas-ion,  et  en  parliculier  deux 
scenes  speciales  :  a.  les  outrages  [reprobari) 
que  Jesus  recevraduSanhedrinjuif,  neltement 
designe  par  ses  trois  chambres,  senioribus,  la 
chambre  des  notables,  summis  sacerdotibus, 
la  chambre  des  princes  des  pretres,  scribis, 
la  chambre  des  Docteurs ;  b.  la  douloureuse 
consommation  de  ce  drame  inique,  et  occidi; 
4o  Tissue  glorieiise  de  la  Passion. post  tres  dies 
resurgere  (plus  clairement,  d'apres  S.  Mat- 
thieu,  «  le  troisieme  jour  »;  S.  Marc  emploie 
une  locution  familiere  aux  Hebreux.  Cfr. 
Deut.  XIV,  28;  xxvi,  42;  I  Reg.  xx,  42; 


V,  4  9 ;  III  Reg.  xx,  29 ;  Eslh.  iv,  1 6).  Voila  le 
vrai  Christ  des  Prophetes,  Cfr.  Is.  lih,  mis 
en  contraste  avec  la  fausse  representation 
que  s'en  faisait  le  vulgaire,  que  s'en  faisaient 
meme  les  Apotres,  comme  le  monirera  I'ln- 
cident  qui  va  suivre. 

32.  —  Et  palam  verbum  loquebatur.  Ou- 
vertement, sans  reticence  et  sans  mystere 
(yavEpw;  xat  a7iapaxa).07tTw;,  c'est  ainsi  qu'Eu- 
lliyinius  explique  le  grec  7tappr,(7t'a)  :  allusion 
aux  indications  enigmatiques  et  obscures  que 
Jesus  avait  autrefois  donnees  sur  sa  Passion. 
Cfr.  Joan.  ii.  19  ;  iii,  12-! 6;  vi,  47-51  ;j\Iatth. 
IX,  '13.  «  Verbum  »,  t6v  Xoyov  avec  Particle, 
«  verbum  hoc,  huncsermonem.  »Ce  detail  est 
omis  par  les  deux  autres  Synoptiques.  —  Ap- 
prehendens eum.  S.  Matthieu  emploie  la  meme 
expression, 7;po(j>.ao6(i.£vo;, qui  signifie:  prendre 
quelqu'un  par  la  main  ou  par  les  vetements 
pour  I'entretenir  en  particulier.  —  Petrus 
ccepit  increpare.  S.  Pierre  ne  pent  supporter 
I'idee  qu'un  sort  si  humiliant,  si  funeste,  soit 
reserve  a  son  Maitre.  Ne  consultant  que  son 
bon  coeur  et  sa  vivacite  naturelle  ( «  rursus 
existens  fervidus...  sumit  audaciam  dispu- 
tandi  »  S.  Jean  Chrys.),  il  ose  reprimander  le 
Sauveur  au  sujet  des  choses  qu'il  venait  de 
leur  predire  :  «  Absit  a  te,  Domine,  s'ecrie-l- 
il,  non  erit  hoc  tibi!  »  iMatth.  xv[.  22.  Qu'e- 
tait  devenue  sa  noble  foi  de  tout-a-l'heure? 
Mais,  disent  les  anciens  inteipretes,  son 
amour  ardent  I'excuse  jusqu'a  un  certain 
point :  «  hoc  autem  araantis  affectu  et  optan- 
tis  dixit.  »  V.  Bede.  Au  reste,  jusqu'alors 
«  non  revelationem  acceperat  de  passione 
Domini.  Nam,  quod  Christus  sit  Filius  Dei 
didicerat  quidem,  at  nondum  quid  esset  my- 
sterium  crucis  et  resurrectionis.  »  Cramer, 
Catena  graec.  Patr.  h.  1.  Voila  pourquoi  «  ce 
meme  Pierre  qui  avait  si  bien  reconnu  la 
veriie  en  confessant  la  grandeur  du  Sauveur 
du  monde,  ne  la  pent  plus  souffrir  dans  ce  qu'il 
declare  de  sa  bassesse.  »  Bossuet,  Panegyrique 
de  S.  Pierre,  CEuvres,  Edit,  de  Versailles, 
t.  XVI,  p.  237. 


«2S 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


33.  II  se  retourna,  et,  regardant 
ses  disciples,  il  reprimanda  Pierre, 
disant:  Retire-toi  de  moi,  Satan,  car 
tu  n^as  pas  le  gout  de  ce  qui  est  de 
Dieu,  mais  de  ce  qui  est  des  hom- 
mes. 

34.  Et  il  appela  la  foule  avec  ses 
disciples  et  leur  dit  :  Si  quelqu'un 
veut  me  suivre,  qu'il  se  renonce 
lui-meme,  qu'il  porte  sa  croix  et  me 
suive. 

33.  Car  celui  qui  voudra  sauver  sa 
Tie  la  perdra,  et  celui  qui  perdra  sa 


33.  Qui  conversus,  et  videns  dis- 
cipulos  suos,  comminatus  est  Petro, 
dicens :  Vade  retro  me,  Satana,  quo- 
niam  non  sapis  quae  Dei  sunt,  sod 
quae  sunt  hominum. 

34.  Et  convocata  turba  cum  disci- 
pulis  suis,  dixit  eis  :  Si  quis  vult 
me  sequi,  deneget  semetipsum  :  et 
tollat  crucem  suam,  et  sequatur  me. 

Match.  10,  38  et  16,  24;  Luc.  9,  23  et  14,  27. 

35.  Qui  enim  voluerit  animam 
suam  salvam  facere,  perdet  earn  : 


33.  —  Qui  conversus  et  videns...  Jesus 
s'arrete  loui-a-coup  (Cfr.  t.  27,  «  in  via  »). 
Puis,  se  retournanl  vers  les  Douze,  qui  mar- 
chaient  sans  doule  respeclueusement  derriere 
lui,  il  jetle  sur  eux  un  de  ces  regards  pene- 
trants que  S.  Marc  aime  tant  a  noter.  II  ne 
contemple  pas  seulement  le  coupable,  mais  la 
troupe  enliere  des  disciples;  car  ils  parta- 
geaient  tous  assurement  les  idees  de  S.  Pierre, 
el  ils  etaienL  prets  a  repeter  son  assertion. 
Neanmoins,  ses  paroles  de  blame  (comminatus 
est)  ne  retombent  direclemenl  que  sur  Simon. 
—  Vaderetro  me...  Comme  Jesus  traite  seve- 
rement  celui  qui  voudrail  le  detourner  de  sa 
Passion  et  de  sa  morti  «  Voyez  quelle  oppo- 
sition. La  {Mallh.  xvi,  17-19)  il  dit :  Barjona, 
fils  de  la  colombe ;  ici,  Satan.  La  il  dit  :  Tu 
es  une  pierre  sur  laquelle  je  veux  batir;  ici  : 
tu  es  une  pierre  de  scandale  pour  faire  lom- 
ber.  »  Bossuet,  1.  c,  p.  238.  Mais  quelle  oppo- 
sition aussi  dans  la  conduite  de  I'Apotre  !  La 
il  avail  pense,  compris,  goiiie  les  choses  de 
Dieu;  ici  il  avail  pane  comme  un  homme 
naturel,  auquel  la  souffrance  fait  horreur ;  il 
avail  dit  au  Christ  qu'il  n'elail  pas  bon  de 
patir  el  de  mourir  pour  la  redemption  de 
rhumanite. 

b.  La  croix  pour  les  Chretiens,  viii,  34-39.  —  Parall. 
Matth.  XVI,  24-28;  Luc.  ix,  23-27. 

34. — «  Postquamdiscipulismysteriumsuae 
passionis  et  resurreclionis  ostendit,  hortatur 
eos  una  cum  turba  ad  sequendum  sua3  passio- 
nis exemplum.  »  Ces  paroles  de  Theophylacte 
expriment  Ires  bien  la  transition  qui  exisle 
enire  les  deux  paragraphes.  —  Convocata 
turba.  Trait  propre  a  S.  Marc.  S.  Luc  parail 
toulefois  supposer  que  Jesus  avail  alors 
d'autres  auditeurs  que  les  disciples.  Cfr. 
VIII,  34.  Une  foule  nombreuse  avail  done 
rejoint  le  Sauveur  jusque  dans  ces  parages 
lointains.Elle  etait  demeuree  a  I'ecarl  durant 
toute  la  scene  qui  precede  :  le  divin  Maicre 
I'appelle  pour  lui  faire  entendre  un  des  plus 


grands  principes  du  Christianisme.  —  Si  quis; 
dans  le  grec,  outi;,  «  quicumque,  »  Les  ma- 
nuscrils  B,  D,  L,  A,  et  Origene  onl  el  ti;, 
comme  I'ltala  et  la  Vulgate.  —  Me  sequi, 
b-niau}  \Lo\j  axoXovBstv.  Dans  S.  Matthieu,  nous 
lisons:  oTttCTw  (lou  eXQeiv,  el  dans  S.  Luc  :  bmaut 
(lou  £px£o8at.  Nous  citons  ces  legeres  variantes 
comme  un  modele  de  I'independance  des  ecri- 
vains  evangeliques.  —  Deneget  semetipsum  ex- 
prime  un  renoncement  entier  a  ce  que  rhomme 
a  de  plus  cher,  Ic  moi.  L'egoisme,  le  culte  de 
la  personnalile  propre,  est  done  un  vice  tout- 
a-fail  anli-chrelien.  —  Tollal  crucem  suam. 
S.  Marc  n'avail  pas  encore  menlionne  le  nora 
alors  infamanl,  mais  desormais  glorieux  de  la 
croix.  Toute  I'assistance  dut  fremir  en  enlen- 
dant  ce  langage  si  oppose  aux  idees  de  la 
chair  et  du  raonde!  Mais  elle  aurait  ete  vive- 
ment  consolee,  si  elle  avail  pu  comprendre  le 
sens  des  mots  sequatur  me.  Nous,  qui  ie 
comprenons  lout  entier,  suivons  avec  amour 
le  divin  CruciQe.  —  Voyez  I'explication  de- 
taillee  de  ce  verset  el  des  suivants  dans  I'E- 
vangile  selon  S.  Matth.  pp.  330-332.  Les  deux 
Evangelisles  citenl  en  des  termes  a  peu  pres 
identiques  les  paroles  de  Nolre-Seigneur 
Jesus-Chrisl. 

35.  —  Qui  enim...  A  propos  des  trois 
<i  enim  »  qu'on  trouve  au  debut  des  versets 
33,  36  et  38,  le  P.  Palrizi,  In  Marc.  Cora- 
raenl.,  p.  96,  fail  une  reflexion  Ires  exacte  : 
«  Animadvertamus  necesse  est  particulae 
enim,  ter  in  hac  oratione  positae,  non  earn 
vim  esse  ac  si  sentenliae  omnes  ila  inter  se 
colligenlur  ut  posterior  senlenlia  sentenliae 
proxime  superioris  causam  ralionemque  prae- 
beat,  neque  ergo  soUicitos  esse  oportere  de 
illarum  connexu  exponendo  ac  demonstrando ; 
sed  tria  argumenla  a  Christo  afferri,  quibus, 
quod  de  se  sequendo  praecipit,  nobis  persua- 
deal.  ))  Le  f.  35  contient  le  premier  de  ces 
Irois  arguments.  On  peul  le  resumer  ainsi  : 
II  faut  suivre  Jesus,  dul-on  pour  cela  perdre 
la  vie;  car,  la  perdre,  c'est  la  gagner.  On  la 


CHAPITRE    VIII 


429 


qui  autem  perdiderit  animam  suam 
propter  me  et  Evangelium,  salvara 
faciei  earn. 

Z,Mc.  17,  33;  Joan.  12,  25. 

36.  Quid  enim  proderit  homini,  si 
lucretur  mundum  totum,  et  detri- 
mentum  anirnse  suae  faciat  ? 

37.  Aut  quid  dabit  homo  commu- 
tationis  pro  anima  sua? 

38.  Qui  enim  me  confusus  fuerit, 
et  verba  mea,  in  generatione  ista 
adultera  et  peccatrice  :  et  Filius  ho- 
minis  confundetur  eum,  cum  vene- 
rit  in  gloria  Patris  si^i  cum  angelis 
Sanctis. 

Match.  10,  33;  Luc.  9,  26  et  12,  9. 

39.  Et  dicebat  illis  :  Amen  dico 


vie  a  cause  de  moi  et  de  I'Evangile 
la  sauvera. 


36.  En  efifet,  que  servirait  h. 
I'homme  de  gagner  le  monde  entier 
et  de  perdre  son  ame? 

37.  Ou  que  donnera  I'hcmme  en 
echange  de  son  ame? 

38.  Gar  celui  qui  aura  rougi  de 
moi  et  de  mes  paroles,  au  milieu  de 
cette  generation  adultere  et  peche- 
resse,  le  Fils  de  Thomme  aussi  rou- 
gira  de  lui,  lorsqu'il  viendra  dans 
la  gloire  de  son  Pere  avec  les  Anges 
saints. 

39.  Et  il  leur  disait :  Je  vous  dis 


perdra  dans  le  temps,  mais  on  la  gagnera 
pour  I'eternite.  Nolre-Seigneiir  joue,  on  le 
voit,  sur  le  double  sens  dii  siibsiantif  <5^uxr], 
ame  et  tie.  Perdre  sa  vie  pour  moi,  dit-il, 
c'est  sauver  son  ame  !  —  Les  mols  et  Eean- 
gelium  sont  propres  a  S.  Marc.  —  Salvam 
faciet,  (iwdTE,  est  une  expression  plus  claire 
que  le  eupri<Tei,  «  inveniet  »,  de  S.  Matthieu. 

36  et  37.  —  Second  argument  :  Suivre  Je- 
sus, raalgre  I'altrait  du  monde  et  de  ses  faux 
biens.  —  Dans  le  verset  qui  precede,  I'idee 
de  perdre  etait  opposee  a  celle  de  sauver; 
ici,  nous  voyons  en  regard  Tun  de  I'autre  un 
benefice  et  un  detriment.  Le  profit  consiste 
dans  racquisilion  du  monde  entier,  par  hypo- 
these;  le  detriment,  dans  la  damnation  eter- 
nelle.Y  a-t-il  equilibre  enlrecesdeux  choses? 
Les  biens  du  monde  sonl-ils  assezprecieux  pour 
que  Ton  consente  a  se  damner  en  vue  de  les 
acquerir?  Assurement  non,  comme  I'indiqiie 
le  ■*■.  37.  Suppose  qu'un  raondain  ait  sacriBe 
le  bonheur  cele.-te  en  echange  des  jouissances 
d'ici-bas,  avec  quoi  pourra-t-il  le  racheter? 
Vous  avez  une  maison ;  vous  la  vendez,  et 
vous  en  recevez  le  prix  (aAXaytia)  :  il  vous 
sera  loisible  ensuite  de  la  racheter  en  li- 
vrant  une  rangon  (avcdX^aysia,  commutatio  ; 
lilteralement,  le  contre-prix).  Pour  I'ame  il 
n'y  a  pas  de  rangon  possible  apres  cette  vie. 

38.  —  Troisieme  argument  :  Suivre  Jesus, 
en  foulant  aux  pieds  tout  respect  humain.  La 
redaction  de  S.  Matthieu  ne  mentionne  pas 
ici  celle  pensee  :  uiais  on  la  trouve  dans 
S.  Luc,  IX,  26.  —  Confusus  fuerit  et  con- 
fundetur sont  de  fausses  formes  moyennes 
pour  «  erubueril,  erubescel.  »  Le  traducteur 
a  servilement  copie  le  texte  grec  inaKr/y^Qri 
|ie,  eitai(7xyv6r,(7£Tai  autov,  et  traite  «  contun- 
dor  »  comme  si  c'eiit  ete  un  verbe  deponent. 

S.  Bible.  S. 


Quelques  manuscrits  latins  ont  essaye  de 
corriger  cette  faute  en  ecrivant  «  confessus 
fuerit,  confitebor.  »  Comp.  H.  Roensch,  Itala 
u.  Vulgata,  2e  edit.  p.  440.  —  Jesus  suppose 
done,  et  helas!  il  ne  suppose  pas  a  tort,  qu'il 
y  aura  des  hommes  qui  rougiront  de  lui  et  de 
sa  doctrine  par  respect  humain.  Comment 
trailera-t-il  ces  laches?  Leur  appliquant  la 
peine  du  talion,  il  rougira  d'eux  a  son  tour. 
Mais,  tandis  qu'ils  auront  refuse  de  le  recon- 
naitre  in  generatione  ista,  c'est-a-dire  dans 
ce  monde  corrompu,  dont  ils  auront  redoute 
les  vains  jugements,  lui  il  les  reniera  au  jour 
du  jugement  dernier,  en  face  de  Dieu  son 
Pere  et  de  toute  la  cour  celeste.  —  «  Gene- 
ratio  »,  de  merae  que  son  equivalent  hebreu 
ITT,  designe  ici  une  epoque  quelconque  et 
tous  ceux  qui  y  vivent.  Cfr.  Gesenius,  The- 
saurus, s.  v.  Victor  d'Antioche  donne  une 
excellenle  interpretation  des  epithetss  adul- 
tera et  peccatrix  :  «  Sicut  adultera  dicimr 
quae  cum  alio  viro  fuerit,  ita  et  anima,  quae 
verum  sponsum  Deum  deseruit,  nee  mandata 
ejus  custodivit,  adultera  utique  et  peccalrix 
appellatur  ».  Comparez  du  reste  Is.  liv,  5; 
Jerem.  xxxi,  32  ;  Mai.  ii,  1 1 ;  Hebr.  xii,  8,  etc. 
—  La  fin  du  verset  fait  allusion  au  second  et 
glorieux  avenement  du  Christ.  —  Filins  ho- 
minis,  au  lieu  du  simple  «  Ego  »  que  Ton 
attend  d'apres  la  construction  do  la  premiere 
partie  de  la  phrase,  est  emphalique  et  ma- 
jestueux. 

39.  —  Dans  le  grec,  ce  verset  ouvre  le 
chapitre  suivant.  La  division  adoptee  dans 
notre  version  latine  est  preferable,  parce 
qu'elle  correspond  mieux  a  la  liaison  des  pen- 
sees.  —  Et  dicebat  illis.  Nous  avons  vu  plus 
haut,  Cfr.  vii,  9,  20,  que  cette  formule  an- 
nonce  habituellement,  dans  le  second  Evan- 
Marc.  —  9 


430 


£VANGILE  SELON  S.  MARC 


en  verite  qu'il  y  en  a,  parmi  ceux 
ici  presents ,  qui  ne  gouteront  pas 
la  mort  avant  d'avoir  vu  le  royaume 
de  Dieu  venant  dans  sa  puissance. 


vobis,  quia  sunt  quidam  de  hie  stan- 
tibus, qui  non  gustabunt  mortem, 
donee  videant  regnum  Dei  veniens 
in  virtute. 

Maith.  16,  ^S;  Luc.  9,^7. 


CHAPITRE   IX 


Le  miracle  de  la  Transfiguration  (ft.  1-7).  —  L'avenement  d'Elie  (ft.  8-12).  —  Guerison 
d'un  lunatiqiie  i*^.  13-28).  —  Jesus  predit  sa  Passion  et  sa  morl  pour  la  seconde  fois 
[tt.  29-31).  —  II  donne  a  ses  Apotres  des  legons  d"humilile  (t*.  32-36)  et  de  tolerance 
[tt.  37-40).  —  Malheur  a  ceux  qui  scandalisent  leurs  freres  (ii1f.  41-47).  —  Le  sel 
mystique  [tt.  48-49). 


1.  Six  jours  apres,  Jesus  prit 
Pierre,  Jacques  et  Jean,  et  les  eon- 
duisit  seuls  a  I'ecart  sur  une  mon- 


1 .  Et  post  dies  sex  assumit  Jesus 
Petrum,  et  Jacobum,  et  Joannem, 
et  ducit  illos  in  montem  excelsum 


gile,  une  pause  et  une  transition.  De  l'ave- 
nement qu'il  vient  d'annoncer,  mais  qui 
n'aura  lieu  qa"a  la  fin  des  temps,  le  Sauveur 
passe  lout  a  coup  a  un  avenement  d'un  autre 
genre,  que  plusieurs  de  ceux  auxquels  il  par- 
lail  alors  devaient  contempler  de  leurs  pro- 
pres  yeux.  II  le  designe  d'une  maniere  assez 
enigmatique  :  Regnum  Dei  veniens  (mieux 
«  venisse  »,£),r,>,u6\jTav)  in  virtute.  Le  royaume 
de  Dieu  manifesto  avec  puissance  :  qu'est-ce 
a  dire?  PlaQons  avec  S.  Matthieu  le  concret 
au  lieu  de  I'abstrait,  «  le  Fils  de  I'homme 
venant  dans  son  royaume  i>,  et  la  pensee 
paraitra  deja  plus  clairo.  Ou  trouver  main- 
tenant,  dans  une  periode  assez  rapprochee 
pourjustifier  Tassertion  quidam  de  hie  stan- 
tibus..., une  manifestation  eclatante  de  Jesus 
en  tant  que  Roi  messianique?  Nous  repon- 
dons,  pour  les  motifs  exposes  dans  noire 
commentaire  sur  S.  Matthieu,  pp.  332  et  333, 
que  la  ruine  de  Jerusalem  et  de  I'Etat  juif 
serable  repondre  seule  aux  conditions  fixees 
par  Notre-Seigneur  lui-meme,  et  que  c'est 
elle  sans  doute  que  le  divin  Prophete  avait 
en  vue  quand  il  prononga  ces  graves  paroles. 

8.  —La  Transfiguration,  ix,  1-12. 

a.  Le  miracle,  ix,  1-7.  —  Parall.  Matth.  xvii,  1-8; 
Luc.  IX,  28-36. 

Assurement,  comme  nous  venons  de  le  dire, 
c'est  un  evenement  distinct  de  la  Transfigu- 
ration que  Notre-Seigneur  avait  promis  de 
faire  contempler  avant  leur  mort  a  quelques- 
uns  de  ses  auditeurs;  neanmoins,  nous  ne 
pretendons  pas  dire   qu'il   n'existe  aucune 


connexion  entre  la  proraesse  de  Jesus  et  le 

grand  mystere  sur  lequel  I'ordrechronologique 
appelle  maintenant  noire  attention  dans  les 
Irois  premiers  Evangiles.  La  Transfiguration 
devail  en  effet  prouver  a  ses  heureux  te- 
moins  que  le  Sauveur  elail  vraiment  Roi,  qu'il 
avait  le  droit  de  parler  de  sa  gloire  et  de  sa 
puissance  :  en  ce  sens  elle  etait  done  un  pre- 
lude et  un  gage  des  manifestations  eclatantes 
dont  nous  entendions  naguere  la  prediction. 
C'est  pourquoi  S.  Basile  le  Grand  I'appelle 
Ta7:poot[X'.a  xr,;,  e'j56|ou  auxoO  ('Iyioo-j)  Trapouaia;. 
Hom.  in  Is.  xliv.  Cfr.  Theodorel,  Ep.  cxLv; 
S.  Anselm.  Hom.  iv.  —  Sur  le  but  et  le  motif 
de  la  Transfiguration,  vovez  I'Evang.  salon 
S.  Matth.,  p.  333. 

Chap.  ix.  —  1.  —  Post  dies  sex.  Six  jours 
apres  les  evenements  racontes  en  dernier 
lieu,  VIII,  27-39.  Tout  porle  a  croire  que 
Jesus  et  les  siens  passerent  ce  temps  dans  le 
voisinage  de  Cesaree  :  rien  du  moins,  dans  le 
recit  sacre,  n'indique  un  changement  de 
lieux.  —  Assumit  Petrum...  Ne  voulant  pas, 
dans  ses  mysterieux  desseins,  faire  assister 
lous  les  Apotres  a  son  triomphe  momentane, 
le  Sauveur  prend  du  moins  avec  lui  «  les 
trois  sommets  du  Sacre-College  »  (Theo- 
phylacte),  Pierre,  le  futur  Chef  de  I'Eglise, 
et  les  deux  fils  du  Tonnerre.  —  Ducit  illos. 
Dans  le  grec,  avaospe'.,  il  les  conduit  en  haut, 
mot  qui  semble  indiquer,  de  concert  avec 
I'adjectif  excelsum,  une  ascension  longue  et 
penible.  —  In  montem.  Etait-ce  le  Thabor? 
etait-ce  I'Hermon?  Nous  avons  discute  dan* 
iiolre  commentaire  sur  S.  Matthieu,  p.  334, 


seorsum  solos,  et  trans figuratus  est 
coram  ipsis. 

Matth.n,  I;  Luc.  9,^8. 

2.  Et  veslimenta  ejus  facta  sunt 
splendentia,  et  Candida  nimis  velut 
nix,  qualia  fullo  non  potest  super 
terram  Candida  facere. 

3.  Et  apparuit  illis  Elias  cum 
Moyse ;  et  erant  ioquentes  cum  Jesu. 

4.  Et  respondens  Petrus,  ait  Jesu  : 
Rabbi,  bonum  est  nos  hie  esse; 
et  faciamus  tria  tabernacula,  tibi 
unum,  et  Moysi  uuum,  et  Eliae 
unum. 

5.  Non  enim  sciebat  quid  diceret : 
erant  enim  timore  exterriti. 


131 

tagne  elevee^,  et  fut  transfigure  de- 
vant  eux. 

2.  Ses  vetements  devinrent  res- 
plendissants  et  blancs  comme  la 
neige,  tels  qu'un  foulon  sur  la  terre 
ne  pent  les  faire  de  cette  blancheur. 

3.  Et  Elie  leur  apparut  avec 
Mo'ise,  et  ils  parlaient  avec  Jesus 

4.  Et  Pierre,  prenant  la  parole, 
dita  Jesus  :  Maitre,  il  est  bon  pour 
nous  d'etre  ici ;  faisons  trois  tentes, 
une  pour  vous,  une  pour  Moise  et 
une  pour  Elie. 

5.  Gar  il  ne  savait  ce  qu'il  disait, 
parce  qu'ils  etaient  saisis  de  crainte. 


les  raisons  qui  parlent  pour  et  contre  cha- 
cune  de  ces  montagnes,  et  nous  nous  sommes 
decide  en  faveur  de  I'Hermon.  Telle  etail 
deja  ropinion  de  D.  Galmet,  Comment,  litter, 
sur  S.  Marc,  h.  1.,  peut-etre  raeme  celle  d'Eu- 
sebe  (In  Psalm,  lxxxviii).  Le  sentiment  Ira- 
ditionnel  a  fait  donner  chez  les  grecs  ie  nom 
de  0aoo')p'.ov  a  la  fete  de  la  Transfiguration. 
—  Transfiguratus  est.  Les  Peres  et  les  theo- 
giens  ont  bien  determine  le  sens  de  cette 
expression,  qui,  d'apres  la  signification  litte- 
rale  du  grec,  semblerait  indiquer  une  sorte 
de  metamorphose,  ^tTE[io-^^thQr\.  «  Nemo  putet 
pristinam  formam  enm  amisisse;  non  sub- 
stantia tollitur,  sed  gloria  commutatur.  » 
S.  Jerome,  in  Matth.  xvii.  «  Transfiguratus 
est  non  mutatione  lineamentorum,  sed  qua- 
lilate  gloricB.  Erat  enim  et  apparebat  tunc 
Jesus  ejusdem  non  mutatse  figurae,  sed  mu- 
tatee  qualitatis.  »  Cajetan,  Coram,  h.  I. 

2.  —  Et  vestimenta  ejus.  Au  rayonnement 
divin  de  la  physionomie  du  Sauveur,  se  joi- 
gnit  celui  de  ses  vetements,  qui  devinrent 
Candida  nimis.  Pour  donner  a  ses  lecteurs 
une  idee  de  cette  blancheur  merveilleuse, 
S.  Marc  emploie  deux  comparaisons  qui  lui 
sent  propres,  car  c'est  par  une  erreur  de  tra- 
duction que  la  premiere,  sicnt  nix,  a  passe 
dans  le  texte  lalin  de  S.  Matthieu  (Voyez  le 
commentaire,  p.  336).  —  La  seconde  compa- 
raison,  qualia  fullo  non  potest...,  est  emprun- 
tee  a  I'art  humain,  de  meme  que  la  prece- 
dentei'avait  ete  a  la  nature,  a  la  neige  etin- 
celante  qui  bianchissait  le  sommet  de  I'Her- 
mon.  Certes,  des  I'antiquite,  I'habilete  des 
hommes,  qui  progresse  si  vite  toutes  les  fois 
qu'il  s'agit  de  rehausser  le  bien-etre  mate- 
riel, etait  allee  tres  loin  sous  le  rapport  au- 
quel  S.  Marc  fait  allusion.  Les  «  candidati  » 
de  Rome  et  d'Alhenes  porlaient  des  toges 
d'une  blancheur  eblouissante.  Et   pourtant, 


cela  n'eiait  rien  a  cote  de  la  splendeur  celeste 
qui  avait  subitement  envahi  tout  I'exterieur 
de  Jesus. 

3.  —  Elias  cum  Moyse.  Les  deux  heros  de 
la  theocratie  juive  viennenc  saluer,  dans  ce 
moment  glorieux,  le  Legislaleur  et  le  Pro- 
phete  de  la  Loi  nouvelle,  montrant  ainsi  I'al- 
liance  qui  existe  entre  les  d(  ux  Testaments. 
Ce  fut  sans  doute  par  une  sorte  d'intuition 
surnaturelle  que  les  trois  Apotres  lesiecon- 
nurent  aussitot.  —  Erant  Ioquentes  cum  Jesu. 
Cette  construction  semble  indiquer  que  I'en- 
tretien  eut  une  cerlaine  duree.  S.  Luc  nous 
en  fait  connaiire  I'elonnant  objet,  ix,  31. 

4.  —  Respondens  Petrus.  C'est  S.  Pierre, 
vif,  ardent  et  saintement  empresse  comme 
toujours,  qui  songe  le  premier  a  prendre  la 
parole.  — Rabbi.  Tandis  que  les  deux  autres 
synoptiques  emploient  I'equivalent  grec  de  ce 
litre,  S.  Marc  cite  a  sa  maniere  le  mot  he- 
breu,  iQT,  On  en  trouvera  Telymologie  et 
I'histoire  dans  I'Evang.  selon  S.  MaUhieu, 
p.  440.  —  Bonum  est...  «  Videt  hoc  Petrus, 
et  humana  sapiens  tanquam  homo,  Domine, 
bonum  est,inquit,  nos  hie  esse.  Taedium  pa- 
tiebatur  a  turba,invenerat  solitudinem  mon- 
tis;  ibi  habebat  Christum,  panem  mentis. 
Utquid  inde  discederet  ad  labores  et  dolores, 
habens  in  Deum  sanctos  amoreset  ideo  bonos 
mores?  Bene  sibi  volebat  esse,  unde  et  ad- 
junxit:Si  vis  faciamus  hie  tria  tabernacula.  » 
S.  Aug.  Serm.  Lxxviii.Le  V.  Bede  fait  ici  un 
beau  rapprochement  :  «  Si  tantum  transfigu- 
rata  Chrisli  humanilas  duorumque  societas 
sanctorum  ad  punctum  visa  delectat,  ut  eos 
ne  discedant...  Petrus  sistere  velit ;  quanta 
erit  felicitas,  visioni  deitatis  inter  angelorum 
chores  adesse  perpetuo?  »  II  fera  meilleur 
encore  au  cielque  sur  le  Thabor  ou  TH 'rmon. 

5.  —  Non  enim  sciebat...  S.  Marc  releve, 
de  concert  avec  S.  Luc,  ce  trait  interessant. 


435 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


6.  Et  il  se  forma  une  nnee  qui  les 
couvrit  de  son  ombre,  et  une  voix 
vint  de  la  nuee  disant :  Gelui-ci  est 
mon  Fils  bien-aime,  ecoutez-le. 

7.  Et  aussitot,  regardant  autour 
d'eux,  ils  ne  virent  plus  personne, 
si  ce  n'est  Jesus  seul  avec  eux. 

8.  Et  lorsqu'ils  descendaient  de  la 
montagne,il  leur  defendit  de  ra- 
conter  a  personne  ce  qu'ils  avaient 
Tu,  jusqu'a  ce  que  le  Fils  de  I'liomme 
fut  ressuscite  d'entre  les  morts. 


6.  Et  facta  est  nubes  obumbrans 
eos ;  et  venit  vox  de  nube,  dicens  : 
Hie  est  filius  meus  charissimus :  au- 
dite  ilium. 

7.  Et  statim  circumspicientes , 
neminem  amplius  viderunt,  nisi  Je- 
sum  tantum  secum. 

8.  Et  descendentibus  ilks  de 
monte,  prsecepit  illis  ne  cuiquam 
quae  vidissent  narrarent  :  nisi  cum 
Filius  hominis  a  mortuis  resurrexe- 
rit. 

Match.  17,  9. 


S.  Pierre  oiibliait  qu'il  n'est  pas  possible  de 
prolonger  ici-bas  de  tels  moments  d'une  ma- 
niere  perpetuelle,  que  cette  vie  doit  eire  con- 
sacree  a  la  lutte  et  non  aiix  saintes  delices. 
Son  extase  I'avait  transporte  dans  des  regions 
sublimes  oil  il  ne  songeait  plus  aux  conditions 
de  Texistence  presente.  «  In  spiritu  enim 
homo  constitutus,  telle  est  a  ce  sujet  la  pro- 
fonde  reflexion  de  Tertullien,  Adv.  Marc. 
IV,  22,  praesertim  quum  gloriam  Dei  cons- 
picit,...  necesse  est  excidat  sensu,  obumbra- 
tus  scilicet  virtute  divina.  »  —  Erant  enim  ti- 
more  exterriti.  Ce  second  detail  est  propre  a 
notreEvangeliste.  C'est  un  fait  d'une  grande 
veritepsychologique,  quoique,deprime-abord, 
il  sembie  contredit  par  ce  qui  precede.  Mais 
le  paradoxe  n'est  qu'apparent.  Une  joie  sur- 
nalurelle  et  une  frayeur  religieuse  se  conci- 
lient  fort  bien  ensemble.  S.  Pierre  et  ses 
deux  compagnons,  quoique  si  heuieux  sur  la 
sainte  montagne,  pouvaient  etre  en  meme 
temps  en  proie  a  un  sentiment  de  vif  effroi 
en  facedu  divinqui  les  enveloppait.  C'etaient 
tout  a  la  fois  le  bonheur  et  ia  crainte  qui  les 
avaient  mis  hors  d'eux-memes.  Le  mot  grec 
ixsoSoi,  traduit  par  «  timore  exterriti  »,  est 
d'une  grancli>  energie. 

6.  —  Et  facta  est  nubes...  Telle  fut  la  re- 
ponse  donnee  a  S.  Pierre ;  une  tenle  toute 
divine,  consislant  en  une  nuee  lumineuse, 
Cfr.  Malth.  xvhl  4,  enveloppa  ?oudain  Jesus 
et  ses  deux  interloculeurs.  Puis.  Dieu  le  Pere, 
qui  cachait  sous  ce  voile  i'eclat  de  sa  sainte 
presence,  fit  entendre  de  solennelles  paroles, 
par  lesquellesil  saluait  Notre-Seigneur  comma 
son  Fils  bien-aime.  Hie  est  Filius  meus,  et  I'e- 
tablissait  Legislateui-  souverain  de  la  Nouvelle 
Alliance,  Ipsam  audite.  C'est  a  lui  et  a  lui 
seul  que  Ion  doit  obeir  desormais.  La  loi 
mosaique  a  fait  son  temps  :  Celui  qu'elle  figu- 
raitest  arrive.  Les  Propheles.  representes  par 
Elie,  ontfait  leur  temps  :  Celui  qu'ils  annon- 
caient  a  fait  son  apparition.  «  Tradidit  igitur 
Paler  Filio  discipulos  novos,  ostensis  prius 


cum  illo  Moyse  et  Elia  in  claritatis  praBroga- 
tiva,  atque  ita  dimissis,  quasi  jam  et  officio 
ethonore  dispunctis.  »  Tertull.  I.  c.  C'est  done 
le  Christ,  Fils  de  Dieu,  qu'il  faut  ecouter 
exclusivement  et  a  tout  jamais. 

7.  —  Et  statiyn  circumspicientes.  —  Voir 
dans  S.  Matthieu,  xvii,  6  et  7,  quelques  de- 
tails graphiques  omis  par  S.  Marc.  L'adverbe 
e^aniva  autorise  a  croire  que  la  Theophanie 
n'avait  dure  que  peu  d'instants.  Lorsque, 
n'entendant  plus  la  voix  et  devenant  plus 
hardis,  les  trois  Apotres  jeterent  autour  d'eux 
un  regard  furlif,  ils  n'apergurent  plus  que 
Jesus  aupres  d'eux  sur  la  montagne,  «  sueta 
forma,  sueto  amictu  »  (Witsius) ;  la  Transfi- 
guration avait  pris  fin.  —  Voyez  dans  Rohault 
de  Fleury,  Etudes  iconograph.  et  archeolog., 
t.  II,  pp.  68  et  ss.,  quelques  notes  interes- 
santes  sur  ce  mystere  considers  dans  ses 
rapports  avec  I'arl  antique. 

b.  Entrelien  qui  se  rattache  au  miracle,  ix,  8-12. 
Parall.  Matth.  xvu,  9-13. 

8.  —  Descendentibus  illis.  L'entretien  que 
le  Sauveur  eut  avec  les  trois  disciples  privi- 
legies,  aussitot  apres  sa  Transfiguration, 
comprend  deux  points  principaux.  Jesus 
commen^a  par  enjoindre  aux  temoins  du 
mystere  de  garder  le  plus  profond  silence 
sarce  qu'ils  avaient  vu  et  entendu.Vif.S  et9  ; 
il  repondit  ensuite  a  une  question  qu'ils  lui 
adres-erenl  au  sujet  de  I'avenement  d'Elie, 
tt.  10-12.  —  1 .  Le  silence.  iVe  cuiquam... 
nari'arent.  A  personne  absolument.  pas  meme 
aux  autres  Apotres  qu'ils  allaient  bientot 
rejoindre  au  pied  de  la  montagne.  L'lnterdic- 
tion  devait  durer  aulant  que  la  vie  mortelle  de 
Notre-Soigneur.  Seule,  sa  resurrection  d'entre 
les  morts  pourrait  lever  le  scelle  place  sur  lea 
levres  de  Pierre,  de  Jacques  et  de  Jean.  Cet 
ordre  n'a  rien  d'etonnant.  apres  les  defenses 
sembiables  que  Jesus  avait  frequemment  for- 
miilees  depuis  le  debut  de  son  minislere  pu- 
blic. Ou  plutot,  il  avait  cette  fois  une  raison 


CHAPITRE   IX 


133 


9.  Et  verbum  continuerimt  apud 
se,  conquirentes  quid  esset :  Gum  a 
mortuis  resurrexerit. 

10.  Et  interrogabant  euDi,  dicen- 
tes  :  Quid  ergo  dicunt  pharisaei  et 
scribse  quia  Eliam  oportet  venire 
primum? 

Malac.  4,  5. 

11 .  Qui  respondens,  ait  illis :  Elias^ 
cum  venerit  primo,  restituet  omnia : 
et  quomodo  scriptum  est  in  Filium 
hominis,  ut  multa  patiatur  et  con- 
temnatur. 

Imi.  53,  t. 

12.  Sed  dico  vobis  quia  et  Ellas 


9.  Et  ils  garderent  le  secret  en 
eux-memes,  se  demandant  ce  que 
voulait  dire  :  Lorsqu'il  sera  ressus- 
cite  d'entre  les  morts. 

10.  Et  ils  I'interrogeaient,  disant: 
Pourquoi  done  les  Pharisiens  et  les 
Scribes  disent-ils  qu'il  faut  qu'Elie 
vienne  auparavant  ? 

11.  Et  il  leur  repondit  :  Elie , 
lorsqu'il  viendra  premierement,  re- 
tablira  toutes  choses,  et,  comme  il 
est  ecrit  du  Fils  de  I'homme,  il  faut 
qu'il  souffre  beaucoup  et  soit  me- 
prise. 

12.  Mais  je  vous  dis  qu'Elie  est 


d'etre  toute  parliculiere :  a  Quo  enim  de  ipso 
(Jesu)  majora  dicerenlur,  eo  creditu  difficiliora 
tunc  apud  plerosque  forent,  et  scandalum  ex 
cruce  vehernentius  offendisset.  »  Victor  d'An- 
tioche. 

9.  —  Verbum  continuerunt.  Dans  le  grec, 
Tov  )v6yov  expaxYicrav ;  litteralement,  ils  linrenl 
lerme  cette  parole.  Cela  vent-il  dire  qu'iis 
obeirenl  fidelement  a  I'injonction  de  leur 
Mailre?  ou  bien,  d'apres  une  autre  interpre- 
tation, qu'iis  furent  vivement  frappes  des 
derniers  mots  prononces  par  le  Sauveur,  et 
qu'iis  en  firent  le  theme  de  leurs  reflexions  ? 
Ce  second  sens  nous  parait  plus  en  rapport 
avec  le  contexte.  —  Apud  se,  que  la  ponctua- 
tion  actuelle  de  la  Recepta  et  de  la  Vulgate 
rallache  au  verbe  «  continuerunt  »,  relombe 
plulot  sur  conquirentes;  les  Irois  Apolres 
discutaient  done  entre  eux  sur  la  significa- 
tion [quid  esset)  de  la  phrase  Cu7u  a  morluis 
resurrexerit.  S.  Marc  a  seul  signale  I'espece 
de  perplexite  dans  laquelle  les  amis  de  Jesus 
furent  jeles  par  cette  parole  du  Sauveur. 
Sans  doute  ils  n'ignoraient  pas  ce  qu'elait  la 
resurrection  en  general,  puisqu'elle  faisait 
partie  du  symbole  de  foi  chez  les  Juifs 
comme  chez  les  Chretiens  ;  mais  la  Resurrec- 
tion personnelle  de  Jesus  les  troublait.  En 
effet,  pour  ressusciter  il  faut  mourir;  or,  la 
mort  de  leur  Mailre  etait  opposee  a  leurs 
vieux  prejuges.  —  Au  lieu  de  la  legon  oxav 
ex  vezpcov  avaotri,  que  noire  traducteur  lalin 
semble  avoir  lue  dans  son  manuscril,  la 
Recepta  porle  simplement  t6  ex  vexpwv  ivac- 

10.  —  2.  L'avenement  d'Elie.  Interroga- 
bant eum.  Si  les  disciples  n'osent  questionner 
Jesus  sur  le  mystere,  si  obscur  pour  eux,  de 
sa  Resurrection,  ils  lui  proposent  du  nioins 
unedifficulte  que  la  recente  apparition  d'Elie 


avail  fait  naitre  dans  leur  esprit.  Peut-etre  se 
figuraienl-ils  que  les  deux  poinls  n'etaient 
pas  sans  connexion  intime,  et,  qu'en  provo- 
quant  des  explications  sur  I'un,  ils  feraient 
jaillir  en  meme  temps  la  lumiere  sur  I'aulre. 
—  Quid  ergo  dicunt...  La  Vulgate  a  lu  xi  oOv. 
"Oxi  du  texte  imprime  equivauta  xl  bxi.  Di- 
vers critiques  adoplent  la  variante  o  tc,  qui 
a  le  sens  de  6ia  tl.  — Pliariscei  n'est  pas  dans 
le  grec.  —  Eliam...  venire  primum.  «  Aupa- 
ravant »,  c'esl-a-dire  avant  le  Messie,  en 
qualite  de  Precurseur,  ainsi  que  I'avait  annon- 
ce  le  prophete  Malachie,  iv,  5.  Sur  ce  retour 
d'Elie,  qui  a  toujours  vivement  inleresse  les 
Juifs,  a  tel  point  que  «  vouloir  citer  tous  les 
passages  rabbiniques  oil  il  en  est  question 
serail  une  tache  infinie  »  (Lighlfoot),  voyez 
I'Evangile  selon  S.  Matthieu,  p.  340. 

11  el  12.  —  Qui  respondens.  La  reponse  du 
Sauveur  est  exprimee  d'une  maniere  un  peu 
obscure  dans  le  second  Evangile.  La  redaction 
plus  nelte  de  S.  Matthieu  fail  disparaitre  toute 
difiiculte.  Un  premier  point  est  clair  :  c'est 
qu'Elie  viendra  d'abord,  et,  qu'une  fois  de 
retour  sur  cette  terre  dont  il  a  si  myslerieu- 
sement  disparu,  il  preparera  les  hommes  a 
recevoir  le  Messie.  P»-j?no  represente  I'epoque 
du  second  avenement  de  Notre -Seigneur 
Jesus-Christ;  restituet  (mieux  «  resliluit  », 
car  le  verbe  grec  est  au  present),  les  travaux 
d'Elie  pour  amener  les  Juifs  a  la  vraie  foi. 
Ainsi,  Jesus  donne  raison  aux  Scribes;  seule^ 
ment,  il  explique  el  rectifie  leur  dire  en  appli- 
quant  a  la  fin  des  temps  ce  qu'iis  s'alten- 
daient  a  voir  bientot  accompli.  Theophylacte, 
h.  1.  — Et  quomodo  scriptum  est...  C'est  ici 
que  la  pensee  devient  enigmatique,  a  cause 
de  la  construction  un  peu  lourde  et  enche- 
vetree  de  la  phrase.  On  a  propose,  pour  I'a- 
meliorer,  plusieurschangemenls  dans  la  pone- 


134 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


deja  venu,  et  ils  lui  ont  fait  tout  ce 
qu'ils  out  voulu,  ainsi  qu'il  est  ecrit 
de  lui. 

13.  Et,  Tenant  vers  ses  disciples, 
11  vit  une  grande  foule  autour  d'eux, 
et  des  Scribes  disputant  avec  eux. 

14.  Et  aussitot  tout  le  peuple, 
voyant  Jesus,  fut  stupefait,  et  ils 


venit  (et  fecerunt  illi  qusecumque 
voluerunt)  sicut  scriptum  est  de  eo. 

Match.  17,  12. 

1 3.  Et  veniens  ad  discipulos  suos, 
vidit  turbam  magnam  circa  eos,  et 
Scribas  conquirentes  cum  illis. 

14.  Et  confestim  omnis  populus 
videns  Jesum,  stupefactus  est,  et 


tuation.  Par  exemple,  une  coupure  et  un  point 
d'inlerrogalion  apves,Filiumhominis:aQ[i'es\r 
il  ecrit  du  Fils  de  I'homnie?  Qu'il  souffriia 
beaucoup...  »  Ou  bien  un  simple  point  d'in- 
lerrogalion a  la  fin  du  verset  :  «  Pourquoi 
est-il  ecrit  da  Fils  de  I'homme  qu'il  aura 
beaucoup  a  souffrir?  »  Nous  prefererions  une 
virgule  apres  contemnatur,  de  maniere  a 
etablir  une  correlation  elroite  enlre  le  ■*■.  12 
el  la  fin  du  f.  H  :  «  De  meme  qu'il  est  ecrit 
au  sujel  du  Fils  de  I'homme  qu'il  aura  beau- 
coup a  souffrir  et  qu'il  sera  avili  (dans  le  grec 
i5o'j5£vw6^,  reduit  a  rien):  de  meme,  je  vous 
dis  qu'El'ie  est  venu...  comme  il  est  ecrit  a 
son  sujel.  »  II  nous  semble  que  I'equilibre  des 
niol;  et  des  ideas  demande  celle  traduction. 
A  I'apparition  future  du  veritable  Elie,  Jesus 
oppose  I'arrivee  deja  ancienne  de  I'Elie  figu- 
ralif,  Jean-Bapliste ;  des  souffrances  subies 
par  son  Precurseur,  il  rapproche  ses  propres 
souffiances.  De  part  et  d'autre  il  monlre, 
pianant  au-dessus  des  destinees  humaines, 
fa  volonle  de  Dieu  exprimee  dans  les  Sainles 
Ecritures.  De  la  sorte,  il  existe  enlre  toules 
les  parties  de  la  phrase  un  lien  qui  les  unit, 
un  contrepoidsqui  les  soutient,  et  I'obscurite 
se  trouve  amoindrie.  De  plus,  nous  nous 
rapprochons  ainsi  du  texte  de  S.  Matlhieu, 
XVII,  12  :  «  Je  vous  le  dis  :  Elie  est  deja  venu 
et  ils  ne  I'ont  pas  connu,  et  ils  ont  fail  centre 
lui  tout  ce  qu'ils  ont  voulu.  C'est  ainsi  que  le 
Fils  de  riiomme  doit  souffrir  par  eux.  »  — 
Fecerunt  illi...  iQiViS  designait  ainsi  les  per- 
secutions endurees  par  S.  Jean.  Cfr.  vi,  M 
et  ss.  Le  prophete  Elie  n'avait  pas  moins 
souffert.  Ctr.  Ill  Reg.  xix. 

9.  —  Guerison  d'un  lunatique.  ix,  13-28. 
Parall.  Matlh.  xvii,  14-20;  Luc.  ix,  37-44. 

13.  —  Veniens  ad  discipulos...  Au  pied  de 
rHermon,  une  scene  bien  differente  de  celle 
de  la  Transfiguration  attendait  Jesus  et  ses 
disciples.  Les  Irois  Synoptiques  sont  una- 
nimes  pour  la  rapprocher  du  glorieux  mystere 
que  nous  venons  d'eludier  ;  mais  c'est  incon- 
teslablement  S.  Marc  qui  I'a  decrile  de  la 
maniere  la  plus  complete.  II  se  surpasse  lui- 
meme  au  point  de  vue  des  details  pittoresques. 
Raphael  n'a  eu  en  quelque  sorte  qu'a  le  co- 
pier pour  produire  le  chef-d'oeuvre  dont  nous 


parlions  dans  notre  commentaire  sur  S.  Mat- 
lhieu, p.  342.  —  Des  les  premiers  mots,  la 
situation  est  admirablement  depeinte  :  nous 
voyons  les  neuf  Apotres,  timides  et  embar- 
rasses ;  autour  d'eux,  turbam  magnam  qui 
prend  parti  pour  eux  ou  centre  eux;  puis 
Scrihas  conquirentes  cum  illis  (scil.  discipulis). 
Le  contexle  nous  apprendra  I'objel  du  lilige. 
Les  disciples  n'avaient  pu  guerir  un  jeune 
possede,  qu'onleur  avail  conduit  en  I'absence 
de  leur  Maitre.  Get  echec  avait  comble  d'une 
joie  maligne  des  Scribes  qui  en  avaient  eld 
temoins  :  profilant  de  celte  occasion  unique, 
ceux-ci  avaient  allaque  devant  toule  I'assis- 
tance  non  seulement  les  Apotres  impuissanls, 
mais  aussi  Jesus  lui-meme,  comme  si  la  de- 
faite  des  soldals  eut  prouve  contre  le  general. 
Mais,  voici  que  le  Sauveur  apparait  tout  a 
coup  a  quelque  distance,  pour  venger  son 
honneur  altaque. 

14.  —  Et  confestim...  Nouveau  tableau 
propre  a  S.  Marcel  trace  d'une  main  magis- 
irale.  Mais  les  divers  traits  qui  le  composent 
ne  sonl-ils  pas  contradicloires?  La  foule  voit 
Jesus,  elie  a  peur,  etpourlant  elie  accourt  au- 
devanl  de  lui  pour  le  saluer!  La  frayeur  dut 
etre  giande;  la  Vulgale  a  deux  mols  pour 
I'exprimer:  sttipefaclus  est  et  expaverunt.  Le 
texle  grec  n'a  qu'un  seul  verbe,  E|£0a[jL6r|On ; 
il  est  vrai  que  c'est  une  expression  d'une 
grande  energie.  qui  designe  une  terreur 
extreme  (On  a  remarque  que  S.  Marc  seal 
I'emploie  dans  son  Evangile).  Pourquoi  d'a- 
bord  le  peuple,  en  apercevant  Jesus,  fut-il 
saisi  d'un  effroi  si  violent?  c  II  en  est  qui 
disent  que  son  visage  conservait  un  reflet  de 
la  Transfiguration  )\  ecrivait  Theophylacte. 
Corneille  de  Lapierre  est  plus  categorique,  et 
n'hesile  pas  a  accepter  ce  que  son  devancier 
grec  n'osait  donner  que  comme  un  dire  incer- 
tam  :  «  Quod  viderent  in  vultu  Jesu  paulo 
ante  Iransfigurato  reliquos  adhuc  aliquos 
splendoris  radios,  sicut  Mosi  post  Dei  collo-- 
quium  in  vultu  adhaeserunt  radii  et  quasi 
corona  lucis.  »  Oui,  voila  bien  ce  qui  diit 
effrayer  le  peuple  quand  il  reconnul  Jesus  :  il 
reslait  sur  la  physionomiedu  Sauveur  quelques 
traces  de  la  gloire  divine  qui  I'avait  recem- 
ment  illumin"e,  et  c'est  ce  reflet  extraordi- 
naire, imposant,  qui  inspirait  k  la  foule  une 


CHAPITRE   IX 


435 


expaverunt,  et  accurentes  saluta- 
bant  eiim. 

15.  Et  interrogavit  eos  :  Quid  in- 
ter vos  conquiritis? 

16.  Et  respondens  unus  de  turba, 
dixit :  Magister,  attuli  filium  meum 
ad  te,  habentem  spiritum  mutum  : 

Luc.  9, 38. 

17.  Qui  ubicumque  eum  appre- 
henderit,  allidit  ilium,  et  spumat,  et 
sti'idet  dentibus,  et  arescit :  et  dixi 
discipulis  tms  ut  ejicerent  ilium,  et 
non  potuerunt. 

18.  Qui  respondens  eis,  dixit  :  0 
generatio  incredula,  quamdiu  apud 
vos  ero?  quamdiu  vos  patiar?  aflerte 
ilium  ad  me. 

19.  Et  attulerunt  eum.  Et  cum  vi- 


furent  saisis   de  crainte,  et  accou- 
rurent  le  saluer. 

15.  Et  il  les  interrogea  :  De  quoi 
disputez-vous  ensemble? 

16.  Et  quelqu'un  de  la  foule  lui 
repondit :  Maitre,  je  vous  ai  amene 
mon  tils  possede  d'un  esprit  muet, 

17.  Qui  le  jette  a  terre,  partout  ou 
il  s'empare  de  lui,  et  il  ecume,  et  il 
grince  des  dents,  et  se  dessec-he.  Et 
j'ai  dit  a  vos  disciples  de  le  chasser 
et  ils  ne  Font  pas  pa. 

18.  II  dit,  s'adressant  a  eux :  O 
race  incredule,  jusques  a  quand  se- 
rai-je  avec  vous?  jusques  k  quand 
vous  supporterai-je?  Amenez-le  moi. 

19.  Et  ils  Tamenerent.  Et  lors- 


frayeur  surnalurelle.  Mais,  en  face  de  Jesus, 
le  senlimenL  de  la  crainte  ne  pouvail  etre  de 
longue  duree  :  ses  divins  allraits,  sa  bonle, 
dominerent  promplemenl  toule  autre  impres- 
sion. Aiissi  voyons-nous  la  multitude  accou- 
rir  bientot  au-devant  de  lui  et  le  saluer  avec 
une  aimable  familiarile,  tout  heureuse  qu'il 
arrivat  si  a  propos  pour  tirer  les  siens  d'em- 
barras.  Voila  le  paradoxe  eclairci. 

-15.  —  Interrogavit  eos.  Le  grec  porte  : 
iTzepuixriGt  tou;  Ypa[X[AaT£t;,  il  interrogea  les 
Scribes.  Mais  les  meilleurs  manuscrits  et  plu- 
sieurs  versions  anciennes  favorisent  la  legon 
de  la  Vulgate.  —  Au  lieu  de  inter  vos,  on  lit 
encore  dans  le  grec  imprime  7tp6?  auTou;, 
«  contra  eos  (discipulos)  ».  D'apres  noire 
version  latine,  Jesus  se  serait  adresse  en  ge- 
neral a  toute  I'a-seinblee.  Suivant  le  «  textus 
receptus  »,  il  aurait  pris  les  Scribes  a  partie, 
leur  montrant  que  ca  n'etait  plus  avec  ses 
disciples,  mais  avec  lui-meme,  qu'ils  avaient 
a  discuter. 

16.  —  Respondens  unus  de  turba.  Tandis 
que  tons  les  autres  demeurent  silencieux,  un 
homme  sort  de  la  foule  el  s'avance  jusqu'au- 
pres  de  Jesus.  S.  Matlhieu,  xvii,  14,  decrit 
ibrt  bien  le  palhetique  de  son  attitude  et  de 
sa  priere  :  «  Genibus  provolutus  ante  eum, 
dicens  :  Domine,  miserere  filio  meo.  »  — 
Attuli...  ad  te.  Ce  pauvre  perc  etail  du  moins 
venu  avec  I'intention  de  presenter  son  fils  au 
Sauveur ;  mais,  n'ayanl  pas  trouve  le  divin 
Thaumaturge,  il  avait  eu  recours  a  ses  dis- 
ciples. —  Habentem  spiritum  mutum.  Locu- 
tion tout  orientale.  pour  dire  que  I'enfant 
etait  au  pouvoir  dun  demon  qui  le  rendait 
sourd  [t.  24)  et  muet. 

47.  —  Qui  ubicumque...  Bien  que  la  pos- 


session fut  habituelle,  elle  presentait  nean- 
moins  des  alternatives  etranges  de  calme 
relatif  et  de  crises  horribles.  Ces  crises  sont 
vigoureusement  decrites  par  notre  Evange- 
liste.  —  Allidit  eum.  Le  verbe  pr,(7(7£i  designe 
plutot  de  violentes  convulsions,  car  le  sens 
primitif  de  p^Yvyfii  est  «  dechirer.  »  II  signifie 
pourtant  aussi  «  in  terram  prosternere,  alli- 
dere.  »  Cfr.  Bretschneider,  Lexic.  man., 
t.  II,  p.  378.  De  la  ceite  traduction  d'Euthy- 
mius  :  xatagaXXet  £i;  yriv.  —  Les  deux  trails 
suivants  :  spumat,  stridet  dentibus,  denotent 
aussi  d'affreux  paroxysmes.  —  Arescit,  c'est- 
k-dire  «  obrigescit  »  (^YipaivsTai).  Les  crises 
se  terminaient  par  un  elat  de  complete  pros- 
tration, durant,  lequel  les  membres  du  demo- 
niaque  devenaient  raides  comme  le  fer. 

18.  —  0  generatio  incredula.  C'est  a  I'as- 
semblee  tout  entiere,  c'est-a-dire  au  pere,  a 
la  foule,  aux  Scribes,  et  memo  aux  disciples 
jusqu'a  un  certain  point,  que  Jesus  adressait 
ce  reproche.  Voyez  I'Evang.  selon  S.  Mat- 
lhieu, p.  342.  —  Quamdiu.  Excellente  tra- 
duction de  I'ew;  TTOTE  grec,  qui  equivaut  a  I'he- 
breu  na~iy  ou  ina~lir.  La  peme  la  plus 
grande  que  Jesus  ait  eprouvee  sur  la  terra 
semble  avoir  ete  celle  qui  provenait  de  l"in- 
credulile  des  hommes:  de  memo  que  les  joies 
les  plus  vives  de  son  Coeur  semblent  avoir  eu 
pour  cause  la  foi  des  vrais  croyants, 

19.  —  Quand,  sur  I'ordre  du  Sauveur,  on 
eut  approche  I'enfant,  le  demon  manifesta  sa 
rage  par  un  acces  supreme,  que  le  Thauma- 
turge tolera  pendant  (juelques  instants,  pour 
mieux  faire  eclalcr  la  vcrlu  divine  qui  agissait 
en  lui.  —  11  est  assfz  difficile  de  determiner 
le  sujet  du  verbe  vidisset.  Est-ce  Jesus  qui 
regarda  I'enfant,  et  qui  fit  fremir  ainsi  la 


436 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


qii'il  eut  vu  Jesus,  Tesprit  aussitot 
le  tourmenta  et,  jete  contre  terre,  il 
se  roulait  en  ecumant. 

20.  Et  Jesus  interrogea  son  pere : 
Combien  y  a-t-il  de  temps  que  cela 
lui  arrive?  Et  il  dit  :  Depuis  Ten- 
fan  ce. 

21.  Sou  vent  I'esprit  Ta  jete  dans 
le  feu  et  dans  I'eau  pour  le  faire  pe- 
rir.  Mais,  si  vous  pouvez  quelque 
chose,  ayez  pitie  de  nous  et  secou- 
rez-nous. 

22.  Et  Jesus  lui  dit  :  Si  tu  peux 
croire,  tout  est  possible  a  celui  qui 
croit. 

23.  Et  aussitot  le  pere  de  Tenfant 
s'eeriant,  dit  avec  larmes  :  Je  crois, 
Seigneur;  aidez  moniacredulite. 


disset  eum,  statim  spiritus  contur- 
bavit  ilium  :  et  elisus  in  terram  vo- 
lutabatur  spumans. 

20.  Et  interrogavit  patrem  ejus^ 
Quantum  temporis  est  ex  quo  ei  ho 
accidit  ?  At  ille  ait :  Ab  infantia  : 

21.  Et  frequenter  eum  in  ignem, 
et  in  aquas  misit,  ut  eum  perderet; 
sed  si  quid  potes,  adjuva  nos,  mi- 
sertus  nostri. 

22.  Jesus  autem  ait  illi  :  Si  potes 
credere,  omnia  possibilia  sunt  cre- 
denti. 

23.  Et  continuo  exclamans  pater 
pueri,  cum  lacrymis  aiebat  :  Cre- 
do, Domine;  adjuva  incredulitatem 
meam. 


demon?  Est-ce  I'enfant  qui  regarda  Jesus,  et 
qui,  uni  etroitement  a  resprit  mauvais,  lui 
communiqua  rimpression  de  crainle  donl  il 
avait  ele  aussitot  saisi?La  locution  grecque, 
ISwv  a-jTov,  est  tout  aussi  ambigiie.  Le  second 
sentiment  nous  parait  plus  naturel.  CIr.  Be- 
len,  Grammat.  p.  181.  —  Le  verbe  edTiapa^Ev, 
Iraduil  par  conturhavit,  signifie  plulot  u  dis- 
cerpsit.  »  L'enfanl  ful  done  repris  de  convul- 
sions et  de  spasmes.  —  Volutabalur...  Trail 
douloureusement  piltoresque. 

20  el  21.  —  Et  interrogavit  patrem.  Ce- 
pendanl  Jesus,  plein  d'un  calme  divin,  iioue 
avec  le  pere  du  jeune  demoniaque  un  lou- 
chanl  dialogue,  tt.  20-23,  que  S.  Marc  nous 
a  seul  conserve.  —  Quantum  temporis... 
Comme  un  medecin  dans  un  cas  semblable, 
Notre-Seigneur  se  fail  renseigner  (point  pour 
lui-raeme  assuremenl,  mais  pour  Tassistance) 
sur  la  duree  de  ce  mal  affreux.  —  Ab  infan- 
tia, repond  le  pere,  7:ai5io6£v,  indiquant  par  la 
que  la  maladie,  ainsi  que  sa  cause,  etail  tout 
a  fait  inveteree.Puis,  trait  bien  naturel,  pour 
e.\citer  davantage  la  pitie  de  Jesus,  il  ajoute 
quelques  details  sur  le  malheureux  etat  de 
son  pauvre  enfant  :  Frequenter  eum...  Cfr, 
t.  M.  —  Ut  eum  perderet.  Tel  etait,  dans  la 
pensee  du  suppliant,  le  but  ;ival  que  se  pro- 
posait  le  demon  en  maltraitant  ainsi  son  fils  : 
il  voulail  lui  donner  la  mort.  —  Sed,  si  quid 
potes...  On  croit  entendre,  en  lisanl  ces  pa- 
roles, I'accent  de  detresse  avec  lequel  elles 
durentetre  prononcees.  Mais  pourquoi  le  pere 
ne  s'ecrie-t-il  pas  comme  le  centurion  :  Dis 
geulement  une  parole,  et  mon  fils  sera  gueri? 
*Opa;,  repond  Eulhymius,  kw;  oOx  el^s  ni'otiv 


aotdxaxTov.  En  effel,  e'est  une  foi  vacillante 
qu'exprime  une  telle  restriction  :  «  Si  vous 
pouvez  quelque  chose.  »  Le  pere  croyaitjus- 
qua  un  certain  point  en  la  puissance  de 
Jesus,  puisqu'il  lui  avait  conduit  son  fils; 
mais  sa  foi,  deja  imparfaite  en  elle-meme, 
etait  devenue  plus  faible  encore  apres  les 
efforts  impuissants  des  Apotres  pour  chasser 
le  demon.  —  Misertus  nostri.  De  meme  qu'au- 
trefois  la  Chananeenne,  Matlh.  xv,  25,  le  pere 
fait  sienne  I'infirmile  de  son  enfant. 

22.  — Si  potes  credere.  La  Kecepla  grecque 
porte,  d'une  maniere  a  peu  pres  semblable, 
TO  £1  Suv^f]  TrtffTe-jffat.  Mais,  dans  la  Recepta 
comme  dans  la  Vulgate,  les  verbes  TtidTeOffat, 
«  credere  »,  sont  probabiement  de  trop;  car 
les  meilleurs  manuscrits  (B,  C,  L,  a,  Sinait.) 
et  plusieurs  versions  ont  simplemenl  :  to  ei 
ouvij,  c'est-a-dire  :  Quant  a  ce  que  vous  diles 
la,  «  Si  tu  peux  »,  tout  est  possible  a  celui 
qui  croit.  Au  reste  cetle  varianle  change  peu 
de  chose  a  la  pensee.  Jesus,  on  le  voit,  saisit 
au  vol  la  facheuse  reflexion  du  suppliant,  et  il 
s'en  sert  avec  autant  d'habilete  que  de  bonte 
pour  raviver  dans  ce  coeur  desole  la  foi  sans 
laquelle  le  miracle  n'eul  pas  ete  produit.  La 
question  est  ainsi  ramenee  a  son  veritable 
point  de  vue  :  il  ne  s'agit  pas  de  la  puissance 
du  Thaumaturge,  surlaquelle  lemoindre  doute 
n'esl  pas  permis,  mais  de  la  foi  de  quiconque 
y  a  recours. 

23.  —  La  description  devient  de  plus  en 
plus  pathelique.  —  Continuo  exclamans.  Effet 
instanlane  de  la  parole  du  Sauveur.  Allant 
droit  au  coeur  du  pere,  elle  y  enfanta  une 
grande  foi,  ou  du  moins  un  grand  desir  de 


CHAPITRE    IX 


137 


24.  Et  cum  •videret  Jesus  concur- 
rentem  turbam,  comminatiis  est  spi- 
ritui  immundo,  dicens  illi  :  Surde 
et  mute  spiritus,  ego  prsecipio  tibi, 
exi  ab  eo;  et  amplius  ne  introeas  in 
euro. 

25.  Et  exclamans,  et  multum  dis- 
cerpens  eum,  exiit  ab  eo,  et  factus 
est  sicut  mortuus,  ita  ut  multi  dice- 
rent  :  Quia  mortuus  est. 

26.  Jesus  autem  tenens  manum 
ejus,  elevavit  eum,  et  surrexit. 

27.  Et  cum  introisset  in  domum, 
discipuli  ejus  secreto  interrogabant 
eum  :  Quare  nos  non  potuimus  eji- 
cere  eum? 

28.  Et  dixit  illis  :  Hoc  genus  in 
nullo  potest  exire,  nisi  in  oratione, 
et  jejunio. 


24.  Et  Jesus,  voyant  la  foule  ac- 
courir,  menaca  Tesprit  immonde, 
lui  disant  :  Esprit  sourd  et  muet,  je 
te  le  commande,  sors  de  cet  enfant 
et  n'y  rentre  plus. 

2b.  Et  poussant  un  grand  cri,  et 
I'agitant  violemment,  il  sortit  de 
I'enfanl,  qui  devint  commemort,  de 
sorte  que  beaucoup  disaient :  II  est 
mort. 

26.  Mais  Jesus,  prenant  sa  main, 
le  souleva  et  il  se  dressa. 

27.  Et  lorsque  Jesus  fut  entre  dans 
la  maison,  ses  disciples  I'interro- 
gerent  en  secret :  Pourquoi  n'avons- 
nous  pas  pu  le  chasser,  nous  ? 

28.  Et  il  leur  dit :  Gette  sorte  d'es- 
pnts  ne  peut  se  chasser  que  par  la 
priere  et  le  jeune. 


foi.  — Credo,  Domine.ie  crois  deja,  j'ai  iine 
entiere  bonne  volonte  pour  croire,  el  cepen- 
dant,  adjuva  incredulitatem  meam,  parce  que 
je  sens  que  ma  foi  n'est  pas  assez  vive  encore. 
II  appelle  incredulite  ce  qu'il  comprend  n'etre 
qu'un  commencement  de  foi,  una  foi  appelee 
a  se  developper.  Belle  priere.  qui  rappelje 
celle  des  disciples  :  «  Domine,  adauge  nobis 
fidem.  » 

24.  —  Cum  videret...  concur rentem  turbam. 
Dans  le  grec,  6ti  imawzpiy^ei.  ox).o;.  Le  verbe , 
doublement  compose,  indique  des  foules 
grossissantes  qui  viennenl  s'ajouter  a  cell(3 
qui  environnail  deja  Nolre-Seigneur,  if.  13. 
Le  Sauveur  se  hate  d'accomplir  le  miracle 
pour  echapper  h  lous  ces  regards  curieux. 
Cfr.  VII,  33;  viii,  23,  et  les  notes  correspon- 
dantes. —  Surde  et  mute  spiritus.  Cesl-a-d\re, 
esprit  qui  rend  sourd  et  muet.  —  Ego  prce- 
cipio  tibi.  II  y  a  une  emphase  visible  dans  cet 
iyw  mis  en  t§le  de  la  phrase  :  Mol,  a  qui  tu 
ne  resisteras  point  comme  a  mes  disciples. 
L'ordre  est  majestueux,  digne  du  Messie.  — 
Et  amplius  ne  introeas...  C'esl  une  guerison 
perpeluelle  que  le  Seigneur  effectue  :  il  in- 
terdit  a  tout  jamais  au  demon  d'entrer  dans 
ce  corps  qu'il  avail  si  longtemps  regarde 
comme  sa  propriele. 

25  et  26.  —  Exrlamans,  mtiltum  discer- 
pens...  Quelle  abondance  de  details  vivants  et 
interessanls  dun  bout  k  I'aulre  du  recit! 
S.  Pierre  avail  tout  vu,  tout  retonu,  tout  ra- 
conte  a  son  disciple.  —  Le  demon,  oblige 
d'obeir  a  la  voix  de  Jesus,  lance  ce  trait  du 
Parthe  en  se  retirant.  II  convulsionne  une 


derniere  fois  sa  viclime  et  I'etend  comme 
morte  aux  pieds  de  Jesus.  Peine  inutile! 
Notre-Seigneur  n'a  qu'un  geste  a  faire,  tenens 
manum  ejus  elevavit,  et  I'infirme  recouvre  ses 
sens  et  la  pleine  possession  de  tout  son  elre. 
—  C'est  peut-etre  a  celte  cure  merveilleuse 
que  Lucien  fait  une  allusion  ironique,  lors- 
qu'il  ecrit  dans  son  Philopseudes,  xvi:llavTe? 
Taaffiv  Tov  Supov  -rov  iy.  Trj;  IlaXaKTTtvrii;,  tov  eiti 
TOUTwv  (ToqjKTxriv,  offoy;  7rapa>>a6wv  -/axaTviuTovTac 
Ttpo;  Tr)v  (jcXVivYiv  (Cfr.  Malth.  XVII,  14)xatT&> 
6cpOa),[xw  SiaffTps'yovcai;  xai  acppou  7it[X7i),a[ievoy<;T6 

litaQip  [AsydXto  a-Ko.l'Xaiai;  twv  Setvcov. 

27.  —  Cum  introisset  in  domum.  Detail 
propre  a  S.  Marc.  La  question  des  Apotres 
au  divin  Maitre  fut  done  posee  «  secreto  », 
comme  le  dit  S.  Mallhieu.  —  Quare  nos  non 
polxumus'i  lis  n'avaient  pas  depasse  leur  man- 
dat,  puisque  Jesus  leur  avait  donne  quelque 
temps  auparavant,  vi,  7,  «  poleslalem  spiri- 
tuum  immundorum  »  :  quel  pouvait  bien  etre 
la  cause  secrete  de  leur  recente  defaite? 

28.  —  Et  dixit  illis.  Notre  Evangeliste  ne 
donne  que  la  substance  de  la  reponse  du 
Sauveur.  Voyez  S.  Mallhieu,  xvii,  49-20  et 
le  commenlaire.  C'esl  seulement  apres  avoir 
dit  a  ses  disciples  que  leur  impuissance  pro- 
venail  de  I'imperfeclion  de  leur  foi,  et  apres 
leur  avoir  revele  par  un  frappanl  exemple  la 
vertu  incomparable  d'unefoi  ferme,  que  Jesus 
ajouta  :  Hoc  genus...  Celle  race,  c'esl-a-dire, 
d'apres  I'opinion  commune,  la  classe  parli- 
culiere  dont  faisait  partie,  dans  la  hierarchie 
infernale,  le  demon  expulse  par  Notre-Sei  • 


438 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


29.  Etant  partis  de  la,  ils  traver- 
serent  la  Galilee,  et  11  voulait  que 
personne  ne  le  stit. 

30.  Gar  il  enseignait  ses  disciples 
et  leur  disait  :  Le  Fils  de  rhomme 
sera  livre  entre  les  mains  des  hom- 
ines, et  ils  le  mettront  a  mort,  et 
il  ressuscitera  le  troisieme  jour 
apres  sa  mort. 

31.  Mais  ils  ne  comprenaient  pas 
cette  parole,  et  ils  craignaient  de 
Tinterroger. 

32.  Et  ils  vinrent  a  Gapharnaiim. 
Lorsqu'ils  furent  dans  la  maison,  il 
leur  demanda  :  Que  discutiez-vous 
en  chemin  ? 


29.  Etinde  profecti  prsetergredie- 
bantur  Galilseam ;  nee  volebat  quem- 
quam  scire. 

30.  Docebat  autem  discipulos  sues 
et  dicebat  illis  :  Quoniam  Filius  ho- 
minis  tradetur  in  manus  hominum, 
et  Occident  eum,  et  occisus  tertia 
die  resurget. 

Matlh.  17,  21 ;  Luc.  9,  22,  24. 

31.  At  illi  ignorabant  verbum,  et 
timebant  interrogare  eum. 

32.  Et  venerunt  Gapharnaum.  Qui 
cum  domi  essent,  interrogabat  eos  : 
Quid  in  via  tractabatis? 


gneur.  C'etait  iin  «  de  pessimis  et  obstina- 
lissimis  daemonibus.  »  Tirin.  —  In  oratione 
et  jejunio.  Par  le  jeune,  la  chair  est  soumise 
a  Fesprit;  par  la  priere,  I'espril  est  soumis 
a  Dieu,  et,  de  la  soile,  I'homme  devient  pour 
ainsi  dire  un  ange,  superieur  a  la  chair  et  au 
demon  (Pensee  d'Eusebe  d'Emese).  Mais,  pour 
prier,  comme  pour  mortifier  sa  chair,  il  faut 
avoir  une  foi  vive.  Que  le  pretre  ait  done 
cette  foi,  qu'il  reduise  son  corps  en  servitude, 
qu'il  soit  un  homme  d'oraison,et  il  sera  plus 
fort  que  tous  les  demons  qu'il  gemit  de  voir 
ravager  son  troupeau. 

10.  —La  Passion  pr6dite  pour  la  seconde 
fois.  IX,  29-31.  —  Parall.  Matth.  xvii,  21-22;  Luc. 
u,  44-45. 

29.  —  Et  inde profecti.  L'adverbe  «  inde  » 
d^signe,  selon  I'opinion  qu'on  s'est  formes 
touchant  la  monlagne  de  la  Transfiguration, 
les  environs  du  Thabor  ou  ceux  de  THermon. 
Cfr.  IX,  1  et  le  commentaire.  —  Prcetergre- 
dtehantur  Galilee  am.  Lq  texte  grec  emploie  ici 
une  expression  delicate,  Ttapeitopeuovxo,  qui 
semblerait  indiquer  une  marche  clandestine 
a  travers  des  chemins  ecartes.  comme  si 
Jesus  etjt  voulu,  pendant  ce  voyage,  demeu- 
rer  seul  avec  ses  disciples  les  plus  inlimes, 
afin  d'achever  librement  leur  formation  apos- 
tolique.  Du  reste,  les  mots  suivanls,  nee  vo- 
lebat quemquam  scire,  montrent  clairement 
que  le  Sauveur  evitait  avec  soin  tout  con- 
cours  de  la  foule.  Cfr.  vii.  14.  On  ne  trouve 
ces  deux  traits  que  dans  le  second  Evangile. 

30.  —  Docebat...  et  dicebat.  De  cette  repeti- 
tion emphalique  el  de  I'emploi  de  I'iraparfait, 
nous  pouvons  conclure  que  Jesus  revenait  fre- 
quemment,  durant  la  periode  actuelle  de  sa 
vie,  sur  le  grave  sujet  de  sa  Passion  et  de 
8a  mort.  —  Filius  honwiis  tradetur.  Dans  le 


grec,  TtapaSt'ooxat  au  present,  tant  le  fait  est 
proche  et  certain. 

31 .  —  At  illi  ignorabant  verbum.  lis  com- 
prirent  cependanl  d'une  certaine  maniere, 
puisque,  d'apres  S.  Matthieu,  xvii,  22,  le 
premier  effet  de  cette  nouvelle  prediction  fut 
de  les  altrister  profondement.  Ce  qu'ils  igno- 
raient,  c'etait  le  mode,  la  cause,  le  but  des 
souffrances  du  Messie.  Aveugles  par  leurs 
fausses  idees  christologiques,  ils  ne  voyaient 
pas  pourquoi  Jesus  devait  mourir  avantd'eta- 
blir  son  royaume.  Cfr.  le  Yen.  Bede  et  Luc  de 
Bruges,  h.  1.  —  Timebant  interrogare.  D'une 
part,  ils  redoutaient  d'avoir  trop  de  details 
sur  des  evenements  si  douloureux;  d'autre 
part,  serappelant  les  reproches  qu'avait  atti- 
res a  S.  Pierre  une  reflexion  malheureuse  sur 
le  meme  sujet  {Cfr.  viii,  31-33),  ils  crai- 
gnaient peul-etre  aussi  d'affliger  leur  Maitre 
en  le  questionnant.  Ce  verset  contient  une 
belle  analyse  psychologique  des  sentiments 
des  Apotres. 

11.  —  Quelques  graves  lefons.  ix,  32-49. 

Les  trois  synoptiques  placent,  peu  de  temps 
apres  le  myslere  de  la  Transfiguration, 
quelques-unes  des  legons  imporlantes  par 
lesquelles  Jesus  completait  alors  I'education 
des  Douze.  Malgre  la  re^semblance  generale 
de  leurs  recits,  ils  different  d'une  maniere 
assez  notable  pour  les  details.  S.  Marc  tient 
le  milieu  entre  S.  Matthieu  et  S.  Luc,  se  rap- 
prochant  tantot  de  Tun,  tantot  de  I'aulre, 
tout  en  gardant  son  independance  et  son  ori- 
ginalite  accoutumees. 

a.  Legon   (ThumilU^.  ix,  32-36.  —  Parall.  Matth, 
xvni,  1-5;  Luc.  ix,  46-48. 

32.  —  Venerunt  Capharnaum.  S.  Marc 
passe  sous  silence  le  miracle  du  didracbrae. 


CHAPITRE   IX 


139 


33.  At  illi  tacebant;  siquidem  in 
via  inter  se  disputaverant,  quis  eo- 
rum  major  esset. 

Matth.  18, 1 ;  Luc.  9,  64. 

34.  Et  residens  vocavit  duodecim, 
et  aitillis  :  Si  quis  vult  primus  esse, 
erit  omnium  novissimus,  et  omnium 
minister. 

35.  Et  accipiens  puerum,  statuit 
eum  in  medio  eorum  :  quem  cum 
complexus  esset,  ait  illis  : 

36.  Quisquis  unum  ex  hujusmodi 
pueris  receperit  in  nomine  meo,  me 
recipit :  et  quicumque  me  suscepe- 
rit.  non  me  suscipit,  sed  eum  qui 
misit  me. 

37.  Respondit  illi  Joannes,  dicens : 


33.  Mais  ils  se  taisaient,  parce 
qu'en  chemin  ils  avaient  dispute 
ensemble  qui  d'entre  eux  etait  le 
plus  grand. 

34.  Et,  s'asseyant,  il  appela  les 
Douze  et  leur  dit :  Si  quelqu'un  veut 
6tre  le  premier,  il  sera  le  dernier  de 
tons  et  le  serviteur  de  tons. 

35.  Et,  prenant  un  enfant,  il  le 
mit  au  milieu  d'eux  et,  apres  I'avoir 
embrasse,  il  leur  dit  : 

36.  Quiconque  recoit  en  mon  nom 
un  petit  enfant  comme  celui-ci,  me 
recoit,  et  quiconque  me  recoit,  ne 
recoit  pas  moi,  mais  celui  qui  m*a 
envoye. 

37.  Jean,  prenant  la  parole,  lui 


qui  eul  lieu  aussitot  apres  le  retour  de  Jesus 
dans  celte  ville.  Cfr.  Matth.  xvii,  24-27.  II 
nous  monire  iramediatement  le  Sauveur  et 
ses  Apolres  retires  dans  la  maison  qui  leur 
servait  d'habitalion  a  Capharnaum  [domi, 
detail  special ;  dans  le  grec,  gv  t^  olxt'a,  avec 
.'article).  Tout  a  coup,  Nolre-Seigneur  adresse 
aux  Douze  cette  question  inallendue  :  ijuid 
in  via  iractabatis^  II  les  avait  laisses  seuls 
durant  une  partie  du  trajet,  marchant  en 
avanl,  tout  uni  a  son  divin  Pere.  Mainlenant 
il  fautqu'ils  lui  rendent  compte  de  la  discus- 
sion bruyante  qui  s'etait  elevee  entre  eux  a 
un  moment  donne.  —  Sur  la  petite  diver- 
gence qui  existe  ici  entre  les  narrations  des 
deux  premiers  Evangelistes,  voyez  I'Evangile 
selon  S.  Matthieu,  p.  350. 

33.  —  Tacebant.  Ce  seul  mot  constilue  un 
tableau  complet,  oii  nous  voyons,  a  I'avant- 
scene,  les  Apolres  confus,  embarrasses.  — 
Siquidem  in  via...  Note  du  narraleur,  qui 
contienl  la  raison  du  silence  des  Douze.  II 
n'est  pas  etonnant  qu'ils  n'aienl  rien  eu  a 
repondre  a  leur  Maitre  :  comment  eussent  ils 
ose  lui  avouer  que  la  discussion  avait  roule 
sur  un  point  d'orgueil  et  d'ambition?  Lequel 
d'entre  nous,  s'etaient-ils  demande,  a  droit  k 
la  premiere  place  dans  le  royaume  messia- 
nique? 

34.  —  Et  residens.  Trait  graphique.  Du 
reste,  ce  verset  et  le  suivant  en  contiennent 
un  grand  nombre,  dont  plusieurs  sontpropres 
a  S.  Marc.  Jesus  s'assied,  il  appelle  les  Douze 
aupres  de  lui,  il  prend  par  la  main  un  petit 
enfant,  le  place  au  milieu  du  groupe  forme 
par  les  Apolres,  puis  le  serre  doucemenl  entre 
ses  bras.  Gracieuse  et  touchante  scene!  — 
Si  quis  vult...  «  Dominus  curat  desiderium 
gloriae  humiiitate  sanare.  »  Bede.  Les  pre- 


mieres paroles  du  divin  Maitre  enoncent  un 
grand  principe,  qui  dirime  aussitot  la  ques- 
tion que  les  disciples  s'etaient  posee.  Quelle 
profondeur  dans  cetle  pensee  !  Mais  en  meme 
temps  quel  paradoxe!  La  vraie  grandeur  con- 
siste  dans  I'humilite;  c'est  en  s'abais-ant  au- 
dessousdes  autres  qu'on  monte  aux  premiers 
rangs.  C'est  le  rebours  des  croyances  mon- 
daines ;  mais  Jesus  n'avail-il  pas  pour  mission 
de  lutter  contre  le  monde? 

35.  —  Accipiens  puerum.  Pour  rendre  !a 
leQon  plus  forte  et  plus  insinuanle,  le  Sauveur 
a  recours  aux  actes  selon  sa  coutume.  Voyez 
dans  I'Evang.  selon  S.  Matthieu,  p.  354,  les 
differentes  opinions  emises  au  sujet  de  cet 
heureux  petit  enfant  (uaiSiov;,  qui  regut  les 
caresses  du  Seigneur.  —  Complexus.  Le  verba 
grec  si  expressif  ivaYxaXiaaixsvoi;  ne  se  ren- 
contre qu'ici  el  x,  16.  II  signifie  proprement 
«  in^ulnas  capio  »  (de  ev  et  aYxaXri,  ulna). 

36.  —  S.  Matthieu,  xviii,  3-5,  expose  d'uno 
maniere  plus  complete  la  pensee  de  Jesus. 
S.  Marc,  a  son  ordinaire,  resserre  le  langage 
pour  appuyer  davantage  sur  les  fails.  — 
Unum  ex  hujusmodi  pueris.  Par  ces  mots,  le 
Sauveur  montrait  qu'il  voulait  parler  non 
seulement  au  propre,  mais  encore  au  figurd, 
e'est-a-dire  qu'independamment  des  petits 
enfanls,  il  pensait  aussi  el  surtout  aux  ames 
simples  dont  ils  sont  rembieme.  —  Et  qui- 
cumque... Si\hV\me  gradation,  qui  promet  aux 
amis  des  enfanls  et  des  humbles  la  plus  par- 
faite  recompense  qu'on  puisse  envier  ici-bas. 
«  Vide  quantum  valet  humililas,  Palris  nam- 
que  et  Filii  inhabitalionem  meretur,  et  etiam 
Spirilus  Sancti  ».  Theophylacte.  Cfr.  Matth. 
X,  40  et  le  commenlaire.  —  Non  me  suscipit; 
c'esl-a-dire  «  non  me  tantum  suscipit,  sed 
etiam  eum...  » 


440 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


dit  :  Maitre,  nous  avons  vu  quel- 
qii'un,  qui  ne  nous  suit  pas,  chasser 
les  demons  en  votre  nom,  et  nous 
Ten  avons  empeche. 

38.  Et  Jesus  leur  dit  :  Ne  Ten 
empechez  pas;  car  il  n^'y  a  per- 
sonne  qui  fasse  un  miracle  en  mon 
nom  et  puisse  aussit6t  mal  parler 
de  moi. 

39.  Qui  n'est  pas  contre  vous  est 
pour  vous. 


Magister,  vidimus  quemdam  in  no- 
mine tuo  ejicientem  dsemonia,  qui 
non  sequitur  nos,  et  prohibuimus 
eum. 

Luc.  9,  49. 

38.  Jesus  autem  ait :  Nolite  prohi- 
bere  eum  :  nemo  est  enim  qui  faciat 
virtutem  in  nomine  meo,  et  possit 
cito  male  loqui  de  me. 

/  Cor.  12,  3. 

39.  Qui  enim  non  est  adversum 
vos,  pro  vobis  est. 


b.  iepon  de  tolirance,  ix,  37-40.  —  Parall. 
Luc.  IX,  49-50. 

37.  —  Respondit  illi  Joannes.  Les  mots  a  in 
nomine  meo  »,  que  le  Sauveur  venaiL  de  pro- 
noncer.  semblent  avoir  rappele  a  S.  Jean  un 
incident  extraordinaire  qui  avail  eu  lieu  pro- 
bablement  dans  I'un  des  derniers  voyages,  el 
sur  lequel  il  desirait  interroger  son  Maitre. 
L'interrompant  done  familieremenl,  il  pril  la 
parole  pour  exposerson  cas  de  conscience.  — 
Vidimus  quemdam,  un  homme  quelconque,  le 
premier  venu,  qui  n'avail  rpQu  de  Jesus  au- 
cune  mission  speciale.  —  Ejicientem  dcemo- 
nia.  Gel  homme  accomplissait  ainsiun  miracle 
qui  paraissail  etre  un  privilege  reserve  aux 
Apotres.  C'est  la  un  fait  d'une  grande  impor- 
tance ;  il  suppose  que  I'influence  de  Notre- 
Seigneur  Jesus-Christ  avail  pris  des  propor- 
lions  enormes,  puisque  des  hommes  qui  ne 
comptaient  point  parmi  ses  disciples  propre- 
meiit  dits  s'etaient  mis,  de  leur  propre  mou- 
vement,  a  exorciser  les  demoniaques  en  usant 
de  son  nom  sacre.  —  Qui  non  sequitur  nos. 
«  Nos  »  et  non  pas  «  te  ».  L'exorciste  n'etait 
pas  Apotre  :  S.  Jean  n'a  pas  d'autre  blame 
a  lui  adresser.  —  Prohibuimus  eum.  Quelques 
anciens  manuscrits  (B,  D,  L,  A)  emploient 
I'imparfait.  exwWoixEv,  «  nous  I'empechions, 
nous  voulions  I'empecher.  »  L'aoriste,  qu'on 
trouve  dans  la  pluparl  des  temoins,  indique 
que  la  prohibition  des  Douze  produisil  son 
effet,  Le  texle  grec  ajoule  encore  a  la  tin  du 
verset  :  5Tt  o-Jx  ay.o),oue£t  :?;(j,tv .  —  Que  penser 
de  cette  conduite  des  Apotres?  On  le  voit, 
elle  inquietait  Fame  delicate  de  S.  Jean.  Pro- 
venait-elle  d'un  sentiment  d'envie  ou  d'e- 
golsme.  comme  on  I'a  maintes  fois  repete  de 
DOS  jours?  Nous  avons  de  la  peine  a  le  croire. 
Nous  aimons  mieux,  avec  S.  Jean  Chrysos- 
tome  et  d'autres  anciens  exegetes.  I'attnbuer 
au  zele  dont  ils  etaient  animes  envers  leur 
Maitre,  a  la  crainte  qu'ils  eprouvaient  de  voir 
profaner  son  nom  par  des  gens  sans  aveu.  II 
est  vrai  que  ce  zele  etait  un  peu  exagere, 
ainsi  que  Jesus  va  ie  leur  domonlrer. 


38.  —  Nolite  prohibere  eum.  Lui,  et  tous 
ceux  qui  pourraient  agir  comme  lui  avec  une 
entiere  bonne  foi.  Quand  on  vint  annoncer  a 
Moise  que  plusieurs  Hebreux  s'etaient  mis  a 
prophetiser,  bien  loin  de  ceder  aux  instances 
de  Josue  qui  lui  disait :  «  Domine  mi  Moyses, 
prohibe  eos  »,  il  s'ecria  tout  au  contra'ire  : 
«  Quid  aemularis  pro  me?  Quis  tribual  ut 
omnis  populus  prophelet?  >;  Num.  xi,  27-29. 
C'est  une  legon  analogue  que  Jesus  donne  a 
ses  disciples.  —  II  appuie  sa  reponse  sur  irois 
motifs.  Premier  motif;  Nemo  est  enim...  Qui- 
conque  emploie  son  nom  divin  pour  accomplir 
des  prodiges  ne  saurait  etre  dans  des  dispo- 
sitions hostiles  a  son  egard:  c'est  au  fond  un 
disciple  et  un  ami.  Avanl  de  juger  la  con- 
duite d'un  lei  homme  et  de  la  condamner,  il 
est  juste  d'atiendrequelque  temps,  car  lespre- 
somptions  sont  en  sa  faveur.  —  Celui  dont 
parlaitS.  Jean  chassait  seulement  les  demons. 
Jesus,  etendant  la  pensee,  applique  le  cas  a 
toulesortede  miracles,  faciat  virtutem. —  Cito 
male  loqui  :  dans  le  grec.  raxO  xaxoXoyriuai.  II 
est  impossible  qu'immediatemenl  apres  avoir 
fait  un  miracle  au  nom  de  Jesus,  on  se  mette  a 
le  calomnier,  a  le  blasphemer.  Ce  serait  etre 
en  meme  temps  ami  el  ennemi. 

39.  —  Qui  enim  non  est...  Second  motif:  k 
regard  de  Jesus,  la  neutralile  n'est  pas  pos- 
sible. L'homme  en  question  avail  prouve  qu'il 
n'etait  pas  conlraire  au  Sauveur,  il  lui  etait 
done  favorable.  Pourquoi  le  repousserait-on? 
—  Adversum  vos,  pro  vobis.  La  Recepta  porte 
xa9'  Tiiiwv,  Ciirep  rjauv,  contre  nous,  pour  nous ; 
mais  la  legon  de  la  Vulgate,  soutenue  par  un 
grand  nombre  de  manuscrits  (A,  D,  E,  F.  G, 
H,  K,  M,  L,  V,  etc.),  est  probablement  authen- 
lique.  —  S.  Matlhieu  place  sur  les  levres  du 
Sauveur.  mais  dans  une  autre  occasion,  xii,  30 
(voyez  le  commentaire),  une  sentence  qui 
semble,  a  premiere  vue,  en  complete  opposi- 
tion avec  celle-ci.  Neanmoins  la  contradiction 
n'est  qu'apparente.  «  On  sail,  dit  fori  bien 
D.  Calmel,  que  ces  sortes  de  proverbes  popu- 
laires  peuvent  s'appliquer  a  differents  sujets, 


CHAPITRE   IX 


441 


40.  Quisqiiis  enim  potum  dederit 
vobis  calicem  aquse  in  nomine  meo, 
quia  Chrisli  estis  :  amen  dico  vobis, 
non  perdet  mercedem  suam. 

Match.  10,  42. 

41.  Et  quisquis  scandalizaverit 
unum  ex  his  pusillis  credentibus  in 
me  :  bonum  est  ei  magis  si  circum- 
daretur  mola  asinaria  coUo  ejus,  et 
in  mare  mitteretur. 

Maith.  18,  6;  Luc.  17,  2. 

42.  Etsi  scandalizaverit  te  manus 
tua,  abscide  illam  :  bonum  est  tibi 
debilem  introire  in  vitam,  quam 
duas  manus  habentem  ire  in  gehen- 
nam,  in  ignem  inextinguibilem : 

Malth.  5,  30  et  18,  8. 

43.  Ubi  vermis  eorum  non  mori- 
tur,  et  ignis  non  extinguitur. 


40.  Quiconque  vous  donnera  un 
verre  d'eau  en  mon  nom,  parce  que 
vous  etes  au  Christ,  je  vous  le  dis 
en  verite,  il  ne  perdra  pas  sa  recom- 
pense. 

41.  Et  quiconque  scandalisera  un 
de  ces  petits  qui  croient  en  moi, 
mieux  vaudrait  pour  hii  qu'on  mit 
une  meule  de  moulin  autour  de  son 
cou,  et  qu'on  le  jetdt  dans  la  mer. 

42.  Et  si  ta  main  te  scandalise, 
coupe-la;  il  vaut  mieux  pour  toi 
ertrer  dans  la  vie  n'ayant  qu'une 
main  que  d'aller,  ayant  deux  mains, 
dans  la  gehenne,  dans  le  feu  inex- 
tinguible, 

43.  Oil  leur  ver  ne  meurt  pas  et 
leur  feu  ne  s'eteint  pas. 


et  sont  susceplibles  de  differents  sens  suivant 
les  circonstances  ou  on  les  emploie.  »  Cfr. 
S.  August.,  de  Cons.  Evang.  1.  IV,  c.  v. 

40.  —  Troisieme  motif  de  tolerance,  sous 
forme  d'argument  «  a  minori  ad  majus  ».  Si 
le  plus  petit  service  que  i'on  rend  au  nom  de 
Jesus-Christ,  par  cxemple  un  verre  d'eau 
donne  a  un  missiunnnaire  altere,  prouve  qu'on 
aime  le  divin  Maitre  et,  a  ce  litre,  merite  une 
recompense,  a  plus  forte  raison  Taction  de 
produire  de  grandes  choses  par  la  vertu  et  en 
rhonntnir  de  ce  nom  sacre.  Cfr.  Matlh.  x,  42. 
—  Quia  Christi  estis.  Tournure  calquee  sur 
le  texte  grec.  L'expression  eivao  two?  signifie 
«  addictiim  esse  alicui.  »  C'est  le  seul  endroit 
des  Evangiles  ou  les  Chretiens  soient  ainsi 
designes. 

C.  Legon  concernanl  le  scandale.  IX,  41-49.  —  Parall. 
Matth.  xvni,  6-9;  Luc.  xvn,  1-2. 

41 .  —  Jesus  vient  de  promettre  les  plus 
magnifiques  recompenses,  tt.  36  et  40,  a 
quiconque  lemoignerait  de  la  bienveillance 
aux  petits  enfants  de  son  royaurae  ;  par  con- 
traste,  il  menace  maintenant  des  chatim^nts 
les  plus  terribles  tous  ceux  qui  lesporteraient 
au  niai.  —  Scandalizaveril.  Le  verbe  grec 
cxav5a>.it;w,  sur  lequel  a  ete  calquee  l'expres- 
sion latine  correspondante  «  scandalizo  »,  est 
tout  a  fait  inconnu  des  classiquos.  Les  traduc- 
teurs  grecs  de  I'Ancien  Testament  ne  I'ont 
que  Ires  rart>ment  employe  :  on  lo  trouve  done 
surtoul  dans  les  ecritsduNouveau  Testament, 
d'ou  il  a  passe  dans  le  langage  Chretien.  Sa 
racino  probable  est  axaijw,  «  claudico  ».  II  de- 
signe  tout  ce  qui   peut  elre  pour  une  ame 


une  occasion  de  chute  et  de  ruine  spirituelle. 
Cfr.  Bretschneider,  Lex.  man.  t.  II,  p.  406. 

—  Unum  ex  his  pusillis.  Le  pronom  «  his  » 
manquo  dans  le  texte  grec.  —  Credentibus  in 
me...  Mots  emphatiques,  qui  portent  Tidee 
principale.  Ces  «  tout  petits  »  croient  en  Je- 
sus :  la  foi  qu'ils  ont  en  Lui  les  grandit,  leur 
communique  une  valeur  inappreciable,  parce 
qu'elle  etablit  entre  eux  et  Lui  la  communion 
la  plus  intime.  Les  scandaliser  est  done  un 
crime  enorme,  qui  sera  severemenl  chaiie.  — 
Circumdaretiiv  mola  asinaria.  Surce  supplice 
voyez  I'Evangile  selon  S.  Matlhimi,  p.  253. 
La  Vulgate  a  lu  [i,0),o?  oviy.o?  («  Et  quae  pu- 
miceas  versat  asella  molas  »,  Ovide,  Fast. 
VI,  308);  mais  la  vraie  legon  du  texte  grec  de 
S.  Marc  parait  avoir  ete  ),ieo;  [xoXtxci;,"  pierre 
molaire.  —  «  Nusquara  legimus  Christum, 
alia  peccata  persequenlem,  tarn  grand i  verbo- 
rum  ambitu,  lam  vehemenlibus  acribusque 
dicendi  fotmulis,  lam  severis  sententiis  ad 
exaggerandam  amplificandamque  orationem 
usum  esse  sicul  in  hoc  capite,  quum  deinon- 
slrare  studuit  quam  graviter  peccent  qui  aliis 
scandalo  sunt.  »  Patrizi,  In  Marc.  Com- 
ment, p.  122. 

42-47.  —  Si  scandalizavei'it.<:' Apves,  avoir 
enseigne  plus  haul  (t.  42)  qu'il  ne  faut  pas 
scandaliser  ceux  qui  croient  en  son  nom,  lo 
Seigneur  nous  dil  ici  avec  quel  soin  nous 
devons  eviter  ceux  qui  s'efforcent  de  nous 
scandaliser.  »  Ces  lignes  du  Ven.  Bede  mar- 
quent  fort  bien  la  liaison  des  deux  vers'ts. 

—  Les  trois  organes  mentionnes  par  le  S;iu- 
veur,  manus  tua,  pes  tuus,  oculus  tuns,  figu- 
rent,  suivant  la  juste  interpretalion  des  Peres, 


U2 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


44.  Et  si  ton  pied  te  scandalise, 
coupe-le;  il  vaut  mieux  pour  toi 
entrer  boiteux  dans  la  vie  eternelle 
que  d'etre  jete,  ayant  deux  pieds, 
dans  la  geheune  du  feu  inextin- 
guible, 

45.  Oil  leur  ver  ne  meurt  pas  et 
leur  feu  ne  s'eteint  pas. 

46.  Que  si  ton  ceil  te  scandalise, 
arrache-le ;  il  vaut  mieux  pour  toi 
entrer  borgne  dans  le  royaume  de 
Dieu  que  d'etre  jete,  ayant  deux 
yeux,  dans  la  gehenne  du  feu, 

47.  Oil  leur  ver  ne  meurt  pas  et 
leur  feu  ne  s'eteint  pas. 


44.  Et  si  pes  tuus  te  scandalizat, 
amputa  ilium  :  bonum  est  tibi  claii- 
dum  introire  in  vitam  seternam, 
quam  duos  pedes  habentem  mitti  in 
gehennam  ignis    '       '"       ''  "" 


inextinguibilis 


45.  Ubi  vermis  eorum  non  mori- 
tur,  et  ignis  non  extinguitur. 

Isai.  66,  24. 

46.  Quod  si  oculus  tuus  scandali- 
zat  te,  ejice  eum  :  bonum  est  tibi 
luscum  introire  in  regnum  Dei, 
quam  duos  oculos  habentem  mitti 
in  gehennam  ignis  : 

47.  Ubi  vermis  eorum  non  mori- 
tur,  et  ignis  non  extinguitur 


les  occasions  plus  on  moins  prochaines  qui 
peuvent  nous  porter  au  mal.  L'image  est 
d'autant  plus  exacte  que  ce  sont  en  realite 
ces  membres  qui  sonl  pour  nous  les  princi- 
paux  auxiliaires  ds  I'lniquiie.  Notre  main 
agit  pour  le  mal,  notre  pied  nous  conduit 
dans  les  senliers  du  peche,  notre  oeil  con- 
temple  et  convoite  les  choses  mauvaises.  — 
Le  remede  au  scandale  est  energiquement 
indique  :  ahscide,  amjmtaile  grec  repele  deux 
fois  la  meme  expression  duoxoi^ov),  ejice.  II 
faut  relrancher  sans  pitie,  tailler  dans  le  vif ; 
on  ne  se  sauvera  qu'a  ce  prix.  —  Bonum  est 
est  un  hebraisme  pour  «  melius  est  ».  —  Debi- 
lem  a  lesens  de«  naulilum  »,  manchot.  —  In 
vitam  du  t.  42  est  explique  par  une  epithele 
au  t.  44,  in  vitam  ceternam,  et  ces  deux 
expressions  sont  synonymes  de  regnum  Dei, 
t.  46,  qui  designe  le  royaume  messianique 
envisage  dans  sa  glorieuse  consommation.  — 
In  gehennam.  Nous  avons  explique  ailleurs 
(Evang.  selon  S.  Matth.  p.  113  et  s.)  ie  sens 
et  I'origine  de  cetle  locution.  Elle  represente 
I'enfer  avec  ses  effroyables  tourments,  et  sur- 
tout  avec  son  feu  eternel  qui  brulera  les  dam- 
nes  sans  les  consumer.  De  la,  a  trois  reprises, 
1rt.  42,  44  et  46,  I'associaiion  des  mots  in 
ignem  ixextinguibilem,  ignis  inextinguibilis, 
ignis,  a  «  gehennam  «.  —  Ubi  vermis  eorum... 
Ces  aulres  mots,  repetes  egalement  par  trois 
fois  (c'esl  par  erreur  que  les  manuscrits  B,  C, 
L,  A,  Sinait.  et  plusieurs  versions  ne  les 
ecrivent  qu'au  t.  47),  donnent  une  couleur 
speciale  a  la  redaction  de  S.  Marc.  Nous  avons 
dans  tout  ce  passage  (tt.  42-47;  une  sorte  de 
poesie  avec  son  parallelisme,  son  rhylhme 
parfaitement  cadence,  ses  couplets  (un  pour 
chacun  des  membres  humains  signales  par 
Jesus)  et  son  refrain  "'irible.  II  y  a  tout  lieu 


de  croire  que  telle  fut  vraiment  la  forme 
originale  des  paroles  de  Notre-Seigneur.  Ce 
que  nous  venons  d'appeler  un  refrain  a  ete 
presque  litteralement  emprunle  au  prophete 
Isaie,  Lxvi,  24.  Le  fils  d'Amos,  conlemplant 
en  esprit  le  chatiment  des  ennemis  de  Jeliova, 
et  les  voyant  semblables  aux  mor  Is  qui  jonchent 
un  champ  de  bataille,  s'ecriait  :  «  Et  quand 
on  sortira,  on  verra  les  cadavres  des  honimes 
qui  m'ont  offense.  Leur  ver  ne  mourra  pas, 
et  leur  feu  ne  s'eteindra  pas,  et  leur  vue  de- 
goutera  toute  chair.  »  Du  reste  on  rencontre 
des  images  analogues  dans  les  livres  de  Ju- 
dith, XVI,  20,  21,etderEcclesiaslique,  VII,  19, 
qui  nous  montrent  aussi  les  peclieurs  eter- 
nellement  ronges  par  un  ver  imperissable, 
eternellemenl  brulespar  un  feu  inextinguible. 
Ce  sont  la  des  supplices  qui  represenlent 
d'une  maniere  concrete  et  frappanle  les  souf- 
frances  endurees  sans  fin  ni  Ireve  par  les 
damnes.  Le  premier  doitse  prendre  au  piopre, 
puisqu'il  existe  dans  i'enfer  un  feu  reel  qui 
ne  s'eteindra  jamais;  le  second  est  un  sym- 
bole  di!  remords  qui  torturera  les  pecheuis. 
«  Vermem  conscientiam  vocat  mordenlem 
animam  quod  non  sit  operata  bonum.  » 
S.  Jean  Chrysost.  in  Caten.  Cfr.  Maldonat,  h.K 
Voir  un  autre  sentiment  dans  S.  Augustin,  de 
Civit.  Dei,  1.  xxi,  c.  9.  Ces  comparaisons,  un 
peu  obscures  pour  nous,  etaient  tres  ciaires 
pour  des  Juifs;car  la  vallee  d'Hinnom  ou 
Gehenne,  avec  ses  cadavres  lentemenl  devo- 
res  par  les  vers  ou  brules  sur  des  biichers, 
etait  un  embleme  expressif  de  I'enfer.  —  Le 
pronom  eorum,  qui  ne  retombe  directement 
sur  aucun  des  mots  precedents,  designe  evi- 
demment  les  damnes,  d'apres  le  contexte. 
AOtojv   Tivwv;  oy)).aS?)  twv  a7v£p;^6(i£vwv   £';  ri^v 

Yeevvav.  Victor  d'Anlioche.  —  «  Quern  non 


CHAPITRE   IX 


HI 


48.  Omnis  enim  igne  salietur,  et         48.  Gar  tous  seront  sales  par  le 
omnis  victima  sale  salietur.  feu,  et  toute  victime  sera  salee  par 

Lev.  2, 13.  le  sel. 


terreat  ista  repetitio  et  illius  pcenae  commi- 
nalio  tam  vehemens  ore  divino?  »  S.  Aug. 
1.  c.  cap.  vin. 

48.  —  Ce  verset  et  le  snivant,  qui  appar- 
tiennent  en  propre  a  S.  Marc,  sont  difficiles 
pai'ini  les  diiticiles.  «  Hujus  obscurilas  loci, 
ecrivait  Maldonat,  magnain  interpretalionum 
pepeiit  varietatem...  (On  en  pourrait  compter 
aujourd'liui  plus  de  trenle).  Duabus  in  rebus 
obscurilas  cernitur,  el  qua  occasione,  et  quo 
sensu  haec  a  Chrislo  sinl  dicta  ».  Examinons 
successiveraent  ces  deux  points.  —  1°  La 
liaison  des  pensees.  On  a  nie  parfois  I'exis- 
tence  d'un  enchainemenl  reel  entre  ces  deux 
versels  et  les  precedents.  La  tradition,  ou- 
bliant  les  circonslances  auxquelles  se  rappor- 
tait  cetle  parole  de  Jesus,  I'aurait  placee  an 
premier  endroil  venu  ;  ou  du  moins  la  transi- 
tion n'exislerail  que  dans  I'ospiil  du  redac- 
teur.  Voir  E.  Reus?,  Histoire  evangelique, 
p.  4'29.  Nous  rejetons  bien  loin  de  nous  ces 
precedes  ralionalisles  et  nous  affirmons  que 
ni  la  tradition  ni  le  redacteur  ne  se  sont 
trompes  en  cet  endroil.  II  y  a  une  liaison 
enlre  les  idees,  puisqu'il  y  a  un  enimau  com- 
mencement du  1i.  48.  Jesus  vent  done  con- 
firnier  la  doctrine  si  importante,  mais  d'une 
observance  si  penible,  qu'il  a  prechee  en  der- 
nier lieu,  lit.  42-47.  II  se  propose  d'expli- 
quer  pourquoi  un  chrelien  doit  se  separer 
courageus'--Mnonl  de  tout  objet  capable  de  le 
porter  au  mal,  plulot  que  de  s'exposer  aux 
supplices  de  Fenfer.  —  ^o  Le  sens.  Chaque 
mot  a  besoin  d'etre  inlerprete  a  part.  Omnis 
(a  quisque,  quivis  »  traduiraient  plus  correc- 
tement  le  Tia;  du  texle  grec)  est  une  expres- 
sion assez  vague.  Pour  la  delerniiner,  on  a 
restreint  parlois  son  application  aux  per- 
sonnes  designees  par  «  eorum  »  dans  les 
VV.  43,  45  el  47,  c'est-a-dire  aux  damnes 
(Jansenius,Rosenmuller,  Meyer,  Schegg,  etc.). 
Selon  d'autres,  elle  indiquerail  au  moins  tous 
les  chreliens  (Klostermann,  etc.).  La  plupart 
des  exegetes  laissenl  a  «  omnis  »  sa  signifi- 
cation la  plus  generale,  la  plus  absolue  : 
Chacun  sans  exception,  tous  les  hommes. 
Nous  preferons  la  premiere  de  ces  interpre- 
tations.—  Igne.  De  quel  feu  s'agil-il?  Du  feu 
de  I'enfer,  donl  Jesus  a  recemment  parle?  ou 
d'un  feu  metaphorique,  qui  syniboliserait  la 
mortification,  le  retrancheraent  spiriluel?  Du 
feu  de  I'enfer,  croyons-nous,  puisque  tel 
a  ete  le  sens  du  mot  «  ignis  »  dant  tout  le 
passage  qui  precede,  et  que  rien  ne  necessite 
un  cliangement.  —  Salietur.  On  a  souvent 
fait  ressorlir  les  proprietes  communes  du  sel 


et  du  feu.  «  Salis  nalura  est  per  se  ignea  », 
disail  deja  Pline  TAncien,  Hist.  Nat.  xxxi. 
Le  sel  penelre  a  travers  les  corps  comme  une 
fiamme  subtile;  le  feu  mord  a  la  fagon  du  sel. 
Neanmoins  les  effets  produits  par  ces  deux 
agents  different  notablement,  car  le  feu  de- 
vore  et  delruil,  tandis  que  le  sel  fixe  et  con- 
serve. Mais c'est  precisemenl  sur  eel te  seconds 
idee  que  le  Sauveur  voulail  appuyer  ici.  II 
venait  de  mentionner  les  flammes  eternelles 
qui  tortureront  les  damnes  dans  I'enfer;  il 
explique  en  passant  comment  ces  malheu- 
reux  bruleronl  toujours,  sans  etre  consumes. 
Le  feu  infernal  aura  pour  eux  la  nature  du 
sel  et  les  rendra  incorruptibles.  «  Igne  quasi 
salietur,  id  est  igne  uretur  seu  cruciabilur, 
simul  et  servabiiur  incorruptus.  »  Luc  de 
Bruges.  De  meme  Jansenius,  Corn,  de  La- 
pierre,  Lighlfool,  Patrizi,  etc.  Nous  ne  pen- 
sons  pas  que  le  verbe  «  salietur  »  ait  en  cet 
endroit  le  sens  de  «  purifier  »,  que  lui  atlri- 
buent  divers  exegetes.  —  Et  omnis  victima... 
Tout  ce  second  hemistiche  est  omis  par  les 
manuscritsB,L,  A,  Sinail.  et  quelques  minus- 
cules; mais  son  authenticite  n'est  pas  dou- 
teuse,  car  elle  a  d'innombrables  temoins 
pour  garants.  La  pariicule  «  et  »  correspon- 
drait-elle ace  que  les  grammairiens  appellent 
le  c<  Vav  (i)  exeequaiionis  »  ou  faui-il  la 
prendre  dans  son  acceplion  sli  icle?  Dans  le 
premier  cas,  elleserait  synonyme  de«sicut)), 
el,  consequemment,  il  y'aurail  un  rapport  de 
dependance  entre  la  seconde  et  la  premiere 
moilie  de  notre  verset,  sous  forme  de  com- 
paraison;  dans  I'autre  hypolhese,  les  deux 
hemistiches  seraient  simplement  coordonnes 
I'un  a  I'autre,  et  Jesus  enoncerait  une  nou- 
velle  pensee  par  maniere  de  contrasle.  Bien 
que  le  premier  sentiment  soil  adople  par  des 
exegetes  de  renom  (Maldonat  par  exemple), 
nous  aurions  de  la  peine  a  le  suivre,  car  il 
nous  parait  inconciliable  avec  I'emploi  du 
fulur  sale  salietur.  La  comparaison,  pour 
Sire  exacte,  exigerait  que  le  verbe  fiit  au 
present  :  «  Omnis  igne  salietur,  sicut  omnis 
vicliraa  sale  salitur.  »  II  est  certain  du 
moins  que,  dans  les  derniers  mots  du  t.  48, 
Jesus-Christ  fait  allusion  a  une  antique  or- 
donnance  relative  aux  sacrifices  levitiques. 
«  Quidquid  obluleris  sacrificii,  sale  condies, 
nee  auferes  sal  foederis  Dei  lui  de  sacrificio 
tuo ;  in  omni  oblalione  tua  offeres  sal  ».  Levit. 
II,  13;  Cfr.  Ezech.  XLiii,  24.  Sans  les  quel- 
ques pincees  de  sel  qui  leur  servaient  pour 
ainsi  dire  de  condiment,  les  sacrifices,  quels 
qu'ils  fussent.  auraient  done  ete  insuppor- 


Hi 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


49.  Le  sel  est  bon;  mais,  si  le  sel 
est  affadi,  avec  quoi  I'assaisonne- 
rez-vous?  Ayez  du  sel  en  vous,  et 
avez  la  paix  entre  vous. 


49.  BoDum  est  sal :  quod  si  sal  in- 
sulsum  fuerit,in  quo  illud  condietis? 
Habete  in  vobis  sal,et  pacem  habete 
inter  vos. 

ilatth.5,i3iLue.U,U. 


CHAPITRE    X 


Jesus  va  dans  la  province  de  Peree  [t.  Ij.  —  II  proclame  rindissoliibilite  du  mariage  chr^ 
lien  {tt.  2-12).  —  li  benit  les  peiits  enfants  [tlr.  13-16).  —  Episode  du  jeune  homme 
riche  (tt.  17-22).  —  Les  richesses  et  le  royaume  des  cieux  (tt.  23-27).  —  Recompenses 
promises  a  ceux  qui  renoncent  a  lout  pour  Jesus  [tt.  28-31).  —  Troisieme  prediction  de 
la  Passion  (tt.  32-34).  —  Ambition  des  Qls  de  Zebedee  (tt.  35-45).  — L'aveuglede  Jericho 
[tt.  46-52). 


1 .  Partant  de  la,  il  vint  aux  con- 
fins  de  la  Judee,   au-dela  du  Jour- 


1 .  Et  inde  exurgens  venit  in  fines 
Judsese  ultra  Jordanem  :  et  conve- 


tables  a  Jehova  :  grSce  a  elles,  iis  lui  deve- 
naient  agreables.  De  la,  pour  Texpression 
«  sale  salielur  »,  le  sens  melaphorique  de 
«  trouver  grcice  aupres  de  Dieu  ».  Quant  aux 
viclimes  dont  Jesus  veut  parler  ici.  et  au 
sujet  desquelies  il  affirme  qu'elles  seront  sa- 
lees  avec  du  sel,  par  opposition  aux  malheu- 
reux  damnes  qui  seront  sales  dans  le  leu,  ce 
sont,  d'apres  le  contexle,  les  Chretiens  gene- 
reux  qui  n'hesilent  pas  a  faire  les  rudes  sa- 
crifices recommandes  plus  haul,  tt-  42,  44 
el  46.  La  sentence  enigmalique  du  Sauveur 
reviendrait  done  aux  deux  phrases  suivantes: 
«  Unusquisque  damnalorum  ipso  igne  salie- 
tur,  ita  ut  inconsumplibilis  fiat;  at  is  qui 
vera  est  Deo  viclima,  condielur  sale  gralioe 
ad  incorruptionem  glorige.  »  Lighlfoot.  Voir 
dans  le  commenlaire  de  M.  Schegg,  t.  II, 
pp.  33-37,  une  brillante  defense  de  celte  in- 
terpretation. D'apres  une  autre  explication, 
qui  a  ele  frequemment  adoptee,  voici  quel 
serait  le  sens  general  de  ce  verset  :  Pour 
I'humanite  coupable  el  degeneree  il  est  une 
loi  que  chaciin  de  ses  membres  doit  subir  : 
il  faut  qu'ils  passeiit  tons  par  le  feu.  Mais 
mieux  vaut  passer  par  le  feu  du  sacrifice  vo- 
lontaire  que  par  les  flammes  elernelies  de 
I'enfer.  Fritzsche  et  Meyer  citent  une  longue 
nomenclature  d'autres  opinions  plus  ou  moins 
acceplables. 

49.  —  Bonum  est  sal.  Ce  sel  mystique, 
dont  le  Sauveur  vient  de  signaler  I'heureux 
effel,  est  excellent  sans  doute,  lout  au?si  bien 
que  le  sel  nalurel.Mais  s'il  devien t  insu/sttm, 
lilleralement,  «  sans  sel  »,  c'est-a-dire  fade 
et  sans  saveur,  sa  verlu  a  disparu  lout  en- 


ti^re,  et  on  ne  saurait  trouver  de  condiment 
capable  de  la  lui  rendre.  Cfr.  Mallh  v,  13; 
Luc.  XIV,  34,  oil  Ton  trouve  la  meme  idee 
avec  une  nuance.  Done,  ajoute  Notre-Sei- 
gneur  Jesus-Christ  s'adressanl  a  ses  Apotres, 
habete  in  vobis  sal,  ayez-en  loujours  une  abon- 
danle  provision  dans  vos  cceurs;  laissez  agir 
sa  force  en  vous,  sans  lui  permeltre  de  jamais 
s'afTadir.  —  Puis,  le  divin  Maiire,  revenant 
au  fait  qui  avail  servi  de  point  do  depart  a 
I'entretien,  tt.  32  et  33,  conclut  par  celte 
exhortation  pressanle  Pacem  habete  inter 
vos;  plus  energiquement  en  grec  :  eipyiveueTc 
ev  d),).-/i),ot;.  Celte  parole  finale  etait  d'aulant 
plus  expressive  que,  dans  I'Oricnt  ancien  et 
moderne,  le  sel,  sur  leqiiel  avail  roule  la  der- 
niere  parlie  de  rallocution,  a  tonjours  ete 
regarde  comme  un  symbole  de  paix  et  d'al- 
liaiice.  Cfr.  Num.  xvin,19;II  Paral.  xiii.5; 
liisping,  das  Evang.  nach  Maikus,  2e  edit., 
p.  78.  —  Notre  Evangolisle  termine  par  ce 
c:rave  discours  le  sejour  de  Jesus  en  Galilee. 
II  passe  sous  silence,  plusieurs  paraboles  et 
sentences  pleines  d'interet  rapportees  par 
S.  Matthieu,  xviii,  10-3o. 

3*  SECTION.  —  JE8DS  EN  PEREE  ET  SUH  LE  CBBIIIII 
DE   JERUSALEM.    X,  1-52. 

1.  —  Le  Ghristianisme  et  la  famllle.  x,  1-16. 

Le  sejour  de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ 
dans  la  province  de  Peree  tut  marque  par  de 
graves  instructions,  donl  la  premiere,  rela- 
tive a  la  famille  dans  le  Chrislianisme,  se 
subdivise  en  deux  parties  :  1o  le  mariage 
Chretien,  2°  les  petits  enfants. 


CHAPITRE  X 


US 


niunt  iterum  turbse  ad  eum;  et  sicut 
consueverat,  iterum  docebat  illos. 

Mattfi.  19,  i. 

2.  Et  accedentes  Pharissei  interro- 
gabant  eum  :  Si  licet  viro  uxorem 
dimittere?  tentantes  eum, 

3.  At  ille  respondens,  dixit  eis  : 
Quid  vobis  praecepit  Moyses? 

4.  Qui  dixerunt :  Moyses  permisit 
libellum  repudii  scribere,  et  dimit- 
tere. 

Deut.  24,  1. 


dain,  et  la  foule  s'assembla  de  nou- 
veau  autour  de  lui,  et,  selon  sa  cou- 
tume,  il  les  instruisait  de  nouveau. 

2.  Et  les  Pharisiens,  s'avancant,  lui 
demanderent  pour  le  tenter :  Est-il 
permis  a  un  homme  de  renvoyer  sa 
femme? 

3.  Et  il  leur  repondit :  Que  vous 
a  ordonne  Moise  ? 

4.  lis  dirent :  Moise  a  permis  d'e- 
crire  un  libelle  de  repudiation  et  de 
la  renvoyer. 


a.  Le  manage  chr^tien,  x,  1-12.  —  Parall. 
Matth.  XIX,  1-12. 

Chap.  x.  —  1.  —  Ce  verset  decrit  brieve- 
ment  I'arrivee  dii  Sauveur  en  Peree  et  I'ex- 
cellenl  accueil  qu'il  y  reQut.  —  Inde  exur- 
gens.  «  Inde  »,  c'est-a-dire  de  Capharnaiim, 
d'apres  ix,  42.  Jesus  quiltait  alors  probable- 
ment  la  Galilee  d'une  maniere  definitive.  — 
Venit  in  fines  Judceoe.  Ces  mots  indiquent  le 
terme  du  voyage  :  le  divin  Maitre  se  propo- 
sait  de  gagner  la  Judee  et  Jerusalem.  Cfr. 
■*■.  22.  Toutefois,  au  lieu  de  s'y  rendre  h 
travers  la  Samarie,  il  prit  le  chemin  de  la 
Peree,  ultra  Jordanem;  ou  mieux,  d'apres  la 
Recepta  grecque,  6ia  xoO  uepav  xoO  'lopSavou, 
«  per  regionem  trans  Jordanem  »  ;  ou  encore, 
suivant  une  variante  fortement  ftppuyee,  xai 
itEpav  Tou  'lopSavou,  «  et  trans  Jordanem  ». 
Celte  derniere  leQon  mentionnerait  un  double 
buldu  voyage,  le  but  final  qui  elait  la  Judee, 
le  but  accessoire  qui  elait  de  sejourner  quel- 
que  temps  en  Peree.  —  Conveniunt  iterum 
turbce.  Cfr.  ix,  24.  Le  narraleur  passe  sous 
silence  la  premiere  paitie  du  voyage.  II  nous 
monlre  immedialement  Jesus  a  I'ceuvre  sur 
un  nouveau  terrain,  oii  sa  reputation  I'avait 
d'ailleurs  devance  dcpuis  longtemps.  Cfr.  in, 
7  et  8.  —  Sicut  consueverat,  docebat.  S.  Marc 
mentionne  seul  cetlc  parlicularite.  Le  celeste 
Docleur,  apres  avoir  suspendu  pour  un  temps 
son  enseignement  public,  Cfr.  ix,  29,  reprit 
pour  ce  bon  peuple  le  cours  de  ses  leQons, 
prenant  soin  de  les  corroborer,  comme  I'ob- 
serve  S.  Malthieu,  xix,  2,  par  de  nombreux 
miracles. 

2.  -T-  Accedentes  Phariscei.  «  lis  s'appro- 
chent  et  ne  le  quittent  point,  pour  que  les 
foules  ne  puissenl  pas  s'atlacher  a  sa  foi ;  et, 
en  venanl  continuelloment  vers  lui,  ils  s'effor- 
cent  de  jeter  le  doute  sur  sa  personne  et  de 
le  couvrir  de  confusion  par  leurs  questions. 
Cello  qu'ils  lui  proposent  ici  s'ouvre  sur  un 
precipice  des  deux  coles ;  elle  est  posee  do 
telle  sorto  qu'ils  puissent,  quelle  que  soil  sa 

S.  Bible.  S. 


reponse,  I'accuser  de  se  montrer  en  contra- 
diction avec  Moise.  Mais  le  Christ,  qui  est  la 
sagesse  meme,  leur  fait  une  reponse  qui 
echappe  a  leurs  filets  ».  Theophylacte.  —  Si 
licet  pour  «  Licet-ne  » ?  —  Dimittere,  auo- 
XOorat.  Le  contexte  prouve  que  les  Pharisiens 
n'entendaient  point  parler  d'une  simple  sepa- 
ration «  quoad  torum  et  mensam  »,  qui  du 
reste  elait  inconnue  des  Juifs,  mais  d'un  di- 
vorce proprement  dit,  aulorisant  un  nouveau 
mariage.  lis  ajoulerenl,  d'apres  S.  Malthieu, 
«  quacumque  ex  causa  »;  paroles  insidieuses 
que  S.  Marc  a  omises  parce  qu'elles  faisaient 
allusion  a  des  controverses  toute  judaiques, 
que  ses  lecleurs  d'origine  paienne  auraient 
difficilemenlcomprises.  Voyez  rEvangileseloa 
S.  Matth.  pp.  368  et  369. 

3.  —  At  xllc  respondens.  La  re'ponse  du 
Sauveur,  bien  qu'elle  soil  la  meme  dans  les 
deux  synopliques,  n'est  pas  tout  a  fait  pre- 
sentee par  eux  de  la  meme  maniere.  Suivant 
le  recit  du  premier  Evangile,  Jesus  aurait 
considere  le  mariage  d'abord  dans  le  paradis 
lerreslre,  puis  dans  la  legislation  mosaique. 
Cet  ordre  est  renverse  dans  I'expose  de 
S.  Marc.  Nous  avons  deja  signale  une  inter- 
version  semblable  a  propos  de  la  discussion 
sur  le  pur  et  I'impur,  vii,  6  et  ss.  — PrcBce- 
pii,  scil.  «  de  divortio  ». 

4.  —  Moyses  permisit.  La  construction  pri- 
milive  du  lexle  grec  ful,  selon  toule  vrai- 
semblance,  iTiix^fi^z  Mwovii;,  avec  le  verbe  mis 
en  avant  d'une  maniere  emphatique.  Les 
Pharisiens  s'exprimonl  ici  avec  une  parfaile 
exactitude.  «  Permisit  »  :  en  effel,  le  divorce 
n'est  nulle  part  commande  dans  la  Loi,  il  est 
simplemenl  permis  et  tolere.  Voir  une  nuance 
dans  S.  3Iallhieu,  xix,  7  ct  8.  —  Libellum 
repudii.  Cfr.  Deut.  xxiv,  1-4.  On  nommait 
ainsi,  en  hebreu  ninn3  120,  la  piece  offi- 
cielle,  ecrile  devant  temoins,  qui  servait  a 
regulariser  les  divorces  chez  les  Juifs.  Voyez 
noire  commenlaire  sur  S.  Malthieu.,  p.  117. 
—  Et  dimittere,  sous-entendu  «  uxorem  ». 

Marc.  —  10 


446 


fiVANGILE  SELON  S.  MARc 


5.  Jesus  leiir  repondit  :  G'est  a 
cause  de  la  durete  de  votre  coeur 
qu'il  vous  a  ecrit  ce  precepte. 

6.  Mais,  au  commencement  de  la 
creation,  Dieu  les  crea  male  et  fe- 
melle. 

7.  G'est  pourquoi  I'homme  lais- 
sera  son  pere  et  sa  mere  et  s'atta- 
chera  a  sa  femme ; 

8.  Et  ils  seront  deux  en  une  seule 
chair;  ainsi,  ils  ne  sont  plus  deux, 
mais  une  seule  chair. 

9.  Done,  ce  que  Dieu  a  uni,  que 
I'homme  ne  le  separe  point. 

10.  Et,  dans  la  maison,  ses  dis- 


5.  Quibus  respondens  Jesus,  ait : 
Ad  duritiam  cordis  vestri  scripsit 
vobis  prseceptum  istud.  i 

6.  Ab  initio  autem  creaturse,  mas- 
culum  et  feminam  fecit  eos  Deus. 

Genes.  !,  27. 

7.  Propter  hoc  relinquet  homo  pa- 
trem  suum,  et  matrem,  et  adhaere- 
bit  ad  uxorem  suam  : 

Gen.  2,  24;  Match.  19,  5;  I  Cor.  7,  10;  Ephes.  5,  31. 

8.  Et  erunt  duo  in  carne  una.  Ita- 
que  jam  non  sunt  duo,  sed  una  caro. 

I  Cor.  6,  16. 

9.  Quod  ergo  Deus  conjunxit, 
homo  non  separet. 

10.  Et  in  dome  iterum  discipuli 


Pauvres  femmes,  qui  etaient  ainsi  a  la  merci 
du  caprice  des  hommes! 

5.  —  Les  Pharisiens  ont  pretendu  dirimer 
la  question  par  Taulorite  de  Moise :  dans  une 
vigoureuseuse  riposte,  tt.  5-9,  Jesus  en 
appelle  a  I'autorite  de  Dieu  lui-meme.  Son 
argumentation  est  presentee  par  S.  Marc  avec 
une  grande  ciarte  :  il  en  ressort  nettement 
qu'en  loule  hypothese  le  mariage  cliretien 
est  indissoluble.  —  Ad  duritiam  cordis  vestri... 
Replique  de  Notre-S.^igneur  a  I'allegation  du 
nom  de  Moise.  L'autorisalion  accordee  par 
ce  grand  Legislateur  ne  roposait  pas  sur  un 
droit  primitif;  c'etait  une  simple  tolerance 
accordee  pour  un  temps  a  la  faiblcssehumaine. 
La  preposition  «  ad  »  (irpo?)  signifle  :  a  cause 
de,  en  raison  de.  Le  substantif  (7x).r]poy.ap5i* 
(  «  duritia  cordis  »  de  la  Vulgate)  traduit  a 
plusieurs  repri  ses  dans  la  version  des  LXX 
la  locution  nS  nSiy,  dont  le  sens  litteral 
est  «  peau  du  coeur  ».  Cfr.  Deut.  x,  16;  Je- 
rem.  iv,  4.  G'est  la  une  figure  tres  expres- 
sive, le  coeur  etant  cense  enveloppe  dans  une 
peau  epaisse  qui  lui  enleve  toute  sensibilite. 
—  Voir,  sur  cetle  premiere  partie  de  la  re- 
plique du  Sauveur,  un  beau  laisonnement  de 
S.  Augustin,  contr.  Faust.,  lib.  XIX,  c.  xxvi. 

b.  —  Jesus  passe  a  la  vraie  preuve  de  sa 
these.  Elle  consiste  en  un  fait  biblique  re- 
montant jusqu'a  I'apparition  de  Ihomme  sur 
la  terre,  et  demontrant  de  la  fagon  la  plus 
nette  que  la  monogamie  absohie  elait  dans 
les  plans  du  Greateur.  —  Creaturw  (xxiaswi;) 
a  le  sens  de  «  creationis  ».  —  Deus  est  pro- 
bablement  un  glosseme,  car  ce  mot  manque 
dans  les  plus  anciens  manuscrits.  Le  sujet 
serait  alors  6  xxti-r-^;  sous-entendu. 

7.  —  Jesus  continue  de  ramener  ses  adver- 
sairesalaloi  primordiale  du  mariage. —  Pro- 
ffer hoc :  c'est-a-dire,  vu  les  conditions  dans 


lesquelles  Dieu  a  cree  les  premiers  humains, 
parce  qu'il  les  a  crees  «  masculum  el  femi- 
nam »,  ainsi  que  nous  lisions  au  precedent 
verset.  —  Relinquet  homo...  Dans  la  Genese, 
IF,  24,  ces  paroles  sont  prononcees  par  Adam ; 
S.  Matlhieu,  xix,  4,  les  altribue  au  Dieu 
Greateur;  S.  Marc  a  Notre-Seigneur  Jesus- 
Christ.  Ce  sont  la  trois  nuances  egalement 
exactes.  Adam  parlail  coinme  un  prophele 
inspire  de  Dieu,  le  Christ  comme  une  per- 
sonne  divine. 

8  et  9.  —  Duo  in  carne  una.  Dans  le 
grec,  oi  S'jo  (avec  Tarticle)  eU  oapy.a  [itav  (in 
carnem  unam).  Ceux  qui  avaient  ete  deux 
avant  le  mariage  ne  formeront  desormais 
plus  qu'une  seule  et  meme  chair.  —  Itaque 
jam  non  sunt  duo...  De  I'argumenlation  qui 
precede,  Jesus  est  en  droit  de  conclure  que 
le  lien  du  mariage  est  le  plus  etroit  de  tons 
les  liens.  U  n'unit  pas  trois  ou  quatre  etres, 
ou  davantage,  mais  deux  seulement,  qui 
s'harmonisent,  se  completent  et  se  sufEsent. 
G'est  aussi,  ajoute-t-il,  le  lien  le  plus  indisso- 
luble :  Quod  Deus  conjunxit...  Que  Thomme 
n'aille  done  point  porter  une  main  sacrilege 
sur  une  institution  toule  divine!  Entre  les 
mots  Dieu  et  homme  il  existe  une  frappante 
antiihese  :  le  Greateur  et  la  creature,  le 
Maiire  tout-puissant  et  I'humble  serviteur. 
Comment  Thomme  oserait-il  essayer  de  ren- 
verser  un  etat  de  choses  voulu  par  Dieu? 
Ainsi  done,  dans  le  royaume  messianique, 
dans  FEglise  chretienne,  le  mariage  est  ra- 
mene  par  Jesus  a  sa  perfection  primitive  ;  le 
divorce  y  est  supprime  «  quacumque  ex  cau- 
sa »  ;  la  femme  est  relevee,  ennoblie.  —  Voir 
dans  I'Evangile  selon  S.  Matlhieu,  pp.  369 
et  ss.,  une  explication  detaillee  de  ce  passage. 

]Q.  —  Et  in  domo  iterum.  Detail  propre  a 
S.  Marc.  La  scene  qui  precede  avail  ele  pu- 


CHAPITRE  X 

ejus  de  eodem  interrogaverunt  eum 


4  47 


11.  Et  ait  illis  :  Quicumque  dimi- 
serit  uxorem  suam,  et  aliam  duxe- 
rit,  adulterium  committit  super  earn. 

12.  Et  si  uxor  dimiserit  virum 
suum,  et  alii  nupserit,  moechatur. 


ciples  I'interrogerent  encore  sur  le 
meme  sujet. 

1 1 .  Et  il  leur  dit :  Quiconque  ren- 
voie  sa  femme  et  en  epouse  une 
autre,  commet  un  adultere  a  I'egard 
de  celle-la. 

1 2.  Et  si  une  femme  quitte  son 
mari  et  en  epouse  un  autre ,  elle 
commet  Tadultere. 


blique  :  en  voici  une  autre  tout  intime,  qui 
se  passe  entre  le  Mailre  el  ses  disciples,  dans 
la  maison  qui  leur  servait  alors  de  residence 
temporaire.  Plusieurs  fois  deja  notre  Evan- 
geliste  a  mentionne  des  entretiens  confiden- 
tiels  de  Jesus  avec  les  siens  sur  des  points 
importants  de  la  morale  chrelienne.  Cfr. 
IX,  28  et  29;  33-37.  C'est  a  quoi  semble 
I'aire  allusion  I'adverbe  «  iterum  ».  —  De 
eodem.  Sur  le  point  litigieux  qui  avait  ete 
Tobjet  de  la  discussion  du  Sauveur  avec  les 
Pharisiens. 

W.  —  Et  ait.  Interroge  par  les  Apotres, 
Jesus  se  borns  a  reproduire  sa  decision  anle- 
rieure  sous  une  forme  nouvelle  et  plus  ener- 
gique.  —  Quicumque  dviiiserit...  S.  Maic,  de 
meme  que  S.  Luc,  omet  la  fameuse  clause 
«  nisi  ob  fornicationem  »,  que  nous  avons 
renconiree  dans  le  premier  Evangile  (v,  32; 
XIX,  9j  et  dont  le  protestantisme  a  si  souvent 
abuse.  Cetle  omission  prouve  que  le  langage 
du  Sauveur,  meme  tel  qu'on  le  lit  dans 
S.  Mallhieu,  doit  s'enlendre  d'une  maniere 
absolue.  Autrement,  comment  expliquer  I'ou- 
bli  (i'une  restriction  si  importante?  —  Adul- 
teyium  committit  super  earn.  Le  pronom  de- 
signe-t-il  la  femme  legitime,  injustement 
renvoyee,  uxorem  suam,  ou  bien  la  personne 
a  laquelle  on  se  sera  uni  par  des  liens  crimi- 
nels,  aliam?  Les  exegetes  sont  parlages  a  ce 
sujet.  La  premiere  opinion  nous  parail  plus 
probable.  Quoi  qu'il  en  soit,  I'union  contractee 
dans  les  circonstances  indiquees  par  Jesus 
n'est  pas  un  mariage ;  le  divin  Mailre  lui 
iiiflige  le  nom  infamant  d'adultere. 

12.  —  Et  si  una...  C'est  la  reciproque  du 
verset  11.  Mais  il  est  a  noter  que  S.  Matlhieu 
ne  dil  rlen  de  semblable.  Bien  que,  d'apres 
son  Evangile,  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ 
ait  signale  jusqu'a  neuf  reprises  le  cas  d'un 
mari  qui  divorce  avec  sa  femme,  nulle  part 
nous  ne  le  voyons  supposer  qu'une  femme 
puisse  congedier  son  mari.  Dans  le  passage 
parallele  a  celui  que  nous  expliquons,  Matth. 
XIX,  9,  on  lii  simplement  :  «  El  qui  dimissam 
duxerit,m(Echalur.  »  C'est  qu\  chez  les  Juifs, 
le  droit  du  divorce  n'exisiait  que  pour  les 
hommes;  la  coutume,  d'accord  en  cela  avec 
le  texte  de  la  loi,  n'accordait  aucune  initia- 


tive aux  femmes  sous  ce  rapport.  Cfr.  Jos. 
Ant.  XV,  7,  16.  Or  S.  Malthieu  ecrivait  spe- 
cialement  pour  des  Juifs.  Au  contraire,  les 
parens  convertis  (Grecs  et  surlout  Romains) 
auxquels  etait  destine  le  second  Evangile 
reconnaissaientaux  femmes  aussi  bien  qu'aux 
hommes  la  faculte  d'intenter  des  proces  en 
separation  de  corps  et  de  biens  (voyez  a  ce 
sujet  I'interessante  dissertation  de  Danz, 
Uxor  marilum  repudians,  ap.  Meuschen,  Nov. 
Testam.  ex  Talmude  illustratum,  pp.  680 
et  ss.),  et  nous  savons  qu'elles  en  usaient 
avec  une  liberie  presqup  effienee,  a  tel  point 
que  Senequereprochait  a  ses  contemporaines 
«  de  compter  les  annees,  non  plus  par  les 
consuls,  mais  par  le  nombre  des  maris  quVlIes 
avaient  eus.  »  De  Benef.  in,  16.  Cfr.  Martial: 
VI,  7.  De  la  cetle  parlicularile  de  S.  Marc. 
Esl-ce  a  dire  toutefois  qu'il  ait  de  lui-meme 
modifie  les  paroles  du  Sauveur,  afin  de  leur 
donner  plus  d'a-propos  aupres  de  ses  lecteurs  ? 
Divers  auteurs  I'ont  pense;  mais  il  nous  re- 
pugne  de  croire  que  les  Evangelistes  aient 
pris  de  telles  liberies.  D'ailleurs,  pourquoi 
Jesus,  qui  ne  pensait  pas  moins  aux  abus  du 
paganisme  qu'a  ceux  du  Judai'sme,  n'aurait- 
il  pas  prononce  k  la  suite  les  unesdes  autres 
les  trois  sentences  que  nous  lisons  dans  les 
deux  recits  reunis?  Seulement,  S.  Mallhieu 
aura  laisse  la  troisieme,  qui  n'avait  pasd'ap- 
plication  chez  ses  lecteurs  :  S.  Marc  i'a  citee 
parce  qu'elle  n'en  avait  que  trop  chez  les 
sions  ;  mais  en  meme  temps  il  omet  la  seconds 
qui  est  implicitement  contenue  dans  la  pre- 
miere. De  cetle  maniere,  tous  les  coupables, 
et  Ton  n'en  conQoit  preciseraent  que  de  trois 
sortes,  auroni  ele  anathematises  par  Jesus  : 
1o  le  mari  qui  contracte  une  nouvelle  union 
sous  pretexte  de  divorce;  2°  la  femme  qui  se 
reraarie  dans  les  memes  conditions;  3°  qui- 
conque s'arrogerait  le  droit  d'epouser  I'un  des 
conjoints.  —  S.  Jerome,  Epist.  xxx,  cite  un 
resultat  heureux,  quoique  isole,  dj  la  loi  nou- 
velle que  proraulguait  Notre-Seigneur  :  «  Fa- 
biola,  nobilis  matrona,  banc  Chrisii  legem 
secuta.  publicam  Romae  poenitenliam  egit 
quod, dimisso  viro  adullero,  alteri  nupsisset. » 


U8 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


13.  Et  offerebant  illi  parvulos  ut 
tangeret  illos.  Discipuli  autem  com- 
minabantur  offerentibus. 

14.  Quos  cum  videret  Jesus,  in- 
digne  tulit,  et  ait  illis  :  Sinite  par- 
vulos venire  ad  me,  et  ne  prohibae- 
ritis  eos  :  talium  enim  est  regnum 
Dei. 

15.  Amen  dico  vobis  :  Quisquis 
non  receperit  regnum  Dei  velut  par- 
vulus,  non  intrabit  in  illud. 

16.  Et  complexans  eos,  et  impo- 
nens  manus  super  illos,  benedicebat 
eos. 


13.  Eton  lui  presentait  de  petits 
enfants  pour  qu'il  les  touchat.  Mais 
les  disciples  menacaient  ceux  qui 
les  presentaient. 

14.  Jesus,enles  voyant,  s'indigna 
et  leur  dit  :  Laissez  les  petits  en- 
fants venir  amoi  et  ne  les  empechez 
pas ;  car  le  royaume  de  Dieu  est  a 
ceux  qui  leur  ressemblent. 

lo.  En  verite  je  vous  le  dis  :  Qui- 
conque  ne  recevra  pas  le  royaume 
de  Dieu  comme  un  enfant,  n'y  en- 
trera  pas. 

16.  Et,  les  embrassant  et  leur 
imposant  les  mains,  il  les  benissait. 


b.  Les  enfnnts.  x,  13-16.  —  Parall.   Matth. 
XIX,  13-15;  Luc.  xviir,  15-17. 

13.  —  Offerebant  illi  parvulos.  «  Apres 
nous  avoir  inoiilre  plus  haul  la  malice  des 
Pharisiens  qui  tendaient  des  embuches  au 
Sauveur,  TEvangelisle  nous  fait  voir  la  foi  do 
peuple,  qui  croyait  que,  par  la  seule  imposi- 
tion de  ses  mains,  Jesus  porterait  boiiheur 
aux  enfants.  »  Theophylacte.  —  Ut  tangeret 
illos.  De  meme  S.  Luc' Les  expressions  em- 
ployees par  S.  Matlhieu,  «  ul  manus  eis  im- 
ponerel  eL  oraret  »,  supposent  une  benedic- 
tion propiement  dite.  Que  le  pretre  enseigne 
aux  tuples  chreliennes  a  imiter  Texemple  de 
ces  n;iies  juives,  et  a  conduire  leurs  petits 
enfant-:  a  Jesus!  Mieux  encore,  qu'il  use  de 
son  influence  pour  les  conduire  lui-meme  au 
Sauveur!  —  Discipuli  comminabantur.  Peut- 
etre  les  A;i6tresetaient-ilschoques  d'avoirete 
deranges  au  milieu  del'entrelien  si  important 
qu'ils  ava'/.>nt  en  ce  mom-^nt  avec  leur  Maitre; 
ou  dii  luouis  ils  croyaient,  en  agissant  ainsi, 
sauvegarder  la  dignite  de  Notre-Seigneur. 

14.  —  Jesus  indigne  tulit.  Trait  propre  a 
S.  Marc.  Le  verbe  grec  ^,Yavay.-r;ff£,  de  iyav 
et  ax-o;,  extremeraent  affecte,  suppose  une 
vive  emotion,  un  profond  mecontentement. 
Jesus  eprouva  done  une  sorte  d'indignation 
quand  il  vit  ses  disciples  trailer  avec  rudesse 
les  petits  enfants  et  leurs  meres.  —  Sinite 
parvulos...  Ravissante  parole,  que  le  catho- 
licisme  a  si  bien  comprise !  La  conjonction  et 
est  probablemenl  apocryplie.  Sans  elle,  le 
langage  est  plus  rapide',  I'antitbese  mieux 
marquee,  conformement  au  genre  deS.Marc, 
—  Talium  enim  est...  Le  royaume  des  cieux 
est  pour  ainsi  dire  la  propriete  des  enfants,  et 
non-seulementdes  enfants,  mais  de  tous  ceux 
qui  leur  ressemblent  par  les  dispositions  mo- 
rales. 


13.  —  Jesus  commente  dans  ce  verset  la 
derniere  partie  du  precedent  :  «  Talium 
enim...  «  Gette  profonde  pensee,  «  quiconque 
n^  reQoit  pas  le  royaume  de  Dieu  comme  un 
petit  enfant  n'y  entrera  point  »,  avait  deja 
ete  prononcee  par  le  divin  Maitre  en  une  autre 
circonstance,  Matth.  xviii,  3;  il  la  rappelle 
aux  Douze,  qui  semblaient  I'avoir  oubliee. — 
Receperit  regnum  Dei.  Figure  expressive.  Le 
royaume  m^^ssianique  y  est  decrit  comme  un 
objet  qui  arrive  au-devant  de  nous,  qui  se 
presente  a  nous  pour  que  nous  le  recevions. 
Et  quel  devra  etre  notre  accueil?Les  mots 
sicut  parvulus  nous  le  disent.  II  faudra  qu'il 
soit  accompagne  de  la  foi,  de  la  simplicite, 
de  I'humilite,  de  I'innocence  qui  briUent  dans 
les  petits  enfants.  Voyez  Joan,  iii,  3,  ou  Jesus 
insistesurla  necessile  d'une  nouvelle  nais- 
sancepourquiconque  veut  meriterle  royaume 
des  cieux.  —  Non  intrabit  in  illud.  L  image 
cliange  brusquement,  d'une  maniere  assez 
etrange.  On  «  entre  »  dans  le  royaume  q'u'oa 
avait  auparavant  «  reQu  ».  Mais  I'idee  reste 
claire,  quoique  la  forme  soit  tout  orientals. 

16. —  Voici  un  touchant  tableau,  d  mt. 
nous  devons  a  H.  Marc  les  deux  plus  beaux 
details.  —  Complexans  eos,  evaY/.a/icjaixEvo?. 
Deux  fois  seulement  il  est  fait  mention  des 
caresses  de  Jesus,  et  ce  sont  toujours  des 
enfants  qui  les  reQoivent,  et  c'est  notre  Evan- 
gelisie  qui  les  signale.  Cfr.  ix,  35.  II  man- 
querait  quelque  chose  a  I'Evangile  si  ces 
faits  delicats  n'eussent  ete  racontes.  —  7m- 
pouens  manus  super  dlos.  Ne  dirait-on  pag 
que  c'est  ici  I'ordination  des  petits  enfants, 
operee  en  vue  du  royaume  des  cieux?Le  bon 
Pasteur  traite  avec'la  plus  suave  bonte  les 
agnelets  de  son  Iroupeau!  —  Benedicebat.  Le 
texle  grec  flotle  entre  r,'Aoyz:.  sO/,oyci  et 
xaTeOXo^et.  Le  present  est  plus  piltoresque; 


J 


CHAPITRE  X 


U3 


17.  Et  cum  egressus  esset  in 
viam,  procurrens  quidam  genu  flexo 
ante  eum,  ro^abat  eum  :  Magister 
bone,  quid  faciam  ut  vitam  aeternam 
percipiam? 

Matth.  19,  16;  Luc.  18,  18. 

18.  Jesus  autem  dixit  ei :  Quid  me 
dicis  bonum?  Nemo  bonus,  nisi  unus 
Deus. 

19.  Prsecepta  nosti :  Ne  adulteres, 
Ne  occidas,  Ne  fureris,  Ne  falsum 
testimonium  dixeris,  Ne  fraudem 
feceris,  Honora  patrem  tuum  et  ma- 
trem. 

Exod.  20,  13. 


17.  Et  commeil  s'en  allait  dansle 
chemin,  quelqu'un  accourant,  et 
flechissant  devant  lui  le  genou,  lui 
demanda  :  Bon  Maitre,  que  ferai-je 
pour  acquerir  la  vie  eternelle? 

18.  Mais  Jesus  lui  dit :  Pourquoi 
m'appelez-vousbon?Personne  n'est 
bon  si  ce  n'est  Dieu  seul. 

19.  Vous  connaissez  les  comman- 
dements  :  Ne  commets  point  d'adul- 
tere,  ne  tue  pas,  ne  derobe  pas,  ne 
dis  pas  de  faux  temoignage,  ne  fais 
point  de  fraude,  honore  ton  pere  et 
ta  mere. 


le  verbe  compose  a  plus  de  force  et  marque 
mieux  la  tendresse  du  Sauveur  pour  ses  ai- 
Tnables  favoris. 

2.  —  Le  Christianlsme  et  les  rlchesses. 

X,  17-30. 

Autre  enseignement  de  la  plus  grande  im- 
portance. II  so  compose  de  deux  leQons  sue* 
cessivement  donnees  sur  un  meme  point.  II 
y  eut  d'abord  la  leQon  des  fails,  1it.  17-22, 
puis  la  legon  des  paroles,  tt.  23-31. 

a.  Legon  des  fails,  x,  17-22.  Parall.  Matth. 
XIX,  16-22;  Luc.  xviu,  18-22. 

17.  —  Cum  egressus  esset:  plus  litterale- 
meht,  d'apres  le  grec,  Tandis  qu'il  sortait, 
au  moment  meme  ou  il  se  mettait  en  route. 
Jesus  quitlait  alors  la  maison  mentionnee 
plus  haul,  t.  10,  ou  du  moins  I'endroit  ou  il 
avail  beni  les  petits  enfanls.  —  Procurrens 
quidam  genuflexo.  Si  S.  Marc  laisse  dans 
I'ombre  la  condition  de  ce  personnage.  que 
lo6  deux  autres  synoptiques  onl  mieux  carac- 
terisee  (Cfr.  Matth.  xix,  20,  «  adolescens  »; 
Luc.  xviic,  18,  «  princeps  »),  il  decril  tous 
ses  g'^stes  de  la  fagon  la  plus  piltoresque.  II 
nous  le  monlre  d'abord  courant  au  plus  vile 
pour  atteindre  Jesus,  puis,  quand  il  I'eut  re- 
joint,  se  prosternant  a  ses  pieds  corame  on 
faisail  parfois  devant  les  Rabbins  les  plus 
veneres.  Le  premier  acte  prouvait  le  zele  de 
cejeune  homme,  I'ardeur  de  ses  desirs ;  le 
second  temoignait  de  sa  profonde  estime  pour 
le  Sauveur.  —  Magister  bone.  Le  suppliant 
dut  appuyer  sur  I'epilhete  «  bone  »,  comme  le 
montie  la  reponse  de  Jesus. —  Quid  faciam... 
jDesiieux  d'acquerir  la  vie  eternelle  comme 
un  precieux  heritage (x>,7]povo[i-^aw, percipiam), 
et  pressenlant  que  la  justice  vulgaire  que  lui 
enseignaient  les  Docteurs  juifs  etait  insuffi- 
sante  pour  cela,  il  vient  demander  au  Sau- 


veur quelque  oeuvre  speciale,  au  moyen  de 
laquelle  il  pourra  se  fixer  dans  le  port  bien- 
heureux  du  salul.  «  Je  suis  etonne  de  cet 
homme,  qui,  au  moment  ou  tous  viennenl  au 
Seigneur  pour  des  guerisons  corporelles,  lui 
demande  la  vie  eternelle!  »  Theophylacle. 

18.  —  Quid  me  dicis  bonum?  Voyez  une 
variante  dans  S.  Mattliieu,  xix,  16  et  17.  Le 
jeune  homme  avail  donne  a  Jesus  le  litre  de 
bon  Maitre  d'une  maniere  superficielle  et  par 
simple  deference  :  Jesus  prend  au  contraire 
I'adjectif  ayaSo;  dans  le  sens  absolu,  el  il 
assure  qu'ainsi  compris  il  ne  saurait  conve- 
nir  qu'a  Dieu.  Ainsi  done,  il  ne  recuse  pas 
I'epilhete  qu'on  lui  adresse,  il  ne  nie  pas  da- 
vantage  sa  divinite,  mais,se  metlant  au  pomt 
de  vue  de  celui  qui  I'interrogeaiL,  il  repond 
en  tant  que  Fils  de  I'homme,  essayant  de  le 
condiiire  doucement  au  bien  ideal  par  celle 
brusque  transition.  Cfr.  S.  August.,  contr. 
Maxim.,  Ill,  23;  S.  Ambr.  de  Fide,  ii,  1. 

19.  —  Apres  avoir  fait  subir  au  deman- 
deur  celle  premiere  epreuve,  Jesus  repond 
directemenl  a  sa  question. Mais  ilsecontente 
de  le  renvoyer  aux  dix  commandemenls  de 
Dieu,  prcecepta  nosti.  En  effet,  si  Dieu  seul 
est  bon,  il  ne  doit  y  avoir  qu'une  seule  chose 
bonne  el  parfaite,  qui  consiste  a  accomplir 
en  tous  points  sa  sainle  volonle.  La  liste  des 
preceptes  divins  est  plus  complete  dans  la 
redaction  de  S.  Marc  que  dans  les  deux 
autres  Evangiles.  Mais  les  mots  ne  fraudem 
feceris  (dans  le  grec,  ^i.-^  omoG-epr.GXii],  ajoutes 
par  lui,  creent  une  cerlaine  difficulte,  car 
Ton  n'est  pas  bien  siir  de  leur  signiQcalion. 
Serait-ce  une  repetition,  sous  une  autre 
forme,  du  cinquieme  commandemenl,  ne  fu- 
reris? Non,  car  airoa-repsw  n'est  pas  un  syno- 
nyme  de  xkuxw.  N'esl-ce  pas  une  forniule 
abregee,  pour  exprimer  cette  ordonnance 
speciale  .de  la  Loi :  oOx  ditodTepiQaen  [Jiia96v 


450 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


20.  Mais  il  lui  repondit :  Maitre, 
j'ai  observe  toutes  ces  choses  des 
majeunesse. 

21.  Or  Jesus,  Tayant  regarde , 
Taima  et  lui  dit :  Une  seule  chose  te 
manque ;  va,  vends  tout  ce  que  tu 
as  et  donne-le  aux  pauvres,  et  tu 
auras  un  tresor  dans  le  del;  ensuite 
viens,  suis-moi. 

22.  Gontriste  par  cette  parole,  il 
s'en  alia  chagrin,  car  il  possedait  de 
grands  biens. 


20.  At  ille  respondens,  ait  illi  : 
Magister,  haec  omnia  observavi  a  ju- 
ventute  mea. 

21.  Jesus  autem  intuitus  eum,  di- 
lexit  eum,  et  dixit  ei  :  Unum  tibi 
deest ;  vade ,  quaecumque  habes 
vende,  et  da  pauperibus,  et  habebis 
thesaurum  in  coelo;  et  veni,  sequere 
me. 

22.  Qui  contristatus  in  verbo,  abiit 
moerens  :  erat  enim  habens  multas 
possessiones. 


TtEvriTo;,  Deut.  XXIV,  14?  Meyer  et  d'autres 
I'ont  pt^n;-e,  sans  autre  motif  que  la  ressem- 
blance  exlerieure.  Selon  Bengel,  Welslein, 
Olshausen,  de  Wette,  etc.,  Jesus  aurait  re- 
sume par  ces  mots  les  deux  derniers  com- 
mandemenls  du  Decalogue,  Ex.  xx,  17.  Le 
verbe  anoaxepsw  signifiant  «  priver  »  quel- 
qu'un  de  ce  qui  lui  appartient,  nous  prefe- 
rons  admetlre  que  le  Sauveur  i'empioie  en 
cet  endroil  pour  recapituler  les  quatre  pre- 
ceples  qu'il  venait  de  mentionner,  et  dont  la 
violation  supposait  un  tort  d'un  genre  ou 
d'un  ailre  cause  au  prochain. 

20.  —  Magister.  Cette  fois,  le  jeune  homme 
n'ose  plus  dire  Bon  Mailre ;  il  a  supprime 
I'epithete.  —  Hcec  omnia  observavi.  En  te- 
nant ce  langage,  il  parlaiten  toule  sincerile, 
comme  ce  vieux  Rabbin  qui,  sur  le  point  de 
mourir,  s'ecriait  :  Apportez  le  livre  de  la 
Loi,  et  voyez  s'il  contient  qnelque  precepte 
que  je  n'aie  point  observe!  Neanmoins,  il  se 
faisait  illusion  d'une  certaine  maniere.  «  II 
avail  bien  garde  les  pratiques  exterieures  de 
la  loi,  mais  il  n'en  avait  pas  obsorve  I'esprit.  » 
Dehaut,  I'Evangile  explique,  oe  edit.  I.  Ill, 
p.  419.  Aussi  n'avait-il  pas  troiive  la  paix  de 
I'ame.  C'est  poiirquoi  il  demandait  encore  a 
Jesus,  d'apres  S.  Matthieu,  xix,  20  :  «  Quid 
adhuc  mihi  dee-fi*  » 

21.  —  Intuitus  eum,  dilexit  eum.  Deux 
traitsadmirables,  propresaS.  Marc.  'E;j.6).£iJ>a?, 
de  £v  et  pXsr.w,  regarder  dedans,  designe  un 
regard  prolonge,  scrutateur.  Cfr.  f.  27;  Joan. 
I,  36.  41,  Luc.  xxii,  61.  'HydTryiffev  a  ete  fort 
bien  traduit  par  «  dilexit  » ;  car  il  ne  signifie 
ni  «  amplexus  est  »  (Origene),  ni  «  benigne 
affaius  est  »  fGrotius,  Kuinoel,  Fritzsche),  ni 
«  misertus  est  »,  d'apres  I'analogie  de  I'he- 
breu  am.  II  faut  lui  laisser  ici  sa  significa- 
tion accoulumee  d'aimer.  Jesus,  plongeant 
done  son  divin  regard  jusqu'au  fond  du  coeur 
de  ce  bon  jeune  homme,  y  contempla  de 
nobles  qualites,  et  il  daigna  concevoir  pour 
iui  une  viva  affection.  Touchant  passage, 
qui  nous  montre  le  Sauveur  semblable  a  nous, 


s'attachant  a  ce  qui  est  aimable  et  pur.  Quel 
bonheur  d'etre  ainsi  aime  par  Jesus!  Toute- 
fois,  avant  que  le  sceau  fut  mis  a  cette  saints 
amitie,  il  fallail  que  celui  qui  en  etait  I'objet 
s'en  montrat  digne  par  sa  generosite.  De  la 
I'epreuve  que  lui  impose  aussilot  Notre-Sei- 
gneur.  —  Qucecumque  habes  vende...  Allez, 
vendez  tout  sans  exception,  et  donnez  aux 
pauvres  le  prix  que  vous  en  aurez  retire.  — 
Apres  sequere  me,  la  Recepta  ajoiile  :  dpa; 
Tov  aT3.\)p6v,  «  sumpla  cruce  »,  mots  inipur- 
tants,  qui  conviennent  parfaiteuienl  a  la  si- 
tuation et  qui  sont  sans  doule  aulhentiques, 
bien  qu'ils  manquent  aussi  dans  quelques 
anciens  manuscriis  (B,  C,  Sinait.). 

22.  —  Contristatus  in  verbo,  aTuyvdua;  ini 
TwXoyw  Celt'  parole  du  Maitre,  si  ardcm- 
nient  desiree,  produisitunresultatdesaslreux, 
que  S.  Marc  decrit  avec  son  energie  accou- 
tumee.  Le  verbe  aTuyvd^w  se  dit  en  effet 
d'un  ciel  qui  s'assombrit,  d'une  nuit  obscure. 
Cfr.  Sap.  XVII,  5;  Mallh.  xvi,  3;  Plin.  Hist. 
Nat.  II,  6.  II  nous  fait  done  assister  a  la 
transformation  quisemanifesia  aussitol  sur  le 
visage  du  jeune  homme.  Nous  devons  dire 
pourtant  que,  selon  d'autres  auleurs,  oTuyvdl^M 
signifierait  «  etre  effraye  »  (Hesychius  tra- 
duit edTJYEv  par  7.aTeTt),dYvi .  Cfr.  Is.  XLVii,  19  ; 
Ezpch.  XXVII,  35;  xxviii,  19;  Dan.  ii,  11, 
dans  la  version  des  LXX);  dans  ce  cas,  I'E- 
vangeliste  decrirait  un  effet  moral  et  non  un 
jeu  de  physionomie.  —  Abiit  moerens.  Helas! 
pour  lui  se  realisait  le  celebre 

Video  meliora  proboqae,  deteriora  sequor. 

II  y  avait  en  lui  deux  tendances ;  les  biens 
lemporels  et  les  biens  eternels  le  liraient  en 
sens  contraires.  11  eut  la  lachete  de  sacriQer 
I'amitie  du  Sauveur  el  ses  desirs  de  perfec- 
tion a  I'altrait  qui  I'entrainait  vers  les  ri- 
chesses  perissables.  Dante  stigmatise  cette 
conduite  par  le  nom  de  «  gran  rifiuto  ». 
Quelques  mois  plus  lard,  nous  verrons  au 
contraire  a  Jerusalem  de  nombreux  chreliens 
vendre  d'eux-memes  leurs  biens  et  en  appor- 


CHAPITRE   X 


45t 


23.  Et  circumspiciens  Jesus,  ait 
discipulis  suis  :  Quam  difficile  qui 
pecunias  liabent,  in  regnum  Dei  in- 
Iroibunt! 

24.  Discipuli  autem  obstupesce- 
bant  in  verbis  ejus.  At  Jesus  rursus 
respondens  ait  illis  :  Filioli,  quam 
difficile  est^  confidentes  in  pecuniis, 
in  regnum  Dei  introire ! 


2d.  Facilius  est  camelum  per  fo- 
ramen acus  transire,  quam  divitem 
intrare  in  regnum  Dei. 

26.  Qui  magis  admirabantur,  di- 
centes  ad  semetipsos :  Et  quis  potest 
salvus  fieri? 


23.  Et  Jesus,  regardant  autour 
de  lui,  dit  a  ses  disciples  :  Gombien 
difficilement  ceux  qui  ont  des  ri- 
chesses  entreront  dans  le  royaume 
de  Dieu ! 

24.  Or  ses  disciples  etaient  stu-  ^ 
pefaits  de  ses  paroles.  Mais  Jesus,  ^ 
parlant  de  nouveau,  leur  dit :  Mes 
petits  enfants ,  qu'il  est  difficile  a 
ceux  qui  se  confient  dans  les  ri- 
chesses  d'entrer  dans  le  royaume 
de  Dieu! 

25.  II  est  plus  facile  a  un  chameau 
de  passer  par  le  trou  d'une  aiguille 
qu'a  un  riche  d'entrer  dans  le 
royaume  de  Dieu. 

*26.  lis  etaient  encore  plus  eton- 
nes,  se  disant  Tun  a  I'autre  :  Et  qui 
pent  etre  sauve  ? 


t-^r  le  prix  aux  Apolres,  pour  mener  ensuile 
une  vie  toute  degagee  des  preoccupations  ter- 
reslres.  Cfr.  Act.  iv,  34-37. 

b.  La  legon  en  paroles,  x,  23-31.  —  Parall.  Malth. 
XIX,  23-30;  Luc.  xviii,  24-30. 

23.  —  Circumspiciem  Jesus.  Trait  special  a 
S.  Marc.  Jesus  agit  comme  s'il  voulait  etudier 
rimpression  produite  sur  les  Apolres  par  ce 
facheux  depart.  3Iai3  il  est  plus  exact  de  dire 
qu'il  89  proposait,  par  ce  geste  solennel, 
d'ajouler  a  I'effet  des  paroles  qu'il  allait  pro- 
noncer.  —  Quam  difficile...  Le  triste  exeniple 
dujeiine  homme  riche  ne  demonlraitque  Irop 
parfaitement  la  veritede  celle  grave  sentence. 
«  Non  toulefois,  dit  fort  bien  Theophylacte, 
que  les  richesses  soient  mauvaises  en  elles- 
memes ;  ce  sont  ceux  qui  les  possedent  qui 
sont  mauvais !  »  —  Pecunias.  Le  mot  grec 
XpyjiiaTaserail  mioux  traduit  par  «  divilias  ». 
De  meme  au  verset  suivant.  —  Par  regnum 
Dei,  il  faut  entendre  ici  le  ciel,  ou  le  royaume 
messianique  atteindra  sa  bienheureuse  etglo- 
rieuse  consommation. 

24.  —  Discipuli  obstupescebant.  'EQatiSoyvTo, 
«  attonili  slupore  percellebantur  :  unum  de 
verbis  significantioribus  quibus  Marcus  inter- 
dum  utitur.  nPatrizi,  in  Marc.  Comm.  p.  136. 
Cfr.  I,  12,  13.  II  y  avait  de  quoi  etre  vive- 
ment  t'rappe :  Jesus  ne  paraissail-il  pas  exclure 
formeliement  du  ciel  toute  une  categoric 
d'hommes,  a  cause  de  leur  position  sociale  ? 
—  Jesus...  respondens.  C'est  a  ce  sentiment 
des  Douze  quo  le  Mailre  repond.  Modifiant  sa 
parole  pour  I'adoucir  et  en  mieux  marquer  le 
veritable  sens,  il  ne  dit  plus  :  «  Qui  pecunias 


habent  »,  il  dit :  Confidentes  in  pecuniis,  desi- 
gnant  ainsi  non  pas  les  riches  en  tant  qu'ils 
sont  riches,  mais  les  riches  en  tant  qu'ils 
mettent  leur  fin  dans  leurs  richesses.  II  faut 
noteraussi  Tappellation  de  tendresse  Filioli, 
T£xvia  (nous  lisons  ainsi  d'apres  plusieurs 
manuscrits),  par  laquelle  le  Sauveur  essaie 
de  calmer  I'effroi  qu'il  venait  de  causer  a  ses 
amis.  —  Tous  les  details  contenus  dans  ce 
verset  appartiennent  en  propre  a  S.  Marc. 

25.  —  Facilius  est  camelum...  Sur  ce  pro- 
verbs oriental,  voyez  I'Evang.  salon  S.  Mat- 
thieu,  p.  381.  Nuus  prenons  la  figure  a  la 
lettre,  sans  vouloir  des  interpretations  plus 
ou  moins  ingenieuses,  raais  certainement 
fausses,  auxquelles  on  a  recouru  sous  pretexts 
de  la  rendre  plus  acceptable.  Elle  exprime 
une  impossibilite  reelle.  —  Jesus  venait  d'a- 
doucir  sa  pensee  :  il  la  renforce  maintenanta 
I'aide  d'une  image  vigoureuse.  II  est  si  peu 
de  riches  en  effet  qui  ne  mettent  pas  leur 
confiance  dans  leurs  richesses!  C'est  done  a 
bon  droit  que  le  S'^igneur  semble  desesperer 
de  jamais  renconirer  dans  les  hommes  favo- 
rises  des  biens  de  ce  monde  I'herolsme  moral 
que  reclame  le  delachi^raent  chretien.  — 
«  L'oeil  d'une  aiguille,  dit  un  proverbe  persan, 
est  assez  large  pour  deux  amis;  le  monde 
entier  est  trop  etroit  pour  deux  ennemis.  » 
C'est  une  image  analogue  pour  exprimer  une 
idee  toute  differente. 

26.  —  Qui  magis  admirabantur,  irspiffawc 
e$£7t)/n'J<TovTo .  On  conQoit  sans  peine  ce  sur- 
croit  d'elonnement  et  de  frayeur  apres  les 
dernieres  paroles  de  Jesus.  —  Dicentes  ad 
semetipsos,  upi;  lauxous,  les  uns  aux  autres.  — 


<52 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


27.  Et  Jesus,  les  regardant,  dit  : 
C'est  impossible  aux  hommes,  mais 
non  pas  a  Dieu ;  car  tout  est  possible 
a  Dieu. 

28.  Et  Pierre  commenca  a  lui 
dire  :  Voici  que  nous  avons  tout 
quitte,  et  nous  vous  avons  suivi. 

29.  J^sus  repondit :  En  verite  je 
vous  le  dis,  personne  ne  quittera  sa 
maison,  ou  ses  freres,  ou  ses  soeurs, 
ou  son  pere,  ou  sa  mere,  ou  ses  fils, 
ou  ses  champs  a  cause  de  moi  et 
a  cause  de  I'Evangile, 

30.  Sans  recevoir  maintenant,  et 
en  ce  temps  meme,  cent  fois  autant, 
maisons ,  et  freres ,  et  soeurs ,  et 
meres,  et  fils,  et  champs,  avec  des 


27.  Et  intuens  illos  Jesus,  ait  : 
Apud  homines  impossible  est,  sed 
non  apud  Deum  :  omnia  enim  possi- 
bilia  sunt  apud  Deum. 

28.  Et  coepit  ei  Petrus  dicere  : 
Ecce  nos  dimisimus  omnia,  et  secuti 
sumus  te. 

Malth.  19,  27;  Luc.  18,28. 

29.  Respondens  Jesus,  ait  :  Amen 
dico  vobis  :  Nemo  est,  qui  reliquerit 
domum,  aut  fratres,  aut  sorores,  aut 
patrem,  aut  matrem,  aut  filios,  aut 
agros  propter  me,  et  propter  evan- 
gelium, 

30.  Qui  non  accipiat  centies  tan- 
tum,  nunc  in  tempore  hoc ;  domos, 
et  fratres,  et  sorores,  et  matres,  et 
filios,  et  agros,  cum  persecutioni- 


Et  qiiis...  Sur  I'emploi  de  la  conjonction  xal 
en  lete  d'une  phrase  interrogative,  voyez 
Winer,  Grammat.,  p.  387. «  Mais  alors,  mais 
dans  ce  cas,  qui  poiirra  bien  elre  saiive  ?  » 

27.  —  Et  intuens  illos.  Dans  le  grec,  IilBH- 
dia;,  comme  au  t.  21 .  C'est  ie  troisieme  regard 
ae  Jesus  nientionne  dans  I'lntervalle  de  quel- 
ques  lignes.  Quelle  vie  et  quel  pittoresque 
dans  ce  second  Evangile!  —  Apud  homines... 
Le  Sauveur,  au  moyen  de  cette  distinction, 
explique  de  quel  genre  d'impossibilite  il  a 
voulu  parler.  S.  Marc  presente  I'antilhese 
avec  plus  de  force  que  les  deux  autres  sy- 
noptiques.  —  Omnia  enim  possibilia.  «  Quod 
non  ila  intelligendum  est  quasi  cupidi  et 
superbi  in  regnum  coelorum  sint  intraturi 
cum  cupiditate  et  superbia ;  sed  possibile  est 
Deo  ut  a  cupiditate  et  superbia  ad  caritatem 
ethumilitalem  convertantur.  »  Theophyiacte. 
Avec  I'appoint  des  divins  secours,  tout  de- 
vient  possible  a  I'homme  de  bonne  volonte. 

28.  —  Ecce  nos  reliquimus  omnia,  s'ecrie 
tout  a  coup  S.  Pierre.  Nous  du  moins,  dit-il 
avec  emphase,  nous  ne  sommes  pas  «  confi- 
dentes  in  divitiis.  »  La  preuve,  c'est  que 
nous  avons  tout  laisse  pour  vous  suivre.  En 
realile,  les  Apotres,  sur  un  mot  de  Jesus, 
avaient  renonce  a  tout,  et  s'etaient  mis  gene- 
reusement  a  sa  suite.  Deux  points  sur  lesquels 
ils  avaient  fait  complelement  le  contraire  du 
pauvre  jeune  homme  dont  il  etait  question 
naguere. 

29.  —  Respondens  Jems.  Le  bon  Maitre 
n'oublie  pas  les  sacrifices  qui  ont  ete  fails 
pour  lui,  et  ilsaura  dedommager  leursauteurs 
par  de  magnifiques  recompenses.  Le  t.  29 
aonne  la  liste  des  principaux  objets  qu'un 
Chretien  peut  abandonner  pour  I'amour  de 


Jesus  et  de  son  Evangile;  le  t.  30  celle  des 
recompenses  qui  ieur  seront  distribuees  soil 
en  ce  monde,  soit  en  I'autre.  par  la  main  du 
Dieu  remunerateur.  Dans  la  Recepta  grecque, 
apres  (xrixepa  (matrem),  on  \\l  ^  yuvatxa,  «  vel 
uxorem  »,  de  memo  que  dans  la  redaction 
de  S.  Matthieu.  Les  manuscrits  B,  D,  A,  Si- 
nai't.,  etc.,  omeltent  ces  mots  comme  la  Vul- 
gate. —  Et  propter  Evaiigelium  est  un  trait 
propre  a  noire  Evaiigeliste.  Notons  en  pas- 
sant, a  propos  de  I'expression  eOayYeXtov,  que 
S.  Matthieu  et  S.  Marc  sont  seuls  a  I'em- 
ployer,  celui-la  quatre  fois,  iv,  23;  ix,  35; 
XXIV,  14  ;  XXVI,  13,  celui-ci  beaucoup  plus 
souvent:  i^l,  14, 15;  viii,  35  ;x,  29;  xiii,  40; 
XIV,  9;  XVI.  15. 

30.  —  Cenlies  tantum,  dxaTovrawXaffiova. 
Ghiffre  rond,  pour  designer  a  la  fagon  orien- 
tale  I'elendue  et  la  richosse  de  la  retribution 
promise  par  Notro-Soigneur,  —  Nunc,  in  tem- 
pore hoc.  Meme  des  cette  vie.  Ces  mots  sont 
emphatiques  et  propres  a  S.  Marc.  On  ne 
Irouve  egalemenl  que  dans  son  recil  la  repe- 
tition de  la  nomenclature  domos  et  fratres,  etc. 
Cette  nomenclature  subit  pourtant  dans  le 
t.  30  de  legeres  modifications.  Par  exemple, 
le  substantif  Yuvatxa?,  «  uxores  »,  a  ete  omis 
pour  une  raison  de  convenance  facile  a  com- 
prendre.  «  Patres  »  est  de  meme  supprime, 
on  ignore  pourquoi.  Matres  est  au  pluriel,  et 
justeraent;  car  si  la  nature  ne  nous  donne 
qu'une  mere,  la  charite  chretienne  nous  ett 
fournit  un  grand  nombre.  —  Un  saint  abbe, 
dont  Cassien  nous  a  conserve  les  paroles, 
Collat.  XXIV,  c.  26,  admirait  I'accomplisse- 
ment  de  toutes  ces  promesses  du  Sauveur. 
«  Quod  ita  esse,  disait-il  a  ses  religieux,  etiana 
vestris   experimentis  probare   poluistis,  qui 


CHAPITRE   X 


153 


Lus,  et  in  sseculo  future  vitam  seter- 
nam. 

31.  Multi  autem  erunt  primi  no- 
vissimi,  etnovissimi  primi. 

MalUi.  19,  30. 

32.  Erant  aulem  in  via  ascenden- 
tes  Jerosolymam  :  et  prsecedebat 
illos  Jesus,  et  stupehant ;  et  sequen- 
tes  timebant.  Et  assumens  iterum 


persecutions,  et,  dans  le  siecle  fu- 
tur,  la  vie  eternelle. 

31.  Mais  beaucoup  de  premiers 
seront  les  derniers  et  beaucoup  de 
derniers  les  premiers. 

32.  Or  ils  etaient  en  chemin  et 
montaient  a  Jerusalem.  Jesus  mar- 
chait  devant  eux,  et  ils  etaient 
etonnes  et  ils  le  suivaient  pleins  de 


singulis  patribus  matribusque  ac  domibus 
derelictis,  quamlibet  mundi  parlem  fueritis 
ingressi,  patres,  malres,  fratresque  innume- 
ros,  domos  quoque  et  agros,  servosque  fide- 
lissimos  absque  ullo  sollicitudinis  labore  con- 
quirilis,  qui  vos  ul  proprios  dominos  submisse 
suscipiunt,  ampleciunUir,  fovent,  venerantur 
officiis.  »  El  cetle  realisation  n'a  pas  seule- 
ment  lieu  dans  les  communautes  religieuses, 
mais  partout  ou  le  vrai  Christianisme  est  mis 
en  pratique.  Ainsi  done,  Jesus  annonce  qu'il 
dedommagera  meine  des  ce  monde,par  loutes 
sortes  de  graces  et  de  consolations,  des  pri- 
vations embrassees  en  son  honneur.  —  Cum 
persecutionibus.  «  S.  Marc  ajoute  une  chose 
remarquable,  qui  n'a  point  ete  exprimee  par 
les  aulres  Evangelistes.  C'est  qu'ils  recevront 
le  centuple  avec  des  persecutions.  Est-ce 
done  que  les  perseculions  font  parlie  des  pro- 
messes  de  Jesus-Christ,  et  des  recompenses 
qu'il  promel  a  ses  serviteurs?Oui  sans  doute. 
Les  persecutions,  les  peines,  les  travaux  sont 
la  joie  et  le  parlage  des  Chretiens;  c'est  le 
gage  assure  de  leur  bonheur  futur.  Jesus- 
Christ  partage  ses  amis  comme  il  s'est  par- 
tage  lui-meme...  Et  ceux  qui  ont  Tavanlage 
d'etre  a  lui  n'ont  garde  de  se  plaindre  de  leur 
sort;  ils  I'estiment  infiniment  plus  que  si  on 
leur  offrait  tous  les  plaisirs  du  monde...  II 
n'appartient  qu'aux  vrais  chretiens  de  souffi  ir 
volontiers  les  maux  temporels  dans  I'espe- 
ranee  des  biens  eternels.  Christianorum  est 
pati  mala  temporalia,  et  bona  sperare  sem- 
piterna,  dit  S.  Augustin.  »  D.  Calmet.  Les 
ecritsdu  Nouveau  Tcslament  sont  remplis  de 
cette  idee.  Cfr.  Matth.  v,  11;  Rom.  v,  3; 
II  Cor.  XII,  10;  Philip,  i,  29;  II  Thess.  i,  4; 
II  Tim.  Ill,  11  et  12;  Hebr.  xii,  6;  Jae. 
1,  2,  4 ;  I  Petr.  i,  6,  etc.  —  Et  m  sceculo  fu- 
turo,  par  opposition  a  «  nunc  in  tempore  hoc.  » 
Ces  locutions  sont  mises  en  correlation,  de 
meme  que  les  mois  equivalents  des  Rabbins, 
ntn  Dbl7,  cesiecle-ci,  et><2n  nbiy,  le  siecle 
a  venir. 

31.  —  Multi  autem...  Dans  I'Evangile  selon 
S.  Matthieu,  xix,  30-xx,  16  (voyez  le  com- 
mentaire,  pp.  384  et  ss.),  ce  gnome  enigma- 
tique  sert  tout  a  la  fois  d'ouverlure  et  de 
finale  k  une  parabola  qui  le  developpe  et 


I'explique.  C'est  un  «  caveant  consules  » 
adresse  aux  Apotres  et  a  tous  les  chretiens. 
Meme  apres  les  plus  saints  commencements, 
meme  apres  avoir  donne  des  preuves  du  plus 
genereux  devouement  a  la  cause  du  Christ, 
on  peut  s'arreter  en  chemin,  comme  le  jeune 
homme  de  notre  Evangile,  comme  Judas; 
tandis  que  les  Madeleine  et  les  Saul  gagnent 
les  premieres  couronnes  et  les  premiers 
tronesdu  paradis. 

3.  —  La  Passion  pr^dite  pour  la  troisieme 
fois.  X,  32-34,  —  Parall.  Matth.  xx,  17-19;  Luc. 
xviii,  31-34. 

32.  —  Erant  autem  in  via.  Plus  haut,  1. 1 7, 
I'Evangeliste  nous  raonlrait  Notre-Seigneur 
se  dirigeant  vers  la  route,  «  in  viam  »  ;  main- 
tenanl,  Jesus  et  les  siens  sont  «  in  via  ». 
Quelle  parfaite  exactitude  dans  les  details 
lis  plus  minutieux !  —  Ascendentes  Jerosoly- 
mam. Voyez,  sur  cette  expression,  I'Evangile 
selon  S.  Matth.,  p.  391 .  —  Les  mots  suivanls, 
et  prcecedebat  illos...,  et  stupebant.,  sont  vrai- 
ment  dramaliques.  Nous  devons  a  S.  Marc 
ce  magnifique  tableau.  A  I'avant-scene  on 
aperQoit  le  divin  Maitre,  qui  marche  le  pre- 
mier, a  quelque  distance  des  siens.  II  sail 
qu'il  se  dirige  vers  le  Calvaire;  mais  c'est 
pour  cela  meme  qu'il  se  hale  avec  une  sainte 
impatience,  <.'.  faisanl  voir,  dit  justement 
Theophylacle,  qu'il  va  au-devanl  de  sa  Pas- 
sion, el  qu'il  ne  redoute  pas  d'endurer  la 
mort  pour  notre  salut  ».  Ce  trait  esl  done  un 
commenlaire  plaslique  de  la  parole  :  «  Bap- 
tismo  habeo  baplizari,  et  quomodo  coarclor 
usquedum  perficiatur!  »  Luc.  xii,  50.  Der- 
riere  ce  glorieux  capitaine,  qui  choisil  vail- 
lamment  le  posie  d'honneur,  nous  voyons  la 
troupe  limide  de  ses  soldais.  «  Stupebant  », 
i9aiJL6oOvTo  :  ils  etaient  stufiefails  de  son  cou- 
rage. En  effel,  ils  ne  I'ignoraient  pas  d'apres 
les  scenes  dont  ils  avaienl  ete  naguere  te- 
moins  dans  la  capitale  juive  (Cfr.  Joan, 
vn,  11  et  ss. ;  viii,  59;  ix,  1  et  ss.),  aller  a 
Jerusalem  dans  les  circonstances  presenles, 
c'etait  s'offrir  libremenl  a  toute  sorte  de 
dangers.  Aussi  esl-il  ajoute  que  sequentes  ft- 
mebant.  Ils  redoulaienl  pour  lui  et  pour  eux- 
memes  les  consequences  d'une  pareille  de- 


454 


fiVANGlLE  SELON  S.  MARC 


crainte.  Et ,  prenant  encore  les 
Douze,  il  commenca  a  leur  dire  ce 
qui  devait  lui  arriver. 

33.  Voila  que  nous  montons  a  Je- 
rusalem, et  le  Fils  de  rhomme  sera 
livre  aux  princes  des  pretres,  aux 
scribes  et  aux  ancieus,  et  ils  le  con- 
damneront  a  mort  et  le  livreront  aux 
Gentils ; 

34.  Et  ils  se  joueront  de  lui,  ils 
cracheront  surlui,  ils  le  flagelleront 
et  ils  le  tueront;  et  le  troisieme  jour 
il  ressuscitera. 

3o.  Alors  Jacques  et  Jean,  fils  de 
Zebedee,  s'approcherent  de  lui,  di- 
sant  :  Maitre,  nous  voulons  que  tout 
ce  que  nous  vous  demanderons  vous 
le  fassiez  pour  nous. 

36.  Et  il  leur  dit  :  Que  voulez- 
vous  que  je  fasse  pour  vous? 


duodecim,  coepit  illis  dicere  quae 
essent  ei  eventura. 

Luc.  IS,  31. 

33.  Quia  ecce  ascendimus  Jeroso- 
lymam,  et  Filius  hominis  tradetur 
principibus  sacerdotum,  et  scribis, 
et  senioribus,  et  damnabunt  eum 
morte,  et  tradent  eum  gentibus  : 

34.  Et  illudent  ei,  et  conspuent 
eum,  et  flagellabunt  eum,  et  interfi- 
cient  eum,  et  tertia  die  resurget. 

33.  Et  accedunt  ad  eum  Jacobus 
et  Joannes,  filii  Zebedsei,  dicentes  : 
Magister,  volumus  ut  quodcumque 
petierimus,  facias  nobis. 

Match.  20,  20. 

36.  At  ille  dixit  eis  :  Quid  vultis 
ut  faciam  vobis? 


marche.  De  la  une  sorte  d'he>itation  bien 
naliirelle.  Neanmoins,  ils  suivaienl  leur  di- 
vin  Maitre  :  ce  n'est  qu'a  Gelhsemani  que 
leur  coura£?e  devait  entieremenl  faiblir  pour 
lui  temp?.  rj"apres  la  variante  des  manuscrils 
B,  C,  L,  r,  Sin.,  oi  6s  axo),ou9oOvT£;  eqjooO'jvTo 
(au  lieu  de  xal  dxo)>ou9ouvT£;...),  il  semblerait 
que  les  disciples  qui  accompagnaienl  Jesus 
formassent  en  ce  moment  comme  deux 
groupes  distincts  I'un  plus  courageus,  le  sui- 
vant  de  plus  pres,  I'autre  tout  a  fait  a  I'ar- 
riere,  a  moilie  decide  a  I'abandonner.  Mais 
cette  leQon  n'est  pas  assez  autorisee  pour  que 
nous  la  preferions  a  celle  de  la  Recepta.  — 
Assumens  iterum  duodecim.  Le  Sauveur  s'ar- 
rSte  tout  a  coup  pour  rallier  la  troupe  inti- 
midee  de  ses  Apotres.  Les  groupant  aulour 
de  lui, «  il  se  mil  a  leur  predire  ce  qui  devait 
lui  arriver.  »  C'etail  pour  la  troisieme  fois 
qu'il  entrait  devant  eux  dans  ces  tristes  de- 
tails. La  premidre  prediction  de  ce  genre 
avait  eu  lieu  apres  la  Confession  de  S.Pierre, 

VIII,  31 ;  la  seconde,  apres  la  Transfiguration, 

IX,  30-32. 

33  et  34.  —  Ecce  ascendimus...  Les,  termes 
3ela  prophetic  different  a  peine  de  ceux  que 
aous  lisions  dans  S.  Matthieu  (voyez  le  com- 
mentaire,  p.  391  et  s.).  Seulemenl,  notre 
Evangeliste  mi^ntionne  d'un^'  maniere  com- 
jlete  les  Chambres  du  Sanhedrin,  principi- 
bus sacerdotum,  scribiSj  senioribus;  puis, 
Jans  reniimeration  des  humiliations  que  Je- 
sus devait  endurer  avant  sa  mort,  il  signale 
un  detail  special,  et  conspuent  cum.  En  re- 
vanche, S.  Maltliiini  precisait  mieux  la  nature 
du  supplice   final  :  «  crucifigendum  »  au  lieu 


du  vague  interficient  eum.  —  Toute  la  Pas  • 
sion  est  dans  ces  quelques  lignes. 

4.  —  Ambition  des  fils  de  Zeb6d6e.  x,  33-45. 
Parall.  Mallh.  xx,  20-28. 

35.  —  Et  accedunt  ad  eum.  Surprenant 
episode,  surtout  apres  celte  prediction  si 
claire  de  Jesus.  S.  Marc,  dans  la  description 
qu'il  en  fait,  a  plusieurs  trails  originaux. 
Tout  d'abord,  son  entree  en  scene  differe  de 
celle  du  premier  Evangile.  Dans  S.  Matthieu, 
c'eLait  Salome  qui  se  presenlait  a  Jesus  ac- 
compagnee  de  ses  deux  fils,  et  qui  formulait 
elle-meme  leur  etrange  desir  :  ici,  il  n'est 
quest'on  que  de  Jacques  et  de  Jean.  C'est 
done  le  recit  de  S.  Matthieu  qui  est  le  plus 
complet.  —  Volumus.  Demande  bien  auda- 
cieuse ;  il  est  vrai  que  le  esXotiev  tva...  du 
texte  grec  peut  se  traduire  par  ie  condition- 
nei  :  Nous  voudrions!  —  Quodcumque  petie- 
rimus facias.  Les  deux  freres,  n'osant  pas 
sans  doute  formuler  directement  leur  desir, 
essayent  d'en  obtenir  I'accoraplissement  en 
se  faisant  tout  d'abord  octrcyer  cette  sorte 
de  blanc-seing  universel. 

36.  —  Quid  vultis...?  Jesus,  bien  qu'il  pe- 
netrat  les  secrets  desseins  de  leur  cceur,  veut 
que  leur  demande  soit  proferee  ouvertemenl. 
lis  recevronl  par  la-meme  une  humiliation 
salutaire,  qui  les  preparera  a  mieux  gouter 
la  legon  qui  viendra  plus  loin.  —  La  cons- 
truction de  la  phrase  grecque  est  assez  extra- 
ordinaire dans  certains  manuscrits  :  xi  ej)xxe 
(jL£  7toir,aw  u|i.Tv;  Griesbach  el  Lachmann  adop- 
tenl  cette  leQon. 

37.  —  Da  nobis  ut...  sedeamus.  Le  Sauveur, 


CHAPITRE  X 


455 


37.  Et  dixerunt :  Da  nobis  ut  unus 
ad  dexteram  tuam.  et  alius  ad  sini- 
stram  tuam  sedeamus  in  gloria  tua. 

38.  Jesus  autem  ait  eis  :  Nescitis 
quid  petatis;  potestis  bibere  cali- 
cem  quern  ego  bibo,  aut  baptismo, 
quo  ego  baptizor,  baptizari  ? 

39.  Atilli  dixerunt  ei :  Possumus. 
Jesus  autem  ait  eis  :  Galicem  qui- 
dem,  quem  ego  bibo,  bibetis;  et 
baptismo,  quo  ego  baptizor,  bapti- 
zabimini  : 

40.  Sedere  autem  ad  dexteram 
meam,  vel  ad  sinistram,  non  est 
meum  dare  vobis,  sed  quibus  para- 
tum  est. 

41.  Etaudientes  decern  coeperunt 
indis:nari  de  Jacobo  et  Joanne. 


37.  lis  dirent  :  Accordez-nous 
d'etre  assis  Tun  a  votre  droite , 
I'autre  a  votre  gauche,  dans  votre 
gloire. 

38.  Mais  Jesus  leur  dit :  Vous  ne 
savez  ce  que  vous  demandez.  Pou- 
vez-vous  boire  le  calice  que  je  bois, 
ou  etre  baptises  du  bapteme  dont  je 
suis  baptise? 

39.  Et  ils  lui  dirent :  Nous  lepou- 
vons.  Mais  Jesus  leur  dit  :  Vous 
boirez  a  la  verite  le  calice  que  je 
bois,  et  vous  serez  baptises  du  bap- 
teme dont  je  suis  baptise; 

40.  Toutefois,  d'etre  assis  a  ma 
droite  ou  a  ma  gauche,  il  ne  m'ap- 
partient  pas  de  vous  I'accorder  a 
vous,  mais  a  ceux  a  qui  c'est  re- 
serve. 

41.  Et  les  dix  autres,  entendant 
cela,  commencerent  a  s'indigner 
contre  Jacques  et  Jean. 


d'apres  la  redaction  de  S.  Matlhieu,  xix,  28, 
avail  promis  aux  Apolres,  pen  d'instants  au- 
paravant,  qu'ils  siegeraientunjourdansle  ciel 
sur  douze  irones  glorieux.  Ce  ful  sans  doule 
ceUe  image  qui  enflamma  I'ambition  des  fils 
de  Salome,  el  qui  leur  suggera  la  pensee  de 
demander  pour  eux-memes  les  trones  silues 
immedialement  a  gauche  et  a  droite  de  celui 
que  Jesus  occuperail,  c'est-a-dire  les  deux 
premieres  places.  —  In  gloria  tua.  Dans 
S.  Matlhieu,  «  in  regno  luo  ».  Ces  deux  ex- 
pressions designent  I'epoque  a  laquelle  Notre- 
Seigneur,  apres  avoir  triomphe  de  ses  enne- 
mis,jouirail  de  sa  puissance  et  de  sa  gloire, 
selon  lous  les  prejuges  du  Judalsme  de  ces 
temps. 

38.  —  Nescitis  quid  petatis.  «  C'est  comma 
si  Jesus  leur  disait  :  Vous  parlez  d'honneur, 
tandis  que  je  vous  entretiens  de  fatigues  et 
de  combats.  Ce  n'est  pas  maintenanl  le  temps 
des  recompenses,  mais  celui  du  sacrifice,  des 
luttes  et  des  perils.  »  S.  Jean  Chrys.,  Horn. 
Lxvi  in  Matlh.  —  Potestis...  Un  prince  n'eleve 
personne  au  rang  de  premier  ministre  sans 
s'etre  assure  de  ses  dispositions,  sans  exiger 
delui  un  devouement  special,  sans  avoir  mis 
ses  forces  et  son  courage  a  I'epreuve.  De  la 
cette  question  de  Jesus.  —  Bibere  calicem, 
baptismo  baplizari  :  figures  energiques,  pour 
designer  la  Passion  du  Sauveur.  La  seconde 
est  ici  une  particularile  de  S.  Marc.  Elles  appa- 
raissent  du  reste  en  plusieurs  autres  endroits 
dans  les  discours  de  Notre-Seigneur.  Cfr. 


XIV,  36;  Luc.  xii,  50;  Joan,  xvm,  11,  etc. 
Elles  ont  I'une  et  I'autre  |leurs  analogies  dans 
I'Ancien  Testament.  Comparez  Ps.  lvii,  2, 
3,  16;  cxxiii,  4,  pour  la  melaphore  du  bap- 
teme, el,  pour  celle  du  calice,  les  passages 
cites  dans  I'Evang.  selon  S.  Malth.  p.  393.  — 
Quem  ego  bibo,  quo  ego  baptizor.  Le  pronom 
«  ego  »  est  emphalique,  L'emploi  du  temps 
present,  qui  releve  si  bien  la  proximite,  la 
certitude  de  la  Passion,  est  propre  aS.  Marc. 

39.  —  Possumus.  Celle  breve  reponse,  qui 
dut  etre  prononcee  avec  un  accent  energique, 
sorlait  direclement  du  coeur  des  deux  freres. 
La  suite  de  leur  vie  prouve  combien  ils  etaient 
sinceres  en  la  pronongant.  —  Calicem  qui- 
dem...  L'epreuve  qu'ils  se  croienl  capables 
de  soutenir,  ils  la  soutiendront :  ilsgouleront 
I'amerlume  du  calice  de  Jesus,  ils  auronl  part 
a  son  baptSme  de  sang,  en  un  mot,  ils  au- 
ront  beaucoup  a  souffrir  pour  leur  Maitre. 
Cela  leur  est  accorde. 

40.  —  Sedere  auiem...  Quant  au  reste,  le 
Sauveur  les  renvoie  a  son  divin  Pere,  et  a 
ses  decrets  eternels.  —  Le  pronom  vobis  n'a 
pas  d'equivalent  dans  le  lexle  grec.  De  la 
cette  traduction,  qui  est  adoptee  par  plusieurs 
interpretes:  «Non  est  m?um  dare  nisi  quibus 
paralum  est.  »  Sur  le  sens  de  ces  paroles, 
voyez  S.  Matlhieu,  p.  393.  Le  P.  Palrizi, 
in  Marc.  Comment.,  p.  142,  propose  I'inter- 
-version  suivante,  qui  enleve  tout  semblant  de 
difficulte  :  «  Est  meum  dare,  non  vobis,  sed 
quibus  paratum  est  ». 


1S6 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


42.  Mais  Jesus,  les  appelant,  leur 

dit  :   Vous   savez  que  ceux  qu'on 

voit  gouverner  les  nations  les  do- 

minent,  et  que  leurs  princes   ont 

^^  puissance  sur  elles. 

'  43.  II  n*en  est  pas  ainsi  parmi 
vous ;  mais  quiconque  voudra  deve- 
nir  le  plus  grand,  sera  votre  servi- 
teur. 

44.  Et  quiconque  voudra  etre  le 
premier  parmi  vous,  sera  le  servi- 
teur  de  tous. 

45.  Gar  le  Fils  de  I'homme  n'est 
pas  venu  pour  etre  servi,  mais  pour 
servir  et  donner  sa  vie  pour  la  re- 
demption d'un  grand  nombre. 


42.  Jesus  autem  vocans  eos,  ait 
illis  :  Scitis  quia  hi,  qui  videntur 
principari  gentibus ,  dominantur 
eis  :  et  principes  eorum  potestatem 
habent  ipsorum. 

L«c.  22,  25. 

43.  Non  ita  est  autem  in  vobis, 
sed  quicumque  voluerit  fieri  major, 
erit  vester  minister : 

44.  Et  quicumque  voluerit  in  vo- 
bis primus  esse,  erit  omnium  servus. 

45.  Nam  et  Filius  hominis  non  ve- 
nit  ut  ministraretur  ei,  sed  ut  mi- 
nistraret,  et  daret  animam  suam 
redemptionem  pro  multis. 


i^  et  42.  —  Coeperunt  indignari.  S.  Mat- 
ihieu  parail  siipposer  que  Tindignation  des 
disciple?  eclala  completement,  «  indignali 
sunt  » ;  S.  Marc  dit  avec  une  nuance  qu'elle 
commengait  ^eulement  a  se  manifester,  quand 
Jesus  la  reprima  en  reunissant  les  Douze  au- 
tour  de  lui  pour  leur  donner  a  tous  une  grave 
legon.  —  Sciiisquia...  Voyez  I'Evangile  selon 
S.  Mallh.,  p.  394  et  s.  Nous  n'avons  a  noter 
ici  qu'une  expression  speciale  a  notre  Evan- 
geliste,  qui  videntur  principari  gentibus. 
Pourquoice  «  videntur  principari  »  (oi  SoxoOv- 
xecapxet^'^  3u  ''^u  de  «  principantur  »  (oi 
dpxovTE;],  qui  serait  beaucoup  plus  ciair?  De 
nombreux  auteurs  pensent  que  SoxoOvxe;  est 
destine  a  exprimer  quelque  idee  particuliere  ; 
raais  il  est  assez  difficile  de  dire  laqueile.  11 
existe  a  ce  sujet  plusieurs  interpretations  : 
Ceux  qui  s'imaginent  qu'ils  gouvernent  les 
nations;  Ceux  qui  s'arrogent  le  droit  de  gou- 
verner...; Ceux  qui  paraissent  gouverner... 
(par  opposition  au  gouvernement  divin  qui 
est  le  seul  veritable);  Ceux  qui  sent  reconnus 
comme  les  gouvernements  des  nations  (voyez 
Winer,  Grammat.,  p.  540);  Ceux  qui  ont 
i'honneur  de  gouverner...  Les  partisans  de 
cette  derniere  traduction  s'appuient,  entre 
autres  raisons,  sur  I'analogie  qui  existe  entre 
SoxEiv,  les  mots  sanscrits  «  dag  »,  briller, 
«  dagas  »,  gloire,  et  les  mots  latins  a  decet, 
decus,  dignus  »,  etc.  Nous  preferons,  avec 
D.  Calmei  et  d'autres  commentateurs,  regar- 
der  le  verbe  Soxetv  en  cet  endroit  comme  un 
pur  pleonasme,  dont  on  trouve  d'assez  fre- 
quents exemples  soit  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment (voir  en  particulier  ICor.  xi,16;Matth. 
in,  8;  Luc.  xxii,  24),  soit  chez  les  auteurs 
profanes.  Cfr.  Rosenmiiller,  Scholia  in  h.  I. 

43  et  44.  —  Non  ita  est  in  vobis.  «  Est  », 


au  temps  present,  est  emphatique  (les  ma- 
nuscrits  B,  D,  Sinait.  etc.  corroborent  cette 
legon  de  la  Vulgate;  la  Recepta  emploie  le 
futur  effxat).  La  regie  imposee  par  Jesus  en- 
trait  done  immediatement  en  vigueur  pour 
les  Douze,  qui  formaient  un  abrege  del'Eglise 
chrelienne.  —  Apres  cette  proposition  gene- 
rale,  qui  proscrit  dans  le  royaume  messia- 
nique  I'ambition  et  I'abus  du  pouvoir,  le  Sau- 
veur  developpe  sa  ppnsee  au  moyen  de  deux 
propositions  particulieres,  qui  correspondent 
a  celles  du  t.42.11  y  a  suivi  un  parallelisms 
parfait  dans  I'expression.  Remarquez  la  gra- 
aation  ascendante  que  ferment  les  mots  major 
el  primus,  minister  elservus,  vester  et  omnium, 
accouples  deux  a  deux.  «  I  ergo  tn,  s'ecrio 
S. Bernard  meditant  sur  ces  paroles  de  Jesus, 
et  tibi  usurpare  aude  aut  dominans  apos- 
latum,  aut  apostolicus  dominatum.  Plane  ab 
alterutro  prohiberis.  Si  utrumque  habere  vis, 
perdes  utrumque...  Forma  apostolica  haec 
est  :  dominatio  interdicitur,  indicitur  minis- 
tratio  ».  De  considerat.,  lib.  II,  c.  vi,  n.  10 
etil. 

45,  —  Nam  et  Filius  hominis...  «  Ut  dis- 
cipuli  id  facerent  quod  eos  hortatus  erat, 
Chrislus  animos  ipsis  addidit,  de  se  ea  nar- 
rans  unde  exemplum  sumerent.  »  Patrizi.  Le 
Fils  de  I'homme  qui,  par  sa  nature,  etait  si 
eleve  au-dessus  des  autres  hommes,  a  daigne 
se  faire  le  serviteur  de  tous.  Ainsi  done  ses 
disciples  ne  doivent  pas  hesiter  a  I'imiler.  — 
Animam  suam  redemptionem.  L'homme  de- 
chu,  esclave  de  Satan,  «  venumdatus  sub 
peccato  »,  n'avait  rien  pour  se  racheler  : 
Jesus  a  donne  sa  vie  en  guise  de  rangonl 
Telle  est  I'idee  contenue  dans  la  belle  expres- 
sion Wxpov  du  texte  grec. 


d 


CHAPITRE  X 


457 


46.  Et  veniunt  Jericho,  et  profi- 
ciscenle  eo  de  Jericho,  et  discipulis 
ejus,  et  plurima  multitudine,  tilius 
Timaei,  Bartimseus,  ceecus,  sedebat 
juxla  viam  mendicans. 

Matth.  20,  29;  Luc.  18,  25, 

47.  Qui,  cum  audisset  quia  Jesus 
Nazarenus  est,  ceepit  clamare  et  di- 
cere  :  Jesu,  filii  David,  miserere 
mei! 

48.  Et  comminabantur  ei  multi  ut 
taceret.  At  ille  multo  magis  clama- 
bat  :  Fili  David,  miserere  mei ! 

49.  Et  stans  Jesus  prsecepit  ilium 
vocari.  Et  vocant  caecum,  dicentes 


46.  lis  vinrent  ensuite  a  Jericho, 
et,  lorsqu'il  partit  de  Jericho  avec 
ses  disciples  et  une  grande  multi- 
tude, le  fils  de  Timee,  Bartimee 
I'aveugle,  etait  assis  sur  le  bord  du 
chemin,  mendiant. 

47.  Ayant  entendu  que  c'etait 
Jesus  de  Nazareth,  il  se  mit  a  crier 
et  a  dire  :  Jesus  fils  de  David,  ayez 
pitie  de  moi. 

48.  Et  plusieurs  le  menacaient 
pourqu'il  se  ttit;  mais  il  criait  beau- 
coup  plus  fort :  Jesus,  fils  de  David, 
ayez  pitie  de  moi. 

49.  Et  Jesus,  s'arretant,  ordonna 
qu'on  Tappelat.  Et  on  appela  I'a- 


5.  —  L'aveugle  de  J6rIcho.  x,  46-52.  —  Parall. 
Matth.  XX,  29-34;  Luc.  xviii,  35-43. 

46.  —  Veniunt  Jericho.  Quittant  la  Peree, 
Jesus  et  les  siens  franchireni  le  Jourdain,  puis 
la  plaine  alors  si  fertile  de  Jericho  :  apres 
quelques  heures  de  marche,  lis  arrivaient 
dans  la  ville  du  meme  nom.  Voyez  le  Bibel- 
Allas  de  R.  Riess.  pi.  IV;  i'Atlas  de  geogra- 
phie  biblique  de  M.  Ancessi,  pi.  XVI.  C'etait 
i'avant-derniere  station  de  leur  voyage.  Je- 
richo etait  a  cette  epoque,  soil  pour  la  ri- 
chesse,  soit  pour  la  population,  la  seconde 
ville  de  Palestine.  —  Proficiscente  eo...  De 
meme  S.  Matthieii;  au  contraire,  d'apres 
S.  Luc,  «  quum  appropinquaret  Jericho  ». 
Cest  une  premiere  contradiction  apparente. 
Une  seconde  divergence  consiste  en  ce  que 
S.  Matthieu  mentionne  expressement  deux 
aveugles,  landis  que  S.  Marc,  conforme  cette 
fois  a  S.  Luc,  n'en  signale  qu'un  seul.  Voir  la 
solution  de  ces  difficultes  dans  I'Evang.  selon 
S.  Matth.,  p.  397.  —  Et  plurima  multitudine. 
Le  triomphede  Jesus  commence  dessa  sortie 
de  Jericho;  mais  c'est  a  Jerusalem  qu'aura 
lieu  I'ovation  principale.  —  Filius  Timcei 
Bartimceus.  Seul,  notre  Evangeliste  a  con- 
serve le  nom  de  cet  aveugle;  peut-etre,  ainsi 
qu'on  I'a  conjecture,  parce  que  Bartimee  eut 
plus  tard  des  relations  avec  la  chretienle  ro- 
maine,  pour  laquelle  etait  ecrit  le  second 
Evangile.  «  Filius  Timaei  »  est  la  traduction 
de  «  Bartimaeus  »,  et  Bartimee  est  un  de  cos 
noms  patronymiques,  alors  tres  frequents 
chez  les  Juifs,  dont  le  Nouveau  Testament 
contient  plus  d'un  exemple  :  Barjona,  Bar- 
thelemi,  Barnabe.  Son  orlhographe  hebrai'que 
etait  ^XCTD""!!  (ou,  d'apres  la  version  sy- 
riaquo,  ''a'''a~"!2),  Bar-Tima'i.  II  se  compose 
d'un  mot  arameen.  Bar,  qui  signifie  fils,  et 
d'un  nom  grec,  Tt[j.aio;,  que  Platon  a  rendu 


celebre  :  c'est  la  une  combinaison  assez 
etrange. —  Juxta  viam  mendicans.  npocratxaiv 
est  bien  traduit  par  «  mendicans  ».  La  pre- 
position upo;,  ajouieeau  verbe  ak£w,designe 
I'habilude  de  demander  («  in  petendo  ver- 
sor  »),  par  consequent  la  raendicite.  A  I'ap- 
proche  de  la  Paque  juive,  les  chemins  qui 
conduisaient  a  Jerusalem  etaient  converts 
d'indigents  qui  demandaient  I'aumone  aux 
pelerins. 

47.  —  Fili  David.  Nous  avons  vu  en 
maint  endroit  que  telle  etait  la  denomination 
habituelle  et  populaire  du  Messie.  Bartimee 
croyait  done  depuis  quelque  temps  deja  que 
Jesus  etait  le  Christ.  Sa  loi  sera  bientot  re- 
compenses —  Miserere  mei.  Ce  «  Kyrie  elei- 
son  »  du  pauvre  aveugle  de  Jericho  etait  un 
nouvel  hommage  adresse  a  Nolre-Seigneur, 
auquel  il  reconnaissait  le  pouvoir  d'accom- 
plir  des  miracles.  C'est  d'ailleurs,  dans  les 
ecrils  inspires  (Cfr.  les  Psaumes,  passim  ;  Job, 
XIX,  821  ;  Is.  XXXIII,  2 ;  Eccli.  xxxvi,  1,14; 
Tob.  VIII,  10;  Judith,  vii,  20)  comme  chez 
les  auteurs  profanes  (Cfr.  Hom.  Od.  v,  44 
et  ss. ;  Virg.  Mn.  xii,  930  et  ss.,  etc.),  le  cri 
bien  nalurel  de  tous  les  malheureux. 

48-50.  —  Les  synopliques  ont  tous  fort 
bien  decrit  le  petit  drame  auquel  donna  lieu 
ce  miracle  de  Jesus.  Apres  les  scenes  des 
tf.  46  et  47,  en  voici  de  nouvelles,  entre 
lesquelles  il  existe  un  contraste  frappant  : 
la  conduite  do  la  foule,  d'abord  si  peu  com- 
patissante,  comminabantur  ei... ;  la  conduite 
de  l'aveugle,  ille  multo  magis  clamahat  :  il 
ne  se  laisse  pas  intimider;  la  conduite  de 
Jesus,  Stans...  pro'cepit  ilium  vocari  :  c'est 
toujours  le  «  bon  Maitre  »,  qu'on  n'implore 
jamais  en  vain.  —  Tous  les  details  qui  sui- 
vcnt,  jusqu'a  la  fin  dut.  50,  apparti  nnont 
en  propre  a  S.  Marc.  Ce  ne  sont  pas  les  moins 


458 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


veugle  en  lui  disant :  Aie  bon  cou- 
rage !  leve-toi,  il  t'appelle. 

bO.  II  rejeta  son  manteau,  s'e- 
lanca  et  vint  a  Jesus. 

51 .  Et  Jesus  lui  demanda  :  Que 
veux-tu  que  je  te  fasse?  Mais  I'a- 
veuglelui  dit :  Maitre.  que  je  voie! 

52.  Et  Jesus  lui  dit  :  Va,  ta  foi  t'a 
gueri.  Et  aussitdt  il  vit,  et  il  le  sui- 
vait  dans  le  chemin. 


ei  :  Animaequior  esto;  surge,  vo- 
cat  te. 

50.  Qui,  projecto  vestimento  sue, 
exiliens,  venit  ad  eum. 

51 .  Et  respondens  Jesus  dixit  illi : 
Qui  tibi  vis  faciam?  Gsecus  autem 
dixit  ei  :  Rabboni,  ut  videam. 

52.  Jesus  autem  ail  illi  :  Vade, 
fides  tua  te  salvum  fecit.  Et  confes- 
tim  vidit,  et  sequebatur  eum  in  via. 


CHAPITRE  XI 


Entree  triomphale  de  Jesus  a  Jerusalem  [ft.  4-11).  —  Le  figuier  maudit  [tt.  12-14).  — 
Expulsion  des  vendeurs  [tt.  15-19).  —  La  puissance  irresistible  de  la  foi  [ft.  20-26).  — 
Jesus  refuse  de  faire  connaitre  aux  Sanhedrisles  la  source  de  ses  pouvoirs  (tt.  27-33). 


1 .  Et  comme  ils  approchaient  de 
Jerusalem  et  de  Bethanie,  pres  du 


1 .  Et  cum  appropinquarent  Jero- 
solymse  et   Bethaniae   ad   montem 


int.eressants.  Le  premier,  vacant  ccecum  di- 
centes...,  est  d'une  grande  verite  psycholo- 
gique.  Quand  la  foule  s'apergut  que  Jesus 
temoignait  un  commi'ncpmi^nl  de  bienveil- 
lance  pour  Bartimec,  elle  se  mit  aiissilot, 
«  regis  ad  exemplar  »,a  manifester  une  sym- 
pathie  qu'elle  eiait  bien  loin  d'eprouver 
quelqLies  instants  auparavant.  Ceux  qui  re- 
butaient  rudement  I'aveugle,  le  pressent 
maintenant  d'accourir  iQapazi  («  confide  », 
animcequior  esto],  i^eipz,  tftavii  cs !  Remarquez 
la  rapidite  du  langage.  < —  Les  traits  i?uivants 
sont  d'un  pittoresque  acheve.  Projecto  vesti- 
mento. L'infirme  ne  se  fait  pas  appeler  deux 
fois;  mais,  son  large  manteau  oriental  genant 
ses  mouvements,  il  commence  par  le  jeter 
loin  de  lui  (Cfr.  Hom.  Iliad,  ii,^  183) ;  puis  il 
se  precipile  tout  joyeux  du  cote  de  Jesus  : 
exiliens.  La  Vulgate  a  suivi  la  legon  des  ma- 
nuscrits  B,  L,  D,  A,  Sinait.,  avaityiSi^ffa?.  Le 
texte  imprime  porte  avadtdi;. 

51.  —  Quid  tibi  vis  faciam?  Question  bien 
gurprenante  en  apparence.  «  Numquid  qui 
himen  reddere  poterat,  quid  vellet  caecus 
;igriorabat?  Ad  hoc  ergo  requirit,  ut  petalur; 
yd  hoc  requirit,  ut  cor  ad  orationem  excite- 
lur.  »  V.  Bede.  —  Rabboni.  Tandis  que  les 
deux  autres  Evangelistes  traduisent  ce  titre 
par  Kupte  (Domine],  S.Marc  le  cite  en  hebreu, 
lei  qu'il  fut  prononce.  Cfr.  Joan,  xx,  16. 
«  Rabboni  »  est  un  augmentatif  de  Rabbi. 
Voyez  I'Evangile  selon  S.  Matthieu,  p.  440. 


52.  —  Jesus  autem  ait...  S.  Matthieu,  sans 
mentionner  les  paroles  du  Sauveur,  raconte 
que  la  gueiison  fut  operee  par  I'imposition 
de  ses  mains  divines.  —  Confestim  vidit.  Avpc 
quel  amour  et  quelle  reconnaissance  le  mira- 
cule  ne  diit-il  pas  diriger  son  premier  regard 
sur  Jesus!  Mais  il  fit  plus  encore;  s'associant 
a  la  foule  qui  entourait  Notre-Seigneur,  il 
suivit  son  bienfaiteur  jusqu'a  Jerusalem. 
L'Evangile  de  Nicodeme,  ch.  vi,  nous  Ih 
montre  quelques  jours  plus  tard,  pronant  cou- 
rageusement  la  defense  de  Jesus  au  pretoire. 
«  Et  un  autre  Juif  s'avanga  et  dit  :  J'etais 
aveugle  de  naissance;  j'enlendais  parler  etje 
ne  voyais  personne.  Et  Jesus  ayaiit  passe,  je 
m'adressai  a  lui  en  ciiant  a  haute  voix  :  Fils 
de  David,  prends  pitie  de  moil  Et  il  eut  pitie 
de  moi,  et  il  posa  sa  main  sur  mes  yeux,  et 
aussilot  je  recouvrai  la  vue.  »  Brunei.  Les 
Evangiles  apocryphes,  2^  ed.  p.  240. 

DEUXifeME   PARTIE 

LES  DERNIERS  JOURS  ET  LA  PASSION  DE  JESUS. 
XI-XV. 

I.  —  Entr6e  triomphale  de  J6sus  i 
Jerusalem,  xi,  1-11 .  —  Parall.  Malth. 
XXI,  1-11;  Luc.  xix,  29-44;  Joan,  xii, 
12-19. 

Triomphe  d'autant  plus  interessant  a  tHu- 
dier  qu'il  est  unique  dans  la  vie  de  Notre- 
Seigneur.  Sur  son  caractero  special,  voyez 


CHAPITRE    XI 


159 


Olivarum,  mittit  duos  ex  discipulis 
suis, 

Mauh.  21,1;  Luc.  19,29. 

2.  Et  ait  illis  :  Ite  in  castellum, 
quod  contra  vos  est,  et  statim  in- 
troeuntes  illuc,  invenietis  pullum 
ligatum,  super  quem  nemo  adhuc 
hominum  sedit;  solvite  ilium,  et 
adducite. 

3.  Et  si  quis  vobis  dixerit  :  Quid 


mont  des  Oliviers,  il  envoya  deux 
de  ses  disciples, 

2.  Et  il  leur  dit :  Allez  a  ce  village] 
qui  est  devant  vous  et^  des  que  vousj 
y  serezentres,  vous  trouverez  lie  un 
anon  sur  lequel  aucun  homme  ne 
s'est  encore  assis.  Deliez-le  et  ame- 
nez-le. 

3.  Et,  si  quelqu'un  vous  dit  :  Que 


I'Evangile  selon  S.  Matthieu,  p.  398.  Theo- 
phylacle  en  determine  fort  bien  le  but  :  «  Ut 
(Judaei),  si  velint,  valeant  gloriam  ejus  (Jesu) 
agnoscere,  et  per  prophetias  de  eo  comple- 
tes scirent  quod  est  verus  Deus;  si  vero  no- 
luerint,  majus  Geret  eis  judicium,  quia  tot 
Claris  miraculis  non  crediderunt.  »  —  Le  recit 
do  S.  Marc  est  de  nouveau  remarquable  en 
cet  endroit  par  sa  vie  et  sa  fraicheur. 

1 .  —  Quum  appropinquarent ;  dans  le  grec, 
eYTiilouatv  au  present.  Notre  Evangeliste,  de 
memo  que  S.  Matthieu,  abandonne  ici  I'ordre 
reel  dos  laits.  pour  suivre  I'ordre  logique  :  il 
place,  lui  aussi,  I'entree  solennelle  de  Jesus  a 
Jerusalem  immerliatement  apres  le  depart  de 
Jericho,  qui  avail  ele  deja,  nous  I'avons  vu, 
uneraarche  triomphale.  Cfr.  x,  46.  S.  Jean 
nous  dira  clairement,  xii,  1-19,  qu'avant  de 
penetrer  dans  la  capitale  juive,  ie  Sauveur 
s'arreta  pendant  an  moins  une  nuit,  proba- 
blement  mSnie  pendant  un  jour  et  deux  nuits, 
chez  sps  amis  de  Bethanie,  Lazare,  Marthe 
et  Marie.  C'est  do  leur  maison  hospitaliere 
que  nousle  voyons  en  ce  moment  sorlir  pour 
son  Iriomphe.  —  Jerosolymce  et  Bethanice.  Ce 
n'est  pas  sans  surprise  qu'on  lit  ici  le  nomde 
Jerusalem  avant  celui  do  Bethanie;  car,  le 
voyageur  qui  va  de  Jericho  a  la  ville  sainle 
rencontre  necessairement  Bethanie  sur  sa 
roule  avant  d'arriver  au  terme  de  son  voyage. 
II  faudrait  done,  d'apres  la  topographic, 
«  Bethaniee  et  Jerosolymae  ».  S.  Marc  se  se- 
rail-il  rendu  coupable  d'une  crreur  geogra- 
.  phique?  Pas  le  moins  du  monde.  Mais,  sui- 
vant  de  nouveau  I'ordre  des  idees,  il  signale 
d'abord,  comme  point  principal,  le  but  vers 
lequel  se  dirigeait  Notre-Scigneur;  ensuite, 
il  mentionne  la  station  intermediaire,  pres  de 
laquelle  se  firent  les  premiers  preparalifs  du 
triomphe.  Le  texte  grec  cite  irois  localites 
au  lieu  de  deux  :  eU  'l£poyoa),fi[i,  el;  Brfi^ayv) 
xat  B-/i9avi'av.  Cette  IcQon,  qui  est  vraisem- 
blement  aulhenlique,  justifie  ce  que  nous  ve- 
nons  de  dire  :  elle  nous  montre  Jerusalem 
nettement  designe  comme  le  but  final  du 
voyage  de  Jesus;  puis  ellc  determine,  en  ci- 
vant  ''^t  noms  de  Bethphage  et  do  Bethanie, 
I'endsNJt  precis  oil  coramenQa  rovalion.  Ces 


deux  villages  etaient  situes  a  peu  de  distance 
I'un  de  I'autre,  et  seulemenl  a  une  demi- 
heure  de  Jerusalem,  du  cote  de  I'Orient. 
Vovez  I'Atlas  geogr.  de  M.  Ancessi, pl. XVIII ; 
le  Bibel-Atlas  de  R.  Riess,  pl.  IV. 

2.  —  Castellum  quod  contra  vos  est,  xriv 
y.w[jL-/iv  T-?iv  xaTEvavTt  ujiiov.  D'apres  le  recit  de 
S.  Matthieu,  ce  hameau,  qui  se  dressait  en 
face  de  Jesus  et  de  ses  deux  envoyes,  ne  dif- 
ferait  vraisemblablement  pas  de  Bethphage. 
—  Invenietis  pullum  ligatum.  Le  premier 
Synoptique  faisait  dire  a  Jesus  :  «  Invenietis 
asinam  alligatam  et  pullum  cum  ea  »  : 
S.  3Iarc,  S.  Luc  et  S.  Jean  parlent  seulement 
de  I'anon.  Oil  se  trouve  la  verite?  des  deux 
cotes  a  la  fois.  En  effet,  ditS.  Augustin,  «  ubi 
utrumque  factum  potest  intelligi,  nulla  re- 
pugnantia  est ;  nee  si  alius  unum,  alius  alium 
commemoraret ;  quanto  minus  moveri  opor- 
let,  si  alius  unum,  alius  utrumque  comme- 
morat?  » De  Cons.  Evang.l.  II,  c.  Lxvi.Nean- 
moins,  la  relation  de  S.  Matthieu,  etant  la 
plus  complete,  est  par  la  memo  la  plus  exacte. 
Dans  les  Irois  autres  Evangiles,  il  n'est  pas 
question  de  I'anesse,  parce  que  ce  ne  fut  pas 
elle,  mais  I'^non,  qui  servit  de  monluie  a 
Jesus  :  S.  Matthieu  la  mentionne,  en  partie 
parce  que  Notre-Seigneur  avait  commande 
qu'on  I'amendt,  en  partie  afin  de  rendre  plus 
evidente  la  realisation  de  la  prophetic  de 
Zacharie,  qu'il  cite  un  peu  plusbas. —  Supet- 
qiiem  nemo...  S.  Luc  note  aussi  ce  detail,  qui 
avait  bien  son  importance;  car,  soit  chez  les 
Juifs,  Cfr.  Num.  xix,  2  ;  Deut.  xxi,  3  ;  I  Reg. 
VI,  7,  soit  chez  les  palens  (voyez  Ovide,  Me- 
tam.  Ill,  12)  on  employait  de  preference  a 
des  usages  sacres  les  animaux  qui  n'avaient 
encore  rendu  aucun  service  profane.  II  con- 
venait  que  la  pacifique  monlure  du  Christ,  au 
jour  de  son  triomphe,  n'eut  jamais  porle 
d'autre  cavalier.  —  Adducite  mihi.  La  Re- 
cepta  dit  pareillement  aYaysTE.  Mais  d'impor- 
tants  manuscrits  (B,  C,  L,  A,  Sinait.)  portent 
(fipsxt,  et  telle  nous  semble  avoir  ete  la  legon 
originale.  S.  Marc  use  volontiers  du  verbe 
9£pw  dans  le  sens  de  conduire,  amener.  Cfr. 
I,  32;  VII,  32:  VIII,  22;  ix,  17,  etc. 

3.  —  Quid  facitis?  De  meme  S.  Luc 


4  60 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


faites-vous?  dites  que  le  Seigneur 
en  a  besoin,  et  aussitot  il  le  laissera 
amener  ici. 

4.  Et,  s'en  etant  alles,  ils  trou- 
verent  Tanon  lie  dehors  devant  la 
porte  entre  deux  chemins  et  ils  le 
delierent. 

0.  Et  quelques-uns  de  ceux  qui 
etaient  la  leur  dirent :  Que  faites- 
vous  en  deliant  cet  anon  ? 

6.  lis  leur  repondirent  comme 
Jesus  le  leur  avait  present,  et  on  le 
leur  laissa. 

7.  Et  ils  amenerent  a  Jesus  I'd- 
non  sur  lequel  ils  mirent  leurs  ve- 
tements.  etil  s'assit  dessus. 


facitis?  dicite,  quia  Domino  necessa- 
rius  est :  et  continue  ilium  dimittet 
hue. 

4.  Etabeuntes  invenerunt  pullum 
ligatum  ante  januam  foris  in  bivio  : 
et  solvunt  eum. 

b.  Et  quidam  de  illic  stantibus  di- 
cebant  illis  :  Quid  facitis  solventes 
pullum? 

6.  Qui  dixerunt  eis  sicut  preecepe- 
rat  illis  Jesus,  et  dimiserunt  eis. 

7.  Et  duxerunt  pullum  ad  Jesum; 
et  imponunt  illi  vestimenta  sua,  et 
sedit  super  eum. 

Joan.  13, 14. 


«  Quare  solvitis  ?  »  Ce  langage  direct  est 
beaucoup  plus  vivant  que  le  a  Si  quis  vobis 
aliquid  dixeril  »  de  S.  Matthieu.  —  Domino 
necessarius  est.  En  tant  que  Messie,  Jesus  etait 
le  souverain  Seisneur  et  Maitre  de  toutes 
choses  :  il  jouissait  du  droit  de  requisition, 
dont  il  u?ait  ici  pour  la  premiere  fois.  —  Et 
continiio  ilium  dimittet.  Par  ces  mols,  le  Sau- 
veur  predil  qu'au  seul  nom  de  «  Dominus  » 
(6  -/.yp-.o;  avec  I'arlicle)  le  proprietaire  de  Tani- 
mal  se  pretera  aussitot  au  dessein  des  Apo- 
tres.  Quelques  auteurs,  deroutes  par  Tad- 
verbe  sOOsw;,  donnent  a  tori  une  autre  signi- 
fication a  ce  passage.  Suivant  eux,  les  mots 
«  et  continue...  »  ne  contiendraient  pas  une 
prediction  de  Jesus,  mais  la  suite  de  la  com- 
munication qu'i!  cliargeait  ses  envoyes  d'a- 
dresser  au  maitre  suppose  recalcitrant  de  I'a- 
non :«  Ditesque  le  Seigneur  en  a  besoin,  et  qu'il 
le  renverra  bientot  la-bas.  »  Cette  interpreta- 
tion nous  paiait  manquer  de  grandeur,  sur- 
lout  dans  la  circonstance  ou  se  trouvail  Je- 
sus. —  M.  E.  Reuss,  bien  que  rationaliste  a 
ses  heures,  fait  ici  une  remarque  tres-juste, 
qu'on  nous  permeltra  de  citer  :  «  Le  recitde 
la  mission  des  deux  disciples  doit  faire  sur 
le  lecteur  I'impression  d'un  double  miracle, 
d'apres  I'intenlion  meme  des  narrateurs.  Jesus 
salt,  sans  I'avoir  vu,  qu'un  ane  se  trouve 
attache  a  une  porte,  a  I'entree  meme  du  vil- 
lage ;  il  voit  que  cet  ane  n'a  jamais  encore 
servi  de  monture  a  qui  que  ce  soit ;  il  predit, 
non-seulemt-nt  que  le  proprietaire  trouvera  a 
redire  a  ce  qu'on  le  detache,  co  qui  etait  bien 
naturel,  mais  que  cette  seule  parole  :  Le  Sei- 
gneur en  a  besoin,  sufflra  pour  lever  toute 
difficulte.  Si  Ton  voulait  dire  que  Jesus  avait 
pris  d'avance  ses  mesures,  et  retenu  I'ane  de 
concert  avec  le  proprietaire,  cela  reviendrait 


a  I'accuser  d'avoir  joue  la  comedie  devant 
ses  disciples,  qui  auraientsans  doute  raconte 
le  fait  dans  des  termes  tres-differents  s'ils 
avaient  eu  connaissance  d'un  parei!  arrange- 
ment prealable.  Mais  ils  nous  le  represenlent 
comme  voyant  a  distance  et  comme  exergant 
une  influence  surnaturelle  sur  la  volonted'au- 
trui.  «  Histoire  evangelique,  p.  549.  Yoyez 
dans  Stanley,  Sinai  and  Palestine,  20  ed., 
p.  190.  une  curieuse  legende  musulmane  tou- 
chant  i'anon  qui  servi t  au  triomphe  de  Jesus. 

4-5.  —  Description  tres-detaillee  et  tres- 
precise.  qui  nous  permet  de  suivre  dans  leur 
mission  les  deux  ambassadeurs  de  Jesus,  et 
d'assister  a  I'accomplissement  integral  des 
predictions  que  nous  venons  d'entendre.  Les 
traits  si  minutieux  et  si  pittoresques  du  t.  4, 
ligatum  ante  januam  [oris  in  bivio,  appar- 
tiennent  en  propre  a  S.  Marc,  d'oii  Ton  a 
parfois  conclu  que  S.  Pierre,  la  source  ordi- 
naire de  notre  Evangeliste.  etait  I'un  des  en- 
voyes. On  discute  sur  le  sens  du  mot  grec 
aii;o5oc,  qui  peut  designer  tout  aussi  bien 
r  «  ambitus  »  des  Latins,  c'est-a-dire  un  clie- 
min  de  ronde  qui  tourne  autour  d'une  mai- 
pon,  d'une  propriete,  que  le  «  bivium  »,  ou 
croisee  de  plusieurs  chemins.  L'article  {iizl 
Tou  dcixipcoo'j)  parait  favoriser  la  premiere  in- 
terpretation. —  Quidam  de  illis  stantibus. 
Autre  trait  propre  a  S.  Marc.  De  meme,  au 
t.  6.  dimiserunt  eis  (scil.  pullum);  la  leQon 
du  texte  grec  differe  legerement,  xal  aorjxav 
a-j-o-jz,  «  et  dimiserunt  eos  »,  ils  laisserent 
aller  les  deux  Apotres  avec  I'anon .  Ces 
hommes  aussi,  qu'ils  fussent  ou  ne  fussent 
pas  les  disciples  de  Jesus,  le  regardaient  done 
comme  un  roi  puissant,  qui  avait  le  droit  de 
tout  commander,  de  tout  exiger. 

7.  —  Et  duxerunt.  Ici,  comme  au  t.  2, 


CHAPITRE    XI 


16t 


8.  Multi  autem  vestimenta  sua 
straverunt  in  via  :  alii  autem  fron- 
des  csedebant  de  arboribiis,  et  ster- 
nebant  in  via. 

9.  Et  qui  pra3ibant,  et  qui  seque- 
bantur,  clamabant,  dicentes  :  Ho- 
sanna  : 

Psal.  117,  26;  Matth.  21,  9;  Luc.  19,  38. 

10.  Benedictus  qui  venit  in  no- 
mine Domini :  benedictum  quod  ve- 
nit regnum  patris  nostri  David  : 
Hosanna  in  excelsis. 

11.  Et  introivit  Jerosolymam  in 
templum  :  et  circumspectis  omni- 


8.  Et  plusieurs  etendirent  leurs 
vetements  sur  le  chemin,  et  d'autres 
coupaient  des  branches  d'arbres  et 
les  jetaientsur  le  chemin. 

9.  Et  ceux  qui  marchaient  devant 
et  ceux  qui  suivaient  disaient  : 
Hosanna ! 

lO.Beni  soit  celui  qui  vient  au 
nom  du  Seigneur!  benisoitleregne 
de  notre  pere  David  qui  arrive !  Ho- 
sanna au  plus  haut  des  cieux! 

11.  Et  il  entra  a  Jerusalem  dans 
le  temple,  et,  apres  avoir  regards 


nous  abandonnon>  la  Recepta  (T^yayov),  pour 
adopter  la  legon  (fepouoi  de  plusieurs  manus- 
crits  anciens.  —  Imponimt  ilU  vestimenta  sua. 
C'etail  une  housse  improvisee.  Les  amples 
manleaux  a  couleur  eclatanle  que  les  Orien- 
taux  portent  ordinairement  par-dessus  leur 
tunique  convenaient  parfailement  pour  ce 
dessein. 

8. —  Multi  autem  vestimenta...  L'exemple 
des  deux  disciples  est  blenlot  imlte  par  la 
foule.  De  meme  que  les  disciples,  par  honneur 
pour  Jesus,  s'etaient  servi  de  leurs  vetements 
pour  orner  la  monture  de  son  triomphe,  de 
meme  la  foule  emploie  les  siens  pour  tapisser 
le  chemin  par  lequel  il  devail  passer.  Ainsi 
avaient  fail  anterieurementt  les  Juifs  de  Suze 
pourIecelebreMardochee,Targ.  Esth.  VIII,  15; 
ainsi  avaient  fait  les  soldats  persans  pour 
Xerxes  au  moment  ou  ce  prince  allait  iran- 
chir  I'Hellespont.  Herod,  vii,  34.  Voyez 
d'autres  traits  analogues  dans  I'explication 
du  premier  Evangile,  p.  402.  —  AUi  autem 
frondes  ccedebant.  II  est  a  remarquer  qu'au 
lieu  du  mot  x),aoot,  employe  dans  le  passage 
parallelc  de  S.  x^latlhieu,  xxi,  8,  nous  trou- 
vons  ici  une  expression  speciale,  cToiSaSe?, 
qui  ne  designe  pas  smiplement  des  branches, 
mais  les  parties  les  plus  feuillues  et  les  plus 
tendres  des  rameaux,  par  consequent  les 
parlies  les  plus  en  rapport  avec  la  destina- 
tion qu'on  avait  en  vue.  Hesychius  en  donne 
la  definition  suivante  :  axiSoLC,  (ou  aToiSd?)  a.iz6 
pa^otov  7]  x^wpwv  '//j^'zoiv  (jTpwci;  v.ai  ip'JXXcov. 
Voyez  Grimm,  Lexic.  N.  T.  s.  v.  axoi6xc,.  — 
De  arboribus.  Quelques  manuscrits  portent 
ex  Twv  aypwv,  «  de  agris  » ;  de  meme  les  ver- 
sions copte  et  syriaque.  Les  champs  qui  en- 
vironnaient  Jerusalem  etaient  remplis  d'oli- 
viers,  de  palmiers,  de  dattiers  et  aulrcs  arbres 
semblabies.  C'est  done  au  fond  la  meme  idee. 
—  «  Mullitudo,  donee  corrupta  non  fuit, 
cognovit  quod  congruum  erat  :  propter  quod 

S.  Bible.  S. 


honoravit  Jesum  unusquisque  secundum  pro- 
priam  virtutem.  »  S.  Jerome,  in  Matth.  xxi. 

9.  —  Qui  prceibant  et  qui  sequebantur.  Le 
cortege  entoure  Jesus  de  toules  parts.  Comme 
un  triomphaleur,  le  divin  Maitre  s'avance  au 
milieu  de  cette  procession  glorieuse,  —  Cla- 
mabant, Hosanna.  Sur  ce  mot  hebreu,  voyez 
I'Evangile  selon  S.  Mallhieu,  p.  403.  Contre 
sa  coutume,  S.  Marc  n'i'n  donne  pas  la  tra- 
duction ;  mais  les  Chretiens  de  Rome  en  de- 
vaient  connaitre  la  signification,  car  Hosanna, 
de  meme  que  les  expressions  analogues  Amen, 
Alleluia,  s'eiait  inlioduil  de  bonne  heure  dans 
la  lilurgie  de  I'Eglise  du  Christ. 

10.  —  Benedictus  qui  venit...  Souhait 
d'heureuse  t)ienvenue,  adresse  a  Jesus  au 
moyen  de  paroles  inspirees.  Cfr.  Ps.  cxvii,  26. 
—  A  ce  souhait  qui  concernait  la  personne 
du  Messie,  S.  Marc  en  ajoute  un  autre,  qu'on 
trouve  seulement  dans  sa  redaction,  et  qui 
etait  relatif  au  royaume  du  Christ  :  Benedi- 
ctum quod  venit  regnum...!  La  maniere  dont 
le  peuple  caracterisait  ce  royaume  est  signi- 
ficative. Patris  nostri  David  :  c'etait  1© 
royaume  de  David  continue,  restaure,  trans- 
figure par  le  plus  illuslre  de  ses  descendants. 
Voila  le  pendant  de  la  parole  de  I'Ange  :  «  Da- 
bit  illi  Dominus  sedem  David  patris  ejus,  et 
regnabit  in  domo  Jacob  in  aelernum.  »  Luc. 
I,  32.  Voila  Jesus  ouvert'^ment  acclame  par 
la  multitude  comme  le  Roi-Mi'ssie!  —  Hosan- 
na in  excelsis.  Gloire  a  Dieu  qui  irone  au 
plus  haut  des  cieux!  Du  Messie,  la  foule 
remonte  a  celui  qui  I'envoie,  pour  le  remer- 
cierde  ce  que  les  temps  si  ardemment  desires 
sont  enfin  accomplis. 

11.  —  Et  introivit  Jerosolymam.  S.  Marc  [ 
ne  dit  rien  d'une  scene  touchante  que  nous  j 
trouverons  dans  S.  Luc,  xix,  41-44;  il  ne  dit  K 
rien  non  plusde  I'emoi  que  I'entree  solennelle 
de    Jesus    suscita    dans    Jerusalem.   Matth. 
XXI,  40  et  11.  II  prefere,  et  ce  trait  a  udo 

Mauc.  — 11 


462 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


toutes  Glioses,  comme  c'etait  deja 
riieure  du  soir,  il  s'en  alia  a  Betlia- 
nie  avec  les  Douze. 

12.  Et  lo  lendemain ,  lorsqu'ils 
sortaientde  Betlianie,  il  eutfaim. 

13.  Et  Yoyant  de  loin  un  figuier 
qui  avait  des  feuilles,  il  alia  voir  s'il 
y  trouverait  quelque  chose  et,  s'en 


bus,  cum  jam  vespera  esset  hora, 
exiit  in  Bethaniam  cum  duodecim. 

Matth.  21,  10. 

12.  Et  alia  die,  cum  exirent  a  Be- 
thania,  esuriit. 

1 3.  Gumque  vidisset  a  longe  ficum 
habentem  folia,  venit  si  quid  forte 
inveniret  in  ea.  Et  cum  venisset  ad 


signification  profondo,  coiiduire  immediate- 
ment  la  procession  iriomphale  a  son  terme, 
t/i  templum.  C'esl  done  droit  au  temple  que 
Jesus  se  fit  escorter  par  le  peuple.  On  ne  le 
mene  pas  sur  une  place  pubiique  comme  un 
trihun  vulgaire,  ni  a  un  palais  comme  un  roi 
ordinaire;  on  le  mene  au  temple  de  Jehova. 
C'est  la  en  effet  sa  re>idence  en  tant  que 
Messie.  Comme  ce  detail  nous  fait  bien  voir  la 
nature  toule  religieuse  de  I'ovation  qu'on 
venait  de  lui  decerner!  S.  Marc  nous  I'a  seul 
conserve.  —  CivcumspeLtis  omnibus.  Autre 
trait  caracterislique  et  special.  On  en  a  par- 
fois  mecompris  la  portee,  par  exemple  le 
Yen.  Bede,  qui  suppose  que  le  Sauveur,  en 
jelant  ainsi  les  yeux  di^  tous  cotes,  voulait 
voir  «  si  quis  eum  hospilio  susciperet!  »  Non, 
le  veritable  sens  est  a  la  fois  et  plus  simple  et 
plus  noble.  Ce  regard  provient  de  I'oeil  du 
Maitre!  Arrive  a  son  palais  messianique, 
Jesus  inspecte  toutes  choses  a  la  fagon  d'un 
roi :  il  contemple  les  desordres  qu'il  reviendra 
chalier  le  lendemain.  —  Cum  jam  vespera 
esset...  La  marche  triomphale  et  I'inspection 
du  Sauveur  avaient  rempli  une  grande  partie 
de  la  journee.  —  Exiit  in  Bethaniam.  Pour- 
quoi  Jesus  ne  pa?sa-t-il  point  la  nuit  a  Jeru- 
salem, au  milieu  de  ce  bon  peuple?  On  le 
conQoit  sans  peine.  II  n'avait  pas  que  des 
amis  dans  la  capilale  juive  ;  il  y  avait  aussi 
des  ennerais  nombreux,  puissauts,  acharnes 
a  sa  perte.  Le  sejour  de  la  ville  sainte  n'eut 
done  pas  ete  sur  pour  lui.  C'est  pourquoi  nous 
le  verrons  chaque  soir  chercher  un  refuge  a 
Bethanie,  jusqu'a  la  nuit  du  Jeudi  saint. 

II.  —  Le  Juge  messianique. 
X,  12-xiii,  37. 

1.  —  Le  figuier  maudit.  x,  12-14.  —  Parall. 
Matth.  XXI,  18-19. 


42.  —  Alia  die.  C'esl-a 
Semainte  Sainte,  I'entree  t 
a  Jerusalem  ayant  eu  lieu 
pres  I'opinion  commune 
chronologie  de  S.  Mare  est 
clarte.  II  distingue  tres 
sejours  de  Notre-Seigneur 
le  temple,  ducant  cette  g 
semaine  :  ^^  Ih  sejour  qui 


-dire  le  lundi  de  la 
riomphale  de  Jesus 
un  dimanche,  d'a- 
des  exegetes.  La 
ici  d'une  precieuse 

neltement     trois 

Jesus-Christ  dans 

rande  et  derniere 

uivit  immediate- 


tement  i'entree  triomphale,  tt.  1-11  ;  2o  1& 
sejour  du  lundi  saint,  qui  fut  marque  par 
I'expulsion  des  vendeurs,  tt.  12-19;  3o  le 
sejour  du  niardi  saint,  durant  lequel  Jesus 
lulta  si  vigoureusement  centre  ses  adver- 
saires,  t1^.  20  et  ss.  —  Cum  exirent.  Le 
Sauveur,  en  compagnie  des  douze  Apotres, 
sortait  de  Bethanie  pour  retourner  a  Jerusa- 
lem. —  Esuriit.  Sur  la  nature  de  cette  faim 
matinale  de  Jesus,  voyez  I'Evangile  selort 
S.  Matth.  p.  407.  Divers  hereliques  ont  pre- 
tendu  qu'elle  n'exista  pas  en  realile,  mais  que 
Notre-Seigneur  la  simula  pour  donner  plus 
commodementune  logon  a  ses  disciples.  Nous 
admettons  qu'elle  fut  tout  a  la  fois  veritable,^ 
naturelle  et  providentielle. 

13.  —  Cumque  vidisset  a  longe.  MaxpoOev^ 
est  une  particuiarite  de  S.  Marc.  Dans  cette 
region,  si  fertile  en  figuiers  que  Bethphage 
(«  la  maison  des  figucs  »)  en  tirait  son  aom,. 
Jesus  apergut  done  a  quelque  distance  un  de 
ces  arbres  tout  couvert  de  feuilles,  bien  que 
la  saison  fiit  encore  pen  avaneee.  II  etait 
peut  elre  d'une  espece  plus  precoee,  ou  bien 
il  jouissait  d'une  meilleure  exposition  que  les 
autres.  —  Venit  si  quid  forte  inveniret  (scil. 
fructuum).  L'adverbe  «  forte  »  ne  rend  pas 
parfaitement  la  nuance  exprimee  par  dpa  du 
texte  grec.  Mieux  vaudrait  «  si  itaque  »  :  la 
presence  de  feuilles  sur  ce  figuier,  tandis  que 
les  arbres  voisins  n'avaieut  pas  encore  bour- 
geonne,  etait  un  fait  dont  on  pouvait  con- 
clure  qu'il  portait  probablement  des  fruits. 
—  Mais  pourquoi  I'Evangeliste,  apres  avoir 
constate  que  Jesus  ne  trcuva  pas  la  moindre 
figue,  ajoute-t-il  aussitot  :  Non  enim  erat 
tempus  ficorum^  Cette  note  exegetique,  qu> 
est  propre  a  S.  Marc,  a  jete  les  interpretes dans 
une  grande  perplexite,  parce  qu'elle  semble 
taxer  d'inconsequenee  la  conduite  de  Notre- 
Seigneur.  Aussi  a-t-on  recouru  aux  subter- 
fuges les  plus  singuliers  pour  lui  trouver  un 
sens  acceptable.  Heinsius  et  plusieurs  autres 
commentateurs,  par  le  simple  changement 
d'un  accent,  ou  aulieu  de  oO,  obtiennent  cette 
traduction  :  La  ou  Jesus  se  trouvait,  c'etait 
le  temps  des  figues.  S.  Marc  se  serait  done 
propose  de  rapp^ler  a  ses  lecteurs  que,  grace 
au  climat  tempere  de  la  Judee,  Jesus  pouvait 
chercher   deja  des    figues   mures.  D'autres 


CHAPITRE    XI 


163 


earn,  nihil  invenit  prseter  folia  :  non 
enim  erat  tempiis  ficorum. 

Mauh.  21,  19. 

14.  Et  respondens  dixit  ei :  Jam 
non  amplius  in  seternum  ex  te  fru- 
ctutn  quisquam  manducet.  Et  au- 
diebant  discipuli  ejus. 

15.  Et  veniunt  Jerosolymam.  Et 
cum  introisset  in  templum,  coepit 


etant  approche,  il  n'y  trouva  rien 
que  des  feuilles,  car  ce  n'etait  pas 
le  temps  des  figues. 

14.  Et  il  lui  dit  :  Que  jamais  plus 
personne  ne  mange  de  toi  aucun 
fruit!  Et  ses  disciples Tentendaieut. 

lb.  Et  ils  vinrent  a  Jerusalem.  Et, 
lorsqu'il  fut  entre  dans  le  temple. 


(Majus,  etc.)  essayenf.  d'echapper  a  la  difii- 
culle  en  plagant  un  point  d'interrogalion 
apres  (juxwv  :  «  Nonne  enim  eral  lempiis  Qco- 
rum?  »  D'autres  encore  (Deyling,  Kuincel, 
Welstein)  donnent  a  la  negation  ou  la  signifi- 
calion  de  outiw,  «  nondiim  »,  et  a  xaipoi;  celle 
de  «  lempus  coUigendi  friictus  »,  d'ou  il  suit, 
disent-ils,  que  la  demarche  du  Sauveur  etait 
ires  nalurelle,  la  recolte  n'ayant  pas  encore 
eu  lieu,  les  arbres  n'etant  pas  encore  de- 
pouilles  de  leurs  fruits.  Hammond,  Paulus, 
Olshausen,  etc.,  traduisent  de  leur  cote 
yaipo;  par  xaipo;  eCupopo; :  «  Ce  n'etait  pas  une 
annee  favorable  pour  les  figues.  »  Quelques 
interpretes  Irouvent  plus  commode  de  dire 
que  ce  pa-sage  est  apocryphe.  Nous  ne  par- 
Ions  pas  des  rationalistes,  qui  se  tirent  non 
moins  aisement  d'affaire  en  le  declarant  illo- 
gique  (de  Wette),  inexplicable  (Holtzmann), 
contradictoire  (Strauss,  Hilgenfeld).  On  peut 
cependant  lui  trouver  un  sens  tres  raisonnable 
sans  qu'il  soit  besoin  d'avoir  recours  a  toutes 
ces  mesures  plus  ou  moins  outrees.  En  faisant 
remarquer  que  «  ce  n'etait  pas  la  saison 
des  figues  »,  car  il  faul  mainlenir  aux  mots 
oO  yap  r,v  xaipcx;  (Tuxtov  leur  signification  obvie, 
S.  Marc  voulail  indiquer  que  la  demarche  du 
Sauveur  («  venit  si  quid  forte  invenirel  ») 
n'etait  pas  fondee  sur  I'epoque  de  I'annee  oil 
Ton  se  trouvait  alors,  mais  sur  quelque  autre 
circonstance  propre  a  I'arbre  en  question. 
Celte  circonstance  a  ele  mentionnee  plus 
haul  :  «  Ficum  habentem  folia  ».  Le  figuier 
emettant  ses  fruits  avant  ses  feuilles,  une 
plante  de  celte  e>pece  qui  altirait  I'altention 
des  passanls  par  la  precocite  de  son  feuillage, 
les  invitait  par  la-meme  a  venir  chercher  sur 
lui  un  fruit  rafraichissant. 

14.  —  Respondens  dixit  ei.  Jesus  traite  cet 
arbre  Irompeur  commo  un  etre  doue  d'intel- 
ligence;  bien  plus,  en  le  maudissanl,  il  le 
Iraile  en  etre  moral,  libre  et  responsable.  II  y 
a  la  evidemmenl  un  symbole.  En  effet,  dit 
Eusebe  d'Emese  (cite  par  Westcott),  «  Domi- 
nus,  qui  nunquam  sine  ralione  aliquid  agit, 
quando  sine  ratione  agere  videtur,  alicujus 
magnae  rei  significalio  est.  »  Dans  ce  fait 
extraordinaire,  qui  n'a  pas  son  parallele  dans 
la  vie  du  Sauveur,  nous  devons  done  voir, 


suivant  I'heureuse  expression  du  Ven.  Bede, 
une  parabole  de  choscs ;  aulrement,  il  n'au- 
rait  pas  de  raison  d'etre,  el  serait  incompre- 
hensible pour  nous.  «  Non  eral  illius  pomi 
lempus,  sicut  Evangelisla  testatur,  el  tamen 
esuriens  poma  quaesivit  Chrijtus.  Christus 
nesciebat  quod  rusticus  sciebat?  Quum  ergo 
esuriens  poma  quaesivit  in  arbore,  signifi- 
cavit  se  aliquid  esurire,  et  aliquid  aliud 
quaerere.  Arborem  illam  maledixit,  et  aruit. 
Quae  culpa  arboris  infecunditas?  »  S.  Aug. 
Serm.  xcviii.  Voici  mainlenant,  d'apres  le 
meme  Pere,  la  chose  signifiee  :  «  Illorum  est 
culpa  sterilitas,  quorum  fecunditas  est  volun- 
tas. Erant  ergo  jud.ei,  habentes  verba  Legis, 
el  facta  non  habentes;  pleni  foliis  et  fructus 
non  ferenles.  »  Voyez  I'Evang.  selon  S.  Mal- 
thieu,  pp.  408  et  409.  Jehova  ne  disait-il  pas 
deja,  par  I'intermediaire  du  prophete  Michee, 
VII,  1  et  2,  en  parlant  du  peuple  theocra- 
tique  :  «  Vae  mihi,  quia  factus  sum  sicut  qui 
colligit  in  aulumno  racemos  vindemiae.  Non 
est  botrus  ad  comedendum  ;  praecoquas  ficus 
desideravil  anima  mea.  Periit  sanctus  de 
terra,  et  rectus  in  hominibus  noa  est.  »  — 
Jam  non  amplius  in  ceternurn...  Accumula- 
tion emphalique,  exprimee  avec  plus  de  force 
encore  dans  le  texte  grec  :  [xrixexi  iv.  ao'j  el? 
Tov  alwva  ouoel?  xapTtov  ^dyoi.  Cette  forme  de  la 
sentence  est  speciale  a  S.  Marc.  Nous  lisions 
dans  S.  Matthieu  :  «  Numquam  ex  te  fructus 
nascatur  in  sempiternum.  »  —  Et  audiebant 
discipuli.  Ce  trait  est  egalement  propre  au 
second  Evangile.  II  a  pour  but  de  preparer  la 
suite  du  recit,  ft.  20  et  24. 

2.  —  Expulsion  des  marchands.  xi,  15-19. 
Parall.  Mallh.  xxi,  12-17;  Luc.  xix,  45-48. 

15.  —  Et  veniunt  Jerosolymam.  Quittant 
le  figuier  maudit,  Jesus  poursuit  sa  marche 
vers  Jerusalem,  passant  ainsi  du  type  a  I'an- 
titype,  du  symbole  a  la  chose  signifiee.  A 
peine  arrive  dans  le  temple,  nous  le  voyons 
accomplir  un  nouvel  acte  judiciaire,  non 
moins  terrible  que  le  precedent.  Par  un  coup 
eclatant  d'autorite,  il  rend  a  la  maison  de 
Dieu  le  calme,  le  silence,  I'honneur  donl  on 
I'avait  depouillee  par  d'etonnants  abus.  Un 
mot  de  topographis  ne  sera  pas  deplace  en 


1 


164 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


il  commei3ca  a  chasspr  ceux  qui 
vendaieiit  et  achelaient  dans  le 
temple,  et  il  renversa  les  tables  des 
chan gears  et  les  sieges  de  ceux  qui 
vendaient  des  colombes. 

16.  Et  il  ne  permettait  pas  qu'on 
transportat  aucun  objet  a  travers  le 
temi>le. 

17.  Et  il  les  enseignait,  disant : 
N'est-il  pas  ecrit  :  Ma  maison  sera 
appelee  maison  de  priere  pour  toutes 


ejicere  vendentes,  et  ementes  in 
temple  :  et  mensas  numulariorum, 
et  cathedras  vendentium  columbas 
evertit. 

16.  Et  non  sinebat  ut  quisquam 
transferret  vas  per  templum. 

1 7.  Et  docebat,  dicens  eis  :  Nonne 
scriptum  est :  Quia  domus  mea,  do- 
mus   orationis  vocabitur   omnibus 


cet  endroit.  Ce  que  nous  appelons  le  Temple 
de  Jerusalem  etait  loin  de  ressembler  n  nos 
eglises  acluelles.  II  se  composait  de  parties 
tres  distincles,  dont  la  principale,  qui  for- 
mait  le  sancluaire  propreiiient  dit  ^6  vao;), 
n'elail  accessible  qu'aux  seuls  pretres.  Au- 
tour  de  ce  vaoc  il  y  avait  plusieurs  coiirs, 
que  des  clotures  de  divers  genre  separaient 
les  unes  des  aulres  :c'etaient  lo  le  parvis  des 
pretres,  ou  Ton  ofifrait  les  sacrifices,  2o  la 
cour  dite  d'Israel;3o  ce  qu'on  appelait  la 
cour  desfemmes;  enfin  4°,  en  cominunicalion 
avec  les  rues  avoisinantes,  la  cour  des  Gen- 
tils,  oil  les  parens  eux-memes  pouvaienl  pe- 
nelrer.  Voyez  1' Alias  arclieolog.  de  M.  An- 
cessi,  pi.  IX  et  X.  C'est  dans  celte  cour, 
enlouree  de  magnifiques  galeries,  la  plus 
exterieure  et  la  plus  vasLe  de  loutes,  qu'eut 
lieu  la  scene  qui  va  suivre.  —  Ccepit  ejicere 
vendentes...  En  soi,  I'existence  d'un  uiarche  a 
I'entree  du  temple,  pour  facililer  aux  per- 
sonnes  pieuses,  el  plus  specialement  aux 
pelerins  venus  de  loin,  rempleUe  des  objels 
necessairespour  les  sacrifices  qu'iis  voulaient 
offrir  au  Seigneur,  n'avait  rien  que  de  legi- 
time et  meme  de  louable.  C'est  done  I'abus^  et 
non  la  chose  meme,  que  Jesus  reprouve  par 
ses  acles  el  par  ses  paroles.  Or  I'abus  eiail 
manifeste,  palpable.  Au  lieu  d'un  marche 
pacifique,  on  avait  un  bruyant  bazar,  une 
foire  perpeluelle;de  plus,  les  pelerins  elaient 
odieusemenl  rangonnes  par  les  marchands, 
qui  elaient  souvent  des  pretres,  ou  du  moins 
les  commis  des  pretres.  6n  en  vinl  ju-qu'a 
vendre  une  colombe  au  prix  exhorbitanl  d'un 
denier  d'or.  Cfr.  M.  Kerilot,  i,  7.  Voir  J.  De- 
renbourg,  Essai  sur  I'Histoire  et  la  geogra- 
phic de  Palestine  d'apres  les  Thalmuds,  etc. 
p.  467.  —  Mensas  numulariorum,  cathedras 
vendentium...  Pour  tons  ces  details,  nous  ren- 
voyons  a  TEvangile  selon  S.  Matthieu,  p.  405. 
16.  —  Et  non  sinebat...  Voici  encore  un 
trail  des  plus  inleressants,  qui  est  propre  a 
S.  iMarc.  Celte  inlerdiclion  du  Sauveur  sup- 
pose UH  autre  genre  de  liberie  que  les  Juifs 
de  son  temps  s'etaient  permise  a  I'egard  du 


temple.  Apres  avoir  transforme  les  cours  in- 
terieures  en  un  lieu  de  trafic,  ils  en  avaient 
fait  encore  un  passage  public  et  profane, 
qu'iis  traversaienl  sans  gene,  charges  de  touts 
soile  d'objets  [vas  correspond  ici  a  Ihi'breu 
iSd,  qui  designe  d'uno  maniere  generale  les 
uslensiles  de  menage,  les  in^U•uments  de  tra- 
vail, elc),  pour  s'epargner  un  detour  dans 
les  rues  de  la  ville.  —  Per  templum,  Sia.  toO 
Upou.  Ce  second  abus  concernail  done  pareil- 
lemenl  le  Upov,  c'est-a-dire  les  cours,  et  non 
I''  vao?.  —  «  Les  Rabbins,  dit  fort  bien 
'.  Calmet,  nous  etalenl  avec  emphase  les 
regies  que  Ton  devait  observer  dans  le 
Temple:  mais  il  parail  par  I'fivangile  que  les 
lois  elaient  fort  nial  gardees...  lis  disent 
done  qu'il  n'est  pas  permis  d'y  entrer,  pas 
meme  dans  le  parvis  des  Genlils,  avec  son 
baton,  ses  souliers,  sa  bourse,  ou  ses  pieds 
croltes,  ou  avec  de  I'argenl  dans  un  mou- 
choir,  ou  avec  une  besace,  ou  d'y  cracher, 
ou  d'en  faire  un  lieu  pas^ager,  etc...  Tout 
cela  est  fort  beau  dans  la  speculation  ;  mais 
il  en  faudrait  monlrer  la  pratique ».Wetslein 
et  Lightfoot  client  tout  au  long  dans  leurs 
Recueils  les  decrets  talmudiquesauxquels  fait 
allusion  le  savant  exegele  de  Lorraine.  Me- 
gilla,  f.  28,  1,  nous  lisons  I'ordonnance  sui- 
vanle  :  «  Synagogam  jam  devasialam  ne 
faciat  quis  (viam)  compendiariam  ».  El  Jo- 
sephe  ne  dil-il  pas,  dans  les  memes  termes 
que  S.  Marc  :  «  Ne  vas  quidem  aliquod  por- 
tari  licet  in  teuiplo.  »  C.  Ap.  ii,  8. 

17.  —  Le  \erhc  docebat,  mis  a  I'imparfait, 
a  fail  croire  a  plusieurs  exegetes  que  li's  pa- 
roles allribuees  a  Notre-Seigneur  seraient 
simplement  le  resume  d'un  discours  qu'il  au- 
rait  prononce  apres  I'expulsion  des  vendeurs. 
Opinion  assez  peu  vraisemblable.  —  Nonne 
scriptum  est...  ?  Le  Sauveur  justifie  par  deux 
paroles  inspirees.  Is.  lvi,  7  el  Jer.  vii,  \\, 
Taction  de  zele  a  laquelle  il  veaait  de  se  li- 
vrer.  Le  temple  etait  une  maison  de  priere; 
mais  on  I'avait  honleusemenl  change  en  un 
anlre  de  brigands  :  Jesus,  en  vertu  de  ses 
droits  messianiques,  I'a  purifie,  lui  a  rendu 


GHAPITRE    XI 


165 


gentibus?  Vos  autem  fecistis  earn 
speluncam  latronum. 

Isai.  56,    7;  Jerem.  7,  U. 

18.  Quo  audito,  principes  sacerdo- 
tum  et  Scribse  qiiserebaDt  quomodo 
eum  perderent :  timebant  enim  eum, 
quoniam  universa  turba  admiraba- 
tur  super  doctrina  ejus. 

19.  Et  cum  vespera  facta  esset, 
egrediebatur  de  civitate. 

20.  }']t  cum  mane  transirent,  vide- 
runt  ficum  aridam  factam  a  radici- 
bus. 

21 .  Et  recordatus  Petrus,  dixit ei : 
Rabbi,  ecce  ficus,  cui  maledixisti, 
aruit. 

Maith.  21,  21. 

22.  Et  respoiidens  Jesus  ait  illis  : 
Habete  fidem  Dei. 


les  nations?  Or  vous  en  avez  fait 
une  caverne  de  voleurs. 

18.  Les  princes  des  pretres  et 
les  Scribes  I'ayant  entendu,  cher- 
chaient  comment  ils  le  perdraient; 
car  ils  le  craignaient,  parce  que  tout 
le  peuple  etait  dans  I'admiration  au 
sujet  de  sa  doctrine. 

1 9.  Et,  le  soir  etant venu,  il  sortait 
de  la  ville. 

20.  Et  comme  ils  passaient  le  ma- 
tin, ils  vireot  le  figuier  desseche 
jusqu'aux  racines. 

21.  Et  Pierre,  se  souvenant,  lui 
dit  :  Maitre,  voila  que  le  figuier  que 
vous  avez  maudit  s'est  desseche. 

22.  Et  Jesus  leur  dit :  Ayez  foi  en 
Dieu. 


sa  destination  premiere. —  Omnibus  gentibus. 
S.  Marc  a  seul  cite  ces  mols  dii  lexte  d'l^aie. 
Ils  convenaient  d'autant  mieux,  que  la  scene 
se  passaiL  dans  une  cour  ouverte  aux  pai'ens 
aussi  bien  qu'aux  Juifs. 

4  8.  — Ce  verset  decrit  I'impression  que 
produisit  sur  les  hierarques  juils  la  nouvelle 
de  ce  qui  avail  eu  lieu  dans  le  temple.  Leur 
haine  conlre  Jesus  ne  connut  plus  de  bornes, 
quand  ils  apprirent  que  leur  adversaire  etait 
venu  agir  en  maitre  et  en  reformateur  sur 
leur  propre  terrain.  «  Odio  habuerunl  corri- 
pientem...  et  loquentem  perfecte  aboininali 
sunt  )i.  Am.  v,  10.  —  Tunebant  eum.  Une 
seule  chose  les  empecha  d'executer  sans  delai 
les  projets  homicides  qu"ils  avaient  clepuis 
longlemps  formes  a  son  egard  :  c'etait  la 
cramle  que  le  peuple,  charme  par  ses  di- 
vines legons  et  visibiement  passionne  pour 
lui,  ne  s'msiirgeal  conlre  quiconque  tenterait 
de  lui  faire  quelque  mal.  Cfr.  Luc.  xix,  48. 
De  la  leur  grand  eaibarras  et  leurs  delibera- 
tions pour  savoir  quomodo  eum  perderent. 

19.  —  Cum  vespera  facta  esset  egredieba- 
tur. L'emploi  de  I'lmparfait  semble  in-;inuer 
que  lEvangeiiste  veut  parler  ici  d'un  fait  qui 
se  passa  non-seulement  le  soir  du  lundi  saint, 
mais  encore  les  deux  jours  suivants.  Telle 
est  meme  la  seule  interpretation  permise  si 
nous  lisons  avec  Tischendorf  6Tav,«quolies  », 
au  lieu  de  ots. 

3.  —  La  puissance  de  la  foi.  ii,  20-26. 

Parall.  Mattli.  xxi,  20-22. 

C'est  ici  le  second  acte  du  petit  drame  re- 
latif  au  figuier  maudit  (tt.  IS-Uj.  S.  Mat- 


Ihieu  avail  reuni  tous  les  details  del'episode, 
comme  s'llss'etaient  immediatemenlsuccede. 

20.  —  Cum  mane  transirent.  C'etait  le 
matin  du  mardi  saint.  Cfr.  t.  12  et  le  com- 
mentaire.  Jesus  et  les  Douze  revenaient  de 
Bethanie  a  Jerusalem.  Cfr.  t.  27.  —  Viderunt 
ficum  aridam  factam.  La  veille  au  soir,  ense 
rendant  de  la  capitale  a  leur  tranquille  re- 
traite,  les  Apotres  n'avaienl  pas  remarque  le 
merveilleux  effet  de  la  parole  de  Jesus,  soit 
qu'il  fit  deja  nuit,  soit  qu'ils  eussent  passe 
par  un  autre  chemin.  Deux  ou  trois  routes 
distinctes  conduisent  aujourd'hui  de  Jerusa- 
lem a  Bethanie.  Voyez  le  Bibel-Atlas  de 
R.  Riess,  pi.  IV.  —  A  radicibus  :  detail  pil- 
toresque,  special  a  S.  Marc,  pour  signifier 
que  le  figuier  etait  totalement  desseche. 

21.  —  Et  recordatus  Petrus.  Autre  detail 
special,  que  noire  evangeliste  tenait  assure- 
mont  de  S.  Pierre  lui-meme.  S.  Matlhieu,  bien 
que  temoin  oculaire  du  fait,  atlribue  d'une 
maniere  generale  la  refli'xion  qui  suit  a  tous 
les  Apotres,  xx,  20.  S.  Pierre  done,  a  la  vue 
de  cet  arbre  donl  les  feuilles,  si  fraiches 
la  veille,  retombaienl  Iristement  le  long  des 
rameaux,  se  souvint  de  la  malediction  que 
Jesus  avail  lancee  contre  lui,  et  il  se  hata, 
en  termes  vifs  el  naifs  lout  ensemble,  d'atli- 
rer  rattention  du  Sauveur  sur  ce  prodige.  — 
Ecce  est  une  exclamation  de  surprise, "d'ad- 
miration. 

22.  —  Respondens  Jesus.  Notre-Seigneur 
profile  de  celle  reflexion  pour  donner  aux 
siens  une  legon  importante  sur  la  puissance 
irresistible  de  la  foi,  surtoul  de  la  foi  dans  la 
priere.  S.  Marc  nous  communique  cette  legon 


466 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


23.  En  verile  je  vous  le  dis,  qui- 
conqiie  dira  a  cette  montaone  :  Ote- 
toi  et  jette-toi  dans  la  mer!  et  n'he- 
sitera  point  dans  son  coeur,  mais 
croira  que  tout  ce  qu'il  aura  dit  doit 
se  faire,  cela  se  fera  pour  lui. 
'  24.  G'est  pourquoi  je  vons  dis  : 
Quoi  que  ce  soit  que  vous  deman- 
diez  en  priant,  croyez  que  vous  le 
recevrez,  et  vous  I'obtiendrez. 

25.  Et,  lorsque  vous  vous  dispo- 
serez  a  prier,  pardonnez,  si  vous 
avez  quelque  chose  centre  quel- 
qu'un,  afin  que  votre  Pere  qui  est 
aux  cieux  vous  pardonne  aussi  vos 
peches. 

26.  Que  si  vous  ne  pardonnez  pas, 
^votre  Pere  qui  est  aux  cieux  ne  vous 
pardonnera  pas  non  plus  vos  peches. 


23.  Amen  dice  vobis,  quia  qui- 
cumque  dixerit  huic  monti :  Tollere, 
et  mittere  in  mare;  et  non  haesita- 
verit  in  corde  suo,  sed  crediderit 
quiaquodcumque  dixerit  fiat,  fietei. 

24.  Propterea  dico  vobis,  omnia 
qusecumque  orantes  petitis,  credite 
quia  accipietis,  et  evenient  vobis. 

Match.  7,  2,  22. 

25.  Et  cum  stabitis  ad  orandum, 
dimittite  si  quid  habetis  adversus 
aliquem  :  ut  et  Pater  vester,  qui  in 
coelis  est,  dimittat  vobis  peccata 
veetra. 

Luc.  11,  6;  Matth.  6, 14  et  18,  35. 

26.  Quod  si  vos  non  dimiseritis, 
nee  Pater  vester,  qui  in  coelis  est, 
dimittet  vobis  peccata  vestra. 


avec  plus  d'ampleur  et  d'une  maniere  plus 
complete  que  S.  Matlhieu.  —  Habete  fidem 
Dei.  De  meme  en  grec :  Ttt'crTtv  ©soO  pour  iri'uTiv 
en\  0e6v,  la  foi  en  Dieu.  C'e?«t  ce  qu'on  appelle 
le  genilif  de  i'objet.  Voir  Beelen,  Grammat. 
ereecit.  N.  T.  p.  188.  Cfr.  Act.  in,  16;  Rom. 
Ill,  22;  Gal.  ii,  20;  in,  22,  etc. 

23.  —  Amen  dico  vobis.  Notre-Seigneur 
couimence  par  garantir  au  nom  de  I'eternelie 
verite  I'exat'titude  du  fait  qu'il  va  signaler. 
—  Qiiicumque  dixerit...  Ce  fait  est  assure- 
ment  bien  extraordinaire!  Un  chrelien  quel- 
conque  qui  dit  a  une  montagne  :  Jette-toi 
dans  la  mer,  etquivoitson  ordre  immediate- 
ment  obei !  Une  condition  est  pourlant  exi- 
gee  :  Non  hcesitaverit  in  corde  suo,  sed  credi- 
derit. S.  Jacques  semble  commenter  cette 
promesse  qiiand,  parlant  de  la  priere,  il  ecrit, 
I,  6  :  «  Postulet  in  fide  nihil  haesitans  :  qui 
enim  haesiiat  similis  est  fluctui  maris,  qui  a 
vento  moveturet  circumfertur.  »  L'idee  d'he- 
sitalion,  de  defiance,  est  tres-bien  rendue  dans 
le  texte  grec  par  le  verbe  oiaxptvw,  dont  la 
signification  primitive  indique  des  jugements 
porles  en  divers  sens,  un  va  et  vient  perpe- 
tuel  de  I'esprit  qui  ne  sail  se  fixer.  Voyez 
Bretschneider,  Lexic.  man.  N.  T.  t.  I,  p.  227. 

24.  —  Propterea  dico^vobis...  Aia  toOto, 
en  consequence  de  la  promesse  que  je  viens 
de  faire.  —  Qucecumque ^orantes...  Si  vous 
pouvez  etre  certains  d'obtenir  par  une  priere 
pleine  de  foi  la  puissance  d'accomplir  les  mi- 
racles les  plus  etonnanls,  a  plus  forte  raison 
obliendrez-vous  toutes  les  autres  choses  que 
vous  demanderez  au  Seigneur.  —  Accipietis. 
La  Vulgate  a  lu  W^^/eaOe  au  futur.  Le  verbe 
est  au  present  dans  la  Recepta,  ),a[j.6av2Te. 


Nous  preferons  avec  Tischendorfet  Lachmann 
I'aoriste  D.aSezt,  qu'on  trouve  dans  les  ma- 
nuscrits  B,  C,  L,  A,  Sinait.  Cette  legon  est 
tres-expressive  :  la  priere  du  chrelien  est  a 
peine  formulee  qu'elle  est  deja  exaucee. 

23.  —  Souveiit  il  arrive  que,  malgre  une 
foi  tres-vive,  on  n'obtient  pas  les  graces  de- 
mandees  au  Seigneur.  C'est  qu'on  n'est  pas 
en  regie  avec  ses  freres,  qu'on  nourrit  au 
fond  du  ccBur  quelque  sentiment  peu  chari- 
table. Telle  est  la  liaison  des  idees.  —  S  Marc 
mentionne  seul  en  cet  endroit  les  pensees 
contenues  dans  les  tt.  25  et  26  ;  S.  Matthieu 
les  passe  sous  silence,  sans  doute  parce  qu'il 
les  avait  deja  citees  dans  le  Discours  sur  la 
Montagne,  vi,  14  et15.  EUes  durent  revenir 
plus  d'une  fois  sur  les  levres  du  Sauveur.  — 
Cum  stabitis  ad  orandum.  Les  Juifs  se  tenaient 
habituellementdebout  pour  prier.  Cfr.  I  Reg. 
I,  26;  Matth.  vi,  5;  Luc.  xviii,  11.  De  la  le 
nom  de  miDya,  «  stations  «,  qui  servait 
souvent  chez  eux  a  designer  les  prieres,  et 
que  notre  langageliturgique  leur  a  einprunte. 
Parfois  neanmoins  ils  priaient  a  genoux, 
III  Reg.  VIII,  54;  Dan.  vi,  10,  ou  prosternes, 
Jos.  VII,  6 ;  III  Reg.  xviii,  42.  —  Dimittite, 
ocyUxe.  Belle  expression  pour  indiquer  le  par- 
don genereusement  accorde. 

26.  —  Si  vos  non  dimiseritis...  C'est  la 
meme  idee,  presentee  sous  une  forme  nega- 
tive. «  Tremenda  sententia !  »  s'ecrie  la  Glose. 
—  Tischendorf  et  plusieurs  autres  critiques 
ometlent  ce  verset,  parce  qu'il  manque  dans 
plusieurs  manuscrits  anciens  (B,  L,  S,  A,  Si- 
nait. etquelques  minuscules).  Neanmoins  sou 
authenticite  ne  nous  parait  pas  douteuse. 


CHAPITRE   XI 


167 


27.  Et  voniunt  rursus  Jeroso- 
lymam.  Et  cum  ambularet  in  tem- 
ple, accedunt  ad  eum  summi  Sacer- 
dotes,  et  Scribce,  et  Seniores. 

28.  Et  dicunt  ei :  In  qua  potestate 
JiSRC  facis?  et  quis  dedit  tibi  hanc 
potestatem,  ut  ista  facias? 

Luc.  20,  2. 

29.  Jesus  autem  respondens,  ait 
illis  :  Interrogabo  vos  et  ego  unum 
verbum,  et  respondete  mihi  :  et  di- 
cam  vobis  in  qua  potestate  hsec  fa- 
cia m  : 

30.  Baptismus  Joannis  de  coelo 
€rat,  an  ex  liominibus  ?  Respondete 
mihi. 

3'l.Atilli  cogitabant  secum,  di- 
centes  :  Si  dixerimus:  De  coelo,  di- 
cet :  Quare  ergo  non  credidistis  ei? 


27.  Et  ils  vinrent  de  nouveau  a 
Jerusalem,  et,  comme  il  marchait 
dans  le  temple ,  des  princes  des 
pretres,  des  Scribes  et  des  anciens 
s'approcherent  de  lui, 

28.  Et  lui  dirent :  Par  quelle  puis- 
sance faites-vous  ces  choses  ?  et  qui 
vous  a  donne  cette  puissance  pour 
les  faire  ? 

29.  Jesus  leur  repondit :  Je  vous 
ferai  moi  aussiune  question;  repon- 
dez-moi,  et  je  vous  dirai  par  quelle 
puissance  je  fais  ces  choses  : 

30.  Le  bapteme  de  Jean  etait-il 
du  ciel  ou  des  hommes  ?  Repondez- 
moi. 

31.  Mais  ils  pensaient  en  eux- 
memes  et  disaient :  Si  nous  repon- 
dons  :  Du  ciel,  il  dira  :  Pourquoi 
done  n'y  avez-vous  pas  cru? 


-4.  —  L.e  Christ  victorieux  de  ses  ennemis. 

XI,  27-xii,  40. 

a.  D'oji  viennent  les  pouvoirs  de  Jesus,  si,  27-33. 
Parall.  Malth.  xxi,  23-27;  Luc,  xx,  1-8. 

27.  —  Veniunt  rursus  Jej  osolymam.  «  Rur- 
■sus  »  fait  allusion  aux  deux  oiUiees  des  jours 
precedents,  tt.  1 1  et  15.  Nous  somnips  en- 
core dans  la  matinee  du  uiardi  de  la  Semaine 
Sainle.  Cfr.  V.  20. —  Cum  ambularet  in  lemplo. 
Ce  detail  pittoresque  est  i.ropre  a  S.  Marc.  II 
nous  montre  Jesus,  entoure  des  siens,  se  pro- 
menant  sous  les  vastes  galeries  de  la  cour  des 
Gentils,  etse  melant  aux  groupes  du  peuple; 
S.  Mattliieu,  xxi,  23,  ajoute  que  le  Sauveur 
ne  tarda  pas  a  prendre  la  parole  pour  ensei- 
gner  la  foule.  —  Summi  sacerdotes,  et  Scribce 
et  Seniores.  Dans  cette  nomenclature,  nous 
reconnaissons  les  noms  des  trois  Chambres 
qui  formaient  le  Sanhedrin.  Ceux  qui  s'ap- 
prochont  en  ce  moment  de  Jesus  viennent 
done  a  lui  avec  un  mandat  officio!,  comme 
delegues  de  la  Cour  supreme  des  Juifs.  Leur 
but  est  manifests  :  ils  veulent  engager  avec 
leur  ennemi  un  combat  a  mort,  trouver  une 
occasion  de  I'arreler  ei  de  le  perdre,  malgre 
sa  popularite.  La  narration  claire  et  rapide 
<ie  S.  Marc  nous  permet  d'assisler  aux  di- 
vcrsesperipeties  de  cette  lutte. 

28.  —  Dicunt  ei.  La  bataille  s'engage  par 
une  escarmouche  iivree  sur  le  terrain  des 
pouvoirs  de  Notre-Seigneur  :  In  qua  potes- 
tate... «  Qui  etes-vous  done  pour  faire  des 
choses  semblables?  Est-ce  que  vous  vous 
etablissez    docteur?  Vous    consacrez  -  vous 


prince  des  pretres?  »  Theophylacte.  —  Hwc 
facis;  ista  facias.  Les  pronoms  «  haec  »  et 
«  ista  »  designent  les  divers  actes  que  le 
Sauveur  s'etait  permis  d'accomplir  dans  le 
temple  depuis  la  journee  du  dimanche,  spe- 
cialement  I'expulsioa  des  vendeurs.  —  Au 
lieu  de  la  conjonction  et  qui  unit  les  deux 
phrases  interrogatives,  nous  prefererions  aut 
(yj),  d'apres  plusicurs  manuscrits  et  versions. 
Voyez  Tischendorf,  N.  T.  graec.  En  effet,  c'est 
une  double  question  que  les  Sanhedristes  po- 
sent  ici  a  Jesus  :  lo  Avez-vous  des  titres  per- 
sonnels qui  vous  permettent  d'agir  comme 
vous  le  faites?Ete<-vous  prophete,  par  exem- 
ple?  2o  A  defaut  de  titres  semblables,  qui  vous 
a  confere  un  pouvoir  legal? 

29  et  30.  —  Les  delegues  du  Grand-Con- 
seil  pensaient  bien  que  Jesus  serait  incapable 
de  fournir  une  reponse  satisfaisanle  a  ces 
demandes,  qu'ils  lui  adressaient  avec  une  cer- 
taine  apparence  de  droit.  Avec  quelle  noble 
simplicite  il  dejoue  leurs  manoeuvres!  —  In- 
terrogabo vos  et  ego.  On  pretend  lui  faire  su- 
bir  un  interrogatoire;  c'est  lui  au  contraire 
qui  va  en  imposer  unaux  orgueilleux  person- 
nages  qu'il  a  en  face  de  lui.  —  Baptismus  Joan- 
nis... Jesus  aurait  pu  demander  d'une  ma- 
niere  generale  :  D'ou  provenait  la  mission  de 
Jean?  II  prefera  mentionner  la  ceremonie  qui 
resumait  si  bien  le  minislere  du  Precurseur, 
qui  avait  meme  valu  a  Jean  son  surnom  ce- 
lebre  de  Baptiste.  Cfr.  r,  4. 

31  et  32.  —  Illi  cogitabant  secum;  raieux 
«  inter  se  »,  upo;  lauxovs.  La  reponse  elait 


468 


32.  Et  si  nous  repondons  :  Des 
homines,  nous  craignons  le  peuple. 
Gar  tous  regardaient  Jean  comme 
etant  vraiment  propliete. 

33.  lis  repondirent  done  a  Jesus  : 
Nous  ne  savons.  Et  Jesus  leur  dit  : 
Ni  moi  non  plus  je  ne  vous  dis  pas 
par  quelle  puissance  je  fais  ces 
choses. 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 

32.  Si  dixerimus  :  Ex  hominihus, 
timemus  populum.  Omnes  enim  ha- 
bebaut  Joannem  quia  vere  propheta 
esset. 

33.  Et  respondentes  dicunt  Jesu  : 
Nescimus.  Et  respondens  Jesus  ait 
illis  :  Neque  ego  dico  vobis  in  qua 
potestate  hsec  faciamj. 


CHAPITRE  XII 

Parabole  des  vignprons  homicides  (M.  4-12).  —  Dieu  et  Cesar  {ft.  13-17).—  La  resurrection 
des  morts  (\^*-. '18-27).  —  Quel  est  le  premier  commandement  (ft.  28-34).  —  Le  Messie, 
fils  de  David  (tt.  35-37).  —  «  Cavele  a  Scribis.  »  (tt.  38-40).  —  Le  denier  de  la  veuve 
[ft.  41-44. 

1.  Et  il  commenca  a  leur  parler  1.  Et  coepit  iilis  in  parabolis  lo- 
€n  paraboles  :  Un  homme  planta  qui  :  Vineam  pastinavit  homo,  et 
une  vigne,  et  I'entoura  d'une  haie,     circumdedit  sepem,  et  fodit  lacum. 


done  bien  difficile,  puisqu'elle  exigeait  une 
consultation  en  regie!  Elle  etait  aisee  en  soi; 
mais,  d'une  part,  la  conduite  anterioure  des 
Satihedristes  a  I'egard  de  Jean-Baptiste,  de 
I'autre  la  crainle  de  blesser  la  foule  en  par- 
lant  d'une  maniere  defavorable  de  celui  qu'elle 
venerait  comme  un  saint,  plagait  nos  Doc- 
teurs  dans  une  cruelle  perpK'Xile.  —  Au  lieu 
de  timemus  populum,  le  texte  grec  porte 
e<po6o0vTo  Tov  Xaiv,  «  timi'bant  populum  », 
changement  de  personnes  qui  donne  a  la  pen- 
see  un  lour  vif  et  saisissant.  S.  Marc  fait 
done  la  reponse  au  nom  des  conseilJers  juifs, 
«  idque  elegantissime  fecisse  videtur,  quo- 
niam  baud  facile  quisquam  sibi  ipse  aperte 
timorem  adscribere  consuevit  ».Rinck,  Lu- 
cubr.  crit.  p.  306.  II  arrive  plusieurs  fois  aux 
ecrivains  sacres  de  passer  ainsi  du  langage 
direct  a  I'indirect.  Cfr.  ii,  10;  Mattli.  ix,  6; 
Luc.  V,  24. 

33.  —  Nescimus.  Les  Sanhedristes  mentent 
pour  cacher  leur  embarras;  mais  ils  perdent 
par  la-meme  le  droit  d'avoir  une  reponse  de 
Noire  Seigueur.  S'ils  sont  incapables  de  por- 
ter un  jugement  sur  le  ministere  de  S.  Jean, 
ils  sont  incapables  aussi  de  juger  la  mission 
de  Jesus.  En  outre,  ce  que  le  Sauveur  a  fait 
n'a  pas  besoin  de  justification;  la  nature  de 
ses  oeuvres  monlre  qu'elles  proviennent  d'une 
source  divine.  Au  resle,  dit  un  ancien,  «  obli- 
ges d'instruire  celui  qui  cherche  la  verite, 


nous  pouvons  renverser  par  un  raisonnement 
vigoureux  quiconque  essaie  de  nous  tendre 
un  piegp.  »  C'est  precisement  ce  que  nous 
avons  vu  faire  a  Jesus  :  d'un  seul  coup,  il  a 
dechire  le  filet  du  sophisme. 

b.  Parabole  des  vignerons  homicides,  xr,  1-12. 
Parall.  Matth.  xxi,  33-46;  Luc.  xx,  9-19. 

Chap.  xu.  —  1.  —  Coepit...  in  parabolis 
loqui.  «  Postquam  Dominus  prudenti  intprro- 
galione  tenlalorum  ora  concluserat,  eorum 
malitiam  parabolice  demonstrat  »,  Glossa. 
Jesus  releve  ainsi  le  gant  jele  par  ses  adver- 
saires  et  se  fait  agresseur  a  son  tour.  — 
S.  Malthipu,  xx ,  28-xxii,  14,  a  conserve 
trois  paraboles  qui  furent  prononcees  par 
Notre  Seigneur  dans  celte  circonstance  me- 
morable :  S.  Marc  n'en  mentionne  qu'une 
seule,  celle  des  vignerons.  Mais  c'est  bien  la 
plus  significative  et  la  plus  energique.  Du 
resle,  en  employant  I'expression  «  in  para- 
bolis »,  il  monlre  suffisamment  que,  selon 
sa  coulume.  il  cite  en  abrege  les  paroles  de 
Jesus.  —  Vineam  pastinavit  homo...  Tousles 
details  de  celte  description  sont  empruntes 
d'un  cote  aux  ecrits  de  I'Ancien  Testament, 
de  I'autre  aux  usagps  viticoles  de  la  Pales- 
tine. Voyez  I'Evangile  selon  S.  Malthieu, 
pp.  415  el  416.  La  ptanlation  de  la  vigne  spi- 
riluelle  de  Jehova  avail  eu  lieu  sous  Josue, 
quand  la  nalion  iheocraiique  tut  etablie  par 


CHAPITRE  XII 


469 


et  sedificavit  turrim,  et  locavit  earn 
agricolis,  et  peregre  profectus  est. 

Isai.  5,  ! ;  Jer.  2,  21;  Matlh.  21,  33;  Luc.  20,  8. 

2.  Et  misit  ad  agricolas  in  tem- 
pore servum,  ut  ab  agricolis  acci- 
peret  de  fructu  vinese. 

3.  Qui  apprehensum  eum  cecide- 
runt,  et  dimiserunt  vacuum. 

4.  Et  iterum  misit  ad  illos  alium 
servum  :  et  ilium  in  capite  vulnera- 
verunt,  et  contumeliis  affecerunt. 


et  creusa  im  pressoir,  et  batit  une 
tour,  puis  il  la  loua  a  des  vignerons 
et  partit  pour  un  voyage. 

2.  Et,  quand  ce  fut  le  temps,  il 
envoya  aux  vignerons  un  serviteur 
pour  recevoir  d'eux  sa  part  du  fruit 
de  la  vigne. 

3.  lis  le  saisirent,  le  battirent  et 
le  renvoyerent  vide. 

4.  II  leur  envoya  de  nouveau  un 
autre  serviteur,  et  ils  le  blesserent  a 
la  tete  et  ils  Taccablerent  d'ou- 
trages. 


son  souverain  Maitre  dans  la  terre  de  Cha- 
naan.  La,  le  Seigneur  enloura  son  peiiple  de 
soins  multiples,  analogues  aux  operations 
par  lesquelles  un  vigneron  protege  et  cullive 
un  vignoble.  Puis,  apres  en  avoir  confie  la 
direction  aux  chefs  supr^mes  qui  le  repre- 
senlaient,  peregre  profectus  est.  «  Ce  n'est  pas 
qu'il  ait  change  de  lieu,  dit  fort  bien  le  Ven. 
Bede  expliquant  ce  passage,  mais  il  parut 
s'en  aller,  pour  laisser  aux  vignerons  toute 
liberie  dans  leur  travail.  »  N'oublions  pas  que 
c'est  sur  ces  vignerons  et  sur  leur  conduite 
que  repose  I'idee  merae  de  la  parabole. 

2.  —  Misit...  in  tempore  :  c'est-a-dire  au 
temps  de  la  vendange.  «  Quum  tempus  fru- 
ctuum  appropinquasset  »,  dit  S.  Malthieu. 
—  Servum.  Les  serviteurs  envoyes  successi- 
vement  par  Dieu  aupres  des  vignerons,  pour 
revendiquer  ses  droits  de  proprietaire,  repre- 
sentent  les  Prophetes  de  I'Ancien  Testament, 
qui  furent  en  effet  charges  plus  d'une  fois 
de  ramener  dans  la  droite  voie  les  pretres 
oublieux  de  leurs  devoirs  les  plus  sacres.  — 
Ut  acciperet  de  fructu.  On  voil  par  ce  detail 
que  les  agriculteurs  de  la  parabole  elaient 
ce  que  nous  nommons  en  France  des  me- 
tayers, et  qu'ils  payaient  leurs  redevances  en 
nature,  non  en  argent.  Voyez  dans  Pline, 
Ep.  IX,  37,  des  details  interessants  sur  ce 
genre  de  location. 

3.  —  Apprehensum  eum  ceciderunt:  ISEipav 
du  texie  grec  signifierait,  d'apres  I'acception 
primitive  de  ce  verbe,  «  pellem  detraxerunt»; 
mais  il  faut  donner  ici  a  Sepw  le  sens  derive 
que  la  Vulgate  a  tres  justement  adopte.  Cfr. 
Bretschneider,  Lexic.  man.  s.  v.  II  s'agit  en 
tout  cas  d'une  injure  insigne.  —  Dimiserunt 
vacuum  :  ^  vide  au  point  de  vue  des  fruits 
qu'il  etait  vonu  cherch'^r. 

4.  —  Et  iterum  misit...  D'apres  le  premier 
Evangile,  le  maitre  de  la  vigne  envoya  suc- 
cessivement  deux  groupes  de  nombreux  ser- 
viteurs. Cfr  Matth.  xxi,  34,  36.  Suivant  le 
recit  de  S.  Marc  et  de  S.  Luc,  les  ambassades 


furent  plus  frequentes  et  se  composerenl  seu- 
lement  de  serviteurs  isoles,  qui  vinrent  I'un 
apres  I'autre  reclamer  aux  vignerons  la  part 
du  proprietaire.  Celte  description  est  a  la 
fois  plus  pittoresque,  plus  naturelle  et  plus 
conforme  a  la  realite  des  faits.  —  In  capite 
vulneraverunt.  L'expression  grocque  exeipa- 
XaiMffav,  ainsi  traduite  par  la  Vulgate,  a  donne 
lieu  a  une  discussion  assez  vive  entre  les 
exegetes,  qui  aujourd'hui  meme  ne  peuvent 
s'accorder  pour  (  n  fixer  le  veritable  sens.  La 
difficulte  vient  de  ce  que  le  verbe  xEfpaXatow, 
derive  de  x£9a).atov,  «  summarium  »,  et  non  de 
xe^aXv],  «  caput »,  a,  chezlesclassiquf's  et  meme 
dans  les  livres  grecs  de  I'Ancien  Testament, 
la  signitication  bien  arielee  de  «  in  sumraam 
redigo,  sumraalim  dico  ».  (Cfr.  Thucyd. 
Ill,  67,  5;  Plat.  Rep.  ix ;  Eccli.  xxxv,  8),  et 
nulle  part  ceile  que  lui  atlribue  notre  version 
latine.  Aussi,  les  anciens  commentateurs 
grecs  I'intprpretent-ils  autrement  que  la 
Vulgate.  Theophylacte  en  donne  cette  para- 
phrase, (jyveteXeffav  xai  sxopucpwcrav  trjv  u6ptv, 
«  omni  eum  contunipliae  genere  quasi  in 
summam  quamdam  redaclo  affecerunt  »,  ad- 
mise  avec  de  legeres  modifications  par  plu- 
sieurs  exegetes  conlemporains.  Voypz  les 
savantes  notes  de  Frilzsche  et  de  M.  Schegg, 
h.  1.  Neanmoins,  nous  n'hesitons  pas  a  accep- 
ter avec  la  plupart  des  interpretes  des  temps 
modernes  la  traduction  de  la  Vulgate.  File  a 
en  sa  favour  :  lo  plusieurs  versions  antiques, 
to  lies  que  I'arabe,  I'armenienne  (le  syriaque, 
siSy,  «  percussit,  vulneravit  »,  s'en  ecarte 
a  peine) ;  20  plusieurs  analogies  frappantes 
que  KuincEl  a  fort  bien  resumees  dans  la  note 
suivante  :  «  Sicut  YvaSoto,  a  YviGo;,  est,  auctore 
Hesychio,  eU  yvaOou?  T'jTXTw,  Ccedo  in  malas,  et 
YaCTTpi^o)  est  yaffTepa  TU7VTW  (on  pourrail  ajou- 
ter  :  et  yutow,  a  yuiov,  membrum,  est  mombra 
enervo),...  ita  quoqun  x£<pa),aiouv...  omnino 
per  analogiam  significare  potest  vuinerare 
caput.  »  S.  Marc  aura  done  employe  ce  verbe 
dans  un  sens  extraordinaire,  mais  facile  k 


470 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


5.  Et  il  en  envoya  encore  un 
autre,  et  ils  le  tuerent;  puis  plu- 
sieurs  autres,  et  ils  meurtrirent  les 
uns  et  tuerent  les  autres. 

6.  Or,ayant  encore  unfils  unique 
qui  lui  etait  tres  cher,  il  le  leur  en- 
voya a  la  fin,  disant :  lis  respecte- 
ront  mon  fils. 

7.  Mais  les  vignerons  se  dirent 
Tun  a  Tautre:  Gelui-ci  est  Theritier; 
venez,  tuons-le,  et  I'heritage  sera  a 
nous. 

8.  Et  ils  le  prirent  et  le  tuerent  et 
lejeterent  hors  de  la  vigne. 

9.  Que  fera  done  le  maitre  de  la 


5.  Et  rursum  alium  misit,  et  ilium 
occiderunt :  et  plures  alios ;  quosdam 
csedentes,  alios  vero  occidentes. 

6 .  Adhuc  ergo  unum  habens  tilium 
charissimum,  et  ilium  misit  ad  eos 
novissimum,  dicens  :  Quia  revere- 
buntur  filium  meum. 

7.  Coloni  autem  dixerunt  ad  invi- 
cem  :  Hie  est  haeres;  venite,  occida- 
mus  eum;  et  nostra  erit  hsereditas. 

8.  Et  apprehendentes  eum,  occi- 
derunt :  et  ejecerunt  extra  vineam. 

9.  Quid  ergo  faciet  Dominus  vi- 


decouvrir.  —  La  Vulgate  n'a  pas  tenu  compte 
du  participe  ).i6o|3o)/^aavT£!;  qu'on  lit  dans  la 
Recepta  immediaiempiil  avant  exsqjaXaiwdav; 
niais  ce  mot,  qui  manque  aussi  dans  les  ma- 
nuscrils  B,  D,  L,  A,  Sinait.,  dans  I'llala  et 
d'autres  versions,  pourrait  bien  etre  apo- 
cryphe. 

'5.  —  Alium...  occiderunt.  Le  premier  am- 
ba?sadeur  avait  ete  simplement  battu,  le 
second  avait  subi  de  mauvais  traitemenls 
d'une  nature  plus  grave  et  plus  injurieuse,  le 
Iroisieme  est  mis  a  mort  :  il  y  a  gradation 
dans  les  outrages.  —  Et  plures  alios,  scil. 
«  misit  et  male  acceperunt,  quosdam  caeden- 
tes...  »  La  phrase  est  elliptique.  Comme  il 
eut  dte  irop  long  de  signaler  un  a  un  tous  les 
serviteurs  envoyes  par  le  maitre  de  la  vigne 
a  ses  vignerons,  la  parabole  abrege  et  resume, 
en  disant  que  de  nombreuses  et  frequentes 
ambassades  se  succederent  de  la  meme  ma- 
niere,  mais  sans  plus  de  succes.  Quelle  longue 
serie  de  prophetes  Dieu  n'envoya-t-il  pas  a 
son  peuple  et  aux  hierarques  pour  les  conver- 
tir!  Mais  ils  furent  pour  la  plupart  affreuse- 
seraent  traites.  Citons  seulement  les  plus 
celebres  :  Elie  injurie  par  Jezabel,  III  Reg. 
XIX,  2  (Cfr.  xviii,  13);  Michee  emprisonne 
par  Achab,  III  Reg.  xxii,  24-27;  Elisee  me- 
nace par  Joram,  IV  Reg.  vi,  31  ;  Zacharie 
lapide  sur  les  ordres  de  Joas,  11  Paral. 
.  XXIV,  21  ;  Jeremie  lapide  par  ses  compatrioles 
'  enEgypte;  Isaie  scie  avee  une  scie  de  bois 
Id'apres  la  tradition  juive,  etc.,  etc. 
^  6.  —  Adhuc  ergo...  habens...  Cette  maniere 
touchanle  et  delicate  d'introduire  sur  la  scene 
le  fils  du  maitre  de  la  vigne  est  propre  a 
S.  Marc.  Tous  les  mots  portent  :  unum,  fi- 
lium,  carissimum  :  ce  n'est  plus  un  serviteur, 
mais  un  fils  et  ce  fils  est  unique,  et  par  con- 
sequent bien-aime.  A  plusieurs  reprises,  i,  1 1  ; 
IX,  6,  nous  avons  entendu  la  voix  de  Dieu 


appeler  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  son  wld; 
ayaTr^To;.  —  Misit  ad  eos :  il  I'envoya  sans 
hesiler,  quoiqu'il  sut  d'avanco  quel  sort  lui 
etait  reserve;  mais  il  I'envoya  novissimum, 
comme  le  dernier  de  tous  ses  ambassadeurs. 
Cfr.  Hebr.  i,  2.  Apres  I'avertissement  porte 
par  Jesus  aux  Juifs,  il  n'y  en  aura  plus 
d'autre  :  les  coupables  seront  simplement 
condamnes  et  punis.  —  Quia  est  recitatif. 
Le  P.  Patrizi  appelle  fort  bien  ces  six  pre- 
miers verseis  la  parlie  historique  de  la  para- 
bole, c'est-a-dire  la  parlie  qui  s'etait  deja 
realises  au  moment  ou  Notre-Seigneur  parlait 
aux  Pharisiens;  les  tit.  7-9  contiennent  au 
contraire  la  partie  prophetique. 

7.  —  Des  qu'ils  apergurent  le  fils  de  leur 
maitre  venant  au-devant  d'eux,  les  vignerons 
formerent  un  horrible  projet,  qui  devait  met- 
tre  le  comble  a  leurs  atrociles  anterieures. — 
Hicesthceres.  Ilsagissent,  on  le  voit,  en  pleine 
connaissance  de  cause.  lis  savent  que  celui 
qui  vient  a  eux  comme  un  messager  de  par- 
don est  le  fils  et  I'heritier;  mais  c'est  la  pour 
eux  un  nouveau  motif  de  lui  donner  la  mort. 
Ils  esperent,  les  insenses,  que  1  heritage  leur 
appartiendra  ensuite  pleinement. 

8.  —  Apprehendentes...  occiderunt.  Lever- 
set  precedent  nous  avait  fait  entendre  le 
langage  cynique  et  barbare  des  vignerons  ; 
celui-ci  nous  les  montre  a  I'oeuvre  et  leali- 
sant  leur  affreux  dessein.  Ce  tableau  est  vrai- 
ment  tragique.  —  Ejecerunt  extra  vineam. 
D'apres  les  deux  autres  recits,  les  bourreaux 
avaient  entraine  leur  victime  hors  de  la  vigne 
avant  de  lui  porter  le  coup  fatal;  ici,  c'est 
son  cadavre  qu'ils  jettent  par-dessus  la  haie 
que  le  proprietaire  avait  si   soigneusement 

f)lantee.  C'est  une  legere  variante,  ou  bien 
a  figure  appelee  «  Hysteron-proteron.  » 

9.  —  Quid  ergo  faciet...  Jesus  adressa  cette 
question    a  ses  adversaires,  afin    de   leur 


CHAPITRE  XII 


171 


neee?  Veniet  et  perdet  colonos,  et 
dabit  vineam  aliis. 

10.  Nee  scripturam  banc  legistis  : 
Lapidem,  quern  reprobaverunt  sedi- 
ficantes,  hie  faetus  est  in  caput 
anguli  : 

Psal.  117,  22;  Isai.  28,  16;  Matth.  21,  42;  Act.  4,  11; 
Rom.  9,  Zi;I  Pel.  2,  7. 

11.  A  Domino  faetum  est  istud,  et 
est  mirabile  in  oeulis  nostris? 

12.  Et  quserebant  eum  tenere  : 
et  timuerunt  turbam;  cognoverunt 
enim  quoniam  ad  eos  parabolam 
banc  dixerit.  Et  relieto  eo  abierunt. 

13.  Et  mittunt  ad  eum  quosdam 
ex  Pharisseis  et  Herodianis,  ut  eum 
caperent  in  verbo. 

il/a«A.  22,  15;iMC.20,  20. 


vigne?  II  viendva  et  fera  perir  les 
vignerons  et  donnera  la  vigne  a 
d'autres. 

12.  N'avez-vous  pas  lu  eette  pa-, 
role  de  TEcriture  :  La  pierre  qu'ont 
rejetee  eeux  qui  batissaient  est  de- 
venue  le  sommet  de  Tangle  : 

11 .  Q'a  ete  fait  par  le  Seigneur  et 
c'est  admirable  a  nos  yeux  ? 

1 2.  Et  ils  cherehaient  a  se  saisir  de 
lui,  mais  ils  eraignirent  le  peuple; 
ear  ils  reeonnaissaient  qu'il  avail 
dit  eette  parole  pour  eux.  Et  le  lais- 
sant,  ils  s'en  allerent. 

13.  Et  ils  lui  envoyerent  quel- 
ques-uns  des  Pharisiens  et  des  He- 
rodiens  pour  le  surprendre  dans  ses 
paroles. 


faire  formuler  eux-memes  leiir  sentence.  Cfr. 
MaUli.  XXI,  40,  41.  Les  paroles  qui  suivent, 
veniet  et  perdet...,  furent  done  proferees  par 
les  Sanhedristes.  Elles  contiennent  une  ntie- 
nace  terrible,  annonQantd'iincoleque  la  vigne 
sera  violemment  enlevee  aux  vignerons  per- 
fides,  de  i'aulre  que  ces  miserables  seront  per- 
sonneliement  I'objet  des  justes  vengeances  du 
proprietaire  r  deux  points  qui  ne  tarderent 
pas  a  se  realiser. 

10  et  11.  —  Application  de  la  parabole,  a 
I'aide  d'un  texle  biblique  qui  rend  la  pens^e 
de  Jesus  tout  a  la  fois  plus  solennelle  et  plus 
transparente.  Voyez  les  details  dans  I'evan- 
gile  selon  S.  Matth.  p.  41 8  et  s.  —  Scripturam 
hanc,  Tyiv  Ypa(priv  tsutyiv,  ce  passage  ecrit  dans 
nos  sainis  Livres.  Les  hierarques  avaient 
tres  bien  repondu  ;  mais  ils  ignoraient  peut- 
6lre,  ou  du  moins  ils  affeclaient  d'ignorer 
qu'ils  etaient  eux-memes  les  vignerons  de  la 
parabole,  menaces,  a  cause  de  leur  conduits 
indigne,  des  chatiments  les  plus  graves  du 
Seigneur.  Le  Sauveur,  par  ce  texte  bien 
coniiu  d'un  Psaume  que  tout  le  monde  regar- 
dait  corame  messianique,  leur  montre  que 
c'est  eux  qu'il  a  eus  en  vue  dans  son  alle- 
gorie.  —  In  caput  anguli.  Jesus  est  la  pierre 
angulaire  qui  unit  deux  murs  separes :  «  An- 
gulus  duas  parietes  copulat  de  diverse  ve- 
nientes.  Quid  tam  diversum  quam  circum- 
cisio  et  preeputium,  habens  unura  parietem 
de  Judaea,  alterum  parietem  de  gentibus? 
Sed  angulari  lapide  copulantur  ».  S.  August. 
Serm.  lxxxviii,  11. 

12.  —  Description  de  I'effet  produit  sur  les 
hierarques  par  ces  dernieres  paroles  de  Jesus. 


Ce  fut  comme  de  I'huile  jetee  sur  du  feu. 
Comprenant  alors  que  la  parabole  des  vigne- 
rons les  designait,  les  condamnait  {ad  eos  est 
un  hellenisme  pour  «  de  eis  »),  ils  devinrent 
furieux,  exasperes.  Aussi  auraient-ils  execute 
sans  retard  les  noirs  complots  qu'ils  avaient 
depuis  longtemps  trames  conlre  Jesus,  si  un 
puissant  obstacle  ne  les  eut  arretes  pour  la 
seconde  fois  :  t;i(pour  «  sed  »)  timuerunt  tur- 
bam. Cfr.  XI,  18;  Luc.  xx,  19.  lis  remirent 
done  a  une  occasion  plus  propice  la  satisfac- 
tion de  leur  vengeance.  En  altendanl,  ils  s'en 
vont,  sans  avoir  appris  ce  qu'ils  voulaient 
savoir  (Cfr.  xi,  27  el  ss.),  et  apres  avoir  ap- 
pris ce  qu'ils  auraient  prefere  ne  pas  con- 
naitre. 

c.  Dieu  et  Cesar,  xil,  13-17.  —  Parall.  Mattn. 
xxri,  15-22;  Luc.  xx,  20-26. 

13.  —  Mittunt  ad  eum...  Quoique  econ- 
duits  honteusement,  et  quoique  incapables 
d'en  venir  sur  I'heure  aux  voies  de  fait  a 
regard  de  leur  ennemi,  les  Sanhedristes  es- 
saient  pourtant  encore,  par  des  questions 
captieuses,  d'amoindrir  son  autorite  devant 
le  peuple.  Ne  pouvant  plus  se  presenter  en 
personne  apres  les  scenes  humiliantes  que 
nous  venons  de  lire,  ils  se  font  remplacer, 
par  une  deputation,  composee  de  Pharisiens 
choisis  parmi  leurs  disci pbs  (Cfr.  Malth.j 
XXII,  16)et  d'un  certain  nombre  d'Herodiens.l 
Voyez  sur  ces  derniers  la  note  de  in,  6,  et' 
I'Evangile  selon  S.  Malth.,  p.  426.  —  tfteum 
caperent...;  dans  le  grec,  I'vaaO-rov  iypBdataai, 
expression  qui  fait  image,  car  elle  signifie 
litleralement :  afm  qu'ils  lui  fissent  la  chasse. 


472 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


14.  lis  vinrent  et  lui  dirent  : 
Maitre,  nous  savons  que  vous  etes 
veridique,  et  ne  menagez  qui  que 
ce  soit ;  car  vous  ne  regardez  point 
au  visage  des  hommes,  mais  vous 
enseignez  la  voie  de  Dieu  dans  la 
verite.  Est-il  permis  de  payer  le  tri- 

I  but  a  Cesar,  ou  ne  le  paierons-nous 

ipas? 

I  15.  Jesus,  connaissant  leur  four- 
berie,  leur  dit :  Pourquoi  me  tentez- 
yous  ?  Apportez-moi  un  denier,  que 
je  voie. 

16.  lis  le  lui  apporterent.  Et  il 
leur  dit :  De  qui  est  cette  image  et 
cette  inscription?  lis  lui  dirent :  De 
Cesar. 


14.  Qui  venientes  dicunt  ei :  Ma- 
gister,  scimus  quia  verax  es,  et  non 
curas  quemquam;  nee  enim  vides 
in  faciem  hominum,  sed  in  veritate 
viam  Dei  doces.  Licet  dari  tributum 
Gaesari,  an  non  dabimus? 


Id.  Qui  sciens  versutiam  illorum, 
ait  illis  :  Quid  me  tentatis?  Afferte 
mihi  denarium,  ut  videam. 

16.  At  illi  attulerunt  ei.  Et  ait 
illis  :  Cujus  est  imago  heec,  et  ins- 
criptio  ?  Dicunt  ei :  Csesaris. 


Cfr.  lo  Dictionnaire  grec  de  Henri  Etienne, 
s.  V.  dypsOw.  S.  Mallhieu  emploie  une  figure 
analogue,  Tiaytoeuoaxri. 

14.  —  Scimus  quia  verax  es...  Nicodeme, 
I'un  des  membres  les  plus  illustres  du  grand 
Conseil,  avail  autrefois  adresse  a  Notre-Sei- 
gneur  des  compliments  analogues  a  ceux-ci, 
CIr-  Joan,  in,  2;  mais  il  parlail  en  loute  sin- 
cerile.  Acluellemenl  au  contraire,  nou<  n'en- 
tendons  que  des  flatteries  hypocrites.  «  Mclli- 
tis  enim  verbis  Jesum  interrogabant,  et  cir- 
cumdabant  eum  sicut  apes  mel  portantes  in 
ore,  aculeum  in  tergo.  »  Pseudo-Hieron.,  ap. 
CaLen.  D.  Thorn.  —  Apres  ce  preambule  insi- 
nuanl,  ou  plutot  insidieux,  vieni  la  question 
plus  insidieuse  encore:  Licet  dari... 'f  On  avail 
precedeminent  tendu  des  pieges  au  Sauveur 
sur  le  domaine  religieux  ;  cette  fois  on  essaie 
de  Ferabarrasser  sur  le  terrain  dangereux 
de  la  politique.  La  demande  est  reproduite 
d'une  maniere  incomplete  dans  la  Vulgate. 
Le  grec  porte  :  'E^egtc  x^vaov  Kaiaapi  ooOvai, 
?)  oCi;  Sujxev,  ?1  |jiYj  odiaev;  «  Licetne  censum 
Caesari  dare,  an-non?  Dabimus,  an  non  dabi- 
mus? »  II  y  eut  done  deux  interrogations 
successives,  la  premieregenerale  ettheorique: 
Est-il  permis  de  payer  le  tribut  a  I'empereur 
romain?  la  seconde  particuliere  et  pratique  : 
Nous,  peuple  theocratique,  nous  acquitterons- 
nous  de  cet  impol  ?  Cette  redaction  est  propre 
a  S.  Marc.  Les  Pharisiens,  ennemis  de  Rome, 
et  les  Herodiens,  chauds  partisans  de  lem- 
pire,  se  presentent  done  a  Jesus  comme  s'ils 
avaient  discute  sur  ce  point  delicat  sans 
pouvoir  s'accorder,  el  comme  s'ils  venaient 
I'etablir  arbitre  de  leur  querelle,  prels  a  s'en 
rapporter  a  sa  decision.  Mais  en  realite,  dit 
Theophylacte, «  cette  parole  elait  lout  artifice, 


el  elle  avail  un  precipice  de  chaque  cote ;  car, 
si  Jesus  repondail  :  II  faut  payer  le  cens  a 
Ce^a^,  on  excitait  conlre  lui  le  peuple,  en  le 
lui  presenlanl  comme  voulant  le  reduire  en 
servitude;  s'il  disait  au  contraire  que  cela 
n'etait  pas  permis,  on  I'accusait  de  soulever 
le  peuple  conlre  Cesar  »,  et  les  Herodiens 
etaienl  la  pour  le  livrer  aux  autoriies  ro- 
maines. 

15.  —  Sciens  versutiam  illorum.  Le  grec 
dit  «  hypocrisim  »:c'etaitla  en  effet  I'oeuvre 
d'une  hypocrisie  consommee.  S.  Matthieu  et 
S.  Luc  emploient  d'autres  exp''es$ions,  novr)- 
piav,  «  nequiliam  »,  et  TvavoupYiav,  «  dolums. 
Ces  petiles  variantessont  inleressantes  a  elu- 
dier.  —  Quid  me  tentatis?  Jesus  prouve,  par 
cette  parole,  qu'il  n'est  pas  dupe  de  leur  ma- 
lice. —  Afferte  mihi  denarium.  Le  verba 
(fiptie  parait  supposer  que  les  Pharisiens  len- 
tateurs  n'avaienl  pas  sur  eux  le  denier  de- 
mande :  d'aussi  saints  personnages  auraient 
sans  doute  craint  de  se  profaner  en  portant 
habiluellement  dans  leur  bourse  une  piece  de 
monnaie  couverle  de  symboles  et  de  litres 
paiens.  Mais  ils  n'avaient  qu'a  faire  quelques 
pas  pour  aller  la  demander  a  I'un  des  chan- 
geurs  du  temple. 

16.  —  Cujus  est  imago hcec?Les  traits  gra- 
ves sur  la  monnaie  que  Jesus  tenait  alors  dans 
ses  mains  divines  sent  bien  connus  des  anti- 
quaires  el  des  numisraates.  On  en  trouverait 
difticilement  de  plus  beaux,  mais  on  en  trou- 
verait difflcilementaussi  de  plus  cruels  parrai 
les  nombreuse-  effigies  qui  nous  restent  des 
empereurs  remains.  —  Et  inscriptio.  Cette 
inscription  etait  conQue  dans  le  style  poin- 
peux  de  I'epigraphie  latine  :  «  Tiberius  Csesar 
Di  vi  August!  filius,  Augustus,  Imperator,  etc. » 


CHAPITRE  XII 


473 


17.Respondens  autem  Jesus  dixit 
illis  :  Reddite  igitiir  quae  sunt  Gse- 
saris,  Csesari :  et  quae  sunt  Dei,  Deo. 
Et  mirabantur  super  eo. 

Rom.  13,  7. 

1 8.  Et venerunt  ad  eum  Sadducsei, 
qui  dicunt  resurrectionem  non  esse : 
et  interrogabant  eum  dicentes  : 

Matth.  22,  23;  Luc.  20,  27. 

19.  Magister,  Moyses  nobis  scrip- 
sit,  ut  si  cujus  frater  mortuus  fuerit, 
et  dimiserit  uxorem,  et  filios  non 
reliquerit,  accipiat  frater  ejus  uxo- 
rem ipsius,  et  resuscitet  semen  fra- 
Iri  suo. 

Deut.i5,5. 


17.  Et  il  leur  repondit :  Rendez 
done  a  Cesar  ce  qui  est  de  Cesar,  et 
a  Dieu  ce  qui  est  de  Dieu.  Et  ils 
etaient  dans  I'admiration  a  son 
egard. 

18.  Alors  vinrent  a  lui  les  Saddu- 
ceens,  qui  disent  qu'il  n'y  a  pas  de 
resurrection,  et  ils  I'interrogeaient, 
disant : 

19.  Maitre,  Mo'ise  a  ecrit  pour 
nous  :  Si  le  frere  de  quelqu'un 
meurt  et  quitte  ainsi  sa  femme  et 
ne  laisse  point  de  fils,  que  son  frere 
recoive  sa  femme  et  suscite  une  pos- 
terite  a  son  frere. 


47.  —  Reddite  igitur...  II  est  probable 
qu'il  faul  lire  avec  uii  grand  nombre  de  ma- 
nuscrils  qui  font  autorite:Ta  xatCTapo;  inoSoxe 
xaiaapt,  «  quae  ?unt  Cse>aris  reddite  Csesari  ». 
Cetle  construction  rend  la  phrase  plus  ener- 
gique.  La  pensee  de  Jesus  est  extremement 
claire.  Ce  denier  vient  de  Rome,  veut-il  dire, 
qu'il  relourne  a  Rome!  Sa  presence  en  Judee 
prouve  les  droits  dii  gouvernemi-nt  remain 
sur  la  Judee;  soyez  done  les  fideles  sujets  de 
Cesar.  La  reponse  de  Notre-Seigneur,  pre- 
sentee sous  ci  to  forme,  etait  non-seulement 
d'une  verite  iiidiscuiable,  mais  les  plus  fou- 
gueux  Zelotes  n'y  pouvaient  rien  trouver  a 
reprendre.  Si  les  Juifs  eussentsuivi  le  conseil 
qu'elle  contenait,  ils  auraient  evile  une 
affreuse  guerre  avec  Rome,  la  ruine  de  Jeru- 
salem, cia  temple  etde  leur  nation. —  Et  quce 
sunt  Dei,  Deo.  Si  Cesar  peut  exigcr  qu'on  lui 
rende  ce  qui  lui  appartient,  a  plus  forte 
raison  Dieu  a-t-il  droit  que  I'homme,  marqu^ 
h  son  image  et  a  sa  ressemblance,  n'oublie 
pas  ses  devoirs  envers  lui.  —  Que  de  1  jmiere 
dans  ces  quelques  paroles  de  Jesus!  Combien 
de  rajiporls  delicats  elles  pourraient  regler, 
si  des  politiques  anti-chretiens  voulaient  se 
laisser  regler?  —  Notons  que  chacun  des 
deux  partis  qui  etaient  venus  tenter  Jesus 
rpQoit  ici  la  legon  qui  lui  convient.  Les  Pha- 
risiens  refusaient  a  Cesar  ce  qui  lui  etait  du; 
les  Herodiens  donnaient  bien  peu  de  chose  a 
Dieu  :  aux  uns  et  aux  aulres  d'importants 
devoirs  sont  ainsi  rappeles.  —  Mirabantur 
super  eo.  Jesus  avait  parle  comme  un  nou- 
veau  Salomon  :  chacun  admire  done  juste- 
ment  sa  sagesse. 

d.  La  resurrection  des  morts,  xii,  18-27.  — Parall. 
Malth.  XXII,  23-33;  Luc.  .xx,  27-40. 

S.  Marc  raconte  cet  episode  a  peu  pres 
dans  les   memes   termes  que  S.  Malthieu. 


Nous  renvoyons  done  le  lecteur,  pour  I'expli- 
cation  detaillee,  a  notre  commenlaire  sur  lo 
premier  Evangile,  pp.  429  et  ss. 

18.  —  Sadduccei;  dans  le  grec,  (raSSovixaiot 
sans  article,  par  consequent  :  «  des  Saddu- 
ceens  »;  ce  qui  est  conforme  au  recit  de 
S.  Luc,  oil  nous  lisons :  «  quidam  sadducaeo- 
rum  »,  Naturellement,  ce  n'est  qu'une  depu- 
tation du  parti  sadduceen  que  nous  trouvons 
en  ce  moment  aux  prises  avec  Jesus.  Sur 
cette  sectepuissante.placee,  dans  le  Judai'sme 
d'alors,  aux  antipodes  de  celle  des  Phari- 
siens,  voyez  I'Evang.  selon  S.  Matth.,  p.  71. 
—  Dicunt  resurrectionem,  non  esse.  Les  Sad- 
duceens  etaient  en  effet  les  materialistes  du 
temps  et  du  pays.  —  Interrogabant.  L^  verbe 
est  a  I'aoriste  (eTtspwTYioav)  dans  la  Recepta 
ou,  par  contre,  nous  lisons  epj^ov-rai  au  present, 
au  lieu  du  preterit  venerunt. 

19.  —  Les  Pharisiens  avaient  pose  deux 
questions  au  Sauveur,  I'un?  dogmalique, 
XI,  28,  I'autre  politique,  xii,  4  4  :  les  Saddu- 
ceens  ramenent  la  discussion  sur  le  terrain 
du  dogme.  Le  piege  qu'a  leur  tour  ils  vien- 
nent  tendre  au  Sauveur  est  d'abord  habile- 
mens  masque  par  eux  derriere  un  ordre  de 
Moi'se,  t.  19,  puis  dissimule  plus  habilement 
encore  sous  un  cas  de  conscience  qu'ils  in- 
ventent  pour  la  circonstance  et  qu'ils  propo- 
sent  avec  beaucoup  d'espril,  tt.  20-23.  — 
Si  cujus  frater.  De  meme  S.  Luc.  S.  Matthieu 
dit  plus  simplement  ;  «  Si  quis  mortuus  I'ue- 
rit.  »  —  Dimiserit  uxorem.  Mieux  vaudi'ait 
«  reliquerit  »  (xaTa),t7iri).  —  Resuscitet  semen 
fratri  suo.  S.  Marc  e't  S.  Luc  emploient  le 
verbe  compose  ilxvy.ai-har„  qui  est  plus  ex- 
pressif  que  le  avaatriaet  dii  premier  Evangile. 

20-22.  —  Apres  avoir  rappele  a  Jesus  la 
«  loi  du  Levii'at  »  telle  que  I'avait  decretee 
MoTse(Cfr.  Michael  i-,  Mosaisches  Recht.  ii,  98), 
les  Sadduceens   demontrent   d'une  maniera 


474 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


20.  Or  il  y  avail  sept  freres;  le 
premier  prit  uiie  femme  et  mourut 
sans  laisserd'enfants; 

21.  Et  le  second  I'epousa  et  mou- 
rut, et  il  ne  laissa  pas  non  plus  d'en- 
fants.  Et  le  troisieme  pareillement. 

22.  El  les  sept  I'ont  epousee  pa- 
reillement et  n'ont  point  laisse  de 
posterite :  la  femme  est  morle  aussi 
la  derniere  de  tous. 

23.  A  la  resurrection  done,  lors- 
qu'ils  ressusciteront,  duquel  d'entre 
eux  sera-t-elle  la  femme?  Gar  tous 
les  sept  I'ont  eue  pour  femme. 

24.  Et  Jesus  leurrepondit:N'etes- 
vous  pas  sur  ce  point  dans  I'erreur, 
ne  comprenant  ni  les  Ecritures  ni 
la  puissance  de  Dieu? 

2o.  Gar,  lorsqu'ils  ressusciteront 
d'entre  les  morts,  ils  n'epouseront 
pas  et  ne  seront  pas  epouses;  mais 
ils  seront  comme  les  anges  dans  les 
cieux. 


20.  Septem  ergo  fratres  erant :  et 
primus  accepil  uxorem,  et  raortuus 
est  non  relicto  semine. 

21.  Et  secundus  accepit  eam,  et 
mortuus  est;  et  nee  isle  reliquit  se- 
men. Et  tertius  similiter. 

22.  Et  acceperunt  eam  similiter 
septem  :  et  non  reliquerunt  semen. 
Novissima  omnium  defuncta  est  et 
mulier. 

23.  In  resurrectione  ergo,  cum  re- 
surrexerint,  cujus  de  his  erit  uxor? 
septem  enim  nabueruut  eam  uxo- 
rem. 

24.  Et  respondens  Jesus,  ait  illis  : 
Nonne  ideo  erratis,  non  scientes 
Scripturas,  neque  virtutem  Dei  ? 

2o.  Gum  enim  a  mortuis  resur- 
rexerint,  neque  nubent  neque  nu- 
Lentur,  sed  sunt  sicut  angeli  in 
coelis. 


piquante  qu'elle  est,  suivant  eux,  tout  a  fait 
inconciliable  avec  le  dogma  de  la  resurrec- 
tion. —  Septern  fratres  erani.  Cetle  anecdote 
est  racontee  par  S.  Marc  avec  beaucoup  de 
vie  et  de  rapidite  :  les  details  re^-oivent  en 
outre  dans  sa  narration  quelqc'-  developpe- 
menls  plus  complets  que  dans  K  s  Jcux  autres 
Evangiles.  La  particule  ergo  est  oraise  par 
divers  manuscrits  qui  font  autorite. 

23.  —  In  resurrectione,  c'est-a-dire  dans 
I'autre  vie.  —  Quum  resurrexerint.  Ces  mots 
font  defaut  dans  plusieurs  temoins  impor- 
tants  (B,  C,  D,  c,  Sinait.),  et  ils  semblent  en 
effel  inutiles  apres  «  in  resurrectione  »  :  nous 
croyons  neanmoins  a  leur  authenticite,  cetle 
repetition  etanl  parfaitement  dans  le  genre  de 
S.Marc.  «  Resurrexerint  »  a  pour  sujet  «  sep- 
tem fratres  »  et  «  mulier  ».  —  Cujus  de  his 
erit  uxor?  Les  sept  freres  auront  en  effet  des 
droits  egaux  sur  la  femme  en  question. 

24.  —  Respondens  Jesus.  Les  Sadduceens 
frivoles  avaient  pense  creer  a  Jesus  une  dif- 
ficulte  inextricable  par  cette  «  deductio  ad 
absurdum  »  qui  terminait  etrangenient  leur 
cas  de  conscience.  Mais  ce  sont  eux,  et  non 
pas  lui,  qui  vont  se  trouver  humilies.  — 
Nonne  ideo  erratis...?  Tournure  propre  a 
S.  Marc.  C'est  une  interrogation  a  la  fagon 
des  Hebreux,  deslinee  a  exprimer  une  forte 
affirmation.  Sans  repondre  directement  a  la 
question  que  lui  avaient  posee  ses  adver- 


saires,  Notre-Seigneur  ne  craint  pas  de  leur 
dire  qu'ils  sont  tombes  dans  une  erreur  vrai- 
ment  enorme,  et  cela  par  suite  de  leur  pro- 
fonde  ignorance  :  d'une  part  ils  ne  connais- 
senl  pas  les  Saintes  Ecritures,  d'auire  part  il 
ne  se  font  pas  une  idee  ex-acte  de  la  loute- 
puissance  de  Dieu.  —  Non  scientes  est  une 
construction  anormale,  calquee  sur  le  grec, 
pour  a  quia  nescitis  ». 

2o.  —  Revenanl  sur  son  assertion  du  t.  24. 
Jesus  en  demontre  la  verite  par  deux  raison- 
nements  qui  correspondent  a  chacune  des 
deux  parties  qu'elle  renfermait.  —  Cum  enim 
a  mortuis...  C'est  le  premier  raisonnement  : 
il  developpe  les  mots  «  non  scientes  virtutem 
Dei.  v— Neque  nubent...  Ici-bas,  le  mariage  a 
ete  institue  en  vue  de  perpetuer  la  famille 
humaine,  qui,  sans  lui,  ne  tarderait  pas  a, 
s'eteindre;  mais  au  ciel,  ou  il  n'y  aura  pas 
de  vides  crees  par  la  raort,  cetle  institution 
n'aura  aucune  raison  d'etre.  Les  Sadduceens 
se  trompenl  done  en  prenant  les  fails  de  la 
vie  presente  pour  criterium  de  ce  qui  aura 
lieu  dans  la  vie  future,  comme  si  Dieu  ne 
pouvait  rien  changer  a  Tetat  actuel  des  hom- 
mes.  —  Erunt  sicut  angeli.  Ces  paroles  con- 
tiennenl  I'une  des  rares  revelations  positives 
qui  nous  ont  dte  failes  sur  noire  maniere 
d'etre  dans  I'autre  vie.  Nous  ne  pourrions 
souhaiter  rien  de  plus  honorable. 

26  et  27.  —  De  mortuis  autem...  Second 


CHAPITRE  XII 


Mo 


26.  De  mortiiis  autem  quod  resur- 
gant,  non  legistis  in  libro  Moysi, 
super  rubum,  quomodo  dixerit  illi 
Deus ,  inquiens  :  Ego  sum  Deus 
Abraham,  et  Deus  Isaac,  et  Deus 
Jacob? 

Exod.  3,  6;  Matth.  22,  32. 

27.  Non  est  De.us  mortuorum,  sed 
vivorum.  Vos  ergo  multum  erratis. 

28  Et  accessit  unus  de  Scribis, 
qui  audierat  illos  conquirentes,  et 
videns  quoniam  bene  illis  responde- 
nt, interrogavit  eum  quod  esset  pri- 
mum  omnium  mandatum. 

Matth.  22,  35. 

29.  Jesus  autem  respondit  ei  : 


26.  Quant  a  ce  que  les  morts  res- 
suscitent,  n'avez-vous  pas  lu  dans 
le  livre  de  Moise,  a  Tendroit  du 
Buisson,  commeut  Dieu  lui  parla, 
disant :  Je  suis  le  Dieu  d' Abraham, 
le  Dieu  d'Isaac  et  le  Dieu  de  Jacob? 

27.  II  n'est  pas  le  Dieu  des  morts, 
mais  des  vivants.  Vous  etes  done 
grandement  dans  I'erreur. 

28.  Alors,  un  des  Scribes,  qui  les 
avait  entendus  discuter,s'approcha, 
et  voyant  qu'il  leur  avait  bien  re- 
pondu,  il  lui  demanda  quel  etait  le 
premier  de  tous  les  commande- 
ments. 

29.  Et  Jesus  lui  repondit  :  Voici 


raisonnement,  el  preuve  que  les  Sadduceens 
ignorent  les  Eciilures.  S'ils  connaissaient 
mieiix  la  Bible,  ne  sauraieuL-ils  pas  qu'elle 
renferme  des  textes  tres-frappants  en  laveur 
de  la  resurrection,  notamment  ceiui  ou  le 
Seigneur  s'appelle  le  Dieu  des  trois  illustres 
fondateurs  de  la  nation  juive?  Jehova,  vou- 
lant  prendre  un  lilre  glorieux,  se  serail-il 
bien  nomme  le  Dieu  de  queiques  ossemenls 
reduils  en  poussiere  depuis  plusieurssiecles? 
C'est  ce  qu'il  faudraildire  dans  le  cas  ou  les 
Sadduceens  auraient  raison.  Mais  non,  ils  se 
trompent  au  contraire  grossierement,  vos 
ergo  multum  erralis t  iesus  le  leur  repete  a  la 
fin  de  son  argumentation.  lis  s'etaienl  ap- 
puyes  sur  le  nom  et  sur  I'autorile  de  Moise 
pour  embarrasser  le  Sauveur  :  celui-ci  in- 
voque  le  meme  nom  et  la  memo  autorile  pour 
les  refuter  et  les  confondre.  —  L'expressian 
super  rubum,  inl  tou  pdrou,  commune  a 
S.  Marc  et  a  S.  Luc,  a  ete  souvent  mal  com- 
prise. Elle  ne  designe  pas  le  lieu  celebre  au- 
Fres  duquel  Jehova  apparut  a  Moise,  mais 
endroit  de  I'Exode  ou  se  trouve  le  texte 
cite  par  Notre-Seigneur,  II  faut  done  la  rat- 
lacher  a  «  legistis  »,  et  non  a  «  dixerit  ». 
Les  anciens,  n'ayanl  pas  encore  de  divisions 
en  chapitres  et  en  versels,  no  pouvaient  ren- 
voyer  I'auditeur  ou  le  lecleur  a  lei  ou  tel 
passage  des  livresqu'ils  citaient,  que  par  une 
indication  liree  du  sujel,  d'une  de  ses  cir- 
constances  principales,  etc.  C'est  ainsi  que 
les  Juifs  donnaienl  au  chap,  in  de  I'Exode, 
a  Ezechiel,  r,  45-28,  a  II  Reg.  i,  17-27,  les 
noms  de  Buisson,  de  Charriot,  d'Arc.  Com- 
parez  Rom.  xi,  2,  ou  S.  Paul  emploie  les  mots 
dv  'HXt'a  pour  designer  la  section  des  Saints 
Livres  relative  a  Elie.Les  chapitres  du  Goran 
sont  souvent  indiques  de  la  meme  maniere, 


comma  aussi   certaines  parties  des  poesies 
d'Homere. 

e.  Quel  est  le  premier  commandement?  xii,  28-34. 
Parall.  Matth.  xxii,  34-40. 

Le  rt5cit  de  S.  Marc  est  ici  beaucoup  plus 
complet  que  celui  de  S.  Matthieu.  11  abonde 
en  traits  nouveaux,  lellemenl  nouveaux  par- 
fois  qu'on  a  crie  a  la  contradiction  dans  le 
camp  rationaliste.  Nous  apprecierons  plus 
bas  celte  accusation. 

28.  —  Accessit  unus  de  Scribis...  Details 
piltoresques.  Ce  Scribe,  m^le  a  la  foule,  avait 
assiste  sinon  a  toutes  les  discussions  que  Je- 
sus venait  de  soutenir  conlre  ses  adversaires, 
du  moins  a  celle  qui  s'etait  livree  en  dernier 
lieu,  tT^.  18-27.  Charme  des  reponses  du  jeune 
Docteur,  il  s'avance  respectueusementjusqu'a 
lui  et  lui  pose  a  son  tour  une  question  deli- 
cate, vivement  debattue  dans  les  ecoles 
juives  (voyez  TEvang.  selon  S.  Matth.  p.  433) : 
Quod  esset primmn  omnium  mandatum.  «  Om- 
nium »  est  au  neulre  d'apres  le  texte  grec, 
irptoTT)  uavTwv  £vto),ii  (TtaCTwv  qu'on  trouve  dans 
queiques  manuscrits  est  une  correction  arbi- 
iraire) ;  la  traduction  litterale  de  ce  passage 
serait  done  :  le  premier  commandement  de 
toutes  choses.  Les  classiques  grecs  et  latins 
employaient  souvent  tiS;,  «  omnis  »,  d'une 
fagon  analogue,  pour  donner  plus  de  force 
au  superlatif.  Cfr.  Winer,  Grammalik,  p.  160; 
Beelen,  Gramm.  grsecit.  N.  T.  p.  179; 
Frilzsche  et  Schegg,  h.  1. 

29  et  30.  —  A  I'interrogalion  du  docteur, 
Jesus  repond  de  la  maniere  la  plus  simple, 
par  une  citation  de  la  Bible.  Vous  me  deman- 
dez  quel  est  le  premier  commandement. 
Pour  vous  le  dire,  jo  n'ai  qu'a  vous  rappeler 
une  parole  do  Moise  :  Audi,  Israel;  Domi~ 


<76 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


quolest  le  premier  de  tous  les  com- 
mandements  :  Ecoute,  Israel;  ton 
Dieu  est  le  Dieu  unique; 

30.  Et  Ui  aimeras  le  Seigneur  ton 
Dieu  de  tout  ton  coeur,  et  de  toute 
ton  ame,  et  de  tout  ton  esprit,  et  de 
toute  ta  force.  G'est  le  premier  com- 
manderaent. 

3  i .  E I  le  second  lui  est  semblable : 
Tu  aimeras  ton  prochain  comme 
toi-meme.  II  n'y  a  pas  d'autre  com- 
maudement  plus  grand  que  ceux-la. 

32.  Et  le  Scribe  lui  dit  :  Bon 
Maitre,  vous  avez  dit  en  toute  ve- 
rite  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu  et 
qu'il  n^y  en  a  pas  d'autre  que  lui; 

33.  Et  qu'on  doit  Taimer  de  tout 
son  coeur,  et  de  toute  son  intelli- 
gence, et  de  toute  son  ame,  et  de 
toute  sa  force ;  et  aimer  son  pro- 
chain  comme  soi-meme,  c'est  plus 
grand  que  tous  les  holocaustes  et 
les  sacrifices. 


Quia  primum  mandatum  est :  Audi, 
Israel;  Dominus  Deus  tuns,  Deus 
unus  est  : 

Beut.  6,  4. 

30.  Et  diliges  Dominum  Deum 
luum  ex  toto  corde  tuo,  et  ex  tota 
anima  tua,  et  ex  tota  mente  tua,  et 
ex  tota  virtute  tua.  Hoc  est  primum 
mandatum. 

31.  Secundum  autem  simile  est 
illi  :  Diliges  proximum  tuum  tan- 
quam  teipsum.  Majus  horum  aliud 
mandatum  non  est. 

LevU.  19,  18;  MaUh.iiL,  39;  Rom.  13,  9;Galat.  5, 14; 
Jac.  2,  8. 

32.  Et  ait  illi  scriba  :  Bene,  Magi- 
ster,  in  veritate  dixisti,  quia  unus 
est  Deus,  et  non  est  alius  prseter 
euni. 

33.  Et  ut  diligatur  ex  toto  corde, 
et  ex  toto  intellectu,  et  ex  tota  ani- 
ma, et  ex  tota  fortitudine;  et  dili- 
gere  proximum  tanquam  seipsum, 
majus  est  omnibus  holocautomati- 
bus,  et  sacrificiis. 


nus  tuus...  Ces  paroles  d'introduction,  que 
S.  Marc  a  seul  consorvees,  sont  celebres  dans 
le  Judai?me,  ou  elles  sont  devenues  comme 
I'expression  populaire  et  conden^ee  de  la  foi 
d'Israel.  On  les  nomme  le  Schema  ('J'O'O, 
ecoute)  :  c'est  par  elles  que  commence  la 
priere  du  malin  et  du  soir,  el  les  Juifs  aimenl 
a  les  repeler  en  guise  d'exclamation  :  Schema 
Israeli  Cfr.  Vitringa,  Synag.  ii,  3,  45;  Bux- 
torf,  Synag.  c.  ix  ;  Schwab,  Traile  des  Bera- 
cliolh,  p.  177.  —  JEt  diliges...  S'il  n'y  a  qu'un 
seul  Dieu,  nous  devons  I'aimer  sans  partage, 
de  touies  les  puissances  de  notre  ame.  C'est 
ce  qu'exprime  energiquement  la  longue  no- 
menclature ex  toto  corde  tuo,  etc.  Dans  le 
passage  du  Deuieronome  cite  par  Jesus,  on 
ne  lit" que  trois  substantifs  :  2S,  U?SJ,  INQ, 
coeur,  ams  et  force.  Les  Septanle  tradui- 
sent  exactement  le  second  et  le  iroisieme 
((}/u)^ri  et  ouva(xii;) ;  ils  rendenl  le  premier  par 
Stavota,  esprit,  pensee.  Notre-Seigneur,  d'apres 
S.  Marc,  i'ondit  ensemble  le  texle  et  la  ver- 
sion, en  ajoutant  un  quatrieme  substantif 
emprunte  a  celle  derniere  :  xapoia,  •]>\)yri,  lax'J? 
(synonyme  de  6uva|j.i?)  et  Sidvoia.  S.  Mallhieu 
omel  iayy^.  —  Tout,  dans  Thoinme,  doit  done 
aim(  r  Dieu  :  le  coeur  d'abord,  pui>que  c'est 
I'organe  de  I'amour;  mais  aussi  lame  et  I'es- 


prit,  c'est-a-dire  les  facultes  intellectuelles; 
mais  aussi  la  force,  c'est-a-dire  ['ensemble 
de  nos  energies  et  de  nos  puissances.  Voycx 
Theophylacte,  h.  I. 

31.  —  Secundum  autem...  II  y  a  ici  plu- 
sieurs  variantes,  peu  importantes  du  reste, 
dans  le  texle  grec  :  xal  osyxepa  daota  aOvij 
(Recepta),  oeuTspa  ojxota  ct'jzri  (divers  manus- 
critssuivis  par  Lachmann),  SeuTs'pa  aOtri  (d'au- 
tres  manuscrits  suivis  par  Tisctiendorif/.  — 
On  n'a  demande  au  Sauv  ur  qu'un  seul  com- 
manderaent,  et  voici  qu'il  en  mentionne 
deux!  Mais  ii  existe  enlie  le  preceple  de  I'a- 
mour de  Dieu  et  celui  de  la  charite  fraler- 
nelle  une  telle  cohesion,  qu'ils  ne  forment  en 
realite  qu'un  seul  et  meme  commandement, 
qui  est  I'alpha  el  I'omega  de  la  Loi. 

32  et  33.  —  Bene,  inagister.  Le  Scribe 
avail  admire  les  repon-es  anierieures  de  Je- 
sus ,  celle-ci  ne  le  frappe  moins  par  sa  verity, 
par  sa  bonle.  II  adresse  done  tout  d'abord  a 
Nolre-Seigneur  un  eloge  public.  Puis,  non 
content  d'approuver  hautement  sa  decision, 
il  la  repele  avec  emphase,  quia  unus  est 
Deus...  et  ut  diligatur...,  en  y  ajoutant  une 
conclusion,  majus  est  omnibus...,  qui  montre 
qu'il  en  a  tres-bien  saisi  le  sens  el  la  portee. 
Lui  aussi,  il  cite  libreraent  le  teste  du  Deu- 


34.  Jesus  autetn  videns  quod  sa- 
pienter  respondisset,  dixit  illi  :  non 
es  longe  a  regno  Dei.  Et  nemo  jam 
audebat  eum  interrogare. 

3b.  Et  respondens  Jesus  dicebat, 
docens  in  templo  :  Quomodo  dicunt 
Scribse  Christum  filium  esse  David? 


CHAPITRE  XII 


477 


Et  Jesus,  voyant  qu*il  avait 
sagement  repondu,  lui  dit  :  Tu  n'es 
pas  loin  du  royaume  de  Dieu.  Et 
personne  n'osait  plus  I'interroger. 

33.  Et  Jesus,  prenant  la  parole  et 
enseignant  dans  le  temple,  disait : 
Comment  les  Scribes  disent-ils  que 
le  Christ  est  fils  de  David  ? 


t^ronome,  car  il  insere  dans  la  serie  des  fa- 
culles  hiimaines  qui  doiveiit  aimer  Dieu  la 
<yuv£'(Tt;  [intellectus),  de  meme  que  Jesus  y 
avait  insere  la  Stdvoia. 

34.  —  Jesus  videns  quod...  Dans  le  grec, 
lYi(Toy;l8wvauT6v,6Ti...,«  videns  eum, quod... »: 
construction  frequemment  employee  par  les 
classiques.  —  Sapienter.  Le  mot  grec  corres- 
pondant,  voyvexw;,  ne  se  rencontre  pas  ailleurs 
dans  le  Nouveau  Testament.  Cast  une  abre- 
viation  pour  vouv  exovtw?.  —  Dans  la  parole 
adressee  au  Scribe  par  Notre-Seigneur,  Non 
es  longe  a  regno  Dei,  de  Wette  et  d'autres 
interpretes  veulent  voir  une  litote,  mais  a 
tort ;  en  effet,  ce  Docteur  de  la  Loi,  bien  qu'il 
eut  manifeste  des  sentiments  tres  sympa- 
thiques  a  la  personne  de  Jesus,  ne  croyait 
pas  encore  en  son  caractere  messianique  et 
divin,  ce  qui  etait  necessaire  pour  faire  par- 
lie  du  Royaume  de  Dieu.  Neanmoins  la  scene 
qui  precede  a  suffisamment  montre  qu'il  etait 
sur  le  seuil  de  I'Eglise,  et  qu'il  n'avait  plus 
qu'un  pas  a  faire  pour  devenir  un  citoyen  du 
Royaume  des  cieux.  De  la  celte  parole  encou- 
rag'eanle,  par  laquelle  Jesus  le  presse  d'ac- 
querir  ce  qui  lui  manque  et  de  devenir  un 
Chretien  complet.  «  Si  non  procul  es,  intra  ; 
alias  praestilerit  procul  fuisse.  »  —  Arrivons 
maintenant  a  la  difficulle  que  nous  avons 
annoncee  au  debut  de  cet  episode.  S.  Mat- 
thieu  et  S.  Marc  ne  se  contredisent-ils  pas? 
D'apres  le  premier  Evangile,  le  Scribe  nous 
est  ouvertement  presente  comme  un  ennemi 
d-e  Jesus  :  «  Les  Pharisiens,  apprenant  que 
Jesus  avait  reduit  les  Sadduceens  au  silence, 
se  reunirent,  et  I'un  d'eux,  Docteur  de  la  Loi, 
I'interrogeaPOURLE  tenter.  »Malth.xxii,  34 
et  35.  Dans  le  second  Evangile  au  contraire, 
non  seulcment  ce  Scribe  ne  parait  avoir  eu 
aucune  intention  hostile,  mais  il  admire 
Notre-Seigneur,  t.  28,  il  le  comble  d'eloges, 
t.  32,  et  merite  d'en  etre  loue  a  son  tour. 
N'est-ce  pas  le  ouietlenonsur  un  meme  point? 
Assurement,  pour  quiconque  cherche  et  veut 
trouver  quand  m^medes  contradictions  dans 
les  recils  evangeliques,  les  variantesque  nous 
venons  de  signaler  en  fourniront  une  qu'on 
peut  faire  valoir  sans  beaucoup  de  peine ; 
mais  nous  nions  qu'elle  existe  pour  les  esprits 
serieux,  impartiaux,  non  imbus  de  prejuges 

S.  Bible.  S. 


dogmatiques.  On  concilie  aisement  les  deux 
recits  en  disant  que  les  Evangeiistes  envi- 
sagent  I'incident  a  deux  points  de  vue  dis- 
tincls.  Ce  qui  a  frappe  surtout  S.  Maithieu, 
c'est  le  motif  qui  conduisit  le  Scribe  aupres 
de  Jesus  :  de  fait,  il  se  presentait  pour  tendre 
un  piege  a  Notre-Seigneur;  nous  le  voyons 
agir  tout  d'abord  comme  le  champion  des 
Pharisiens,  quoiqu'il  ne  parlageat  ni  toute 
leur  haine  centre  Jesus,  ni  toutes  leurs  idees 
dtroites  en  fait  de  religion.  C'est  precisement 
ce  cote  recommandabie  du  Docteur,  son  im- 
partialite,  le  courage  avec  lequei  il  reconnuL 
la  verite,  que  S.  Marc  a  voulu  metlre  en  re- 
lief. De  la  les  couleurs  differentes  des  deux 
narrations.  Mais,  en  reunissant  ces  trails 
epars,  on  obtient  un  tableau  tres  unique,  oil 
tout  s'accorde  parfailement.  —  Nemo  jam 
audebat...  Tel  fut  le  resultat  de  ces  nom- 
breusesaltaquesdirigees  coup  sur  coup  centre 
le  Sauveur  par  ses  ennemis.  Elles  aboutirent 
pour  eux  a  un  echec  complet.  Naguere  si 
audacieux,  les  voila  maintenant  intimides, 
reduits  au  silence.  Qui  aurait  ose  desormais 
se  mesurer  avec  Celui  aui  avait  ainsi  triom- 
phe  desprelres  etdes  rabbins? 

f.  Le  Messie  et  David,  xu,  35-37.  —  Parall, 
Matih.  xxH,  41-46;  Luc.  xx,  41-44. 

35.  —  Respondens  Jesus.  Tous  les  adver- 
saires  de  Jesus  se  taisenl.  Pour  lui,  il  prend 
la  parole  afin  de  rendre  leur  defaite  plus 
complete.  II  les  humilie  d'abord  en  leur  po- 
sant  un  probleme  qu'ils  sent  incapables  d© 
rdsoudre,  tt.  35-37;  puis,  il  met  le  peuple  en 
garde  contre  ces  guides  hypocrites,  tt.  38-40. 
—  Docens  in  templo.  La  scene  continue  done 
de  se  passer  sous  les  galeries  du  temple 
(ev  Tw  lepw),  par  consequent  en  face  de  la 
foule,  que  les  discussions  precedentes  avaient 
attiree  aupres  de  Jesus  et  de  ses  ennemis.  Ce 
trait  est  propre  a  S.  Marc.  —  Quomodo  dicunt 
Scribce...  C'esl-a-dire  :  «  Quomodo  consist  ere 
potest  quod  dicunt  Scribae,  scilicet,  Chri- 
stum esse  filium  David?  »  Remarquez  la  dif- 
ference oui  existe  ici  entre  les  recits  du  pre- 
mier et  du  second  Evangile.  Contre  I'ordi- 
naire,  c'est  S.  Maithieu  qui  est  le  plus  pitto- 
resque,  le  plus  complet;  il  decrit  I'incident 
sous  la  forme  d'un  dialogue  qui  eut  lieu 
Marc.  —  12 


ils 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


36.  Car  David  lui-m6me  a  dit, 
inspire  par  rEsprit-Saint  :  Le  Sei- 
gneur a  dit  a  mon  Seigneur  :  As- 
si^ds-toi  a  ma  droite,  jusqu'a  ce  que 
j'aie  fait  de  tes  ennemis  I'escabeau 
de  tes  pieds. 

37.  David  lui-m6rae  I'appelle  done 
Seigneur;  et  comment  est-il  son 
filstEt  une  grande  foule  Tecoutait 
avec  plaisir. 

38.  Et  il  leur  disait  dans  ses  en- 
enseignements  :  Gardez-vous  des 
Scribes,  qui  veulent  marcher  avec 
de  longues  robes ,  et  etre  salues 
dans  les  places  publiques, 

39.  Et  s'asseoir  sur  les  premiers 


36.  Ipse  enim  David  dicit  in  Spi- 
ritu  sancto  :  Dixit  Dominus  Domino 
meo:  Sede  a  dextris  meis,  donee  po- 
naminimicos  tuos  scabellum  pedum 
tuorum. 

Psal.  109, 1;  Matth.  22,  44;  Luc.  20,  42. 

37.  Ipse  ergo  David  dicit  eum 
Dominum,  et  unde  estfilius  ejus?  Et 
multa  turba  eum  libenter  audivit. 

38.  Et  dicebat  eis  in  doctrina  sua : 
Cavete  a  Scribis,  qui  volunt  in  stobs 
ambulare,  et  salutari  in  foro, 

Match.  23,  5;  Luc.  II,  43  et  20,  46. 

39.  Et  in  primis  cathedris  sedere 


entre  Jesus  et  les  Pharisiens.  S.  Marc  abrege, 
et  presente  le  fait  comme  si  c'eul  ele  une 
simple  question  adressee  aupeuple  parNolre- 
Seigneur  touchant  I'enseigneinenl  des  Scribes. 
La  narration  de  S.  Luc  tient  le  milieu  entre 
les  deux  aulres. 

36.  —  Ipse  enim  David.  Le  pronom  «  ipse  » 
€st  emphalique.  De  meine  au  versel  suivanl. 
David,  parlant  dans  le  Ps.  cixe  (cxe  d'apres 
I'hebr.)  comme  un  prophete  inspire,  et  don- 
nant  au  Messie  le  titre  de  Mon  Seigneur,  ne 
conlredit-il  pas  I'assertion  des  Scribes?  Esl-il 
possible  en  elTet  qu'on  soit  en  meme  temps  le 
fils  et  le  Seigneur  de  quelqu'im?  Telle  est 
robjeclion  proposee  par  Jesus.  Voyez  I'expli- 
cation  delaillee  dans  I'Evangiie  selon  S.  Mat- 
thieu,  p.  435. 

37.  —  Unde  est  filius  ejus'^M.  Renan  ose 
affirmer  que  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ,  par 
celte  argumentation,  repudie  pour  ce  qui  le 
concerne  toule  pretention  a  une  origine  davi- 
dienne.  Un  autre  rationaliste,  M.  Colani,  a 
ete  ou  plus  clairvoyant,  ou  plus  sincere, 
quand  il  a  dit  ;  «  Ce  raisonnement  de  Jesus 
n'est  pas  un  argument  frivole  et  des  plus 
subtils,  destine  a  jeter  les  Scribes  a  leur 
tour  dans  I'embarras,  comme  ils  ont  essaye 
de  I'y  jeter  a  plusieurs  reprises.  Ce  n'est  pas 
un  tour  de  sophiste.  S'appuyant  sur  un  pas- 
sage d'un  psaume,  qu'il  interprete  comme  les 
Scribes  eux-memes,  il  declare  que  le  Messie 
doit  elie  infiniment  plus  grand  qu'un  David, 
qu'un  roi  temporel.  »  Jesus-Christ  et  les 
croyances  messianiques  de  son  temps,  p.  105. 
En  effet,  infiniment  plus  grand,  puisqu'il  est 
vraimenl  Fiis  do  Dieu.  Telle  est  la  clef  de 
I'enigme  :  David  appelle  le  Christ  son  Sei- 
gneur, bien  qu'd  dul  etre  son  fils  d'apres  la 
nature  humaine,  parce  qu'il  devait  participer 
en  meme  temps  a  la   nature  divine.  Ainsi 


done,  les  Scribes  n'ont  pas  tort,  et  le  pro- 
phete royal  a  raison.  —  Et  multa  turba  eum 
libenter  audivit.  Beau  trait,  que  nous  ne  trou- 
vons  que  dans  le  second  Evangile.  «  Multa 
turba  »;  dans  le  grec,  6  ttoau;  6y).oz,  avec  I'ar- 
ticle,  la  foule  exlrememeiit  nombreuse  qui 
s'etait  groupee  autour  d(3  Jesus  L^^  peuple, 
qui  a  si  facilcaient  le  sens  du  vrai  et  du 
divin,  elait  done,  charme  par  I'eloquence  du 
Sauveur,  suspend u  a  ses  levres,  comme  Ton 
dit.  Les  Phansien-.  s'elaient  pourtant  propose 
de  le  rendre  hostile  a  Jesus  ;c'est  le  contraire 
qui  est  arrive. 

g.  Cavete  a  Scrib:s.  xii,  38-40.  —  ParaU.  Matth. 
xxm,  1-36;  Luc.  xx,  45-47. 

38  et  39.  —  «  Apres  avoir  refute  los  Scribes 
et  les  Pharisiens,  Jesus  biule,  ainsi  qu'avec 
du  feu,  ces  modeles  arides.  »  S.  Jerome,  in 
Matlh.  Feu  brulant,  en  verite,  qui  reduit  en 
cendres  le  masque  de  la  sainteto  pharisai'que, 
Mais  S.  Marc  n'a  conserve  qu'un  court  cxtrait 
du  long  discours,  tout  parseme  d'analhemes, 
que  nous  avons  lu  dans  S.  Mallhieu  (voyez 
le  Commentaire,  pp.  436  et  ss.).  Le  requisi- 
toire  de  Jesus  conlre  les  Pharisiens  avait 
nioins  d'importance  pour  les  Ibcteurs  du  se- 
cond Evangile  que  pour  ceux  du  premier. 
Neanmoins,  les  quelques  lignes  citees  par 
notre  Evangeliste  resument  fort  bii^n  la  pen- 
see  du  Sauveur,  en  nous  presentant  les  vices 
les  plus  saillants  et  les  plus  caracteristiques 
de  la  secte  orgueilleuse,  avarc,  hypocrite.  — 
In  doctrina  sua.  De  meme  en  grec  :  ev  i% 
otSaxri  auToO.  C'est-a-dire  «  dum  doceret  », 
ou  bien  «  in  scrmone  suo  ».  Cl'r.  iv,  2.  — 
Cavste  a  scinbis.  G'est  le  mot  d'ordre.  Defiez- 
vous  de  vos  Docteurs !  Prenez  garde  a  leurs 
mauvais  exemples,  qui  pourraient  vous  en- 
trainer  au  mal !  Les  details  qui  suivent  jusli- 


CHAPITRE  XII 


179 


in  synagogis,  et  primos  discubitus 
inccBnis; 

40.  Qui  devorant  domos  viduarum 
sub  obtentu  prolixsB  orationis  :  hi 
accipient  prolixius  judicium. 

41.  Et  sedens  Jesus  contra  gazo- 
phylacium,  aspiciebat  quomodo  tur- 
ba  jactaret  ses  in  gazophylacium,  et 
multi  divites  jactabant  multa. 

Luc.  24,  I. 

42.  Gum  venisset  autem  vidua 


sieges  dans  les  synagogues,  et  aux 
premieres  places  dans  les  festins; 

40.  Qui  devorent  les  maisons  des 
veuves  sous  pretexte  de  prieres 
prolongees.  lis  subiront  un  juge- 
ment  plus  prolonge. 

41.  Et  Jesus,  s'etant  assis  vis-a- 
vis du  tronc,  regard  ait  de  quelle 
maniere  le  peuple  y  jetait  de  I'ar- 
gei)\.  el  plusieurs  riches  y  en  je- 
taient  beaucoup. 

42.  Mais  une  pauvre  veuve,  etant 


fient  celte  recommandation  de  Jesus,  donnent 
]a  raison  de  eel  oslracisme.  —  Qui  volunt... 
Le  Saiiveur  aUaqiie  d'abord  I'orgueil  pha- 
risaique.  Qiialre  traits  piltoresques  nous 
monlrent  les  Scribes  superbes  en  qii^te  de 
toute  sorte  d'honneurs.  —  In  alolisamhidare. 
La  «  stola  »  ((jto),t)  des  Grecs)  etait  une  sorle 
de  robe  longue  et  floltante,  qu'on  portait  au- 
trefois aussi  bien  en  Occident  qu'en  Orient. 
Les  Phansiens  aimaient  a  donner  a  ce  vete- 
ment  de  vasles  dimensions,  pour  mieux  alti- 
rer  par  la  rallenlion  du  public.  —  Salutari 
in  foro.  Ces  vaniteiix  personnages  -voulaient 
que  tout  le  monde  s'inclinat  profondement 
devanl  eus.  lis  avaient  meme  porte  des  de- 
crets  dans  ce  but.  —  II  leur  fallait  aussi 
les  premiers  fauteuils  dans  les  synago- 
gues, les  premiers  divans  dans  les  festins, 
c'est-a-dire  les  places  les  plus  honorables 
dans  les  assemblees  soit  sacrees,  soit  pro- 
fanes. —  Remarquez,  a  la  fin  du  t.  39,  un 
changement  dans  la  construction.  Au  lieu 
d'un  verbe  a  I'infinitif,  «  discumbere  »,  nous 
avons  un  substantif  a  raccusalif,  discubitus, 
qui  depend  egalement  de  «  volunt  ».  C'est  co 
qu'on  appelle  «  oralio  variala  ».  Dans  le  texte 
grec,  ce  changemi^nt  avait  eu  lieu  des  le 
"t-  38  :  y.od  aoTCaajj-ou;  £V  xat?  aywpaT?,  xat  itpto- 
toxaOoOpta;  ev  xat?  ayvaYwyat;. . . 

40.  —  Jesus  fletrit  en  second  lieu  I'avarice 
des  Scribes.  —  Devorant  domos  viduarum. 
Crime  deja  bien  revoltant  en  hii-meme,  mais 
aggrave  encore  par  une  circonstance  qui  y 
ajoulait  la  malice  d'un  sacrilege,  sub  obtentu 
proUx(v  orationis.  —  Prolixius  judicium,  iea 
de  mots  a  la  faQon  crientale.  Dieu,  s'il  est 
permis  de  parler  ainsi,  sera  prolixe  dans  son 
jugement  a  I'egard  des  Scribes,  de  meme 
qu'ils  auront  fait  semblant  de  I'elre  dans 
leurs  prieres  impures. 

5.  —  Le  denier  de  la  veuve,  xn,  41-44, 
Parall.  Luc.  xxi,  1-4. 

Episode  pacifique  qui  termine  une  journee 
de  lutles  ardentes,  perle  des  plus  gracieuses 


du  S.  Evangile,  Ce  trait  contraste  d'une  ma- 
niere frappante  avec  les  dernieres  paroles  du 
Sauveur,  t.  40.  Jesus  vient  de  nous  montrer 
de  pretendus  hommes  de  Dieu  qui  devo- 
raient  avidemenl  les  ressources  des  veuves. 
Nous  voyons  ici  une  veuve  reduite  a  la  der- 
niere  pauvrete  et  donnant  quand  meme  tout 
son  avoir  pour  la  gloire  du  culle  divin. 

41.  —  L'Evangeliste  decrit  d'abord  la  si- 
tuation. Quel  vivant  tableau  il  trace  par 
quelques  mots!  Le  temple  et  ses  cours,  Jesus 
assis  sous  le  portique,  la  multitude  bigarree 
despelerins  qui  vient  jeter  ses  aumones  dans 
les  troncs  :  c'est  tout  un  monde  que  S.  Marc 
place  ainsi  sous  nos  yeux.  —  Sedens.  Son 
discours  termine,  Notre-Seigneurs'etait  done 
retire  du  milieu  de  la  foule  et  etait  venu  so 
reposer  sur  un  des  bancs  places  dans  la  cour 
des  parens.  —  Contra  gazophylacium.  Ce 
nom,  forme  du  mot  persan  greciseya^a,  tresor, 
et  de  (pyXaaaetv,  garder,  servait  a  designer 
tantot  le  tresor  du  temple,  Cfr.  Jos.  Ant. 
XIX,  6,  1,  tantot  les  troncs  destines  aux 
offrandes,  qui  se  trouvaient  dans  les  divers 
parvis.  II  a  ici  cetle  seconde  signification. 
C'est  en  face  de  i'lin  de  ces  troncs  que  Jesus 
etait  alors  assis.  —  Aspiciebat,  IQewpgi,  il 
regardaitavec  attention,  il  examinait  la  scene 
qu'il  avait  sous  les  yeux.  —  Quomodo  turba 
jactaret...  Les  Juils  etrangers,  venus  en 
grand  nombre  a  Jerusalem  pour  la  Paque, 
apportaient  tour  a  lour  leurs  aumones  volon- 
taires.  —  Multi  dioites  jactabant  mulla.  II  y 
a  dans  ces  mots  une  emphase  visible.  On 
croirait  voir  ces  riches  faisant  lomber  avec 
ostentation  leurs  genereuses  otfrandes  dans 
le  tronc. 

42.  —  Mais  quelle  antithese!  Voici  qu'au 
milieu  de  la  foule  s'avance  vidua  una  pauper, 
qui,  elle  aussi,  veul  donner  quelque  chose 
pour  le  temple.  «  Una  »  et  «  pauper  »  sont 
evid(Mnmenl  opposes  a  «  multi  divites  »  du 
"Sir.  41.  Les  mots  suivants,  misit  duo  miniita^ 
sent  de  meme  opposes  a  «  jactabant  multa  ». 
Mais  qu'est-ce  qu'un  «  minulum))?  ou  mieux. 


r80 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


Tenue,  j  mit  deux  petites  pieces 
valant  le  quart  d'uu  as. 

43.  Et,  appelant  ses  disciples,  il 
leur  dit :  Je  vous  dis  en  verite  que 
cette  pauvre  veuve  a  plus  mis  que 
tons  ceux  qui  out  mis  dans  le  tronc. 

44.  Car  tous  ont  mis  de  ce  qui 
abondait  chez  eux ;  mais  elle  a  mis 
de  son  indigence,  tout  ce  qu'elle 
avait,  tout  ce  qui  lui  restait  pour 
vivre. 


una  pauper,  misit  duo  minuta,  quod 
est  quadrans. 

43.  Et  convocans  discipulos  suos, 
ait  illis  :  Amen  dico  vobis,  quoniam 
vidua  hsec  pauper  plus  omnibus 
misit,  qui  miserunt  in  gazophyla- 
cium. 

44.  Omnes  enim  ex  eo  quod  abun- 
dabat  illis  miserunt  :  hsec  vero  de 
penuria  sua  omnia  quae  habuit  mi- 
sit, totum  victum  suum. 


CHAPITRE    XIII 


Jesus  prophetise  la  destruction  du  tpmple  de  Jerusalem  [tt.  1-4).  —  Partant  de  la,  il  decrit 
les  divers  evenements  qui  precederont  soil  la  ruine  de  Jerusalem,  soit  la  fin  du  raonde 
[tt.  5-31).  —  Exhortation  a  la  vigilance  (tt.  32-37). 


1.  Et,  comme  il  sortait  du  temple, 
lun  de  ses  disciples  lui  dit  :  Maitre, 


1.  Et  cum  egrederetur  de  templo, 
ait  illi  unus  ex  discipulis  STiis  :  Ma- 


qu'est-ce  qu'un  ),£::t6v,  puisque  telle  est 
I'expression  employee  dans  le  texte  grec? 
S.  Marc  I'explique  a  ses  lecteurs  remains,  en 
disanl  que  deux  lepla  equivalaicnt  au  qua- 
drans latin.  Or  le  «  quadrans  »  eiait,  comme 
son  nom  i'indique,  le  quart  d'un  as,  el  I'as 
ne  valant  que  six  centimes  environ,  les  deux 
lepta  ofFerts  par  la  veuve  ne  faisaient  guere 
plus  d'un  Hard.  Voyez  Ant.  Rich.  Diet,  des 
antiq.  grecq.  el  lat.  aux  mots  As  et  Quadrans. 
43.  —  Convocaiis  discipulos.  Jesus  ne  veut 
point  laisser  passer  ce  bel  exemple  sans  en 
tirer  une  legon  pour  ses  disciples.  C'est  dans 
ce  but  qu'il  les  appelle  aupres  de  lui.  — 
Vidua  hcvc...plusomnibus  jnisit.v  Plus  misisse 
dicitur  vidua,  non  si  muneris  per  se  magni- 
ludinem,  sed  si  viduae,  si  pauperis  inopiam 
caritatemque  consideres  :  quia  viduae  et  pau- 
per! plus  duo  minuta  erant,  quam  diviti  per- 
mulla;  et  majoris  erat  caritatis  viduam  duo 
ilia,  quibus  vitam  suam  sustenlalura  erat, 
dare  minuta,  quara  divitem  grandem  pecu- 
niam  in  Dei  thesaurum  inferre.  »  Maldonal. 
C'est  done  par  comparaison  et  d'une  maniere 
relative  que  Jesus  atlribue  a  I'obole  de  la 
veuve  une  valeur  superieure  aux  riches 
offrandes  des  autres  donateurs.  —  Qui  mise- 
runt. II  vaut  mieux  lire  «  miltunt  »  au  pre- 
sent, d'apres  les  meilleurs  manuscrits.  En 
effet,  les  assistants  continuaient  d'apporter 


leurs  aumones  sous  les  yeux  de  Jesus  et  des 
Apotres. 

44.  —  Oinnes  enim...  Le  Sauveur  explique 
mainlenant  son  elonnante  assertion.  Les 
autres  ont  donne  de  leur  abondance,  de  leur 
sup?rflu  :  cette  pauvre  veuve  a  donne  au 
contraire  de  son  indigence.  Aux  autres  il  est 
done  reste  plus  ou  moins  :  a  cette  veuve  il 
n'est  absolument  rien  reste.  —  Omnia  qiice 
habuit  misit :  eWe  ne  s'esl  pas  meme  reserve 
unlepton!  —  Totum  victum  suum  est  une 
apposition  einphatique  a  «  omnia  quae  ha- 
buit ».  Le  grec  porte  6),ov  t6v  pi'ov  axjxf,^,  litle- 
ralement  :  toute  sa  vie.  —  Une  grande  legoa 
se  degage  de  ce  gracieux  episode,  par  lequel 
se  termine  si  suavemenl  le  ministere  public 
de  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ :  «  Non  quan- 
tum se  ex  qu'anto  ».  Beaucoup  d'ames  I'ont 
comprise.  Du  haul  du  ciel,  comme  autrefois 
de  la  cour  du  temple,  Jesus  voit  et  benit  ces 
humbles  ouvrieres,  ces  enfants  pauvres,  qui 
donnent  en  faveur  des  bonnes  oeuvres  «  totum 
victum  suum.  » 

6.  —  Le  Discours  eschatologique.  xiii,  1-37. 
Farall.  Mattb.  xxiv,  1-51;  Luc.  xxi,  5-36. 

a.  Occasion  du  Discours.  xill,  1-4. 

C'est  dans  le  second  Evangile  que  cette 
petite  Preface  est  le  plus  complete  et  le  plus 
dramatique. 


CHAPITRE    Xlii 


181 


gister,  aspice  quales  lapides,    et 
quales  structurae. 

Matth.  2i,  1 . 

2.  Et  respondens  Jesus,  ait  illi  : 
Vides  has  omnes  magnas  sedificatio- 
nes?  Non  relinquetur  lapis  super 
lapidem^  qui  non  destruatur. 

Luc.  19,  44  et  21,  6. 

3.  Et  cum  sederet  in  monte  Oli- 
varum  contra  templura,  interroga- 
bant  eum  separatim  Petrus,  et  Ja- 
cobus, et  Joannes,  et  Andreas  : 

4.  Die  nobis,  quando  ista  fient?  et 


voyez    quelles   pierres   et  quelles 
structures ! 

2.  Et  Jesus  lui  repondit  :  Vous 
voyez  toutes  ces  grandes  construc- 
tions? II  ne  sera  pas  laisse  pierre 
sur  pierre  qui  ne  soit  renversee. 

3.  Et,  comme  il  etait  assis  sur  le 
mont  des  Oliviers  en  face  du  tem- 
ple, Pierre,  Jacques,  Jean  et  i\.ndre 
Hnterrogerent  en  particulier  : 

4.  Dites-nous  quand  cela  arrivera. 


Chap.  xiii.  —  1.  —  Cum  egrederetiir  de 
templo,  Le  soir  venu  (ces  choses  se  passaient 
encore  dans  la  journee  da  mardi  saint),  Jesus 
quitla  le  temple  comme  aiix  deux  jours  pre- 
cedents, pour  se  retirer  a  Belhanie.  Mais  il  y 
avaitalorsceladeremarquable,qu'il  lequittait 
pour  n'y  plus  revenir.  Le  prophete  Ezechiel, 
a  la  fin  d'une  vision  terrible,  xi,  22  et  23, 
raconle  comment  il  vit  Jehova  abandonner  le 
temple  et  la  cite  de  Jerusalem  devenus  indi- 
gnes  de  lui  :  «  Et  elevaverunt  Cherubim  alas 
suas  et  rotae  cum  eis;  et  gloria  Dei  Israel 
erat  super  ea.  Et  ascendit  gloria  Domini  de 
medio  civitatis,  stelitque  super  montem  qui 
est  ad  orientem  urbis.  »  De  meme,  en  cet 
instant,  le  Messie  repudie  son  palais,  sa  ca- 
pilale  el  son  peuple.  —  Ait...  unus  ex  disci- 
pulis.S.  Marc,  plus  precis  que  les  deux  aulres 
synopliques,  attribue  la  reflexion  qui  suit  a 
un  seul  des  Apolres.  —  Magister,  aspice... 
Jesus  et  les  siens  descendaienl  probablement 
alors  les  degres  qui  conduisaient  a  la  vallee 
du  Cedron.  C'est  de  ce  cote  que  les  murs  du 
temple  presenlaient  I'aspectle  plus  imposant. 
On  y  voit  encore  plusieurs  de  ces  pierres 
gigantesques  {quales  lapides]  qui  excilaient 
I'admiralion  des  disciples.  L'historien  Josephe 
n'exagere  nuUement  quand  il  dit  que  la  plu- 
parl  des  blocs  qui  entrerent  dans  la  construc- 
tion du  temple  mesuraient  23  coudees  de 
longueur,  sur  8  de  hauteur,  et  12de  largeur. 
Cfr.  Bell.  Jud.  v,  6,  8^  Ant.  xv,  M,  3,  Aussi, 
en  plusieurs  endroils,  les  beliers  romains 
durent-ils  battre  les  murs  six  jours  durant 
pour  y  faire  quelques  breches  legeres. 

2.  —  Le  disciple  qui  avait  pris  la  parole 
semblait  sous-entendre  :  De  pareilles  cons- 
tructions defient  les  ravages  du  temps!  Jesus 
le  delrompe  en  lui  revelant  leur  Iriste  desti- 
nee,  —  Has  omnes  magnas  (Bdifirationes  est 
emphatique  et  correspond  a  «  quales  lapides 
et  quales  structurae  »  du  i^.  1 .  —  Non  relin- 
quetur :  dans  le  grec.  oO  ixr)  dysO^  avec  una 
double  negation,  et  le  subjonctif  aoriste :  deux 


circonstances  qui  fortifient  la  pensee.  Cfr. 
Winer,  Grammat.,  p.  449.  —  Qui  non  destrue- 
tur.  Le  grec,  S;  oO  |x^  xaraXueT)  (de  nouveau 
deux  negations  et  ie  conjonct.  aor.),  serait 
mieux  traduit  par  «  qui  ne  soit  desagregee, 
separee  des  aulres  pierres  ».  Quaranie  ans 
s'etaient  a  peine  ecoules  depuisceite  predic- 
tion, qu'elle  elait  deja  en  grande  partie  rea- 
lisee.  Le  vent  des  jugemenls  divins  avait 
passe  sur  le  temple  de  Jerusalem,  comme 
sur  les  palais  de  Thebes  et  de  Ninive.  Qu'en 
reste-l-il  aujourd'hui?Rien,absolument  rien; 
car,  a  vrai  dire,  les  pierres  enormes  qui 
atlirent  encore  ralleniion  des  pelerins  ne 
faisaient  point  partie  du  temple  :  elles  for- 
maienl  ou  des  murs  d'enclos  ou  des  substruc- 
tions destinees  a  soutenir  les  terrasses. 

3.  —  Cum  sederet  in  monte  Olivanun.  Je- 
sus et  ses  disciples  gravirenl  probablement 
en  silence  les  flancs  de  la  montagne  des  Oli- 
viers, livres  les  uns  et  les  aulres  a  de  peni- 
bles  reflexions.  Arrives  au  sommet  de  la  col- 
line,  a  mi-chemin  enlre  Jerusalem  et  Belhanie, 
ils  s'arrelent  pour  prendre  un  peu  de  repos, 
et  Jesus  s'assied  sur  le  gazon.  —  Contra  tem- 
plum.  Trait  graphique,  propre  a  S.  Marc, 
et  servant  de  trail  d'union  pour  amener  la 
question  des  Apolres.  Les  derniers  rayons  du 
soleil  couchanl  devaient  en  ce  moment  cou- 
vrir  d'or  le  temple  et  ses  dependances,  leur 
communiquanl  une  nouvelle  beaule.  —  Pe- 
trus, Jacobus,  et  Joannes  et  Andreas.  «  Unus 
Marcus  narral  hos  fuisse  qui  Christum  inter- 
rogarunt.  Nola  Petri  mentionem.  »  Palrizi, 
In  Marc.  Comm.,  p.  174.  C'etaient  les  quatr© 
premiers  Apotres  attaches  a  Jesus  d'une  ma- 
niere  definitive.  Cfr.  i,  16-20.  S.  Andre  nous 
apparait  ici  a  cote  des  trois  disciples  les  plus 
intimes  :  d'ou  Ton  a  conclu  parfoisque  c'etait 
lui  peul-etre  qui  avait  attire  I'atieniion  de 
Jesus  sur  le  temple,  V.  1.  —  Separatim: 
relalivement  aux  aulres  membres  du  CciliegH 
apostolique,  qui  etaient  restes  a  I'ecarL 

4.  —  Die  nobis...  La  question  est  plus  com- 


482 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


et  quel  signe  ily  aura  quand  toutes 
ces  choses  commenceront  a  s'ac- 
complir? 

5.  Et  Jesus^  leur  repondant,  com- 
menca  par  dire  :  Prenez  garde  que 
personne  ne  vous  seduise. 

6.  Car  beaucoup  viendront  en  mon 
nom,  disant  que  c'est  moi;  et  ils 
seduiront  plusieurs. 

7.  Et,  lorsque  vous  entendrez  par- 
ier  de  guerres  et  de  bruits  de  guer- 
res,  ne  craignez  point ;  car  il  faut  que 
ces  choses  arrivent,  mais  ce  ne  sera 
pas  encore  la  fin. 


quod  signum  erit,  quando  haec  omnia 
incipient  consummari? 

0.  Et  respondens  Jesus  coepit  di- 
cere  illis  :  Videte  ne  quis  vos  sedu- 
cat : 

Ephes.5,  6;I[  Thes.%  3. 

6.  Multi  enim  venient  in  nomine 
meo  dicentes,  quia  ego  sum;  et  mul- 
tos  seducent. 

7.  Cum  audieritis  autem  bella,  et 
opiniones  bellorum,  ne  timueritis  : 
oportet  enim  hsec  fieri :  sed  nondum 
finis. 


plete  et  plus  claire  dans  le  premier  Evan- 
gile.  Elle  avail  trait  a  trois  points  dislincts  : 
\o  I'epoque  de  la  destruction  du  temple  fc'est 
le  quando  ista  fient  de  S.  Marc)  ;  2°  ies  signes 
du  second  avenemenl  du  Messie;  3"  Ies  pro- 
Boslics  de  la  fin  du  monde.  Le  hcer.  omnia  de 
noire  Evangelists  reunit  ces  deux  derniers 
points. 

b.  Premiere  partie  du  Discours  :  La  proph^lie. 
xm,  5-31 . 

Nous  avons  note  a  differentes  repri-es  que 
S.  Marc  est  par  excellence  I'Evangeliste  de 
Paction,  et  que,s'il  cite  volontiers  Ies  paroles 
detachees  du  Sauveur,  il  s'arrele  rarement 
a  exposer  ses  instructions  de  longue  haleine. 
Le  Discours  oschatologique  est  un-^  de  ces 
rares  exceptions  :  il  etait  trop  important 
pour  etie  passe  completement  sous  silence. 
Mais  S.  Marc,  sans  en  rien  retrancher  d'es- 
seniiel,  I'abrege  d'une  manierenotable.  comme 
il  avail  fait  pour  Ies  paraboles  du  royaume 
messianique.  II  suit  gi^neralement  de  tres 
pres  la  redaction  de  S.  Matlhieu  :  il  est  nean- 
moins  souvenl  original,  doniiant  de  temps  a 
autre  de  ces  details  graj)hiqups  et  precis 
auxquels  il  nous  a  accoulumes.  Nous  serons 
fidele  a  signaler  Ies  plus  interessants.  Pour 
le  fond  des  choses  nous  renvo^^ons  le  lecteur 
a  noire  commenlaire  sur  S.  Malthieu,  pp.  436 
et  ss.  Rappelons  seulemenl  que  toutes  Ies 
idees  de  ce  discours  sont  groupees  par  Notre- 
Seigneur  autour  de  deux  grands  fails,  la  des- 
truction de  Jerusalem  et  le  second  avenemenl 
du  Mes>ie. 

1<>  Pronostics  de  la  ruine  de  Jerusalem  et  de  la  fin 
du  monde.  xm,  5-13. 

o.  —  Ccepit.  L'un  des  mots  favoris  de 
S.  -Marc.  —  Videte.  Ce  grave  avertissement, 
que  nous  entendons  des  le  debut  du  discours, 


relentira  de  temps  a  autre  comme  une  de  ses 
notes  dominant"S.  Cfr.  tTf.  9,  23,  33.  A 
chaqiie  instant  reviendront  aussi  Ies  conseils 
analogues  :  Veillez,  supportez,  priez!  —  Ne 
quis  vos  seducat.  Grand  danger,  qui  menace 
lous  Ies  hommes,  duranl  loute  leur  vie  el  de 
mille  manieres.  II  fautdonc«  prendregarde  », 
si  Ton  veut  y  echapper. 

6.  —  Multi  enim...  La  particule  «  enira  » 
montre  que  le  Sauveur  va  deveJopp'^r  son 
exhortation  pressante  du  t.  5.  II  altlie  Tat- 
tcntion  de  ses  disciples  sur  divers  signes 
qui  leurannonceront  en  premier  lieu  la  proxi- 
mite  de  la  ruine  de  Jerusalem,  pui-;,  a  la  tin 
d'^s  temps,  celle  du  jugemenl  general.  — 
Venient  in  nomine  meo...  Premier  signe, 
I'apparilion  d'un  grand  nombre  de  pseudo- 
messies.  —  Multos  seducent.  Ces  faux  Chrisls 
ne  reussirent  que  trop  a  seduire  Ies  Juifs 
avanl  et  pendant  la  guerre  avec  Rome.  Jo- 
sephe  raconte  que  plusieurs  d'entre  eux  en- 
trainer-  nt  a  leur  suite  dans  le  desert  d'im- 
menses  multitudes  auxquelles  ils  avaient  pro- 
mis  de  faire  voir  des  prodiges  eclalanis.  Bien 
plus,  a  I'heure  ou  le  temple  brulait,  six  mille 
personnes  de  tout  age  el  de  loute  condi- 
tion y  penetrerent  sur  la  parole  d'un  faux 
propliele  el  perirent  affreusemenl  dans  Ies 
flammes.  La  fin  du  monde  ne  Irouvera  pas 
Ies  imposleurs  moins  nombreux,  ni  Ies  foules 
moins  credules. 

7.  —  Cum  audieritis...  Second  s  gne,  Ies 
guerres  rapprochees  et  lointaines.  Bella  in- 
diqiie  en  effet,  di^s  combats  qui  auront  luni  a 
proximite;  opiniones  bellonun,  a/oi;  ttoae'jwv, 
des  bruits  de  guerre,  c'est-a-dire  des  combats 
livres  a  distance.  —  Ne  timueritis.  De  meme 
que  Ies  Chretiens  ne  devront  pas  se  laisser 
seduire  par  I'erreur,  de  meme  ils  devrjnt 
veiller  a  ne  pas  se  laisser  egarer  par  la  peur, 
qui  est  si  souvenl  une  mauvaise  conseilleie  et 


CHAPITRE  Xlir 


483 


8.  Exurgel  enim  gens  contra  gen- 
tem,  et  regnum  super  regnum,  et 
'erunt  terrse  motus  per  loca,  et  fa- 
ifies.  Initium  dolorum  hsec. 


O.Videte  autem  vosmetipsos.Tra- 
dent  enim  vos  in  consiliis,  et  in 
synagogis  vapulabitis,  et  ante  prse- 
sides  et  reges  stabitis  propter  me, 
in  testimonium  illis. 


10.  Et  in  omnes  gentes  primum 
oportet  praedicari  Evangelium. 

11.  Et  cum  duxerint  vos  traden- 


8.  Gar  on  verrase  soul  ever  nation 
centre  nation  et  royaume  centre 
royaume,  et  il  y  aura  des  tremble- 
ments  de  terre  en  divers  lieux  et  des- 
famines.  Ge  sera  le  commencement 
des  douleurs. 

9.  Orprenez  garde  a  vous-m6mes; 
car  on  vous  traduira  devant  les  tri-"- 
bunaux,  et  vous  serez  battus  dauf, 
les  synagogues,  et  vous  paraitretJ 
devant  les  gouverneurs  et  les  rois  (i 
cause  de  moi,  en  temoignage  devant 
eux. 

10.  Et  il  faut  auparavant  que 
I'Evangile  soit  preche  dans  toutes 
les  nations. 

11.  Et,  lorsqu'on  vous  conduira 


-ui  a  cause  lant  d'apostasies.  —  Nondum 
f,nis.  Ces  premiers  signes  ne  seronl  que  des 
preliminaires,  annonQant  des  dangers  plus 
terribles. 

8.  —  Exurget  gens...  Troisieme  signe  :  les 
peuples,  les  empires,  souleves  les  uns  contre 
les  auires,  et  occupes  a  s'entre-detruire. 
<f  Quum  videris  regna  so  invicera  turbantia, 
disaienl  de  meme  les  Rabbins,  tunc  exspectes 
vestigia  Messise.  »  Beresch.  Rabb.  sect.  Li.  Cfr. 
Lighlfoot,  Hor.  hebr.  h.  I. —  Terrce  motus  per 
loca.  Quairieme  signe,  d'effroyables  Iremble- 
menls  de  terre,  arrivant  en  divers  lieux.  — 
Et  fames.  Cinquieme  signe.  Le  texte  grec  en 
ajoute  un  sixieme,  xalxapaxat  (etdes  troubles, 
des  revolutions;,  mentibnne  seulement  par 
S.  Marc,  si  tant  est  que  cos  deux  mots  soient 
authentiques,  car  ils  sont  omis  par  des  ma- 
nuscrits  qui  font  autorite  (B,  D,  L,  Sinait.) 
Le  grec  repefe  le  verbe  laoviai  avant  ).t!iol,  ce 
qui  est  d'un  bel  effi't  :  «  et  erunt  terrae  mo- 
tus.... et  erunt  fames.  »  —  Initium  dolorum 
hwc.  Que  sera  done  la  douleur  elle-mem?,  si 
les  malheurs  signales  jusqu'ici  n'en  sont  que 
le  prelude?  Ces  maux  prealables,  d'apres  la 
traduction  litterale  du  mot  grec  wowcov,  se- 
ront  a  la  catastrophe  finale  ce  que  sont  les 
souffrances  qui  precedent  renfantement  a 
celles  qui  I'accompagnent.  Jesus  ne  pouvait 
pas  choisir  une  comparaison  plus  energique. 

■  ,  Du  reste,  les  prophetrs  avaient  souvent  em- 
'"^  ploys  la  meme  image. 

9.  —  Videtc  vosmetipsos.  Trait  propre  a 
S.  Marc.  Oi  OpiET;  Ja-jTou;  est  emphatique  « 
Prenrz  garde  a  vous,  pour  ne  point  chanceler 
dans  la  foi,  car  la  chair  est  faible,  et  elle  aura 
beaucoup  a  endurer!  —  Tradent  enim  vos... 
Yoici  maintenant  le  tableau  des  epreuves  qui 
attendent  les  Chretiens  aux  deux  s^oques 


indiquees.  «  Tradent  »  ;  on  les  livrera  comrae 
des  criminels  a  toute  sorte  de  tribunaux  : 
tribunaux  juifs  et  ecclesiastiques,  in  conciliis 
((uivs'Spia,  les  Sanhedrins  de  divers  degres. 
Voyez  I'Evang.  selon  S.  Matth.  p.  1 1 2  et  suiv.) 
et  in  synagogis;  tribunaux  civils  et  paiens,  ante 
prcEsides  et  reges.  S.  Matthieu  ne  mentionne 
pas  ici  tous  ces  details  ;  mais  il  les  avail  rap- 
portes  ailleurs,  dans  I'lnstruction  pastoral© 
de  Jesus  a  ses  discipl(>s,  x,  17,  18.  —  Les 
verbes  vapulabitis,  stabitis  sont  dramatiques. 

—  In  testimonium  illis:  non  pas  sU xarriYoptav 
xat  llexx.ov  auTwv,  comme  le  veut  Euthyinius, 
mais  plutot  «  ad  attestandum  illis  nomen 
meum  »,  d'apres  le  t-  suivant.  Par  tous  ces 
mauvais  traitements  supporles  avec  courage, 
vous  prouverez  la  divinite  de  mon  oeuvre.  La 
persecution  contribuera  ainsi  a  la  propaga- 
tion de  I'Evangile. 

10.  —  Et  in  omnes  gentes...  Autre  passage 
special  a  S.  Marc.  Les  mots  £i;  Tiavxa  la.  iSvyj 
sont  mis  en  avanl  d'une  maniere  emphatique. 

—  Primum  :  c'cst-a-dire  avant  la  «  fin  »  dont 
il  a  ele  question  au  t.  7.  Et  en  effet,  «  avant 
la  destruction  du  temple,  S.  Paul  soul  avail 
poTte  I'Evangile  dans  une  grande  parlie  de 
Pempire  remain.  Les  autres  Apotres  avaient 
travaille  a  proportion.  L'Apolre  S.  Pierre 
adresse  sa  premiere  Epitre  aux  fideles  du 
Pont,  de  la  Galalie,  de  la  Cappadoce,  de  I'A- 
sie,  de  la  Bithynie.  S.  Paul  ecritaux  Romains 
que  la  reputation  de  lour  foi  est  re|)andue 
par  tout  le  monde.  »  Calmet,  h.  1.  Et  di^puis, 
quels  immenses  progres  n'a  pas  fails  I'Evan- 
gilel 

11.  —  Nouvelle  pensee  propre  a  S.  Marc. 
Les  autres  Synoptiques  la  placent  ailleurs, 
Cfr.  Matth.  x,  19;  Luc.  xii,  11  ;  xxii,  14; 
preuve  que  Jesus  I'exprima  plusieurs  fois  ea 


484 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


pour  vous  livrer,  ne  premedilez  pas 
ce  que  vous  direz;  mais  dites  ce 
qui  vous  sera  donne  a  I'heure  meme, 
car  ce  n'est  pas  vous  qui  parlez, 
mais  I'Esprit-Saint. 

12.  Alors  le  frere  livrera  le  frere  a 
la  mort,  et  le  pere  le  fils,  et  les  en- 
fants  s'eleveront  contre  les  parents 
et  les  mettront  a  mort. 

13.  Et  vous  serez  hais  de  tous  a 
cause  de  mon  nom;  mais  celui  qui 
restera  ferme  jusqu'a  la  fin,  celui-la 
sera  sauve. 

14.  Or,  quand  vous  verrez  I'abo- 
mination  de  la  desolation  s'elevant 
la  ou  elle  ne  doit  pas  etre  (que  ce- 


tes,  nolite  prsecogitare  quid  loqua- 
mini  :  sed  quod  datum  vobis  fuerit 
in  ilia  hora,  id  loquimini;  non  enim 
vos  estis  loquentes,  sed  Spiritus 
Sanctus. 

Malih.  10,  19;  Luc.  12,  11  el  21,  14. 

12.  Tradet  autem  frater  fratrem 
in  mortem,  et  pater  filium  :  et  con- 
surgent  filii  in  parentes,  et  morte 
afficient  eos. 

13.  Eteritis  odio  omnibus  propter 
nomen  meum.  Qui  autem  sustinue- 
rit  in  finem,  hie  salvus  erit. 

14.  Gum  autem  videritis  abomi- 
nationem  desolationis,  stantem  ubi 
non  debet  (qui  legit,  intelligat),  tunc 


differentes  circonstances.  Elle  contient  en 
effel  line  grande  consolation  pour  le  di?ciple 
persecute,  la  promesse  d'une  assistance  loute 
spec^ale  de  TEsprit-Saint.  —  Apres  loquamini, 
on  lit  dans  la  Recepta  ^r,ol  \i.u.-f\i7.-t,  expres- 
sion tres  classique  cliez  les  Grecs  pour  desi- 
gner la  preparation  laborieuse  d'un  discours. 
—  Datum  est  synonyme  de  «  inspiratum  ». — 
Jn  ilia  hora,  c'est-a-dire  quand  vous  serez 
arrives  devanl  vos  juges. —  Le  present  estis 
est  pittoresque  :  Jesus  suppose  par  anticipa- 
tion que  la  situation  qu'il  vient  de  decrire 
est  deja  realisee,  et  il  contemple  ses  disciples 
improvisant  de  sublimes  apologies  sous  la 
diciee  de  I'Esprit-Saini.  Quel  encouragement 
pour  eus  dans  cette  promesse ! 

is.  —  Ce  passage  a  ele  egaiement  omis  par 
S.  Matlhieu.  —  Tradet  autem  frater...  Le 
Sauveur  predit  mainlenant   aux   siens  une 

f)eine  plus  cruelle  encore  que  la  precedente, 
es  persecutions  et  la  trahison  de  la  part  de 
leurs  proches.  Les  liens  les  plus  sacres  de  la 
>^  nature  cesseront  d'exister,  ou  plutot  ils  seront 

H  une  cause  de  plus  grande  haine,  de  poursuites 

^  plus  acharnees. 

f  13.  —  Eritis  odio  omnibus...  Ces  paroles 
resumenl  le  sort  des  chreiiens  aux  deux 
grandes  epoques  de  crise  prophetisees  par 
Jesus  :  ils  seront  de  la  part  de  tous  ceux  qui 
ne  partageront  par  leur  foi,  amis  et  ennemis, 
Tobjet  d'une  profonde  inimitie.  —  Qui  autem 
sustinuerit...  Conclusion  de  ce  premier  ta- 
bleau. De  toutes  parts,  soit  avant  la  ruine  de 
Jerusalem,  soit  avant  la  fin  du  monde,  il  sur- 
gira  pour  les  disciples  du  Christ  des  dangers 
redoutables,  qui  menaceront  leur  salut  eler- 
nel.  Que  faire  pour  ne  pas  succomber?  Une 
ieule  chose,  tenir  ferme,  perseverer  jusqu'au 
bout.  Le  verbe  grec  uTtoiisvu,  traduit  ici  par 


«  sustinere  »,  dans  I'Evang.  selon  S.  Matth. 
XXIV,  13,  par  a  porseverare  »,  est  tres  expres- 
sif :  il  signifie  lilteralement  «  je  reste  des- 
sous  »,  et  suppose  qu'on  demeure  debout 
malgre  toute  sorle  de  difficultes  provenant 
du  dehors.  On  ne  le  rencontre  que  trois  fois 
dans  les  Evangiles.  —  Hie  est  emphatique. 
Celui-la  et  pas  un  autre. 

2<>  Pronoslics  qui  concernent  sp^cialement  la  ruine 
de  Jerusalem,  xui,  14-20. 

En  cet  endroit,  le  recit  de  S.  Marc  differe 
a  peine  de  celui  du  premier  E.vangile, 
XXIV,  15-22. 

14.  —  Sur  les  mots  abominationem  desola- 
tionis, voyez  I'Evangile  selon  S.  Matthieu, 
pp.  460  et  461.  Dans  le  texte  grec,  ils  sont 
precedes  de  rarticlo,  t6  pSi'Xuyp-o'"^?  epy,jjLW(jcw?, 
ce  qui  parait  supposer  que  Notre-Seigneur 
parlait  d'une  chose  connue  et  altendue  en  Pa- 
lestine. Et  en  effet,  aucun  Juif  n'ignorait  la 
prophetie  de  Daniel.  «  Abomination  de  la  de- 
solation »  etail  done  un  terme  technique  pour 
designer  d'affreux  malheurs  qui  devaient 
fondre  sur  la  ville  sainte  et  plus  specialement 
sur  le  lieu  saint.  Boilv^iia  (de  pScXOffsw,  pro- 
voquer  le  degoiit,  surtout  par  une  mauvaise 
odear)  n'apparait  que  six  fois  dans  les  ecrits 
du  Nouveau  Testament:  ici.  dans  le  passage 
parallele  de  S.  Matth.  xxiv,  15 ;  Luc.  xvi,  15; 
■  Apoc.  XVII,  4  el  5  ;  xxi,  27.  Les  LXX  appli- 
quent  ce  substantif  aux  idoles  et  a  lout  ce 
qui  se  rattache  au  cuke  paien.  Cfr.  Ill  Reg. 
XI,  5,  33 ;  IV  Rog.  xvi,  3 ;  xxi,  2,  etc.  — 
Iramediatement  apres  cette  locution  obscure, 
on  lit  dans  la  Recepta  :  t6  pr,9£v  i/-n.b  AavtriX 
Tou  TtpoyTiTou.  Mais  c'est  la  probablement  une 
glose  apocryphe,  ou  du  moins  empruntee  a 
la  redaction  de  S.  Malthieu.  —  Sianlem  ubi 


CMAPITRE    XIII 


185 


qui  in  Judaea  sunt,  fugiant  in  mon- 
ies; 

Dan.  9,  27;  Match.  24,  Id;  Luc.  21,20. 

IS.Et  qui  supertectum,ne  descen- 
dat  in  domum,  nee  introeat  ut  tollat 
quid  de  domo  sua  : 

16.  Et  qui  in  agro  erit,  non  re- 
vertatur  retro  tollere  vestimentum 
suum. 

17.  Vse  autem  prsegnantibus,  et 
nutrientibus  in  illis  diebus. 

18.  Orate  vero  ut  hieme  non  fiant. 

19.  Erunt  euim  dies  illi  tribula- 
tiones  tales,  quales  non  fuerunt  ab 
initio  creaturse,  quam  condidit  Deus, 
usque  nunc,  neque  fient. 


lui  qui  lit  comprenne!),  alors  que 
ceux  qui  sont  dans  la  Judee  fuieut 
vers  les  montagnes; 

13.  Et  que  celui  qui  est  sur  le 
toit  ne  descende  pas  dans  la  maison 
et  n'entre  pas  pour  emporter  quel- 
que  chose  de  sa  maison. 

16.  Et  que  celui  qui  sera  dans  le 
champ  ne  retourne  pas  en  arriere 
pour  prendre  son  vetement. 

17.  Mais  malheur  aux  femmes 
enceintes  et  a  celles  qui  nourriront 
en  ces  jours-la ! 

IS.Priezdoncpourque  ces  choses 
n'arrivent  point  en  hiver. 

19.  Car  ces  jours  seront  des  tribu- 
lations telles  qu'ii  n'y  en  a  point  eu 
depuis  le  commencement  des  crea- 
tures que  Dieu  a  formees,  jusqu'a 
present,  et  qu'il  n'y  en  aura  jamais. 


non  debet.  C'est-a-dire,  d'apres  S.  Malthieu, 
«  in  loco  sancto  »,  dans  le  lemple,  que  son  ca- 
raclere  sacre  devrait  preserver  de  toute  pro- 
fanation.—  Qui  legit  intelligat.  Avertissement 
pressant,  glisse  selon  loute  vrai?emblance 
par  I'Evangeliste  an  milieu  des  paroles  de 
Notre-Seigneur.  Voyezi'Evang. selon  S.Matth. 
p.  461 ;  Patrizi,  de  Evangeliis,  lib.  I,  c.  i,  no  3 1 . 
—  Tunc  :  immediatement  apres  i'apparilion 
de  I'affreux  malheur  predit  par  Daniel,  il  fau- 
dra  fuir  sans  hesiter.  —  Qui  in  Judcea...  in 
montes.  De  toules  les  provinces  juives,  c'est 
la  Judee  qui  eut  le  plus  a  souffrir,  soil  de  la 
part  des  Roraains,  soit  de  la  part  des  Zelotes, 
durant  I'horrible  guerre  qui  se  termina  par 
la  mine  de  1  Etat  juif.  De  la  cet  avis  special 
k  I'adresse  des  chreiiens  qui  y  avaient  elabli 
leur  residence. 

1 5  el  1 6.  —  Deux  images  tres  piltoresques, 
pour  monirer  avec  quelle  rapidite  chacun 
devra  quitter  la  Judee,  aussitol  qu'aura  paru 
«  I'abominalion  de  la  desolation,  r  Assure- 
ment,  il  ne  faut  pas  les  prendre  a  la  lettre ; 
ce  sont  de  vives  hyperboles  pour  dire  :  Fuyez 
'' au  plus  vite!  S.  Marc,  sans  rien  ajouler  a 
1  idee,  est  plus  complet,  plus  explicite  dans 
I'expression.  S.  Malthieu,  pour  le  premier 
exemple,  dit  seulemenl  :  «  Qui  in  lecto,  non 
descendat  tollere  aliquid  de  domo  sua.  » 
Notre  Evangeliste,  fidele  a  son  genre  drama- 
tique,  distingue  deux  actes,  descendre  du 
toil,  nee  descendat  in  doimim,  et  enlrer  dans 
la  maison,  nee  introeat.  De  meme  pour  le 
second  exemple.  S.  Malthieu  .  «  Non  rever- 
talur  tollere  »  ;  S.  Marc  :  Non  revertatur  re- 


tro (elgToc  om'ffw,  c'esl-a-dire  des  champs  a  la 
ville)  tollere... 

17  et  18.  —  Autres  details  piltoresques, 
destines  a  faire  ressoriir  I'etendue  des  mal- 
heurs  qui  menacent  Jerusalem,  et  la  neces- 
siie  de  prendre  une  promple  fuite  si  Ton  desire 
y  echapper.  —  Vce  n  est  pas  une  malediction 
en  eel  endroit,  mais  plulol  une  exclamation  de 
profonde  sympaihie  :  Pauvres  meres,  qui  ne 
pourrez  fuifassez  vite!  —  Orate  vero...  Apres 
ces  deux  premiers  empechementsqui  devaient 
retarder  la  fuite.  a  savoir  le  desir  d'emporter 
quelque  chose  et  I'embarras  des  pelils  en- 
fants,  Jesus  louche  a  un  Iroisieme  empeche- 
ment,  ceiui  qui  peut  venir  du  temps.  En 
hiver  le  terrain  est  detrempe,  les  rivieres 
debordent,  et  ce  sont  la,  en  Orient  surtout, 
de  serieux  obstacles  a  une  marche  rapide.  — 
Le  sujet  de  fiant  est  sous-entendu  dans  la 
Vulgate.  C'est-a-dire,  les  malheurs  qui  obli- 
geront  les  chreiiens  de  s'expatrier.  Dans  le 
grec,  on  lit  apres  yevriTai  les  mols  f,  9uyy)  ufifiv, 
«  fuga  vestra  ».  Mais  ils  sont  omis  par  d'ira- 
portants  manuscrits  (B,  D,  L,  Sina'it.,  etc.). 

—  S.  Marc  ne  fail  pas  mention  du  sabbat 
(Cfr.  Matth.  xxiv,  20),  parce  que  cette  cir- 
constance  avail  peu  d'interet  pour  ses  lec- 
teurs  remains. 

19.  —  Erunt...  enim  dies  illi  tribulalioiies 
tales.  Expression  Ires  energique,  propre  a 
S.  Marc.Elle  signifie  que  le  caraclere  special 
des  jours  donl  parle  Jesus  sera  la  peine  et  la 
tribulation.  La  construction  reguliere  serail: 
«  Erunt  in  diebus  illis  iribulationes  tales...  » 

—  Quales  non  fuerunt...  Voyez   I'Evangile 


^86 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


20.  Et,  si  le  Seigneur  n'avait 
abrege  ces  jours,  aucune  chair  n'au- 
rait  ete  sau vee ;  mais  a  cause  des  elus 
qu'il  a  choisis  il  a  abrege  ces  jours. 

21.  Et  alors,  si  quelqu'un  vous 
dit :  Voici  que  le  Christ  est  ici,  le 
voici  la  !  ne  le  croyez  point. 

22.  Car  il  s'elevera  de  faux  christs 
et  de  faux  prophetes,  et  ils  feront 
des  signes  et  des  prodiges  pour  se- 
duire,  si  faire  se  pent,  meme  les  elus. 

23.  Vous  done,  prenez  garde; 
voila  que  je  vous  ai  tout  predit. 

24.  Or,  en  ces  jours-la,  apres  cette 
tribulation,  le  soleil  sera  olDscurci  et 
la  lune  ne  donnera  plus  sa  lumiere. 

2b.  Et  les  etoiles  du  ciel  torube- 


20.  Et  nisi  breviasset  Dominus 
dies,  non  fuisset  salva  omnis  caro  : 
sed  propter  electos,  quos  elegit, 
breviavit  dies. 

21.  Et  tunc  si  quis  vobis  dixerit ! 
Ecce  hie  est  Christus,  ecce  illic,  ne 
credideritis. 

Match,  ii.i^;  Luc.  28. 

22.  Exurgent  enim  pseudochristi, 
etpseudoprophetae,  et  dabunt  signa, 
et  portenta  ad  seducendos,  si  fieri 
potest,,  etiam  electos. 

23.  Vos  ergo  videte  :  ecce  prse- 
dixi  vobis  omnia. 

24.  Sed  in  illis  diebus,  post  tribu- 
lationem  illam,  sol  contenebrabitur, 
et  luna  non  dabit  splendorem  suum : 

Isai.  13,  10;  Ezech.  32,  7;  Joel.  %  10. 

25.  Et  stellse  coeli  erunt  deciden- 


selon  S.  Mallh.,  p.  463.  Cfr.  Tacile,  Hist,  v,  1 3. 

—  Creatarw.  quam  condidit,  xTtaew;  fic,  Ixxtaev 
(^;  ail  geiiiLif,  au  lieu  de  t;v,  en  verlu  de  {'at- 
traction) :  repetition  a  la  maniere  de  S.  Marc. 
20.  — Nisi  breviasset  Dominus...  Le  verba 
xo),o6oa),  que  le  Nouveau  Testament  n'emploie 
qu"ici  et  dans  le  passage  parallele  de  S.  Mat- 
thieu  (xxiv,  22),  a  le  sens  de  «  amputare  ». 
Cfr.  II  Reg.  IV,  12,  dans  la  traduction  des 
Septante.  Mais,  comme  le  verbe  hebreu  "lyp  , 
«  I'alce  amputare  »  ^Ps.  ciihebr.),  il  se  dit  au 
moral  du  temps  qu'on  abrege.  —  Non  fuis- 
set salva  omnis  caro.  C'est  le  bD~{<S  hebreu, 
«  non  omnis  »  pour  «  multa.  «  Si  Dieu,  dans 
sa  pitie,  n'eut  abrege  le  temps  du  siege  de 
Jerusalem,  aucun  Juif  n'aurait  survecu  a  tant 
d'horreurs  et  de  niiseres.  Cette «  abreviation  » 
misericordieuse  (breviavit  dies)  se  manifesta 
de  deux  manieres,  d'une  part  dans  les  me- 
sures  actives  et  vigoureuses  des  assiegeants, 
d'aulre  part  dans  la  folle  confiance  et  les 
guerres  miestines  des  a-sieges.  Elle  eut  lieu 
propter  electos,  en  vue  des  Chretiens  que  Dieu 
voulait  sauver.  —  Quos  elegit.  Nouveile  repe- 
tition, semblable  a  celle  du  t.  4  9. 

Zo  Pronostics  qui  concernent  spScialement  la  fin 
du  monde.  xm,  21-31. 

21  el  22.  —  Et  tunc...  Ce  «  tunc  »  nous 
transporte  subitemenl  a  la  fin  des  temps,  vers 
I'epoque  du  second  avenement  du  Christ. 
Telle  est,  depuis  I'ere  patristique,  I'inlerpre- 
tation  la  plus  suivie.  «  II  ne  faut  pas  prendre 
ce  mot  ALORS  dans  le  sens  que  cela  doive 
arriver  lout  de  suite,  mais  dans  le  sens  que 
la  realisation  de  cette  prophelie  succedera  a 


celle  de  la  ruine  de  Jerusalem  ».  Theophy- 
lacte.  En  apparence,  Jesus  range  done  sur 
un  meme  plan  des  evenements  qui  devaient 
etre  separes  par  un  long  iutervalle.  —  Pseu- 
dochristi et  pseudoprophetce...  C'est  la  predic- 
tion du  f.  6,  developpee  et  appliquee  d'une 
maniere  speciale  aux  derniers  jours  du 
monde.  —  Dabunt  signa.  Ces  faux  Christs  et 
ces  faux  propheles  opereront,  avec  I'appui  de 
Satan  leur  maitre,  des  prodiges  aussi  nom- 
breux  qu'eclalants,  Dieu  le  permeitant  ainsi 
pour  eprouver  les  justes.  —  Ad  seducendos. 
Dans  le  texte  original,  le  verbe  est  compose, 
aTTOTiXavi^v,  seduire  totalement.  S.  Mallhieu 
emploie  le  verbe  simple,  uXav^cjai. 

23.  —  Vos  ergo  videte.  Repetition  empha- 
tique  d'une  exhortation  que  Jesus  a  deja 
adressee  deux  fois  aux  disciples  depuis  le 
commencement  de  son  discours  (Cfr.  tt.  5 
et  9).  S.  Marc  est  seul  a  la  signaler.  L'adjec- 
tif  omnia,  egalement  emphatique,  apres  jpree- 
dixi.,  lui  appartient  aussi  en  propre. 

24  et  25.  —  La  partieule  sed  inlroduit  de 
nouveaux  details,  dont  I'ensemble  forme  une 
tragedie  terrible  qui  doilse  realiser  aux  der- 
niers jours  du  monde,  in  diebus  illii^.  — Les 
mots  post  tribulationem  illnm  ne  designent 
plus  I'abomination  de  la  desolation  [tt.  14 
et  19),  mais  les  malheurs  decrils  plus  bas, 
ft.  2i  et  22,  et  propres  a  la  fin  des  temps. 
Cfr.  Matth.  xxiv,  29.  —  Sol  contenebrabi- 
tur... Nous  interprelons  lilleralement  ces 
divers  phenomenes  ^voir  notre  eommenlaire 
surS.  Matthieu,  p.  466),  que  deux  des  Apotres 
auxquels  s'adressait  alors  Notre-Seigneur, 
S.  Pierre  et  S.  Jean,  ont  menlionaes  dans  leur* 


CHAPITRE   XIII 


187 


les,  et  virtutes,  quae  in  coelis  sunt, 
movebuntur. 

26.  Et  tunc  videbunt  Filium  ho- 
minis  venientem  in  nubibus  cum 
virtule  muUa,  et  gloria. 

27.  Et  tunc  mittet  angelos  suos, 
et  congregabit  electos  suos  a  qua- 
tuor  ventis,  a  summo  terrse,  usque 
ad  summum  coeli. 

Match.  lii.Zl. 

28.  A  ficu  autem  disci te  parabo- 
1am.  Gum  jam  ramus  ejus  tener  fue- 
rit,  et  nata  fuerint  folia,  cognoscilis 
quia  in  proximo  sit  aestas  : 

29.  Sic  et  vos  cum  videritis  hsec 
fieri,  scitote  quod  in  proximo  sit  in 
€|stiis. 

30.  Amen  dico  vobis,  quoniam 
non  transibit  generatio  hsec,  donee 
omnia  ista  fiant. 


ront,  et  les  vertus  qui  sont  dans  le 
ciel  seront  ebranlees. 

V!6.  Et  alors  on  verra  le  Fils  de 
I'homme  venant  dans  les  nuees  avec 
une  grande  puissance  et  une  grande 
gloire. 

27.  Et  alors  il  enverra  ses  anges 
et  il  rassemblera  ses  elus  des  quatre 
vents,  de  I'extremite  de  la  terre 
jusqu'arextremite  du  ciel. 

28.  Apprenez  du  figuier  une  pa- 
rabole  :  Lorsque  ses  rameaux  sont 
encore  tendres  et  que  ses  feuilies 
viennent  denaitre,  vous  connaissez 
que  Fete  est  proche. 

29.  Ainsi,  quand  vous  verrez  ces 
choses  arriver ,  sachez  que  c'est 
proche,  que  c'est  a  la  porte. 

30.  En  verite,  je  vous  dis  que 
cette  generation  ne  passera  pas 
avant  que  toutesces  choses  arrivent. 


ecrils  commit  devanl  se  realiser  a  la  fin  du 
mondo.  Clr.  II  Pelr.  1-13;  Apoc.  xx,  xxi.  — 
Virlules  quce  in  cwlis  sunt  (Mallh.  «  cceIo- 
riim  »,  d'apres  Is.  xxxiv,  4^  movebuntur. Les 
astres,  sorlant  de  leur  orbite  accoutumee, 
erretonl  qk  et  la  :  il  n'y  aura  done  plus  d'har- 
monie  dans  leur  niarche,  d'ou  resullera  un 
ebranlement  universel,  aa.lz\)f^riGo\xai.  —  Sur 
la  conslriiclion  erunt  decidentes,  voyez  Bee- 
len,  Gramm.  p.  380. 

26.  —  El  tunc.  Cette  expression,  reiteree 
trois  fois  presqne  coup  sur  coup,  Cfr,  tt.  21 
et  27,  marqu(^  solennellement  le  rhythrae  dans 
cetle  propnetie  qui  est  cadencee  a  la  faQon  des 
oracles  de  I'Ancien  Testament.  —  Videbunt 
Filium  hominis.  Sans  mentionner,  comme  I'a 
fail  S.  Malthieu,  le  signe  du  Messie  faisant 
d'abord  dans  le  ciel  son  apparition  subite, 
S.  Marc  introduit  immediateinent  sur  la  scene 
le  Christ  iui-naeme,  qui  se  presentera  tout 
environne  de  puissance  et  de  gloire,  ainsi 
qu'il  convient  au  Fils  de  Dieu,  au  Roi  Iheo- 
cratique. 

27.  —  Congregabit  electos,  «  cum  tuba  et 
voce  magna  »,  ajoute  S.  Malthieu.  Le  Christ 
reunira  ses  elus  a  la  maniere  dont  les  He- 
breux  etaient  autrefois  convoques  auxsainles 
assemblees.  Cfr.  Ex.  xix,  13,  16,  19;  LpvII. 
XXIII.  24 ;  Ps.  Lxxx,  3-5.  —  A  summo  terra 
usque  ad  summum  cce/i.  Expression  qui  dilfere 
un  peu  de  celle  que  nous  lisons  dans  le  pre- 
mier Evangile  («  a  summis  coelorum  usque 
ad  terminos  eorum  »),  bien  que  le  sens  *'>it 


le  meme  de  part  et  d'autre.  La  locution  de 
S.  Marc  suppose,  d'apres  les  idees  populaires 
des  ancions,  une  terre  aplatie,  donl  les  cxlrd- 
miles  etaient  de  loutes  parts  entourees,  en- 
cadrees  en  queique  sorle,  par  les  robords  in- 
ferieurs  de  la  calotte  descieux.  Eilesignifle  : 
d'un  bout  de  la  lerre  a  I'aulre. 

28.  —  Ab  arbore  fici  discite...  Deux  fois 
deja  le  figuier  avail  donne  aux  disciples  de 
graves  enseignements.  Cfr.  xi,  13  et  ss.;  Luc. 
XIII,  6-9.  Voici  qu'il  est  elabli  leur  docleur 
(otTto  TTj;  awr.a  [laOsTe)  a  un  nouveau  point 
de  vue.  —  Ramus  est  colleclif  et  designs 
I'ensemble  des  rameaux. 

29.  —  Sic  et  vos...  De  meme  que  I'homme 
naturel  est  sensible  aux  signcs  varies  des 
temps  et  des  saisons,  de  meme  il  faut  que  le 
Chretien  sache  reconnailre  aux  pronoslics  in- 
diques  par  le  Sauveur  (cum  videritis  hcEC  fieri) 
I'approche  de  la  grande  crise  qui  mttlra  fin 
au  monde  present.  —  In  proximo  sit  inostiis. 
«  Ecce  judex  ante  januam  a>sistil  »,  ecrit 
S.  Jacques  employanl  la  meme  figure,  et 
faisant  peul-elre  alkision  aux  paroles  de  Je- 
sus. Jac.  V,  9. 

30.  —  Conclusion  solennelle  de  toute  la 
prophetie  qui  precede  {M.  5-30).  NotreS^'i- 
gneur,  revenant  sur  les  deux  grandes  idees 
autour  desquelles  a  roule  la  premiere  parlie 
de  son  discours,  c'esl-a-dire,  d'une  pari  sur 
la  ruine  de  Jerusalem  et  ses  sign(>s  avant- 
coureurs,  de  I'aulre  sur  la  fin  du  monde  et 
SOU  divers  preludes,  annonce  que  tout  se  pas- 


l&VANGILE  SELON  S.  MARC 


31.  Le  ciel  et  laterre  passeront; 
mais  mes  paroles  ne  passseront  pas. 

32.  Mais,  quant  a  ce  jour  ou  a 
cette  heure,  personne  ne  salt  rien  : 
ni  les  anges  dans  le  ciel,  ni  le  Fils, 
maislePere  seul. 

33.  Prenez  garde,  veillez  et  priez; 
car  Yous  ne  savez  quand  ce  temps 
viendra. 


31.  Coelum  et  terra  transibunt, 
verba  autem  mea  non  transibunt. 

32.  De  die  autem  illo  vel  bora 
nemo  scit,  neque  angeli  in  ccelo, 
neque  Filius,  nisi  Pater. 


33. 


Videte,  vigilate,  et  orate 


nescitis  enim  quando  tempus  sit. 


Malth.  24,  42. 


sera  comme  il  I'a  predit.  Les  mols  generatio 
hcec  designenl  done  soil  les  Juifs  contempo- 
rains  de  Jesus,  soil  la  race  humaine  en  gene- 
ral, selon  qu'on  envisage  I'une  ou  I'autre  de 
ces  deux  calastroplies.  Voyez  I'Evang.  suivant 
S.  Malthieu,  pp.  468  et  469. 

34 .  —  Comme  si  la  formule  «  amen  dico 
vobis»ne  suffisait  pas  pour  garanlir  la  verite 
parfaite  de  son  assertion,  Jesus  y  ajoute  une 
antithese  frappante.  11  met  en  regard  le  ciel, 
la  terre,  ces  objets  qui  paraissenl  si  stables 
dans  leur  existence,  et  ses  paioles  qui  avaienl 
deja  cesse  de  retentir  sur  la  cime  du  mont 
des  Oliviers.  Et  pourtant  le  ciel  et  la  terre 
passeront,  mais  ses  paroles  ne  passeront 
pas!  Quelle  noble  et  Gere  assurance  dans  un 
tel  langage !  Qui  eut  ose  le  tenir,  si  ce  n'est 
leFilsdeDieu? 

C.  Seconde  partie  du  Discours  :  La  pare'nese. 
xm,  32-37. 

C'est  ici  surtout  que  S.  Marc  abrege  et 
condense.  II  n'a  que  six  versets  pour  expri- 
mer  ce  qui  occupe  un  chapitre  el  demi  dans 
le  premier  Evangile.  Cl'r.  Matth.  xxiv,  36- 
XXV,  46. 

32.  —  De  die  autem  illo  vel  hora.  C'est-a- 
dire  I'epoque  precise  de  la  fm  du  monde. 
Apres  avoir  affirme  d'une  maniere  generale 
que  personne  ici-bas  ne  connait  ce  jour  et 
cette  heure  lerribles,  nemo  scii,  Jesus  specifie 
davantage,  et  signale  deux  sortes  d'etresqui, 
^,  par  suite  de  leur  nature  sublime  et  de  leurs 
I  rapports  intimes  avec  Dieu,sembleraient  de- 
'  voir  posseder  sur  ce  point  des  connaissances 
particulieres  :  ce  sont,  d'un  cote,  Angeli  i7i 
cceio,  de  I'aulre,  Filius,  leFils  de  I'homme,  le 
Messie.Or,  des  Anges  et  du  Fils  de  I'liomme 
il  assure  qu'eux  aussi  ils  ignorent  le  jour  et 
I'heure  du  jugement  dernier.  On  congoit  que 
les  mots  ouoE  6  ulo?,  propres  a  S.  Marc,  aient 
tree  quelque  difficulle  au  point  de  vue  theo- 
logique.  Les  heretiques  anciens  et  modernes 
(autrefois  les  Ariens  et  les  «  Agnoetee  »,  au- 
jourd'hui  les  protestants)  en  ont  abuse  pour 
imposer  a  la  science  du  Christ  dos  limites 
plus  ou  moins  elroites.  Mais  il  y  a  longtemps 
que  les  Peres,  par  des  distinctions  aussi 
clairesque  9f)lides,en  ont  indiquele  veritable 


sens.  Citons  quelques-unes  de  leurs  paroles  : 
«  Quomodo  Filius  nescire  potest  quod  Pater 
novil,  quum  in  Patre  Filius  sit?  Sed  cur 
NOLiT  DicERE  ostendit  alio  loco  (Act.  i,  7)  ». 
S.  Ambr.,  In  Luc.  xvii,  31.  De  meme  S.  Au- 
gustin,  In  Psalm,  xxxvi  :  «  Quia  Dominus 
noster  Jesus  Christus  magister  nobis  missus 
est,  eliam  Filium  hominis  dixit  nescire  ilium 
diem,  quia  in  magisterio  ejus  non  erat  UT 
PER  EUM  sciRETUR  A  NOBIS.  Neque  enim 
aliquid  scit  Pater  quod  Filius  nescil,  quum 
ipsa  scientia  Patris  ilia  scit  quae  sapit^ntia 
ejus  est  :  est  autem  Sapientia  ejus,  Filius 
ejus,  Verbum  ejus.  Sed  sicut  quia  nobis  scire 
non  proderat  quod  quidem  ille  noverat,  qui 
nos  docere  venerat,  non  tamen  hoc  quod 
nobis  nosse  non  proderat;  non  solum  sicut 
magister  aliquid  docuit  sed  sicut  magister 
aliquid  non  docuit  ».  Cfr.  de  Trin.  xii,  3; 
S.  Hil.  de  Trin.  ix,  et  les  commentaires  de 
Jansenius,  de  Maldonat,  de  Patrizi,  h.  K 
Nous  citerons  encore  I'excellente  interpre- 
tation de  Fr.  Luc  :  «  Filium  hominis,  id  est, 
se  quatenus  est  homo,  nescire  dicit  (Jesus), 
diem  ilium,  non  simpliciter  sed  suo  modo... 
Nulli  creaturae  diem  ilium  revelal  Deus, 
quem  naturali  intelleclu  impossibile  est  asse- 
qui,  sed  anima  Christi,  quae  creatura  est  uti- 
que,  eum  videt  in  natura  Dei  cui  unita  est. 
Quia  igitur  hoc  singulare  est,  nullique  crea- 
turae commune,  quod  Chrislus  Filius  hominis 
sit  etiam  Filius  Dei,  et  ex  eo  solo  novit  Filius 
hominis  quod  unitus  est  Filio  Dei,  ignora- 
turus  alioqui  cum  caeteris  creaturis,  etiam 
sublilissimis...  In  quem  sensum  D.  Grego- 
rius,  1.  viii,  ep.  42,  dicit  Christum  nosse  qui- 
dem hunc  diem  in  natura  humanitatis,  sed 
non  ex  natura  humanitatis  ».  Comm.,  h.  1. 
Voyez  aussi  Bossuet,  Meditat.  sur  I'Evan- 
gile,  Dern.  Semaine,  77e  et  78e  jour.  —  Nisi 
Pater.  «  Par  ce  secret  impenetrable,  dit  fort 
bien  D.  Calmet,  Jesus  veut  nous  contenir 
dans  une  vigilance  et  une  attention  conti- 
nuelles,et  reprimer  en  nous  la  vaine  curiosite 
et  les  recherches  inutiles  au  salul  ». 

33.  —  Videte  (c'est-a-dire  «  attendite  »), 
vigilate  et  orate.  L'exhortation  devient  pres- 
sante  et  rapide.  Le  troisierae  verbe,  ■jipoaey- 
xecOs,    manque   dans   quelques   manuscrits 


CHAPITRE  XIII 


489 


34.  Sicut  homo,  qui  peregre  pro- 
fectus  reliquit  domum  suam,  et  de- 
dit  servis  suis  poteslatem  cujusque 
operis,  et  janitori  prsecepit  ut  vi- 
gilet. 

35.  Vigilate  ergo  (nescitis  enim 
quando  dominus  domus  veniat  : 
sero,  an  media  nocte,  an  galli  cantu, 
an  mane), 

36.  Ne  cum  venerit  repente,  inve- 
niat  vos  dormientes. 

37.  Quod  autem  vobis  dico,  omni- 
bus dico :  Vis:ilate. 


34.  Comme  un  homme  qui,  s'en 
allant  au  loin,  laisse  sa  maison  et 
donne  pouvoir  a  ses  serviteurs,  a 
chacun  suivant  sa  fonction,  et  com- 
mande  au  portier  de  veiller. 

35.  Veillez  dene  (car  vous  ne  sa- 
vez  pas  quand  viendra  le  maitre  de 
la  maison,  le  soir  ou  au  milieu  de  la 
nuit  ou  au  chant  du  coq  ou  le  matin), 

36.  Afin  que,  lorsqu'il  viendra 
subitement,  il  ne  vous  trouve  pas 
endormis. 

37.  Or  ce  que  je  vous  dis,  je  le 
dis  a  tons  :  Veillez. 


(B,  D,  a,  c,  k) ;  il  a  neanmoins  des  garanlies 
suflisantes  d'authenticite.  L'idee  qu'il  ex- 
prime  est  Ires-naturelle.  Incapable  d'etre 
assez  allentif  par  lui-meme,  a  cause  de  I'in- 
souciance  et  de  la  legerele  qui  lui  sont  pro- 
f  res,  I'homme  doit  demander  du  secours  au 
Seigneur  pour  n'elre  pas  surpris  par  I'arrivee 
soudaine  du  dernier  jugement  {tempus;  dans 
le  grec,  6  xaipo;  avec  rarlicle). 

34.  —  Sicut  homo...  Cette  petite  parabole, 
par  laquelle  Notre-Seigneur  corrobore  son 
exhorlation,  differe  un  peu  de  ceile  que  nous 
lisons  dans  le  passage  parallele  du  premier 
Evangile,  xxiv,  45  el  ss.  Lk,  le  personnage 
principal  etait,  un  majordome,  e'est-a-dire  le 
premier  de  tous  les  serviteurs;  ici  e'est  un 
janitor,  le  dernier  des  esclaves.  La,  Jesus 
recommandait  par-dessustout  la  fidelite  dans 
la  vigilance;  ici  il  exhorte  a  la  vigilance 
«  simpliciter  ».  Le  Sauveur  eut  done  recours 
dans  cette  circonstance  ci  plusieurs  simili- 
tudes, parmi  lesquelles  chaque  Evangelisle  a 
fait  son  choix.  Ainsi  s'expliquent  leurs  diver- 
gences.—  Qui  peregre  pro  fectiis  est.  Cfr.  xii,  ^ 
et  le  commentaire.  Allusion  manifesto  au  pro- 
chain  «  depart  »  de  Jesus.  —  Potestatem  cu- 
jusque operis.  La  Vulgate  a  lu  e?o\j(7tav  Jy.aaxoy 
ToiJepYoy,  mais  la  vraie  leQon  est  certaine- 
menl  celle  de  la  Recepta  :  Sou;  toT;  8ou),oi? 
auTou  TYjv  e^ouaiav,  v.aX  JxacfTw  to  epyov  aOtou... 
«  Ayant  donne  le  commandement  a  ses  ser- 
viteurs, a  chacun  son  emploi  »,  il  recom- 
manda  specialement  au  portier  de  veiller.  — 
La  phrase  demcure  inachevee  a  la  fin  du  ver- 
set.  On  peut  suppleer  :  De  meme,  moi  aussi, 
je  vous  ordonne  de  veiller.  Ou  bien,  a  la 


faQon  de  la  traduction  anglaise  :  «  Le  Fils  de 
I'homme  est  comme  un  homme...  » 

35  et  36.  —  Application  de  la  parabole.  — 
Vigilate  ergo.  Jesus  repeie  son  mot  d'ordre 
avec  emphase.  II  repete  de  meme  avec  quel- 
ques  developpements  (Cfr.  t.  33)  le  motif 
pour  lequel  ses  disciples  devront  veiller  sans 
cesse  dans  I'attentede  son  second  avenement: 
Nescitis  enim...  —  Ser-o,  an  media  nocte... 
Ce  sont  les  noms  techniques  des  quatre  divi- 
sions de  la  null  chez  les  Remains.  La  Mischna, 
Tamid.  i,  -1,  2,  raconle  que,  pour  obligor  a 
une  vigilance  perpetuelle  les  Levites  qui  mon- 
taient  la  garde  dans  le  Temple  pendant  la 
nuit,  un  pretre  venait  de  temps  en  temps, 
mais  a  des  heures  varices  et  a  I'improviste, 
frapper  a  la  porte  du  lieu  saint,  qu'on  devait 
aussitol  lui  ouvrir.  G'est  ainsi  que  fait  le  Fils 
de  Dieu.  —  Cum  venerit  repente.  G'est  sur 
cet  adverbe  {i^aicf^rii)  que  repose  l'idee  prin- 
cipale. 

37.  —  Omnibus  dico.  «  Non  solum  enira 
illis  dixit  quibus  tunc  audientibus  loqueba- 
tur,  sed  etiam  illis  qui  fuerunt  post  illos  ante 
nos,  et  ad  nos  ipsos,  et  qui  erunt  post  nos, 
usque  adnovissimumejus  adventum.  »  S.Aug, 
Ep.  Lxxx.  —  Vigilate.  Dans  la  redaction 
de  S.  Marc,  le  discours  cschalologique  se  ler- 
mine  par  cette  parole  vigoureusement  accen- 
tuee.  Les  premiers  Chretiens,  afin  de  s'exci- 
ter  plus  vivement  a  mettre  en  pratique  la 
recommandation  de  Jesus,  aimaient  a  prendre 
des  noms  qui  la  leur  rappelassenl  sans  cesse. 
De  la  oes  Vigilius,  ces  Gregorius  (rpr-,Yop£iTe) 
si  souvent  mentionnes  dans  les  inscripliojis 
des  Catacombes, 


49fl 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


CHAPITIIE    XIV 

Complot  du  Sanhedrin  contre  Jdsus  {ft.  1  et  2).  —  Le  repas  et  I'onction  de  Belhanie 
{1ft.  3-9).—  Le  honleux  marche  de  Judas  [ft.  10-11].  —  Preparatife  du  feslin  pascal 
{lit.  12-16).  —  Gene  legale  [tf.  17-21).  —  Gene  eucharistique  (at.  22-23).  —  Trois  pre- 
dictions (tt.  26-31).  —  Gethsemani  [tt.  32-42).  —  L'arreslalion  (ft.  43-52).  —  Jesus 
devant  le  Sanhedrin  [tt.  53-63).  —  Le  renieraent  de  S.  Pierre  (tt.  66-72). 


1.  Or,  deux  jours  apres,  c'etait  la 
P^que  et  les  Azymes;  et  les  princes 
des  pretres  et  les  Scribes  cher- 
chaient  comment  ils  se  saisiraient 
de  lui  par  ruse  et  le  feraient  mourir. 

2.  Mais  ils  disaient :  Pas  au  jour 


1.  Erat  autem  Pasclia  et  Azyma 
post  biduum  :  et  quaerebant  summi 
sacerdotes,  et  Scribae,  quomodo  eum 
dolo  tenerent,  et  occiderent. 

Matth.  26,  1 ;  Luc.  22,  1. 

2.  Dicebant  autem  :  Non  in  die 


III.  — «  Christus  patiens».  xiv-xv. 

((Nunc  aspergamus  librum  nostrum  de  san- 
guine, et  limina  domorum,  et  funem  cocci- 
neum  circumdemus  domui  orationis  nostras, 
et  coccum  in  manu  nostra...  De  Chrisli  enim 
occisione  narrat  Evangelista.  »  Pseudo-Hie- 
ron.  ap.  Caten.  S.  Thorn,  h-  1. 

1.—  Complot  du  Sanhedrin.  xiv,  1-2.  —  Parall. 
Matth.  XXVI,  3  5;  Luc.  xxii,  1-2. 

Chap.  xiv.  —  1  •  —  Erat  autem  Pascha  et 
Azyma.  Dans  le  grec,  t6  itaaxa  xal  toc  (S^ufia, 
avec  un  double  article,  pour  marquer  la  lete 
par  excellence  du  Judai'sme,  la  grande  solen- 
nite  nationale  et  religieuse  des  Hebreux.  Sur 
I'origine  des  mots  Paque  et  Azymes,  voyez 
I'Evangile  selon  S.  Malthieu,  pp.' 491  et  501. 
On  s'est  parfois  demande  pour  quel  motif 
S.  Marc  a  reuni  ces  deux  noms,  alors  que 
I'un  ou  I'autre  eut  parfaitement  sufiB.  Plu- 
sieurs  interpretes,  restreignant  le  sens  de 
((  Pascha  »  de  maniereane  lui  faire  designer 
jci  que  I'agneau  pascal,  ont  suppose  que  I'E- 
vangeliste  avait  surtout  en  vue  le  repas  legal 
du  14  nisan,  qui  se  trouverail  ainsi  designe 

f)ar  ses  deux  mets  principaux,  I'agneau  el 
es  pains  azymes.  Mais  cette  raison  nous  pa- 
rait  peu  convaincante,  puisque,  dans  ce  pas- 
sage, il  est  question  de  la  solennite  consi- 
deree  dans  son  ensemble,  et  pas  seulement 
de  la  Gene.  Peut-etre  la  formule  ((  Pascha  et 
Azyma  »  (mjfam  nos)  etait-elle  parfois  em- 
ployee a  I'epoque  de  Notre-Seigneur  pour 
denommer  la  P^que.  Mais  il  nous  semble 
plus  probable  que  S.  Marc  n'a  voulu  associer 
ces  deux  noms  techniques  qu'afin  de  montrer 
a  ses  lecleurs  d'origine  paienne  qu'ils  indi- 
quent  une  seule  el  meme  fete.  Gfr.  Luc. 
XXII,  1.  —  Post  biduum...  C'est-a-dire  le 


surlendemain.  Ce  qui  va  suivre  se  passait 
done  le  12  nisan,  le  mardi  de  la  Semaine 
Sainle.—Quwrebant  summi  sacerdotes... S.Mai' 
thieu,  dont  la  narration  est  plus  complete, 
nous  montre  les  Sanhedristes  se  reunissant 
en  seance  solennelle  chez  Cai'phe,  le  prince 
des  pretres,  el  tenant  une  consultation  en 
regie  sur  le  sujel  en  question.  S.  Marc  note 
du  moins  clairement  le  but  de  leurs  efforts, 
quomodo  eum  dolo  tenerent...  Ri-marquons 
cet  ((  eum  »  significatif.  Jesus  n'a  pas  ete 
nomme  depuis  les  premiers  versets  du  chap. 
XIII.  Mais  on  sail  a  qui  les  membres  du  grand 
Gonseil  pensent  d'une  maniere  conlinuelle 
depuis  bienlot  deux  ans.  —  Nous  avons  fail 
remarquer  en  expliquant  le  passage  parallele 
de  S.  Malthieu,  xxvi,  4,  que  le  substantif 
((  dolo  »  ne  retombe  que  sur  «  tenerent  »,  et 
pas  sur  ((  occiderent  ».La  principale  difficulte 
consistait  en  effet  a  se  saisir  de  la  personne 
de  Jesus.  Une  fois  arrele,  les  Sanhedristes 
sauront  bien  se  defaire  de  lui,  soil  juridique- 
ment,  soil  au  besoin  en  recourant  au  poi- 
gnard  d'un  sicaire. 

2.  —  Dicebant  autem.  La  Recepta  porte 
aussi  Qeyov  Se;  mais  les  manuscrilsB,  G,  D,  L, 
Sinait.  ont  Qsyo^  Y«P»  "  dicebant  enim.  »  — 
Non  in  die  festo;  ou  mieux,  d'apres  le  grec 
(|j.ri  Ev  T^  iopixi),  ((  non  in  festo  »,  c'est-a-dire 
pendant  les  hull  jours  que  durail  la  fete.  Les 
Sanhedristes  reculaient  ainsi  d'une  grande 
semaine  el  au-dela  I'arrestation  de  Jesus.  — 
Ne  forte  tumuUus  fieret...  «  Ex  communiter 
contingenlibus»(Gfr.  I'Evang.  selon  S.  Matth. 
p.  493),  el  vu  les  dispositions  favorables  du 
peuplepour  Jesus,  un  soulevement  etait  fort 
a  craindre  si  Ton  ne  procedait  avec  la  plus 
grande  prudence  dans  cette  affaire  delicate. 
C'est  pourquoi  les  membres  du  grand  Con- 


CHAPITRE   XIV 


491 


festo,  ne  forte  tumultus  fieret  in  po- 
pulo. 

3.  Et  cum  esset  Bethanise  in  domo 
Simonis  leprosi,  et  recumberet ;  ve- 
nit  mulier  habens  alabastrum  un- 
guenti  nardi  spicati  pretiosi,  etfra- 
cto  alabastro,  effudit  super  caput 
ejus. 

Maiih,  26,  6;  Joan.  12,  1. 

4.  Erant  autem  quidam  indigne 
ferentes  intra  semetipsos,  et  dicen- 
tes  :  Ut  quid  perditio  ista  unguenti 
facta  est  ? 

5.  Poterat  enim  unguentum  istud 


de  fete,  de  peur    qu'i    ne  s'eleve 
quelque  tumulte  dans  le  peuple. 

3.  Et  pendant  qu'il  etaxt  a  Betha- 
nie,  dans  la  maison  de  Simon  le 
lepreux,  et  qu'il  etait  a  table,  il 
vint  une  femme  ayant  un  vase  d'al- 
batre  plein  d'un  parfum  precieux 
de  nard  pur,  et  elle  le  repandit 
sur  sa  tete  en  brisant  le  vase. 

4.  Et  il  y  en  avait  qui  s'indi- 
gnaient  en  eux-memes  et  disaient : 
Pourquoi  a-t-on  fait  cette  perte  de 
parfum  ? 

5.  Gar   ce    parfum    pouvait    se 


sell,  malgre  leur  desir  de  se  debarrasser  au 
plus  vile  de  leur  ennemi,  sonl  iinaninipspour 
retarder  de  quelques  jours  I'execiilion  do 
leursnoirs  projels  de  vengeance.  Sur  le  motif 
qui  annula  bientot  cette  resolution,  voyez 
noire  coramentaire  sur  S.  Matlhieu,  xxvi,  5. 

2.  —  Le  repas  et   I'onction  de   Bethanle. 

iiv,  3-9.  —  Parall.  Mattii.  xxvi,  6-13;  Joao.  xii,  Ml. 

3.  —  Cum  esset  Bethanice.  «  Ce  souper 
que  Jesus  prit  a  Bethanie  chcz  Simon  le  Le- 
preux se  fit  six  jours  avanl  la  Paque...  S.Jean 
j'a  rapporte  en  son  lieu,  xii,  I  ;  mais  les 
aulres  evangelisles  I'ont  mis  ici  par  recapi- 
tulation, pour  faire  cnnnaitre  la  cause  de  la 
trahison  de  Judas  ».  D.  Calmet.  Compar.  Pa- 
trizi,  In  Maic.  Comm.,  p.  190.  —  Siinonis 
leprosi.  Persoiinage  inconuu,  qui  etait  evi- 
demment  un  disciple  de  Nutre-Seigneur.  — 
Venit  mulier.  C'elait  celle  qui  avait  eu  le 
boiiheur  do  s'enlendre  dire  par  Jesus  quel- 
que temps  auparavant  :  «  Maiia  uptimam 
partem  elegit  (jute  non  auferetur  ab  ea  ». 
Luc.  X,  42.  —  Alabastrum  unguenti  nardi  spi- 
cati -pretiosi.  S.  Marc,  de  meme  queS.  Jean,  a 
nettement  indicpie  la  nature  du  parfum  re- 
pandu  par  Mai  ie  sur  la  tete  du  Sauveur.  Le 
nard,  menlionne  a  deux  reprises'dans  le  Can- 
lique  des  Cantiques,  i,  12;  iv,  13,  14,  etait 
une  huile  aroinatique,  fabriquee  avec  les  ra- 
cines,  les  feuilles  ou  I'epi  de  la  plante  du 
meme  nom  (Nardostachys  jatamansi,  de  la 
famile  des  Valeriaiiees,  De  Candolle),  qui 
croit,  ou  plulol  que  Ton  cuitive  en  grand 
dans  les  Ind(\s.  Dioscorides,  lib.  I,  c.  lxxii. 
Tcepi  vapoivou  jAupou,  en  fait  ressorlir  la  grande 
valeur.  Ce  parfum  etait  si  esliinedes  anciens, 
qu'Horace,  on  le  sail,  allail  jusqu'a  pro- 
meltre  a  Virgile  un  tonneau  entier  de  bon 
vin  pour  une  petite  fiole  («  parvus  onyx  »)  de 
nard.  Cfr.  Carm.  IV,  xu,  16  el  17.  De  la 
I'epithete  de  «  pretiosi  »,  qui  sera  d'ailleurs 
jusli^ee  plus  tard  par  une  reflexion  des  dis- 


ciples, t.  o.  L'autre  epithets,  «  spicati  », 
semblerait  designer  un  nard  extrait  de  I'epi  du 
Nardostachys;  maistel  n'est  certainerai^nl  pas 
le  sens  du  mot  grec  correspondant,  TnuTixyi;, 
que  la  Vulgate  iraduit  par  «  pistici  »  dans  le 
passage  parallele  du  quatrieme  Evangile.  On 
explique  ce  mot  de  trois  manieies.  selon  les 
racines  diverges  qu'on  lui  allribue.  1o  Les 
uns  le  font  venir  de  Pisla,  viUe  de  Perse  .  les 
«  nardus  pisticus  »  serait  done  du  nard  de 
Pisla.  20  Selon  d'autres,  Ttiffxixo?  deriverail  de 
■jii'vw,  boire  :  il  s'agirait  alors  de  nard  po- 
table, par  consequent  liquide.  De  fait,  nous 
Savons  par  les  anciens  auteurs  qu'on  me- 
langeail  parfois  le  nard  aux  liqueurs  en  guise 
d'epices.  3°  Suivanl  I'opinion  qui  a  lou- 
jours  ele  le  pUis  communemi'iil  suivie,  la 
vraie  racine  serait  th'oth;,  «  fides  »,  d  I'adjec- 
tifainsi  forme  signifierail  fidele.authentique, 
par  opposition  a  frelate.  Ce  sentiuieiil,  qu'a- 
doptail  Theophylacte  (aooXou  xal  \>.txa  uifTxecoi; 
xaxa(77.£uacTe£i(7rii;),  nous  semble  ie  mt'illeurdes 
irois,  d'autant  mieux  que  la  fraude  allait 
grand  train  sur  celle  matiere  precicuse, 
comme  nous  le  raconte  Pline  I'Ancien,  Hist. 
Nat.  xu,  26,  en  parlant  du  «  Pseudonardus  ». 
—  Fracto  alabast ro.  DelaW  pitlorcsque,  propre 
a  S.  Marc.  Le  goulol  elroil  du  vase  n'aurait 
point  permis  au  parfum  de  s'echapper  assez 
vile  :  Marie  le  biise  sans  hesitcr,  sacrifiant 
tout  ensemble  le  contenanl  et  le  conlenu  dans 
sa  sainte  prodigalile. 

4.  —  Quidam  indigne  ferentes.  A  I'insliga- 
lion  de  Judas,  Cfr.  Joan,  xii,  4,  plu^ieurs 
disciples  se  perrairent  de  blamer,  non  seule- 
ment  au  fond  de  hmr  coeur,  intra  semetipsos., 
comme  disent  la  Recepta  grecque  el  la  Vul- 
gate, mais,  suivant  une  varianle  qui  est  pro- 
bablement  authenlique,  (ocYavaxToOvTe?  Tcpo? 
iauTou;  y.ai  Uyo^m^,  OU  bien:xai  eXsyovjnUverte- 
menl  et  a  voix  haute,  la  conduite  de  Marie. 

5. —  Venumdaii  plus  quam  trecentis  denariis. 
Cos  Galileens,  posilifs  et  pratiques  comme  lo 


492 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


vendre  plus  de  trois  cents  deniers  et 
^tre  donne  aiix  pcauvres.  Et  ils  se 
courroucaient  centre  elle. 

G.  MaisJesusdit :  Laissez-la;  pour- 
quoi  lui  faites-vous  de  la  peine  ? 
Elle  a  fait  envers  moi  une  bonne 
(Buvre. 

7.  Car  voiis  avez  toujours  des 
pauvres  parmi  vous,  et,  quand  vous 
le  voudrez,  vous  pourrez  leur  faire 
du  bien;  mais  moi,  vous  ne  m'avez 
pas  toujours. 

8.  Ce qu'elle  a  pu  elle  I'a  fait;  elle 
a  d'avance  parfume  mon  corps  pour 
la  sepulture. 

9.  En  verite  je  vous  le  dis  :  Par- 
tout  oil  sera  preche  cet  Evangile, 
dans  le  monde  entier,  ce  qu'elle  a 
fait  sera  raconte  aussi  en  memoire 
d'elle. 

10.  Et  Judas  Iscariote,  un  des 


venumdari  puis  quam  trecentis  de- 
nariis,  et  dari  pauperibus.  Et  freme- 
bant  in  earn. 

6.  Jesus  autem  dixit :  Sinite  earn ; 
quid  illi  molesti  estis?  Bonum  opus 
operata  est  in  me  : 

7.  Semper  enim  pauperes  habetis 
vobiscum ;  et  cum  volueritis,  pote- 
stis  illis  benefacere  :  me  autem  non 
semper  habetis. 

8.  Quod  habuit  hsec  fecit :  prseve- 
nit  ungere  corpus  meum  in  sepultu- 
ram. 

9.  Amen  dico  vobis  :  Ubicumque 
prsedicatum  fueritEvangelium  istud 
in  universo  mundo,  et  quod  fecit 
hsec  narrabitur  in  oemoriam  ejus. 

10.  Et  Judas  Iscariotes,  unus  de 


sont  d'ordinaire  les  gens  de  la  campagne,  ont 
eu  le  temps  deja  de  calculer  la  valeur  du 
parfum.  On  aurait  pu,  s'ecrient-ils,  le  vendre 
300  deniers  et  au  dela,  c'est-a-dire  plus  de 
250  francs.  Cfr.  Cavedoni,  Numismat.  bibl. 
p.  105  et  4  06.  —  Et  dari  poiipcribus. «  L'a- 
mour  des  pauvres  fut  le  pretexte  dont  on  se 
servit  pour  condamner  la  piete  de  cette 
jfemme,  qu'on  appelait  indiscrete.  »  Bossuet, 
'Medilat.  sur  I'Evang.  Dern.  Semaine  Sejour. 
—  Et  fremebant  in  earn,  xal  ev£gpi[AwvTo  ayt^. 
Expression  energique,  qui  marque  ordinaire- 
ment  une  indignation  extreme.  Ce  trait  est 
propre  a  S.  Marc. 

6.  —  Jesus  autem...  Le  Sauveur  protesla 
avec  bonte,  mais  aussi  avec  fermete,  centre 
cette  conduite  injuste  de  ses  Apotres.  Du 
resle,  comme  le  dit  Bossuet,  1.  c,  leurs  inso- 
lents  discours  n'attaquaient  pas  seulement  la 
femme  dont  ils  accusaient  la  profusion,  mais 
encore  leur  Maitre,  qui  la  souflrail.  —  Bonum, 
opus...  Jesus  a  rarement  loue  d'une  maniere 
si  illimitee  les  hommages  dont  sa  divine  per- 
sonne  a  ete  I'obje!,  sur  la  terre. 

7.  —  Semper  enim  pauperes...  Dans  le  grec, 
Tou?  itTtoxw;  avec  I'article,  les  pauvres.  «  Cogi- 
tantur  tanquam  species  quae  non  deficit.  » 
Crombez,  Comment,  aulographie.  —  Cum 
volueritis,  potestis...  S.  Matthieu  et  S.  Jean 
ont  omis  cette  belle  parenthese,  par  laquelle 
Jesus  exhorte  indirectement  les  siens  h.  la 
charite  envers  les  pauvres.  —  Me  autem  non 
semper  habetis.  Allusion  delicate  a  sa  mort 
prochaine.  —  On  I'a  dit  avec  beaucoup  de 


justesse,  ce  verset  contient  les  litres  de  no- 
blesse de  I'art  Chretien,  qui  renouvelle  de 
mille  manieres  pour  Notre-Seigneur  Jesus- 
Chrisl  I'acte  genereux  de  la  soeur  de  Lazare. 

8.  —  Quod  habuit  hcec,  fecit.  Ces  paroles 
sont  egalement  propres  a  S.  Marc.  Quel  eloge 
sous  la  forme  la  plus  simple!  «  Habuit  »  est 
synonyme  de  «  potuit  ».  —  Prcevenit  ungere 
corpus  meum...  Par  cette  onction  respec- 
lueuse,  Marie  avait  rendu  d'avance  au  corps 
sacre  de  Jesus  les  honneurs  funebres.  C'est 
ainsi  qu'un  acte  qui  n'avait  en  soit  rien 
d'extraordiuaire,  etait  deveno,  a  cause  des 
circonstances  particulieres  oil  se  trouvait 
Jesus,  profondement  significatif.  Voyez  le 
commentaire  sur  S.  Matthieu,  p.  496. 

9.  —  Ubicumque  prcedicatum  fuerit...  Apres 
avoir  loue  sans  reserve  Taction  de  Marie  et 
apres  en  avoir  explique  le  sens  prophetique, 
le  Sauveur  lui  accorde,  des  ici-bas,  une  grande 
recompense.  La  pieuse  amie  de  Jesus,  en 
rendanl  un  hommage  public  a  Celui  dont  elle 
el  les  siens  avaient  regu  lanl  de  bienfaits, 
s'^levait  a  son  insu  un  monument  eternel  do 
gloire. 

3.  —  L.e  honteux  marchfe  de  Judas,  xiv,  10-11» 
Parall.  Matth.  xxvi,  14-16;  Luc.  xxii,  3-6. 

40.  —  Judas...  tinus  de  duodecim.  Quelques 
manuscrits  portent  6  eT;  twv  Swocxa,  avec  I'ar- 
ticle devanl  «  unus  »,  pour  renforcer  encore 
une  parole  deja  si  expre?sive.  C'elail  I'un  des 
Douze,  remarque  S.  Augustin,  Tract,  lxi  in 
Joan.,  «  numero,  non    merito;  specie,  non 


CHAPITRE    XIV 


493 


duodecim,  abiit  ad  summos  sacer- 
dotes,  ut  proderet  eum  illis. 

Maith.  26,  14. 

41.  Qui  audientes  gavisi  sunt  :  et 
promiserunt  ei  pecuniam  se  daturos. 
Et  quserebat  quomodo  ilium  oppor- 
tune traderet. 

12.  Et  primo  die  Azymorum, 
quando  Pascha  immolabant,  dicunt 
ei  discipuli  :  Quo  vis  eamus,  et  pa- 
remustibi  ut  manduces  Pascha? 

Matth.  26,17;  Luc.  22,7. 

13.  Et  mittit  duos  ex  discipulis 


Douze,  s'en  alia   vers  les   princes 
des  prStres  pour  le  leur  livrer. 

11.  En  I'entendant,  ils  se  re- 
jouirent,  et  promirent  qu'ils  lui 
donneraient  de  I'argent.  Et  il  cher- 
chait  a  quel  moment  opportun  il  le 
livrerait. 

12.  Et  le  premier  jour  des  Azy- 
mes,  lorsqu  on  immolait  la  PAque, 
ses  disciples  lui  dirent  :  Oii  voulez- 
vous  que  nous  alliens  vous  preparer 
ce  qu'il  faut  pour  que  vous  mangiez 
la  Paque? 

13.  Et  il  envoya  deux  de  ses  dis- 


\ 


virtule  ;  commixtione  corporali,  non  vinculo 
spirituali;  carnis  adjunctione,  non  cordis  so- 
cius  unilale.  »  C'est  poiirqiioi  il  ne  rougil  pas 
de  livrer  son  Maitre.  Gel  «  expioralor  pasto- 
ris  »,  cet  «  insidiator  salvaloris  »,  ce  «  ven- 
ditor Redemploris  »,  comme  I'appeile  encore 
S.  Augustin,  ibid.  Tr.  lv,  s'en  va  de  lui- 
meine,  par  le  libre  choix  de  son  ame  criminelle, 
lendre  la  main  aux  Sanhedrisies  et  conclure 
avec  eux  le  marche  le  plus  infame  qui  ait 
jamais  eu  lieu  sur  la  terre.  Quel  contraste 
entre  I'acte  de  Marie  et  la  demarche  de  Ju- 
das! El  ce  qui  rend  le  contraste  plus  frap- 
pant,  c'est  que  ce  fut  precisement  Taction  si 
noble  et  si  affecLueuse  de  Marie  qui  mil  le 
comble  a  la  haine  de  Judas.  Sur  les  mobiles 
de  celte  Irahison,  voyez  I'Evangile  selon 
S.  Matthieu,  p.  497.  La  demarche  du  trailre 
eut  lieu,  selon  toute  vraisemblance,  le  soir 
du  Mardi  saint,  peu  de  temps  apres  le  complot 
du  Sanhedrin  {t.  1). 

41.  —  Audientes  gavisi  sunt.  S.  Matthieu 
n'avail  pas  menlionne  ce  traitcaraclerislique. 
On  comprend  sans  peine  que  la  proposition 
du  Judas  ait  rempli  Je  coeur  des  Sanhedrisies 
d'une  joie  infernale.  On  Fa  vu,  tt.  1  el  2,  ils 
etaient  reellement  inquiets  sur  Tissue  d'une 
entreprise  qu'ils  croyaient  herissee  de  diffi- 
cuUes,  memo  de  dangers,  et  voici  qu'un  des 
amis  les  plus  intimes  de  Jesus  se  chargeait  de 
lever  tout  obstacle!  —  Promiserunt  ei  pecu- 
niam: «  triginta  argenleos  »,ditS.  Matthieu. 
C'est  pour  cette  miserable  somme  que  Tavare 
Judas  vendit  son  Maitre.  —  Qucerebat  quomo- 
do...  opportune...  Devenu  Tagenl  des  Princes 
des  pretres,  le  trailre  guette  le  inoment  favo- 
rable de  tomber  sur  sa  proie.  L'arrestation, 
en  effet,  ne  pouvait  guere  avoir  lieu  a  Betha- 
nie,  oil  Jesus  comptait  un  si  grand  nombre 
d'amis  devoues. 


S.  BiBLB.    S. 


4.  —La  derni^re  c6iie.  xiv,  12-25. 

a.  Preparatifs  du  festin  pascal,   xiv,    12-i6. 
Parall.  Matth.  xxvi,  17-19;  Luc.  xxn,  7-13. 

Le  recit  de  S.  Marc  est  le  plus  vivant  et  le 
plus  complet  des  Irois  :  un  seul  detail  y  est 
omis,  le  nom  des  deux  disciples  charges  de 
preparer  la  cene. 

12.  —  Primo  die  Azymorum.  C'est-a-dire 
dans  la  journee  et  probablement  des  le  matin 
du  44  nisan,  qui  tombail  un  jeudi  cette 
annee-la.  Voyez  la  note  chronologique  inse- 
ree  dans  notre  Commentaire  sur  S  Matthieu, 
pp.  498-502.  —  Quando  pascha  immolabant. 
Le  sujet  est  «  Judsei  »,  sous-e^tendu  a  la  fa- 
Qon  hebraique.  «  Pascha  »  a  evidemment  le 
sens  de  viclime  pascale.  Ce  pelit  detail  d'ar- 
cheologie  est  omis  par  S.  Matthieu  :  il  eut  etd 
fort  inutile  pour  ses  lecleurs  d'origine  juive.  II 
corrobore  etonnamment,  ou  plulot  il  rend 
irrefutable,  croyons-nous,  Topinion  que  nous 
avons  adoptee  relativement  au  jour  ou  Notre- 
Seigneur  celebra  la  dciniere  cene.  Si  Jesus 
niangea  Tagneau  pascal  le  meme  jour  que  ses 
coreligionnaires,  il  le  mangea  comme  eux  le 
soir  du  14  nisan,  et  fut  crucifie  le  15.  Du 
reste,  les  Quartodecimans,  qui  s'obstinerent 
pendant  assez  longlemps  a  celebrer  la  PSque 
chretienne  en  ce  meme  jour,  et  non  le  di- 
manche  suivant  avec  le  reste  de  TEglise, 
s'appuyaient  sur  des  ordonnances  speciales 
de  Tapotre  S.  Jean  :  fait  qui  onleve  une 
grande  partie  de  leur  valeur  aux  raisons  que 
les  partisans  du  sysleme  oppose  tirent  du 
quatrieme  Evangile.  —  Quo  vis  eanms  et  pa- 
rentis...? Les  Apotres  rappellenl  familiere- 
ment  a  leur  Maitre  qu'il  est  temps  de  faire 
les  preparatifs  necessaires  pour  la  celebration 
de  la  cene  legale,  et  ils  lui  demandent  specia- 
leraenl  ses  intentions  touchanl  le  choix  d'un 
local  convenable. 

i3.  —  Mittit  duos  discipulos  :  «  Petrum  et 
Marc.  —  13 


494 

ciples  et  leur  dit  :  Allez  dans  la 
ville.  Vous  rencontrerez  un  homme 
portant  ime  cruche  d'eau ;  suivez-le. 

14.  Et,  quelque  part  qu'il  entre, 
dites  au  proprietaire  de  la  maison  : 
Le  Maitre  dit  :  Oii  est  le  lieu  oil  je 
dois  manger  la  Paque  avec  mes  dis- 
ciples ? 

15.  Et  il  vous  montrera  un  grand 
cenacle  meuble;et  la  preparez  tout 
pour  nous. 

16.  Ses  disciples  s'en  allerent  et 
vinrent  dans  la  ville,  et  ils  trou- 
verent  tout  comme  il  leur  avait  dit, 
et  ils  preparerent  la  Paque. 

17.  Et  le  soir  etant  venu,  il  alia 
avec  les  Douze. 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


suis,  et  dicit  eis  :  Ite  in  civitatem  : 
et  occurret  vobis  homo  lagenam 
aquae  bajulans,  sequimini  eum  : 

14.Etquocumque  introierit,dicite 
domino  domus,quia  magister  dicit : 
Ubi  est  refectio  mea,  ubi  Pascha  cum 
discipulismeis  manducem?  i 

15.  Et  ipse  vobis  demonstrabit 
coenaculum  grande,  stratum :  et  illic 
parate  nobis. 

16.  Et  abierunt  discipuli  ejus,  et 
venerunt  in  civitatem  :  et  invene- 
runt  sicut  dixerat  illis,  et  parave- 
runt  Pascha. 

17.  Vespere  autem  facto,  venit 
cum  duodecim. 

Maith.  26,  20;  i!<e.22,  14. 


Joannem  »,  dit  S.  Luc.  Jesus  les  envoie  a 
Jerusalem,  in  civitatem,  oil  devaient  avoir 
lieu  i'lmmolation  el  la  manducalion  de  I'a- 
gneau  pascal.  —  Occurret  cobis  homo...  Ainsi 
qu'on  I'adrnet  communement,  Jesus,  au  lieu 
de  nommer  directement  le  proprietaire  de  la 
maison  ou  il  desirait  faire  la  Paque,  employa 
cetlecirconlocutionmyslerieuseaQndecacher 
a  Judas  jusqu'au  soir  le  lieu  de  la  reunion.  Si 
le  iraitre  eiil  connu  d'avance  ce  local,  il 
n'eut,  pas  manque  d'avertir  les  Sanhedrisles 
pendant  la  joarnee,  et  on  serait  venu  arreter 
Notre-Seigneur  avant  que  «  son  heure  » 
fut  venue,  av:l.it  qu'il  eul  laisse  a  son 
Eglise,  dans  la  sainte  Eucharistie,  le  gage  de 
Tamoiir  le  plus  parfail  et  la  plus  precieuse 
benediction.  —  Lagenam  aqiice  bajulans.  Signe 
tres  dislinctif,  qui  rendaitcelhomme  facile  a 
reconnaiire,  meme  au  milieu  de  la  foule  nom- 
breuse  qui  remplissaitalors  la  capitate  juive. 
Le  mot  grec  traduit  par  «  lagenam  »  signifie 
proprement  «  vas  figulinum  »  'x£pd|xiovJ  :  il 
s'agit  done  d'une  de  ces  grandes  urnes  en 
lerre  que  les  Orientaux  portent  gracieuse- 
ment  sur  la  tete.  Ce  serviteur  devait-il  se 
trouver  la  en  vertu  d'un  arrangement  con- 
certe  d'avance  entre  Jesus  et  le  maitre  de  la 
maison?  ou  bien  est-ce  la  Providence  elle- 
meme  qui  devait  le  placer  sur  le  chemin  des 
deux  Apotres  pour  leur  sprvir  de  guide,  de 
sorte  que  Jesus  eul  ete  vraiment  prophete  en 
tenant  ce  langage?  Les  deux  sentiments  ont 
ete  soutenus ;  le  premier  nous  parait  nean- 
moins  difficilemenl  admissible.  Les  Evange- 
listes  racontent  visiblement  un  fair,  surna- 
turel. 

14.  —  Quociimque  introierit.   Le   langage 
de  S.  Luc  est  plus  precis  :  «  Sequimini  eum 


in  domum  in  quam  intrat.  »  —  Domino  do- 
mus.  Ce  devait  etro  un  disciple,  assuremenl, 
ainsi  qu'il  ressorl  du  contexle  et  surtout  du 
mot  Magister.  —  Ubi  est  refectio  mea.  Le  mot 
grec  xaxaWixa  (il  est  accompagne  de  rarlicle, 
non  loulelois  du  pronom  [xoy,  si  ce  n'esl  dans 
quelques  manuscrits)  signifie  plutot  «  diverso- 
rium  »  (Cfr.  Luc.  xxn,  -11),  lieu  de  repos, 
appartement  oil  le  voyageur  se  recree  quf I- 
ques  instants. 

15.  —  Et  ipse  vobis  demonstrabit...  S.  Mat- 
thieu  a  omis  tous  cts  details;  S.  Luc  les  rap- 
porte  dans  les  memes  termes  que  noire 
Evangeliste.  Le  cenacle,  ou,  d'apres  le  grec 
(dvwysov,  de  ava  t/jv  Y^v  selon  les  uns,  plus 
probablement  de  avw  Trj;  y^?  selon  les  autres;. 
la  chambre  haute  qui  devait  etre  cedee  aux 
disciples,  est  de'criteen  deux  mots  par  Jesus: 
grande,  elle  avait  de  grandes  dimensions,  ce 
qui  suppose  qu'elle  faisail  partie  d'une  maison 
riche  et  considerable ;  stratum,  e(7Tpw(X£vov, 
elle  etait  munie  de  tapis,  de  divans,  par  con- 
sequent deja  preparee  pour  le  repas,  ainsi 
que  I'ajoute  une  troisieme  epithete  (stoijjiov) 
dans  le  texte  original. 

16.  —  Abierunt,  venerunt,  invenerunt,  pa- 
raverunt.  La  narration  est  pittoresque  et  ra- 
pide.  Elle  est  en  meme  temps  Ires  circons- 
lanciee,  a  la  maniere  de  S.  Marc. 

b.  La  cene  legale,   xiv,  17-21.  — Parall.  MaUh. 
XXVI,  20-26;  Luc.  xxii,  14,  21-23;  Joan,  xiii,  1-30. 

17.  —  Vespere  facto.  Le  narrateur  nous 
transporte  tout  a  coup  au  soir  dujeudi  saint, 
el  il  nous  montre  Jesus  faisant  son  enlreo 
{venit  est  au  present,  spj^eTat)  avec  les  Douze 
dans  la  salle  du  festin.  L  -s  deux  Apotres  dO- 
signes  pour  faire  les  preparalifs  de  la  Paquo 


CHAPITRE   XIV 


195 


18.  Et  discumbentibus  eis  et 
manducantibus,  ait  Jesus  :  Amen 
dico  vobis,  quia  unus  ex  vobis  tradet 
me,  qui  mauducat  mecum. 

Joan.  13,21. 

1 9.  At  illi  coeperunt  contrislari,  et 
dicere  ei  singulatim  :  Numquid  ego? 

20.  Qui  ait  illis  :  Unus  ex  duode- 
cim,  qui  intingit  mecum  manum  in 
catino. 

21 .  Et  Filius  quidem  hominis  va- 
dit,  sicut  scriptum  est  de  eo;  vse 
autem  homini  illi,  per  quem  Filius 
hominis  tradetur!  Bonum  eral  ei,  si 
non  esset  natus  homo  ille. 

Psal.M,  10;  ActA,  16. 


18.  Et,  pendant  qu'ils  etaient  a 
table  et  maugeaieut,  Jesus  dit  ;  Eu 
verite,  je  vous  dis  qu'un  d'entre 
vous  qui  mange  a  vec  moi  me  trahira. 

19.  Et.  ils  commencerent  a  s'at- 
trister  et  a  lui  dire  chacun  :  Est-ce 
moi? 

20.  II  leur  dit :  Un  des  Douze,  qui 
met  avec  moi  la  main  dans  le  plat. 

21 .  Quant  au  Fils  de  I'homme,  ij 
s'en  va,  ainsi  qu'il  est  ecrit  de  lui : 
mais  malheur  a  I'homme  par  qui  le 
Fils  de  I'homme  sera  livre;  mieux 
vaudrait  pour  cat  homme  qu'il  ne 
fut  pas  ne. 


avairnl  sans  donte  rejoint  leur  Maitre  dans 
rapres-midi. 

is.  —  Discumbentibus  eis  et  manducan- 
tibus. S.  Marc  condense  dans  ces  quelques 
paroles  les  nonfibreudes  ceremonies  de  la 
cene  pascale,  siir  laquelle  il  navait  pas  a 
s'etondre.  On  en  irouvera  ia  de?cription 
abreiiee  dans  I'Evangile  selon  S.  Matthieu, 
pp.  503  et  ss.  Sur  la  maniere  dont  Ics  Jiiii's 
ceiebrent  aujourd'hui  la  Paque,  voyoz  Slau- 
bcn.  Scenes  de  la  vie  juive  en  AlsaciN  Pa- 
ris, 1860,  pj).  98  el  ss.;  Coypel,  le  Judaisrae, 
Esqui^S'  dcs  moeurs  juives,  pp.  231  el  ss.  — 
Vers  la  tin  du  repas  legal,  Jesus,  d'une  voix 
emue,  predil  toui-a-coiip  aux  siens  que  I'un 
li'i'iix  -e  disposail  a  li;  ti'ahir.  Les  moLs  qui 
mauducat  mecum  sonl  emphaliqurs.  En  Ions 
lieux,  mais  surloul  en  Orient.  Taction  de 
prtni'jii'  un  repas  en  commun  etablit  une cer- 
tain;- union  cntre  les  convives.  Traliir  quel- 
qu  un  avec  qui  Ton  a  mange  est  done  une 
circonstance  aggravante.  Mais,  sur  les  levres 
de  Jesus  et  relativemenl  a  Judas,  cette  phrase 
etait  beaucoup  plus  significative  encore;  car 
elle  revenait  a  dire  :  Je  vais  etre  livre  a  mes 
ennemis  par  I'un  de  mes  plus  intimes  amis. 

■!  9.  —  Coeperunt  dico'e  ei  singulatim.  Celte 
derniere  expression  ielt;  xa6'  eT;  pour  -/.aS'  v/a. 
Cfr.  Joan,  viii,  9;  Rom.  xii,  15;  est  Ires  pit- 
toresque.  —  Apres  mimquid  ego,  la  Recepta 
ajoute  :  y.al  a).>.o;,  MVi-ct  eyw;  ^'  Et  alter,  Num- 
quid ego?  »  II  n'esl  pas  sur  que  ces  mots 
soientaulhentiques.  —  Maispourquoi  tons  les 
Apotres  adressaient-ils  celte  question  a  Je- 
sus? G'esl  que,  repond  delicatement  Theophy- 
lacte,  bien  qu'ils  se  senlissent  etrangers  a 
la  coupable  intention  dont  avail  parle  leur 
Maitre,  ils  croyaienlcependant  beaucoup  plus 


a  Celui  qui  connail  le  coeur  de  tous,  qu'ils 
ne  croyaient  a  eux-memes. 

20.  —  Qui  ait  illis.  Jesus  reilere  sa  triste 
prediction,  en  la  rendant  encore  plus  pre- 
cise. C'est  ainsi  qu'il  dit  unus  ex  duodecim, 
au  lieu  de  «  unus  ex  vobis  »,  qu'on  aurait  pu 
appliquer  aux  disciples  en  general.  —  Qui  tJi- 
tingit...  Ces  mots  sent  egalement  plus  expres- 
sifs  que  le  simple  «  qui  manducal  mecum  » 
du  t.  18.  Nous  avons  montre,  en  expliquant 
le  passage  paralleie  de  S.Matlhieu  (xxvi,23), 
qu'ils  ne  designaient  pas  ouveriement  Judas. 
Cl'r.  Patrizi,  de  Evangel.,  lib.  II,  Annol.cLvii. 
L'equivalenl  du  substantif  manum  manque 
dans  la  Recepta,  bien  que  plusieurs  anciens 
temoins  aient  ttiv  x£'pa»  comme  la  Vulgate. 

21 .  —  Filius  quidem  hominis...  Vee  autem... 
Les  parlicules  (isv  et  Se  raltachenl  I'une  a 
I'autre  les  deux  pensees  contenues  dans  ce 
verset,  pour  montrer  le  rapport  qui  existe 
enlre  elies.  C'est  comme  s'll  y  avail  :  Sans 
doule  il  a  ete  decrele,  prophetise,  que  le  Fils 
de  I'liomme  serail  trahi  par  I'un  des  siens; 
et  pourtant,  malheur  a  I'homme  qui  doit  rem 
plir  I'office  de  traitre!  —  Bonum  erat  ei* 
«  Jesus  ne  dit  pas  :  II  vaudrait  mieux  abso- 
lumenl;  car,  par  rapport  au  conseil  de  Dieu, 
el  au  bien  qui  revient  au  monde  de  la  Irahi- 
son  de  Judas,  il  faut  bien  quil  vaiUe  mieux 
qu'il  ail  ete;  mais  la  puissance  de  Dieu  n'em- 
peche  ni  n'excuse  la  malice  de  cet  homme... 
II  vaudrait  mieux  pour  cet  homme  qu'il  n'eut 
jamais  ete,  puisqu'il  est  ne  pour  son  supplice, 
et  que  son  etre  ne  lui  serl  de  rien  que  pour 
rendre  sa  misere  eternelle.  »  Bossuel.  Medil, 
sur  I'Evangile,  Dern.  semaine,  20e  jour.  Cello 
menace  terrible  elait  un  dernier  appel  do 
Jesus  au  coeur  de  Judas.  «  PcBna  praedicilur 


i96 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


22.  Et  pendant  qu'ils  mangeaient, 
Jesus  prit  du  pain,  et  Tayant  beni, 
il  le  rompit  et  le  leur  donna  et  dit : 
Prenez,  ceci  est  mon  corps. 

23.  Et,  ayant  pris  le  calice  et 
rendu  graces,  il  le  leur  donna  et  ils 
en  burent  tons. 

24.  Et  il  leur  dit :  Ceci  est  mon 
sang,  le  sang  du  nouveau  Testa- 
ment, qui  sera  repandu  pour  un 
grand  nombre. 


22.  Et  manducantibus  illis,  acce- 
pit  Jesus  panem  :  et  benedicens  fre- 
git,  et  dedit  eis,  et  ait :  Sumite,  hoc 
est  corpus  meum. 

Mailh.  26,  20;  I  Cor.  H,24. 

23.  Et  accepto  calice,  gratias  agens 
dedit  eis  et  biberunt  ex  illo  omnes. 

24.  Et  ait  illis  :  Hie  est  sanguis 
mens  novi  Testament!,  qui  pro  mul- 
tis  effundetur. 


ut,  quern  pudor  non  viceral.  corrigant  de- 
nuntiala  supplicia.  »  S.  Jerome.  Mais  elle 
deiiieuia  sans  effet. 

C.  La  cine  eucharislique.  xiv,  22-25,  —  Parall. 
Matih.  XXVI,  26-29;  Luc.  xxii,  15-20;  I  Cor. 
XI,  23-25. 

Pour  rexplication  detaillee,  voj^ez  I'Evan- 
gile  selon  S.  Matlhicu,  pp.  0O6-0IO.  Le  recit 
de  S.  Marc  resseinble  en  effet  beaucoup  acelui 
du  premier  synoptique. 

22.  —  Manducantibus  illis.  Get  episode 
commence  de  ia  meme  maniere  que  le  prece- 
dent. Cfr.  ■?.  18.  L'Evangeliste  a  voulu  mon- 
trer  par  la  I'union  elroite  des  deux  cenes  ; 
la  seconde  ful  comme  la  continuation  de  la 
premiere,  qu'eile  devait  desormai^  rempla- 
cer. «  Finilis  Pajchae  veleris  solemniis,  transit 
(Jesusi  ad  novum,  ut  scilicet  pro  carne  agni 
ac  sanguine,  sui  corporis  sanguinisque  sacra- 
mentum  substitueret.  »  V.  Bede.  —  Accepit 
Jesus  panem;  I'un  des  pains  azymes  qui 
elaient  plcfces  en  face  de  lui  sur  la  table.  — 
Benedicens  fregit. Celle  ceremonie  n'avait  lieu 
d'ordmaire  qu'au  commencement  du  repas  : 
en  la  renouvelant  ici,  Jesus  indiquait  qu'il 
passait  a  un  second  festin.  —  Apres  sumite, 
la  Recepta  ajoute  odyete.  mangez.  Ce  mot, 
que  les  plus  anciennes  versions  et  les  meil- 
leurs  manuscrits  ont  omis,  est  probablement 
un  emprunt  fait  a  S.  Matlhieu.  —  Hoc  est 
corpus  meum.  «  Hoc  «,  toOto  :  Jesus  ne  dit 
pas  Ce  pain,  mais  Ceci.  ce  que  je  vous  offre. 
«  Corpus  meum  »,  t6  <7u>[i.i  (aou,  mon  propre 
corps,  «  scilicet  substantias  pars  materialis 
et  solida,  quae  non  solum  ab  anima,  verum 
etiam  a  sanguine  distinguitur.  Sanguinis  enim 
consecratio  seorsum  ac  peculiaribus  verbis 
perficitur.  »  E-tius,  Comm.  in  I  Cor.  xi,  24. 

23  et  24.  —  Jesus  transforme  le  vin  en  son 
sangde  meme  qu'il  avait  change  le  pain  en 
son  corps.  Les  mots  ct  biberunt  ex  illo  omnes 
sont  propres  a  S.  Marc.  Ils  sont  places  en  cot 
endroit  par  anticipation;  car  cerlainement 
le  Sauveur  ne  fit  pas  circuler  la  coupe  entre 


les  mains  des  Apotres  avant  de  I'avoir  con- 
sacree.  —  Hie  est  sanguis  mens  novi  Testa- 
menli.  La   formule   est  plus  precise  dans  le 
texte  grec  :  ToOxo  son  to  alaa  (loy,  to  ttj;  xaivfj; 
6ia9r,xr,;,  ceci  est  mon  propre  sang,  le  propre 
(sang  de  la  Nouvelle  Alliance.  Les  Apotres 
comprirent  de   quelle  alliance   il   s'agis?ait, 
car  jusqu'alors  il  n'y  en  avait  pas  eu  d'aulre 
que  celle  du  Sinai.  Les  jours  elaient  venus 
ou  devait  s'accomplir  I'oracle  celebre  de   Je- 
remie.  xxxi,  31    et   ss.  :  «  Dicit  Dominus  : 
Feriam  domui    Israel  el  domui  Juda  foedus 
novum,  non  secundum  pactum  quod  pepigi 
cum  palribus  eorum,  in  die  qua  apprehendi 
manum   eorum.  ut   educerem   eos  de  terra 
.'Egypti.    »  —  Pro   mullis...  Helas,  s'ecrie 
S.  Jerome,  ce  sang  divin  ne  purifie  pas  tous 
les  hommes!  —  «  Chretien,  te  voila  instruii; 
lu  as  vu  loutes  les  paroles  qui  regardent  I'e- 
tablissemenl  de   ce  mystere.  Quelle  simpli- 
cite!  quelle  netlete  dans  ces  paroles!  II  ne 
laisse  rien  a  deviner,  a  gloser...  Quelle  sim- 
plicite  encore  un  coup,  quelle  nettete,  quelle 
force  dans  ces  paroles!  S'il  avait  vouludonner 
un   signe,  une   ressemblance   toule    pure,  il 
aurait  bien  su  le  dire...  Quand  il  a  propose 
des  similitudes,  il  a  bien  su  tourner  son  Ian- 
gage  d'une  maniere  a  le  faire  entendre,  en 
sorte  que  personne  n"en  doutat  jamais  :  Je 
suis  la  porte;  Je  suis  la  vigne...  Quand  il  fait 
des  comparaisons,  des  similitudes,  les  evan- 
gelistes  ont  bien  su  dire  :  Jesus  dit  cette  pa- 
rabole,  il  fit  cette  comparaison.  Ici,  sans  rien 
preparer,  sans  rien  lemperer,  sans  rien  expli- 
quer,  ni  devant,  ni  apres,  on  nous  dit   tout 
court  :  Jesu^  dit  :  Ceci  est  mon  corps;  Ceci 
est  mon  sang;  mon  corps  donne,  mon  sang 
repandu  :   voila  ce  que  je  vous  donne...  0 
mon  Sauveur,  pour  la  troisieme  fois,  quelle 
nettete,  quelle  precision,  quelle  force!  Mais 
en  meme    temps,  quelle  autorite   et  quelle 
puissance  dans  vos   paroles!...  Ceci  est  mon 
corps;  c'estson  corps  :  Ceci  est  mon  sang; 
c'est  son  sang.  Qui  peut  parler  en  cette  sorte, 
sinon  celui  q'ui  a  tout  en  sa  main?...  Moo 


CHAPITRE   XIV 


197 


2o.  Amen  dico  vobis,  quia  jam 
non  bibam  de  hoc  genimine  vitis, 
usque  ill  diem  ilium,  cum  illud  bi- 
bam novum  in  regno  Dei. 

26.  Et  hymno  dicto  exierunt  in 
montem  Olivarum. 

27.  Et  ait  eis  Jesus  :  Omnes  scan- 
dalizabimini  in  me  m  nocte  ista  : 
quia  scriptum  est :  Percutiam  pasto- 
rem,  et  dispergentur  oves. 

Joan.  16,  32;  Zach.  13,  7. 

28.  Sed  postquam  resurrexero, 
prsecedam  vos  in  Galilseam. 


23.  Ea  verite  je  vous  dis  que  je 
ne  boirai  plus  de  ce  fruit  de  la 
vigne,  jusqu'au  jour  oil  je  le  boirai 
nouveau  dans  le  royaume  de  Dieu. 

26.  Et,  I'hymne  dit,  ils  s'en  al- 
lerent  sue  la  montagne  des  Oliviers. 

27.  Et  Jesus  leur  dit  :  Tons,  vous 
vous  scandaliserez  a  mon  sujet  cette 
nuit,  car  il  est  ecrit :  Je  frapperai 
le  pasteur,  et  les  brebis  seront  dis- 
persees. 

28.  Mais,  apres  que  je  serai  ressus- 
cite,  je  vous  precederai  en  Galilee. 


&me,  arrSte-toi  ici,sans  discoiirir  :  crois  aiissi 
simplement,  aussi  fortement  que  ton  Saiiveur 
a  parle,  avec  auiant  de  soumission  qu  il  fait 
parailre  d'aiitorile  et  de  puissance...  Je  me 
tais,  je  crois,  j'adore  :  tout  est  fait,  tout  est 
dit.  »  Bossuet,  loc.  cit.,  22e  jour.  Cfr.  Pa- 
trizi,  In  Marc.  Conmment.  p.  194;  Perrone, 
Praelect.  Iheolog.,  Taurini,  1866,  t.  VIII, 
pp.  103  et  ss. 

25.  —  Jam  7ion  hibarn...  Parole  solennelle, 
qui  ouvro  un  double  horizon,  le  premier  tres- 
rapproche,  le  second  tres-lointain.  Jesus  ne 
boira  plus  de  vin  sur  la  terre  ;  c'est  dire  qu'il 
va  bifUtot  mourir.  II  en  boira  plus  tard  dans 
le  ciel  avec  ses  Apotres,  d'une  maniere  mys- 
tique: c'est  annoncer  son  triomphe  et  la  con- 
sommation  de  son  royaume  dans  les  splen- 
deursde  I'eternile.  On  le  voit,  le  verbe  bibam 
est  pris  successivement  en  deux  acceptions 
dislinctes  :  la  premiere  fois  au  propre,  la  se- 
conde  fois  au  ligure,  pour  designer  les  delices 
du  ciel.  —  Des  mots  « jam  non  bibam  », 
faut-il  conclure  que  Jesus,  avanl  de  fairo  pas- 
ser a  ses  disciples  la  coupe  qui  contenait  le 
vin  transsubslantie,  y  avail  le  premier  Irempe 
ses  levres,  et,  par  analogie,  qu'il  avait  de 
meme  communie  sous  les  especes  du  pain? 
De  tres-graves  auleurs  Font  pense.  en  parli- 
culier  S.  Jean  Chrysoslome,  Horn,  lxxxii  in 
Mallh.,  S.  Augustin,  De  Doctr.  christ.  ii,  3; 
S.  Jerome,  Epist.  ad  Hedib.  quaest.  ii,  S.Tho- 
mas d'Aqiiin,  Summ.Theolog.  in,  q.  81,  a.  1. 
«  Ipse  conviva  el  convivium,  dil  S.  Jerome, 
ipse  comedens  el  qui  comeditur.  »  Malgre 
le  profond  respect  que  nous  avons  pour  ces 
grands  savanis  et  ces  grands  saints,  nous 
nous  pprmetlons  avec  plusieurs  exegeles  et 
theologiens  des  divers  temps,  d'adopter  I'opi- 
nion  conlraire.  II  nous  semble  en  effet  que 
I'acle  ainsi  allribue  au  Sauveur  repugne  a 
I'idee  de  la  communion,  qui  suppose  I'union 
de  deux  etres  au  moins.  En  oulre,  la  phrase 
«  Je  ne  gouterai  plus  du  fruil  de  la  vigne  », 
non-seulemenl  ne  suppose  pas  d'une  maniere 


necessaire  que  Jesus  ait  bu  a  la  coupe  qu'il 
faisail  circuler  pour  la  derniere  fois,  maisell© 
devient  au  conlraire  plus  claire,  plus  ngou- 
reusemenl  exacle,  s'll  s'abslint  d'y  toucher. 
Comme  le  pere  de  famille,  dont  Nolre-Sei- 
gneur  jouail  alors  le  role,  buvait  toujours  le 
premier  queiques  goultes  des  diderentes 
coupes  pascales,  par  ces  paroles,  le  Sauveur 
s'excusait  en  quelque  sorte  de  ne  pas  prendre 
sa  part  de  ce  calice  .  Buvez  lous;  pour  moi 
je  ne  boirai  plus  de  vin  ici-bas  :  cependant 
je  partagerai  avec  vous  la  coupe  delicieuse 
du  paradis. 

5.  —  Trois  predictions,   xiv,  26-31.  —  Parall. 
Matth.  XXVI,  30-35;  Luc.  xxii,  31-34;  Joan,  xiii,  36-38. 

De  ces  trois  predictions,  deux  sont  bien 
trisles,  car  elles  ressemblenl  a  celle  que  Je- 
sus avait  prononcee  precedemmt-nl  sur  Judas, 
tt.  18  et  ss.;  I'aulre  est  joyeuse  et  annonce 
la  prochaine  Resurrection  du  divin  Maitre. 

26.  —  Hymno  dido,  ujiv^ffavTe;.  Ces  mols 
representenl  ici  la  priere  d'aclion  de  graces 
apres  le  repas,  specialemeni  celle  qu'on  re- 
citait  a  la  fin  de  la  cene  legale  et  qui  porlait 
le  nom  de  Hallel  (bSn,  louange).  —  Exierunt 
in  montem  Olivarum.  Ce  n'elail  pas  vers  le 
sommet  ae  ceite  monlagne  que  Jesus  el  les 
siens  se  dirigeaienl  alors,  mais  seulement 
vers  sa  base,  a  I'endroil  oil  elle  emerge  du 
orofond  ravin  oil  coule  le  Cedron.Gfr.  t.  32. 
Voir  R.  Riess,  Bibel-Atlas,  pi.  VI. 

27.  —  Omnes  scandalizabimini  in  me.  C'est 
la  premiere  des  predictions.  Elle  annonce 
aux  onze  Apotres  demeures  fideles  la  hon- 
teuse  altiiuae  qu'ils  prcndronl  bienlol  a  re- 
gard de  leur  Maitre.  lis  ne  le  irahironl  pas 
comme  Judas;  du  moins  ils  I'abandonneront 
lachemenl :  ils  s'enl'uiront  comme  de  limides 
brebis  des  que  leur  Pasteur  aura  ete  frappe, 
ainsi  qu'il  etait  ecrit  dans  la  prophelie  de  Za- 
charie,  xiii,  7. 

28.  —  Sedposlquam  resurrexero...  Seconde 
prediction  :  Jesus  ressuscilera,  el,  apres  son 


498 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


.   29.  Et  Pierre  lui  dit :  Quand  tous 
raient  scandalises  a  votre  sujet, 
xnoi  je  ne  le  serai  pas. 

30.  Et  Jesus  lui  dit :  En  verite  je 
te  dis  qu'aujourd'hui ,  cette  nuit 
meme,  avant  que  le  coq  ait  chante 
deux  fois,  tu  me  renieras  trois  fois. 

31.  Et  il  insistait  davantage  : 
Quand  il  me  faudrait  mourir  avec 
TOUS,  je  ne  vous  renierai  pas.  Et 
tous  disaient  la  meme  chose. 


29.  Petrus  autem  ait  illi  :  Et  si 
omnes  scandalizati  fuerint  in  te,  sed 
non  ego. 

30.  Et  ait  illi  Jesus  :  Amen  dico 
tibi,  quia  tu  liodie  in  nocte  hac, 
priusquam  gallus  vocem  bis  dederit, 
ter  me  es  negaturus. 

31.  At  ille  amplius  loquebatur  : 
Et  si  oportuerit  me  simul  comraori 
tibi,  non  te  negabo.  Similiter  autem 
et  omnes  dicebant. 


triomphe,  il  ira  atlendre  ses  chers  Apolres  en 
Galilee.  Comme  la  bonle  de  Notre-Seigneur 
delate  dans  ces  paroles!  «  Ne  enim  putarent 
(discipuli)  eum  ip?orum  infidelilale ,  quam 
praedicebat,  adeo  offensuin  iri,  iit  ipsis  nulla 
spes  superesset  cum  eo  in  graliam  redeundi, 
simul  praedicit  se  in  vitam  reversum  una  cum 
ipsis  fulurum  ».  Patrizi,  h.  I. 

29.  —  Petrus  autem...  Pierre  ne  peut  sup- 
porter, pour  ce  qui  le  concerne.  I'idee  d'une  si 
iache  deserlion.  II  proleste  done  avec  energie 
de  sa  fidelite  a  toule  epreuve.  —  Etsi  om- 
nes..., sed  non  ego!  Quelle  vigueur  dans  ces 
paroles!  Mais  en  meme  lemps  quelle  pre- 
somption!  «  El  si  »  est  pour  «  eliam  si  ». 

30.  —  Amen  dico  tibi.  Jesus  connait  mieux 
son  disciple  que  son  disciple  ne  se  connait 
lui-meme.  Aussi  annonce-t-il  a  Pierre,  avec 
une  douloureuse  assurance,  el  c'esl  la  noire 
troisieme  prediction,  qu'avant  peu  il  I'aura 
renie  Irois  fois.  —  Quia  tu.  Ge  pronom  est 
emphalique  :  Jesus  I'oppose  au  «  Non  ego  » 
du  verset  precedent.  Oui,  loi-meme,  toi  en 
personnel  —  Hodie  in  nocte  hac.  Tout  est 
neltement  determine.  «  Hodie  »,  car,  chez  les 
Juifs,  les  jours  se  comptaipnl  du  soir  au  soir, 
et  la  nuit  du  jeudi  au  vetidredi  etait  deja 
assez  avancee.  —  Priusquam  gallus  vocem  bis 
dederit.  «  Bis  »  est  un  detail  propre  a  S.  Marc : 
noire  Evangelisle  le  lenait  sans  doute  de 
S.  Pierre  lui-meme.  Nous  en  verrons  plus  bas 
la  realisation  parfaite.  CIV.  tt.  68  el  72.  Je- 
sus signale  ce  trait  commi'  une  circonstance 
aggravante;  car  I'Apoln^  ainsi  averti,  aurait 
du  se  tenir  davantage  sur  ses  gardes  et  reve- 
nir  a  resipiscence  des  le  premiiT  chant  du 
coq.  II  ne  le  fit  pas,  soil  par  faiblesse,  soil 
plulol  par  inattention.  —  A  cetle  prediction, 
si  simple  et  si  claire,  on  a  parfois  oppose  le 
texte  suivant  du  Talmud  (Bava  Kama,  cap. 
vii),  d'apres  lequel,  nous  dit-on,  il  ne  devait 
pas  y  avoir  de  coqs  a  Jerusalem  : «  Non  alunt 
gallos  Hierosolymis  propter  sacra,  nee  sacerdo- 
tes  eos  alunt  per  *,olam  terram  Israelilicam  ». 
—  «  Etiam  Israelitis,  ajoute  la  Glose,  prohi- 
bitum est  gallos  alere  Hierosolymis  propter 


sacra;  nam  Israelitce  comederunt  illic  car- 
nem  sacrificiorum... :  jam  vero  mos  est  gallis 
gallinaceis  vectere  slercoraria,  atque  inde  for- 
san  educere  possent  carnem  replilium,  unde 
pollui  possent  sacra  isla  comedenda  ».  Cela 
elant,  on  a  pris  le  mot  d)i-/Twp  dans  un  sens 
figure,  el  on  lui  a  fail  designer  tantol  le  «  Buc- 
cinator »  remain  qui  annongait  les  heures  au 
son  du  clairon,  lantot  les  gardes  do  nuit  qui 
les  proclamaient  a  haute  voix  pour  les  Juits, 
comme  cela  se  pratique  encore  dans  plusieurs 
contreos.  Mais  ce  sont  la  des  subliliies  inac- 
ceptables.  «  Aderant  certe  galli  gallinacei 
Hierosolymisaequeac  alibi,  dilLightt'oot,  Hor. 
hebr.  in  Evang.  Matlhaei,  xxvi,  34.  Et  me- 
morabilis  est  hisloria  do  gallo  ex  senlenlia 
Synedrii  lapidato  ob  interfectum  ab  eo  pue- 
rulum.  Hieros.  Erubin,  f.  26,  1.  »  Cfr.  Sepp, 
Leben  Jesu,  t.  Ill,  p.  477.  On  pent  (ionc 
prouver  par  le  Talmud  meme  qu'il  y  avail 
des  coqs  a  Jerusalem.  Suppose  que  les  habi- 
tants juifs  eusS^nt  eu  quelque  scrupule  a  en 
elever,  la  garnison  romaine  ne  se  serait  nul- 
lemenl  genee  a  eel  egard.  Au  reste,  la  lou- 
chanle  comparaison  dont  Jesus  s'etail  servi 
peu  de  jours  auparavant  afin  de  marquer 
la  tendresse  qu'il  eprouvail  pour  Jerusalem, 
prouve  suffisammenl  que  les  habitants  de  la 
capilale,  auxquels  il  s'adres-ail  alors,  con- 
naissaient  les  moeurs  des  Gallinaces,  par  con- 
sequent que  ces  volaliles  ne  leur  etaient  pas 
etiangers. 

31 .  —  At  ille  amplius  loquebatur.  Bien  loin 
d'avoir  ete  ramene  a  des  sentiments  plus 
humbles  par  cetle  prophetie  de  son  Mailre, 
Pierre  ose  donner  a  Jesus  un  formel  dementi, 
en  prolestanl  de  plus  en  plus  fort  de  son  alta- 
chemenl  inalterable.  «  Amplius  »  :  dans  le 
grec,  £x  nepiddoO;  litteralement,  «  ex  abun- 
danti  ».  L'adverbe  (aocXXov,  qu'on  lit  dans  la 
Recepta  avant  les  mots  ediv  {le  5syi...,  a  61^ 
omis  par  d'importants  manuscrils.  Peut-etre 
esl-ce  une  note  marginale,  deslinee  d'abord  k 
expliquer  I'expression  ires  rare  ex  TispiffaoO, 
et  inseree  plus  tard  maladroitement  dans  le 
texte.  —  Me  sim,ul  commori  tibi.  Le  vaillant 


CHAPITRE  XIV 


199 


32.  Et  veniunt  in  prsedium,  cui 
nomeu  Gethsemani.  El  ait  discipu- 
lis  suis  :  Sedete  hie  donee  orem. 

M'Uih.'ie,  36;  Luc.  23,40. 

33.  Et  assumit  J'etrum,  et  Jaco- 
bum,  et  Joannem  seeum ;  et  coepit 
pavere,  et  tsedere. 

34.  Et  ait  illis  :  Tristis  est  anima 
mea  usque  ad  mortem  :  sustinete 
hie,  et  vigilate. 

35.  Et  cum  processisset  paululum, 
proeidit  super  terram  :  et  orabat,  ut 
si  fieri  posset,  trausiret  ab  eo  hora  : 


32.  Et  ils  vinrent  au  lieu  nomme 
Gethsemani.  Et  il  dit  a  ses  dis- 
ciples :  Asse,yez-vous  iei  pendant 
queje  prierai. 

33.  Et  il  prit  avec  lui  Pierre, 
Jacques  et  .If^an,  et  il  commenca  a 
etre  saisi  de  frayeur  et  d'angoisse. 

34.  Et  il  h^ur  dit :  Mon  ame  est 
triste  jusqu'a  la  mort;  demeurez  ici 
et  veillez. 

35.  Et  s'etant  avanee  un  peu,  il 
tomba  la  face  eontre  terre,  et  il 
priait  pour  que  cette  heure,  s'il  se 
pouvait,  s'eloignat  de  lui. 


apotre  est  pret,  dit-il,  a  repandre  pour  Jesus 
jusqu'a  la  derniere  ^outlo  de  son  sang.  Com- 
ment done  serail-il  capable  de  le  renier? 
Helas!  «  ecce  avis  sine  pennis  in  altum  volare 
nititur;  sed  corpus  aggravat  aniinam,  ut, 
timore  hiimano  moriis,  timor  Domini  supere- 
tur.  »  Pseudo-Hieron.,  ap.  Caten.  D.  Thorn. 

e.  —  Geths6mani.   xiv,  32-42.  —  Parall.  iMalth. 
XXVI,  36-46;  Luc.  xmi,  39-46;  Joan,  xviir,  1. 

Jesus,  prelre  et.  victime  dans  rinstitution 
du  sacrifice  non  sanglanl  de  I'autel,  est  encore 
pretre  et  victime  dans  le  sacrifice  sanglant 
de  Gethsemani  et  du  Calvaire.  Nous  verrons 
la  victime  s'(  ffrayer  un  moment  et  trembler, 
inais  nous  verrons  aussi  le  pretre  rimmoler 
sans  hesitation. 

32.  —  Et  veniunt  in  prcpdmrn...  Notez  I'em- 
ploidu  temps  |)resent,  qui  est  propreaS.Marc: 
ip/ovxai,  liyei;  de  meme  au  verset  suivant, 
TiapaXafiSdvei.  Voyez  la  description  du  jardin 
de  Gethsemani  dans  I'Evangile  selon  S.  Mat- 
ihieu,  p.  512.  On  a  souvent  etabli  d'inge- 
nieuses  comparaisons  enlre  ce  douloureux 
jcirdin  et  les  ombrages  du  paradis  terreslre. 
Ici  un  bonhcur  sans  melange,  la  d'affreuses 
angoisses ;  mais  ici  le  peche  avec  ses  chati- 
ments  divers,  et  la  la  vie  spirituelle  rendue  a 
I'humanite  : 

Attulit  mortem  vetiis  horlus,  uade 
Culpa  proilivii  :  novus  i4e  vi(am 
Hoi'tiis  en  affiTt,  ubi  node  Jesus 
Permanet  oraiis. 
;Hymn.  Laud,  pro  Fest.  Orat.  D.  N.  J.  C.) 

33.  —  A  peine  entre  avec  ses  trois  disciples 
privilegies  dans  la  partie  la  plus  reculee  du 
jardin,  Jesus  ccepit  pavere  et  tceclere,  £x9a[A- 
SiTffOai  -/at  ao'/jfjiovetv .  Ce  second  verbe  est 
commun  aux  deux  premiers  Evangeiistes  :  il 
signifie  «  gravissime  angi  ».  L'auire,  propre 
a  S.  Marc,  est  beaucoup  plus  fort  que  le 
>.u7r£TcOai  de  S.  Matlhieu,  et  designe  un  vio- 
lent effroi.  Gfr.  ix,  15.  Tel  est  le  debut  de  la 


Passion  proprement  dite  de  Notre-Seigneur. 
Quelle  horrible  agnnie!  «  0  Jesus!  6  Ji-sus! 
Jesus  que  je  n'osmais  plus  nommer  innocent, 
puisque  je  vous  vois  charge  de  plus  de 
crimes  que  les  plus  giands  malfaiteurs;  on  va 
vous  trailer  selon  vos  merites.  Au  jardin  des 
Olives,  voire  Pere  vous  abandonne  a  vous- 
meme  :  vous  y  etes  tout  seul,  mais  c'est  asscz 
pour  votre  supplice;  je  vous  y  vois  suer 
sang  et  eau...  Baissez,  baissez  la  lete;  vous 
avez  voulu  etre  caution,  vous  avez  pris  sur 
vous  nos  iniquites;  vous  en  porlerez  tout  le 
poids;  vous  paierez  tout  du  long  la  dette, 
sans  remise,  sans  misericorde.  »  Bossuet, 
ler  Sermon  pour  le  Vendredi-Saint,  Exorde. 

34.  —  Tristi'i  est  anima  mea...  «  Je  ne 
Grains  point  de  vous  assurer  qu'il  y  avait 
assez  de  douleur  pour  lui  donner  le  coup  de 
la  mort...  La  seule  douleur  de  nos  crimes 
sutfisait  pour...  epuiser  sans  ressource  les 
forces  du  corps,  en  renverser  I'economie,  et 
rompre  enfin  tons  les  lions  qui  retiennent 
Tame.  II  serait  done  morl.  il  serait  morl  tres 
certainement  par  le  seul  effort  de  cette  dou- 
leur, si  une  puissance  divine  ne  I'eul  soutenu 
pour  le  reserver  a  d'autres  supplices.  »  Ibid. 

—  Sustinete,  [xeivaxs,  c'est-a-dire  «  manete  ». 

—  Et  vigilate.  S.  Matlhieu  ajoute  "  mecum  ». 
Peut-etre  avons-nous  ici  la  seule  requete 
personnelle  que  Jesus  ail  jamais  adressee  a  ses 
amis.  Helas!  elle  ne  ful  pas  exaucee,  comme 
nous  I'apprend  la  -;uite  dii  recit. 

35.  —  Cum  processisset  paululum.  Le  divin 
agonisant  cherche  pour  quelques  instants  une 
solitude  complele.  afin  d'epancher  librement 
son  copurdevanl  son  Pere  celeste.  —  Orabat: 
imparfait  qui  inditpie  une  piiere  prolongee. 

—  Ut,  si  fieri  posset,  transiret...  S.  Mare  a 
seul  specifie  d'une  maniere  indirecle  I'objet 
de  la  supplication  du  Sauveur,  avant  d'en 
citer  directemenl  la  i'ormuie.  Hora  doit  s'en- 
tendre,  comme  on  le  voit  par  le  contexte, 
des  souffrances  el  de  la  mort  reservees  a 


200 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


36.  Et  il  dit  :  Abba,  Pere,  tout 
"vous  est  possible ;  eloignez  de  moi 
ce  calice ;  cependant,  non  ce  que  je 
Teux,  mais  ce  que  vous  voulez ! 

37.  II  revint,  et  les  trouva  dor- 
mant. Et  il  dit  a  Pierre  :  Simon,  tu 
dors?  Tu  n'as  pu  veiller  une  heure? 

38.  Veillez,  afin  que  vous  n'en- 
triez  point  en  tentation.  L'esprit 
sans  doute  est  prompt,  mais  la  chair 
est  faible. 

39.  Et,  s'en  allant  de  nouveau, 
il  pria  disant  les  memes  paroles. 

40.  Etant  revenu,  il  les  trouva 
encore  dormant  (car  leurs  yeux 
etaient  appesantis) ,  et  ils  ne  sa- 
vaient  que  lui  repondre. 

41.  Et  il  vint  une  troisieme  fois 


36.  Et  dixit  :  Abba  Pater,  omnia 
tibi  possibilia  sunt,  transfer  calicem 
hunc  a  me,  sed  non  quod  ego  voIo> 
sed  quod  tu. 

37.  Et  venit,  et  invenit  eos  dor- 
mientes.  Et  ait  Petro  :  Simon,  dor- 
mis?  non  potuisti  una  liora  vigilare? 

38.  Vigilate,  et  orate,  ut  non  in- 
tretis  in  tentationem.  Spiritus  qui- 
dem  promptus  est,  caro  vero  infirma. 

39.  Etiterum  abiens  oravit,  eum- 
dem  serraonem  dicens. 

40.  Et  reversus,  denuo  invenit  eos 
dormientes  (erant  enim  oculi  eo- 
rum  gravali),  et  ignorabant  quid 
responderent  ei. 

41.  Et  venit  terlio,  et  ait  illis  : 


Je?us.  Cfr.  Joan,  xii,  24.  Noire-Seigneur  de- 
sirait  done,  en  tant  qirhomme,  que  cette 
heure  lerrible  pa-;-at  sans  Tatleindre. 

36.  —  Abba,  Pater.  Le  mot  arameen  'AoSi, 
ii2ii  (2X-  Ab,  en  hebreii).  propre  a  noire  Evan- 
geliste,  nous  rapp  'He  les  locutions  analogues 
Ephphela,  Talilha  koumi.  etc.,  que  S.  Marc 
s'elail  complu  a  inserer  dans  son  recil  lelles 
que  Jesus  les  avail  prononcees.  S.  Paul  Vem- 
ploie  deux  fois  dans  ses  Epitres,  Cfr.  Rom. 
VIII,  \b\  Gal.  IV.  6.  el  il  a  soin,  lui  aussi, 
d'en  donner  immediat>ment  la  traduction, 
6  7raTr,p.  C'esl  de  la  que  sent  venus  les  subs- 
tantifs  «  Abbas  »,  abbe.  —  Omnia  tibi  possi- 
bilia sunt.  II  y  a,  s"il  est  permis  de  parler 
ainsi.  un  grand  arl  dans  cette  priere  du  Sau- 
veur.  Apres  avoir  lance  versle  ciel  une  appel- 
lation de  vive  tendresse,  Mon  Pere.  elle  rap- 
pelle  a  Dieu  que  loul  lui  est  possible,  qu'il 
sail  alteindre  ses  fins  de  mille  manieres,  qu'il 
peul  par  consequent  eloigner  du  suppliant  la 
coupe  amere  qui  le  menace  :  de  la  ces  mots 
pressants,  transfer  calicem...  Elle  se  lermine 
pourtanl  par  un  acle  d'enlier  abandon  au  bon 
jjlaisir  du  Pere  tout-puissant  :  Non  quod  ego 
volo  (scil.  fial\  sed  quod  tu.  Sur  I'importance 
dograaiique  de  ce  passage,  voyez  I'Evangile 
salon  S.  Malthieu.  p.  514. 

37  el  38.  —  Vemt  et  invenit  eos  dormientes. 
«  lis  commencent  a  se  separer  de  Jesus  dans 
la  priere,  ceux  qui  vonl  s'en  separer  dans  sa 
Passion  :  il  prie.  mais  eux  ils  dormenl.  » 
S.  Jerome.  C'etait  la  realisation  de  la  parole 
d'lsale,  LXiii,  3  :  J'ai  foule  seul  le  pressoir ; 
il  n'y  a  personne  pour  le  fouler  avec  moi.  — 
Ait  Petro :  Simon,  dormis.  D'apres  S.  Mat  ihieu, 
le  reproche  de  Jesus  relombail  simultanement 
sur  les  trois  Apotres  :  «  Non  potuistis...?  » 


Ici,  il  est  adresse  tout  specialenienl  a  S.  Pierre, 
qui  avail  fait  naguere  de  si  magnifiques  pro- 
messes.  Qu'est  devenu  son  courage?  Le  nom 
de  «  Simon  »,  que  Jesus  lui  donne  dans  cette 
circonstance,  est  de  mauvais  augure.  G'est 
le  nom  de  I'homme  faible  et  naturel,  tandis 
que  Pierre  elail  lappellation  de  riiomme  sur* 
naturel,  du  fondement  inebranlablede  i'Eglise 
du  Christ.  —  Spiritus  promptus,  caro  infirma. 
Comme  I'a  dit  le  Sage,  «  corpus  quod  corrum- 
pilur  aggravat  animam  el  terrena  inhabilalio 
deprimit  sensum  multa  cogitanlem.  »  Sap. 
IX,  13.  Mais  ce  que  les  Saints  Livresappellent 
la  «  chair  »  produil  des  effels  encore  plus 
facheux  que  le  corps :  c'esl  conlre  la  capS 
que  viennent  se  briser  les  meilleures  resolu- 
tions de  notre  esprit.  Tel  elail  le  cas  pour 
S.  Pierre,  S.  Jacques  et  S.  Jean. 

39  el  40.  —  Iter  urn  abiens  oravit...  Jesu5» 
delaisse  meme  par  ses  meilleurs  amis,  va  se 
consoler,  se  reconforler  de  nouveau  dans  la 
priere.  Puis,  il  revicnl  aupres  des  trois 
Apotres;  mais  cetle  fois  encore  il  les  trouve 
profondemenl  endormis.  Comme  au  moment 
de  la  Transfiguration,  ix,  1,  el  Luc,  ix,  32, 
ils  etaient  en  proie  a  un  sommeil  extraordi- 
naire; aussi  leurs  reponses  elaienl-elles  con- 
fuses, embarrass  'es,  ainsi  qu'il  arrive  aux  per- 
sonnes  qu'on  vient  subilemi-nt  reveiller  :  igno- 
rabant quid  responderent  ei.  Ce  dernier  trait 
ne  se  trouve  qu  ■  dans  le  second  Evangile. 

41  el  42.  —  Et  venit  terlio.  S.  Marc  ne 
mentionne  pas  m  termes  expres  la  troisieme 
priere  de  Jesus;  mais  il  la  suppose  iraplici- 
temenl  en  disant  que  Notre-Sr^igneur  rejoi- 
gnail  ses  disciples  pour  la  «  troisieme  fois  », 
La  tentation  de  Gelhsemani,dememequecelle 
du  desert,  Mailh.  iv,  4  etss.,  se  composa  done 


CHAPITRE    XIV 


301 


Dormite  jam,  etrequiescite.  Sufficit : 
venit  hora  :  ecce  Filius  hominis  tra- 
detur  in  manus  peccatorum. 


42.  Surgite,  eamus;  ecce  qui  me 
tradet  props  est. 

43.  Et,  adhuc  eo  loqiiente,  venit 
Judas  Iscariotes,  unus  de  duodecim, 
et  cum  eo  turba  multa,  cum  gladiis 
et  lignis,  a  summis  sacerdotibus,  et 
Scribis,  et  senioribus. 

Mailh.  26,  47;  Luc.  22,  47;  Joan.  18,  3. 

44.  Dederat  autem  traditor  ejus 
signum  eis,  dicens  :  Quemcumque 
osculatus  fuero,  ipse  est;  tenete  eum, 
et  ducite  caute. 

45.  Et  cum  venisset,  statim  acce- 


et  leur  dit  :  Dormez  maintenant  et 
reposez-vous.  G'est  assez,  I'heure 
est  venue;  voila  que  le  Fils  de 
rhomme  sera  livre  aux  mains  des 
pecheurs. 

42.  Levez-vous,  allons;  voila  que 
celui  qui  me  livrera  est  proche. 

43.  Tandis  qu'il  parlait  encore, 
Judas  Iscariote ,  Tun  des  Douze, 
vint,  et  avec  lui  une  grande  troupe, 
armee  d'epees  et  de  batons,  envoyee 
paries  princes  des  pretres,  les  Scri- 
bes et  les  anciens. 

44.  Or  le  Iraitre  leur  avait  donne 
un  sigDe,  disant :  Celui  que  je  bai- 
serai,  c'est  lui;  saisissez-le  et  em- 
menez-le  avec  precaution. 

4o.  Lorsqu'il  fut  venu,  s'appro- 


de  trois  assanls  consecutifs,  victoricusement 
repousses  par  le  Sauveur.  —  Dormite  jam  et 
requiescite.  Jesus,  n'ayant  plus  besoin  de 
consolations  humaines,  accorda  aux  siens, 
par  ces  paroles,  quelque  temps  de  repos.  Puis, 
quana  approcha  I'heure  de  la  trahison,  il  les 
eveiila  en  disanl  :  Sufficit...  surgite,  eamus. 
La  Vulgate  a  ties  bien  iraduit  le  verbe  grec 
dTTExet,  qui  est  en  effet,  d'apres  Hesychius, 
synonymede  auoxp'O.  c^apxEi.  Dansce  passage, 
il  signifie  done  :  C'est  assez  de  sommeil! 
vous  avez  sufri?amnient  dormi !  et  non,  comme 
le  veulent  quelques  interpretes  :  «  Elongata 
est  »  (sell,  angustia  mea).  ou  bien  :  Assez 
veille!  je  n'ai  plus  besoin  de  vous.  Entre  ce 
root,  qui  est  une  parlicularile  de  S.  Marc,  et 
«  requiescite  »,  il  faut  admeltre  une  pause 
plus  ou  inoins  longue.  —  Tradetur,  qui  me 
tradet.  Dans  le  texie  grec,  nous  avons  deux 
fois  le  present  au  lieu  du  futur  :  uapaotooxai, 
6  itapaotoou;  (x£.  En  effet,  I'afFreux  mystere  de 
la  trahison  de  Judas  etait  deja  en  plein  cours 
d'execulion.  Bellini,  fra  Angelico,  Carlo  Doici, 
Schidone,  Murillo,  le  Perugin  onl  admirable- 
ment  reproduit  cetle  scene  douloureuse.  Le 
Correge  y  «  a  deploye  toule  la  suavite  de  son 
pinceau  »  (Rio). 

7.  —  L'arrestation.  xiv,  43-52.  —  Parall.  Malth. 
XXVI,  47-56;  Luc.  xxii,  47-53;  Joan,  xviii,  2-H. 

43.  —  Adhuc  eo  loquente.  Les  trois  synop- 
tiques  commencent  par  cette  formule  leur 
recit  de  l'arrestation  du  Sauveur.  —  Venit 
Judas  Iscariotes.  Depuis  sa  sortie  du  cenacle, 
Cfr.  Joan,  xiii,  30,  le  Iraitre  n'etait  pas  reste 
jnactif.  II  etait  alle  immediatemenl  aupresde 
ses  nouveaux  mail  res,  auxquels  il  s'etait  si 
honteusement  vendu,  et  il  en  avait  obtenu  la 


nombreuse  escorte  avec  laquelle  nous  le 
voyons  en  ce  moment  penetrer  dans  le  jardin 
de  Gelhsemani.  —  Ifmis  de  duodecim.  La 
legon  du  grec,  eT?  wv  t(5v  owSexa,  «  quum  esset 
unus  de  duodecim  »,  fait  mieux  ressortir  en- 
coie  le  caractere  ignominieux  de  la  traliison 
de  Judas.  Cfr.  t^.  10.  —  A  summis  sacerdoli- 
6us.. .  C'est-a-dire  «  de  la  part  »  du  grand 
Conseil.  S.  Marc  nomme  ici  tres  distincte- 
ment  les  trois  classes  qui  composaient  le 
Sanhedrin. 

44.  —  Dederat.  Dans  le  grec  nous  trouvons 
un  plus-que-parfait  sans  augment,  Seowy.ei. 
Cfr.  XV,  7  et  10.  Voyez  'Winer,  Grammat.  des 
neulest.  Sprachidioms,  p.  67.  Les  classiques 
prennent  parfois  aussi  cette  liberte.  —  Le 
sub5tantifcuiTff7)(xov,que  la  Vulgate  traduit  par 
signum,  ne  Sf  rencontre  que  dans  ce  passage 
du  Nouveau  Testament.  Judas  ne  pievoyait 
point  que  Jesus  se  presenterait  de  lui-meme 
a  ses  ennemis  :  de  la  ce  signe  conventionnel, 
destine  a  empecher  toute  meprise.  —  Ducite 
caute  :  S.  Marc  a  seul  note  cette  pressante 
recommandation  du  traitre.  Judas,  on  le  voit, 
prend  toutes  les  precautions  necessaires  pour 
executer  son  central  honteux.  Connaissant 
par  experience  la  puissance  de  Jesus,  crai- 
gnant  aussi  quelque  resistance  de  la  part  des 
disciples,  il  fait  appel  a  toute  Fatlention  et  a 
toute  I'energie  de  sa  bande  sinistre. 

45.  —  Statim  accedens  ad  eum.  Des  qu'il 
apergoit  Jesus,  il  va  droit  a  lui  (evejw;;,  et, 
d'apres  !e  texte  grec,  lui  dit  deux  fois  de 
suite  avec  une  affectation  hypocrite  :  'PaSoi, 
'Pa6oi.  Cependant,  plusieurs  temoins  anciens 
ont  xaips,  paSSt,  comme  la  Vulgate  et  comma 
S.  JIatlhieu.  —  Osculatus  est  eum.  Cet  infame 
baiser,   par  lequel  Judas  esperait   en  vain 


202 


fiVANGlLE  SELON  S.  MARC 


chant  aussitot  de  lui,  ii  dit :  Salut, 
Maitre.  Et  il  le  baisa. 

46.  Et  ils  jeterent  les  mains  sur 
,  lui  et  ils  le  saisirent. 

47.  Or  im  de  ceux  qui  etaient  la, 
tirant  une  epee,  frappa  un  serviteur 
du  grand  pretre,  et  lui  couparoreille. 

48.  Et  Jesus  leur  dit :  Vous  etes 
venus  comme  pour  un  voleur  avec 
des  epees  et  des  batons  pour  me 
prendre. 

49.  J'etais  tons  les  jours  parmi 
Tous,  enseignant  dans  le  temple,  et 
vous  ne  m'avez  pas  saisi;  mais  c'est 
pour  que  les  Ecritures  s'accom- 
plissent. 

50.  Alors  ses  disciples,  Tabandon- 
nant,  s'enfuirent  tous. 

bl .  Or  un  jeune  homme  le  suivait, 
convert  seulement  d'un  drap,  et  ils 
le  saisirent. 


dens  ad  eum,  ait  :  Ave,  Rabbi :  et 
osculatus  est  eum. 

46.  At  illi  manus  injecerunt  in 
eum,  et  tenuerunt  eum. 

47.  Unus  autem  quidam  de  cir- 
cumstantibuseducens  gladium,per- 
cussit  servum  summi  sacerdotis,  et 
amputavit  illi  auriculam. 

48.  Et  respondens  Jesus,  ait  illis  : 
Tanquam  ad  latronem  existis  cum 
gladiis  etliguiscomprehendere  me? 

49.  Quotidie  eram  apud  vos  in. 
templo  docens,  et  non  me  tenuistis. 
Sed  ut  impleantur  Scripturae. 


50.  Tunc  discipuli  ejus  relinquen- 
tes  eum,  omnes  iugerunt. 

Matth.  26,  56. 

51.  Adolescens  autem  quidam  se- 
quebatur  eum  amictus  sindone  su- 
per nudo ;  et  tenuerunt  eum. 


troinppr  son  Maitre,  a  inspire  a  divers  peinlres, 
notamment  a  Duccio,  a  Gioidano,  de  nos 
jours  a  H.  Flandrin  el  a  Ary  Schetler,  de  beaux 
tableaux,  dans  lesqui^ls  ils  se  sonl  complu  a 
faire  conlraster  la  ptiysionomie  si  douce,  si 
aimante  ei  si  divine  de  Jesus  avcc  les  trails 
vulgaires,  cruels  el  sataniques  de  Judas.  Le 
verbe  grec  xate^OTjaev  est  Ires  expressif.  Cfr. 
Mallh.  XXVI,  49  el  le  commentaire;  Luc. 
vn,  36  et  45;  xv,  20;  Act.  xx,  37. 

46  el  47.  —  Ces  versets  racontent  le  fait 
meme  de  rarrestation  du  Sauveur  el  une  ten- 
tative isolee  de  I'un  des  disciples  pour  deli- 
vrer  Jesus.  —  Manus  injecerunt  in  eum.  Cette 
formule  indique  des  precedes  violents,  qui 
elaientd'ailleurs  parfaitementdansles  moeurs 
des  hommi^s  qu'on  avail  donnes  pour  seides 
a  Judas.  On  comprend  qu'en  voyant  ces 
mains  brutales  saisir  le  corps  sacrd  de  son 
Maitre  bien-aime,  S.  Pierre,  car  c'esl  lui  qui 
est  designe  par  les  mols  unus  quidam  de 
circumstantibus  (Cfr.  Joan,  xviii,  10),  n'ait 
p»  reprimer  un  mouvompnt  d'indignation,  el 
qu'au  risque  de  tout  perdre  en  voulant  tout 
sauver,  il  ail  blesse  d"un  coup  d'epee  le  ser- 
viteur du  grand-prelre  (t6v  5oOXov  avec  I'ar- 
ticle).  qui  accompagnail  Judas. 

48  et  49.  —  Jesus  ait  illis.  c'est-a-dire  a 
la  troupe  de  ses  advcr-^aires.S.  Marc  ne  men- 
tionne  pas  le  reproche  adresse  par  Jesus 
k  son   trop   ardent  defenseur.  Cfr.  Matth. 


XXVI,  52-54.  —  Tanquam  ad  latronem...  Le 
divin  Maitre  reieve  avec  force  le  caraclere 
odieux  de  son  arreslation  :  on  est  venu  le 
surprendre  comme  un  voleur,  a  la  faveurdes 
tenebres  de  la  null!  II  reieve  aussi  I'incon- 
sequencequi  se  manifesle  dans  la  conduitedes 
Sanhedrisles  :  Quotidie  eram  apud  vos...  Mais 
il  se  soumet  a  lout,  parce  que  c'esl  Dieu  qui 
a  permis  ces  choses,  annoncees  depuis  long- 
temps  dans  los  Livres  sacres  :  Sed  ut  implean- 
tur Scriptures  I  Cette  derniere  phrase  est 
elliptique.il  est  aise  de  la  completer  en  ajou- 
tanl :  «  Hoc  factum  est  «.  Cfr.  Matth.  xxvi,  56. 

50.  —  Discipuli  ejus...  La  prophetie  de 
Jesus  relativcmi'nt  a  Judas  s'esl  accomplie; 
celle  qu'il  faisait  quelques  instants  apres 
touchanl  ses  onze  autres  disciples  se  realise 
egalemenl.  lis  prennent  la  fuile  des  qu'ils 
voient  que  leur  Maitre  renonce  a  resister. 
Omnes  est  emphatique.  Tous,  meme  S.  Pierre,, 
meme  S.  Jacqu(-s  et  S.  Jean! 

51  et52.  —  Voioi  un  petit  episode  dps  plus 
interessantsct  propre  au  second  Evangile.  In- 
dependammont  de  I'interel  que  S.  Marc  porto 
d'une  manieregenerale  a  tout  ce  qui  est  pitto- 
resque,  dramatique,  il  est  aise  de  decouvrir, 
d'apr^s  le  conlexle,  le  molif  special  qui  lui  a 
fait  inserer  ce  curieux  detail  dans  sa  narra- 
tion. Luc  de  Bruges,  et  nos  autres  exegetes 
calholiques  a  sa  suite,  I'ont  fort  bien  indi- 
que  :  «  Narrat  hanc  de  adolescente  historiana 


CHAPITRE  XIV 


20S 


52.  At  ille  rejecta  sindone,  nudus 
profugit  ab  eis. 

53.Et  adduxerunt  Jesumarl  sura- 
mum  sacerdolem  :  et  conveuerunt 


52.  Mais  lui,rejetantle  drap,  s'en- 
fuit  nu  d'au  milieu  d'eux. 

53.  Etils  amenerent  Jesus  chez 
le  grand-pretre,  et  tous  les  pretres 


Marcus,  iit  doceat  quant i  periculi  fuerit  ea 
node  Chri^lum  st^ui,  quamque  ingens  fuerit 
hoslium  Christi  furor,  quanta  licenlia  et  sae- 
vitia,  quam  iinmanis  violenlia,  lumulluose 
absque  pudore  et  modeslia  grassanlium,  qui 
adolescenlulum  misernm  ac  seminudum,  e 
lecto  ad  strepitum  accurrenlem,  incognitum 
sibi,  60  solo  quod  Jesu  favere  videretur,  ita 
comprehenderent,  ut  vix  eorum  manus  nudus 
effugeril.  »Fr.  Luc,h.  I.—  Adolescens  quidam. 
Quel  elait  ce  jeune  homnfie?  se  demandent 
tout  d'abord  les  exegetes.  El,  n'ayant  la- 
dessus  aucune  donnee  certaine,  ils  donnent 
un  iibre  cours  a  leur  imagination.  D'apres 
Ewaid,  ce  mysterieux  veavtaxo^ne  serait  autre 
que  Saul,  le  futur  S.  Paul.  Plusieurs  au- 
teurs  anglais  contemporains,  en  parlicuiier 
M.  Plumptrs,  veulent  que  ce  soit  Lazare, 
I'ami  de  Jesus  el  le  ressuscite  de  Belhanie. 
D'autres  commentaleurs  opinent  on  faveur 
de  quelque  esclave  attache  a  la  garde  eta  la 
culUiVe  du  domaine  de  Gethsemani.  Tel  est 
le  sentiment  de  M.  Schegg  et  du  P.  Patrizi. 
«  Ipsa  res,  ecrit  ce  dernier,  In  Marc.  Comm. 
p.  202,  dubitare  velal,  quin  isle  adolescens 
unus  fuerit  e  custodis  seu  villici  familia,  qui, 
strepitu  expergefactus,  c  slralo  quuin  pro- 
siluisset,  ila  ut  erat  una  sindone  obvolulus, 
illucfeslinalo  accurrerit  ».Theophylacte  croit 
que  c'etaii  le  fils  du  proprietaire  du  cenacle: 
mais  il  lui  fait  faire  un  bien  longcheminet 
en  un  costume  etrange!  Quelques  Peres  ont 
nomme  divers  Apotres,  par  exemple,  S  Jean 
(S.  Chrysost.  Horn,  in  Ps.  xiii;  S.  Ambr, 
Enarral.  in  Ps.  xxxvi;  S.  Gregor.  Moral,  xiv, 
24),  ou  S.  Jacques-le-Mineur  (S.  Epiph.  Haer. 
Lxxxvii,  13).  Mais,  dit  justement  le  P.  Patrizi, 
1-  c,  «  qui  pnlant  eum  (adolescenlem)  fuisse 
unum  aliquem  e  duodecim  discipulis,  non  ani- 
madverlunt  hos  omnes  ea  node  cum  Chrislo 
ccenasse  unaque  cum  ipso  in  hortum  venisse, 
uno  demplo  Juda,  qui  lamen  el  ipse  lunc  illuc 
adveneral;  quare  nemo  eorum  poluil  esse 
amictus  sindone  super  nudo.  »  D'apres  une 
opinion  qui  reunit  aujourd'hui  un  assez  grand 
nombie  d'adherenls,  noire  jeune  homme  serait 
S.  Marcenpersonne.En  effet,  nous  dit-OHjIoil 
est  senl  a  raconler  ce  trait;  2o  il  residail  a 
Jerusalem  (voyez  la  Preface,  I,  4) ;  3o  les  de- 
tails qu'il  fournit  sonl  lellement  circonstan- 
cies  qu'ils  ne  peuvenl  gueres  venir  que  d'un  te- 
moin  oculaire;4o  I'Evangeliste  S.Jean  se  met 
plusieurs  Ibis  indiredement  en  scene,  d'une 
maniere  tout-a-fait  analogue  a  celle-ci.  Nous 
trouvons  ces  raisons  plus  specieuses  que  con- 


vaincantes.  Tout  ce  qu'on  peul  affirmer  de 
certain,  c'est  que  cet  «  adolescens  »  demeu- 
rail  dans  le  voisinage  de  Gelhsemani.  Peut- 
etre  elait-il  disciple  de  Jesus  dans  le  sens 
large  de  cette  expression  :  de  la  son  interet 
pour  le  divin  prisonnier.  Mais  peul-etre  aussi 
etait-ce  simplemenl  lacuriosile  qui  servitde 
mobile  a  une  demarche  d'oii  faillirenl  decou- 
ler  pour  lui  des  consequences  si  facheuses. 

—  Sequebatur.  Plusieurs  manuscrits  impor- 
tants  emploienl  le  verbe  compose  <juvv5y.oXoij8£i, 
au  lieu  de  rixoXouSei.  —  Amictus  sii^one.  Le 
mot  «  sindon  »,  atvStov,  designait  chez  les 
anciens  une  grande  piece  d'etoffe  de  lin  ou 
de  colon,  qui  servait  tanlot  de  vetement  de 
dessous,  tanlot  de  vetement  de  dessus.  Cfr. 
A.  Rich,  Dictionn.  des  Aniiquiles  rom.  et 
grecq.  p.  586.  Ici,  il  represenle  evidemment, 
d'apres  le  t-  52,  une  sorte  de  couverture  de 
nuit  dans  laquelle  le  jeune  homme  s'etait  en- 
veloppe  avant  de  sortir  pour  reconnaitre  la 
cause  du  bruit  qui  I'avait  reveille.  —  Super 
nudo,  scil.  «  corpore  ».  II  n'avait  done  pas 
'"autre  vetement.  —  Tennerunt  eum.  Le  grec 
ajoule  :  ot  veaviazoi,  «  adolescentes  ».  C'est 
I'equivalent  du  nnyj  hebreu,  qui  designe 
pariois  des  soldats.  Voir  II  Reg.  ii.  14;  comp. 
Act.  V,  10.  —  At  ille  rejecta  sindone...  Se 
degageant  leslement,  le  heros  de  cette  aven- 
ture  lacha  son  «  sindon  »,  qu'il  laissa  entre 
les  mains  des  sbires:  puis,  nudus  profugit,  la 
pudeur  le  cedant  a  I'elFroi. 

8.  —  J6sus  devant  le  Sanhedrin.  xiv,  53-65. 
Parall.  Malth.  sxvi,  57-68;  Luc.  xxii,  54-65;  Joan. 
XVIII,  19-23. 

53.  —  Et  adduxerunt  Jesiim.  «  Narraverat 
Evangelista  superius  quomodo  Ddminusa  mi- 
nislris  sacerdotum  fueral  caplus;  nunc  nar- 
rare  incipit  quomodo  in  domo  principis  sa- 
cerdotum  morti   adjudicalus  fuit.  »  Gloss. 

—  Ad  summum  sacerdotem.  S.  Luc  dit  avec 
plus  dc  precision  :  «  Eum  duxerunt  ad  do- 
mum  principis  sacerdoium.  »  Le  prince  des 
pretres  elait  alors  Caiphe.  —  Et  convene- 
rajif.  Dans  le  grec,  truvspxovTat,  au  present, 
«  conveniunl  ».  Apres  ce  verbe,  on  lit  le  pro* 
nom  auTw,  qui  pent  serapportersoit  au  grand- 
prelre  («  conveniunl  apud  eum  »),  soil  a  Je- 
sus («  conveniunl  cum  eo  »,  en  meme  temps 
que  iui).  Mais  comme  il  manque  dans  cer- 
tains manuscrils  (D,  L,  A,  Sinail.),  il  est  proba- 
blement  apocryphe.  Nous  avons  indique  dans 
noire  commenlaire  sur  S.  Matthieu,  p.  520, 
le  motif  pour  lequel  le  Sanhedrin  [sacerdotis. 


S04 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


et  les  Scribes  et  les  anciens  s'as- 
seinblerejit. 

54.  Or  Pierre  le  suivit  de  loin 
jusque  dans  la  coiir  du  grand-pr6- 
tre,  et  il  etait  assis  pres  du  feu  avec 
les  serviteurs,  et  il  se  chauffait. 

55.  Mais  les  princes  des  pretres 
et  tout  le  conseil  cherchaient  un  te- 
moignage  contre  Jesus  pour  le  li- 
vrer  a  la  mort,  et  ils  n'en  trouvaient 
pas. 

56.  Car  beaucoup  disaient  contre 
lui  de  faux  temoignages,  mais  leurs 
temoignages  ne  s'accordaient  pas. 

57.  Et  quelques-uns  se  levant 
portaient  contre  lui  un  faux  temoi- 
gnage,  disant : 


omnes  sacerdotes,  et  Scribse,  et  Se- 
niores. 

Maiih.  26,  57;  Luc.  22,  54;  Joan.  18, 13, 

45.  Petrus  autem  a  longe  secutus 
est  eum,  usque  intro  in  atrium 
summi  sacerdotis  :  et  sedebat  cum 
ministris  ad  ignem,  et  calefacie- 
bat  se. 

55.  Summi  vero  sacerdotes,  et 
omne  consilium,  quaerebant  adver- 
sus  Jesum  testimonium,  ut  eum 
morti  traderent,  nee  inveniebant. 

Matth.'i^,  59. 

56.  Multi  enim  testimonium  fal- 
sum  dicebant  ad  versus  eum :  et  con- 
"venientia  testimonia  non  erant. 

57.  Et  quidam  surgentes,  falsum 
testimonium  ferebantadversus  eum, 
dicentes  : 


et  scribce,  et  seniores)  ?e  reunit  alors  chez 
CaTphe  el  non  pas  au  Gazzith,  qui  etait  le 
local  ordinaire  dt;s  assemblees  oflicielles.  — 
La  premiere  partie  d'une  des  recentes  pro- 
jjhelies  de  Jesus  est  mainlenant  accomplie  : 
«  Ecce  a-cendimus  Jerosolymam,  et  Filius 
hominis  tradttiir  principibus  sacordotum  et 
scribis  et  S'^nioribiis  ».  x,  33. 

54.  —  Petrus  autem...  Note  destinee  a  pre- 
parer le  recit  d'evenements  ulterieurs.  Cfr. 
ttr,  66-72.  —  Sequebatur  a  longe.  «  Timor 
enim  retrahit,  sed  carilas  trahit  »,  dit  delica- 
tement  S.  Jerome  :  voila  pourquoi  S.  Pierre, 
apres  avoir  repris  un  peu  de  sang-froid  a  la 
suite  des  incidents  de  Gethsemani,  d'une  part 
se  mit  a  suivre  son  3Iailre,  mais,  d'autre 
part,  ne  le  suivit  que  de  loin,  raffcclion  et  la 
crainte  tirant  chacune  de  leur  cote.  —  Usque 
intro  in  atrium.  «  Intro  »  est  une  petite  par- 
licularite  de  S.  Marc.  —  Sedebat  cum  minis- 
tris ad  ignem...  II  y  a  une  legere  inter  version 
des  mots  dans  le  texte  grec  :  •/al'^v  cuyxaOrj- 
(xevo:  [j.eTa  Twv  uur,p£Twv,  xal  Oepixaivoiisvoi;  irpo? 
to  <fu)!i,  il  etait  assjis  avec  les  serviteurs  et  se 
chauffait  aupres  du  feu.  $aj;  designe  plus 
habitufllement  la  lumiere;  mais,  par  exten- 
sion, ce  substantif  designe  aussi  parlois  le  feu 
(a  quatenus  lucet  et  collustrat  »,  Bretschnei- 
der,  Lex.  man.).  Cfr.  Luc.  xxii,  56;  I  Mach. 
XII,  29;  II  Mach.  i,  32;  Xenoph.  Hist.  gr. 
VI,  2,  17. 

55,  —  Summi  vero  sacerdotes...  Apres  cette 
courte  digression,  I'Evangeliste  nous  ramene 
a  la  scene  principale,  qui  se  passait  dans  I'in- 
terieur  du  paiais.  —  Qucerebant  adversus  Je- 
sum testimonium...  La  phrase  exprime   une 


recherche  anxieuse  et  pressante.  A  toute 
force,  les  Sanhedri>le3  voulaient  un  temoi- 
gnage  qui  leur  permit  de  decreter  la  mort 
de  leur  ennemi  avec  une  apparence  de  jus- 
tice. Une  base  de  condamnation  etait  en  effet 
necessaire  :  autreuient,  quel  preti^xte  alle- 
gueraienl-ils  a  Pilate  pour  obtenir  de  lui  I'exe- 
cution  de  la  sentence?  comment  se  juslifie- 
raient-ils  devant  le  peuple,  pour  qui  Jesus 
etait  encore  un  favori? 

56.  —  Multi  enim  testimonium  falsum...  Ce 
versel  explique  les  derniers  mots  («  nee  inve- 
niebant »)  du  precedent.  Ce  n'etaient  done 
pas  les  temoignages  qui  manquaient  contre 
Jesus  ;  a  defaui  de  vrais,  on  en  forgeait  de 
faux,  et  en  grand  nombre.  II  failait  bien  que 
les  divins  oracles  s'accomplissent  :  «  Insur- 
rexerunt  in  me  testes  iniqui,  »  Ps.  xxvi,  12; 
mais,  comme  I'ajoutait  le  poete  sacre, «  men- 
tita  est  iniquitas  sibi.  »  De  la  cette  reflexion 
de  I'Evangeliste :  Convenientia  (dans  le  grec» 
tffai,  «  eadem,  similia  »)  testimonia  non  erant. 
Les  temoignages  elaient  par  la-meme  inva- 
lid^s,  et  des  juges,  meme  peu  scrupuleux, 
ne  pouvaient  en  tirer  parti. 

57-59.  —  Et  quidam  surgentes...  S.  Marc 
releve  ici  I'une,  peut-etre  la  principale, 
des  accusations  mensongeres  lancees  contre 
Notre-Seigneur.  Au  lieu  du  vague  «  quidam  », 
nous  lisohs  dans  S.  Matthieu,  «  duo  falsi 
testes  »  :  deux  temoins  seulement,  juste  le 
nombre  requis  par  la  loi.  —  Nos  audivimus, 
s'ecrient  ces  malheureux  avec  emphase ;  nous 
I'avons  entendu  de  nos  propres  oreilles  :  cir- 
consiance  qui  accroit  la  force  de  leur  teraoi- 
gnage,  et  que  S.  Marc  a  seul  exposes.  L'aali* 


CHAPITRE  XIV 


203 


58.  Quoniam  iios  audivimns  eum 
dicentem  :  Ego  dissolvam  templum 
hoc  manu  factum,  et  per  triduum 
aliud  non  manu  factum  sedificabo. 

Joan.  2,  19. 

59.  Et  non  erat  conveniens  testi- 
monium illorum. 

60.  Et  exurgens  summus  sacerdos 
in  medium,  interrogavit  Jesum,  di- 
cens  :  Non  respondes  quidquam  ad 
ea  quse  tibi  objiciuntur  ab  his? 

61.  lUe  autem  tacebat,  et  nihil 
respondit.  Rursum  summus  sacer- 
dos interrogabat  eum,  et  dixit  ei  : 
Tu  es  Christus  Filius  Dei  benedicti? 

62.  Jesus  autem  dixit  illi  :  Ego 


b8.  Nous  I'avons  entendu  dire : 
Je  detruirai  ce  temple  fait  de  n,ain 
d'homme.  et  en  trois  jours  j'en  bd- 
tirai  un  autre  non  fait  de  main 
d'homme. 

59.  Et  leur  temoignage  ne  con- 
cordait  pas. 

60.  Et  le  grand  pretre,  se  levant 
au  milieu,  interrogea  Jesus,  disant : 
Tu  ne  reponds  rien  a  ce  qui  est 
avance  par  eux  contre  toi? 

61 .  Mais  il  se  taisait  et  ne  repon- 
ditrien.  Le  grand  pretre  I'interrogea 
de  nouveau  ct  lui  dit  :  Es-tu  le 
Christ,  le  fils  du  Dieu  beni? 

62.  Et  Jesus  lui  dit :  Je  le  suis,  et 


I 


these  templum  hoc  manu  factum  et  aliud  non 
manu  factum  esl  iine  aiilre  parlicularile  de 
son  recit,  Cette  deposition  etaitcapilale.  «  On 
sail  combien  le  peuple  juif  elail  jaloux  de  la 
gloire  du  Temple.  Pour  avoir  annonce  pro- 
pheliquement  que  Dieu  reduirait  iin  jour  le 
Temple  au  meme  etat  que  Silo  et  qu'il  en 
ferait  un  desert,  Jeremie  (xxvi,  6,  19)  avail 
failli  etre  la[)ide  par  les  prelres  et  par  le 
peuple;  et  s'il  echappa  a  une  mort  certaine, 
il  le  diat  a  riiUervontion  de  puissants  sei- 
gneurs altaclies  a  la  cour.  L'accusation  for- 
niulee  contre  Jesus  par  les  deux  temoins  etait 
done  de  la  plus  haute  gravite.  »  Lemann,  Va- 
leur  de  I'Assemblee  qui  prononga  la  peine  de 
mort  contre  Jesus-Christ,  Lyon,  1876,  p.  76. 
Mais,  ajoule  notre  Evangeliste  (et  Uii  seul 
encore  a  note  ce  trait),  et  non  erat  conveniens 
testimonium  illorum;  plus  energiquement,  d'a- 
pres  le  grec,  «  et  nequidem  sic  (xal  ouSe  oOtwi;) 
erat  conveniens...))  Les  deux  temoins,  comme 
cela  s'est  toujours  pratique,  avaient  comparu 
Tun  apres  I'autre  devant  le  tribunal ;  le  se- 
cond, sans  s'en  douter,  avait  done  contredit 
sur  qu'lque  point  important  le  rapport  du 
pr(  mier.  L'accusation  tombait  par  conse- 
quent d'elle-meme. 

60.  —  Et  pourlant  Caiphe  ne  veut  pas 
qu'elle  tombe  tout  a  fait.  De  la  cette  de- 
marche, inouie  de  la  part  d'un  juge  supreme, 
que  nous  lui  voyons  faire  aciuellement.  — 
Exurgens. ..  in  medium.  Constiuction  ellip- 
tique,  pour«  exurgens  et  veniens  in  medium. )) 
Le  grand-pretre  se  leve,  quiiie  sa  place,  et 
s'avanco  jusqu'aupres  de  raccuse,  qui  se  te- 
nait  debout  au  milieu  de  la  salle.  La  seconde 
parlie  de  ce  trait  si  graphique  est  propre  a 
S.Marc.  —  Non  respondes  quidquam. ..  a  Qiian- 
lo  Jesus  tacebat  ad  indignos  lesponsione  sua 
faisos  testes,  et  sacerdoies  impios,  tanto  ma- 


gis  pontifex,  furore  superatus,  eum  ad  res- 
pondendum provocat,  ut  ex  qualibet  occa- 
sione  sermonis,  locum  inveniat  accusandi,  n 
V.  Bede.  L'interrogatoire  des  temoins  n'a 
fourni  aucun  resultat:  mais,  en  repondant  a 
leurs  depositions,  quelque  fausses  qu'elles 
fussent,  Jesus  se  compromettra  peut-etre. 
Cost  pour  cela  que  Caiphe  lo  presse  de 
parler. 

61 .  —  nie  autem  tacebat  et  nihil  respondit. 
C'est  la  une  des  repetitions  emphatiques  et 

fiittoresques  qui  sont  a  I'ordre  du  jour  dans 
e  second  Evangile.  Cfr.  Preface,  §  VIL  Le 
silence  du  Sauveur  a  inspire  a  S.  Jerome  une 
belle  reflexion  :  «  Le  Christ  qui  se  tait,  dit- 
il,  absout  Adam  qui  s'excuse.  »  CIV.  Gen. 
in,  10  et  ss.  Qu'im[iorte  du  reste  aux  bour- 
reaux,  dit  quelque  part  Tacite,  la  defense  de 
leur  victime?  —  Rursum  summus  sacerdos 
interrogabat.  La  premiere  question  ayant  ete 
rendue  vaine  par  le  silence  inattendu  de 
I'accuse,  Caiphe  lui  en  adressa  brusquement 
une  autre:  Tu  es  Christus  Filius  Dei?Celte 
fois,  la  demands  elail  posee  sur  un  terrain 
brulant,  etle  souverain-prelre,  comme  nous  le 
voyons  par  le  recit  de  S.  Matlhieu,  xxvi,  63, 
avait  prisses  precautions  pour  qu'elle  ne  de- 
meurat  pas  saus  reponse;  il  I'avait  inlroduite 
en  effet  par  une  formule  solennelle  qui  devait 
forcer  Jesus  de  prendre  la  parole  :  «  Adjiiro 
te  per  Deum  vivum,  ut  dicas  nobis...  )>  L'e- 
pilhete  benedicti  est  propre  a  S.  Marc.  Le 
substanlif  Dei  manque  dans  le  texte  giec,  ou 
on  lit  simplement  :  6  ut6?ToO  eOXoyTiToy,  le  fils 
duBeni  par  excellence.  Les  Rabbins  emploient 
de    la    meme    maniere   I'expression   "iTian . 

62.  —  Ego  sum.  repond  clairem^nl  Jesus. 
Oui,  je  suis  le  Messie,  le  Fils  de  Dieu.  Autre- 
fois, il  avait  accepte  la  paro'p  enflamraee  de 
S.  Pierre  :  a  Tu  es  le  Christ  fils  du  Dieu  vi- 


806 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


vous  verrez  le  Fils  de  I'homrae  sie- 
geant  a  la  droite  de  la  puissance  de 
Dieu,  et  venant  sur  les  nuees  du 
ciel. 

63.  Et  le  grand-pretre,  dechirant 
ses  vetements,  dit  :  Qu'avons-nous 
encore  besoin  de  temoins? 

64.  Vous  avez  entendu  le  blas- 
pheme; que  vous  en  semble?  Tous 
le  condamnerent  comme  digne  de 
mort. 

65.  Et  quelques-uns  commen- 
cerent  a  cracher  sur  lui  et  a  voiler 


sum;  et  videbitis  Filium  hominis 
sedentem  a  dextris  virtutis  Dei,  et 
venientem  cum  nubibus  cceli. 

Match.  24,  30  el  26,  6i. 

63.  Summus  autem  sacerdos,  scin- 
dens  vestimenta  sua,  ait  :  Quid 
adhuc  desideramus  testes  ? 

64.  Audistis  blasphemiam  :  quid 
vobis  videtur?  Qui  omnes  condem- 
naverunt  eum  esse  reum  mortis. 

65.  Et  coeperunt  quidam  cons- 
puere  eum,  et  velare  faciem  ejus,  et 


vant  »,  Malth.  xvi,  46;  naguere  encore, 
XI,  9  et  10,  il  agreait  comme  un  hommage 
legitime  les  Hosanna  du  peuple  :  mais  ici  il 
y  a  qiielque  chose  de  plus.  G'est  lui-m§rae 
qui  proclame  bien  haut,  devant  I'autorite  su- 
preme des  Juifs  en  fait  de  religion,  en  reponse 
a  une  question  officielle,  son  caiactere  mes- 
sianique  et  sa  divine  filiation.  Ecoutons-le, 
adorons-le!  —  Et  videbitis  Filium  hominis... 
Le  Sauveur  complete  et  confirme  son  syw  tly.i 
de  tout  a  I'heure.  L'avenir,  dit-il  a  sesjuges, 
vous  montrera  que  j'ai  paiie  selon  la  verite. 
Maintenani,  je  vous  apparais  sous  un  exte- 
rieur  humilie,  comme  Fils  de  I'homme  ;  mais 
un  jour  vous  me  verrez  troner  couirae  Fils  de 
Dieu  a  la  droite  de  mon  Pere.  Ainsi  done, 
Jesus  ne  revendique  pas  seulement  la  dignite 
messianique  :  il  promet  d'en  exercer  les  fonc- 
lions.  Voyez  I'explication  delaillee  de  ces 
paroles  dans  TEvang.  selon  S.  Matthieu, 
p.  520  et521. 

63  et  64.  —  Caiphe  a  atteint  son  but :  il  a 
reussi  a  faire  parler  I'accuse,  et  a  le  faire 
parler  dans  le  sens  desire  par  toute  I'assem- 
blee.  Desormais,  il  n'y  a  plus  qu'a  tirer  parti 
d'un  aveu  aussi  formel,  et  ce  sera  chose  fa- 
cile :  mais  le  president  salt  faire  les  choses 
enacteur  consomme.  Une  feintecolere  lui  avail 
fait  quitter  precedemment  son  fauteuil,  t.  60; 
un  zele  non  moins  hypocrite  pour  la  gloire 
de  Dieu  le  porte  maintenant  a  dechirer  ses 
vetements  en  signe  de  d^uil,  comme  s'il  ve- 
nait  d'entendre  le  plus  effroyable  blaspheme. 
Lorsque,  quelques  seir.aines  plus  tot,  il  pro- 
nongait  au  sujet  de  Jesus  cette  parole  celebre : 
«  Expedit  vobis  ut  unus  moriatur  homo  pro 
populo,  et  non  tota  gens  pereat  »,  Joan. 
XI,  50  (Cfr.  le  t.  51),  il  ne  se  doutait  guere 
qu'il  etait  prophete  ;  il  ne  se  doutait  pas  da- 
vantage  qu'il  accomplissait  une  action  pro- 
phetique  quand  il  mettait  en  pieces  I3  devant 
de  sa  tunique,  et  c'etait  pourtant  la  un  frap- 
pant   symbols,   comme    I'ont   enseigne    les 


Peres.  «  Dechire  ton  vetement,  6  Caiphe! 
s'ecrient  MM.  Lemann,  resumant  Tenseigne-^ 
ment  patrislique,  le  jour  ne  se  passera  pas 
que  le  voile  du  Temple  ne  soit  dechire  au.-si, 
en  signe,  I'un  et  I'autre,  que  le  sacerdoce 
d'Aaron  et  le  sacrifice  de  la  loi  de  Moi'se  sont 
abolis,  pour  /aire  place  au  sacerdoce  eternal 
du  Pontife  de  la  Nouvelle  Alliance.  »  Valeur 
de  i'assemblee...,  p.  83.  Cfr.  Origene,  S.  Je- 
rome, Theophylacte,  Euthymius  et  S.  Tho- 
mas, in  Mallh.  XXVI,  S.  Leon-le-Grand,  De 
passione  Domini,  sermo  vi.  —  Vestmicnta 
sua,  Touc  x'twva;  .  Ce  mot  est  justemeiit  au 
pluriel  (Cfr.  Mailh.  xa  i(ji,aTia),  car,  d'apies  le 
precepte  des  Rabbins,  ce  n'etait  pas  seule- 
ment le  vetement  superieur  qu'on  devait  de- 
chirer en  pared  cas,  mais  lous  les  vetemenls, 
la  chemise  seule  exceptee.  Les  riches  por- 
laient  habituellement  pUisieurs  tuniques  su- 
perposees.  —  Audistis  blasphemiam.  Au  gesie, 
Caiphe  joint  la  parole  pour  accabler  I'accuse. 
«  A  quoi  bon  un  plus  long  interrogaloiret 
Vous  avez  pu  le  constater  par  vous-memes, 
c'est  un  blaspheme  manifeste  qu'il  vienl  de 
prononcer.  »  —  Qui  omnes  condenmaverunt... 
La  seconde  partie  de  la  propheiio  de  Jesus  a 
laquelle  nous  faisions  allusion  plus  haut  s'ac- 
complissait  tout  aussi  exaclement  que  la  pre- 
miere :  «  Et  damnabunl  eum  mortc!  »,  x,  33.. 
«  Omnes  »,  ot  iravTs; :  tous  les  membres  pre- 
sents. Preuve  que  le  Sanhedrin  ne  se  irouvait 
pas  alors  au  complet,  car  Nicodeme  et  Joseph 
d'Arimalhie  n'auiaient  certainement  pas  vole 
la  mort  de  Jesus.  Peut-etre  n'avaient-ils  pas 
ete  convoques;  ou  du  moins  ils  n'assislaient 
pas  a  la  seance. 

65. —  Et  coeperunt  quidam...  Details  hor- 
ribles, qui  constituent  au  point  de  vue  juri- 
dique  une  veritable  enormite.  Tandis  que 
partout,  sinon  parfois  chez  les  peuplades  bar- 
bares,  les  condamnes  a  mort  sont  respectes, 
depuis  leur  sentence  jusqu'a  leur  execution, 
comme  une  chose  sacree,  Jesus  sevit,  sous  les 


CIIAPITRE   XIV 


207 


colaphis  eum  csedere,  et  dicere  ei : 
Prophetiza;  et  ministri  alapis  eum 
csedebant. 

66.  Et  cum  esset  Petrus  in  atrio 
deorsum,  venit  una  ex  ancillis  sum- 
mi  sacerdotis : 

Malth.  26,  69;  Luc.  ^2,  56;  Joan.  18, 17. 

(17.  Et  cum  vidisset  Petrum  cale- 
facientem  se^  aspiciens  ilium,  ait  : 
Et  tu  cum  Jesu  Nazareno  eras. 

68.  At  ille  negavit,  dicens :  Neque 
scio,  neque  no vi  quid  dicas.  Et  exiit 
foras  ante  atrium,  et  gallus  cantavit. 

69.  Rursus  autem  cum  vidisset 
ilium  ancilla,  coepit  dicere  circum- 
stantibus  :  Quia  hie  ex  illis  est. 

Mailh.  26,  71. 


sa  face  et  a  le  meurtrir  de  coups  de 
poing  et  a  lui  dire  :  Proplietise! 
Et  les  serviteurs  le  meurtrissaient 
de  soufflets. 

66.  Et  tandis  que  Pierre  etait  en 
has  dans  la  cour,  une  des  servantes 
du  grand-pretre  y  vint. 

67.  Et,  lorsqu'elle  eut  vu  Pierre 
se  chauffer,  elle  dit,  en  le  regar- 
dant :  Toi  aussi,  tu  etais  avec  Jesus 
de  Nazareth. 

68.  Mais  il  le  nia,  disant :  .Te  ne 
sais  ni  ne  connais  ce  que  tu  dis.  Et 
il  sortit  devant  la  cour  et  le  coq 
chanta. 

69.  La  servante,  Tayant  vu  de 
nouveau,  commenca  a  dire  a  ceux 
qui  etaient  presents  :  Gelui-ci  est 
un  d'entre  eux. 


yeuxdesSanhedristesqui  laisserenl  faire,  I'ob- 
jet  de?traitement>  les  plus  indignes.La  haine 
saiivage  de  la  soldatesque  chai  gee  de  garder 
Notre-Seigneur  s'elale  avec  toulo  sa  I'ureur 
dans  la  description  vivanle  de  S.  Marc.Notons 
en  particulier  le  trail  velare  faciem  ejus,  que 
S.  Mallhieu  n'avait  pas  menlionne,  el  qui 
aide  a  mieux  comprendre  la  suite  de  la  scene : 
Prophetiza!  Devine  qui  t'a  Jrappe!  A  la  fin 
du  verset,  au  lieu  de  pain'atJiaaiv  aijxov  eSaX^ov 
de  la  Recepta  [alapis  eum  ccedebaitt),  on  lit 
dans  divers  temoins  anciens  :  paTtitjfxaaiv 
a'jTov  e>.a6ov,  et  telle  parait  elre  la  logon  au- 
thentique.  Cette  expression  equivaudrait  au 
latin  «  verberibus  (ici,  «  alapis  »)  aliquem 
accipere.  »  —  Admiron?  I'adorable  patience 
<le  Jesus  devanl  ces  outrages  sanglants.  Son 
amour  pour  nous  le  soulenail. 

i  9.  —  Le  triple    reniement   de   S.   Pierre. 

^,      XIV,    6(5-72     —    t'aiall.    Jlattli.    xxvi,    69-75;    Luc. 
I     XXII,    55-ti-i;    Joan,    xmi,    lJ-18;  25-27. 

66.  —  Cimi  esset  Petrus...  L'Evangeliste 
revient  maintenanl  sur  ses  pas  (Gir.  t.  54), 
pou-  signaler  une  autre  tragedie  lugubre  qui 
se  passail  a  peu  pres  en  mem(>  temps  que  la 
precedenle,  et  qui  realisail  aussi  une  prophe- 
tic anlerieure  de  Jesus.  Cfr.  t.  30.  — in  atrio 
deorsum.  S.  Mallhieu  dit  :  «  Foris  in  alrio.  » 
Mais  les  deux  descriptions  sent  exactes. 
«  Atrium  enim  et  foris  erat,  si  ad  interiorem 
ffidium  partem  species,  et  deorsum,  si  ad  su- 
periorem,  ad  quam  per  scalas  adscensus  pa- 
tebat.  »  1-atrizi,  h.  1.  Jesus  etail  «  intus  et 
sursum  » ;  S.  Pierre  «  foris  et  deorsum.  »  — 


Venit  una  ex  ancillis...  Sur  la  vraie  maniere 
de  compter  les  irois  reniements  de  S.  Pierre, 
voypz  I'Evangile  selon  S.  Mallhieu,  p.  526. 

67.  —  Cum  vidisset  Petrum...  aspiciens 
ilium.  La  servante  apergut  d'abord  S.  Pierre 
qui  se  chauffail  auptes  du  feu;  puis,  frappee 
des  ce  simple  coup  d'oeil  de  son  visage  morne, 
de  sa  conlcnanc'e  grave,  qui  conlrastaient 
avec  I'attilude  des  valets  et  des  soldats,  elle  se 
mil  a  le  contempler  altentivemeni.  S.  Marc 
distingue  tresbien  ces  deux  regards  dislincls, 
I'un  rapide  et  a  demi  inconscient,  TSouffa, 
I'autre  allenlif  et  prolonge,  ifxeXe'^/affa. 

68.  —  At  ille  negavit.  Ce  second  regard, 
et  la  question  qui  le  suivit  suffirenl  pour  trou- 
bler  le  timide  Pierre,  au  point  de  lui  arra- 
cher  un  premier  reniement.  —  Neque  scio, 
neque  ?iowt.Commesa  negation  est  accentuee! 
(Elle  est  specialea  S.  Marc  sous  cette  forme). 
Cependantelle  n'estencore  qu'indirecle  :  I'A- 
potre  ne  renie  pas  formellement  son  Mailre, 
il  affecle  seulement  de  ne  pas  comprendre  de 
quoi  ni  de  qui  il  est  question.  —  Quid  dicas; 
dans  le  grec,  Tt  (jij  Xsyek;,  «  quid  tu  dicis  », 
avec  emphase  sur  le  pronom  ou.  —  Ec  gallus 
cantavit.  Trail  propre  a  S.  Marc. 

69.  —  Cam  vidisset  ilium  ancilla.  Dans  le 
grec,  rjuatSiffxY)  avec  I'article,  la  servante. 
Neanmoins,  cetie  maniere  de  parler  n'indique 
pas  necessairementque  cefut  lameme  femme 
qu'au  V.  66.  Elle  designe  la  servante.  quelle 
qu'elle  fut,  aupres  de  laquelle  S.  Pierre  se 
irouva  quand  il  se  fut  ecarte  du  foyer.  En 
effel,  nous  savons,  d'apres  S.  Mallhieu  eS 
S.  Jean,  qu'il  s'agit  d'une  «  alia  ancilla  ».  — 


208 


CHAPITRE    XIV 


70.  Mais  il  le  nia  de  nouveau.  Et 
peuapres  ceux  qui  elaient  la  dirent 
encore  a  Pierre :  Tu  es  vraiment  un 
d'entre  eux,  car  tu  es  aussi  Galileen. 

71.  Et  il  commenca  a  faire  des 
imprecations  et  a  jurer :  Je  ne  con- 
nais  pas  cet  homme  que  vous  dites. 

72.  Et  aussitot  le  coq  chanta  de 
nouveau.  Et  Pierre  se  souvint  de  la 
parole  que  Jesus  lui  avait  dite  : 
Avant  que  le  coq  chaute  deux  fois, 
tu  me  renieras  trois  fois.  Et  il  se 
mit  a  pleurer. 


70.  At  ille  iterum  negavit.  Et 
post  pusillum  rursus  qui  astabant, 
dicebant  Petro  :  Vere  ex  illis  es; 
nam  et  Galilaeus  es. 

Luc.  22,  59;  Joan.  18,25. 

71.  Ille  autem  coepit  anathemati- 
zare,  et  jurare  :  Quia  nescio  homi- 
nem  istum,  quern  dicitis. 

72.  Et  statim  gallus  iterum  can- 
tavit.  Et  recordatus  est  Petrus  verbi 
quod  dixerat  ei  Jesus  :  Priusquam 
gallus  cantet  bis,  ter  me  negabis. 
Et  coepit  flere. 

Matth.  26,  75;  Joan.  13,  38. 


Hie  ex  illis  est.  «  Ex  illis  »  est  dedaigneux.  II 
fait  parlift  de  leur  bande!  C'est-a-dire,  c'est 
un  des  disciples  de  Jesus. 

70.  —  Iterum  negavit.  L'imparfait  fjpvetTo 
du  texte  original  indique  une  denegation 
prolongee.  —  Apres  Galilceus  es,  on  lit  dans  le 
texte  grec  :  xair,Xa).ii  aov  ofxoidl^et,  «  et  lingua 
tua  similis  est  (scil.  linguifi  Galilaeorum)  »; 
et,  en  realite,  nousavons  vu  dans  le  premier 
Evangile  ,^xxvi,  73  el  le  commenlaire)  que 
les  habitants  de  la  Galilee  trahissaient  leur 
origine  par  leur  prononciation  vicieuse.  Ce- 
pendant  ces  mots,  qui  manquent  dans  les 
meilleurs  temoins,  sont  regardes  a  bon  droit 
comme  un  glosseme. 

71.  —  Ce  dernier  reniement  est  le  plus 
triste  et  le  plus  grave  des  trois.  Pierre,  pour 
rendre  ses  protestations  plus  energiques,  leur 
associa  des  anathemes  et  des  serments ;  en 
outre,  cette  fois,  il  ai'firme  tres  directement 
qu'il  ne  connaissait  pa>  Jesus,  ce  Jesus  a  qui 
il  disait  naguere  :  «  Tu  es  Chrislus,  filius 
Dei  vivi  ».  1!  I'appelle  honunem  istum.  pre- 
nant  soin  d'ajoiiLer  :  quern  dicitis,  comme  s'il 
n'eut  jamais  enlendu  parler  de  Jesus  avant 
que  les  servantes  et  les  valets  de  Caiphe  le 
lui  nommassent.  Ces  derniers  mots  sont  une 
particulariie  de  S.  Marc. 

72.  —  Statim  gallus...  L'adverbe  a  statim  » 
est  omis  par  la  Recepta;  mais  on  le  trouve 
dans  les  meilleurs  manuscrils.  —  Iterum  est 
propre  a  S.  Marc,  qui  seul,  nous  I'avons  vu, 
t.  30,  avait  mentionne  deux  chants  successifs 
du  coq  dans  la  prediction  de  Jesus.  —  Le 
premier  chant  avait  probablemenl  passe  ina- 
.perQu,  mais  le  second  produisit  une  reaction 
dans  le  coeur  de  S.  Pierre  :  recordatus  est, 
les  paroles  de  son  Maitre  lui  revmrent  subi- 
tement  a  la  pensee,  et  alors,  reconnaissant 
toute  i'etendue  de  sa  faute,  eTtioaXwv  ixXaie, 


comme  dit  le  texte  grec.  Quel  est  le  sens 
exact  de  cette  locution?  L'amphibologie  du 
verbe  iTtiSaXXw  est  cause  qu'elle  a  regu  peut- 
etre  plus  de  vingt  interpretations  diflerenles, 
parmi  lesquelles  il  est  assez  difficile  de  choisir. 
La  traduction  de  la  Vulgate,  c(epit  flere,  est  ega- 
lement  celle  de  plusieurs  versions  anciennes, 
telles  que  la  Peschito  syriaque,  I'armenienne, 
la  gothique,  etc;  elle  est  adoptee  par  Suidas, 
Euthymius,  etc.,  et  Ton  cite,  a  son  appui, 
divers  passages  soit  sacres,  soit  profanes,  ou 
lei  parait  etre  le  sens  de  smgdW.w;  par  exem- 
ple,  Diog.  Laert.,  vi,  2,  4,  im6ai.lt  Tepext^Etv, 
«  cantillare  coepit  »;  II  Mach.  xii,  38,  xricoe 
i856\Laooz  im6a.llo<)orit„  Vulg.  «  Cum  seplima 
dies  superviniret  ».  De  la  sans  doute  la  legon 
y.a.\  iip^axo  y.).at£iv  du  manuscrit  D.  Theophy- 
lacte  conserve  au  participe  £7:tod),wv  sa  signi- 
fication habituelle,  et  traduit  comme  s'il  y 
avail  :  eTriSdXwv  to  Ifiaxiov  x^  v.z!fci.lri  e/Xate, 
ayant  jete  son  manleau  sursa  tete,  il  pleura. 
D'aulres  donnent  a  la  phrase  le  sens  de 
«  addens  flebat  »,  c'est-a-dire  «  repetitis  vici- 
bus  Qevit.  »  D'autres  sous-entendent  t6v  vouv 
apres  £7ii6dXcav  :  I'Evangeliste  voudrait  dire 
alors  que  S.  Pierre  «  ayant  fait  attention  » 
(a  sa  faute,  ou  bien  au  chant  du  coq)  se  mit 
a  pleurer.  D'asseznombreuxauteursmodernes 
traduisent  sTitgaXwv  par  «  etant  aussitot 
sorti  »  (se  pronpiens,  celeriter  abiens).  Les 
passages  paralleles  de  S.  Matthieu  (xxvi,  75) 
et  de  S.  Luc  (xxii,  62)  :  «  egressus  foras 
flevit  amare  »,  favorisent  cette  interpretation. 
Voir  Bretschneider,  Lexic.  man.  t.  I,  p.  38i. 
—  On  a  de  remarquables  compositions  du 
Poussin,  de  Valentin,  de  Slella,  sur  les  diffe- 
rentes  scenes  du  reniement  de  S.  Pierre.  Carlo 
Doici  a  immortalise  a  sa  maniere  les  larmes 
du  prince  des  Apotres  dans  son  tableau  connu 
sous  le  nom  de  «  S.  Pierre  pleurant  ». 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


209 


CHAPITRE  XV 

Jesus  est  livre  aux  Remains  par  le  grand  Conseil  {t.  4).  —  II  est  interroge  par  Pilate, 
(tt.  2-5).  —  Jesus  et  Barabbas  (tt.  6-15).  —  Scene  du  couronnemenl  d'epines  [tt.  46-19), 
—  Le  chemin  de  croix  (tt.  20-22).  —  Crucifiement,  agonie  et  morl  de  Jesus  [ft.  23-37).  — 
Ce  qui  siiivit  immediatement  la  mort  de  Jesus  [tt.  38-41).  —  Ensevelissemenl  du  Clirist 
{it.  42-47). 


1.  Et  confestim  mane  consilium 
facientes  summi  sacerdotes,  cum 
senioribus,  et  scribis,  et  universo 
concilio,  vincientes  Jesum  duxerunt 
et  tradiderunt  Pilato. 

Matth.  27, 1;  Luc.  22,  66;  Joa7i.  18,  28. 

2.  Et  interrogavit  eum  Pilatus :  Tu 


1.  Et,  des  le  matin,  les  princes 
des  pretres  s'etant  assembles  avec 
les  anciens  et  les  scribes  et  tout  le 
conseil,  ils  lierent  Jesus,  I'emme- 
nerent  et  le  livrerent  a  Pilate. 

2.  Et  Pilate  I'interrogea :  Es-tu  le 


10.  — J6sus  juge  et  condainn6  par  Pilate. 
XV,  1-15. 

S.  Marc  abrege  ici  d'une  maniere  notable. 
II  ne  dil  rien  de  la  mort  de  Judas,  rien  de  la 
femme  de  Pilate,  rien  d'Herode,  etc.  II  va 
droit  au  tragique  denouement,  auquel  la  con- 
duite  du  Sanhedrin  nous  a  deja  prepares. 

a.  J^sus  est  livri  aux  Romains  par  les  Juifs.  xv,  1. 
Parall.  Matth.  xxvu,  1-2;  Luc.  xxiii,  1 ;  Joan, 
xvm,  28. 

Chap.  xv.  —  1.  —  Confestim  mane,  De 
meme  dans  le  texte  grec,  eOOe'w;  inl  t6  Ttpwt. 
S.  Matthieu  dit  simplement  «  mano  facto.  » 
«  Utrumque  hoc  verbum  (c'esl-a-dire  cette 
reunion  de  deux  adverbes),  dit  fort  bien  Mal- 
donat,  eo  perlinet,  ut  indicet  Evangelista, 
quanta  usi  fuerint  principi'S  sacerdolum, 
Scribae  et  Pharisaei  diligenlia,  ut,  Christum 
condemnarent  ».  —  Consilium  facientes,  ou 
mieux,  d'apres  le  grec  (Trot/i'javTei;),  «  quum 
fecissent  ».  Cette  seance,  dislincle  de  celle 
qui  avait  eu  lieu  pendant  la  nuit,  xiv,55et  ss., 
devait,  d'une  part,  corriger  ce  qu'il  y  avait 
eu  de  defectueux,  d'apres  la  loi  juive,  dans 
une  sentence  nocturne  (Voyez  Matth.  xxvii,  1 
et  le  commentaire) ;  d'aulre  part,  permettre 
aux  Sanhedristes  de  se  conccrtor  sur  la 
maniere  donl  ils  accuseraicnt  Jesus  devant 
Pilate.  —  Et  universo  concilio.  Expression 
evidemment  emphatique,  puisque  les  Irois 
categories  du  Sanhediin  ont  ete  raentionnees 
auparavant.  S.  Marc  seul  a  pris  soin  de  noter 
que  cette  seconde  assemblee  fut  pleniere. 
(Au  lieu  de  I'ablatif,  il  faudrait  le  nominatif, 
car  le  grec  porte  xai  6>.ov  to  cruveSptov,  apposi- 
tion a  apxiepei?)-  —  Duxcruiit  et  tiadideriint 
Pilato.  aComme  les  Juifs  n'avaient  plus  alors 

S,  Bible. 


I'exercice  de  la  justice  vindicative,  ni  le  droit 
de  faire  mourir  un  homme,  mais  seulement 
de  lui  faire  son  proces,  et  de  le  juger  suivant 
leur  loi,  ils  amenent  eux-momes  Jesus  ci  Pilate, 
gouverneur  de  la  province  au  nom  des  Ro- 
mains, le  prianl,  qu'etant  juge  digne  du  der- 
nier supphce  selon  leur  loi,  il  lui  plut  de  le 
condamner  et  de  le  faire  executer.  »  D.  Cal- 
met,  Comm.  litteral  sur  S.  Marc,  h.  1.  Voyez. 
TEvang.  selon  S.  Matth.,  p.  530.  Le  nom 
complet  de  Pilate,  cet  homme  sinistre  dont  la 
memoire  restera  a  tout  jamais  associee  au 
plus  grand  crime  commis  sur  la  terre,  etait 
«  Pontius  Pilatus  ».  Cfr.  Matth.  xxvii,  2. 
S.  Marc  ne  mentionne  que  le  «  cognomen  », 
qui  etait  sans  douie  plus  usite  que  le  «  no- 
men  ».  II  ne  signale  pas  le  litre  de  Pilate 
parce  que  c'etait  un  point  d'histoire  romaine 
que  ses  lecteurs  connaissaient  parfaitement. 
—  En  conduisant  le  Sauveur  au  pretoire,  les 
Sanhedristes  realisaient  sans  le  savoir  une 
partie  de  sa  prophetie  a  laquelle  nous  avons 
deja  fait  plusieurs  fois  allusion  :  «  Tradent 
eum  (sacerdotes  et  scribae  et  seniores)  genti- 
bus  »,  XIII,  33.  lis  livraient  Jesus  aux  Ro- 
mains;  mais  leur  lour  viendra  bientot  d'etre 
livres  eux-memes  par  Dieu  entre  les  mains  do 
ces  ennemis  de  leur  nation. 

b.  Jesus  interroge  par  Pilate,  xv,  2-5.  —  Paralf, 
Mauh.  xxvu,  11-14;  Luc.  xxur,  2-5;  Joan, 
xvni,  29-38. 

2.  —  Tu  es  rex  JiidcBorum?  «  C'6tait  la 
seule,  ou  au  moins  la  principale  des  accusa- 
tions qui  pouvail  inleresser  Pilate;  car,  poar 
le  blaspheme,  par  exemple,  qui  avait  ete  le 
seul  motif  de  la  condamnalion  prononcee  par 
les  pretres,  cela  ne  le  regardait  point.  A  son 
S.  Marc.  —  t^i 


210 


£va:;G!i.h  -..lon  s.  marc 


roi  des  JuJfs?Et  il  lui  repondit :  Tu 
le  dis. 

3.  Et  les  princes  des  pretres  Tac- 
cusaient  de  beaucoiip  de  choses. 

4.  Et  Pilate  I'interrogea  de  nou- 
veau,  disant :  Tu  ne  reponds  rien? 
Vois  de  combien  de  choses  ils  t'ac- 
cusent. 

b.  Mais  Jesus  ne  repondit  plus 
rien,  de  sorte  que  Pilate  etait  etonne. 

6.  Or,  au  jour  de  la  fete,  il  avait 
coutume  de  leur  delivrer  un  des 
prisonniers,  celui  qu'ils  deman- 
daient. 

7.  Et  il  y  en  avait  un  qui  se  nom- 
mait  Barabbas,  qui  etait  encliaine 


es  Rex  Judseorum?  At  ille  respon- 
dens,  ait  illi  :  Tu  dicis. 

3.  Et  accusabant  eum  summi  sa- 
cerdotes  in  mullis. 

Jft?»/t.  27,  12;  Luc.  23,2. 

4.  Pilatus  autem  rursum  interFo- 
gavit  eum,  dicens  :  Non  respondes 
quidquam?  vide  in  quautis  te  accu- 
sant. 

Joan.  18,  33. 

5.  Jesus  autem  amplius  nihil  res- 
pondit,  ita  ut  miraretur  Pilatus. 

6.  Per  diem  autem  festum  solebat 
dimiltere  illis  unum  ex  vinctis, 
quemcumque  petissent. 

7.  Erat  autem  qui  dicebatur  Ba- 
rabbas, qui  cum  seditiosis  erat  vin- 


egard,  il  ne  s'agissail  que  de  savoir  si  Jesus 
elait  un  sediLieux,  et  un  hommequi  cherchat 
a  se  faire  un  parli,  el  a  se  faire  declarer  roi  ». 
D.  Calmet.  En  arrivanl  aupres  de  Paale,  les 
Sanhedrisles  avaienl  done  accuse  Jesus  d'un 
delil  politique,  d'un  crime  de  lese-majesle. 
—  Tu  dicis.  Ce  que  tu  dis  est  vrai ;  il  en  est 
comme  tu  le  dis.  Cetle  maniere  de  repondre 
affirmalivement  a  une  question  est,  aujour- 
d'hui  encore,  usilee  en  Syrie.  Elle  n'a  pas  le 
sens  ambigu  que  lui  prete  Theophylacte, 
lorsqu'il  la  commente  en  ces  termes,  Enarrat 
in  Evans.  Matlh.  xxvii,  11  :  «  Jesus  autem 
dixit  ilH,  Tu  dicis,  sapientissimo  responso 
dalo.  Neque  enim  dixit, Non  sum,  nee  contra, 
Ego  sum;  sed  medio  quodana  modo  dixit,  Tu 
dicis.  Hocenim  potest  el  sic  inlelligi/r  Sum 
sicuL  dicis ;  et  sic  :  Ego  quidem  .hoc  non  dico 
tu  autem  dicis.  » 

3.  _  Accusabant  eum...  in  muUis.  Ce  verba 
a  I'imparfait,  et  le  Tco>,>.a  aime  de  S.  Marc, 
sonl  egalemenl  significatit's.  S.  Jean,  xvni,  30, 
el  S.  Luc,  XXIII,  5,  ont  conserve  queiques- 
•anes  des  accusations  que  les  Sanhedristes 
portaient  conlre  Jesus.  «  At  illi  invalesce- 
banl,  lisons-nous  dans  le  Iroisieme  Evangile, 
dicentes  :  Conmiovet  populum,  docens  per 
universam  Judaeam,  incipiens  aGalilaea  usque 
luic.  »  —  Les  mots  «  ipse  vero  nihil  rcspon- 
dit  »,  qu'on  lit  a  la  fin  du  t.  3  dans  plusieurs 
manuscrits  el  quelques  versions,  sonl  proba- 
blemenl  apocryphes,  car  ils  sont  omis  par 
les  meilleurs  temoins. 

4  el  5.  —  Non  respondes  quidquam.  Pilate 
qui  deja  s'interesse  a  I'aceuse  el  voudrail  lui 
sauver  la  vie,  le  presse  de  se  defendre,  espe- 
ranl  bien  qu'un  homme  en  qui  se  manifeste 
une  telle  dignile  renversera  sans  peine  les 


allegations  evidemmenl  passionnees  des  San- 
hedristes. Mais,  Jesus  amplius  nihil  respon- 
dit,  se  conlenlanl  du  «  Tu  dicis  »  prononce 
quelques  instants  auparavant.  Le  Sauveur  se 
tail ;  il  est  pret  a  subir,  par  amour  pour 
nous,  le  sort  qu'on  lui  destine;  il  ne  veul  rien 
faire  pour  ecarter  la  coupe  amere  de  sa  Pas- 
sion, —  La  legon  y.aTyjyopouaiv,  accusant  de  la 
Vulgate,  est  favorisee  par  d'imporlants  ma- 
nuscrits, quoique  la  «  Reeepta  »  ait  -xaTaiiao- 
Tupouow,  «  testimonium  dicunl  ». 

c.  Jesus  et  Barabbas.  xv,  6-15.  —  Parall.  Matth. 
xxvn,  15-26;  Luc.  xxiii,  17-25;  Joan,  xvui, 
39-xix,  1. 

S.  Marc  raconle  a  peu  pres  de  la  meme 
fagon  que  S.  Matlhieu,  quoique  avee  plusieurs 
variantes  inleressantes,  eel  episode  qui  put 
faire  croire  pendant  quelques  instants  a  Pi- 
late qu'il  reussirait  a  delivrer  Jesus. 

6  el  7.  —  Avant  d'arriver  a  la  scene  prin- 
cipale,  I'Evangeliste  note  deux  faits  prelimi- 
naires,  destines  a  orienter  le  lecteur  sur  la 
suite  de  I'incidenl.  Le  premier  fait,  t.  6, 
consisle  en  une  coutume  ayanl  force  deloi, 
d'apres  laquelle,  a  I'occasion  de  la  Paque 
(per  diem  festum;  c'ost  a  tort  que  les  versions 
syriaque  et  arabe  iraduisent  xax'  eop-ci^v  par 
«  unoquoque  die  feslo  »),  le  gouverneur  ro- 
main  devait  meltre  en  liberie  un  prisonnier 
juif,  que  le  peuple  se  chargeail  lui-meme  l^ 
d'indiquer.  Voyez,  sur  eel  usage,  I'Evang. 
selon  S.  Matlhieu,  p.  536.  [Solebat  dimittere  : 
le  lexte  grec  a  seulemenl  anilvv/,  «  dimitle- 
bat  »;  mais  Timpaifail  indique  en  realile  une 
coutume).  —  Second  detail  prdliminaire,  \\  7. 
II  y  avait  precisement  alors  dans  la  prison 
d*i  pretoire  un  «  vinclus  insignis  »  (Matlh.}, 


CHAPITRE    XV 


2H 


ctus,  qui  in  seditione  fecerat  homi- 
cidium. 

8.  Et  cum  ascendisset  turba,  coe- 
pit  rogare,  sicut  semper  faciebat 
illis. 

9.  Pilatus  autem  respondit  eis,  et 
dixit :  Vultis  dimittam  vobis  regem 
Judsejrum? 

10.  Sciebat  enim  quod  per  invi- 
diam tradidissent  eum  summi  sacer- 
dotes. 

11.  Pontifices  autem  concitave- 
runt  turbam,  ut  magis  Barabbam 
dimitteret  eis. 

12.  Pilatus  autem  iterum  respon- 


avec  des  seditieux  et  qui,  dans  nne 
sedition,  avait  comrais  un  homicide. 

8.  Et  la  foule,  etant  montee,  com- 
menca  a  reclamer  ce  qu^il  faisait 
toujours  pour  eux. 

9.  Et  Pilate  leur  repondit :  Vou- 
lez-vous  que  je  vous  delivre  le  roi 
des  Juifs  ? 

10.  Gar  il  savait  que  les  princes 
des  pretres  I'avaient  livre  par  envie. 

11.  Mais  les  pontifes  exciterent  la 
foule  pour  qu'il  leur  delivrat  plut6t 
Barabbas. 

12.  Pilate  leur  parlant  de  nouveau- 


nomme  Barabbas,  dont  S.  Marc  caracterise 
tres-netlement  la  conduile  criminelle,  afin 
de  mieux  faire  ressorlir  le  contrasle  qui  va 
suivre  {t.  11).  1°  Cum  seditiosis  erat  viuctus. 
C'elail  ua  de  ces  nombreux  sicaires  qui  s'in- 
surgeaienl  frequemmenl  alors  com  re  I'auto- 
rile  romaine,  surtout  depuis  qu8  Pilate  se  fai- 
sait comme  un  plaisir  de  blesser  les  senti- 
ments religic'ux  et  nationaux  des  Juifs.  2°  In 
seditione  fecerat  homicidium.  A  la  revolte  i! 
avait  joint  riiomicide.  Ses  mains  etaicnt 
souillees  de  sang.  Voila  I'iiomme  qu'on  va 
bientot  preferer  a  Jesus!  —  Au  lieu  du  sin- 
gulier  «  qui...  fecerat  »,  le  texte  grec  em- 
ploie    le    pluriel    :  ohive;    ev  t^i    axaaet  96VOV 

8.  —  Apres  ce  petit  preambule  S.  Marc 
reprond  le  fil  du  recit.  —  Cam  ascendisset 
turba.  La  Vulgate  a  lu  avagi;,  avec  les  ma- 
nuscrits  B,  D,  et  plusieurs  versions,  au  lieu 
de  I'avago-offa;  du  Text,  recept.,  «  quum  cla- 
masspl  ».  La  traduction  elhiopienne  reunit  les 
deuxlegons  :  «  ascendil  et  clamavit  ».  'AvaSa; 
indiquerait  que  la  foule  se  rendit  au  pretoire 
de  loutes  les  parties  de  la  viile,  ou  bien  gra- 
vit  le  Lilliostrolos  (Gfr.  Joan,  xix,  13)  qui 
servait  de  tribunal  au  gouverneur.  —  Ccepit 
rogare  sicut  semper  faciebat.  Construction 
eliiptique,  pour  «  coepit  rogare  ut  faceret  si- 
cut... »  La  foule  reclame  "done  agrandscris 
I'exercice  de  sou  privilege  accoutume. 

9  et  10. —  Vultis  dimittam  vobis...'?  Celte 
demande  du  pcuple  coincidait  trop  bien  avec 
les  de~irs  les  plus  inlimes  du  gouverneur, 
pour  qu'il  liesilat  un  seul  instant  a  I'exaucer. 
Saisi>sant  ce  moyen  inattendu  qui  lui  etait 
ofTert  de  sauver  Notre-Seigneur.  il  suLrgere 
aussilot  a  la  multitude  I'idee  do  lui  appliquer 
I'amnistie.  Par  les  mots  regem  Judceorum,  il 
esperait  peut-etre  exciter  davantage  la  piiie 
du  peuple  :  Ne  vous  laissez-vous  ^as  toucher 


par  I'etat  miserable  de  cet  hom.me  qui  dit 
etre  votre  roi'i*  On  leur  a  donne  parfois,  mais 
a  tort,  un  sens  ironique.  —  Sciebat  enim.  Le 
cours  memo  des  debats  avait  revele  a  Pilate 
que  c'etait  par  envie  que  les  ch'fs  du  parti 
sacerdotal  (leur  mention  en  cet  endroit  est 
propre  a  S.  Marc)  voulaicnt  a  tout  prix  so 
dei'aire  de  Jesus.  Voila  pourquoi,  sans  enga- 
ger sa  responsabilite,  il  essayaitde  s'appuyer 
sur  la  foule  pour  ieur  arractier  leur  victlme. 

11.  — Pontifices  autem...  Les  pretres  com- 
prirent  la  manoeuvre  Qu  «  Procurator  »,  et 
lis  s'empresserent  de  la  dejouer  en  excitant 
eux-memes  le  peuple  centre  Jesus.  L'inter- 
ruption  produite  dans  I'audience  par  I'arrivee 
du  messager  de  la  femme  de  Pilate  (Cfr. 
Matth.  XXVII,  19  et  20)  leur  accorda  quelques 
minutes  dont  ils  profiterent  habilement  pour 
arriver  a  leurs  fins  sataniques.  —  Concitave- 
runt.  L'expression  correspondante  du  texte 
grec,  ave'(7ci(jav,  est  d'une  grande  energie.  On 
ne  la  trouve  qu'ici  et  dans  S.  Luc,  xxiii;  5. 
Elle  designo  des  efforts  vigoureux,  operes  en 
vue  d'agiter  una  reunion  d'liommes  en  soule- 
vant  leurs  plus  mauvaises  passions.  —  Ut 
magis  Barabbam...  «  Magis  »,  plutot,  de 
preference.  Les  pretres  representaient  sans 
doute  au  peuple  que  Barabbas  etait,  apres 
tout,  un  valeureux  champion  de  la  nationa- 
lite  juive  centre  I'oppression  romaine,  ua 
zelote  plein  de  patriotisme,  et,  qu'a  ce  titre, 
c'etait  a  lui  qu'on  devait  donner  la  prefe- 
rence. 

12-13.  —  Quid  ergo  vuUis...  Nous  avons 
ici  un  oxemple  de  la  maniere  dont  S.  lAIarc 
abrege  et  condense  les  faits.  11  passe  sous  si- 
lence, parce  qu'elles  etaient  contenues  «  in 
nuce  »  dans  les  deux  lignes  qui  precedent 
(t.  11),  une  question  de  Pilate  et  une  reponse 
di  la  foule.  Nous  Irouvons  I'une  et  I'autre 
dans  le  premier  Evangile,  xxvii,  21  :  «  Quern 


212 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


leiir  dit  :  Que  voulez-vous  done  que 
je  fasse  au  roi  des  Juifs? 

13.  Et  ils  crierent  de  nouveau  : 
Grucifiez-le ! 

14.  Mais  Pilate  leur  disait :  Pour- 
taiit ,  quel  mal  a-t-il  fait?  Et  ils 
criaient  encore  plus  :  Crucifiez-le! 

15.  Et  Pilate,  voulant  satisfaire  le 
peuple,  leur  remit  Barabbas,  et  li- 
vra  Jesus,  dechire  de  verges,  pour 
6tre  crucifie. 

16.  Or  les  soldats  le  conduisirent 


dens,  ait  illis  :  Quid  ergo  vultis  fa- 
ciam  regi  Judeeorum? 

Matth.  27,  22;  Luc.  23,  14. 

13.  At  illi  iterum  clamaverunt  : 
Crucifige  eum. 

Joan.  18,  40. 

14.  Pilatus  vero  dicebat  illis  : 
Quid  enim  mali  fecit?  At  illi  magis 
clamabant :  Crucifige  eum. 

15.  Pilatus  autem  volens  populo 
satisfacere,  dimisit  illis  Barabbam; 
et  tradidit  Jesum,  flagellis  ceesum, 
ut  crucifigeretur. 

16.  Milites  autem  duxerunt  eum 


vullis  vobis  de  duobus  dimilli?  At  illi  dixe- 
riint,  Barabbam.  »  Ouoique  degu  dans  son 
esperance,  Pilate  cherche  encore  a  sauver  Je- 
sus, en  demandant  au  peuple  :  Que  ferai-je 
done  au  roi  des  Juifs?  ou,  d'apres  une  legon 
tres-accreditee  :  Que  ferai-je  a  celui  que 
vous  dites  c're  le  roi  des  Juifs?  11  pensait 
oblenir,  pour  Jesus  comme  pour  Barabbas. 
un  vote  d'elargissement.  —  Crucifige  euml 
Telle  fut  la  barbare  sentence,  prononcee  par 
la  foule.  Elle  clioisit,  pour  son  Messie,  le  plus 
alroce  et  le  plus  ignominieux  des  supplices 
remains.  On  voit  jusqu'a  quel  point  les  prd- 
tres  avaient  reussi  a  la  fanaliser. 

14.  —  Quid  enim  mali  fecitf  Tout  enlier 
aux  moyens  ingenieux,  Pilate  tache  d'attirer 
I'atlenlion  de  la  multitude  sur  I'innocence  de 
celui  dont  elle  demandait  impitoyablement  la 
morl.  Mais  une  populace  ameutee,  avide  de 
sang,  s'inquiete  bien  de  I'innocpnce  de  ceux 
qu'elle  egorgc!  «  Judaei,  insaniae  suae  satisfa- 
cientes,  interrogationi  praesidis  non  respon- 
dent. »  —  At  illi  magis  clamabant  :  Crucifige 
eum,  n  ut  imploretur  illud  Jeremiae  (cap.  xii) : 
Facta  est  mihi  haereditas  mea  sicut  leo  in 
silva;  dederunt  contra  me  vocem  suam.  » 
V.  Bede.  Pauvre  peuple,  que  Ton  egare  au- 
jourd'hui  aussi  facilement  centre  I'Eglise 
qu'on  I'egarait  alors  conlre  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ!  —  S.  Pierre  reprochera  plus 
lard  aux  Juifs,  Act.  in,  13-15,  leur  conduite 
criminelle  :  «  Jesum,  quern  vos  quidem  tra- 
didistis,  et  nogastis  ante  faciem  Pilati,  judi- 
cante  illo  dimitti.  Vos  autem  Sanctum  et 
Justuni  negastis,  et  petistis  virum  homicidam 
donari  vobis  :  auctorem  vero  vitae  interfecis- 
tis.  «  Ces  deicides  ne  se  doutaient  guere 
alors  qu'eux-memes  ou  leurs  enfants  expie- 
raient  bientot  sur  la  croix  le  crucifiemenl  de 
Jesus.  Un  grand  nombre  de  Juifs  en  effet 
furent  condamnes  a  ce  supplice  par  les  Ro- 
mains,  durant  la  guerre  qui  mit  tin  a  la  na- 
tion theocralique.'Cfr.  Jos.  Bell.  Jud.  vi,  28. 


15.  —  Pilatus  autem...  Pilate  a  fait  preuve 
assurement  de  quelque  justice  dans  la  scene 
qui  precede  ;  mais  il  n'a  resiste  que  trop  mol- 
lement  a  la  foule,  el  mainlenant  il  n'esi  plus 
mailrede  la  situation.  AGesaree  deja,  comme 
le  raconte  Josephe,  Ant.  iv,  3. 1 ,  il  avait  appris 
dans  une  circonslance  analogue  jusqu'ou  pou- 
vait  aller  I'obslination  d'un  attroupement 
Israelite.  11  cede  done  lachement  aux  deux  vo- 
lontes  qui  avaient  ete  exprimees  devant  lui :  il 
met  Barabbas  en  liberte  et  condamne  Jesus 
au  supplice  de  la  croix.  «  Ibis  ad  crucem  », 
telle  elait,  dans  sa  concision  toute  romaine, 
la  sentence  du  juge  en  pared  cas.  —  Les  mots 
volens  popiilo  satisfacere  (sur  la  locution 
grecque  xb  Ixavov  itoi^ffai,  voyez  les  Lexiq.) 
montrent  le  but  que  se  proposait  le  Procu- 
reur  en  decrelant  ce  supplice  pour  Jesus.  II 
voulait  se  debarrasser  d'une  foule  devenue 
menagante,  relever  par  cette  concession  sa 
popularite  dcpuis  longtemps  ebranlee.  II  est 
vrai  qu'il  sacrifiait  pour  cela  un  innocent. 
Mais  un  gouverneur  remain,  et  surtout  un 
Pilate,  n'y  regardait  pas  de  si  pres!  —  Fla- 
gellis ccesum- :  voyez  I'Evangile  selon  S.  Mat- 
thieu,  p.  541.  Nous  avons  dit  (ibid.)  que, 
dans  rintention  de  Pilate,  la  flagellation  de- 
vail  etre  une  sorte  de  compromis  destine  a 
calmer  les  desirs  sauvages  du  peuple  et  a 
epargner  la  vie  de  Jesus.  Mais,  cet  expedient 
ayant  echoue  comme  les  aulres,  ce  ne  fut  en 
realite  qu'une  cruaute  inutile.  II  servit  du 
moins  a  realiser  la  prophetie  de  Jesus,  «  et 
flagellabunl  eum  »,  x,  33,  et  k  nous  meriter 
un  surcroit  de  graces.  —  On  a,  sur  la  flagel- 
lation du  Christ,  de  beaux  tableaux  de  Car- 
rache,  du  Bassan.  de  Palmer  (musee  de  Lyon), 
de  Murillo,  de  Rubens,  etc. 

11.  —  Jesus  outrage  au  pr6toire.  xv,  16-19. 

Parall.  Matth.  xwn,  27-30;  Joan,  xix,  2-3. 

16.  —  Mililes  autem...  Le  contexte  indique 
qu'il  s'agil  des  soldals  remains.  Cfr.  Maltli. 


CHAPITRE    XV 


213 


in  atrium  prsetorii,  et  convocant  to- 
tam  cohortem, 

Matt?i.  27,  27;  Joan.  19,  2. 

17.  Et  induunt  eum  purpura,  et 
imponunt  ei  plectentes  spineam  co- 
ronam. 

18.  Et  coeperunt  salutare  eum  : 
Ave,  Rex  Judseorum. 

19.  Et  perciitiebant  caput  ejus 
aruudine  :  et  conspuebant  eum,  et 
ponentes  genua,  adorabant  eum. 

20.  Et  postquam  illuserunt  ei, 
exuerunt  ilium  purpura,  et  indue- 
runt  eum  vestimentis  suis  :  et  edu- 
cuut  ilium  ut  crucifigerent  eum. 


dans  la  cour  du  pretoire  et  convo- 
querent  toute  la  cohorte. 

17.  lis  le  revetirent  de  pourpre 
et,  tressant  une  couronne  d'epines, 
la  mirent  sur  sa  tete. 

18.  Et  ils  commencerent  a  le  sa- 
luer  :  Salut,  roi  des  Juifs! 

19.  Et  ils  frappaient  sa  tete  avec 
un  roseau,  et  ils  crachaient  sur  lui, 
et,  flechissant  les  genoux,  ils  I'ado- 
raient. 

20.  Et  apres  s'etre  joues  de  lui, 
ils  lui  oterent  la  pourpre  et  le  reve- 
tirent de  ses  vetements  pour  le  cru- 
cifier. 


xxvii,  27,  «  milites  praesidis  ».  Quand  Jesiis 
eut  eie  condamne  a  morl  par  le  Saiihedrin, 
lesvalels  du  grand-pretre  se  mirent  a  I'acca- 
bler  d'ouLrages.  Cfr.  xiv,  63.  La  soldalesque 
imperiale  agil  de  meme  a  son  egard,  quand 
Pilate  eut  raiifie  la  sentence  du  grand  Con- 
seii.  —  In  atrium  prwtorii.  Plus  exacteraent, 
d'apres  le  texle  grec,  «  in  atrium,  quod  est 
prseiorium.  »  La  scene  a  laquelle  nous  venons 
d'assister  s'etait  passee  dans  la  cour  exte- 
rieure  du  palais  qui  servait  de  residence  a 
Pilate,  et  qui  poriait  le  nom  de  pretoire  selon 
la  coutume  romaine;  ceile  du  couronnement 
d'epines  aura  lieu  dans  la  cour  interieure, 
avef--  laijuelle  la  caserne  (caslra  praetoriana) 
^laii  satis  doat"^  en  communication.  —  Con- 
vocant tolam  cohortein.  La  cohorte  forraait  la 
dixieme  partie  de  la  legion,  et  comprenait  de 
cinq  a  six  cents  hommes.  Cfr.  Ant.  Rich, 
Dictionn.  des  anliq.  rom.  et  grecq.  pp.  176 
et  358.  Le  «  Procurator  »  de  Judee  avait  six 
cohortes  a  sa  disposition  :  cmq  d'entre  elles 
dtaient  stationnees  a  Cesaree  de  Palestine ; 
la  sixieme  resiait  a  Jerusalem.  Cfr.  Jahn, 
Archa^.ol.  bibl.  §  240. 

M.  —  Induunt  eum  purpura.  «  Comme  on 
avail  appele  Jtisus  le  roi  des  Juifs,  et  que  le 
crime  que  lui  avaient  reproche  les  Scribes  et 
les  pietres  etait  d'avoir  voulu  usurper  le  pou- 
voir  sur  le  peuple  d'Israel,  les  soldals  en  font 
le  sujet  de  leurs  derisions,  et  c'est  pour  cela 
que,  )e  depouillant  de  ses  habits,  ils  le  reve- 
tent  de  la  pourpre,  distinction  des  anciens 
rois.  »  V.  Be  le.  D'apres  la  relaiion  plus 
exacte  de  S.  Matlhieu,  xxvii,  28  (voyez  le 
commentaire),  c'est  d'une  chlamyde,  d'un  de 
leurs  manteaux  ecarlates,  que  les  soldats 
revetirent  Notre-Seigneur.  Les  anciens  auteurs 
ne  se  piquont  pas  d'une  parfaite  exactitude 
lorsqu'il  s'agit  des  couleurs  :  ils  confondent 


souvent  les  nuances  voisines.  C'est  pour  cela 
que  S.  Marc  el  S.  Jean  appellent  «  purpura, 
vestis  pu.'-purea  ».  ce  que  S.  Malthieu  nomme 
«  coccinea  ».  Cfr.  S.  August.,  De  cons.  Evang. 
1.,  Ill,  c.  IX.  —  Spineam  coronam.  La  derision 
sera  complete  :  au  simulacre  d  un  vetement 
royal,  on  ajoute  celui  du  diademe  royal. 

18.  —  Ave,  Rex  Judceoruni.  De  mSme  la 
Recepta  :  XaTps,  PauiXeO  twv  'louSaiwv.  Mais, 
d'apres  de  nombreux  manuscrils  (A,  C,  E,  F, 
G,  etc.),  la  legon  authentique  parait  avoir 
ete  :  Xatpe,  6  PadtXeu?  tcov  'louoat'jov,  Salut,  toi 
qui  es  le  roi  des  Juifs.  Cette  seconde  locution 
est  plus  energique,  par  consequent  plus  outra- 
geante. 

19.  —  Percutiebant  caput  ejus  arundine. 
Nous  Savons  par  S.  Matthieu,  xxvii,  29,  que 
ce  roseau  avait  d'abord  ete  place  en  guise  de 
sceptre  dans  la  main  droite  du  Sauveur.  — 
Conspuebant...  adorabant.  Remarquez  ces  im- 
pariails  qui  indiquent  la  repetition,  la  multi- 
plication des  insultes,  chacun  des  soldats  de 
la  cohorte  voulanl  jouer  son  role  dans  cette 
scene  affreuse.  Ainsi  se  realisait  une  autre 
partie  de  la  prophetie  de  Jesus  :  «  Illudent  ei, 
et  conspuent  eum  (gentes),  »  x,  34.  —  La 
derision  du  Christ  et  le  couronnement  d'e- 
pines ont  inspire  des  oeuvres  magistrales  a 
Schidone,  au  Guide,  a  Valentin,  a  Luini,  a 
Titien,  a  Rubens.  L'attitude  vraiment  royale 
de  Jesus  y  a  ete  en  general  bien  reproduite» 

12.  —  Le  chemin  de  croix.  xv,  20-22.  —  Parall. 
Matth.  XXVII,  31-:J3;  Luc.  xxiii,  26-32;  Joan,  xix,  16-17. 

20.  —  Quoique  deja  rassasie  d'opprobres, 
comme  I'avait  predit  Isai'e,  Jesus  n'a  pas- 
encore  vide  la  coupe  jusqu'a  la  lie.  II  lui  faut 
encore  gravir  peniblement  le  Calvaire  et  y 
subir  par  amour  pour  nous  une  mort  cruelie. 
C'est  pourquoi  educunt  ilium  (milites)  ut  crw 


314 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


21 .  Et  ils  contraignirentun  homme 
nomme  Simon  de  Gyrene,  pere  d'A- 
lexandre  et  de  Rufus,>qui  passait 
par  la  en  revenant  des  ..champs,  de 
porter  sa  croix.  ^ 

22.  Et  ils  le  conduisirent  au  lieu 


21.  Et  angariaverunt  prastereun- 
tem  quempiam,  Simonem  Gyre- 
nseum,  venientem  de  villa,  patrem 
Alexandri,  et  Rufi,  ut  tolleret  cru- 
cem  ejus. 

3/a«A.  27.  32  ;Z:mc.  23,  27. 

22.  Et  perducunt  ilium  in  Golgo- 


cifigerent,  afin  que  s'accomplit  encore  la  pre- 
diction du  Sauveur  :  «  El  interficienl  eum,  » 
X,  34.  «  Educiint  »,  ils  le  font  sortir  d'aborrt 
du  pretoire,  puis  de  la  ville ;  car,  chez  les 
anciens,  les  executions  avaienl  lieu  en  dehors 
•de  I'enceinle  des  cites.  Cfr.  Matlh.  xxvii,  32 
el  I'explicalion.  C'esl  aussi  eu  vertu  d'une 
coutume  soil  romaine,  soil  orienlale,  que 
nous  voyons  le  supplice  suivre  d'aussi  pres  la 
Bentence. 

21 .  —  Et  angariaverunt...  \o\r,  sur  ce  mot, 
I'Evangile  selon  S.  Matlhieu,  p.  122,  el  Bee- 
len.  Gramm.  graecitatis  N.  T.  p.  20.  II  a  ici  la 
signification  generale  de  requisilionner.  — 
Simonem  Cyrenceum.  Ce  surnom  de  Gyreneen 
indique-l-il  que  Simon  habiUiil  la  Cyrenaique, 
et  qu'il  ne  se  trouvail  en  ce  moment  a  Jeru- 
salem qu'a  I'occasion  de  la  Paque?  ou  bien 
signifie-t-il  que  le  porte-croix  de  Jesus  elait 
simplemenl  originaire  de  celte  province,  et 
que  son  domicile  actuel  eiait  depuis  un  cer- 
tain temps  fixe  dans  la  capilale  juive?Le  de- 
tail qui  suit,  venientem  de  villa  (arc'  dypoO), 
commun  a  S.  Marc  et  a  S.  Luc,  rend  la  se- 
conde  opinion  tres  vraisemblable.  En  effet.  il 
parail  supposer  ou  que  Simon  possedail  aux  en- 
virons de  Jerusalem  une  propriele  delaquelle 
il  revenail  en  ce  moment,  ou,  d'apres  le  sens 
plus  ordinaire  du  mot  aypo;,  qu'il  avail  sa  re- 
sidence accoulumee  a  la  cainpagne,  a  quelque 
distance  de  la  ville.  Le  vague  prwtereuntem 
quempiam  montre  qu'il  n'elail  pas  connu  des 
lecleurs  de  S.  Marc;  mais,  d'un  autre  cote, 
les  mots  patrem  Alexandri  et  Rufi,  propres  a 
notre  Evangeliste,  annoncent  que  les  deux 
fils  du  Gyreneen  etaienl  non  seulemenl  des 
Chretiens'  mais  des  Chretiens  celebres  dans 
I'Eglise  de  Rome,  pour  laquelle  etait  specia- 
lemenl  compose  le  second  'Evangile.  II  est 
meme  probable  qu' Alexandre  et  Rufus  etaient 
eux-memes  alors,  ou  du  -mbins  avaienl  ete 
autrefois  domicilies  a  Rome;  car,  parmi  les 
salutations personnelles  qui  terminent  I'Epitre 
de  S.  Paul  aux  Romains,  nous  trouvons  la 
suivanle,  xvi,  13  : «  SHlutaleRiifum,  electum 
in  Domino,  et  matrem  (>jus,  et  meam  ».  Or, 
on  admet  communemenl  que  !■  Rufus  de 
S.  Paul  el  celui  de  S.  Marc  sont  idenliques. 
CeUe  opinion  se  rencontre  deja  dan-;  I'ecrit 
apocryphe  intitule  «  Aria  Andreae  et  P.Hri  ». 
Ptien  ne  prouve  au  contraire  qu'il  faille  confon- 


dre  I'autre  fils  de  Simon  avec  le  personnage 
du  meme  nom  mentionne  d'une  maniere  peu 
honorable  en  divers  endroits  du  Nouveau  "Tes- 
tament. Glr.  Act.  XIX,  33  ;  I  Tim.  i,  20  ;  11  Tim. 
IV,  14.  Detail  curieux  :  do  ces  trois  noms  que 
nous  trouvons  dans  une  famille  juive  contem- 
poraine  de  Nolre-Seigneur,  le  premier  seul 
(Simon)  etait  juif.  Le  second  (Alexandre)  elait 
grec,  le  troisieme  (Rufus)  etait  lalin.  Ge  simple 
fait  suffit  pour  montrer  jusqu'a  quel  point  le 
Judaisme  tendait  a  se  de>agreger,  pour  deve' 
nir  cosmopolite.  —  Ut  tolleret  crucem  ejus. 
«  Tout  vice,  ecrit  Plutarque,  porte  son  propre 
tourmenl,  de  meme  que  tout  criminel  porte 
sa  propre  croix.  »  De  sera  numinis  vindicta, 
IX.  Gfr.  Artemid.  Oneirocrit.  ii,  61.  Aussi 
Notre-S;Mgneur  porta-t-il  lui-meme  pendant 
un  certain  temps  sa  croix  sur  ses  epaules.  Si 
les  soldats  I'en  dechargerent  avant  la  fin  du 
penible  trajel,  ce  fut  assuremenl  parce  que, 
epuise  de  fatigue  et  de  douleur,  il  n'avail  plus 
la  force  de  trainer  son  pesanl  fardeau.  Cast 
pour  cela  qu'au  moment  ou  le  convoi  sortait 
de  la  villo  [a  exeunt'  s  »,  Matth.  xxvii,  32) 
par  la  «  Porta  judiciaria  »  de  la  tradition,  les 
bourreaux,  rencontranl  Simon  le  Gyreneen, 
I'obligerenl  de  porter  la  croix  a  la  place  de 
Jesus.  Du  resle,  le  but  principal  etait  alleint, 
puisque  le  divin  «  Gruciarius  »  avail  eu  I'hu- 
miliation  de  traverser,  avec  I'instrumenL  de 
son  supplice  sur  le  dos,  les  rues  alors  si  po- 
pnl  MHOS  de  Jerusalem,  et  de  recevoir  miUe 
outrages. 

22.  —  Perducunt  ilium.  Dans  le  grec, 
9Epouciv  auTov.  Quoique  la  signification  habi- 
luelle  de  (fipta  Soil  ^<  porter  »,  ce  verbe  s'em- 
ploie  souvent  aussi  dans  ie  sensdew  adduco  ». 
Peut-etre  indiquerail-il  ici,  comme  font 
pense  divers  auleurs,  le  grand  etal  de  fai- 
blesse  de  Jesus,  de  sorle  que  les  soldats  furent 
forces  de  le  soutenir  landis  qu'il  gravissait  le 
Calvaire.  Comp;irpz  le  t.  20,  ou  I'Evangeliste 
s'etait  servi  de  iliyu>.  —  In  Golgotha  locum. 
Sur  le  nom  el  Templacemenl  du  Golgotha, 
voyez  I'Evangile  selon  S.  Matthieu,  p.  545.  — 
«  Ge  serail  un  beau  probleme  resolu,  de  re- 
trouver  a  Jerusah-m  le  chemin  que  Jesus  a 
parcouru.  arrosedeson  sang  pendant  sa  Pas- 
sion. Malheureusemenl  les  traditions  relatives 
a  la  Voie  douloureuse  sont  presque  modernes; 
c'est-a-direque  les  stations  designees  aujour- 


CHAPITRE  XV 


2tS 


tha  locum,  quod  est  interpretatum 
Galvariae  locus. 

23.  Et  dabant  ei  bibere  myrrha- 
tum  yinum :  et  non  accepit. 

24.  Et  crucifigentes  eum,  divise- 


appele  Golgotha,  ce  qui  est  inter- 
prete  :  Lieu  du  calvaire. 

23.  Et  ils  lui  donnerent  a  boire 
du  Yin  mele  de  myrrhe,  et  il  ne  le 
prit  pas. 

24.  Et,  Tayant  crucifie,  ils  se  par- 


d'hui  n'ont  ete  definitivement  arrStees  qu'au 
moyen  age.  Les  seuls  points  fixes  sont  le 
preloire,  qui  certainement  etait  silue  dans  la 
tour  Antonia,  le  Calvaire  et  le  tombeau  :  tout 
le  resle  est  conjectural.  Les  transformations 
profondes  et  successives  qu'a  subies  la  Ville 
sainte  rendent  presque  impossible  de  recon- 
naitre  exactement  la  ligne  parcourue ;  on  se 
perd  dans  un  dedale  de  constructions  mo- 
dernes  qui  empechent  de  Taborder.  Au  point 
de  vue  de  la  loi  une  approximation  est  lout 
a  fait  sufBsante.  »  Rohault  de  Fleury,  Me- 
moire  sur  les  Instiuments  de  la  Passion, 
p.  280  et  s.  La  «  Via  crucis  »,  telle  que  les  pe- 
lerins  la  suivent  a  Jerusalem  depuis  plusieurs 
siecles,  a  une  longueur  d'environ  4  200  pas. 
Sa  direction  generale  est  de  I'Est  a  I'Ouest, 
entre  la  porte  S.  Etienne  et  le  convent  latin. 
{Voir  R.  Riess,  Bibel-Atlas,  pi.  vi ;  V.  Ancessi, 
Atlas  geograph.  pi.  xvii)  De  ces  quatorze 
stations,  lis  neuf  premieres  sont  dans  la  rue, 
les  cinq  autres  dans  I'Eglise  du  Saint-Se- 
puicre.  «  11  y  a,  dit  un  iuiteur  protestant, 
quelque  chose  qui  impres-iotiue  vivementdans 
cette  rue  sombre,  avec  scs  passerelles  voii- 
teos,  ses  laches  d'ombre  et  de  lumiere,  et  ses 
pierres  venerees  aulour  desquelles  on  aper- 
^oit  loujours  quelques  pelits  groupes  de  pe- 
lerins.  »  J.  Porter,  Handbook  for  Travellers 
in  Syria  and  Palestine,  t^  edit.,  p.  208.  La 
partie  de  la  Voie  douloureuse  qui  monte  au 
Saint-Sepulcre  d'une  maniere  assez  abrupte 
a  un  cachet  tout  a  fait  pittoresque.  Voyez 
Rohault  de  Fleury,  1.  c,.  p.  280-286  ;  de  Vogue, 
Le  temple  de  Jerusalem,  p.  125  et  ss.;  Sepp, 
Jerusalem  u.  das  h.  Land,  t.  I,  p.  ■161  et  ss. ; 
Schegg,  Pilgerbuch,  t.  L  p.  306  et  ss. ;  Gratz, 
Theatre  des  Eveneraents  racontes  dans  les 
Saintes  Ecritures,  t.  L  pp-  375  et  ss. ;  Mgr  Mis- 
lin,  les  Saints  Lieux,  2e  edit.  t.  II,  p.  206  et 
ss.  —  Parmi  les  chefs-d'oeuvre  presque 
innombrables  qu'a  produits  la  representation 
integrale  ou  parlieile  du  Chemin  de  la  Croix, 
bornons-nous  a  signaler  un  tableau  de  Titien, 
«  image  saisissante  du  Christ  portant  sa  croix 
et  ayanl  autour  du  cou  une  corde  tiree  par  un 
Juif  ignoble  »  (Rio)  el  le  «  Spasimo  »  de  Ra- 
phael. «  Le  melange  de  soullrance  et  de  pitie 
dans  le  regard  du  Christ,  quand  il  s'affaisse 
sous  sa  croix,  et  qu'il  dit  aux  filles  de  Jerusa- 
lem de  ne  pas  pleurer  sur  lui,  donne  a  cette 
partie  du  tableau  une  force  d'altraction  qui 


semble  avoir  die  calculee  pour  provoquer  un 
elan  d'amour  ou  de  contrition  »  (Rio). 

13.  —  Crucifiement,  agonie  et  mort  de 
Jesus.  XV,  23-37.  —  PaiaU  Matlh.  xwii,  34-50; 
Luc.  XXIII,  33-46;  Joan,   xxiii,  18-30. 

23.  —  Ce  verset  raconte  I'un  des  prelimi- 
naires  du  supplice  de  Jesus.  Quand  Tauguste 
victime  fut  arrivee  chancelante  sur  le  Gol- 
gotha, en  vertu  d'un  ancien  usage  juif  on  lui 
offrit,  tout  a  la  fois  pour  la  fortifier  et  pour 
la  rendre  moins  sensible  aux  horribles  souf- 
frances  du  crucifiement,  un  breuvage  que 
S.  Matlhieu  (xxvii,  34,  voyez  le  commen- 
laire)  appelle  «  vinum  (o^ov)  felle  mislum  », 
mais  quo  S.  Marc  designe  plus  exactement 
par  les  mots  myrrhatum  vinum,  c'est-a-dire 
un  melange  de  vin  et  de  myrrhe.  On  sail  que 
les  anciens  recherchaienl  ce  melange  a  cause 
de  son  gout  aromatique  Ires  prononce,  Cfr. 
Pline,  Hist.  nat.  xiv,  15;  mais,  de  plus,  ils 
le  regardaient  comme  un  puissant  narcoti- 
que  [Cfr.  Dioscorid.  i,  77),  et  c'esl  pour  ce 
motif  que,  d'apres  I'opinion  generalement 
suivie,  des  personnes  devouees  I'offrirent  a 
Jesus.  —  Non  accepit.  Le  Christ,  en  effel, 
devail  mourir  vivant,  et  non  pas  endormi! 
Neanmoins,  comme  le  dit  S.  Matthieu,  Jesus 
consentil  a  prendre  quelques  goultes  du  vin 
myrrhe. 

24.  —  Crucifigentes  eum.  Quelles  souffrances 
dans  ce  seul  mot!  «  Mes  Freres,  je  vous  en 
conjure,  soulagez  ici  mon  esprit;  meditez 
vous-memes  Jesus  crucifie,  et  epargnez-moi 
la  peine  de  vous  decrire  ce  qu'aussi  bien  les 
paroles  ne  sont  pas  capables  de  vous  faire 
entendre  :contemplez  cequesouffreunhomme 
qui  a  tons  les  membres  brises  et  rompus  par 
une  suspension  violente  ;  qui,  ayant  les  mains 
et  les  pieds  perces,  ne  se  soutienl  plus  que 
sur  ses  blessures,  el  lire  ses  mains  dechirees 
de  lout  le  poids  de  son  corps  entierement 
abattu  par  la  perte  du  sang;  qui,  parml  ses 
exces  de  peine,  ne  semble  eleve  si  haul,  que 
pour  decouvrir  de  loin  un  peuple  infini,  qui 
se  moque,  qui  remne  la  tele,  qui  fail  un 
sujet  de  risee  d'une  extremile  si  deplorable  ». 
Bossuet,  4e  sermon  pour  le  Vendredi  saint. 
Edit,  de  Versailles,  t.  Ill,  p.  488.  Cfr.  I'inte- 
ressanl  ouvrage  de  Chr.  G.  Richter,  Disserla- 
tiones  quatuormedicse,  Goatling.  1775. — Pour 
loutes  les  questions  relatives  k  la  croix  et  att 


216 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


tagerent  ses  vetements,  tirant  au 
sort  ce  que  chacun  en  emporterait. 

25.  Or,  c'etait  la  troisieme  heure 
lorsqu'ils  le  crucifierent. 

26.  Et  le  litre  de  sa  condamnation 
6tait  ainsi  ecrit :  Rui  des  Juifs. 

27.  Et  ils  crucifierent  avec  lui 
deux  voleurs ,  Tun  a  sa  droite , 
Tautre  a  sa  gauche. 

28.  Ainsi  fut  accomplie  I'Ecri- 
ture  qui  dit :  II  a  ete  range  parmi 
les  criminels. 


runt  vestimenta  ejus,  mittentes  sor- 
tem  super  eis,  quis  quid  tolleret. 


Matth.  27,  35;  Zmc.  23,  34;  Joan.  19,  23. 


et 


25.  Erat  autem  hora  tertia 
crucifixerunt  eum. 

26.  Et  erat  titulus  causae  ejus  ins- 
criptus  :  Rex  Jud.*:orum. 

27.  Et  cum  eo  crucifigunt  duos  la- 
trones ;  unum  a  dextris,  et  alium  a 
sinistris  ejus. 

28.  Et  impleta  est  scriptura,  quae 
dicit :  Et  cum  iniquis  reputatus  est. 

Isai,  53,  12. 


crucifiement,  nous  renvoyons le  lecleur a  noire 
comraenlaire  sur  S.  Mailhieu,  pp.  546-548. 
Au  point  de  vue  artislique,  on  pourrait  rem- 
plir  un  volume  si  Ton  voulail  decrire  tout  ce 
que  le  crucifiement  de  Je-us  a  produit  de  re- 
marquable  en  fait  de  tableaux,  de  gravures 
et  de  sculptures.  Avec  la  creche,  c'est  la 
croix  qui  a  le  plus  inspire  les  grands  maitres 
ie  tous  les  temps.  Les  oeuvres  de  Duccio,  de 
Bernardino  Luini,  de  Cavallini,de  Lorenzetli, 
d'Avanzi,  de  Ferrari,  de  Veronese,  du  Peru- 
gin,  de  Rubens,  de  fra  Angelico,  nous  plai- 
sent  entre  toutes.  —  Diviserunt  (scil.  milites) 
vestimenta  ejus...  Valenim  et  Lebrun  ontbien 
•reproduit  cette  scene.  L^s  licteurs  ou  soldats 
qui  remplissaienl  I'office  de  Dourreauxavaient 
droit  aux  vetements  dcs  suppiicies.  Les  des  a 
jouer,  que  tout  guerrier  remain  portait  habi- 
tueliement  sur  lui,  servirenl  a  determiner  le 
lot  de  chacun  des  qualre  executeurs.  —  Sur 
la  locution  quis  quid  tolleret,  voyez  Beelen, 
Gramm.  p.  539. 

25.  —  Erat  autem  hora  tertia.  Trait  propre 
a  S.  Marc.  La  troisieme  heure  des  anciens 
equivaut  environ  a  9  h.  du  matin.  Comme 
d'apres  S.  Jean,  xix,  14.  Jesus  se  Irouvait 
encore  au  pretoire  vers  la  sixieme  heure,  on 
a  souvent  pense,  a  la  suite  de  S.  Jerome,  que 
I'adjeclif  «  tenia  »  de  notre  texte  devait  etre 
une  erreur  de  copisle  pour  «  sexla  »;  mais 
nous  verrons  plus  tard  que  S.  Jean  avait 
adopte  une  numeration  >peciale.  II  n'y  a  done 
rien  a  changer.  —  Et  crucifixerunt  est  pour 
«  quum  crucifixerunt.  » 

26.  —  Titulus  causce  ejus...  «  Titulus  », 
ii  £iitYpa9rl,  tels  elaient  bien  les  mots  techni- 
ques de  la  Grece  et  de  Rome  pour  designer  la 
planchelte  sur  laquelle  on  ecrivait  le  motif 
<le  la  condamnation  des  crucifies,  et  qu'on 
attachaiiau  sommetde  la  croix.  Voyez  Matth. 
XXVII,  37  et  le  commeniaire.  —  Rex  Judceo- 
rum.  Des  quatre  inscriptions  qui  nous  ont  ete 
conservees  dans  les  SS.  Evangiles,  celle  de 
S.  Marc  est  notablement  la  plus  courte.  Elle 


indique  seulement  la  nature  du  crime  im- 
pute a  Jesus.  Peut-etre  etait-ce  I'inscription 
latine. 

27  et  28.  —  Cum  eo  crucifigunt...  C'etait, 
on  le  devine  aisement,  pour  humilier  davan- 
tage  Nolre-Seii^neur  Jesus-Christ  qu'on  avait 
crucifie  aupres  de  lui  deux  scelerals  de  la 
pire  espece.  En  les  plagant  I'un  a  sa  droite, 
i'autre  a  sa  gauche,  comme  des  assesseurs,  on 
jouait  encore  sur  son  tilre  de  roi ;  car,  dans 
cette  situation,  ils  semblaient  se  tenir  a  cote 
de  son  trone  a  la  fagon  de  deux  premiers  mi- 
nistres.  «Ces  deux  larrons,  dit  Theophylacte, 
etaient  la  figure  des  deux  peuples,  le  peuple 
juif  et  le  pt^uple  paien,  tous  les  deux  cou- 
pables,  mais  celui-ci  penitent,  celui-la  blas- 
phemateur  jusqu'a  la  fin.  »  —  Et  impleta  est 
Scriptura...  On  a  doute  parfois  de  I'authenti- 
cite  de  ce  f.  28,  soit  parc«  qu'il  est  omis  par 
d'importants  manuscrits  (A,  B,  G,  D,  X, 
Sinait.  etc.),  soit  parce  qu'il  n'est  guere  dans 
le  genre  de  S.  Marc  de  mentionner  I'accom- 
plissement  des  anciens  oracles.  Mais,  a  ces 
allegations,  nous  repondrons,  d'une  part  que 
la  grande  majorite  des  manuscrits,  des  ver- 
sions et  des  Peres  citent  le  passage  incri- 
mine,  d'autre  part  que  notre  Evangeliste, 
tout  a  fait  au  debut  de  son  recit,  i,  2  et  ss., 
a  deja  signale  a  propos  du  Precurseur  la  rea- 
lisation des  propheties  de  I'Ancien  Testament. 
Nous  avons  done  des  preuves  largement  suf- 
fisantes  pour  maintenir  que  le  t.  28  est  au- 
thentique.  U  forme  une  des  particularites  de 
S.  Marc,  et  nous  tenons  a  la  lui  conserver. 
—  Et  cum  iniquis...  Cette  prophetie  est 
extraite  d'lsaie,  lik,  12.  «  Les  anciens  Juifs 
et  le  paraphiaste  chaldeen  I'entendent  du 
Messie.  S.  Philippe,  dans  les  Actes.  viii,  32,  33, 
lui  en  fail  aussi  I'applicalion.  Et  Jesus-Christ 
lui-meme  dansS.  Luc,  xxii,  37,  avait  averti 
qu'il  fallait  qu'on  en  vit  I'application  dans  sa 
personne.  »  D.  Calmet,  h.  I. 

29-32.  —  S.  Marc  passe  au  recit  navrant 
des  outrages dont  les  Juifs  n'eurenl  pasbont© 


CHAPITRE    XV 


t17 


29.  Et  praetereuntes  blasphema- 
bant  eum,  moventes  capita  sua,  et 
dicentes  :  Vah,  qui  destruis  tem- 
plum  Dei,  et  in  tribus  diebus  resedi- 
ncas  : 

Joan.  2,  19. 

30.  Salvum  fac  temetipsum,  des- 
cendens  de  cruce. 

31.  Similiter  et  summi  sacerdotes 
illudentes,  ad  alterutrum  cum  Scri- 
bis  dicebant  :  Alios  salvos  fecit, 
seipsum  non  potest  salvum  facere. 

32.  Ghristus  Rex  Israel  descendat 
nunc  de  cruce,  ut  videamus,  et  cre- 
damus.  Et  qui  cum  eo  crucifix! 
erant,  convitiabantur  eis. 

33.  Et  facta  bora  sexta,  tenebrae 
factse  sunt  per  totam  terram  usque 
in  horam  nonam. 

34.  Et  hora  nona  exclamavit  Je- 
sus voce  magna,  dicens  :  Eloi,  Eloi, 
lamma  sabacthani !  quod  est  inter- 
pretatum  :  Deus  mens,  Deus  meus, 
ut  quid  dereliquisti  me  ? 

Psal.  21,  2;  A/a«/j.  27,  46. 


29.  Et  les  passants  le  blasphe- 
maient,  branlant  la  tete  et  disant : 
Vah !  toi  qui  detruis  le  temple  de 
Dieu  et  le  rebatis  en  trois  jours, 


30.  Sauve-toi  toi-meme  en  des- 
cendant de  la  croix ! 

31.  Et  pareillement  les  princes 
des  pretres,  se  moquant,  avec  les 
Scribes,  se  disaient  I'un  a  I'autre : 
II  a  sauve  les  autres  et  11  ne  pent  se 
sauver  lui-meme; 

32.  Que  le  Christ,  roi  dlsrael, 
descende  maintenant  de  la  croix, 
pour  que  nous  voyions  et  croyions. 
Geux  qui  avaient'ete  crucifies  avec 
lui  I'outrageaient  aussi. 

33.  Et,  la  sixieme  heure  venue, 
les  tenebres  s'etendirent  sur  toute 
la  terre  jusqu'a  la  neuvieme  heure. 

34.  Et,  a  la  neuvieme  heure,  Je- 
sus cria  d'une  voix  forte,  disant : 
Eloi,  Eloi,  lamma  sabacthani?  Ge 
qui  est  interprete  :  Mon  Dieu,  mon 
Dieu,  pourquoi  m'avez-vous  de- 
laisse? 


d'abreuver  le  divin  Crucifie.  Les  details  qu'il 
doane  a  ce  sujet  different  a  peine  de  ceux  que 
nous  avons  lus  dans  S.  Matthieu.  II  distingue, 
lui  aussi,  trois  classes  d'insulteurs  :  les  pas- 
sants, Ut.  29  et  30,  les  Saniiedrisles,  tt.  31 
et  32a,  et  les  voleurs  32b.  \\  abrege  un  peu, 
selon  sa  coutume  :  mais  il  a  aussi  plusieurs 
petits  trails  originaux,  par  exeniple,  le  pilto- 
resque  ad  alterutrum  du  t.  31 ,  et  les  mots 
ut  videamus  du  t.  32.  —  Cette  affreuse  scene 
monlre  jusqu'a  quel  point  allait  la  haine  des 
ennemis  de  Jesus  :  elle  est  du  reste  tres  con- 
forme  aux  moE-urs  de  I'Orient,  ou  Ton  ne 
craint  pas  d'insulter  les  condamnes  a  mort 
jusque  sur  le  gibet  oil  ils  agonisent. 

33.  —  Tenebrw  facta;  sunt.  Trois  heures 
deja  s'eiaienl  ecoulees  depuis  que  Jesus  avait 
ete  attache  a  la  croix.  Cfr.  f.  25.  Vers  midi 
{hora  sexta),  le  ciel  se  voila  tout  a  coup  d'une 
maniere  mysterieuse  et  surnaturelle  (voyez 
I'Evangile  selon  S.  Matthieu,  p.  552),  comme 

f)0ur  n'etre  pas  lemoin  des  souffrances  et  de 
a  mort  du  Christ.  Ces  tenebres,  qui  envelop- 
gerent  non  seulement  la  ville  deicide,  mais  la 
alestine  entiere  et  probablement  une  partie 
considerable  du  vieux  monde,  totam  terram, 


persevererent  jusqu'au    dernier  soupir    de 
Jesus. 

34.  —  Hora  nona.  A  trois  heures  de 
Tapres-midi.  C'est  alors  qu'on  offrait  dans  le 
temple  le  sacrifice  du  soir.  A  ce  moment  su- 
preme, I'agonie  de  Jesus  expirant  atteignit 
son  plus  haut  degre.  Delaisse  de  son  Pere 
celeste,  de  meme  qu  il  etait  delaisse  des 
hommes,  Notre-Seigneur  prononga  d'une  voix 
forte  ce  texle  des  Psaumes  :  Eloi,  Eloijamma 
sabacthani! Ck.  Matlh.  xxvii,  46  et  I'expli- 
cation.  Dans  le  premier  Evangile,  nous  li- 
sions  «  Eli  »  (iSn)  au  lieu  de  «  Eloi  »  (inSx). 
S.  Marc  a  conserve  la  forme  arameenne,  qui  fut 
vraisernblablement  celle  dont  le  divin  Maitre 
se  servit.  Quelles  angoisses  dans  cette  excla- 
mation dechirante!  «  C'est  un  prodige  inoui 
qu'un  Dieu  persecute  un  Dieu,  qu'un  Dieu 
abandonne  un  Dieu,  qu'un  Dieu  delaisse  se 
plaigne,  et  qu'un  Dieu  delaissant  soit  inexo- 
rable :  c'est  ce  qui  se  voiL  sur  la  croix.  La 
sainle  ame  de  mon  Sauveur  est  remplie  de  la 
sainte  horreur  d'un  Dieu  tonnanc ;  et  comme 
elle  se  veut  rejeter  entre  les  bras  de  ce  Dieu 
pour  y  chercher  son  soutien,  elle  voit  qu'il 
tourne  la  face,...  qu'il  la  livre  lout  entiere  eo 


248 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


35.  Et  quelques-uns  de  ceux  qui 
rentoiiraient,  en  Tentendant,  dirent : 
Voila  qu'il  appelle  Elie. 

36.  Et  Tun  d'eux  coiirut,  remplit 
de  vinaigre  une  eponge,  la  mil  au 
bout  d'un  roseau  et  lui  donna  a 
boire,  disant  :  Laissez,  voyons  si 
Elie  viendra  le  delivrer. 

37.  Mais  Jesus  ayant  jete  un 
grand  cri  expira. 

38.  Et  le  voile  du  temple  se  de- 
cliira  en  deux,  depuis  le  haut  jus- 
qu'en  bas. 

39.  Le  centurion  qui  etait  debout 


35.  Et  quidam  de  circumstantibus 
audientes  dicebant  :  Ecce  Eliam 
vocat. 

36.  Gurrens  autem  unus,  et  im- 
plens  spongiam  aceto  ,  circumpo- 
nensque  calamo,  potum  dabat  ei, 
dicens  :  Sinite,  videamus  si  veniat 
Elias  ad  deponendum  eum. 

37.  Jesus  autem  emissa  voce  ma- 
gna expiravit. 

38.  Et  velum  templi  scissum  est 
in  duo,  a  summo  usque  deorsum. 

39.  Videns  autem  centurio,  qui 


proie  aiix  fureurs  de  sa  justice  irritee.  Ou 
sera  voire  recoiirs,  6  Jesus?  Pousse  a  bout 
par  les  hommes  avcc  la  derniere  violence, 
vous  vous  jetez  enlre  les  bras  de  voire  Pere; 
et  vous  vous  sentez  repousse,  et  vous  voyez 
que  c'esl  lui-nieme  qui  vous  persecute...,  lui- 
meme  qui  vous  accable  par  ie  poids  inlole- 
rable  deses  vengeances  ».  Bossuot,  Troisieme 
sermon  pour  le  Vendredi  sainl,  'i.'^  point. 

33  el  36.  —  Ecce  Eliam  vocat.  Notre  Evan- 
geliste  raconte  presque  dans  les  memes  termes 
que  S.  iMalthieu  I'incident  auquel  donna  lieu 
le  cri  de  detresse  pousse  par  Jesus.  Le  der- 
nier trait,  sinite, videamus,  a  neanmoins  regu 
dans  sa  narration  une  forme  speciale.  En 
effet,  tandis  que  c'est  a  une  personne  animee 
d'un  certain  sentiment  de  compassion  a  i'e- 
gard  de  Jesus  qu'il  fait  dire  :  Laissez  !  voyons 
si  Elie  viendra  I'aider  a  descendre,  S.  Mat- 
ihieu  prelecette  reflexion  a  loule  I'assislance: 
«  Caeleri  vero  dicebant  :  Sine,  videam.us...  » 
Mais  qui  done  prononQa  en  realite  cetle  pa- 
sole?  «  Jntelligimus  et  ilium  el  caeleros  hoc 
dixisse  »,  repoud  fort  bien  S.  Augustin,  De 
cons.  Evang.  1.  ii,  c.  17.  En  combinanl  les 
deux  recits,  on  oblient  un  tableau  vivant  de 
la  surexcilalion  creee  au  pied  de  la  croix  par 
le  cri  du  Sauveur.  —  Nolons  encore,  d'un 
cote  I'expression  ad  deponendum  eum  [v.a.W.iiM 
auTov),  plus  pittoresque  que  le  «  liberans 
eum  »  du  premier  Evangile;  d'un  autre  cole, 
les  quatre  parlicipes  Spa^i-wv,  YE[j.i(ja;,  TiEpiOei;, 
).eYwv,  qui,  dans  les  meilleures  editions  du 
texle  grec,  se  suivenl  sans  liaison  d'aucun 
genre,  ce  qui  rend  la  description  aussi  rapide 
que  dut  I'etre  le  fait  lui-meme.  C'est  bien  la 
le  style  de  S.  Marc. 

37.  —  Emissa  voce  magna,  expiravit.  Ce  cri 
pousse  dune  voix  forte  elait  le  cri  dun  vain- 
queur  plutol  que  celui  d'un  agonisanl.  Jesus 
expira  done  dans  la  plenitude  de  sa  liberie, 
el  non  corame  une  victime  de  la  sentence 
terrible  qui  a  condamne  tous  les  hommes  a 


la  mort.  —  «  Avant  de  mourir,  Prudhon  pei- 
gnit  le  Christ  mourant  (galeries  du  Louvre), 
ce  beau  Christ  qui  ne  ressemble  a  aucun 
autre,  qui  est  eclaire  d'une  lumiere  fantas- 
lique,  el  dont  la  sublime  figure  se  pord  dans 
les  ombres  d'une  tristesse  intinie  ».  Ch.  Blanc. 
Autre  beau  tableau  de  Lebrun.  Fresque  de 
Flandrin  a  Saint-Germain-des-Pres  :  les  yeux 
de  Jesus  ne  sont  pas  encore  fermes,  mais 
deja  la  mort  les  envahit;  agonie  tres-emou- 
vante. 

14.  —  Ce  qui  suivit  immediatement  la 
mort  du  Christ,  xv,  38-41.  —  Parall.  Matth. 
xxvir,  51-56;  Luc.   sxui,  47-49. 

38.  —  «  Poslquam  narravit  Evangelista 
passionem  el  mortem  Christi,  nunc  prosequi- 
tur de  his  quae  post  moiteui  Domini  conli- 
gerunl  »,  Gloss,  ord.  S.  Maic,  commeS.  Mat- 
ihieu,  mentionne  irois  series  d'incidenls; 
mais  il  abrege  considerablem  nt  le  premier 
car,  se  contentant  de  parler  du  voile  du 
temple,  il  ne  dit  rien  du  tremblement  de 
terre,  des  rochers  fendus,  des  morts  ressus- 
cites.  —  Premier  fait  .Velum  templi  scissum 
est.  Ce  fut  la  cerlainemenl  un  eclatanl  pro- 
dige  et  un  profond  symbole.  Voyez  I'Evang. 
selon  S.  Matlh.  p.  554.  Grcice  a  la  mort  de 
Jesus,  il  n'y  a  desormais  plus  de  barriere 
enlre  Dieu  el  les  hommes.  La  porte  du 
royaume  des  cieux  est  largement  ouverle. 
Le  -/aTaTiETaCTfAa  qui  separail  les  deux  parlies 
du  temple  nommees  Sainl  et  Sainl  des  Saints 
etait  un  voile  magnifique  :  il  elait  compose 
en  grande  partie  de  pourpre  el  d'or ;  des  Che- 
rubms  brodes  le  recouvraienl  presque  en  en- 
tier. 

39.  —  Videns  autem  centurio.  C'est  le  se- 
cond fait.  S.  Marc,  dans  la  relation  qu'il  en 
donne,  a  plusieurs  particularites  interes- 
santes.  D'abord,  il  emploie  pour  designer  le 
centurion  un  mot  latin  grecise,  xevTupt'wv, 
tandis  que  les  deux  autres  synoptiques  sa 


CHAPITRE    XV 


219 


ex  adverse  stabat,  quia  sic  damans 
expirasset,  ait  :  Vere  hie  homo  Fi- 
lius  Dei  erat. 

40.  Erant  autem  et  mulieres  de 
longe  aspicientes;  inter  quas  erat 
Maria  Magdalene,  et  Maria  Jacobi 
minoris  et  Joseph  mater,  et  Salome : 

Matth.  'J7,  55. 

41.  Et  cum  esset  in  Galilsea,  se- 
quebantur  eum,  et  ministrabant  ei, 
et  alise  multse  quae  simul  cum  eo 
ascenderant  Jerosolymam. 

Luc.%.%. 

42.  Et  cum  jam  sero  esset  factum, 
(quia  erat  parasceve,  quod  est  ante 
sabbatum), 

Matth.  27,  57;  Luc.  23,  50;  Joaii.  19,  38. 


en  face,  voyant  qu'il  avait  expire  en 
jetant  un  tel  cri,  dit:  Vraiment  cet 
homme  etait  le  Fils  de  Dieu. 

40.  Oril  y  avait  aussi  des  femmes 
qui  regardaient  de  loin ;  parmi  elles 
etaient  Marie  Madeleine,  et  Marie 
mere  de  Jacques  le  Mineur  et  de 
Joseph,  et  Salome, 

41.  Qui,lorsqu'il  etait  en  Galilee, 
le  servaientet  le  suivaient,et  beau- 
coup  d'autres  qui  etaient  montees 
avec  lui  a  Jerusalem. 

42.  Et,  comme  le  soir  etait  deja 
venu  (c'etait  en  effet  le  jour  de  la 
Preparation,  c'est-a-dire  la  veille  du 
sablDat), 


servenl  de  I'expression  classiqiie  exaxovTap- 
yo; :  de  meme  aux  tt.  44  et  45  (Voir  la 
Pret'iice,  §  IV,  3).  En  second  lieu,  ii  est  seul 
a  noter  un  trail  piltoresque,  qui  ex  adverso 
Stabctt  10  irapEffTYixo);  el  Ivavxia;  aytou,  liUeral. 
«  stans  ex  adverso  ejus  »  sell.  Jesu),  d'ou  il 
ressorl  que  le  cenlurion  avail  parfailemenl 
vu  et  entendu.  En  Iroisieme  lieu,  il  signale 
explicitement  ie  dernier  cri  du  Sauveur 
comme  la  cause  de  I'elonnement  du  Cente- 
nier,  quia  sic  damans  expirasset.  Cet  homme 
de  guerre,  qui  avait  sans  doule  assisle  a  un 
grand  nombre  d'agonies,  ne  se  souvenail  pas 
d'avoir  jamais  ele  lemoin  d'un  pared  fait. 
Dans  ce  cri,  d'aulanl  plus  extraordinaire  que 
les  «  cruciarii  »  mouraient  presque  toujours 
d'epuisement,  il  vit  done  quelque  chose  de 
surnaturel  :  puis,  I'associant  a  la  conduile  si 
noble  de  Jesus,  a  sa  patience,  aux  tenebres 
myslerieuses,  etc.,  il  en  vint  jusqua  formu- 
ler  ce  jugement  inlerieur  :  Vere  hie  homo  Fi- 
lius  Dei  erat.  C'est  laseconde  conversion  ope- 
ree  par  le  Christ  mourant  :  la  premiere  avait 
ete  ce!le  du  bon  larron. 

40  et  41.  — Troisieme  fait.  Erant  autem  et 
mulieres.  «  Et  »  a  le  sens  de  «  etiam  »  :  Avec 
le  Centurion,  il  y  avait  encore  des  femmes... 
—  De  longe  aspicientes.  Ces  mots  font  tableau, 
de  meme  que  «  ex  adverso  stabat  »  au  ver- 
set  precedent.  — Comme  S.  Matthieu,  S.  Marc 
signale  a  part  trois  des  saintes  amies  de  Je- 
sus, les  plus  connues  sans  doute  et  les  plus 
devouees.  Mais  il  y  a  quelque  chose  de  spe- 
cial dans  sa  mention  des  deux  dernieres. 
4o  Au  nom  de  Jacques,  fils  de  Marie,  il  ajoute 
I'epithete  minoris  (toO  [ity.poO,  le  pelil),  pour 
le  distinguer  de  I'Apotre  S.  Jacques  dit  le  Ma- 
jeur.  D'ou  provenait  ce  surnom?  Suivant  les 
UD8  de  la  tdille,  suivant  d'autres  de  la  jeu- 


nesse  relative  du  fils  de  Marie  ;  on  a  dit  aussi 
qu'il  sel'etait  lui-meme  impose  par  modestie. 
20  S.  Marc  designe  la  mere  des  enfants  de 
Zebedee  par  son  nom  de  Salome  Ci'r.  Matlh 
xxvii,  56.  —  In  Galilcea  sequebantur  eum... 
L'Evangeliste  condense  dans  ces  qui^lques 
paroles  une  longue  serie  de  services  genereux 
et  devoues.  Cfr.  Luc.  viii,  1-3.  Remarquez 
I'emploi  de  I'imparfait,  ri-/.o>,o'J9oyv,  otrixovoviv. 
—  QucBsimul  cum  eo  ascenderant...  Ces  saintes 
femmes  n'onl  pas  voulu  se  separer  de  leur 
Maitre  :  elles  I'ont  suivi  jusqu'a  la  mort. 

15.  —  La  sepulture  de  Jesus,  sv,  42-47.  — 
l^arall.  Matlh.  .\xvii,  67-61;  Luc.  xxui,  30-56;  Joan. 
XIX,  35i-42. 

S.  Marc  est  ici  plus  complet  que  S.  Mat- 
thieu. 11  a  plusieurs  details  interessants  qui 
lui  sent  propres. 

42.  —  Nous  trouvons  dans  ce  verset  deux 
circonstancesde  temps,  relatives,  la  premiere, 
sero,  a  I'heure  du  jour  vers  laquelle  se  pas- 
serent  les  fails  qui  vont  etre  raconles,  la  se- 
conde,  erat  parasceve,  au  jour  lui-meme.  C'e- 
tait un  jour  de  «  Parasceve  »,  Ttapaffxsuri, 
c'est-a-dire  de  Preparation  ;  or,  comini'  I'ln- 
dique  ensuite  S.  Marc  pour  ses  lecleurs  non- 
juifs,  ce  mot  technique  napadxEMvi  equivaut 
(quod  est,  6  EOTi)  a  TrpoodSoaTov,  avant-saubat, 
par  consequent,  a  «  vedle  du  sabbat  ».  C'est 
done  le  vendredi  qu'on  designait  ainsi  dans 
le  Judalsme.  Cfr.  Maith.  xxvii,  62.  Mais, 
comme  le  sabbat  approchait  (comp.  Luc. 
xxiM,  54  et  le  commenlaire)  lorsqu'on  pro- 
ceda  a  I'enseveli.-sement  du  Sauveur,  et 
comme,  d'un  autre  cote,  les  jours  commen- 
gaient  chez  les  Juifs  au  coucher  du  soleil,  la 
vague  formule  cum  jam  sero  factum  esset  doit 
indiquer  les  dernieres  heures  du  vendredi,  da 


820 


fiVANGILE  SELON  S.  MARC 


43.  Joseph  d'Arimathie,  noble 
decurion,  qui  attendait,  lui  aussi, 
le  royaume  de  Dieu,  vint  et  entra 
hardimentchez  Pilate  et  lui  demanda 
le  corps  de  Jesus. 

44.  Et  Pilate  s'etonnait  qu'il  fiit 
mort  si  tot.  Ayant  fait  venir  le  cen- 
turion, il  lui  demanda  s'il  etait  deja 
mort. 

4d.  Et,  lorsqu'il  fut  instruit  par 
le  centurion,  il  donna  le  corps  a 
Joseph. 


43.  Venit  Joseph  ab  Arimathaea, 
nobilis  decurio.  qui  et  ipse  eratex- 
pectans  regnum  Dei,  et  audacter  in- 
troivit  ad  Pilatum,  et  petiit  corpus 
Jesu. 

43.  Pilatus  autem  mirabatur  si 
jam  obiisset.Et  accersito  centurione, 
interrogavit  eum  si  jam  mortuus 
esset. 

4o.  Et  cum  cognovisset  a  centu- 
rione, donavit  corpus  Joseph. 


trois  a  six  heures  environ.  —  Ces  renseigne- 
menls  de  I'Evangeliste  onl  pour  but  d'expli- 
querpourquoi  Joseph  d'Arimathie  etiesautres 
amis  de  Jesus  se  haterent  de  I'ensevelir.  Une 
grande  diligence  etail  necessaire,  puisqu'on 
ne  pouvail  disposer  que  d'un  temps  pen  con- 
siderable avant  I'ouverture  du  repos  sacre. 

43.  —  Joseph  ab  Arimathcea.  On  ajoute  au 
nom  de  Joseph  celui  de  sa  patrie,  pour  le 
distinguer  de  ses  homonymes  evangeliques. 
Sur  la  situation  probable  d'Arimathie,  voyez 
I'Evangile  selon  S.  Mallh.  p.  557  et  s.  —  'No- 
bills  decurio.  Dans  le  grec,  euaxrijiwv  PouXeuTr,;. 
L'adjeclif  eOox^QtAwv  (de  eu  et  ox^ixa)  signiiie 
au  propre  «  forma  pulcher,  decorus  »,  au 
figure  «  honeslus  ^),  puis,  «  nobilis,  speclabi- 
lis  »,  et  telle  est  ici  sa  vraie  signification.  Cfr. 
Bretschneider,  Li^xic.  man.,  s.  v.  Quant  au 
substantif  PoyXevrr);,  litteral.  «  consiliarius  », 
il  a  eie  differemment  interprete.  Lightfoot, 
Hor.  hebr.  pp.  569  et  ss.,  supposant  que  Jo- 
seph d'Arimathie  etait  pretre,  le  traduit  par 
«  conseiller  du  temple  »;  Erasme,  Casaubon, 
Michaelis  (Begrsebniss.u.  Auferstehungsgesch. 
Christi,  p.  44)  et  Grotius,  par  «  conseiller 
municipal  »,  avec  cette  difference  que  le  con- 
seil  municipal  dont  Joseph  aurait  fait  partie 
etait  celui  de  Jerusalem  d'apres  Grotius,  ce- 
lui d'Arimathie  suivant  Eiasme.  Mais  on 
admet  communement  et  plus  justement  ^Cfr. 
Luc.  xxni,  50,  51  et  I'explication)  que  poy- 
lz\»ir]i  signifie  dans  le  Nouveau  Testament 
«  assessor  synedrii  magni  ».  Joseph  etait  done 
I'un  des  70  membres  du  sanhedrin  juif.  — 
Qui  et  ipse...,  S^xatauTo;,  expression  empha- 
tiqiie.  Lui  aussi,  comme  S.  Simeon,  comme 
S'e  Anne,  comme  tant  d'autres  Juifs  pleins  de 
foi,  «  il  attendait  le  royaume  de  Dieu  »,  c'esl- 
a-dire  I'avenemenl  du  Messie  et  de  son  regno 
mystique.  Remarquez  la  construction  erat 
expectans  (calquee  sur  le  grec  ^v  TtpoaSexoixcvo;), 
qui  marque  une  attente  anxieuse,  conslanle 
et  fidele.  Cfr.  Beelen,  Gramm.  p.  38C.  Mais, 
voici  que  les  pieux  desirs  de  Joseph  ont  ete 
satisfaits  :  le  royaume  de  Dieu  est  arrive 


pour  lui.  A  en  croire  une  tradition  venerable, 
ce«  nobilisdecurio»,devenuplus  tard  mission- 
naire,  aurait  evangelise  la  grande  Bretagne, 
et  construit  a  Glastonbury,  comte  de  Somer- 
set, le  premier  oratoire  chretien  de  i'Angle- 
terre.  Cfr.  Dugdale,  Monasticon,  i,  1  ;  Hearne, 
Hist,  and  Antiq.  of  Glastonbury;  Acta 
SS.  Martyr,  ii,  507  et  ss. :  Giry,  Vie  des 
Saints,  iii,  328-331.  Une  autre  tiadition,  qui 
presente  moins  de  garanties,  le  range  parmi 
les  72  disciples.  Cfr.  Assemani,  Bibliolh. 
Orient.  IH,  i,  31 9  et  ss.  —  Audacter  introivit. 
Excellente  traduction  du  grec To)4Ai^(ja?  elijjX8e 
(litteral.  ayant  ose  il  entra).  Ces  mots  sent  si- 
gnificatifs  a  divers  titres:d'abord,  parce  qu'il 
fallait  en  soi  un  courage  reel  pour  faire  alors 
ouvertement  une  demarche  favorable  a  Jesus; 
en  second  lieu  parce  que,  jusqu'a  cet  instant, 
Joseph  etait  demeure  disciple  secret  du  divia 
Mailre  «  propter  metum  Judaeorum  »,  Joan. 
XIX,  38.  Mais  la  croix  du  Sauveur  I'a  trans- 
forme  en  heros!  Sa  timidite  anterieure  dis- 
parait  completement,  et  il  s'approche  sans 
crainte  de  Pilate  pour  lui  demander  le  corps 
de  Jesus. 

44  et  45.  —  Pilatus  mirabatur...  Detail 
propre  a  S.  Marc.  Les  «  cruciarii  »  demeu- 
raient  ordinairement  un  jour  et  demi,  deux 
jours,  parfois  meme  trois  jours  sur  la  croix 
avant  d'expirer.  Aucun  organe  essentiel  n'e-- 
tant  lese  en  eux,  la  vie  ne  les  quittail  qu'a- 
vec  lenleur.  De  la  cet  etonnement  de  Pilate  ; 
de  la  aussi  I'enquete  qu'il  fit  faire  aupres 
du  centurion  de  garde.  —  Donavit  corpus. 
'E8wpyi(jaTo  signifie  proprement  «  donner  en 
present,  donner  d'une  maniere  gratuile.  »  Ii 
n'etait  pas  rare  que  les  magistrals  romains 
ne  consentissent  que  moyennanl  une  somme 
considerable  a  livrer  aux  parents  ou  aux  amis 
les  corps  des  supplicies,  pour  qu'on  leur  accor- 
dat  une  sepulture  honorable  (Cfr.  Cic.  Verr. 
v,  45;  Justm.  ix,  4,  6)  :  Pilate  se  montra  ge- 
nereux  et  ne  demanda  rien.  C'est  sans  doute 
ce  que  notre  Evangeliste  a  voulu  exprimer 
par  le  verbe  Swpew.  Si,  apres  ce  verbe,  nous 


« 


CHAPITRP   XVI 


221 


46.  Joseph  autem  mercatus  sindo- 
uem,  et  deponens  eum,  involvit  sin- 
done,  et  posuit  eum  in  monumento, 
quod  erat  excisum  de  petra,  et  ad- 
volvit  lapidem  ad  ostium  monu- 
menti. 

47.  Maria  autem  Magdalene,  et 
Maria  Joseph,  aspiciebant  ubi  po- 
neretur. 


45.  Et  Joseph,  ayant  achete  un 
linceul,  le  detacha  de  la  croix  et 
Tenveloppa  du  linceul,  et  le  deposa 
dans  un  tombeau  qui  etait  taille 
dans  le  roc,  et  roula  une  pierre  a 
I'entree  du  tombeau. 

47.  Or,  Marie-Maleleine  et  Marie, 
mere  de  Joseph,  regardaient  oil  oa 
le  mettrait. 


CHAPITRE    XVI 


Les  saintes  femmes  au  sepulcre  (tt.  1-8).  —  Jesus  apparait  a  Marie-Madeleine  [tt.  9-11), 
a  deux  disciples  [tir.  12-13),  aux  Apotres  reunis  [t.  14).  —  Les  dernieres  paroles  de 
Jesus  (tt.  15-18).  —  Ascension  de  Noire-Seigneur  Jesus-Christ  [t.  19).  —  Resume  de  la 
predication  apostolique  (t.  20). 


1.  Et  cum  transisset  sabbatum, 
Maria  Magdalene,  et  Maria  Jacobi, 


1.  Et,  lorsquele  sabbat  fut  passe, 
Marie  Madeleine,  et  Marie  mere  de 


lisons  avec  les  manuscrits  B,  D,  L,  etc.,  t6 
irxwixa,  «  cadaver  »,  au  lieu  de  -to  (yai;jia,  nous 
oblenons  une  pelile  nuance  caracteristique, 
qui  serait  tout  a  fait  dans  le  genre  de  S.  Marc. 
Joseph  demanda  le  corps  sacre  (t6  (jwjAa)  de 
Jesus,  t.  43  ;  Pilate  lui  fit  donner  le  cadavre 
du  supplicie.  Ces  mots  expriment  tres  bien  la 
difference  des  sentiments  qui  animaient  Joseph 
et  Pilate  a  I'egard  de  Notre-Seigneur. 

46.  —  Apres  avoir  raconte  les  preliminaires 
de  la  sepulture  de  Jesus,  I'Evangeliste  passe 
au  J'ait  meme  de  I'ensevelissement. —  Merca- 
tus est  une  particularif^  de  S.  Marc.  C'est  au 
sorlir  du  pretoire  que  Joseph  ^'.'la  acheter  le 
sindon,  c'est-a-dire  une  grande  piece  d'e- 
toffe  destinee  a  servir  de  linceul  a  Jesus.  — 
Deponens,  xaOeXwv  :  expression  cldssique  pour 
indiquer  I'aclion  de  descendre  de  la  croix  les 
corps  des  «  cruciarii  ».  Cfr.  Bretschneider, 
Lexic.  man.  s.  v.  xaGaipc'w.  —  Posuit  eum  in 
monumento,  «  suo  novo  »,  ajoute  S.  Malthicu, 
xxvii,  60  (voyez  le  commenlaire).  Ainsi  s'ac- 
complissait  un  oracle  celebre  d'lsai'e,  mi,  9 
(du  moins  d'apres  la  traduction  probable  de 
I'hebreu.  Cfr.  le  commentaire  de  M.  Trochon, 
p.  251).  —  Les  grands  maitres  out  souvent 
pris  ce  verset  pour  theme  de  leurs  magni- 
fiques  developpemenls.  1o  Descente  de  croix  : 
Schidone,  fra  Barlholomeo,  Andrea  del  Sarlo, 
Raphael,  Jouvenet,  Lesueur,  Bourdon,  B.  Lui- 
ni,  Antonio  Razzi,  Giotto,  fra  Angelico,  Ru- 
bens, etc.  2''  Le  Christ  porte  au  tombeau  : 


Schidone,  Titien.  3°  L'ensevelissement  :  le 
Bas>an,  Rosso,  Van  der  Werff,  Pinturicchio, 
Raphael,  etc. 

47.  —  L'episodede  la  sepulture  se  termine, 
dans  les  deux  premiers  Evangiles,  comme 
celui  du  crucifiement.  Cfr.  tt.  40  et  41  ;  Matlh. 
xxvii,  55,  56,  61.  De  part  et  d'autre  nous 
voyons,  a  I'arriere-scenfi  du  tableau,  h>s  saintes 
femmes  debout,  et  pourtant  atlenlives  a  ce 
qui  se  passait  autour  d'elles  {aspiciebant, 
eGswpouv)  :  elles  ne  quitteront  le  Calvaire  que 
lorsque  les  restes  precieux  de  Jesus  auront 
ete  mis  dans  le  sepulcre,  et  encore  no  scra-ce 
qu'avec  I'intention  de  revenir  au  phis  tot. 
C'est  pour  cela  qu'elles  regardaient,  ubi  pone- 
retur.  Le  grec  flotte  entre  le  present  TiOsTai 
et  le  parfait  iiU%i:a.i. 

TROISlEiME   PARTIE 

VIE    GLORIEUSE     DE    NOTRE-SEIGNEUR    JESUS- 
CHRIST.    XVI. 

Le  ministere  public  et  la  Passion  du  Sau- 
veur,  tel  est,  :i  vrai  dire,  le  fond  de  sa  vie 
messianiqup.  Aussi  les  Evang(Mi>tes  passent- 
ils  Ires  rapidement  sur  ses  mysteres  gloriiMix. 
Us  les  signalent  neanmoins,  ','t  S.  Marc  le  fait 
avec  son  origmalite  ordinaire.  Bien  plus,  il 
parlage  avec  S.  Luc  le  merite  d'avoir  men- 
tionne  I'Ascension  de  Jesus  a  la  suite  de  sa 
ResurrecUon. 


222 


fiVANGILE  SE^ON  S.  MARC 


Jacques,  et  Salome  acheterent  des 
parfums  pour  veiiir  embaumer  Je- 
sus. 

2.  Et  parties  de  grand  matin  le 
premier  jour  apres  le  sabbat,  elles 
arriverent  au  sepulcre  le  soleil 
etant  deja  leve. 

3.  Et  elles  disaient  entre  elles  : 
Qui  nous  otera  la  pierre  de  Tentree 
du  sepulcre? 

4.  Et  en  regardant^,  elles  virent  la 
pierre  otee;  or  elle  etaitfortgrande. 


et  Salome  emerunt  aromata,  ut  ve- 
nientes  ungerent  Jesum. 

Match.  28,  i;  Luc.  24,  1;  Joan.  20,  i. 

2.  Etvaldemane  una  sabbatorum, 
veniuut  ad  monumentum,  orto  jam 
sole. 

3.  Et  dicebant  ad  invicem  :  Quis 
revolvet  nobis  lapidem  ab  ostio  mo- 
numeoti? 

4.  Et  respicientes  viderunt  revo- 
lutum  lapidem.  Eratquippe  magnus 
valde. 


1.  —  Le  Christ  ressuscit6.  xvi,  1-14. 

a.   Les  saintes  femmes    au   sepulcre.    xvi,  1-8. 
Parall.  Matth.  xxvm,   1-10;  Luc.  xxiv,  1-8. 

Chap.  xvi.  —  1.  —  «  Post  sabbali  trisli- 
tiam,  felix  irradiat  dies,  quae  primatiim  in 
diebus  lenei,  luce  prima  in  eo  lucescente,  et 
Domino  in  eo  cum  triumpho  resurgente.  » 
Pseudo-Hieron.  h.  1.  Les  details  de  ce  pre- 
mier verset  sent  propres  a  noti-e  Evangeliste, 
lis  consistent  en  une  dale,  en  un  fail,  en  un 
but.  —  lo  La  dale  :  Cum  transisset  sabbalum; 
c'etait  done  le  samedi  soir  apres  le  coucher 
du  soleil,  puisque,  a  ce  moment,  le  sabbat  et 
son  repos  obiigatoire  cessaient.  —  2°  Le  fait: 
les  trois  saintes  femmes  que  nous  avions 
vues  la  veille  aupres  de  la  croix  de  Jesus 
expirant,  xv,  40,  achetent  des  baumes  et  des 
parfums  precieux,  aromata.  EUe?.  le  pouvaient 
alors;  car,  aussitot  que  le  sabbat  avait  pris 
fin,  les  magasins,  fermes  pendant  les  vingt- 
quatre  heu'i-es  precedenles.  s'ouvraient  afin 
que  chacLin  put  faire  ses  achats  pour  les  be- 
soiiis  du  soir  et  du  lendemain  matin.  —  Ma- 
ria Jacobi  est  la  meme  que  «  Maria  Joseph  » 
de  la  fin  du  chap,  xv  ft.  47).  D'abord  desi- 
gnee, XV,  40,  par  les  noms  reunis  de  ses  deux 
Sis,  elle  i'est  ensuile  alternativemenl  par  les 
noms  separes  de  I'un  el  de  i'aulre.  —  3°  Le 
but  :  ut  ungerent  Jesum.  L'en^evelissemenl 
du  Sauveur  avait  eu  lieu  a  la  hale  et  d'une 
maniere  imparfaile  a  cause  de  I'approche  du 
sabbat  (Cfr.  xv,  421 .  Les  pieuses  amies  de 
Jesus  se  proposent  de  le  completer. 

2.  —  La  formule  una  sabbatorum  equivaut 
a  «  prima  die  post  sabbalum  »,  el  indique  par 
consequent  le  dimanche.  Voyez  I'Evang.  selon 
S.  Mallh.  p.  o63.—  Veniunt  au  present :  trait 
graphique.  Le  verbe  est  a  I'aoriste  dans  les  deux 
autres  synopliques.  —  Orto  jam  sole.  S.  Marc 
ayant  dil  une  ligne  plus  haul  qu'il  etait  valde 
inane,liy.w  r.pwi.  qiiand  los  saintes  femmes  vin- 
rent  aupres  da  sepulcre,  divers  inlerpretes  an- 
ciens  et  modernes  ont  donne  a  ivaTiO.avTo;  le 


sens  du  present  dva~e),),ovToi;  ( «  oriente  jam 
sole  »,  S.  August.;,  afin  de  mettre  ainsi  I'Evan- 
gelisle  tout  a  fait  d'accord  avec  kii-meme. 
Mais  la  grammaire  s'oppose  a  une  telle  traduc- 
tion. La  conciliation  se  fait  sans  peine  si  Ton 
admet  que,  parties  dechez  elles  avanl  le  lever 
du  soleil,  les  deux  Marie  et  Salome  arriverent 
au  lombeau  de  Jesus  quand  cet  asi ro  cora- 
mengait  a  parailre.  Du  reste,  a  cettf!  ''pncuie 
de  I'annee,  en  Orient  surtoul,  Theure  riii  lever 
du  soleil  peut  s'appeler  matinale.  Comparez 
Joan.  XX,  4  et  I'explication. 

3  et  4.  —  Dicebant  ad  invicem.  Chemin 
faisant,  Marie  Madeleine  el  ses  compagnes 
ont  un  sujct  d'anxiete.  Se  rappelanl  qu'une 
grosse  et  lourde  pierre  avait  ete  roulee  a 
i'entree.  de  la  grolte  sepulcrale,  xv,  46,  elles 
se  demandent :  Quis  revolvet  nobis  lapidem...? 
Elles  craignenl,  a  celte  heure  pen  avancee  du 
jour,  de  ne  renconlrer  personne  qui  puisse 
leur  rendre  ce  bon  office.  On  le  voit,  elles 
sont  dans  une  ignorance  absolue  de  ce  qui 
s'etait  passe  I'avant-veille  aupres  du  sepulcre. 
Elles  ne  savenl  rien  des  gardes,  ni  des 
sceaux  apposes  sur  la  pierre.  Cfr.  Matth. 
xxvii,  62-66.  —  Respicientes,  avagXe'iaaai  : 
I'expression  a  ete  Ires  heureusemeni  choisie, 
car  elle  signifie  «  voir  de  bas  en  haul  o.  Or  le 
sepulcre  etait  precisementsur  une  eminence, 
el  les  saintes  femmes  arrivaienl  par  en  bas. 
Ce  trait  est  done  lout  a  fait  pitloresque. 
D'ailleurs,  tous  les  details  contenus  dan^  ces 
deux  vessels  sont  de  nouvelles  particuiarites 
du  second  Evangile.  —  Erat  quippe  mugnus 
valde.  Ces  mots  viendraient  peut-etro  mieiixa 
la  suite  du  t.  3,  et  c'esl  la  en  effi-l  que  les 
placent  le  Cod.  D  et  plu^ieurs  m;inuscrits 
latins.  Dans  leur  situation  actuelle,  qui  est 
probabk-ment  la  bonne,  ils  expliquent  com- 
ment les  saintes  femmes  purent  reinarquer  de 
loin  que  la  pierre  avait  ele  roulee  en  avant 
du  lombeau. 

o.  —  Introeuntes  in  monumentum.  Les  se- 
pulcres  juifs  des  environs  de  Jerusalem,  du 


CHAPITRE   XVI 


223 


5-  Et  introeuntes  in  monumeii- 
tum,  videruiit  juvenem  sedentem  in 
dextris,  coopertum  stola  Candida,  et 

Obstupuerunt.  Joan.  20. 12. 

6.  Qui  dicit  illis  :  Nolite  expaves- 
cere  :  Jesum  quaeritis  Nazarenum, 
crucifixum;  surrexit,  non  est  hie, 
ecce  locus  ubi  posuerunt  eum. 

Match.  28,5;  iwj.  24,  4. 

7.  Sed  ite,  dicite  discipulis  ejus, 
et  Petro,  quia  prsecedit  vos  in  Gali- 
laeam  :  ibi  eum  videbitis,  sicut  dixit 

YObiS.  Supr.  14,  23. 


b.  Et,  entrant  dans  le  sepulcre, 
elles  virent  un  jeune  homme  assis  a 
droite,  vetu  d'une  robe  blanche,  et 
elles  furent  stupefaites. 

6.  II  leur  dit  :  N'ayez  pas  peur.' 
Vous  cherchez  Jesus  de  Nazareth, 
qui  a  ete  crucifie ;  il  est  ressuscite, 
il  n'est  pas  ici.  Voici  le  lieu  oii  ils 
I'avaient  mis. 

7.  Mais  allez,  dites  a  ses  disciples 
et  a  Pierre  qu'il  vous  a  precedes  en 
Galilee.  La  vous  le  verrez,  comme  il 
vous  Fa  dit. 


moins  les  plus  considerables,  consistaient  en 
des  cliambres  plus  on  moins  prnfondes,  creu- 
sees  dans  le  roc.  Comp.  Jahn,  Archaeol. 
bibl.  §  207;  Burder,  Oriental  Ciis'.oms,  no  \ 046. 
Lessaintes  fenimes  piirent  done  penelrer  dans 
le  lombeau  ou  avail  repose  Jesus.  —  Vide- 
runt  juvenem.  Ce  jeune  iiomnie  elait  evidem- 
menl  un  ange,  d'apres  Tensemble  du  recit ; 
niaisS.Marca  surlout  vouki  decrire  sa  forme, 
son  apparition  exterieure.  De  la  le  nom  de 
veaviaxo;  qu'il  lui  donne.  Etail-ce  le  memo 
ange  qui,  selon  le  recit  de  S.  Mallhieu, 
XXVIII.  24,  avait  roule  en  avanl  la  pierre  du 
sepulcre,  et  fail  fuir  les  gardiens  posies  par 
le  Sanhedrln?  Tout  porte  a  le  croire.  II  est 
vrai  que  I'auleur  du  premier  Evangile  nous 
ie  montre  assis  a  I'enlree  du  lombeau  et  invi- 
tanl  les  saintes  femmes  a  entrer,  tandis  que, 
d'apres  S.  Marc,  Madeleine  et  ses  compagnes 
le  irouverenl  dans  I'interieur  du  sepulcre.  11 
est  egalement  vrai  que  S.  Luc,  xxiv,  4  el  ss., 
p-arle  non  d'un  seul  ange,  mais  de  deux  angcs 
qui  seraient  apparus  aux  saintes  femmes. 
Toutel'ois,  ce  sont  la  de  simples  nuances,  qui 
n'impliquent  nullement  une  contradiction 
reelle.  Pour  concilier  les  trois  narrations,  ii 
suffil  de  rappeler,  comme  nous  I'avons  fait  en 
des  circonslances  analogues,  qu'aucuu  des 
Evangelisles  n'a  voulu  lout  raconlcr,  mais  que 
chacun  d'eux  s'est  conlente  de  noler  les  cir- 
conslances parvenues  a  sa  connaissance,  ou 
qui  enlraient  le  mieux  dans  son  plan.  Sans 
doute,  lous  les  fails  qu'ils  exposent  ont  eu 
lieu  tels  qu'ils  les  exposent,  mais  successi- 
veraent.  De  la  ce  principe  que  nous  avons 
deja  mentionne  :  «  Distingue  tempera  et  con- 
cordabit  Scriptura.  »  Voyez  le  conimentaire 
de  Theophylacle,  h.  1.,  et  S.  Augustin,  de 
Cons.  Evang.  I.  ni,  c.  24. —  Sedentem  in  dex- 
tris :  a  droile  par  rapport  aux  visiteuses; 
ou,  mieux  encore,  a  droile  d'une  maniere 
absolue,  c'esl-a-dire  au  Sud,  d'apres  la  ma- 
niere des  Juifs.  On  sail  que,  dans  la  langue 
bebraique,  le  mot  droite  equivaut  a  Midi, 


gauche  a  Septentrion.  —  Coopertum  stola 
Candida.  Sur  la  «  stola  »  des  anciens,  voyez 
xii,  38  et  I'explication.  —  Obstupuerunt. 
Dans  le  grec,  E5£9aii6Yi6r)ffav,  expression  ener- 
gique,  (jui  designe  une  terreur  extreme. 

6  et  7.  —  Qui  dicit  illis.  On  trouvera  I'ex- 
plicalion  des  paroles  de  I'Ange  dans  I'Evan- 
gile  selon  S.  Matth.,  p.  564  el  s.  Elles  sonl 
encore  plus  rapides  et  plus  entrecoupees  ici 
que  dans  ia  narraliondu  premier  Evangeliste. 
Du  reste,  ces  «  asyndeta  »  sonl  Ires  naturels 
dans  la  circonstance.  S.  Marc  ajoule  deux 
details  speciaux.  1°  Non  seulement  il  men- 
tionne la  croixdu  divinRessuscite,  crucifixum, 
dont  le  souvenir  est  acluellemenl  si  glorieux 
pour  Jesus,  si  consolant  pour  nous  («  Radix 
amara  crucis  cvanuit,  flos  viui3  cum  fruclibus 
surrexit  in  gloria  »,  Gloss.),  mais  il  donne  au 
Sauveur  i'huinble  nom  de  Nazarenum.  Cfr. 
Act.  XXII,  8,  ou  Notre-Seigneur,  parlant  de 
sa  gloire  celeste,  s'appelle  lui-meme  Jesus  de 
Nazareth.  —  2"  Et  Petro  est  un  autre  trait 
caraclerislique  du  second  Evangile.  Voyez  la 
Preface,  §  IV.  Mais  pourquoi  S.  Pierre  est-il 
signale  a  part  entre  les  disciples?  Peut-etre 
a  cause  de  sa  dignite;  mais  plus  encore,  ainsi 
que  le  disait  deja  Victor  d'Antioche,  en  signe 
du  pardon  complet  que  le  Siuivmir  lui  avait 
accorde.  Aussi  comme  ces  deux  mots,  «  et 
Petro  »,  durenl  consoler  le  creiir  desole  du 
prince  des  Apotres!  —  Sicut  dixit  vobis.  Va- 
rianle  qui  prouve  I'independance  des  Evan- 
gelisles. Selon  S.  Matthieu,  I'ange  aurait  dit : 
«  Ecce  praedixi  vobis  ».  La  prophetie  de  Je- 
sus, a  laquelle  il  est  fait  allusion  en  eel  en- 
droil,  avait  ete  prononceea  I'issue  de  la  Gene, 
XIV,  28.  —  Notons  encore,  au  commencement 
du  t.  7,  la  particule  dXXa  [sed].  par  laquelle 
I'ange  s'inlerrompl  lout  a  coup  pour  passer  a 
un  autre  sujet.  G"est  une  transition  usiteo 
dans  la  plupart  des  langues.  Cfr.  Winer, 
Grammat.  p.  392. 

8.  —  Les  saintes  femmes  se  halent  d'obeir. 
S.  3Iarc,  a  propos  de  leur  depart,  note  plu- 


224 


fiVANGILE   SELON  S.  MARC 


8.  Et,  sortaiit  du  sepulcre,  elles 
s'enfuirent;  car  le  tremblement  et 
la  peur  les  avait  saisies,  et  elles  ne 
dirent  rien  a  personne,  a  cause  de 
leiir  crainte. 

9.  Or  Jesus,  ressuscite  le  matin 
du  premier  jour  apres  le  sabbat, 
apparut  premierement  a  Marie  Ma- 
deleine, de  laquelle  il  avait  chasse 
sept  demons. 

10.  Et  elle  alia  I'annoncera  ceux 
qni  avaient  ete  avec  lui  et  qui  se 
lamentaient  et  pleuraient. 


8.  At  illse  exeuntes,  fugerunt  de 
monumento  :  invaserat  enim  eas 
tremor  et  paver  :  et  nemini  quid- 
quam  dixerunt,  timebant  enim. 

9.  Surgens  autem  mane,  prima 
sabbati,  apparuit  primo  Marise  Mag- 
dalene, de  qua  ejecerat  septem  dse- 
monia. 

Joan.  20,  16. 

10.  Ilia  vadens  nuntiavit  his  qui 
cum  eo  fuerant,  lugentibus,  et  flen- 
tibus. 


sieurs  circon?tances  particulieres.  D'abord, 
trait  piltoresque,  il  nous  montre  ce  depart  se 
transformant  aussitot  en  une  vraie  fuite,  fu- 
gerunt de  monumento ;  tayy  ecpuyo^?  ^^^  '^  ^6~ 
ccpla  d'une  maniere  encore  plus  expressive, 
elles  s'enfuirent  au  plus  vite.  Pourquoi 
fuyaienl-elles  ainsi?  Le  contexte  I'indique : 
invaserat  (dans  le  giec,  tl^z,  «  habebat,  pos- 
sidebal  »)  enim  eas  tremor  etpavor.  Ce  dernier 
mot  est  represente  dans  le  texte  grec  par 
lx<TTafft;,  d'oii  il  suit  que  les  amies  de  Jesus 
etaient  hors  d'eili's-memes  d'epouvante.  De  Ik 
leur  fuite  precipitee,  pour  echapper  au  do- 
maine  du  surnaturel.  Voyez  dans  S.Matthieu, 
XXVIII,  8,  une  nuance  non  moins  inleres- 
sanle.  —  Nemini  quidquam  dixerunt.  Ces 
mots  nesignifienl  point  que  lessaintes  femmes 
negligereni  d'executer  les  ordres  de  i'Ange, 
puisque  nous  savons.  d'apres  le  premier 
Evangile,  qu'  «  elles  allerent  en  courant  por- 
ter la  nouvelle  aux  disciples.  »  lis  veulent 
dire,  ainsi  que  Tadraeltent  de  concert  la 
plupart  des  ex^getes  anciens  et  raodernes, 
qu'elles  garderent.  le  long  du  chemin,  toujours 
par  suite  de  'a  frayeur  qui  les  animait,  un 
silence  complet  sur  les  evenements  exlraor- 
dinaires  dont  elles  venaient  d'etre  temoins. 
Cfr.  Euthymius,  Fr.  Luc,  Grotius,  etc.,  h.  1. 

b.  Jesus  apparatt  a  Marie-Madeleine,  xvi,  9-11. 
Parall.  Joan,  xx,  11-18. 

(Sur  Taulhenticite  des  versets  9-20,  voyez 
la  Preface,  §  HI). 

Apres  avoir  signale  le  fait  de  la  Resurrec- 
tion, S.  Marc  le  prouve  par  une  exposition 
sommaire  des  principales  apparitions  du  divin 
Ressuscite.  Sa  narration,  quoique  extreme- 
ment  concise,  abonde  neanmoins  en  parti- 
cularites  interessantes.  On  peut  meme  dire 
que  la  plupart  des  details  qu'il  mentionne  lui 
sont  propres. 

9.  —  Surgens  autem.  Le  grec  porte  avaaToc?, 
«  quum  resLirrexisset  ».  —  Prima  sabbati. 
S.  Marc,  fidele  jusqu'au  bout  a  ses  habitudes 


de  precision,  repote  la  date  qu'il  avait  indi- 
quee  deja  au  t.  2.  Du  reste,  cette  date  ajoute 
ici  quelque  chose  a  la  narration ;  car,  plus 
haut  elle  ne  se  rapportait  qu'a  la  visite  des 
saintes  femmes,  tandis  qu'elle  indique  main- 
tenant  d'une  maniere  stricte  le  jour  de  la 
Resurrection  du  Christ.  —  Apparuit  primo 
Marice  Magdalence.  Des  temoignages  irrecu- 
sables,  par  exeinple  ceux  de  i'Ange,  du  se- 
pulcre vide,  avaient  demontre  deja  que  Jesus 
etait  vraiment  ressuscite  d'entre  les  morts; 
mais  on  ne  I'avait  pas  encore  vu  lui-meme. 
C'est  Marie  Madeleine  qui  eut  la  premiere  le 
bonheur  de  le  contempler  apres  son  triomphe 
(voyez  dans  S-  Jean,  xx,  11  et  ss.,  les  details 
de  celte  ap^jQrtlion).  Les  mots  de  qua  ejecerat 
septem  doemonia  (Cfr.  Luc.  viii,  2  et  le  com- 
mentaire)  sont  emphatiques,  comma  «  et 
Petro  »  du  t.  7.  lis  ont  pour  but  de  meltre 
en  relief  la  bcnte,  la  condescendance  gene- 
reuse  de  Notre-Seigneur.  Voyez  Bede,  Fr.  Luc, 
h.  I.  —  Les  mots  E^dvri  TtpwTov  de  S.  Marc 
peuvent  se  concilier  sans  peine  avec  la  pieuse 
croyance,  deja  partagee  par  S.  Ambroise 
(Lib.  de  Virginib.),  S.  Anselme  (Lib.  VI  de 
Excell.  Virgin.!.  S.  Bona  venture  (Meditat.  de 
vita  Christi).  Maldonat,  Suarez,  etc.,  d'apres 
laquelle  c'est  a  sa  sainte  Mere  que  Jesus  au- 
rait  tout  d'abord  apparu  apres  sa  Resurrec- 
tion. 

10.  —  Ilia  vadens,  TtopsuSsiffa.  Ceux  qui 
nient  I'authcnticite  de  ce  passage  repetent  a 
tour  de  role  que  le  verbe  uooeuw,  employe  de 
nouveau  dans  les  ft.'i^  et  15,  ne  se  retrouve 
nuile  part  ailleurs  dans  le  second  Evangile.  II 
est  aise  de  repondre  que  S.  Marc  se  sert  sou- 
vent  des  composes  de  TtopsOw,  et  que  c'est  la 
du  reste  une  expression  si  commune,  qu'il  n'est 
pas  percnis  d'attacher  une  importance  quel- 
conque  a  son  omission  ou  a  son  emploi.  —  His 
qui  cum  eo  fuerant.  Cette  formule,  qui  designe 
tous  les  disciples  et  plus  spec  alementlesApo- 
tres,  est,  il  est  vrai ,  nouvelle  dans  le  recit 
evangelique;  mais  elle  existedans  les  Actes, 


CHAPITRE   XVI 


225 


11.  Etilli  audientes  quia  viveret, 
et  visus  esset  ab  ea,  non  credide- 
runt. 

12.  Post  hsec  autem  duobus  ex  his 
ambulantibus  ostensus  est  in  alia 
efiigie,  eiintibus  in  villam  : 

Luc.  24,  13. 

13.  Et  illi  euntes  nuntiaverunt 
cseteris  :  nee  illis  crediderunt. 


11.  Et  ceux-ci,  entendant  dire 
qu'il  vivait  et  qii^il  avait  ete  vu  par 
elle,  ne  le  cmrent  pas. 

12.  Ensuite  il  se  montra  sous  une 
autre  forme  a  deux  d'entre  eux, 
pendant  qu'ils  marchaient  etallaient 
a  la  campagne. 

13.  Et  ceux-ci  allerent  I'annoncer 
aux  autres  qui  ne  les  crurent  pas 
non  plus. 


XX,  1 8,  et  n'a  rien  non  plus  de  bien  particiilier, 
D'ailleiirs,  I'ideede  disciples,  de  compagnons, 
est  en  plusieuis  endroils  exprimee  dans  notre 
Evangile  par  la  locution  analogue  ol  p-' 
ouToO.  Cfr.  I,  36  ;  ii,  25  ;  v,  40.  —  Lugentibus 
et  flentibiis.  Belle  repetition,  qui  peint  an  vif 
la  desolation  extreme  dans  laquelle  les  dis- 
ciples elaient  plonges  depuis  la  raort  de  leur 
Mailre. 

'11.  —  Visus  esset  ab  ea.  Nouvelle  objection 
a  propos  du  verba  l^tMri  (Cfr.  t.  14),  qui  est 
relalivement  rare  dans  les  Evangiles.  Nous 
repondons  avec  31.  Cook,  Holy  Bible,  N.  T., 
t.  I,  p.  297,  que  «  les  mots  rares  sont  adaptes 
aux  rares  evenements ;  que  celui-ci,  qui  est 
tres  solennel,  convient  parfaitement  a  la  cir- 
constance  presente.  »  —  Non  crediderunt. 
Et  pourtant,  M.  E.  Renan,  Les  Apotres,  p.  13, 
affirme  audacieusement  «  que  la  gloire  de  la 
resurrection  appartient  a  Marie  de  Magdala. 
Apres  Jesus,  c'est  Marie  qui  a  le  plus  fait 
pour  la  fondation  du  Christ lanisme.Sa  grande 
affirmation  de  femme:Il  est  ressuscile!  a  ete 
la  base  de  la  foi  de  I'humanite.  »  Or  il  se 
trouve  au  contraire,  et  I'Evaiigile  leditde  la 
fagon  la  plus  formelle,  Cfr.  tuc.  xxiv,  11, 
que  les  Apotres  refuserent  les  premiers  d'ajou- 
ler  foi  au  lemoignage  de  Madeleine!  lis  ne 
crurent  que  lorsqu'ils  eurent  eux-memesoon- 
temple  de  leur  propres  yeux  le  Sauveur  res- 
suscile. 

C.  Apparition  a  deux  disciples,  xvi,  12-13. 
j  Parall.  Luc.  xxiv,  13-35. 

12.  —  Dans  cetle  seconde  apparition  notee 
par  S.  Marc,  on  reconnait  sans  peine  celle  que 
S.  Luc  raconte  «  in  extenso  »  dans  son 
xxive  chapitre.  C'est  ainsi  que  les  Evange- 
lisles  se  confirment  et  se  complelent  muluel- 
lement.  —  «  L'expression  Apres  ces  choses 
((lETi  xauTa,  posthcEc  de  la  Vulg.),  dit  M.  Alford^ 
New  Test,  for  english  Readers,  t.  I,  p.  288^ 
ne  S9  rencontre  nulle  part  dans  S.  Marc,  quoi- 
qu'il  eut  de  nombreuses  occasions  de  I'em- 
ployer  ».  Nos  reflexions  precedentes  ont 
montre  que  ce  raisonnement  ne  prouve  abso- 
lument  rii'n.  —  Duobus  ex  his,  scil.  «  qui 
cum  60  fuerunt  »,  1. 10.  Nous  savons  toute- 

S.  Bible.  S. 


fois  par  S.  Luc  que  ce  n'etaient  pas  des 
Apotres.  —  Ostensus  ett.  Au  t.  9,  nous  li- 
sions  «  apparuit  »,  eyavri;  ici  nous  avons  le 
verbe  saavepuSr,,  litteralement,  «  manifesta- 
tus  est  )\Q\m  sembleavoir  etechoisi  a  dessein 
pour  indiquer  que  Jesus  ne  fut  pas  immedia- 
tement  reconnu  par  les  deux  disciples.  Cfr. 
Luc.  XXIV.  16,  31.  S.  Marc  I'avait  deja  em- 
iilovf'  iiliH  h 'ul.  IV,  22,  bii^n  que  les  autres 
synoptiqups  ne  s'en  servent jamais.—  In  alia 
ejfigie.  «  Effigies  »  represente  ici,  comme,  <oa 
equivalent  grec  [lop^-fi,  I'apparence  exterieure, 
phy-ique.  Cfr.  Phil,  ii,  7.  Celte  apparence 
etail «  autre  »,  vraisemblablemeni  parce  quelle 
avail  quelque  chose  de  transfigure,  de  plus 
celeste,  di'puis  la  Resurrection,  ce  qui  faisail 
qu'on  ne  reconnaissait  pas  toujours  immedia 
tement  Notre-Seigneur.  Mais  il  est  possible 
aussi  que  ce  mot  fasse  allusion  a  I'apparition 
precedL-nte  :  en  efi'et.  tandis  que  Jesus  s'etait 
jiiesenle  a  Marie-Madeleine  souslafigure  d'un 
jardinier,  Joan,  xx,  15,  il  se  presente  main- 
tenant  aux  disciples  sous  celle  d'un  voyageur. 
—  L'objection  tiree  de  ce  que  I'adjectif  s-repo; 
n'apparaitpasailleursdans  le  recil  de  S.Marc 
n'a  pas  la  moindre  force  probante.  —  Eun- 
tibus  in  villam.  Dans  le  grec,  «  euntibus  rus  » 
(eU  aypov),  la  campagne  par  opposition  a  la 
ville.  Cfr.  xv,  26  et  le  commentaire. 

13.  —  Et  illi  euntes;  mieux  «  redeuntes  » 
(a7re),96vT£i;).  Les  deux  disciples  reprirent  le 
chemin  de  Jerusalem  aussitot  apres  I'appari- 
tion, se  hatant  d"en  porter  la  bonne  nouvelle 
aux  autres  amis  de  Jesus.  Mais  ceux-ci  per- 
sislerent  dans  leur  incredulite,  nee  illis  credi- 
derunt. Ce  nouveau  teu)oignage  les  laissa 
aussi  froids  quecelui  de  Madeleine,  t.  11.  — 
Toutefois,  I'episode  des  deux  pelerins  d'Em- 
maiis  se  termine  d'une  maniere  bien  ditfe- 
rente  dans  le  Iroisieme  Evangile,  xxiv,  33-35  : 
«  Surgentes  eadem  hora,  r"egressi  sunt  in 
Jerusalem,  et  invenerunt  congregates  unde- 
cim  et  illos  qui  cum  illis  erant,  dicenles  : 
Quod  surrexit  Dominus  vere  el  apparuit  Si- 
moni.  Et  ipsi  narrabant  quae  gesta  erat  in 
via,  etquomodocognoverunt  eum  in  fractione 
panis.  »  Ainsi  done,  la  on  accueille  les  deux 
jnessagers 

M,\Rc.  —  15 


220 


EVANGILE  SELON  S.  MAIIC 


14.  Enfin  il  appaiut  aux  Onze 
Jorsqu'ils  etaient  a  table,  et  il  leur 
reprocha  leur  incredulite  et  leur 
durete  de  coeur,  parce  qu'ils  n'a- 
vaieut  pas  cru  ceux  qui  avaieut  vu 
*ju'il  etait  ressuscite. 

lo.  Et  il  leur  dit  :  Allez  dans  le 
monde  entier,  pr^chez  I'Evangile  a 
toute  creature. 


1 4 .  Novissime  recumbentibus  illis 
undecim  apparuit  :  et  exprobravii 
iucredulitatem  eorum,  et  duritiam 
cordis;  quia  iis.  qui  viderant  eum 
resurrexisse,  non  crodiderunt. 

15.  Et  dixit  eis  :  Euntes  in  mun- 
dum  universum  praedicate  Evange- 
lium  ouini  creaturae. 


on  leur  annonce  que  Jesus  est  vraiment  res- 
suscile.  Des  narrations  aussi  divergenles 
peuvent-plles  se  conciiier'i'Quand  on  lit,  dans 
les  quaire  Evangiles,  I'hisluire  delaiilee  des 
incidents  qui  euient  iieu  le  jour  d!>  la  Resur- 
rection, onestfrappe  de  voir  que  les  disciples, 
durantceltejournee  memorable,  furent  agites 
par  deux  sentinienls  tres  distincts,  qui  les 
emportairnt  tour  a  tour  en  sens  divers,  la 
joie  et  I'iucredulite.  Un  moment,  iis  rroient 
que  leur  Mailre  a  triomphe  de  la  mort  el  du 
lombeau;  puis,  Tinstaiil  d'apres,  le  doute  les 
saisil  et  iis  refusent  de  s'en  rapporter  a  ceux. 
qui  Tonl  vu  et  entendu.  S.  Luc  a  note  un  de 
ces  eclairs  de  foi,  S.  Marc  au  contraire  I'autre 
sentiment,  qui  avail  presque  aussilol  repris 
le  dessus.  Voyez  Bede,  Theophylacte,  Fr.  Luc, 
et  la  Synopsis  crilicorura,  h.  1. 

d.  Apparition  aux  Apotres.  xvi,  14.  —  Parall. 
Luc.  XIV,  36-43;  Joan,  xx,  19-25 

14.  —  (I  y  a  une  gradation  manifeste  dans 
les  trois  apparitions  de  Jesus  dont  S.  ]Marc  a 
conserve  le  souvenir  :  le  Sauveur  se  montre 
d'abord  a  une  femme,  puis  a  deux  disciples, 
puis  aux  onze  Apotres.  —  Novissime  n'esl  pas 
une  traduction  exacte,  car,  dans  le  texte 
grec,  il  n'y  a  point  Oa-a-ov,  mais  iia-epov, 
«  postea  ».  Get  adverbe  n'inlroduil  done  pas 
necessairement  la  dernierede  toutes  les  ma- 
rJleslations  du  Chrisl  ressuscite,  c'est-a-dire 
cello  qui  eul  lieu  le  jour  de  I'Ascension, 
comme  I'ont  pense  S.  Augustin.  De  Cons. 
Evang.  1.  VII,  c.  xxv,  S.  Gregoire-le-Grand, 
Hi) 1 11.  in  Evang.  xxix,  et  1*^  Yen.  Bede,  h.  1. 
Nous  croyons.  avec  la  plupart  des  exegeies, 
qu'il  s'agit  encore  du  jourde  la  Resurrection 
et  de  I'apparition  faite  en  presence  des  Apo- 
Ire-  dans  le  Cenacle,  a  la  maniere  racontoe 
par  S.  Luc  et  par  S.  Jean.  —  Recumbentibus 

tlliS  unde<  im,  dvay.si[j.£vo'.c    aOToT;    toi;    Evosza. 

Le  pronom  «  illis  »  est  emphalique,  de  meme 
que  a-jTo;;  du  texte  grec.  Les  Onze,  ou  plus 
exactement  les  Dix,  puisque  6.  Thomas  etait 
abs.^nt,  Joan,  xx.  24  et  ss.,  etaient  done  a 
table  quand  Jesus  semonlrasubitement  aeux. 
Cfr.  Luc.  XXIV,  41  el  ss.  —  Apparuit.  Dans 
!e  lext'>  original,  f.oavspwQTi,  comme  au  t.  12. 
—i   Exprobravit    increduiitalem...  Le  verbe 


wveioKTE  est  tres  expressif  el  designe  de  se- 
rieux  reproches,  qui  etaient  d'ailleurs  juste- 
menl  merites.  Cfr.  les  tt.  11  et  13.  S.  Marc, 
en  signalant  ainsi  a  pkisieurs  reprises  Tincre- 
dulite  des  Apotres  par  rapport  au  grand  I'ait 
de  la  Resurrection  du  Sauveur,  contirnieener- 
giquemenl  la  realite  de  ce  fait.  «  Sun  recit 
prouve  que  les  temoins  du  miracle  n'elaient 
pas  des  enlhou^iastes  qui  crurent  aussitot 
ce  qu'ils  de-iraient  etre  vrai  ».  Westcotl, 
Introd.  to  the  Study  of  the  Gosp.,  Se  ed. 
p.  334.  «  Apres  ce  VTset,  on  lisait  autrefois 
dans  certains  exemplaires.  surtout  dans  les 
grecs.  ces  paroles  :  Mais  iis  hii  repoiidi- 
rent.  Ce  siecle  est  forme  d'iniquite  et  d'in- 
credulite,  qui  nous  empeche,  par  le  moyeii 
des  esprils  impurs,  de  parvenir  a  la  vraie, 
vertu  de  Dieu.  C'est  pourquoi,  commencez 
enfin  a  decouvrir  voire  justice.  On  voit  aise- 
ment  que  ces  paroles  soul  une  addition  liree 
de  quelques  livres  apocryphes,  et  venue  ori- 
ginairement  des  Montanistes,  ou  de  queltiues 
autres  heretiques  qui  admetlaienl  dans  le 
monde  un  mauvais  principe,  cause  necessaire 
du  mal  ».  D.  Calmet,  Comment,  litter,  sur 
S.  Marc.  p.  162.  Cfr.  S.  Jerome,  Conlr.  Pe- 
lag.  II,  6. 

2.  —  Le  Christ  montant  au  ciel.  xvi,  15-20. 
a.  Ordres  donnas  aux  Apotres.  xvi,  15-18. 

15.  —  E'.  dixit  eis.  «  Non  tunc  quum  illis 
recumbentibus  apparuit.  et  eorum  expro- 
bravit increduiitalem.  sed  postea  ».  Maldonat. 
A  la  fagon  des  anciens  historiens  lorsqu'ils 
voulaient  abreger,  S.  Marc  reunit,  sans  tenir 
comple  des  intervalles  ni  des  evenements 
intermediaires,  parce  qu'ils  n'entraient  pas 
dans  son  plan,  deux  fails  qui  furent  en  realile 
separes  par  un  temps  plus  ou  moins  notable. 
D'apres  divers  auteurs,  les  paroles  qui  vont 
suivre  auraient  ete  prononcees  lors  de  la 
grande  apparition  que  Jesus  fit  a  ses  disciples 
en  Galilee  (Cfr.  Matth.  xxviii,  16-20).  Nous 
croyons,  avec  d'autres  interpretes  assez  nom- 
breux,  qu'elles  le  furent  plutot  dans  les  der- 
niers  m  >ments  qui  precederent  TAscension 
de  Notre-Seigneur.  Elles  se  composont  d'uu 
ordre  intime,  tt-  15  el   16,  et  de  pouvoirs 


CTTAPlTnE  XVI 


?57 


16.  Qui  crediderit,  et  baptizatiis 
fuerit,  salvus  erit ;  qui  rero  non  cre- 
diderit, condemnabitur. 

17.  Signa  autem  eos  qui  credide- 
riut  hsecsequentur  :  In  nomine  meo 
dsemonia  ejicient :  Unguis  loquentur 
novis ; 

Act.  16,  18;  Id.  2,4  et  [0,  46. 

18.  Serpen tes  tollent  :  et  si  mor- 
tiferum  quid  biberint,  non  eis  noce- 


16.  Celui  qui  croira  et  sera  bap- 
tise sera  sauve ;  rnais  celui  qui  ne 
croira  pas  sera  condamne. 

17.  Ges  signes  accorapagneront 
ceux  qui  auront  cru  :  en  mon  nom 
ils  chasseront  les  demons,  ils  parle- 
ront  des  langues  nouvelles  ; 

18.  lis  prendrontles  serpents  et, 
s'ils  boivent  quelque  poison  mortel, 


considerables  accordes  aux  disciple?,  Hf.  '17 
el  18.  par  le  divin  M;iilre.  L'ordre  estd'abord 
solennellement  exprime,  t.  \o.  —  Euutes  in 
viundum  universum...  Cfr.  JMatlh.  xwiii,  19 
et  le- commentaire.  Desormais  pliisde  restric- 
tions! Toiitesiesbarrieres  de  nalionalites  tom- 
b;^nt  devanl  la  predication  evaii^elique.  Ce 
n'esL  piusseiilement  en  Judee  que  les  Apotres 
doivenlannoncer  la  bonne  nou\  die,  ma  is  dans 
I'univers  enlier;  ce  n'est  plus  seulement  a 
leurs  corciigionnaires  qu'iis  doivenl  sadres- 
ser  en  vue  de  les  convertir,  mais  omni  crea- 
tur(v,  -Kaari  rfi  -/.ziGzi,  lilteral'Mnent,  «  orr.m 
creation!  ».  Les  Rabbins  employaient  de 
]a  meme  manien^  I'expression  identique 
nN"'"a~S3i  pour  designer  lout  le  genre  hu- 
main.  Cfr.  Lightfoot,  Hor.  hebr.'h.  1.  Le 
mot  y.T(<7i?,  qu'on  trouve  plusieurs  fois  dans 
S.  Marc,  n'est  pas  usile  dans  its  aiitresEvan- 

'16.  —  Get  ordre  si  formel  :  Prechez !  est 
mainlenani  motive.  La  predication  excitera 
la  fni,  el  la  foi  prociirera  le  salut.  Cfr.  Rom. 
X,  '14  ft  ss.  —  La  necessite  de  la  foi  el  du 
Bapteme  en  vue  du  salul  elernel  est  netle- 
nienl  marquee  dans  ce  passage  :  Qui  creJiilc- 
rit  et  baptizalus  fuerit...  «  Jesus  n'a  pas  dil: 
Ci'lui  qui  se  conlOiUera  de  croire;  il  n'a  pas 
dil  non  plus  :  Celui  qui  se  coiilenlera  de  se 
faire  baplisi^r;  mais  il  a  uni  les  deux  choses, 
car  I'uno  sans  I'autre  ne  saurail  suffire  pour 
sauver  I'houime.  »  Eulhymiu-.  Voyez  les  tbeo- 
logiens,  aux  traites  de  la  foi  etdu  bapteme. 
—  Qui  non  crediderit  condemnabitur.  C'esl  le 
conlraire  du  premier  hemisliclie.  II  est  a  no- 
ler  que  Jesus  n'ajoute  pas  «  et  non  bapliza- 
tus  fuerit  »,  bien  que  le  parallelisme  semblat 
exiger  ces  mots;  mais  ils  eussent  ele  super- 
flu-;,  car  il  est  evident  que  ceux  qui  refuse- 
ronl  de  croire  a  I'Evangile  ne  consi^ntiront 
jamais  a  se  laisser  baptiser.  —  Voyez  dans 
Maldonat  un  apergu  des  nombreuses  erreurs 
theologiques  qui  sonl  nees  de  ce  verset  rnal 
compiis. 

-17  <t  18.  —  Pouvoirs  accordes  aux  disci- 
ples par  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ.  —  Ces 
pouvoirs  qu'il  nomuie  des  signes,  signa,  arniiioL, 


ne  different  point  do  ce  que  S.  Paul  appelle 
xapicrixaxa,  ni  des  «  graliae  gratis  datae  »  des 
Uieologiens.  lis  avaient  pour  but  de  procurer 
le  bien  general  de  lEglise,  et  tout  d'al)ord 
de  conhrmer  la  predication  de  I'Evangile. 
lis  formaienl  done,  a  ce  point  de  \u^>,  les  let- 
Ires  de  creance  des  Apotres,  qnoiqu'iis  ne 
fussent  pas  exclusivemenl  restreints  au  cercle 
aposlolique,  puisque  Jesus  promet  de  les 
elendre  sans  exception  a  toutes  les  ames 
fideles,  eos  qui  crediderint.  —  Se(]uentu>\  Le 
verbe  grec  7:ap7.7.o),o-jfir;(7£i,  bien  que  S.  Marc 
ne  I'emploie  pas  ailteurs,  rend  admirable- 
ment  I'idee  que  I'ecrivain  sacre  voulait  ex- 
primer.  On  ne  saarait  done  I'objecler  comme 
iin  indice  du  caractere  apocryphe  de  ce  pas- 
sage. —  Les  miracles  que  les  amis  de  Jesus 
pourront  fairi^  par  la  verlu  toute-puissanie 
ou  par  I'invocalion  de  son  nom  {in  nomuu 
meo  domine  la  li  te  entiere  jusqu'a  la  fin  du 
t.  18)nepouvaientetre  loussignales  :  les  cinq 
qui  regoivenl  ici  une  mention  speciale  ser- 
vent  done  simplemenl  d'exemples.  Ce  sonl  du 
reste  les  principaux,  et  ceux  qui  devaient 
etre  le  plus  fi-equemment  accomplis.  — 
-lo  Dcenionia  ejicient.  Les  Apotres  avaient  use 
deja  de  ce  grand  pouvoir,  que  leur  Mailre 
leur  avail  communique  depuis  assez  long- 
temps.  Cfr.  Ill,  -to;  Luc,  x,  17,  '18.  Le  livre 
des  Actes  nous  les  montre  plusieurs  fois  en- 
core occupes  a  chass'r  victorieusement  les 
demons,  v,  -16;  viii.  7;  xvi,  18,  etc.  Et.  au 
second  siecle,  c'etailnn  tail  si  commun  parmi 
I'^s  fideles,  que  Tertullien  pouvait  ecrire,  Ad 
Scapulam,  c.  ii :  «  Daemones  de  hominibus  ex- 
pel I  imus,  sicut  pUiiimis  notnm  est  ».  Cfr.  De 
spectaculis,  xxvi,  et  S.  Ireiiee  v,  6.  —  Lin- 
(jais  loquentur  novix.  Ce  prodige  devait  se 
realiser  quelques  jours  seulement  apres  I'As- 
cension.  Cfr.  Act.  ii,  4  et  ss.  II  devinl  en- 
suile  l res-frequent  dans  la  primitive  Eglise 
(Cfr.  I  Cor.  xii-xiv)  :  S.  Frangois-Xavier  le 
renouvela  d'une  maniere  elonnante.  Ladjec- 
lif -/.aivat  a  ici  le  sens  d'  «  etrangeres,  incon- 
nues  ».  —  30  Serpentes  tollent,  scil.  «  mani- 
bus  rt,  comme  S.  I^aul  a  Malte,  Act.  xxviii,  3. 
D'apres  S.Luc,  x,  i9,  ce  pouvoir  avail  aussi 


228 


EVANGILE  SELON  S.  MARC 


ilne  leurnuira  point ;ils  imposeront 
Ipti  mains  sur  les  malades  et  ils  se- 
roni  giK^ris. 

19.  Et  le  Seigneur  Jesus,  apres 
qu'il  leur  eut  parle,  fut  eleve  dans 
le  ciel,  et  il  est  assis  a  la  droite  de 
Dieu. 

20.  Et  eux,  etant  partis,  prS- 
cherent  partout,  le  Seigneur  agis- 
sant  avec  eux  et  confirmant  leur 
parole  par  des  prodiges  qui  I'accom- 
pagnaient. 


bit  :  super  segros  manus  imponent, 
et  bene  habebunt. 

Ac^28,  5;/(i.  28.8. 

19.  Et  Dominus  quidem  Jesus, 
postquam  locutus  est  eis,  assumptus 
est  in  ccBlum,  et  sedet  a  dextris  Dei. 

Luc.%\,  51. 

20.  111!  autem  profecti  prsedicave- 
runt  ubique,  Domino  cooperanle,  et 
sermonem  confirmante,  sequentibus 

signis. 


€te  confere  precedemment  aux  Doiize.  — 
4°  Si  mortiferum  quid  biberint...  Grfice  au 
privilege  concede  par  Jesus  a  ses  disciples, 
cpux-ci  n'auronl  a  redouler  ni  le  venin  des  vi- 
peres,  ainsi  qu'il  vienl  d'etre  dil,  ni  les  autres 
poisons  quels  qu'ils  soient.  Le  nom  sacre  du 
Seigneur  sera  pour  eux  un  puissant  antidote. 
La  tradition  raconte  que  S.  Jean  I'Evange- 
liste  et  plusieurs  autres  saints  personnages 
ochapperent  ainsi  a  one  mort  certaine.  — 
5o  Super  cegros....  Dans  le  grec,  sttI  appwcrxoy;, 
sur  les  intirmes,  les  invalidos.  Uni-  simple 
imposition  des  mains,  et,  comme  resultat,  le 
prompt  et  entier  retablisscmenl  de  la  sante, 
bene  habebunt  (I'expression  xaXti^  £7.£tv  est 
aimee  de  S.  Marc,  qui  en  lait  usage  jusqu'a 
six  fois)!  Pour  I'accomplissement  de  cette 
promesse,  voyez  Act.  v,  15;  xix,  12,  etc., 
et  S.  irenee,  ii,  32,  4.  Elle  aussi,  elle  avait 
ete  faite  anterieurement  aux  Apotres.  Cfr. 
Matth.  X,  1  ol  parall. 

b.  V Ascension  de  Nolre-Saianeur  Jesus-Christ, 
XVI,  19-20;  —  Parall.  Luc.  xxiv,  50-S3. 

Tableau  d'une  grandiose  simplicite,  qui 
termine  admirablement  le  second  Evangile. 

49.  —  Dominus  quidem  Jesus.  Ce  debut  est 
soli'nnel.  Le  litre  de  Seigneur,  Kupio;,  ainsi 
applique  au  divin  Maitre,  n'est  pas.  comme 
on  I'a  dit,  «  etranger  a  la  diction  de  S.  Marc  » 
(AHbrd),  car  notre  Evangeliste  I'emploie  d'une 
maniere  analogue  en  deux  autres  endroits, 
II,  28  et  XI,  3.  —  Assumptus  est  (dveWjqjeY)) 
scil.  «  a  Palre.  »  Ailleurs,  Eph.  iv,  40,  I  Pelr. 
m,  22,  on  montre  le  Christ  s'elevant  au  ciel 
par  sa  propre  vertu  :  ici  et  dans  les  Acles, 
I,  2,  H,  22  (Cfr.  I  Tim.  in,  16)  son  Ascen- 
sion est  representee  comme  quelque  chose  de 
passif.  Cette  ditference  provient  des  points  de 
vue  divers  auxquels  se -sonl  places  les  ecri- 
vains  sacres  :  ici  c'est  la  nature  humaine  de 
Jesus,  la  sa  nature  divine  qui  est  surtout 
envisagee.  Venu  sur  la  terre  d'une  maniere 
myslerieuse  et  toute  celeste,  c'est  encore 
d'une  maniere  mysterieuse  et  celeste  que  le 


Sauveur  quitte  la  terre  pour  retourner  vers 
son  Pere.  —  Sedet  a  dextris  Dei.  Belle  meta- 
phore,  pour  exprimer  que  Jesus  parlicipe  a  la 
toiite-puissance  de  Dieu.  Cfr.  Act.  vii,  55; 
Rom.  VIII,  34;  Ejjh.  i.  20-23.  Ainsi  done, 
comme  le  dit  Sedulius,  Carm.  lib.  v. 

^thereas  evectns  abit  sublimis  in  auras, 

El  duxtram  subit  ipse  Patns,  mundumque  giibernat. 

20.  —  Illi  autem  profecti.  Le  pronom  «  illi  » 
designe  les  Apotres.  Cfr.  tt.  14, 15, 19.  La  par- 
ticule«  autem  »  [Bh]  correspond  a  «  quidem  » 
(jxev)  du  verset  precedent.  La  vie  de  Jesus 
paimi  les  hommes  a  pris  fin  avec  TAscensiun, 
aussitot  commence,  sans  la  moindre  interrup- 
tion, la  vie  de  son  E.i,'lise  :  c'est  [)ar  cette 
grande  pensee  que  S.  Marc  acheve  son  recil. 
Voila  pourquoi  sesdernieres  lignes  sont  con- 
sacrees  a  decrire,  avec  cette  rapid ile,  ce  pil- 
toresque,  cette  concision,  que  nous  avons  si 
souvent  admiresdanssa  redaction,  lemmistere 
des  Apotres  succedant  a  celuidu  Christ,  \'\l- 
glise  chretienne  s'etablissant  dans  le  monde 
enlier. —  Prcedicaverunt  ubique.  Dociles  aux 
ordresde  leurMaitre,  lesouvriersevangeliijues 
se  repandeni  paitout.  «  Et  quidem,  |)uuvait 
deja  dire  S.  Paul,  en  leur  appliquani  un  hxte 
desPsaumes(xviii,5),inomnem  lerram  exivit 
sonus  eorum,  et  in  fines  orbis  teriae  verba 
eorum.  »  Rom  x,  18.  —  Domino  coope route. 
Si  les  disciples  n'oublient  pas  les  pr  >sci'ipl  ions 
de  Jesus,  Jesus  de  son  coie  n'oublie  i)as  ses 
promesses.  11  a  dit  :«  Ecce  ego  vobiscum  sum 
omnibus  diebus  u-que  ad  co~umnia'ionem 
saeculi  »,  Matth.  xxvni,  20,  et  vnici  (|ii'en 
offet,  d'apres  I'ener^ique  parole  rie  S.  Marc,' 
il  se  lait  le  collaboraleur  (auvepyouvTo?)  de  ses' 
predicateurs.  Et  il  manifeste  sa  colhiboralion 
divine  par  les  prodiges  qui  se  multiplienl 
sous  les  pas  des  Apotres,  et  qui  communKju  nt 
a  leur  predication  une  efficacile  loute  divine. 
L'hisloire  de  I'Eglise  est  la  pour  le  prouver. 
—  Dans  le  texte  grec,  nous  trouvons  k  la  fin 
du  second  Eivangile,  comme  a  la  fii  du  pre- 
mier, un  'A[XTiv  apocryphe  et  inutila. 


TABLE  DE  L'EVANGILE  SELON  S.  MARC 


PREFACE 


Pages. 

I.  —  NoticebiographiquesurS.Marc.  i         VI.  — 

II.  —  Aulhenlicitedu  second  Evangile  4 

III.  —  Integrite 7       VII.  — 

IV.  —  Originaetcompositiondiisecond  VIII.  — 

Evangile 9        IX.  — 

V.  —  La  langiie  pri.nitive  du  second  X.  — 

Evangile 43 


Temps  et  lieu  de  la  composition 
du  second  Evangile.       .     . 

Caractere  du  second  Evangile. 

Plan  el  division 

Commentaleurs 

Division  synoplique  de  I'Evan- 
gile  selon  S.  Marc.    .    .    . 


Pages. 

U 
45 

18 
19 

20 


TEXTE,  TRADUCTION,  COMMENTAIRES. 


PREAMBULE 

Le   Pr6curseur. 

CHAPITRE  1 22 

PREMlfiRE  PARTIE 

Vie  publique  de  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ. 

CHAPITRE  I  (suite) 30 

CHAPITRE  II =  41 

CHAPITRE  III 51 

CHAPITRE  IV 63 

CHAPITRE  V 77 

CHAPITRE  VI 88 

CHAPITRE  VII 106 

CHAPITRE  VIII 118 


CHAPITRE  IX 130 

CHAPITRE  X 144 

DEUXlfeME   PARTIE 

Les  derniers  jours  et  la  Passion 
de  Jesus. 

CHAPITRE  XI 158 

CHAPITRE  XII 168 

CHAPITRE  XIII 180 

GIL-kPITRE  XIV 190 

CHAPITRE  XV 209 

TROISlfiME    PARTIE 

Vie  glorieuse  de  Notre-Seigneur 
J6sus-Clirist. 

CHAPITRE  XVI 221 


FIN  DE  L'EVANGILE  SELON  S.  MARC 


J 


LA 

SAINTE  BIBLE 

fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


IMPRIMATUR 


•J-  J.  Hipp.  Card.  Guibert,  archiepiscopus  Parisiensis. 


Parisiis,  die  la  januarii,  1882. 


Pour  donner  une  id^e  de  I'esprit  dans  lequel  notre  travail 
a  H6  cotiQU  et  execute,  nous  ne  croj'ons  pas  pouvoir  mieux 
t'aire  que  d'einprunter  k  Saint  Bernard  (Ep.  clxxiv,  u.  9)  la 
protestation  suivante  : 

Bomanx'  prsr-sertim  Ecclesim  auctoritati  atqne  examini, 
totum  hoc,  sicut  et  csetera  qum  ejusmodi  swil,  universa 
reservo,  ipsius,  si  quid  aliter  sapio,  paratus  judicio  emendare.  » 


PROPRIETE  DE  L'EDITEUR 


S.  Luc. 


C 


LA 


SAINTE  BIBLE 

TEITE  DE  lA  milATE,  TRADWTM IRAJWSE  EN  MABD 

AVEC  COMMENTAIRES 

THEOLOGIQUES,    MORAUX,  PHILOLOGIQDES,   HISTORIQUES,  ETC,   KEDIGES    d'aPRES  LES   MEILLEUR3 
TRAVAUX  ANCIENS    ET  CONTEMPORAIXS. 

ET  ATLAS  GEOGRAPHIQUE  ET  ARCHEOLOGIQUB 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 

INTRODUCTION  CRITIQUE  ET  COMMENTAIRES 

Par  M.  I'abb6  L.  CI.  PILLION 
Pretre  de  Saint-Sulpice,  professeur  d'Ecriture  sainte  a  I'lnstitut  catholique  de  Paris 

TRADUCTION  FRANCAISE 

Par  M.  I'abbe  BAYLE 
Docteur  en  Theologie  et  professeur  d'eloquence  sacree  h  la  Faculte  de  Theologie  d'Aix 

Ignorafio  Scripturarum,  ignorafio  Christi  est. 

S.    HlERON. 

NOUVELLE    EDITION 


PARIS 
P.   LETHIELLEUX,    LIBRAIRE-EDITEUR 

lO,    XTjie  Oassette,    2.0 


i8g7 


L 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


— »>5^ei«-4<. — 


PREFACE 


■     »>»iCH<-»« — 


§   I.  —  NOTICE    BIOGRAPHIQUE  SUR  S.    LUG  (1). 

Luc,  en  lalin  Lucas,  en  grec  Aouxa?,  est  la  forme  abregee  de  Lucianus 
(Aouxcavo?),  ou  de  Lucilius  (AouxtXto;),  ou  plus  probablemenl  de  Lucanus 
(Aouxavo?) :  plusieurs  anciens  manuscrils  de  I'llala  (2)  intitulent  en  effet  Ic 
Iroisieme  Evangile  «  Evangelium  secundum  Lucanum  (3).  » 

Ge  nom  apparait  trois  fois  dans  les  ecrits  du  Nouveau  Testament,  Col. 
•  iv,  14;  Philem.  24;  II  Tim.  iv,  11,  et  toujours,  d'apres  le  temoignage 
unanime  de  I'antiquite,  pour  designer  letroisieme  des  evangeiistes  synop- 
tiques.  Mais  c'est  a  tort  que  divers  auteurs  anciens  et  moderncs  ont  essaye 
d'identifier  S.  Luc  avec  les  deux  personnages  nommes  «  Lucius  »  dont  il 
est  question  au  livre  des  Actes,  xiii,  1  (4),  et  dans  TEoitre  aux  Romains, 
XVI,  21  (5). 

Nous  possedons  sur  la  patrie  et  rorigine  de  S.  Luc  des  renseignements 
patristiques  du  plus  grand  prix. 

L'liistorien  Eusebe  et  S.  Jer6me  s'accordent  pour  le  faire  naitre  a  An- 
tioche,  capitale  dela  Syrie.  AouxS?  to  ys'vo?  wv  twv  o.tz'  'Av-ioydai,  dit  le  premier, 
Hist.  Eccl.  Ill,  4.  De  meme  S.  Jer6me  :  «  Tertius  (Evangelisla)  Lucas..., 
nalione  Syrus,  Antiochensis,  »  Prooem,  in  Matth.  (6;  Gelte  tradition,  bien 
qu'on  I'ait  parfois  attaquee,  vaut  assurement  les  conjectures  de  Greswell 
et  d'autres  protestants  contemporains,  qui  attribuent  sans  la  moindreappa- 


[\)  Voyez  Fabri,  Vita  lii  S.  Luca  Evangelista,  Venisft  1643. 

(2)  En  parliculier  les  Cod.  Vercell.,  Vindobon.,  Coitonian.  Comp.  Palrizi,  de  Evangel,  libri 
tres,  I,  62. 

(3)  Les  abrevialions  de  ce  genre  eiaicnt  Ires  frequenles  cliez  les  Grecs  el,  les  Romains;  par 
exemple  Zenas  pour  Zenodore,  Demas  pour  Demetrius,  Arlemas  pour  Arleuiidore,  Cleopas  pour 
Cleopater,  Hermas  pour  Hermagoras,  Alexas  pour  Alexandre,  etc. 

(4)  «  .Sed  et,  Lucium  quidam  ipsum  perliibenl  esse  Lucam  qui  evangelium  scripsil,  pro  eo 
quod  Solent  nomma  interdura  seciinduiu  palriam  decliiiationem,  interdum  etiam  secundum 
graecara  romanamque  proferri.  »  Orig.,  Comm  nt.  in  Ep.  ad  Rom.  xvi,  21.  Comp.  Baronius, 
Annal.  ad  ann.  58,  no  57. 

(5)  Voyez  Ad.  Maier,  Einleit.  in  die  Schriften  des  N.  Test.,  Fribourg  1852,  p.  88. 

(6]  Comp.  S.  Jean  Chrysosl.,  Horn,  in  Malih.  i ;  Tillemoni,  Memoires  ecclesiast .  ii,  p.  60.  . 

S.  BlBLK.  S.  Lcc.  —  1 


2  fiVANGILE  SELON  S.  LUC 

rence  de  raison  aiix  Tilles  de  Troas  ou  de  Philippes  I'honneur  d'avoir 
doimo  le  jour  a  notre  evangeliste. 

S,  Luc,  par  sa  naissance,  n'apparteuait  pas  au  judaisme,  mais  a  la  gen- 
tilite.  Cela  ressort  tres  clairement  del'Epitre  aux  Golossiens,  iv,  10  et  ss., 
oil  S.  Paul,  apres  avoir  mentionne  trois  de  ses  amis  et  collaborateurs,  Aris- 
larque,  Marc  et  Jesus  le  Juste,  en  prenant  soin  d'ajouter  qu'ils  etaient 
Juifs  d'origine  («  qui  sunt  ex  circumcisione,  »  ^.  11),  en  nomme  trois 
autres,  Epaphras,  Luc  et  Demas,  sans  indication  du  meme  genre,  ce  qui 
suppose  que  ces  derniers  etaient  nes  de  parents  paiens.  Les  hebraismes 
que  Ton  rencontre  en  plusieurs  endroits  des  ecrits  de  S.  Luc  ne  prouvent 
rien  contre  celte  conclusion,  car  ils  s'expliquent  Ires  bien  par  les  sources 
juives  auxquelles  I'auteur  du  troisieme  Evangile  et  des  Actes  a  du.  parfois 
puiser.  —  Des  quatre  evangelistes,  S.  Luc  est  done  le  seul  qui  soit  issu  de 
la  gentilite.  11  est  tres  possible  neanmoins,  suivant  une  croyance  qui 
etait  deja  generale  du  temps  de  S.  Jerome  (1),  et  qui  est  aujourd'hui  encore 
assez  communement  admise,  qu'il  se  soit  fait  affilier  a  la  religion  juive  en 
devenant  proselyte  (2),  avant  de  se  convertir  au  christianisme.  Par  la 
s'explique  sa  parfaite  connaissance  des  usages  Israelites. 

S.  Paul  nous  apprend  que  S.  Luc  exercait  la  profession  de  medecin. 
cf  Salulat  vos,  ecrit-il  aux  Golossiens,  iv,  14,  Lucas  medicus  carissimus.  » 
Et  Ton  trouve  une  confirmation  de  ce  fait  non  seuleraerit  dans  les  nom- 
breuses  assertions  des  ecrivains  ecclesiastiques  des  premiers  siecles, 
mais  jusque  dans  les  pages  du  troisieme  Evangile  et  du  livre  des  Actes. 
Des  termes  techniques  y  trahissent  en  effet  a  differentes  reprises  le 
«  Doctor  medicus.  «  Par  exemple,  iv,  38,  I'auteur  prend  soin^de  dire  que  la 
belle-mere  de  S.  Pierre  etait  malade  d'une  grande  fievre,  -rnjpsTw  [j.f^'Uta,  ex- 
pression (ju^on  rencontre  precisement  dans  Galien.  Dans  les  Actes,  xiii, 
11,  il  designe  la  cecite  par  un  mot  rare,  ax^u?,  egalemeut  employe  par 
Galien.  Ailleurs,  Luc.  xxii,  44,  etc.^  il  signale  des  pheuomenes  patholo- 
giques  que  les  autres  evangelistes  avaient  passes  sous  silence  (3).  Ges 
traits  sontassurement  significatifs. 

Partaiit  de  ce  fait,  et  s'appuyant  d'une  part  sur  ce  que  les  noms  d'es- 
claves  eiait  freqiiemment  abreges  en  as  comme  celui  de  S.  Luc  (4), 
d'aulre  part  sur  ce  que,  chez  les  Grecs  eta  Rome,  les  medecins  etaient 
souvent  de  condition  servile  (5),  divers  exegetes  ont  pretendu  que  notre 
evangeliste  aurait  ete  un  esclave  affrancbi.  "Mais  rien,  dans  la  Bible  ni 
dans  la  tradition,  ne  vient  justifier  cette  singuliere  hypothese. 

S.  Luc  aurait-il  etc  peinlre  en  meme  temps  que  medecin?  G'etait  la 
croyance  de  S.  Thomas  d'Aquin  («  Unde  et  B.  Lucas  dicilur  depinxisse 
Ghristi  imaginem  qu[e  Romse  habetur  »)  (6),  comme  aussi  celle  de  Simon 
Metaplirasle  au  milieu  du  x«  siecle  (7).  Nicephore  (xiv^  siecle)  n'est  done 
pas  le  premier,  ainsi  qu'on  le  repete  souvent,  a  menlionner  cette  opi- 


(1)  Quae-',  in  Gon.  c.  xlvi. 

(2)  Voycz  Mallh.  xxiii,  15,  cl  le  commpnlaire.- 

(3)  Voyez  Michaelis,  Einlcit.,  ii,  p.  1079. 

(4)  Voyoz  p.  \,  el  Kilto,  Cydopa'dia  of  bibl.  Literature,  s.  v.  Luke. 

(5)  Comp.  Suclon.,  In  Caio,  c.  vm ;  Senec,  De  benef.  iii,  24;  Ouintil.,  vii,  2,  no  26. 

(6)  Summa,  p   III,  q.  23,  a.  3. 

(7)  Vita  Luc,  c.  vi. 


PRfiFACE  3 

nion  (1).  Quoi  qu'il  en  soit  de  rauthenticite  des  tableaux  qui  lui  ont  ete 
altribues,  il  est  certain,  et  le  commentaire  le  fera  voir  a  chaque  instant, 
que  S.  Luc  avait  une  ame  d'artiste,  et  qu'il  excelle  dans  les  descriptions  de 
tout  genre,  specialement  dans  les  portraits  psychologiques  (2). 

A  quelle  epoque  et  dans  quelles  circonstances  S.  Luc  devint-il  chretien? 
La  tradition  est  a  peu  pres  muette  sur  cette  question,  a  laquelle  on  ne  pent 
repondre,  par  consequent,  qu'a  I'aide  de  conjectures  plusou  moins  hazar- 
dees.  Toutefois,  S.  Luc  etant  originaire  d'Antioche,  il  parait  vraisemblable 
qu'il  ait  appris  a  connaitre  et  adopte  la  religion  de  Jesus  dans  cette  ville, 
qui  posseda  de  si  bonne  heure  une  chretiente  florissante,  formee  en 
grande  partied'elements  paiens(3).Tertullien  insinue  Dieme,adv.  Marcion. 
IV,  2,  que  S.  Luc  aurait  ete  converti  par  I'apotre  des  Gentils  en  per- 
sonne  (4) :  ce  qui  expliquerait  tres  bien  du  reste  leurs  rapports  intimes 
dont  nous  allons  bientot  parler. 

S.  Epiphane,  adv.  Hser.  li,  6,  et  d'autres  auteurs  a  sa  suite,  font  de 
S.  Luc  un  des  soixante-douze  disciples.  Qiielques-uns  des  partisans  de 
cette  opinion  alleguent,  pour  la  justifier,  que  le  troisieme  evangeliste  a  seul 
raconte  I'envoi  des  soixante-douze,  les  instructions  que  Jesus  leur  adressa, 
leurs  travaux  et  leur  retour  (o).  Mais  S.  Luc  les  a  en  quelque  sorte  refu- 
tes d'avance,  des  le  debut  de  son  Evangile  (6),  en  affirmant  d'une  ma- 
niere  implicite  qu'il  ne  fut  pas  temoin  oculaire  des  choses  qu'il  raconte. 
Au  reste,  «  TertuUien  (7)  dit  comnie  une  chose  constante  que  S.  Luc  n'a 
point  ete  disciple  de  Jesus-Glirist...  Le  memeTerUiIlien  etS.  Irenee  (8)  se 
contentent  de  I'appeler  Homme  apostolique  (9).  »  Le  canon  de  Muratori 
affirme  tout  aussi  nettement,  que  S.  Luc  «  Dominum  tamen  nee  ipsevidit 
in  carne.  » 

Le  sentiment  d'apres  lequel  notre  evangeliste  serait  I'un  des  deux  dis- 
ciples d'Emmaiis  (10)  ne  repose  pas  sur  des  fondements  plus  solides. 

Mais  voici  que  S.  Luc  va  devenir  son  propre  biographe  pour  une  partie 
considerable  de  sa  vie.  Sans  senommer,  et  pourtant  d'une  facon  tellement 
claire  qu'il  est  impossible  de  s'y  uieprendre  (I'l),  il  raconte  en  abrege  le 
ministere  evangelique  qu'il  eut  le  bonheur  d'exercer  dans  la  societe  de 
S.  Paul  pendant  plusieurs  annees.  «  Le  tres  cher  medecin,  »  partant  de 
Troas  avec  TApotre  des  nations,  au  moment  oiicelui-ci  se  disposait  a  pas- 
ser en  Europe  pour  la  premiere  fois,  I'accompagna  jusqu'a  Philippes,  en 


(i)  Hist.  eccl.  n,  43;  av.pwg  t:?iv  !;wYpa9ou  te'/.v/iv  eczm(j-i\i.Byoz.  S.  Liic  aiirail  fait,  d'apres  cet 
aiileiir,  les  porlraits  de  Nolie-Seigiieur  Jesiis-Chrisl,  do  la  sainle  Vierge  el  des  priiicipaux 
Apclrfs. 

{i)  Voyez  Manni,  Del  vero  piltore  Luca,  Florence  4764;  Faber,  Bethlehem,  passim;  Boii- 
-e;aud,  Jesus- Christ,  2e  edit.  pp.  87,  88,  93. 

(3)  Coinp.  Act.  XI.  19-30. 

(4)  «  Lucas,  non  apostolus,  sed  apostolicus;  noii  inagister,  sed  discipuhis,  ulique  magistro 
•Hinor,  cerLe  lanlo  posterior  quanto  posterioris  aposloli  sectator,  Pauli  sine  dubio.  a 

(5)  Luc.  X,  1  el  suiv. 
(6)1.  1. 

(7)  Loco  ciiato. 

(8)  Lib.  I,  c.  20. 

',9)  Cairaet,  Commentaire liUeral,  t.  XX,  p.  182,  Preface  sur  S.  Luc. 
(40;  Luc.  XXIV.  13  et  ss.  Voyez  Tlioopliylacto,  Comm.  h.  L 

(11)  Conip.S.  Irenee,  Haer.  iii,  14.  Voyez  les  commentairesdu  livre  des  Actes,  aux  passage* 
indiques  ci-apres. 


4  fiVANGILE  SELON  S.  LUC 

Macedoine,  Act.  xvi,  10-17  (1).  Plus  tard,  Act.  xx,  d  et  ss.,  nous  le  retrou- 
vons  dans  cetle  meme  ville  avec  son  illustre  maitre  :  ils  traversenl  de 
nouveau  THellespont,  mais  en  sens  contraire,  pour  rentrer  a  Troas,  d'ou  ils 
font  route  ensemble  vers  Jerusalem  en  passant  par  Milet,  Tyr  el  Gesaree. 
Ibid-  XX,  i3-xxi,  17.  Tout  trahit  le  temoin  oculaire  dans  ce  recit  plein  de 
details  interessants.  G'est  sur  ces  entrefaites  qu'eut  lieu  I'arrestation  de 
S.  Paul  a  Jerusalem  et  sa  longue  incarceration  a  Cesaree.  Quand  le  grand 
Ap6tre,  apres  son  appel  a  Cesar,  fut  dirige  sur  Rome  avec  d'autres  pri- 
sonniers,  sou  fidele  S.  Luc  le  suivit  encore  et  parlagea  son  naufrage,  ce  qur 
nous  a  valu  Tune  des  narrations  les  plus  vivantes  et  les  plus  instructives 
du  Nouveau  Testament.  Gf.  Acles,  xxvii,  1-xxviii,  16. 

Quelques  annees  apres,  durantsa  seconde  captivileromaine,  S.  Paul  nous 
montre  lui-meme  S.  Luc  a  ses  c6Les,  comme  un  ami  dont  rien  ne  peut 
ebranler  I'iitlacljement :  «  Lucas  est  mecum  solus  ».  II  Tim.  iv,  11  (2). 

Que  devint  I'evangeliste  apres  la  glorieuse  mort  de  son  maitre?  Le& 
sources  certaines  nous  abandounent  ici,  et  nous  ne  pouvons  parser  que 
d'apres  des  traditions  presque  toujours  indecises  et  flotlantes,  quand 
elles  ne  sont  pas  directement  contradictoires.  On  nous  le  montre  du  moins 
comme  un  missionnaire  infaligable,  qui  porta  en  de  nombreuses  contrees, 
meme  jusque  dans  les  Gaules  d'apres  le  temoignage  de  S.  Epiphaue  (3) 
le  nom  et  la  doctrine  du  Seigneur  Jesus.  L'Achaie  semble  toutefois  avoir 
ete  le  principal  theatre  de  ses  travaux  (4). 

II  mourut  martyr  (5),  a  un  age  assez  avance  (6),  probablement  durant 
le  dernier  quart  du  premier  siecle  chretien.  Sedulius  (7)  ditexpressemeut 
qu'il  avait  garde,  comme  S.  Paul,  une  virginite  perpetuelle.  En  357,  la 
vingtieme  annee  du  regne  de  Gonslance,  ses  precieux  restes  furent  solen- 
nellement  transportes  a  Gonstautinople  (8).  G'est  en  verlu  d'une  tradition 
legendaire  qu'on  montre  aujourd'hui  son  tombeau  parmi  les  mines 
d'Ephese  (Voyez  Wood,  Piscoveries  at  Eiiliesus,  et  Green,  Pictures  from 
Bible  Lands,  p.  100). 

L'Eglise  celebre  sa  fete  le  18  octobre  (9). 

§   II.  —  AUTHENTICITE  DU   TROISIEME  ^VANGILE. 

L'authenticile  du  troisieme  evangile  n'est  pas  moins  certaine  que  celle 


(1)  Voyez  V.  Ancrssi,  Atlas  geogr.  pi.  XIX;  R.  Rie-^s,  Atlas  de  la  Bible,  pi.  V.  Suivatit 
S.  Jeiome,  De  vins  ill.c.  vii,  le(lisci|jle  qui  accomp.igna  Tite  a  Gorintlie  pour  y  recueillir  les^ 
auniones  dt^-^  (idelcsau  nom  de  S.  Paul  (U  Cor.  viii,  18  et  ss.),  ne  seraiL  autroqueS.  Luc. 

'2)  Poui'  la  cliioiiologie  de  celle  parlie  de  I'liisloire  de  S.  Luc,  voyez  Drach,  Epitres  de- 
S.  Paul,  pp.  Lxxii  el  LXXiil. 

(3) //(PC,  1.  LI,  11. 

(4)  Coinp.  S.  Greg,  de  Naz.  Oral,  xxxm,  II;  Garm.  XII  de  veris  S.  Script,  libris.  Voyer. 
D.  Ciiliiv  t,  Piefaee  sur  S.  Luc,  p.  183. 

(5)  En  Grece,  pendu  a  un  olivier,  d'apres  Nicephore,  Hist.  Eccl.  ii,  43;  en  Blthynie,  sui- 
vanl  S.  Isidore,  De  orlu  et  de  obilii  Patrum,  c.  xcii. 

(6)  A  soixanle-quarlorzo  ou  a  qualre-vingl-un  ans,  selon  les  differenles  traditions.  Voyez 
Niceplioie  el  S.  Isidore,  1.  c. 

C?)  Arguin.  in  Luc.  Collect,  nov.  Vol.  ix,  p.  177. 

(8)  Coinp.  S.  Jei  ome,  De  vir.  illustr.,  c.  vii ;  S.  Jean  Damasc.  ap.  Spicil.  rom.  ed.  Mai^ 
t.  IV,  p.  352.  y     ^  ^ 

(9)  Voyez  le  Marlryologo  remain,  liac  die. 


PREFACE  5 

des  deux  premieres  biographies  de  N.-S.  Jesus-Christ  (1).  Nous  avons,  pour 
la  demonlrer,  des  temoignages  nombreux,  qui  remontent  jusqu'aux  temps 
aposloliques  (2).  Nous  pourrions  dire  que  rauthenlicile  du  livre  des  Actes, 
doiit  oil  aetabli  ailleurs  (3)  Texislence  par  les  raisonnemeuts  les  plusplau- 
sibles,  est  un  stir  garant  de  celle  de  noire  evangile,  I'auteur  des  deux 
ecrils  etaiit  le  m^me,  et  affirmant  en  termes  formels,  Act.  i, 'l.qu'il  n'a 
compose  le  second  que  pour  completer  le  premier.  Mais,  pour  le  moment, 
nous  ne  voulons  faire  apfiel  qu'a  la  tradition  proprement  dite. 

I.  Les  temoignages  directs,  c'est-a-direceuxqui  designent  nommeraent 
S.  Luc  comme  I'auteur  du  troisieme  evangile,  ne  depassent  pas,  il  est  vrai, 
le  second  siecle.  Toutefois,il  faut  remarquer«qu'ilsne  sent  point  I'expres- 
sion  du  sentiment  individuel  des  ecrivains  chez  qui  ils  se  rencontrent, 
mais  qu'ils  apparaissentaccidentelleraent,  comme  I'expression  de  la  con- 
viction antique,  non  interromjiue  et  non  contestee,  de  I'Eglise  enliere.  Ges 
ecrivains  expriment  le  fait  comme  une  chose  que  persoiine  n'ignore.  lis 
n'auraient  pas  songe  al'enoncer  si  une  circonstance  speciale  ne  lesy  avait 
appeles.  Par  ce  caraclere  ecclesiastique,  tout  a  la  fois  universel  et  here- 
ditaire,  ces  temoignages,  lors  meme  qu'ils  ne  datent  que  du  ii®  siecle. 
nous  permeltent  done  de  constater  la  conviction  du  premier.  Ge  qui 
regnait  alors,  en  efTet,  ce  n'etait  pas  la  critique  individuelle,  mais  la  tra- 
dition (4).  »  Le  silence  de  Papias,  que  les  rntionalistes  aiment  a  nous 
opposer,  n'enleve  done  a  S.  Luc  aucun  de  ses  droits  d'auteur  (5). 

Le  premier  temoignage  formel  est  celui  de  S.  Irenee.  II  est  extreme- 
men  t  net  et   precis  ".  AouxS?  Bl  5  axoXouOoc  UauXou  to  utt'  £X£ivou  xripuff<70i;L£vov  euayyeXtov 

ev  ptSXtto  xare'eeTo.  Hser.  Ill,  1  ;  comp.  XIV,  1.  Du  restc,  le  grand  eveque  de 
Lyon  cite  plus  de  quatre-vingt  fois  le  troisieme  evangile. 

A  la  m^me  epoque  (fin  du  second  siecle),  le  Canon  de  Muratori  (6)  pro- 
mulguait  comme  il  suit,  dans  son  curieux  latin,  Taulhenticite  de  I'evan- 
gile  selon  S.  Luc  :  «  Tertio  (tertium)  Evangelii  lihrum  secundo  (secundum) 
Lucam.  Lucas  iste  medicus  post  ascensum  Christi,  cum  eo  (eum)  Paulus 
quasi  ut  juris  studiosum  secundum  assumpsisset,  numine  (nomine)  suo 
et  opinione  concriset  (conscripsit) ;  Dominum  tamen  nee  ipse  vidit  in 
carne,  et  idem,  prout  assequi  potuit,  ita  et  ab  nativitate  .Toannis  incipet 
{incipil)  dicere.  » 

Tertullien  n'est  pas  moins  explicite  :  «  In  summa,  si  conslat  id  verius 
quod  firius,  id  prius  quod  ab  initio,  quod  ab  apostolis,  pariter  utique  con- 
stabit,  id  esse  ab  apostolis  traditum,  quod  apud  ecclesias  apostolorum  fue- 
rit  sacrosanctum...  Dico  itaque  apud  illas,  nee  jam  solum  apostolicas,  sed 

(\)  «  Rien  de  tres  grave,  ce  sonl  les  paroles  de  M.  Renan,  ne  s'oppose  a  ce  cju'oii  lienne 
Luc  pour  lauteiir  de  I'Evangile  qu'^m  liii  allribue.  Luc  n'avait  pas  assoz  de  celebnle  pour 
qu'on  Hxpldiiat  son  nom  en  vue  de  donner  de  I'aulorile  aim  livri^.  »  Les  Evangiles,  Paris  1877, 
p.  io'i.  Meme  ainsi  foimule  I'aveii  ne  laisse  pas  d'avoir  son  prix. 

(2  Nous  laissnns  de  cole  les  preuves  intiiiiseques,  doni.  la  force  probante  nous  parail  con- 
teslable.  Voyez  Langen,  Grundriss  der  Einleit.  in  das  N.  T.,  Fribourg  1868,  p.  44  el  suiv. 

(31  Voir  le  comminlaire.  Preface.  §  1. 

(4)  Godeu  Commentaire  sur  I'Evaiigile  de  S.  Luc,  2e  edit.,  t.  I,  p.  32. 

^5)  L(*  lecteiir  se  rappellc  qij(^  Papias  alliibue  expressemenl  a  S.  MaUhieu  et  a  S.  Marc  la 
composiiion  du  [inmicr  ( t  du  second  Evangile.  Voir  nos  commenlaires,  I.  1,  p.  8;  1.  II,  p.  4. 
On  sail  (lu  resle  que  nous  no  possedons  que  de  rares  fragments  des  ceuvres  de  Papias. 

(6)  Voyez  sur  ceite  piece  imporlanle  le  P.  de  Valroger,  Intrcd.  hist,  et  crit.  aux  livres  du 
N.  T.,  I.  1,  p.  76  el  suiv. 


6  EVANGILE  SELON  S.  LUC 

apiid  universas,  quae  illis  de  socielate  sacramenli  confoederantur,  id; 
evangelium  Liicse  ab  initio  editionis  stare,  quod  eum  maxime  tuemur  (1).  »■ 
On  Ic  voit,  comme  nous  le  disions  plus  haut,  nous  n'entendons  pas  seulo- 
ment  ici  le  sentiment  prive  d'un  grand  docteur,  mais  la  croyance  de  toute 
Tancienne  Eglise. 

Origeue,  cite  par  Eusebe.  Hist.  Eccl.  vi,  2o,  s'exprime  ainsi  sur  le  troi- 

sieme  evangile  '.  Kal  xpiTov  to  xaxa  Aouxav,  to  uub  IlauXou  ETcaivouasvov  ev^'^fi'kio'J ,  toT? 
e-rrb  toSv  lOvoiv  TZZ-KOir^xoTcii  (2), 

Eusebe  lui-meme  n'hesite  pas  a  admettre  cet  evangile  parmi  les 
iixoAoyouusva,  c'est-a-dire  parmi  les  livres  sacres  universellement  reconnus 
comme  authentiques  dans  la  primitive  Eglise.  Gf.  Hist.  eccl.  in,  4. 

S.  Jerome  enfm,  car  il  est  inutile  de  descendre  plus  bas  que  le  qua- 
trieme  siecle  (3),  ecrit  dans  son  traite  De  viris  illustr.,  c.  vii  :  «  Lucas 
medicusAntiochensis,utejus  scripta  indicant,  grseci  sermonis  nonignarus 
full;  sectator  Pauli  et  omnis  peregrinationis  ejus  comes.  Scripsit  Evan- 
gelium. » 

On  pent  egalement  regarder  comme  des  temoins  directs  du  plus  grand 
prix  les  antiques  traductions  latines  (I'ltala  et  la  Vulgate),  syriaques, 
egyptiennes ,  etc. ,  qui  intitulent  le  troisieme  evangile  «  Secundum 
Lucam.  » 

n.  Lestemoignages  indirects  sont  peut-etre  encore  plusimporlants,  soit. 
parce  qu'ils  reraontent  beaucoup  plus  haut,  soit  parce  que  nous  les  recevons 
de  la  Louche  des  ecrivains  heretiques  tout  aussi  bien  que  de  celle  des 
auleurs  orthodoxes,  soit  enfm  parce  qu'il  nous  prouvent  que  le  troisieme 
evangile  a  toujoursete  ce  qu'il  est  aujourd'hui  (4). 

1°  Les  ecrivains  orthodoxes. —  S.Justin,  dont  les  citations  multiples 
nous  ont  ete  si  precieuses  pour  etablir  I'authenticite  du  premier  evangile, 
ne  nous  sera  pas  ici  d'un  moindre  secours.  Recueillons  d'abord  quelques 
aveux  significatifs  d'exegetes  rationalistes.  «  La  connaissance  qu'a  Justin 
de  I'evangile  de  Luc,  dit  Zeller,  est  demontree  par  une  serie  de  textes 
dont  les  uns  sont  a  n'en  pas  douter,  les  autres  selon  toute  vraisemblance, 
des  emprunts  faits  a  cet  ecrit  (o).  »  «  Outre  Matthieu  et  Marc...,  Justin 
utilise  encore  TevangiJe  de  Luc,  »  ecrit  Hilgenfeld  (6).  Et  Volkmar  : 
«  Justin  connait  nos  trois  evaugiles  synoptiques,  et  les  extrait  presque 
en  entier  (7).  »  Quelques  rapprochements  justifieront  ces  dires. 

Dialog,  c.  c  :  «  La  Vierge  Marie,  quand  I'ange  Gabriel  lui  amionca  que 


(1)  Adv.  Marcion.  iv,  5. 

(2;  Comparez  Clem.  Alex.,  Strom,  i,  24. 

(3)  Voir  d'aulres  nombreuses  citations  dans  le  savanl  ouvrage  de  M.  Westcolt.  A  general 
survey  of  the  Canon  of  the  Neio  Testament,  2e  edit.  Londres  1866. 

(4)  Le  iecleur  smdieux  Irouvera  des  documents  asspz  complels  sur  cette  question  dans  Da- 
vidson, Introduction  to  the  study  of  the  N,  T.,  Londres  1868.  t.  11,  pp.  19-23  ;  Feilmoser, 
Einleitung  in  die  Biicher  des  N.  B.,  2e  edit.  pp.  180  et  s^.;  L.  Hug,  Einleitung  in  die  Schrif- 
ten  des  N.  T..  3e  ed.  t.  I,  pp.  33  et  ss.;  C.  Tischendorf,  Wann'wurden  unsere  Evangelien 
verfassl?  4e  ed.  p.  16  el  ss. ;  Westcolt,  L  c,  p.  83  et  ss.  Nous  devons  nous  borner  ici  aux. 
pnncipales  indications. 

(3)  Apostelgeschichte,  p.  26. 

(b)  Der  Kanon,  p  23,  Comp.,  du  meme  auleur,  das  Evangel.  Justin's,  pp.  101  el  ss. 
(i)Ursprung  unserer  Evangelien,  p.  91.  Comp.  S.misch,  die  Denkwiirdigkeiten  Justin's,. 
pp.  <34  el  ss. 


PREFACE  7 

I'Esprit  dii  Seigneur  viendrait  sur  elle  et  que  la  puissance  du  Tres-Haut  la 
couvrirait  de  son  ombre,  et  que  par  consequent  I'etre  saint  qui  naitrait 
d'elie  seraitleFils  de  Dieu,  repondit :  Qu'il  me  soit  fait  selon  ta  parole  (1)!  » 
Comparez  Luc.  i,  26-30. 

Dialog,  c.  Lxxviii  :  «  Le  premier  recensement  etant  alors  fait  en  Judee 
sous  Gyrinus,  (Joseph)  etait  venu  de  Nazareth,  ou  il  habitait,  a  Bethleem, 
oil  nous  le  trouvons  maintenant,  pour  se  faire  inscrire.  II  appartenait  en 
effet  a  la  tribu  de  Juda,  qui  habitait  cette  contree.  »  Comp.  Luc.  ii,  2. 

Dialog,  c.  cm : «  Dans  les  memoires  composes,  comme  je  Tai  dit,  par  les 
Apotres  et  leurs  disciples,  il  est  raconte  que  la  sueur  decoula  par  gouttes 
(de  Jesus),  tandis  qu'il  priait  et  disait  :  C}ue  cette  coupe,  s'il  est  possible, 
s'eloigne  de  moi !  »  Comp.  Luc.  xxii,  44. 

Dialog,  c.  cv  :  «  Expiranlsur  la  croix,  il  dit :  Mon  Pere,  je  remets  mon 
^me  entre  vos  mains.  »  Comparez  Luc.  xxiii,  46. 

Rapprochez  semblablementi?/«/.  li  de  Luc.  xvi,  16  ;  Apol.  i,  16  et  Dial. 
CI  de  Luc.  xviii,  19;  Apol.  i,  19  de  Luc.  xx,  34;  Apol.  i,  66  de  Luc. 
XXII,  19,  etc. 

La  lettre  des  Eglises  de  Lyon  et  de  Vienne  (2),  ecrite  en  I'annee  177, 
cite  clairement  Luc.  i,  b  et  6. 

Dans  celle  de  S.  Clement  de  Rome,  c.  xiii,  Volkmar  lui-mSme  reconnait 
un  texte  de  S.  Luc,  vi,  31,  36-38  (3). 

2°  Les  ecrivaius  heterodoxes  (4).  —  Gerdou  admeltait  I'autorite  du  troi- 
sieme  evangile,  comme  nous  I'apprend  un  ancien  livre  attribue  a  Tertul- 
lien  :  «  Solum  evangelium  Lucse,  nee  tamen  totum,  recipit  (Gerdo)  (o).  » 

Dans  les  PhilosopJioumena,  vi,  35  et  yii,  26,  fious  Yoyons  Basilide  et 
les  Valentiniens  citernotre  evangile  (i,  IS),  preuve  qu'ils  en  acceptaient 
Tauthenticite  (6).  Heracleon  en  commente  plusieurs  passages  (7);  Theodote 
argumente  sur  divers  autres  textes  (8).  De  meme  les  Homelies  Clementines, 
comme  on  le  voit  en  etablissant  une  comparaison  entre  les  passages  sui- 
vants:  Hom.  xii,  3o,  xix,  2  et  Luc.  x,  18;  Horn,  ix,  22  et  Luc.  x,  20;  Hom. 
Ill,  30  et  Luc.  IX,  5;  Hom.  xvii,  5  et  Luc.  xviii,  6-8.  etc.  (9). 

Mais,  de  tons  les  temoignages  heretiques  favorables  a  I'authenticite  du 
troisieme  evangile,  le  plus  important  et  le  plus  celebre  est  celui  du  gnos- 
tiqueMarcion  (vers  138  de  Tere  chretienne).  Desireux  de  faire  disparaitre 
du  christianisme  tout  element  qui  rappelat  le  Judaisme,  cet  heresiarque 
trancha,  coupa  a  sa  guise  dans  les  ecrits  du  Nouveau  Testament,  dont  v 
garda  seulement  quelques  epitres  de  S.  Paul  et  I'evangile  selon  S,  Luc, 
non  sans  leur  avoir  fait  subir  des  changements  et  des  modifications  consi- 
derables, pour  les  approprier  a  son  systeme.  Nous  avons  pour  temoins  de 
ce  fait  plusieurs  Peres,  qui  lui  donnerent  un  grand  retentissement  par 


[^)  Voir  anssi  A]toL  i,  33. 

(2)  Ap.  Eiiseb.  Hist.  eccl.  v,  1. 

(3)  Maier,  Etnleit.,  p.  in,  raentionne  quelques  autres  citations  moins  cerlaines  provenank 
d'ecrivains  apo?toliques. 

(4)  V'  y  z  Wcstcolt,  /.  c,  p.  237  et  suiv. 

(5)  Pseiiiio-Terlull.,  De  pr(escript.  hcer.  c.  li. 

(6)  Goiiiparoz  aussi  S.  Irenee,  Hwr.  i,  8,  4,  et  Luc.  ii,  29,  36. 
(7J  in,  17;  xii,  8,  9,  ap.  Clem.  Al.,  k  la  suite  des  Stromates. 

(8)  Theodoli  Ecloge,  c.  v,  14,  85. 

(9)  Voyez  Gredner,  Beitrage,  1. 1,  pp.  284-330;  Zeller,  Aposlelgesch.,  p.  53. 


S  fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 

leurs  denonciations  energiques.  «  Et  super  haec,  dit  S.  Irenee,  id  quod  est 
secundum  Lucam  evangelium  circuracidens,  et  omnia  quae  sunt  de  gene- 
ratione  Domini  conscripta  auferens,  et  de  doctrina  sermonum  Domini 
multa  auferens..,  semetipsum  esse  veraciorem  quam  sunt  hi,  qui  evange- 
lium tradiderunt  apostoli,  suasit  discipulis  suis;  non  evangelium,  sed 
particulam  evangelii  tradens  eis  (1).  »  Tertullien  ecrivait  de  meme  : 
«  Lucam  videtur  Marcion  elegisse  quem  csederet  (2).  »  Gomparez  Orig. 
Gontr.  Celsum  ii,  27;  S.  Epipliane,  Adv.  H<bi\  xlii,  11 ;  Theodoret,  Heret. 
Fab.  I,  24  (3). 

Que  suit-il  de  ce  traitement  inflige  par  Marcion  au  recit  de  S.  Luc,  de 
maniere  a  former  ce  que  le  fameux  gnoslique  appelait  fierement  «  I'evan- 
gile  du  Christ?  »  La  conclusion  evidente  est  que  le  troisieme  evangile 
preexislait  a  Marcion,  qu'il  etait  recu  dans  I'Eglise  des  la  premiere  moitie 
du  second  siecle. — Mais  lesralionalislesont  pretendu  tout  autre  chose  (4). 
Prenant  pour  base  le  fait  que  nous  avons  signale,  ils  ont  ose  soutenir, 
malgre  I'interpretalion  si  claire  qu'en  avaient  donnee  les  Peres  les  plus 
anciens  et  les  plus  instruils,  que,  bien  loin  de  tirer  son  origine  du  troi- 
sieme evangile  canonique,  la  composition  arbilraire  de  Marcion  est  beau- 
coup  plus  ancienne  que  I'oeuvre  dite  de  S.  Luc,  celle-ci  n'etant  en  realite 
qu'un  remaniement  tardif  de  celle-la.  De  pareilles  assertions  meriteraient 
a  peine  une  reponse.  La  Providence  a  neanmoins  permis  que  d'autres 
rationalistes  devinssent  sur  ce  point  d'ardents  defenseurs  de  la  verite,  et 
qu'ils  devoilassent  au  grand  jour  les  secretes  manoeuvres  de  leurs  rivaux  : 
«  Gette  opinion,  ecrit  Hilgenfeld  (5).  a  meconnu  la  tendance  reelle  de 
I'evangile  marcionite,  dans  le  but  d'attribuer  au  texte  canonique  la  date 
LA  PLUS  RECENTE  POSSIBLE.  »  «  Nous  pouvous  admettre  comme  demou- 
tre  et  generalement  accepte,  dit  pareillement  Zeller,  non  seulement  que 
Marcion  a  employe  un  evangile  plus  ancien,  mais  encore  qu'il  I'a  retra- 
vaille,  modifie,  souvent  abrege,  et  que  cet  evangile  plus  ancien  n'etait 
autre...  que  notre  S.  Luc  (G).  »  La  question  est  done  desormais  tranchee, 
et  Marcion  devient,  quoique  malgre  lui,  un  garant  de  Tauthenticite  du 
troisieme  evangile. 

Ajoutons  enfin  que  le  paien  Celse  (Gfr.  Orig.  adv.  Celsum,  ii,  32)  connait 
les  difficultes  exegetiques  qui  proviennent  des  genealogies  de  Notre-Sei- 
gneur  Jesus-Christ,  preuve  que  I'Evangile  selon  S.  Luc  existait  de  son 
temps. 


(1)  U(KY.  I,  Ti,  2. 

(2)  Conlr.  Marcion.,  iv,  2. 

(3)  On  Irnuvi'ra  dans  Thilo,  Cod.  apocvyph.  N.  T.,  pp.  401-486,  et  dans  Volkmar,  dot 
Evangel.  Mdrdon's,  pp.  150-174,  des  fragments  considerables  de  I'evangile  de  Marcion, 
recueilli;i  a  Uavers  les  ecrils  des  Peres. 

(4)  A  la  fin  du  xviiie  siecl  ■  Semler  et  Eichhorn,  de  nos  jours  Schwegler,  Baiir,  Ritschl 
(das  Evangel.  Marcions  u.  das  kanonische  Evangel,  des  Lucas,  Tubing.  1846),  etc. 

(5)  Die  Eonugdien,  p.  27. 

(6)  Apostelge.schichte,  I.  c.  Volkmar,  das  Evangel.  Marcion's,  Leipzig  1852,  developpe  sa- 
vammenl  la  meme  lliese.  Cedant  a  ces  raisons,  Ritschl  s'est  vu  oblige  de  si' relracter,  Theolog. 
Jaltrb.,  1851,  pp.  528  et  ss.  Voypz  encore,  sur  cette  «  qupslio  vexata  »  d^'S  rapports  de 
S.  Luc  el  de  Marnon.  Hahn,  das  Ecamj.  Marcion's,  Koenigsburg  182i  ;  Heim,  Marcion,  sa  doc- 
trine et  son  evangile,  Strasbourg  1862  ;  Mgr  Meignan,  LesEvaiigiles  et  la  critique  au  XIX^  si»- 
cle,  Bar-le-Duc  1864,  pp.  317  et  ss. 


PRfiFACE  9 

On  a  parfois  atlribne  un  caractere  apocryphe  aux  deux  premiers  cha- 
pitres,  qui  racontent  I'histoire  de  la  Sainte  Enfance  de  Jesus.  Celte  opi- 
nion, qui  n'avait  aucune  base  serieuse^  a  ete  depuis  longtemps  aban- 
donnee.  Aujourd'hui,  les  critiques  sonl  d'accord  pour  admeltre  I'Evangile 
tout  entier,  ou  pour  le  rejeler  tout  enlier  (1). 

§   III.  —  LES   SOURCES  DE  S.    LUC. 

I.  S.  Luc,  nous  I'avons  vu  dans  la  notico  biographique  qui  ouvre  ce 
volume,  a  eu  de  longiies  et  inLiraes  relations  avec  I'Apotre  des  Gentils. 
«  A  priori  »  nous  devons  nous  attendre  a  trouver  dans  son  Evangile  fjuel- 
ques  reflets  de  la  doctrine  et  du  style  de  S.  Paul.  Mais  voici  que,  grace  a 
la  tradition  et  a  la  critique,  nos  conjectures  sur  ce  point  vont  se  changer 
en  une  complete  certitude. 

Aouxa;  81,  lisons-noUS  dans  S.  Irenee  (2) ,  axdXouQo;  IlauXou,  to  utt'  exstvou 
XYipuffaop.£vo^  euaYYs'Xtov  Iv  ^i&\m  xaxeOcTO.  Origcne  dit  semblablement  :  xal  TOTpixov 
TO  xata  Aouxav  to  utio  Hav'kou  £7:aivou|jLevov  euayysXtov  (3).   Tcrtullien  (4),  apres  avoir 

appele  S.  Paul  le  «  magister  »  et  1'  « illuminator  Luese  »,  ajoute  :  «  Nam  el 
Lucae  digestum  Paulo  adscribere  solent.  Gapit  magistrorum  videri  quae 
discipuli  promulgarint  (b).  »  L'auteur  de  la  Synopsis  S.  Scrlptiine  hus- 
sement  altribuee  a  S.  Athanase  (6),  ecrit  aussi  que  to  xaxa  Aouxav  euocYY^Xiov 

u7rr,Yop£u9-/)  |j.£v  uirb  IlauXou  xou  (xtto'ctoXou,  auvsYpa'f'O  Se  xai  IqE'SoOvj  utto  Aouxa.   Enfin,    plu- 

sieurs  Peres  assurent  que,  selon  I'enseignement  de  divers  exegetes  qui 
vivaient  de  leur  temps,  S.  Paul  aurait  voulu  designer  directement  le  troi- 
sieme  Evangile  loutes  les  fois  que,  dans  ses  Epitres.  il  emploie  cefte 

expression  :  Mon  Evangile  (7).  <^aat  Ss  Jj?  apa  tou  xax'  aOxov  (Aouxav)  euayYeXtou 
pLvvi;jLCViU£tv  6  nauXo;  eUoOiv,  u7rv;vtxa  w;  Trept  toiou  xivo?  eumyy-Xiou  Ypa'-oojv  zXzyB,  Kaxa  to  £uav- 

YeXwv  [xou.  Eusebe,  Hist.  eccl.  in,  k.  «  Quidam  suspican'tur  quotiescumque 
in  epistolis  suis  Paulus  dicit  :  Juxla  evangelium  meum,  de  Lucse  signifi- 
care  volumine.  »  S.  Jerome,  De  viris  iUustr.  c.  vii  (8). 

Sans  doute  nous  ne  devons  pas  prendre  trop  a  la  lettre  ces  divers  pas- 
sages :  S.  Luc  lui-meme  s'y  opposerait  (9).  II  ressort  toulefois  tres  claire- 
ment  de  leur  ensemble  que  S.  Paul  a  joue  un  role  important  dans  la  com- 
position du  troisieme  Evangile.  Son  influence  devient  tout-a-fait  palpable 
si,  de  la  tradition,  nous  passons  a  Texamen  de  plusieurs  faits  qui  ont 
depuis  assez  longtemps  attire  I'attention  des  interpretes  et  des  critiques. 

Premier  fait.  S.  Paul  a  insere  dans  sa  premiere  Epitre  aux  Corinthiens, 
XI,  23  et  suiv.,  le  recit  de  Tinstitution  de  la  divine  Eucharistie  :  or,  la 
narration  parallele  de  S.  Luc,  xxii,  19  et  suiv.,  d'une  part  s'ecarte  de 


(1)  Voyoz  Lan'^r-n,  Giundriss  dor  Einl.,  p.  45;  Maier,  Einlcilung,  p.  -IIS  ct  ss. 

(2)  Hwr  III,  i.  Cfr.  xiv,  i. 

(3)  Ap.  Eusob.  Hist.  ecii.  vi,  2o. 

(4)  Conlr.  Marcion.  iv,  2. 

(5)  Ibid.,  iv;  5. 
(6»  P.  loo. 

(7)  Par  exempip,  Rom.  ii,  16 ;  xvi,  25 ;  II  Tim.  ii,  8. 

(8)  Coinp.  S.  Jean  Chrys.  Horn,  i  in  Act.  Apost.;  Orig.  Horn.  I  in  Luc, 

(9)  Vo\ez  I,  I  el  ss. 


<0  EVANGILE  SELON  S.  LUC 

celle  des  deux  aulres  synoptiques  (1),  d'autre  part  coincide  d'une  ma- 
niere  presque  verbale  avec  celle  de  S.  Paul.  Gette  coincidence  n'est  cer- 
tainement  pas  accidentelle  (2). 

Second  fait.  On  remarque,  dans  les  ecrits  du  grand  Apotre  et  dans  I'Evan- 
gile  selon  S.  Luc,  un  grand  nombre  d'idees  communes.  Gomme  son  maitre, 
Tevangeliste  releve  a  chaque  instant  le  caractere  universel  de  la  religion 
du  Christ;  il  parle  de  la  justification  par  la  foi,  de  I'activite  de  la  grace 
divine  dans  la  remission  des  peclies,  etc.  Vo^-ez  en  particulier  les  pas- 
sages suivants  :  i,  28,  30,  68  et  ss.;  ii,  31  et  32;  iv,  2o  et  ss.;  vii,  36  et 
ss.;  IX,  56;  xi,  13;  xiv,  16  et  ss.;  xvii,  3  et  ss.,  11  et  ss.;  xviii,  9  et 
ss.,  etc.,  (3). 

Troisieme  fait.  Souvent,  la  ressemblance  n'existe  pas  seulement  entre 
les  pensees  :  elle  alteint  meme  les  expressions.  Nous  pourrions,  a  la 
facon  de  Holtzmann  (4)  et  de  Davidson  (5),  remplir  des  pages  entieres  de 
locutions  communes  a  S.  Paul  et  a  S.  Luc.  II  suffira  d'en  citer  quelques- 
unes,  choisies  parmi  celles  qui  n'ont  ete  employeeb  que  par  ces  deux  ecri- 
vains  sacres  :  'Ao-ajao;,  Luc.  xi,  44  et  I  Gor.  xiv,  8;  abvi'Sto;,  Luc.  xxi,  34 
et  I  Thess.  v,  3;  ai/aaAWTi'reiv,  Luc.  xxi,  24  et  II  Gor.  x,  3;  aXV  ouoi,  fre- 
quemraent  de  part  et  d'autre;  ava).w(7a'.,  Luc.  ix,  S4  et  Gal.  v,  15,  II  Thess, 

II,  8;  avTaTTo'Soixa,  Luc.  XIV,  12  et  Rom.  xi,  9;  aTroAu-fwat?,  Luc.  XXI,  18  et  sou- 
vent  dans  S.  Paul;  apo-ciav,  Luc.  XVII,  7  et  I  Gor.  ix,  10;  IxStioxsiv,  Luc. 
XI,  49  el  I  Thess.  ii,  1 5 ;  eTtttj^s^sTcOat,  Luc.  et  I  Tim.  iii,  5;  xaraystv,  Luc.  v,  11, 
Actes,  et  Rom.  x,  6;  x-jcieu^tv,  Luc.  xxii,  23  et  Rom.  vi,  9;  ozraata,  Luc,  Act. 
et  II  Gor.  XII.  1 ;  -jravojcyia,  Luc.  xx,  23  et  II  Gor.  iv,  2,  xi,  3;  vtmt.'Ai;,z'.w,  Luc. 
xviii,  0  pt  I  Gor.  IX,  27,  etc..  etc.  Gomparez  aussi  Luc.  iv,  22  et  Gol.  iv,  6; 
Luc.  IV,  36  et  I  Gor.  ii,  4;  Luc.  vi,  36  etil  Gor.  i,  3;  Luc.  vi,  48  et  I  Gor. 

III,  10;  Luc.  VIII,  13  etGol.  i.  10,  11;  Luc.  x,  8  et  I  Gor.  x,  27;  Luc. 
XI,  36  et  Eph.  v,  13;  Luc.  xi,  41  et  Tit.  i,  13,  etc.  On  le  voit,  «  Fesprit  de 
I'evangeliste  etait  tout  impregne  des  vues  et  de  la  phraseologie  de 
S.  Paul  (6).  ))  Aussi  les  critiques  meme  les  plus  sceptiques  avouent-ils 
qu'il  est  impossible  de  meconnaitre  Taffmite  qui  oxiste  entre  I'Evangile 
selon  S.  Luc  et  les  epitres  de  S.  Paul  (7). 

II.  De  meme  que  S.  Pierre  (8),  S.  Paul  a  done  aussi  d'une  certaine  ma- 
niere  son  Evangile.  Neanmoins,  s'il  exerca  sur  la  rt§daclion  de  S.  Luc 
une  influence  incontestable,  il  ne  I'exerca  pas  d'une  maniere  exclusive. 
La  tradition  estde  nouveau  tres  explicite  sur  ce  point.  S.  Irenee,  £[<£>'.  iii, 


(1)  Comp.  Malth.  xxvi,  26  et  ss.,  el  Marc.  xiv.  22  et  ss. 

(2)  Gomparez  encore  d'lin  cole  Luc,  x,  7;  I  Tim.  v,  18,  de  I'autre  Mallh.  x,  H. 

(3)  Voir  aussi  ce  que  nous  dirons  plus  bas  du  but  et  du  caraclere  du  troisieme  Evangile, 
§§4el5.  ^ 

(4)  Die  synopt.  Evangelien,  Leipzig  1863,  pp.  316  et  ss. 

(5)  Introduction,  I.  IJ,  pp.  12  et  ss. 

(6)  Davidson,  I.  c,  p.  19. 

(7)  Voir  Gilly,  Precis  d' introduction  a  rEcriture  Sainte,  t.  Ill,  p.  221.  II  est  vrai  que  quel- 
ques-uns  d'entre  eus,  par  exemple  I'Anonyme  saxon  ;Cfr.  I'excellenl  ouvrage  dp  M.  Vigouioux, 
La  Bible  cl  les  decouvertes  modernes,  I.  I,  p.  21  ct  ss.  de  !a  2e  edit.)  ot  i'ecoie  detubinguu 
(ibid.  p.  79  et  ss.),  ont  conclu  de  ia  que  noire  Evangile  est  «  un  ecrit  de  tendance  »  desune 
a  operer  une  conciliation  enlre  le  Pnulinisme  ei  le  Petrinisme ;  mais  nous  avons  vu  ailleurs 
(Commentaire  sur  S.  Malth.,  p.  18)  le  cas  quil  faul  faire  de  pareilles  assertions. 

(8)  Voyez  I'Eoangile  selnn  S.  Marc,  p.  11  el  12. 


PREFACE  44 

10,  1,  appelle  S.  Luc  «  sectator  et  discipulus  Apostolorum  (!) ».  S.  JerOme 
dit  de  lui,  d'apres  des  temoignages  auterieurs,  qu'il  n'avaitpas  seulement 
appris  I'Evangile  de  la  boiiche'de  I'Apotre  S.  Paul,  «  sed  et  a  ceteris 

ApOSTOLIS  (2).  »  Suivant  Eusebe  (3),  AouxS?...  la  ■Kkz'iaz-x  auy^vpvdic,  -rwIIauXw, 
xat  ToT;  Xo'.ttoT;  Sk  ou  Tracecyto;  twv  aitociTOAOJV  waiXrjXWS,  '?!?  aTio  to'jtcov  TrpoaexxyjuaTO  'l'Uy(_c5v 
QEpaTTSuTtx^i;,  Iv  S-jatv  rjiJiTv  uTroSEiyijLaTa  OeoTcvEuaxot?  xaTaXeXo'.TTc  8i6Xtot;. 

Mais  S.  Luc  est  lui-merae  encore  plus  affirmatif  dans  son  Prologue, 
I,  1  et  ss.  :  «  Quoniam  quidem  multi  conati  sunt  ordiuare  narralionem 
quae  in  nobis  completse  sunt  rerum,  sicut  tradiderunt  nobis  qui  ab  initio 
ipsi  viderunt  et  minislri  fueruut  sermonis,  visum  est  et  mihi,  assecuto 
omnia  a  principle  diligenter,  ex  ordine  tibi  scribere,  optime  Tlieo- 
phile  (4).  » 

L'evangeliste  S.  Luc  n'ayant  pas  eu  le  bonheur  de  contempler  de  ses 
propres  yeux  les  evenement  divins  qu'il  voulait  raconter,  fait  ainsi  con- 
naitre  a  ses  lecteurs  a  quelles  sources  il  recournt  pour  se  procurer  des  ma- 
teriaux  bien  authentiques.  Avant  tout,  il  s'adressa  a  des  temoins  oculaires 
de  la  vie  de  Jesus  (3),  et  il  recueillit  de  leur  bouclie  les  traditions  qu'ils 
avaient  fidelement  conservees.  Or,  «  si  nous  cherclions,  dans  le  cercle  des 
Ap6tres,  quels  liommes  peuvent  lui  avoir  fourni  des  renseignements,  I'liis- 
toire  nous  montrera  d'abord  S,  Barnabe,  fondateur  de  I'Eglise  d'Antio- 
che...,  ensuite  S.  Pierre,  aveclequel  S.  Luc  fit  cerlainement  conuaissance 
a  Antioche...,  puis  S.  Jacques  de  Jerusalem,  frere  du  Seigneur,  avec  le- 
quel  notre  evangeliste  entra  en  relation  (Act.  xxi,  18),  et  qui,  etant 
membre  de  la  sainte  Famille,  pouvait  lui  donner  les  renseignements  les 
plus  stirs  au  sujet  des  premiers  temps  de  la  vie  de  Notre-Seigneur  Jesus- 
Christ  (6).  »  Dans  le  cercle  moins  intime,  il  est  vrai,  mais  plus  nombreux 
des  disciples,  il  fut  plus  facile  encore  a  S.  Luc  de  recueillir  de  precieuses 
informations  sur  le  ministere  du  Sauveur.  Ses  longs  voj^iges,  ses  sejours 
a  Jerusalem,  a  Antioche,  a  Gesaree  de  Palestine,  en  Grece,  a  Rome,  du- 
rent  le  mettre  en  rapport  avec  cent  personnes  dignes  de  foi,  qui  lui  appri- 
rent  sur  Notre-Seigiieur  Jesus-Christ  les  ravissants  details  qu'il  nous  a 
seul  conserves. 

La  tradition  orale,  telle  fut  done  la  principale  source  a  laquelle  il 
puisa.  Mais  il  eut  aussi  a  sa  disposition  les  documents  ecrits  dont  il  parle 
dans  son  Prologue.  G'etaient,  comme  nous  dirions  aujourd'hui,  de& 
«  Essais  »  plus  ou  moins  considerables,  s'occupant,  les  uns  peut-etre  de 
la  vie  entiere  de  Jesus,  les  autres,  la  plupart  sans  doute,  du  compte-rendu 
fragmentaire  de  telle  ou  telle  partie  de  son  ministere  public,  par  exemple, 
de  ses  discours,  de  ses  miracles,  d'autres  encore  de  son  Enfance,  de  sa  Pas- 


(1)  Comp.  Ill,  14,  1  et  2. 
(2;  De  viris  illuslr.  I.  c. 

(3)  Hist.  eccl.  iii,  4. 

(4)  Voyez  le  Commontaire. 

(5)  S.  Paul  ne  I'avait  pas  ote. 

(6)  D,'  Valroger,  Introdurlion  Iiist.  et  critique  aux  livres  du  N.  T.,  t.  II,  p.  77  et  siiiv.  Pe- 
trus  Cantor  (f  vers  la  fin  du  xne  siecle)  pensait  deja  que  S.  Luc  avait  recueilli  de  la  bouche 
merae  de  la  Tre-Sainle  Vierge  la  plupart  de>  trait-  qui  remplisscnl  los  deux  premiers  cliapi- 
tres  do  son  Evangile.  Comp.  Pilra,  Spicilegium  Solesmense,  ii,  67  ;  Wiseman,  Melanges  reli- 
gieuXj  etc.,  p.  166  et  ss.  Cette  pieuse  opinion  n'a  rien  que  de  Ires  vraiscmblable;  aussi  a-t- 
elle  ele  adoptee  m6me  par  des  exegetes  protestanls.  Cfr.  entre  autres  Grotius,  Annotat.  in 
Luc.  II,  5. 


ii  fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 

sion,  etc.  S.  Luc  puisa  dans  une  piece  de  ce  genre  sa  genealogie  de  Jesus, 
III,  23  et  ss.,  probablement  aussi  le  «  Benediclus  »,  le  «  Magnificat  »,  le 
cc  Nunc  dimittis  »,  sinon  tout  le  recit  des  premieres  annees  du  Precurseur 
et  de  Jesus  (1).  —  A-t-il  egalement  mis  a  profit  les  Evangiles  de  S.  Mat- 
thieu  et  de  S.  Marc,  composes,  selon  toute  vraisemblance,  avant  le  sien? 
Les  critiques  se  sont  prononces  en  sens  contradictoires  sur  cette  question, 
qui  a  ele  de  nos  jours  vivement  debatlue.  On  trouvera  dans  notre  Intro- 
duction generale  les  elements  de  cette  grave  et  delicate  controverse,  qui 
ne  forme  qu'une  partie  accessoire  dans  la  vaste  discussion  relative  aux 
rapports  reciproques  des  trois  synoptiques. 

G'est  d'une  facon  toute  arbitraire  que  divers  rationalistes  d'outre-Rhin 
ont  essaye  de  reconstituer  exactement,  dans  le  detail,  les  sources  dont 
S.  Luc  fit  usage  pour  composer  I'Evangile  qui  porte  son  nom.  Schleierma- 
cher  (2)  s'est  cru  assez  perspicace  pour  distinguer  dans  le  troisieme  Evan- 
gile  quatre  series  de  documents  anterieurs  a  S.  Luc,  et  compiles,  cousus 
ensemble,  par  le  narrateur.  Koestlin  (3)  constate  de  son  c6te  des  sources 
de  provenance  judaique,  d'autres  sources  d'origine  samaritaine.  11  n'y  a 
den  de  solide  dans  cette  critique  exageree  (4). 

§  IV.  —  DESTINATION   ET  BUT  DU   TROISIEME  EVANGILE. 

Ici  encore,  I'auteur  lui-meme  nous  fournit  de  precieux  renseiguements. 
Nous  n'avons  done  pas  a  insister  beaucoup  sur  ces  deux  points^,  grace  au 
Prologue  que  nous  avons  cite  plus  haut  en  grande  partie. 

1.  Chose  nouvelle  et  mfime  unique  dans  la  litterature  evangelique,  la 
biographic  deNotre-Seigneur  Jesus-Christ  selon  S.  Luc  commence  par  une 
dedicace  :  "EBoU  xa[7.ol...  aot  ypa-lat,  xpotTiaxe  ©eo'cptXe,  I,  3.  Nous  indiquerons  dans 
le  commentaire  les  principales  oi)inions  qui  se  sont  formees  des  I'antiquite 
la  plus  reculee  sur  ce  mysterieux  personnage,  auquel  est  dedie  le  troi- 
sieme Evangile.  II  suffira  de  dire  actuellement  que  ce  devait  elre  un 
homme  d'une  certaine  distinction,  paien  d'origine  et  converti  au  Christia- 
nisme.  S.  Luc,  se  conformant  a  une  coutume  alors  en  vogue  dans  Tempire 
romain,  le  prit,  suivant  I'expression  consacree.  pour  son  «  patronus  libri.  » 
Mais,  quoiqu'il  s'adresse  directement  a  Theophile,  cela  ne  veut  pas  dire 
qu'il  n'ait  ecrit  en  realite  que  pour  lui.  Un  livre  de  ce  genre  n'avait  pas 
ete  compose  pour  une  destination  si  restreinte.  Par  I'intermediaire  de  son 
illustre  ami,  I'evangeliste  presentait  done  son  oeuvre,  ainsi  que  les  Peres 
Taffirmaient  deja,  soit  d'une  maniere  plus  speciale  aux  Eglises  grec- 
ques  (5),  soit  a  tons  les  convertis  de  la  Gentilite  (6),  soit  meme  en  general 

(1)  VoyezMaier,  Einleilung,  p.  107. 

(2)  Ueber  die  Schriften  desLukas,  Beilin  1847.  Comp.  Gfroerer,  Gesch.  des  Urchristenthumt, 
II,  1,  pp.  33  el  ss. 

(3)  IJer  Ursprungu.  die  Composition  der  synopt.  Evangelien,  1833. 

(4)  Voir  MaitT.  I.  c,  p.  106,  nole  2. 

(5)  a  Lucas  igitur,  qui  inliT  omnes  Evangeli>tas  graeci  sormonis  eruditissimus  fuit,  quippe 
ut  medicus,  el  tnii  Evangeliuin  Giaecis  scripseril.  »  S.  Jerome.  Epist.  w  ad  Dumas.  Mapxo; 
6'  'Ixali-^  lypai^e  eaufiaxa  XpiffToO,  Aoy/.a;  AxaiSi.  S.  Greg.  Naz.  Carmen  de  veris  S.  Script-  H'jris, 
XII,  31.  Aciuxa;  6'  '^E).).a5t  aeTtTa  0£O-j  tocSe  6ay[jiaTalypaiI/£v.  Id.  Carm.  XXII,  5,.  1. 

(6)  Orig.  ap.  Euseb.  Hist.  eccl.  in,  4  :  xot;  dTto  xciv  IQvuv. 


PREFACE  13 

k  tous  les  Chretiens  (1).  Un  examen  attentifdu  Iroisieme  evangile  corro- 
bore  ces  donnees  de  la  tradition,  et  montre  que  S.  Luc  n'avait  pas  en  vue, 
comme  S.  Malthieu,  des  lecteurs  issus,  au  moins  pour  la  pluj)art,  du  Ju- 
daisme.  En  effel,  im  grand  norabre  de  ses  explications  auraient  ele  par- 
faitement  inutiles  pour  des  Juifs,  tandis  qu'elles  elaient  indispensables 
pour  des  Gentils.  Par  exemple,  iv,  31,  «  Descendit  in  Capharnaum,  civi- 
iatem  Galil<B(B  »;  viii,  26,  «Navigavcrunt  ad  regionem  Gerasenorum,  qu<B 
est  contra  Gcdileam  «;  xxi,  37,  «  Morabatur  in  monte  qui  xocatiir  Oli- 
veti  »;  XXII,  1,  «  Appropinquabat  aulera  dies  festus  Azvmorum,  qui  di- 
citur  Pascha  »;  xxiii,  51,  «  Ab  Arimallisea,  civHate  JudcscB  »;  xxiv,  13, 
«  Ibant...  in  castellum,  quod  erat  in  spatio  stadioritm  sexaginta  ah  Jeru- 
salem, nomine  Emmaus  »,  etc.  Gomparez  ii,  1  et  in,  1,  oil  I'evangeliste  de- 
signe  par  le  regne  et  par  le  nom  de  deux  empereurs  remains  la  date  de  la 
naissance  de  Jesus  et  du  ministere  de  S.  Jean-Baptisle. 

2.  Le  but  du  troisieme  evangile  n'est  pas  moins  clair  que  sa  destina- 
tion. G'est  avant  tout  un  but  historique.  Composer  une  biographie  du  Sau- 
veur  plus  complete  et  mieux  coordonnee  que  toutes  celles  qui  avaient 
paru  jusque-la  (2),  fournir  par  consequent  a  ses  lecteurs  un  nouveau 
moyen  d'affermir  leur  foi  (3),  telle  fut  la  double  fin  que  se  proposa  S.  Luc. 
G'est  ce  qu'exprime  fort  bien  I'historien  Eusebe  (4) :  '0 11  Aouxa?  ac/o'asvo;  xal 

auTO?  Tou  xa-'  auTov  (iUYYfa[jL(x«Toi;  r/jv  aixtav  7rcou9r,X£,  oC  v^v  TrsxoiriTa'.  Tr,v  ffuviacw  St^mv,  w; 
aca  TToXXoiv  xal  aXXoiv  7rcoTr£T£7T£cov  £7rtT£Tr,0£uxdTOJv  or/^Y''"|t>tv  Trotr'aacSat  cov  auTo;  7r£7rXr,po'io'- 
pr,TO  Xoywv,  avxY^aioj;  a-aXXocTOJv  yjua;  ■ks.ci  tou?  aXXou?  aaor|Ci(7"ou  UTioXr/iiEw; .  xbv  aasaXv) 
Xo'yov,  triv  a'JTO?  ixavw;  Tr,v  oLkrfiv.'x^/  /.'■XTtikrfin,  Ix  t^?  aij.a  IlauXw  (juvo-jGia;  tj  xal  SiaTpiSv)? 
xal  Ty;i;  twv  aoittSv  aTiojToXojv  StxtXia?  wcp£Xri[j.£vo?,  Sta  tou  tStou  Traceotoxsv  euaYY'Xioj.  Duraut 

Fere  apostolique,  les  discours  et  les  actions  de  N.-S.  Jesus-Ghrist  formaient 
la  base  de  I'enseignement  chretien;  la  catechese  des  premiers  predica- 
leurs  s'appuyait  toute  entiere  sur  la  vie  du  Maitre.  En  ecrivant  a  son  tour 
un  abregede  cette  vie  divine,  S.  Luccontribuaitdonc  eminemmenl  a  la  dif- 
fusion du  christianisme.  Dix-huit  siecles  apres  leur  premiere  apparition, 
ses  pages  inspirees  contribuent  encore  a  fortifier  dans  les  coeurs  les  con- 
victions chretiennes.  G'est  seulement  en  ce  sens  qu'elles  ont  un  but 
dogmatique  (b). 

§   V.  —  CARACTERE  DE  L'EVANGILE   SELON   S.    LUC. 

1.  Gomme  nous  Tavons  indique  plus  liaut  (6),  en  parlaut  des  rapports  de 
ressemblance  qui  existent  entre  le  troisieme  evangile  et  les  epitres  de 
S.  Paul,  ce  qui  frappe  surtout  quand  on  etudie  I'oeuvre  de  S.  Luc  en  tant 
qu'evangeliste,  c'est  son  universalile.  Les  limites  du  christianisme  y  sont 
aussi  vastes  que  le  monde.  Jesus  y  apparait  comme  le  Sauveur  de  tous  les 
hommes  sans  exception,  mSme  des  paiens  :  «  imo  et  gentium,  «  ajoute- 


(1)  S.  Jean  Chrysost.,  Horn,  in  Matth.  I  :  6  6e  Aou-/.a;  ate  xotv^  uaat  5ta).£Y6(xevo;. 
(2)Comp.  I,  i-3. 

(3)  «  Ut  cognoscas  eorum  verborum,  de  quibus  erudilus  es,  veritatem  »,  i,  4. 
(4  Hist.  tccl.  MI,  24. 

(5)  Voyez  p.  10,  note  7. 

(6)  P.  10. 


14  EVANGiLE  SELON  S.  LUC 

rons-nous  avec  S.  Paul.  Aiicune  distinction  n'y  est  etablie,  sous  le  rapport 
du  salut,  entre  les  Juifs  et  les  Genlils,  les  Grecs  et  les  barbares,  les  justes 
et  les  pecheurs  :  on  dirait  pUitot  que  si,  d'apres  S.  Luc,  il  y  a  quelque  pri- 
vilege a  ce  point  de  vue,  ce  sont  les  Gentils,  les  barbares' et  les  pecheurs 
qui  en  jouissent  (1). 

Gitons  quelques  examples  a  I'appui  de  celte  theorie.  S.  Luc,  iii,  23  et 
ss.,  communiquant  a  ses  lecteurs  la  genealogie  de  Jesus,  ne  renionte  pas 
seulement  jusqu'a  Abraham,  ainsi  qu'avait  fait  S.  Matthieu  ;  d'anneau  en 
anneau,  il  va  jusqu'au  pere  de  toute  I'humanite  :  «  Qui  fuit  Adam,  qui  fuit 
Dei.  »  A  la  naissance  du  Redempteur,  les  anges,  apres  avoir  annonco 
d'abord  ce  grand  evenement  a  des  pasleurs  juifs,  se  hatent  d'en  indiquer 
les  heureuses  consequences  pour  tous  les  hommes  :  ev  avQpwTcot?  suooxt'oc,  n, 
14  (2).  Quarante  jours  plus  tard,  c'est  la  bouche  d'un  fils  de  Jacob  qui 
profere  ces  mots  sublimes  :  «  Lumen  ad  revelationem  gentium,  et  gloriam 
piebis  tuse  Israel,  »  ii,  32.  Au  debut  de  sa  vie  publique,  Jesus  lui-meme, 
a  propos  d'un  passage  d'Isaie,  rappelle  bien  haut  a  ses  compatriotes  que, 
des  les  jours  d'Elie  et  d'Elisee,  des  pa'iens  avaient  recu  les  benedictions 
divines  de  preference  aux  Israelites.  Gfr.  iv,  23-27.  Ailleurs,  ix,  32-56, 
XVII,  11-16,  nous  le  voyons  accorder  ses  bienfaits  meme  aux  Samaritains' 
maudits.  La  parabole  du  festin,  xiv,  16-24,  annonce  de  meme  que  les 
Gentils  auront  part  au  salut  messianique. 

Par  combien  de  traits  analogues  S.  Luc  ne  releve-t-il  pas  la  predilection 
accordee  par  le  bon  Pasteur  aux  ames  les  plus  pauvres,  les  plus  egarees ! 
Qu'il  suffise  de  mentionner  ceux  de  la  pecheresse,  vii,  37  et  ss.,  et  de  I'en- 
fantprodigue,  xv,  11  et  ss.,  comme  deux  des  types  les  plus  celebres  (3). 

Tandis  qu'il  met  ainsi  constarament  en  relief  les  dispositions  bienveil- 
lantes  que  Dieu  nourrit,  non-seulement  a  I'egard  des  Juifs,  mais  encore 
a  regard  des  pa'iens  et  des  pecheurs,  S.  Luc  passe  sous  silence  les  details 
qui  auraient  pu  blesser  les  convertis  du  paganisme  (4),  ou  du  moins  qui 
presentaient  moins  d'inter^t  pour  eux  (5). 

2.  Nous  indiquerons  mieux  encore  lecaractere  du  troisieme  evangile  en 
faisanfc  voir  la  maniere  dont  S.  Luc  a  trace  le  portrait  de  Jesus. 

Fidele  a  sa  promesse,  il  a  donne  a  I'Eglise  la  plus  complete  de  toutes  les 
biographies  du  divin  Maitre  (6).  Prenant  le  mystere  de  Tlncarnation  pour 
point  de  depart,  il  conduit  le  lecteur  jusqu'a  TAscension  de  Jesus,  atravers 
lous  les  fails  principaux  qui  constituent  notre  redemption.  Sans  lui,  nous 


(1)  Noiis  ne  voiilons  pas  dire,  assuremenl,  que  les  aulres  recils  evangeliques  n'enseigiienl 
pas  la  meme  doctrine  :  mais  nous  essayons  de  metlre  en  lumiere  le  cole  specifique  et  caracle- 
ristique  du  troisieme  Evangile.  Voyez  Bougaud,  JesioChrist,  2me  drj.,  pp.  89  ^^t  ss. 

(2)  Coraparcz  ii,  1  et  ss.,  oil  Jesus  nous  est  montre  comme  uii  sujet  de  Cesar,  comme  un 
ciloyen  de  I'empire  remain. 

(3)  «  A  peine  est-il  une  anecdote,  une  parabole  propre  a  Luc  qui  ne  respire  cet  esprit  de  mi- 
sericorde  el  d'appt-l  aux  pecheurs....  L'Evangile  de  Luc  est  par  excellence  I'Evangile  du  par- 
don. »  E.  Renan,  leo  EvangUes,  p.  266  et  ss.  II  est  vrai  que  M.  Renan  ajoute  aussilol  : 
«  Toules  les  delorses  lui  sonl  bonnes  (a  S.  Luc!)  pourfaire  de  chaque  liisloire  evangelique  uive 
msLoire  de  pecheurs  rehabilites.  »  De  quel  cote  sont  vraiment  les  «  delorses  »? 

(4)  Vdyez  Patrizi,  de  Eoangeliis,  i,  78. 

(5)  Davidson,  Iniroduction,  t.  U,  p.  44  et  suiv. 

(6)  «  On  a  calcile  qu'un  tiers  du  lexte  de  Luc  ne  se  trouve  ni  dans  Marc  ni  dans  Mal- 
thieu.  »  E.  Renan,  Us  Evaagiles,  p.  266.  Comparez  Bougaud,  Jesus-Christ,  2*  ed.,  p.  92  et 
SUIV,;  S.  Irenee,  m,  44. 


PRfiFACE  <5 

n'ciissions  corinu  que  d'une  maniere  tres  imparfaite  Tenfance  et  la  vie 
cachee  de  Notre-Seigneur  :  grdce  aux  details  qui  remplissent  ses  deux 
premiers  chapitres,  nous  pouvons  nous  faire  une  jusle  idee  de  cette  impor- 
tante  periode.  Sa  description  de  la  vie  publique  aboude  en  traits  nou- 
veaux,  qui  comblent  de  nombreuses  lacunes.  Un  passage  considerable, 
IX,  bl -XVIII,  14,  lui  appartient  presque  totalement  en  propre  :  il  est  do 
meme  seul  a  raconter  les  episodes  de  Nazareth,  iv,  16  et  ss.,  et  de  Zachee, 
XIX,  2-10.  On  compte,  durant  cette  epoque  de  la  vie  de  Jesus,  jusqu'a 
douze  paraboles  (1)  et  cinq  miracles  (2)  qu'on  ne  trouve  pas  en  dehors  du 
troisieme  evangile.  Son  recit  de  la  passion  n'est  pas  moins  richo  en  parti- 
culariles  du  plus  grand  prix,  telles  que  la  sueur  de  sang  et  rapparilion  de 
range  consolateur  a  Gethsemani,  xxii,  43  et  44  ,  I'interrogatoire  chez 
Herode,  xxiii,  6-12,  les  paroles  de  Jesus  aux  sainles  femmes,  xxiii,  27-3 1^ 
I'episode  du  bon  larron,  xxiii,  39-43  (3).  On  voit  par  ces  traits  nombreux 
que  les  recherches  de  S.  Luc  n'avaient  pas  ete  values.  Nous  en  sigualerons 
beaucoup  d'autres  dans  le  commentaire. 

II  a  pourtant  omis  plusieurs  incidents  remarquables,  rapportes  par  les 
deux  premiers  sj'uoptiques  :  par  exemple,  la  guerison  de  la  fille  de  la 
Chananoenne,  la  marche  de  Jesus  sur  les  eaux,  la  seconde  multiplication 
des  pains,  la  malediction  du  figuier,  et  divers  autres  miracles  (4). 

L'image  de  Jesus  qui  se  degage  du  recit  de  S.  Luc  a  un  caractere  tout- 
a-fait  special.  Ge  n'est  pas  celle  du  Messie  prorais  aux  Juifs,  comme  dans 
S.  Matthieu;  ce  n'est  pas  celle  du  Fils  de  Dieu,  comme  dans  S.  Marc  et 
dans  S.  Jean:  c'est  celle  du  Fils  de  I'homme,  vivant  parmi  nous,  semblable 
a  I'un  de  nous.  Les  premieres  pages  du  troisieme  evangile  sont  tres  signi- 
ficalives  a  ce  point  de  vue,  car  elles  nous  montrent,  par  une  serie  de 
rapides  gradations,  le  developpement  humain  de  Jesus.  D'abord  xapTrbs xri; 
xotAtas  («  fructus  ventris  »),  i,  42,  le  Sauveur  devient  successivement  Ppetpo; 
(t<  infans  »),  ii,  16,  puis  uatSiov  («  puerulus  »),  ii,  27,  puis  T^aT?  («  puer  «), 
II,  40,  enfin  avr'p,  houime  parfait,  iii,  22.  Quoique  hvpostatiquement  uni  a 
h\  Divinite,  ce  Fils  de  Thomme  est  pauvre,  il  s'humilie,  il  s'agenouille  a 
chaque  instant  pour  prier  (Gf.  in,  21;  ix,  29  ;  xi,  1 :  xxii,  32,  etc.)  (b),  il 
souffre,  et  nous  lo  vo^yons  memo  yjleurer  (xix,  41).  Mais,  d'un  autre  cote, 
c'est  le  plus  aimable  des  enfants  des  hommes  :  nous  le  disionsdans  la  pre- 
miere partie  de  ce  paragraphe,  la  misericorde  deborde  de  son  cceur  sacre, 
il  s'apitoie  sur  toutes  les  miseres,  physiques  ou  morales,  il  met  du  baume 
sur  toutes  les  plaies.  Tel  est  le  Jesus  de  S.  Luc. 

(1)  10  Les  deux  debileiirs,  vii.  40-43;  2o  le  bon  Samariiain,  x,  30-37;  So  les  deux  amis, 
XI,  5-10;  40  le  riche  iiiionse,  xii,  16-21 ;  oo  Ic  figuier  slerile,  xui,  6-9  ;  60  la  di-achme  perdue 
el  retrouvee,  xv,  8-10;  7o  renfaiil  prodiguo,  xv,  11-32;  80  I'ecoiiome  infidele,  xvi,  1-8, 
90  le  riclio  et  Lazare,  xvi,  19-31  ;  10°  le  juge  inique,  xvni,  1-8;  11°  le  Pharisien  et  le  publi- 
cain,  XVIII,  9-14;  120  les  ininos,  xix,  11-27. 

(2;1o  La  premiere  peclie  iiiiraculeiise,  v,  5-9;  2o  la  resurrection  du  fils  de  la  veuve,  vn, 
i1-17;  30  la  guerison  d'une  femme  infirme,  xni,  11-17;  4o  la  guerison  d'un  hydropique, 
XIV,  1-6;  50  les  dix  lepreux,  xvii,  12  19. 

(3)  Comparer  encore  xxii,  61  :  «  Ei  conversus  Dominus  respoxil  Pelrum;  xxiii,  34,  etc. 

(4)  Voici  SOS  principalos  omissions:  i\Iatlh.  xiv,  22-xvi,  12  ;Cfr.  Marc.  vi.  45-viii.  26) ;  Malth. 
XIX,  2-12;  XX,  1-16,  20-28  (Cfr.  Maic.  x,  35-43)  ;  Mallti.  xxvi,  6-13  (Cfr.  Marc,  xiv,  3-9); 
Mallh.  XVII,  23-26,  etc. 

(5)  «  Sicul  verus  Pontifex  (Jesus)  obLulit  preces;  nam  in  Evangeli  oaBspe  legitur  orasse,  et 
tnaxime  apud  Lucam,  »  S.  Anselme,  In  Epist.  ad  Hebr.  cap.  5. 


46  fiVANGILE  SELON  S.  LUC 

3.  Ajoutons  encore  quelques  points  dignes  d'observation  touchant  le 
caractere  du  troisieme  evangile. 

1°  On  I'a  parfois  appele  «  I'Evangile  des  conlrasles.  »  Cast  par  un  con- 
trasle  qu'il  debute,  les  dontes  de  Zacharie  mis  en  opposition  avec  la  foi  de 
Marie.  Bienl6t  apres,  ii,  34,  il  nous  montre  Jesus  comme  une  occasion  de 
mine  pour  les  uns,  comme  une  cause  de  salut  pour  les  autres.  Plus  tard, 
dans  la  reproduction  abregee  du  sermon  sur  la  raontagne,  il  place  les  ma- 
ledictions a  cote  des  beatitudes.  L'orgueilleux  Simon  et  i'humble  peche- 
resse,  Marthe  et  Marie,  le  bon  pauvrc  et  le  mauvais  riche,  le  Pharisien  et 
le  publicain,  les  deux  larrons  :  ce  sont  la  quelques  autres  frappants  con- 
trastes  du  troisieme  evangile  (1). 

2°  La  part  laissee  aux  femmes  est  aussi  un  trait  caracteristique  de 
cette  oeuvre  admirable.  En  aucune  autre  des  redactions  evangeliques  il 
n'est  si  longuement  question  de  la  Sainte  Vierge.  Ste  Elisabeth,  Anne  la 
prophetesse,  la  veuve  de  Nairn,  Marie-Madeleine  et  ses  compagnes  (viii,  2 
et  3),  les  soeurs  de  Lazare,  les  «  fiUes  de  Jerusalem  »  (xxiii,  28),  et  bien 
d'autres,  apparaissent  tour  a  tour  dans  le  recit  de  S.  Luc  comme  des 

Ereuves  vivanles  de  I'interet  que  ])ortait  Jesus  a  cette  partie  alors  si 
umiliee,  si  maltraitee  de  I'liumanite  (2). 

3°  S.  Luc  est  le  poete,  I'hymnologue  du  Nouveau  Testament.  A  lui  seul  il 
nous  a  conserve  quatre  canliques  sublimes,  le  Magnificat  de  Marie,  le 
Benedidus  de  Zacharie,  le  Nunc  dimittis  du  vieillard  Simeon,  enfin  le 
Gloria  in  excelsis  chante  par  les  anges.  — II  est  aussi  I'evangeliste  psy- 
chologue.  II  parseme  son  recit  de  reflexions  delicates  et  profondes,  qui 
jettent  un  grand  jour  sur  les  faits  dont  elles  sont  rapprochees.  Gomparez  ii, 
50  et  b1  ;  III,  15;  vi,  11;  vii,  2b,  30,  39;  xvi,  14;  xx,  20,  xxii,  3; 
XXIII,  12,  etc. 

4.  Au  fond,  la  composition  de  S.  Luc  surpasse  certainement  en  beaute 
celles  de  S.  Matlhieu  et  de  S.  Marc.  Elle  ravit  I'esprit  et  le  coeur,  et  con- 
tribuepuissamment  a  faire  connaitre  Notre-Seigneur  Jesus-Christ.  S.  Marc 
Temporte  cependant  sur  S.  Luc  pour  le  piltoresque  et  le  dramatique  des 
recits  :  ce  qui  n'empeche  pas  le  troisieme  evangile  de  contenir  une  foule 
de  traits  graphiques,  par  exemple  in,  21,  22;  iv,"l  ;  vii,  14;  ix,  29,  etc. 

§   VL  —  LANGUE  ET  STYLE  DU   TROISIEME  EVANGILE. 

G'est  en  grec  que  S.  Luc  composa  son  evangile;  il  n'y  a  jamais  eu  le 
moindre  doule  a  ce  sujet. 

L'antiquite  jugeait  deja  tres  favorablement  son  style.  «  Evangelistam 
Lucam,  ecrivait  S.  Jerome  (3),  tradunt  veteres  Ecclesise  tractatores... 
magis  Grsecas  litleras  scisse  quam  Hebrseas.  Unde  sermo  ejus,  tam  in 
Evangelic  quam  in  Actibus  Apostolorum...^  comptior  est  et  ssecularem 
redolet  eloquentiam  (4).  »  En  efFet,  aucun  des  autres  evangelistes  ne 

(\)  Voyez  Kitlo,  Cyclopcedia  of  the  Bible,  s.  v.  Luke  (Gospel  of). 

(2)  Voyez  I'interessant  opuscule  de  A.  Wiinsche,  Jesus  in  seiner  Stellunq  mitden  Frauen,  Ber- 
lin 4872. 

(3)  Comment,  in  Is.  vi,  9.  Comp.  De  viris  illustr.,  I.e.,  Epist.  xx  ad  Damas. 

H)  a  L'Evangile  de  Luc  est  ie  plus  lilieraire  des  Evangiles...  Luc...  montre  una  vraie  en~ 


PREFACE  17 

I'egale  sous  ce  rapport.  Sa  diction  est  facile^  generalement  pure,  parfois 
meme  d'une  exquise  elegance.  Le  prologue  en  particulier  est  tout-a-fait 
classique. 

Mais  des  details  et  des  exemples  feront  mieux  ressortir  la  culture  litte- 
raire  de  S.  Luc. 

Sigue  de  la  plus  haute  importance  quand  il  s'agit  de  demontrer  la  con- 
naissance  d'une  langue,  notre  evangeliste  emploie  un  nombre  conside- 
rable d'expressions.  A  lui  seul,  il  fait  usage  de  plus  de  mots  grecs  que 
S.  Matthieu,  S.  Marc  et  S.  Jean  reunis.  Les  mots  composes,  qui  marquent 
si  delicatement  les  nuances  varices  de  la  pensee,  reviennent  a  chaque 
instant  sous  sa  plume.  II  a  une  predilection  pour  ceux  dans  la  composi- 
tion desquels  entrent  les  prepositions  ettI  et  8'.k  (1). 

Ses  phrases  sont  pour  la  plupart  bien  formees  (2);  il  les  varie  avec 
aisance.  Les  constructions  les  plus  compliquees  ne  sont  pas  un  embarras 
pour  lui. 

II  prend.  soin  d'eviter  les  expressions  ou  les  idees  trop  hebraiques  qui 
auraient  pu  presenter  de  I'obscurite  a  ses  lecteurs.  G'est  ainsi  qu'il  em- 
ploie eTncTocTvi;  au  lieU  dc  pa66i  (3),  val,  a?^r|Ooj;  on  Itc   aX/iOsfa?  au  lieu  dc  a,av]v  (4), 

vo(/.ty.oi  au  lieu  de  ^^aiKit-aitii  (5),  aTrxstv  Ivywov  au  lieu  de  xautv  Xu/wv,  cpo'p;  au  lieu 
de  x5iv(7o;,  etc.  II  appelle  le  lac  de  Gennesareth  %vyi  et  non  OaXacaa  (6j.  Parfois 
neanmoins,  surlout  dans  les  deux  premiers  chapilres,  ainsi  qu'il  a  ete  dit 
precedemment,  quelques  hebraismes  se  sont  glisses  dans  ses  phrases.  Les 
principaux  sont:  l^eyavsTo  Iv  tS..., '2 'nn  (vingt-trois  fois,  deux  fois  seule- 
ment  dans  S.  Marc,  jamais  dans  S.  Malthieu) ;  2°  i^i^t-zo  w?...,  '^  »nn  ;  3°  oTxo; 
dans  le  sens  de  «  famille  »,  a  la  facon  de  nu;  4°  le  nom  de  "T'J/kjto;  (^vSy) 
applique  aDieu  (cinq  fois,  une  seulement  dansS.  Marc);  5"  aTroTou  vuv,  nnya 
(quatre  fois,  jamais  dans  les  autres  evangiles);  6°  Trpoffe'QsTo  TO.a^at,  xx,  11, 
12(7).  _ 

Parmi  les  particularites  de  construction  les  plus  remarquables  du  troi- 
sieme  evangile  on  pent  signaler  les  suivantes  :  1"  Le  participe  mis  au 
neutre  et  accompagne  de  I'article,  pour  remplacer  un  substantif ;  v.  g.  :  iv, 

16,   xaxa  TO  ettoeb;  auTw  ;  VIII,   34,    tSoW;  to  Ysy^vvvjasvov ;  XXII,  22;    XXIV,    14,   etc. 

2''L'auxiliaire«elre  »  construit  avec  le  participe,  au  lieu  du  verbe  au  atem- 
pus  finitum.  »  Gf.  iv,  31  ;  v,  10;  vi,  12;  vii,  8,  etc.  (8)  3°  L'article  to  place 
en  avant  d'une  phrase  interrogative,  v.  g. :  i,  63,  eve'v^uov  ok  tS  TraTpi  auTou,  to  t{ 


tente  de  la  composition.  Son  livre  esl  un  beau  recit  bien  suivi,...  joignanl  I'emolion  du  drame 
a  la  serenite  d;'  Tidylle.  »  E.  Ri'nan,  Les  Evangiles,  p.  282  el  suiv.  «  Nolro  ignorance  est 
lelle  aujourd'luii,  qu'ii  y  a  peul-elre  de>  gens  de  lei  ties  qui  scronl  etoniies  d'apprendre  que 
S.  Luc  I'sl  nn  ires  grand  ecrivain.  »  Chati'aubriand,  Genie  du  Chi'istianisme,  liv.  V,  c.  2. 

(■1)  E.  g  oid.Sa.llevj ,  oiayivwazctv,  StaYpriYopeTv,  6ta5oxoc,  oiazoOeiv,  StafxtxyscfOai,  SiaTiopeiv,  SiaaTtei- 
pstv,  £7ti6iSdi;£iv.  £t:i6ou).ii,  iTziyl^ea^on,  ETiiSiiv,  STrievat,  eTiixoupta,  ETrtxpiveiv,  ETttjXEAwi;,  etc. 

[2;Q>iell('  (liflerence  par  ex(  mple,  eniro  la  lourde  phrase  de  S.  ftlarc,  xii,  H8  et  suiv.,  pX£'ir€T» 
-Alto  Twv  Ypa|J-tAaT£wv  xtjjv  6£>,6v'rajv  £v  oTo).at;  TiEpiuaTEtv  -/ai  aiTtafffiou;  £v  Tat;  aYopai;,  el  celle  de 
S.  Luc.  XX.  46,  itpoffsx^Ti  i-izo...  Twv  9£).6vTCi)v..., -/at  9i),o\JVTwv  a(jitao[iou;...  ! 

(3)  Six  lois. 

(4)  On  leiiconlre  pourlant  sept  fois  eel  adverbe  dans  le  Iroisieme  Evangile  j  raais  S.  Mal- 
thieu la  employe  trente  fois,  S.  Marc  qualorze  fois. 

(5)  Six  fois. 

(6)  Voyi'Z  Kiito.  Cyclopwdia,  I.  c. 

(7;  Voyez  Davidson,  Introduction,  p.  37. 
.(8)  Qu'arante-huit  fois. 

S.  Bible.  S.  Lcc.  —  S 


18  EVANGILE  SELON  S.  LUC 

av  Os'Xot xaXeTffSai  auro'v;  VII,  11 ;  IX,  46,  etc.  4°  L'infinitif  precede  de  I'article- 
au  genilif,  pour  marquer  un  resultat  ou  im  dessein.  Gf.  ii,  27;  v,  7;  xxi, 
22,  etc.  (1)  5°  L'emploi  frequent  de  certains  verbes  au  participe,  pour 
donner  plus  de  vie  et  de  couieur  au  recit;  par  exemple,  avaaxa;  (dix-sept 

fois),  cxpacpsi's  (sept  fois),  TOffcov,  etc.  6°  e'^eTv  Trpo?  (soixante-sept  fois)  (2),  XaXeTv 
TCcb;  (quatre  fois),  Xeyeiv  Trpb;  (dixfois). 

Voici  maintenant  queiques-unes  des  expressions  propres  a  I'auteur  du 
troisieme  evangile,  ou  qui  du  moins  reviennent  le  plus  souvent  dans  son 
recit  (3)  :  Kupw;  au  lieu  de  'Ir,(Tou;  (quatorze  fois),  dwr/ip  et  dOTvipia,  x,ap'.?  (huit 
fois),  tboLj^e'kiio^a.i  (dix  fois),  uTroarpecpa)  (vingt-et-une  fois),  uTTapxw  (sept  fois), 
ocTra?  (vingt  fois),  ttX^Oo;  (huit  fois),  Ivcomov  (viugt-deux  fois,  jamais  dans  les 

deux  premiers  evangiles)  ,  arsvi^w,  octotto;,  SouXti,  Ppi^fo?,  Seop-at,  Sox4  ecptaxavat, 
IcaicpVY];,  0a[jL6o?,  0£[jleXiov,  xXafft?,  XcTo;,  ovo'[/.aTt,  oSuvaaOat,  6[i.o9u[ji.aSov,  6[xtX£tv,  oixovoixo;, 
TTXtSeuio,  Tcauu),  TrXeto,  TrX'/jv,  Trapay^pvjixa,  Trpac-cw,  ctYaco,  cxtpTocw,  Tup6aCo[/.at,  X'^P*>  ®^*^- 

S.  Luc  emploie  quelques  mots  latins  grecises  :  aaaaptov,  xii,  6;  Srivaptov, 

VII,  41  ;  Xsyewv,  VIII,   30;  [Ji.o'5tov,  XI,  33;  aouSapiov,  xix,  20. 


§  VII.  —  TEMPS  ET  LIEU   DE  LA   COMPOSITION. 

A  defaut  de  renseignements  certains  sur  ces  deux  points,  nous  pou- 
vons  du  moins  apporter  des  conjectures  probables. 

1.  Le  livre  des  Actes,  ainsi  qu'on  I'admet  generalement,  fut  ecrit  vers 
I'an  63  (4).  Or,  des  ses  premieres  lignes,  ce  livre  s'annonce  comme  una 
suite  et  un  complement  du  troisieme  Evangile  (5).  L'auteur  indique  par 
la  meme  qu'il  avait  compose  depuis  un  certain  temps  la  biograpliie  de 
Notre-Seigneur  Jesus-Christ,  quand  il  se  mit  a  ecrire  I'histoire  du  Ohris- 
tianisme  naissant.  L'an  60  de  I'ere  chretienne,  telle  est  done  la  date  ap- 
proximative de  i'Evangile  selon  S.  Luc.  G'est  celle  que  la  plupart  des 
exegetes  ont  adoptee,  d'apres  un  raisonnement  analogue  a  celui  que 
nous  venons  de  faire.  II  est  vrai  que  divers  manuscrits  et  auteurs 
grecs  mentionnent  expressemeiit  la  quinzieme  annee  qui  suivit  TAscen- 
sion  comme  celle  ou  S.  Luc  publia  le  premier  de  ses  ecrils  (6) ;  mais  ces 
donnees  paraissent  tout-a-fait  exagerees  (7).  L'exageration  est  pire  encore 
de  la  part  des  critiques,  presque  tons  rationalistes,  qui  reculent  la  compo- 
sition de  notre  Evangile  jusqu'a  une  periode  plus  ou  moins  avancee  du 
second  siecle  (Volkmar,  Fan  100;  Hilgenfeld,  de  100  a  110;  Davidson,  vers 
Tannee  115;  Baur,  en  130,  etc.).  En  effet,  des  arguments  par  lesquels 


(\)  En  tout,  vingt-sept  fois  :  une  fois  seulemenl  dans  S.  Marc,  six  dans  S.  Malthieu. 

(2)  Une  fois  seulemenl  dans  le  premier  Evangile. 

(3)  On  en  trouvera  la  lisle  a  pen  pres  complete  dans  Davidson,  1.  c,  pp.  58-67.  Voir  aussi 
Kitto,  Cydopcedia  of  the  Bible,  1.  c,  et  Westcolt,  Introduction  to  Ihe  study  of  the  Gospels, 
5c  ed.,  p.  377  et  suiv. 

(4)  Voyez  Gilly,  Precis  d' Introduction  generale  et  particuliere  a  VEcriture  Sainte,  t.  Ill, 
p.  256;  P.  do  Valroger,  Introduction  hislor.  et  critiq.,  t.  II,  p.  458. 

(5)  I,  4  :  T6v  [jLEv  upaJTov  \6yov  euoirjffajiyjv  irepi  TcavTwv,  w  ©eoqpiXe,  iv  :?jp?aTo  6  'Irjaoui;  nonTv  ta.. 
xat  6t5a(jxetv.  Les  mots  t6v  Tipwrov  Xoyov  designent  certainement  I'Evangile  selon  S.  Luc. 

(6)  Metd  le  x,P^^"'o\)i  x^;tou  iwTfjpo;  ^(j.wv  avairjvl'etoi;.  Theophylacte  et  Eulhymius. 
(7]  Voyez  de  Valroger,  I.  c,  p.  86. 


PREFACE  49 

nous  avons  demontre  plus  haut  (1)  raulhenlicite  du  troisieme  Evangile,  il 
resulte  qu'une  pareille  opinion  est  tout-a-fait  insoutenable  au  point  de 
vue  historique  (2). 

2.  S.  Jer6me,  dans  la  Preface  de  son  commenlaire  s-ur  S.  Matthieu, 
parlant  de  I'Evangilo  selon  S.  Luc,  dit  qu'il  fut  compose  «  in  Achaise  Beo- 
liaeque  partibus.  »  S.  Gregoire  de  Nazianze  place  egalement  Torigine  du 
troisieme  Evangile  ev  'Ax.ataot.  Mais  I'antique  version  syrienne  nommee 
PescJiiio  affirme  au  contraire,  dans  un  titre,  que  S.  Luc  publia  et  precha 
son  Evangile  a  Alexandrie-la-Grande.  Ne  sachant  auquel  de  ces  deux  ren- 
seignements  contradictoires  il  valait  mieux  se  ranger,  les  exegetes  oi?t, 
complique  la  question  en  fixant  d'autres  berceaux  a  I'oeuvre  evangeliquo 
de  S.  Luc,  par  exemple  Ephese  (3),  Rome  (4)  et  Gesaree  de  Palestine  (-5). 
Lardner,  Hilgenfeld  et  Wordsworth  se  rapprochent  toutefois  du  sentiment 
de  S.  Jer6me  quand  ils  font  ecrire  S.  Luc^  le  premier  en  Grece,  les  deux 
autres  en  Macedoine.  Rome  ou  Gesaree  conviendraient  tres  bien  au  point 
de  vue  historique,  S.  Luc  ayant  eu  tout  le  temps  de  composer  son  Evan- 
gile durant  les  loisirs  forces  que  lui  donna  la  longue  captivite  de  S.  Paul 
dans  ces  deux  villes  (6).  Mais  I'aulorite  du  grave  S.  Jerome  fait  impres- 
sion sur  nous,  et  nous  ne  croyons  pas  q.u'on  ait  des  motifs  suffisants  pour 
rejeter  son  temoignage. 


§  VIIL  —  PLAN   ET   DIVISION. 

1.  Le  plan  de  S.  Luc  est  contenu  tout  entier  dans  ces  lignes  du  Pro- 
logue, I,  3  :  ((  Visum  est  et  mihi,  assecuto  omnia  a  principio  diligenter, 
EX  ORDINE...  scribere  ».  'AvwOsv  et  xaTe^vi?,  tels  sont  les  mots  les  plus  impor- 
tants  de  cette  declaration.  Notre  evangeliste  voulait  done  remonter  aussi 
haut  que  possible  dans  I'histoire  de  Jesus;  d'un autre  cote,  il  se  proposait 
de  coordonner  de  son  mieux  les  evenements  d'apres  leur  suite  naturelle 
et  chronologique.  II  a  tenu  fidelement  sa  promesse. 

En  premier  lieu,  personne ,  pas  meme  S.  Matthieu,  ne  reprend  les 
choses  d'aussi  loin  que  lui  pour  ce  qui  concerne  la  vie  humaine  de  Notre- 
Seigneur  Jesus-Christ.  Gommencer  son  recit  par  la  naissance  du  Sauveur 
ne  lui  paraissait  pas  suffisant;  il  a  done  expose  d'abord  I'etonnant  mystere 
de  rincarnation.  Mais,  comme  si  cela  meme  n'eiit  pas  encore  ete  assez,  il 


(^)§2. 

(2)  Voici  encore  quelques  aiitres  senlimenls  particuliers  sur  la  date  de  I'Evangile  selon 
S.  Luc  :  Alford,  de  50  a  58 ;  MM.  Vilmain  el  Gilly,  53 ;  Bisping  el  Olshausen,  64 ;  Maier,  enlro 
67  el  70;  von  Burger,  vers  70  ;  Gredner,  de  WeLte,  Bleek,  Reuss,  elc,  apres  70;  Holtzmann, 
cnlre  70  el  80;  Keim,  en  90.  On  voit,  par  ces  variatUes,  qu'il  y  a  necessairemenl  quclque 
chose  de  subjeclif  dans  la  fixalion  des  dales  de  ce  genre,  quand  la  Iradilion  n'a  pas  claii'e- 
menl  parle.  M.  E.  Renan  monlre  qu'il  ne  connail  pas  lous  les  auteurs,  lorsqu'il  ecrit  :  «  Tout 
le  monde  aJmel  que  le  livre  est  poslerieur  a  I'an  70.  »  Les  Evangiles,  p.  252  et  253.  11  ajoiUe 
pourtanl  :  «  Mais  d'un  autre  cole  il  ne  peut  elre  de  beaucoup  poslerieur  k  cette  annee.  » 

(3)  Koesllin.  Celle  opinion  est  compleiemenl  invraisemblable. 

(4)  Ewald,  Keim,  Olshausen,  Maier,  Bisping,  elc. 

(5)  Berlholdl,  Kuinoel,  Humphrey,  Ayre,  Thiersch,  Thomson,  elc. 

(6)  Comp.  Act.  XXIII,  33 ;  xxiv,  27 ;  xxvui,  4  4  et  ss.,  et  les  commenlairetr 


20  fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 

a  place  avant  ce  divin  episode  rannonciation  faite  a  Zacharie  et  la  nati- 
vite  du  Precurseur. 

En  second  lieu,  S.  Luc  est,  plus  qu^aucun  autre  evangeliste,  attentif 
aux  dates  et  a  I'ordre  historique  des  faits.  Le  plus  souvent,  dans  ses  pages 
lucides,  les  incidents  se  suivent  a  la  maniere  meme  dont  iis  se  sent  passes  : 
les  encliainements  facLices  y  sont  plus  rares  que  dans  les  deux  auti'es  sy- 
nopliques.  Tantot  il  fixe  clairement  les  epoques,  v.  g.,  i,  5;  ii,  1,  2,  42;  in, 
23;  IX,  28,  etc.,  ayant  meme  parfois  recours  au  synchronisme  pour  les 
mieux  indiquer  (comp.  iii,  1  el  2) ;  tan  lot,  il  unit  entre  eux  les  divers  inci- 
dents par  des  formules  de  transition  qui  en  dcmontrent  la  connexion  reelle. 
Gomparez  iv,  14,  16,  31,  38,  42,  44;  v,  1,  12,  17,  27;  vi,  1,  6,  12; 
v!i,  1,  11 ;  VIII,  1,  etc.  Cela  ne  veut  pas  dire,  neanmoins,  qu'il  se  soit  tou- 
jours  rigoureusement  astreint  a  I'ordre  clironologique  :  le  commeutaire  et 
I'Harmonie  evangelique  placee  a  la  suite  de  noire  Introduction  generale 
montrent  des  exceptions  sous  ce  rapport :  mais  ces  cas  sont  peu  nom- 
breux,  et  n'empechent  pas  le  plan  de  S.  Luc  d'etre  en  somme  Ires  regulier. 

L'exactitude  clironologique  de  noire  ecrivain  sacre  se  manifeste  encore 
avec  un  caractere  assez  frappant  par  le  soin  qu'il  prend  d'enlourer  les 
conversations  du  Seigneur  Jesus  des  circonslances  secondaires  qui  leur 
avaient  servi  de  cadre  (1). 

2.  On  a  divise  de  bien  des  manieres  I'Evangile  selon  S.  Luc,  au  moyeii 
de  combinaisons  plus  ou  moius  ingenieuses,  c'est-a-dire  plus  ou  moins 
artificielles.  Belirmann  (2)  le  partage  en  quatre  sections  :  I'hisloire  preli- 
minaire,  i,  3-iv,  13,  le  ministere  de  Jesus  en  Galilee,  iv,  14-ix,  50,  le  recit 
du  dernier  voyage  a  Jerusalem,  ix,  51-xviii,  30,  la  Passion,  la  Resurrec- 
tion et  I'Ascension,  xviii,  31-xxiV,  53.  Davidson  (3)  admel  cinq  divisions  : 
1°  i'enfance  de  Jean-Bapliste  et  de  Jesus,  i  el  ii;  2"  les  preliminaires  du 
ministere  public  de  Jesus,  in,  1-iv,  13;  3°  la  Vie  publique  en  Galilee, 
IV,  14-ix,  SO;  4"  ce  qu'on  nomme  parfois  la  «  gnomologie  »,  avec  I'entree 
a  Jerusalem,  ix,  51-xxi,  38;  5°  les  derniers  incidents  jusqu'a  I'Ascension, 
xxii-xxiv.  Plus  communement,  quoique  avec  differentes  nuances,  on  se 
borne  a  trois  parties,  qui  correspondent  a  la  Vie  cachee,  a  la  Vie  publique, 
a  la  Vie  soulfrante  et  ressuscitee  de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  (4).  Telle 
sera  aussi  noire  division,  dont  on  Irouvera  plus  bas  les  details. 


§  IX.  —  COMMENTAIRES. 

( 

S.  Ambroise  a  compose  sur  le  troisieme  Evangile  un  commentaire  com- 
plet,  que  Ton  pent  ranger  parmi  ses  raeilleures  oeuvres  exegetiques  (5).i 
Le  saint  Docteur  apparlient,   comme  Ton  sait,  a  I'ecole  allegorique  et 


(1)  Voyez  siirtoul  ix,  5l-xviii,  14. 

(2)  Bibiiwprk  fur  die  Gemeinde,  I.  I,  p.  271  et  suiv. 

(3)  Iittruduction,  p.  25. 

(4)  M.  Gilly,  Precis  d' introduction,  I.  c.  :  i,  1-iv,  13;  iv,  14-xxi,  38  :  xxii-xxiv.  M.  Lan- 
^en  :  i  ol  n;  iii-xxi ;  xxn-xxiv.  Lo  Dr  van  Oo:,lerzee  :  i  et  ii;  iii,  4-xix,  27;  xix,  28- 
ixiv,  53. 

(5)  Exfositiar Evangelii  secundum  Lucam  libris  decern  comprehensa. 


PREFACE  21 

mystique  :  soiivent  il  ne  fait  qu'indiquer  le  sens  litteral,  pour  s'elendre 
snr  ses  siijets  de  predilection.  S.  Jer6me  lui  reproche  de  trop  jouer  sur 
les  mots. 

Anterieurement,  Origene  avait  ecrit  cinq  livres  de  commenlaires  sur 
S.Luc  :  on  n'en  possede  qu'un  tres  petit  nombre  de  fragments  (1).  En 
revanche,  il  nous  reste  du  «  Doctor  Adamantinus  »  trente-neuf  Homilies 
in  Liicam  traduiles  par  S.  Jerome  (2). 

Les  explications  du  Ven.  Bede  (3),  de  Theophylacte  (4),  d'Euthymius 
Zigabenus  (5),  sont,  pour  le  troisieme  Evangile,  ce  qu'elles  avaient  ete 
pour  les  deux  precedents,  c'est-a-dire  pleines  d'excellentes  choses  malgre 
leur  brievete. 

Nicetas  Serron,  diacre  de  TEglise  de  Constantinople,  puis  eveque  d'Ke- 
raclee  (xi"  siecle),  a  reuni  dans  une  sorte  de  Ghaine  (6),  naguere  publiee  par 
le  Card.  A.  Mai  (7),  un  grand  nombre  d'explications  patristiques  relatives 
a  notre  Evangile,  Cordier  a  rendu  un  service  analogue  aux  exegeles  dans 
les  premieres  annees  du  xvii^  siecle  (8). 

Dans  les  temps  modernes,  oulre  les  oeuvres  d'Erasme,  de  Maldonat,  de 
Cornelius  a  Lapide,  de  Cornelius  Jansenius,  de  Luc  de  Bruges  et  de 
Noel  Alexandre,  qui  embrassent  les  qualre  Evangiles,  nous  n'avons  a  si- 
gnaler, parmi  les  calholique?,  que  deux  commenlaires  speciaux  sur  S.  Luc, 
celui  de  Stella,  publie  en  1575  et  frequemment  reedile  depuis,  et  celui  de 
Tolet,  qui  paruL  en  1612  (9). 

Les  plus  recentes  explications  du  troisieme  Evangile  composees  par  des 
ecrivains  orthodoxes  sont  celles  de  MM.  Reischl,"Schegg,  Bisping  (1(1), 
Gurci  (11),  et  de  Mgr  Mac  Evilly  (12).  Celles  des  exeg^tes  hereliques 
sontbeaucoup  plus  nombreuses  :  les  principales  proviennent  des  Docteurs 
de  Wette,  Kuinoel,  H.  Meyer,  Ewald,  Baumgarten-Crusius  (13),  Borna- 
mann(14),  von  Buraer  (1*5),  van  Oosterzee  (16),  Bleek(17),  Behrmann, 
Keil  (18),  Sevin  (19),  Zittel  (20)  en  Allemagne,  des  Reverends  Abbott  (21), 

(4)  Ap.  Migne,  Patrol,  graeca,  I.  XIII,  col.  1901  et  S8. 

(2)  Ihid.,  col.  1801-1900.  Le  tpxle  grec  a  ele  perdu. 

(3)  ]n  LiKW  Evaiigelium  expositio,  op.  iMii^iic  Patrol,  lat.  t.  XCII,  col.  301  et  83. 

(4)  Enarralio  in  Ecang.  Lmicp,  ap.  Migne,  Pair,  graec,  t.  CXXllI,  col.  691  et  S3. 

(5)  liiterpri'tatio  Ecnngdii  Lucw,  ibid.,  I.  CXXIX,  col.  857  el  ss. 

(6)  SvivaytoyYi  £?7iYr,a£wv  et<;  to  xaxa  Aoyy.av  dyiov  eOaYyeXtov...  iiapa  Ntxrjxa  5iax6vou. 

(7)  Scrijitor.  vet.  nova  Cullectio,  I.  IX,  |)p.  626  d  s.-^. 

(8)  Corderii  (latea  grcecor.  Patium  in  Liicam,  .An vers  1627. 

(9)  Commentarii  in  sacrosanditm  J.  C.  I).  N.  Eoangelium  sec.  Lucam. 

(10)  Voir  les  litres  de  ces  ouvrages  dans  VEvaugile  selon  S.  Mullhicu,  p.  29. 

(41)  //  Nuovo  Testnmento  volgarizznio  ed  esposlo  in  note  esegeticlie  e  morali.  Vol.  I.  Vangeli 
HC.  Matleo,  Marco  e  Lnra,  Torino,  1879 

(12]  An  Exposition  of  the  Gospel  of  S.  Luke,  consisting  of  an  Analysis  of  each  chapter,  and  cf 
a  commentury  critical,  exegetual,  olc,  Dublin,  1879. 

(13)  Voir  V Evangile  scion  S.  Mallh.,  ibid. 

(14)  Scholia  in  Lurce  EvnngcUum,  Lips.  1830. 

(15)  Die  Evangelien  nach  Matthceus,  Markus  u.  Lukas  deutsch  erklcert,  Noerdiingen,  1865. 

(16)  Dan  Eoniig.  nark  Luk'is  Iheologisch  homilet-  bedvbeitet,  38  edit.,  Leipzig,  1867. 
\\l)Syni)plische  Erklcernngder  dreiersten  Ecangelien,  herausgeg.  von  Hollzuiann,  Leipz.1862. 
(181  Conmieiilar  uber  die  Evangelien  des  Murkas  und  des  Lukns,  Leipzii^  1879. 

il9)  Syiioptische  Erklwrung  der  drei  enten  Evangelien,  Wiesbaden  1873. 
(20j  Die  vier  Evangelien  iibersctzt  u.  erklxrl,  II.   Theil,  das  Evangelium  nach  Lukas,  etc. 
Karlsruhe,    1880. 
(21)  The  Gospel  according  to  Luke,  with  notes,  comments,  etc.,  Londr.  1878. 


22  EVANGILE  SELON  S.  LUC 

Wordsworth  (1),  Plumptre  (2),  Trollope  (3),  Alford  (4),  Jones  (b),  Far- 
rar  (&)  et  Norris  (7)  en  Angleterre,  de  M.  Godet  (8)  en  Suisse. 

(1)  TheN.  Test,  of  our  LordJ.C.  :  The  four  Gospels,  Lond.  1877. 

(2)  A  N.  Test.  Commentary  for  Engl.  Readers,  t.  I,  Lond.  1878. 

(3)  The  Gospel  according  to  S.  Luke,  with  Prolegomena,  Appendices,   a.  grammat.    and 
explanatory  Notes,  Cambridge.  4877. 

(4)  The  New  Testament  for  English  Readers,  I.  I,  3e  edit.  Cambridge,  4872. 

(5)  Speahr's  Commentary,  Neiv  Test.  vol.  L  Londr.  4878. 

(b)  The  Gospel  according  to  S.  Luke,  with  maps,  notes  and  introduction,  Cambridge  4880. 

(7)  The  Neto  Testament...  tcith  Introduction  a.  Notes,  vol.  7,  Th;  four  Gospels,  Lond.  4880. 

(8)  Commentaire  sur  I'Evangile  deS.  Luc,  Neuch&tel  4872,  2^  edito 


DIVISION  SYNOPTIQUE  DE  L'fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


PROLOGUE.   I,  1-4. 

PREMlfiRE    PARTIB 

VIE   CACHEE   DE   NOTRE-SEIGNEUR  JESOS- 
CHRIST.  I-II. 

\.  —  Annonciation  de  Zacharie  et  concep- 
tion miraculeuse  de  Jean-Baplisle. 
■     I,  5-25. 

2.  —  L'AnnonciaLion  de  Marie  et  I'lncar- 

nalion  du  Verbe.  i,  26-38. 

3.  —  La  Visilalion  el  le  Mag)nficat.  i,  39-56. 

4.  —  Les  premieres  annees  de  Jean-Bap- 

tiste.  I,  57-80. 
1°  Nativite  du  Precurseiir.  i,  57-38. 
2°  L%  circoncision  de  Jean-Baptisle  et  le 

Benediclus.  i,  59-79. 
30  Educaiion  et  developperaent  de  S.Jean. 

I,  80. 

5.—  Noel.  II,  1-20. 
1o  Jesus  nait  a  Bethleem.  ii,  4-7. 
2°  Les  premiers   adoraleurs    de    Jesus. 

II,  8-20. 

6.  —  La  circoncision  de  Jesus,  ii,  21. 

7.  —  La  presentation  de  Jesus  au  temple 

et  la  purification  de  Mario,  ii,  2S-38. 
1°  Les  deux  preceptes.  ii,  22-24. 
2°  Le  saint  vieillard  Simeon,  ii,  23-35. 
30  Sainle  Anne,  ii,  36-38. 

8.  —  Vie   cachee   de  Jesus    a   Nazareth. 

II,  39-52. 
1o  Abrdge  de  I'enfance  de  Jesus,  ii,  39 

et  40. 
20  Jesus  parmi  les  Docteurs.   ii,  41-50. 
30  De  douze  a  Irenle  ans.  11,  51-52. 

DEUXlfeME    PARTIE 

VIE   PUBLIQUE   DE   NOTRE-SEIGNEUR    JESOS- 
CHRIST.      Ill,      1-XIX,      28. 


•^1  re  SECTION.  — FERIODB    DE    TRANSITION 

TiON  :  LE  PRBcaasEua  et  le  hessie.  1 


ET    D'lNAnOOBA- 
I,   1-lT.   13. 


1.  —  MinisleredeS.Jean-ByplisLe. Ill, 1-20. 
10  L'apparition  du  Precurseur.  iii,  1-6. 
20  Predication  de  Jean-Baptiste.  in,  7-18. 
30  S.  Jean  est  mis  en  prison,  iii,  19-20. 

2.  —  Les  preliminaires   du    minislere    de 

Notre-Seigneur.  iii,  21-iv,  13. 

I0  Le  bapleme  (ie  Jesus.  111,  21-22. 

2o  La  geneaiogie  de  Jesus,  in,  23-38. 

30  La  lentation  do  Nolre-Seigneur  Jesus- 
Christ.  IV,  4-13. 


i*  SECTION. — WNISTBRB  DE  JE8D8  EN  OALILEE.  IT,  14-IX,  50^ 

1.  —  Retour  de  Jesus  en  Galilee,  et  coup 

d'oeil  general  sur  les  debuts  deson 
minislere.  iv,  14-15. 

2.  —  Jdsus  a  Nazareth,  iv,  16-30. 

3.  —  Jesus  a  Ca|)liarnaum.  iv,  31-44. 

a.  Aper^u  general  do  I'aclivile  du  Sau- 

veur  a  Capharnauin.  iv,  31-32. 

b.  Guerison  d'un  deinoniaque.  iv,  33-37. 

c.  Guerison  de  la  b  'llo-mere  de  S.  Pierre 

et  d'aulres  malarles.  iv,  38-41. 

d.  Retrailo  do  Jesus  sur  les  bords  du 
lac.  II  evangelise  la  Galilee,  iv,  42-44. 

4.  —  La  peche  miraculeuse  et  les  premiers 

disciples  de  Jesus.  \,  1-11. 

5.  —  Guerison  d'un  lepreux.  v,  12-16. 

6.  —  Guerison  d'un  paralylique.  v,  17-26. 

7.  —  Vocation  de  S.  Mallhieu  cl  fails  qui 

s'y  rallachenl.  v,  27-39. 

8.  —  Les  epis  et  le  jour  du  sabbat.  vi,  1-5. 

9.  —  Guerison    d'une     main     dessechee. 

VI,  6-11. 

10.  —  Choix  des  Apotres  et  discours  sur  la 

nionlagne.  vi,  12-49. 

a.  Jesus    choisit    les    douze    Ap6tre8, 

VI,  12-16. 

b.  Discours  de  Jesus  sur  la  Montagno. 

VI,  17-49. 

1)  La  mise  en  scene,  tt.  17-20^. 

2)  Premiere    partie  du   discours  :  Le 

vrai  bonheur.  1tt.  20b-26. 

3)  Deusieme   parlie   du   discours  :  La 

vraie  charite.  tt.  27-38. 

4)  Troisieme  parlie  du  discours  :  Regies 

de  vraie  sagesse.  ft.  39-49. 

11.  —  Le  servileur  du  centurion,  vii,  1-10. 

12.  —  Resurrection  du  fils  de  la  veuve  de 

Nairn,  vii,  11-17. 

13.  —  Jesus,  Jean-Bapliste,  et  la  gdn^ration 

presenlc.  vii,  18-33. 
1 0  L'ainbassade  du  Precurseur.  vii,  1 8-23. 
20  Discours  a    propos    de    I'ambassado 

VII,  24-35. 

14.  —  Simon  le  Pharisien  el  la  p^cheresso. 

VII,  36-50. 

13.  —  Un  voyage    apostolique    de   Jesus 

vnr,  1-3. 
16.  —  Deux  journeesconse'ctitivesde  Jesus. 

VIII,  4-56. 

1o  La  parabole  du  semeur  et  son  explica- 
tion, vni,  4-15. 

20  N^cessite  d'ecoutcr  atlcntivement  la 
divine  parole,  viii,  16-18. 


2i 


DIVISION  SYNOPTIQUE  DE  L'EVANGILE  SELON  S.  LUC 


30  La  vraie  famille  ds  Jesus,  viii.  19-21. 
40  La  teir.pele  miraculeusement  apaisee. 

VIII,  22-25. 
50  Le  pds-ede  de  Gadara.viu,  26-39. 
(jo  L'hemonlioisse   el   la   fille  de   Jalre. 

VIII.  40-36. 

<7    —  L'cnvoi  des  Douze.  ix,  i-6. 

<8.  — Opinion  d'Herode  au  sujet  de  Jesus. 

IX,  7-9. 

19.  —  Relour  des  Douze  el  mulliplicalion 

des  pains,  ix,  10-17. 

20.  —  Confession  de  S.  Pierre  el  premiere 

annonce  de  la  Passion,  ix,  18-27. 

21.  —  La  Transfiguration,  ix,  28-36. 

22.  —  Gueiison  d"un  paraiyiiqup.  !X,  37-43. 

23.  —  Seconde  prediclion'  ofiicieile   de   ia 

Pas-ion.  IX.  44-45 

24.  —  LpQon   d'humiiile    et    de    tolerance. 

IX,  46-30. 

5«  .<;EcriON.  —  regit  dd  nEnsiKB    toyagb  de  jesos  a  je- 

RD5ALEM.    iX,    51 -XIX,  28. 

1.  —  Les    Samaritains  inhospitaliers.    ix, 

51-36. 
2  —  Ce   qu'il  faut  pour  suivre  Jesus,  ix, 

57-62. 

3.  —  Les    soixante-douze    disciples,    x. 

1-24. 

4.  —  La  parabole  du  bon  Samaritain.  x, 

23-37. 

5  —  Marilie  el  3Iarie.  x,  38-42. 

6  —  Enlrdien  siir  la  priere.  xi,  1-13. 

7.  —  J.,e  blaspheme  des  Pharisiens  et   le 

signe  du  ciei.  xi,  14-36. 

8.  —  IVeuiiere  malediclion  conlre  les  Pha- 

risiens et  les  Scribes,  xi,  37-54. 

9.  —  ))ivprs  enseignements  a  I'adresse  des 

disciples  el  du   peuple.  xii,  1-59. 
1°  Piemiere  serie    d'avertissements  aux 

disciples,  tf.  1-12. 
20  Elraiige  interruption,  et  parabole  du 

riche  insense.  tt.  13-21. 
30  Seconde   serie    d'avertissements    aux 

disciples,  tt.  22-53. 
4>^  Giave  iegon  pour  le  [)euple.  tt.  54  59. 
<0.  —  Necessile  de  la  penitence,  xiii,  1-9. 
1°  Deux  fails  histcriijues    qui    prouvent 

celie  necessile.  xiii,  1-5. 
20  Parabole  du  figuier  sieiile.  xiii,  6-9. 

11 .  —  Guerison  d'une  ferame  infirme.  xiii, 

10-17. 

12.  —  Paraboles  du  grain  de  sdneve  el  du 

levain.  xiii,"l8-21. 

13.  —  Grave  reponse  a  une  demande  vaine. 

XIII,  22-30. 

^4.  —  L='  renard  Herode.  xiii,  31-35. 

15.  —  Jiisus  dans  la  maison  d'un  Pharisien 

en  un  jour  de  sabbat.   xiv,  1-24. 

1°  GuJrison  d'un  hydropique.    xiv,  1-6. 

Jo  Le  repas.  accompagne  des  instructions 

du  Sauveur.  xiv,  7-24. 

46. —Ce  qu'il  en  coiite  pour  suivre  Jesus. 

XIV,  25-35. 


17.  —  La  misericoide  de  Dieu  a  I'egard  de» 

peclieurs.  XV,  1-32. 
I0  Occasion  du  discours.  tt.  1-3. 
2o  La  parabole  de  la  brebisegai-ectt.  4-7. 
30  La   parabole  de   la  drachme   perdue. 

tt.  8-10. 
40  La    parabole    de    I'Enfant   prodigue. 

tt.  11-32. 

1 8.  —  Du  bon  usage  des  richesses.  xvi,  1-31 . 
I0  L'econome  infidele.  Vt.  1-12. 

2o  L'avaiice  des  Pharisiens  reprouvee 
par  la  parabole  du  pauvre  Lazare. 
tt.  14-31. 

19.  —  Quaire  avis  imporlants.  xvii,  1-10-. 

20.  —  Guerison  des  dix  iepreux. xvil,  11-19. 
21. — L'avenement  du   rovaume  de  Dieu. 

XVII,  20-37. 

22.  —  Parabole    de   la   veuve   et   du  juge 

inique.  xviii,  1-8. 

23.  —  Parabole   du  Phaiisien  et  du  publi- 

cain.  xviii,  9-14. 

24.  —  Jesus  el    les  peiits   enfanls.  xviii^ 

15-17. 
23,  —  L'episode    du    jeune  homme   riche. 

XVIII,  18-30. 

26.  —  Jesus  predit  de  nouveau  sa  Passion. 

XVIII,  31-34. 

27.  —  L'avou^le  de  Jericho,  xviii,  35-43. 

28.  —  Zachee"^,  xix,  1-10. 

29.  —  La  parabole  des  mines,  xix,  11-28. 

TROISIEMi-   PARTIE 

VIE   SOUFFRANTE    ET  GLORIEUSE    DE   JESUS. 
XIX,  29-XXlV,  53. 

4.  —  Entree  solennelle  du  Messie  dans  sa 
capilale.  xix,  29-44. 
■\c  Prepa:atifs  du    trioniphe.   xix,  29-35. 
2''  La  marche  Iriomphale.  xix,  36-44. 

2.  —  Jesus  rei:neen  Messie  dans  le  temple. 

XIX,  43-xxi,  4. 

I0  Expulsion  des  vendeurs.  xix,45et  46. 
2*  Description  generale  du  ministere  de 

Jesus  dans  le  temple,  xix,  47-48. 
30  Le  Sanhediin  el  I'origine  des  pouvoirs 

de  Jesus,  xx,  1-8. 
40  Parabole  des  vignerons  rebelles.  xx, 

9-19. 
50  Question  relative  a  I'irapot.  xx,  20-26. 
60  Les  Sadduceens  defaits  a  leur  tour. 

XX,  27-40. 

70  David  et  le  Messie.  xx,  41-44. 

8°  Jesus  denonce  les  vices  des   scribes. 

XX,  45-47. 
90  L'obole  de  la  veuve,  xxi,  1-4. 

3.  —  Discours  sur  la  ruine  de  Jerusalem 

et  la  fin  des  temps,  xxi,  5-36. 

a.  Occasion  du  discours.  xxi,  5-7. 

b.  Parlie  prophelique  du  discours.  xxi, 

8-33. 

c.  Partie    morale    du    discours.    xxi, 

34-36. 


DIVISION  SYNOPTIQUE  DE  L'fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


4.  —  Coup  d'oeil  d'cnsemble  sur  les  der- 

niers  jours  du  Sauveiir.  xxi,  37-38. 

5.  —  Trahison  dft  Judas,  xxii,  1-6. 

io  Le  Sanhedrin  cherche  le  moyen  de  se 

defaire  de  Jesus,  xxii,  1-2. 
20  Judas  et  le  Sanhedrin.  xxii,  .3-6. 
6   —  La  derniere  cene.  xxii,  7-30. 
|o  I'leparalifs  de  la   Paquo.  xxil,  7-13. 
:!o  Lps  d'ux  cenes.  xxii,  -14-23. 
7.  —  Conversation  intiine  raltacliee  a  la 

cene.  xxii,  24-38. 
s.  —  L'asonie    fl«^   Jesus    a   Geth-;emani. 

XXII,  39  46. 
9.  —  L'arresiation  de  Jesus.  XXII,  47-53. 
\0.  —  Rrntom  nl  de  S.  Pierre,  xxii,  54-62. 

11 .  —  Jesus  insulte  par  les  valets  du  StJihe- 

drin.  xxii,  63-65. 

12.  —  J(j«us    devanl  le    Sanhedrin.    xxii, 

66-71. 

13.  —  Jesus  comparalt  devanl  Pilate  el  de- 

vant  Ilerode.  xxiii,  1-25. 
1o  Prorniere  |ihase  du  jug-^ment    devant 

Pilate   xxiil,  1-7. 
2'J  Jesus  devanl  Herode.  xxiii,  8-12. 
30  Seconde  phase   du  jngemenl    devaal 

Piiate.  XXIII,  13-25. 


14.  —  La  via  dolorosa,  xxiii,  26-32. 

15.  —  Jesus  mi  ui  tsurla  croix.xxiii,  33-46. 
I0  Le  crucifiement.  xxiii,  33-34. 

20  Les  insulleurs  el  le  boa  larron.  xxiii, 

35-43. 
30  Les  derniers  momenls  de  Jesus,  xxii, 

44-46. 
i6.  —  Temoignages  rendus  au  Sauveuraus- 

sitoi  apres  sa  mori.  xxiii.  47-49. 

17.  —  Sepulture  de  Jesus  el  prepaiaiil's  de 

son  embaumernenl.   xxiii,   50-56. 

18.  La  Resurii'ction  de  Jesus  el  ses  preuves. 

XXIV,  1-43. 
1°  Les  sainles  femmes   trouvent  le   se- 

pidcre  vide,  xxiv,  1-8. 
20  Eiles  averlissenl  les  disciples  qui  re- 

fusenl  de  croire.  xxiv,  9-11. 
30  S.  Pierre  au  sepulcre.  xxiv,  12. 
40  Jesus    apparail  anx    disciples  d'Ena- 

maiis.  xxiv,  13-35. 
50  Jesus  apparail   aux    discipli^s    reunis 

dans  le  cenacle.  xxiv,  36-43. 

19.  —  Les  dernieres  instructions  di  Jesus. 

XXIV,  44-49. 
80.  —  L'Ascension  de  Noire  Seigneur  Jesus* 
Chrisl.  XXIV,  50-53, 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


CHAPITRE    1 

IVologue  (ft.  -1-4).  —  Zacharie  et  Elisabetii  [ft.  5-7).  —  L'Ange  Gabriel  annonce  a  Zacharie 
qu'il  aura  biinlot  un  fils  destine  a  de  grandes  choses  (tf.  8-22).  —  Conception  de  S.  Jean- 
Baptiste  [tt.  23-23).  —  L'Annonciation  de  la  Sainte  Vierge  et  I'lncarnation  dii  Verbe 
[tt.  26-38).  —  La  Visitation  et  le  Magnificat  (tif.  39-56).  — "Nativite  do  S.  Jean-Baptisle 
{tt.  57  et  58).  —  Sa  circoncision  (59-66).  —  Le  Benedidus  {tt.  67-79).  —  Le  Precurseur 
se  prepare  a  son  role  sublime  [t.  80). 


1.  Quoniam  quidem.  multi  conati 
sunt  ordinare  narrationem,  quae  in 
nobis  completae  sunt,  rerum, 


1.  Puisque  plusieurs  ont  entre- 
pi'is  de  mettre  en  ordre  le  recit  des 
choses  qui  se  sont  accomplies  parmi 
nous, 


PROLOGUE.  I,  1-4. 

Cette  Preface  est  unique  en  son  genre  dans 
la  lilterature  evangelique;  mais  S.  Luc  en  a 
place  une  autre  de  meme  naturL\  quoique 
plus  courte  encore,  en  lete  du  livre  des  Actes, 
1,  ].  Bien  qu'elle  contienno  plusieurs  points 
obscurs,  elle  nous  fournit  cependant  des  ren- 
seignements  du  plus  grand  piix.  Elle  est  d'un 
tres  beau  style,  qui  rappelle  les  debuts  ana-- 
logues  des  nieilleurs  historiens  grecs  :  elle 
consiste  en  une  penode  admirablement  ca- 
dcncee,  aux  lours  et  aux  expressions  vrai- 
ment  attiques.L'Epitreaux  Hebreux  presente 
seule  quelques  passages  qu'on  puisse  rappro- 
cher  de  celui-ci  au  point  de  vue  litleraire. 

Chap.  i.  —  i.  —  Quoniam  quidem  est  une 
excellente  traduction  de  I'elegant  eneiS^Tcep, 
qui  n'apparail  qu'en  cet  cndroit  du  Nouveau 
Testament.  —  Mulli  conati  sunt.  Quels  sont 
ces  homraes  nombreux  qui,  des  les  premieres 
annees  du  Christianisme,  avaient  entrepris 
d'eciire  la  vie  de  Nolre-Seigneur  Jesus- 
Christ,  et  quelle  idee  doil-on  se  iaire  de  leurs 
lenlatives?  Les  auciens  commeutateurs  ont 
souvenl  pris  en  mauvai^e  pait  les  expressions 
•nou.oi  et  imxtip-ri(j^y.  lis  ont  vu,  dans  la  pre- 
miere, la  de>lgna!ion  dos  Evangilcs  apocry- 
plu'S.  ou  meme  liereliqu"S,  qui-ne  tarderent 
pas  a  envahir  d'une  maniere  etrange  I'Eglise 
primitive,  et  par  suite,  dans  la  seconde,  un 
bifime  vigoui  eux  adres-e  par  S.  Luc  aux  au- 
leurs  des  «  Essais  n  en  quuslioii.  «  Hoc  quod 
ait,  Conati  sunt,  latentem  habet  accusatio- 


nera  eorum  qui,  absque  gratia  SpiritusSancti, 
ad  scribenda  Evangelia  prosilierunt.  Mat- 
thaeus  quippe  et  Marcus  et  Joannes  et  Lucas 
non  sunt  conati  scribere,  sed  scripserunt.  » 
Origene,  Horn,  i  in  Lucam.  Comp.  S.  Ambr. 
Exposilio  in  Luc.  1.  i,  4,  Salmeron,  Tolel,  etc., 
h,  1.  Mais  tous  les  exegetes  modernes  sont 
d'accord  pour  reconnaitre,  commu  le  iaisaient 
deja  Maldonat  ct  Luc  de  Bruges,  que  ces  deux 
expressions  n'onl  ni  piir  ellcs-memes,  ni  dans 
le  contexte,  une  siguiGcation  aussi  severe. 
«  Multi  »  ne  saurait  s'appliqner  aux  ecrils 
apocryphes  et  heretiques  qui  se  parerent  du 
nom  d'Evangiles,  altendu  quo  ces  ecrits 
n'existaicnt  pas  encore  qiiand  S.  Luc  publia 
sa  biograpliie  du  Sauveur  :  ce  mot  designe 
done  des  auteurs  inconnus,  dont  les  Biriyri(jtii 
ou  «  Memorabilia  »  furent  peua  peu  relegues 
dans  Toubli,  quand  Dieu  eut  donne  a  I'Eglise, 
et  quo  celle-ci  eut  marque  du  sceau  de  son 
aulorite,  les  quatie  Evangili's  canoniques.  De 
meme,  le  verbo  euex^ipvicfav  (de  iiti  et  x^'P)  la 
main  sur)  signifie  simplement  «  admovere 
manum  »,  par  consequent  «  conari,  aggredi  », 
en  frangais  «  entreprendre  »  :  son  choix  est 
neanmoins  heureux,  parce  qu'il  suppose  assez 
souvent,  et  c'est  ici  le  cas,  une  cntreprise 
delicate,  imporlante,  qui  n'est  pas  sans  difli- 
culte.  Aussi,  sans  blamer  precisement  ces 
«  Essayists  »,  puisqu'il  se  place,  au  t-  3, 
sur  la  meme  ligne  qu'eux  (SooSe  xinot),  S.  Luc 
fait  peut-elre  une  allusion  indirecle  a  I'im- 
perfection,  au  caractere  insuflisant  de  leurs 
OBuvres.  II  montre  du  moins  qu'ils  n'ont  pas 


S8 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


2.  Gomme  nous  les  oiU  Irans- 
mises  ceux  qui  les  out  vues  eux- 
memes  des  I"^  commencement  et 
out  cle  les  minislres  de  la  parole, 


2.  Si  cut  tradiderunt  nobis,  qui  ab 
initio  ipsi  viderunt,  et  ministri  fue- 
runt  sermonis; 


epuise  le  sujot,  et,  s"il  |)rf>nfJ  !a  plume  a  son 
son  lour,  c'e>L  assuremcnl  pour  le  trailor 
dan-;  des  conditions  plu-;  avanutginises.  — 
Onlmure  nancdionem.  Lis  dfux  mots  grecs 
corri'spondanl?  ,  avaTd^acSai  Sirj-yriotv,  no  se 
rpnconui'nl  pas  aiileuis  dans  le  Nnuveau 
Testament  :  lis  sonl  tics  elegants  Fun  el 
i'aulre. —  Quce  in  nobis  complelcv  sunt  rerum. 
On  devin>>  sans  peine  de  qiielles  «  clioses  » 
S.  Luc  veul  parler.  II  s'agit  evideinmenl  des 
fails  adMiiiablcs  qui  coinposeiit  la  vie  de 
Nolre-S;'ignrui-.  «  In  nobis  »  peul  designer 
soil,  d'uni'  inauiere  geneiale,  le  inonde  en- 
tier,  c'e.-t-a-dire  le  inoiide  contcmporain  de 
Jesus,  soil  le  cercle  biaucoup  plus  restreint, 
inais  chaque  jour  grandissanl,  des  amis  el 
disciples  .lu  Sauveur.  Ce  second  sens  parail 
le  plus  probable,  puisque  c'esl  iin  cliretien 
qui  s'adnsse  ici  a  un  cluelicn;  c'esl  aiissi  le 
plus  commi;ni'menl  admis. «  Com[)lei£e  sunl  » 
traduil  Ires  biin,  croynns-nnus,  le  verbe  grec 
iie7c).Yipo^opr)(XEva)v.  nifipo^foptlv,  quand  il  se  dil 
des  choses,  siguifie  en  effel  Ires  habituelle- 
ment  «  accomplir  »,  ou ,  niieux  encore, 
«  piorsus  pel ficere  »,  car  il  est  plus  fori  que 
n>.yipouv.  Comparez  Act.  xii,  25;  Rom.  xv,  19; 
11  Tim.  IV,  5,-17;  voir  Bretschneider,  Lex. 
man.  in  libr.  N.  T.  s.  v.  Peut-etre,  en  em- 
plnyanl  celte  expression,  I'ecrivain  sacr^ 
voulail-il  faire  une  allusion  aux  anciennes 
proplielies,  que  Jesus  avail  si  parfailement 
realisees.  II  esl  vrai  que  des  auleurs  anciens 
el  modernes,  en  assez  grand  nombre  el  fai- 
sant  aulorite  ( specialemenl  le  traducleur 
symn,  Oiigene,  Thecphylacle,  Eulliymius, 
Erasim-,  Groiius,  Hug,  Olshausen,  elc),  ex- 
plicjuenl  7r£7c),yipo:opiri[i£vwv  autrement  (lue  nous 
venon-<  de  le  laire  a  la  suite  de  la  Vulgate  et 
do  la  plufiarl  des  exegetes.  Pour  eux,  ce  par- 
licifie  equivaudrait  a  «  compertissimae  »,toul 
a  fail  accreditees  (Emhym.  :  PeSaiwec'vTwv  ev 
i?ljxfvj.  Mais,  si  le  verbe  TrXripoipopew  a  parfois 
celte  sigiiiticalion  iorsqu'on  Tafiplique  aux 
personnes  (v.  g.  Rom.  iv,  21  ;  xiv,  5).  il  ne 
I'a  pas,  nous  I'avons  dil,  quand  il  s'agil  des 
choses. 

2.  —  Sicul  tradiderunt  nobis.  Dans  ie  ver- 
set  qui  precede,  I'evangeliste  a  signale  un 
fait  :  «  Multi  conali  sunt...  » ;  il  indique  dans 
ce!ui-ci  la  source  a  laquelle  avaient  puise  les 
nombreux  ecrivains  qu'il  se  propose  d'imiter 
en  les  perfi'clionnant.  En  effel,  ce  n'esl  pas 
sur  «  coinpli'tse  sunl  »  que  relombe  la  phrase 
«  sicut  tradidcriinl...  »,  comme  divers  exe- 
getes I'ont  prelendu  (Theophylacle,  Kuinoel, 


Olshausen,  etc.),  mais  bien  sur  «  conati  sunt 
ordinaro  nanalioncm  »,  suivanl  I'opinioD 
commune.  —  «  Tradiderunt  »,  TtapeSoaav,  de- 
signe  la  tradition  orale, donl  le  role  elail  si 
considerable  dans  I'Egiise  naissanle.  Le  verbe 
napx5i6a)(j.i  et  le  subsiaulif  napaSoaic  elaient 
vraimeiil  des  expressions  icclinuiues  en  ce 
sens.  Cfr.  1  Cor.  xi,  23-25  ;xv,  1-7;  11  Thess. 

II,  14,  elc.  —  Qui  ab  initio  ipsi  viderunt  et 
ministri...  Nous  fixerons  peut-etre  plus  exac- 
temenl  le  vrai  sens  de  celle  proposition  en 
ri'coiirant  an  texle  grec.  Nous  y  lisons  i 
01  in'  apx^i;  auTouxai  xai  (iTtripiTai  "jfev-JjAEvot  xov 
XoYou,  liLleral.  :  «  qui  ab  initio  Icsles  oculali 
el  ministri  facti  sunl  seimonis.  »  Quoique  la 
difference  ne  soil  pas  essentielle,  elle  a  iiean- 
moins  son  importance  Iorsqu'on  veul  deter- 
miner les  personnes  representees  par  auxoTtxai 
el  OuYipsTat.  S.  Luc  avail-il  en  vue  deux  cate- 
gories distinctes  d'individus,  ou  tout  a  fait 
les  meines,  designes  sous  un  doulile  carac- 
tere?  La  premiere  opinion  serait  [ilus  favo- 
risee  par  notre  version  laline,  qui  semble 
ranger  les  «  leinoins  »  dans  une  classe  et  les 
«  minislres  »  dans  une  autre.  Elle  est  adoptee 
par  Fr.  Luc,  Maldoiial,  Salmeron,  Grotius, 
Olsiiau.-en,  elc.  La  seconde  esl  certainement 
plus  conforme  a  la  construction  du  li'xte  pri- 
mitif,  oil  les  subslantifs  auxo-Rxai,  UTtripexai, 
sonl  places  sur  une  meme  ligne,  raitaches 
aux  memes  mots  (an'  ^pyM  "'t-  "^o^  '>~'jyo\j),  et 
paraissenl  ainsi  repiesenler  une  caiegurie 
unique  de  p  -rsonnages,  ceux  qui  furent  lout 
ensemble  lemoins  et  auxiliaires,  c'esl-a-dire 
les  disciples  de  Jesus  dans  le  sens  strict. 
O'apres  cela,  I'expression  «  ab  initio  »  (scil. 
rerum  ([uae  in  nobis  completae  sunl)  ne  desi- 
gnerait  pas  les  premiens  annees  du  Sauveur 
(Kuinoel,  Olshausen,  Bisping,  etc.),  mais  seu- 
lement  le  debut  de  sa  Vie  publique;  elle 
aurait  une  signification  relative  el  non  abso- 
lue.  Celle  interpretation  nous  esl  suggeree 
par  Jesus-Chrisl  lui-meme,  qui  disail  un  jour 
a  s 'S  apolres  :  «  Vos  testimonium  p  rhibe- 
bilis,  quia  ab  initio  mecum  eslis,  »  Joan. 
XV,  27.   Comparez  Act.   i,  21  et  22  el  Luc. 

III,  23.  oil  le  commencement  du  miiiislere 
piibliede  Nolre-Seigneur  esl  indiipie  par  ap$d- 
(levo?,  ap)^6|jievo;.  —  TnYipe'Tyji;  (de  Ono  >  t  ^pexr;;, 
remex)  signilie  proprement  «  rameur  en  se- 
cond »  ;  il  designe  au  figure  tome  Sifte  de  ser- 
viteurs.  Comp.  Bretschneider,  Lex.  man.,  s.  v. 
Les  disciples  nous  apparaissenl  ainsi,  comme 
on  I'a  dil,  «  tamquam  remiges  in  navi  quae 
est  Ecclesia  ».  —  11  nous  reste  k  preciser  le 


CIIAPITRE  I 


29 


3.  Visum  est  et  mihi,  assecuto 
omnia  a  principio  diligenter,  ex  or- 
dine  tibi  scribere,  oplime  Theophile, 


3.  A  moi  aussi  il  m'a  paru  bon, 
apres  m'etre  diligemment  informe 
de  tout  des  rorigine,  de  te  I'ecriie 
par  ordre,  excellent  Theophile, 


sens  de  xAu  Xoyou.  D'anciens  exegeles,  lels 
qu'Origene,  S.  lionec,  S.  Alliaiia-e,  Eulliy- 
miu-.  aiixqiiels  s't'sl  asr^ocie  li'.  Dr  Woids- 
vvorlh,  voicnL  sou>  ce  iiiol  le  Logos  person- 
nel on  Virbe  divin;  inais  il  est.  diBicile  do 
croiro  qu'ils  aieiiL  voiilii  donner  ici  iino  inter- 
pretation stride,  atleiidu  que  lo  subslantif 
^oyo;  n'esL  employe  de  la  sorLe  (|iie  dans  le 
qiiainenie  Evangiie.  Aussi  la  Vulguto  ne  I'a- 
l-ii  pa>  traikiit  [)ar  «  Verbum  »,  mais  par 
scrmo,  monlranl  ainsi  que  S.  Luc  a  vouhi 
parler  seuleinenl  de  la  predicaiiun  evange- 
iique,  qui  e>l  l(^  langage,  le  discours  par 
excellence  ;  ou.  mieux  encor'^,  dis  actions  de 
Jesus  en  general,  de  soi  le  que  «  sermonis  » 
correspoiidrail  a  "  rerum  »  du  •)>■.  1,  et  serail 
synonyme  du  i::"f  lieb:eu.  —  La  tradition 
aposioiique,  voi!a  d  nt;  la  base  sur  laquelle 
s'elaienl  appnyes  les  ecrivains  inentiunnes 
par  S.  Luc  :  base  excellenle,  qui  sera  egale- 
menl  la  sienne.  II  suit  de  la  que  S.  Maltliieu 
n'est  pas  compris  dans  les  «  mulli  »,  puis- 
qu'il  avait  ele  personnellement  «  testis  et 
minister  sermonis.  »  S.  Marc  (n  faisail-il 
partie  d'apres  la  pensee  de  S.  Luc?  C'est  pos- 
sible en  soi,  mais  si  peu  vraisemblable,  que 
Ja  plupart  des  exegeles  se  decident  pour  la 
negative,  a  quelque  ecole  du  resle  qu'ils 
apparliennont. 

3.  —  L'evangelisle  fait  part  maintenant 
au  lecleur  de  sa  melliode,  des  principes  di- 
recleurs  qu'il  suivra  en  tant  qu'hisioiien  de 
Jesus.  —  Visum  est  et  mihi.  'E5o|e  pourrait 
se  traduire  egalemeiil  par  «  placuit.  »  Les 
mols  «  et  Spirilui  sanclo  »,  inseres  apres 
«  mihi  »  par  la  version  golhique  et  plusieurs 
xnanuscrits  latins,  soni  apocryplvs,  bien 
qu'ils  expriment  une  idee  juste.  K,dixoi,  a  moi 
aussi;  S.  Luc  s'auloiis'  en  quelque  sorte  de 
I'exemple  des  ecrivains  qui  I'ont  precede.  Ce 
qu'ils  ont  fait,  il  est  pareillement  en  droit  de 
I'enlreprendre.  Mais  il  insinue  ensuite  deli- 
<;alemeiil  en  quoi  il  essaiera  de  les  surpasser. 
Quatre  expres-^ions  choisies  indiquent  les 
(lualites  qu'il  s'efTorcera  de  donner  a  sa  nar- 
ration. 10  II  sera  aussi  complet  que  possible, 
fisseruto  omnia.  Le  verbe  TtapazoXouOew  si- 
gnifie  liileralement  «  suivre  pas  a  pas  »;  les 
meilleurs  auleurs  grecs  rap[)liquent  comme 
■S.  Luc  aux  investigations  intellectuelles. 
Ccnip.  Polyh.  i,  12;  Demoslh.  Pro  corona, 
c.  53.  etc.  Quoique  le  Ttaoiv  grec  soil  ambigu, 
la  Vulgate  a  eu  raison  de  ie  traduire  par  le 
neutre,  car  il  designe  en  realite  les  Glioses, 
ies  fails,  et  non  les  teraoins  el  minislres, 


ainsi  qu'on  I'a  quelquofois  affirme.  2o  S.  Luc 
reinontera  jusqu'a  I'origine  la  plus  reculde 
de  I'liistoire  du  Sauveur,  «  ab  ovo  »  fiour 
ainsi  parler,  car  «  il  se  propose  d'lntio- 
duire  dans  son  tableau  memo  I'aurorc  du 
jour»  qui  en  forme  le  fond  (Bisping).  'Avw6£v, 
a  principio,  (lit  ainsi  quelque  cliose  de  plus 
que  an'  apx*);  [t.  2).  Les  tif-  5  el  ss.  nous 
monlreronL  ce  que  S.  Luc  a  enlendu  par  le 
«  commencement  de  toules  les  choses. »  3oll 
raconteia  avec  loule  IVxactitude  dont  il  sera 
capable,  d(/t(/('ji<er,  dxptgco;;  la  metliodesuivie 
par  lui  dans  iion  recil  corauie  dans  ses  re- 
cherches  sera  «  crili(|ue  »,  selon  I'expri  ssion 
qui  est  a  la  mode  aujourd'luii.  4°  11  organi- 
sera  les  evenements  d'apres  un  ordre  regu- 
lier,  qui  sera  generalemenl  celui  de  la  chro- 
nologie,  ex  or  dine ,  xaTe?ri;  (moL  special  a 
S.  Luc  dan-;  le  Nouveau  Testament;  les  au- 
teurs  cla-si(|ues  I'l  mploienl  aussi,  bien  qu'ils 
prelerent  £?£??,?;.  Nous  avons  vu  en  divers 
endroits  de  la  Preface,  §§  V  et  VIH,  que 
S.  Luc  a  ele  fidele  a  toutes  ses  promesses.  II 
est  plus  complet  qu'aucun  autre  evangelisle 
(comp.  S.  Ambr.  Exp.  in  Luc.  I.  i,  11);  il 
remante  non-seulemenl  jusqu'a  I'lncarnation 
du  Veibe,  mais  jusqu'a  la  conception  du  Pie- 
curseur;  il  est  nnnarrateur  Ires  exact;  enfin 
un  ordre  luminoux  regne  a  peu  pres  parlout 
dans  Ses  pages.  —  Tihi  scribere,  oplime  Tiieo- 
pliile.  Ces  mots  rent'ermeni  la  dedicaco  de 
I'ouvrage.  Voyoz  la  Pieface,  §  IV.  Mais 
qu'etail  ce  «  lies  excellent  Theophile  »  au- 
quel  S.  Luc  adressail  ainsi  premierement  et 
direclement  son  Evangiie?  Les  avis  ont  ele 
de  tout  temps  tres  partages  sur  ce  point.  De 
la  signification  myslique  de  son  nom  (0£6(pt).o« 
=  0eou  (pD.o;,  ami  de  Dieu)  on  a  parfois 
conclu  (Hammond,  Leclerc,  E.  Renan,  etc.), 
a  la  suile  d'Origene,  Horn,  i  in  Luc,  de 
S.  Epii)hane,  Haer.  I.  li,  et  de  Salvianus, 
Epist.  IX  ad  Salonium,  que  c'elait  un  per- 
sonnage  purement  ideal  et  suppose,  destine  a 
represenler  tout  lecteur  chrelien,  a  la  faQon 
de  la  Philotht^e  de  S.  Fiangois  di;  Sales.  Mais 
c'est  a  bon  droit  que  les  exegetes  rejetlenl 
pour  la  plupart  ce  sentiment  :  car,  d'un  cote, 
il  est  contraire  a  I'ensemble  de  la  tradition, 
laquelle  a  vu  ires  generalemenl  dans  Theo- 
phile un  personnage  historique  et  reel,  vivant 
en  m^me  tem[)S  que  S.  Luc;  d'un  autre  cote, 
il  est  suQisauiment  refutd  par  I'epitheie 
xpdTioTe,  associee  au  nom  de  Theophile.  En 
eifet,  on  ne  donne  pas  de  litres  honorifiques 
k  un  6lre  imaginaire;  or,  I'adjectif  xpdxtaTos, 


30 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


4.  Afin  qvic  tu  connaisses  la  ve- 
rite  cle  ces  paroles  dont  tu  as  ete 
instriiit. 

5.  Aux  jours  d'Herode,  roi  de  Ju- 


4.  Utcogiioscas  eorum  verborum, 
de  cfuibns  eruditus  es,   veritatem. 


b.  Fuit  in  diebus  Herodis,  regis 


^.faivalanl  au  «  splendidiis  »  dcs  Lalins, 
apparail  soil  dans  les  ecrils  du  Nouveau  Tes- 
laiiunt  (romp.  Acl.  xxiii.  26;  xxiv,  3; 
XXVI,  2o),  i^oil  siir  les  moiuiments  antiques, 
d  vanl  le  nom  de  personnages  officiels  el 
dif^tinirue.-s.  On  a  infeie  de  la,  sans  doule  avec 
lasoii,  (jue  le  Gsc^t).©;  aiiquel  est  dedie  lo 
iroisieme  Evangile  elail  selon  toule  appa- 
rence  un  liomme  d'un  rang  assez  eleve, 
par  exemple  un  magistral  superieur.  Tout 
piouve  aussi  ciu'il  elait  clirelicn,  el  d'origine 
pai'enne.  Tuiilefois,  on  n'a  pas  voulii  sc  borner 
a  ces  idees  generales  :  il  n'esL  meme  sorle 
d'hypolhese  quo  les  exegetes  n'aienl  faito 
pour  determiner  au  juste  sa  personne  el  sa 
patrio.  C'esl  ainsi  qu'on  I'a  identifie  tanlol 
avec  le  gran  l-prelre  juif  du  memo  nom,  flis 
d'Anne,  el  depo.-^e  par  le  roi  Agrippa  (voyez 
Josephe,  Ant.  xviii,  5,  3;  xix,"6,  2),  tantot 
avec  un  autre  Tlieophile,  habitant  d'Alhenes, 
menlionne  par  Tacite,  Annal.  ii,  55,  2, 
tantot  avec  le  celebre  Philon  d'Alexandiie 
(car  on  est  alle  ju?qno-la!),  tantot  avec  deux 
autres  homonymes  donl  I'un,  d'apres  les  Re- 
cognit.  Clonienlinae,  i.  x,  c.  7,  aurail  ete 
I'un  des  premiers  citoyens  de  la  ville  d'An- 
iioche,  donl  Tautre,  d'apres  les  Conslil. 
Aposlol.  vii,  46,  serail  devenu  le  troisienie 
eveque  de  Cesaree  de  Palestine.  Tout  cela 
est  bien  lia.-aide.  On  a  pourtanl  conjcclure 
(rune  manieje  as-sez  ingenieuse  que  Theo- 
pliile  habilail  piobablement  I'llalie  quand 
S.  Luc  lui  dedia  son  Evangile  ou  du  moins 
le  livredes  Acles.Tanfiis  que  partoul  ailieurs 
les  eciaircissements  geograpliiques  abondent, 
lis  cessent  loul  a  coup  dans  le  dernier  cha- 
piirc  des  Actes ;  des  qu'il  est  question  do 
I  Italie,  I'ecrivain  saere  se  borne  a  menlionner 
les  localites,  supposant  que  son  illuslre  ami 
( St  suffisammjnl  renseigne  sur  leur  compte. 
El  cep  ndanl  plusieurs  de  ces  localites  sonl 
sans  importance,  comme  «  Forum  Appii, 
Tres  Tabernae  »  :  c'esl  done  que  Theophile 
les  connaissait,  el  il  ne  pouvail  guere  les 
connaitre  qu'a  la  condition  d'etre  domicilie 
dans  io  pays.  On  trouvera  les  developpo- 
menls  de  celte  these  dans  Hug,  Einleilung, 
I.  IL  Pour  de  plus  araples  details  sur  Theo- 
phile, nous  renvoyons  a  Winer,  Realwoer- 
lerbuch,  el  a  Smith,  Diciionary  of  the 
Bible,  s.  V. 

4.  —  Ut  cognoscas...  S.  Luc  consacre  la 
derniere  partie  de  eel  inleressant  Prologue  a 
cxposer  le  dessein  qui  lui  avail  fail  prendre 
la  plume.  II  veul  que  son  lecteur.orincipal,  el 


lous  les  autres  avec  lui,  soient  confirmes 
dans  la  foi  cbretienne  par  une  connaissance 
plus  approfondie  de  lEvangile  :  ut  cognoscas, 
d'apres  toute  la  force  du  grec  ETityvw;  (enl 
el  yivwaxw,  connailre  en  sus),  «  ut  accurate 
cognoscas.  »  —  Eorum  verborum...  lei,  do 
meme  qu'au  t-  2,  Xoyo?  designe  I'enseigne- 
menl  evangelique,  ou  les  eveneiuents  qui  lui 
servaienl  de  base.  Le  vcrbe  xarrixi^Gyii;  {erudi' 
tus  es]  est,  comme  plus  haul  irapsooaav  [t.  2), 
une  expression  technique  de  I'idiome  Chre- 
tien qui  s'etait  alors  deja  en  partie  forme. 
Nous  en  avons  fait  «  catechiser,  calechese, 
catechisme,  catechumene  ».  —  Le  substantif 
veritatem  est  renvoye  a  la  fin  de  la  phrase 
d'une  maniere  emphalique  :  son  correlalif 
grec  aa©i).£'.av  signifie  proprement  «  secu- 
rite,  parfaile  certitude  ».  — Noiez  la  cons- 
truction extraordinaire  du  lexte  primitif  : 
Iva  iTtiYVw^Ttepi  uvxaTyi)^y,9y5;),6Ywv  Tyivdff^dXeiav. 
On  I'explique  habitiiellemenl  par  I'altraction. 
La  structure  reguliere  serail  :  iiept  twv  ),6ywv 
oO;  xaTrixriOric . 

Dans  cette  entree  en  maliere  digne  d'Hero- 
dote  ou  de  Thucydide,  le  rationalists  Baur  s& 
complait  a  voir  I'oeuvre  d'un  faussaire.  Ewald,. 
autre  rationaliste,  en  admire  au  contraire  la 
modestie  delicate,  I'aimable  candeur;  carac- 
lerequi  est  en  effetlres  frappent.  —  Au  point 
devue  theulogique,celle  petite  piece  a  une  tres 
grande  importance,  car  elle  est  d'un  precieux 
secours  pour  determiner  la  nature  de  I'inspi- 
ralion.  S.  Luc  «  parle  comme  aurail  fait  un 
auleur  ordinaire,  qui  releve  sa  fidelile,  son 
exactitude  et  la  i)arfaile  connaissance  qu'il  a 
des  choses  qu'il  raconle...  L'inspiralion  du 
Saint  Esprit  n'exclul  pas  la  science,  la  di- 
ligence, la  fidelile  de  I'ecrivain.  Plus  sa  di- 
gnile  est  relevee,  et  plus  les  choses  qu'il 
raconte  sonl  divines  et  surnaUirelles,  plus  il 
doit  apporler  d'exaclitude  et  de  fidelile  a 
s'inslruire  et  as'eclaircir  de  tout  ».  D.  Calmet, 
Comment,  lilt,  sur  S.  Luc,  p.  267  el  suiv. 
Si  Dieu  est  le  principal  auleur  des  saintes^ 
Lettres,  il  laisse  pourtant  quelque  chose  a 
faire  aux  hommos  qu'il  inspire. 

PREMIERE    PARTIE 

VIE    CACHEE   DE   NOTRE-SEIGNEUR  JESUS- 
CHRIST.    I-M. 

1.  Annonciation  de  Zacharie  et  conception, 
miraculeuse  de  Jean-Baptiste.  i,  5-25. 

En  annonganl  a  Zacharie  la  conceplioa 
miraculeuse  de  celui  qui  devait  etre  le  pre- 


CHaPITRE  I 


34 


Judsese,  sacerdos  quidam  nomine 
Zacharias,  de  vice  Abia;  et  uxor  il- 
lius  de  filiabus  Aaron,  et  nomen 
ejus  Elisabeth. 

1  Paral.  24,  10, 


dee,  il  y  eut  un  prStre  nomme  Za- 
charie,  de  la  famille  d'Abia,  et  sa 
femme,  de  la  race  d'Aaron,  s^appe- 
lait  Elisabeth. 


curseur  du  Messie,  I'ange  Gabriel  emploie 
le  mot  «  evangelizare  »,  t.  19;  preuve  que 
cet  evenement  faisait  en  realilc  parlie  de 
I'hisloire  evangeliquo.  II  elaii  done  bien  na- 
tiirel  que  S.  Luc  commengal  par  ce  beau  pre- 
lude le  recil  du  grand  drame  qui  expose  la 
vie  et  la  morl  du  Christ.  S.  Jean-Baptisto 
est  ainsi  le  lien  qui  unit  les  deux  Testaments ; 
il  ouvre  i'Evangile  de  meme  qu'il  clot  k'S 
Propheties  (Cfr.  Mai.  iv,  5  et  6). 

5,  —  Le  style  deS.  Luc,  si  classique  dans 
les  Tft.  l-i,  se  Iransforme  lout  a  coup  au 
debut  du  cinquieme.  Au  lieu  de  belles  periodcs 
admirablement  cadencees,  nous  ne  trouvons 
plus,  pendant  quelque  temps,  que  les  phrases 
courtes  et  simples  de  la  prose  hebrai'que, 
rattachees  sans  art  les  uncs  aux  autres  par  la 
conjonction  xaJ,  et  chargees  d'aramaismes.  Ce 
contrasle  provient  sans  nul  doute  des  docu- 
ments hebreux  dont  S.  Luc  se  servit  pour 
CL'tte  partie  de  sa  narration,  et  qu'il  y  insera 
meme  dans  une  large  mesure,  se  contenlant 
di;  les  traduire  el  do  les  abreger.  —  Fuit  in 
diebus...  Voila  deja  de  I'hebreu  tres  pur  : 
'>12'^'2  'iTV  Les  recils  orienlaux  commencent 
oidinairement  par  ce  M>1,  «  fuit  »;  nous  en 
avons  phisieurs  examples  dans  la  Bible.  Comp. 
Ruth,  I,  i;  Eslh.  i,  1,  etc.  Quant  au  mot 
(I  diebus  »,  qui  correspond  aux  locutions 
latines  «  sub  imperio,  in  tempore  »,  il  indique 
la  date  de  I'incident  que  i'evangelisie  se 
propose  d'exposer  tout  d'abord.  Sur  celte 
date  assez  vague  (714-750  de  Rome  fondee) 
et  sur  Herode-le-Grand ,  voyez  I'Evangilt! 
selonS.Matlh.,  p.  i9.—  Regis  Judcew.  \\sag\l 
ici  de  la  Judee  dans  le  sens  large,  c'est-a- 
dire  de  la  Palestine  enliere,  puisque  tel  etait 
le  terriloire  gouverne  par  Herode.  Plus  loin, 
lu,  1,  il  ne  sera  question  que  d'une  Judee 
notablement  restreinte.  —  Sacerdos  quidam 
numine  Zat/mrias.L'Evangile,  lo  livre  le  plus 
universel,  le  plus  catholique  qui  ail  jamais 
f xiste ,  debute  par  un  episoda  dont  une 
simple  famille  juive  est  le  theatre  1  Voici 
d'abord,  dans  les  tt.  5-7,  quelques  details 
interessanls  sur  les  deux  heros  de  I'episode, 
Zacharie  et  Elisabeth.  Le  premier,  dont  le 
nom  {r\'^'\Zi'f-,  Zecariah;  racine  I3"f,  zacar,  il 
s'est  souvcnu,  el  ^^  luh,  abrevialion  pour 
mn>,  leliova),  souvent  porle  duranl  I'ere  de 
I'Ancien  Testament  (Cfr.  Smith,  Diction,  of 
the  Bible,  s.  v.),  signiQe  «  Jehova  se  sou- 
vienl  »,  n'etait  pas  le  grand-pretre  d'alors, 
conuue  on  I'a  souvent  redit  a  la  suile  ciu 


S.  Augustin,  mais  un  simple  pietre,  ainsi 
qu'il  ressort  de  [)lusieurscirconstances  du  re- 
cil. L'expression  «  sacerdos  »  (UpsO;,  com- 
parez  iii,  2;  Act.  iv,  6,  etc.,  oil  S.  Luc 
nomme  le  grand-pretre  apxiepsu?;,  a  plus  forte 
raison  «  sacerdos  quidam  »  (lepeu?  tk;),  ne 
saurait  designer  qu'un  preire  ordinaire.  De 
plus,  le  souverain  Pontile  du  judaisme  n'ap- 
parlenait  a  aucune  classe  speciale,  landis 
que  Zacharie,  nous  I'allons  voir,  faisait  partie 
de  celle  d'Abia.  Enfin  le  grand-pi'6tre  n'etait 
jamais  «  de  semaine  »,  et  n'avait  pas  besoin 
de  tirer  au  sort  poursavoir  quellesseraient  ses 
fonctions.  Tout  au  plus  pourrail-on  dire  avec 
Wouters,  Dilucid.  select.  S.  Scripturee,  1792, 
t.  II,  p.  151,  quo  Zacharie  elait  «  summus 
sacerdos  vicis  susb  »,  et  encore  n'esl-ce  la 
qu'une  simple  hypolhesc,  qui  presenle  peu 
de  garanlies.  —  De  vice  Abia;  d'apres  lo 
gix'C,  de  «  rephenierie  »  d'Abia.  Le  mot  eyvuxs- 
pia,  inconnu  des  classiques,  est  employe  a  dif- 
iercntes  reprises  dans  la  traduction  desLXX, 
pour  designer  ce  que  les  Hebreux  nommaienl 
npSna  (i  Par.  xxm,  6;  xxviii,  13,  21; 
II  Par.  xxxi,2,  15)ou  mau;a(Neh.xii,  24; 
XIII,  30;  I  Par.  xxv,  5),  c'esl-a-dire,  cha- 
cune  des  families  sacerdolales  lelles  qu'elles 
se  trouvaienl  organisees  soil  a  I'epoque  do 
David,  soil  apres  le  retour  de  la  caplivite  Ba- 
bylonienne.  Voyez  Brelschneider,  Lexic.man. 
2e  ed.  t.  I,  p.  441.  S.  Luc  lui  donne  ici  la 
meme  signification.  Sous  David,  les  descen- 
dants d'Aaron  formaienl  vingt-qualre  fa- 
milies, qui  portaienl  le  nom  de  leurs  chefs 
respectifs;  celle  d'Abia  etail  la  huitieme, 
I  Par.  XXIV,  10.  Le  saint  roi  decida  qu'elles 
scrviraient  dans  le  temple  a  tour  de  role 
pendant  une  semaine,  du  samedi  au  sa- 
medi:cc  qui  faisait  deux  semaines  seulement 
chaque  annee  (independamment  des  giandes 
solenniles,  pour  lesquelles  les  besoins  du 
culle  exigeaient  le  concours  de  la  pluparl  des 
pretres).  Apres  I'exil,  il  ne  revinl  en  Palestine 
que  quatre  families  saceidolales  (comp. 
Esdr.  II,  37-39);  mais  on  les  parlagea  en 
vingt-qualre  classes,  auxquelles  on  donna  les 
anciens  noms  pour  garder  le  souvenir  du 
passe.  Voyez  Josephe,  Anliq.  vii,  15,  7; 
Lighlfoot,  llor.  hebr.  in  Evang.  Lucse,  h.  1.; 
T.  Robinson,  the  Evangelists  and  the  Mishna, 
Londr.  1859,  p.  190  el  suiv.  C'est  done  a  la 
huilieuie  de  ces  classes  qu'appartenait  Za- 
charie.—  Et  uxo)'  illius  de  filiabus  Aaron.  Li 
ler.on   primitive  du   texte  grec  parait   Stra 


32 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


6.  Et  ils  etaient  tous  deux  justes 
devant  Dieu,  marchant  sans  repro- 
che  dans  tons  les  commandements 
et  lois  du  Seigneur. 

7.  Et  ils  n'avaient  point  de  fils, 
parce  qu'Elisabelh  elait  sterile  et 
que  tous  deux  etaient  avances  en 
age. 


6.  Erant  autem  justi  ambo  ante 
Deum,  incedentes  in  omnibus  man- 
datis  et  justificalionibus  Domini  sine 
querela; 

7.  Et  non  erat  illis  filius,  co  quod 
esset  Elisabeth  sterilis ,  et  ambo 
processissent  in  diebus  suis. 


^uvyi  aCiTw  (soiis-fnl.  ■^v),  «  uxor  erat  ei  »,  au 
lieu  de  ^  "V'Jvi^  *'^'^°^"  «  Do  filiabus  Aaron  » 
est  un  noiivel  hebraiVme,  pour  «  e  familia 
Aaron  ».  Les  prelres  avaicnl  le  droil  de  se 
marier  dans  n'importe  quelle  hibu  d'Israel 
(comp.  Lev.  xxi,  7;  Ezech.  xliv,  22);  mais 
la  frnime  que  Zacliarie  s'elail  choisie  t'aisail 
parlie  comine  lui  de  la  race  sacerdoiaie. 
L'evangelHle  n'a  pas  releve  ce  detail  sans 
une  inlrnlion  parliculiere  :  il  voulail  evi- 
demment  meltre  en  relief  la  noble  oiigine  de 
Jean-BaplisLe,  en  montrant  qu'il  se  ratiacliait 
et  par  son  pere  el  par  sa  mere  a  rilluslre  fa- 
mille  d'Aaron,  la  plus  glorieuse  qui  existSl 
alors  apres  celle  d.'  David,  donl  devait  nailre 
le  Messio.  Voycz  dans  Joseplie,  Vila,  I,  com- 
bien  I'origine  sacerdoiaie  pa^sail  alors  pour 
elorie  use.  —  Noiiien  ejus  Elisabeth,  en  hebreu 
y3y;iSx,  Elischebali,  «  le  sermenl  de  Dieu  », 
nom  qui  n'est  pas  moius  significalif  que  celui 
de  Zacliarie.  La  fcmme  d'Aaron  I'avail  deja 
porie,  Ex.  vi,  23,  el  Ton  conQoil  qu'il  ail  eie 
souvent  donne  aux  filles  des  pietres  en  I'hon- 
neur  et  en  souvenir  de  h  ur  ai'eule. 

6.  —  Zacharie  et  Elisabelh  avaient  encore 
una  aulre  noblesse  plus  precieuse  que  celle 
du  sang;  c'etait  la  noblesse  de  la  verlu. 
L'evangeliste  se  hdle  de  nous  I'apprendre  en 
traganl  leur  portrait  moral.  —  Erant  jusli 
ambo.  «  Jiislus  »  equivaut  ici  au  pn2f  hebreu, 
et  represente  par  consequent  loule  la  per- 
fection dont  on  etait  capable  sous  le  regime 
de  I'ancienne  Alliance.  Einge  bien  significalif 
duranl  ce  tiisle  regne  d'Herode,  ou  il  legnail, 
soil  dans  le  peuple  juif  en  geneial,  soit  en 
particulier  dans  le  cor()s  des  prelres,  une  si 
profonde  corruption.  S.  Joseph,  IMallh.  i,  19, 
etle  vieillard  Simeon,  Luc.  ii,  25,  ont  egale- 
menl  merilede  le  rccevoirdaiis  I'Evangilo. — 
Les  mols  ante  Deum  (DMSx  ^^sb)  indiquenl, 
ainsi  que  I'onl  note  frequeminent  les  saints 
Peres,  la  sincerite.  la  veiile  de  celle  justice 
qui  brillait  dans  les  deux  saints  e|unix.  «  Co- 
rum  Domino,  ecril  S.  Gregoire,  Moral. 
J.  XXXV,  c.  5,  ssepe  multorum  vita  displicet, 
qucEeliam  I'oiis  hominibus  placel.  Caute  ergo 
niinin  in  laudem...  Zachaiiae  et  Elisabeth  ab 
Evangelisla  diclum  est  :  Erant  jusli  ambo 
anleDeum.  Non  enim  secura  laus  est,  juslos 
ante   homines  apparere  ».  La  suite   de  la 


phrase,  incedentes  in  omnibus...,  expliqiie  en- 
core, en  la  paraphrasanl,  celle  belle  epilhele 
de  «  jusli  ».  Rcmarquoz  le  verbe  pitloie-que 
«  incedere  ». caique  sur  I'hebieu  nbn,  qui,  au 
moral,  a  bien  des  fois  la  sign  ilication  de 
^ijv,  H  vivere  »  (Cfr.  en  particulier  111  Reg. 
vni,  51.  ou  nous  iiouvons  une  phrase  lout  a 
fait  seniblable  a  la  noire).  D'apres  cetle  ma- 
niere  d  ■  parler,  les  commandeincnls  divins 
sont  pour  ainsi  dire  une  voie  royale  sur 
laquello  s'avancent  les  justes  el  les  saints.  — 
In  omnibus  viandatis  et  justi/ir.c.tlouibus... 
llaaaic  est  emphalique  :  loiis  les  preceples 
(le  Dieu  sans  ('xc{>ption.  Faul-il,  avec  la 
plupart  des  exeget(>s  modernes,  voir  dans 
«  mandatis  »  (ev-roXai?)  I'indication  d.-s  pre- 
ceples moraux,  et  dans  «  juslificalionibus  » 
(5f/caiw(Aaffi)  celle  des  preceples  cereuioniaux? 
On  le  peul;  iiiais  nos  deux  sub^lanlifs  n'in- 
diquent  poml  par  eux-meines  celle  diffe- 
rence. Au  fond  ils  sont  a  peu  pres  synonymes. 
D'apres  I'etymologie,  le  premier  designe  les 
lois  divines  en  tanl  qu'elles  sont  I'expression 
d'un  ordre  impose  par  le  Souverain  Mailre, 
le  second  ces  memi  s  lois  en  tanl  que  leur 
accomplissemenl  parfail  esl  pour  rhomme 
uni!  source  de  juslificalion.  —  Sine  querela 
(o([A£iJ.7tToi,  liller.  «  iireprehensibiles  »)  com- 
plele  I'eloge.  Aussi  pouvons-nous  dire  avec 
Maldonal  :  a  Non  poliiil  Evangclnla  gravio- 
ribus,  illuslrioribus,  honorificentiorlbus  ver- 
bis eorum  sanctitalem  declarare  ». 

7.  —  Malgre  le  bonheur  qu'ils  Irouvaient 
dans  raccoii)()lissemenl  de  la  loi  de  Dieu, 
Zacharie  et  Elisabeth  avaient  cependanl  un 
grand  chagrin  domeslique  :  non  erateis  filius 
(dans  le  grec,  rey-vov,  enfanl).  L'evangeliste 
fait  connaitre  le  molif  de  celle  douloureuse 
privation  :  eo  quod  esset  Elisabeth  sterilis;  et, 
si  tel  avail  ete  le  [lasse,  I'avenir  n'otlVail  [)lu5 
aucune  esperance  au  point  de  vue  huinain, 
allendu  que  a[ji90T£poi  irpoSsgrixoTe;  ev  xai; 
:filj:e'pat;  autwv  i^aav.  Nous  prefererions  vn  lalin 
«  procisserant  »,  I'lndicalif  au  lieu  du  siib- 
jonctif,  car  ce  verbe  ne  parait  plus  dependre 
de  «  eo  quod  ».  La  locution  TtpoSeSyixoxe;  ev 
Tate  -fip-ipaic,  {processissent  in  diebus)  est  i  mi  lee 
de  I'hebreu  D'a""!  Nin.Comp.  Gen.  xvm,  41  ; 
XXIV,  1  ;  Jos.  I,  23;  xill,  1,  etc.  Les  Grecs 
disaient  d'une  maniere  analogue  7tpo6e6ir)x(i>< 


I 


CHAPITRE  I 


33 


8.  Factum  est  autem,  cum  sacer- 
dotio  fungeretur  in  ordine  vicis  suae 
anteDeum, 

9.  Secundum  consuetudinem  sa- 
cerdolii,   sorte   exiit  ut  incensum 


8.  Or  il  arriva,  lorsqu'il  rempiis- 
sait  les  fonctions  du  sacerdoce  dc- 
vant  Dieu,  selon  le  rang  de  sa  I'a- 
mille, 

9.  Qu'il  lui  echut  par  le  sort,  selon 
la   coutume  des  pretres,   d'entrer 


TTj  fjAtxta  oil  XP'^^V)  ou  -im^)leinent  itpoSegrjxw;. 

—  Co?  details  doimes  par  S.  Luc  onl  pour  but 
manife.-le  de  raieiix  Jaire  ressorlir  i'eUndue 
du  miracle  qu'il  va  bienloL  raconLer.  Comme 
I'a  dit  le  poeie  Juvencus, 

Nee  fuit  lis  sol  oles,  jam  turn  vergcnlibus  anois, 
Graliui  ul  doaura  jam  desperantibus  esset. 

Jean-Ba|)iislo  sera  nn  enfant  de  prodige, 
conime  aulrefois  Isaac  it  Samuel.  «  Deii>, 
lison>-nou>  dans  TEvangiie  apocryphe  de  la 
Nativite  de  Marie,  ap.  Tliilo,  Cod.  apocryph. 
I.  1.  p.  332,  Dons  quum  alicujus  uLerum 
claudit,  ad  hoc  facil,  ul  inirabilius  denuo 
aperial,  et  non  libidinis  esse  quod  nascitur, 
sed  divini  muncris  cognoscalur  ».Ce  ful  cer- 
tainemenl  le  cas  pour  Elisabeth. 

8.  —  Apres  celle  courte  enlree  en  matiere 
(tt.  5-7;,  nous  arrivonsau  fail  qu'elle  devait 
preparer  :  uii  tils  esl  miraculeusemenl  promis 
a  Zacharie  el  a  EHsabelh,  tir.  8-22;  puis  ii 
esl  bientot  miraculeusemenl  congu,  tt-  23-25. 

—  Factum  est  autem.  'Eyc'vexo  Ss  esl  la  tran- 
sition favoiite  de  S.  Luc,  de  meme  que  xat 
l8ou  esl  celle  du  premier  evangelisle.  lei  en- 
core Cfr.  t.  5),  c'esl  le  i~iT  des  ecrivains 
hebreux.  —  Cum  sarerdotio  fungeretur,  sv 
T({)  lepaTcUEiv  aOtov,  Ijn32.  Zacharie  est  done 
de  service  dans  le  temple  avec  la  classe  d'Abia 
(in  ordine  vicis  suce,  comp.  le  f.  5  et  IVxpli- 
catioii  I.  C'esl  la,  dans  le  lieu  sainl  [ante  Dium\ 
qui  eiail  comme  le  palais  royal  habile  par 
Jehova,  que  Taltendenl  les  bienfails  celestes. 

—  Sur  la  nnie  S!m[ilemi'nl  accideulelle  ev  tyj 
Ta$ei  T^;  eiiTi(iepia?  auToO,  divers  exi'geles.  en 
parlicuiicr  Scaliger,  Limbrun,  van  Till.  Ben- 
gel,  el  de  nos  jours  Wieseler,  onl  echalaude 
lout  un  systeme  chronologique.  D'une  part 
le  premier  livre  des  Machabecs,  iv,  38  et 
S3.,  raconle  que  Judas  Machabee  resiaura 
et  reorganisa  le  culte  du  temple;  d'aulre 
part,  le  Talmud  menlionneexpressemeni  que 
c'etaii  la  premiere  des  classes  sacerdolales 
qui  eiaii  en  fonciions  au  mois  de  Ab  (aout) 
quand  le  temple  ful  delruil  par  les  Romains. 
Pananl  de  la.  ccs  auleurs  onl  essaye  de 
fixer  la  date  pxacie  de  la  nativite  du  Precur- 
seur,  tanlot,  en  redescendant.  tantot  en  re- 
monlanl  If  cours  d  s  annees,  jusqu'a  ce 
qu'ils  rencoiu  I  assent  le  tour  de  la  classe 
d'Abia  SIX  mois  avanl  la  naissance  de  Jesus- 
Christ.  Mais  leurs  calculs  sont  plus  ingenieux 
que  solides,  comme  le  montre  la  varieie  de 

S.  Bible.  S 


leuis  iippitHiiiiintis  On  on  trouvora  un  boii 
expose  duns  Wieseler,  Cliruii.  Syiiops., 
pp.  4  40   145. 

9.  —  Secundum  consuetudinem  sarerdotU. 
Cesmols  no  retombent  pas  sur  la  pioposilion 
piecodonte,  «  quumsaoerdotio  fungeretur. ..», 
mais  sur  sorle  exiit,  £>.«•/.£,  (plus  lilterale- 
ment  :  il  oblinl  par  le  son).  Le  sort  jouail 
un  Ires  grand  role  chez  tons  les  pcnples 
anciens,  (jui  lui  atlribuaii'nl  genefalemenl 
un  caraclere  religieux,  paice  (ju'ils  voyaienl 
en  lui  I'expression  d'une  volonte  suporicuro, 
des  indications  toutes  provideniitlles.  Comp. 
Jon.  I,  7;  Act.  i,  24  el  ss.  Cost  pourquoi, 
a  Jerusalem,  lorsque  les  pretres  de  semain!' 
avaient  a  se  partagcr  les  difTerrnlos  fonrlioiis 
qu'ils  devaienl  remplir  dans  le  ieiii;il  •.  ;iu 
lieu  de  faire  cette  distribution  d'une  maniore 
arbilraire,  ils  roperuieni  en  retuuiiuu  aii 
sort.  Les  Rabbins  nous  out  conserve  sur  ce 
point  des  details  que  le  lecleur  vcrra  sans 
doute  avec  interei.  Voici  d'abord  les  cere- 
monies quoiidiennes  qui  eiaienl  reservees 
aux  pretres,  ei,  Fcrdre  d'apres  lequol  il  fallaic 
les  accomplir  :  «  Allare  magnum  li.  e.  sacri- 
ficii)  praecedil  altare  minus  (i.  e.  thymiama- 
tis).  Altare  minus  praecedil  dnoseginina  ligui 
(appesita  ad  focum  aliaris  magtii).  Apposiiiu 
duorum  segmenloruin  ligni  praecedil  deci- 
nerationem  aliaris  inlei  loris  (i.  e.  Ihyiniama- 
tis).  Decineralio  aliaris  intenoris  piaecedit 
emendatioiiem  quinque  lainpadum.  Emon- 
datio  quinque  lainpaduin  praecedil  sparsioiieni 
sangumis  sacrificn  jiigi-:.S()arsio  sanguinis  sa- 
crificii  jiigis  piaecedit  einendationeiii  dua:uni 
lamj)a(lnm  reliquarum.  Emendalin  duarum 
laiiipaduni  praecedil  ihymiama.  Thymiama 
praic<'dil  appo-ilionem  pariiuui  sacrificii  in 
altari.  Appositio  partuim  pr;ecedil  Minchani 
(le  sacrifice  non-sanguint).  .Mincha  praecedil 
dua>  moias(i.  0.  pane.-)Siimini  Pontificis.  Duae 
molaepraeceduni  libationem.  Libaiio  praecedil 
sacrilicia  additilia  ».  Gloss,  in  Taiiiid,  c.  vi. 
Au  momonl  de  faire  le  pariage,  les  pretres 
8'  reunissaieiil  dans  le  Gazziih  ou  salle 
des  pierros  laillees  (voyez  I'Evang.  selon 
S.  Matlh.,  p.  492)  Le  Talmud  nous  montre 
le  mailredos  ceremonies  convoqiiaiil  ses  col- 
legues  poiir  cette  operation  :  «  Dicii  eis  Pr;e- 
I'ectus  :  Venite,  el  suites  projicile.  I'ut  deler- 
miiv  tur'  qui-nam  mactabit  viclimam,  quis 
sparget  .«anguinem,  quig  decinerabit  allare 
iiiterius,  quis  decinerabit  candelabrum,  qui? 
Lcc  —  3 


34 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


dans  le  temple  du  Seigneur  pour  y 
oiiVir  rencens, 

10.  Et  toule  la  multitude  du  peu- 
ple  etait  dehors,  priant  a  I'heure  de 
I'encens, 

11.  EL  un  ange  du  Seigneur  lui 
apparut,  debout  a  droite  de  I'autel  de 
i'encens. 


poneret,  ingressus  in  templum  Do- 
mini : 

10.  Et  omnis  multitudo  populi  erat 
orans  foris  liora  incensi. 

Exod.  30,  7;  Lev.  16,47. 

11.  Apparuit  autem  illi  angelus 
Domini,  stans  a  dextris  altaris  in- 
censi. 


porlabil  paries  ad  ascensiim  aliaris,  caput, 
cm?,  duos  armos,  caudam  spinae  dor.si,  cms 
alterum,  |)ecUis,  gulam,  duo  latera.  viscera, 
faritiam.  duas  molas  el  vinum.  Is  oblinetcui 
sorle  obtingiL  ».  Tainid,  cap.  in,  hal.  1. 
Ailleur.s,  loma,  fol.  25,  4,  on  nous  apprend 
la  maniere  donl  se  fai.-ait  le  tiragg  au  sort  : 
c'elail  d'apres  une  melhodn  analogue  a  celle 
quo  les  enfants  suivent  encore  aujourd'hui 
<lans  leurs  jeux.  «  Circumdederunl  sacerdo- 
tes  in  circuio  et  Praefeclus  accedens  arripil 
cidarim  (i.  e.  pileuin)  a  capile  hujus  vel  illius, 
alque  hinc  norunl  quod  sorlilegium  ab  eo 
inciperet  ».  La  giose  ajoute,  f.  22,  1  :  «  Cir- 
cumsleierunl  in  circuio,  accedensque  Prae- 
ieclus  cidarim  arripil  a  capite  alicujus, 
atque  ab  eo  incipit  sorlilegium  numerari, 
elevatque  unusquisque  digiUim  suum  ad 
numerum.  Dicilque  Preefeclus  :  In  quocum- 
<|ue  desinel  numerus,  i!le  hoc  vel  illud  raunus 
sortilur;  cnarral  pariler  numerum.  ex.  gr, 
■cenlum  ve!  scxaginia.  pro  mulliludine  sacer- 
•dolum  astanlium.  Numerare  incipil  ab  eo 
cujus  cidarim  arripuil,  cl  circuranumerat 
•donee  excurril  ntimerus.  Alque  in  quem- 
■cumqne  nuniprus  cxsijiiat,  ille  inuniis  illud 
sorlilur  de  quo  fil  .sorlilegium.  El  sic  in  sor- 
lilegiis  omnibus  ».  Voyez  Liglilfoot,  Horae 
hi'br.  HI  Evang.  Lucae,  li.  I.  —  Ut  incensum 
2)onerel  (dans  le  texie  grec,  le  genilif  toO 
■Sufj-iaaai  est  gouverne  par  le  verbe  IXaxs).  Tel 
lul  le  role  qui  echul  a  Zacharie  :  il  etait  re- 
garde  comme  le  plus  honorable  de  lous  ceux 
qui  elaient  exerces  par  les  simples  prelres. 
€elui  auquel  il  incombail  enlrail  deux  fois 
•chaque  jour,  le  matin  et  le  soir,  dans  la 
iparlie  du  temple  nommee  le  Saint  (ingressus 
in  templum,  et;  t6v  vaov,  Sd'H  I  Reg.  xi,  5)  et 
y  encensait  I'autel  des  parfum.^.  Ici  encore, 
giace  au  Talmud,  nous  pouvons  fournir  d'in- 
leressanls  deiads  sur  cetle  fonction,  telle 
qu'elle  se  praliquail  au  tem|)5  de  Nolre-Sei- 
gneur.  Le  preire  qui  en  etait  charge  etait 
accompagne  de  trois  auxiliaires  :  le  premier 
nettoyail  I'auLel,  adorait  el  sortait;  le  second 
apportait  sur  I'autel  quelques  charbons  ar- 
denls  extrails  du  brasier  des  holocausles, 
adorait  et  sorlail ;  le  troisieme  recueillait  les 
grains  d'encens  torabes  a  terre,  et  ne  cessait 
de   rappeler  a   i'officiant  qu'il  devait   user 


d'une  grande  vigilanci^  puis  il  adorait  el  sor- 
tait. Enfin  le  celebrant,  demeure  seul  dans  le 
Saint,  versait  sur  les  charbons  de  I'autel  une 
quantite  delerminee  d'encens,  et,  a  son  tour, 
il  adorait  el  se  relirait.  Voyez  Lighlfool  et 
T.  Robinson,  ubi  supra. 

40.  —  Et  omnis  multitudo  populi...  Les 
heures  de  I'encensemenl  coincidaient  avec 
celles  du  «  sacrifice  perpeluel  »  immole  le 
matin  (9  h.)  et  le  soir  (3  h.),  et  ces  deux  ce- 
remonies etaient  les  plus  solennelles  du  culte 
quotidien  :  aussi  les  personnes  pieuses  y 
accouraienl-elles  en  grand  nombre.  De  la 
celle  mullilude  menlionnee  par  I'Evangile.  II 
n'esl  done  pas  besoin,  pour  expliquer  une 
pareille  affluence,  de  supposer  avec  divers 
auleurs  que  I'annoncialion  de  Zacharie  eut 
lieu  en  uu  jour  de  fete  ou  de  Sabbal.  La  foule 
n'enlrait  pas  dans  le  vao?  propremenl  dil; 
elle  reslail  dans  les  cours  qui  rentouraient 
(foris;  voyez  I'Allas  archeolog.  de  V.  An- 
cessi,  pi.  X),  unissant  ses  prieres  [orans]  k 
celles  du  preire,  de  sorle  que  les  deux  par- 
fums,  le  parfum  materiel  ei  le  parfura  mys- 
tique, s'elevaient  ensemble,  I'un  comme  un 
type.  I'autre  comme  une  realite,  vers  le  trone 
de  Jehova.  Une  clochelle  indiquail  aux 
assistants  le  moment  precis  ou  le  preire  re- 
pandail  I'encens  sur  I'autel,  car  le  voile  qui 
separail  le  Saint  du  parvis  les  empechait  de 
voir  celte  ceremonie. 

11.  —  Apparuit  autem  illi.  Apres  ces  de- 
tails prelimmaires,  tt-  8-10,  I'hislorien  sacr^ 
arrive  a  I'apparilion  de  I'ange  Gabriel,  el  il 
note  en  passant  I'lmpression  qu'elle  produisit 
sur  Zacharie,  tt.  11  el  12.  Le  phenomene 
decrit  au  t.  11  ne  consista  pas  en  une  vision 
exlatique  ;  ce  fut  une  apparition  exterieure, 
reelle,  qui  tomba  sous  les  sens  du  saint  pietre. 
Cela  resulle  soit  de  I'emploi  du  mot  w^Ori, 
«  visus  est  »,  soit  de  la  description  qui  suit : 
stans  a  dextris  altaris  incensi.  L'aulel  de 
I'encensement  ou  des  parfums,  qu'il  ne  faut 
pas  confondre  avec  celui  des  holocausle.s 
etait  en  bois  de  sillim  (sorle  d'acacia)  revetu 
d'or.  11  se  dressail  vers  le  milieu  du  Saint, 
un  pen  du  cole  de  I'Orient.  Au  Nord  se  trou- 
vait  la  table  des  pains  de  proposition,  au  Sud 
le  chandelier  k  sept  branches  ;  c'est  done 
aupres  de  ce  candelabre,  situe  k  droite  de 


12.  Et  Zacharias  turbatus  est  vi- 
>dens,  et  timor  irruit  super  eum. 

13.  Ait  aiitem  ad  ilium  angelus  : 
Ne  limeas,  Zacharia,  quoniam  exau- 
dita  est  deprecatio  tua  :  et  uxor  tua 
Elisabeth  pariet  tibi  filium,  et  vo- 
cabis  nomen  ejus  Joannem  : 


CHAPITRE  I  35 

12.  Et  Zacharia  en  le  voyant  fut 
trouble,  et  la  crainte  le  saisit. 

13.  Mais  range  lui  dit  :  Ne  crains 
point,  Zacharie,  parce  que  ta  priere 
a  ete  exaucee  :  ta  femme  Elisabeth 
t'enfanteraun  fils,  et  tu  I'appelleras 
du  nom  de  Jean, 


i'autel ,  que  se  lenait  rArchango  lorsque 
."Zacharie  I'apergut  tout  a  coup.  Des  rensei- 
^neuients  aussi  posiiifs  prouvenl  le  caiac- 
tere  lout  a  fait  hislorique  du  I'incident.  — 
Telle  fut  la  premiere  des  apparitions  ange- 
liques  qui  se  ratlachenta  rEnfanci'  de  Jesus. 
Les  Evangiles  on  raconlent  plusiours  aulres: 
t.  26;  II,  9;  Mattli.  i.  20;  ii,  13  et  4  9.  — 
Remaiquons  que  c'est  dans  le  sanctuaire  de 
Jeliova  que  la  nais.-ance  procliame  du  Pre- 
curseur  sera  prophelisee.  11  convenail  que  ce 
lieu,  oi  souvent  lenioin  des  maiiilestalions 
divines,  lut,  en  ce  moment  le  centre  d'oii  s'e- 
cliapperaient  les  premiers  rayons  lumineux 
qui  devaient  former  bienlot  le  soleil  evange- 
lique. 

12.  —  Zacharias  turbatus  est  videns. 
L'homme  est  toujours  saisi  d'effi  oi  a  la  vue  du 
surnalurel  quand  il  se  prescnie  sous  celte 
forme.  La  Bible  nous  en  fouinit  di'  nombrcuses 
preuves.  Comp.  Ex.  xv,  16;  Judith,  xv,  2; 
Dan.  viii,  17  et  18;  x,  7-9;  Act.  x,  4; 
XIX,  17,  etc.  —  Et  tiiKor  irruil  super  eum. 
Repetition  empiialique  de  la  meme  idee  avec 
des  expressions  plus  fortes,  a  la  maniere  du 
style  hebiai'iiue  'CIV.  Gen.  xv,  12),  pour 
aiieux  decrire  la  terieui'  di'  Zacharie. 

13.  —  Ail...  aiirjelus  :  Ne  timeas.  G'(■^t 
la  parole  amif,  ra>surante,  adiessee  liabi- 
luelleraent  paries  anges  en  pareil  cas.  Comp. 
■*■.  30;  II,  10;  Apoc.  i,  17.  «  Siciit  luimanae 
fragililatis  est,  dit  ires  delicalemini  lu  Ven. 
Bede,  h.  I.,  spiritalis  creaturae  visioius  lui- 
bari,  ita  angelicae  benignilaiis  est  paventes 
de  aspeclu  sno  morlali's  mox  blandicndo  so- 
lari  )>.La  prcmierr  purolu  celeste  qui  retentii 
dans  le  Nouveau  Testament  est   ainsi    une 

■  parole  d'encouragement  et  do  consolation. 
Elle  est  iramediatement  suivie  de  la  grande 
nouvelle  qui  etait  le  motif  de  l'ap()arilion  : 
Exaudita  est  deprecatio  tua,  et  uxor  tua... 
Mais  quelle  etait  cetle  priere  a  laquelle 
I'angK  fait  tout  d'abord  allusion?Il  s'est  forme 
sur  ce  point  deux  sentimi  ntsconlradictoires. 
Maldonat,  Bengol,  Olshausen,  Meyer,  MM.  Bis- 
ping,  Schegg.  Godet,  etc.,  pensent  que  Za- 
charie, en  offrant  I'encens  au  Seigneur,  ve- 
nait  de  formuler  avec  une  ardeur  nouvelle 
la  priere  que  pendant  longtemps  il  avail 
-adressee  a  Dieu  chaque  jour  :  Donnez-nous 
tun  Glsl  El,  au  premier  regard,  le  conlexle 


paratt  favoriser  cette  opinion  ,  puisque 
I'ange  ajoute  aussitot  :  «  Tu  auras  un  fils  », 
semblant  etablir  ainsi  une  connexion  Ires 
etroile  entre  la  priere  de  Zacharie  et  la  pro- 
messe  qui  va  suWre.  Neanmoins,  en  etudiant 
le  texle  de  plus  pres,  on  est  frappe  de  plu- 
sieurs  difScultes  serieuses  qui  vont  a  I'en- 
conlre  de  celte  interpretation.  L'evangeliste 
n'a-l-il  pas  dit  (t.  7)que  Zacharie  et  ElisabiMh 
avaient  pprdu  moralement  tout  espoir  d'avoir 
un  fils'i'Bien  plus,  dans  un  inslanl.  quand 
I'ange  aura  acheve  son  message,  Zacharie  ne 
sera-l-il  pas  saisi  d'etonneraent,  et  n'objec- 
tera-t-il  pas  sa  vieillesse  el  celle  d'Elisabelh? 
Aussi  les  SS.  Peres  (notamment  S.  Augustin, 
S.  Jean  Chrysoslome,  le  Yen.  Bede),  et  apres 
eux  la  plupart  des  exegetes,  onl-ils  cru  que  la 
priere  de  Zacharie  avail  un  autre  objet,  plus 
releve,  jilus  general,  p!us  sacerdotal  :  «  Pro 
advenlu  Messise  deprecabatur  ».  «  Hoc  alten- 
dendum  est,  dii  encore  S.  Augustin,  quia  non 
est  veii.-iiiiii(!  ut,  quum  pro  peccatis  populi 
vel  salute  vel  redempliune  sacrificium  ille 
otferrct,  poluent  publicis  volis  reliclis  homo 
sen(>x,  uxorem  habcns  anum,  pro  accipiendis 
filiis  orarc;  praeserlim  vero  quia  nemo  oiat 
accipere  (piod  se  accP|)tiirum  e.-se  dcspt  rat... 
Ergo  quod  ei  dicitur,  Exaudita  est  depreca- 
tio tua,  pro  populo  intelligendum  est;  cujus 
populi  quoniam  salus  et  redemptio  et  picca- 
torum  abolilio  per  Christum  futura  eral, 
adhuc  nuiUiatur  Zachari;e  nasciturus  filius, 
quia  piaecursor  Christi  destinabatur.  »  De 
quae^tlon.  evangel.,  1.  II,  q.  1.  Celte  derniere 
reflexion  du  saint  Docteur  montre  la  liaison 
qui  cxiste  entre  les  premieres  paroles  de 
Tango,  «  exaudita  est...  »,  el  les  suivantes  : 
Elizabeth  pariet  tibi  filium  (ulov,  au  lieu  du 
vague  T£xvov  que  nous  lisions  au  T^.  7;  yf^y^y 
dans  le  sens  de  Ttxireiv,  de  meme  que  Gal. 
IV,  24).  A  la  joyeuse  promesse,  I'ange  associe 
un  ordre  :  Et  vocabis...  Comme  Isaac  dans 
I'Ancien  Testament,  comme  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ  dans  le  Nouveau,  S.  Jean  regoit 
son  nom  directemenl  du  ciel ;  et  quel  beau 
nom!  Joannes,  en  hebreu  pnV  {lochandn)  ou 
pmni  {Yehochandn) .  for  me  des  deux  mots 
pn  mni,signifie«  Jehova  estpropice,  Jehova 
a  fait  grace  »,  el  exprime  de  la  faQon  la  plus 
claire  les  intentionsbienveillantes  du  Seignpur 
a  regard  de  son  peuple,  L'idee  de  la  Re- 


36 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


14.  II  sera  pour  toi  uii  sujet  de 
joie  et  de  transport,  et  beaucoup  se 
rejoiiiront  de  sa  naissance. 

lb.  Gar  il  sera  grand  devant  le 
Seigneur;  il  ne  boira  ni  vin  ni  cer- 
voise,  et  sera  rempli  de  I'Esprit 
saint  des  le  sein  de  sa  mere. 

16.    Et   il   couvertira   beaucoup 


14.  Et  erit  gaudium  tibi,  et  exul- 

tatio ,   et  raulti  in  nativitate  ejus 
gaudebimt : 

15.  El  it  enim  magnus  coram  Do- 
mino :  et  vinum  et  siceram  non  bi- 
bet,  et  Spiritu  sancto  replebitur 
adhnc  ex  ulero  matris  suae  : 

16.  Et  multos  liliorum  Israel  con- 


drmption  y  est  conlenue  toule  enliere.  II  est 
vrai  qu'il  avail  eie  soiivetU  por  le  h  des 
epoqucs  anLerieiires(comp.  IV  Rpg.  xxv,  23; 
11  Par.  XVII,  15;  XX 1 11,  1  ;  xxviii,  12;Nrhem. 
VI.  48;  XII,  13);  luais  alors  c'eiaienl  des 
hoinmes  qui  I'avaienl  iinpo.>e.  el  jamais  t^a 
significalion  n'avail  eld  n-alisee. 

14.  —  Et  eiil  gaudium  tibi  et  exuUatio. 
Deux  siibslanlifs  pour  mieux  indiquer  la  vi- 
vaciie  de  la  joie  des  parenls  du  Precurseiir. 
Mais  ce  n'esl  pas  seulemcnl  dans  le  cercle 
uilime  d'uno  familie  juive  que  celle  mer- 
veilleiise  nai<sai!ce  repaiidrale  bonheur  :  elle 
r^jouira  un  grand  nombre  d'hommes,  pour  les 
molif's  qui  scronl  devcloppes  dans  it'S  tt.  16 
el  17.  El  en  cffcl.  I'Eglise  enliere  ne  celebre- 
t-elle  pas  cliaque  annee  joyeusen)enl  la  Nali- 
vile  de  S.  Jean-Baplisle?  Des  paiens  niemcs, 
audire  des  anciens.  n'onl-iis  pas  fete  reguiie- 
leiiicnl  eel  annivi  isaire  par  desrejouissances 
publiques ?  Voyez  D.  Calinel.  Conunenl.  lilter. 
surS.  Luc,  p.  174.—  In  iKilivitdlee^l  poiirw  ob 
nalivilaiem  »  (eTttTTg  Yewyiaet,  ou  Yeveoei  d'a- 
pre.<  de  noiiibreux  mami.^ciils). 

15.  —  Erit  enim...  Comme  le  nnonlre  la 
parlicule  y«P'  I'ange  va  mainlenant  indiquer 
les  causes  de  ci  lie  joie  universelle.  II  le  fail 
a  Irois  poiiils  de  vue  :  1o  par  rapporl  a  la 
nature  iniime,  au  caraclere  moral  de  I'enfanl 
de  benedictioti  qui  vienl  d'etre  promis  a  Za- 
cliaiie,  20  par  rapfiorl  a  linfluence  qu'il 
exercera  sur  les  aulres  hommes,  3o  par 
iap|iori  a  son  emploi  en  lanl  que  Precur- 
seur  du  Messie.  —  1°  Nalure  morale  de  I'en- 
fanl, t-  15  S.  Jean  sera  grand  ;  mais.  ce  qui 
vaul  mieux,  il  sera  magnus  coram  Domino, 
c'esl-a-dire  qu'il  possedera  la  veritable 
grandeur.  «  SiiiiiificaUir,  dil  Ires  bien  Lucde 
Biugos,  singularitas  magniludinis,  quod  Do- 
minus  eum  faciei  magnum  ».  En  effel,  6lre 
giand  devanl  Dieu,ce  n'est  pas  jouirdes  lion- 
neursleire>tres,  mais  c'esl  po-seder  la  verlu, 
lasainlele  a  undegie  eminent,  el  nous  savons 
combien  Jean-Bapliste  a  eie  grand  sous  ce 
rapport.  L'acconqilissement  de  celle  predic- 
tion de  laiige  peul  se  resumer  flans  les  pa- 
roles prononcees  plus  lard  pai' Nolre-S 'ign(>ur 
Jesus-Chiisl,  IMatlh.  xi,  11  :  «  Inter  naios 
mulierum  non  surrexit  major  Joanne  Baptis- 
ta  ».  —  La  grandeur  spirituelle  de  I'enfanl 


sera  manifestee  par  deux  signes,  I'un  exte- 
rieur,  Tautre  inlerieur.  Exierieurement,  il 
menera  la  vie  parfaile,  qui  consiste  loujours, 
chez  lous  les  peuples  el  atoutes  les  epoques, 
dans  la  morlificalion  des  sens,  dans  un  re- 
gime auslere  :  vinum  et  siceram  non  (oO  (ai^, 
nequaquani)  bibet;  il  sera  done  jusqu'a  un 
certain  po  nl  un  Nazir  perpeluel  (par  oppo- 
sition au  Nazareal  lemporaiie.  Voyez  le  moL 
Naziraeus  dans  Otlio,  Lexic.  rabbin.),  a  la 
fagon  de  Samson,  Jud.  xiii,  4,  de  Saumel. 
1  Reg.  I,  11  el  des  Rechabiles,  Jer.  xxxv,  6- 
et  ss.  Le  mot  cixepa  (generalement  indecli- 
nable •  Eusebe,  Praep.  evang.  vi,  10,  emploie 
pourlanl  le  genilif  ffuepo?)  e-;i  nin'  reproduc- 
tion grecqu{;  de  I'hebreu  'ySJ  xcliecar  (rac. 
1DU7,  srharar,  enivrer)  et  de.•^,gne  toules  le.s- 
liqueurs  enivrantes  aulres  que  le  vin,  la  biere 
par  exemple,  I'liydromel  et  plu-i  urs  I'spec'es 
de  cidre  ou  de  boissons  feimeniees  dont  les 
Orienlauxonl  toujours  fait  leurs  delic!  s.  Cfr. 
Pline,  Hist.  nat.  xiv,  19.  S.  Jerome,  Epist.  ad 
N.'pol.,  donne  aussi  d'mteressanls  details  a 
ce  sujel  :  «  Sierra  hebraeo  sermoni'  omnis 
polio  quie  inebriare  potest,  sive  ilia  qug& 
i'rumenio  conficitur,  sive  pomorum  sueco,  aul 
quum  favi  decoquuntur  in  dulcem  et  barba- 
ram  poliouem.  aul  palmonim  frucius  expri- 
munlur  in  liquorem  coclisqu"  frugibus  aqna 
pinguior  coloralur  ».  —  liilerieurement, 
S.  J  an  aura  une  marque  bien  plus  cxcellenle 
encore  de  sa  grandeur  :  Spiritu  sancto  reple- 
6((((r,  c'esl-a-dire  qu'il  recevra  dans  leur  ple- 
nitude les  dons  de  I'Espnt  divin,car  telle  est 
la  force  de  celteformule  toules  les  foisqu'elle 
est  employee  dans  les  ecrils  bibliques.  Les 
mots  suivanls.  adiiac  ex  utero  (Iti  ex  xoiXfa;; 
la  version  syr.  tiaduit  a  bon  droit  par  «  in 
utero  »)  matris  sua',  indiquent  le  moment 
auquel  comnvncera  cetli'  effusion  mer- 
veilleiise  de  I'Eprit  Saint  :  elle  aura  lieu  des^ 
avanl  la  nai-sance  du  Precurseur,  dans  la 
circon-tance  racontee  plus  bas,  t.  41,  else 
coniinuera  durant  toule  sa  vie.  Cfr.  S.  Ambr.. 
Expos,  in  Luc.  I.  I,  33 ;  Orig  Horn,  iv  in  LiC. 
16.  —  20  L'eniant  annonce  a  Ziicharie 
exeicera  sur  ses  semblables  une  puissanie 
influence  religieuse.  II  les  delournera  du  mai, 
il  les  conduira  vers  Dieu.  en  un  mot  il  les  , 
converlira   {convertet,   inia'zpi'^u,    le    2'tt7iT 


CHaPITRE    I 


37 


"vertet  ad  Dominum  Deum  ipsorum  : 

17.  Etipse  praecedet  ante  ilium  in 
spirilu  et  virlute  Eliae  :  ut  con- 
verlat  corda  patrura  in  filios,  et  in.- 
crediilos  ad  prudenliam  justorum, 
parare  Domino  plebem   perfectam. 

Mal.i.,  6;  MaHk.  11,  U, 


d'enfants  d'lsragl  au  Seigneur  leur 
Dieu. 

17.  Et  il  marchera  devant  lui  dans 
I'esprit  et  la  vertu  d'Elie,  pour  ra- 
mener  les  coeurs  des  peres  aux  fils 
et  les  incredules  a  la  prudence  des 
justes,  et  preparer  au  Seigneur  un 
peuple  parfait. 


hebreii).  Toiitpfoiscelte  influence  sera  bornee 
dans  ses  limiu^s  :  elle  s'elendra  aux  seuls 
Jiiifs,  (>l  encore,  (lelas!  ne  les  alteindra-l-elle 
pas  tons;  un  grand  nombre  du  nioins  (mul~ 
tosj  cimsenliionl  a  la  snbir.  Nous  vcrrons 
le  Precuispur  accomplir  admirablem^nt  ce 
bfau  role  duranl  son  ininislere  public,  pre- 
chanl  la  fuile  du  peche,  la  connaissance  du 
Chri.-^t,  el  ramenanl  ainsi  les  fils  d'l^iael  a 
Jeliova  (Dominum]  qui,  en  verlu  de  I'alliaiice 
du  Sinal,  esl  jusienienl  appele  par  I'evange- 
lisle  li'ur  Dieu  special,  Deum  ipsorum.  Ra- 
mener  les  anies  au  Seigneur,  c'est  aussi  la 
fonclion  principaU'  du  prelre, 

17.  —  30  Au  point  de  vue  de  sa  vocalion 
pro()remenl  dile,  Jean-BapUste  S'ra  le  Pre- 
cursour  du  Messie.  —  Et  ipse  [avec  emphase, 
Nim)  prcecedet  ante  ilium,  c'est- a-dire,  «  Do- 
minum Deum  ip-;orum  ».  En  effet,  grammali- 
calenieiit,  le  pronom  «  ilium  »  ne  peut  se 
rapporler  qu'a  ces  mols  du  t- 16,  et  pourlant, 
d'aprfes  I'iilee,  il  est  certain  qu'il  s'agit  ici 
<3u  Messie.  La  conclusion  eslmanifesle  :  Done 
le  Messie  est  Dieu,  le  iMessie  est.  le  Jehova 
de  I'ancienne  Alliance.  Cfr.  Patrizi,  de  Evang. 
lib.  Ill,  Dissert,  iv,  7  el  8.  Du  resle,  ce  n'est 
point  la  une  notion  nouvelle,  puisque  les 
Propiieles  decrivaienl  deja  I'avenemenl  du 
royaume  ^essianique  sous  la  figure  d'une 
entree  soleunelle  de  Jehova  parmi  son  peuple. 
Comp,  Is.  XL,  3;  Mai.  iii,  1,  etc.  —  L'ange 
fait  lout  a  coup  un  rapprochement  des  plus 
elogieux  pour  Jean-Bapiiste.  quand  il  dit 
qu'il  viendra  in  spiiitu  el  virlute  EVce,  car 
Elie  est  un  des  plus  saints,  un  des  plus  grands 
personnages  de  I'Ancien  Testament.  Le  Pre- 
curseur  heritera  done,  plus  encore  qu'Eiisee, 
de  I'esprit  de  ce  rel'orraateur  celebre,  il  agira 
avec  une  vigueur  el  une  auiorite  semblables 
a  la  vigueur  et  a  I'aHlorile  d'Elie.  Pius  tard, 
Nolre-Seigneur  Jesu-^-Christ  fera  lui-meme 
un  laiiproeh  rn'm  identiqu".  el  il  dira  hauie- 
menl  que  Jeai\-Baplisie  etail  une  copie  par- 
faite  du  prophete  Elie.  Comp.  Matih.  xi.  14 
et  le  commeniaiie ;  xvii,  10-12.  —  Ut  con- 
verlat  curila  pntrum  in  filios.  L  s  par^l'S  qui 
precelenl  eiaienl  une  allusion  evidente  a 
i'oiacle  de  Malacliie,  in,  1  el  iv.  5;  mais 
voici  que  l'ange  Gabriel  cite  mainlenant 
d'uno  manieie  litterale,  pour  les  ap[)liquo:-  k 


Jean-Bapliste,  les  dernieres  lignes  de  cetle 
prophetie,  iv,  6  :  «  Et  convertet  (Elias)  cor 
palrum  ad  lilios,  et  cor  filiorum  ad  patres 
eorum  ».  Voyez  Patrizi,  I.  c.  Dissert,  v.  La 
locution  «  convertere  coralieujus  in  aliquern  » 
est  assez  claire  par  elle-mem'  :  elle  sig.nifie 
rendre  favorable,  bien  dis|)ospr,  concilier. 
La  diSiculte  poi  te  sur  «  les  peres  »  el  ^ur 
«  les  fils  »  doiil  S.  Jean,  le  nouv"!  Elie.  devait 
unir  et  pacifier  les  ccEurs  sepaies.  D'apres 
Theophylacle,  les  peres  represenieraienl  la 
nation  juive,  les  fils  seraient  au  cintraire  leg 
apolres  de  Jesus.  Suivant  Tlieixioret,  Words- 
worth, etc.,  les  peres  soni  egalementia  figure 
des  Juii's,  inais  les  fils  symb'lisenl  les  paien-;. 
D'uutres  exegetes  assez  nombreux  (Maldonat, 
Meyer,  Bleek,  etc.)  pr^nnent  ces  deux  expres- 
sions a  la  lettre  :  l'ange  annonc  rail  simple- 
ment  que  les  liens  de  famille.  alors  bri>es 
dans  un  grand  nombre  de  maisons  par  les 
discor<les  poliLiques  el  religieuses  qui  avaient 
envahi  la  nation  theocralique.  seraient  re- 
noues  lieureusement  par  le  Christ  et  par  son 
Precurseur.  A  ces  inlerprelations,  nous  pre- 
ferons  celle  qu'admellent  coinmunement  les 
anciens  auleurs  el  la  plupail  des  modernes. 
Les  «  peres  »  ne  sont  auirescpie  les  Abraham, 
les  I<aac,  l:'S  Jacob,  el  les  aulres  pairiaiches, 
glorieux  ancein  sdu  peuple choisi.  Les  «  fils  » 
represenlenl  le-^  Juifscontempoi  ains  de  Notre- 
Seigneur  el  de  S  Jean.  Aulaiit  ceux-la  etaient 
pleins  de  foi  au  Messie,  aiiiaiU  ceux-ci  etaienl 
incredules.  malgreleur  atli  nlesuperslilieuse: 
de  la  une  snrle  d  aniniosile  bien  nalurelle  des 
premiers  a  I'egard  de  li  urs  descendants  dd- 
generes.  Or,  en  amenanl  les  fils  a  la  vraie 
croyance  mes^ianique,  le  Precurseur  leur 
rendra  les  Palriarihespropices;  il  reuniia  ces 
coeurs  longtempssepares.  On  trouve  une  pen 
see  analogue  dan-lsaie,  xxix  22  ets>.  :«  Nor 
modo  confundetur  Jacob,  nee  morlo  vultut 
ejus  erubescei ;  sed  quum  vident  filios  sues..., 
in  medio  sui  saiiclificanies  nomen  meum, 
el  sanetifirabunl  sanctum  Jacob...,  el  scient 
enantes  -pinlu  intellectum,  et  miis-sitatores 
disceni  legem  >>.  Comp.  ibid,  lxiii,  16elss. 
—  Les  mnis  et  incrediiloK  ad  prudeidimn  jus- 
torum  ((XTtetOet!;  iv  9povyiaet  Sixattov,  liiieial.  il 
rainenera  '<  les  rebelled  au  seniimenl  des  jus- 
tes »1  ne  ditferent  pas,  quant  au  sens,  de  ceui 


38 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


18.  Et  Zacharie  dit  a  Tango  : 
Comment  le  saiirai-je?  car  je  suis 
vieux  et  ma  femme  est  avancee  en 

19.  El  I'ange  hii  repondit :  Je  suis 
Gabriel,  qui  me  tiens  devant  Dieu,  et 
j'ai  ete  envoye  pour  te  parler  et 
t'annoncer  colte  bonne  nouvelle. 

20.  Et  voila  que  tu  seras  muet  et 
ne  pourrns  pnrler  ju«r|n'nn  jour  oil 


18.  Et  dixit  Zacharias  ad  ange- 
lum  :  Unde  hoc  sciam  'go  enim^ 
sum  senex,  et  uxor  mea  processit  in 
diebus  suis. 

19.  Et  respondens  angelus  dixit 
ei :  Ego  sum  Gabriel,  qui  adsto  ante 
Deum;  et  missus  sum  loqui  ad  te,  et 
hsec  tibi  evangelizare. 

20.  Et  ecce  eris  tacens,  et  non  po- 
teris  loqui,  usque  in  diem  quo  hsec 


qui  precedent.  Les  jusles  sonL  ideiiliqiies  aux 
peres,  les  rebt'lles  idoiiiiques  aiix  fils.  — 
Parare  Domino  flebein  perfectam,  c'est  a-dire, 
«  ut  parel...  »  BuL  iiiiul  de  la  sainle  aclivile 
dii  Piecursc-iir  :  sos  excinplcs  et  sa  predica- 
tion prepareront  au  Messie,  parnii  les  Israe- 
lites, nn  noyau  parlailemenl  dispose  (xaxea- 
xeuaa[j.£'vov)  a  le  recevoir  et  a  profiter  des 
graces  qu'ii  apportera  an  monde.  —  Ces  pa- 
roles de  I'ange.  qii'on  a  tronvees  «  vagues  et 
decoloiees  »"Reuss,  Hist,  evangeliq.  p.  123), 
ne  pouvaienl  etre  au  conlraire  ni  plus  nettes, 
ni  plus  precises.  Elles  exprinienl  ailniirable- 
raent  le  caraclero  el  la  vie  de  Jean-Baptisle. 
Elles  ouvrenl  de  splendides  horizons  messia- 
rwques,  dont  nous  constatorons  bicnlot  la 
reaiile. 

48.  —  Ce  vciset  niconte  I'accueil  fait  par 
Zacharie  aux  proiiiesses  de  rangi\  Unde 
UaxoL  Ti, le  nD2  hebreu,  litteral. d'apie?  quoi?) 
hocscunn?  s'eciie-t-il  aussilot.  A  quel  indice 
recounaitrai-je  la  verile  de  voire  prediction? 
Aiiisi  Zacharie  demande  un  sigue  dont  la 
realisation  imniediaie  lui  prouvera  que  son 
interlocuteur  est  sincere  et  veridique.  II 
rappelle  cnsuile  I'obstacle  qui  s"opposj  a  ce 
qu'il  deviinne  pere,  comme  on  le  lui  proniet  : 
Ego  eniin.  xuni  senex  et  iixor  mea...  Les  lois 
de  la  nature  ne  le  [)ermettraient  pas.  —  Les 
fonctions  religiouses  des  Leviles  cessant 
quand  ils  avaient  atteint  leur  cinquanlieme 
annee  (comp.  Num.  iv,  3;  viii,  24  et  ss.),  on 
a  parfois  pretendu  que  Zacharie  n'avait  pas 
encore  cinquanle  ans  lorsque  I'ange  Gabriel 
•lui  apparut,  de  sorte  que  le  mot  a  senex  »  ne 
designerait  pas  ici  un  age  bien  avance.  Mais 
celte  observation  manque  tout  a  fait  de  jus- 
lesse,  attendu  que  I'ordonnaace  en  question 
ne  concernait  pas  los  pretres  :  le  Talmud  le 
dit  formeliement.  Comp.Lightfoot,  Hor.hebr. 
in  Evang.  Luc,  h.  I. 

49.  —  Et  resTpondens  angelus...  Au  doute 
de  Zacharie,  le  mci-rsager  celeste  repond  de 
deux  manieres  :  il  lui  presente  d'abord  ses 
lettres  de  creance,  if.  19,  puis  il  lui  accorde 
le  signe  qu'il  desirait,  t.  20.  Ses  lettres  de 
creance  consistent  ilans  I'indicalion  de  son 
nona,  de  son  titre,  de  sa  mission.  Son  nora  est 


Gabriel,  hi^illi,  «  vir  Dei  »,  nom  celebre  qui 
rappela  rnssitol  a  Zacharie  deux  des  passages- 
les  plus  importanls  de  la  prophetie  de  Daniel, 
VIII,  16;  IX,  21.  Son  tilre  est  ceiui  d'assis- 
tant  au   l-oue  de  Dieu,  qui  as/o  (napsaTrj/.w;,. 
le  1:0]}  htJbreu)    ante  Deum  :  Gabriel  etait 
done  I'un  des  sept  anges  superieurs  (D'lU^, 
Dan.  X,  13;  Tob.  xii,  15)  qui,  a  la  maniere- 
des   esclaves   de    TOrient    (comp.   Ill  Reg. 
X,  8 ;  xvii,  1  ;  xviii,  15;   Ps.   cxxxiii,   1; 
cxxxiv,  2,   etc.),  se   tiennent  constaminent 
debout  devant  leur  augusle  Mailii-,  loujours- 
piets  a  execuler  ses  ordres.  Sa  mission  ac- 
tuelle  consistait  precisement  a  porter  la  bonne 
nouvelle  conlenue  dans   les  ft-  13-17,  hcec 
tibi  evangelizare.  etil  venaitde  s'en  acquitter 
fidelement.  Notons  le  verbe  &\iix.yy£liaa(j^a.i,. 
qui    est   une  des    expressions    fa\oiiles   de 
S.   Luc,    et   qui  a  fait  justemcnt  donner  a 
I'archange    Gabriel  le  surnom  d'Evangeliste 
celeste.  —  Comme  tout  se  suit  aumirable- 
ment  dans  les  plans  divins!  II  y  a  environ 
cinq  siecles,  ce  meme  ange  annonQail  a  Da- 
niel, au  sein  de  la  profane  Babylone,  le  futur 
etablissement  du   royaume  du  Messie,    non. 
sans  fixer  une  date  fameuse ;  et  voici  qu'il 
annonce  maintenant  a  Zacharie,  dans  len- 
ceinte  du  temple  de  Jerusalem,  que  les  temps- 
sont   accomplis   et  que  ses  anciennes   pro- 
messes  vont  enfin  se  realiser! 

20.  —  Le  signe  accorde  a  Zacharie  est 
en  meme  temps  une  punition  severe  :  Ef. 
ecce  eris  tacens...  «  Tacens  »  a  evidemmenl 
ici  le  sens  de  «  niutus  »,  puisque  I'ange 
ajoule  aussitot  :  et  non  poteris  loqui.  Za- 
charie ne  demeurera  silencieux  que  parce 
qu'il  lui  sera  impossible  de  parler.  Ces  der- 
niers  mots  ne  sont  done  pas  une  tautoiogie, 
comme  on  I'a  pretendu  sans  raison.  —  Le  mu- 
tisme  miraculeux  de  Zacharie  durerawsgue  i»- 
diem  quo  hcec  fiant,  c'esl-a-dire,  j usque  vers 
I'epoquf^  de  la  naissance  de  I'eiifant,  plus 
exactement,  «  ex  eventu  »,  jusqu'au  jour  de 
sa  circoncision.  Comp.  le  t.  64.  La  cause  du 
chatimi-nt  est  eusuile  claireineht  indiquee  : 
Pro  eo  quod  [a,y^^  «5v.  Sur  cette  formule  qu'on- 
retrouve  xix,  44;  Act.  xii,  23;  II  Tliess^ 
II,  10,  voyez  Beelen,  Gramm.  graecit.  N.  T- 


CHAPITRE  I 


39 


fiant,  pro  eo  quod  non  credidisti 
verbis  meis,  quae  implebunlur  in 
tempore  suo. 

21.  Et  erat  plebs  expectans  Za- 
cliariam  :  et  mirabantur  quod  tar- 
daret  ipse  in  temple. 

22.  Egressus  autem  non  poterat 
loqui  ad  illos,  et  cognoverunt  quod 
visionem  vidisseL  in  tempio.  Et  ipse 
Brat  innuens  illis ,  et  permansit 
mutus. 

23.  Et  factum  est,  ut  impleti  sunt 
dies  officii  ejus,  abiit  in  domum 
suam. 


ces  choses  arriveront,  parce  que  tu 
n'as  pas  cru  a  mes  paroles  qui  s'ac- 
compliront  en  leur  temps. 

21 .  Et  le  peuple  attendait  Zacharie 
et  on  s'etonnait  qu'il  s'attardat  dans 
le  temple. 

22.  Or,  etant  sorti,  il  ne  pouvait 
leur  parler,  et  ils  connurent  qu'il 
avait  eu  une  vision  dans  le  temple. 
Etilleurfaisaitdes  signes,  etilresta 
muet. 

22.  Et  lorsque  les  jours  de  son 
office  furent  accomplis,  il  s'en  alia 
en  sa  maison. 


p.  395  :  c'osl  le  itt/"N  rnn  liiibrou)  noa  cre^ 
didisti  verbis  meis.  Zacliarie  n'esl  pas  puni 
pour  avoir  demandd  iin  sigiie  :  d'autres 
I'avaient  fail  avanl  lui,  prosque  dans  les 
memes  lermes  (comp.  Gen.  xv,  8  ;  Jud.  vi,  171, 
sans  qu^h'  Soii^neur  hniradresjal  le  moindre 
reproche.  II  csl  ciiSlie,  I'ange  le  dit,  parce 
que  sa  I'oi  a  un  luomenl  delailli,  parce  que 
lui,  pretre  du  Ties-llaul,  a  mis  on  doute  la 
verile  des  paroles  d'un  messager  divin.  Les 
prcniiers  exegeles  chrelions  aiinaiont  deja  a 
monLrer  le  ra|)poi  t  parfait  qui  exisle  enlre  la 
faute  de  Zacliarie  tl  sa  puuilion  :  «  Ut  qui 
discredondo  loculus  esl,  lacendo  credere 
discal  ».  V.  Cede,  li.  I.  —  Gabriel,  avanl  de 
s-  lelircr,  alliim'  (|ue  loules  ses  paroles  se 
realiseroiit  (')( tempore  suo,  au  temps,  d'aillcurs 
prochain,  que  la  Providence  de  Dieu  avait 
iixe  de  louto  eternile. 

21.  —  Pendant  que  cetle  scene  avait  lieu 
dans  I'inlerieur  du  Saint,  le  peuple  se  de- 
mandait  avec  elonnemenl  cL  aieme  avec 
anxiete  sous  les  parvis  pouiquoi  la  cere- 
monie  de  rencen>emenl  durail  si  longlemps 
ce  jour  la.  D'ordinaire,  on  iirt'l-,  quelques 
instants  suHisaient  pour  I'accomplir,  ci  voici 
qu'on  ne  voyail  pas  sortir  Z;icliarie!  Lui 
serait-il  arrive  quelque  malheur?  Un  trait 
raconie  par  le  Talmud  monlre  combien  faci- 
lemenl  ces  Juifs  religieux  s'inquietaient  en 
pareilles  circonstances  :  «  Summus  pontifex 
fudit  oralionem  br(>vem  in  Sancto...  Frolixus 
in  oratione  non  fuit,  ne  formidinem  aliquam 
incuterct  populo.  Hisloria  est  de  quodamqui 
prolraxus  luitet  parati  eranl  posteum  intrare. 
Ferunt  oum  fuisse  Simeonem  justuin.  Dicunt 
ei  :  Ouare  tamdiu  moraris'i*  Rcspondit  ille  : 
Ego  supplicavi  pro  tempio  Dei  vestri  ne  exci- 
dalur.  Regerunt  illi  :  Ulcumque;  non  con- 
venit  tamen  ut  tamdiu  moreris  ».  Babyl. 
loma,  r.  43. 

22.  —  Egressus...  non  poterat  loqui.  L'ap- 
parition  de  Zacharie  fut  loin  de  meltre  fin  iSt 


I'elonnement  de  la  foule.  A  I'emotion  qui  s;? 
trahissait  sur  sa  physionomie,  on  reconnut 
immediatement  qu'il  avait  ete  lemoin  de 
quelque  evenement  extraordinaire;  en  de- 
couvrant  aussitot  apres  que  I'usage  do  la 
parole  lui  etail  enleve,  on  conjectura  que  cet 
evenement  avait  du  elre  surnaturel,  lant  on 
elait  accoutume,  par  la  lecture  de  I'hisloire 
nationale  el  sacree,  aux  interventions  divines^ 
surlout  dans  le  temple.  Ainsi  done,  concluant 
de  I'effel  a  la  cause,  les  assistants  cognoverunt 
quod  visionem  vidisseL  «  Visio  »,  comme  sea 
equivalent  grec  ouxadia,  designe  ici  une  appa- 
rition exlerieure.  Comp.  xxiv,  23;  Act. 
XXVI,  19.  Zacharie,  par  des  gestes  repeles 
[erat  innuens),  leurappiit  que  leur  hypothese 
elait  exacte ;  mais  ii  ne  donna  sans  doute  a 
personne  la  clef  du  mystere  qui  lui  avait  ete- 
revele.  — Permansit  mu'.uf  .L'\myiav[a\l  oii\i.t>)s. 
exprime  plus  fortem.'nt  encore  la  perseve- 
rance du  mutisme.  Sur  I'adjectif  xwcpoi;,  voyea 
I'explication  du  f.  62.  —  Dans  ce  pretre 
juif,  devenu  muet  tandis  qu'il  exergait  ses 
fonctions  sacerdotales  au  coeur  meme  du 
temple,  les  Peres  ont  vu  un  profond  symbole. 
Par  la,  disenl-ils,  elait  figure  le  silence  auquel 
la  religion  mosaique  allait  elre  prochaine- 
menl  reduile  par  la  propagation  de  I'Evan- 
gile.  Voir  en  particulier  Ongene,  Horn,  v  in 
Luc.;S.  Ambroise,  Enarr.in  Luc.,I.L  41  et42. 
23.  —  Ce  verset  et  les  deux  suivants  ra- 
content  la  conception  miraculeuse  de  S.  Jean- 
Baptiste.  —  Et  factum  est,  xal  eyevexo.  Voyez 
le  f.  8  et  le  commenlaire.  —  Ut  impleti  sunt 
dies  officii  ejus.  C'est-a-dire,  d'apres  les 
explications  donnees  plus  haul,  a  la  fin  do  la 
semaine.  U.ly\^ea^a.i.  du  texte  grec  est  employe 
dans  le  sens  de  itX-opoOaOai  (Cfr.  t.  57).  G'est 
le  nSd  hebreu.  —  Abiit  in  domum  suam. 
Durant  leur  semaine  de  service,  les  prfitres 
ne  sortaient  pas  du  temple  et  it  leur  elait 
interdit  d'aller  dans  leurs  habitations  privees, 
Du  resle,  ils  eiaient  pour  la  plupart  domici- 


40 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


24.  Et  apres  ces  jours  Elisabeth 
sa  femrae  concut  et  elle  se  tint  ca- 
chee  pendant  cinq  mois,  disant : 

23.  Voila  ce  qu'a  fait  pour  moi  le 
Seigneur,  aux  jours  oii  il  m'a  re- 
gardee  pour  me  dnlivrer  de  men 
opprobre  parmi  ies  hommes. 

26.  Or  au  sixieme  mois,  I'ange 
Gabriel  fut  envoye  de  Dieu  dans  la 
ville  de  Galilee  appelee  Nazareth, 


24.  Post  hos  autem  dies  concepit 
Elisabeth  uxor  ejus,  et  occultabat  se 
mensibus  quinque,  dicens  : 

25.  Quia  sic  fecit  milii  Dorainus 
in  diebus,  quibus  respexit  auferre 
opprobrium   meum  inter  homines. 

26.  In  mense  autem  sexto,  missus 
est  angelus  Gabriel  a  Deo  in  civita- 
tem  Galilaese,  cui  nomen  Nazareth, 


lies  hors  de  Jerusalem,  el  tel  elait  le  cas 
pour  Zacharie,  ainsi  que  nous  le  verrons  en 
expliqiiaiit  le  f.  39. 

24.  —  Post  hos  autem  dies  concepit  Eli- 
sabeth. L'accompiisseinent  des  divines  pro- 
messes  ne  se  fil  pas  longtemps  allendre  :  en 
effel,  la  formule  [iexa  xauTa?  xi;  fiixs'pa;  ne 
peul  indiqiier  ici  qii'iin  iniorvalle  6f  lemps 
assez  courl.  —  Et  occullabat  se  memibas 
quinqne.  Dans  la  pi?nsee  d'ElisabeUi,  eel  iso- 
lement  dovail  dmer  jusqu'au  jour  de  la  nais- 
sance  de  son  enfant;  mais,  coinme  i'ecrivain 
sacre  le  dira  bieiilol  (comp.  Ies  til.  26  el  39), 
Marie  vinl  y  metlre  un  lerme  au  dixieine 
mois.  De  la  ce  «  mpnsibus  qiiinijiie  »  men- 
lionne  d'line  facon  expresse  :  c'cst  une  dale 
qui  en  prepare  une  aulre.  Mais  pourquoi  Eli- 
sabeth se  cacliail-elle  ainsi?  On  a  explicpie 
sa  coiiduito  par  Ies  raisons  Ies  plus  vaiieos, 
parfois  meme  Ies  plus  invraisemblables. 
«  Quia  quinque  primis  mensibus  nondum  sa- 
tis ccrla  erai  de  sua  graviditale  »,  dit  Rd- 
senmiiller  (Scholia  in  Luc,  p.  21)  a  la  suile  de 
Paulas.  C'eiail.  suivanl  de  Wctle,  um^  sim|)li' 
precaulioii  liygieni.|Ui\  destiriee  a  ecai'ler 
d'Elisabelh  el  du  fruit  de  son  sein  tout  acci- 
dent Icii'lieux.  Plu-ieurs  Peres  et  diver-  an- 
ciens  exegetps  (Origene,  S.  Ambroise,  Theo- 
pliylacle,  Eulhyiiiius,  etc.)  pensenl  que  ciHle 
relraite  avnit  pour  mobde  la  delicatesse  de  la 
pudi  HP  :  «  Parlus  sui  erub-scebat  aetalein  », 
ecrit  S.  Anibroise  Bleek  croit  qu'elle  elait 
dictee  par  un  besoin  profondement  senli  de 
reconnaissance. di'  recucilleineiit  et  de  pnere. 
Nous  preferons  adini>ttre,  avec  un  assez 
grand  nnmbre  d'autours  contemporains  (entre 
aulresM.M.  von  Burger,  Bisjiing,  van  Oos'pf- 
zeo),  qu  Elisabi'ih,  de  meme  que  la  Tres 
Sainte  Vierge  d'apres  le  premier  Evangile 
(Mallh.  I,  4  8  20;  voyez  le  commenlaire),  se 
cachail  par  respect  pour  le  secret  du  ciel.  Le 
S 'igneur  lui  avail  lout  a  coup  accorde  une 
grace  inesperee;  mais  elle  ne  croyail  ()as 
qu'il  lui  apiiatlinl  a  elle-meuie  de  !a  reveler 
aux  homm  s.  Elle  voulut  done  allendre  dans 
la  solitude  qu'il  inanifeslal  par  le  cours  or- 
dinaire des  eveiiements  I'immense  faveur 
qu'il  avail  daigne  lui  faire. 


25.  —  Quia  sic  fecit  mihi  Dominus.  Parole 
toutehebraique:  mn'  nyyy  ih  "ID  '3.  La  con- 
jonclion  oTi  est  recilalive;  nous  ne  croyons 
[)as  que  la  phrase  inirodiiile  par  elle  ait 
aucun  rapport  avec  Ies  rai-ons  pour  lesquelles 
E  isabeth  enlrait  dans  sa  pieuse  retrait '.  Les 
niot-i  «  sic  »  (d'une  maniere  si  admirable,  si 
misericor<iieuse)  el  «  Dommus  »  sont  eiiiplia- 
liques.  C'est  a  Dieu,  el  a  Dieu  siul  que  la 
^ainle  epouse  de  Zacharie  rapporte  la  gloire 
de  sa  maiernite.  Goinme  Eve,  elle  s'ecrie  : 
«  Possedi  hominem  per  Deum  »,  Gen.  iv,  1. 
—  In  diebtis  quibus  respexit  auferre...  Cons- 
truction singuliere,  direclement  ralquee  sur 
le  grec,  £v  r;ti£pai;  aT?  eirEiSev  d^EXeiv.  Le  Sei- 
gneur, d'apres  une  penseequi  revienla  chaque 
instant  dan-  la  Bible,  est  ci  nse  avoir  jete  du 
haul  du  ciel  un  regard  favorable  sur  Eli- 
sabeth, en  vue  de  faire  cesser  la  longue 
epreuve qu'elle  avail  enduree.  —  Opprobrium 
menm  inter  homines.  Rachel,  devenue  mere 
apre-;  plusieurs  annees  de  steriliie,  s'ecriait 
aussi  avec  bonheur  :  «  Ab-lulit  Deus  oppro- 
brium meum!  »  Gen.  xxx,  23.  Chez  Ies  Juifs 
en  elTet,  et  en  general  dan-*  toul  i'Orient,  la 
privation  d'enfants  a  loujours  ele  consideree 
conime  un  indice  du  meconleniem?'nt  divin 
el.  par  suite,  comme  un  ■  grande  humilialion. 
Coinparez  1  Reg.  i,  6,  il  :  Is.  iv,  1  ;  XLVll,  9* 
Liv,  4,  etc. 

■i.  JL'Annonciation  de  Marie  et  I'lncar- 
nation  du  Verbe.  i,  23-38. 

11  y  a  deux  manieresderaconler  Ies  grandes 
choses.  La  premiere  consislea  s'elever  autant 
que  possible  a  leur  hauleur,  h  prendre  un 
genre  imposant  el  sublime.  La  seconde,  qui 
esi  souvent  la  meilleure  lorsqu'il  s'agil  des 
divins  my>teres,  se  conienle  d'un  expose 
tres  simple  des  evenem  nts,  auxquels  elle 
laisse  h'  soin  de  se  faire  valoir  par  euxmemes. 
S.  Luc  a  ariopte  ici  celte  deiniere  meihode. 
Rien  de  plus  simple,  mais  aiis-i  rien  de  plus 
Irais,  de  plus  virginal  que  S(m  recit  de  Yhn- 
cai  nation  du  Verbe.  Nous  le  liions  avec  foi 
et  avec  amour. 

26  el  27.  —  L'evangelisle,  dans  Ies  t».  26 
et  27,   Commence  par  donnir  quelques  pre- 


CHAPITRE  I 


41 


27.  Ad  virginem  desponsatam 
viro  cui  nomen  erat  Joseph,  de  domo 
David,  et  nomen  virginis,  Maria. 

28.  Et  ingressiis  angelus  ad  earn 
dixit  :   Ave,   gratia  plena;   Domi- 


27.  A  una  vierge,  fiancee  d'lm 
homme  nomme  Joseph,  de  la  mai- 
son  de  David.  Et  le  nom  de  la 
vierge  etait  Marie. 

28.  Et  I'ange  elant  venu  a  elle, 
dit :  Je  vous  salue,  pleine  de  graces. 


cieusps  indications  (ie  temps,  de  li:^u  et  de 
personni~s.  1°  Le  temps  :  in  )iiense  sexto.  Non 
pas  ie  sixieme  mois  d'une  maiiiere  abs  ilue, 
c'esl-a-dire  io  sixieme  mois  de  I'annee  ji#ve, 
mais,  comme  il  ressort  clairpmcnl  de  lout  le 
contexle,  el  specialetnent  du  f.  24,  le  sixieme 
mois  de  la  giO'Sesse  d'Elisabelh.  Compaiez 
le  t-  36.  S.  Jean-Ba|)tiste  aiiia  done  six  mois 
de  plu<  que  Not  re-Seigneur  Jesus-Chnsr..  — 
20  L''  lieu  :  hi  civilatem  Galdwce,  cui  nomen 
Nazaielk.  Sur  celte  ville  privilegiee  et  sur  la 
province  de  Galile'%  voyez  I'Evangile  scion 
S.  iMailhieu,  pp.  63  et  94.  Conipaiez  aiis-i 
Schubert,  R'ise  in  das  Morgenlann,  I.  ill, 
p.  170  et  ss.;  B^deker,  Palaeslina  und  Syrien, 
pp.  37.3  el  ss.  —  3°  Les  per.sonnes  sonl  Ga- 
biiel,  Marie  et  Jose()li.  Les  semain'^s  prediles 
a  Daniel  sonl  mainlcnanl  ecoulees.  et  Gabriel, 
apies  avoir  [)ielude,  vers  la  fin  dc  I'Ancien 
Testament  el  sur  le  seuil  du  Nouvi^au  a  sa 
bcll(>  mission  d'aujnurd'hui,  est  enfin  d'une 
maniere  complete  I'ange  de  la  Redeinpiion. 
€fr.  Honor.  Niquelus,  S.  J.,  de  Angi-lu  Ga- 
brielc,  Lyon  1653,  et  Faber.  Bethlclum, 
Londr.  1860,  p.  73.  Marie  ou  Miriam,  nna 
(voyez  I'Evang.  selon  S.  Mallh.,  p.  38J.  est 
i'heroine  du  recit.  Sans  donner  aucun  delail 
sur  la  vie  aiilericure  de  celle  qui  va  devemr 
bienlol  la  mere  du  Christ,  S.  Luc  sc  born  ■  a 
dill'  qu'au  mnmcnt  oil  elle  reg.ul  le  mcssnge 
dc  I'ange  elle  etail  vierge  {ad  virfjint'm,  upo? 
■nap6svov),  bicn  qii'dhj  eul  ete  fiancee  quclque 
lemps  au|iaiavanl  k  S.  Joseph.  Sur  cdlH 
signification  du  parlicipe  desponsatam,  voyez 
noire  commcniaire  sur  S.  Matlliieu,  i,  18. 
•et  ss.  De  riiomme  qui  devait  jouer  un  role  si 
important  duranl  les  premieres  annees  du 
Vei  be  incarne,  notre  evangelisle  dil  simple- 
raent  qu'il  el  ait  de  domo  David,  par  conse- 
quent de  race  royale.  S.  Mallhieu  complete 
eel  eloge  en  ajoulaiit  an  no:n  de  Joseph  I'e- 
pilliete  significative  de  «  jusius  ».  —  Les 
mots  e?  olxou  Aa6iS  ne  reiombenl  pas  sur 
Marie  (S.  Jean  Chrysost.,  Wieseler.  etc.),  ni 
tout  a  la  fois  sur  Marie  el  Joseph  (Theopliy- 
lacte,  Euthyuiiiis,  Bengel,  Pali  izi,  etc.),  mais 
seulement  sur  S.  Joseph,  comme  Tadmetienl 
la  pliipart  ile^  interpreies  d'apres  la  construc- 
tion meiiie  de  la  phrase.  II  est  certain  nean- 
moiiis  que  Marie  a[)partenailaussi  a  la  famille 
de  David.  Cmniianz  les  tt.  32  el  69. 

28.    —    Et    ingressus   angdns    (6    iyytloi: 
manque  dans  les  manuscrits  B,  L,   el  dans 


pliisieurs  versions).  L'ange  «  pnlra  »:  preuve 
qu'au  moment  oii  elli'  rcgut  la  visile  du  ce- 
leste «  Pionubus  »,  Mane  etail  dans  I'inle- 
rieur  de  sa  cliambre,  comme  piusieurs  Peres 
I'onl  aflirme.  Gabriel  salue  celle  qui  sera 
dans  quelqups  instants  sa  Reine  et  la  Rcine 
de  lout  i'liiiivers.  De  meme  que  les  rois  de 
la  lerre  eiivoicnt  solennellement  leurs  plug 
fideles  ministres  proposer  a  quelque  glorieuse 
princesse  une  union  vivement  desiree,  de 
meme  Dieu  I'achoisi  pour  porter  a  Marie  des 
pr0f)0silif)ns  loutes  celestes,  el  pour  con- 
Iracter  avec  elle,  au  nom  du  cie!,  un  engage- 
ment incomparable  :  «  Mis-us  est  Gabnel  iil 
inter  creaturam  ei  Greatorem  sponsalia  con- 
traheret  »,  S.  Greg,  ie  Thaumaturge.  Dans 
les  pn-mieres  paroles  de  I'ang'  (t.  28).  C"m- 
pleiees  par  I'Egiise  de  maniere  a  devenir 
r«  Ave  Maria  »  cher  a  tois  les  ccBurs  calho- 
liques,  et  commenteessouvenl  d'une  maniere 
exi|uise  par  des  compositeurs  celebres  (Cher 
rubini.  Vittoria,  Muzart,  M  nddsolin,  Nie- 
dermeyer,  Guilmant ,  Saint-Saens,  etc.), 
piusieurs  commenlaleurs  distinguenl  a  bon 
droit  quaire  parti(\s:  la  salutation  et  les  trois 
graces  de  la  Tres  Sainle  Vierge.  —  1 .  La  salu- 
tation :  Ave,x<^'^P^-  Chez  les  anciens  peuples, 
les  formules  de  ,-alulation  elaient  plus  carac- 
lerstiques  qu'aujourd'hui.  Chaquc  nation 
employail  un  mol  distinct,  parfailemenl  ap- 
pioprie  a  ses  moeurs  et  a  sa  vie.  Le  Komain 
belliqueux  souhailait  la  force  el  la  sanle  : 
«  Salve,  Ave.  Vale  ».  Le  Grec  ami  du  plaisir 
disait,  le  sourire  sur  les  levres  :  XaTpe,  sois 
heureux!  Chez  les  vicilles  tribus  de  I'Orienl 
qui,  dans  le  principe,  menaient  une  vie  no- 
made,  exposee  a  mille  dangers  iinfirevus,  a 
mille  rencontres  f'^cheuses,  on  se  saluait  par 
ces  mots  :  «  La  paix  soil  avec  vous  I  »  El, 
lei  elail  au  lemps  de  Nolre-Sei^neor  Jesus- 
Christ,  tel  est  encore  actuellemeiil  Ie  m'lde 
de  salutation  usite  dans  lo  ute  laPrile~ine. 
C'esl  done  de  la  formiilc  "jS  DlSuT,  S'hnlom 
/dfr.  (|ue  I'ange  diit  se  servir  pour  salu 'r  la 
Viergi?  Mane.  Aussi,  Serarius  bles^p-t-il 
grievement  la  verile  etymologiquH  lorsqu'il 
fait  deliver  le  mol  latin  «  Ave  »  de  Jhi'breu 
mn.  Hawaii,  «  vive!  »  el  que,  partani  d  •  la, 
il  met  dans  la  pen<ee  de  lange  une  allusion 
au  nom  de  la  premiere  femme  el  le  raisonne- 
ment  que  voici  :  «  Eva  non  fuit  mn.  i.  e. 
Mater  vilae,  sed  mortis.  Tu  vero,  o  Maria, 
vere  es  Eva,  quia  Mater  vilae,  gloriae  el  gra- 


42 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


le  Seigneur  est  avec  vous;  vous  etes 
benie  enlre  les  femmes. 

29.  Elle,  I'ayant  entendu,  fut 
troublee  de  ses  paroles,  et  elle  pen- 
sait  quelle  pouvait  etre  cette  salu- 
lalion. 

30.  Et  I'ange  lui  dit :  Ne  craignez 
point,  Marie,  car  vous  avez  trouve 
grace  devant  Dieu. 


nus  tecum ;  benedicta  tu  in  mulie- 
ribus. 

29.  Quae  cum  audisset,  turbataest 
in  sermone  ejus,  et  cogitabat  qualis- 
esset  ista  salutatio. 

30.  Et  ait  angelus  ei :  Ne  timeas^ 
Maria,  invenisti  enim  gratiam  apud 
Deum  : 


liae  ».  Toulefois,  I'idee  qui  accompagne  I'er- 
reur  de  Serarius  est  assiirement  pleine  d'a 
propos.  On  la  rotrouve  souvent  chez  les  Peres 
d'Occident,  auxquds  elle  a  inspire  d'inge- 
nieiises  coraparaisons  enlre  Eve  el  Marie.  Des 
les  premiers  siecles,  on  avail  decouvert  qu'en 
lisanl  au  rebours  les  leltres  du  mot  «  Ave  » 
on  oblienl  «  Eva  »,  le  nom  de  la  premiere 
femme.  Or,  Jesus  elanl  le  second  Adam,  on 
ful  ainsi  amene  a  appeler  Marie  uneseconde 
Eve,  toul  aupsi  dili'ereiile  de  son  type  que 
Jesus  le  sera  lui-meme  dn  premier  homme. 
C'est  pour  cela  que  I'Eglise  chanle  dans 
r  0  Ave  Maris  stella  »  la  slrophe  suivante  : 

Sumensillud  AVE 
Gabi'ielis  ore, 
Funda  nos  in  pace, 
Mulans  EViE  nomen. 

—  2.  La  triple  gr^ce  de  la  Tres  Sainte  Vierge. 
—a.  Gratia  plena :  c'est  la  grace  consideree  par 
rapport  a  Marie  elle-raeme.  Le  participe  grec 
y.£)(_oip'.-z(xi\xi\ri  (expression  inconnue  des  clas- 
siques;  les  saints  Livres  ne  remploienl  que 
deux  fois,  ici  et  Epli  i,  Gjsignifie  proprement 
■;<  qui  a  rcQu  la  i;iace,  ornee  de  la  iirace  ».  La 
traduction  latini;  n'esl  done  point  d'une  lilte- 
ralile  parl'ait";  neanmoins  elle  rend  fort  bien 
la  significalion  du  texte  i)rim  ilif.  Couip.  la 
version  syiientu'  :  xn^^'U  niSa.  En  ofl'el, 
depuis  loiigtemps  deja  Dieu  s'dlait  complu  a 
enricliir  des  graces  les  plus  singulieres  celle 
qu'il  deslinait  a  el  re  la  Mei'e  de  son  Fils,  el, 
entre  les  mains  de  la  Vierge  fidele,  ces  Iresors 
s'elaient  mukiplies  chaque  jour.  Marie  etait 
done  verilablemeiil  pleine  de  graces  au  mo- 
ment de  la  visile  de  I'Archange,  comme  le 
font  remarquer  al'envi  les  saints  Peres  (voyez 
leurs  paroles  dans  Luc  de  Bruges,  Cornelius 
a  Lap.,  etc.  ,  etles  theologiens.  Aussi  la  bulle 
«  Ineffabilis  »  a-t-elle  justement  tire  du  mot 
xexapiTW|x£'vifi  un  argument  en  faveur  de  I'lm- 
maculee  Conception  de  Marie.  —  b.  La  grSce 
de  la  Sainle  Vierge  par  rapport  a  Dieu  :  Do- 
minus  tecum.  Pailbis,  les  anciens  Juifs  em- 
ployaient  celle  merae  formule  pour  se  saluer. 
Cfr.  Rulh,  II,  4,  etc.  Mais  alors  elle  avait 
seulement  la  valeur  d'un  souliait,  d'une 
priere.   Prononcee  par   I'ange  Gabriel   elle 


exprima  qnelque  chose  de  plus  qu'un  ddsir 
(Que  le  Seigneur  soit  avec  vous! J  on  qu'une 
promesse  (le  Seigneur  sera  avec  vous);  elle 
afDrme  un  fait  qui  exislait  deja  depuis  long- 
temps  :  Le  Seigneurt  est  avec;  vous.  C'est  done 
IffTt  qu'il  facil  sous-enlendre,  el  non  pas  e<JTai. 
ni  eoTo.  —  c.  La  grcice  de  Marie  par  rapport 
au  genre  humain  ;  Benedicta  tu  in  mulieribu» 
(double  hebraisme,  pour  «  benedicta  es  inter 
mulieres  ».  Voyez  Beelen,  Gramm.  graecit. 
N.  T.  p.  234).  Ces  mots,  qui  manquent  dans 
plusieurs  manuscrils  imporlanls  (B,  L,  divers 
minuscules)  et  dans  quelques  versions  an- 
ciennes  (I'armenienne ,  la  cople,  la  sy- 
rienne,  elc),  sont  rejetes  par  beaucoup  de 
critiques,  comme  un  emprunt  fail  au  ■*'.  42. 
Mais  rien  n'empeche  qu'un  tel  eloge  n'ait  el& 
adresse  deux  fois  a  Marie.  II  place  a  bon 
droit  la  Sainle  Vierge  au-dessus  de  toules 
les  femmes  sans  exception,  puisqu'elle  les 
depasse  loutes  par  sa  saintete  incomparable 
et  par  ses  glorieux  privileges.  Elle  est  la 
femme  ideale,  de  meme  que  son  divin  Fils  est 
I'homme  ideal. 

29.  —  Qua  cum  audisset.  EITot  produit  sur 
la  vierge  de  Nazareth  par  I'apparilion  de 
I'ange  et  par  son  langage  elogieux.  Au  lieu 
de  «  audisset  »  nous  lisons  dans  le  Icxle  grec 
iSouoa,  ayant  vu.  D'apres  celle  leQon,  dont 
raulhenlicite  est  suffisamment  garaiKie  bien 
que  les  manuscrils  B,  D,  L,  X,  Sinail.,  el 
plusieurs  versions  portent  simplemenl  :?i5e£TCl 
Ttj)  X6y«!>  StETapaxQii)  le  premier  motif  du  trouble 
qui  s'empara  de  Marie  fut  done  la  viie  de 
I'ange,  ct  il  n'y  a  en  cela  rien  que  de  tres 
naturel.  Mais  ce  trouble  avait,  dans  les  pa- 
roles memes  du  divin  message,  une  cause 
encore  plus  serieuse  :  turbatn  est  in  sermone 
ejus.  C'est  pourquoi  I'evangelisle,  devenu 
psychoiogue,  ajoute  que  I'liunible  et  pun^ 
jeune  fille  cherchait  en  elle-meuK^  (SieXoyt^eTo) 
quels  pouvaienl  bien  elre  le  sens  et  le  but 
(TTotaTros;  D  a  TtoSaTto;)  d'une  telle  salutalion. 

30.  —  iVi3  tiimas,  Maria.  L'Aichange  se 
hate  de  rassurer  Marie,  en  lui  exposant  le 
role  sublime  qu'elle  elail  appelee  a  jouer 
dans  I'oeuvre  de  la  Redemption,  tt-  30-33. 
Les  mols  invenisti  gratiam  apud  Deum  servent 
d'inlroductionalagrandenouvelle.  «  Trouver 


CHAPITRE  I 


43: 


31.  Ecce  concipies  in  utero,  et  pfi- 
ries  filium,  et  vocabis  nomen  ejus 
Jesum. 

Isa.  T,  li;  In  fr.  2,  21. 

32.  Hie  erit  magnus,  et  Filiiis  Al- 
tissimi  vocabitur,  et  dabit  illi  Do- 
minus  Deus  sedem  David  patris 
ejus  :  et  regnabil  in  domo  Jacob  in 
seternum; 

Dan.  7,  U-27;  Mich.  4,7. 

33.  Et  regni  ejus  non  erit  finis. 


31 .  Voila  que  vous  concovrez  dans- 
votre  sein  et  vous  enfanterez  un 
fils,  et  vous  I'appellerez  du  nom  de 
Jesus. 

32.  II  sera  grand  et  sera  appele  le 
fils  du  Tres-Haut,  et  le  Seigneur 
Dieu  lui  donnera  le  tr6ne  de  David 
son  pere,  et  il  regnera  eternellement 
sur  la  maison  de  Jacob, 


33.  Et 
de  fin. 


son   regne  n'aura   point. 


grace  devanl  quelqu'iin  »  est  une  phrase  fa- 
milierca  la  langue  hebraic|ue('Tn  KJ^Q;  comp. 
Gen.  VI,  8 ;  XVIII,  3,  etc.),  pour  signifier 
qu'on  possecJe  la  faveiir  de  la  personne  en 
question.  La  dignite  incomparable  qui  va 
etre  olTerle  k  Marie,  monlre  jusqu'a  quel 
point  elle  avail  Irouve  grace  devanl  Dieu. 

3'l-33. —  Pour  une  Juive  familiariseecomme 
retail  Marie  avec  les  oracles  de  I'Ancien 
Testament,  les  paroles  coiitenues  dans  ces 
trois  versets  elaient  aussi  claires  que  le  jour, 
car  elles  contenaient,  comme  le  dit  Ires  bien 
M.  Schegg,  h.  1.,  «  une  description  populaire 
du  Messie  »,  un  resunne  des  propheties  mes- 
sianiques  les  plus  celebres.  L'enfant  que 
I'ange  promet  a  Marie  devail  avoir  tons  les 
litres,  remplir  tous  les  ministeres  altribues 
par  Dieu  et  par  la  voix  publique  au  Libera- 
teur  impatiemmentaltendu.  Ce  portrait  elait 
d'une  ressemblance  Irop  frappante  pour 
n'elre  pas  aussilot  reconnu,  el  la  Sainle 
Vierge  n'eut  certainement  pas  mieux  compris 
si  Gabriel  se  fut  borne  a  lui  dire  :  Vous  eles 
destinee  par  Dieu  adevenir  lamere  du  Messie. 
—  Des  les  premiers  mots,  ecce  concipies  in 
utero  (pleonasme  a  la  fa'gon  des  Hebreux), 
I'ange  fait  une  allusion  evidenle  a  la  predic- 
lion  d'lsai'e,  vii,  14  (comp.  Mallh.  i,  23  el  le 
commenlaire).  A  son  Fils,  Marie  devra  donner 
un  nom,  dans  ioquel  sera  exprimee  en  abrege 
la  grace  ;ipportee  par  lui  sur  la  lerre.  En 
effet,  Jesus,  'IrjaoO?  (formes  latinisee  et  gre- 
cisee  de  I'hebreu  yw^,  leschouah),  signifie 
Sauvcur,  ou  plus  complelcmenl,  Jehova  sauve. 
Voyez  I'Evang.  seion  S.  Mallh.  p.  44.  —  Ga- 
briel trace  ensuite  une  description  magni- 
fique  de  I'aveiiir  reserve  a  Fenfant  de  Marie. 
Hie  erit  magnus ;  non-seulemenl  «  gi  and 
devanl  Dieu  »,  comme  Jean-Baptiste  (Cfr. 
t.  15),  niais  grand  par  anlonomase.  le  plus 
grand  de  tous  les  hommes. —  Films  Altissimi 
vocabitur.  KXviSi^CTeTai  n'esl  pas  precisemenl 
un  syiionyme  de  eatat,  «  erit  » ;  ce  verbe  dit 
en  oulre  que  la  vraie  nature  de  Jesus  sera  re- 
connue  et  admise  par  les  hommes.  Or,  d'apres 


sa  nature  intime,  le  Sauveur  sera  «  Fils  du 
Tres-Haut  »  (pibs/,  Elion,  nom  frequemment 
donne  a  Dieu  chez  les  anciens  Hebreux. Voyez 
S.  Marc,  v,  7  et  le  commenlaire).  Les  litres 
de  Fils  du  Tres-Haut,  de  Fils  de  Dieu  {f.  35), 
ne  designent  pastoujours  necessairementune 
fdiation  divine  dans  le  sens  strict.  La  Bible 
et  les  Rabbins  les  appliquenl  souvent  aux 
Juifs  en  general,  aux  anges,  aux  hommes  qui, 
par  des  fonclions  elevees,  representent  la  di- 
vinile  sur  la  lerre,  au  Messie  enfin,  en  tant 
qu'il  devail  etre  le  ju-le  par  excellence  et- 
I'ami  privilegie  de  Jehova.  Mais  le  conlexle 
prouve  que  nous  devons  les  entendre  ici 
d'une  maniere  lillerale  el  d'apres  toute  leur 
valeur  iheologique.  L'enfant  de  Marie  sera 
veritableinenl  Fils  de  Dieu,  puisqu'il  sera 
en.Licndre  par  Dieu  lui  meme,  V-  35.  —  Da- 
bit  illi  DominusDeus...  Doue  de  deux  natures, 
I'une  divine,  I'autre  humaine,  Jesus  aura 
comme  deux  peres  distincts,  I'un  au  ciel,  le 
Kupio;  ©£0?,  I'autre  ici-bas,  David,  dont  Marie 
etail  la  fille.  11  herilera  done  du  trone  {sedem; 
dans  le  grec,  6p6vov)  de  son  pere  terrestre, 
et,  le  royaume  juif  elant  Iheocralique,  c'est 
le  Seigneur  lui-meme  qui  I'installera  sur  ce 
trone.  Tous  les  mots  de  I'ange  onl  done  leur 
porlec,  et  tous  ils  correspondent  a  quelque 
prophelie  de  I'Ancien  Testament.  Comp. 
H  Reg.  VII,  12-16;  Ezech.  xvii,  22  et  ss. ; 
Am.  IX,  11  ;  Mich,  iv,  7,  etc.  —  Ragnabit  in 
domo  Jacob  in  wternum.  La  «  maison  de 
Jacob  »,  c'est  d'abord  la  nation  juiv(>,  issue 
de  ce  grand  patriarche  selon  la  chair,  et 
heriliere  direcle  des  promesses  du  ciel.  Mais 
c'est  aussi,  comme  le  prouvera  la  vie  de 
Nolre-Seigneur  Jesus-Christ,  la  poslerile  spi- 
riluelle  d'Israel,  composee,  sans  distinction 
de  race,  de  tous  coux  qui  croiront  au  Messie  ; 
c'est,  en  un  mol,  la  sainle  Eglise  du  Christ. 
On  comprend  mainlenant  que  le  royaume  de 
Jesus  doive  durer  a  tout  jamais,  puisque 
I'Eglise  a  des  promesses  de  vie  elernelle,  et 
qu'elle  ne  cessora  d'exisler  sur  la  terre  qu(3 
pour  arriver  k   sa  glorieuse  consomraation' 


44 


fiVANGlLE  SI:L0N  S.  LUC 


34.  El  Marie  dit  a  I'ange  :  Com- 
ment cela  se  fera-l-il?  car  je  ne  con- 
nais  point  d'homme. 

33.  Et  I'ange  lui  repondit  :  L'Es- 
prit  saint  surviendra  en  vous  et  la 
"verlu  du  Tres-Haut  vous  couvrira 


34.  Dixit  autem  Maria  ad  ange- 
Inm  :  Qiiomodo  iiet  islud,  quoniam 
virum  non  cognosco? 

3b.  Et  respondens  angelns  dixit 
ei  :  Spiritus  .sanctus  sujierveniet  in 
te,  et  virtus  Allispimi  obumbrabit 


dans  le  ciel.  La  repetilion  emplialique  et 
I'egni  ejus  non  erit  finis,  a  pour  but  d'msister 
sur  ci'Ue  porpeuiile,  (jui  d'ailknirs  a\aii  ele 
si  formt'lleinenl  aiinoncee  par  les  Propheles  : 
a  Potesias  ejus,  polestas  aelerna  quae  non 
aufiMciur,  el  reguuui  ejus  quod  non  cor- 
rumpetur  »,  Dan.  vii,  14.  Comp.  Is.  ix,  7. 
Sur  le  royaume  du  Clirisl  voycz  encore  Jer. 
xxxiii,  15-26;  Ezech.  xxxiv,  23  et  ss. ; 
Os.  in.  o,  etc. 

34.  —  Dixit  autem  Maria...  D'apres  les 
idees  juives  de  cetlu  epoqui-,  eire  me'e  du 
Mes^ie  el  devenir  mere  de  Dieu  ri'eiaii  pas 
nect'ssaiitMiienl  une  seule  et  meme  chuse, 
car  la  divuiile  du  Messie  elail  a  peine  pres- 
sentie  d'un  p  til  nombre  :  la  masse  du  peuple 
etail  dans  le  vague  el  rincerliUide  louchant 
I'origine  du  LiberaU-ur  promis.  Voyez  Lan- 
gen.Iudinthum  in  Palaestmazur  Zeil  Chiisti, 
pp.  433  el  ss.  Assurement  Marie,  si  versee 
dans  les  Sainles  Ecrilures,  conuaissail  ce 
mystere,  et  elle  avail  compris,  d'apres  les 
paroles  de  I'ange,  que  c'elail  la  dignite  de 
mere  de  Dieu  qui  lui  elail  offerte.  Pourquoi 
done  dcmande-l-elle  :  Quomodo  fiet  islud? 
Halons-nous  de  dire  que  celte  question  dif- 
fera;l  bien  de  celle  de  Zacliarie  \t.  48  ;  voyez 
S.  Ambroise,  Expos,  in  Luc.  il,  15),  el 
qu'elle  n'elail  nullemenl  le  resultal  d'un 
doule.  «  Non  est  Virginis  diffidenlia  quod 
ait  :  Quomodo  fiet  islud? Quod  enira  fulurum 
e.-S!'l  ceria  eral  ;  modum  quo  fierel  in- 
quirebal  ».  dit  S.  Augustin.  De  civil. 
Di'i,  lib.  XVI,  c.  24.  Et  Ma:ie  avail  une 
raison  speciaie  d'inierrogor  I'angi'  sur  ce 
point,  cuniiue  elle  I'indique  en  ajouianl  : 
Quoniam  virum  non  cognosco.  Au  piemiiT 
regard,  ccs  paroles  peuv'  nl  sembli-r  eloiiuan- 
les,  puisque  S.  Luc  vient  de  dire,  f .  27,  que 
Marie  etait  alor>  fiancee  a  S.  Josefih.  Mais  il 
ne  faiil  pas  beaucoup  de  lemps  pour  decou- 
vrir  leur  significalion  veri;able.  Pour  qui- 
conque  li-s  "etudie  sans  idees  precongues, 
elles  supposent  de  la  uianiere  la  plu-  evi- 
dente  qu'a  une  epoque  anlerieure  de  sa  vie 
Marie  avail  consacre  a  Dieu  sa  virginiie  par 
un  engdgoiuenl  irrevocable.  Aiilr^ment,  elles 
n'auraiiiil  aucun  sens.  «  Pour(|Uoi  diMuander 
avec  etonneinent  comuienl  elle  devicndra 
mere,  si  elle  f^nlrail  dans  le  mariage  comine 
les  aulres,  pour  avoir  des  enfants^  »  D.  Cal- 
mcl,  in  h.  I.  Ainsi  done,  de  concit  avec 
S.  Joseph,  Marie  avail  promis  au  Seigneur 


de  re-ter  vi.'rg(>.  Dans  eel  elat  de  clioses, 
c'elail  pour  eiK-  plus  qu  un  droit  di'  di  man- 
der  a  I'envoye  du  ciel  dcs  erlaiicissemenls 
sur  le  «  Comment  »  de  sa  maierniie.  Ainsi 
I'a  compris  la  iradilion  loule  enlie-e  (S.  Aug. 
Lib.  de  Vug.  c.  iv ;  S.  Greg.  Ny>s.  Ural,  de 
Clirisli  naiiv.  ;  S.  Anselm.  Lit),  de  excell. 
Virgin. ;  S.  Bernard.  Serm.  iv  de  Assumpt. ; 
voir  Pelavius,  Dog(n.  iheol.,  t.  VI.  de  Incar- 
nat.  XIV,  c.  3,  §  9  et  ss.);  ainsi  raduii-lient 
a  I'envi  tons  les  llieologiens  du  mnyenage  et 
lous  les  exegeles  cailioliques  des  lemps  mo- 
deines.  Celle  interpretation  est  meme  si  na- 
turelle  el  si  obvie,  que  plusieuis  ecrivains 
proti'Siants  ne  peuvenl  s'emjiechi^r,  a  !a  suite 
deGrotiu-:,  de  la  trouveraeccpiable.  L''  temps 
present  •^i.-JuiG-/.tji,  am-i  que  le  disail  Erasme, 
de^igne  aussi  par  sa  generaliie  le  passe  et  I'a- 
venir.  Sur  le  sens  donne  ici  par  Marieau  verbe 
«  connailre  »  voyez Brelschtieider,  Lex.  man., 
8.  V.  yivwoxw.  et  "G'Senius,  Tliesaurus.  an  mot 
yivCel  emploi,  ires  frequent  dans  les  langues 
arabe  et  syriaque,  n'etail  pas  inconnu  des 
classiques  grccs  et  latins. 

35.  —  Respondens  angelus.  Gabriel  s'em- 
presse  de  repondre  a  la  demande  si  legitime 
de  Marie.  Qu'elle  se  Iranquilise  au  suji-t  de 
la  dii:nile  malemelle  qui  lui  a  ele  proposee, 
car  la  chair  et  le  sang  n'y  auroni  aucune 
part  :  c'esl  lEpril  saint  qui  produira  divine- 
menl  en  elle  le  corps  du  Veib.>  incarne.  Telle 
est  la  substance  des  explications  qu'il  lui 
donne.  —  Spiritus  sanrtus  superveniet  in  te. 
Au  commencemenl  du  monde,  G'U.  i.  I'Es- 
pril  de  Dieu  elail  descendu  fur  la  nature  en- 
core informe,  et  I'avail  predi-^posee  aux 
Iran-formations  admirables  qu'elle  devail 
ensuite  -ubir  :  d  ■  meme,  le  germe  de  vie 
depose  dans  le  sein  de  Marie  devait  etre  le 
fruit  de  son  operation  myslerieuse.  —  Et 
virtus  Altissimi  obumbrabit  tibi.  «  Nous  re- 
marqiions  dans  la  rep  inse  de  I'ange  le  paralle- 
lisme  qui  esl  toujours,  clicz  les  Hebn  ux.  I'ex- 
pressionrlerexaltaliondu  seniimenlel  le  ca- 
ractere  du  style  poetique.  L'ange  aborde  le 
plus  saint  des  mysteres;  sa  [larnle  devienl 
un  chant  »,  Godet,  h.  1.  La  (ihrase  Suvaai; 
Cn!/ioTou  iTtttrxtdffEt  aot  exprime  done  lout  a  fait 
la  meme  idee  que  la  precedente,  Tiveftta  Syiov 
£7te).£0(7£Tai  eni  ffl  :  il  n'y  a  do  difference  que 
dans  les  termes.  «  Virtus  Allis-imi  »  (miiJ 
"IVIU.  I'eneigie  crealrice  el  loule  puis-ante 
du  Seigneur)  equivaut  a  «  Spiritus  Sanctus  » 


CHAPITUE  1 


45 


tibi.  Ideoque  et  quod  nascetur  ex  te 
Sanctum,  vocabitur  Filius  Dei.    " 

36.  Et  ecce  Elisabeth  cognata  tua, 
et  ipsa  concepit  filium  in  senectute 
sua  :  et  hie  mensis  sextus  est  illi, 
quae  vocatur  sterilis  : 

37.  Quianon  eritimpossibileapud 
Deum  omne  veibum. 

38.  Dixit  autem  Maria  :  Ecce  an- 


de  son  ombre.  C'est  pourquoi  le 
fruit  saint  qui  naitre  de  vous  sera 
appele  le  Fils  de  Dieu. 

36.  Et  voila  qu'Elisabeth  votre 
parente  a  concu,  elle  aussi,  un  fils 
dans  sa  vieillesse,  et  ce  mois  est  le 
sixieme  pour  celle  qu'on  appelle 
sterile. 

37.  Car  rien  n'est  impossible  k 
Dieu. 

38.  Et  Marie  dit :  Voici  la  savante 


et  repie'st^nte  la  troisieme  personne  de  la 
Sainie  Tiimte.  «  Obumbrabil  libi  »  e?t  syno- 
nyine  de  «  siiperveniel  in  Le»,  maisavec  une 
bflle  imago  en  &us,  pour  forliQer  la  pensee. 
On  a  pnuitanl  inlfipitMe  de  manieres  bien 
diveises  celle  ombre  donl  la  Verlu  du  Ttes- 
Haui  devail  couvrirMarie  pour  la  rendieraere 
du  Clirisl  :  peut^ire,  en  comptanl  birn.  liou- 
veraii-on  plus  de  quinze  ( xplicalions  diffe- 
rentps  erai-es  dans  le  cours  des  sieeles. 
Voyez  Cornelius  a  Lapide,  hoc  loco.  Suivant 
ropiuion  qui  esl  Ires  communemenl  admise 
de  nos  jours,  il  y  a  dans  la  meiaphore  de 
I'ombre  une  allusion  aux  iheoplianies  de 
I'Ancien  Testament,  c'esl-a-dire  aux  mani- 
festations de  la  substance  divine  sous  la 
forme  d'une  nuee  qui  recoiiviait  I'arche 
d'alliance.  En  tout  cas,  le  langage  humain  ne 
pouvail  pas  designer  en  lermes  plus  clairs  et 
plus  cliasles  le  myslere  admirable  qui  allait 
bientoL  s'accomplir.  Marie,  comme  le  chante 
I'Eglise,  reunira  sur  sa  lete  les  deux  plus 
belles  couronnes  de  ce  monde,  la  <ligiiite 
d'une  mere  it  la  purele  d'une  vierge. — /deoqne 
et  quod  uascetur  ex  te  santtum...  Coiiyu  par 
I'opeiation  du  Sainl  Esprit,  le  Qls  de  Marie 
(to  Y£vva)[i£vov,  litter.  «  quod  gignitur  »;  ex  te 
esl  probablemi'nt  une  glose),  sera  necessai- 
rem  nl  lui-meme  ayiov  (ce  neutre  esl  pleiu 
de  force),  une  chose  sainte ;  il  sera  neces^ai- 
remeiit  aussi  le  Fils  de  Dieu,  el  le  monde 
enlier  le  reconnaitra  comme  lei  {vocabitur: 
voyez  le  t.  32  et  I'explicalion).  Rien  n'est 
plus  rigoureux  que  cetle  double  deduction  de 
i'ange. 

36.  —  Les  Prophetes,  quand  ils  predi- 
saienl  au  nom  du  ciel  un  evenement  impor- 
tant, mais  surhumain,  annongaienl  parfois 
un  autre  evenement  plus  rapproche,  doiit  la 
realisation  devail  prouver  la  verite  de  leurs 
paroles.  Comme  eux,  le  messager  celeste 
donne  a  Marie  un  signe  ipii  lui  demontrera 
qu'elle  n'a  pasete  trompee.  La  vierge  de  Na- 
zareth obtienl  ainsi,  sans  le  demander,  ce 
que  Zacharie  n'avait  regu  qu'en  punition  de 
son  incredulite.  Ce  signe  miraculeux  lui  esl 


noli  fie  avec  toutes  ses  circonstances  :  Ecce 
Elisabeth...  Quand  on  precise  a  ce  point,  on 
ne  craint  pas  d'etre  dementi  par  les  fails,  et 
quiconque  propheti-e  une  chose  si  diUicile, 
merile  qu'on  lui  ajoule  foi,  alors  meme  qu'il 
en  predit  une  autre  mille  fois  plus  difficile 
encore.  Si  une  femme  sterile  el  agee  pent 
devenir  mere,  pourquoi  une  vierge  n'enfan- 
terail-elle  pas?-^  A  propos  des  mols  cognata 
tua,  ^  ffWYYEvyi;  cou  (d'ass;  z  nombreux  ma- 
nu<crils  ont  a^yyt^k,  furme  extraordinaire], 
on  s'esl  souvent  deinande  comment  Marie  et 
Ell^abelh  pouvaient  elre  parenles,  puisque 
celle-ci  etail  de  la  tribu  de  Levi,  el  celle-la 
de  la  tribu  de  Juda.  Mais  il  n'exi-te  sur  ce 
poinl  aucunediCBculte  reelle.  Puurcreer  enlre 
elles  des  liens  de  parenle,  il  suflisait  d'un 
maiiage  enlre  leurs  families.  Par  exemple,  la 
mere  de  la  Sainie  Vierge  elail  piul  etre  fille 
d'Aaron,  ou  bien  la  mere  de  same  Elisabeth 
pouvail  appartenir  a  la  race  de  David.  —  Et 
ipsa  esl  einphatique;  de  meme  les  mols  in 
senevtuLa  sua,  quae  vacatur  sterilis.  —  La  struc- 
ture de  la  phrase /tic  mensis  sextus  est  esl  toule 
hebraique. 

37.  —  Quia  non  erit...  Par  ces  paroles, 
I'ange  raltache  a  un  principe  cominun,  qui 
est  la  loute  puissance  de  Dieu,  les  deux 
naissances  iniracuienses  qu'il  a  propheti^ees. 
Le  futurest  employe  dans  le  sens  du  present. 
Voyez  Beelen,  Gramma t.,  p.  300  —  Omne 
verbuin  est  un  autre  hebraism*  (121  Sd.  Cfr. 
Gen.  xviii,  14,  lilteral.  loute  clios  •).  Sans 
doute  les  clioses  annoncees  par  Gabriel  de- 
passonl  les  forces  de  la  nature ;  mais  le 
Createur  esl-il  done  enchaine  par  les  lois 
qu'il  a  posees? —  Plu-ieurs  exegeies  (Meyer, 
Olshausen,  etc.),  conservanl  a  prjixa  son  ac- 
ception  ordinaire,  et  donnanl  au  verbe 
dSuvaTso)  celui  de  «  dobilis  esse  »,  Iraduisenl: 
Aucune  parole  divine  na  saurait  demeurer 
sans  etfei.  Mais  celle  interpretation  esl  peu 
nalurelle. 

38.  —  L'Archange  a  accompli  sa  mission. 
II  se  tail,  el  attend  respeclueusemenl  la  re- 
ponse  de  Marie.  Quel  instant  solennell  «  0 


46 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


du  Seigneur;  qii'il  me  soil  fait  selon  cilia  Domini,   fiat  mihi  secundum 

votre    parole.  Et   Tange   s'eloigna  verbum  tuum.  Et  discessit  ab  ilia 

•d*elle.  angelus. 

39.  OrMarie  se  levant  en  ces  jours-  39.  Exurgens  autem  Maria  in  die- 


beala  Maria,  s'ecrie  S.  Augiislin,  saeculurn 
omne  captiviim  tuum  deprpcalur  assensum... 
Noli  inorai'i,  Virgo;  nunlio  festinanter  res- 
poiide  verbum  et  suscipe  filium  »  (Serm. 
XVII,  de  tempore.  Comp.  S.  Bern.  Serm  iv 
sup.  Missus,  et.  Faber,  Bethlehem,  p.  74  et  75). 
Marie,  sure  desormais  de  conserver  la  virgi- 
nite  qui  lui  est  si  chere,  n'a  aucun  motif  de 
refuser  ce  que  le  Singneur  lui  demande.  Aussi 
repond-elle,  dans  le  double  sentiment  de  son 
'humilite  et  de  son  ardent  desir  :  Ecce  andlla 
Domini,  fiat  mihi...!  II  y  a  la  aussi  une  foi 
sublime,  qui  faisait  dire  a  Terlul!ien,De  carne 
HJhristi,  c.  XVII  :  «  Crediderat  Eva  serpenti, 
rredidit  Maria  Gabneii ;  quod  ilia  credendo 
deliquit,  hoic  credendo  deiisit  ».  —  Heureux 
de  eel  asseniiment.  I'ange  discessit  ab  ea,  et 
aussitot,  selon  I'opinion  commune  des  Iheo- 
logiens,  eut  lieu  le  myslere  de  rincarnation. 
Du  sang  le  plus  pur  de  Marie  I'Esprit  saint 
forma  le  corps  de  Jesus,  et  I'unit  a  une  ame 
iiumaine  qu'il  crea  au  meme  instant :  le  Verbe 
prit  possession  de  ee  corps  et  de  cetle  ame, 
v.l  le  mystere  tut  accompli.  Ex  verbum  caro 

FACTUM  liSTET  HABITAVir  IN  NOBIS.   —  ApieS 

-avoir  adoi'e  les  aneanti-seuieiits  du  Verbe,  il 
faut  admirer  ici  la  beaule,  la  giandeur  du 
■caractere  de  Marie.  Comme  eile  est  bien, 
■auiant  du  moins  que  cela  etait  compatible 
avec  une  nature  creee,  a  la  hauieur  du  role 
qui  lui  estofferl!  Quel  «  type  ideal  depurete, 
d'humilite,  de  candi'ur,  de  foi  naive  et  forte  !  » 
Boiigaud.  Jesus  Cluist,  2e  edit.  |).  147.  Vrai- 
meut,  dil  uu  autre  ecrivain,  «  Marie  appnrait 
sur  le  vieux  tronc  du  judai'sme  comme  la  fleur 
sur  I'arbre,  pour  annoncer  la  saison  de  matu- 
rite  ».  Admirons  aussi  la  narration  de  S.  Luc, 
si  ijobre,  si  exquiso,  si  delicate,  si  simple- 
ment  sublime.  Ce  n'esL  pas  ainsi  que  I'Anuon- 
ciation  est  raconlee  dans  les  Evar.giles  apo- 
cryphes  !  Voyez  Tliilo,  Tischendorf  et  Brunei. 
Est-il  surpreuant  (pi'uu  tel  episode,  ou  I'hu- 
niaiu  et  le  divin  s'associent  de  la  maniere  la 
plus  etonnante, aitete  Irequemment  repioduit 
par  i'att  chretien,  a  I'aide  du  i)inceau  ou  du 
•ciseau?  Voy(Z  Rohaultde  Fleuiy,  I'Evangile, 
■etudes  iconograph.  et  archeolog.  t.  L  pp.  41 
el  ss. ;  Grimouard  de  S.  Laurent,  Guide  de 
I'art  Chretien,  t.  IV,  pp.  401  et  ss.  Parmi  ces 
nombreux  chefs-d'oeuvre  nous  preferons,  a 
■cause  de  leur  grace,  de  ieur  piele  et  de  leur 
purete,  les  tableaux  de  Fra  Angelico,  de  Lo- 
renzo di  Credi,  de  Baroccio,  du  Guide,  de 
liic.  Poussin,  et  les  sculptures  des  cathedrales 


d'Amiens  et  de  Reims.  «  La  Anunciacion  » 
a  aussi  inspire  un  beau  cantique  a  Moratin. 

3.  La  Visitation  et  le  «  Magnificat  ». 

1,  39-56. 

On  a  justement  regarde  ce  recit  comme 
la  synlhese  des  deux  precedents.  11  nous 
presente  en  effet,  reunies  dans  une  sainte  en- 
trevue,  les  meres  benies  aulour  desquelles 
lout  s'etail  groupe  jiisqu'ici  dans  la  narration 
de  S.  Luc.  «  0  Marie,  6  Elisabeth,  6  hai\, 
que  vous  nous  monlrez  aujourd'hui  de  graudes 
choses!  Mais,  6  Jesus,  Dieu  cache,  qui  sans 
parailre  failes  lout  dans  cetle  sainte  journee, 
je  vous  adore  dans  ce  mystere  ».  Bossuet, 
Elevat.  sur  les  mysteres,  xive  sem.,  SeElevat. 

39.  —  La  joie  que  lui  avail  apporlee  la 
malernile  divine  et  ses  delicieux  enlreliens 
avec  le  Verbe  incarne  dans  son  sein  ne  Qrent 
pas  oublier  a  Marie  les  dernieres  paroles  do 
i'Ange  :  «  Et  ecce  Elisabeth...  »  En  les  en- 
tendanl.  elle  avail  senli  un  mouvemenl  inte- 
rieur  de  I'Esprit  Saint  ([ui  la  piessait  d'aller 
visiter  sa  paiente.  Docile  a  la  voix  de  Dieu, 
elle  se  mil  bientol  en  chemin  pour  se  rendre 
aupres  d'Elisabeth.  «  Ubi  audivit  hoc  Maria, 
non  quasi  incredula  de  oracuio,  nee  quasi 
incerla  de  nunlio,  nee  quasi  dubitans  de 
exem()io.  sed  quasi  laela  pro  volo,  religiosa 
pijE  officio,  festinans  piae  gaudio,  in  mon- 
lana  penexil  ».  S.  Ambioise,  h.  I.  Le  Messie 
aliail  ci'ailleurs  se  servir  de  cetle  rouconlie 
des  deux  mei-es  pour  sanciifier  son  i^iecur- 
seur.  —  Exurgens,  ubiit,  inliavit,  salulavil  : 
on  reconnait,  dans  cetie  accumulation  rapide 
des  details,  le  style  pitiorerciue  de  I'tJrient.  — 
In  diebus  iliis,  c'est-a-dire.  Ires  peu  cli^  temps 
apres  I'Annoncialion.  Cela  ressort  1°  du  par- 
ticipe  «  exurgens  »,  employe  ici  a  la  faQon 
hebrai'qiie  (Dpm;  voyez  Gesemu-;. Thesaurus, 
s.  V.  aip)  1)0  ur  designer  une  grande  promp- 
titude; "2"  d'un  rapprnchemeiil  entie  leg 
lit-  26,  o6  el  57.  Elisabeth  est  deja  au  sixieme 
mois  de  sa  grossesso  ;  Maiie  demeure  trois 
mois  aui)res  d'elle  et  revient  sinon  avant,  du 
moins  peu  de  temps  apres  la  naissance  de 
Jpan-Bai)lisle  :  ces  dates  supposenl  que  la 
mere  du  Christ  ne  difTera  pas  son  voyage  au- 
dela  de  quelques  jours.  —  Abiit  in  montana. 
Dans  le  grec,  el;  xriv  opetvrjv  (s.  enl.  -/wpav), 
Le  nom  de  Juda,  que  nous  trouvons  a  la  ligne 
suivanle,  montre  que,  dans  celte  legion 
monlagneuse  oil  se  rendit  Marie,  il  faut  voir 
le  massif  de  hauteurs  qui  forme  au  Sud  de 


CHAPITRE  I 


47 


bus  illis  abiit  in  monlana  cum  fes- 
tinatione,  in  civilatem  Juda  : 

4U.  Et  intravit  in  domum  Zacha- 
Tise,  et  salutavit  Elisabeth  : 

41.  Et  factum  est,  ut  audivitsalu- 
tationem  Marise  Elisabeth,  exultavit 
infans  in  utero  ejus ;  et  repleta  est 
Spiritu  sancto  Elisabeth ; 


la  s'en  alia  en  grande  hate  vers  les 
montagnes,  en  une  ville  de  Juda; 

40.  Et  elle  entra  dans  la  maison 
de  Zacharie  et  salua  Elisabeth. 

41.  Et  il  arriva  que  des  qu'Elisa 
beth  entendit  la  salutation  de  Ma- 
rie, I'enfant  tressaillit  dans  son  sein, 
et  Elisabeth  fut  remplie  de  I'Esprit 
saint : 


Jerusalem  un  plateau  eleve  donl  ralliiude 
varie  eiilre  1500  et  2500  plods.  Voyez  I'Allas 
biblique  de  R.  Hies-;,  pi.  VII.  Lo  lieu  special 
vers  lequ  ■!  la  Vierge  de  Nazareth  S'dirigeait. 
avec  nil  SiiiiiL  eiii|)resseiiionL  est  de*igne  par 
les  niols  in  cioiiatem  Juda,  el;  u6),iv  (sans 
article')  'loOSa.  La  geiieraiile  de  {'expression 
I'liiployee  par  Tevaiigeliste  et,  d'un  autre  cole, 
le  desir  bieii  nature!  de  connailre  au  juste  la 
patrie  de  S.  Jean-Baplisto,  a  fait  naitre  des 
hypotlieses  assez  noinbreuses.  Cfr.  Caspar!, 
Chron.-geogr.  Einleitiing  in  das  Lebcn 
J.  C,  p.  48  el  PS.  Plusieiirs  anciens  (enlre 
autres  S.  Ambroise  et  le  Yen.  Bede)  s\i  sent 
-declares  en  faveur  de  Jerusalem,  quoiqu'it 
paraisse  de  prime  abord  bien  ditiicile  que  la 
capitale  juive  ait  ete  designee  par  un  nom 
aussi  vague.  D'autres  ont  pris  parti  pour 
Macheronte,  ou  pour  Emmaiis  (voyez  Adri- 
(liomius,  Descript.  Tei  rae  sanclie,  p.  55). 
D'autres  encore  (en  particulier  le  P.  Paliizi, 
do  Evang.  lib.  Ill,  Disseit.  x,  c.  4),  supposant 
Mu'd  y  avail  primilivement  dans  le  lexte  gn-c 
'louxa  au  lieu  de  'lo-joa,  idonlifient  la  ville  de 
Zacharie  et  d'Elisab'.  th  avec  Taniique  cite  de 
louta,  mcntionnee  deja  dans  le  livre  de  Josue 
ixv,  55;  XXI,  56;  comme  um^  viile  saceidn- 
tale,  el  sur  remplacement  de  laquelle  s'e- 
leve  un  village  musuUnan  egalemenl  nomme 
loulta.  Voyez  Robinson,  Palaeslina,  t.  II, 
p.  417.  Mais  aucun  manu-crit  ne  favorise 
cette  hypolhese.  C'est  Hebron  qui  a  reuni  de 
110=  jours  le  plus  grand  nombre  de  suHVages. 
Le  double  caractere  nole  par  S.  Luc  convient 
du  resle  parfaitement  a  cette  localile  ceiebre, 
car  elle  s'elevait  au  milieu  des  monlagnes  les 
plus  elevees  de  la  Judee  (comp.  R.  Riess. 
Alla^  de  la  Bible,  pi.  IV;  V.  Ancessi,  Atlas 
geogr.  pi.  XV),  et  c'etait  un  des  sejours  atlri- 
bues  par  Josne  aux  descendants  dAaron  dans 
la  tribu  de  Juda.  Cfr.  Jos.  xxi,  11-13.  Quoi 
<|!i'il  en  soil  de  loutes  cesconjeciures,  la  ville 
•en  question  eiani  situee  au  Sud  et  a  quelque 
■distance  de  Jeru-alem,  le  voyage  entrepris 
par  Marie  devait  durerde  qualreacinq  jours. 
i*robablement  assise  sur  une  Snesse,  d'apres 
ia  couiume  ancienne  el  moderne  do  la  Pa- 
lestine, couverle  de  i'habillement  tradilionnel 


el  pittoresque  de  sa  contree  (robe  rouge  et 
manteau  bleu,  ou  robe  bleue  et  manteau 
rouge,  avec  un  grand  voile  blanc  qui  enve- 
loppe  lout  le  corps),  accompagnee  dune  ser- 
vanle  ou  jointe  a  quelques  Galileens  qui  se 
reudaient  a  Jerusalem,  Marie  franchil  la 
plaine  de  Jesreel,  les  monlagnes  d'Ephralra, 
la  Samaria  el  une  grande  [larlie  rle  la  Judee 
avant  d'arriver  chez  Elisabeth.  Tout  parait 
p'ouver  que  S.  Joseph  ne  vinl  pas  avec  elle. 
II  n'etait  alors  que  son  fiance;  I'evangeliste 
ne  menlionne  point  sa  presence,  et  surtout, 
commi'nt  expliquer  ses  doules  ulterieuis  re- 
laiivemenl  a  la  grossesse  de  Marie  (Malth. 
I,  19),  s'il  eut  entendu  les  paroles  que  les 
deux  meres  prononcerenl  en  s'abordant 
m.  42  et  ss.)? 

40  el  41.  —  Arrivee  au  terme  de  son 
voyage,  Marie  se  fit  indiquer  la  maison  de 
Zacharie,  et,  etant  entree,  salutavit  Elisabeth. 
«  Elle  lui  souhaila  la  paix  ».  dit  la  version 
syriaque,  faisaiil  allusion  aux  paroles  donl 
la  Sainte  Vierge  se  servil  ?ui  vant  la  coutume 
pnnr  saluersaconsine  :"lS  Dl'lU^i «  paxiibi  ». 
L'evangelisle  signale  celte  salutation  a 
cause  des  merveilleux  effels  qu'elle  pioduisii 
sur-le-champ.  C'eiail  !e  signal  attendu  par  la 
griice.  A  I'instanl  meme  (et  factum  est,  ut 
audivit...  Sur  la  formule  emphatique  xal 
eye'veto,  voyez  les  tt.  5,  8,  el  le  coinmen- 
laire],  rentant  d'Elisabelh  reconnut  a  sa  ma- 
niere  la  presence  de  son  Messie  el  de  son 
Dieu  :  exultavit  infans  in  utero  ejus.  Quoique 
l-utes  les  meres  senlent  parfois  leurs  enfanls 
s'agiter  dans  leur  sein,  il  est  evident  que 
S.  Luc  a  voulu  relator  ici  un  fait  extraordi- 
naire, un  tressaillemenl  surnaturel,  qui  euL 
pour  cause  la  proximite  du  Verbe  incarne 
(a  divinilus  in  infante,  iion  humanitus  ab  in- 
fante. »  S.  Ambr.).  Le  Precurseur  saluait 
ainsi  le  Redempleur.  «  Quem  lingua  el  voce 
non  potuit,  animo  exultante  et  eliam  motu 
salutavit.  Movebatur  in  utero,  quasi  gestiens 
salutare  et  Domino  suo  assurgere,  ac  quasi 
egredi  vellel  ex  utero  el  ei  occurrere  ». 
Ludolph.  Saxon,  Vita  J.  C.  p.  i,  c.  6.  Comp. 
Bossuet,  1.  c.  39  elev.  Au  meme  instant,  re- 
plela  est  Spiritu  sanclo  Elisabeth,  et  ce  divio 


48 


£vangile  selon  s.  lug 


42.  Et  elle  s'e'cria  d'une  voix  forle 
et  dit  :  Vons  ^tes  beiiie  enlre  les 
femmes  et  le  fruil  de  voire  sein  est 
belli. 

43.  Et  d'ou  m'arrive  ceci  que  la 
mere  de  mon  Seigneur  vienne  vers 
moi? 

44.  Gar  des  que  votre  voix,  en  me 
saluanl,  a  frappe  mes  oreilles,  I'en- 
fant  a  tressailii  de  joie  dans  mon 
sein. 


42.  Et  exclamavit  voce  maa:na,  et 
dixit :  Benedicta  tu  inter  muiieres, 
et  benediclus  fructus  ventris  tui. 

43.  Et  unde  hoc  mihi  ut  veniat 
mater  Domini  mei  ad  me? 

44.  Ecce  enim  ut  facta  est  vox 
i-a'ulationis  tuse  in  auribus  meis, 
exullavit  in  gaudio  infans  in  utero 
mt?o. 


Esprit  liii  levela  soudam  lout  ce  qui  s'elait 
pa;se  en  Marie,  comm^'  nous  I'allons  voir  par 
les  veisi'i>  siiivanis. 

42. —  ExdaiiiaVilvoce  magna.  Expressions 
plein'^s  d'enipliase  (le  ms.  B  a  xpa-jy^  an  lieu 
de  9wv^;  poui-  inlroduire  ralloculion  inspiree 
de  sainlc  Elisab(>lh.  Elles  ailesienl  la  vive 
emolion.  le  saisisscniiMil  qui  s'empara  de  la 
mere  deS.  Jean  sous  i'lnfluence  de  I'Espritde 
Dieu.  Elisabeth  commence  par  louer  Marie 
dans  les  memes  t(>rmes  que  I'ange  :  Bene- 
dicta tu  inter  mulicres  (couip.  le  t  28),  puis 
elle  loue  le  fruil  qu'elle  porte  dans  son  sein 
virginal  :  Bem-diclus  fructus  ventris  tui. 
V  ijenedicla  arbor,  benidictus  et  arboris 
fruclus.  Benedicta  virga  de  radice  Jesse,  be- 
nediclus el  flos  qui  de  tali  radice  ascendet  ». 
Ludolph  Saxon.  ,  ubi  supra.  L'expression 
xapTio;  Trj;  xouta;  est  un  hebraisme.  7133  '^D. 
43.  —  Et  unde  hoc  nnhi...  On  I'a  vu  par 
le  versel  precedeni,  Elisabeih  sait  tout.  On 
comprend  done  que  tout  a  coup  elle  s'inler- 
rompe  afin  d'exprimer  son  eionnemeni,  sa 
reconnaissance,  au  sujet  d'une  visile  si  hono- 
rable pour  elle.  Comment  ai-je  merile  une 
pareille  condescendance?  La  mere  de  mon 
Seiirneur  chez  moil  iJu  resie,  la  fagon  entre- 
coupec  dont  parle  Elisabeth  est  vraiment 
reniarquable.  Elle  passe  d'une  idee  a  I'autre 
a  cliaque  versel;  ses  phrases  ne  se  suivenl 
[)Oinl  parfaitemenl.  Mais  que  cela  est  naturel 
et  vrai  I  Tel  est  bien  le  langage  de  I'emotion, 
de  la  surprise  ei  de  renlhou-iasme.  — «  Parmi 
les  paroles  d'Elisabelh,  dit  Olshausen,  Bi- 
blischer  Commentar,  h.  1.,  il  faut  remarquer 
les  siiivanles  :  'h  v-'fi'^A?  toO  xuptou  jiow  [mater 
Domini  mei).  Que  Ton  dise  ce  qu'on  voudra, 
noiis  ne  pourrons  jamais  expliquer  convena- 
blement  le  litre  de  xupio;  applique  a  un  enfant 
qui  ii'esl  pas  encore  ne,  a  moins  de  supposer 
qii'Elisabeih,  eclairee  par  i'E<pril  saint,  re- 
connul  la  nature  divin'-  du  Me-sie,  landis 
qu'elle  saluaii  Marie,  cumuie  sa  meie.  Go 
pas-age  est  done  parallele  au  1. 17  «  |>arare 
Domino...  »)  et  xupio?y  correspond  a  I'hebreu 
''i'W  {Adonai)  ou  mni   [Jehova].  «>  Plusieurs 


aulres  commeiUaleurs  proLesiants  (Brown, 
Alford,  etc.;  laisonneul,  et  bien  jusiement, 
de  la  meme  raaniere.  II  n'y  a  pas  a  douter  en 
effet  que  l'expression  ^  f.'n'fTjp  toO  xupiou  \>.o\i 
ne  signifie  en  eel  endroil  Mere  de  mon  Dieu. 
44.  —  Ecce  enim.  Elisabeth  raconle  main- 
tenant  a  sa  cousiue  le  miracle  (|ui  a\aiteu 
lieu  au  moment  ou  celle-ci  lui  disait  en  I'a- 
boidant :  La  paix  soil  avec  vous!  E'leexplitjue 
en  meme  temps  [^ip]  la  aiaiiiere  Hoiii  i-lle  a 
connu  les  prodiges  operes  en  Marie.  Eclairee 
divinement  par  I'Esprit  saint,  elle  a  compris 
que  le  iressailli'meni  surnaturel  de  son  enfant 
etail  produit  par  la  presence  du  Verbe  in- 
carne.  —  La  construction  faita  est  vox  salu- 
tationis  tuce  in  auribus  meis  est  a  demi  lie- 
braique.  —  Aux  mots  ea;«/^ii;i/  in/fuis  Elisa- 
beth ajoute  une  observation  impoitante. 
C'est  in  gaudio,  ev  ayo-'/liiaei  ;expr(  S3  '>n  ener- 
gique),  par  suite  d'nn  mouvemenl  de  joie, 
que  Jean  a  tressailii  dans  le  slmu  malernel. 
De  ce  trait,  prrsque  tous  les  ancietrs  ecrivains 
ecclesiasliques  onl  conclu  que  le  Precurseur 
avail  ete  en  eel  instant  meme  done  de  raison. 
«  Irenaeus,  lib.  iv,  c.  18.  dicil,  quod  Domi- 
num  cognoscens  exultando  salutaverii ;  Ter- 
lullianus,  lib.  de  Carne.  Chr.  c.  21.  Domini 
sni  conscium  infantem  vocal,  et  Origenes, 
Horn,  viii  (in  Luc.)  docei  idem  latuis;  Am- 
bro-ius  :  Hab'bal  inlelligendi  sensum,  qui 
exuliaudi  habebat  effrctum.  »  Jansenius, 
Giimment.  in  h.  I.  S.  Auguslin  est  a  pen  pres 
seul  a  soulenir  I'opininn  contraire'Cfr.  Epist» 
Lvii  ad  Dardan.  :  a  Hanc  exultationem  fac- 
tam  sine  ralionalicognitione  »).  II  est  possible 
que  cette  illumination  inlerieure  ail  ete 
pour  Jean- Bapi isle  aussi  transiloire  que 
brillante  et  soudaine  :  lei  est  du  moins  I'avis 
d'un  certain  nombre  de  Peres  el  de  iheolo- 
giens.  Selon  d'autres,  elle  aurait  duie  coiis- 
tamm-nt  depuis  celte  epoque.  En  memo- 
lemps  qu'il  jouissait  de  sa  raison  d'lme  ma- 
nieie  antii-ipee,  le  futur  Precursi  ur  etait  pu- 
rifie  de  la  taehe  originelle.  II  n'existe  ()as  l» 
moindre  doute  a  ce  sujei,  car  l^lle  a  toujour* 
ete  la  croyance  univeiselle  de  I'Eglise. 


45.  Et  beata  qnse  credidisti,  qiio- 
niam  perficientur  ea  quae  dicta  sunt 
tibi  a  Domino. 

56.  Et  ait  Maria  :  Magnificat 
anima  mea  Dominum; 


CHAPITRB  I 

45 


4'l 


Et  bienheureuse,  voiis  cjri 
avez  cm !  car  ce  qui  vous  a  etc  ait 
par  le  Seigneur  s'accomplira 

46.  Et  Marie  dit  :  Mon  ame  glo- 
rifie  le  Seisrneur. 


45.  —  Elnabelh  leimine  son  allocution 
.par  iin  bel  eloge  de  la  foi  si  parfaite  dc  Marie  : 
Beata  quce  crtdulisti.  Et  en  eliel,  «  bealior 
t'liil  percipiendo  fidein  Chrisli  quam  conci- 
pieiido  carnem  Christi  »,  dil  S.  Aiigii-lin, 
de  Virgin,  c.  3.  On  voil  encore  pjr  ce  delail 
que  ia  revelation  faite  a  sainte  Elisabeih 
n'avail  pas  nioins  eie  circonslanciee  que  ra- 
pide ;  elli'  avail  deroule  sous  les  yeux  de  la 
mere  de  S.  Jean,  comme  un  admirable  pano- 
rama, lout  ce  qui  s'etaiL  passe  enLre  i'ange 
el  Marie.  —  rj'a(>res  le  texte  grec,  Elisabeih 
•n'adresse  pas  direclemenl  a  sa  cousine  les 
paroles  de  ce  versel ;  mais  elle  parle  a  la 
IroisieniP  personne  :  «  Beala  quae  credidit 
(ii  iti(jT£uaa<ja)...  quae  dicla  sunl  ei  (aux^)  ». 
Elle  proclauie  [)ar  maniere  d'aphorisme  une 
verile  generale  (comp.  Ps.  lxxiii,  1 3 ;  cxlv,  7 ; 
Prov.  XVI,  20)  qu'elle  applique  neaiimoins  a 
Marie.  Comuie  on  I'a  dil,  sa  pensee  seinble 
se  piMdre  dans  une  sorle  de  contemplation, 
et  sa  parole,  cessant  d'etre  une  apustrophe 
a  sa  Cdusine,  devieni  un  hymne  a  la  I'oi.  — 
Autre  parlicidarite  du  texie  grec:  le  second 
hemisliche,  quuniam  perficientur,  peul  rece- 
voir  deux  iraduclion^  dilierenies,  selon  qu'on 
rend  la  parlicule  oti  par  «  quia  »  ou  par 
«  quod  ».  La  Vidgate  a  choisi  le  premier 
sens  :  Bienlicureux  celle  qui  a  cru,  car  les 
paroles  di'  Dieu  s'accomplironl.  D'asscz  iiom- 
breux  commenlaleurs  adoplent  le  second: 
Bienheureuse  celle  qui  a  cru  que  les  pro- 
messes  divines  s'iiccompliraieul.  «  Q  da  »  ou 
«  quoniam  »  explique  pourquoi  Marie  est 
proclameo  bienheureuse;  «  quod  »  complete 
«  credidisti  »  el  nous  fait  coimailre  I'objet 
■de  la  foi  de  la  Sainle  Vierge.  Ce  n'est  la 
qu'une  nuance  Srtns  gravite. 

46.  —  Telles  lurcnl  les  felicilalions  que 
Marie  regul  d'Elisabrth.  Pour  toule  repon^e, 
transformee  par  I'E-prit  Saint  en  une  lyre 
harmonieuse,  elle  cntonne  son  admiralile 
•canliqiie  :  Mon  ame  glorifie  le  Seigneur!  Elle 
repond  aux  louangps  de  sa  cousine  [lar  la 
louange  de  Dii-u.  Les  grandi'S  merveilles 
accoujplies  par  Jeliova  avaienl  inspire  |)lu- 
sieurs  fois  deja  des  canli(jues  a  des  fi  mmes 
d'Israel.  L'-s  [)lus  celebres  elaienl  ceux  de  ia 
«ORur  de  Moi'-^e,  Ex.  xv,  21,  de  Debora,  Jud.  v, 
d'Aniie,  meie  de  Samuel,  1  Reg.  ii.  II  etail 
reserve  a  Mane  de  cliant'T  la  merveille  des 
merveilles,  I'ceuvre  de  la  ReiJ.  mplion,  dans 
un  liyiun  ^  qui  est  li>  couronuemcnl  de  lous 
les  cantiqu.^s  do  I'ancienna  Alliance,  le  pre- 

S.  BiDLE.  S. 


luiie  de  Idus  les  canliqui's  du  Nouveau  Te.-ia- 
menl.  Flymne  sublime  en  i  ffil  dans  sa  -ini- 
plicile;  chant  magnifique  d'aciiim  ne  giares, 
donl  I'Eglise  se  serl  clia(|ue  jour  pour  remer- 
cier  Dieu  de  ses  bi  idails.  Au  point  di-  vue 
de  la  forme,  le  «  Magnificat  »  a  tons  les  ca- 
racleres  que  la  poesie  reveiail  ch  z  les 
Hebreux  :  on  y  Irouve  le  rliyilim  •.  el  suitout 
le  parallelismedes  nicmbres.  ll  res^emble  aux 
P.-aumes  euchaiistiques  de  Dav,d.  Ce  liean 
poeme  s'ecliappa  sponlanemenl  ou  cceur  ih: 
Mane,  sous  I'mspiration  divine,  a  Tocca-ion 
des  parol 'S  d'Elisabelh  :  c'esl  done  une  ve- 
ritable improvisation  ,  I'effusion  jusque-!a 
comprimee  d'une  fime  profondemenl  emue  par 
les  grSces  du  ciel,  mais  qui  n'avail  pas  en- 
core irouve  I'occasion  de  s'epaneher  au 
dehors.  —  Ait  Maria.  Divers  mauu-erils  de 
ri'.a'a,S..reneeetOrigene  lis  ni  «  Elisabeth i 
au  iieu  de  «  Maria  » ;  mais  c'esi  uikj  erreui 
enorme.  Le  Magnificat  est  I'oeuvre  de  Marie, 
et  non  d'Elisabetli.  Les  exegetes,  rapprochant 
ces  simples  mots  «  ail  iMatia  «  de  la  formule 
«  Exclamavil  voce  magna  et  dixit  »  it.  42) 
qui  avail  inlioduil  I'allocution  de  la  mere  de 
S.  Jean,  aimenl  a  faire  lessorlir  la  douce 
serenite,  la  profonde  quietude  qui  regnent 
dans  le  canlique  de  Marie.  C'esl  la  en  realite 
un  caractere  frappant  du  Magnificat,  dont  le 
lyrisme  respire  un  calme  vraiment  divin.  — 
Mmimficat  anima  mea...  La  plupart  des 
poemes  hebr.Mix  peuvent  se  diviser  eti  stro- 
phes, qui  sonl  plus  ou  moiiis  bien  marquees 
par  la  «  direction  »  nouvelle  donnee  aux 
pensees.  Les  exegetes  modernes,  appliquanl 
ce  principe  au  canlique  de  Marie,  onl  essaye 
de  le  pariager  en  stances  a  p(  u  pres  cgales, 
qui  correspondent  a  aulant  d'ldees  nouvellos. 
Mais  raccoid  ne  regno  pasenireeux,  les  divi- 
sions de  ce  genre  ayani  toujours  quelque 
chose  de  subjeclit.  Evvald,  von  Biiiger, 
Godet,  etc.,  admetlenl  quatre  strophes  : 
tH.  46-48a,  48b  -50,  51-53.  54-55.  Les 
Drs  Scliegg  <'t  Ueisclil  n'en  admetlenl  que 
deux  :  t'si.  46-49,  louange  a  Dieu  pour  la 
part  per.sonnelle  qu'il  a  laile  a  Marie  daus  le 
myslere  de  la  RediMiijjiion  ;  tt.  50-53, 
louange  a  Dieu  pour  les  bienfails  qii'il  n'a 
cesse  d'aecorder  soil  aux  petils  en  general, 
soil  S[ieciali-inent  a  Israel.  M  L.  Abbott  en 
distingue  trois  :  *t?.  46-49,  50  53,  54  el  55. 
Nous  adoptions  cette  division  qui  nous  s''mble 
la  |)lus  logi(jue.  —  Premiere  strophe.  Mane 
lemoigne  au  Seigneur  la  phis  vive  reconnais- 
Lcc.  —  4 


m  fiVANGILE  SELON  S.  LUC 

A7.  Et  mon  esprit  a  tressailli  d'al 


legresse  en  Dieu  mon  sauveur. 

48.  Parce  qu'il  a  regarde  Thumi- 
lite  de  sa  servante,  et  voila  que  de- 
sormais  toutes  les  generations  me 
dirout  bienheureuse; 

/lO.  Gar  celiii  qui  est  puissant  a 
fait  en  moi  de  grandes  choses  et  son 
Dom  est  saint; 


47.  Et  exultavit  spiritus  meus  in- 
Deo  salutari  meo. 

48.  Quiarespexithumilitatem  an- 
cillse  suae;  ecce  enim  ex  hoc  bea- 
tam  me  dicent  omnes  generationes. 

49.  Quia  fecit  mihi  magna  qui 
potens  est,  et  sanctum  nomen  ejus. 


sance  pour  sa  maternite  divine.  La  pensee 
contenue  dans  les  premiers  roots  du  canlique, 
Mon  ame  glorifie  le  Seigneur,  retenlit  a 
Iravers  le  Mas^nificat  lout  enlic-r  et  «  i'on 
pourrait,  dii  M.  Scliegg,  la  repeler  comma 
un  refrain  apres  cliaqiie  versel  ».  Elle  est 
pour  ainsi  dire  le  Iheine  que  Marie  se  pro- 
pose de  developper  :  loiiLes  les  idees  qui 
suivent  en  seronl  de  jimpies  variations.  —  Le 
verbe  iJieyaWvet  ti;;  differe  pas  de  I'hebreu 
hf^j^n  ■  il  a  ici  le  sens  de  «  exloUere  verbis  », 
celebrer. 

47.  —  Les  paroles  et  exuUavit  spiritus 
meus  in  Deo  correspondent,  en  vertu  du  pa- 
rallelisme,  k  «  Magnificat  anima  mea  Domi- 
num  ».  Mon  esprit  tressaille  d'allegresse, 
mon  &me  glorifie,  sont  des  hebiaismes  bien 
connus  pour  :  je  tressaille,  je  glorifie.  C'est 
toulefois  avec  raison  que  les  commentateurs 
voient  une  legere  diiTerence  enlre  la  "J/vix^  et 
le  TTveuiia.  L'ame  ('I'VX^)  1^2^)  dont  il  est  ici 
question  tient  comme  le  milieu  enlre  I'esprit 
(Tcveufjia,  nn)  et  le  corps;  elle  est  inferieure  au 
•jtv£y[Aa;  celui-ci  au  contraire  comprend  les 
puissances  les  plus  relevees  de  notre  etre  in- 
terieur.  Ce  sont  done  loutes  les  parlies  de 
Vkme  de  Marie  qui  sont  doucement  etsainte- 
ment  agiiees.  —  Salutari  est  un  adjoctif  pris 
substantivoment  et  souvent  tmploye  pour 
«  Salvalor  »  dans  la  basse  lalinite.  Voyez 
les  dictionnaires  de  Ducange,  de  Forcellini, 
et  Roensch,  ilala  und  Vulgata,  p.  lOO.G'esl  le 
salul  messianique,  promis  depuissi  longlcmps, 
el  sur  le  point  d'etre  accorde  au  monde  par 
son  intt'rmediaire,  qui  excite  la  joie  la  plus 
vive  dans  le  coeur  de  Marie. 

48.  —  Quia  respexit  humilitatem  ancillw 
suae.  Si  les  paroles  qui  precedent  etaient  un 
eri  de  reconnaissance  jele  vers  le  ciel,  celles- 
ci  expriment  la  plus  parfaite  humilite.  De 
nouveau  (comparez  le  t-  38)  Marie  se  nomme 
I'humble  servante  du  Tres-Haut.  Elle  parle 
de  sa  p'titosse,  de  sa  bassesse,  eiri  tyiv  TaTtet- 
vwfftv  :  elle  est  pourtant  Bile  de  rois,  elle  est 
meme  la  plus  pure  et  la  plus  sainle  des  crea- 
tures; mais  qu'est-ce  que  tout  cela  devant 
la  grandeur  et  la  saintet^  de  Dieu!  Aussi, 
pour  representer  la  bont^  du  Seigneur  a  son 
^gard,  emploie-l  elle  encore  le  verbe  pitto- 


resque  eite6Xei]/Ev,  «  respexit  »,  qui  designe 
un  regard  favorable,  mais  jete  de  haul  en 
bas,  par  consequent,  un  regard  de  grando 
condescendance.  Comp,  Gen.  xxxi ,  42 ; 
I  Reg.  I,  41  ;  IV  Reg.  xiv,  26,  etc.  —  De 
I'expression  de  son  indignile,  Marie,  divine- 
ment  eclairee,  rapproche  celle  de  sa  gloire 
futuie  :  Ecce  enim...  Elle  sail  que  son  nom 
sera  desormais  inseparable  du  nom  du  Messie- 
Dieu  ;  elle  voil,  dans  la  suite  des  siecles,  les 
hommages  publics  et  prives  qu'elle  recevra 
sur  loute  la  terre,  de  la  part  de  loutes  les 
generations.  —  Ex  hoc  (scil.  tempore;  dans 
le  giec,  ctnb  Tou  vuv),  Elisabeth  vient  d'etre 
(tt,  42  et  45)  le  premier  anneau  de  cette 
chalne  glorieuse;  mais  dcpuis  lors  les  chants 
de  louange  et  d'amour  n'ont  jamais  cesse  de 
relentir  dans  I'Eglise  catholique  en  I'honneur 
de  Marie.  Que  les  protestants  nous  accusent, 
s'ils  lo  veulent,  d'adorer  la  Vierge  de  Naza- 
reth; ils  savent  tout  aussi  bien  que  nous  que 
nous  n'adorons  que  Dieu.  Mais  nous  venerons 
d'un  culte  special  («  hyperdulia  »)  la  Merc  de 
Notre-Seigneur  Jesus-Christ  et  nous  aimons 
en  elle  noire  propre  mere.  Ceux-la  seuls  re- 
fusent  de  s'associer  a  nos  hommages,  qui  ne 
comprennenl  pas  le  sens  de  ces  deux  litres. 
49.  —  Quia  fecit  mihi...  Motif  pour  lequel 
chaque  generation  s'inclinera  devant  Marie 
et  s'ecriera  :  Bienheureuse  I  Dieu  a  fait  en 
elle  de  grandes  choses.  —  Macjua  ((j-eyaMa 
du  lexle  grec  eslun  augmentatif  de  [Asya^)  . 
hebraisme  (nibnJl)  pour  «  opera  mirabi- 
lia  ».  Gombien  de  merveilles  le  Seigneur 
n'avait  pas  operees  en  la  Tres  Sainle  Vierge! 
Elles  se  resumaienl  toutes  dans  sa  maternite 
divine.  Mais  seul  le  «  Tout- Puissant  »  avail 
pu  realiser  de  telles  merveilles;  aussi  Marie 
rappelle-t-elle  le  pouvoir  infini  de  celui 
qu'elle  loue  :  qui  potens  est,  ou  mieux  «  potens 
ille  »,  6  ouvaxo?,  le  puissant  par  excellence, 
ll^nn,  comme  le  noinme  I'Ancien  Testament. 
—  El  sanctum  nomen  ejus ;  pour  «  cujus  nomen 
sanctum  est  ».  Marie  vient  de  prononcer 
I'un  des  noms  de  Dieu.  Or  les  Orientaux 
unissenl  presque  loujours  aux  noms  divins 
une  epilhete  de  louange  (Dieu,  qu'il  soil 
beni !  etc.).  Les  Hebreux,  a  qui  le  Seigneur  ■ 
avait  donne  tant  de  marques  de  sa  sainteie, . 


CHaPITRE    I 


51 


50.  Et  misericordia  ejus  a  pro- 
genie  in  progenies  timentibus  eum. 

51.  Fecit  potentiam  in  brachio 
suo  :  dispersit  superbos  mente  cor- 
dis sui. 

Isai.  51,9;  Psal.  32,  10. 


50.  Et  sa  misericorde  se  repand 
d'age  en  dge  sur  ceux  qui  le  crai- 
gnent. 

51.  II  a  deploye  la  force  de  son 
bras ;  il  a  disperse  ceux  qui  s'enor- 
gueillissaient  dans  les  pensees  de 
leur  coBur. 


louaient  de  preference  celte  perfection,  et 
divers  passages  des  sainles  Lellres  (comp. 
Is.  VI,  3  ;  Lvii,  15;  Ps.  xcviii,  3  ;  ex,  9,  etc.) 
prouvent  qu'ils  donnaicnt  surtoul  a  Dieii  I'e- 
pilhete  de  Saint  quand  ils  avaienl  recemment 
parle  de  sa  puissance.  Marie  se  conforme  a 
ce  pieux  usage.  Le  signe  el  la  chose  signifiee 
se  cont'ondanl  en  Dieu,  dire  que  «  son  nom  » 
est  saint  c'est  affirmer  laparlaile  sainlete  de 
son  essence. 

50.  —  Deuxieme  strophe,  tt.  50-53.  La 
mere  du  Christ  generalise  niaintenant  sa 
pensee  ;  ellc  !oue  la  bonle  divine  s'exergant 
d'une  maniere  universeile  envers  les  humbles 
et  les  petils.  Elle  ne  parle  done  plus  direcle- 
inent  d'elle-mome  et  des  I'aveui's  specialcs 
donl  elle  a  ele  I'objet.  Neamnoins,  tout  ce 
quelle  vadire  lui  convienl  encore  a  un  degre 
snreminent.  Quelle  pauvre  a  ete  plusenriclii? 
Quelle  Sme  humble  plus  elevee?  Le  *.  50 
emel  I'idee  principale,  qui  est  ensuile  deve- 
loppee  par  des  exemples  dans  les  Irois  sui- 
vants.  —  MisericGrdia  ejus...  timentibus  eum. 
La  crainte  de  Dieu  elait ,  sous  I'Ancien 
Testament,  une  vertu  des  plus  etenducs,  qui 
comprenait,  de  meme  que  la  justice,  des 
devoirs  tres  multiples,  el  raccomplissement 
pai  lait  des  volonles  celestes.  Voiia  pourquoi 
on  promet  une  si  magnifique  recompense  a 
ceux  qui  la  pratiquenl.  La  locution  aprof/eiiie 
ill  piogeiiies  (le  Texlus  recept.  porte  :  eU 
ysvedti;  •ye^ewv,  «  in  prOi,'enies  j)rog  enierum  ») 
est  empruntee  a  i'hebreu  (1111  miS)  et  signi- 
lie  :  Conslamment;  d'une  generation  a  la  sui- 
vante,  sans  qu'il  y  ait  jamais  de  Ireve. 

51.  —  Les  exeg'etes  se  demandent  a  propos 
des  tf.  51-53  si,  en  les  pronongant,  Marie 
avail  a  I'espril  le  passe,  le  present  ou  I'ave- 
nir.  Dans  le  premier  cas,  elle  aurait  deci  it  a 
grands  traits  I'histoire  juive,  oil  Ton  voil  a 
cliaque  instant  le  bras  tout-puissant  deJtMiova 
delivrer  el  soutenir  son  peu|)li%  renverser  les 
irones  cliananeens,  etc.  Dans  le  second  cas, 
elle  eul  peintsous  des  couleurs  poeliques  la 
conduile  habituelle  de  Dieu  k  I'egard  des 
justes  qui  le  craignent  et  des  iinpies  qui  le 
meprisent.  Dans  la  troisieme  hypothese,  elle 
tracerait  un  tableau  prophetique  du  regno 
fulur  du  Messie.  «  Maintenant,  dit  Meyer  qui 
adopte  cette  derniere  opinion  (Comment. 
h.  1. ;  de  mdme  Janseniug,  Kistemaker,  de 


Wette,  Olsliausen,  etc.),  Marie  contemple  la 
catastrophe  messianique  quo  son  Fils  doit 
produire,  et,  a  la  fag  m  des  Propheles,  elle 
i'annonce  comme  un  lait  accompli,  taut  elle 
est  sure  de  sa  realisation  ».  3I;iis  les  paroles 
de  Marie  nous  paraisseut  bien  generales 
pour  conveiiir  d'une  maniere  exclusive  aux 
aux  temps  messianicjues.  Peut-elre  sonl-elles 
bien  generales  aussi  pour  designer  des  Tails 
parliculiers  de  I'hisloire  sainlc,  el  nous  se- 
rious tenles  de  dire  avec  Maldoiial,  h.  1.  : 
«  Ego  Bedam  sequor,  qui  nullum  aut  praete- 
rilum  aut  inlurum  etiam  exemplum  nolari 
pulat  aut  significari,  quod  lacium  facien- 
dumque  sit,  sed  quid  Deus  facere  possit  ac 
soleal  ».  Les  fails  signales  par  Marie  ont 
lieu  indislinctemenl  a  lous  les  ages  et  dans 
tons  les  pays  ;  ce  sont  des  actes  habituels  de 
la  Providence. Toulefois,  nous  preferons  adop- 
ter la  premiere  opinion  (avec  Luc  de  Bruges, 
Noel  Alexandre,  Sylveira,  Massl,  etc.),  parce 
que  I'aoriste  n'a  Jamais  le  sens  du  present 
dans  les  ecrils  du  Nouveau  Testaraeni.  Voyez 
Winer,  Gramm.  p.  248 ;  Beelen,  Gramm. 
p.  297.  —  Fecit  potentiam  (hebraisme  : 
S'n  nU^y)  in  brachio  suo.  Bel  anthropomor- 
phisme,  qu'on  rencontre plusieuis  foisdans  les 
iivres  poeliques  de  la  Bible.  Cfr.  Ps.Lxxxviii, 
ft.  9-14,  etc.  Le  bras  elant  le  siege  de  la 
vigueur,  cetle  expression  signifie  que  Dieu  a 
pour  ainsi  dire  ramasse  toules  ses  forces, 
comme  un  guerrier  qui  se  prepare  a  1  utter 
contre  ses  ennemis.  Et,  de  ce  bras  auquel 
rien  ne  pent  resisler,  dispersit  superbos  mente 
cordis  sui.  AtecrxopTitaev  est  un  mot  des  plus 
energiques  :  Dieu  a  disperse,  balaye  devant 
lui  les  impies  «  sicut  stipulam  ante  faciem 
venli  »  (Ps.  lxxxii,  14).  Ouanl  a  I'expres- 
sion  u7cjpri9dvou<;  Stavoia  xapSia;  aOxaiv,  elle  est 
toute  hebrai'que  pour  le  fond  comme  pour  la 
forme.  Nous  I'expliquerons  en  rappelant  au 
lecleur  un  principe  de  la  psychologie  des 
Hebreux.  Dans  les  saints  Livres.  le  coeur  est 
habituellement  envisage  comme  le  siege  non- 
seulement  des  desirs,  mais  encore  des  pen- 
sees  ;  de  la  vient  la  frequente  association  des 
mots  xapSia  et  Stavoia  oude  leurs  synonymes. 
Les  anciens  Hebreux  avaient  vu,  en  se  re- 
pliant-ur  eux-meraes,  que  le  plus  souvent 
les  pensees  derivent  du  cceur  comme  de  leur 
premiere  source,  et  qu'elles  ne  passent  dans 


52 


tVANGlLE  SELON  S.  LUC 


o2.  II  a  renverse  de  leiir  Irone  les 
puissants  et  il  a  eleve  les  humbles. 

53.  II  arempli  debienslesaffaraes 
et  renvoye  vides  les  riches. 

54.  II  a  releve  Israel,  son  servi- 
teur,  se  souvenant  de  sa  miseri- 
corde, 

35.  Seloii  ce  qu'ii  avail  dit  a  nos 


52.  Deposuit  potenles  de  sede,  et 
exaltavit  humiles. 

53.  Esurieiites  implevit  bonis  :  et 
diviles  dimisil  inaues. 

I  Reg  2,5;  Psal.  33,  H 

54.  Suscepit  Israel  puerum  suum, 
recordalus  misericordise  siise. 

53.   Sicut  locutus  esl  ad   patres 


rinlellpcl  qii'apres  avoir  pris  nai-i-ance  dans 
les  inclinations  de  la  volonle.  C'est  pour  cela 
qu'ils  pailaieiit  d'liommcs  «  orgueiliiHix  dans 
les  pen-ees,  dans  i'espril  de  Icur  coeiir  ». 
L'orgiieil  alfccte  iminediaLpmf^nl  I'esprit  : 
(t  supcrbos  menle  »;  mais  cetle  eslime  dere- 
glee  de  sa  propre  excellence  [)rovienl  Loiijuurs 
d'un  amour  iramodere  de  soi-merae  :  «  su- 
perbos  rm^nle  cordis  sui  ». 

52  el  53.  —  D  'ux  antitheses  frappanles, 
qui  confirmenl  I'exemple  precedcni.  L"S 
siiperbes,  enncnnis  de  Dieu,  ^onl  d'onlinaire 
los  favoris  de  la  fortune,  les  puissanls  el  les 
riches  de  ce  inonde.  Leur  souvenir  ameiie 
nalurellement  ceiui  des  pelils  el  des  pauvres, 
chez  lesqiiels  on  Irouve  plus  souvcnt  la 
crainle  du  Seigneur  el  I'accomplissemenl  de 
ses  preceples.  Marie  caraclerise  en  lertnes 
pilloresques  la  cunduite  de  Dieu  a  I'egard  des 
iins  el  des  aulres.  Les  puis>anls,  «  les 
dynastes  »,  coinme  dit  le  lixte  grec,  il  les 
renverse  de  leurs  Irones  (ano  6p'-vwv) ;  les 
liches,  il  les  renvoie  prives  de  loul.  xevoO?, 
inanes.  Au  contraire,  il  ( xalle  les  humbles, 
il  comble  de  biens  les  pauvres  qui  mourai'nt 
de  laim.  Les  livres  de  I'Ancien  Teslamenl 
sonl  remplis  de  s  'nlences  analogues.  Comp. 
Ecoli.  X,  14;  Ps.  xvii,  28;  xxxiv,  11,  elc. 
De  meme  les  ecrils  du  pagani.-m  '.  Seneque  : 
<(  Sequilur  superbes  uitor  a  tergo  Dmis  ». 
Xeno|)h..  Anjib.  in,  2,  10  :  oitive;  (Oeot)  ixavot 
Eiat  y.ai  tou;  [izyalovt;  rayii  (At/pou;  itoietv,  -/at 
Tou;  [iixpoy?  oco^eiv.  D'apres  Laerl.  i,  69, 
couime  on  di'inundail  a  Esope  quelle  elail 
rocciipalion  de  Jupiter,  il  repnndil  :  -ra  [tev 
\)<^r{/.a  TauEivoOv,  xa.  Sk  Tocitstva  u^jyoOv.  Etc.  — 
NolOMS  encure...  avanl  de  quilier  cetie  strophe, 
le  b-au  croisem.  nt  des  menibres  dans  les 
iinliihe-;es  qu'elle  contienl.  «  Dans  le  premier 
ronirasli'  [t.  51).  les  jnsles  occnpenl  la  pre- 
miere place,  li'S  orgueilleux  la  seconde  ;  dans 
le  second  au  coniraire  (if,  521,  les  (luissants 
occupent  la  premiere,  de  maniere  a  se  ralla- 
cher  immediatenient  aux  orgueilleux  du 
t.  51,  el  les  p'tiis  la  seconde.  Dans  le  troi- 
siume  enfin  [t.  53),  les  affames  viennenl  en 
premier  lieu,  se  lianl  aux  petils  du  t-  52,  el 
ies  riches  I'orment  le  second  membre.  L'esprit 
passe  ainsi,  comme  par  une  sorte  d'ondula- 


lion,dii  semblable  au  semblable,  et  le  senti- 
ment n'est  pas  heurte,  comme  il  I'eui  el(i  par 
une  syinetiie  qui  eul  presente  a  chaque  fois 
les  numbres  homogenesdu  contrasle  dans  le 
memo  Old  re  ».  Godel. 

54  el  5o.  —  Ces  deux  versels  fonnent  la 
treisieme  strophe  du  Magnificat.  Marie  y 
expniiie  en  termes  empliuiiijues  la  part  spe- 
ciale  (pi'aura  le  pcupi(>  juit  an  salul  opere 
par  le  Messie-Dieu  qu'eiie  porle  dans  son 
sein.  —  Suscepit  Israel  piierunt  suum.  Par  le 
mysiere  de  rincarnation,  Dieu  a  done,  sui- 
vanl  loule  la  delieatesse  du  lexte  grec  (avxe- 
XaSsTo)  souleve  de  lerre,  en  lui  lendant  une 
mam  secourable,  la  nation  Iheooralique,  de- 
signee ici  comme  en  tant  d'aulres  passages 
d  '  la  Bible  par  le  nom  mystique  du  pali  iarche 
Jacob.  Le  mot  c  puerum  »,  Ttatoo;,  auquel 
divers  exegeles  donnenl  la  signification  de 
fils,  regoiL  plus  commnnement  el  plus  exacle- 
menl  en  cet  endruil  celle  de  s-rvileiir.  Comme 
le  dit  M.  Bisping  a  la  suite  do  Dr  Meyer, 
«  I'ldee  llieocralique  de  la  filiation  n'esl  jamais 
exprimee  par  le  subslanlif  Ttat?.  »  Du  resle, 
la  ver-ion  syriaque  fail  disparailre  toute 
ambigiiile  en  tradui-^ant  uato,;  par  miV, 
«  servum  suum  ».  —  Recordntas  misericordiw 
suce.  Belle  expression.  Di  u  avail  semble 
oulilier  sa  misericorde  a  I'egard  du  peuple 
juil'.  au(|U  I  il  avail  inflige  de()u:s  tanl  d'an- 
nees  de  si  prefondes  humilialions.  de  si  rudes 
soiiffrances.  Mais  voi(;i  qii'il  se  ressouvient 
enfin  de  sa  bonte !  La  phrase  grecque  (iviod- 
6yivai  iliov;,  litleral.  «  recordai  i  misericor- 
diae  »,  [)Oiirrail  se  traduiie  par  «  ita  ul  me-/" 
mor  -il,  miseiic(ji'di;e  »  :  dan-;  ce  cas,  Marie 
n'aiirait  pas  designe  le  moiif,  inai-;  la  conse- 
quence de  la  conduile  misericordii'use  quo 
le  Seigneur  vent  desormais  lenir  a  I'egard  de 
son  people.  —  Sirut  locutus  est  ad  patres 
nostras  esl  une  pioposition  incidenle,  une 
sorte  de  parenthese,  qui  explique  pourquoi 
Dieu  tiailera  maintenanl  Isiael  av(-c  compas- 
sion. Ne  s'y  esl-il  pas  engage  depuis  long- 
temps  par  des  promisses  solennelles,  reilerees 
viniit  lois  aiix  premiers  peres  (in  [leuple  juif? 
—  Les  mots  Abraham  et  seminiejns  relombent 
sur  (I  recoidatiis  ».  non  sur  «  luculus  est  », 
el  indiquonl  Tobjet  de  la  misericorde  divine 


CHAPITRE  I 


53 


nnstros,  Abraham  et  semini  ejus  in 
ssecula. 


peres,  a  Abraham  et  a  sa  posterite, 
pour  tou jours. 


Sans  doute  il  y  avail  des  siecles  qu'Abraham 
n'etail  plus  :  Marie  ppul  neanmoins  affirmer 
quo  Dieii,  eii  liailanl  avec  lendresse  la  poste- 
rile  de  ce  grand  palriarclie,  user  a  par  la- 
meme  de  iiiisericordo  cnvers  lui,  parce  qu'un 
pere  est  suppo-e,  apres  sa  mon  coinme  rie 
son  vivanl,  prendie  pari  an  sorl  de  ses  en- 
fants,  se  rejotiir  avec  enx  de  ieur  bonheur. 
—  In  scprula  :  colle  formule,  qui  lermine 
souvenl  les  p-aumes,  serl  aussi  de  conclusion 
au  canlique  de  Maiie.  C'esL  un  cri  de  vive 
confiance  jole  a  la  fin  du  Magnificat.  La  race 
du  perc  descroyant^,  race  dilutee,  il  est  vrai, 
et  spirilualisee,  durera  jusqu'a  la  fin  des 
temps.  Pendant  les  siecles  des  siecles,  Dieuse 
souviendia  envers  elle  de  ses  misericordes ! 
a  Et  lu  Israel,  serve  raeus,  Jacob  quein  elegi, 
semen  Abraham  amici  mei ;  in  quo  ap[)reliendi 
le  el  a  longinq'iis  ejus  vocavi  le  et  dixi  tibi  : 
Serviis  meu^  es  tu;  elegi  tj  et  non  abjeci  te. 
Ne  limeas,  quia  tecum  sum;  ne  declines,  quia 
ego  Deus  luus;  conforiavi  te  et  auxiliaius 
sum  libi  et  suscepit  te  dextera  jusli  inei  ». 
Is.  XLI.  8-10.  —  Tel  est  le  canliqiie  de  la 
Tres  Sainte  Vierge.Mais  nous  n'avoiis  pas  dit 
encore  que,  si  on  I'examine  attenlivem  'nt, 
on  ne  larde  pas  a  decouvrir  qu'il  paiail  eire 
en  grande  paitie  un  echo.etmeme  une  repro- 
duction de  divers  passages  de  I'Anci  n  Testa- 
ment. Presque  loutes  ses  expressions  ra- 
Mienenl  a  la  pensee  soil  le  cantique  d'Anne, 
1  Rei;.  II,  1-10.  soit  certains  psauines,  etc., 
coinme,  le  prouvera  le  tableau  ci  joint  : 


Recordatus  njisericoidiae 
su*,  sicm  loiulus  est  ad 
patres  noslros,  Abraham.... 


Mich.  VII,  20  :  Dabis  Te- 
ritati.'iii  Jacob,  misericor- 
iiiam  Abrahain  :  qua  ju- 
lasii  paiiiiius  aostns  a  die- 
bus  antiquis. 


Ma^nifical  anima  mea 
Doniiiiiiin 

El  i'\ul  tavit  spiritas  meus 
JD  Deo. 

Quia  respexit  hamilita- 
tein  ancili%  $u;e. 

Bu'aiam  rae  dirent  omnes 
genera  tiones. 
Fecit  mihi  magaa. 


Safictom  nomea  ejus. 

.Mi^ericnplia  pjus  a  pro- 
gfnie  in  progenies  tiinenli- 
Bus  cum. 

Fecit  poleatiam  in  bra- 
chio  >iio. 

Dis{u;r>it  snpei  bos  mcnt(! 
cordis  suis. 

D>!po  nil  potentpsde  sede 
et  e'altavil  huniiles. 


E-iiiientes  implevit  bonis 
•t  diviles  diiuistl  inanes. 


Ps.  xxxiit,  4  :  Magni6cale 
Doniinitm  mccum. 

1  R  'g.  II,  I  :  lixuUa\it  cor 
meum  in  Domino. 

i  Reg.  I,  H  :  Si  re-picii'ns 
videris  alSicUoneni  aiiciilx 
lux. 

Gen.  XXX,  13  :  Reatam 
qui|i|ie  me  dici'nl  muliires. 

Ps.  Lxx,  19  :  Fecisli  ma- 
gnalia  La  ressiMnblance 
e<t  I'lus  grande  dans  les 
textes  grecsi. 

P<.  a,  9  :  Sanctum  et 
terribile  nomen  ijn-;. 

Ps  oil,  17  :  Mrsricnrdia 
Domini  ab  cKlemo  el  usque 
in  aetei'Qum  sup^r  limeat'  s 
euai. 

Ps  cxvii,  16  :  Dextera 
Domini  fecit  virluicri. 

t's.  Lxxvviu.  1 1  :  Tu  hu- 

inilia- ti   . . .  .upi'rbiiin 

dispersi^li  inimico?  tuos 

EccI  .  X.  17  :  t:"e  .es  du- 
cnm  supeiior.im  destrnxil 
Doiis  el  sv'dere  fecit  mi  es 
■  0  oi<. 

I  l-ii'g.  II,  5  :  Repieti  prus 
pro  paiiilius  SI-  locaverunt, 
et  fauieiiui  saturati  sunt. 


De  cetle  ressemblance  manifeste,  les  rationa- 

li-;l(>s  se  sonl  hates  de  conclure  que  le  Magni- 
ficat ne  saurail  elre  I'ceuvre  ()ersonnelle  de 
Marie,  qu'il  t  si  apocryphe  par  conseijuent;  par 
consequent  aussi  que  les  d.vers  evemmenls 
dont  il  est  enloure  dans  le  Iroisieuie  Evan- 
gile  scinl  de  rn'me  I'oeuvre  d'un  I'aus^aire. 
Atlirmaiions  bien  audacieuses,  mais  qu'une 
sinipl  '  reflexion  pcut  reduiie  a  neant.  Si  ce 
priiK'ipe  etaii  vrai,  que  toulo  oeuvre  litleraire 
doil  avoir  ele  supposee  quand  elle  a  une  cer- 
taWie  analogic  avec  des  ecrils  plus  aiiciens, 
coiiibien  de  livres  cesseiau'iit  d'etre  auilien- 
liques !  Virgile  imile  paifois  les  diseours  ou 
les  descriptions  d'Homere  :  done  I'Eneide  a 
ele  composee  deux  ou  irois  siecles  apres  Vir- 
gile. Le  canlique  de  Jonas  et  la  priere  d'Ha- 
bac'uc  soul  des  com|)llalio^sdesp^aulnl's,  etc.  : 
done  les  propheties  de  Jonas  et  d'Habacuc 
sonl  apocryphi's!  Sonl-ce  la  des  conclusions 
bien  legiiimes?La  viaie  critique  raisonne  au- 
Iretnenl.  Eile  se  conlrntera  de  dire,  mais  en 
loule  vente  :  Done  Virgile  connaisait  les 
poemes  d'Homere,  done  Jomis  el  Habacuc 
avaieni  lu  les  psaumes.  En  ellVt,  une  lecture 
serieuse  de  la  Bible  prouve  que  les  ecrivains 
sacies  connaissaient  a  fond  les  parties  de 
I'Ecrilure  anlerieure-;  a  Ieur  epoque  et  qu'ils 
aimaient,  dans  I'ocea-ion,  a  en  ciier  les  pa- 
roles. Les  reminiscences  ou  allusions  que 
nous  avons  reinarque.'S  dans  le  Magnificat 
s'i'xpliquent  dela  meme  mamere.  Marie  avail 
lu  et  relu  les  saints  Livres  :  au  moment  done 
oil  elle  ouvrait  la  bouche  pour  louer  et  re- 
iiiercier  son  Dieii,  les  textes  inspires  se  pre- 
senierenl  en  foiile  a  sa  meinoir(>.  Se  les  appro- 
pnaiit,  elle  les  employa  p.irce  qu'ils  conte- 
naient  la  parfaile  exjjression  deses  sentiments 
pnves  Quoi  de  plus  nalurel?  Et  en  realit^ 
tout,  dans  le  Magnifical,  est  admirablement 
ailapie  a  la  sitiation  de  Marie,  convient  a 
merveille  a  la  Vieige  de  Nazareth  devenue 
Mere  du  Christ.  II  esl  done  en  ce  sens  une 
oeuvi  e  tout  a  fait  originale.  Ce  n'est  pas  ainsi 
qu'on  aiirait  invente  apres  coup,  car  on  out 
alors  avideinent  recherche  des  idees  et  des 
.•"ormules  neuves.  —  II  n'esl  [leul-elre  pas  de 
compositeur  ci'lebre  (jui  n'ait  annote  le  beau 
canlique  do  Marie  :  le^ceuvres  les  (ilus  renom- 
mees  sonl  celles  d  Orlando  di  Lasso,  do  Pa- 
leslrina.  de  Seb.  Bach,  de  Mendelsohn,  de 
Morales,  de  Sheppard.  On  a  du  peintre  Botti 


54 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUG 


56.  Marie  demeura  avec  Elisabeth 
eDviroii  Irois  mois,  et  elle  s'en  re- 
tourna  ensuite  en  sa  maison. 

57.  Or  le  temps  d'enfanter  s'ac 
complit  pour  Elisabeth  et  elle  en- 
fanta  iin  fils. 

58.  Et  ses  voisins  et  ses  parents 
apprirent  que  le  Seigneur  avait  si- 
gnale  en  elle  sa  misericorde  et  ils 
s'en  rejouirent  avec  elle. 

59.  Et  il  arriva  que  le  huitieme 
jour  ils  vinrent  pour  circoncire  I'en- 


56.  Mansit  autem  Maria  cum  ilia 
quasi  mensibus  tribus  :  et  reversa 
est  in  domum  suam. 

57.  Elisabeth  autem  impletum  est 
tempus  pariendi,  et  peperit  filium. 

58.  Et  audierunt  vicini,  et  cognati 
ejus,  quia  magnificavit  Dominus 
misericordiam  suam  cum  ilia,  et 
congratulabantur  ei. 

59.  Et  factum  est  in  die  octavo, 
venerunt  circumcidere  puerum,  et 


celli  «  un  incomparable  chef-d'oeuvre  »  (Rio) 
qui  represente  la  Vierge  ecrivant  le  Magni- 
ficat. 

56.  —  Mnnsit  aulcm  Maria...  En  terminanl 
le  recil  dr>  la  Visitalinn,  S.  Luc  nous  apprend 
que  la  Sainte  Vierge  demeura  «  environ  Irois 
mois  »  aupros  d'Eli-aboth,  ct  qu'ensuile  «  elle 
revint  dans  ?a  maison  »,  c'e.-t-a-dire  a  Na- 
zareth. Lo  depart  de  Marie  eut-il  liou  avanl 
ou  apres  la  naissance  de  Jean-Bapliste?  Le 
texle  sacre  ne  le  dit  pas  expressemcnt. 
Toutefois,  en  le  menlionnanl  avanl  de  ra- 
conter  la  nativiie  du  Precurseur,  il  semble 
indiquer  a-^-oz  dairemenl  quo  Marie  avail 
repris  le  chemin  de  la  Galilee  quand  «  le 
temps  d'Elisabeth  ful  accompli  »,  D'aillours, 
le  but  du  voyage  de  la  Mere  de  Dieu  n'avait 
pas  ele  precisem'Mit  de  soigner  sa  cousine  . 
aucun  motif  de  charite  ne  la  retonait  done 
dans  la  maison  de  Zacharie.  Un  certain 
nombre  de  commentateurs  ancieiis  et  mo- 
dernes  croient  neanmoins  que  Marie  demeura 
plus  longlemps  aupres  d"Eli>abcth  :  suivant 
eux,  le  t.  56  serail  place  par  anticipation 
avanl  la  nais?ance  de  S.  Jean.  —  Le  myslere 
de  la  Visiialion  a  inspire  de  beaux  tableaux 
a  Raphael,  au  Pialuricchio,  a  Ghirlandaio,  a 
Jouvenel,  etc. 

4.  Les  premieres  ann6es  de  Jean-Baptiste. 

1,  57-80. 

Ce  paragraphe  comprcnd  Irois  fails  :  la 
nativite  du  Precurseur,  sa  circoncision,  son 
developpement  myslerieux  dans  le  desert. 

1°  La  naissance  de  S.  Jean.  jf.  57  et  58. 

57.  —  Eiisabeth  {ifi  ^e  'E).«ya6e~)  impletum 
est  lempiis  pariendi  (oxp'Jvoc  too  xey-Eiv  auTTJv). 
Cnn-triiclion  loule  hebraique,  que  Ton  croi- 
rrit  roproduile  d'apres  la  Genese ,  xxv,  24  : 
v.ui  £7iAV)?tt'9'iQ<7av  ou  rifAEpai  toO  TExetv  auTriv 
(LXX). 

58.  —  Et  audierunt  tncini  et  cognati  ejus. 
L'heureuse  mere  esl  bientol  enlouree  d'un 
oercio  intime,  forme  des  voisins,  des  amis  et 


des  parents  de  la  famille,  venus  pour  la  feli- 
ciler.  Dans  cette  merveilleuse  naissance, 
chacun  roconnut  un  grand  bienfail  de  Dieu. 
L'expression  maguificavit  Dominus  misericor- 
diam suam  cum  ea  esl  un  nouvel  hebraisme, 
nay  ion  h^i:)^:}.  Comp.  Gen.  xix,  19  et 
I  Reg.  XII,  24.  Elle  equivaul  a  «  magnam 
ostendit  graliam  suam  ergo  illam  ».  — 
Congratulabantur  ei.  Le  grec,  auvsyaipov  auTrj, 
serail  mieux  iraduil  par  «  congaudebanl  cum 
ea  »,  de  sorle  que  nous  avons  ici  un  premier 
accompiissemenl  de  la  pro[ihelie  de  I'ange, 
t.  H.  —  Belle  peinlure  d'Andrea  del  Sarlo. 

2°  La  circoncision  de  S.  Jean  et  le  Benedictus. 
t^  59-79. 

59.  —  la  die  octavo  venerunt  circumcidere 
puerum.  «  Venerunt  »  a  sans  doule  pour 
sujet  les  mois  «  vicini  ol  cognali  »  du  versel 
precedent,  a  moins  qu'on  ne  prefere  traduire 
d'lme  maniere  generale  :  On  vint,  c"e>l-a-dire, 
ceux-la  vinrenl  qui  devaient  circoncire  I'en- 
fant.  Cette  operation  n'elail  n'elait  nullement 
I  eservee  aux  prelres :  lous  les  Israelites,  meme 
Irs  femmes,  pouvaient  I'accomplir.  Gependant, 
comme  olle  etail  a-sez  delicate,  on  ne  con- 
liail  generalemenl  le  role  de  Mohel  (Sma, 
«  circumcisor  »)  qu'a  des  personnes  experi- 
mentei^s.  Elle  etail  accompagnee  de  vives 
rejoui<sances,  auxquelles  preriaient  part  les 
parents  el  les  amis  de  la  maison  :  c'etait  en 
effel  un  saint  evenemenl,  qui  faisail  entrer 
un  nouvel  elre  dans  I'alliance  de  Jehova.  La 
circoncision  devait  avoir  lieu  li;  huitieme 
jour  qui  suivait  la  naissance;  telle  avait  ele 
I'ordonnance  expresse  du  Seigneur,  Gen. 
xvii,  12;  Lev.  xii,  13.  Gette  loi  ne  souffrail 
pas  memi!  d'exception  quand  le  huitieme 
jour  lombail  im  samedi.  Gomp.  Joan,  vn,  23, 
Aucun  local  parliculier  n'avail  ete  fixe  pour 
la  ceremonie  :  quoique  les  Juifs  I'accom- 
plissent  aujourd'hui  dans  leurs  synagogues, 
elle  se  passait  alors  le  plus  souvenl  au  sein 
meme  des  families,  el  c'est  ici  le  cas,  puisque 
Elisabeth  joue    un   role  important  dans  la 


CHAPITRE  1 


55 


vocabant  eum  nomine    palris   sui 
'Zachariam. 

60.  Et  respondens  mater  ejus, 
dixit  :  Nequaquam,  sed  Tocabitur 
Joannes, 

61.  Et  dixerunt  ad  illam  :  Quia 
nemo  est  in  cognatione  tua,  qui  vo- 
cetur  hoc  nomine. 

62.  Innuebant  autem  patri  ejus, 
quem  vellet  vocari  eum. 

63.  Et    postulans    pugillarem , 


fant  et  ils  I'appelaient  Zacharie,  du 
nom  de  son  pere. 

60.  Et  sa  mere,  prenant  la  parole, 
dit  :  Non  pas,  mais  il  s'appellera 
Jean. 

61.  Et  ils  lui  dirent :  II  n'y  a  per- 
sonne  dans  voire  famille  qui  soit 
appele  de  ce  nom. 

62.  Et  ils  demandaient  au  pere, 
par  signes,  comment  il  voulait  qu'on 
le  nommdt. 

63.  Et  demandant  des  tablettes  il 


•scene  siiivante,  ct  qu'elle  nc  puuvait  (|uiUt'r 
■sa  iiiaison  avanl  quiironte  joins.  Sur  la  cir- 
concision  dans  le  Judai-iii:'  ancicn  ct,  mo- 
deriio,  voyez  Leon  de  Modenc,  Ceremonies 
et  coLiUimes  de-;  Juils,  4e  partie,  cli.  viii; 
Buxtori",  SyiKigi'g.  judaica,  cap.  ii ;  Winer, 
RealwoerU'ibuch,s.  V.  Besclineidiing;  Coyiiel, 
Le  jiidai'snie,  esquis.-c  des  nicens  juivcs, 
pp.  96  et  ss.  —  Et  vocabant  eum  »o)nine 
patris  sui  {in\  xw  6v''(iaTt,  I'.iteral.  conforme- 
■menl  an  nom,  d'a|)ies  le  nom).  SuivanL  un 
antique  usage  qui  nmoniait  jusqu'a  I'epoque 
•d'Abraliam  (fOin|).  Gen.  xvir,  5,  lo;  xxi,  3 
et  4),  on  a-sociait  ires  ordinaireim-nt  a  la 
•ceremonie  de  la  ciiconci>ion  I'imposilion  du 
nom  de  renlanl.  Le  choix  de  ce  noir.  etait  le 
plus  souvent  reserve  au  [lere ;  mais,  dans  la 
circonstance  presenle,  les  assistants,  voulant 
•sans  doule  laire  a  Zacharie  une  agreable 
surprise,  et  ?u|iposanl  d'aiileurs  son  consen- 
teinent,  se  halerenl  de  donner  son  nom  au 
fils  de  sa  vieillesse.  Voir  au  livre  de  Ruth,  iv, 
13-16,  un  trail  analogue.  'E-xa),oyv,  ils  vou- 
laient  appeler,  ils  avaienl  meme  deja  pro- 
nonce  le  nom,  lorsque  Elisabeth  les  arreta 
tout  a  coup  par  sa  proleslation  energique. 
60.  —  Respondens  :  Prenant  la  parole. 
Voyez,  sur  ce  sens  du  verbe  «  respondere  », 
I'Evangile  selon  S.  Matthieu.  p.  231.  —  AV 
quaquam,  ovx^;  il  ne  sera  pas  tail  selon  voire 
desir,  mais  I'enfant  vocubitur  Joannes.  On 
s'esl  souvenl  deniande  par  quelle  voie  Eli- 
sabeth avail  appris  le  nom  destine  divinement 
a  son  fils.  La  plupart  des  modernes  pensent 
qu'elle  le  lenail  de  Zacharie,  qui  avail  dii  lui 
raconter  par  ecril  lous  les  details  de  I'appa- 
rition  dont  il  avaitele  favorise  dans  le  temple. 
Les  anciens  au  conlraire  airirmenl  d'une 
voix  unaninie  qu'elle  le  connui  par  revela- 
tion, au  moment  de  lacirconci-ion  de  I'enfant. 
'H  5i  'E).i(jd6ex  eb?  irp'.9^Ti;  eXa).Y)(j£  Ttepi  xoO  6v6- 
(xaTo;,  dil  TiK'Ophylacte ;  de  memo  Euthymius: 
ev.  7rv£U(AaTo;  ayiou  y.ai  aOxr]  to  6vo(ia  toO  TiaiSo? 
V.E(j.d6ri-/e.  Gomp.  S.  Aiiibroise,  h.  I.  Tel  est 
aussi  I'avis  de  plusieurs  exegetes  contempo- 


rains,  mdnie  ralionalisles  ou  proleslanls. 
«  L'esprit  de  toul  le  recil,  el  I'elonnemenl 
exprinie  au  sujetde  I'accord  des  deux  epoux, 
nous  fail  preferer  la  supposition  que  le  desir 
de  la  mere  lui  venait  egalemenl  d'une  inspi- 
ration subite  ».  Reuss,  Hist,  evangelique, 
p.  33.  Nous  partageons  complelemenl  cette 
antique  opinion. 

61  el  62.  —  Quia  nemo  est  in  cognilione 
tua...  L'objeclion  des  assistants  suppose 
qu'alors,  comme  de  nos  jours,  il  etait d'usage 
d'imposer  aux  enfants  le  nom  d'un  de  leurs 
propres  parents.  —  Innuebant  autem  patri 
ejus.  Rebut es  du  cole  de  la  mere,  les  amis 
irop  empresses  s'adressenl  a  Zacharie  lui- 
meme,  et  le  prient  de  lour  indiquer  le  nom 
qu'il  a  choisi  pour  son  fils  {quern  vellet  vocari 
eum;  dans  le  grec,  to  ti  dv  ^iloi  xaXetaOai  aOxov. 
Sur  I'emploi  de  I'article,  voyez  Winer, 
Gramm.  p.  162;  xi  au  neiitre  pour  Tiovo;j.a; 
les  nianuscrits  15,  D,  F,  G,  Sm.  onl  aOxo,  scil. 
■rtaiSt'ov,  au  lieu  du  masculin  auxov).  De  ce 
qu'ils  lui  adre-senl  leur  demande  par  signes, 
beaucoup  d'exegetes  anciens  el  modernes, 
entre  aulres  S.  Jean  Chry^ostome,  Theo- 
phylacte,  Euthymius,  Jansenius,  Maidonat, 
Lightioot,  Groiius,  Alford,  Plum[)lre,  Abbott, 
onl  conclu  qu'il  n'avait  pas  ete  seulemenl 
frappe  de  mulisine  depuis  I'apparition  de 
I'ange,  mais  aussi  de  surdile.  Nous  dirons  a 
la  suite  de  plusieurs  aulres  coinmentaleurs 
que  cette  conclusion  ne  nous  parait  pas  suiB- 
samment  justifiee.  On  parte  tres  souvenl  par 
signes  aux  personnes  simplement  muetles. 
Dans  le  cas  actuel,  un  signe  pouvait  sufBre, 
Zacharie  ayant  assisie  a  la  deliberation  prece- 
denle.  Au  resle  I'ange,  au  t.  20,  n'avait  parle 
que  du  mulisme,  «  ecce  eris  lacens  »,  et, 
au  t.  64,  il  n'esl  question  que  d'une  «  apertio 
oris  el  linguae  ». 

63.  —  Postulans  (oia  vEuiAaxoi;,  Euthymius) 
pugillarem.  Le<  Lai  ins  appelaient «  pugillaris  » 
(scil.  tabula)  ou  plus  voiontiers  «  pugillares  » 
au  pluriei,  de  peliles  tablettes  enduites  de 
cire,  sur  lesquelles  on  ecrivait  au  moyen  d'un 


56 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


ecrivit  :  Jean  est  son  nom.  Et  lous 
furent  elonnes. 

64.  Aiissit6t  sa  bouche  s'ouvrit, 
sa  langne  se  delia  et  il  parlait  be- 
nissaiit  Dieu. 

65.  Et  tons  leurs  voisins  furent 
saisis  de  crainle  el  toutes  ces  choses 
furent  divulguees  dans  toutes  les 
monlagnes  de  la  Judee. 

66.  Et  tous  ceux  qui  les  enten- 
dirent  les  recueillirent  dans  leurs 


scripsit,  dicens  :  Joannes  est  nomen 
ejus.  Et  mirati  sunt  universi. 

Supi:  13. 

64.  Apertum  est  autem  illico  os 
ejus,  et  linpua  ejus,  et  loquebatur 
benedicens  Deum. 

65.  Et  factus  est  tiraor  super  om- 
nes  vicinos  eorum  :  et  super  omnia 
montana  Judseae  divulgabantur  om- 
nia veiba  hsec  : 

66.  Et  posuerunt  omnes  qui  au- 
dierant  in  cordesuo,  dicentes  :  Quis, 


stylet  ou  poinQon  d'acier,  d'os  ou  d'aiiire 
maliere.  Ces  [ilanchetles  eiant  p'imiiive- 
meiit  on  bois  de  pin  (rJvo;),  les  Grec-  les 
nommaienl  Triva/ioiov.  Voyez  A.  Rich,  Dic- 
lionnaire  des  anliquiles  rom.  et  grecq. 
p  ol7.  —  Sr.ripsil  ilirens  :  hebraisme  pour 
a  scripsil  haec  verba  ».  Comparez  IV  R"g. 
X,  26  p!2Nb)  it  Jos.  Ant.  xiii,  4,  1.  C'est 
pour  n'avoir  pas  compris  eel  idiutisme  qu'on 
a  parfois  suppose  que  la  parole  aurait  ele 
rendue  a  Zacharie  a  eel  inslanl  meme. 

Sed  proh  raira  fides,  tabulis  qnum  scribere  leotat, 
Implicilam  solrit  per  verba  soaautia  liDguam. 

Jiireacas. 

—  Joannes  est  nomen  ejus.  L'eraploi  dn  temps 
present  a  ici  qiielijue  chose  d'emphatique, 
d'ener^iqui^  La  (pieslion  n'est  pas  a  di  cuier, 
veut  dire  Zacharie;  mon  fils  -'appeile  J'.'an  : 
il  n'y  a  |>oiiit  a  s'occupor  d'uii  auiie  nom 
pour  iui.  —  «  Prima  heec  scriplma  Nov! 
Testament i.  a-t-on  dil  avec  assoz  de  deiica- 
tessp,  incTpil  a  gratia  »  (allusion  a  la  signifi- 
cation du  nom  de  Jean).  Le  grave  Ti'itullii^n 
lui-meiue  s'esl  pennis  un  jeu  de  mols  sur 
celle  scene  :  «  Zacharias  lo(]uiUir  in  stylo, 
auditur  in  cera  ».  —  Quand  ils  lurenl  les 
deux  niou  hebreux  ecrits  par  Zacharie. 
^)2VJ  lini'  les  assistants  furenl  vivement 
surpris,  remarque  I'eciivain  sacre.  mirati 
sunt  universi.  11  >'elonnaieiit  de  voir  Zacharie 
etElisabth  coinpletemcnl  d'accord  pour  in- 
trodtiire  un  nom  etrangiT  dan-  hur  famillo. 
64.  —  L'adiiiiration  de  I'as-eniblee  dut 
etre  a  son  comble  lorsque,  toul  a  coup, 
apertum  est  os  ejus  et  lingui  ejus.  Celte 
bouche  avail  ele  fi-rmee  d'une  maniere  raira- 
culeuse;  eiie  s'ouvre  au-si  par  Telfel  d'un 
miracle,  et  au  moment  mem'  quo  I'ange 
avail  predii,  t. '20=  L'mcrediiliie  avail  enleve 
a  Zacharie  i'u-age  de  la  parole  ;  c'est  un  acte 
de  foi  el  a'ubes-ance  qui  le  Iui  rend,  comine 
le  fait  reniarquer  S.  Ainbroise.  II  c(  sse  d'etre 
ranet  aussiioi  qu'il  a  clonne  a  son  fils  le  nom 
prescrit  par  Dieu.  Le  verbe  «  apertum  est  » 


(dvcwx0ri)  ne  relombe  que  sur  «  os  ejus  »,  car 
on  ne  dil  pas  qu'um;  langue  s'ouvre,  mais 
qu'elle  se  delie  (ccmp.  Marc  vn,  35);  il  est 
loutefois  rallache  a  «  lingua  »  en  verlu  de  la 
construclion  dile  «  zeu;:ma  «.  De  ces  deux 
organes  du  langage  meniionuej  a  la  faQon 
hebriilijue  par  S.  Luc,  le  preinier  est  plus 
general,  le  second  plus  special.  —  Loque- 
batur benedicens  Deum.  Zacharie  consacre 
a  Dieu  h  s  premices  de  la  faculle  qu'il  ve- 
nail  de  recouvrer  raerveilleu-iment  apres 
un  silence  de  neuf  ou  dix  mois.  Les  hom- 
magps  ici  raenlionnes  ne  sont  autres  que 
le  canlique  «  Benedictus  »,  donl  la  vraie 
place  serait  a  cet  endroit;  mais  Tevangeliste 
i'a  renvoye  un  pni  plus  bas  pour  inserer, 
par  mod'  de  parenihese.  une  note  relative 
a  I'irnpression  (|iie  produ  sirenl  dans  toiile  la 
conlree  les  prod  ges  qui  avaient  accompagne 
la  na  s-ance  de.  futur  Precuisi-ur.  Ti'ile  est 
du  mo  ns  I'opinion  la  plus  nalurelle  (t  la  plus 
ciimiuiine.  On  n'a  aucun  motif  serieux  de 
p°nser  que  Zacharie  composa  plus  lard  s  'ule- 
ment,  el  pour  ainsi  dir(>  a  tete  reposee,  son 
canlique  d'aciion  de  graces,  qui  est  au  con- 
iraire,  daiisle  meme  sens  que  lc«  Magnificat  y\ 
uiip  vive  improvi-ation. 

63  et  66.  —  Timor  super  omnes  vicinos 
eorum.  II  s'agil  de  ce  mysterieux  i  ffroi  donl 
sonl  presque  toujours  saisies  les  personnel 
lemoins  de  phenomenes  surnaturels.  Coin[). 
Marc.  IV,  41.  —  Apres  avoir  rempli  toul  le 
voisiniige  d'une  sairile  frayeur,  le  bruit  de» 
merveilles  racoiiteps  ci-dessus  {ouuiia  verba 
hoer,  hebrai-;me  :  nSxH  Dmzn  Sd)  envahit 
p;'u  a  p  u  la  contree  eniier:%  h'S  moniagnes 
de  la  Jiiilee  'voyez  le  romm  ntaire  du  f.  39). 
Diruljitbnntur  :  8te),a),£T-o ,  on  en  I'aisait 
robjd  de  muluels  eniieli  ns.  —  Fr><iuerunt... 
in  coriLsuo.  Locution  liebiaique  (aS  SjT  □'U,'. 
Comp.  I  R"g.  XXI.  12  qui  signifie  «  pes  r  at- 
ttniivem  nt.  prendre  pour  obj't  de  la  consi- 
deration la  plus  attentive  ».  Les  cla-^siques 
empl'iii'iil  des  expressions  analogues  :  t(^t)|j.i 
iv  ffTr(8£(T(ji,  ^v  fpsffi  ^Hom.) ;  «  sensibus  imis 


CHAPITRE  1 


87 


putas,  puer  iste  erit?  Etenim  ma- 
nus  Domini  erat  cum  illo. 

67.  EL  Zacharias  pater  ejus  re- 
pletus  est  Spiritu  sancto  :  et  prophe- 
tavit,  dicens  : 

68.  Eenedictus  Dominus  Deus  Is- 


ccEurs,  disant :  Que  pensez-vous  que 
sera  eel  enfant?  car  la  main  du  Sei- 
gneur elait  avec  lui. 

67.  Et  Zacharie  son  pere  fut  rem- 
pli  de  I'Esprit  saint  et  il  prophelisa, 
disant  : 

68.  Beni  soil  le  Seigneur,  Dieu 


repon^re  »  (Virg  ).  —  L'evangeliste  nous  fa.t 
enletidre  I'echo  d*^  ces  profundes  retV  xions  : 
Quia  put'is  ji  apa,  quid  ei§o]puer  isle  erit? 
Evidi'mment,  iin  Piifanl  venu  au  inonde  in 
de  pareilles  cunditiuiis  dexuii  eire  piedesline 
par  Dit'ii  a  di"  grnndes  choses.  Les  iiiois 
su\\'aol'f,eienimma)ius  Domini...,  ne  si  nt  pa-, 
comm:>  on  I'a  quelquefois  ailii  me  (Evvald, 
Kuinoel,  Pauiu?:,  etc.),  la  conlinuation  dcs 
reflexions  popnlaires;  c'esl  tin  jug'menl  per- 
sonnel de  S.  Luc,  destine  a  apf)iiyer,  a  jiisti- 
fier  ces  refl  xions.  On  avail  raison  d;'  parler 
ainsi.  puisque  la  main  du  Seigneur  (belie  mi'la- 
ptiore  pour  dire:  la  proleclion  louiepuissantc; 
de  Dieu)  elait  vi-iblemenl  avec  renl'anl.  Le 
«  textus  receptus  »  porle  simplemenl,  il  est 
vrai,  xaix^'P*  maisdes  manuscrits  (B,  G,  D.  L, 
Sm.)  et  des  versions  (Itaia,  eiliiop.,  copte) 
d'une  grave  auloiite  ont  lu  -/.at  yip  x^'Pi 
comme  la  Vulgate. 

67.  —  Et  Zacharias...  Ces  mots  nous  ra- 
menent  au  t.  64  auquei  lis  serveni  de  deve- 
lopp^menl.  Nous  allons  apprendre  en  effei  la 
raaniere  donl  Zacharie,  apres  avoir  rccouvre 
Tu^ag '  d(!  la  parole,  si'  mit  a  louer  el  a  re- 
merCier  le  S'igneur.  Mais,  ajoute  Tevange- 
lisle  pour  caracieriser  d'avance  le  «  Ben^dic- 
tus  »,  ses  remeiciements,  ses  louanges  fur:  nl 
bien  plus  I'ceuvre  de  Dieu  que  la  .-^lenne 
propre  :  ils  lui  furent  inspires  d'en  haul, 
repletus  est  Spiritu  sancto.  De  tons  h-s  mem- 
bres  de  C'ltesainle  famille  il  e<t  dii  quils 
furent  tour  a  lour  remplis  de  I'E-prit  Saint. 
Comp.  les  tt.  15  el  41.  —  Proplietavit.  (^e 
verbe,  comu»e  son  equivalent  iiebreu  x^J, 
designe  ici  tout  a  la  fois  un  oracle  propheti- 
que  (vaticinium  edere)  et  un  chant  lyrique, 
enflamme.  jaillissant  du  coeur  comme  les 
sour(-es  jaiili>sent  des  montagues  (ebidiire, 
scaturire.  carmina  sacra  cancre).  Voyz  Ge- 
senius,  Th'saurus  I.  II,  p.  838.  El  tel  e>t 
bien  le  caiitiipie  de  Zacharie.  G"est  (i'une  part 
une  pi-ediclion  surnaUirelle.  relative  au  role 
du  Christ  el  de  son  Precurseur,  el  dans  la- 
\  quelle,  a-l-on  dit  justement,  «  le  pere  s'elface 
\  derniere  le  propliete  »,  dernen^  ie  pr ''ire. 
C'esl  d'autre  part  un  be!  hymne  religieux, 
une  poesie  sacre(>  en  tous  pomis  conform^ 
comme  le  »  M.iiiiiiricat  ».  aux  lois  de  la  ver- 
sificaiion  hebraique.  Son  style  est  aussi  com- 
|>lelement  hebreu,  mSme  sous  le  maiileau 


grec  dont  S.  Luc  I'a  revetu;  a  tel  point  que 
le  plus  modeste  hebraisaui  pourrailsans  peine 
le  reconsiiluer  a  peu  pres  tel  qu'il  dui  eire 
prononce.  La  consiruciion  est  done  nalurel- 
lemenl  pi'u  elegante  dans  nos  traductions 
gr.'cqup  et  laline;  elle  paiait  meme  au  pre- 
mierregard  asstzenchevelree.  Irs propositions 
elant  raiiachees  I'une  a  Tauire  par  des  infi- 
nilil's  et  des  cas  d'a|)(iOsilion.  de  maniere  a 
former  seuiemenl  deux  longuis  phrases  cunli- 
nues.  Mais,  avec  un  peu  d'aitenton,  la  clarte 
lie  larde  pas  a  se  faire;  il  n'y  a  qu  a  bien  sui- 
vre  cha<]Ui'  anneau  de  la  clKiiue.  —  Le  «  Be- 
nedicins  »  a  deux  parlies  neit  ment  indiquees. 
Dans  la  premiere,  tt.  68-7o,  Z<tcliarie  re- 
m -rcie  Dieu  de  raveiieraenl  du  Chri>t ;  dans 
la  seconde,  ft.  76-79,  il  expo-:e  la  role  de 
son  fils  a  regard  de  ce  divin  Redempteur. 
Chaqu5  parlie  pent  se  subdivi-i'r  en  deux 
strophes  :  ft.  68-70,  7i-7o;  76-77.  78-79. 

68.  —  Premiere  strophe  ile  la  picmieie  par- 
lie  :  Beni  sou  le  S'igni'ur  qui  daigne  enfin 
nous  envoyer  le  Liberateur  (iroinis  depuis 
longlemps.  Tt't.  68-70. —  Bi-nedirtuf  ey).OYriTO(;, 
s.  enl.  ecTw,  pour  z\i'>.o'(ffiei-f\j  Duininus  DeUs 
/srae//A  rEpe[)hetadivln  Zacharie  repond  par 
un  jiiyeux  .Alli-luia.  Ei  cei  alleluia,  qu'il 
empninte  aux  doxologies  |)ar  lesquelles  se 
lermineni  jiiu-ieurs  livies  du  Psaulier.  "7113 
Sxl"^*'  imSx  mni  (comp.  Ps.  xl,  heb. 
XLi,  14;  Lxxi.  heb.  lxxii,  18;  cv,  heb. 
cvi.  48),  il  I'aoresse  a  Jehova.  le  Dieu  d'ls- 
rael.  Rien  de  plus  naturel  (pi'une  telle  dedi- 
cacc,  puisque  c'(  st  Jehova  qui  ( nvoie  le  Mes- 
sie,  puis(pie  Israel  doit  jnuir  en  premier  lieu 
de  la  delivrance  0()eree  par  le  Christ,  enfin 
P'lisque  c'e>tun  [iretre  juif  qui  chanle  cecan- 
tique.  Du  reste,  dans  le  «  Beiicdiclus  »,  le  sa- 
lul  mess  anicpie  est  i  nvi-age  exclusivi  raenl 
au  point  de  vue  de  la  nation  pnvilegiee  :  il  n'y 
est  qu"iiidirectement  (piesiinn  de  la  rtklemp- 
tion  des  palens.  —  Motif  pour  lecpiel  le  Sei- 
gneur est  beni  :  Quia  visituvit  et  fecit  redeinp- 
tionein...  II  a  v:site  son  peuple  :  parc'-ite  ex- 
pression les  ecnvams  de  I  Ancien  Tesiarai^nt 
uesgU'  nl  soiivent  un  gracieux  el  (iuis>aiil  se- 
Cituis  venu  du  ciel.  Voir  Gesenius,  Thesau- 
rus, au  mot  ips.  'Eir£(jy.£<3<aTo  du  lexte  grec 
a  le  meine  sens  comp.  Bretschueid^r.  L.ex. 
giaec.  lal.  s.  v.).  II  a  delivie  sou  p  uple  : 
litter,  d'apres  le  grec  (euoirjas  Wxptodiv),   il  a 


58 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


d 'Israel,  car  il  a  visite  et  rachete  son 
peuple. 

69.  Et  il  a  el  eve  pour  nous  une 
corne  de  salut.  dans  la  maison  de 
David  son  serviteur. 

70.  Selon  ce  qu'il  a  dit  par  la 
bouclie  de  ses  saints  prophetes  qui 
ont  vecu  jadis  : 

71.  Qu'il  nous  sauverait  de  nos 
ennemis  et  de  la  main  de  tons  ceux 
qui  nous  haissent, 

72.  Pour  accomplir  ses  miseri- 


rael,  quia  visitavit  et  fecit  redemp- 
tionem  plebis  suae  : 

Psal.  73,  12. 

69.  Et  erexit  cornu  salutis  nobis, 
in  domo  David  pueri  sui. 

Psal.  131,  17. 

70.  Sicut  locutus  est  per  os  sanc- 
torum, qui  a  saeculo  sunt,  propheta- 
rum  ejus  : 

Jevem.  23,  6  ef  30,  10. 

71.  Salutem  exinimicis  nostris,  et 
de  manu  omnium  qui  oderunt  nos ; 

72.  Ad  faciendam  misericordiam 


JaiL  iuie  liiiiQon  pour  son  peuple.  Comparez 
Matlh.  XX.  28,  oil  Jesus  dira  lui-meme  qu'il 
est  la  ).uTpw(7i;  (in  monde.  —  Plebis  suae. 
Dans  le  arec,  'w  /aw,  au  dalil,  ce  qui  rend  la 
construction  un  poii  nioins  irreguliere.  — 
Les  preterits  c  visitavit,  frcil  ».  et  plus  has 
«  erexit »,  sont  a  remarquer.  II  scmble  en  effet 
que  le  fuuir  ou  le  present  convitndrail  mieux, 
puisque  la  naissance  du  Piecurseur  est  bien 
loin  d'avoir  accompli  le  saint  d"lrael.  Mais, 
dan?  celle  naissance,  Zacharie  voit  d'line  ma- 
mere  anticipee  la  ixvilisalion  de  I'oeuvre  en- 
liere  du  Messie.  Ce  sont  done  la  des  «  pre- 
terits proplietiqnos  »,commeles  nomment  les 
grammairiens.  Comp.  le  t.  54. 

69.  —  Erexit  ffn'etps,  DipH,  lilt.  «  suscita- 
vit  »)  ccrnu  solutis  'hebiaisme  pour  «  cornu 
salutiferum  ».  nyVkL*'  "ilp)  nobis  (soil.  Judceis). 
Le  poete  inspire  ex  pose  comment  a  eu 
.ieu  la  redemption  de  la  nation  choisie  :  Dieu 
lui  a  envoye  un  protecteur  invincible  dans  la 
personne  du  Mes~ie.  Ainsi  que  le  disait  deja 
S.  Ephrem,  I'image  de  la  corne  «  ab  anima- 
linm  natura  desumpta  est.  »  La  force  de  p!u- 
sieurs  especes  d'animaux  reside  en  effet  dans 
leurs  cornes  :  munis  de  ces  armes  offensives 
et  defensives,  ils  ne  craignent  aucun  ennemi 
et  affrontent  tous  les  dangers.  Cetie  meta- 
phore  revient  assez  frequemment  dans  les 
saints  Livres.  Comp.  I  Reg.  ii.  10;  Ps. 
xvii.  3;  Lxxxviii,  18;  cxlviii.  16;  Eccli. 
XLVii,  8,  etc.  Voiraussi  Schoellgen,  Hor.  hcb. 
p.  2o8  ets.;  Horace,  Carm.  in.  21.  18;  Jahn, 
Arch.  bibl.  §  47.  —  In  domo  David  pueri  sui 
{c'est-a-dire  «  servi  sui  »,  comme  au  t.  54. 
Cfr.  Act.  IV,  2o).  Dans  un  psaume  messia- 
nique,  cxxxi.  17,  le  Seigneur  promet  de  sus* 
citer  «  une  corne  «  a  David.  Zacharie  annonce 
que  Dieu  a  tenu  sa  promesse  :  il  nous  monlre 
la  corne  de  salut  crigee  dans  la  maison,  en 
d'autres  termes,  parmi  les  descendants  du 
saint  roi.  De  part  et  d'autre  la  corne  symbo- 
lise le  Christ. 


70.  —  Siatt  locutus  est...  Mais  ce  n'est  pa 
seulement  a  David  que  le  Seigneur  avail  pro- 
mis  la  redemption  de  la  nation  juive  par  le 
Messie;  tous  les  prophetes  avaient  successi- 
vement  predit  celle  merveille  de  la  miseri- 
corde  divine,  comme  le  rappelle  le  pere  de 
S.  Jean.  En  realite,  I'Ancien  Testament,  et 
surtoul  sa  partie  prophetique,  se  resume 
dans  I'ldee  du  Messie.  —  L'adjeciif  sanctorum 
se  rapporte  a  prophetarum ,  dont  il  n'aurait 
pas  du  etre  separe.  —  L'incidenle  qui  a  sce- 
culo  sunt  (ywv  octi'  alwvo;)  a  le  sens  large  de 
I'hebreu  D'^IVQ.  Elle  designe  d'une  maniere 
geneialc  les  temps  anciens  el  ne  signifie  pas 
absolumenl  «  ab  orbe  condilo.  »  Comp. 
Act.  III.  21. 

71.  —  Les  tt.  71-75.  qui  forment  la  se- 
conde  strophe  de  la  premiere  partie  du  Beni^- 
dictus.  decrivent  I'oeuvre  du  Messie  d'apres 
ses  tiaits  principaux.  —  Snlulem  est  une  ap 
position  a  «  cornu  salutis  »,  par  suite  un 
complement  direct  de  «  erexit.  »  —  Le  salut 
chanle  par  Zachai  ie  vient  done  du  Christ,  ei 
c'est  a  la  nation  juive  qu'il  est  accorde.  Mais 
quels  sont  los  ennemis  dont  le  Sauveur  par 
excellence  delivrera  les  Juifs?  Noions  bien 
que  Tanleur  du  cantique  est  im  pretre  el  non 
un  simple  pairiote.  II  ne  scrait  done  pas  na- 
turel  de  supposer  qu'il  avail  specialement  en 
vue  les  ennemis  exterieurs  et  poliliques  de  son 
peuple,  les  Roinains  par  exemple;  sa  pensee 
se  portail  d'une  maniere  directe  sur  les  enne- 
mis spirituels  des  Juifs,  les  demons,  le  peche 
sous  toutes  ses  formes.  Voyez  TheophyJacle, 
Maldonat,  etc.  Ce  n'est  dailleurs  qu'en  ce 
sens  que  la  prophetie  de  Zacharie  s'est  accom- 
piie.  —  Les  mots  qui  oderunt  nos  sont  syno- 
mr s  de  inimicis  nostris.  Celte  repetition,  due 
au  parallelisme  poetique,  est  ires  frequenle 
diins  les  eciits  de  I'Ancien  Testament.  Comp. 
Ps.  XVII,  18  41  ;  XX,  9;  xliii,  11  ;  Liv,  13; 
Lxvii,  2  ;  LXXXVIII,  24;cv,  10,  etc. 

72.  —  Ad  faciendam  mitericordiam  cum... 


CHAPITRE  I 


59 


«um   patribus  nostris,  et  memorari 
testament!  sui  sancti; 

73.  Jusjurandura,  quod  juravit  ad 
Abraham  patrem  nostrum,  daturum 
se  nobis, 

Gen.  22, 16;  Jerem.  31,  33;  Hebr.  6,  13-17. 

74.  Ut  sine  timore,  de  manu  ini- 
micorumnostrorum  liberati,  servia- 
mus  illi, 

75.  In  sanctitate  ct  justitia  coram 
ipso,  omnibus  diebus  nostris. 

76.  Et  tu.  puer,  propheta  Altis- 


cordes  envers  nos  peres  et  se  sou- 
venir de  son  alliance  sainte, 

73.  Du  serment  qu'il  a  jure  a 
Abraham  notre  pere,  qu'il  ferait 
pour  nous, 

74.  Qu'etant  delivres  de  la  main 
de  nos  ennemis,  nous  le  servions 
sans  crainte  : 

75.  Marchant  devant  lui  dans  la 
saintete  et  la  justice  tous  les  jours 
de  notre  vie. 

76.  Et  toi,  enfant,  tu  seras  appel6 


Hebraisino  que  nnus  avons  deja  rencontre  au 
f.  58  (ici,  Di?  IDn  niZJy).  En  envoyant  son 
Christ  siir  la  icne,  Dimi  miinilesleia  <a  bonte 
infinie  a  rei;aid  du  pcuple  juif,  el  parLiculie- 
remenl  a  I'egard  des  saints  paUiarclics  qui 
avaient  ele  les  fondaleurs  do  la  nation  iheo- 
cralique,  'palnhxix  voslris  (Clr.  f.  55).  Ceux- 
ci  fiii^fTel,  du  lond  des  limbes  ou  ils  vivaicnt, 
desiraient  ai'di'nimenl  la  vonue  du  Mossio, 
^oil  pour  eux-nieuK'S,  afin  dn  pouvoii-  jouir 
comijlelempnl  de  Dieu  dans  le  ciel,  soil  pour 
leurs  descendants,  doiit  les  interets  n'avaient 
pas  cesse  de  leur  etre  chers.  Le  Seigneur 
exercera  done  envers  eux  une  miseiicorde 
reelle  et  personnelle.  Luc  de  Bruges  nous  pa- 
rail  exprimer  I'idee  de  Zacharie  d'nne  maniere 
incomplete,  lors(|u'il  dil  :  «  Non  ereilo  hie 
<igi  de  propria  patrum  salute  sed  rpiod  pa- 
Uum  intuitu  erga  posteros  bencficrnham 
suaui  Dcus  voluerit  exercere.  »  —  Et  me- 
morari testumenti II  cut   ete  plus   clair 

el  plus  correct  de  traduire  le  second  infi- 
nitif  du  lexte  grec  ([j.vy]<j6rivai)  comme  !("  pi''- 
mier  (noiriGai  e>,£o;)  par  le  gerondif :  «  ad  me- 
morandum. »  Le  testament  dont  Dieu  veut 
bien  se  souvenir  pour  en  executer  les  clauses 
ii'est  autre  que  I'alliance  solennellemenl  con- 
traclee  par  lui  avec  Abraham.  Isaac  et  Ja- 
cob, ainsiciu'il  est  dil  au  v(  rset  suivant. 

73.  —  Jiisjarandum  (juodjaravit.  Regulie- 
rement,  il  <  lit  fallu  le  genilif,  «  jurisju- 
randi  »,  puisque  cc.  sub-tantif  forme  une 
apposition  a  «  tostamenti  ».  Mais  comme  le 
texle  grec  emploie  ['accusalif  (opxov  6v  &\i.o<i£., 
pour  opxoO  ov)  en  vertu  de  raltraclion,  le  tra- 
ducleur  laiin  a  suivi  serviliment  la  m^me 
■construction.  Voyez  Beelen,  Grammat.  pages 
163  et  516;  Winer,  Gramm.  pp.  291  el  553. 
D'autres  expliqui'nt  cette  tournure  par  une 
ellipse  :  xax'  opxov,  «  secundum  jusjuran- 
dum  ».  —  Ad  Abraham  :  de  meme  en  grec, 
itpo;  'ASpadf/.,  quoique  le  datif  soil  plus  ordi- 
naire en  (lari'il  cas.  Zacharie  fait  ici  allusion 
k  la  circoniUace  racontee  dans  la  Genese, 


XXII,  16-18.  Comp.  Hebr.  vi,  13   et  14.  — 

Daliiriim  se  nobis.  Le  grec  dit   simplement 
Tou  ooi'vat  -^[aTv,  «  daturum  nobis  ». 

74-75.  —  Ces  deux  versels  se  rattachent 
immediatement  a  «  daturum  »  :  ils  expriment 
le  but  principal  de  la  Redemption,  qui  etait  la 
gloiic  de  Dieu  procuree  par  des  hommes  me- 
nanl  im(>  vie  sainte  et  paifaite.  —  Sine  ti- 
more, dqj'iSw?,  mis  en  avant  d'une  maniere 
(mphatiquo,  est  ensuite  developpe  paries 
mots  rle  manu...  liberati  (voyoz  le  1^.  71  et 
['explication}.  —  Serviamus  designe  le  culte 
divin  dansson  ensemble,  ainsi  qu"il  ressort  de 
I'expression  plus  energiquc  du  texle  grec, 
),aTp£U£tv.  Quand  on  est  sous  I'impression  de 
la  crainte,  en  bulti;  aux  attaques  incessantes 
de  dani;ereux  ennemis.  geneialement  on  ne 
sell  pas  aussi  bien  le  Seigneur  qu'au  milieu 
du  calme  et  de  la  paix.  Mais  le  Mossie  appor- 
tera  precisemont  cette  paix  et  ce  calme,  de 
sortc  qu'on  pourra  so  livrer  en  toute  liberie 
aux  choses  deDieu.  —  La  premiere  partie  du 
f.  75  designe  la  maniere  dont  les  Juifs  deli- 
vres par  le  Christ  pourronl  servir  Jehova  : 
in  sanctitate  et  justilia  coram  ipso.  La  seconde 
pai'tie  indique  la  duree  de  ce  service,  omni- 
bus diebus  nostris  (le  lexte  grec  ordinaire  porte 
Tzicac,  Toc;  f,|i.£pag  Trj?  ^w^;  i?i(ji.wv.  Mais  tJj?  I|(h^c, 
qui  manque  dans  de  nombreux  manuscrits, 
est  probablemenl  une  glose).Les  mots  «  sane- 
titas  »  (ost&TY);]  et  «  justilia  »  (Stxaioauvr))  sont 
a  pen  pres  synonymes,  bien  qu'ils  represen- 
tenl  des  nuances differentes.  Ces  nuances  sont 
assez  difficiles  a  determiner.  D'apres  les  uns, 
il  faudiail  voir  dans  daioxri;  une  qualite  pure- 
menl  negative,  I'absence  de  souillure,  et  dans 
SixaioCTuvY)  une  qualite  positive,  le  culte  pro- 
premenl  dil.  Selon  d'autres,  le  premier  sub- 
stantif  corrt'Spondrail  k  une  disposition  int^- 
rieure,  le  second  a  la  conduite  exlerieure.  Ou 
bien  encore,  la  saintete  se  rapporterait  aux 
relations  des  hommes  avec  Dieu,  la  justice 
aux  relations  des  hommes  entre  enx. 

76.  —  "ETTEixa  (A£Ta6a(vei  (Zaxap^a;)...  icpic 


60 


feVANGILE  SELON  S.  LUG 


le  prophete  du  Tres-Haiit,  car  lu 
marclieras  devant  la  face  du  Sei- 
gneur pour  lui  preparer  les  voies, 

77.  Pour  donner  a  son  peuple  la 
science  du  salut  pour  la  remission 
de  leurs  peches; 

78.  Par  les  entrailles  de  la  mise- 
ricorde  de  notre  Dieu,  avec  les- 
quelles  est  venu  nous  visiter  d'en 
haul  ce  solell  levant; 


simi  vocaberis  :  prseibis  enim  ante 
facieni  Domini  parare  vias  ejus  : 


Ad  dandam  sciontiara  salutis 
ejus,  in  remissionem  pecca- 


//, 
plebi 
torum  eorum  : 

Mai.  4,3;  Supr.  17. 

78.  Per  viscera  misericordiie  Dei 
noslri ;  in  quibus  visitavit  nos  oriens 
ex  alto  : 

Zacli.  i,  8  el  6,  12;  Mai.  *,  2. 


ia'JToO  Ttaioa  'Iwavvr.v,  Eulliyniiu?.  El,  avec 
ceUe  bollf  aposliojihe.  commi'iiot'  la  si'CoiidK 
pailie  du  canlKiue.  —  Premiere  strophe, 
tir.  76  el  77  :  role  de  S.  Jean.  —  Et  lu  piier 
(le  iirc'C  einpioie  le  diininulil'Ttaioiov  .  Zacharie 
a  aileiidu  j.isqu'a  ce  inoinenl  pour  p.ii ier  de 
soil  fils;  cVsl  (]iie,  dans  le»  evencm.^iU>  qu'il 
decril,  Jean  ne  doit  paraiire  qu'au  second 
plan,  n'livoir  qn'un  role  secondairc  —  Pru- 
pheta  Allissimi  vocaberis.  De  Jesus  il  avail 
eie  dit  :  ;t  Fiiius  Aili«simi  vocabiiur  »,  t.  32 
(voyez  en  eel  endroil  ri'xplicalioii  du  verbe 
«  vocari  »);  a  Jean  on  n'assi.une  que  la  fonc- 
tion  de  Propliele.  Nubie  fonclion  pourianl. 
donl  le  fidelH  accomplissrmenl  lui  valul  un 
magnifique  eloge  de  Jesus,  Mallli.  xi.  9,  el 
la  contiance  de  tnute  la  naiion  juive.  Voyez 
ibid.  XXI.  26.—  Pra'iliis  eniin  ante  fariein  Do- 
mini... Zacliarie  imlique  par  ces  paroles  la 
nianiere  speciale  donl  son  fils  STa  le  pro- 
phete du  Ties-Kaul.  II  sera  profiliele  en  tanl 
qn'il  sera  le  Precui  s  'ur  du  .M  ssie,  en  lanl 
qu'il  anri'incira  la  prochaine  inamfi'Slalion  du 
divin  Reilempiiur  el  que,  a  la  fagon  de  I'O- 
rieni,  il  maruh  ra  devanl  lui  cdtmne  un  he- 
raul,  lui  p  eparanl  en  tons  lieux  une  voie 
royal".  Coiii|>.  Is.  xl,  3;  Mallh.  iii,  3  el 
ie  comiH^niaire.  Du  liire  d^  «  Doininus  » 
==  m."ii|  aUribue  ici  au  Christ,  on  a  legiti- 
raemeiii  conclu  a  la  divinile  de  Jesus. 

77. —  Ad  dandam...  Dans  le  ,i;rec,  toO  SoOvai, 
iufinilif  du  bul.  En  pieparanl  les  voii's  du 
Mes>ie  selon  qu'ii  vii'nt  d'etre  dit.  Jean  pio- 
ciirera  aux  Jiiil's,  peuple  |)riviiegie  du  Sei- 
gneur {plebi  fjiis,,  «  la  science  du  salul  » ;  il 
leur  apprcndra  commenl  lis  pourronl  elr.' 
>auves.  —  In  remissionem  (le  grec  ev  a.fiazi 
est  pour  el;  iosctv)  pec.ratorum  eorum  (ce 
prcnoni  est  au  pluriel  en  verlu  dune  v  con- 
sliuflio  ad  syuesin  »;.  Ici  encore.  Ton  voil 
eombit^n  soni  pures  les  idees  mes^iatiiques 
de  Zacharie.  La  redem(>iion  qu'il  iinnonce  ne 
sera  pas  politique  el  sociale;  avant  loul  eile 
sera  S|)irlluelle  el  religieuse  :  elle  aura  pour 
tin  la  juslificalion  des  pecheurs.  Sur  la  reali- 
sation de  celte  prediction  par  S.  Jean-Bapliste. 


coni|iairz  111,  3;  Mai  ill.  ill,  6;  .Mnrc.  i,  4,  5. 

—  La  -iroplie  comprise  dans  les  tlf.  76  el  77 
repoiid  done  a  cetle  question  :  Fourquoi  le 
M  ssie  di'vail-il  avoir  un  Precursi'ur?  La 
naiion  theocralique  avail  ete  egaree;  mille 
prejuges  regnaiciit  parmi  elle  louchiint  la 
p  rsonne  el  I'cBuvre  du  Christ;  le  peclie  I'en- 
iagait  de  toules  parls.  II  fallail  done  qu'elle 
fill  ins(ruite  el  pirifiee,  afin  de  se  Irouver 
prele  qiiand  viendrait  son  Liberateur. 

78  ei  79.  —  Seconde  slrophe  de  la  seeonde 
paiiie  :  EfT.^is  produit-  pai  la  viMiue  de  Messie. 

—  Ici  plus  que  jamais  il  est  inymresle  que  «  ie 
Christ  est  I'objel  [)rin(ipal,  le  cominencement 
el  la  fin  du  caniique  de  Zacharie.  S.  Jean 
n'apparail  que  d'uiie  maniere  accessoire  :  on 
dil  diMix  mots  de  lui,  puis  on  revienl  imme- 
diatemenl  au  .Messie  n.Munkd.  Ces  dernieres 
paroles  de  Zacharie  sonl  les  plus  belles  et  les 
plus  fortes  de  son  ehanl  inspire.  —  Per  vi- 
scera miserirordia;...  se  rattaclie  a  «  in  remis- 
siomm  peccatoruin  eorum  >>,  el  signale  la 
cause  efficient'  de  la  remis-ion  des  [)eches, 
la  source  d"ou  decoulera  la  giace  qui  sancti- 
fiera  tanl  de  conpables.  Le  sens  special  du 
mot  «  viscera  »  dans  ce  passay;e  se  retroiive 
chez  lous  les  pr-uples.  Voyez  Gesenius,  Th"- 
samus.  s.  v.  cril-  Corap.  Col.  iii,  12.  —  In 
quibus  'scil.  visceribu-  inisericordiae' fisifau't 
nus  (Cfr.  le  t.  68)  Oriens  ex  dlo.  (Juel  beau 
nom  donne  an  M  ssie!  Plus  lard  Jesus  lui- 
memi  s'appellera  la  lumiere,  Joan.  viii.  12; 
IX,  o;  le  qiialrieme  Evangiie  i.  9,  dira  de  lui 
qu'il  I'Sl  «  lux  vera  quae  illuininal  omnem 
hominem  venienlem  in  hunc  mun  iuin  ».  Ici 
on  nous  montre  le  Sauveur  a  son  d(>biil  sous 
la  noble  et  gracieuse  figure  d'lin  soleil  levant, 
avxTo).r,,  qui  piom'l  une  rarlii'us'  journee. 
Cetle  inetaphore  remonte  d'ailleurs  a  I'Aneien 
T  siamenl,  ou  le  .M 's-ie  e-l  plusieurs  fois 
Compare  a  une  briHante  lumiere  :  «  Populus 
qui  anbulabal  in  lenebri-  vidil  lucem  ma- 
gnum; habiianlibus  in  regione  umbiae  mortis 
lux  orla  est  eis  »,  Is.  ix,  2.  «  El  ori'lur  vo- 
bis  liinenlibus  nomen  meura  s>l  justihae  », 
Mai.  IV,  2.  Comp.  Zach.  iii,  9.  T.?.  vi}/oy;  con- 


CHAPITRE  r 


61 


79.  Illuminare  his  qui  in  tenebris 
<et  in  umbra  mortis  sedent  :  ad  diri- 
gendos  pedes  noslros  in  viam  pacis. 

80.  Puer  an  I  em  crescebat,  et  con- 
forlabalur  spiiilu  :  eL  erat  in  deserlis 


79.  Pour  illuminer  ceiix  qui  sont 
assis  dans  les  tenebres  a  I'ombre 
de  la  mort,  pour  diriger  nos  pieds 
dans  la  voie  de  la  paix. 

80.  Or  Tenfanl  cioissait  et  se  for- 
lifiait,  en  es[)riL  et  ii  demeurail  dans 


tienl  unft  allusion  a  la  cek'Sle  orii;ine  dn 
Messie.  L'a^lre  dii  jour  semble  soilir  de  re- 
gions soutiM'raini'S,  mais  le  soleil  rje  justice 
\  irndra  (i'en  haul,  du  sein  de  Dim.  —  Divers 
ault'urs,  s'appuyanl  sur  ce  que  les  LXX  Ira- 
duiscnl  qufiquol'ois  le  noni  liebreu  na2f) 
gorme,  n-j'lon,  par  avaToXri  (comp.  Jt^r. 
XXIII,  5;  Zaoli.  vi,  12],  onl  pret^idu  que  tel 
■est.  ici  lo  Sins  de  notre  sui)-tanl,if  gicc.  Le 
(■onlexle  ieur  donne  tort,  car  «  la  phrase  en- 
liere  repose  sur  Taniitliese  de  la  himiere  el 
<Jcs  tenebrvs  ».  Rcnss.  —  Illuminare  esl  un 
nouvi'l  «  infiniiil'  du  bul  »,  pour  «  ad  illum:- 
nandum  ».  Voyez  les  t*.  72  el  77.  —  His 
yai  in  teneoris...  sedent  vepreienle  d'uni'  ma- 
tiiere  figuiee  les  Juifs,  donl  I'elal  moral  elait 
alors  si  misei  able.  «  L'ombre  de  la  morl  » 
iniaSsf  des  Hi'breux)  est  un  synonyine  euer- 
gique  des  leuebies  :  les  regions  ou  regne  la 
morl  sonl  ccnsees  couverles  dfs  ombres  les 
plu-;  noircs.  —  Ad  dingendos  pedes  nostras. 
Oonliiiualion  de  Tiinage.  Grcice  au  suleil  du 
.M 'ssie,  lespauvres  voyagmirsqui  cheicliaienl 
jii-que-la  pendilemenl  Ieur  route  la  irouve- 
Tonl  sans  peine,  el  c'esl  une  route  qui  lo^s 
coiiduira  a  la  paix,  au  bonheur,  in  viam,  pa- 
cts. Zacharie  termine  son  hymne  saccrdolal 
pai  ceUe  douci'  perspeclive  du  salul  dans  le 
M''ssie.  Coininc  Marii!,  il  a  clianle  un  abiege 
de  I'Evangile  ;  couinie  Marie,  il  a  resume  les 
idees  ii'S  plus  saillaiiles  de  I'Ancien  Testa- 
incnl  relaiivi  s  au  Chrisl.  Pas  un  mol  de  son 
canlique  n'esl  inml)e  a  teire;  toul  s'esl  pa~se 
ainsi  qu'il  le  predisait,  el  le  pretre  chrelien 
peul  dire  chaque  jour  avec  plus  de  verile 
(jue  le  pielre  juif  pere  du  Precurseur  :  «  Be- 
ncdiciu>  Doiniiuis...  quia...  fecil  redem()lio- 
n  ni  plebis  suae  ».  —  On  a  un  beau  «  Benc- 
-diclus  »  di!  Haydn. 

3°  Education  et  d^veloppement  de  S.  Jean.  f.  80. 

80. —  Ce  versel  resume  les  Irenle  premieri's 
annees  du  Precurseur.  Malgie  Ieur  grande 
i-nncision,  les  renseigiiemenls  qu'il  reiiferme 
sufli-ienl  pour  nous  monlrer  la  maniere  donl 
.le.in-Baplisle  I'ul  pre[iare  a  ses  haules  fonc- 
uoiis.  —  Puer  crescebat.  Ce  verbe  indique  la 
iTOis^ance  pliy-i(|ue  de  ronfanl.  Qioique  issu 
de  parents  affaibli<  par  I'age,  Jean,  grde.e  a 
uno  beiiedlciioii  speciale  du  Siigmuir,  deve- 
nail  lous  lis  jours  plus  robuslc;  el  se  deve- 
iiippail  dan-i  d'excelienles  conditions.  —  Sa 
Cfi  issance  morale,  marquee  jiar  l<'s  mot-;  cou' 


fortabalur  spiritu,  n'etait  pas  moins  rapidi-, 
car  Dieu  s<'  plai-ail  a  I'lionorer  de  loule  sorte 
de  dons.  —  Et  erat  in  deserlis.  La  solitude 
a-l-on  dii,  esl  la  palrie  des  giands  homuies. 
Ce  ful  la  palrie  de  I'auslere  Jean -Ba|. lisle. 
S  m  exeuiplaire,  Elie,  avail  vecu  assez  long- 
lemps  dans  le  deserl ;  pour  lui,  il  y  passa  la 
plus  grande  |)ailie  de.  sa  vie,  n'ayani  sans 
doule  qu  ■  d'  rares  communicalions  avec  les 
hoinmes,  ei  plonge  lout  enlier  en  Dieu  el 
dans  les  choses  divines.  Ou  ignore  I'age  exacl 
auqiiel  il  qiuua  sa  lamill.'  pour  se  reliier 
dans  le  deserl;  mais  ce  dui,  eire  d'assez 
btmn(^  heure.  Le  pluriel  £v  xafi;  epriao'.;  sem- 
blerail  supjios  r  que  J^an  n'avaii  pas  de  resi- 
dence fixe,  mais  qu'il  piissail  d'uiie  solitude 
a  I'aulre.  Le  deserl  de  Juda,  oil  S.  Matthieu 
nou-;  le  monlre  au  debul  de  son  minisleie, 
elaii  preciseiiieiil  enloure  ile  plu-ieuis  autres 
dislricls  pieS(|U(;  inhabiles  ou  il  pul  se  fixer 
lour  a  lour.  Voyez  noire  coram  ■ntaire  sur 
S.  Mat  ill  p.  66.  La  gracieuse  ioealile  nommee 
«  S.  J  an  dans  le  de~eii.  »  par  les  chreliens, 
Ain-Karim  par  les  musulmatis,  el  siliiee  a 
deux  lieues  au  S.  0.  do  Jerusalem,  dans  une 
vallee  ferlile  oil  abondenl  les  roses,  les  oli- 
viers  el  les  planls  de  vignes,  n'a  aucune 
chance  serieuse  d'avoir  servi  de  reiraile  con- 
stanle  au  Precurseur  (Voir  Scheg;;,  Evaiig. 
nach  Liikas,  i.  J,  p  106).  C'esl  la  du  moins 
qu'on  honore  d'uiie  maniere  plus  speeiali'  le 
inystere  de  sa  vie  cacliee.  —  Usque  in  diem 
oslensionis  suce.  L'avaoei^i;  ou  «  oslensio  »  de 
Jean-Baplisie  eul  Ii  'u  (^uaud  il  commenga  a  se 
maiiifesler  d'une  maniere  officielle  comme  le 
iieraul  el  ravant-couieur  du  Messie,  in,  1-3. 
—  Li's  Essenien-  ayani,  d'apres  le  lemoi- 
gnage  de  Pline,  Hisl.  Nal.  v,  17,  plusieurs 
eiablissements  dans  le  deserl  de  Juda.  il  a 
eie  de  mode  dans  un  lemps  de  prelendre  que 
Jean-Baplisle  ('tnil  enire  en  relations  avec 
eux  et  avail  adopte  en  parlie  leurs  doctrines. 
Mais  lE-senisme  du  Precurseur  esl  aujour- 
d'hui  abandonne  par  tons  lesciiliques  seriiux, 
aussi  bien  que  rEss('nisme  de  Je-us  (voyez 
I'Evang.  selon  S.  Mallh.  p.  71).  Jean  iut  formt; 
direcleinenL  par  rE-piii-Saiiil ;  il  n'avail  done 
pas  besoin  de  legons  humaines,  surloul  de 
leQons  prov(>nanl  d'un"  source  qui  etailhere- 
iK^ue  el  scliisinatique  au  poinl  de  vue  de  la 
religion  juive.  —  Parmi  les  noinbieuscs  p  in 
lures  coinposees  en  vue  de  reproduirequelque 
scene  d(!  la  vie  de  S.  Jean  au  deserl,  on  si- 


62 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


les  deserts  jusqu'au  jour  oil  il  devait     usque  in  diem  ostensionis  suse  ad 
se  montrer  a  Israel.  Israel. 


GHAPITRE    II 

Jesus  nait  k  Belhleem  (tt.  i-T).  —  Les  bergers,  averiis  par  iin  ange,  viennent  I'adorer 
(ft.  8-20).  —  La  Circoncision  [t.  21).  —  Les  mysleres  de  la  Purificalion  el  de  la  Presenla- 
tion  (ft.  22-38).  —  Abrege  de  I'enfance  de  Jesus  [tt.  39-40).  —  Jesus  parmi  les  Docteurs 
{tt.  41-50).  —  De  douze  a  treiite  ans  (*t.  51-52). 


1.  Or  il  arriva  qu'en  ces  jours-la 
un  edit  fut  publie  par  Cesar- Auguste 


1.  Factum  est  autem  in  diebus 
illis,  exiit   edictum  a  Gsesare  Au- 


gnale  au  premier  rang  celles  de  Murillo  et  du 
Gruerchin. 

5.  No61,  II,  1-20.  Parall.  Matth.  ii,  I. 

II  regne  un  parfait  organisme  dans  les  pre- 
mieres pages  du  troisieme  Evangile.  Apres 
la  conception  miraculeuse  de  Jean-Baptisle, 
I,  5-23,  S.  Luc  a  raconle  I'lncarnation  du 
Verbe,  i^  26-38  ;  apres  la  naissance  el  la  cir- 
concision  du  Precurseur,  accompagnees  du 
«  BenedicUis  »,  i,  57-79.  ii  relale  de  meme 
la  nalivile  el  la  circoncision  du  Christ,  ac- 
compagnees du  canlique  des  anges,  ii,  1-21. 
Enlre  les  doux  conceptions  ol  l.-s  deux  nais- 
sances  s'etail  place,  comme  un  beau  trait 
d'union,  le  mystere  de  la  Visitation  de  Marie, 
avec  le  «  Magnificat  »,  i.  39-56.  Du  reste  I'e- 
crivain  sacre  n'a\aileu  qu'a  reproduire  dans 
son  recit  I'harmonie  des  fails  eux-memes.  — 
Nous  diviserons  en  deux  parties  ce  nouveau 
paragraphe.  S.  Luc  expose  d'abord,  tt.  1-7, 
comment  le  CIkIsI,  par  suite  d'une  mesure 
loule  providentielle,  naquil  a  Bethleem  ainsi 
que  I'avaienl  predil  les  prophetes.  Cfr.  Mich. 
V,  2.  II  monlre  ensuite,  tt.  8-20,  quels  furenl 
les  premiers  adoraleurs  de  I'Enfanl-Dieu. 

lo  J^sus  nalt  a  Belhleem.  ff.  1-7. 

Les  tt.  1  et  2  conliennent  une  note  hislo- 
rique  destinee  a  expliquer  pourquoi  Jesus  ne 
naquit  pas  a  Nazareth  ou  vivaienl  sa  Mere  et 
son  pere  nourricier,  mais  a  Bethleem,  bien 
loin  de  la  Galilee.  Ces  queiques  ligncs  sonl 
tellement  herissees  de  difiBcultes  qu'on  a  pu 
It  bon  droit  leur  donner  le  nom  d'enigme 
chronologique.  Aussi  onl-elles  ele  I'objet  de 
discussions  sans  cesse  renouvelees,  de  sys- 
lemes  nombreux  et,  dans  le  camp  rationaliste, 
d'accusalions  passionnees  conlre  I'authenti- 
cite  ou  la  v^racite  de  ce  passage  de  S.  Luc. 


Cfr.  Strauss,  Vie  de  Jesus,  §  31,  I.  I,  p.  232 
et  ss.  II  n'esl  pas  possible,  dans  un  commen- 
taire,  de  trailer  a  fond  une  question  aussi 
compliquee;  nous  indiquerons  du  moins  les 
meilieurs  principes  de  solution,  et  nous  ren- 
verrons  lelecteur  studieux  a  quelques  disser- 
tations et  monographies  speciales  ou  il  trou- 
vera  lous  les  renseignemenls  desirables, 
nolammenl  a  Sanclemente,  de  anno  Chr. 
Dom.  natal,  iv,  c.  3  el  4;  Huschke,  Ueber 
den  zur  Zeit  der  Geburt  Jesu  Chrisii  gehal- 
lenen  Census,  Breslau,  1840;  H.  Wallon,  De 
la  croyance  due  a  I'Evangile,  Paris,  1858, 
pp.  296-339;  Wieseler,  Chronologische  Sy- 
nopse  der  vier  Evangelien,  1843,  pp.  79-122; 
Id.,  Beitraege  zur  richligen  Wiirdigung  der 
Evangelien,  p.  16  el  ss. ;  Kitlo ,  Cyclopae- 
dia of  biblical  Literature,  el  Smith,  Dictio- 
nary of  the  Bible,  au  mot  Cyrenius;  Wi- 
ner, Bibl.  Realwoerterbuch,  s.  v.  Quirinius ; 
Browne.  Oido  saecloruni ,  Appendix  ii,  40 
el  ss. ;  Zumpl,  Commentatio  ne  Syria  Roma- 
norum  provinciaa  Cyesare  AugusloadT.  Ves- 
pasianum;  Id.,  das  Geburtsjahr  Chrisii,  4869; 
Patritii,  de  Evangeliis  lib.  Ill,  dissert,  xviii ; 
Aberle.  Thoolog.  Quartalschrifl,  1874;  Tho- 
luck,  die  Glaubwiirdigkeil  der  evangelischen 
Geschichte,  p.  162  et  ss. ;  Caspari,  Chronolog.- 
geograph.  Einleitung  indasLeben  J.  C, 1869, 
p.  30  el  ss. 

Chap.  ii.  —  1.  —  In  diebus  illis.  Celte 
date,  vague  en  elle-meme  (comp.  Matth.  iii,  t 
et  I'explication),  est  precisee  par  le  contexte, 
I,  26,  36,  56  ;  II,  6  et  7;  elle  noug  ramene  au 
t.  79  du  chap,  i,  par  consequent  aux  jours 
qui  suivirent  la  naissance  de  Jean-Baptisle. — 
Exiit  edictum  est  une  bonne  traduction  du 
grec  e|Yi),6e  Sofixa.  Le  substanlif  Soyp-a  (de 
Soxe'w,  «  slatuo  »)  etait  en  effet  classique  chez 
les  Grecs  pour  designer  une  ordonnance  offi- 


CHAPITRE  II 


63^ 


gusto,  ut    describeretur  universus 
orbis. 


pour  que  toute  la  terre  fut  denom- 
bree. 


cielle.  un  decrel  rigoiireiiS(  ment  obligaloire. 
Comp.  Act.  XVII,  7.  'ESrjXee  est.  un  hebraisme 
(H2lf.  Comp.  Dan.  ii,  13;  ix,  23;  Esth.  1,49) 
pour  «  latum  est,  promulgalum  esi.  »  — 
L'editen  question  emanaila  Ccesare  Augusto, 
neveu  du  celebre  Jules  Cesar  et  le  premier 
des  empereurs  remains.  II  avait  pour  objet 
ut  describeretur  universus  orbis.  Quolque  {'ex- 
pression itaffa  f)  olxoujievYi  rcpresente  parfois 
dans  la  Bible  la  seule  Palestine,  il  n'est  pas 
possible  de  lui  donner  ici  avec  Paulus,  Kui- 
ncel,  Hug,  etc.,  cetle  signification  restreinte: 
la  maniere  dont  elle  est  ratlachee  au  nom 
d'Auguste  s'oppose  a  une  telle  interpretation. 
II  s'agit  done  vraiment  de  I'empire  remain, 
que  les  Latins  appelaient  fierement  «  orbis 
terrarum  »;  I'hyperbole  n'avait  au  reste  rien 
de  trop  exagere,  puisque  la  plus  grande 
partie  du  monde  connu  subissait  alors  les 
lois  de  Rome.  Par  «  describi  »,  a-noypifza^M, 
il  faut  entendro  ce  que  les  Romains  appe- 
laient ((  census  »,  un  recensement  propreinent 
dit,  ou  Taction  d'inscrire  sur  les  registres 
civils  le  nom,  I'cige,  la  condition,  la  fortune, 
la  patrie  de  tous  les  habitants  d'une  coniree. 
Comp.  Polyb.  x,  7.  L'evangelisle  n'a  done 
pas  voulu  parlor  d'une  simple  operalion  ca- 
dastrale,  comme  Font  cruKuinoel,  Olshausen, 
Ebrard,  Wieseler,  etc.  —  Le  fail  si  claircment 
enonce  par  I'evangeliste  dans  ce  premier 
verset  souleve  deja  de  grosses  diKiculles, 
parce  que,  nous  dit-on,  lo  les  historiens 
latins  el  grecs  de  Tepoque  gardent  un  silence 
absolu  sur  cet  edit  d'Auguste ;  2°  le  deeret 
eul-il  ete  porle,  il  ne  pouvait  s'appliqucr  a 
la  Judee,  qui  n'etait  pas  encore  jirovince 
romaine  au  moment  de  la  naissance  de  Jesus- 
Christ  puisqu'elle  etait  gouvernee  par  He- 
rode.  Pesons  tour  a  tour  ces  deux  objections. 
—  \o  L'histoire  profane  fut-elle  enlier(Mnent 
muette  sur  I'edit  signale  par  S.  Luc,  son 
silence  ne  conslituerait  qu'une  preuve  nega- 
tive, qui  ne  saurail  intirmer  le  temoi,uniige 
si  formel  de  l'evangelisle.  Les  annalisies 
conlemporains  omettent  de  la  memo  uianiere 
les  recensements  operes  anterieuiement  par 
Jules  Cesar,  et  pourtant  leur  existence  ne 
crdo  pas  le  moindre  doute  (voyez  Wieseler, 
Beilraege  zur  richtig.  Wurdigung  der  Evan- 
gelien,  1869,  p.  51).  De  plus,  comment  se 
fait-il  que  Celse  et  Porphyre,  ces  ennemis  si 
acharnes  du  Christianisme,  qui  se  sont  fait 
un  malin  plaisir  de  relever  les  prelendues 
contradictions  ou  erreurs  des  Evangiles, 
n'aient  rien  objecte  contre  ce  passage  de 
S.  Lue  ?  Mais  nous  avons  des  raisons  plus 
positives  a  alleguer.  Corame  Tadmeltent  au- 
jourd'hui   les  archeologues,  les  juristes  et 


les  historiens  les  plus  distingues  (Savigny, 
Huschke,  RitschI,  Peterson,  Marquardt,  etc.), 
la  compilation  de  rapports  et  de  documents 
slatistiques  forme  un  des  traits  distinctifs  de 
la  politique  d'Auguste.  Des  pieces  impor- 
tantes,  dont  nous  possedons  au  moins  quel- 
ques  fragments,  prouvent  jusqu'a  I'evidence 
que  le  premier  empereur  remain  dikt  faire 
pendant  son  regne  plusieurs  operations  ana- 
logues a  cell"?  que  signale  S.  Lue.  A  sa  mort, 
lisons-nous  dans  Suetone,  Aug.  c.  ci,  on. 
trouva  trois  protocoles  reunis  a  son  testa- 
ment. «  De  tribus  voluminibus  uno  mandata 
de  sue  funere  complexus  est;  alteio  indicem 
rerum  a  se  gestarum,  quem  vellet  incidi  in 
seneis  tabulis  quae  ante  mausoleum  stalue- 
rentur ;  terlio  breviarium  imperii.  »  De 
r  «  Index  rerum  gestarum  »  il  existe  une 
copie  celebre,  gravee  a  I'entree  du  temple 
d'Ancyre  (en  Galatie),  qui  avait  ete  eleve  en- 
I'honneur  d'Auguste  :  il  y  est  expressement 
question  de  trois  recensements  dont  I'un  eut 
lieu  I'an  de  Rome  746,  c'est-a-dire  peu  de 
temps  avant  la  naissance  de  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ  (Voyez  Wallon,  I,  c.  p.  300  el  s. ; 
Bougaud,  Jesus-Chrisl,  20  edit.  p.  158  et  ss.). 
Le  '(  Breviaiium  imperii  »  a  disparu.  Nous 
Savons  iH'aninoins  par  les  resumes  qu'en 
donnent  Tacite  el  Suetone  (1.  c.)  de  quelles 
matieres  il  trailait  :  «  Opes  publicse  conti- 
nebantur ;  quantum  civium  sociorumque  in 
artnis,  quot  rhisses,  regna  ,  provincIjE, 
tributa  aul  vectigalia  et  necessitates  et  lar- 
gitinncs.  »  Tacit.  Annal.  i,  11.  N'est-il  pas 
evident  que,  pour  reunir  toules  ces  notions, 
il  avail  fallu  laire  des  denombrements  dans 
loule  releiidue.de  I'empire  et  m6me  chez  les 
peuples  allies?  Ajoulons  enfin  que  les  histo- 
riens poslerieurs  confirment  de  la  faQon  l;t 
plus  positive  les  donnees  de  S.  Luc,  et  cer- 
tainement  d'apres  des  sources  independantes- 
de  I'Evangile,  puisqu'ils  ajoutent  les  plus 
minutieux  details.  «  Cesar  Augusle,  ecril 
Suidas  (ap.  Wieseler,  Beitraege,  p.  53),  ayaiil 
cheisi  vingt  hommes  d'entre  les  plus  excel- 
lents,  les  envoya  dans  toules  les  contrees 
des  peuples  soumis,  el  leur  fit  faire  i'enn'- 
gislrement  des  hommes  et  des  biens.  »  De 
m6me  S.  Isidore  de  Seville,  Cassiodore,  etc. 
Voyez  Wallon,  L  c,  p.  305  et  ss.  —  2o  Au 
moment  de  la  naissance  de  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ,  la  Judee,  il  est  vrai,  n'etait  pas 
encore  province  romaine,  et  Herode-le-Grand, 
qui  !a  gouvernait,  avail  le  litre  de  «  Rex 
socius  »;  mais  ceile  apparence  de  liberie 
n'empechail  pas  le  pays  et  son  chef  d'dtre 
d'humbles  vassaux  de  I'empire,  comme  le 
prouve  Thistoire  juive  de  ces  temps.  L'inde- 


64 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


2.  Ce  premier  denombrement  fut 
fait  par  Gyrinus  gouverneur  de 
Syrie. 


2.  Hsec  descriptio  prima  facta  est 
a  praeside  Syriee  Cyrino  : 


ppndance  de  la  nation  iheocralique  etail 
alors  [jiirpmeiil  numinale,  el  I'on  n?  voii  pas 
ce  qui  eul  einjieihe  AugusLe  do  denombier 
le  peupie  d'l.-<iael  j^i  cela  enlraii  dans  ses 
vucs.  Qui  ne  ^aIl  qn'on  pratique  HerodK  ne 
ce?sa  d'agir  coinme  un  ser%'ili'iir  lies  obeis- 
sanl  d'Augusie?  Un  jour  qii'ii  avail  monlre 
qu'lqiies  velieiles  de  s'afTranchir  de  celle 
sujeLion  absoluo,  i'einpereur  ne  craigml  pas 
di?  lui  ecnrc  que  ?i  «ju-qiie-la  il  I'avail  tiaile 
en  ami,  desonnais  il  le  tiaileriiil  en  sujd.  » 
Jos.  Ant.  XVI  9.  3  (ua).at  xpwjievo;  auTw  9i).w, 
vuv  unr.xow  xpr,(JcTai).  D'aiileurs  un  ex  inple 
po?iiir,  celui  des  «  Cliiae  »,  petit  peiqiji'  de 
Cilicie  (Tacit.  Ann.  vi,  41).  nnus  apprend 
que  les  Ronains  forQaienl  paifL'is  les  nations 
alliees  de  siibir  lo  reci'nsement. 

2.  —  Hwc  descriptio  prima  facta  est  est 
iini'  traduction  lilierale  dii « tixUi>  receptus  »: 
ouTT)  :^  d-0Ypa9/;  TTpcb-ri  iyi^t-o-  «  Prima  »  doit 
etie  cunsulere  coinme  un  atiribul  Ce  recen- 
semenl  lut  le  preini<'r  de  ci'ux  qu'opera  Gyri- 
nus;. et  non  cumine  un  qtialificalif  direct  de 
«  d>'Scri()lio  »  ( Ci'  premier  reCi  n-ement  fut 
execute  par  Cyrinu-).  Conip.  Marc,  xii,  30  : 
«urri  itpwTYj  £VTo>.:o.  L'ecrivain  sacre  distingue 
done  plusieurs  denombreinenls  operes  par 
Cyrinus  (Gfr.  Act.  v,  37),  et  il  affiim^  que 
celui  donl  il  paile  presenlenn  nt  ful  !(>  pre- 
mier. —  A  prcesidf  Syrice  Cyrino.  Dan-;  le 
texie  grec  (e$  s.  ent.) -/lYeixovE-jovTo;  Tfj;  i;ypta!; 
Kwprjviou.  L"  verb.^  tjYciaoveuo)  ^ig!!lfn'  d'une 
maniere  generale  «  elre  chef.  izouvcrniM-  «  ; 
mai-;  >on  sens  particulier  est  ici  detennine  par 
les  mots  Tr,;  lupia?.  La  Syrie  etail  alors  un  ^ 
province  roinaine  (burnee  au  N.  par  le  Tau- 
rus, a  I'E.  par  lEuphrate,  au  S.  par  la  Pa- 
lesiine,  a  TO.  par  la  Me>literrane'",  avcc  An- 
tioche  pour  cafiilale);  or,  elre  chef  dune 
province,  c'etaii  etre  a  procon>iil  ».  Tel  eiail 
done  le  litre  officiel  du  per.<onnage  que  la 
Vulgate  numme  Cyiinus  d'apre-  le  grec 
Kwpr,vto;,  el  qu'il  serait  phis  <  xact  d'appi'ler 
«  Quirinus  »,  car  lei  eiait  son  vrai  nom  hilin. 
Cfi.  Su'lon.  Tib.  49;  Tac.  Ann.  iii,  48.  Pu- 
blius  Sulpicius  Quiiinu-^,  ne  a  Lanuvium  de 
parents  ob-curs.  sul  s'elever  par  son  ai<leur 
ij;uerriere  el  son  liabilele  dans  ].■>  affaires 
(«  impiger  inililiae  et  acnbus  miiii<i(-riis,  » 
Tac,  I.  c.)  jiistpi'aiix  premier  s  functions 
de  I'Eiat.  II  ful  consul  en  742  (U.  C),  ob- 
linl  qui  Iqiie  t-mps  a|)res  les  lionneurs  flu 
Irinmjilie  pour  avoir  souinis  les  farouches 
moniagniiids  d'Uniuona  en  Pi-idie,  aeeoin- 
pagna  en  755  le  jeune  Gains  Cesar  en  Ariiie- 
oie  coinme  conseiller,  et  gouverna  la   Syrie 


de  759  a  764.  Mais  c'esl  precispment  celie 
dermeie  dale  qui  cree  a  Texegele  la  plus 
gran  ie  des  difiiculles  contenues  dans  ci'  pas- 
sage, puisque,  d'apres  S.  Luc,  Quirinus  au- 
raii  e  e  proconsul  de  Syrie  I'annee  mem-  de 
la  nai<sance  du  Sauveur,  tandis  que.  d'aftres 
les  hi^toriens  romains,  il  ne  le  serait  devenu 
qu'enviion  dix  an>  plus  tard.  Les  raliuna- 
listes  les  plus  moderes  conrluent  de  la  que 
le  recit  de  S.  Luc  e-t  «  evideramenl  errone  » 
(offenbar  irrig,  M  yei).  Les  aulies  crieni  au 
mytlie.  a  la  legende,  a  la  duperie  meme. 
Comm'^nl  resoudre  ce  probleme?  Parmi  les 
iioinbn  ux  sysieni!  s  proposes  succ<  ssivemenl 
dans  ia  louable  intention  de  iiistifier  S.  Luc, 
il  en  est  d'une  grande  faiblesse,  par  exem- 
ple  celui  de  Venema,  Valckenaer.  Kuinoel , 
Olshausen.  etc.,  qui  voudraient  suppriuier  le 
t.  2  comme  uiie  interpolation,  et  en  general 
tons  ceux  qui  consistent  a  introdnire  quelque 
inodification  dans  le  lexle  (Koivu/iou,  ou 
Kpovio'j,  traduction  grecque  de  «  SaUirninus  », 
ou  SaTO'jpv{-/oy,  a  la  place  de  Kuprjvioy;  tipmth 
eye'veto  ^rpoTrj?  fjYepiovEuovTo?,  etc.  :  Ce  denom- 
brement luL  le  pri'inier  avant  celui  du  pro- 
consul Qiirinus;.  L'auih  nticile  parfaite  du 
t-  2  est  Irop  bien  demontree  pour  que  Ton 
piiisse  recourir  a  des  conjectures  aussi  ar- 
bitraires.  Mais  les  hypotheses  serieuses  ne 
manquenl  pas.  1o  Heiwarl.  Bynaeus.  Perizo- 
nius,  le  P.  Petau ,  D.  Calfn-t.  Husclike, 
Wieseler,  Ernesii ,  Ewald ,  Haneberg  el 
d'aulr>'S  critiques  donn;Mit  a  Ttpw-rri  le  sens 
de  TtpoTe'pa  et  traduisent  :  Ce  denombrement 
eut  lieu  avant  que  Quirinus  fut  gouvimeur 
de  la  Syrie.  lis  croient  pouvoir  jtistifier  leur 
opinion  a  I'aide  d'exemples  assez  nombreux, 
pris  dans  les  auteurs  soil  sacres  soit  clas- 
siques.  20  Dapres  Lardner  el  Miiuter,  le 
litre  de  «  praeses  »  serail  donne  a  Quirinus 
par  anticipation  (Ce  premier  rlenombiement 
eut  li  u  sous  la  direction  de  Quirinus  qui  fut 
plus  taid  proconsul  de  Syrie).  ou  bien  3<*  il 
ne  (le-ignerait  pas  le  proeonsulat  pnipreinent 
dit,  mais  des  pouvoirs  extraordmaires  en 
vertu  (iesquelles  Quirinus  aurait  pre-ide  au 
recensemenl  de  750  ( Casaubon ,  Grotius. 
Deyling,  Sanclemente,  Neand  r,  Hng.  Sepp, 
Seln'gg.  etc.)  On  explique  ainsi  comment 
T  rtullien,  Adv.  Marcion.  iv,  19,  atlnbue  a 
Senlius  Saiuminus,  gouverneur  de  Syrie 
quelque  temps  avant  la  naissance  de  Jesus, 
le  recensemenl  signale  en  eel  endroit  par 
S.  Luc,  tandis  que  S.  Jusiin  dit  a  plusi-'urs 
reprises  qu"il  ful  diriue  par  Quirinus  (ApoL 
I,  34,  46;  Dial.  c.  Tryph.  78,.  Nosdoux  ecpi- 


CHAPITRE    IF 


65 


3.  Et  ibant  omnes  ut  profiteren- 
tur  singuli  in  suam  civitatem. 

4.  Ascendit  autem   et  Joseph  a 
Galilaea    de   civitate    Nazareth    in 


3.  Et  tons  allaient  se  faire  ins- 
crire.  chacun  dans  sa  ville. 

4.  Joseph  aussi  monta  de  Galilee, 
de  la  ville  de  Nazareth,  en  Judee, 


vains  ecclesiasliques  auraient  raison.  puis- 
qiie,  dans  ce  sysleme,  Salurniniis  et  Quit  inus 
avaient  preside  de  concert  au  denombre- 
menl.  4"  Le  recensement  aurail  ele  com- 
mence en  realite  vers  750  sous  les  ordres  du 
proconsul  d'alors;  mais,  inlenompu  bienlot 
apres  par  la  morl  d'Herode,  il  n'aurait  ele 
repris  el  acheve  que  sous  le  gouvemement 
de  Quirinus,  quand  la  Judee  pordit  entiere- 
menl  le  pen  d'independance  qui  lui  reslait 
(Paulus,  J.  P.  Lange,  van  Ooslerzee,  Hales, 
Wallon.  etc.).  Pour  donner  plus  de  force  a 
cette  opinion,  plusieurs  de  ses  defenseurs 
changent  rautrj  du  «  texlus  receptus  »  en 
a-jTri,  «  ipsa  »,  ce  qui  reviendrait  a  dire,  en 
reuiiissaiit  les  tt.  \  et  2  :  En  ce  tempsla 
Cesar  Augusle  porta  un  edit  pour  que  lout 
I'empire  lui  denombre ;  mais  I'entiere  execu- 
tion de  ce  decrel  n'eutiieu  en  Judee  que  sous 
le  ptoconsulat  de  Quirinus.  5o  Des  calculs 
aussi  savants  qu'ingenieux  de  M.  Zumpt  (I.e.) 
ont  rendu  entierement  vraisemblable  I'hypo- 
these  d'apres  laquelle  Quirinus  aurait  e[6 
proconsul  de  Syrie  a  deux  reprises,  une  pre- 
miere fois  enlre  P.  Quinctilius  Varus  el 
M.  Lollius,  precisemeni  vers  I'epoque  de  !a 
Nalivile  du  Sanveur,  et  une  seconde  fois 
de  759-764.  Le  rationalisle  E.  de  Bunsen 
admel  lui-meme  la  possibilite  de  ce  fait 
(Chronology  of  the  Bible,  1874,  p.  70). 
S.  Justin  affirme  d'ailleurs  tres  formellemenl 
dans  un  des  passages  cites  plus  haul  (Apol. 
I,  46)  que  Jesus  est  ne  «  sous  Quirinus  », 
c*est-a-dire  sous  le  gouvernement  de  Quiri- 
nus. —  Assurement,  aucun  des  systemes  qui 
precedent  ne  fait  disparailre  d'une  maniere 
absolue  la  difficulte  que  nous  avons  signalee, 
attendu  qu'aucun  d'eux  n'est  completement 
certain  ;  du  moins  lis  en  fournissent  lous  une 
solution  tres  raisonnable,  specialement  les 
trois  derniers.  lis  suffisenl  dans  tous  les  cas, 
pour  d^montrer  que  S.  Luc  ne  s'est  pas 
trompe  el  qu'il  a'a  pas  fausse  I'hisloire.  Mais 
admirons  les  exigences  inouies,  nous  ne  vou- 
Ions  pas  dire  la  mauvaise  foi,  de  MM.  les  ra- 
tionalistes  a  I'egard  des  ecrivains  sacres.  «  Si 
nous  trouvions  dans  Zonaras,  ou  dans  Ma- 
lalas,  ou  dans  quelque  autre  compilateur 
byzantin,  nn  nnseignemenl  analogue  a  celui 
que  nous  fournil  ici  le  troisieme  Evangile, 
nous  le  regarderions  simplemenl  comme  une 
precieuse  nchesse  pour  la  science  hislorique, 
comme  un  complement  des  sources  ancieimes 
si  souvent  incompletes.  Pourquoi  done  S.  Luc 
serait-il  moins  bien  traite?  »  Aberle,  1.  c, 

9.  Bible.  S. 


p.  102.  Comp.  Wallon,  I.  c,  p.  298,  et 
I'Evang.  selon  S.  Matih.  p.  60.  Nous  en 
avons  dit  asscz  pour  monlrer  qu'cntre  S.  Luc, 
contemporain  des  evdnements  qu'il  raconte, 
el  les  critiques  qui  jiigent  ces  memes  fails  a 
1900  aus  de  distance,  un  homme  raisonnable 
n'a  pas  de  peine  a  faire  son  choix. 

3.  —  Apres  avoir  mentionne  I'edit  de 
Cesar  Augusle,  t.  1,  el  noinme  le  commis- 
saire  imperial  qui  fut  charge  de  Tcxecuter, 
t.  2,  S.  Luc  e.xpose  rapidement  la  maniere 
dont  le  recensement  eut  lieu  dans  les  pays 
juifs.  En  effet  c'esl  a  la  Palestine  que  nous 
devons  reslreindre,  d'apres  le  contexte,  I'ap- 
plicalion  du  t.  3.  —  Ibant  omnes  ut  profite- 
re/ifur  (scil.  «  nomen  suum  »).  Dans  le  grec, 
aitoYpaqjeoSai,  coinm.e  au  t  1,  «  ut  descnbe- 
rentur.  »  —  In  suam  civitatem,  Et;  ^riv  lotav 
7to),iv,  ou  bien  el;  Triv  iauxoO  7r6),iv  d'apres 
B,  D,  L,  Eiiseb.,  etc.  Chez  les  Juifs,  la  cite 
propre  d'un  chacun  n'eiait  ni  cell'  de  sa 
naissance,  ni  celle  de  son  domicile  ;  c'elai* 
celle  ou  avail  ete  fondee  la  I'amille  a  laquelle 
il  apparienait  (voyez  le  ■*■.  4).  Tout  Israelite 
etail  done  cense  faire  partie  de  la  vilie  ou  de 
la  bourgade  habilee  primitivemenl  par  ses 
ancetres.  La  du  reste  se  conservaient  les 
registres  (Je  la  famille,  it  la  aussi,  pour  ce 
motif,  cheque  citoyen  venail  faire  controler 
son  identite  lorsqu'il  y  avail  un  denombre- 
ment.  II  est  vrai  que,  suivani  le  droit  remain, 
les  inscriptions  otficielles  de  ce  genre  avaient 
lieu  soil  au  «  forum  origmis,  »  soil  a  la  resi- 
dence actuelle,  el  les  ralionalistes  n'ont  pas 
manque  d'accuser  ici  encore  noire  evange- 
liste  d'incoherence  et  d'inexaclitude ;  mais. 
pour  renverser  cette  nouvelle  objection,  il 
suEBt  de  rappeler  que  les  Remains,  par  poli- 
tique, se  pliaient  souvent  pour  les  details 
non  essentiels  aux  u-ages  particuliers  des 
peuples  qu'ils  avaient  soumis.  C'esl  done 
conl'ormeraent  aux  anciennes  coutumes  d'ls- 
raei  que  fut  execute  le  present  edild'Auguste. 
Voyez  Wallon,  1.  c.,  pp.  33i  et  ss. 

4.  —  Ascendit  autem  et  Joseph.  De  I'em- 
pereur  remain,  du  proconsul  de  Syrie,  du 
recensement  des  Juifs,  nous  arrivor.s,  par 
des  eercles  de  plus  en  plus  reslreinls,  a 
S.  Joseph  el  a  Marie.  'A-iiSri,  «  ascendit  », 
etait,  dans  la  litlerature  juive,  Texpres-ion 
consacree  pour  designer  un  voyage  a  Jeru- 
salem et  auxalenlouis,  parce  que,de  quelque 
cote  que  Ton  virit,  il  fallait  monti  r  avanl  d'y 
arriver.  Voyez  ,Matth.  xx,  17,  Gesenius, 
Thesaur.,  s.  v.  nSy,  et  dans  Riess,  Atlas  de 
Luc.  —  5 


66 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


dans  laville  de  David,  qui  est  appe- 
lee  Bethleem,  parce  qu'il  etait  de 
la  maison  et  de  la  faraille  de  David, 

5.  Pour  se  faire  inscrire  avec 
Marie,  son  epouse,  qui  etaitenceinte. 

6.  Or  il  arriva  que,  lorsqu'ils 
etaient  la,  les  jours  oii  elle  devait 
enfanter  furent  accomplis. 

7.  Et  elle  enfanta  son  fils  premier- 


Judseam.  'n  civitatem  David,  quaa 
vocatur  Bethlehem  :  eo  quod  esset 
de  domo  et  familia  David, 

/  Reg.  20,  6;  Mich.  5,  2;  Matth.  2,  6. 

0.  Ut  profiteretur  cum  Maria  des- 
ponsata  sibi  uxore  prsegnante. 

6.  Factum  est  autem,  cum  essent 
ibi,  impleti  sunt  dies  ut  pareret. 

7.  Et  peperit  filium  suum  primo- 


la  Bible,  le  profil  (ie  la  planche  VII.  —  Les 
mots  suivants,  a  Gnlilcea...  Bethlehem,  indi- 
quenl  le  poinl  de  depart  i-i  le  lerme  du 
vovage  des  saints  ppoux.  De  la  Galilee  Joseph 
el  iMarie  se  rendircnl  en  Judee ;  de  !a  cite  de 
Nazareth  iis  vinrcnt  in  civitatem  David,  quce 
vocatur  Bethlehem.  Le  irajet  etaii  long  et  pe- 
nibie  :  du  resle  il  differe  a  peine  de  celui 
que  la  Mere  de  Dieu  avail  accompli  qnelques 
mois  aiipdravanl  (voir  la  note  de  i.  39-  pour 
alien  visiter  sa  cousine  Elisabeth.  Comp. 
R.  Rioss,  Atlas  de  la  Bible,  pi.  IV;  Yict. 
Ancessi.  Atlas  bibliq.  pi.  XV.  Sur  Bethleem, 
voyez  I'Evangile  selonS.  Maltli.  p.  49;  Tobler, 
Belhlehi  m  in  Palap-tina  topog.  nnd.  histor. 
geschildi  rt.  !849  ;  Robinson,  Palae?tina,  t.  II, 
pp.  379-3S6;  BaedektTS  Palae-iina  u.  Syrian, 
pp.  2o3  tt  ss.  On  appelait  Bethleem  la  «  cite 
de  David  »  parce  t|Ui'  h;  fondatcur  de  la  plus 
celebre  des  dyna>iies  juives  y  etaii  ne  el  y 
avail  passe  les  atmees  de  sa  jennesse.  Comp. 
I  Reg.  XVI.  I  ;  xvii,  12.  —  Eo  quod  ipse... 
Motit'  pour  lequel  S.  Joseph  vint  se  laire  en- 
registrcr  a  B(4hieem  :  il  elait  de  domo  el  fa- 
milia David.  Comp.  i,  27.  Les  mots  «  doiuus  » 
el  «  familir.  »  sonl  a  peu  pies  synonymcs 
dans  ce  passage  :  neanmnins  il  est  possible 
d'etablir  enlre  eux  une  legere  dilTenMice.  si 
Ton  se  reporte  cl  I'anlique  oiganiScUion  du 
peuple  juif.  «  Familia  »  parnil  corrcspondre, 
de  meiue  que  son  equivalent  grec  ■natpCa, 
au  subslantif  hebreu  mnSUTD,  qui  designail 
les  grandes  branches  entre  lesquelles  se 
partageaienl  les  tribus  ou),ai,  nVi2?3i  ;  «  do- 
mus  ».  oTxo;,  designerait  par  melonymie  les 
subdivisions  de  ces  branches,  c'l  si-a-dire  les 
families  (mZN  T\i2)-  La  signification  du  pre- 
mier de  ces  noms  («  familia  »)  serai:  iun-i  plus 
elendue  que  celle  du  second  («  domus  »). 
Voyez  Brelschneider,  Lex.  man.  s.  v.  Tra-rpta 
el  oTy.o;.  S.  Luc  les  associe  evideinmt^nl  pour 
montrer  que  S.  Joseph  se  rattachail  de  la 
fagon  la  plus  stride  a  la  race  de  David. 

o.  —  Ut  profiteretur  {sc\\.  a  nomen  suum,  » 
comme  au  t.  3;  d'apres  le  grec.  «  ut  descri- 
berelur  »)  cum  Maria.  Ces  derniers  mots 
relomb-^nt  sur  «  profiteretur  »,  el  non  sur 
«  ascendil  »  du  verset  precedent.  Mais  Marie 


etait-elle  done  tenue  de  comparaitre  person- 
neilemenl  a  Bethleem?  Beaucoup  d'inter- 
preies  Tonl  pense  a  la  suite  de  plusieurs 
Peres.  Elle  etail,  disenl-ils.  Iillf  unique  et 
heriliere,  el  en  celle  qualile.  il  fallait  qu'elle 
vinl  elle-meme  se  faire  enregistrer.  Selon 
d'autres,  elle  avait  accompagne  libreraent 
S.  Joseph  a  Bethleem.  Comprenanl  que  «  la 
Providence  disposail  ainsi  des  evenements  et 
qu'elle  voulail  que  Jesus-Chrisl  naquit  a 
Bethleem  pour  accomplir  les  propheties  qui 
I'avaient  ainsi  marque  »  (Calmel.  h.  I.),  elle 
s'etait  mise  genereusemeal  en  route,  s'aban- 
donnanl  sans  reserve  a  la  conduite  de  Dieu. 
—  Les  mots  desponsata  sibi  uxore  decrivent 
avec  une  exquise  delicatesse  la  condition 
actuelle  de  Marie.  Elle  etail  maintenanl  I'e- 
pouse  de  Joseph,  leur  mariage  ayantete  ce- 
lebre quelque  temps  apres  qu'elle  ful  revenue 
d'Hebron  (comp.  I'Evang.  selon  S.  Mallh. 
pp.  41  el  ss.] ;  mais  elle  etait  demeuree  vierge 
comme  une  fiancee  :  de  la  celte  surprenante 
association  d'idees. 

6.  —  Cum  essent  ibi.  En  apparence,  les 
sainis  epoux  elaienl  venus  a  Bethleem  pour 
on  motif  vulgaire,  comme  d'humbles  ci- 
loyens  qui  obeissaient  a  un  decret  de  I'em- 
pereur  ;  mais  Dieu  se  sert  des  actions  libres 
des  hommes  pour  accomplir  ses  grands  des- 
seins.  Sans  qu'il  s'en  cloulat,  Augusle  ser- 
vait  les  interels  du  Royaume  des  cieux.  Sa 
signature  au  bas  ri'un  edit  avail  contribue 
a  la  realisation  d'un  ancien  oracle.  Comp. 
Bossuel,  Elevations  sur  les  Myster.,  xvie  se- 
maine,  5e  Elev.  —  Impleti  sunt  dies  ut  pare- 
ret. Voyez  I,  57  el  le  commentaire.  Tout 
porie  a  croire,  d'apres  I'ensemble  du  recit, 
que  I'enlantemenl  de  Marie  eul  lieu  durant 
la  premiere  null  qui  suivii  son  arrivee  k 
Bethleem.  Alors,  selon  la  magnifique  expres- 
sion de  S.  Paul,  Gal.  iv,  4,  sonna  la  pleni- 
tude des  temps.  «  Ubi  venil  plenitudo  tem- 
poris.  misit  Deus  Filium  suum,  factum  ex 
muliere.  facium  sub  lege.  » 

7.  —  Et  peperit  filium  suum primogenitum. 
L'anliquite  est  unamme  a  le  dire,  la  nais- 
saiice  de  Jesus  fut  prodigieuse  el  surnatu- 
lurelle  comme  sa  conception.  Marie  ie  roit 


CHAPITRE    II 


67 


-'genitiim,  et  pannis  enm  involvit : 
et  reclinavit  eum  in  prsesepio,  quia 


ne  et  I'enveloppa  de  langes  et  le 
deposa  dans  une  creche,  et  il  n'y 


au  monde  sans  douleur  el  sans  cesser  d'etre 
vier^e.  «  Virgo  ante  parlum,  in  parlu,  post 
parlum.  »  S.  August.  Serm.  cxxni. 

Fit  porta  Chrisli  pervia, 

Referla  plena  gratia, 

Transitque  rex  et  permanet 

Clausa,  ut  fuit,  per  saecula.        S.  Ambroise. 

Sur  le  mot  «  primogenilum  »  voyez  I'Evan- 
gile  selon  S.  Malthieu,  p.  47.  Ainsi  que  I'a 
remarque  S.  Cyiille,  edit.  Mai,  p.  123,  Jesus 
est  nomme  TiptoToxoxo;  a  deux  points  de  vue, 
corame  fils  de  Dieu  et  comme  fils  de  Marie; 
il  est  done  tils  unique  dans  le  second  cas 
lout  aussi  biiMi  que  dans  ie  premier.  Nous 
lisons  dans  Theopliylacte,  Comment,  in  h.  1.: 
upwTOTO/.o;  /iyeTai  d  irpoiTo;  xexOsi?,  xav  p,ii 
SjuTepo?  ETteTJxOr,.  Comp.  Suiccr,  Thesaur. 
eccl.  s.  V.  TtpooTOToxGi;.  —  El  pannis  eum  in- 
volvit. Dans  ie  i'rec,  ednapyavtociv  autov.  Sndp- 
yavov  est  en  effel  ['expression  usuf'le  pour 
denoter  les  langes  dans  lesquels  ou  jnve- 
loppe  les  nouveaux-nes.  Avant  de  quitter 
Nazarelli,  Marie  s'etail  inunie  de  tout  ce  qui 
devait  lui  etre  necessaire  pour  le  divin  Enfant 
qu'elle  atlendait.  —  Et  reclinavit  eum  in 
prwsepio.  Dans  les  soins  que  la  Vierge-Mere 
rendit  elle-meme  a  son  fils,  avuc  un  melange 
inenarrabie  dc  respect  et  de  tendresse.  nous 
aimon>  a  voir,  a  la  suite  des  anciens  exegetes 
catholiques,  une  prcuve  de  son  eiitanleinenl 
mirnciilcux.  «  Sumitur  (X  hoc  loconon  mini- 
miiin  argumcnlum  ad  conlirinamhim  Ecclesiae 
catlioiicse  sententiam,  Mariam  sine  ruptura 
ulla  corporis,  sine  ullo  dolore  prperisse.  » 
MaUonat.  h.  I.  [voycz  la  suite  dn  son  rai- 
soiinement!.  L'J  mot  grcc  (paTvvi,  de  mera'^  que 
le  latin  «  prses'piuni  >\  [)eut  desgiier  indilfe- 
roinment  une  etable  ou  une  cieitie,  une  man- 
geoire  (voyez  les  diclionnaires) ;  raais  le 
second  sens  parait  convtmir  ici  davaiilage, 
puisqu'il  s'agit  du  bercpau  d"un  nouveau-ne. 
Du  reste,  il  resulte  en  toule  hypoihese  de  ce 
passage  que  le  Clirist  est  nti  dans  une  etable. 
Quel  lieu  d'orijzine  et  quel  berceau!  Mais,  re- 
marque Bossuet,6e  Elevat.de  la  'I6e  semaine, 
«  digne  retraite  pour  celui  qui  dans  le  pro- 
gres  de  son  age  devait  dire  :  Les  renards  ont 
leurs  trous,  et  les  oiseaux  du  ciel,  qui  sont 
les  families  les  plus  vagabondes  du  monde, 
ont  leurs  nids,  landis  que  le  Fils  de  rtiomme 
n'a  pas  ou  reposer  sa  tete...  El  a  la  leltre, 
des  sa  naissance,  il  n'eul  pas  ou  reposer  sa 
tele.  »  Digne  berceau,  ajouterons-nous,  pour 
Celui  qui  devait  mourir  sur  une  croix!  Jesus 
entre  au  monde  comme  il  en  sortira,  dans  la 
paiivrete  et  dans  I'humilialion.  De  ce  que  le 
«  lextus  receptus  »  emploie  i'article,  ev  t^ 
•.^(XTvg,  dans  LA  creche,  on  a  souvenl  conclu 


que  J^sus  dtait  ne  dans  une  etable  deter- 
minee  par  le  contexte,  c'est-a-dire  dans  celle 
qui  appartenait  a  I'hotellerie  mentionnee  plus 
bas,  conjecture  en  effel  tres  plausible.  Nous 
devons  toutefois  observer  que  I'article  est 
omis  par  des  manuscrils  importants,  tels 
que  A,  B,  D,  L,  Z,  Sinait.,  etc.  Aujourd'hui, 
c'est  dans  une  grotle  ( surmoniee  d'une 
riche  basilique  que  sainte  Helena  construisit 
en  327)  qu'on  montre  au  pelerin  emu  le  lieu 
consacre  par  la  naissance  de  I'Homme-Dieu; 
et  les  ecrivains  proteslants,  d'ordinaire  si 
pen  respectueux  pour  ce  qu'ils  appellenl  des 
«  traditions  raonacales  »,  sonl  obliges  de 
reconnaitre  que  la  crypte  dite  de  la  Nativile 
a  des  litres  reels  a  noire  veneration.  Voyez 
Thomson,  the  Land  and  the  Book,  p.  645  ; 
Geikie,  Life  and  Words  of  Christ,  9e  ed., 
t.  I,  p.  o58 ;  Farrar,  Life  of  Christ,  23e  ed. 
t.  I,  p.  5;  etc.  Cette  grotle  est  mentionnee 
des  le  second  siecle  par  S.  Justin  Marl.,  adv. 
Tryph.  78.  Origene  la  signale  egalemenl, 
contr.  Cels.  i.  51 ;  de  meme  Eusebe,  Demonslr. 
Evang.  VII,  2,  Vita  Const,  iii,  43;  de  meme 
S.  Jerome,  Epist.  XLix  ad  Paul.,  qui  passa 
dans  une  grolte  voisine  les  dernieres  annees 
de  sa  vie;  de  meme  le  Protevangile  de 
S.  Jacques,  ch.  xviii.  «  Similia  habent,  ecrit 
Wetstein,  Alhanasius,  Gregorius  Nyssen., 
Theodoretus,  Beda,  Socrates...  Quod  testi- 
monium cur  teinert-  ^il  rejiciendum,  causam 
non  video.  »  En  effet,  de  nos  jours  encore 
on  utilise  a  Bethleem  plusieurs  grolles  en 
guise  d'etables.  La  petite  chapelle  de  la  Nati- 
vile a  environ  15  pieds  de  long,  5  de  large  et 
10  de  haul :  elle  va  en  se  retrecissanl  vers 
le  fond.  Elle  est  loule  enliere  revetue  de 
raarbres  precieux.  En  avant  de  I'aulel,  on  lit 
sur  une  dalle  blanche,  ornee  d'une  etoile  d'ar- 
genl  et  surmnntee  de  lampes  nombreuses  qui 
brulenl  constammenl,  ces  paroles  bien  elo- 
quentesdans  leur  simplicile  :  «  Hie  de  virgine 
Maria  Jesus  Chrislus  nalus  est.  »  Heureux 
ceux  qui  se  sonl  agenouilles  en  eel  endroit 
beni!  [Voir  le  plan  et  la  description  des  sanc- 
luairesde  Bethleem  dans  Baedeker,  Palaeslina 
und  Syrien.  pp.  255  el  ss. ;  Sepp.  Jerusalem 
u.  das"h.  Land,  t.  IL  pp.  436  el  ss. ;  Mgr  Mis- 
lin,  les  Saints  Lieux,  2e  edit.  I.  HI,  pp.  313 
et  S3.;  Tobler,  Bethlehem  in  Palaeslina, 
S.  Gall  1849).  —  Quanl  au  boBuf  el  a  I'ane 
si  souvenl  representes  aupres  de  la  creche 
de  Jesus,  il  est  sans  doute  permis  de  ne  voir 
en  eux,  a  la  suite  de  graves  auteurs,  qu'nne 
application  allegonque  de  divers  passages 
d^s  prophetes,  noiamment  d'lsaie,  i.  3,  et 
d'Habacuc,  iii,  2  ;d'apres  les  LXX  et  I'ltala  : 
«  in  medio  duorum  animaliuminnotesceris  »), 


68 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


avait  pas  eu  de  place  pour  eux  dans     non  erat  eis   locus  in  diversorio. 
riiolellerie. 
8.  Et  il  y  avait  au  meme  lieu  des         8.  Et  pastores  erant  in  region© 


par  consequent  qu'une  pieiise  et  naive  le- 
gende.  Neanmoins  il  est  remarquable  4o  que 
plusieuiH  Peres,  et  des  plus  autorises,  affir- 
menl  en  lermes  formels  la  presence  de  ces 
deux  aniinaux.  par  exemple  S.  Pierre  Chry- 
solog.,  Seim.  cLvi,  cLix;  S.  Jerome,  Ep.  ad 
Eustoch.  cviii,  al.  xxvii,  10;  S.  Paulin  de 
Nole,  Ep.  XXXI,  al.  XI,  ad  Sever.,  etc.  (comp. 
I'Evang.  apocr.  de  Nativ.  Mari£B,  c.  xiv); 
2°  que  le  bceuf  et  laoH  apparaissenl  sur  les 
monuments  les  plus  antiques  de  I'art  Chre- 
tien. Comp.  Botiari,  Roma  solterran.,  22,85, 
86,  143.  «  Nullam  harum  effigierum,  ecrit  le 
P.  Paliizi  (De  Evang.  lib.  Ires,  diss,  xxiii), 
priorem  saeculo  xi  tiacleniis  reperire  potui, 
a  qua  liaec  duo  auimalia  abessent.  »  A  coup 
sur  une  tradition  si  ancienne  et  si  conslante 
n'est  pas  sans  valeur.  Voyez  Curci.  Lezioni 
esegeliche  e  morali  sopra  i  qualtro  Evan- 
geli,  1874,  I.  I,  p.  274  et  s. ;  Baronius,  ad 
ann.  Chr.  I,  n.  3  ;  Benedict.  XIV,  de  Fesiis 
J.  Chr.,  lib.  I,  c.  XVII,  nn.  36  et  37.  Rien 
n'etait  plus  naturel  que  la  presence  d'un 
boeufet  d'un  ane  dan>  une  etable.  — Sur  la 
crectie  conservee  a  Rome  dans  I'eglise  de 
sainte  Marie-Majeure,  voyez  Rohault  de 
Fleury,  Memoire  sur  les  Instruments  de  la 
Passion  de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ, 
pp.  278  et  s.  —  Quia  non  erat  eis  locus... 
L'evangeliste  indique  par  celte  reflexion,  a 
la  lois  si  simple  et  si  pathelique,  pourquoi 
Mane  el  Joseph  durcnt  se  lefugier  dans  une 
etable.  On  dirait  qu'il  appuie  sur  le  pronora 
«  eis  »,  aCiToi;.  Pour  des  personnes  de  dis- 
tinction on  se  serait  peut-etre  gene  afin  de 
leur  faire  de  la  place;  mais  aucun  des  pre- 
miers occiipauls  ne  voulut  sacrifier  de  ses 
aises  en  faveur  d'elrangfrs  d'aussi  pauvre 
apparence,  et  c'ost  ain-i  que  Jesus  ne  Irouva 
en  naissant  d'aulre  abri  quune  etable,  meme 
dans  le  pays  de  ses  royaux  ancetres.  Da 
resle.  dans  celte  meuie  contree,  Ruth  et 
David  n'avaient-ils  pas  mene  la  vie  la  plus 
humble,  celh^-la  glanant  son  pain  dans  les 
champs  de  Booz,  Ruth,  ii,  2  et  ss.,  celui-ci 
faisant  pailre  les  troupeaux  de  sa  famille, 
I  Reg.  XVI,  11?  Voyez  March,  Walks  and 
Homts  of  Je^us,  pp.  9  et  ss. —  In  diversorio. 
Souscetle  expression,  une  imagination  d'Oc- 
cidental  voil  une  holellerie  proprement  dite, 
avec  le  confort  plus  ou  moins  grand  qu'on  y 
peut  obienir  pour  son  argent;  mais  nous 
sommes  en  Orient,  et  I'Orient,  surtout  alors, 
ne  connaissait  guere  ce  genre  d'elablissement. 
.11  s'agit  done  ici  du  khan  ou  caravanserail 
(iv  x<p"xaxaXu[xaTi,  dit  le  lexte  grec,  avec  I'ar- 


ticJe  :  I'hoLellerie  unique,  I'hotellerie  par  ex- 
cellence) que  le  voyageur  trouve  presquer 
toujours  dans  les  bourgades  orientales,  et  oil. 
on  Uii  fournit  gratuitement,  non  pas  les  vivres 
dont  il  doit  lui-meme  s'occuper,  mais  le  cou- 
vcrt,  c'est-a-diro  un  simple  abri.  Un  cara- 
vanserail consiste  d'ordinaire  en  un  liatiment 
assez  vasle.  peu  eleve,  sans  etages.  grossie- 
rement  construit,  qui  devienl  bieniot  tres 
malpropre.  V^oyez  une  inleressante  descrip- 
tion de  M.  Dixon,  Holy  Land,  t.  I,  ch.  xiii. 
Chaque  voyageur  s'y  inslalle  a  son  gre ;  en 
cas  de  presse  les  derniers  venus  s'arrangent 
comme  ils  peuvent,  et  Ton  comprend  sans- 
peine  qu'a  la  veille  d'un  recensement  I'ho- 
tellerie  publicjue  de  Belhleem  regorgeat  d'e- 
trangers.  —  Admirons,  avantd'alirr  i)Ius  loin,, 
la  siir.ylicile  du  recit  de  S.  Luc.  O.ielques 
ligiies  sculeinent  pour  raconter  la  iiaissance- 
du  Messie!  Est-ce  ainsi  qu'on  aurait  ecrit  un 
mylhe  ou  une  leg"nde?  Lisez  Ips  Evangiles^ 
apocryphes  et  vous  verrez  la  ditrerence. 
(Voyez  Hoffmann,  Leben  Jesu  nach  den  Apo- 
kryphen).  a  G'est  comme  si  Ton  comparaii  a 
une  belle  nuit  d'ete,  doucement  eclaiiee  par 
la  lune,  un;  decoration  theatiale  illummee  a 
la  chinoise,  »  van  Oosterzee,  h.  I.  Et  pour- 
tant,  malgre  celte  extreme  concision,  quelle 
beaule,  quelle  f'raicheur,  quel  piltoresque, 
quel  charme  vraiment  ilivin  1  II  y  a  la,  on  I'a 
dit  bien  souvent,  une  preuve  evidente  d'au- 
thenlicite  el  de  veracite. 

2«  Les  premiers  adorateurs  de  J6sus.  ff.  8-20. 

Nous  pouvons  partager  cette  scene  deli- 
cieiise  et  vrainienl  idyllique  en  divers  pelits 
tableaux  :  les  bergers,  t.  8,  I'ange  du  Sei- 
gneui',  f.  9,  la  bonne  nouveile,  tt.  10-12,  le 
cantique  celeste,  tt.  13  el  14  la  visile  de& 
pasteurs,  tt.  15-20. 

8.  —  Pastores.  Les  premiers  temoins,  les 
premiers  adorateurs  du  Christ  sont  humbles- 
el  pauvres  comme  sa  mere,  comme  son  pere 
adopiif.  comme  le  triste  reduit  oil  il  est  ne. 
Jesus  n'appelle  pas  a  sa  creche  des  membres 
du  Sanhedrin,  des  pretres.  des  scribes  ou  des 
docieurs,  mais  des  bergers.  «  Quae  slulta 
sunt  mundi  elegit  Deus  ut  conlundal  sapien- 
les,  el  infirma  mundi  elegit  Deus  ut  confun- 
dal    forlia,  et   ignobilia    mundi    et  contem- 

ptibilia  elegit    Deus, ut    non  glorietur 

omnis  caro  conspectu  ejus.  »  I  Cor.  i,  27 
et  ss.  Comp.  Matlh.  xi ,  25 ;  Luc.  x,  21. 
Les  representants  du  paganisme  aupres  du 
berceau  de  I'Enfant-Dieu  seront  neanmoins 
plus  nobles  et  plus  illustres.  Mais  il  y  avait 


CHAPITRE    II 


69 


cadem  vigilantes,  et  custodientes 
Tigilias  noctis  super  gregem  suum. 
9.  Et  ecce  angelus  Domini  stetit 
juxta  illos,  et  claritas  Dei  circum- 
fulsit  iUos,  et  timeruunttimore  ma- 
gno. 


10.  Et  dixit  illis  angelus  :  Nolite 


bergers  qui  gardaient  leurs  trou- 
peaux  pendant  lesveilles  delanuit. 

9.  Et  voila  qu'un  ange  du  Sei- 
gneur apparut  pres  d'eux  et  une 
clarte  divine  brilla  autour  d'eux, 
et  ils  furent  saisis  d'une  grande 
crainte. 

10.  Et  range  leurdit:  Necraignez 


t 

t 


dans  la  nation  juive,  tant  d'orgueilleux  pre- 
juges  relalivemenl  au  Messie ,  et  le  Seigneur 
voulait  luller  conlre  eux  des  I'abord.  —  On 
ne  possede  auciin  detail  certain  touchant  les 
heureiix  pasteups  en  faveur  desquels  eut  lieu 
la  premiere  manifestation  du  Christ.  Nul  do«t« 
cependant  qu'ils  n'aient  compte  parmi  ces 
Ames  fifJeles  qui  allendaient  alors  avec  une 
saint^  impatience  «  la  consolation  d'lsrael.  » 
Voyez  le  t.  38.  La  legende  suppose  qu'ils 
etaienl  au  nombre  de  quatre  el  qu'ils  s'appe- 
laient  Misael,  Acheel,  Cyriacus  el  Stephanus. 
Comp.  Hofmann,  1.  c,  p.  117.  —  In  regione 
eadem,  c'est-a-dire  dans  la  conlree  oil  elait  ne 
Jesus,  par  consequent  aux  alenlours  de  Beth- 
leera.  D'apres  une  tradition  tout-a-fait  ve- 
nerable (voir  Sepp,  Jerusalem  u.  das  heil. 
Land,  t.  I,  pp.  469  et  ss.),  c'esl  sur  le  terri- 
toire  du  village  actuel  de  BSt-Sahour,  dans 
une  petite  plaine  rianle,  chauie  el  fertile, 
remplie  d'excellenls  pSlurages  ou  Ton  en- 
graissail  autrefois  les  troupeaux  destines  aux 
sacrifices  du  temple,  el  situee  au  pied  et  a 
Test  de  la  colline  sur  laquelle  s'eleve  Belh- 
leem,  que  se  tenaientles  pasteurs  quand  I'ange 
leur  apparut.  On  voit  encore  pres  du  village 
les  ruines  d'une  antique  eglise,  erigee  des  les 
piemiers  siecles  en  souvenir  de  ce  mystere, 
et  nommee  par  les  croises  <■  Gloria  in  excel- 
sis.  »  Chaque  annee,  le  jour  de  Noel,  les 
Chretiens  de  Bethleem  vonl  en  procession  sur 
ce  site  beni.  —  Vigilantes.  Le  verbe  grec 
dYpa^^oy^te?  (de  aypoi;  et  axMi)  signifle  littera- 
lemenl :  avoir  son  habitation  dans  un  champ, 
camper  en  plein  air,  comme  I'ont  fait  les  ber- 
gers de  lous  les  temps  et  de  lous  les  pays. 
D'aiileurs,  il  n'exclul  nullemeni  I'usage  de 
tentes  ou  de  cabanes. —  Custodientes  vigilias, 
^u^iffffOVTe?  9u),ay.a?,  le  miQiyD  1DU?  des  He- 
breux.  Num.  i,  53,  etc.;  du  reste  Platon,  Xe- 
nophon  el  d'autres  classiques  emploienl  des 
repetitions  analogues.  —  Noctis  super  gregem 
suum.  Dans  le  grec,  ttj;  vuxtoi;  ne  depend  pas 
de  ipuXay.di;,  c'esl  un  «  genilivus  temporis  u 
qui  doit  se  traduire  par  :  pendant  la  nuit.  Le 
pluriel  «  vigilias  »  designe  les  quatre  divi- 
sions de  la  nuit  chez  I'S  anciens  (de  6  h.  du 
soir  k  9  h.,  de  9a12,de  12  a  3,  de  3  a  6h.du 
matin)  :  les  pasteurs  veillaient  done  a  tour  de 
role  et  se  remplagaient  probablement  loutes 


les  trois  heures.  Ce  detail  piltoresque  de  I'e- 
vangelislp,  qui  nous  montre  bergers  et  trou- 
peaux dans  les  champs  au  coeur  de  la  nuit  de 
Noel,  a  souvenl  servi  de  point  de  depart  a 
des  attaques  parfois  assez  violentes  conlre 
la  date  traditionn'^lle  du  25  decembre.  Nous 
avons  dit  ailleurs  (Introduclion  generale.  chro- 
nologie  d:  s  Evangiles)  ce  qu'il  faul  penser  de 
ceUe  date  :  mais  I'objection  presenle  est  sans 
aucune  porlee,  car  il  resulte  d'observations 
failes  par  de  nombreux  voyageurs  (voir  en 
particulier  Schubert  Reise  in  das  Morgenland, 
I.  Ill,  p.  107;  Tobler,  ap.  Schegg,  Evangel. 
nach  Lukas.  h.  I.;  Barlh,  ap.  liiUer.  Eid- 
kunde,  I.  XVI,  p.  37;  Rauwolf,  Reisen,  t.  I, 
p.  118)  qu'a  la  suite  des  premieres  pluies,  on 
a  frequemmenl  en  Palestine,  vers  la  fin  de 
decembre  el  le  commencement  de  Janvier, 
une  temperature  douce  et  agreable.  L'herbe 
commence  a  croitre  et,  meme  la  nuit,  Ton 
rencontre  beaucoup  de  troupeaux  daus  les 
champs. 

9.  —  Angelus  Domini;  d'apres  le  grec, 
«  un  ange  du  Seigneur  »,  car  il  n'y  a  pas 
d'article.  Get  ange,  comme  I'onl  cm  plusieurs 
anciens.  etait  probablement  S.  Gabriel,  que 
nous  avons  vu  plus  haul  constamment  mele 
au  mystere  de  I'lncarnation.  —  Le  verbe 
stetit,  de  mSme  que  I'adverbe  ecce,  indique  le 
caraclere  soudain,  la  rapidite  de  ('apparition. 
Comp.  XXIV,  4;  Act.  xii,  7.  Les  classiques 
grecsemploient  aussi  iniazt)  pour  designer  les 
manifestations  subites  des  dieux,  des  demons, 
des  fantomes.  —  Claritas  Dei  circumfulsit 
illos.  Pour  Kuinoel,  la  locution  6o5a  xupiou  se- 
rait  synonyme  de  «  splendor  plane  eximius  », 
c'esl  a-dire  que  nous  aurions  ici  un  super- 
latif  hebreu  analogue  a  «  monies  Dei,  cedri 
Dei.  »  Mais  ceite  opinion  est  peu  vraisem- 
blable.  II  est  plus  naturel  de  voir  dans  ces 
deux  mots  (mn'  1123  de  la  Bible  hebraique) 
la  designation  de  I'eclal  vif  et  mysterieux 
qui  accompagne  presque  toujours  les  theo- 
phanies  el  qui.  cette  fois,  formait  autour  -^lo 
I'ange  un  nimbe  eblouissanl.  —  Timue- 
runt...  L'impression  si  souvenl  mentionnee 
dans  les  Saints  Livres  quand  ils  nous  mon- 
trent  I'homme  en  contact  immedial  avec  le 
divin. 

10.  —  Apres  avoir  rassure  les  pasteurs  par 


70 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


point,  car  voici  que  je  vous  annonce 
une  grande  joie,  qui  sera  pour  tout 
le  peuple ; 

11 .  Car  il  vous  est  ne  aujourd'hui 
uu  Sauveur,  qui  est  le  Christ,  le  Sei- 
gneur, dans  la  ville  de  David. 

12.  Et  Yoici  le  signe  pour  vous  : 
vous  trouverez  un  enfant  enveloppe 
de  langes  et  pose  dans  une  creche. 

13.  Et  soudain  se  joignit  a  I'ange 
une  troupe  de  I'armee  celeste,  louant 
Dieu  et  disant  : 


timere  :  ecceenim  evangelizo  vohis- 
gaudium  magnum,  quod  erit  omni 
populo  : 

11.  Quia  natus  est  vobis  hodie 
Salvator,  qui  est  Christus  Dominus, 
in  civitate  David. 

12.  Et  hoc  vobis  signum  :  Inve- 
nietis  infantem  pannis  involutum, 
et  positum  in  praecepio. 

1 3.  Et  subito  facta  est  cum  angelo 
multitudo  militise  coelestis,  lauda- 
tium  Deum,  et  dicentium  : 


Ja  phrase  usilee  en  parcil  cas,  I'ange  leur 
annonce  la  bonne  nouvelle  par  excellence, 
evangelizo  (expression  caiquee  sur  le  grec 
euaYyeXt^w,  «  iaela  anniintio  »).  L'Evangile  va 
vraiment  relenlir  au  moncle  pour  la  premiere 
fois,  car  si  les  Prophetes,  parlant  tin  Christ, 
ont  crie  frequemmenl  :  II  naitra!  desormais 
on  peuL  dire  :  II  esl  ne!  Voila  pourquoi  le 
messager  celeste  annonce  aux  bergers  que  la 
nouvelle  donl  il  est  le  porteur  sera  le  sujet 
d'une  grande  joie  {gaudium  magnum,  meloxiY- 
mie  pour  «  rem  maxirae  Lnetam,  ingentem 
materiam  laetandi  »  ),  non-seulement  pour  eux, 
mais  pour  tout  le  peuple  juif,  dont  lis  fai- 
saient  parlie,  el  auquel  le  Messie  avait  ete 
specialement  promis.  Ce  sens  restraint  des 
mots  omni  iiopulo  est  exige  par  le  contexie  et 
aussi  par  le  grec,  oil  on  lit  avec  I'article  : 
wavTi  TwXau  (la  nation  bien  delerminee). 

1i.  —  Natus  est  vobis...  Ce  pronom  est  em- 
phatique-  Isai'e  avait  dil  autrefois  de  la  meme 
maniere  par  anticipation,  ix,  6  :  «  Parvulus 
nalus  est  nobis,  el  filius  datus  est  nobis.  » 
Jesus  esl  ne  pour  tous  les  hommes  et  pour 
chacun  d'eux  en  particulier.  li  etait  done  ne 
pour  Ips  pasteurs  de  Bethleera.  —  Saivator, 
ccuT^p.  L'ange  n'indiqua  pas  aux  bergers  le 
nom  du  divin  Enfant  :  il  le  leur  designa  du 
moins  par  une  expression  equivalenle,  puis- 
que  Jesus  signifie  Sauveur.  —  Qui  est  Chris- 
tus Dominus.  «  Magnifica  appellatio  »,  s'ecrie 
a  bon  droit  Bengol.  Gnomon,  b.  I.  Le  Christ 
Seigneur,  cela  veut  dire  en  effei  «  le  Christ 
Jehova,  »  par  consequent  «  le  Chri-t  Dieu.  » 
Comp.  Act.  II,  36.  et  R.  Ziemssen,  Christus 
der  Herr.  Kiel  1867.  —  On  le  voit,  les  pa- 
roles de  I'ange  aux  pasteurs,  comme  prece- 
demment  cejles  de  Gabriel  a  Marie,  i.  31 
ei  32,  cont'.ennent  uni'  definition  populaire 
du  Messie  :  elles  annoncent  le  Sauveur  et  le 
Seigneur  par  anlonomase ,  qui  esl  ne,  ainsi 
que  I'avaienl  annonce  les  propheles.  in  civi  ■ 
tate  David.  Meme  des  bergers  pouvaient  com- 
prendre,  et  ils  comprirent,  ainsi  que  le  dira 
la  suite  du  recit. 


4  2.  —  Et  hoc  vobis  signum.  De  meme  que 
Marie,  les  pasteurs  re^oivent  un  signe  sans- 
I'avoir  demande.  Les  anciens  exegetes  ont 
souvent  discule  sur  la  nature  de  ce  signe. 
Etait-ce  un  a  signum  probativum  »,  c'est-a- 
dire  un  moyen  par  lequel  les  bergers  pour- 
raienl  controler  la  veracile  de  I'ange  ;Eulhy- 
mius,  Maldonat,  Schegg,  elc),  ou  un  «  si- 
gnum distinctivum  »,  une  note  qui  servirait 
a  faire  reconnailre  Jesus  enlre  tous  les  autres 
enfanls  (Jansenius)?  C'elaienl  ces  deux  signes 
a  la  fois,  repondrons-nous  avec  Luc  de  Bru- 
ges :  «  Angelus  hie  dat  signum  mixtum,  ma- 
gis  tamen  distinctivum.  »  Mais  quel  contraste 
entre  cet  indice  et  la  nouvelle  donnee  plus 
haul  I  —  Invenietis  infantem  :  un  lout  petit 
enfant,  dit  le  texte  grec,  un  Ppc^oi;,  el  cet  en- 
fant sera  couche  dans  une  crechf  I  De  ses  pre- 
miers adoraleurs  Jesus  exige  la  foi,  comme 
il  I'exigera  de  tous  les  suivanls.  Le  signe 
donne  par  I'ange  suffisait  d'ailleurs  ample- 
ment  pour  distinguer  le  CIs  de  Marie.  Celte 
nuii-Ia  il  n'etail  probablement  pas  ne  d'aulre 
enfant  dans  la  petite  bourgadedeBeihleem  ;  a 
coup  sur  un  seul  etait  ne  dans  une  etable  el 
reposait  dans  une  creche  I 

13.  —  Et  subito.  A  peine  I'ange  avait-il 
cesse  de  parler,  qu'on  entendit  retentir  dans 
les  airs  le  «  Gloria  in  excelsis  »,  chante  par 
une  multitude  d'aulres.esprils  celestes.  — 
Facta  est  {i-^ivero  pour  itapeyevexo)  cum  Angelo. 
Le  premier  messager  ne  disparut  done  point ; 
la  multitudo  militiw  coelestis  (denomination 
poeiiquedes  anges  emprunlee  a  I'Ancien  Tes- 
tament. C'est  le  D'aU7n  XSy  des  Hebreux ; 
comp.  Gesenius,  Thesaur.,  s.  v.  N2i*)  se  joi- 
gnit a  lui.  formant  un  choeur  donl  il  elait  le 
«  praecenlor  ».  —  Laudanttum  Deum  (le  plu- 
riei  a  cause  du  nom  collectif  «  miliiiae  ».  Cfr. 
I,  21  ;  IX.  12;  xix,  37;  xxm,  1,  2;  Act. 
XXI.  30,  etc.).  Les  anges  avaient  chante  la 
premiere  creation,  Job.  xxxviii,  7 ;  il  etait 
bien  juste  qu'ils  chantassent  la  seconde,  d'au- 
tanl  mieux  que  le  Seigneur  leur  en  avait  fait 
un  commandement  expres,  Hebr.  i,  6.  D'ail- 


CHAPITRE  II 


71 


14.  Gloria  in  altissimis  Deo,  et 
in  terra  pax  hominibus  bonse  volun- 
tatis. 

15.  Et  factum  est  ut  discesserunt 
ab  eis  angeli  in  coelum,  pastores  lo- 
quebantur  ad  invicem  :  TranseHmus 
usque  Bethlehem,  et  videamus  hoc 


14.  Gloire  aDieuauplus  haut  des 
cieux,  etsur  la  terre  paix  aux  hom- 
mes  de  bonne  volonte. 

15.  Et  lorsque  les  anges,  montant 
au  ciel,  se  furent  eloignes  d'eux,  les 
bergers  se  dirent  Fun  a  Tautre  : 
Passons  jusqu'aBethleem,  et  voyons 


verbum  quod  factum  est,  quod  Do-     cequi  est  arrive,  ce  que  le  Seigneur 
minus  ostendit  nobis.  nous  a  fait  connaitre. 


leurs  Noel  n'est  pas  moins  la  fele  du  ciei  que 
celle  de  la  terre;  c'est  pour  cela  que  les 
anges  manifestent  leur  joie  par  un  hymne  do 
louanges. 

14.  —  Le  cantique  do  i'armee  celeste  est 
lout-a-fail  cxpressif  dans  sa  brievele.  C'est 
une  doxologie  sublime,  qui  resume  admira- 
blement.  les  avantages  do  rincarnalion  du 
Verbe.  Comnu'  le  chant  des  Seraphiiis  devant 
le  trone  de  Jehova,  Is.  vi,  3,  il  se  compose 
de  deux  notes,  dont  I'une  s'adresse  au  Sei- 
gneur, tandis  que  {'autre  concernc  la  terre. 
—  Premiere  note  :  Gloria  in  altissimis  Deo. 
Acelui  qui  reside  dans  les  regions  superieures 
du  ciel  (£v  u^/ifftoK;,  D'ailJO^  des  Hebreux. 
Cfr.  Jos.  XVI,  18,  etc.)  la  naissance  du  Christ 
procure  la  gloire,  une  gloire  qui  est  en  corre- 
lation parfaite  avec  sa  grandeur  infinie.  Apr^s 
66$a,  on  pent  sous-entendre  euxi  oueotw;  mais 
nous  preferons  ia-zi  («  est  »)  a  la  suite  des 
ineilieurs  exegetes ,  car  les  anges  affirment 
iciplutot  qu'ils  ne  souhaitent.  lis  n'exprimenl 
pas  un  simple  desir,  mais  ils  proclamenl  une 
heureuse  consequence  deja  realisee.  De  meme 
apres  elprivy) —  Seconde  note  :  Etin  terrapax 
hominibus...  Aux  hommes  qui  vivent  sur  la 
terre,  la  nativite  de  Jesus  apporie  la  paix, 
c'est-a-dire  le  bonheur  pour  ce  m.onde  et 
pour  I'aulre.  Comp.  i,  79.  Depuis  longlemps 
il  avait  ete  predit  que  le  Messie  donnerait  la 
paix  a  notre  panvre  terre  si  troublee  (Cfr.  Is. 
II,  4;  IX,  6,  T  i  XI,  6-9,  etc.);  les  ecrils  du 
Nouveau  Testament  disent  en  terraes  formels 
que  ces  divins  oracles  ont  ete  accomplis  (Cfr. 
Joan.  XIV,  27;  Eph.  ii,  U.  17;  Col.  i,  20; 
Rom.  V,  1,  etc.).  Cependant,  ce  ne  sont  pas 
tous  les  hommes  qui  jouiront  de  la  paix  mes- 
sianique ;  elle  ne  sera  vraiment  accordee 
qu'auxhomme  bonw  voluntatis,  et  il  fautvoir 
sous  ces  deux  mots  (iln'yeii  a  qu'un  seul  dans 
le  texte  original,  eOSoxta;,  correspondanl  au 
I12fl  hebreu)  la  bonne  volonle  divine,  la  bien- 
veillance,  I'amour  du  Seigneur  envers  nous, 
et  non  la  bonne  volonte  humaine,  les  sainles 
dispositions  des  hommes  envers  Dieu.  Comp. 
Ps.  V.  13;  L,  20;  Phil,  ii,  13.  L'expression 
«  homines  bonae  voluntatis  »  est  done  oppo- 
see  a  «  filii  irse  »  (Eph.  ii,  3) ;  elle  designe, 
comme  le  dit  Bossuet,  les  homme  cheris  du 


ciel.  —  II  regne  entre  les  deux  parties  de  la 
symphonie  angeliqueun  parallelisme  parfait  : 
«  pax  »  correspond  a  «  gloria  »,  «  in  terra  » 
a  «  in  altissimis  »,  «  hominibus  bonae  volun- 
tatis »  a  «  Deo.  »  11  est  vrai  que  les  editions 
communes  du  texte  grec  donnent  trois  mem- 
bres  au  «  Gloria  in  excelsis  »,  car  elles  lisent 
eu5oxia  au  nomicatif  («  bona  voluntas  »)  et 
commencent  une  nouvelle  phrase  apres  eiprjvTi : 

Gloria  in  altissimis  Deol 

El  ill  terra  pax  ! 

Uomiuibus  benigQa  Tolantasl 

Mais  la  plupart  des  critiques  modernes  donnent 
a  bon  droit  la  preference  a  la  legon  de  la 
Vulgate,  qui  est  garantie  par  de  nombreuses 
et  puissantes  autorites,  specialement  par  les 
manuscriLs  A,  B,  D,Sin.,  les  versions  ital.  et 
golh.,  tous  les  Peres  latins,  etc.  D'ailleurs, 
s'il  y  avait  trois  merabres,  la  conjonclion  xa£ 
aurait  sans  doute  ele  repetee  devant  fev 
avOpMTioii;;  enfin  le  troisieme  niembre  ne 
serait  guere  ici  qu'une  reproduction  du  se- 
cond.—  Maldonat  a  dans  son  commentaire 
une  excellente  explication  du  cantique  des 
anges  ;  voyez  aussi  Muntendam,  Dissert,  de 
hymno  angelico,  Amstelod.  1849. 

15.  —  Et  discesserunt  Angeli.  Apres  leur 
celeste  concert,  les  anges  disparurent  aussi 
subiteraent  qu'ils  s'etaient  montres.  Mais  leur 
manifestation  avait  produit  I'effet  voulu  par 
Dieu,  et  I'evangeliste,  revenant  aux  pa^teurs, 
nous  les  monlre  pleins  de  foi,  admirablement 
deciles  a  la  giAce,  et  s'excilant  les  uns  les 
autres  a  partir  en  toute  hSle  pour  la  ville  afin 
de  voir  I'Enfant  divin  qui  leur  est  ne.  — 
Pastores.  Le  grec  porte  oi  avGpwTioi  ol  itotfieve?, 
«  les  hommes  les  pasteurs  »,  soit  par  oppo- 
sition a  oi  (XYYeXoi  qui  precede  immediatement, 
soil  par  pleonasme  ;  mais  I'omission  de  ol 
iMOpwiioi  par  les  manuscrits  B,  L,  Sin.  et  par 
les  versions  copt.,  sahid.,  armen.,  syr.,  pers., 
ital.,  etc.,  semble  prouver  que  c'est  \k  une 
glose  marginal(>  iriseree  dans  le  texte.  — 
Transeamus,  6t£).6io[iev  (le  grec  ajoute  la  par- 
ticule6ifi,«  agedum  ») ;  litteral.  «  lraversons» 
De  la  plaine  oil  demeuraient  les  pasteurs 
(voyez  la  note  du  t.  8)  il  fallail  environ  vingl 
minutes  pour  so  rendre   sur  la  coUine  que 


k 


72 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


16.  Et  ils  vinrent  en  grande  hate, 
et  ils  trouverent  Marie  et  Joseph,  et 
I'enfant  couche  dans  une  creche. 

17.  Et  en  le  voj^ant  ils  reconnu- 
rent  ce  qui  leur  avait  ete  dit  de  cet 
enfant. 

18.  Et  tout  ceux  qui  I'apprirent 
admire  rent  ce  qui  leur  etait  dit  par 
les  bergers. 

19.  Or  Marie  conservait  toutes 
ces  choses  s'en  entretenant  dans  son 
coeur. 


16.  Et  venerunt  festinantes  :  et 
invenerunt  Mariam,  et  Joseph,  et 
infantem  positum  in  prsesepio. 

17.  Videntes  autem  cognoverunt 
de  verbo  quod  dictum  erat  illis  de 
puero  hoc. 

18.  Et  omnes  qui  audierunt  mi- 
rati  sunt  :  et  de  his  quae  dicta  erant 
a  pastoribus  ad  ipsos. 

19.  Maria  autem  conservabat  om- 
nia verba  haec,  conferens  in  corde 
suo. 


domino  Bethleem.  —  Hoc  verbum,  hebralsme : 
n7n  121,  celle  chose. —  Ostendit  a  le  sens  de 
«  revelavil  ». 

4  6.  —  Sans  larder  i festinantes),  ils  exe- 
culent  leur  pieux  dessein  :  ils  arrivenl  dans 
la  ville,  trouvenl  I'etable  apres  quelques 
recherches  indiquees  dans  le  lext'^  grec  par 
un  verbe  compose,  aveOpov  (voyez  Brel- 
schneider.  Lex.  man.  s.  v.  aveupi'axw),  et, 
dans  I'etable,  I'Enfanl  divin  positum  in  prcB- 
pio  comme  I'avail  annonce  i'ange,  et  enioiire 
de  Marie  et  de  Joseph.  Seion  d'autres  (Olshau- 
sen,  etc.),  les  bergers  se  seraienl  diriges  lout 
droit  vers  I'etable,  guides  par  une  grace  se- 
crete ;  ou  meme  c'eul  ete  leur  propre  etable 
(van  Ooslerzee),  I'ange  leur  ayant  dit  avec 
I'arlicle,  t-  i2,  6  Iv  t^  ^arviri.  Mais  ce  sont 
la  des  conjpcliires  peu  fondees. 

M.    —    Videntes    autem,    cognoverunt 

D'apres  la  Vulgale,  ce  verset  est  la  continua- 
tion du  precedent  et  signifie,  qn'apres  avoir 
trouve  les  chores  telles  qu'elles  leur  avaient 
ete  prediles,  les  bergers  «  re  ipsa  compere- 
runt  vera  fuisse  quae  sibi  angeli  dixissenl  » 
(Maldonat).  et  reconnurent  leur  Sauveur  dans 
le  polit  enfant  de  la  creche.  D'apres  le  sens 
le  plus  ordinaire  du  verbe  grec  oieYvwptaav,  il 
se  raltache  au  t-  18  pour  indiquer  d'une  ma- 
niere  anticipee  ce  que  firent  les  bergers 
aussitot  apres  leur  visile  a  I'elable  («  rem 
divulgarunt  »),  et  I'accueil  qui  fut  fait  a  leur 
recit.Celte  seconde  interpretation,  que  favo- 
risent  les  versions  syrienne.  armenienne,  etc., 
parail  §lre  la  plus  probable.  Elle  nous  montre, 
dan>  les  pa^teu^^de  Bethleem,  les  premiers  pre- 
dicalPursdel'Evangiie.w  Ilfallail,  ditBossuet, 
41e  Elevat.  de  la  16e  semaine,  de  lels  te- 
moins  a  celui  qui  devait  cholsir  des  pecheurs 
pour  6tre  ses  premiers  disciples  et  les  doc- 
teurs  futurs  de  son  Eglise.  Tout  est,  pour 
ainsi  parler,  de  meme  nature  dans  les  mys- 
teres  de  Jesus-Chrisl.  » 

18.  —  L'humble  cercle  auquel  les  bergers 
firent  part  des  raerveilles  que  Dieu  leur  avait 


revelees  fut  naturellemenl  saisi  d'etonnement, 
d'admiration.  Plusieurs  crurent  sans  doute 
et  allerenl  a  leur  tour  visiter  i'Eufant-Dieu. 
Tout  porte  a  croire  neanmoins  que  leur 
nombre  ful  Ires  reslreint.  puisqup  le  souvenir 
de  Jesus  semble  s'etre  bientol  efface  a  Beth- 
leem, de  meme  qu'ii  s'effaga  plus  lard  a  Je- 
rusalem malgre  les  evenem-nts  extraordi- 
naires  qui  accompagnerent  la  Presentation 
{tt.  25-38).  —  Au  lieu  d'  miratisunt :  et  de 
his...,  il  faudrait,  d'apres  le  texte  primilif  : 
«  mirati  sum  de  hii  »,  sans  points  et  sans 
conjonclion. 

19.  —  S.  Luc  intercale  ici,  relalivement  k 
Marie,  un  trail  precieux  et  ravissanl,  qui 
nous  ouvre  de  vasles  horizons  sur  cette  kaxe 
admirable  :  Maria  conservabat  (uuvsinnpei, 
a  mente  recondebal  »)  omnia  verba  hcec  (tant 
de  choses  elonnantfs  donl  elle  elait  lemoin, 
ou  bien,  les  recits  qu'elle  tenait  des  b-rgors). 
C'est  unsplendide  portrait  en  quelques  mots. 
La  Vierge  benie  neperdait  passa  lianqtiillit^ 
interieure  parmi  les  grands  evenements  qui 
se  passaienl  autour  d'elle.  Recueillie  en  Dieu, 
elle  observait  attenlivemenl  les  prodiges  de 
tout  genre  qui  avaient  lieu  au  sujet  de  son 
Fils  et  en  son  Fils  :  aucun  fait,  aucune  pa- 
role ne  lui  echappait,  et,  de  ses  souvenirs, 
elle  composait  un  tresor  sacre  qu'elle  trans- 
mit plus  lard  aux  disciples,  peul-etre  direcle- 
ment  a  S.  Luc  (voyez  la  Preface  §  in'.  Gom- 
binant  entre  elles  (conferens  in  corde  suo, 
au[i,6d).Xouffa)  les  moindres  circonstances.  elle 
faisait  en  quelque  sorle  la  phdosophie  de 
I'hisloire  de  Jesus.  Quelle  profondeur  dans 
ses  sereines  contemplations!  Mais  Tevange- 
liste  ne  dit  point  qu'elle  ait  parle,  quoiqu'elle 
eul  a  reveler  tant  de  prodiges.  Car  «  sa 
bouche  etait  chaste  comme  son  coeur  » 
(S.  Ambroise),  et  «  les  grandes  choses  que 
Dieu  fait  au-dedans  de  ses  creatures  operenl 
naturellemenl  le  silence,  le  saisissemenl,  el 
je  ne  sais  quoi  de  divin,  qui  supprime  loute 
expression  »  (Bossuet,  I.  c,  12eElevai.). 


CHAPITRE  II 


73 


20.  Et  reversi  sunt  pastores,  glo- 
rificantes  et  laudantes  Deum ,  in 
omnibus  quae  audierant  etviderant, 
sicut  dictum  est  ad  illos. 

21.  Etpostquam  cousummati  sunt 
dies  octo  ut  circumcideretur  puer, 
vocatum  est  nomen  ejus  Jesus,  quod 
vocatum  est  ab  angelo  priusquam 
in  utero  conciperetur. 

Gen.  17, 1-2;  Levii.  12,  3;  Matt/,.  1,  21;  Sup.  1,  31. 


20.  EL  les  bergers  s'en  retourne- 
rent,  glorifiant  et  louant  Dieu  de 
tout  ce  qu'ils  avaient  entendu  et  vu 
selon  ce  qui  leur  avait  ete  dit. 

21.  Et  lorsque  furent  accomplis 
les  huit  jours  pour  la  circoncision 
de  I'enfant,  on  lui  donna  le  nom  de 
Jesus,  nom  qui  lui  avait  ete  donne 
parl'ange  ayant  qu'il  fut  concu  dans 
le  sein  de  sa  mere. 


20.  —  Et  reversi  sunt  pastores.  Apres  les 
tt-  i7-i9,  qui  form 'lit  une  sorle  de  paren- 
ihese,  S.  Luc  repieiid  la  suite  du  recit  et 
expose  quels  fureiil  les  sentiments  des  bergers 
a  leur  sortie  de  I'eiable.  Glorificanles  et  lau- 
dantes Deum  :  ces  mots  resumenl  lout  ce  qui 
se  passait  dans  leur  ccBur.  lis  glorifient,  c'est- 
a-dire  qu'ils  proclament  la  grandeur  dont 
Dieu  faisait  preuve  dans  les  mysteres  qu'ils 
avaient  conlemples ;  ils  louent,  c'est-a-dire 
qu'ils  chanlent  sa  bonle  non  moins  eciatante. 
Leur  reconnaissance  avait  pour  objel  et  ce 
qu'ils  avaient  entendu  de  la  part  des  anges 
(selon  d'aulres,  de  la  part  de  Marie  et  de 
Joseph^  et  ce  qu'ils  avaient  vu  a  Bethleem, 
vision  si  conforme  a  la  prediction  angelique 
{sicut  dictum  est...). 

Autour  des  touchants  mysteres  de  Noel 
racontes  dans  ces  vingts  versets,  «  I'art 
"jlastique,  la  poesie  et  I'eloquenee  onl  tresse 
une  couronne  imperissable  »  (Sch^gg.  Evang. 
nach  Lukas,  t.  I,  p.  \Si),  dont  on  trou - 
vera  une  description  assez  complete  dans 
W.  Ziethe,  Leben  Jesu,  Berlin  1865,  p.  86 
■et  ss.  Nous  signalerons  seulement,  selon  noire 
<;outume,  les  principaux  chefs  d'ceuvre.  Ce 
sont,  pour  la  peinlure,  les  tableaux  de 
Filippo  Lippi,  du  Perugin  ,  de  Lorenzo  di 
Credi,  d'Albert  Durer,  de  Botticelli,  d'Ercole 
Orandi,  de  Raphael,  et  surtout  du  Correge 
(la  celebre  «  Notte  ») ;  pour  la  poesie,  les 
hymnes  a  A  soils  ortus  cardine  »  (de  Sedn- 
lius\  0  Jesu,  redemptor  omnium  »  (d'un 
auteur  inconnu),«  Quid  est  quod  arctum  cir- 
culum  »  (de  Prudence),  «  Agnoscet  omn?  sae- 
culum  »  (de  Fortunat),  la  gracif'use  sequence 
«  Arieste,  fideles  »,  mille  «  Noels  »  ou  can- 
tiques  lantot  simples  et  naifs,  tanlot  releves 
et  sublimes,  les  odes  de  Milton,  de  Pope,  de 
Metastase,  de  Manzoni,  etc.  ;  pour  ['elo- 
quence, les  sermons  de  Bossuet,  de  Bour- 
daloue  et  de  Massillon. 

6.  La  circoncision  de  J6sas.  ii,  21. 

«  Jesus  souffre  d'etre  mis  au  rang  des  pe- 
eheurs  :  il  va  comrae  un  vil  esclave  porter 
sur  S3  r.hair  un  caractere  servile,  el  la 
marque  du  peche  de  notre  origine  ».  Bossuel, 


Ire  Eleval.  de  la  Mo  seniaine.  «  Certes, 
a-t-on  dit  encore  fort  ju-tMuent.  une  histoire 
inventee  n'eut  pas  suppose  des  rites  qui  sem- 
blaienl  contredire  sa  purele  originelle,  et 
qui  n'elaient  que  les  signes  de  sa  complete 
infeodation  a  son  pcuple  et  a  I'liumanite  ». 
A  peine  ne  de  la  feraine,  comme  s'exprimo 
S.  Paul,  Gal.  IV,  4,  Jesu-;  est  sourais  a  la  loi. 
Comp.  Rom.  viii,  3  ;  Ilebr.  ii,  17.  A  peine 
son  sang  est-il  forme,  qu'il  en  verse  pour 
nous  les  premieres  goutles  en  attendant  qu'il 
le  repande  «  a  gros  bouillons  »  (Bossuet)  sur 
le  Galvaire.  Mais  ne  dira-l-il  pas  un  jour, 
Matlh.  Ill,  15  el  v,  M,  qu'il  convient  d'ac- 
complir  loute  justice,  qu'il  est  venu  pour 
accomplir  la  Loi,  non  pour  la  renverser?Il 
agil  dejk  d'apres  ces  grands  principes. 

21 .  —  Postquam  consummati  sunt  dies  octo. 
Prise  a  la  lettre,  celle  formule  indiquerait  le 
neuvi^me  jour,  tandis  qu'elle  designe  seule- 
ment le  huilieme,  selon  la  fagon  juive  de 
parler.  Gfr.  i,  59.  —  Ut  circumcideretur 
puer.  Le  texte  grec  emploie  le  «  genitiv. 
objecli  »  :  toO  neptTefjieTv  to  iraiSfov  (aOrov  d'a- 
pres les  manuscrils  A,  B.  Sm.,  etc.).  Nous 
dirions  en  franQai-  :  Quand  fut  venu  le  hui- 
lieme jour,  auquel  on  devait  circoncire  Ten 
fant.  —  Vocatum  est  nomen  ejus...  (dans  le 
grec,  xal  £-/./.ii9r],  «  el  vocatum  est  »,  apodose 
equivalanl  a  «  tunc  vocatum  est  ».  Voyez 
Wmer,  Gramm.  p.  533).  L'evangeliste  ne 
mentionne  pas  direciem'i'nt  le  fail  de  la  cir- 
concision du  Sauveur,  auquel  il  n'atlachait 
qu'une  importance  secondaire;  le  principal 
pour  lui  etait  I'iinposilion  du  nom,  ordinaire- 
ment  associee  a  celte  sanglante  ceremonie 
(voir  I,  59  et  I'explication),  et  c'esl  sur  ce 
sscond  point  qu'il  in^iste  surtout.  Notre- 
Seigneur  regut  done  alors  pour  la  premiere 
fois  le  nom  sacre  de  Jesus,  nom  de  tout  temps 
cher  aux  Juifs,  parce  qu'il  leur  rappelait 
I'lllustre  ca[)ilainf!  qui  avail  conquis  la  terre 
promise,  et  le  grand-prelrequi  en  avait  repris 
possession  apre-;  Texil  de  Babylone  (Gfr.  E>dr. 
11,2;  III,  2;  Zach.  in,  1);  nom  plus  cher 
encore  aux  Chretiens,  pour  lesquels  il  est, 
suivant  le  mot  si  juste  de  S.  Bernard,  «  rael 
in  ore,  in  aure  melos,  in  corde  jubilum  ». 


74 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


22.  Et  apres  que  furent  accomplis 
les  jours  de  la  purification  de  Marie, 
selon  la  ioi  de  Moise,  ils  le  porterent 
a  Jerusalem  pour  le  presenter  au 
Seigneur, 

23.  Selon  ce  qui  est  ecrit  dans  la 
Ioi  du  Seigneur  :  Tout  male  naissant 


22.  Et  postquam  impleti  sunt 
dies  purgationis  ejus  secundum  le- 
gem Moysi,  tulerunt  ilium  in  Jeru- 
salem, ut  sisterent  eum  Domino ; 

Lev.  12,  6. 

23.  Sicut  scriptum  est  in  lege- 
Domini  :  Quia  omnes  masculinum 


Philon,de  Mulal.  nom.  §  21.  en  donne  le  ve- 
ritable sens  quand  il  le  Iraduil  par  owrvipta 
Kupiou,  salul  du  Seigneur.  —  Quod  vocatum 
est  ab  Atigelo,..  Corap.  i,  31. —  «  Nous  autres 
Chretiens,  nous  avons  le  bapteme,  rite  plein 
de  grace  et  degage  de  toute  souff'rance.  Nous 
devons  neanmoins  pratiquer  la  circoncision 
du  coeur. »  S.  Bonavent.  Vita  Christi,  v.  (Ta- 
bleaux de  Guerchin,  de  Barbieri,  du  Parme- 
san, etc.). 

7.  La  Presentation  de  Jesus  au  temple 
et  la  Purification  de  Marie,  ii,  22-38. 

Ce  beau  recil  a  trois  parties  :  1o  Les  deux 
precepies:  ft.  22-24  ;  2°  le  saint  vieillard  Si- 
:neon,)irSr.  25-35;  3o  sainte  Anne,  ft.  36-38. 

1"  Les  deux  pr6ceptes. 

22-24.  —  Les  trois  versels  par  iesquels 
S.  Luc  ouvre  ce  nouvel  episode  de  rEiilance 
-iu  Sauveur  resumenl ,  d'uiie  maniere  un  peu 
nbscure  a  force  d'etre  concise,  deux  lois  et 
leux  ceremonies  bien  dislincles  du  Judaisme. 
La  premiere  regardail  les  meres  et  leur  pres- 
■:rivaii,  apres  chaque  enfaiilemenl,  une  pu- 
rificiition  speciale,  qui  devait  les  delivrer  de 
la  souillure  legale  qu'elles  avaieni  coutractee  • 
o'est  d'elle  qu'il  s'agit  au  t-  24  ct  au  com- 
mencement du  t.  22.  La  soconde  concernait 
les  premiers-lies,  quand  c'etaient  des  cmfants 
males,  et  enjoignait  a  leurs  parents  de  les 
presenter  au  Seigneur,  el  de  les  racheter 
moyennant  une  somme  determinee  :  c'est 
d'elle  qu'il  est  question  a  la  fin  du  f.  22  et 
au  t.  23.  —  Postquam  impleti  swit  dies  pur- 
gationis ejus.  Ce  pronom  «  ejus  »  de  la  Vul- 
gate semble  designer  Jesus  d'apres  le  contexte, 
mais  il  s'applique  en  realite  a  Marie  d'apres 
I'idee,  puisque  c'elait  aux  meres,  el  non  aux 
enfanls,  que  la  Ioi  juive  imposait  une  purifica- 
tion. Cependant  le  feminin  aOi^s  qu'on  lit 
dans  le  «  Textus  receptus  »  est  regarde  ge- 
neralement  comme  une  correction  tardive. 
La  variante  aOxoO,  qui  ne  se  irouve  que  dans 
un  petit  nombre  de  manuscrits  (D  et  quelques 
mitiiiscules),  doit  etre  une  faute  de  copiste. 
La  legon  la  plus  autorisee  est  autoiv,  «  eo- 
rum  »,  pluriel  qui  designerait  soit  les  Juifs 
en  general  (la  pui  ification  des  Juifs) ,  soit 
Marie  et  Jesus,  soit  plus  probablement  Mane 
et  Joseph  d'apres  la  structure  de  la  phrase 


grecque.  Sans  doute  Joseph  n'etait  tenu  k 
aucune  purification  ceremoniale,  mais  c'est 
iui  que  regardait,  comme  pere  adoptif,  la 
presentation  de  I'Enfant  :  c'est  pour  cela  que 
I'evangeliste  applique  collectivement  aux. 
saints  epoux  ce  qui  Its  regardait  isolement; 
il  les  traite  comme  une  personne  morale.  — 
Secundum  legem  Moysi.  Voyez  le  chap.  xii»- 
du  Levitique,  qui  est  lout  enlier  affecte  acelte 
matiere.  L'impurete  legale  des  meres  ne  du- 
rait  a  proprement  parlerque  sept  ou  qualorze 
jours,  selon  qu'elles  avaient  enfante  un  his 
ou  une  fille;  mais,  ce  temps  ecoule,  elles  de- 
vaient  encore  attendre  33  ou  66  jours  avant 
de  se  presenter  au  temple.  Elles  n'etaient 
done  completemenl  punfiees  que  le  40e  ou  le 
80e  jour,  a  la  suite  de  la  ceremonie  reli- 
gieuse.  Ainsi,  les  «  dies  purgationis  »  men- 
lionnes  ici  par  S.  Luc  representcnt  les  qua- 
ranle  premiers  jours  qui  s'ecoulereiit  apres 
Noel.  —  Tulerunt  ilium  in  Jerusalem  (la  dis- 
tance qui  separe  Bethleem  de  la  capitale 
juive  est  d'environ  deux  lieues).  Nous  passons 
ici  a  la  seconde  Ioi,  qui  regardait  les  pre- 
miers-nes.  D'apres  une  disposition  anterieure 
de  Jehova,  tout  enfant  male  «  adaperiens 
vulvam  »,  suivant  I'expression  du  texte  sacre, 
devait,  en  sa  qualite  de  premices,  appartenir 
au  Seigneur  et  le  servir  toule  sa  vie  comme 
pretre.  Mais,  plus  tard,  Dieu  modifia  cette 
Ioi  quand  il  confia  exclusivement  les  soinsdu 
culte  a  la  tribu  de  Levi  :  il  exigea  seulement 
que  les  premiers-nes  Iui  fussent  olTerts  dans 
le  temple  [ut  sisterent  eum  Domino.  Ilapa- 
CTT^o-ai  represenle  ici  le  verbe  hebreu  lilpn, 
(jui  etait  I'expression  technique  pour  designer 
les  victimes  et  les  oblations  sacrees),  en  signe 
de  son  domaine  sur  tout  leur  etre,  et  il  per- 
mit aux  parents  de  les  racheter  moyennant 
I'offrande  de  cinq  sides,  c'est-a-dire  d'en- 
viron 45  francs,  qui  etaient  jetes  dans  le 
tresor  des  Levites.  La  ceremonie  de  la  pre- 
sentation ne  se  renouvelait  pas  pour  les  au- 
tres fils;  elle  n'avait  meme  lieu  a  I'egard  du 
premier-ne  que  lors  qu'il  etait,  selon  le  Ian- 
gage  rabbinique,  ^noS  1122,  «  primogenitus 
idoneus  sacerdoti.  »  S'il  venait  au  raonde 
avec  qui'lqu'une  des  difformites  corporelles 
qui,  d'apres  le  rituel  mosai'que,  excluaienl 
les  Levites  eux-memes  des  fonclions  saintes, 
il  n'avait  pas  a  6tre  presente  au  Seigneur, 


CHAPITRE   II 


75- 


adaperiens  vulvam,    sanctiim   Do- 
mino vocabitur. 

Exod.  13,2;  iVijm.  8, 16. 

24.  Et  ut  darent  hostiam  secun- 
dum quod  dictum  est  in  lege  Do- 
mini par  turtm^um,  aut  duos  pul- 
los  columbarum. 

Lev.  12,  8. 

25.  Et  ecce  homo  erat  in  Jerusa- 
lem^  cui  nomen  Simeon,  et  homo 
iste  juxtus,  et  timoratus,  expectans 
consolationem  Israel ,  et  Spiritus 
sanctus  erat  in  eo. 


le  premier  sera  consacre  au   Sei- 
gneur; 

24.  Et  pour  ojBfrir  I'hostie,  selon 
ce  qui  est  dit  aans  la  loi  du  Sei- 
gneur, une  couple  de  tourterelles  ou 
deux  petites  colombes. 

25.  Or,  il  y  avait  a  Jerusalem  un 
homme  nomme  Simeon,  et  cet 
homme  juste  et  craignant  Dieu  at- 
tendait  la  consolation  dlsrael,  et 
I'Esprit-Saintetait  en  lui. 


non  plus  qu'a  ^Ire  lacliele.  Voir  Lighlfoot, 
Horae  hebr.  in  Luc.  ii.  Comp.  Ex.  xiii,  2, 12-15; 
Num.  viii,  16-18;  xviii,  15,  16.  La  citation 
de  la  loi  au  t.  23  est  faite  d'une  maiiiere 
assez  libre,  comme  il  arrive  parfois  aux  ecri- 
vains  du  Nouveau  Testament.  —  Adaperiens 
vulvam :  hebraisme,  Dm  "llDSi  pour  designer 
les  premiers-nes.  —  Saiiclum  Domino  :  chose 
sainle  pour  le  Seigneur,  consacre  au  Sei- 
gneur. La  signification  primitive  du  mot  Saint 
est  :  mettre  en  reserve,  separer.  —  Et  ut  da- 
rent  hostiam.  Ici,  I'evangeiiste  nous  ramene 
a  la  purification  de  Marie  et  au  sacrifice  qui 
devait  accompagner  ce  rite.  «  La  mere  ap- 
portera  au  tabernacle  du  temoignage  un 
agneau  d'un  an  pour  Thoiocauste  el  une  jeune 
colombe  ou  une  tourlerelle  pour  le  sacrifice 
expialoire.  Elle  les  donnera  au  pretre ,  qui 
les  offrira  devant  le  Seigneur  ot  qui  priera 
pour  elle  :  c'est  ainsi  qu'elie  sera  purifiee... 
Si  une  femme  ne  peut  faire  la  depense  d'un 
agneau,  elle  prendra  deux  tourterelles  ou 
deux  petits  de  colombes,  I'un  pour  I'holo- 
causteet  I'autre  pour  le  sacrifice  expiatoire.  » 
Lev.  XII,  6-8.  Tel  est  le  texte  complet  de  la 
loi.  S.  Luc  n'en  cite  que  la  derniere  partio, 
indiquant  par  la  m^me  que  le  sacrifice  de 
Marie  fut  celui  que  les  Rabbins  nommaient 
^2V  plp»  le  sacrifice  de  I'inriigent.  Mais  ne 
va-l-  elle  pas  offrir  bientot  a  Dieu  la  plus  riche 
des  victimes?  —  Est-il  besoin  d'ajouter  ici, 
k  la  suite  des  Peres  et  des  anciens  exegetes, 
que  les  deux  preceptes  menlionnes  parS.  Luc 
n'obligeaient  ni  Jesus,  ni  Marie?  La  mere  du 
Christ  avail  enfante  en  dehors  de  toutes  les 
regies  ordinaires  de  la  nature ;  aux  termes 
m6mes  de  la  loi  mosaique  ell  ■  etait  exemple 
de  la  purification  ordinaire.  Quant  au  divin 
Enfant,  puisqu'il  n'etait  autre  que  Jehova, 
le  legislatpur  d'Israel,  il  est  n)anifest(^  qu'il 
ne  lombail  pas  sous  ses  propies  decrets 
(comp.  S.  Hilaire,  Horn,  xvii  in  Evang.).  lis 
n'hesiterent  pas  neanmoins  a  se  souinettre 
k  C8S  prescriptions  humiliantes.  «  0  profun- 


ditassapientiae  et  scientiae  Dei,  s'ecrie  S.  Cy- 
rille  (Cat.  graec.j.  Qui  legis  est  conditor  sicut 
Deus,  legem  custodivit  ut  homo.  »  L'humi- 
lite,  I'obeissance,  ont  toujours  ele  les  vertus 
caracteristiques  de  Jesus  et  de  Marie. 

2»  Le  saint  vieillard  Simeon. 

Voyez  dans  le  Breviaire  romain,  au  2  fe- 
vrier,  les  leQons  du  second  Nocturne. 

25.  —  Etecce  homoerat...  S.  Luc  ne  donne 
aucun  detail  sur  le  fait  mSme  de  la  purifica- 
tion de  la  Sainle  Vierge  et  de  la  presentation 
de  Jesus;  mais,  en  revanche,  il  s'arrete  avec 
amour  sur  deux  incidents,  non  moins  signi- 
ficatifs  que  pittoresques,  qui  arriverent  en  co 
beau  jour.  Le  premier  incident  place  toul-a- 
coup  S.  Simeon  au  centre  du  tableau.  Qu'e- 
tait  ce  pieux  habitant  de  Jerusalem?  On  a 
paifois  essaye  de  I'identifier  avec  divers  per- 
sonnages  de  Fhistoires  juive,  qui  porlaient 
egalemenl  le  nom  alors  si  commun  de  pyD^J, 
Schimeon,  en  parliculier  avec  Rabbi  S  imeon, 
president  du  Sanhedrin  vers  I'an  13  de  Tere 
chrelienne,  filsdu  celebreHillel  et  pere  du  non 
moins  celebre  Gamaliel.  Voyez  Lighlfoot,  Hor. 
hebr.  h.  I.;  Winer,  Bibl.  Realwoerlerb.  s.  v. 
Simeon;  Otho.  Lexic.  rabbinic,  p.  698.  D'au- 
tres  en  ont  fait  un  grand-prelre,  a  la  suite  de 
I'Evangile  apocryphe  de  Nicodeme,  ch.  xvi. 
Mais  toutes  ces  conjectures  sonl  denuees  de 
fondementshistoriques.  II  est  d'ailleurs  invrai- 
semblable  que  S.  Luc  eiit  simplemenl  designe 
un  grand-prelre  ou  un  grand  president  par  les 
mots  «  homo,  homo  iste.  »  Une  tradition  tres 
legitime,  appuvee  sur  le  texte  evangelique 
(Cfr.  les  ft.  26'et  29),  fail  de  Simeon  un  vieil- 
lard, non  touiefois  necessairemcnl  un  vieil- 
lard decrepit,  comme  le  veul  la  litlerature  apo- 
cryphe. Du  resie,  si  I'ecrivain  sacre  ne  nous 
dit  lien  de  la  situation  exlerieure  de  S.  Si- 
meon, il  trace  en  quelques  lignes  un  magni- 
fique  portrait  moral  de  son  heros.  C'etait  un 
homo  justiis  et  timoratus  (eOXa6r,?,  «  pius,  rell- 
giosus  ») ;  un  pni'  et  un  VDT],  aurait-on  dit 


76 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


26.  Et  il  avait  ete  averti  par  I'Es- 
prit-Saint  qu'il  ne  verrait  la  mort 
qu'apres  avoir  vu  auparavant  le 
Christ  du  Seigneur. 

27.  Et  il  vint  dans  le  temple  con- 
duit par  I'Esprit  et  lorsque  les  pa- 
rents de  Tenfant  Jesus  I'amenerent 
afin  de  faire  pour  lui  selon  la  cou- 
tume  legale, 

28.  II  le  prit  entre  ses  bras  et 
benit  Dieu  et  dit  : 


26.  Et  responsum  acceperat  a 
a  Spirilu  sancto,  non  visurum  se 
mortem,  nisi  prius  videret  Christum 
Domini. 

27.  Et  venit  in  spiritu  in  tem- 
plum .  Et  cum  inducerent  pue- 
rum  Jesum  parentes  ejus,  ut  face- 
rent  secundum  consuetudinem  le- 
gis  pro  eo : 

28.  Et  ipse  accepit  eum  in  ulnas 
snas,  et  benedixit  Deum,  et  dixit : 


en  hebreu,  un  hoinme  parfait  au  point  de  vue 
de  la  religion  juive.  C'elait  surtout  un  homme 
de  foi  qui,  au  milieu  dcs  humiliations  de  son 
peuple,  n'avait  oublie  ni  les  promesses  faites 
aux  palriarches,  ni  les  oracles  successifs  des 
propheles  reiativement  au  Messie  :  Expectans 
consolationem  Israel.  «  La  consolation  d'ls- 
rael  »,  c'est-a-dire  (abslr.  pro  concrelo)  le 
grand  liberateursi  frequemment  designe  sous 
le  nom  de  nnJO,  consolaleur  par  excellence 
(voyez  Ligliifoot,  1.  c),  celui  auquel  Isale, 
LXi,  4-3,  prele  ce  langage  :  «  Spirilus  Domini 
super  me...,  misit  me  ut  mederer  contritis 
corde...,  ut  consolarer  omnes  lugentes,  ut  da- 
rem  eis  coronam  pro  cinere,  oleum  gaudii  pro 
luclu,  pallium  laudis  pro  spiritu  moeroris.  » 
La  justice,  la  piete  el  la  foi  de  Simeon  avaient 
en  quelque  soi  te  fixe  I'Esprit  saint  dans  son 
coeur  :  Spiritus  sanctus  erat  in  eo  (eh'  aOxov 
dans  le  textegrec,  «  in  eum  »,  scil.  ven^rat). 
Get  imparfail,  i]v,  comme  le  font  remarquer 
les  commenlateurs ,  designe  une  habitation 
permanente  de  I'Esprit  de  Dieu,  et  pas  un 
simple  sejour  Iransiloire. 

26.  —  Dans  un  da  ces  moments  d'intirae  et 
suave  union  qui  accompagnent  souveni  la  re- 
sidence du  Sainl-Espritdans  uneame,  il  avait 
ete  clairement  reve'le  a  Simeon  (responsum 
acceperat ;  fi^  aut^  x£Xpr,[jLaTta[i.£vov,  «  divine 
oraculo  edoctus  erat.  »  Voyez  Bretschneider, 
s.  V.  Xpr)|j.aTt!;a>)  qu'il  aurail  le  bonheur  de 
voir  le  Christ  avant  de  mourir.  —  L'anlilhese 
dii  divin  oracle  est  a  remarquer  :  non  visu- 
rum... mortem  nisi  videret...  Dans  le  qua- 
trieme  Evangile,  viii,  51 ,  il  est  aussi  question 
de  «  voir  la  mort.  »  Comp.  Ps.  lxxxviii,  48, 
el  Delitzsch,  System  der  bibl.  Psychologic, 
Leipzig  4  855,  p.  190  et  4  91.  —  Christum  Do- 
mini: non  plus  le  Christ  Jehova,  comme  au 
t.  41,  mais  le  Christ  de  Jehova,  c'esl-a-dire 
envoye,  donne  par  le  Seigneur. 

27.  —  Venit  i?i  Spiritu...  c'est-a-dire  «  ins- 
(iganle  Spiritu  sanclo  »,  par  suile  d'une  im- 
pulsion irresistible  qui  provenait  du  divin 
Esprit.  Comp.  Maith.  xxn,  43.  La  piomesse 
celeste  allait  enfin  se  realiser  pour  Simeon.  — 


Cum  inducerent  (~cil.  in  templum)  puerum.., 
parentes  ejus.  Les  ralionalistes  ont  prelendu 
qu'il  exist  ■  une  contradiction  entre  le  mot 
Yovei;,  «  parentes  »,  et  la  pensde  anlerieure 
du  recii  de  S.  Luc  (i,  34  et  ss.);  mais  les  pro- 
testants  eux-memes  se  chargent  de  les  refu- 
ter.  «  Quelle  critique!  Le  mot  parents  est  em- 
ploye tout  simplemenl  comme  designant  la 
qiia'lite  en  iaquelle  Joseph  el  Marie  parais- 
saient  en  ce  moment  dans  le  temple  et  presen- 
taienl  I'enfanl  »  (Godel).  —  Quand  le  vieiliard 
Simeon  rejoignil  les  saints  epoux,  ceux-ci  fran- 
chissaienl  done  la  porte  du  temple  pour  offrir 
Nolre-Seigneur  Jesus-Christ  au  Dieu  d'Israel 
et  payer  sa  rangon.  II  suit  de  Ik  que  Marie 
avail  ele  purifiee  tout  d'abord,  car  I'acces  du 
temple  lui  etait  inlerdit  lant  qu'elle  n'aurait 
pas  ete  lavee  de  la  lache  legale  dont  elle 
etait  censee  atteinle  comme  les  meres  ordi- 
naires.  Le  prelre  de  semaine  etait  venu  la 
Irouver  a  la  porle  de  Nicanor,  ou  de  I'Rst, 
reservee  a  cette  sorte  de  ceremonie  (voyez 
Lighlfool,  Hor.  hebr.  in  Luc.  ii,  22),  el  avail 
accompli  sur  elle  les  riles  accoulumes.  Rien 
n'empechail  desormais  la  mere  du  Christ 
d'ofTrir  elle-meme  son  Fils  au  Pere  celeste. 

28.  —  Et  (xal  d'apodose,  comme  au  t.  21, 
dans  le  sens  de  «  tunc  »)  ipse  accepit  eum... 
Depuis  son  Incarnation,  Jesus  avail  eu  divers 
temoins,  qui  avaient  proclame  son  enlrde 
dans  ie  monde  et  chanle  sa  Redemption  :  au 
ciel  les  anges,  sur  la  lerre  Elisabeth,  Jean- 
Baplisle,  Zacharie,  les  pasteurs  de  Belhleem. 
II  en  complete  aujourd'hui  le  norabre.  «  Om- 
nisseta'^  et  ulerque  sexus  evenlorumque  mi- 
racula  fidem  aslruunl.  Virgo  general,  slerilis 
parit,  mulus  loquitur,  Elisabeth  prophetat..., 
utero  dausus  exullat,  vidua  confiletur,  Justus 
expeclat  ».  S.  Ambr.  Expos,  in  Luc.  h.  I.  — 
In  ulnas  suas.  Simeon,  dans  son  extase,  arra- 
cha  done  doucement  I'enfant  des  bras  de  Marie 
ou  de  Joseph  pour  le  presser  dans  les  siens. 
De  la  le  surnom  de  OcoSoxo;  que  les  anciens 
ecrivains  grecs  aiment  a  lui  donuer.  «  Beatas 
manus  quae  Verbum  vilse  palpaverunt  ,  et 
ulns  quoque  quas  ad  susceplionem  paravit!  » 


CHAPITRE    H 


77 


29.  Nunc  dimittis  servum  tuum, 
Domine,  secundum  verbum  tuum 
in  pace  : 

30.  Quia  viderunt  oculi  mei  salu- 
tare  tuum, 

31.  Quod  parasti  ante  faciem  om- 
nium populorum; 

32.  Lumen  ad  revelationem  gen- 
tium, et  gloriam  plebis  tuae  Israel. 


29.  Maintenant,  Seigneur,  laissez 
votre  serviteur  s'en  aller  en  paix 
selon  votre  parole, 

30.  Puisque  mes  yeux  ont  vu  le 
Sauveur  qui  vient  de  voiis, 

31.  Que  vous  avez  prepare  pour 
etre  devant  tous  les  peuples, 

32.  La  lumiere  qui  eclairera  les 
nations  et  la  gloire  d'Israel  votre 
peuple. 


S.  Greg.  NyrS.  in  Cat.  S.  Thorn.  Quel  ta- 
bleau viaim 'OL  divin  !  S.  Luc  I'a  si  bien  trace 
que  les  ai  lisles  n'ont  eu  qu'a  le  copier,  et 
c'est  ce  qu'ont  fait  admirablem^nt.  parmi 
bicn  d'aiilres,  van  Eyck,  le  Guide,  Rubins, 
fra  Barioloineo  Pliii.  il(3  Cliainpaigne,  Fran- 
cia,  Veronese,  fra  Angelico,  le  Titien,  Raphael. 
Voyez  dans  la  lilteraUire  auoc!  yphe  (Evang. 
de  I'enfance,  ch.  vi,  el  Prolevang.  de  S.  Jacq. 
oh.  XV)  de  curieuses  legendes  siir  la  raaniere 
dont  Simeon  reconnul  le  Messie.  —  Benedixit 
Deum  et  dixit.  Iiiondede  consolations,  eclaire 
plus  que  jamais  par  I'Esprit  Saint,  Simeon 
devenant  tout  a  la  fois  prophete  et  poete, 
chante  son  sublime  cantique,  qui  fut  pour  lui 
Jp  chant  du  cygne,  comma  on  I'a  souvent 
repet^. 

:29.  —  Nunc  dimittis.  Maintenant  1  ou 
meme,  Enfin!  Rien  desormais  ne  s'oppose  a 
sa  mort,  puisqu'il  a  contemple  le  Messie.  Les 
exegeles  font  justeraent  observer  que  I'emploi 
du  present,  «  dimiitis  »,  corrobore  I'idee 
exprimee  par  I'adveibe  «  nunc  ».  Simeon 
parle  de  sa  mort  comme  d'une  chose  pro- 
chaine,  donl  le  retard  n'aurait  aucune  raison 
d'etre,  puisque  la  condition  pour  laquelle 
Dieu  I'avait  conserve  sur  la  tcrre  venail  de 
s'accomplir.  Le  verbe  du  textegrec,  aTtoWsi;, 
est  encore  plus  expressif  que  cehii  de  la  Vul- 
gate ;  on  s'en  sen  pour  designer  la  delivrance 
d'un  prisonnier.  Taction  de  licencier  des 
troupes,  de  relever  un  soldat  de  sou  poste 
(voyez  Bretschneider,  Lex.  man.  s.  v.).  II 
marque  toujoursun  heureux  affranchissement. 
Les  classiques  I'emploienl  aussi  pour  designer 
la  mort  (voyez  Rosenmiiller,  Schol.  h.  1.)  Le 
pieux  vieillard  parle  done  comme  un  homme 
pour  lequel  la  vie  presente  elait  desormais 
un  fardeau  et  la  vie  future  un  doux  repos, 
une  emancipation  vivement  desiree.  —  Ser- 
vum tuum,  Domine.  Expressions  correlatives, 
surloul  dans  le  lexte  grec.  oil  en  elFet  Dieu 
est  app?le  par  S.Simeon  Sicmoxx,  «  here  ». — 
Secundum  verbum  tuum;  Toracle  mentionne 
plus  haut,  t.  26,  par  S.  Luc.  —  In  pace,  non- 
8eulement  tout  a  fait  rassure  sur  I'avenir  de 
son  peuple  (Euthymius),  mais  ayant  ses  desirs 
personnels  entierement  combles.  Ge  aiS'Jl 


(comp.  Gen.  xv,  15)  a  la  fin  du  premier 
vers  produit  un  effet  admirable  :  il  est  en 
outre  d'une  incomparable  suavite. 

30.  —  Simeon  nous  fait  connaitre  mainte- 
nant le  motif  de  sa  paix  et  de  son  bonheur  : 
Quia  viderunt  oculi  mei...  ETSov  mis  en  tete 
de  la  phrase,  puis  le  pleonasme  cmphatique 
«  mes  yeux  out  vu  »  (comp.  Job.  xix,  27), 
renforcentsingulierement  la  pensee.L'heureux 
vieillard  aurait  pu  dire  aus-i  que  ses  bras 
avaient  porte  le  Christ ;  mais  il  meiitionne.de 
preference  la  realisation  de  la  promesse  di- 
vine, t.  26,  «  non  visurum  se  mortem  nisi 
videret  Christum  ».  —  Salutare  tuum,  le  salut 
messianique  donne  au  monde  par  le  Seigneur 
dans  la  personne  de  Jesus. 

31.  —  Ante  faciem  (hebraTsme,  ^JsS)  om- 
nium populorum.  Voila  bien  la  catholicite, 
I'universalile  du  royaume  du  Christ  claire- 
ment  opposee  par  un  Juif  a  I'eiroit  particu- 
larismt;  de  ses  contemporains.  Les  Israelites 
d'alors,  oubliant  les  oracles  si  nets  (Cfr.  Is. 
XLVi,  13;  xnx ,  6;  lii,  7-10.  etc)  (jui 
avaient  annonce  un  Messie  destine  a  sauver 
tous  les  peuples  sans  exception,  n'atlendaient 
pour  la  plupart  qu'un  Sauveur  dont  les  bien- 
fails  seraient  restreints  a  la  nation  iheocra- 
tique.  Simeon  sort  de  ce  cercle  mesquin  :  le 
Christ  chante  par  lui  ne  sera  pas  un  Redemp- 
teur  partiel,  il  procurera  le  salut  du  monde 
enlier. 

32.  —  Gependant,  le  Messie  ne  benira  pas 
tous  les  hommes  de  la  meme  maniere.  Au 
point  de  vue  de  la  vraie  religion,  I'humanite 
se  partageail  alors  en  deux  categories  bien 
disiinctes,  Israel  et  les  Genlils.  Simeon  ter- 
mine  son  cantique  par  I'indication  des  faveurs 
speciales  que  Jesus  apporlera  a  chacune 
d'ellns.  Pour  les  Gentils  il  sera  lumen  ad  re- 
velationem, une  lumiere  qui  eclairera  leurs 
tenebres,  qui  leur  revelera  la  veritd.  Gette 
imago  est  parfailcraent  appropriee  a  I'etat 
dans  lequel  se  trouvait  alors  I'uuivers  palen. 
«  Avaut  la  venu!  du  Christ,  dit  S.  Athanase 
(ap.  Cat.  D.  Thom.),  les  nations,  privees  de  la 
connaissance  de  Dieu,  etaient  plongees  dan-; 
les  dernieres  tenebres...  Mais  le  Christ  faisant 
son  apparition,  ajoute  S.  Cyrille  (ibid.),  fut  la 


78 


33.  Et  son  pere  et  sa  mere  admi- 
raient  ces  choses  que  Ton  disait  de 
lui. 

34.  Et  Simeon  les  benit  et  dit  a 
Marie  sa  mere  :  Get  enfant-la  a  ete 
etabli  pour  la  ruine  et  la  resurrec- 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 
33 


Et  erat  pater  ejus  et  mater 
mirantes  super  his  quae  dicebantur 
de  illo. 

34.  Et  benedixit  illis  Simeon,  et 
dixit  ad  Mariam  matrem  ejus  :  Ecce 
positus  est  hie  in  ruin  am,  et  in  re- 


lumiere  de  ceux  qui  etaienl  dans  les  tenebres 
de  I'erreur,  et  que  la  main  du  demon  avail 
elreints;  ils  fiirenl  appeles  par  Dieu  le  Pere 
a  la  connaissance  du  Fils,  qui  est  la  veritable 
lumiere  ».  Comp.  Is.  xxv,  7  ;  xlii,  6;  xux,6; 
Matth.  IV,  46.  —  Aux  Juifs,  Jesus-Christ 
procurera  une  gloire  toute  particuliere,  glo- 
riani  plebis  tuce  Israel :  gloire,  parce  quec'est 
a  eux  surtout  qu'il  avail  ete  promis  el  donne 
directement(Cfr.  Mallh,  i,  21  et  le  commen- 
taire) ;  gloire.  parce  qu'il  est  sorti  de  leurs 
rangs ;  gloire  aussi  parce  qu'il  vivra  et  agira 
personnellement  au  milieu  d'eux.  Dans  le 
temps  Pl  dans  I'eternite  leur  lilre  de  freres 
du  Christ  selon  la  chair  sera  pour  eux  un 
sujet  de  legilirae  fierle.  —  Tel  est  le  «  Nunc 
Dimitlis  »,  delicieuxa  joyau  lyrique  »,  poeme 
d'une  grande  richesse  malgre  sa  concision, 
puisqu'il  resume  I'histoire  religieuse  de  tous 
les  siecles  a  parlir  du  Christ.  Comme  le 
«  Magnificat  »,  comme  le  «  Benediclus  »,  il 
a  ele  conserve  par  S.  Luc  pour  la  consolation 
perpetuelle  de  I'Egiise ;  aussi  ces  poemes  ter- 
minent-ils  chaque  jour  trois  des  principaux 
ufliccs  lilurgiques.  Le  canlique  du  saint 
vieillard  Simeon  continue  et  complele  ceux 
de  Marie  et  de  Zacharie.  On  peul  dire  qu'il 
ouvie  de  plus  vastes  horizons  :  ceux-ci  en 
cfTcl  elaient  i)liis  specifiquemenl  Israelites, 
Mai-ie  n'ayant  thante  i'lncarnalion  du  Verbe 
■qu"au  point  de  vue  d'elle-meme  et  de  son 
p:'uple,  Zacharie  s'etant  egalement  borne  a 
louer  le  Sauveur  d'Israel,  landis  que,  nous 
venons  de  le  voir,  Simeon  est  alle  plus  loin 
puisqu'il  a  celebre  dans  Jesus  le  Liberateur 
unive'rsel.  —  Le  paralielisme  du  «  Nunc  di- 
mitlis »  est  moins  parlait  que  celui  des  deux 
cant  iques  precedents ;  il  vane  du  reste  presque 
k  chaque  verset.  Synthetiqiie  au  V.  29,  anli- 
thetique  au  t.  32,  il  est  simplement  rhylh- 
mique  dans  les  tt-  30  el  31 . 

33.  —  Et  erat  paler  ejus  et  mater  mirantes. 
Sur  ceUe  construclion  elrange  en  apparence 
(i'auxiliaire  au  singulier,  le  participe  au  plu- 
riel)  el  calquee  sur  le  texte  grec  (^v...  6au[jLd- 
^ovte;),  voycz  Winer,  Grammaiik,  p.  460. 
On  trouve  des  exemples  semblables  dans 
Demoslhene,  Xenophon,  etc.  Les  sujets  sont 
envisages  d'abord  i?oIemenl,  puis  simultane- 
ment.  Au  lieu  de  «  paler  ejus  »,  les  editions 
ordinaires  du  lexte  grec  portent  'Ia)ffr,ip,  d'a- 
pies  la  plupart  des  temoins  anciens.  Nean- 
tnoins,  la  legon  de  la  Vulgate  est  souienue  par 


d'imporlents  manuscrits,  tels  que  B,  D,  L, 
Sinait.,  el  par  Origene ;  il  est  tres  probable 
qu'elle  est  aulhenlique.  —  Mirantes  super 
his...  de  illo  (scil.  Jesu).  En  entendant  les  pa- 
roles du  saint  vieillaid,  Mane  et  Joseph  ne 
purenl  retenir  leur  admiration.  Non  qu'eiles 
leur  apprissent  des  choses  nouvelles.  A  quel 
plus  haut  degre  n'auraient-ils  pas  eux-memes 
excile  I'etonnement  de  Simeon  ,  s'iis  lui 
eussentrepele  ime  faible  partie  des  merveilles 
dont  ils  avaienl  ete  les  auleurs  el  les  temoins 
depuis  quelques  mois!  Ce  qu'ils  adniiraient, 
c'etaicnt  hs  circonslances  prodigieuses  qui 
accompagnaii  nl  chaque  mystere  de  la  vie  du 
divin  Enfant.  Surtout,  la  maniere  dont  le 
Seigneur  manileslait  Jesus  a  des  cceurs  aussi 
humbles  que  le  leur  les  remi)lissail  d'une 
surprise  toujours  croissanle.  Comme  le  dit 
lort  bien  un  ancien  (ap.  Caien.  graec).  «  re- 
rum  supernaluralium  raanifestatio,  quoties 
renovalur,  renovat  in  mente  admiralionem  ». 
34.  —  Apres  avoir  acheve  son  chant  d'alld- 
gresse  el  d'amour,  Simeon  «  benit  »  Marie 
et  Joseph.  Assurement  il  ne  s'agil  pas  d'une 
benediction  propremcnt  dite  :  Benedixit 
( eO),6Yr,(T£v  )  signifie  en  cei  endroit  «  il  les  fe- 
licita,  il  les  proclama  bienheureux  ».  Comp. 
Brelschiieider,  Lex.  man.  s.  v.  euXoye'to,  et 
Gesenius,  Thesaurus,  s.  v.  "pa.  —  Mais  voici 
qu'il  regoit  lout  a  coup  d'en  haut  de  nouvelles 
revelations.  La  lumiere  qu'il  avail  si  admira- 
blement  chantee,  il  la  voit  assombrie  par  de 
prochains  miages.  Alors,  se  tournant  vers 
Mane  tad  Mariam  matrem  ejus  :  la  mere, 
dont  I'atfeclion  est  plus  vive  el  plus  lendre ; 
la  mere,  par  opposition  a  Joseph,  qui  n'etait 
que  le  gardien),  il  lui  dit  avi  c  I'accent  de  la 
douleur  :  Ecce  positus  est  hie...  Ces  paroles 
conlienneni  une  prediction  tres  importante 
relalivement  a  I'Enfanl-Dieu.  'I6oO,  a  ecce  », 
est  ici  une  exclamation  de  douloureux  elon- 
nemenl.  «  Posilus  est  »  ;  dans  le  grec,  y.£tTai, 
litleral.  «  jacel  »,  mais  avec  le  sens  genera- 
lement  admis  de  «  deslinalus  est  »  (comp. 
Phil.  I,  17;  I  Thess.  iii,  3;.  Non  que  Jesus 
ful  destine  dans  lesens  strict  de  celle  expres- 
sion a  la  ruine  de  personne  au  monde  :  au 
conlraire,  il  est  venu  pour  sauveret  racheler 
tous  les  hommes.  II  sera  neanmoins  une 
cau^e  indirecle  et  involonlaire  de  mine  pour 
un  grand  nombre.  —  In  rtiinam  :  on  com- 
prend  sans  peine  de  quelle  ruine  fd'apres 
le  texte  grec,   de  quelle  chule,  eU  titcoctiv) 


CHAPITRE    II 

^surreclionem  multorum  in  Israel; 
et  in  signum  cui  contradicetur. 

Isai.  8,  14;  Rom.  9,  33;  Z  Pet.  8,  7. 

35.  Et  tuam  ipsius  animam  per- 
transibit  gladius,  ut  revelentur  ex 
multis  cordibus  cogilationes. 


79 

tion  d*un  grand  nombre  en  Israel  et 
pour  etre  un  signe  auquel  on  con- 
tredira ; 

35.  Et  un  glaive  traversera  votre 
ame,  afin  que  les  pensees  de  beau- 
coup  de  coBurs  soit  revelees. 


Simeon  veul  parler  :  c'est  d'une  mine  spiri- 
tuelle,  d'une  clnite  morale,  soit  on  ce  monde 
soit  dans  i'aulre,  pour  lous  ceux  qui  resiste- 
ront  a  Jesus.  La  resurrection  menlionnee  en- 
suite  est  de  meme  nature  :  c'est,  des  cette 
vie,  I'elevatiou  [el?  avdaTaaiv,  «  jn  erectio- 
nem  »,  par  opposition  a  eU  titwctiv),  la  regene- 
ration dcs  fimes  qu'avait  abaissees  le  peche, 
la  gloire  celesio  apies  la  mort.  —  Cause  in- 
voloiitaire  do  ruiiie  pour  les  uns,  cause  directe 
dn  resurrection  pour  les  autres,  le  Sauveur 
sera  par  la-mem (^  in  signum  cui  conlradicetur, 
el;  oTi(Ji£iov  avTO,£Yc[xevov.  Isaie  avait  predit 
avec  nun  moins  de  clarte  que  Simeon  ce  ca- 
raciere  du  Messie  :  «  Et  erit  vobis  in  sancti- 
ficationem  ;  in  lapidem  autem  offensionis  et 
in  pelram  scandali  duabus  domibus  Israel,  in 
laqueum  et  in  ruinam  habitantibus  Jerusalem. 
Et  offendent  ex  eis  plurimi,  et  cadent,  et 
conterenlur,  etcapientur  ».Is.viii,  14et1o. 
«  Ouvrons  I'Evangile,  et  surtout  relui  de 
S.  Jean,  oil  le  mystere  de  Jesus-Christ  esf, 
decouvert  plus  a  fond  :  c'est  le  plus  parfait 
commentaire  de  la  parole  de  Simeon.  Ecouf  ons 
murmurer  le  peuple  :  Les  uns  disaient,  C'est 
un  homme  de  bien ;  les  autres  disaient,  Non, 
il  Irompe  le  peuple...  Les  uns  disaient,  C'est 
le  Christ ;  les  autres  disaient,  Le  Christ  doit- 
il  venir  de  Galilee...?  II  y  eut  done  sur  ce 
sujet  uni"  grande  discussion...  C'est  un  pos- 
sede,  disaient  les  uns.  c'est  un  fou ;  pourquoi 
I'ecouler  davantage  ?  D'autres  disaient,  Ce  ne 
sent  [tas  la  les  paroles  d'un  possede?  »Bossuet, 
426  Elevat.  de  la  I8e  sem.  (Voir  les  Ele- 
vat.  '13-18).  Du  reste,  quelques  jours  seule- 
ment  apres  sa  naissance  Jesus  elait  deja  en 
butle  a  la  contradiction  :  il  elait  une  occa-ion 
de  ruine  pour  Herode,  une  cause  de  resur- 
rection pour  les  bergers,  pour  les  Mages  et 
les  ames  fideles.  La  lulte  s'est  conlinuee  dans 
le  cours  des  siecles  (comp.  Hebr.  xii,  .3) ;  de 
nos  jours  elle  est  plus  ardente  que  jamais,  et 
file  durera  jusqu'a  la  fin  du  monde.  Toujours 
I'humanite  sera  divisee  en  deux  camps  au 
sujet  de  Jesus  et  de  son  Eglise  :  le  camp  des 
amis  et  celui  des  ennemis. 

35.  —  Objet  de  la  haine  et  des  contradic- 
tions d'un  grand  nombre.  Jesus  sera  .done 
abreuve  d'amertumes  :  cela  ressoit  claire- 
ment  du  t-  34.  Mais,  a  la  «  Passion  »  du 
Christ,  correspondra  naturellemenl  la  «  Com- 
passion »  de  sa  Mere,  comme  I'ajoule  main- 
tenant  le  saint  vieillard  :  Et  tui  ipsius  ani- 


mam... L'Sme  est  ici  nommee  pour  le  coeur, 
en  tant  qu'elle  est  le  siege  des  affections, 
par  consequent  de  I'amour  malernel.  Voyez 
Bretschneider,  Lex.  man.  au  mot  'J^x'h,  3. 
Le  glaive  (dans  le  grec,  fojA^ata,  le  long  et  large 
glaive  des  Thraces  par  opposition  an  glaive 
plus  petit  desRomains;  voy<  z  Hesychius  s.  v.) 
symbolise  ici  les  vives  et  poignanles  douleurs 
qui  transpercerent  plus  d'une  fois  le  coeui-  de 
Marie  pendant  la  vie  de  son  divin  Fils,  mais 
qui  le  dechirerent  surtout  auCalvaire,  comme 
le  chanle  I'Eglise  : 

Cujns  animam  gementera, 

Conlristatam  et  dolentem, 

Pertransivit  gladius. 

Voyez  Euthymius,  h.  I.  Gelte  belle  meta- 
phore  est  lout  a  fail  classique.  Cfr.  Wetstein, 
Hor.  hebr.  h.  I.  C'est  done  a  tort  que  S.  Epi- 
phane  dans  I'antiquite,  Lightfool  dans  les 
temps  modernes,  et  quelques  autres  exegetes 
a  leui-  suite,  ont  pris  le  mot  glaive  dans  un 
sens  liUeral,et  conclu  des  paroles  de  Simeon 
que  Marie  devait  mourir  de  mort  violente. 
Comme  le  dil  fort  bien  le  Yen.  Bede  expli- 
quanl  ce  passage,  «  nulla  docet  historia 
bealam  3Iariam  ex  hac  vita  gladii  occisione 
migrasse;  |)iaesertim  quum  non  anima,  sed 
corpus,  ferro  soleat  interfici.  »  Mais  il  est 
une  autre  interprelytioii  plus  etrani^e  encore  ; 
elle  consiste  a  voir  dans  la  ^oix^aia  la  desi- 
gnation fisuree  d'un  combat  qui  devait  se 
livrer  en  Marie  entre  le  doute  et  la  foi  au 
sujet  de  son  Fils,  comme  si  Jesus  devait  etre 
momentanemeni  un  signe  de  contradiction 
meme  pour  sa  Mere!  Que  plusieurs  protes- 
tants  conleniporains  adoplent  ce  sentiment, 
nous  n'en  sommes  point  surpris;  il  est  plus 
etonnant  d'en  rencontrcr  des  traces  chez 
d'anciens  orthodoxes  (voir  des  citations  dans 
D.  Calmel',  et  jusque  dans  les  ecrits  de 
S.  Augustin  (Cfr.  De  quaest.  Nov.  et  Vet. 
Teslam.  c.  73),  car  il  ne  pent  s'appuyer  ni 
sur  le  lexle  de  S.  Luc.  ni  sur  le  reste  de 
I'histoire  evangelique  :  aussi  est-il  justement 
rejol-e  par  la  filupart  des  commentateurs, 
quelle  que  soil  du  reste  leur  cioyance.  —  Ut 
revelentur  ex  ww/tis...  Ces  dernieres  paroles 
de  la  prophetic  sonl  claires  par  elles-memes, 
mais  les  commentateurs  ne  sonl  pas  d'accord 
pour  determiner  leur  enchainement  avec  les 
propositions  qui  precedent.  Quelques-uns  les 
rattachent   seulemenl  a  «  signum  cui  con- 


80 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


36.  II  y  avait  aussi  une  prophe- 
tesse,  Anne,  tille  de  Phanuel,  de  la 
tribu  d'Aser;  elle  etait  chargee  de 
jours  et  n'avait  vecu  que  sept  ans 
avec  son  mari  depuis  sa  virginite. 

37.  Restee  veuve  et  arrivee  a 
quatre-vingt-quatre  ans,  elle  ne 
quittait  point  le  temple  et  servait 
Dieu  nuit  et  jour  dans  les  jetines  et 
la  priere. 


36.  Et  erat  Anna  prophetissa, 
filia  Phanuel,  de  tribu  Aser  :  haea 
processerat  in  diebusmultis,etvixe- 
rat  cum  viro  sue  annis  septem  a 
virginitate  sua. 

37.  Et  hsec  vidua  usque  ad  annos- 
octoginta  quatuor,  quae  non  disce- 
debat  de  teraplo,  jejuuiis  et  obse* 
crationibus  serviens  nocte  ac  die. 


tradiceliir  ».  Jesus,  disent-ils,  par  cela  meme 
qu'il  sera  un  sii^no  de  conlradiclion,  forcera 
ses  ennemis  de  devciler  los  plus  secreles 
pensees  de  ienr  cceur.  La  prediclion  relative 
h  Marie  etant  des  lors  comme  isolee  enlre 
deux  membres  de  phrase  auxquels  elle  ne  se 
rallache  pas  direclemenl,  on  la  met  entre 
parentheses.  Mais  nous  croyons,  aver,  d'autres 
exegetes,  qu'il  est  plus  nalurel  et  plus  con- 
forme  a  la  liaison  des  pensees  d'envisager 
cetle  proposition  finale  de  Simeon  comme  la 
conclusion,  la  consequence  des  irois  prece- 
denles  prises  ensemble.  La  prophetie  eniiere 
forme  une  strophe  a  quatre  membres  : 

Ecce  positus  est  hie. . .  in  Israel, 
et  in  signum  cui  contradicetur, 
et  tui  ipsius  animam  pi-rtrausibit  gladins  : 
at  revelentur. . .  cogitaliones. 

Lestroispremiers  membres  consliluentuntout 
inseparable  :  Marie  aura  beaucoup  a  souffrir 
h  cause  des  contradictions  dont  son  Fils  sera 
I'objet;  ces  contradictions  provienilront  du 
role  meme  de  Jesus  par  rapport  a  Israel. 
Toutes  ces  choses  reunies  auront  pour  con- 
sequence la  manifestation  des  coeurs.  En 
prenant  parti  pour  on  contre  le  Christ,  les 
hommes  devoileront  necessairement  ce  qu'ils 
pensent  et  ce  qu'ils  veuient,  leurs  intentions 
et  leurs  affections  les  plus  cachees. 

3°  Sainte  Anne. 

36  et  37.  —  Simeon  se  tait ;  son  role  ^van- 
gelique  est  termine.  Une  ancienne  legende  le 
fait  meme  expirer  de  bonheur  en  cet  instant 
aux  pieds  de  I'Enfant  Jesus.  Alors  s'approche 
Anna...  filia  Phanuel,  de  tribu  Aser.  «  L'e- 
vangeliste,  s'ecrie  Theophylacte,  s'arrete  avec 
complaisance  a  representer  sainte  Anne!  » 
S'il  nous  indique  non-seuleraent  le  nom  de 
cette  pieuse  femme.  mais  encore  celui  de 
son  pere  et  celui  de  sa  tribu,  serait-ce  a 
cause  de  leur  sens  figuralif?  M.  Schegg 
(Evangel,  nach  Lukas,  t.  L  h.  1.)  I'a  pense  : 
0  Comme  Anne  (pn,  Chanan)  signifie  Grace, 
Phanuel  (b><13S)  Visage  de  Dieu,  et  Aser 
{l^H,  Ascher]  I'Heureux,  on  pouvait  trouver 
dans  cette  triple  appellation  une  convenance 


merveilleuse.  Tout  cela  s'etail  verifie  dans 
Anne  :  ces  noms  contenaient  son  histoire.  » 
Mais  le  raisonnement  nous  parait  plus  inge- 
nieux  que  vrai.  Le  texte  sacre  ajoute  qu'Atme 
etait  prophetissa,  c'est-a-dire  une  Nebia 
(X'33)  ou  propheiesse  dans  le  sens  strict.  Elle 
avait  regii,  elle  aus?i,  des  lumieres  surnalu- 
relles  qui,  pour  la  plupart,  concernaient  san& 
doute  le  Messie  :  lo  t.  38  semble  du  moins 
I'indiquer.  S.  Luc  insisie  encore  sur  I'age 
avance  de  son  heroine,  processerat  in  diebu^ 
multis  (voyez  i,  7  et  I'explication) ;  il  precise 
le  temps  qu'elle  avait  vecu  dans  le  maiiage. 
cum  viro  sao  septem  annis;  puis  il  releve  sa 
qualite  de  veuve,  et  de  sainte  veuve  :  vidua. 
erat  usque  ad  annos  octcginta  quatuor  (Le 
«  textus  receptus  »  porie  w;,  «  quasi  » ; 
mais  les  manuscrits  A,  B,  L,  Z,  etc.,  out  ew;. 
comme  la  Vulgate).  Ce  dernier  chifTro  a 
occasionne  une  division  parmi  les  exegetes, 
les  uns  pensanl  qu'il  designe  I'age  total  do 
sainte  Anne  a  cette  epoque  de  sa  vie;  les^ 
autres,  a  la  suite  de  S.  Ambroise,  I'appli- 
quant  seulement  aux  anneos  de  son  veuvage. 
En  supposant,  d'apres  cette  seconde  hypo- 
Ihese,  (ju'Anne  se  fiit  miiriee  a  15  ans,  selon 
la  coutume  jiiive,elle  aurait  ele  alors  flgee  de 
106  ans  fl5  -|-  7  +  84^.  Mais  nous  croyons 
le  premier  sentiment  plus  probable.  —  Dans 
I'antiquile  le  veuvago  eiait  beaucoup  plus 
rare  qu'aujourd'hui  :  les  femmes  se  rema- 
riaient  presquo  toujours,  du  moins  lors- 
qu'elles  elaient  encore  jeunes  a  la  mort  de 
leur  premier  mari.  Anne,  comme  Judith,  fut 
une  glorieuse  exception  a  cette  regie ;  et  elle 
usait  de  sa  liberte  pour  servir  Dieu  avec  une 
plus  grande  perfection.  —  Non  disc.edebal  de 
templo.  Faut-il  prendre  ces  mots  a  la  lettre, 
et  supposer  que  sainte  Anne  avait  reellem»nt 
sa  residence  dans  quelqu'une  des  annexes  du 
temple?  Ou  bien,  ne  vaut-il  pas  mieux  croire 
que  Tecrivain  sacre  les  a  employes  par  hyper- 
bole, pour  dire  que  la  pieuse  veuve  passait 
une  grande  parlie  de  ses  jonrnees  dans  les 
sacres  parvis  [conip.  xxiv,  53;  Act.  ii.  46)? 
Nous  inclinons  davanlage  vers  cette  seconde 
interpretation.  On  voit  par  la.  dans  tons  leg 
cas  {jejuuiis   et  obsecrationibus...),  qu'Anno 


CHAPITRE  II 


81 


38.  Et  hsec,  ipsa  hora  superve- 
niens,  confitebatur  Domino;  et  lo- 
quebatur  de  illo  omnibus  qui  ex- 
pectabant  redemptionem  Israel. 

39.  Et  ut  perfecerunt  omnia  se- 
cundum legem  Domini,  reversi  sunt 


38.  Et  survenant,  elle  aussi,  a 
cette  meme  heure,  ellelouait  le  Sei- 
gneur et  parlait  de  Tenfant  a  tous 
ceux  qui  attendaient  la  redemption 
d'Israel. 

39.  Et  lorsque  ils  eurent  tout  ac- 
compli selon  la  loi  du  Seigneur,  11 


■etait  morte  au  mondeet  qu'elle  nevivait  que 
pour  Dieu.  Elle  realisail  d"avance  le  portrait 
de  la  vrale  veuve  trace  par  S.  Paul,  I  Tim. 
V,  5.  «  Elle  perseverait  dans  son  incessanle 
adoration  la  nuit  aussi  bien  que  lo  jour. 
Qiioiqu'elie  ciit  depuis  bien  longlemps  de- 
passe  I'age  oil  les  macerations  corporelles 
formenl  un  element  important  de  la  sainlele, 
neaiimuins  ?a  vie  etait  un  jeune  conlinuel.  Si 
la  priere  etait  I'oeuvre  do  sa  vie,  la  penitence 
en  etait  la  recreation.  »  Faber,  Bethlehem, 
p.  225. 

38.  —  Et  li(Bc...  supervenieiis  (bonne  tra- 
duction du  verbe  eittaxaaa,  si  cher  a  S.  Luc 
qu'il  s'en  sert  jusqu'ci  dix-huit  fois,  tandis  que 
les  aiitres  ecrivains  du  Nouveau  Testament  ne 
J'emploient  que  deux  fois).  Poiissee,  comme 
Simeon,  par  un  vif  raouvement  du  divin  Es- 
prit qui  residait  en  elle,  Anne  survint  ipsa 
hora,  c'est-a-dire  a  peu  pres  au  meme  mo- 
ment que  le  saint  vieillard,  au  moment  ou 
Marie  et  Joseph  aliaient  accomplir  la  cere- 
raonie  du  rachai  de  I'Enfant,  et,  reconnais- 
sant  a  son  tour  dan^  ce  nouveau-ne  le  Libe- 
rateur  d'Israel,  le  Messie,  elle  se  mit  a  glo- 
rifier  haulpment  le  Seigneur.  —  Confitebatur, 
comme  av6wiJ.o>,0Y£TTo,  coiTespond  a  I'hebreu 
nnn ,  «  laudibus  celebiavit  » ;  I'expression 
grecque,  qui  >ignifie  litlerallcmenL  «  vicissim 
confiteri  »,  fail  allusion  aux  louanges  ante- 
rieures  de  Simeon.  «  Laudabal  Deam,  confir- 
mans  ea  quae  a  Simeone  dicta  fuerant  »,  Mal- 
donat.  —  Depiiis  lors,  sainlo  Anne  mit  loute 
sajoie  a  parler  de  Jesu?  (de  illo  :  ce  pronom 
desigueevidemment  leSauveur  d'apres  I'idee) 
a  lous  ceux  qui  attendaient  le  Messie.  L'im- 
parfait  loquebntur  indique  des  actes  repetes. 
Au  lieu  de  redemptionem  Israel,  le  i^rec  porle 
7.uTpw(Tiv  ev  'l£po-joa).iQu.,  ou  d'aoies  divers 
manuscrits  el  vers.ons,  Iv-puxjiw  'lepoyc-aV/itx.. 
—  L'episode  est  clos  brusquement  par  ce  de- 
tail, el  S.  Luc  noiis  rainene  a  Nazareth,  a  la 
sulLe  de  la  sainte  Famille. 

7.  Vie  caches  de  Notre-Seigneur  Jesus- 
Christ  a  Nazareth,  ii,  39-53.  (Harall.  Matili. 
II,  23). 

Ce  nouveau  paragraphe  s'ouvre  par  un 
abrege  de  I'Enfance  du  Sauveur,  tt.  39  el  40, 
et  il  se  termine  par  un  abrege  de  son  adoles- 
cence, Vt.  51  el  52.  Encadre  pour  ainsi  dire 

S.  Bible. 


enlre  ces  deux  sominairos,  se  deploie  un  ra- 
vissant  tableau,  qui  expose  I'unique  evene- 
ment  qu'il  ait  plu  a  I'Esprit  Saint  de  nous 
conserver  de  la  vie  cachee  du  divin  Redemp- 
teur. 

lo  Abr6g6  de  I'enfance  de  Jesus,  ff.  39  et  40. 

39.  —  Ce  verset  forme  une  transition  entre 
le  myslere  de  la  presentation  de  Jesus  au 
temple  et  ceUii  de  son  obscuie  relraile  k 
Nazareth.  —  Ul  perfecerunt  omnia  secundum 
legem.  Nous  avons  vu  plus  liaut,  en  expliquant 
les  versets  22-24,  ce  que  la  loi  mosaique  exi- 
geait  des  meres  el  de  ieurs  premiers-nes. 
Avant  de  passer  a  un  autre  ep  sode,  I'evan- 
vangelisle  a  soin  de  dire  que  Marie  el  Joseph 
furent  fideles  a  toutes  ses  prescriptions.  — 
Reversi  sunt...  in  civitatem  suam.  Betlileem 
etait  la  «  cite  de  David  »,  leur  ancetre,  t.  4, 
et  ils  n'y  etaienl  venus  qu'en  passant,  pour 
obeir  a  un  decrct  do  Cesar,  ou  pUilolaux  vues 
de  la  divine  Providence  ;  mais  Nazareth  etait 
leur  propre  cite,  celle  ou  ils  elaieni  depuis 
longlemps  fixes  (Cfr.  i,  56)  :  ils  y  reviement 
done  aussitot  qu'il  n'y  a  plus  iien  pour  les 
relenir  en  Judee.  —  Tout  parait  Ires-simple 
dans  ce  detail,  el  pourtanl  quelles  ditficultes 
n'a-t-il  pascreees!  Ici  en  olTel  sedresse  devant 
nous  la  grosse  question  de  I'accord  a  etablir 
entre  les  recils  de  S.  Malthieu  et  de  S.  Luc 
louchant  lEnfance  de  Jesus.  Chacune  di  s  deux 
narrations peutserediure  a  cinq  fails  disiiucts. 
D'apies  le  premier  Evangile,  chap,  ii,  il  y  a 
'to  la  naissance  de  Jesus  a  Belhleem,  2o  I'a- 
doration  des  Mages  dans  cette  meme  bour- 
gade,  30  la  fuiie  en  Egyple,  40  1"  massacre 
des  SS.  Innocents,  5o  le  I'eleur  d'Eiiypte  et 
I'etablissement  de  la  Samle  Famiiie  a  Naza- 
reth. D'apres  S.  Luc,  11,  1-39,  il  y  a  lo  la 
naissance  de  Jesus  a  Belhleem,  2o  I'adora- 
lion  des  bergers,  3o  la  circoncision,  4o  la  Pu- 
rification de  Marie  et  la  Presentaiion  de  Jesus 
au  tem[)le,  5o  le  retour  de  la  Sainle  Famille 
en  Galilee  A  part  le  premier  et  le  dernier 
fait,  tout  ditfere  dans  les  deux  recils;  bien 
plus,  el  la  se  trouve  precisement  le  noBud  de 
la  difBculle,  tandis  que  S.  Malthieu  conduit 
Jesus,  JIarie  et  Joseph  de  Betlileem  en  Egyple 
avant  de  les  ramener  a  Nazareth,  S.  Luf 
semble  ailfirmer  en  termes  expres  que,  partis 
de  Belhleem,  ils  revinrent  tout  droit  a  Naza- 
Luc  —  6 


82 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


I'etournerent  en  Cjalilee,  a  Nazareth 
ieur  ville. 
40.  Et  I'enfant  croissait  et  se  forti- 


in  Galilseam  in  civitatem  suam  Na- 
zareth. 
40.  Puer  autem  crescebat,  et  con- 


relli.  A  la  suite  de  Celse  el  de  Porphyre 
(comp,  S.  Epiph.  Haer.  li,  8),  les  rationalistes 
coniemporains  ne  manquenl  pas  d'opposer  ici 
S.  Maithieu  a  S.  Luc,  tanlot  pour  rejeler  I'un 
des  recits  auxdepensde  Tautre  (Sclileierma- 
cher,  Schneckenburger,  elc),  lanlol  pour  les 
rejcter  Tun  el  I'aulre  (Slrauss,  Leben  Jesu, 
1835,  §  34  el  33].  Meyer  lui-nieme,  quoique 
beaucoiip  moins  avance,  assure  que  «  la  con- 
ciliation esl  impossible.  »  Alford,  toutcroyant 
qu'il  ful,  n'a  pas  ciainl  de  due  ;  «  Dans  Petal 
acluel  des  deux  rdalions,  il  n'esl  pas  du  tout 
possible  de  suggerer  une  melhode  satisfai- 
sanle  pour  les  uiiir.  Quiconque  la  essaye  a 
viole,  dans  quelque  parlie  de  son  hypolhese, 
la  probabilile  ou  le  sens  commun.  »  Quoique 
nous  suivions,  comrae  exegele  calliolique, 
des  regies  de  critique  aulremenl  severes  que 
cellesauxquellesesl  aslreinl  un  ministreangli- 
can,  nous  avouons  ne  rien  comprendre  a  ceUe 
impossibilile  prelendue  de  conciliation.  Du 
reste,  en  dehors  du  camp  ralionalisle,  c'est 
presque  a  I'unanimite  des  voix  que  les  com- 
mentateurs  nient  I'exisience  d'une  opposition 
reelle  enlre  les  deux  evangelistes.  —  1.  On 
conQoit  d'abord  sans  peine  que  les  ecrivains 
sacres  n'aient  pas  raconle  absolumenl  les 
memes  fails  :  S.  Maithieu  a  choisi  de  prefe- 
rence ceux  qui  rentraient  davantage  dans  son 
plan  (voyez  notre  commentaire  de  Matth. 
n,  22,  p.  64) ;  S.  Luc  a  insere  dans  sa  nar- 
ration ceux  qu'il  trouva  dans  les  documpnls 
dont  il  se  servait.  —  S.  La  concorde  s'opere 
de  la  maniere  la  plus  simple  pour  les  premiers 
evenemenls  :  Jesus  nail  a  Beihleem  d'apres 
les  deux  evangelisies;  il  est  adore  par  les 
bergers,  puis  circoucis  le  builieme  jour,  d'a- 
pres S.  Luc.  Elle  existe  aussi  pour  le  dernier 
fait,  le  sejour  a  Nazareth,  que  S.  Maithieu  et 
S.  Luc  relalenl  de  concert.  —  3.  Pour  har- 
moniser  entreeuxlesautres  evenements,  on  a 
iuvente  irois  principaux  syslemes  qui  raon- 
trenl,  chacun  a  sa  maniere,  que  les  deux 
narrations  ne  sont  nulleraent  inconciliables. 
1o  Enlre  la  Circoncision  de  Jesus  et  sa  Pre- 
senlalion  au  lemple,  e'est-a-dire  entre  les 
verseis  21  el  22  du  second  chapilre  de  S.  Luc, 
on  insere  Matth.  ii,  1-21,  par  consequent 
I'adoratioii  des  Mages,  la  fuiie  en  Egyple.  le 
massacie  des  SS.  Innocenis  el  le  reto'ur  d'E- 
gyple.  Avant  de  rentrer  a  Nazareth,  Marie 
t-e  serait  arretee  a  Jerusalem  pour  se  faire 
purifier  el  pour  racheler  I'Enfani  Jesus.  2°  On 
place  la  visile  des  Mages  enlre  la  Circonci- 
sion et  la  Purification.  A  la  suite  de  ce  der- 
nier mystere,  on  ramene  la  Sainle  Famille  a 


Beihleem  pour  quelques  jours  :  puis  ont  lieu 
successivement  les  mysleres  de  la  fuite  en 
Egyple,  du  massacre  des  SS.  Innocenis  et  de 
I'lnslallation  definitive  a  Nazareth.  3°  Tout 
se  passe  d'abord  comme  le  raconle  S.  Luc 
jusqu'a  la  Presentation  inclusivemeni.  Les 
Mages  viennent  ensuite  adorer  Jesus  a  Beih- 
leem, oil  ses  parents  Tavaienl  rapporie  au 
sortir  de  Jerusalem.  Apres  cela ,  It-s  autres 
fails  racontes  par  S.  Maithieu  ont  lieu  a  tour 
de  role  jusqu'a  ce  que  finalemenl  Jesus,  Ma- 
rie et  Joseph  s'etablisspnt  a  Nazareth.  —  C'est 
a  celle  troisieme  hypothese  que  nous  donnons 
la  preference.  La  premiere  a  un  double  incon- 
venient. D'abord  elle  accumule  bien  des  eve- 
nemenls dans  I'intervalle  restreint  d'environ 
irente-deux  jours.  A  la  rigueur,  il  est  vrai, 
quelques  semaines  suffisent  pour  tout  ce  que 
rapporie  S.  Maithieu,  y  compris  la  fuite  el  le 
sejuur  en  Egyple;  car,  de  Beihleem,  on  pou- 
vait  alieindre  en  quelque  jours  la  frontiere 
egyplienne.  Neanmoins  il  est  peu  vraisembla- 
bles  que  I'exil  de  la  Sainle  Famille  n'ait  dure 
qu'environ  deux  semaines.  De  plus,  ce  sys- 
leme  s'accorde  difficilement  avec  le  recit  de 
S.  Maithieu  :  comment  Marie  ot  Joseph  au- 
raienl-ils  ose  porter  TEnfant  Jesus  a  Jerusa- 
lem silol  apres  le  massacre  des  SS.  Innocents, 
quoique  le  roi  Herode  ful  mort?  La  seconds 
hypoihese  a  cela  de  lacheux  qu'elle  scinde  en- 
plusieurs  parties,  pour  faire  de  ces  debris  une 
espece  d'entrelacs,  des  narrations  dans  les- 
quelles  les  evenemenls  paraissenl  avoir  une 
suite  tres-logique.  La  troisieme.  au  contraire, 
laisse  les  recils  dans  Ieur  integrile  primilive, 
puisqu'elle  se  borne  a  placer  celui  de  S.  Mai- 
thieu apres  celui  de  S.  Luc  de  la  fa^on  la  plus 
naturelle  :  aussi  est-elle  la  plus  generalement 
admise.  —  Ainsi  done,  les  deux  evangelistes 
ne  se  conlredisent  pas,  mais  ils  se  comple- 
tent  I'un  I'aulre.  S.  Luc,  n'ayanl  pas  I'inten- 
lion  de  rapporter  la  visile  des  Mages  el  ses 
douloureuses  consequences,  a  ires  bien  pu 
cunduue  directement  la  Sainle  Famille  de  Je- 
rusalem a  Nazareth,  sans  exclure  des  voyages 
inlermediaires.  Les  historiens  profanes  usent 
fiequemment  de  celle  liberie  et  personne  ne 
songe  a  Ieur  en  faire  un  crime.  —  Voyez  sur 
celle  question  S.  August.,  De  consensu  Evan- 
gel.; Wieseler,  Chronol.  Synopse  der  vier 
Evangelien,  Hambourg  1843,  p.  132  et  ss.; 
Dehaut,  I'Evangile  explique,  defendu,  Seedit. 
t.  I,  p.  343  et  ss.;  Farrar,  the  Life  of  Christ, 
23e  edit.,  i.  L  p.  17  el  ss.;  Maldonat,  Com- 
menl.  in  Malth.  ii,  13,  22,  23. 

40.  —  Puer  (to  itai5iov,  le  petit  enfant)  au- 


fortabatur,   plenus   sapientia 
gratia  Dei  erat  in  illo. 

41.  Et  ibant  parentes  ejus  per 
omnes  aiinos  in  Jerusalem,  in  die 
solemni  Paschse. 

Exod.  23.  i5  et  34,  18;  Deut.  16,  1. 

42.  Et  cum  factus  esset  annorum 


CHAPITRE   I[ 

:    et 


8» 


fiait,  plein  de  sagesse^  et  la  grace 
de  Dieu  etait  en  lui. 

41.  Or  ses  parents  allaient  tou& 
les  ans  a  Jerusalem  au  jour  solennel 
de  Pdque. 

42.  Et  lorsqu'il  fut  age  de  douze 


tern  crescebat...  L'evangelisle  resume  dans  ces 
quelques  lignes  les  douze  premieres  annees 
de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  :  ii  les  repre- 
senled'une  inaniere  generalecommeun  temps 
de  croissance  el  de  developpement  nniversel, 
ainsi  que  cela  a  lieu  pour  lous  les  homraes. 
Comp.  Justin  M.,  Dial.  c.  Tryph.  c.  lxxxviii. 
Apres  expaxaiouTO,  con  fortabatur,  le  u  lexlus 
receptus  »  ajoute  TtveOfjaTi;  inais  ce  mot,  qui 
manque  dans  d'importants  manuscnts  (B, 
D,  L,  Sinait.,  etc.)  et  dans  plusieurs  aucieii- 
nes  versions  (Vulg.  Itai.,  sati.,  copl.,  aim., 
sax.),  est  probablement  une  glose  provenanl 
du  chap.  1,  t-  80.  —  Plenus  sapienlia.  Sous 
les  dehors  d'un  humble  petit  enl'anl,  Jesus 
cachail  une  infinie  sagesse,  par  suite  de  son 
union  au  divin  Logos.  Voyez  I'explication  du 
t.  52.  Dans  le  grec,  le  participo  present 
«)-Tipou[A£vov  semblerait  indiquer  une  effusion 
perpeiuelle  et  constamment  reiteree  do  la 
Sagesse  divine  sur  I'ame  de  Notre-Seigneiir 
Jesus-Christ.  Comp.  Schegg,  h.  1.  —  Gratia 
Dei  erat  in  illo,  ou  inieux  «  in  ilium  »  ;£7c' 
auTo),  avec  I'accusalif  du  mouvement,  cc  qui 
est  plus  energique.  La  faveur  de  Dieu  repo- 
sait  done,  ou  plulol,  descendait  visiblement 
sur  le  Fils  de  i\larie  :  le  Seigneur  mellail  des 
lors  toules  ses  complaisances  en  eel  Enfant 
beni.  Combien  la  pensee  deviendrait  fade  si 
Ton  voyait  dans  x«P''  Q^ou,  a  la  suite  de  qnel- 
ques  exegeli  s  ^Raphel,  Wolf,  etc.],  I'lndica- 
tion  des  bonnes  graces  corporelles  de  Jesus! 
—  S.  Luc  avail  fait  precedemment  une  re- 
marque  analogue  a  propos  du  Precurseur, 
I,  66  et  80.  Mais  quelle  difference  entre  la 
croissance  de  S-  Jean  el  celle  du  Christ! 
La  du  reste  on  disait  seulement  que  la  main 
de  Dieu  etait  avec  le  fils  de  Zacharie,  tandis 
qu'ici  c'esi  la  grace  memo  de  Dieu  qui  reside 
en  Jesus. 

2»  J6sus  parmi  les  Docteurs.  yy.  41-50. 

«  L'evangelisle  montre  mainlenant  la  vi- 
rile de  ce  qu'il  vient  de  dire.  »  S.  Cyrille  ap. 
Cal.  D.  Thomae.  S.  Luc  releve  en  effet  par 
une  gracieuse  el  touchanle  anecdote  la  sa- 
gesse loule  divine  de  Jesus.  Cet  episode  a 
d'autant  plus  de  prix  pour  nous  qu'il  con- 
tienl  la  premiere  manifestation  personnelle 
du  Sauveur,  qu'il  nous  permel  de  jeter  un 
respeclueux  regard  au  plus  profond  de  son 
fime  et  de  sa  vie  d'enfant,  et  qu'il  est  unique 


dans  les  saints  Evangiles.  11  est  vrai  que  la 
lilteralure  apocryphe  a  essaye  de  lirer  le 
voile  qui  recouvre  les  premieres  annees  do 
Notre-Seigneur  Jesus-Chrisl,  et  qu'elleabondo 
en  informations  sur  la  vie  cacheo  de  Naza- 
reth. Mais,  a  part  quelques  trails  que  Ton. 
peut  comparer  avec  S.  Jerome,  Epist.  ad 
Laeiam,  a  un  peu  d'or  dans  beaucoup  de 
boue,  quelle  pauvre  idee  no  nous  ijonne-t-elle 
pas  de  I'Enfaiit-Dieu!  Un  etalage  theairal  de 
miracles  inuliles,  des  fables  choquantes,  un. 
Jesus  qui  n'est  ni  humble,  ni  obeissant,  ni 
simple,  qui  pose  devant  lout  le  inonde,  voilai' 
ce  qu'on  y  Irouve.  La  Providence  a  permis 
que  ces  livres  elranges  arrivassenl  jusqu'a. 
nous,  pour  qu'on  vit  mienx  la  difference  qu'il 
y  a  entre  les  Evangiles  du  ciel  et  les  Evan- 
giles de  la  terre.  Voyez  les  ouvrages  deja 
cites  de  Hofmann,  de  Brunei,  et  les  recueils- 
de  Fabricius,  de  Thilo,  de  Tischendorf. 

41.  — Ce  versel  el  le  suivant  conliennent 
les  details  preliminaires  du  recit.  —  Ibant 
parentes  ejus...  Premier  detail,  dune  nature 
plus  generale.  Chaque  annee  (xax'  Ito;  du 
lexte  grec  est  une  ellipse  pour  xa6'  exaoxov 
ItoOi  a  I'occasion  de  la  fete  de  Paque  (le  grec 
porte  sinipleinent  t^  sopTij  au  lieu  de  in  die 
solemni),  les  parents  de  Jesus  faisaient  done 
un  pelerinage  a  Jerusalem.  Mais  il  est  a 
croire  que  l'evangelisle  abrege  en  cet  endroit,. 
et  que,  s'il  se  borne  a  mentionner  la  Paque; 
c'esl  parce  que  I'incident  qu'il  raconte  eut 
lieu  pendant  celle  solennite.  En  effet,  d'apres^ 
la  loi  juivec'etail  Iroisfois  par  an,  a  Paque,  a 
la  Penlecole  el  pour  la  fete  des  Tabernacles, 
que  les  Israelites  devaient  visiter  le  sanc- 
luaire  et  resserrer  ainsi  les  liens  qui  les  at- 
tachaient  a  la  iheocratie.  Cfr.  Ex.  xxiii,  44 
et  ss. ;  xxxiv,  23;  Deut.  xvi,  46;  Michaelis, 
Mosaisch.  Recht,  §  483.  II  n'y  avail  d'excep- 
tion  que  pour  les  malades,  les  vieillards,  ]e& 
petils  enfants  el  les  fenimes.  Mais  celles-ci, 
par  esprit  de  piele,  allaient  souvent  celebrer 
au  moins  la  fete  de  Paque  a  Jerusalem.  Comp. 
I  Reg.  I,  7;  Matth.  xxvii,  55;  Marc,  xv,  4; 
Luc.  xxm,  55.  Hillel  avail  meme  pretendu 
rendre  celle  assistance  obligaloire  pour  elles. 
Dans  tous  les  cas,nous  ne  sommes  nullement 
surpris  de  voir  que  Marie  accompagnait  son 
saint  epoux  a  Jerusalem  «  per  singulos  annos.» 

42.  — Cum  factus  esset  annorum  duodecim... 
Cet  age  avail  thez  les  Juifs,  par  suite  d'un 


8& 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


ans,  ilsmonterent  a  Jerusalem  selon 
la  coutume  au  jour  de  la  fete. 

43.  Et  tandis  qu'ils  revenaient 
apres  que  les  jours  de  la  fete  furent 
passes,  I'enfant  Jesus  demeura  a 
Jerusalem  et  ses  parents  ne  s'en 
apercurent  point. 

kk.  Et  [lensant  qu'il  etait  avec 
ceux  de  leur  com  [  agnie,  ils  marche- 


duodecim,  ascendentibus  illis  Jero- 
solymam ,  secundum  consuetudi- 
nem  diei  festi, 

42.  Gonsummatisque  diebus,  cum 
redirent  remansit  puer  Jesus  in  Je- 
rusalem, et  uon  cognoverunt  pa- 
rentes  ejus. 

44.  Existimantes  autem  ilium 
esse  in  comitatu,  venerunt  iter  diei. 


anliqiH'  usage  qu'on  rattachail  a  divers  trans 
de  la  vie  de  MoiSP,de  Salomon,  etc.,  une  im- 
portance capiiale.  Enfant  on  ]VJ3p  \kal6)\, 
petit)  avant  de  i'altein  nre ,  on  devenait 
homme,  U'N  [isch)  on  SttJ  [gadol,  grand) 
apres  I'avoir  IVanchi ;  inais  surtout.  I'on  de- 
venait vers  cetle  epoque  Ben-halthorah 
-mirin~p.  «  filius  legis  »)  ou  Bar-mitz'oili 
:mjf)2~"ia-  «  liiius  prsecepli  »),  c'esl-a-dire 
qu'on  eiait  soumi?  a  louics  li\s  prescription-^ 
de  la  loi  rao~ai(|iie,  parce  q'i'on  etait  censa 
de^ormai*  as?ez  furt  pour  hs  observer  meme 
dans  ce  qu'elh^s  avaieiit  de  jilus  onereux.  Par 
con?:eqiient,  a  doiize  ans  revolus,  le  jeun3 
Israelite  etait  tenu  aux  jviiiies,  et  aux  pele- 
rmages  dont  nous  avons  [)arle.  Suit-il  de  la 
que  le  voyaga  decrit  on  eel  endroit  par 
S.  Luc  serait  le  premier  de  ceux  que  Jesus  fit 
a  Jerusalem  apres  sa  Pre-entaiion  an  temple? 
Divers  exegeles  contemporains  i'ont  admis 
(von  Burger,  Abbott,  etc.).  Mais  il  nous  pa- 
rait  plus  naiurel  de  croire  avec  S.  Angustin, 
Maldonat.  Luc  de  Bruges,  Jansenin-,  etc., 
que  ses  parents  ne  s'olaient  pas  separes  de 
lui  a  leurs  p6lorinogPS  anterieurs.  La  circon- 
stance  d'ago  ( st  lout  a  fait  accessoiro  dans 
!:'  recit  do  revangelistc,  —  Axcendenttbas 
illis...  Les  manu>(r:i>  A,B,  K.. L.Sinail.,etc., 
ont  de  memo  avaga'.vwxuv,  an  participe  pre- 
sent. D'anlres  lemoins  anciens  ont  au  con- 
Iraire  ivaSdvTwv  au  participe  aoriste,  comme 
!e  a  text,  receptiis  »  :  cette  leQon  donne  un 
sens  plus  clair  a  la  phrase.  Le  mot  Jevoso- 
lymam  (remarqu  z  ci  tte  nuance  :  dans  les 
tt.  41  et  43  on  lit  «  Jerusalem  »)  est  rejete 
par  plusieurs  critiques;  il  e>t  omis  en  des 
manu-crits  ou  versions  qui  font  auiorile. 

43  el  44.  —  Je-u-;  prrdu  a  Jerusalem, 
tt.  43-45.  —  Co)isuminati>'f)ue  diebus.  Dans 
le  grec,  xai  Te).E'.a)T(xvTwv  xa: -/jie'pa;,  «  quum 
con-ummassenl  dies  ».  Les  fel"s  pascales 
duraient  toule  une  octave  (Cfr.  Ex.  xii,  13; 
Lev.  xxiii,  3  et  s.;  Deut.  xvi,  3),  et  il  est 
fort  probable,  d'apres  I'expression  de  S,  Luc, 
que  Marie  et  Jo>  p'l  demeurerent  huil  jours 
entiers  a  Jerusalem  avant  de  songer  au  de- 
part. Neanmoins  on  pouvail  aussi  se  mettre 
en  route  des  le  troisieme  jour,  quand  la  partie 


la  plus  im[)ortante  de  la  solennite  etait  passee. 
—  Remansit  puer  Jesus.ll  resta,  comme  il  I'ex- 
plique  lui-:iieme  un  peu  plus  bas,  t.  49,  parce 
que  «  les  affaires  de  son  Pere  »  I'exigeaii  nt ; 
il  n'averiii  point  sa  Mere  ni  S.  Josi  pli.  parce 
qu'il  tnlrail  dans  les  desseins  secreis  de  Dieu 
qu'ils  fussppt  eprouves  par  sa  perte  inomen- 
tanee.  —  Noacognooerunt  pirentes  ejus.  Dan> 
le  «  text,  receplus  »,  oOx  eyvw  'Iworja  y.ai  i^ 
[i-fi'n?  a'JToO.  Les  manuscrils  B,  D,  L,  Sin.  el 
plusieurs  versions  onl  la  mem?  leQon  que  la 
Vulgate.  Voyez  le  t.  33  et  rexplication.  11 
semble  d'abord  bien  eirange  que  Marie  et 
Josoi.h  ai' nt  eie  aiiisi  separes  de  Jesus,  el 
qu'ils  aient  en^uile  quiite  Jerusalem  sans 
Tavoir  retrouve.  Mais  tout  s'explique  aise- 
menl  si  I'on  so  represente  les  circonslances 
parmi  lesquelles  eut  lieu  la  disparilion  de 
I'linl'ant.  La  sainte  Famille  ne  voyageait  pas 
isoleraent  (Cfr.  t-  44);  elle  revenail  a  Naza- 
reth avec  une  caravane  eompo>ee  de  nom- 
breux  pelerins  galileens.  Or,  le  depart  d'une 
caravane  orientale  est  aussi  lent  el  confjs 
qu'il  est  bruyant.  Souvent  done,  la  jeunesse 
impatiente  prend  les  devants,  et  Ton  se  re- 
trouve a  la  prochaine  station;  les  meres  le 
savent  et  ne  s'inquietent  pas.  Ou  encore,  fut- 
on pai  ti  ensemble,  des  groupes  varies  ne 
tardent  pas  a  se  former,  Les  femraes  el  les 
homines  ages  chevauchent  habituellemenl 
sur  des  anes;  les  hommes  et  les  jeunes  gens 
vont  a  pied;  mille  incidents  ralenlissent  ou 
accelerent  la  marche ;  les  enfants,  qui  cou- 
raient  d'abord  a  cole  de  leur  pere,  s'atla- 
chent  bientot  a  un  group?  voisin  (voir 
Abbott,  Luke,  p.  241;  Tholuck,  Glaubwiir- 
digkeit  der  evang.  Gesch.  p.  215  et  s.).  N'ou- 
blions  pas,  du  resie,  que  nous  sommes  en 
Orient,  ou,  a  douze  ans.  on  est  deja  souvent 
traite  comme  un  jeune  homme.  Eiifin  Marie 
et  Joseph  connaissaient  NotreSeigneur,  et, 
si  sa  sagesse  avail  eclate  a  tous  les  ycux  des 
ses  annees  les  plus  tendres,  personne  n'en 
avail  autant  de  preuves  que  sa  Mere  et  son 
gardien.  Pour  toutes  ces  rai?ons,  auxquelles 
nous  pouvons  ajouter  encore  a  la  suite  d'Eu- 
thymius  I'economie  de  la  divine  Providence 
xaxa  Oiiav  olxovoiiiav),    Marie    et  Joseph    ntk 


CIIAPITRE  II 


85 


el  requirebant  eum  inter  cognatos 
et  notes. 

4b.  Et  non  invenientes,  regressi 
sunt  in  Jerusalem,  requirentes  eum. 

46.  Et  factum  est  post  triduum 
invenerunt  ilhim  in  templo,  seden- 
tem  in  medio  doctorum,  audientem 
illos,  et  interrogantem  eos. 


rent  durantunjour,  puis  ils  le  clier- 
cherent  parmi  leurs  parents  et  leurs 
connaissances. 

45.  Et  lie  le  trouvant  pas,  ils  re- 
vinrent  a  Jerusalem  pour  le  cher- 
cher. 

46.  Et  apres  trois  jours  ils  le  trou- 
verent  dans  le  temple,  assis  au  mi- 
lieu des  docteurs,  les  ecoutant  et  les 
interroseant. 


lurenl  point  Irop  surpris  de  I'absence  de 
Je-U3,  pensanl  a  bon  droit  ilium  esse  in  comi- 
tatu.  Le  mot  grec  auvoota  (de  oOv,  el  oSo?, 
chemin)  signifie  piemierement  o  iter  a  pluri- 
bus  simul  occupalum,  »  Rosenmiiller;  inais 
il  designe  aussi  par  synecdoche,  el  c'esl  ici 
le  cas,  les  personnes  memes  avec  iesqu^Ues 
on  voyage.  Comp.  I'hebreu  nmx,  Gen. 
XXXVII,  25.  —  Gependanl,  apres  una  journee 
de  marche  (liter  diei  correspond  en  Orienl  a 
6  oil  7  heures)  duranllaquelle  I'Enfanl  n'avail 
pas  reparu,  la  caravane  (il  halle  pour  la  nuit, 
et  les  membres  de  chaque  famille  se  reunirenl 
en  vue  d'un  campemenl  commun.  C'esl  alors 
que  Marie  el  Joseph,  voyanl  que  Jesus  ne 
les  rejoignait  pas,  se  mirenl  a  le  rechercher 
parmi  les  differenls  groupes  [requirebant, 
i^t^rixQw,  ce  verbe  compose  denote  une  grande 
sollicilude). 

45.  —  Apres  de  vaines  demarches,  ils  re- 
prirent  irislement  le  chemin  de  Jerusalem. 
II  est  probable  cependani  que  ce  ne  ful  pas 
le  soir  raeme,  mais  seulement  le  lendemain 
matin  ;  aulremenl,  ilsauraient  couru  lerisque 
de  croiser  sans  I'apercevoir  celui  qu'ilscher- 
chaient.  —  Le  participe  requirentes  eum  nous 
montre  les  saints  epoux  recommengant  leurs 
investigations  douloureuses  des  I'eiidroit  oil 
ils  s'etaienl  arretes  et  les  continuant  loul  le 
long  de  la  route  jusqu'k  Jeru^alem.  Ce  jour- 
\k,  le  glaive  de  doulenr  predil  par  Simeon 
ddl  se  relourner  cruellemenl  dans  V&me  de 
Marie  1 

46.  —  Jesus  reirouve  dans  le  temple, 
tt.  46-50.  —Post  triduum  invenerunt...  Cette 
maniere  de  parler  est  toute  iiebrai'que  el 
correspond  a  «  die  lerlio.  »  Comp.  Mallb. 
xxvii,  63.  De  plus,  oe  n'est  pas  le  relour  des 
parents  de  Jesus  a  Jerusalem,  comme  le  veu- 
lent  de  Wetle,  Baumgarlen-Crusius ,  etc., 
mais  leur  depart,  qui  serl  de  «  terminus  a 
quo  »  k  la  numeration.  Le  premier  jour,  ils 
quitterent  la  ville  sainte  el  se  dirigerenl  vers 
le  Nord  ;  le  second  jour,  ils  vinrenl  a  Jeru- 
salem; le  troisieme,  ils  retrouverenl  le  Sau- 
veur.  —  In  templo;  ev  t^  iepw,  dil  le  texte 
grec.  Jesus  n'etait  done  pas  dans  le  vao;,  ou 
sancluaire  propremenl   dit,  mais  dans  unc 


des  dependances  du  temple.  Parmi  les  nom- 
breuses  constructions  designees  sous  le  nam 
de  Ispov,  se  trouvaienl  d"S  apparlements  qui 
servaient  pour  les  cours  academiques  des 
Rabbins  :  c'esl  dans  un'  de  ces  salles  qu  ■ 
lut  retrouve  Jesus.  —  L't'vangeliste  decrit 
son  attitude  en  termes  piUoresques,  qui  font 
revivre  la  scene  sous  nos  yeux  :  sedentem  in 
medio  Duclonim.  II  est  as-is  parmi  les  Doc- 
teurs, non  tonteroi.-,comine  I'un  d'eiix,  «  super 
calhedram  Moysi,  »ainsi  que  le  croient  a  tort 
les  peinlres  (cetixqui  ont  le  mieux  represenle 
celle  scene  sont  Giotto,  Ferrari,  B  'rnardino 
Luini,  Pmturicchio,  Jean  d'Udine.  Valentin), 
mais  sur  une  nalte,  a  la  fagon  des  ecoliers 
orientaux.  II  esi,  vrai  qu'il  ne  se  bornait  pas 
a  ecouter  I'ens'^ignement  des  Rabbin>,  puisque 
le  texte  sacre  ujoute  expressement  qu'il  pre- 
nait  hii-meme  la  parole  pour  les  interroger; 
mais  en  cela  encore  il  agissait  plutot  comme 
un  etudiant  que  comme  un  mailre.  En  effel, 
la  meihode  rabbinique  favorisait  beaucoup 
les  questions  et  les  objections  des  eleves  :  on 
le  voit  d  chaque  pag.^  du  Talmud,  o  J'ai 
beaucoup  appris  des  Rabbins  mes  maitres, 
disaii.  un  ancien  professeur  juif ;  j'ai  appris 
davanlage encore  desRabbin>  mes  collegues; 
mais  c'est  aupres  de  mes  eleves  que  j'ai  le 
plus  appris.  »  Comp.  Lighlfoot,  Hor.  h 'br. 
in  Luc.  II,  46 ;  T.  Robinson,  1.  c,  p.  201 .  Du 
reste,  notre  opinion  est  celle  des  Peres 
(comp.  Orig.  h.  I. ;  S.  Greg.  Pastoral,  in,  26  ; 
Maldonal  el  D.  Calmet),  et  I'idee  conlraire 
serail  absolument  opposee  a  I'espril  de  Jesus 
enfant.  —  Quel  elail  I'objel  des  interroga- 
tions de  Jesus?  On  peut  le  conjeclur>  r  par 
la  suite  de  sa  vie,  «  Que  pensez  vous  du 
Christ?  demandera-l-il  plus  tard  a ux  Doc- 
teurs juit's.  De  qui  e?l-il  fils?  »  Les  ques- 
tions de  I'enfant  etaienl  sans  doule  de  meme 
na>ii."e  que  celles  de  I'homme  parfait.  Un 
Evangile  apocryphe  suppose  que  Jesus  se 
mil  a  exposer  aux  Rabbins  ^merveilles  le 
nombre  des  i^pheres  etdes  corps  celestes,  leur 
nature  el  leurs  operations,  a  leur  expliquer 
la  physique,  la  metaphysique,  I'hyperphy- 
sique  et  rhy()ophysiqueI  Cfr.  Evang.  intan- 
liae  arabicum,ch.  xlviiii-lii.  Voir  dans  S.^pp 


86 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


47.  Et  tous  ceux  qui  rentendaient 
etaient  emerveilles  de  sa  sagesse  et 
de  ses  reponses. 

48.  Et  en  le  voyant  ils  furent 
elonnes.  Et  sa  mere  lui  dit  :  Mon 
tils,  pourquoi  avez-vous  agi  ainsi 
envers  nous?  voila  que  votre  pere 
et  moi,  pleins  de  douleur,  nous 
vous  cherchions. 

49.  Et  il  leur  dit  :  Pourquoi  me 
cherchiez-vous?  Ne  saviez-vous  pas 


47.  Stupebant  autem  omnes  qui 
eum  audiebant,  super  prudeutia  et 
responsis  ejus.      , 

48.  Et  videntes  admirati  sunt.  Et 
dixit  mater  ejus  ad  ilium  :  Fill,  quid 
fecisti  nobis  sic?  ecce  pater  tuus  et 
ego  dolentes  quaerebamus  te. 


49.  Et  ait  ad  illos  :  Quid  est  quod 
me  quserebatis?  nesciebatis  quia  in 


Leben  Jesu,  I,  §  47,  de  curieuses  hypotheses 
sur  les  Docleursjiiifsqui  pouvaienl  se  trouver 
alors  aupres  de  Jesus. 

47.  —  Slupebant  :  EltaxavTo,  relonnement 
les  mettail  hors  d'eux-memes.  —  Super  pru- 
denlia  et  responsis  ejus.  Peut-6tre  y  a-t-il  ici 
la  figure  noinmee  «  hendiadys  »,  de  sorte  que 
'tii  t^  ouv£'(7£i  xai  TaT;  auoxp(o£cnv  serait  pOur 
/nl  x^  (jyv.  iu>v  QLTToy-pioewv.  Mais  on  peat  s'en 
tenir  aussi  a  la  traducliun  lilterale  du  texte 
grec  :  «  prudenlia  »  representerait  I'objet  le 
plus  general  ile  radmiralion.  et  «  responsis  » 
son  objet  special.  L'histoiien  Josephe,  tou- 
jours  prompl  a  parler  de  lui-meme,  raconte, 
Vita,  c.  I,  qii'a  i'age  de  -14  ans  il  elonnait 
tout  le  inonde  par  la  precocite  et  la  profon- 
deur  de  son  intelligence,  a  tel  point  que  les 
pretres  et  les  docteurs  aimaient  a  lui  poser 
des  questions  sur  la  loi  mosaique.  Mais  qu'e- 
tait  la  sagesse  d'un  enfant  des  hommes  com- 
paree  a  celle  de  Jesus!  La  reponse  de  Notre - 
Seigneur  a  sa  3Iere,  f.  49,  nous  fera  com- 
prendre  la  proiondeur  de  celles  qu'il  faisait 
aux  Rabbins. 

48.  —  Videntes  admirati  sunt.  A  leur  tour, 
Joseph  et  Marie  s'etonnent.  «  Non  sicut  alii, 
propter  prudentiam  et  responsa  ejus  :  nam 
ejus  prudentiam  scienliamque  non  ignora- 
bant  (comp.  le  t.  37  et  I'explicalion) ;  sed 
quod  eum  praeter  opinionem  in  medio  docto- 
rum  dispiitanlem  reperissent  »,  Maldonat, 
h.  I.  Aussi  I'evangelisle  a-t-il  ajoule  «  viden- 
tes ».  —  Dixit  mater  ejus  ad  ilium.  Dans  le 
grec,  Tcpo;  aOxov  est  mis  en  avarit  d'une  ma- 
niere  emphatique.  C'est  Marie  qui  prend  la 
parole  et  point  Joseph  :  trait  parfaitement 
naturel,  car  I'afifection  d'une  mere  est  plus 
vivc  que  celle  d'un  pere,  a  plus  forte  raison 
que  celle  d'un  pere  adoptif.  Plusieurs  anciens 
interpreles  (Salmeron,  Maldonat,  etc.)  suppn- 
sent  delicalement  que  la  saintc  Vierge  alttn- 
dit,  pour  faire  part  a  Jesus  de  ses  angoisses 
maternelles,  que  I'assemblee  au  milieu  de 
iaquelle  elle  I'avail  trouve  se  fut  dissoute. 
Dans  cetle  hypothese,  la  petite  scene  qui  va 
suivre  n'auralleu  pour  temoins  que  les  mem- 


bres  de  la  Sainte  Famille.  —  Fill,  quid  (t( 
pour  Siaxi,  a  quare  »)  fecisti  nobis  sicf  Get 
oOxwi;  dit  beaucoup!  Jamais  encore  Jesus  n'a- 
vait  contriste  ses  parents.  Dans  I'exclcjmation 
qui  s'echappe  si  spontanement  du  ccEur  de 
Marie,  des  ecrivains  protestants  et  rationa- 
listes  ont  voulu  trouver  de  la  durete.  Nous 
avons  beau  chercher,  nous  n'y  trouvons  que 
I'expression  d'un  sentiment  de  tendre  affec- 
tion, uni  au  plus  profond  respect.  Voyez  Luc 
de  Bruges,  h.  I.  Marie  ne  se  plaint  pas  direc- 
tement ;  elle  se  borne  a  laisser  parler  les  faits, 
qui  etaient  si  pleins  d'eloquence  :  dolentes 
qucerebamus  te.  Le  mot  grec  qui  correspond 
a  «  dolentes  »  {65uvw[Aevoi)  est  d'une  grande 
energie  :  il  designe  des  douleurs  aussi  vives 
que  celles  de  i'enfantement.  L'imparfait 
eCriToOfjiev  renforce  egaleuien.  la  pensee,  car 
il  indiqus  de  iongues  et  penibles  recheiches. 
—  Paler  tuus  et  ego.  Mane  se  nomme  hum- 
blement  apres  S.  Joscpii,  et  elle  donne  au 
gardien  de  Jesus  la  glorunise  appellation  de 
pere.  G'elait  !e  titre  qu'il  portait  au  -ein  de 
la  famille,  comme  devant  I'opinion  publique; 
et  il  la  meriiait  par  la  gencTosile  de  son 
amour  k  I'egard  du  divin  Enfant.  Comp.  Bos- 
suet,  5e  Elevat.  de  la  xxe  semaine. 

49.  —  Ait  ad  illos.  Marie  avait  parl6  au 
nom  de  S.  Joseph  non  moins  qu'en  son  pro- 
pre  nom  :  c'est  pourquoi  Notn^-Seigneur  leur 
adresse  collectivement  sa  reponse.  Cette  re- 
ponse est  pour  nous  d'un  prix  infini,  non-seu- 
lement  a  cause  de  son  immense  porlee,  de 
ses  IcQons  pleines  de  gravite,  mais  aussi  parce 
qu'elle  contient  la  premiere  parole  evangeli- 
que  de  Jesus,  bien  plus,  la  seule  parole  que 
les  SS.  Evangiles  aient  conservee  de  ses  trente 
premieres  annees.  Le  rationalisme,  qui  ne 
sail  rien  respecter,  I'a  egalement  atlaquee, 
pretendant  que  Jesus  y  fait  preuve  de  raidem- 
et  ineme  d'insubordinalion  a  I'egard  de  sa 
mere  et  de  son  pere  adoptif;  tandis  qu'elle 
est  au  contraire  admirable  a  tous  egards  et 
vraiment  digne  de  Jesus.  Noble  et  simple  en 
raeme  temps,  alliant  a  un  haut  degre  la  ma- 
jesie  et  I'tiumiiite,  elle  ne  convient  pas  moins 


CHAPITRE  II 


87 


liis,  qiise  Patris  mei  sunt,  oportel 
me  esse  ? 

50.  Et  ipsi  non  intellexerunt  ver- 
burn  quod  locutus  est  ad  eos. 

51.  Etdescendit  cum  eis,  et  venit 


qu'il  faut  que  je   sois   aux  choses 
qui  sont  de  mon  Pere. 

50.  Et  ils  ne  comprirent  pas  ce 
qu'il  leur  disait. 

51.  Et  il  descendit  avec  eux  et 


au  Fils  de  rhomme  qu'au  Fils  de  Dieu.  Mais 
elle  a  des  profondeurs  insondables.  el  Ton 
conQoit  que  des  esprits  eiroils,  superficiels, 
aveugles  par  les  piejuges  religieux,  aienl  ele 
incapables  de  la  comprendre.  —  Quid  est 
quod...^  Ti  on  dii  lexle  grec  est  pourTi  Scttiv 
oTi.  Aux  deux  questions  de  Marie,  I'Etifant. 
divin  repond  par  deux  conlre-queslions.  Je- 
sus no  blame  nullement  sa  Mere  et  S.  Joseph 
d'avoir  clierche  avec  anxiele  leur  fils  bien- 
aime;  il  se  conlenle  de  leur  rappeler  en  ter- 
mes  respeclueux,  delicals,  sa  nature  supe- 
rieure  et  les  grands  devoirs  qu'elle  lui  im- 
pose. Voyez  le  Ven.  Bede,  h.  1.  —  Nesciebalis. 
C'est-a-dire  :  Ne  saviez-vous  pas  niieux  que 
personne?  —  La  locution  in  his  quce  Patris 
mei  suntf  £v  xoti;  toO  naxpo?  (xou,  a  reQu  deux 
inlerprelalions  egalement  autorisees  par  i'u- 
sage  classique.  Les  versions  syrienne  et  ar- 
luenieuni',  plusieurs  Peres  (Origene,  S.  Epi- 
|ihane,  Thi'opliylacte,  Euthymius)  et  divers 
I'xeyetes  (Kuiucfil, Meyer,  etc. jl'ont  envisages 
lomiue  uM  synouyme  de  «  in  domo  Patris 
inci  »,  [)ar  consequent  de  «  in  tempio  ».  Pour- 
(juoi  n'avoir  pas  immediatement  suppose, 
u.^lle  serait  la  pensee  de  Jesus,  que  j'etais 
dans  le  palais  de  Jeliova,  mon  Pere  cele.-;te? 
Yous  vous  seriez  ainsi  epargne  de  pembles 
reclierclies.  La  plupart  des  commenlaleurs 
donnent  a  ^a  xou  ixaxpoi;  le  sens  de  «  negolia 
Patris  »  :  ce  qui  vaut  beaucoup  mieux, 
croyons-nous,  car  la  premiere  maniere  de 
iraduire  limite  inutileinent  I'idee.  «  Friges- 
cit  »,  dit  a  bon  droit  le  P.  Patrizi  (voyez  la 
savante  dissertation  qu'il  a  ecrile  surce  pas- 
sage dans  son  ouvrage  celebre  De  Evangeliis 
libri  III,  diss,  xxxviii,  c.  ii,  §  i&).  Comp, 
I  Tim.  IV,  15,  et  Gen.  XLi,  5,  dans  les  LXX. 
—  Patris  mei.  Marie  avait  fail  mention  du 
«  pere  »  de  Jesu-^:leSauveur  reprend  ce  litre, 
mais  pour  lui  donner  une  signification  infmi- 
ment  plus  relevee,  la  seule  du  resle  qui  cor- 
I  espondit  k  la  realite  des  fails.  «  Corrigcns 
■  luodammodo  dictum  ejus  (Mariae),  de  eo  qui 
puiabatur  pater,  verum  Palrem  manifestat, 
ilocens...  in  altum  extolli.  »  Graec.  ap.  Cat. 
D.  Thom.  h.  1.—  Oporlet,  Set  :  il  s'agit  d'une 
absoluo  nec^^ssite;meesse,  oil  «  me  versari.n  Je- 
sus indique  ainsi  pouiquoi  il  etait  reste  a  Jeru- 
salem :  les  affaires  de  son  Pere  celeste  Tavaient 
retenu.  Distinction  sublime  enlre  les  droits  de 
Dieu  el  de  Marie  sur  lui.  Jesus  affeclionnait 
vivement  sa  mere  et  son  p6re  adopiif;  mais 
son  amour  pour  eux  ne  pouvait  I'emporler 


sur  le  devoir,  sur  la  volonle  du  ciel.  11  s'e- 
lonne  done  pour  ainsi  dire  qu'ils  n'aienl  pas 
eu  plus  lot  cette  pensee,  de  meme  que  «  I'ai- 
maut  s'etonnerail  si  Ton  voulail  lui  attribuer 
une  autre  direction  que  celle  du  pole  Nord.  » 
—  On  a  juslement  trouve  dans  cette  parole 
le  «  programme  »  de  toute  la  vie  de  J^sus, 
la  clef  de  lous  ses  mysleres.  Eire  occupy  des 
affaires  de  son  Pere,  lei  fut  conslamment  son 
ideal.  Comp.  Joan,  iv,  34;  viii,  29;  ix,  4; 
XIV,  34,  etc.  Si  jamais  une  expression  d'en- 
fant  a  ete  prophetique,c'esl  bien  celle  que  nous 
venons  de  lire.  Mais  elle  predisait  le  renonce- 
menl  et  le  sacrifice,  genereusement  acceptes 
loutes  les  fois  que  la  gloire  de  Dieu  serait  en 
cause. 

50.  —  Et  ipsi  non  intellexerunt  verbum... 
La  rongeur  monte  au  front  de  I'exegete  Chre- 
tien, quand  il  lit  celle  profonde  reflexion. 
11  ose,  lui,  lenebres  et  peche,  commenler  ce 
quo  Marie  el  Joseph  ne  comprirent  pas  !  Mais 
la  suite  de  la  vie  du  Sauveur  et  les  enseigne- 
ments  del'Eglise  nous  ontfourni  des  lumi^res 
qu'il  n'avait  pas  p!u  h  la  divine  Providence 
de  donner  aux  saints  epoux  des  cette  epoque 
avancee.  Du  reste,  ce  verset  ne  signifie  pas  que 
la  parole  de  Jesus  ful  pour  ses  parents  une 
enigmeabsokie,  puisque, mieux  que  personne, 
ils  connaissaient  sa  nature  divine.  S.  Luc  a 
sculemenl  voulu  dire  qu'ils  n'en  saisirenl 
pas  alors  toute  I'etendue.  Quelle  relation  y 
avait-il  enlre  le  sejour  actuel  de  I'Enfant 
dans  le  temple  et  les  affaires  de  son  Pere  ce- 
leste? Allait-il  done  des  mainlenant  se  ma- 
nlfester  au  monde?  Cesproblemes  et  d'autres 
semblables  se  pressaient  dans  leur  esprit, 
et  ils  n'en  pouvaient  trouver  la  complete 
solution.  Voyez  Wouters,  Dilucid.  select. 
S.  Script.  I.  11,  c.  VI,  q.  3;  Calmet,  Comment. 
in  h.  1. 

3°  De  douze  a  trente  ans.  ^f.  51-52. 
51. — Descendit  (le  correlalif  de  «  ascenden- 
tibus  »,  t.  42)  cum  eis.  La  divinite,  qui  avait 
si  visibU'iTient  resplendi  en  Jesus,  rentredans 
I'ombre  apres  cet  eclat  inoinentane.  La  gra- 
cieuse  fleur  de  Nazareth  s'etail  enlr'ouverte 
el  avait  laisse  eehapper  quelques  uns  de  ses 
parfums;  mais  voici  qu'elle  se  referme  pour 
de  longues  annees,  pour  dix-huit  annees  en- 
lieres,queS.  Luc  a  resiimeesen  deux  versels. 
11  est  vrai  quo  ce  resume  est  d'une  richesse 
inepuisable. —  Erat  siibdilus  illis,  riv  <jnoxa.(s- 
a6(jLevo(  auToT;.  «  Je  suis  saisi  d'etonnement 


88 


Evangilh:  selon  s.  lug 


vint  a  Nazareth,  et  il  leiir  etait 
soumis.  Etsamere  conservaittoutes 
ces  choses  en  son  coeur. 

52.  Et  Jesus  avancait  en  sagesse 


Nazarelh;  et  erat  siibditus  iJlis.  Et 
mater  ejus  conservabat  omnia  verba 
hsec  in  corde  suo. 

52.  Et  Jesus  proficiebat  sapientia^ 


k  celle  parole,  ecrivait  Bossuet,  Be  Eleval. 
de  la  20e  semaine.  Esl-ce  done  la  tout  I'em- 
ploi  d'un  Jesu«-Chrisl,  dii  Fils  de  Dieu?  Tout 
son  exercice  est  d'obeir  a  deux  de  ses  crea- 
tures. »  Comp.  Phil.  11,  7»  Quel  admirable 
tableau  dans  ces  trois  mots  :  «  Erat  subdiuis 
illisl  »  —  Cependant,  inaler  ejus  conservabat 
omnia  verba  hcec...  Au  t.  19,  S.  Luc  avait 
deja  signale  cette  perpeiuelle  conlpmplation 
de  Marie  en  face  des  mysteres  de  Jesus;  tou- 
lefois,  il  use  ici  d'une  expression  plus  euergl- 
que,  Sietripet  au  lieu  de  ouvsropst.  La  divine 
Mere  medilait  done  jour  et  nuit  les  paroles 
et  les  actions  de  son  Fils.  Cette  retraite  de 
Nazareth  fut  pour  elle  une  epoque  do  joies 
bien  douces,  que  rien  ne  vint  troubler  depuis 
r^pisode  du  temple,  si  ce  n'est  la  mort  de 
S.  Joseph,  arrivee,  selon  toute  vraisenn- 
blanee,  quelque  temps  avant  le  minislere  pu- 
blic de  Notre-Seigneur.  Comp,  Joan  li,  12, 
oil  le  saint  palriarche  n'est  pas  ineme  men- 
tionne  dans  un  denombrement  tres  exact  de 
la  famille  humaine  du  Sauveur. 

52.  —  S.  Luc  avait  signale  plus  haut,  t-  40, 
I'enfance  de  Notre-Se:gneur  Jesus-Christ 
commR  un  temps  de  developpemont  univer- 
sel.  Avant  de  quitter  la  Vie  cachee  pour 
passer  a  la  Vie  publique,  il  fail  une  reflexion 
idenlique  a  propos  de  I'adolescence  du  Mes- 
sie.  —  Jesus  j)rojiciebat;  I'expression  laline 
est  mollis  piltoresqUv!  que  le  grec  irposxoTiTe 
(litteialement;  poussaiten  avant).  Cette  crois- 
sance  avait  un  triple  objet:  I'esprit,  scipientia 
(coqs'a) ,  le  covps, a^lale  [iilvAa.) .  et  Tame,  gratia 
(XapiT.).  —  1o  L'espril.  Des  les  premiers  sie- 
cles  de  I'Eglise,  on  a  souleve  sur  ce  point  une 
grave  discussion.  Dans  quel  sens,  s'esl-on  de- 
mande,  peut-on  parler  de  developpenunt  in- 
lellectuel  pour  Notre-Seigneur  Jesus-Christ? 
L'accord  n'a  pas  toujours  regne  a  ce  sujet 
parmi  les  iheologiens.  Plusieurs  Peres,  et  spd- 
cialemenl  S.  Athanase,  Orat.  iiicontr.  Arian. 
c.  51  etss.,  n'onl  pas  crain*.  d'admettre  un  ve- 
ritable progres  dans  les  connaissances  du 
Christ.  En  lant  que  Dieu,  disaient-ils,  Jesus 
savait  loules  choses  de  toute  eternile  ;  mais, 
en  tant  qu'homme,  il  croissait  en  sagesse,  au 
fur  etamesure  que  son  intelligence  eiait  illu- 
minee  par  les  splendcurs  du  Verbe.  II  avait 
semble  a  S.  Athanase  et  a  d'auires  saints  Doc- 
teurs  qu.e  cette  interpretation  des  paroles  de 
S.  Luc  permellait  de  refuler  plus  clainment 
et  plus  aisement  les  Arions,  qui  en  abusaient 
pour  pretendre  que  Jesus-Cnrist  n'elait  pas 
Dieu,  puisque  son  Stre  avait  el6  born^.  Mais 


d'autres  Peies  affirmaient  en  meme  temps 
qu'en  Jesus  il  n'y  avait  pas  eu  de  develotipa- 
ment  inlellectuel  proprement  dit.  D'apres 
S.  Cyrille,  Thesaur.  assert.,  1.  X,  c.  vii,  s'il 
croissait,  «  ce  n'est  pas  que  son  huraanite, 
qui  fut  parfaite  des  le  debut,  pilt  s'accroJlre, 
mais  elle  se  manifestait  progressivement.  »• 
La  croissance  avait  done  liei'  seulement  par 
rapport  aux  hommes,  -  non  vere  ac  reipsa,^ 
sed  demonstralione,  ostensioneque  et  homi- 
num  opinione  »  (Maldonat,  Comm.  in  Luc. 
n,  40).  Au  moyen  Sge,  la  question  fut  reprise 
et  ()recisee  de  la  I'aQon  la  plus  heureuse.  Les 
iheologiens  scolastiques  elablirent  une  dis- 
tinction entre  la  «  scientia  divina  »  (ou  «  in- 
creala  »)  de  Notre-Seigneur,  laquelle  ne  dif- 
f6re  pas  de  la  science  de  la  sainte  Trinite,  efe 
la  «  scientia  hiimana  »  (ou  «  creala  »),  que 
le  Christ  possede  en  tant  qu'homme.  lis  divi- 
serent  encore  cette  science  humaine  en  trois 
branches,  la  «  scientia  beata  »  (ou  «  visio- 
nis  » ),  la  «  scientia  infusa  »,  et  la  «  scientia 
acquisita  »  (ou  «  experimentalis  « ).  Par 
science  de  vision,  ils  eiilendent  les  connais- 
sances que  I'ame  du  Christ  puisait,  a  la  fagon 
des  anges  el  des  bienheureux,  dans  la  con- 
templation inlu'tive  de  la  divine  essence; 
par  science  infuse,  les  luraieres  que  Dieu  lui 
tran-mettait  sans  cesse  directement  (sur  la 
difference  qui  existe  enlrela  «  scienlia  beata  » 
el  la  «  scienlia  infusa  »,  voyez  Franzelin. 
Tract,  de  Verbo  Incarnate,  p.  420);  par 
science  acquise,  les  noiions  qui  lui  prove- 
naient  du  raisonnement,  de  I'experience,  etc. 
Or,  d'apres  I'opinion  commune,  la  «  scientia 
beata  »  el  la  a  scientia  infusa  »  de  Notre-Sei- 
gneur Jesus-Christ  ont  ete  parfaites  des  le 
premier  instant  de  sa  conception  ;  elles  n'ont 
done  pu  reeevoir  aucun  accroissemenl.  Seu- 
lement, elles  emettaient  chaque  jour  de  plus 
briliants  rayons,  «  quemadmodum  sol  ab  ortu 
in  meridiem  progrediens  clarilate  quoque  di- 
citur  proficere;  non  quod  ilia  in  se  crescat, 
sed  in  effectu  lanlum,  quia  majorem  lucem 
apud  nos  paulalim  diffundit.  »  Corn.  Janse- 
nius,  Comm.  in  Luc.  n,  52.  Au  conlraire,  So 
science  experimentale  grandissait  constam- 
ment.  Non  loutefois  qu'elle  apprit  a  Jesus  des 
chose-!  entierement  nouvelles;  mais  elle  lui 
monlrait  sous  un  aspect  nouveau  des  idees 
qu'il  connaissait  deja  en  vertu  de  sa  science 
infuse.  C'est  ainsi  que,  d'apres  I'Epitre  aux 
Hebroux,  v,  8,  «  didicil,  ex  lis  quae  passus 
est,  obedientiam.  »  Ces  disliiictions  nous  pa- 
raissent  elucider  parfaitement  ce  point  deli- 


CHAPITRE    II 


89 


et  setate,  et  gratia  apud  Deum  et 
homines. 


et  en  age  et  en  grace,  devant  Dieu 
et  devant  les  hommes. 


cat  :  elles  relablissent  d'aiileurs  I'liarmonie 
enire  les  Peres,  car  elles  expliquent  comment 
les  uns  ont  pu  admetlre  un  progres  dans  la 
sagesse  du  Sauveur  landis  que  les  aulres  le 
rejelaienl.  Sur  cells  queslion  imporlante, 
voyez  Suarez,  Comment,  ac  dispulat.  in  ter- 
liam  partem  D.  Thomae,  edit.  Vives,  1860, 
t.  XVIII,  pp.  1-90  ;  De  Lugo,  de  Myslerio  In- 
carnal.,  dispul.  xix-xxi  ;  Franzelin,  I.  c, 
thesis  XLii;  Jungmann,  Tract,  (ie  Verbo  in- 
carnalo,  ed.  2a,  n.  241-230;  J.  Pra,  i'Hypo- 
these  du  developpemenl  progressif  dans  le 
Christ  ^Etudes  reiigii^uses,  par  des  Peres  de 
la  Comp.  de  Jesus,  22e  annee,  6®  serie,  I.  II, 
p.  205  et  ss.).  Voir  aus>i  dans  Bisping,  Er- 
klaerung  des  Evang.  nach  Lukas,  2^  edit., 
p.  208-212,  une  savanle  exposilioii,  donl 
nousavons  largemenl  profile.  —  2°  Le  corps. 
Le  subslantif  grec  ^Xixia  estamphibologique, 
et  pent  signifier  tout  aussi  bien  «  slaUira  » 
que  «  aeias  ».  Comp.  Bretschneider,  Lex. 
man.,  s.  v.  Nous  preferons,  a  la  suite  de 
nombreux  exegeles,  le  premier  de  ces  deux 
sens.  D'aiileurs  la  difference  n'esl  pas  grande, 
puisque,  duranl  une  partie  notable  de  la  vie 
humaine,  le  developpemenl  de  la  taille  ei  de 
la  vigueur  physique  accompagne  la  croissance 
en  Sge. —  3°  L'ame,  ou  le  developpemenl  mo- 
ral. Nous  retrouvons ici  la  meme difficulie  que 
pour  le  progrfes  intellectuel  de  Jesus.  Elle  se  re- 
sout  d'une  raaniere  analogue. Nous  distinguons 
encore,  a  la  suite  des  iheologiens,  «  les  habi- 
tudes et  les  actes  surnalurels,  les  princi- 
pes  el  les  effets.  Les  oeuvres  de  grfice  ou 
les  acles  de  verlu  croissaienl  et  se  raulli- 
pliaient  sans  cesse;  mais  les  habitudes  infu- 
ses, les  dispositions  vertueuses,  la  grace 
sanclifiante,  lout  ce  qu'exigeait  en  son  ame 
sa  qualile  d'llomm^-Dieu,  ne  pouvail  croilre. 
Le  Sauveur  a  loujours  possede  ces  dons  au 
degre  le  oius  eleve.  »  Bacuez,  Manuel  bibli- 
que.  t.  Ill,  Nouveau  Testament,  Paris  1878, 
p.  171.  Telle  est  bien  la  doctrine  de  S.  Tho- 
mas, p.  Ill,  q.  VII.  a.  12  :  «  In  Chrislo  non 
poteral  es^e  graliae  augmfnlum,  sicul  nee  in 
Bealis...  nisi  secundum  effectus,  in  quantum 
scilicet  aliquis...  virtuosiora  opera  facil.  » 
Camp.  Franzelin,  1.  c,  thesis  xli,  p.  409.  On 


conQoit,  d'apres  cela,  comment  la  croissance 
do  Jesus,  soil  en  sagesse,  soil  en  grSce,  avail 
lieu  non-seulement  apud  homines,  mais  aussi 
apud  Deum.  Cfr.  I  Reg.  ic,  26,  oil  une  reflexion 
semblable  est  faile  a  propos  du  jeune  Samuel. 

Desormais  le  silence  le  plus  complet  se  fail 
autour  de  Nolre-Seigneur  Jesus-Chrisl.  Les 
premiers  evenemenls  de  sa  vie  paraissaienl 
annoncer  une  serie  non-inlerrompue  de  prodi- 
ges ;  mais  voici  que  la  chroniquo  sacree  nous 
le  monlre  vivanl  dans  une  profonde  obscurite, 
comme  un  pauvre  artisan  (comp.  Marc,  vi,  3) 
qui  gagne  son  pain  a  la  sueur  de  son  front. 
Toutefois,  dil  S.  Bonaventure,  Vita  Christi, 
c.  XV,  «  en  ne  faisani  rien  de  merveilleux  il 
accomplissail  precisement  une  sorle  de  pro- 
dige.  » 

Si  Ton  voulait  mainlenant  comparer  enlre 
eux  les  recits  de  la  Sainle  Enfance  d'apres 
S.  Matthieu  et  d'apres  S.  Lnc,  on  pourrait 
dire  que,  tout  en  s'harmonisanl  fort  bien, 
ainsi  qu'il  a  ete  demonlre  plus  haul  (voir  la 
note  du  t.  39),  ils  different  neanmoins  beau- 
coup  I'un  de  I'autre  el  pour  le  fond  et  pour 
la  forme. 

1°  Quant  au  fond,  ils  n'ont  que  trois 
points  idenliques,  la  conception  virginale  de 
i'Homme-Dieu,  sa  naisrsance  a  Betlileem,  sa 
vie  cachee  a  Nazareth.  Dans  I'Evangile  selon 
S.  Matlhieu,  S.  Joseph  parail  etre  le  person- 
nage  principal ;  dans  le  recil  de  S.  Luc,  c'est 
au  contraire  Marie  qui  est  generaiem^^nt  a 
I'avanL-scene.  S.  Luc  raconle  un  pUn  grand 
nombre  d'evenem>nts;  sa  narration  nous  fait 
mieux  connaitre  les  trenle  premieres  annees 
de  Jesus.  On  dirait,  suivant  une  gracieuso 
fiction  du  P.  Faber,  Bethlehem,  p.  239  el  ss., 
qu'il  elail  aupres  de  la  creche  parmi  les  pre- 
miers adoraleurs  de  Jesus,  qu'il  assisla  de 
ineme  aux  mysleres  de  la  Presentation,  de 
Nazarelh,  etc.,  tant  ses  peinlures  sonl  de- 
taillees  et  vivanles.  II  est  par  excellence  I'e- 
vangelisle  de  la  Sainle  Enfance,  de  m^me 
que  S.  Jean  est  I'evangelisle  de  la  divinile  du 
Verbe. 

2o  La  forme  est  simple,  populaire,  dans  le 

firemier  evangile;  dramalique  et  tenant  par- 
ois  de  I'idylle  dans  le  troisieme. 


90 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


CHAPITRE   III 

Le  Precurseur  fait  son  apparition  (tt.  1-6).  —  Sa  predication  soit  generale  [tt.  7-9),  soil 
particuliere  (ft.  -10-14),  soit  directpment  relative  an  Messie  (tt.  15-18). —  II  est  mis 
en  prison  par  Herode  Antipas  {ft-  19-20;.  —  Baplerae  de  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ 
(tt.  21-22).  —  La  genealogie  de  Jesiis  [tt.  23-38;. 


1.  L'an  quinzieme  du  regne  de 
Cesar  Tibere,  Ponce-Pilate  etant 
gouverneur  de  la    Judee,    Herode 


1.  Anno  autem  qumto  decimo  im- 
perii Tiberii  Caesaris,  procurante 
Pontio    Pilato   Judaeam,    tetrarcha 


DEUXIEME    PARTIE 

VIE    PU5LIQUE   DE   NOTRE-SEIGXEUR    lESUS- 
CIIRIST.      Ill,      1-XlX,      28. 

Quoiqiie  S.  Luc  se  soil  eienriu  plus  longue- 
ment  que  les  autres  synnptiqups  sur  la  vie 
cachee  de  Jesus,  c'est  neanmoins  la  vie  pu- 
blique,  c'esi-a-diro  I'cxpose  de  la  predication, 
des  miracles  el  des  exemples  du  divin  Mai- 
tre,  qui  forme  le  fond  de  son  Evangile,  comme 
il  avail  forme  le  fond  des  deux  premieres 
narrations.  Son  recii ,  d'abord  en  grande 
partie  conforme  a  coux  de  S.  Mallhieu  et  de 
S.  Marc,  nc  tarde  pas  a  devenir  complete- 
menl  neuf,  de  maniere  a  enrichir  d'une  fa- 
Qon  considerable  la  biographie  de  Jesus, 
soil  au  point  de  vue  des  discours,  soit  au 
point  de  vue  des  faits. 

lr«   SECTION.  —  PEHIOOE    de    transition     et    D'lNAUOnRA- 
TION  :    LE   PRECDRSECR    ET   LE   MESSIE.   HI,    1-lV,    13. 

1.  Minist^re  de  S.  Jean-Baptlste.  in,  1-20. 

Dans  la  Vie  publique  de  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ  comme  dans  sa  Vie  cachee.  nous 
voyons  le  Precurseur  apparailre  tout  d'abord 
sur  la  ?cene.  Ne  quelques  mois  avant  le  Mes- 
sie,  Jean-Bapliste  devance  aus-i  de  quelques 
mois  par  son  minislere  le  ministere  du  Christ, 
auquel  il  devait  preparer  les  voies.  S.  Luc 
(lecril  1o  Tapparition  du  Precurseur,  tt-  1-6, 
20  sa  predication,  tt.  7-18,  3°  son  emprison- 
nemt-nt,  irfl'.  19  et  20. 

1*  L'apparilion  du  Precurseur.  ff.  1-6.  (Parall. 
Matth.  Ill,  1-6;  Marc  i,  1-6). 

Chap.  hi.  —  1.  —  Ce  paragraphe  com- 
mence par  une  periode  solenneile,  magnifique- 
ment  agencee,  qui  a  pour  but  de  fixer  I'epo- 
que  vers  laquelle  s'ouvrit  le  minislere  de 
S.  Jean.  Au  moyen  d'une  date  synchronique 
qui  est  du  plus  haul  inlerSt  pour  la  chrono- 
logie  de  la  vie  du  Sauveur  (voyez  I'lnlroduc- 
tion  generale  aux  SS.  Evangiles),  S.  Luc  rat- 


tache  rhisloire  sacree  a  I'hisloire  profane,  et 
allribue  aux  evenemenls  qu'il  va  raconter 
leur  vraie  place  sur  le  grand  theatre  de  i'ac- 
tivite  des  peuples.  «  Ne  nativilaiis  quidem, 
aut  mortis,  resurreclionis,  ascensionisChristi 
tempus  lampraecisp  definilur  »  (Bengel).  Mais 
l'apparilion  du  Precurseur  avail  une  impor- 
tance particulieie  :  c'elait  «  le  debut  de  I'E- 
vangile  ».  Marc,  i,  1  (Cfr.  Thorn.  Aq.  Summa, 
p.  3.  q.  38,  a.  1),  el  par  consequent  le  debut 
de  rEgiisp.  Cette  date,  unique  en  son  genre 
dans  leNouveau  Testampnl,  est  une  nouvelle 
preuve  de  I'pxaclilude  avec  laquelle  S.  Luc 
precede  en  tant  que  narraleur  evangelique. 
Comp.  I,  3.  Elle  a  pour  ainsi  dire  six  faces 
dislinctes,  qui  se  complelent  Tune  I'aulre  : 
ou  bien,  ce  sent  comme  six  spheres  concen- 
triques,  se  rapprochant  successivement  de 
leur  centre,  et  consacrees  a  chacune  des  au- 
torites  civiles  et  religieuses  qui  adminis- 
traienl  alors,  sous  un  tilre  ou  sous  un  autre, 
le  pays  oil  Jean-Baplisie  allaitse  manifester. 
—  1o  Anno  qvintodecimo...  Tibcrii  Casaris. 
En  tele  dp  la  lisle,  nous  trouvons  nalurelle- 
menl  le  nom  de  I'empereur  remain,  car  a 
celle  epoqiie  la  Judee  dependait  direcieaient 
de  Rome.  C'eiait  Tibere  (ClaudiiH  Tiberius 
Nero),  fils  de  Tibere  Neron  el  de  la  fameuse 
Livia  Drusilla.  Sa  mere  etanl  devenue  plus 
tard  I'epouse  d'Auguste,  il  parvint  rapide- 
ment  aux  plus  hautes  dignites  :  il  ful  enfin 
associe  a  I'empire  deux  ou  trois  ans  avant  la 
mort  de  son  beau-pere.  Celte  association 
cree  precisement  ici  une  petite  diChculle. 
Faut  il  la  regarder  comme  le  point  de  de- 
part de  la  dale  fixee  par  S.  Luc?  ou  bien 
I'evangeliste  a-l-il  suppute  les  annees  du 
gouvernemenl  de  Tibere  seulemenl  drpuis  la 
niort  d'Auguste,  arrivee  le  7  aoul  767  U.  C, 
c'esl-a-dire  l'an  14  ou  15  de  I'ere  chrelienne? 
La  plupart  des  exegetes  modernes  adoplent 
|p  premier  sentiment,  qui  esl  plus  conforme 
a  la  donnee  chronologique  du  t.  23.  En  effet, 
si  Ton  complait  la  quinzieme  annee  a  partir 


CHAPITRE   III 


94 


autem  Galilsese  Herode,  Philippo 
autem  fratre  ejus  tetrarcha  Itursese, 
et  Trachonitidis  regionis,  et  Lysa- 
nia  Abilinse  tetrarcha, 


Tetrarque  de  la  Galilee,  Philippe 
son  frere  Tetrarque  d'lturee  et  du 
pays  de  Trachonite,  et  Lysanias 
Tetrarque  d'Abylene, 


I 


dii  momenl  ou  Tibere  regna  seul,  il  faiidrait 
descendre  ju-qii'a  I'an  de  Rome  781  ou  782, 
et  Jesus,  nevers  la  fin  de  749  ou  au  commen- 
cemenl  de  750,  aurail  eu  de  32  a  33  ans  a 
I'epoque  de  son  bapleme,  tandis  que  S.  Luc 
ne  lui  en  donne  alors  que  «  Irente  environ. » 
Au  conlraire,  en  prenant  rassociation  de 
Tibere  a  I'empiro  pour  «  terminus  a  quo,  » 
nous  obtenons  I'annee  779  ou  780,  qui  coin- 
cide as-spz  exaclement  avec  la  treniieme  de 
Notre-Seigneur.  Wioseler  a  recemmenl  de- 
montre,  a  I'aide  d'inscriplions  el  de  me- 
dailles,  que  celle  maniere  decalculer  le  temps 
du  regne  des  empereurs  elait  usitee  dans  ies 
provinces  de  I'Orient.  Voyez  ses  Beiticege 
zur  richlig.  Wiirdigung  der  Evangelien,  1869, 
pp.  191-194.  Coinp.  Patrizi,  de  Evang. 
lib.  Ill,  Dissert,  xxxix;  Caspari.  Chionolog.- 
geograph.  Einieilung  in  das  Leben  J.  C. 
pp.  36  et  ss  Au  reste,  I'auire  senliment  se 
concilie  sans  beaucoup  de  peine  avic  la  date 
eiaslique  du  t.  23,  «  quasi  triginta  anno- 
rum.  »  Voir  Wallon,  de  la  Croyance  dui^  k 
I'Evangile,  pp.  335  et  8S.  Quoi  qu'il  en  soit, 
nous  trouvons  la  quinzieme  annee  de  Tibere 
entre  779  et  782,  ce  qui  ne  fait  pas  un  bien 
grand  ecart.  Cetle  premiere  date  est  la  plus 
importante  des  six,  parce  qu'elle  est  la  plus 
limitee,  par  consequent  la  plu>  precise.  — 
fo  ProruraiUe  Pontio  Pilato  Judceam,  Du 
chef  supreme  de  I'empire,  S.  Luc  passe  au 
magistral  romain  qui  le  representaii  en  Ju- 
dee.  Un  changemenl  radical  s'elail  opere 
dans  la  constitution  polilique  de  celte  pro- 
vince depuis  d'assez  longues  annees.  Eile 
n'etait  plus  gouvernee  par  Ies  princes  de  la 
famille  d'Herode.  mais  elle  elail  sous  la  ju- 
ridiclion  iminediale  de  Rome,  el,  a  ce  litre, 
c'elait  un  «  procurator  »  ou  gouverneur  qui 
I'administrait.  L'expression  fiYsjAoveuovTo?  du 
lexle  grec  est  employee  ici  d'une  maniere 
impropre,  car  elle  desiene  le  pouvoir  souve- 
rain;  le  vrai  mot  technique  serait  imtpo- 
KeuovTo;  qu'on  lit  dans  le  Cod.  D.  :  c'esl  done 
dans  le  sens  large  que  5.  Luc,  de  m6me  que 
I'historien  Josephe,  Ant.  xviii,  3,  6,  etc., 
appelle  Pilate  un  -Jiyeixwy.  Sur  Ponce-Pilate, 
qui  etail  le  sixieme  gouverneur  de  la  Judee, 
voyez  Malih.  XXVII,  2  et  le  commentaire.  Son 
gouvernement  dura  dix  ans,  de  779  a  789.  — 
30  Tetrarcha  Galilcece  Herode.  Cfr.  I'Evangile 
selon  S.  Mallhieu,  p.  287.  C'esl  le  second  des 
Herodes  du  Nouveau  Testament.  Devenu  te- 
trarque en  750,  a  la  mort  de  son  pere  Herode- 
le-Grand,   il   conserva   le  pouvoir  pendant 


42  ans  :  il  fut  destiiue  par  Caligula  en  792  et 
banni  a  Lyon.  LaPeree  faisait  egalemenl  partie 
desa  telrarchie.  —  4°  Philippo  fratre  ejus... 
C'esl  aussi  en  750  que  Philippe,  fiereou  plutot 
demi-frere  d'Herode  Anlipas,  car  ils  n'avaieni 
pas  la  meme  mere,  heritades  provinces  men- 
tionnees  par  S.  Luc.  II  Ies  conserva  jusqu'a 
sa  mort,  qui  eul  lieu  vers  786.  II  ne  faul  pa.-> 
le  confondre  avec  le  prince  du  meme  nom. 
epoux  legitime  d'llercdiade,  dont  il  est  ques- 
tion dans  S.  Marc,  VI,  17  (voir  le  commen- 
taire). —  Tetrarcha  IlurwcB  et  Trachonitidis 
regionis.  L'lturee,  dont  on  ratlache  genera- 
lement  le  nom  a  Jelhur,  fils  d'Ismael,  Gen. 
XXV,  15.  qui  fut  sans  doute  un  de  ses  an- 
ciens  possesseurs,  ne  devait  pas  beaucoup 
difFerer  du  Djedour  actuol,  contree  situee  a 
IE.  du  Jourdain  et  de  I'Hermon,  au  S.  0. 
de  Damas,  pres  des  limites  septentrionales 
de  la  Palestine.  Voyez  R.  Riess,  Atlas  de  la 
Bible,  pi.  IV  et  VII;  V.  Ancessi,  Atlas  geogr. 
pi.  XVI.  C'est  un  plateau  k  surface  ondulee, 
muni  par  intervalles  de  monticules  k  forme 
conique.  La  partie  meridionale  est  bien  ar- 
rosee  et  tres  fertile  ;  le  Nord  au  contraire  est 
rocailleux,  denue  de  sol  et  a  peu  pres  sterile. 
La  nature  du  terrain  et  des  rochers  annonce 
partout  une  formation  volcanique.  Les  habi- 
tants du  Djedour  sont  peu  nombreux  et  tres 
iniserables.  Voyez  Smith,  Diclion.  of  the 
Bible,  s.  v.Ituraea.  La  Trachonite  (dexpaxwv, 
«  locus  asper  «,  est  idenlifiee  par  les  meil- 
leursgeographesavec  le  district  d'EI-Ledscha, 
qui  forme  une  sorle  de  triangle  dont  les 
pointes  sont  tournees  au  N.  vers  Damas,  k 
I'E.  vers  la  Batanee,  a  TO.  vers  I'Auranite, 
Josephe  en  a  trace  une  description  que  Ton 
croirait  d"hier,  tanl  elle  est  encore  exacte  : 
«  Les  habitants  n'ont  ni  villes,  ni  champs; 
ils  demeurenl  dans  des  cavernes,  qui  leur 
servenl  de  refuges  ainsi  qu'a  leurs  trou- 
peaux...  Les  portes  de  ces  cavernes  sont  tel- 
lement  eiroites  que  deux  hommes  n'y  sau- 
raienl  passer  de  front ;  mais  I'inlerieur  est 
iiiimensement  large.  La  contree  forme  une 
pldine.  ou  p"u  s'en  faul  :  seulement,  elle  est 
couverle  do  roches  raboteusesel  elle  est  d'un 
acces  difficile.  On  a  besoin  d'un  guide  pour 
trouver  les  sentiers,  qui  font  mille  detours  et 
circuits. »  Ant.  xv,  10, 1.  Comp.  Burckhardl, 
Travels  in  Syiia.  p.  112;  Wetzstein,  Reise- 
berichl  ub.  Hauran  u.  die  Trachonen.  D'apres 
Josephe,  la  domination  du  tetrarque  Philippe 
s'elendait  aussi  sur  la  Batanee,  I'Auranite  et 
le  pays  de  Gaulon  :  le  Nord-Est  de  ia  Pales- 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


2.  Sous  les  grands  pretres  Anne 
et  Gaiphe,   la  parole  du  Seigneur 


2.   Sub    priucipibus   sacerdotum 
Anna,  et  Caipba  :  factum  est  ver- 


tine  liii  apparlenaiL  done  en  entier,  Voyez  les 
Atlas  df  R.  Rie>s  ct  de  V.  Anci'S>i,  I.  c.  — 
50  Lysania  Abdince  telrarcha.  Pendant  un 
cerlain  c  mp-,  il  a  eie  de  mode,  dans  ie  camp 
ralionaliste,  d'accuser  S.  Luc  d'lgnorance  ou 
d'erreur  a  propos  de  celle  cinquieme  date. 
Le  Lysanias  qu'il  mentionne  ici  corame  un 
contemporain  de  la  Vie  publique  de  Jesus 
serait,  disait-on,  ce  roi  de  Clialcis  qui  ful 
mis  a  morl  par  Marc-Anloine  vers  I'an  34 
avanl  I'ere  chreii^ine  /Dio  Ca?s.  49,  32  ;  Jos. 
Bell.  Jud.  I,  13,  1.  Voyez  Strauss,  L^ben 
Jesu,  Ire  edit.,  pp.  3M  el  ss.;de  Welle, 
h.  1.,  etc.).  Mais  des  reclierches  conscien- 
cieuses  et  des  decouvertes  providentielles 
onl  donnii  completement  gain  de  cause  au 
recit  inspire,  si  bien  qu'aiijourd'hui  les  ra- 
lionalistes  sont  les  premiers  a  defendre  notre 
evangeliste.  Comp.  Schenkel,  Bibel-Lexicon, 
s.  V.  Abilene;  E.  Riehm,  Handwoerierbuch 
desbibl.  Allertliimis,  s.  v.  Lysanias;  Rcnan, 
Mission  de  Phenicie,  pp.  316' el  ss.;  Id.,  Me- 
moire  sur  la  dynastie  des  Lysanias  d'Abilene 
(dans  les  Mena.  de  I'Academie  des  Inscrip.  el 
Belles-Letlres,  t.  XXVI,  2e  part..  1870, 
pp.  49-84  .  On  a  done  reconnu  qu'il  exisla 
plusieurs  Lysanias,  et  que  I'un  d'eux  elait 
certainement  telrarque  d'Abilene  a  I'epoqua 
de  Nolre-Soigneur  Jesus-Christ,  Cela  resulte 
de  divers  passages  de  I'hi^torien  Josephe,  dans 
lesqiiels  le  telrarque  d'Abda  apparaii  comme 
un  prince  enlieremenl  distinct  du  roi  de 
Chalcis  mentionne  plus  haul.  Celui-ci  est 
rallaiiie  a  Marc-Antoine, celui-la  aux  regnes 
de  Claude  el  de  Caligula.  Cfr,  Jos.  Anl. 
XIV, 3,  3; XV,  4.  \ ;  xviii,  6.  'IO;xix,  5,  i,elc. 
Voir  au.-si  Wallon,  De  la  croyance  due  a 
I'Evangile,  pp.  393  et  ss.  ;  Patrizi'.  de  Evansel. 
lib.  Ill,  Dissert,  xli,  §  6-13;  Wieseler,  Bei- 
traege  zur  richlig.  Wurdig.  der  Evang., 
pp.  196-204.  Cela  resulte  encore  d'une  ins- 
cription trouvee  par  Pococke  dans  les  ruines 
d'Abila  el  conlenanl  ces  deux  mots:  Auaaviou 
TETpdpxou.  Voy.  Winer,  Bibl.  Reallexic.  s.  v. 
Abilene.  Qu'etait  la  tetrarchie  d'Abilene? 
On  n'en  saurait  6xer  les  limiles  exactes,  les 
provinces  d'Oiient  ayanl  subi  de  frequents 
changemenls  a  celle  epoque  orageuse;  mais 
son  emplacement  n'esl  pas  douteux.  Les 
ruines  de  sa  capitale,  Abila  (aujourd'hui 
Suk-Ouadi-Barada),  se  voienl  encore  sur  le 
versant  oriental  de  I'Anliliban,  a  quHques 
lieues  au  N.  0.  de  Damas,  dans  une  region 
aussi  fertile  que  gracieuse,  arrosee  par  le 
Barada.  Comp.  Baedeker,  Palaeslina  und  Sy- 
rien.  1875.  p.  511 . 

2.  —  60  Subprincipibus  sacerdotum...  Apres 
avoir  signale  les  hommes  qui  exergaienl  I'au- 


torite  civile  en  Palestine  quand  S.  Jean  inau- 
gura  son  ministere  public,  S.  Luc  mi'nlioime 
aus«i  ceux  qui,  dans  le  meme  temps,  elaient 
maiUes  du    pouvoir    religieux  a  Jerusalem. 
Mais  la   mamere  donl  iTle  fail  a  cree  une 
difBculle  d"exegese  assez   serit-use.  I0  Per- 
Sonne  n'ignore  que,    dans   la    religion  mo- 
salque,    il    n'y   avail  jamais    deux    grands 
prelres  a  la  fo'is.  2°  De  plus,  a  I'epoque  donl. 
parle  noire  evangelisie,  Anne  ('Awa;,  Annas, 
dans  les  ecrils  du  Nouveau  Testament,  'Avavoc 
dans  Josephe,  en  liebreu  7;n,  Chanan,  avail 
cesse  depuis  de  nombreu  s;sannees  d'etre  le 
ponlife  supreme  des  Ju.fs.  puisque,  eleve  a 
cette  dignile  I'an  de  Rora>  759.  il  avail  ete 
depo>e   en   767  par    le    procureur   Valerius 
Gratus.  II  est  vrai  que  la  ieQon  primitive  du 
texte    grec    ful   probablemenl    etcI    apxtspe'toc 
'Avvaxai  Kaidfia,  «  sub  [irineipe   sacerdotum 
Anna  el  Caipha  »  (voyez  Tischendorf,  Nov. 
Testam.  graece,  h.  I.);  mais  celte  correction 
ne  sert  qu'a  accroilre  I'embarras  de  I'exe- 
gete,  puisqu'elle  fait   retomber   uniquement 
sur  Anne  un  tilre  que  Caiiihe  s^^ul  possedait 
alors  en  propre.  On   a    imagine   differenles 
hypotheses     pour     expliquer    ce    semblant 
d  inexactitude.  I0  Anne  et   Caiphe   auraient 
gere  alternativemenl,  d'annee  en   annee,  le 
souvcrain  Pontifical.  Comp.  Joan,  xi,  49,51  ; 
xviii.  13,  el  le  commenlaire;  2°  Anne   au- 
rail  ete  le  UD  [Sagan],  c'esl-a-dire  le  substi- 
tul  du  grand-pietre  Caiphe;  ou   bien   30  il 
aurait  rempli  les  fonclions  de  Naci  (K'^Ji), 
ou  de  president  du  Sanhedrin.  ce  qui  lui  eiil 
confere  une  grande  autorite  au   point  de  vue 
religieux.    Mais   ces    conjectures    sont    bien 
peu   fondees.  Nous  aimons   mieux  supposer 
avec  plusieurs  comraentateurs  conlemporains 
4°  que  S.  LuC:   peut-etre   avec   une   legere 
poinle  d'ironie,  a  veulu  decrire  ainsi  le  veri- 
table etal  des  choses,    c'est-a-dire   montrer 
que  I'exereice  du   sacerdoce   supreme  etait 
alors  b'aucoup  plus  enlre  les  mains  d'Anne 
qu'enlre  celles  de  Caiphe;  ou  5o  que   Ton 
conlinuait  a  donner  a  Anne  le  tilre  honori- 
fique  de  grand-prelre,  bien  que  Caiphe  fiit 
le  vrai  tilulaire;  ou  enfin  6"  que,  dans  ['opi- 
nion generale,   Anne   elait   regarde    malgre 
sa  deslitulion    comme    le  ponlife  de  droit, 
puisque.  d'apres  la   loi  juive,  le   souverain 
pontifical  elait  a  vie  :  Caiphe  n'ciil  ete  alors 
qu  '  le  grand-pretre  de  iait.  Voyez  Act.  iv,  6 
el   le  commenlaire.    Josephe,   Ant.   xx,  20,. 
applique  aussi  a  Anne   le  litre  de  Ponlife; 
S.  Luc  ne  saurait  done  elre    taxe   d'eneur 
pour  avoir  employe  celte  meme  expression. 
Cfr.  Wieseler,  Beitraege,  pp.  205  el  ss.  Sur 
Caiphe,  voyez  lEvang.'selon  S.  Mauh.p.492. 


CHAPITRE  111 


93 


bum  Domini  super  Joanuem,  Zacha- 
riae  filium  in  deserto. 

Act.i,  6. 

3.  Et  venit  in  omnem  regionem 
Jordanis ,  prsedicans  baptismum 
poenitentise  in  remissionem  pecca- 
lorum, 

Malt.  3,  1;  Marc.  I,  4. 

4.  Sicut  scriptum  est  in  libro  Ser- 
monum  Isaise  prophetse  :  Vox  cla- 
mantis  in  deserto  :  Parate  viam 
Domini  :  rectas  facite  semitas  ejus. 

Isai.  40,  Z;Joan.  i,  23. 

5.  Omnis  vallis  implebitur  :  et 
omnis  mons  et  collis  humiliabitur  : 
et  erunt  prava  in  directa,  et  aspera 
in  vias  planas : 


descendit  sur  Jean  fils  de  Zacharie 
dans  le  desert. 

3.  Et  il  vint  dans  toute  la  region 
du  Jourdain,  prechant  le  bapteme 
de  la  penitence  pour  la  remission 
des  peches. 

4.  Ainsi  qu'il  est  ecrit  au  Iivre 
du  prophete  Isaie  :  voix  de  celui  qui 
crie  dans  le  desert :  preparez  la 
voie  du  Seigneur,  rendez  droits  ses 
senliers; 

b.  Toute  vallee  sera  comblee  et 
toute  montagne  et  toute  colline  se- 
ront  abaissees,  leschemins  lortueux 
seront  redresses  et  les  raboteux 
a  pi  an  is. 


—  A  lous  les  noms  que  Tevangelisle  vi  nl 
de  ciler  se  rattachaienl  pour  le  peuple  juif, 
sous  le  double  lappoi  t  moral  et  polilique,  les 
miseres  les  plus  prolondos.  Comme  Israel 
avait  alorsbesoin  de  penitence  etde  ledemp- 
tionlC'e^t  preciseiiient  cetle  heure  desolee 
que  la  Piovidence  choisit  pour  envoyer  le 
Piecurseur  de  son  Christ.  —  Factum  est  ver- 
bum  Domini :  r^^r^^  "!2t  \"iiV  Foimile  ma- 
jeslueiise,  pour  exprimer  les  coramunicalions 
divines  faites  aux  piopheles.  Comp.  ill  Reg. 
XVII,  I ;  Is.  xxwiii.  4,  5;  Jer.  i,  2;  Ezech. 
I,  3  ;  Os.  I,  1  ;  Jon.  i,  I ,  etc.  Elle  designe  ici 
le  nioment  solennel  ou  Dieu  fit  entendre  a 
Jean-Bapliste  qu'il  etait  temps  de  quitter  son 
desert  ^Cl'r.  i,  80)  et  d'aller  preparer  les  voies 
au  Messie.  —  Super  Joannem.  Hebraisme 
iSlTU  pour  «  ad  Joannem  ».  Les  noms  de 
Tibere,  de  Pilate,  des  tetrarques  et  des 
grands-pr^tres  n'avaient  done  pour  but  que 
d'introduire  celui  du  fils  de  Zacharie!  Pour 
juslifier  un  si  grand  appareil  I'evenement 
parait  lout  d'abord  bien  pelil  :  mais  qu'e- 
taient.en  comparaison  de  Jean-Baptiste,  tous 
les  dignitaires  de  I'empire  remain  et  des 
pays  juifs? 

3.  —  Fa  oenit.  Docile  aux  ordres  de  Dieu, 
Jean  abandonne  sa  retraite  et  s'en  vient  in 
oinnein  regionem  (dans  le  grec,  el;  irdaav  Trjv 
Tcpixwpov,  in  omnem  confinem  regionem  ») 
Jordanis,  c'est-a-dire  dans  la  prol'onde  vallee 
du  Jourdain,  et  aussilot  il  commence  a  prd- 
chor.  S.  Luc  indique  dans  les  memes  terraes 
que  le  second  des  synoptiques,  i,  4.  I'objet 
priiicip?il  dr>  la  predication  de  Jean-Baptiste  : 
prcodicans  baptismum  pcenitenlice  in  remissio- 
nem pecailoium.  Comparez  I'Evang.  selon 
S.  Marc,  p.  25.  II  nous   montrera  plus  bas, 


t.  7,  quoiqu(?  d'une  maniore  incidente,  le 
Precursenr  administrant  lui-meme  ce  bap- 
teme de  penitence. 

4.  —  Sicut  scripium  est,  Comme  ses  deux 
devanciers,  S.  Luc  applique  au  iiiini>tere  de 
S.  Jean-Baptiste  la  belle  prophelu;  d'lsai'e 
qui,  plusieurs  siecles  a  I'avance,  en  avait  si 
bien  determine  la  naiure.  Seulement  il  la 
cite  d'une  maiiiere  beaucoup  plus  complete  : 
S.  Mallhieu  el  S.  Marc  s'etaiint  bornes  a  en 
rapporter  les  premieres  paroles.  II  nomme  la 
collection  du  grand  prophele  un  libtr  sermo- 
num  (ev  pio),w  Xoywv),  confoimemenl  a  Fusago 
hebreii.  Comp.  Am.  i,  1,  D^'DV  iiaT ;  LXX, 
>,6yoi  'Afio);.  —  Vox  clnmantis.  «  Bene  vox  di- 
citur  Joannes,  Verbi  preenunlius,  quia  vox 
praecedil  inferior,  verbum  sequitur,  quod 
praecellit  ».  S.  Arabroise.  h.  1.  —  La  voix  du 
Precurseur  criera  aux  Juifs  :  Parate  mam 
Domini...;  Jean  sera  ainsi  le  pionnier  mys- 
tique de  Jesus. 

5.  —  La  sublime  metaphore  continue,  le 
prophete  decrivant  par  quelques  details  com- 
ment il  faut  preparer  la  voie  du  Seigneur, 
redresser  les  routes  sur  lesquelles  il  doit 
bientot  passer,  -lo  Omnis  vallis  implebitw. 
Operation  qui  consiste  a  combler,  au  moy.  i 
de  remblais,  les  depressions  de  terrain  "qui 
rendraient  la  route  dangereuse  on  impra- 
ticable.  Dans  I'hebreu,  N^y;'  N'J  Sd,  touio 
vallee  sera  elevee.  Le  mot  grec  ipapayl  si- 
gnifie  liileralement  fcnte,  crevasse.  2"  Om- 
nis mons  et  collis  humiliabitur,  c'est-a-dire 
«  deprimetur  »,  a  I'aido  de  tianchee.  pour 
eviter  les  moniees  trop  raides.  3o  Enmt 
prava  in  directa.  Le  grec  porte  :  ioTat  -i 
av-oVioL  (a  obllqua ,  tortuosa  »)  el?  sOOEtav, 
8cil.  6oov  («  in  reclam  viam  »);  i'hebreu  . 


94 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


6.  Et  toute  chair  verra  le  salut 
de  Dieu. 

7.  II  disait  done  aux  foules  qui 
accouraient  pour  etre  baptisees  par 
lui  :  raies  de  viperes,  qui  vous  a 
montre  a  fuir  la  colere  a  venir? 

8.  Faites  done  de  dignes  fruits 
du  penitenee  et  ne  eommencez  pas 
par  dire  :   Nous  avons  pour  pere 


6.  Et  videbit  omnis  caro  salutare 
Dei. 

7.  Dicebat  ergo  ad  turbas,  quae 
exibant  ut  baptizarentur  ab  ipso  : 
Genimina  viperarum,  quis  ostendit 
vobis  fugere  a  ventura  ira? 

Luc.  3,  7  et  33,  33. 

8.  Facite  ergo  fructus  dignos  poe- 
nitise,  et  ne  coeperitis  dicere  :  Pa- 
trem  habemur  Abraham.  Dieo  enim 


IWab  aoyn  n»m.  4o  Aspera  m  vias  pla- 
nus, a!  Tpa/stai  Ei;  63ou;  ).£ia?  (LXX,  v.at  :?i 
TpaxJ'a  £';  TiEoia),  hebr.  nypiS  D'D3"im.  Le3 
endroits  ^cabreux,  raboleux ,  devroni  elre 
egalement  Iravailles  de  maniere  a  foiirnir 
une  voie  plane  el  aisee.  Quatre  belles  figures 
des  obstacles  moraux  qui  s'opposent  a  la  pre- 
dication de  I'Evangile,  el  que  chacun  doit 
renverser  s'il  veul  posseder  pleinemenl  Jesus- 
Christ.  Voyez  la  Chains  d'or  de  S.  Thorn. 
d'Aq.,  h.  I. 

6.  —  Et  (pour  «  tunc  »)  videbil  omnis  caro 
(hebraismp  pour  «  omnis  homo  » )  salutare 
Dei,  c'esl-a-dire  le  salul  messianique.  Ces 
deux  derniers  mots  sont  une  addition  des 
Septante.  On  lit  dans  le  lexte  primitif  :  a  Et 
videbit  omnis  caro  pariter  quod  os  Domini 
locutiim  est.  »  Ainsi  done,  quand  lout  obsta- 
cle aura  disparu,  le  Roi-Messie  fera  dans  les 
coeurs  son  entree  triomphale,  el  persoiine, 
sauf  les  hommes  volontairempnl  rebelles  a  la 
grace,  ne  sera  exclu  de  sa  visile.  Celie  idee 
est  bien  conforms  au  caraclere  universel  du 
iroisieme  Evangile.  Voyez  la  Preface,  §  5. 

2»  La  predication  de  S  Jean-Baptiste.  ni,  7-10. 

Cette  predication,  telle  qu'elle  nous  a  ete 
conservee  paries  recits- evangeliques.  elait 
lantol  generate,  tanlot  speciale,  Generale, 
olle  exhorlait  a  la  penitence  et  coiiduisail  a 
.lesus  tons  ceux  qui  accouraient  pour  I'en- 
lendre.  Speciale,  elle  indiquait  a  chaque 
categorie  d'auditeurs  ses  principaux  devoirs 
d'elal. 

a.   Exhortation    a  la  penitence,   iii,   7-9. 
(Parall.  Matth.  ni,  7-10.) 

Dans  ce  passage,  la  narration  de  S.  Luc 
coincide  presque  mot  pour  mot  avec  celle  de 
S.  Malthieu  (voyez  le  commentaire)  :  on  y 
rencontre  neanmoins  plusieurs  trails  carac- 
lerisliques.  De  part  et  d'autre  les  paroles  du 
Precurseur  ont  un  lour  vif  et  polemique 
qu'appelaient  les  tendances  corrompues  de 
ces  temps. 

7.  —  Dicebat  ergo.  La  parlicule  «  ergo  » 
renoue  le  fil  du  r^cit,  qu'avait  moraenlane- 
raent  brise  la  citation  tiree  d'Isale.  L'impar- 


i'ail  montre  que  S.  Jean-Baptiste  adressait  fre- 
quemmenta  la  fouleles  lerribles  objurgations 
qui  vont  suivre.  —  Ad  turbas  qucs  exibant 
(^x7lop£uo|xevol?)  :  les  multitudes  «  sorlaient  » 
des  lieux  habiles,  pour  venir  dans  les  con- 
trees  sauvages  et  desertes  oil  prechait  et 
bapiisail  S.  Jean.  —  Genimim  viperarum. 
Ce  n'esl  point  la  une  «  captatio  benevolen 
liae  »!  Mais  S.  Matlbieu,  in,  7,  a  pris  soin  de 
dire,  pour  expliquer  cette  apostrophe  severe, 
qu'un  grand  nombre  des  Juifs  sur  lesquels 
elle  retombail  elaienl  des  Fharisiens  hypo- 
crites ou  des  Sadduceens  depraves.  Ces  chefs 
de  la  nation  I'avaienl  formee  toute  entiere  a^ 
leur  image.  —  Quis  ostendit  vobis...  Le  verbe 
grec  uTriSeiSev  est  plein  d'energie.  II  signifie 
proprement  «  ob  oculos  ponere  aliquid  alicui 
ut  videat.  »  Qui  done  avail  pu  faire  croire 
k  ces  pecheurs  endurcis  qu'ils  pourraient, 
sans  changer  de  sentiments  ou  de  conduile, 
el  en  vertu  d'une  pure  ceiemonie  {ut  baptiza- 
rentur: voyez,  sur  ce  bapteme,  I'Evang.  se- 
lon  S.  JIallh..  p.  70),  echapper  aux  thali- 
ments  divins?  Par  ventura  ira  il  faut  enten- 
dre principalemenl  la  colere  que  le  souverain 
Juge  manifeslera  dans  I'aulre  vie  contre  les 
pecheurs  impenitents,  comme  I'indique  celle 
parole  analogue  de  Jesus,  Matlh.  xxni,  33  : 
«  Serpentes,  genimina  viperarum,  quomodo 
fugieiis  a  judicio  gehennse?  » 

8.  —  Facite  ergo...  05v,  puisque  vous  n'avez 
pas  d'aulre  moyen  de  vous  sauver.  —  Fruc- 
tus dignos  pcenitentia.  S.  Malthieu  emploie  le 
singulier  :  «  fructum  dignum...  »  Ces  fruits, 
c'esl-a-dire  ces  acles  de  penitence,  monlre- 
ront  la  realite  de  leur  conveision.  Le  Precur- 
seur en  signalera  quelques-uns  dans  les  ver- 
sets  suivants.  —  Ne  coeperitis  dice7-e.  S.  Mal- 
thieu :  «  Ne  velilis  ((xri  So^irce;  dicere  ».  La 
phrase  de  noire  evangelisle  est  plus  expres- 
sive :  N'essayez  pas  raeme  de  tenir  ce  Ian- 
gage:  c'csl  lout-a-fail  inutile  I  Le  grec  ajoute 
£v  ia-jToi;,  en  vous-memes.  —  Patrem  habe- 
juus  Abraham.  Les  Juifs,  et  avec  raison , 
elaienl  tiers  d'avoir  Abraham  pour  pere; 
mais  ils  auraient  dil  se  souvenir  que  eerie 
filiation,  toute  glorieuse  qu'elle  ful,  ne  suf- 
fif"'*.  pas  pour  les  delivrer  au  jour  de  la  co-- 


CHAPITRE  III 


95- 


yobis,  quia  potens  est  Deus  de  la- 
pidibus  istis  suscitare  filios  Abrahse. 

9.  Jam  enim  securis  ad  radicem 
arborum  posita  est.  Omnis  ergo  ar- 
bor non  faciens  fructum  bonum 
excidetur,  et  in  ignem  mittetur. 

10-  Et  interrogabant  eum  turbse, 
dicentes  :  Quid  ergo  faciemus? 

11.  Respondens  autem  dicebat 
illis  :  Qui  habet  duas  tunicas,  det 


Abraham ;  car  je  vous  dis  que  de 
ces  pierres  memes,  Dieupeut  susci- 
ter  des  enfants  a  Abraham. 

9.  Deja  la  cognee  a  ete  mise  a  la 
racine  de  I'arbre;  tout  arbre  qui  ne 
porte  pas  de  bon  fruit  sera  coupe  et 
jete  au  feu. 

10.  Et  les  foules  Tinterrogaient, 
disant :  Que  ferons  nous  done? 

11.  Et  ii  leur  repondit :  Que  celui 
qui  a  deux  tuniques  en  donne  une 


lere  divine.  Comp.  xvi,  24-31  ;  Rom.  ii,  17- 
29.  0  Si  filii  Abrahae  estis.  opus  Abrahae  fa- 
cite  »,  leur  repondra  justement  Jesus  quaad 
ils  se  vanteront  d'etre  les  fils  d'Abiahain, 
Joan.  VIII,  39  el  ss.  —  Dico  enim  vobis... 
S.  Jean,  opposant  la  dpscendance  spiriluelle 
a  la  paterniie  charnelle,  continue  de  ren- 
verser  sans  pilie  les  oii;iieilleuses  el  soltes 
prelensions  de  ses  audileurs.  Abraham  est 
I'ami  de  Dieu  (les  Arabes  le  nomment  em- 
phaliquement  El-Khalil ,  I'aini  par  excel- 
lence), el  c'esi  la  mi  grand  avantage  pour  ses 
eiifanls,  soil !  Mais  quels  sonl  les  veritables 
enfants?  «  Qui  noii  ex  sanguinibus,  neque  ex 
voluntate  carnis  neque  ex  voluntate  viri  sed 
ex  Deo  nali  sunt.  »  Joan,  i,  13.  Or  cehii  qui  a 
fait  nailre  miraculeusemenl  I>aac  pourra  bien 
(potens  est;  SOva-rat,  «  potest  »),  s'il  le  veut, 
susciter  a  Abraham  d'autres  enfants  de  pro- 
dige  [suscitare  filios  correspond  a  yiT  D'pH 
des  Hebreux.  Cfr.  Gen.  xxxviii,  8),  qii  Ml 
lirera,  non  plus  seulemenl  d'un  sein  sterile, 
mais  des  pierres  memes  du  desert.  S.  Jean 
designail  ain.-i  les  palens,  qui  allaient  bienlot 
remplacer,  par  droit  d'adoption,  les  Juifs 
desherites. 

9.  —  Jam  enim  securis...  Prenez  garde, 
continue  Jean-Bapliste,  la  «  venlura  ira  » 
pourrait  bien  ne  pas  tarder  a  atteindre  ceux 
qui  refuseraient  de  se  converlir.  La  hache 
git  deja  aupres  des  mauvais  arbres,  ou  plutot 
elle  est  meme  appuyee  conlre  leurs  racines, 
ad  radicem.  11  n'y  a  plus  qu'a  la  saisir,  k 
frapper  un  coup  docisif,  el  les  pervers  seront 
k  tout  jamais  perdus.  —  Excidetur,  mittetur  : 
le  temps  present,  employe  dans  le  texle  pri- 
mitif,  exprime  plus  6nergiquement  Texecu- 
tion  rapide  des  celestes  menaces. 

b.  Predication  tpiciale  de  S.  Jean-Baptiste. 
HI,  10-14. 

Seul  parmi  les  evangelistes  S.  Luc  nous  a 
conserve  quelques-unes  des  exhortations  par- 
ticulieres  que  le  Precurseur  adaptait  admire' 
i)Iemenl  aux  differentes  classes  de  son  audi- 
toire.Lea  inedicuscarissimus»nes'interessait 


pas  moins  a  la  therapeutique  des  fimes  qu'i- 
celle  des  corps.  Pour  nous  aussi  il  est  extre* 
moment  interessant  de  voir  comment  S.  Jean- 
Baptisle  repondait  aux  questions  de  la  foule 
et  donnait  a  lous  des  remedes  appropries  a 
leurs  besoins.  On  I'a  dit  avec  justesse,  c'est 
le  confe^sionnal  apres  la  chaire.  Quel  regard 
penetrant  devaii  posseder  eel  asc^te  qui, 
malgre  sa  vie  retiree,  connaissait  si  parfai- 
lemeiit  les  defauts  et  les  besoins  de  ses  cora- 
palriotesl 

10.  —  Et  interrogabant  eum  turhce.  Ce 
nouvel  imparfail  est  a  noter ;  car  il  indique 
aussi  un  fait  qui  se  renouvelait  souvent.  — 
Quid  ergo  faciemus?  «  Ergo  »,  puisqu'il  re- 
sulle  de  vos  paroles,  1it.  7-10,  que  nous 
avons  quelque  chose  a  faire  pour  operer  noire 
salut.  En  quoi  doit  consister  pour  nous  I'ac- 
tivile  morale  que  vous  nous  recommandez 
d'une  maniere  si  pressante?  Question  bien 
naturelle,  que  posenl  aussilot  les  ames  deci- 
dees  a  se  converlir  sincerement.  Comp.  Act. 
II,  37;  xvi,  30;  xxii,  10.  Elle  prouve  done 
les  bonnes  dispositions  de  ceux  qui  I'ddres- 
saient  a  S.  Jean.  La  plupart  des  manus- 
crits  grecs  emploienl  le  conjonctif  deliberalif 
woti^dwjAsv,  «  faciamus  »,  au  lieu  du  simple 
fulur. 

11.  — Le  Precurseur  acquiesce  avec  bonte 
au  pieux  desir  de  la  foule.  Mais  que  penser 
de  sa  premiere  reponse?  Maldonat  faisait  deja 
remarquer,  avec  toute  la  finesse  de  sa  criti- 
que, qu'elle  semble,  au  premier  abord,  assez 
eloignee  de  la  question.  Et  pourlanl  comme 
le  conseil,  si  on  I'examine  de  pres,  correspond 
bien  aux  intentions  et  aux  besoins  des  inler- 
rogateurs!  Les  Orientaux,  a  la  vive  imagi- 
nation, s'expriment  raremenl  en  termes  pu- 
remeni  speculatifs.  Chez  eux,  les  preceptes 
se  traduisenl  volontiers  par  des  exemples 
concrels  et  pratiques.  Aussi,  sous  ce  morceau 
de  pain,  sous  celle  tunique,  que  S.  Jean  re- 
commande  de  donner  auxpauvres,  devons- 
nous  voir  le  preceple  de  I'amour  du  prochain 
dans  toute  son  etendue,  sans  nous  borner  a  la 
leltre  du  conseil.  Notre-Seigneur  Jesus-Christ 


96 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


a  celui  qui  n'en  a  point,  et  que  celui 
qui  a  des  aliments  fasse  de  m^me. 

12.  Et  ^!es  publicains  vinrent 
aussi  pour  etre  baptises  et  ils  lui 
dirent  :  Maitre,  que  ferons-nous  ? 

13.  Et  il  leur  dit :  Ne  faites  rien 
de  plus  que  ce  qui  vous  a  ete  pres- 
ent. 

14.  Et  des  soldats  aussi  Tinterro- 


non  liabenti ;   et  qui    habet  escas 
similiter  faciat. 

Jac.  2,  15;  IJoan.  3,  17. 

12.  Venerunt  autem  et  publicani, 
ut  baptizarentur,  et  dixerunt  ad 
ilium  :  Magisler.  quod  faciemus? 

13.  At  ille  dixit  ad  eos  :  Nihil  am- 
plius,  quam  quod  constitutum  est 
vobis,  faciatis. 

14.  Interrocrabant  autem  eum  et 


use  de  formules  analogues  dan?  le  Discours 
sur  la  monlagne  pour  inculquer  le  meme 
commandement.  Ainsi  du  resle  avaient  fait 
les  propheles.  «  Fraiige  esiirienli  panem 
luum,...  quum  videris  niiduin  operi  eum  », 
Is.  LViii,  7.  «  Peccala  lua  eleemosyrns  re- 
dime,  et  iniquitates  luas  misericordiis  paupe- 
rum  »,  Dan.  iv,  24.  Ce  dernier  lexle  nous 
montre  h  quel  point  I'avis  de  jean-Baplisle 
elait  judicieux,  el  comment,  sans  sortir  des 
idet'S  de  I'ancienne  Alliance,  le  Precurseur 
pouvait  conseiller  la  misericorde,  la  cliariie 
traternoUe,  corame  osuvre  de  penitence  et 
comme  moyon  de  conversion.  —  Duas  tuni- 
cas, Suoxi'wva;.  II  s'agit  de  la  tunique  inte- 
rieure  (sorte  de  chemise),  portee  «  super 
nudo  B,  le  plus  souvent  munie  de  manches, 
el  descendant  parfois  jusqu'aux  chevillcs.  — 
Det,  scil.  a  unam.  »  Dans  le  grec,  \l£-col^6tu), 
«  communicet.  »  —  Escas,  ppwaaTa  :  expres- 
sion generale  qui  represenle  toute  sorle  de 
mets.  —  Yoila  done  la  charite  decrile  d'une 
iagon  populaire  par  deux  de  ses  CEuvres  prin- 
cipales.  Le  velement  et  la  nourriture,  lels 
sont  bien  les  deux  besoins  les  plus  pressants 
des  pauvres. 

12.  —  Venerwit  autem  et  publicani.  Sur 
cette  classe  alors  si  decriee,  voyez  I'Evangile 
selon  S.  Mallh.,  p.  '124.  Apres  I'allocution 
pratique  adressee  a  toute  la  foule.  tt-  40 
etll,nousen  trouvonsdeux  autresayant  pour 
objectifs  des  categories  speciales,  les  publi- 
cains et  les  soldats.  —  Magister.  lis  disaient 
en  hebreu  :  m,  rabbi.  Voyez  Matth.  xxiii,  7, 
et  le  commentaire.  Les  publicains  donnent 
seuls  a  S.  Jean  ce  titre  honorable.  GIr.  les 
tt.  10  el  U. 

13.  —  At  ille  dixit.  A  ce  qu'on  appelait  par 
euphemisme  I'c  immodeslia  publicanorum  », 
quelle  digue  opposera  I'austere  Precurseur! 
Uniquemcnt,  et  nous  en  sommes  presque 
surpris,  celle  de  la  justice  el  du  devoir.  Au 
lieu  des  vifs  reproches  que  nous  attendions, 
/iQus  trouvons  simplement  ces  mots,  qu'on 
'raiterait  p(  ut-elre  de  telaches  s"ils  tombaient 
■*'une  autre  bouche  :  Nihil  amplius...  N'exigez 
•fien  de  plus  que  la  taxe  legitime!  C'est  qu'il 
jxiste  certaines  carrieres,  cerlaines  fonctions, 


dans  lesquelles  la  justice  et  la  verite  se 
touchent  en  quelque  sorte.  carrieres  et  font- 
lions  ou  il  faul  une  vertu  energique  pour  se 
tenir  dans  les  limites  du  «  quod  justum  ». 
Tel  etait  I'ofQce  des  publicains  d'apres  le 
syterae  de  perception  alors  en  usage.  11  facili- 
tail  en  effet  les  exactions  les  plus  odieuses,  et 
les  colleclPUi>  d'impots  profitaient  largement 
de  ieur  situation  pour  s'enrichir  aux  depens 
du  public.  Cfr.  xix,  8  ;  Tac.  Annal.  xiii,  50; 
Winer.  Bibl.  Reallexic.  t.  II,  p.  835.  —  Fa- 
ciatis, i;pa<jffE-e.  Les  classiques  donnent  quel- 
quefois  aussi  au  verbe  Tipicraw  celle  signifi- 
cation speciale  («  exigere  >■>).  Comp.  Wahl, 
Giavis  N.  T.  philologica,  s.  v.  et  Luc.  xix,  23. 
Du  reste,  a  Athenes.  le  receveur  des  finances 
etail  nomme  irpaxTtop. 

14.  —  Interrogahant...  et  milites.(f  Ostendit 
(Lucas)  quanta  vis  fuerit  orationis  Joannis, 
quaeetiam  militesplerumqueferocesemollit », 
Maldonat.  Le  grec  n'emploie  pas  I'expression 
ordmaire,  oxpaTiMTat,  mais  le  parlicipe  (rrpa- 
Teu6(X£voi,  qui  designe  des  hommes  actuelle- 
ment  sous  les  armes  et  en  service  actif.  Ces 
soldats  faisaienl-ils  parlie  de  I'armee  d'He- 
rode  Antipas?  ni  bien  etaienl-ce  des  legion- 
naires remains?  II  serait  assez  difiicile  de  le 
dire.  II  parail  certain  du  moins  qu'ils  elaient 
Juifs  d'origine,  car  on  trouvait  des  merce- 
naires  Israelites  dans  tou tes  les  armees  d'alors. 
Voyez  Grolius,  in  h.  1.  La  reputation  des 
soldais  de  cette  epoque  agitee  etait,  s'il  est 
po-sible,  pire  encore  que  celle  des  publicains. 
Ce  que  nous  avons  vu  durani  les  guerrea 
conlemporaines  ne  saurait  sufiire  pour  nous 
donner  une  idee  de  leurs  depredations,  de 
leur  ferocite.  La  maniere  dont  les  armees 
etaienl  formees  entrait  deja  pour  beaucoup 
dans  la  barbarie  des  moeurs  miliiaires.  Elles 
se  composaient  en  grande  partie  d'aventu- 
riers  venus  de  lous  les  coins  du  globe  et 
surtout  des  contrees  reputees  les  plus  rudes 
(la  Thrace,  le  Dalmalie,  la  Germanie),  de  d^- 
biteurs  insolvables,  d'enfants  prodigues  qui, 
apres  avoir  mange  !eur  fonds  avec  leur  re- 
venu.  avaient  cherche  un  asile  dans  la  milice, 
de  bandits,  de  paresseux,  etc.  Les  nom- 
breuses  guerres  qui  avaient  eu  lieu  recemroenli 


CHAPITRE   III 


97 


milites,  dicenlei:  Qaid  faciemus  et 
uos  ?  Et  ait  illis  .  Neminem  concu- 
liatis,  neque  calumniam  faciatis  : 
et  content!  estote  slipendiis  vestris. 

15.  Existimante  autem  populo,  et 
cogitantibus  omnibus  in  cordibus 
suis  de  Joanne,  ne  forte  ipse  esset 
Gbristus  : 

16.  Respondit  Joannes,  dicens 
omnibus  :  Ego  quidem  aqua  baptize 


geaient,  disant :  Et  nous,  que  ferons- 
nous?  Et  il  leur  dit  :  N^isez  de  vio- 
lence envers  personne  et  ne  faites 
point  de  calomnie  et  contentez-vous 
de  votre  paie. 

15.  Or,  comme  le  peuple  croyait 
et  que  tons  pensaient  dans  leurs 
coeurs  an  sujet  de  Jean  qu'il  etait 
peut-etre  le  Christ, 

16.  Jean  repoudit,  disant  a  tons  : 
Pour  moi  je  vous  baptise  dans  I'eau; 


el  la  liberie  que  Rome  donnait  a  .<(>>  le^'ions 
dans  les  pays  envahis  ou  cotiquis  avaienl  d^- 
veloppe  auti  d^gre  formidable  ces  mauvaises 
disposilion-;  :  aiissi,  les  troupes  repulees  les 
meilleures  et  les  plus  exemplaires  elaienl-elles 
fori  a  redouler  elles-meuies.  Toulc  I'liisloire 
ancienne,  comme  celle  du  irjoyen-age,  est 
remplie  de  gemissemenls  a  ce  sujeU  El 
pourtant,  voila  que  la  predication  de  Jean- 
Baptiste  a  touche  quelquis-uns  de  ces  riides 
coeurs!  Et  noSj  demandeni-ils  avee  emphase  a 
la  suite  des  publicains  (ces  mols  sont  mis  en 
avanl  de  la  proposition  dans  le  lexte  grec), 
quid  faciemus?  —  A  eux  aussi  le  Precurseur 
se  borne  a  tracer  des  regies  de  perfection  qui 
ne  depassent  point  les  limiles  du  strict  devoir. 
1o  Neminem  concutiatis;  en  grec  lAYiSevaSia- 
ffe(oTiTe.  Le  verbe  Siaaeio)  signifie  vexer,  lour- 
menler,  el  specialement  «  vi  et  terrore  ab 
aliqao  exprimere  ».  Par  cetle  premiere  re- 
commandaiion,  S.  Jean  interdisait  done  aux 
soldats  qui  le  consullaienl  la  rapine,  le  ma- 
raudage,  les  requisitions  violentes  el  injusles. 
2o  Neque  calumniam  faciatis  est  aussi  une 
bonne  traduction  de  [iriSe  (Tuxo9avT^aY)Te.  L'o- 
rigine  de  ce  mot  est  connue  (voyez  les  dic- 
tionnaires).  Apj'6s  avoir  lout  d'abord  designe 
une  esp6ce  particuliere  de  delaieurs  (ceux  qui 
denoiiQaient  les  marchands  coupables  d'avoir 
exporle  les  figues  de  I'Altique,  ouxov,  et  (paivw), 
il  servil  a  representer  les  delateurs  en  gene- 
ral. Ici  il  a  le  sens  d'accuser  a  faux.  Pour 
obtenir  plus  facilement  le  pillage  d'une 
maison,  d'un  village,  les  soldats  invenlaienl 
des  denoncialions  mensongeros  centre  les 
habitants.  C'esl  ce  mode  d'exlorsion  que 
S.  Jean  leur  inlerdil.  3o  Contenti  estote 
(apxeT<76e)  stipendiis  vestris  (tol;  b^iavioiz,  di- 
rectemcnl  •  la  ration,  plus  lard  :  la  solde).  Ce 
Iroi^ieme  avis  ^lait  pratique  alors,  car  h 
chaque  instant  les  troupes  se  mulinaient  a 
propos  de  solde  et  de  nourriture.  Plusieurs 
fois  les  empereurs  romains  furent  obliges 
d'augmenter  considdrablemeni  la  paie  et  les 
vivres  des  legionnaires.  Le  «  stipendium  » 
quoiidien,  apres  avoir  ete  de  dix  as  (le  -1/3 

S.  Bible.  S. 


d'un  denier)  sous  Jules  Cesar,  fut  porte  par 
Auguste  a  deux  deniers  par  jour  (environ 
1  fr.  70;.  Cfr.  Tacit.  Ann.  v,  17. 

Le  Precurseur  et  le  Messie.  in,  15-18.  Parall. 
Malth.  Ill,  11  et  12;  Mare,  i,  7-8. 

15.  —  Comme  les  deux  premiers  synopti- 
ques,  S.  Lucassocie  a  lapredicalion  de  Jean- 
Bapliste  le  temoignage  que  le  lieraut  rendit 
a  son  Maitre  en  face  de  tout  le  peuple  ;  mais 
il  en  a  seul  note  I'occasion,  qui  u'est  pas 
sang  importance.  —  Existimante  populo.  Le 
grec  TtpoffooxwvToi;  indique  plutol  une  attenle 
anxieuse,  une  vive  tension  des  e^pnts,  Celle 
attenle,  celle  tension,  sont  expnmo(>s  plug 
forlement  encore  [)ar  les  mots  cogitantibus 
( 8iaXoYt?o[jieva)v ,  litter.  «  perpendenlibiis  », 
pesant  le  pour  et  le  centre)  omnibus  in  cordi- 
bus suis.  lis  ne  durent  pas  larder  a  se  cem- 
muniquer  mutuellement  leurs  penseos,  qui 
avaienl  S.  Jean  et  sa  mission  pour  objel  :  ne 
forte  (pourw  utrum  forte  n)ipse  esset  Christus. 
Cetle  reflexion  de  I'evangelisle  nous  permei 
d'entrevoir  I'influence  enorme  que  le  Baplisle 
avail  cenquise,  I'elonnanle  impression  qu'il 
avail  produile.  «  Emerveille  de  tout  ce  qu'il 
veil  et  de  lout  ce  qu'il  entend,  frappe  de  la 
saintele  manifeste  du  nouveau  prophele,  emu 
ae  sa  brulante  eloquence,  voila  done  le  peuple 
qui  se  demande  s'il  ne  se  trouverail  point  en 
face  du  Messie  attendu.  Un  peu  de  science 
ou  de  reflexion  le  detournerait  de  cetle  con- 
jecture, puisque  le  Messie  doit  nailre  de  la 
race  de  David  el  que  Jean-Baptiste  n'en 
descend  pas.  L'imagination  et  la  spontaneite 
popuiaires  ne  s'arrelent  point  a  ce  genre 
d'obstacle  ».  M.  I'abbe  Planus,  S.  J(>an- 
Baptiste,  Etude  sur  le  Precurseur,  Paris  1879, 
p.  180.  Quelle  ardente  surexcitation  des 
esprits  apjtarait  dans  la  simple  reflexion  de 
S.  Luc!  Mais  on  y  voit  en  im^me  temps  com- 
bien  S.  Jean  avail  reussi  k  rendre  vivante  la 
pensee  du  Messie.  Comp.  Joan,  i,  19-28. 

16  et  17.  —  Respondit  Joannes...  omjiibus. 
Get  &iiaffi  est  plein  d'emphase  :  il  montre  que 
Jean  rendit  sa  protestation  aussi  publique  que 
Luc  —  7 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


mais  il  en  viendra  un  plus  puissant 
■que  moi,  des  souliers  de  qui  je  ne 
suis  pas  digne  de  delier  la  courroie  ; 
lui  vous  baptisera  dans  TEsprit- 
•Saint  et  le  feu. 

17.  Son  van  est  en  sa  main  et  il 
purifiera  son  aire,  et  il  rassemblera 
le  froment  dans  son  grenier,  et  il 
Lrulera  la  paille  dans  le  feu  inex- 
tinsfuible. 


vos  :  veniet  autem  fortior  me,  cujus 
non  sum  dignus  solvere  corrigiam 
calceamentorum  ejus  :  ipse  vos 
baptizabit  inSpiritu  sancto,  et  igni; 

Mauh.  3,  11;  Marc.  {,  8;  Joan.  1,  26;  Maiih.  3,  H; 
Act.  1,  5  et  11  16  et  19.  4. 

17.  Cujus  ventilabrum  in  manu 
ejus,  et  purgabit  aream  suam,  et 
congregalDit  trilicum  in  horreum 
suum,  paleas  aulem  comburet  igni 
inextinguibili. 

Mauh.  3.  12. 


possible.  II  correspond  d'ailleurs  an  uavxtovdu 
* .  45.  «  Au  premier  indice  des  senliinenls  qui 
sedessinent.  Jean-Baplisle  prend  l'oirensi\e.  II 
va  au-dovanl  de  i'estime  exageree  qu'on  s'ap- 
prele  a  faire  de  lui,  il  se  derobe  aux  accla- 
malions  qui  se  preparenl,  il  s'efface  devanl 
-Ceiui  qu'il  est  charge  d'annoncer  au  monde  : 
en  quels  leriues,  avec  (juelle  energie  eL  quelle 
>oudainele  »1  M.  Planu>,  ibid.  p.  '181.  «  Nee 
sibi  sed  sponso  zelat,  ecril.  S.  Auguslin;  odit 
araari  pro  illo  ».  'ATtexpivaxo,  il  repondil  a 
la  demande  tacite  de  tous  les  ccEurs.  Voir, 
sur  I'emploi  de  ce  verbe  dans  I'Ancien  et  le 
Nouveau  Testament,  Gesenius,  Thesaurus 
Img.  hebr.,  au  mot  nr^? ;  Bretschneider, 
Lex.  man.  N.  T.,  s.  v.  aTroxpivw.  —  Dans 
les  circonstances  solennelles,  les  Orientaux 
-donnent  volonliers  a  leurs  paroles  une  forme 
poetique,  non-sculement  par  le  choix  d'ex- 
pressions  plus  relevees,  plus  imagees,  mais 
aussi  par  la  coupe  ei  la  struclure  des  phra- 
ses. Le  present  lemoignagne  du  Precur- 
seur  en  est  un  frappanl  cxc'm[)le.  Nous  y  de- 
couvrons  sans  peine  un  veritable  rhytnme, 
qui  s'esl  conserve  meme  dans  le  lexte  grec, 
et  qui  consiste  en  Irois  periodes  ou  strophes 
bien  marquees,  les  deux  premieres  a  Irois 
membres  et  correlatives,  la  troisieme  k  deux 
membres  seulement,  corame  il  suit  : 

Ego  quidem  aqua  baplizo  tos. 

Venii't  autem  forUor  rae, 

cujus  non  sum  iligims  solvere  corrigiam calceamentc 
Ipse  vo>  b^iptizaljil  in  Spiritu  sancto  et  igni.  [ramejuE 

Cujus  ventiUibruiu  in  manu  ejus, 

et  purgabit  aream  suara. 
Et  congiegabit  ti'iticum  in  horreum  suum, 

paleas  autem  co)iiburot  igoi  iaextinguibili. 

Ceite  division  rend  beaucoup  plus  palpable 
le  rapprochement  que  Jean-Baptisle  etablit 
entre  sa  propre  personne  et  celle  du  Messie. 
Voyez  Schegg,  Evang.  nach  Lukas,  h.  1.  — 
■lo  Le  bapteme  de  S.  Jean  et  celui  du  Christ 
sent  compares  I'un  k  i'autre  au  moyen  d'une 
forte  antithese. 

Auxoc  0[i.a;  PaTtxicjet  IIvejuaTt  &Y^w  xal  iropt. 


Ge  sont  les  premiers  vers  des  deux  strophes  a 
trois  membres.  Ego  quidem  est  oppose  a  ipse, 
aqua  baplizo  a  baptizabil  in  (cette  preposition 
n'existe  pas  dans  le  grec)  Spirtlu  sancto  et 
igni.  Ce  que  le  feu  est  a  I'eau,  le  bapleme 
du  Christ  le  sera  done  a  I'egard  du  baplSme 
de  S.  Jean.  L'eau  ne  lave  qu'au  dehors,  le 
feu  purifie  au  dedans,  lavant  pour  ainsi  dire 
jusqu'a  la  moelle,  et  eela  est  vrai  surtout  au 
moral,  a  propos  du  leu  de  TE-prit-Saint  dont 
il  est  ici  question.  Voir,  pour  I'explication  dd- 
taillee,  I'Evang.  selon  S.  Malth.,  p.  79  et  s., 
et  Palrizi,  de  Evangel,  lib.  IH,  dissert,  xliu, 
§52.  —  Les  mots  « in  poenitentiam  »,  ajoutes 
par  les  manuscrits  G,  D,  apres«  baplizo  »,  sont 
un  empiunt  fait  a  S.  Mallhieu.  —  2o  La  di- 
gnile  de  S.  Jean  et  celle  du  Christ.  Autre  an- 
tithese, qui  comprend  le  second  et  le  troi- 
sieme vers  des  deux  premieres  strophes. 

'Epytxai  81  6  loxupoxepo?  [iow, 

o5  oux  ei(J.t  ixavos  XOffai  tov  Ijiavra  twv  wiro5Ti(i4- 

Tcov  auToO. 

Ou  TO  itxOov  iv  T'Q  x^'P'  aOxoy, 

y.a.1  otaxaSapiet  xrjv  aXtova  aOxoO. 

Au  lieu  du  fulur  veniet  il  faudrait  le  present 
«  venit  »,  qui  iudique  une  apparition  immi- 
nenle.  «  Ut  Christum  intelligas  jam  fuisse  in 
via.  »  —  Notez  aussi  I'arlicle  emphatique 
place  devant  laxvpo-zzpoz,  la  frequente  repe- 
tion  du  pronom  auxoO,  et  le  double  hebralsme 
cujus...  ejus.  —  'Ixavo;  pent  designer  uiie 
capacite  soit  physique,  soil  inlellectuelle,  soit 
morale  :  il  a  ici  ce  dernier  sens.  La  Vulgate 
I'a  done  Ires  bien  traduit  par  dignus.  —  La 
figure  si  pittoresque  et  si  modesle  par  la- 
quelle  Jean-Baptiste  exprime  son  inferiorile 
personnelle  relalivement  au  Messie  est  vrai- 
ment  admirable.  Le  Precurseur  ne  se  croil 
pas  meme  digne  de  rendre  au  Christ  le  plus 
humble  service!  Au  contraire,  continue-t  il 
en  employant  une  autre  image  loute  majes- 
tueuse  (Cfr.  xxii,  11  et  Jer.  xv,  7),  le  Messie 
S'3  manifestera  comme  un  juge  souverain, 
auquel  personne  ne  pourra  resister.  Pour  les 
details  nous  renvoyons  encore  ie  lecteur  k 


CHaPITRE   III 


99 


18.  Multa  quidem  et  alia  exhor- 
tans  evangelizabat  populo. 

19.  Herodes  autera  tetrarcha, 
cum  corriperetur  ab  illo  de  Hero- 
diade  uxore  fratris  sui.  et  de  omni- 
bus malis,  quae  fecit  Herodes, 

Maith.  14,  4;  Marc.  6,  17. 

20.  Adjecit  et  hoc  super  omnia, 
et  inclusit  Joannem  in  carcere. 

21.  Factum  est  autem  cum  bapti- 


18.  II  evangelisait  ainsi  le  peu- 
ple,  lui  donnant  beaucoup  d'autres 
exhortations. 

19.  Mais  Herode  le  tetrarque 
ay  ant  ete  repris  par  lui  an  sujet 
d'Herodiade,  temme  deson  frere,  et 
de  tous  les  maux  qu'il  avait  fait, 

20.  II  ajouta  encore  celui-ci  a  tous 
les  autres  et  fit  mettre  Jean  en 
prison. 

21 .  Or  lorsque  tout  le  peuple  rece- 


I'Evang.  selon  S.  Mallh.,  pp.  74  el  75.  — 
Ventilabrum  designe  ici  la  pelle  donl  les 
Orientaux  se  servent,  pour  vanner  le  ble.  — 
«  Peimundabil  »  (Cfr.  Malth.  iv,  12)  corres- 
pondrail  mieux  que  purgabit  an  verbe  com- 
pose SiaxaGapiei. —  La  iroisienie  slrophe  est 
simpleinenl  une  amplification  dii  verbe  «  pur- 
gabit »  employe  dans  la  secondi?  :  elle  decril 
le  sort  oppose  qui  attend  dans  I'aulre  vie  les 
jusies  (triticum  in  horreum)  et  les  pecheurs 
{paleas...  igui  inexlinguibili) .  —  C'est  en  ces 
termes  que  S.  Jean,  au  faile  de  sa  popula- 
rite,  rejeta  energiquement  I'lionneur  indu 
qu'on  voulait  lui  altribuer.  Rien  ne  put  le 
faire  sorlirde  son  lole  de  Precurseur. 

48.  —  Midla  quidem  el  (dans  !e  grec  : 
«  multa  (jiiidem  igilur  et  »)  alia.  L'evange- 
liste  lei  mine  par  eel  abrege  sommaire,  qui 
lui  apparlienl  en  propre,  son  expose  de  la 
predication  de  Jean-Baplisle.  —  Exhortans 
evangelizabat  (nouvel  imparfait).  Sur  les 
levres  du  Precurseur,  I'annonce  de  la  bonne 
nouvelle,  c'est-a-dire  de  Tavenemenl  pro- 
chain  du  Messie,  s'a^S()ciait  a  de  prcssanles 
exhortations,  qui  avaient  pour  but  de  prepa- 
rer les  ccBurs  a  cet  avenemenl.  S.  Jean  etait 
done  tout  ensemble  un  predicaleur  de  I'An- 
cien  Testament  et  un  evangelisle  du  Nou- 
veau. 

S'L'emprisonuement  deS.  Jean-Bapiiste.  iii,  19  et20. 
Parall.  Matth.  xiv,  3  et  4;  Marc,  vi,  17  et  18. 

Tandis  que  les  deux  premiers  synoptiques 
ne  racontent  rincarceration  du  Precurseur 
que  d'une  maniere  tardive,  k  roccasion  de 
son  martyre,  S.  Luc  la  place  par  anticipation 
a  la  suite  du  minislere  de  Jean-Baplisle, 
comme  s'il  vonlail  degager  les  voies  avant 
de  passer  a  la  Vie  pubiique  de  Jesus. 

49.  —  Herodes  autem  tetrarcha.  La  parti- 
cule  II  sert  de  transition  enlre  la  predica- 
tion du  Precurseur  et  son  emprisonnement. 
Sur  le  tetrarque  Herode,  voyez  la  note  du 
'i.  \.  —  Les  mots  quum  corriperetur  ao  illo 
de  Herodiade...  indiquent  la  raison  pour  ia- 


quelle  Antipas  avait  ose  faire  arreter  S.  Jean. 
Celui-ci,  avec  son  noble  courage,  avait  repris 
le  telrarque  au  sujet  de  I'union  criminelli; 
qu'il  avail  conlraclee  avec  Herodiade,  la 
femme  de  son  frere.  (Apres  fratris  sui,  la 
Recepla,  la  pluparl  des  manuscrils  grecs  et 
des  versions  anciennes  ajoutent  «  Phiiippi  »). 
Voyez  les  details  dans  I'Evang.  selon  S.  Matth. 

1.  c.  S  Jean  avait  egalemenl  reproche  a  He- 
rode lous  ses  autres  scandales,  et  de  omnibus 
malis... 

20.  —  Adjecit  et  hoc  super  omnia  (scil. 
mala)  :  il  mil  le  comble  a  toules  ses  iniquites 
anterieures  par  un  nouveau  forfail,  qui  joi- 
gnait  la  malice  du  sacrilege  k  celle  d'une 
arrestation  injuste.  Celle  lournure  energique 
est  speciale  a  S.  Luc.  C'est  du  resle  notre 
evangelisle  qui  accuse  le  plus  formellement 
Herode  dans  celle  circonsiance.  S.  Marc, 
VI,  20,  a  quelques  traits  a  la  decharge  du  te- 
trarque. —  Inclusit  Joannem  in  carcere  :  pro- 
bablement  dans  la  forleresse  de  Macheronle 
ou  Macliaerus,  au  Nord  de  la  mer  Morle. 
Voyez  R.  Riess,  Atlas  de  la  Bible,  pi.  IV; 
V.  Ancessi,  Atlas  geogr.  de  la  Bible,  pi.  XVI. 

2.  Les  prelimlnaires  du  minist^re  de  Notre- 

Seigneur  Jesus-Christ  iii,  21 -iv,  13. 


1<>  Le  bapt&me    de  J^sus.  in,  21-22.   Parall. 
Matlh.  m,  13-17;  Marc,  i,  8-11. 

Nous  n  avons  qu  ■  pen  de  chose  a  ajouter 
aux  details  ecrils,  a  propos  de  ce  fait  impor- 
tant, dans  nos  commentaires  sur  les  deux 
premiers  Evangiles.Le  recit  deS.  Luc  est  en 
effet  le  plus  court  et  le  moins  complet  des 
Irois.  On  dirait  que  le  narrateur  a  moins 
voulu  relater  le  bapl^me  de  Jesus  que  les 
manifestations  divines  auxquelles  celle  cere- 
monie  donna  lieu.  Neanmoins  il  nous  a  con- 
serve plusieurs  trails  nouveaux  et  caracteris- 
tiques ;  aussi  S.  Ambroise  lui  adresse-t-il 
cet  eloge  bien  merile  :  «  Pulchre  in  his  qu8B 
a  ceteris  dicta  sunt  Lucas  compendium 
sumpsil  »  (Enarraiiones,  h.  1.). 

24.  —  La  locution  factum  est  autem  rat- 


400 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


vait  le  bapleme  et  que  Jesus,  apres 
avoir  ete  baptise,  priait,  il  advint 
que  le  ciel  s'ouvrit, 

22.  Et  I'Esprit- Saint  descendit 
sur  lui  sous  uue  forme  corporelle, 
comme  une  colombe,  et  une  voix 
vint  du  ciel :  Tu  es  men  Fils  bien- 
aime,  en  toi  je  me  suis  complu. 


zareturomnis  populus,  et  Jesu  bap- 
tizato,  et  orante,  apertum  est  coe- 
lum  : 

Matlh.  3, 16;  Marc  I,  10;  Joan.  i.  32. 

22.  Et  descendit  Spiritus  sanctus 
corporali  specie  sicut  columba  in 
ipsum  :  et  vox  de  coelo  facta  est :  Tu 
es  filius  mens  dilectus,  in  te  com- 
placui  mihi. 

Mauh.  3,  17  et  17,  5;  Intr.  9,  35;  //  Petr.  1,  i7. 


lache  ce  versel  au  18e.  —  Quumbaptizaretur 
omnis  populus  est  un  premier  irait  propre  k 
S.  Luc.  Mai~,  le  lexle  grec  employant  I'infin. 
aorisle,  ev  -rtj)  PaTtTi(78?,vai,  «  quum  baplizaliis 
essel  )>,  il  n'est  pas  necessaire  d'admetlre 
que  le  bapteme  de  Nolre-Seigneur  eut  lieu 
en  nieine  lemps  que  celiii  de  la  foule,  par 
consequent  en  presence  de  nombieux  le- 
moins.  Cette  locution  paraitiail  plulot  sup- 
poser  que  Jesus  se  trouvait  Si-ul  aiors  avec  le 
Baptiste,  Comp.  Malth.  in,  IS-lo.  Au  leste, 
telle  qu'elle  a  ete  Iraduile  par^  la  Vulgate, 
elle  peut  simplemenl  signifier  :  a  I'epoque  ou 
le   peuple  se  faisait   baptiser.  «  Omnis   po- 

f)ulu5  »  est  une  hyperbole  destinee  a  monirer 
e  grand  concours  qui  avail  lieu  aupres  de 
S.  Jean.  —  Jesu  baplizalo  et  oranle.  Second 
trait  special  :  a  peine  baptise,  Jesus  se  met 
en  priere  ^ur  la  rive  du  Jourdain.Nous  avons 
deja  fait  observer  dans  la  Preface,  §  V,  2, 
que  S.  Luc  note  avec  un  interet  parliculier 
qiielques-unes  des  oraisons  de  rHomme- 
Dieu,  par  exemple  celles  qui  precedeient  le 
bapleme,  le  choix  des  Apolres,  la  Transfi- 
guration, etc.  Comp.  v,  16;  VI,  12;  ix,i8,29; 
X.  21  ;xi,1  ;xxi.  37;xxii,  31,32;xxni,  34; 
XXIV,  33.  —  Apertum  e^t  caelum.  C'est  la 
premiere  des  manifestations  divines,  qui 
conliennenl  en  quelque  sorle  la  reponse  de 
Dieu  a  la  priere  de  Jesus.  Elle  rappelle,  par 
sa  nature,  le  mot  du  poete  : 


Video  medium  discedere  ccBlnm. 


(Vij^.l 


21.  —  Seconde  raanifesialion  :  Descendit 
Spiritus  sanctus...  S.  Luc  mentionne  a  cette 
occasion  un  troisieme  trait  special,  corporali 
specie  (awjAaTf/tw  e'lSsi) ;  I'apparition  de  I'Es- 
prit Saint  sous  ia  forme  d'une  colombe  ful 
done  un  phenomene  exlerieur  et  reel.  —  La 
troisieme  manifeslalion  consiste  dans  la  voix 
celeste  qui.  adressant  a  Jesus  iTu  es;  de 
meme  S.  Maic;  »  hie  est  »  d'apres  S.  Mat- 
thieu)  des  paroles  lout  a  fait  expressives 
(6  Mioc,  (jLou  6  dya-r^Toi;,  avec  deux  articles),  le 
reconnut  pour  le  Fils  bien-aime  du  Pere  eler- 
nel.  C'est  la  premiere  des  voix  mysierieuses 
qui  retenlirent  duranl   la   Vie  publique   de 


Jesus  pour  lui  rendre  temoignage.  Conrip». 
Matth.  XVII,  5  ;  Joan,  xil  28.  Le  manuscnt  I>, 
S.Justin,  quelques  Codd.  de  I'llalael  I'Evan- 
gile  selon  les  Hebreux  (cite  par  S.  Epiph. 
Haer.  XXX,  13)  ajouUnl  a  la  fin  du  versel  : 
«  Ego  hodie  genui  te  »;  interpolation  mani- 
feste.  L'emplacement  tiaditiannel  du  bepteme 
de  Jesus  est  a  peu  de  distance  dis  lumes 
d'un  monaslere  ball  en  I'honneur  de  S.  Jcan- 
Bapiisle  par  sainte  Ileieno  et  nomine  aujour- 
d'hui  par  les  Aiabes  Kasr-el-Yelioud  (ohatcau 
des  Juifs].  Voyez  Gralz.  Theatre  des  evene- 
menls  racontes  dans  les  divines  Ecritmes,. 
t.  L  pp.  307  et  s.  de  la  liaiiucl.  IVangaise; 
Scheirj:,  Gedeiikbuch  einer  Piigerreise,  l.  I, 
pp.  460  et  ss. ;  R.  Riess,  Atlas  de  la  Bible, 
pi.  VIL  —  «  Tanquam  homo  in  flumen  ve- 
nisti,  Chrisle  rex,  servile  baptisma  accipere. 
Feslinas,  o  bone,  sub  Praecursoris  manu, 
propter  peccata  nostra,  o  pliilanthrope...  iMira 
res  eratvidere  coBli  terraeque  Dominumfluvio 
denudalum  baplismum  a  servo  pro  nostra 
salute  suscipientem  quasi  servum,  el  stupe- 
bant  Angelorum  chori  in  tlmore  et  gauciio^ 
Cum  illis  te  aJoramus.  Salva  nosl  »  Extrail 
des  Menees  de  I'Eglise  grecque  (ap.  D.  Gue- 
ranger,  Annee  liturgiq.  t.  II,  pp.  294  et  s. 

2»  La  gdn^alogie  de  J^sus.  ni,  24-28.  Parall. 
Malih.  I,  t-16. 

Dans  le  troisieme  Evangile  comme  dans  le 
premier  nous  trouvons  une  genealogie  dii 
Sauveur;  inais,  tandis  que  cetie  piece  sert 
d'lnlroduction  au  recit  de  S.  Mallhieu,  elle 
n'a  ete  placee  par  S.  Luc  qu'au  debut  de  ia 
Vie  publique  de  Nolre-Seii^neur.  Chacun  des 
deux  evangelistes  s'est  laisse  diriger  en  cela 
par  son  plan  general.  Aux  Juifs  pour  lesquels- 
ecrivait  S.  Mallhieu  il  convenail  de  fournir 
immediatemenl  une  demonstration  ofiBcielle, 
irrecusable,  du  caractere  messianique  de  Je- 
sus :  S.  Luc  pouvait  atlendre,  et  il  semble 
s'etre  complu  a  rapprocher  de  la  voix  celeste 
qui  venait  de  proclamer  Jesus  fils  de  Dieu, 
t.  22,  un  document  par  lequel  la  filialioa 
humaine  du  Christ  eiail  prouvee  de  la  fa^ott 
la  plus  aulhentique.  Dans  I'Exode  (vi,  14)  oq 
n'elablit  de   meme   la  genealogie   de   Mol3& 


CHAPITRE  III 


404 


23.  Et  ipse  Jesus  erat  incipiens 
quasi  annorum  triginta,  ut  puta- 
batur,  filius  Joseph,  qui  fuit  Heli, 
qui  fuit  Mathat, 

24.  Qui  fuit  Levi,  qui  fuit  Melchi, 
qui  fuit  Janne,  qui  fuit  Joseph, 

2o.  Qui  fuit  Mathathiae,  qui  fuit 
Amos,  qui  fuit  Nahum,  qui  fuit 
Hesii,  qui  fuit  Nagge, 

26.  Qui  fuit  Mahath,  qui  fuit 
Mathathiae,  qui  fuit  Semei,  qui  fuit 
Joseph,  qui  fuit  Juda, 

27.  Qui    fuit    Joanna,    qui    fuit 


23.  Et  Jesus  etait,  en  ce  commen- 
cement, dge  d'environ  trente  ans, 
et  comme  on  le  croyait,  fils  de  Jo- 
seph, qui  le  fut  d'Heli,  qui  le  fut  de 
Mathat, 

24.  Qui  le  fut  de  Levi,  qui  le  fut 
de  Melchi,  qui  le  fut  de  Janne,  qui 
le  fut  de  Joseph, 

2o.  Qui  le  fut  de  Mathathias,  qui 
le  fut  d'Amos.  qui  le  fut  de  Nahum, 
qui  le  fut  d'HesU,  qui  le  fut  de 
Nacjge, 

26.  Qui  le  fut  de  Mahath,  qui  le 
fut  de  Mathathias,  qui  le  fut  de 
Semei,  qui  le  fut  de  Joseph,  qui  le 
fut  de  Juda. 

27.  Qui  le  fut  de  Joanna,  qui  le 


•qu'au  moment  oil  il  se  prdsenle  muni  de  pleins 
pouvoirs  devanl  le  Pharaon. 

Nous  allons  d'abord  parcourir  rapidemenl 
la  lisle  genealogique  de  Jesus  d'apres  S.  Luc  : 
nous  la  comparerons  ensuile  k  celle  de 
S.  Malthieu  et  nous  essaierons  de  resoudre 
Jes  diflQcult^s  que  soulevera  celte  compa- 
raison. 

23-27.—  Et  ipse  Jesus.  Le  pronom  est  em- 
phalique.  Le  m6me  Jesus  qui  avail  eie  na- 
guere  I'objel  des  manifestation-;  divines;  ou 
encore  :  Jesus  par  opposilion  au  Precurseur, 
Jesus  qui  sera  desormais  I'objel  unique  de 
la  narration  de  S.  Luc.  —  Erat  incipiens... 
Ces  mots  ne  signifienl  pas,  comme  le  pen- 
sait  Erasme,  que  Notre-Seigneur  Jesus-Christ 
«  commengait  a  avoir  trente  ans,  »  c'esl-a- 
dire  qu'il  enlrait  dans  sa  trentieme  annee, 
quand  il  ful  baplise  par  S.  Jean.  Le  parti- 
cipe  ipx'^t^evo;  doit  se  prendre  d'une  maniere 
absolue  (comp.  Acl.  i,  21  et  22)  :  Jesus  avail, 
quand  il  commenQa  (son  minislere),  environ 
trente  ans.  Ainsi  iraduisaient  ddja  Origene 
€t  Eus^be.  «  Jesus,  ecrivait  ce  dernier...  Iri- 
cpsimum  agpns  aetatis  corporeae  annum,  adesi 
ad  baptisma  Joannis,  el  inde  incipit  doclri- 
nam  el  opera  miranda.  »  Ad  Sleplian.  qu.  4, 
ap.  Mai,  Script,  vet.  nova  collect.,  t.  I,  p.  i. 
—  Quasi  annorum  triginta.  II  est  bien  con- 
forme  aux  habitudes  de  precision-  chronolo- 
gique  du  troisieme  evangeliste  de  fixer  une 
dale;  or,  une  indication  do  ce  genre  ne  pou- 
vait  dire  raieux  placee  qu'au  moment  ou 
Jdsus  recevait  I'mauguration  messianique 
dans  le  raystere  de  son  bapi^me.  «  Quasi  » 
(&«()  monlre  loutefois  que  S.  Luc  n'a  point 
voulu  parler  avec  une  exactitude  rigoureuse. 
Le  Sauveur  avait  done  aiors  «  environ  » 
trente  ans,  c'est-a-dire  qu'il  n'etail  ni  beau- 


coup  au-dela  ni  beaucoup  au-de>sous  de  cet 
cige.  Nolons  que  c'est  I'age  repute  parfait. 
S.  Jean-Baptisie  avail  pareillement  trente  ans 
lorsqu'il  quitta  son  desert  pour  precher. 
Joseph,  ce  gracieux  type  du  Messie,  avait 
aussi  trente  ans  quand  il  fut  cree  vice-roi 
d'Egypte,  Gpn.XLi,46.—  Ut  pulabatur,  filius 
Joseph.  Uy  a  dans  cetle  locution  une  allusion 
manifeste  a  la  conception  miracuieuse  de 
Jesus.  La  foule,  non  initiee  au  mystere  ra- 
conte  par  S.  Luc  des  sa  premiere  page, 
I,  26-38,  supposail  quo  Notre-Seigneur  etait 
le  fils  de  Josoph  el  do  Marie  (comp.  iv,  22); 
mais  c'etait  la  une  grossiere  erreur,  que  la 
Providence  ne  devait  pas  larder  a  detruire. 
Voyez  des  indications  semblables  dans 
S.  Malthieu,  i.  16.  18,  23.  L'E-^pnt  Saint 
sauvegarde  delicatement,  toutes  les  fois  que 
I'occasion  s'en  pre-^ente,  I'honneur'  virginal 
de  Jesus  et  de  Marie.  —  Qui  fuit  Heli. 
A  parlird'ici  ju>qu'au  t.  27  inclu<ivement, 
nous  iisons  les  noms  des  ancetres  du  Sauveur 
qui  vecurent  apres  la  captivite  de  Babylone. 
lis  sent  generalemenl  ecrits  avec  de  gi'andes 
variantes  dans  les  manuscrits  et  voV^inns  : 
ce  sont  en  efifot  des  mots  hebreux,  diflieiles  k 
transcrire,  que  les  copistes  ne  pouvaient 
manquer  de  defigurer.  Tous  les  personnages 
qu'iU  repr^sentent  sonl  inconnus,  a  part 
Salathiel  et  Zorobabel  (t.  27),  que  nous  avons 
trouves  dans  la  lisle  de  S. Malthieu.  Quelques 
exegeles,  il  est  vrai  (Paulu>,  Wie-eler,  etc.), 
ont  pretendu  qu'il  y  a  ici  une  simple  ressoi.i- 
blance  de  noms ;  mais  leur  opinion  est  ires 
communement  r('jelee,oi  a  bon  droit,  puisque 
ces  noms  se  rencontrent  dans  les  deux  nomen- 
clatures vers  la  meme  epoque  et  quMs  expri- 
menl  les  memes  relations  de  pere  k  fi!s.—  La 
construction  du  texle  grec  differe  un  peu  en 


102 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


fut  de  Resa,  qui  le  fut  de  Zorobabel, 
•  jui  le  fut  de  Salalhiel,  qui  le  fut  de 
Neri, 

28.  Qui  le  fut  de  Melchi,  qui  le 
fut  d'AdHi,  qui  le  fut  de  Gosan,  qui 
ie  fut  d'Elmadan,  qui  le  fut  de  Her, 

29.  Qui  le  fat  de  Jesus,  qui  le  fut 
d'Eliezer,  qui  le  fut  de  Jorim,  qui 
le  fut  de  Malhat,  qui  le  fut  de  Levi, 

30.  Qui  le  fut  de  Simeon,  qui  le 
fut  de  Juda,  qui  le  fut  de  Joseph, 
qui  le  fut  de  Jon  a,  qui  le  fut 
d'Eliakim, 

31 .  Qui  le  fut  de  Meiea,  qui  le  fut 
de  Menna,  qui  le  fut  de  Nathan,  qui 
le  fut  de  David, 

32.  Qui  le  fut  de  Jesse,  qui  le 
fut  d'Obed,  qui  le  fut  de  Booz,  qui 
le  fut  de  Salmon,  qui  le  fut  de 
Naasson, 

33.  Qui  le  fut  d'Aminadab,  qui  le 
fut  d'Aram,  qui  le  fut  d'Esrom,  qui 
le  fut  de  Phares,  qui  le  fut  de  Juda, 

34.  Qui  le  fut  de  Jacob,  qui  le  fut 
d'Isaac,  qui  le  fut  d' Abraham,  qui 
le  fut  de  Thare,  qui  le  fut  de 
Naclior, 


Resa,  qui  fuit  Zorobabel,  qui  fuit 
Salathiel,  qui  fuit  Neri, 

28.  Qui  fuit  Melchi,  qui  fuit  Addi, 
qui  fuit  Gosan,  qui  fuit  Elmadam, 
qui  fuit  Her, 

29.  Qui  fuit  Jesu,  qui  fuilEliezer, 
qui  fuit  Jorim,  qui  fuit  Mathat,  qui 
fuit  Levi, 

30.  Qui  fuit  Simeon,  qui  fuit 
Juda.  qui  fuit  Joseph,  qui  fuit  Jona,. 
qui  fuit  Eliakim, 

31.  Qui  fuit  Melea,  qui  fuit 
Menna,  qui  fuit  Mathatha,  qui  fuit 
Nathan,  qui  fuit  David, 

32.  Qui  fuit  Jesse,  qui  fuit  Obed, 
qui  fuit  Booz,  qui  fuit  Salmon,  qui 
fuit  Naasson, 

33.  Qui  fuit  Aminadab,  qui  fuit 
Aram,  qui  fuit  Esron,  qui  fuit  Pha- 
res, qui  fuit  Judae, 

34.  Qui  fuit  Jacob,  qui  fuit  Isaac, 
qui  fuit  Abrahse,  qui  fuit  Thare,  qui 
fuit  Nachor, 


eel  endroit  de  celle  de  notre  traduction  la- 
tine  :  ii  est  important  d'exciter  Tattention 
du  lecteur  ?ur  ce  point,  a  cause  des  conse- 
quences qu'ii  en  vcrra  tirer  plus  bas  a  un 
grand  nombre  d'exegetes.  On  lit  dans  la  Re- 
cepta  el  dans  la  pluparl  des  manuscnt-  :  wv 
vlbi,  iiyt;  evoiit^STO,  toO  Iuot^?,  toO  'H/£t,  too 
MaeOctT...,  a  elantfils,  comme  on  le  croyait, 
de  Joseph,  d'Eli.  de  Malhat,  »  et  ainsi  de 
suite  jusqu'a  la  fin  de  la  lisle. 

28-34.  —  Qui  fuit  Melchi...  Ces  quatre 
versets  correspondent  au  temp-:  qui  s'ecoula 
entre  la  captivile  de  Babylone  et  le  regno  de 
David.  Meme  observation  que  precedemment 
a  propos  de  I'orthographe  d'  presque  tous  ces 
noms  propres.  —  Avec  Nathan,  la  liste  ge- 
nealogique  de  S.  Luc  entre  en  contact  avec 
celles  que  nous  irouvons  dans  I'Ancien  Tes- 
tament; olle  suivra  desormais  pas  a  pas  This- 
loire  juive.  Nathan  elait,  comme  Salomon, 
fils  de  David  par  Bethsabe.  Cfr.  II  Reg.  v,  14. 

32-34a.  —  C'est  la  troisieme  phase  de  la 
gdnealogie  :  elle  nous  conduit  di^  David  h. 
Abraham.  —  Au  verset  33,  quelques  manus- 
crits  remplacent  Aram  par  «  Arni  »  ou 
a  Admei » :  ce  sont  des  fautes  de  transcription. 


34b-38.  —  Quatrieme  phase  :  d'Abraham 
a  Adam.  —  Le  premier  Cainan  [t.  36)  occa- 
sionni^  une  assez  grosse  diEBculle.  car  aucun 
palriarclie  de  ce  nom  n'est  mentionne  dans 
le  texte  hebn-u  enlre  Arphaxad  el  Sale  (comp. 
Gen.  XI,  -12-15),  non  plus  que  dans  le  Pen- 
taieuque  samaritain,  le  Targum  chaldeen , 
la  version  syriaque  el  la  Vulgale.  D'un  autre 
cote,  il  doit  avoir  fait  partie  tres-ancienne- 
mont  de  la  nomenclature  de  S.  Luc,  car  on 
le  irouvedans  tous  lesmanuscrits  du  Nouveau 
Tesiament'a  partun  seul,  leCod.  D),  dan-les 
meilleures  versions (V'.lg.,  Ital..  syr..  elliiop.) 
et  dans  les  Peres.  Trul  s'explique  si  Ton  con- 
suite  le  texte  des  Septante  au  passage  de  la 
Genese  cite  plus  haul;  on  y  lit  en  i  fFel  en 
termes  expres  le  nom  de  Cainan  :  f .  12. 
Kal  l!(iriff£v  'Ap^a^aS  Ixaxov  TpiaxovxaTrevTe  Inr), 
xai  syswrjae  Tov  Kaivav.  t.  13.  Kai  £^r|i7£v  'Ap- 
9a?a3  |j.£Ta  to  yewrjoai  auTov  tov  Kaivav  exTj  te— 
Tpa-/.6(7ta.. .  Kat  llTtOZ  Kaivav  ly.atov  -/at  Tpia- 
•/ov-a  ETr),  y.oH  eyivvTiffE  tov  2a),d.  Kai  E^rjiE  Kai- 
vav [jLETa  16  yevvrjCai  auTOv  tov  2a>.a  etti  Tptaxoffia 
Tpidy.ovTtt,  xai  £Y£vvr|ff£v  uiou;  xai  6uYaT£pa;,  xa^ 
iuEOave.  II  est  done  vraisemblable  que,  de  la 
version  d'Alexandrie,  ce  nom  aura  passe  de 


CHAPITRE  III 


103 


35.  Qui  fuit  Sarug,  qui  fuit  Ra- 
gau,  qui  fuit  Phaleg,  qui  fuit  Heber, 
qui  fuit  Sale, 

36.  Qui  fuit  Cainan,  qui  fuit  Ar- 
phaxad^  qui  fuit  Sem,  qui  fuit  Noe, 
qui  fuit  Lamech, 

37.  Qui  fuit  Mathusale,  qui  fuit 
Henoch,  qui  fuit  Jared,  qui  fuit 
Malaleel,  qui  fuit  Gainan, 

38.  Qui  fuit  Henos,  qui  fuit  Seth, 
qui  fuit  Adam,  qui  fuit  Dei. 


35.  Qui  le  fut  de  Sarug,  qui  le  fut 
de  Ragaii,  qui  le  fut  de  Phaleg,  qui 
le  fut  d'Heber,  qui  le  fut  de  Sale, 

36.  Qui  le  fut  de  Gainan,  qui  le  fut 
d'Arphaxad,  qui  le  fut  de  Sem,  qui 
le  fut  de  Noe,  qui  le  fut  de  Lamech,, 

37.  Qui  le  fut  de  Mathusale,  qui 
le  fut  d'Enoch,  qui  le  fut  de  Jared, 
qui  le  fut  de  Malaleel,  qui  le  fut  de 
Cainan, 

38.  Qui  le  fut  d'Henos,  qui  le  fut 
de  Seth.  qui  le  fut  d'Adam,  qui  le 
fut  de  Dieu. 


bonne  hmire,  par  le  faild'un  copiste,  dans  la 
lisle  de  S.  Luc.  Voyez  dii  resle  les  commen- 
laires  siir  la  Genese,  i.  c.  —  Mathusale  du 
t'  37  (en  giec,  MaOoucraXd)  esl  la  forme  he- 
braiqiH!  du  noiii  de  Malhusalern  (nStJina, 
Methousrheluch]. —  Adam,  qui  [mt  IJei.  «  At- 
que  luc  deiiuim  esL  lerminus  quo  nullus  est 
ullerior  »,  Bcngel.  LesJuil's  appliiinaienl  vo- 
lonliers  a  Adam  le  lilre  de  fils  de  Dieu,  qui 
lui  convenail  si  bien,  puisqu'il  elait  sorli  di- 
reclemcni  des  mains  du  Crealeur  ('ASdji,  ov  6 
0e6i;  £Sri(AtoupYY)(j£,  Philon,  de  Opif.  mundi). 
Titre  en  oulre  si  glorieux  pour  toute  I'huma- 
nile.  CtV.  AcL.  xvii,  28.  «  Quid  pulchrius  po- 
tuit  convenire,  s'ecrie  S.  Ambroise,  h.  1., 
quam  ut  sancla  generalio  a  Dei  Filio  incipe- 
ret  el  usque  ad  Dei  Fiiium  ducereiur?  »  Voici 
done  i'hisloire  abregee  de  quaranle  siecles. 
Nous  avons  mainlenanl  a  eludier  la  lisle 
genealogique  de  S.  Luc  dans  ses  rapporls 
avec  cede  de  S.  Matlliieu.  Ge  n'est  pas  un 
problems  d'une  solution  facile.  II  y  a  long- 
temps  que  les  incredules  de  toule  nuance 
proBteni  de  I'obseurile  qui  I'environne  pour 
essayer  de  miner  la  veracile,  rauilienlicite 
des  SS.  Evangiles.  Le  palen  Celse  el  le  mani- 
cheen  Fauslus  (Cfr.  Augu-;t.  conlr.  Faust. 
Ill,  \)  furenl  des  premiers  ^  lancer  celle  ob- 
jeclion  aisee.  Maisil  y  a  longtemps  aussi  que 
les  apoiogistes  el  les  exegeles  croyanls  s'ef- 
forcenl  de  i'eclaircir.  Voyez  la  lettre  de  Jules 
I'Africain  ap.  Euseb.  Hisl.  eccl.  i.  7  (Gir.  A. 
Mai,  Script,  vet.  nov.  Gollect.  I.  I,  p.  21  et 
8S.);  S.  Auguslin,  de  Gonsensu  Evangel,  ii,  2 
et3  (Gfr.  Sermo  Li ;  Quae>t.  evang.  ii,  5).  Les 
raeilleurs  iravaux  des  temps  modernes  ou 
contemporains  sont  ceux  de  D.  Calmel,  Dis- 
sertation ou  I'onessayede  concilierS.  Matth. 
avec  S.  Luc  sur  la  gen^aiogie  de  Jesus-Christ ; 
de  P.  Schleypr,Ueb.  die  von  Mailh.  und  Luk. 
mitgelheilhn  (jenealog.  Jesu  Ghrisli  (Tubing. 
Theolog.  Quarlalschnfl,  1836,  n.  3,  p.  403 
et  SS.,  n.  4,  pp.  539  el  ss.) ;  du  Docleur  Mill, 
Vindication  of  our  Lord's  Genealogy;  deLord 


A.  G.  Hervey,  Genealogies  of  our  Lord  Jesus- 
Chrisl,  Lond.  1853;  du  P.  Patrizi,  de  Evan- 
geliis  lib.  Ill,  disserl.  ix.  Voyez  aussi  H.  Wal- 
Ion,  De  la  croyance  due  a  I'Evangile,  Paris 
183S,  pp.  160  el  ss. ;  Wieseler,  Beiua3gezur 
ricluig.  Wiirdigung  der  Evaiigelien,  p.  133 
et  ss.;  Tariicle  Genealogy  of  Jesus-Christ 
dans  KiUo,  Cyclo[)sedia  of  tiie  Bible,  et  dans 
Smitli,  Diclioiiary  of  Ihe  Bible ;  Glaire,  Les- 
Livres  saints  venges ,  Paris  1845,  t.  11,. 
pp.  273  el  ss.;  Dehaul,  I'Evangile  explique, 
defendu,  1. 1,  pp.  248  et  ss.  de  la  5e  edit.;  Le 
Camus,  Preparation  exegelique  a  la  Vie  de 
Nolre-Seigneur  Jesus-Chrisl,  Paris  1869, 
pp.  318  el  ss.,  elc.  Assurement,  on  ne  sau- 
rait  aSirmer  sans  exageration  que  les  diffe- 
renles  solutions  donnees  an  probleme  sont  de 
nature  a  salisfaire  I'espril  d'une  maniere  com- 
plete. «  Le  dernier  mot  de  la  difficulte  n'a 
pas  ele  dil,  et  probablemenl  ne  le  sera  ja- 
mais »  (Le  Camus,  1.  c,  p.  342) ;  les  donnees 
nous  manquoni  pour  cela.  Aussi  bien  n'est-il 
pas  necessaire  que  nous  en  arrivions  a  ce 
degrede  clarte.  «  Notre  position  esl  de  beau- 
coup  meilleure  que  celle  de  nos  adversaires.- 
Ils  s'efforcent  de  mellre  en  reiief  les  contra- 
dictions des  deux  arbres  genealogiques;  mais- 
lanl  qu'ils  n'onl  pas  elabli  une  impossibilite 
ABSOLUE  de  lesconcilier,  ils  n'onl  rien  avance 
conlre  nous.  Une  simple  hypothese  que  I'a- 
pologiste  demonlre  possible  el  acceptable 
renverse  toutes  leurs  argumenlalions.  lis  se 
brisenl,  comme  disait  Theodore  de  B^ze, 
conlre  une  enclume  qui  a  use  d'aulres  mar- 
teaux,  »  Ibid.,  p.  333. 

Ainsi  que  nous  le  faisions  observer  dans 
notre  commenlaire  sur  S.  Mallhieu,  p.  40, 
la  genealogie  de  Nolre-Seigneur  d'apres 
S.  Luc  differe  et  quant  a  la  forme  et  quand 
au  fond  de  celle  qu'on  lit  dans  le  premier 
Evangile.  Voici  les  principales  divergences 
de  forine  :  1°  S.  Mallhieu  suit  une  marche 
descendants  :  il  part  de  la  souche  et  va  de 
branche  en  branche  jusqu'a  Jesus,  le  dernier 


40i 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


rejelon.  S.  Luc  remonle  au  contraire  le  cours 
des  generations.  L'ordre  suivi  par  S.  Mal- 
thieu  est  le  plus  nalurel :  c'est  celui  des  re- 
gistres  publics.  L'ordre  qu'a  suivi  S.  Luc 
semble  avoir  ele  prefere  par  les  Grecs.  Du 
reste,  nul  doute  que  les  deux  evangelisles 
ne  se  soient  conformes  aux  documenis  qu'ils 
avaient  sous  les  yeux.  %o  S.  Malihieu  a  par- 
tag^  les  ancfilres  du  Christ  en  trois  groupes 
symetriquesqiiicorrespondenta  Irois  epoques 
distincles  de  I'histoire  juive;  aussi,  pour  ob- 
tenir  cette  division  reguliere,  a-l-il  omis 
plusisurs  noms  moins  celebres.  II  enlremfile 
en  oulre  a  sa  nomenclature  des  details  histo- 
riques  et  chronologiques.  S.  Luc  se  conlente, 
a  la  fagon  d'un  strict  rapporteur,  de  men- 
tionner  les  personnages  les  uns  a  la  suite  des 
autres  :  sa  lisle  n'a  done  rien  de  subjectif, 
mais  elle  tr6s  complete.  3°  Le  premier  «  liber 
generationis  »  n'elablit  la  filialion  de  Nolre- 
Seigneur  Jesus-Christ  qu'a  partir  d'Abraham, 
tandis  que  le  second  la  poursuit  jusqu'a 
Adam,  jusqu'a  Dieu.  Cette  difference  a  pour 
cause  la  diversile  du  but  que  se  proposaient 
les  deux  evangelisles.  S.  Matlhieu  ecrivait 
pour  des  Juifs;  or,  a  des  Juifs,  il  suEBsail  de 
prouver  que  Jesus  di-scendait  de  David  el  d'A- 
braham.  S.  Luc  s'adressail  a  des  palens  con- 
verlis;  il  lui  imporlail  done  de  montrer  que 
Jesus  elait  le  Redempteur  de  tous  les  hom- 
mes,  et  qu'il  n'appailenait  pas  seulement  a 
une  race  speciale,  mais  a  la  grandb  race  hu- 
maine,  issue  toule  enliere  d'Adam. 

Les  differences  maierielles  sont  autrement 
considerables.  Le  tableau  ci-joint  permettra 
au  lecleur  de  les  embrasser  d'un  seul  coup 
d'oeil.  Les  noms  des  personnages  communs 
aux  deux  listes  sont  imprimes  en  caracleres 
italiques. 


S.  MATTHIEU. 

S.  LUC. 

Adam. 

Seth. 

Henos. 

Cainan. 

Malaleel. 

Jared. 

Henoch. 

MathusaU. 

Lamech. 

Noe. 

Sem. 

Arphaxad. 

Cainan. 

Sale. 

Heber. 

Phaleg. 

Ragau. 

Sarug. 

Nachor. 

Thare. 

Abraham. 

A  braham. 

Isaac. 

Isaac. 

Jacob. 

Jacob. 

Juda. 

Juda. 

Pharos. 

Pharos. 

Esrom. 

Esron. 

Aram. 

Aram. 

Aminadab. 

Aminadab 

S.  MATTHIEO. 

S.  LUC. 

Naaason, 

ifaasson. 

Salmon. 

Salmon. 

Booz. 

Booz, 

Obed. 

Obed. 

Jesse. 

Jessi. 

David. 

David. 

Salomon. 

Nathan. 

Roboam. 

Mathatha. 

Abia. 

Menna. 

Asa. 

Melea. 

Josaphat. 

Eliakim. 

Joiam. 

Jona. 

Joseph. 

:i  trois  noms  omis) 

Juda. 

Simeon. 

Ozias. 

Levi. 

Joalban. 

Matbat. 

Aebaz. 

Joritn. 

Ezechias. 

Eliezer. 

Manassei. 

Jesus. 

.\inOD. 

Her. 

Josias. 

Elmadan. 

(un  nom  omis] 

Cosan. 

Jechonias. 

Addi. 

Melchi. 

Neri. 

Salaihiel. 

S-lathiel. 

Zorobakel . 

Zero  babel. 

Abiud. 

Resa. 

Joanna. 

Eliacim. 

Juda. 

Josep.h. 

Azor. 

Seraei. 

Mathathiat 

Sadoc. 

Ma  hath. 

Nagge. 

Achim. 

Hesli. 
Nahum. 

Eliud. 

Amos. 
Maihathias 

Joseph. 

Eleazar. 

Jannd, 

Melchi. 

Mathan. 

Levi. 

Ma  that. 

Jacob. 

Hell. 

Joseph. 

Joseph. 

Jesus. 

Jesus. 

11  resulte  de  cette  juxtaposition  ioque  les 
ancetres  de  Nolre-Seigneur  sonl  no',ablement 
plus  nombreux  dans  la  seconde  lisle  que  dans 
la  premiere,  2"  qu'enlre  David  et  S.  Joseph 
nous  ne  trouvons  que  des  noms  difierents,  k 
pari  ceux  de  Salaihiel  el  de  Zorobabel. 

La  difficulle  qui  provienl  de  la  divergence 
des  nombres  se  resoul  encore  assez  aisement. 
Qiioi  d'etonnanl  d'abord  qu'il  n'y  ait  d'une 
part  que  41  nom>,  landis  qu'il  y  en  a  de 
I'aulre  jusqu'a  77  (onze  fois  7,  le  nombre  sa- 
cre,  observent  les  auleurs  mystiques;  S.  Ir^ 
nee,  qui  reduil  ce  chiffre  a  72,  on  ignore  par 
quel  proced^,  fait  un  rapprochement  entre  les 
"72  aieux  du  Christ  et  les  72  subdivisions  de 
la  Table  des  penples,  Gen.  x),  puisque  le  point 
de  depart  n'esl  pas  la  m^me!  Si  nous  com- 
parons  les  epoques  partielles  nous  arrivona 
au  resultat  suivant  :  d'Abraham  k  David, 
14  generations  de  part  d  d'aulre;  de  David 
k  la  caplivite,  14  generations  d'apres  S.  Mat- 
lhieu, 20  d'apres  S.  Luc;  de  la  captivile  k 
Jesus-Chrisl,  14  el  21  generations.  Ou  en- 
core :  de  David  k  S.  Joseph,  41  noms  dans 


CHAPITRE   III 


105 


S.  Luc,  27  seulement  dans  S.  Mallhieii ;  ce 
qui  fait  en  moyenne  25  ans  d'un  cote  ol  40  de 
de  i'autre  pour  une  generalion.  Mais  11  faut 
se  souvenir  que  S.  iMalthieu  a  elimine  plu- 
sieurs  noms.  De  plus,  des  phenomenes  ana- 
logues se  prestntent  frequemment  dans  les 
branches  diverses  d'une  meme  famille. 

Le  vrai  «  nodus  difficultalis  nconsiste  dans 
la  difference  des  noms  cites  par  les  evange- 
listes.  S.  Malthieu  et  S.  Luc  pretendenl  nous 
livrer  Tun  el  I'autre  I'arbre  genealogique  au- 
thenlique  de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ,  et 
voici  que  celui-ia  rallache  Jesus  a  David  par 
Salomon,  tandis  celui-ci  Ten  fait  descendre 
par  Nathan!  Celui-ci  donne  Neri,  celui-la 
Jechonias  pour  pere  a  Salalhiel.  D'apres  celui- 
la  S.  Joseph  est  fils  de  Jacob;  d'apres  celui- 
ci  il  est  fils  d'Heli.  Comment  toutcela  peut-il 
dire  vrai  en  meme  temps? 

Les  systemes  imagines  par  les  exegetes 
pour  etablir  Tharmonie  entre  les  deux  ecri- 
vains  sacres  peuvent  se  ramener  a  quatre 
principaux. 

I.  Le  premier  systeme  a  pour  base  ce  qu'on 
iiommait  cliez  les  Juifs  la  loi  du  Levirat. 
D'apres  cetLe  loi,  quand  un  homme,  apres 
avoir  ele  marie,  mourait  sans  laisser  de 
poslerite,  son  frere,  ou  meme  son  plus  proche 
parent,  etait  tenu  d'epouser  la  veuve,  si  elle 
^taitencoreen  age  dedevenir  mere. Les  enfants 
qui  naissaient  de  ces  secondes  noces  etaient 
censes  appartenir  au  defunt,  donl  ils  etaient 
comme  la  descendance  legale.  Comp.  Dent. 
XXV,  6.  Or,  on  suppo.^e  que  Jacob  el  Heli 
Etaient  freres  ulerins,  c'est-a-dire  qu'ils  pro- 
venaient  de  la  meme  mere  quoique  de  peres 
dislincts  (Malhan  et  Mathal).  De  plus,  Heli 
serait  moil  sans  enfanls.  Jacob,  ayant  alors 
epouse  la  veuve  de  son  frere,  en  aurail  eu 
un  fils,  nomme  Joseph.  Memo  hypnlhese  a 
propos  de  Jechonias  (pere  reel),  de  Neri  son 
iVere  uterin  (pere  legal),  el  de  son  fils  Sala- 
thiel.  Cela  pose,  on  conQoit  que  les  genealogies 
soientsi  di-semblables,  puisque  Tune  d'elles, 
cello  de  S.  Matthieu,  cite  les  peres  nalurels, 
tandis  que  I'autre,  celle  de  S.  Luc,  mentionne 
les  peres  selon  la  loi.  Les  series  devaient  ne- 
cessairementdivergerd'une  maniere  notable, 
fluoiqu'elles  se  renconlrenl  a  deux  r(>prises. 
11  n'y  a  rien  d'impossible  a  ce  que  la  loi  du 
Levirat  ail  ele  ainsi  appliquee  deux  fois  dans 
une  meme  famille  durant  un  intervalle  de 
mille  ans  (entre  David  et  S.  Joseph).  —  Telle 
est  I'opinion  adoptee  en  substance  par  la 
plupart  des  Peres  et  des  commenialeurs,  de- 

f»uis  Jules  I'Africain  qui  en  donna  le  premier 
a  formule,  jusque  vers  la  fin  du  XVe  siecle 
{a  Haec  sententia  est  communis  et  constat  ex 
Iraditione  Ecclesiae,  ex  communi  sanctorum 
Palrum  consensu  ac  approbaliono  gravissi- 
morum  thi'ologorum  »,  Sylveira).  S.  Am- 
broise,  S.  Jerome,,  S.  Augustin  (il  parle,  il  est 
vrai,  d'une  adoption  et  non  d'un  mariage  de 


levirat;  mais  cela  revient  k  peu  pres  au 
meme),  S.  Gregoire  de  Nazianze,  S.  Thomas, 
Salmeron,  Maldonat,  le  D""  Hug,  comptent 
parmi  ses  plus  illustres  defenseurs. 

H.  Les  deux  genealogies  sent  encore  celles 
de  S.  Joseph,  mais  on  en  explique  les  diver- 
gences par  un  autre  precede.  Le  premier 
Evangile  indiquerait  le  droit  de  succession  au 
trone,  le  troisieme  la  descendance  reelle. 
Voici  quelques  details.  La  branche  ainee, 
issue  de  David  par  Salomon,  s'etanl  etemle 
apres  Jechonias,  une  branche  collaterale, 
celle  de  Nathan,  herita  (peut-elre  par  adop- 
tion) de  la  succession  royale  dans  la  personne 
de  Salalhiel.  Plus  'lard  encore,  nouvelle 
extinclion  de  la  branche  ainee  (ou  d'Abiud) 
dans  la  personne  de  Jacob,  el  nouvelle  trans- 
mission des  droits  royaux  k  la  branche  ca- 
delle  (ou  de  Resa)  sur  la  l6le  de  Joseph,  fils 
d'Heli. 


S.  MATTHIEU 


SalomoD 


Jechonias 


Daviil 


S.  LUC 


Nathan 


Nen 


Abiod 


Jacob 


Salalhiel 


Zorobabel 


Joseph 


R^sa 

I 

I 
HeU 


D'apres  ce  sentiment,  donl  les  principaux  de- 
fenseurs sont  Grotius,  Possinus,  le  D'  Mill, 
Lord  Hervey,  M  Schegg,  etc.,  nous  aurions 
done  dans  S.  Luc  la  genealogie  priv^e  de 
S.  Joseph,  la  serie  de  ses  ai'eux  naturels  et 
reels,  dans  S.  Matthieu  sa  genealogie  en  tant 
qu'herilier  legal  el  officiel  du  trone,  c'est-k- 
dire  la  serie  des  rois  legitimes  de  la  theocra- 
tie.  Par  exemple,  dil  avec  esprit  M.  Trollope, 
the  Gospel  according  to  S.  Luke,  Cam- 
bridge 4  877,  p.  144,  si  Ton  voulait  tracer  la 
genealogie  complete  de  la  reine  d'Angleterre, 
il  faudraii,  lo  pour  elablir  ses  droits  au  trone 
du  Royaume  uni,  passer  par  Georges  ler,  les 
Stuarts,  les  Tudors  et  remonier  jusqu'k 
Guillaume  le  Conqu^rant,  2°  pour  donner  sa 
descendance  naturelle,  passer  encore  par 
Georges  ler,  mais  quitter  aussitot  ia  ligne  des 
monarques  anglais  et  suivre  celle  des  dues 
de  Brunswick. 

in.  D'apr6s  Cornoille  de  Lapierre,  nos 
deux  listes  conliendraient  I'arbre  genealo- 
gique non  de  S.  Joseph,  comme  dans  les 
systemes  qui  precedent,  mais  de  la  Tr6s 
Sainle  Vierge.  Seulement,  les  ancetres  de 
Marie  seraienl  cites  a  ex  latere  materno  » 


406 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


dans  la  nomenclature  de  S.  Maithieu,  «  ex 
latere  palerno  »  dans  cells  de  S.  Luc.  Les 
choses  se  soraienL  passees  de  la  maniere  sui- 
vanle  :  Sainte  Anne,  epouse  d'Heli,  el  mere 
de  Marie,  elail  la  soeur  de  Jacob,  la  fille  de 
Mathan ;  de  la  sorle,  Joseph,  fils  de  Jacob,  se 
trouve  avoir  ele  neveu  de  sainte  Anne,  et 
par  consequent  le  cousin  germain  de  la 
Sainte  Vierge  en  meme  temps  que  son  epoux. 


8.  MATTfllEU 


SalomoQ 


David 


I 
Mathaa 


Jacob 


Anne  femme  d' 


S.  LUG 


iNathan 


Mathat 


Heli 


Joseph  Marie 

Fr.  Luc  de  Bruges  admel  egalement  cette 
hypolhese  avec  quelques  moditications.  Peut- 
elre  se  demandera-t-on  comment  on  peut  la 
concilier  avec  la  croyance  de  I'Eglise,  d'apres 
laquelle  le  pere  de  Marie  se  serait  appele 
Joachim  el  non  Heli.  Mais  il  existe  une  ires 
grande  analogie  enire  ces  deux  noms,  et  on 
les  Irouve  employes  i'un  pour  I'aiitre  dans  la 
Bible,  par  exemple  au  livre  de  Judilh,  ou  le 
meme  grand-prelre,  appt'led'aburd  Eliachim, 
IV,  5,  'M,  apparail  ensuite,  xv,  9,  sous  la 
denomination  de  Joachim.  Eli,  'bx,  est  en 
effel  une  abrevialion  de  Eliachim,  (n''p''bN); 
or,  Eliachim  et  Joachim  (aip'in'lont  une 
signification  prpSi]ueidenti(iiio  («  f)eus  slabi- 
lit  »,  ou  «  Jchova  slabilit  »).  D'aiUeurs, 
meme  d'apres  la  tradilion  juive,  Marie  aurait 
eu  uii  Hell  pour  pere.  «  Miriam  Qile  d'Heli  », 
lisons-nous  dans  le  Talmud,  Hieros.  Gha- 
gigati,  I'oi.  77,  4.  Comp.  Lighllool,  Hor.  hebr. 
in  Luc.  Ill,  23. 

IV.  Des  deux  lisles  genealogiques,  I'unc 
IS.  Malih.)  se  rapporle  a  S.  Joseph,  I'autre 
(S.  Luc)  a  la  Sainle  Vierge,  conforraement.au 
tableau  suivanl : 


S.  MATTHIEU 


S.  LUG 


David 


Salomon 


Jecboaias 


Nathan 


Neri 


Salathiel 

I 
Zorobabel 


Abiod 

I 

I 
Jacob 

I 


Resa 

I 

I 
HeU 

I 
Marie  =  Josepb 


Ce  sysleme  s'appuie,  de  meme  que  le  pre- 
mier, sur  la  loi  mosalque,  mais  d'une  autre  ma- 
niere. II  sii()pose  que  Marie  elait  fille  unique, 
et  par  suite  fille  heritiere  (e7ttV.>.r,po;  napOe'vo;, 
comme  s'exprimait  la  con.-titulion  d'Athenes), 
ce  qui  I'obligeait,  d'apres  Num.  xxxvi,  5-8, 
a  se  marier  dans  sa  propre  iribu.  Or  dans  ce 
cas  le  mari,  ne  faisant  qu'une  seule  per.-onne 
morale  avec  sa  femme,  recueillait  lous  les 
litres  de  celle-ci  :  il  avail  en  quelque  sorle 
deux  peres,  son  pere  nature]  et  son  pere  legal 
(son  beau-pere).  C'est  pour  cela  que  S.  Joseph 
est  appele  d'nne  part  fils  de  Jacob,  de  I'autre 
fils  d'tJeli.  Sans  doute  il  eAl  ele  plus  clair  dfr 
nomm  r  dircclement  Marie  ;  mais  il  etait 
conlraire  a  I'usage  antique  d'^lablir  en 
termes  expres  la  genealogie  d'une  femme 
(a  Genus  palris  vocalur  genus;  genus  malria 
non  vocalur  genus  »,  Baba  balhra,  fol.  IIO,-!): 
S.  Luc  I'a  done  elablie  d'une  maniere  indi- 
recte,  en  substituant  S.  Joseph  a  la  Sainte- 
Vierge.  On  prouve  que  JMarie  etait  fille  heri- 
tiere soit  par  la  Iraailion.  qui  rafrequemmont 
afQrme,  soit  a  I'aide  du  recil  meme  de  S.  Luc, 
II,  4  el  ss.  Pourquoi  la  Merede  Jesus  va-t-elle 
a  Belhleem  avec  S.  Joseph,  a  I'occasion  du 
recensement  ordonne  par  Auguste,  sinon 
parce  qu'elle  etait  tenue  di'  se  presenter  en 
personne  devani  les  officiers  imperiaux?  Or, 
elle  ne  pouvail  6tre  aslreinle  a  cette  obliga- 
tion que  parce  qu'elle  ri'presentail  une  lige 
de  la  famille  de  David.  En  elle  se  terminait 
la  branche  de  Nalhan,  de  meme  que  celle  de 
Salomon  aboulissail  a  S.  Joseph.  —  Cetle 
hypothese  est  adoptee  par  la  plupart  des  exe- 
gel  "S  modernes  et  contemporains  (Surenhu- 
sius,  Lighlfoot,  Bengel,  Rosenmiiller,  Wie- 
seler,  MM.  von  Burger,  Behimann,  Arnoldi, 
Godel,  Bisping,  van  Ooslerzee,  Le  Camus, 
Arnoldi,  Plumptre,  Ewald,  J.  P.  Lange, 
Riggi'nbach.  etc.,  etc.)  :  elle  est  actuelle- 
meiiL  aussi  populaire  que  la  premiere  I'etait 
dans  I'antiqiiile,  et  nous  inclinons  a  lui  doimer 
aussi  DOS  preferences,  parce  qu'elle  nous 
semble  resoudre  de  la  maniere  la  plus  simple 
et  la  plus  naturelle  le  problems  des  genea- 
logies evangeliques. 

En  etfet,  1o  si  les  deux  listes  s^^  rapportent 
a  S.  Joseph,  c'est-a-dire  a  un  pere  putatif, 
Jesus  n'a  ete  I'heritier  de  David  que  par 
adoption,  en  d'autres  termes  par  une  son© 
de  fiction  legale.  Suppose  que  cela  ait  suffi 
aux  lecleurs  juifs  de  S.  Matlhieu,  puisfpie 
c'etait  conforme  aux  principes  theocratiques, 
les  lecleurs  palens  de  S.  Lnc  auraient  bien 
pu  ne  pas  s'en  contenler  :  il  fallait  pour  eux 
la  preuve  d'une  descendance  reelle,  et  la 
genealogie  de  Jesus  par  Marie  contenait 
seule  celte  demonstration  d'une  maniere  ab- 
solue.  —  2°  Depuis  le  commencemenl  de  son 
recil,  S.  Luc  a  toujours  mis  S.  Joseph  a 
I'arriere-plan  :  Marie  a  ete  consiammei*!. 
pour  lui  le  personnage  principal.  II  ne  s'esl  pa? 


CHAPITRE   HI 


107 


lasse  de  montrer  que,  si  Jesus  avail  daigne 
prendre  une  mere  ici-bas.  aucun  homme  ne 
pouvait  ie  revendiquer  comrne  fils  dans  le 
sens  propre  de  celte  expression.  Bien  plus, 
au  debut  meme  de  sa  nomenclature,  ii  oppose 
la  realite  iiislorique  a  I'opinion  du  vulgaire  : 
a  ut  putabatur,  films  Joseph  ».  Serail-il 
consequent  avec  lui-meme  s'll  idendifiait, 
immediatemenl  apres  celte  reflexion,  les  an- 
cetres  de  Jesus  avec  ceux  de  Josepii?  — 
3°  Le  texte  grec  de  S.  Luc  [t.  23)  se  ramene 
sans  trop  de  peine  a  noire  inter[)retalinn ; 
car,  en  premier  lieu,  si  les  mots  «  qui  fuit 
Dei  «,  designent  une  filiation  impropremenl 
dile,  pourquoi  n'en  serail-il  pas  de  meme 
quand  il  s'agil  dts  rapports  de  S.  Joseph  et 
d'Heli,  «  qui  full  Heii  »?  En  second  lieu, 
d'assez  nombreux  inlerpretes  croienl  pouvoir 
traduire  le  t.  23  de  la  maniere  suivante  : 
«  El  ipse  Jesus  erat  (dum  putabalui'  filius  Jo- 
seph>  filius  Hi'li,  Maihat,  etc.  »,  c'est-^-dire 
qu'ils  raitachenl  a  J^sus  lous  les  geniiifs  de 
la  lisle,  de  maniere  a  meltre  S.  Joseph  tout 
h  fail  en  dehors  de  I'arbre  genealogique. 
Nous  avouons  cependant  que  cet  expedient 
nous  parait  un  peu  force.  —  4°  Plusieurs 
Peres,  sans  afBrmer  direclement  que  la  ge- 
nealogie  donnee  par  S.  Luc  est  celle  de  Marie, 
semblenl  le  supposer  d'une  maniere  indi- 
recte,  par  exemple  S.  Ir^nee,  adv.  Haer.  in,  29, 
Tertullien.  de  Carne  Ghristi,  c.  21  el  22, 
S.  Alhanase,  rontr.  Apollin.  i,  4.  Voir  Kitto, 
Cyclopaedia,  s.  v.  Genealogy  of  J.  C. 

Le  premier  sysleme  a  egalemenl  unegrande 
valeur,  soil  a  cause  de  son  anliquite  et  des 
graves  autoriles  sur  lesquelles  il  s'appuie, 
soil  parce  que  les  evangelistes,  si  on  prend 
toutes  leurs  expressions  a  la  lellre,  semblent 
dire  qu'ils  se  proposent  de  donner  Tun  el 
I'aulre  la  genealogie  de  S.  Joseph.  Mais  il 
muliiplie  les  hypotheses,  el  on  peul  lui  re- 

f)rocher  d'etre  assez  complique.  Le  second  el 
e  troisieme  presentent,  a  noire  avis,  moins 
de  garanties;  celui-1^  parce  qu'il  prend  le 
verbo  «  genuil  »  dans  un  sens  figure  qui  ne 
saurait  lui  convenir,  celui-ci  parce  que  I'une 
des  deux  listes,  celle  de  S.  Matlhieu,  se  rap- 
porle  evid(  mment  a  S.  Joseph.  Au  reste, 
comme  Marie,  aussi  bien  que  son  saint  epoux, 
apparlenaii  a  la  famille  de  David  (voyez  I'E- 


vang.  seloa  S.  Mallh.,  p.  40),  en  toute  hypo- 
these  sa  genealogie  est  au  moins  implicilement 
contenue  dans  celle  de  Joseph. 

Resumons  el  concluons.  Deux  Evangelistes 
ont  conserve  la  genealogie  du  Sauveur,  et  il 
se  trouve  que  leurs  listes  varient  etonnam- 
menl.  Toutefois,  meme  abstraction  faite  de 
I'inspiralion,  il  n'est  pas  croyable  qu'ils  se 
soient  trompes  ou  qu'ils  aienl  voulu  Iromper. 
Les  documents  genealogiques  abondaient 
chez  les  Juifs,  comine  on  le  voil  par  les  livres 
des  Paralipomenes,  d'Esdras,  de  Nehemie  et 
de  Tecrivaiii  Josephe  (Cfr.  Vita,  c.  i ;  contr. 
App.  I,  7),  el  il  elail  aise  de  les  consulter, 
Des  ecrivains  senses  auraient-ils  bien  inser© 
dans  leurs  narrations  des  pieces  errondes, 
qu'il  eiil  ete  facile  d'atlaquer  et  de  refuter? 
Puisqu'ils  nous  ont  laisse  des  catalogues  si 
distincls,  S.  Matlhieu  el  S.  Luc  avaienl  done 
quelques  raisons  de  s'ecarter  I'un  de  I'aulre. 
Nous  en  avons  suggere  plusieurs,  qui  sont 
parfaitement  plausibles;  cela  suffit.  Vraisem- 
blablement,  c'esl  une  table  de  rois  que  nous 
irouvons  dans  le  premier  Evangile,  et  une 
table  d'ancelres  dans  le  troisieme  :  ici  Jesus 
nous  apparait  comme  «  semen  mulieris  ».  la 
nou-;  lesaliions  comme  herilierdu  Irone  tlieo- 
cratique.  Quoi  qu'il  en  soil,  les  deux  listes 
aboulissenl  glorieusement  au  Mcssie,  en  qui 
revit  a  jamais  la  race  do  David,  ainsi  que  le 
Seigneur  I'avait  promis.  —  Voyez  dans  Dcren- 
bourg,  Essai  sur  I'histoire  el  la  geographie 
de  la  Palestine,  Paris  1867,  p  349,  une  im- 
portante  confirmation  de  la  descendance 
royaledu  Sauveur  par  le  Talmud.  Le  Iraite 
Sanliedrin,  43,  6,  dit  formellement  (]ue  Jesus 
elail  niDSaS  Slip,  "  propinquus  regno  (i.  e. 
regise  domui)  ». 

L'arl  cliretieu  s'est  occupe  aussi,  el  avec 
moins  de  secheresse  que  la  science  apologeti- 
que,  de  «  I'arbre  de  Jesse  »  ou  de  la  genealogie 
de  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ.  On  le  trouve 
parlout  represenle,  surtoul  au  moyen-age  : 
les  vitraux  des  eglises,  les  vignettes  des  ma- 
nuscrits,  les  tapisseries,  les  tableaux,  les 
sculplures;  le  reproduisent  avec  un  grand 
melange  de  grfice  el  d'originalite.  Voyez 
aussi  un  beau  poeme  de  Lowlh,  insere  dans 
la  traduction  frangaise  de  ses  Legons  3ur  la. 
poesie  sacree  des  UebreuX), 


408 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


CHAPITRE  IV 

La  tentalion  de  No'.re-Seigneur  Jesus-Christ  (tt.  i-\3).  —  Retour  de  Jesus  en  Galilde  at 
apergu  general  des  debuts  de  son  ministere  [tt.  14-15).  —  Les  habitants  de  Nazarelh 
veulent  le  mettre  a  morl  a  la  suite  d'une  predication  celebre  [tt.  16-30:.  —  Jesus  a 
Capharnaiim  (tT(^.  31-32).—  Guerison  d'un  demoniaque  'tt.  33-37).  —  Guerison  de  la 
belie-mere  de  S.  Pierre  el  de  nombreux  malades  {tt.  38-41).  —  Jesus  se  retire  dans  une 
solitude  des  bords  du  lac,  puis  il  evangelise  la  Galilee  [tt.  42-44). 


1.  Or  Jesus  plein  de  TEsprit- 
Saint  revint  du  Jourdain  et  il  fut 
conduit  par  I'Esprit  dans  le  desert, 

2.  Pendant  quarante  jours,  et  fut 
tente  par  le  diable.  Et  il  ne  mangea 


1.  Jesus  autem  plenus  Spiritu 
sancto  regressus  est  a  Jordane  :  et 
agebatur  a  Spiritu  in  desertum, 

Matth.  ♦,  1;  Marc.  1,  12. 

2.  Diebus  quadraginta,  et  tenta- 
batur  a  diabolo.  Et  nihil  manduca- 


3»  La  tentation   de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ. 
IV,  1-13.  (Parall.  Matth.  iv,  1-1 1 ;  Marc,  i,  12-13). 

Le  premier  acte  de  Jesus  apres  sa  conse- 
cration messianique  consisle  a  reparer  la 
chute  du  premi  r  homme,  en  trioraphant  du 
demon  el  de  ses  suggestions  perfides.  Comp. 
S.  Hilaire,  in  Matth.  iii,  5;  S.  Ambr.  Expo- 
sit,  in  Luc.  IV,  7.  Le  chef  de  rhumanile  nou- 
velle  el  regeneree  passe  comme  Adam,  le 
chef  de  I'humanite  dechue,  par  I'epreuve  de 
la  tentation ;  mais  avec  qutUe  difference  dans 
les  resultatsl  —  La  nairaiion  de  S.  Luc, 
quoiqu'elle  ressemble  beaucoup  ici  a  celle 
de  S.  Matthieu  (voyez  noire  commenlaire, 
pp.  79-87;,  s'en  separe  neanmoins  par  de 
legeres  modiQcations  dans  les  termes,  par 
I'addilion  de  plusieurs  idees  nouvelles,  el 
surtoul  par  un  changemenl  notable  dans 
I'ordre  des  tenlations. 

Chap.  iv.  —  1.  —  Les  tt.  <  et  2  contien- 
nenl  les  details  preliminaires  du  recit.  Le 
premier  nous  montre  d'abord  Jesus  quittant 
le  Jouidain  Iregressusest,  dans  leque!  il  avail 
ele  baptise,  et  gagnant,  sous  une  vive  impul- 
sion de  I'Esprit  Saint,  la  solitude  du  desert. 
Sur  le  theatre  special  de  la  tentation.  voyez 
I'Evangile  selon  S.  Matth.  p.  80.  Au  lieu  de 
I'accusatifiH  deserfi/ni  (Recepla.ei;t>ivep/iiiov), 
plusieurs  manuscrits  (B,  D,  L,  Sin.)  et  ver- 
sions portent  ev  t^  epiQH-V*  Celte  lecon,  qu'a- 
doptenl  les  meilleurs  critiques,  semblerait 
supposer  que  Notre-S^igneur  ne  demeura  pas 
constammeiil  au  meme  endroil  du  deseri, 
mais  qu'il  allait  et  v^^nail  en  divers  lieux  : 
elle  s'accorde  du  reste  Ires  bien  avec  I'im- 
parfait  opeftatur, ^Y£To,  qui  indique  la  conti- 
nuite  de  Taction.  —  A  Spiritu  :  dans  le  grec, 
iv  ty  Kvcunau,  a  in  Spiritu.  »  D'apres  S.  Mat- 


thieu, Oi:6  ToO  7iveij(jiaTo;,  par  I'Esprit.  —  La 
note  plenus  Spiritu  sancto  est  speciale  a  noire 
evangeliste.  Elle  desii-ne  la  plenitude  de 
ronction  divine  regue  par  Jesus  a  son  bap- 
teme,  in,  22.  A  son  Chrisl  «  non  ad  men- 
suram  dat  Deus  Spirilum,  »  Joan,  iii,  34. 
Aussi  bien,  Satan  ne  trouvera-t-il  en  Jesus 
que  I'esprit  de  Dieu.  Voyez  Maldonat  et 
Fr.  Luc,  h.  1. 

2.  —  Diebus  quadraginta,  et  tentabatur... 
La  conjonction  o  et  »  manque  dans  le  texte 
grec,  ou  on  lit  simplemenl  in>.ipoi<i  Teejaapdxovta 
itetpa^6[Aevo;. ..,  c'esl-a-dire  &  diebus  quadra- 
ginta, lentatus...  »  (le  parlicipe  present  au 
lieu  de  I'imparfait).  D'apres  cetle  traduction 
litterale,  S.  Luc  paraitrait  au  premier  abord 
combiner  les  recits  divers  de  S.  Matthieu  et 
de  S.  Marc,  et  dire,  comme  le  second,  que 
Jesus  fut  lente  pendant  quarante  jours; 
comme  le  premier,  que,  ce  temps  ecoule.  le 
Sauveur  subil  encore  trois  tenlations  dis- 
tinctes.  Mais  nous  avons  vu,  dans  notre 
explication  do  I'Evangile  selon S.  Marc(p.  29), 
que  la  vague  locution  «  tentabatur  a  Sa- 
lana  »  est  une  formule  abregee,  qui  doit 
etre  interprelee  d'apres  la  narration  plus  pre- 
cise el  plus  detaillee  de  S.  Matthieu.  De 
meme  ici.  II  est  bien  plus  naturel  de  ratla- 
cher,  comme  I'a  fait  la  Vulgate,  les  mots 
"^llispa;  teffoapaxovxa  a  ^ysxo  qu'a  iteipaI[6(i£vo5, 
el  I'on  peui,  a  la  fagon  de  la  version  syriaque, 
traduire  ce  parlicipe  par  «  ut  tentarelur  » 
(ce  serait  le  a  parlicip.  causale  »  ou  «  6nale  • 
des  gramraairiens).  Au  reste,  il  est  peu 
croyable  en  soi  que  Notre-Seigneur  ait  subi 
pendant  quarante  jours  les  assauts  de  I'es- 
pril  mauvais.  Comp.  les  Hom.  Clement,  xix,  2. 
—  A  diabolo.  Le  prince  des  demons  apparut 
en  personne  et  visiblemenl  a  Jesus  pour  le 


CHAPITRE  IV 


i09 


vit  in  diebus  illis  :  et  consummatis 
illis  esiinit. 

3.  Dixit  autem  illi  diabolus  :  Si 
filius  Dei  es,  die  lapidi  hiiic  ut  pa- 
nis  fiat. 

4.  Et  respondit  ad  ilium  Jesus  : 
Scriptum  est :  Quia  non  in  solo  pane 
vivit  homo,  sed  in  omni  verbo  Dei. 

Deut.%,  3;  Matth.  4,4. 

5.  Et  duxit  ilium  diabolus  in 
montem  excelsum;  et  ostendit  illi 


rien   pendant  ces  jours,  et  apres 
qu'ils  furent  passes  ileut  faim. 

3.  Et  le  diable  lui  dit :  Si  tu  es  le 
Fils  de  Dieu,  dis  a  cette  pierre 
qu'elle  devienne  du  pain. 

4.  Jesus  lui  repondit  :  II  est 
ecrit  :  L^homme  ne  vit  pas  seule- 
ment  de  pain,  mais  de  toute  parole 
deDieu. 

5.  EL  le  diable  le  conduisit  sur 
une  haute  montagne  et  en  un  ins- 


porter  au  mal.  —  Nihil  manducavit  in  diebus 
illis  :  la  mention  du  jeune  absolu  du  Sauv(>ur 
pendanl  quaranle  jours  est  speciale  a  S.  Luc 
sous  celte  forme.  Le  verbe  «  jejuna  re  », 
qu'emploie  S.  Matlhieu.  eiil  ete  moin>  clair 
pour  Ips  lectenrs  de  S.  Luc.  —  Esuriit. 
«  Poslea  i^udTepov)  esuriit  »  d'apres  la  Recepta ; 
mais  eel  adverbe,  qui  manque  dans  les  ma- 
nuscrits  B,  D,  L.  Sin.  et  dans  les  versions 
cople,  aimen..  elhiop.,  et  sahidiqbe,  est  a 
bon  droit  regarde  comme  un  glos>eme. 

3  et  4.  —  Nous  pa>sons  a  I'hisloire  pro- 
prement  dite  d<'  la  tentalion  de  Jesus.  Elle 
consiste  en  Irois  assauis  consecutifs  du  de- 
mon et  en  trois  victoires  du  Messie.  La  pre- 
miere suggestion  mauvaise  de  I'esprit  tenta- 
teur  est  habilement  rattachee  a  la  faim  dont 
souffrait  le  divin  Maitre  :  Die  lapidi  huic  ut 
panis  fiat.  Hoiez  ie  singulier  xw  Xi9w  Touxti) ; 
ilesi  plus  piitoresque  que  le  pluriel  «  lapides 
isti  »  employe  par  S.  Matlhieu.  Les  anciens 
peintres,  se  conformant  a  ce  deiail  du  troi- 
sieme  Evangile,  mettaient  une  pierre  k  la 
main  de  Satan  au  moment  ou  il  lentait  Jesus 
pour  la  premiere  fois.  Nolez  aussi  I'entree  en 
raatiere  Si  Filius  Dei  es.Le  demon  avait  plus 
d'une  raison  de  supposer  que  Jesus  etait  le 
Christ;  neanmoins  il  pouvait  lui  rester 
quelques  doutes,  et  c'esl  pour  cela  que 
0  eum  tentavit,  an  Christus  esset  explorans  » 
(S.  August,  de  Givit.  Dei,  xi.  21).  11  pensait 
I'obliger  ainsi  a  se  reveler  lui-m6me.  —  Res- 
pondit... Jesus  [La  Recepta  et  de  nombreux 
manuscrils  ajouient  ^eir^v,  a  dicens  »).  On  a 
invite  Notre-Seigneur  a  faire  usage  de  ses 
pouvoirs  surnaturels  pour  satisfaire  le  besoin 
qui  le  presse.  II  repond  d'une  maniere  aussi 
forte  que  simple,  en  s'approprianl  un  lexte 
biblique  (Gfr.  Deut.  viii,  3),  qu'il  se  gardera 
bien  de  se  secourir  lui-mSme  de  la  sorte  :  ce 
n'est  point  pour  un  motif  personnel  qu'il  fera 
des  miracles.  Apres  tout,  Dieu  connait  les 
necessites  humaines  el,  d'une  seule  parole,  il 

fjeut  procurer  k  ses  amis,  I'histoire  sainle  est 
ci  pour  le  demontrer,  une   abondanle  nour- 
riture.  Le8  mots  non  in  solo  pane  (hebralsme 


pour  «  solo  pane  »)  designent  done  le  pain  or- 
dinaire et  en  general  tout  ce  qui  peut  servir 
d'aliment  a  I'liomme.  A  ce  pain  Jesus  oppose 
des  mels  fournis  miraculeusement  par  Dieu, 
in  omni  verbo  Dei.  S.  Matlhieu  cite  plus  com- 
plelement  le  texte  d'apres  les  LXX ;  S.  Luc 
n'en  donne  qu"un  sommaire. 

5.  —  Seconde  tentalion  tt-  5-8.  Apres 
avoir  essaye  de  rendre  Jesus  simplement  in- 
fidele  a  Dieu,  Satan  le  pousse  a  une  aposlasie 
complete.  —  G'est  ici  qu'il  exisle,  entre  nos 
deux  narrations  paralleles,  une  grande  diver- 
gence au  point  de  vue  de  I'arrangement  exte- 
rieur.  S.  Matlhieu  en  effet  ne  place  qu'en 
troisieme  lieu  la  tentalion  qui  aurail  ete  la 
seconde  d'apres  S.  Luc,  el  reciproquement. 
De  quel  cole  se  trouve  la  vraie  suite  des 
fails?  Tout  porle  a  croire  que  c'est  le  pre- 
mier evangeliste  qui  a  le  plus  exactement 
suivi  I'ordre  historique,  comme  le  pensaient 
deja  S.  Anibroise  el  d'autres  Peres.  On  le 
prouve  par  deux  raisons  principales,  I'une 
inlrinseque,  I'aulre  extrinseque.  1°  La  ten- 
talion racontee  au  second  rang  par  S.  Luc  a 
ete  justemenl  appelee  «  la  plus  seduisaute 
des  irois  » :  c'est  la  plus  forte  de  toules  ma- 
nieres;  c'est  aussi  celle  que  Jesus  a  repous- 
see  avec  le  plus  d'horreur  («  Vade  Salana  », 
Mailh.  IV,  10.)  11  convenail  done  qu'elle  fut 
la  derniere.  2o  S.  Luc  se  contente  en  cet  en- 
droit  de  juxlaposer  les  divers  incidents,  sans 
empUyer  aucune  des  formules  qui  indiquent 
unesuccession  strictementchronologique:  V.S, 
xai  etTtev;  "f,  5,  xal  avaYayiov;  "if.  9,  xai  rjyaYev. 
S.  Matlhieu  au  contraire  en  emploie  plusieurs, 
cequi  parail  monlrer  qu'il  a  I'lnlenlion  de  mar- 
quer  un  ordre  reel  :  t.3,  xai  npo(jEX6wv;  t^,  5, 
TOTS  irapa).a[i6av£i;  f.  8,  itiXiv  TtapaXaixSivti; 
♦■.  'II,  TciTo  iyiridiv  auTov.  Voir  Greswell,  Dis- 
sertations. I.  II.  p.  1 92  et  ss. :  On  the  Order  of 
the  Temptations.  Parmi  les  exegetes  recents 
nous  n'en  connaissons  que  Irois  (le  P.  Cole- 
ridge, MM.  ReischI  et  Godet)  qui  preferenl 
I'ordre  suivi  par  S.  Luc.  — Duxit;  dans  le 
grec,  avaYaywv,  conduisant  en  haul.  —  Les 
mots  diabolus  in  montem  excelsum  sont  omi  a 


10 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


tanl  lui  montra  tous  les  royaumes 
de  la  terre, 

6.  Et  il  lui  dit  :  Je  te  donnerai 
kuU  teito  puissance  et  la  gloire  de 
ces  royaumes,  car  ils  m'ont  ete 
livres  et  je  les  donne  a  qui  je  veux. 

7.  Si  done  tu  te  mets  en  adora- 
tion devant  moi  ils  seront  tous  a  toi, 

8.  Jesus  lui  repondit :  II  est  ecrit : 
Tu  adoreras  le  Seigneur  ton  Dieu  et 
tu  ne  serviras  que  lui  seul. 

9.  Et  il  le  conduisit  a  Jerusalem  et 
le  posa  sur  le  liaut  du  temple  et  lui 
dit  :  Si  tu  es  le  Fils  de  Dieu,  jette- 
toi  d'ici  en  has; 


omnia  regnaorbis  terraein  momento 

temporis ; 

6.  Et  ait  illi :  Tibi  dabo  potesta- 
tem  banc  universam,  et  gloriam 
illorum  :  quia  mihi  tradita  sunt,  et 
cui  volo,  do  ilia. 

7.  Tu  ergo,  si  adoraveris  coram 
me,  erunt  tua  omnia. 

8.  Et  respondens  Jesus,  dixit  illi : 
Scriptum  est  :  Dominum  Deum 
tuum  adorabis,  et  illi  soli  servies. 

Deut.  6,iZet  10,  20. 

9.  Et  duxit  ilium  in  Jerusalem,  et 
statuit  eum  super  pinnam  templi, 
et  dixit  illi  :  Si  filius  Dei  es,  mitte 
te  hinc  deorsum. 


par  B,  L,  Sin.,  les  versions  copte,  sahid.  et 
par  plusieurs  manuscrits  latins.  —  Omnia 
regna  orbis  terrce  (Trig  olxoufAevr)?,  de  la  terre 
habilee)  :  d'apres  S.  Matlhieu,  «  omnia  regna 
mundi  »  (toO  xooiaou).  L'expression  de  S.  Luc 
est  plus  classique.  —  In  momento  temporis 
(£v  (jTtYiA^  xp^^o" ,  expression  analogue  kit 
(tni%  6i?9a),(xoy  de  I  Cor.  XV,  52)  est  un  trait 
pitloresquc,  propre  a  S.  Luc.  H  prouve  que  la 
perspective  en  question  ne  fut  pas  deroulee 
peu  a  peu  et  successivement  sous  les  yeux 
de  Jesus,  mais  qu'elle  lui  fut  presentee  d'une 
maniero  instantanee,  par  une  sorte  de  fan- 
tasraagorie  diabolique. 

6.  —  Satan  offre  a  Notre-Seigneur  la  pos- 
session de  ces  royaumes  qu'il  vient  de  lui 
montrer.  Avec  quel  art  il  releve  la  valeur 
d'une  telle  royauie  au  moyen  d'expressions 
emplialiques !  Potestatem  hanr.  universam; 
gloriam  illorum,  scil.  regnoium  («  construclio 
ad  synesin  »).  S.  Matthieu  lui  fait  dire  seule- 
raent  :  «  Hsec  omnia  tibi  dabo  ».  Avec 
quelle  habilele  aussi  (nouveau  trait  propre  a 
S.  Luc)  il  essaie  de  prouver  qu'il  en  est  le 
veritable  maitre,  quia  mihi  tradita  sunt,  et 
qu'il  peul  les  dormer  en  fiefs  a  qui  bon  lui 
semble,  cui  volo  do  ilia  (dans  le  grec,  aOxiQv, 
«  illam  »,  scil.  potestatem)!  Qui  lui  a  donne 
une  telle  aulorite  sur  iemonde?!!  se  garde 
bien  de  I'indiquer.  II  trouve  plus  facile  d'af- 
firmer  ses  droits  pretendus.  Au  reste,  ses  as- 
sertions ne  sont  pas  completement  denuees 
de  verite,  puisque  Jesus  lui  meme  I'appelle 
le  Prince  de  ce  iiionde,  Joan,  xii,  3 1  ;  xiv,  30; 
comp.  II  Cor.  iv,  4;  Eph.  ii,  2 ;  vi.  12. 

7.  —  Ce  n'est  pas  gratuitement  que  le  de- 
mon concedera  au  Messie  le  pouvoir  de  gou- 
verner  le  monde.  A  son  offre  il  se  hSle  de 
mettre  une  condition  ;  Tu  ergo  si  adoraveris 
•coram  me,  Le  verbe  itpoaxuv^n^en,  qui  corres- 


pond dans  le  texte  grec  a  «  adoraveris  », 
mdique,  comme  I'hebreu  rinri'kyn,  la  pro- 
stration complete,  geste  par  lequel,  dans  les 
conlrees  de  I'Orient,  un  inferieur  rend  com- 
munement  hommage  k  son  superieur.  Satan 
proposait  done  a  Jesus  de  le  reconnaitre  pour 
son  Seigneur  et  maitre.  II  y  a  encore  de  I'em- 
phase  aans  erunt-  tua  omnia  (ou,  d'apres  plu- 
sieurs manuscrits  grecs,  «  erit  tua  omnis  », 
scil.  potestas). 

8.  —  Jesus  dixit  illi.  Les  mots  OTtaye  fiirCfft* 
(I.OU  Saiava,  intercales  ici  par  la  Recepta , 
mais  omis  par  les  manuscrits  B,  D,  L,  Sin., 
la  plupart  des  versions  (vuig.,  copte,  armen.,, 
syr.,  golh.)  el  des  Peres,  sonl  vraisemblable* 
ment  empruntes  au  texte  de  S.  Matthieu.  — 
Dominum  Deum  tuum  adorabis...  Par  cetle  ci- 
tation (Gfr.  Deut.  vi,  13)  Jesus  oppose  aux 
seductions  diaboliques  le  grand  principe  mo- 
nolheiste.  Et  pourtant  il  sera  roi,  mais  son 
royaume  n'auia  rien  de  lerrestre,  et  il  ne  so 
rapportera  qn'a  Dieu  ,  illi  soli  I 

9.  —  Troisieme  lentation.  tt.  9-12.  Selon 
la  juste  remarque  de  M.  Schegg,  le  premier 
assautdu  tentateuravaiteu  pour butd'exciter 
Jesus  a  s'aider  lui-meme  sans  raison  suffi- 
sante,  et  le  second  I'avait  engage  a  s'appuyer 
sur  le  concours  de  Satan  :  par  le  troisieme  il 
est  pousse  k  exiger  sans  necessite  les  secours 
divins.  —  Duxit  ilium  in  Jerusalem.  Ce  nom 
propre  etait  [ilus  clair  pour  des  lecteurs  non- 
juifs  que  la  designation  toule  hebraique  de 
S.  Matthieu  .«  in  sandam  civitatem  ».  —  Sur 
la  nature  du  Ti-rspyYiov  toO  lepoO  (pinna  tem- 
pli] voypz-  I'Evangile  selon  S.  Matthieu, 
p.  84.  C'est  de  ce  meme  endroit,  d'apres  He- 
gesippe  (ap.  Euseb.  Hist.  eccl.  ii,  23),  que 
S.  Jacques  le  Juste  fut  precipite  par  les  Juifs. 
—  «  Nil  mirum  est,  dit  fort  bien  S.  Gregoire- 
le-Grand  a  propos  du  pouvoir  dont  le  demon 


GHAPITRE  IV 


411 


10.  Scriplum  est  enim,  quod  an- 
gelis  suis  mandavit  de  te,  ut  con- 
servent  te  :  Ps.90,  n. 

11.  Et  quia  in  manibus  tollent  te, 
ne  forte  ofFendas  ad  lapidem  pedem 
tuum. 

12.  Et  respondens  Jesus,  ait  illi  : 
Scriptum  est :  Non  tentabis  Domi- 
num  Deuiii  tuum. 

Deut.  6,  16. 

13.  Et  consummata  omni  tenta- 
tione,  diabolus  recessit  ab  illo,  us- 
que ad  tempus. 

14.  Et  regressus  est  Jesus  in  vir- 


10.  Gar  il  est  ecrit  qu'il  a  ordonn^ 
a  ses  anges  de  te  preserver, 

11.  Et  qu'ils  te  porteront  dans 
leurs  mains,  de  peur  que  tu  ne 
heurtes  ton  pied  centre  une  pierre. 

12.  Et  Jesus  lui  repondit  :  Tu  ne 
tenteras  pas  le  Seigneur  ton  Dieu. 


13.  Et  ayant  consomme  toute 
tentation,  le  diable  s'eloigna  de  lui 
pour  un  temps. 

14.  Et  Jesus  revint,  par  la  vertu 


semblo  avoir  joiii  dans  les  deux  dernieres  ten- 
rations  sur  le  cor[)S  sacre  de  Nolr>'-Seigneur 
Jesus-Chrisl,  nil  minim  est  si  Chrislus  a  dia- 
bolo  se  permisil  circumduci,  qui  se  a  mem- 
bii-i  illius  se  permisit  crucifigi.  »  Ou  encore: 
«  Noli  in  hac  re  diaboli  poicntiam,  sed  po- 
tius  Salvaloris  patientiam  luirari  »,  Deyling. 
10  el  11.  —  Scriptum  est  enim...  Pour 
donner  plus  de  poids  a  sa  perfide  suggestion, 
I'esprit  mauvais,  imitant  Jesu-;.  se  met  ei 
ciler  rEcrilure,«  meiidacium  abscondens  per 
Scrip! uram  sicut  omnes  haeretici  »,  ecrit 
S.  Ireiiee,  Heer.  v,  31.  II  allegue  done  un  ad- 
mirable passage  des  Psaumcs  (xi,  11  et  12), 
duquel  il  prelendail  conclure  que  Jesus  pou- 
vait  sans  aucun  danger  se  precipiter  du  haut 
du  temple,  Dieu  ayanl  promis  do  prendre  un 
soin  louL  special  de  ses  amis  {ut  conservent  : 
le  verbe  grec  Siaq)u>,d5at  est  Ires  expressif). 
S.  Bernard  (in  Psalm.  Qui  habitat,  Serm.  xv) 
refute  avec  vigueur  I'application  faite  par 
Satan  :  «  Scriplum,  inquit,  quoniam  angelis 
suis  mandavit  de  le...  Animadverlile  el  vi- 
dete  quoniam  subticuit  malignus  el  fraudu- 
lentus  quod  malignilalis  suae  commenta  dis- 
solverel.  Quid  enim  inandavii?  Nempe...  ut 
custodianl  le  in  omnibus  viis  luis.  Nuinquid 
in  praecipiliis?  Qualis  via  haec  de  pinnaculo 
tcmpli  mittere  se  deorsum?  Non  est  via  haec, 
sed  ruina  ».  —  Cette  fois,  c'esl  S.  Luc  qui 
rapporle  le  teste  biblique  de  la  maniere  la 
plus  complete. 

12.  —  Dictum  est.  S.  Matthieu  :  «  rursum 
scriptum  est.  »  —  Non  tentabis  Dominuiii... 
Nolre-Seigneur  indique  ires  neltemenl  par 
ces  mots  le  vrai  caractero  de  la  derniere  sug- 
gestion de  Satan.  Fairs  co  qu'on  demandait 
de  lui,  ce  serait  tenter  Dieu.  «  employer  la 
puissance  divine  au  service  d'un  caprice  »; 
or  il  ne  s'y  rdsoudra  jamais. 

13.  —  Epilogue  de  tout  le  recit.  S.  Luc,  il 
est  vrai,  ne  raenlionne  pas  les  anges  qui  s'ap- 
procherent  de  Jesus  oour  le  servir  des  que  le 


demon  sefut retire;  mais  en  revanche  il  nous 
fournit  deux  renseignements  particuliers  tout 
a  fait  instruclifs.  —  Premier  trait  :  Consum- 
mata omni  tentatione.  II  n'y  a  pas  d'arlicle 
dans  le  lexte  grec  ((yyvTeXeaas  TcavTairetpafffiov). 
Nous  traduisons  done  avec  la  pluparl  des 
exegeles  :  «  Quum  consummasset  omne  ge- 
nus lentationis.  »  Les  trois  lentations  spe- 
ciales  auxquelies Satan  avail  eu  recours  pour 
porter  Jesus  au  peche  embrassent  en  effet, 
comme  le  font  remarquer  les  moralistes,  le 
germe  et  I'abrege  de  toules  les  autres.  «  Tria 
sunt  ista  et  nihil  iuvenies  unde  tentatur  cu- 
piditas  humana  nisi  aut  desiderio  carnis,  aut 
desiderio  oculorum,  aut  ambitionesaeculi.  Per 
ista  tria  tentalus  est  Dominus  a  diabolo.  » 
S.  August.,  h.  1.  Cfr.  S.  Greg.  Horn,  xvi  in 
Evang.;  S.Thom.  Summa  Theol.,  p.  3,  q.  41, 
a.  4.  —  Second  trail  "  Recessit...  usque  ad 
tempus  loLXp:  xaipoO).  L'expression  est  signifi- 
cative :  Satan  ne  se  retire  que  pour  un  tempsl 
Quand  il  aura  trouvd  une  occasion  favora- 
bles  ou,  selon  d'autres,  quand  Dieu  le  lui 
permetlra,  il  reviendra  ceriainemenl  a  la 
charge,  car,  quoique  batlu,  il  est  loin  de  re- 
noncer  a  la  lulle.  Une  parole  de  Jesus,  Joan. 
XIV,  80,  nous  montre  que  sous  ce  «  temps 
opportun  »  nous  devons  voir  en  particulier 
celui  de  sa  douloureu-e  Passion.  Cfr.  S.  Bo- 
nav.,  de  Vita  Christi,  xiv.  —  Puissions-nous, 
dans  nos  lentations,  vaincre  toujours  comme 
noire  Mailre !  «  Ad  hoc  enim  pugnat  impe- 
rator,  ut  milites  discant.  »  S.  August.  Serm. 
cxxii,  2. 


i»  SECTION.  —  MINISTERS  DE  JESDS  EN  OALItBB. 
IV,    14-IX,   50. 

1 .  Retour  de  Jesus  en  Galilee  et  ooup  d'oeil 
general  sur  les  debuts  de  son  minist^re. 

IV,  14  el  15.  (Paiall.  Matlh,  iv,  12-17;  Marc,  i,  14-15; 
Joan.  IV,  43-45. 

14.  —  Avani  d'enlrer  dans  -s  details  du 
ministere   galileeo  de  J^siis,S.  Luc  decrit 


442 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


de  I'Esprit,  en  Galilee,  et  sa  renom- 
mee  se  repandit  dans  tout  le  pays. 


15.  Et  il  enseignait  dans  leurs 
synagogues  et  tons  lui  donnaient  de 
grandes  louanges. 

16.  Et  il  vint  a  Nazareth  ou  il 
avait  ete  nourri,  et  il  entra,  suivant 
sa  coutume,  le  jour  du  sabbat,  dans 
la  synagogue  et  il  se  leva  pour  lire. 


tute  Spiritus  in  Galilseam,  et  fama 
exiit  per  universam  regionem  de 
illo. 

McUlh.  4. 12;  Marc.  1,  U;  Joan,  i,  45. 

15.  EL  ipse  docebat  in  synagogis 
eorum,  et  magniticabatur  ab  om- 
nibus. 

16.  Et  venit  Nazareth,  ubi  erat 
nutritus,  et  intravit  secundum  con- 
suetudinem  suam  die  sabbati  in 
synagogam,  et  surrexit  legere. 

Matth   13,  5i,  Marc.  6.1. 


rapideiui  111  ici,  cl  d'une  manieie  tout  a  fait 
neuve,  I'aspecl  general  qu'il  eiit  durant  sa 
premiere  phase.  Voycz,  vm,  i-3,  quelque 
chose  d"analogiie.  —  Regressus  est  Jesus... 
in  Galilceam.  Le  Sauveur  avail  quitte  sa 
chere  Galilee  pour  aller  se  faire  baptiser  par 
le  Precursciir  :  il  y  renire  mainteiianl  apres 
une  absence  d'environ  six  mois  (voyez  I'E- 
vang.  selon  S.  Matlh.,  p.  87  et  s.).  L'arresla- 
tion  de  Jean-Baplisie  fut  roccasion  de  ce  re- 
tour  (comp.  Mattli.  iv,  42  et  Marc,  i,  14); 
mais  c'esl  in  virlute  Spiritus  sancti  qu'il  faui 
chercher  sa  cause  delerminante.  Gfr.  le  t.  1. 
L'evangelisle.  en  reiterant  cetle  reflexion, 
nous  donne  a  entendre  que,  dans  lout  ce 
qu'il  raconlera  desormais  louchant  Notre- 
Seigneur,  nous  devrons  voir  la  conduile  se- 
crete de  I'Esprit  divin.  —  Et  fama  exiit  per 
universam  regionem...  Los  debuts  de  I'acti- 
vile  messianique  de  Jesus  en  Galilee  fureut 
magnifiques.  A  peine  anivait-il  que  sa  re- 
nommee  remplissait  deja  tout  le  pays.  Tl  est 
possible  que  ce  detail  soit  une  anlicipalion 
sur  le  t-  15;  niais  le  prompt  enlhousiasme 
des  bons  Galileens  peut  tres  bien  s'expliquer 
aussi  par  le  bruit  des  miracles  que  Jesus 
avait  operes,  d'apres  le  quatrieme  Evangile, 
soit  a  Caaa,  soit  a  Jerusalem.  Cfr.  Joan. 
II,  1-H,23. 

45.  —  Et  ipse  docebat.  Get  «  ipse  »  est 
plein  d'emphase.  Quand  Jesus  se  presentait 
en  personne  dans  les  lieux  ou  sa  reputation 
I'avait  precede,  son  enseignement  lout  divin 
confirmait  la  bonne  opinion  qu'on  s'etait  for- 
mee  de  lui,  et  lui  gagnait  meme  de  noiiveaux 
suffrages.  II  n'y  avail  qu'unevoix  pour  chanter 
ses  louanges  :  magnificabatur  (d'apres  le  grec, 
«  magnificaius  »]  ab  omnibus.  II  est  vrai  qu'il 
8e  conteiitait  alors  d'annoncer  la  bonne  nou- 
veiie  d'une  manifere  generale,  c'esta-dire  le 
prochain  avenement  du  Messie  (Cfr.  Malth. 
IV,  47;  Marc,  i,  45);  rien  encore,  dans  sa 
predication,  ne  choquait  les  pr^jugds  du  peu* 
pie  :  il  n'avait  done  que  des  amis  en  com- 
meogant.   Mais    I'episode  de    Nazareth   va 


bientot  nous  montrer  le  levain  d'antagonisme 
se  remnant  des  cetle  epoque  centre  Jesus.  — 
In  synagogis  eorum,  c'esl-a-dire  «  Galilaeo- 
rum.  »  lei  encore  nous  avons  la  «  construclio 
ad  synesin.  »  Comp.  Malth.  iv,  23. 

2.  J6sus  k  Nazareth,  it,  16-30. 

Recil  dramaliqiie  el  vivant,  tpie  S.  Luc  te- 
nait  sans  doule  de  quelque  lemoin  oculaire. 
Nous  avon?  expose  dans  noire  rommenlaire 
surS.  Matlhieu,  p.  282  els.,  ladifficulle  d'har- 
monie  qu'd  occasionne.  Mainlenanl  comme 
alors,  malgre  la  similitude  des  fails,  nous 
croyons  a  I'existence  d'une  double  visite  faite 
par  Notre-Seigneur  Jesus- Christ  a  ses  conci- 
toyensde  Nazareth.  Voyez  Wieseler,  Chronoi. 
Synopse,  p.  284  et  s.;  Tischendorf,  Synopsis 
evangel.,  p.  xxxii,  §  54.  S.  Luc  relate  la  pre- 
miere ;  S.  Malthieu  el  S.  .Marc  racontenl  la 
seconde.  De  partttd'autre  la  chronologie  est 
trop  bien  marquee  pour  qu'on  puisse  identi- 
fier les  fails. 

16.  —  Venit  Nazareth.  Sur  cette  localite 
non  moins  graeieuse  que  celebre,  voyez  I'E- 
vang.  selon  S.  Malth.  p.  63.  C'esl  la  que  Jesus 
avail  ete  eleve  [nutritus];  nous  avons  vu  en 
effet  (n,  39-52;  comp.  Matih.  ii,  23)  que  la 
plus  grande  partie  de  son  enfance  et  toute 
sa  jeunesse  s'etaienl  passees  a  Nazareth.  — 
Intravit  secundum  consuetudinem  suam  (xari 
TO  £tw9o;  aCiTu)  du  lexle  grec  est  une  belle  tour- 
nure  antique).  Precieux  detail  sur  la  vie  reli- 
gieuse  de  I'Homme-Dieu  durant  sa  longue  re- 
traite  de  irente  ans.  Car  nous  ne  pensons  pas 
que  la  coutume  mentionnee  par  I'evangeliste 
se  rapporie  seulement  aux  debuts  du  minis- 
tere  public  de  Jesus  (t.  loj.Le  contexte  («  ubi 
erat  nutritus  »)  exige  un  temps  plus  conside- 
rable. Les  enfanls  elaienl  du  reste  astreints 
cl  la  frequenlalion  des  synagoguis  a  partir 
de  leur  ireizieme  annee.  —  Die  sabbati  in 
synagogam.  Sur  ce  jour  et  sur  ce  local  spe- 
cialement  consacres  au  culte  juif  voyez  JE- 
vang.  selon  S.  Malthieu,  p.  94,  Buxtorf,  de 
Synag.  Judmor.,   c.    x;   Jahn,   Archaeolog. 


CHAPITRE  IV 


17.  Et  traditus  est  illi  liber  Isaiae 
prophetae.  Et  ut  revolvit  librum, 
invenit  locum  ubi  scriptum  erat  : 


17.  Et  on  lui 
prophete    Tsa'ie. 


113 

donna  le  livre  du 
Et    lorsqu'il    eut 


deroule  le  livre  11  trouva  I'endroit 
oh  il  elait  ecrit : 


^344  et  397.  Dans  I'humble  boiirg  de  Naza- 
reth il  n'y  avait  qu'une  synagogue,  comme 
I'indique  I'arlicle  du  lexle  grec,  el;  Triv  suva- 
"YWYT^v.  —  Surrexit  legere  (plus  correctpment 
«  ut  legeret,  ad  legendum  »  :  on  a  copie 
servilement  la  phrase  grecque).  Non  s.nilo- 
ment  tout  est  graphique  dans  la  description 
de  S.  Luc,  mais  lout  y  est  aussi  de  la  plus 

f>arfa;te  exaclilude,  comme  nous  le  prouvent 
es  renseignemenls  archeologiques  parvenus 
jusqu'a  nous.  Assis  lout  d'abord  parmi  les 
assistants,  Jesus  se  leva  pour  faire  la  lec- 
ture de  la  Bible,  qui  a  loujours  forme  le 
fond  du  culte  des  synagogues.  On  se  tenail 
en  cffet  dobout  pendant  cotle  lecture,  par  res- 
pect pour  la  parole  in^piree.  Cfr  Neh.  viii,  4 
et  5.  Le  Rosch-hakkeneceth  (presidonl  de  la 
synagogue)  I'avait-il  invite  ce  jour-la  d'une 
maniere  expresse  a  remplir  les  fonclions  de 
Maplitir,  c'esl-a-dire  de  lecteur,  selon  la  pra- 
tique habiluelle?  ou  bien  s'offrait-il  de  kii- 
meme,  ainsi  que  le  pouvait  tout  Israelite 
honorable?  Celte  seconde  hypolhese  nous 
parait  plus  conforme  aux  expressions  de 
S.  Luc.  Dans  I'un  ou  I'autre  cas ,  voila  que 
Notre-Seigneur  gravit  les  degre  de  la  Bimah 
ou  tribune  situee  aupres  du  petit  sanctuairu' 
de  la  synagogue. 

■17.  —  Traditus  est  illi  liber  Isaice.  Chaquo 
?amedi  on  lisait,  et  on  lit  encore  chez  les 
Juifs,  deux  passages  de  la  Bible  :  le  premier 
se  nommail  Paraschah  [nVJ'^'D' \  le  second, 
exlrait  des  Propheles.  elait  appele  Haphtarah 
{niTSSn).  Puii^qu'on  presente  a  Jesus  le  livre 
{le  grec  porle  simplcment  piSXtov  sans  article, 
c'esl-a-dire  'me  copie,  un  exemplaire)  des 
propheties  d'lsaie,  c'est  done  que  la  Para- 
schah  avait  ete  lue,  et  qu'on  etaii  alors  airive 
a  la  derniere  partie  de  la  ceremonie,  qui  se 
concluait  en  effet  par  I'Haphlarah  litteral. 
acle  de  congedier).  —  Ayant  regu  le  livre 
(ici  t6  pt6).tov)  des  mains  du  Chazzan  ou  sa- 
crislain  de  la  synagogue  (rOmoperr,;  du  t.  20), 
Jesus  I'ouvrit,  ou  mieux  il  le  deroula,  revolvit 
(ivaitx'j^a; *,  les  manuscrits  A,  B,  L,  Z,  le 
copie  et  le  syriaque  ont  par  erreur  avoi^a?), 
car  les  livres  lilurgiques  chez  les  Juifs  ont 
loujours  consiste  en  mombranes  de  parclie- 
min  cousu!  s  boul  a  bout  et  roulees  aulour 
d'un  ou  deux  batons  plus  ou  moins  oi  ties. 
C'est  pour  cela  qu'on  les  appelait  Meghdlah, 
rouleau.  Telle  est  d'ailleurs  la  forme  primi- 
tive des  livres  [«  volumina  »,  de  «  volvere  »), 
quoique  les  «  libri  »  proprement  dils,  com- 
poses de  feuilles  carrees  ou  rectangulaires 

S.  Bible  S. 


placees  I'une  sur  I'autre  («  codices,  tabulae  »), 
fussent  connus  des  avant  I'epoque  de  Notre- 
Seigneur.  Les  louleaux  bibliques  sonl  parfois 
enoim-s,  et  parconsequenttres  incommodes. 
M.  Scliegg,  dans  une  note  inleressaiite  ;Evang. 
nach  Lukas,  t.  I,  p.  214^  en  decril  un^  conte- 
nanl  les  Parasches,  qui  n'a  pas  moins  de 
138  pieds  de  long  sur  2  de  large,  el  qui  pese 
11  livres  1/2.  Pour  obvier  aux  inconvenients 
d'un  lei  poids  et  de  telles  dimensions,  on  di- 
visait  souvent  les  «  volumes  »  en  plusieurs 
tomes,  qui  conlonaient  chacim  une  partie 
dislincte.  C'est  ainsi  que  Jesus  regnt  une 
Meghillah  specialcmeni  rescrvee  a  Jiai'e  : 
d'oii  \\  suit  que  I'Hafihiarah  de  ce  jour  devait 
elre  prise  dans  l(  s  oracles  du  fils  d'Araos.  — 
Invenit  locum...  Le  divin  Mailre  choisit-il  de 
lui-meme  oe  passage?  ou  bien  otaii-il  fixe 
pour  la  lecture  du  jour?  Comme  les  Juifs  le 
iisent  actuellement  pour  la  fete  du  «  loin 
Kippour  »  ou  de  I'cxpiation,  divers  auteurs  out 
suppose  qu'on  celebrait  alors  cette  solennilii. 
Mills  il  est  aise  de  It  ur  demonlrer  que  I'ordre 
actuel  des  Haphtarah  est  loin  de  lemontcr 
au  temps  de  Jesus  (comp.  Zunz,  Gotles- 
dienstl.  Vortraege  der  Juden,  p.  6).  Revenant 
a  la  question  proposee,  il  nous  semble  plus 
nalurel  de  conclure  de  I'expression  employee 
par  S.  Luc,  eype,  «  il  irouva  »,  que  Jesus,  ea 
deroulant  le  volume,  tomba  providenlielle- 
ment  sur  une  colonne  consacree  au  cha- 
pilre  LXie,  el  s'y  airela  pour  en  lire  les  pre- 
mieres lignes.  Rien  ne  pouvait  eiie  mieux 
appropi  ie  a  la  circonstance,  car  si  un  passage 
relaiif  a  la  descenle  royale  du  Missie,  a  ses 
prerogatives  judiciaires,  a  sa  puissance  irre- 
sistible, eut  ele  peu  en  rapport  avec  les  pre- 
juges  de  I'assomblee,  un  texte  qui  developpe 
son  role  paciTique  et  humble,  sa  condescen- 
dance  el  sa  douceur,  convenait  au  contraire 
admirablement ;  or,  dans  celui  que  trouva 
Jesus,  le  «  Christus  consolalor  »  est  peint  au 
vil  avec  toules  ses  divines  amabilites.  avec 
sa  predilection  pour  les  pelits  el  les  afHiges, 
eu  ineme  temps  qu'avec  I' s  graces  qu'il  a 
regues  du  ciil  pour  apportor  le  bonhpur  k 
tons.  S.  Luc  citi>  ces  paroles  d'lsale  d'apres 
la  traduction  des  LXX,  raais  avec  quelques 
varianles  remarquables,  ainsi  qu'il  arrive 
presque  loujours  quand  un  fragment  de  I'An- 
cien  Testament  est  insere  dans  les  ecrils  du 
Nouveau.  Jesus  les  lut  en  hebreu,  et  le  me- 
turgheinan  ou  interprete  en  donna  probable- 
menl  la  Iraduclion  en  arameen,  I'idiorae  parle 
alors  dans  toute  la  Palestine. 
Lnc.  —  8 


ill 


^VANGILE  SELON  S.  LUC 


18.  L'Esprit  du  Seigneur  est  sur 
moi,  c'est  pourquoi  il  m'a  oint  el 
m'a  envoye  evangeliser  les  pauvres, 
guerir  ceux  qui  ont  le  coeur  brise, 

19.  Annoncer  aux  captifs  leur 
delivrance  et  auxaveugles  le  recou- 
vremeiiLde  la  vue,  mettre  en  liberie 
ceux  qu'ecrasent  leurs  fers,  publier 
I'annee  salutaire  du  Seigneur  et  le 
jour  de  la  retribution. 


18.  Spiritus  Domini  super  me  :: 
propter. quod  unxit  me,  evangeli- 
zare  pauperibus  misit  me,  sau.are 
contritos  corde, 

Isal.  61,  1. 

19.  Prsedicare  captivis  remissio- 
nem,  et  csecis  visum,  dimittere  con- 
fractos  in  remissionem,  prsedicare 
annum  Domini  acceptum,  et  diem, 
retributionis. 


48  et  19.  —  Spiritus  Domini  super  me. 
Des  ces  premiers  mols  nous  troiivons,  comme 
aimaienl  a  le  dire  les  anciens  auleurs,  I'lndi- 
calion  fJes  Irois  pcrsonnes  divines  :  le  Pere, 
marque  par  «  Doininus  »  (Jehova  du  lexte 
hebrcu),  le  Fils  («  super  me  »),  qui  ne  dif- 
fere  pas  du  Messie,  el  I'E^prit  Saint.  Qui, 
mieux  que  Jesus,  pouvait.  s'appliquer  de  lelles 
chosi's?  Gomp.  1>.  xi,  2;  xlii,  2.  Voila  la 
qua! nemo  fois,  depuis  !e  conimencement  de 
ce  cliapitre,  qu'on  nous  ie  montre  possedant  la 
plenitude  de  I'Espi  it  de  Dieu  I  — Propter  quod 
unxit  me.  La  locution  conjonclive  du  latin, 
de  meuie  que  ou  gvexev  du  texte  grec,  equi- 
vaut  simplemenl  a  «  quia  »  (vjf  de  I'hebrcu). 
La  preuve  que  I'Esprii  Saini  dirige  le  Christ 
est  manifesto  :  n'a-t  il  pas  abondamment  re- 
pandu  sur  lui  son  onction?Il  y  a  ici,  dans 
le  lexte  primilif  comme  dans  la  traduction 
grecque,  uu  jeu  de  mols  inleressant  :  Messie 
vienl  de  nU7D  [maschach),  «  unxit  »,  de  memo 
que  Christ  derive  de  XP'*^'  Toutefois,  c'est 
au  moral  qu'il  faut  entendre  cette  onclion  du 
Messie  :  elle  designe  une  destination  sainte, 
une  consecralion.  Jesus  venait  de  la  recevoir 
au  bapteme.  Comp.  Act.  iv,  27.  —  La  suite 
de  la  cilation  caracterise  d'une  maniere  su- 
blime I'ceuvre  misericordieuse  du  Christ,  au 
moyen  d'expressions  a  peu  pres  synonymes, 
donl  la  repetition  emphalique  est  du  plus  bel 
effet.  Dieu  a  done  envoye  son  Messie  sur  la 
terre  pour  annoncer  la  bonne  nouvelle  (evmi- 
gelizare,  iW^h)  aux  pauvres,  generalement 
oi  delaisses ;  pour  guerir  les  coeurs  brises,  el 
il  y  en  a  taut  en  ce  monde  [sanare  contritos 
corde,  proposition  aulhenlique  quoiqu'elle 
manque  dans  plusieurs  documents  important?, 
lels  que  les  manuscrits  B,  D,  L,  Z,  Sin.,  et 
les  versions  cople,  armen.,  elhiop.,  ilal.) ; 
ponr  crier  aux  captifs  qu'ils  sent  libres  [re- 
missionem =  «  dimissionem  »),  aux  aveugles 
qu'ils  voient  (liUeral.,d'apres  I'hebr.eu,  «  aux 
enchaines  une  ouverlure  » :  les  prisonniers 
longiemps  plonges  dans  d'obscurs  cachols,  et 
enlin  delivres,  sont  assimilespar  la  traduction 
Alexandrine  a  des  aveugles  qui  recouvrent 


subitement  la  vue) ;  enfin  pour  prdcher  annum 
Domini  acceplum,  I'annee  loule  aimable  de 
Jehova  :  Sexto;  du  texte  grec,  que  la  Vulgale 
Iraduit  servilement,equivauteneffet  aapeoto? 
(comp.  \et.  24).  Isaie,  par  cesderniers  mols, 
faisait  allusion  a  I'annee  jubilaire,  qui,  en  re- 
mettant  toules  les  deltes,  et  en  rendant  la 
liberie  a  lous  les  esclaves.  faisait  cesser  tant 
de  douleurs!  Voyez  Lev.  xxv,  8  et  ss.  Le 
jubile  de  TEvangile  est  mille  fois  plus  aimable, 
car  il  remet  dcsdetles  autrement  ecrasantos, 
il  brise  des  chaines  aulrement  lourdes,  les 
deltes  et  les  chaines  du  peche!  —  Pour  avoir 
pris  irop  k  la  lellre  cette  «  douce  annee  du 
Seigneur  »,  divers  ecrivains  ece.lesiasiiques 
de  I'anliquite,  lels  que  Clement  d'Alexandrie, 
Strom,  i;  Ongene,  de  Princip.  iv,  5;  Tertul- 
lien,  conlr.  Jud.  8;  Laclance,  Instit.  Div.  iv,  iO 
(comp.  S.  August,  de  Civ.  Dei,  xviii,  54),  et 
plusieurs  sectes  bereliques  (les  Valentiniens 
et  les  Alogi;  voyez  Hase,  Leben  Jesu,  p.  21) 
ont  cru  a  lort  que  le  minislere  public  de 
Notre-Seigneur  Jesus-Christ  n'avail  pas  dure 
au-dela  d'un  an.  On  refute  aisement  cette 
opinion  a  I'aide  de  la  tradition  et  des  textes 
evaiigeli(|ues.  Voir  lechapitre  do  noire  Intro- 
duciiou  generale  relalif  a  la  Chronologie  des 
Sainls  Evangiles,  et  Winer.  Bibl.  Realwoer^ 
terbuch,  I.  1,  p.  568  de  la  3e  edit.  —  La  iigne 
dimittere  confractos  in  remissionem  ne  fait 
point  partio  du  chap.  LXie  d'lsaie;  niais  on 
la  Irouve  un  peu  plus  haul,  lviii,  6  (Vulg. 
H  dimille  eos  qui  confructi  sunt  liberos  »). 
S.  Luc,  citant  de  memoire,  I'aura  inseree  ici 
a  cause  de  la  ressemblance  des  pensees.  — 
Quant  aux  mots  et  diem  retributionis,  quoi- 
qu'ils  apparliennent  au  texte  du  prophele,  il 
est  probable  qu'ils  ont  ete  ajoules  en  eel  en- 
droii  par  suite  d'une  erreur  des  copistes,  car 
40  ils  manquent  dans  le  lexte  grec  de  S.  Luc 
ainsi  que  dans  plusieurs  versions;  2°  comme 
ilsexpriment  une  idee  terrible,  annongant  les 
vengeances  du  Seigneur  centre  les  impies,  ils 
ne  cadrent  pas  Ires  bien,  du  moins  dans  la 
situalion  decrite  par  I'evangeliste,  avec  le 
but  que  se  proposait  Notre-Seigneur.  Jdsus- 


CIIAPITRE  IV 


115 


20.  Et  cum  plicuisset  librum,  red- 
didit ministro,  et  sedit.  Et  oainium 
in  synagoga  oculi  erant  intendentes 
in  eum. 

24.  Coepit  autem  dicere  ad  illos  : 
Quia  hodie  impieta  est  hsec  scrip- 
tura  in  auribus  veslris. 

22,  Etomnes  testimonium  illi  da- 
bant  :  et  mirabantur  in  verbis  gra- 
tiae  qnse  procedebant  de  ore  ipsius, 
et  dicebant  :  Noune  hie  est  filius 
Joseph? 

23.  Et   ait  illis  :   Utique  dicetis 


20.  Et  lorsqu'ii  eut  replie  le  livre 
il  le  rendit  an  ministre  et  s'assit.  El 
tons  dans  la  synagogue  avaient  les 
yeux  fixes  sur  lui. 

21.  Et  il  commenca  a  leur  dire : 
Aujourd'hui  s'est  accomplie  cette 
Ecriture  que  vous  venez  d'entendre. 

22.  Et  tous  lui  rendaient  temoi- 
gnage,  et  ils  admiraient  les  paroles 
de  grace  qui  sortaient  de  sa  iDouche 
et  disaient :  N'est-ce  pas  la  le  fils  de 
Joseph? 

23.  Et  il  leur  dit  :   Sans  doute 


s'arreta  done  apres  «  annum  Domini  accep- 
tuin  »,  de  maiiiere  a  n'avoir  quo  des  choses 
graciouscs  a  developper  d(>vanl  ses  conci- 
toyens  de  Nazaielh.  —  Habiluellement,  il 
est  vrai,  le  maphlir  lisail  21  versels  des  pro- 
pheles;  mais  il  arrivail  aussi  qu'on  se  con- 
teniSt  d'en  lire  Irois,  cinq  ou  sepl.  Jesus 
profila  de  celle  lalilude. 

20.  —  Les  details  de  ce  verset  sonl  tous 
exlrememenl  pitioresques ;  c'est  un  tableau 
vivanldu  peinlre  S.  Luc.  En  avant,  nous  con- 
templons  le  heros  de  la  scene,  el  tout  autour 
les  spectaleurs.  Cliacun  des  gestes  de  Jesus 
est  decril  :  sa  lecUne  acheveo.  lo  il  roula  la 
Meghillah  (quum  jiliruiiset  librum;  le  grec 
porle  nTO^a?  to  ptoXt'ov,  «  quura  revoivij^sei.  li- 
brum »  :  c'esl  le  coirelatif  de  avaTiTu^ai;  du 
t.  n);  20  il  la  rendil  au  Chazzan  (ministro) 
qui  la  replaga  aussilol  dans  I'arclie  sainle 
(thebah)  situee  au  fond  du  saiicluaire;  3o  il 
s'assit  dans  la  chaire  du  lecleur,  monlrant 
ainsi  qu'il  allail  prendre  la  parole  pour  expli- 
quer  lo  texle  qu'il  venail  de  lire.  —  L'audi- 
loire  est  vivcmenl  iuipressioue  :  omnium... 
oculi  eranl  intendentes  fd-rsvi^ovTe?  du  grec  est 
encore  plus  expressif)  in  cum.  Tous  les  re- 
gards sonl  fixes  sur  Jesus.  Cliacun  des  assis- 
tants sedemande  ce  que  pourra  bien  dire,  sur 
un  texle  aussi  remarquable.  ce  jeune  hommo 
qui  n'a  paru  jusqu'alors  dans  le  pays  que 
comme  un  humble  charpeulier,  maisqui  s'esl 
distingue  aux  alenlours  par  sa  predication  et 
par  ses  miracl-es. 

21 .  —  Quel  commenlaire  tout  divin  Jesus  ne 
dul-il  pas  faire  des  paroles  d'lsaii'  1  Toutcfois 
il  n'a  pas  plu  a  I'Espril  Saint  de  nous  le  con- 
server.  S,  Luc  n'on  donne  que  I'exorde  [coepit 
dicere],  qui  duletre  en  merrn^  temp^  le  theme 
du  discours  de  Notre-Seigneur  :  Quia  hodie 
implelaest...  «  Quia  »  est  redondant;  «liodie» 
plein  d'empliase;  «  impieta  est  »  ne  designe 
pas  uno  simple  accommodation,  mais  un 
accomplissement  lilteral  et  parfail.  In  auri- 
bus vestris  est  un  hebrai'sm ;  pour  «  vobis  au- 


dientitus  »  :  au  moment  meme  ou  Jesus 
lisail  aux  habitants  de  Naziii  elh  la  proplietie 
d'lsaie,  elle  Irouvail  sa  realisation;  I'Evan- 
gile  etait  preche  par  le  Messie.  L'interpreta- 
lion  d'Eulhymius,  de  Paulus,  de  Rosen- 
miiller,  etc.,'«  scriplura  haec  quam  audivis- 
lis  ».  est  done  tres  inexacte. 

22.  —  L'ecrivain  sacre  decril  avec  force 
I'effel  produit  par  le  discours  de  Jesus. 
Omnes  testimonium  illi  dabant :  c'esl-^-diro 
que  tous  louaiont  le  celeste  oraleur^tJ^apTup£tv 
est  employe  dans  ce  sens  par  Philon,  Josephs 
el  meme  les  classiques)  et  mirabantur...  Eiil- 
il  ete  possible  de  ne  pas  admirer,  de  ne  pas 
louer?  «  Les  paroles  qui  sortaient  de  la 
bouche  de  Notre-Seigneur  »  (ox[)ression  lr6s 
eleeante)  n'etaient-elles  pas  remplies,  el  pour 
le  fond  et  pour  la  forme,  d'une  grace  surna- 
trjrellc  que  rien  n'avait  egale  jusqu'alors'^ 
«  Diffusa  est  gratia  in  labiis  luis,  »  propheti- 
sail  de  lui  le  Psalmisle,  Ps.  xliv,  3,  et  ses 
ennemis  eux-memes  reconnaitront,  Joan. 
VII,  46,  que  personne  ne  savait  parler  comme 
lui.  Voir  sur  I'eloquence  de  Jesus-Chrisl 
I'Evang.  selon  S.  Matth.  pp.  96  el  s.  —  Et 
dicebant.  C'esl  a  bon  droit  que  Fr.  Luc  ajouUi^ 
a  la  conjonclion  «  el  »  une  pariicule  adver- 
sative :  «  et  tamen.  »  A  la  suite  du  discours 
qu'ils  avaienl  enlendu  el  justemenl  admire, 
les  assistants  auraient  du  acclamer  d'une 
seule  voix  Jesus  comme  le  Messie.  Mais  voici 
qu'une  reflexion  loule  humaine  transformo 
soudain  leuis  sentiments  :  Nonne  hie  est 
filius  Joseph?  lis  se  rappellent  que  celui  qui 
vii  nt  di'  k'ur  parler  n'est  que  le  fils  du  pauvre 
charpcntier  Joseph,  qu'il  n'a  regu  aiicunc 
education,  et  aussitol  leur  foi  naissante  fait 
place  a  la  plus  complete  incredulite.  Ils  re- 
iusent  de  reconnaitre  a  Jesus  une  mission 
venue  d'en  haul  parce  qu'il  etait  de  condition 
obscure. 

23.  —  Et  ait  illis.  Jesus  a  rem<jrque  le 
changoraent  qui  s'est  opdre  dans  I'assislance  : 
peut-elre  meme  a-t-il  enlendu  les  expres- 


I 


116 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


vous  me  direz  celte  similitude  : 
■VIedecin,  gueris-toi  toi-meme;  ces 
grandes  choses  faites  a  Gaphar- 
naiim,  dont  nous  avons  entendu 
parler,  fais-les  ici  dans  ta  patrie. 

24.  Et  il  ajouta  :  En  verite  je  vous 
disqu'aucun  prophete  n'est  accueilli 
dans  sa  patrie. 

25.  Je  vous  le  dis  en  verite  :  il  y 
avait  beaucoup  de  veuves  en  Israel 
aux  jours  d'Elie,  lorsque  le  del  fut 


mihi  hanc  similitudinem  :  Medice, 
cura  teipsum  :  quanta  audivimus 
facta  in  Capharnaum,  fac  et  hie  in 
patria  tua. 

24.  Ait  autem  :  Amen  dico  vobis, 
quia  nemo  propheta  acceptus  est  in 
patria  sua. 

25.  In  veritate  dico  vobis,  multae 
viduse  erantin  diebusElise  in  Israel, 
quando  clausum   est  coelum  annis 


sioris  dedaigneiises  qui  circiilaient  a  son 
egard,  les  Juifs  tie  se  gonant  giiere  pour  ma- 
nifesler,  meine  an  sein  des  asseiiiblees  reli- 
gieuses,  Icurs  dispo.-ilions  hoslile-;  on  bien- 
veiltentes  (Cfr.  Farrar,  Life  of  Christ,  l.  I, 
p.  224  de  la  23e  edit  ).  li  prend  de  nouveau 
la  parole  pour  y  repondre.  —  Utiqae  (TtavTui;, 
«  oranino,  ccrle  » ;  comp.  Act.  xxvm,  4) 
dicetis  mihi  hanc  similitudinem  (dans  le  groc, 
t91v  7tapa6o).riv  TauxTiv;  ici  le  mot  Parabole 
equivaiit  a  Provorbe.  Sur  ce  sens  large 
voycz  I'Evang.  selon  S.  Matlh.,  p.  2o7;  lout 
proverbe  conlient  una  comparaison).  Notre- 
Seigneur  suppo-e  done  que  sos  auditeurs 
meconlents  Uii  cilent,  par  mode  d'objeclion, 
le  provcibe  Medice,  cura  te  ipxum,,  que  I'on 
ne  rcnconlre  pas  sans  un  iiiteret  special  dans 
i'Evangile  du  o  Medicu?  carissitnus.  »  II  est 
d'ailleurs  frequemment  employe  non-seule- 
ment  par  les  Riibbins,  mais  aussi  par  les 
classiques  remains  et  grecs,  car  la  verite 
naive  et  mordanle  qu"ii  exprime  apparlient 
a  la  sagesse  p  pulaire  de  lous  les  tomps  et 
de  tous  les  pays.  «  Medice  sana  claudica- 
tionem  luam  »,  Tanchuma  in  Gen.  p.  61. 
«  Et  faleor,  medicu^  tnrpiter  aeger  eram  », 
Ovide,  dp  lie  amat.  316.  'A),),tov  Ix-cpb:,  aOxi; 
SXy.eai  Ppuwv,  Eurip.  Fr.  247.  «  Hanc  priraum 
tutare  domum  »,  Virg.  (ap  Sch(  gg,  h.  I.).  Ce 
mot  du  grand  poele  latin  indique  ties  bien 
la  signification  que  pouvait  avoir  noire  pro- 
verbe place  sur  les  levr(^s  dcs  rudes  habitants 
de  Nazareth.  «  Fais  d'abord  pour  les  liens, 
si  tu  V(ux  qu'ils  croient  en  ta  mission,  ce 
que  lu  operes  si  bien  pour  d'aulr.  s.  »  Au 
resle,  Jesus  ajoule  lui-memo  I'explication, 
en  conlinuant  de  parler  au  nom  de  ses  con- 
citoyens'  Quanta  audivimus  facta  in  Caphar- 
naum (ii'S  manuscrils  B,  D,  L,  etc.  ont  etc, 
en  faveur  de,  au  lieu  de  Iv  de  la  Recepta)... 
S.  Luc  n'a  metitionne  nulle  part  fncore  Io6 
miracles  que  Jesus  avait  accomplis  a  Caphar- 
naiiin  :  mais  celie  reflexion  suppose  qu'ils 
exislaient,eclalants  et  nombrcu\. 

24.  —  Ait  autem.  Souvent  S.  Luc,  comme 
parfois  S.  Marc,  emploie  cette  Tormule  au 


milieu  des  discours  de  Jesus.  Comp.  vi,  39; 
xii,  16;  XIII,  20;  xv,  11,  elc.  Elle  indique 
une  pause  rapide.  en  meme  lemps  qu"elle 
sort  a  mettre  en  relief  une  parole  du  divin 
Mailre.  Ici  elle  introduit  en  outre  la  reponse 
faile  par  Notre-Seigneur  a  I'objeclion  tacite 
de  ses  compatriotf  s.  —  Nemo  propheta  (pour 
«  nullus  propheta  »)...  C'est  la  preii)iere  partie 
de  la  reponse.  Au  proverbe  «  Medice  cura  to 
ipsum  »  Jesus  repond  par  un  aulre  proverbe. 
Celui  qu'il  choisit  ne  pouvait  etre  cile  plus 
a  propos,  puisque  les  liabiianis  de  Nazarelh 
refusaieiit  precisemcnt  ds  crcire  a  la  mission 
cel(  ste  du  Proplielc  qui  daignait  se  mettre 
en  communication  avec  eux.  Le  Sauveur  ex- 
pliquait  ainsi  pourquoi  il  n'avait  pas  fait  de 
miracles  dans  sa  palrie.  Quiconque  refuse  de 
recevoir  un  prophete  est-il  ( n  droit  de  se 
plaindreqiiecelui-ci  nelui  accorde  aucun  bien- 
fait  extiaordinaire?  Done  a  vous  la  faute,  et 
pas  a  moil  «  Ingrata  patria  »,  dit  une  sen- 
tence semblablo  des  Latins.  L'exemple  de 
Jeremie  a  Analhoth  (Cfr.  Jr.  xi,  21 ;  xu,  6^ 
ne  I'avait  que  trop  bien  monlre.  —  Acceptus, 
caique  sur  le  grec  Sexto;,  signifie  en  cet  en- 
droit  «  honore,  esiime.  »  Comp.  Matth. 
XIII,  57  et  s.;  Joan,  iv,  44  ;  .4ct.  x,  35. 

25.  —  Dans  les  tt.  25-27  le  Sauveur  jus- 
tifie  encore  sa  conduite  par  des  fails  em- 
prunles  a  I'histoire  des  deux  plus  celebres 
prophetes  d'Israel.  Elie  et  Elisee,  parmi  des 
circonslances  analogues  a  celle  ou  il  se  trou- 
vait,  n'avaienl  opere  aucun  prodige  en  faveur 
de  leurs  concitoyi-n-:,  landis  qu'ils  en  avaimt 
accompli  pour  dcs  elrangeis,  bien  plus,  pour 
des  parens.  —  Premier  exemple,  tif.  25  el  26. 
—  In  veritate,  lit'  a).Y)8£ta;,  est  une  locuti  >i> 
aimee  de  S.  Luc.  Cfr.  xx,  21;  xxii,  59; 
Act.  IV,  27;  X,  30  fS.  Maic  I'l-mploie  aus-i 
a  deux  reprises,  xii,  14,  32);  elle  equivaui  a 
«  amen ,  vere  ».  —  Quando  clausum  est 
coelum  :  belle  metaphore  pour  designer  un 
long  manque  de  pluie.  Cfr.  Gen.  vii,  2; 
II  Par.  VI, '26;  vii,  13.  La  secheresse  a  la- 
quelle  Notre-Seigneur  fait  allusion  est  men- 
lionnee  d'une  maniere  expresse  au  troisierae 


CHAPITRE  IV 


Ml 


tribus  et  mensibiis  sex,  cum  facia 
esset  fames  magna  in  omni  terra  : 

26.  Et  ad  nullam  illarum  missus 
est  Elias  nisi  in  Sarepta  Sidonise, 
ad  mulierem  viduam- 

HI  Reg.  7,  9. 

27.  Et  multi  leprosi  erant  in 
Israel  sub  Elisseo  propheta  :  et  nemo 
eorum  mundatus  est,  nisi  Naaman 
Syrus. 

irReg.5,  14. 

28.  Et  repleti  sunt  omnes  in  sy- 
nagoga  ira,  hsec  audientes. 

29.  Et  surrexerunt,  et  ejecerunt 


ferme  pendant  trois  ans  et  six  mois 
et  qu'il  y  eut  une  grande  famine 
sur  la  lerre; 

26.  Et  Elie  ne  fut  envoye  a  au- 
cune  d'elles,  mais  seulement  a  une 
femme  veuve  a  Sarepta  de  Sidon. 

27.  Et  il  y  avait  beaucoup  de  le- 
preux  en  Israel  du  temps  du  pro- 
Elisee,  et  aucun  d'eux  ne  fat  gueri, 
mais  seulement  Naaman  le  Syrien. 

28.  Et  ils  fiirent  tous  remplis  de 
colere  dans  la  synagogue,  en  enten- 
dant  ces  paroles. 

29.  Et  ils  se  leverent  et  le  reje- 


livre  des  Rois,  ch.  xvii  el  xviii.  Si'ultMiient, 
Jesus  en  fixe  la  duree  a  Irois  ans  el  deini, 
annis  tribus  et  mensibus  sex,  laiidis  que  I'An- 
cien  Teslainenl  (I.  c,  xviii,  1)  seinble  dire 
qu'elle  ne  fui  pas  meme  de  Itois  annees  com- 
pletes :  «  Factum  est  verbum  Domini  ad 
lilliam  IN  ANNO  TERTio  dicens  :  Vade,  et  os- 
tende  le  Achab,  ul  dem  piuviam  super  faciem 
terrae.  »  Mais  (des  ralionali:?tos  eux-memes 
I'admellenl)  il  n'y  a  pas  la  une  veritable 
antilogie;  car  il  put  s'ecouler  un  certain 
temps  encore  avant  qu'Elie  allat  Irouver 
Achab  el  fit  cesser  la  secheresse.  Voyez 
Ligliifool,  Hor.  h^br.  in  h.  1.  II  nous  resle 
done  assez  de  latitude  pour  Irouver  six  ou 
huit  mois.  S.  Jacques,  v,  17,  cite  d'ailieurs 
tout  a  fait  les  memes  cliitiVes  que  le  Sauveur, 
preuvo  que  la  tradition  juive  les  avait  dopuis 
iongtemps determines. La  varianteeTiiexyiTpia, 
qu'on  lit  dans  plusieurs  manuscriis  el  ver- 
sions, pourrait  bien  avoir  ele  creeo  lout 
expres  en  vue  de  faciliter  la  solution  de  ce 
petit  probleme  exegelique.  —  In  omni  terra 
est  une  hyperbole  populaire  pour  designer 
la  Palestine. 

26.  —Ad  nullam  illarum  missus  est  Elias. 
Detail  interessanl,  que  nous  aurions  ignore 
sans  Jesus  ;  en  effet,  si  I'histoire  sainte  parle 
tout  au  long  de  la  veuve  de  Sarepla,  elle 
n'ajoule  pas  que  seule  elie  ful  I'objei  de  I'in- 
tervention  miraculeuse  du  prophete  Elie.  — 
Sarepta  etail  un?  bourgado  phenici^^nne  bSlie 
sur  les  bords  de  la  Mediterranee,  k  peu  pres 
k  egale  distance  de  Tyr  et  de  Sidon.  Voyez 
V.  Ancessi,  Atlas  geogr.  pi.  XVI;  R.  Rie'ss, 
Atlas  de  la  Bible,  pi.  IV.  L'epilhete  Sidonice 
(mieux  «  Sidonis  »  d'apres  le  texte  grec) 
prouve  qu'elle  dependait  de  celte  derni^re 
ville.  Son  nom  hebreu  etail  Zarpal.  Non  loin 
de  son  antique  emplacement  s'eleve  aujour- 
d'hui  le  petit  village  de  Surafend. 


27.  —  Second  exemple,  tire  de  ia  vie 
d'Elisee.  Voyez  les  deiails  au  qualrieme  livre 
des  Rois,  ch.  v.  —  JHulti  erant  leprosi.  Sur 
la  multiplicite  des  lepreux  a  cetle  epoque, 
comparez  Ibid,  vii,  3  et  ss.  —  Sub  Elisceo 
propheta  est  unn  formule  equivalant  a  «  in 
diebus  Eliae  »,  t-  25.  Cfr.  iii,  2  ;  Marc,  ii,  26  ; 
Act.  XI,  28,  etc.  Les  prophetes  celebres,  de 
mSme  que  les  pretres  et  les  rois,  servaient 
a  marquer  les  principales  periodes  de  I'his- 
toire juive.  —  Mundatus  est  :  termo  th^o- 
cratique  pour  designer  la  guerison  de  la 
lepre,  cette  maladie  rendant  impurs  au 
point  de  vue  legal  les  malheureux  qu'elle 
alleignait.  —  De  ce  second  fail,  aiusi  que 
du  premier,  il  resultail  d'une  fagon  tres  evi- 
denle  que  les  faveurs  celestes  ne  sont  nulle- 
monl  restreinles  a  telle  ou  telle  zone  geogra- 
phique  :  elles  accompagncnl  la  foi  et  non  la 
nationalile.  Que  l-s  habitants  de  Nazareth 
croienl  done  en  Jesus,  el  il  fera  des  prodiges 
chez  eux  comme  i\  en  a  fait  a  Gapharnaiim. 

28.  —  Ce  verset  signale,  comme  le  22e, 
I'efTet  produil  par  les  paroles  de  Jesus;  mais 
quel  contiasle!  «  Omnes  testimonium  illi  da- 
bant  »,  repleti  sunt  omnes...  ira.  C'est  que, 
en  tous  licux.  «  Veritas  odium  paril.  »  Quoi- 
qu  •  Jesus  n'lut  pas  fail  directcm  inl  a  ses  au- 
diteurs  I'applicalion  des  exemples  qu'il  avait 
signales,  ils  comprirenl  sans  peine  le  rappro- 
chement. Vaudrions-nous  done  moins,  se  di- 
renl-ils,  que  la  paienne  de  Sarepla,  que  I'im- 
pur  Naaman?  Cetle  pensee  les  remplit  aus- 
silol  de  rage.  On  sail  que  les  Galil^ens  ^talent 
des  liorames  violenls,  passionnes.  «  Leurs 
cceurs  etaient  souleves  par  des  temp^les  aussi 
soudaines  que  celles  qui,  en  un  moment, 
mellent  en  furie  la  surface,  calme  comme  un 
miroir,  de  leur  beau  lac.  »  Farrc  r,  Life  of 
Christ,  t.  I,  p.  227  de  la  23e  edition. 

29.  —  Surrexerunt,  el  ejecerunt...  (dSe'SaXov, 


418 


EVANGILE  SRLON  S.  LUC 


terent  hors  de  la  ville  et  le  mene- 
rent  jusqu'aii  sommet  du  mont  sur 
leqiiel  leur  ville  etait  batie,  pour  le 
precipiter. 

30.  Mais  lui,  passant  au  milieu 
d*eux,  s'en  alia. 


ilium  extra  civitatem  :  et  duxerunl 
ilium  usque  ad  supercilium  mentis 
super  quern  civitas  illorum  erat  sedi- 
ficata,  ut  prsecipitarent  eum. 

30.  Ipse  autem  transiens  per  me- 
dium illorum,  ibat. 


mot  energique),  et  duxenint.  Admirons  en 
passant  la  rapidite  du  recil  :  elle  reproduil 
le  caractere  tragiqu  >  des  fails.  La  synagogue 
de  Nazarolh  fuL  done  teinoin  d'line  scene  at- 
freuse.  Deux  ou  irois  voix  poussenL  un  cri  de 
raorl  contre  Jesus  :  touie  I'assemblef  serallie 
aussitol  a  ce  projel  sanguinaire;  des  mains 
brutales  saisissent  Notie-Se'igneur.  On  a 
pourlant  assez  de  sang-froid  pour  ne  pas 
execuler  sur  place  Taffreux  atlenlal.  Ces  for- 
cenes  irainent  leur  victime  hors  d.-  I'enceinle 
sacree,  puis  hors  de  la  ville.  Les  voila  bientoL 
aupres  du  s!//)?rci/a(Ht  (expression  tresclassi- 
que;  Comp.  Yiig.  Geoig.  i,  iOS  :  de  meme 
69pu;  du  lexle  grec)  montis  super  quern  civi- 
tas... "rat  cedi(icata.  Le  genre  desuppiice  qu'il 
veule  "ifliger  a  Jesus  esl  maiiilenant  ma- 
nifesto »!i;  TO  xaTaxpriijLviGai  auTov  [ut  prwci- 
pilarent  eum);  il  elail  assez  usile  chez  lous 
les  peuples  d'alors,  et  I'histoire  juive  en  con- 
lenait  un  terrible  example.  Clr.  II  Paral. 
XXV,  12.  L'S  giacieuses  montagnes  qui  en- 
lourent  Nazareth,  en  particulier  le  Djebel  es- 
Sich  sur  le  versanl  duquel  s"appuie  et  s'eiage 
la  cite  de  Jesus,  renfermenl  plus  d'un  rocher 
a  pic  parfaitement  approprie  aux  intentions 
homicides  de  la  foule.  Gelui  que  I'on  designe 
au  moins  depuis  I'epoque  des  croisades  sous 
le  noni  de  «  Mons  piaecipitalionis  »  presents 
un  aspect  grandiose  et  terrible.  Voyez  Schegg, 
GedenkbucheinerPilgerreise,  t.  II.  p.  131  e^s. 
Sur  la  route  qui  y  conduit,  le  pelerin  coniem- 
ple  avec  emotion  les  ruines  de  i'eglise  «  del 
Tremore)),  batie  autrefois  a  I'endroil  oil  Marie 
serait  accourue  desolee  en  apprenant  le  sort 
qu'on  reservait  a  son  divin  Fils.  II  est  vrai 
que  le  «  Mons  praecipilationis  »  est  silue  a 
3200  metres  de  la  ville,  distance  qui  semble 
un  peu  longue  vu  les  circonslances.  C'est 
pourquoi  beaucoup  de  voyagcurs  lui  subsli- 
tuent  un  rocher  perpendiculaire,  haul  de 
40  a  30  pieds,  qu'on  voit  aupres  de  I'Eglise 
des  Maroniles,  loul  a  fait  sur  les  limites  de 
Nazareth.  Voyoz  Sepp,  Jerusalem  u.  das  h. 
Land.  I.  II,  p.  88  ;  Robinson.  Palaeslina,  I.  Ill, 
p.  419;  Stanley,  Sinai  and  Palestine,  ch.  x. 
A  propoi  de  ces  executions  sommaires  que  le 
fanalisme  judaique  elail  si  prompt  a  decreter 
etqu'un  faux  zeie  servait  ajustifier,comparez 
Act.  VII,  56  el  ss.;  xxii,  22.  C'elait  I'equi- 
valent  de  la  loi  Lynch  des  Americains. 

30.  —  Ipse  autem...  (locution  emphatique). 
Ua  venait  d'arriver,  et  le  cruel  desseio  etait 


sur  le  point  de  recevoir  son  accomplisse- 
menl ;  mais  voici  que  Jesus  se  degage  lout  a 
coup  des  mains  deses  bourreau.^  et,  transiens 
per  itiedium  illorum,  ibat.  Quelle  scene,  el 
comme  elle  esl  aduiirablement  decrite!  Get 
«  ibat  »  (remarquez  firaparfait)  rejele  a  la 
fin  de  la  phrase  n'est  pas  moins  majestueux 
que  la  demarche  du  Sauveui-  s'en  allanl  avec 
calme,  sans  prcsser  le  pas,  comme  s'll  eut 
traverse  les  rangs  presses  d'une  foule  inoffen- 
sive. Que  s'esl-il  done  passe?  Jesus,  usant  de 
sa  puissance  siirnatureile,  a-t-il  aveugle  ces 
baibaresV  a-t-il  raidi  subitement  leurs  mem- 
bre-;?  s'est-il  rendu  lui-meme  invisible?  Ces 
expedients,  auxquels  ont  eu  recours  d'anciens 
exegetes,  nous  paraissent  un  peu  forces. 
Touiefois  nous  ne  dirons  point,  avec  des 
commenialeurs  conlemporains,  que  le  phe- 
nomene  pent  s'expliquer  d'lme  maniere  pure- 
ment  naiurelle  ;  nous  ne  croyons  pas  suOhsant 
de  rappelera  leur  suite  que  I'histoire  presenle 
plus  d'un  cas  oil  le  calme  et  la  majesie  de 
I'innocence  ont  suffi  pour  paralyser  la  fureur 
de  populaces  ameutees.  Nous  admettons  ici 
I'existence  d'un  miracle,  tout  en  pensant  que 
le  miracle  fut  seulement  moral,  interieur, 
et  qu'il  eonsista  on  ce  que  nous  appelions 
ailleurs  (voir  I'Evang.  sdon  S.  Matlh.  p.  152) 
un  triomphe  remporle  sur  des  volontes  en- 
nemies,  par  la  seulo  volonte  du  Thauma- 
turge. Clr.  Joan,  vii,  30,  46;  viii,  59;  x,  39; 
xviii,  6.  L'hypothese  d'apres  laquelle  Nolre- 
Seigneur  aurail  profile,  pour  s'echapper,  des 
rues  etroiies  el  lortueuses  dela  ville,  esl  tout 
simpiemenl  absurde.  —  Selon  la  juste  remar- 
que  de  Theophylacle,  si  Jesus  fit  alors  un 
prodige  pour  eviler  la  mort,  «  ce  n'est  pas 
qu'il  redoulAl  de  souffrir,  mais  il  altendail 
son  heure.  » 

3.  Jesus  k  Capharnaum.  iv,  3i-44. 

Touehant  recil.  qui  nous  fournit  nn  remar- 
quable  specimen  de  ce  qu'etail  la  vie  de 
Notre-Seigneur  Jesus-Christ  durant  la  pre- 
miere periode  de  son  ministere  public.  Nous 
y  Irouvon-,  apres  un  coup  d'oeil  general  sur 
le  ministere  du  Sauveur,  tt.  31  el  32,  la 
guerison  d'un  demoniaque,  tt.  33-37,  de  la 
belle-mere  de  S.  Pierre  el  d'aulres  malades, 
tt.  38-41 ,  une  courle  relraile  de  Jesus  el  son 
depart  pour  une  mission  pr^chee  en  Galilee, 
tt.  42-44.  Comme  nous  le  faisionsremarquer 
ddrs  notre  commentaire  sur  S.  Marc,  p.  3S 


CHAPITRE   IV 


419 


31.  Et  descendit  in  Ccapharnaum, 
civitatem  Galilsese,  ibiqiie  docebat 
illos  sabbatis. 

Maith.  4,  13;  Marc.  1,  2i. 

32.  Et  stupebant  in  doctriua  ejus, 
quia  in  poteslate  erat  sermo  ipsius. 

Malth.  7.  28. 

33.  Et  in  synagoga  erat  homo 
habens  dseinonium  immundum,  et 
exclamavit  voce  masfna, 

Mure.  1,23. 

34.  Dicens  *  Sine,  quid   nobis  el 


31 .  Et  il  descendit  a  Gapharnaum, 
ville  de  Galilee,  et  la  il  les  ensei- 
gnait  les  jours  de  sabbat. 

32.  Et  ils  etaient  ravis  de  sa  doc- 
trine parce  qu'il  parlait  avec  auto- 
rite. 

33.  Et  il  y  avait  dans  la  syna- 
gogue un  homme  possede  d'un 
esprit  immonde,  etil  cria  d'une  voix 
forte, 

34.  Disant  :  Laisse-nous,  qu'il  y 


et  33,  ce  paragraphe  contienl  I'hisloire  d'une 
journee  complete  de  la  vie  de  Jesus.  M.  F. 
Delitzscli  en  a  fait  un  delicieux  recit  sous  ce 
litre  :  Ein  Tag  in  Kapeinaum,  Leipzig  1871. 

a.  Apergu  general  de  Vaclivile  du  Sauveur  d  Ca— 
j)harnaum.iv,i\  et  32.  (Paiall.  Marc.  i,  21  et22]. 

31 .  —  Descendit  in  Capharnaum.  Gette  locu- 
tion, propre  a  S.  Luc,  est  d'une  parfaile  exac- 
titude au  point  de  vue  topographique,  car  la 
difference  de  niveau  enlre  les  viiles  de  Caphar- 
naiira  et  de  Nazareth  esld'environ  1900  pieds. 
Celle-ci  est  batio  sur  le  plateau  eleve  de  Ga- 
lilee, celle-la  dans  le  profond  bassin  qui  con- 
tienl le  beau  lac  an  sujet  duquel  un  Rabbin 
faisait  prononcer  par  Dieu  ces  paroles  signi- 
ficalives  :  «  J'ai  cree  plusieurs  lacs  dans  la 
trre  de  Chanaan;  mais  je  n'en  ai  choisi 
qu'un  seul.  celui  de  Gennesarelli.  »  Voyez 
R.Riess,Allasdela  Bible,  pi. VII. Jesus  venait-il 
alor.-;  a  Capharnaum  pour  y  elablir  son  sejour 
definitif  (corap.  Mallh.  iv,  13  et  le  commen- 
laire),  ou  s'y  elail-il  deja  fixe  quelque  temps 
aupaiavanl?  G'est  ce  qu'il  est  difficile  de  de- 
terminer. La  seconde  hypolhese  nous  parail 
plus  probable.  Voyez  I'Harmonie  evangelique 
qui  termine  I'lntroduction  generale.  Quoi  qu'il 
en  soil,  Capharnaiim  servira  desormais  de 
centre  au  Sauveur  .  cette  civitas  Galilcece , 
comme  I'appelle  S.  Luc  pour  la  mieux  desi- 
gner a  SOS  lecleurs  qui  ne  connaissaient  pas  la 
geograpliie  de  la  Terre  Sainte,  etait  fort  bien 
appropriee  au  plan  actuel  de  Notre-S 'igneur. 
Voyez  TEvang.  selon  S.  Matth.,  p.  88  ets. — 
Docebat  illos  (c'est-a-dire  les  Capharnaites, 
<  conslructio  ad  synesin  »)  sabbatis.  Cette 
phrase  seuible  indiquer  unecouluiiie  generale 
de  Jesus  fremarquez  I'imparfait  «  docebat  », 
ou  mieux  encore,  d'apres  le  grec,  «  erat  do- 
cens  »,  et  le  pluriel  tol;  aiSSctai) ;  mais  on 
pent  I'appliquer  aussi  au  fait  special  qui  va 
bienlot  etre  raconte,  t.  33  et  ss. 

32.  —  Et  stupebant  in  (pour  «  super  »,  M; 
comp.  Marc,  i,  22)  doctrina  ejus.  Le  verbe 
«  stupebant  »  a  ete  fort  bien  choisi  pour 
rendro   le   grec   ^?£ir>r;<ToovTo,    liileralemenl 


a  percellebantur  ».  —  Quia  inlroduit  le  motif 
de  cet  etonnement  extraordinaire.  —  In 
poteslate  erat  sermo  ipsius.  Sur  la  locution 
elvai  ev  rivi  «  aliqua  re  preeditus  esse  », 
voyez  Winer,  Grammatk  des  neutest. 
Sprachidioms  ;  Beelen  ,  Grammal.  graecit. 
N.  T  ;  coinp.  1  Cor.  ii.  4;  Eph.  vi,  2; 
II  Thess.  II,  9.  S.  Marc  dit  plus  dairement  : 
«  Erat  docens  eos  quasi  potest atem  habens, 
el  non  sicut  Scribae  ».  Cfr.  Matth.  vii.  29. 
Jesus  parlait  done  comuie  un  Legislateur 
tout  puis-ant,  non  comme  un  legisle  denu6 
d'autorile;  son  langage  etait  esprit  et  verite, 
il  ne  consistait  pas  en  arides  formules  con- 
ventionnelles. 

b.  Guerison  d''un  dimoniaque.  iv,  33-37. 
Parail.  Marc,  i,  23-28. 

Ce  prodige,  omis  par  S.  Maltliieu,  est  ra- 
conte en  termes  presque  identiques  par  les 
deux  aulres  synoptiques.  Pour  I'explicalion 
detaillee  nous  renvoyons  a  I'Evang.  selon 
S.  Marc,  p.  34  et  ss. 

33.  —  In  synagoga.  «  Si  Capharnaum  ne 
differe  pas  de  Tell-Houm  (voyez  noire  com- 
menlaire  sur  S.  Matth.,  p.  230).  les  ruines  de 
niarbre  blanc  qui  gisent  encore  surune  petite 
eminence  siiuee  non  loin  du  lac,  et  qui  en- 
combrent  des  fragments  de  leur  sculpture 
elaboree  remplacement  aujourd'hui  desert  et 
desole  de  la  ville,  poiirraient  bien  elre  des 
restes  de  cette  synagogue  »,  Farrar,  Life  of 
Christ,  t.  I,  p.  235.  —  Hovio  habens  dcemo- 
nium  imnuindam.  Dans  le  grec,  av9pw7ro;  Ixia^ 
TtveOj.a  Satjiovioy  dxaOapTou,  un  homme  ayant 
I'esprit  d'un  demon  impur  :  locution  extraor- 
dinaire donl  il  n'exisle  pas  d'auire  exemple 
dans  le  N  TesiamMit.  Les  deux  derniers  mots 
servent  de  quahlicatif  a  irveOjxa.  Sur  la 
nature  et  la  i-eahle  des  posses>ions,  voyez 
I'Evang.  selon  S.  Matth.,  p.  165  et  s.  — 
Exdainavit.  Ce  cri  violent  (le  I  rait  pitto- 
resque  voce  magna  est  propre  a  S.  Luc;  fut 
arrache  au  demon  par  I'in-^tinct  du  danger 
donl  le  menagait  la  sainte  presence  de  Jesus. 

34.  —  Sine  (lot,  imperalif  de  edw,  je  laisse, 


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EVANGILE  SELON  S.  LUC 


a-t-il  entre  nous  et  toi,  Jesus  de 
Nazareth?  es-tu  venu  nous  perdre? 
Je  sais  qui  tu  es  :  le  Saint  de  Dieu. 
3b  Mais  Jesus  le  reprimanda,  di- 
sant :  Tais-toi  et  sors  de  cet  homme. 
Et  le  demon  I'ayanl  jete  a  terre  au 
milieu  de  Vasseniblee  sorlit  et  ne  lui 
fit  aucun  mal. 

36.  Et  tons  furent  saisis  de  peur 
et  ils  se  parlaient  I'un  a  Tautre, 
disant  :  Qu'est-ce  que  ceci?  II  com- 
mande  avec  puissance  el  force  aux 
esprits  immondes  et  ils  s'en  vont. 

37.  Et  sa  renommee  se  repandait 
par  tout  le  pays. 

38.  Et  Jesus  etant  sorti  de  la  syna- 
gogue enlra  dans  la  maison  de  Si- 
mon. Or  la  belle-mere  de  Simon 
etait  retenue  par  de  fortes  fievres, 
et  ils  le  prierent  pour  elle. 


tibi,  Jesus  Nazarene?  venistiperdere 
nos?  scio  te  quis  sis  :  Sanclus  Dei. 

35.  Et  increpavit  ilium  Jesus,  di- 
cens  :  Obmutesce,  et  exi  ab  eo.  Et 
cum  projecisset  ilium  dsemonium 
in  medium  exiit  ab  illo,  nihilque 
ilium  nocuit. 

36.  Et  factus  est  pavor  in  omni- 
bus, et  coUoquebanlur  ad  invicem, 
dicentes  :  Quod  est  hoc  verbum, 
quia  in  potestate  et  virtute  imperat 
immundis  spiritibus,  et  exeunt? 

37.  Et  divulgabatur  fama  de  illo- 
in  omnem  locum  regionis. 

38.  Surgens  autem  Jesus  de  syna- 
goga,  introivit  in  domum  Simonis. 
Socrus  autem  Simonis  tenebatur 
magnis  febribus  :  et  rogaverunt 
ilium  pro  ea. 

ATaU.  8,  14;  M-irc.  1,  30. 


ou  bien,  simpli^  interjection)  est  en  effel 
une  exclamation  do  terreur.  —  Quid  no- 
bis... perdere  nosf  Le  demon  parle  au  plu- 
riel,  au  nom  de  tous  les  espiils  mauvais 
('<  unus  pro  omnibus,  quasi  indicans  Christum 
omnibus  beilum  indixisse  »,  Maldonal\  — 
Scio  te  quis  sis  a  ele  caique  sur  lo  grec  oTSa  ae 
xi;  eT  (voyez  sur  celte  attraction,  frequente 
chez  les  classiques,  Wint>r,  Giamuiat.  p.  551). 
—  Sanctus  Dei,  c'est-a-dire,  le  Messie.  Cfr. 
Joan.  VI,  69  ;  Act.  iv,  27.  LVnfer,  malgre  lui, 
rend  temoJgnage  a  Notre-Seignour.  «  Et  dae- 
mones  credunt  et  contremiscimt  ». 

35.  —  Mais  Jesus  ne  veut  pas  de  ce  temoi- 
gnage.  Prenant  un  ton  severe  el  parlanl 
comme  un  maitre  a  qui  tout  doit  obeir,  incre- 
pavit ilium  :'i\  donnecoup  sur  coupau  demon 
deux  ordres  expriuies  en  termes  brefs  mais 
energiques  :  Obmuttscel  puis  Exi  ah  eo!  Ces 
dernieres  paroles  sent  reraarquables  a  cause 
du  dualisme  qu'elles  supp  jsent  d'une  maniere 
81  evidente  dans  le  phenomene  de  la  posses- 
sion :  il  y  a  I'esprit  poss^sseur  auquel  Jesus 
prescril  un  prompt  depart,  ei  le  malheureux 
possede  que  ie  Sauveur  va  delivrer.  —  Quum 
projecisset  ilium...  in  medium  (scil.  synagogae) 
^quivaut  a  «  discerpens  eum  »  de  S.  Marc.  Le 
trait  final  nihilque  ilium  nocuit  est  propre  au 
o  medecin  bien  aime  ». 

36  et  37.  —  Ces  versets  racontent  les 
effels  du  miracl  ■.  Les  lemoins  oculaires  de 
cette  cure  merveiilous?  furent  saisis  d'unj 
Vive  frayeur  (lYeveto  621160?.  S.  Marc  emploio 
luLe  expression  idenlique,  eeaii6Ti9r,(iav).  Les 


reflexions  qu'ils  echangeaient  au  soitir  de  1» 
synagogue  montrent  ce  qui  les  avait  surtout 
frappes  :  In  potestate  et  virtute  (associatioa 
eraphalique,  speciale  a  S.  Luc,  de  subslan- 
tifs  a  peu  pres  synonymes)  imperat...  Ce  n'e- 
tail  pas  ainsi  que  les  exorcistes  juifs  expul- 
saient  les  demons  :  il  leur  fallait  de  longues 
adjurations,  un  anneau,  je  ns  sais  quelle  ra- 
cine,  un  vase  plein  d'eau  (voyez  Jos.  Ant. 
VIII,  2,  5;  Bell.  Jud.  vii,  6,  3),  et  encore  ne 
reussissaient-ils  pas  toujours.  Un  mot  de 
commandement  sufiBsait  a  Jesus.  —  Fer6um. 
est  un  hebrai~me  (121;  pour  «  res  ».  S.  Marc 
a  une  legere  variante.  11  a  aussi  «  obediunt 
ei  »  au  lieu  de  exeunt.  —  Dioulgabatur  fama 
(Jan.s  le  grec,  r,yoi,  «  sonus  »,  mot  rare  et 
expressif)  de  illo...  La  sensation  produite  par 
la  guerison  du  demoniaque  ne  fut  pas  seule- 
ment  locale;  elle  se  reproduisit  au  loin  dans 
loute  la  contree. 

<;.  Gu6rison  de  la  belle-mere  de  S.  Pierre  et  de 
nombreux  malades.  iv,  38-41.  —  Parall.  Matth. 
VIII,  14-17;  Marc,  i,  29-34. 

Ici  encore  les  narrations  de  S.  Marc  et  de 
3.  Luc  se  ressemblenl  beaucoup;  celle  de 
S.  Matthieu  est  un  simple  sommaire. 

38.  —  Surgens  autem...  Le  nouveau  mi- 
racle suivit  done  de  tres  pres  celui  qui  avait 
eu  lieu  dans  la  synagogue.  —  Domus  autem 
Simonts.  S.  Pierre  est  ici  menlionne  pour  la 
premiere  fois  dans  le  troisieme  Evangile. 
S.  Luc,  en  ne  donnant  sur  le  prince  des 
Apoires  aucun  detail  preiiminaire,  suppose 


CHAPITRE  IV 


itf 


39.  Et  stans  super  illam,  impera- 
■vit  febri :  et  dimisit  illam.  Et  con- 
tiniio  surgens  ministrabat  illis. 

40  Gum  autem  sol  occidisset , 
omiies  qui  habebant  infirmos  variis 
languoribus,  ducebant  illosad  eum. 
At  ille  singulis  manus  imponens, 
curabat  eos. 

41.  Exibant  autem  dsemonia  a 
multis,  clamantia  etdicentia  :  Quia 
tu  es  Filius  Dei :  et  increpans  non 
sinebat  ea  loqui,  quia  sciebant  ip- 
sum  esse  Christum. 

Marc.  I,  34. 

42.  Facta  autem  die  egressus  ibat 
in  desertum  locum,  et  turbse  requi- 
rebant  eum,  et  venerunt  usque  ad 
ipsum  :  et  detinebant  ilium  ne  dis- 
cederet  ab  eis. 


~  39.  Etdeboutaupres  d'elle  il  com- 
manda  a  la  fievre,  qui  la  quitta,  et 
se  levant  aussit6t  elle  les  servait. 

40.  Lorsque  le  soleil  fut  couche, 
tous  ceux  qui  avaient  des  infirmes 
atteints  de  di verses  langueurs  les 
lui  amenaient,  et  lui,  imposant  les 
mains  sur  chacun,  les  guerissait. 

41.  Et  les  demons  sortaient  de 
plusieurs,  criant  et  disant :  Tu  es  le 
Fils  de  Dieu.  Et  les  reprimandanl 
il  ne  leur  permettait  pas  de  dire 
qu'ils  savaient  qu'il  etait  le  Christ. 

42.  Lorsqu'il  fut  jour  il  s'en  alia 
en  un  lieu  desert  et  le  peuple  le 
cherchait,  et  ils  vinrent  a  lui  et  ils 
le  retenaient  pour  qu'il  ne  les  quit- 
tdt  pas. 


que  ses  lecleurs  le  connaissaienl  dcpuis  long- 
lemps.  —  Magnis  febribus  :  les  deux  autres 
synopliques  se  conlentenl  de  dire  que  la 
belle  mere  de  Simon  etail  «  febricilans  ». 
S.  Luc  emploie  naturellemenl  une  expression 
medicale,  qu'on  relrouve  dans  les  ecrits  pa- 
thologiqiies  des  lamps  anciens.  Les  fievres 
sonl  assez  frequenles  aupres  du  lac  de  Tibe- 
riade  :  produiles  par  un  simple  refroidisse- 
ment,  elles  devienneiit  promplement  malignes 
et  meUent  la  vie  en  danger. 

39.  —  Stans  super  illam  :  expression  pi,'to- 
resque  el  speciale  a  noire  evangelisle  [du 
reste,  chacun  des  trois  narrateurs  ajoule  ici 
quelquf^  irait  particulier).  La  malade  esl 
etendue  sur  son  lil;  Jesus,  debout  auprps 
d'elle,  se  penclie  pour  la  toucher  et  la  gue- 
rir.  —  Impefavit  febri  m^  rend  pas  loule  la 
force  du  grec  snexipiviffe  :  il  faudrail  «  incre- 
pavit  »,  comms  au  t.  35.  Celte  belle  person- 
nificatiqn  faisail  dire  a  S.  Basile  :  «  Luc  parle 
d'une  maniere  figuree,  comme  d'un  comman- 
dement  adresse  a  un  elre  intelligent  »  (Gal. 
D.  Thorn.).  CoiTip.  viii,  24.  —  Ministrabat 
illis.  Le  pronom  au  pluriel  indique  que  Jesus 
n'etait  point  seul  :  nous  savons  par  S.  Marc 
que  ses  qualre  premiers  disciples,  Pierre  et 
Andre,  Jacques  el  Jean,  I'accompagnaient. 

40.  —  Les  deux  miracles  opeies  isolemenl 
dan>  le  courant  di>.  la  journee,  c'est-^-dire,  la 
guerisoii  d'un  deinoniaque  et  d'une  malade, 
se  renouvelerent  par  masses  le  soir,  apres  Ic 
coucher  du  soleil,  ainsi  que  nous  rapprenuonl 
les  tt.  40  el  41 .  —  1°  Gueiison  di's  malades. 
Singulis  (dan^  le  grec,  SxaaTw,  <(  unicuique  ») 
manus  imponens  est  unnouveau  detail  propre 


a  S.  Luc  :  il  exprime  la  grando  facilile  avec 
laquelle  Jesus  operait  les  guerisons.  L'impar- 
fait  curabat  (S.  Mallh.  el  S.  Marc  ont  le  par- 
fai'l  «  curavit  »)  marque  des  acles  frequem 
ment  repetes  duranl  celle  soiree  celebre. 

41.  —  2°  Guerison  des  deinoniaques.  Exi- 
bant (non\Q\  imparfail)  dcemonia :  c'elail,  dil 
S.  Malthieu,  sur  un  commandemenl  expres 
de  Jesus.  En  se  relirant,  les  dernons  procia- 
rnaieni,  comme  le  malin  dans  la  synagogue, 
le  caraclere  messianique  de  Jesus  :  Quia  (re- 
cilalif)  lu  es  FUius  Dei  (la  R  cepla  porle  : 
cu  eT  6  xpio'^o?  6  uios  ToO  0eoO  :  mais  les  mots 
6  xpKJ'To?)  omis  par  les  manuscrils  B,  C,  D,  F, 

.Sin.,  etc.,  de  meme  que  par  la  Vulgate,  sont 
probablemont  apocryph'S).  Comme  le  matin, 
Jesus  leur  imposail  silence.  Les  delails  «  Tu 
es  F;lius  Dei  »,  increpans,  esse  Christum, 
sont  particuliers  au  Iroisieme  Evangile  :  ils 
ajouteni  de  la  clarle  ou  de  la  vie  au  recit. 

d.  J^ius  se  retire  dam  une  solitude  des  bords  du  lae, 
puis  il  vaprtcher  en  Galilee,  iv,  42-44.  —  Parall. 
Marc.  I,  35-39. 

42.  —  Facta  autem  die.  «  Diluculo  valde 
surgens  »,  dil  S.  Marc  avec  un3  piecision  plus 
grande  encore.  Le  lenlemain  malm,  Jesus 
(piiUa  doncde  tres  bonne  hi-ure  la  maison  de 
S.  Pierre,  oil  il  avail  pas^e  la  nwM [egressus],  et 
il  gagna  [ibat,Q\x  mieux  «  ivil  »  d'apres  le  lexle 
grec),  pours'y  livrer  vn  paix  a  la  priere,  i'une 
des  nonibreus;^s  solitudes  qu'on  Irouve  aupres 
du  lac  de  Tiberiade.  Chose  etonnanle,  celte 
fois  ce  n'est  point  S.  Luc,  mais  S.  Marc,  qui 
ineniionne  la  priere  spdciale  du  Sauv'ur!  — 
Turbce  requirebant  eum  :  I'imparfail  signifie 


422 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


42.  II  leur  dit  :  II  faiit  que  j'an- 
nonce  aussi  en  d'autres  villes  le 
royaume  de  Dieu,  car  je  suis  envoye 
pour  cela. 

43.  Et  il  prechait  dans  les  syna- 
gogues de  Galilee. 


43.  Quibus  ille  ait :  Quia  et  aliis 
civitatibus  oportet  me  evangelizare 
regnum  Dei :  quia  ideo  missus  sum. 

44.  Et  erat  prsedicans  in  synago- 
gis  Galisese. 


CHAPITRE    Y 

La  p^che  miraculeuse  et  les  premiers  disciples  de  Jesu?  iltt.  \-\i).  —  Guerison  d'lin  lepreux 
[tt.  -12-16).  —  Guerison  d'un  paralytique  (tt.  17-26).  —  Vocation  de  S.  Matlhieu  k 
raposloial  [tt.  27  el  28).  —  Repas  chez  Levi  el  scandale  des  Pharisiens  (tt.  29-32).  — 
Les  disciples  de  Jean-Baptisle  el  la  question  du  jeiine  [tt.  33-39). 


1.  Et  il  advint,  lorsque  lafoule  se 
pressait  sur  lui  pour  entendre  la 
parole  de  Dieu,  et  qu'il  etait  lui- 
m^me  pres  du  lac  de  Geunesareth, 


1.  Factum  est  autem,  cum  turbae 
irruerent  in  eum  ut  audirent  ver- 
bum  Dei,  et  ipse  stabat  secus  sta~ 
gnum  Genesareth. 


que  la  foule  conlinua  ses  recherches  jusqu'a 
ce  qu'elle  eut  irouve  Jesus  [usque  ad  ipsum]. 
La  tin  du  versel,  detinebant  (autre  imparfait, 
pour  niarquer  des  elforts  proionges)  ilium  ne 
discederet..^  speciale  a  S.  Luc,  conlient  aussi 
un  detail  bien  touchant,  qui  montre  jusqu'^ 
quel  point  Notre-Seigneur  etait  alors  aime. 
11  est  vrai  que  les  sentiments  de  ce  bon 
peuple  n'eiaient  pas  completement  purs  d'e- 
golsme. 

43.  -^  C'est  ce  que  Jesus  leur  montre  dans 
sa  reponse  :  Aliis  civitatibus  oportet  me  evatic. 
gelizare...  II  est  vonu  pour  tons,  et  pas  seule- 
menl  pour  une  zone  privilegiee  :  il  ne  saurait 
done  demeurer  toujours  aux  environs  de  Ca- 
pharnaiim,  ainsi  qu'on  I'y  convie.  Sur  le 
regnum  Dei,\'oyez  I'Evang.  selon  S.Matthieu, 
pp.  67  et  68.  —  Weo  [ei?  foOxo,  litter.  «  ad 
hoc  »)  missus  sum.  Parole  propre  a  S.  Luc 
sous  cette  forme.  Nous  lisions  dans  S.  Marc  : 
«  Ad  hocenim  veni  ».  Mais,  de  part  et  d'autre, 
c'est  Lien  la  memeidee,  celle  de  I'lncarnation 
du  Verbe  et  de  son  avenemenl  au  milieu  de 
nous  pour  nous  sauver.  Le  Christ  a  regu  de 
Dieu  sa  mission  et  il  veut  y  6tre  fidelc. 

44.  —  Et  erat  prcedicaiis:  Getle  construc- 
tion indique  un  fait  constant,  par  consequent 
des  predications  reiterees.  La  Galilee  entiere 
eut  sansdoutele  bonheur  d'enlendreJesu-:.  — 
In  synagogis  Galilcew.  La  leQon  T»i?  louSa(a; 
des  manuscrils  B,  C,  L,  Sin.,  etc.,  et  de  la 
version  copte,  est  rejelee  presque  unanime- 
ment  par  les  critiques  comme  une  faule  dc 


copiste.  M.  Godel  la  traits  a  bon  droit  d'ab- 
surde,  car  elle  est  en  contradition  ouverte 
avec  la  suite  du  recit. 

4.  La  pSche  miraculeuse  et  les  premiers 
disciples  de  Jesus,  v,  1-11  —  Parall.  Mallh. 
IV,  l8-i-2;  Marc,  i,  16-20. 

Sur  I'idenlite  des  evenements  racontes  ici 
par  les  irois  synoptiqiies,  voyez  i'Evangile 
selon  S.  Matlhieu,  pp.  90  et  s.  S.  Matthieu, 
et  S.  Marc  ne  donnent  qu'une  esquisse  ra- 
pid^ de  cet  episode  ;  S.  Luc  est  au  contraire 
tres  complet  :  de  la  les  differences  notables 
de  sa  narration.  Relativem'^nt  a  la  suite 
des  fails  nous  pieferons  I'ordre  adopte  par 

5.  Marc,  d'apres  lequel  la  vocation  definitive 
des  premiers  disciples  aurait  precede  les 
guerisons  exposees  dans  le  paragraphe  pre- 
cedent. Voir  noire  Harmonie  evaugelique; 
Tischendorf,  Synopsis,  xxviu ;  Wieseler, 
Chonol.  Synopse,  p.  285  et  ss. 

Les  trois  premiers  versels  contiennent  la 
mise  on  scene;  nous  avons  ensuite,  tt.  4-7, 
le  recilde  la  peche  miraculeuse,  puis,tV^.  8-11, 
celui  de  la  vocation  de  S.  Pierre  et  de  ses 
compagnons.  La  narration  entiere  est  exlre- 
menient  pittoresque  et  vivante. 

Chap.  v.  —  1.  —  Quum  turbce  irruerent 
in  eum  (au  lieu  de  eTtixelaOai, «  inslare  »  des 
Latins,  le  Cod.  Sinait.  a  cyvaxOfjvai) .  Touchant 
detail,  qui  peint  au  vif  I'amour  et  I'enlhou- 
siasrae  du  p'uple  pour  le  bon  Sauveur.  — 
Les  mots  suivants,  ut  audirent  verbum  Dei, 


CHAPITRE     V 


4«3 


2.  Et  vidit  duas  naves  stantes  se- 
-cus  stagnum  :  piscatores  autem 
descenderant,  et  lavabant  retia. 

Matt?i.  4,  18;  Marc.  I,  16. 

3.  Ascendens  autem  in  nnam  na- 
vim  quae  erat  Simonis,  rogavit  eum 
a  terra  reducere  pusillum  :  et  se- 
dens  docebat  de  navicula  turbas. 

4.  Ut  cessavit  autem  loqui,  dixit 
^d  Simonem  :  Due  in  altum,  et 
laxate  retia  vestra  in  capturam. 

b.   Et   respondens    Simon,   dixit 


2.  Qu'il  vit  deux  barques  arrStees 
sur  le  bord  du  lac;  les  pecheurs 
elaient  descendus  et  lavaient  leurs 
filets. 

3.  Et  monlant  dans  une  barque 
qui  etait  a  Simon,  il  le  pria  de  s'eloi- 
gner  un  peu  de  la  terre.  Et  s'etant 
assis,  de  la  barque  il  enseignait  le 
peuple. 

4.  Lorsqu'il  eut  cesse  de  parler  11 
dit  a  Simon  :  Avance  en  mer  et  jetez 
vos  filets  pour  la  peche. 

5.  Et  Simon  lui  repondit  :Maitre, 


montretiL  I'espril  de  foi  avec  lequel  les  foules 
recherchaieni  Jesus  :  dies  ne  lui  deman- 
-daienl  pas  seulemcnt  des  miracles,  inais 
aussi  le  pain  de  la  divine  parole,  qu'il  ron:i- 
pail  a  lous  si  abondamment,  si  suavemeiit. 
—  Et  ipse.  Sur  la  con>lruction  liebrai'que 
iYs'vETo  6s...  xai  auto?  (1...  ^7^1^)  que  nous  re- 
trouverons  bientol  a  plusieurs  reprises,  Tfiir.  12 
el  17,  voyez  li^s  grammaires  de  Winer  et  de 
Beelen.  —  Stabat.  La  locution  grecque  ^v 
IcTTw;  parait  supposer  que  Notre-Seigneur 
s'elait  deja  lenu  debout  pendant  quelque 
temps  sur  la  grevo  de  sable  blanc  duici, 
telle  qu'elle  oxisle  aux  alenlours  de  Gaphar- 
naiiin,  quand  il  monia  dans  la  barque  de 
Siuion-Pierre  pour  etre  moins  presse  par  la 
foule.  —  Secus  stagnum  Genesareth.  Voyez 
la  description  de  ce  i^racieux  lac  dans  I'Evang. 
selon  S.  Matlh.  p.  91.  Tandis  que  les  deux 
autres  synopliques  le  nomment  «  mer  de 
Galilee  »,  S.  Luc  s  >  sert  habituellement  pour 
le  designer  de  I'l  xpression  ).t[Aviri;  moins  am- 
bigue  pour  ses  Ipcleurs  non-juifs.el  employee 
dureste  par  les  LXX,  par  Josephe  et  par  les 
^eographes  Strabon  el  Ptolemee. 

2.  —  Autre  tableau  du  peintre  S.  Luc. 
Apres  la  foule  qui  se  presso  de  lous  coles 
aulour  de  Jesus,  avide  de  recueillir  sa  parole, 
nous  voyons  des  pecheurs  lavanl  leurs  filets 
tout  aupres  de  leurs  barques  qu'ils  avaient 
eu  soin  de  lirer  a  demi  sur  le  rivage.  — 
Naves  slantes.  Get  emploi  de  cTfjvai  et  de 
«  stare  »  est  tr^s  classique  («  frequcnler  po- 
nitur  de  navibus  porlum  lenenlibus  «,  Rosen- 
miiller,  SchoL,  in  loco).Gomp.  Horn.  II.  i,  44  ; 
Propert.  I.  ii,  eleg.  7,  68.  — Lavabant  retia. 
Cast  la  coutume  des  pecheurs  de  ne  nettoyer 
leurs  filets  que  «  peraclo  opere  ».  lis  en  enle- 
venl  la  vase,  les  pierres,  les  herbes  qui  s'y  sont 
accumulees,  puis  ils  les  suspendent  pour  les 
faire  secher.  Notre  evangeliste  suppose  que 
les  fiiturs  disciples  de  Jesus  etaient  tons  en 
dehors  des  barques,  occupes  a  laver  leurs 
filels;  d'apres  S.  MaJ.lhleu  et  S.  Marc  deux 


d'enlre  eux  seulemeut,  Jacques  et  Jean, 
«  erant  in  navi  ..  reficienles  retia  sua  », 
tandis  quo  Pierre  (I  Andre  «  erant  railtentes 
retia  in  mare  ».  Mais  ces  contradictions  ne 
gonl  qii'apparentes ;  elles  s'exptiquenl  aise- 
ment  par  le  motif  allegue  plus  haul.  Les  deux 
premiers  synoptiqucs  abregenl  le  recil  pour 
transporter  immediatemint  le  lecleur  a  la 
parole  «  Faciam  vos  piscatores  hominum.  » 
Les  fails,  ainsi  condenses,  se  sont  Irouv^s 
legeremenl  modifies. 

3.  —  Troisieme  scene  admirabiement  re- 
tracee  :  Jesus  monle  dans  la  barque  de 
Pierre,  ct  de  celle  chaire  d'un  nouveau  genre, 
que  les  vagues  du  lac  bergaient  doucement, 
il  enseignc  la  fouli;  qui  Sf'  lenail  sur  le  rivage. 

—  A  terra  reducens.  'ETiavaifaYeTv  est  un 
autre  lerme  technique  de  marine,  signifianl 
«  in  altum  proy.  here,  a  littore  subducere.  » 

—  Docebat  de  navicula...  Plus  lard  encore, 
quand  il  cxposera  les  paraboles  du  royaume 
des  cieux,  Nolre-Ssigneur  aura  recoups  k 
cette  chaire  gracieuse.  Gomp.  Mallh.  xiii,  2; 
Marc.  IV,  1. 

4.  —  iJt  cessavit  loqui.  Apres  ce  pream- 
bule,  nous  arrivons  aux  parlies  les  plus  im- 
porlantes  de  lout  ce  recil,  la  peche  rairacu- 
leuse  el  la  peche  des  fimes.  —  Due  in  altum; 
iitawiyaye  (meme  verbe  qu'au  ♦.  3)  eU  to 
Pd6o?,  litleral.  a  in  profundum  ».  Nouvelles 
expressions  techniques.  Jesus  donnecet  ordre 
au  siiigulier  parce  qu'il  s'adressait  plus  spd- 
cialemenl  a  Pierre,  le  patron  de  la  barque; 
mais  il  parle  ensuile  au  pluriel,  laxale  retia 
vestra...,  la  pSche  devant  6lre  executee  par 
lous  ceux  qui  elaient  presents. 

5.  —  Dans  sa  r^ponse,  Simon  nous  appa- 
rait  deja  sous  les  trails  do  I'homme  de  foi, 
du  partisan  devoue  de  Jesus,  que  nous  reve- 
lera  de  plus  en  plus  la  suite  de  I'histoire 
evangelique.  Le  litre  de  praceptor  (ima-zixT., 
lilteral.  c  praeses  »)  qu'il  donne  a  Nolre-Sei- 
gneur  remplace  habituellement  dans  le  troi- 
sieme Evangile  I'expression  hebralque  Rabbi. 


424 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


pendant  tout  la  nuit  nous  avons 
Iravaille  et  nous  n'avons  rien  pris ; 
mais  sur  votre  parole  je  jetterai  le 
filet. 

6.  Et  quand  ils  I'eurent  fait  ils 
prirent  une  copieuse  quantite  dc 
poissons,  et  leur  filet  se  rompait. 

7.  Et  ils  firent  sigae  a  leurs  com- 
pagnons  qui  elaient  dans  I'autre 
barque  de  venir  les  aider.  Et  ils 
vinrent  et  ils  remplirent  les  deux 
barques  au  point  qu'elles  etaient 
pres  de  submerger. 

8.  Lorsque  Simon-Pierre  le  vit,  il 
lomba  auxgenoux  de  Jesus,  disant : 


illi  :  Prseceptor,  per  totam  noclem 
laborantes,  nihil  cepimus  :  in  verba 
autem  tuo  laxabo  rete. 

6.  Et  cum  hoc  fecissent,  conclu- 
serunt  piscium  multitudinem  copio- 
sam;  rumpebatur  autem  rete  eorum. 

7.  Et  annuerunt  sociis,  qui  erant 
in  alia  navi,  ut  venirent,  et  adju- 
varent  eos.  Et  venerunt,  et  imple- 
verunt  ambas  naviculas,  ita  ut  pene 
mergerentur. 

8.  Quod  cum  videret  Simon  Pe- 
trus,   procidit  ad  genua  Jesu,  di- 


—  Per  totam  noclem  laborantes  (xoTridoavTei;, 
mot  energique).  La  miil  a  lonjours  eto  regar- 
doe  comnie  plus  piopice  que  le  jour  aux 
travaus  des  pecheurs.  «  Vaganlur  gipgalim 
fere  cujusqu.!  gi'neris  squamosi.  Ca[)iuiiUir 
ante  solis  ortuii) ;  tinn  maxime  piscium  lalli- 
lur  visus.  Noclibu.s,  quies  »,  ecrivaii  Piin3 
I'Ancien.  Hisl.  nal.  ix,  23.  Cornp.  Tnslram, 
Natural  History  of  the  Bible,  Se  edit.  p.  289. 

—  Nihil  cepimus.  S.  Pierre  in^inuait  delica- 
tem.'nt  par  la  qu'il  elait  peu  probable  qu'uno 
nouvelle  tentative  reussit  mieux  en  plein 
jour.  Neanmoins,  ajoula-t-il  d"un  ton  decide, 
la  parole  de  Jesus  serail  pjur  Uii  un  ordre 
(lei  est  ici  lo  sens  de  verhwn,  pwa.)  auquel  il 
voulait  immediatenipnl  obeir,  persuale  que 
cette  fois  il  ne  Iravaillorait  pas  en  vain.  Re- 
marquez  l\>mploi  du  pronom  Je  :  laxaho  rete. 
Simon  parle  coin:ne  le  chef  de  lexpedition. 

6  et  7.  —  Concluserunt,  scW.  «  in  rele  »; 
ffUY^'^eio)  est  un  ternit)  tchnique  de  peclie  el 
lie  chasse.  Cfr.  Brelsclin  'id'^r,  Lex-  man., 
8.  V.  —  Piscium  multitudinem  copiosam.  Le 
filet,  en  verlu  de  la  divine  prescience  de 
Je.-:us,  eLait  tombe  au  milieu  d'un  de  ces 
enormps  bancs  de  poissons qu'on  irouve  dans 
loules  les  mers  el  parliculieremenl  dans  le 
lac  de  Gennesarilh.  Voyez  Tiislram,  Natural 
History  of  the  Bible,  p.  283.  La  fin  du  t.  6 
et  le  f.  7  tout  enti^r  renfi-rment  des  details 
destines  a  rehausser  I'eclat  du  prodige  : 
io  Rumpcbalur  rete,  c'est-a-dire  «  rum[)i 
incipiebal  » ;  il  y  eut  en  realite  un  commen- 
cement de  rupture  :  le  secours  apporle  a 
temps  [t.  7)  einp^cha  seul  le  filet  de  se  de- 
chirer  complelement.  —  2o  Annuerunt  so- 
ciis... ut...  adjuvarent.  D'apres  Theophylacte 
et  Euthymius,  Pierre  et  ceux  qui  elaient 
dans  sa  barque  auraient  ele  obliges  de  r  cou- 
rir  au  langage  des  signes,  (ati  Suvd[isvoi).a).Ti(jai 
iwitii;  lxit),r,$s6D;xai  toO  9660U.  Mais  cette  ex- 


plication nous  semble  un  pou  forceo.  II  est 
plus  simple  de  dire  avec  la  plupart  des  exe- 
geles  qu'on  employa  les  signaux  parce  que 
I'aulre  nacelle  etail  trop  lorn  pour  que  la 
parole  arliculee  fut  facilem  'nl  enlendue.  Le 
substantif  (ie'to/.oi,  qui  correspond  a  «  socii  » 
de  la  Vulgate,  designe  proprem^it  des  asso- 
cies  (xotvwvoi  (Ju  t.  10  est  encore  plu-;  expres- 
sif) ;  et  en  efTel  il  arrive  souvent  aux  pecheurs 
de  mellre  en  commim  pour  un  temps  deter- 
mine leurs  embarcalions,  hurs  filels  et  leurs 
benefices.  —  3°  Impleverunt  ambas  naviculas, 
et  40  non-seulement  les  deux  cancts  furenl 
remplis  de  poissons,  mais  ils  le  furent  a  lei 
poml  que  pene  mergerentur,  lanl  la  charge 
etail  pesanle  (PuO'^^oOai  du  lexle  groc  ne  se 
trouvequ'ici  et  I  Tim.  vi,  9). 

8.  —  Quod  qnum  videret  Simon...  D'un 
bout  a  I'autre  de  la  narration.  Smon-Pierre 
nous  apparalt  comme  le  heros  principal.  C'est 
lui  qui  a  preside  aux  operations  de  la  peche, 
de  ineine  qu'il  dirigera  un  jour  la  grandi^ 
peche  mystique  dans  I'Eglise  de  Jesus;  c'est 
lui  qui  eprouve  el  manifesto  la  plus  forte  emo- 
tion ;  c'est  lui  qui  parle  au  noin  de  tous;  c'est 
a  lui  que  Nolre-SMgneur  s'adrcssera  d'un& 
maniere  plus  speciale.  —  Procidit  ad  genua. 
Trait  graphiquc,  qui  denote  I'am  •  ardenle  do 
Simon.  A  cetle  genuflexion  il  ajoula  une 
exclamation  plf'ine  de  foi  et  d'hunniile.Isale, 
quand  il  fut  admis  dans  son  exlase  k  contem- 
pler  le  celeste  sejour,  les  aiiges  et  Jehova, 
s'ecria,  p^'netre  de  sa  profonde  indignile  : 
Malheur  a  moi,  je  suis  perdu,  parce  que  je 
suis  un  homm !  impur  de  levros.  etc.  (Is. 
VI,  5-9).  Ces.'.  un  sentiment  semblable  qui 
fait  dire  a  S.  Pierre  :  Exi  a  me,  Domine 
(xupte,  litre  plus  respeclueux  encore  quo 
emffxd-cadu  t.  5),  quia  homo  percator  sum. 
Non  qu'il  desirSi  reellement  eloigner  di'  lui 
Nolre-Seigneur;  mais  le  grand  miracle  donl 


CHAPITRE     V 


Ml 


\ 


cens  :  Exi  a  me,  quia  homo  peccator 
sum,  Domine. 

9.  Stupor  enim  circuradederat 
eum,  et  omnes  qui  cum  illo  erant, 
in  capturapiscium,  quam  ceperant; 

10.  Similiter  autem  Jacobum  et 
Joannem,  filios  Zebedsei,  qui  erant 
socii  Simonis.  Et  ait  ad  Simonem 
Jesus  :  Noli  timere  :  ex  hoc  jam  ho- 
mines eris  capiens. 

11.  Et  subduclis  ad  lerrara  navi- 


Retirez-vous  de  moi,  Seigneur,  parce 
quejesuisun  homme  pecheur. 

_  9.  Gar  il  etait  frappe  de  stupeur. 
ainsi  que  tons  ceux  qui  etaient  avec 
lui,  touchantla  capture  des  poissons 
qu'ils  avaient  pris. 

10.  Et  pareillement  Jacques  et 
Jean  fils  de  Zebedee,  qui  etaiem 
compagnons  de  Simon.  Et  Jesus  di! 
a  Sunon  :  Ne  crains  rien;  desormais 
tu  prendras  des  hommes. 

11.  Et  ramenant   les   barques  a 


il  viont  d'etre  lemoin  lui  a  revele  de  plus  en 
plus  la  puissance  el  la  sainlete  de  Jeus;  or, 
il  sent  qu'il  n'e-l  pas  digne  de  la  socieie  d'un 
homme  uni  a  Dieii  par  des  liens  si  elroils. 
Au  fond,  sa  parole  revient  done  a  celle  dii 
centurion  :  *  Domine  non  sum  digiius  ut 
inlres  sub  teclum  meum  ».  Aussi  Jesus,  bion 
loin  de  la  prendre  a  la  letlre  comme  il  fit 
plus  lard  pour  les  avares  Gadareniens 
(viii,  37),  resscrra-t-il  au  conlraire  les  liens 
qui  deja  I'unissaienl  a  Simon-Pierre. 

9-10a.  —  Stupor  enim...  L'evangeliste  ex- 
plique,  par  cetle  reflexion,  ce  qui  pouvait 
senibler  extraordinaire  dans  la  conduile  de 
S.  Pierre.  II  avail  agi  el  parle  sous  I'impres- 
sion  de  la  frayeur  religieuse  excitee  on  lui  et 
dans  tons  ses  compagnons  par  la  p^ciie  mira- 
culcuse.  —  Circumdederat  (uepiidxsv)  equi- 
vaul  ici  k  I'hebreu  32D.  qui  s'emploie  dans 
le  meme  sons.  C'esl  une  locution  ires  expres- 
sive («  undique  occupaverat  el  quasi  conclu- 
sum  lenebal  »,  Luc  de  Bruges)  el  d'ailleurs 
tres  classique.  Comparoz  hs  U  rmes  ana- 
logues :  «  Circumslelit  horror  »  du  poele 
latin.  —  In  (dans  le  greo,  ini,  au  sujet  de) 
captura...  quam  ceperant.  Les  expressions 
du  lexle  grec  sonl  plus  variees  :  t^  aypcf...  ^ 
(altraclion  pour  ^v]  (n)v£),a6ov. 

^Oe.  —  Et  ait...  Jesus.  Quelle  douce  et  ai- 
raable  reponse  va  s'eehai  per  des  levres  di- 
vines du  Messiel  Apres  avoir  rassure  Simon 
par  un  mol  que  nous  lui  enlendrons  snuvenl 
prononcor  en  semblable  occasion,  noli  timere, 
il  I'eleve  lout  a  coup  a  une  dignite  sublime, 
en  Iransfornianl  Thumble  pecheur  de  Belh- 
SiiiVla  en  un  pecheur  d'homraes  .  Ex  hoc  jam 
(tt-o  ToO  vuv,  a  parlir  de  eel  instant)  homines 
eris  capiens.  La  tournure  «  oiis  capiens  »  d^- 
signe  la  permanence  de  I'aclion,  et  Taction, 
suivant  loule  la  force  du  toxle  grec  que  la 
Vulgate  n'a  Iraduit  qu'lmparfaiUment,  doit 
consisler  a  «  prendre  vivants  les  hommes.  » 
Le  verbe  CwyP''"?  de  t[to6;  el  a.ypz\)tii,  signifie 
en  effet  a  vivum  capio  ».  Quelle  sublime  me- 
laphore  et  quel  beau  role  allribue  a  S.  Pierre ! 


«  El  b-'iiu  apo  tj.ica  iu-truuiunla  pi^cani  i 
rctia  sunl;  quae  non  captos  perimunt,  smI 
reseivant.  el  de  profundo  ad  lumi  n  exlra- 
hunl,  el  fliicluantos  de  infernis  ad  s  ip  rr.i 
perducunl  »,  S  Ambroise,  h.  I.  «  Nfiuveli.' 
melhode  de  pechcr  assui-emonl .  ecni  do  son 
cote  S  Jean  Chrysosl..  Horn.  iniMatlli.  iv,  H', 
car  les  pecheurs  lirenl  les  poissons  liors  de 
I'eau  pvjur  leur  donner  la  mo;  t ;  mais  nous 
langons  iios  filels  dans  I'oau  el  ceux  que  nous 
prenons  sonl  vivifies.  »  S.  Auguslin,  eiablit  ;i 
ce  sujct  un  parallele  inleiessant  cnlre  I  i 
chasse  el  la  peehe  :  «  Quare  Aposioli  ncmineni 
coegerunl,  neminem  itnpul(MHinl?Quia  pisc;.- 
lor  est,  relia  millil  in  mare,  (luod  incurrern 
trahil'loul  se  passedonc  avec  douceur).  Vei:a- 
tor  auiem  silvas  cingit,  sentes  exculit,  terrc- 
ribus  undique  muliiplicatis  cogil  in  retia.  N  ■ 
hac  eat,  ne  illiceat,  indeoccuire,  indecaede, 
int^  tcrre;  non  exeat,  non  elTugial  (Loul  -e 
passe  avec  violence).  »  De  ulilii.  jejun.  i\. 
Apres  la  seconde  peehe  miracuieuse,  Joan. 
XXI,  16,Je-us,  faisanl  usage  d'une  autre  rig-.iri- 
pourexprimerle  m^merole,  dira  au  prince  ds 
Apolres  :  Paism::'£  brebis,  pais  mes  agneau\. 
—  Qtioique  la  promesse  «  ex  hoc  jam  honn- 
nes  eris  capiens  »  fiil  adressee  direclemc  ut 
a  Simon-Pierre,  elle  retombait  d'une  manicre 
implicile  sur  ses  compagnons,  comme  on  le 
voil  par  les  deux  aulres  recils  :  «  Faci;  m 
vos  fieri  piscatores  hominum.  » 

H .  —  Subduclis  ad  terram  navibus.  KaTdyw 
est  encore  une  expression  naulique.  —  i}*;- 
lictis  omnibus  :  ils  renoncent  gdnereusemeut 
a  tout  (aitavxa  est  emphalique)  pour  se  fairo 
les  disciples  de  Jesus.  Sans  doule  leurs  ri- 
chesses  ne  devaienl  pas  elre  bien  considera- 
bles; mais,  ainsi  que  le  dit  S.  August ni, 
Enarrat.  IIF  in  Ps  cm,  17,  o  multum  dim:-ii 
qui  non  solum  dimisit  quidquid  habebal,  s  m1 
etiam  quidquid  habere  cupiebal  » ;  par 
con>equenl,  ajoule  S.  Gregoire,  Hom.  v  in 
Evang.,  «  mullum  Pelrus  et  Andreas  dimisit, 
quando  ulerque  etiam  dosideria  habendi  di- 
misit.  »  —  Seciiti  sunt  (um,  d'une  maniere 


426 


fiYANGILE  SELON  S.  LUC 


terre,  ils  laiss^rent  tout  et  le  sui- 
vireDt. 

12.  Et  lorsqu'il  etait  dans  une 
des  villes,  voila  qu'un  homme  cou- 
vert  de  lepre,  en  voyant  Jesus,  se 
prosterna  la  face  contre  terre  et  le 
pria,  disant  :  Seigneur,  si  vous  le 
voulez,  vous  pouvez  me  guerir. 

13.  Et,  etendant  la  main,  11  le 
toucha,  disant:  Je  leveux,soisgueri. 
Et  aussit6t  la  lepre  le  quitta. 

14.  Et  il  lui  ordonna  de  ne  le 
dire  a  personne;  mais  Va,  montre- 
toi  au  prelre,  et  off  re  pour  ta  puri- 
fication ce  que  Moise  a  ordonne, 
pour  leur  6tre  un  temoignage. 


bus,  relictis  omnibus,  secuti  sunt 
eum. 

12.  Et  factum  est,  cum  esset  in 
una  civitatum,  et  ecce  vir  plenus 
lepra,  etvidens  Jesum,  etprocidens 
in  faciem,  rogavit  eum,  dicens  : 
Domine,  si  vis,  potes  me  mundare. 

Matlh.8,i;  Marc.  I,  40. 

13.  Et  extendens  manum,  tetigit 
eum  dicens  :  Volo,  mundare.  Et 
confestim  lepra  discessit  ab  illo. 

14.  Et  ipse  praecepit  illi  utnemini 
diceret;  sed  :  Vade,  ostende  te  sa- 
cerdoti,  et  offer  pro  emundatione 
tua,  sicut  praecepit  Moyses,  in  tes- 
timonium illis. 

Lev.  14,  4. 


habituelle  ct  definitive,  car  si  S.  Jean  a  ra- 
conle,  I,  37  et  ss.,  I'appel  des  premiers  disci- 
ples «  ad  nociliam  et  familiarilatem  »,  les  sy- 
noptiques  exposeni  ici  la  «  vocatio  ad  aposto- 
latum  ».  —  Uii  ancien  hymne  de  TEglise,  com- 
pose en  riionneur  de  S.  Pierre,  resume  admi- 
rablement  en  qiielques  vers  le  miracle  de  la 
peche  miracuieuse  et  si^s  rt^sultals: 

Te  piscantem  Pi^catoris 
Ad  capluise  melioris 

Usuin  Iraxit  gratia. 
CDncla  linqiiis,  nave  spreta, 
Temporalis  miindi  meta 

Judices  ut  omaia. 

Mais  le  grand  pechcur  d'horames  par  excel- 
lence,  c"e>t  Notre-Seigneur  Jesus-Christ, 
comme  on  le  voit  par  ce  meme  episode  qui 
inspirait  a  Clement  d'Alexandne  d'aulres 
vers  non  moins  beaux  et  plus  celebres  : 

'AXieO  (iepoiitov 
raJv  (jw^o[X£va)v, 
■KElayo\)i;  y.axia? 
v/Ji\)Z  ayvou; 

yXuzepr)  i^wrj  6e)>£d!Ju)v. 

Ufi  d  sur  la  peclie  miraculeuss  un  admirable 
tableau  de  Rapiuiel. 

B.  Gu^rison  d'un  lepreux.  v,   12-16.  --  Parall 
Matth.  viii,  2-4;  Marc.  I,  40-45, 

12.  —  Exuna  cioitatum  est  un  trait  propre 
k  S.  Luc.  La  ville  temoin  du  miracle  etait 
siluee,  d'apres  ie  contexle  ;Cfr.  iv,  43;,  dans 
la  province  de  Galilee,  ou  Jesus  faisait  alors 
une  sorte  de  tournee  pastorale.  —  Et  ecce 
vir...  La  conjonclion  xal,  la  particuie  l3ou  et 
I'absence  de  verbe  rendent  ce  passage  extrd- 
mement  dramatique.  Notre  evangeliste  a  seul 


note  que  le  suppliant  etait  plenus  lepra  :  lout, 
le  corps  etait  done  affecle  de  cette  affreuse 
maladie,  qui;  nous  avons  decrite  ailleurs 
(Evangile  selon  S.  Malth.  p.  453),  el  qui,  a 
un  lei  degre,  etait  complelement  incurable. 
VoyezrinteressanlopusculeduDrF.Deiitzscli 
Durch  Krankheit  zur  Gennsung,  eine  jerusa- 
lemische  Gescliichle  der  Herodierzeit,  Leipzig 
4873.  —  Procidens  in  faciem.  S.  Malthieu  : 
a  adorabal  » ;  S.  xMarc  :  «  genu  flexo.  »  Trois 
expressions  diverses  pour  decrire  un  meme 
fait,  la  prostration  du  lepreux  aux  pieds  de 
Jesus.  —  Si  vis,  potes  me  mundare.  «  Voluntas 
tua  potentia  tua  est  »,  Cassien,  lib.  v,  c.  21. 
Les  trois  synopliques  client  dans  les  menies- 
lermes  cette  priere  pleine  de  foi.  Sur  I'ex- 
pression  technique  «  mundare  »,  le  irra  he- 
breu,  voyez  EOlre  commentalre  sur  S.  Mal- 
thieu. 

13.  —  Et  extendens  manum.  D'apres  S.  Marc 
(«  Jesus  autem  misortus  ejus  ») ,  c'eiait  le 
cceur  compalissant  de  Jesus  qui  dirigeail  sa 
main  loule-puissanle.  —  Volo,  mundare. 
«  Responsio  pulchre  orationi  respondens  », 
dit  fort  bien  Fr.  Luc.  Et  a  peine  le  Sauveur 
avait-il  prononce  cetle  parole  [et  confestim), 
que  la  lepre  abandonnail  pour  toujouis  le 
malade.  En  efFet,  «  nihil  medium  est  inter 
opus  Dei  et  praeceptum,  quia  praeceplum  est 
opus  »,  S.  Ambroise.  S.  Malihieu  envisago 
la  guerison  au  point  de  vue  ceremonial;  voilit 
pourquoi  il  ladesignepar  le  verbe  «  mundala 
est.  »  S.  Luc  s'exprime  en  medecin  :  lepra 
discessit  ab  illo.  S.  Marc  combine  les  deux 
manieres  de  voir  :  «  Discessit  ab  eo  lep**"  <^* 
mundalus  est.  » 

14.  —  Et  ipse  prcecepit...  Les  trois  narrtt- 
tions  synoptiques  exposent  en  des  termea 
presque  identiques  les  deux  ordres  que  con- 


1 


CHAPITRE    V 


4n 


13.  Perambulabat  autem  magis 
sermo  de  illo  :  et  conveniebant 
turbse  multse  ut  audirent,  et  cura- 
rentur  ab  infirmitatibus  suis. 

15.  Ipse  autem  secedebat  in  de- 
sertum,  et  orabat. 

1 6.  Et  factum  est  in  una  dierum, 
et  ipse  sedebat  docens.  Et  erant 
PharisEei  sedentes,  etlegis  doctores, 
qui  venerant  ex  omni  castello  Gali- 
Isese,  et  Judsese,  et  Jerusalem;  et 
virtus  Domini  erat  ad  sanandum 
eos. 


lb.  Mais  ce  qu'on  disait  de  lui  se 
repandait  de  plus  en  plus,  et  des 
troupes  nombreuses  venaient  pour 
recouler  et  pour  6tre  gueries  de 
leurs  maladies. 

16.  Mais  il  se  retirait  au  desert, 
et  priait.  " 

17.  Et  ii  advint  qu'un  jour  il  etait 
assis  et  enseignait.  Et  il  y  avait  des 
Pharisiens  assis  et  des  docteurs  de 
la  loi  qui  etaient  venus  de  tous  les 
villages  de  la  Galilee,  et  de  la  Judee, 
et  de  Jerusalem.  Et  la  vertu  du  Sei- 
gneur agissait  pour  les  guerir. 


lienl  ce  verset  :  io  wi  nemini  diceret  (voyez 
dans  rE\ant,'.  selon  S.  Mallh.,  p.  434,  les 
mollis  de  cetle  interdiction  qui  parail  tout 
d'abord  surprenanie);  2o  Vade ,  osteiide  te... 
En  passant  ainsi  brusqueminl  du  iangage 
indirect  au  discours  direct,  S.  Luc  a  donne 
une  grande  vie  au  recit.  Les  auteurs  classi- 
ques  onl  souvent  recours  a  ce  procede. 

15.  —  Fcrambulnbat  autem  magis  sermo... 
Un  mot  de  S.  Marc  explique  pourquoi  la  re- 
putation de  Jesus  se  propagoa  ainsi  avcc  une 
nouvelle  rapidite  :  «  Ille  (leprosus)  egressus 
coepil  piaedicare  et  diffamare  sermonem.  » 
«  Perambulabat »,  Stripx^O)  psI  une  expression 
Ires  piltoresque  qu'on  trouve  egalem'nt  dans 
Thucydide  :  SiiqXGev  6  Xoyo?.  —  Conveniebant 
turbai...  ut  audirent  et  ciirarentur.  On  est, 
heureux  de  lire  que  les  foules  n'accouraienl 
pas  seulement  aupres  de  Jesus  dans  un  but 
egoiste,  pour  se  faire  guerir,  niais  aussi  pour 
recueillir  de  sa  bouche  la  parole  divine,  dont 
elles  etaient  saintemenl  avides. 

46.  — Jpse  autem  secedebat...  «  Erat  scce- 
dens  »  rendrait  plus  exactement  la  lournure 
grecque  iiv  uTtoxwpwv,  qui  de-igne  mieux  les 
habitudes  de  relraite  adoptees  par  Notre-Sei- 
gneur  tant  que  dura  reffiTvesccnce  popnlaire 
qu'avait  excitee  la  guerison  du  lepreux.  — 
Au  lieu  du  singulier  in  desertum  ie  grec  dit 
«  in  desertis  ».  —  Et  orabat.  Voyez,  sur  ce 
detail  caracteristique  du  iroisieme  Evangile, 
111,21  et  I'explication.  Qnand  Jesus  etail  em- 
p^che  de  S"'  livrer  k  la  predication,  qui  etait 
alors  son  oeuvre  par  excellence,  il  se  retirait 
dans  les  solitudes  qui  avoisinent  le  lac,  et  il 
y  passait  de  longues  heures  a  prier. 

6.  Gu6rison  d'un  paralytique.  t,  17-26. 
Parail.  Matth.  «,  5-8;   Marc,  ii,  1-12. 

Sur  la  vraie  place  de  eel  incident  remar- 
quable,  voyez  I'Evangile  selon  Matth.,  p.  171 
et  s.,  et  I'Harmonie  evangelique.  La  narra- 
tion de  S.  Luc  a  ici  une  tres  grande  ressem  - 


bJance  avec  celle  de  S.  Marc  :  S.  Mallhieu  ne 
donne  qu'une  somraaire. 

17.  —  In  una  dierum  (trail  special)  est  une 
dale  bien  vague,  dont  la  formule  est  em- 
pruntee  a  la  langue  liebrai'que  :  D'aT?  inN3, 
pour  «  quadam  die.  »  —  Et  ipse  sedebat  do- 
cens. Delail  piUoresque,  encore  propre  a 
S.  Luc.  Nous  Savons  par  les  deux  aulres  sy- 
nopiiquos  que  la  scene  se  pa-sait  a  Caphar- 
naiim,  la  nouvelle  paliie  de  Jesus,  dans  une 
maison  qui  elail  probablement  celle  do 
S.  Pierre.  En  face  de  Jesus  I'evangelisle- 
peinlre  nous  monlre ,  egalement  assis,  des 
Phaiisiens  el  des  docteurs  de  la  loi  (S.  Mat- 
Ihieu  et  S.  Marc  ne  menlionnenl  que  ces  der- 
nieis",  accourus.  ajoute-t-il  avec  emphase, 
ex  omni  castello  Galilwce  et  Judww,  el  memo 
de  la  cite  sainte.  La  presence  de  ces  person- 
nages  influents  prouve  que  le  Sauveur  jouis- 
sait  deja  d'une  immense  consideration  :  ce 
n'esl  pas  pour  un  Rabbi  ordinaire  que  co 
monde  officiel,  qui  dirigeail  le  Judai'sme  d'a- 
lors ,  aurait  daigne  se  derangcr.  Toutefois 
ces  iiouveaux  auditeurs  n'onl  rien  de  bien- 
veillant  pour  Jesus  :  ils  sent  venus  au  con- 
liaire  dans  le  but  expres  de  surveiller  ses 
acies,  de  voir  si  sa  doctrine  esl  conforme  a 
leurs  tradition-;;  voila  pourquoi  nous  les 
tronvons  au  premier  rang  parmi  I'assistance 
enorme  qui  s'etail  groupei>  ce  jour-la  autour 
de  Nolre-Seigneur.'  Cfr.  Marc,  ii,  2.  Geux 
d'entre  eux  qui  avaient  fait  a  cetle  intention 
le  voyage  de  Jerusalem  a  Capharnaiim  etaient 
selon  toute  vraisemblance  des  delegues  du 
Sanhedrin.  —  Les  vonoSioaoxa^oi  de  S.  Luc  ne 
different  pasdes  Ypa|A(AaT£T;  fScribes)  des  autres 
Evangiles  :  les  deux  expressions  represenlent 
les  legistes  religieux  des  Juifs.D'ailleurs  notre 
evangeliste  emploie  quelquefois  aussi  le  litre 
describes.  Cfr.  t.  21.  —  Et  virtus  Domini 
erat...  Kupiou  ne  designe  pas  directement 
Notre-Seigneur  Jesus-Christ,  mais  Jehova, 
dont  la  loule-puissance,  communiquee  it  sob 


128 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


18.  Et  voil^  des  gens  portant  dans 
un  lit  un  homme  qui  etait  paraly- 
tique,  et  ils  cherchaient  a  i'intro- 
duire  et  k  le  placer  devant  lui. 

19.  Et  ne  trouvant  pas  de  quel 
cote  I'introduire  a  cause  de  la  foule, 
ils  monterent  sur  le  toit,  et  par  les 
tuiles  ils  le  descendirent  avec  le  lit 
au  milieu,  devant  Jesus. 

20.  Des  qu'il  vit  leur  foi,  il  dit  : 
Homme,  tes  peclies  te  sont  remis. 

21.  Et  les  Scribes  etlesPharisiens 
comraencerent  a  penser  et  a  dire  en 
eux-memes  :  Quel  est  celui-ci  qui 
profere  des  blasphemes?  Qui  peut 
remettre  les  peches  sinon  Dieu  seul? 


18.  Et  ecce  viri  portantes  in  lecto 
hominem,  qui  erat  paralyticus  :  et 
quserebant  eum  inferre,  et  ponere 
ante  eum. 

Matlh.  9,2;  Marc.  2,  3. 

19.  Et  non  invenientes  qua  parte 
ilium  inferrent  prse  turba,  ascende- 
runt  supra  tectum,  et  per  tegulas 
summiserimt  eum  cum  lecto  in  me- 
dium ante  Jesum. 

20.  Quorum  (idem  ut  vidit,  dixit : 
Homo,  remittuntur  tibi  peccata  tua. 

21.  Et  coeperunt  cogitare  scribse, 
et  Pharissei,  dicentes  :  Quis  est  hie, 
qui  loquitur  blasphemias?  quis  po- 
test dimittere  peccata,  nisi  solu* 
Deus? 


Christ,  I'aidaii  a  accornplir  en  eel  inshinl  dos 
guerisons  aiissi  nombreusos  qu'eionnanie>.  il 
y  a  line  graiide  energie  dans  I'impai  fail  ^v 
(«  aderat,  sese  manifesiabat  »).  Eos  rst  uae 
I  conslnicl.  ad  synesin  »  :  les  malades  it  non 
les  Pharisiens.  LalrQ,on  auxov  des  inaiiusciits 
B,  L,  Sin.  (el;  t6  laaOai  auTov,  c'esl-a-dire  «  ut 
ipse  sanaret  »)  offre  pen  de  garanties. 

i8  et  19.  —  Voyez  I'explicalion  delaillee 
dans  I'Evang.  selon  S.  Marc,  pp.  42  et  43. 
—  Paralyticus.  L'expression  correlative  da 
texte  grec,  ■rtapaXe).vi[A£'vo;,  est  pcul-etre  plus 
technique  que  le  itapaXuxixo;  de  S.  Malthieu 
el  de  S.  Marc.  —  Quwrebant  ilium  infene, 
scil.  «  in  domum  »,  comme  il  n's'ille  du  con- 
texte.  —  Non  invenientes  qua  parte...  (dans 
le  grec  imprime,  6ta  uoia;  scil.  66oy,  ellipse 
familiere  aux  classiques  :  mais  los  mi'illeurs 
manuscrits  onl  simplrmont  ito(a?,  genitif  du 
lieu).  Quand  le  malade  et  los  quatre  amis  qui 
le  porlaiont  vin  nt  qu'il  leur  elail  absolnmiint 
impossible  de  penetrer  par  Irs  moyons  ordi- 
naires  dans  la  maison  qui  conlenait  pour  eux 
le  salut,  ils  durcnt  eprouvcr  un  mouvcraent 
petiible;  mais  leur  foi  etait  plus  forte  que  les 
obstacK'S  naturels,  ct  elle  leur  apprit  a  les 
surmonlor.  —  Ascenderunt  supra  tectum  : 
tel  fut  le  premier  acte.  II  elai'  d'une  i  xecu- 
lion  facile,  grcice  a  I'oscalicr  exterieur  donl 
sont  generalean'iU  munies  les  habiialions  de 
I'Orient.  Cfr.  Mallli.  xxiv,  17.  Le  second 
acte  des  poiteurs  est  conlinu  en  abrege  dans 
lesmois  per  tegulas,  (jui  equivali'nt  a  «  nu- 
daverunt  ledum  »  deS.  Marc.  Qmlques  luilcs 
enlev^es  au  toil  plat  de  la  maison  eurcnt 
bientot  laisse  une  ouverture  assez  large  pour 
le  passage  du  malade.  Alors,  summiserunt 
eum  cum  lecto,  au  raoycn  de  cordes  qu'il  pu- 
rent  aisement  se  procurer.  Le  loxte  grec  a  ici 


it),tvtoiov,  au  lieu  de  x).ivri  employe  au  verset 
precedent  :  ce  diminutif  represente  mieux 
la  pauvre  couchette,  ou,  corame  (lit  S.  Marc, 
le  grabat  du  malade.  —  Le  detail  grapliique 
in  medium  ante  Jesum  ne  se  Irouve  quo  dans 
S.  Luc. 

20.  —  Quorum  /idem  ut  vidit...  L'incredu- 
lite  SHile  deplaisait  a  Jesus  :  la  foi  des  sup- 
pliants ne  trouva  jamais  son  coeur  insen^ible  ; 
or,  rhistoireevangeliqueronfcrme  peu  d'exem- 
ples  d'une  foi  aussi  vive  que  celle  du  paraly- 
lique  el  de  ses  humbles  amis  (I'Evangile  apo- 
cryphe  de  Nicodemo  les  appelle  a  bon  droit 
Tiv^i  itidTOTaToi).  Bu  n  loin  done  de  se  plaindre 
d'avoir  ele  interrompu  au  milieu  d'un  dis- 
coiirs  auquel  les  circonstances  (Cfr.  t.  17) 
pretaicnt  une  gravile  exceptionnclle,  le  bon 
Maiir.?  oublia  tout  le  resle  pour  ne  s'occuper 
que  du  nialade.  Sans  meme  lui  laisser  le 
lemps  de  profercr  sa  demande,  il  lui  (lit  avec 
un  ton  d'inoxprimable  mansuelude  :  Homo,  re- 
mittuntur tibipercuta.  L'apostrophe  jilus  douce 
encore  qu'on  lit  dans  S.  Mallhieu,  «  Confide, 
fili  »,  fut  probablement  celle  dont  Jesus  se 
servil.  Le  Sauveur  remet  tout  d'abord  les  p6- 
ches  du  paralyiique,  parce  qu'il  y  avail  entre 
eux  et  la  maladie  exterieure  une  connexion 
inlime,  que  pene'trait  son  divin  regard.  Voyez 
I'Evang.  selon  S.  Malth.  p.  172. 

21.  —  Cette  formule  d'absolution,  qui  arri- 
vail  d'une  manicre  si  inattendue,  frappa  vive- 
mint  loute  I'assi-tance  :  mais  elle  produisil 
aussitot  [loeperunt]  sur  les  Phaiisions  et  les 
Scribes  mentionnes  plus  haul  rimpression 
parliculiere  d'un  grand  scandale.  Le  recit 
sacre  nous  fait  lire  ce  sentiment  au  fond  de 
leurs  coeurs.  Qu'est  done,  se  disaient-ils,  cet 
homme  qui  s'altribue  un  pouvoir  reserve  k 
Dicu  seul  ?  Peut-etre  quelques-uns  d'entre  eux 


CHAPITUE    V 


429 


22.  Ut  cognovit  autem  Jesus  cogi- 
taliones  eorura,  respondens,  dixit 
ad  illos  :  Quid  cogitatis  in  cordibus 
"veslds? 

23.  Quid  est  facilius  dicere  :  Di- 
mittuntur  tibi  peccata;  an  dicere  ' 
Surge,  et  ambula? 

24.  Ut  autem  sciatis  quia  Filius 
hominis  habet  poteslatem  in  terra 
dimilteudi  peccata  (ait  paralytico) : 
Tibi  dico,  surge,  tolle  ledum  tuum, 
et  vade  in  domum  tuam. 

2b.  Et  confestim  consurgens  co- 
ram illis,  tulit  lectum  in  quo  jace- 
bat :  et  abiit  in  domum  suam,  ma- 
gnificans  Deum. 

26.  Et  stupor  appreliendit  omnes, 
et  magnificabant  Deum.  Et  repleti 


22.  Mais  comme  Jesus  connut 
leurs  pensees,  il  leur  dit :  Que  pen- 
sez-vous  eu  vos  coeurs? 

23.  Quel  est  le  plus  facile  de  dire  : 
Tes  peches  te  sont  remis,  ou  de  dire : 
Leve-toi  et  marche? 

24.  Or,  afin  que  vous  sachiez  que 
le  Fils  de  I'liomme  a  sur  la  lerre  le 
pouvoir  de  remeltre  les  peches,  Je 
te  le  commande,  dit-il  au  paraly- 
tique,  leve-toi,  prends  ton  lit  et  va 
en  ta  maison. 

25.  El  aussit6t  se  levant  devant 
eux,  ilpritle  lit  surlequel  il  gisait, 
ets'enalla  dans  sa  maison  glorifiant 
Dieu. 

26.  Et  la  stupeur  les  saisit  tons,  et 
ils  glorifiaient  Dieu.  Et  ils  furent 


se  souvinrenl-il  du  texle  II  Reg.  xii,  13, 
oil  Nathan,  cecelebre  prophete,  annonce  sim- 
plement  a  David  que  le  Seigneur  Jul  avail 
remis  sa  laute.  Et  voici  que  les  paroles  de 
Jesus  revenaient  a  dire  :  Je  le  remels  les 
Decbes. 

22.  —  Ut  cognovit  [S.  Marc  ajoule  «  spirilu 
suo  »,  monlrant  qu'il  s'agil  d'une  intuition 
surnalurelie)...  Jesus  ne  laissa  pas  k  ses  ad- 
versaires  le  temps  de  developper  centre  lui 
leurs  accusations  interieures  de  blaspheme. 
Les  prenant  direclement  a  parlie,  il  mainlint 
viclorieusement,  d'abord  k  I'aide  du  raison- 
nement,  puis  par  un  eclalant  prodige ,  son 
droit  de  parler  coaime  il  venait  de  le  faire. 
—  Cogilalis  in  cordibus.  D'apres  la  psycho- 
logie  hebralque,  c'est  le  cceur,  non  la  tele, 
qui  est  le  laboratoire  principal  des  pensees. 

23. —  Surcette  argumentation  vigoureuse, 
voyez  I'Evang.  selon  S.  Malth.,  p.  173  et  s. 
Dicere,  deux  fois  repele,  en  est  le  mot  capi- 
tal. Un  imposteur  pourrail  aisement  se  dire 
capable  d'accorder  la  remission  des  peches; 
mais  qui  oserait  pretendre,  k  moins  de  se 
sentir  invest!  d'un  divin  pouvoir,  qu'il  pent 
guerir  les  maladies  du  corps? 

24.  —  A  la  question  que  leur  adressail 
Notre-Seigneur,  les  Pharisiens  et  les  Scribes 
n'eurent  rien  a  repondre.  II  reprlt  done  apres 
unecourte  pause  :  Ut  autem  sciatis...  Comme 
on  I'a  dit,  un  miracle  ainsi  annonce  prend 
la  valeur  d'une  importante  demonstration. 
«  Declaravit  ideo  se  ilia  facere  in  corporibus, 
ut  crederetur  animas  peccatorum  dimissione 
liberare ;  id  est,  ut  de  potestate  visibili  po- 
testas  invisibilis  mereretur  Odem.  »  S.  Aug. 

S.  Bible.  S. 


Exp.  ad  Rom.  §  23.  —  Sur  le  Hire  Filius 
hominis,  voyez  rEvaiigile  selon  S.  Mallh., 
p.  161  et  s.  —  Ait  paralytico...  Le  recit  de- 
vienl  aussi  vivant  que  la  scene  meme.  Du 
reste,  en  cet  endioit  il  varie  a  peine  dans  les 
trois  synopliques,  preuve  que  la  tradition 
avirit  conserve  parfailement  le  souvenir  du 
prodige  et  de  loutes  ses  circonslanccs. 

23.  —  Confestim  consurgens.  La  gueiison 
fut  immediate  et  loute  Tassislance  pul  la 
conslater  [coram  illis).  —  Detail  louchunl  non 
moins  que  pitloresque  :  celui  qui  avail  ete 
I'objet  du  miracle,  obeissanl  d'ailleurs  a 
I'ordre  de  Jesus  (t.  24),  tuUt  lectum  in  quo 
jarebat  (pour  «  jacueral  »)  et  abiit...  u  Lec- 
tulus  hominem  tuleral,  dit  a  ce  sujet  un  an- 
cien  aulear;  nunc  homo  leclulum  ferebal  ». 
Cfr.  Arnob.  in  Gen.  i,  43.  La  couche  qui 
avail  ele  autrefois  le  sigiie  de  son  inQrmiie 
devenait  tout  a  coup  une  preuve  evidinle  de 
sa  guerison.  (Au  lieu  de  «  ledum  in  quo  », 
le  texte  grec  porte  seulemmt  e?'  w,  «  super 
quo  »).  — On  est  heureux  d'apprendre  que  le 
paralytique  a  qui  Jesus  avail  ainsi  merveil- 
leusemenl  rendu  la  sanle  ne  fut  pas  un  ingrat, 
el  qu'il  s'en  relourna  chez  lui  magnificans 
Deum.  Nous  devons  ce  trait  a  S.  Luc. 

26.  —  L'impressionprodiiitesur  les  temoins 
du  miracle  fut  immense.  Elle  consisla  en  un 
melange  bien  naturel  d'admiralion  et  do 
sainte  frayeur,  mentionne  de  concert  par  les 
trois  synoptiques.  1°  L'admiration  est  expri- 
m^e  en  termes  energiques  :  stupor  (le  grec 
parle  d'extase)  appreliendit  omnes.  E!le  eut 
pour  resultat  de  meltro  la  louange  de  Dieu 
sur  toutes  les  levres.  2°  La  frayeur  fut  granda 
Luc.  —  9 


4  30 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


rcmplis  de  crainte,  disant  :  Nous 
avoDS  vu  aujourd'hui  des  clioses 
merveilleuses. 

27.  Apres  cela  il  sortit  et  vit  un 
publicain  nomme  Levi  assis  au  bu- 
reau du  peage,  et  il  lui  dit:  Suis-moi. 

28.  Et  laissant  tout,  iJ  se  leva  et  le 
suivit. 

29.  Et  Levi  lui  fit  un  grand  festin 
dans  sa  maison,  et  il  y  avait  une 
foule  nombreuse  de  publicaius  et 
d'autres  qui  etaient  atable  avec  eux. 


sunt  timore,  dicentes 
mus  mirabilia  hodie. 


Quia  vidi- 


27.  Et  posthaec  exiit,  et  vidit  pu- 
blicanum  nomine  Levi,  sedentem 
ad  telonium,et  ait  illi  :  Sequere  me. 

Match.  9,  9;  Marc.  2,  14. 

28.  Et  relictis  omnibus,  surgens 
secutus  est  eum. 

29.  Et  fecit  ei  convivium  magnum 
Levi  in  domo  sua  :  et  erat  turba 
multa  publicanorum,  et  aliorum, 
qui  cum  illis  erant  discumbentes. 


aussi  [repleti  sunt  timore] ,  el  chacun  la  mo- 
tivait  en  disant  a  ceux  qui  Fenlouraienl  : 
Quia  (recitalif)  vidimus  mirabilia.  Le  texLe 
grec  emploie  ici  I'adjectif  wapaSo^a,  qu'on  ne 
trouve  pas  aillours  dans  le  N.  T.,  et  qui,  pris 
a  la  lellre,  signifierait  «  des  choses  eirangps, 
paradoxales  ».  Mais  les  classiques  s'en  ser- 
vant aussi  pour  designer  des  ev^nements 
merveilleux.  «  Sunt  maxime  mirabilia  quae 
sunt  maxime  inexsppctala,  utque  Graeci  ma- 
gis  exprimunt,  7rapd5o?a  ».  Plin.,  Epist.  lib. 
IX,  26.  Cfr.  iElian.  Yar.  ix,  21.  Symmaque, 
dans  sa  traduction  de  I'A.  T.,  le  met  par- 
foi-;  a  la  place  du  eavijidata  des  Septante,  du 
nxSsJ  hebreu. 

7.  Vocation  de  S.  MattMeu  et  faits 
qui  s'y  rattaehent.  v,  27-39. 

Ici  encore,  il  exisle  une  tres-grande  res- 
semblance  entre  les  recits  de  S.  "3Iarc  et  de 
S.  Luc.  Nous  nous  bornerons  done,  le  plus 
sou  vent,  a  noter  les  parlicularites  de  notre 
evangelisle.  Pour  I'explication  detaillee,  nous 
renvoyons  le  lecteur  a  nos  commentaires  des 
deux  premiers  synoptiques. 

ft.  La  vocation  de  S.  Matlhieu  a  fapostolat.  ff.  27-28. 
Parall.  Matth.  ix,  9;  Marc,  ii,  13-14. 

27.  —  Post  hwc  exiit.  Dans  les  trois  narra- 
tions, I'appel  du  publicain  Levi  a  I'aposlolat 
est  rallache  a  la  guerison  du  paralylique. 
Jesus,  eiant  sorti  de  la  maison  oil  avait  eu 
lieu  cette  cure  merveilleuse.  vint  aussitot 
aupres  du  lac  qu'il  aimait  {.Marc,  ii,  13),  et 
c'est  la  que  vidit publicanum  nomine  Levi.  Le 
verb^  grec  eOeaffaxo  serait  mieux  Iraduit  par 
«  aspexil,  contemplatus  est  »,  car  il  suppose 
un  regard  attentit'et  prolonge.  Sur  I'idenlite 
de  S.  MaKhieu  et  de  Levi,  voycz  I'Kvangile 
selonS.  Matlh.,  p.  175.  Levi  (HSi  avait  eie  le 
nom  du  publicain;  Matlhieu  (»na,  don  du 
Seigneur)  devint  celui  de  I'Apolre  de  Jesus. 
—  Sedentem  ad  telonium.  Le  nouvel  elu  etait 
dans  le  plein  exercice  de  ses  fonctions  abhor- 


r^es  des  Juifs,  quand  le  Messie  daigna  I'atla- 
cher  k  sa  personne  divine.  Jesus  montrait 
ainsicombien  peu  il  redoutait  les  prejugesde 
ses  compalriotes.  Cfr.  les  ft.  30  et  ss. 

28.  —  Relictis  omnibus  est  un  trait  touchant, 
propre  a  S.  Luc.  II  prouve  que  Levi  etait 
digne  d'etre  associe  a  Pierre  el  a  Andre,  k 
k  Jacques  et  a  Jean,  qui,  sur  un  mot  du  Sau- 
veur,  avaient  de  meme  tout  abandonne  pour 
le  suivre.  S.  Matlhieu  renonce  done  a  ses 
esperances  de  fortune,  et  s'attache  avec 
bonheur  a  celui  qui  n'avait  pas  une  pierre  ou 
reposer  sa  tele. 

b,  Le  festin  chez  L6vi  et  le  tcandale  des  Phari- 
siem.  ^^.  29-32.  —  Parall.  Matili.  ix,  10  13; 
Marc.  II,  15-17. 

29.  —  Fecit  ei  convivium.  Le  substantif 
Soxin,  qui  correspond  ici  et  xiv,  13,  a  «  con- 
vivium  »  dans  le  texte  grec,  signifie  propre- 
ment  reception.  Les  LXX  I'emploient  quel- 
quefois  de  la  meme  raaniere  pour  traduire 
I'hebreu  nn^*D-  H  est  d'ailleurs  elegant  el 
classiqiie  dans  ce  sens.  Le  banquet  somp- 
lueux  [magnum  :  S.  Luc  seul  releve  ce  detail) 
donne  par  S.  Matlhieu  en  Fhonneur  de  son 
nouveau  Mailre  n'eut  lieu  vraisemblablemf^nt 
que  plusieurs  jours  apr^s  I'appel  :  telle  elait 
deja  I'opinion  de  Tatien  dans  son  Diatessa- 
ron;  mais  on  conQoit  que  les  synoptiques 
aient  voulu  Ten  rapprocher  dans  leurs  narra- 
tions. —  Et  ernt  (c'est-a-dire  o  aderat  ») 
turba  multa  publicanorum...  «  Conveiierant 
enim  ad  eura  pubiicani  sicut  ad  collegam  el 
hominem  ejusdem  oEBcii,  sed  et  ipse,  glorians 
de  praesentia  Chrisli,  convocavit  omnes  », 
S.  Jean  Chrysost.  Horn,  xxxi  in  Matth.  Pe- 
tite circonstance  a  noter  :  les  deux  premiers 
synoptiques  ajoutent  qu'a  la  table  de  Levi 
des  «  pecheurs  »  etaient  assis  en  compagnie 
de  Jesus  et  du  publicain ;  mais  S.  Luc  ne  de- 
signe  tout  d'abord  cette  autre  categoric  de 
convives  que  par  la  vague  expression  el  alio- 
rum. Dans  son  recit,  e'est  sur  les  Pharisiens 


CHAPITRE     V 


134 


30.  Et  murmurabaiit  Pliarissei,  et 
;scrib8e  eorum,  dicentes  ad  discipu- 
los  ejus  :  Quare  cum  publicanis  et 
peccatoribus  manducatis  et  bibitis  ? 

Marc.  2,  16. 

31.  Et  respondens  Jesus,  dixit  ad 
illos  :  Non  egent  qui  sani  sunt  me- 
dico, sed  qui  male  habent. 


32.  Non  veni  vocare  justos, 
peccatores  ad  pcenitentiam. 


sed 


33.  At  illi  dixerunt  ad  eum  :  Quare 
■discipuli  Joannis  jejunant  frequen- 
ter, et  obsecrationes  faciunt,  simi- 
liter et  pharisseorum  :  tui  autem 
edunt,  et  bibunt? 


Marc.  2,  18. 


34.  Quibus  ipse  ait  :  Numquid 
potestis  filios  sponsi,  dum  cum  illis 
est  sponsus,  facere  jejunare? 


30.  Et  les  Pharisiens  et  les  Scri- 
bes murmuraient,  disant  a  ses  dis- 
ciples :  Pourquoi  mangez-vous  et 
buvez-vous  avec  les  publicains  et 
les  pficheurs  ? 

31.  Et  Jesus  leur  repondit :  Ge  ne 
sent  pas  ceux  qui  sont  en  sante  qui 
ont  besoin  de  medecin,  mais  ceux 
qui  sont  malades. 

32.  Je  ne  suis  pas  venu  appeler 
les  justes  mais  les  pecheurs  a  la 
penitence. 

33.  Mais  ils  lui  dirent :  Pourquoi 
les  disciples  de  Jean  et  ceux  des 
Pharisiens  jeunent-ils  et  font-ils  des 
prieres,  tandis  que  les  v6tres  man- 
gent  et  boivent? 

34.  II  leur  dit :  Pouvez-vous  faire 
jeuner  les  fils  de  I'epoux  tandis  que 
I'epoux  est  avec  eux? 


que  retombe  tout  I'odieux  de  l'epiih6te 
«  peccatores  ».  Voyez  le  f.  30.  — Le  pronom 
illis  ail  pluriel  designe  directcmont  Jesus  el 
Levi,  indireclemenl  les  quatre  premiers  dis- 
ciples de  Notre-Seigneur,  d'apres  les  deux 
autres  narrations. 

30.  —  Murmiirabant  (trait  propre  a  S.  Luc) 
Phariscci  et  Scribce  eorum.  Qurlqiies  manus- 
crits  omellent  «  roriim  ».  La  R-cepta  inter- 
verliL  I'ordie  et  dit  :  ol  Y?a[X[J.aT£i;  auTwv  (c'est- 
-a-dire  des  Juifs,  «  conslr.  ad  syn  'sin  »)  xal  ol 
4>api(7aTot.  La  meillenro  iegon  parait  elre  celle 
de  la  Vulgate,  d'apres  laquello  le  pronom  re- 
tombe sur  ('  Phari^aei  »  :  les  Pharisiens,  el  les 
Sciibes  qui  les  accompagiiaient  comme  le- 
gislcs  ofBciels  pour  epier  la  conduile  de  Jesus. 
Cfi .  V,  17.  —  Dicentes  ad  discipulos.  En  s'a- 
dressanl  aux  disciples,  ils  se  pro[)Osaient,  se- 
lon  la  judicieuse  remarque  de  S.  Jean  Chry- 
soslome,  d'exciler  en  eux  des  soupgons  contra 
leur  Mailre. 

31  et  32.  —  Respondens  Jesus.  Peut-etre 
les  amis  de  Jesus  eussent-ils  ete  embarrasses 
pour  repondre  ci  I'insidieuse  question  des 
Pharisiens  ;  aussi  se  hSte-t-il  de  defendre 
lui-m^me  leur  conduite  et  la  sieime.  Des 
deux  plirases  doni  est  composee  son  apoiogie 
'dans  noire  Evangile,  la  premiere,  t.  31,  con- 
siste  en  une  sentence  populaire,  la  seconde, 
t,  32,  en  un  resume  caracteristique  du  role 
do  Notre-Seigneur.  S.  Luc  cite  le  proverbe 
avec  une  nuance  qui  rappelle  sa  condition  de 
medecin  :  ilremplacepar  un  lerme  technique, 


ot  {lYiaivovTs;,  le  mot  plus  general  de  S.  Mat- 
Ihieu  el  de  S.  Marc,  o!  lirxuovTe?. 

C.  Les  disciples  de  S.  Jean-BapHste  et  le  jeHne. 
ff.  33-39.  —  Parall.  Matth.  ix,  14-17;  Marc. 
II,  18-22. 

''33.  —  At  illi  dixerunt.  D'apres  la  narration 
de  S.  Marc,  qui  est  ici  la  plus  complete  et 
par  consequent  la  plus  exacte,  ce  ne  furent 
pas  loul  a  fail  les  memes  interlocuteurs  qui 
adresserent  a  Jesus  celle  seconde  question  : 
elle  lui  fut  posee  conjoinlement  par  les  Pha- 
risiens et  par  les  disciples  du  Precurseur.  — 
Quare  est  omis  par  les  temoins  les  plus  auto- 
rises.  Dans  ce  cas,  il  n'y  aurail  pas  eu  d'in- 
terrofjalion  proprement  dite  :  les  adversaires 
de  Nolre-Seigneur  se  seraient  conlentds  de 
signaler  le  fail.  Celle  legon  rendrait  peut- 
etre  plus  frappant  encore  le  contrasle  etabli 
entre  les  jeunes  ansleres  des  Joannites  et  les 
bons  repas  roproches  a  Jesus.  —  Et  obsecra- 
tiones faciunt :  ces  mots,  qu'on  Irouve  seule- 
menldans  le  iroisieme Evangile,  representent 
des  prieres  speciales  et  prolongees,  qui  ont 
toujours  ele  associees  au  jeiine  pour'ie  rendre 
plus  meritoire. 

34  el  35.  —  Quibus  ipse  ait.  La  replique 
faile  par  le  divin  Mailre  k  cette  nouvelle  ob- 
jection est  divisee  en  deux  parties  dans  la 
redaction  de  S.  Luc.  La  premiere  parlie, 
tt.  34  et  35,  lend  simplemenl  a  prouver 
qu'il  ne  conviendrait  pas  de  faire  jeviner  pour 
le  moment  les  disciples  de  Jesus ;  la  seconde, 


13l 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


3b.  Mais  viendront  des  jours  ou 
I'epoux  leur  sera  enleve;  ils  jeiine- 
ront  ces  jours-la. 

36.  Et  il  leur  faisait  aussi  une 
comparaison  :  Personne  ne  met  a 
un  v^tement  vieux  une  piece  d'un 
v6tement  neuf ;  autrement  le  neuf 
est  dechire  et  la  piece  du  neuf  iie 
s'accorde  pas  avec  le  vieux. 

37.  Et  personne  ne  met  du  vin 
nouveau  dans  des  outres  vieilles; 
autrement  le  vin  nouveau  rompra 
les  'outres,  il  se  repandra  et  les 
outres  seront  perdues. 

38.  Mais  on  doit  mettre  le  vin 
nouveau  dans  des  outres  neuves,  et 
tons  deux  sont  conserves. 

39.  Et  personne  venant  de  boire 


3b.  Venient  autem  dies,  cum 
ablatus  fuerit  ab  illis  sponsus,  tunc 
jejunabunt  in  illis  diebus. 

36.  Dicebat  autem  et  similitudi- 
nem  ad  illos  :  Quia  nemo  commissu- 
ram  a  novo  veslimento  immittit  in 
vestimentum  vetus  :  alioquin  et 
novum  rumpit,  et  veteri  non  con- 
venit  commissura  a  novo. 

37.  Et  nemo  mitlit  vinum  novum 
in  ulres  veteres  :  alioquin  rumpet 
vinum  novum  utres,  et  ipsum  ef- 
fundetur,  et  utres  peribunt; 

38.  Sed  vinum  novum  in  utres 

novos   mittendum  est,  et    utraque 
conservantur. 

39.  Et  nemo  bibens  vetus,  statim 


tt.  36-39,  flemoiUre  qu'ils  ne  sont  pas  ca- 
pables  de  jeuner.  —  Numquid  potestis...  On 
lit  dans  les  autres  recils  :  «  Numquid  possunl 
filii  sponsi...  »  L'aposlrophedirecte  a  quelque 
chose  de  beaucovip  plus  energique.  «  Auriez- 
vous  bien  !e  coeur  de  condamner  aujeune 
ceux  qui  celebrent  joyeusement  une  fete 
nupliale?  »  De  la  sorte,  I'inconvenance  du 
jeune  est  mieux  mise  en  relief,  —  Filios 
sponsi,  ou  plutot,  d'apr&s  le  grec,  les  fils  de 
I'appartement  nuptial:  expression  hebralque 
pour  indiquer  les  amis  les  plus  inlimes  du 
fiance.  —  Par  cette  cliarmanle  metaphore, 
emprunlee  du  roste  au  langage  meme  de 
Jean-Baptiste  (Cfr.  .loan,  in,  29),  ce  qui  iui 
donne  ici  loule  la  force  d'un  argument  a  ad 
hominem  »,  Jesus  compare  sa  presonce  au 
milieu  de  ses  disciples  aux  gaies  ceremonies 
qui  accompagnaient,  huit  jours  durant,  les 
noces  juives.  Toutefois,  ajouLe-t-il  d'un  ton 
empreint  d'une  gravile  solennelle,  je  ne  res- 
terai  pas  loujours  parmi  les  miens,  et  alors 
ils  pourronl  jeuner  sans  inconvenient. 

36.  —  La  foruiule  dicebat  outem  et  (pour 
«  eliam  »)  simililudinem...,  speciale  a  S.  Luc, 
sert  d'inlroduction  a  la  seconde  partie  de  la 
replique.  Le  mot  irapa6o>.io  y  est  pris  dans  un 
sens  large,  pour  designer  une  comparaison. 
Les  deux  nouvelles  images  employees  par 
N.  S.  montrent  fort  bien  I'incompalibilile  qui 
existait  cntre  les  prescriplions  severes  du 
Pharisaisme  el  la  formation  encore  imparfaite 
des  disciples  de  Jesus,  ou  mioux,  pour  prrndre 
les  choses  de  plus  haut,  rincompalibilite  de 
la  Loi  ancienne  el  de  la  religion  du  Christ.  — 
Nemo  commissuram...  En  rapprochant  la  re- 
daction de  S.  Luc  de  celle  des  autres  synop- 
tiques,  le  lecteur  remarquera  ici  une  nuance 


d'expressions  qui  n'est  pas  sans  interet* 
S.  Malthieu  et  S.  Marc  parlent  d'un  vieil' 
habit  raccommode  simplement  ^  I'aide  d'une 
piece  neuve  :  le  troisieme  Evangile  suppose 
deux  vetements  dont  I'un,  enlierement  neuf 
[a  novo  vestimento),  est  mis  en  morceaux  par 
un  tailleur  iiisense  pour  rapieceter  I'aiitre, 
deja  mur  et  vieilii  [veslimentum  vetus),  ce  qui 
fail  deux  habits  gales.  La  figure  acquiert 
ainsi  une  plus  grande  force,  car  un  habit 
neuf  a  plus  de  valeur  qu'une  piece  d'eloffe 
neuve  :  il  y  a  en  sus  la  main  d'oeuvre,  qui 
est  parfois  considerable.  —  Lrs  verbes  rum- 
pit  et  convenit  (ouixtptDvet,  locution  Ires  ele- 
gante) sont  au  fulur  dans  plusieurs  manu- 
scrils.  Voyez  d'ailleurs  dans Tischendorf, Nov. 
Test,  graece,  h.  I.,  les  nombreuses  variantes 
qui  exislenl  a  propos  de  ce  versel. 

37  L'l  38.  —  Autre  figure,  pour  dire  qu'au 
point  de  vue  moral  et  religieux,  de  nieme 
que  sous  le  rapport  materiel,  le  vieux  et  le 
neuf  ne  vont  pas  ensemble,  et  qu'on  les  gSte- 
rait  I'unet  I'aulreen  voulant  lesjoindre  d'une 
maniere  inconsideree.  Le  vin  jeune  et  ge- 
nereux  de  I'Evangile  ferait  eclater,  par  sa 
force  d'expansion,  les  vieilles  outres  phari- 
salques.  —  Les  raois  et  utraque  conservantur, 
qui  terminent  le  t.  38,  sont  omis  par  les 
manuscrits  B,  L,  Sin.  el  plusieurs  minuscules-. 

39.  —  Dans  le  lexle  grec,  la  premiere 
moitie  dece  verset,  oOSei?  m«i)v  naXaiov  eOOe'wc 
ee),ei  v£ov,  forme  un  vers  iambique  ;  mais  c'est 
la,  selon  toule  vraisemblance,  un  fait  pure-' 
ment  accidentel.  Au  t.  21,  la  phrase  tU 
eoTiv  oStoi;  6;  ).a).er  pXaff^riixta;;  pouvait  d^ja  se 
scander  comme  un  ianibe.  —  Cette  nouvelle 
comparaison,  qui  n'esl  pas  moins  pittoresque 
que  les  precedentes,  est  une  particularity  de 


CHAPITRE  VI 


133 


vult  novum,  dicit  enim  :  Vetus  me- 
lius est. 


du  vin  vieux  n'en  veut  aussitCt  du 
nouveau,  car  il  dit  :  Le  vieux  est 
meilleur. 


CHAPITRE  Vi 

Les  epis  ot  !e  jour  du  sabbat  {tt.  1-5).  —  Guerison  d'line  main  degsechee  {tt.  6-11).  — 
Choix  des  4p6lres  {tt.  12-16).  —  Foules  iiombreuses  aiUour  do  Jesus  [tt.  17-19).  — 
Discours  sur  Ja  monlagne  [tt.  20-49). 


1.  Factum  est  autem  in  sabbato 
secundo  primo,  cum  transiret  per 


1 .  Or  il  arriva  qu'un  jour  de  sab- 
bat second-premier,  comme  il  pas- 


S.  Luc.  Elle  semble  egaietnent  empruntee  a 
la  situation  :  on  elait  a  la  fin  du  repas  et  ie 
-vin  circulait  dans  les  coupes.  Rien  de  plus 
•clair  que  son  sens  direct.  Quel  est  Thomme 
qui,  apres  avoir  bu  du  vin  vieux  pendant  un 
certain  temps  (iriwv  du  texte  grec,  «  quum 
biberit  »,  au  lieu  do  b'bens,  pent  supposer 
una  dur^e  plus  ou  moins  considerable),  aura 
la  pensee  d'en  demander  tout  a  coup  du 
nouveau? II  seditau  contraire.  et  habituelle- 
•ment  avec  raison  :  Vetus  melius  est  (ou  mieux, 
d'apres  une  variante  suffisammpnt  garantie  : 
«  Vetus  bonum  »,  xpi'i'^'^o?  au  posit'!) ;  car  ie 
vin  vieux  est  en  general  plus  doux  et  plus 
savoureux  au  palais.  Au  moral  ci'la  signifie 
que  tous  les  changements  sont  penibles,  que 
J'on  ne  s'accoutume  pas  en  un  instant  a  un 
genre  de  vie  ou  d'ldees  lotalemenl  nouveau, 
noire  esprit  prenant  peu  h  [leu.  sous  I'inflence 
des  vieilles  habitudes,  un  pit  qu'il  lui  est  en- 
suite  bien  difficile  d'abandonner.  Or.  voila 
precisemenl  ce  que  Jesus  voulait  indiquer 
^ar  cetle  image.  Le  vin  vieux  dont  il  parle 
represents  en  etfet  I'antique  religion  mosaique 
sous  la  forme  rigide  que  lui  avaieni  donnee 
les  Pharisiens;  le  vin  nouveau  symbolise  la 
religion  i  hrelienne.  Eut-il  eie  naturel  que  les 
Juifs  renongasspnl  tout  a  coup  (statiin.  expres- 
sion capiiale.  niaiadroitcment  om.se  par  les 
manuscrils  B.  C,  L,  Sm.)  a  des  idees.  a  des 
prejuges,  dont  ils  etaient  d^puis  longtemps 
imbus,  pour  (aire  un  parfail  accueil  a  I'en- 
seignement  du  Sauveur?  C'est  done,  on  le 
voit,  une  excuse  aimable  de  leur  conduit?  et 
de  leur  incredmite  qui  est  contenuo  dans  ce 
verset.  Laiss^zfaire  nosaccusateurs  scmblait 
dire  Jesus  a  ses  disciples  :  li-ur  resi-lance  est 
nalurelle.  Mais  ils  finiront  par  s'habituer  au 
vin  nouveau  de  I'Evangile,  qui,  du  reste,  ne 
manquera  pas  lui-mSmo  de  vieillir.  —  Les 


Rabbins  aussi  emploient  quelqucfois  au  figur^ 
cette  comparaison  du  vin  vicMix  oi  dii'vin 
nouveau.  Par  exemple,  Piike  Abolh,  iv, 
20  :  «  Celui  qui  a  des  homines  age-;  pour 
profes>eurs,  a  quoi  ressemble-l-il  ?  11  res- 
semble  a  un  homme  qui  mange  des  grappes 
mures  et  qui  boit  du  vm  vieux.  Et  celui  qui 
a  des  jeunes  gens  pour  instructeurs,  a  quoi 
ressemble-t-il?  A  ua homme  qui  mange  des 
raisins  verts  et,  qui  boit  du  verjus  ». 

8.  Lies  epis  et  le  jour  du  sabbat.  vt,  1-5. 

Farall.  Matth.  xii,  1-8;  Marc,  ii,  23  'iii. 

Les  evenemmts  anterieurs  (Cfr.  v,  21,  30 
et  ss.)  ont  devoile  une  opposition  secrete  des 
Pharisiens  centre  Jesus  et  nous  ont  fail  pres- 
senlir  un  conflit.  Voici  que  la  lulle  eclate 
maintenant  au  grand  jour.  —  Sur  les  discus- 
sions de  Not-(!-SiMgneur  avec  les  Juifs  a 
propos  du  sabbat,  voyez  Wiseman,  Melanges,* 
p.  205  et  ss. 

Chap.  vi.  —  1.  —  In  sabbato  secundo 
pvimOj  £v  aaSSi^bi  SsuTepoTipwrw.  Noire  evan- 
geliste  a  seul  menlionne  cette  dale,  qui  est 
demeuree  tres  mysterieuse,  nalgre  les  efforts 
des  commentateurs  pour  I'eclaircir.  L'oxpres- 
sion  ScUTspoTtpwro;  ne  se  renconlre  en  elfcl 
nulle  part  aillenrs  dans  la  litterature  profane 
ou  sacree  :  a  defaul  d'analogies,  on  en  est 
done  leduit,  a  son  sujet,  a  des  conji'ctures 
plus  ou  moins  vraisi^mblables.  Qu'il  Slffi^ede 
signaler  les  principales.  1°  D'apres  S.  Jean  f 
Ciirysoslome  (Horn,  xl  in  Matlh  ),  Paulus, 
Olsliausen,  etc.,  il  s'agirait  d'une  feti>  chomee 
succedant  sans  interruplion  ^devxipa.]  a  la  so- 
lennito  du  sabbat  (Tiptoxri).  20  S.  Isidore  de 
Peluse  (ep.  iii,  110).  Euthymius.  elc,  sup- 
posent  que  S.  Luc  a  ainsi  designe  le  premier 
jour  des  pains  azyines  (irpwTT)  xwv  d^Oawv),  qui 
se  trouvail  elre  d'une  certaine  maniere  le 


434 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


salt  le  long  des  bles,  ses  disciples 
rompaient  des  epis  et,  les  froissant 
dans  leurs  mains,  les  mangeaient. 

2.  Quelques-uns  des  Pharisiens 
leur  disaient :  Pourquoi  faites-voiis 
ce  qui  n'est  pas  permis  les  jours  de 
sabbat? 

3.  Et  Jesus  leur  repondit :  N'avez- 


sata,  vellebant  discipuli  ejus  spi- 
cas,  et  manducabant  confricantes 
manibus. 

Mallh.  12,  1;  Marc.  2,  23. 

2.  Quidam  autem  Pharieaeorum 
dicebantillis  :  Quid  facitis  quod  non 
licet  in  sabbatis? 

3.  Et  respondens  Jesus  ad  eos^ 


second  de  la  fete  pascale  (osuispa  xou  716.0^0-]. 
30  Louis  Cappell,  Lampe  el  plusieurs  autres 
voient  dans  i'epithete  Seu-epoTrpto-ov  une  allu- 
sion a  la  double  annee  des  Juifs,  I'annee 
civile,  qui  conimenQail  au  mois  de  Tischii 
{vers  I'aulomne),  el  I'annee  ecclesiaslique, 
qui  s'ouvrail  le  'ler  Nisan  (vers  le  prinlemps)  : 
ii  y  aurail  eu  ainsi  deux  premiers  sabbats,  le 
premier-premier  en  Tischri,  el  le  second- 
premier  en  Nisan.  4''  D'apres  Maldonal  et 
Grolius,  les  Juifs  disiinguaient  par  des  noms 
particuliers  les  Irois  grands  sabbals  (npw-ra 
(jagoaTtt)  qui  lombaienl  dans  les  octaves  de 
Paque,  de  la  Penlecole  el  des  Encenies  :  le 
premier  s'appelail  itpioxoTtpw-ov.  Ie second  osu- 
xepoupuTov,  le  Iroisieme  tpitottowtov.  oo  Wet- 
slein,  Slorr,  etc.,  se  decidenl  en  faveur  du 
premier  sabbat  du  second  mois  de  Tannee 
•ecclesiaslique  (lyar).  60  Comme  il  exi-lail 
chez  les  Juifs,  en  vertu  d'une  prescriplion 
divine  (Cfr.  Ex.  xxiii,  10  et  ss.;  Lev.  xxv, 
2  el  ss.) ,  des  annees  diles  sabbatiques, 
qui  revenaient  tous  les  sept  ans ,  Wiese- 
ler,  Chron.  Synopse,  pp.  226-237,  van 
Ooslerzee  et  d'aulres  exegetes  ont  assez  in- 
genieusement  conclu  de  celle  institulion  que 
le  jour  designe  par  Texpression  obscure  do 
S.  Luc  etail  le  premier  sabbat  de  la  srconde 
des  sept  annees  qui  formaient  un  cycle  sab- 
baliqup.  7o  Le  sentiment  le  plus  co'mmune- 
ment  admis  csl  celui  de  Scaliger,  de  Emendal. 
tempor.  1.  vi,  suivanl  lequel,  dans  le  adggatov 
ScUTepoTrpcoTov,  il  faudrail  voir  le  premier 
sabbat  qui  suivait  le  second  jour  de  la  Paque. 
La  loi  ordonnait  en  effel  qu'a  parlir  de  ci; 
jour,  celebre  enlre  les  autres  dans  Toctave 
pascale  parce  qu'on  y  offrail  a  Dieu,  au  mi- 
Jieu  de  grandes  rejouissances,  les  premiers 
epis  murs,  on  comptal  sept  sabbats  jusqu'a 
la  Penlecole;  or,  a  leur  numero  d'ordre  aurait 
ele  ajoule,  pour  les  distinguer  des  autres 
sabbats  de  Taniiee,  un  mol  qui  indiquail  leur 
point  de  depart.  AEUTepoTrpwiov  equivaiidrait 
ainsi  a  Tipwrov  t^;  SEwxepa?,  c'esl-a-dire,  dTto 
Tj;;  oeuTe'pa;.  Clr.  Lev.  xxiii.  10  el  ss.;  Winer, 
Realwoerlerbuch,  s.  v.  Sabbath ;  Lighlfoot, 
Hor.  hebr.  in  Malth  xii.  Quoi  quil  "in  soil 
d'ailleurs  de  loutes  ces  hypotheses,  I'epoque 
de  I'annee  ou  eut  lieu  I'incldent  raconle  par 


S.  Luc  est  clairement  marquee  par  le  con- 
texte  :  c'etait  pen  de  temps  avant  la  moisson. 

—  Tregelles  el  Meyer  suppriment  I'adjeclif 
6eu-£poTrpwTov  comme  une  glose  marginale, 
sous  preiexte  qu'il  a  ele  omis  par  d'impor- 
tants  maniiscriis  (B,  L,  Sin.,  plusieurs  mi- 
nuscules) et  par  les  versions  copte,  ethio- 
pienne,  arabe,  gothique,  etc.  Mais  celle  omis- 
sion s'expliquesuCDsamment «  ex  ignoratione 
rei  »,  comme  le  disait  deja  Bengel  :  au  con- 
traire,  I'mserlion  d'un  mot  si  obscur  n"a  au- 
cune  raison  d'etre.  Aussi  Tischendorf,  qui 
I'avail  efface  dans  ses  premieres  editions,  I'a- 
t-il  a  bon  droit  reinlegre  dans  les  suivanles. 

—  Qmun  Irausiret  per  sata.  S.  Maic  emploio 
le  verbeTtapa-opeOccOat,  S.  Luc  a  otaTtopeusaOat; 
S.  Maltliieu  a  simplement  ettopeOOyi —  Confri- 
cantes  manibus  est  un  trait  pilloresque,  spe- 
cial au  Iroisieme  Evangile.  L  s  Apotres  use- 
rent  en  cette.  occasion  du  privilege  accorde- 
anx  imii'^'enls  par  la  loi  mosaique,  Deut. 
xxiii,  25. 

2  —  Quidam  Pharisaorum.  Expression  plus 
precise  que  le  «  Pharisaei  »  (oi  4>api(jatoi)  des 
deux  aulres  evangelisles.  Le  frugal  repas  des 
disciples  fut  done  bientot  inlenompu  par  la^ 
malignile  phaiisaique.  Yous  vioUz  le  sabbat, 
leur  crierent  rudement  ces  puritains  du  Ju- 
dai-me.  Les  amis  de  Jesus  anachai:  nt  des 
ej.i-,  pui>  ils  les  frollaient  enlre  leurs  mains  : 
c'etaienl  la  deux  violations  enormes  du  repos 
sabbatique,  le  premier  acleelanl,  au  dire  des 
Rabbins,  analogue  a  celui  des  mois-onneurs, 
le  second  ideniique  au  battage  du  bie!  Voyez 
I'Evang.  selon  S.  Matlh.,  p.  23^  et  s.  II  est  a 
noler  que,  d'apres  S.  Luc,  les  Pharisiens  s'a- 
dressent  directement  aux  disciples  {quid  fa- 
citis...], landis  que,  suivant  S.  Mauh;eu  et 
S.  Marc,  il  auraienl  inlerpelle  le  Sauveur  lui- 
meiiie.  Le  Yen.  Bede  indiquail  deja  le  vrai 
moyen  de  concilier  les  lecils.  «  Alii  (Matth.et 
Marc.)  dicunl  ipsi  Domino  hsecfuisse  objecta; 
sed  a  diversis,  et  ip>i  Domino  el  discipulis 
potiierunl  objici  ».  —  Le  pronom  illis  man- 
que dans  les  manuscrils  B,  C,  L,  X.  etc. 

3  el  4.  —  Ces  deux  verseis  contieniient  la 
premiere  parlie  de  I'apologie  du  Sauveur. 
L'exemple  de  David  est  admirablemenl  alle- 
gue  pour  prouver  qu'il  est  des  cas,  et   leL 


CHAPITRE  VI 


M5. 


dixit :  Nee  hoc  legistis  quod  fecit 
David,  cum  esurisset  ipse,  et  qui 
cum  ilio  erant; 

4.  Quomodo  intravit  in  domum 
Dei,  et  panes  propositionis  sumpsit, 
et  manducavit,  et  dedit  his  qui  cum 
ipso  erant :  quos  non  licet  mandu- 
care  nisi  tantum  sacerdotibus? 

I  Reg.  21,  6;  £xod.  29,  32;  Lev.U,  9. 

5.  Et  dicebat  ilUs  :  Quia  dominus 
est  Filius  hominis  eliam  sabbati. 

6.  Factum  est  autem  et  in  alio 
sabbato,  ut  intraret  in  synagogam, 
et  doceret.  Et  erat  ibi  homo,  et  ma- 
nus  ejus  dextra  erat  arida. 

Macth   1-2,  ^0;Marc.  3,1. 

7.  Observabant  autem  scribse  et 
Pharissei,  si  in  sabbato  curaret  :  ut 
invenn^ent  unde  accusarent  eum. 


vous  pas  lu  ce  que  fit  David,  lors- 
qu'il  eutfaim,  lui  et  ceuxqui  etaient 
avec  lui? 

4.  Comment  il  entra  dans  la  mai- 
son  de  Dieu  et  prit  les  pains  de  pro- 
position qu'il  n'est  pas  permis  de 
manger  si  ce  n'est  aux  pretres  seuls, 
et  en  mangea  et  en  donna  k  ceux 
qui  etaient  avec  lui? 

5.  Et  il  leur  disait  :  Le  Fils  de 
riiomme  est  maitre  meme  dusabbat. 

6.  Et  un  autre  jour  de  sabbat  il 
advint  qu'il  entra  dans  la  synago- 
gue et  enseigna.  Et  il  y  avait  la  un 
homme  dont  la  main  droite  etait 
dessechee. 

7.  Or  les  Scribes  et  les  Pharisiens 
observaient  s'il  guerirait  un  jour  de 
sabbat  pour  trouver  de  quoi  Tac- 
cuser. 


etait  cekii  des  Apolres,  oil  la  loi  positive  doit 
le  ceder  a  la  loi  naturelle.  Yoyez,  xiii,  41 
el  ss.,  un  raisonnement  du  meme  genre, 
mais  plus  pressant  encore  parce  qu'il  revel  le 
caraclere  d'argumenl  «  ad  hominem  ».  Les 
trois  narralions  different  a  peine  ici  I'line  de 
I'aulre  par  qiielques  nisances  in>igniriantes. 
L'action  de  David  est  introduilo  dans  celle  de 
S.  Liic  avec  plus  d'emphase  :  toOto  avsyvwTe 
6  eTtoCrjde  an  lieu  de  avsyvtoxe  xi  ETtotriffe).  L'em- 
ploi  des  conjonclions  oTioTE  el  w;  (h  s  aiitres 
synopliques  onl  oit  et  •jvw;)  ,  I'addilion  du 
parlicipe  ovte;,  el  du  verbe  eXaSs  {sumpsit) 
sonl  d'aiities  pelits  details  propres  a  notre 
evangeiisle.  11  est  vrai  que  ovte;  et  lla.6e  sent 
omis  par  divers  manuscrils  (B,  C,  D,  X  onl 
>.d6(ov). 

5.  —  Seconde  partie  de  I'apologie,  intro- 
duite  par  la  t'ormule  et  dicebat  illis.  Non-seu- 
lemenl  la  conduite  des  disciples  pouvail  elre 
juslifiee  au  moyen  d'exeraples  ceiebies,  mais 
le  Fils  de  rhomme,  c'esl-a-dire  le  Messie, 
leur  Mailre,  avait  eu  le  droit  de  I'autoriser, 
en  sa  qualile  de  Legislaleur  souverain.  Si  le 
service  du  temple,  comme  radmeltaienl  les 
Rabbins  eux-memes,  I'emportail  de  beaucoup 
sur  le  repos  du  sabbat,  a  plus  forte  raison  la 
volonte  dn  Messie.  —  Le  Cod.  D.  transpose 
ce  verset  a  la  suite  du  lOe,  et  inserc  a  sa 
place  les  paroles  suivanles,  que  plusieurs 
exegetes  regardenl  a  tort  comme  auiht-nti- 
ques  ;  ttj  aut?)  fiiiipa.  6ea(ja(Aevo;  tiva  epyailojiE- 
vov  Tw  (jaSSaTw  eiTiev  auxw"  avOpwirs,  el  [aev  oIook; 
ti  Ttotei;,  ixay.dcpto;  eV  el  5e  [jly)  oioa;,  eTiiy.axdpaToi; 
xaiirapafidTY)!;  eT  touvojaou.  Jesus  cliiil  trop  ami 
de  la  loi  pour  lenir  un  pared  langage. 


9.  Guerison  d'une  main  dessechee.  vi,  6-H^ 

Parall.  Matth.  xii,  9-14;  Marc,  iii,  1-6. 

Voyez  rexplication  detaillee  dans  I'Evang. 
selon  S.  Malih.  p.  239  et  ss. 

6.  —  Factum  est...  et  in  alio  sabbato, 
S.  Luc  a  seul  mentionne  celle  dale.  La  pre- 
dication de  Jesus  dans  la  synagogue  [doceret] 
et  I'epilhele  dextra,  digne  du  «  medecin  bien- 
aime  »,  sonl  egalement  des  traits  qui  lui  ap- 
partiennenl  en  propre.Les  Saints  Peres,  s'ap- 
puyant  sur  la  tradition  qui  fait  de  I'homme 
a  la  main  aride  un  ancien  magon,  aiment  a 
voir  dans  ce  pauvre  infirme  un  type  du  Ju- 
daisrae,  qui,  a  I'epoque  de  Notr'e-Seigneur, 
elan  loi.l  a  fait  incapable  de  baiir  un  temple 
a  la  gloire  de  Dieu. 

7.  —  Observabant  (itapeTifipoyv  «  accurate 
aspiciebant  » )  eum  scribes  et  Phariscei.  Ici 
couime  en  plusieurs  aulres  passages,  la  men- 
tion des  Scribes  est  speciale  a  S.  Luc.  Noire 
evangeiisle  met  ties  forlemenl  en  relief  les 
intentions  hosliles  de  ceux  qui  observaient 
ainsi  Notre-Seigneur  :  ut  invenirent  unde  ac- 
cusarent turn  (lilteralement,  d'apres  le  grec  : 
«  ut  invenirent  accusalionem  ejus  »,  c'esl-a- 
dire  «  materiam  accusandieum  »).S.Malthieu 
et  S.  Maic  onl  simplement  :  «  ul  accusarent 
eum  ».  —  Au  lieu  du  futur  GepaTreOaei,  les 
manuscrils  A,  D,  L,  Sin.,  etc.,  emploi-nt  le 
present  eepaTteuet,  «  curat  »,  qui  donne  plus 
de  vie  au  recil.  —  D'apres  ces  Pharisiens 
sans  coeur,  guerir  un  malade  en  un  jour  de 
sabbat  etail  done  un  crime  enorme,  a  moins 
de  circonslancf's  exlraordinaires.  Quelques 
Rabbins  n'allaient-ils  pas  jusqu'a  regarder 


f36 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


8.  Mais  il  connaissait  leurs  pen- 
sees  et  il  dit  a  riiomme  qui  avail  la 
main  dessecliee  :  Leve-toi  et  tiens- 
toi  debout  au  milieu.  II  se  leva  et  se 
tint  debout. 

9.  Mais  Jesus  leur  dit :  Je  vous 
demande  s'il  est  permis,  les  jours 
de  sabbat,  de  faire  du  bien  ou  du 
mal,  de  sauver  la  vie  ou  de  Toter? 

10.  Et  apres  les  avoir  regardes 
tous,  il  dit  a  cet  homme  :  Etends  ta 
main.  EL  il  Tetendit,  et  sa  main  fut 
guerie. 

11.  Mais  ils  furent  remplis  de  de- 
mence,  et  ils  parlaient  ensemble  de 
ce  qu'ils  feraient  a  Jesus. 

12.  Et  en  ces  jours-la  il  s'en  alia 


8.  Ipse  vero  sciebat  cogitationes 
eorum  :  et  ait  homini  qui  habebat 
manum  aridam  :  Surge,  et  sta  in 
medium.  Et  surgens  stetit. 

9.  Ait  autem  ad  illos  Jesus  :  Inter- 
rogo  vos,  si  licet  sabbalis  benefa- 
cere,  an  male;  animam  salvam  fa- 
cere,  an  perdere? 

10.  Et  circumspectis  omnibus 
dixit  homini  lExtende  manum tuam. 
Et  extendit,  et  restituta  est  manas 
ejus. 

11.  Ipsi  autem  repleti  sunt  insi- 
pientia,  et  colloquebantur  ad  invi- 
cem,  quidnam  facerent  Jesu. 

12.  Factum  est  autem  inillis  die- 


corame  une  violation  du  repos  sabbaiique 
I'aciion  de  consoler  les  personnes  mala- 
des!  Cfr.  Scliabbal,  42,  1;  Schoeltgen,  Hor. 
hebr.  IV,  p.  123. 

8.  —  Ipse  vero  sciebat  cogitationes  eorum  : 
nouveau  trail  prop:e  a  noire  evangeliste, 
comma  aussi,  dans  la  scene  vraiment  drama- 
lique  qui  lermine  le  versel,  les  mots  et  sta, 
puis  I'execution  de  I'ordre  da  Sauveur  :  et 
surgens  stetit.  Jesus  vouluL  donner  un  grand 
dclal  a  la  guerison. 

9.  —  Interrogo  vos  est  une  expression  eni- 
phatique,  speciale  a  S.Luc.  Nous  mainlenons 
le  lemps  present  a  la  suite  des  manuscrits 
B,  L,  etc.,  el  de  la  version  cople,  quoique  la 
Recepla  ait  le  fulur  BTzipM-r^aw.  —  Si  licet : 
de  meme  les  manuscrits  B,  D,  L,  la  version 
cople  (  t  ritala.  La  Recepla  porle  ■"  e^icn; 
«  quid  licet ». — Benefacere  an  male,  dya6o-oiri- 
aat  9i  y.a/.o-o'.f,G-au  Les  nioLs  suivants,  animaiii 
(hebrai's;iic  pour  a  vitam  »)  salcam  facere  an 
perdere  expriment  'la  meme  idee  d'une  ma- 
niere  plus  energique.  —  La  question,  ainsi 
posee,  etail  loule  resohie  :  le  Sauvjeur  avail 
raontre  par  son  dilemne  irrefutable  que  le 
bien  omis  equivaut  souvenla  un  mal  commis. 

10.  —  Circumspectis  omnibus.  Jesus  a  beau 
regarder  tout  autour  de  lui  :  il  ne  voit  per- 
sonne  qui  ose  lui  repondre.  «  At  iili  tace- 
banl  >;,  Marc,  iii,  4.  II  opere  alors  victorieu- 
sem?nt  la  guerison.  —  Au  lieu  de  et  extendit, 
on  lit  dans  le  texle  grec  :  6  5s  s^Toiridev  oOtw. 
On  y  lit  aussi;  apres  inanus  ejus,  i;  rj  a).),Ti, 
a  sicul  allera  ».  Cfr.  Matlh.  xii,  13. 

H .  —  Ipsi  autem  repleti  sunt  tnsipientia. 
Trait  propre  a  S.  Luc.  Le  Iriomphe  public  de 
leur  adversaire  el  leur  propre  humiliation  re- 
doublerent,  on  le  conQoit,  I'exasperalioii  des 
Pharisicns;  mais  leur  fureur  meme,   ainsi 


qu'il  arrive  souvenl ,  les  remplii  d'avcugle- 
menl  el  de  folie.  —  Colloquebantur  ad  invi- 
cem  est  plus  piltoresque  que  le  «  concilium 
faciebanl  »  des  autros  synoptiques.  Mais , 
d'autre  part,  les  mots  quidnam  facerent  Jesu 
caraclerisent  moins  neltom'^nt  que  I'exp-es- 
sion  parallele  de  S.  Mailhien  ot  de  S.  Marc 
(«  quoinodri  eum  perdcrent  »)  les  no.rs  pro- 
jets  des  Pliarisiens  ft  des  .Scribes.  L  empioi 
de  la  forni!^  eolienne  de  i'optdtif  dans  le  texte 
grec  (-rtO'-rjaEiav)  est  neanmoins  delicate.  La 
traduciion  exacie  serait :  «  Quid  forte  facien- 
dum vider(  tur  ».  S.  Luc  a  voulu  indiquer 
par  cette  nuance  qu'ii  regnail  encore  une 
cerlaine  indecision  dans  I'esDril  des  ennemis 
du  Sauveur. 

10.  Choix  des  Apotres  et  Discours 
sur  la  montagne.  vi,  12-49. 

Deux  fails  de  la  plus  grande  importance, 
entre  lesquels  il  existe  une  elroite  connexion. 
Le  choix  des  Douze  et  le  discours  sur  la  mon- 
tagne  sent,  a  vrai  dire,  les  premieres  demar- 
ches decisives  que  Jesus  enirepril  en  vue  de 
constituer  son  Eglise.  Par  I'une  il  se  donnait 
des  aides  et  des  assesseurs.  par  i'autre  il 
promulguait  la  «  grande  charle  »  du  royauine 
des  cieux.  Aussi  esl-il  lout  a  fail  prooable 
que  S.  Luc  a  conserve  ici  I'ordre  hislorique 
des  evenements  (voyez  I'Harmonie  evangeli- 
quej.  D'ailleurs  S.  Marc  raconte  comaie  lui 
le  choix  des  Douze  immedialemenl  apres  la 
guerison  de  la  main  dessechee. 

a.  Choix  des  Apotres.  vi,  12-16.  —  Parall.  Matth. 
X,  2-4;  Marc,  m,  13-19. 

M.  —  In  illis  diebus.  Date  as-ez  vague  en 
soi ;  elle  suppose  neanmoins  qu'il  ne  devait 
pas  s'etre  ecoule  un  temps  notable  entre  cet 


CHAPITRE  VI 


437 


bus,  exiit  in  montem  orare,  et  erat 
pernoctans  in  oratione  Dei. 

13.  Et  cum  dies  factus  esset,  vo- 
cavit  discipulos  suos  :  et  elegit  duo- 
decim  ex  ipsis  (quos  et  apostolos 
nominavit)  : 

Matth.  10,  1 ;  Marc.  3,  13. 

14.  Simonem,  quern  cognomina- 
vit  Petrum,  et  Andream  fratrem 
ejus,  Jacobum  et  Joannem,  Philip- 
pum  et  Bartholomseum, 

15.  Matthseum  et  Thomam,  Jaco- 
bum Alphaei  et  Simonem,  qui  vo- 
■catur  Zelotes. 

16.  Et  Judam  Jacobi  et  Judam 
Iscariotem,  qui  fuit  proditor. 


sur  la  montagne  pour  prier,  et  il 
passa  toute  la  nuit  a  prier  Dieu. 

13.  Et  lorsque  le  jour  fut  venu 
il  appela  ses  disciples  et  choisit 
douze  d'entr'eux  (qu'il  nomma  aussi 
ap6tres)  : 

14.  Simon,  auquel  il  donna  le 
surnom  de  Pierre,  et  Andre  son 
frere,  Jacques  et  Jean,  Philippe  et 
Barthf^lemi, 

15.  Matthieu  et  Thomas,  Jacques 
fils  d'Alphee  et  Simon  appele  le 
Zele, 

16.  Judas  frere  de  Jacques  et 
Judas  Iscariote  qui  fut  le  traitre. 


■evenemenl  et  celui  qui  precede.  —  Exiit  in 
montem;  dans  le  grec,  eT;  t6  opo?,  avec  I'ar- 
ticle  (sur  la  moiUagne),  comme  dans  S.  Mal- 
thi;u  el.  dans  S.  Marc.  Voyez  iiutre  commen- 
taire  du  premier  Evangile,  p.  98.  —  Orare, 
et  erat  pernoctans...  Tiail  special.  Le  verbe 
SiavuxtepeOw,  qu'on  ne  rencontre  qu'en  ce 
passage  du  N.  T.,  designe  une  veille  proion- 
gee  pendant  toute  la  nuit.  Cfr.  Brelschneider, 
Lexic.  man.  s.  v.  In  oratione  Dei  est  un  «  ge- 
niliv.  objecti  »  pour  «  in  oral,  ad  Deum  ».  Cfr. 
Mallh.  X,  i  ;  Act.  iv,  9  ;  Gal.  ui,  22  ;  I  Joan. 
II,  5.  Comme  les  Juifs  hellenistes  donnaienl 
le  nom  de  Trpodsuxii  aux  oraloires  qu'ils  eri- 
goaienl  paifois  en  des  localites  ou  ils  etaient 
en  irop  pelil  nombre  pour  avoir  une  synago- 
gue (Cf.  Act.  XVI,  13;  Juv.  Sat.  iii,  296), 
divers  auleurs  onl  conclu  du  texle  grec  de 
S.  Luc,  £v  TY)  Tipoceux^  '^°^  0iou,  que  Notre- 
Seigneur  aurait  passe  la  nuit  dans  un  de  ces 
edifices.  Mais  c'est  la  un^  hypolhese  sans 
fondemenl,  d'autanl  mieux  qu'il  n'est  nulle 
pari  question  de  «  proseukai  »  consiruiles 
sur  des  raonlagnes  el  en  des  lieux  solitaires. 
—  Jesus  proslirne  aux  pieds  de  son  Pere  ce- 
leste au  sommel  du  Kouroun-Hatlin,  et  pas- 
sant loule  la  nuit  a  prier,  quel  spectacle 
grandiose!  Que  denoancla-t-il  duranl  sa  lon- 
gue  oraison?  Le  contexle  I'indique.  II  pria 
inslamraent  pour  ses  futurs  Apolres,  afin 
qu'ils  fussenl  dignes  de  leur  sublime  voca- 
tion. S.  Jean  nous  lera  entendre,  xvii,  6-9. 
un  echo  de  cette  fervente  priere. 

13.  —  Plusieurs  des  details  renffTmes  dans 
ce  versel  sonl  propres  a  S.  Luc,  nolamment 
ia  circonstance  de  temps,  quum  dies  factus 
esset,  puis  le  nom  d'apolres,  c'esl-a-dire 
d'envoyes,  donne  par  le  Sauveur  a  ses  douze 
dius  'quos  et  apostolos  nominavit).  Des  mots 
cocaoit  discipulos  suos  (dans  le  grec,  Ttpooe^w- 


vrjffE,  il  appela  a  lui)  on  peut  induire  qu'un 
certain  nombre  de  disciples  avaienl  accom- 
pagne  Jesus  jusque  sur  la  montagne  des 
beatitudes,  et  qu'ils  y  etaient  demeures  avec 
hii  pendant  la  nuit. 

14-16.  — Simonem...  Judam  Iscariotem. Sar 
les  lisles  des  douze  Apolres,  voyez  I'EvHngile 
selon  S.  .Matthieu,  p.  192  etss.  Celle  de  S.  Luc 
se  distingue  par  deux  particularites  :  1o  le 
second  Simon  [t.  \n)  y  est  appele  Zelotes, 
nom  plus  clair  que  «  Gananaeus  »  donl  il  est 
vraisemblablemenl  la  traduction  grecque; 
20  la  phrase  «  qui  et  traduiil  eura  »  par  la- 
quelle  S.  .Matthieu  el  S.  Marc  sligmatisent  la 
conduite  de  Judas  Iscariote  est  ici  remplacde 
par  I'epithete  plus  energique  de  proditor,  qui 
n'exisle  qu'en  eel  endroil  des  Evangiles.  Re- 
lativement  a  la  biographic  de  chaque  Apotre 
pris  en  particulier  on  ne  peul  que  s'associer 
au  vceu  de  S.  J  an  Chrysostome  (in  Epist. 
ad  Philem.)  :  «  Utinam  non  defuisset  qui 
nobis  Apostolorum  historiam  diligenlissime 
Iraderel!  ». 

b.  Discours  sur  la  montagne.  vi,  17-49. 
Parall.  Matth.  v,  1-vir,  29. 

Ainsi  que  nous  le  disions  dans  noire  com- 
menlaire  sui-  le  premier  Evangile,  p.  99,  a  la 
suite  de  la  pluparl  des  coramentateurs,  c'esl 
biin  un  seul  el  meme  discours  de  Notre- 
S'i^neur  JesusChrisl  qui  a  ete  relate  par 
S.  Matthieu  et  par  S.  Luc.  11  y  a  Irop  d'ana- 
logies,  dans  les  deux  redactions,  soil  enlro 
les  principales  circonstances  exlerieures,  soil 
entre  h  s  idees  emists,  pour  qu'on  puisse 
raisonnablemeal  admetlre  que  les  evange- 
listes  ont  eu  en  vue  deux  fails  dislinds.  L  '.s 
d'ilferences  proviennent  surtoul  de  ce  que 
S.  Luc  a  notablemenl  abrege  r«  Oralio  mon- 
tana  »,  tandis  que  S.  Matthieu  I'a  Iranscriio 


438 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


17.  Et  descendant  avec  eux,  il 
s'arreta  dans  la  plaine,  ainsi  que 
toiite  la  troupe  de  ses  disciples  et 
une  grande  multitude  de  peuple  de 
toute  la  Judee  et  de  Jerusalem  et 
des  bords  de  la  mer  et  de  Tyr  et  de 
Si  don, 

18.  Qui  etaient  venus  pour  I'en- 
tendre  etpour  etre  gueris  de  leurs 


17.  Et  descendens  cum  illis,stetit 
in  loco  campestri,  et  turba  discipu- 
lorum  ejus,  et  multitudo  copiosa 
plebis  ab  omni  Judsea,  et  Jerusalem, 
et  maritima,  et  Tyri,  et  Sidonis, 


18.    Qui   venerant   ut   audi  rent 
eum,  et  sanarentur  a  languoribus 


au  complet,  d'apr^s  son  admirable  organisme. 
Et  S.  Luc  abrege  en  vertu  de  son  plan.  II 
retranche  les  details  plus  slrictement  ju- 
daiques,  qui  n'auraient  eu  qu'une  ulilite  me- 
diocre pour  ses  lecteurs  d'origine  paienne, 
ou  encore  ceux  qu'il  se  proposait  de  men- 
tionner  plus  loin  parce  que  Nolre-Si'igneur 
les  avait  repelesplusieurs  t'ois.  Voila  pourquoi 
sa  redaction  a  ici  un  cachet  fragmenlaire, 
qui  conlraste  avec  la  belle  unite  que  presenle 
celle  de  S.  Mallhieii.  Quelqiies  phrases  seule- 
ment  lui  appartiennenl  en  propre  :  les  male- 
dictions opposees  aux  Beatiludes,  tt-  24-26, 
ct  les  sentences  coiUenucs  dans  les  tf.  39 
et  40.  Au  contraire  il  n'a  pas,  ou  du  moins  il 
n'a  pas  en  eel  endroil,  les  passages  suivants 
du  premier  Evangde  :  IMallh.  v,  13-38,  le 
chap.  VI  tout  enlier,  VII,  6-11. 43-15,  22et23. 
Quant  aux  portions  communes  aux  deux 
ecrivains  sacres,  elles  a|)paraissent  souvont 
avec  ces  varianles  de  I'oi'me  que  nous  aimons 
a  noLor  comme  une  preiive  de  i'independance 
des  biographes  de  Jesus,  et  comme  une 
marque  palpable  de  lour  veracile.  Ajoulons 
eniin  que,  dans  le  premi(n-  Evangile,  le  dis- 
cours  sur  la  montagne  ressemble  davantage 
a  une  promidgalion  judiciaire,  oflicielle, 
landis  que,  dans  le  lioisieme,  il  a  plulot 
I'aspect  d'une  exhortation  adressee  sur  un 
ton  paternei  et  familier  :  la,  c'est  un  code 
de  lois;  ici,  une  douce  homelie. 

l)La  mise  en  scene,  vi,  17-20«.  —  Parall. 
JWalth.  V,  1  et  2. 

17.  —  Descendens  cum  illis.  Avec  les 
apotres  qu'il  venait  de  se  choisir,  Jesus 
descend  du  sommol  menlionne  au  t.  12,  el  il 
rejoinl  la  I'oule  pour  lui  donner  la  «  magna 
charta  regni  coelorum  ».  C'est  ainsi  que 
Moi'se  elait  autrefois  descendu  de  la  cime  du 
Sinai,  portant  les  tables  de  la  loi.  Ex. 
xxxiv,  29.  —  Stettt  in  loco  campestri.  II  n'y 
a  rien,  dans  ces  expressions,  qui  contredise 
le  recit  de  S.  iMalthieu.  Le  verbe  eaTV),  qui 
signifie  propremeiu  «  il  s'arreta  »,  ne  designe 
pas  I'attitude  du  diviii  Orateur  pendant  son 
discours ;  Ini TOTtou TTEoivoO  (sans  article)  pent 
fort  bien  s'entendre  d'un  plateau  silue,  il  est 
vrai,  au-dessous  du  sommet  eleve  sur  lequel 


Jesus  avait  passe  la  nuil,  mais  faisant  encore 
partie  de  la  montagne.  Cfr.  Is.  xni,  2  d'a- 
pres  les  LXX  :  e^t'  opou?  neSivoO  apate  ffrjiAeTov. 
Telle  etait  deja  la  pensee  de  S.  Auguslm,  de 
Cons.  Evang,  1.  ii,  47  :  «  Quanquam  eliam 
illud  possil  occurrere,  in  aliqua  excelsiore 
parte  montis  primo  cum  solis  discipulis  Do- 
minum  fuisse,  quando  ex  eis  illos  duodecim 
elegit  :  deinde  cum  eis  descendisse,  non  de 
raonte,  sed  de  ipsa  montis  celsitudine  in 
campestrem  locum,  id  est,  in  aliquam  cequa- 
lilatem  quae  in  latere  montis  erat,  et  multas 
turbas  congregare  poteral ;  alque  ibi  sielisse 
donee  ad  eum  turbae  congregarentur,  ac 
postea  quum  sedisset,  accessisse  propinquiua 
discipulos  ejus...  »  Voir  dans  I'explication 
du  premier  Evangile,  p.  98,  comment  cette 
henreuse  conjecture  se  trouve  justifiee  par  la 
configuration  du  Kouroun-Haltin,  ou  mon- 
tagne des  Beatitudes.  —  Twha  discipulo- 
rum...  et  multitudo  copiosa  plebis.  Autour  de 
Jesus  se  forme  done  comme  une  triple  cou- 
ronne  d'auditeurs  :  les  Douze,  puis  la  foule 
deja  nombreuse  des  disciples,  puis  la  masse 
du  peuple.  Les  details  geographiques  ajoules 
par  I'evangeliste  montrent  jusqu'ou  s'etendait 
alors  la  renommee  du  Sauveur.  Au  coeur  da 
la  Galilee,  ou  se  passe  la  presente  scene, 
Jesus  voyait  a  ses  cotes  des  habitants  de  Je- 
rusalem et  de  la  Judee,  de  Tyr  et  de  Sidon,. 
meme  de  I'ldumee  et  de  la  Peree,  ajeute 
S.  Marc,  in,  7  et  8  (voyez  le  commentairc). 
Maritima  (sous-ent.  «  regione  »)  represente 
toutle  littoral  paleslinien  de  la  Medilerranee. 
Neaninoins,  I'omission  de  la  conjonclion  et 
dans  le  texle  grec  entre  ce  mot  et  Tijn  (ttji; 
TcapaXou  TOpou  xai  Siowvo;)  montre  qu'il  ne 
designe  directement  ici  que  les  cotes  de  la 
Phenicie. 

18  et  19.  —  Deux  motifs  avaient  determine 
ces  masses  populaires  a  accourir  ainsi  aupies 
de  Jesus.  Elles  elaienl  venues  d'abord  ut  ou 
dirent  eum,  puis  ut  sanarenlur...  Ces  deux 
desirs  vont  etre  salisfails;  le  premier,  place 
en  tele  comme  le  principal,  par  le  grand 
discours  de  Jesus ;  le  second  par  des  guerlsons 
immediales,  operees  en  favour  di'  lous  ceux 
qui  en  avaient  besoin,  quel  que  fuL  du  reste 
le  genre  de  leurs  infirmites  ;  qui  vexabantur  a 


CHAPITRE  VI 


139> 


suis.  Et  qui  vexabantur  a  spiritibus 
immundis,  curabantur. 

1 9.  Et  omnis  turba  quserebat  eum 
tangere  :  quia  virtus  de  illo  exibat, 
et  sanabat  omnes. 

20.  Et  ipse  elevatis  oculis  in  dis- 
cipulos  suos,  dicebat  :  Beati  paupe- 
res,  quia  vestrum  est  regnum  Dei. 

Matlh.  5,  2. 


langueurs.  Et  ceux  qui  ^taient  tour- 
mentes  par  des  esprits  immondes 
etaientaussi  gueris. 

19.  Et  toute  la  foule  chercliait  a 
le  toucher,  parce  qu'une  vertu  sor- 
tait  de  lui  eL  les  giierissait  tous. 

20.  Et  lui,  les  yeux  leves  vers  ses 
disciples,  dit  :  Bienheureux  etes- 
vous,  pauvres,  parce  que  le  royaume 
de  Dieu  est  a  vous. 


spiritibus  immundis... ;  saiiabal  omnes.  Re- 
marqiiez  ces  cinq  iinparfails,  qui  marquenl 
des  acles  constamment  reiteres.  Jesu.-;  elait, 
suivant  ia  belie  parole  de  Tlieopliylacic,  iine 
source  intarissablede  miracles, irriYviSuva[Aewv. 
—  La  phrase  omnis  turba  qucerebat  eum  tan- 
gere (comp.Marc.  ni,  9-1 2)  forme  a  eile  seiile 
un  vivanl  tableau-.  Qiiolle  sainto  agitation 
aulour  du  Thaumaturge!  Tout  a  I'heure,  au 
conlraire,  le  plus  profond  silence  regnera 
aulour  de  TOraleur.  —  S-.ir  I'expression  vir- 
tus de  illo  exibat,  voyez  Marc,  v,  30  et  le  com- 
mentaire.  Auvafjiii;,  une  force  toute  divine.  La 
chair  sacree  du  Sauveur,  de  meme  que  la 
matiere  dan-5  les  sacremenls,  servait  a  Irans- 
mettre  les  graces. 

20a,  _  Apres  avoir  appuye  d'avance  sur  ces 
nombreux  miracles  i'autorite  de  sa  parole, 
Jesus  s'asseoie  a  la  fagoti  des  docteurs,  Matlh. 
V,  1,  et  commence  son  discours.  Toulefois, 
comma  le  note  S.  Luc  (Cfr.  xxii,  61)  d'une 
mani^re  non  moins  delicate  que  pittoresque, 
avanl  d'ouvrir  la  bouche  il  embrassa  d'abord 
d'un  regard  plein  d'amour  le  cercle  intime 
des  disciples  ranges  aupres  de  lui.  C'est  a 
enx  on  efifet  qu'il  s'adressait  plus  immediate- 
meni. ;  c'elait  par  eux  que  ses  memorables 
paroles  devaient  etre  porlees  dans  peu  d'an- 
neesa  I'univers  entier.Son  audiloire  mystique 
etait  done  aussi  vaste  que  le  monde.  —  Di- 
cebat. De  nos  observations  anlerieures  il  re- 
sulte  que,  dans  I'edition  abregee  du  discours 
sur  la  monlagne,  telle  que  nous  roITre  le  Iroi- 
sieme  Evangile,  il  n'existe  pas  un  plan  par- 
failement  accentue.  On  y  ddcouvre  pourtant 
quelques  points  d'arret,  quelques  direclions 
nouvelles  donnees  a  la  pensee,  qui  peuvent 
servir  de  divisions  pour  classer  les  preceptes 
de  Jesus.  Les  Beatitudes  et  les  maledictions 
qui  leur  correspondent,  ft.  20b-26,  forment 
une  premiere  partie  que  nous  intilulerons 
avec  M.  van  Oosteizee  «  la  salutation  de 
I'amour  »,  ou,  avec  Bleek,  «  la  doctrine  du 
bonheur  ».  Les  tt.  27-38  exposenl  ensuite 
le  g'-and  precepto  de  la  charile,  qui  est  par 
excellence  le  commandement  de  ia  Loi  nou- 
velle  :  c'est  la  seconde  partie.  Dans  la  Iroi- 
Bieme,  tt.  39-49,  introduite  comme  la  se- 


conde par  une  formule  de  transition,  S.  Luc 
a  groupe  diverses  recommandations  que  Ton 
pourrail  appeler  «  la  doctrine  de  la  sagesse  », 
parce  qu'elles  fournissenl  a  quiconque  les 
praliquerait  fidelement  un  moyen  prompt  et 
sur  de  parvenir  a  la  vraie  sagesse. 

2)  Premiere  partie  du  disconrs,  vi,  SOt-ae  :  Le  vrai 
bonheur.  —  Parall.  Matlh.  v,  3-12. 

20b.  —  «  Quatuor  tanlum  bealitudines 
sanclus  Lucas  dominicas  posuit,  octo  vero 
sanctus  Mailhseus  »,  ecrivait  S.  Ambroise,  et 
c'est  la  un  fait  qui  frappe  tout  d'abord  des 
que  Ton  compare  les  deux  redactions  de 
1  «  Oraliomonlana  ».  Mais  ledocle  Pere  avail, 
raison  d'ajouler  :  «  In  his  oclo  illse  quatuor 
sunt,  et  in  istis  quatuor  illae  octo  »,  car  S.  Luc 
donne  vraimenl  «  le  precis,  la  quintessence  » 
(D.  Calmel)  de  I'octave  des  Beatitudes.  — 
Comme  ce  debut  de  la  charte  messianique  est 
sage  et  parfait!  «  Aptissimum  exordium  Doc- 
tori  sapientiee,  tradere;in  quo  sila  sit  beati- 
tude. Hanc  enim  velut  finem  omnium  omnes 
omnino  appelunt,  sed  in  quo  sit  sita,  et  qui- 
bus  mediis  oblinealur,  miserrime  allucinan- 
tur  ».  Corn.  Jansenius.  Ainsi  done,  le  Docteur 
supreme  de  la  sagesse  a  soin  de  metlre 
aussitot,  comme  le  dit  gracieusemenr,  Theo- 
phylacle,  le  rhylhme  et  I'harmonie  (puQixi^Bi) 
dans  I'ame  de  ses  disciples  au  moyen  des 
Beatitudes.  —  Sur  la  forme  exterieure  et 
I'aspect  paradoxal  des  Beatitudes,  voyez 
I'Evang.  selon  S.  M-althieu,  pp.  101  et  102.  — 
Beati  pauperes...  Cette  Beatitude  est  la  pre- 
miere dans  I'expose  do  S.  Luc  comme  dans 
celui  de  S.  Matlhieu.  Seulement,  notre  evan- 
geliste  a  supprime  le  mot  «  spiritu  »  apres 
«  pauperes  »,  ce  qui  donne  de  prime  abord 
plus  de  clarte  a  la  pensee,  mais  qui  lui  enleve 
peut-6trede  sa  profondeur.  Toulefois,  comme 
il  s'agit  evidemmenl  ici  ou  des  pauvres  qui 
supporlent  avec  courage,  dans  un  sentiment 
Chretien,  la  privation  des  biens  de  ce  monde, 
ou  des  riches  qui  vivent  delachcsde  leurs  ri- 
chesses,  la  pensee  est  au  fond  la  meme  de 
part  et  d'autre.  —  01  titwxo'  est  au  vocatif 
et  equivaul  a  y[ie'<;  ol  Ttxwxoi,  ainsi  qu'il  ressort 
du  conlexte,  fiti  y[ieTep«. . .,  quia  veslrumest... 


440 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


21.  Bienheureux,  vous  qui  main- 
tenant  avez  faim,  parce  que  vous 
serez  rassasies.  Bienlieureux  vous 
qui  pleurez  mainlenant,  parce  que 
vous  rirez. 

22.  Bienheureux  serez-vous  lors- 
que  les  hommes  vous  hairont  et 
vous  repousseront  et  vous  oulra- 
geront,  et  rejetteront  votre  nom 
comme  mauvais  a  cause  du  Fils  de 
rhomme. 

23.  Rejouissez-vous  en  ces  jours- 


21.  Beati  qui  nunc  esuritis,  quia 
saturabimini.  Beati  qui  nunc  fle- 
tis,  quia  ridebitis. 


22.  Beati  eritis  cum  vos  oderint 
homines,  et  cum  separaverint  vos, 
et  exprobraverint^  et  ejecerint  no- 
men  vestrum  tanquam  malum,  pro- 
pter Filium  hominis. 

Matih.  5,  11. 

23.  Gaudete  inilla  die,  et  exul- 


En  effet,  d'apres  S.  Luc,  les  Bealitndps  sont 
adressees  directemenl  par  Jeiu>  a  ses  dis- 
ciples (comp.  les  ft.  21-23;  de  mdra  ■  les 
maiediclions,  ti?.  24-26;,  landi-  (ju  (.■.u.-s  ap- 
paraissent  dans  le  recil  de  S.  MaUhieu  sous 
!a  forme  d'aphorismes  generaux  :  «  Beali  pau- 
pere:-...,  quia  ip?orum...  »  elc.  C'esl  precise- 
ment  en  cela  qu'apparait  le  caracteri^  fami- 
iier,  en  quelque  sorte  homiletique.  du  discours 
sur  la  inontagne  tel  que  le  reiale  S.  Luc. 
Comparez  encore  vi,  46  et  Maltli.  vii.  21  ; 
VI,  47  et  MalUi.  vii,  24,  elc.  —  Regnum  Dei: 
le  royaume  du  Messie-Dieu.  S.  Luc  substitue 
ce  norti  a  celui  de  «  regnum  coelorum  » 
(MaUh.  V,  3),  qui,  enongunt  une  idee  juive 
(voyez  I'Evang.  selon  S.  Matlh.  p.  67),  cut  ete 
moins  accessible  a  ses  lecieurs  de  la  gen- 
tilite. 

21.  —  Beati  qui  nunc  esuritis...  C'est  la 
qualrieme  Beaiiiude  dans  S.  MaUhieu.  Ici 
encore  nous  avons  a  noter  une  oiiTission  ca- 
racterislique,  celle  du  substantif  «  jusliliam  » 
(le  p~i*  hebreu,  mot  un  peu  vague,  pour  desi- 
gner la  .-ainteteen  general;. La  vieoiiabondent 
le  confort,  le  luxe,  les  deiices  malerielles,  est 
souvent  incompalible  avec  le  gout  de  la  per- 
fection el  des  choses  du  cie! :  ce  qui  fail  que 
les  deux  redactions  reviennent  a  peu  pres  au 
meme.  —  Nunc  fletis.  Cetle  Beatitude  est  la 
troisieme  chez  nos  deux  evangelisles.  Nunc 
est  une  particularite  de  S.  Luc  (de  meme 
dans  la  Beatitude  precedente^  :  eel  adverbe 
oppose  avec  empliaS3  les  miseres  presentes 
aux  joies  inenarrables  que  I'on  goutera  dans  le 
royaume  raessianique  parvenu  a  sa  consom- 
malion  glorieuse.  Le  piltoresque  ridebitis 
(Matlh.  «  consolabuntur  »)  est  egalement 
special  a  S.  Luc.  Employe  au  t.  25  el  par 
S.  Jacques,  iv,  9,  pour  designer  la  joie  pro- 
fane et  coupable  des  mondains,  ce  mot  n'ap- 
parait  qu'en  eel  endroit  comme  cmbleme  du 
bonheur  sacre  des  elus. 

22  et  23.  —  Ces  versets  contiennenl  la 
qualrieme  Beatitude  de  S.  Luc,  qui  est  paral- 
lele  a  la  huilieme  de  S.Malthieu,  v,  10-12.  — 


Beaii  eritis.  Le  verbe  grec  est  au  present,  lart, 
et  I'emploi  de  ce  temps  est  remarquable, 
pui-qu'il  est  question  d'un  bonheur  a  venir  : 
mais  I'acquisition  de  ce  bonheur  est  si  siir 
pour  ceux  auxquels  s'adresse  le  divin  Maltre' 

—  Si  S.  Luc  omel  I'enunce  general  de  la  Bea- 
titude, tel  qu'on  le  irouve  dans  le  premier 
Evangile,  v,  10,  en  revanche  il  accentue  avec 
plus  de  force  la  gradation  des  outrages  qui, 
courageus^menl  suppoi  les,  formenl  ce  der- 
nier «  macarisme  »  nom  grec  des  Beatitudes). 
S.  MaUhieu  ne  di^tinguait  que  Irois  sorles  de 
persecutions,  representees  par  les  locutions 
oveiStVioffi,  «  maledixerint  »,  Stw^wdi,  «  per- 
seculi  fuerint  »  ,  einwfft  irav  itovTjpov  ^rjjix, 
V  dixerint  omne  malum  (verbum)  »  :  S.  Luc 
rn  menlionne  qualre  qu'il  exprime,  a  part  la 
iroisieme,  ovetSiffwui  (Vulg.  exprobraverint], 
au  moyen  de  mots  nouveaux.  Oderint,  v-^Tr,- 
ffwertv,  mdique  les  sentiments  du  coeur.  Sepa- 
raverint vos  {a(fopia(Dai\)  nous  montre  la 
haino.  d'abord  laiente,  passant  a  Taction.  Les 
disciples  du  Christ  seronl  «  excommunies  » 
de  la  societe  rdigieuse  el  civile  :  tel  est  le 
sens  du  verbe  d9op(!;u.  Cfr.  Suicer,  Thesau- 
rus, s.  V.  Viendrool  ensuile  les  injures  gros- 
sieres,  oveiSiffwat,  puis,  comme  conclusion,  le 
ejecerint  nomen  vestrum  tanquam  malum 
(comp.  5n  an  K^jfin  des  Hebreux,  Deut. 
XXII,  19) :  on  liniia  par  raaudire,  par  execrer 
avec  un  mepris  souverain,  le  nom  pourtant 
si  noble  d'  Chretien.  Mais  cela  aura  lieu 
propter  Filium  hominis,  c'est-a-dire  qu'on 
n'aura  commis  d'autre  crime  que  celui 
d'etre  le  disciple  de  Jesus  :  el  c'est  precise- 
ment  pour  cela  qu'on  devra  se  croire  bien- 
heureux pl  se  rejouir,  comme  TexpHque  le 
T.  23.  «  Noil  eniin  ista  perpeli  frucluosum 
est,  sed  ista  pro  Christi  nomine...  tolerare  ». 
S.  Aug.  Serm.  Dom.  in  monte,  i,  5.  —  Gau- 
dete... Cfr.  Matlh.  v,  12.  In  ilia  die  est  em- 
phatique  et  special  a  S.  Luc  :  au  jour  ou  Ton 
vous  Iraitera  d'une  maniere  si  ignomineuse. 

—  Exultate  :  le  grec  erxtptrioate  signifie  lilte- 
ralemenl  «  bondir  de  joie  ».  Quelle  energie 


CHAPITRE   VI 


tate  :  ecce  enim  merces  vestra 
multa  est  in  coelo;  secundum  haec 
enini  faciebant  prophetis  patres 
eorum. 

24.  Verumtamen  vae  vobis  diviti- 
bus,  quia  habetis  consolatiouem 
vestram. 

Eccli.  31,  8;  Amos.  6.  1. 

25.  Vse  vobis  qui  saturati  estis , 
quia  esurielis.  Vse  vobis  qui  ridetis 
nunc,  quia  Uigebitis  et  flebitis. 

Isai.  65,  13, 


la  et  tressaillez  de  joie,  parce  que 
votre  recompense  est  grande  dans 
le  ciel;  car  leurs  peres  agissaient 
ainsi  envers  les  prophetes. 

24.  Gependant  malheur  a  vous, 
riches,  parce  que  vous  avez  votre 
consolation. 

2o.  Malheur  a  vous  qui  etes  ras- 
sasies,  parce  que  vous  aurez  faim. 
Malheur  a  vous  qui  riez  maintenant, 
parce  que  vous  vous  lamenterez  et 
pleurerez. 


d'expressions!  Excommunies,  bafoues,  perse- 
cutes, les  disciples  (ie  Jesus  non-seulemenl 
ne  devroni  pas  s'allrister  et  se  decourager, 
mais  lis  pourronl  s'abandonner  a  la  joie.  Bien 
plus,  la  simple  joie  serail  insuBQsante  :  il 
faudra  qu'ils  iressaillent  d'allegresse.  Nolre- 
Seigneur  aurail  dit,  d'apres  S.  Malthieu, 
Xaipexe  xal  ayaXlioiaQe.  Le  verbe  ffxiptdw  n'ap- 
parail  que  irois  fois  dans  ie  Nouveau  Testa- 
ment, el  c'esl  toujours  S.  Luc  qui  Temploie. 
Cfr.  I,  41,  44. — Ecce  enim  merces  vestra...  Mo- 
tif de  cette  recommandalion  en  apparence  si 
extraordinaire.  «  Proposito  bravio,  ad  ani- 
mosuiii  suos  certamen  agonolhela  hortatur  », 
Luc  de  Bruges.  L'homme  natiirel  se  desole 
quand  on  lui  enlere  son  bien,  son  honneur  ;  le 
Chretien  depouille  de  lout  pour  Jesus  se  re- 
jouit,  parce  qu'il  se  souvienl  de  la  recompense 
qui  I'attend  au  ciel.  —  Secundum  hcec  (les 
nieilleurs  temoins  portent  xata  tk  au-d,  au 
lieu  de  xata  xavTa)..,  La  parlicule  enim  iiilro- 
duil  un  second  moiif  de  consolaiion.  Les 
prophetes,  ces  augustes  personnages  de  la 
theocralie,  n'onl  pas  ete  mieux  trailes  de 
leur  temps.  Or,  qui  ne  serail  heureux 
el  fier  de  ressembler  aux  prophetes?  —  Pa- 
tres eorum  ne  designe  pas  les  peres  de:. 
prophetes,  mais,  d'apres  la  «  constructio  ad 
synesin  »  dont  nous  avons  rencontre  de  si 
frequents  exemples,  les  ancetres  des  hommes 
menlionnes  au  t.  22,  par  consequent,  les 
Juifs  des  siecles  anlerleurs.  Jesus  s'exprime 
plus  clairement  dans  le  premier  Evangile  : 
«  Sic  enim  perseculi  sunt  prophetas  qui 
fuerunt  ante  vos  ». 

24.  —  Laissanl  de  cole  les  autres  Beati- 
tudes (la  seconde  :  «  Beali  miles  »,  la  cin- 
quieme  :  «  Beali  misericordes  »,  la  sixieme  ; 
0  Bi^ati  mundo  corde  »,  et  la  seplieme  : 
«  B'^ati  pacifici  »),  S.  Luc  oppose  a  celles 
qu'il  vienl  de  citer  qualre  terribles  male- 
dictions de  Jesus,  tt.  24-26.  Dans  Jeremie, 
XVII,  5-8,  le  mot  mx,  uiaudil,  contrastail 
deja   trisiemcnt   avec    "^nn,  beni  :  mais  les 


maledictions  precedaient  les  benedictions; 
tandis  qu'ici,  conformement  a  la  delicatesse 
de  I'espril  evangelique,  les  «  Vde  »  n'appa- 
raissenl  qu'apres  les  «  Beali  ».  Le  Messie  ne 
maudit  ue  ceux  qui  auront  refuse,  rejete  ses 
benediction-;.  —  Verumtamen.  u).ov,  est  une 
particL'le  adversative  qui  sen  do  transition. 
Elle  inlroduit  fort  bien  les  quatre  proposi- 
tions anlitheliques  deslinees  a  ramener  a  \'p?' 
prit  chretien  par  la  lerreur  ceux  que  les  re- 
compenses promises  plus  haul  n'auraienl  pas 
suffisammenl  gagnes.  —  4  o  Vw  vobis  divitibus. 
Le  monde  dit  au  conlraire  :  Bienheureux  les 
riches,  malheur  aux  pauvres!  Mais  les  idees 
de  Jesus  ne  sont  pas  celles  du  monde.  Ge- 
pendant, si  le  roi  mes-iariiquG  maudit  les  ri- 
ches, ce  n'esl  pas  direclemenl  parce  qu'ils  sont 
riches,  mais  en  taut  qu'ils  mettent  leur  com- 
plaisance entiere,  toule  leur  ame,  dans  leurs 
richesses.  «  Non  census,  sed  affectus  in  cri- 
mine  est  »,  S.  Auibroise.  II  est  en  effet  des 
riches  qui  sont  pauvres  d'espril.  —  Quia  ha- 
betis consolatiouem.,.  Jesus  avail  motive  les 
Beatitudes;  il  motive  de  la  memo  maniere 
les  maledictions.  Le  correlatif  grec  de  «  ha- 
betis »,  dnc'xeTE,  est  d'lme  grande  energie  : 
«  vous  possedez  complelement,  vous  avez 
lotalemenl  regu.  »  Cfr.  xvi,  23;  Phil,  iv,  18. 
lis  auront  joui  sur  celle  terre  des  consola- 
tions piofanes  de  Mammon,  ce  sera  lout  :  ils 
n'aurout  aucune  pari  aux  saintes  consolations 
d'Israel,  dont  au  reste  ils  ne  s'inquielent 
guere.  —  Nous  trouvorons  plus  loin,  xvi,  19 
ct  ss.,  le  developpenicnl  dramalique  de  celle 
premiere  malediction,  dans  la  parabole  dc 
Lazare  el  du  mauvais  riche. 

23.  —  20  Ici  encore  I'anlilheseesl  parfaile. 
Les  idees  sont  opposees  aux  idees,  les  mots 
aux  mots  :  vce  a  n  beati  »,  qui  salurali  estis 
a  «  qui  esurilis  »,  quia  esunetis  a  «  quia  sa- 
turabimini  ».  Nolez  de  nouveau  I'energie  du 
texle  grec  :  iinzz-:z}.riG\j.iyoi.  Mais  ce  ra^sasie- 
ment  de  la  chair  (Cfr.  Col.  ii,  23)  sera  suivi 
d'unc  faim  affreuse,  qui  demeurera  h  tout 


U2 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


26.  Malheur  quand  les  hommes 
diront  du  bien  de  vous,  car  leurs 
peres  agissaient  ainsi  envers  les 
faux  prophetes. 

27.  Mais  je  vous  dis,  a  vous  qui 
ecoutez  :  Aimez  vos  ennemis,  faites 
du  bien  a  ceux  qui  vous  haissent. 

28.  Benissez  ceux  qui  vous  mau- 
dissenlet  priez  pour  ceux  qui  vous 
■calomnient. 

29.  A  celui  qui  vous  frappe  sur 
une  joue  presentez  encore  I'autre. 


26.  Vse  cum  benedixerint  vobis 
homines;  secundum  haec  enim  facie- 
banl  pseudoprophetispatres  eorum. 

27.  S^ed  vobis  dico,  qui  audilis  : 
Diligite  inimicos  vestros,  benefacite 
his  qui  oderuntvos. 

Matth.  5,  46. 

28.  Benedicite  maledicentibus 
vobis,  et  orate  pro  calumniaulibus 
vos. 

29.  Et  qui  te  percutit  in  maxil- 
1am,  prsebe  et  alteram.  Et  ab  eo, 


jamais  ina?souvie.  —  3o  Vce  vobis  qui  ridetis 
nunc.  Malheur,  car  ces  rires  Lerreslre?,  qui 
n'auront  dure  que  peu  de  jours,  feront  place 
a  d'eLernelleset  poignanLes  trislosscs,  figurees 
emphaliquemeiU  pardeux  verbes  synonyraes, 
lugebilis  et  flebitis.  Cfr.  Jac.  iv,  4,  9. 

26.  —  4o  Vw  cum  benedixerint...  Lemonde 
n'accorde  >a  favour  el  ses  bonnes  graces 
qu'a  ceux  qui  lui  plaisenl,  ct,  pour  plaire  k 
ce  raonde  corrompu,  il  est  rare  qu'il  ne  faille 
pas  Qalt'^r  ses  passions  mauvaises,  se  raetlre 
lie  connivence  avec  ses  coiipables  caprices. 
•Souvenl  done  la  popularile  d'lin  honime  est 
de  facheux  augure  relalivomenl  a  son  ca- 
ractere  el  a  sa  conduile.  Est-il  elonnant  apres 
cela  que  Jesus  raaudisse  ceux  qui  recherchenl 
^t  regoiveni  les  caresses  du  monde?  Ne  vaut- 
il  pas  mieux  etre,  comme  S.  Alhanase,  seul 
a  contra  mundum  »?  Telle  elail  au?si,  mainl 
axiome  antique  en  fail  foi,  la  conviction  de 
la  sagesse  palenne.  Corap.  Elien,  Hist,  var., 
II.  6  :  iza.piotiy[L3.  OTt  oO  5ti  toTi;  7to)loic  apiaxeiv. 
Piiilistrate,  Nic.  Soph.:  (poSoDiiat  Siijiov  ir.ai- 
pov-a  iia),>,ov  r)  ),otSopoO(ievov.  Seneque,  Epist. 
"26: «  Quis  enim  placere  potest  pnpulo,  cui  pla- 
cet virtus?  »  Etc.,  etc.  Voyez  Wetsiein,  h.  1. 
Phocion,  inlerrompu  contre  I'ordinaire  dans 
un  de  ses  discours  par  de  vifs  appUiudisse- 
raenls  de  la  foule  alhenicrme,  demanda  tlne- 
ment  a  ses  amis  s'il  uc  lui  etait  pas  echappe 
quelque  sottise.  — Secundum  licec enim  facie- 
banl  pseudoprophetis.  C'est-a-dire  qu'on  les 
comb, ail  d'honneurs;  mais  a  quel  prix  pour 
leur  conscience!  Ces  faux  prophetes  accom- 
modaient  criminellement  leurs  pretendus 
oracles  aux  desirs  depraves  des  princes  el 
du  peuple  :  il  leur  etail  aise  de  gagner  ainsi 
tous  les  sulfrages.  «  Pro[)hetae  proplietabant 
raendacium,  etsacerdotes  applaudebanl  raa- 
nibus  suis,  et  populus  meus  dilexit  lalia  », 
Jer.  V,  3< .  —  Patres  eorum  a  le  meme  sens 
qu'au  t.  23. 


3)  Deuxieme  partie  du  discours,  ff.  27-38  :  La  vraie 
charite.  —  Parall.  Matlh.  v,  39-48. 

27  rl  28.  —  La  transition  sed  vobis  dico 
qui  audUis  (  sl d'une giande  delicatesse.  Jesus 
semble  supposer  que  les  terribles  apostrophes 
des  tt.  24-26  ne  s'appliquaient  a  aucun 
de  ses  auditeurs  actuels.  II  revienl  done  a 
eux  comme  au  sortir  d'une  digression  qui 
n'auraii  concerne  que  des  miserables  vivant 
bien  loin  du  Kouroun-Hatlin.  Ce  qu'il  leur 
dit  dans  celte  seconde  partie  est  un  commen- 
laire  saisissani  de  ce  qu'il  nommera  plus 
tard  ;Joan.  xui,  34;  xv,  12;«  son  »  comman- 
dement,  le  commandement  «  nouveau  ».  En- 
trant dans  des  details  pratiques,  piltoresques, 
il  montre  en  quoi  doit  consister  la  charite  fra- 
ternelle  pour  les  sujets  du  royaum?!  messiani- 
que.  —  11  place  en  premier  lieu  ce  qu'il  y  a  de 
plusdifBcile,etrecommande  d'abord  auxsiens 
I'amour  des  ennemis,  amour  sincere  et  reel, 
diligite,  qui,  du  coBur  oil  il  a  sa  source,  passe 
dans  les  mains  par  les  acles,  benefacite.  etsnr 
les  levres  soil  par  de  bonnes  paroles,  benedi- 
cite, soil  meme  par  de  ferventes  prieres,  orate. 
A  chaque  manifestation  de  la  haine  il  faut 
done,  comme  I'inrlique  cetle  serie  de  sublimes 
antitheses,  repondre  par  une  manifestation  de 
charite,  rendanl  toujours  le  bien  pour  le  mal. 
Cfr.  Rom.  xii,  21. 

29.  —  Apres  la  charite  active  vienl  la  cha- 
rite  patiente,  qui  lolere,  qui  sacrifie  volon- 
tiers,  dans  I'occasion,  ses  droits  les  plus 
stricts,  si  elle  espere  pouvoir  gagner  le  pro- 
chain  par  cetle  condescendance  genereuse. 
Sut  le  veritable  esprit  de  ces  deux  rncomman- 
dalion-,  voyez  I'Evangile  selon  S.  Matlh., 
p.  121.  —  Qui  te  percutit...;  ce  au  lieu  de 
u[jleT;  :  ce  brusque  changemenl  de  nombre, 
ainsi  quele  notail  Erasme, «  facit  ad  inculcan- 
dum  praeceplum,  quod  unusquisque  sic  au- 
dire  dcbeat,  quasi  sibi  uni  dicatur  ».  —  A 
7naxiUaniS.  Matlhieu  aiouie dexteram.  Au  lieu 
du  vague  Ttapexe  {prcBbe],  il  emploie  le  drama- 
tique  atpstj/ov,  tourne.  —  Ab  eo  qui  aufert... 


CHAPITRE   VI 


143 


qui  aufert  tibi  vestimeiitum,  etiam 
tun'cam  noli  prohibere. 

Mau/i.5,W;ICor.6,  7. 

30.  Omni  autem  pelenti  te,  tri- 
bue  :  et  qui  aufert  quse  tua  sunt,  ne 
repetas. 

31.  Et  prout  vultis  ut  laciant  vo- 
bis  homines,  et  vos  facit  ^  illis  simi- 
liter. 

Tob.  i,i6;MaUh.7,  12. 

32.  Et  si  diligitis  eos  qui  vos  di- 
ligunt,  quae  vobis  est  gratia?  nam 
€t  peccatores  diligentes  se  diligunt. 

Malth.  5,  46. 

o3.  Et  si  benefeceritis  his  qui  vo- 


Et  a  celui  qui  vous  prend  votre 
manteau  iaissez  prendre  encore 
votre  tunique. 

30.  Donnez  a  quiconque  vous  de- 
mande  et  ne  reclamez  pas  votre 
bien  a  celui  qui  vous  le  ravit. 

31.  Comme  vous  voulez  que  les 
hommes  vous  fassent,faites-leur  pa- 
reillement. 

32.  Si  vous  aimez  ceux  qui  vous 
aiment  quel  est  votre  merite?  car 
les  pecheurs  aussi  aiment  ceux  qui 
les  aiment. 

33.  Et  si  vous  faites  du  bien  a 


La  pensee  est  generalisee  par  S.  Luc  :  le  pre- 
mier Evaiigile,  v,  40,  supjiosail  tin  proces 
sur  le  point  d'etre  iiUenle  devant  les  tribii- 
naiix.  Notre  evangeliste  renverse  en  outre 
I'ordre  des  vetements  :  Donnez  meme  votro 
tunique  (t6v  x'Twva)  a  quiconque  veut  vous 
ravir  vioiemment  votre  manteau  {vestimen- 
tum,  xi  l(jidxiov) ;  dans  S.  Matlhi  u  Jesus  de- 
sire au  contraire  que  ses  disciples  abaiidonnent 
leur  manteau  a  I'homme  injusLe  qui  voudrait 
les  depouiller  de  leur  tunique.  Mais  c'est  la 
m^me  idee  exprimee  avec  une  nuance.  Chez 
les  Juifs,  et  S.  Matlhieu  ecrivait  piiinilive- 
ment  pour  des  Juifs,  le  manteau  du  pauvre 
elait  regarde  comme  son  veiement  le  plus 
indispensable,  Ex.  xxii,  25;  d'aulre  part,  en 
soi  le  «  pallium  »  est  I'habit  le  plus  exlerieur, 
que  la  main  du  voleur  saisit  nalurellemenl 
en  premier  lieu.  Des  deux  cotes  il  y  a  done 
gradation,  quoique  en  un  sens  difTerent,  et 
S.  Luc  a  choisi  I'arrangem  nt  qui  devait  etre 
le  plus  clair  pour  ses  lecteurs  non  juifs.  — 
Noli  prohibere,  c'est-a-dire,  «  denegaro  ».  La 
recommandation  est  positive  dans  S.  Mat- 
lhieu :  «  dimitte  ei  ». 

30.  —  Omni  autem  petenti...  C'est  encore 
la  charile  sous  une  autre  de  ses  faces  multi- 
pleSo  Jesus  inculque,  dans  la  premiere  moiiie 
de  ce  verset,  I'esprit  de  liberalite  qui  vient 
genereusement  au  secours  de  tous,  sans  au- 
cune  acception  de  personnes  (itavxt  mis  en 
avant  et  special  a  S.  Luc  est  empliatique), 
quoique  selon  les  mesures  de  la  prudence; 
puis,  dans  la  secondo  moitie,  il  revienl  d'unc 
maniere  generale  sur  le  sui'port  chrdlien 
des  injustices  :  qui  aufert  quce  tua  sunt... 
Voir  une  variante  dans  S.  Matthieu,  v,  42. 
—  Ne  repetas  ne  doit  evidemmont  pas   se 

firendre  d'une  maniere  absolue,  pas  plus  que 
a  plupart  des  conseils  evangeliques  enonces 
ici  par  le  divin  Maitre  :  du  moins  ne  doil-on 


pas  reclamer  son  bien  avec  une  rigueur  trop 
grande,  qui  bles?erait  la  charite. 

3\.  —  Et  prout  vultia...  S.  Luc  a  place 
des  cet  endroit  la  beile  «  regie  d'or  »  de  la 
charite,  qui  n'apparait  dans  le  premier  Evan- 
gilc  que  beaucoup  plus  loin,  vii,  12,  et  d'a- 
jires  un  autre  encliaintMiient.  Mais  ce  grand 
principe  de  I'amour  fraiernel  vient  tres  bien  ici 
au  milieu  d'injonctions  pratiques  Itt.  27-33) 
qu'il  relie  a  la  fagon  d'un  noRud  gracieux  et 
fort. 

32.  —  Ce  verset  et  les  deux  suivants  con- 
tiennent  trois  raisonneme.nls  paralieles,  des- 
tines a  prouver  qu'une  charite  simplement 
hiimiiine.,  c'est-a-dire  egoi'-te,  est  tout  a  fait 
nulle  diwant  Dieu.  II  y  a,  dans  cette  argu- 
menialion  pressante,  une  fin^  critique  de  la 
bonle  purement  naturelle,  et,  par  suite,  une 
forte  excitation  a  la  charite  surnaturelle.  — 
1o  Quand  nous  nous  bornons  a  aimer  ceux 
qi'i  nous  aim  nt,  quel  est  notre  merite?  La 
rcponse  n'est  pas  directemenl  donnee,  mais 
la  phrase  finale,  nam  et  peccalores...,  qui  re- 
tentit  trois  fois  comme  un  Irisle  refrain.  Fin- 
dique  suffi-amment.  —  Gratia,  un  des  mots 
favoris  de  S.  Luc  et  de  son  maitre  S.  Paul. 
est  pris  ici  dans  le  sens  objectif  :  quel  gre 
vous  saura  Dieu?  —  Autre  trail  caracteris- 
tique.  Nous  lisonsdansS.  Matlhieu  :  «  Nonne 
et  publican!...,  nonne  etethnici  hoc  faciunt?  » 
Le  premier  evangeliste  conserve  aux  paroles 
de  Jesus  la  couleur  juive  qu'elles  avaient  eue 
d'abord ;  S.  Luc  remplace  les  idees  par- 
licularistes  de  publicains  et  de  palens  (cette 
derniere  avez  une  touchante  sollicitude  pour 
les  SM)timents  de  ses  lecteurs)  par  la  notion 
generale  de  pecheurs. 

33.  —  20  Et  si  benefeceritis...  Par  une  gra- 
dation manifesto  (CIr.  t.  27),  Jesus  passe  des 
sentiments  du  coeur  aux  actes  qu'inspire  I'af- 
feclion,  et  vl  raisonne  sur  eux  de  la  meme 


Hi 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


ceux  qui  vous  font  du  bien,  quel 
est  voire  merite?car  les  pecheurs 
aussi  le  font. 

34.  Et  si  vous  pretez  a  ceux  de 
qui  vous  esperez  recevoir,  quel  est 
votre  merite?  car  les  pecheurs  aussi 
prStent  aux  pecheurs  pour  recevoir 
une  somme  egale. 

35.  Ainsi  done  aimez  vos  enne- 
mis,  faites  du  bien  et  pretez  sans 
en  rien  esperer,  et  votre  recompense 
sera  grande,  et  vous  serez  les  lils  du 
Tres-Haut,  car  il  est  bon  pour  les 
ingrals  et  les  mechants. 

36.  Soyez  done    misericordieux 


bis  benefaciunt,  quae  vobis  est  gra- 
tia? siquidem  et  peccatores  hoc  fa- 
ciunt. 

34.  EL  si  mutuum  dederitis  his 
a  quibus  speratis  recipere,  quae  gra- 
tia est  vobis?  nam  et  peccatores 
peccatoribus  foenerantur,  ut  reci- 
plant  sequalia. 

^eut.  15,8;  Malth.  5,42. 

35.  Verumtamen  diligite  inimicos 
vestros :  benefacite,  et  mutuum  date, 
nihil  inde  sperantes  :  et  erit  morces 
vestra  multa,  et  eritis  filii  Altis- 
simi,  quia  ipse  benignus  est  super 
ingratos  et  malos. 

36.  Eslote  ergo  misericordes,  si- 


raaniere.  Ce  trail  est  propre  a  S.  Luc;  de 
meme  celui  da  t.  34.  S.  MaUhieu,  v,  47,  a 
un  autre  example  tire  des  sahitaiion.s  entre 
amis. 

34.  —  30  Et  si  mutuum  dederitis.  Nouvelle 
gradation  :  apres  les  bienfaits  en  general,  un 
bienfait  d'une  nature  parlicuiiere,  qui  coute 
toujours,  meme  dans  i'hypolhese  laite  par 
Nolre-Seigneur  {his  a  quibus  speratis  recipere), 
tant  rhomme  est  attache  aux  richesses  ma- 
lerielles.  D'ailldurs,  ceux  qui  pretent  courenl 
toujours  quelque  risque,  et  les  services  de- 
sinleresses  sent  rares.  —  Ut  recipiant  cequa- 
lia,  Ta  Iffa,  c'esl-a-dire  le  meme  service  a 
I'occasion,  ou  bien  le  remboursement  exact 
de  la  somme  pretee,  de  sorte  qu'ils  ne  per- 
dent  absoiumenl  rien. 

35.  —  A  la  conduile  egolsle  qu'il  vient 
d'exposer  et  de  blamer  dans  les  tt.  32-34, 
J^sus  oppose  mainienaul  celle  que  devront 
tenir  ses  disciples.  II  emploie  les  menies  ter- 
mes  que  precedemment  et  suit  la  meme  gra- 
dation :  Diligite  inimicos  vestros,  et  pas  Si'u- 
lemenl  ceux  qui  vous  aimcnt,  t-  32;  bene- 
facite... nihil  inde  sperantes,  et  pas  snile- 
raeiit  quand  vous  esperercz  quelque  autre 
liienfail  en  relour  desvotres;  mutuum  date..., 
pretez  san-;  espoir  de  gain  ou  de  recouvre- 
nient.  Voila  la  conduite  du  vrai  chretien.  — 
La  traduction  que  la  Vulgate  donne  des  mots 
grecs  (tTjSfev  dTteXirt^ovTe;  {«  nihil  inde  speran- 
tes »),  quoiqu'elle  fournisse  le  sens  le  plus 
clair  et  le  plus  conforme  au  conlexte  (Cfr. 
t.  24),  est  peul-§lre  difficilemenl  justiQable 
au  point  de  vu-^  de  la  critique;  au?si  est-elle 
rejetee  par  la  plupart  des  exegeles  contem- 
porains.  Elle  a  centre  elle  :  i"  I'etymologie  el 
la  signification  habituelle  de  inzlni^u).  Bien 
que  ce  verbe  ne  soil  employe  qu'en  ce  seul 
endroit  du  Nouveau  Testament,  son  sens  est 


partoiil  a:lleur>.  c'esl-a-dire  dans  la  ver.-ion 
des  Sei.iante  (Jud.  ix,  'M,  II  Mnch.  ix,  18; 
Eccli.  xxii,  21)  et  chez  ios  clii>>i(pies,  confor-^ 
memenl  a  ^^a  raciiie  (ixtvo  ut  D.m^ta),  ceUii  de 
desesperer ;  2o  les  plus  anciens  manuscrils^ 
latins  et  la  version  golhique,  qui  ont  r 
«  nihil  desperantes  »;  les  versions  syriaque- 
et  arabe,  qui  partenl :  «  nee  prsescindelis  spem 
unius  »  (elles  ont  lu  ixr,5£--'  ou  ^vi8£va,  au- 
masculin),  c'est-a-dire,  Ne  poussez  personne- 
au  de.-espoir  en  refusanl  de  lui  preler.  Nous 
adoptons  I'antique  legon  latine,  «  ne  deses- 
peranl  de  rien  »,  c'esl-a-dire,  ne  vou?  inquie- 
tant  pas  de  la  somne  prelee.  Voyez  la  sa- 
vante  noledeM.  Schegg,  Evang.  nach  Lukas, 
t.  I,  pp.  323  et  ss.;  Breischneider,  Lex.  man., 
s.  v.  x7:£),7tt'^w.  —  Et  eril  merces  vestra  multa  ;• 
des  ici-bas  ceile  conduile  genereuse  des  Chre- 
tiens sera  recompensee;  mais  elle  le  sera  da- 
vantage  encore  dans  le  ciel.  —  Et  erislis  filii 
Altissimi.  Autre  precieux  motif  d'encourage- 
nierit.  Cfr.  Mullli.  v,  45.  Agir  ainsi,  c'est 
montrer,  par  un  de  ce>  traits  de  ressemblance 
qui  trompent  raremenl,  qu'on  est  fils  du 
Tres-Haut,  car  lui  aussi  il  est  bon  a  I'egaid 
soil  des  ingrals  (4xap:oTou;)  qui  ne  lui  savenk 
aucun  gre  do  ses  bienfaits,  soil  des  pecheurs 
(izovYipoOi;)  qui  en  abusenl  ouvertement.  Dans 
le  premier  Evangile,  la  description  de  la 
bonie  divine  est  expriraee  d'une  faQon  plus 
concrete  :  a  Qui  solem  suum  oriri  facil  super 
bonos  et  malos,  el  pluil  super  justos  rt  in- 
justos  ».  Le  noio  de  AUissimus  pour  designer 
le  Seigneur  est  propre  a  S.  Luc.  Cfr.  i,  32, 
35,  76.  Les  autres  evangelistes  ne  s'en  ser- 
venl  jamais,  et  c'esl  ici  le  seul  endroit  ou 
Notre-Seigneurle donne  lui-memea  son  Pere. 
36.  —  Estate  ergo  misericordes...  Grand 
principe  de  charite,  analogue  a  celui  du  t.  31, 
mais  d'une  perfection  notablement  plus  hauteur 


CIIAPITRE  Vr 


U5 


I 


cut  et  Pater  vester  misericors  est. 

37.  Nolite  judicare,  et  non  judi- 
cabimini  :  noiite  condemnare,  et 
non  condemnabimini.  Dimittite,  et 
dimittemini. 

Matth.  7, 1. 

38.  Date,  et  dabitur  vobis;  men- 
surara  bonam,  et  confertam,  et  coa- 
gitatam,  et  supereffluentem  dabunt 
in  sinum  vestrum.  Eadem  qiiippe 
meiisura,  qua  mensi  fueritis,  reme- 
tietur  vobis. 

Malth.  7,2;  Marc.  4,  24. 


comme  votre  Pere  est   misericor- 
dieux. 

37.  Ne  jugez  point  et  vous  ne 
serez  point  juges;  ne  condamnez 
point  et  vous  ne  serez  point  con- 
damnes ;  remettez  et  on  vous  re- 
mettra; 

38.  Donnez  et  on  vous  donnera  : 
on  versera  dans  votre  sein  une 
bonne  mesure  pressee,  entassee,  de- 
bordante.  Gar  on  vous  mesurera 
d'apres  la  mesure  mSme  avec  la- 
quelle  vous  aurez  mesure. 


:S.  Maiihieu,  V,  48,  elatgit  I'idee  en  disanl 
«  perfecli  »  au  lieu  de  «  misericordes  », 
«  perlectus  «  an  lieu  de  misericors.  Les  Orien- 
taux  ont  loujours  aime  a  raltacher  au  nom 
ds  Dieu  I'epiihetede  7T2m,  inisericordieux. 
37  el  38.  —  Ces  versetscoirespondenia 
Matlh.  VII,  <  el  2;  rnais  S.  Luc  I'emporte  de 
beaucoup  par  la  ricliefse  des  details.  DiMix 
-choses  sunl  d'abord  inleidites  par  Nulre-Sei- 
gneur,  puis  deux  aulres  choses  sonl  vi  vemenl 
recommandees.  A  chacun  de  ses  ordres,  soil 
negatifs,  soil  positifs,  il  lattache  une  sanc- 
tion, tiree  de  leur  nature  nieme  et  bien  capa- 
ble d'en  obtenir  le  parfail  acconiplissemenl. 
—  Nolite  judicare  :  c'esl  la  prentiiere  des  in- 
jonclions  negatives.  A  ceux  qui  s'y  mjntre- 
Tonl  fideles,  Jesus  promel  que  le  souverain 
Juge  les  iraitera  avec  une  telle  misericorde, 
qu'ils  ecliapperont  en  quelqiie  sorle  a  ses  re- 
■doulables  jiig'MnenLs.  —  Si;conde  injonclion 
negalive  :  nolite  condemnare...  Gondamner, 
c'esl  plus  que  juger,  puisque  c'esl  prononcer 
une  sentence  qui  declare  I'accuse  coupable, 
xaxaSixd^o).  En  evilanl  de  condamner  injus- 
lemenl  nos  freres,  nous  nous  preparons  done 
un  arret  favorable  de  la  pari  de  L)ieu.  Grand 
encouragement  I  —  Premiere  recommanda- 
lion  positive  :  Dimittite  et  dimiltennni.  Dans 
le  grec,  aTtoXOexe...,  liueralement :  deliez  et 
vous  serez  delies.  Belle  raelaphore  pour 
exprimer  le  pardon.  Cfr.  Bretschneider,  Lex. 
man.,  s.  v.  aTioXuw.  —  Date  et  dabitur  vobis. 
Seconde  rccommandalion  positive,  qui  est 
(>n5uite  fori(!inent  developpeo  dain  une  des- 

<Tiption    piltoresque   :  Mensurani  bonam 

Quelle  accumulation  empliatique  d'epilheles! 
Mais  I'idei'  de  la  liberalite  infinic  du  bcigneur 
est  admirablement  inculquee  au  moyen  de 
ces  redondances.  La  premiere  epithete,  «  bo- 
nam »,  est  generate  :  nous  I'employons  ega- 
ment  dans  la  locution  populaire  «  faire  la 
bonne  mesure  ».  Les  trois  suivantes  font 
image;  elles  sonl  emprunlees  au  raesurage 

S.  Bible.  S. 


des  cereales  ou  aulres  graines  analogues,  lei 
qu'il  se  pratique  de  nos  jours  encore  sur  les 
marches  de^Jerusalem  et  de  rOrient,  Comp. 
L.  Abbott,  Comm.,  h.  I.  Confertam  :  le  grec 
7te7:i£0(jL£'vov  seraii  mieux  Iraduil  par  «  com- 
pressam  » ;  avec  ses  mains,  au  besoin  avec 
ses  pieds,  celui  qui  mesure  presse  fortement 
les  graitis  pour  qu'il  en  tienne  une  plus 
grande  quanlile.  Coagitatain  :  on  agile  dans 
le  meme  but  le  vaisseau  qui  sen  a  mesurer. 
Enfin  superejpjientem  :  on  comble  si  bien  la 
mesure,  quelle  deborde  de  tous  coles.  — 
Dabunt  in  shmni  vestrum.  L'image  est  encore 
plus  orienlale  que  precedemment.  En  effet, 
«  sinus  »  equivaut  ici  au  pin  hebreu ,  qui 
designe  souvenl  par  melony  mie  ia  parlie  du 
vetement  qui  recouvre  ia  poitrine  et  I'es- 
tomac.  Cfr.  Gesenius,  Thesaurus,  t.  I,  p.  457. 
La  robe  large  elflollantodesOrientaux  forme 
au-dessus  de  la  ceinture  de  vastes  plis  donl 
on  se  sert  en  guise  de  poches,  el  qui  peuvent 
contenir  des  objets  d'un  volume  assez  consi- 
derable. Le  sujel  de  «  dabunt  »  n'esl  pas  de- 
termine :  I'idee  est  claire  neanmoins.  C'est 
Dieu  qui,  par  ses  minislres  celestes,  mesurera 
ses  bieni'aits  aiix  elus  avec  une  munificence 
digne  de  lui.  Peut-elre  le  pluriel  esl-il  un 
hebraisme  pour  «  dabitur  ».  Cfr.  Vorstius,  do 
Hebr.  p.  577.  —  Eadem\quippe  mensura...  Je- 
sus clot  ses  quatre  exhorlaiions  des  tt-  37 
et  38  par  le  principedominateur  qui  leur  avail 
servi  de  base  :  Vous  serez  traites  comme  vous 
aurez  Iraile  les  autres. 

!>)  Troisieme  parlie  du  discours,  ^f.  39-49  :  Qaelques 
regies  de  viaie  sagesse.  —  Parall.  Malth.  vii,  3-27. 

Dans  celte  derniere  parlie,  les  pensees  ne 
se  suivenl  pas  avec  un  enchainemenl  aussi  vi- 
sible que  dans  les  aulres;  le  liaison  est  meme 
parfois  obscure.  Nous  n'en  serons  point 
etonnes,  puisque  S  Luc  abrege  et  resum:}.  II 
s'est  done  contenle  en  plusieurs  endroits  de 
placer  simplement  les  unesa  cote  des  autres 
Lcc.  —  iO 


n'^ 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


3*9.  II  leur  faisait  aussi  cette  com- 
paraison  :  Un  aveugle  peut-il  con- 
duire  un  aveugle?  ne  tomberont-ils 
pas  tous  deux  dans  la  fosse? 

40.  Le  disciple  n'est  pas  au-des- 
sus  du  maitre,  mais  tout  disciple 
sera  parfait  s'il  est  comme  son 
maitre. 

41.  Pourquoi  vois-tu  une  paille 
dans  I'cBil  de  ton  frere  et  ne  consi- 
sideres-tu  pas  la  poutre  qui  est  dans 
ton  oeil? 

42.  Ou  comment  peux-tu  dire  t 
ton  frere  :  Frere,  laisse-moi  6ter  la 
paille  de  ton  ceil,  ne  voyant  pas  toi- 
meme  une  poutre  dans  ton  oeil? 
Hypocrite,  ote  d'abord  la  poutre  de 
ton  oeil  et  tu  regarderas  ensuite  pour 
Cterla  paille  de  I'cBil  de  ton  frere. 

43.  Gar  il  n'est  pas  un  bon  arbre 


39.  Dicebat  autem  illis  et  simili— 
tudinem   :  Numquid   potest  caecus 
caecum  ducere  ?  nonne  ambo  in  fo- 
veam  cadunt? 

40.  Non  est  discipulus  super  ma- 
gistrum  :  perfectus  autem  omnis 
erit,  si  sit  sicut  magister  ejus. 

Malt.  10,  24;  Joan.  13,  16. 

41.  Quid  autem  vides  festucam  in 
oculo  fratris  tui,trabem  autem,  quae 
in  oculo  tuo  est,  non  consideras? 

Maith.  7,  3. 

42.  Aut  quomodo  potes  dicere 
fratri  tuo  :  Frater,  sine  ejiciam  fes- 
tucam de  oculo  tuo,  ipse  in  oculo 
tuo  trabem  non  videns?  Hypocrita, 
ejice  primum  trabem  de  oculo  tuo ; 
et  tunc  perspicies  ut  educas  festu- 
cam de  oculo  fratris  tui. 

43.  Non  est  enim  arbor  bona,  quae 


des  idees  qui  s'enchainent  d'af>'es  un  ordre 
parfait  dans  la  redaction  de  S.  Maiihieu.  Di- 
vers exegeles,  il  est  vrai.  ont  vente  d'eiablir 
une  connexion  rigoureuse  enlie  chacune  des 
maximes  conlenues  dans  ce  passage;  mais 
leur  embarras  nianifeste  et  leur  piod'gieux 
desaccord  nous  enlevent  toute  conQanee  el 
nous  empechent  de  iessuivre. 

39.  —  Dicebat  auleni...  Formule  de  transi- 
tion, comme  au  t.  27.  Le  pronom  eis  repre- 
sente  la  masse  des  audileurs  (ibid.)  et  plus 
speoalement  les  disciples.  Cfr.  t.  20.  —  Simi 
litudinem  :  dans  le  grec,  7;apa6o).r;v,  une  para- 
bole  dans  le  sens  large,  c  -a-d.  un  proverbe, 

Sy^a.  Voyez  I'Evang.  seion  S.  Mallhieu, 
p.  257.  —  Numquid  potest  coecus  ccecum..A 
Ce  maschal  ou  proverbe  n'apparail  point  dans 
I'oOratio  monlana  »  du  premier  Evangile; 
mais  S.  Mallhieu  le  cite  plus  lard,  xv,  'i4,  a 
propos  des  Pharisiens,  que  Jesus  compute  a 
des  aveugles  conduisani  d'autres  aveugles. 
Preuve  que  Nolre-Seigneur  le  profera  en  dif- 
ferentes  circonslances.  II  exprime  d'une  ma- 
niere  pittoresque  cette  verite  generale,  que 
*^  quiconque  se  charge  de  diriger  autrui  doit 
commencer  par  elre  lui-meme  tres  eclaire  : 
c'esi  done  une  excellente  regie  de  sagesse. 

40.  —  Non  est  discipulus...  Nouveau  pro- 
verbe, destme  a  fortifier  le  precedent.  S.  Mat- 
thieu  le  mentionne  aussi  en  un  autre  endroit, 
X,  24,  2o.  legerement  modifie,  pour  annoncer 
les  oppositions  et  les  persecutions  qui  atten- 
daient  les  chreliens  dans  le  monde.  Ici,  il  si- 
goifie  que  le  disciple,  reconnaissant  la  supe- 
riority de  son  maitre,  leprend  naturellement 


pour  modele;  mais,  si  le  maitre  est  aveugle, 
que  deviendra  le  pauvre  disciple?  —  Kaxrip- 
Tt(j(j£vo;,  ['equivalent  grec  de  perfectus,  se 
traduirait  mieux  par  «  comparatus,  forma- 
tus  ».  Du  reste,  le  sens  eniier  du  second  he- 
mistiche  varie  legerement  dans  le  texte  pri- 
mitif  :  xaTTipTiajievo;  5k  wSc  eotat  tb;  6  SiSdff- 
xa),o;  auToO,  «  tolus  ad  exemplum  m;igistri 
ent  composilus  (discipulus)  ».  Le  disciple 
mettra  toute  son  ame,  tous  ses  efforts,  a  de- 
venir  bien  semblable  a  son  maitre. 

41  et  42.  —  Comp.  Mallh.  vii,  3-5  et  le 
commenlaire.  Les  deux  redactions  coincident 
presque  litleralement  en  eel  endroit,  surloul 
dans  le  texte  grec.  Les  principales  parlicula- 
rites  de  S.  Luc  sont  :  Quomodo  poies  dicere 
au  lieu  de  «  Quomodo  dicis  »,  frater  omis 
par  S.  Mallhieu,  ipse  in  oculo  tuo  trabem  noti 
videns  au  lieu  de  «  et  ecce  trabes  est  in 
oculo  tuo  ».  —  Quid  vides?  dans  le  grec, 
Ti  p/ETreii;;  B>.£'7ra)  suppose  un  regard  altenlif 
el  prolonge;  -/.a-avcEw  iconsideras)  s'emploie, 
surloul  au  moral  pour  designer  un  relour  de 
Tame  sur  elle-meme  ;  Sia6liTZ(a  {perspicies)  si- 
gnifie  litleralement  «  pervidere  »,  ou,  selon 
I'explicalion  de  Bentiey,  in  Horar.  Serra. 
I,  25,  26,  «  acule  et  perspicue  et  penitus 
rem  videre  v.  Ces  Irois  veibes  font  image  et 
sonl  d'un  bel  efifet  dans  ce  petit  drame  ironi- 
que,  admirablement  decrit.  Jesus  ne  pouvait 
inculquer  avec  plus  de  force  la  regie  de  sa- 
tcpsse  pratique  qui  se  degage  si  ciairement 
des  ft.  41  et  42. 

43-45.  —  Comp.  Matlh.  vii,  15-20,  et 
XII,  33-35.  11  y  a,  dit  ici  le  divin  Oraleur,- 


CHAPITRE  VI 


U7 


facit   fructus   malos  :  neque  arbor 
mala,  faciens  fructum  bonum. 

Man.  7,  18  et  12,  33. 

44.  Unaquseque  enim  arbor  de 
fructusuo  cognoscitur.  Neque  enim 
de  spinis  colligunt  ficus  :  neque  de 
rubo  vindemiant  uvam. 

4o.  Bonus  homo  de  bono  thesauro 
cordis  sui  profert  bonum;  et  raalus 
homo  de  malo  thesauro  profert  ma- 
lum. Ex  abundantia  enim  cordis  os 
loquitur. 

46.  Quid  autem  vocatis  me  Do- 
mine,  Domine,  et  non  facitis  quae 
dico? 

Malth.  7,  21;  Rom.  2,  13;  Jac.  1,  22. 

47.  Omnis  qui  venit  ad  me,  et 
audit  sermones  meos,  et  facit  eos, 
ostendam  vobis  cui  similis  sit. 


celui  qui  fait  de  mauvais  fruits,  ni 
un  mauvais  arbre  celui  qui  fait  de 
bons  fruits. 

44.  Gar  chaque  arbre  se  connaifc 
par  son  fruit.  On  ne  cueille  pas  les 
iigues  sur  les  epines,  et  on  ne  ven- 
dauge  pas  le  raisin  sur  les  ronces. 

45.  L'homme  bon  tire  le  bien  du 
bon  tresor  de  son  coeur  et  l'homme 
mauvais  tire  le  mal  d'un  mauvais 
tresor.  Gar  la  bouche  parle  de  I'a- 
bondance  du  coeur. 

46.  Pourquoi  m'appelez-vous  Sei- 
gneur, Seigneur,  et  ne  faites  pas  ce 
que  je  dis? 

47.  Quiconque  vient  a  moi  et 
ecoute  mes  paroles  et  les  met  en 
pratique,  je  vous  montrerai  a  qui  il 
ressemble. 


une  frappanle  analogie  unlrc  les  lois  qui 
gouverneiu  le  regne  vegelal  ei  celles  qui  di- 
rigent  le  royaume  des  amos.  La  nature  ou  la 
valeur  de  I'arbre  se  reconnall  a  son  fruit. 
Bon  fruit,  bon  arbre  ;  mauvais  fruit,  mauvais 
arbre  :  la  figue  sur  le  figuier  et  pas  ailleurs, 
le  raisin  seulementsur  la  vigiie  I  De  meme 
au  moral  pour  les  hommes.  L'homme  bon  a 
au  lond  de  son  coeur  un  bon  tremor,  duquel 
ne  s'echappent  que  de  bonnes  clioses;  au  con- 
Iraire,  le  iresor  du  mauvais  homme  est  mau- 
vais, et  il  en  sort  naturellement  des  choses 
mauvaises.  Comparez  ce  trait  rabbinique  : 
«  Rabbi  Jochanan  dit  a  sos  disciples  :  Allrz 
el  voyez  quelle  eslladroile  lii;ne  de  coiiduile 
a  laquelle  l'homme  doit  adheicr.  R.  Eliezer 
dit  :  G'esl  un  bon  oeil  (la  bberalite).  R.  Josua 
dit  :  G'esl  d'etre  un  bon  compagnon.  R.  Jose 
dil :  G'esl  d'etre  un  bon  voisin.  K.  Simeon  dit  : 
G'esl  de  pourvoir  a  I'avenir.  R.  Eleazar  dit  : 
G'est  un  bon  coeur.  II  leur  dit  :  Je  prefere  a 
vo5  paroles  celle  d'Eleazar  Gls  d'Aruch,  car 
vos  ()aroles  sont  contenues  dans  la  sienne,  II 
leur  dit  encore  :  Allez  et  voyez  quelle  est  la 
voie  mauvaise  dont  l'homme  doii  se  garder. 
R.  Eliezer  dit  :  G'esl  un  mauvais  oeil  (I'ava- 
ric<').  R  Josua  dil  :  G'esl  d'etre  un  mauvais 
compagnon.  R.  Jose  dil :  G'est  d'etre  un  mau- 
vais voisin.  R.  Simeon  dil  :  G'esl  (i'empi'unter 
et  de  ne  pas  rendre.  R  Eleazar  dit  :  G'est  un 
mauvais  coeur.  II  leur  dit :  Je  prefere  a  vos  pa- 
roles celle  d'Eleazar,  car  vos  [)aroles  sont 
contenues  dans  la  sienne  ».  Pirke  Abolh,  ii,  9. 
Or,  ajoutft  Notre-Seigneur,  c'esl  par  la  bouche 
que  se  manifesle  i'etat  du  coeur  de  rhomme. 


—  De  spinis...  ficus  et  de  rubo...  uvam.  On 
lit  dans  S.  Matthieu  :  «  de  spinis  uvas  aut  de 
tribulis  ficus  ».  Le  «  rubus  »,  PaTo;  («  horrens 
rubus  »  et  «  rubus  asper  »  de  Virgile],  que 
S.  Luc  mentionne  a  la  place  des  chardons  ou 
herbes  epineuses  du  premier  Evangile,  n'est 
autre  que  la  ronce  :  «  rubus  fructu  nigro, 
caule  aculealo,  foliis  ternalus  ».  —  Du  pro- 
verbe  ex  abundantia  cordis  os  loquitur,  les 
anciens  commenlateurs  rapprochenl  de  nom- 
breuses  sentences  analogues  empruntees  aux 
classiqucs;  v.  g.  :  avopo?  x«P*"'''^^P  ^^  l6-(uiv 
yvwpi!^£Tai,  JNIenandre  j  oTo;  6  TpoTto;  totouTO!;  xai 
6).6yo;,  Arist.  Cfr.  Wetslein,  Hor.  in  h.  I. 

46.  —  La  peroraison  du  discours  com- 
mence en  cet  endroit.  Le  Sauveur  proleste 
d'abord  energiquement  centre  ces  hommes 
qui,  a  en  croire  les  paroles  pleines  de  de- 
vouemenl  qu'on  enlend  k  toule  occasion  sor- 
tir  de  leur  bouche  [Domine  repeie  deux  fois 
d'une  maniere  emphalique),  seraient  ses  dis- 
ciples l(!s  plus  fervenls,  mais  qui  dementenl 
leurs  belles  paroles  par  leur  conduite  anti- 
chrelienne.  «  Iter  regni  Dei  est  obedientia 
el  non  nominis  nuncupatio  »,  Gloss,  ord.,  ou, 
comme  le  dit  S.  Hilaire,  «  regnum  coelorunr 
sola  verborum  officia  nun  oblinent  ».  Done, 
«  estole  faclores  verbi  el  non  audilores  lan- 
lum  »,  Jac.  I,  22.  Gl'r.  Malth.  vii,  21  el  le 
commenlaire. 

47.  —  Apres  la  protesta.lion  indign^e  qui 
precede,  Jesus  montre  par  deux  tableaux  pil- 
toresques,  1it.  47-49,  4  quoi  ressemblenl  les 
deux  categories  de  personnos  qui  viennent 
dcouler  la  predication  evangelique.  Voyez 


448 


CHAPITRE  VI 


-48.  II  est  semblable  a  un  homme 
qui,  batissant  une  maison,  a  creuse 
profoudement  et  a  pose  le  fonde- 
ment  sur  la  pierre.  L'inondation 
survenant,  le  fleuve  s'est  brise 
contra  cette  maison  et  n*a  pu  I'e- 
branler,  car  elle  etait  fondee  sur  la 
pierre. 

49.  Mais  celui  qui  ecoute  et 
ne  pratique  pas  est  semblable  a 
rhomme  ([ui  balit  sa  maison  sur  la 
terre,  sans  fondement.  Le  fleuve 
s'est  brise  centre  elle  et  aussitot  elle 
est  tombee  et  il  s'est  fait  de  cette 
maison  une  s^rande  mine. 


48.  Similis  est  homini  sedificanti 
domum,  qui  fodit  in  altura,  et  posuit 
fundamentum  super  petram.  Inun- 
datione  autem  facta,  illisum  est  flu- 
men  domui  illi,  et  non  potuit  earn 
movere;  fundaia  enim  erat  super 
petram. 

49.  Qui  autem  audit,  et  non  facit, 
similis  est  homini  sedificanti  domum 
suam  super  terram  sine  fundamento, 
in  quam  illisus  est  fluvius,  et  conti- 
nuo  cecidit;  et  facta  est  ruina  do- 
mus  illius  masrna. 


SMatlhieii.  vil,  24-27.  L'iiilroduciioii,  I'orinee 
par  le  t.  47,  est  plus  complete  el  plus  solen- 
nelle  que  dans  le  premi t  Evangile.  Qui  venit 
ad  me  el  ostendam  vobis  cui  simtlis  sit  t^otil  des 
traits  propies  a  S.  Luc. 

48.  —  Premier  lableau,  qui  represente  los 
«  faclores  verbi  ».  L'audileur  serieux  de  la 
divine  parole  batil  sur  des  fondemenls  ine- 
branlables  Tedifice  de  sa  perfection  :  aussi 
n'a-l-il  pas  a  redouter  les  orat^f'S  que  susci- 
lenl  centre  lui  I'enfer,  le  monde  el  ses  pro- 
pres  passions.  —  Qui  fodit  in  aUum  et  pusuit 
fundamentum.  S.  Luc  releve  admirablement, 
par  celle  description  draraatique  qui  lui  est 
spe'ciale,  le  soin  pris  parle  conslrucieur  pour 
appuyer  sa  maison  sur  une  bas3  solide.  Sans 
redouter  sa  peine,  il  a  creuse  dans  le  roc, 
puis  il  a  creuse  encore  plus  profond ,  comrae 
le  dit  cxpressivcment  le  texle  grec,  eaza^'s  v.at 
ioi%vz.  Tel  est  du  reste  aujourd'liui  encore 
I'usage  communement  suivi  en  Palestine  : 
certaines  fondations  vonl  cherclier  la  roche 
dure  jusqu'a  trente  pi^ds  au-dessous  du  sol. 
Cfr.  Robinson.  Paloestina,  t.  IH,  p.  428.  — 
Inundatione  autem  facia...  S.  Malihieu  donne 
ici  a  son  tour  une  peinture  plus  vivante. 
St  Luc  emploie  neanmoins  plusieurs  expres- 
sions particulieres,  qui  sont  tout  ensemble 
elegantes  et  fortes;  par  exemple,  7t>,Tiij.[xupa 
pour  designer  rinondation,itpo(7£ppri?£v,i/ii.';um 
est,  pour  depeindre  l^  choc  terrible  des  flols 
centre  la  maison.  Non  polutt  earn  movere 
monlre  peul-6tre  mieux  aussi  que  le  simple 
t  non  cecidit  »  de  S.  Matlhieu  I'impuissance 


des  vagues  irriiees  —  Au  lieu  des  mots 
fundata  enim  erat  super  petram,  qui  termi- 
nenl  le  verset  dans  la  Recepta  grecque,  dans 
la  Vulgate  el  dans  la  plupart  des  anciens  te- 
moins.  lesmanuscrits  B.  L,  Sin.. etc.  portent : 
5ia  TO  xaXiJi);  olxoSou.£to8xt  auT^^v,  variante  qui 
pou:  rail  bien  avoir  ete  la  leQon  primitive.  — 
La  conjecture  d'apies  laquelle  un  orage  sur- 
venu  lout  a  coup  vers  la  tin  de  1' «  Oratio  mon- 
tana  »  aurait  suggere  a  Notre-Seigneur  les 
images  de  sa  peroraison,  est  «  ingeniosa  ma- 
gis  quam  vera  ». 

49.  —  Second  tableau,  pourrepresenter  les 
«  auditores  tantum  » ,  auditeurs  purement 
passifs,  qui  ne  se  donnent  aucune  peine  pour 
pratiquer  la  parole  divine.  Eux  aussi  ils  bSlis- 
sent  un  edifice ;  mais  leur  paresse  est  cause 
qu'ils  ( n  assoient  simplement  les  bases  sur  le 
sol.  Sine  fundamento,  ajoute  emphatiquement 
S.  Luc  afin  de  mieux  marquer  le  conlraste 
qui  existe  entre  eux  el  les  constructeurs  du 
t-  48.  Aussi,  lorsque  les  eaux  que  la  lempete 
a  versees  coinme  une  trombe  sur  li>  pays  se 
sent  precipitees  (de  nouveau  npo<7£'ppr,isvj  a  la 
fagon  d'un  fleuve  in  "sislible  centre  la  pauvre 
maison,  elle  s'est  ecroulee  au  premier  choc. 

—  Continuo  est  une  particularite  de  S.  Luc; 
de  meme  I'emplei  du  substantif  grec  ^*iYt*'« 
[ruina,  litteral.  «  ruplura  »),  plus  fori  que 
iTToiai;  de  S.  Matlhieu,  et  qui,  associe  k 
7rpo'7£'pp-nl£v,   produit  une  belle   paronomase. 

—  «  C'esl  en  agissant,  dit  S.  Augustin,  que 
Ton  conlirme  et  consolide  ce  qu'on  a  en- 
tendu  », 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


149 


CIIAPITRE  VII 


jO  seiviieur  du  ceniurion  [tt.  1-10).  —  Resurrection  du  61s  de  la  veuve  de  Nairn  (tt.  ii-i7). 
—  Le  Precurseur  envoie  d;nix  de  ses  disciples  a  Jesus  pour  lui  demander  s'il  est  le  Messie 
{tt-  18-23).  —  Hommage  public  rendu  par  Nolre-S  igneur  a  S.  Jean  (lifif.  24-28].  — 
Jesus,  Jean-Baplisle  el  la  generation  presenle  [tt.  29-33).  —  Simon  le  Pharisien  et  la 
pecheresse  (tS-.  36-50). 


1.  Gum  autem  implesset  omnia 
verba  sua  in  aures  piebis,  intravit 
Gapharnaum. 

Macth.  8,  0. 

2.  Genlurionis  autem  cujusdam 
servus  male  habens,  erat  moritu- 
rus,  qui  illi  erat  pretiosus. 

3.  Et  cum  audisset  de  Jesu,  misit 
ad  eum  seniores  Judseorum,  rogaus 
eum  ut  veniret,  et  salvaret  servum 
ejus. 


l.Lorsqu'il  eut  acheve  de  faire 
entendre  au  peuple  toutes  ces  pa- 
roles, il  entra  dans  Gapharnaiim. 

2.  Or  le  serviteur  d'un  centurion 
elait  malade  et  moribond,  et  il  lui 
etait  tres  cher. 

3.  Ayant  entendu  parler  de  Je- 
sus, il  lui  envoya  quelques  anciens 
d'entre  les  Juifs,  le  priaut  de  venir 
et  de  guerir  son  serviteur. 


11.  Le  serviteur  du  centurion,  vii,  1-10. 

Paiall.  Matth.  viii,  5-13. 

Nous  avons  ici  un  des  plus  grands  mira- 
cles de  Notre-Seigneur  Jesus-Chrisl.  Mais  il 
acquiert  une  iuiporlance  toule  nouvelle  dans 
le  troisieniL!  Evaiigile,  quand  on  se  souvienl 
qu'il  ful  accompli  en  laveur  d'un  pai'en.  Aussi 
S.  Luc  I'a-l-il  raconte  avec  plus  de  details 
que  S.  Mat  hieu. 

Chap.  vii.  —  1.  —  Ce  versel  precise  I'e- 
poque  et  le  theatre  du  prodige.  —  Cum  au- 
tem (£it£'  Ss  :  la  legon  euetoT)  des  manuscrits 
A,  B,  C.  X,  etc.,  n"a  pas  de  sens)  implesset... 
La  guerison  eul  done  lieu  peu  de  temps  apres 
le  Uiscours  sur  la  moiitagne.  Des  mots  intra- 
vit Gapharnaum  il  requite  qu'elle  ful  operee 
dans  la  cite  qui  servail  de  residence  habi- 
tuelle  a  Jesus.  —  L»s  exegetes  anciens  el 
modernes  relevent  a  bon  droit  le  caraclere 
solennel  de  la  formule  eirei  iii\7\pu>(jz  Ttdvxa  ta 
fr((j.aTa  auToO  eU  ra;  dxoi;  tou  XaoO.  L'evange- 
liste  semble  y  indiquer  en  outre  assez  claire- 
menl  {omnia  verba  sua)  qu'il  n'a  pas  rapporte 
dans  leur  entier  les  paroles  de  Jesus.  Notez 
encore  I'arrangemenl  tout  liebraique  de  la 
phrase  :  il  suffit  de  calquer  mot  piur  mol,  et 
Ton  a  de  I'hebreu  lout  pur  :  V12tSd  nSd'  id 

2.  —  Les  deux  heros  du  miracle  nous  sonl 
ici  presentes.  C'etaieni  un  centurion  palen 
(voyez  I'Evangile  selon  S.  Maithieu,  p.  135 
et  s.),  prepose  a  une  parlie  de  la  garnison  de 
Capharnaiim,  el  son  esclave  gravemeni  ma- 


lade. Avec  sa  precision  toule  medicale, 
S.  Luc  affirme  que  ce  dernier  eral  moriturus. 
II  ajoule  encore,  pour  expliquer  I'interet  par- 
ticulier  que  le  serviteur  moribond  inspirait  a 
son  maitre  :  qui  illi  erat  pretiosus.  G'etait 
pourlant  un  proverbs  du  paganism3  que 
«  quot  servi  lot  hosles  »  ;  mais  le  ceniurion, 
a  derai  converli  a  la  religion  du  vrai  Dieu, 
pratiquail  plulot  ce  conseil  des  SS.  Livres  : 
«  Servus  sensalus  sit  libi  dileclus  quasi 
anima  tua  »,  Eccli.  vii,  23. 

3.  —  Cum  audisset  de  Jesu  :  «  non  solum 
aure  corporis,  dit  fori  bien  S.  Bonaventure, 
h.  I.,  sed  el  aure  cordis  ».  II  a  entendu  parler 
de  Jesus,  de  sa  sainlete,  de  ses  miracles,  et 
il  congu  pour  lui  une  haule  estime  :  il  croit 
en  ses  pouvoirs  surnaturels,  el  voici  qu'il  se 
dispose  a  y  recourir  dans  la  pressanle  neces- 
sile  ou  il  se  irouve.  —  Misit  ad  eum  seniores 
(irps(j6u-£'pou;  sans  article)  Judceorum.  On  a 
vu  paifois  dans  ces  a  anciens  »  qui  servirent 
d'ambassadeurs  au  ceniurion,  les  officiers  de 
la  synagogue;  mais  cette  opinion  n'est  pas 
fondee,  car  irpsaouTepoi  n'esl  jamais  syno- 
nyme  de  apx'.<yuvdYwYot.  II  s'agil  simplement 
de  quelqucs-uns  des  notables  de  Gapharnaum. 
—  Rogans  eum  ut  veniret...  Et  pourlant,  un  peu 
plus  loin,  t.  6,  le  ceniurion  fera  prier  Jesus 
ne  pas  venir,  se  reconnaissant  indigne  de  re- 
cevoir  chez  lui  un  si  saint  personnage.  o  Fa- 
cile responderi  potest,  ecril  MalJonat  pour 
concilier  ces  deux  donnees  en  apparence  con- 
iradictoires,  id  (scil.  ut  veniret)  seniorei  Ju- 


^50 


*:VANGiLE  SELON  S.  LUC 


k.  Lorsqu'lis  furent  veniis  aupres 
le  Jesus,  ils  le  prierent  avec  in- 
stance, lui  disant  :  II  est  digne  que 
vous  fassiez  cela  pour  lui ; 

5.  Car  ilaimenotre  nation  etil  nous 
a  bati  lui-meme  une  synagogue. 

6.  Jesus  s'en  alia  done  avec  eux. 
Et  lorsqu'il  n'etait  plus  guere  loin 
de  la  maison,  le  centurion  envoya 
vers  lui  des  amis  lui  dire :  Seigneur, 
ne  prenez  pas  la  peine,  car  je  ne 
suis  pas  digne  que  vous  entriez  sous 
mon  toit. 

7.  G'est  pourquoi  je  ne  me  suis 


daeorum  di'  suo  addidisso  ».  Nous  pieferons 
admetlre  que  le  centurion,  apres  avoir  d'a- 
bord  demande  la  visile  du  Thaumaturge,  re- 
vint  ensuite  humblement  sur  sa  requ6le, 
pour  la  retirer  comma  trop  piesomplueuse. 
—  II  est,  a  proper  de  cet  episode,  une  autre 
concilialion,  de  prime-abord  bi^aucoup  plus 
difficile,etpourtantbeniicoup  plusimportanle. 
Elie  concerne  les  ecarts  considerables  qui 
existent  entre  les  recits  de  S.  Mallhieu  et  de 
S.  Luc.  Voyoz  sur  ce  point  noire  explication 
du  premier  Evangilc  p.  155.  Le  coiiflit  n'est 
qu'apparont.  car,  selon  le  mot  de  S.  Augus- 
tin.  dans  lisecrils  inspires,  «  diversa  multa, 
ADVERSA  nulla  esse  possunt  »,  et  tout  obser- 
valeur  atlentif  reconnail  sans  peine  qu'il  n'y 
a  pas  ici  antilogie  proprement  dile,  mais 
t>implement  diversite.  S.  Matthieu,  qui  con- 
dense les  faits,  neglige  les  personnages  inter- 
mediaires,  et  ne  met  en  scene  que  le  centu- 
rion ;  S.  Luc  expose  les  choses  telles  qu'elles 
se  sont  passees  objeclivement. 

4  et  5.  —  Al  illi...  rogabant  eiim  solli- 
cite  (traduction  litterale  de  aTrovifaiw?,  pour 
«  enixe  »).  Les  delegues  s'acquitterent  fidele- 
ment  de  la  commission  qui  leur  avait  ete  con- 
fiee.Oubliant  lours  prejugesjudfii'ques.  ilsplai- 
derent  avec  chaleur  la  cause  de  i'ofllcier  pai'en. 
Dignus  est,  s'ecrierenl-ils.  landis  qu'il  dira 
Ijienlot  lui-meme  :  «  Non  sum  dignus  ».  — 
Prcestes  ;  dans  le  grec,  irape^Y)  d'apres  les 
meilleurs  nianuscrits.  Sur  la  forme  TcapeSei  de 
la  Recepta,  voyez  Winer.  Grammal.  des 
neutesl.  Sprachidioms,  6e  edit,  p.  70.  —  L'^- 
vangelisli'  nous  a  conserve  quelques  particu- 
larites  inieressantes  alleguees  par  les  notables 
en  Caveur  du  centurion.  Diligit  gentem  nos- 
Iram:  beaucoup  de  paiens  delesiaient  alors 
la  nation  juive;  plusieurs  neanmoins  se  sen- 
laient  al  tires  vers  elle  par  ses  dogmes  si 
eleves,  sa  morale  si  pure,  et  le  centurion  etait 
de  ces  derniers.  Or,  sa  situation  lui  tournis- 
sait  des  occasions  quotidiennes  de  temoigner 


4.  At  illi  cum  venissent  ad  Je- 
sum,  rogabant  eum  sollicite,  dicen- 
tes  ei  :  Quia  dignus  est  ut  hoc  illi 
prsestes. 

5.  Diligit  enim  gentem  nostram, 
et  synagogam  ipse  sedificavit  nobis. 

6.  Jesus  autem  ibat  cum  illis.  Et 
cum  jam  non  longe  esset  a  domo, 
misit  ad  eum  centurio  amicos,  di- 
cens  :  Domine,  noli  vexari  :  non 
enim 
meum  intres 

Matth.  8,  8. 

7.  Propter  quod  et  meipsum  non 


sum  dignus   ut  sub  tectum 


sa  bienvoillance  par  des  actes  aux  Juifs  de 
Capharnaiim.  Parmi  ces  actes,  les  notables 
en  meniionnent  un  d'une  nature  vraiment 
extraordinaire  :  Synagogam  i/jse  (pronom  em- 
phatique  :  lui-meme,  quoique  pai'en)  wdifica- 
vit  nobis.  Le  centurion  n'etait  done  pas  seule- 
ment  I'ami  des  Juifs  ;  c'elait  pour  eux  un 
bienfaiteur,  et  un  bienfaiteur  au  point  de  vue 
de  la  religion.  11  leur  avait  bSli  a  ses  frais 
une  synagogue  :  rt\v  auvaywY^v,  dirent  les 
delegues  en  appuyant  sur  Tanicle.  Ils  desi- 
gnaient  sans  doute  ainsi  la  synagogue  de  leur 
quartier,  ou  du  moins  I'edifice  bien  connu 
qui  provenait  de  la  generosite  du  centurion  ; 
car  une  ville  aussi  considerable  que  Caphar- 
naiim pos>edait  necessairemcnt  plusieurs  sy- 
nagogues. L'empereur  Auguste  avait  publie 
nagueie  un  edit  tres  louangeur  sur  les  syna- 
gogues juives,  qu'il  represeniait  comme'  des 
ecoles  de  science  et  de  vcrtu  :  le  centurion 
de  Capharnaiim  avait  tire  la  conclusion  pra- 
tique de  cet  edit.  P^ui-etre  sa  maison  de 
priere  etail-elle  celle  donL  on  voit  aujourd'hui 
a  T:'ll-Houm  (voyez  I'Evang.  selon  S.  Matlh., 
p.  230)  les  restes,  qui  attestant  une  grande 
mai:nificence. 

6-8.  —  Jesus  ibat...  S.  Matlhieu  a  conserve 
la  reponse  prealable  du  Sauveur,  toute  em- 
preinte  de  sa  divine  amabilile  :  «  Ego  veniam 
et  sanabo  eum  ».  —  Misit...  centurio  amicos. 
Averti  de  I'approche  de  Je-us,  ou  ayant 
apergu  lui-meme  le  cortege  du  spuil  de  sa 
maison,  le  centurion  se  hate  d'envoyer  une 
seconde  ambassade.  composee  de  plusieurs 
amis,  que  son  malheur  avait  reunis  a  ses 
cotes.  —  Dicens  (le  texte  grec  ajoule  :  aOxto;. 
Hebraisme  pour  «  qui  dicerent  ».  —  Noli 
vexari.  Le  grec  v-^  axu),).ou  est  d'une  grande 
energie.  Voyez Malth.  ix,  26  et  I'explication. — 
La  suite  des  paroles  du  centurion  est  men- 
tionnee  d'une  maniere  a  peu;  .res  identique 
par  les  deux  ecrivains  sacres.  S.  Luc  a  nean- 
moins en  propre  la  premiere  moitie  du  t.  7 


CHAPITRE  VII 


451 


sum  dignum  arbitratus  ut  venirem 
ad  te;  sed  die  verbo,  et  sanabitur 
puer  meus. 

8.  Nam  et  ego  homo  sum  sub  po- 
testate  constitutus,  habens  sub  me 
milites,  et  dico  liuic  :  Vade,  et  va- 
dit;  et  alii  :  Veni,  et  venit;  et  servo 
meo  :  Fac  hoc,  et  facit. 

9.  Quo  audito,  Jesus  miratus  est^ 
et  conversus  sequentibus  se  turbis, 
dixit  :  Amen  dico  vobis,  nee  in  Is- 
rael tantam  fidem  inveni. 

10.  Et  reversi,  qui  missi  fuerant, 
domum,  invenerunt  servum,  qui 
languerat,  scinum. 


pas  juge  digne  de  venir  moi-meme 
a  vous;  mais  dites  une  parole  et 
mon  serviteur  sera  gueri. 

8.  Gar  raoi  je  suis  un  homme  sou- 
mis  a  d'autres,  ayant  sous  moi  des 
soldats,  et  je  dis  al'un  :  Va,  et  ii  va; 
et  aun  autre  :  Viens,  etilvient;  et 
a  mon  serviteur  :  Fais  ceci,  et  il  le 
fait. 

9.  En  entendant  cela  Jesus  ad- 
mira,  et  se  tournant  vers  la  fouls 
qui  le  suivait,  il  dit  :  En  verite  je 
vous  le  dis,  je  n'ai  pas  trouve  en  Is- 
rael meme  une  si  grande  foi. 

10.  Et  ceux  qui  avaient  6te  en- 
voyes  etant  retournes  a  la  maison 
trouverent  en  sante  le  serviteur  qui 
avait  ete  malade. 


{propter  quodet  meipsum...  ut  venirem  ad  te), 
si  pleine  de  I'oi  et  d'humilile,  et,  au  t-  8, 
['addition  dii  parlicipe  xa(7(76|j.£vo?.  Get  homme 
comprenait  tres  bien  son  interiorile  vis  a  vis 
de  Jesus;  mais  comma  il  comprenait  bien 
-aussi  la  puissance  de  Notre- Seigneur !  II 
I'xprime  ces  deux  idees  avec  force  au  moyen 
d'une  saisissante  anaiogie ,  empruiitee  aux 
fails  journaliers  dont  il  etait  I'acteur  et  le 
lemoin.  11  sait  par  experience  ce  que  pent 
obtenir  une  parole  de  commandement.  Slip 
un  mot  de  ses  ch^s,  il  obeil ;  un  de  ses  mots 
h  lui,  simple  olTicier  subalterne,  suffit  pour 
faire  aller  et  \enir  ses  inferieurs.  Done,  die 
verbo,  et  le  mal  disparaitra  soudain.  «  Si  ergo 
ego,  inquit,  homo  sub  potestate.  jubendi 
hab;>o  poteslatem,  quid  tu  possis,  cui  omnes 
serviunt  potentates  »?  S.  Auguslin,  Enarr.  in 
Ps.  XLvi,  9.  Cfr.  Severusap.  Cramer,  Catena 
in  h.  I.  —  Sanabitur  puer  meus.  Au  lieu  du 
futuf,  les  manuscrits  B,  L,  etc.,  ont  I'optatif 
la0riT(o,  qui  exprime  d'une  maniere  plus  deli- 
cate le  desir  du  centurion. 

9.  —  Quo  audito,  Jesus  miratus  est.  Sur  cet 
etonnemenl  de  Jesus,  voyez  I'Evangile  selon 
S.  Matthieu,  p,  '157.  —  Le  trail  pittoresque 
conversus  e?t  propre  a  S.  Luc ;  de  meme  I'ad- 
dilion  du  mot  turbis.  —  Nee  in  Israel  tantam 
fidem  inveni.  Pas  mSme  en  Israel,  le  peuple 
de  ralliancel  G'esl  un  paien  qui  fournissail  a 
Jesus  I'exemple  de  la  foi  la  plus  vive  qu'll  eAt 
renconlree  jusque-la.  S.  Thomas  d'Aquin  ne 
crainl  pas  d'affirmer  a  la  suite  d'Origene,  de 
S.  Jean  Chrysostome,  de  S.  Ambroise,  qu'en 
tenant  ce  lanjjage  Nolre-Seigneur  n'exceptait 
ni  les  Apolres,  ni  plusieurs  autres  saints  du 
Nouveau  Testament,  bien  devoues  pourtanl 
k  sa  personne  sacree  :  «  Quseslio  est  de  Apo- 


slolis,  Martha  el  Magdalena.  Et  dicendum 
quod  centurio  majoris  erat  fidei  ».  Inulile  de 
direqu'il  nes'agit  nullemenl  icidela«  Vierge 
fidele  »,  pui^que  I'experience  a  laquelle  N.-S. 
Je-;us-Chri?t  fait  allusion  («  inveni  »)  ne  re- 
tombe  que  sur  le  temps  de  son  ministere  pu- 
blic. —  D'apres  S.  Matihieu,  vii,  11  et  12, 
Jesus  unit  a  I'eloge  du  centurion  une  prophetie 
relative  a  I'adoption  des  Gentils  et  au  rejet 
prochain  des  Juifs.  On  est  d'abord  surpris  de 
voir  que  S.  Luc  n'a  pas  insere  dans  sa  re- 
daction ce  passage  significatif ;  mais  on 
s'explique  celte  omission  en  rencontrant  plus 
loin,  XIII,  28.  la  grave  prediction  de  Jesus. 
Notre  evangeliste  n'aura  pas  cru  necessaire 
de  la  repeter  deux  fois. 

10.  —  Et  reversiqiii  missi  fuerant .. .  Le  pre- 
mier Evangile  mentionne  simplement  le  mi- 
racle :  «  Et  sanatus  est  puer  in  ilia  hora  ». 
S.  Luc  le  fait  constaler  «  de  visu  »  par  les 
delegues  du  centurion.  —  Qui  languerat. 
L'exprcssion  grccque  correspondante,  daOe- 
vouvTa,  manque  dans  les  manuscrits  B,  L, 
Sin.,  ritala  et  la  version  copte.  Mais  elle 
est  probablemenl  aulhenlique.  Sa  traduction 
exacte  serail  «  languentem  »;  la  Vulgate  a 
suivi  I'esprit  pluiot  que  la  hutre.  En  realile 
V'  serviteur  avait  deja  cesse  d'etre  malade.  — 
II  est  plus  que  probable  que  le  cenlurion  de- 
vint  des  lors  I'ami  et  le  fervent  disciple  de 
Jesus,  comma  I'insinue  delicatement  S.  Au- 
guslin :  «  Dicendo  se  indignum,  praestitit 
dignum,  non  in  cujus  parieti'S,  sed  in  cujus 
cor  Ghristus  intranet.  Neque  hoc  dicerel  cum 
tanta  fide  et  humilitate.  nisi  ilium  quern  ti- 
mebat  intrare  in  domum  suam.  corde  gesta- 
ret  ».  Serm.  lxii,  1.  El  ailleurs,  Serm. 
Lxxvii,  8  :  «  Teclo  non  recipiebat,  corde  re- 


459 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


11.  El  il  advint  qu'il  alia  ensuite 
dans  une  ville  qui  estappelee  Xaim, 
et  ses  disciples  allaient  avec  lui, 
ainsi  qu'une  foule  nombreuse. 

12.  Or  comme  il  approchait  de  la 
porte  de  la  ville  voila  qu'on  empor- 
tait  un  mort,tils  unique  de  sa  mere ; 


11.  Et  factum  est:  deinceps  ibat 
in  civitatem,  quae  vocatur  Nairn,  et 
ibant  cum  eo  discipuli  ejus,  et  turba 
copiosa. 

12.  Gum  autem  appropinquaret 
portae  civilatis,  ecce  defunctus  effe- 
rebatur  filius  unicus  matris  suae  :  et 


ceperat.  Quanto  hmnilior,  lanlo  capacior, 
tanto  plenior.  Colles  enim  aquam  repcllunt, 
valles  implenlur.  » 

12.  Resurrection  du  fils  de  la  veuTe 

de  Nairn,  mi,  11-17. 

Cette  narralion,  qui  est  une  des  plus  tou- 
chanles  de  I'histoire  evangelique,  appartieni 
en  propre  a  S.  Luc.  II  est  seul  du  lesle  a 
allrib.ier  plusieuis  miracles  de  resurrection 
a  Notre-S'^igneur  Je>us-Christ.  S.  Matthieu  el 
S.  Marc  n,'  parienl  que  do  la  fille  de  Jaire; 
S.  Jjaii  ne  parle  que  de  Lazare  :  pour  lui  il 
nous  monUe  successivement  deux  morts  sor- 
lanl  du  loiiibeau  sur  un  mot  de  Jesus,  le  fils 
de  la  veuve  d'^  Nal'ra  el  la  fille  de  Jalre. 

11.  — Et  fartu.n  est.  Gotte  formule  gene- 
rale  fail  passer  le  lecieur  d'un  prodiije  ecla- 
lanl  il  un  auiro  prodign  plus  eciatant  en- 
core. Comme  Je-us,  I'evangeliste  w  mira  miris 
anneclil  »  (S.  Cyrille,  Cat.  graec.  Pair.).  — 
De  nouv  au,  la  dale  el  la  localile  sonl  indi- 
quees.  Cfr.  t.  1.  La  dale  est  un  peu  vague, 
du  moins  dans  la  Vulgate  {deincepsj  el  dans 
les  manuscrits  grecs  qui  portent  •  ev  tw  eHrj; 
(scii.  ZP'-^'V i-  Mais  peut-etre  faut-illire  iv  i^  lift-, 
(scil.  r,;j.i'pa),  «  le  jour  d'apres  ».  avec  d'autres 
temoins  graves  et  nombreux  (nolammenl  les 
manuscrits  C,  D,  K.  51.  S.  n,  Sin.,  ies  ver- 
sions syr..  ital.,  etc.).  Dans  ce  cas  I'epoque 
serait  ires  nettement  indiquee. —  In  civitatem 
quce  vocatur  Nairn.  Le  nom  grec  est  Natv, 
qui  correspond  idenliquemenl  a  I'appellalion 
arabe  encore  en  usage  de  nos  jours,  Nain  ou 
Nein,  Ce  nom.  qui  s'ecrivait  sans  doute  en 
hebreu  a^JT^,  signifie  «  la  belle  »,  el  il  etait 
justifie  a  merveille  par  la  situation  gracieu-e 
de  la  ciie.  Celle-ci  s'elalait  en  effet  sur  le 
ver?ant  septentrional  du  petit  Hermon,  et, 
de  leminence  qui  lui  servail  de  trone,  elle 
cont  inplait,  a  ses  pieds,  la  vaste  el  ferlile 
plaine  d  Esdrelon  ;  en  face,  les  belles  collines 
boisees  de  Galilee,  que  suimonlenl  les  pics 
neigeuxdu  Liban  el  du  grand  Hormon.  Au- 
jourd'liui  la  perspective  est  la  meme  ;  mais  la 
cite  galileenne  a  fail  place  a  un  miserable 
hameau  quhabilenl  des  mu?ulman>  lana- 
tiqiies.  Voyez  V.  Ancessi,  Alias  biblique, 
pi.  XVI;  R.  Ries>,  Atlas  de  la  Bible,  pi.  IV; 
Stanley.  Sinai  and  Palestine,  p.  337  ;  Porter, 
Handbook  of  Syria  a.  Palestine,  2'  edit,  p.  349 ; 


Sepp.  Jerusalem  und  das  h.  Land.  t.  II,  p.  66 
el  s.  II  n'esl  pas  fail  d'autre  mention  de  Naini 
dans  la  Bible.  La  distance  qui  la  separe  de 
Capharnaiim  I'si  d'pnviron  une  journee  de 
marche.  —  Ibant  cum  eo  discipuli  :  Tadjectif 
ixavoi,  «  multi  »,  ajoute  par  la  Recepta,  est 
omis  par  plusieurs  manuscrits  iB,  D.  F,  L,  etc.) 
el  V(  r.-ions  qui  foni  aulurite.  —  Et  turba 
copiosa.  A  celle  heurcuse  periode  de  sa  vie 
publiqu.',  Notie-Seigneur,  partout  oil  il  allait, 
elait  habituelleraenl  accompagne  de  foules 
amies,  aviles  d  ^  le  voir  el  de  I'l  ntendre.  A 
coie  d  •  celte  multitudequi  suivait  Jesus,  nous 
aliens  bienlot  voir  une  aul'e  foule,  egidnment 
nombreuse,  qui  formait  le  convoi  funebre. 
Dieu  permit  qu'il  en  fut  ainsi  dans  la  cir- 
con>iaiiCi'  pres 'ute ,  afin  de  multiplier  le& 
temoins  du  prodige,  seion  la  remarque  judi- 
cieuse  du  V.  Bede. 

12.  —  Cum  appropinquaret  portae  civitalis^ 
Les  villes  anciennes  eiaient  presque  toujours 
fortifiecs.  D'aillours,  les  localites  de  I'Orient 
ont  liabituellem-^nt  des  portes,  alors  nieme 
qu'elles  ne  possedent  aucune  enceinte  de- 
remparls.  Au  moment  done  oil  le  Prince  de 
la  vie  allaii  fianchir  avec  son  escorle  le  por- 
tail  massif  par  ou  Ton  peneirait  dans  Nairn,, 
lout  a  coup  [ecce  marque  ires  bien  le  carac- 
tere  subit.  inaitendu  de  I'appariiion',  une  vic- 
lime  de  la  morl  le  franchit  >  n  sens  contraire» 
avec  le  cortege  accoulume  qui  la  conduisait 
au  tombeau.  —  Efferebatur.  Dans  le  grec, 
e?cxou.i^£To  :  I'un  des  mots  cla?siques  pour 
designer  la  marche  vers  le  cimeliere.  Cl'r. 
Act.  v,  6.  La  parlicule  ex  qui  entre  dans 
sa  composilion  fait  allusion  a  la  coulume 
juive  d'enlerrer  toujours  les  morls  en  deliora 
des  villes.  —  Par  queiques  trails  fort  sim- 
ples, mais  delicatemenl  choisis,  I'evangelisle 
depeint  de  la  faQon  la  plus  touchanle  la  de- 
solation pariiculiere  qui  s'attachail  k  celte 
scene  commune  en  soi.  La  morl  n'avait  pas 
seulemenl  frappe  un  jeune  liomme  a  la  Qeur 
de  Tage  (veavi'cncc,  «  adolescens  »,  f.  14;;  ce 
jeune  homme  etait  plius  unicus,  ou  plus 
exactement  d'apres  le  grec,  un  unique  enfant^ 
(iovoYevi^?,  et  la  pauvre  mere  etait  veuvel 
Elle  restait  done  seule,  sans  espoir,  sans  ap- 
pui,  sans  joie.  Ces  deux  afllictions  incompa- 
rables,  ceile  du  veuvage,  et  plus  encore  celle 
que  cause  la   perle  d'ua  fils  unique,  elaieni 


CHAPITRE  YII 


4C3 


haec  vidua  erat;  et  turba   civitatis 
multa  cum  ilia. 

13.  Quam  cum  vidisset  Dorai- 
nus.  misericordia  mot.us  super  earn, 
dixit  illi :  Noli  flere. 

1 4.  Et  accessit,  et  teligit  loculum. 
(Hi  autem,  qui  porlabant,  stete- 
runl).  Et  ait :  Adolescens,  tibi  dico, 
surrje. 

15.  Et  resedit  qui  erat  morluus, 


et  elle  etait  veuve,  et  11  y  avalt  avec 
elle  une  grande  foule  de  erens  de  la 
ville. 

13.  Lorsquele  Seigneur  I'eut  vue, 
touche  de  compassion  pour  elle,  il 
lui  dit  :  Ne  pleurez  pas. 

14.  Et  il  s'approcha  et  toucha  le 
cercueil  (ceux  qui  le  portaient  s'ar- 
retereut).  Et  il  dit  :  Jeune  homme, 
je  te  le  commande,  leve-toi. 

15.  Et  celui  qui  etait  mort  se  mit 


deveiuies  |)roveibiales  chez  les  Jui(s.  Gfr.  Jer. 
VI,  26;  Zach.  xii,  iO;  Am.  viii,  iO;  Rtilh, 
I,  20  et  21  ;  Job.  xxiv,  3,  etc.  —  On  a  depuis 
longlemps  admire  ce  labloau  viaiment  ira- 
gique  du  peinlre  S.  Luc.  no).).a  Si' oXtywv  Siri- 
ftl-zai  ^  iCTTopt'a,  ecrivait  deja  S.  Gregoire  de 
Nysse,  De  Horn.  Opif.  c.  23,  (Jan^  iin  hmgage 
digne  de  la  circonsiance  ;  6pyivoi;  avtixpu;  ectti 
TO  Sn^VYjua. . .  'Opa^xo  papo;  Trj;  Gujxqjopai;,  itw? 
£v  6).iYw  TO  TrdOo?  6  Xoyo;  £$£TpaYcp6r,(j£.  —  Et 
turba  civitatis  multa...  Par  syiupatliie  pour 
une  douleur  aussi  navranle,  iin  grand  nombre 
deshabilants  de  la  ville  avaient  vouki  assislor 
aux  funerailles  du  jeune  homme.  — Les  voyu- 
geurs  et  les  geographes  signalent  toui  aupres 
de  Nairn  rexi?tence  de  plusieurs  >epulcres 
tailles  dans  le  roc  :  ils  sont  precisement  a 
I'Esl,  pres  de  la  rampe  escarpee  par  laquelle 
arrivait  Notre-Seigneur.  Gfr.  Kiiio,  Cyclo- 
paedia of  bibl.  Literature,  s.  v.  Nain  ;  Thom- 
son. The  Land  and  the  Book.  2e  edit.,  p.  445. 
is.  —  Quam  cum  vidisset  Dominiis.  Le  litre 
de  KOpto;,  que  S.  Luc  applique  d'ailleurs  fre- 
quemment  a  Jesus  (Gfr.  vii,  31;  xi,  39; 
XII,  42;  xvii,  5,  6;  xviii,  6;  xxii,  31, 
61,  etc.),  a  ici  une  emphase  speciale,  car  le 
divin  Maitre  va  vraiment  se  manifester 
comme  le  S;^igneur  par  excellence.  —  Miseri- 
cordia motus  (c(TirXa'i'xvt'30T|,  expression  ener- 
gique}  super  earn  (hebralsme,  ni'^y).  Le  ccEur 
si  compatissant  de  Jesus  nous  est  revele  tout 
entier  dans  cetle  ligne.  A  la  vue  de  celte 
veuve  desolee  qui  conduisait  son  fils  au  torn- 
beau,  il  fut  violemmenl  «  decliire  ».  L'ecri- 
Wain  sacr6  appuie  visiblement  sur  les  pro- 
noms  ((  quam,  earn  »,  pour  montrer  que  le 
desir  de  consoler  la  m^re  du  defunt  fut  le 
mobile  direct  («  causa  movens  »,  S.  Bona- 
ture)  du  prodige.  Au  moment  oil  elle  pa^sait 
aupres  de  lui.  Noli  flere,  lui  ditil  avec  bonle. 
Les  hommes  aussi  adressent  cette  parole  a 
ceux  qui  pleurent.  Mais  qu'elle  a  peu  de 
force  sur  leurs  levres!  car  la  plupart  du 
temps  lis  sont  incapables  de  fournir  la  conso- 
lation qui  etanche  les  larmes.  Mais  celui  qui 
Ja  prononce  actuellement  est  le  Dieu  Para- 
ciet,  assez  puissant  pour  faiie  cesser  a  tout 


jamais  les  pleurs  dans  le  ciel  (Apoc.  xxi,  4). 
14.  —  Accessit  et  tetigit  loculum.  Scene 
loule  graphique,  nnnmoinsbien  racontee  que 
la  precedente.  Sopo;  ou  «  loculus  »,  rrcD  des 
Hebreux,  ne  designe  pas  un  cercueil  teime  h 
la  faQon  des  nolrcs,  mais  une  de  ces  bieres 
ouvertesdans  lesquelles  les  morts,  recouverts 
de  leur  linceul  et  d'un  drap  morUiaire,  sont 
aujourd'hui  encore  poiies  au  j^epulcre  a 
Gonstantinople  et  en  diverses  parties  de  I'O- 
rient.  —  Lorsque,  sans  prononcer  une  seule 
parole,  Jesus  eiit  touche  I'extremite  de  la  ci- 
viere,  les  porteurs,  comprenant  sa  pensee, 
ou  plutot  frappes  de  la  majesle  qui  brillait 
sur  son  visage,  s'arrel^rent  soudain.  Quelque 
remarquable  que  soil  ce  stelerunt,  nous  ne 
nous  croyons  pas  autori-;e  a  voir  en  lui,  a  la 
suite  de  plusieurs  exegetes,  le  resullat  d'un 
premier  miracle.  —  La  voix  qui  avait  dit 
predi^mment  avec  emotion  «  Noli  flere  »,  s'e- 
crie  mainlenant  sur  un  ion  d'irresi^tible  au- 
torile,  au  milieu  du  silence  el  de  Tallention 
universels  :  Adolescens,  tibi  dico,  surge.  Les 
deux  aulres  resurreclions  que  raconle  I'Evan 
gile  furent  produites  par  dis  paroles  de  puist 
sance  analogues  a  celles-ci.  Ofr.  vm,  54  et 
Joan.  XI,  43.  Que  c'est  grand  !  mais  qu9  c'es, 
simple!  «  Nemo  lam  facile  excilat  in  lecto. 
quam  facile  Ghristus  in  sepulcro  »,  S.  Aug- 
Serm.  xcviii,  2.  «  Elie  ressuscite  des  morls,  il 
est  vrai ;  mais  il  est  oblige  de  se  coucher 
plusieurs  fois  sur  le  corps  de  renfdint  qi'il 
ressuscite  :  il  souffle,  il  se  relrecit,  il  s'agne; 
on  voit  bien  qu'il  invoque  une  puissanc- 
etrangere,  qu'il  rappelle  de  I'empire  de  ia 
mort  une  ame  qui  n'est  pas  soumis '  a  ?a  voix, 
et  qu'il  n'est  pas  lui-meme  le  mailre  de  Iq 
mort  et  de  la  vie.  Jesus-Ghrist  ressuscite  les 
morts  comme  il  fait  les  adions  les  plus  com- 
munes; il  parle  en  maitre  a  ceux  qui  dorment, 
d'un  sommeil  elernel,  et  Ton  sent  bien  cju'd 
est  le  Dieu  des  morts  comme  des  vivants, 
jamais  plus  tranquille  que  lorsqu'il  opere  U-s 
plus  grandes  choses  ».  Massillon,  Disc,  sur 
la  divinitede  Jesus-Ghrist. 

15.  —  Et-resedit...  et  ccepit  loqui.  Deux  in- 
dices immediats  d'un  complet  retour  a  la  vie  ; 


Jj4 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


sur  son  seant  et  commenca  de  par- 
ler.  Et  il  ie  donna  a  sa  mere. 

16,  Et  tons  furent  saisis  de  crainte 
<et  ils  gloi'ifiaient  Dieu,  disant :  Uii 
grandprophete  s'est  eleve  parmi 
nous,  et  Dieu  a  visile  son  peuple. 


17.  Etle  recit  de  ce  fait  se  repan- 
dit  dans  toute  la  Judee  et  tout  le 
pays  d'alentour. 

18.  Et  les  disciples  de  Jean  lui 
raconterent  toutes  ces  choses. 


et  coepit  loqui.  Et  dedit  ilium  matri 
suse. 

16.  Accepit  autem  omnes  timor; 
et  magnificabant  Deum,  dicentes  : 
Quia  propheta  magnus  surrexit  in 
nobis,  et  quia  Deus  visitavit  plebem 
suam. 

Infi-.n,  19;  Joan.k,  19. 

17.  Etexiit  hie  sermo  in  univer- 
sam  Judseam  de  eo,  et  in  omnem 
circa  regionem. 

18.  Et  nuntiaverunt  Joanni  disci- 
puli  ejus  de  omnibus  his. 


le  mort  se  dresse  sur  son  seant  et  se  mot  a 
parler.  Un  rdcit  legendaire  se  serait  complu 
a  signaler  Ips  prpmiercs  paroles  du  ressus- 
cile;  Ic  r^cit  inspire  les  laisse  dans  I'oubli 
commo  une  chose  lout  a  fait  accessoire.  — 
Dedit  ilium  matri  suce.  II  y  a  dans  ce  trait 
final  «  quclqiip  chose  d'ineffablement  doux  », 
Wiseman.  Melanges  religieux ,  I.  II,  Les 
Miracles  du  N.  T.,  p.  4  27.  C'etail  en  vue  de 
la  mere  affligep  que  Jesus  avail  opere  le  pro- 
dige  :  il  lui  ofTre  mainlenant  coinme  un  don 
precieux  son  fils  ressuscite.  Fr.  Luc  de  Bru- 
ges ecril  fori  bien,  a  propos  du  verbe  Kwy.ev  : 
«  Vere  donum  eral  Jesu.  qui  non  fuerat  nisi 
per  Jesum  recuperabili^  ».  Comm.  in  h.  I.  — 
Une  tradition  qui  semble  Ires  peu  sure  donne 
au  jeune  homme  le  nom  de  Maternus,  et  fait 
de  lui  le  premier  eveque  de  Cologne.  Cfr. 
Sepp,  Jerusalem  u.  das  h.  Land.  I.  c. 

46.  —  Ce  verset  et  le  suivant  decrivor.t 
I'effet  produil  par  le  miracle,  d'abord  a  Nairn, 
puis  dans  loute  la  Palestine.  Parlout  la  sensa- 
tion ful  immense. Les  temoins  oculaires  furent 
d'abord  saisis  d'unecrainle  religieuse  fort  na- 
turelle  en  pareil  cas;  mais  ils  ne  tarderent 
pas  a  s'elever  a  un  sentiment  plus  noble, 
celui  d'une  grande  reconnaissance  envers 
Dieu  [magnificabant  Deiim),  excite  par  les 
magnifiques  esperances  qu'un  prodige  aussi 
eclalant  avail  fait  naitre  dans  leur  coeurs. 
Prophela  (un  prophele,  car  il  n'y  a  pas  d'ar- 
ticle  dans  le  texle  grec)  magnus  surrexit  in 
nobis,  se  disaient-ils.  En  effet  dans  Tanliquite 
sacree  des  Juifs,  les  prophetes  seuls,  et  meme 
uniquoment  les  plus  grands  d'enlre  eux  (Cfr. 
HI  Reg.  XVII,  17-24;  IV  Reg.  iv,  41-27), 
avaient  re^u  de  Dieu  le  pouvoir  de  ressusciler 
les  raorts.  —  La  foule  ajoulait  encore  :  Deus 
visitavit  (scii.  «  amabiliter  »;  comp.  i,  68  et 
rexplicalion)  plebem  suam.  —  La  conjonction 
quia  est  employee  deux  fois  d'une  maniere 
recitative,  comme  disent  les  graramairiens,  a 
la  faQon  du  o  hebreu. 

47  —  De  Naira  et  de  ses  alentours  le  bruit 


du  miracle  (hie  sermo  :  hebraisme,  121),  fran- 
chissant  la  Samarie,  gagna  bientol  toute  la 
province  de  Judee  {universameil  emphatique; 
de  meme  omnem  un  peu  loin)  :  il  se  repandit 
ensuito  dans  lous  les  pays  circonvoisins,  tels 
que  ridumee,  la  Decapole,  la  Phenicie,  spe- 
cialemenl  la  Peree  oil  etait  emprisonne 
S.  Jean.  Cfr.  t.  18.  —  M.  Zeller,  Apostel- 
gesch.,  p.  1 77,  raille  agreablement  les  raliona- 
lisles,  qui  osent  soutenir  que  les  morts  rendus 
a  la  vie  par  Jesus  et  ses  apotres  etaient  sim- 
plemenl  plonges  dans  un  sornmeil  lethargique. 
«  Pour  admeitre  cette  explication,  dil-il,  il 
faut  irouver  croyable  que,  duranl  la  courte 
periode  de  I'histoire  evangelique  et  apostoli- 
que,  on  a  vu  se  renouveler  a  cinq  reprises 
conseculives,  c'esl-a-dire  trois  fois  dans  les 
Evangiles  et  deux  fois  dans  les  Actes,  cette 
circonsiance  ideniique,  ce  m^me  remarqua- 
ble  hasard  d'une  lelhargie  qui,  resiee  ina- 
pergue  de  loutes  les  personnes  qui  s'elaient 
occupees  du  mort,  cede  a  la  premiere  parole 
de  I'envoye  divin  et  donne  lieu  de  penser  a 
une  resurrection  veritable  ». 

13.  J^sus,  S.  Jean-Baptiste  et  la  gren6ratIon 
pr6.sente.  vii,  18-35.  —  Parall.  Matth.  xi,  1-19. 

S.  Luc  et  S.  Matthieu  se  rencontrent  de 
nouveau  pour  cet  episode;  mais  ils  ne  le 
placent  pas  tout  k  fait  a  la  meme  epoque. 
On  prefere  generalement  I'ordre  adopte  par 
notrc  evangeliste.  Voyez  I'Harmonie  placee 
a  la  suite  de  I'lnlroduction  generale.  S.  Luc 
e  en  outre  le  merile  d'etre  le  plus  complel. 
Dans  son  recil  nous  dislinguerons  ■\o  I'am- 
bdssade  du  Precurseur,  2o  le  discours  qu'y 
ratlacha  Notre-Seigneur  Jesus-Christ. 

1°  L'ambassade  du  Precurseur.  vii,  18-23. 

18. — Nuntmverunt  Joanni  discipuli  ejut 
est  un  trait  propre  au  troisieme  Evangile. 
Qiiand  ses  disciples  lui  apporiennt  la  nou- 
velle  des  miracles  et  de  la  reputation  crois- 
sante  de  Jesus  [de  omnibus  his  :  voyez  dans 


CHAPITRE  VIl 


155 


19.  Et  convocavit  duos  de  disci- 
pulis  siiis  Joannes,  et  misit  ad  Je- 
sum,  dicens  :  Tu  es  qui  venturus 
es,  an  alium  expectamus? 

Matth.  H,2. 

20.  Gum  autem  venissent  ad  eum 
viri,  dixerunt  :  Joannes  Baptista 
misit  nos  ad  te,  diceus  :  Tu  es  qui 
venturus  es,  an  alium  expectamus? 

21.  (In  ipsa  autem  hora  multos 
curavit  a  languoribus,  et  plagis,  et 


19.  Et  Jean  appela  deux  de  ses 
disciples  et  les  envoya  vers  Jesus, 
disant  :  Etes-vous  celui  qui  doit 
venir,  ou  en  attendons-nout*  mi 
autre? 

20.  Etant  done  venus  a  lui  ces 
hommes  lui  dirent  :  Jean-Baptiste 
nous  a  envoyes  vers  vous  pour  de- 
mander  :  Est-ce  vous  qui  devez  ve- 
nir ou  en  atten dons-nous  un  autre? 

21.  (A  cette  lieure  meme  Jesus 
gueritbeaucoupde  gens  quiavaient 


S.  Matlhieii  une  expression  plus  caracterisli- 
qu<'),  Jean-Baptiste  etail  prisonnier  du  telrar- 
que  Anlipas,  dans  les  cachotsde  Macheronlc 
Cfr.  Ill,  19  et  20.  Comme  ie  fait  olserver 
M.  Planus  a  la  suite  du  Y.  Bede,  de  Theo- 
phylacle,  de  Fr.  Luc,  etc.,  on  voit  pcrcer  h. 
iravers  celte  ligne  de  S.  Luc  les  prejnge-  ( t 
I'anlipalhie  que  les  disciples  do  Jcan-Iiapt  ste 
nouirissaient  a  I'egard  Notre-Seigneui .  «  La 
brievete,  Ie  laconisme  de  ce  veiset  ne  iais- 
senl  aucun  doute  sur  les  dispositions d'esprit 
et  de  cceur  de  ces  amis  trop  jaloux  de  la  gloire 
de  leur  maitre.  Evidemmenl,  ii  y  a  dans  leur 
enapressemenl...  une  arriere-pensee  centre 
Jesus  ».  S.  Jean-Bapliste,  Elude  sur  Ie  Pre- 
curseur,  p.  249- 

19.  —  Convocavit  duos  de  discipulis...  Le 
grec  6iJo  xivdi;  n'equivaul  pas  a  noire  locu- 
tion «  environ  deux...  »,  car  nulle  part  il 
n'est  d'usage  d'employer  une  formule  ap- 
proximative lorsqu'il  s'agil  d'un  chiffre  si  r^- 
duit.  S.  Luc  s'est  servi  de  tic  a  la  lagon  des 
meilleurs  classiques  pour  montrer  qu'il  n'a- 
vait  aucun  detail  a  fournir  sur  la  personne 
des  messagers.  Done,  «  deux  disciples  quel- 
conques  ».  Cfr.  Act.  xxiii,  23.  —  Misit  ad 
Jesum...  Sur  les  fausses  interpretations  qu'on 
a  donnecs,  specialemenL  dans  les  temps  mo- 
derncs,  de  I'ambassade  et  de  la  question  du 
Piecurseur,  voyez  I'Evang.  selon  S.  Mallhieu, 
p.  2i8  et  s.  La  verite  est  que  la  conduite 
actuelle  de  S.  Jean  n'eut  pour  mobile  ni  un 
acces  dimpalience  qu'aurail  excite  dans 
Fame  du  prisonnier  de  Macheronte  la  lenteur 
de  Jesus  a  eiablir  son  royaume,  ni  un  doute 
proprement  dit  sur  le  caractere  messianique 
du  Sauveur.  Pour  quiconque  eludie  a  fond  le 
S.  Jean  des  Evangiies,  ces  deux  choses  sent 
psychologiquement  impossibles  :  elles  sont 
bien  plus  impossibles  encore  au  point  de  vue 
durole  divin  de  Jean-Bapiiste.  Ainsi  done,  par 
son  message,  «  non  suae  sed  discipulorum  uli- 
liiali  Joannes consulu it  »,S.  Hilaire,  Can.ix  in 
Matlli.  II  voit  que,  dans  les  dispositions  ou  ils 
«e  trouvent,  ses  disciples  ne  seront  complete- 


nicnt  convaincus  que  par  Jesus  lui-meme  : 
c'est  pour  cela  qu'ils  les  adressR  a  Jesus  — 
Qui  venturus  es.  D'apres  le  grec,  «  veniens  » 
aa  presMit,  denomination  du  Messie  chez  les 
Juils.  Suivant  une  opinion  ires  ancienne  et 
assez  eirangc,  qu'on  est  siirpns  de  voir 
adopt  r  par  S.  Jerome  et  par  S.  Gregoire-le- 
Grand,  le  Prdcurseur.  en  tenant  ce  langage  k 
son  Maitre.  se  serait  propose  do  lui  demander 
s'il  lallail  annoncer  sa  venue  prochame  aux 
patriarches  relenus  dans  les  limbes,  car  Jean 
prevoyait,  qu'Herode  !e  ferait  bienlol  mou- 
rir.  «  Manda  mihi  ulrura  te  el  inferis  debeam 
nuntiaro,  qui  nunliavi  superis.  An  non  con- 
venial  Filio  Dei  ut  gustel  mortem,  et  alium 
ad  haec  sacramenta  missurus  es?  »  S.  Je- 
rome, in  caj).  XI  Matth.  Cfr,  S.  Greg.  Horn,  vi 
in  Evangel.,  el  Hom.  i  in  Ezech.  «  Omnino 
reprobanda  esl  talis  opinio,  ecrivait  S.  Cy- 
rille,  Cat.  grasc.  Patr.;  nusquam  enim  reperi- 
mus  sacram  Scripluram  disserere  quod  infer- 
nalibus  praenunliaverit  Baptista  Joannes  Sal- 
vatoris  adventum  ». 

20.  —  S.  Luc  nous  montre,  et  ce  trait  est 
encore  special  a  sa  narration,  les  disciples 
de  S.  Jean  s'acquiltant  de  leur  mission  avec 
fidelite. 

21.  —  A  la  question  de  son  Precurseur 
Jesus  repondit  de  deux  mauieres;  en  actes, 
f.  21 ,  et  en  paroles,  ft.  22  et  23.  —  La  re- 
ponse  des  fails  (Spyo'?  xo'P'?"°"  '^'^'^  auoxpiotv, 
S.  Basil.  Seleuc),  qui  vient  au  premier  rang, 
n'est  menlionnee  en  termes  expres  que  dans 
notre  Evanizile  ;  mais  S.  Matthieu  la  suppose 
impliciiemenl  (xi.  4).  —  In  ipsa  hora.  Au 
moment  ou  les  delegues  se  presenlerent,  Jesus 
etait  done  en  plein  exercice  de  sa  puissance 
miraculeuse  :  eolncidenee  assurement  toute 
providentielle.  Sous  leurs  yeux,  il  continua 
d'operer  de  nombreux  prodiges  de  guerison 
[multos,  tnultis)  que  I'evangeliste  a  groupes 
sous  quatre  chefs  :  la  cure  des  maladies  de 
langueur  {languoribus,  "tocui-v),  celle  des  souf- 
frances  aigues  {plcgix,  ixadTi'Ywv),  I'expulsion 
des  demons  (spiritibus  malis),  la  vue  rendue 


156 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


des  maladies,  des  plaies,  des  esprits 
mauvais,  et  il  rendit  la  vue  a  plu- 
sieurs  aveugles). 

22.  Et  il  leur  repondit  :  Allez  an- 
noncer  a  Jean  ce  que  vous  avez  en- 
tendu  et  vu,  que  les  aveugles 
voient,  les  boiteux  marchent,  les 
lepreux  sont  purifies,  les  sourds 
entendent,  les  morls  ressuscitent, 
les  pauvres  sont  evangelises; 

23-  Et  bienheureux  est  celui  qui 
ne  sera  pas  scandalise  de  moi. 

24.  Et  lorsque  les  envoyes  de 
Jean  furent  partis,  il  commenca  a 
parler  deJean  a  lafoule  :  Qu'eles- 
vous  alles  voir  dans  le  desert?  Un 
roseau  agite  par  le  vent? 

23.  Qu'etes-vous  alles  voir?  Un 
homme  vetu  avec  mollesse?  Ceiix 
qui  portent  des  velements  precieux 
et  vivent  dans  les  delices  sont  dans 
les  maisons  des  rois. 


spiritibus    malis,  et    caecis  multis 
donavit  visum). 

22.  Et  respondens,  dixit  illis  : 
Euntes  renunliate  Joanni  quae  au- 
dislis  et  vidistis  :  Quia  cteci  vident, 
claudi  ambulant,  leprosi  mundan- 
tur,  surdi  audiunt,  mortui  resur- 
gunt,  pauperes  evangelizantur. 

Isai.  33,  5. 

23.  Et  beatus  est  quicumque  non 
fuerit  scandalizatus  in  me. 

24.  Et  cum  discessissent  nuntii 
Joannis,  coepit  de  Joanne  dicere  ad 
turbas  :  Quid  existis  in  desertum 
videre?  arundinem  vento  agitatam? 

2o.  Sed  quid  existis  videre?  ho- 
minem  mollibus  vestimentis  indu- 
tum?  ecce  qui  in  veste  pretiosa 
sunt  et  deliciis,  in  domibus  regum 
sunt. 


aux  aveugles.  —  Les  exegetes  moderns?  font  a 
bon  droit  remarquer  centre  les  rationali^tes 
que  S.  Luc,  I'evangeliste  medecin,  elablil 
aussi  bien  que  les  autre?  biographes  dii  Sau- 
veur  une  distinction  enlre  les  possessions  et 
les  maladies  ordinaires.  —  Donaoit.  Le  verbe 
Xapii;o[i.ai,  qui  revient  trois  fois  dans  ce  cha- 
pilre,  n'est  employe  en  aucun  autre  endroit 
des  Evangiles. 

22  et  23.  —  C'est  la  reponse  proprement 
dite :  reponse  breve,  mais  decisive.  Elle  est 
identiquement  la  meme  dans  les  deux  Evan- 
giles (voyez  Matlh.  xi.  5,  6  et  le  comraen- 
taire".  Comme  le  fait  remarquer  un  exegete. 
sa  force  demonstrative  ne  res-oi  t  pas  seule- 
menl  des  miracles  operes  par  Nolre-SMgneur, 
mais  plus  encore  du  rapport  eiroit  qui  exis- 
tait  entre  eux  et  le  portrait  du  INL^ssie  trace 
par  les  prophetes  (Gfr.  Is.  xxxv,  4  et  5 ; 
LI,  1  et  s.).  Jesus  semblait  dire  aux  me.-sagors 
de  S.  Jean  :  Voyez  vous-memes.  La  propheiie, 
sous  vos  propres  yeux,  s'e^t  iransformee  en 
histoire,  en  realite.  Celui  que  vous  cherchez 
est  done  devanl  vous.  Mes  oeuvres  out  occa- 
sionne  votre  question  :  pour  vous  repondre, 
je  n"ai  qu'a  vous  renvoycr  a  mes  oeuvres,  car 
leur  langage  est  manifeste. 

2"  Discours  a  propos  de  Tambassade.  vii,  24-33. 

Voypz  I'explication  delaillee  dans  I'Evangiie 
selon  S.  Malthieu,  p.  220  et  ss.,  car  le  plus 
souvent  il  exisie  entre  les  deux  recils  paral- 
jeles  une  ressemblancequi  va  jusqu'aux  plus 


petites  expressions.  Neanmoins  S.  Luc  a  ses 
particulariles  tout  aussi  bien  que  S.  Mal- 
thieu :  eiles  seront  Qdelement  n>lees. 

a.  Hommage  public  rendu  au  Pricurseur.  ^f.  24-28. 

L'hisioire  de  S.  Jean-Baptiste  est  admira- 
blement  concenlreedanscesquelques  paroles 
d'apologie.qui  plaisentpar  leur  ton  vif,  anime, 
rhythme. 

24.  —  Cum  discessissent  nuntii... :  a7:=).6ovTwv 
a  quelque  chose  de  plus  precis  que  le  Ttooevio- 
[jivwv  de  S.  Matthieu.  —  Quid  existis...  vi- 
dere? Jesus  rappelle  a  ses  aiiditeurs  I'enlhou- 
siasme  qui  avait  autrefois  pousse  loutes  les 
classes  de  la  naiion  juive  vers  le  desert  de 
Juda.  Qvi'allait-on  conti-mpler  (8£dffa(7eai)i 
dans  ces  lieux  sauvages?  Elait-ce  un  roseau 
mobile,  c'esl-a-dire  un  homme  sans  fcrmete 
de  caractere,  qui  afBrmait  un  jour  la  mission 
divine  de  Jesus  et  la  mellail  en  doute  le  len- 
demain,  comme  scrablaii  le  demonirer  son 
ambassade?  Un  roseau,  celle  colonne  de 
bronze  qui  resistait  aux  pretres,  aux  Phari- 
siens  et  au  tetrarque  1  Un  roseau,  ce  noble 
cedre  que  I'orage  de  la  persecution  n'avait 
pas  deracine!  (S.  Cyrille)  Aussi  Notre-Seigneur 
laisse-l-il  sans  reponse  cette  premiere  mter- 
rogytion. 

23.  —  Sed  quid  existis  videre^  Repetition 
emphatique,  d'un  bel  efrL't;de  meme  au 
t.  26.  Ce  n'esi  plus  le  solennel  6rx<ja(r9at  qui 
est  niaintenant  employe,  mais  le  simple  ISeTv. 
—  Ecce  qui  in  veste...  La  description  du  luxe 


CHAPITRE  VII 


457 


26.  Sed  quid  existis  videie?  pro- 
phetam?  Utique  dico  vobis,  et  plus 
quara   prophetam. 

27.  Hie  est,  de  quo  script.um  est: 
Ecce  mitto  angelum  meum  ante  fa- 
ciem  tuam,  qui  pra3parabit  viam 
tuam  ante  te. 

Mai.  3,  1;  Mallh.  H,  10;  Marc.  1,  2. 

28.  Dico  enimvobis  :  Major  inter 
natos  mulierum  propbeta  Joanne 
Baptista  nemo  est :  qui  -lutem  minor 
est  in  regno  Dei,  major  est  illo. 


26.  Qu'etes-vous  done  alles  voir  ? 
Un  prophete?  Oui,  je  vous  le  dis,  et 
plus  qu'un  prophete. 

27.  G'est  celui  dont  il  est  ecrit  : 
Voila  quej'envoie  mon  ange  devant 
ta  face,  ii  preparera  ta  voie  devant 
toi. 

28.  Gar  je  vous  le  dis  :  Personne, 
parmi  ceux  qui  sontnes  des  femmes, 
n'(  st  plus  grand  prophete  que  Jean- 
Ba|)liste;  mais  le  plus  petit  dans  le 
royaume  de  Dieu  est  plus  grand  que 
lui. 


cffrene  des  coursorienlales  esl  plus  compleie, 
plus  brillanle,  dans  S.  Luc  que  dans  S.  Mal- 
ihieu.  D'apres  celui-ci,  Jesus  se  borne  a  dire  : 
«  Qui  mollibus  vesUuntiir  »  ;  noire  evange- 
lisle  mfiitioniie  en  lermes  expres  el  les  vele- 
nients  precieux  [ev56?w,  lilleral.  «  iliu-lri  »), 
et  les  delices  corruptnces  (^puip^)  de  la  cour 
royale. 

26.  —  Prophetam.  Si  Jean-Baplisle  n'esl  ni 
un  roseau  flexible,  ni  un  courtisan  volu|)lueux: 
sprait-il  bien  un  prophete,  comme  le  lepelait 
alors  la  voix  publique?  Cfr.  Malih  xxi,  26. 
A  celte  troisieme  question,  Notre-Seigneur 
repond  d'abord  d'une  uianieie  afDrmalive  ; 
puis  il  surencherit  encore,  en  disanl  sans 
hesiterque  le  fils  de  Zacharie  etail  plus  quam 
propheta.  v  Major  prophela,  quia  Onis  pro- 
pheiarum  ».  S.  Ambroise. 

27.  —  Plus  qu'un  prophele,  dil  mieux  en- 
core le  Sauveur  Jesus,  parce  qu'il  est  mon 
Precurseur  predil  par  les  SS.  Livres,  I'ange, 
c'est-a-dire  I'envoye  glorieux  qu'annongait 
Malachie,  iii,  1 . 

28.  —  Jesus  reitere  solennellement  [dico 
enim  vobis)  son  assertion  relative  a  S.  Jean  : 
c'est  un  prophele,  plus  qu'un  prophele.  Les 
temps  aiiciens  avaient  vu  de  bien  grands 
proplieles,  les  Samuel,  les  Elie,  les  Elisee, 
ies  I^aie,  les  Jeremie,  les  Ezechiel,  el  tant 
d'autres  ;  mais  aucun  de  ces  hommes  inspi- 
res n'elait  a  la  hauieur  de  Jean-Baptiste,  le 
Precurseur  du  Messie.  —  Dans  le  premier 
Evangile,  xi,  41,  la  pensee  est  exprimee  en 
termes  plus  generaux,  car  S.  Jean  est  mis 
non-seulement  au-dessus  des  propheles,  mais 
de  tons  les  «  fils  de  la  femme  »  sans  excep- 
tion. Toulef'ois,  il  est  possible  que  le  mot 
■propheta  soil  apocryphe  dans  noire  versel  ; 
il  est  omis  en  etfel  par  plusicurs  des  temoins 
ies  plu-!  aulorises  (les  manuscrits  B,  K, 
L,M,  etc.,  les  versionssyr.,  copte,  ethiop.etc). 
—  Qui  autem  minor  est...  Sur  ce  passage  dif- 
ficile, voyez  I'Evang.  selon  S.  Matlh.,  p.  222 


el  s.  Apres  avoir  eleve  S.  Jean  plus  haul 
que  lous  les  hommes  (|ui  avaient  vecu  jus- 
qu'alors,  Jesus  fail  mainlenant  nne  restriction, 
sous  la  forme  d'une  aiuiihese  frappanle.  Mon 
pretuiseur,  avail-il  dit,  est,  imi  vitIu  de  son 
litre  meme,le  premier  personnagede  fAncieii 
Testament;  et  pourlanl  il  est  inferimir  en 
dignite  au  plus  petit  des  meuibres  de  mon 
Eglise  (in  regno  Dei).  Nutre-Seigneur,  dans 
celte  conclusion  si  consolanle  pour  les  chre- 
liens,  laisse  complelement  decole  la  sainlele 
personnelle  ;  c'est  sur  les  privileges  et  la  di- 
gnite de  deux  spheres  dislinctes  qu'il  rai- 
sonne.  II  y  a  la  sphere  de  I'ancienne  Alliance, 
a  laqueile  appartenait  S.  Jean ;  il  y  a  la 
sphere  de  la  nouvelle  Alliance  ou  duroyaum'S 
de  Dieu.  Or,  cette  seconde  sphere  eiant  placee 
beaucoup  au-dessus  de  la  premiere,  le  inoins 
eleve  des  objels  qu'elle  renf'erme  doraine  evi- 
demment  encore  le  plus  eleve  de  ci  ux  qui  sunt 
coiitenus  dans  I'autre.  «  Quoique  nous  jiuis- 
sions  elre  depasses  en  merites  par  quelques- 
uns  des  hommes  qui  vivaient  sous  la  Lui  et 
que  Jean  rcpresente,  acluellement,  apres  la 
Passion,  la  Resirrection,  I'Ascen-iion  et  la 
Penlecole,  nous  possedons  de  plus  grandes 
benedictions  en  Jesus-Christ,  elanl  devenus, 
eraee  a  lui,  participants  a  la  nature  divine.  » 
S.  Cyrille. 

b.  Accueil  divers  fait  d  Jean-Baptiste  par  ks  con- 
temporains.  jf.  29  et  30. 

Si  S.  Luc  a  passe  sous  silence  plusieurs  re- 
flexions impcrlant'^s  rattachecs  par  Notre- 
Seigneur  a  la  pensee  qui  precede  (Cfr.  Matlh. 
XI,  4  2-'! 5),  en  revanche  il  est  seul  a  mcn- 
lionner  ici  I'accueil  de  differenle  natures  qui 
flit  fail  au  Precurseur  par  la  societe  juive. 
Toutefois  ies  exegeles  disculent  sur  I'origine 
premiere  de  ces  deux  versels.  Plusieurs 
d'enlre  eux,  lels  que  Bengel,  Lachmann,  Bor- 
nemann.  Slier,  Alford,  ne  croient  pas  qu'ils 
fassent  partie  du  discours  de  Jesus  :  ilg  les 


458 

29.  Et  tout  le  peuple  et  les  publi- 
cains,enFecoutant,ontjustifieDieu, 
ayant  ete  baptises  du  bapteme  de 
Jean. 

30.  Mais  les  Pharisiens  et  les 
docleurs  de  la  loi  ont  meprise  le 
dessein  de  Dieu  sur  eux.  n'ayant  pas 
ete  baptises  par  lui. 

31.  Le  Seisrneur  dit  encore  :  A 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUG 


29.  Et  omnis  populus  audiens^ 
et  publicani,  justificaverunt  Deum,, 
baptizati  baptismo  Joannis. 

30.  Pharisaei  autem  et  legis  pe- 
riti  consilium  Dei  spreverunt  in  se- 
metipsos,  non  baptizati  ab  eo. 

31.  Ait  autem  Dominus  :  Gui  ergo 


regardent  comme  une  appreciation  person- 
nelle  de  I'evangelisle,  inlercalee  a  la  raaniere 
d'une  parenlhese  au  milieu  des  paroles  du 
Sauveur.  lis  Irouvent  la  justification  de  leur 
sentiment  soil  dans  la  formule  c  Ait  autem 
Dominus  »  (*.  31),  qui  semble  renouer  le  fil 
interrompu  du  discours,  soil  dans  le  ton  mo- 
difie,  disent-ils,  du  recit,  le  langage  indirect 
prenanl  tout  a  coup  la  place  du  langage  direct. 
Mais  nous  leur  montrerons  plus  bas  que  les 
mots  «  Ait  autem  Dominus  »  sonl  salon 
toute  vraisemblance  un  glosseme.  Quant  au 
changement  de  ton,  il  est  en  reaiite  bien  peu 
sensible  ;  on  pourrait  d'ailleurs  I'expliquer 
en  disant  que  S.  Luc  condense,  comme  il  le 
fait  parfois,  les  expressions  du  Sauveur.  Aussi 
n'hesltons-nous  pas  a  voir  dans  ces  versets, 
avec  la  plupart  des  interpretes  anciens  et 
modernes,  la  continuation  Ju  discours  de 
Jesus.  En  tout  cas,  les  resuitats  ires  divers  que 
produisirent  sur  le  peuple  et  sur  les  hie- 
rarques  juifs  la  predication  et  le  minislere  de 
S.  Jean-Baptistey  sontneltementet  forteraent 
decrit. 

29.  —  io  Gonduite  du  simple  peuple  a  i'e- 
gard  de  Jean-Baptisle.  Ce  fut  une  conduite 
dictee  par  la  foi  :  en  entendant  la  voix  du 
Precurseur  {audiens},  la  foule,  el  jusqu'aux 
publicains  que  nous  avons  vus  en  etfet  accou- 
rir  a  sa  predication,  iii.  12.  crurent  entendre 
la  voix  de  Dieu  lui-mera^.  ►'t  ils  agireni  en 
consequence  [baptizati  baptismo  Joannis),  era- 
brassant  avec  zele  le  moyen  exteri.ur  qui 
leur  elail  otfert  pour  arriver  plus  aisemenl  a 
la  vraie  conversion.  Et,  par  la,  justificaverunt 
Deum,  c'est-a-dire  qu'ils  «  rendir  nt  gloire 
au  Seigneur,  profiterent  des  offres  de  sa  mi- 
sericorde,  approuverent  sa  conduite  et  en- 
trerent  dans  leS  desseins  de  sa  misericord-  ». 
D.  Calmet.  h.  l.Surce  sens  special  de  o'.y.aiow, 
voyez  Breischneider,  Lex.  man.  La  multi- 
tude declara  done,  d'une  maniere  toute  pra- 
tique, par  sa  fagon  d'agir  a  I'egard  de  S.  Jean, 
que  Dieu  avail  bien  fait  d'envoyer  au  monde 
un  si  sainl  homme. 

30.  —  2°  Conduite  des  Pharisiens  et  des 
Docteurs.  Tout,  dans  ce  versel,  conlra-te 
avec  ce  que  nous  lisions  au  precedent.  Les 
Pharisiens  et  les  Docteurs  de  la  Loi  ilegis  pe- 


riti,  vojiixoi,  appeles  ailleurs  voiJioo'.5d(5y.o).ot,. 
V,  17,  etc.),  c'est-a-dire  les  prelendus  saints 
et  les  savants  de  la  societe  juive,  sunt  oppo- 
ses au  peuple  el  aux  publicains,  qui  represent 
tent  les  igiiorants  el  les  pecheurs.  Tandis 
que  ceux-ci  avaient  regu  le  bapteme  de 
S.  Jean,  el  proclame  parla-meme  I'excellence 
et  facilite  la  realisation  du  plan  divin,  ceux- 
la,  en  rejetani  le  Precurseur  el  son  bapteme, 
avaient  Tail  echouer  completeinent,  du  moins 
pour  ci^  qui  concernail  leurs  propres  per- 
sonne-.  les  desseins  inisericordieux  du  ciel. 
Le  c-^nsinun  Dei  (PouXri  toO  OeoO)  dont  parl& 
ici  Nu'j  eSeigneur  etait  le  desir  nourri  par 
Dieu  que  chacun  se  prt'paiat  de  toutes  ses 
forces,  specialeraent  au  moyen  du  bapteme 
de  S.  Jean,  a  la  prochaine  venue  du  Messie. 
—  Spreveruui  ne  rend  pas  toute  la  force  du 
verbe  grec  riOeT»ioav,  qui  signifii^  proprement  : 
aneantir,  annuler.  —  In  semetipsos,  quo  plu- 
sieurs interpretes  ratiachenla  «  spreverunt  » 
(scil.  «  in  proprium  damnum  »)  nous  paiait. 
s'unir  plus  commodemenl  a  «  consilium  Dei  »  : 
le  dessein  du  ciel  relativement  a  eux.  En  effet,^ 
les  decret  divins  demeurent.  et  piTSonne  ne 
saurait  vraim^nl  les  rendre  vains  d'une  ma- 
niere absolue.  Ce  n'esl  que  par  rapport  a  sol 
que  chacun  peut  les  aneanlir. 

^.  Quel  caa  le*  Juifs  contemporains  ont  fait  de  Jean 
et  de  Jesus,  ff.  31-35. 

Apres  avoir  ainsi  indique  le  resultat  ge- 
neral du  ministere  de  S.  Ji^an,  Notre-Sei- 
gneur,  passant  a  une  application  encore  plus 
directe  et  se  meltant  lui-meme  en  scene,  de- 
peint  en  lermes  saisissants  la  maniere  dont 
son  Precurseur  et  Lui  furent  afiprecies  par  1» 
generation  contemporaine,  c'est-a-dire  par 
leurs  ennemis  communs  du  parti  pharisalque. 

31.  —  Ait  autem  Dominus.  Ces  mots^ 
qu'ometlenL  la  plupart  des  anciens  temoins, 
sonl  justement  reiranches  du  texle  par  les 
meilleurs  critiques.  On  admel  communement 
cu'ils  proviennent  de  quelque  evangeliaire 
ou  ils  inauguraienl  une  legon  sacree,  a  la 
faQon  de  la  formule  encore  existante  «  in  illo 
tempore  dixit  Jesus...  »  —  Cui  ergo  similes 
dicam...  et  cui  similes  sunt?  Cetle  repetition 
emphatique  est  speciale  a  S.  Luc.  On  a  tres 


CHaPITRE  vu 


i5» 


similes  dicam  homines  generationis 
hujus?  et  cui  similes  sunt? 

Maith.  11,  16. 

32.  Similes  sunt  pueris  sedenti- 
bus  in  foro,  et  loquentibus  ad  invi- 
cem,  et  dicentibus  :  Gantavimus 
vobis  tibiis,  et  non  saltastis;  lamen- 
tavinaus,  et  non  piorastis. 


33.  Venit  enim  Joannes  Baptista, 
neque  manducans  panem,  neque 
bibens  vinum,  et  dicitis  :  Dsemo- 
nium  habet. 

Matth.  3, 4  el  11,  18;  Marc.  I,  6. 

34.  Venit  Filius  hominis  mandu- 
cans et  bibens,  et  dicitis  :  Ecce 
homo  devorator,  et  bibens  vinum, 
amicus  publicanorum,  et  pecca- 
torum. 


qui  done  comparerai-je  les  hommes 
de  cette  generation? a  qui  sont-ils 
semblables  ? 

32.  lis  sont  semblables  a  des  en- 
fants  assis  sur  la  place  publique, 
se  parlant  Tun  a  I'autre  et  disant  : 
Nous  avons  joue  de  la  flute  et  vous 
n^avez  pas  danse;  nous  avons 
chante  des  lamentations  et  vous 
n'avez  pas  pleure. 

33.  En  effet  Jean-Baptiste  est 
venu,  ne  mangeant  point  de  pain  et 
ne  buvant  point  de  vin,  et  vous  dites : 
II  est  possede  du  demon. 

34.  Le  Fils  de  I'homme  est  venu, 
mangeant  et  buvant,  et  vous  dites  : 
Voila  un  homme  qui  mange  beau- 
coup  et  boit  du  vin,  un  ami  des 
publicains  et  des  pecheurs. 


justemenl  observe  qu'elle  donne  quelque 
chose  de  poignant  a  la  question  du  Sauveur. 
Jesus  semble  chercher  a  quoi  il  pourra  bien 
comparer  une  conduile  aussi  insensee,  aussi 
iriste  que  cells  doiU  il  est  le  temoin.  II  trouve 
une  image  qui  exprime  delicateraent  sa  pen- 
s6e,  el  il  la signale  comme  une  reponse  paifaile 
a  la  double  question  qu'il  venail  de  poser. 

32.  —  Similes  sunt  pueris...  Voyez  I'Evang. 
selon  S,  Matlhieu,  p.  225  et  s.  Les  deux  re- 
dactions different  a  peine  I'une  de  I'autre. 
S.  Luc  emploie  cependanl  a),).ir)).oi(;  (ad  invi- 
cem)  au  lieu  de  '^ot;  d-ai'poi;  au-tiv  (ou  d-s'poi;), 
oux  exXauaa-re  [non  piorastis)  au  loin  de  oOx 
i*6<^a(ybs,  [«  non  planxistis  »).  —  11  s'agit  done 
de  deux  groupes  d'enfants  reunis  sur  la  place 
publique  a  I'heure  de  la  recreation.  Avec 
I'esprit  d'imitalion  qui  caracteriso  cet  age 
lis  essaient  de  mimer  dans  leurs  jeux  d'abord 
une  scene  de  mariage,  puis  des  funeraiiies. 
Du  moins  c'est  ce  que  voudrail  le  premier 
groupe,  qui  s"est  mis  alternalivement  a  chan- 
ter des  airs  gais  et  des  airs  lugubres  :  i:iais 
le  second  groupe,  auque^  on  ollVail  ainsi  le 
cboixentre  les  jeux  tristes  ou  joyeux,  a  refuse 
obslinement  son  concours,  ce  qui  lui  attire 
les  reproches  des  aulres  enfants.  Cfr.  Vors- 
tius,  de  Adag.  N.  T.,  c.  xi.  Avec  quelle  di- 
gnite  Notre-Seigneur  expose,  el  avec  quelle 
grSce  il  releve  ces  details  empruntes  a  ce  que 
la  vie  humaine  a  de  plus  familicrl  L'Orient 
moderne  en  offre  d'adleurs  chaque  jour  la 
realisation.  «  Sur  les  places  publiques  du  Le- 
vant, vous  pourriez  souvent  voir  quelque  en- 
fant jouant  de  la  Mte,  tandis  que  ses  petits 


camarades  dansent  a  ses  cotes.  Souvent  aussi 
nous  avons  vu  passer  des  convois  funebres  ou 
plusieurs  personnes  poussaient  des  cris  la- 
mentabl'^s,  tandis  que  d'autres  leur  repon- 
daieut  en  mesure  sur  le  meme  ton  ».  Prof. 
Jacobus,  Notes  on  the  Gospels,  t.  11,  p.  484. 
33  el  34.  —  Venit  enim...  «  Aperuit  sanc- 
tus  Lucas,  ecril  S.  Ambroise  sur  ce  passage, 
specialibus  additis  quod  quasi  generalibus 
sancUis  Matlhaeus  sububscurum  reliqueral  ». 
Les  iiiols  panem  et  vinum  comptenl  en  pre- 
miere ligne  parmi  ces  heureuses  addilions  : 
ils  recliiient  ce  que  la  redaction  de  S.  Mat- 
lhieu, «  neque  manducans  neque  bibens  », 
paraissait  avoir  d'exagere  et  d'inexact.  — 
Jesus  applique  mainlenant  sa  comparaison. 
en  prouvaiiL  par  des  fails  inconli'Slables  que 
la  generation  juive  contemporaine  re.-sem- 
blail  au  premier  groupe  des  en laiils  men  tionnes 
plus  haul  (voir  dans  I'Evang.  selon  S.  Mallh., 
p.  226,  la  maniere  dont  on  juslilie  cetle  ap- 
plication). C'est  en  vain  que  la  Sages^^e  di- 
vme  a  recouru  a  tous  les  moyen>  CKoXuixepu; 
xal  Tio/uTpoTiw;,  Hebr.  I,  \.  Clr.  Eph.  in,  10  : 
ii  noJjyTToixtXo;  aozia,  tou  0£ou)  pour  convertir 
ces  Juifs  endurcis,  essayanl  de  les  gagner 
tanlot  par  la  predication  severe  el  la  vie 
mortifiee  du  Precurseur,  tantot  par  les  doux 
appels  et  les  exemples  plus  accessibles  de 
Jesus.  Ces  Sraes  rebelles  a  la  grace  n'ont  ja- 
mais ete  salisfailes.  Jean-Baptiste  leur  a  paru 
trop  austere,  et  Jesus  trop  semblable  aux 
aulres  hommes.  Elles  se  sont  plaintes  du  pre- 
mier parce  qu'il  n'a  pas  voulu  meler  sa  voix 
a  leurs  joyeuses  melodies,  du  second  parce 


460 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


35.  Mais  la  sagesse  a  ete  justifiee 
par  tous  ses  enfants. 

36.  Or  un  Pharisien   le  pria  de 
manger  avec  lui.   Et   etant  entre 


35-  Et  justificata  est  sapientia  ab 
omnibus  filiis  suis. 

36.  Rogabat  autem  ilium  quidam 
de  pharisseis   ut  manducaret   cum 


qu'il  a  refuse  de  prendre  comma  elles  un 
Ion  lamentable  et  lugubre.  Apres  tout,  c'est 
li  dies  seules  qu'elles  devronl  s'en  prendre 
lorsque  viendronl  les  chalimenis  divins,  pui?- 
qu'elies  ont  rejele  successivemenl,  sous  les 
plus  futiies  prelexles,  les  divers  ambassa- 
deurs  de  Jehova. 

3o.  —  Et  (pour  «  et  tamen  »)  justificata 
est...  Cependant,  Je-^us  est  heureux  de  I'a- 
jouu-r,  lous  les  yeux  ne  s'elaient  pas  fermes 
a  la  lumiere,  ni  tous  les  coeurs  a  la  grace. 
L'.s  «  fiUde  la  sagesse  »  (hebralsme  pour  de- 
siizner  cenx  d'enlre  les  Juifs  qui  s'elaient 
converli<  a  la  voix  dti  Precur-:eur  ou  du  di- 
vin  Maiire)  avaienl  rtconnu  leur  mere  soit 
sous  les  trails  austeres  de  Jean-Bapliste,  soit 
sous  I'exterieur  si  suave  de  Jesus,  et  ils  I'a- 
vaient  honoree  de  leur  mieux  par  leurs  acles, 
la  vengeant  ainsi  des  accusations  que  langait 
centre  elle  un  monde  reprouve.  —  Omnibus 
est  une  particularite  de  S.  Luc.  Le  mauuscrit 
Sinailique,  au  lieu  de  texvwv,  a  la  varianle 
Ipywv,  qui  est  une  correction  manifeste  des- 
tines a  eclaircir,  maisd'unemaniere  peuheu- 
reuse,  ce  passage  logerement  obscur. 

14.  Simon  le  Pharisien  et  la  p^cheresse. 

TIT,  36-50. 

Ravissant  tableau,  qui  a  sa  place  d'honneur 
dans  la  riche  galerie  du  peinlre  S.  Luc;  cure 
admirable,  qui  meritait  d'elre  raconiee  par 
le  «  medicus  carissimus  »  ;  channant  epi- 
sode, ou  abondent  les  veriles  psycliologiqu  s, 
el  qui,  a  ce  litre,  devait  allirer  Fallenlion 
specialedu  plus  «  psychologue  »  des  evange- 
lisles  (II  a  in-pire  de' belles  pages  au  P.  Dal- 
gairns.  Devotion  to  ihe  Heart  of  Je-us, 
p.  437-140,  et  au  P.  Lacordaire,  Sainte  Marie- 
Madeleine,  chap.  III;.  Nous  disons  speciale, 
parce  que  nous  croyons  fermemeiit,  avec  la 
pluparl  des  comnientateurs,  que  S.  Luc  ra- 
come  seul  ce  trait  delicieux  ae  la  vie  du 
Sauveur.  Pourlant,  quel(|ues  anciens  et  plu- 
►ieurs  modernes  (Hug.  Ewald,  Bleek,  etc.), 
^'appuyant  sur  des  analogies  exterieures,  ont 
ossaye'de  le  confondre  avec  ce  qu'on  nomuie 
i'onction  de  Belhanie  ( Cfr.  Mallh.  xxvi , 
6-13;  Marc,  xiv,  3-9;  Joan.  xii.  i-M).  De 
part  et  d'aulre,  disenl-ils.  Thole  s'appelle 
5imon;  en  outre,  durant  les  deux  repas, 
,'ne  femme  vienl  pieusement  parfumer  les 
j^ieds  de  Jesus  et  les  essuyer  avec  ses  che- 
veux;  enfin,  cliaque  fois,  quelqu'un  des  as- 
sistants se  scandalise  a  la  vue  de  eel  hom- 
mage  extraordinaire.  Trois  objections  aux- 


quelles  il  est  aise  de  reponJre.  \o  Les  deux 
amphytrions  portent,  il  est  vrai,  le  nom  de 
Simon;  mais  ce  nom  elait  alors  tres-com- 
mun  en  Palestine,  de  sorte  qu'il  serait  de- 
raisonnablrt  d'attacher  de  i'imporlance  a  sa 
reapparition.  II  designe,  dans  les  ecrils  du 
Nouveau  Testament,  neuf  personnages  dis- 
tincts,  jusqu'a  vingl  dans  ceux  de  Ihistorien 
Josephe.  Du  reste,  des  epithetes  soign^Hise- 
menl  notees  par  les  narratenrs  prouvenl  qu'il 
est  bien  question  de  deux  individus  distincts  : 
ici  nous  avons  Simon  le  Piiari-ien  ,  la  au 
conlraire  Simon  le  Lepreux  [Matth.  xxvi,  6). 
20  Pourquoi  un  fait  qui  est  en  parfate  con- 
formile  avec  les  usages  anciens  el  modernes 
de  TOrienl  ne  se  serail-il  pas  renouvele  deux 
fois  a  regard  de  Notre-Seigneur  Jesu>-Christ 
dans  des  circonstances  ditferenles?  L'hoin- 
mage  qu'un  profond  senlinipnt  de  foi  el  de 
charite  avail  inspire  a  ime  pieuse  feinrae  pou- 
vail  tres  bien  se  nproduire  sous  I'impulsion 
d'un  sentiment  identique.  Or  les  circcmstances 
sonl  reellement  differenles-.  lei  nous  sommes 
en  Galilee,  dans  la  premiere  periode  du  mi- 
nislere  public  dc  Jesus;  la  c'est  la  derniere 
semaine  de  sa  vie,  et  la  scene  se  passe  ea 
Judee,  pres  de  Jerusalem.  Ici  I'herolne  de  I'e- 
pisode  se  presente  le  coeur  brise  par  le  re- 
penlir;  la  elle  vienl  poussee  par  la  reconnais- 
sance. 3°  Si,  a  deux  reprises,  la  conduiledes 
sainles  amies  de  Jesus  est  criliquee,  ce  n'est 
pasde  la  meme  maniere  :  la  plainte  dc  Tavare 
Judas  est  loin  de  ressembler  a  celle  du  Pha- 
risien Simon.  Et  puis,  quelles  nombreuses 
divergences  dans  le  fond  et  la  forme  des  re- 
cits,  dans  la  leQonqui  s'en  degage,  etc.!  Aussi 
esl-on  surpris  de  voir  des  hommes  de  talent 
(par  exemple,  Hengslenberg)  (aire,  de  nos 
jours  encore,  de  prodigieuses  depenses  d'es- 
prit  el  d'aigum  nt^  en  faveur  d'une  these 
aussi  peu  souU  nab  e  que  celle  de  I'identitd 
des  deux  onction.-.,  Cfr.  Deyling,  Observa- 
liones  sacr.,  t.  Ill,  p.  291. 

36.  —  Rogabat  aulem  ilium.  Ni  le  temps, 
ni  le  lieu  ne  soot  marques,  et  il  n'est  pas 
possible  de  les  determiner  avec  certitude.  On 
peut  dire  toutefois,  pour  ce  qui  concerne  le 
premier  point,  que  le  repas  chez  S:mon  dut 
suivre  d'assez  pres  le  grand  miracle  df^  Naim 
et  le  message  de  S.  Jean-Baptiste.  G'esl  du 
moins  ce  qui  ressort  de  I'ensemble  du  recit. 
Quant  au  second,  les  exegetes  ont  nomme 
tour  a  lour  Bethanie ,  Jeiusalem,  Magdala, 
Nairn  et  Capharnaiim.  L'article  ajoule  dans 
ie  texle  grec  au  mot  ii5),ei  {t.  37j  e^  favo- 


CHAPITRE  VII 


461 


illo.  El  ingressus  domum  pharisaei 
disrubuit. 

'M .  El  ecce  mulier,  quae  erat  in 
civiiate  peccatrix,  ul  cognovit  quod 
accubiiisset  in  domo  pharisaei,  attu- 
11 1  alabastrum  unguenli : 

M'-Uih.  26.  7;  Marc.  14,  3;  Joan.  it.  3 


dans  la  maison  du  Pharisien,  il  se 
mil  a  table. 

37.  Et  voila  qu'une  ferame,  qui 
etait  dans  la  vilie  une  pecberesse, 
ayant  su  qu'il  elait  a  table  dans  la 
maison  du  Pharisien,  apporla  un 
vase  d'albatre  plein  de  parfum. 


rable  a  colle  derniere  cite.  —  Ut  tnanducaret 
cum  illo.  CeUe  invilalion  parail  d'abord  sur- 
prcnanie,  car  les  Pharisien?,  S.  Luc  nous  i'a 
suliisarameiU  demontre,  elaient  deja  en  lulla 
ouverle  avfc  Nolre-Seigneur.  Cfr.  v,  30.  Ce- 
pendanl  Jesus  n'avail  pas  encore  complele- 
menl  rompu  avec  eux,  el  i'on  ne  voil  point 
pourquoi  \\  n'y  aurait  pas  eu,  ineaie  dans 
leurs  raiigs.  quelques  parlicuiier.-^  bien  dis- 
poses en  sa  faveur.  Du  resle,  la  suite  des  faits 
nous  prouvera  que  la  reception  de  Simon  ful 
pleine  de  reserve  et  de  froideur.  On  dirait 
que  eel  homnie  elait  hesitant  au  sujel  de 
Jesus,  (t  qu'il  I'invilait  precisement  pour 
avoir  I'occasion  de  Tobserver  de  pres.  —  In- 
gressus domum...  Le  divin  Maitre  accppla  de 
diner  chez  Simon  le  Pharisien  comme  il  avail 
acceple  de  diner  chez  le  publicain  Levi.  li  ne 
recherchait  pas  ces  sorles  de  fete,  mais  il  ne 
les  ^vitait  pas  non  plus,  car  il  y  accomplis- 
sail  lout  aussi  bitn  qu'ailleurs  I'oBuvre  de  son 
P6re  celeste. —  Pour  la  suite  de  la  narration, 
le  lecteur  doit  se  souvenir  que  le  festin  avail 
lieu  a  I'orientale.  La  posture  des  convives, 
exprimee  par  le  verbe  discubuit,  «  tenait  le  mi- 
lieu enlre  se  coucher  tout  a  fail  et  s'asseoir : 
les  jambes  et  la  parlie  inferieure  du  corps 
^taienl  etendues  de  toute  leur  longueur  sur 
un  sofa,  pendant  que  la  parlie  superieure  du 
corps  elait  legeremenl  elevee  el  supporleo 
sur  le  coude  gauche,  qui  reposail  sur  un 
oreiller ;  le  bras  droit  et  la  main  droile  elaient 
ainsi  laisses  libres  pour  qu'ils  pussenl  s'e- 
tendre  et  prendre  de  la  nourriture  ».  A  Rich, 
DictionTi.  des  antiq.  rom.  et  grecq.,  trad. 
franQ. .  p.  6.  La  table,  vers  laquelle  se  Irouvail 
tournee  la  l^le  des  convives,  elait  au  centre 
de  I'hemicycle  forme  paries  divans  :  chacun 
avail  par  consequent  les  pieds  en  dehors 
(o  retro  »,  t.  38),  du  cole  de  I'espace  reserve 
aux  serviteuis. 

37.  —  Et  ecce  mulier.  La  parlicule  «  ecce  » 
marque  tr^s  bien  le  caraclere  imprdvu,  ino- 
pin4,  de  I'apparition.  —  Qu(b  erat...  pecca- 
trix. On  ne  devine  que  trop  le  genre  de  fautes 
d^signe  delicat'DQent  par  cet  euphemisme. 
C'esl  en  vain  (juo  divers  auteurs  onl  essaye 
•jj  reduire  la  culpabilite  k  una  vie  siinple- 
menl  raondaine  :  ils  ont  contre  eux  la  «  con- 
Blans  oninium  veterum  auclorum  opinio  » 
(Maldonat),  et  i'usage  analogue  du  mot  pe~ 

S.  BiBLB.  S. 


cheresse  dans  toutes  les  langues  classiques. 
Cfr.  Welstein,  h.  1.  «  Erat  »  a-t-il  le  sens  du 
plus  qu'-pail'ait,  comme  on  I'a  egalement 
affirme  a  tin  de  pouvoir  rejeler  les  peches  de 
ceLle  femme  dans  un  pas-e  lointain  ?  Nous  ne 
le  croyons  pas.  II  nous  si  mble  plus  conforrae 
k  I'e-pril  de  tout  I'episode  de  dire  avec 
S.  Auguslin,  Serm.  xcix  :  «  Accessil  ad  Do- 
minum  immunda,  ul  red. ret  munda;  accessil 
aegra,  ul  rediret  saiia  ».  Simon  ne  se  serail 
pas  aulaiil  formal  bS  de  I'accueil  charitable 
qu'elle  reQul  de  Jdius,  si  elle  eul  fait  oublier 
son  ancienne  condition  par  une  longue  peni- 
tence. Quel  serail  d'ailieurs,  dans  ce  cas,  le 
sens  de  Tabsohilion  que  lui  donne  Jesus?C'esl 
done  lout  recemment  qu'elle  s'etait  decidee 
a  changer  de  vie,  et  elle  venait,  en  ee  moment 
meme,  demander  son  pardon  au  Sauveur 
Peul-6tre  avait-elle  ete  vivement  impres- 
sionnee  par  quelqu'une  des  d?riiieres  paroles 
de  Jesus,  notamm  nt  par  le  «  Venile  ad  me 
omiies  »,  Mallh.  xi,  28  et  ss.,  qui  avail  ter- 
mine  le  discours  precedmi.  —  (Jt  cognovit. 
Le  verbe  grec  emYvoOda  parail  supposer  des 
informations  prealables.  La  re[)enlie  avail 
cherche  Jesus.  —  IndomoPhariscei,  altuUt... 
Les  habitudes  si  rigides  de  TOccident  nous 
font  trouver  etrango.de  prime-abord  ,  une 
demarche  empreinte  de  tanl  de  liberie.  Mais 
pile  s'accorde  fort  bien  avec  les  usages  plus 
familiers  de  I'Oricnt,  oil  les  voy^igeurs  mo- 
denies  nous  a-sureiit  qu'iU  ont  vu  des  traits 
analngues  se  reproduire  en  plus  d'une  cir- 
con<tance.  Meme  dtins  les  mai^ons  les  plus 
honorables,  il  se  fait  au  moment  du  repas, 
quand  quelque  elranger  a  ete  invite,  un  va  et 
vienl  considerable  que  personne  ne  songe  a 
einpecher,  parce  qu'on  le  liouve  tout  ordi- 
naire. Voir  dans  Trench,  Notes  on  the  Pa- 
rables of  our  Lord,  fie  edit.  p.  299.  plusieurs 
exeraplesde  ce  genre,  curieux  et  interessanis. 
Cfr.  T.  Robinson,  ihe  Evang  "lists  and  the 
Mishna,p.214et  s.On  nesaurait  nierpourtant 
qu'il  n'y  eul  une  sainle  audace  et  un  noble 
courage  dans  I'acte  de  la  pecheresse.  «  Vi- 
dislis  mulierem  famosam...  non  invitatam 
irruisse  convivio,  ubi  suus  raedicus  recumbe- 
bat,  el  qiise-isse  pia  impudentia  sanilatem  : 
irruens  quasi  iraportuna  convivio,  opportuna 
beneficio  ».  S.  August.,  1.  c.  o  Quia  lurpilu- 
dinis  suae  raaculas  aspexit,  lavanda  ad  foniem 
Luc.  —  11 


162 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


38.  Et  se  tenant  derriere  lui,  a 
ses  pieds,  elle  commenca  par  arro- 
ser  de  larmes  ses  pieds  et  les  es- 
suya  avec  les  cheveux  de  sa  tete,  et 
elle  baisait  ses  pieds  et  les  oignait 
de  parfuin. 

39.  En  voyant  cela  le  Pharisien 
qui  I'avait  invite  dit  en  lui-meme  : 
Si  celui-ci  etait  prophete,  il  saurait 
assiirement  qui  est  et  quelle  est  la 
femme  qui  le  touche,  car  elle  est 
peclieresse. 


38.  Et  stans  retro  secus  pedes 
ejus,  lacrymis  coepit  rigare  pedes 
ejus,  et  capillis  capitis  sui  tergebat, 
et  osculabatur  pedes  ejus,  et  un- 
guento  ungebat. 

39.  Videns  autem  pharisaeus,  qui 
vocaverat  eum,  ait  intra  se  dicens  : 
Hie  si  esset  propheta,  sciret  utique 
quae  et  qualis  est  mulier  quae  tan- 
git  eum  :  quia  peccatrix  est. 


misericord ise  cucurrit,  convivanles  nou  eru- 
buii;  nam,  quia  semetipsam  graviter  erubes- 
cebal  inlii?,  nihil  esse  credidit  quod  verecun- 
darelur  foris  ».  S.  Grregoire-ie-Grand ,  Ilom. 
xxxiii  in  Evang.  —  Alabnstrum  unguenti. 
Voyez  Malth.  xxvi,  7  el  le  commenlaire. 

38.  —  La  description  esl  d'un  pitloresque 
acheve.  A  peine  entree  dans  la  saiie  dn  feslin, 
la  pecheresse  eiit  bienlot  reconnu  la  place 
du  Sauveur.  La  voila  debont  [stans]  a  I'extre- 
mite  inferieure  du  divan  [retro],  aupres  des 
pieds  sacres  de  Jesus,  que  le  narrateur  men- 
lionne  trois  fois  de  suite,  comme  pour  mieux 
faire  ressorlir  I'liumilile  de  son  heroine. 
Sans  doute,  le  dessein  de  celle-ci  avail  ete 
de  proceder  immediaiement  a  I'onclion  ; 
mais  tout  a  coup,  vaincue  par  le  sentiment  de 
son  vif  repentir,  elle  se  met  a  fondre  en 
larmes.  «  Fudit  lacrymas,  sanguinem  cor- 
dis »,  S.  Aug.  Toutefois,  quel  heureux  parti 
elle  tirera  de  cello  circonsiance  meme  I  S'a- 
genouillant,  lacrymis  roepit  rigare  ped^s  ejus 
(les  pieds  de  Je^iis  etaieiil  nus,  a  la  fiiQon 
orienlale);  pms..  capillis  capitis  sui  tergehat 
(imparfait  qui  marque  la  repetition  de  I'acte); 
puis  encore,  osculabatur  (le  grec  xaT£(pt),si 
signifie  litteralement  «  mtiltum  osculaba- 
tur ») ;  enfin,  elle  put  accomplir  ronction 
pieuse  qu'elle  avail  surlout  projetee,  unguento 
ungebat.  Elle  ne  pi'ononQa  pas  une  seule  pa- 
role; mais  quelle  eloquence  flans  toute  sa 
conduite !  Ses  divers  acles  n'ont  rien  que  de 
naturel  :  lout  autre  coeur  contrit  et  aimant 
les  eiit  facilement  inventes.  D'ailleurs  on 
pent  rapprocher  de  chacun  d'eux  des  traits 
analogues,  empruntes  aux  coulumes  de  I'an- 
tiquile,  qui  les  rendent  plus  nalurels  encore. 
«  Demplis  soleis  odoiibus  illinuntur  pedes  », 
^crit  Qiiinte-Curce  (viir,  9)  des  monarques 
indiens.  Tile-Live,  iii,  7,  nous  montre,  en  un 
temps  de  grande  detresse,  les  femmes  «  cri- 
nibus  templa  verrenles  »,  dans  I'espoir  de 
calmer  ainsi  les  dieux  irrites.  Toutes  les 
marques  de  respect  temoignees  a  Jesus  par  la 
pecheresse  avaient  lieu  quelquefois  k  I'egard 


des  Rabbins  celebres.  Cfr.  Wetstein,  h.  i. 
39.  —  Videns  Pkariswus.  Frappant  con- 
Irasle  psycholugique.  Nous  disions  plus  haul 
que  ce  Pharisien  sernble  n'avoir  pas  eu  alors 
d'opinion  bien  arretee  au  sujet  de  Jesus.  Sa 
foi  naissanle,  suppose  qu'elle  existSt,  fut  sou- 
misL'  en  ce  moment  a  une  rude  epreuve. 
«  Videns  »  :  il  avail  assiste  a  la  scene  prece- 
dente  avec  la  plus  profonde  stupefaction.  Sa 
reflexion  [ait...  dicens  est  un  hebralsme) 
prouve  qu'il  n'ava'it  absolument  rien  compris 
a  un  spectacle  donl  les  anges  du  ciel  avaient 
ete  ravis.  ]l  discute  le  cas  en  vrai  disciple  de 
ces  Phari-iens  pour  lesquels  la  question  du 
pur  el  de  I'impur,  mais  d'un  pur  et  d'ua 
impur  toul  exterieurs,  primait  toutes  les 
autres.  —  Tangit  eum  :  cette  expression 
technique  ne  pouvail  manquer  d'apparailre 
ici.  Apres  tout,  a  la  demande  «  Quanlo  spatio 
a  meretrice  recedendum  esl?  »  le  pieux  et 
docte  Rabbi  Chasda  n'avait-il  pas  nettement 
repondu  :  «  Ad  qualuor  cubitos  »?  (Cfr.  Schoett- 
gen,  Hor.  hebr.  t.  I,  p.  348)  El  voila  que 
Jesus  ne  craignait  pas  de  se  laisser  toucher 
par  une  femme  de  ce  genre!  Ah!  s'ecrie 
S.  Augustin,  «  si  voluisset  mulier  tangere 
Pharisaeum,  calcibus  earn  repulisset,  dixis- 
selque  illud  Propheiae  :  Recede  a  me,  noli  me 
tangere,  quia  mundus  sum  ».  Simon  conclut 
done  i}ue  Jesus  ne  merilail  pas  le  litre  glo- 
rieux  que  I'opinion  publique  se  plaisait  alors  k 
lui  decerner  (Cfr.  vii,  16).  Le  raisonnement  qui 
traversa  son  esprit  consista  dans  le  dilemne 
suivanl :  Ou  bien  Jesus  ignore  le  vrai  caractere 
de  cette  femme {quceet  quails  avec  emphase), 
et  alors  il  ne  possede  pas  le  don  de  discerner 
les  esprits  qui  est  habituellemenl  la  marque 
desenvoyesde  Dieu  ;  ou  bien  il  sail  quelle 
est  celle  qui  le  louche,  et  alors  il  n'est  pa> 
saint,  aulrcmenl  il  fremirait  k  son  profane 
contact.  Voyez  Trench,  I.  c.  Ce  raisonnement 
avail  pour  base  la  croyance,  appuyee  sur 
divers  fails bibliques  (Cfr.  Is.  xi,3,  4;  III  Reg. 
XIV,  6 ;  IV  Reg.  i,  3  ;  v,  26 ;  etc.)  et  a  peu 
pres  gdnerale  chez  les  Juifs  contemporains  do 


CHAPITRE  VII 


163 


40.  Et  respondens  Jesus,  dixit  ad 
ilium  :  Simon,  habeo  tibi  aliquid 
•dicere.  At  ille  ait :  Magister,  die. 

41.  Duo  debitores  erant  euidam 
foeneratori :  unus  debebat  denarios 
quingentos,  et  alius  quinquaginta. 

42.  Non  habentibus  iliis  unde 
redderent,  donavit  utrisque.  Quis 
•ergo  eum  plus  diligit? 

43.  Respondens  Simon  dixit  : 
^stimo  quia  is  cui  plus  donavit.  At 
ille  dixit  ei :  Recte  judicasti. 


40.  Et  Jesus  prenant  la  parole  lui 
dit :  Simon,  j'ai  quelque  chose  a  te 
dire.  Et  il  repondit  :  Maitre,  dites. 

41 .  Un  creancier  avait  deux  debi- 
teurs;  Tun  lui  devait  cinq  cenls 
deniers  et  I'autre  cinquante. 

42.  Comme  ils  n'avaient  pas  de 
quoi  payer  leur  dette,  il  la  remit  a 
tous  deux.  Lequel  done  I'aime  da- 
vantage? 

43.  Simon  repondit:  Je  pense  que 
c'est  celui  a  qui  il  a  remis  davantage. 
Et  il  lui  dit  :  Tu  as  bien  juge. 


J('sus  (Cfr.  Juan,  i,  47-49  ;  ii,  25 ;  iv,  29,  etc. ; 
Vitringa,  Observat.  sacr,,  t,  I,  p.  479  et  ss.), 
qua  tout  vrai  prophele  pouvait  lire  au  fond 
dis  coeur-;. 

40.  —  Respondens  Jesus.  Jesus  a  discerne 
Ics  pensees  fes  plus  intimos  de  son  hole 
(n  aiidivil  Pharisaeum  cogilantera  »,  S.  Aug. 
Sorm.  xcix).  el  c'est  a  ell-es  qu'il  repond.  II 
diimonlrera  ainsi  au  Pharisien  sceplique  qu'il 
est  capable,  comme  ies  plus  grands  propheles, 
de  scruter  Ies  socrets  des  Smes.  —  Simon... 
Quelle  suavile  dans  celte  reprimaiide  1  Du 
reste,  la  bonte  eclatera  jusqu'a  la  fin  du  recit. 
Jesus  dut  parler  neanmoins  d'un  ion  grave 
et  penetrant.  —  La  phrase  E/.to  wof  ti  eiTtciv, 
SUP  laquelle  a  ete  caique  lo  lalin  habeo  tibi 
aliquid  dicere,  est  tres  grecque  et  so  trouve 
dans  Ies  meilleurs  classi(|ues.  —  Magister, 
die.  Simon  ne  pouvait  pas  adresser  a  Jesus 
une  reponse  plus  polie.  L'appellalion  de  Rabbi 
(«  magisler  »),  qu'il  lui  auresse  sans  hesiter, 
est  pleine  de  re-pect. 

41  et  42.  —  Ce  que  Jesus  avait  a  dire  a 
■son  bote,  c'etail  d'abord  une  suave  el  char- 
mante  parabule,  ^t.  41  et  42,  sous  le  voile 
de  laquelle  il  lui  intimera  delicatement  une 
profonde  verile;  c'etail  ensuite,  tt.  44-47, 
I'applicalion  de  cetle  meme  verile  en  un  Ian- 
gage  clair  et  direct.  —  La  parabole  des  deux 
debileurs  n'esl  pas  sans  analngie  avec  celle 
que  cile  S.  Malthieu,  xvni,  23-35  ;  mais, 
outre  que  celte  derniere  est  beaucoup  plus 
developpee,  la  morale  des  deux  pieces  n'esl 
pas  du  lout  la  m^me,  et  la  pluparl  des  details 
different  entierement.  —  Duo  debitores.  L'ex- 
pression  assez  rare  xpE'^?^'^"*)^  (de  xp^'"?i 
-attiqiie  pour  xp^o?."  mutuura,  ses  alienum  », 
et  6(pei>ixrii;\  employee  dans  le  texle  primitif, 
equivaul  a  6  xp^o?  S^siXtov.  Aaveiati^i;  [foenera- 
tor)  n'apparait  qu'en  eel  endroit  du  Nouveau 
Testament  :  Ies  Latins  en  avaienl  fait  le 
mot  Danista.,  dont  usentparfois  leurs  auleurs 
comiques.  —  Denarios  quingentos,  quinqua- 
■ginta.  Les  dettes  variaient  done  dans  la  pro- 


portion de  dix  a  uu.  Eiles  elaient  I'une  et 
I'autre  peu  considerables,  car  la  piece  d'argent 
que  les  Remains  nommaient  denier  valant 
environ  85  centimes  de  notre  raonnaie  (voyez 
A.  Rich,  Diction,  des  anliquites  tom.  et 
grecques,  s.  v.  Denarius),  la  premiere  revient 
a  42o  francs,  la  seconde  a  42  francs  50.  —  iSon 
habentibus...  Les  deux  debileurs  sonl  egale- 
menl  insolvables.  Idee  parfaitemenl  juste, 
car  les  pecheurs,  dont  ils  sonl  la  figure,  M 
pourront  jamais  par  eux-memes,  quoi  qu'ils 
fassenl,  s'acquitter  a  I'egard  de  Dieu.  Mais 
le  creancier  est  d'une  misericorde  infinie  ; 
aussi,  donavit  (e/avt'daTo)  utrisque,  —  Conclu- 
sion de  cette  touchanle  hisloire  :  Quis  fxi? 
pour  iroxepo; :  de  meme  en  beaucoup  d'autres 
passages)  ergo  eum  plus  diligit?  ou  mieux, 
«  diliget  »,  comme  porlent  d'anciens  ma- 
nuscrils  latins :  car  le  verbe  est  au  futur  dans 
le  grec,  el  ce  temps  est  requis  par  le  sen-. 
De  quel  cole  done  sera  le  plus  grand  deploie- 
menl  de  reeonnais-ance?  — -  EiTte,  ajoute  dans 
le  texle  gi  ec  apres  «  quis  ergo  »,  est  omis 
par  les  nrianuscrits  B,  D,  L,  et  les  versions 
ilal.,  cople,  syr.,  ethiop.,  de  memo  que  par 
la  Vulgate. 

43.  —  Ainsi  interpelle,  Simon  decide  le  cas 
que  Notre-Seigneur  lui  proposail.  Se  doulait- 
il  qu'il  etait,  dans  la  pensee  de  I'interroga- 
teur,  I'un  des  debileurs  de  la  parabole,  et 
qu'on  allait  tirer  de  sa  reponse  un  argument 
conlre  lui?  On  le  dirail,  aux  precautions 
dont  il  s'enveloppe  :  ^stimo,  uiroXaiigavto. 
Pourquoi  ce  «  je  suppose  »,  alors  qu'il  etait 
completement  sur,  sinon  pour  eviler  de  irop 
s'engager?  —  Eede  judicasti  :  «  contra 
teipsuin  »,  ajoute  un  ancien  commenlateur. 
En  effel,  le  Pharisien  s'elail  condamne  indi- 
rectement  iui-meme  comme  celui  qui  n'ai- 
mait  pas,  ou  qui  aimait  bien  peu.  On  a  fait 
observer  que  Socrate  aimait  a  s'ecrier  : 
6p9toC)it*vu  6p6w;,  quand  il  avait  pris  dans  les 
Qlets  de  ses  raisonnements  quelque  inlerlo- 
cuteur  maladroit. 


464 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


44.  Et  se  tournant  vers  la  femrae, 
il  dit  a  Simon :  Vois-tu  cette  femme? 
Je  suis  entre  dans  ta  raaison,  et 
tu  n'as  pas  donne  de  I'eau  a  mes 
pieds ;  elle,  au  contraire,  a  arrose 
mes  pieds  de  ses  larmes  et  les  a 
essr.yes  avec  ses  cheveux. 

45.  Tu  ne  m'as  pas  donne  de 
baiser;  elle,  au  contraire,  depuis 
qu'elle  est  entree,  n'a  pas  cesse  de 
baiser  mes  pieds. 

46.  Tu  n'as  pas  oint  ma  t6te 
d'huile;elle,aucontraire,  aointmes 
pieds  de  parfum. 

47.  G'est  pourquoi  je  te  le  dis  : 
Beaucoup  de  peches  lui  sent  remis 


44.  Et  conversus  ad  mulierem, 
dixit  Simoni  :  Vides  banc  mulie- 
rem?Intravi  indomumtuam,aquam 
pedibus  meis  non  dedisti;  hsec  au- 
tem  lacrjmis  rigavit  pedes  meos,, 
et  capiliis  suis  tersit. 

45.  Osculum  mibi  non  dedisti ; 
bsec  autem  ex  quo  intravit,  non  ces- 
savit osculari  pedes  meos. 

46.  Oleo  caput  meum  non  unxisti; 
bsec  autem  unguento  unxit  pedes- 
meos. 

47.  Propter  quod  dico  tibi  :  Re- 
mittuntur  ei   peccata   multa,  quo- 


44.  —  Je?us  passe  a  I'application  de  la  pa- 
rabole.  —  Conversus  ad  mulierem  est  pitto- 
resque.  La  pecheresse  elail  toiijours  «  retro 
seciis  pedes  ejus  »  [if.  38),  et  le  Sauveur  ne 
I'avail  pas  encore  regaidee  :  il  se  lomne 
mainlenant  virs  elle;  puis  il  commence 
par  une  parole  expressive  [vides  luinc...? 
pXsTcet;  ail  lieu  du  simple  opa;),  vl  poursiiit 
par  un  C(  nliaste  frappant,  eiabli  enlrs  la 
conduile  de  Simon  a  son  egard  el  cell'  de 
I'hiimble  fcnime.  —  Premier  trail  :  Aijuam 
pedibus  me  is...  L'amphyliion  (in  doiuuni  tuam 
est  emphalique ;  ffou  el;  ttiv  olxiav,  avec.  le 
pronom  en  avant,  Test  davantago  encore) 
s'etait  disp  nse  rnvcrs  Jesus  de  co  (jiemior 
devoir  de  ri)osj)ilaliLe  orii  nialc,  auqii''l  on 
allacluiil  une  ccrtaine  importance  dans  cetle 
conlree  p  uidreuse  oil  Ton  n'a  generalenient 
qiiedes  saniiales  pour  Loute  cliaussure  'comp. 
Gen.  xviii,  4 ;  xix,  1  ;  Jud.  xix,  21  ;  I  Reg. 
XXV,  41  ;  II  Thess.  v,  10  .  —  Hwc  cnilem 
lacrymis...  La  peclieiesse  a  lave  les  pieds  de 
Jesus  avec  ses  larmes,  «  aquaium  preliosis- 
simaa  )>  (Bengel),  ei  elle  les  a  essuyes  avec  ses 
cheveux,  a  les  cheveux  de  sa  lete  »,  ajoute 
ici  la  Recepia,  comme  au  t.  38.  Sur  quoi 
Maldonal  ecrit  tres  a  propos:«  Satis  erai  di- 
cere  capitis,  etiamsi  non  addidisset  capitis 
suj ;  sed  addidit  ut  oration!  emphasim  adhi- 
berel,  et  caput  pedibus  opponeret  ». 

45.  —  Second  trait  :  Osculum  mihi  7wn  de- 
disti. Telle  a  toujours  ete,  merae  entre 
hommes,  la  salutation  accoulumee  de  I'Orient. 
Voyez  Smith,  Diction,  of  the  Bible,  au  mot 
Kiss.  Ce  baiser  devenait,  suivanl  les  circon- 
stances.  un  signe  d'affection  ou  de  respect. 
Simon  I'avait  egaloment  su|)prime  k  I'egard 
de  Jesus.  Mais,  par  centre,  hcec...  non  cessavit 
osculari  [do  nouvcau  un  verbe  compose  dans 
Ic  grec)  pedes  meos.  —  La  legon  ex  quo  intra- 


vit de  la  Vulgate,  bien  qu'elle  paraisse  d'»- 

bord,  au  point  de  vue  de  la  verite  historique, 
plus  exacte  que  celle  du  texte  grec,  a?'  ^ic 
(scil.  wpac)  elayjASov,  o  ex  quo  inlravi  »,  n'est 
pas  soutrnable  sur  le  terrain  de  la  critique, 
presque  toutes  les  autorites  elant  centre  elle. 
Du  reite,  rien  n'empeche  que  la  pecheresse 
ne  soil  ei.lree  chez  Simon  presque  aussilot 
apres  Jesus,  de  sorte  qu'elle  s'etait  trouvee  Ik 
pour  honorer  le  divin  Maitre  des  qu'il  s'etait 
mis  a  table.  On  peul  aussi  regarder  I'expres— 
sion  coinme  legerement  hyperbolique. 

43.  —  Troisieme  trait  :  Oleo  caput  meum... 
Autre  pratique  anciinne  (t  modeine  d& 
rOrient.  Clr.  Ps.  xxn.S.XLiv,  7;  cxl,  5, etc. 
Les  qu'lques  gouttes  d'liuile  d'olive  qu'oo- 
avail  refuse  de  repandr(>  sur  la  tele  de  Jesus 
avaienl  ele  largemenl  comp  nsers  par  1©- 
paifum  precieux  qu'une  main  amie  et  gene- 
reuse  venail  de  verser  sur  ses  pieds.  Comme 
ce  rapprochement  lout  enlier  est  pressant, 
enorgique,  bien  reussi  sous  le  rapport  ora- 
toire!  II  n'etail  pas  po-sible  de  mieux  mon- 
trer,  dans  la  reserve  calculee  de  Simon,  le- 
manque  complel  d'affection,  et,  dans  les- 
attentions  delicates  de  I'eirani^ere,  les  signes 
d'une  briilanle  charite.  La  repetition  inces- 
sante  el  accent uee  du  pronom  [jlou  dans  Is' 
texte  original  e-t  du  plus  b  I  effet. 

47.  —  Propter  quod  dico  tibi...  Ce  verset 
est  celebre  dans  I'liisloirt^  de  I'exegese,  k 
cause  de  la  controverse  ardente  qu'il  a  sus- 
cilee  entre  les  catholiques  et  les  prolestanls. 
Pour  ces  derniers,  qui  pretondenl  que  la  fci- 
seule  justifie,  il  conlionl  im;>  parole  cxirdmo- 
ment  embarrassante,  Remitluntur  ei  peccalct 
multa  (dans  le  grec,  a.\  7toX),a(,  avec  un  article 
plein  d'emphase)  qoomam  dilexit  moltdm: 
aussi  ont-ils  tout  fail  pour  luienlevcr  sa  signi- 
fication nalurelle;  mais  en  vain,  car  elle  est. 


CHAPITRR  Vir 


465 


niam   dilexit  miiltum  :  cui   antem  parce  qu'elle  a  aime  beaucoup.  Mais 

minus  dimiUitur,  minus  diligit.  celui  a  qui   on  remet  moins  aime 

moins. 

48.  Dixit  autem  ad  illam  :  Remit-  48.  Et  il  dit  a  cette  femme  :  Vos 

tuntur  tibi  peccata.  peches  vous  sont  remis. 

Matth.  9,  2. 

49.Etc(Eperuntqui  simulaccum-  49.  Et  ceux  qui  etaient  a  table 


de  la  plus  grande  clarle.  Jesus  ne  pouvait 
dire  en  Lcimes  plus  obvies  que  la  pecheresse 
avail  mente  son  pardon  par  la  perfection 
de  son  amour.  Comp.  Bellaruiin,  de  Poenit. 
lib.  I,  c.  19.  Du  resle  la  meme  doctrine  est 
€xprimee  ailleurs  tout  aussi  neltemenl.  Cfr. 
1  Petr.  IV,  8.  Aujourd'hiii  la  discu-sion  s'est 
notabiemont  calmee,  el  pUisjeurs  commenta- 
leurs  proteslants  interprelenl  ce  pas-^age  lout 
a  fail  comme  nous.  Voir  dans  Maldonal,  in 
h.  1.,  la  maniere  dont  se  i'appropriaient  au- 
trefois les  deux  partis-  II  est  vrai  que  la  con- 
clusion, «  S  -s  nombreux  peches  lui  sonl  remis 
parce  qu'elle  a  b  aucoup  aime  »,  cause  d'a- 
'bord  une  certaine  surprise,  parce  qu'elle 
n'est  pas  lout  a  fail  cellc  que  Ton  attend. 
D'apres  le  f.  42,  la  manifestation  d'une  cha- 
rite  plus  vive  semblerail  devoir  eli'e  la  con- 
sequence et  non  le  motif  dun  pardon  plus 
integral.  Pour  echapper  a  celtc  riifliculte,  on 
a  parfois  propose  de  regarder  oti  [quoniam] 
corame  un  synonym'  de  5i6, «  idcirco,  ideo  » 
(voypz  D.  Calmet,  h.  l.).Le  sens  serail  alors  : 
Elle  a  regu  la  remise  d'un(>  detle  considerable, 
c.'esl  pourquoi  elle  a  temoigne  beaucoup 
d'amour.  Mais  celte  interp  elation,  qui  est 
peu  conciliable  avec  les  lois  de  la  grammaire, 
a  ete  gen^ralem'^nt  abandonneo.  Au  fond  la 
difficulle  est  plus  apparente  qu^  reelle,  et, 
comme  le  dit  fort  bien  M  Scli^gg.  ce  sonl 
les  exegelps  eus-m§raes  qui  I'ont  cre^e,  en 
supposant  d'une  faQon  loute  gratuile  que 
Noire-Seigneur  voulail  suivre  ici  pas  a  pas 
■la  paraboleqn'il  avail  exposee  precedcmmenl, 
rallacher  d'une  maniere  rigoureuse,  anxieuse, 
I'applicaiion  a  IVxemple,  landis  qu'il  pro- 
cede,  com  ne  loujours,  avec  I'ampleur  el  la 
liberie  de  TOrieni.  Au  surplus,  il  sufDl  d'un 
peu  de  reflexion  pour  se  convaincre  que  I'en- 
chainemenl  des  p  nsees  est  parfait.  Jesus 
vienl  de  decrire  les  actes  louchanls  qu'une 
vive  charite  unie  a  un  repentir  profond  avail 
suggeres  a  Thumble  femme  agenouillee  a  ses 
pieds  :  n'elaitil  pas  naturel  el  logique  qu'au 
momenl  de  notifier  la  remission  des  peches 
il  indiqiiSl  quell  •  en  avail  ele  la  cau-e  la  plis 
menloire?  11  I'a  fail  pour  nous  consoh^r  et 
•nous  iD'lruire.  Ainsi  done,  I'amour  precede 
le  pardon  commi  un  motif  qui  agit  pui-sara- 
menl  sur  le  coBur  de  Dieu  ;  d'un  autre  cole 
J'amour  suit  le  pardon  comme  une  conse- 


quence loute  legitime,  etant  exciledans  notre 
coeur  par  la  contemplation  des  divines  mise- 
ricordes.  On  conQoil  par  la  que  les  ardeurs 
de  la  charite,  environnanl  le  peche  de  toules 
parts,  Bnissenl  par  en  consumer  la  malice; 
mais  on  ne  voil  point  de  quelle  maniere  les 
simples  rayons  de  la  foi  reussiiaient  a  pro- 
duire  eel  hnireux  resuilal.  —  Cui  autein  mi' 
nM.9...  (Le  lexle  grec  a  deux  fois  d/iyov,  «  pa- 
rum  »,  au  heu  du  comparaiif  «  minus  »). 
Grave  «  Nota  bme  »  qui  retomb^  en  plein 
sur  Simon,  quoiquo  Jesus,  dans  sa  bonie, 
Tail  revelu  d'une  forme  generale.  a  Dictum 
est  hoc  a  Christo  propter  Phansaeum,  qui 
nulla  vel  pauca  se  pulabat  habere;  peccata... 
0  Pharisae\  parum  diligis,  quia  parum  tibi 
dimitti  suspicaris  ;  non  quia  parum  dimilli- 
lur,  sed  quia  parum  pulas  quod  dimitlitur.  » 
S.  August.,  Serm.  xcix.  En  passant  du  fait 
concret  a  I'axiome,  NolreS^igneur  renverge 
en  outre  sa  pensee,  pour  lui  donner  plus  de 
force  sou-;  ce  nouvel  aspect.  Mais  la  verite 
exprim'ie  est  bien  la  meme,  car  la  phrase  : 
Celui  a  qui  Ton  pard'inm.'  peu,  aime  peu,  ne 
differe  pas  es-enliellemenl  de  cette  autre 
phrase  :  A  celui  qui  aime  peu,  I'on  pardonne 
peu.  On  trouve  fiequemmenl  dans  les  Livres 
sapienliaux  de  la  Bible  des  inlerversions  ana- 
logues, destinees  a  mieux  met  Ire  une  idee  en 
relief. 

48.  —  Dixit  autem  ad  illam.  Pour  la  pre- 
miere fois  depuis  le  debut  de  cetie  scene, 
Jesus  adresse  direclemeni  la  parole  a  la  pe- 
cheresse. Ce  sera  pour  lui  dunner  I'assuranoe 
solennel  de  son  entier  pardon.  —  Remit- 
tuntur  tibi  peccata.  Sur  la  foime  dorique 
asEwvrai  employee  dans  le  lexte ,  voyez 
Maith.  IX,  2,  5,et  le  commenlaire.  Plus  haul, 
t.  47,  Jesus  avail  ajoutea  ^c  peccata  »  I'epi- 
ihele  c  multa  »  ;  il  la  suppiime  delicalement 
dans  sa  formule  direcle  d'ab-olution. 

49.  —  Et  coepeiunt...  S.  Luc  a  une  a  rele- 
ver  par  cette  expression  piilorescju  >  le  com-, 
mencemenl  des  actions  que  signale  son  recil. 
Cfr.  t.  38.  etc.  —  Dicere  intra  se,  dv  d»yTor; : 
en  eux-m^mes,  chacun  au  fond  de  son  coe.ir. 
II  n'y  eul  pas.  du  moins  immediatemenl, 
ecliange  de  refli'xions  entre  les  invites.  — 
Qais  est  hie,  qui  etiam  peccata...  a  On  pout 
donner  deux  sens  a  ces  paroles,  I'un  bon  et 
I'autre  mauvais.  Le  bon  est  de  dire  quo  les 


466 


CHAPITRE  VII 


avec  lui  commencerent  a  dire  en 
eux-memes  :  Quel  est  celui-ci,  qui 
remel  meme  les  peches? 

50.  Mais  il  dit  a  la  femme  :  Ta  foi 
t'a  sauvee,  va  eu  paix. 


bebant,  dicere  intra  se  :  Quis  est 
hie,  qui  etiam  peccata  dimittit? 

bO.  Dixit  autem  ad  mulierem  : 
Fides  tua  te  salvam  fecit;  vade  m 
pace. 


assislanls...  admirent  ici  la  plenitude  dii  pou- 
voir  (ie  Jesus-Chiisl,  qui  peul  aus£i  remellre 
les  peclies.  II  faul  que  celle  homnie  ne  soil 
pas  iin  simple  prophetp,  parco  que  non-seu- 
Icmenl  il  res^^uscite  les  morts,  mais  aussi 
il  pardonno  les  peches  (Grolius  el  d'aulres). 
Le  maiivais  sens  osl  do  dire  dans  un  espril 
de  critique  :  Gel  homme  est  un  blasphema- 
leur.  Qui  peul  remetlre  les  peches  si  ce  n'esl 
Dieu?  »  Calinet,  h.  I.  Tout  porte  a  croire 
que  ce  second  sens  esl  le  vrai.  Cfr.  v,  21  ; 
Marc.  II,  7. 

50.  —  Fides  tua  te  saloam  fecit.  Sans  s'in- 
quieler  de  ces  protestations  injustes  qu'il 
lisait  au  plus  profond  des  consciences,  et  qui 
se  manit'ejlaient  d'ailleurs  probablemenl  sur 
Ja  physionomie  des  convives,  Jesus  adresse 
h  la  convertie  une  seconile  parole,  pour  la 
congedier  douceinenl.  En  lui  disant  que  c'est 
ga  loi  (jui  I'a  sauvee,  il  ne  delruit  pas  son 
assertion  du  t.  47;  car  ce  n'esl  pas  la  foi 
seule,  mais  «  fides  caritale  formaia,  »  qui 
avail  accompli  I'oeuvre  de  regeneration.  L'u- 
nion  de  la  foi  el  de  I'amour  avail  ele  neces- 
saire  pour  ccla.  «  Fides  ad  Christum  mulie- 
rem adduxeral,  et  sine  fide  nunquam  ila 
Christum  dile-xisset  ul  pedes  rigarel  lacrymis, 
capillis  dtHergeret,  unguento  ungeret.  Fides 
salutem  inchoavil,  consummavil  carita^.  » 
Maldonal.  —  VaJe  in  pace  :  mieux  «  in  pa- 
cem  »,  el;  eip^^viQv.  Cfr.  Marc,  v,  34  el  U)  com- 
menlaire.  —  Tel  esl  ce  beau  recit,  qu'on  a 
juslement  appele  un  «  Evangeliura  in  Evange- 
lic. »  On  veil  maintenant  qu'il  avail  sa  place 
loute  marquee  dans  les  pages  de  S.  Luc,  ou 
I'universalile  du  salul  est  si  clairemenl  an- 
noncee.  Voyez  la  Preface,  §  V.  Bien  des 
peinlres  ontessayede  le  retracer  apres  notre 
evatigelisle  (en  particulier  Jouvenei,  Paul 
Veronese,  le  Tinlorel,  Nic.  Poussin,  Rubens. 
Lebrun) ;  mais  aucun  d'eux  n'a  surpasse 
S.  Luc.   S.  Gregoire,  dans  la  belle  homelie 

au'il  lui  consacre,  el  oil  il  commence  par 
ire  d'une  maniere  si  pathetique  qu'au  sou- 
venir d'une  pareille  scene  il  lui  serail  plus 
facile  di!  plmirer  que  de  precher,  en  fait  une 
excellente  application  morale  :  «  Quem 
Pharisaeus  designat  de  falsa  justiiia  praesu- 
mens,  nisi  Judaicum  populum?  Quem  pec- 
calrix  mulier,  sed  ad  vestigia  Domini  veniens, 
et  plorans,  nisi  conversam  gentilitatem  de- 
eignat?  Nos  ergo,  nos  ilia  mulier  expressit, 
si  tolo  corde  ad  Dominiim  post  peccala  re- 


deamus,  si  ejus  pcenitenliae  luclus  imitemur  »■ 
(Voir  dans  Tholuck,   Blulhensammlung    aus 
der   raorgenl.  Mystik,  p.    251,  une  interes- 
sante  narration   persane  qui  semble  calquee 
sur  celle  de  S.  Luc). —  Mais  quelle  elail  cette 
femme?  II  nous  reste  a  le  chercher  rapide- 
ment.  Depuis  I'epoque  et  grSce  a  I'autorit^- 
de  S.  Gregoire-le-Grand,  qui  le  premier  sou- 
tint  cette  opinion  en  termes  clairs  et  formels,. 
on  a  .  toujours   generalemenl    suppose  dans 
I'Eglise  iaiine  que  la  pecheresse  de  S.  Luc, 
Marie-Madeleine,  el  Marie  soeur  de  Lazare- 
se  couroiidenl  en   une  seule  et  memo  per- 
sonne.  L'office  de  sainle  Marie-Madeleine,  tel 
qu'il  existe  depuis  des  siecles  dans  la  liturgie- 
romaine  (voyez  le  Breviaire  el   le  Missel  ro- 
mains,    au    22  juillel),    ex()rirae    nctlement 
Tidentile,  el,  quoique  I'Egli^i^  ne  vcuille  pas 
se  faire  garanl  infaillible  de  tous  les  details- 
hisloriques  contenus  dans   ses  prieres  ofii- 
cielles,  on  ne  saurail  nier  que  ce  fait  consli- 
tue  un  argument  digne  de  tout  noire  respect. 
II   est  vrai   que    la    tradition   des   premiers- 
siecles  est  souvent  douteus-,   ombarrassee, 
parfois  meme  conlraire  k  la  croyance  actuelle. 
Origene,  el  plus  lard  Theophylacte,  Eulhy- 
mius,  admettenl  trois  saintes   ft  mmes  dis- 
linctes,  el   tel   esl    encore    lo   Sf^ntimenl  de 
I'Eglise  grecque,  qui  celebre  separement  la 
fele   de  la  pecheresse  penitenle,  de   Marie- 
Madeleine  el  de  Marie   soeur  de  Lazare.  Si 
S.  Jean  Chrysoslome  identifie  la  pr(  miere  et 
la   seconde,  il  distingue  clairemenl    celle-ci. 
de  la   troisieme.  S.  Ambroise  esl   hesitant  : 
«  Polest  non  eadein  esse,  »  dit-il.  S    Jerome 
est  lantot  favorable,  tanlol  oppose  a  I'iden- 
tite.  D'autre  part,  il  est  certain  que  le  lexte 
evangelique  semble  de  prime  abord  plus  con- 
forme  k  la  distinction.  «  S.  Luc,  vii,  37  (nous 
citons  les  reflexions  de  Bo.-suet,  Sur  les  trois 
Magdeleines,   CEuvres,   edit,   de    Versailles, 
t.  XLIII,  pp.  3  et  ss.)  parle  de  la  femme   pe- 
cheresse qui  vint   chez  Simon    le   Pliansien 
laver  de  ses  larmes   les  pieds  de  Jesus,  les- 
essuyer  de  ses  cheveux,  el  les  parfumer.  II 
ne   la    nomme  point,   viii,   3,  deux   versets 
apres  la  fin  de  I'histoire  precedenle,  il  nomme, 
entre  les  fi  mmes  qui  suivaicnt  Jesus,  Marie- 
Magdeleine,  doiil  il  avail  chasse  sept  demons. 
X,  39,  il  dit   que  Mailho,  qui   regut  Jesus 
chez  elle,  avail  un;;  soeur  nominee  Marie.  Ces 
trois  passages  semblent  marquer  plus  aise- 
mcnt  trois  personnes  differenles  que  la  meme.. 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


467 


CHAPITRE    Vm 

Un  voyage  apostoliqiie  de  Jesus  {tt.  i-3).  —  Parabole  du  semeuret  son  explication  {tt.  4-15). 
—  Necessile  d'ecouter  allentivomont  la  divine  parole  [tt.  16-18).  —  La  vraie  famille  de 
Jesus  {tt.  19-21',.  —  La  lempeie  miraculeuseiuenl  apaisee  (tt.  22-25).  —  Le  possede  de 
Gadara  [tt.  26-39).  —  L'hemorrhoisse  el  la  Glle  de  J  aire  (tt.  40-56). 


1.  Et  facliim  est  deinceps,  et  ipse 
iter  faciebat  per  civitates,  et  cas- 


1.  Et  il  advint  ensuite  que  Jesus 
parcourut  les  villes  et  les  villages^ 


Car  il  est  bien  difficile  de  croire  que  si  la 
pecheresse  elait  Magdeieine,  il  ne  I'eiit  pas 
nominee  d'abord.  plutot  que  deux  versels 
apres,  ou  non-seulemont  il  la  nomine,  mais 
la  designe  par  ce  ([ui  la  faisait  le  plus  con- 
nailre,  d'avoir  eie  delivreu'  di^  sepl  demons. 
El  il  semble  nous  parler  de  j\lane,  soeur  de 
Maiihe,  comrae  d'une  nouvelle  personne  dont 
il  n'a  point  encore  parle..  S.  Jean  parle  de 
Marie,  scEurde  Marl  he  el  de  Lazare,  xi,etxii. 
Dans  ces  deux  chapitres...  il  ne  la  nomme 
jamais  que  Marie.  commoS.  Luc;  el  toutefois 
dans  les  chapiires  xix  et  xx,  oil  il  parle  de 
Marie-Magdeieine,  il  repete  souvont  ce  sur- 
nom...II  est  done  plusconforme  a  la  leltrede 
I'Evangile  de  dislinguer  ces  Irois  sainles  :  la 
pecheresse  qui  vinl  chez  Simon  le  Pharisien  ; 
Marie,  soeur  de  Martheol  de  Lazare  ;olMarie- 
Magdeleine.  »  Cetle  difficulle  exegeliqu.i  est 
tres  reelle.commes'accordenl  ale  reconnaitre 
les  meiileiirs  iniprp:eiosconlemporains{voyoz 
en  parliculier  MM.  Bisping,  Schegg,  Curci, 
Pairizi).  Aussi  a-l-elle  suscile  en  France, 
pendant  le  XVle  et  le  XVlIe  siecle,  conlre 
i'identil^  des  trois  ?aintes  femmes,  un  mou- 
vement  assez  accenlue,  («  magnis  scriplis 
volurainibus  »,  Maldonat)  auquel  prirent  pari 
non-seulement  des  hommes  ardenls  et  incon- 
sideres  comme  Launoy  et  Dupin,  mais  des 
savants  de  la  Irempe  de  Tilleniont,  d'Estius, 
de  D.  Calmet,  el  noire  grand  Bossuel  lui- 
mdme,  ainsi  qu'on  I'a  vu  plus  haul.  Nous 
n'avons  pas  la  pretention  de  la  resoudre,  et 
nous  avouons  meme  que  nou-;  avons  ele  ires 
forteineni  inQ«  iice  par  elie.  Neaiimoins,  il 
nous  semble  qu'on  pent  lui  opposer  avec  assez 
de  succes  la  consideration  suivante. 

Enlre  la  pecheresse  que  now-  venons  de  con- 
lem|)ler  aux  piedsde  Jesus,  et  Marie-Madeleine 
telle  que  la  representenl  les  recils  de  la  Pas- 
sion et  de  la  Resurrection,  il  existe  certaine- 
menl  une  frappante  ressemblance  de  carac- 
tere.  C'esl,  de  part  et  d'aulre,  le  meme  devoue- 
menl  sans  b'lnes  pour  la  personne  sacree  du 
Sauveui-,  la  meme  nature  d'ame  el  d'aclivile: 
aussi  I'ldentificaiion  esi-elle  plus  aisee  pour 


ce  qui  les  concerne.Mais  il  n'est  pasraoins  re- 
marquable  de  voir,  quand  on  etndie  rhistoir& 
evangeli(|ue  de  Mane,  soeur  de  Lazare,  qu'en 
elle  aussi  se  manifesle  un  caraclere  analogue 
k  celui  de  la  pecheresse  et  de  Madelfine.  Son- 
Sme  esl  pareilicnient  aimante  ct  genereuse, 
contemplalivt-,  calme  et  sniiiieniiMil  enthou- 
siaste;  il  n'y  a  pas  jusqu'a  son  aililude  aux 
pieds  de  Nolro-Sjigneur  qui  ne  rappelle  celle 
de  la  femme  penilenti'  cnez  Simon  le  Phari- 
sien, celle  de  Marie-Madeleine  aupres  du  se- 
pulcre  et  du  divin  ressuscite  (voyez  un  beau 
developpement  de  celle  pensee  dans  Isaac 
Williams,  On  the  Passion,  pp.  404  et  ss.j.  — 
Nous  aureus  plus  lard  I'occasion  de  signaler 
d'aulres  arguments  exegetiques  qui  onl  aussi 
leur  force.  En  attendant,  voici  quelques 
sources  auxquelles  pourront  puiser  les  lec- 
leurs  qui  s'interessent  ci  celle  belle  question: 
D.  Calmet,  Dictionnaire  de  la  Bible,  aur 
mots  Marie-Madeleine  et  Marie  de  Belhanie; 
Tilit^mont,  Memoires,  I.  II ;  Noel  Alexandre, 
Histor.  eccles..  Sae-.  i.  Dissert.  17;  les  Bollan- 
disles,  Acta  Sanctorum.  22  juillel  (disser- 
tation tres  savanle) ;  Woulers,  Dilucidat. 
select.  S.  Script.,  de  Concord.  Evangel., 
c.  XV,  q.  1  ;  Fadlon,  Monuments  inediis  sur 
Tapostolat  de  sainle  Marie-Madeletne  en  Pro- 
vence, Paris,184S;  Dublin  Re  view,  juillel  1872, 
pp.  28  el  ss.,  S.  Mary  Magdalene  in  the  Gos- 
pel; Lacordaire,  sainle  Marie-Madeleine. 

15.  Un  voyage  apostoUque  de  J^sos. 

YIll,  1-3. 

Esquisse  touchanie  el  pittoresque,  qui  re- 
sume la  seconde  mission  donnee  par  le  Sau- 
veur  aux  habitants  de  la  Galilee.  Voyez  I'E- 
vang.  selon  S.  Malthieu,  pp.  93  et  189'.  S.  Luc 
nous  a  seul  conserve  ces  details  interessanls, 
grace  auxquels  la  divine  pliysionomie  de  Jesus 
missionnaire  se  dresse  loute  vivanle  devanl 
nou-,  au  milieu  de  I'enlourage  qui  lui  ser- 
vait  de  cadre. 

Chap.  viii.  —  1.  — Factum  est  deincept 
(ev  xw  xaTeSrj;,  scil.  XP^^H*)- Dale  generale  pour 
inlroduire  une  nouvelle  periode  de  la  vie  de 


168 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


pr^chant  et  annoncant  le  royaume 
de  Dicu,  et  les  Douze  etaient  avec 
lui, 

2.  Et  quelques  femmes  qui 
avaient  ete  gueries  des  esprits 
mauvais  et  de  leurs  maladies  : 
Marie,  qui  est  appelee  Madeleine, 
de  qui  sept  demons  etaient  sortis, 

3.  Et  Jeanne,  femme  de  Ghusa 
procurateur  d'Herode,  et  Suzanne  et 


tella,   prsedicans     et    evangelizans 
regnum  Dei,  et  duodecim  cum  illo, 

2.  El  mulieres  aliquse,  quje  erant 
curatae  a  spiritibus  malignis,  et 
infirmitatibus  :  Maria  quae  vocatur 
Magdalene,  de  qua  septem  daemonia 
exierant. 

Marc.  16,  9. 

3.  Et  Joanna  uxor  Gliusse  procu- 
ratoris  Herodis,  et  Susanna,  et  alias 


Jesus,  periode  de  grande  activite,  de  succes 
rapides  et  de  joies  intimes.  —  Et  ipse.  Siir 
cetle  conjoiiclion,  dile  d'apodoso,  qu^^  S  Luc 
(>mploie  ordinaiiemeni  apres  le  verbe  i-(ivf:o 
[Civ.  V,  12,  etc.),  voyez  les  grammaiies  de 
Beelenel  de  Winer.  «  Ipse  »  par  opposilion  a 
la  sociele  d'amis  mentionnee  plus  bas.  — 
Iter  fadebal,  ScwSe-je  :  il  allait  de  ci  de  la  (Sti) 
a  traviTS  la  contrqo,'  evangeiisanl  lour  a  tour 
les  giandes  (cimtales)  el  les  p^tiies  localites 
[caHella),  selon  qu'elles  se  presontaient  sur 
son  passage.  L'imparfail  marque  un  fail  ha- 
biliicl,  con-lammenl  renouvele  durant  la  pe- 
riode doiil  S.  Liic  nous  donne  ici  un  resume 
rapide.  —  Prcedicans,  evangelizans.  Le  pre- 
mier de  ces  participes  expriuie  une  notion 
plus  generale;  le  second  est  plus  particulier, 
et  ajoule  I'idee  d'une  grSce  precieuse  atla- 
chee  a  la  predication.  —  Et  duodecim...  De 
Jesus,  I'evangelisle  passe  ci  son  saint  inilou- 
rage.  Les  Douze  en  composaient  nalurelle- 
ment  la  parlio  principale  :  le  sacre  college, 
conslilue  dopuis  un  certain  temps  d'une  raa- 
niere  definitive,  accompagne  desormais  Jesus 
en  tous  lieux,  a  part  de  rares  exceptions,  se 
formant  a  sa  divine  ecole. 

2  et  3.  —  Et  mulieres  aliqnw.  Trait  com- 
pletemenl  nouveau,  qui  a  bien  lieu  de  nous 
frappi'r.  II  y  a  quelques  mois  a  peine  (Cfr. 
Joan.  rv.  27)  les  disciples  s'etonnaienl  de  voir 
leur  Maitre  s'enlrett-n^r  en  public  avec  une 
femme,  et  voici  maintenant  que  plusieurs 
femmes  raccompagnent  frequemment  dans 
ses  voyages!  S.  Jerome  rai)porte ,  il  est 
vrai  (in  Matlh.  xxvn,  56),  que,  d'apres  une 
coulume  appuyee  sur  une  ancienne  tradi- 
tion, les  femmf'S  juives  aimaienl  a  fournir 
aux  Rabbins  des  velements  et  lout  ce  qui 
etail  necessaire^  leur  enlretien;et,  en  realite, 
le  Talmud  encourage  fort  ces  f)ieusps  prati- 
ques :  0  Quiconque,  dit-il,  regoit  cliez  lui  un 
disciple  des  sages,  le  nourrit,  I'abreuve.  et 
lui  donne  de  son  bien,  fait  la  meme  chose 
que  .s'il  olTrait  un  sacrifice  quotidien  », 
Neveh  Schalom.  f.  156.  Mais  on  ne  voit  nulle 
part  que  des  femmes  les  aient  suivis  dans 


leurs  courses.  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ 
innove  dune  sous  ce  rapport,  et  lui  seul  pou- 
vait  le  faire  en  un  point  si  delicat.  II  rompt 
de  sa  main  divine  le  cercle  elroit  que  I'Orient 
avail  irace  aulour  de  la  femme;  il  I'eman- 
cipe  d'apres  le  sens  le  plus  noble  de  cette 
expression,  et  lui  ouvre  le  large  champ  des 
bonnes  oeuvres  dans  I'Eglise  chreticnne.  — 
QucE  erant  curalce...  Ces  mots  nous  rev^lent 
le  mol  if  principal  qui  avail  attache  ces  saintes 
femm 'S  a  la  personne  du  Sauveur  :  elles  le 
suivaicnt  par  reconnaissance,  car  elles  avaient 
reQu  d-  lui  do  grandes  favcurs,  soil  qu'il  les 
eAi  delivrees  du  malin  esprit  qui  les  tenait  en 
son  pouvoir,  soil  qu'il  leur  eill  accorde  la 
guerison  de  quelque  grave  infirraile.  —  Troig 
d'entro  elles  sonl  mentionnes  a  part  :  1o  Ma- 
ria... Magdalene.  Ce  surnom  de  Madeleine  a 
ete  differemment  inlerprete.  Origene,  Tract, 
in  Matlh  XXXV.  lerapproche  du  verbe  hebreu 
Sia  'gddnl),  etre  grand,  et  y  voit  une  allusion 
prophetique  a  la  grand  'ur  morale  doni  Marie 
devait  jouir  en  servant  Notre-S  igneur  Jesus- 
Christ.  D'aulri  sJenparliculierLighlfoot,  Hor. 
hebr.  in  Matih.  xxvii,  56,  et  in  tuc.  viii,  3), 
impressionnes  par  une  anecdote  talm  idique 
oil  il  est  question  d'une  femme  de  mauvaise 
vie,  egalem  Mil  nommee  Miriam  ou  Marie,  qui 
est  ensuile  qualifiee  de  Xi»*jj  "i^yu;  xSiaa 
{magdila  cehir  naschdya),  «  plicatrix  capillo- 
rum  feminarum  »,  identifient  celte  coiffeuse 
a  Madeleine,  et  font  deriver  <r  Magdaiena  '» 
du  mot  hebreu  qui  designait  son  occupation 
anlerieure.  Mais  on  s'accorde  generalement 
aujourd'hui  a  chercher  I'etymologi,^  du  «  Mag- 
daiena »  dans  Magdala,  nom  d'une  petile  ville 
siluee  sur  le  rivage  occidenlal  du  lac  de  Ti- 
beriade  (voyez  I'Evang.  selonS.  Matlh.  p.  315). 
Marie  availdoncelesurnommee«  Magda'ene* 
parce  qu'elle  etail  originaire  de  Magdala. 
Rien  de  plus  simple  et  de  plus  nalurel.  S.  Je- 
rome, jouanl  surce  nom  de  Magdala  ou  Mig- 
dol,  qui  signifie  tour,  ecrivail :  «  Recte  voca- 
lain  Magdalenen,  id  est  turrilam,  ob  ejus 
fidei  acardoris  constaniiam  ».  —  Le  detail  qui 
suit,  de  qua  septem  dcemonia  exierant,  a  sem- 


CHAPITRE    VIII 


169 


multse,  quae  ministrabant  ei  de  fa- 
cultatibus  suis. 

4.  Gum  aulem  turba  plurima  con- 


beaucoup  d'autres,  qui  I'assistaient 
de  leurs  biens. 
4.  Et   comme  une  grande  foule 


blablement  divise  les  exegetes.  Deux  expli- 
cations existent  a  son  sujel,  I'une  lillerale, 
raulresymbolique.  S.  Ambroise,  el  beaiicoiip 
d'aulres  a  sa  suite,  croient  que  Marie  avail 
cie  reellom  nt  possedee  par  plusieurs  esprils 
mauvais  {seplem  est  un  nombie  rond  pour  de- 
signer la  pluralile,  selon  )a  mode  liebral- 
que),  en  cliSlimenl  de  sa  conduile  immoraie; 
S.  Gregoire  (Horn,  xxxiii  in  Evang.),  le  Ven. 
Bede  el  un  grand  nombre  d'auleurs  nfiodernes 
voienl  dans  ces  mols  un  symboh  de  la  con- 
version de  Marie.  II  est  en  effet  assez  con- 
forme  au  langage  figurd  des  Juifs  de  trailer 
les  vices  comaie  des  demons  incarnes  dans 
les  Smes.  «  Malus  affectus  est  Satan  »,  di- 
saient-ils;  ou  encore  :  «  Ebrielas...  est  dae- 
moniuui  ».  Voyoz  Liglilfool,  h.  1.  Mais,  d'un 
autre  cote,  I'evangeiiste  a  dil  exprt^ssement 
que  plusieurs  des  femmes  qui  accompagnaienl 
Jesus  avaient  ele  gu6ries  «  a  spiritibus  im- 
miindis»,circonsiance  qui  nou-;  parail  rendre 
la  premiere  interpretation  plus  vraisembla- 
ble.  Le  fait  que  signale  S.  Luc  est  aussi  mi  n- 
tionn^  dans  le  second  Evangile,  xvi,  9,  oil  I'ac- 
lion  directe  du  Sauveur  est  mieux  mise  en 
relief:  «  de  qua  ejeceral  septem  daeravonia  ». 
—  2"  Joanna...  En  hebreu  n^nV  {lochannah), 
forme  feminine  de  "l^rw  {Iochanan].L<imari 
decettesaintefemmc',  Cliusa  (en  hebr.  >7in, 
II  Par.  xxxiii,  191,  procurator  Herodis,  est 
idenlifie  par  quelques  commenlateurs  avec 
I'officier  royal  (PaoiXixo;)  donl  Jesus  avail 
gueri  le  fils  d'apres  S.  Jean,  iv,  46  el  ss. 
C'est  la  loutefois  une  simple  conjoncture.  Le 
litre  de  o  procurator  <){dans  le  grec,  iTtapoito;) 
equivaul  ici  a  «  procurator  rei  domeslicae  », 
tresurier  parliculier.  Comp  Brotsclineider, 
Lex.  man.,  s.  v.  Nous  relrouverons  plus  lard 
sainte  Jeanne  avec  Marie  Madeleine  aupres 
du  sepulcre  de  Jesus  ressuscile,  xxiv,  10.  — 
3°  Susanna  {7\ZM}W,  Schousihanaiih).No[n  ce- 

^lebr^'  dans  I'Ancien  Testament  :  il  signifie  lis; 
mais  la  sainle  amie  de  Jesus  qui  le  porlait 
nous  est  toula  fait  inconnue.  —  Et  (dice  mulice. 
La  suit '  de  la   vie  de  Notre-Seigneur  nous 

kapprcndia  h  en  connaltre  quehjues  autres, 
par  excmple.  Salome.  L'evangeli-le  ne  veul 
pas  dir(!  qu'elles  aienl  constamrnent  el  loules 
ensemble accompagne  le  Sauveur:  lescircon-- 
tances  ne  I'auraient  pas  loujours  permis.  C'e- 
taient  du  moins  laulot  celle?-ci,  tanlol  celles-1^, 
<jui  se  joignaienl  §  lui,  et  qui  pourvoyaien 
pieusement  a  tons  ses  besoins  el  h  ceux  de  se 
disciples  :  ministrabant  ei  (plusieurs  m-^s.  et 
versions  lisent  auxoTc,  «  eis  »)  de  lacultutibus 
tuis.  Sur  ce  sens  special  de  «  rainistrare  », 


voypz  Rom.  xv,  25;  II  Cor.  viii,  49,  20.  Le 

Fils  de  Dieii,  qui  daigne  manger  le  pain  de 
la  charite!  —  Arretons-nous  un  instant  pour 
voir  passer  devant  nous  la  troupe  sacree  dont 
nous  venons  de  signaler  les  merabres  princi- 
paux.  Jesus  estau  milieu  des  Douze,  qui  I'en- 
lourenl  avec  affection  et  respect.  Les  ung 
sonl  en  avant,  les  autres  a  ses  coles,  le  re^te 
par  derriere,  mais  tous  aussi  pres  de  lui  que 
possible,  afin  de  ne  rien  de  perdre  de  ses  ce- 
lestes lemons.  Le  plus  souvent  c'esl  lui  qui 
parle ;  toulefois  il  permd  volontiers  a  ses 
apotres  de  I'interrogi-r  familierement.  A  qu.^1- 
que  distance,  marchent  plusieurs  femmes 
voilees.  Elles  sontmunies  de  paniors  a  provi- 
sions, et  conversenl  modestement  -^ntre  elles. 
Les  regards  qu'elles  jettenl  de  temps  en  ti  mps 
dans  la  direction  de  Jesus  moulrent  qu'il 
est  vraiinent  leur  centre.  C'esl  pareillement 
sur  lui  que  nous  fixons  nos  yeux.  II  est  de  laille 
moyenn ! ;  sa  physijnomie  est  grave,  mais 
resplendissante  d'une  celeste  beaute.  Sa  t^le 
n'est  point  nue,  I'usage  ne  lepermellail  pas", 
conlrairem  nt  auxr  presentation-;  habituelleg 
des  peintres,  elles  est  couverte  d'un  soudar 
(le  koufi:  h  des  Arabes),  c'est-a-dire  d'un 
mouchoir  attache  sous  le  menton  et  flottant 
sur  le  ecu  et  sur  les  epaules.  Son  vetcment 
principal  consisle  en  une  longue  tunique,  qui 
recouvre  lout  le  corp  ,  ne  laissant  k  decou- 
vert  que  les  mains  et  les  pieds.  Eile  est  de 
couleur  grisStre  stride  de  rouge.  P'ar-dessus 
cette  tunique  Jesus  porte  un  tallith  (inan- 
leau)  bleu,  dont  les  amples  replis  permettent 
a  pr-ine  d'entrevoir  par  instants  la  koationeth 
(tunique).  et  la  ceinlure  qui  la  rcleve  vers  la 
laille.  Enfin  ses  pieds  nus  sont  cliausses  de 
sandales.  Telle  dtait  la  figure  humain^i  du 
Verbe  divin.  Voyez  le.  charmanl  opu-cule  de 
F.  Deliizsch,  Sehel  welch  ein  Mensch,  Leip- 
zig, 1872,  p.  3  el  ss. 

16.  Deux  joarn6es  cons^cutives  de  J^sus. 

viu,  4-56. 

1"  Parabole  du  seraeur  et  son  explication,  viii,  4-15. 
Parail.  Matlh.  xiii,  1-23;  Marc,  iv,  1-20. 

S.  Luc  est  encore  moins  complet  que 
S.  Marc  relalivement  aux  paraboles  dites  du 
royauinedes  cieux.  II  se  bome  a  en  rap|)(irler 
Irois,  celle  du  semeur,  celle  du  grain  de  se- 
neve  et  celle  du  levain.  Ces  deux  dernieres 
no  viendront  meme  que  beaucoup  plus  loin 
dans  sa  narration,  xki,  18-21 .  C'est  dune  au 
premier  dvangelisl(!  qu'apparlient  le  uKTite 
d'avoir  le  mi  ux  expose  le  premier  groupe 
des  paraboles  de  Jei>ut). 


no 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


s'assemblait  et  accourait  a  lui  des 
villes,  il  dit  cette  parabole  : 

5.  Gelui  qui  seme  s'en  allasemer 
sa  semeDce,  et  pendant  qu'il  la  se- 
mait,  une  partie  tomba  le  lonfi^  dii 
chemin  et  fut  foulee  aux  pieds  et 
les  oiseaux  du  del  la  mangerent. 

6.  Et  une  autre  tomba  sur  la 
pierre,  et  ayant  germe  elle  secha 
parce  qu'elle  n'avait  pas  d'humidite. 

7.  Une  autre  tomba  entre  des 
epines,  et  les  epines  croissant  avec 
elle  Tetoufferent. 

8.  Et  une  autre  tomba  dans  une 
bonne  terre,  et,  ayant  leve,  elle  porta 
du  fruit  au  centuple.  En  disant  cela 
il  criait  :  Que  celui  quia  des  oreilles 
pour  entendre  entende. 


venirent,  et  de  civitatibus  propera- 
rent  ad  eum,  dixit  per  similitu- 
dinem  : 

5.  Exiit  qui  seminal,  seminare 
semen  suum :  et  dum  seminat,  aliud 
cecidit  secus  viam,  et  conculcatum 
est,  et  volucres  coeli  comederunt 
illud. 

Matlh.  id,  3;  Marc.  I,.,  a, 

6.  Et  aliud  cecidit  supra  petisai ; 
et  natum  aruit,  quia  non  habebat 
humorem. 

7.  Et  aliud  cecidit  inter  spinas,, 
et  simul  exorlae  spinas  sufiFocaverunt 
illud. 

8.  Et  aliud  cecidit  in  terram  bo- 
nam,  et  ortum  fecit  fructum  centu- 
plum.  Hsec  dicens  clamabat  :  Qui 
habet  aures  audiendi,  audiat. 


4.  —  Cum  autem  turba...  Comme  les  deux 
autres  synopliques,  S.  Luc  releve  d'abord  le 
prodigieux  concours  depeupleen  face  duquel 
lutprononceela  premiere  parabole duroyaume 
des  cienx.  Aiiifi  qu'il  res-orl  du  icxl'e  grec 
(xal  Twv  xaxa  7t6),iv  eTinropsuouiEvtov  npo;  auTov), 
de  chacuiie  dis  viiles  tiavcisi'es  par  Je«iis  on 
se  precipitail  sur  ses  pas,  afin  lic  le  voir  et 
de  i'enlendre  rncore  :  c'etail  u:i  conlingent 
qui  grossi.-sait  toiijoiirs,  jusqn"a  co  qu'on 
arrival  aux  bords  du  lac  de  Tiberiade  ;  car 
tei  fill,  d'apres  S.  Maiiliieu  el  S.  Maix,  le 
theatre  du  presenl  episode.  —  Dixit  per  si- 
militudineiu :  par  ijaraboli'.  comuie  dit  le  lexle 
gr<c.  Sur  celle  forme  d'ensci^ucment:  qui 
dissiraule  a  demi  les  choses  ceiesles  sous  uii 
velement  humain,  et  qui  correspond  par  con- 
sequent si  bien  a  I'lncarnalion  du  Verb?, 
voyez  i'Evang.  seion  S.  Maltli.,  p.  237  et  ss. 

5-8.  —  Assis  sur  une  barque,  et  ayant  en 
face  de  lui  son  nombrtux  audiloire  rasscmble 
sur  le  rivage  Malth.  xiii,  2;  Marc,  iv,  1), 
Jesus  donne  a  son  Eglise  une  grave  leQon.  II 
indique  quols  sonl  le-  |)iiiicipaux  obstacles 
qu;.'  rencontre  dans  ihaque  ame  la  predica- 
tion de  la  divine  parole,  celt  ■  precieuse  se- 
ntience dont  le  grain  jele  en  lerre  par  I'agri- 
cnlteur  est  un  parfail  embleme.  Le  giain 
materiel  tombe  sur  qualre  sorles  de  terrains 
et  a,  par  suite,  qualre  dosiinees  Ires  dis- 
tinctes.  -Jo  n  y  a  le  terrain  durci  par  les  pieds 
des  passants,  t.  5 ;  la  semence  n'y  penelre 
raSnne  pas,  mais  elle  est  perdue  loule  entiere 
lorsqu'elle  y  tombe,  soil  qu'elle  soil  bienlot 
6crasee    [conculcatum    est,    trait    piopre    a 


S.  Luc),  soil  qu'elle  serve  de  pSture  aux 
oiseaux  du  ciel.  Pour  elle  il  ne  saurait  done 
6tre  question  de  germination  ;  aussi  le  verbe 
9U(o,  repele  dans  les  1ft.  6, 1  el  8,  ne  paiail-il 
pas  au  cinquiemj.  2°  II  y  a  le  terrain  sans 
profondeur,  a  base  de  rocher,  car  tel  est  1& 
sens  de  super  petram  (les  deux  aulres  narra- 
teurs  emploient  I'expression  plus  claire  «  in 
petrosa  ») :  la  graine  y  germ.'  dabord  prompte- 
ment,  mais  elle  peril  ensuite  faule  diiumidite 
[nouveau  trail  special;  loutefois  S.  Mallhii-u 
el  S.  3Iarc  dislinguent  mieux  les  deux  causes 
de  ruine,  I'aridile  d'en  bas  el  la  chaleur  d'en 
haul;.  30  II  y  a  le  terrain  deja  occupe  par 
d'autres  semences  envahis-antes  (inter  spinas 
est  une  parlicularite  de  S.  Luc  :  les  autres 
synopliques  disenl  simplement  «  sur  les 
epines  ») :  les  grains  bons  ( t  mauvais  croissent 
ensemble  {simul  n'esl  que  dans  le  iroisieme 
Evangile) ;  mais  les  bonnes  herbes  ne  tardent 
|)as  a  etre  etouffees  paries  mauvaises.  Ovide, 
Meiam.,  v,  483  et  ss  ,  enumeranl  les  divers 
obstacles  qui  desappoinlenl  l.'S  esperances  du 
semeur,  a  plus  d'un  trait  commun  avec  notre 
parabole  : 

Kt  modo  sol  Dimius,  nimiiis  modo  corripit  imber; 
Sideraqne  ventiqnc  nocent;  avidaeqiie  volucres 
S.-miiia  jacta  h'gunt;  loliiim  triimlique  fatigaat 
Tnticeas  messes,  et  iaex|iugoabiltf  gramen. 

40  II  y  a  enfin  le  terrain  bien  prepare,  dans 
1  'quel  la  graine  ne  trouve  aucun  obstacle  : 
elle  croil  done  a  merveille  el  produit  cent 
pour  un,  fructum  cenluptum.  S.  Luc  est  ici 
moins    complet    que    S.   Mallhieu    et    que 


CHAFITUI 

9.  Interrogabantaulemeumdisci- 
piili  ejus,  quse  esset  liaec  parabola. 

10.  Quibus  ipse  dixit  :  Vobis  da- 
tum est  nosse  mysterium  regni  Dei, 
cseleris  autem  in  parabolis  :  ut  vi- 
deutes  non  videant,  et  audientes 
non  intelligant. 

Isa.  6,  9;  Matth.  13.  14;  Marc.  4,  12:  Joan.  12  40  : 
Act.  28,  26;  Rom.  11,8. 

11.  Est  autem  hsec  parabola:  Se- 
men est  verbum  Dei. 

12.  Qui  autem  secus  viam,  hi 
sunt  qui  audiunt :  deinde  venit  dia- 
bolus,  et  tollit  verbum  de  corde  eo- 
rum,  ne  credentes  salvi  fiant. 

13.  Nam  qui  supra  petram,  qui 
cum  audierint,  cum  gaudio  susci- 
piunt  verbum;  et  hi  radices  non 
habent;  quia  ad  tempus  credunt, 
et  in  tempore  tentationis  recedunt. 

14.  Quod  autem  in  spinas  cecidit, 


VllI 


471? 


9.  Mais  ses  disciples  Tinterro- 
geaient  sur  le  sens  de  cette  para- 
bole. 

10.  II  leur  dit :  A  vous  il  a  ete 
donne  de  connaitre  le  mystere  de 
Dieu,  mais  aux  autres  par  des  para- 
boles,  afin  que  voyant  ils  ne  voient 
pas,  et  qu'entendant  ils  ne  com- 
prennent  pas.  - 

11.  Voici  ce  que  c'est  que  cette 
parabole  :  La  semence  est  la  parole 
deDieu. 

12.  Ge  qui  tombe  le  long  du  che- 
min,  ce  sont  ceux  qui  ecoutent; 
ensuite  le  diable  vient  et  enleve  de 
leur  cceur  la  parole,  de  peur  qu'en 
croyant  ils  ne  soient  sauves. 

1 3.  Ge  qui  tombe  sur  la  pierre,  ce 
sont  ceux  qui,  lorsqu'ils  ecoutent 
la  parole,  la  recoivent  avec  joie;  et 
ceux-ci  n'ont  point  de  racines,  car 
ils  croient  pour  un  temps  et  au  mo- 
ment de  la  tentation  ils  se  retirent. 

14.  Ge    qui    tombe    parmi    les 


S.  Marc,  car  il  signale  seiilement  un  degrd 
de  produciion  :  il  est  vrai  qn'il  a  choisi  le 
plus  favorable.  —  La  formule  qui  habet  au- 
res...,  qui  icrmine  la  parabolo  dans  les  Irois 
redaclions,  esl  inlroduile  ici  par  I'expres-ion 
empliatiquo  :  Hcec  dicens  daniabat  (scpwvei). 
Le  divin  predicateur  altirail  ainsi  ralLenlion 
de  la  foiile  sur  les  paroles  imporlanles  qu'il 
venait  de  prononcer. 

9. — Inter rogahant...  quce  esset;  c'esl-a-dire, 
ce  que  signifiait.  Familiarises  dcpuis  noire 
plus  tendre  enfance  avec  les  paruboles  de 
Jesus,  dont  la  significalion  nous  a  ele  mainte 
fois  expliquee,  nous  somines  suipns  dabord 
de  voir  que  les  disciples  n'aienl  pas  imme- 
dialeraenl  compris  les  mysleres  caches  sous 
le  voile  de  la  semence  el  de  ses  differenles 
deslinees.  Mais  a  leur  place  nous  n'aurions 
pas  ete  plus  avances  qu'eux,  et  nous  aussi 
nous  eussions  demande  au  Sauveur  de  vouloir 
bien  nous  eclaiier.  —  Le  parlicipo  o  dicen- 
tes  »  (XeyovTe;),  qu'on  lit  dans  le  Texl.  recepl. 
apres  ejus,  est  omis  par  les  manuscrits  B,  D, 
L,  R,  Z,  Sinait.,  etc.,  comme  par  la  Vulgate. 

10.  —  Vobis  datum  est...  A  la  question 
parliculiere  des  disciples,  Jesus  raltache  una 
explication  generale,  dont  I'objet  est  d'in- 
diquer  le  motif  pour  lequel  le  divin  enseigne- 
ment  retentira   ddsormais  aux   oreilles  du 


peuple  sous  la  forme  obscure  des  paraboles. 

Notre-Seigneur  distingue  deux  categories 
d'hommes  relalivement  a  lui :  les  amis  tideles 
pour  lesquels  il  n'y  a  pas  de  secret,  puis 
«  les  auLres  »,  les  ennemis  ou  les  indifferenls. 
A  ceux-ci,  ajoule-t-il,  jc  parlerai  in  parabo- 
lis, et  ce  sera  un  chalim  Mit  :  ut  videntes,  non 
videant. ..Yoycz  dans  S.  Matlhieu,  xui,  11-17, 
la  pensee  complete  du  Sauveur.  S.  Luc  la 
donne,  comme  S.  Marc,  en  lermes  tres  con- 
denses. 

11-15.  —  Est  autem  hcec  parabola.  Voyez 
nos  commentaires  sur  S.  Matthieu,  p.  266 
el  ss.,  et  sur  S  Marc,  p.  67  et  ss.  Nous  n'a- 
vons  a  relever  qu'un  petit  nombre  de  par- 
liculariles  nouvelles.  1o  Les  expressions  qui 
autem  secus  viam  hi  sunt,  1[.  12,  nam  fpour 
«  autem  »,  8i)  qui  supra  petravi,  t.  13, 
par  lesqueiles  Jesus  idenlifie  la  semence 
avec  le  terrain  qui  la  regoit,  sont  au  premier 
regard  etranges  el  hardies;  mais  elles  sont 
tres  exactes,  surtout  au  moral,  la  parole 
divine  et  le  coeur  qui  doit  la  faire  fructifier 
ne  faisanl  qu'un.  2°  Les  noms  divers  donnes 
au  demon  par  nos  trois  evangelistes,  diabolus 
(S.  Luc),  «  malus  »  (6  irovripo;,  S.  Mallh.), 
«  Salanas  »  (S.Marc),  sont  une  variante  int^ 
res-ante  a  noter.  3°  Ne  credentes  salvi  fiant  d^ 
t.  \2,  voluptatibus, euntes dn  t.  14(leparticipb 


47« 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


epines,  ce  sont  ceux  qui  ont  ecoute 
la  parole  de  Dieu  et  qui  s'eu  vont  el 
sont  SLiffoques  par  les  soUiciludes, 
les  richesses  et  les  soucis  de  la  vie 
et  ne  portent  point  de  fruits. 

15.  Mais  ce  qui  tombe  dans  une 
bonne  terre,  ce  sont  ceux  qui.  en 
ecoutant  la  parole,  la  conservent 
dans  un  coeur  bon  et  excellent  et 
portent  du  fruit  par  la  patience. 

16.  Personne,allumantunelampe, 
ne  la  couvre  d'un  vase  ou  ne  la  met 
sous  un  lit,  mais  il  la  place  sur  un 
candelabre  afin  que  ceux  qui  en- 
Irent  voieut  la  lumiere. 

17.  Gar  il  n'y  a  rien  de  cache  qui 


hi  sunt  qui  audierunt,  et  a  sollici- 
tudinibus,  et  divitiis,  et  voluptati- 
bus  vitse  euntes  suffocantur,  et  non 
referunt  fvuctum. 

15.  Quod  autem  in  bonam  tcrram, 

hi  sunt  qui  in  corde  bono  et  optimo 
audientes  verbum  retinent,  et  fru- 
ctum  afferunt  in  patientia. 

16.  Nemo  autem  lucernam  accen- 
dens,  operit  eam  vase,  aut  subtus 
lectum  ponit;  sed  supra  candela- 
brum ponit,  ut  intrantes  videant 
lumen. 

Manh.5,  15;  Afarc.  4.  21. 

17.  Non  est  enim  occultum,  quod 


o  puntes))  retombe  probablement  sur  suffocan- 
tur el  semble  correspond  re  au  "iSn  liebreu  , 
signifianla  pen  a  peu»;oubien,  pri«aparl,il 
decrild'une  manierepilloresquele  va  il  vi  nl 
dela  vie  active),  in  corde  bono  et  oplimo{y<.cii% 
xai  ayaOxi,  redondance  aimee  des  classiques; 
la  locution  entiere  depend  de  retinent,  «  au- 
dientes verbum  »  formant  une  sorte  de  pa- 
renlheje),  et  in  palientia  (avec  Constance,  per- 
severanc''1  du  1. 15,  sont  des  traits  speciaux  a 
S.  Luc.  Sa  redaction  conlient  en  outre  plu- 
sieurs  locutions  originales  :  par  exemple, 
t-  13,  ad  teinpits  credant  au  lieu  de  «  tempo- 
rales  sunt  »,  in  tempore  tentntionis  au  lieu  de 
«  facia  tiibulalione  et  p^rseculion::'  pro[)ter 
verbum  »,  recedunt  au  lieu  de  «  scandalizan- 
tur  »;  t-  \i.  ou  xeXeaqjopoOffi  du  texle  grec 
[non  referunt  fruclum),  dont  la  traduction 
liiterale  serail  :  a  non  ad  maluritalem  per- 
ducunl  »,  trail  d'une  parfaite  exaclitu  ie,  car 
I'epi  a  bien  pu  se  former  meine  parmi  les 
epines,  raais  il  lui  a  ete  impo.-sible  de  murir ; 
t.  15,  verbum  relinent,  ce  qiii  esl  plas  fort 
que  0  verbimi  su-cipiunt  »  de  S.  Marc.  Sans 
etre  importanls  en  eux-memes,  ces  details 
montr.Mil  Tindep'^ndance  desecrivains  sacres; 
ilsservent  du  resle  a  eiablir  la  vraie  doctrine 
relativemenl  a  la  composition  des  SS.  Evan- 
giles.  Voyez  I'lni reduction  genera'e.  — 
S.  Augustin.  Serm.  Lxxiii.  3,  tire  en  ires 
beaux  lermes  la  conclusion  morale  de  la  pa- 
rabole  du  srmeur.  «  Mulamini  quum  polestis; 
dura  arairo  versate,  de  agro  lapides  projicile, 
de  agro  spinas  evellile.  Nolile  habere  durum 
cor,  uniecilo  verbum  Dei  pereat.  Nolile  ha- 
bere lenuera  terram,  ubi  radix  cai  ilatis  alta 
non  sedeat.  Nolile  curis  el  cujiidilatibus  sae- 
cularibus  offocare  bonum  semen...  Sed  estote 
terra  bona  ». 


2°  Necessity  dMcouter  attentivcment  la  ''(vine  parole. 
Yiu,  16-18.  -  Parall.  Marc,  v  21-25. 

L'enchainement  soil  genera'  soil  particu- 
lier  des  formules  proverbiales  contenues  dans 
ces  trois  versets  parail  tout  d'abord  assez 
obscur;  il  exisle  neanmoins,  ainsi  que  nous 
avons  essaye  de  lo  prouver  en  exp!i>]uanl  le 
passage  parallele  de  S.  Marc.  L'idee  domi- 
nante  qu'ils  developpent  a  eie  exprimee  plus 
haul,  tt.  8  et  10.  II  faul  que  les  dseiples  de 
Jesus  ecoulenl  avec  attention  sa  parole,  vu 
qu'ils  seront  charges  de  la  manifester  au 
monde. 

16.  Nemo  lucernam  accendens...  Le  mot 
«  lucerna  »(Xux^o;)designeces  pelites  lampesk 
()0ignee,  faites  d'argile  ou  d'airain,  qui  ontet^ 
de  loul  li'inps  usiteesdans  lescontrees  orien- 
taU'S.  Quand  on  veut  se  passer  momenlane- 
menl  de  leur  lumiere,  on  p?ut  aisement  les 
placer  sous  un  vase  de  quelque  dimension,  ou 
sous  les  divans,  hauls  d'un  ou  do  deux  pieds, 
qui  servenl  pour  les  repas.  Le  recueil  de 
Wetstein  cite  plusieurs  passages  des  clas- 
siques qui  font  allusion  a  celle  coutume  : 
c  NDvacuIam  sub  pulvinar  abscondit,  lucer- 
namque  modio  coniegil  »,  Fulgentius,  Myth, 
in,  c.  6.  «  Si  qua  re  tecla  fuerit  lucerna  », 
Servius  in  JEn.  vi.  724;  etc.  Au  lieu  de  vase, 
S.  Marc  a  o  modio  »,  comme  Fulgi^nce.  — 
Ul  intrantiis  videant  lumen  esl  une  pariicula- 
rite  de  noire  evangelisle.  La  redaction  de  ce 
vers^H  a  d'ailleurs  le  merite  d'etre  la  plus 
vivante. 

17.  —  Non  enim  occultum...  C'est  la  radrae 
pensee,  avec  les  images  en  moins.  et  une  pe- 
tite explication  en  plus,  ainsi  qu'il  ressort  de 
la  particule  «  enim  ».  Les  disciples  de  Jesus 
devront  placer  sur  le  candelabre  la  lumiere 
des  verites  evangeliques,  car  elle  est  faite 


CHAPITRE    VIII 


173 


non  manifestetur  :  nee  abscondi- 
tum,  quod  non  cognoscalur,  et  in 
palam  veniat. 

Match   10,  26;  Marc.  2,22, 

1 8.  Videte  ergo  quomodo  audiatis.  * 
Qui   enim  habet,  dabilur  illi  :  et 
quicumque  non  habet,  eliam  quod 
putat  se  habere,  auferetur  ab  illo. 

Malili.  13,  12  et  25,  29. 

19.  Venerunt  autem  ad  ilium  ma- 
ter, et  fratres  ejus,  et  non  poterant 
adire  eum  prse  lurba. 

Maith.  12,  46;  Marc.  3,  32. 

20.  Et  nuntiatum  est  illi :  Mater 
tua,  et  fratres  tui  slant  foris,  volen- 
tes  te  vide  re. 

21.  Qui  respondens,  dixit  ad  eos : 
Maler  mea,  et  fratres  mei  hi  sunt, 


ne  soit  manifesto,  et  rien  de  secret 
qui  ne  soit  connu  et  ne  vienne  au 
grand  jour. 

18.  Prenez  done  garde  k  la  ma- 
niere  dont  vous  eeoutez  :  car  celui 
qui  a,  on  lui  donnera;  et  celui  qui 
n'a  pas,  ce  qu'il  croit  avoir  lui  sera 
meme  6te. 

19.  Or  sa  mere  et  ses  freres  vin- 
rent  vers  lui,  et  ils  ne  pouvaient 
I'aborder  a  cause  de  la  foule. 

20.  Et  on  I'avertit :  Votre  mere  et 
vos  freres  sont  la  dehors  et  veulent 
vous  voir. 

21 .  Jesus  leur  repondit  :  Ma  mere 
et  mes  freres  sont  ceux  qui  ecou- 


pour  eclairer  le  inonde.  AcluelleinenL,  il  esl 
vrai,  I'Evangile  esl  un  secret  que  beaucoup 
ignorenl  (oixitUum,  abscond! turn) ;  mais  ce 
secret  est  fait  pour  ^tre  revele,  connu  de 
tous,  mis  au  grand  jour,  seion  que  le  dit 
Notre-Seigneur  dans  une  belle  gradation. 

18.  —  La  conclusion  de  tout  cela  {ergo) 
c'est,  pour  les  fulurs  nii?sionnaires  du  Christ, 
Videte  quomodo  audintis;  XP^  Y«P»  dit  fort 
bien  Eulhymi'.is  oxpliquatil  ce  «  quomodo  » 
(S.  Marc  a  «  quid  »,  expression  moins  heu- 
reuse),  (yrcouSaJw;  y.al  eTtijAeXw;...  axpoacfOai. 
Savoir  bL  n  ecouter  la  parole  de  Dieu,  quel 
precipux  el  rare  tah-nil  —  Qui  enim  habet... 
Jesus  mutive  d'une  maniere  pressante  la  re- 
commandalion  qui  precede.  Hcoutcz  comme 
il  faut,  car,  en  ecoulant,  vous  grossirez  le 
trcsor  de  vos  connaissances  spiriluelles,  et, 
plus  vous  serez  riches,  plus  Dieu  vous  don- 
nera, tandis  que,  dans  le  cas  conlraire,  il 
vousenleverait  le  ppu  que  vous  croirioz  avoir. 
—  Quod  putat  se  habere  (dans  S.  Marc  et 
Luc.  XIX,  26,  nous  lisons  «  quod  habet  «). 
Ges  mols  sont  d'une  profonde  verite  psycho- 
logique.  puisque  en  realile  le  minisire  infi- 
d61e  dont  il  s'agit  ne  possede-  absolument 
rien  [quicumque  non  habet)  :  sa  prelendue 
richesse  morale  n'l  st  qu'une  affaire  d'imagi- 
nation,  les  jugemenls  divins  le  lui  mon- 
treronl  bion. —  On  a  jusleuif>nl afBrme  de  ccs 

fiaroles  qu'ellessonl  la  formule  d'une  des  lois 
es  plus  profondes  du  monde  moral. 

3»  La  vraie  famille  de  Jdsus.  vm,  19-21.  —  Parall. 
Malth.  XII.  46-50;  Marc,  in,  31-35. 

Voyez  I'explicalion  des  passages  paralleles, 
qui  sont  notablemenl  plus  complets. 


19.  —  Venerunt  autem...  S.  Luc  parait 
supposer  qu(>  cet  incident  ne  vinl  qu'k  la 
suite  des  paraboles  du'  royaume  des  cieux , 
les  deux  aulres  synopliques  le  placi  nt  aupa- 
ravanl,  el  d'assez  noinbreux  exegeles  prefe- 
renl  leur  chronologie.  —  Mater  et  fratres 
ejus.  «  Fratres  autem  Domini  qui  secundum 
carnem  dicuntur,  non  filii  bealae  Marise  ge- 
nilricis  Dei,  secundum  Helvidium,  noc  filii 
Joseph  de  alia  uxore,  secundum  quosdara, 
pulandi  ;^unt,  sed  eorum  polius  inlplligendi 
sunt  esse  cognali.  »  V.  Bede.  Comp.  I'Evang. 
selon  S.  Mallh.  pp.  283  et  ss.  —  Non  pote- 
rant adire  eum.  Le  mot  grec  oyvtuxEtv  est 
plus  exprrssif;  lilleralement,  se  irouveravec 
iui.  Un  detail  plltoresque  de  S.  Maic,  iii,  20, 
montre  jusqu'a  quel  point  Jesus  elail  alors 
entoure  par  la  foule. 

20.  —  Apres  nuntiatum  est  ilU,  on  lit  dans 

10  Text,  recept.  >.ey&vtuv,  genitif  absolu  qui 
equivaudrail  au  latin  «  a  dicentibu>  ».  Mais 
CO   mot,   qu'omeltcnt   les   meilleurs  lemoins 
(B,  D,  L,  A,  Z,  Sinail.,   le  syr.,  i'ltala,  etc.) 
est  vraisomblabli  ment  un  glosseuie. 

21.  —  Qui  respondens  ait.  Les  deux  aulres 
evangelistes  out  ici  des  traits  griiphiqui  s  et 
vivanls.  «  Et  exlendens  manum  in  discipulos 
suos  (S.  Mallh.),  et  circumspiciens  eos  qui  in 
circuilu  ejus  sedebant  (S.  Marc).  »  En  re- 
vanche S.  Luc  presente  la  reponse  de  Jesus 
sous  un  aspect  nouv( au.  D'apres  sa  redac- 
tion, la  mere  et  les  freres  mystiques  du  Sau- 
veur  sont  ceux  (pii  verbum  Dei  audiunt  et 
faciunt  (S.  Matlh.  et  S.  Marc  :  «  «  Quiconque 
fera  la  volonle  de  mon  Pere  »,  ou  «  do  Dieu  »). 

11  y  a  dans  ces  paroles  une  allu-ion  evidento 
a  la  parabole  du  semeuri  raconlee  par  S.  Luc 


474 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


tent  la  parole  de  Dieu  et  la  prati- 
quent. 

22.  Or  il  advint  qu'un  de  ces 
jours  il  monta  dans  une  barque  avec 
ses  disciples,  et  il  leur  dit :  Passons 
de  I'autre  c6te  du  lac.  Et  ils  par- 
tirent. 

23.  Pendant  qu'ils  naviguaient  il 
s'endormit,etun  vent  d'oragefondit 
sur  le  lac  et  la  barque  s'emplissait 
et  ils  etaient  en  peril. 

24.  S'approchant  done,  ils  le  re- 
veillerent.  disant :  Mailre,  nous  pe- 
rissons.  Alors  se  levant  il  raenaca 
le  vent  et  les  flots,  et  ils  s'apaiserent 
et  il  se  (it  nn  arand  caln\e. 


qui  verbum  Dei  audiunt,  et  faciunt. 

22.  Factum  est  autem  in  una  die- 
rum,  et  ipse  ascendit  in  naviculam, 
et  discipuli  ejus,  et  ait  ad  illos  : 
Transfretemus  trans  stagnum.  Et 
ascenderunt. 

Match.  8,  23;  Marc.  4,  36. 

23.  Et  navigantibus  illis,  obdor- 
mivit,  et  descendit  procella  venti  in 
stagnum,  et  complebantur,  et  peri- 
clitabantur. 

24.  Accedentes  autem  suscitave- 
runt  eum,  dicentes  :  Prseceptor,  pe- 
rimus.  At  ille  surgens,  increpavit 
ventum  et  tempestatem  aquae,  et 
cessavit :  et  facta  est  tranquillitas. 


immedialemont  avanl  eel  episode.  Gombien 
nous  devons  nous  eslimer  heiireux  de  pou- 
voir  ainsi  devenir  lesfreres  de'JesusI 

4«  La  tempftte  miraculeusement  apais6e.  vin,  22-25. 
Parall.  Matth.  viu,  23-27 ;  Marc,  iv,  35-40. 

Les  synoptiques  s'accordenl  pour  raconler 
h  la  suile  I'un  de  Taulre  Irois  miracles  de 
puissance  operes  a  celle  epoque  par  Notre- 
Seigneur  Je.-us-Christ.  Le  premier  prodige 
doinpla  les  forces  de  la  nature ;  le  second 
(viii,  26-39)  consisla  en  une  grande  victoire 
reiTiporlee  sur  les  puissances  infernales ;  le 
troisieme  (vm,  40-56;  ravit  a  la  mort  une  de 
ses  viciimes. 

22.  —  La  dale  donnee  par  S.  Luc,  in  una 
dierum  (Cfr.  I'hebreu  DiD'nnriNn),  est  bien 
vague.  S.  Marc  la  precise  on  disani  que  I'a- 
paisemenl  miraculeux  do  la  lempele  cut  lieu 
le  soir  du  jour  oil  avaient  eie  prononcees  les 
paraboles  du  royaume  dcs  cicux.  —  Et  asccn- 
derunt;  dans  le  grec,  avi^y_0y)aav .  «  'Avdyotiai, 
omi?sa  voce  vaOv,  est  verbum  naulicura,  pro- 
veho,  solvo  navem,  in  altuin  maiis  duco.  » 
Rosenmiiller,  Scholia,  h.  I.  Uii  pen  plus  bas, 
xaTeSr),  (juvcT:Xr)po\JvTo,  exivSOveyov,  sont  CiiCOi'C 
des  expressions  techniques  du  meme  gsiire. 
Cfr.  Schegg,  das  Evangel,  nach  Lukas,  t.  L 
p.  o47.  Du  resle,  au  chap,  xxvii  des  Acies, 
S.  Luc  nous  apparait  comme  un  ecrivain  tres 
verse  dans  le  langage  nautique. 

23.  —  Obdorinivit.  Le  verbe  grec  corres- 
pondant,  aqp-jTrvtotre,  ne  se  trouve  pas  aillenrs 
aans  le  Nouveau  Testament.  II  est  d'une 
grande  energie  et  signifie  :  s'endormir  de 
fatigue.  —  Prorella  oenti.  Sur  le  mot  grec 
).aiXa<V,  voypz  I'Evang.  selon  S.  Marc,  p.  75. 
Sa  racine  est  XaS,  saisir,  ce  qui  exprime  trds 
bien  I'eflfet  produit  par  un  lourbillon  de  vent. 


D'anciens  voyageurs,  qui  avaient  deja  remar- 
que  la  frequence  des  ouragans  de  ce  genre 
dans  le  bassin  du  lac  de  Gennesareth.  dedui- 
sent  naivement  son  nom  des  mots  ycwSv  «t 
a7)p.  Cfr.  Jac.  de  Vilriaco.  in  Gesta  Dei  I, 
c.  o3,  p.  1075.  —  Descendit  :  du  ciel,  ou 
mieux  encore,  des  monlagnes  environnantes. 
Poiybe,  30.  14,  6,  dit  avec  une  exactitude 
semblable  :  XaCXaTto;  xtvo;  ^xireTiTwxufa;  etc 
aOxoO;.  —  Complebantur  et  periditabantur. 
Deux  imparfaits,  pour  mieux  faire  ressortir 
la  gravite  de  la  situation.  Peu  a  peu  la  barque 
s'emplissait  d'eau,  et  bienlot  on  courut  un 
danger  reel  de  couler  a  fond.  Remarquez  la 
maniere  toute  nautique  donl  la  narration 
applique  aux  passagers  ce  qui  arrivail  au 
bateau. 

24.  —  PrcEceptor,  perimus.  Dans  1.^  giec, 
la  repetition  du  mot  EitioTdra  (trail  special  a 
S.  Luc)  dep'int  bien  I'angoisse  des  di-ciples. 
A  propos  (les  paroles  legerement  dilTerentes 
que  les  Irois  evangelisles  piacenl  ici  sur  les 
levres  de  Nolre-Seigneur,  S.  Augusiin  fait 
cetti<  reflexion  judiciouse  :  «  Per  hiijusmodi 
evangelistarum  loculiones  varias,  sed  non 
contiariys,  rem  plane  ulilissimam  discimus 
et  peinecessariam  :  nihil  in  cujusque  verbis 
nos  debere  inspicere,  nisi  volunlalem  cui  de- 
bent  verba  servire  :  nee  mentiri  quemquam, 
si  aliis  verbis  dixerit  quid  ille  voluerit  cujus 
verba  non  dicil;  ne  miseri  aucupes  verbomm, 
apicibus  quodammodo  lilterarum  pulent  li- 
gandam  esse  veritatera,  quum  utique  non  in 
verbis  tantum,  sed  etiam  in  ceteris  omnibus 
signis  animorum ,  non  sit  nisi  ipse  animus 
inquirendus.  »  De  cons.  Evangel,  ii,  28.  — 
Surgens.  Les  Irois  synoptiques  mentionnont 
de  concert  cette  pose  majestueuse  du  divin 
Maitre ;  lous  aussi  ils  distinguenl  deux  com- 


25.  Dixit  autem  illis  :  Ubi  est 
fides  vestra?  Qui  limentes,  mirati 
sunt  ad  invicem,  dicentes  :  Quis  pu- 
tas  hie  est,  quia  et  ventis  el  raari 
imperat,  et  obediunt  ei? 

26.  Et  navigaverunt  ad  regionem 
Oerasenorum,  quae  est  contra  Gali- 
laeam. 

27.  Et  cum  egressus  asset  ad  ter- 
rain, occurrit  iili  vir  quidam,  qui 
habebat  dsemonium  jam  temporibus 
multis,  et  vestimento  non  indueba- 
tur,  neque  in  domo  manebat,  sed  in 
monnmentis. 


CHAPITRE    VIII  <75 

2b.  Et  il  leur  dit :  Oii  est  votre 
foi?Pleins  de  crainte  ils  se  regar- 
derent  les  uns  les  autres,  disant : 
Qui  pensez-vous  que  soit  celui-ci  ? 
car  il  commande  aux  vents  et  a  la 
mer,  et  ils  lui  obeissent. 

26.  Et  ils  aborderent  au  pays  des 
Geraseniens,  qui  est  vis-a-vis  de  la 
Galilee. 

27.  lit  lorsqu'il  fut  descendu  a 
terre,  d  rencontra  un  homme  ui 
ivait  en  lui  depuis  longtemps  un 
demon;  il  ne  portait  aucun  vele- 
ment,  et  ne  demeurait  en  aucune 
mai-son  mais  dans  les  sepulcres. 


mandemenls  deJosus,  adressds  I'lin  au  vent, 
I'autie  aux  eaux  du  lac.  —  L'expression  tern- 
pestatem  oquw  (ttji  x)>u5iovt  toO  yofl^To;)  est 
propre  a  none  evangelisie. 

25.  —  Ubi  est  fides  vestra?  Les  Apotres 
■auraienl  dil  se  souvenir  qu'ils  elaienl  avec 
Jesus,  et  qu'iis  ne  couraient  aucun  risque 
aupres  de  lui.  —  Mtrali  sunt  ad  invicem. 
L'elonnemenl  des  specialeuis  est  exprime  a 
peu  pies  dans  les  mSmes  leimei  par  les 
divers  ecrivains  sacres.  L'idee  d'un  ordre 
energique  inlirae  aux  forces  de  la  nature 
limperat)  ne  se  Irouve  toutefois  que  dans  le 
troisieniL'  Evangile. 

5=>  Le  possddd  de  Gadara.  viii,  26-39.  —  Parall. 
Matth.  VIII,  28-34;  Marc.  T,  1-20. 

Tem|ieie  d'un  autre  genre,  nlus  terrible  en- 
core que  celle  du  lac,  suivie  d'un  inomphe 
non  moins  complet  de  Jesus.  La  narration  de 
S.  Luc  a  ici  de  nombreuses  analogies  avec 
celle  de  S.  Marc  (voyez  le  commentaire),  c'est- 
a-dire  qu'elle  est  tres  complete  et  tres  vi- 
vanle;  raais  elle  a  de  nombreuses  particula- 
rites  qui  la  distinguent. 

26.  —  Navigaverunt.  KaTSTrXeysav  du  grec 
estun  nouveau  lerme  nautique  ;  on  ne  le  ren- 
contre pas  ailleiirs  dans  les  recits  de  la  vie 
de  Jesus.  —  Ad  regionem  Gera&enorum.  Re- 
lativement  a  cetle  contree,  il  regne  dans  la 
troisieme  Evangile  les  memesdivergences  que 
dans  les  deux  autres  (voyez  I'Evang.  selon 
S.  Malthieu,  p.  4G7|.  II  est  probable  qu'il 
faut  lire  FaSaprivtSv.  Le  champ  des  mines  de 
Gadara  n'a  pas  moins  de  cinq  kilometres  de 
circonference :  mais  c'est  a  peine  si  Oum- 
Keis,  le  miserable  village  qui  remplace  au- 
jouid'hui  I'aurbs  insignis  »  de  la  Decapole, 
comme  I'appelle  S.  Jerome,  est  habile  par 
deux  cents  fellahs.  Le  lerritoire  de  la  ville 
antique  allait  sans  aucun  douie  jusqu'^  i'ex- 


tremile  S.  E.  du  lac.  —  La  polite  nolo  geo- 
grapliique  quce  est  contra  [a.vz-Kipa.\,  en  faceet 
de  I'autre  cote  du  lac)  Galiloeam,  est  speciale 
a  S.  Luc.  Elle  prouve  que  sa  narration  etail 
ecrite  pour  des  lecteurs  non-juifs. 

27.  —  Ocrurril  illi  vir  quidam.  Les  mot? 
Ix  Tfj;  TToXeo);,  c  de  civitate  »,  ajoutes  dans 
le  texte  grec,  ^loivent  se  rattacher_  h  avrjp 
TIC,  el  non  a  «  occurrit  »,  car  le  demonia- 
que  ne  venait  pas  alors  de  la  ville,  qu'il 
avail  cessede  frequenter,  mais  des  sepulcres 
qui  lui  servaient  de  residence.  Cfr.  Matth. 
VIII,  28  ; Marc,  v,  "i.  —  Qui  habebat  dwmonium; 
d'apres  lo  grec,  «  deemonia  »  au  pluriel,  ce 
qui  est  plus  conforme  a  la  suite  du  recit.  — 
A  temporibus  mullis,  ici  et  au  t.  29,  est  un 
trail  propre  a  S.  Luc,  destine  a  rehausser  la 
granrl(  ur  du  prodige.  —  Vestimento  non  in- 
daebatar  (autre  particularite  d:^  noire  evan- 
geliste)  doit  se  prendre  a  la  lellre.  Les  fous, 
laisses  a  eux-memes,  ont  I'elrange  manie  de 
se  depouiller  de  leurs  vStemenls  <voyez  Pri- 
chard,  On  Insanty,  p.  26);  or  la  possession 
est  la  phis  furieuse  et  la  plus  triste  de  loules 
les  folies.  De  ce  detail  et  du  suivani,  mane- 
bal...  in  monumentis,  il  est  interessant  de 
.rapprocher  un  incident  raconte  par  le  voya- 
geur  anglais  Warburton,  the  Crescent  and 
the  Cross.  I.  U,  p.  332.  «  En  descendant  des 
cimes  du  Liban,  je  me  Irouvai  dans  un  ciine- 
liere,  dont  les  turbans  sculples  (sur  les  tom- 
bes)  m'annoncerenl  que  j'elais  dans  le  voisi- 
nage  d'un  village^  musulman  Le  silence  de  la 
nuit  fut  tout  a  coup  inti-rrompu  paides  cris 
et  des  hurlements  farouches  que  poussait , 
ainsi  que  jele  reconnns  bientot,  un  fou  com- 
pletement  nu  qui  dispulail  un  os  a  quelques 
cliiens  saiivages.  I)e^  qu'il  ra'api-rgut,  s'elan- 
garit  par  bonds  rapides,  il  saisit  la  bride  de 
mon  cheval  et  le  for^a  presque  dc  nculer  par- 
dessus  le  rocher  ».  D'apres  la  croyance  juive, 


476 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


28.  Des  qu'il  vit  Jesus  il  se  pros- 
temadevant  lui,et  criant  d'une  voix 
forte,  il  dit  :  Qu'y  a-t-il  a  moi  et  a 
toi,  Jesus,  Fils  de  Dieu  Tres-Haut? 
Je  t'en  conjure,  ne  me  tourmente 
pas. 

29.  Gar  Jesus  commandait  a  I'es- 
prit  immonde  de  sortir  de  cet 
bomme.  II  s'etait  en  effet  saisi  de 
lui  depuis  longtemps,  et  quoiqu'on 
:e  gardat  lie  de  chaines  et  les  fers 
j.ux  pieds,  il  rompait  ses  liens,  et  il 
elai't  pousse  dans  le  desert  par  le 
demon. 

30.  Or,  Jesus  Tinterroi^ea,  disant: 
Quel  est  ton  nom?  Et  il  dit :  Legion, 
parce  que  beaucoup  de  demons 
etaient  entres  en  lui. 

31.  Et  ils  le  priaient  de  ne  pas 


28.  Is,  ut  vidit  Jesum,  procidit 
ante  ilium  :  et  exclamans  voce 
magna,  dixit  :  Quid  mihi  et  tibi  est, 
Jesu,  Fill  Dei  Altissimi?  obsecro  te, 
ne  me  lorqueas. 

29.  Prsecipiebat  enim  spiritui  im- 
mundo  ut  exiret  ab  homine.  Multis 
enim  temporibus  arripiebat  ilium, 
et  vinciebalur  catev.is,  et  compedi- 
bus  custoditus.  Et  ruplis  viuculis 
agebatura  dsemonio  in  deserta. 


30.  Interrogavit  autem  ilium  Je- 
sus, dicens :  Quod  tibi  nomen  est? 
At  ille  dixit :  Legio  :  quia  intrave- 
rant  dsemonia  multa  in  eum. 

31.  Et   roijabant    ilium   ne   im- 


les  lomb.aux  scrvaienl  de  residence  habi- 
luelle  aux  demons.  Cfr.  Nidda,  fol.  17;  Cha- 
gigah,  f.  3,  6.  «  Quand  un  homnie  passe  la 
nuit  dans  un  cimeliere,  un  espiil  maiivais 
desci  nd  sur  lui  ».  Vovcz  Gfrcerer,  Jahihund. 
des  Heils.  l.  1,  p.  408. 

28.  —  Is  ut  vidit.-.  Ge  versel  decrit  fort 
bien  deux  senliments  disiincLs  qui  agitaient 
le  demoniaque.  II  elail  lout  ensemble  allire 
el  etfraye  par  Jesus.  Allire,  car  il  accourt  et 
86  prosUrne  on  signe  de  veneralion  ;  effraye, 
comme  I'exprimenl  son  cri  de  delresse  (S.  Luc 
emploie  seul  le  verbe  compose  avaxpa^a;)  et 
sa  stipplicaticn.  Le  dualisme  qui  regnHil  en 
luieslaussi  tresnellemenl  marque.  L'homrae 
vienl  au-devanl  de  son  Liberaleur,  mais  les 
demons  sonl  en  proie  a  i'cffroi. 

29  —  Prcecipiebat  enim...  Cetle  reflexion 
de  I'evangelisle  (Xpliquo  pourquoi  le  demon 
priait  Jesus  avec  tant  d'insislance  de  ne  pas 
i'expuiser  du  corps  qu'il  posserlail.  Quoique 
le  Texliis  rec(  pi.  et  divers  manuscnls  em- 
ploicnt  I'aorisle  [nap-nfyiike,  dans  le  sens  du 
pUis-que-parfail),  la  leQon  le  plu^  autorisee  pa- 
rail  elre  •tzapriyytykz'j  a  I'lmparfaii.  Jesus  insis- 
laitdonc  lui  aussi  pour  contraindre  le  demon 
de  se  relirer.  —  Multis  enim  temporibus...  La 
description  precedenle  du  demoniaque,  t.  27, 
avail  rapport  a  son  elat  present, lei  qu'il  frappa 
les  regards  du  Sauveur  et  des  disciples  ;  cellc- 
ci  est  relative  au  passe,  el  decrit  I'histoire 
anterieure  du  mallieureux  possede.  —  Arri- 
piebat eum  :  trail  special.  Le  verbe  grec 
awv)pitdtx(i  est  d'une  grande  energie. — Compe- 
dibus  depend,  comme  catenis,  de  vinciebalur. 
Le  parlicipe  custoditus,  calqud  Irop  servile- 


menl  sur  le  grec,  serail  mieux  Iraduit  par 
I'imparfait,  «  cuslodirbalur  ».  —  Agebatur... 
in  deserla  est  encore  une  particulaiile  de 
S.  Luc.  Les  deserts  n"oni  jamais  manqu^ 
dans  l(  g  regions  siluees  a  I'E.  (.'t  au  S.  E.  du 
lac  de  Tibenade. 

30.  —  Quod  tibi  nomti?  Les  saints  Livres 
attribuent  en  divers  endrtits  des  noms  spe- 
ciaux  a  cerlams  demons;  par  exi-mple,  il  est 
question  d'.Vsmodee  au  livrc  de  Tobie.  iii,  8, 
de  Bee  zebub  dans  les  Evangilcs,  Malth. 
X,  25,  etc.,  de  Belial  dans  la  -econde  Epitre 
aux  Corinlliiens,  vi,  15.  L'-s  Rabbms  men- 
lionncnt  d'aulr.'S  denominations  des  esprits 
mauvais,  telles  que  Nacluisch,  Azaz:-!,  Sam- 
mael.  La  demande  de  Jesus  n'a  done  rien  de 
suriireiiant.  —  Ille  dixit  :  Legio.  L'anlique 
ville  de  Mageddo  porlail  alors  le  nom  de  «  Le- 
gio »,  a  cause  de  la  milice  romaine  qui  y  tenait 
garnison.  Le  demon  avail  peul-eire  I'espoir 
d'inlimider  Jesus  quand  il  s'arrogcaitce  tiire 
pretenlieux.  —  Damonia  multa.  Sylveira  si- 
gnal •  ici  une  opinion  bizarre.  «  Aliqai  asse- 
runt  fuisse  saltern  duo  millia  daemonum,  si- 
quidem  duo  millia  porcorum  dimis;'runt  in 
mare,  ita  ut  singuli  in  singulos  iniraverint 
porcos  ».  Mais  il  la  refute  en.->uite  a  bon  droit- 
a  Gonjectura  non  est  multura  elUcax;  nam 
ad  oinnes  deslruendos  in  mare  sutliciebat 
solus  spiritus.  Quod  ergo  cerium  habemus, 
nomine  legionis  mullos  daemonessignificari  ». 
II  est  inutile  d'en  vouloir  preciser  cxacle- 
ment  le  nombre. 

31.  —  Ef  rogabant  ilium...  A  la  fagon  de* 
hommos,  les  demons  ont  leurs  desirs  et  leurs 
crainles.  Geux  qui  etaient  alors  en  presence 


CHAPITRE    VIII 


Ml 


peraret  illis  ut  in  abyssum  ireut. 

32.  Erat  autem  ibi  grex  porcorum 
multorum  pascentium  in  monle  :  et 
rogabant  euro,  ut  permitteret  eis  in 
illos  ingredi.  Et  permisit  illis. 

33.  Exierunt  ergo  daemonia  ab 
homine,  et  intraverunt  in  porcos  : 
etimpetu  abiit  grex  perprseceps  in 
stagnum,  et  suffocatus  est. 

34.  Quod  ut  viderunt  factum  qui 
pascebant,  fugerunt,  et  nuntiave- 
runt  in  civitatem,  et  in  villas. 

35.  Exierunt  autem  videre  quod 
factum  est,  et  venerunt  ad  Jesum  : 
€l  invenerunt  hominem  sedentem, 
a  quo  dsemonia  exierant,  vestitum, 
ac  Sana  mente,  ad  pedes  ejus,  et  ti- 
muerunt. 


leur  commander  d'aller  dans   I'a- 
bime. 

32.  Et  il  y  avait  la  un  nombreux 
troupeau  de  pores  qui  paissaient 
sur  la  montagne,  et  ils  le  prierent 
de  leur  permettre  d'entrer  dans  ces 
pores,  et  il  le  leur  permit. 

33.  Les  demons  sorlirent  done  de 
rhomme  et  entrerent  dans  les  pores, 
et  le  troupeau  impetueusement  alia 
se  precipiter  dans  le  lac  et  fut  suf- 
foque. 

34.  Lorsqu'ils  virent  ce  fait,ceux 
qui  les  faisaient  paitre  s'enfuirent 
et  I'annoncerent  dans  la  ville  et 
dans  les  villages. 

35.  Et  on  sortit  pour  voir  ce  qui 
etait  arrive  et  Ton  vint  a  Jesus.  lis 
trouverent  assis  a  ses  pieds  et  sain 
d'esprit  Thomme  dont  les  demons 
elaient  sortis,  et  ils  furent  remplis 
de  crainte. 


de  Jesus  comprennenl  qu'ils  vonl  4lre  obliges 
d'abandonner  leur  proie;ils  vouriraienl  du 
jnoins  resler  dans  le  dislricl  de  Gadara,  el 
ils  conjurenl  Nolre-Seigneur  en  termes  pres- 
sants  de  le  leur  permellre  (notez  rimparfail; 
S.  Marc  dit  plus  fDittMnenl  encore  :  «  Depre- 
cabalur  eum  muluim  »).  —  Ne  imperavet... 
ut  in  abyssum...  (iSuooo;,  de  a  privatif  et 
p'jffooi;,  pour  PyOv;,  fond).  Lpup  prier'S  sous 
cello  foim^  esl  !;peciaie  a  S.Luc.  Par  I'abime, 
il  ne  faul  pas  miendre  les  eaux  profondes  du 
lac,  ain>i  que  Font  voulii  quelques  commen- 
taleurs,  mais  lo  monde  inferieiir  oil  vivenl 
d'ordinair*'  les  demons,  c'esl-a-dire  I'enfer. 
Cfr.  Apoc.  IX.  1  ,  XX,  3.  Pour  les  mauvais 
esprils.  quitter  les  contrees  oil  Dimi  li>ur  a 
permis  d'habiter  el  d'asjir  equivaul  a  rentrer 
dans  renfcr.  Voila  pourquoi  nous  disions  en 
ixpliquanl  h  pa>-age  paiallele.  mais  un  pen 
<iiffer>-nt.  de  S.  Marc  (v,  10),  que  les  deux 
K'daclions 'xprimcnl  en  realiie  une  seule  el 
Illume  pen<e  ■. 

32.  —  Erat  ioi  grex  porcorum...  Voyez 
noire  commentaire  sur  S.  iMallhieu,  p.  169. 
L  s  demons  onl  adr>'sse  deja  d^ux  pi:eres  a 
Jesus,  lis  lui  onl  demando,  t.  28,  mais  en 
vain,  de  conserver  leur  residence  acluelle,  le 
corps  du  possede.  Ils  vienni-nl  de  fui  demander 
encore, -^f.  31,  d  •  pouvoir  au  raoins  resler  dans 
le  pays.  Voici  qu'iU  confirm  'nt  el  develop- 
penl  mainlenanl  celle  seconde  supplique,  en 
exprimanl  le  de^ir  d'entrer  dans  les  pour- 

S     RiCLE.  S. 


ceaux.  II  osi  bien  evident  qu'ils  ne  s'atlen- 
daient  pas  au  resultal  qui  va  suivre. 

33.  —  Intraverunt  in  porcos,  et  impetu 
abiit  (wp[j.r,(7ev  ...  Description  vivante  de  ce 
fait  remarq liable.  'ATceirvfYTi  (suffocatus  est) 
est  un  mot  bien  clioisi,  car  il  s'pmploie  fre- 
querament  pour  marquL-r  la  suffocation  dans 
I'eau  (S.  Marc  a  I'expression  equivalente 
eirvCyovTo;  S.  Malthieu  dit  simplem*^nt  iireOa- 
vov).  «  On  a  demande  si  Jesus  avail  le  droit 
de  disposer  a  nsi  d'une  propriete  etrangere. 
C'esl  commesi  Ton  demandaii  si  Pierre  avail 
le  droit  de  disposer  de  la  vie  d'Ananias  et  de 
Sapliira.  II  est  des  cas  oil  le  pouvoir,  par  sa 
nature  mame,  garanlit  le  droit.  »  (Godet;. 

34.  —  Nous  pas>ons  aux  effets  immediats 
du  prodige  sur  les  porchers.  sur  les  habitants 
de  la  conlree  et  sur  le  demoniaque.  Les 
pcilres  allerent  en  couranl  porter  la  nouvelle 
in  civitalem,  c'est-adire  a  Gadara,  et  in 
villas,  el;  xou;  dypou?,  dans  les  meiairies  ou 
hameaux  isoles  qui  etaient  sur  leur  pas- 
sage. 

35.  —  Exierunt  (scil.  «  de  civitale  et  de 
villis  »).  Un  grand  concours  se  fit  aussilot 
vers  le  theatre  du  miracle.  — L'effel  produit 
sur  le  pjssede  est  decrit  par  S.  Luc  a  ptiu 
pres  dans  les  mem  'S  term 'S  que  par  S.  Marc  : 
le  troisieme  evangelisle  ajouie  seulemenl  les 
mots  pilloresques  ad  pedes  ejus,  (|ui  nous 
naonlrent  assis  aux  pieds  du  Sauveur,  comme 
un  disciple  docile  aux  pieds  de  son  mailre, 
Luc.  —  12 


478 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


36.  Et  ceux  qui  I'avaient  \u  leur 
raconterent  comment  il  avait  ete 
deiivre  d'une  legion. 

37.  Et  toute  "une  multitude  du 
pays  des  Geraseniens  le  pria  de  s'e- 
loigner  d'eux,  parce  qu'ils  etaient 
saisis  d'une  grand e  frayeur.  Et  lui, 
montant  dans  la  barque,-  s'en  re- 
tourna. 

38.  Etrhomme  de  qui  les  demons 
etaient  sortis  lui  demanda  instam- 
ment  de  rester  avec  lui.  Mais  Jesus 
le  renvoya,  disant : 

39.  Reioume  en  ta  maison,  et  ra- 
conte  quelles  grandes  choses  Dieu 
t'a  faites.  El  il  s'en  alia  par  toute  la 
ville,  publiant  les  grandes  choses 
que  Jesus  lui  avait  faites. 

40.  Et  il  advint  que  lorsque  Jesus 
fut  revenu,  la  foule  le  recut,  car 
tous  I'attendaieut. 

41.  Et  voila  qu'il  vint  un  homme 


36.  Nuntiaverunt  autem  illis  et: 
qui  viderant,  quomodo  sanus  factus 
esset  a  legione  : 

37.  Et  rogaverunt   ilium  omnis 
multitudo  regionis  Gerasenorum  ut 
discederet  ab  ipsis  :  quia  magno  ti- 
more  tenebantur.  Ipse  autem  ascen-- 
dens  navim,  reversus  est. 

38.  Et  rogabat  ilium  vir,  a  quo 
dsemonia  exierant,  ut  cum  eo  esset. 
Dimisit  autem  eum  Jesus,  dicens  : 

39.Redi  in  domum  tuam,  et  narra 
quanta  tibi  fecit  Deus.  Et  abiit  per 
universam  civitatem ,  prsedicans 
quanta  illi  fecisset  Jesus. 

40.  Factum  est  autem,  cum  re- 
disset  Jesus,  excepit  ilium  turba  : 
erant  enim  omnes  expectantes  eum, 

41.  Et  ecce  venit  vir,  cui  nomen 


celui  qui,  plus  haul,  nous  avail eie  represenle 
dans  les  plus  afFceux  paroxysmes. 

36.  —  Nuiitiaveruiit  (luleyn... Les  porchers 
n'avaienld'abord  repanduqu'en  gros  le  bruit 
de  ce  qui  seiail  passe  :  les  Gadareniens  re- 
goivent  maintenant  des  details  complets  sur 
le  miracle.  —  Quomodo  sanus  factus  esset  a 
U'QVjne.  L"  giecdit.  avpc  une  iegere  varianle  : 
itw;  EC7a)9ri  6  oat[jLovic9£ii;,  comment  le  demo- 
niaque  avail  ele  sauve. 

37.  —  Rogaverunt  illuin...  TrxsiB  demande, 
qui  leveie  i'espiii  mercantile  et  vulgaire  de 
celle  populalion.  II  e^l  vrai  qu'eile  elail  a 
demi  palenne,  comme  nous  i'apprend  I'hislo- 
rien  Josephe.  Meleagre  et  Philodemus,  deux 
poetes  de  rAnlhologie  grecque,  naquirent  a 
Gadara  vers  Fan  oO.  —  La  repelilion  em- 
phatique  magno  thnore  tenebantur  est  une 
particularile  de  S.  Luc. 

3s  el  39.  —  Et  rogabat  ilium.  Ce  beau  re- 
cit  e?t  rempli  de  prieres  adressees  au  Sau- 
venr.  Cfr  les  tt.  28,  31,  32,  37.  Mais  ici 
"^  seulement  nous  avons  une  priere  digne  de  ce 
nom.  Toutefois  elle  ne  fut  pas  exaucee,  tan- 
dis  que  deux  des  precedtntes  [tH-  32  et  37) 
I'avaient  ele.  En  efifet,  dimisit  eum  Jesus 
(dans  le  grec,  aTreXuo-e,  il  le  delia,  il  le  laissa 
libre),  ou,  comme  dil  S.  Marc,  o  non  admisil 
eum.  »  El  pourtant  ce  nouvel  ami  de  Jesus 
deyinl  plus  qu'un  disciple,  puisqu'il  fut  aus- 
silot  invesli  du  role  d'apolre  et  d'evangelisle, 
narra  quanta...  ;  role  dont  il  s'acquilta  avec 
lepius  gtand  zele,a6t»t...  pradicans.  Nolens 


ici,  comme  dans  le  second  Evangile,  une 
nuance  inleressante  dans  les  formules.  Jesus 
dit  au  possede  qu'il  venait  de  guerir:  «  Narra 
quanta  tibi  fecit  Deus  »;  le  possede  s'en  va 
prechanl  quanta  illi  (pour  o  sibi  »)  fecisset 
Jesus. 

6"  L'h^morrhoisse  et  la  fille  de  Jaire.   vin,  40-56. 
Parall.  Matth.  ix,  18-26;  Marc,  v,  21-43. 

Le*recit  de  S.  Luc  lient  le  milieu  entre 
celui  de  S.  Malthieu  el  celui  de  S.  Marc  :  il 
se  rapproche  neanmoins  davanlage  de  ce 
dernier,  qui  est  le  plus  complel  des  irois. 

40.  —  Cum  rediisset.  Des  environs  de 
Gadara,  Jesus  revint  a  Capharnaiim.  d'oii  il 
elait  parLi  le  soir  precedent.  —  Exrepil  ilium 
turba.  Le  verbe  antdilano,  'un  des  mols  ca- 
racierisliques  de  S.  Luc)de>igne  un  accueil 
aimable,  empresse.  Le  conlexle,  erant  enim 
omnes  exspectantes  eum  (trail  propre  au  iroi- 
sieme  Evangile).  fortifie  encore  celle  idee. 
Le  peuple  que  Nolre-Seigneur  avait  charmd 
la  veille  par  ses  divines  paraboies,  et  qui 
I'avait  vu  partir  avec  peine.  Taundait  done 
impaiiemmenl  sur  la  plage.  Peul-etre  re- 
gnail-il  une  cerlaine  inquietude  au  sujet  du 
bon  Mailre,  car  on  savail  qu'il  avait  couru 
de  grands  dangers  sur  le  lac.  Q.iel  coniraste 
avec  la  conduiie  egolste  des  Gadareniens! 

41 .  —  Apres  cetle  mise  en  scene,  I'evan 
geliste  aborde  la   narration  du   double  pro- 
dige   opere  par   Jesus    aussitot    apres   son 
debarquement.  —  Jairus,...  princeps   syna- 


CHAPITRE    VIII 


479 


Jairus,  et  ipse  princeps  synagogsB 
erat  :  et  cecidil  ad  pedes  Jesu,  ro- 
gans  eum  ut  intraret  in  domum 
ejus; 

Maith.  9,  18;  Marc.  5,  22. 

42.  Quia  unica  filia  erat  ei,  fere 
annorum  duodecim,  et  lisec  morie- 
balur.  El  contigit,  dum  iret,  a  tur- 
bis  comprimebatur. 

43.  Et  mulier  qiisedam  erat  in 
fluxu  sanguinis  ab  aunis  duodecim, 
quae  in  medicos  erogaverat  omnem 
substantiam  suam,  nee  ab  ulio  po- 
luit  curari  : 

44.  Accessit  retro,  et  tetigit  fim- 
briam  vestimenti  ejus  :  et  coufestim 
stetit  fluxus  sanguinis  ejus. 

4b.  Et  ait  Jesus  :  Quis  est  qui  me 


nomme  Jaire,  chef  d'une  synagogue,, 
et  il  se  jela  aux  pieds  de  Jesus,  le 
priant  d'entrer  dans  sa  maison ; 


42.  Parce  qu'il  avait  une  fille 
unique  d'environ  douze  aus  qui  se 
mourait.  Et  il  arriva  qu'en  y  allant 
il  etait  presse  par  la  foule. 

43.  Et  il  y  avait  une  femme  affli- 
gee  d'un  flux  de  sangdepuis  douze 
ans,  qui  avait  depense  tout  son  bien 
en  medecins  et  n'avait  pu  etre  guerie 
par  aucun. 

44.  EUe  s'approcha  par  derriere 
ettouchale  bord  de  son  vetement, 
et  aussit6tson  flux  desangs'arreta. 

45.  Et  Jesus  dit:  Qui  m'a  touche? 


gogw.  Sur  ce  nom,  el  sur  cette  fonclion  qui 
elail  legarrlee  coiiime  Ues  honorable,  voyez 
I'Evang.  selon  S  Marc,  p.  8'2.  —  Cecidit  ad 
pedes  Jesu.  C'est  la  un  acte  significaiif  de  la 
part  d'un  personnage  ofEciel,  d'aulanl  mieux 
que  le  monde  ecclesiaslique  d'alors  elail 
loin  d'Slre  sympatliique  a  Jesus;  mais  le 
malheur  fail  courber  ineme  les  teles  les  plus 
allieres.  Les  miracles  accomplis  par  Notre- 
Seigneur  a  Capharn;ium  (CIV.  iv,  31  et  ?s. ; 
V,  '12  el  ss. ;  vii,  1  et  ,>^s.)  avaienl  sans  doute 
vi\iMnent  impressionne  Jaire,  et  11  se  souvinl 
du  Tliaumalurge  des  qu'il  so  trouva  lui-meme 
dans  le  besoin. 

42.  —  Quia  tmica  filia...  Les  deux  autres 
synoptiques  emploieiil  le  langage  direct,  qui 
donne  plus  de  vie  au  recit.  —  Unica  est  une 
particularile  de  S.  Luc.  Ce  detail  fail  bien 
ressorlir  la  douleur  du  suppliant.  S.  Marc 
mentionne  aussi  I'age  de  la  jeune  fille  {fere 
annorum  duodecim),  mais  seulemenl  apres 
avoir  raconle  la  resuireclion.  L'evangelisle- 
medecin  place  ce  trail  des  le  debut  de  sa 
narration.  D'apres  le  t.  43,  la  fille  de  JaiCe 
etait  done  nee  vers  i'epoque  ou  I'hemor- 
rholsse  ressentail  les  premieres  ulteinles  de 
son  mal.  —  Moriebatur.  La  Vulgale  a  Ires 
bien  rendu  le  sens  du  verbe  grec  aTieOvriffxev . 
La  jeune  fille  n'elail  pas  morte  quanil  son 
pere  vinl  Irouver  Jesus  (Cfr.  t-  49),  quoi- 
qu'elle  ful  alors  a  I'agonie.  —  Compri- 
mebatur. L'expression  du  tcxte  primitif, 
ouvETtviYov  auTov,  litleralement  «  suffocabant 
eum  (lurbag)  »,  est  plus  forte  encore  que  le 
<tuve6Xi6ov  do  S.  Marc.  C'est  d'ailleurs  le  m^me 
mot  qu'au  t.  33.  Les  rues  de  I'Orient  sent 
generalemenl  lorlueuses,  elroites,  et  une 
foule  ne  s'y  meut  qu'avec  peine.  Seneque, 


Epist.  xci,  emploie  la  meme  image,  «  sufifo- 
cari  turbam  (scil.  a  seipsa)  ». 

43.  —  A  partir  de  cet  endroit  jusqu'au 
t.  48,  S.  Luc  passe  a  la  guerison  de  I'henaor- 
rhoisse,  qu'il  enclave,  conformement  a  la 
realiiedes  fails,  dans  I'episode  relatif  a  Jaire. 
II  expose  avec  des  couleu-rs  moins  vivea 
que  S.  Marc,  mais  d'une  maniere  plus  com- 
plete que  S.  Malthieu,  Feiat  de  la  malade. 
Le  verbo  TtpocravaXcoffaoa  (Yulg.  qucB  erogave- 
rat, liUeral.  «  quae  superimponderal  »]  a  une 
grande  energie  :  on  ne  le  Irouve  pas  ailleurs 
duns  le  Nouveau  Testament.  —  Omnem  sub- 
stantiam suam  est  une  bonne  traduction  de 
o),ov  Tov  ptov  (Cfr.  XV,  12  ;  Marc,  xii,  44).  Par- 
fois  aussi  les  Latins  emploienl  «  vita  »  dans- 
le  sens  de  fortune.  —  In  medicos...  nee  ab 
ullo...  L'evangeliste-medecin  ne  crainl  pas 
de  faire  ccl  aveu  ,;  il  reconnaitra  de  meme  plus 
bas  la  realite  du  miracle  de  Jesus,  landis 
qu'un  si  grand  nombre  de  medecins  modernes 
se  refusenl  a  admetlre  le  surnalurel  dans  les 
guerisons. 

44.  —  Accessit  retro...  A  bout  de  res- 
sources,  rhemorrhoi'sse  pense,  elle  aussi,  a 
Je.^iis.  Mais  esperant  oblenir,  sans  avoir  a 
faire  une  confession  penible,  la  faveurqu'elle 
anibilionnail,  elle  profile  a  merveille  de  I'oc- 
casion,  el  reu-sit  a  louclior  fimhriam  vesti- 
menti ejus  (vuyi'Z,  sur  ceUc  expression, 
I'Evang.  selon  S.  Maltli.,  p.  183).  Sa  con- 
fiance  n'avait  pas  ele  vaine,  car,  ainsi  que 
I'expose  S.  Luc  avec  une  precision  loute  rae- 
dicale,  confestim  stetit  flu.vus  sanguinis  ejus 
(comparez  la  vague  formule  de  S.  Malthieu  et 
la  phrase  eleganle  de  S.  Marc). 

45.  —  Quis  me  tetigit"^  Dans  S.  Marc  : 
a  Quis  letigil  vestimenta  mea?  »  La  premiere 


180 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


Comme  lousniaient,  Pierre  dit,ainsi 
que  ceux  qui  elaieiit  avec  lui  : 
Maitre,  la  fouls  vous  presse  et  vous 
accable,  et  vous  dites  :  Qui  m'a 
touchy? 

46.  Et  Jesus  dit :  Qaelqu'un  m'a 
louche,  car  j'ai  connu  qu'une  vertu 
etait  sortie  de  moi. 

47.  Et  la  femme,  voyant  qu'elle 
ne  restait  pas  cachee,  vint  trem- 
blante  et  se  jeta  a  ses  pieds,  et  re- 
vela  devant  toutle  peuple  pourquoi 
elle  I'avait  touche,  et  comment  elle 
avait  ete  guerie  aussitot, 

48.  Et  Jesus  lui  dit  :  Ma  fille,  ta 
foi  I'a  sauvee  ;  va  en  paix. 

49.  Comme  il  parlait  encore,  quel- 
qu'un  vint  dire  au  chef  de  la  syna- 
gogue :  Votre  fille  est  morte,  ne  le 
tourmentez  pas. 


teligit?  Neganlibus  autem  omnibus, 
dixit  Petrus,  et  qui  cum  illo  erant: 
Praeceptor,  turbse  te  comprimunt, 
et  affligunt,  et  dicis  :  Quis  me  te- 
tigit? 

46.  Et  dixit  Jesus  :  Tetigit  me 
aliquis  :  nam  ego  novi  virtulem  de 
me  exisse. 

47.  Videns  autem  mulier,  quia 
non  latuit,  tremens  venit,  et  proci- 
dit  ante  pedes  ejus  :  et  ob  quam 
causam  tetigerit  eum,  indicavit  co- 
ram omni  populo :  el  quemadmodum 
confestim  sanata  sit. 

48.  At  ipse  dixit  ei  :  Filia,  fides 
tua  salvam  te  fecit;  vade  in  pace. 

49.  Adhuc  illo  loquente,  venit 
quidam  ad  principem  synagogae, 
dicens  ei :  Quia  mortua  est  filia  tua, 
noli  vexare  ilium, 


do  ces  deux  questions  e?l  la  plus  nalurelle. 
«  Le  Christ,  dil  Tertullien  (contr.  Marc.  I.  iv, 
c.  20),  parle  comme  s'il  ignorait,  pour  obtonir 
un  aveu.  C'est  ainsi  que  Dieu  avait  iiit'rroge 
Adam.s.  —  Negantibus  omnibus  (detail  lout 
a  fail  graphiqu '),  est  uno  particularite  de 
S.  Luc;  ci<^  meme  la  mention  exprosse  de 
S.  Pi-':i'e  ;uiXit  Petrus);  de  mem'  i'emploi 
de  deux  verbos  synonymes,  te  comprimunt  et 
afjligunt  (plus  fortementdansle  grec,  aws^^oyaf 
ffs  -/cai  d7:o8).i6ouffi),  pour  mieux  marquer  la 
pr.'sse  qui  se  faisait  alors  autour  de  la  per- 
sonne  sacree  du  Sauveur.  —  Dicis:  Quis  me 
tetigit?  Ne  serail-il  pas  plus  juste,  semblenl 
dire  li\s  Apolres,  de  demander  qui  ne  vous  a 
pas  touche  ? 

46.  —  jr>sus  insisle,  mais  en  alTirmant  au 
lieu  d'intiMToger  .  Tetigit  me  aliquis  (Irait 
special).  II  inJique  par  ces  mols  la  nature 
pailiculiere  du  contact  donl  il  avait  parle; 
ce  n'a  pas  ele  un  simple  accidf^ni,  mihis  nn 
acte  cnnscient  el  volonlaire.  '0  rTcxpo;  \i.h 
w£TO  Ttspi  air),Y^?  eTtacpfj:  M'^ziv  tov  XpicTov..., 
aii-zbz  5e  oO  Tcepi  TotaOx/ic  D.eysv,  d/la  Ttepl  tJ)? 
yevou-evr,;  ex  tiioteoi;,  dil  fori  bieii  Eulliymius, 
il.  i.  —  Nam  ego  novi.  NolreS 'ignour  motive 
son  n-scrlion  :  il  sail  paifaium  iit  (eyvwv)  de 
quoi  il  parle,  car  son  intelligence  divine  lui 
a  revele  qu'une  «  vertu  »  sorlait  de  son 
corps  sacre.  Sur  celle  expression  elonnante, 
donl  les  rationalistes  onl  abuse,  voyez  I'Evan- 
gile  selon  S.  iMarc,  p.  8i.  Seulement,  S.  Marc 
ne  rem[)loyail  que  comme  narraleur,  tandis 
que,  d'a|)res  S.  Luc,  le  Sauveur  I'avail  lui- 
meme  prononcee. 


47.  —  Beau  tabli-au.  qui  ajoule  plusieurs 
traits  a  celui  de  S.  Marc,  nulamment  :  vi- 
dens... quia  non  latuit,  ante  pedes,  coram 
omni  populo.  Ce  dernier  detail  est  emphalique 
et  expiiine  forlement  ce  qu'il  (iut  en  couier 
k  Thumble  femmo  de  faire  sa  confession  en 
presence  d'une  multitude  si  nombreuse. 

48.  —  Apres  avoir  exauce  lacilement  la 
demande  tacile  de  ^llemoITilOl&s^  Jesus  lui 
octioie  maintenanl  sa  grace  d'une  maniere  on- 
verle  II  l<ii  indique  eti  mem  •  tem|i-(|u 'lie  avait 
ete  la  vraie  cause  d(^  son  succes :  Fides  tua  sal- 
vam te  facit.  Celle  foi  etail  remarquable  en 
eff  't.  Dans  ce  meme  recil,  nous  avons  vu  Jal 
s'approcii^^r  har^lim  n'.  du  Sauveur  comm  ■  un 
hoinnv)  anime  de  la  confiance  la  plus  ferme  ; 
mais  en  realile  nn  certain  doute  serrail  son 
coeur  ICfv.t.  50^.  L'hemonlioi-sen'a  pasosdse 
presenter  directemenl  a  Jesus,  mais  au  fond 
elle  n'eprouvail  pas  la  moindic  In'sitalion,  la 
plus  legeii'  df'fiance.  Le  divin  Maitre  peut 
done,  loupf  publiquemenl  sa  foi. 

49.  —  Adimr.  illo  loquente.  Nous  trouvons 
dans  S.  Marc  la  meme  lormule  de  transition, 
prcuve  qu'il  n'y  eut  rerlli'ment  aiieiin  inter- 
\a!le  notable  cntre  les  deux  incidents  racon- 
tes.  —  Le  present  venit  ipxe-^ai  dramalise 
les  fails.  —  Quidam  ad  pi  inripem  :  dans  le 
grec,  irapa  toO  ioxK^wayMyov,  iiHeral •■menl, 
«  a  principe  synagogae  »,  expre.>sion  employee 
par  metonymie  pour  signifier  :  de  la  maison 
du  chef  (le  la  synagogue.  Voycz  I'Evangile 
selon  S.  Marc,  p".  86.  —  Quia  est  rdcitaiif. 
Moitua  est  (tsOvtixev)  est  mis  en  avanl  d'une 
maniere  emphatique. 


CHAPITRE    VIII 


181 


50.  Jesus  autem ,  audito  hoc 
verbo,  respondit  patri  puellae  :  Noli 
timere ;  crede  tantum,  et  salva  erit. 

51.  Et  cum  venisset  domum,  non 
permisit  intrare  secum  quemquam, 
nisi  Pelrum,  et  Jacobum,  et  Joan- 
nem,  et  patrera  et  raatrem  puellae. 

52.  Flebant  autem  omnes  et  plan- 
fi^ebant  illam.  At  ille  dixit  :  Nolite 
llere;  non  est  mortua  puella,  sed 
dormit. 

53.  Et  deridebant  eum,  scientes 
quod  mortua  esset. 

54.  Ipse  autem  tenens  manum 
ejus  clamavit,dicei]s  :  Puella,  surge. 

55.  Et  reversus  est  spiritus  ejus, 
et  surrexit  continuo.  Et  jussit  illi 
dari  manducare. 

56.  Et  stupuerunt  parentes  ejus, 


50.  Mais  Jesus,  ayant  entendu 
cette  parole,  repondit  au  pere  de  la 
jeune  fille  :  Ne  crains  point,  crois 
seulement  et  elle  sera  sauvee. 

51.  Et  quand  11  fut  arrive  a  la 
maison,  il  ne  permit  a  personne 
d'entrer  avec  lui,  si  ce  n'est  a  Pierre, 
Jacques  et  Jean,  et  au  [)ere  et  a  la 
mere  dela  jeune  fille. 

52.  Or,  tous  pleuraient  et  se  la- 
mentaient  sur  elle.  Et  il  dit  :  Ne 
pleurez  pas;  la  jeune  fille  n^est  pas 
morte,  mais  elle  dort. 

53.  Et  ils  se  riaient  de  lui,  sachant 
qu'elle  etait  mortp. 

54.  Mais  lui,  prenant  sa  main,  s'e- 
cria  et  dit :  Jeune  fille,  leve-toi. 

55.  Et  son  esprit  revint  et  elle  se 
leva  aussitot,  et  il  commanda  de  lui 
donner  a  manger. 

56.  Et  ses  parents  furent  dans  la 


50.  —  Noli  timere,  crede  tantum.  De  ceUe 
parole  d'encouragement  adressee  par  Jesus 
au  malheureux  pere,  il  resulte  que  la  foi  de 
ce  dernier  avail  ete  ebranlee  par  le  message 
qui  venait  de  lui  elre communique.  Peut-6tre 
pensait-il,  lui  aussi,  qu'il  etail  Irop  lard 
raainlenanl  pourconserver  quelque  espoir.Le 
Sauveur  le  soulienl  par  une  joyeuse  promesse, 
salva  erit,  que  S.  Luc  a  seul  nolee  en  lermes 
explicites.  Voire  foi  vous  a  sauvee,  avail-il 
^le  dil  a  rheaiorrhoisse,  t.  48  :  voire  foi  sau- 
vera  voire  enfanl,  esl-il  dil  a  Jaire.  II  lui  fal 
aise  de  faire  ce  rapprochemenl  el  de  se  confier 
absolumenl  en  Jesus. 

51.  —  Non  permisit  intrare...  est  un  detail 
anlicipe,  dont  la  place  reguliere  serail  a  la 
suile  du  t.  53.  Ces  raols  designenl  en  effel 
i'enlree  dans  la  chambre  raorlu;iire. 

5?  el  53.  —  Sorte  de  parenlhese,  aux  de- 
tails pilloresqaes.Elle  nous  monUe  la  maison 
de  JaiYe  remplie  dliomuics  ol  de  femmes  qui 
flebant...  et  pltngebant,k  la  fagon  Uunullueuse 
pl  >auvagf  de  I'Orient.  Voyez  I'Evang.  selon 
S.  MatllK  p.  184.  Quand  Jesus  veul  calmer 
ces  pli'ureurs  otliciels  en  leur  disanl  que  la 
jeune  fille  n'esl  pas  morle,  ils  se  rienl  de  lui 
ixaxEYcXw^,  mol  energique),  scientes  quod  mor- 
tua esset,  aionlf  r.olr^i  e\ange\\iilG.  Ge  Irait  du 
«  medicus  carissimus  »  proiive  la  realite  de 
la  morl  el  la  signification  raelaplioriquo  dcs 
paroles  de  Nolre-Seign^ur. 

54.  —  Tenens  manum  ejus.  Les  trois 
synopticju^s  onl  relate  ce  gesle.  S.  Luc  no 
cit)  pas   en  arameen,  coinmo  S.  Marc,   les 


«  ipsissima  verba  »  du  Sauvour.  II  est  du 
reste  celui  des  evangelist's  qui  inlercale  le 
moins  de  mots  hebreux  dan-  son  recit.  —  Sur 
le  nominatif  Y)  Ttat;  avec  rariicle,  au  lieu  du 
vocatif,  voyez  Winer  cl  Beelen. 

55.  —  Heversus  est  spiritus  ejus  est  une 
nouvelle  particulariie  de  S.  Luc.  Cette  locu- 
tion est  frequt^mment  usilee  dans  les  livres  de 
I'Ancien  Testament.  Cfr.  Ill  Reg.  ix,  1  {^VJm 
vha  imij;xvii,22;  Ps.  lxxv,  13;  lxxvii.  39; 
oil,  16;  Eccl.  XII,  7,  etc.  —  A  propos  de  la 
resurrection  de  la  fille  de  Jalre  et  des  autres 
fails  analogues  mentionnes  soil  dans  la  Bible 
soil  par  I'histoire,  on  s'est  quelquefois  de- 
mande  ce  qti'etail  deveniie  rauiv"' pendant  sa 
separation  inomenlanee  du  corps.  Nous  pen- 
sons,  a  la  suile  de  divers  Iheologiens,  que 
ses  operations  se  Irouvaienl  alors  miraculeu- 
semenl  suspend ues,  de  sorte  qu'au  moment  de 
la  resurrection  elle  n'avait  pas  plus  conscience 
de  ce  qui  s'elail  pa-se  pour  elli^  depuis  la 
morl,  qu'une  personne  eveillee  d'un  profond 
sommeil  n'a  conscience  de  ce  qui  I'a  occu 
pee  taiidis  qu'elle  dormait.  —  Jussit  illi  dari 
manducare.  On  n'invenle  pas  les  penis  details 
de  ce  genre  :  au^si  sont-ils  une  forte  prcuve 
d'auihenlicite.  Jesus,  en  donnant  un  pared 
ordre,  monlrait  que  la  jeune  fille  jouissait 
mainlenanl  d'une  parfaile  saiile. 

56.  —  Slupucrunt  parentes.  On  conQoil  que 
les  parents  d  ■  la  ressascitee  fussont  hors  d'eux- 
mein(>s  E^iffTridxv,  lisons-nous  dans  le  teste 
original) ;  miii-!,  lout  d'abonl,  on  compreiid 
moins  rinjonctioii  suivante  du  Sauveur,  ne 


iSi 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


slupeur;  etil  leiir  commanda  de  ne 
dire  a  personne  ce  qui  s'etait  passe. 


quibus  praecepit  ne  alicui  dicerent 
quod  factum  erat. 


GHAPITRE  IX 

L'envoi  des  Douze  (tt.  i-6).  —  Opinion  d'llerode  au  sujet  de  Jesus  {ft  7-9).  —  Retour  des 
Douze  et  muUiplicalion  des  pains  1ft.  iO-17).  —  Confession  6e  S.  Pierro  el  promiere 
annonce  de  la  Passion  (tt.  -18-27).  —  La  Transfiguralion  [tt.  28-36).  —  Giierison  d'un 
paraiylique  (tt.  37-43).  —  Second('  prediction  officielle  de  la  Passion  [tt.  44-45).  —  Legon 
d'huniilite  et.  de  tolerance  [tt.  46-50).  —  Les  Sannaritains  inhospitaliers  (tt.  51-56).  —  Ge 
qu'il  fadl  pour  suivre  Jesus  (tt.  57-62). 


1.  Or,  ayant  appele  les  douze 
ap6tres,  il  leur  donna  la  force  et  la 
puissance  de  chasser  tous  les  de- 
mons et  de  guerir  les  maladies. 


1.  Gonvocatis  autem  duodecim 
apostolis,  dedit  illis  virtutem  et  po- 
testatem  super  omnia  daemonia,  et 
ut  languores  curarent. 

Malt.  iO,  1;  Marc.  3,  15. 


alicui  dicerent...  Elle  devienl  neanmoins  faci- 
lemenl  explicable,  de  rneme  que  les  precau- 
tions prises  preaiabiement  par  Jesus  pour 
ecarter  la  foule,  t.  31 ,  si  I  on  se  rappelle 
que  ''enlhousiasme  des  Galileens  elait  alors 
tres  surexcile,  et  que  Notrc-Seigneur  vouiait 
autanl  que  possible  eviler  tout  eclat.  Sans 
doule  il  ne  podvaiteuipecherle  miracle  d'^ire 
<:onnu  Cfr.  iMatih.  viii,  26).  Du  moins,  en 
lais-anl  s'ecouler  peu  a  peu  la  multitude  qui 
S'eiait  rassemblee  a  la  porte  de  Jaire,  il 
echappa  a  una  ovation  populaire.  rt  son  but 
principal  fut  ainsi  atteinl. — Terminons  I'expli- 
calion  de  ces  deux  prodiges  par  une  reflexion 
tres  exacte  de  M.  van  Oosterzee,  Das  Evang. 
nach  Lukas,  3e  edit.  p.  137  :  a  La  presente 
narration  porte  presque  sur  chacun  de  ses 
trails  le  sceau  de  la  verite,  de  la  simplicite, 
de  la  subliniite.  Celle  angoisse  du  pere  et 
celte  limidite  de  la  femme,  cette  agitation 
du  peuple  el  ce  calme  de  Nolre-Seigneur, 
eel  etonnemenl  des  disciples  el  la  reponse  si 
precise  du  Mailre  :  Quelqu'un  m'a  louche,  ce 
nre  de  I'incredidite  a  cote  des  transports  de 
!a  douleur,  celte  majeste  pour  manifester  sa 
|)uissance  miraculeuse  et  celle  sollicitude  a 
la  (lissimuler  :  tout  cela  forme  un  ensemble 
U'llemenl  inimitable,  qu'on  peut  y  saisir  en 
quelque  sorte  la  verite  k  pleines  mains  ». 

17.  L'envoi  des  Douze.  ix,  1-6.  Parall. 
Matlh.  X,  i-42;  Marc,  vi,  7-13. 

S.  Luc,  apres  avoir  signale  la  mission  con- 
fine aux  Apolres  par  Nolre-Seigneur  Jesus- 


Chrisl,  GO  borne,  comme  S.  Marc,  a  ciler 
quelques  extra  1  is  de  I'lnslruction  remarquable 
que  le  divin  Mailre  leur  adressa  en  celte  cir- 
constance.  Laissant  de  cole  les  details  relalifs 
aux  grandes  fonclions  que  it  s  Douze  el  leurs 
succes-purs  devaient  exercer  dans  I'avenir 
(Cfr.  Matlh.  x,  16-42),  il  n'envisage  que  leur 
role  plus  mof'eite  el  plus  facile  du  moment 
present. 

Chap.  ix.  —  1.  —  dnwocalis  duodecim 
apostolis.  Les  manuscrils  A,  D,  K,  M,  S,  etc., 
les  versions  armen.,  sahid.,  etc.,  lisent  sim- 
plement  touc  SwSexa,  les  Douze,  et  sans  doule 
a  bon  droit,  car  c'esi  ainsi  queS.  Lucdesigne 
d'ordinaire  les  Apotres.  Cfr.  vici,  1  ;  ix,  12; 
xviti,  31  ;  XXII,  3,  47 ;  Act.  vi,  2  ;  etc.  Divers 
temoins  ont  cependanl  5w5£xa  dTtooto^ou; 
comme  la  Vulgate,  OU  toui;  ScoSsxa  [xaSirrai:  auxou 
comme  le  Text,  receptus.  —  Dedit  illis  virtu- 
tem... Avant  d'envoyer  les  Apolres  en  mis- 
sion, Jesus  leur  confere,  en  guise  de  leltres 
de  creance  destinees  a  les  accrediter  aupres 
de  tous,  des  pouvoirs  extraordinaires  ana- 
logues a  ceux  qu'il  exergail  lui-meme.  Le  pre- 
mier des  deux  substanlifs,  SyvaiJiiv,  est  le  plus 
general  et  designe  la  puissance  «  in  se  », 
le  second,  d^ouffiav  [potestalem],  est  la  raise  en 
oeuvre  de  cotte  puissance.  —  Super  omnia 
dcemonia.  «  Omnia  »  est  emphatique  et  propre 
k  S.  Luc.  La  phrase  et  ut  languores  curarent 
(xai  vouou;  Ospaireueiv)  depend,  suivanl  les 
uns,  du  verbe  «  dedit  »,  suivanl  les  aulres  et 
vraisemblableraent,  des  substantifs «  virtutem 
et  polestatem  ». 


CHAPITRE  IX 


483 


2.  Et  misit  illos  praedicare  regnum 
■  Dei,  et  sanare  infirmos. 

3.  Et  ait  ad  illos  :  Nihil  tuleritis 
in  via,  neque  virgam,  neque  peram, 
neque  pan  em ,  neque  pecuniam, 
neque  duas  tunicas  nabeatis. 

Matlh.  !0,  9;  Marc.  6,  8. 

4.  Et  in  quamcumque  domumin- 
traveritis,  ibi  manete,  et  inde  ne 
exeatis. 

5.  Et  quicumque  non  receperint 
vos,  exeuntes  de  civitate  ilia,  etiam 
pulverem  pedum  vestrorum  excu- 
tite  in  testimonium  supra  illos. 

Act.  13,  51. 


2.  Et  il  les  envoya  precher  le 
royaume  de  Dieu  et  rendre  la  sante 
aux  infirmes. 

3.  Et  il  leur  dit :  Ne  portez  rien 
en  route,  ni  bdton,  ni  sac,  ni  pain, 
ni  argent,  et  n'ayez  point  deux  tu- 
niques. 

4.  Et  en  quelque  maison  que 
vous  soyez  entres,  demeurez-y  et 
n'en  sortez  point. 

b.  Et  quand  on  ne  vous  aura  pas 
recus,  sortez  de  cette  ville  et  secouez 
la  poussiere  meme  de  vos  pieds  en 
temoignage  contre  eux. 


2.  —  Prwdicare  regnum  Dei,  tel  elait  le 
but  principal  do  I'erivoi  des  Doiize.  Sanare 
inlirmos  elait,  ainsi  qu'il  vienl  d'etre  dit,  un 
inoyen  d'atleindro  plus  aisement  ce  but. 
Toutefois,  el  cela  rcssorl  tres  npllement  de 
la  narration  plus  explicile  de  S.  Mallhieu, 
X,  7,  les  Apotres  n'avaient  pas  a  s'etendre 
alors  sur  la  nature,  les  conditions,  etc.,  du 
royaume  de  Dieu  :  ils  devaient  simplemenl 
en  annoncor  le  prochain  etablissement  par  le 
Christ. 

3.  —  Et  ait  ad  illos.  II  etait  juste  que 
Notre-Seigneur  donnat  aux  Douze  avanl  leur 
depart  quchpies  piincipes  cnpablesde  diriger 
leur  conduiie  dans  ces  circcnstances  loutes 
nouvelles  pour  eux.  II  le  fait  dans  les  ft.  3-5. 
Li'  re-unie  de  cette  instruction  est  qu'ils  se- 
ront  toujours  «  si  vertutnix,  si  constants  et 
modestes,  on  un  mot,  si  celestes,  que  la  doc- 
trine evangfMique  ne  sera  pas  moins  propa- 
gee  par  leur  maniere  de  vivre  que  par  Icui- 
parole  ».  S.  Greg,  de  Nazianze,  in  Cat.  graec. 
Pair.  —  Nihil  tuleritis  in  via  («  in  viam  » 
d'iipres  le  grpc)  est  une  injonction  generale, 
que  Jesus  developpe  ensuite  par  cinq  traits 
speciaux  :  neque  virgam  (la  Ri  cepla  porle 
fdSSou;  au  pluriel,  mais  nous  lisons  le  singu- 
iier  avec  les  manuscrits  Sinait.,  B,  C,  D, 
L,  M,  etc.,  les  versions  syr.,  ethiop.,  sahid., 
el  la  Vulgate),  neque  peram,  etc.  —  Neque 
duas  tunicas  liabcatis  :  dans  le  grec,  (X'OTe  iva 
(distributif)  8jo  x"wva(;ex£iv,  avec  un  brusque 
passage  de  I'imperatif  k  I'infinitif.  Voycz, 
Act.  I,  4;  XVII,  3,  des  constructions  analo- 
gues. G'est  le  lansage  direct  qui  devient  in 
direct  :  «  El  ail  ad  illos...  non  habere  ».  — 
11  est  int^ressanl  de  signaler  les  nuances  qui 
existent  ici  entre  les  synoptiques.  D'apres  les 
Irois  recils,  les  Apolrc^s  ne  doivent  emporter 
avec  eux  ni  argent,  ni  sac  de  voyage,  ni  lu- 


nique  de  rechange ;  S.  Marc  et  S.  Luc  ajou- 
tenl  :  «  neque  panem  »,  detail  omis  par 
S.  Maltliieu.  Dans  le  premier  et  dans  le  Iroi- 
sieme  Evangile,  Jesus  inlerditaux  Douze  d'a- 
voir  un  baton;  dans  le  second,  il  leur  perraet 
d'en  emporter  un.  S.  Luc  ne  dit  rien  des 
chaussures;  S.  Mallhieu  parail  indiquer 
qu'elles  ne  furent  pas  non  plus  autorises  par 
le  Sauveur;  S.  T.Iarc  nous  montre  les  Apotres 
munis  de  sandales.  Voyez  du  resle  notre 
commentaire  sur  S.  Mallhieu,  h.  1. 

4  el  5.  —  La  premiere  recommandation  con- 
cernait  le  depart ;  elle  inculquait  aux  Douze 
cette  grave  el  belle  pensee  :  «  La  simplicity 
esl  pour  le  chrelien  le  meilleur  vialique  »  (Cle- 
ment d'Alex.,  Paedag.  ii).  La  seconde,  com- 
prise dans  ces  deux  versets,  regarde  leur  se- 
jour  dans  les  localites  ou  ils  peneiraient  pour 
preclier.  —  In  quamcumque  domum  intrave- 
ritis...  Ces  mots  ne  signifienl  pas  que  les  en- 
voyesde  Jesus  devaient  dem a nderl'hospi I alit6 
aux  premiers  venus  (Cfr.  Malth.  x,  11).  II 
faut  entendre  par  «  quaecumque  domus  »  la 
premiere  maison  ou  la  piudence  leur  per- 
meltrail  de  s'clablir.  —  Inde  ne  exeatis.  Le 
lexte  primitif  ditau  contraire:xat  exstOev  e^ep- 
Xeo0£,  «  el  inde  exeatis  ».  Et  pourtant  la  Vul- 
gate a  tres  bien  traduit  la  pensee  de  J^siis, 
car  la  phrase  grecque,  prise  dans  son  entier 
(«  Dans  quelque  maison  que  vous  soyez  en- 
tres, restez-y  et  sorlez-en  ») ,  revient  a  dire  : 
Faites  de  cette  mai-on  le  centre  de  vos  al- 
lees  et  venues  dans  la  localite  pour  voire  mi- 
nisiere,  el  ne  cliangez  pas  trop  legeremenl  de 
domicile.  Comp  x,  7.  Ce  trait,  ainsi  arrange, 
e-t  une  particularile  de  S.  Luc.  —  Et  qui- 
cumque non  receperint  vos...  L'hypoth^se  n'e- 
tail  nullm^nt  chimerique,  Jesus  ayani  alors 
des  ennemis  declares  qui  reluseraient  cer- 
tainement  d'accueillir  ses  disciples,  malgre  la 


48i 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


6.  Etant  done  partis,  ils  parcou- 
raient  les  villages,  evangelisant  et 
guerissant  parlout. 

7.  Or,  Herode  le  tetrarque  enten- 
dit  parler  de  tout  ce  que  faisait  Je- 
sus, et  il  etait  perplexe  parce  que 
quelques-uns  disaient : 

8.  Jean  est  ressuscite  d'entre  les 
morts;  etd'autres :  Elie  est  apparu; 
et  d'autres  :  Un  des  anciens  pro- 
phetes  est  ressuscite. 

9.  Herode  dit :  J'ai  decapite  Jean ; 
qui  est  done  celui  de  qui  j'entends 


caractere  si  hospitaller  de  I'Orienl  en  general 
et  des  Juifs  en  parliculier.  Cfr.  SchcEitgen, 
Hor.  hebr.,  108.  —  Eliam  (emphalique  el 
special)  pulveyem...  excutite.  Sur  celle  action 
symbolique,  voyez  I'Evang.  selon  S.  Mallh., 
p.  203.  All  lieu  de  in  testimonium  supra  illos, 
mieux  vaudrail  «  contra  illos  »  :  el;  ll^rx.^^ 
auTwv  xai  xaTa-xpidiv,  dit  Ires  bicn  Tlieophy- 
lacle. 

6.  —  Egressi  autem...  De  concert  avec 
S.  Marc,  noire  evangeli&le  d^cril  en  pen  de 
mots  roeuvre  el  le  succes  des  Apolresdnranl 
celle  mission.  Le  trail  pitloresqiie  circuibant 
per  castt'lla  hii  est  propre,  comine  aussi  Tad- 
verbe  final  ubique,  el  I'emploi  du  verbe  evan- 
gelizare.  «  En  lanl  que  docteurs.  dit  Eiisebe 
sur  ce  pas-age  (ap.  Cat.  D.  Tliomae),  les 
Douze  annongaient  la  bonne  nouvelle  ;  en  lant 
que  medecins  ils  gneris-aienl,  confirmant 
leur  predication  par  leurs  miracles  ». 

18   Opinion  d'Herode  au  sujet  de  J^sus. 

IX,  7-9.  —  Parall.  MattU.  xiv,  i-2;  Marc,  yi,  14-16. 

Voyez  le  commenlaire  sur  S.  Mallliieu, 
p.  287.  Sans  varier  beaucoup  pour  la  sub- 
stance, cet  incident  a  un  coloiis  tout  parlicu- 
lier dans  le  iroisieme  Evangile  (ci'mparez  les 
trois  redactions  dans  noire  Synopsi-). 

7  el  8.  —  Omnia  quae  fiebant  ab  eo.  Ces 
deux  dorniers  mots  On'  auToO)  sonl  omis  par 
les  manuscrils  B,  C,  D,  L,  Z,  Sinait.  lis  pour- 
raient  bien  etre  un  glos^eule.  Dans  ce  cas, 
il  s'agirail  lout  a  la  fois  des  oeuvres  de  Jesus 
et  de'celles  de  ses  Apoires,  tt.  '1-6.  On  con- 
ceit que  la  mission  donnee  par  ceux-ci  avec 
accompagnenient  de  miracles  ail  produit  au- 
tour  du  nom  de  Nolre-Seigneur  une  recru- 
descence d'eniliousiasme.  Sa  renommee,  qui 
penelre  aujourd'hui  qu'a  la  cour,  met  I e  te- 
trarque dans  i'euibarras  :  hcesitabat,  SiriTiopet. 
fl  ne  sail  d'abord  a  quel  parti  s'arreter  au 
sujel  de  la  personnalile  de  Jesus.  G'est  que, 
continue  S.  Luc,  il  regnait  sur  ce  poinl  dans 


6.  Egressi  autem  circuibant  per 
castella,  evangelizantes  et  curantes 
ubique. 

7.  Audivit  autem  Herodes  tetrar- 
cha  omnia  quae  fiebant  ab  eo,  et 
bsesitabat  eo  quod  diceretur 

Mauh.  11,  1;  Marc.  6,  14. 

8.  A  quibusdam  :  Quia  Joannes  , 
surrexit  a  mortuis;    a  quibusdam  V 
vero  :  Quia  Elias  apparuit ;  ab  aliis 
autem  :  Quia  prophela  unus  de  an- 
tiquis  surrexit. 

9.  Et  ait  Herodes  :  Joannem  ega 
decollavi.  Quis  est  autem  iste,  de 


la  sociele  juive  des  bruits  diveis,  dont  I'echO' 
Tfrirti'i  aux  oreilles  d'Herode,  et  qui  I'empe- 
cFiaient  de  parveuiraune  conclusion  ccrlaine. 
Trois  des  conjectures  populaires  regoivenl 
uni"  mention  speciale.  \o  Joannes  surrexit... 
20  Elias  appaiuit  (Jfavrj),  mot  bien  clioisi^ 
puisque  Elie  n'cst  pas  morl ;  de  Jean-Bap- 
tiste  el  des  aulres  proplietes  on  disait :  «  sur- 
rexit »).  30  Propheta  utius  de  antiquis,  quel- 
qu'un  de  ces  grands  prophetes  qui  n'avaient 
pas  eu  leurs  pareils  depuis  plusieurs  si^cles. 
9.  —  Et  ait  Herodes...  Le  langage  du  te- 
trarque indicpie  une  perplexilequi  ne  fait  que 
s'accroilre.  Fourlant,  le  nom  de  sa  viclime 
semble  avoir  produil  en  lui  une  impressiott 
plus  vive.  Mais,  se  hale-t-il  d'ajouler  comme 
pour  rassurer  ses  craintes,  Joannem  ego  de- 
collavi; par  consequent  il  n'esl  pas  vraisem- 
blable  que  ce  soil  Jean-Bapiiste.  Qui  sera-cfr 
done?  Quis  est  iste  de  quo  ego  (nolez  celle  re- 
petition emphatique  du  pronom)  talia  audiof 
«  Talia  »,  d:\schoses  si  surprenantes!  —  Et 
qucerebat  videre  eum  :  trail  special,  bien  na- 
turel  (lu  reste  apres  ce  qui  precede.  Herode 
esperait  pouvoir  s'assurcr  «  de  visu  »  que  Je- 
sus n'etait  pas  Jean-Baptisle.  Son  desir  no  fut 
realise  qu'au  temps  de  la  Passion,  comme 
nous  I'apprendra  S.  Luc,  xxiii.  8.  —  D'apre* 
les  deux  aulres  synopliques,  le  tetrarque  An- 
lipas,  au  lieu  de  demeurer  ainsi  en  suspens- 
sans  savoir  a  quel  parti  s'arreter,  se  prononce 
aucontrairesansliesilersuria  naturede Jesus: 
«  Hie  est  Joannes  Bapti?ta;  ipse  surrexit  a- 
mortuis,  el  ideo  virtules  operanlur  in  eo  ». 
Mauh.  XIV.  2  (Cfr.  Marc.  xi.  14).  Est-ce  une 
contradiction?  Pas  le  moins  du  monde.  II  est 
aise  de  resoudre  celle  antilogie  appareiite  en. 
disant  que  le  moment  psycl)ologi(jue  decril  par 
1(  s  narraleurs  n'esl  pas  le  meme.  S.  Luc  nous 
represente  les  premieres  impressions  d'He- 
rode ;S.  Matlhieu  et  S.  Marc  considerenl  le  te- 
trarque in  peu  plus  tard,  alors  qu'il  avail  pris 
un  parti  definitif.  «  Post  banc  bsesitaiioneiui 


CHAPITRE    IX 


IS5 


quo   ego  lalia  audio?  Et  quserebat 
videre  eum. 

10.  Et  reversi  apostoli,  narrave- 
runt  illi  quaecumque  fecernnt;  et 
assumptis  illis  secessit  seorsum  in 

cum  desertum,  qui  est  Bethsaidse. 

11.  Quod  cum  cognovissent  tur- 
bae,  secatse  sunt  ilium ;  et  excepit 
eos,  et  loquebatur  illis  de  regno 
Dei,  et  eos,  qui  cura  indigebant, 
sanabat. 

12.  Dies  autem  coeperat  declinare. 
Et   accedenles  duodecim  dixerunt 


dire  de  telles  choses?  Et  il  cherchait 
a  le  voir. 

10.  Et  les  ap6tres  etant  reveuus 
raconterent  a  Jesus  tout  ce  qu'ils 
avaient  fait,  et  les  prenant  avec  lui 
il  se  retira  a  Fecart  en  un  lieu  de- 
sert du  terriloire  de  Bethsaida. 

11.  Lorsque  la  foule  I'eut  appris 
elle  le  suivit,  et  il  les  recut,  et  il  leur 
parlait  du  royaume  de  Dieu  et  gue- 
rissait  ceux  qui  avaient  besoin  de 
guerison. 

12.  Or  le  jour  commencait  a  de- 
cliner,  et  les  Douze  s'approchant  lui 


(t.  7)  intelligendus  est  confumasse  in  animo 
suo  quod  ab  aliis  dicebatur  ».  S.  August.,  de 
Cons.  Evang.  I.  ii,  c.  33.  —  Noire "evange- 
liste,  qui  avail  mentionne  plus  haul,  iii,l9 
et20,  i'cu^pli^on^emenl  Qa  Piecurscur,  ne 
donne  aucun  detail  ^ur  son  mat  tyre,  se  con- 
lentant  du  «  Joannem  ego  decollavi  »  d'He- 
rode.  t,  8.  En  cela,  M.  Renan  voil  la  preuve 

3ue  S.  Luc  «  clierche  a  diminuer  les  niet'ails  » 
u  tetrarque,  o  et  a  presenter  son  interven- 
tion dans  rhisloire  evangelique  comme  bien- 
veiHante  a  quelques  egaids  ».  Les  Evangiles, 
Paris  4877,  p.  255.  II  faut  une  grande  puis- 
sance de  critique  pour  arriver  k  de  idles 
conclusions! 

19.  Retour  des  Douze  et  multipUcation 
des  pains,  ii,  10-17.  —  Parall.  Matth  xi?,  ia-2i; 
Marc.  Ti,  30-44;  Juan,  vi,  1-13. 

10.  —  Et  reversi  apostoli.  Gombien  de 
temps  avail  dure  leur  absence?  Un  jour  seu- 
lemcnt,  d'apres  une  singuliere  hypothese  de 
Wieseler.  Mais  le  rdcit  anlerieur  de  S.  Luc 
(Cfr.  en  particulier  les  versets  4-6)  suppose 
que  la  mission  avait  embrasse  un  nombr'i 
assez  considerable  de  villes  et  de  bourgades, 
et  que  les  Apotres  avaient  sejourne  dans  plu- 
sieurs  d'entre  piles,  ce  qui  deraande  un  inter- 
valle  d'au  moiiis  qur-lques  S'lnaines.  —  As- 
sumptis illis  secessit...  Sur  les  deux  motifs 
simuilanes  de  cette  relraile,  voyez  I'Evang. 
selon  S.  Maltliieu,  p.  292.  Nous  apprenons 
dans  les  aulres  redactions  que  la  premiere 
parlie  du  Irajel  ful  faite  en  barque.  —  In  lo- 
cum desertum  qui  est  Bdhsaidce.  Le  teste  grec 
esL  indecis  en  eel  endroit.  La  Recepta  porte  : 
eU  TOTTOv  eprifAov  7t6).e(i);  xaXoyjievYj;  ByjOffalSi. 
Lf  manuscrit  Sinallique  a  simplement  :  el; 
xoTtov  epr,|j.ov.  La  leQon  el?  iroXiv  y.a),ou|xevTiv 
BTi9(Tat5a  (B,  L,  X,  elc  )  semble  offrir  le  plus 
de  garanlies.  En  combinant  ce  pa.~sai;e  de 
S.  Luc  avec  une  note  subsequenie  de  S.  Marc 


(VI,  45;  voyez  le  commentaire).  on  rst  arrive 
a  la  conclusion  t:6-  Iei:itime  qu'il  exi-tait 
alors  deux  Brlhsiiuia  dans  la  Palestine  du 
Nord.  Celle  que  noire  evangelisle  menlionne 
actuelleaient  etait  liatie  sui-  une  coilino  qui 
domine  la  plaine  descrte  d'EI-Bulilii  h  :  il 
n'en  reste  plus  que  des  ruiucs  -ans  nom.  Cfr. 
Wilson  and  Wiirrtn.  The  Recovery  of  Jeru- 
salem, p.  351-366;  Baedtker's  Palestina  und 
Syrien,  1875,  p.  386. 

il.  —  Tuibw serulw  sunt  ilium.  Gomparez 
les  details  pilloresques  de  S.  Marc,  vi,  33. 
G'est  a  picd.  et  en  longeanl  le  rivage,  que  la 
foule  rejoignil  Nolre-S;"ign'  ur  qu'elle  avail 
vu  partir  avec  peine.  —  Excepit  eos  .  irait 
special  el  bien  touchant.  Jesus  cherchait  un 
peu  de  repos  pour  les  siens.  S'll  eut  voulu, 
il  lui  etait  aise  d'ecliapper  a  la  nn.uliitude  ou 
de  la  congedier ;  ma  is  1 1  prelere  I'accueillir 
avec  sa  bonle  accoutumee.L'expression  grec- 
que  aito8s?dt(ievoi:,  employee  par  les  mcilleurs 
leinoin-;  B,  D,  L,  X,  S:nait.,  i  tc.)  au  lieu  de 
Sc^diJievo?  qu'on  lit  dans  la  Reci'pla,  est  cflle 
qui  avait  servi  a  depeindreplus  haul,  viii,  40, 
i'aiinable  reception  faite  a  Jesus  par  les  Ga- 
lileens.  —  Loquebatur...,  sannbat.  Jesus, 
comme  toujours,  associe  etroiteraent  sa  pre- 
dication et  ses  miracles,  ccnQimaot  la  doc- 
trine par  les  oeuvres.  S.  Luc  a  seul  signal^ 
cette  union  dans  la  circonstance  presenle. 
S.  Malihieu  parity  uiiiquement  de  la  predica- 
tion. 0epairsia«,  I'e  piivalent  grec  de  cura,  est 
une  expression  medicale. 

12  et  13.  —  Ges  deux  V(  rsets  exposent  les 
preliminaires  du  piodige.  —  La  locution  dies 
coeperat  declinare  fy  :?ijj.£pa  iipjaro  xXiveiv),  pro- 
pre  au  troisieuie  Evangile,  est  d'un  grtlce  toute 
atliqiie  :  elle  dcsigue  environ  4  heures  de 
I'apies-midi.  L'in(|uielude  gagni^  a  ce  mo- 
mint  les  Apotres.  V^uyantquela  foule  s'oublie, 
ils  rappellent  k  leur  maitre  le  cote  pro?aIque 
de  la  situation  et  la  necesaile  dn  licencier 


•4  86 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


dirent :  Renvoyez  la  foule,  afin  que 
s'en  allant  dans  les  bourgs  et  les 
villages  d'alentour,  ils  se  logent  et 
trouvent  des  aliments;  car  ici  nous 
sommes  dans  un  lieu  desert. 

13.  Mais  il  leur  dit  :  Donnez-leur 
vous-memes  a  manger.  lis  lui  di- 
rent :  Nous  n'avons  que  cinq  pains 
et  deux  poissons,  a  moins  que  nous 
i^'oiii/^ia*  ^'^v^-ffiemes  acheler  des 
aliments  pour  toute  cette  foule  : 

14.  Or,  ils  etaient  environ  cinq 
mille  hommes;  et  il  dit  a  ses 
disciples  :  Faites-les  asseoir  par 
groupes  de  cinquante. 

lb.  Et  ils  firent  ainsi  et  ils  les 
firent  tous  asseoir. 

16.  Et  ayant  pris  les  cinq  pains 
et  les  deux  poissons,  il  leva  les  yeux 
au  ciel  et  les  benit,  les  rompit  et 
les  distribua  a  ses  disciples  pour 
qu'ils  les  offrissent  a  la  foule. 

17.  Et  toug  mangerent  et  furent 
rassasies.  Et  Ton  emporta  douze 
corbeilles  de  fragments  qui  etaient 
restes. 


illi :  Dimitte  turbas,iit  euntes  in  cas- 
tella,  villasque  quse  circa  sunt,  di- 
vertant,  et  inveniant  escas  :  quia 
hie  in  loco  deserto  sumus. 

Mailh.  li,  la;  Marc.  6,36 

13.  Ait  autem  ad  illos  :  Vos  date 
illis  manducare.  At  illi  dixerunt  : 
Non  sunt  nobis  plus  quam  quinque 
panes,  et  duo  pisces  :  nisi  forte  nos 
eamus,  et  emamus  in  omnem  banc 
turbam  escas. 

Joan.  6,  9. 

14.  Erant  autem  fere  viri  quinque 
millia.  Ait  autem  ad  discipulos 
suos  :  Facite  illos  discumbere  per 
convivia  quinquagenos. 

15.  Et  ita  fecerunt.  Et  discum- 
bere fecerunt  omnes. 

16.  Acceptis  autem  quinque  pani- 
bus,  et  duobus  piscibus,  respexit 
in  coelum,  et  benedixit  illis  :  et  fre- 
git  et  distribuit  discipulis  suis  ut 
ponerent  ante  turbas. 

17.  Et  manducaverunt  omnes,  et 
saturati  sunt.  Et  sublalum  est  quod 
superfuit  illis,  fragmentorum  co- 
phini  duodecim. 


promptement  le  peuple.  —  Divertant,  xaxa- 
-ludwat,  est  une  parliciilarite  de  S.  Luc;  de 
meme  I'emploi  du  subslanlif  eTriffiTtffjAo?,  escas 
de  la  Vulgale  (S.  MaUli.  a  Ppwixaxa,  S.  Marc 
■apTou;  :  varianles  pleines  d'inleret;.  —  Vos 
date  illis  manducare.  Dans  le  lexle  pr^.i-itif, 
les  Irois  synopiiquts  leproduisent,  idealique- 
menl  celle  reflexion  de  Jesus.  Les  n:iots  siii- 
vants,  non  sunt  nobis...  et  duo  pisces,  sont 
comrauns  a  S.  Maiihieu  et  a  S.  Luc.  La  Qn 
du  t-  4  3,  nisi  forte  nos  (emf)hatique)  eamus... 
in  omnem  banc  turbam  (nouvelle  em  phase)..., 
se  rolrouve  avec  uiie  nuance  dansS.  Marc. 

'14-47.  —  Recil  du  miracle.  Voyez  I'E- 
vang.  selon  S.  Maiihieu,  p.  294  et  s.  — 
Quoique  Jesus  ait  devanl  lui  plus  de  cinq 
mille  personnes  a  nourrir  (MaUh.  viii,  24  ; 
Marc,  vr,  44),  les  cinq  pains  et  les  deux 
poissons  que  les  Apotres  ont  mis  a  sa  dispo- 
sition lui  suffisent  amplement,  car  sa  puis- 
sance u'a  pas  de  bornes.  Mais  lout  d'abord  il 
procede  au  placement  de  ses  convives,  pour 
rendre  la  distribution  di^s  vivres  plus  facile  : 
facite  illos  discumbere  (xaTax).tvaTe  aOTou;)  per 
eonvivia  (xXiaia;,  litteral.  «  per  discubitus  a, 
.par  divans,  ou  par  tables,  comme  nous  di- 


rions)  quinquagenos  (iva  7tevTY)xovTa) .  Comp. 
Marc.  VI,  39,  40  et  le  commeniaire.  «  Quod 
Lucas  hie  dicit  quinquagenos  jussos  esse  dis- 
cumbere, Marcus  vero  quinquagenos  et  cen- 
tenos,  ideo  non  movet,  quia  unus  partem 
dixit,  alter  tolum...  Existunt  saepe  aliqua 
ejusmodi,  quoe  parura  inlendenlibus,  lemere 
judicantibus,  contraria  videantur,  el  non 
sint  »,  S.  Auguslin,  de  Cons.  Evangel.  I.  iv, 
c.  46.  —  Distribuit;  dans  le  grec,  iSidov  4 
I'imparfait,  comme  dans  le  second  Evangile  : 
il  donnail  el  conlinuait  de  donner  ce  pain 
miraculeux,  jusqu'a  ce  que  tout  le  monde  fut 
servi.  Comme  le  dit  S.  Augustin,  Enarrat.  ii 
in  Ps.  ex.  10,  «  fontes  panis  erant  in  mani- 
bus  Domini  ». 

20.  Confession  d©  S  Pierre  et  premiere 
annonce  de  la  Passion,  tx,  18-27.  —  Parall. 
Matlh.  XVI,  13-28;  Marc    viii,  27-39. 

II  regno  ici  ime  lacune  considerable  dans  le 
troisieme  Evangile.  Tous  k-s  evenemenls  ra- 
contes  parS.  .Maiihieu,  xiv,  22-xvi,  4  2,  et  par 
S.  Marc,  vi,  45-vin,  26.  c'est-a-dire  la  marche 
de  Jesus  sur  les  eaux,  les  miracles  operas 
dans  la  plaine  de  Gennesareth,  la  discussion 


CHAPITRE    IX 


187 


18.  Et  factum  est.  cum  solus  esset 
orans,  erant  cum  illo  et  discipuli  : 
et  interrogavit  illos,  dicens  :  Quern 
me  dicunt  esse  turbse? 

MaClk.  16,  ^3■,  Marc.  8,J27. 

19.  At  illi  responderuut,  et  dixe- 
Tunt  :  Joannem  Baptistam ;  alii  au- 
tem  Eliara ;  alii  vero  quia  unus  pro- 
pheta  de  prioribus  surrexit. 

20.  Dixit  autem  illis  :  Vos  autem 
-quern  me  esse  dicitis?  Respondens 
Simon  Pelras  dixit  :  Christum  Dei. 

21.  At  ille  increpans  illos,  prsece- 
pit  lie  cui  dicerent  hoc. 


IS.Etil  advint  qu'etant  a  prier 
seul,  il  y  avait  avec  lui  ses  disci- 
ples. Et  il  les  interrogea  disant :  La 
foule,  qui  dit-elle  que  je  suis? 

19.  lis  lui  repondirent :  Jean-Bap- 
tiste;  d'autres,  Elie;  d'autres,  un 
des  anciens  prophetes  qui  est  res- 
suscite. 

20.  Et  il  leur  dit  :  Mais  vous,  qui 
dites-vous  que  je  suis?  Simon  Pierre 
repondantdit :  Le  Christ  de  Dieu. 

21.  Mais  il  leur  enjoignit  avec  au- 
torite  de  ne  le  dire  a  personne; 


avec  les  Pharisiens  au  sujel  dii  pur  cl  de 
I'lmpur,  le  voyage  de  Notre-Seigneur  en  Phe- 
nicie,  la  guerison  de  la  jeiine  Chananeentie, 
le  retour  de  Jesus  dans  la  Decapole,  la  se- 
<:onde  mulliplicalion  dos  pains,  la  demande 
d'un  signo  par  les  sectaires  jmfs,  etc.,  onl  eld 
passes  sous  silence  par  S.  Luc  (voyez  I'Har- 
monie  evangelique).  Mais  a  son  tour  il  nous 
fournira  bienloi  de  nombreux  details  omis 
par  les  autres  biographes  de  Jesus. 

a.  La  confession  de  S.  Pierre,  ff.  18-20. 

18.  —  Et  factum  est...  La  iocalite  nVst 
pasmentionnee ;  mais  nous  savons,  grace  aux 
deux  pre,..iiTS  synopliqurs,  qm;  Auin-Si'i 
gneur  se  Lrouvail  alors  aux  alentours  de  Ce- 
sarde  de  Philippe,  a  environ  40  kilometres  au 
N.  de  Bolhsaida-Julias.  Cfr.  Baedeker's  Pa- 
lestina  und  Syrien,  p.  396,  el  nos  coinmen- 
taires  sur  S.  Mallhieu,  p.  320,  et  sur  S.  Marc, 
p.  125.  —  Cum  solus  esset  orans.  Details  pro- 
pre^  a  noire  evangelisle.  La  solitude  de  Jesus 
n'elail  pas  absoluis  puisque  erant  cum  illo  et 
discipuli  (dans  le  grec  :  «  cum  illo  disci- 
puli »,  sans  la  cor.jonclion  xat),  niais  seule- 
menl  relative,  par  rapport  a  la  foule  qui  sui- 
vail  le  divin  Mailre  a  quelque  distance.  Cfr. 
1^.  23  (:t  Marc,  viii,  34.  Quynt  a  I'objet  de  la 
priere  du  Sauveur,  il  est  clairement  indique 
par  les  circonstances  :  «  orans  Patrem  pro 
discipulorum  illuminalione,  ut  Paier  reve- 
laret  eis  cognilionem  ipsius  ».  Fr.  Luc  de  Bru- 
ges. C'etait  alors  une  epoque  de  crise  dans  la 
vie  de  Jesus,  comme  le  demontreronl  les  in- 
cidents qui  suivent ;  c'est  pourquoi  il  s'adres- 
salt  avec  instance  a  son  Pere  celeste.  — 
Quern  medii-unt  esse  turbce?  ol  3x^°'  (S.  Matth. 
et  S.  Marc,  ol  dveptoTtoi,  «  homines  »>),  le  peu- 
ple  en  general,  ces  multitudes  enlhousiastes, 
mais  ignoranles,  qui  me  suivent.  Assurement, 
Jesus  n'inlerrogeait  pas  les  Douze  pour  avoir 
sur  ce  point  une  information  proprement 
dile;  mais  il  voulait  obtenir  d'eux  un  acte  de 


lui  formel  au  sujel  de  son  role  messianique 
et  de  sa,  nature  divine. 

19.  —  At  illi  responderunt...  Les  Apotres, 
dans  leur  reponse,  menlionnenl  les  trois  hy- 
potheses que  nous  avons  entendu  relentir 
precedemment  (lir.  8)  dans  le  palais  d'Herode 
a  propos  de  Jesus.  Voyez  le  commentaire  sur 
S.  Malthieu,  p.  321.  La  locution  propheta 
de  prioribus  est  de  nouveau  uue  parlicularite 
de  S.  Luc.  Alii  autem  (aXXot  S^)  supposeraitun 
«  alii  quidem  »  ol  (J-ev)  qui  n"fsl  pas  exprimd, 

20.  —  Vos  autem.  «  Ali!  que  de  grandeur 
dans  ce  Vous!  II  les  di>lingue  de  la  foule, 
afin  qu'ils  onevilenl  les  opinions;  comme  s'il 
disail :  Vous  qui,  par  mon  choix,  avrz  ete  ap- 
peles  a  raposlolat;  vous,  les  temoins  de  mes 
miracles,  qui  dites-vous  que  je  suis  »?  S.  Cy- 
rille.  Cat.  graec.  Pair.  —  Respondens  Simon 
Fetrus.  «  S.  Pierre  s'elance  en  avant  iTrpo7i-/i8a) 
pousse  par  I'ardeur  de  sa  foi  ».  S.  Jean  Chry- 
soslome.  Le  texte  grec  ne  cite  que  le  second 
nom  du  prince  des  Apotres,  6  Ui-zpoQ.  — 
Christum  Dei,  plus  energiquement  dans  le 
grec,  Tov  XpioT^v  xoO  0eou.  Les  termes  de  la 
confession  de  S.  Pierre  varienl  dans  les  trois 
synopliques.  S.  Matthieu  a  conserve  la  for- 
mule  complete  de  ce  bel  actede  foi  :  «  Tu  es 
Christus,  filius  Dei  vivi  ».  La  redaction  de 
S.  Marc  est  la  plus  condensee  :  «  Tu  es 
Christus  ».  Celle  de  S.  Luc  tient  le  milieu 
entre  les  deux  autres.  Au  fond  ils  expriment 
tons  clairement  !a  m6me  pensee.  Le  litre 
«  Christ  de  Dieu  »  avait  deja  fait  une  pre- 
miere apparition  dans  noire  Evangile,  ii,  26. 
—  Voyez  dans  S.  Matthieu,  xvi,  17-19.  les 
magnitiques  promessesque  S.  Pierre  re^ut  de 
Jesus  en  echange  de  sa  noble  confession. 

b.  La  Passion  du  Christ.  }}.  21  et  21. 

21.  — At  ille  increpans...  Dans  le  grec, 
I'rttTifiri.Ta;,  mol  tres  fort,  souvent  employ^ 
par  les  synopliques  en  de?  circonstances  ana- 
logues. Voyez  Bretschneider,  Lexic.   man.. 


188 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


22.  Ajoutant  :  II  faiit  que  le  Fils 
de  I'homme  souffre  beaucoup,  qu'il 
soil  rejetc  par  les  aiiciens  et  les 
princes  des  prelres  et  les  scribes,  et 
qu'il  soil  mis  a  mort  et  qu'il  ressus- 
cite  le  Iroisieme  jour. 

23.  II  disait  encore  a  tous  :  Si 
quelqu'un  veut  venir  apres  moi, 
qu'il  se  renonce  lui-meme  et  porta 
sa  croix  chaque  jour  et  me  suive. 

24.  Gar  celui  qui  voudra  sauver 
sa  vie  la  perdra,  et  celui  qui  perdra 
sa  vie  a  cause  de  moi  la  sauvera. 


25.  Kt  que  sert  a  Thomme  de  ga- 


22.  Dicens  :  Quia  oportet  Filium 
hominis  multa  pati,  et  reprobari  a 
senioribus,  et  principibus  sacerdo- 
lum,  et  scribis,  et  occidi,  et  tertia 
die  resnrgere. 

Malt.  17,  21;  Marc.  8,  31  et  9,  30. 

23.  Dicebat  autem  ad  omnes  :  Si 
quis  vult  post  me  venire,  abneget 
semetipsum,  et  tollat  crucem  suam 
quolidie,  et  sequatur  me. 

Maith.  19,  38  et  16,  "24;  Marc.  8,  34;  Joe.  J4,  27. 

24.  Qui  enim  voluerit  animam 
suam  salvam  facere,  perdet  illam  : 
nam  qui  perdiderit  animam  suam 
propter  me,  salvam  faciei  illam. 

Infr.  17,  33;  Joan.  1-2,25. 

2o.   Quid  enim  proticit  homo,  si 


S.  V.  —  Ne  cut  dicerenl  hoc  [a  quia  ipse  essel 
Chrislus  »,  S.  Matlh.).  Le  lemps  n'eiail  pas 
encore  venu  de  faire  ceite  revelation  au  peu- 
ple.  On  eut  loul  compromis  en  manisfeslanl 
Irop  t6l  la  nature  superieure  de  Jesus  a  des 
esprils  mal  prepiires.  Du  reste,  comineNnlre- 
Seigneur  va  I'indiquer  au  t.  22,  couibien, 
apres  avoir  cru  d'abord  a  son  caraciere  mes- 
sianiqu^i  el  h  sa  divinile,  se  seraienl  cnsuite 
scandalises  de  sa  Passion  el  de  sa  moril 
Ainsi  done,  suivanl  une  heurcuse  pensee  de 
Riggenbach,  il  se  revele  et  se  voile  en  meme 
temps. 

22.  — II  regne,  toucliant  celle  douloureuse 
prophetie  de  Jesus,  une  coincidence  frap- 
panledans  les  trois  recits.  On  congoitque  des 
paroles  aussi  inaltendues  se  soient  gravees 
en  trails  ineffagables  dans  ie  coeur  des  Douze 
et,  par  suilo.  dans  la  catechese  rhreiienne. 
La  description  est  lellement  precise,  qu'on 
la  croirait  composee  apres  coup  par  un  his- 
torien.  Voyt^z  {'explication  des  passages  pa- 
rallel's deS.  Slalihieu  eldeS.  Marc.  Le  verbe 
grec  dTvooox'.fiaaSrivat,  qui  correspond  a  repro- 
bari de  la  Vulgate,  a  une  grande  energie 
(Cfr.  Breischneider,  Lex.  man.  s.  v.)  :  sa  tra- 
duction litlerale  serail  «  repudiari  tanquam 
spurium  el  inutile  ». 

c.  Le  renoncement  Chretien,  yf.  23-27. 

Voyez  I'explication  detaillee  dans  I'Evan- 
gile  selon  S.  Matlhieu,  p.  330  el  ss.,  el  dans 
I'Evang.  selon  S.  iMarc,  p.  128  et  ss.  La  res- 
semblance  est  rarement  aussi  complete  entre 
les  trois  synopiiques  :  c'est  a  peine  si  quel- 
ques  expression-  diireront. 

23.  —  Dicebat  ad  omnes.  A  ce  moment, 
Jesus  n'etail  done  plus  seul  avec  ses  disci- 


ples ;Cfr.  t.  18).  «  Et  convocala  turba  cum 
discipulis  suis,  dixit  cis...  »,  li.-ons-nous  dans 
le  second  Evangile.  —  Tollat  crucem  suam  : 
chacun  sa  croix  personnelle,  celle  qui  lui  a 
e'te  destinee  par  la  divino  Providence.  — 
Quotidie  :  mot  important,  qui  aftpanii-nl  en 
propre  a  la  redaction  de  S.  Luc.  L'abnegalion 
du  Chretien  ne  doit  pas  se  borner  k  quelques 
moments  isoles  de  sa  vie  :  il  faut  qu'elle  soil 
qiiotidii-nne,  perpetuelle.  La  locution  adver- 
biale  y.a6'  f,|x£pav  manque,  il  est  vrai,  dans 
d'assez  noinbreux  maniiscrits;  lontefois  sa 
presence  dans  les  meilleurs  temoins  (A,  B,  K, 
L,  M,  Sinait,,  etc.),  suffit  pour  garantir  son 
authenlicite.  S.  Jerome  I'avail  trouvee  deja 
a  in  vetustissimis  exemplaribus  a  ,Ep.  xvi 
ad  Princip  ),  <  t  I'lm  ne  coraprendrail  guere 
que  ce  fut  une  glose  inseree  dans  le  texte, 
des  lorsquelcs  deux  autresevangelistes  n'ont 
rieii  de  scmblable.  —  Et  sequatur  me.  Les 
Chretiens  dignes  de  ce  nom  forment,  a  la 
suite  de  Jesus  qui  ouvre  la  marche,  une  ton- 
gue proces-ion  de  crucifies. 

24.  —  Qui  enim  vulueri',...  Notre-S'^igneur 
demonlre  maintenant  la  necessite,  pour  le 
Chretien,  de  cette  a  via  cruci-  »  quolidienne. 
Ses  divers  arguments,  tt-  24-26,  sont  pre- 
sentes  sous  la  forme  piquante  des  jeux  de 
mots  et  des  antitheses.  Ici,  nou-avons  I'lmage 
d'un  liomme  qui  se  sauve  en  sa  p  rdanl,  ou 
qui  S3  p^rd  en  voulant  se  sauver.  —  Nam 
qui...  :  mii  ux  vaudrait  a  qui  autom  »,  con- 
lormement  au  grec. 

25.  —  Quid  enim  proficit...  Ce  n'est  qu'une 
nuance,  mais  en  meme  temps  c'est  une  con- 
firmation (Yap)  de  la  pensee  qui  precede.  — 
La  fin  du  verset,  se  ipsuni  perdat  etiu  aul  » 
d'apres   le   grec)   detrimentum  sui  faciatga 


CIIAPITRE  IX 


189 


liicretur  nniversum  mundum,  se 
autem  ipsum  perdat,  et  detrimen- 
tum  sui  facial? 

26.  Nam  qui  me  eriibuerit,  et 
meos  sermones,  hanc  Filius  homi- 
nis  enibescet,  cum  venerit  in  ma- 
jestate  sua,  et  Patris,  et  sanctorum 
anp:elorura. 

Matih.  10,  33;  Marc.  8,  38;  //  Tim.  2,  li. 

27.  Dico  autem  vobis  vere  :  Sunt 
aliqui  hie  stantes,  qui  non  gusta- 
bunt  mortem  donee  videant  rei?num 
Dei. 

Malth.  16,  28;  Marc.  8,  39. 

28.  Factum  est  autem  post  hsec 
verba  fere  dies  octo,  et  assumpsit 
Pelrum,  et  Jacobum,  et  Joannem, 
€t  ascendit  in  montem,  ut  oraret. 

Matth.  17,  1;  Marc.  9,  1. 


gner  le  monde  entier  s*il  se  perd  lui» 
meme  et  cause  sa  propre  ruine? 

26.  Gar  celui  qui  aura  rougi  de 
moi  et  de  mes  paroles,  le  Fils  de 
I'homme  rougira  de  lui  lorsqu'il 
viendra  dans  sa  majeste  et  dans 
celle  du  Pere  et  des  saints  anges. 

27.  Or,  je  vous  le  dis  en  verite  : 
II  y  en  a  quelques-uns  ici  presents 
qui  ne  gouteront  point  la  mort  avant 
d'avoir  vu  le  royaume  de  Dieu. 

28.  Environ  huit  jours  apres  qu'il 
eut  dil  ces  paroles,  il  prit  Pierre  et 
Jacques  el  Jean,  et  monta  sur  una 
montagne  pour  prier. 


regii  dans  noire  Evangiieune  forme  S[)eciale, 
legerem'-nl  emphalique.  Comparoz  les  pas- 
sages paralleles. 

26.  —  Qui  me  erubuerit...  hunc  Filius  ho- 
minis  erubescet.  «  Par  pari  refertur  »,  et 
jamais  los  vengeances  de  Jesus  n'auront  ele 
plus  legitimes,  lant  il  est  honteux  el  lache 
do  rougir  de  lui  el  de  sa  doclrini^  apres  lout 
ce  qu'il  a  daigne  faire  pour  nous.  —  Ici 
encore  nous  avons  une  legere  modification 
(Cfr.  Malll).  XVI,  27;  Marc  viii,  38).  Nolre- 
Seigneur  m'^niionne  trois  gloires  distmctes 
dont  il  si'ra  magnifiquemeni  enloure  quand 
il  vi  'ndra  juger  les  hommes  a  la  fin  des 
temps  :  sa  gloire  personnelle  (in  majestate 
sua),  la  maj'^siede  son  Pere  celeste  (et  Patris 
sui),  Teclal  brillanl  des  anges  qui  compose- 
ronl  sa  cour  [et  sanctorum  angelorutn). 

27.  —  Dico  autem  vobis  vere  •  a).7i6to;,  au 
lieu  de  ['expression  hebraique  ifAifiv  des  deux 
autres  ^vangelislos.  —  Sunt  aliqui  hie  stantes. 
«  Hie  »  est  emphalique,  a  slanles  »  pitto- 
resque;  les  disciples  et  la  foule  se  tenaient 
done  alors  deboul  aulour  du  Sauveur.  —  Sur 
h  sensde  la  promesso  non  gusta bunt  mortem 
donee...,  voyez  I'Evangile  selon  S.  Mallhieu, 
pp.  332  et"333.La  Transfiguration,  malgre 
loiiies  ses  spli'nieurs,  n^  saurail  meriier 
d'lin'^   maniere  adequate  le  nom  de  regnum 

Dei    («  n(>n   proprie    regnum,  seii fijluri 

reiiiu  imago  erat  »,  Maldonal);  elle  ne  realisa 
pas  dans  leur  entier  ies  paroles  de  Jesus. 

21.  La  Transfiguration,  ii,  28-36.  —  Parall. 
Matth.  XVII,  1-13;  Marc,  ix,  1-12. 

All  point  d)  vue  de  la  forraj  exlerieure, 
oous  avons  en  cet  endroit  le  conlraire  de  ce 


qui  a  ele  remarque  a  propos  des  versets 
precedents,  car  il  regne  dans  les  trois  re- 
cits  une  grande  variele  d'expressions.  Pour 
le  fond,  nous  sommes  redevables  a  S.  Luc 
de  plusieurs  delads  bien  precieux,  entre 
autres  :  t.  32,  «  gravati  erant  somno  »,  «  et 
evigilantes...  »,  «  qui  siabaiu  »  ,  t.33,  «  quum 
disced^-rent  ab  ilio  »;t-  34,  «  intrant  b  is  illis 
in  nubem.  »  —  Ce  glorieux  evenement 
marque  le  faite  de  I'existence  humaine  du 
Sauveur.  Jusqu'ici  on  peut  reconnaitre,  spe- 
cialement  dans  sa  vie  publique,  un  mouve- 
ment  ascensionnel  constant  pour  ce  qui 
regarde  son  succes  aupres  des  liommes.  De- 
sormais  altendons-nous  a  descendre.  Ses 
miracles  seront  pen  nombreux  (on  n'en 
compte  que  cinq  depuis  la  Transfiguration 
jusqii'a  la  Passion);  sa  predication  publique 
deviendra  rare;  il  aura  souvent  sur  les  levres 
des  allu-ions  a  sa  mort  prochaine;  il  vivra  le 
plus  habiluelleraent  dans  la  relraile,  avec 
ies  siens. 

28.  —  Post  hcec  verba  fere  dies  octo.  Sur 
cette  maniere  speciale  de  compter  les  jours 
qui  separerent  la  confession  de  S.  Pierre  d3 
la  Transfiguration,  voyez  I'Evangile  selon 
S.  Mallhieu,  p.  334.  —  Ascendit  (avs'gri; 
S.  Mat  til.  et  S.  Marc,  iva^epeO  in  monlem 
(T6  6po;avec  rarticle).  Celle  montagne  etail 
le  Thabor  suivant  les  uns,  I'Hermon  suivant 
les  autres.  «  Verisimile  fit.  salvo  m^liori 
judicio,  ut  superiora  (tt.  18  et  ss.)  ila  et  haec 
consequenlia  ,  in  parlibus  Caesareae  Plulippi 
conligisse  »  (Luc  de  Bruges),  par  consequent 
sur  I'Hermon  ou  I'un  de  ses  conireiorts. 
Voyez  Schanz,  Cominentar  iiber  das  Evang. 
des  heil.  Matlh.,  1879.  pp.  385  el  s.  —  tjt 


490 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


29.  Et  pendant  qu^il  priait,  I'as- 
pect  de  sa  face  devint  tout  autre,  et 
sou  vetement  devint  blanc  et  bril- 
laut. 

30.  Et  voila  que  deux  hommes 
s'entretenaient  avec  lui,  el  c'etaient 
Moise  et  Elie, 

31.  Apparus  avec  majeste.  Et  ils 
parlaient  de  sa  sortie  du  monde 
qu'il  devait  accomplir  a  Jerusalem. 

32.  Gependant  Pierre  et  ceux  qui 


29.  Et  facta  est,  dum  oraret,  spe-^ 
cies  vultus  ejus  altera;  et  vestitus 
ejus  albus  et  refulgens. 

30.  Et  ecce  duo  viri  loquebantur 
cum  illo.  Erant  autem  Moyses,  et 
Elias, 

31.  Visi  in  majestate  :  et  dice- 
bant  excessum  ejus,  quern  coraple- 
turus  erat  in  Jerusalem. 

32.  Petrus  vero,  et  qui  cum  illo- 


oraret  :  lei  fut  le  but  direct  que  Jesus  se 
proposail  en  gravissaiU  la  montagne  avec  ses 
disciples  privilegies. 

29.  —  Dum  oraret  (repetition  pleine  d'era- 
phase  pour  relever  le  rapport  qui  exista  entre 
le  prodige  et  la  priere  de  Jesus).  Pendant 
que  le  Sauveur  elait  plonge  aans  sa  profonde 
et  mysterieuse  oraison,  sa  personne  devint 
lout  a  coup  robjet  d'un  merveiileux  pheno- 
raene.  Pour  decrire  la  [)articularile  priiicipale 
du  miracle,  S.  Luc  n'emploio  pas  le  verbe 
(i.eT£(iop(pw9Yi.  donl  S.  Matlhieu  et  S.  Marc 
avaient  fail  usage  :  peut-etre,  comme  on  I'a 
dil,  I'a-t-il  eviie  a  dessein,  parce  que  les 
palens  en  abusaient  pour  designer  les  meta- 
morphoses de  leurs  dieux,  et  qu'il  voulait 
ecarter  de  I'esprit  de  ses  lecteurs  lout  sou- 
venir profane  et  superslitieux.  II  a  done  re- 
cours  a  une  circonlocution,  facta  est  species 
vullus  ejus  altera ;  ce  qu'il  rie  faut  pas  en- 
tendre d'un  changiMneiit  opere  dans  les  linea- 
ments du  visage,  uiais  do  Fecial  surnatu- 
rel,  de  la  beaute  divine,  qui  firent  resplendir 
la  pliysionomie  de  Jesus.  «  Transformalio 
splendoreni  addidit,  faciem  non  subtraxil.  » 
S.  Jerome.  —  Veslitus  ejus  albus  et  refulgens, 
Xsuy.o;  xai  £$affTpd7tTwv ;  ce  dernier  mot  si- 
gnifie  lilleralement  :  langant  des  eclairs. 
«  TransGiiuralur  in  eminenlem  quamdam  ac 
Deo  convenienlem  claritalem,  ul  ipsum  etiam 
vestimentum  lucis  quosdam  radios  evibrarel 
et  fulguri  esse  simile  viderelur.  »  S.  Cyrill. 
in  Cat.  graec.  Pair.  La  preposition  il  indique 
fort  bien  que  la  lumiere  eblouissante  des  ve- 
temenls  provenait  «  ab  intra  »,  c'est-a-dire 
du  corps  transfigure  de  Jesus. 

30.  —  Et  ecce  duo  viri...  Gelle  maniere  de 
presenter  au  lecleur  les  deux  temoins  celestes 
du  myslere  de  la  Transfiguration  est  spe- 
ciale  a  S.  Luc.  11  se  place  au  point  de  vue 
des  trois  apotres,  pour  lesquels  les  interlo- 
cuteurs  myslerieux  de  Jesus  ne  furentd'abord 
que  des  hommes  inconnus.  Mais  bientol  il 
devint  manifeste  que  c'etaient  Moise  et  Elie 
(comparez  S.  Maiihieu  et  S.  Marc).  Quel 
spectacle  sur  la  sainte  montagne  1  «  Hie  Do- 


minuSv  hie  Lex  et  Prophelae ;  sed  Dominus 
lanquam  Dominus;  Lex  in  Moyse,  Prophelia 
in  Eiia;  sed  ipsi  tanquam  servi,  lanquam 
ministri.  »  S.  August.,  Serm.  Lxxviii. 

31.  —  Visi  in  majestate  ev  oo^t;,  c'est-a- 
dire  «  in  gloriosa  specie  ».  lis  etaienl,  eux 
aussi,  brillanls  et  transfigures.  —  El  dice- 
bant  excessum  ejus.  Le  mot  grec  l^oSo;,  de 
meme  que  son  correlalif  latin  «  excessus  », 
signifie  propremenl  «  depart  ».  La  suite  du 
verset,  quern  complelurus  erat  in  Jerusalem, 
designe  clairement  de  quelle  espece  de  de- 
part il  est  ici  question.  Jesus  avail  eu  soa 
elffoSo;  (Act.  xiii ,  24)  a  Bethleem  :  son 
«  exode  »  de  Jerusalem  n'esl  autre  que  sa 
morl  :  Tov  GavaTov,  dit  Theophylacte ;  ou 
plulot.ce  «  vocabulum  valde  grave,  »  comme 
I'appelle  juslemenl  Bengel,  ne  correspond 
pas  seulemenl  au  dernier  soupirdu  Sauveur, 
mais  il  embrasse  loutes  les  scenes  du  grand 
drame  par  lequel  Jesus  devait  soriir  de  c© 
monde  et  remonter  au  ciel  ^«  quo  continelur 
passio,  ciux,  mors,  resurrectio,  ascensio  »). 
Sur  cet  emploi  de  e^ooo?  et  de  «  excessus  », 
voyez  Sap.  ni,  2;  vii,  6;  II  Pelr.  i,  13  (lieToc 
TT.v  e|jir)v  E$o5ov) ;  Cic.  de  Rep.  II,  30  ;  Bret- 
schneider,  Lex.  man.  s.  v.  11  est  elonnant 
qu'a  deux  reprises  S.  Jean  Chrysoslome  ait 
lu  66?av  pour  e5o5ov.  Aucun  manuscrit,  au- 
cune  version  n'appuie  sa  varianle.  —  Quel 
theme  de  conversation  entre  Jesus,  Moise  et 
Elie  en  ce  moment  glorieux !  La  morl  du 
Christ  etail  done  bien  le  point  central  de  la 
Loi  el  des  Propheles  1  De  la  Loi,  par  le& 
nombreuies  viclimes  figuratives;  des  Pro- 
pheles, par  leurs  oracles  aussi  nets  que  nom- 
breux. 

32.  —  Du  Sauveur  transfigure  et  de  ses 
deux  compagnons  celestes,  I'evangelisle  nous 
ramene  aux  apotres.  Le  premier  trail,  gra- 
vali  erant  somno  iplus  fortemenl  encore  dans 
le  grec,  ^sav  p£6apyi[ji£votuitvw',  semble  indi- 
quer  que  le  miracle  de  la  Transfiguration 
eut  lieu  pendant  la  null  (Cfr.  t.  37).  Nean- 
moins  il  est  possible,  suivant  I'excellente  re- 
flexion de  S.  Jean  Chrysoslome  el  de  S.  Am- 


CHAPITRE  IX 


<W 


eranl,  gravati  erant  somno.  Et  vi- 
gilantes videmnt  majestatem  ejus, 
et  duos  viros,  qui  stabant  cum  illo. 

33.  Et  factum  est  cum  discederent 
ab  illo,  ait  Petrus  ad  Jesum  :  Prse- 
ceptor,  bonum  est  nos  hie  esse;  et 
faciamus  tria  labernacula,  unum 
tibi,  et  unum  Moysi,  etunum  Elite  : 
nesciens  quid  diceret. 

34.  Hsec  autem  illo  loquente,  facta 
est  nubes,  et  obumbravit  eos  : 
et  timuerunt  intrantibus  illis  in 
nubem. 

35.  Et  vox  facta  est  de  nube  di- 
cens  :  Hie  est  filius  meus  dilectus, 
ipsum  audite.  n  Peir.  i,  n. 

36.  Et  dum  fieret  vox.  inventus 


etaient  avec  lui  etaient  accables  d& 
sommeil,  et  se  reveillant  ils  virent 
sa  gloire  et  les  deux  hommes  qui 
etaient  avec  lui. 

33.  Et,  lorsqu'ils  s'eloignerent  de 
liii,  Pierre  dit  a  Jesus  :  Mai'tre,  c'est 
bon  pour  nous  d'etre  ici;  faisons  trois 
tentes,  une  pour  vous,  Fautre  pour 
Moise,  I'autre  pour  Elie.  II  ne  savait 
ce  qu^il  disait. 

34.  Gomme  il  parlait  ainsi,une 
nuee  se  forma  et  les  enveloppa  de 
son  ombre,  et,  lorsqu'ils  entrerent 
dans  la  nuee,  eux  furent  saisis  de 
frayeur. 

35.  Et  une  voix  sortit  de  la  nu6e 
disant  :  Gelui-ci  est  mon  Fils  bien- 
aime,  ecoutez-le. 

36.  Et  pendant  que  la  voix  par- 


broise,  que  S.  Luc  n'ail  pas  tani  voulu  si- 
gnaler ici  une  somnolence  naturelle  que  I'es- 
p6ce  de  lorpeur  dans  iaquelle  les  sens  humains 
8ont  quelqiiefois  plonges  par  la  vue  des  divins 
phenomenes  :  uuvov  evTa06a  xaXtov  (6  Aouxa?) 
tiv  itoXuv  xdpov  Tov  airo  ttj;  v^toD^  exeivrii;  auxoi? 
•Ylfivoixevov  (S.  Jean  Chrys,).  —  Evigilantes. 
Cette  Iraduclion  de  SiaYprjyopviffavTe;  esi  con- 
teslee  par  divers  philologues  qui,  s'appuyanl 
d'une  part  sur  relymolugie  (6ia  et  ypTiYopew, 
lilleral.  je  veille  a  lravers),de  I'aulru  sur  les 
auleurs  classiques,  donnunl  a  notre  verbe 
grec  le  sens  de  demeurer  eveille.  D'apres 
eux  et  les  commentateurs  qui  se  sent  in- 
pires  de  leur  avis,  les  apoires  auraierU  done 
domine  a  I'aide  de  vigoureux  eflorls  le  som- 
meil qui  les  envaliissait.  Mais  la  version  de 
la  Vulgate  a  encore  de  nombreux  defenscurs: 
elle  est  du  resle  beaucoup  plus  nalurelle. 
Ajoutons  que  le  grec  du  Nuuveau  TesLament, 
comme  celui  des  Seplaale,  n'est  pas  loujours 
d'accord  avec  celui  des  classiques,  les  ecri- 
vains  sacres  altribuant  a  certains  mots  des 
ecceplions  peu  ou  point  usilees  en  dehors  de 
leurs  livres.  —  Viros  qui  stabant  cum  illo: 
trait  pitloresque,  qui  nous  fail  connailre  I'at- 
tilude  de  Jesus,  de  Molse  et  d'Elie. 

33. —  Cum  discederent  ab  illo  (scil.  «  Moyses 
el  Eliasa).  La  conversation  a  pris  fin,  elvoici 
que  les  represenlanls  de  la  Loi  et  des  Pro- 
"  >hdles  coiiimencenl  a  s'eloigner.  S.  Pierre  s'en 
ipergoil  el,  desireux  de  prolonger  le  plus 
jossible  ces  monii  nls  fortunes,  il  propose  a 
son  Maitre  de  se  mettre  immedialcment  k 
Tosuvre  («  Pelrus,  non  solum  affeclu,  sed 
etiam  faclorum  devolione  praeslantior  » 
S.  Ambr )  avec  Jacques  el  Jean,  pour  cons- 


truire  trois  abris  qui  permeUroul  aus  trois 
augustes  inlerloculeurs  de  resler  longlemps 
sur  la  montagne.Mais  il  parlait  ainsi  nesciens 
quid  diceret ;  il  avail  I'espril  tout  trouble  par 
sa  vive  emotion.  —  Praceptor  :  in^a16.^a, 
Kupie  dans  le  premier  Evangile,  (xxBSi  dans  le 
second. 

34.  —  Facta  est  nubes:  «  lucida  »,  ajoule 
S.  Malthieu.  —  Et  obumbravit  eos,  c'est4-dir© 
Jesus,  Molse  et  Elie,  comme  il  ressort  du 
conlexie  :  intrantibus  illis  (exeivoui;,  ceux-la; 
la  varianle  auTous  des  manu-criis  B,  C.  L, 
Sinait.,  est  muiiis  aulorisee)  in  nubem.  Les 
apotres  reslerenl  done  en  dehors  de  la  nuee, 
qui  eiait  precisemenl  destinee,  dit  S.  Am- 
broise,  a  leur  pei  lueltre  de  supporter  la  pre- 
sence de  la  divinite.  Ce  nuage  bnllanl  ful 
sans  doule  de  meuie  nature  que  celui  qui 
voila  plus  lard  le  Sauveur  montant  au  ciel, 
Act.  1,  9.  —  Timuerunt :  les  disciples  furent 
saisis  d'effroi  a  la  vue  de  cette  nouvelle  ma- 
nifeslion  surnalurelle,  plus  mysterieuse  quo 
loules  les  piecedenles. 

35.  —  C'esl  ici  le  fail  principal.  Dieu  lui- 
meme  prend  la  parole  pour  rediie  clairenient 
(Cfr.  III.  22)  l(^s  relations  qui  I'uiiissent  a 
Jesus :  Hie  est  Fdius  meuslAa  lieu  de  dyairoTo; 
(dilectus),  plusietirs  critiques  disiingues 
(Lachmann,  Tiscliendorf,  Tregelles)  adoplent 
la  leQon  exXeXeytie'voi;  («  eleclus  »),  que  palron- 
nent  les  manuscrils  B,  L,  Z,  Sinail.,  et  la 
version  cople. 

36.  —  S.  Luc  abrege  notablement  la  fin  du 
recil;  voyez  dans  les  passages  parallelesde 
S.  Mallliieu  et  de  S.  Marc  les  details  qu'il  a 
condenses  en  eel  end  roil.  —  Ipsi  lacnerunl  et 
nemini  dixerunt.  Repelilion  emphatique,  pour 


49S 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


lait,  Jesus  se  trouva  seul.  Et  eux  se 
turent  et  ne  dirent  a  personne 
en  ces  jours-la  rien  de  ce  qu'ils 
avaient  vu. 

37.  Et  le  jour  suivant,  lorsqu*ils 
desceiidaient  de  la  montagne,  uue 
foule  nombreuse  vint  au-devant 
d'eux. 

38.  Et  voila  qu'un  homme  de  la 
foule  s'ecria,  disant :  Maitre,  je  vous 
en  supplie,  jetez  un  regard  sur  men 
fils,  car  c'est  mon  unique  fils. 

39.  Et  voila  qu'un  esprit  se  saisit 
dc  lui  et  aussit6t  il  crie,  puis  il  le 
jette  en  terre  et  I'agite  en  le  faisant 
ecumer,  et  a  peine  le  quitte-t-il 
apres  I'avoir  dechiro. 

40.  J'ai  prie  vos  disciples  de  le 
chasser  et  ils  n'ont  pas  pu. 


est  Jesus  solus.  Et  ipsi  tacuerunt, 
et  nemini  dixerunt  in  illis  diebus 
quidquam  ex  his  quae  viderant. 

37. Factum  est  autem  in  sequenti 
die,  descendentibus  illis  in  monte, 
occurrit  illis  turba  mulla. 

38.  Et  ecce  vir  de  turba  exclama- 
vit,  dicens  :  Magister,  obsecro  te, 
respice  in  filium  meum,  quia  uni- 
cus  est  mihi  : 

Multh.n.li;  Marc.  9,  16. 

39.  Et  ecce  spiritus  apprehendit 
eum,  et  subito  clamat,  et  elidit,  et 
dissipat  eum  cum  spuma,  et  vix 
discedit  dilanians  eum  : 

40.  Et  rogavi  discipulos  tuos  ut 
ejicerenl  ilium,  et  non  poluerunt. 


mettre  en  relief  le  silence  garde  par  les  trois 
lemoins  privilegies  du  miracle.  Jesus  leur 
avail  dii  resle  fortement  prescril  de  garden 
le  secret.  —  In  illis  diebus  represente,  d'apres 
S.  Marc,  IX,  8,  le  temps  qui  s'ecoula  jusqu'a 
la  Resurrection  de  Notre-Seigneur. 

23.  Gu6rison  d'un  paralytique.  ix,  37-4J. 
Parall.  Matlh.  xvii,  i4-20;  Marc,  ix,  17-28. 

S.  Luc  abrege  encore;  il  a  meme  omis 
divers  traits.  Sa  description  de  I'eialdu  ma- 
lade  au  If.  39  rappelle  neanmoins  celle  de 
S.  Marc,  qui  est  si  belle  ct  si  graphique. 

37.  —  In  sequenli  die.  D,>  ce  petit  detail 
chroiiologiqii!%  signale  par  le  seui  S.  Luc,  il 
rcsulle  que  Jesus  et  les  siens  avaient  pas>e 
la  nuit  sur  ia  montagne  de  la  Tran-figuraiion  , 
probablement  meme  que  le  prodige  avait  eu 
lieu  pendant  la  nuit.  —  Oaurrit  illis  turba 
multa.  Voyez  dans  la  narration  de  S.  Marc 
des  particularile-  pleines  d'interet. 

38.  —  Magisler...  Cette  premiere  partie  de 
la  demande  du  suppliant  est  exposee  dans 
noire  Evangile  sous  un-^Lrme  tres  (ouchante. 
—  Ohsccro  te,  quia  unirus  est  mihi,  sent  des 
traits  propres  a  S.  Luc.  Respice  in  filium  meum 
(S.  Matlh.  «  miserere  filio  meo  »)  est  d'une 
>;rande  delicatesse.  «  J'admire  la  sagesse  de 
eel  hnmme.  s'ecrie  Tito  de  Bosra  (Cat. 
D.  Thorn.,  h.  1.).  II  ne  dit  pa-  an  Sauveur : 
Faites  ceci  on  cela,  mais  :  RegardezI  car 
tela  puffit  pour  lo  guerir.  C'est  ainsi  que  le 
Prophele  disait  :  Regardez  et  prencz  pitie  de 
moi  ». 

39.  —  Le  pauvre  pere  essaie  d'exciter  da- 
vaniage  encore  la   piti^  de  Jesus  par  une 


peinlure  energique  des  terribles  crises  qui 
saisissaient  freqnemmenl  son  fils.  —  Spiritus 
apprehendit  eum.  La  maladie  nerveuse  dont 
souffrait  I'enfant  elait  done  la  consequence 
d'une  possession  demoniaque.  —  Subito  cla- 
mat (trait  special).  Remarquez  le  brugque 
changemenl  des  sujets,  si  conforme  aux  sen- 
timents emus  du  suppliant.  «  Clamat  »  re- 
tombe  en  effet  sur  le  malade  et  non  sur  le 
demon.  —  Elidit  (scil.  «  spiritus  »)  et  dissi- 
pat eum.  II  n'y  a  qu'un  verbe  dans  le  texte 
grec,  (jnapiffcrei,  «  dislorquet  ».  —  Cum 
spuma.  Paulus  JEginela,  I'ui)  des  derniers 
medecins  illustres  de  I'anliquite,  cite,  dans 
sa  description  de  I'epilepsie,  plusieurs  cir- 
coiislances  qui  presenteiu  une  giande  analo- 
gie  avec  le  trisle  tableau  trace  de  concert 
par  les  trois  synopliques  :  «  Morbus  comi- 
lialis  est  convulsio  tolius  corporis,  cum  prin- 
cipalium  actionum  laesione...  Fil  haec  affectio 
maxime  in  pu(?ri5,  postea  vero  in  adolescen- 
tib.is...  Ins! ante  vero  jam  syinptomate,  col- 
lapsio  ipsis  derepente  coulingil  et  convulsio, 
et  quandoque  nihil  significans  eidamatio. 
Praecinuum  vero  ipsoruui  signum  est  orit 
spuma  »  (Ap.  Trench,  Notes  on  the  Miracles 
of  Our  Lord,  1870,  p.  388;.  L'enfant  elait 
done  viaisemblablement  epilepiique  ;  mais 
I'evangeliste  medecin  n'hesite  pas  k  recon- 
nailre  ici  quelqiie  chos  >  de  plus  que  le  mal 
physique.  —  Vix  discedit  (le  grec  ajoute  : 
«  ab  eo  »)  dilanians  eum  (ouvxptgov,  litlerale- 
ment  :  «  conlerens  »].  Nouvelle  particularite 
de  S.  Luc.  pour  clore  le  tableau. 

40.  —  El  rogavi...  et  «on  potuerunt.  Dans 
les  deux  aulres  narrations,  Jesus  explique  uh 


CHAPITRE  IX 


493 


41.  Respondens  autem  Jesus, 
dixit :  0  generalio  infidelis,  et  per- 
versa, usquequo  ero  apud  vos^  et 
patiar  vos?  Adduc  iiuc  filiiim  tuum. 

42.  Et  cum  accederet,  elisit  ilium 
dsemonium  et  dissipavit. 

43.  El  increpavit  Jesus  spiritum 
immundum,  et  sanavit  puerum,  et 
reddidit  ilium  patri  ejus. 

44.  Stupebant  autem  omnes  in 
magnitudine  Dei;  omnibusque  mi- 
rantibus  in  omnibus  quae  faciebat, 
dixit  ad  disci pulos  suos  :  Ponite  vos 
in  cordibus  vestris  sermones  istos  : 
Filius  enim  hominis  futurum  est  ut 
tradatur  in  manus  hominum. 

4b.  At  illi    ignorabant    verbum 


41.  Jesus  repondit  :  0  race  infi- 
dele  et  perverse,  jusques  a  quand 
serai-je  avec  vous  et  vous  suppor- 
terai-je  ?  Amene  ici  ton  fils. 

42.  Et  comme  il  approchait,  le 
demon  le  jeta  contre  terre  et  I'agita 
violemment. 

43.  Et  Jesus  raenaca  I'espril  im- 
monde  et  guerit  I'enfant  et  le  rendit 
a  son  pere. 

44.  Et  tous  etaient  dans  la  stu- 
peur  devant  la  grande  puissance  de 
Dieu.  Et  comme  tous  admiraient 
tout  ce  qu'il  faisait,  il  dit  a  ses  dis- 
ciples :  Pour  vous,  mettez  dans  vos 
coeurs  ces  paroles  :  II  arrivera  que 
le  Fils  de  Thomme  sera  livre  entre 
les  mains  des  hommes. 

4b.  Mais  ils  ne  saisissaient   pas 


pen  plus  bas  aux  disciples  le  motif  de  leur 
impuissancc  humilianle.  Voycz  I'Evang.  selon 
S.  Mallh.,  p.  343  et  ss.  Le  t.  41  indique  du 
moins  implicitement  ce  motif. 

41.  —  Le  Sauveur  est  vivement  affecte  de 
I'echec  des  siens.  Ne  leur  avail-il  pas  donne 
de  pieins  pouvoirssur  tons  les  demons?  Mais 
ni  eux,  ni  le  peuple,  n'ont  une  foi  suffisante, 
et  c'est  pour  cela  qu'ils  sent  vaincus.  La  pen- 
see  de  cette  incredulile  parlielle  chez  les 
uns,  totale  pour  les  aulres,  fait  souhailer  a 
Jesus  de  remonler  bienlol  vers  son  divin  Pere. 

42  et  43.  —  Et  cum  accederet.  Dans  le  grec, 
Iti  8i  itpoaepxofievou  autoO,  «  adhuc  illo  acce- 
denle  »;  trait  pillorrsqu  >.  qui  nous  montre 
I'enfant  s'approchant  du  Thaumaturge,  mais 
eioigne  encore  de  quolques  pas.  —  EUsit  eum 
dcemonium  et  dissipavit.  Les  deux  verbes  du 
texle  primitif,  Ip^riSev,  eruveaTtapaSev  (S.  Marc 
n'emploie  que  ce  dernier,  a  la  forme  simple  : 
dffuapa$ev),  designent  vigoureusemont  la  der- 
ni^re  et  violente  convulsion  que  I'esprit  mau- 
vais  fit  subir  a  sa  victime.  Mais,  sur  I'ordre 
foraiel  de  Jesus  [increpavit],  le  demon  fut 
bien  oblige  de  se  retirer.  Le  divin  Mailre 
remit  alors  entre  les  mains  du  p6re  recon- 
naissant  son  fils  complelement  gudri.  Ce  trait 
touchant,  reddidit  ilium  patri ,  propre  a 
S.  Luc,  pent  servir  de  pendant  a  vn,  5  : 
«  Dedit  ilium  (le  ressucit^  de  Nairn)  inaln 
suae  B. 

Seconde  prediction  offlcielie  de  la  Pas- 
sion. IX,  44  et  45.  —  Parall.  Matlh.  ztii,  21  et  22; 
Marc,  iz,  29-31. 

44.  —  Stupebant  (§5eTtX:fi<j<jovTo,  ils  Etaient 

S.  Bible.  S. 


vivement  frappes)  autem  omnes...  S.  Luc  re- 
live seul,  et  commo  on  le  voit,  en  termes 
energiques,  Tiiiipression  produile  par  la  gue- 
rison  du  lunatique.  La  divine  puissance  de 
Jesus  s'etait  rareinonl  deployee  sous  les  yeux 
de  la  foule  avec  tanl  d'eclal.  Mais  ce  prodige 
en  rappela  d'autres  a  ceux  qui  venaient  de 
le  conlempler;  cliacun  se  mil  a  les  raconter 
avec  admiration,  comma  I'ajoule  notre  evan- 
geliste  avec  emphase  :  omnibusque  mirantibus 
super  omnibus  quw  faciebat.  Jesus,  ce  semble, 
craignait  que  I'enihousiasme  universel  ne  fit 
oublier  k  ses  apotrrs  les  humiliations  qu'il 
leur  avait  recemment  annoncees;  c'est  pour- 
quoi  il  leur  en  renouvelle  la  sombre  prophe- 
lie.  — Ponite  vos  in  cordibus  vestris...  (dans 
le  grec,  «  in  auribus  vestris  <>).  Gelle  solen- 
nelle  formule  d'inlroduclion  n'a  ele  conserv^e 
que  par  S.  Luc.  «  Vos  »  est  emphatique  : 
vous,  mes  disciples,  par  opposition  a  la  foule 
superficiello  vl  ignorante.  —  Sfrmones  istos 
ne  designe  pas,  comme  le  veut  Moye.,  les 
paroles  louangeuses  du  peuple,  mais  la  pre- 
diction suivante  de  Jesus.  —  Filius  hominis... 
in  manus  hominum  :  antilhese  remarquable, 
qu'on  trouve  dans  les  trois  synoptiques. 
S.  Luc  se  borne  a  un  rapide  sommaire  de  la 
prophetie,  qui  paralt  d'autant  plus  lugubre 
dans  son  recit,  qu'il  omet  de  mentionner  la 
joyeuse  esperance  do  la  Resurrection.  Cfr. 
Matth.  xvii,  22 ;  Marc,  ix,  30. 

45.  —  Nous  avons  eu  I'impression  de  la 
foule  a  propos  du  miracle ;  nous  apprenons 
maintenant  celle  qu'eprouv^rent  les  disciples  k 
I'occasion  de  la  sombre  nouvelle  qui  leuretait 
ainsi  r^iter^e  par  Jesus.  S.  Luc  la  decrit  en 
Ldc  —  13 


^94 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


cetle  parole;  elle  elait  voilee  pour 
eax  de  sorte  qu'ils  ne  la  compre- 
naient  pas,  et  ils  craignaient  de  Tin- 
terroger  sur  cette  parole. 

46.  Mais  line  pensee  entra  en  eux  : 
Lequel  d'entre  eux  etait  le  plus 
grand. 

kl.  Or  Jesus,  voyant  les  pensees 
de  leur  coeur,  prit  un  enfant  et  le 
mit  pres  de  lui, 

48.  Et  leur  dit  :  Quiconque  recoit 
•  cet  enfant  en  mon  nom  me  recoit,  et 
quiconque  me  recoit,  recoit  celui 
qui  m'a  envoye.  Gar  celui  qui  est  le 
plus  petit  entre  vous,  celui-la  est  le 
plus  grand. 

49.  Mais  Jean,  prenant  la  parole, 
■  dit  :  Maitre^  nous  avons  vu  un 
homme  qui  chasse  les  demons  en 
voire  nom  et  nous  Ten  avons  empS- 
che,  parce  qu'il  ne-  vous  suit  pas 
avecnous. 


istud,  et  erat  velatuin  ante  eos,  ut 
non  sentirent  illud  :  et  timebant 
eum  interrogare  de  hoc  verbo. 

46.  Intravit  autem  cogitatio  in 
eos:  quis  eorum  major  esset. 

Matth.  18, 1;  Marc.  9,  33. 

47.  At  Jesus  videns  cogilationes 
cordis  illorum,  apprehendit  pue- 
rum,  et  statuit  ilium  secus  se. 

48.  Et  ait  illis  :  Quicumque  sus- 
ceperit  puerum  istum  in  nomine 
meo,  me  recipit  :  et  quicumque  me 
receperit,  recipit  eum  qui  me  misit. 
Nam  qui  minor  est  inter  vos  omnes, 
hie  major  est. 

49.  Respondens  autem  Joannes, 
dixit  :  Prseceptor,  vidimus  quem- 
dam  in  nomine  tu<)  ejicientem  dae- 
monia,  el  prohibuimus  eum  :  quia 
non  sequitur  nobiscum. 


psychologue.  Le  premier  (at  iHi  igyiorabant...) 
el  le  dernier  trail  [et  timebant  eum  interro- 
gare] lui  sont,  il  est  vrai,  communs  avec 
S.  Marc  (voyez  lo  commentaire  p.  138).  Mais 
la  pensee  intermediaire,  exprimee  a  I'aide 
d'une  vivante  image,  et  erat  velatum  ante 
eos...,  lui  appartient  en  propre  (iiapay.exa>.u|x- 
(xevov,  verbe  compose,  qui  a  plus  de  force 
que  le  simple  «  velaliim  »  ;  ataOwvTat,  senti- 
rent, expression  delicate,  digne  do  I'artiste 
S.  Luc).  Tel  elait  encore,  apres  de  longs  mois 
passes  en  la  sociele  de  Jesus,  I'elat  d'Sme 
des  apolres.  Mille  prejuges  les  aveuglaienl.  — 
Voir  dans  Bossuel,  ler  sermon  pour  le  Dim. 
de  la  Qiiinquagesime  (edit,  de  Versailles, 
t.  XU,  pp.  27,  33,  36  et  37),  un  beau  com- 
mentaire de  toui,  ce  passage. 

23.  Le?on  d'humilit6  et  de  tolerance,  ix,  46-30. 
Parall.  Matth.  xvii,  1-6;  Marc,  u,  32-39. 

Les  lignes  qui  precedent  (t.  45)  nous  ont 
monlreque  les  Douze  elaient  loin  d'avoir  des 
ideescompletement  exactes  sur  le  role  de  leur 
Maitre:celles-ci  revelent  en  eux  de  nouvelles 
imperfections.  Mais  Jesus  les  redresse  avec 
bonle.  leur  enseignant  le  veritable  esprit  de 
son  Eglise. 

46  48.  —  LpQon  d'humilile,  molivee  par 
I'elrange  discussion  (Gfr.  Marc,  ix,  32  et  33) 

ani  s'elait  elevee  naguere  ehtre  les  Apolres  : 
s  s'eiaient  demande  quis  eorum  major  esset. 
line  question  de  preseance,  de  vanite,  les 
occuyait  en  un  pareil  moment,  aiors  que  la 


croix  de  J^sus  ^tait  deja  dressee  k  I'horizonl 
Mais  voici  que  leur  Maitre  leur  rappelle  les 
aust6res  pensdes  du  Chrislianisme.  —  Appre- 
hendit puerum  (dans  le  grec  itatSfov,  un  petit 
enfant),  et  statuit  eum  secus  se.  G'est  I'un  des 
trails  les  plus  louchants  de  I'Evangile.  li  dflt 
rendre  ^argumentation  du  Sauvenr  tout  k 
fait  saisissanle.  Voyez  dans  S.  Matihieu  les 
details  de  cette  argumentation.  S.  Luc  I'a- 
brege  plus  encore  que  S.  Marc;  mais  il  en  a 
bien  conserve  la  substance  dans  le  double 
axiome  du  if.  48.  —  lo  Quicumque  suscepe- 
rit...  Les  petits  et  ceux  qui  leur  ressemblent, 
c'esl-^-dire  les  humbles,  sbnl  ainsi  eleves  au 
rang  le  plus  sublime.  2°  Qui  minor  est  inter 
vos...  Consequence  du  premier  axiome,  expri- 
mee sous  une  forme  paradoxale  :  devenez 
petits  pour  elre  grands. 

49  et  50.  —  Legon  de  tolerance,  occasionnee 
par  un  petit  probl^me  moral  que  le  disciple 
bien-aime  posa  en  cet  insianl  meme  a  Notre- 
Seigneur.  S.  Luc  et  S.  Marc  ont  seuls  raconte, 
d'une  fagon  presque  idenlique,  ce  precieux 
incident.  Aussi  aurons-nous  bien  peu  de 
chose  a  ajouter  aux  explications  aonnees 
dans  noire  commenlaire  sur  le  second  Evan- 
gile,  p.  140  el  441.  —  Respondens  (prenant 
la  parole  :  hebralsme)  Joannes.  II  est  vrai- 
semblable  que  S.  Jean  avait  jou6  le  role 
principal  dans  la  sc6ne  qu'il  va  brievement 
exposer.  Les  mols  in  nomine  tuo  paraissent 
contenir  la  raison  d'etre  de  rinterrogation 
adress^e  k  J^sus  d'une  manidre  si  subite,  au 


CHAPITRE   IX 


495 


50.  Et  ait  ad  ilium  Jesus  :  Nolite 
'prohibere ;  qui  enim  non  est  adver- 
sum  vos,  pro  vobis  est. 

51.  Factum  est  autem.  dum  com- 


50.  Jesus  lui  dit :  Ne  Ten  empS- 
chez  point,  car  qui  n'est  pas  contre 
vous  est  pour  vous. 

51.  Or,  comme  se  completaient  les 


milieu  de  rinslruction  qu'ii  avail commencde. 
Le  divin  Maitre  avail  parle  de  recevoir  «  en 
son  nom  »  meme  les  peiiis  enfanls,  el  void 
que  les  apolres  s'elaient  couduils  avec  sdve- 
rite  envers  nn  homme  qui  agissail  en  ce  nom 
beni.  —  Prohibuimus  eum.  Nous  trouvons 
dans  les  manuscrits  B,  L,  Z,  Sinait,  la  va- 
riante  pilloresque  «  proliibebainus  ».  — 
Quia  non  sequitur  nobiscum.  Tel  elait  le  molif 
-qui  avail  inspire  celle  conduite  des  Douze. 
Les  seuls  disciples  habituels  du  Christ,  pen- 
saienl-ils ,  devaienl  jouir  du  privilege  en 
queslion  :  il  ne  pouvait  etro  permi?  au  pre- 
mier venu  de  se  i'approprier.  —  Nolite  prohi- 
here,  repond  Jesus;  puis,  a  son  tour  il  motive 
sa  decision  en  opposant  au  «  non  spquilur 
nobiscum  »  celte  profonde  parole  :  Qui  non 
est  adversum  vos...  Comme  dans  S.  Marc,  la 
Recepta  porte  «  nos,  nobis  » ;  mais  la  le^on 
O[i(ov,  que  favorisent,  outre  la  Vulgate,  les 
manuscrits  B,  C,  D,  K,  L,  M,  Z,  les  versions 
syr.  et  italique,  est  selon  loute  probability  ia 
veritable. 

3*   SECTION.  —  REGIT   DU   PERNIER   VOTAOE  DE  jiSOB 
A  JERUSALEM.    IX,   51-XIS,  28. 

Belle  et  importante  parlie  du  Iroisieme 
Evangile,  avec  une  marche  completement  in- 
dependanle  de  celle  des  autres  synopliques, 
des  details  nouveaux  pour  la  pluparl.  et  un 
style  pres^que  clas-^ique.  II  est  vrai  qu'elle 
s'esl  altiree,  precisement  par  ses  caracteres 
dislinclifs,  la  haine  du  camp  ralionaliste.  Sa- 
batier  n'y  voit  qu'un  recit  qui  «  fourmille  de 
contradictions  et  d'impossibililes  »  (Es-ai  sur 
les  sources  de  la  vie  de  Jesus,  p.  25);  de 
Wette,  h.  1.,  qu'un  «  amalgame  sans  ordre 
chronologique  »;  Reuss,  Hi.>loiro  evangelique, 
p.  436,  que  «  des  scenes  delacheos,  donl  la 
liaison  se  fait  reconnaiire  comme  purement 
arbitraire  ».  Divers  exegetes  protestants,  qui 
n'hesitent  pas  a  reconnaiire  I'inspiration  des 
Saints  Livres,  se  sont  laisse  influcncer  par 
ces  jugements,  et  ont  pareillement  affirmd, 
quoique  en  des  termes  plus  respeclueux,  que 
S.  Luc  n'a  pas  tenu  compte  de  la  suite  reelle 
des  faits  dans  ce  long  passage,  mais  qu'il  y  a 
group6  les  incidents  k  sa  maniere  d'apres  un 
enchainement  tout  pragmalique  (Keil,  Com- 
ment, uber  die  Evangel,  des  Markus  u.  des 
Lukas,  1879,  pp.  160  etss.,  314  etss.;Grau, 
Entwickelungsgesch.,  t.  I,  p.  274  et  ss.  Cfr. 
Theolog.  Sludien  u.  Krit.,  1876,  p.  265 
elss.;  1877,  p.  440  el  ss  ;  W.  Stewart,  The 
^lan  of  St.  Luke's  Gospel,  Glasgow,  1873}. 


Toutefois  ce  ne  sont  1^  que  des  voix  discor- 
dantes  dans  un  grand  concert.  En  effel,  la 
plupart  des  commentaleurs  anciens el conlera- 
porains  appliquent  a  celle  partie  du  troisieme 
Evangile  aussi  bien  qu'a  loules  les  autres  la 
devise  de  S.  Luc  xaxel?)?  ypi^ai  («  ex  ordine 
scribere  )),i,  3),  ne  Irouvant  aucune  raison  suf* 
fisantede  croire  que  I'ecrivainsacre  auraitou- 
blie  ici  SOS  engagements  anlerieurs.  Non  sans, 
doute  qu'il  faille  presser  outre  mesure  une 
telle  promesse  (voyez  la  Preface,  §  VIII),  car 
notre  evangeliste  peutbien  avoir  sacrifie  dans 

V 
an 

d'apres  la  verite  objecli\ 
comme  I'a  savammenl  demontre,  parmi  beau- 
coup  d'aulres,  le  Dr  Wieseler,  Chronolog. 
Synop-e,  p.  316etss  ,etBeitraege  zurrichtig. 
WiirdigimgderEvangelien,  p.  127  el  ss.  Cfr. 
Tischendorf,  Synops.  evang.,  2eedit.  1854, 
p.  XII  et  ss.;  Ca-pari,  Chronolog. -geograph. 
Einleitung  in  das  Leben  Jesu  Chrisli,  1869, 
p.  136  elss.  ;Farrar,  The  Life  of  Christ,  23eed., 
I.  II,  p.  90  et  91.  Pour  les  divers  traits  qui 
sont  egalemenl  racontes  par  le  premier  Evan- 
gile, mais  a  une  autre  place,  il  faut  admettre 
ou  queS.  Malthieu  ne  s'esl  pas  conforme  a  la 
suite  hisloriijue  des  faits,  ainsi  qu'il  lui  arrive 
si  souvent(comp.  I'Ev.  selon  S.  Matlh.,p.27), 
ou  qu'il  y  eut  sur  plusieurs  points  de  doctrines 
des  rediles  de  Noire-Seigneur  en  de  nouvelles 
circon>tances,  ce  qui  ne  pouvait  guere  man- 
quer  d'arriver,  vu  la  nature  el  la  forme  de 
son  cnseign(>mei>t.  Or  les  conversations  et  les 
discours  abondent  precisement  dans  cello 
'section;  les  faits  n'y  apparaissent  gu6re 
que  pour  indiquer  I'occasion  des  paroles. 
L'idee  qui  predomine  dans  le  recit,  servant 
do  lien  aux  episodes  varies  qui  le  composenl, 
est  celle  d'un  voyage,  avec  la  Galilee  pour 
point  de  depart,  Jerusalem  pour  but,  el  la 
Peree  comme  lieu  de  passage.  Mais  ce  voyage, 
commence  peu  de  temps  apres  la  Transfigu- 
ration el  terming  seulement  quelques  jours 
avant  la  Passion,  s'accomplil  lentement,  en 
plusieurs  mois.  Plus  semblable  k  un  va-et- 
vienl  en  des  sens  opposes  qu'Ji  une  marche 
directe,  souvent  interrompu  par  des  sejours 
en  diverses  localiies,  il  ne  fui  du  moing  ja- 
mais abandonn^  :  I'^vangelisle  en  montre 
c'.airement  la  suite  par  des  formules  qui  re- 
vienmnl  de  temps  k  autre  comme  des  points 
de  repere.  Cfr.  ix,  57;  x,  38;  xni,  22; 
XVII,  11.  Nous  tirerons  parti  de  ces  jalons 
pour  essayer  de  combiner  le  rdcit  de  S.  Luc 


196 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


jours  cii  il  devait  etre  enleve  du 
monde,  il  afFermit  son  visage  pour 
aller  a  Jerusalem. 

52.  Et  il  envoya  devant  lui  des 
messagers,  et  s'en  allant  iis  entre- 
rent  dans  une  ville  des  Samaritains, 
pour  lui  preparer  w^i  logement. 

53.  Et  ils  ne  le  recurent  point, 
parce  qu'il  avail  I'aspect  d'un 
homme  allant  a  Jerusalem. 


plerentur  dies  assumptionis  ejus,  et 
ipse  faciem  suam  firmavit  ut  iret  ia 
Jerusalem. 

52.  Et  misit  nuntios  ante  con- 
spectum  suum  :  et  euntes  intrave- 
runt  in  civitalem  Samaritanorum, 
ut  pararent  illi. 

53.  Et  non  receperunt  eum,  quia 
facies  ejus  erat  eunlis  in  Jerusalem. 


avec  celui  du  qualriema  Evangile.  Voyez 
noire  Harmonie  evangelique,  et  Patrizi,  de 
Evangeliis  lib.  ui,  dissert.  48. 

1.  Les  Samaritains  inhospitaUers.  u,  31-56. 

51.  —  La  narration  du  voyage  s'ouvre  par 
une  expression  solennelle  et  myslerieuse  : 
dum  complerentuf  dies  assumptionis  ejus. 
Mais  qu'etaient,  pour  Jesus,  ces  i^tiepat  tra 
iva).ri4'e<«)i;  qui  approchaient  alors  d.'  leur 
terme  et  de  h^ur  accomplissement?  Le  sub- 
slantif  ava)>TnJ/i?  n'apparail  qu'en  cet  endroit 
du  Nouveaii  'fcslament;  toutefois,  le  verbe 
dva),a(ji6avcff9at,  d'oii  il  derive,  est  employe  a 
plusieurs  reprises  pour  designer  I'Ascension 
glorieuse  de  Notre-Seigneur  Jesus-Chrlst  (Cfr. 
i\Iaic.  XVI,  19;Acl.i,2;xi  22;l  Tim.  in,  16), 
de  meine  qu'il  I'avaitele  par  lesLXX  pourre- 
prespntercelled"Elie{IVR,i^g  ii,  11;  IMach.  ii, 
58;  Eccli.  xlviii,  9'.  Sa  significalion  lilterale 
a  done  ele  bien  rendue  par  la  Vulgate,  et  bien 
expiiquee  par  Euthymius  :  f.ns'pa;  xr,;  ava).iQ- 
<}/£a)?  aOxou  liyti  tov  -/atpovxov  dspopioGivTa  iic'xpt 
Tf,?  dvaXrn|/£M;  aOxoO  t^;  dTto  7?,;  eU  oOpavov. 
Sans  doule  Jesus  n'anivera  aux  splendeurs 
du  ciel  que  par  les  ignominies  el  les  souf- 
frances  du  Calvaire;  mais  il  conlemplait 
loutes  choses  a  Iravers  sa  sublime  consom- 
malion,  et  I'evangeliste  enlre  adm.rabiement 
dans  sa  pensee.  Cfr.  Joan,  xiu,  33 ;  Suicer, 
Thesaurus,  s.  v,  avaXruj/K;.  — Ipse  est  empha- 
tique.  —  Faciem  suam  firmavit...  •  nouvelle 
locution  soleiin  lie,  qui  nous  rappelle  d'une 
part  le  vaillanl  portrait  du  «  Christus  paliens  » 
trace  par  Isaie,  l,  7  :  a  Posui  faciem  meam 
ut  petram  durissimam,  et  scio  quoniam  non 
coiifundar  »,  de  I'autre  un  detail  I'rappant  de 
S.  Marc,  x,  32  :  «  Eranl  aulem  in  via  asc<  n- 
deniesJerosolyinan;  etpraecedebat  illos  Jesus, 
el  stupebant,  el  sequentes  timebant  »  (voyez 
le  commenlaire).  Cfr.  Hebr.  xii,  2.  Jesus  csl 
en  maiche  vers  Jerusalem,  sachanlbien  quels 
maux  I'y  atlendenl,  et  pourtant  il  s'y  dirige 
«  magno  el  erecto  animo  » (S.  Jerome,  Epist.  li 
ad  Algas.,  qusest.  5),  pret  a  affronter  lous  les 
dangers.  —  Ul  erit..,  Dans  le  grec,  toO  iro- 
f«ve<T6at,  geniufde  la  direction. 

52.  —  Misit  nuntios  ante  conspedum  suum 


(hebraisme,  in'Jsbj...  Jesus  etait  alors  accom- 
pagne  de  nombreux  disciples  (Cfr.  x,  4)  :  par 
mesure  de  prudence  il  se  faisait  done  preceder, 
dans  les  localites  oil  il  devail  sejourner,  par 
des  messagers  qui  preparaienl  les  logemcnls- 
el  les  vivres  pour  lui  el  loule  sa  suite.  —  In- 
traverunt  in  civitatem  Samaritanorum.  Le 
grec  dilsimplenu  nl  eU  v.(i)[Airiv,  dans  une  bour^ 
gade,  preuve  qu'il  ne  s'agit  pas  ici,  comme 
I'onl  voulu  plusieurs  exegeies,  de  la  ville 
pnncipale  des  Samaritains.  Jesus  arrivanl  de 
Galilee,  on  a  conjecture  que  la  bourgade  etv 
question  pnuvail  bien  avoir  ete  En-Gannim, 
aujourd'liui  Djenin,  situee  sur  la  fronliere 
septentrionalo  de  la  Samarie,  el  renomm^e 
pour  le  fanalismo  de  ses  habitants.  Cfr.  Far- 
rar.  I.  c,  p.  105;  Thomson,  The  Land  and  the 
Book,  ell.  xxx.  Pour  aller  de  Capharnaiim  a- 
Jerusalem,  la  route  la  plus  courte  el  la  plus 
naturelle  traversail  ia  Samarie  entiere,  du 
Nord  au  Sud.  Voyez  R.  Riess,  Atlas  geo- 
graph.  el  histor.  de  la  Bible,  pi.  IV.  —  Ut 
pararent  illi  :  phrase  elliptique  (de  meme  en 
grec),  quil  est  aise  de  completer  k  I'aide  du 
conlexle. 

53.  —  Non  receperunt  eum.  Ce  refus  gros- 
sier  ne  fut  pas  exprime  directement  a  Jesus, 
mais  a  ses  envoyes.  Pourquoi  les  Samaritains 
ne  voulurent-ils  pas  accorder  a  Notre-Sei- 
giieiir  Ihospitalite  qu'il  leur  demandail?  La 
suite  <lu  versft  le  moiilre  clairemenl  :  quia 
facies  ejus  {-zo  upoffwTtov  aOtoO.pourlatroisieme 
fois  depuis  le  i.b\)  erat  euntis  (dans  le  grec, 
7top£uo[iEvov  au  nominatif)  in  Jerusalem.  Sur 
cetle  phrase  a  savpurhebralque,  voyezIVReg. 
XVII,  W,  dans  I'hebreu  et  les  LXX.  Les  rela- 
tions enlre  Juifs  el  Samaritains,  deja  fort  peu 
gracieuses  en  temps  ordinaire  (Cfr.  Joan,  iv,  9; 
viii,  48),  redoublaient  encore  d'animosite  i 
I'appioche  des  grandes  fetes  nalionales,  qui 
conduisaienl  par  foules  les  pelerins  juifs  k  Je- 
rusalem. La  haine  des  deux  peuples  avail  en 
effit  pour  cause  priocipale  la  difference  de 
leurs  culles,  el  c'esl  en  de  tels  moments  que 
cellH  difference  devenait  plus  saillanie.  Voir 
dansWetstein,  in  Joan,  iv,  20,  quelqucsechan- 
tillons  des  amenitesqui  s'echangeaienl  alors. 
Des  insulles  on  en  vinl  souvent  aux  voies  d©^ 


CHAPITRE   IX 

54.  Gum  vidissenl  autem  disci- 
puli  ejus  Jacobus  et  Joannes,  dixe- 
runt :  Domine,  vis  dicimus  ut  ignis 
descendat  de  coelo,  et  consumat 
illos? 

5b.  Et  conversus  increpavit  illos, 
■dicens :  Nescitis  cujus  spiritus  estis. 


197 


faitjComme  le  raconlent  Josephe,  Bell.  Jiid.  ii, 
4  2,  3-7,  Anl.  xx,  6,  4 ,  el  S.  Jerome,  in  Osee, 
V,  8  et  9.  Or  Jesus  (ni  liii  ni  ses  mes^agers 
n'en  faisaienl  un  myslere)  se  rendail  a  Jeru- 
salem. Geux  qui  abhorraienl  ia  cite  sainte 
comme  une  rivale  de  leur  temple  du  Garizim 
refuserent  pour  ce  motif  de  lui  rendre  service. 
Autrefois  pourtant  (Cfr.  Joan,  iv)  les  Samari- 
1ains  de  Sycliar  avaient  fail  a  Jesus  le  plus 
aimable  accueil ;  mais  il  tournait  le  dos  a 
Jerusalem ,  et  les  circonstances  n'etaient 
plus  les  mfimes.  —  D'apres  Meyer,  Alford, 
Reischl,  etc.,  les  envoyes  de  Nolre-Seigneur 
i'auraient  ouvertemenl  annonce  comine  le 
Messie,  et  c'est  pour  cela  que  les  Samaritains 
auraient  agi  avec  tant  de  durete.  Mais  rien 
dans  le  texle  n'autorise  une  pareille  con- 
jeciure. 

54.  —  Cum  vidissent...  Divers  commenta- 
teurs,  entre  autres  Euthymius,  Maldonat, 
Mgr  Mac  Evilly,  le  P.  Curci,  etc.,  interpre- 
tant  a  la  lettre  le  verbs  «  videre  »,  ont  sup- 
pose que  les  deux  fils  de  Zebedee  avaient  ^te 
les  messagers  du  Sauveur  repousses  par  les 
Samaritains,  ce  qui  expliquerait  la  vivacity 
pariiculiere  de  leur  ressenlimenl.  Mais  cette 
opinion  est  rejetee  par  la  grande  majorite 
des  exdgeles,  et  k  bon  droit,  car  ISovtec 
n'oxigo  nullemenl  la  presence  personnelle  de 
S.  Jacques  et  de  S.  Jean  :  ils  furent  d'ailleurs 
«  lemoins  »  de  I'insulle  quand  les  messagers 
raconterent  I'insucces  de  leur  mission.  — 
Domine,  si  dicimus...  consumai  illos?  La 
Recppta,  la  plnparl  des  manuscrits,  des  ver- 
sions et  des  Peres,  ajoulenl  ;  iii  xal  'HXfa; 
iuotriffe.  «  sicut  et  Elias  fecit  »,  et  quoique 
ces  mots  an^nt  ele  omis  par  les  manuscrits 
B,  L,  Z,  Sinail.,  tout  porle  a  croire  qu'ils 
.'iont  aulhenliques.  lis  conviennent  du  moins 
fori  bien  a  la  situation,  car  les  deux  frdres 
avaient  vu  naguere  Elie  sur  la  sainie  mon- 
lagne,  etil  etait  naturel  qu'ils  se  ressouvins- 
senl  mainlenanl  de  I'acie  de  sele  qu'il  avail 
precis^menl  exerce  dans  la  province  de  Sa- 
marie,  en  faisant  lomber  le  feu  duciel  sur  les 
minislres  d'un  roi  sacrilege,  IVReg.  i,  lO-lg. 
Ils  demandenl  done  a  Jesus  la  permission  de 
venger  son  honneur  mcssianique,  meconnu 
et  outrage.  «  Si  ad  servi  Eliae  injuriiim  ignis 
descendit  de  coelo,  et  Judaeos  consumpsit  in- 


54.  En  voyant  cela  ses  disciples 
Jacques  et  Jean  dirent  :  Seigneur, 
voulez-vous  que  nous  disions  que 
le  feu  descende  du  ciel  et  les  con- 
sume? 

55.  Et  se  tournant  vers  eux  il  les 
reprit,  disant :  Vous  ne  savez  pas 
de  quel  esprit  vous  Stes. 


cendium,  quanio  magis  ad  contemptura  Filii 
Dei  in  impios  Samarilas  debet  flamma  ve- 
nire? »  S.  Jerome,  ad  Algas.  5.  «  Quid  mi- 
rum,  dil  S.  Ambroise,  h.  1.,  avec  beaucoup 
d'a-propos,  filios  lonilrui  fulgurare  voluisse?» 
55.  —  Le  desir  des  fils  de  Zebedee  pro- 
venait  certainement  d'une  foi  profonde  et 
d'un  ardent  amour  a  I'egard  de  Jesus.  II  etait 
neanmoins  Ires  imparfail;  aussi  Nolre-Sei- 
gneur rei'usa-l-il  avec  force  de  le  realiser. 
—  Conversus.  Trait  pitioresque.  Jesus  mar- 
chail,  selon  sa  coulume,  en  tele  du  cortege: 
il  se  retourne  pour  reprimaiuler  les  deux 
freres  qui  etaient  dernere  lui.  Ce  detail 
prouve  que  Jacques  et  Jean  n'etaient  pas  les 
messagers  envoyes  chez  les  Samaritains,  car 
alors  ils  eusseni  ele  en  face  du  Sauveur.  — 
Dicens.  Dans  les  manuscrits  Sinait.,  A,  B,  C, 
E,  G,  H,  L,  S,  et  beaucoup  d'aulres,  (a 
phrase  se  termine  brusquemeni  apres  ce  mot 
(xal  elTtev),  et  les  paroles  de  Jesus  (nescitis... 
salvare)  sonl  completemenl  omises.  Toute- 
fois  il  ne  nous  est  pas  possible,  quoi  que 
disent  Lachmann,  Tischendorf  el  Tregelles, 
de  les  regarder  coumie  une  interpolation. 
Eliiev  annonce  en  effet  quelques  mots  du 
Sauveur  :  que  sont-ils  devenus  si  les  deux 
phrases  «  Nescitis  cujus  spiritus  estis  »  et 
«  Filius  hominis...  »  ne  sonl  pas  authen- 
tiques?  Au  resle,  ces  phrases  sonl  parfaile- 
ment  dansl'esprit  de  Nolre-Seigneur,  el  nous 
les  croyons  sulBsammenl  gaianlies  par  le 
temoignage  do  la  Vulgale,  de  I'llala,  de  di- 
vers Peres  pt  de  manuscrits  grecs  assez  nom- 
breux  (D,  F,  K,  M,  V,  etc.).  Leur  omission 
peui  d'ailleurs  s'expliquer  par  un  homoiole- 
leulon  :  KAIEin...  t.  55,  KAIEU...  *.  56.  — 
Nescilis  cujus  spiritus  estis  (Quelques  exe- 
g6tes  donnent  un  tour  interrogalif  ^  la  pen- 
see  :  N(!  savez-vous  pas...?).  Le  lexle  grec 
ajoule  k  la  fin  un  Ojiei;  plein  d'emphase.  Vous,  . 
les  apotres  de  la  nouvelle  Alliance,  par  oppo- 
sition a  Elie,  le  propheto  terrible  de  I'Ancien 
TestamenUCe  sonl  en  effet  les  deux  Alliances, 
et  les  deux  esprits  si  distincls  qui  les  domi- 
naient,  que  Jesus  met  en  regard  par  maniere 
de  contrasle.  Or,  comme  le  dil  magnifique- 
ment  S.  Auguslin,  contr.  Adim.  17,  «  haec 
est  brevissima  et  aperlissima  differentia  duo- 
rum  Testamentorum,  timor  et  amor.  »  Mai.s 


498 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


56.  Le  Fils  de  rhomme  n'est  pas 
venu  perdre  les  ames,  mais  les  sau' 
ver.  Et  ils  s'en  allerent  dans  un 
autre  village. 

57.  Pendant  qu'ils  marchaient 
dans  le  chemin,  quelqu'un  lui  dit : 
Je  vons  SLiivrai  partout  oil  voiis  irez. 

58.  Jesus  lui  ait  :  Les  renards  ont 
leurs  tanieres  et  les  oiseaux  du  ciel 
leurs  nids,  mais  le  Fils  de  rhomme 
n*a  pas  oii  reposer  sa  tete. 


56.  Filiiis  hominis  non  venit  ani- 
mas  perdere,  sed  salvare.  Et  abie- 
runt  in  aliud  casteilum. 

Joan.  3, 17  el  d2.  47. 

57.  Factum  est  autem,  ambulan- 
tibus  illis  in  via,  dixit  quidam  ad. 
ilium  :  Sequar  te  quocumque  ieris. 

58.  Dixit  illi  Jesus :  Vulpes  foveas- 
habent.  et   volucres   coeli   nidos  : 
Filius  autem  hominis  non  habet  ubi 
caput  reclinet. 

Matth.  8,  20. 


Yoici  que  les  fils  du  Tonnerre,  par  leur 
demande  inconsiderde,  voulaient  ramener 
I'  «  ignea  lex  »  du  Sinai,  oublianl  la  loi  d'a- 
mour  apporlee  par  I'Evangile  :  n'elait-ce  pas 
meconiiaitre  I'espril  de  rinslitulion  a  laquelle 
ils  appartenaient?  (Sur  la  locution  eivaiTivo;, 
pour  exprimer  un  rapport  de  dependance  et 
de  sujetion,  voyez  Winer,  Grammat.  §30,  5). 
Sans  doiite,  Eiie  avail  agi  par  un  mouvement 
de  I'E^prit  de  Dieu,  el  le  Sauvpur  ne  bi^me 
nullemenl  sa  conduite;  mais  le  temps  d'Elie 
^tail  passe,  et  Jehova  avail  modifie  ses  voies 
envers  les  homines,  se  faisanl  tout  aimable 
et  misericordicux  apres  avoir  ele  un  Dieu 
terrible.  —  Les  deux  freres  montrerenl  plus 
tard  admirablemenlcombien  ilscomprenaient 
I'esprit  de  I'Evangileile  premier,  S.Jacques, 
en  verifianl  le  mot  celebre  de  Lactance, 
Inst.  V,  20,  «  defendenda  est  (religio)  non 
occidendo  sed  inoriendo  »  ;  le  second,  S.  Jean, 
quand  il  vinl  avec  S.  Pierre  dans  ces  memes 
contrees  pour  faire  descendre  sur  el!es  un 
autre  feu  du  ciel,  en  administrant  le  sacre- 
ment  de  confirmation  a  leurs  habitants  con- 
verlisau  Me^sie.  Cfr.  Act.  viii,  M. 

56.  —  Filius  hominis...  Parole  loute  di- 
vine, qu'on  a  justemenl  appelee  la  devise  du 
Diou  redempleur.  Elle  indique  de  la  fagon  la 
plus  noble  en  quoi  consisle  I'espril  de  la  nou- 
velle  Alliance,  confoimement  auqii'  1  Jesus 
souhaite  que  ses  coiiaboraleurs  se  conduisent. 
Voyez,  Joan,  m,  17;  xii,  47,  des  dires  ana- 
logues du  divin  Maltre.  —  Apres  animas,  il 
est  probable  que  le  texte  primitif  portait 
0  hominuin  »,  comme  lisent  divers  manus- 
crits.  ce  qui  donne  plus  de  force  a  la  pensee. 
Le  «  FiiS  de  I'homme  »  est  venu  pour  sauver 
les  Ames  «  des  hommes  »  :  n'est-ce  pas  juste 
et  nalurel?  —  Abieii'^nt  in  aliud  casteilum. 
De  ce  que  le  texte  grec  emploie  ici  ixepav  et 
non  SUkiv,  plusif  urs  auteurs  ont  conclu  que 
la  nouvelle  bourgade  vers  laquelle  Jesus  et 
leg  siens  se  dirigerenln'etait  pas  en  Samarie, 
mais  en  Galilee.  II  est  assez  vraisemblable 


en  eflFet  qu'apres  Techec  dprouve  sur  la  fron— 
liere  de  la  region  samariiaine,  Jesus  n'ait 
pas  voulu  penetrer  plus  avanl  dans  la  pro- 
vince. 

2.  Ce  qu'il  faut  pour  suivre  J6sas.  ix,  57-62^ 
Parall.  Matth.  vjii,  19-22. 

Nous  avons  dit,  en  expliquant  le  passage 
parallele  de  S.  Matlhieu,  que  le  troisieme 
Evangile  nous  parail  avoir  fixe  la  vraie  place- 
du  present  episode.  S.  Luc  a  en  outre  le  me- 
rite  d'ajouler  un  troisieme  tableau  a  cette 
pelile  galerie  de  portraits  non  moins  interes- 
sants  qu'instrucljfs.  Rien  ne  prouve  que  les 
trois  incidents  aienl  ele  artificiellemenl 
groupes  par  I'evangeliste,  comme  Taffirment 
divers  inlerpreles  modernes;  ils  peuvent  fort 
bien  s'dire  passes  immediatemenl  a  la  suite 
I'un  de  I'aulre,  ainsi  qu'ils  sont  racontes. 

57  et  58.  —  Premier  cas  (voyez  les  details 
de  Texplicalion  dans  I'Evang.  selon  S.  Mallh.. 
p.  161  et  s.).  —  Ambulantibus  illis.,.  Jesus 
s'esl  remis  en  marche,  et  c'est  in  via  que  le^ 
triple  dialogue  aura  lieu  :  trait  pittoresque, 
digne  de  S.  Luc.  —  Dixit  quidam  ad  ilium  : 
c'etait  un  Scribe,  d'apres  S.  Matlhieu.  — 
Sequar  te  quommque  ieris.  «  Quocumque  » 
est  einphatique  :  n'imporle  ou  vous  irez.  Cfr. 
IV  Reg.  XV,  21.  Get  homme  demande  done 
a  faire  parlie  du  cercle  des  disciples  intimes 
qui,  depuis  quelque  temps,  ne  quillaient. 
guere  la  persoime  du  Sauveur;  mais  il  com- 
prend  qu'il  s'exposera  par  la-meme  k  certains 
inconvenients,  peul-^tre  a  des  dangers  reels. 
Toulefois,  se  faisanl  illusion  sur  ses  forces, 
il  se  croil  capable  de  lout  braver  pour  Jesus. 
Le  Maiire  au  conlraire  le  decourage  par  une 
description  breve,  mais  significative,  de  sa 
vie  pauvre  el  morlifiee,  semblant  dire  :  A 
mon  service  on  ne  Irouve  d'autre  recompense 
que  la  croix;  voyez  si  vous  pouvez  vous  con- 
tenter  de  ce  salaire  !  L'evenemenl  anterieur 
avail  prouve  jusqu'a  quel  point  Jesus  ^lait. 
en  droit  de  dire;  A'^oh  habet  ubi  caput  reclinet^ 


CHAPITRE  IX 


f99' 


59.  Ait  autem  ad  alterum  :  Se- 
quere  me.  Ille  autem  dixit  :  Do- 
mine,  permitte  mihi  primum  ire,  et 
sepelire  patrem  meum. 

60.  Dixitque  ei  Jesus  :  Sine  ut 
mortui  sepelianl  mortuos  suos  :  tu 
autem  vade,  et  annuntia  regnum 
Dei. 

61.  Et  ait  alter  :  Sequar  te.  Do- 
mine;  sed  permitte  mihi  primum 
renuntiare  his  quae  domi  sunt. 

62.  Ait  ad  ilium  Jesus:  Nemo  mit- 
tens manum  suam  ad  aratrum,  et 


59.  II  dit  a  un  autre  :  Suis-moi; 
et  celui-ci  lui  dit  :  Seigneur,  per- 
mettez-moi  d'abord  d'aller  ense- 
velrr  mon  pere. 

60.  Et  Jesus  lui  dit  :  Laisse  les 
morts  ensevelir  leurs  morts;  pour 
toi,  va  et  annonce  le  royaume  de 
Dieu. 

61 .  Un  autre  dit :  Je  vous  suivrai 
Seigneur,  raais  permettez-moi  d'a- 
bord de  disposer  de  ce  qui  est  en 
iffa  maison. 

62.  Jesus  lui  dit  :  Gelui  qui  met 
la  main  a  la  charrue  et  regarde  en 


59  et  60.  —  Second  cas  (voyez  I'Evangile 
selon  S.  Mallh.,  p.  462  el  s.).  C'est,  apres  le 
disciple  enihousiasle  el  precipite,  le  disciple 
«  cimclalor  »  el  Irop  circonspect.  Le  premier 
s'elail  offeri  de  hii-meiiKi  a  Jesus ;  celui-ci 
a  I'honneur  d'filie  direclemenl  appele  par 
Notre-Seigneur  :  Ait  (Jesus)...  :  Sequere  me 
(trail  propre  a  S.  Luc).  II  y  consent  moyen- 
nanl  une  reserve  qui  sembk"  de  prime-abord 
tout  k  fail  legitime  : Permitte  mihi  primum.,, 
II  vonail  d'apprendre  la  morl  de  son  pere  : 
que  Jesus  lui  permetle  d'aller  I'ensevelirl 
Bientot,  dans  quelques  jours  au  plus,  il  sera 
a  son  poste  de  disciple  pour  ne  plus  le  quit- 
ter. —  Le  Sauveur  n'accorde  pas  ce  delai. 
Non!  mainlenant  ou  jamais.  Quiconque  aime 
son  pere  ou  sa  mere  plus  f)ue  moi  n'esl  pas 
digne  de  moi  (Mallh.  x,  37).  S.  Augustin, 
Serm.  lxii,  2,  a  Ires  bien  commenle  le  refus 
de  J^sus  et  le  jeu  de  mols  (sine  ut  mortui  se- 
peliant  morluos  suos)  a  I'aide  duquel  il  est 
exprime  :  «  Honorandus  est  pater,  sed  obe- 
diendum  est  Deo.  Amandus  est  generator, 
sed  prgeponendus  est  Creator.  Ego  te  ad 
Evangelium  voco.  Majus  est  hoc  quam  quod 
visfacere...  Paler  tuus  mortuus  est,  sunt  el 
alii  morlui  (id  est  infideles)  qui  sepeliant 
morluos.  Nolile  igituranleriora  poslerioribus 
subdere.  »  Ainsi  raisonnait  d'ailleurs  la  loi 
juive,  qui  inlerdisail  parfois  aux  parliculiers 
de  rendre  les  devoirs  funebr.^s  a  leurs 
proches.  Cfr.  Lev.  xxi,  10-12;  Num.  vi,  6-7; 
XIX,  11-14.  —  Tu  autem  vade...S.  Matlhieu 
n'avjiil  pas  menlionne  cetle  injonclion  lor- 
melle  de  Nolre-Seigneur,  qui  dut  trancher  la 
question  d'une  maniere  definitive. 

61  el  62.  — Troisieme  cas.  propre  a  S.Luc. 
—  Ait  alter  :  Sequar  te...  Gel  autre  disciple 
se  presente  spontanemenl  au  Sauvour,  comme 
le  premier;  mais,  comme  le  second,  il  de- 
mande  un  pou  de  repil  avant  de  s'allacher 
k  sa  vocation  d'une  maniere  definitive.  II 
voudrait,  dit-il,  renuntiare  (iTtoTd^aoOat, «  va- 


ledicere  »)  his  qua  domi  sunt,  Le  grec  toTc 
el;  Tov  olxov  |jlou  est  amphibologique,  et  peut. 
se  iraduire  aussi  bien  par  le  masculin  que 
par  le  neutre,  c'esl-a-dire  qu'il  peut  s'appli- 
quer  aux  personnes  ou  aux  choses.  S.  Au- 
guslin  adople  le  premier  sens  •  «  Permitte 
ut  nunliem  meis,  ne  forte,  quod  tieri  solet, 
me  quaerant  »,  Sermo  vii  de  Verbis  Domini. 
De  meme  S.  Irenee  («  domesticis  »)  el  Ter- 
tullii  n  (adv.  Marc.  1.  4.  :  «  et  lerlium  ilium 
prius  suis  valedicere  parantem  »).  D'ailleurs, 
plusieurs  anciens  manuscrits  latins  (a,  b,  c) 
out  «  qui  »  au  lieu  de  «  quae  »,  et,  de  fait, 
celte  interpretation  nous  parait  plus  appro- 
priee  k  la  circonslance.  Neanmoins,  de  nom- 
breux  commenlaleursadoptenl  celle  de  noire 
Vulgate  actuelle,  supposanl  que  le  disciple 
en  question  voulait  tuui  d'abord  aller  mettre 
ordre  a  ses  affaires.  —  A  lui  aussi  Jesus 
apprend  qu'il  n'y  a  pas  de  delai  possible 
quand  il  s'agil  d'une  vocation  ceh  sie,  et  il 
le  lui  dit  au  moyen  d'une  image  Ires  expres- 
sive. «  Metlre  la  main  a  la  charrue  »  elait 
une  locution  metaphorique  en  u-age  chez  les 
Grecs  pour  signifier «  opus quoddam  aggi'edi. » 
Mais,  quand  un  hoinine  serieux  comuience 
une  entreprise,  il  doit  la  poursuivre  avec 
vigueur,  s'y  adonner  lout  enlier,  sans  se 
lais>er  dislraire  par  aucun  objel  etrauger, 
ainsi  que  I'indique  la  suite  des  paroles  de 
Jesus.  —  Respii.iens  retro.  Un  bon  labou- 
reur  se  courbe  sur  sa  charrue  nous  dil  Pline, 
et  r(  garde  a  ses  pieds  ou  devanl  lui,  mais 
point  en  arriere;  autrement,  il  iracera  des 
sillons  lorlueux  («  Arator,  nisi  incurvus, 
praevaricabitur  »,  Hisl.  nal.  xviii,  29).  Le 
disciple  qui  s'adressail  en  ce  moment  auSau- 
veur  elait  done  dans  la  fausse  siination  d'un 
homme  qui  met  la  main  a  la  chariue  et  qui 
jelle  derriere  lui  des  regards  distrails.  Aussi 
Jesus  lui  dil-il  qu'il  ne  pouvail  compter  sur 
le  succes,  specialement  dans  le  royaume  de 
Dieu,  car  un  coeur  parlage  nuit  plus  encore 


£00 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


arriere  n'est  pas  propre  au  royaume     respiciens  retro,  aptus   est    regno 
de  Dieu.  Dei. 


CHAPITRE    X 

Envoi  des  soixante-douze  disciples,  {tt.  i-^6).  —  Leur  relour  aupr^s  de  Jesus  {ft.  47-24). 
—  Parabole  dii  bon  Samarilain  (tt.  25-37).  —  Marlhe  el  Marie  (tt.  38-42). 


1.  Apres  cela  le  Seigneur  designa 
encore  soixante-douze  autres,  et  les 
envoya  deux  a  deux  devant  lui  dans 


1.  Post  hsec  autem  designavit  Do- 
minus  et  alios  septuaginta  duos  :  et 
misit  illos  binos  ante  faciem  suam, 


a  I'ouvrier  evangeliquequ'acelui  qui  laboure 
un  champ  maieriel.  Qu'il  melle  done  fin  a 
son  irresolution !  qu'il  ne  regarde  pas  du 
cole  de  i'occidenl  quand  c'esl  I'orienl  qui 
I'appelle  (S.  Aug.,  1.  c.)  I  II  y  a  la  un  pre- 
ceple  d'une  profonde  et  perpeluelle  verite.  il 
est  devenu  proverbial  a  tout  jamais.  On  en  a 
rapproche  parfois  la  parole  de  Pylhagore  : 
et«to  lepov  i7repxo[J.evo;  jiY]  imaipi^ov,  et  mieux 
encore  cclle  d'Hesiode,  Op.  ii,  60  :  IOeiyiv 
aCXax'  iXaSvoi,  (XTIxeti  TraTitaivtov  (jteO'  otxi^Xixai;, 
SkV  iid  5pY«p6u{i,6vlxwv.—  Quel  grand  maitre 
que  Jesus  pour  la  direction  desSmes!  Voila 
irois  hommes  qui  se  presentent  a  lui  dans  des 
conditions  exterieures  a  peu  presidentiques; 
mais  il  emploie  envers  chacun  d'eux  des 
meihodes  bien  diverses,  suivaiit  leurs  diffe- 
renles  dispositions.  II  ecarle  le  preini_M-,  qui 
est  presomptueux;il  aiguillonnel'irresolulion 
de  I'aulre;  quant  au  troisieme,  qui  semble 
avoir  tenu  le  milieu  enlre  les  deux  premiers, 
il  ne  le  decourage  pas,  mais  ii  ne  ie  pousse 
pas  non  plus  en  avant:  il  se  borne  a  lui  faire 
entendre  une  gravo  reQexion,  lui  abandon- 
nant  le  soin  de  prendre  un  parli.  Dans  ces 
Irois  disciples,  les  GnosUques,  au  rapport  de 
S.  lren^.-\  i,  8,  3,  voyaient  des  representants 
decequ'ilsappelaient  rhommeCi).ix65, 1'homme 
ir»eu[AaTix6;  et  I'hojume  <]/uxtx6;.  Quelqties  au- 
leurs  modernes  les  regardenL  comme  les  types 
des  temperaments  sangiiins,  melancoliqueset 
flegmaliques  :  le  temperament  bilicuxou  cole- 
rique  aurait  lait,  d'apres  eux,  son  apparition 
un  peu  plus  haut,t.  54,  dans  la  pcrsonne  des 
Gls  de  Zebedee  (I!) 

3.  Les  soixante-douze  disciples,  x,  1-24. 

Quoique  propre  a  S.  Luc  dans  ?on  ensem- 
ble, cet  episode  ne  contient  qu'un  tres-pelit 
nombre  de  traits  nouveaux.  Les  inslruclions 
donnees  par  Nolre-Seigneur  aux  soixante- 


douze  disciples  different  a  peine  de  celles 
qu'avaient  precedemment  reQues  les  douze 
Apolres.  Les  maledictions  prononcees  centre 
les  villes  du  lac  et  les  tressaillements  du 
coeur  de  Jesus  nou^  ont  ete  presentes  deja 
par  S.  Matthieu  (xi,  20  et  ss.j  dans  une  cir- 
constance  anterieure.  Les  commentaire  rendra 
raison  des  ressemblances  et  des  differences. 

l<»L'envoi  des  soixante-douze.  x,  1-16. 

Chap.  x.  —  1.  —  Post  hcer,  c'est-^-dire 
apres  les  evenements  raconies  k  la  fin  du 
chap.  IX.  —  Designavit  (bonne  traduction 
du  grec  avESsiJev.  Cfr.  Act.  I,  24)  Dominut. 
Le  litre  de  Kupio?  est  plein  d'emphase  en  ce 
passage  :  c'est  en  effet  comm?  S  'igneur  et 
Maitie  que  Jesus  precede  a  I'organisation 
d'un  corps  special  parmi  ses  nombreux  disci- 
ples. A  mesure  qu'il  approche  du  lerme  de 
sa  vie  terreslre,  le  Sauveur  mulliplie  les  in- 
stitutions destinees  a  la  propagaiion  rapide  de 
I'Evangile,  a  la  prompte  diffusion  de  son 
Eglise.  Neanmoins  le  college  des  soixante- 
douze  disciples  ne  devail  pas  elre  permanent 
comme  celui  des  Douze  :  son  existence  ne  fut 
que  temporaire  et  iransitoire.  II  n'esl  plus 
question  des  Soixante-douze  dans  la  Bible 
apres  leur  retour.  Mais  ils  foimercnt  un 
noyau  de  missionnaireszeles,  qui  diirenL  elre 
plus  tard  d'uliles  auxiliaires  pour  les  Apo*- 
Ires.  —  Et  alios  septuaginta  duos.  «  Alios  », 
selon  Schleiermacher  et  Meyer,  par  opposi- 
tion aux  messagers  mentionnes  naguere, 
IX,  52;  plus  probablement,  de  I'avis  com- 
mun,  par  opposition  aux  apolres  (ix,  2 
et  ss.).  D'apres  les  editions  grecqucs  ordi- 
naires,  le  nombre  des  nouveaux  elus  n'eiit 
el^  que  de  soixante-dix  (e65o|j.i^xovTa; ;  mais 
le  legon  de  la  Vulgate,  qu'approuvent  plu- 
sieurs  manuscrits  imporlanls  (B,  D,  M,  R), 
avec  quelques  Peres  et  d'autres  versions  an- 


CHAPITRE  X 


801 


in  omnem  civitatem  et  locum  quo 
erat  ipse  venturus. 

2.  Et  dicebat  illis  :  Messis  qiii- 
dem  multa,  operarii  autem  pauci. 
Rogate  ergo  dominum  messis,  ut 
mittat  operarios  in  messem  suam. 

Malih.  9,  36. 

3.  Ite;  ecce  ego  mitto  vos  sicut 
agnos  inter  iupos. 

^  Malih.  10,  16. 


toutes  les  villes  et  les  lieux  oil  il 
devait  venir  lui-m6me. 

2.  Et  il  leur  disait  :  La  moisson 
est  grande  sans  doute,  mais  les  ou- 
vriers  sont  peu  nombreux;  priez 
done  le  maitre  de  la  moisson  d'en- 
voyerdes  ouvriers  dans  sa  moisson. 

3.  Allez,  voila  que  je  vous  envoie 
comme  des  agneaux  parmi  des 
loups. 


ciennes  (Uala,  syr.  Cureton),  semble  §tre  !a 
plus  exacte.  Ce  nombre,  qui  equivaut  a  six 
lois  cclui  des  apoires,  est  probablemenl 
symbolique.  On  i'a  rapproche,  suivanl  qu'on 
le  lisaii  dans  la  Vulgaie  ou  dans  le  Text,  re- 
ceplus,  lantol  des  72  membres  qui  compo- 
saient  le  Sanhedrin  juif,  tanlol  des  70  vieil- 
lards  que  Dieu  avail  adjoints  a  Moise  comme 
assesseurs  (Num.  xi,  4  6  et  ss  ),  tanlot  des  70 
i)U  72  peuples  iss?f.s  de  Noe  (Gen.  x).  Les  par- 
tisans de  celte  derniere  opinion  voienl  dans 
rinslilulion  des  72  disciples  un  symbole  de 
I'universalilederEvangiie.  Maisenloulceia  il 
n'y  a  rien  de  bien  certain.  —  Misit  illos  binos 
(iva  Suo,  distribulif)  :  de  la  meme  maniere  et 
pour  le  m6me  motif  qu'autrefois  les  apoires, 
Marc.  VI,  7.  «  Prater  qui  adjuvalur  a  fratre 
lanquam  civilas  firma  »,  Prov.  xviii,  19.  — 
Ante  fai:iem  suam  est  un  hebralsme  (pour 
«  ante  se  »)  donl  la  signification  se  trouve  du 
reste  expliquee  par  les  mols  m  omnem  civita- 
tem et  locum...  Le  Dr  Sepp  dotin(%  dans  sa 
Vie  de  Jesus,  la  lisle  des  Soixanic-Douze  : 
mais  c'est  una  lisle  toule  subjeclive  et  legen- 
daire,  car  Eusebe,  Hist.  eccl.  i,  12,  elaitdej^ 
dans  I'impossibiiite  de  la  reconstituer. 

2.  —  Avanl  de  jeter  ce  filel  d'amour  (d'a- 
pres  I'heureuse  expression  de  Riggenbach) 
sur  les  provinces  meridionales  de  la  Pales- 
tine, avant  de  faire  un  vif  et  dernier  appel 
aux  intelligences  et  aux  consciences  par  ces 
nombreux  predicaleurs  qu'il  repandait  k  tra- 
vels toule  la  contree,  et  donl  il  venail  en- 
suite  en  personne  confirmer  I'enseignement, 
Jesus  adressa  nalurellemenl  h  ses  envoyes 
qu^lques  inslruetions  relatives  h  leur  mi- 
nislere,  tt.  2-12.  II  etail  dans  I'ordre  m&ne 
des  choses  qu'elles  eussenl  une  grande  ana- 
logic avec  les  recommandations  faites  aux 
Douze  avant  leur  premiere  mission  (voyez 
Malih.  IX,  37-x,  16  el  parall.,  car  c'est  avec 
la  redaction  de  S.  Maltliieu,  la  plus  complete 
■des  trois,  qu'il  faul  surtout  dlablir  la  compa- 
raison).  Elles  debutent  egalement  par  une 
reflexion  qui  a  trait  au  manque  d'ouvriers 
^vangeliques,  t.  2.  Puis,  apres  une  rapide  al- 
Jution  (t.  3)  aux  dangers  qui  menacent  les 
missionnaires  du  Cliiist,  elles  interdisent  k 


ceux-ci  tout  ce  qui  pourrait  ressembler  a  un 
sentiment  de  detiance  envers  la  Providence 
de  Dieu,  t.  4.  Elles  indiquent  ensuile  aux 
disciples  ce  qu'ils  auront  a  faire  soil  au  debut 
{tt-  5  el  6),  soil  durant  le  cours  [tt.  7-9), 
soil  h  la  fin  [ft.  10  el  11)  de  leur  minislere 
dans  cliaque  localile.  Elles  se  terminenl  par 
I'annonce  du  clialiment  terrible  quo  Dieu 
reserve  aux  cites  incredules,  til.  12-16.  — 
Messis quidem multa...  Comp.Maltli.  ix,  37  38 
et  le  commenlaire.  Jesus  avail  dit,  des  le  com- 
mencement de  sa  vie  publiquo  :  «  Levate 
oculos  vestros,  et  videte  regiones,  quia  albaB 
sunt  jam  ad  messem  »  (Joan,  iv,  33).  Et,  de- 
puis  cette  epoque  deja  loinlaine,  la  moisson 
evangelique  avail  couvert  des  milliers  de 
champs  nouveaux.  —  Operarii  aulem  pauci. 
Voici  pourtant  que  Nolre-Seigneur  a  douze 
apoires  el  soixanle-Jouze  disciples  pour  I'aider 
a  rentrer  sa  recolte!  Mais,  qu'elaienl  ces  qua- 
Ire-vingl-qualre  moissonnours  «p6«  td  «Xij6oc 
Twv  (ieXXovTwv  TcioTeiieiv,  suivaut  la  juste  re- 
flexion d'Euthymius?  Aujourd'hui  Ton  peut 
dire  encore  a  un  autre  point  de  vue  qun  «  les 
ouvriers  sont  peu  nombreux  ».  Sans  doute, 
«  ecce  mundus  est  sacerdotibus  plenus,  sed 
tamen  in  messe  Dei  rarus  valde  reperitur 
operator;  quia  ofiicium  quidem  sacerdolale 
suscipimus,  sed  opus  officii  non  implemus  ». 
S.  Greg.,  Horn,  xvii  in  Evang.  —  Rogate... 
ut  millet...  :  exgaXir),  le  correlalif  grec  de 
«  miltat  »,  est  ires-eneigique,  et  exprime 
fori  bien  qu'il  y  a  urgence  dans  I'envoi. 

3.  —  Ecce  ego  mitlo  vos...  L'image  change 
subitemenl  :  les  moissonneurs  spiriluels 
du  royaume  messianique  nous  apparaissenl 
conune  de  limides  agneaux  entoures  de  loups 
devoranls.  Jesus  ne  pouvait  insinuer  avec 
plus  de  clarte  ni  avec  plus  do  force  que  ses 
missionnaires  devaient  etre  prets  a  mourir 
pour  lui.  Voyez  Malih.  x,  16  et  lo  commen- 
laire. II  avail  alors  des  ennemis  Ires  nom- 
breux et  ires  acharnes  a  sa  perte,  et  il  pre- 
voyail  que  la  haine  porlee  au  Maitre  rejailli- 
rait  bientol  sur  les  disciples.  —  Sicut  agnos. 
Parlanl  aux  Douze,  Malth.,  I.  c,  Nolie-S"i- 
gneur  avail  dil  :  «  Sicut  oves  »  (Ttpo^axa). 
L'expression  grecque  apvo;,  employee  ici  par 


J02 


EVANGiLE  SELON  S.  LUC 


4.  Ne  portez  ni  bourse,  ni  sac,  ni 
chaussure,  et  ne  saluez  personne  en 
chemin. 

5.  En  quelque  maison  que  vous 
entriez,  dites  d'abord  :  Paix  a  cette 
maison. 

6.  Et  s'il  s'y  trouve  un  fils  de  la 
paix,  votre  paix  reposera  sur  lui; 
sinon  elle  reviendra  a  vous. 

7.  Demeurez  dans  la  maison, 
mangeant  et  buvant  ce  qui  sera 
chezeux;  car  I'ouvrier  merite  son 
salaire.  Ne  passez  point  de  maison 
en  maison. 


4.Nolite  portare  sacculum,  neque 
calceamenta,  et  neminem  per  viam 
salutaveritis. 

Matlh.  10, 10;  Marc.  6,  8;  IV  Reg.  4,  29. 

5.  In  quamcumque  domum  intra- 
veritis,  primum  dicite  :  Pax  huic 
domui. 

6.  Et  si  ibi  fuerit  filius  pacis,  re«^ 
quiescet  super  ilium  pax  vestra ;  sin 
autem,  ad  vos  revertetur. 

7.  In  eadem  autem  domo  manete, 
edentes  et  bibentes  quae  apud  illos 
sunt ;  dignus  est  enim  operarius 
mercede  sua.  Nolite  transire  de 
domo  in  domum. 

Deul.  24,  14;  Maiih.  10, 10;  /  Tim.  5,  18. 


S.  Luc,  ne  se  trouve  pas  ailleurs  dans  1h  Nou- 
veau  Testament.  —  «  Hoc  fuit  manifeslum 
indicium  praeclari  iriuuiphi,  ul,  quuincircum- 
dali  essenl  discipuli  ab  hoslibiis,  quasi  agni 
inier  lupos,  eos  lamenconverlerenl  ».S.  Jean 
Chrysost.,  Horn,  xiv  in  Malih.  Voyez  une 
belle  reflexion  du  meme  genre  dans  S.  Au- 
guslin,  Serm.  lxiv,  c.  i. 

4.  —  Nulite  portare...  Jesus  interdit  aux 
soixanle-douze,  comme  aulrefois  aux  apolres, 
IX,  3,  tout  preparalif  humain  :  il  veut  qu^  le 
predicateur  de  I'Evangiie  soil  pauvre,  desin- 
leiesse,  «  ne  diun  mens  occupaUir  ad  lempo- 
ralia,  minus  aliis  pi ovideal  aeU'ina  ».S.  Greg  , 
I.  c.  —  Saciuluin,  Pa/dvxiov,  Ic  petit  sac  dans 
lequel  on  met  ^on  argeni,  ia  bourse;  peram, 
le  sac  a  provisions.  L'ylloculion  aux  apolres, 
IX,  3  eiparail.,  ne  signaiait  que  ia  «  pera  ». 
—  Neminem  per  viam  sululaoentts.  Aulrc  trail 
propre  a  ce  passage.  II  taut  si'  souvenir,  pour 
le  bien  comprendre,  que  ies  Orientaux  ont 
toujoursele  de  grands  i'ormal'..-tes.  En  Orient, 
saluer  quelqu'un  ne  consiste  pas  simplement, 
comme  chez  nous,  a  t'aire  une  geste  rapide, 
ou  a  echanger  queiques  breves  paroles  : 
quand  cetlo  operation  est  faile  selon  toutes 
Ies  regies,  elle  devienl  tres  complexe  el  peul 
facileraent  consumer  deux  ou  irois  heures. 
Cfr.  Jahn,  Archaeolog.  §  175;  T.  Robinson, 
the  Evangelists  and  the  Mishna,  p.  206;  Bo- 
nar,  Desert  of  Sinai,  p.  141.  De  meme  qu'fi- 
lisee  a  Giezi,  IV  Reg.  iv,  29,  Notre  Seigneur 
interdit  aux  messagers  de  TEvangile  ces  de- 
tails inuliles  et  encombrants.  Hatez-vous, 
leur  dil-il,  et  allez  droit  au  but!  Voire  temps 
est  rop  precieux  pour  que  vous  le  perdiez  a 
debiler  ou  k  entendre  de  vaines  lormules. 
S.  Ambroise  a  tres  bien  expose  le  sens  de 
cette  injonction  :«Non  salutationis  sedulitas 
lufertur,   sed  obstaculum  impediendae  de- 


votionis  aboletur,  ut  quando  divina  mandan- 
tur,  paulisper  sequestrenlur  humana.  Pulchra 
est  salutalio,  sed  pulchrior  matura  executio 
divinorum  :  ideo  et  honesta  prohibentur,  ne 
impedialur  minislerium  cujus  mora  culpa 
sit  ».  Expos.,  h.  I.  Comp.  Euihymius. 

5  et  6.  —  Ce  que  Ies  disciples  devronl  faire 
en  entrant  dans  une  localiie  pour  y  prficher 
ia  bonne  nouvelle.  Voyiz  Matth.  x,  12,  13  et 
le  coramentaire.  —  Filius  pacis  [Q'h'QJ  73) 
est  un  hebraisme  propre  a  ce  passage  de 
S.  Luc  (S.  Matth.,  I.  c,  a  «  dignus  ») ;  mais  le» 
locutions  analogues  ne  raanquenl  pas  dans  Ies 
ecrils  du  Nouveau  Testament,  Comparez 
Matlh.  IX,  15;  xxiiv,  15;  Luc.  xvi,  8; 
XX,  36:  Joan,  xii,  36;  xvi,  12;  Eph.  ii,  2; 
V,  6;  I  Thess.  v,  5;  II  Pelr.  ii,  14,  etc.  — 
Requiescet  super  ilium:  belle  image(S.  Matlh. . 
«  veniet  super  »).  Le  verbe  grec,  doublement 
compose,  Inavanauoexat,  ne se  trouve  qu'ici  et 
Rom.  II,  17.  —  Ad  vos  reverlelur  est  une 
maniere  hebralque  de  dire  que  Teffel  souhaite 
ne  sera  pas  produil.  Voyez  Sylveira  et  Luc 
de  Bruges,  h.  1. 

7-9.  —  Gonduile  que  Ies  envoyes  de  Jesus 
devronl  tenir  lant  qu'ils  sejourneront  dans 
une  localite.  Aux  apolres  aussi  le  Seigneur 
avail  recommande  de  ne  pas  changer  de 
residence,  a  la  maniere  d'hommes  dilFiciles 
ou  inconstanls;  mais  actuellement  il  ajouli; 
un  detail  nouveau  :  edentes  et  bibentes..  ,  di- 
gnus est  enini...  Cette  seconde  proposition 
(S  Paul,  I  Tim.  v,  18,  la  cite  comme  une  pa- 
role scripturaire)  conLienl  le  motif  de  la  pre- 
miere. Asseyez-vous  sans  scrupule  a  la  labli; 
de  vos  holes,  car,  en  leur  donnanl  Ies  biens 
elernels,  vous  meritez  largemenl  I'humble 
compensation  qu'ils  vous  oITrent  sur  cette 
terre.  Voyez  le  beau  developpemenl  ecrit  sur 
ce  theme  par  I'Apoire  des  Gentils,  I  Cor. 


CHAPITRE  X 


20^ 


8.Etin  qusecumque  civitatem  in- 
traverilis  et  susceperint  vos,  man- 
ducate  qiise  apponuutur  vobis. 

9.  Et  curate  intirmos  qui  in  ilia 
sunt,  et  dicite  illis  :  Appropinquavit 
in  vos  regnum  Dei. 

10.  In  quamcuraque  autem  civi- 
tatem  intraveritis  et  non  suscepe- 
rint vos,  exeuntes  in  plateas  ejus, 
dicite  : 

11.  Etiam  pulverem,  qui  adhsesit 
nobis  de  civitate  vestra,  extergimus 
in  vos  :  tamen  hoc  scitote,  quia  ap- 
propinquavit regnum  Dei. 

Act.  13,  5i. 

12.  Dico  vobis,  quia  Sodomis  in 
die  ilia  remissius  erit  quam  illi  ci- 
vitati. 

13.  Vae  tibi  Gorozain,  vse  tibi 
Bethsaida :  quia  si  in  Tyro  et  Si- 
done  factse  fuissent  virtutes   quae 


8.  Et  en  quelque  ville  que  vous 
entriez  et  oii  vous  serez  recus,  man- 
gez  ce  qu*on  vous  presentera. 

9.  Et  guerissez  les  malades  qui 
s*j  trouveront,  et  dites-leur  :  Le 
royaume  de  Dieu  s'est  approche  de 
vous, 

10.  Mais  dans  toute  ville  oii  vous 
serez  entres  et  ou  on  ne  vous  aura 
pas  recus,  sortez  dans  ses  places  et 
dites  : 

11.  La  poussiere  m6me  de  votre 
ville,  qui  s'est  attachee  a  nos  pieds, 
nous  la  secouons  contre  vous;  ce- 
pendant  sachez  ceci  :  le  royaume 
de  Dieu  s'approche. 

12.  Je  vous  dis  qu'en  ce  jour  il  y 
aura  plus  de  remission  pour  Sodome 
que  pour  cette  ville-la. 

13.  Malheur  a  toi,  Gorozain,  mal- 
heur  a  toi,  Bethsaida;  car  si  les  mi- 
racles qui  ont  ete  faits  dans  vous 


IX,  3  et  ss.  —  Nolite  transire  de  domo  in  do- 
mum  est  un  cominenlaire  de  «  in  eadem 
domo  manete  »,  de  raeme  que  la  phrase  man- 
ducate  qum  apponuutur  vobis  developpe  et 
expliqiiea  edenies  et  bibenies  quae  apud  illos 
sunt  ».  Jesus  ne  saurait  tolerer,  dans  ses  mi- 
nistres,  des  exigences  indignes  de  I'Evangile : 
il  veut  qu'iis  sachent  se  conlentcr  du  logis  et 
de  la  nourrilure  qui  leursont  offerls.  On  peut 
aussi ,  k  la  suite  de  Noel  Alexandre,  h.  1.,  et 
de  plusieurs  exegeles  contempoiains  (Sepp, 
Schegg,  etc.),  voir  dans  les  paroles  «  Mangez 
ce  qu'on  vous  servira  »  une  recommandalion 
deslinee  ^  metlre  les  disciples  a  I'aise  relali- 
veraent  aux  lois  pharisaiques  qui  interdisaient 
certains  aliments.  Voir  I  Cor.  x,  27,  un  con- 
seil  idenlique  deS.  Paul.  —  Curate  iiifinnos... 
Comme  les  apotres,  les  soixanle-douze  disci- 
ples avaient  par  consequent  regu  le  don  de 
guerir  les  malades.  —  Dicite  illis.  Le  pronom, 
qui  retombe  en  apparence  sur  a  infirmos  », 
designe  en  realile  tous  les  habitants  de  la 
maisoii.  G'est  la  «  constructio  ad  synesin  », 
si  freqiienle  dans  les  saints  Livres.  —  Ap- 
propinquavit in  vos  regnum  Dei  :  tel  devait 
6tre  le  (heme  general  de  la  predication  des 
nouveaux  missionnaires. 

<0-11.  —  Regies  a  suivre  pour  le  cas, 
nullement  chimerique,  oil  toute  une  popula- 
tion ferait  aux  disciples  un  accu  il  defavo- 
rable.  Voyez  Mallh.  x,  14  et  le  commentaire. 
—  Dicite.  Cette  union  du  langage  a  Taction 
n'existe  pas  dans  le  discours   adress^  aux 


apotres.  Les  paroles  dont  les  missionnaires 
insultes  devront  accompagner  leur  geste 
syrabolique  sent  d'une  grande  energie;  etiam 
pulverem  (xai  t6v  xoviepxov) !  Nous  ne  voulons 
pas  meme  emporter  d'aupresde  vous  un  seul 
grain  de  poussiere  I  —  Apres  qui  adhcesit  nobis, 
plusieurs  manuscrits  grecs  (Sinait.,  B,  D,  R, 
iisent  :  eUxou;  TtoSa;,  a  in  pedibus  »  (Itala).  — 
Le  pittoresque  auoiJaaootxeOa  (extergimus) 
n'existe  pas  ailleurs  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment. —  Tamen  hoc  scitote  quia  appropin- 
quavit... Les  disciples,  quoique  rejiies,  an- 
nonceroiil  quand  ineme  la  grande  nuuvelle.  II 
est  vrai  qu'elle  revelira  dans  cette  inconslance 
un  caracte'-e  terrible.  Prenez  garde  1  I'heure 
de  votre  chatiinenl  est  proche. 

12.  —  Voyez  Mallh.  x,  15  et  le  commen- 
taire. —  Diro  vobis  est  soleniiel.  In  die  ilia 
designe  le  jour  formidable  du  jugi^ment  mes- 
sianique.  —  Sodomis  remissius  erit...  Sodome, 
en  effet,  nialgre  ses  vices  epouvaniables, 
n'aura  pas  abuse  d'autant  de  greets,  n'ayant 
pas  regu  d'aus^i  vives  lumieres  que  les  cites 
au  milieu  desquelles  a  reienli  la  predication 
de  I'Evangile. 

i3-lo.  —  Jesus  vient  de  parler  en  general 
des  villes  quise  refuseroni  a  recevoir  si^s  en- 
voyes,  tt-  10-12.  Celle  piMisee  lui  rappelle 
de  trisles  souvenirs  personnels.  Trois  localitds  . 
imporlantes  des  bords  du  lac,  honoiecs  entre 
tout(  8  par  sa  presence,  par  son  en-^eignement, 
par  ses  miracles,  n'elaient-elles  pas  demeurees 
incredules?  Au  moment  oil  il  va  quitter  la 


204 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


avaient  ete  fails  dans  Tyr  et  Sidon, 
elles  auraient  fait  penitence  il  y  a 
iongtemps  sous  le  cilice  et  assises 
dans  la  cendre. 

14.  G'e3t  pourquoi  au  jour  du  ju- 
gement  il  y  aura  plus  de  remission 
pour  Tyr  et  Sidon  que  pour  vous. 

15.  Et  toi,  Gapharnaum,  elevee 
jusqu'au  ciel,  tu  seras  plongee  jus- 
qu'au  fond  de  I'enfer. 

16.  Qui  vous  ecoute  m'ecoute  et 
qui  vous  meprise  me  meprise.  Mais 


faclse  sunt  in  vobis,  olim  in  cilicio 
et  cinere  sedjntes  poeniterent. 

Matth.  11,  21. 

14.  Verumtamen  Tyro  et  Sidoni 
remissius  eril  in  judicio,  quam  vo- 
bis. 

lb.  Et  tu,  Gapharnaum,  usque  ad 
coelum  exaltata,  usque  ad  infernum 
demergeris. 

16.  Qui  vos  audit,  me  audit  :  et 
qui  vos  spernit,  me  spernit.  Qui  au- 


Galilee  pour  n'y  plus  revenir,  il  lance  conlre 
riles  un  adieu  terrible,  qui  consisle  en  un 
iriple  analhenie,  tt.  \3-15.  S.  MaUhieu, 
XI,  20-24  (voyez  le  commenlaire),  nous  a 
<leja  presenle  ces  maledictions  de  Jesus,  et 
d'une  maniere  un  peu  plus  comjilete,  mais 
avec  una  aulre  enchaiiiemenl.  D'apres  sa 
chronologie  elles  se  ratiacheraienl  a  Luc. 
VII,  35,  par  consequent  elles  appartiendraient 
a  une  epoque  bcaucoup  moins  avancee.  Elles 
nous  paraisseni  niieux  convenir  a  la  dale 
que  leur  assigne  notre  evangeliste,  car  elles 
elaient  alors  plus  justifiees.  Divers  auteurs 
admeltent  neanmoins  qu'elles  purent  bien 
etre  repeiees  deux  fois.  —  Corozain  (dans  le 
grec,  x'^pa.li'^;  o'apres  Eusebe,  Onomast., 
XwpaileTv;  dans  le  Talmud  deBabylone,  D'HIS, 
Vliorazaiin)...,  Bethsaida  :  deux  cites  juives, 
opposees  a  deux  villes  paiennes,  in  Tyro  et 
Sidone,  et  menacees  de  chciliments  beaucoup 
plus  grands  que  ces  dernieres,  qui  eussenl  fail 
penitence  de  leurs  crim'  s,  el  renoiice  a  leurs 
irafics  sordides,  a  leur  luxe  coupa-ble,  si  elles 
avaient  ete  lemoins  des  prodiges  (virtutes)  de 
Jesus.  —  In  cilicio  et  cinere  sedenles  (trail 
piopre  a  S.  Lnc]  pcBnilerenl  est  une  belle  per- 
sonnification  :  Tyr  ot  Sidon  nous  apparaissenl 
comme  deux  penitenies  humblemenl  assises 
a  terre,  revetues  d'un  sac,  la  tele  couverte 
de  cendre.  — Et  tu,  Gapharnaum...  Des  trois 
villes  maudites,  Capharnaum  elait  la  plus 
in2;rate,  ayant  eie  la  plus  privilegiee,  puis- 
qu'elle  avail  eu  le  bonheur  de  servir  de  resi- 
dence habiluelle  a  Jesus.  Aussi  I'analheme 
(|ui  la  concerne  a-t-il  uncaraclere  plus  grave, 
plus  emphalique.  Au  lieu  de  y.aTa6i6ac8viffT(l5 
demergeris,  les  manuscrils  B,  D,  el  la  version 
syriaque  Cureton  lisenl  xaTafi^^aij,  «  descen- 
<les  »,  variante  peu  aulorisee.  —  Pour  I'ac- 
complissement  integial  de  celte  prophelie, 
voyez  I'Evangile  selon  S.  Mallhieu,  p.  230. 
K  Sur  lout  le  pays  la  malediction  est  tombee. 
(Ju  'i(|ue  tuujours  oxquis  dans  sa  beaule,  il 
I'st  inaiiitenant  desole,  dangereux  meme.  Les 
■o  seaux  y  chanlcnt  toujours  par  troupes  in- 


nombrables,  se  jouant  sur  le  crislal  des  eaux. 
Les  ruisseaux  accourenl  au  lac  des  hauteurs 
voisines,  le  sein  rempli  de  perles  (comme  di"; 
le  poele),  el  inondant  leur  sentier  d'emcraudes 
Les  plantes  aromaliques    repandenl  encore 
leurs  parfums  quand  le  pied  du  passant  les 
ecrase,  et  les  grands  lauriers  roses  remplissea 
I'air  comme  autrefois  de  leur  delicate  se* 
leur.  Mais  les  vignobles  et  les  vergers  onl 
disparu ;  les  flolilles  et  les  barques  de  pd- 
cbeurs  cessent  de  traverser  le  lac;le  brui 
des  fouleshumaines  ne  se  fail  plus  entendre 
les  sources  du  commerce  prospere  sont  taries 
Meme  les  noms  et  les  sites  des  bourgades  (» 
des  villes  sonl  lombes  dans  I'oubli,  et,  la  ou 
illes  s'elalaient  un  jour  brillanles  et  popu- 
lauses,   jetanl    leurs   ombres  a    Iravers  les 
ondes  dorees  par  le  soleil,   on  ne  discerne 
mainlenant  que  des  monticules  gris,  oil  les 
ruines  sont  trop  ruines  pour  qu'on  puisse  y 
dislinguer  quclque  chose  ».  Farrar,  The  Life 
of  Christ,  23e  ed.l.  II,  p.  4  00  eH01.  L'hislo- 
rien  Josephe,  Bell.  Jud.  iii,  40,  8,  immedia- 
lemi'nl  apres  avoir  decrit,  dans  un  passage 
celebre,  les  splendeurs  du  lac  el  de  la  plaine 
de  Gennesareth,  raconte  les    maux  affreux 
que  les  le^rions  romaines  firent  subir  a  toule  la 
contree.  Quelques  pages  plus  haul,  iii,7,  31, 
il  confessail  que  :<  c'etail  Dieu,  a  n'en  pas 
douler,  qui   avail  amene  les  Romains  pour 
punir  les  Galileens  el  pour  faire  detruire  les 
villes  par  leurs  ennemis  avides  de  sang   ». 
Cela  se  passait  irente  ans  k  peine  apres  la 
morl  de  Jesus  1 

4  6.  —  Qui  vos  audit...  Conclusion  de 
I'inslruction  pastorale  adressee  aux  soixante- 
douze  disciples.  L'idee  qu'elle  renferme  est 
des  plus  consolanles  pour  eux,  puisqu'elle 
identifie  en  quelque  sorte  les  envoyes  mes- 
sianiques,  passes,  presents  et  a  venir,  au 
Christ  lui-meme  et  a  son  divin  Pere.  Du  reste 
I'ambassadeur,  dans  lous  les  temps  et  dans 
tous  les  pays,  est  cense  ne  former  qu'une 
seule  personne  morale  avec  celui  qu'il  repre- 
sente.  Voyez  des    pensees    analogues   dans 


CHAPITRE   X 


205 


tem  me  spernit,  spernit    earn  qui     qui  me  meprise  meprise  celui  qui 


misit  me. 

Matth  10,  40;  Joaw.  13,20. 

17.  Reversi  sunt  autem  septua- 
ginta  duo  cum  gaudio,  dicentes  : 
Domine,  etiam  dsemonia  subjiciun- 
tur  nobis  in  nomine  tuo. 

1 8.  Et  ait  illis  :  Videbam  Satanam 
sicut  fulgur  de  coelo  cadenlem. 


m  a  envoye. 

17.  Or,  les  soixante-douze  revin- 
rent  avec  joie  disant  :  Seigneur,  les 
demons  memes  nous  sont  soumis 
en  votre  nom. 

18.  Et  il  leur  dit :  Je  voyais  Satan 
tombant  du  ciel  comme  la  foudre. 


Malth.  X,  40  et  Joan,  xiii,  20.  —  Spernit. 
Le  vcrbe  aOeTsw  du  texle  primitif  est  encore 
plus  fori,  car  il  exprime  I'idee  d'un  renver- 
semenl,  d'une  destruclion  («  e  loco  siio  deji- 
cio  »).  Voyez  Brelschneider,  Lex.  man.  s.  v. 

2*  Le  retour  des  Soixante-douze.  x,  17-24. 

47.  —  Reversi  sunl...  En  jiixtaposant  ainsi 
le  depail  et  le  retour  des  soixanle-douze 
disciples,  S.  Luc  nous  donne  a  penser  lo  qu'il 
ne  s'elail  passe  dans  I'lnLervalle  aur.un  fait 
notable,  2o  que  leur  absence  ne  fut  pas  de 
longue  duree.  Le  ministere  que  Jesus  leur 
avait  confie  pouvait  au  besoin  s'accomplir  en 
quelqucs  jouis.  11  est  possible  aussi  que  I'evan- 
geliste,  omellaut  quelques  evenoinents  inter- 
mediaires,  ait  reuni  les  deux  incidents  d'apres 
une  connexion  logique,  pour  achever  d'un 
seul  coup  ce  qu'il  avait  a  dire  des  soixante- 
douze  et  de  leur  CBiivre.  —  Septuaginta  duo. 
Le  recit  paraii  siipposer  que  les  disciples 
revinrent  tous ensemble  aupresde  PeurJIailre. 
Rien  n'empeclie  d'ailleurs  que  Jesus  ne  leur 
cut  fixe  uii  jour  et  un  lieu  preci-;  de  rendez- 
vous. —  Cum  gnudio.  La  joie  qui  remplissait 
leurs  coeurs  se  lisail  sur  leurs  visages  :  elle 
va  se  manifestordans  leurs  paroles. —  Elinm 
dwmonia  subjicinntur  7iobis.  11  y  a  une  em- 
phase  visibli!  dans  cet «  eliam  ».  On  voil  (|ue 
les  disciples  ne  s'alti'ndaieui  pas  an  fail  qu'ils 
exposenl  a  Jesus  avec  une  >implicile  naive, 
semblant  mellre  a  Tarriere-sreno  tous  les 
autres  acles  de  leur  minisiere.  En  realiie,  si 
nous  nous  reporlons  a  I'allocution  du  Sau- 
veur,  nous  ne  voyons  pas  qu'il  l-^ur  cut  con- 
fere  en  termes  expies  le  pouvoir  de  chasser 
les  demons  (Cfr.  t.  9).  Et  voici  neanmoins 
que  les  possedes  avaient  ete  gueris  quand  on 
avait  invoque  sur  eux  le  nom  du  divin  Mailre. 
De  la  relonnement  et  la  joie  des  disciples  (le 
present  «  subjicinntur  »  indique  une  expe- 
rii^nce  recenti'). 

'18.  —  Et  ait  illis.  Au  retour  des  soixanle- 
douze  disciples  S.  Luc  rattache  trois  admi- 
rables  paroles  de  Jesus.  Cfr.  t.  21  et  23.  Les 
tt.  18-20  renferment  la  premiere.  —  Vide- 
bam Satanam...  On  a  beaucoup  discule  sur 
ia  signification  ou,  plus  exactement,  sur  le 
«  terminus  a  quo  »  de  I'imparfait  eOewpouv. 


Assez  geneialement,  les  Peres  (S.  Cyprien, 
S.  Ambroise,  S.  Jean  Cliysostome,  etc.), 
aiment  a  supposer  que  Jesus  fait  appel  en  ce 
passage  a  ses  souvenirs  de  Aoyo?  aaapxot,  et 
que,  pour  donner  une  logon  taciie  d'humilite 
aux  Soixanle-douze,  Irop  humainement  af- 
fecles  de  leur  succes  sur  les  demons,  il  leur 
propose  Ic  terrible  chalimcnt  de  Lucifer, 
comme  s'il  leur  eut  dit  :  Ddfifz-vous  de  I'or- 
gueil,  car  c'est  lui  qui  a  [irecipite  Satan  de 
son  trone  glorieux  I  De  mes  propres  yeux  je 
I'ai  vu  autrefois  tombor  du  ciel.  Mais  les 
meilleurs  exegeles  calholiquos  des  temps 
moderncs,  enlre  autres  Maldonal,  Corneille 
de  Lapierre,  D.  Calmel,  s'accordenl  a  penser. 
d'un  cole  que  rien  n'aulorise  a  prendre  en 
mauvaise  part  la  joie  ot  les  paroles  des 
disciples,  de  ['autre  que  I'inluilion  a  laquelle 
Nolre-Seigneur  fait  allusion  est  loin  de  re 
monler  si  haul.  Elle  avail  eu  liou,  disont-ils, 
pondant  la  mission  mema  des  Soixanle-douze. 
Ceux-ci  venaienl  de  raconter  joyeusemint  a 
leur  Maitre  leurs  glorieux  iriomphi's  sur  les 
puissances  infernales.  Vous  ne  m'apprenez 
rien,  re[)ondit  le  Sauveur,  car,  vous  suivani 
d'un  regard  prophetique,  je  voyais  Satan 
depossdde  parloul,  ^ur  votre  parcours,  de 
sou  pouvoir  usurpe.  Nous  trouvons,  commi) 
D.  Cdlniet,  ce  second  scnlimrnl  »  plus  simple 
rl  plus  liUeral  ».  Dans  lous  les  cas,  quell  ■ 
majesle  dans  cetle  courle  descripiiou  de 
Jesus!  Pouvait-il  mieux  depeindre  les  efTeis 
merveilleux  de  son  Incarnation,  les  vicloires 
remporlees  par  le  royaume  de  Dieu  sur  In 
royaume  de  I'espril  mauvais?  «  Nunc  judi- 
cium est  mundi,  dira-t-il  ailleurs  (Joan. 
xii.  31) ;  nunc  princeps  hujus  mundi  ejicietur 
foras  ».  Et  la  parole  de  Jesus  est  toujours 
vraie.  Lo  «  videbam  »  dure  encore,  puisqu  ■ 
les  bons  prelres  conlinuent  chaque  jour 
I'oeuvre  des  prrmiers  discipK^s.  —  Sicut  ful- 
gur de  coelo  cadenlem  est  une  magnifique  me- 
laphore,  probablement  empruniee  a  Isai', 
XIV,  9-13.  Ces  mots  expriment  une  chute 
rapide  en  meme  temps  que  la  perle  d'un  grand 
pouvoir.  Comparez  les  figures  analogues  de 
Giceron  :  «  ex  astris  deciders  »,  ad  Atlic. 
Ep.  HI,  21  ;  a  de  coelo  detrahere  »,  Phil. 
II,  42. 


206 


EVANGILE  SELON  S,  LUC 


19.  Voil^  que  je  vous  ai  donnele 
pouvoir  de  fouler  aux  pieds  les  ser- 
pents et  les  scorpions  et  toute  puis- 
sance de  I'ennemi,  et  rien  ne  vous 
nuira. 

20.  Gependant  ne  vous  rejouis- 
sez  pas  de  ce  que  les  esprils  vous 
sont  soumis,  mais  rejouissez-vous 
de  ce  que  vos  noms  sont  ecrits  dans 
les  cieux. 

21.  En  cette  heure  mSme  il  tres- 


19.  Ecce  dedi  vobis  potestatem 
calcandi  supra  serpentes,  et  scor- 
piones,  et  super  omnem  virtutem 
inimici  :  et  nihil  vobis  nocebit. 

20.  Verumtamen  in  hoc  nolite 
gaudere,  gaudete  autem  quod  no- 
mina  vestra  scripta  sunt  in  coelis. 


21.  In  ipsa  hora  exultavit  Spiritu 


19.  —  Ecce  dedi  vobis...  Faiil-il  lire  8i8to(« 
;ui  present,  avec  le  Textus  recopl.,  on  bien 
osSwxa  au  parfait,  avec  les  manii-crits  Sin., 
IJ,  C,  L.  X.  etc.,  el  la  Vulgate?  Dans  le  pre- 
mier cas,  Jesus  confirmerait  ici  d'line  maniere 
lormelle  a  ses  disciples  les  pouvoirs  dont  ils 
avaienl  usesansles  avoir  ofljciellement  regus; 
dans  le  second,  qui  nous  parait  le  plus 
vraisemblable,  il  leur  explique  les  recenls 
triomplied  qui  leur  ont  mis  au  coBur  una  joie 
si  Vive.  Ne  vous  etonnez  pas;  en  realileje 
vous  avais  armes  d'une  puissance  irresistible 
conlre  les  demons.  Les  expressions  em- 
ployees par  Notre-S'^igneur  sont  d'une  vi- 
gueur  remarquable.  Elies  representent  les 
envoyes  evangeliques  sous  les  trails  de  fiers 
conqu^ranls  qui  foulent  aux  pirds,  selon 
I'anlique  usage  de  I'Orient  (Cfr.  Ps.  cix,  i) 
et  en  signe  d'une  victoire  lotale,  leurs  en- 
nemis  vaincus  (calcandi  supra).  L'ennemi 
qu'elles  designent  smioul.  (6  ex^po?  par  anto- 
nomase)  c'esl  Sal  an  ;  mais  c'esi  aussi,  d'une 
maniere  generaic^,  toute  I'armee  de  ce  chef 
terrible  [virlulem,  1(!  Sti  hebreu),  c'esl-a-dire 
lous  ses  suppols.  Or,  paruii  les  aiixiiiaires 
de  Satan,  Jesus  mentionne  en  particulier(peut- 
etre  par  allusion  au  psaume  xc,  *•.  13)  ser- 
pentes etsrorpioues,  animaux  redoutes,  choisis 
a  bon  droit  comme  des  sjieeimens  frappants 
de  lous  les  eleuients  naturels  liosiiles  a  notre 
race  que  les  demons  peuvent  utiliser  contre 
nous.  La  maniere  donl  le  Sauveur  rattache 
a  Satan  tout  ci'  qui,  dans  le  monde  present, 
est  ca|)able  de  nous  nuire,  a  qnelque  chose  de 
tres  profond  et  de  Ires  instiuctif.  Aussi  la 
penseedut.  19  nous  semblel-elle  avoir  ete 
afTaiblie  par  les  exegetes  qui  ne  voient  dans 
les  serpents  et  les  scorpions  que  des  em- 
blcmes  des  esprits  nuiuvais.  —  Nihil  vobis 
nocebit  (dans  le  grec,  iSixrjoio,  au  figure).  Les 
ambassadeurs  du  Christ  demeureiont  invio- 
lables  parmi  tant  d'adversaires;  leur  Maitre 
le  leur  re|ietera  quelque  temps  apres  sa  rd- 
aurrection.  Marc,  xvi,  10. 

20.  —  Verumtamen  sert  de  transition  k 
une    nouveile    idee,   qui    nous  ramene  au 


t.  17,  et  met  fin  a  la  premiere  parole  de 
Jesus.  — In  hoc  nolite  gaudere  quia...  Sous 
cetle  tournure  hebraique.  it  est  aise  de  re- 
connaitre  la  vraie  pensee  du  Sauveur.  «  Non 
reprehendit,  sed  docet  ac  perficit;  nee  pro- 
hibet  propter  subjecta  sibidaemonia  gaudere, 
sed  monet  ul  propter  scripta  in  ccelo  ipso- 
rum  nomina  magis  gauderent.  »  Maldonat, 
Comment,  in  Luc.  x,  17.  C'esl  done  comme 
s'll  y  avail  :  «  Non  lam  gaudete  quia  spiri- 
lus...,  quam  gaudete...  »  (le  (laXXov  ajould 
par  la  Recepta  el  par  le  Cod.  Sinait.  au  se- 
cond hemisiiche  est  une  correction  heureuse 
quant  au  sens,  mais  apocryphe).  Jesus  sug- 
gere  done  aux  disciples  un  motif  de  joie  su- 
perieure  el  beaucoup  plus  parfaile.  Chasser 
les  demons  n'est,  comme  disenl  les  iheolo- 
giens,  qu'une  «  gratia  gratis  data  »,  qui  ne 
prouve  pas  absolument  I'araitie  de  Dieu  (Cfr. 
Matth.  VII,  22  el  23;  I  Cor.  xm,  2).  On  pent 
la  posseder  et  se  damner  quand  mSme.  Elle 
ne  saurait  constituer  le  vrai  bonheur.  Mais 
savoir  qu'on  est  predestine,  qu'on  jouira  sans 
fin  de  la  vue  de  Dieu,  voila  une  source  de 
joies  solides  auxquelles  on  peut  se  livrer  sans 
reserve.  —  La  belle  figure  nomina  vestra 
scripta  sunt  in  ccbUs  revienl  frequemment 
dans  la  Bible.  Cfr.  Ex.  xxxii,  32  el  ss. ; 
Ezech.  XIII.  9;  Dan.  xii,  1;  Mai.  in,  16; 
Phil.  IV,  3;  Apoc.  iii,  5;  xiii,  8,  etc.  Elle 
provient  de  la  coulume  immemoriale  et 
universelle  d'inscrire  les  citoyens  d'une  ville 
ou  d'un  Eiat  sur  des  registres  speciaux.  Dieu 
est  cense  avoir  pareillement  son  grand  livre 
qui  contienl  la  lisle  de  tons  les  ehis.  «  Liber 
isle,  ecrit  S.  Auguslin,  in  Psalm,  lxviii,  29, 
est  notitia  Dei  qua  praedeslinavil  ad  vitam 
quos  praescivil.  »  Ainsi  done,  sans  image, 
«  nee  discipulos  de  subaclione  spirituum,  sed 
de  Candida  salute  (Christus)  gloriari  vole- 
bat.  »  Tertull.  adv.  Marc,  1.  iv.  Comp.  Jer. 
XVII,  13,  oil  les  impies  sont  menaces  a  avoir 
leurs  noms  ecrits  «  in  terra  »,  sur  le  sable 
mouvanl  d'oCi  ils  disparailront  bientot. 

21  el  22.  —  Seconde  parole  raltachee  par 
Jesus  au  retour  des  Soixante-douze.  Elle  con* 


1 


CHAPITRE  X 


207 


sancto,  et  dixit  :  Gonfiteor  tibi,  Pa- 
ter, Domiiie  ccbII  et  terrse,  quod 
abscondisti  hsec    a  sapientibus  et 

f)rudentibus,  et  revalasti  ea  parvu- 
is.Etiam  Pater,  qiioniam  sic  placuit 
ante  te. 

Matth.  li,  25, 

22.  Omnia  mihi  tradita  sunt  a 
Patre  meo.  Et  nemo  scit  quis  sit  Fi- 
lius,  nisi  Pater;  etquis  sit  Pater,  nisi 
Filius,  et  cui  voluerit  Filius  reve- 
lare. 

23.  Et  conversus    ad   discipulos 


saillit  de  joie  par  I'Esprit-Saint  et 
dit  :  Je  vous  rends  gloire,  Pere,  Sei- 
gneur du  ciel  et  de  la  terre,  de  ce 
que  vous  avez  cache  ces  choses  aux 
sages  et  aux  prudents  et  les  avez 
revelees  aux  petits.  Oui,  Pere,  car 
il  vous  a  plu  ainsi. 

22.  Toutes  choses  m'ont  ete  don- 
nees  par  mon  Pere,  et  personne  ne 
sait  qui  est  le  Fils,  sinon  le  Pere,  et 
qui  est  le  Pere,  sinon  le  Fils  et  celui 
a  qui  le  Fils  aura  voulu  le  reveler. 

23.  Ettourne  vers  ses  disciples  il 


sisle  en  une  louange  qu'il  adresse  a  son  Pere, 
V.  21,  et  en  une  revelation  sur  les  liens 
elroils  qui  I'unissenl  a  ce  Pere  celeste,  1^.22. 
Nous  la  retrouvons  lexiuellement  dans  le 
premier  Evangile,  x,  23-27  (les  variantes 
des  deux  textes  grecs,  eTtiYvwdy.et  deux  fols 
employe  par  S.  Malthieu  au  lieu  de  yivwoxei, 
Tt;  loTiv  6  «li;  et  t£;  eaxiv  6  Trarrip  de  S.  Luc 
au  lieu  de  tiv  «t6v  et  t6v  Ttaxe'pa,  sont  sans 
importance).  Pour  I'enchainement  nous  don- 
nons  ici  encore  la  preference  a  S.  Luc,  qui 
fixe  une  date  plus  precise  :  in  ipsa  hora,  au 
lieu  du  vague  «  in  illo  tempore  »  de  S.  Mat- 
thieu.  —  Exultavit :  precieux  detail,  propre 
k  notre  evangelisie.  Le  verbe  grec, ^YaX),id<7aTo, 
designe,  comme  son  correlatif  latin,  un  sen- 
timent de  Vive  jouissance  qui  inonda  toule 
I'Ame  de  Jesus,  et  occasionna  ce  divin  epan- 
chement.  «  Convenientissime  dixit  {(^vange- 
lista)  Exultavit.  Exullalio  namque  dicitur 
quasi  extra  se  sallatio,  quando  videlicet  ex 
abundantia  gaudii  inlerioris  signa  laetiliae 
foras  erumpunt.  »  Stella.  Cette  allegre«se  de 
Jesus  ne  fut  pas  le  resultat  d'un  mouvement 
purement  humain  :  elie  fut  produile  en  son 
ccEur  par  I'Esprit  Saint  Iui-ra6me,  ajoute 
S.  Luc.  II  est  vrai  que  I'adjectif  sancto  (ayiw) 
manque  dans  le  Text,  recepl. ;  mais  la  Vul- 
gate, rilala,  la  version  syriaque  Cureton  et 
les  manuscrits  B,  D,  Z,  Sinait.,  suffisent  pour 
nous  garantir  son  aulhenticite.  —  Coufiteor 
tibi...  Voyez  I'explication  detaillee  dans 
I'Evang.  selon  S.  Malthieu.  p.  231-233.  Notre- 
Seigneur  Jesus-Christ  loue  Dieu,  son  Pero 
bien-aime,  pour  deux  traits  speciaux  de  sa 
conduits  providentielle.  1°  Abscondisti  hcec 
(les  mysteres  du  royaume  des  cieux)  a  sa- 
pientibus...  (les  sages  et  les  prudents  selon 
ia  chair);  2o  revelasti  ea  parvulis  (aux  vr,7tioi 
moraux,  c'est-a-dire  aux  humbles).  Voyez 
I  Cor.  I,  23  et  8s.,  le  motif  de  ces  etonnantes 
«  pusiilitates  Dei,  »  comme  les  appelle  Ter- 
tullien  dans  son  langage  energique  (conlr. 
Marc,  1.  II,  c.  27).  Ainsi  done,  «  h  I'orgueil 


de  I'inlelligence  il  est  repondu  par  I'aveugle- 
ment;  a  la  simplicite  du  cceur  qui  veut  la 
verile,  par  la  revelation,  »  Ge?s  (Lire  Bos- 
sui't,  Panegyrique  de  S.  Frangois  d'Assise). 

—  Etiam  Pater...  Jesus  s'arrete  un  moment, 
afin  lie  se  delecter  a  la  pensee  qu'il  a  plu  au 
Seigneur  d'agir  ainsi  plutot  que  de  toule  autre 
maniere.  —  Les  lignes  suivanles  '(t.  22)  sont 
du  plus  grand  ()rix  pour  le  dogme  catholique, 
car  elles  affiiraent  aussi  neltement  que  pos- 
sible la  nature  divine  de  Jesus.  Mais  elles 
jeilent  les  ralionalisles  dans  un  embarras 
facile  a  comprendre.  Pour  s'en  defaire,  ils 
ont  recours  a  leurs  moyens  accoulumes,  rien 
moins  que  scienlifiques.  C'est  «  une  interca- 
lation tardive!  »  s'ecrie  M.  Renan.  M.  Reville, 
Hisloire  du  dogme  de  la  divinile  de  Jesus- 
Chrisl,  p.  17,  les  attribue  de  meme  «  a  I'in- 
fluence  d'une  theologie  ulterieure  ».  Mais  ce 
n'est  point  par  des  assertions  fantaisistes 
qu'on  n  nversera  les  textes  de  I'Evangile.  — 
Le  Christ  Jesus  a  regu  de  Dieu  son  Pere 
la  lonle-puis-ance;il  n'est  coniiu  que  par  son 
Pere  d'uno  maniere  adequate  ;  seui  il  connait 
a  fond  la  nature  de  son  Pere  •  telles  sont  les 
Irois  verites  qui^  Nolre-Seigneur  daigne  nous 
devoiler  dans  ce  passage.  Les  mots  et  cui  vo- 
luerit Filius  recelare,  quil  ajoute  a  propos 
de  la  derniere,  sont  bien  consolants  pour 
nous.  Prions-le  de  nous  faire  dans  le  temps 
etdans  Teternite  cette  precieuse  revelation. 

—  On  lit  au  debut  du  t.  22,  d'apres  d'assez 
nombreux  manuscrits,  la  formule  :  xal  axpa- 
qpei?  Ttpo;  Tou;  (xaOyixa;  eTitev.  Mais  sou  omission 
par  la  Vulgate  et  plusieurs  autres  versions,  par 
le  Text,  recepl.  et  les  manuscrits  Sinait.,  B,  D, 
L,  M,  Z,  etc.,  piouve  sufBsamment  qu'elle 
n'est  pas  authenlique  :  elle  sera  passee  du 
t.  23  au  t.  22   [)ai  <  rrcur   de  transcription. 

23  et  24.  —  Troi^ieme  parole  de  Jesus. 
S.  Matlhieu,  qui  la  cite  egalement,  xiii,  46 
et  i7  (voypz  le  comuienlaire),  la  rattache  aux 
paraboles  du  royaume  des  cieux,  lesquelles 
demeuraient  cachees  pour  la  foule,  mais  que 


208 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


dit  :  Heureux  les  yeux  qui  voient  ce 
que  vous  voyez. 

24.  Car  je  vous  le  dis,  beaucoup 
de  prophetes  et  de  rois  out  voulu 
voir  ce  que  vous  voyez  et  ne  I'ont 
point  vu,  et  entendre  ce  que  vous 
entendez  et  ne  Font  point  entenda. 

2o.  Et  voila  qu'un  docteur  de  la 
loi  se  leva  pour  le  tenter  et  dit  : 
Maitre  que  dois-je  faire  pour  posse- 
der  la  vie  eternelle  ? 

26.  Et  Jesus  lui  dit  :  Qu'est-il 
ecrit  dans  la  loi?  qu'y  lisez-vous? 


suos,  dixit  :  Beati  oculi  qui  vident 
quae  vos  videlis. 

Mallh.  13,  16 

24.  Dico  enim  vobis  quod  mulli 
prophetse  et  reges  voluerunt  videre 
quae  vos  videtis,  et  non  viderunt; 
et  audire  quae  auditis,  et  non  audie- 
runt. 

2o.  Et  ecce  quidam  legisperitus 
surrexit  tentans  ilium,  et  dicens  : 
Magister,  quid  faciendo  vitam  aeter- 
nampossidebo? 

Maich.  2-2,  35;  Marc.  12,  28. 

26.  At  ille  dixit  ad  eum  :  In  lege 
quid  scriptum  est?  quomodo  legis? 


le  Sauveur  expliquait  a  ses  disciples.  —  Et 
conversus  ad  discipulos  suos :  [vail  pillorosque 
(le  grec  ajoiilc  xaT'lSiav^.  Tanclis  qu'il  [)arlail 
^  son  divin  Pere,  Jesus  avail  sansdoule  tenu 
ses  yeux  eleves  vers  le  ciel.  Mainli'nanl  il  se 
retourne  vers  les  siens,  pour  les  feliciler  de 
ce  qu'ils  compiaieni  parmi  les  privilegies  a 
qui  Dieii  avail  fait  de  bienheureuses  revela- 
tions iif'.  21). —  Beati  oculi...  Lo  pronom  oo», 
repete  a  deux  reprises  devanl  videtis,  est 
plein  d'emphase.  Vous,  mes  disciples  si  fa- 
vorises.  Quelles  merveilles  leurs  yeux  ne 
purent-ils  pas  contempler  en  Jesus!  «  Vidi- 
mus gloriam  ejus,  »  s'ecriera  S.  Jean  avec  un 
enlhousiasme  bien  legitime.  —  Multi  pro- 
phetce  et  reges.  Dans  le  passage  parallels  de 
S.  Matlliieu,  on  lit  :  a  Mulli  prophetae  et 
justi.  »  Parmi  les  rois  juifs  qui  avaient  ar- 
demment  souhaile  de  voir  la  personne  sacree 
du  Messie,  nous  pouvons  nomuier  David, 
Salomon  a  ses  beaux  jours,  Ezechias.  Mai- 
monide  (in  Sanhedr.  xi,  1)  disail  aussi  que 
«  les  prophetes  el  les  hommes  saints  avaient 
viveraent  souhaile  de  voir  les  jours  du 
Messie.  » 

La  parabole  du  bon  Samaritain.  x,  25-27. 
Ce  n'est  pas  sans  surprise  qu'on  voit  des 
critiques  intelligonts ,  lels  qu'Ewald,  de 
Welle,  Baumgarlen-Crusius,  S^pp,  etc., 
identifier  I'episode  du  bon  Samaritain  avec 
le  fail  raconte  plus  lard  par  S.  Malthieu, 
XXH,  34-40,  et  par  S.  Marc,  xii,  28-34.  Le 
debutseul  presente  quelques analogies;  mais, 
soil  pour  la  dale,  soil  pour  la  suite  du  recit, 
les  dissemblances  sont  aussi  frappantes  que 

Eossible.  —  Dans  ce  passage,  le  style  de 
.  Luc  est  d'une  purele  qu'on  a  souvent  admi- 
rde.  D'assez  nombreuses  expressions  y  sont 
employees  qui  n'apparaissenl  pas  ailleurs 
dang  le  Nouveau  Testament.  Voyez  Sevin, 


Synopt.  Erklaerung  der  drei  ersten  Evange- 
lien,  Wiesbaden,  1873,  p.  220etss. 

l"  L'occasion.  Jf.  25-29. 

23.  —  Et  ecce.  Formule  pilloresque.  L'e- 
vangelisle  ne  precise  ni  le  lieu  ni  Tepoque  de 
I'incidenl,  il  se  conlenle  de  I'aligner  a  la 
suite  du  relour  des  Soixante-douze,  cu'il 
suivil  probablemenl  de  pres. —  Quidam  legis- 
peritus, «  Legisperitus  »  et  «  scnba  »  ne  dif- 
ferenl  pas  pius  que  vojaixo;  et  YpatifAateuc. 
Nous  avons  vu  deja  quo  S.  Luc  use  plus  vo- 
lonliers  du  premier  de  ces  deux  litres.  — 
Surrexit:  autre  trail  pittoresqu',  duquel  on 
a  conclu,  et  ce  semble  a  bon  droit,  que  la 
scene  se  passa  dans  une  maison.  Je-us  par- 
lait  sans  doute ,  et  ceux  qui  I'ecoulaient 
etaient  assis  autour  de  lui.  Tout  k  coup  le 
scribe  se  leve  pour  proposer  une  question; 
mais  son  mobile  n'etail  point  pur,  ainsi  qu'il 
resuHe  de  la  remarque  tent'ius  eum  (EXTreipa^Mv 
du  grec  est  encore  plus  fori),  qui  est  loujours 
prise  en  mauvaise  pari  dan-;  TEvangile.  [I 
avail  done  un'^  arriere-pensee  insidieuse,  es- 
peranl.  par  exeniple,  que  Jesus  rehausserait 
un  divin  precepte  aux  de()ens  des  aulres,  ou 
qu'il  dirait  quelque  chose  de  conlraire  aux 
traditions  rfQues.  ce  qui  fournirait  aussilot 
la  maiiere  d'une  objection,  d'une  accusal  ion. 
—  Quid  faciendo  (dans  le  grec  :  tl  itoi-haai, 
a  quid  quum  fecerim  »)  vitam  ceternam...f 
Le  jeune  honime  riche  adressera  bientol, 
xviii,  18  et  parall.,  une  demande  identirpie 
a  Notre-Seigneur,  mais  dans  un  but  praiiqui^ 
et  serieux.  —  Possidebo  :  raieux,  «  haert^di- 
tabo  »  (■x).Tipovojj.r;<3a)),  la  vie  eternelle  elanl 
comparee  a  un  masnifique  heritage  que  le 
Seigneur  d«.-nnira  aux  elus.  Comp.  Matlh. 
V,  5  et  le  commentaire. 

26.  —  At  ille  dixit...  Jesus,  ainsi  int' rrog^, 
aimait  a  poser  au  queslionneur  une  centre- 


CHAPITRR  X 


?0* 


27.  Ille  respondens  dixit :  Diliges 
Dominiim  Deam  tuum  ex  toto  corde 
tuo,  et  ex  tota  anima  lua,  el  ex 
omnibus  vinbus  tuis^  et  ex  omni 
mente  tua  :  et  proximumtuum  sicut 
teipsum. 

Deut.  6,  5. 

28.  Dixitque  illi  :  Recte  respon- 
disli :  hoc  fac,  et  vives. 

29.  Ille  autem  volens  justificare 
seipsura,  dixit  ad  Jesum  :  Et  quis 
est  meus  proximus? 


27.  II  repondil  :  Tu  aimcras  le 
Seigneur  Ion  Dicu  dc  loul  ton  coeur, 
de  loule  ton  amc.  de  Ionics  les 
forces  el  de  tout  Ion  esj)ril;  et  Ion 
prochain  commc  loi-mcme. 


28.  Et  Jesus  lui  dit  :  Vous  avez 
bien  repondu;  faites  cela  et  vous 
vivrez. 

29.  Mais  lui,  voulant  se  justifier, 
dit  a  Jesus  :  Et  quel  est  mon  pro- 
chain? 


question  ;  «  non  enim  simplici  responso  di- 
gnus  erat  qui  non  simpliciter  inlerrogabat  », 
dit.  fort  bien  Maldonal,  h.  1.  C'est  d'ailleurs 
uiie  methode  Ires  nalurelle,  que  les  profis- 
seurs  emploienl  souvent  ponr  repondre  aux 
objections  de  leurs  disciples.  —  In  leije  quid 
scriptum  est?  «  In  lege  »  est  mis  en  avanl 
par  emphase.  Docleui-  de  la  loi,  que  vous  dii 
la  loi  sur  ce  point?  Charge  par  vos  fonclions 
d'enseigner  la  Thora ,  vous  devez  savoir 
mieux  que  personne  ce  qu'elle  cnseigne.  — 
Quomodo  legis?  repete  le  Sauveur.  usanl 
d'une  locution  souvent  employee  par  les  Rab- 
bins quand,  dans  une  discussion,  ils  deman- 
dent  a  leurs  adversaires  une  citation  de  I'E- 
criture  ;  nx"ip  (pour  HD)  ^NQ-  Cfr.  Liglit- 
foot,  Hor.  hebr.'  h.  I. 

27.  —  Ille  respondens...  La  reponse  du  le- 
giste  est  exacte,  du  moin>  pour  ce  qui  con- 
cerne  la  letlre,  car  nous  verrons  dans  un  in- 
stant qu"il  n'avait  pas  compris  le  sens  complel 
<Jes  paroles  qu'il  cite.  C'est  la  reponse  donnee 
par  Jesus  lui-meme  a  un  autre  Docteur  en 
des  circonstances  analogues,  Marc,  xii,  29-31 . 
Elle  se  compose  de  deux  texles  bibliques 
reunis,  Deut.  vi,  5  (diliges...  mente  tua)  et 
Lev.  XIX.  18  [el  p^oximuin  tuum...).  Voyez- 
en  I'explication  deiaillee  dans  I'Evang.  selon 
S.  Matih.,  p.  433  et  s.,  et  selon  S.  Marc, 
p.  176. 

28.  —  Recte  respondisti,  lui  repliqu:?  Jesus; 
en  effet,  il  avait  donne  un  excellent  sommaire 
de  la  loi  juivp,  unissant  comrae  deux  parties 
inseparables  Ic  [)receple  de  I'amour  du  pro- 
chain  ct  11'  precepte  de  I'amour  de  Dien.  Toute- 
fois,  bien  repondre  ne  suflitpas  pour  ac.querir 
la  vie  eternelle;  voila  poiirquoi  le  Sauveur 
ajoute  :  Hoc  fac  el  vives.  Pratiquez  les  com- 
mandements  que  vous  avez  mentionnes  avec 
tant  d'a-propos,  et  vous  vivrez  de  cette  vie 
eternelle  au  sujet  de  laquelle  vous  m'interro- 
giez.  Cfr.  Rom.  xii,  10;  xiii,  8  ;Gal.  v,  13. — 
Excellente  reflexion  morale  du  Yen.  Bede  : 


«  Dum  Legisperilo  respondet,  perfecium 
nobis  Salvator  iter  vitae  coelesiis  osten- 
dit   ». 

29-  —  Ille  volens  juslificere  se  ipsuni.  La 
locution  Stxaiouv  iauTov  n'a  pas  ici  le  sens  de 
uuepTtOevat  Toiv  aW.wv,  que  lui  atlribue  gratui- 
temeiit  Eulhymiu>.  Elle  equivaul  au  Irangais 
«  s'excuser  ».  Or  le  legiste,  mis  dins  I'em- 
barras  par  la  direction  inattendue  que  Jesus 
venait  de  donner  a  I'enlretien,  avail  reeile- 
ment  a  s'excuser,  a  se  justifier  devant  toute 
I'assislance  d'avoir  voulu  entamer  une  con- 
troverse  sur    une   preiendue   difiiculte  qu'il 
avait  ensuile  lui-meme  si  promplement  et  si 
aisement  resolue.  Essayant  done  de  montrer 
que   sa  premiere  question  n'etait  pas  aus?i 
vaine  qu'elle  pouvait  mainlenant  le  parailre, 
les  termes  de  la  Loi   manquant  parfois   de 
clarle  et  ayanl  besoin  d'un  commentaire,  ii 
ajoute  :   Et  quis   («  quis  igitur  n)  est  meus 
proximus?  Relai.ivement  a  Dieu  m:s  obliga- 
tions sont  tiaires  :  je  le  reconnais;   mais  if 
n'en  est  pas  de  memeconcerna^L  le  prochain, 
Tout  d'abord,  quel  esl-il,  ce  prochain  que  je 
dois  aimer  comme  moi-meme?  Voila  bien  le 
Juif  d'alors,  aux  sentiments  elroils  ol  particu- 
laristes,  ne  voulant  pas  admeltre,  les  Talmuds 
en  font  foi,  que  tons  les   hommes  sont  ses 
freres  en  Dieu,  elablissant  au  conlraire  de 
vasles  categories  d'excpptions.  Par  pxemple, 
loraa,  I,  7,  il  est  permis  a  un  Juif  d'enlever, 
en  un  jour  de  sabbat,  les  decombres  qui  sont 
tombe-s  sur  un  autre  Juif;  la  meme  opera- 
tion   est   expre^semmt   interdite   s'il   s'agit 
d'un  paien.  Un  passage  du  livre  Aruch,  cite 
par  Lighll'ool,  Hor.  hebr.,  h.  1.,  va  jusqu'a 
dire  que  les  G-;^nl  ils  ne  sont  pas  compiis  dans 
le  mot  «   prochain   ».  Mais  ne   nous  irritons 
pas  irop  contre  celte  question  etrange,  puis- 
qu'elle   nous,  a   valu    I'une    des  «   piij  caro 
gemme  evangeliche  »  (Gurci).  Cfr.  Wiseman, 
Melanges  religieux,  etc.,  i,  les  Paraboles  du 
N.  T.,  p.  52  et  ss. 


S.  Bible.  S.  Lcc.  —  14 


210 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


30.  Jesus  reprenant,  dit  :  Un 
homme  descendait  de  Jerusalem  a 
Jericho,  et  il  tomba  entre  les  mains 
de  voleurs  qui  le  depouillerent  et  le 
couvrirent  de  plaies,  et  s'en  alle- 
rent  le  laissant  a  demi-mort. 

31.  Or,il  arriva  qu'un  pretre  des- 
cendait par  le  meme  chemin,  et  en 
le  voyant  il  passa  outre. 


30.  Suscipiens  autem  Jesus,  dixit :. 
Homo  quidam  descendebat  ab  Jeru- 
salem in  Jericho,  et  incidit  in  latro- 
nes,  qui  etiam  despoliaverunt  eum, 
et  plagis  impositis  abierunt,  semi- 
vivo  relicto. 

31.  Accidit  autem  ut  sacerdos 
quidam  descenderet  eadem  via  :  et 
yiso  illo  prseterivit. 


2»  Parabole  du  bon  Samaritain.  f^.  30-37. 

30.  —  Suscipiens.  Expression  solennelle 
pour  inlroduire  ia  parabole.  'r7To),a6(iov,  dont 
elle  est  la  traduction  litlerale,  ne  se  trouve 
qu'eri  ce  passage  da  Noiiveau  Testament; 
mais  les  classiques  tmploient  souvent  ce 
■verbe  dans  le  sens  de  «  respondere  ».  Nolre- 
Seigneur,  cetio  I'ois  encore,  ne  fera  pas  au 
scribe  une  reponse  direcle  ;  mais  il  saura  lui 
demonlrer,  par  un  exemple  dramaliqne,  plus 
clair  et  plus  saisissant  que  lis  plus  belles 
theories,  quelle  est  I'extension  du  precepte 
de  TaiTiour  du  prochain.  —  Homo  quidam. 
La  nationalite  de  eel  liomme  est  laissee  a  des- 
sein  dans  le  vague.  «  Bene  est  (Jesus)  generis 
appellaiione  usus,..,  nam  sermo  fuit  de  tola 
humanilale  ».  Cat.  graec.  Pair.  La  morale  de 
I'hisloire  n'en  sera  que  plus  evidenle.  Nean- 
moins,  il  ressort  du  conlexle  («  descendebat 
ab  Jerusalem  »)  et  les  interpretes  admeltent 
generalement  qu'il  eiaitjuif.  Seul,  et  sans 
raison  aucune,  Olshausenen  fait  un  paien. — 
Descendebat  ab  Jerusalem  in  Jericho.  Le  verbe 
«  descendebat  »  est  ici  dune  parfaile  exacti- 
tude, car  Ton  sail  que  la  vijie  de  Jericho, 
bien  qu'elle  ne  soil  separee  de  Jerusalem  que 
par  une  distance  de  150  stades  (enviion  6 
ou  7  heures  de  marche),  est  siluee  a  plus  de 
3000  pieds  au  dessous  de  la  capilale  juive. 
Voyez  dans  R.  Riess,  Alias  histor.  et  geogr. 
de  la  Bible,  les  prnfils  qui  accompagnenl  la 
planch(^  VIL  La  route  qui  unit  les  deux  cites 
a  toujours  joiii  d'une  reputation  trislement 
celebre  Elle  tiaverseun  alfreux  desert  (epYip-ov 
xal  irexpfoScc,  Jos,  Ant.  iv,  8,  3),  oil  les  col- 
lines  calcaires  denudees,  d'une  blancheur 
eblouissante  quand  le  soleil  les  eclaire,  aller- 
V,  nenl  avec  des  vallees  sans  eaux,  el  egale- 
■  ment  denudees.  Voyez  Lamarline,  Voyage  en 
Onenl ;  Murray's  Handbook  for  Travellers  in 
Syria  and  Palestine, 2e  ed.  p.  216  elss.;  Bae- 
deki  r's  Palseslina  und  Syrien,  p.  269  et  ss.; 
Stanley,  Sinai  and  Palestine,  2e  ed.  p.  424. 
Mais  elle  est  encore  plus  dangereuse  que  pe- 
nible.  S.  Jerome,  De  locis  hebraicis  (s.  v. 
Adummim),  assure  qu'elle  portait  le  nora 
d'Aduiiimim  (Cfr.  Jos.  xv,  7;  xviii,  17)  par 
allusion  au  sang  humain  «  qui  ilh  loco  a  la- 


tronibusfiindilur  ».  Ailleurs(In  Jerem.  iii,  2) 
il  ajoute  :  «  Arabes,...  quae  gens  latrociniis 
dedita  usque  hodie  incursal  tenuinos  Palaes- 
tinaeet  descendenlibus  de  Hierusalem  in  Hie- 
richo  obsidet  vias  ».  El  de  nos  jours  elle  n'a- 
pas  plus  change  sous  ce  rapport  que  sous  le 
premier.  Elle  n'est  pas  moins  infeslee  de  bri- 
gands qu'a  I'epoque  de  Jesus  et  de  S.  Jerome, 
el  il  serail  tout  a  fait  imprudent  do  la  suivre 
sans  une  escorte  «  equipeeen  guerre  »,  comme 
dit  un  voyageur  conlemporain.  Aulrement 
on  courrait  risque,  a  quelque  detour  de  che- 
min, ou  deiriereune  anfracluosile  de  rocher, 
ou  dans  un  etroil  defile,  d'avoir  le  sort  du- 
malheureux  Juif  donl  parle  la  parabole  :  inci' 
dit  in  latrones  (bonne  traduction  du  grec 
Xxi<TTai<  :  le  mot  «  voleurs  »  ne  serail  pas 
assez  fort.  Voyez  Trench,  Synonymes  of  the 
N.  Testam.,  §  44).  —  La  conduite  cruelle 
de  ces  bandits  est  decrile  en  lermes  pitlo- 
resques.  1o  Etiam  (xat)  despoliaverunt  ilium, 
c'ost-a-dire  qu'ils  le  depouillerent  do  tout, 
meme  de  ses  veteraents,  ainsi  que  font  encore 
les  Bedouins  issus  d'eux.  2o  Plagis  impositis  : 
comme  il  resislait,  ils  le  frapperent  sans  pi- 
lie.  3°  Semivivo  relicto  (dans  le  grec,  dqjevxec. 
fiSiieavT)  TUYx«vovxa  :  ce  dernier  mot  est  omis 
par  les  maiuiscrils  Small.,  B,  D,  L).  Enfin  ils 
le  laissenl  etendu  sans  connaissance,  expose 
a  une  mort  cerlaine  s'il  ne  lui  arrivait  un 
prompt  secours. 

34.  —  A  cole  du  blesse  le  divin  narrateur 
amene  coup  sur  coup  trots  homines,  un  prd- 
tre  juif,  un  levite  el  un  Samaritain,  donl  il 
depeinl  la  conduile  de  la  mamere  la  plus 
graphiqtie.  —  Accidit  autem...  Dans  le  grec, 
xttToi  CTuyxuptav,  «  fortuito  quodam  casu  »  : 
hasard  lout  providentiel  assuremenl.  —  Sa- 
cerdos quidam  descenderet.  Ce  pr^lre  va  done, 
lui  aussi,  de  Jerusalem  a  Jericho.  Tout  porte 
a  croiie  qu'il  avail  son  domicile  dans  celte 
derniere  cite,  car,  bien  qu'elle  ne  fut  pas  une 
ville  sacerdolale,  nous  savons  que  des  mil- 
liers  de  pretres  et  de  leviles  y  residaient 
alors.  Cfr.  Sepp,  Leben  Jesu,  t.  Ill,  p.  272. 
II  y  retournail  tranquillemenl,  apres  avoir 
passe  au  temple  sa  seraaine  d'oDBce.  Voyez 
Luc.  I,  8,  23,  el  le  commenlaire.  —  Viso  Ulo 
prwterivit.  Le  verbe  grec  choisi  pour  expri- 


CHAPITRE   X 


iH 


32.  Similiter  et  levita^  cum  esset 
secus  locum  et  videret  eum,  per- 
transiit. 

33.  Samaritanus  autem  quidam 
iter  faciens,  venit  secus  eum  :  et  wi- 
dens eum,  misericordia  motus  est. 

34.  Et  appropians  alligavit  vul- 
nera  ejus,  iufundens  oleum  et  vi- 
num  :  et  imponens  ilium  m  jumen- 
tum  suum,  duxit  in  stabulum,  et 
curam  ejus  egit. 


32.  Pareillement  un  levite  qui  se 
trouvait  en  cet  endroit  et  qui  le  vit, 
passa  outre. 

33.  Mais  un  Samaritain  qui  voya- 
geait  vint  pres  de  lui,  et  en  le  voyant 
fut  touche  de  compassion. 

34.  Et  s'approchant  il  banda  ses 
plaies,  en  y  versant  de  I'huile  et  du 
vin;  il  le  mit  sur  son  cheval,  le  con- 
duisit  dans  une  hdtellerie  et  prit 
soin  de  lui. 


mer  ce  depart  inhumain  est  d'une  grande 
vigiieur  :  avxinapviXeevjliiieral.  :  il  passa  oulre 
vis-a-vis  de  lui.  Ge  preire  avail  de  nobli  s  sen- 
timents! II  apeiQoii  un  homme  eiendu  sur  ia 
route  el  il  passe. 

32.*—  La  conduile  du  levite  sera  pire  en- 
core. Parvenu  sur  le  IheSlre  du  crime,  il  fail 
un  mouveraenl  de  plus  que  le  pretre  :  £).8wv, 
dit  le  lexie  grec  (la  Vulgate  n'a  malheureuse- 
ment  pas  traduitce  veibe);  il  s'approche  du 
blesse  pour  mieux  voir,  tandis  que  le  pre- 
mier passant  elait  reste  de  I'aulre  cote  du 
chemin.  Sa  curiosite  a  done  ele  eveillee ; 
mais  son  coeur  demeure  glace,  car  a  son  lour 
dvTiitap>i).6ev.  El  pouriant  la  loi  juive  conle- 
nait  ce  lexle  formel  :  «  Si  videris  asinura 
fratris  lui,  aul  bovem,  cecidisse  in  via,  non 
despicii  s,  sed  sublevabis  cum  eo  ».  Deut. 
XXII,  4  [Cfr.  Ex.  xxiii,  5).  Que  ne  devait-on 
pasfaire  pour  un  frerc  malheureux! 

33.  —  Quel  conlrasti' !  Taciie  a  beau  vanler 
la  misericorde  que  les  Juits  se  temoignaienl 
entre  eux  (Hisl.  v,  5  :  «  Apud  ipsos  miseri- 
cordia in  promplu  w)  :  un  preire  et  un  levite 
onl  laisse,  sans  lui  porter  secours,  un  de  leurs 
coreligionnaires  mourant  sur  le  grand  che- 
min. M.iis  voici  qu'un  Samaritain  va  faii  e  avec 
amour  ce  qu'ils  out  neglige  hoiileusemi^nl. 
Un  Samaritain !  Ce  nom  dil  beauconp  dans 
le  petit  drame  si  bien  retrace  par  Jesus.  11 
siguifiait  pi>ur  les  Juifs  un  ennemi  national, 
un  excommunie,  un  hoirime  pire  qu'un  pai'en. 
Nous  lisons  en  effel  au  livre  de  I'Ecclesias- 
tiqiie,  L,  27  et  28,  ces  lignes  significalives  : 
«  II  esl  deux  nations  que  mon  Sine  doleste, 
et  il  en  esl  une  troisieine  que  je  ne  puis  souf- 
frir  :  ceux  qui  habitenl  les  montagnes  de 
Seir,  les  Pliilislins  et  le  piuiple  insense  qui 
reside  a  Sichem  ».  —  Ce  heios  de  noire  lou- 
chante  histoire  ne  vient  pas  de  la  capitale 
juive,  que  les  Samaritains  ne  frequentaienl 
guere ;  le  lexle  sacre  nous  le  represente  siin- 
plemi-nt  sous  les  trail-*  d'un  voyageiir  ordi- 
naire {iter  faciens,  65z<Kiiy\.  Coinme  le  preire, 
il  apergoit  le  blesse;  comme  le  levite,  il  s'en 
approcbe:  mais  il  eprouve  un  sentiment  qui 


n'avail  penetre  dans  le  coeur  ni  du  pretie  ni 
du  levite  [miseriiordia  motus  est,  ednXayxviaSY)), 
sentiment  qui  va  lui  dieter  les  actes  gene- 
reux  decrils  dans  les  deux  versets  suivants. 
0  Exleriora  largiens,  rem  extra  semetipsum 
praebuii,  dit  S.  Gregoiro  (Moral,  xx,  36)  avec 
beaucoup  de  verite.  Qui  autem  lletum  et 
couipassionem  proximo  tribuil,  ei  aliquid 
etiam  de  semelipso  dedit  ».  Le  Samaritain 
commenga  done  par  donner  ce  qu'il  avail  de 
mieux,  la  pilie  de  son  cceur.  Et  pourlanl  il 
avail  du  reconnaiire  que  le  blesse  elait  uo 
Juil',  un  ennemi  de  sa  nation! 

34.  AUigavtt  vulnera...  Sens  s'arreler  k  la 
pensee  que  les  brigands  ne  sonl  peut-^tre  pas 
loin  el  qu'il  court  lui-m6me  un  grand  danger, 
il  se  met  a  panser  de  son  mieux  les  plaies  du 
malheureux.  Les  bander  elait  bien  la  pre- 
miere opeialion  a  faire,  pour  arr6ler  I'epan- 
chemenl  du  sang.  Tout  en  s'y  livrant,  lb 
Sainaiilain  versait  le  melange  de  vin  et 
d'huile  qui  a  depuis  porle  son  nom  (baume 
du  Samaritain).  C'esl  la  du  reste  un  grand 
remede  de  I'antiquite,  et  il  convenail  a  mer- 
veille  dans  le  cas  actuel,  le  vin  dtant  un 
abstersif  qui  devail  puriQer  les  plaies,  I'huilt 
un  linilif  qui  en  pouvail  calmer  I'irritation. 
«  Fiacia  pecuduin  non  aliter  quam  hominum 
crura  sanantur  involuta  lanis  oleo  atque  vino 
insuccalis  »,  Columelle,  vii,  5,  18.  «  Succidae 
plurima  praestanl  reraedia  ex  oleo  vinoque  », 
Plini\  Hist.  nat.  xxix,  9.  Voyez  d'autres  ci- 
talions  analogues  dans  Welslein.  Les  Orien- 
laux  voyagenl  raremenl  sans  einporler  avec 
eux  UUP  pel  it"  provision  de  ces  deux  liquides. 
CI.  Gen.  xxviii,  18.  —  Imponens  ilium  in  ju- 
menlum...  II  allail  done  lui-meme  a  pied,  sou- 
tenant  doucem  nt  le  malade.  —  Duxit  in  sta- 
bulum. Sur  cet  emploi  du  mot  «  stabulum  » 
voVf'Z  Forcellini.  Le  grec  TtavSoxeTov,  qu'on 
irouve  dans  les  ecrils  rabbinKpies  sous  la 
form  '  legeremenl  modifiee  depiJiS  {pon'dok) 
designe  une  auberge  propremenl  diie,  ou 
Ton  peut  se  procurer  des  vivres  en  meme 
temps  que  le  couverl,  et  pas  seulemenl, 
comme  x«Ta>,y|j.a  (Cfr.  ii,  7),  un  caravanserail 


Hi 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


35.  Et  le  jour  suivantil  prit  deux 
deniers,  les  donna  a  I'hotelier  et 
dit  :  Ayez  soin  de  lui;  et  tout  ce 
que  vous  depenserez  de  plus  je  vous 
le  rendrai  quand  je  reviendrai. 

36.  Lequel  de  ces  trois  vous  pa- 
rait  avoir  ete  le  prochain  de  celui 
qui  tomba  aux  mains  desvoleurs? 


35.  Et  altera  die  protulit  duos  de- 
narios,  et  dedit  stabulario,  et  ait  : 
Curam  illius  habe  :  et  quodcumque 
supererogaveris,  ego,  cum  rediero, 
reddam  tibi. 

36.  Quis  horum  trium  videtur  tibi 
proximus  fui&se  illi  qui  incidit  in 
latrones? 


oriental,  qui  ne  tournit  que  le  simple  giie. 
C'esl  au  Khan  Hadrour,  donl  Irs  mines 
sont,  sitiiees  a  mi-chemui  enlre  Jerusalem  et 
Jericho,  que  la  tradition  conduil  les  dc^ux 
heros  de  la  parabole. 

35.  —  Altera  die...  Compatissant  pour  le 
passe,  lendrement  serviable  dans  le  present, 
le  bon  Samaritain  son;:e  au-si  a  raveiur  du 
pauvre  blesse.Le  leiuiemain  done,  oblige  de 
gft  remettre  en  route  (s^j/Owv  du  texte  groc 
eslomis  par  ia  Vulgate.  rUala.L"?  manuscrils 
B,  D,  L;,  prolitlit  duos  denuriox  et  dedit  slabii- 
Itirio.  «  Prolulil  »  (ey.6a/a)v;  est  pilloresque  : 
il  lira  de  sa  bourse.  La  somuie  remise  a  I'ho- 
teller  paraiirait  aujourd'lini  bien  modu]ue  et 
meme  in*utli-ante,  car  die  equivaut  a  moins 
de  deux  fiaiics  ^1  fr.  70  environ).  Mais  c'elail 
alors  la  solde  de  deux  joumees  de  tiavail ; 
elle  devait  suffire  pour  defiayer  les  depenses 
du  malade  deux  jours  durant,  el  le  Sauiari- 
lain  supposait  que,  ce  delai  passe,  il  n'aurait 
plus  besoin  d'aucun  secours.  Au  reste,  le  ge- 
nereux  bier.faiieur  esl  pret  a  completer  au 
Desoin  son  cEuvre  de  misericorde :  quodcumque 
aupererogiweris  ego...  reddam.  Quel  beau  type 
de  la  charite  chretienne!  Mais  aussi,  quel 
saisissanl  portrait  de  Notre-Scigneur  Jesus- 
Christ  liii-memc!  En  effel.  «  hs  Peres  unani- 
memenl  ont  reconnu  dans  cette  |)arabole  un 
sens  mystique.  Le  Juif  qui  descend  de  Jeru- 
salem a  Jericho,  et  qui  est  depouille  et  iaisse 
pour  morl,  osl  Adam  noire  premi  t  pere  qui, 
par  son  peciie,  esl  dechu  de  son  innocence, 
et  a  perdu  toutps  les  graces  que  Dieu  lui 
avail  doniiees  en  le  creant  (ou,  mieux  encore, 
«  homo  isle...  genus  d  'signal  humanum.  quod 
in  primis  parciilibus  supernam  civi;alem  de- 
serens,  in  hnjus  sieculi  el  exilii  miseriam  per 
culpam  corruens,  per  antiqui  hostis  fraudu- 
lentiam  vesle  innocenlise  el  inimorialilatisest 
spoliatum  i't  originalis  culp;e  vitiis  graviter 
vulneraium  »,  Hugo  a  S.  Victore,  Annotal. 
in  Luc.  h.  1.)...  Les  voleuis  qui  le  blessent 
el  le  depouillenl  sonl  les  demons.  Le  pretre 
-^t  le  levile  qui  passent  sans  secourir  ce  mi- 
serable represiMilent  la  loi  de  Moi'se,  avec 
tons  ses  sacrifices  el  ses  ceremonies,  inca- 
pnbles  de  guerirnos  blessures.LE  charitable 
Samaritain  est  Jesus-Christ.  L'hotellerie 
oil  i!  porle  son  malade  esl  I'Eglise.  L'liuile  el 


le  vin  sonl  les  sacremenls...  Ceux  a  qui  ii 
recominande  le  blesse  sonl  les  pasieur>  de 
I'Eglise  ».  D.  Calmet,  Comment,  litieral  sur 
S.  Luc,  X.  30  (Voyez  les  texles  des  SS.  Peres 
dans  la  Chaine  d'or  de  S.  Tiiomas,  dans  Cor- 
nelius a  Lapide).  La  parabole  du  bon  Sa- 
maritain a  egalement  allire  I'allention  des 
peiiilres.  J.  Fr.  Gigoux  el  Vanloo  en  ont  re- 
presenie  d'une  inaniere  a-sez  lieureuse  la 
scene  principale.  —  Sur  le  second  groupe  des 
paraliules  evangeliques.  qu'elle  inaugure  si 
admirublimenl,  voyez  I'Evang.  seloii  S.  Mat- 
ihieu,  p.  258  ci  259.  II  dilieie  ^Ultouldu 
premier  groupe  (les  paraboles  du  royaume 
des  cieux)  par  le  cole  moins  general  el  plus 
individuel,  plus  subjeclif,  des  veriles  morales 
qu'il  expose.  On  y  voit  davantage  chaque 
ame  liumaine  consideree  isolemenl,  avec  ses 
verlus  qui  sonl  recompensees  el  ses  vices  qui 
sonl  punis.  On  y  voit  encore  tres  aeltemenl 
marque,  et  c'esl  la  uu  autre  caradere  dis- 
tinctif.  I'appel  au  salut  de  tous  les  hommes 
sans  exception,  el  la  gravite  de  cei  appel  : 
aussi  esl-il  bien  naturel  que  la  pluparl  des 
pieces  qui  le  composenl  soient  des  specialiies 
du  troisieme  Evangile,  que  nous  avons 
nomme  dans  la  Preface  I'Evangile  universfl. 
Ces  poesie-:,  qu'on  s'accorde  a  trouver  ex- 
quises  pa;  mi  loules  les  autres,  sonl  d'ordi- 
naire  empruntees  aux  evenemenls  de  la  vie 
des  homines  beaucoup  plus  qu'au  domaine 
&i  la  nature,  comme  c'elail  le  cas  pour  les 
paraboies  du  premier  groupe. 

3'  L  -  raorat    '3  la  parabole.  ^y.  36-37. 

36.  —  Quis  \\.jruin  trium...  Pour  la  se- 
conde  fois  (Cfr.  tt.  25,  26,  29)  Jesus  repond 
a  une  question  du  Legiste  par  une  conlre- 
qupstion.  Jusqu'au  boul  eel  homme  est  con- 
damne  a  resoudre  lui-meme.  le  probleme  qu'il 
avail  souleve  avec  des  intentions  ^i  pen 
avouables.  11  semhle  neanmom-:,  a  premiere 
vue,  que  Notre-Seigneur  n'emploie  pas  le 
mot  proximus  dans  le  sens  qu'exigerail  ia  pa- 
rabole. Duquel  de  ces  trois  homines  le  blesse 
a-l-il  ete  le  prochain?  qui  d'enlre  eux  I'a 
iraite  comme  son  prochain?  Tel  ne  devrail-il 
pas  etre  le  lour  donne  a  rinleriogalion? 
Peul-elre,  si  Jesus  eut  voulu  suivre  sa  pensee 
en   toute  rigueur.    Mais,    comme    le    disa 


CHAPITRE    X 


213 


37.  At  ille  dixit :  Qui  fecit  mise- 
ricordiam  in  ilium.  Et  ait  illi  Jesus  : 
Vade,  et  tu  fac  similiter. 

38.  Factum  est  autem,  dumirent, 
et  ipse  intravit  in  quoddam  castel- 
lum  :  et  mulier  qusedam  Martha  no- 
mine, excepit  ilium  in  domum 
suam. 

39.  Et  huic  erat   soror  nomine 


37.  II  repondit:Celui  qui  a  exerce 
la  misericorde  envers  lui.  Et  Jesus 
lui  dit :  Allez  et  faites  de  meme. 

38.  Or,  il  advint  pendant  quils 
etaient  en  chemin,  qu'il  entra  dans 
un  village,  et  une  femme  nommee 
Marthe  le  recut  dans  sa  maison. 

39.  EUe  avail  une  soeur  nommee 


S.  Auguslin,  de  Doctrina  christ.,  I.  i,  c.  30, 
«  proximi  nomen  ad  aliqnid  est,  nee  quisquam 
esse  proximus  nisi  proximo  polesl  ».  Le  nom 
de  prochain  impliquanl  la  nolion  de  recipro- 
cile,  il  n'y  avail  pas  le  moindre  inconvenient 
k  renverser  ies  lerrnes,  et,  de  la  sorte,  le 
Sauveur  montrail  avec  plus  de  force  a  son 
antagoniste  que  la  difference  de  religion,  k-s 
prejuges  de  race,  leshaines  inveterees,  etc., 
loutes  choses  qui  separaient  Ies  Juifs  des 
Samarilains,  n'emp^chent  pas  Ies  homnips 
d'etre  vraiment  «  prochain  » Ies  uns  a  I'egard 
des  autres. 

37. —  Qui  fecit  misericordiam  (dans  legrec, 
TO  l)>eo;  avec  {'article,  Toeiivre  de  misericorde 
avec  tous  ses  details  precedemment  racon- 
tes)...  II  eul  ete  plus  simple  de  repondre  : 
«  Samaritanus  ».  Mais  le  Scribe  ne  peul  se 
resoudre  a  prononcer  ce  mot  abhorre ;  il  fait 
done  usage  d'une  circonlocution.  Tant  mieux 
d'ailleurs,  car,  en  parlant  ainsi,  il  enlrail 
plus  intimement  dans  la  pensee  de  Jesus;  il 
enonQait  un  principe,  au  lieu  de  s'arreter  h 
un  fait  isole.  —  Vade  et  tu  fac  similiter.  De 
nouveau  (Cfr.  t.  28),  le  divin  Maitre  invite 
le  Scribe  a  Taction,  conformement  du  reste 
k  la  premiere  demande  de  ce!ui-ci  (t.  25). 
Allez  et  imitpz  ce  modeiel  La  difficulle  qu'il 
avait  proposee  est  en  effel  une  de  celles  dont 
on  a  dit  avec  tant  de  justesse  :  «  Solviiur 
amando  ».  —  Le  temps  n'a  rien  enleve  de  sa 
verite,  de  sa  beaule,  a  la  pressanle  injonction 
de  Jesus.  Les  paiens  pouvaient  bien  affirmer 
brulalement  qu'un  homme  est  comme  un 
iouD  Dour  un  autre  homme  nui  ne  le  connait 
pas.  La  religion  insliluee  par  Jesus  ne  voil 
dans  les  hommesque  des  freres  auxquels  elle 
prescrit  de  s'entr'aimer  toujours. 

5.  Marthe  et  Marie,  x,  38-42. 

Nous  avons  ici,  en  quelques  lignes,  une 
des  plus  belles  eludes  psychologiques  de 
S.  Luc.  Le  caractere  cies  aeux  sceurs  est 
trace  de  main  de  maitre.  C'esl  aussi  d'une 
maniere  magistrale  que  S.  Auguslin,  de 
Verbis  Domini,  Serm.  xxvii,  el  S.  Bernard, 
In  Cai)!.ic.  Serm.  vii,  onl  commente  ce  char- 
manl  recit,  el  que  Jouvenei,  Lesueur,  Ary 
Scheffer,  I'ont  reproduil  avec  leur  jjinceau. 


Cfr.  A.  WiiU'Che,  Jesns  in  seiner  Sleilung  ru 
den  Frauen,  Berlin  1872,  p.  69  el  ss. 

38.  —  Dum  irent.  Celle  date  generale  nous 
fail  souvenir  que  Jesus  est  en  route  pour  Je- 
rusalem. Cfr.  IX,  51,  57;  x,  1.  La  conjonc- 
lion  et,  devant  ipse,  esl  I'apodose  accoulu- 
mee  du  grcc  apies  iyivzxo.  —  Intravit  in 
quoddam  castellum.  «  S.  Luc  ne  nomme  point 
ce  bourg,  mais  S.  Jean  dil  son  nom  el  I'ap- 
pelle  Belhanie.  »  Origene.  Cfr.  Joan,  xi,  i 
etxii.  '1.  Nolre-Seigneur  s'eiail  done  bien 
rapproche  a  cetleepoquede  la  capilale  juivo, 
aux  porles  de  laquelle  etail  situe  le  Iran- 
quille  village  habile  par  Marthe  et  Marie.  II 
y  elail  venu  a  I'occasion  d'une  des  fete* 
mentionnees  par  S.  Jean,  vii,  '2,  10,  x,  22. 
Voyez  le  chapitro  de  I'lnlroduction  generale 
consacre  a  la  chronologie  des  Evangiles  el 
I'Harmonie  evangelique.  —  Mulier  qucedam 
Martha  nomine.  Cenom,qui  n'apparait  nuUe 
part  dans  I'Ancicn  Teslamenl,  esi  menlionne 
par  Plularque  (Marius,  xvii)  comme  celui 
d'une  prophetesse  juive  qui  accompagna  le 
famcux  general  remain  dans  plusieurs  de  ses 
campagnes.  Sa  forme  n'esl  pas  hebralque, 
mais  arameenne  :  en  effel  N'niD  {Martha; 
en  syriaque  ^niQ,  Morlh)  esl  le  feminin  de 
yo  [mar)  et  correspond  an  grec  xOpta,  au 
latin  «  donnna,hera  ».  Cfr.Schegg,  Evangel. 
nach  Luk.,  I.  II,  p.  530.  —  Excepit  (OTreSs'^aTo, 
«  suscepit  hospitio  »)  illuin  in  domum  suam. 
II  est  probable  que  ce  n'eiait  pas  la  premier" 
fois  que  Jesus  faisail  k  Marthe  I'honneur  de 
sejourner  dans  sa  maison  :  la  scene  enliere 
SUDDOSe  au  contraire  des  relations  ante- 
neures  tres  mtimes. 

39.  —  Huic...  soror  nomine  Maria.  Sur 
ridentile  de  Marie,  soRur  de  Marihe,  avec 
Marie  Madeleine,  voyez  vii,  50  et  le  com- 
menlaire.  Le  frere  de  Marihe  et  de  Marie, 
S.  Lazare,  n'apparait  pas  plus  dans  le  Iroi- 
sieme  Evangile  que  dans  les  narrations  de 
S.  Mattnieu  et  ae  S.  Mure.  11  etait  reserve  9 
S.  Jean  de  decrire  les  liens  elroils  qui  I'uniS" 
saient  a  Je-us  el  le  glorieux  prodige  de  sa 
resurrection.  —  Quw  etiam  (xaJ)  sedens.  Sui- 
vanl  la  judicieuse  remarque  de  D.  Galmet, 
eel «  etiam  »,  qui  semble  d'abord  etrange,  a 
simp''?meni  pour  but  d'insinuer  que  plusieurs 


iM 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


Marie,  qui,  assise  aux  pieds  du  Sei- 
gneur, ecoulait  sa  parole. 

40.  Mais  Marthe  s'occupait  autre- 
ment  a  servir  beaucoup  de  choses. 
Elle  s'arreta  et  dit :  Seigneur,  n'a- 
vez-vous  pas  souci  de  ce  que  ma 
soeur  me  laisse  seule  a  servir?  Dites- 
lui  done  de  m'aider. 

41.  Et  le  Seigneur  lui  repondit  : 
Marthe,  Marthe,  vous  vous  inquie- 
tez  et  vous  tremblez  pour  servir 
beaucoup  de  choses; 


Maria,  quae  etiam  sedens  secus 
pedes  Domini,  audiebat  verbum 
lUius. 

40.  Martha  autem  satagebat  circa 
frequens  ministerium  :  quae  stetit, 
et  ait :  Domine,  non  est  tibi  curae 
quod  soror  mea  reliquit  me  solam 
ministrare?  Die  ergo  illi  ut  me  ad- 
juvet. 

41.  Et  respondens  dixit  illi  Domi- 
nus  :  Martha,  Mai  tha,  soUicita  es, 
et  turbaris  erga  plurima. 


personnes  etaient  alors  assises  aupres  de 
Jesus.  L'aUitiide  de  Marie  est  designee  d'une 
maniere  pittoresque  par  les  mols  sezus  pedes 
Domini  (les  nipilleurs  manuscriis  oni  Kupiou, 
quoiqiie  le  Text,  recep.  porte  'Ir)aoO).  Les 
anciens  auteurs  juifs  (Gfr.  Act.  xxu,  3  et 
Wetstein  sur  cc  passage)  disent  que  les  dis- 
ciples se  tenaient  ainsi  accroupi-;  a  la  fagon 
orientale  aux  pieds  de  leiirs  mailres,  par 
humiiite  et  par  respect.  —  Audiebat  verbum 
lUius.  Elle  ecoulait  Jesus  dans  une  sainte 
quietude,  recueillant  avidement  chacune  des 
paroles  du  Maitre  bien-airae.  Marii-,  soeur  de 
Marllie  et  do  Lazare,  aura  bien  le  nneme 
caraclere  dans  le  quatrieme  Evangile  :  nous 
I'y  retrouvi  rons  avec  sa  nature  calme,  son 
ame  contemplative,  et  son  coeur  livre  lout 
entier  a  Jesus. 

40.  —  Marihe  aussi  reviendra  dans  le  recit 
de  S.  Jean  avec  le  caractere  bien  tranche 
que  nous  lui  voyons  ici,  el  qui  forme  un  con- 
trasle  si  frappant  avec  celui  de  Marie.  Quelle 
differenci>  en  efTet  entre  ces  deux  sopurs,  et 
dans  les  manifestations  de  leur  amilie  pour 
Jesus  I  Pour  mieux  opposer  au  repos  de  I'une  la 
fievreuso  activiie  de  I'autre,  S.  Luc  emploie 
une  expression  des  plus  enorgiquis,  quoique 
tres  elegante:  itepieffiTdTo  (salagebat),  litteraie- 
ment,  «  dislrahebalur  » :  ellcetait  tu'eeendi- 
versscns,  allanl,  venaiit,  s'in(iuietant,s'agitant 
circa  frequens  iuoW.^v)  ministerium,  comme  le 
!ont  les  mailresses  de  maison  aux  jours  oil 
olles  reQoivent  de  grands  et  de  nombreux 
personnages.  Jesus  etail  sans  doule  accom- 
pagne  de  ses  disciples,  ce  qui  ne  devail  pas 
dirainucr  la  soliicilude  hospitaliere  de  sainte 
Marthe.  Voila  done  les  dinix  soeurs,  profon- 
demont  devouees  I'une  el  I'autre  au  Sauveur, 
inais  I'honoranl  par  des  procedes  si  divers. 
M  Martha  Dominura  pascere  praeparans  circa 
multum  m;nisterium  occupabatur.  Maria 
soror  ejus  [)a-(i  a  Domino  magis  elegit.  In- 
tenta  erat  Martha  quomodo  pascerel  Domi- 
«mn;  interna  Maria  quomodo  pasceretur  a 


Domino.  Ilia  multa  disponebat;  ista  Unum 
aspiciebat.  »  S.  August  ,  Serm.  cm.  —  Qnoe 
stetil.  Le  verbe  gr^c  imG-ziaa.  serabln  indi- 
quer  d'abord  un  mouvemenl  de  Marihe  pour 
s'approcher  de  Jesus  {ini],  puis  un  brus(|ue 
arret  aupres  de  I'hote  auguste.  —  Et  ait. 
Son  iangage,  respectueux  et  fam:lier  lout 
ensemble,  exprime  allernativement  une 
plainie  et  un  desir.  Elle  se  plaint  du  Sei- 
gneur lui-meme  :  Non  est  tibi  euro...;  mes 
soucis  ne  vous  inquietent  guere.  Des  mots 
suivants,  soror  mea  reliqnit  mesolam...,  nous 
pouvons  induire  que  Marie,  apres  avoir  aide 
sa  sceur  pendant  quelque  temps,  I'avait  en- 
suite  laissee,  pour  venir  prendre  aux  pieds 
du  Maitre  la  position  dans  laqui'lle  nous  I'a 
monlree  Tevangelisle.  Elle  avail  compris 
qu'elle  honorait  ainsi  beaucoup  mieux  Notre- 
Seigneur,  et  qu'elle  mettrait  plus  parfaite- 
ment  a  profit  le  temps  precieux  de  sa  visile. 
—  Die  ergo  illi...,  demande  Marthe  comme 
conclusion  («  ergo  »)  de  son  observation 
plaintive.  Elle  n'ose  ordonner  elle-m^me  k 
Maiie  de  quitter  sa  place  d'honn^ur,  crai- 
gnant,  ou  de  recevoir  un  refus.  ou  plutot  de 
manquer  de  respect  au  divin  Maitre  qui  con- 
ver^all  avec  elle;  mais  elle  pense  tout  conci- 
iier  en  priant  Jesus  d'lnterposer  son  auto- 
nte.  —  L"  correlatif  grec  de  adjuvet,  <mvavTt- 
).d6riTai,  exprime  Ires  fortemeni  la  pensee  de 
!-ainle  Marihe.  II  se  compose  de  trois  mots 
anxqueis  correspondent  autant  d'idees  : 
)>d[jL6avw,  prendre  une  chose  sur  soi,avTi.  pour 
un  autre,  et  ouv,  de  concert  avec  un  autre. 

41.  —  Respondens...  Dominus.  Ici  encore 
la  Recepta  porie  6  'Itictou?;  mais  lesmeilieurs 
manuscrits  lisent  oK-jpio?. — Martha,  Martha. 
Repetition  pleinedegravite,  cornme  plus  loin 
«  Simon,  Simon  »  (xxu,  31),  pour  inlroduire 
un  affectU'ux  reproche,  —  SoUicita  es  et  tur- 
ba)ts  erga  plurima.  «  Dominus  pro  Maria 
respondit  Marihaj,  et  ipse  ejus  factus  est  ad- 
vocatus,  qui  judex  fuerat  interpellatus  », 
S.  Aug.  de  Verb.  Dom.  Le  Seigneur  bl&me 


CHAPITRE    X 


215 


42.  Porro  unum  est  necessariiim. 
"Maria  optimam  partem  elegit,  quae 
non  auferetur  ab  ea. 


42.  Or,  une  seule  chose  est  n^- 
cessaire.  Marie  a  choisi  la  meil- 
leure  part  qui  ne  lui  sera  pas  otee. 


doucem(>nl  la  sceur  meconlenle,  de  ce  qu'elle 
est  en  ce  momt-nl  liop  preoccupee,  Irop  Irou- 
blee  :  xw^uet,  dil  furt  bit>n  Tlieophyiacle,  t^v 
itoixiXtav  xai  TupSiriv,  tout'  loTt  tov  7iept(T7ta(7(t6v 
xai  TTjv  Tapa^iov .  Lcs  deux  VBibes  qui  decri- 
venl  ceile  surcxcilation  de  Marlhe  dans  Is 
tcxle  grec  sont,  de  nouvoau  ties  expressifs. 
Le  premier,  (xeptjxvdc  (Cfr.  Maith.  vi,  25),  re- 
.preseiile  ia  soliuiiude  inleneure  poiissee  k 
un  dcgre  exiremi';  le  second,  Tupga^ig  (B,  C, 
D,  L,  Sin.  onl  Qopvoilin),  se  dil  de  I'agiialion 
exteneure  (Ics  classiques  I'emploient  pour 
designer  I'eau  trouble). 

42.  —  Unum  est  necessarium.  Belle  et  riche 
parole!  Mais  Ics  inierpreles  ne  sont  d'accord 
ni  siir  sa  fonne  piiinilive,  ni  sur  sa  significa- 
lion  reeile.  Relaliv  mcnl  a  la  forme,  il  existe 
trois  Irgons  prinripales  :  oXtywv  Se  ia-zi  XP^'* 
(quekiu  s  iiianiiscrils  peu  iniporianls),  iXiytov 
6e  e<jxi  xpst'a  11  evog  (Sinait.,  B,  L,  ies  versions 
copl.,  elhiup.,  syr.),  Ivo?  5^  e<7Ti  xpei'a  {ie  Text, 
recepl.  d'apres  de  nombreux  nianuscrils,  la 
Vulgale,  etc.)  Lps  criliqiiPS  preferenl  gene- 
rahmint  celte  troisieme  legon  :  o)itYa)v 
semble  en  effi  t  avoir  eie  ajoiile  apres  coup 
afiii  de  rendri'  plus  clair  le  sens  de  4v6;.  Get 
«  unum  necessarium  »  peut  s'entiMidre  de 
plusieurs  manieres.  Nous  ne  nolons  que 
comme  une  curiosite  d'exegese  I'opinion  de 
Nacliligall  ot  de  Stoiz,  d'apres  laquelle  Sv6; 
Hesigneiail  uno  personne  el  non  une  chose. 
Jesus  aurait  voulu  dire  a  Marlhe  :  Une  scule 
d'onlre  vous  ^uflil  pour  le  service;  laissez 
done  voire  sceur  aupi  es  de  moi !  Evidemment 
ivo;  est  au  neulie,  comme  le  monlre  son  op- 
position a  -noyia.  du  f.  41 ;  mais  en  outre  la 
pensee  du  Sauveur  doit  etre  plus  profonde. 
Toutefois,  de  graves  auleurs  anciens  et  mo- 
derncslS.  Basile,S.  Cyrille,Tlieophylacte,  Cor- 
neiHe  de  Lapicrre  Wctslein,  etc.),  la  rendenl 
encore  moiiis  profonde  en  regardant  «  unum» 
comme  synonyme  de  «  calinum  unum.  »  A 
quoi  bon  tant  de  choses?  Un  seul  plat  ne 
suflirait-il  pas?  II  y  a,  dans  cetle  inlerpre- 
taiion  par  irop  lilterale,  je  ne  sais  quoi  de 
trivial,  qui  ressemble  a  un  manque  de  gout 
el  qui  parait  peu  digne  de  Jesus.  Aussi  vaut- 
il  mieux,  avec  la  plupari  des  exegeles, 
prendre  dv6«  au  spirit uel,  au  figure  :  Une 
seule  cho-e  est  necessaire,  la  vie  de  Tame,  le 
divin  aincur,  la  pensee  du  ciel  et  du  salut; 
le  resle  tv  est  qu'accessoire  et  on  doit  le  reje- 
ter  au  second  rang.  Et   pouriaut  ce  sens, 


quoique  plus  releve,  n'est  pas  encore  le  plus 
exact  parce  qu'il  est  Irop  general.  La  vraie 
pensee  de  Jesus  se  trouve  mieux  indiquee 
par  la  suite  de  ses  paroles.  Dans  I'eloge 
qu'il  fail  de  Marie,  le  Sauveur  commente  en 
effet  lui-meme  le  mot  ^v6;;  car  il  affirme  ira- 
plicitemenl  que  la  soeur  de  Marlhe  praliquait 
alors  «  I'unique  necessaire  »,  qui  consists 
par  consequent  a  se  livrer  sans  reserve  k 
I'amour  de  Jesus,  a  oublier  pour  lui  Ies  choses 
exlerieures.  —  Optimam  partem  elegit.  Le 
grec  a  simplemeiit  ttjv  dyaeriv,  au  positif; 
mais  la  bonne  portion  par  anlonomase  est 
assuremeni  la  meiileme.  «  La  meilleure  »  : 
done  celle  de  Marthe  n'elait  pas  mauvaise  en 
elle-meme,  comme  I'observaient  deja  Ies 
SS.  Peres,  quoiqu'elle  lui  d'une  nature  inf^- 
rieuie.  «  Nee  ergo  Dominus  opus  reprehen- 
dil,  sed  munus  dislinxiL.  »  S.  August.  Serm. 
XXVII  de  Verbis  Domini.  «  Nee  tamen  Martha 
in  bono  ministerio  reprehendilur,  sed  Maria 
quod  meliorem  partem  elegerit  anleferlur,  » 
S.  Ambr.  h.  I.  —  Quce  non  auferetur  ab  ea. 
En  eflel,  dit  encore  S.  Augustin,  «  hoc  elegit 
quod  semper  manebit.  Sedebat  ad  pedes 
Capitis  noslri;  quanto  humilius  sedebat, 
tanio  amplius  capiebat.  Constitit  aqua  ad 
humililaii  m  convaiiis.  Unum  esl  necessarium: 
hoc  sibi  Maria  elegit.  Transit  labor  mullitu- 
dinis,  manet  cariias  unitalis.  A  le  quod  ele- 
gisti  auferetur;  hoc  ilia  elegit  quod  semper 
manebit.  »  En  effet,  Ies  doux  entretiens  avec 
Jesus  peuvent  durer  toujours  ici-bas,  et  ils 
ne  cesseronl  jamais  au  ciel.  —  Dans  Marthe 
et  dans  Marie,  lelles  que  nous  Ies  presente  ce 
gracieux  episode,  nos  grands  auleurs  mys- 
tiques onl  vu,  et  a  bon  droit,  Ies  types  de  la 
vie  active  et  de  la  vie  contemplative.  Marie 
la  Carmelite,  Marlhe  la  soeur  de  charite; 
Marie  qui  a  plus  trait  de  ressemblance  avec 
I'apotre  S.  Jean,  Marlhe  I'emule  de  S.  Pierre; 
Marlhe  qui  veut  donner  beaucoup,  Marie  qui 
ouvre  son  ame  pour  recevoir  beaucoup  de 
Jesus.  Roles  bien  beaux,  quoique  divers.  C'est 
la  Providence  de  Dieu  qui  Ies  departit  k 
chaciin.  Ils  so  rompleteni  I'un  I'autre,  el 
la  main  active  de  Marlhe,  associee  au  coeur 
aimant  et  calme  de  Marie,  a  produil  des 
merveilles  dans  I'Eglise  et  dans  la  societe. 
Quoique  la  part  de  Marie  ait  quelque  chose 
de  plus  celeste,  le  mieux,  dans  Ies  situations 
ordinaires,  est  d'uuir  Ies  natures  de  Martha 
et  de  Marie. 


216 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


CHAPITRE  XI 

Jd8u5  enseigne  le  «  Pater  »  a  ses  disciples  (iff.  1-4).  —  Les  qualites  de  la  pri6re  {tlf.  5-13). 

—  Expulsion  d'un  demon  (f.  14).  —  Les  ennemis  du  Sauveur  I'accusent  d'operer  ses 
miracles  grSce  au  concours  de  Beelzebub,  et  lui  demandent  un  signe  du  ciel  [tt.  15  et  16). 

—  Jesus  refute  la  calomnie  (ft.  17-28),  el  rejette  la  requ6te  (tt.  29-36).  —  II  maudit 
les  Pharisiens  et  les  Scribes  [tt  37-52).  —  Ses  adversaires  redoublent  de  haine  centre 
lui  (tt.  53-54). 


1.  Et  factum  est,  cum  esset  in 
quodam  loco  orans,  ut  cessavit,  dixit 
umis  ex  discipulis  ejus  ad  eum  : 
Domine,  doce  nos  orare^  sicut  do- 
cuit  et  Joannes  discipulos  suos. 

2.  Et  ait  illis  :  Cum  oratis,  dicite  : 


1.  Un  jour  qu'il  priait  en  un  cer 
tain   lieu,  lorsqu'il  eut  fini  un  de 
ses  disciples  lui  dit  :  Seigneur,  en- 
seignez-nous  a  prier,  comme  Jean 
i'a  enseigne  a  ses  disciples. 

2.  Et  il  leur  dit  :  Lorsque  vous 


6.  Entretien  sur  la  priSre.  zi,  1-13. 

!•  Le  «  Pater  ».  ^f.  1-4. 

Chap.  xi.  —  1 .  —  Cum  esset  in  quodam 
loco...  G'est  la  une  des  courtes  introductions 
historiques  dont  S.  Luc  accompagne  iVequem- 
ment  les  discours  de  Jesus.  Le  temps  et  le 
lieu  sont  laisses  dans  le  vague,  comme  des 
circonslances  secondaires,  ou  plulol  ils  sont 
determines  d'une  maniere  generale  par  le 
conlexte.  La  scene  se  passe  aux  environs  de 
Belhanie  (Cfr.  x,  38  et  le  commentaire),  pro- 
babiement  sur  le  versanl  occidental  de  la 
montagne  des  Oliviers,  non  loin  du  sommet, 
au  S.  0.  de  Kefr-et-Tour  (voyez  R.  Riess, 
Atlas  hist,  el  geogr.  de  la  Bible,  pi.  Vl), 
comme  I'enseigne  la  tradilion.  Sur  ce  site 
v^nere,  une  Frangaise,  la  princess?  de  La 
Tour  d'Auvergne,  faisait  naguere  conslruire 
une  belle  eglise  pour  remplacer  celle  des 
Croises.  Dans  le  cloilre  qui  entoure  I'edifice,  on 
voit  31  plaques  qui  portent  le  «  Pater  »  grave 
en  3i  ianguea  iiiuerentes.  Cfr.  Bsdekers 
Palaeslina  und  Syrien,  p.  229.  L'epoque  est 
celle  du  grand  voyage  de  Jesus  a  Jerusalem 
peu  de  temps  avanl  sa  Passion,  ix,  51  et  ss. 
—  Orans.  Nouvelle  piiere  de  I'Homme-Dieu 
menlionnee  seulement  dans  le  troisieme 
Evangile.  Elle  servit  d'occasion  a  I'enlrelien 
qui  V5  suivre.  Rien  ne  prouve  que  Jesus  Id  0^ 
^  haule  voix,  comme  I'ont  pense  divers  inler- 
preles  (Stier,  Plumptre,  etc.).  —  Ut  cessavit : 
trait  pitloresqne.  Au  moment  meme  oil 
J^sus,  ayant  acheve  sa  priere,  se  rapprochail 
de  ses  disciples,  I'un  d'eux  (ce  devail  etre  un 
des  Soixante-douze,  car  les  Apotres  connais- 


sail  deja  le  «  Paler  »)  lui  Bt  cette  demands 
touclianle  :  Doce  nos  orare,  c'est-a-dire, 
comme  il  ressort  des  mots  suivants  :  Ensei- 
gnc-z-nous  une  formule  speciale  de  priere,  que 
nous  recilerons  en  souvenir  de  vous,  et  qui 
renferinera  le  meilleur  abrege  des  supplica- 
tions que  nous  puissions  adresser  a  Dieu.  — 
Sicut  et  Joannes...  Allusion  precieuse  a  un 
trail  de  la  vie  du  Precurseur.  «  On  ne  sai-t 
pas  quelle  elait  celle  forme  de  prieres  que 
S.  Jean-Baplisle  avail  donnee  a  ses  disciples  ; 
mais  il  y  a  lieu  de  croire  qu'elle  roulail  prin- 
cipalemenl  sur  la  manifestation  du  Messie, 
qui  etail  le  principal  objel  de  la  predicaliore 
et  de  la  mission  du  Precurseur,  et  sur  les 
dispositions  du  coeur  et  de  I'espritn^cessaires 
pour  le  recevoir  ».  D.  Calmet.  «  Ulinam 
tiaberemus!  »  dirons-nous  avec  Maldonat. 
Au  resle,  g'a  loujours  ete  la  coulume  des 
Saints,  comme  c'etait  autrefois  celles  des 
Rabbins  celebres  (voyez  Rosenmiiller,  Schol. 
h.  I..  Liglitfoot,  Hor.  hebr.  h.  1.),  de  laisser 
quelque  priere  caracleristique  a  leurs  amis. 
z.  —  Cum  orsiis.  dicite.  Jesus  accaeiiie  i^ 
requele  des  siens  avec  sa  bonle  ordinaire,  et, 
lentement,  pieusemenl,  il  se  met  a  recite 
devant  eux  la  formule  divine  a  laquelle  on  a 
donne  son  nom  (!'  «  Oraison  dominicale,  »  ou 
priere  du  Seigneur).  C'etait  la  seconde  fois 
qu'il  la  prononQait,  comme  radmellent  la 
plisparl  des  inierp-rste.^.  Deis  elle  avail  fSi' 
pariie  inlegranle  du  Discours  sur  la  mon- 
tagne, Mallli.  VI,  9-13;  il  la  repele  aujour- 
d'hui,  soil  pour  la  mioux  graver  dans  le  coeur 
de  ses  disciples  et  de  son  Eglise,  soil  pour 
monlrer  qu'on  ti'en  saurail  composer  de  plus 
beile.  Mais,  en  la  r(5peiant,  il  I'abrego  et  la 


CHAPITRE  XI 


217 


Paler,  sanclificelur  nomen  tuum. 
Adveniat  regnum  tuum. 


priez,  dites  :  Pere,  que  votre  nom 
soil  sanctifie,  que  votre  regne  ar- 
rive. 


modifie  legeremenl,  ainsi  qu'il   ressorl   du 
tableau  suivant  : 


S.  MATTHIEU. 

Paler  noster  qui  es  in 
ccelis, 

Sanclificelur  nomen 
tuum, 

Adveniat  regnum  tuum. 

Fiat  voluntas  lua  sicul 
in  coelo  el  in  terra. 

Panem  nostrum  siiper- 
subslaatialem  da  nubis 
hodie, 

Et  dimiUe  nobis  debila 
nostra  sicul  et  nos  diniil- 
timus  deLitoribus  noslris, 

Et   ne   nos   inducas  in 
tenlationem, 
Sed  libera  nos  a  malo. 
Amen. 


S.  LUC. 

Paler, 

Sanctificelur  nomen 
tuum, 
Adveniat  regnum  taum. 


Panrm  nostrum  quoti- 
dianum  da  nobis  hodie, 

Et  dimitte  nobis  peccala 
nostra  siquideiii  et  ipsi  di- 
miltimus  omni  debeuti  no- 
bis, 

Et  ne  nos  inducas  in 
teatalionem. 


Le  Second  «  Pater  »  n'a  done  que  cinq  de- 
mandes  au  lieu  de  sept  :  mais  la  troisierae  et 
la  seplieme,  qu'il  onnet,  ne  sonl-elles  pas  com- 
prises dans  «  Adveniat  regnum  tuum  »  et 
«  Ne  nos  inducas  in  lenlalionem  »,  comrae 
le  faisait  deja  remarquer  S.  Augustin  (Enchi- 
rid.  c.  cxvi)?  Aussi,  quand  I'exegele  protestant 
H.  W.  Meyer  a  voulu  conclure  de  ces  va- 
riantes  que  I'Egiise  primitive  ne  recilait  pas 
I'Oraisondominicale,  et  que,  pource  motif,  la 
tradition  oublieuse  avail  communique  aux 
evangelistesdeuxtextesdifferenlsduH  Pater  », 
un  autre  protestant,  Alford,  lui  a  ferme  la 
bouche  par  cette  question  habile  :  «  Si  I'E- 
giise apostolique  n'employail  pas  la  Prieie 
du  Seigneur  comme  foimule,  quand  done  a 
commence  I'usage  du  Paler,  puisque  nous  le 
Irouvons  dans  toutesles  liturgies  connucs?  » 
C'est  de  Notn -Seigneur  lui-rneme  que  pro- 
viennent  les  dissemblances  signalees  plus 
haul.  II  est  vrai  que,  dans  laRecepta  grecque 
et  dans  plusieurs  manuscrits  ancicns,  ces 
'ii>semblance5  sonfc  a  peine  sensibles,  les 
passages  omis  ayatit  ele  restitues  a  leur  place; 
par  exemple,  :?i|jiwv  6  ev  toT;  oupavoT;  apres 
lldxep,  Y£vr,6iiTw  to  6£).yi|xa  tou  w?  ev  oOpavw  xat 
ItzI  Tri;  Yfj;  apies  paat)£ta  oou,  a).),a  ^Ocrai  ii\iai 
inb  ToO  TTovripou  apres  7t£ipaff[x6v.  Mai>,  sur 
I'auiorite  de  la  Vulgate,  de  la  version  arme- 
nienne,  de  plusieurs  Peres  (Origene,  S.  Au- 
gu?iin,  5.  jetomi^)  ei  des  ceiebres  manuscrifa 
Sinail.,  B,  L,  les  critiques  (enlre  autres 
Tischendorf)  regardent  a  bon  droit  ces  mots 
comnie  des  interpolations,  II  etait  difBcile 
qu'on  relranrliat  volonlairement  la  moindre 
expression  d'uiie  priere  aussi  imporlante ;  il 
etait  si  nalurel  au  contraire  que  des  copistes 


indiscrets  essayassent  de  completer  le  Pater 
de  S.  Luc  par  des  emprunls  faits  k  S.  Mat- 
thieu  1  —  Pour  Texplication  detailiee,  nous 
renvoyons  le  lecteur  a  notre  commentaire  du 
premier  Evangile,  p.  129  et  ss.  (Voir  aussi 
les  Meditations  sur  le  Pater  Noster  el  I'Ave 
Maiiacomposeesen  allemand  parA.F.  Lennig, 
traduites  en  frangais  par  M.  I'abbe  Mabir'e, 
Caen,  1878,  excellent  opuscule  qu'on  ne  sau- 
rait  trop  recommander).  Nous  nous  bornerons 
ici  a  quelques  notes  rapides.  Rappelons  d'a- 
bord  que  le  «  Pater  «  se  divise  en  deux  par- 
ties, les  euxat  ou  souhaits,  et  les  akrifAaTa  ou 
supplicaiions.  Les  souhails  correspondent, 
dans  la  foimule  de  S.  Luc,  aux  deux  pre- 
mieres demaiides,  les  supjilications  aux  trois 
dernieres.  La  premiere  parlie  concerne  done 
les  inlerels  de  Dieu,  mis  en  avant  d'une  ma- 
niere  aus^i  juste  que  naturelle,  conlormemenl 
a  I'art  de  la  pnere  dont  nous  avons  de  si 
beaux  modeles  dans  les  Psaumes;  la  seconde 
se  rappoit«  a  nos  propres  interets,  car  nous 
y  conjuron^  le  Seigneur,  ou  plulot  notre  Pere, 
de  subvenir  a  nos  besoins  materiels  et  spiri- 
tuels.  Ou  encore  :  la  pensee  fondamenlale  du 
Paler  peut  se  ramener  a  un  desir  ardent  du 
royaume  de  Dieu.  La  premiere  demande 
(loujours  d'apres  S.  Luc)  expose  le  but  de  ce 
regne  divin;  la  seconde  se  rapporte  k  son 
accomplissement ;  les  trois  autres  pressent  le 
Seigneur  d'enlever  les  obstacles  qui  em- 
pecheni  le  royaume  des  cieux  de  se  deve- 
lopper  iei-bas.  —  Pater.  «  Primus  sermo 
quantae  gralice!  Faciem  tuam  non  audebas 
ad  coelum  atlollere,  et  subito  accepisli  gra- 
tiam  Chrisli ;  ex  malo  servo  factus  es  bonus 
Alius  :  ideo  prgesuine,  non  de  tua  op;"ratione, 
sed  de  Chrisli  gratia..  Ergo  attolle  oculos 
tuosad  Patrem  ;...  Patrem  dicas  quasi  filius  », 
S.  August.,  de  Verbis  Dom.  Serm.  xxvii. 
S.  Bonavenluro  commenle  admirablement 
aussi  c  tie  premere  parole  :  «  0  dulcedo  in- 
credibilis,  ojucunditas  inaestimabilis.  ojubi- 
iatio  ineiTat)iiis,  mel  et  iavus  m  ore  meo,  quura 
te,  Deum  meum,  patrem  invoco  meumlO 
exultalio,  o  admiratio,  o  medullaris  modula- 
tio,  quia  pater  meus  es  tul  Quid  ultra  pro- 
cedam,  quid  ultra  dicam,  quid  ultra  petam? 
Pater  meus  es  lu  1  »  Stim.  amoris,  p.  lii,  c.  i  4. 
Cfr.  Joan,  in,  1.  Nous  devons  done  tout 
o  aoora  nous  adresser  a  uieu  avec  un  esprii 
filial,  par  consequent  avec  le  sentiment  de  la 
plus  Vive  confiance.  «  Quid  enim  jam  non  del 
tiliis  pelentibus,  quum  hoc  antea  dederit  ut 
filii  essent?  »  S.  Aug.  —  Sanctificetur  iiomen 
tuum.  Tel  est  le  premier  souhait  que  nous  for- 
mons  en  Thonneur  de  notre  Pere  bien-aime. 


«I8 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


3.  Donnez-nous  aujoiird'hui  notre 
pain  de  chaque  jour. 

4.  Et  remellez-nous  nos  peches 
comme  nous  remettons  nous-memes 
a  quiconque  nous  doit,  et  ne  nous 
induisez  pas  en  tenlation. 

5.  Et  il  leur  dit  :  Si  quelqu'un  de 
vous  a  un  ami  et  va  le  trouver  au 
milieu  de  la  nuit  et  lui  dit  :  Ami, 
piete-moi  trois  pains, 

6.  Parce  qu'un  de  mes  amis  en 
voyage  est  venu  chez  moi  et  je  n'ai 
rien  a  mettre  devant  lui ; 


3.  Panem  nostrum  quotidianum 
da  nobis  hodie. 

4.  Et  dimitte  nobis  peccata  nos- 
tra, siquidem  et  ipsi  dimitlimus 
omni  debenti  nobis.  Et  ne  nos  in- 
ducas  in  tentationem. 

5.  Et  ait  ad  illos  :  Quis  vestrum 
habebit  amicum,  et  ibit  ad  ilium 
media  nocte,  et  dicet  illi  :  Amice, 
commoda  mihi  tres  panes; 

6.  Quoniam  amicus  mens  venit 
de  via  ad  me,  et  non  habeo  quod 
ponam  ante  ilium; 


II  signifie.  sous  son  vetement  oriental:  Soypz 
.gloiifie  par  Ions  le>  hommesi  —  Notre  se- 
cond souliait,  adveniat  regnum  tuuin,  appelle 
la  diffusion  da  royaume  de  Dieii,  cV^Jl-a-dire 
de  I'Eglise,  dans  i'univers  entier.  Qu'il  n'y  ait 
qiuun  spul  troupeau  et  qu'nn  seiil  pasteur! 

3.  —  Panem  nostrum...  «  II  y  a  deux  sortes 
de  prieres,  dit  S.  Basile  (Conslit.  monast., 
c.  I),  I'une  de  louange...,  I'autre  de  demande, 
qui  est  moins  parfaile.  Lors  done  que  vous 
priez,  ne  vous  halcz  pas  de  demander,  autre- 
ment  vous  profanez  voire  intention,  paraissant 
supplier  Dieu  par  necessite;  mais,  au  com- 
mencement de  voire  priere,  oubliez  loute 
creature  visible  ou  invisible,  et  louez  d'abord 
celui  qui  a  lout  cree.  »  Toulefois,  la  louange 
terminee,  nous  pouvons  bien  penser  a  nos 
besoins  meme  matorJL'ls,  comm^  nous  I'a  in- 
dique  le  Seigneur  Jesus  par  cetle  autre  de- 
mande de  son  Oraison.  C'est  d'ailleurs  la 
senle  requeie  temporelle  du  Pater  :  loutes 
les  aulres  sont  spirilueiles.  «  Unam  solam 
ppiilionem  sensibilem  quaerimus,  ui  prsesen- 
tibus  non  affligamur  ».  S.  Jean  Chrys.  Horn. 
XXIV  in  Matlh.  —  Quotidianum.  Oans  le  grec, 
nous  lisons  I'adjectif  ettiouciov,  sur  le  sens 
duquel  nous  a\ons  discule  en  expliquant 
S.  Matlhieu,  vi,  11.  La  version  synaque  le 
tradtiit  par  «  necessaire  »  (Tremf^lli^u-^  :  «  pa- 
nem inciigentiae  »).  —  Hodie  :  to  y.ctb' ri\iipav, 
lilleralcment :  jour  par  jour,  au  lieu  du  critJ-epov 
de  S.  Matthieu. 

4. —  El  dimitte  nobis  peccata  nostra.  Le  «  Pa- 
ter »  du  premier  Evangile  dit  avec  une  meta- 
phore:  «  debila  nostra  ».  La  formule  de  priere 
que  nous  a  laissee  Je>us  ne  pouvait  manquer, 
malgr^  sa  brievcte,  de  trailer  ce  point  mal- 
henreusement  si  important  de  noire  vie.  Tous 
nous  avons  peche;  par  le  peche  nos  relations 
filiales  avec  Dieu  ont  ete  rompues  et,  pour 
qu'elles  soient  r6tablies,  il  nous  faul  son  mi- 
sericordieux  pardon.  Afin  d'obtenir  celte  fa- 
vour, nous  lui  suggerons,  instruits  par  le 
divin  Maltre,  un  motif  bien  capable  de  tou- 
cher son  ccBur :  siquidem  et  ipsi  dimittimus.,.. 


rt  nous  pardonnons  sans  exception  omni  de 
benti  nobis.  Dans  ces  quelques  par  oli-s,  que 
admirable  principe  de  rharite  fraternelle  I 
S.  Jean  Chrysostome  s'ecriail,  en  les  lisant  : 
«  Haec  animadvertenles,  gratias  agere  debe- 
mus  debitoribus  noslris;  sunt  enim  nobis,  si 
sapimus,  causa  indulgoniiae  maximae,  et 
pauca  exhibentes  plurima  reperiemus,  nam 
el  nos  mulla  debemus  et  magna  debita  Do- 
mino »  (Cat.  graec.  Patr.).  CIV.  S.  Bonavent. 
Stim.  amor.  p.  iii,  c.  17.  Ce  motif  de  pardon, 
qui  constiluerait  a  lui  seul  une  philosophie 
superieure  a  loutes  cplles  de  la  terre,  est 
exprime  avec  plus  de  force  et  d'une  raaniftre 
plus  direcle  dans  la  redaction  de  S.  Luc  que 
dans  celle  de  S.  Matlhieu.  —  Ne  nos  inducas 
iti  tenlnlionem,  «  c'esi-k-dire,  dans  la  tpniation 
qui  nous  lerait  succoinber,  car  nous  somrae-; 
comme  I'athlete  qui  ne  refuse  point  la  lutte 
que  les  forces  humaines  peuvent  soutenir.  » 
S.  August,  de  Verb.  Dom.Serm.  xxviii. 

2<>  Qualit^s  de  la  priere.  ff.  5-13. 

«  Supplicandi  normam  ipse  tibi,  qui  exo- 
randus  est,  iribuit  »  (S.  Jean  Chrysost.),  et 
c'est  la  pour  nous  une  grande  consolation, 
car  notre  celeste  inslrucleur  savaii  mieux 
que  nous  par  quel  art,  par  quellos  requites, 
par  quelles  expressions  nous  toucherions  le 
mi(>ux  son  ocEur.  Mais  voici  qu'd  nous  ensei- 
gne  maintenanl,  chose  non  uioins  precieuse, 
jps  conditions  d'une  bonne  priere,  qui  sont 
1o  une  sainle  hardiesse  produisanl  la  perse- 
verance, t.  5-10,  2°  une  enliere  confiance, 
tf.  11-13. 

5  et  6.  —  La  premiere  condition  est  expri* 
mee  d'abord  au  moyen  d'une  petite  jiarabole 
familiere,  tt.  5-8,  qui  est  d'un  piltoresque 
acheve.  —  Quis  vestiuoi  habebit...  1  Cetle  in- 
terrogation au  debut  du  recit  I'animp,  et 
pique  I'attenlion.  Mais  la  construction  devient 
bientot  tout  a  fait  irreguiiere,  car  la  phrase 
s'acheve  autrement  qu'elle  avail  commence, 
le  tour  interrogalif  disparaissant  a  la  fin  du 
t.  6  pour  se  transformer  en  une  proposition 


CHAPITRE   XI 


t19 


7.  Et  ille  deintus  respondens  di- 
■cat  :  Noli  mi  hi  molestus  esse;  jam 
ostium  clausum  est,  et  pueri  mei 
mecum  sunt  in  cubili,  non  possum 
surgere,  et  dare  tibi. 

8.  Et  si  ille  perseveraverit  pul- 
sans  :  dico  vobis,  et  si  non  dabit 
illi  surgens  eo  quod  amicus  ejus  sit, 


7.  Et  si  I'autre  repond  de  I'int^- 
rieur:Ne  m'importune  pas;  deja  la 
porte  est  fermee  et  mes  enfants 
sont  au  lit  comme  moi;  je  ne  puis 
me  lever  ni  rien  te  donner; 

8.  Et  si  le  premier  continue  de 
frapper,  je  vous  le  dis,  quand 
I'autre  ne  se  leverait  pas  et  ne  lui 


condilionnelle.  Voir  au  t.  11,  et  Matlh.  vii, 
9  el  ss.,  d'aulres  exemplcs  de  ccs  «  anacolou- 
iha  »,  comme  les  appellenl  les  grammai- 
liens.  —  Ibit...  media  norte.  Jesus  menlionne 
cetle  heute  a  dessein,  comme  la  moins  op- 
portune pour  oblenir  une  faveur  de  la  part 
des  hommes.  Le  suppliant  propose  du  moins 
sa  requite  aussi  bien  que  possible.  II  met  en 
tete  un  amice  plein  d'emphase,  qui  servira  de 
«  caplatio  benevolentiae  ».  Ensiiile  il  va  droit 
au  but;  Commoda  milii  tres panes.  Apres  tout, 
n'elail-ce  pas  demander  un  bien  petit  ser- 
vice? Ce  n'esl  d'ailleurs  pas  pour  lui-meme, 
ajoute-t-il  par  maniere  d'excuse,  qu'il  vient 
importuner  son  ami  a  un  pareil  moment; 
mais  un  hole  lui  est  arrive  a  I'improviste, 
fatigue,  affame,  et  il  se  trouve  n'avoir  rien  k 
lui  offrir,  toules  ses  provisions  elanl  epuisees 
depuis  le  repas  du  soir.  N'est-ce  pas  la  une 
raison  sufBsanle  pour  venir  frapper,  meme  a 
minuit,  a  la  porte  d'un  ami?  D'autant  mieux 
que  I'hote  est  egalemeni  un  ami  du  deman- 
deur  {amicus  mens]  et  que  «  les  amis  de  nos 
amis  sont  nos  amis  ».  —  Le  correlatif  grec  de 
commoda,  XP^'^'^'^5  ne  se  rencontre  qu'en  cet 
endroit  du  Nouveau  Testament  —  A  propos 
des  irois  pains,  Maldonat  fait  cette  naive  et 
intdressante  reflexion,  qu'on  retrouve  d'ail- 
leurs dans  plusieurs  autres  commentaire  r6~ 
cents  :  «  Tres,  ut  opinor,  dixit,  quia  uno 
ipsi,  qui  petebat,  allero,  amico  opus  erat, 
et  tertium  oporlebat  esse  communera,  si  forte 
unus  uni  non  esset  satis  ».  Nous  preferons 
dire  simpl'menl  avec  M.  Bisping  que  «  le 
nombre  trois  ne  sert  qu'a  rendre  I'lmage  plus 
concrete  ».  Le  lecteur  sait  que  les  pains  de 
rOiienl  consistent  en  des  galeltes  peu  epais- 
ses,  donl  la  dimension  ne  depasse  pas  celle 
de  nos  a^^siettes.  Notons  encore  que  Irs  Orien- 
taiix,  pour  eviter  la  brulante  chaleur  du  jour, 
voyagenl  d'ordinaire  la  nuit  durant  la  belle 
saisou  :  c'est  pour  cela  que  I'hote  de  la  para- 
bole  arrive  si  lard  et  occasionnedesi  grands 
derangements. 

7.  —  Et  ille  deintus.  De  son  lit  ou  il  repo- 
sait  conlorlablemenl,  I'ami  interpelle  repond 
par  un  rcfus  peremptoire,  sii^nifie  en  termes 
tres  durs.  On  voil,  k  travers  son  langage, 
I'homme  eveilld  en  sursaul  au  beau  milieu  de 
son  premier  sommeil,  et  plein  de  mauvaise 
huraeur  contre  celui  qui  est  venu  le  iroubler. 


Ainsi,  pas  de  ?iXe  en  relour  du  litre  aimable 
qu'on  lui  avail  lout  d'abord  adresse;  mais, 
immedialement,  ces  mots  si  rudes,  noli  mihi 
moleslux  esae.  plus  rudes  encore  dans  le  lexte 
grec,  fjLii  [xot  xciuoy;  Ttipexs-  Cependanl,  il  croit 
devoir  legitimer  sou  refus.  En  premier  lieu 
sa  maison  etait  diiment  fermee  ;  or  les  lour- 
des  pieces  de  bois  ou  de  fer  qui  servaienl  k 
barricader  lesportes  desanciens{xXau(it'  Gupov, 
lei  etait  leur  ncm  chez  les  Grecs)  ne  s'enle- 
vaienl  pas  en  un  instant.  De  plus,  et  ce  de- 
tail si  delicat  contenait  une  raison  en  appa- 
rence  parfailemenl  plausible,  ses  petils  en- 
fanls  (nolez  le  diminulif  xa  naiSia]  dormaient 
a  ses  coles  ;  el  ne  les  eveillerait-il  pas  en  re- 
mnant les  barres  de  la  porte,  en  ouvrant  les 
placards  pour  rendre  le  service  demande? 
Done,  comme  conclusion,  non  possum,  (beau 
palliatif  de  a  nolo  »)  surgere  et  dare  tibi.  TS- 
cliez  de  voas  procurer  vos  pains  ailleurs.  — 
Plusieurs  commentaleurs,  a  la  suite  de  S.  Au- 
gustin,  Epist.  cxxx,  8,  donnent  a  TtatSia  le 
sens  de  serviteurs.  Alors  I'idee  serait  :  Tout 
le  monde  est  couche,  il  n'y  a  personne  pour 
m'aider  a  ouvrir,  ou  bien,  pour  chercher  les 
objets  demandes.  Mais  si  itat?  designer  par- 
fois  les  serviteurs,  il  n'en  est  pas  de  meme 
du  (iiminutif  itatSiov,  qui  ne  s'applique  qu'anx 
fils  de  la  maison.  —  II  n'est  pas  necessaire 
de  prendre  trop  a  la  lettre  les  mots  mecum 
sunt  in  cubili,  quoique  le  grec  ait  I'article  de- 
vant  xoiTYiv  :  ils  deineurent  vrais  quand  meme 
chacun  des  enfants  eiit  repose  sur  sa  propre 
couchette,  etendue  k  terre  dans  la  chambre 
commune,  aupres  du  divan  du  pere.  Gelte 
interpretation  semble  plus  conforme  aux 
moeurs  de  I'Oiient. 

8.  —  Etsi  ille  perseveraverit  pulsans  Toute 
cetle  ligne  manque  dans  le  lexte  original  : 
la  pensee  qu'elleexprimese  supplee  d'ailleurs 
sans  peine.  On  suppose  done  que  le  deman- 
deur,  malgre  le  refus  de  son  ami,  aura  con- 
tinue de  frapper  k  la  porte  sans  se  decoura- 
ger.  Jesus  se  sert,  pour  caracteriser  cette 
conduile  finalcmenl  couronnee  d'un  plein 
succes  {surget  et  dabit  illi...),  de  I'expression 
energique  avaiSeia  (de  a  priv.  et  ai8to<;,  pu- 
deur),  lilleral.  impudence,  indelicalesse,  quo 
la  Vulgate  traduit  assez  bien  par  improbitas. 
«  Nihil  est  quod  non  improbitas  extorqueat  », 
ecrivaitPelrone  dans  le  mdmesens.  Les  Grecs 


220 


EIANGILE  SELON  S.  LUC 


donnerait  pas  parce  qu'il  est  son 
ami,  poiirlant  a  cause  de  son  im- 
porLunite  il  se  levera  et  lui  donnera 
tout  ce  qui  lui  est  necessaire. 

9.  Et  moi  je  vous  dis  :  Demandez 
et  on  vous  donnera,  clierchez  et  vous 
trouverez,  frappez  et  on  vous  ou- 
vrira  : 

10.  Gar  quiconque  demande  re- 
coit,  et  qui  cherche  trouve  et  a  qui 
fraf)pe  on  ouvrira. 

11.  Si  i'un  de  vous  demande  du 
pain  a  son  pere  celui-ci  lui  donnora- 
t-il  une  pierre  ?  et  s'ii  demande  du 
poisson,  lui  donnera-t-il  un  serpent 
au  lieu  de  poisson? 

12.  Et  s'il  demande  un  oeuf,  lui 
presentera-til  un  scorpion? 


propter  improbitatem  tamen  ejus 
surget,  et  dabit  illi  quotquot  habet 
necessarios. 

9.  Et  ego  dico  vobis  :  Petite,  et 
dabitur  vobis  :  quaerite,  et  invenie- 
tis  :  pulsate,  et  aperietur  vobis. 

MaUh.  7,  21;  Marc.  11,  24;  Joa7i.  14,  13;  Jacob.  1,  5. 

10.  Omnis  enim  qui  petit,  acci- 
pit  :  et  qui  quaerit,  invenit  :  et  pul- 
santi  aperietur. 

11.  Quis  autem  ex  vobis  patrem 
petit  panem,  numquid  lapidem  da- 
bit  illi?  Aut  piscem  :  numquid  pro 
pisce  serpentem  dabit  illi? 

Matlh.  7,  9. 

12.  Aut  si  petierit  ovum  :  num- 
quid porriget  illi  scorpionem? 


disaient  aiissi  d'une  maniere  provKrbiale  : 
©eo;  avaiSeta,  I'impudence  est  un  dieu.  Et 
les  Juifs  :  «  Impudenlia  est  rognum  sine  co- 
rona »,  ou  bien,  ce  qui  cadro  parfailement 
avec  la  morale  de  noire  parabole  :  «  Impu- 
denlia eliam  coram  Deo  proficil  ».  —  Sur  les 
inlerpretalions  ailegoriques(parfois  tres  belles 
bien  qu'elles  s'ecarlenl  beaucoiip  de  la  leltre) 
que  les  Peres  onl  donnees  de  celle  petite  his- 
toire,  voyez  la  Chaine  d'or  de  S.  Thomas  d'A- 
quin,  Bede,  h.  I.,  S.  Aiigustin,  Serm.  cv,  2, 
Trench,  Notes  on  ihe  Parables  of  Our  Lord, 
Par.  18. 

9  et  40.  —  Dans  ces  deux  versets,  Nolre- 
Seigneur  tire  la  conclusion  de  son  charmant 
recil.  «  ManilVstal  quod  pusillanimitas  in 
oralionibus  damnosa  est  ».  Cyrille(Gat.  graec. 
Pair.)-  —  El  ego  dico  vobis.  II  y  a  iiiie  grande 
force  dans  ce  «  el  ego  «  •  S.  Cyrillefa  raison 
d'ajouler  que  «  vim  habet  juramenli  ».  II  y  a 
egalement  une  grande  force  dans  les  trois 
verbes  petite,  qucevite,  pulsate,  ranges  par 
gradation  ascendanle,  pour  n  presenter  I'e- 
neraie  du  suuDlianl.  sa  uerseverance  infali- 
gable,  en  un  mot  son  avaWeia  croissant  cyec 
les  obstacles  el  reussissanl  a  les  surmonter. 
En  effet,  dabitur,  invcnietis,  aperietur,  disent 
Irois  aulres  verbes  qui  correspondent  aux 
premiers.  «  Quia  lenti  et  pigri  ad  orandum 
sumus,  el  fere  parum  libsraliter  de  Palris 
Dostri  beneficentia  senlimus  ac  fidimus,  tri- 
bus  ioqueiidi  lormis  eamaera  rem  iierai  aique 
urget  ».  Luc  de  Bruges.  Gfr.  31aUh.  vii,  7 
et  >s.,  oil  Ton  trouve  la  reproduction  de  la 
meme  pensee.  —  Done,  ne  craignons  pas 
d'agir  envers  Dieu  avec  une  sainte  hardiesse 
quand  nous  lui  demandons  ses  graces.  Si  la 
persislance  dans  la  demande  triomphe  de  la 


durete  des  horames,  comblen  plus  triom- 
phera-l-elle  de  la  bonte  de  Dieu.  En  effet, 
dans  I'application  de  la  parabole,  la  compa- 
raison  a  lieu  «  non  a  simili  sed  a  majore  » ; 
I'argument  est «  a  fortiori  ».  «  Ut  hinc  intelli- 
geremus,  si  dare  cogilur  qui,  quum  dormiat, 
a  peiente  excitatur  invitus,  quanto  del  be- 
nignius,  qui  nee  dormire  novit,  et  dormientes 
nos  excital  ut  petamus  ».  S.  August.  Epist 
cxxx,  8. 

11  et  12.  —  Jesus  developpe  mainlenant, 
tt.  11-13,  une  seconde  condition  lie  la  priere. 
qui  est  la  confiance.  Quand  nous  prions  Dieu, 
c'est  a  un  pere  que  nous  nous  adressons,  et 
ce  pere  ne  saurait  manquer  de  nous  ecouter 
favorablement.  Ainsi  done,  apres  nous  avoir 
monlre  ce  que  Ton  pent  atteiidre  d'un  ami, 
Nolre-S.Mgneur  nous  indique  ce  que  nous 
sommes  en  droit  d'attendre  d'un  pere,  mais 
d'un  pere  celeste.  Voyez,  Matlh.  vii,  9-11, 
cette  idee  exposee  anlerieurement  par  Jesus. 
—  Quis  autem  ex  vobis  patrem  petit  panem. 
Telle  est  aussi  la  leQon  du  Cod.  Sinait.  :  t^ 
6e  £$  (ifidiv  t6v  uaxepa  ait^aei  apTov.  Mais  la 
Kecepta,  soutenue  par  la  puipari  aes  anciens 
lemoins  (x£va  81  i%  ujiciv  t6v  Ttarepa  ahi^ffet  6 
ulosdpxov,  «  quern  ex  vobis  patrem  petit  filius 
panem  ») ,  parait  meriler  ici  la  preference. 
Avec  quelle  grfice  Jesus  choisit  ses  compa- 
raisons  dans  le  petit  monde  de  la  famille, 
afin  de  mieux  frapper  ses  auditeurs  et  d'in- 
cuiquer  pius  proionaemeni  ses  legonsi  Le» 
trois  rapprochemenls  qu'il  elablit  sont  des 
plus  naturels,  a  cause  de  la  ressemblanci-  qui 
exisle  entre  les  objets  menlionnes  :  panem 
et  lapidem  (comparez  le  mot  de  Phedre  : 
«  qui  me  saxo  pelierinl,  quis  panem  dede- 
rii'  »},  vro  pisce  serpentem,  ovum  et  scoipio- 


CHAPITRE  XI 


S24 


13.  Si  ergo  vos,  cum  silis  malij 
nostis  bona  data  dare  filiis  veslris  : 
quanto  magis  Pater  vester  de  coelo 
dabitspirilumbonumpetentibiisse? 


14.  Et  erat  ejiciens  daemonium, 
ct  illud  erat  mutum.  Et  cul.  ejei- 
cisset  daemonium,  locutus  est  mutus. 
et  adrairatse  sunt  turbse. 

Match.  9,  32. 

15.  Quidam  autem  ex  eis  dixe- 


13.  Si  done  vous,  qui  6tes  mau- 
vais,  vous  savez  donner  a  vos  en- 
fants  des  choses  bonnes,  combien 
plus  votre  Pere  qui  est  au  ciei  don- 
nera-t-il  un  esprit  bon  a  ceux  qui 
le  lui  demanderont. 

14.  Or  il  chassait  un  demon  et  ce 
demon  etait  muel.  Et  lorsqu'il  eut 
chasse  le  demon  le  muet  i^arla,  et 
la  foule  fut  dans  I'admiration. 

15.  Mais  quelques-uns  dirent  :  II 


nem.  Ce  dernier  trail  est  propre  a  S.  Luc,  il 
n  iOn  ecpiivalcnl  dati";  la  gnomnlogie  des 
Grecs  :  avTi  TiEpy-yjc  oxooTitov.  El  en  elTel,  qiiand 
lo  scorpion  s'enroulc  sur  lui-meme,  il  a  bien 
la  forme  d'un  oeul  quoiqu"il  n'en  ail  pas  la  cou- 
leur.  Le  rapprociiement  devient  encore  plus 
?aisis<anl  rlan-;  le  cas  ou  Jesus  aurail  en  en  viie 
noil  le  pcorpion  ordinaire,  mais,  comine  tout 
porica  Ic  croire,  legros  scorpion  bianc  qu'on 
irouve  IrequemmenL  en  P.ih'Siinoel  (n  S\rie. 
Voycz  nine.  Hist.  nat.  xi,  25;  Bochart,  Hie- 
rozoicon,  t.  II,  p.  641.  Le  Ircleur  sait  qu9 
cet  animal,  qui  appaitienl  a  la  ciasse  Arach- 
nida  el  a  I'ordre  Puimonaria  ,  est  une  des 
pcsies  de  i'Oriont  biblique.  li  porta  a  I'extre- 
mile  de  sa  queue  un  dard  charge  de  venin, 
€t  sa  piqure,  toujours  douloureuse,  occa- 
sionne  parfois  la  mort.  Quel  pere  serait  done 
assez  inhumain  pour  metlre  un  scorpion  au 
Jieu  d'un  ceuf  dans  la  main  de  son  enfant? 

13.  —  Si  ergo  vos,  cum  sitis  mail...  Dans 
repilhete  severe,  mais  malheureusement  Irop 
juste,  que  le  Sauveur  adresse  a  rhumaiule, 
un  ancien  commentaleur  Irouve  a  bon  droit 
un  «  illustre  testimonium  de  peccalo  origi- 
nali  ».  —  Quanco  magis  ;  la  conclusion  tiree 
par  Jesus  est  de  nouveau  «  a  minori  ad  ma- 
jus  ».  —  Pater  vester  de  coelo  :  le  pere  par 
excellence,  «  ex  quo  omnis  paternitas  in  coelis 
€t  in  terra  nominatur  »,  Epli.  in,  15.  — 
Dabit  spiritum  bonum;  dans  le  grec,  irveOtAa 
&T'-ov,  I'Esprii  Saml,  car  c'egl  bien  de  lui 
qu'il  quesiion.  L'opposition  ne  saurait  6lre 
plus  loi-te  :  les  homuies  donnenl  a  leurs  en- 
faiits  de  bonnes  choses,  aulant  qu'ils  le  peu- 
veiil;  Dieu  accord(>  aux  siens  son  Esprit,  ce 
qu'il  a  el  ce  qu'il  y  a  de  plus  parfail!  Com- 
ment no  le  supplierions-nous  pas  avec  con- 
fiance? 

7.  Lie  blaspheme  des  Pharisiens  et  le  signe 
du  ciel.  XI,  14-36. 

1°  L'occasiou.  Jf.  14-16.  —  ParalL 
Matlh.  xit,  22-^4. 

14.  —  Et  erat  ejiciens  dwmonium.  »  Erat 
ejiciens    »    est  une  periphrase  pitloresque, 


aimee  de  S.  Luc.  — «  Et  illud  erat  mutum  : 
dans  le  grec,  xwyov,  cxpro.Nion  ainbigue  qui 
peut  designer  la  surdilti  ci'i:-.-:  birn  que  le  mu- 
lisme,  ou  nieme  ces  deux  innrniiles  rounies. 
Cfr.  Theophylacle,  li.  I.  Le  contexie  (locutus 
est  mutus)  montie  cpie  I'evangelist'i  voulail 
surtoul  paricrde  la  secoudc.  D'aurcs  S.  Mat- 
thieu,  le  demoniaque  eiait  en  ouire  avcuglo. 
La  locution  V-  'Jajuiouium  nfat  mutum  .;,  qui 
parait  dabord  s.trpicnanli",  esl  d'une  graurie 
exactitude  [).-yclic.!'>gique,  car  elle  ideulifie 
le  demon  et  le  po-sede.  ne  faisanl  d"eux 
qu'une.  seule  persnnne  r.-ioraie,  ce  qui  corres- 
pondait  tout  a  fail  a  la  realile.  S.  Luc  i.idi- 
que  ainsi  que  I'infirmite  guerie  par  Nolre- 
Seigneur  dans  la  circonstance  presenle  ne 
provenail  pas  d'un  defaul  d'organi^me,  mais 
qu'elle  etait  un  resullat  de  la  possession  dia- 
bolique.  ^-  Locuius  est  mutus.  Ce  cliange- 
nient  de  genre  atteste  de  nouveau  la  preci- 
sion toute  medicals  de  I'ecrivain  sacre.  Le 
demon  chasse,  Thoraiue  seul  rosiait.  et  re- 
prenait  tous  ses  droits  personnels  t  c'est  co 
qu'indique  le  masculin  «  mulu-;  ».  —  Admi~ 
ratcB  sunt  turbce,  «  et  diccbanl  :  Numquid  hie 
eslFilius  David  o?  Matlh,  xri,  23.  Mais  quand 
est-ce  qu'eut  lieu  co  miracle,  el,  par  suite, 
quanil  fut  prononce  io  discours  auquel  il  ser* 
vild'occasion'S.  Malthieu  (Cfr.  Marc-  in,  20 
et  ss.)  et  S.  Luc  lui  aitribuent  en  eflet  una 
dale  Ires  difFerenle.  Nous  n'osons  recourir 
pour  cetle  fois,  comm^'  le  font  plusieurs  exo- 
geles,  a  I'hypolhese  d'une  repelition,  car  ia 
rtssembiance  des  deux  recils,  qui  va  souvenl 
jusqu'a  I'identite,  semble  renverser  d'avanco 
une  pareille  opinion.  Au  roste,  aucun  d 'S 
evangelistes  ne  determine  ici  le  irinps  d'une 
maniere  precise,  ce  qui  nous  iaisfo  'jn>-  plus 
complete  libei'tdd'.'ipprociation.  Nouscroynns 
doncl'arrangcuient  doS.  Mjl'.hieu,  qiiccorm- 
bore  en  partie  ce!u;  do  S.  Marc,  \i\\\-,  con- 
formo  a  TordrL'  chrunologiquc,  ot  nou.-.  pla- 
Qons  I'incident  ^  wu-  e[ioquo  moin>  tardive 
do  la  vie  do  Jesus.  Voyez  I'llarmonie  cvan- 
gelique. 
15.  —  Quidam  autem...  C'^taient,  d'aprds 


222 

chasse  les  demons 
prince  des  demons. 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 

par  Beelzebub 


16.  Et  d'autres,  pour  le  tenter, 
lui  demanderent  un  signe  du  ciel. 

17.  Mais  comme  il  vit  leurs  pen- 
sees, il  leur  dit :  Tout  royaume  divise 
contre  lui-meme  sera  devaste,  et 
une  maison  tombera  sur  une  autre 
maison. 

18.  Or  si  Satan  est  divise  contre 
lui-meme,  comment  son  royaume 
subsistera-t-il?  car  vous  dites  que 
je  chasse  les  demons  par  Beelzebub. 

19.  Mais  si  moi  je  chasse  les  de- 


runt  :  In  Beelzebub  principe  dae- 
moniorum  ejicit  dfemonia. 

Mauh.  9,  34;  Marc.  3,  22. 

16.  Et  alii  tentantes,  signum  de 
coelo  quserebant  ab  eo. 

17.  Ipse  autem,  ut  vidit  cogita- 
tiones  eorum,  dixit  eis  :  Omne  re- 
gnum  in  se  ipsum  divisum  desola- 
bitur,  et  domus  supra  domum  cadet. 

18.  Si  autem  et  Satanas  in  se 
ipsum  divisus  est,  quomodo  stabit 
regnum  ejus?  quia  dicilis  in  Beelze- 
bub me  ejicere  deemonia, 

19.  Si  autem  ego  in  Beelzebub 


les  deux  aulres  synoptiques,  des  Pharisiens 
el  des  Scribes.  —  In  Beelzebub  (mieux  «  Beel- 
zebul  »)...  ejicit  deemonia.  Sur  ce  dieu  des 
Philislins,  dont  le  noin  eiail  devenu  chez  les 
Jiiifs  un  synonyme  de  Satan,  voyez  I'Evang. 
seion  S.  Matih.,'p.  209.  Voiia  Jesus  accuse 
de  complicite  avec  le  prince  des  demons! 
Par  une  caioninie  si  bardie  el  si  grossiere,  ses 
ennemis  esperaienl  ruiner  son  aulorile  au- 
pres  du  peuple.  Les  Talmndisles  I'onl  equi- 
valemnienl  reproduite,  quand  ils  ont  prelendu 
que  Nulre  Seigneur  operail  ses  miracles  a 
I'aide  de  foniiules  magiques,  dont  il  avait 
pui^e  la  connai<sance  en  Egypt''.  Bab.  Sihab. 
1.  404,  2;  43,  -1 .  Ge  qui  inspiraita  Lighlfoot, 
Hor.  hebr.  ad  Mailh.  x,  25,  celie  verle  re- 
piique  •  «  Lalrant  caluli  isli  (les  Talmudisles) 
siciil  a  cariibus  his  (les  Pharisiens)  edocli 
I'ueriint )).  Qu'il  suffisede  direavec  un  ancien: 
«  Ubi  ad  exlremuiu  Ccecitalis  venil  impielas, 
nullum  est  tara  maiiifeslura  Dei  opus  quod 
non  perviTlat  ». 

16.  —  Alii  tentantes,  signum  de  coelo... 
Ceite  demande  ne  fut  adressee  a  Notre-Sei- 
gneur,  suivant.  la  narration  plus  precise  de 
S.  Matthieu  (xii,  38),  qu'apres  qu'il  eut  re- 
fute I'accusation  des  Pharisiens.  S.  Luc 
unit  logiquemnnt  les  deux  reflexions,  parce 
que  chacune  d'elles  provoqua  une  parlie  de 
la  repon>e  de  Jesus.  «  Judaei  signa  petunt  », 
disail  S.  Paul,  I  Gor.  i,  22  pour  caracleiiser 
ses  anciens  coreligionnaires.  Abusanl  de  la 
bonle  de  Dieu,  qui  avail  prodigue  les  miracles 
en  leur  I'aveur,  ils  s'etaient  peu  k  peu  livres 
k  celle  facheuse  tendance. 

2»  Premier  point  du  discours  :  J^sus  refute  la  ca- 
lomnie  des  Pnarisiens.  ff.  17-26.  —  Parall.  .Matth. 
XII,  25-37,  43-43;  Marc.  lu,  22-30. 

Pour  les  details  du  commentaire,  voyez 
I'Evangile  seion  S.  Matlhinu,  p.  245  et  ss. 

<7  et  18.  —  Ut  vidit  r.ogitationes  eorum.  Le 
grecaelSws,  v(  cum  cognovisset  »  ;  la  S'ulgate 


aura  lu  iSwv.  ^e  substantif  6iavori(jia  n'esl  em- 
ploye qu'en  ce  passage  du  Nouvt-au  Testa- 
ment. —  Dixit  eis  L'apologie  du  Sauveur  se 
subdivise  en  deux  parties,  dont  I'une  est 
negative,  tt.  17-'! 9,  et  I'autre  positive, 
tt.  20-26.  Dans  la  premiere,  Jesus  se  con- 
tente  de  demonlrer  quM  n'esl  nuilemenl  I'as- 
socie  de  Beelzebub;  dans  la  seconde,  il  indi- 
que  la  vraie  cause  de  r^a  puissance  sur  les 
demons.  La  premiere  coniient  deux  raisonne- 
ments,  quisontdf'ux  appels  a  des  experiences 
diverses.  —  ]o  (j^.  n  et  18).  C'est  une  loi 
de  I'histoire  que  omne  regnum  in  se  ipsum  di- 
visum (SiaixepiffOsiCTa,  un  des  verbes  favons 
de  S  Luc)  desolabitur.  Le  royaume  infernal 
n'echappe  pomt  a  celte  loi.  Si  Jesus  ne  chasse 
les  demons  que  par  le  concouis  de  Satan  leur 
chef,  il  faudra  done  dire  quf  Satan  iravaille 
a  se  ruiner  lui-meme.  Quelle  absurdite!  — 
On  a  interprete  en  deux  si-ns  d liferents  les- 
mots  et  dumus  supra  domum  cadet.  Quelques 
commenlaleurs,  s'appuyant  sur  les  passages 
paraileies  de  S.  Matihieu  el  de  S.  Marc, 
sous-entendent  »  in  seipsam  divisa  »  apres 
a  domus  1),  el  supposni  que  Jesus  joint  a 
i'exemple  lire  de  la  politique  un  autre  exem- 
ple  pris  dans  la  vie  de  famiUe.  Mais,  la  phrase 
de  S.  Luc  paraissant  ne  se  preter  qu'avec 
peine  a  celte  interpretation,  la  plupart  des 
auteurs  la  regardi  nt  comme  un  developpe- 
ment  de  «  desolabitur  ».  Leg  guerres  inles- 
tinc^s  des  empires  amenenl  bientol  la  separa- 
tion et,  par  suite,  la  mine  dfS  lamilles,  qui 
tombent  tristement  les  unes  apres  les  autres. 
Ce  dernier  sens  nous  parail  eire  le  plus  vrai- 
serablable.  —  Quia  dicilis  me...  S.  Luc  a 
seul  conserve  celte  reflexion  finale  du  pre- 
mier raisonnement. 

19.  —  2°  L'argument  «  ad  hominem  » 
apres  l'argument  o  ex  concesso  ».  Si  vous 
pretendez  que  je  ne  reussis  a  expulser  f^ 
demons  qu'en  vertu  d'un  pacte  fait  av;  c 
Beelzebub ,   j'accuserai   semblablemeni   vos- 


CHAPITRE   XI 


223: 


ejicio  daemonia  :  filii  vestri  in  quo 
ejiciunt?  Ideo  ipsi  judices  vestri 
erunt. 

20.  Porro  si  in  digito  Dei  ejicio 
dsemonia  :  profecto  pervenit  in  vos 
regnum  Dei. 

21.  Gum  fortis  armatus  custodit 
atrium  suum,  in  pace  sunt  ea  quae 
possidet. 

22.  Si  autem  fortior  eo  superve- 
niens  vicerit  eum,  universa  arma 
ejus  auferet,  in  quibus  confidebat, 
et  spolia  ejus  distribuet. 

23.  Qui  non  est  mecum  contra 
me  est;  et  qui  non  colligit  mecum, 
dispergit. 


mons  par  Beelzebub,  par  qui  vos 
enfants  les  chassent-ils?  ils  seront 
done  eux-m^mes  vosjuges. 

20.  Et  si  c'est  par  le  doigt  de 
Dieu  que  je  chasse  les  demons,  as- 
surement  le  royaume  de  Dieu  est 
arrive  jusqu'a  vous. 

21.  Lorsque  le  fort  arme  garde 
Tentree  de  sa  maison,  tout  ce  qu'il 
possede  est  en  surete. 

22.  Mais  si  un  plus  fort  que  lui 
survient  et  triomphe  de  lui,  il  em- 
portera  toutes  ses  armes  dans  les- 
quelles  il  se  confiait  et  distribuera 
sesdepouilles. 

23.  Qui  n'est  pas  avec  moi  est 
centre  moi,  et  qui  ne  recueille  pas 
avec  moi  dissipe. 


disciples  {filii  vestri]  de  lenir  de  Satan  leurs 
pouvoirs  dVxorcisles.  EL  que  pouirez-vous 
me  repondre?  Eux-memes,  ils  demonlreront 
que  vous  m'avez  calomme. 

20.  —  Les  preuves  negatives  de  Jesusetaienl 
irrefutables;  mais  shs  arguments  positifs  se- 
ront encore  plus  forts  pouraneantir  le  hideux 
sophisme  de  ses  adversaires.  Nous  irouvons 
le  premier  dans  ce  verset.  —  Porro  si...  Cflle 
tournure  hypotheli(|ue  eslbien  mod(  sle,  a  la 
suite  des  raisonncmenls  victorieux  qui  prece- 
dent. Jesus  n'en  affirme  pas  moiiis  un  Fail 
tres  evident.  —  In  digito  Dei  :  belle  figure, 
qui  raftp^'lle  rexclamalion  des  sorciers  egyp- 
tiens  a  la  vue  des  prodii^es  operes  par  Moi-e  : 
«  Digitus  Dei  est  hic  »,  Ex.  vni.  19.  La  redac- 
tion de  S.  Mallhit^u  poite  «  in  Spirilu  Dei  ». 
C'est  la  meme  pensee,  moins  I'image.  — 
Pervenit  in  vos  regnum  Dei :  le  royaumo  mes- 
sianique  est  fonde.  Nolre-Seigneur  demonlre 
done,  par  eel  argument,  qu'il  est  muni  d'un 
pouvoir  irresistible  eonlre  I'empire  des  de- 
mons, par  consequent,  qu'il  est  le  Messie 
promis. 
21  et  22.  —  Seconde  preuve  positive,  qui 
f  consists  en  une  belle  allegoric,  exposee  par 
,  S.  Luc  d'une  maniere  plus  compleu;  et  plus 
vivante  que  par  les  deux  autres  narraleurs. 
Peut-6lre  etait-ee  en  parlie  une  reminis- 
cence d  Isale,  XLix,  24  et  25  :  a  Numquid 
tolletur  a  forti  piaeda?  aut,  quod  capium 
fuerit  a  robuslo  salvum  esse  poteril  ?  Quia 
haec  dicit  Dominus  :  Equidem  et  captivitas 
a  forti  tollclur;  et  quod  ablalum  fueril  a  ro- 
busto,  salvabitur  ».  —  Cum  forlis  armntus. 
«  Cum  »  (Stav)  signifie:  aussi  longtemps  quo. 
Dans  le  texle  grec,  Tadjectif  l^xvpi;  («  lor- 
tis  »),  pris  substartivement,  est  precede  de 


I'article ;  il  designe  done  un  personnage  de- 
termine, qui  n'est  autre  ici  que  Satan.  La 
belle  expression  xaOtouXiaixsvo;  n'est  employee 
qu'en  eel  endioit  des  Evangiles.  —  Alrium 
suum,  c'esi-a-dire,  au  figure,  le  monde  oil  le 
demon  regnait  en  mailre  avant  la  venue  de 
Nolro-Seigneur  Jesus-Christ.  Direclemenl, 
ocOXtj  represeiite  tantol  la  cour  qui  precede 
lin  edifice  important,  lantot,  et  c'est  iei  le 
cas  (comp.  Matlli.  xii ,  29,  «  in  domum  »), 
I'edifice  meme,  un  palais.  Gfr.  Brdschneider, 
Lex.  man.  s.  v.  —  In  pace  sunt.  Hebraisme, 
mSur^.  pour  dire  :  en  sureie.  — Si  aufem,  ina.\ 
Se,  mais  aussiiol  que  :  c'est  le  correialif  de 
oTav.  —  Fortior  eo.  Le  grec  a  d-  nouveau 
I'article,  6  iffx^p-j-cepo;.  Or  «  le  plus  fort  »  par 
opposition  au  prince  des  demons  n'est  autre- 
que  Jesus.  —  Superveniens  :  mii-ux  «  inva- 
dens  »,  car,  selon  la  juste  observation  de 
Kuinoel,  le  verbe  eTcepxeQat ,  employe  dans  le 
lexte  primilif,  si»  dit  su^tout  d'uiie  irruption 
hostile  (£ite'px£Tat,T6  a)ciro).£'[iio;  ti?  im  ttva  epx*- 
Tai,  Phavonnus).  —  Vicerit  eum  :  prompt  ro- 
sullal  du  duel  declare  a  Saian  par  Jesus.  — 
Unioersa  arma  ejus...,  spolia  ejus.  Ces  mots, 
qui  terminont  I'allegorii',  figurent  les  posse- 
des  gueris  par  le  Sauveur.  Les  substantifs 
grecsqui  leur  correspondent,  navonXiav  (gra- 
cieuse  expression,  la  pauoplie  de  Satan)  et 
ffxuXa,  ne  se  Irouvent  paa  ailleurs  dans  le 
Nouveau  Testament. 

23.  —  Troi'ieme  prouve  positive,  donnee 
comme  une  deduction  de  lonte  i'argumenta- 
tion  qui  precede,  et  montrant  qu'il  n'est  pas 
possible  de  demeurer  neutre  k  I'egard  de 
Jesus  dans  ia  lutle  a  outrance  qui  se  livre- 
entre  lui  et  les  demons.  Les  Irois  S[iou  repe- 
t^s  k  de  brefs  inlervalles  sont  pleins  d'em- 


224 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


24.  Lorsqu*un  esprit  impur  sort 
d'un  homme,  il  erre  en  des  lieux 
arides,  clierchant  le  repos,  et  ne  le 
trouvant  pas  il  dit  :  Je  retoiirnerai 
dans  ma  maison  d'oii  je  suis  sorti. 

2b.  Et  revenant  il  la  troiive  net- 
toyee  de  ses  ordures  et  ornee. 

26.  Alors  il  va  et  preud  avec  lui 
sept  autres  esprits  plus  mechants 
que  lui.  Et  etarit  entree  dans  cetle 
maison  ils  y  demeurent.  Et  le  der- 
nier (''tat  de  eel  homme  devient  pire 
que  Ic  premier. 

27.  Or  comme  il  disait  ces  choses, 
une  femme  dans  la  foule  elevant 
J  a  voix  lui  dit :  Heureux  le  ventre 
qui  vous  a  porle  et  les  mamelles 
que  vous  avez  sucees. 


24.  Cum  immundus  spiritus  exie- 
rit  de  homine,  ambulat  per  loca 
inaquosa,  quaerens  requiem  :  etnon 
inveniens,  die'*.  :  Revertar  in  do- 
mum  meam  unde  exivi. 

25.  Et  cum  venerit,  invenit  earn 
scopis  mundatam,  et  ornatam. 

26.  Tunc  vadit,  et  assumit  sep- 
tem  alios  spiritus  secum,  nequiores 
se,  et  ingressi  habitant  ibi.  Et  fiunt 
novissima  hominis  illius  pejora  prio- 
ribus. 

27.  Factum  est  autem,  cum  haec 

diceret  :  extollens  vocem  qusedam 
mulier  de  turba,  dixit  illi  :  Beatus 
venter  qui  te  portavit,  et  ubera  quae 
suxisti. 


phase.  Le  second  hemisliche,  qui  iioii  colli- 
(jit..,,  ne  differi?  du  premier  que  par  la  meta- 
phore  sai>issante  dont  il  revet  la  pensee. 

24-26.  —  Qiiairieme  argument  posilif,  dans 
lequel  Jesus  relorque  I'accusation  de  ses  en- 
nemis  el  leur  prouve  qu'ils  sont  eux-memes 
possedes  du  demon.  Gelte  nouvelle  allegorie 
conlienl  un  resume  parfailde  I'hisloire  juive, 
depuis  la  fin  de  la  captivite  babylonienne 
jusqu'a  I'epoque  de  Noire-Seigneur.  L'homme 
donl  le  demon  est  sorli  n'est  autre  en  effet 
que  la  nation  theocratique,  purifiee,  par 
les  souffrances  de  I'exil,  des  superslilions 
paiennes  qui  I'avaient  livree  au  pouvoir  de 
Satan.  Malhenreusement,  elle  s'elail  laissee 
ressaisir.  et  plus  forlemenl  que  jamais,  par 
le  prince  des  tenebres.  Aussi  son  etat  acluel, 
nous  en  avons  la  preuve  dans  les  sentiments 
d'hoslilite  qu'elle  manil'eslail  envers  son 
Messie,  etait-il  pire  que  sa  situation  anle- 
rieure.  Mais  elle  se  preparait  par  la  un  clia- 
liment  plus  terrible  encore  que  I'exil  de 
Babylone.  Voyez  I'Evang.  selon  S.  Matth. 
p.  2o3  et  ss.  A  part  quelques  expressions 
omises  ou  legeremenl  modiliees.  la  redac- 
tion de  S.  Luc  est  ici  complelemont  iden- 
tique  a  celle  de  S.  Matthieu  :  loutefois  nos 
irois  versets  n'occupent  pas  la  meme  place 
dans  les  deux  recils.  Le  premier  Evangile  les 
rejelle,  peul-etre  avcc  plus  de  precision,  k 
la  fin  de  I'apologie  du  Sauveur, 

3"  Deux  bcalitud  8.  ff.  27  et  28. 

Le  Portable  Commeitary  dit  a  bon  droit 
que  nous  avons  dans  ces  deux  versets  un 
«  petit  incident  delicieiix  et  profondement 
instructif  ».  Quelle  vie  en  effet,  quel  naturel, 
quelle  fraicheurl  mais  aussi  quelle  grave  et 


belle  leQonlC'est  une  des  plus  inieressantes 
parlicularites  de  S.  Luc. 

27.  —  Factum  est  autem  cum  hoec  diceret. 
Jesus  fut  done  tout  a  coup  inlerrompu  dans 
son  discours;  ou  du  moins  I'heroine  de  cet 
episode  profita,  pour  donner  un  libre  cours  k 
I'enlhouiiasme  qui  la  pressait,  d'une  courle 
pause  que  le  divin  orateur  fit  sans  doute 
avant  de  passer  au  second  point  qu'il  avail  k 
trailer.  —  Extollens  vocem.  a  Emphasim  ha- 
benl  verba,  dil  Ires  bien  Maldonat ;  magnum 
enim  declarat  affectum,  magnamque  fidem 
in  clamorem  erumpentem.  Et  intimis  animi 
sensibus  loquebatur,  quae  quanta  poleral 
maxima  conlentione  clamabat.  »  Cfr.  Euihy- 
mius,  h.l.  Par  leur  atroce  calomnie,  les  Ph'a 
risiens  n'avaient  pas  reussi  a  tromper  cette 
fims  candide.  Mais  ne  dirait-on  pas  qu'ils  ont 
Iransmis  leurs  sentiments  d(^  haine  a  ces 
exegetes  proteslanis,  malheureusempnt  trop 
nombreux,  qui  ne  voienl,  dans  rexclamation 
naive  et  touchante  de  Thumble  femme, 
qu'  «  une  admiration  inintelligente  du  mer- 
veilleux  Thaumaturge  et  predicateur  ».  que 
«  le  premier  exemple  de  cet  esprit  de  Mario- 
latrie  (qu'on  nous  pardonne  de  copier  ces 
lignesl]  qui  a  plus  tard  penetre  dans  I'Eglise 
pour  la  corrompre,  et  qui  aujourd'hui,  dans 
la  ville  de  Rome  comme  cj  de  nombreuses 
contrees  'nlholiques,  place  la  Vierge  Marie 
au-dessus  a\  Fils  qu'elle  a  porle  dans  son 
sein!  »  —  Qiiccdam  nnilier  de  turba.  G'etait 
probablemenl  une  mere,  comme  il  ressort  de 
son  langage.  —  Ses  paroles,  beatus  venter...  et 
ubera...,  deponillees  de  leur  velement,  figurd, 
reviennent  a  dire  :  Ohl  que  voire  mere  est 
heureusel  Le  Talmud  et  les  ouvrages  clas- 
siques  abondent  en  felicitations  semblables. 


CHAPITRE   XI 


223 


28.  At  ille  dixit  :  Quinirao,  beali 
qui  aiidiunt  verbum  Dei,  et  custo- 
diunt  illud. 

29.  Tui'bis  aiitem  concurrentibus 
coepit  dicere  :  Greneralio  haec,  ge- 
neralio  nequam  est  :  signum  quse- 
rit,  et  signum  non  dabitur  ei,  nisi 
signum  Jonse  prophetse. 

Match.  12,  39. 

30.  Nam  sicut  fuit  Jonas  signum 
Ninitivis;  ita  erit  et  filius  hominis 
geuerationi  isti. 

Jon.  2,  1. 


28.  Mais  11  dit  :  Heureux  plutot 
ceux  qui  ecoutent  la  parole  de  Dieu 
et  qui  la  gardent. 

29.  Gomme  la  foule  accourait,  il 
commenca  a  dire  :  Gette  generation 
est  une  generation  mauvaise.  EUe 
demande  un  signe  et  il  ne  lui  sera 
point  donne  de  signe,  si  ce  n^est 
le  signe  du  prophele  Jonas. 

30.  Gar  comme  Jonas  fut  un  signe 
pour  les  Ninivites,  ainsien  sera-t-il 
du  Fils  de  I'homme  pour  cette  ge- 
neration. 


nnS'  'TJN,  lison>-nous  dans  l(^  ecrils  des 
Rabbins;  on  encore  :  «  Israelilae  dicent, 
Felix  hora  qua  creatus  est,  felix  uterus  ox  quo 
prod  lit.  »  Tpt;  [idxape;  jaev  aoi  ys  naiiip  xai 
uoTvia  (i^^TYip,  Horn.  Od.  Vll,  154.  'OXSioi;  8;  d' 
|ipijT£y(T£,  v.a.1  6),6iYi  9\  xe'xe  \tyixy\p,  FadTi^p  ij  o' 
eX6x£«(7£,  [laxapTdTY],  Mu-seu?,  V.  138.  «  0  fe- 
licem,  inquil,  malrem  tuam  quae  le  peperit,  » 
Pelrone,  94.  Cfr.  Ovide,  Metam.  iv,  321. 

28.  —  C'esl  ici  la  reponse  de  Jesus.  Le  Sau- 
veur  ne  conteste  pas  la  verite  de  I'eloge 
adresse  a  sa  sainte  Mere.  Marie  elle-mdme, 
divinement  inspiree,  s'etait  ecriee  dans  son 
cantique,  i,  48  :  «  Ecce  enim...  bealam  me 
dicenl  omnes  generationes  »,el  lous  les  jours 
les  prieres  lilurgiques  nous  font  redire  :  Heu- 
reux le  sein  qui  vous  a  porte!  heureuses  les 
maoielles  qui  vous  ont  allaite!  Mais  NoLre- 
Seigneur  aimail  a  elever  toujours  ceux  qui 
I'ecoutaienl,  vers  des  spheres  superieures. 
C'esl  ainsi  que,  ddja  a  propos  de  sa  Mere, 
vHi,  20  el  24,  il  avail  prononc^  ce  mot  su- 
blime :  «  Maler  mea  el  fratres  mei  hi  sunt 
qui  verbum  Dei  faciunt  et  audiunt.  »  De 
meme  actuellement,  opposanl  un  fait  a  un 
autre  fail,  il  affirms  que  mioux  vaul  lui  etre 
uni  inlimemenl  par  I'obeissance  que  par  des 
relations  purement  exlerieures.  C'elail  dire 
en  termes  indirecls  que  Marie  etail  deux  fois 
bienheuieuse.  «  Eadem  autem  Dei  Gcnitrix, 
el  inde  quidem  beata,  quia  Verbi  incarnandi 
ministra  est  facta  temporalis,  sed  inde  multo 
beatior.  quia  ejusdem  semper  amandi  custos 
manebal  aeti>rna.  »  Ven.  Bede,  h  I.  Ou, 
comme  s'exprime  S.  Auguslin,  «  malerna 
propinquilas  nihil  Mariae  profuisset,  nisi  feli- 
cius  Christum  corde  quam  carne  gesttisset. 
Beatior  ergo  Maria  percipiendo  fidem  Chrisli 
quam  concipiendo  carnem  Chrisli.  »  —  Qui- 
nimo  («  imo  vero  »)  est  une  bonne  Iraduclion 
de  la  parlicule  composee  [xevoOvye,  doni.  Sui- 
das  donne  la  paraphrase  suivanle  :  to  aXr]9e'i;, 
(jiaXXov  (ifev  ouv.  «  Uuque  »  ne  rendrail  ici  la 
pensee  qu'imparfaitement.  Custodiunt  equi- 


vaul  a  «  faciunt,  vita  faclisque  exprimunt.  » 

4»  Deuxifeme  point  du  discours  :  Le  sictne  du  del. 
ff.  29-36.  —  Parall.  Malth.  xti,  33-42. 

29  el  30.  —  Turbis  concurrentibus  est  un 
trait  dramatique,  propre  a  S.  Luc.  Le  verbe 
grec  Eua9poti;ou.£va)v,  qui  designe  un  immense 
.  concours  de  peuple,  n'est  employe  qu'en  cet 
endroit  du   Nouveau   Testament.    —  Conpit 
dicere.  «  Dupiici  Dominus  fueral  queeslione 
pulsalus  :  quidam  enim  calumiiiabunlur  eum 
in  Beelzebub  ejecisse  daemonia,  quibus  hacle- 
nus  est  responsura,  ol  alii  lenlantcs  signum 
de  ccelo  quaerebanl  ab  eo,  quibus  abhin'c  res- 
pondere  incipit.  »  Ven.  Bede,  h.  1.  CIV.  1. 16 
«  Coepit  »   est   pitloresque    :   souvent    nous 
avons  vu  S.  Luc  metlre  en  relief  par  celto 
expression  le  debut  des  discours  de  Jesus.  — 
Generatio  nequam :  dans  le  premier  Evangile, 
a  I'epilheie  de  irovripd  le  Sauveur  ajoute  celle 
de   (xotxaXti;,  a  aiiullera.    »   Par  ce  jugemenL 
terrible,  mais   irop   bien    merite,  Notre-Sei - 
gneur    motive   d'avance   son    refus,   signum 
non  dabitur  ei.  Pourquoi  auraiL-il  egard  aux 
desirs  d'uue  race  si    perverse,  qui   ne   lienl 
aucun  comple  des  nombreux  miracles  qu'il  a 
operes  en  signe  de  sa  mission  divine?  Nean- 
moins,  il  rcnvoie  solennellem/nl  les   Phari- 
sietis,  comme  dans  une  circon>lance  ante- 
rieure  de  sa  vie  publique  (Joan,  ii,  18  el  ss.l. 
a  i'eclatant  prodige  de  sa  resurreclion.  Tel 
est  le  signum  Jonce  {prophetce  est  omis  par  les 
meilleuis  manuscrit>)    qu'il   leur   promet  eii 
ce  moment.  Voyez  I'Evangile  selon  S.  .Matlh. 
p.  231  et  ss.  —  Nam  siut  fuit...  Euthymius 
resume  en  quelques  mols  heureus^menl  clioi- 
sis  le   caraclere  du  signe  auquel  Nolre-Sei- 
gm^ur  fait  allusion.  Jonas  fut  uu  signe  pour 
les  Ninivites  oti    UTtJo^utio;    ex    tti;    xoiXia?   toO 
xTJToui;  £ppu(j9if)    Tpiyi(x.£po;.  Jesus    fut    un    signe 
pour  les  Juil's  ses  contemporains  on  Oixepfwo; 
EX  TYJ;   xoiXta;  t^;    y^?    ivia-zr^   xpiriaepoi;.  Cl'r. 
Malih.  XII,  40,  oil  la  pensee  du  divin  Maitre 
est  plus  pleinemenl  exprimee. 


S.  Bible.  S.  Luc.  —  15 


226 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


31.  La  reine  du  midi  se  levera 
au  jugement  avec  les  hommes  de 
cetle  genefation  et  les  condamnera, 
car  elle  vint  des  extremites  de  la 
terre  ecouter  la  sagessede  Salomon^ 
et  il  y  a  ici  plus  que  Salomon. 

32.  Les  hommes  de  Ninive  se  le- 
veront  au  jugement  avec  cette  ge- 
neration et  la  condamneront;  car 
ils  ont  fait  penitence  a  la  predica- 
tion de  Jonas,  et  11  y  a  ici  plus  que 
Jonas. 

33.  Personne  n'allume  une  lampe 
et  ne  la  met  en  un  lieu  cache  ni 
sous  le  boisseau,  mais  sur  un  can- 
delabre  afin  que  ceux  qui  entrent 
voient  la  lumiere. 


31 .  Regina  Austri  surget  in  judi- 
cio  cum  viris  generationis  hujus, 
et  condemnabit  illos  :  quia  venit  a 
finibus  terras  audire  sapientiam  Sa- 
lomonis;  et  ecce  plus  quam  Salo- 
mon hie. 

///.  Reg.  lO.Jl;  //  Pat  al.  9,  1. 

32.  Viri  Ninitivae  surgent  in  ju- 
dicio  cum  generatione  hac,  et  con- 
demnabunt  illam  :  quia  poeniten- 
tiam  egerunt  ad  prsedicationem 
Jonse,  et  ecce  plus  quam  Jonas  hie. 

Joan.  3,  5. 

33.  Nemo  lucernam  accendit,  et 
in  abscondito  ponit,  neque  sub  mo- 
dio;  sed. supra  candelabrum,  ut  qui 
ingrediuntur  lumen  videant. 


31  et  32.  —  Deux  exemples  pour  legitiraer 
ras^ertion  du  t.  29  :  «  Generalio  haec  ge- 
neratio  nequam  est.  »  Ils  sont  presenies 
par  S.  Matihieu  dans  un  ordre  inverse,  les 
Ninivites  passant  avanl  la  reine  de  Saba, 
peut-etre  parce  qu'il  avait  ele  question  de 
Jonas  immediatement  auparavant,  II  est  im- 
possible de  dire  avec  certitude  quel  fut 
I'agencement  primitif.  —  Regina  austtn. 
Dans  le  grec,  PaatXnyna  n'est  pas  accompagne 
deTarlicle;  mais.  comme  le  dit  Butlmann 
dans  sa  Giammaire  grecque,  §  124,  8,  «  cette 
omission  est  fi'equente  poiii'  les  substantifs 
qui  sont  individualises  d'une  mai;iere  suffi- 
sante  par  le  contexte  ».  ot  tel  est  bien  ici  le 
cas.  —  Surget...  surgent  in  judicio  :  Iv  r?) 
xpi<7£i,  le  jugement  par  excellence,  les  grandes 
assises  de  la  fin  des  temps.  Alors  la  reine  de 
Saba  et  les  Ninivites  condamneront  la  gene- 
ration incredule  qui  aura  ete  contemporaine 
de  Jesus.  —  A  part  un  mot  {viris,  t.  31) 
ajoute  dans  le  tioisieme  Evangile,  la  ressem- 
blance  des  recils  paialleles  estabsolue  en  cet 
endroit.  Nous  n'avuns  qu'une  explication 
nouvelle  a  fournir,  encore  serace  un  eniprunt 
fait  a  M.  Schegg,  Evang.  nach  Lukas,  t.  II, 
p.  '191  :  «  Salomon  represente  la  manifesta- 
tion de  la  divine  sagesse  dans  I'Ancien  Testa- 
ment, Jonas  celle  de  la  divine  puissance  :  en 
Jesus-Christ,  ces  deux  attnbuts  sont  unis  et 
se  manifestent  avec  une  plenitude  inconnue 
jusqu'alors.  Si  done  il  est  plus  que  Salomon 
et  que  Jonas,  combien  grand  doit  etre  le 
peche  d'lsrael  qiti  ne  I'ecoute  pas  et  ne  croit 
point  en  lui,  puisque  des  palens  ont  ecoule 
et  ont  cru,  alors  que  Dieu  se  revelait  a  eux 
dans  une  mesiiro  beaucoupplus  limiteel  » 

33.  —  La  liaison  des  pensees  presente  ici 
queique  difficulle,  et  les  commentateurs  ne 


sont  guere  d'accord  pour  la  determiner.  Plu- 
sieurs  memo,  s'appuyant  sur  I'omissioa  des 
1ft.  33-36  dans  le  passage  parallele  de  S.  Mat- 
ihieu, n'ont  pas  craint  de  supposer  que  notre 
evangeUste  les  avait  detaches  de  leur  place 
primitive  pour  les  inserer  en  cet  endroit.  Sans 
aller  aussi  loin,  d'autres  renoncent  siraple- 
ment  a  etablir  une  connexion,  croyant  la 
tentative  mutile.  Nous  dirons  lo  que  S.  Luc 
a  uni  ces  paroles  au  discours  apologetique 
de  Jesus  parce  que  Notre-Seigneur  les  avait 
reellement  proferees  alors,  comme  un  grave 
averlissement  qu'il  doonait,  en  terminant,  a 
lout  son  au'litoire  ;  2°  que  les  tf.  33-36  ren- 
ferment  des  sentences  generates,  applicables 
a  bien  des  -ujets,  et  repetees  pour  ce  motif 
en  differenles  occasions  par  le  divin  Maitre. 
Cfr.  VIII,  -leiMatth.  v,  15;  vi,  22  et  s. ; 
Marc.  IV,  21 ;  3"  que  I'enchalneraent,  quoique 
obscur  en  realite,  peut  neanmoins  etre  fixe 
raisonnablement  de  la  maniere  suivanle  :  La 
resurrection  de  Jesus  est  un  signe  destine  a 
repandre  partout  les  plus  brillantes  claries, 
t.  33 ;  mais  la  lumiere  ne  luit  bien  que  pour 
ceux  dont  les  yeux  sont  en  parl'ail  etat, 
t.  34;  que  chacun  veille  done  a  la  bonne 
constitution  de  sa  vue  spirituelle  et  morale, 
ifir,  33  et  36.  —  Nemo  lucernam...  Voyez 
VIII,  16  et  le  commenlaire.  Les  expressions 
in  abscondito  (au  lieu  de  «  operit  vase  »)  et 
sub  modio  (au  lieu  de  «  subtus  ledum  »)  don- 
nent  ici  un  nouveau  decor  k  la  pensee.  La 
premiere  a  regu  deux  interpretations  legere- 
ment  nuancees  :  ceux  qui  lisenl  ei;  xpuirTiiv 
(scil.  x^^pav,  ellipse  a  la  fagon  de  eU  (Aiav,  eU 
(Aaxpav)  iraduisent  comme  la  Vulgate  (un 
lieu  cache  en  general);  ceux  qui  preferent  la 
leQon  els  xpy7r-cr,v  (avec  la  premiere  syllabe 
aceentuee),  et  nous  sommes  de  ce  noinbre, 


CHAPITRE   XI 


S27 


34.  Lucerna  corporis  tui  est  ocu- 
lus  tuus.  Si  oculus  tims  fuerit  sim- 
plex, totum  corpus  tuum  lucidum 
erit :  si  autem  nequam  fiierit,  etiam 
corpus  tuum  tenebrosum  erit. 

Mallh.  6,  22. 

3b.  Vide  ergo  ne  lumen  quod  in 
;te  est,  tenebrse  sint. 

36.  Si  ergo  corpus  tuum  totum 
lucidum  fuerit,  non  habens  aliquam 
partem  tenebrarum,  erit  lucidum 
totum,  et  sicut  lucerna  fulgoris  11- 
luminabit  te. 


34.  Votre  oeil  est  la  lampe  de 
votre  corps.  Si  votre  ceil  est  net 
tout  votre  corps  sera  lumineux, 
mais  s'il  est  mauvais  votre  corps 
aussi  sera  tenebreux. 

3b.  Prenez  done  garde  que  la 
lumiere  qui  est  en  vous  ne  soit  te- 
nebres. 

36.  Si  done  votre  corps  est  tout 
entier  lumineux  sans  aucun  me- 
lange de  tenebres,  tout  sera  lumi- 
neux et  vous  serez  eclaire  comme 
par  une  lampe  brillante. 


font  de  xpuiTXT)  un  substaiiiif  qui  designe  une 
cave,  un  lieu  souterrain  (une«  crypte  »  comrae 
nous  disons  aussi).  La  varianie  etc  -/puTtrov 
du  Text,  recepl.  est  regardee  comme  sans 
valeur,  car  elle  n'est  soutenue  que  par  de 
rares  documents.  —  Sur  la  seconde  expres- 
sion, comparez  Malth.  v,  \o  et  I'explicalion. 

34.  —  Trois  ventes  familieres,  choisies  dans 
le  champ  de  noire  experience  quotidienne, 
pour  expli<juer  plus  forlemenl  des  notions 
superieures.  Premier  fait  bien  evident  et  gra- 
cieusement  exprime  :  nos  yeux  sent  la  lampe 
[lucerna]  qui  eclaire  noire  corps.  Second  fait : 
si  nos  yeux  sont  simples  (a7r>,ou;),  c'esl-a-dire 
sains,  lout  notre  dire  physique  sera  lumineux. 
Troisieme  lail  :  si  nos  yeux  sont  malades 
[nequam  an  figure,  comme  simplex],  nous 
marcherons  dans  les  lenebres.  De  m§me  au 
moral,  pour  reconnaitro  le  vrai  role  de  Notre- 
Seigneur  Jesus-Chrisi.  —  Voir  dans  i'Evang. 
selon  S.  Mallh.  p.  136  et  s.,  I'explicalion  de- 
laillee  de  ce  versei  et  du  suivanl. 

35. —  Vide  ergo  ne...  Telle  est  bien  la  vraie 
iraductioii  du  grec  crxoTTEt  oiv  (iiq  ;  celledeRo- 
senmiiller  et  de  plusieurs  autres  commenla- 
leurs,  «  con«:idera  num  )i,  est  incxacle.  — 
Nousavons  ici  une  application  etune  deduction 
(les  fails  d'cxperience  menlionnes  plus  haul. 
Puisque  Tojil  est  pour  nous  un  organe  si  im- 
portant, il  faut  veiller  sur  lui  avec  un  tres 
grand  soin.  Mais  il  est  plus  urgent  encore  de 
prendre  garde  a  noire  oeil  interieur  [lumen 
quod  in  te  est),  h  noire  lumiere  morale  ;  que 
deviendrions-nous  en  effet  si  celle  lumiere, 
n^cossaire  pour  nous  conduire  a  Jesus,  elait 
tran-^formee  par  nos  passions  en  de  sombres 
lenebres  ? 

36.  —  Reprenant,  dans  ce  verset  qui  est 
propre  a  S.  Luc.  son  raisonnement  anterieur 
[t.  34),  Jesus-Christ  depeint  sous  les  plus 
vives  couleurs  lesprecieux  avantagesque  pro- 
curent,  an  propre  et  surtout  au  figure,  des 
yeux  sains  et  limpides.  II  sembie  pourlant  au 


premier  aspect  que  le  second  hemisiiche  se 
borne  a  repeter  la  pensee  du  premier  :  Si.,, 
corpus  tuum  totum  lucidum  fuerit....  erit  luci- 
dum totum.  A\iss'\  des  lecieurssuperficiels  onl- 
ils  crie  a  la  taulologie;  M.  Reuss  lui-meme 
n'a  vu  dans  ce  versei  qu'«  une  assez  froide 
redite  »  (Hisloire  evangelique,  Paris  1876, 
p.  454).  Mais,  sans  recourir,  comme  on  I'a 
fait  quelquefois,  a  des  conjectures  sans  fon- 
demenl  (par  exemple,  lire  lazoX  cwteivov  tJ 
oXov,  ou  jotat  9«oT£tv6v  6).o6v,  ou  encore  6\i\t.ct 
au  lieu  de  ffw^xa;  elfacor  le  premier  6),ov; 
transformer  la  ponclualion  comme  il  suit  : 
ei  oiv  to  owfid  aou  oXov,  (pco-cetvov  [ii?i  ex*^^  ?* 
(xepo;,  (TxoTstvov,  eiTTai  tpwreivov  oXov,  «  quamvis 
essel  corpus  tuum  totum,  nullam  habens  lu- 
cidam  partem,  tenebrosum,  erit  lucidum  to- 
tum »),  il  est  aise  de  venger  de  ce  reproche 
la  parole  du  Sauveur.  Pour  cola  il  suliil,  sui- 
vanl I'heurcuse  suggestion  de  Meyer,  adoptee 
par  la  plupart  des  commentateurs  modernes, 
de  faire  porter  I'idee  principale  sur  o),ov 
[totum)  dans  la  premiere  moilie  du  verset, 
sur  ipcoTstvov  [lucidum]  dans  la  seconde,  el  d'en- 
visager  les  mots  non  habens  aliquam  partem 
tenehrarum  comme  un  devehppement  du 
premier  «  totum  »,  la  phrase  ct  sicut  lucerna 
fulgoris...  comme  un  developpement  du  se- 
cond «  lucidum  ».  On  oblionl  alors  ce  sens, 
qui  n'est  nuUement  tautologique  :  Si  done 
votre  corps  TouTENTiEResl  lumineux,  n'ayant 
pas  la  plus  petite  parcelle  de  lenebres,  alors 
il  sera  aussi  lumineux  que  s'il  etail  eclaire 
par  une  lampo  brillante  (voyez  Bisping, 
Erklaerung  der  Evangel,  nach  Markus  u. 
Lukas,  2e  ed.  p.  321).  S.  Paul  donne  une 
sublime  explication  de  ce  passage  quand  il 
ecrit,  II  Cor.  in,  18  :  «  Nos  vero  omnes,  re- 
velala  facie  gloriam  Domini  iJesu)  speculan- 
tes,  in  eamdem  imaginem  translormamur  a 
claritate  in  clariiatem,  lamquam  a  Domini 
Spiritu  ».  Voila  bien  en  effet  ce  que  voulait 
due  le  Seigneur  Jesus. 


2:'8 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


37.  Pendant qu'il  parlait,  uuPha- 
nsien  le  pria  de  manger  chez  lui. 
Elant  done  entre  il  se  mit  a  table. 

38.  Or  le  pharisien,  reflechissant, 
commenca  a  se  demander  pourquoi 
il  ne  s'etait  pas  lave  avant  le  repas. 

39.  Et  le  Seigneur  lui  dit  :  Vous 
autres,  Pharisiens,  vous  neltoyez 
.e  dehors  de  la  coupe  et  du  plat, 
mais  ce  qui  est  au  dedans  de  vous 
est  plein  de  rapine  et  d'iniquite. 


37.  Et  cum  loqueretur,  rdgavit 
ilium  quidam  Pharisaeus  ut  pran- 
deret  apud  se.  Et  ingressus  reou- 
buit. 

38.  Pharisaeus  autem  coepit  intra, 
se  reputans  dicere,  quare  non  tap- 
tizatus  esset  ante  prandium. 

39.  Et  ait  Dominus  ad  ilium  : 
Nunc  vos,  Pharisaei,  quoddeforis  est. 
calicis,  et  catini,  mundatis ;  quod 
autem  intus  est  vestrum,  plenum- 
est  rapina  et  iniquitate. 

Matlh.  23,  S5. 


8.  Premiere  malediction  centre  les  Phari- 
siens et  les  Scribes,  m,  3T-o4. 

L'occasion.  y}.  37  el  38. 

37.  —  Par  les  mo  is  cum  loqueritur,  S.  Luc 
montre  avec  sa  precision  accoutumee  que  ce 
nouvel  epi-ocle  suivii  de  ires  [)res  celui  aiiquel 
avail  doiine  lieu  rin-hgiie  calomnip  des  Pha- 
risiens. —  Bogavit  ilUun  quidam  Phmiswus... 
L'invilalion,  les  fails  le  prouveronl  bieiUol, 
etail  loin  de  pai  lird'uncoRur  bon  el  loyal.  Elle 
avail  sans  doute  ete  combinee  par  les  enne- 
mis  de  Jesus  pendanl  sa  vigoureuse  apologia, 
comme  un  nioyen  de  Tobserver  de  plus  pres, 
a  huis  clos,  el  de  le  coinpromeitre  par  des 
qut'Slions  in-:idieuses.  Cfr.  xiv,  I. —  Utpran- 
deret.  La  Vulgate  a  fori  bien  traduil  le  verbe 
grec  ipia-riQ'TTj,  (lui  ne  designe  pas  la  «  ccena  » 
ou  repas  du  soir,  mais  le  «  prandium  »  ou 
second  deji  uner,  qu'on  prenait  vers  midi 
comme  mius  faisons  en  France,  quelques 
heures  apres  le  « jenlaculum  »,  peiil  dejeuner 
du  malin.  Cfr.  xiv,  -12  et  16  (dans  le  lexte 
grec),  oil  S.  Luc  distingue  ces  deux  repas.  Voir 
aussi  A.  Piich,  Dictionn.  des  anliquiles  rom. 
et  greC(i.  au  mot  Prandium.  —  Ingressus  re- 
cubuit  (av£;t£C£v,  «  acciibuil  ad  inensam  »,  a 
la  fagoii  de  I'Orienl).  Ces  deux  verbes,  juxta- 
poses a  drssein  par  I'evangelisle,  signiaent 
qu'a  peine  enlre  Jesus  se  mit  a  table  sans 
s'inquieter  d'aulre  chose. 

38.  —  PhariscBus...  coepit  intra  se  repu- 
tans dicere  quare...  Le  grec  porte,  avec  une 
legere  variant e  :  'O  oe  $ap'.(7ato;  ISwv  eOautiacsv 
o-t —  a  Pharisaeus  autem  quum  vi-Jisset  ad- 
miratiis  esl  quod...  »  La  leQon  de  la  Vulgate 
n'esi  appuyee  que  par  leCod.  D.  L'amphyinon 
lie  semble  pas  avoir  manifesie  au  dehors  I'e- 
lonnemenl  que  lui  causait  romission  de 
Jesus.  «  Apud  S'^ipsum  Pharisaeus  cngiiavil, 
vocem  non  soiiuit.  Ille  tamen  audivil,  qui  in- 
teriors cerni'bat  ».  S.  August,  da  Verbis 
Dom.  Serm.  xxx.  —  Non  (le  grec  ajoute  un 
itpwTov  emphalinue :  avant  loules  choses)  bapti- 
satus  est.  Selon  toute  vraiseinblance  le  verbe 


^%--'C(i}  ne  designe  pas  ici  un  bain  complet, 
mais  une  simple  immersion  des  mains  el  de- 
I'avanl-bras.  Sur  cdte  cereraonie  et  sur  I'im- 
porlance  qu'y  altachait  I'ecole  pharisaique,. 
voyez  I'Evang.  selon  S.  Matlh.,  p.  301,  et 
I'Evang.  selon  S.  Marc,  p.  lOS-iOS.  Le  scan- 
dale  du  Pharisien  dui  elre  d'autant  plus  gi  and 
que  Jesus  revenait  d'aupres  d'une  toule  con- 
siderable, el  qu'il  s'etait  mis  en  contact  avec 
un  impurpossede. 

39.  —  Et  ait  Dominus.  Expression  solen- 
nelle  :  c'est  comme  Seigneur  que  Jesus  va 
parler.  On  a  remarque  depuis  longlemps  que 
son  discours  presenle  une  ressemblance  frap- 
panle  avec  celui  qui  est  relate  au  xxiii^  chap. 
de  S.  Mallhien.  Mais  chacun  des  narraleurs 
fixe  si  neltement  Ins  dates  en  ce  double  pas- 
sage, el  ces  dales,  de  meme  que  les  localites, 
different  tellement,  qu'il  est  impossible  de  ne 
pas  admeitre  une  repetition  des  meraes  ve- 
rites  (levant  divers  audiloires.  Telle  etail 
deja  I'opinion  de  S.  AugusUn  :  «  Haec  omnia 
Mallhaeus  iiariai  esse  dicla  postquam  Domi- 
nus in  Jerusalt'm  veneral;  Lucas  autem  hie 
narrat,  cum  adhuc  Do:iiinus  itT  agerel  in 
Jerusalem.  Unde  mihi  similes  videntur  esse 
scriuones;  quorum  ille  altc^rum.  i»tr'  alieiu-n 
n.^iiiivit  ».  De  cons.  Evang.  I.  n,  c.  75. 
D'ailleurs,  dansle  lroi>iemi'Evangili'.  lesidees 
sont  moins  developpees.  el  puis,  ce  ne  sont 
pas  seulemenl  les  Pharisiens.  mais  aussi  les 
Scribes,  qui  reQoivent  les  maledictions  de 
Jesus.  Cfr.  t.  45  et  ss.  Cetle  autre  diffe- 
rence proiive  encore  que  les  deux  discours  ne 
sont  pas  compleli^ment  paralleles.  Le  Sauveur 
aura  done  flagelie  uue  premiere  Ibis  les  vices 
de  ses  enneinis  devant  un  audiloire  plus 
reslreinl,  avant  de  fulminer  contre  eux,  a 
Jerusalem  meme,  sous  les  portiques  du  temple 
et  en  presence  d'une  foule  immense,  son  grand 
requisiloire.  Cfr.  xx,  45-47.  —  Nunc,  vos 
Phariscei.  Jesus  ne  s'adresse  pas  exclusive- 
menl  a  celui  qui  I'avail  invite,  mais  aux  con- 
vives en  general,  car  ils  appartenaient  lous 
sans  doute  a  la  secte.  On  a  ose  trouver  mau- 


CHAPITRE  XI 


229 


40,  Stulti,  nonne  qui  fecit  quod 
•deforis  est,  etiam  id,  quod  deintus 
•est,  fecit? 

41.  Verumtamen  quod  superest, 


40.  Insens^,  celui  qui  a  fait  le 
dehors  n'a-t-il  pas  fait  aussi  le  de- 
dans? 

41 .  Gependant de  ce  qui  vous  reste 


vais  que  Notre-Seigneur  ail   lance  des  re- 
iproches  si  energiqiies  contre  un  homme  dont 
il  avail  accepLe  riio^pilalile,  el  ct  la  dans  sa 
propre  maison,  a  sa  propre  table.  Mais  Jesus 
avait  des  motifs  sufiisanls  pour  s'ecarier  en 
•cette  occasion  des  lois  ordinaires  du  «  deco- 
rum »  humam.  Toujours  aimable  el  condi'S- 
cendant  a  i'egard  des  pecheiirs  meme  les  plus 
'degrades,   il   s'est  toujours    monlre   severe, 
inexorable ,   a    i'egard    des    hypocrites   qui 
^alaicnt  son  peuple  :  ce  roi  de  verite  ne  peut 
supporter  le  mensonge,  et  il  a  bien  le  droit 
de  le  ddma^qiier  partout,    m^me    chi'Z    un 
-ampliylrion  deloyal  (voyez  le  t.  37  el  I'expli- 
calioii).  Ans-i  Ebrard  repondail-il  de  la  ma- 
niere  la  plus  heureuse  a  cctle  objection  de 
•Strauss  •  «  Je  puis  certifier  a  Straus-;  que,  si 
Notre-Seigneur  s'asseyait  de   nosjoursa  sa 
table,  il  serail  lout  aussi  peu  civil  »  (cite  par 
Slier,  Reden  des  Herrn,  h.  1.).  Cfr.  S.  August., 
de  Verb.  Dom.  Serm.  xxxviii.  —  L'adverbe 
•vOv,  qui  ouvre  d'une  fagon  ass'z  etraiige  la 
vigoureuse  plaidoirie  de  JesurJ,  a  ele  diverse- 
ment  explique.  Suivanl  Meyer,  il  serail  place 
la  pour  opposer  les  vices  actuels  des  Phari- 
siens  a  un  meilleur  «   quondam  ».  D'aulres 
le  iraduisent  par  «  voici  »,  comme  s'il  etail 
■synonyme  de  I'hdbreu  r\2n.  Peul-elrc  est-il 
plus  simple  d'en  faire  un  synonymede  xal  vOv, 
c'esl-a-dire  une    particule  de  transition  ana- 
logue au  J  jam  »  desLatins.  Cfr.  Brelschneider, 
;Lex.  man.  s.  v.  Jesus  relierait  ainsi  ses  pre- 
mieres paroles  a  lincident  qui  vient  d'etre 
raconte.  —  «  Vos  »  est  plein  d'emphase.  — 
Quod  deforis  est  ['^b  l^oif>z^)  cdlicis...  «  Dominus 
capiat  t i'mpiis,  et  ex  his  quae  eranl  prae  ma- 
nibus   contexil  documenlum.  Hora    namque 
mensae  el  pabuli  sumil  pro  exempio  calicem 
etcalinum  ».S.  Cyrille,  Cat.  graec.  Pair.  Aussi, 
rien  ae  plus  nalurel  quo  ce  debut  el,  par  la- 
meme,  rien  de  plus  frappanl.  —  Quod  autem 
■iutns  estvestrum  (to  SffwOev  upitov) :  voire  Srae, 
la    partie  la    plu-;    inlime    de    vous-memes. 
Quelle  oppositiun  hardie!  La  vaisselle  et  les 
ame>.  Mais  Jesus  ne  fai^ail  que  decrire  ce 
qu'il    conlemplail.    Aulant    les   plats   el   les 
coupes   qu'il  avail  devanl   lui  sur   la   table, 
lavfts,  froUes  dix  fois  le  jour,  etincelaienl  et 
brillalenl,  aulant  les  coeurs  des  hommes  qui 
rentouraient  eiaient  souilles,  car  la   rapine 
(un  vice  designe  en  particulier)  et  I'iniquite  (le 
ce  en  general)  les  remplissaient  d  •  maniere 
•a  losfaire  debord  -r  (rJ(A£t).  —  Quelqu  's  inier- 
•preles  (Kuinoel.  Bleek,  etc.),  railacliaul  d'une 
le  pari  pronom  y[Awv  aux  subsiantils  apuaY^; 


et  Ttovripia;,  d'autre  part  to  lawOev  a  7toT>)piou 
et  Ttivaxo;,  obtiennent  eel  autre  sens  :  L'inie- 
rieur  de  la  coupe  et  du  plat  regorge  de  votre 
■  rapine  el  de  voire  iniquite;  c'esl-a-dire  : 
Vos  repas  sont  le  produit  de  I'injustice.  Cfr, 
Matlh.  XXIII,  25,  dans  lo  texle  grec.  Mais 
c'esl  la  evidemmenl  une  construction  forces. 

40.  —  Slulti.  Epithele  parfaitemenl  choi- 
sie,  car  Jesus  va  demontrer  par  un  raisonne- 
raent  rapide,  mais  lumineux,  combien  la 
conduite  des  Pharisiens  elail  deraisonnable 
au  point  de  vue  moral  el  religieux.  —  Nonne 
qui  fecit...  C'e.-t  bien  a  tort  que  plusieurs 
coumientateurs  (Eisner,  Kypke,  Kuinoel,  etc.) 
supprimenl  Tinlerrogalion,  el  donnent  a 
6  Tconnffa;  le  sens  de  «  qui  purificavii  n,  de 
maniere  a  pouvoir  traduire  :  Celui  qui  a  pu- 
rifie  le  dehors  n'esl  pas  pur  au  dedans  pour 
cela.Rien  nejuslifie  ce  double  ecarl.  'Or.oir,- 
ffa;  (par  anlonomase),  c'esl  Dieu,  createur 
de  loules  choses  (Cfr.  Gen.  1,1,011  le  verba 
n^y,  «  facere  » ,  est  egalement  pris  dan.« 
I'acception  de  «  creare  »);  to  i?w9sv,  quod 
deforis  est,  represcnle  ici  le  corp.  humain,  el 
TO  iawOsv,  id  quod  deintus  est,  I'amc  liumaine. 
La  pensee  de  Jesus  revienl  done  a  cos  mots 
du  Ven.  Bede  :  «  Qui  utramque  hominis  na- 
turam  fecit,  utramque  mundari  desiderat.  » 
Ne  serait-il  pas  absurde  de  vciller  a  la  pro- 
prele  materielle  du  corps,  et  de  negliger  la 
sainlele  de  I'Sme?  de  croire  qu'un  corps  bien 
lave  peut  rendre  agreable  a  Dieu  un  cceur 
souille  par  le  peche? 

41.  —  Pendant  longtemps  nous  avons 
aime  a  voir  dans  ce  verset,  avec  dc  nom- 
breux  exegetes  contemporains,  un  trail  do 
mordante  ironie.  II  nous  semblail  peu  nalu- 
rel, peu  conforme  a  I'espril  general  du  dis- 
cours,  de  supposer  que  Nolre-Seigneur  eut 
glisse  une  exhortation  isolee  au  milieu  de  si 
vifs  reproches.  Vobis  nous  paraissail  donj 
signifier  :  «  e  veslro  perverse  judicio  »,  ei 
toute  la  phrase  equivaloir  k  celle  traduction 
libre  de  Kuinoel  :  «  Atlamen  date  mode  sti- 
pem  pauperibus.  tunc  ex  veslra  opitiione 
parum  solliciti  esse  poleslis  de  viclu  injuste 
coraparalo,  tunc  vobis  omnia  pura  sunt.  » 
Mais,  tout  bien  considere,  nous  preferons 
revenir  au  sentiment  des  anciens,  qui,  pre- 
nanl  les  paroles  de  Jesus  dans  leurs  sens 
obvie,  en  ecarlent  loute  allusion  ironique. 
S'interrompanl  done  au  milieu  de  ses  ter- 
ribles  repruches,  leSauveur  indique  aux  Pha- 
risiens, a  la  place  de  leurs  vaines  ablulions 
qui   elaienl  incapables   '^»   les   purifier,   un 


230 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


faites    TaumSne  et 
pour  vous. 


tout  sera  pur 


42.  Mais  malheur  a  vous,  Phari- 
siens,  car  vous  payez  la  dime  de 
la  menlhe,  de  la  rue  et  de  toutes 
les  herbes,  et  vous  negligez  la  jus- 
tice et  Tamour  de  Dieu;  il  fallait 
faire  ces  choses  et  ne  pas  omettre 
les  autres. 

43.  Vse  vobis  Pharisaeis,  quia  di- 


date  eleemosynam  :  et  ecce  omnia, 
munda  sunt  vobis. 

42.  Sed  vse  vobis  Pharisaeis,  quia 
decimatis  mentham,  et  rutam,  et 
omne  olus,  et  prseteritis  judicium 
et  caritatem  Dei :  hsec  autem  opor- 
tuitfacere,  et  ilia  non  omittere. 


43.  Malheur  a  vous,  Pharisiens 


moyen  serieux  d'lffacer  leiirs  peches.  Failes 
I'aumone,  leur  dil-il,  et  vous  serez  purs  de- 
vant  Dieu !  L'Ecrilure  Sainte  abonde  en 
texles  analogues,  qui  meitent  en  relief  le 
caraclere  propitialoire  de  I'aumone.  Qu'ii 
suffisc  de  citer  Dan.  iv,  24;  Tob.  iv,  11,  12; 
I  Pelr.  IV,  8.  Et  les  Rabbins  dijaienl  d'une 
maniere  analogue  :  «  Eleemosyna  aequipollet 
omnibu.-^  virlulibus.  »  Bava  bathra,  f.  9,  1. 
Non  sans  doule  que  I'aumone  puisse,  a  elle 
seule,  expier  toiite  espece  de  crimes.  Du 
moins,  el  telle  elail  surtonl  la  pensee  de 
Jesus,  elle  est  beaucoup  plus  propre  a  purifier 
I'fime  que  toutes  les  eaux  de  la  mer  et  des 
rivieres,  appliquee^  en  lotions  exterieures 
(D.  Calmet.  Cl'r.  Maldonat).  —  Verumtamen; 
el  pourtanl,  cependant.  —  Quod  superest, 
qui  depend  de  date  comme  complement  di- 
rect, ne  peul  guere  signifier  autre  chose  que 
t  hi  saperDu  »  •  Donntz  en  aumone  voire  su- 
perflu  Mais  telle  n'est.  certainemeut  pas  la 
tiaduction  exacte  du  grec  xaivovxa.  Toule- 
fois,  on  (liscute  sur  le  veritable  sen?  de  ce 
participe.  D'apres  Theophylacle,  evovTaserait 
synonyrae  de  vi7:dpxo^ta>  les  biens,  la  fortune. 
D'autres  sous-en t'.Mid en t  en  avant  la  preposi- 
tion y-axa,  ce  qui  donne  a  noire  locution  le 
sens  de  «  pre  viribus  ».  II  est  plus  conforme 
a  retymologie  e'.  a  I'usage  de  traduire  toc 
ivovTa  par  «  quBB  insunl  »  ce  qui  est  dedans, 
c'esl-a  dire  le  contenu  de  voire  coupe  el  de 
voire  plat,  par  consequent  :  voire  breuvage 
el  votre  nourriture.  —  Et,  et  alors,  si  vous 
agissez  ainsi  —  Ecce  indique  d'une  maniere 
pittoresque  la  prompliiude  avec  laquelle  le 
resultal  (omnia  munda  sunt  vobisi  sera  pro- 
duil. 

42.  —  Cfr.  Matth.  xxiii,  23  et  le  commen- 
taire.  Jusqu'ici,  tt.  39-41 ,  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ  a  reproche  aux  Pharisiens  leur 
affreuse  hy[)Ocrisie,  qui  les  portail  a  croire 
qu'un  peu  d'eau  passee  sur  leurs  mains  suf- 
fisait  pour  laver  leurs  souillurts  morales. 
Dans  irois  maledictions  qu'il  prononce  main- 
tenant  contre  eux,  tt.  42-44,  il  decril  de 
plus  en  plus  leur  e?prit  fr.ux  et  antireligieux. 
—  Premiere  malediction  :  Malheur  aux  Pha- 
risiens qui  praliquenl  scrupuleusemenl  do 
pelits  details  exlralegaux,  mais  qui  negligent 


I'essentiel  de  la  loi  divine.  —  Sed  ratlache  la 
pensee  precedente  a  celle-ci.  Mais  je  vols 
bien  qu'il  est  inutile  de  vous  faire  de  lelles 
recommandations;  aussi,  malheur  a  vous.  — 
Phariswis  est  au  dalif  par  suite  de  I'atlrac- 
tion.  Cfr.  tt.  43,  46,  o2.  —  Decimatis  men- 
tham et  rutam...: plus  correclement,u decimas 
solvilis  menthae...  »  Les  Pharisiens,  appli- 
quanl  le  precepte  de  la  dime  (Lev.  xxviii, 
30  et  ss.)  de  la  fagon  la  plus  rigide,  avaient 
compris  dans  ses  limiles  toutes  les  pianles- 
polageres  en  general  [omne  olus),  et  meme 
quelques  herbes  mediclnales  lelles  que  la 
menlhe  el  la  rue.  Getle  derniere  (itriYavov,  la 
«  Ruta  graveolens  »  de  Linne),  qui  n'est  pas 
mentionnee  ailleurs  dans  la  Bible,  a  une  tige 
de  6  k  9  decimetres,  sous-ligneuse  a  la  base- 
el  Ires  ramiQee  au  sommet,  des  feuilles 
glauques  d'une  odeur  forte  el  repoussanle, 
des  fleurs  d'un  beau  jaune  en  corymbe.  Elle 
elail  tenue  en  grande  eslime  par  les  anciens, 
qui  I'employaient  comme  assaisonnemenl  et 
comme  vermifuge.  Cfr.  Pline,  H.  N.,  xix,  8; 
Columelle,  de  Re  Rust.,  xii,  7,  5 ;  Diosco- 
rides,  in,  45;  Fred.  Hamilton,  La  Bolanique 
de  la  Bible,  Nice  1871,  p.  102  el  s.  Le  Tal- 
mud (Schebiilh,  IX,  1)  la  cite  pourtanl  parmi 
les  planlcs  non  aslreinles  a  la  dime  ;  mais  le 
formalisme  pharisalquo  jugeait  autrement 
sur  ce  point.  —  Et  prceteritis  (belle  expres- 
sion, analogue  a  I'hebreu  lay,  qui  signifie 
souvent  :  passer  pres  d'une  chose  sans  y  faire 
attention)  judicium  (Trjvxpifftv,  la  vertu  de 
justice)  et  caritatem  Dei.  Quel  conlrastel  el, 
dans  ce  contrasts,  quelle  grave  accusation 
contre  les  Pharisiens  1  Renversant  i'ordre 
nalurel,  ils  accomplissent  les  plus  petites 
choses  avec  un  soln  meticuleux,  mais  ils 
ometlenl  les  plus  essenlielles  sans  pudeur 
el  sans  remords  ;  ils  multiplienl  les  pratiques- 
de  surerogation,  mais  ils  negligent  les  pre- 
miers devoirs  de  la  religion! 

43.  —  Seconde  malediction  :  Malheur  aux. 
Pharisiens  superbes  qui  ambilionnenl  el  re- 
cherchentparloul  les  hoiineursl  Comp.xx,  46, 
ou  nous  verrons  Jesus  renouveler  ce  bl^me. 
—  Primas  cathedras  in  synagogis.  Ils  por- 
taienl  done  I'orgueil  jusqu'au  sancluaire. 
«  Extant  ID  Hebrieorum  libris  (voyez  ea  par 


CHAPITRE    XI 


23r 


ligitis  primas  cathedras  in  synago- 
gis,  et  salutationes  in  foro. 

Matth.  23,  6;  Mxrc.  12,  39;  Infr.  20,  46. 

44.  Vae  vobis,  quia  estis  ut  mo- 
numenta,  quae  non  apparent,  et  ho- 
mines ambulantes  supra,  nesciunt. 

45.  Respondens   autem    quidam 


parce  que  vous  aimez  les  premiers 
sieges  dans  les  synagogues  et  les 
salutations  sur  la  place  pnblique. 

44.  Malheur  a  vous,  parceque 
vous  6tes  comme  les  sepulcres  qui 
ne  paraissent  pas  et  sur  lesquels 
les  hommes  marchent  sans  le  savoir. 

45.  Mais  un   docteur  de  la  loi. 


ticulier  Hilch.  Tephillah,  xi,  4)  decreta  de 
hac  re,  quo  legisperili,  quo  Pharisaei  sedere 
debeanl.  Alque  inde  natum  proverbium,  ut 
plebs  rudis,  quam  populum  tense  vocabanl, 
diceretur  scabelkim  pedum  Phansaeoiuin  ». 
Grolius.  Aujourd'hui  meme,  en  cenaines 
contrees  juives,  on  paie  pour  occupcr  dans 
les  synagogues  les  places  repulees  les  plus 
honorables.  Cfr.  AbboU,  h.  1.  —  Salutationes 
in  foro.  Ch\  Matlh.  xxjii,  7  el  I'explicaLion. 
En  Orient,  plus  encore  qu'en  Occideni,  Ton 
a  toujours  ete  a  cheval  sur  I'etiquelte  sous 
ce  rapport.  D'apres  le  Talmud,  ne  pas  donner 
a  un  Rabbin  le  titre  (jui  lui  est  du,  c'est  irri- 
ler  la  majeste  divine.  R.  Jochanan  ben  Za- 
chai  est  regarde  comme  un  modele  d'humi- 
lile  parce  que,  mSme  sur  la  place  publique,  il 
saluait  le  premier  les  gens  (Berachoth, 
f.  27,  1.  Voyez  Scliegg,  t.  fl,  p.  208). 

44.  —  Troisieme  malediction  :  Malheur 
aux  Pharisiens  qui,  malgre  leurs  belles  appa- 
rences  de  piele,  portent  au  fond  de  leur  coeur 
la  corruption  du  tombeau.  —  Vce  vobis.  La 
Recepta  ajoule  :  fpaiKiLoiizii; -/.al  ^apiccdoi  Ciiro- 
wpixat.  De  nombreux  manuscrils  ont  simple- 
menl:  oual  OjjiTv,  *apiaatov  Mais  la  vraie  h  gon 
parait  etre  celle  de  la  Vulgate,  que  favoii- 
senl  les  manuscrits  Sinait.,  B,  C,  L,  les  ver- 
sions copte  et  armeiiieime,  etc.  —  Estis  ut 
monurnenta  quce  non  apparent...  Les  lois 
juives  expliquent  celte  comparaisou  si  liumi- 
liante  pour  les  Pharisiens.  D'apres  Num. 
XIX,  16,  le  contact  d'un  tombeau  rendail 
legalem'mt  impur  pour  huit  jours,  de  memo 
que  celui  d'un  cadavre,  et  c'est  pour  cela 
qu'on  devail  rendre  les  sepulcres  aussi  appa- 
rents  que  possible,  afin  que  les  passants  pus- 
seiit  les  eviler.  Comp.  D.  Calmet,  h.  1.  Les 
Pharisiens  etaient  done,  par  suite  de  leurs 
vices  secrets,  des  lombeaux  dissimules  sous 
le  gazon.  CIV.  E.  Renan.  Mission  de  Plienicie, 
p.  809.  Samis  im  appaience,  ils  n'etaienl  en 
realile  que  des  hommes  corrompus.  Dans 
S.  Malthieu,  xxiii,  27  el  28,  le  point  de  com- 
paraison  n'est  pas  tout  a  fait  le  meme, 
quoique  I'idee  genera'.e  soil  identique.  — 
De  ces  accusations  du  Sauveur,  il  ne  sera 
pas  sans  iulerct  de  rapprocher  une  descrip- 
tion vivaiite  du  Talmud  (Sola,  f.  22,  2)  rela- 
tive au  Pharisai'sme.  Nous  en  empruutons  la 


traduction  a  M.  J.  Cohen,  Les  Pharisiens,. 
Paris  1877,  t.  11,  p.  30.  «  11  y  a  sept  sorles 
de  Pharisiens  :  1°  les  forts  d'epaules;  ils 
ecrivent  leurs  actions  sur  leur  dos  pour  so 
faire  honorer  des  hommes;  2°  les  bron- 
cheurs,  qui  vont  par  les  rues  tralnanl,  pour 
se  faire  remarquer,  les  pieds  centre  terre  et 
les  heurtant  sur  ies  cailloux ;  So  les  cogne- 
t^les,  qui  ferment  les  yeux  pour  ne  pas  voir 
les  femmes,  et  se  cognent  le  front  centre- 
les  murs;  4o  les  humbles  renforces,  qui 
marchent  plies  en  deux;  5o  les  Pharisiens 
de  calcui,  qui  n'observeut  la  loi  que  pour  les 
recompenses  qu'elie  proraet ;  60  les  Phari- 
siens de  la  peur,qui  ne  font  le  bien  que  dans 
la  crainte  du  chaiimenl ;  7°  les  Pharisiens  du. 
devoir  ou  les  Pharisiens  d'amour  :  ceux-ci 
seuls  sent  les  bons;  parmi  les  autres,  il  n'en 
est  pas  un  seul  qui  soil  digne  d'estime.  »  Ce 
triste  et  veridique  portrait  n'empeche  pas 
M.  Cohen  d'excuser  le  plus  qu'il  peut  ses  core- 
ligionnaires,(le  transformer  en  une  exception 
ce  que  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  signala 
comme  la  regie,  de  pretendre  memequ'a  part 
«  quelques  incidents  ofageux  et  quelques 
paroles  irritees,  »  Jesus,  n'eut  pas  avec  les 
Pharisiens  des  rapports  si  hostiles  qu'on  In 
suppose,  bien  plus,  qu'il  leur  emprunla  des 
pomis  assez  nouibreux  de  sa  doctrine!  (Voir 
les  chap,  i  et  11  du  tome II).  II  exisle  aujour- 
d'hui encore  a  Jerusalem  une  secte  phari- 
sai'que  formee  d'environ  900  membres  et 
vivant  separee  des  autres  communautes 
juives.  Dans  son  curieuxouvrage  Nach  Jeru- 
salem, Leipzig  1878,  t.  II,  p.  48,  le  Dr  Israe- 
lite L.  A.  Frankl  caraclerise  comme  il  suit 
ces  dignes  fils  des  ennemis  de  Jesus  :  «  Fa- 
natiques,  bigots  (sic),  inlolerants,  querelleurs, 
et  au  fond  irreligieux;  pour  eux  raocomplis- 
sement  exlerieur  des  lois  ceremoniales  est 
lout,  la  morale  theorique  peu  de  chose,  la 
morale  pratique  n'est  rien.  »  Aussi,  la  pire 
injure  qu'un  Juif  de  la  secte  des  Chassidim 
(les  pieux)  puisse  proferer  dans  un  acces  de 
colore  consiste  a  dire  :  «  Tu  es  un  Porisch!  » 
c'est-a-dire  un  Pharisien.  Ibid.  p.  55. 

i"  Malheur  aux  Docteurs  de  la  l»i.  J^.  45-52. 
45.  —  Respondens...  quidam  ex  legisperitis^ 
Ce  scribe  esperait  sans  doute  delourner  par 


232 


EVANGIL'E  SELON  S.  LUG 


prenant  la  parole,  lui  dit  :  Maitre, 
en  disant  cela  vous  nous  faites  in- 
jure a  nousaussi. 

46.  Et  il  lui  dit  :  Et  a  vous  aussi, 
docteurs  de  la  loi,  malheur!  parce 
que  vous  chargez  les  hommes  de 
fprdeaux  qu'ils  ne  peuveiit  porter, 
et  qoe  vous  ne  louchez  pas  meme 
du  doigl  ces  fardeaux. 

47.  Malheur  a  vous  qui  b^tissez 
des  tombeaux  aux  prophetes,  et  ce 
sont  vos  peres  qui  les  ont  tues. 

48.  Assurement  vous  lemoignez 
((ue  vous  consentez  aux  oeuvres  de 
vos  peres,  car  eux  les  ont  tues,  et 
vous  vous  leur  batissez  des  sepul- 
cres, 

49.  G'est  pourquoi  la  sagesse  de 


ex  legisperitis,  ait  illi  :  Magister, 
liBDC  dicens  etiam  contumeliam  nobis 
facis. 

46.  At  ille  ait  :  Et  vobis  legis- 
peritis vae;  quia  oneratis  homines 
oneribus,  quae  portare  non  possunt, 
et  ipsi  uno  digito  vestro  non  tangi- 
tis  sarcinas. 

Malth.  23,  4. 

47.  Vae  vobis,  qui  sedificatis  mo- 
numenta  prophetarum  :  patres  au- 
tem  vestri  occiderunt  illos. 

48.  Profecto  testificamini  quod 
consentitis  operibus  patrum  vestro- 
rum  :  quoniam  ipsi  quidem  eos  oc- 
ciderunt, vos  autem  sedificatis  eo- 
rum  sepulcra. 

49.  Propterea   et  sapientia  Dei 


son  inlerpellalion  I'orage  qui  eclatail  depiii-; 
quelqiies  inslanls  sur  la  tete  des  Pliarisiens. 
II  le  delourna  en  effel,  mais  pour  I'amener 
sur  lui-meme  et  lous  ses  pareils.  —  Magister, 
Si5acxa),e.  L'interruption  est  polie  dans  la 
forme.  Le  Docteur  decerne  a  Jesus  sans  he- 
sitation le  titre  de  Rabbi.  D'ailieurs  tous  les 
partis  rendaient  sponlanement  eel  hommage 
a  sa  profonde  sagesse.  Cfr.  vii,  40;  x,  23; 
XII,  43;  XIX,  39;  xx,  21,  28,  39,  etc. — 
Eliam  contumeliam  nobis  facis;  xai  i?i[xa; 
w6pi^£i;, dit  le  texte  grec  avec  plus  d'energie. 
«  Eiiani  nobis  »  est  empliatique  :  Nou-,  les 
docteurs  oHiciels;  ne  remarquez-vous  pas  que 
nous  sommes  egalement  atteints  par  vos 
censures?  En  effel,  observe  justement  Luc  de 
Bruges,  «  Pharisa&i  non  eraiit  nisi  rigidi  ob- 
servatores  doctrinse  Scnbarum.  Pharisaeus, 
ut  Pharisaeus,  nihil  docebat.  » 

46.  —  Et  vobis  legisperitis  voe.  Ce  Scribe 
avail  parfaitemenl  dit.  Oui,  mes  reproches 
riHombeni  aussi  sur  les  Legisles,  repond 
Nolre-Seigneur  sans  se  laisser  intimider,  et, 
s'adressant  ci  eux  desormais  jusqu"a  la  fin  de 
son  discours,  1it-  46-32,  il  leur  jette  a  la  face 
une  triple  malediction  motivee,  comrae  il 
avait  fait  pour  les  Pharisien?.  Sur  le  premier 
«  Vae  »  que  contient  ce  verset,  voyez  Matth. 
xxiii,  4  el  le  commentaire.  —  Oneratis  homi- 
nes... Charges  d'interpreler  la  Loi,  mais 
ajoutaat  a  ses  prescriptions,  deja  nombreuses 
et  souvenl  penibles,  d'autres  prescriptions 
plus  nombreu-es  el  plus  penibles  encore,  lis 
chargeaienl  vraim'^nl  les  hommes  de  fardeaux 
insupportables  (oyaoddTaxta  du  text'  ()rimitif 
n'esl  employe  qu'en  ce  passage  du  Nouveau 
Tcslament).  Mais,  ce  qu'il  y  avail  de  pir^', 
c'est  qu'ils  se  gardaient  bien  d-y  toucher 


eux-meraes  tino  digito.  Jesus  n'avait-il  pas 
raison  de  sligmatiser  a  lout  jamais  une  telle 
conduite? 

47  et  48.  —  Vce  vobis  qui...  S-conde  male- 
diction, la  plus  longue  des  trois,  1ft.  47-51. 
Votre  situation,  dit  Jesus  aux  Scribes,  n'est 
pas  moins  fausse  a  I'egard  des  prophete* 
qu'a  I'egard  de  la  Loi.  Vous  maltraiiez  la 
Thorah  par  des  glos'S  exagerees  ;  vous  mal- 
traiiez de  m^me  les  prophetes  par  un  culte 
d'ap|)arat,  qui  n'a  rien  du  vrai,  d'inlerieur. 
Jesus  exprime  cette  idee  d'une  faQon  hardie, 
paradoxale  en  apparence,  mais  d'autant  plus 
vigoiireuse.  II  signale  d'abord  un  premier  fait 
(wdificatis  monumenta  prophetarum],  qui  se 
passait  alors  au  su  et  vu  de  lout  le  monde  Israe- 
lite. II  en  signale  ensuite  un  second  {palres 
vestri  occiderunt  illos),  dont  la  verite  est 
cerlifiee  par  maint  endroit  de  I'histoire  juive. 
Alors,  les  rapprochant  I'un  de  I'autre  et  lirant 
une  conclusion  inattendue  {profecto,  opa),  il 
affecle  de  voir  dans  I'oeuvre  des  fils  la  conti- 
nuation et  I'ajiprobalion  ouverte  (testificamini 
quod  consentitis)  de  celle  des  peres  Ceux-ci 
onl  fait  mourir  les  prophetes,  ceux-la  les 
ensevelissent  :  n'est-ce  pas  un  seiil  el  memo 
acte?  Voyez  les  details  de  I'explication  dans 
I'Evang.  selon  S,  Matth.,  p.  448  et  s.  —  Le 
beau  verba  ffuveuSoxeiTe  («  consentitis  »)  ne  se 
rencontre  pas  ailleurs  dans  les  Evangiles.  — 
Lps  mots  eorum  sepulcra  sonl  reganles  com  me 
authenliques,  bien  qu'ils  aieiil  ote  omis  par 
les  manuscrits  B,  D,  L,  Sinail.,  la  version 
copte,  etc. 

49.  —  Jesus  va  montror  m-TintPnanl, 
tt.  49-31,  qu'utii'  telle  mauierc  d'agir  (;)ro;};e- 
rea]  allirer'a  infaiiliblemi'nl  la  colere  el  les 
vengeances  du  tiel  sur  louie  la  nation.  —  Sa- 


i 


CHAPITRE   XI 


133 


dixit  :  Mittam  ad  illos  prophetas, 
et  apostolos,  et  ex  illis  Occident,  et 
persequentur. 

50.  Utinquiratur  sanguis  omnium 
prophetarum,  qui  eflFusus  est  a  con- 
stitutione  mundi  a  generalione  ista; 


51.  A  sanguine  Abel,  usque  ad 
sanguinem  Zacharise,  qui  periit  in- 
ter altare  et  sedem.  Ita  dico  vobis, 
requireturab  hac  generatione. 


Dieu  a  dit  :  Je  ieur  enverrai  des 
prophetes  et  des  ap6tres,  et  ils  tue- 
ront  les  uns  et  ils  persecuteront  les 
autres; 

50.  De  sorte  qu'on  redemande  a 
cette  generation  le  sang  de  tons  les 
prophetes  qui  a  ete  verse  depuis 
la  formation  du  monde; 

51.  Depuis  le  sang  d'Abel  jus- 
qu'au  sang  de  Zacharie  qui  perit 
entre  Tautel  et  le  temple.  Oui,  je 
vous  le  dis,  il  sera  redemande  a 
cette  generation. 


fientia  Dei  dixit.  Ces  mots,  si  simples  en  ap- 
parence,  ont  suscile  un  assez  grand  nombre 
d'opinions  diverses  parmi  les  exegele.'^.  Le  P. 
Curci  el  d'aulres  croient,  mais  sans  le  moin- 
dre  fondement,  qu'ils  ne  furent  point  pronon- 
ces  par  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ,  et  que 
S.  Luc  lui-meme  les  a  inseres  dans  le  discours. 
Plu-iit'urs  auteurs  conlemporains  les  regardent 
comme  une  formule  de  citation  biblique,  «  sa- 
pienlia  Dei  »  equivalant  suivant  eux  a  «  Scrip- 
tura  sacra  » ;  toutefois,  ils  ne  peuvent  tom- 
ber  d'accord  touchant  le  passage  cite,  et  cela 
se  comprend,  puisque  les  paroles  suivantes 
du  Saaveur,  mitiani  advos...,  n'existent  nuile 
part  d'une  maniere  identique  dans  les  ecrils 
de  I'ancienne  Alliance.  M.  Godet  renvoie  le 
lecleur  a  Prov.  i,  20-31  :  «  La  sagesse  crie 
dans  les  rues,  et  fait  entendre  sa  voix  siir  les 
places  publiques...  Voici,  je  ferai  venir  sur 
vous  mon  esprit  el  je  vous  ferai  connailre 
mes  paroles...  Mais  vous  avez  fail  echouer 
mon  conseil  el  resisle  a  mes  reprimandes. 
C'esl  pourquoi,  quand  voire  caiamiie  sur- 
viendra,  je  me  rirai  de  voire  mallieur...  (et 
je  dirai)  :  Qu'ils  mangent  du  fruit  de  leurs 
(Duvres  » 1  II  a  soin  de  rappeler  en  outre 
jjue  S.  Clement  Remain,  S.  Iren^e,  Meli- 
Ipn,  donnenl  au  livre  des  Proverbes  le  nom 
(Je  ffo(p(a.  Olshausen,  Slier,  Alford  aiment 
raieux  voir  ici  une  reminiscence  de  II  Par. 
XXIV,  18-22  »  :  Et  dereliqiierunt  templnm 
Domini  Dei  tui,...  et  facta  est  ira  contra  Ju- 
dam  et  J  rusaiem  propter  hoc  peccatum. 
Miltebalque  eis  prophetas  ul  reverlcrenlur  ad 
Dominum,  quos  protestantes,  illi  audire  no- 
lebanl...  etc.  »  Ewald  et  Bleek  peu  satis- 
faits,  et  a  bon  droit,  de  ces  rapprochements, 
supposent  que  la  citation  faite  par  Jesus  pro- 
venait  d'un  livre  reellement  intitule  «  Sa- 
pientia  Dei  »,  mais  perdu  depuis.  N'est-il  pas 
faeaucoup  plus  nalurel,  sans  recourir  k  tanl 
d'hypoihescs  mal  appuyees,  de  dire  que,  par 
«  sapientia  Dei  ».  Jesus  n'a  pas  designe  autre 
chose  que  les  decrels  divins.  lesquels  sont 
censes  prendre  la  parole  («  dixit  »)  quand 


ils  sont  mis  a  execution?  Plus  lard,  sous  les 
galeries  du  temple,  le  Sauveur  se  meltra  lui- 
meme  directemenl  en  cause  :  «  Ideo  ecce  ego 
mitload  vos  prophetas...  »(Malth.xxiii,  34); 
preuve  qu'il  est  la  sagesse  elernelle  du  Pere. 
—  Prophetas  et  apostolos,  c'esl-a-dire  lous 
les  predicateurs  do  I'Evtngile.  Cfr.  Eph. 
II,  20;  III,  5,  oil  le  nom  de  prophele,  utii  a 
celui  d'apolre,  est  pareillement  applique  aux 
dignitaires  de  I'Eglise  du  Christ.  —  Perse- 
quentur. Dans  le  lexte  grec,  le  verbe  com- 
pose exSttoSoufftv  signlfie  lilleralemenl  «  expel- 
lenl  »,  ils  vous  exileront  du  pays. 

50  el  51.  —  Ut  inquiralur.  Nouvelle  ex- 
pression Ires  forte  dans  le  texte  primitif, 
ex!;7iTri8^,  «  ut  studiose  exquiralur  ».  C'est  Ik 
une  hebralsme  bien  connu  (Dl  W\l  ou  U7p3. 
Cfr.  Gen.  IX,  5;  II  Reg.  iv,  11 ;  Ezech.  iii,  18) 
pour  signifier  :  «  ut  vindicta  sumatur  ».  — 
Qui  effusus  est  a  constitutione  mundi  {anb  xa- 
Ta6o),r);  x6ff[x,ou,  belle  expression)  a  genera- 
tione ista.  C'esl  en  vertu  de  la  solidante  qui 
regne  entre  les  crimes  el  'es  crimmels  de 
lou<  les  temps,  que  Jesus  pi^ut  rendre  la  ge- 
neration juive  contemporame  rpsponsable  de 
lous  les  homicides  injusles  commis  depuis  les 
premiers  jours  du  monde.  Voyez  I'Evangile 
selon  S.  Malthieu,  p.  450.  —  A  sanguine  Abel 
justi  (ces  mots  determinent  le  sens  precis  de 
«  a  constitutioiie  mundi  »)  usque  ad  sangui- 
nem Zacharice.  Zacharie  ne  differanl  pas, 
comme  nous  I'avons  admis  dans  noire  expli- 
cation de  S.  Malthieu,  p.  450  el  s.,  du  pro- 
phele mentionne  au  second  livre  des  Parali- 
pomfenes,  xxiv,  20-22,  et  ce  livre  occupant 
la  derniere  place  dans  la  Hilile  hebraique, 
Nolre-Seigneur  Jesus-Christ  signalail  de  la 
sorte  le  sang  repaudu  en  premier  et  en  der- 
nier lieu  d'une  maniere  crimiiielle  d'apres  le 
canon  sacre  dt  s  Juils.  En  outre,  chacun  de 
ces  deux  meurlres  elait  rendu  plus  alroce 
par  des  circonslances  particulieres  :  ceiui 
d'Abel  elait  un  fratricide,  a  celui  de  Zacharie 
s'ajoutaii  la  malice  du  sacrilege.  —  JUdem, 
Tou  o'lxou,  la  maison  par  excellence,  ou  le  lera- 


234 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


52.  Malheur  a  vous,  docteurs  de 
la  loi,  parce  que  vous  avez  pris  la 
clef  de  la  science  et  n'y  6tes  point 
entres  et  avez  empeche  ceux  qui 
entraient. 

53.  Gommeilleurdisaitceschoses, 
les  Pharisiens  et  les  docteurs  de  la 
loi  cominencerent  a  le  presser  for- 
tement  pour  lui  fermer  la  bouche 
sur  une  foule  de  questions, 

54.  Lui  tendant  des  pieges  et 
cherchant  a  tirer  de  sa  bouche  de 
quoi  I'accuser. 


52.  Vae  vobis  legisperitis,  quia 
tulistis  clavem  scientise ;  ipsi  non 
introistis,  et  eos,  qui  introibant, 
prohibuistis. 

53.  Gum  autem  hsec  ad  illos  dice- 
ret,  coeperunt  Pharisaei  et  legispe- 
riti  ^raviter  insistere,  et  os  ejus 
opprimere  de  multis, 

54.  Insidiantes  ei,  et  quaerentes 
aliquid  capere  de  ore  ejus,  ut  accu- 
sarent  eum. 

Genes,  4,  8;  Par.  24,  23. 


pie,  comme  nous  lisons  expressement  dans 
S.  Matlhieu.  Celte  signification  dii  mot  mai- 
son  est  familiere  aux  Hebreux  et  aux  Arabes. 

—  Ita,  dico  vobis,  requirelur...  Repetition 
breve  et  solennelle  de  la  menace  qui  vient 
d'etre  developpee.  Oui,  j'en  donne  ma  parole, 
celte  generation  sera  chSliee!  Plus  d'un  au- 
diteur,  lemoin  peut-etre  des  effroyables  mas- 
sacres qui  firent  couler  des  Dots  de  sang  juif 
*ans  toute  la  Palestine,  dutse  souvenir  alors 
de  Jesus  et  de  sa  prophetie  terrible. 

52.  —  Vce  vobis...  Troisieme  malediction  h 
I'adresse  des  Scribes.  Voyez  Matlh.  xxiii,  1 3. 

—  Tulistis  clavem  scientice.  «  Elegans  locutio, 
dil  justement  Eisner,  qua  nolalur  verae  re- 
ligionis  docendae  mlerpretaiid<B(|iie  munus, 
quo  si  recle  del'ungaris,  mens  audilorum  ut 
clave  aperilur  ».  Les  Docteurs  de  la  loi 
avaient  done  entre  les  mams,  en  vertu  ni^me 
des  fonclions  qu'ils  exerQaient,  la  clef  de  la 
science  religieuse,  par  coiise(|uenl  du  salut 
et  du  ciel.  Et  voici  qn'au  lieu  d'ouvrir,  ils 
tfnaient  la  porle  fermee  !  —  Ipsi  non  introis' 
Us  :  c'elait  leur  affaire;  mais,  crime  impar- 
donnable,  eos,  qui  introibant  (tou;  elaepx^t^^" 
vou;,  «  ingredieoles  >^)  proliibuistis.  A  [)h\s  d'un 
pretre  le  Souverain  Juge  adressera  un  jour 
le  meme  reproclie.  —  Riun  nn  prouve  qu'il 
faille  prendre  en  mauvaise  part  le  verbe  iipaTs 
(«  vobis  vindicastis..  ,  docirinam  divinae  cogni- 
tionio  vobis  usurpalis  »,  S.  Ambroise  el  divers 
interpreles  a  sa  suite),  car  le  pouvoir  des  Scri- 
bes eiait  tres  legitime.  Cfr.  Mallh.  xxiii,  2  et  3. 
II  ferait  plutot  allusion,  comme  I'ont  pense 
quelques  commentateurs,  a  une  antique  ce- 
r^monie  par  laquelle  les  Juifs  «  clavem  iis 
tradere  solebant,  quos  docendi  officio  [)ublice 
volebant  defungi  ».  Mais  nous  preferons  ne 
voir  dansce  verset  qu'une  simple  metaphore. 


4*  Le  r^sultat  imm^diat  du  discours.  fy.  53  et  54. 

53  et  54.  —  Ge  resultat  fut  un  redouble- 
ment  de  haine  de  la  part  des  Pharisiens  et  des 
Scribes.  S.  Luc  decrit  a  merveille,  en  un  ta- 
bleau pleinde  vie,  les  efforts  qu'ils  tenterent 
sur-le-champ  pour  arracher  a  Jesus  quelque 
parole  imprudente,  qui  leur  permeltrait  de 
le  citer  devant  les  tribunaux  juifs  ou  remains 
el  d'accelerer  sa  perle.  —  Cu7n  hcec  ad  illos 
diceret.  D'apres  une  variante  favorisee  par 
les  manuscrils  Sinait.,  B,  G,  L,  etc.,  les  ver- 
sions copt.  el  syr.,  et  probablemenl  aulhen- 
tique,  il  faudrait  lire  :  xaxetOev  e^eXSovto;  aO- 
ToO,  «  quum  exiret  inde  ».  La  Recepia  est 
d'accord  avec  la  Vulgate  (Xe'^ovto;  6e  auxou 
xaOxa  npo;  au-rou?).  —  Phariscei  et  legisperiti. 
La  leQon  propable  du  texle  grec  paiail  ^tre  : 
o\  YpafijAa-ceii;  xal  ol  qjapiffaiot.  —  Tous  les  motS 
qui  suivenL  sonl  d'une  grande  energie,  sur- 
tout  dans  le  texle  grec.  Graviter  insistere, 
Siivwi;  ivExeiv,  designe  une  pres;-ion  vive  et 
hostile.  Os  ejus  opprimere...  indique  quelle 
fut  la  nature  particuliere  de  celte  pression  : 
elle  consisla  en  toute  sorle  de  questions  insi- 
dieuses  posees  coup  sur  coiipaNotre-Seigneur, 
de  maniere  a  I'obliger  a  parler  sans  prepara- 
tion eta  repondrede  travers, s'il  etait  possible. 
Tel  est  du  uioins  le  sens  de  la  locution  grecque 
auoaTO(xaxi^eiv  aOtov,  qu'on  tie  trouve  pas  ail- 
leurs  dans  le  Nouveau  Teslamenl  (la  Vulgate 
a  lu  avec  quelques  manuserit-;  :  eiiiffxo[jii$£tv). 
Compaicz  Siiidas  :  anouToiAXTiCeiv  cpaal  xov  St- 
5d(Tza).ov  oTav  XiXsuet  tov  7:7.?'""  ■  AJysiv  oixTa  auo 
ato^jiaxo;.  Insiilicintes  e-l  ni  e  1  iniie  traduc- 
liou  de  evcopo'jovTE;;  inai>  i..,,,ji-e  ne  rend  paa 
tout(!  la  force  de  OrjosOoai,  qui  signifie  lille- 
ralement  «  venari  ». 


I 


CHAPITRE  XII 


S35^ 


CHAPITRB  XII 

J^sus  donne  divers  avertissements  a  ses  disciples  {tir.  1-12).  —  Etrange  interruption  qui 
occasionne  la  parabola  du  riche  insense  {tif.  43-21).  —  Nouvelie  serie  d'avertissements 
aux  disciples  (tt.  22-53).  —  Grave  legon  pour  tout  ie  peuple  [tt.  54-59). 


1.  Multis  autem  turbis  circums- 
tanlibus,  ita  ut  se  invicem  concul- 
carent,  coepit  dicere  ad  discipulos 
suos  :  Altendite  a  fermento  Phari- 
saeorum,  quod  est  hypocrisis. 

Matth   16,6;  Marc.  8,15, 


1.  Or  une  grande  foule  ^tant  ras- 
semblee  autour  de  lui,  de  sorte 
qu'ils  marchaient  les  uns  sur  les 
autres,  il  commenca  k  dire  a  ses 
disciples  :  Gardez-vous  du  levain 
des  Pharisiens,  qui  est  Thypocrisie. 


0.  Divers  enseigrnements  adress6s  par  J6- 
sas  aux  disciples  et  au  peuple   xu,  1-59. 

II  est  aise  de  dire,  avec  Rosenmiiller  el 
d'autres  exegeies  prolestants,  a  propos  de  ce 
chapilre  :  a  Multa  diversi  temporis  dicta  in 
unum  congessil  Lucas,  quorum  coliaereniiam 
texere  nihil  necesse  est.  Sunt  enim  velul  apho- 
rismi  »  (Scholia  in  Luc,  ii.  I.)-  Qu'importe 
que  les  elements  donl  il  se  compose  apparais- 
sent  pour  la  phipart  en  d'autres  parlies  de  I'his- 
toireevangelique?Nousavons  admis  a  la  suite 
des  meilleurs  interpietes  que  Notre-Seigneur 
a  dO  repeter  en  differentes  circonstances  plu- 
sieufs  de  ses  principaux  enseignemenls,  et 
I'elude  approfondie  des  lextes  sacres  nous 
confirme  de  plus  en  plus  dans  ceite  opinion. 
II  nous  repugnera  toujours  de  croire  que  les 
^vangelistes  ont  fait  des  compilations  arbi- 
traires  des  paroles  de  Jesus,  que  telle  partie 
de  leur  recit,  donnee  par  eux  comme  un 
discours  suivi,  n'esl  en  realite  qu'une  simple 
chrestomalhie  (le  mot  a  ele  prononce! ).  Au 
reste,  pour  ce  qui  est  de  ce  passage,  S.  Luc  de- 
montre  par  deux  notes  hisioriques  \tt.1,  13) 
et  deux  formules  de  transition  {ift.  22,  54) 
qu'il  ne  I'a  nullement  arrange  a  sa  guise, 
mais  qu'il  a  raconle  les  faits  et  les  discours 
d'apres  leur  realite  objective.  De  phis,  si  un 
certain  nombre  des  pensees  se  retrouvent 
ailleurs,  elles  sent  diversement  combinees, 
eiles  subissenl  des  variations  pour  le  fond  et 
pour  la  forme  :  et  cela  sufBt  pour  prouver  la 
non-identite.  —  Les  formules  d'introduction 
et  de  transition  mentionnees  plus  haut  di- 
visenl  ce  chapilre  en  quatre  pailies  :  tif.  1-12, 
premiere  serie  d'avertissemenls  aux  disciples; 
tt.  13-21,  la  parabole  du  riche  insense; 
■ft.  22-53,  secondesdrie d'avertissemenls  aux 
disciples;  tif'  54-59,  une  grave  legon  pour 
le  peuple. 


1"  Premi&re  s^rie  d'avertissements  aux  disciples. 
XI,  1-12. 

Chap.  xii.  —  1.  —  Le  chapilre  commence 
dans  le  texte  grec  par  la  locution  iv  ol;,  «  in- 
terea  »,  qui  etabiit  une  connexion  etroite 
enlre  la  scene  qui  precede  et  tout  ce  dis- 
cours. Tandis  que  Jesus  etait  a  table  avec 
les  Pharisiens  et  les  accablait  de  si  justes  re- 
proches,  un  concours  enorme  de  peuple  s'e- 
tait  done  fait  non  loin  de  la,  et  le  Sauveur, 
des  qu'il  sortit  (xi,  53),  fut  entoure  par  cetle 
foule  avide  de  le  voir  et  de  I'entendre.  La 
polite  description  de  S.  Luc  est  vraiment  dra- 
matique;  mais  il  faut  se  reporter  au  texte 
primitif  pour  en  saisir  loute  la  force.  Au  lieu 
de  multis  turbis,  nous  y  lisons  twv  (lupiaSwv 
ToO  6x>.ou,  les  myriades  de  la  foule,  et,  au  lieu 
de  circumstantibus,  eittJuvay^eetaoSv,  verbe  dou- 
blemenl  compose,  qui  indique  unn  affluence 
grossissant  de  minute  en  minute.  La  legon  de 
la  Vulgate  est  pourtant  favorisee  par  le 
Cod  D  .  TioXXwv  Se  ox^wv  <juviiepiex''^vTwv  xuxXtj)., 
—  Ila  ut  se  invicem  conciilcarent  :  detail 
pittoresque,  analogue  a  plusieurs  traits  de 
S.  MarC:  i,  33 ;  ii,  2 ;  iii,  9 ;  vi,  31.  —  Ccepit 
dicere  ad  discipulos.  Ces  mots  determinent  la 
portion  speciale  de  son  immense  audi  Loire  a 
laquelle  Jesus  adressa  d'une  iiianiere  direcle 
ses  premiers  avertissements  :  il  avait  surlout 
en  vue  les  disciples,  langes  auiour  de  lui 
comme  une  garde  d'honneur.  Toulelois  ses  pa- 
roles devaient  egalement  proQter  a  la  foule  ; 
c'est  pourquoi  il  les  pronongait  devant  toule 
I'assistance.  Elles  se  ramenent  a  trois  graves 
logons  :  Fuyez  I'hypocrisie  pharisai'que,  ne 
craignez  pas  les  persecutions  huraaines,  soyez 
fermes  dans  la  foi  I  La  premiere  est  contenue 
dans  lesf !('.  1-3.  —  Le  texte  grec  fait  prec6der 
attendite  de  I'ad verbe  Tcpwtov,  avanl  loutes 
cboses,  et  il  le  fait  suivre  du  pronom  iauTot^, 


236 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


2.  Gar  rien  de  couvert  qui  ne 
soit  devoile,  et  rien  de  cache  qui  ne 
soil  su. 

3.  Gar  ce  que  vous  avez  dit  dans 
les  tenebres  se  dira  dans  la  lumiere, 
et  ce  que  vous  avez  dit  aToreiile 
dans  les  chambres  sera  preche  sur 
les  toils. 

4.0rje  vousdis,  a  vous mes  amis: 
Ne  craignez  pas  ceux  qui  tuent  le 
corps  et  apres  cela  n'ont  rien  de 
plus  a  faire. 

5.   Mais  je   vous   montrerai  qui 


2.  Nihil  autem  opertum  est,  quod 
non  reveletur  :  neque  absconditum, 
quod  non  sciatur. 

Maiih.  10,  26;  Marc.  4,  22. 

3.  Quoniam  quae  in  tenehris  dixis- 
tis,  in  lumiiie  dicentur  :  et  quod 
in  aurem  locuti  estis  in  cubicuHs, 
prsedicabitur  in  tectis. 

4.  Dico  autem  vobis  amicis  meis  : 
Ne  terreamini  ab  his  qui  occidunt 
corpus,  et  post  haec  non  habent 
amplius  quia  faciant. 

0.  Ostendam  autem  vobis  quern 


«  vobismelipsis  »,  deux  expressions  pleines 
<l'emphase.  —  A  fermento  Pkavisworum  : 
voila  conire  quoi  les  di-ciples  doivent  ge 
inellre  en  garde  avec  la  plus  grande  vigi- 
lance, et  Jesus  exprime  aussitol  ce  qu'il 
entend  par  le  levain  des  Pharisien>  :  quod  est 
hypocrisis...  Defiez-vous,  veut-il  dire,  de  ces 
loups  revelus  de  peaux  dagneaux,  el  n'allez 
pas  imiter  leur  conduite.  Voyez  dans  S.  Mat- 
ihieu,  XVI,  6,  el  dans  S.  iMarc.  viii,  15,  la 
meme  idee  reproduile  anlerieurement  par 
Nolre-Seigneiir. 

2.  —  Nihil  autem  opertum  est...  Un  jour 
viendra  oil  lout  sera  devoile;  les  actions  les 
les  plus  secretes,  les  desseins  les  mi^ux  di?si- 
mules  seronl  mis  en  pleine  lumiere,  el  aiors 
ii'S  liypocriles  seront  demasques.  Jesus  se 
serl  a  bon  droit  de  ce  raolif  pour  pre.-S'.^r  plus 
forl(M:i!'nt  les  siens  d'eviier  I'hypocrisie  pha- 
risaique. 

3.— Quoniam  (4v9'  wv,  «  propterea  )>)qucRin 
tenehris...  Le  rideau  sera  done  lire  de  riessus 
loules  choses.  Mais  la  publiciie,  terrible  pour 
les  uns  (les  Phaiisiensj.  auxquels  elle  appor- 
tera  la  honle,  sera  glorious'  pour  los  autrts 
(les  disciples),  car  elle  proclamera  la  verite 
de  leur  predication,  la  legitimile  de  leur  con- 
duit?. Les  expressions  proverbiales  employees 
par  Noire-Seign  ur  designent  d'une  maniere 
piltoresque  (in  aurem...  in  cubiculis,  in  tectis) 
les  commencemenls  timides  du  minislere 
aposlolique,  comrae  aussi  le  prodigieux  eclat 
donne  ensuite  a  I'Evangile.  A  propos  de  la 
locution  louleorienlaiew  praedicare  in  leclis  », 
rappelons  que  les  toils  des  niaisons  en  Pa- 
lestine sont  generalemenl  plals.  Du  haul  de 
ces  ti'rras^es.  qui  sont  d'ailleurs  peu  elevees, 
on  se  fail  ires  bien  entendre  des  gensgroupes 
dans  les  rues,  sur  l?s  places,  ou  sur  les  toils 
voisins,  et  une  nouvelle  ainsi  publiee  obtient 
en  un  din  d'oeil  du  retenlissemenl  dans 
toute  une  ville.  —  S.  Mallhieu,  x.  26  el  27 
(voyez  le  commentaire),  place  egalement  sur 


les  levres  de  Jesus,  mais  d'apres  une  liaison 
toute  differente  et  avec  quelques  modifica- 
tions dans  la  forme,  les  aphorismes  des  tt.  2 
et  3.  Notez  la  lournure  poetique  de  ces  pro- 
veibes  ;  le  parallelisme  des  mots  s'y  dessine 
clairement  : 

Niliil  opertum  est  quod  non  reveletar, 
neque  abscou  litum  quod  non  sciatur. 
Qux  in  lenebris  dixistis  in  lamiae  ilicentnr, 
et  qaoi  in  aurem  loculi  estis  in  cubiculis  praedicabi* 

[lur  in  tectis. 

Or,  c'est  justement  en  cela  que  consists  le 

caractere  principal  de  la  poesie  hebralque. 

4  et  5.  —  Deuxiem^  legon,  tt.  4-7  :  Dieu 
vous  protege,  ne  craignez  pas  les  hommesl 
—  Jesus  vient  de  predire  la  publiciie  qui  sera 
donnee  plus  lard  a  I'Evangilp.  Mais  cette  pu- 
bliciie meme  devait  allirer  de  lerribles  per- 
secutions sur  les  predicaleurs  de  la  bonne 
nfiuvelle  :  c'est  pourquoi  le  divin  Maitre  les 
rasjure.  —  Dico  autem  vobis  amicis  meis. 
Qielle  irndressedansceite  appellation!  Nulle 
part  ailleurs,  dans  les  Evangiles  synoptiques, 
les  disciples  ne  refoivenl  de  Jesus  le  doux 
nom  d'amis;  mais  nous  retrouverons  ce  litre 
dans  le  quatrierae  Evangile,  xv,  15.  —  iVe 
terreamini...  Le  Sauveur  affirme  d'abord  k 
ses  chers  disciples  qu'ils  n'ont  rien  a  craindre 
des  hommes,  alors  meme  que  ceux-ci  les 
condainneraient  aux  derniers  supphces;  car, 
ajoute-l-il  pour  motiverson  assertion,  quand 
les  hommes  onl  donne  la  mort  a  ceux  qu'ils 
perseculenl  {post  hcec),  ilsontepuise  toute  leur 
puis-ance.  —  Ostendam  autem  vobis...  Mais  si 
les  hommes,  fussent-ils  des  bourreaux,  n'ont 
rien  de  vraimpnt  redoulable,  il  est  quelqu'un 
qui  est  lormidable  jusqu'au-dela  du  trepas  : 
c'est  Dieu,  car  il  a  le  pouvoir  d'envoyer  a  tout 
jamais  dans  I'enfer  ceux  qui  I'ont  offense. 
Aussi  Jesus  repete-t-il  sur  un  ion  grave  et 
solennel  :  Ila  (vai,  oui],(iico  vobis,  hunctimete. 
Voyez  d"ailleurs.  sur  ces  deux  versels,  Mallh. 
X,  28  et'le  commentaire. —  S.Luc  n'empioia 


CHAPITRE  XII 


237 


timeatis  :  timeteeum  qui,  poslquam 
Occident,  habet  potestalem  mittere 
in  gehennam  :  ita  dico  vobis,  hunc 
timele. 

6.  Nonne  quinque  passeres  ve- 
neunt  dipondio,  et  unus  ex  illis  non 
est  in  oblivione  coram  Deo? 

7.  Sed  et  capilli  capitis  vestri 
omnes  numerati  sunt.  Nolite  ergo 
timere;  multis  passeribus  pluris 
estis  Yos. 

8.  Dico  autem  vobis  :  Omnis  qui- 
cumque  confessus  fuerit  me  coram 
hominibus,  et  Filius  hominis  confi- 
tebitur  ilium  coram  angelis  Dei   : 

9.  Qui  autem  negaverit  me  coram 
hominibus,  negabitur  coram  ange- 
lis Dei. 

10.  Et  omnis  qui    dicit  verbum 


vous  devez  craindre  :  craignez  celui 
qui,  apres  avoir  tue,  a  le  pouvoir 
de  Jeter  dans  la  gehenne.  Oui,  je 
vous  le  dis,  craignez  celui-la. 

6.  Cinq  passereauxne  se  vendeiil- 
ils  pas  deux  as?  Et  pas  un  d'eux 
n'est  oublie  devant  Dieu. 

7.  Meme  les  cheveux  de  votre 
tSte  sont  tous  comptes;  ne  craignez 
done  point,  vous  valez  plus  que 
beaucoup  de  passereaux. 

8.  Or  je  vous  le  dis,  quiconque 
m'aura  confesse  devant  les  hommes, 
le  Fils  de  I'homme  aussi  le  confes- 
sera  devant  les  anges  de  Dieu. 

Matlh.  10,  32;  Marc.  8,  38;  //.  Tim.  2,  12. 

9.  Mais  celui  qui  m'aura  renie 
devant  les  hommes  sera  renie  devant 
les  anges  de  Dieu. 

10.  Et  quiconque  parle  centre  le 


qu'eii  eel  endroil  le  mot  gehenna  pour  desi- 
gner I'enfer. 

6  el  7.  —  Apres  avoir  rassure  ses  disciples 
en  face  des  dangers  avenir,  en  leur  monlianl 
rimpuissance  de  ieurs  perseculeurs,  Jesus  les 
rassure  encore  par  une  touchanle  peinture 
dea  bonlrs  paternelles  de  Dieu  a  leur  egard. 
Deux  ex -mpl'  s,  choisis  a  dessein  dans  le  do- 
maine  des  plus  poliles  choses  («  de  rebus 
vilioribus  »,  S.  Ambroise),  sont  apporles  en 
preuve.  1o  Qu'y  a-t-il  de  inoins  precieux  que 
les  vulgaires  passereaux?  Us  tombt-nl  si 
nombreux  dans  les  pieg-s  de  divers  genres 
que  leur  dressent  les  oisi^leurs  orientaux, 
qu'on  peut,  aujourd'hui  corame  an  lemps  de 
Notre-Seigneur,  en  livrer  cinq  a  I'achplcur 
pour  la  modique  sommede  deux  as  [dipondio, 
ioffaptuv  Suo),  c'esl-a-dire  d'c^nviron  12  cen- 
times (voyez  A.  Rich,  Diclion.  des  anliquiles 
rom.  et  grecq.,  au  mot  As).  El  pourtanl, 
chacun  d'eux  esl  I'objet  d'une  «  providentia 
speciaiissima  ».  Quelle  gracieuse  variiinle  du 
passage  parallele  de  S.  Mallhieu,  x,  29  : 
»  Noime  duo  passeres  asse  vcneunt?  »  —  In 
oblivioiie  coram  Deo  est  un  hebraisme.  Celle 
locution  a  d'ailleurs  une  excollenle  base 
psychologique,  les  personnes  donl  nous  nous 
souvenons  eianl  en  quelque  sorle  presentes  a 
notre  esprit  et  a  noire  coeur.  —  2°  Sed  et 
capilli...  MSme  nos  cheveux,  el  ils  onl  encore 
beaucoup  moins  de  valeur  qu'un  humble 
passereau.  atlirenl  rattention  de  la  divine 
Providence.  Dieu  en  connail  le  nombre  (on 
dit  qu'il  est  de  140000!)  el  pas  un  seul  ne 
lombera  sans  sa  permission.  Grand  moiif  de 
conQance,  dit  Jesus  en  lirant  la  conclusion  de 


son  raisonnemenl  :  Nolite  ergo  timere!  Cora- 
bien  (ie  passereaux,  ajoule-l-il  avec  une  char- 
inanlu  simplicile,  ne  I'audrail-il  pas  pour  va- 
loir  un  homme!  Cfr.  iMatlh.  x,  30,  31  el  le 
commentaire. 

8  el  9.  —  Troisieme  legon,  tt.  8-12  : 
Gardez  soigneusemcnl  la  foi,  meme  au  milieu 
des  persecutions.  La  iransition  esl  assez  bien 
marquee  par  ces  lignes  d'un  recent  commen- 
laleur  :  «  La  profession  de  TEvangile  peut 
cciiler  cher  aux  disciples  sans  doule;  mais, 
s'ils  y  persevertnl,  eUe  leur  assure  une  re- 
com[)ense  magnifique  ».  Quelle  recompense 
en  effctque  de  s'enlendre  proclamer  chrelien 
fidele  par  Jesus  iui-meme.  devanl  loules  les 
l)halanges  angeliques.  c'esl-a-dire  au  jugement 
general  auquel  les  anges  a-^sisteroiit!  Toute- 
fdis,  a  la  recompense  est  opposes  un  chaliment 
terrible,  qui  alleindra  les  laches  apostals  : 
Qui  negaverit  me...  negabitur.  Une  nuance 
delicate,  propre  a  la  reviacilion  deS.  Luc,  me- 
rito  d'etre  notee.  Plus  haul,  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ  avail  prouiis  de  reconnailre  lui- 
m^me  [Fdius  hominis  confitebilar),  en  pre- 
sence des  anges,  ceux  qui  Tauraii-nl  coura- 
geusement  reconnu  el  confesse  devanl  les 
hommes;  mainlenant  qu'il  s'agit  d'une  con- 
damnalion  epouvaulable,  ilevite  de  se  metlre 
personnellemenl  en  scene,  et  il  dit  d'une  noa- 
mere  generale  :  «  Negabitur  ».  —  Voyez  sur 
ces  deux  versels  Mallh.  x,  32,  33  et  le  com- 
mentaire. 

10.  —  Autre  grand  peril  qui  menace  la 
foi  des  disciples  :  ils  sont  exposes  non-seule- 
ment  k  renier  leur  Maltre,  mais  encore  a 
blasphemer  contre  I'Esprii  Saint,  ce  qui  e.-t 


238 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


Fils  de  rhomme,  il  lui  sera  remis; 
mais  celui  qui  aura  blaspheme 
contre  I'Esprit  Saint,  il  ne  lui  sera 
point  remis. 

H.  Lorsqu'on  vous  conduira  dans 
les  synagogues,  devant  les  magis- 
trats  et  les  puissances,  ne  vous  in- 
quietez  pas  de  quelk  maniere  ou 
de  ce  que  vous  repondrez,  ou  de  ce 
que  vous  direz ; 

12.  Gar  I'Esprit  Saint  vous  en- 
seignera  a  I'heure  meme  ce  qu'il 
faut  que  vous  disiez. 

13.  Mais  quelqu*un  dans  la  foule 
lui  dit  :  Maitre,  dites  a  mon  frere 
de  partager  avec  moi  notre  heritage. 


in  Filium  hominis,  remittetur  illi : 
ei  autem,  qui  in  Spiritum  sanctum 
blasphemaverit,  non  remittetur. 

Maith.  10,  32;  Marc.  8,  36;  T'im.  %  12. 

11.  Gum  autem  inducent  vos  in 
synagogas,  et  ad  magistratus,  et 
potestates,  nolite  solliciti  esse  qua- 
liter  aut  quid  respondeatis,  aut  quid 
dicatis. 

12.  Spiritus  enim  sanctus  docebit 
vos  in  ipsa  hora,  quid  oporteat  vos 
dicere. 

13.  Ait  autem  ei  quidam  de  turba : 
Magister,  die  fratri  meo  ut  dividat 
mecum  hsereditatem. 


une  fauteenorme,  h.  tout  jamais  irremissible. 
—  Omnis  qui  dicit  verbum...  :  un-i  parole  en 

Eassant,  comme  serait  de  renier  par  fai- 
lesse  Jesus  et  son  Eglise.Malgre  la  grievetd 
de  ce  peche,  on  peut  obLenir  un  prompt  et 
g^nereux  pardon  pourvu  qu'on  se  repente; 
mais  le  crime  designe  par  les  mols  in  Spiri- 
tum Sanctum  btaspliemare  ne  saurait  6tre 
pardonne,  parce  qu'il  consiste,  nous  I'avons 
dit  aiileurs  (Evang.  selon  S.  Malth.  p.  247 
et  ss.),  dans  la  haine  de  la  verity  reconnue 
corame  telle,  et  qu'il  suppose  I'endurcisse- 
ment  volontaire  dans  le  mal.  Jesus  repute  ici 
h  ses  disciples  la  grave  inslruction  qu'il 
avail  autrefois  adressee  aux  Pharisiens.  Gfr. 
Matth.  xn,  31  et32;  Marc,  iii,  28-30. 

Il  et  42.  —  Jesus  a  promis  aux  siens, 
pour  soutenir  leur  foi.  une  splendide  cou- 
ronne  dans  la  bicnheureuse  eternite,  t.S;  il 
leur  proraet  encore  dans  le  meme  but  un  se- 
cours  tout  paiticulier  de  I'Espril  Saint  k 
I'heure  de  leurs  plus  graves  dangers.  Cfr. 
Matth.  X,  17-20  et  I'explication.  lis  seront 
conduits  comme  des  crimineis  taniot  devant 
les  tribunaux  religieux  des  Juifs,  in  synago- 
gas, tantot  devant  les  tribunaux  civiis  des 
palens,  ad  magishatus  el  potestates  (iitl  xa; 
ipxa?  xal  xa^  l^ouorta;,  expressions  a  peu  pres 
synonymes,  qu'on  Irouve  plusieurs  fois  asso- 
ci^es  dans  le  Nouveau  Testament  :  Luc. 
XX,  20;  I  Cor.  xv,  24;  Eph.  iii,  iO;  Col. 
I,  16;  II,  15;  Tit.  in,  1);  mais  qu'ils  deraeu- 
rent  calmes  quand  mdmel  Or,  c'est  un  fait 
d'exp^rience  que  ce  qui  trouble  surtout  un 
accuse,  durant  la  penible  attente  de  son 
proc6s,  ce  sont  d'une  part  les  rdponses  k 
laire  jux  interrogatoires  des  juges  :  qualiter 
(la  maniere  de  les  presenter)  aut  quid  (la 
substance  raSme)  respondeatis;  d'autre  part 
Jes  arguments  de  la  plaidoirie,  quid  dicatis. 
Mais,  pr^cis^ment  sur  ces  deux  points,  les 


disciples  du  Christ  peuvent  garder  la  paix  de 
rSme,  car,  in  ipsa  hora,  I'Esprit  de  Dieu  leur 
inspirera  des  improvisations  vigoureuses,  qui 
rdduiront  leurs  adversaires  au  silence.  Les 
magnifiques  discours  des  Pierre,  des  Etienne, 
des  Paul,  Act,  iv,  8  et  ss.;  vii,  2  et  ss. ; 
xxiii,  1  et  ss.;  xxiv,  10-21;  xxvi,  2-29,  prou- 
vent  que  Jesus  n'avait  pas  fait  a  ses  amis  une 
vaine  promesse. 

2'  Etrange  interruption   et  parabole  du  riche  in- 
sens6,  xn,  13-21. 

13.  —  Ait  autem  quidam.  Etrange  inter- 
ruption en  effet.  Jesus  parle  d'interets  tout 
spirituels,  tout  celestes,  et  voila  que,  proQ- 
tant  sans  doute  d'une  courte  pause,  un  in- 
connu,  preoccupe  uniquement  de  ses  interdts 
materiels,  le  conjure  de  la  faQon  la  plus  inop- 
portune de  I'aider  a  recouvrer  une  partie  de 
son  patrimoine,  qu'un  frere  aine  semble 
avoir  retenue  injuslement.  Mais  comme  cetle 
inopportunile  m^me  montre  bien  I'exactitude 
de  S.  Luc  a  suivre  I'ordre  historique  des  ^ve- 
nements!  —  On  ne  saurait  dire  en  termes 
precis  quel  etait  ie  point  en  lilige  :  la  gene- 
ralite  des  mots  ut  dividat  mecum  hceveditatem 
ne  le  permet  pas.  D'apres  la  loi  mosalque, 
Deut.  XXI,  17,  I'aine  recevait  une  double 
part  des  biens  du  p6re;  mais  la  fortune  de  la 
mere  etait  divis^e  en  portions  egales  entre 
tous  les  enfanls.  Gfr.  Selden,  De  success,  in 
bona,  V,  6 ;  Saalschlilz,  Mosaisches  Recht, 
t.  II,  p.  821.  Du  moins,  I'impression  pro- 
duite  par  le  debut  du  recit  est  que  le  suppliant 
avait  ete  redhMuenl  lese  dans  ses  droits.  Ce 
n'eiait,  helas!  ni  la  premiere  ni  la  derniere 
fois  que  la  division  existait  entre  des  freres 
k  propos  d'heritagel  Ou  a  parfois  soutenu, 
mais  sans  le  moindre  fondement,  que  I'au- 
teur  de  I'interruption  ^tait  un  disciple  de 
Notre-Seigneur.  Sa  requfite  prouve  au  con- 


CHAPITRE    X 


f^ 


14.  At  ille  dixit  illi  :  Homo,  quis 
me  constituit  judicem  aut  diviso- 
rem  super  vos? 

15.  Dixitque  ad  illos  :  Videte, 
et  cavete  ab  omni  avaritia  :  quia 
non  in  abimdantia  cujusquam  vita 
ejus  est  ex  his  quae  possidet. 

16.  Dixit  autem  similitudinem  ad 
illos,  dicens  :  Hominis  cujusdam 
divitis  uberes  fructus  asjer  attulit. 


14.  Etil  lui  dit  :  Homme,  qui  ra*a 
etabli  sur  vous  juge  ou  faiseur  de 
partages? 

Ib.ll  leur  dit  aussi :  Ayez  soin  de 
vous  garder  de  toute  avarice,  car 
lavie'^de  chacun  ne  depend  point 
de  I'abondance  des  choses  qu'il  pos- 
sede. 

16.  Et  il  leur  dit  cette  parabole  : 
Le  champ  d'un  liomme  riche  rap- 
porta  beaucoup  de  fruits; 


traire  qii'il  neconnaissait  pas  du  lout  I'espril 
du  divin  Maitre.  Seulement,  il  avait  compris 
que  Jesu>  etait  iin  homme  d'une  profonde 
sages-;e ,  il  avail  enlrevu  qn'il  jouissait  d'une 
grande  autorite  :  c'esl  pourquoi  il  avail  im- 
plore son  arbitrage,  dans  I'espoir  de  recou- 
vrer  grcice  a  lui  sa  propriele. 

M.  —  Dixit  illi  :  Homo...  La  r^ponse  du 
Sauveur  est  un  refus  formel,  et  un  refus  em- 
preinl  d'une  certaine  severite  (sur  eel  empioi 
de  «  homo  »,  voyez  Rom.  n,  1,  3).  Evidem- 
ment,  elle  fait  allusion  aux  dures  paroles  qui 
furenl  un  jour  adressees  a  Moi'se  par  un  de 
ses  concitoyens  mecontenl  de  son  interven- 
tion, Ex.  II,  14:  «  Quis  te  con>lituit  princi- 
ppm  et  judicem  super  nos?  »  Le  royaume  de 
Jesus  n'est  pas  de  ce  monde  :  Nolre-Si^igneur 
ne  veut  done  se  meler  ni  d'affaires  d'lieri- 
tage,  ni  d'affaires  politiqups  (Cfr.  Matlh. 
xxii,  17  et  parall.),  tout  cela  elanl  elranger 
a  sa  mission,  et  n'ayanl  aucun  rapport  direct 
avec  i'etablissement  de  la  vraie  religion. 
«  Bene  terrena  declinat,  qui  propter  divina 
descenderat...,  unde  non  immerilo  rtfutatur 
hie  frater,  qui  dispensatorem  coelestium  ges- 
tiebat  corruptibiiibus  occupare.  »  S.  Am- 
broise,  h.  I.  Plus  lard,  il  est  vrai,  S.  Paul 
reeommaudera  aux  Chretiens  de  juger  entre 
eux  leurs  alfaires  contentieuses,  I  Cor.  vi,  1-6; 
mais  le  cas  n'etait  plus  le  meme.  S.  Augus- 
tin,  eonstamment  derange  dans  ses  occupa- 
tions inlellecluelles  et  mysliques  par  la 
foule  des  plaideurs  qui  vrnaienl  le  prier 
d'etre  leur  arbilre,  regrettait,  nous  dil-il, 
(Enarrat.  in  Ps.  cxviii,  115),  de  ne  pouvoir 
repondre  h  la  suite  de  Jesus  :  «  Quis  me  con- 
stituit...? » —  Judicem  aut  rftotsorem,5ixaoT7jv 
(les  manuscrils  Sinait  ,  B,  D,  L,  etc.,  onl 
itpiTf|v)  ij  {ispKTTrjv.  Deux  expressions  tech- 
niques, donl  la  premiere  de^igne  le  juge 
charge  de  Irancher  la  question  de  droit,  la 
seconde  I'oxpert  qui  divise  I'heritage  confor- 
mement  k  la  sentence  des  tribunaux. 

15.  —  Dixitque  ad  illos.  C'csl-a-dire  i  tous 
ceux  qui  IVnlouraient  alors.  Cfr  t.^.  «  Oc- 
casione  hujus  stulti  petitoris,  adversus  ava- 
riliae  pestem,  et  turbas  et  discipulos  prae- 


ceplis  pariler  et  exemplis  munire  satagit.  » 
V.  Bede,  h.  I.  —  Videte  et  cavete  (repeiilion 
pleine  d'emphase)  ab  omni  avantia.  L'adjec- 
iif  «  omni  »  manque  dans  la  Recepta ;  mais 
son  authenticile  est  garantie  [lar  de  nom- 
breux  manuscrils  (A,  B,  D.  K,  L,  M,  Q,  R, 
U,  X,  etc.)  el  par  plusieurs  versions  (-yr., 
llala).  Le  motif  ailegue  par  Jesus,  quia  non 
in  abiindantia...,  estun  peu  obscur  dans  I'ex- 
pression;  mais,  comme  le  dil  fori  bii-n  Mal- 
donat,  «  ditficiliora  sunt  verba  quam  sensus. 
Si'HSum  enim  hunc  esse  manifeslum  est,  et 
omnes  consenliunl  auctores,  vitam  hominis 
in  opum  abundantia  minimeconsistere.sNon, 
la  vie  d'un  homme  ne  consiste  pas  dans  I'a- 
bondance des  biens  qu'il  posseiJe!  L'opulence 
ne  fait  pas  vivre  une  minute  de  plus;  elle 
n'est  pas  une  condition  essentielle  de  I'exis- 
tence  humaine,  ni  du  bonhenr  humain. 

16.  — Dixit  autem  simililudinem...  (dicens, 
lUvh,  hebrai'sme).  Jesus  commente  par  une 
belle  parabole,  par  un  fra|ipanl  exemple, 
I'importante  verite  qu'il  vioni  d'enoncer  en 
termes  generaux.  —  Hominis  cujusdam  divi- 
tis. C'est  le  heros  du  petit  drame  expose  par 
le  divin  Mailre ;  trisle  heros  pourtant,  car 
nous  ne  decouvrirons  en  lui  rien  de  spiriluel 
ni  d'eleve  :  il  est  mondain  jusqu'a  la  moelle 
des  OS.  Quoiqu'il  possede  deja  beaucoup,  son 
ideal  est  de  posseder  encore  davantage.  Mais 
voici  que  ses  desirs  vont  etre  ploinement  sa- 
tisfails  :  uberes  fructus  ager  atlulit.  Son 
champ!  ce  n'est  point  assez  dire,  carle  texte 
grec  n'emploie  pas  ici  le  substanlif  x^ptov, 
qui  est  I'equivalent  ordinaire  de  «  ager  », 
mais  xwpaidontia  signification  litteraloserait 
«  la  region,  la  conlree  »,  ce  qui  designe  de 
vastps  domaines.  Le  verbe  zvf6pr\(stv,  traduit 
dans  la  Vulgate  par  «  uberes  fructus  attulit  », 
ne  se  trouve  qu'en  ce  passage  de  la  Bible.  — 
Les  exegetes  anciens  et  modernes  font  ob 
server  a  bon  droit  que  rhoinme  riche  present© 
par  Notre-Seignpur  comme  un  modele  a  evi- 
ter  avait  une  fortune  tr6s  legitimemenl  8C- 
quisp.  «  Non  limite  perlurbato,  non  spoliaio 
paupere,  non  eircumvenlo  simplice  »..  S.  Au- 
gust., Serra.  clxxviii.  2.  «  Modus  hie  dites- 


240 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


17.  Et  il  pensait  en  lui-meme, 
disant  :  Que  ferai-je?  car  je  n'ai 
pas  ou  rassembler  mes  fruits. 

18.  Et  il  dit  :  Je  ferai  ceci  :  je 
detruirai  mes  greniers  et  j'en  ferai 
de  plus  grands',  et  j'y  rassemblerai 
ious  mes  produits  et  tous  mes  biens. 

19.  Et  je  dirai  a  mon  ame  :  Mon 
Ime.  tuas  beaucoup  de  biens  amas- 
ses pour  plusieurs  annees  ;  repose- 
toi,  mange,  bois,  fais  bonne  chere. 


17.  Et  cogitabat  intra  se  dicens  : 
Quid  faciam,  quia  non  habeo  quo 
congregem  fructus  meos? 

18.  Et  dixit  :  Hoc  faciam  :  des- 
truam  liorrea  mea,  et  majora  faciam ; 
et  illuc  congregabo  omnia  quae  nala 
sunt  mihi,  et  bona  mea; 

19.  Et  dicam  animse  meae :  Anima, 
babes  multa  bona  posita  in  annos 
piuiimos:  requiesce,  comede,  bibe> 
epulare. 

Eccli.  11, 19. 


cendi  innocenlis-iiiius,  »  dit  aussi  Bengel;  mais 
ii  ajoulo  bien  jii?lemenl  :  «  el  tamon  periculo- 
sus  ».  Cfr.  Maldonal,  h.  I.  En  pffet,  il  y  a 
longtemps  quo  ie  sage  I'a  prophetise.  Prov. 
I,  32  :  «  La  prosperite  des  in>en'^es  les  de- 
iruira.  »  Corap.  Eccl.  v,  10.  Les  Grecs  et  les 
Latins  avaient  d'ailieurs  des  m;iximes  ana- 
logues, fruils  d'line  experience  souventveri- 
fiee.  To  9dpiiay.6v  aou  triv  voffov  [lei'Cu}  iroiti, 
disail  Pliilarqiie  a  un  avare.  «  Avarum  irri- 
tal  pecunia,non  saliat  »  (axiome  romain). 
47.  —  Ce  vcrset  et  les  deux  suivants 
contiennent  un  monologue  d'une  paifaite 
exactitude  psychologique,  et  admirablemenl 
decrit.  —  Quid  farmm?  se  demande  a%'ec 
anxiete  le  riche  proprietaire,  mis  snbiteraent 
dans  I'embarras.  EL(|uel  (  mbarrasl  Non  habeo 
quo  congregem...  «  Tuibavit  hoiniiieui  copia 
plus  quam  iiiopia  »,  S.  Augustin.  «  0  angus- 
lia  ex  satielate  natal  De  uberiale  agii  an- 
gustalur  animus  avari.  Dicens  namque  :  Quid 
faciam?  profecto  indicat  quia  votorum  suo- 
rum  affectibus  pressus,  sub  quodam  rerum 
i'asce  laborabat  »,  S.  Greg.  Moral,  xv,  22. 
C'est  le  cas  de  citer  le  vers  de  Virgile, 
Georg.  I,  49  : 

Illias  (segetis;  immenss  rnperaot  horrca  messes; 
OU  celui  de  TibuUe,  ii,  5,  84  : 

liistpndet  spicis  horrea  plena  Ceres. 

Le  vieux  proverbe  a  raison  :  «  Crescentem 
sequitur  cura  pecuniam.  »  Si  la  plupartdes 
hommes  se  tourmentent  parce  qu'ils  n'ont 
pas  tout  ce  doiil  ils  ont  besoin  ou  tout  ce 
qu'ils  desirenl,  il  en  est  d'autres  qui  s'in- 
quietent  parfois  a  propos  de  leur  superflu, 
dont  ils  ne  savent  que  faire.  Comme  s'll  n'y 
avait  pas  des  pauvres  pour  les  cielivrer  de  ce 
soucil  ((  Habes  apolhecas,  inopum  sinus,  vi- 
duarum  domus,  ora  infaniium.  »  S.  Am- 
broise,  deNabulhe,  7.  Cfr.  S.  August.  Serm. 
XXXVI,  9;  S.  Ba^ile,  op.  Cat.  S.  Thom. ; 
Eccli.  XXIX,  12.  Mais  c'est  Tegorsme  qui 
donne  ici  le  ton.  Le  riche  de  notre  parabole 
ne  ppnse  qu'a  lui-meme,  comme  le  monire  le 
pronom  ixou  repele  cinq  fois  avec  empbase  : 


Tou?  xaoTToO;  uou,  \).ov  Ta;  auo9-oxac,  xi  Yevv>5iiaT« 
[J.OU,  10.  aya9i  (lou,  tt|  <^'J'/(rj  [xoy. 

48  et  19.  —  Hoc.  faciam.  Apres  avoir 
cherche  pendant  quelque  leuips  d'uno  ma- 
niere  anxieuse,  il  arrive  enfin  a  une  solution 
qu'il  a  tout  lieu  de  croire  excellente.  Ses 
greniers  sonl  trop  eiroils,  qu'imporieV  II  les 
detruira,  et  il  en  construira  de  plus  vastes, 
capables  de  contenir  ses  splendides  recoltes, 
ses  xapTioO?,  ses  ye^^rt[t.a-:a,  ses  dyaOa,  comme 
il  les  appelle  a  trois  repiises.  Et  alors,  con- 
clut-il,  diciim  aiiimce  mece...  C:'tte  maniere 
de  parler,  qui  correspond  a  I'hebreu  i;i'2wS, 
est  beaucoup  plus  energique  que  le  simple 
ejiof,  «  mihi.  »  Et  que  dira-l-il  a  cette 
pauvre  ame.  qu'il  n'envisage  pas  ici  comme 
la  partie  superieure  de  son  etre,  mais  comme 
le  siege  des  piaisirs  et  le  cenlre  des  jouis- 
sances?Il  lui  tiendra  un  langage  d'Epicurien  : 
Habes  multa  (einphatiquo]  bona  positu  (xetiAe-'O, 
mis  en  reserve)  in  annos  plurnnos  (nouvelle 
emphase).  II  se  delecte  dans  cette  pensee; 
mais  quelle  erreur  est  la  siennel  Un  palen 
va  lui  t'aire  la  leQon  : 

....  Tanqaani 

Sit  propriam  quidquam,  punclo  qnod  mobilis  horaj. 
Nunc  prece.  nunc  prelio,  nunc  vi,  nunc  niorte  suprcma, 
Permuiet  dominos,  et  cedat  in  altera  jura. 

Horat.  Ep.  ii,  2, 171. 

II  a  beau  accumuler  dans  ses  greniers 
toutes  sortes  de  richesses,  il  ne  saurait, 
comme  dit  le  salirique  grec  (cite  par  Trench, 
Notes  on  the  Parables,"  1870,  p.  338),  Ccurjc 
ffupeOoat  (le'-rpa  Tiepiffffcxepa.  On  dirait  qu'il 
veut  copiiT  les  sentiments  et  les  paroles  de 
cet  autre  tiche  que  le  livre  de  I'Ecclesiasti- 
que,  XI,  1 8  et  1 9,  signale  pour  le  condamner  • 
«  Est  qui  locupletalur,...  et  haec  est  pars 
mercedis  ejus  in  eo  quod  dicit  :  Inveni  re- 
quiem mihu  et  nunc  manducabo  de  bonis 
meis  solus  »  ;  mais  il  en  copiera  aussi  le  sort, 
car  «  nescii  quod  tempus  praeieriet,  el  mors 
appropinquet,  etrelinquat  omnia  aliis  et  mo- 
rietur  »,  —  Requiesce  (dvanauou,  mot  ires 
fort),  comede,  bibe,  epulare  (le  grec  eO^paivow 
signifie  pluiol  «  delectare  »).  Quelle  emo- 


CHAPITRE   XII 


241 


20.  Dixit  autem  illi  Deus  :  Stulte, 
hac  nocte  animara  tuam  repetunt 
•a  te  :  quae  autem  parasti.  cujus 
<erunt? 

21.  Sic  est  qui  sibi  thesaurizat, 
et  non  est  in  Deum  dives. 

22.  Dixitque  ad  discipulos  suos  : 
Ideo  dico  vobis  :  Nolite  solliciti  esse 
animae  vestrae  quid  manducelis,  ne- 
que  corpori  quid  induamini. 

Psal.  54,  23;  MaClh.  6,  25;  /.  Pet.  5.  7. 

23.  Anima  plus  est  quam  esca, 


20.  Mais  Dieu  lui  dit  :  InseDse, 
cette  nuit  meme  on  te  redemandera 
ton  dme,  et  ce  que  lu  as  amas^e  a 
qui  sera-t  il? 

21.  Tel  est  celui  qui  thesanrise 
pour  soi  et  n'est  pas  riche  devant 
Dieu. 

22.  Et  il  dit  a  ses  disciples  :  G'est 
pourquoi  je  vous  dis  :  Ne  vous  in- 
quielez  pas  pour  votre  vie  de  ce  que 
vous  mangerez,  ni  pour  votre  corps 
de  quoi  vous  le  velirez. 

23.  La  vie  est  plus  que  la  nour- 


lioa,  quelle  rapidile,  dans  celte  derniere  ligne 
>d\i  soliloquel  Le  malheureux  semble  jouii- 
;deja  par  avance.  Mais  il  ne  jouira  pas  long- 
lemps,  bitv'  que  o  longa  securitalis  spalia 
cogilavil  B  (Terlullien).  S.  Basile  lui  adresse 
■juslement  ces  terribles  reproches,  qii'on  ose- 
lait.  a  peine  Iraduire  :  'Q  xijc  aXoYia; !  et  Sexot- 
.petov  eTxe;  <j'"X^i^>  '^'  ^"^  ^^^^  ^  toOto  aO-c^  euiflT" 
Ye),((T««);  ovJto)  xTYivwSri;  el,  outw;  duyvsTo;  xwv  xfn 
.«|;vx^i?  dyaOdiv,  toT;  Trj;  capxo;  aOnov  Ppufiadi 
S£$ioO[j.evo;*  xai  Oda  6  d9£6pa)v  uTCoSe'xefai,  TaiJT* 
•ZTQ  ^yx^  TtapaTre'iAitei;; 

20.  —  Dixit  illi  Deus.  Fin  terrible  d'un 
beaa  rdve.  Peu  imporle  du  resle  le  raoyen 
auquel  Dieu  aura  recouru  pour  se  faire  en- 
tendre :  nous  n'avons  pa'  a  nous  inquieter 
de  ce  detail  (voyez  dans  Maldonat  le  resume 
des  anciennes  opinions),  car  I'essentiel  con- 
sisle  dans  les  paroles  memes.  —  Stulte,  i^ptov. 
Celui  sur  qui  retombe  cette  epilhele  avait 
pourlant  paru  si  sa.i;p!  il  avail  combine  des 
plans  si  ingenieux!  Mais  en  realite  il  n'elait 
qu'un  insense.  «  Quam  stultum  est,  ecnvail 
Seneque.  Ep.  ci,  aeialem  disponere!  Ne  cras- 
.tino  quidem  dominamur.  0  quania  dementia 
j??,l  spes  longas  inchoantiuin.  Emam,  aedifi- 
■cabo,  credam,  exigam,  honores  geram  :  tum 
demum  lassam  el  plenam  seneclutem  in  olium 
roferam  ».  Cfr.  Jac.  iv,  13  et  14.  Done, 
«  slulie  ».  C'est,  comm  i  le  dit  juslement  Vi- 
tringa.  Erkl.  der  Parab..  p.  781,  le  Nabal  du 
Nouveau  Testament.  Cfr.  1  Reg.  xxv,  25 
f>l  ss.  —  Hac  nocte  :  celle  nuit  meme,  c'est- 
a-dire  dan>  quelqnes  instants,  dans  qurlques 
lieures  toiil  an  plu-,  car  on  le  .suppose  etendu 
sur  sa  couclie  pendant  la  nuit,  ei  demeurant 
-evcille  par  suite  de  ses  preoccupations  et  de 
ses  projets.  —  Animam  tuam  repelunt  a  te. 
'AirotpoiJoiv  :  I'emploi  du  temps  present  indi- 
que  aussi  un  Ir^s  court  delai.  Quanl  au  plu- 
riel,  on  l*a  divers  m-'nt  int'rpreto.  On  lui  a 
fait  designer  tour  h  tour  des  assassins  (Pau- 
lus,  Born  mann),  les  ariges  de  la  morl  (von 
'Gerlach,  etc.  Cfr.  Job.  xxxiii,  22!,  Dieu  lui- 
.'la^nje  (ce  serait  alors  un  pluricl  de  majesle;. 


D'aulres  le  regardent  coiiime  i;ii  synunsm' 
de  «  repelitur  ».  Laissons-lui,  a  la'suih"  de 
Jesus,  son  «  effrayanle  obscurite  »  (Tiencti.). 
Cfr.  t.  48;  xiv,  35.  —  {Juce...  pmosli,  injux 
erunt?  Tiranl  le  voile  sur  le  sort  qui  attend 
dans  I'autre  \ie  une  ame  aussi  mondaiiie,  la 
parabole  revient,  el  c'esi  son  dernier  tiail, 
sur  les  richesses  accumnlees  par  celui  doni 
elle  raconte  la  trisie  histoire.  A  qui  anpar- 
tiendronl  lanl  de  tresors?  Les  ennuis  causes 
par  cetle  incerlilude  sont  Irequemmeul  si- 
gnalesdans  les  saints  Livres.  Ps.  xxxviii,  7  : 
Thesaurizat,  el  ignoral  cui  congregabil  ea  »; 
Eccl.  II,  18  el  ss.  :  «  Ruisus  detesiatus  sum 
omnem  inauslriam  meam  qua  siudiosissirae 
sub  sole  laboravi.,  habiturus  haeredera  post 
me,  quum  ignore,  utrura  sapiens  an  siul- 
lus  sit...  El  est  quidquam  tarn  vaniira?  » 
Cfr.  Ps.  XLviii,  16-20;  Jer.  xvn,  11;  Job. 
xxvii,  16  el  17. 

21 .  —  Sir;  est...  Conclusion  et  morale  de  la 
parabole.  Jesus  met  en  regard  deux  sortes  de 
tresors,  les  Iresors  materiols.  perissables,  et 
les  Iresors  spinliieis,  elerneis.  Il  nomme  inge- 
nieusement  les  premiers  sibi  thesaurizare,  les 
seconds  esse  in  Deum  dives,  devenir  riche  par 
rapport  a  Dieu.  Malheur  a  quiconque  ne  (he- 
saurise  que  pour  lui-meme,  dans  de?  vues 
egolslesi  II  perira,  et  ses  richesses  periront 
avec  lui. «  PecunitE  tuae  captivus  el  servus  es ; 
servas  pecuniam,  qu.ne  lesMvata  non  s^rvat; 
palrimonium  cumulas,  quod  te  pondere  suft 
gravius  oneral  :  nee  meministi  quid  Deui 
respondeat  diviti  exuberantium  frucluumco- 
piam  slulla  exultatione  jaclanti.  Quid  divi- 
tiis  tuis  solus  incubas.  qui  in  [loenam  tuan. 
patrimonii  tui  pondiis  oxaggeras,  ut,  quo  lo 
cuplelior  sae-:ulo  fueri-;.  pniperior  Deo  fias?  )• 
S.  Cypr.,  de  Op.  et  Eleeinos. 

3o  Seconde  s^rie  d'avertissements  aux  diaciplet. 
XI,  22-53. 

22  et  23.  —  Dixitque  ad  discipulos  suoi 
Apres  avoir  repondu  a  rinterpellaiion  singu 
Here  (t.  13)  qui  I'avait  interrompu  au  milieu 

S.  Bible.  S.  Ldc.  —  16 


142 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


riture  et  le  corps  plus  que  le  vete- 
ment. 

24.  Gonsiderez  les  corbeaux  :  ils 
ne  sement  ni  ne  moissonnent;  ils 
n'out  ni  cellier  ni  grenier,  et  Dieu 
les  nourrit.  Gombien  yous  valez  plus 
qu'eux ! 

2b.  Qui  de  vous  en  reflechissant 
peut  ajouter  a  sa  taille  une  coudee? 

26.  Si  done  vous  ne  pouvez  meme 
ce  qu'il  y  a  de  moindre,  pourquoi 
vous  inquietez-vous  du  reste? 

27.  Gonsiderez  les  lis,  comme  ils 
croissent  :  ils  ne  travaillent  ni  ne 
filent;  pourtant  je  vous  le  dis,  Sa- 
lomon meme  dans  toute  sa  gloire 
u'etait  pas  vetu  comme  Fun  d'eux. 

28.  Or  si  I'herbe  qui  aujourd'hui 


et  corpus  plus  quam  vestimentunir 

24.  Considerate  corvos,  quia  nons 
seminant,  neque  metunt,  quibus- 
non  est  cellarium,  neque  horreum, 
et  Deus  pascit  illos.  Quanto  magis 
vos  pluris  estis  illis? 

25.  Quis  autem  vestrum  cogitando 
potest  adjicere  ad  staturam  suam 
cubitum  unum? 

26.  Si  ergo  neque  quod  minimuni 
est  potestis,  quid  de  ceteris  solliciti 
estis? 

27.  Considerate  lilia  quomodo 
crescunt :  non  laborant,  neque  nent; 
dico  autem  vobis,  nee  Salomon  in 
omni  gloria  sua  vestiebatur  sicut 
unum  ex  istis. 

28.  Si  autem  foenum,  quod  hodie 


desaverlissements  qu'il  donnait  aux  disciples, 
Jesus  s'adresse  de  nouveau  d'une  maniere 
plus  speciale  a  ces  derniers.  Mais,  au  lieu  de 
reprendre  la  suite  de  ses  premieres  legons, 
il  continue  de  parler  pendant  quelque  temps 
{ft-  22-34)  du  sujet  sur  lequel  on  I'avait 
amsDe,  et  il  profite  de  cette  occasion  pour 
redire  quelques-unes  de  ses  plus  belles  maxi- 
mes  du  Sfimon  sur  la  monlagne.  Cfr.  Matlh. 
VI.  25-34  et  le  commentaire.  «  Docuit  supra 
cavendum  esse  ab  avaritia;...  deinde,  proce- 
dente  seruione,  neque  de  necessariis  sinit  nos 
soUicitudinem  gerere,  avariliae  radicem  evel- 
lens.  »  Celte  reflexion  de  Theophylacle  indi- 
que  fort  bion  I'enchainement  et  la  gradation 
des  pensees.  ^-  Ideo  dico  vobis...  «  Ideo  «, 
puisque  tel  est  le  sort  miserable  de  ceux  qui 
s'attachent  aux  biens  temporels.  —  Nolite 
solliciti  esse,  \>.9i  [xeptiivaTe.  L'anxiele  trop  vive 
a  regard  des  choses  necessaires  k  la  vie 
(Notre-Seigneur  mentionne  les  deux  princi- 
pales,  la  nourriture  et  les  vStemenls)  ressem- 
blerail  a  I'avarice,  et  ne  nous  delournerait 
pas  moins  de  notre  fin  que  I'amour  exagere 
des  richesses.  —  Les  paroles  du  t.  23  con- 
tiennent  la  demonstration  logique  de  I'aver- 
tissement  qui  precede.  «  Praeeminel  autem 
>anima  (c'esl-a-dire  la  vie)  cibo,  et  corpus 
vestiiui...  Quasi  dicat  :  Deus  qui  quod  raajus 
estexhibuit,  quomodo  non  dabit  quod  minus 
est?  »  S.  Cyrille,  Cat.  Patr.  greec. 

24.  —  Jesus  continue  de  fortifier  son  grave 
avertissemenl  par  des  preuves.  Passant  a 
des  fails  d'experience,  et  argumenlant  en- 
core a  a  minoii  ad  majus  »,  il  allegue  les 
raisons  les  plus  louchantes,  et  en  mSme 
temps  les  plus  convaincantes,  pour  nous  en- 
gager k  nous  confier  pleinement  en  la  Provi- 


dence de  Dieu.  —  Considerate  corvos.  Dans^ 
S.  Matthieu,  vi,  26,  c'etaient  les  a  volalilia 
coeli  1)  en  general  qui  etaient  apporles  eo^ 
exemple ;  Jesus  mentionne  ici  les  corbeaux 
d'une  maniere  speciale  et  pittoresque,  parce 
que  ces  oiseaux,  d'apres  la  croyance  des  an- 
ciens  ;Cfr.  Job.  xxxviii,  41 ;  Ps.  cxlvii,  9; 
Aristote,  Hist,  anim.,  ii,  7;  Hist.  nat.  vii,  5), 
auraient  au  debut  de  leur  existence  des  diffi- 
cultes  particulieres  pour  se  nourrir.  a  En 
effet,  dit  naivement  Theophylacle  suivant 
cette  vieille  tradition,  les  corbeaux,  apr^s 
avoir  engendre  leurs  petits,  no  les  nourris- 
sent  pas,  mais  les  abandonnent.  Le  vent  leur 
porte  a  travers  les  airs  une  merveilleuse  p4- 
ture  ;  ils  la  regoivent  dans  leur  bee  entr'ou- 
vert  et  sent  ainsi  nourris.  » 

25  et  26.  —  Autre  raisonnement  :  lequel 
d'entre  les  hommes,  fiit-il  un  genie,  serait  ca- 
pable, apres  de  longues,  d'habiles  et  de  peni- 
bles  combinaisons  {fo^j^ando;  mieux  :  «  anxie 
cogitando  »,  (lepiixvcBv),  d'agrandir  sa  vie  d'une 
coudee.  c'est-a-dire  de  quelques  jours,  ou  de 
quelques  scmaines?  Sur  ce  sens  de  i^Xixia, 
voyez  I'Evang.  selon  S.  Matthieu,  p.  138 
et  139.  Au  lieu  de  ad  staluram  suam,  d'an- 
ciens  manuscrits  latins  portent  k  bon  droit 
«  ad  aetatem  suam  o,  ou  a  ad  slatum  aelatis 
suae  ».  —  Si  ergo  neque...  C'esl  la  conclusion 
de  I'arguraent,  Si  nous  ne  pouvons  de  nous- 
memes  realiser  quod  minimum  est,  et  Jesus 
designe  par  la  I'humble  ailongement  de  notre 
vie  signale  plus  haut,  combien  plus  serions- 
nous  impuissants  h  pourvoir  k  lous  nos  be- 
soins  materiels,  compris  dans  les  mots  de  cce~ 
leris  I  Noire  incapacite  nous  invite  done  k> 
nous  reposer  sur  Dieu. 

27  et  28.  —  L'exemple  des  lis  aprds  celur 


CHAPITRE  XU 


24» 


est  in  agro,  et  eras  in  clibanum 
mittitur,  Deus  sic  vestit,  quanto 
magis  vos  pusillsefidei? 

29.  Et  vos  nolite  quserere  quid 
manducetis,  aut  quid  bibatis,  et 
nolite  in  sublime  tolli  : 

30.  Hsec  enim  omnia  gentes  mundi 
quserunt.  Pater  autem  vester  scit 
quoniam  his  indigetis. 

31.  Verumtamen  quserite  primum 
regnum  Dei  et  justitiam  ejus  :  et 
haec  omnia  adjicientur  vobis. 

32.  Nolite  timere  pusillus  grex, 
quia  complacuit  patri  vestro  dare 
vobis  regnum. 


est  dans  les  champs  et  demain  sera 
jetee  au  four,  Dieu  la  revet  ainsi, 
combien  plus  vous,  hommes  de  peu 
defoi? 

29.  Ne  demandez  done  pas  ce  que 
voiis  mangerez  ou  ce  que  vous  boi- 
rez,  et  ne  vous  jetez  pas  en  de  pro- 
fonds  soucis. 

30.  Car  les  nations  du  monde  re- 
cherchent  toutes  ces  choses,  mais 
votre  Pere  sait  que  vous  en  avez 
besoin. 

31.  Gherchez  done  premierement 
le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice,  et 
toutes  ces  choses  vous  seront  don- 
nees  par  surcroit. 

32.  Ne  craignez  point,  petit  trou- 
peau,  parce  qu'il  a  plu  a  votre  Pere 
de  vous  donner  le  royaume. 


des  corbeaux.  Jesus  decril  d'abord  [t.  27), 
en  se  servant  d'une  comparaison  bien  forte 
pour  quiconque  est  familiarise  avec  I'histoire 
juive,  la  beaute  de  ces  gracieuses  fleurs.  Un 
lis,  dit-il,  est  mieux  vetu  que  le  roi  Salomon  ! 
Et  pourtant  I'art  isiaelile  avail  su  realiser 
des  merveilles  sous  ce  prince  en  fail  do  splen- 
dides  ornemenls.  Le  Sauveur  indique  ensuite 
au  moyen  d'un  frappant  conlrasle  le  neant 
de  ces  vegelaux  ephemeres  :  hodie...  in  agro, 
dans  loute  leur  splendeur ;  eras  in  clibanum^ 
pour  faire  cuire  des  aliments  vulgaires  (voyez 
I'Evang.  selon  S.  Matlh.,  p.  440,  el  L.  AbboU, 
The  Gospel  according  lo  Luke,  p.  79).  Aussi 
la  jolin  fleur  ne  porle-l-eile  plus  maintenanl 
que  le  nom  de  f'cenum.  Done,  quanto  magis 
vast  Un  homme  cree  a  I'image  de  Dieu  n'a-l- 
il  pas  inGniment  plus  de  valeur  qu'un  lis? 
29  et  30.  —  Notiveaux  motifs  de  confiance 
absolue  en  la  Providence  divine  :  se  preoc- 
cuper  du  v^tement  et  de  la  nourriture,  ce 
serait  imiter  les  paiens,  ceserait  oublier  que 
Dieu  est  noire  Pere.  —  Et  vos,  avec  emphase; 
ne  vous  inquietez  pas  plus  que  les  oiseajx  du 
ciel,  pas  plus  que  hs  lis  des  champs.  —  Aux 
mois  nolite  in  sublime  tolli  correspond,  dans 
le  texte  grec,  la  locution  plus  concise  \Li\ 
jiexewpiileoOe,  que  les  oxegeles  traduisent  de 
deux  manieres  differenles,  selon  la  double  si- 
gnification attribuee  par  les  classiques  au 
verbe  (leTewpt^eiv.  Parfois  en  effet  ce  mot  de- 
signe  I'elal  d'un  vaissiau  qui,  so  trouvanten 
pleine  mer,  est  batlu,  agite  par  les  vagues, 
puis,  au  figure,  les  angoisses  d'une  ame  sus- 
pendue  entre  differenles  crainles,  ou  bien 
entre  la  crainte  et  I'esperanco.  Mais,  le  plus 
souvent,  d'apr^g  sa  racine  itexEcapo;,  dont  le 


vrai  seus  est  «  alius,  sublimis  »,  il  signifie 
«  animo  efferri,  in  sublime  tolli  »  (Theophy- 
lacte,  0<|>r)Xo9povetv) ;  ici,  par  consequent  : 
avoir  des  desirs  pretentieux,  des  viseessuper- 
bes,  des  esperances  exaltees,  au  point  de  vue 
des  vivres  et  de  rhabillemenl.  La  traduction 
de  la  Vulgate  est  done  suffisamment  garaniie. 
Voyez  Bretschneider,  Lex.  man.,  s.  v.,  et 
les  savantes  notes  de  Kuinoel  et  de  Schegg, 
h.  1.  —  Par  gentes  mundi  (comparez  I'expres- 
sion  idenlique  des  Rabbins,  dSiVH  mDIK)  il 
faul  entendre,  par  opposition  aux  Juifs,  les 
nations  paiennes,  dont  la  vie  et  les  aspirations 
onl  loujours  ete  dirigees  vers  les  jouissances 
malerielles  et  mondaines.  —  Pater  autem 
vester...  Dans  le  grec,  le  pronom  ujxwv  est 
place  en  Idle  de  la  phrase  d'une  maniere  em- 
phatique.  Dieu  est  noire  Pere,  et  un  tel  pere 
ne  subviendra-l-il  pas  certainement  aux  be- 
soins  de  ses  enfants  ? 

31.  —  Verumtamen  qucerite...  Apr6s  avoir 
dit  plus  haul  a  ses  disciples,  t.  29,  qu'ils  ne 
devaient  pas  se  livrer  k  des  inquietudes  exa- 
gerees  par  suite  de  leurs  necessiles  tempo- 
relies,  Jesus  designe  maintenanl  a  leur  acti- 
vile  un  vasie  domaine  sur  lequel  elle  pourra 
s'exercer  en  premiere  ligne  et  sans  reserve, 
regnum  Dei  et  justitiam  ejus  (les  meilleurs 
manuscrils  ont  simplement  t:^v  PaaiXet'av  autou, 
a  regnum  ejus  »).  A  quiconque  fera  du  celesie 
royaume  I'objet  principal  de  ses  recherche?, 
il  promet  une  ample  satisfaction  des  legitimes 
besoins  de  la  vie. 

32.  —  La  pensee  de  Jesus  s'eleve  par  degres. 
II  a  condamne  sev6rement  I'avarice,  tt-  4 5-21  ; 
il  a  m6me  condamne,  comme  une  tendance 
paienne,  la  sollicilude  exagerde  a  i'^gard  de? 


kKl 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


33.  Vendez  ce  que  vons  possedez 
el  donnez-le  en  aumone.  FaiLes-vous 
des  bourses  qui  ue  s'usent  point,  un 
tresor  qui  ne  manque  poinl,  dans 
les  cieux,  oii  le  voleur  n'approche 
pas  et  ou  la  teigne  ne  ronge  pas ; 

34.  Car  oii  est  votre  tresor,  1^ 
aussi  sera  votre  coeur. 

35.  Que  vos  reins  soient  ceints 
etles  lampes  allumees  en  vos  mains, 


33.  Vendite  quae  possidetis,  et 
date  eleemosynam.  Facite  vobis 
saccules  qui  non  veterascunt,  the- 
saurum  non  decfiientem  in  coelis  : 
quo  fur  non  appropiat,  neque  tinea 
corrumpit. 

Matlh.  19,  21:  Id.  6,  20. 

34.  Ubi  enim  thesaurus  vester 
est,  ibi  et  cor  vestrum  erit. 

35.  Sint  lumbi  vestri  praecincti, 
et  lucernae  ardentes  in  manibus  ves- 
tris. 


necessiles  rie  la  vie,  tt.  22-31  :  [nonianl  lmi- 
core  plus  haul,  voici  qu'il  recoinmandc  a  ses 
disciples  lodetachemenl  parfait.  tt.  32-34.  — 
Pusillus  grex  (Cfr.  Jor.  L,  4o ;  Zach.  xiii.  1\. 
I^ombienhtiinble,  riiais  bit>n  louchant.sorti  di- 
I eclemenl  (lu  coeur  dc  Jesus.  Lf^s  brebi>  fidelcs 
de  ce  bon  Pasleur  ne  formaieiil  en  effet,  pour 
le  nombre,  pour  la  condilion,  pour  les  qua- 
liles  exterieuros,  qu'un  lout  pelil  lroup;'au, 
sur  lequel  le  monde  jeiail  <les  regards  de 
inepris.  Mais  Dieu  les  coniemplaiL  avec  les 
yeux  d'un  pere,  el  il  leur  deslinail  dans  sa 
bonle,  el  meme  il  moUait  ses  complaisances 
a  leur  desliner  {complacuit),  une  recompense 
grandiose  [regiium,-^r,-^  PaffO.stav,  li;  royaume 
par  excellence,  le  rcyaume  descieux).  Voyez 
le  Psaume  xxii,  qui  esl  un  commenlaire  par- 
fail  de  ce  passage.  —  «  Ergo  ul  possidealis 
regnum  ccelorum,  opes  lerrenas  conlemnile  », 
S.  Cyrille,  Cat.  graec.  Pair.  Jesus  va  lirer  la 
meuie  conclusion. 

33.  _  Vendite  qucB  possidetis...  Cfr.Mallh. 
XIX,  21  ,  Act.  IV,  34-37.  Cesl  la  sans  doule 
un  conseil  de  perfection;  inais  oil  se  serait 
li  ouvee  la  perfi-clion  chretii^nne,  si  les  Apotres 
et  les  premiers  mis-ionnaires  de  Jesus  ne 
I'avaient  point  pratiquoe?  II  est  des  cas  en 
.  ffet  oil  'es  conseils  deviennenl  des  preceples. 
—  Facite  vobis...  Par  ce  nouvel  emprunt  au 
Discours  sur  la  monlagneJCfr.Matlli.vi,  19-21 
(■l  lecnmnQentaire;,  Je-us  developpe  et  appuie 
sa  recommandatioii :  Eu  donnant  aux  pauvres 
ie  produit  di>  vos  bieiis.  vous  placerez  au  ciel 
un  cajiilal  dont  rmleret  vous  sera  richemenl 
el  infaillibl 'ment  servi  pendant  toute  I'eler- 
nite.  —  Saccidos  qui  non  veterascunt.  c'est-a- 
dire,  des  bourses  ^pa>,dvTia)  .Les  bourses  des  an- 
liensconsislai^nt  sou  vent  en  de  potits  sacs  de 
cuirque  Ton  su-p  iidailau  cou  p;iriin^courroie 
Ivoyez  A.  Rich.  Diet,  des  antiquites  rom.  el 
LTecq.,  au  mot  Crumena) :  quand  elles  eiaient 
vieilles  el  usees,  elles  perdaienl  facilemenl 
I'argenl.  —  Thesaurum  {de  nouveau  le  conle- 
nanl  pour  le  conlenu)  non  deficienlem  (ivex- 
«titTov,  mot  rare  et  expressif.  Ici-bas,  un 
iresor  dimlnue  vito  quand  on  y  puise  fre- 


(lucumient  ;  les  tresors  confies  a  Dieu  ne 
cesseront  jamais  d'etre  pleins.  Quel  eiicoura- 
gment  aux  bonnes  oeuvres!  —  Fur,  tinea  : 
les  deux  grands  ermemis  de  nos  tiesors  ler- 
resires.  Mais  iii  hs  Pa>.avTioT-;|xot  (lateral. 
«  les  coupeiirs  de  bourse  »),  romme  disaienl 
deja  1 'S  anciens,  ni  les  vers  qui  rongent  los 
beaux  vetemenls,  no  pourronl  ponetrer  au 
ciel. 

34.  —  Ubi  enim  thesnuncs  vester...  Piofonda 
verite  psyclujlugique,  par  laquelie  li;  di\in 
insirucleur  termine  S"s  avi'rtis»cments  rela- 
tifs  aux  bieiis  de  ce  mondt>.  Notre  coeur  suit 
notre  tresor,  c'csl  un  fail  d'expirience  jour- 
naliere;  si  done  ce  iresor  est  au  ciel.  notre 
coeur  sera  tnnjours  lourne  en  haul,  el  tel 
elail  preciseiueiit  le  resultal  que  Jesus  se  pro- 
posail  d'atieindre  en  parlant  a  ses  disciples. 

35.  —  La  parole  de  Jesus  prend  un  nouvel 
essor.  Apres  avoir  preche  sous  difftirenies 
formes  ie  delachement  des  biens  de  ce  monde, 
voici  qu'elle  nous  conduit  d'emblee  a  la  fin 
des  temps,  au  second  avenera  nt  du  Christ, 
pour  nous  recommander  d'une  maniere  [)re8- 
sanle  la  vigdance,  tt.  33-40.  et  la  fidelite, 
tt-  41-48.  Le  langage  figure  domine  dans 
celte  partie  de  I'instruclion.  Trois  compa- 
raisons  (la  premiere  et  la  derniere  sont 
presque  des  parabolcs).  ft.  33-38,  39  el  40, 
41-48,  toutes  euipruntees  a  la  vie  de  famille 
de  I'antiqu^  Orient,  nous  montrent  de  la 
faQon  la  plus  patnr'^sque  comment  nous 
devons  veiilir.  eire  fideles.  Voyez  dan- S.Mat- 
ihieu,  XXIV.  42-30,  despensdes  et  des  images 
analogues,  fai-anl  parlie  d'un  discours  plus 
recnt,  [)ronone.e  p 'u  de  jours  avant  la  Pas- 
sion. —  Premiere  comparaison,  tt-  33-38 
Les  serviteurs  qui  atteudenl  leur  mallri'. 
Jesus  Iraci'  d'abord  le  role  d'un  serviteur  vi- 
gilant, tt-  35  et  36,  puis  il  decril  la  recom- 
pense magnifique  qui  lui  esl  reservee.  — 
Sint  lumbi  vcxtri  prwcinrti.  Premiere  image 
pour  dire  :  Soyez  prets  quand  le  Fils  de 
Ihomme  fera  son  avenemrnt  'Cfr.  t-  iO].  Le 
vetemenl  principal  des  Orientaux  consiste  en 
une  longue  robe  floiianie  :  pour  I'empecher 


CHAPITRE  XII 


S45 


36.  Et  vos  similes  hominibus  ex- 
pectantibusdominum  suum  quando 
revertatur  a  nuptiis;  ut,  cum  ve- 
nerit,  et  pulsaverit,  confestim  ape- 
riant  ei. 

37.  Beati  servi  illi,  quos  cum  ve- 
nerit  dominus,  invenerit  vigilan- 
tes. Amen  dico  vobis,  quod  prae- 
cinget  se,  et  faciet  illos  discumbere, 
et  transiens  ministrabit  illis. 

38.  Et  si  venerit  in  secunda  vi- 
giiia,  et  si  in  tertia  vigilia  venerit, 
et  ita  invenerit,  beati  sunt  servi  illi. 

39.  Hoc  autem  scitote,  quoniam 
si  sciret  paterfamilias  qua  nora  fur 


36.  Et  vous,  soyez  semblables  a 
des  hommes  qui  attendent  que  leur 
maitre  revienne  des  noces,  afinque, 
lorsqu'il  viendra  et  frappera  a  la 
porte,  ils  lui  ouvrent  aussitdt. 

37.  Heureux  ces  serviteurs  que 
le  maitre,  quand  il  viendra,  trouvera 
veillant!  En  verite  je  vous  dis  qu'il 
se  ceindra  et  les  fera  mettre  a  table, 
et,  allant  de  Tun  a  I'autre,  il  les  ser- 
vira. 

38.  Et,  s'il  vient  a  la  seconde  veille, 
et  s'il  vient  a  la  troisieme  veille,  et 
qu'il  les  trouve  ainsi,  heureux  sont 
ces  serviteurs. 

39.  Or  sachez  que  si  un  pere  de 
famille  savait  a  quelle  heure  le  vo- 


de  g6ner  les  mouvemenls,  on  la  rpjeve  d'or- 
dinaire,  mais  surloul  quand  on  veul  marcher 
ou  iravailler.  par  une  ceinlure  enroulee  aulour 
des  reins.  Cfr.  Ill  Reg.  iv,  46  ;  IV  Reg.  iv,  29 ; 
IX,  i;  Job.  xxxvm,  3;  Jer.  i,  17;  Act. 
XII,  8;  etc.  Les  Romains  faisaient  de  meme 
pour  leur  toge  (Horace  :  «  Ptier  alte  cinctus  », 
«  Praeclncli  recle  pueri...  aiinislrenl  »).  Que 
les  dij^ciplps  de  Jesus  soieni  done  conslana- 
menl  «  praeclncli  ».  Cfr.  Eph.  vi,  14.  —  Et 
lucernw ardentes... Pensee  idenlique,f'xprimee 
par  une  seconde  image.  Les  serviteurs  dont 
parle  la  parabole  soni  censes  attendre  pen- 
dant la  nuit  (t.  38)  le  relour  de  leur  maitre. 
Qu'iU  aienl  soin  par  consequent  de  tenir  leurs 
lampes  allumees,  de  maniere  a  ne  pas  perdre 
un  l(  mps  precieux  pour  les  eclairer  quand 
le  maiire  se  presentera.  —  Le  piitoresque  in 
manibus  vestris  manque  dans  le  texle  grec. 

36.  —  Vos  similes  hotuinibus  (c'esl-a-dire,  a 
des  serviteurs,  commeil  resultedu  conlexte)... 
Ce  ver.»et  explique  le  precedent ;  aussi  pour- 
rait-on  donnera  la  conjonciioii  et  la  significa- 
tion de  «  car  ». —  Quando  revertatur  a  nuptiis. 
Le  maiire  revieni  d'une  feie  nnpiiale  quel- 
conque  a  laquelle  il  a  ele  invite.  II  ne  s'agit 
nullemenl  de  ses  noces  personnelles,  comme 
on  la  piirfois  pretendu;  rien  du  moins  ne  I'in- 
dique  dans  le  recit.  Le  verbe  grec  avaXuoei 
est  elegant  etclassique.  —  Confestim  est  em- 
phaliqiie  et  porte  I'idee  principale.  Les  ser- 
viteurs doivenl  ^ire  si  vigilanls,  qu'ils  soient 
en  eial  d'ouvrir  la  porte  au  premier  signal 
(quuin  ..  pulsaverit),  sans  le  moindre  delai, 
car  un  maiire  n'aiine  pas  a  attendre,  et  il  ne 
convient  pas  qu'il  allende. 

37'  —  Beati  servi  illi...  Ces  serviteurs 
atientifs  jouironi  en  effet  d'un  bonheur  inef- 
fable, que  Jesus  depeint  dans  la  seconde  moitie 


du  versel,  en  gardanl  les  couleurs  de  sa  com- 
paraison.  Changeant  de  role  avec  eux,  le 
maiire  reconnals^anl prwcinget  se  [Cfr.  t.  35), 
leur  dirade  s'assooir  a  la  table  preparee  pour 
lui-meme,  el  il  se  fera  une  joie  de  les  servir 
de  ses  propres  mains  (transiens,  itapeXewv, 
s'approchanl  de  chacun  d'eux,  est  un  trait 
piitoresque).  Quelle  belle  figure  pour  designer 
le  festin  eternel  du  ciel  que  Dieu  tienl  en  re- 
serve pour  ses  Gdeles  amis!  Cfr.  Apoc.  iii.  20; 
XIX,  9.  Du  resle,  des  ici-bas,  Jesus  realisa  a 
regard  des  Apolres  sa  solennelle  promesse 
[amen  dico  vobis],  ainsi  que  le  raconte  le 
disciple  bien-aime  en  des  termes  si  emus  : 
«  Qiium  dilcxi^set  suos  qui  eiant  in  mundo, 
in  finem  dilexil  eos —  Surgii  a  ccena,  et 
ponil  vestimenia  sua  ;  et  quum  accepisset 
iinteum,  piaecinxit  se.  Deinde  millit  aquam 
in  pelvim,  el  coepitlavare  pedes  discipiilorum, 
et  exlergi-re  linteo  quo  erat  praecinctus.  » 
Joan.  xiii.  1-5. 

38.  —  Si  venerit...  Repetition  de  la  meme 
pensee,  avec  un  nouveau  detail  exprime  gra- 
phiquement  :  Heureux  les  serviteurs  devoues 
qui  atlendronl  leur  maitre  avec  fidelite,  alors 
memo  qu'il  relarderailson  relour  jusque  bien 
avanl  dans  la  nuit!  Des  quatre  parties  de  la 
nuitjuive,  Nolre-Seigneur  ne  mentionne  ni 
la  premiere  (de  6  a  9  heures  du  soir)  ni  la 
derniere  ;de  3  a  6  heures  du  matin),  la  solen- 
nile  du  mariage  ayanl  lieu  pendant  celle-la, 
et  le  decorum  ne  permeltanl  guere  d'etre  en- 
core en  fele  ou  a  Iravers  les  rues  durant 
celle-ci.  Le  maitre  est  suppose  renlrer  de 
9  heures  a  minuit  [in  secunda  vigilia),  ou  de 
minuil  a  3  heures  [in  tertia  vigilia). 

39  et  40.  —  Seconde  comparaison  pour 
exhort'r  les  disciples  ci  la  vigilance  :  le  pere 
de  famille  qui  fait  le  guet  afin  de  surprendre 


ti6 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


l^ur  viendra,  il  veillerait  et  ne  lais- 
serait  pas  percer  sa  maison. 

40.  Et  vous  aussi  soyez  prets, 
parce  qn'a  I'heure  que  vous  ne  pen- 
sez  pas  le  Fils  de  rhomme  viendra. 

41.  Mais  Pierre  lui  dit  :  Seigneur, 
est-ce  a  nous  que  vous  dites  cette 
parabole,  on  a  tons? 

42.  Et  le  Seigneur  dit  :  Quel  est, 
a  votre  avis,  le  dispensateur  fidele 
et  prudent  que  le  maitre  a  etabli 
sur  tons  ses  serviteurs  pour  leur 
donner  au  temps  fixe  leur  mesure 
de  froment? 


veniret,  vigilaret  utique,  et  non  si- 
neret  perfodi  domuin  suam. 

Matt/t.  21,  43. 

40.  Et  vos  estote  parati  :  quia 
qua  hora  non  putatis,  Filius  homi- 
nis  veuiet. 

Apoc.  16,  IS, 

41.  Ait  autem  ei  Petrus  :  Domine, 
ad  nos  dicis  banc  parabolam,  an 
et  ad  omnes? 

42.  Dixit  autem  Dominus  :  Quis, 
putas,  est  fidelis  dispensator  et 
prudens,  ^uem  constituit  Dominus 
supra  fa,fliliam  suam,  ut  det  illis 
in  temp  jre  tritici  mensuram  ? 


•les  voleurs    au   moment  oii  ils  viendroent 

piller  sa  dpineure.  Voytz  notte  coraiiientaire 
sur  S.  Matthieu,  xxiv,  43  el  44.  Le  t.  39e 
propose  la  comparaison,  le  40e  iiidique  la  con- 
clusion que  nous  en  devons  tirer  pour  noire 
conduite  pratique  :  etre  loujours  prets  a  voir 
apparailre  le  «  dies  Domini  »,  puisqu'il  doit 
doit  survenir  «  sicut  fur  in  nocte  »,  I  Thess. 
V,  2. 

41.  —  Ait  autem  ei  Petrus.  A  son  tour 
S.  Pierre  inlerroinpl  Notre-Seigneur  pour  lui 
adresser  une  question.  Ges  details  minutieux 
(Cfr.  1it.  1,  13.  22),  soigneiisemeiil  conserves 
par  S.  Luc,  mcmlrent  combien  il  lenait  a 
rordre  historique  des  faits,  et  refutent  mieux 
que  tout  autre  argument  j'opinion  elrange, 
signalee  dejci  a  plusieurs  reprises,  d'a|)res 
laqudle  il  anrait  compile  a  son  gre  les  ins- 
tructions de  Jesus. —  Adnos  diris...  an  et  ad 
omnes?  Le  pronom  «  nos  »  designe  evidem- 
menl  les  disciples  [tt.  1  et  22),  par  opposition 
^  la  masse  du  peuple  qui  enlourait  alors  le 
divin  Mailre.  Jesus,  dans  sa  premiere  compa- 
raison,  avail  parle  de  serviteurs;  or,  les 
Apolres  et  les  disciples  elaient  par  anlono- 
mase  ses  serviteurs  personnels.  S.  Pierre  vou- 
drail  done  savoir  si  la  parabole  les  concernait 
exclusivemenl,  ou  bien  si  elle  etait  univer- 
selle  dans  son  application.  Tel  sera  le  point 
de  depart  de  la  troisieme  comparaison  annon- 
cee  plus  haul  (note  du  t-  35),  celle  du  ma- 
jordome  recompense  ou  puni  selon  que  .son 
maitre,  arrivant  h  I'improviste,  le  trouvera 
Qdele  ou  infidele. 

42.  —  Dixit  autem  Dominus.  Jesus  ne  re- 
pond  pas  directoment  a  la  demande  du  prince 
des  Apotres;  il  semble  meme  conlinuer  son 
discours  commo  s'd  n'en  tenail  aucun  compte. 
Et  pourlant  il  lail  en  realile  une  reponse 
f.Iaire,  quoiquo  indirecte,  puisqu'il  se  met  a 
parler,  non  plus  d'un  serviteur  en  general, 


maif.  d'un  inlendant  prepose  a  tous  les  do- 
mesliques  de  la  maison.  «  Series  sequentis 
exempli  dispensatoribus(hoc  eslsacerdotibus) 
videlur  esse  proposita  ».  S.  Ambroise,  h.  1. 
Cfr.  Theophylacte.  Dans  les  irt.  42-44  il  s'a- 
git  des  bons  majordomes  et  de  leur  recom- 
pense;  dans  les  tt.  45-48,  des  mauvais  in- 
tendants  et  de  leur  punition.  —  Quis,  putas 
(ipa,  «  igilur  »)...  La  forme  interrogative 
rend  la  pensee  plus  piquante.  Pierre  et  les 
autres  disciples  sont  ainsi  invites  a  reflechir 
altenlivemeni,  pour  voir  s'ils  ne  seraienl  pas 
eux-m6mes  figures  par  celui  dont  Jesus  va 
decrire  la  conduite  bonne  ou  mauvaise.  — 
Dispensator,  oIxovojaoc.  On  nommait  ainsi, 
cliez  les  Grecs  et  chez  les  Latins,  un  esclave 
superieur,  k  qui  Ton  confiail  la  jnridiction 
sur  les  autres  esclaves,  et  parfois  diverses 
fonclions  non  moins  delicales,  telles  que  la 
complabilite  en  tout  ou  en  partie.  Les  adjeo 
tifs  fidelis,  prudens,  designeiit  fort  bien  les 
deux  quaiites  priiic.pales  d'un  majordome. 
«  Hie  jam  quaeritur  inter  dispentalores  ut 
fidelis  quis  invenialur  »,  disait  S.  Paul  au 
sujet  de  la  premiere,  I  Cor.  iv,  2.  Xenophon 
parait  les  commenter  I'une  et  I'autre  quand 
il  ecrit,  Mem.  in,  4  :  «  Les  bons  inlendants 
sent  comme  les  bons  generaux.  Leurs  obli- 
gations consistent  a  commander  et  a  rendre 
leurs  inferieurs  bien  disposes  et  obeissants, 
a  distribuer  les  recompenses  et  les  chali- 
ments,  a  6tre  les  gardii-ns  fideles  des  posses- 
sions, a  se  montrer  soigneux  et  industrieux, 
k  procurer  des  auxiliaires  et  des  allies,  enfin 
a  vaincre  tous  les  ennemis  ».  —  Constituit : 
il  faudrait  le  futur  d'apres  le  texte  grec,  xa- 
Ta<7Ti^aet.  —  Familiam  suam,  c'est-a-dire 
«  famulitium  suum  ».  Le  subslantif  grec  cor- 
respondant,  6epa7teta,  designe  en  prenfier  lieu 
les  soins,  les  services  que  des  serviteurs  ren 
dent  k  leur  maitre,  puis,  au  concret,  les  ser 


CHAPITRE  XII 


247 


43.  Beatusilleservus, quern,  cum 
■venerit  dominus,  invenerit  ita  fa- 
cieiitem. 

44.  Vere  dico  vobis,  quoniam 
supra  omnia  quae  possidet,  consti- 
tuet  ilium. 

45.  Quod  si  dixerit  servus  ilie  in 
•corde  suo  :  Moram  facit  dominus 
mens  venire;  et  coeperit  percutere 
servos  et  ancillas,  et  edere,  et  bi- 
bere,  et  inebriari  : 

46.  Veniet  dominus  servi  illius 
in  die  qua  non  sperat,  et  hora  qua 
nescit,  et  dividet  eum,  partemque 
ejus  cum  infidelibus  poneL 

47.  Ille  autem  servus  qui  cogno- 
vit voluntatem  domini  sui,  et  non 
prseparavit,  et  non  fecit  secundum 
voluntalem  ejus,  vapulabit  multis. 

48.  Qui  autem  non  cognovit,  et 
fecit  digna  plagis,  vapulabit  paucis. 


43.  Heureux  ce  serviteur  que  le 
maitre,  lorsqu'il  viendra,  trouvera 
faisant  ainsi. 

44.  Je  vous  dis  en  verite  qu'il 
Tetablira  sur  tout  ce  qu'il  possede. 

4b.  Que  si  ce  serviteur  dit  en  son 
coeur  :  Mon  maitre  tarde  a  venir, 
et  s'il  commence  a  battre  les  servi- 
teurs  et  les  servantes,  a  manger, 
a  boire  et  a  s'enivrer, 

46.  Le  maitre  de  ce  serviteur  vien- 
dra au  jour  oil  il  ne  I'attend  pas  et 
k  riieure  qu'il  ne  sait  pas,  et  il  le 
retranchera  et  lui  donnera  sa  part 
avec  les  infideles. 

47.  Et  ce  serviteur  qui  a  connu 
la  volonte  de  son  maitre  et  n'a  rien 
prepare,  et  n'a  pas  fait  selon  sa  vo- 
lonte, sera  battu  de  plusieurs  coups. 

48.  Mais  celui  qui  ne  I'a  pas 
connue  et  a  fait  des  choses  digues 


vileurs  eux-memes.  —  Ul  det  illis  in  tempore 
(scil.  debito)  t)  itici  mensuram  (to  (TtTOfXExptov, 
expression  qu'on  ne  trouve  pas  ailleurs  clans 
le  Nouveaii  Testament).  Noiivelle  allusion  aux 
coiilumes  anciennes.  Au  lieu  de  distribuer 
journellement  aux  esc'.aves  leur  nourriture, 
on  la  leur  donnait  parfois  pour  tout  un  mois, 
et  lei  etait  en  particulior  le  cas  a  Rome,  du 
moins  en  ce  qui  concerne  le  pain.  La  portion 
mensuelle  consislait  en  qualre  a  modii  »  de 
ble,  ce  qui  faisait  par  jour  un  peu  plus  de 
deux  livres.  Voyez  Schegg,  h.  1. 

4.3  Pt  44.  —  Cfr.  Maliti.  xxiv,  45-47  et  le 
commeniaire.  Le  f.  43  enonce  en  termes  ge- 
neraux  la  recompense  de  I'intendant  fideie ; 
le  suivanl  la  deiermine  d'une  maniere  expli- 
cite  :  super  omnia  quce  possidet,  cotistituet 
eum;  role  d'aulanl  plus  glorieux  el  sublime 
que  le  maitre  de  la  parabole  ne  differe  pas  de 
Dieu. 

45  et  46.  —  Voyez  S.  Matlhieu,  xxiv,  48-51 
et  rexplicalion.  Quel  trisle  conlrasie !  Nous 
entendons  ici  I'odieux  soliloque  d'un  major- 
dome  infidels  qui,  speculani  sur  I'absence 
prolongee  de  son  maitre,  abuse  indignement 
de  I'aulorite  qu'on  lui  a  confiee.  Mais  aussi, 
comme  il  sera  chatie  quaud  le  perc  de  famiile, 
rentranl  au  moment  ou  on  I'allendra  le  moins, 
surprendra  le  coupabie  en  flagrant  delit!  II 
sera  condamne  au  plus  affreux  de  tons  les 
supplices  (car  les  mailres  avaient  sur  leurs 
esclaves  le  droit  de  vie  et  de  mori),  celui  de 
4'^cartelement  :  let  est  ie  sens  Drobable  du 


verbe  dividet,  Sixo-co\j.r\<jti.  Mais  les  mots  par- 
tem ejus  cum  infiddibus  ponet  representent 
une  peine  plus  terrible  encore  d'apres  ce  pas- 
sage parallele  de  I'Apocalypse,  xxi,8  :  <<  In- 
credulis...  et  omnibus  mendacibus,  pars  ilio- 
rum  erit  i^slagno  ardenli  igneel  sulphure  ». 
47  el  48. — A  I'idee  duclialiment  infaillible 
qui  alteint  les  mauvais  servileurs  de  Dieu, 
ces  versets  en  ajoulent  une  autre.  lis  nous 
app''ennent  que  la  punition  sera  en  raison  di- 
reclede  la  culpabilite,  etque  la  culpabilite  se 
mesurera  d'apres  le  degre  de  connaissance. 
Rien  de  plus  juste,  par  consequent,  que  les 
jugements  divins.  —  Servus  qui  cognovit  vo- 
luntatem... Tel  etail  I'econome  menlionn^ 
precedrmment,  lels  elaient  les  Apoties  etles 
disciples  de  Jesus.  Cfr.  Joan,  xv,  -15.  En  pa- 
reil  cas,  lorsqu'on  desobeit  on  ne  pent  ap- 
porler  aucune  excuse,  car  Ton  a  commis  une 
faute  de  pure  malice;  aussi  est-on  chatie  en 
toute  rigueur  de  justice  :  vapulabit  multis 
(scil.  «  plagis  ».  L'ellipse  exisie  egalement 
dans  le  texte  grec,  oapiiffeTat  noXXd?.  Elle  etait 
d'ailleurs  tres  usiiee  clioz  les  classiques.  Cfr. 
Aristoph.  Nub.  472  :  TUTtxitJ-evo?  itoUa;;  Te- 
rent.  Heaul.  ii,  4,  22  :  «  Diu  eliani  duras  da- 
bit  »).  On  sait  que  le  I'ouet  etait  le  chciti- 
ment  habituel  des  esclaves.  —  Nonprcepara- 
vit,  est  expliqiie  par  le  contexle  :  non  fecit 
secundum  voluntatem  ejus.  —  Qui  autem  non 
cognovit...  Au  serviteur  grievemenl  coupabie, 
et  grievemenl  puni  parce  qu'il  a  enfreint  en 
pleine  connaissance  de  cause  les  ordres  de 


248 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


de  chdtiment  sera  battu  de  peu  de 
coups.  Gar  a  celui  a  qui  beaucoup 
a  ete  donne,  beaucoup  sera  rede- 
mande,  et  de  celui  a  qui  on  a  confie 
beaucoup,  on  exigera  davantage. 
49.  Je  suis  venu  jeter  un  feu  sur 
la  terre  et  que  veux-je,  sinon  qu'il 
s*allume  ? 


Omni  autem  cui  multum  datum  est. 
multum  quseretur  ab  eo  :  et  cui 
commendaverunt  multum,  plus  pe- 
tent  ab  eo. 

49.  Ignem  veni  mittere  in  ter- 
ram,  et  quid  volo  nisi  ut  accen- 
datur? 


son  maitre,  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  en 
oppose  un  autre,  qui  a  iransgresse  les  mdmes 
ordres,  mais  sans  ie  savoir.  el  de  celui-ci  en- 
core il  affirme  qu'il  sera  chalie,  quoique  avec 
moins  de  severile  :  vapulabil  pouci<<  '«  lole- 
rabilior  damnatio  »,  S.  Augustiu).  On  est 
tout  d'abord  surpris  de  telle  assertion. 
«  Pourquoi  rignoranl  esl-ii  puni?  »  se  de- 
mandait  deja  Theophylacle.  Mais  il  donne 
aussitolia vraie  reponsc  :«  Parce  que,  landis 
qu'il  pouvaits'instruire,  il  nel'a  pasvoulu,  et 
que,  par  sa  paresse,  il  est  lui-meme  la  cause  de 
son  ignorance  ».  Ils'agit  done  d'une  ignorance 
coupable,  puisque  Jesus  parle  d'un  servileur, 
et  qu'un  servileur  ne  peul  guere  ignorer  que 
par  sa  faule  la  volonie  de  son  mailre.  Cfr. 
Rom.  II,  12.  Du  resle,  depuis  la  legislation  mo- 
saique  jusqu'a  nos  jours,  il  n'esl  pas  de  code 

f»^nal  qui  n'inflige  quelque  punilion  pour 
68  delils  commis  par  ignorance.  Cfr.  Lev. 
V,  17-19.  —  Omni  cui  multum  datum  est... 
Autre  regie  des  jugimenls  divins.  Elle  est 
analogue  a  la  precedinle,  quoiquR  vn  peu 
plus  generale.  La  pensee  qu'elle  exprinie  est 
repelee  deux  fois  de  suite  dans  deux  phrases 
paralleles  :  les  verbes  datum  est  (un  don  pur 
et  simple)  el  commendaverunt  (un  depot)  ela- 
blissent  seuls  une  legere  difference,  qui  existe 
d'ailleurs  beaucoup  plus  dans  la  forme  que 
dans  I'idee.  —  Plus  peteiit  peul  s'inlerpreler 
de  deux  manieres  :  «  plus  quam  ab  aliis  », 
ou  bien  «  plus  quam  commendaverunt  »  (I'in- 
t^ret  avec  Ie  capital.  Cfr.  Malth.  xxv,  15 
et  ss.). « Petent  »  (alTiQ<jou<ri)  est  employe  pour 
«  repetent  r  (aitaitrjaovai) ,  a  la  fagon  de  I'he- 

breu  Sxy;. 

49.  —  «  Quomodo  haec  verba  ad  superiora 
cohaereant,  ecrit  Maldonat  sur  ce  passage, 
quserendum  non  arbilror,  disjuncla  enim  ab 
aliis  sunt,  et  alio  fortasse  tempore  a  Chi  isto, 
alio  loco  dicta  »,  Beaucoup  d'exegeles  se  ran- 
gent  a  ce  sentiment;  mais  il  en  est  d'autres 
aussi,  el  nous  sommes  de  ce  nombre,  qui  ne 
Ie  partagent  point.  Nous  avons  plus  d'une 
fois  indique  nos  raisons  dans  Ie  cours  de  ce 
chapilre.  Quoiqu'il  ne  faille  pas  chercher 
toujours  dans  les  discours  de  Notre-S;^igneur 
une  suite  de  pensees  qui  s'enchainent  rigou- 
reusement,  nous  ne  croyons  pas  qu'on  soil 
en  droit  de  reprocher  aux  tt-  49-53  un  man- 
que absolu  de  liaison  avec  les  parties  anle- 


rieuresde  I'instruction.  Jesus  vient  d'exhorter 
assez  longuenienl  les  siens  a  la  vigilance,  a' 
la  fidelite.  II  acheve  mainienanl  la  double 
serie  de  ses  avis  par  une  idee  analogue  a  celle 
que  nous  avons  lue  des  Ie  debut,  tt.  4-9; 
c'esl-^-dire  que,  rappelanl  aux  disciples  pre-^ 
senls  el  a  veiiir  la  lutte  inevitable  qu'ils  de- 
vaienl  soulenir  centre  Ie  monde,  il  les  presse,. 
et  lout  d'abord  par  son  propre  exempie, 
d'opposer  un  coeur  courageux  aux  persecu- 
tions qui  les  atlendent.  —  Ignem  veni  mit- 
tere in  tervam.  Tile  doBosra  (Gal.  S.  Thoiiiae) 
Irouve  a  bon  droit  dans  cette  parole  une  al- 
lusion a  I'origine  divine  du  Sauveur  :  «  Est 
autem  intelligendum  cum  de  coelo  venisse ; 
non  enim  si  de  terra  venisset  in  lerram  di- 
ceret  ;  Ignem  veni  mittere  in  lerram  ».  Mais 
Ie  sens  exact  du  lexle  considere  dans  son  en- 
semble n'esl  pas  anssi  ciair  que  celle  legitime 
deduction.  La  ditSculte  principale  porte  sur 
Ie  mot  «  ignem  »,  au  sujelduquel  les  inter- 
preles  sonl  loin  de  s'accorder.  La  plupart 
des  Peres  (voyez  les  citations  dans  Maldonat) 
I'entendrnl  de  I'Esprit  Saint.  Nous  diron* 
neanmoins,  d'accord  cette  fois  avec  Tillustre 
Jesuile  ;  «  Si  praecedentia  et  consequentia 
consideremus,  non  sal  is  mihi  videtur  cum 
illis  cohaerere  ».  Theophylacle  et  Euthymiua 
pensent  que  Jesus  a  voulu  parler  du  feu  du 
lele  ou  de  la  charite;  mais  nous  rejelterons 
encore  cette  opinio. n  pour  Ie  meme  molif. 
N'esl-il  pas  a  la  fois  plus  simple  et  plus 
litteral,  comme  s'exprime  D.  Calinel  (Cfr. 
Luc  de  Bruges),  de  croire  qu'il  s'agil  du  feu. 
de  la  persecution,  du  brandon  de  la  discorde 
religieuse  que  Notre-Seigneur  Jesus-Christ, 
quoique  prince  de  la  paix,  devail  necessaire- 
ment  lane  r  (PaXelv)  au  milieu  de  la  societe 
qu'il  venail  regenerer?  Les  irt.  51-53  Ie  prou- 
vent,  ainsi  que  I'observait  deja  Ires  judicieu- 
sement  Tertullien,  Adv.  Marc,  iv,  et  ce  sen- 
timent est  con  fume  par  plusieurs  passages  de 
la  Bible  oil  les  mots  «  ignis,  flamma  »  desb- 
gnent  Ie  malheur,  la  souffrance.  Cfr.  Ps. 
Lxv,  12,  Is.  XLiii,  2;  Eccli.  li.  6.  —  Et  quid 
volo  7iisi  ut  accendatur?  Le  traducteur  de  la 
Vulgate  a  du  lire  :  xal  xi  ^Dm  el  \iii  dviiipOTj-, 
tandis  que  Ie  textegrecmanuscrit  el  imprime 
porte  :  el  JjSri  ivi^^ey),  litteral. «  si  jam  accen- 
sus  est  ».  Mais  les  deux  legon-^  reviennenl  aus 
meme  si  Ion  donne  a  t(  la  MgniQcalion  de 


CHAPITRE  XII 


«9 


50.  Baptismo  autem  habeo  bap- 
tizaii  :  et  quomodo  coarclor  usque 
dum  perficiaiur? 

51.  Pulatis  quia  pacem  veni  dare 
in  terram.  Non,  dico  vobis,  sed  se- 
parationem. 

Maith.  10,  34. 

52.  Erunt  enim  ex  hoc  quinque 
in  domo  una  divisi;  tres  in  duos,  et 
duo  in  tres 

53.  Dividentur  :  pater  in  filium 
et  hlius  in  patrem  suum,  mater  in 
filiam  et  filia  in  matrem,  socrus  in 
nurum  suam  et  nurus  in  socrum 
suam. 


50.  Mais  je  dois  etre  baptise  d'un 
baptSme,  et  quelle  est  men  angoisse 
jusqu'a  ce  qu'il  soil  accompli! 

51.  Pensez-vous  que  je  sois  venu 
apporter  la  paix  sur  la  terre?  Non, 
vous  dis-je,  mais  la  division. 

52.  Car  des  ce  moment,  dans  uno 
m^me  maison  cinq  seront  divises  : 
trois  conlre  deux  et  deux  conlre 
trois 

53.  Seront  divises  :  le  pere  centre 
le  fils  et  le  fils  conlre  le  pere,  la 
mere  contre  la  fille  et  la  fille  centre 
la  mere,  la  belle-mere  conlre  sa 
belle-lille,  et  la  belle-fille  conlre  sa 
belle-mere. 


iTooov  (Theophylacle.  Cfr.  Malth.  vii,  14), 
a  £l  ccUe  d(^  6x1,  qu'il  a  parfois  apres  Ips  ver- 
bes  qui  oxprimenl  I'etonnemenl  (voypz  Winer, 
Grammalik,  p.  479).  Nous  pouvons  done  tra- 
duire  avec  S.  Jerome  el  quelques  anciens 
manu>crils  latins  :  «  Qiiam  volo  ul  jam  ac- 
cendatur  I  »  El  cependant,  Jesus  iie  pouvail 
pas  desirer  en  elles-meraos  les  pprseculions 
dirigees  contre  son  Eglise  nais^anle,  les  effer- 
vescences si  lerribles  des  guerres  de  religion  I 
Mais  il  les  desirail  en  pensanl  aux  conse- 
quences heureuses  qu'elles  devaient  produire. 
Puisque  la  lulle  du  raal  conire  le  bien  6iait 
necessaire,  puisqu'elle  devailconlribuer  a  re- 
pandre  partoul  et  k  affertnir  son  royaume.  il 
ne  pouvail  s'empecher  de  souhaiter  qu'elle 
embiasSl  an  plus  tot  le  monde  enlier. 
«  Comme  un  conqueranl  qui  biule  d'ardeur 
de  voir  commencer  une  bataille  donl  le  gain 
lui  est  assure,  el  qui  doil  le  remellre  en  pos- 
session de  ses  Elals  injuslemenl  usurpes,  » 
D.  Galmet. 

50.  —Mais,  avanl  que  les  flammes  de  la 
persecution  viennent  creer  dans  le  monde  un 
immense  iiicendie,  Jesus  d6vail  subir  le  pre- 
mier, el  plus  que  lous  les  siens,  les  plus  vio- 
lentos  epreuves.  C'esl  pour  cela  qu'il  s'ecrie, 
prononQcinl  une  autre  parole  sublime  :  Ba- 
ptismo habeo  baptizari...  (Iraduciion  servile 
du  gri'C  pour  «  baptismo  baptizandus  sum  »). 
Nous  avon-  la  meiaphore  de  I'eau  apres  celle 
du  feu  ;  mais  ici  le  sens  ne  saurait  etre  dou- 
teux,  celte  meme  locution  designant  d'une 
maniere  tres  claire  dans  le  second  Evangile 
(x,  38  el  39  ;  voyez  le  coinmcnlairp)  les  eaux 
ameres  de  la  Passion,  qui  etaienl  sui  le  poinL 
de  passer  sur  Nolre-Seigneur  comme  une 
inondalion  terrible.  De  nouveau  le  divin 
Mailre  nous  fail  connailre  les  scniimenis  de 


son  coeur  en  face  de  cetle  sombre  previ- 
sion :  Quomodo  coarclor  usquedum  perficuitur 
(ille  baplismus)!  II  n'y  a  qu'un  inslanl  il 
eprouvail  de  vifs  desirs  [t-  49);  les  commen- 
taleurs  hesilenl  pour  delerminer  son  impres- 
sion acluelle,  car  le  vorbe  grec  axivixo^ai  ppul 
designer,  d'apres  son  usage  biblique  d  pro- 
fane, les  angoisses  de  la  craitite  ou  les  elans 
les  plus  ardenls  de  la  volonle.  Divers  mo- 
dernes  adoplenl  le  premier  sens  el  voient, 
dans  celte  exclamation  de  Jesus,  «  un  pre- 
lude de  Gethsemani  »  (Gess),  «  la  premier^ 
trace  du  conflit  qui  se  Jivrait  dans  I'arai^  du 
Christ  a  Tapproche  de  sa  morl  »  (Neander), 
«  un  cri  indeniable  de  lamenlaiion  arrache  a 
la  faiblessp  humainedu  Dieu-liomme  »  (Slier). 
Nous  preferons,  a  la  suite  de  S.  Ambroise, 
de  Theophylacle,  el  de  la  plupartdes  auleurs 
catholiques,  nous  arreter  a  la  seconde  accep- 
lion,  d'apres  laquelle  Jesus  uianifeslerail  au 
conlraire,  par  suite  de  sou  amour  pour  nous, 
un  ardpul  desir  de  consommpr  au  plus  lol 
sa  Passion,  afin  de  nous  racluter  au  plus 
lot.  Voyez  H.  Slephanus,  Thesaurus  grsecje 
linguae,  s.  v. 

-  51-33.  —  Dans  ce  versel  el  dans  les  deux 
suivants  Not  re-Seigneur  expose  d'une  ma- 
niere dramatique  les  effels  de  la  persecution 
predile  un  peu  plus  haul.  G'est,  quant  a  la 
pimsee,  la  rpprnduclion  exacle  d'une  pro- 
phelie  qu'il  avail  faile  autrefois  aux  Douzi' 
;iMallh.  X,  34  el  35);  mais  Texfiression  esl 
plus  vivanle  et  plus  complete.  Le  lour  in- 
terrogatif  donne  aux  premier's  paroles, 
pulatis  quia  pacem...,  la  reponse  emplialiqut^ 
No>i,  I'Hsserlion  solennelle  dico  vobis,  meri- 
lent  deja  I'aUenlion  sous  ce  rapport.  11  esl 
vrai  que  separalionem  n'a  pas  le  caraclei'^ 
pilloresque  de  «  gladium  ».  Mais  I'enumera- 


150 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


54.  II  disait  aussi  aux  foules  : 
Quand  vous  voyez  la  nuee  s'elever 
du  couchant,  aussitot  vous  dites  : 
La  pluie  vient,  et  ainsi  arrive-t-il. 

55.  Et  quand  vous  voyez  souffler 
le  vent  du  midi,  vous  dites  :  II  fera 
chaud,  et  cela  arrive. 

56.  Hypocrites,  vous savez  appre- 
cier  I'aspect  de  la  terre  et  du  ciel, 
comment  n'appreciez-vous  point  ce 
temps-ci? 


54.  Dicebat  autem  et  ad  turbas  : 
Gum  videritis  nubem  orientem  ab 
occasu,  statim  dicitis  :  Nimbus  ve- 
nit :  et  ita  fit. 

Matth.  26,  2. 

55.  Et  cum  austrum  flantem,  di- 
citis :  Quia  sestus  erit :  et  fit. 

56.  Hypocritse,  faciem  coeli  et 
terrse  nostis  probare  :  hoc  autem 
tempus  quomodo  non  probatis  ? 


lion  qui  suit,  et  qui  commente  pour  ainsi 
(]ire  le  mot  otaixspiffixdv,  la  descriplion  des 
deux  camps  ennemis  que  le  Chrisiianisme  est 
venu  creer  dans  une  meme  famille,  sont  cer- 
tainement  dignes  du  pinceau  de  S.  Luc.  — 
Erunt  ex  hoc  (scil.  tempore)  quinque  divisi. 
Les  cinq  membres  de  la  fauiille  sonl,  d'apres 
le  t.  53,  le  pere,  la  mere,  la  fille,  le  Ills  et 
la  belle-fille,  c"est-a  dire  la  femme  du  fils  ,ce 
dernier  elanl  cense  n'avoir  pas  encore  de 
menage  a  part  ct  vivre  dans  la  maison  de 
ses  parents.  —  Tres  in^duos  et  duo  in  tres. 
«  Duo  »  represente  lepereet  la  mere,  «  tres» 
designs  les  enfants.  Ceux-ci  ont  accepte  la 
religion  de  Jesus;  ceux-la  se  sont  endurcis 
dans  leurs  vieux  prejuges  :  trail  delicat  et 
d'une  grande  verite  psychologique.  Ainsi 
done  li  s  liens  les  plus  forts  ct  les  plus  saints 
ont  ete  soudainement  brise-*  k  I'occasion  du 
Christ  et  de  sa  doctrine.  —  Pater  in  filium,.. 
socriis  in  nunim...  Le  texle  grec  offre  dans 
cetle  enumeration  une  variete  de  cas  qui 
n'est  pas  inieret.  Tandis  que  la  luile  du  pere 
avec  le  fils  et  de  la  mere  avec  la  fille  est  ex- 
priraee  par  la  preposition  iizl  suivie  du  datif 
(TtaTrip  if''  vlu>  xat  u'lo;  etti  TtarpC,  \ir\Tfip  ini 
OuYaTpl  v.a\  GuyaTrip  litt  (AriTpt),  pour  mar(]uer  le 
conflit  de  la  mere  avec  la  bru  le  narrat^ur  a 
employe  I'accusatif  (irsvOcpa  eTtl  xr^v  vuia^Tjv  y.al 
vO[jL(pifi  eTtiTTjv  TtevGc'pav).  Pourquoi  cetle  nuance? 
Nous  ne  connaissons  pas  de  meilleure  reponse 
que  celle  deWoidsworlh.  Dans  le  premier  cas 
la  guerre  part  du  sein  meme  de  la  famille,  il 
n'y  a  done  pas  de  mouveraent;  dans  le  se- 
cond elle  vient  du  dehors,  et  elle  eclate  en 
outre  avec  plus  d'inlensite. 

4'  Grave  legon  pour  le  peuple.  xn,  54-59. 

Jesus  termine  son  discours  par  quelques 
averlissemenls  severes  adresses  a  toute  la 
foule  qui  Tentourait  (Cfr.  v.  i).  «  Quia  si 
cognovisses  et  tu,  et  quidem  in  hac  die  lua, 
quae  ad  pacem  tibi  I  Nunc  autem  abscondita 
sunt  ab  oculis  tuis  »  (xix,  41j.  Tel  est  le  re- 
sume des  reproches  par  lesquels  il  condamne 


la  cecite  spirituelle  de  la  plus  grande  partie 
du  peuple  juif. 

54-56.  —  Les  paroles  contenues  dans  ces 
versets  sont  une  repetition  legerement  vari^ 
de  Mallh.  xvi;  \-i  (voyez  I'explicalion).  — 
Quu7n  videritis  nubem.  Dans  le  grec,  t^v 
vEipeXriv  avec  Tarticle,  pour  mcntrer  qu'il 
s'agit  dun  phenomene  bien  connu.  —  Orien- 
tem ab  occasu :  par  consequent  du  cote  de  la 
Mediterranee.  Les  vents,  en  traversant  la 
mer,  s'impregnent  de  vapeurs  qui  ne  tardent 
pas  a  se  transformer  en  nuages  pluvieux. 
Ausyi,  des  que  les  Juifs  voyaient  les  nu^es 
accourir  des  regions  occidenlales,  ils  s'^- 
criaient  spontaneraent,  sans  qu'ils  eussent 
besoin  de  reflechir  {statim  avec  emphase)  : 
Nimbus  venit,  et  ils  ne  se  irompaient  pas, 
car  une  antique  expeiiencc  leur  donnait 
raison,  et  ita  fiti  GIr.  Ill  Reg  xviii,  44; 
Robinson.  Palaestina,  t.  II,  p.  305  ('0|x6po«, 
I'equivalent  grec  de  «  nimbus  »,  designe  des 
averses  violenles,  torrenlielles.  Ce  mot  n'ap- 
parail  pas  ailleurs  dans  le  Nouveau  Testa- 
menl).  Dans  nos  conlrees  le  ventd'Ouest  est 
pareillemenl  un  pronoslic  assez  certain  de 
pluie.  —  Quum  austrum  flantem.  G'est  le 
contraire.  Les  vents  d'Est  (  DHpen  bebreu), 
avant  d'arriver  sur  la  Palestine,  traversent 
les  deserts  d'Arabie  oil  ils  deviennent  brii- 
lants  :  ils  apportaient  done  infailliblement 
aux  Juifs  de  grandes  chaleurs  ((Bstus,y.a.\><7u>y]. 
Cfr.  Job.  XXXVII,  17.  —  Hypocrilw.  Par  cetle 
epithele  severe,  mais  juste,  le  Sauveur  fla- 
gelle  i'iiiconsequence  que  ses  concitoyens 
manifestaienl  dans  leur  conduite.  Lorsqu'il 
fallaio  simplem  Mit  probare  (Staxptveiv,  discer- 
nere)  faciem  (to TcpoctoTrov,  expression  pitto- 
resque)  coeli  et  lerrce,  ils  eiaient  de-  physio- 
noinistes  pari'aits;  mais,  des  qu'il  elait 
question  d'apprecier  ce  que  Jesus  appelle 
emphatiquement  hoc  tempus,  c'est-a-dire  les 
jours  de  salut  que  sa  presence  et  son  oeuvie 
leur  avaient  apporles,  ils  n'y  entendaient 
plus  rien.  Quelle  triste  contradiction  1  Sans 
doute,  a  les  conjectures  des  aslres  sont  ne- 


CHAPITRE  XIII 


251 


57.  Quid  aulem  et  a  vobis  ipsis 
non  jiidicatis  quod  jusUim  est? 

58.  Gum  autem  vadis  cum  adver- 
sario  luo  ad  principem,  in  via  da 
■operam  liberari  ah  illo,  ne  forte 
trahat  te  ad  judicem..  et  judex  tra- 
dat  te  exactori,  et  exactor  mittat  te 
in  carcerem. 

McUtJi.  5,  75. 

59.  Dice  tibi,  non  exies  inde, 
donee  etiam  novissimum  minutum 
reddas. 


57.  Comment  ne  jugez-vous  point 
par  vous-memes  ce  qui  est  juste  ? 

58.  Lorsque  tu  vas  avec  ton  ad- 
versaire  vers  un  magistrat,  en  che- 
min  efforce-toi  de  te  delivrer  de  lui, 
de  peur  qu'il  ne  te  traine  devant  le 
juge,  et  que  le  juge  ne  te  livre  a 
I'exacteur,  et  que  I'exacteur  ne  te 
mette  en  prison. 

59.  Je  te  le  dis,  tu  n'en  sortiras 
pas  que  tu  n'aies  rendu  jusqu'a  la 
derniere  obole. 


CHAPITRE    XIII 

La  n(5cessite  de  la  penitence  prouvee  par  deux  evenemenis  historiqiies  (ft.  1-5).  —  Parabola 
dii  figiiier  sterile  {tt.  6-9).  —  Guerison  d'une  femme  infirme  [tt.  40-17).  —  Paraboles  du 
grain  de  senevd  et  du  levain  {tf.  18-21).  —  Reponse  grave  a  une  demande  valne 
(tt.  22-30).  —  Le  renard  Herode  (tt.  31-35). 


1.  Aderant  autem  quidam  ipso  in 
tempore,  nuntiantes  illi  de  Galilseis, 


1.  En  ce  meme  temps  quelques 
uns  etaient  1^ !  lui  parlant  des  Gali- 


cessaires  h  la  vie  humaine...  En  effet,  11  est 
utile  de  connaitre  les  pluies  qui  vonlvenir... 
ainsi  que  I'inlensild  des  vents.  II  imporle 
au  navigateur  de  prevoir  les  perils  de  la 
tempete;  au  voyageur,  les.  changements 
de  temps;  au  cultivateur,  I'abondance  des 
fruits  »,  S.  Basile,  Horn,  vi  in  Hexam.  Aussi, 
comme  ledit  le  poele  (Virg.Georg. 1,351-353), 

Haec  ut  certis  possimus  discere  signis, 
iEstusque,  pluviasque,  el  ageates  frigora  ventos, 
Ipse  Pater  staluit. 

tiais  ne  devail-on  pas  avoir  I'esprit  encore 
plus  ouvert  aux  signes  par  lesquels  le  Dieu 
de  la  revelation  avalt  rendu  si  visible  I'ap- 
proche  de  I'ere  messianique? 

57.  —  Quid  autem...  Jesus  repele  solennel- 
lemenl  son  bldme,  en  appuyani  sur  les  mots 
a  vobis  ipsis,  montrant  ainsi  que  ces  illettres 
eux-memes,  aides  de  leur  simple  bon  sens, 
etaient  capables  de  discerner  quod  justum 
est,  c'esl-a-dire,  comme  il  resulte  du  contexte, 
les  justes  jiigements  par  lesquels  Dieu  se  ven- 
gera  de  ceux  qui  aiiront  meconnu  son  Christ. 

58  et  59.  —  Cum  autem  vadis...  ou  pliitot, 
eum  enim...  d'apres  le  grec,  car  cette  petite 
parabole  est  intimement  liee  au  t.  57,  qu'elle 
a  pour  but  de  confirmer.  A  pen  de  dilference 
pres,  Jesus  I'avaiL  deja  proposee  dans  le  dis- 
cours  SLir  la  montagne,  Matth.  v,  25  et  ss. ; 
mais  alors  il  s'en  servait  pour  recommander 
d'une  manierespeciale  la  charite  a  I'egard  du 
prochain ,  tandis  que  rappHcalion  actuelle 
est  generalisee,  spiritualisee  pour  ainsi  dire. 

idee  dominante  est  celle-ci :  Pendant  qu'il 


en  est  temjjs  encore,  faites  votre  paix  avec 
Dieu  [adversario  tuo)  s'il  a  sujet  d'etre  irrit^ 
centre  vous,  de  crainle  que  vous  n'encou- 
riez  des  chcitimenis  eternels.  Lea  details  par- 
ticuliers,  qu'il  ne  faut  d'ailleurs  pas  presser 
outre  mesure  dans  I'explicalion,  sonl  em- 
prunles  auxcoulumes  jndiciairesdesanciens : 
cela  ressort  des  expressions  techniques  avxi- 
St'xo;  {adversarius]^  Sp/ovTa  {principem,  le 
president  du  tribunal),  a7nriX>,ax8at  (liberari; 
litteralement,  «  diinitti  ab  allero  placalo  »), 
xaTadupig  (irahat),  xpitiii:  (judex,  le  juge)  et 
TtpaxTwp  {exactor  ou  «  executor  »,  I'huissier 
charge  deveiller  a  I'execulion  de  la  sentence, 
en  malieres  de  dettes  ou  d'amendes),  qui  ont 
toutes  une  couleur  evidemment  legale.  Ai? 
epyaatav  [da  operam)  est  un  latinisme  mani- 
festo. —  Minutum.  Dans  le  texte  primitif, 
XewTov,  la  plus  petite  des  monnaies  division- 
naires  chez  les  Grecs  :  c'etait  la  moilid  du 
a  quadrans  »,  la  huitieme  parlie  de  I'  «  as  », 
par  consequent  la  huitieme  partie  de  six  cen- 
times! On  voit  par  la  combien  seront  rigou- 
reux  les  jugements  divins. 

10.  Ndcessit6  de  la  pdnitence.  ziii,  1-9. 

Cette  grave  instruction,  propre  au  troisieme 
Evangile,  est  d'abord  rattaohee  par  Notre- 
Seigneiir  adeux  evenemertts  contemporains, 
tt-  1-5,  puis  exposde  sous  forme  de  para- 
bole, tt.  6-9. 

I"  Deux  fails  historiques  qui  d^montrent  lan^cessiti 
de  la  p6nilence.  ff.  1-5. 

Chap.   xm.  —  \.  — Aderant,  napfiam  : 


232 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


leens  dont  Pilate  avail  mele  le  sang 
avec  celui  de  leiirs  sacriHces. 

2.  Et  il  leur  repondil  :  Croyoz- 
vous  que  ces  Galileeus  fussent  plus 
pecheurs  que  tous  les  aulres  Gali- 
leens  parce  qu'ils  ont  souffert  de 
telles  choses  ? 

3.  Non,  vous  dis-je,  mais  si  vous 


quorum  sanguinem  Pilatus  miscuit 
cum  sacrificiis  eorum. 
'  2.  Et  respondens  dixit  illis  :  Puta- 
tisquodhi  Galilsei  prse  omnibus  Ga- 
lileeis  peccatores  fuerint,  quia  talia 
passi  sunt  ? 

3.  Non,  dico  vobis  :  sed  nisi  }icb 


expression  piiloresque,  dont  relTi'l  i^>t  en- 
core reliaiisse  par  la  note  chronologiqne 
ipso  in  teuipore,  et  par  le  parlicipe  present 
nuntiantes  ;comparez  la  phrase  loult'  s  m- 
blable  de  Diodore  de  Sicile,  xvii,  8  :  Tcap^sav 
Ttve;  ain(x^yilXQv-zEz).  Au  moment  done  oil 
Jesus  acln-vail  son  discouis  dn  chap,  xii,  il 
y  avail  la  dcs  homnu'squi  se  nnireiU  aus.-itol 
a  lui  raconler  un  incident  horrible,  arrive 
recemment  a  Jerusalem,  et  dont  ils  appor- 
taient  peui-elre  la  premiere  nunvcllp.  —  De 
GalilcBis  quorum  sanguiitem  Pilalus  miscuil... 
Le  fait  est  relate  en  pea  de  mols,  mais  d'une 
maniere  vraimenl  tragique,  bien  capable  de 
faire  impression.  On  croirail  voir  ces  mal- 
heureux  Galileens  assaillis  lout  a  coup  par 
les  soldals  de  Filale  dans  le  parvis  du  temple, 
au  mompnl  oil  les  pr^tresimmolaienl  en  leur 
nom  des  victimos,  el  immoles  eux-memes 
sans  pilie,  de  sorte  que  I(  ur  sang  se  mela  au 
sang  des  animaux  qu'ils  offraienl  en  sacri- 
fice. II  y  avail  dans  cetleculncidence  quelque 
chose  d  affreux  («  Nefando  sacro,  mixta  ho- 
minum  pecudumqup  coede  re-persus!  »  Tite- 
Live,  Hi?t.  xix,  39).  L'hisloire  profane  est 
demeuree  complelement  silencieuse  sur  ce 
drame  sanglant,  dont  nous  devons  le  souve- 
nir a  S.  Lnc.  Mais  il  est  en  parfaile  harmonie 
avec  le  caraclere  de  Pilate  el  celui  des  Gali- 
leens, lels  qu'ils  nous  sont  connus  par  les 
sources  les  plus  authenliquos.  Les  sou'6ve- 
menls  conlre  rautorile  romaina  n'elaient  pas 
rares  a  Jerusalena  dans  ces  temps-la,  surtoui 
k  I'occasion  des  feles.  et,  cheque  fois  qu'une 
emeute  avail  lieu,  on  elail  sur  de  renconlrer 
les  Galileens  parmi  les  zeloles  les  plus  exal- 
les,  les  plus  remnants.  Cfr.  Jos.  Ant.  xvii,  9,  3 ; 
40,  2;  Vila,  §  xvii.  D'aulre  pari,  Pilate  se 
monirail  alors  sans  pilie.  II  n'elait  pas  homme 
a  se  laisser  intimider  par  la  sainlele  du  sanc- 
luaire  juif,  bien  qu'une  slipnlalion  specialo 
inierdil  au  gouverneur  romain  d'introduire 
ses  soldals  dans  le  temple.  De  la  tour  Anlonia, 
qui  communiquail  avec  I'edifice  sacre  (voyez 
Ancessi,  Alias  d'archeologie  biblique.  pi.  X), 
et  qui  servait  de  garnison  aux  troupes  impe- 
riales,  on  penelrait  en  «n  in«tanl  dans  les 
parvis.  Quand  il  y  avail  lutle.  la  victoire 
restait  infailliblement  aux  legionnaires,  qui 
egorgerent  un  jour  jusqu'a  20,000  emeuliers 
(Jos.  Ant.  XX,  5,  3). 


2  el  3.  —  Respondens  dixd...  Sans  portei 
aucim  jugemenl  sur  la  c^nduile  de  Pilate, 
Jesus,  flemeurani  dans  son  role  spintuel,  pro 
file  de  celle  lugubre  nouvelle  pour  ey.horter 
a  la  penilence  lous  ceux  qui  I'lntouiaicnl.  — 
Putalis  quod  hi  GaliUui...  II  a  divinement 
compris  el  il  met  a  nu  la  secrete  pensee  des 
narrati  urs.  Raliachant  leur  recit  a  ses  der- 
nieres  parole*,  xii,  57-59,  ils  I'avaienl  donntj 
en  realiie  comme  une  preuve  que  les  mal- 
heureux  Galileens  tombes  sous  les  glaives 
remains  dans  I'enceinle  meme  dn  temple, 
bien  plus,  lout  aupresde  I'autel,  landis  qu'ils 
accomplissaienl  I'acte  le  plus  augusle  de  la 
religion,  devaient  elre  exceplionnellement 
coupables,  puisque  leurs  sacrifices,  au  lieu 
d'atlirer  sur  eux  les  graces  du  Seigneur, 
semblaient  avoir  au  conlraire  provoque  ses 
vengeances.  Telle  elail  bien  d'ailleurs  la  ma- 
niere de  voir  habiluelle  de  I'Orienl  (Cfr.  Job. 
IV,  7),  et  paiticulieremenl  ds  Juifs  (Cfr. 
Joan.  IX,  2  el  le  cummentaire;  :  les  grands 
malheurs  etaient  loujours  cens('S  ai river  a  la 
suite  de  grands  peches.  Jesus  allirme  avec 
energie  (non,  dico  vobis  qu'un  pareil  jugemenl 
est  souvenl  injusle,  qu'il  I'esl  du  moin-^  ilans  le 
cas  acluel.  Non,  ceux  de  ses  compalrioles  qui 
venaient  d'eprouver  une  fin  si  lamentable 
n'elaient  pas  pires  que  les  aulres  Galileens 
iprce  07nnibus  Galilwis ;  dans  le  grec,  napa 
Ttavta:  xou?  TaXiXxiou;,  comparalif  a  la  mode 
hebralque,  Cfr.  f.  4;  xviii,  14;  Gen.  in,  I, 
SlD^D  U^'^'J]^  Sans  doute  il  existe,  toute  la 
Bible  en  fail  foi,  une  relation  elroile  enlre 
le  mal  physique  et  le  mal  moral,  car  il  est 
bien  certain  que  toules  nos  souffrances 
viennenl  du  peche.  Mais  il  serail  faux  d  •  pre- 
lendre  qu'un  malheur  individuel  est  infailli- 
blemenl  le  signe  d'un  crim"  individuel,  qu'un 
homme  chalie  en  ce  monde  est,  pour  ce  sen! 
molif,  plus  coupable  que  ceux  qui  vivenf 
heureux  autour  de  lui.  Apies  avoir  renveise 
d'un  mot  ce  trisle  prejuge,  Notre-Seigneur 
ecarle  ces  questions  steriles  pour  altirer. 
selon  sa  coulume.  Tallenlion  de  ses  audileurs 
sur  des  considerations  pratJqnes,  perponnel.es, 
de  la  derniere  importance  :  Nisi pcenitcntiam 
habueritis  (eav  jai^  [leTavofi-e,  le  verbe  qui 
exprime  si  parfaitement  I'pssence  de  la  vraie 
conversion.  Cfr.  Mallh.  in,  2  el  le  commen- 
taire),  omnes  similiter  peribilis.  «  Omnesi)  esl 


CHAPITRE  XIII 


233 


nitenliam  habueritis,  omnes  simili- 
ter peribitis. 

k.  Sicut  illi  decern  et  octo,  supra 
quos  cecidit  turris  in  Siloe,  et  occi- 
diteos  :  putalis  quia  et  ipsi  debito- 
res  fiierint  prseter  omnes  homines 
habitantes  in  Jerusalem  ? 

5.  Non,  dico  vobis  :  sed  si  poeni- 
tentiara  non  egeritis,  omnes  simili- 
ter peribitis. 

6.  Dicebat  autem  et  banc  simili- 
ludinem :  Arborem  fici  habebat  qui- 
dam  plantalam  in  vinea  sua,  et  ve- 
nit  quaerens  fructum  in  ilia,  et  non 
invenit. 


ne  faites  penitence  vous  perirez  tous 
pareillement. 

4.  Comme  ces  dix-huit  sur  qui 
tomba  la  tour  de  Siloe  et  qu'elle  tua, 
croyez-vous  que  leur  dette  fuL  plus; 
grande  que  celle  de  tous  les  autres 
habitants  de  Jerusalem? 

b.  Non,  vous  dis-je,  mais  si  vous 
ne  faites  penitence  vous  perirez  tous 
pareillement. 

6.  II  leur  disait  aussi  cette  para- 
bole  :  Un  homme  avait  un  fii^uier 
plante  dans  sa  vigne,  et  il  vint  y 
chercher  du  fruit  et  n'en  trouva 
point. 


emphaiique  :  lous  sans  exception !  a  Simi- 
liter »,  (bffauTco; :  aussi  miserablemont  que 
ceux  dont  vous  venez  de  raconter  la  mort. 
Renlrez  done  en  vous-mSmes,  en  face  d'une 
telle  calamite;  proQiez  de  la  legon  qu'elle 
vous  donne  :  sinon,  c'esi  le  glaive  de  Dieu,  el 
pas  seulement  celui  de  Pilate;  qui  fera  de 
vous  un  massacre  epouvanlable.  L'averiisse- 
meni  eiail  en  meme  temps  une  prophelie, 
comme  le  disent  a  I'envi  les  commentaieurs. 
Parce  que  les  Juifs  ne  firent  pas  penitence  a 
la  voix  de  Jesus,  ilsjperirent  par  millions  du- 
rant  la  guerre  avec  Rome,  en  Galilee,  dans 
toute  la  Palestine,  a  Jerusalem,  el  jusque 
dans  le  temple  (no).Xoi...  itpo  twv  Ouixaxwv 
lireoov  auTot,  Jos.  Bell.  Jud.  v,  \,  3). 

4  et  o.  —  Sicut  (dans  le  grec,  ^,  oaui  <>)  illi 
decern  el  octo...  Pour  forlilier  sa  conclusion, 
Jesus  rappelle  a  I'audiloire  uu  autre  evene- 
menl  douloureux,  donl  Jerusalem  avait  ega- 
lement  ele  lo  theatre,  et  que  nous  n.;  con- 
naissons  de  memo  que  par  S.  Luc.  Une  tour, 
probabltMiienl  une  lour  des  remparts,  siliiee 
non  lorn  de  la  piscine  de  Siloe  [in  Siloe;  dans 
le  grec,  ^v  tw  SiXwdn,  dans  la  region  bieri 
connue  qui  porlait  ce  nom,  au  S.  E.  dt^  la  ville. 
Voyez  la  note  de  Joan,  ix,  7)  s'elait  effondren 
subiiemeni,  et,  dans  sa  chule,  avait  ecrase 
dix-huit  personnes.  Devail-on  supposer  que 
les  viclimes  de  celle  caiasuophe  elaient  les 
habilanls  les  plus  impies,  les  plus  iinmoraux 
de  la  capitale  juive?  (Sur  le  mot  debitores 
au  lieu  de  «  peccalores  »,  t.  2,  voyoz  Malth. 
VI.  12  et  rexplicalion).  Assuremeul  non, 
repond  encore  Jesus.  Puis  il  repele,  comme  un 
refrain  terrible,  sos  paroles  du  if.  3  :  Si  pce- 
nitentiam  non  egeritis  (le  grt>c  ne  varie  pas, 
iav  |j.T)  (jLexavorjTe),  omnes  similiter  (celle  fois  on 
lit  6(j.oic<}(  dans  la  Recepla  et  dans  la  plupart 
des  leinoins)...  Ici  encore  nous  avons  une 
prediction  qui  se  realisa  d'une  maniere  litte- 
rale  aux  derniers  jours  de  I'Etat  Wieocratique, 


quaud  dos  Juifs  nombreux  furent  broyes  a 
Jerusalem  S)us  les  decombres  des  maisoti>  et 
des  edifices.  Mais  nous  pouvons,  nous  d"vons 
meme,  nous  elever  plus  haul  encore.  L'avis 
du  Sauveur  ne  concernait  pas  seulement  les 
habilanls  de  la  Palestine,  el  n'avait  pas  une 
valeiir  transiloire.  Pris  dans  son  acceplion 
coujplele,  il  a  une  porlee  universelle  pour 
I'espace  comme  pour  la  duree,  et  s'adresse 
aux  hommes  de  lous  les  temps  et  de  tous  les 
pays.  Nous  aussi,  nous  perirons,  et  a  lout 
jamais,  si  nous  ne  faisons  une  sincere  peni- 
tence. 

2o  La  parabole  du  figuier  stdrl-le. 

La  conclusion  du  divin  Maitre  avait  ete  se- 
vere :  il  semble  niainLenaui  I'adoucir  par 
celte  louchante  parabole  qui  montre,  en  Dieu, 
la  longanimite  du  pere  toujours  unie  a  la 
justice  rigoureuse  du  juge.  Neanmoins,  a 
cote  de  I'aimable  esperance  que  regoivent  ic 
les  pecheurs,  il  y  a  de  nouveau  la  grave  leQon  : 
Gonverlissez-vous  et  porlez  d  'S  fruits  de  salut 
landis  qu'il  en  esl  temps;  n'abusez  pas  de  la 
divine  patience,  maisprofilez  dusursis,  peut- 
6tre  rapide,  qu'elle.  daigno  vous  accorder ! 

6.  —  Hanc  similittidinem,  xaOtriv  xrlv  napa- 
6o'i,r\y.  Nous  avons  vu  en  plusieurs  autres  en- 
droils  du  iroisieme  Evangile  ^IV.  13;  v.  36; 
VI,  39;  VIII,  4,  elc.)  le  mol  gr.  c  uapaooXii 
traduit  en  latin  par  o  similitude  »,  landi^ 
qu'il  Test  plus  ordinairemenl  ailleurs  (Mdtlh. 
et  Marc.)  par  «  parabola  ».  La  parabole  du 
figuier  sterile  se  compose  d'un  fail  rapidemeni 
enonce,  t.  6,  et  d'un  court  dialogue  entre  le 
proprietaire  de  I'arbre  et  le  cullivaleur, 
tt.  7-9.  C'est  le  developpement  pneiique, 
dramalique,  de  Matth.  in,  10.  —  Arborem 
fici  (le  grec  porle  simplemenl  «  ficuin  »)  ha- 
bebat quidam...  G'esi  Dieu,  evidemmenl,  qui 
esl  designe  par  le  vague  pronom  xn;  evidem* 
meni  aussi,  le  figuier  represenle  le    peupin 


25i 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


7.  Et  il  dit  a  celui  qui  cultivait  la 
vigne  :  Voila  trois  ans  que  je  viens 
clicrcher  du  fruit  a  ce  figuier  elje 
n'en  Irouve  point,  coupe-le  done ; 
pourquoi  occupe-t-il  encore  la 
Icrre  ? 


7.  Dixit  autein  ad  cullorem  vi- 
nese  :  Ecce  anni  tres  sunt  ex  quo 
venio  quserens  fruclum  in  ficulnea 
hac,  et  uon  invenio  :  succide  ergo 
illain  :  ut  quid  etiam  terrain  occu- 
pat? 


juif  (Clr.  Mallh.  xxi,  19,  20,  el  le  commen- 
laire),  plante  an  milieu  de  I'lmmense  vignoble 
i]iii  est  I'emblemt^  du  monde  entier.  — Plan- 
tc.lam  in  vinea.  En  Palestine,  de  meme  qu'en 
pIusRHirs  de  nos  provinces  vilicoles,  on  eleve 
t^ouvenl  des  arbre?  fniiliers  dans  les  vign^'S, 
el  c'esl  le  figuier  qui  est  le  plus  habiluelle- 
monl  choisi.  Compaiez  ce  passage  de  Pline, 
Mist.  iiat.  XVII,  '18  :  «  Ficorura  levis  (umbra) 
quainvis  sparsa,  ideoque  inter  vineasseri  non 
velanlur  ».  De  la  vienl  la  frequeiile  iissocia- 
lion  de  la  vigne  et  du  figuier  dans  les  Sainis 
Livres.  —  Venit  qucerens  fructum  et  non  in- 
ventl.Cfr.  Marc,  xi,  13.  Dieu  avail  cependant 
tout  mis  en  ceuvre  pour  que  son  peuple  de 
predilection  prodiiisit  des  Iruits  excellenls  et 
Dombreux.  Mais  les  Juifs  s'etaienl  moiitres 
rebelles  aux  graces  comrae  aux  menaces.  lis 
avaientmeme  refuse  de  seconvertira  la  voix 
de  Jesus. 

7.  —  Dixit  ad  cultorem  vinece,  up6;  Tiv 
ijjiKEXoupYov  (ce  mol  n'apparait  pas  ailleurs 
dans  le  Nouveau  Teslam  nt).  Le  proprietaire, 
irompe  dans  son  allente,  se  plaint  avec  une 
cerlaine  amerlume,  el  bien  leeitimeraenl  du 
resle,  car  c'elait  deja  la  troisieme  fois  qu'il 
elail  ainsi  fiuslre  :  Ecce  anni  tres  sunt...  Un 
bon  aibre  demeurerail-il  si  longtemps  ste- 
rile? Au  moral,  et  dansl'application  de  la  para- 
bole,  ces  trois  annees  onl  ete  interprelees  de 
bien  des  manieres.  -.i  Quelques  Peres  les  en- 
tendent  des  trois  etals  sous  lesquels  les 
hommes  onl  vecu  :  sous  la  loi  naturelle,  de- 
puis  le  commencemenl  du  monde  jusqu'a 
Moise;  sous  la  loi  ecrite,  depuis  Moise  jusqu'a 
Jesus-Chri-l;  sou-;  la  loi  evangelique,  depuis 
Jesus  Christ  jusqu'a  la  fin  du  monde  ^S.  Am- 
broise,  S.  Augustin.  S.  Gregoire).  D'aulres  les 
enlendenl  du  triple  gouvernement  qui  s'esl 
vu  sous  les  Juifs  (rpel;  iro).iTeta?,  Euthymius)  . 
le  gouvernement  des  jus^es,  depuis  Josue 
jusqu'a  Israel;  le  gouvernerm'-nl  des  rois, 
depuis  Saiil  jusqu'a  la  caplivile  de  Babylone, 
et  if  gouvernement  des  grands-prelres,  depuis 
la  cajjliviie  jusqu'a  Jesus-Chri-l.  D'aulres 
(Theophylacle),  des  trois  5ges  de  I'homme : 
renfaiice,  I'age  viril  et  la  vieillesse.  D'aulres 
enfin,  des  trois  annees  de  la  predication  de 
Jesus  Christ  ».  D.  Caimel.  Wieseler  (Chro- 
nolog.  Synopse  der  vier  Evang.  p.  202  et  ss. ; 
Beitraege  zur  richiig,  Erklaerung  der  Evang., 
p.  465  et  ss.)  s'esl  distingue  de  nos  jours 
parmi  les  defenseurs  de  cette  derniere  opi- 


nion. Cfr.  Olshausen,  h.  I.  Nous  nous  per- 
mettrons  de  dire  a  la  suite  de  I'illuslre  exe- 
gete  lorrain  que  «  ces  explications  sonl  loutes 
arbilraires  »,  car  les  trois  annees  «  marquent 
simplement  que  Dieu  a  donne  aux  Juifs  lout 
le  temps  et  tous  les  raoyens  conv  nables, 
pour  les  mettre  hors  d'excuse  ».  II  ne  faut 
done  pas  trop  appuyer  sur  ce  detail.  Si  I'od 
insislaii  pour  eiitendre  ceslrois  ansd'unema- 
niere  slrictemenl  chronologique  et  pour  y 
voir  une  allusion  au  minisiere  public  d© 
Notre-Seigneur  Jesus-Christ,  nous  repon- 
drions  que  la  qualrieme  an;iee  devrail  se 
prendre  aussi  a  la  letlre  :  or,  il  est  certain 
qu'elle  represente  le  delai  de  quaranle  annees 
accorde  aux  Juifs  enlre  la  mort  de  Jesus  et  la 
ruine  de  Jerusalem.  —  Apres  la  plainle,  la 
senleace  :  succide  illnm,  el  la  sentence  moti- 
v^e  :  ut  quid  etiam  terram  occupat?  Get 
0  etiam  »  (xaC,  a  insuper  »)  est  bien  fori. 
<(  Non  modo  nil  prodest  (ficulnea),  sed  etiam 
lalicem  avertit,  quem  e  terra  suclurae  erant 
vites...,et  spalium  occupat.  »  Bengel.  L'arbre 
est  sterile;  de  plus  il  nuil  :  double  raison  de 
le  detruire.  Au  lieude*  occupal  »,  I'ancienne 
version  latine  portait  «  impedit  »,  qui  est 
preferable;  mais  xatapYeT  du  texle  grec  (un 
des  verbes  favoris  de  S.  Paul,  qui  I'emploie 
jiis(iu'a  26  fois  dans  ses  epiires)  est  encore 
plus  energique,  puisqu'il  signifie  proprement; 
«  inertem  facil  ».  S.  Gregoire  en  donne  une 
excellenle  paraphrase  :  «  Slat  desuper  arbor 
infrucluosa,  et  subtus  terra  sterilis  jacet  ». 
De  meme  Corneille  de  Lapieire  :  «  Terram 
inerlem  el  slerilem  reddit,  turn  umbra  sua, 
tum  radicibussuis,  quibus  succura  terras  vi- 
cinis  vitibus  eripil  el  praeiipit  ».  Personne 
ici-bas  n'esl  simplement  inutile.  Quiconque 
ne  fait  pas  le  bien  fail  le  mal,  le  prelre  plus 
que  tout  autre!  —  Quoique  terrible  en  verile 
(«  cum  magno  tiinore  audiendura  est  », 
S.  Gregoire,  Horn,  xxxi  in  Evang.),  I'ordre 
du  Seigneur,  Coupez  eel  arbre,  manifest© 
bien  sa  bonle  paternelle,  comme  le  faisaient 
observer  les  sainis  Peres.  «  C'estun  Irait  par- 
liculier  de  la  clemence  de  Dieu  envers  les 
hommes,  de  ne  pas  lancer  les  chatiments  en 
silence  et  secrelemenl,  mais  d'en  proclamer 
d'abord  I'arrivee  par  des  menaces,  afin  d'in- 
viler  ainsi  les  peclKurs  au  repentir  »,  S.  Ba- 
sile  (cite  par  Trench,  Notes  on  the  Parables, 
lie  edit.  p.  353).  «  Si  damnare  vellel,  ta- 
cerel.  Nemo  volens  ferire  dicil :  Observa  I  % 


CHAPITRE  XIII 


ito- 


8.  At  ille  respondens,  dicit  illi : 
Domine,  dimilte  illam  et  hoc  anno, 
usque  dum  fodiam  circa  illam,  et 
mittam  stercora  : 

9.  Et  si  quidem  fecerit  fructum  : 
sin  autem,  in  futurum  succides 
earn. 

10.  Erat  autem  docens  in  syna- 
goga  eorum  sabbatis. 


8.  Et  celui-ci  lui  repondit :  Sei- 
gneur, laissez-le  encore  cette  annee, 
jusqu'a  ce  que  je  creuse  tout  autour 
et  quej'y  mette  du  furaier; 

9.  Peut-etre  porlera-t-il  du  fruit, 
sinon  vous  le  couperez. 

10.  Or  Jesus  enseignait  dans  leur 
synagogue  les  jours  de  sabbat. 


S.  Aiigustin  (ibid.).  'Amilti  t^v  Ttixwpiav,  !va 
9'jY(0[j.ev  Tr)v  usipav  Trj;  Tt|xti)pia;"  90661  xw  ^6y«{>> 
ha  (iri  xoXdoTfl  tw  £pY({),  S.  Jean  Chiys.,  de  PoB- 
nit.  horn.  vii.  Selon  I'antiqiie  adage,  quand  ils 
ont  la  volonle  arr^lee  de  sevir,  «  Dii  laneos 
habent  pedes  »  ;  ils  n'averlissenl  pas  et  s'ap- 
prochent  doucement  des  coupables  qu'ils 
veulenl  surpendre. 

8.  —  At  ille  respondens...  Le  vigneron,  qui 
est  ici  la  figure  de  Notre-Seigneur  Jesus- 
Christ,  intercede  pour  le  figuier  sterile  :  Di- 
mitte  (i^e?,  «  patere  »)  illam  et  hoc  anno.  Sus- 
pendez  pour  une  annee  encore  voire  juste 
sentence  :  peut-^tre  des  soins  plus  diligents 
ameneront-ils  cet  arbre  a  fruit.  1!  cite,  comme 
exemple  de  son  redoublement  de  soiliciludes 
pendant  le  temps  d'epreuve,  deux  traits  par- 
liculiers,  fodiam  circa  illam,  mittam  stercora, 
qui  symbolisent  des  graces  speciales,  plus 
abondammenl  versees.  C'esl  bien  en  cela  du 
resle  qu'a  toujours  consiste  le  traitfment 
des  arbres  malades  ou  sterile-:. 

9.  —  Ces  moyens  extraordinaires  une  fois 
pris,  une  double  ellernalive  devra  se  presen- 
ter. Ou  le  figuier  portcra  des  fruits,  et  alors 
on  le  laissera  vivre;  on  il  perseverera  dans 
son  etat  d'infecondile,  et  dans  ce  cas  le  pro- 
prietaire  n'aura  qu'a  execuler  son  premier 
dessein,  in  futurum  («  in  poslerum  »;  il  est 
inutile  de  sous-enlendre  «  annum  «)  succides 
earn.  Ce  sort  sera  si  parfaitement  merite.  que 
la  voix  m^me  de  I'amour  renoncera  cette  fois 
a  I'ecarter  (Stier).— La  phrase  reste  suspendue 
apres  si  quidem  fecerit  fructum;  c'est  une 
ellipse  fainiliere  aux  classiques  (voyez  Wets- 
tein  et  Kuinoel.  h.  1.)  el  aux  ecrivains  sacres 
(Cfr.  II  Reg.  V,  8:  I  Par.  iv.  10;  Marc.  ix,23; 
Luc.  XIX,  42,  etc.).  II  est  aise  de  suppleer 
a  bene  eril  >•>  (xaXw;  exei)j  ou  simpleinent 
t  Bene  »  (eu).  Le  maitre  de  la  vigne  ne  fail 
aucune  reponse,  cemme  s'il  ne  voulail  pas 
s'engager  a  exaucer  la  demands  du  vigneron. 
La  parabole  se  lermine  ainsi  d'une  faQon 
brusque,  raenaQanle.  II  est  neanmoins  dans 
I'espnt  de  eel  interessanl  petit  drame  de 
supposer  que  la  priere  ful  agreee.  —  La  le- 
gon,  nous  I'avons  dit,  s'adresse  directemenl 
et  principalement  a  Israel;  mais  on  peul 
aussi  I'appliquer  a  tous  les  hommes.  «  Quod 
de  Judaeis  dictum,  omnibus  cavendum  arbi- 


tror,  et  nobis  maxime;  ne  foecundum  Eccle- 
siae  locum  vacui  meritis  occupemus  :  qui 
quasi  melogranata  benedicli,  fructus  ferre 
debemus  internos,  fructus  pudoris,...  fructus 
mutuae  carilalis  el  amoris,  sub  uno  utero 
Ecclesiae  matris  inclusi;  ne  aura  noceal,  ne 
grando  deculiat;  ne  septus  cupiditatis  exu- 
rat,  ne  humoris  imber  elidat.  »  S.  Ambroise, 
Exp.  in  Luc.  vii,  171.  II  y  a  bien  reellement, 
dans  cette  parabole,  I'liisloire  de  la  conduite 
tout  aimable  de  Dieu  a  I'egard  de  cbaque  pe- 
chciir.  II  supporle,  il  paliente,  il  soigne  jus- 
qu'a la  derniere  exlremite:  il  ne  chAlie  fina- 
lement  que  lorsque  tout  espoir  de  conversion 
a  disparu.  S.  Gregoire  de  Nazianze  (ap.  Cat. 
D.  Thorn.)  veul  que  nous  imitions  la  divine 
longanimile  :  «  Ne  soyons  jamais  prompts  a 
frapper,  mais  prevenons  par  la  misericorde, 
de  peui'  de  couper  un  figuier  qui  peul  encore 
produire  des  fruits,  et  qui  peut-etre  serait 
gueri  par  les  soins  d'un  cullivateur  habile.  » 
Nous  ne  pouvons  nous  empech^r  de  citer 
ici  tout  au  long,  d'apres  Rosenmiiller,  Dat* 
alte  u.  neue  Morgenland,  t.  V,  p.  187,  la  re- 
celle  suivanle  qui  est  employee  parfois  en 
Arable  pour  rendre  la  feriilite  aux  palmiers 
steriles.  «  Prenez  une  hache,  et  allez  aupres 
de  I'arbre  avec  un  ami  auquel  vous  tiendrez 
ce  laugage  :  Je  vais  couper  ce  palmier,  car 
il  ne  porle  pas  de  fruits.  L'ami  repondra  :  Ne 
le  faitrs  pas;  cette  annee  il  aura  cerlaine- 
ment  des  fruits.  Le  premier  devra  repliquer  : 
C'esl  necessaire,  il  faul  que  je  I'abatte;  et  il 
frappera  irois  fois  le  trouc  de  Tarbre  avec  le 
dos  de  sa  hache.  Son  ami  le  retiendra  en  di- 
sant  :  Non,  ne  I'abaltcz  point;  vous  aurez 
certainemenl  des  fruits  de  lui  cetle  annee. 
Prenez  patience  une  fois  encore,  ne  vous 
hatez  pas  trop  de  le  couper.  Mais,  s'il  refuse  a 
I'avenir  de  vous  donner  des  fruits,  alors  vous 
pourrez  le  couper.  La  meme  annee,  I'arbre 
deviendra  necessairemenl  fertile,  et  il  four- 
nira  une  recolte  abondante.  »  Quelle  analogie 
gracieuse  avec  noire  parabole  1 

11.  Gu6rison  d'une  femme  infirme.  xiii,  10-t7. 

10.  —  Erat  docens  in  srjnagoga  eorum  (scil. 
Judeeorum).  Le  grec  porle  :  iv  (xiS  tcov  ffuvayw- 
Ywv,  «  in  una  synagogarum  ».  Sur  le  pluriel 
sabbatis  employe  dans  le  sens  du  singulier. 


S56 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


11.  Etvoiciune  femme  qui  avail 
un  esprit  d'inflrmite  depuis  dix- 
huit  ans,  et  elle  etait  courbee  et 
ne  pouvait  pas  du  tout  regarder  en 
haul. 

1 2.  Lorsque  Jesus  la  vit  il  I'appela 
k  lui  et  lui  dit :  Fcmme,  tu  es  deli- 
vree  de  ton  infirmite. 

13.  Etil  lui  imposa  les  mains,  et 
aussitot  elle  fut  redressee  et  elle 
glorifiait  Dieu. 

14.  Or  le  chef  de  la  synagogue, 
prenant  la  parole  et  s'indignant  de 


11.  Et  ecce  mulier,  quae  habebat 
spiritum  infirmitatis  annis  decern 
et  octo  :  et  erat  inclinata,  nee  om- 
nino  paterat  sursum  respicere. 

12.  Quam  cum  videret  Jesus,  vo- 
cavit  eam  ad  se,  et  ait  illi  :  Mulier, 
dimissa  es  ab  infirmilate  tua. 

1 3.  Et  imposuit  illi  manus,  et  con- 
festim  erecta  est,  et  glorificabat 
Deum. 

14.  Respondensautemarchisyna- 
gogus,  indignans  quia  sabbato  cu- 


voyez  Bretschneider,  Lexicon  man.  graeco- 
latin.,  s.  V.  oaSgatov.  —  Jesus  lermine  son 
ininislere  comme  il  I'avail  commence.  Cfr. 
Marc.  1,  21  el  s.  Au  debut  el  a  la  fin  de  sa 
vie  publique  nous  le  voyons  pi^chanl  I'Evaii- 
:;ile  dan:*  les  synagogues,  aux  jours  de  sab- 
iial.  Le  divin  Sauvcur  ne  se  lasse  \^a•>  <1e  jeter 
dans  les  ccBurs  le  bon  grain  de  I'Evangile. 

i\.  —  Si  I'hislorien  sacre  n'a  designii  que 
d'une  maniere  generale  le  lieu  el  la  date  du 
prodige,  le  «  medicus  carissimus  »  decril  foit 
bien  I'etal  patholooique  de  la  malade.  —  Ecce 
mulier.  D'apr6s  la  Recepla  :  l5ou  "^uvh  i^v  (pour 
■napriv),  «  ecce  mulier  aderal  ».  Le  verbe  man- 
que aussi  dans  les  manuscrils  Sinail.,  B,  L,  X, 
«t  dans  piusieurs  versions;  cV-^t  probable- 
inenl  un  glosseme.  —  Quce  habebat  spiritum 
infirmitatis  (uvEOiJia  a(T8£veias,  un  esprit  de 
(lebililo,  de  faibles-;e).  Celle  expression  sera 
coramentee  plus  loin  (t.  16j  par  Notre-Sei- 
gneur  :  elle  designe  la  cause  du  inal,  et  cette 
cause  etait  toute  morale  et  spirituelle.  L'in- 
firmile  provenait  d'une  possession  de  I'l'spril 
mauvais.  Comparez  le  itveOfia iXaXov  de  Maic. 
IX,  25.  —  Le  caractere  particulierde  la  ma- 
iadiij  est  ensuile  indique.  Depuis  dix-huit 
ans,  la  pauvre  femme  sur  laquelle  Jesus  ve- 
nait  de  jeter  un  regard  de  misericorde  etait 
toute  courbee,  repliee  sur  elle-meme  {incli- 
nata, ffUYxuitTouffa,  soil.  lauTi^v  ou  upofftdirov, 
mot  ^nergique  employe  seulement  dans  le 
troisieme  Ev?-igile),  a  tel  point,  ajoute 
S.  Luc  pour  inieux  montrer  combien  elle  etait 
dignede  pitie,  que  nee  omninopoleiat sursum 
respicere  (ivaxu<|<at,  «  corpus  erigere  »,  par 
opposition  h  avyv-inxoijaa.) .  Le  mal  n'avait 
done  pas  seulement  son  siege  dans  le  cou, 
mais  il  affcclait  aussi  le  dos  et  les  reins,  en 
un  mot  toute  I'epine  dorsale.  —  Les  saints 
Peres,  dans  leurs  paraphrases  morales,  re- 
gardent  ce  triste  eiat  comme  la  figure  des 
ames  qui  sent,  suivant  le  mot  du  po6te, 
«  curvae  in  terras  »,  tandis  qu'il  convient  si 
bien  a  rfaomme  (la  forme  de  son  corps  ne  le 


lui  dit-elle  pas  sans  cesse?)  de  «  chercher 
les  clioses  du  ciel  et  d'elever  ses  regards  au- 
dessu-;  de  la  terre.  »  S.  Basil,  Houi.  ix  in 
Ilexarn.  Cfr.  S.  August.  Enarral.ii  in  Psalm. 
Lxviii,  24  ;  Tlieopiiylacle.  li.  1. 

12  el  43.  —  Vocavit  eam  ad  se.  Maldonat 
fait  a  ce  propos  ime  excellenle  reflexion  : 
«  Duplicis  fuil  benefieii  alque  liberalilaiis, 
quod  non  solum  sanavit,  sed  etiam  invilavit 
adsanitalem.  Vix  qui-mquam  solebal  Cliristus 
non  rogatus  curare;  banc  muiierem  non  so- 
lum non  rogatus sanat,  sed  ipse  quodam  modo 
ut  sanari  velil  rogat.  »  —  Dimissa  es  (mieux, 
«  solula  es  »,  aTtoXeXuffai)  ab  infirmilate  tua. 
«  Parole  tout  a  fail  digne  de  Dieu,  s'ecrie 
S.  Cyriile  (Cat.  D,  Thomae),  et  remplie  d'une 
majesle  celeste.  »  L'empioi  du  parfait  est  a 
noler  ;  Tu  as  ete  deliee!  Avant  m6me  d'etre 
enoiice,  le  resullal  etait  dejaopere  dans  la  vo- 
lontedu  Tliaumai  turge.  Nolons  aussi  la  belle 
metupliore,  toute  ciassiquo  d'aillenrs,  par 
laquelle  la  maladie  est  assimilee  a  des  liens 
qui  retiennent  captif  :  dans  le  cas  present 
elle  etait  d'une  juslesso  parlicuiiere.  —  Et 
imposuit  illi  ma nus .  Go geiU\  signe  dela  toute- 
puissanco  de  Jesus,  accompagna  probable- 
ment  sa  parole  loule-puissante  (S.  Cyriile, 
Eiiihyuiius,  Trench).  L'effel  produit  ful  ins- 
lame  :  confeslim  erecta  est  (avtopOcieifi).  Imm^- 
dialemiMit  aussi  i'humble  femme,  delivree  tout 
ensemble  de  ses  liens  spirituels  el  corporel?. 
se  mil  a  prnclamer  avec  effusion  la  louange 
da  Dieu.  Glorificabat  :  ce  temps  indique  la 
conlinuite;  elle  glorifiait  et  glorifiait  encore 
I'auteur  de  tout  don  parfait. 

14.  —  Respondens  autem  archisynagogus.  La 
scene  change  snbitement.  Dos  paroles  de  co- 
lere,  d'indignation  (indignans,  iY»vaxTwv),  in- 
terrompenl  bruyamment  celles  de  Taction  de 
grSces,  et  c'esl  le  president  de  I'assemblee,  le 
«  Rosch-hakkeneceth  »,  qui  les  profere.  Et 
pourquoi  done  cet  homme  s'indigne-l-il  ?  Quia 
sabbato  curasset  Jesus  :  voilk  tout  son  motif  I 
«  Bene  scandalizati  sunt  de  ilia  erecta,  ipsi 


CHAPITRK  XIII 


8S7 


rassel  Jesus,  dicebat  turbee :  Sex 
dies  sunt,  in  quibus  oportet  operari ; 
in  his  ergo  venite,  et  curamini,  et 
non  in  die  sabbali. 


15.  Respondens  autem  ad  ilium 
Dominus  dixit :  Hypocritae,  unus- 
quisque  vestrum  sabbato  non  solvit 
bovetn  suum,  aut  asinum  a  praese- 
pio,  et  ducit  adaquare  ? 

j6.Hanc  autem  filiam  Abrahae, 
quam  alligavit  Satanas,  ecco  decern 


ce  que  Jesus  Tavait  guerie  le  jour 
du  sabbat,  disait  a  la  foule  :  II  y  a 
six  jours  pendant  lesquels  11  faut 
travailler;  venez  done  ce  jour  la  et 
soyez  gueris,  mais  non  le  jour  du 
sabbat. 

1 5.  Mais  le  Seigneur  lui  repondit : 
Hypocrites,  est-ce  que  chacun  de 
vous  ne  delie  pas  de  la  creche  le  jour 
du  sabbat  son  boBuf  et  son  due  et  ne 
le  mene  pas  boire  ? 

16.  Et  cette  fille  d'Abraham  que 
Satan  a  liee  voici  dix-huit  ans,  ilnc 


ciirvi.  »  S.  August.  1.  c.  Esclave,  comme  tani, 
fl'aulres ,  de  Iradiiions  insensees,  il  prenail 
pour  une  oeuvre  servile  I'acte  que  Jesus  venail 
a  accomplir.  Les  Rabbins  n'en*eignenl-ils  pas 
que,  s'il  esl  permis  h  un  medocin  do  soigncr  en 
un  jour  de  sabbal  une  maladie  subile  el  dan- 
gereuse,  il  esl  ab>olumenl  inlerdil  de  trailer 
uneinfirmile  chronique?  Toulefois,  le  chofde 
la  synagogue  n'ose  interpeller  direclement 
Notre-Si'igneur':  c'est  sur  la  foule  innocenle 
{dicebat  turbce),  dent  il  sail  n'avoir  rien  k  re- 
douier,  que  retombenl  tout  d'abord  ses  amers 
reproches.  Mais,  comme  le  fonl  remarquer 
les  exegeles,  quelles  inconsequences,  quel  ri- 
dicule, dans  son  langage  dicle  par  un  zele 
aveugle  et  par  la  hainel  La  remontianct 
commence  pourtant  par  une  phrase  qui  est 
presque  une  citalion  lilterale  de  la  Loi  :  Sex 
dies  sunt  in  quibus  oportet  operari.  Cfr.  Ex. 
XX,  9,  10;  Deut.  v,  15  el  ss.  Mais  elle  s'a- 
cheve  de  la  fagon  la  plus  elrange  :  In  his  ergo 
venite,  ut  curamini.  Qu'esl-ce  que  cela  veut 
dire?  La  maiade  avail-elle  done  demande  sa 
guerison?  El,  alors  meme  qu'elle  I'eul  de- 
mandee,  et  que  Jesus  exll  ete  coupable  en 
I'accordani,  ou  etait  la  fauie  du  peupic,  qui 
avail  simplemenl  joue  le  role  de  lemoin? 
Un  maiade  a  qui  le  Sanveur  offrail  miracu- 
leusemenl  la  saule  dovail-il  la  refuser,  si  c'e- 
tait  le  sabbal?  M.  Farrar  I'a  dii  a  bon  droit 
(Life  of  Jesus,  23e  ed.,  t.  II,  p.  115),  «  la  serie 
entiere  des  Evangiles  ne  fournil  pas  d'autres 
exeinples  d'une  ingerence  aussi  illogique,  ou 
d'uiie  soltise  aussi  incurable.  »  Cela  rappelle 
la  conduile  de  ce  pilole  juif  qui  ISclia  tout  a 
coup  le  gouvernail  au  beau  milieu  d'un:^  lem- 
p6i(>,  parce  quo  le  jour  du  sabbat  vi'iiaii  de 
comuicncer ! 

15.  —  Respondens  autem  (on  lil  o5v, 
«  ergo  »,  dans  la  Recepla  ;  mais  les  m  'illeurs 
autorjtes  favoii-enl  la  IcQon  de  la  Vtilgale)... 
Le  Seigneur  {Dominus  avec  (  m|)hase)  s'indi- 
gne  a  son  lour,  reprouve  a  jusie  litre  de  pa- 
reils  procede-.  Quelle  force  dans  I'aposlroplie 
hypocritoi  (la  varianle  «  hypocrita  »  semble 


moins  gaianlie),  par  laquello  il  leve  le  mas- 
que de  religion  sous  lequel  s'abrilail  le  depit 
de  ses  adversaires  !  Elle  s'adresse  a  tous  ceux 
des  membres  de  lassistance  (el  ils  etaienl 
asscz  nombreux,  d'apres  le  t.  17)  qui  paita- 
geaienl  les  senlimenls  du  chef  de  la  synago- 
gue. Quelle  vigueur  aussi  dans  la  courte  apo- 
logie  qui  suit!  Elle  se  compose  de  deux  par- 
ties, un  argument  «  ad  hominem  »,  t.  15, 
et  une  conclusion  «  a  minoii  ad  mjju-;  », 
t-  16.  —  Unusquisque  vestrum  sabbato... 
Etes-vous  done  si  rigoureux  quand  vos  inle- 
rets  maleriels  sonl  on  cause?  liesilez-vous 
alors  a  vous  livrer  a  des  occupations  qui 
consliluent  un  veritable  Iravail?  El  vous  re - 
prouvez  en  moi  une  parole  el  un  gcsle?  On 
trouveformellemi'ntexprimee  dass  !e  Talmud 
la  eoulume  que  menlionne  ici  Nolre-Sei- 
gneur.  «  Non  solum  permillitur  besliam  edu- 
cere  ad  aquam  sabbato,  sed  et  pro  ea  hau- 
rire  aquam,  iia  lam.m  (etraiige  disiinclion 
ou  se  retrouvo  lout  le  caiacteie  pharisai'ijue) 
nl  accedal  beslia  ei  bihal,  non  voro  aqua 
beslise  affeialui'  appoileturque.  »  Tr.  Eru- 
bhin,  f.  20,  2.  V  y  z  Lighlfoot,  Hor.  hebr. 
h.  I.  Mais,  si  Ton  i  uiit  si  respcclueux  pour  le 
repos  du  sabbal,  q'ue  n'appoiiait-on  des  la 
veille  une  provision  d'cau  dans  I'elable?  Nous 
visilions  un  jour,  en  compai^nie  d'un  ami.  Ic 
eimetiere  juif  de  la  viHe  de  Lyon.  Nous  n'a- 
vions  pas  fail  allenlion  que  c'elail  un  samedi. 
Accueillis  par  la  concierge  avec  une  repu- 
gnance visible,  nous  resumes  au  depart  ce 
polil  averlissomenl  :  Messieurs,  vous  pourrez 
revenir  lanl  que  vous  le  voudrez,  mais  pas 
le  samedi,  pas  le  samedi!  Le  samedi  n'avail 
pas  empeche  le  fossoyeur  d'arroser  aupres  d  ■ 
nous,  une  heure  duranl,  des  flours  peu  alio- 
rees.  Rien  n'a  change!  —  Voyezdans  S.  Mai- 
thieu,  XII,  11,  un  raisonnement  du  m6me 
genre,  quoique  pres'nie  sous  une  autre  forme. 
16.  —  Hanc  autem  filiam  Abraha'...  Beau 
conlrasle,  vigoureusem'Mit  trace.  Qu'elail  la 
maiade?  Une  fille  d'Abraham  :  litre  glorieux 
qui  disait  beaueoup  au  coeur  d'un  Juifl  Cfr. 


a.  Bible.  S  Luc  —  17 


158 


tVANGILE  SELON  S.  LUC 


fallait  pas  la  delivrer  de  ce  lien  le 
jour  du  sabbat  ? 

17.  Et  lorsqu'il  disait  ces  choses 
tous  ses  adversaires  rougissaient,et 
toutle  peuple  se  rejouissait  de  tout 
ce  qu'il  faisait  de  glorieux, 

18.  II  disait  done  :  A  quoi  est 
semblable  le  royaume  de  Dieu  et  a 
quoi  le  comparerai-je? 

19.  II  est  semblable  a  un  grain 
de  seneve  qu'un  homme  prit  et  mit 
dans  son  jardin,  et  ii  crut  et  devint 
un  grand  arbre  et  les  oiseaux  du 
ciel  se  reposerent  dans  ses  ra- 
meaux. 


et  octo  annis,  non  oportuit  solvi  a 
vinculo  isto  die  sabbati  ? 

17  Et  cum  hsec  diceret,  erubesce- 
bant  omnes  adversarii  ejus  ;  et  om- 
nis  populus  gandebat  in  universis, 
quae  gloriose  fiebaut  ab  eo. 

18.  Dicebat  ergo  :  Gui  simile  est 
regnum  Dei  et  cui  simile  sestimabo 
illud  ? 

19  Simile  est  granosinapis,  quod 
acceptum  homo  misit  in  hortum 
suum  et  crevit,  et  factum  est  in  ar- 
borem  magnam  ;  et  volucres  coeli 
requieverunt  in  ramis  ejus. 

Matlh.  13, 3i:  Marc.  4, 3i. 


Malth.  in,  9.  El  Jesus  oppose  celte  fille 
d'Abrabam  aux  vi!s  animaux  mentionnes  pre- 
cedemi^iut.  Dans  quel  elat  se  trouvait-elle? 
Au  pouvoir  de  Salan  {alligctvit,  figure  expres- 
sive el  pilloresquejdepuis  de  longues  annees. 
Fallait-il  done  la  laisser  souffrir  davanlage, 
alorsqu'on  se  refusail,  legilimemenl  du  reste, 
h  faire  endurer  la  soif  pendanl  quelques 
heures  a  des  betes  sans  raison?  Assureraent 
non.  Non  oporliiit !  Ce  serait  aller  conlre 
loules  les  intentions  divines.  «  Cessez  done 
de  manger  el  de  boire  el  de  parlor  el  de 
chanter  des  psaumes  le  jour  du  sabbat,  car 
tout  cela  aussi  est  un  travail  »  (S.  Cyrille,  in 
Cat.  D.  Thorn.).  —  S.  Irenee,  iv,  19,  de- 
monlre  qu'en  operant  de  fiequenles  gueri- 
sons  le  samedi,  Jesus  rendait  honneur  au  ce- 
leste instiiuteur  du  sabbat,  qui  aimait  a  re- 
pandre  en  cejour  sur  son  peuple  ses  faveurs 
les  plus  delicaii  s. 

i7.  —  Double  effiH  produit  par  I'arguraen- 
tation  du  Sauvpur.  Ses  ennemis,  coiiveils  de 
honte  (erwiesce^aHf, xaTipaxjvovTo,  forte  pxpres- 
sion  qui  n'apparail  pas  ailleurs  dans  I'livan- 
gile).  no  pcuvent  lui  repondre.  La  masse  de 
I'assemblee  [omnis  populus)  eprouve  un  vif 
sentiment  de  joie  en  voyani  Jesus  accomplir 
tant  de  mervoilles  (toi?  evSo^oi?,  gloriose,  cor- 
respond au  DInSdJ  hebreu ;  fxebanl,  ytvofievoi?, 
marque  la  conlinuite). 

12.  Deux  parabolas,  xui,  18-21. 

«  Erubescent ibus  adversariiset  populo  gau- 
denle  de  his  quae  gloriose  fiebanl  a  Christo, 
profeclum  Evangolii  consequenter  sub  qui- 
busdam  simililudinibus  manileslat.  »  La 
glose  antique  nous  parail  indiquer  ainsi  la 
meilleure  de  loules  les  transitions.  Beau- 
coup  d'interpretes  modernes  prelondenl,  11 
est  vrai,  que  ce  passage  a  ete  detache  par 
S.  Luc  de  son  enchainement  primitif ;  mais 
'jous  somoie*  loin  d'avolr  trouve  leurs  preuves 


decisives.  II  nous  semble,  comme  a  I'auleur 
de  la  glose  et  comme  a  bien  d'aulres,  que  Je- 
sus, en  voyant  les  heureuses  dispositions  de 
la  foule,  avail  une  occasion  Ires  naturelle 
d'exposer  ses  esperances  relalivement  a  la 
future  diffusion  du  royaume  des  cieux.  II  le 
fit  en  repelant  deux  paraboles  qu'il  avail  deja 
proposees  anterieuremenl,  el  c'est  pour  cela 
qu'elles  n'oni  pas  ici  la  merae  place  que  dans 
les  autres  synopliques.  Nous  avons  moins  de 
repugnance  pour  les  redites  de  ce  genre  que 
pour  les  bouleversements  op^res  a  chaque 
instant  dans  le  recit  sacre  par  ceux  qui  ne 
les  admellent  pas. 

1»  Le  grain  de  sdnev6.  yy.  18-19.  —  Parail.  Matth. 
XIII,  31-32;  Marc,  iv,  30-31. 

18,  —  Gui  simile  est.,.  C'est  la  une  formule. 
dramalique,  deslinee  a  rendro  rattenlion  plus 
vive.  La  repetition  et  cui  simile  cestiinabo  illud 
grossit  encore  I'interet.  Quelle  sera,  devait 
se  demander  I'audileur,  I'lmporlante  verity 
qu'on  introduit  en  termes  si  solennels? 

19.  —  Simile  est  grano  sinapis...  S.  Mat- 
thieu  el  S.  Marc  (voyez  nos  commentaires) 
developpent  un  pen  plus  cetle  parabole. 
S.  Luc,  malgre  la  brievele  de  son  recit,  a 
pourtanl  divers  traits  speciaus.  1o  U  nous 
monlre  le  grain  de  moutarde  seme,  non  pas 
dans  un  champ  (S.  Matlh.)  ou  dans  la  terre, 
(i'une  maniere  encore  plus  generalefS.  Marc), 
mais  dans  un  jardin.  2o  11  nous  le  montre  en- 
suite,  par  une  hyperbole  bardie,  non  seule- 
mont  devenu  «  majus  omnibus  oleribus  », 
mais  transforme  in  arborem  magnam  (I'ad- 
jeclif  lAsya  manque  toutefois  dans  plusieurs 
manuscrils  importanls,  Sinait.,  B,  D,  L,  etc.). 
Quant  a  la  signification,  elle  est  absolument 
la  meme  que  dans  les  autres  Evangiles.  «  Si- 
cut  sinapis  semen  superatur  quidem  quanti- 
late  a  seminibus  olerum  aliorum,  crescit  au- 
tem  adeo,  ut  plurium  fiat  umbraculum  avium ; 


CHAPITRE  XLI 


259 


20.  Et  iterum  dixit :  Gui  simile 
«estimabo  regnumDei  ? 

21.  Simile  est  fermento,  quod 
acceptum  mulier  abscondit  in  fari- 
nse  sata  tria,  donee  fermentaretur 
totum. 

Mace.  13,  33. 

22.  Et  ibat  per  civitates,  et  cas- 
tella,  docens,  et  iter  faciens  in  Jeru- 
salem. 

23.  Ait  autem  illi  quidam  :  Domi- 
ne,  si  pauci  sunt  qui  saivantur? 
Ipse  autem  dixit  ad  illos  : 


20.  EtilditderechefrAquoicom- 
parerai-je  le  royaume  de  Dieu 

21.  11  est  semblable  au  levain 
qu'une  femrae  prend  et  mSle  dans 
trois  mesures  de  farine  jusqu'a  ce 
que  le  tout  soit  fermente, 

22.  Et  il  allait  a  travers  les  villes 
et  les  villages,  enseignanl  et  faisant 
route  vers  Jerusalem. 

23  Orquelqu'un  lui  dit :  Seigneur, 
y  en  a-t-il  peu  qui  se  sauvent?  Mais 
il  leur  dit : 


«ic  et  salularis  doclrina  penes  paucos  eral  in 
principio,  sed  poslea  recipit  augrafnlum.  » 
S.  Gyrille,  I.  c.  Et  quel  accroissementl  Le 
monde  n'est-il  pas  en  grande  partie  chrdlien? 
Cfr_  S.  August.  Serm.  xliv,  2. 

2»  Le  levain.  ff.  20-21.  —  Parall.  Malth.  xiii,  33. 

20.  —  Iterum  dixit  :  il  dit  derechef,  il 
repeta.  Les  mots  suivanis,  cut  simile..,,  sont 
en  efifet  une  reproduclion  abregee  de  la  for- 
raule  employee  plus  haul,  t.  48.  «  II  dit  en- 
core »  ne  traduirail  pas  exactement  ia  phrase 
itaXiv  eiTie. 

21 . — La  parabole  du  grain  de  seneveexpri- 
mait  la  puissance  d'espansion  dent  jouit  la 
doctrine  evanglique,  le  deveiopperacnt  exle- 
rieurdu  royaumede  Dieu; dans  celie-ci  il  s'agit 
d'nii  developpemtnl.  inlime,  d'une  puissance 
de  transformation.  El  en  effet,  le  levain  de 
I'Evangile  a  lout  envahi :  la  vie  de  famille,  la 
politique,  les  sciences,  les  arts;  rien  n'e- 
chappe  k  son  influence.  Ceux-ia  meme  en  vi- 
venl  qui  prelendenl  s'y  t^oulraire.  Voyez 
d'ailleurs  notre  explication  du  passage  paral- 
lele  de  S.  Mallhieu.  Les  deux  redactions  sont 
tout-a-fait  identiques  dans  le  texte  original. 

13.  Rdponse  grave  a  une  demande  vaine. 

xiu,  22-30. 

22.  —  Ei  ibat.  Dans  le  grec,  SteTTopeueto, 
«  circumibat  ».  C'est  toujours  la  suite  du 
grand  voyage  commence  un  chap,  ixe,  t.  51 
(voyez  Texplication),  ainsi  qu'il  ressort  des 
mots  iter  (itopctav  avec  lesens  de  6S6v)  faciens 
in  Jerusalem.  Cetle  formule  introduit  une 
nouvelle  serie  de  scenes  inleri'ssanles.  L'^- 
vangelisto  mentionne  en  passant  que  Jesus, 
selon  sa  coiilume,  annongait  la  bonne  nou- 
velle {docens)  dans  chacune  de  ses  residences 
temporaires. 

23.  —  Ait  autem  illi  quidem.  Le  question- 
neur  n'est  pas  autreraent  determine  par  le 
recit.  Son  caractere,  I'occasion  de  sa  de- 
inande,  sont  laisses  dans  le  vague.  Nous  ne 


savons  pas  meme  sic'^lait  un  disciple  ou  sim. 
plement  un  Juif  de  la  foule.  Gar  en  general, 
dans  la  narration  evangelique,  «  toules  les  per- 
sonnalites,  a  part  celle  du  Christ,  se  retirent  k 
I'arriere-scene  :  leur  histoire  n'etant  pas  rap- 
portee  dans  leur  propre  inter6t,  mais  a  cause 
de  I'application  que  nous  devons  nous  en  faire, 
et  en  lant  qu'elle  introduit  les  paroles  qui  nous 
sont  adressees  k  tous  par  Notre-Seigneur  ». 
Stier,  Reden  des  Herrn  Jesu,  h.  1.  —  Si  pauci 
sunt  qui  saivantur  (o!  (Tti>!;6(xevoi,  ceux  qui  sont 
en  voie  d'arriver  au  salut.  Cfr.  Act.  ii,  47. 
Par  opposition  aux  airoXXuixevot,  I  Cor.  i,  18; 
II  Cor.  II,  13).  Interrogation  a  la  faQon  he- 
bralque  (DN),  pour  :  «  An  •  uci  sunt...?  » 
Assuremenl,  c'elait  la  une  (juestion  bien  oi- 
seuse,  et  nous  prefererions  I'entendre  pro- 
poser sous  celle  autre  forme  ;  Seigneur,  que 
devons-nous  faire  pour  obtenir  le  salul? 
Toutefois  nous  la  jugerons  peut-6tre  moins 
severement,  si  nous  nous  souvenons  qu'elle 
elait  alors  tout  a  fait  a  I'ordre  du  jour  chrz 
les  Juifs,  par  suite  de  la  grande  effervescence; 
que  I'atlente  du  Messie  avail  produite  dans 
leurs  rangs.  Voyez  Lightfoot,  Hor.  hebr.  h.  1. 
a  L'une  des  bizarres  reveries  cabalistiques 
des  Rabbins  consistait  a  essayer  de  fixer  le 
nombre  des  elus  par  la  valeur  numerique  des 
lellres  de  tel  ou  tel  texte  scripluraire  relalif 
au  royaume  des  cieux  ».  Plumplre,  New 
Teslam.  Commentary  for  english  Readers, 
edited  by  Ellicoit,  I.  I,  p.  308.  On  retrouve 
I'echo  de  ces  subtiles  discussions  au  IVe  livre 
d'Esdras,  viii,  1  :  «  Hoc  saeculum  fecit  Altis- 
simus  propter  mullos,  fuUirum  aulem  propter 
paucos ;  «  IX,  15  et  16  :  «  Olim  loculus  sum, 
et  nunc  dico,  et  postea  dicam  :  Quoniam  plu- 
res  sunt  qui  pereunt  quam  qui  salvabuntur; 
sicul  multipiicatur  fluctus  super  guttam.  » 
—  Ipse  dixit  ad  Ulos.  La  reponse  de  Jesus 
s'adresse  done  a  toute  I'assislance  et  pas 
seulemenl  k  I'inlerrogateur.  Les  paroles  sui- 
vanies  de  S.  Cyrille  en  caracterisent  admi- 
rablement  la  nature  :  «  Non  videtur  aulem 


560 


£VANGILE  SELON  S.  LUG 


24.  Efforcez-vous  d'entrer  par  la 
porle  etroile,  car  beaucoiip,  vous 
dis-je,  chercheront  a  entrer  et  ne 
le  pourront  pas. 

25.  Lorsque  le  pere  de  famille  sera 
cntre  et  aura  ferme  la  porte,  vous 
commencerez  par  rester  dehors  et 
frapper  a  la  porlc,  disant :  Seigneur, 
ouvre-nous.  Et  il  vous  repondra  : 
Je  ne  sais  d^'ou  vous  6tes. 

26.  Alors  vous  commencerez  a 
dire  :Nous  avons  mange  et  bu  de- 
vant  vous,  et  vous  avez  enseigne 
dans  nos  places  publiques. 


24.  Gontendite  inlrare  per  angus- 
tam  portam  :  quia  multi,  dicovobisy 
quserent  intrare,  et  non  poterunt. 

Maitlt.  7,  13. 

25.  Gum  autem  intraverit  pater 
familias,  et  clauserit  ostium,  incipie- 
lis  foris  stare,  et  pulsare  ostium, 
dicentes  ;  Domine,  aperi  nobis ;  et 
respondens  dicet  vobis  :  Nescio  vos 
unde  sitis. 

Maith,  25,  10. 

26.  Tunc  incipietis  dicere  :  Man- 
ducavimus  coram  te,  et  bibimus, 
et  in  plateis  nostris  docuisti. 


Dominus  sali^facere  quaerenti  uLrum  paiici 
sunl  qui  salvanlur,  dum  declarat  viam  per 
quam  qiii:>qiie  potest  fieri  juslns.  Sed  dicen- 
dum  quod  inos  eral  Salvaloris  non  rcspon- 
dere  inlerrogantibus  secundum  qjod  eis  vi- 
debatur,  quolies  inulilia  quaerebanl,  sed  res- 
picieiido  quod  utile  audientibus  foret.  Quid 
autem  commodi  provenirel  audientibus  scire 
anmulti  sinl  qui  salventur,  an  pauci?Neces- 
sarium  magis  erat  scire  moduin  quo  aiiquis 
pervenit  ad  salutem.  Dispensalive  ergo  ad 
qu£Estionis  vaniloquium  nihil  dicit,  sed  traiis- 
ferl  suum  sermonem  ad  rem  magis  necessa- 
riam  >;  (ap.  Cat.  D.  Tliom.).  Ainsi,  Jesus  ne 
repond  pas  directement.  Du  domaine  de  la 
theorie  ab^traile,  il  Iransporte  la  question 
gur  colui  de  ia  pratique,  de  maniere  a  faire 
rePschir  sjs  audiieurs  sur  eux-memes  et  a 
exciter  en  eux  un  vif  iiUeret  pour  leur  propre 
salul.  «  Peu  ou  bcaucoup,  que  vou-;  nnporte? 
Ne  vous  preoccupoz  point  de  ces  chiirres  inu- 
liles.  L'essentiel  pour  vous,  c'ri-i  de  faire 
partie  du  noinb-e  des  elus,  et  vous  n'y  arri- 
verez  qu'au  piix  de  vigoureux  efforts.  » 

24.  —  Coiitendite  intrare.  Le  verbs  grec 
&^(ji'Htz<yH  (d'oii  est  venu  noire  subslanlif 
«  agonie  »)  iniplique  I'idee  d;^  lutte,  de  com- 
bat. 11  est  done  necessaire  de  lutler,  si  Ton 
veut  reussir  a  penelrer  dans  le  royauine  des 
cieux.  Cfr.  I  Cor.  ix,  25;  1  Tim.  vi,  12.  La 
belle  raeiaphore  per  avguslam  porlam  nous 
e>t  deja  connue  par  un  passage  analogue  du 
premier  Evangile  (Matth.  vii,  12;  voyez  le 
commi^nlairc),  ou  nous  I'avons  vue  plus  deve- 
loppea.  Gette  porte  eiroile  (il  faut  probable- 
ment  lire  6upa;  avec  lis  nianuscriis  Sin., 
B,  D,  L,  etc.,  au  lieu  de  mlr,i  des  autres  le- 
u)oin^)  est  ceile  qui  donne  acces  au  palais 
inessianique,  c'est-a-dire,  au  sejour  des  bien- 
heiiroux.  —  Quia  miilti,  dico  vobis  (assertion 
soleniielle)...  P'ar  ces  paroles,  Noire -S  igneur 
motive  et  jusliQe  sa  vive  recomuiandalion, 


son  app'l  a  la  violence.  Lullez,  je  vous  le 
dis.  cai-  il  y  in  aura  beaucouji  qui  ne  pourront 
franrhii  Tintree  du  ciel,  parce  que  leurs  len- 
latives  [ijHcerent  intrare]  auronl  ele  molles  et 
inconstantes.  lis  ne  devronl  done  s'en  prendre- 
qu'a  eux-niemcs. 

25  —  Les  tt.  23-30  commentent  d'une 
maniere  dramalique  la  pensee  generale  qui 
vient  d'6lre  exprim^e.  Sous  une  vivante 
allegoric,  dont  nous  avons  deja  rencontre 
dans  S.  Mallhieu  (vii.  22  et  ss. ;  xxv,  10-12) 
les  elements  principaux,  empruntes  a  la  vie 
de  famille  de  lOrient,  Jesus  represente  une 
scene  terrible  de  la  Qn  des  temps.  II  nous 
montr?  nn  pere  de  famille  qui,  apres  avoip 
loiigu:>m'?nt  allendu  ses  liotes  invites  pour  le 
repas  du  soir,  entre  avec  eux  dans  la  salle  du 
festin  et  ferme  la  porte  derriere  lui.  Mai» 
pUisisurs  des  convives  se  sont  mis  en  retard. 
Pendant  quelque  temps,  ils  se  liennent  debout 
dans  la  rue  a  I'enlree  de  la  maison  {[oris 
stare),  e.-perant  qu'on  leur  ouvrira  bienlot. 
Touli'fois,  voici  qu'ils  s'impatientent  et  com- 
mencent  a  frai)i)er  vivement  contre  la  port© 
{pulsare).  lis  appellent  meme  tout  haut  le 
maitre  de  la  maison  :  Domine  (dans  le  grec  : 
Kup'.e,  y.upte,  repel ilion  pleine  d'empliase,  Cfr. 
Maltli.  VII.  22,  23),  aperi  nobis.  Un  dialogue 
s'engage  entre  eux  el  lui,  mais,  helasl  pour 
leur  plus  granJe  confusion,  car  ik  ont  la 
douleur  de  s'enlendre  dire  :  Ncsclo  vos  unde 
sitis.  Leurs  prieres  sont  maintenant  trop  tar- 
dives;«  non  enim  post  judicium  patet  precum 
aul  m.ritorum  locus  »  (S.  August.  Serin.  xx» 
de  Verbis  Domini),  lis  devaient  faire  des 
efforts  pour  penetrer  a  travers  la  porte 
elioite  :  ils  ne  passeront  jamais  par  la  porle 
fermee. 

26.  —  Les  reprouves  insistent,  essayant  de 
se  faire  reconnailre  comme  des  amis  du  pere 
de  famille.  De  grace,  rappelez  vos  souvenirsi 
N'avons-nous  pas  mange,  bu,  en  voire  pre- 


CHAPITRE   XIII 


261 


27.  Et  dicet  votols :  Nescio  vos 
\inde  silis;  discedite  a  me  oranes 
&perarii  iniquitatis. 

Matth.  7,  23;  Psal.  6,  9;  Maith.  25,  41. 

28.  Ibi  erit  fletus,  et  stridor  den- 
tin m  ;  cum  videritis  Abraham,  et 
Isaac,  et  Jacob,  et  omnes  prophetas 
in  regno  Dei,  vos  autem  expelli 
foras. 

29.  Et  venient  ab  Oriente,  et  Oc- 
cidente,  et  Aquilone,  et  Austro,  et 
accumbent  in  regno  Dei. 

30.  Et  ecce  sunt  novissirai  qui 
erunt  primi,  et  sunt  primi  qui  erunt 
novissirai. 

Matth  19,  30;  Marc.  10,  31. 


27.  Et  il  vous  dira  :  Je  ne  sais 
d*ou  vousetes ;  retirez-vous  de  moi, 
vous  tons,  ouvriers  d'iniqnite. 

28.  G'est  la  que  sera  le  gemisse- 
ment  et  le  grincement  de  dents, 
quand  vous  verrez  Abraham,  Isaac 
et  Jacob  et  tons  les  prophetes  dans 
le  royaume  de  Dieu,etvous  chasses 
dehors. 

29.  Et  il  en  viendra  de  Porient  et 
de  I'occident  et  de  I'aquilon  et  du 
midi,  et  ils  se  mettront  a  table  dans 
le  royaume  de  Dieu. 

30.  Et  voici,  il  y  en  a  des  derniers 
qui  seront  les  premiers,  et  il  y  en  a 
des  premiers  qui  seront  les  der- 
niers. 


6ence?0ui;  mais,  par  ce  coram  te,  ils  se 
condamnenl  eux-meines  sans  paraitre  le  re- 
marquer,  car  ils  ne  pouvaienl  pas  csprimer 
plus  forlemenl  I'abc-ence  de  communion  in- 
time  avec  lui.  Devanl  vous,  et  pas  «  Avec 
vous!  wN'avez-vouspasenseignepubliquement 
sur  nos  places  ptibliques  ?  Oiii ,  mais  comment 
onl-ils  reQU  sa  piedicalion?  SufBl-il  done 
d'assister  ^  un  discours  pour  6ire  I'ami  per- 
sonnel de  I'oraleur. 

27.  —  Ces  vaines  excuses,  sous  lesquelles 
il  est  aise  de  voir  des  allusions  manifesles  au 
minislfere  de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  et 
a  I'mcredulite  de  la  pluparL  des  Juifs,  sont 
reQue.-!  comme  elles  le  meritenl.  Nescio  vos 
unde  silis,  repete  froidement  la  voix  du  pere 
de  famille.  En  verlle,  qui  etes-vous?  Nos  re- 
lations, s'il  en  a  existe  quelques-unes  enire 
nous,  onl  ele  purement  exlerunires;  au  lond, 
nous  sommes  separcs  par  un  abime.  Aussi,  je 
ne  veux  pas  vous  ecouter  davantage  :  disce- 
dite a  me /Vous  n'etes  pas  mes  amis,  mais 
des  operarii  iniquitatis.  Sentence  d'eternelle 
damnation.  «  Nescio  vos  quum  dixerit,  nihil 
aliud  qnam  gehenna  et  iiitolerabiiis  crucialus 
relinquitur,  imo  vero  eiiam  gehenna  istud 
verbum  gravius  est  »  (S.  Jean  Chrysost.,  cite 
par  Luc  de  Bruges). 

28  et  29.  —  L'adverbe  ibi  n'a  pas  le  sens 
de  «  tunc  »  (Euthymius  :  ^v  exeivw  xw  y.atptS)  ; 
il  desigiie  le  lieu  de  desespoir  et  de  touruients 
oil  seront  rojcles  les  «  operarii  iniquitatis  » 
maudits  plus  haul.  —  Jesus  signale  ensuite 
un  deta'l  qui  constiluera  pour  les  damnes 
d'entre  les  Juil'i  un  supplice  particulier.  Du 
sein  de  I'enfi  r,  ils  verront  (Cfr.  xvi,  23  el  le 
ccmmenlaire)  les  saints  de  leur  nation,  spe- 
cialement  les  patriarches  et  les  prophetes, 


jouis-ianl  d'un  eiernel  bcnheur;  bicii  plus, 
landis  qu'ils  seronl,  eux,  les  fils  de  la  pr<K 
messe,  exclus  du  festin  des  noces  de  I'Agneau, 
ils  verront  de  nombreux  paiens,  venus  de 
lous  les  coins  du  monde  iab  oriente  et  occi- 
dente...  Cfr.  Is.  xlix,  12),  admis  paimi  les 
convives  de  ce  divin  banquet  {accumbent  in 
regno  Dei].  Quel  desolant  spectacle,  (juand  ils 
se  souviendronl  qu'il  leur  aurail  ete  relative* 
ment  facile  de  parvenir  au  salul!  —  Le 
lecteur  a  rcmarque  sans  doule  que,  dopuis  le 
t.  22,  Jesus  s'adresse  directement  a  scs  audi- 
teurs  («  incipietis  foris  sttire;  dicet  vobis  : 
Nescio  vos;  mcipielis  dicere;  cum  videritis 
Abraham...,  vos  autem  expelli  foras  »),  comme 
si  sa  description  terrible  devait  etre  realisee 
en  leurs  propres  personnes.  On  ne  saurait  nier 
qu'il  n'y  ait,  dans  ce  passage,  une  allusion 
manifesle  a  la  damnation  d'un  grand  nombre 
do  Juifs,  surlout  parmi  les  conlemporains  du 
SauviHir.  Au  reste,  le  Talmud  allirme  le  meme 
fait  a  sa  maniere.  «  De  six  cent  mille  hommes 
qui  sortirent  de  I'Egypte,  dit-il,  il  n'y  en  eut 
que  deux  qui  entrerent  dans  la  Terre  pro- 
mise :  ainsi  verra-t-on  tres  peu  d'Israeliles 
sauves  au  temps  du  Messie  »  (ap.  Light- 
foot,  1.  c!). 

30.  —  Conclusion  de  celle  scene  tragique, 
sous  la  forme  d'un  adage  plusieurs  fois  repe't^ 
par  Notre-Seigneur  'Cfr.  Alatth.  xix,  '30, 
XX,  16;  et  bien  adiip'.e  k  la  circonstance  pre 
senle.  —  Ecce  est  pittoresque  :  c'est  un  des 
mots  favoris  de  S.  Luc,  quoiipi'il  I'emploie 
mnins  souvent  encore  que  S.  Mailhieu  (16  fo-_ 
conlre  23).  —  Sunt  (scil.  nunc,  hodie)  novis- 
simi  qui  erunt  (tunc)  primi.  Les  pai  mis  si 
misoiables,  «  sine  Christo...,  promissionis 
spem    non    habenles,  et  sine    Deo    io  hoc 


«62 

31.  En  ce  m6me  jour  quelques 
uns  des  Pharisiens  s''approcherent 
et  lui  dirent  :  Sors  et  va-t-en  d'ici, 
parce  qu'Herode  veut  te  tuer. 

32.  Et  il  leur  dit :  Allez  et  dites  a 
ce  renard  :  Voila  que  je  chasse  les 
demons  et  gueris  les  malades 
aujourd'hui  et  demain,  et  le  troisie- 
tne  jour  je  suis  consomme. 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


31 .  In  ipsa  die  accesserunt  quidam, 
pharisaeorum,  dicentes  illi  :  Exi,  et 
vade  hinc;  quia  Herodes  vult  te  oc- 
cidere. 

32.  Et  ait  illis  :  Ite,  etdicite  vulpi 
illi  :  Ecce  ejicio  dsemonia,  et  sanita- 
tes perficio  hodie  et  eras,  et  tertia 
die  consummor. 


mundo  »  (Eph.  II,  12),  ont  conquis  la  premiere 
place;  au  contraire,  sunt primi  qui  erunt  no- 
oissimi  :  beaucoup  de  Juifs  ont  ele  rejeles  au 
dernier  rang. 

14.  Le  renard  H6rode.  xiii,  31-J5. 

Nouveau  trail  propre  au  troisieme  Evan- 
gile,  et  bien  interessanl  pour  I'hisloire  des 
relations  muluelles  de  Nolre-Seigneur,  d'He- 
rode  Anlipas  et  des  Pharisiens. 

31.  —  Au  lieu  de  in  ipsa  die  (le  jour  oil 
avail  eu  lieu  la  conversation  oui  piecede, 
tt.  23-30),  les  manuscrils  A,  B,  D.  L,  R,  X, 
Sinait.,  etc.,  ont,  d'une  maniere  plus  precise  : 
ev  aOx^  T^  wpa.  —  Accesserunt  quidaiu  Pliari- 
sffo»'M?n.  Demarche  elrange  assurennnl.  Touts- 
fois,  il  I'aut  avoir  bien  mal  compris  I'ensemblo 
de  la  nairalion  evangelique  dans  ce  qu'elle 
rapporie  dis  relations  anlerieures  des  Phari- 
siens avec  Jesus,  ou  il  faul  vouloir  excuser  h 
lout  prix  la  secle,  pour  dire  avec  M.  Cohen, 
les  Pharisiens,  1877,  t.  II,  p.  51  :  «  Herode... 
avail  incarcere  Jean-Baplisle...  II  voulul  de 
meme  faire  saisir  Jesus.  Or,  ce  furent  les 
Pharisiens  qui  vinrent  aveitir  ce  dernier  des 
raauvais  desseins  du  telrarque  el  lui  I'our- 
nirenl  les  moyens  do  sa  sauver  a  temps  (I!). 
Une  telle  demarche  piouve  que  ce  parii  elait 
loin  d'etre^  malveillant  a  I'egard  de  Jesus  », 
Comme  si  les  Pharisiens  ne  nous  elaient  pas 
au  contraire  apparus  coiislamment  comme  les 
ennemis  acliarnes  du  Sauveur!  Comme  si 
Jesus  lui-meme  ne  montrail  pas,  dans  ?a  re- 
ponseempreinle  deseverile,  qu'il  comprenait 
fort  bien  les  intentions  de  ces  ennemis  hypo- 
crites, el  qu'ii  ne  se  laissail  point  Iromper 
par  eux,  meme  quand  ils  affeclaienl  d'etre 
inquiets  pour  sa  viel  «  Simulantos  se  eum 
diligere  »,  disait  deja  S.  Cyrille  (iff  Cat.)  en 
loule  ju-tesse.  —  Exi  et  vade  hinc.  Notre- 
Seigneur  elait  alors,  croyons-nous,  en  Peree, 
provmce  qui  apparlenait  comme  la  Galilee  au 
lerriloire  d'Herode  Anlipas.  —  Quia  Herodes 
vult  te  occidere.  Ces  prelendus  amis  alleguenl, 
pour  exciter  Jestis  a  fuir  au  plus  vite,  ce 
motif,  qui  pouvait  parailre  de  prime  abord 
d'autant  plus  vraisemblable,  que  le  telrarque 
avail  quelque  temps  auparavant  fait  mourir 
.  Jean-Bapliste.  Enongaienl-ils  un  iait  reel? 
Herode  nourrissait-il  vraiment    des  projets 


sanguinaires  a  I'egard  de  Jesus?  Ou  bien 
^tait-ce  une  ruse  dont  se  servaient  les  Phari- 
siens pour  effrayer  leur  adversaire,  I'eloigner 
d'une  contree  paisible  oil  il  ne  courait  aucun 
danger,  le  pousser  dans  la  direction  de  la 
Judee  et  de  Jerusalem,  le  deconsiderer  en  le 
montrant  comme  un  homme  timide  et  Idche? 
Beaucoup  d'mlerpreles  (enlre  autres  Theo- 
phylacte,  Eulhymius,  Maldonal,  Corneille  de 
Lapierre,  Fr.  Luc,  Calmet,  Olshausen,  Ebrard, 
Slier)  ont  admis  cetle  derniere  hypolhese, 
parce  qu'elle  est  en  conformile  partaite  avec 
le  caractere  fourbe,  ruse,  des  Pharisiens,  et 
aussi  parce  que  la  premiere  semble  difficile- 
menl  conciliable  avec  les  senlimenls  habituels 
d'Anlipas  pour  Jesus.  Compaiez  ix,  9,  et 
XXIII,  8,  ou  nous  voyons  le  telrarque  mani- 
fesler  un  vif  desir  de  voir  Notre -Seigneur. 
Toutefois,  la  maniere  dont  le  divin  Maitre 
repond  aux  Pharisiens  («  Ite  et  dicite  vulpi 
illi  »)  indique  plutol  qu'Herode  jouait  un  role 
personnel  dans  cet  episode.  Nous  savons  par 
sa  conduile  a  I'egard  du  Precurseur  qu'il 
avail  une  dme  extremement  mobile,  ce  qui  pro- 
diiisiiit  en  lui  de  perpeluelles  contratliclions. 
Jaloux  de  son  pouvoir,  il  avail  redout^  Jean- 
Baptisle  :  n'elait-il  pas  nalurel  qu'il  craignit 
de  meme  le  Prophele,  le  Thaumaturge,  qui 
exergail  sur  la  foule  une  si  grande  influence? 
II  est  done  assez  probable  qu'il  s'etait  enlendu 
avec  les  Pharisiens  pour  I'intimider,  sans 
songer  peut-6tre  a  executer  la  menace  qu'il 
luifaisait  porter.  Voyez  dans  Amos,  vii,  10-17, 
une  intrigue  du  meme  genre,  deslinee  a  mettre 
fin  aux  propheties  que  langait  centre  le 
royaume  d'Israel  le  pasteur  de  Thecue. 

32.  —  Et  ait  illis.  Les  commentateurs  ad- 
mirent  a  I'envi  la  dignile,  le  calme,  la  sainte 
hardiesse,  le  sens  profond  de  la  reponse  de- 
Jesus.  Elle  est  presentee  a  dessein  sous  une 
forme  un  peu  obscure  el  enigmalique.  Mais, 
si  Herode  el  ses  ambassadeurs  eprouverent 
quelque  embarras  pour  la  comprendre,  nous 
pouvons  aujourd'hui  la  saisir  sans  beaucoup 
de  peine.  —  lie.  Vous  me  dites  de  m'en  aller 
{i^OSs.  xat  TTopeuou,  f.  31) ;  moi  je  vous  donne 
le  meme  conseil  :  Ttopeueevxet !  —  Dicite  vulpi 
nil.  Jesus  est  loin  de  lenir  ici  le  langage  d'uiv^ 
courlisan.  Mais  que  cetle  epilhele  peu  flat- 
teuse  accolee  par  lui  au  nom  d'Herode  elait 


CHAPITRE  XIll 


263 


33.  Verumtamen  oportet  me  hodie 
et  eras,  et  sequent!  die  ambulare ; 
quia  non  capit  prophetam  perire 
extra  Jerusalem. 


33.  Gependant  11  faut  que  je 
marche,  aujourd'hui,  demain  et  le^ 
jour  suivant,  parcequ'il  ne  convient 
pas  qu'un  prophete  perisse  hors  de 

Jerusalem. 


bien  meritee!  II  n'est  pas  un  peuple  pour  qui 
le  renard  n'ail  ele  un  embleme  de  ruse,  de  dis- 
simulation, de  meciiancete.  'A).wT:ri?t  toOtou; 
etaoEV,  (b;  xaxoupyou;  xai  6o).£pou?,  Schol.  in 
Theocril.  ap.  Maius,  Observat.  sacr.  Fasc.  5, 
p.  'I'12.  Hesychius  liaite  le  verbe  aXwirExii^eiv 
comme  un  synonyme  de  dtTtar^v.  «  Qtmm 
duobus  modis,  id  est,  aul  vi  aui  fraude  fiat 
injuria,  fraus  quasi  vuipeculae,  vis  leonis  vi- 
detiir,  ulruinque  homine  alienissimum,  sed 
fraus  odio  digna  majore,  »Cic.  De  offic.  i,  13. 
Elien,  Histor.  iv,  39,  place  les  renards  au 
sommel  de  la  malignite  el  de  la  ruse.  «  Astuti 
fuerunt  Jlgyplii,  dil  le  Talmud  (Schamoih 
R.  22),  ideoque  comparanUir  vulpibus.  » 
Voyez  d'aultes  exemplos  dans  Bocliart,  Hie- 
rozoi'con,  t.  I,  p.  889,  Wetslein  et  Schoeltgen, 
Horse  in  h.  1.  Or,  Thistoire  presenle  rarement 
des  natures  a:.issi  intrigantes,  aussi  dissimu- 
lees,  aussi  fourbesque  celle  d'Herode  Anlipas: 
sa  vie,  telle  que  nous  la  lisons  'x  passim  » 
dans  les  ecrits  de  Josephe.  est  un  tissu  de  ruses 
malsaines.  Et  voici  que  Jesus  lo  prenait  en 
flagrant  delil  sous  ce  rapport!  Le  texte  grec 
porta  :  Tig  dXtoitsxi  TaO-cij,  «  vulpi  liuic  », 
comme  si  notre-Seigneur  eut  voulu  designer 
un  etre  actuellement  present  a  sos  cotes,  et 
non  :  t^  ildme-M  iv.ei\xi,  «  vulpi  isli  »,  Oil 
«  illi  »,  ce  qui  s'enlmiirait  de  quelqu'un 
place  a  distance.  Mais  nous  ne  pensons  pas 
qu'il  faille  altacher  de  rimpoi  tance  a  ce  detail, 
et  dire  avec  divers  commonlateurs  (par 
example,  Maldonat)  que  Jesus  faisait  ainsi 
retomber  I'epilliete  Qetrissante  en  premier 
lieu  sur  les  Pharisiens.  II  suffil,  pour  juslirier 
I'emploi  de  xaunj,  de  se  rappeler  qu'Herode 
etait  alors  present  a  la  pensee  du  Sauveur.  — 
Ecce  ejicio  dwmonia,  et  sanitates  perficio  (Re- 
cepta  :  e7iiT£).w,  ainsi  que  la  plupart  des  ma- 
manuscriis;  anoteXw  d'apres  B,  L,  Sinait.). 
Par  ces  queiques  mots,  Notre-Seigneur  de- 
signe  son  ministere  dans  ce  qu'il  avait  de 
plus  saillant,  ['expulsion  des  demons  et  les 
guerisons  miraculeuses.  II  passait  en  faisant 
le  bien,  en  accomplissant  des  ceuvres  de  cha- 
rite,  et  voila  que  ses  ennemis  le  redoutaient 
comme  un  homme  dangercux,  el  cherchaienl 
h  se  debarrasser  de  lui  par  des  menacesl 
Mais  ces  menaces  n'eiaieni  pas  capables  de 
I'impressionner.  Quelle  noble  fermete  dans  ces 
ieuxverbes  employesau  lempspresent'wejicio, 
perficion),  qui  denolent  une  resolution  ine- 
)ranlable  d'agir  quand  meme,jusqu'a  I'heure 
larquee  par  la  divine  Providence.  Les  expres- 
sions hodie,  eras  eltertia  die  ne  doivent  pas 


se  prendre  a  la  leltre,  comme  si  c'etaienl  des- 
dates  striclemi  nt  chronologiques.  La  parole 
de  Jesus  perdrait  ainsi  do  sa  grandeur.  A  la 
suite  des  anciens,  qui  les  avaient  Ires  bien 
compiises,  nous  les  ententlrons  d'une maniere 
large.  «  Per  hodie  et  eras  et  lerliam  diem 
universi  temporis  requisili  ad  opus  suum  per- 
fectio  designatur,  »  Cajetan,  h.  1.  De  meme 
au  t.  33.  —  Consummor  est  une  traduction 
Ires  exacte  du  grec  i£Xeiou[xat,  ainsi  que  I'ad- 
mettent  la  plupart  des  oommentateurs,  et  il 
n'est  pas  difficile  d'indiquer  ce  que  represente 
celle  consummation  dont  Jesus  parle  avec 
tanl  de  solennite.  To...  TeXetoO(xai,  to...  aitoOa- 
veTv  auTov  dTtoorip-aivei,  Eutliymius.  «  Mortem 
suam  consummationem  vocal  »,  Noel  Alexan- 
dre. Cfr.  Joan,  xix,  28;  Hebr.  ii,  -10;  v,  9. 
Voir  aussi  les  Lexiques  de  Schleusner  et  de 
Brelschneider.  Notre-Seigneur  voulait  dire 
par  ce  langage  figure  :  Ma  mort  ne  tardera 
pas  beaucoup,  mais  men  ministere  n'est  pas 
encore  arrive  a  son  terme.  Je  reste  done;  je 
n'ai  pas  a  modifier  les  plans  divins  pour  un 
Herode.  Aulant  celle  parole  est  bi'lle,  autanl 
serait  mesquine.  M.  Reuss  (Hist,  evang. 
p.  482)  a  raison  de  I'affirmer,  I'interpretalion' 
suivantede  plusieursauleurs  contemporains  : 
J'ai  encore  pour  deux  jours  de  guerisons  et 
d'expulsions  a  operer  dans  cepays;  d'ici  k 
Irois  jours  j'aurai  fini  el  je  partirai!  —  Notons 
en  passant  que  si  S.  Luc  ne  mentionne  qu'un 
lout  petit  nombre  de  miracli  s  durant  cette 
periode  de  la  vie  publique  de  Notre-Seigneur 
(qualre  seulement  du  ch.  x  au  ch.  xvii ;  il 
en  avait  raconte  quinze  dans  les  ch.  iv-ix), 
le  present  verset  prouve  que  ce  silence  n'in- 
dique  pas  une  cessation  des  prodiges.  Jesus 
continuail  done  d'operer  des  merveilles;  mais 
les  ecrivains  sacres  ne  pouvaient  les  signaler 
toutes. 

33.  —  Verumtamen,  continue  le  Sauveur, 
oportet  me  hodie...  ambulare.  Le  moment  fixe 
pour  mon  depart  (TropeusffOai)  viendra  pour- 
tant,  et  alors  je  ni'en  irai  dans  une  autre 
contree;  mais  ce  ne  sera  point  pour  fuir, 
comme  si  j'avais  peur  des  embuches  d'He- 
rode :  ce  sera  tout  au  contraire  pour  aller 
affronter  la  morl  au  lieu  oil  je  dois  la  subir. 
En  effel,  non  capit  (o^x  iv8ixzi<x{.,  locution 
Ires  classique,  «  non  couvenit,  fieri  non 
potest  »)  prophetam  perire  extra  Jerusalem. 
V  Ce  n'est  pas  que  lous  les  prophetes  soient 
morts  dans  Jerusalem,  ni  qu'il  y  ait  sur  cela 
aucune  loi ;  mais,  pour  exagerer  la  cruaute 
de  cette  ville,  le  Sauveur  dit  qu'elle  est   si 


264 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


34.  Jerusalem,  Jerusalem, qui  tues 
les  prophetes  et  lapides  ceux  qui  te 
iont  envoyes,  que  de  fois  j'ai  youlu 
rassembler  tes  tils  comme  un  oiseau 
rassemble  sa  couvee  sous  ses  ailes, 
et  tu  ne  I'as  pas  voulu! 

3b.  Voici  que  votre  raaison  vous 
sera  laissee  deserte.  Mais  je  vous 
dis  que  vous  ne  me  verrez  plus, 
jusqu'ace  que  vienne  le  moment  ou 
vous  direz  :  Beni  soit  celui  qui  vient 
au  nom  du  Seigneur. 


34.  Jerusalem,  Jerusalem,  quse 
occidis  prophetas,  etlapidas  eos  qui 
mitluntur  -id  te,  quolies  volui  con- 
gregare  filios  tuos  quemadmadum 
avis  nidum  suum  sub  pennis,  et  no- 
luisti  ? 

Malt.  ^3,  31. 

35.  Ecce  relinquetur  vobis  domus 
vestra  deserta.  Dico  autem  vobis, 
quia  non  videbitis  me,  donee  veniat 
cum  dicetis  :  Benedictus  qui  venit 
in  nomine  Domini. 


accoutumeea  repandre  le  sang  des  proplielcs 
qu'il  ne  semble  pas  qu'un  prophele  puisse 
moiirir  ailleurs.  »  D.  Calmet.  Surtout,  il  con- 
venait  que  le  Messie  mourul  dans  la  capilalo 
juive.  Sa  personne  eiail  done  inviolable  sur 
le  lerritoire  d'Herode,  quels  que  fussent  les 
desseins  de  ce  lyran.  Qu'imporlaienl  au  lion 
de  la  tribu  de  Juda  les  ruses  d'un  timide 
renard  ^ 

34.  —  A  cetle  parole,  dans  laquelle  plu- 
sieursinterpretesont  vn,  peut-etre  justemenl, 
une  fine  etmordanle  ironie  soil  a  I'egard  de 
Jerusalem,  soit  envers  Anlipas,  Noire-Sei- 
gneur  ajoule  quelques  mots  de  lamentation 
douloureuse.  II  mourra  bientol  dans  la  ville 
sainte  :  la  residtnce  messianique  sera  done 
unecile  deicide,  el  quels  malheurs  ne  s'alli- 
rera-t-elle  point  par  ee  crime  horrible!  II  ne 
peut  s'empecher  de  gemir  ?ur  elle.  —  On 
trouve  aussi  dans  S.  Matlhieu,  mais  a  une 
autre  place,  xxiii,  37-39  (voytz  le  commen- 
laire),  cette  apostrophe  poignanle  de  Jesus  a 
Jerusalem.  Aurail-elle  eie  repetee  deux  fois? 
Cela  nous  parail  fort  vraisemblable  ;du  moins 
Ton  admel  generalement  qu'eile  convient 
tres  bien  dans  les  deux  circonstaiiccs  ou 
nous  la  Irouvons.  —  Jerusalem,  Jerusalem. 
0  Geminalio  verbi  miserantis  e?l  autnimium 
diligentis.  »  S.  Cyrille.  —  A  cette  viile  cou- 
pable  Jesus  reproche  rapidemenl  son  crime 
principal.  Quce  occidis...  et  lapidus...  :  elle 
massacre  sans  pitie  ceux  qui  lui  sont  en- 
voyes de  Dieu  pour  la  sauver.  Les  pai  ticipes 
iitoxTetvovffa,  XWoSoXoiJaa,  exprimenl  plus  for- 
leraenl  encore  la  frequence,  la  reitdralion  de 
I'acte  incriinine.  —  Congregare  (i-iauvdlat, 
?erbe  doublement  compose)...  quemadmodum 
avis  nidum  suui'».  sub  pennis.  Dans  le  texle 
latin  de  S.  Matlhieu,  nous  lisons  :  «  Quemad- 
modum gailina  congregat  pullos  suos  sub 
alas  »;  mais  \v  texte  grec  a  des  deux  parts 
le  substanlif  opvu,  qui  desgne  lanlol  un 
oiseau  on  general,  tantol  plus  specialemenl 
la  poule,  et  c'esl  ici  le  cas.Nocata, «  nidus  »  : 
I'abslrait  pour  leconcret;  ou  mieux,  le  con 


tenant  pour  le  contenu.  S.  Augustin,  Enar- 
ral.  in  Psalm,  lxii,  applique  mystiquement 
a  lous  les  hommes  cette  gracieuse  image  : 
«  Sunt  diabolus  el  angeli  ejus  quasi  mihi; 
sub  illius  gallinae  alls  simus,  et  non  nos 
potest  altingere.  Gailina  emm  quae  nos  pro- 
legii  forlis  est.  »  —  Noluisti  est  oppose 
d'une  maniere  emphatique  a  volui.  Les  habi- 
tants do  Jerusalem,  demeures  incredules, 
avaient  refuse  par  la  meme  le  puissant  et 
doux  abri  que  voulait  leur  donner  Jesus. 
Aussi  les  aigles  de  Rome,  en  s"abaltant  sur 
eux,  ies  trouveront-ellcs  sans  aucune  defense. 
35.  —  Ecce  relinquetur...  La  sentence  est 
clairemenl  foimulee.  La  demeure  sacree  des 
Juifs  idoinus  par  antonomase,  c'est-a-dire  le 
temple)  sera  delaissee  par  I'hote  divin  dont 
elle  elait  le  palais  [L'adjectif  deserta,  quo- 
raettenl  les  meilleurs  raanuscrits,  Sinait., 
A,  B.  K,  L,  R,  S,  etc.,  est  probablement  un 
emprunl  fail  a  S.  Mallliieu).  Le  IVe  livre 
(apocryphe)  d'Esdras,  i,  30-33,  annonce  ce 
terrible  abandon  presque  dans  les  memes 
terraes,el  comme  le  resullal  du  meme  crime: 
((  Ila  vos  colli^gi,  ut  gailina  pullos  suos  sub 
alas  suas.  Modo  autcm  quid  faciam  vobis? 
Projiciam  vos  a  facie  mea...  Ego  misi  pueros 
meos  prophetas  ad  vos,  quos  acC'^pios  interfe- 
cistis,  et  laniast  s  corpora  eorum...  Haee  dicit 
Dominus  omnipolrns  :  Domus  vestra  deserta 
est.  »  Depuis  des  siecles.  quand  un  peleria 
juif  arrive  a  Jerusalem,  on  fait  dans  son  vd- 
tement  une  petite  dechirure  (la  k'rie)  en 
disanl  :  «  Sion  a  ele  cliangee  en  un  desert, 
elle  git  devastee,  »Le  Dr  i>raelit8  A.  L.FrankI, 
de  qui  nous  icnons  ce  detail  ^Nach  Jerusalem, 
I.  II,  p.  H],  relate  (ibid.  p.  24)  ces  triples 
paroles  que  lui  adressa  dans  la  ville  sainte 
un  de  ses  coreligionnaires  :  «  lei  lout  est 
poussiere.  En  tout  aiiire  lieu  de  la  lerre  ce 
qui  avail  ete  detruil  renail  de  ses  ruin^s; 
mais  ici  rien  ne  verdit,  rien  ne  fleurit,  quoi- 
qu'il  y  murisse  un  fruit  au  goul  amer,  le 
chagrin  de  voir  que  Jerusalem  a  dispaiu. 
N".ii'o'ds  ici  aucune joie,  ni  des  hommes,  ni 


CHAPITRE  XIV 


S65 


CHAPITRE  XIV 


Jesiis  acceple  une  invitation  a  diner  chez  un  Pharisien  [t.  1).  —  II  gudrit  un  hydropique 
(tt.  2-6).  —  II  donne  aux  convives  :  1o  une  legon  d'tiumiiile  [tt.  T-ll) ;  —  2°  une  iccon 
de  charite  (tt.  12-14).  —  Parabole  du  grand  festin  [tt.  15-24).  —  Ce  qu'il  en  coute  pour 
suivreNotre-Seigneur  ^tt.  2o-3b). 


1.  Et  factum  est  cum  intraret  Je- 
sus in  domum  cujusdam  principis 
pharisseorum  sabbato  manducare 
panem.  et  ipsi  observabant  eum. 


l.Et  il  advint  que  Jesus  eutra 
dans  la  maison  d'un  chef  de  Phari- 
siens,  un  jour  de  sabbat,  pour  y 
manger  du  pain,  et  ils  I'observaient. 


des  muiilai^nes.  »  Details  caracteiistiques, 
qui  prouvcnl  jusqu'a  quel  point  s'est  realisee 
la  prediction  de  Jesu?.Gependant  le  Sauveur, 
iiiisericoidii  ux  alors  mSme  qu'il  menace  et 
cliStie.  ouvie  aux  Juil's,  en  teiminant,  une 
perspective  de  bonheur,  leur  laisse  un  espoir 
de  salut.  Bientot  i!-;  cesseront  do  le  voir ; 
mais  un  jour,  convcrtis  et  deveiius  croyants, 
ils  le  recevront  en  pou?sant  ce  cri  d'allegresse 
et  d'amour  :  Benediclus  qui  venit...  Ce  sera 
aux  i^randes  assises  du  jugement  general.  — 
a  Et  mainlenant,  jetons  un  coup  d'oeil  d'en- 
semble  sur  la  reponse  de  Jesus  [tt-  32-35), 
pour  en  contempler  loute  la  richt'sse.  Admi- 
rons  la  maniere  dont  le  Seigneur  manifeste, 
par  ces  quelquos  paroles,  sa  parl'aile  con- 
oaissance  du  coeur  humain,  car  il  discernecn 
un  instant  le  ruse  renard  ;  adm  rons  la  ()reci- 
sion  fct  la  vigueur  de  sa  promple  repliquo,  le 
dedain  qu'il  oppose  au  fourlie  letrarque,  la 
severile  avec  laquelle  il  traile  les  Pharisicns 
hypocrites,  la  sainte  serenile  qui  .domino 
lout  I'episode,  I'irresisliLle  energie  de  sa 
denoncialion  associee  a  la  tendresse  de  son 
amour  qui  gemit...,  enfin  la  suhlimile  du 
regard  prophetique  qu'il  jelle  aussi  bien  sur 
rhi-loire  du  passe  que  sur  les  evencments 
fulurs  de  sa  vie  el  de  sa  mort,  el  meme,  au 
t.  35,  sur  les  scenes  glorieuses  el  finales  des 
derniers  jours.  »  Slier,  Reden  des  Henn,  h.  1. 
Parlout  et  loujours,  c'est  le  divin  Jesns! 

16.  J6sus  dans  la  maison  d'an  Pharisien 
en  un  jour  de  sabbat.  xiv,  1-24. 

C'est  une  particularile  du  troisieme  Evan- 
gile,  nous  I'avons  indique  dans  la  Preface, 
§  V,  de  nous  faire  connaitre  le  «  Fils  de 
i'Homme.  »  De  nouveau  (Cfr.  vii,  36  ot  ss, ; 
XI,  37  et  ss.)  nous  irouvons  ici  Notre-Sei- 
gneur  assistant  S  un  repas.  Gelte  fois  encore 
J'ecrivain  sacre  nous  a  conserve,  si  nous 
osons  le  dire,  ses  «  propos  de  table  »  ;  mais, 
comme  loujours,  ce  sont  des  propos  lout  ce- 


lestes, qui  renferment  de  precieuscs  instruc- 
tions, valables  a  lout  jamais. 

1°  Garrison  d'une  hydropique.  ff.  1-6. 

Chap.  xiv.  —  ^.  —  Et  factum  est.  L'evan- 
gelisle  ne  menlionno  ni  le  lieu,  ni  la  dale. 
La  scene  se  passa  vraiscmblablement  dans 
une  autre  contiee  que  I'episode  raconie  a  la 
fin  du  chap.  xin.  —  Quum  intraret  :  plus 
litleralemenl,  «  quum  mtrasset  »  (ev  xw  eXeeiv 
auTov).  —  In  domum  cujusdam  principis  Pha- 
ris(eorum.  D'apres  le  grec  :  «  dans  la  maison 
de  I'un  des  chefs  (tivo?  twv  ap/.ovxwv)  des  Pha- 
risiens.  »  Expression  qu'il  ne  laut  pas  vouloir 
trop  pressor,  car  les  Pharisiens,  en  lant  que 
parti,  n'avaient  pas  de  chefs  ofiiciels.  Elle 
signifie  simplement  que  I'amphylrion  elait 
un  des  houimes  influenls  de  la  secle.  On  n'a 
aucune  raison  speciale  de  faire  de  lui  un  chef 
de  synagogue,  ou  meme  un  membre  du  San- 
hedrin  :Grolius).  —  Manducare  panem  est  un 
hebrai'sme  bien  coniui  (Cfr.  vii,  33;Matlh. 
XV,  2  ;  Leusdon,  De  hebraismis  N.  T.,  p.  63), 
qui  designo  un  repas  qiielconque.  Evidem- 
monl,  le  Sauveur  n'etait  entre  dans  la  maison 
des  Pharisiens  que  .=ur  une  invitation  for- 
melle.  —  Sabbato.  Cdte  ciiconslance  de 
temps  est  iin[)ortanle  pour  la  suile  du  recit. 
Cfr.  t.  3  et  ss.  Elle  s'accord.-  fort  bien  avec 
la  couUime,  loujours  precieusementsuivie  par 
les  Juifs,  de  feter  le  samedi  ()ar  des  repas 
plus  soignes,  plus  copieux,  auxquels  ils  invi- 
tent  leuis  parents,  k'urs  amis,  oi  ui>ime  les 
elrangers  et  les  pauvres.  Cfr.  Tob.  ii,  5; 
Neh.  viii,  9-12;  Buxiorf,  de  Synag.  judaica, 
cap.  XV ;  Olho,  Lexic.  rabbinic,  s.  v.  Sabba- 
lum;  Liglilfool,  Hor.  hebr.  h.  I.  «  Prohibitum 
est  jejunare  sabbato,  dit  IMaimonide,  Sabb. 
c.xxx;  at  vero  e  contra  tenentur  homines 
cibo  et  potu  se  oblectare,  lautius  enim  con- 
vivandum  est  sabbalo  quam  diibus  aliis.  » 
«  Accueille  le  sabbat  avec  un  vif  apfieiil  : 
que   la   table   soil   couverte  de   poisson,  do 


266 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


2.  Et  voila  qu'un  homme  hydro- 
pique  elait  devant  lui. 

3.  Et  Jesus,  prenant  la  parole,  dit 
aux  docteurs  de  la  loi  et  aux  Phari- 
siens  :  Est-il  permis  de  guerir  le 
jour  dusabbat  ? 

4.EtilF-e  turent.  Mais  lui,  pre- 
nant  cet  homme  par  la  main,  le 
guerit  et  le  renvoya. 

5.  Et  s'adressaut  a  eux  il  dit : 
Qui  de  vous.  si  son  dne  ou  son  bceuf 
tombe  dans  un  puits,  ne  Ten  reti- 
rera  pas  aussitOt  le  jour  du  sabbat  ? 


2.  Et  ecce  homo  quidam  hydro- 
picus  erat  ante  ilium. 

3.  Et  respondens  Jesus  dixit  ad 
legisperitos,  et  pharisseos,  dicens  : 
Si  licet  sabbato  curare  ? 

4.  At  illi  tacuerunt.  Ipse  veroap- 
prehensura  sanavit  eum,  ac  dimisit. 

b.  Et  respondens  ad  illos  dici^  : 
Gujus  vestrum  asinus  aut  bos  in 
puteum  cadet,  et  non  continue  ex- 
trahet  ilium  die  sabbati  ? 


viande,  et  d'uri  vingenereuxl  que  les  sieges 
soienl  moellsux  et  ornes  de  splendides  cous- 
sins ;  que  I'elegance  sourie  dans  la  maniere 
dont  la  table  sera  garnie!  »  Tdles  etaient  les 
recommandations  des  Rabbin-!  (vovez  Abbott, 
The  Gospel  according  to  Luke,  1878,  p.  88), 
et  on  les  prenait  si  bien  au  serieux  que  la 
sainte  joie  du  sabbat  degenerait  souvent  en 
exces  de  tout  genre,  comme  nous  I'appren- 
nent  non  seulement  les  Peres  de  I'Eglise  (Cfr. 
S.  Jean  Chrys.  deLazaro,  Horn,  i ;  S.  August. 
Enarrat.  ii  in  Ps-  xxxii,  2 ;  Si-im.  ix,  3), 
mais  les  paiens  eux-niemes,  Plularque  par 
exemple.  qui  en  prind  occasion  de  railler  les 
Juifs  :  'Oxav  (TaSgaxov  xiixouaiv,  [x.i).iata.  (xtv 
TTtveiv  xai  olvo'jcOat  TtapaxaXoOvxai  d),),y]Xou?.  — 
Ipsi  (scil.  Pliari--8ei)  observahant  eum.  Plus 
fortenienl  dans  le  texle  grec  :  aOxoi  ^axv 
napat/jpoOijevot  auTov.  Toule'rassislance  elait 
done  occupee  a  epiiT  les  paroles  et  les  actes 
du  Sauveur.  Cela  prouve  dans  quel  esprit 
avail  eu  lieu  I'invitalion.  Cfr.  vi,  7;  xx,  20; 
Marc,  in,  2;  Ps.  xxxvi,  32.  Mais,  «  quamvis 
Dominus  maliliam  Pliarisaenrum  cognosceret, 
eorum  lamen  fiebal  conviva,  ul  "piodesset 
praesenlibu-  p?r  verba  et  niirucula.  ».  S.  Cyrille 
(Cat.  D.  Thoin.;.  L'amour  de  Jesus  ne  se  las- 
sait  jamais. 

2.  —  Et  ecce...  La  narration  est  pleine  de 
piltoresque.  Quelque  temps  avant  que  le 
repas  commcuQSi  (Cfr.  t.  7),  voici  qu'un 
homme  alteint  d'hydropisie,  maladie  loujours 
graveet  souvent  incurable  (notez  I'expression 
technique  ()5pw7tix6? :  on  ne  la  rencontre  pas 
ailleurs  dans  le  Nouveau  Testament),  appa- 
rut  tout  k  coup  devant  Jesus  :  erat  ante 
ilium!  Ce  n'elait  certainement  pas  un  con- 
vive. Peut-etre,  ainsi  qu'on  I'a  conjecture, 
avait-il  ete  amene  la  par  les  Pharisiens 
comme  un  piege  vivant  pour  le  Sauveur. 
Mais,  selon  la  juste  remarque  de  Maldonat,  il 
semble  que  dans  ce  cas  «  id  Evangelisia  non 
tacuisset,  qui  non  tacuit  Pharisaeos  intentos 
fuisse  ut  Christum  observarenl.  »  Nous 
croyons  done  plus  probable  que  le  malade, 


profitant  de  la  liberie  des  mcBurs  orientales, 
s'etait  glisse  delui-meme  dans  la  maison  avec 
I'espoir  d'etre  gueri.  Quoi  qu'il  en  soil,  le 
piege,  s'il  existait,  fut  promptement  dejoue 
par  Notre-Seigneur. 

3  et  4.  —  Respondens.  Jesus  va  repondre 
aux  plus  secretes  pensees  de  ses  adversaires. 
—  Si  licet  sabbato  curare?  El  fait  defaut  dans 
plusieurs  temoinsimportanls;  d'un  autre col^, 
les  manuscrils  Sinaii.,  B,  D,  L,  ajoutent  k  la 
fin  de  la  phrase  :  fi  ou,  «  an  non  ».  Prece- 
demment  deja,  vi,  9,  nous  avons  vu  le  Sau- 
veur prendre  I'initiative  dans  une  circons- 
tance  analogue,  et  couvrir  les  Pharisiens  de 
confusion  par  cetle  simple  question.  Le  r^- 
sullat  fut  ici  le  meme  :  tacuerunt.  Le  grec 
dit  plus  fortement  encore  :  ^auxacrav,  littera- 
lement,  «  ils  se  linrent  cois  »,  n'osanl  ni 
parler  ni  remuer.  Completenient  justifie  par 
un  pareil  silence  (car,  si  I'acte  qu'il  meditait 
eut  ete  illegal,  ces  maitres  en  Israel,  publi- 
quement  consulles,  n'etaient-ils  pas  lenus  de 
Ten  averlir?),  Jesus  repond  lui-m^me  d'une 
maniere  pratiquo  a  sa  quesl'ion  :  apprehensum 
(ditiXa66|XEvoi;,  ayant  pris  doucement  le  ma- 
lade par  la  main)  sa^iavit  eum  ac  dimisit 
(aTteXuoe).  Admirons  le  recit,  qui  n'est  pas 
moins  rapide  que  les  fails. 

5.  —  Le  miracle  accompli,  Notre-Seigne^ 
legitime  sa  conduite  par  un  raisonnement 
irrefutable,  que  nous  avous  deja  rencontre  en 
substance  dans  le  premier  Evangile,  xii,  H 
(voyez  le  rommentaire),  a  propos  d'une  gue- 
rison  du  meme  genre.  Comparez  aussi  Luc. 
xiii,  15.  II  en  appolle  a  leur  propre  uidnieie 
de  faire  [cujusvesli-um).  el  m^nlre  la  contra- 
diction dans  laquelle  ils  tombent  loisqiie. 
d'une  part,  ils  lui  reprochenl  avec  lant  d'a- 
crimonie  les  guerisons  qu'il  opere  aux  jours 
de  sabbat,  tandis  que,  a'aulre  part,  ils  ne 
craignent  pas,  en  ces  mSmes  jours,  de  se  li- 
vrer  a  de  gros  travaux  pour  extiaire  dun 
fosse,  d'une  citerne  («  foveain  »  serait  [irefe- 
rable  a  puteum],  leur  cine  ou  leur  bceuf  qui  y 
est  tombe.  — Asinus  aut  bos.  Les  manuscrits 


CHAPITRE  XIV 


26T 


6.  Et  non  poterant  ad  hsec  respon- 
dere  illi. 

Dicebat  autem  et  ad  invitatos  pa- 
rabolam,  intendens  quomodo  pri- 
mos  accubilus  eligerent,  dicens  ad 
illos  : 

8.  Gum  invitatus  fueris  ad  nup- 
tias,  non  discumbas  in  primo  loco, 
ne  forte  honoratior  te  sit  invitatus 
ab  illo ; 

9.  Et  veniens  is  qui  te  et  ilium 


6.  Et  ils  ne  pouvaient  rien  repon- 
dre  a  cela. 

7.  II  dit  aussi  aux  invites  une  pa- 
rabole,  en  voyant  comment  ils  choi- 
sissaient  les  premieres  places. 

8.  Lorsque  tu  seras  invite  k  des 
noces,  ne  te  mets  pas  a  la  premiere 
place  de  peur  qu*un  autre  plus  ho- 
nore  que  toi  n'ait  ete  invite  aussi, 

9.  Et  que  celui  qui  vous  a  invites 


grecsont  presquea  I'unaniinitewEo?,  a  iilius  », 
au  lieu  de  6vo;,  a  asinus  »;  de  meme  plu- 
sieurs  versions  ancieniies,  et  c'esl  celle  le- 
gon,  plus  accreditee  et  plus  difficile  («  lectio 
difficilior  praeferenda  »),  qu'adoptenl  la  plu- 
part  des  critiques.  Mais  il  est  incontestable 
que  ovo;  nnerite  de  beaucoup  la  preference 
au  point  de  vue  logique;  en  effet,  i'argumen- 
talion  perdrait  une  grande  parlie  de  sa  force 
si  Jesus  reprochail  a  un.  pere  de  rompre  le 
repos  du  sabbat  pour  retirer  son  fiis  d'une 
citerne.  Un  passage  bien  connu  de  I'Exode, 
XXI,  33,  semble  favoriser  la  \ariante  de  la 
"Vulgaie,  appuyee  d'ailleurs  par  le  manuscrit 
Sinaltique.  —  Les  anciens  interpretes,  rap- 
prochantce  miracle  de  la  guerison  raconleeun 
peu  plus  haut  (xiii,  45)  parS.  Luc,  onl  inge- 
nieusement  releve  Ta-propos  avec  lequel  Je- 
sus modifie  ses  demonstrations,  defagon  a  les 
mieux  faire  cadrer  avec  les  circonstances 
exterieures.  a  Gongruenier  hydropicum  ani- 
mali  quod  cecidit  in  puteum  comparavit  : 
HUMORE  enim  laborabat;  sicut  et  illam  mu- 
lierem  quam  decern  et  octo  aiinis  alligatam 
dixerat...  comparavit  jumenlo  quod  solvitur 
ut  ad  aquam  ducalur  ».  S.  August.  Quaesl. 
evangel,  ii,  29. 

6.  —  Non  poterant  ad  hcec  respondere  (le 
verbe  grec  avrauoxpierivai  n'apjiarail  qu'en  ce 

Eassage  des  Evangiles  et  Rom.  ix,  20).  Plus 
out,  if.  4,  les  Pharisiens  s'etaient  tus  parce 
qu'ils  n'avaient  pas  «  voulu  »  repondre; 
maintcnant  leur  silence  est  force  el  provient 
de  I'embarras.  Quelle  riposte  auraienl-ils  pu 
faire  a  la  demonstration  si  frappante  de  Jesus? 
C'est  ainsi  que  Notre-Seigneur  debarrassait 
peu  a  peu  I'lnslitution  sabbatique  des  obser- 
vances mesquines  sous  lesqueiles  retouffait 
h  demi  une  traiJilion  ininielligente. 

2o  Le  repas,  accompagn^  des  instructions  du  Saa» 
veur.  t^  7-24. 

Ces  instructions  sonl  au  nombre  de  trois  : 
la  premiere  s'adresse  aux  invites,  tir,  7-11  ; 
la  secondea  ramphytrjon,  tt.  12-44;la  troi- 
8i6me  k  toute  i'assemblee,  tt.  15-24. 

a.  Legon  cfhumilili.  )y.  7-11. 

1.  —  Dicebat  autem  et  ad  invitatos  est  une 


formule  de  transition,  qui  introduit  un  nouvel 
ordre  de  faits.  Plus  haul,  Notre-Seigneur 
avail  parle  «  in  globo  »  k  loule  I'assemblee  : 
acluellement  il  se  propose  de  donner  une  ins- 
truction speciale  aux  invites,  a  I'occasioa 
d'un  abusqu'il  signalera  encore  plus  lard,  xx, 
46,  et  que  I'evangeliste  ratrace  ici  en  termes 
piltoresques  :  intendetis  (ini■/u>■^  scil.  x6v  vouv^ 
quomodo  primos  discubitus  (toc;  itptoToxXiaiaif 
les  premieres  places  sur  les  «  triclinia  »)  eli- 
gerent. Le  tableau  de  ces  miserables  petites 
manoeuvres  se  dresse  de  lui-meme  sous  les 
yeux  du  lecleur.  EUes  devaienl  se  renouveler 
frequemment,  comme  on  en  pourra  juger  par 
ce  fail  etrange  emprunl6  au  Talmud  (voyez 
Liglitfoot,  Hor.  hebr.,  h.  I.),  oil  Ton  voit 
peintes  au  vif  les  pretentions  superbes  du 
parti  rabbinique.  Un  jour  que  le  roi  Alexan- 
dre Jannee  donnait  a  diner  a  pUisieurs  sa- 
trapes  persans,  Simeon  ben  Schetach  se  trou- 
vait  au  nombre  des  convives.  A  peine  enlci 
dans  la  salle  du  festin,  le  Rabbi  alia  tout 
droit  s'asseoir  entre  le  roi  et  la  reine,  a  la 
place  d'honneur.  Et,  comme  on  lui  reprochail 
cette  arrogante  intrusion.  N'esl-il  pas  ecrit 
dans  le  livre  de  Jesus  fils  de  Sirach  (Eccli. 
XV,  5),  repondit-il  sans  hesiler  :  «  Exalte  la 
sagessp,  et  elle  I'exalLera  et  te  fera  asseoir 
parmi  les  princes?  »  Voila  jusqu'oii  allait  Tin- 
fatualion  des  theologiens  juifs  a  celte  epo- 
que  :  les  legons  du  Sauveur  venaient  done 
fort  a  propos  pour  guerir  cette  autre  forme 
d'hydropisie,  rhydropisie  du  coeur.  Aujour- 
d'hui  encore,  meme  parmi  les  chreliensjepla- 
cemenl  des  convives  occasionne  bien  des  ani- 
mosites  secretes,  plus  d'une  amere  deception^ 
quoique  I'orgueil  soil  moins  apparent.  —  Re- 
marquez  le  mot  «  intendens  ».  Jesus  est  ob- 
serve par  ses  adversaires  (Cfr.  t.  ^)^,  mais  lui 
aussi  il  observe  :  seulement,  il  le  fait  par  es- 
prit de  charite,  landis  que  leur  but  manifesto 
elait  la  malice.  —  Nous  prenons  le  mot  pa- 
rabolam  dans  un  sens  large.  Cfr.  I'Evangile 
selon  S.  Malth.,  p.  2o7.  Ma'donal  suppose 
sans  raison  que  Notre-Seigneur  aurail  plac4 
ici  une  vraie  parabole,  omise  par  S.  Luc,  et 
donl  la  morale  seule  serail  reslee. 
8  et  9.   —  Quum  invitatus  fueris...  La 


S68 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


tous  deux  ne  vienne  et  ne  te  dise  : 
Donne-lui  cette  place,  et  qu'alors  tu 
n'ailles  en  rougissant  occuper  la 
derniere  place. 

10.  Mais  quand  lu  seras  invite,  va, 
mets  toi  a  la  derniere  place,  afln  que 
lorsque  viendra  celui  qui  t'a  invite, 
il  te  dise  :  Ami,  monte  plus  haut. 
Alors  ce  sera  pour  toi  une  gloire 
devant  ceux  qui  seront  a  table  avec 
toi. 

11.  Gar  quiconque  s'exalte  sera 
humilie  et  quiconque  s'humilie  sera 
exalte. 

12.  II  disait  aussi  a  celui  qui  I'a- 
vait  invite  :  Lorsque  tu  donnes  a 
diner  ou  a  souper,  n'appelle  pas  tes 
amis,  ni  tes  freres,  ni  des  parents 
ni  des  voisins  riches,  de  peur  qu'ils 
ne  t'invitent  a  leur  tour  et  ne  te 
rendent  ce  qu'ils  ont  recu. 


vocavit,  dicat  tibi  :  Dahuic  locum; 
et  tunc  incipias  cumrubore  novissi- 
mum  locum  tenere. 

10.  Sed  cum  vocatus  fueris,  vade, 
recumbein  novissimo  loco  :  ul.cum 
venerit  qui  te  invitavit,  dicat  tibi : 
Amice,  ascende  superius.  Tunc  erit 
tibi  gloria  coram  simul  discumben- 
libus. 

Prov.  25,  7. 

11.  Quia  omnis  qui  se  exaltat  hu- 
miliabitur :  et  qui  se  humiliat  exal- 
tabitur. 

Mallh.  23,  12  ;  lyjfra,  18,  14. 

12.  Dicebat  autem  et  ei  qui  se 
invitaverat :  Gum  facis  prandium, 
aut  coenam,noli  vocare  amicos  tuos, 
neque  fratres  tuos,  neque  cognates, 
neque  vicinos  divites  :  ne  forte  te  et 
ipsi  reinvitent,  et  fiat  tibi  retributio. 

Tob.  4,  7;  Prov.  3,  9. 


secondepersonne  dii  singulier,  employee  dans 
les  tt.  8-10,  communique  a  Taposirophe 
beaucoup  de  vie  el  de  chaleur.  —  Ad  nupiias, 
6i«  yaiLo^Ji,  c'esl-a-dire  a  iin  ropas  de  iioces. 
Avec  quelle  delicalesse  le  bon  iMaitre  donne 
sa  legonl  II  semble  ne  faire  aucune  allusion 
direcle  a  ce  qui  se  passait  sous  S'^s  youx.  — 
Non  discumbas  inpi'imo  loco.  La  place  du  mi- 
lieu sur  chaque  «  lecUis  iricliniaris  »  elail 
regardee  comme  la  plus  honorable,  el  le 
«  leclus  medius  »  recevail  les  principaux 
convives.  Voyez  A.  Rich,  Diclionn.  dis  anti- 
quiles  rom.el  grecq.  s.  v.  Leclus,  —  hiDitatus 
abillo  (scil.  «  qui  le  invitavit  »)  :  ellipse  selon 
la  mode  hebraique.  —  Veniens...  Da  hide  lo- 
cum;...  incipias  cum  rubore.  La  scene  est  ad- 
mirablemenl  decrile  :  nous  voyons  les  per- 
sonnages  se  mouvoir,  nous  eiitendons  leurs 
paroles;  je  crois  apercevoir  I'oigueilleux  in- 
vile  qui,  la  rougeur  au  front  et  tuul  deconte- 
nance,  s'en  va  do  la  premiere  a  la  derniere 
place,  au  bout  du  «  leclus  imus  ». 

\Q,  _  Vade,  recumbe...  Nouveaux  details 
pilloresques,  mais  pour  recoinmander  une 
conduite  toute  conlraire  a  celle  du  t-  8,_et 
pour  signaler  les  avantages  de  la  modestie. 
Voyez  des  conseils  analogues  au  livre  des 
Proverbes,  xxv,  6  et  7,  el  dans  le  Talmud, 
Vajikra  Rabba,  f.  4  64,  4,  (ap.  Liglitfoot, 
1.  c.l.  —  La  conjonclion  ut  indique  moms  le 
but  qu'un  resullat,  car  Nolre-Seigneur  Jesus- 
Chri-l  ne  voulait  evidemmenl  pas  ens^iigner 
ici  une  pratique  de  simple  politesse  mondaine, 
basee  sur  des  motifs  egoisies,  c'e^t  a-dire 


mcllri'  iin  orgueil  plus  raffine^la  place  de  la 
grossiere  vanile.  Sa  pensee  va  plus  loin  que 
ses  paroles,  el,  sous  celte  forme  aimable,  il 
cache  une  kgon  de  profonde  humilile,  comme 
le  prouve  la  sentence  generale  du  t.  M. 

\\.  —  Omnis  qui  sfi  exaltat...  Nous  retrou- 
vons  ailleurs  (xviii,  14;  Matlh.  xxin,  12)  ce 
m6ma  adago  solennel.  11  correspond  a  un  de- 
cret  providenliel  donl  I'experience  prouve  la 
fidelo  execuion.  Meme  le  paganisme  en  avail 
enlrevu  la  verile;  temoin  ce  mot  si  juste 
ecliappe  a  E-ope,  un  jour  qu'on  lui  avail  de- 
manfie  quelle  etait  Toccupation  des  dieux  : 
«  Elala  dcprimere,  hurailia  exlollere  ».  Les 
Rabbins  disent  aussi  :  «  Qui  semelipsum  de- 
primit,  eum  Sanctus  Benediclus  exaltat;  et 
qui  se  ipsuni  exallat,  eumSanclus  Bt^nediclus 
deprimil  ».  Et  los  hommes,prec'.sement  parcc 
qu'ils  sont  tous  orgueilleux,  aiment  comme 
Dieu  a  elever  Ips  humbles  et  a  rabaisser  les 
superbes. 

b.  Legon  de  charitS.  ff.  12-14. 

12.  —  Dicebat  autem...  Nouvelle  formule  de 
tran>ilion.  Cfr.  t.  7.  —  Cum  facis  prandium 
(apiffTov)aM(  rcenam  (SEtTrvov).  Le  premier  de  ces 
deux  sub^lantifs  designe  le  repas  du  matin,  ou 
grand  dejeuner;  le  second,  le  repas  du  soir,  le 
diner.  —  Noli  vocare  (iptoveiv  dans  le  sens  de 
xa)>eiv.  CIV.  t.  16  et  le  commeiitaire)  amicos 
tuos...  Nolre-Seigneur  menlionne  qualre  ca- 
tegories de  personnes  qui  sonl  habilueilement 
inviiees  aux  repas  des  riches.  En  premier 
lieu  il  olace  )e.-a  amis,  ces  fr6res  que  Ton  s'est 


CHAPITRE   XIV 


269 


13.  Sed  cum  facis  convivium, 
Toca  pauperes,  debiles,  claudos  et 
csecos. 

14.Etbeatus  eris,  quia  non  ha- 
bent  relribuere  tibi  :  retribuetur 
enim  libi  in  resurrectione  justorum. 


13.  Mais  quand  tu  faisun  festin, 
appelle  les  pauvres,  les  debiles,  les 
boiteux  et  les  aveugles. 

14.  Et  tu  seras  heureux  parce 
qu'ils  n'ont  pas  de  quoi  te  le  rendre, 
car  il  te  sera  rendu  dans  la  resur- 
rection des  jusles. 


soi-meme  choisis,  coiiime  dii  le  poelearabe; 
viennent  ensuite  les  freres  selon  la  nature, 
puis  les  parents  en  general  (ffuyYeveT; ),  enfin 
les  vois.ns.  II  est  vraisemblable  que  c'est  sur 
cesderniers  seuli'menl  que  relombe  I'epithele 
divites ;  cela  parait  indique  grammalioale- 
ment  par  I'absonce  de  Tarlicle  et  du  pro- 
nom  ffou  avani  ei  apres  ytiioyaz.  Cependant, 
de  nombreux  inlerpretes  la  raltachenl  aux 
quatre  subslanlil's  qui  precedent,  et  cela  est 
au  moins  vrai  dans  la  pensee.  —  Ne  forte 
te...  reinvitenl  (le  verbo  grec  a.'vziv.aliatixji 
n'est  employe  qu'en  cet  end'oit  du  N.  Test.) 
et  fiat  libi  relnbutio  (avTaTt'j6o[ia).  C!"S  inols 
contiennent  le  motif  de  la  recommandalion 
du  Sauveur.  Helasl  ils  expriment  une  crainle 
quo  le  monde  ne  connait  gu6re,  pui-qu'il  est 
plus  que  jamais  de  mode  d'inviler  afui  d'elre 
soi-mem3  reinvite  {sur  I'ancienne  couiume 
de  rendre  repas  pour  repas,  voyez  Xenophon, 
Sympos.  I,  15).  Mais  alors  on  a  re^u  sa  r6- 
(•6nii)(n-;e.  Gfr.  vi,  24;  Matlh.  vi,  2,  5,  Ma. 
Comparez  aussi  le  vers  de  Martial  : 

Poscis  maaera,  Sexte,  non  amicos. 

S.  Ambroise  ecrivait  de  meme  :  «  Hospitalera 
esse  remuneraturis  afifeclus  est  avariliae  ». 

13  et  14.  —  Sed  inlroduit  uii  frappant  con- 
traste.  — Cum  facis  convivium:  dans  le  grec, 
6ox»iv.  une  reception.  Gfr.  v,  27  et  le  com- 
menlaire.  —  Voca  (ici,  v-ilti)  pauperes...  Aux 
quaire  categories  de  riches  et  d'amis  qu'on 
invite  dans  I'espoir  d'obteiiir  d'eux  en  retour 
quelque  favour,  Jesus  oppose  quatre  catego- 
ries de  malheurt-ux  dont  on  n'a  rien  a  atlen- 
dre  ici-bas,  sauf  peut-elre  quelque  sentiment 
on  parole  de  reconnaissance  (avaui^pou;,  de- 
biles, les  eslro[)ies  :  de  meme  au  t.  21.  Gfr. 
Bielschneider,  Lexic.  man.,s.  v.,  et  Kuintel, 
h.  1.).  Mais,  on  revanche,  quelle  belle  recom- 
pense on  recevra  [retribuetur ;  le  verbe  grec 
correspondant  n'apparait  qu'en  cet  endroit 
des  Evangiles)  de  celui  qui  ne  perd  pas  de 
vue  un  simple  verre  d'eau  donne  en  son  noral 
Aussi  Notre-Seigneur,  avec  une  emphase  vi- 
sible, proclarae-t-il  bienheureux  quiconqu3 
se  rendra  digne  de  I'oblenir.  L'expression 
resurrectio  justorum  correspond  a  a  resur- 
reclio  vitae  »  de  S.  Jean,  v,  29  (Gfr.  Ps.  i,  5!, 
et  designe  lesjoies  ^ternelles  du  ciel.  —  IJ 
est  a  peine  bisoin  de  noter  que  ce  con^eil  de 
Jesus  est  presente,  comme  plusieurs  auir^s, 


sous  une  forme  paradoxale,  a  la  maniere  de 
rOrienl,  et  qu'on  tomberait  dans  d'elranges 
exagerations  si  on  voulait  le  pratiquer  a  la 
lellre,  d'une  fagon  absolue,  ainsi  que  Font  fait 
plusieurs  sories  d'lUumines.  «  Jesus  invita- 
tiones  ex  nocessitudin^  nalurali  et  civili  quasi 
suo  loco  relinquit  :  ipse  meliores  praecipit. 
Humanitatis  officia  non  plane  tollit  »,  dit  un 
ancien  commintaleur.  Le  but  du  Sauveur 
n'est  pas  de  brouiller  les  relations  sociales, 
mais  de  melire  la  charite  a  la  place  de  I'e- 
golsme,  de  rappeler  aux  siens  la  pensee  des 
pauvres.  «  Noli  vocare...  »  du  t.  12  signifle 
done :  «  Non  tarn  voca...  quam...  »,  ou  «  Non 
lantum...  sed  et...  »  D'ailleurs  la  Loi  mosal- 
que  exhortait  deja  forlement  les  riches  a  in- 
viter  les  pauvres  danscerlaines  circonstances 
parlioulieres.  Gfr.  D  mii.xii,  5-12;  xiv,  28,29; 
XV,  11;  XXVI,  11-13;  Nehem.  viii,  10.  Le 
Talmud  parle  dans  le  mean  sens  :  «  R.  Si- 
meon haec  protulit  :  Quicumque  diebus  festis 
Ifietatur,  neque  Deo  portionem  suam  dal,  ille 
est  invidus;  Salanas  ipsum  odit,  accusat, 
morti  Iradil,  et  magnis  suppliciis  afficit. 
PortiQautemDei  estut  pauperes  cxhilar.'mus, 
quantum  qusque  potest  ».  Sohar  Genes, 
f.  8,  col.  29.  Gfr.  Sclioetigen,  h.  1.  Les  paiens 
eux-meines  avaient  compris  cette  verite  : 
«  Volo  eum  qui  sit  vero  liberalis,  tribuere 
amicis,  sed  araicis  dico  pauperibus,  non  ut 
isli  qui  iis  potissimum  donant,  qui  donaro 
maxime  possunl  »,  Pline,  Ep.  ix,  30.  «  A  nos 
fetes, nous  devons  inviler,  non  pas  nos  amis, 
mais  les  pauvres  et  les  miserables  :  s'ils  ne 
peuvenl  nous  recompenser,  ils  appelleront 
par  leurs  voeux  des  benedictions  sur  nous  ». 
Platon,  Phedr.  233.  Gfr.  Giceron,  de  Offic. 
I,  15;  Dio  Ghrys.  i,  232. 

c.  Parabole  du  grand  festin.  ff.  15-24. 

Sur  la  non  ideniite  de  cette  parabole 
avec  celle  que  nous  lisonsau  chap,  xxiie  de 
S.  Matthieu,  ft-  1  et  ss.,  voyez  notre  expli- 
cation du  premier  Evangile,  p.  420.  Sans 
doute,  elles  representeni  i'une  et  I'autre  le 
royaume  des  cieux  sous  rembleme  d'un  festm 
auquel  un  grand  nombre  d'hommes  sont  in- 
vites, et  dont  b 'aucoup  s'absiiennent  d'uno 
maniere  pleine  d'irreverence.  Mais,  indepen- 
damm'nt  des  circonstances  de  temps  et  de 
lieu,  qui  different  cerlainement,  «  la  s'arrSte 
le  parallelism?.  Dans  S.  Maltliieu,  le  feslia 


270 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


lb.  Lorsque  il  eut  entendu  cela, 
un  de  ceux  qui  etaient  a  table  lui 
dit :  Heureux  celui  qui  mangera  du 
pain  dans  le  rojaume  de  Dieu. 

16. Mais  Jesus  lui  dit:  Un  homme 
fit  un  grand  sou  per  et  appela  beau- 
coup  de  convives. 

17.  Et  il  envoya  son  serviteur,  a 
rheure  du  souper,  dire  aux  invites 
de  venir  parce  que  tout  etait  pret. 


15.  Hsec  cum  audisset  quidam  de 
simul  discumbenlibus,  dixit  illi: 
Beatus  qui  manducabit  panem  in 
regno  Dei. 

16.  At  ipse  dixit  ei  :  Homo  qui- 
dam fecit  coenam  magnam,  et  voca- 
vit  multos. 

Match. ii.i;  Apoc.  19,9. 

17.  Et  misit  servum  suum  hora 
coense  dicere  invitatis  ut  venirent, 
quia  jam  parata  sunt  omnia. 


est  donne  par  un  roi,  les  inviialions  sont 
rejelees  avec  dedain,  ce  qui  consliUie.  un 
acte  de  rebellion,  lequel  est  consomme  par 
le  meurtre  des  serviteurs,  mais  est  bienlot 
puni  par  la  mort  des  rebelles;  les  bons  et 
les  mauvais  sont.  reunis  dans  la  salle  du 
festin,  et,  firialemenl,  I'un  des  convives  est 
mis  a  la  porle...  parce  qu'il  ne  s'est  pas  re- 
velu  d'une  robe  nuptiale.  Ici,  au  conlraire, 
c'est  un  homme  prive  qui  dosine  le  repas  ;  les 
invitations  sont  declinees  avcc  qiielque  appa- 
rence  de  respect,  de  fa^on  a  denoter  plulot 
rindifference  qu'un  anlagonisme  ouvert;  le 
cliiitiment  ne  consiste  que  dans  rexclusion 
des  premiers  invites...;  il  n'y  a  pas  la  raoindre 
trace  d'un  incident  analogue  a  celui  de  I'hote 
depourvu  du  vetement  nuptial  »,  L.  Abbott, 
The  Gospel  according  to  Luke,  p.  87. 

45.  —  Hcec  cum  audisset..,  L'occasion  de 
fa  parabole  est  rapidement  indiqueepar  cette 
petite  introduction  historique.  —  L'exclama- 
tion  Beatus  qui  manducabit  panem...  se  rat- 
chait  d'une  inaniere  assez  naturelle  aux  der- 
nieres  paroles  do  Jesus  (Cfr.  t.  i4)  :  elle  y 
ajouiait.  la  metaphore  bien  conriue,  qui  com- 
pare le  bonheur  eiernel  des  cieux  a  un  joyeux 
festin.  Voyez  xiii,  29;Mallh.  viii,  11  ;  Apoc. 
XIX,  9.  Sortait-elle  spontanemfMit  d'un  coeur 
pieux  et  smcere?  ou  bien  n'elait-ce  qu'un 
expedient  liabile  pour  detourner  la  conver- 
«aiion  d'un  sujet  qui  devail  elre  peu  agreable 
pour  la  plupart  des  assistants?  II  est  assez 
malaise  de  le  determiner  avec  certitude.  Dej^ 
les  anci  ns  exegetes  etaient  en  desaccord  sur 
ce  point  :  aujouid'hui  les  voix  se  partagent 
de  la  meme  maniere,  el  tandis  que  les  uns, 
prenant  en  mauvaise  part  les  paroles  de  I'in- 
lerrupleur,  les  regardent  presque  comme  une 
platitude  (Farrar),  les  croient  lout  a  tail  hors 
de  saison  (Slier),  les  autres  y  voient  une 
marque  de  joyeux  onlhousiasme  (Olshausen) 
et  de  vive  sympalliie  pour  Jesus  (Trench). 
Exterieurement,  rien  m'  niontre  qu'elles  fus- 
sent  diciees  par  I'hypocrisie  ;  mais  la  defiance 
est  bien  permise  quand  il  s'agit  des  relations 
de  la  secte  pharisai'que  avec  Nolre-Seigneur. 

16.  —  ilt  ipse  dixit  ei.  En  toute  hypolhese 
Jeaus  ne  se  laissa  ni  distraire,  ni  troubler 


par  I'exclamation  de  ce  convive.  II  saisit  au 
contraire  loccasion  pour  donner  a  loule  I'as- 
semblee  une  troisieme  legon,  empruntee, 
comme  les  deux  precedentes,  a  la  circons- 
tance  du  moment.  —  Homo  quidam.  a  Homo 
iste  Deus  Pater  est,  secundum  quod  imagines 
ad  simililudinem  veritatis  tiguranlur.  » 
S.  Cyrille,  in  Cat.  D.  Thorn.  —  Fecit  coenam 
(Sevtcvov,  le  repas  du  soir)  magnam  et  vocavit 
(exdXeffe  I'expression  technique  en  pared  cas. 
Cfr.  Matth.  xxii,  3;  Joan,  ii,  2;  I  Cor. 
X,  27,  etc.)  multos.  II  y  a  une  emphase  vi- 
sible dans  les  adjeclifs  «  magnam,  multos  », 
qui  relevent  la  richesse  du  festin,  la  multi- 
tude des  invites,  c'est-a-dire,  d'un  cote,  la 
munificence  avec  laquelle  Dieu  traitera  ses 
elus,  de  I'autre,  I'infinie  bonte  qui  lui  fait 
offrir  le  salut  k  tous  les  hommes.  Mais,  di- 
rectementet  d'apres  le  contexte,les  «  multi  » 
appeles  les  premiers  sont  les  chefs  de  la 
theocratie  juive  (Cfr.  S.  Cyrille,  in  Cat. 
S.  Thom.);  le  «  grand  festin  »  auquel  on  les 
invite  reptesenle  le  royaurae  du  Messie, 
I'Eglise  chretienne,  soit  ici-bas,  soit  dans  son 
eternelle  consommation. 

'1 7.  —  Misit  servum  suum  hora  coencB... 
Nous  avons  deja  mentionne  ailleurs  (Evang. 
selon  S.  Matth.,  p.  421)  la  coutum"  orientale 
qui  consiste  a  lancer,  au  moins  dans  les 
grandes  occasions,  plusieurs  invitations  con- 
seculives.  La  derniere  a  lieu  au  moment 
meme  du  festin  sous  une  forme  tres  pres- 
sante.  «  Tefouddoulou,  el'ascha  hader  », 
Venez,  car  le  repas  est  pret !  crient  les  ser- 
viteurs  de  I'amphytrion  dans  les  villes  sy- 
riennes,  a  la  porte  des  invites.  Voyez  Thom- 
son, the  Land  and  the  Book,  1876,  p.  125; 
Rosenmijller.  Neues  u.  alt.  Morgenland,  t.  V, 
p.  192  et  s,  Ici,  le  serviteur  (tov  SoOXov  avec 
I'article,  le  serviteur  par  anlonomase,  VEbed 
Yehova  d'l^aie)  n'esi  autre  que  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ,  qui  a  daigne  prendre  par  ainour 
pour  nous  la  forme  d'un  esclave,  Phil,  ii,  7. 
On  p'^'Ut  aussi  lui  associer  S.  Jean-Baptiste  et 
les  Apotres,  attendu  qu'ils  ferment  ensemble 
comme  un  tout  moral ;  mais  c'est  surtout  de 
sa  personne  divine  qu'il  s'agit,  car  il  annon- 
gait  avec  une  autorile  et  avec  un  zele  in- 


18.  Et  coeperunh  simiil  omnes  ex- 
cusare.  Primus  dixit  ei  :  Villam 
eini,  et  necesse  habeo  exire,  et  vi- 
dere  illam  :  rogo  te,  liabe  me  excu- 
satum. 

19.  Et  alter  dixit:  Juga  boiim  emi 
quinqne,  et  eo  probare  ilia;  rogo  te, 

-^nabe  me  excusatum. 

20.  Et  alius  dixit  :  Uxorem  duxi, 
et  ideo  non  possum  venire. 

21 .  Et  reversus  servus  nuntiavit 
hiBC  domino  °uo.  Tunc  iratus  pater- 


CHAPITRE  XIV  271 

18.  Et  ils  commencerent  tous  en- 
semble a  s*excuser.  Le  premier  lui 
dit  :  J'ai  achete  une  maison  de 
compagne  etj'ai  besoin  d'aller  la 
voir;  je  t'en  prie,  excuse-moi. 

19.  Et  un  autre  dit  :  J'ai  achete 
cinq  paires  de  boeufs,  et  je  vais  las 
essayer;  je  t'en  prie,  excuse-moi. 

20.  Et  un  autre  dit  :  J'ai  pris 
femme,  je  ne  puis  done  venir. 

21.  Leserviteur  etant  revenu  rap- 
porta  tout  ceci  a  son  maitre.  Alors 


compaiablcs  quia  jam  parata  sunt  omnia. 
18. — Et  ccepentnt  [un  (ios  mots  les  plus 
aimes  de  S.  Luc)  simul  omnes  excusare  (soil. 
«  sese  »;  bonne  iraduction  de  TtapaiTeTaOai. 
Voyez  Brelsclmeider,  Lex.  man.  s.  v.).  Le 
divin  narrateiir  appuie  evidemment  sur 
«  simul  »  el  sur  «  omnes  »;  car  il  est  frap- 
panl  de  voir  lous  les  invites  s'excuser,  c'est- 
a-dire  s'abslenir,  et  11  n'est  pas  moins  eton- 
nant  qu'iis  le  fassent  tous  cltzo  [ita;,  comrae 
s'exprime  le  texle  grec,  ce  qui  signifie,  d'apres 
rinlerprelation  la  plus  probable ,  «  uno 
animo  »  comme  par  suite  d'une  entente, 
(s.  ent.  '^^yjni>  ou  xapSia;,  ou  yvwij-^i?;  selon 
d'aulres,  ano  (ita?  ipwv^;,  «  uno  ore  » ;  la  Vul- 
gate sous-entend  wpa?;  la  version  syrlaque 
traduit  par  ^^  1)2  «  ab  uno  »  =  staiim).  — 
Primus  dixit...  :  Villam  emi.  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ  signale,  par  maniere  d'exemple, 
irois  des  excuses  qui  furent  alleguees.  La 
premiere  consislait  dan?  le  recent  achat  d'un 
doraaine.  ou  m6me,  selon  le  sens  ordinaire 
du  grec  aypo;,  d'un  simple  champ,  que  I'ac- 
quereur  voulait  visiter  au  plus  vile  :  non 
sans  doute  qu'il  I'eut  achete  sans  I'avoir  vu, 
mais  il  avail  hSte  d'y  penelrer  en  mailre 
pour  la  premiere  fois,  de  le  parcourir  avec 
toute  la  joie  qu'eprouve  un  nouveau  proprie- 
laire  quand  il  contemple  un  immouble  apres 
lequel  il  a  longuemenlsoupire  et  que  souvcnt 
il  n'a  pu  obtenir  qu'en  iriomphant  de  mille 
dilBcultes.  —  Habe  me  exrutatiim  :  de  meme 
dans  le  texle  grec,  lx^[>.eTtoipr\T:T,u.iyo'j,  «  quae 
formula  lalinisinum  redoiel  )),dii  a  bon  droit 
Kuinoel. 

19.  —  Seconde  excuse  :  Juga  bourn  emi 
quinque,  et  une  emplette  si  imporlanlo  ne 
m»jriie-l-elle  pas  qu'on  aille  iminedialemonl 
s'assurer  «  de  visu  »  de  sa  valeur?  Aussi 
bien,  60  (nolez  le  temps  pre-enl,  Tiopsuofiat, 
k  I'lnslant  je  pars]  probare  ilia;  il  no  m'est 
done  point  possible  d'assi>ter  a  voire  rnpas. 

20.  —  Si  les  excuses  alleguees  precedem- 
ment  partaient  d'un  amour  exagere  pour  les 
biens  de  co  mondo,  la  troisieme,  uxorem 
duxi-,   nrovenail    de    la    «    concupiscentia 


carnis  «,  «  quae  multos  iuipedit  »,  ajoute 
S.  Auguslin,  De  Verb.  Dom.  Serm.  xxxiii. 
11  esl  remarquablo  que  celui  qui  la  proiere 
se  montre  dans  son  langage  plus  arrogant 
que  les  deux  aulres  invites,  comme  I'a  nol^ 
S.  Gregoire,  Horn,  xxxvi  in  Evang.  :  «  Is 
qui  propter  villam,  el  is  qui  propter  pro- 
banda juga  boum  a  coena  sui  inviiaioris  se 
excusal,  humilitatis  verba  permiscet;  dum 
enim  dicit,  Rogo,...  humililas  sonat  in  voce  ». 
Oui,  au  moins  dans  la  voix,  quoique,  «  dum 
venire  coniemnil,  superbia  (sonat)  in  ac- 
tione  ».  Le  second  se  meltail  pourtanl  plus 
a  I'aisi^  que  le  premier,  car,  lout  en  s'excu- 
sant  il  se  conlenlail  de  dire  :  Je  pars,  sans 
'  indiquer  qu'il  agissait  d'apres  une  necessity 
vrai^  ou  supposee  {t.  18.  «  necesse  habeo  »). 
Quant  au  troisieme,  il  dit  tout  court,  sans 
la  moindre  formule  courloihe  pour  pallier 
son  refus  :  Non  possum  venire;  lisez  :  Je  ne 
veux  pas  y  allerl  Apres  tout,  si  la  Loi  juive 
(Deul.  xxiv,  5)  dispensait  les  nouveaux 
maries  du  service  militaire,  pourquoi  ne  se 
seraienl  ils  pas  examples  d'a^sisler  k  un 
feslin?Comparez  cemol  prononce  par  Cresus 
en  vue  d'oblenir  que  son  fils  n'a-sistSl  point 
a  la  grande  chasse  officielle  qui  eut  pour  lui 
une  si  fa  tale  issue  :  NsoYauo;  yap  eoti,  xal 
TaOraoi  vOv  p.iln  (Herodole,  1,36).  Un  exegete 
allemand,  Herborger,  a  suppose  d'une  ma- 
niere bien  ingenue  que  les  trois  inviles  de 
la  parabole  tiguraient,  dans  I'intention  du 
Sauveur,  les  trois  .'■ectes  juive>!  de  ces  temps, 
«  les  Esseniens  adonnes  a  Tagriculture,  les 
Pharisiens  semblablesa  des  tauieaux  violents 
el  superbes,  les  Sadducens  charnels.  »  II  y  a 
plus  de  verile  dans  ce  distique  d'llildebert 
(cite  par  Trench,  Notes  on  the  Parables)  : 

Villa,  boves,  a\or,  ccenam  clausere  vocatis; 
MuQdus,  cura,  caro,  c;elum  clausere  reuatis. 

24 .  —  Quand  il  eut  appris  toutes  ces  chosea 
[reversus  servus  nuntiavit...),  le  «  pere  de  la- 
rnille  »,  comme  on  I'appelle  mainlenanl, 
eprouva  une  juste  colere  .  iratus  paterfami- 
lias. Saas  doute  les  excuses  qu'on  lui  avail 


272 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


le  pere  de  famille  irrite  dit  a  son 
serviteur  :  Va  vile  dans  les  places 
et  les  rues  de  la  ville,  et  fais  entrer 
ici  les  pauvres  et  les  debiles  et  les 
aveugles  et  les  boiteux. 

22.  Et  le  serviteur  dit :  Seigneur, 
il  a  ele  fait  comme  vous  avez  com- 
mande,  et  il  y  a  encore  de  la  place. 

2'S.  Et  le  maitre  dit  au  serviteur  : 
Va  dans  les  chemins  et  le  long  des 
haies,  etcontrainsd'entrer,  alin  que 
ma  maison  soit  remplie. 

24.  Mais  je  te  dis  qu'aucun  des 


familias,  dixit  servo  suo  :  Exi  cito 
in  plateas  et  vicos  civitatis,  et  pau- 
peres,  ac  debiles,  et  caecos,  et  clau- 
dos  introduc  hue. 

22.  Et  ait  servus  :  Domine, factum 
est  ut  imperasti,  et  adhuc  locus  est. 

23.  Et  ait  dominus  servo  :  Exi  in 
vias,  et  sepes ;  et  compelle  intrare, 
ut  impleatur  domus  mea. 

24.  Uico  autem  vobis,  quod  nemo 


tiansmises  elaieni  jusqu'a  iiii  certain  point 
piausibles  en  eilos-memes  :  aiicnne  du  moins 
n'elail  direcleineni  miuvaise;  mais  elles 
elaieni  si  lardivts,  n'arrivanl  qu'a  I'heure  du 
repas !  El  puis,  ne  consislaienl-elles  pa?  toutes 
en  des  inleiels  mondains  qui  devaienl  ceder 
la  place  aux  inlereis  spirilueis  mis  en  cause 
dans  noire  parabole?  II  y  avail  uue  verilable 
impudence  a  les  presenter;  on  ne  pouvail  les 
recevoir  sans  aD'roni.  Ntianmoins,  apres  un 
premier  mouvemenl  d'irritation,  le  pere  de 
famille  semble  oublier  les  insulleurs,  pour  ne 
songer  qu'au  moyen  de  trouver  promplement 
d'aulres  convives.  Sa  resolulion  esl  bienlol 
prise  :  Exi  cito,  dit-il  a  son  servileur;  le  ■ 
temps  presse,  puisque  «  jam  parala  sunt 
omnia  »,  t-  17,  II  I'envoie  in  plateas  (el;  to; 
nXaTcta;),  c'est-k-dire,  «  in  vias  laliores  ».  les 
mam  de  la  langue  hebrarque,  et  aussi  «  in 
vias  angustiores  »  (vicos  est  une  traduction 
inexacle  de  pu[Aa;),  dans  les  affieuses  peliles 
rues  de  rOiieni,  a  iravers  lesquelles  un  cava- 
lier ne  peul  souvent  passer  qu'a  grand  peine. 
Le  mot  civitatis  est  imporlanl  pour  I'applica- 
lion  de  la  parabole,  car  il  montre  que  le  Sei- 
gneur va  prendre  encore  dans  le  sein  d'Isiael 
les  convives  de>lines  a  remplacer  les  inviles 
indignes  :  «  la  ciie  »  represent  >  en  effet  d'une 
maiiiere  melaphorique  la  llieocratie  juive. 
Toulefois,  au  lieu  des  Pliarisiens  et  des  Sad- 
duceens,  des  Scribes  et  des  prelres  qtii  ont 
refuse  de  venir  («  post  divitum  resupina 
faslidia  »,  S.  Ambroise),  il  appplle  mainte- 
nant  pauperes  ac  debiles  et  ccecos  ei  claudos, 
par  lesquels  sonl  figurees  les  brebis  egarees 
de  la  maison  d'israel,  les  publicains  et  les 
pecheurs  et  I'enserable  du  peuple.  A  pari  une 
legere  interversion  dans  les  derniers  mots 
(du  moins  d'apres  la  Vulgale  et  les  meiUeurs 
manuscrjis  grecs,  B,  D,  F,  K,  L.  Sinait.). 
renumeiation  e.-t  ici  la  mefn^  qu'au  V.  13, 
comme  si  Notre-Seigneur  voulait  nous  raon- 
Irer  une  realisation  toule  celesle  du  conseil 
qu'ii  avail  donne  precedemmenl. 
22  el  23.  —  Nous  venons  de  voir  la  colere 


de  I'hoie  offense  faire  place  a  un  senliment 
de  profonde  bienveillance ;  mais  voici  que 
cette  bonte,  car  c'est  la  bonle  divine,  se  ma- 
nifesle  sous  une  forme  vraimenl  incompa- 
rable. Apres  quelque  intervallo,  le  serviteur 
fidele  el  intelligent  accourl  aupres  de  son 
muilre,  et  il  lui  raconte  en  quelques  mots 
comment  il  a  execute  S'S  ordres.  Mais,  ajoute- 
l-il,  non  sans  emphase,  adhuc  locus  estlQae 
faul-il  faire  pour  combler  les  vides?  La  re- 
ponse  a  celte  demande  laciie  ne  se  fait  pas 
attendre  :  Desormais,  ne  le  borne  pas  a  par- 
courir  les  rues  de  la  ville,  mais  exi  in  vias 
(xai;  65oiJs,  les  routes  qui  conduiseiit  du  dehors 
a  la  cite),  va  meme  in  sepes  ((ppaytiov;),  dans 
les  modesles  «  sentiers  qui  longent  les  haies 
de  la  campagne  »  (Reuss),  el  ainene  bon  gre 
mal  gre  lous  ceux  que  lu  rencontreras,  com- 
pelle intrare,  Celle  fois,  loul  le  monde  en 
convienl,  il  ne  s'agit  plus  des  Juifs,  mais  des 
Gentils  (ol  xaxoixiai  twv  eOvwv,  Euthymius), 
auxquels  le  Sauveur  predii  ici  de  la  fagon  la 
plus  aimable  leur  conversion  future  au  Chris- 
tianisme.  lis  formenl  la  troisieaie  classe  des 
inviles  de  notre  parabole.  o  Gompeiii!  »  ne 
conlicnl  evidemmenl  aucun  appel  a  la  vio- 
lence exlerieure.  La  coaclion  dont  parle  le 
pere  de  famille  est  celle  que  Ciceron  (ad  Din. 
V,  6)  definil  si  bien  :  «  Ralionibus  et  persua- 
sionibus,  ctiam  precibus  saepius  repetilis,  ali- 
quem  permovere  ».  Cfr.  Luc.  xxiv,  29;  Act. 
XVI,  13.  C'esl  celle  que  S.Paul  recommandea 
Timolliee  :  «  Praedica  verbum,  insla  opportune, 
importune  :  argue,  obsecra,  increpa  in  omni 
paiienlia  et  doctrina  ».  C'est  celle  a  laquelle 
I'Eglise  fait  allusion  dans  cette  belle  priere  : 
«  Ad  te  nostras  eliam  rebelles  compelle  pro- 
pilius  volunlales  ».  Quoi  que  diseni  les  pro- 
lestants,  les  catholiquos  n'en  connaissent  pas 
d'aiitre. 

24.  —  Terrible  conclusion.  Lrs  mot  dico 
autem  (plus  exacieinent,  «  enira  »,  y*P;  vobis  ont 
fait  croire  a  divers  commentateurs  que  Jesus 
la  formula  en  son  propre  nom,  s'adressanl  a 
toute  I'asserablee  («  vobis  »),  puisqus  le  dia- 


CHAPITRE  XIV 


275 


Tirornm  illorum  qui   vocati    sunt, 
giistabit  coeiiam  meam. 

25.  Ibant  aulem  turbse  multsB 
■cum  eo  :  et  conversus  dixit  ad  illos : 

26.  Si  quis  venit  ad  me,  et  non 
oditpatrem  suum,etmatrem,  etuxo- 
rem,  et  filios,  et  fratres,  et  sorores, 
a  Ihuc  autem  et  animam  suam,  non 
potest  meus  esse  discipulus. 

Matih.  10,  35. 

27.  Et  qui  non  bajulat  crucem 
suam,  et  venit  post  me,  non  potest 
meus  esse  discipulus. 

MciUh.  10,  38;  Marc.  8,  34. 


hommes  qui  ont  eteappeles  ne  goti- 
tera  de  mon  souper. 

23.  Or  de  grandes  foules  allaient 
avec  lui,  et  se  tournant  il  leur  dil  : 

26.  Si  quelqu'un  vient  a  moi  et  ne 
hait  point  son  pere  et  sa  mere  et  sa 
femmeetses  fils  et  ses  freres  et  ses 
soeiirs  et  en  outre  sa  vie  meme,  il  ne 
pent  etre  mon  disciple. 

27.  Et  celui  qui  ne  porte  pas  sa 
croix  et  ne  me  suit  pas  ne  peutfitre 
mon  disciple. 


16 


logue  n'avail  eii  lieu  jusque  la  qu'entre  le 
pere  defamille  et  iin  seiil  serviteur.  Mais  il  est 
plus  probable  qu'il  faut  regarder  cotte  phrase 
finale  comme  faisani  encore  parlie  de  la  para- 
bole.  Celaressorlde  I'expies  on  coenammeam, 
d'apres laquelle  I'hote figm  alif  einble  6tre  tou- 
jours  en  scene.  Au  reste,  le  plu  iel  «  vobis  » 
s'explique  par  la  presence  soil  des  aulres  ser- 
vileurs,  soil  des  nouveaux  convives.  Mais  la 
sentence  retombait  quand  meme  en  plein  sur 
If^s  Pharisiens  qui  entouraient  alors  Notre- 
Seigneur. 

Ce  qn'il  en  coate  pour  suivre  J^sua. 

XIV,  'io-'iS. 

to.  —  Ibant  turb(B  multCB  cum  eo.  Autre 
preambule  historique,  servant  d'lnliodiiction 
a  un  nouvel  episode  du  dernier  grand  voyage. 
Apres  la  scene  qui  precede,  Jesus  s'esl  remis 
en  marclie  dans  la  direction  de  Jerusalem. 
Des  foules  nombreuses  se  pressent  sur  ses 
pas,  composiies  sans  doute  i^n  grande  partie 
de  pelcrins  qui  se  r('n.'laicnt  egalement  k  la 
capitale  pour  la  procliaine  fele.  En  apparerice, 
lout  ce  peuple  lui  est  piofondem'nL  devoue; 
mais  il  sait,  lui  qui  connait  L^s  secrets  des 
coeurs,  combien,  dans  la  pluparl,  Taffection 
pour  sa  divine  personne  est  suparficielle,  de 
sorte  qu'il  suffira  d'un  leg-r  coup  de  vent  pour 
transformer  ce  «  mobile  vulgus  ».  Et  cepen- 
danl  I'heure  est  decisive,  car  on  est  a  la 
veille  de  sa  Passion  :  il  faut  done  que  tous 
sachenl  a  quel  prix  Ton  devient  et  Ton  reste 
vraimenl  disciple  du  Christ.  C'i'Sl  pourquoi  il 
leur  parle  en  tei  luos  energiquss,  comm  "  ce  mi- 
nistreqiii  disaii  achacun  d-,>sesfonclionnaircs, 
en  des  jours  perilleux  :  «  Etes-vous  pr6t  a  sa- 
crifier  votre  t6te?  » —  Conversus  esl  un  trait 
pittoresque.  —  Dixit  ad  Ulos.  Nous  trouvons 
irojs  parlies  dans  cette  courle  mais  impor- 
tanle  instruction  du  Sauveiir  :  lo  la  legon 
direcle,  tt.  26  et  il ;  2°  deux  petites  para- 
jbo\es  destlnees  k  inculquer  plus  fortement  la 

8.  Bible.  S. 


leQon,  1ft.  28-33;  3o  la  conclusion,  exprimeo 
au  moven  d'une  troisieme  comparaison , 
ti^.  34et35. 

26.  —  Si  quis  venit  ad  me.  C'est  quelque 
chose  assuieinenl  de  venir  a  Jesus,  de  se 
meltre  a  la  suite  de  Jesus,  comme  faisait  ce 
bon  peu[)le  ;  mais  Nolre-Seigncur  s'inquielail 
peu,  surtout  alors,  d'avoir  de  simples  compa- 
gnons  de  voyage,  quelque  atlachement  qu'ds 
lui  temoignassentd'ailleurs.  A  I'adhesion  exte- 
rieure,  il  voulait  a  bon  droit  (jn'on  joignlt 
Tadhesion  interieure,  la  seule  reelle,  et  il  en 
indique  les  conditions  :  conditions  difficiles, 
puisqu'elles  ^e  resument  dans  I'abnegalion  la 
plus  complete,  et  dans  le  sacrifice  courageu- 
sement  accepte.  —  Et  non  odit.  Le  Sauveur 
nomrae  les  dtres  qui  sont  le  plus  chers  k 
I'homme,  un  pere,  une  mere,  une  epouse,  des 
enfants,  des  freres,  des  soeurs,  et,  quoique  la 
nature  et  Dieu  nous  fassent  un  devoir  de  les 
aimer  tendrement,  il  nous  commande  de  les 
hair,  sous  peine  de  n'etie  pas  chreliens;  bien 
plus,  a  celte  enumeration  deja  si  etonnante, 
il  ajoute  un  mot  qui  la  rend  plus  etonnante 
encore  :  adhuc  autem  et  animam  suam;  il 
veut  que  nous  nous  halssions  nous-memes  1 
Mais  on  comprend  qu'il  ne  parle  pas  d'une 
haine  absolue.  C'est  une  maniere  hardie  de 
nous  ^ignifior  que  nous  devons  etre  disposes 
a  delcsior  au  besoin  les  objols  auxquels  nous 
tenons  le  plus,  s'lls  etaieni  pour  nous  un  obs- 
tacle a  la  perfection  chietienne.  YoyezMatlh. 
X,  37el  le  commenlaire  de  S.  Jerome.  Maisquel 
langage,  malgre  cette  restriction!  Comme  il 
deva:i  frapper,  sous  sa  forme  paradoxale,  tou3 
ceux  qui  entouraient  alors  Jesus!  et  comme  ii 
frappe  encore  tous  ceux  qui  le  medilent  s6- 
rieusement! 

28.  —  Apres  avoir  exi^^  rte  s'»<5 disciples  le 
renoncement  pouss^  jusqu'k  seS  derni^res 
jimites,  un  amour  devant  lequol  palit  tout 
autre  amour,  Jesus  leur  indique,  par  une 
figure  deja  bien  forte,  mais  quo  sa  mort  i?Da. 

Lcc.  —  18 


m 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


28.  Gar  qui  d'entre  vous,  voulant 
batir  une  toiir,ne  s'assied  pas  aupa- 
ravant  pour  supputer  les  depenses 
qui  sont  necessaires  et  s'il  a  pour 
Tachever  ? 

29.  De  peur  qu'apres  avoir  pose 
les  fondeme  nts,  s'il  ne  peut  ache- 
ver,  lous  ceux  qui  le  voient  ne  com- 
mencent  a  se  moquer  de  lui, 

30.  Disant  :  Get  horame  a  com- 
mence abalir  et  il  n'a  pu  achever. 

31.  Ou,  quel  roi  devant  aller  faire 
la  guerre  a  un  autre  roi,  ne  s'assied 
pas  auparavant  pour  juger  s'il  peut 


28.  Quis  enim  ex  vobis  volens 
turrim  sedificare,  non  prius  sedens 
computat  sumptus,  qui  necessarii 
sunt,  si  habeat  ad  perficiendum; 

29.  Ne,  posteaquam  posuerit  fun- 
damentum,  et  non  potuerit  perfi- 
cere,  omnes  qui  vident,  incipiant 
illudere  ei, 

30.  Dicentes :  Quia  hie  homo  coe- 
pit  sedificare,  etnon  potuit  consum- 
mare  ? 

31.  Aut  quis  rex  iturus  commit- 
tere  helium  adversus  alium  regem^ 


minieuse  devait.  rendre  plus  expressive  en- 
core, la  vie  de  rudes  sacrifices,  de  soufTrances 
perpeluelk's,  qui  osl  dans  I'essence  dii  chris- 
liaiiisine  :  Qui  non  bajulat  crucem  suam...  Gfr. 
IX,  n,  Matlh,  X,  38;  xvi,  24.  —  Notez, 
dans  la  phrase  non  potest  mens  esse  discipulus, 
la  place  donnee  par  emphase  an  pionom  pos- 
sessif  «  raeiis  ».  De  meme  tt.  26  et  33. 

28.  —  Deux  exemples  admirabiement  choi- 
sis  vont  montrerniainlenaniala  fouleenlhou- 
siasle  qui  suit  Jesus  a  quelle  huuiiliation,  a 
quels  dangers  s'exposerait  quiconque  aban- 
donneiait  la  foi  clirelieniie  apres  I'avoir  pen- 
dant quelque  temps  i)rofessee.  Le  premier 
est  celui  d'un  constructeur  imprevoyant,  qui 
commence  un  edifice  et  se  voit  bientol  dans  la 
honieuse  impossibilile  de  lo  conlinuer,  faule 
de  moyens  suffisanls.  —  Quis  enim  ex  vobis. 
Le  tour  interrogalif  el  I'aposlrophe  directe 
(«  vobis  »)  donnent  une  grande  vie  a  la  pen- 
s^e.  «  Enim  »  elablil  la  liaison  entre  ces 
deux  petit(  s  paraboli's  et  I'idee  qui  precede. 
—  Volens  turrim  wdificare.  Nous  ne  croyous 
pas,  malgre  I'avis  conlraire  de  plusieurs  in- 
terpreles,  que  le  mot  «  turris  »  conlienne  la 
moindre  allusion  a  la  tour  de  Babel.  Le  grec 
mupYo;  a  du  reste  une  signifiialion  assez  large 
et  peut  s'enlendre  en  general  d'une  construc- 
tion somplueuse  el  elevee.  Quand  done  on  a 
uno  fois  arrete  dans  sa  pensee  le  projel  d'une 
telle  construction,  il  est  de  la  prudence  la 
plus  eleraentaire  de  faire  quelques  serieux 
calculs  {computat;  le  verbe  grec  correlatif, 
4''n?«'£i  n'esl  employe  qu'ici  et  Apoc.xiii,  18), 
'[)our  voir  d'une  part  combien  elle  coiitera 
{sumplus  qui  necessarii  sunt;  simplemenl  dans 
le  grec,  ttiv  Sairavriv),  d'autre  part  si  Ton  dis- 
pose de  ressources  saffisantes  pour  la  mener 
a  bonne  fin  (si  habeat  ad  perficiendum).  — 
Sedens  (xaOCaa;  s'^tanl  assis)  est  un  detail  pil- 
toresque,  destine  h  met  Ire  en  relief  le  carac- 
l6re  grave,  approfondi,  des  calculs.  Les 
hommes  presses  reslent  deboul:  au  contraire, 
quand    on  s'asseoie  pour  mdditer   sur  une 


question,  on  lemoigne  d^ja  par  cette  seule 
attitude  que  Ton  est  decide  k  prendre  tout  le 
lemps  necessaire. 

29  el  30.  —  Ne  posteaquam...  Molif  pour 
lequel  on  ne  doit  entreprendre  d'elever  un 
edifice  considerable  qu'apres  avoir  bien  me- 
sure  ses  forces.  On  deviendraii  I'objet  de  la 
risee  publique,  si  Ton  ne  pouvait  I'achevor 
en  entier  {perficere,  IxTsXeTv).  Rien  de  plus  ri- 
dicule en  effet  que  «  ces  bailments  incomplels, 
ouverts  a  lous  les  vents  et  a  toutes  les  pluies 
duciel  »  (Trench.  Gfr.  Sliakesp?are,  Henry  II, 
Act.  4,  sc.  3),  que  la  malignite  du  peuple 
nomme,  el  n'est-ce  pas  un  peu  son  droit?  la 
Folie  d'un  lei  ou  d'un  tel  [hie  homo,  o5to;  i 
iv9pwito;  :  on  monlre  du  doigt  le  malheureux 
constructeur).  Quelle  e.-t  la  potilo  viile  de 
province  qui  n'aita  raconter  quelque  histoire 
de  ce  genre?  Gomme  le  dit  le  proverbe  alle- 
mand  (cite  par  M.  Schegg)  : 

ZuTorgethan,  nachher  bedacht. 
Hat  maDcheo  in  gross  Leid  gebracht. 

II  n'en  est  pas  autremenl  au  moral  et  dans 
I'application.  La  perfection  chrelienne  est 
un  palais  splendide  a  construire  (Gfr.  vi,  47 
el  ss. ;  Matlh.  vii,  24-27;  Eph.  ii,  20-22; 
I  Gor.  iir,  9 ;  I  Pelr.  ii,  4,  5).  Or,  dit  S.  Gre- 
goire  de  Nysse  (in  Cat.  D.  Thorn.), «  de  meme 
qu'il  ne  suffit  pas  d'une  pierre  pour  cons- 
truire une  lour,  de  meme  il  faut  plus  d'un 
commandement  pour  conduire  I'Sme  a  la 
perfection.  »  Par  consequent,  que  Ton  sup- 
pule  bien  de  quoi  on  est  capable,  avant  de^ 
se  faire  disciple  de  Je^us.  Quelle  honte  n'y 
aurait-il  point  ensuile  a  revenir  sur  ses  pas! 
31.  —  De  plus,  ainsi  qu'il  ressort  du  se- 
cond exemple,  a  cole  de  la  honle  on  trouvo- 
rail  le  danger. La  premiere  comparaison  avail 
ete  prise  dans  le  doraaine  de  la  vie  privee; 
celle-ci  est  empruntee  a  la  conduite  d  un  roi 
inexperimente  (comparez  le  proverbe  grec  : 
■Y>.y/.u;a7:£tpti)7t6Xe|jio;),  qui  a  follement  engage 
le  bonheur  et  les  inter^ts  de  toule  une  na- 


CHAPITRE  XIV 


275 


non  sedens  prius  cogitat,  si  possit 
cum  decern  millibus  occurrere  ei  qui 
cum  viginti  millibus  venitad  se? 

32.  Alioquin  adhuc  illo  longe 
agente,  legationem  mittens^  rogat 
ea  quae  pacis  sunt. 

33.  Sic  ergo  omnis  ex  vobis  qui 
non  renunliat  omnibus  quae  possi- 
det,non  potest  meus  esse  discipulus. 

34.  Bonum   est   sal.   Si    autem 


avec  dix  mille  hommes  marcher 
centre  celui  qui  vient  a  lui  avec 
vingt  mille? 

32.  Autrement  tandis  que  I'autre 
est  encore  loin,  il  envoie  une  ambas- 
sade  et  demande  a  faire  la  paix. 

33.  Ainsi  done,  quiconque  parmi 
voLis  ne  renonce  pas  a  tout  ce  qu'il 
possede  ne  pent  etre  mon  disciple. 

34.  Le  sel  est  bon,  mais  si  le  sel 


tion  dans  une  giirrre  impiudenle.  Ellcs  se 
complelent  mutuellemenl,  presenlanl  la  meme 
verile  sous  deux  aspecls  dislincts,  comme 
Jes  paraboles  du  grain  de  sencve  el  du  levain 
(Malth.  XIII,  31-33),  du  tresor  cache  el  de  la 
perle  (Malth.  xiii,  44-46),  de  la  piece  neuve 
servant  a  rapieceter  des  veleinents  uses  el 
du  vin  nouveau  mis  dans  de  vieillt^s  oulros 
(Mauh.  IX,  16  et  il).  —  L'equivalent  grcc  de 
committere  helium,  cufiSaXeTv  el?  itoXejxov,  esi 
une  expression  elegante  et  classique  (voyez 
Kuinoel,  h.  I.).  —  Cum  decern  mdWms  (sur  la 
locution  £v  5Ey.a  xi^'iafftv,  cfc.  i  Mach.  iv,  29 
el  Winer,  Grammal.)...  cum  viginli  millibus 
(ici,  (xeta  etxooi  xi)i7.Swv).  La  lutie  sera  done 
dans  la  proporlion  de  deux  centre  un,  c'est- 
a-dire  loul  a  I'aii  inegale,  a  moins  que  le 
premier  roi  n'ail  des  chances  exceplionnelles 
de  succ^s.  Ge  soul  precisemenl  ccs  chances 
qu'il  devra  raiirement  examiner  (sedens  prius 
cogilat)  avant  de  se  lancer  dans  une  expe- 
dition qui  pourrail  devenir  desaslreuse. 
Temoin  Cresus,  lemoin  Amasias  (IV  Rog. 
XIV,  8-12),  temoin  Josias  (IV  Reg.  xxin,  29 
el  30),  helasi  temoin  la  France  dans  ces  der- 
nieres  annees.  —  Divers  exegeles,  curieux 
de  lout  savoir,  d'entrcr  dans  les  details  les 
plus  minntieux  des  pai'abolos  pour  en  faire 
I'applicalion  mystique  (voyez  I'Evang.  selon 
S.  Mallh.  p.  266),  oni  recherche  ce  que  pou- 
vaient  bien  figurer  les  nouibres  i  0.000  et 
20,000,  quel  est  ranlilypo  du  second  roi.  etc. 
Us  onl  trouve  que  les  10  000  soldats  repre- 
sentent  les  dix  commaiuh^miMils  de  la  Lui, 
que  le  roi  auquel  la  vicloire  semble  d"avance 
reservee  est  i'embleme  de  Dieu  (ce  qui  est 
^Irange  puisqu'alors  nous  serions  sup|)oses 
marcher  au  combat  centre  lui  avec  quelques 
chances  favorables),  ou  de  Satan,  (ce  qui 
n'esl  pas  moms  elrange  puisque  Jesus  nous 
recommanderait  de  capiiuler  avec  I'enfer). 
En  face  de  ces  idees  singulieres  ou  conlra- 
dicloires,  nous  preferons  dire  avec  Corneille 
de  Lapierre  (in  t.  32)  :  «  Special  hoc  ad  em- 
blema  parabolae,  quare  rei  significalae  non 
est  adaptandum  »,  elavec  Maldonal:  o  Neque 
quaerendum  curiose  est  quis  ille  rex  sil,... 
quia,  ul  diximus,  bellum  ..  nihil  aliud  est 
quam  aggredi  rem  arduam.  » 


32.  —  Alioquin...  Si  le  premier  belligerant 
reconnail  qu'il  ne  pent  poursuivre  la  guerre 
qu'en  s'exposant  a  une  issue  falale,  il  se  hate, 
tandis  qu'il  en  est  temps  oncore,  c'esla-dire 
avanlqne  I'ennemi  n'ail  envahison  lerritoire 
[adliuc  illo  huge  agenle),  d'envoyer  a  celui-ci 
une  ambassade  chargee  de  negocier  la  paix 
(qucB  pacts  sunt;  mii'ux,  «  quae  ad  pacena 
sunt  »,  tixTtpo;  £lpiivr,v).  —  La  morale  est 
aisee  a  lirer.  La  vie  clirelienne  est  une 
guerre  perpeluelle  (Cfr.  Mallh.  xii,  19;  I  Cor. 
XVI,  13;  1  Thess.  v,  8;  Eph.  vi,  11  clss.; 
II  Tim.  3  et  4;iv,7), et  toute  guerre  suppose 
des  difficultes,  des  faligues,  des  dangers  sans 
nombre.  Jesus  le  rappelle  a  ceux  qui  lesui- 
vent,  pour  qu'ils  sachenl  bien  ce  qui  les 
attend  s'lls  persistent  a  devenir  ses  disciples. 
Toulefois,  ilest  manifests  qu'il  ne  faut  pas 
prendre  ces  deux  comparaisons  trop  a  la 
leltre,  car  il  en  resulterait  qu'en  de  nom- 
breusescirconstances  on  ne  devrailpas  m6me 
essayer  de  poser  le  fondemenl  d'une  vie  chr^- 
tienne,  de  combaltre  les  bons  combats  da 
salut;  or,  demande  judicieust^menl  Maldonat, 
«  quomodo  nos  Chrislus  dehortarelur  ne 
Chnsliani  efBceremur?  »  Ici  encore  nous 
sommes  done  en  face  d'expressions  para- 
doxales,  dont  le  bul  est  de  relever  les  diffi- 
cultes que  rencontre  necessairemenl  qui- 
conque veut  etre  un  vrai  chrelien.  G'esl  uno 
maniere  energique  de  dire  :  L'entreprise  est 
aniiie  ;  mais  "failes  de  genereux  efforts,  et 
vous  parviendrcz  a  reussir.  Autrement,  pre- 
(lez  garde  a  la  banqueioule  spirituelle,  a  la 
totale  defaite  de  voire  Sme,  c'esl-a-dire  il 
I'aposlasie. 

33.  —  Sic  ergo  omnis...  Ces  paroles  nous 
rameneul  aux  tt.  26-27,  et  resument  touie 
la  legon  qui  precede.  Elles  redisent  en  effi't 
d'une  fagon  energique  que  le  renoncement 
universel  est  la  "condition  essenlielle  pour 
elre  vraiment  disciple  de  Jesus.  Nolcz  I'em- 
phase  des  mots  omnibus  quce  possidet.  Le 
verbe  grec  aTtoTdffffexat  exprime  elegammonl 
I'idee  d^'abnegalion  :  ?a  significalion  lilteraie 
est  «  valedicere  ».  Cfr.  ix,  61. 

34  el  35.  —  Conclusion  de  ce  petit  dis- 
cours,  sous  la  forme  d'une  Iroisierae  figure, 
qui  parail  avoir  ele  chere  k  Notre-Seigneur, 


276 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


s'aflfadit,  avec  quoi   I'assaisonnera 
t-on  ? 

3o.  II  ne  sert  plus  a  rien  ni  dans 
la  terre  ni  dans  le  fumier,  mais  on 
lejettera  dehors.  Que  celui  qui  a 
des  oreilles  pour  entendre  entendc. 


sal    evanuer-i,  in   quo  condietur? 

Mauh.5,13;  Afacc.  9,  49 

3o.  Neque  m  terram,  neque  in 
sterquilinium  utile  est,  sed  foras 
mitletur.  Qui  iiabet  auras  audiendi, 
audiat. 


CHAFITRE    XV 


Los  Pharisiens  et  les  Scribes  se  scandalisent  do  ce  que  Je.>u>  laisse  venir  h  lu'  les  pechenrs 
(tt.  4-2].  —  II  ieur  repond  par  liois  parabolcs  :  1°  par  la  parabole  de  la  brebis  egaree 
■tt.  3-7); —  20  par  la  parabole  de  la  draclim3  perdu.'  [tt.  8-10);  —  3o  par  la  parabole  de 
I'enfanl  prodigne  ^tt.  1 1-3'2). 

1.  Or  des  publicains  et  des  pe-  1.  Erant  autcm  appropinquantes 
ilieurs  s'approchaienL  de  lui  pour  ei  publicaui  et  peccatores,  ut  audi- 
Tecouter.  rent  ilium. 

2.  Et  les  Pharisiens  et  les  scribes  2.  El  murmurabant  Phariscsi   el 


puisqu'elle  rovienl  juscju'a  Irois  ropriscs  dans 
]P5  pages  evangdliques  (Cfr.  Mailli.  v,  13; 
Marc.  IX,  50) ;  il  est  vrai  qu'a  chaque  fois  il 
s'agit  d'une  applicalion  nouvelle.  En  eel  en- 
droit,  voici  quel  csl  rencliain'^rn^nl  le  phi^ 
probable  :  Quiconque  ne  se  senlirait  po;nl  a 
la  hauteur  de  rabnegalion  parfaie  que  je 
vous  preche,  ressembiorail  an  sel  aCFadi.  qui 
n'esl  bon  qu'a  elre  ji-le  dans  la  rue  et  foule 
oux  piods.  —  Bonum  est  sd.  a  Nil  sale  el 
sole  ulilius  »,  disail  Piine.  Hisl.  Nal.  xxi,  9. 
en  faisant  un  jeu  dc  mils.  .M<iis  ?i  le  sel  perd 
sa  veitM  [ecanuerit;  iuo?av6o  serait  mieux 
iradiiit  pare  in-ipiduni  fnrii  ») ;  comnienl 
piurra-t-on  la  lui  rcndre?  Aver,  quoi  Ta-sai- 
-.^nnera-l-on  (condiclur.  ap--jQr,(jeTai) ?  Dans 
I  iin[)0ssibilite  de  ruliliser  a  quolque  cboss, 
parce  qu'aiors  il  ne  pjut  servir  d'engrai?,  ni 
I.  una  inaniere  direcle  (neque  in  terrain),  ni 
inedialement,  c'est-a-riire  mele  au  fumier 
{^leque  in  sterquilinium],  on  le  jelle  dan-;  la 
Mie  pour  s'en  debarras>er.  V^oyez  I'explica- 
i^on  detaillee  dans  I'Evang.  ^elon  S.  Matlh., 
ji.  107.  —  Qui  liabel  awes...  Grave  reflexion 
ilnale.  prononcoe  par  Je.-us  en  mainle  circons- 
!ance  Reflecliisscz!  dccidoz-voiis !  voyez  si 
vous  conscntez  a  dovcnir  mos  disciples. 

17.  La  mls6ricorde  de  Dieu  k  regard  des 
pecheurs.  xt,  1-2 

Telle  esl  b^en  I'idee  generale  qui  domine  le 
chap.  XV  lout  enlier.  Elle  est  preseniee  sous 
la  foinie  dc  irois  magnifiques  paraboles, 
tt.  4-32,  apres  une  rapidc  inlroduction  his- 
torique,  tt.  <-3. 


l"  Occasion  du  discours.  xv,  1-3. 

Chap.  xv.  —  \.  —  Erant  appropinquinte$ 
ei...  C'tle  lournure,  calqueesur  le  grec  (rjaav 
iyyi^o-j-zi  aO-o)),  semble  indiquer  une  habi- 
tude, un  fail  qui  se  reproduisail  frequem- 
m^nl ;  et  en  realite  ,  divers  passages  des 
sainis  Evangi!es  nous  montrent  Jesus  enloure 
de  pechLHirs  qui  lui  elaienl  conduits  par  une 
atlraclion  mystericuse  (voyez  en  particulior 
Marc.  11.  1.5;'Luc.  iv.  31  ;  vii,  37,  etc.).  Mais 
cIIl'  design;'  en  mjme  temps  ici  uno  aclualile 
du  mim  -nl.  A  I'heure  memMlonl  parlo  S.Luc, 
de- publicains  ol  de.i  peclrurs  s;  pre.-saionl 
en  grand  nombre  au'our  do  Notre-Seigneur  : 
7:avT£;  01  TE/tova'.  y.at  ol  a;j.ap-a)>.oi,  (iil  le  Icxte 
original  omxes  jiu'dicaiii  et  peccat.o'res,  em- 
ployant  une  hyperbol;'  pop'ilairo.  Par  «  pec- 
catores n  il  faul  entendre  I:js  pecheurs  publics, 
tou^  ceux  qui  tran-grossaient  ouverl  ment  la 
loi  juive.  Les  publicains  ou  «  porlitore-  » 
sont  mrn'.ionncs  a  part  el  en  premier  lieu, 
comme  les  plus  criuiinels  d'enire  les  pecheurs, 
snrloul  au  point  d  >  vne  de  la  iheocralie. 
S.  Jean  Chrysosiome.  de  Poenit.  H  .m.  ii,  4, 
le^  definil  ainsi  :  OjSev  d[),).o  eutI  Ts/cbvri;'^ 
TiTapsr,';tx'j{jL£vrj  ^ta,  lvv3[;.o;a;j.ap-:ta,E0T:p''jO7ro; 
7:/.£ovifia,  el  nn  piQvirbe  grec  \a  jiisqua  dire 
que  0  le  diabli^.s'il  devenail  pauvre,  se  ferail 
publicain.D — Ut  audirent  ilium.  C'eiail  done 
un  excellent  motif  qui  conduisait  a  Jesus  tons 
ces  malheureux  ;  et  il  les  recevait  avec  bonte, 
11  Ieur  parlail  du  royaume  de  Dieu,  il  les 
converlis>aiL  par  ses  discours  celestes. 

2.  —  Et  murmurabant  Phariscei  et  Scriba. 


CHAPITRE  XV 


277 


scribse,  dicentes  :  Quia  hie  peccato- 
res  recipit,  et   manducat  cum  illis. 

3.  Et  ait  ad  illos  parabolam  istam, 
dicens  : 

4.  Qais  ex  vobis  homo,  qui  habet 
centum  oves,  et  si  perdiderit  unam 
ex  illis,  nonne  dimittit  nonaginta 
novem  in  deseito,  et  vadit  ad  Hlam 
quae  perierat,  donee  inveniaft  earn? 

Malth.  18,  12. 


murmuraient,disant  :Gelui-ci  reco't 
les  pecheurs  et  mange  avec  eux  * 

3.  Et  il  leur  dit  cette  parabole  : 

4.  Quel  est  parmi  vous  Thomme 
qui,  ayantcent  brebis,  s'il  en  perd 
une  ne  laisse  pas  les  quatre  vingt- 
dix-neuf  dans  le  desert  et  ne  court 
pas  apres  celle  qui  s'est  perdue, 
jusqu'a  ee  qu'il  la  trouve  ? 


Ces  pretendus  saints,  ces  orgueilleiix  «  sepa- 
r^s  »,  car  telle  est  la  signification  du  nom  de 
Pharisien,  ne  pouvaienl  supporter  la  con- 
duite  du  medecin  charitable,  et  ils  s'en  piai- 
gnaient  ouvertement  (5uy6yyu!;ov,  «  murmu- 
rabant  ad  alterulrum  »)  :  Hk  (expression  de 
dedain)  peccatorcs  recipil  ^itpoaSex^aij «  co- 
miter  recipit.  »Cfr.  Rom.  xvi,  2  ;  Phil.  n,29) 
et  manducat  cum  illis.  Recevoir  les  pecheurs 
etait  de]k  une  grande  faute  aux  yeux  des 
Pharisiens;  mais,  manger  avec  eux,  c'est-a- 
dire,  d'apr^s  Tides  orientale,  s'associer  a  eux 
de  la  maniere  la  plus  intime,  c'etait  le  cornble 
de  I'immoralite.  Horames  au  coeur  desseche, 
s'^crie  S.  Gregoire  (Horn,  xxxiv  in  Evang), 
qui  osaient  blSmer  la  source  des  miseri- 
cordes!  Ce  que  les  Pharisiens  et  les  Scribes 
reprochaient  a  Jesus  fait  au  conlraire  sa 
gloire  et  nous  excite  le  plus  a  I'aimer.  Jamais 
il  n'elait  mieux  dans  son  role  que  iorsqu'il 
accueillait  doncement  los  pecheurs. 

3.  —  Ait  ad  illos...  Jesus  daigna  repondre 
h  Todieuse  accusation  qu'il  avait  surprise  sur 
les  levres  de  ses  adversaires,  et,  pour  se  jus- 
tifier  de  recevoir  les  pecheurs,  il  exposa  suc- 
cessivemcnt  les  Irois  paraboles  de  la  brebis 
perdue,  de  la  drachme  relrouvee,  et  de  I'en- 
lant  prodigue,  qui  cadrent  si  bien  avec  le 
plan  du  li-oisieme  Evangile.  —  Parcbolam 
tstam,  au  singulier,  ne  retombe  peul-6lre  que 
sur  la  premiere  parabole ;  mais  rien  n'era- 
p^che  que  celle  expression  ne  designe  a  la 
fois  nos  trois  gracieux  r^cits,  qui  sont  unis 
entre  eux  de  la  faQon  la  plus  etroite.  G'est 
vraimenl  une  «  trilogie  »  de  paraboles  que 
nous  avons  danscechapiire,  comme  le  monlre 
leur  juxtaposition  significative.  Elles  nous  en* 
seignent  en  effet  la  meme  verite,  a  savoir,  la 
maniere  dont  Dieu  va  au-devant  des  pecheurs, 
et  la  bonle  avec  laquelle  il  les  regoit  quand 
ils  se  convertissenl.  Toutefois,  cetlo  verite 
unique  nous  est  presentee  sous  des  faces  dis- 
tincles.  Ainsi,  tandis  que,  dans  les  deux  pre- 
mieres similitudes,  nous  voyons  surtout  Dieu 
cherchant  les  Smi^s  coupables,  agissant  pour 
les  sauver,  la  troisieme  decrit  au  conlraire 
principalement  I'aclivite  personnelle  du  pe- 
cheur,  ses  efforts  pour  chercher  et  pour  trou- 


ver  son  Dieu  apres  qu'il  s'est  separe  de  lui. 
En  se  combinant,  elles  ferment  un  lout  par- 
fait  et  harmonicux,  puisque  le  repentir  ne- 
cessite,  selon  les  donnees  de  la  iheologie  (Cfr. 
Cone.  Trid.  Sess.  vi,  cap.  4  et  ss.,  de  Jus- 
lificat.),  ces  deux  elements  :  ia  grace  qui  pre- 
vient  au  dehors  et  la  correspondance  subjec- 
tive a  la  grace.  —  Autres notions  generales  qui 
qui  n^  soul  pas  sans  interet  :  \o  Les  chiffres 
cites  dans  les  trois  parabol  s  scmt  arranges 
d'apres  une  gradation  descemJanle  :  un  sur 
cent,  un  sur  dix,  un  sur  deux;  quoique  'a 
gradation  soit  veritablement  ascendanle  >i 
Ton  envisage  avant  tout  I'ldee,  car  la  perie 
d'une  brebis  sur  cent  est  moindre  que  la  perto 
d'une  drachme  sur  dix,  et  ces  deux  perles, 
m4mes  reunies,  sonl  loin  d'equivaioir  k  ccIIh 
d'un  fils  bicn-aime.  S"^  La  culpabilite  paraii 
suivre  le  m§mi^  mouvement  ascensionnel.  11 
y  a  le  peche  d'ignorance.  figure  par  la  bre- 
bis insensee  qui  s'echappe  du  bercail ;  le  po- 
che  plus  considerable  dont  nous  trouvons 
I'embleme  dans  la  piece  de  monnaie,  qui  re- 
presente,  au  dire  des  Peres,  I'ame  humaine 
marquee  a  I'effigie  divine  et  sat  bant  qu'elle 
appariient  a  Di^u  ;  le  peche  tout  a  fait  volon 
lairedu  prodigue,  que  rien  nesaurailexcuser. 
3°  Comme  conlraste,  nous  pouvons  observer 
un  mouvement  analogue  dans  la  misericorde 
du  Seigneur,  qui  se  manisteste  avec  une  in- 
tensite  de  plus  en  plus  grande.  Voyez  Trench, 
Notes  on  the  Parables,  Par.  xxii. 

2*  Les  trois  paraboles.  xv,  4-32. 
a.  La  brebis  ^gar^e.  ff.  4-7. 

S.  Malthieu  aussi,  xviii,  12  et  ss.,  a  con- 
serve cetto  delicieusj  hisloiro  d'un?  brebis 
mysliqiie  perdu*  et  retrouveo;  mais  la  place 
qu'il  lui  assigne,  (>t  divers  traits  secnndairos 
du  fond  et  de  la  forme,  ne  colncidant  pas 
avec  II!  recit  de  S.  Liie,  il  en  resulti»  que 
noire  parabole  lui.  "vnnsee  au  moins  deux 
fois  par  Noire  Seigneur  «■.  des  circonstaiices 
diffdrenlfs.  Voyez  I'explication  du  premier 
Evangile.  p.  356. 

4.  —  Quis  ex  vobis  homo...  Comme  prece- 
demment,  xiv,  28.  Josus  met  ses  auditeurs 


27fi 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


5.  Et,  lorsqu'il  I'a  trouvee,  il  la 
met  avec  joie  sur  ses  epaules, 

6.  Et  revenant  a  la  maison,  il 
convoque  ses  amis  et  ses  voisins  et 
leur  dit :  Rejouissez-vous  avec  moi, 
car  j'ai  Irouve  ma  brebis  qui  elait 
perdue. 


5.  Et  cum  invenerit  earn,  imponit 
ia  humeros  suos  gaudens  : 

6.  Et  veniens  domum,  convocat 
amicos  et  vicinos,  dicens  illis  :  Gon- 
gratiilamini  milii,  quia  inveni  ovem 
raeam,  quae  perierat  ? 


nn  scene,  afin  de  les  frapper  davanliigc.  — 
Habet  centum  oves  et  si  (celte  conjonclion 
manque  dans  le  grec)  pevdiderit  unam.  La 
perle  n'esl  en  aucune  fagon  ini[)ulable  au 
proprieiaire,  qui  n'est  autre  que  le  Bon  Pas- 
teur par  anionomase  («  dives  Pastor,  cujus 
omnesnoscentosima  parssumus  )),S.  Anibr.) ; 
mais  la  brebis  s'est  egaree  par  sa  [)ropre 
faule  (Matlh.  «  erraverit  una  »).  Pour  ligurer 
les  coupables  egarennents  des  peclieurs,  il 
n'etail  pas  possible  de  clioisir  une  comparai- 
son  plus  exacte,  car  une  brebis  eloigned  du 
troupeau  donl  elle  fait  partie  manque  tout 
ensemble  et  de  sagosse  pour  retrouver  sa 
route,  et  de  force  pour  se  defendre.  —  Di- 
mittit  nonaginta  novem.  «  Mais,  demande 
S.  CyriUe  (in  Cat.  D.  Thorn.),  esi-ce  qu'en 
voulant  etre  compalissant  pour  la  brebis  per- 
due, le  pasteur  n'a  pas  ele  cruel  pour  les  au- 
ires?  Nullument,  repond-il  aussitol,  car  elles 
sont  en  surete,  protegees  par  une  main  toute- 
puissante  ».  En  effel,  rien  n'oblige  de  sup- 
poser  qu'elles  courussent  des  perils  serieux 
en  son  absence.  Du  plus,  avant  de  partir  il  a 
pourvu  a  leur  nourriture,  puisqu'il  les  laisse 
in  desei'to,  c'est-a-dire,  d'apres  le  sens  liabi- 
tuel  de  celte  expression  dans  la  Bible,  au  mi- 
lieu de  savanes  riches  en  patures,  et  simple- 
ment  appelees  «  desert  »  parce  qu'on  ne  ren- 
contre ni  villes  ni  villages  aux  alentours. 
Voyez  T'-enrli,  Notes  on  llip  Parables,  h.  1.  — 
Vadit  (id  illain.  11  daigne  se  ciiarger  en  per- 
sonne  de  celte  iSche  penible,  et  il  est  decide 
a  chercher  la  pauvre  egaree  jusqu'a  ce  qu'il 
I'ait  trouvee.  Quelle  delicalesse  dans  ces 
trails,  el  comme  ilsconviennent  bien  a  Jesus! 
Aux  pasteurs  spirilueis  du  peuple  juif,  lespro- 
pheles  adressaient  au  conlraire  ce  sanglant 
reproche  :  «  Vous  n'etes  pas  alles  a  ia  re- 
cherche des  brebis  perdues.  »  Ezech. 
xxxiv,   4. 

5.  —  Quum  invenerit  earn.  Dans  le  premier 
Evangile,  Notre-Seigneur  exprimait  celte  pen- 
see  sous  une  forme  hypolhetique  :  «  Si  con- 
ligerit  ut  inveniat  eani  ».  —  Imponit  in  Im- 
meros  suos  iiauroO  est  emphalique  :  ses  pro- 
pres  epaules)  gciudpns  Doux  el  glorieux 
trophee  de  la  vicioire  du  bon  Pasteur.  Un 
mercenaire  aurait  maltraite  la  brebis  coupa- 
ble,  qui  lui  avail  cause  tant  de  fatigues  ; 
quelle  difference  dans  la  conduite  du  celeste 
bergerl  «  Ovem  non  punivit,  non  duxil  ad 


gregem  urgendo;  sed  superponens  humero 
el  porlans  clementer,  annumeravil  gregi.  » 
S.  Greg,  de  Nysse,  Cat.  graec.  Pair.  Tout 
autre  sentiment  disparait  devanl  sa  joie  et 
son  amour.  Quoique  si  riche  en  trails  inimi- 
tables,  I'hisioire  evangelique  n'en  offrirait 
pas  beaucoup  qui  fussent  plus  dignes  du  Cceur 
sacre  de  Jesus.  Aussi  «  n'est-i!  pas  d'image 
que  I'ancienne  Eglise  ait  cherie  aulanl  que 
celle-ci,  comme  le  prouvo  la  multitude  de 
gemmes,  desceaux,  defragmentsde  verre,etc., 
conserves  jusqu'a  nous,  sur  lesqnels  nous 
Irouvons  le  Christ  ainsi  represente.  Elle  ap- 
parait  ires-frequemment  aussi  dans  les  bas- 
reliefs  des  sarcophages  et  dans  les  fresques 
des  catacombes,  Quelquefois,  d'aulres  brebis 
sonl  aux  pieds  de  Jesus,  regardant  avec  un 
plaisir  manifeste  le  pasteur  el  son  doux  far- 
deau.  Le  plus  souvent  Notre-Seigneur  tient 
dans  sa  main  droite  la  flute  de  Pan,  symbole 
des  altraits  du  d  vin  amour,  landis  que,  du 
bras  gauche,  il  porle  sa  cbere  brebis.  De 
lemps  a  autre  il  est  assis,  comme  s'il  etait 
fatigue  d'une  longue  marche.  Celte  represen- 
tation occupe  loujours  la  place  d'honneur,  le 
centre  de  la  voille  ou  du  tombeau  ».  Trench, 
1.  c.  Cfr.  Didron,  Iconographie  chrelienne, 
p.  346  ;  Noi  Ihcole  et  Brownlow,  Rome  sou- 
terraine,  irad.  de  Paul  Allard,  2eedit.  p.  347 
et  ss.  Voyez  aussi  I'hymme  gracieux  (Hymn. 
po-t  Jnjun.)  que  noire  parabole  a  inspire  au 
poeLe  Prudence.  —  Au  moral,  selon  la  deli- 
cate reflexiott  de  S.  Auguslin,  a  redit  ovis 
perdiia,  non  (amen  in  viribus  suis,  sed  in 
humeris  reportata  pasloris,  quae  se  perdere 
potuit,  dum  sponte  vagaretur,  se  autera  inve- 
nire  non  potuil,  nee  oranino  invenirelur,  nisi 
pasloris  misericordia  quaererelur  ».  Enarral. 
in  Ps.  Lxxvii,  19.  Ou  encore,  d'apres  S.  Am- 
broise  :  «  Humeri  Chrislicrucis  brachia  sunt. 
lllic  peccala  mea  deposui,  in  ilia  patibuli  no- 
bilis  cervice  requievi.  » 

6.  —  Nouveaux  traits  destines  a  mettre  en 
relief  I'amour  incomparable  du  bon  Pasteur. 
Sa  joie,  comme  louies  les  grandes  joies,  de- 
mande a  ^ire  comuiuniquee.  A  peine  renlr^ 
chez  lui  il  reunit  done  ses  amis  et  ses  voi-ins 
pour  leurfaire  part  de  son  succes,  pour  re- 
cevoirleurs  felicilalions.  Les  mots  ouem  meaiii 
quce  perierat  sont  pleine  d'emphase,  surioul 
dans  le  lexte  grec  :  TO  TrpoSatov  {lou  TO  auo- 


CHAPITRE  XV 


279 


7.  Dico  vobis,  quod  ita  gaiidium 
-erit  in  coelo  super  uno  peccatore  poe- 
nilentiam  agente,  quam  super  nona- 
ginta  novem  justis,  qui  non  indigent 
poenitentia. 

8.  Aut  quae  mulier  habens  drach- 
mas decern,  si  perdiderit  drachmain 
unam,  nonne  accendit  lucernam,  et 
■everrit  domum,  et  quserit  diligenter 
donee  inveniat  ? 

9.  Et  cum  invenerit,  convocat 
amicas  et  vicinas,  dicens  :  Gongra- 
tulamini  mihi,  quia  inveni  dracli- 
mam,  quam  perdideram  ? 


7.  Je  vous  dis  quMl  j  aura  de 
meme  plus  de  joie  dans  le  ciel  pour 
un  pecheur  faisant  penitence  que 
pour  quatre-vingt-dix-neuf  justes 
qui  n'ont  pas  besoin  de  penitence. 

8.  Ou  quelle  est  la  femme  qui, 
ayant  dix  drachmes,  si  elle  perd  une 
drachrae  n'allume  pas  sa  lampe  et 
ne  balaie  pas  sa  maison  et  ne  cher- 
che  pas  s oigneusement  jusqu'a  ce 
qu'elle  la  trouve  ? 

9.  Et  lorsque  elle  I'a  trouvee,  elle 
couvoque  ses  amies  et  ses  voisins  et 
leur  dit :  Rejouissez-vous  avec  moi, 
parce  que  j'ai  trouve  la  drachme  que 
j'avais  perdue. 


7.  —  Par  la  formule  solennelle  dico  vobis, 
Jesus  inlroduil  I'applicalion  qu'il  va  faire  de 
sa  parabole.  —  Ita  gaudnim  erit  in  ccelo.  De 
la  lerre  nous  parsons  an  ciel,  ou  nous  voyons 
se  reproduird  la  scene  joyeuso  decrite  au 
preced'nl  verset.  Seulement,  c'esl  la  chose 
signifiee  qui  nous  est  desormais  presenlee  a 
la  place  du  signe.  —  Super  uno  peccatore  poS' 
nilentiam  agente  :  telle  est  I'occasion  qui  ap- 
porle  au  ciel  un  surcroit  de  felicite.  L'idee 
qui  suit,  quaui  (pour  «  magis  quam  »;  de 
meme  dans  le  grec,  ou  ^  a  eie  employe  a  la 
fagon  du  7)3  hebreu)  super  nonaginta  novem 
justis...,  est  plus  elonnantc  encore. Quelques 
commentateurs,  desireux  d'cn  faciliter  I'in- 
telligence,  ont  pris  les  derniere?  paroles  dans 
un  ^ens  ironique,  comme  si  le  Sauveur  cut 
voulu  dire  qu'une  ?eule  vraie  conversion  su^- 
cile  dans  le  ciel  plus  de  joie  quo  la  saintete 
apparente  d'un  grand  nombre  de  soidisant 
jusles,  tels  qu'eiaienl  les  Pharisiens.  Nous 
preferons,  k  la  suite  des  Peres  el  d'apres  le 
contexte  [t.  4),  voir  la  une  de  ces  locutions 
orientales  que  Ton  doit  bien  se  garder  de  trop 
presser,  et  qu'il  est  du  reste  aise  de  justifier 
par  quelques  comparaisons.  «  Et  dux  in 
praelio  plus  eum  militem  diligit  qui  post  fu- 
gam  revcrsus  hostem  fortiter  premit,  quam 
eum  qui  nunquam  lerga  praebuit  el  nunquam 
■aliquid  fortiter  fecit.  Sic  agricola  illam  ara- 
plius  terram  amat,  quae,  post  spinas,  uberes 
fruges  profert,  quam  earn  quae  nunquam 
spinas  habuit  el  nunquam  fertilem  messem 
prodiixil  »,  S.  Gregoire,  Hom.  xxxiv  in 
Evang.  De   mSme,    une   mere  qui   vienl  de 

{»er(ire   un    de  ses   fils  semble   oublier  tous 
es  autres  dans  I'exces  de  sa  douleur.  Cfr. 
S.  Bernard,  In  canlic.  serm.  xxix. 

b.  La  drachme  perdue,  j^,  8-10. 

Autre  image,  pour   exprimer  au  fond   la 


meme  pensee,  quoiquo  avec  les  nuances  indi- 
quees  dans  la  note  du  t.  3. 

8  et  9.  —  Aut  serl  de  transition.  —  Quce 
mulier.  S.  Ambroise,  et  divers  inlerpretes 
apies  hii,  regardenl  celle  femme  comme  ua 
-  type  de  I'Eglise  :  «  Qui  sunt  isti,  pater, 
pastor,  mulier?  Nonne  Deus  paler,  Chrislus 
pastor,  mulier  Ecclesia? »  11  nous  semble 
que  1p8  trois  figures  representent  plutol  une 
seule  el  memo  personne,  Dieu  ou  Nolre-Sei- 
gneur  Jesus-Christ.  C'etail  la  pensee  de 
S.  Gregoire-le  Grand  :  «  Qui  significalur 
per  pastorem,  ipse  et  per  mulierem;  ipse 
enim  Deus,  ipse  et  Dei  sapienlia  «,  Hom. 
xxxiv  in  Evang.  —  Habens  drachmas  decern. 
C'etail  la  un  avoir  bien  modesle,  puisqu'il 
n'equivalait  pas  lout  a  fait  a  dix  de  nos  francs 
(10  lois  97  centimes  1/2,  valeurde  la  drachme 
attique) ;  mais,  dans  ces  conditions,  la  perte 
d'une  drachme  sera  d'autanl  plus  conside- 
rable, surtoul  pour  une  pauvre  femme  qui 
I'avail  peniblemenl  gagnee.  La  drachme  des 
Grecs,  comme  le  denier  de  Rome,  avail  cours 
k  cetle  epoque  dans  toute  la  Palestine,  de 
concert  avec  les  monnaies  juives.  Son  nora 
venail  au6  to'j  SeSpdxQat,  parce  que  six  oboles, 
c'esl-a-dire  son  equivalent  en  pieces  de 
bronze,  elaienl  tout  ce  qu'un  homme  pouvail 
tenir  la  main  fermee.  —  Nonne...  Petite  des- 
cription vivante,  pittoresque,  montrant  fort 
bien  qu'il  s'agit  d'une  somme  relativement 
imporlante,  puisqu'on  se  donne  lanl  de  peine 
pour  la  rccouvrer.  La  drachme,  en  effet, 
symbolise  \'&me  des  peclieurs.w  Nos  drachma 
Dei  sumus  ».  S.  Cyrille.  Cfr.  S.  August., 
Enarr.  in  Ps.  cxxxviii.  —  Accendit  lucernam. 
Le  recil  nous  a  conduits  dans  une  de  ces 
maisons  pauvres  de  I'Orient.  qui  ne  regoi- 
venl,  meme  en  plein  jour,  qu'uii  peu  de  lu- 
miere  par  la  poite.  Cfr.  Trisirain,  the  Land 
of  Israel,  3e  edit,  p.  405.  En  outre,  I'objet  a 


280 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


10.  Ainsi  sera,  voiis  dis-je,  la  joie 
des  anges  de  Dieu  pour  un  pecheur 
faisant  penitence. 


10.  Ita  dico  vobis,  gaudium  erit 
coram  angelis  Dei  super  uno  pecca- 
tore  poenitentiam  agente. 


relrouver  est  petit  :on  allume  done  la  lampe 
pour  rendrc  les  recherches  plus  faciles.  — 
Everrit  dornum.  Seconde  operation,  non 
moms  nalurelle  que  la  premiere,  et  usilee 
en  tou3  lieux  dans  le  meme  but.  Par  suite 
d'une  faute  de  copisle,  le  verbe  «  everlil  » 
fut  longlemps  et  souvent  subs(itue  a  «  ever- 
rit »  dans  noire  version  laline.  CIr.  S.  Greg. 
M.,  I.  c.  —  Qucerit  diligeiita-  donee...  Trait 
d'ensemble,  qui  porle  I'ide'^  priiicipale.  Cfr. 
t.  4.  —  S.Bernard  fait  une  belle  application 
morale  d(!  ces  divers  details  :  a  Adhuc  hie 
I'oerla  el  defoimis  jaeuisset  imago  (I'ame  hu- 
inaino,  marquee  au  coin  de  Dieu,  mais  defi- 
gurei^  pai'  It3  peclie),  si  non  evangelica  ilia 
mulicr  lucernam  acccnderet,  id  est,  apientia 
in  carne  appnreret,  everreret  domum,  vide- 
licet vitiorum,  drachmam  siiam  requireret 
quam  perdiderat  :  hoc  est  imaginem  suam, 
quae  nativo  spoliata  decore,  sub  pdle  peccali 
sordi  ns  lanquam  in  pulvere  lalilabal,  inven- 
lam  lergcrct,  et  tolleret  de  regione  dissimi- 
litudinis,prislinamquo  in  speciem  reform  a  tarn, 
simiiem  laceret  illam  in  gloria  Sanctorum, 
imo  sibi  ipsi  per  omnia  rodderot  quandoque 
conformein.  »  De  gratia  (tlib.  arbitr.,  x.  — 
Convocat  arnicas  elvuinas...  Scene  de  joie  et 
de  congralulalion  comme  an  t.  6.  La  nuance 
de  langagi;  drachmam  quam  perdideram,  au 
lieu  lie  «  ovem  nicam  quae  p^rierat  »,  est 
parfa  lement  appropnce  a  la  circonstance  :  la 
drailime  n'appai  lenail  pas  a  la  lemme  au 
meme  litre  que  la  brobis  an  pa-leur,  ot  Ton 
ne  perd  pas  une  piece  de  bctail  a  la  fagon 
d'une  piece  d'atgent. 

40.  —  Ita,  dico  vobis...  Jesus  renouvelle  en 
I'abregeant  son  assertion  solennolle  du  1f.  7. 
Notez  aussi  les  deux  varianlos  qu'il  y  inlro- 
duil,  du  moins  d'apres  le  texte  grec.  1°  il  ne 
parle  plus  au  fulur  (x*P*  J<JTaO>  mais  au  pre- 
sent (xapa  yiv£-cai).  2°  11  ne  menlionne  pas  le 
ciel  en  termes  abslrails  («  in  coelo  »),  ma'S  il 
nous  montre  les  anges  chantant  de  joyeux 
«  Te  Dcum  »  d'aclion  de  graces  pour  la  con- 
version des  pecheurs.  En  effel,  dit  gracieu- 
semenl  S.  Bernard,  «  poenilenlium  lacrymae, 
vinum  angelorum  ».  Comparez  Bossuel, 
Seimon  pour  le  iroisieme  Dim.  apr^s  la  Pen- 
tecote,  Migne,  t.  II,  p.  435  et  s.  Sur  la  locu- 
tion extraordinaire  coram  angelis  Dei  avi  lieu 
du  simple  dalif  f«  gaudium  erit  angelis  »), 
voyez  Brelschneider,  Lex.  man.  s.  v.  'EvwTitov, 
comme  parfois  son  correlatif  hebreu  iJsS 
(Cfr.  Geseni'js, Thesaurus,  pp.  1110  etilll), 
designe  direolemenl  la  per*onne.  —  Adres- 
sons  souvent  a  Jesus  cette  humble  priere  de 


S.  Auguslin: «  Sum  nummus  Dei,  a  Ihesauro 
aberravi,  miserere  meil  »  Et  alors  nous 
aurons  quelque  espoir  de  voir  se  realiser  oa 
nous  les  vers  de  Prudi  nee  :  \ 

Amissa  drachma  regio 
(londita  est  jciario; 
El  ^'omma,  deterso  lalo, 
Nilore  vincil  sidera. 

C.  Venfanl  prodigue.  ff,  11-32. 

Parmi  les  paraboles  evangeliques,  U  n'en- 
est  pas  qui  ail  ete  plus  admiree,  plus  goiitee' 
que  celle-ci.  Les  rationalisles  eux-memes  ne 
peuvenl  conlenir  leurs  transports  en  face  de 
ce  drame  parfail,  oil  I'humain  et  le  divin 
s'associent  d'une  maniere  vraiment  inimi- 
tablos.  Aiis?i  bien.  comme  le  (lit  M.  van 
Oosterzpo,  serait-il  aise  de  former  loule  une' 
chreslomathie,  en  reunissant  les  principaux 
eloges  qui  onl  ete  adrcs«es  a  celle  delicieuse 
composition.  «  Inter  omnes  Chrisli  parabolas, 
haee  sane  eximia  est,  pl^na  affcctuum,  et 
pulcherrimis  picta  coloribus  »,  Grotius. 
«  Jesus-Chris',  n'cul-il  fail  autre  chose  que 
proposer  cette  parabole,  de  combien  I'huma- 
nile  ne  lui  serail-elle  pas  redevable  ?  Oui,  je 
le  demande  sans  redouter  aucune  contradic- 
tion :  Oil  Irouvera-l-on  uno  poesie  compa- 
rable a  celle-ci?  »  Lavaler.  «  II  faudrait  des- 
milliers  de  paroles  pour  cxprimer  lous  les 
sentiments  do  rrspectueuse  admiration  que 
nous  epiouvons  en  la  coiilemplant,  en  I'elu- 
dianl.  Que  c'est  simple,  el  pourlant  que  c'esl 
profond!  Cliapilre  de  la  vie  humaine  raconte 
sans  art,(le  la  fagon  !a  plus  transparenle.  et^ 
en  memo  irmps.  revelation  des  plus  intime- 
mysteres  du  royaume  des  cieux;  tableau  par- 
fail'meiil  nalurel  dans  son  ensemble,  (|iioi- 
quil  abonde  en  significations  mystiques 
jusque  dans  ses  plus  petits  details,  dans  ses 
moindres  coups  de  pinceau.  Comme  chaque 
mot  se  grave  a  jamais  dans  la  memoire! 
comme  les  applications  morales  sonl  riches, 
inepuisables!  comme  tout  cela  est  drama- 
lique  et  vivanl!...  avec  quelle  force  la  con- 
science se  trouve  arreleel  »  Slier.  «  S'il  esl 
perrais  de  comparer  enlre  elles  les  choses  di- 
vines, cetle  parabole  mei  ite  d'etre  appelee  \a 
perle  et  la  couronne  de  loutes  les  paraboles 
de  lEcrilure.  »  Trench.  «  Jamais  cerlaine- 
menl  le  langage  humain  n'a  resserre  rn  si  peu 
de  paroles,  el  de  paroles  imperissables,  u» 
tel  monde  d'amour  et  de  sagesse.  »  Farrar. 
—  Mais  passons  :  nous  louerons  plus  digne- 
ment  I'oeuvre  de  Jesus  en  la  meditant,  et  sur- 
tout  en  realiaant  les  sublimes  Jegons  qu'elle 


CHAPITRE   XV 


281 


11.  Ait  autem  :  Homo  quidam 
habiiit  duos  filios. 

12.  Et  dixit  adolescenlior  ex  illis 
patri  :  Pater,  da  mihi  portionem 
subslantise  quae  me  contingit.  Et  di- 
visit  iilis  substantiam. 


11 .  II  dit  encore  :  Un  homme  avait 
deux  fils. 

12.  Or  le  plus  jeune  des  deux  dit 
a  son  pere  :  Mon  pere,  donne-moi  la 
portion  de  ton  bien  qui  doit  me 
revenir.  Et  le  pere  leur  partagea  son 
bien. 


renferme.  Ces  enseignements  sonl  tellemenl 
nombreux,  qu'on  a  pii  nominer  sans  exage- 
ration  la  parabole  de  i'Enfant  prodigue  uo 
0  Evangelium  in  Evangelio  ».  Mais  ce  qu'elle 
propose  par  dessus  lout,  avec  uiie  linesse 
psychologique  vraimenl  exquise,  c'esl  le  mo- 
dele  d'une  sincere  et  solide  conversion.  Les 
divers  degres  de  honte  que  traverse  le  pe- 
cheiir  avanl  d'arriver  a  sa  ruine  completp, 
puis  les  degres  analogues  de  son  reiour  vers 
Dieu,  y  sont  dessines  dans  les  termes  les  plus 
touchauts  el  les  plus  instruclifs,  d'une  part 
afin  de  tious  rffiayer,  de  I'autro  ])our  nous 
encourager.  Quoq  aimerait  a  connaiire  I'his- 
toire  des  heureux  resultals  qu'elle  a  produils 
depuis  qu'elle  est  lombeedes  levres  de  Jesus! 
—  Sur  ses  relations  avec  les  paraboles  pre- 
cedentcs,  voyez  la  note  du  t  3.  Elle  a  ete 
Ires  bien  coramentee  dans  I'anliquite  par 
S.  Jean  Chrysoslome  (Homil.  de  patre  ac 
duobus  filiis)  el  par  S.  Jeronne  (Epist.  ad 
Damas.  de  filio  prodigo).  —  Ce  drame  ancien, 
mais  toiijours  nouveau,  se  divise  en  deux 
acles,  auquel  est  raltache  un  assez  long  epi- 
logue. Le  premier  acle  comprend  les  tt.  11-16; 
c'esl  la  parlie  higiibre  :  on  va  de  chuie  en 
ch<ite  jusqu'a  I'extreme  misere.  Le  second 
acte,  tt.  17-24,  decril  au  conlraire  la  con- 
version du  prodigue  depuis  le  premier  signe 
de  son  repenlir  jusqu'a  sa  lotale  reinstalla- 
tion dans  ses  anciens  droits  et  privileges. 
L'epilogue,  tt-  25-32,  expose  el  apprecie  la 
conduite  de  I'aine  des  deux  freres. 

11.  —  Ait  autem.  Petite  formule  de  tran- 
sition pour  amener  la  principale  des  trois 
paraboles.  —  Homo  quidam...  Le  recit  nous 
introduil  immedialeinent  au  sein  d'une  riche 
famille,  composee  d'un  pere  et  de  ses  deux 
fils  deja  grands.  Debut  fort  simple  d'une 
piece  grandiose.  Le  pere  n'esl  autre  que 
Dieu;  cela  ressort  eviderameiit  du  conlexte. 
Mais  il  regne  quelqui;  incertitude  parmi  les 
commentateurs  relaiivement  aux  person- 
nages  donl  les  deux  fils  sont  le  type,  a  Sunt 
qui  dicunt,^crivait  S.Jean  Chrysoslome,  l.c  , 
de  duobus  filiis  isiis  seniorem  angeios  esse, 
juniorem  vero  hominem  ponunl,  qui  in  lon- 
ginquam  peregrinationem  abierit,  quando  in 
terram  de  cce'is  el  paradiso  cecidit.  »  Le 
grand  Docteur  ajoulail  A  bon  droit  :  «  Hie 
sensus  pius  quidem  videlur;  nescio  lamen  si 
verus  sit.  »  Nous  verrons  en  effel  que  le  fils 


aine  n'a  rien  de  bien  angelique.  Les  Peres  et 
les  oxegetes  du  moyen-^ge  ont  vu  assez  fre- 
quemmeut  dans  les  deux  fieres  I'image  des 
Genlils  et  des  Juifs  :  des  Genlils,  d'abord  se- 
pares  du  vrai  Dieu  et  livres  a  tous  les  ega- 
remenls  de  leurs  passions,  mais  plus  tard 
genereusemsnt  convert  is  a  la  foi  el  a  la  vie 
chrelienne;  des  Juifs  superbrs,  qui  auraienl 
voulu  jouir  seuls  des  privileges  du  royaum.) 
messianique,  el  qui  preiererenl  n'y  avoir  au- 
cune  pari  plutol  que  de  voir  les  palens  en 
beneficicr  aussi.  11  est  ceriain  que  les  details 
de  la  parabole  cadrenl  en  general  assez  bien 
avec  celte  intei  prelalion.  Neanmoins,  les 
meilleurs  commentateurs  des  temps  modernes 
sonl  d'accord  pour  reconnailre  qu'elle  ne  doit 
venir  qu'en  secoudi;  Hgne,  et  que,  directe- 
menl,  I'enfant  prodigue  represenle  les  publi- 
cains  el  les  pecheurs,  landis  que  son  frere 
figure  les  Pharisiens  et  les  Scribes.  L'intro- 
duclion  hislorique  des  iit.  1-3  et  I'analogie 
des  deux  aulres  paraboles  indiquent  en  eifet 
que  la  pensee  premiere  de  Jesus,  lorsqu'il 
retragail  ce  drame  admirabi?,  elail  d'opposer 
la  conduite  de  ses  orgueilleux  adversaires  a 
celle  des  pecheurs  converlis  qui  sepressaienl 
autour  de  sa  personn  •  sacree.  Voyez  les 
commentaires  de  Corneille  de  Lapierre,  de 
Maldonai,  de  Fr.  Luc,  de  Mgr  Mac  Evilly,  de 
MAL  Bisping,  Crombez,  Reisrhl,  Dehaul,  etc. 
Du  resle,  telle  etail  deja  Top  nion  de  Tertul- 
lien,  de  S.  Cyrille,  do  Theophylacie,  elc. 

12.  —  Dint  adolescentior.  NewTepov  6vo(iaIJei 
Tov  4ixapT(o>6v  w?  vriTrtofpova  xai  eOe^airdTriTov, 
dit  assez  juslement  Eutliymius.  Mais  on  ne 
doil  pas  trop  pressor  ceite  circonstance,  car 
rien  ne  montre  qu'il  y  ait  eu  une  notable  dif- 
ference d'age  enlre  les  deux  freres.  —  Pater : 
appellation  de  tendresse  qui  laisse  a  la  de- 
mande  du  jeune  fils  tout  son  caraclere  odieux, 
denature.  Ce  n'est  d'ailleurs  qu'un  simple 
pallialif.  —  Damihi...  L'ingral  expose  sa  re- 
quete  sous  une  forme  quasi  legale  ;  le  langage 
qu'il  emploie,  portionem  substantice  quae  me 
contingit,  t6  ijctgdiXXov  [XEpo;  tri;  oOaia?  (mieux 
en  latin, «  ralam  heredilalisparlem  »),  estaussi 
terlinique  que  celuid'un  jurisle.  Voyez  Sevin, 
Synopl.  Eiklaerung  der  drei  ersten  Evans. 
h.'  I.  II  semblo  reclamer  comma  un  droii,  non 
comrae  une  faveur,  ce  partago  premalure, 
Le  ton,  non  moins  que  la  chose  mome,  fait 
pressenlir  jusyu'k   quel   point   son  coBur  a 


282 


tVANGII.E  SELON  S.  LUC 


13.  Et  peu  de  jours  apres,  ayant 
'assemble  tout  ce  qu'il  avait,  le  plus 
jeune  fils  partit  pour  une  region 
etrangere  et  lointaine,  et  la  il  dis- 
sipa  son  bien  en  vivant  dans  la 
luxure. 

14.  Apres  qu'il  eut  tout  con- 
somme, il  J  eut  une  grande  famine 
dans  ce  pays,  et  11  commenca  a  sen- 
tir  I'indisrence. 


13.  Et  non  post  multos  dies  con- 
gregatis  omnibus,  adolescentior  fi- 
lius  peregre  profectus  est  in  regio- 
nem  longinquam,  et  ibi  dissipavit 
substantiam  suam  vivendo  luxu- 
riose. 

14.  Et  postquam  omnia  consum- 
masset,  facta  est  fames  valida  in 
regione  ilia,  et  ipse  ccepit  egere. 


perdu  tout  senliment  Glial.  La  «  rata  pars  » 
donl  il  demandail  le  paiement  immedial  etait 
probabiement  la  part  d'heritage  qui  devait 
lui  revenir  apres  la  inorl  de  son  pere.  D'apres 
la  loi  jiiive  (Deul.  xxi,  17.  Cfr.  Michaelis, 
Mosaisches  Recht,  §  79),  elle  ne  consistait, 
pour  les  cadets,  qu'en  la  moilie  de  celle  de 
I'aine.  —  Tel  est  le  premier  pas  du  prodigue 
vers  le  mal  :  il  veut  etre  libre,  il  veut  jouir. 
Mais,  d'apres  les  principes  de  ce  monde,  il 
n'y  a  ni  liberie  ni  plaisirs  sans  argent.  G'esl 
pour  cela  que  !e  jeune  fils  desire  eire  mis  au 
plus  lot  en  possession  de  sa  fortune.  Image 
des  pecheurs,  dont  la  vie  criminelle  commence 
d'ordinaire  par  un  amour  immodere  de  I'in- 
dependance,  de  la  jouissance  :  ils  trouvent 
le  joug  divin  trop  iotird,  et  ils  le  rejettent 
impaliemment  de  leurs  epaules.  —  Divisit 
illis  substantiam.  Quoique  rien  ne  I'y  forgal, 
li  pere  accede  a  la  demande  de  son  fils. 
Essayer  de  le  retenir  malgre  lui  au  sein  de  la 
lauHiie  dans  son  elat  d'aine  acluel  eiit  ete 
peine  perdue,  ou  meme  un  mal  pire  que  ceux 
qu'on  pouvait  redouter.  C'est  ainsi  que  Dieu 
nous  laisse  libres  de  I'abandonner,  d'abuser 
de  ses  dons  pour  I'ofTenser,  permettant  que 
nous  decouvrions,  apres  une  iriste  expe- 
rience, combien  son  service  est  doux  quand 
on  le  compare  a  la  tyrannic  du  monde  etdes 
passions.  —  D'apres  le  contexte,  t.  29,  le 
pere,  apr^s  avoir  divise  ses  biens  entre  ses 
d  'ux  fils,  mil  seulement  le  cadet  en  posses- 
^lon  de  la  part  qui  lui  revenait,  el  garda  celle 
de  I'aine  en  quaiile  d'adminislrateur. 

13.  —  Mainlenanl  que  le  jeune  fils  est  en 
quelque  sorte  emancipe,  quel  usage  fera-t-il 
de  sa  liberie?  On  ne  le  prevoit  que  trop.  Le 
t.  M  a  raconte  le  debut  de  sa  ruine  morale  : 
celui-ci  en  expose  les  developpemenls  aussi 
rapides  que  terribles.  L'aposlasie  de  la  vie 
suit  h\en[6l{7ionpostmuHos  dies)  l'aposlasie  du 
ccBur.  Cfr.  S.  Bernard,  De  divers.  Serm.  viii. 
—  Chaque  trail  porte  dans  celle  tragedie 
lamentable.  Congregatis  omnibus  :  tout  sans 
exception!  Le  prodigue  converlil  toute  sa 
fortune  en  especes  pourl'emporter  et  en  jouir 
plus  commodemenl;  cela  fail,  peregre  pro- 
fect'jis  est  in  religionem  lougiiiquam.  Pou vail- 


on  designer  plus  forlement  la  maniere  dont 
le  pecheur  s'eloigne  de  Dieu,  la  distance 
enorme  qu'il  met  par  sa  vie  coupable  entre 
lui  et  le  souverain  Mailre?  C'csld'abord  une 
expatriation,  aireSrijArjffev,  et  la  tirre  d'exil  est 
aussi  lointaine  que  possible,  eUx'^?°'^  [idxpav. 
«  Fugilenim  Deura  peccalor,  ut  a  longinquo 
stet  »,  S.  Jean  Chrysost.  «  In  regionem  lon- 
ginquam quae  est  oblivio  Dei  »,  S.  Augustin 
(Cat.  D.  Thom.).  «  Quid  enim  longinquius 
quam  a  se  recedere,  nee  regionibus,  sed  mo- 
ribus  separari  ?  »  S.  Ambroise.  h.  1.  —  Et  ibi 
dissipavit  substantiam  suam.  Le  mal  va  vitel 
Nolle  prodigue  (el  c'esl  precisemenl  le  verbe 
SieoxopTTioe,  «  dilapidavil  »,  qui  lui  a  valu  ci' 
surnom)  est  a  peine  arrive  sur  la  terre  etran- 
gere, que  nous  I'y  voyons  lance  en  plein  dans 
celle  vie  de  folles  debauches  qui  detruit  une 
fortune  aussi  rapidement  qu'une  ame.  Au 
mot  «  substantia  »,  irois  fois  employe  dans 
les  tt.  12  et  -13,  correspondent  en  grec  deux 
substanlifs  dislincts,  mais  a  peu  pres  syno- 
nymes,  ovata  et  pio;.  —  Vivendo  luxuriose. 
Quelle  reserve  delicate  dans  celle  description  1 
Mais  I'adverbe  grec  aawTw;  est  encore  supe- 
rieur  sous  ce  rapport  a  noire  mot  latin.  Sa 
racme  est  a  privalif  et  owJ^eiv,  sauver  :  il  de- 
signe  done  la  conduite  d'un  homme  qui  ne 
s'linpose  aucune  retenue,  dont  la  vie  est  un 
melange  d'inlemperance  el  de  prodigalite,  en 
un  mot  d'un  «  perditus  »,  comnie  disaienl  les 
Latins (affwTo?,  oSe  auTovaTioXXOfievo?,  AristOle), 
Cfr.  Dialing.  Observal.  sacr.  t.  Ill,  p.  435; 
Trench,  Synonymes  du  N.  Test.  §  xvi.  On  ne 
le  irouve  pas  ailleurs  dans  la  Bible;  mais  le 
substantil  aawxta  est  employe  deux  fois  par 
S.  Paul,  fiph.  XV,  18;  Til.  i,  6,  et  une  fois  par 
S.  Pierre,  I  Petr.  iv.  4. 

14.  —  Ici  commence  un  second  tableau, 
celui  de  la  misere  du  prodigue,  fruit  de  ses  hon- 
teuses  dissipations,  Tk'i^.  14-16.  —  Postquam 
omnia  consutnmasset :  par  opposition  a  «  con- 
gregatisomnibus»dut.  13.Si(lu  moinsil  n'eilt 
sacrifie  ''.U'^  ses  biens  materiels  1  —  Facta  est 
fames  valida...  C'esl  par  une  permission  spe- 
ciale  de  la  Providence  que  la  famine  eclala 
juste  au  moment  ou  le  prodigue  se  trouvait 
denu6  de  ressources.  Celui  qui  ne  s'etaii  re- 


CHAPITRE   XV 


383 


1 5.  Et  abiit,  et  adhassit  uni  civium 
regionis  illius.  Et  misit  ilium  in 
"villain  suam,  ut  pasceret  porcos. 

16.  Et  cupiebat  implere  ventrem 
suum  de  siliquis  quas  porci  man- 
cabant :  et  nemo  illi  dabat. 


lb.  II  s'en  alia  done  et  s*attacha 
a  un  habitant  de  ce  pays,  qui  I'en- 
voja  dans  sa  maison  des  champs 
pour  faire  paitre  les  pores. 

16.  Etildesi  rait  remplir  son  ventre 
des  siliques  que  mangeaient  les 
pores,  et  personne  ne  lui  en  donnait. 


fuse  aucune  jouissance  seiilit  bieiitot  I'ai- 
guillon  de  la  f'aim  :  et  ipse  (pronom  empha- 
lique)  roepit  egere.  Quel  conlrase  avec  sa  vie 
precedenLel  Mais  cola  est  vrai  siirlout  au 
moral.  II  est  utie  foule  de  prodigues  qui,  tout 
en  etant  di  m  'iires  k  la  tele  d'une  fortune  flo- 
rissante,  au  faite  des  honneurs,  soulfrent 
reelleraenl  de  la  faim,  de  la  soif,  comma  I'a- 
vait  predil  le  prophete  Amos,  viii,  H. 
«  Eleiiim,  dil  admirablemenl  S.  Ambroise, 
h.  !.,  qui  recedit  a  verbo  Dei  esurit...  ;  qui 
recedit  a  fonte  silil ;  qui  recedit  a  thesauro 
egel;  qui  recedit  a  sapienlia  hebelatur.  » 

15.  —  Et  ubiit.  Si  du  moins  il  quiltait  le 
pays  de  sa  ruine  pour  se  diriger  immediate- 
raent  vers  la  maison  palernellel  Mais  iion  ;  il 
faut  que  de  nouvelles  souffiancps,  de  plus 
profondes  humiliations,  viennent  briser  I'or- 
gueil  de  son  coeur.  Le  verbe  TcopeuOev;  designe 
done  simploraenl  des  demarches  faiths  par  le 
prodigue  en  vue  de  pourvoir  d'une  maniere 
quelconque  a  sa  sub~istance.  —  Et  adhcesit, 
dxoX)>Yi6ri;  mot  tres  fort,  quiequivaula  I'hebreu 
pll,  et  suppose  d'une  part  de  vives  instances 
pour  oblenir  un  emploi,  de  I'autre  la  plus 
complete  depi^ndance.  Ou  est  ce  fierjeune 
homme  qui  tenail  tanl  a  sa  sa  liberte?  Au 
moral,  «  subjicit  se  tolaliter  daemoni,  qui 
vere  est  civis  regionis  peccali.  »  Cajelan. 
Cfr.  S.  Bernard,  Do  divers.  Serm.  viii.  — 
Misit  ilium  tn  villam  suam  (eU  loy;  aypoO; 
aCiToO,  dans  ses  champs)  ut  pasceret  porcos. 
L'auditoire  dut  fremir  en  enlendant  ce  detail. 
Un  Juif  prepose  a  ia  garde  de  ranimal  repute 
le  plus  impur  au  point  do  vue  legal,  quelle 
degradation!  Les  puntains  d'Israel  crai- 
gnaientde  sesouiller  en  prononQant  le  nomdu 
pore,  qu'ils  remplaQaienl  par  une  periphrase 
^abar  azher,  "ynn.  121,  «  I'autre  chose  »),  et 
nous  savons  par  Herodote,  ii,  47,  quo  les 
seulespersonnesexcluesdestemplesegyptiens 
etaient  les  gardeurs  de  pourceaux.  —  Les 
moraiistes  voienl  justemeiit  dans  ce  trait  un 
type  du  peche  pousse  jusqu'Ji  ses  limites  les 
plus  nonteusos. 

1C.  —  Et  cupiebat  {--Tii^'^v-^u  il  desirait  vi- 
vement)  implere  ventrem  suum.  Expression 
qui  etonne  tout  d'abord  sur  les  levres  deli- 
cat's  de  Jesus  ;  aussi  a-t-eile  ete  parfois, 
qii(ii(]U'5maladroitement,corrigeeon«sa(i;iri » 
(XopTotuG-zivai,  B,  I),  L,  R,  Sinait.).  Mais  le  Sau- 
veurse  proposail  de  rendre  sa  narration  aussi 


forlo  que  possible,  el  certcs,  le  contraste 
qu'il  elablit  a  dessein  entre  le  mandiicabant 
du  vil  troupeau  et  le  «  cupiebat  implere  ven-- 
trem  suum  »  du  porcher,  a  (ludijuc  chose  de 
saisissant.  II  y  a  la  du  rcsle  I'eiionce  d'un  fait 
tres  exact  au  point  de  vue  physiologiqui^  «  So- 
lent qui  admodiim  fainelici  sunt  cupere  va- 
cuum omnino  ventrem  de  re  aliqua  implere, 
nee  ullum  ciboruin  habere  discrimeii,  mode 
rabidam  famem  sedent  »,  Maldonat,  h.  1.  Ei 
puis,  ce  qui  est  une  nournture  sullisanle 
pour  des  animaux  no  Test  pas  loujours  pour 
i'homme,  et  tci  elait  preeisdment  le  cas  . 
«  Clbus  quo  corpus  non  ledcitur  sed  imple- 
tur  ».  S.  Ambrois'.  Enfin,  c'esl  une  veritd 
morale  souvent  relevee  a  cette  occasion  par 
les  Peres,  que  les  plaisirs  sensuels  ne  par- 
viennent  jamais  a  rassasier  le  coDur  humain. 
0  Non  poterat  satiari,  quia  ?em[)er  voluptas 
famem  sui  habet,  et  iransacta  non  saliat,  » 
S.  Jerome  (loc.  cit.).  Le  poele  paien  I'a  dit 
aussi :  «  Atque  ex|)lere  bonis  rebus  satiareque 
nunquam  »  (Lucrece).  —  De  siliquis.  Les 
gousses  en  question  sont,  selon  toute  vrai- 
semblance,  celies  du  caroubicr  («  Ceratonia 
siliqua  »  des  botanistes),  arbre  de  la  famille 
des  legumineu-es,  qui  croit  abondainrnent 
dans  toute  la  Syrie,  en  Egypte,  et  memo  en 
Italie  et  en  Espagne.  Les  Grecs  les  appelaient 
xepaT(a  (c'est  le  mot  du  texte  original)  pares 
qu'elles  sont  pour  la  plupart  recourbees  ca- 
pricieuseraent  en  forme  de  comes  (comparez  le 
nom  allemand  «  Bockhornsbaum  »).  Lei.>r  lon- 
gueur habituelle  est  d'environ  un  demi  pied, 
ieur  largeur  de  6  a  8  centimetres.  El'es  con- 
tiennenl  une  puipe  blanchatre  au  gout  fade, 
quoiquelegerement  Sucre  (I'epithetede  «  prae- 
dulces  »  que  Ieur  donne  Pline  I'ancien  semble 
fort  exageree  :  il  est  vrai  que  les  echanlillons 
de  notre  petit  musee  biblique  ont  un  peu 
vieillis).  Aujourd'hui,  comme  au  temps  do 
Jesus,  les  Orienlaux  les  servent  en  palureau 
betail  :  les  [)lus  pauvres  seulement  essaient 
queiquefois  de  s'en  nourrir.  Leur  nom  semi- 
tique  est  «  caroubes  »  (du  chaldeeniTin,  dm- 
roub),  qu'on  relrouve  dans  I'espagnol  «  algaro- 
ba  ».  On  les  a  aussi  appi'lees«  figuesd'Egyple*, 
ou  bien  «  pain  de  S.  Jean  »,  parct;  qu'on 
croyait  que  le  Precurseiir  s'en  elait  nourri 
dans  le  desert.  Voyez  Winer,  Bibl.  Real- 
wcBiterbuch,  s.  v.  Juhannisbiodbaum ;  Fred. 
Hamilton,  La  Botanique  de  la  Bible,  p.  44 


234 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


17.  Rentrant  alors  en  lui-mSrae  il 
dit :  Que  de  mercenaires  dans  la 
maison  de  mon  pere  ont  du  pain  en 
abondance !  et  moi  ici  je  meurs  de 
faim. 

18.  Je  me  leverai  et  j'irai  vers 
mon  pere,  et  je  lui  dirai  :  Pere,  j'ai 
peche  conlre  le  cicl  et  conlre  loi. 

19.  Je  ne  suis  plus  digne  d'etre 
appele  Ion  fils,  traite-moi  comme 
Tun  de  tes  mercenaires. 

20.  Et  se  levant  il  vint  vers  son 
pere.  Et  lorsque  il  claiL  encore  loin, 


17.  In  se  anlem  reverses,  dixit  : 
Qnanti  raerconarii  in  domo  patris 
raei  abundant  panibus,  ego  aatem 
hie  fame  pereo! 

18.  Surgam,  et  ibo  ad  patrem 
meum,  et  dicam  ei  :  Pater,  peccavi 
in  ccelum,  et  coram  te  : 

19.  Jam  non  sum  dignus  vocari 
filius  tuns  :  Fac  me  sicut  unum  de 
mercenariis  tuis. 

20.  Et  surgens  venit  ad  patrem- 
suum.  Cum  autem  adhuc  lonse  es- 


et  <5.  —  Nemo  illi  dabat  (I'imparfait  exprime 
la  conlinuite  :  On  ne  lui  en  donnail  jamais). 
Quelqiies  auleurs  sous-enlendent.  :  «  aiiud  », 
ou  «  aliquid  melius  »  (Alford,  SUor,  etc.) ; 
mais  le  conlexle  s'oppose  a  toule  addition  de 
ce  genro.  Pcrsonne  dune  n'offrait  au  prodigue 
de  ces  miserablrs  fruils.  On  a  doiitie  dilFo- 
renlec-  explications  de  ce  fait.  Voyi  z  Mal- 
donat,  Corneille  de  Laf)ierrp,  etc.,  h.'  I.  La 
plus  naturelle  el  la  plus  simple  consiste  a 
supposer  que  d'autres  servileurs  elaienl 
charges  de  distriburr  les  caroubt'S  aux  poiir- 
ceaux,  el  qu'aucun  d'eux  ne  s'inquietail  du 
malhfiureux  gardien.  Cela  monlre  a  quelle 
delresse  ce  derninr  elail  reduil!  Mais  avait- 
il  le  droit  de  se  plaindre'  a  Mento  siliquas 
esuriil  el  non  acci'pit,  qui  porcos  pascere  ma- 
luit,  quam  paiernis  epulis  saliari  »,  S.  Ber- 
nard, De  Convors.  vm. 

M.  —  Mous  passons  au  second  acts  de 
I'histoire  du  prodigue,  tt-  <7-24.  On  y  voil 
egak^menl  d  ux  tabh^aux  :  1o  la  penitence, 
tt.  iT-SOa,  20  le  pardon,  tt.  20t)-24.  «  Nous 
avons  suivi  pas  a  pas  le  mallicursux  egaie 
sur  une  vole  qui  rocaiiait  de  plus  en  plus  de 
son  Dieu.  Maintpnanl  nous  sommps  arrives  a 
la  crise,  a  la  nepmeTeCa  de  celle  tragedie 
d'une  sime,  et  une  lacho  i)lus  agreable  nous 
reste,  celle  de  relracer  les  aivcMS  degres  de 
son  retour.  »  Trench,  I.  c.  —  In  se  autem  re- 
versus.  Heureuse  expression,  souvenl  em- 
ployee dans  le  meme  sens  par  les  classiques 
grecs  et  latins.  Voyez  Kuinoel,  h.  1.  »  Bene 
in  se  revertilur,  quia  a  se  recessit  :  etenim, 
qui  ad  Deum  regreditur  se  sibi  reddit,  el  qui 
recedit  a  Christo  se  sibi  abdical  »,  S.  Am- 
broise.  A  I'ecole  severe  de  la  misericorde  di- 
vine, comme  s'exprime  S.  Auguslin,  il  a  fini 
par  s'inslraire  et  comprendre.  Son  mono- 
logue est  bien  beau,  et  digne  d'un  vrai  peni- 
tent. II  s'ouvre  par  un  conlrasle  saisissanl  : 
Quanti  mercenarii  (de  simples  mercenaires, 
jitoOioi,  et  en  grand  nombre)  in  domo  patris 
met  (ic  grec  dit  seuleraent  «  *nc.rceDarii  patris 


mei  »;  abundtint  pantbui  (iis  ont  lout  a  sa- 
tiete  dans  ceite  maison  benie  que  j'ai  qniltee 
pour  mon  malheur)  :  ego  autem  (moi,  ie  fils 
bien-aime,  helasi  fils  rebelle,  aposial]  hie 
(avec  emphase  :  dans  cette  coniree  affreuse) 
fame  pereo. 

1 8  e 1 1 9.  —  Surgam et  ibo. . .  Concl usion  toule 
naturelle  apiesde  telles  premisses.  II  dilo  Sur- 
gam, quia  jacebat ;  et  Ibo,  quia  longe  aberat; 
Ad  patrem  meum,  quia  sub  principe  porco- 
rum  erat  »,  S.  Augustin,  De  quaest.  Evang., 
xxxni.  Puis  arrive  aupres  de  son  pere,  donl 
il  se  rappelle  avec  confiance  toule  I'ancienne 
tetidiesse,  que  fera-t-il  ?  Une  humble  et  sin- 
cere confession  ;  Dicam  ei.  Pater,  peccavi  in 
ccelum  le  ciel  personnifie,  en  tant  que  resi- 
dence de  Dieu)  et  coram  te  («  te  teste  »).  Cri 
d'un  cceur  coupable,  allanl  droit  au  ccEur  mi- 
sericordieux  du  divin  offense;  mais  encore 
faut-il  que  ce  cri  soil  pousse  :  «  Eslo  accu- 
salor  tuus,  <t  Ille  eril  indullor  luus  »,  S.  Au- 
guslin. «  Tantum  relevat  confessio  deliclo- 
rum  quantum  dis?iinulaiio  exaggerat.  Con- 
fessio enim  satisfactionis  consilium  est,  dissi- 
mulatio  contumaciae.  In  quantum  non  peper- 
ceris  tibi.  in  tantum  libi  Dens,  crede,  par- 
cel »,  Terlullien,  de  Poenil.  9,  <0.  Cfr 
S.  Ambroise,  h.  1.  —  Jam  (apres  tout  ce  qui 
s'esl  passe)  non  sum  dignus  vocari...  t  11  n'ose 
pas  aspirer  a  I'affection  du  fils,  qui  ne  doute 
point  que  toul  ce  qui  est  a  son  pere  ne  soil 
a  lui ;  mais  il  demande  la  condition  du  mer- 
cenaire,  pret  a  servir  desormais  pour  un  sa- 
laire,  el  encore  declare-t-il  ne  pouvoir  me- 
riler  ce  sort  que  par  I'indulgence  paternelle  1  » 
V.  Bede.  —  Fac  me  (c'est-a-dire  «  iracla 
me  »)  sicui...  Ce  «  sicut  »  est  plein  de  delica- 
tesse.  Malgr^  tout,  le  prodigue  est  le  fils  de  la 
maison ;  il  ne  saurait  done  devenir  un  merce- 
naire  pur  el  simple  chez  son  pere.  Du  moin? 
desire-l-il  6tre  Iraite  comme  tel. 

20a.  _  Et  surgens  venit...  II  execute  sans 
larder  sa  noble  resolution,  montranl  par  la 
combien  sa  penitence  etait  sincere.  II  en  est 


CHAPITRE   XY 


285 


set,  vidit  ilium  pater  ipsius,  et  mi- 
sericordia  motus  est,  et  accurrens 
cecidit  super  collum  ejus,  et  oscula- 
tus  esteum. 

21.  Dixitque  ei  filius  :  Pater,  pec- 
cavi  in  c<elum,  et  coram  te,jam  non 
sum  dignus  vocari  filius  tuus. 

22.  Dixit  autem  pater  ad  servos 
suos  :  Gilo  proferle  stolam  primam, 
etinduite  ilium,  et  date  annulumin 
manum  ejus,  et  calceameiita  in  pe- 
des ejus  : 


son  pere  le  vit  et  il  fut  touche  de 
compassion,  et  accourantil  tomba 
sur  son  cou  etle  balsa. 

21 .  Et  le  fils  lui  dit  :  Pere,  j'ui 
peche  contre  le  ciel  et  contre  toi;  je 
ne  suis  plusdigne  d'etre  appele  ton 
fils. 

22.  Mais  le  pere  dit  a  ses  servi- 
teurs  :  Vite,  apportez  sa  robe  pre- 
miere et  Ten  revetez,  et  metlez  lui 
un  anneau  a  la  main  et  des  chaus- 
sures  aux  pieds; 


lani  qui  t-prouvent  des  velleites  de  conver- 
sion el  que  ne  se  converlissenl  jamais!  Ren- 
Irer  en  soi-meine  n'esi  pas  loujours  revenir  a 
Dieu.  Aussi,  dit  S.  Gregoire  de  Nysse  (in 
Cat.  D.  Tliom  ),  esl-ce  la  un  bcl  exemple  que 
I'Esprit  Sainl  nous  a  irace,  a6n  que  nous 
apincnions comment  nous  devonsdeplorer  les 
egaremeiit?  (li>  iioiri^  coeur. 

20b.  —  Scene  louc-lianle  au-dela  de  toute 
fxpressioii,  veiifianl  a  la  leUre  plusieurs  des- 
ciiplions  antiques  de  la  misericorde  divine. 
Cfr.  P=.  cii,  8-i2;  Is.  XLix.  15.  —  Quim 
adhuc  longe  esset.  D'apres  un  proverbs  orien- 
tal, pour  un  pouce  de  distance  q  I'un  homine 
franchit  afin  des'approcher  de  Dieu,  Dieu  en 
Iranchil  une  aune  a  sa  rencontre.  Cfr.  von 
Ilammor,  Fundgr.  [des  Orients,  t.  IV,  p.  91. 
Le  prodigue  est  encore  bien  loin  que  deja 
son  pere  I'a  reconnu  :  car  il  I'altendait,  eU 
comine  la  mere  de  Tobie,  il  epiait  conslam- 
meni  le  reiour  de  son  Qls.  —  Misericordia 
motus  est,  ianla.Y/yi<j^r\.  Lilteralemenl,  ses  en- 
irailles  s'emurenl  :  mot  par  lequel  les  evange- 
listesexprimentsi  souvenl  la  tendrepiiiede Je- 
sus. —  Et  accurrens  cecidit  super  collum  ejus... 
Les  peiiilr.'s  qui  onl  e:isaye  do  rcpresenter 
I'histoire  de  renfanl  prodigue  se  sent  inspires 
pour  la  plupart  de  ce  momnl  delicieux  iSal- 
vator  Rosa,  le  Guercliin,  Muiillo,  Spada). 
Le  tableau  de  Spada  contient  seulemenl  deux 
figures  a  mi-cor[)s;  mais  «  il  serait  impos- 
sible de  rendre  avec  plus  de  bonheur  celte 
lendre  commiseration  d'un  pere  oubliant  les 
torts  de  son  GIs...  La  t^lcdu  vieillard  est  ad- 
mirable. La  compassion  et  I'amour  le  dispu- 
lent  a  ratlendrissemenl,  tandis  que  le  ropenlir 
t'l  I'espoir  anim-ni  les  trails  du  fils,  dont  la 
bouche  semble  prononccr  les  mols  si  tou- 
rhants  :  Mon  pere,  j'ai  peche.  »  Musee  Chre- 
tien, p.  140  bis  (voir  le  magnifique  poeme 
de  Werner,  «  Gib,  Valer,  mir  horaus  mein 
Elbe  »).  —  Osculalus  est  eum.  Dans  le  grec, 
)iaT£9i).Ti(Tev,verbe  compose  qui  signifiewexoscu- 
lari  »,  couvrir  de  bai-^ers.  Cfr.  Mallh.  xxvi,  48 
£t  le  comm  1 1  lin-. 


21.  —  Dixitque  ei  filius.  Malgre  ces  mar- 
ques evidenies  de  recoiicilialion  et  de  par- 
don, le  prodigue  n'oublie  pas  la  confession  de 
ses  faules.  Son  pere  a  tire  !c  voile  sur  son 
triste  passe,  et  I'a  rego  coinme  le  fils  le  plus 
aimant;  neanmoins,  il  le  Sr-nl,  c'est  un  de- 
voir pour  lui  de  s'accus'r,  de  shuniilier. 
Toutefois  il  est  remarquable  qu'il  ne  piononce 
pas  en  enlier  le  petit  di>cours  qui  lui  elait 
venu  a  la  pensee  des  les  premiers  instants  de 
sa  conversion  (Vt.  18  el  19).  II  oniet  de  dire 
(en  depit  des  manuscrits  Siiiait.,  B.  D,  U,  X, 
qui  les  repelenl  inaladroiioment  ici)  les  mots 
fac  me  sicut  uimm...,  qui  seraienl  desormais 
deplace-  apres  I'accueil  si  atfectueux  qu'il 
a  reQu.  «  Q.iid  eniin  rogaret  patrem  ul  ab  eo 
lanquam  mercenarius  reciperetur,  qui  se  jam 
lanquam  filium  recrpLiim  videbat?  »  Maldo- 
nat.  a  Quum  panem  non  haberet,  vel  merce- 
iiarius  esse  cupiebat;  quod  post  osculum  pa- 
trisgenerosissime  jam  dedignalur  »,  S.  Au- 
gust. Q.iae-t.  Evang.  ii,  33.  Les  baisers  pa  - 
terneb  arreierenl  done  celte  parole  sur  sea 
levres. 

22.  —  Dixit.-,  paler  ad  servos  (non  pas  les 
|xiff8ioi,  mais  les  5o-j),oi.).  L;  pere,  dan?  celte 
scene  entiere,  demuire  loul-a-fait  muet  a 
regard  de  son  fils.  Quanl  I'emotion  lui  permet 
de  parler,  ce  n'est  pas  a  hii  qu'il  s'adresse 
pour  le  rassurer,  mais  a  ses  serviteurs  pour 
leur  donner  des  ordres.  Touiefois,  que  cela 
est  naturel,  et  commo  ces  ordres  sint  expres- 
sifsl  lis  impliquent  la  rehabililation  la  plus 
complete  du  coupable,  lo  pardon  le  plus  ab- 
solu.  —  Cito  proferte  stolam  primam.  L'ad- 
verbe  «  cito  »  manque  dans  la  Recepta;  mais 
sonaulhenticiteest  >u(Lsainmenl  garanlie  par 
rilala,  la  Vulgate  el  les  meillinirs  manuscrits 
grecs.  Par  «  stolam  primam  »  (dans  le  grec, 
TTiv  oTo^v  Ti^v  Tt-wTTiv,  avec  deux  articles  em- 
plialiques),  il  faut  entendre  vraisembiable- 
ment  la  robe  la  plus  belle  eila  plus  precieuse 
(ttiv  TipuwTdtTiv.  Eulhymius;  d'apres  Theo- 
pliylacteet  d'autres, -riiv  ipx^iof-)  qui  fut  dans 
le  vesiiaire  palernel.  Les  haillons  du  prodi- 


286 


EVANGiLE  SELON  S.  LUC 


23.  Et  amenez  le  veau  gras  et 
tuez-le,  et  mangeons-le  et  faisons 
grande  chere ; 

24.  Gar  mon  fils  que  voici  elait 
mort  et  il  revit,  il  etait  perdu  et  il 
estretrouve.  Et  ils  commencerent  a 
faire  grande  chere. 

2o.  Or  son  fils  aine  etait  aux 
champs,  et  comme  il  revenait  et 
s'approchait^le  la  maison,  il  enten- 
dit  une  syraphonie  et  des  danses. 


23.  Et  adducite  vitulum  sagina- 
turn,  et  occidite,et  manducemus,  et 
epulemur  : 

24.  Quia  hie  filius  mens  mortuus 
erat  et  revixit,  perierat  et  inven- 
tus est.  Et  coeperunt  epulari. 

23.  Erat  autem  filius  ejus  senior 
in  agro :  et  cum  veniret,  et  appro- 
pinquaret  domui,  audivit  sympho- 
niam  et  chorum  : 


giie  vonL  faire  place  a  co  noble  vetemenl  des 
fils  de  famille.  Cfr.  Marc,  xii,  38;  xvi,  5; 
Anl.  Rich,  Diet,  des  aniiq.  rom.  el  grecq. 
s.  V.  Stola.  All  moral,  ceUe  robe  figure  l'«in- 
dumenluu)  Spirilu?  sancLi  »^TtTluliien),  le  re- 
couvrement  (le  la  dignile  que  !e  peche  nous 
avail  enlevee  (S.  Auguslin). —  Dale  annuluin 
in  manu  ejus.  Dans  I'anliquile,  Taiineau,  el 
specialenienl  lanneau  a  gemme  servanl  de 
sceau,  comme  le  porlaient  les  tiommi^s,  elait 
un  signe  de  dislinclion .  d'aulorile.  Cfr. 
Gen.  XLi,  42;  Jac.  ii,  2.  Voila  pourquoi  on 
le  passe  au  doigl  du  prodigue.  Quanl  aux 
chaussures  [calceamenta  in  pedes  ejus),  elles 
elaienl  regardees  comme  une  marque  de  li- 
berie, car  It's  csclaves  allaienl  loujours  nu- 
{)ieds.  Elles  repreS-Mili'nt  ici  lezeleaveclequel 
e  nouveau  conveiii  niarchera  de.-ormaisdans 
la  voie  desdivins  piec:  pies  (Cfr.  Eph.  vi,  15), 
de  meme  que  I'annoau  symbolisail  son  union 
eternelle  avec  le  Si'igneur  iOs.  ii,  19  cl  20). 
23  el  24.  —  Adducile  vitulum  saginatum 
et  orr.idite  (bonne  liaduclioii  de  b-Jaait,  qui 
n'a  pas  ici  le  sens  de  <-  sacrificate  »].  L'lieu- 
reux  pere  veul  enoulre  feler  le  relour  de  son 
61s  par  un  joyeux  banquet,  en  vue  duquel 
.1  .-omiiiande  a  ses  scrviieurs  de  tuer  sur  le 
champ  le  veau  le  plus  grasde  I'elable  (il  y  a  de 
nouveau  deux  articles  dans  le  lexle  grec,  t6v 
jtocTxov  Tov  oucUTov],  miscH  rcscive  el  delicate- 
menl  nourri  (<7i-£"JT6;,de  cIto;,  engraisse  au  fro- 
ment),  selon  I'nsage  oiienial,  pour  celebier  le 
premier  eveiiemenl  pios[i6re  qui  surviendrait 
dans  la  famille.  —  Les  Peres  onl  volonliers 
en\iS3ge  ce  «  vilulus  saginalus  »  coram3 
renibleme  de  Notre-Sei.L-neur  Jesus-Christ, 
«  cujiis  quolidie  carne  paseimur,  cruore  po- 
tainur  «  (S.  Jerome).  Toulifois,  nous  dirons 
avec  Maldonat,  que  celle  inlerprelalion,  quel- 
que  ingeiiieuso  qu'elle  paraisse.  n'esl  pas  lilte- 
rale,  mais  simplemeni  mystique.  Voyez  dans 
S.  Irenee,  iii,  M,  un  aulre  rappi  ochemenl 
plein  d'inleret.  —  Mmiducemus  et  epulemur 
(dans  le  grec  :  9ay6vTe;  eOypavOdJixev .  Le  verbe 
eOqppaivw,  qui  ai  moyn  signifie  ordinaire- 
ment  «  laetari  »,  est  souveni  employe  par  les 
auteurs  sacres  el  profanes  dans  le  sens  de 
«  laele  convivari  a.  Cfr.  Brelscbneider,  Lex. 


man.  s.  v.).  Les  proprielaires  de  la  brebis- 
egaree,  de  la  drachme  perdue,  avaienl  desire 
que  leurs  voisins  el  amis  prissenl  pait  a  leur 
joie  ;  le  pere  de  famdie  invile  de  meme  ses 
scrviieurs  a  parlager  la  sienne.  Car  Dieu  a 
ses  jours  de  fete,  dil  admirablemenl  Origene 
(Hom.  xxiii  inLevil.);  «  Deus  dies  feslossiios 
liabel  :  e-l  enim  ei  magna  feslivilas  bumana 
salus.  »  Et  quel  motif,  s'ecrie  ce  bon  peri-, 
n'avons-nous  pas  de  nous  livrer  a  I'allegresse  ! 
Hie  (avec  emphase)  filius  mens  inortuus  erat 
et  revixit.  C'elail  bien  en  realile  une  resur- 
reciion  mesperee  I  Le  second  conlrasle,  ;5c- 
rierat  (aTio),a)),a>;  r^v,  il  avail  ete  perdu)  et  in- 
ventus est,  repele  la  meme  idee  pour  la  ren- 
forcer.  —  Coeperunt  epulari  (euypatvEoOai 
comme  au  versel  precedent).  Le  fils  renlre 
en  grace,  assis  a  la  place  d'honneur,  se  sou- 
vint  peul-etre  alors  du  «  coepitegere  »  (t.  14} 
qui  avail  occasionne  sa  conversion. 
25.  —  Le  fils  aine,  que  nous  avions  com- 

fileleraent  perdu  de  vue  depuis  le  debut  de 
a  parabole,  nous  est  a  son  tour  presente 
dans  un  long  epilogue  (tt.  25-32).  Sa  con- 
duile  fera  surgir  une  aulre  legon.  —  Erat... 
filius  ejus  senior  in  agro.  Telle  etail  son  occu- 
pation accoulumee.  Tandis  que  le  prodigui> 
se  livrait  aux  plaisirs,  lui  il  avail  fait  valoir 
peniblemenl  les  champs  palernels.  Pourquoi 
n'ava.l-il  pas  ele  immedialemeni  averli  du 
relour  de  son  frere?  Comment  avail-ou  com- 
mence le  repas  sans  I'atlendre?  Peul-6tre 
voulail-on  lui  menager  une  agreable  sur- 
prise; ou  bien,  il  se  trouvait  dans  quelque 
ioiniain  domaine,  el  le  bonheur  du  pere  etait 
Irop  vif  pour  souCFrir  uu  retard  dans  sa  ma- 
nifestation. —  Audivit  symphoniam  et  cho- 
rum. C'esl  par  la  seulemenl  qu'il  sul,  m 
approchanl  de  la  maison,  qu'il  elait  survenu 
une  cause  de  joie  inopinee.  Sujipwvja  desigue 
un  conC'Tl  d  '  voix  el  d'inslruments  x°po?  un 
choeurde  dansi  (ces  deux  substanlifs  n'appa- 
raissent  pas  ailleurs  dans  le  N.  Testament). 
Sur  ce  double  accompagnemi  nt  obligaloirc 
des  feslins  chez  les  Orieiitaux  et  en  geneial 
dans  rantiqiiite,  voyez  Is.  v,  12;  Am.  vi,  o; 
Matth.  XIV,  6;  Sueton.  Caligula,  37;  Horace. 
Ars  poet.  374 ;  Keil,  Hebr.  Archaeologie,  §  1 36^ 


CHAPITRE  XV 


26.  Et  vocavit  unum  de  servis,  et 
interrogavit  quid  hsec  essent. 

27.  Isqiie  dixit  illi :  Frater  tuus 
venit,  et  occidit  pater  tuus  vitulum 
saginatum,  quia  salvum  ilium  rece- 
pit. 

28.  Indignatus  est  autem,  et  no- 
lebat  introire.  Pater  ergo  illius 
egressus  coepit  rogare  ilium. 

29.  At  ille  respondens,  dixit  patri 
sue  :  Ecce  tot  annis  servio  tibi,  et 
Dunquam  mandatum  tuum  prsete- 
rivi,  et  nunquam  dedisti  mihi  hoe- 
dum  ut  cum  amicis  meis  epularer  : 

30.  Sed  postquam  filius  tuus  hie, 
qui  devoravit  substantiam  suam 
cum  meretricibus,  venit,  occidisti 
illi  vitulum  saginatum. 


26.  Et  il  appela  un  des  servileurs 
et  lui  demanda  ce  que  c'elait. 

27.  Et  celui-ci  lui  dit :  Ton  frere 
estrevenu,  et  ton  pere  a  tue  le  veau 
gras,  parce  qu'il  I'a  recouvre  sain 
et  sauf. 

28.  Mais  il  s'indignaet  ne  voulait 
pas  entrer.  Son  pere  done,  etant 
sorti,  se  mit  k  le  prier. 

29.  Mais  il  dit  a  son  pere  :  Voila 
tant  d'annees  que  je  te  sers  et  jamais 
je  n'ai  transgresse  ton  commande- 
ment,  et  jamais  lu  ne  m'as  donne  un 
chevreau  pour  faire  bonne  chere 
avec  mes  amis. 

30.  Mais  lorsque  ton  fils  la,  qui  a 
devore  son  bien  avec  des  courtisa- 
nes,  est  v»nu,  tuas  tue  pour  lui  le 
veau  gras. 


Ce  n'etaient  pas  les  convives  eux-memes  qui 
chaniaienl  el  dansaient,  mais  des  musiciens 
el  des  danseuses  a  gage,  releiuis  pour  la  cir- 
conslance. 

26  et  27.  —  Vocavit  unum  de  servis.  Au 
Jieu  d'enlrer,  el  de  voir  par  lui-meme  queile 
elait  la  cause  de  ces  rejouissances  inatien- 
dues,  le  fils  aine,  inonlrant  ainsi  lout  ce  qu'il 
y  avail  de  maussade,  de  raide  dans  son  ca- 
raclere,  prend  des  informations  aiipres  d'un 
serviteur.  La  repon^^e  de  celui-ci  esl  empreinle 
d'une  grando  delicalesse,  d'une  discretion 
toute  respeclueuse.  Le  pere  avail  bien  pu 
{t.  24)  apprecif  r  le  caraclere  moral  du  relour 
de  son  Ills,  mais  ce  langage  n'aurait  pu  con- 
venir  dans  la  bouche  d'un  servileur;  aussi 
Jesus  lui  fait-il  dire  simplemont  :  salvum 
(byici.iyoyT:<x,  «  salvum  et  sospilem  »  des  clas- 
siques)  ilium  recepit.  Chaque  Irait  est  vrai- 
menl  d'une  exquise  perfection. 

28.  —  Indignatus  est,  wpYt'treri.  Un  autre  se 
serail  precipile  dans  les  bras  de  ce  frere  que 
Ton  croyail  a  jamais  perdu.  Four  lui,  li  s'ir- 
rite  violemment  et  demeure  a  la  poite  (I'lm- 
parfail  nolebat  indique  la  conlinuile  de  son 
refus),  afin  de  marqiier  par  la  combien  il 
r^prouvail  une  pareille  fete.  — Pater  ergo... 
egressus.  Quel  bon  perel  avec  quelle  miserl- 
corde  il  supporte  les  divers  defauls  de  ses 
enfanls!  II  va  au-devant  de  I'aine  comme  il 
est  alle  au-devanl  du  prodigue.  el  il  le  conjure 
in^tammonl  d'piilrer  [coepit  rogare;  dans  le 
grec,  rogabal  a  I'imparfait,  comme  «  nole- 
bat »). 

29.  —  Celle  d-marche  pleine  do  condes- 
cendance  n'allira  au  pere  que  d'insolents  el 
d'amers  reproches.  Ecce  tot  annis  servio  tibi. 


«  Toi  annis  »  :  ne  dirait-on  pas  que  ce  fils 
orgueilleux  avail  sacrifie  des  vies  enlieres? 
«  Servio  libi  »  :  SouXeuw  aot,  dil-il  dans  le 
lexle  grec,  manifeslanl  ainsi  avec  plus  de 
force  son  manque  coraplel  de  senlimenls  ge- 
nereux;  il  a  servi  a  la  fagon  d'un  esc'avr, 
non  pas  avec  I'amour  d'un  fils.  11  ajouto, 
comme  ces  Phari^iens  super  bes  donl  il  est  li> 
type  acheve :  Nunquam  mandata  tua  prceterivi 
(Cl'r.  xviii,  11.  12).  Qii'ai-je  regu  (reniarquez 
le  pronom  e|iot  mis  par  emphase  en  lete  de  la 
phrase),  ose-t-il  dire  encore,  en  echange  de 
ma  fidelile,  de  mes  fatigues?  Pas  menie  un 
chevreau  pour  le  manger  (encore  eOippattvoixai) 
en  compagnie  de  mes  amis!  Le  bonlieur  d'a- 
voir  joiii  constammenl  de  la  presence  de  son 
pere  ne  compte  pour  rien  aux  yeux  de  co 
sufierbe. 

30.  —  Son  langage  atteinl  ici  le  comble  de 
I'indignHe.  A  sa  propre  conduite  il  oppose 
dans  les  lormcs  les  plus  cruels  la  conduiie  du 
prodigue;  il  etablil  de  meme  un  odieux  py- 
rallele  entre  ce  que  le  pere  a  fait  pour  fieux 
his  si  dissoniblables.  Sa  conclusion  lacite  e.-t 
qu'il  a  subi  un  traitemenl  iiiique.  —  Filiua 
tuus  hid  II  ne  dit  pas  Mon  frere,  mais  11  em- 
ploie  une  formule  qui  n'etail  pas  moiiisoulra- 
geanle  pour  le  pere  que  pour  le  prodigue.  — 
Devoravit  substantiam  suam  (dans  le  grec, 
«  I  am  »  :  <tou  t6v  piov)  cum  meretricibus.  Le 
fait  n'etail  que  irop  reel  sans  doiite.  Toute- 
fois  apiiartenail-il  a  un  fils,  a  un  frere,  de  le 
relever  ainsi?  Avec  quelle  delicalesse  le  di- 
vin  narrateur  I'avail  mentionne  plus  haul 
i^.  /|3)]  —  Venit,  au  lieu  de  «  rediit  »;  ne 
diraiton  pas  qu'il  parle  d'un  eiranger  vciiu 
dans  le  pays  pour  la  premiere  fois?  —  Occi- 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


31 .  Et  le  pere  lui  dit :  Mon  fils,  tu 
es  toujours  avec  moi,  et  tout  ce  qui 
est  a  moi  est  a  toi. 

32.  Mais  il  fallaitbien  faire  bonne 
chere  et  se  rejouir,  car  ton  frere  que 
voici  elait  mort  et  il  revit,  il  etait 
perdu  et  il  est  relrouve. 


31 .  At  ipse  dixit  illi :  Fili,  tu  sem- 
per mecum  es,  et  omnia  mea  tua 
sunt : 

32.  Epulari  autem  et  gaudere 
oportebat,  quia  frater  tuushic  mor- 
tuus  erat  et  revixit,  perierat  et  in- 
ventus est. 


disti  illi  vitulum  saginalum,  par  opposition  k 
«  nunquam  dodisii  mihi  lioedum.  » 

31  et  32.  —  C'esl  avec  la  plus  grande  dou- 
ceur que  le  pere  daigne  repondie  k  ce  fils 
impudent.  II  eAl  el^  en  droit  do  chSlier  par 
un  blSme  severe  ies  observalions  irrespec- 
lucuses  qui  venaient  de  lui  elre  adressees; 
mais  il  aime  nnieux  faire  entendre  la  voix  de 
la  bonle.  Ses  paroles  sonl  neanmoins  gi  aves, 
seiicuses,  et  meme  grosses  de  menaces  si 
Ton  en  pese  bien  toule  la  portee.  El  Ies  refu- 
leni  pas  a  pas  Ies  plainles  du  fils  aine,  de 
SOI  te  que  le  t.  31  correspond  au  t.  29,  !e 
t.  32  au  t.  30.  —  Fili :  non  pas  simplement 
«T£,  mais  xexvov,  appelialion  plcine  de  ten- 
dresse.  Pourtanl,  son  fils  ne  lui  avait  pas 
meme  donne  le  tilre  affectueux  de  «  pater  ». 
—  Tu  semper  mecum  es...  Quelle  force  dans 
chacun  de  cos  mots!  Toi,  mon  aine,  ma  prin- 
cipals esp^rance.  Ne  m'ayant  jamais  quille, 
la  vie,  que  tu  appelles  si  mechammonl  un 
esclavage,  n'a-t-elle  pas  ele,  si  tu  m'aimes, 
line  fSte  perpdluelle?  Je  ne  I'ai  jamais  rien 
donne!  Mais,  omnia  mea  tua  sunt^  el  tu  jouis 
de  mes  biens  comme  moi-mSme.  Qu'as-tu 
done  a  envier?  Serais-tu  jaloux  de  ce  feslin, 


de  ce  veau  gras?  Mais  ton  esprit,  a  d^faut  do 
ton  coeur,  ne  te  dii-il  pas  que  nous  devrions 
tous  nous  livrer  a  la  joie  en  celte  heurense 
circonslance?Et  le  bon  pere  repele  sa  double 
phrase  du  t.  24;  mais  il  a  soin  de  substituer 
frater  tuus  hie  a  «  hie  filius  raeus  »,  pour 
mieux  protester  centre  le  «  filius  tuus  hie  » 
qu'on  lui  avail  precedemmenl  (t.  30)  jel^  a 
la  face  d'line  maniere  si  cruelle.  —  L^- 
dessus,  la  parabole  se  lermine  brusquement, 
sans  nous  dire  quelle  fut  I'impression  pro- 
duite  par  ces  jusles  remontrances.  Helas!  ce 
silence  est  de  trisle  presage  pour  Ies  Phari- 
siens  el  pour  Ies  Juifs,  figures  par  I'aine  des 
deux  freres.  Du  moins  ils  ne  sonl  pas  formel- 
lem  'nl  exclus  de  la  maison  palornelle.  Disons- 
leur  avec  S.  Anselme,  nous  prodigues  de  la 
Genlilite  :  «  Age  nunc,...  noli  stare  foris, 
nee  invideas  siolae  et  calceanaentis  et  annulo, 
fidei  signaculo,  quae  mihi  poRiiilenli  filio 
Pater  dedil;sed  veni  inlus,  et  esto  soeius 
gaudii,  parliceps  eonvivii.  Quod  si  non  facis, 
ex^peelabo...  donee  egres?us  Paler  ipsete  ro- 
get;  el  interim  dicam  ad  gloriam  ejusdem 
Palris  :  Annulus  mens  mihi,  annuliis  tni-us 
mihi » (Dialogus  Chrisliani  et  Judaei,sub  fin.). 


CHAPITRE  XVI 


t89 


CHAPITRE  XVI 


Parabole  de  I'econome  infidele  {ft.  1-13).  —  Les  Pharisiens  se  moqiienl  de  Jtsus  {t.  14).  — 
II  Icur  rappelle  qiielques  grands  piincipes  du  royaume  des  cieux  [tt.  15-18).  —  Parabole 
dii  mauvais  riche  et  du  pauvre  Lazare  (1ft.  19-31). 


1 .  Dicebat  autem  et  ad  discipulos 
suos  :  Homo  quidam  erat  dives,  qui 
habebat  villicum;  et  hie  diffamatus 
estapud  ilium  quasi dissipasset  bona 
ipsius. 


1 .  II  disait  encore  a  ses  disciples : 
Un  liomme  qui  etait  riche  avait  un 
econome,  et  celui-ci  fiit  accuse  au- 
pres  de  lui  d'avoir  dissipe  ses  biens. 


18.  Du  bon  usage  des  richesses.  xri,   1-31. 

II  existe  iine  elroile  connexion  entre  ce 
chapitre  el  le  precedent.  II  se  compose  aussi 
de  paraboles,  qui  furent  prononcees  a  la 
mSme  occasion,  et  devant  le  meme  audiloire 
(Cfr.  ft.  1,  14,  15,  et  xv,  1-3).  Le  but  seul 
differe,  car  Jesus  abandonne  le  ton  de  I'apo- 
logie  pour  prendre  celui  de  I'instruclion.  11 
ne  justifie  plus  sa  conduite  a  I'egard  des  pe- 
cheurs,  mais  il  enseigne  soil  a  ses  disciples 
dans  la  parabole  de  I'econome  infidele,  soil 
aux  Pharisiens  dans  celle  du  mauvais  riche, 
I'usage  qu'il  faut  faire  des  richesses  pour 
parvenir  au  salut. 

1"  L'^conome  infidfele.  xvi,  1-13. 

Cette  parab'^le  a  ele.  pour  maint  oxegele, 
une  vraie  pierre  d'achoppement.  Le  cardinal 
Cajelan,  qui  ne  manquait  ni  de  science,  ni 
de  hardiesse,  declare  qu'a  sesyeux  1'  «  appli- 
calio  per  singula  »  est  «  valde  difficilis  si  non 
impossihilis  »;  et  il  est  en  effel  des  details 
qu'il  renonce  a  interpreter,  de  crainte  de 
tombrr  dans  des  inconsequences  manifestes. 
La  nomenclature  des  travanx  composes  tout 
expresen  vue  d'eclaircir  ce  petit  diame  serait 
considerable  (voyt  z  I'indication  des  plus  re- 
cents  dans  les  commentaires  de  Meyer  et  de 
Baumgarten-Crusius) ;  celle  des  explications 
qu'ils  proposent  aurait  de  quoi  stupefier  le 
lecteur,  tant  on  y  trouve  d'extravagances  de 
toute  espece.  Aujourd'hui  Ton  est  cependanl 
tombe  d'accord  sur  les  points  principaux, 
chose  du  resle  qui  serait  arrivee  depui?;  long- 
temps  si  Ton  eut  moins  subtilise,  surtout 
dans  le  camp  heterodoxe,  et  si  Ton  eut  tenu 
un  plus  grand  compte  des  indications  four- 
nies  par  Nolre-Seigneur  Jesus-Christ  lui- 
meme  (voir  les  ft.  8-13  et  les  commpntairps\ 
Le  but  general  du  divin  narrateur  esten  eft'el 
bien  manifesle  :  c'est  de  montrer  aux  chrd- 
tiens  la  .aianiere  dont  ils  doivent  se  servir 
des  biens  de  ce  monde  pour  arriver  au  salut. 

S.  Bible.  S, 


Chap.  xvi.  —  1.  —  Dicebat  autem  et 
(«  etiam  »)  ad  discipulos  (le  pronom  suos  man- 
que dans  plusieurs  manuscrits  importanls, 
B,  D,  L).  Apres  une  pause  de  quelqiies  ins- 
tants, Jesus  prit  He  nouvoau  la  parole;  tou- 
tefois,  comme  I'indique  cette  formule  de 
transition,  c'est  aux  disciples  et  non  aux 
Pharisiens  qu'il  s'adresse  desorinais  directe- 
menl  [tt.  1-13).  Par  le  mot  «  disciples  »  il 
ne  faut  entendre  ni  les  douze  Apotres  d'une 
mani^re  exclusive,  ni  les  seuls  publicains  si- 
gnales  plus  haut  (xv,  i),  mais  tons  ceux  des 
auditeurs  qui  croyaient  en  Jesus.  —  Homo 
quidam  eral  dives.  Co  riche  proprietaire  est 
la  figure  du  Seigneur,  auquel  tout  appartient 
dans  ie  ciel  et  sur  la  terre.  Les  commen- 
lateur^  qui  lui  font  represenler  Mammon 
(Meyer,  J.  P.  Lange,  Schenkil),  Satan  (Ols- 
hausen),  le  monde  personnifie  tSchegg),  I'era- 
pereur  romain  (I),  ou  qui  hiis-ent  a  dessem  sa 
nature  dans  le  vague  (de  Wette,  Ciombez), 
nous  semblent  s'ecarler  de  la  veritable  inter- 
pretation. —  Qui  habebat  villicum.  S.  Jerome, 
Ep.  cxxi,  ad  Algas.,  quaest.  6,  relablil  en 
ces  termes  le  sens  exact  du  mot  grec  oixovo(xoc: 
«  Villicum,  sive  dispensatorem ,  hoc  enim 
ol/ovofio?  significat;  viliicus  autem  proprie 
villae  gubeinator  est,...  ceconomus  autem 
tarn  pecuniae,  quam  frugum,  et  omnium  quae 
dominus  possidet  dispensator  est  ».  «  Vilii- 
cus »  ne  designerait  done  qu'un  fermier,  tan- 
dis  qu'il  est  question  d'un  liomme  d'affaires, 
d'un  adminislrateur  general  dPS  bieu'^,  muni 
de  tres  amples  pouvoirs,  a  la  fagon  d'Eliezer 
chez  Abraham.  Get  inlendant  symbolise  tous 
les  hommes,  en  tant  qu'ils  devronl  un  jour 
rendre  a  Dieu  un  com|)le  severe  des  talents 
multiples  qui  leur  auront  ele  conBes.  Com- 
mont  divers  exegeles  ont-ils  pu  voir  en  lui 
le  tvpe  de  Judas  Iscariote,  do  Ponce-Pilate, 
des"Pharisiens,des  publicains?— flicdf/ya^no- 
tus  est.  Le  verbe  StagdXXetv,  employe  dans  le 
lexle  primitif,  signifie  souvent«  calomnier  »; 
mais  on  admet  communem^pt  qu'il  equivaut 

Luc  —  19 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


2.  II  I'appela  et  lui  dit:  Qu'est-ce- 
qiie  j'entends  dire  de  toi  ?  Rends 
compte  de  ta  gestion,  car  desormais 
tu  ne  pourras  plus  gerer. 

3.  Et  reconome  dit  en  soi-mSme  : 
Que  ferai-je,  puisque  mon  maitre 
m'ote  la  gestiou  ?  Je  ne  puis  travail- 
ler  laterre,  je  rougis  de  mendier. 

4.  Je  saisce  que  je  feral  afin  que 
lor s que  j'aurai  ete  renvoye  de  la 
geslion  lis  me  recoivent  dans  leurs 
maisons. 

5.  Ayant  doncappele  cliacun  des 


2.  Et  vocavit  ilium,  et  ait  illi  : 
Quid  hoc  audio  de  te  ?  redde  ratio- 
nem  villicationis  tuae :  jam  enim 
non  poteris  villicare. 

3.  Ait  autem  villicus  intra  se  : 
Quid  faciam,  quia  dominus  mens 
aufert  a  rae  villicationem  ?  fodere 
non  valeo,  mendicare  erubesco. 

4-  Scio  quid  faciam,  ut,  cum  amo- 
tus  fuero  a  villicatione,  recipiant  me 
in  domos  suas. 

5.  Gonvocatis  itaque  singulis  de- 


ici  a  y-aTYiyopeTv,  accuser  :  il  re?sorl  en  effetdu 
contexle  que  raccusation  n'etail  que  trop  fon- 
dee.  Neanmoins,  6ia6d),>,(o  (liileral.  «  je  jetle 
a  iravers  »)  riejigne  en  outre  une  denoncia- 
lion  secrete,  faite  par  un  moiif  de  malignite, 
d'envie,  Celts  expression  iiapparait  pas  ail- 
leurs  dans  le  Nouveau  Testamont.  —  Quasi 
dissipasset,  ou  plutot  «  quasi  dissipans  » 
(Erasme  :  «  ut  qui  dissipnret  »,  w;  6iaffy.op- 
Tt!:o)v],  car  ce  sont  des  malversations  actuelies 
qu'on  lui  reproche.  Nous  avons  rencontre 
le  meme  mot  dans  I'liistoire  du  prodigue, 
XII,  13. 

.  —  Voravit  ilium.  Cette  histoirefamiliere, 
dont  le  monde  offie  des  exemples  quolidiens, 
continue  sa  maiche  naturelle.  Le  mailre  fait 
venir  aussilol  i'accuse.  —  Quid  hoc  audio  de 
te?  «  Vox  indignanlis  et  exprobranlis  »,  Kui- 
noel.  C'est  aussi  une  parole  d'etonnement  : 
Esl-il  possible  que  j'appienno  sur  vous  de 
pareiiles  chos's?  «  De  le,  quern  procurato- 
rem  constilui  1  »  Welstein.  La  Vulgale  a  tra- 
duit  servilcment  le  grec  ti  toOto  dzoOw,  qui 
est  une  ellipse  poui'  tI  ia-zi  toOto  6  azouw, 
«  quid  est  lioc  quod  audio  ».  —  Redde  ratio- 
netn  villicatiouis  luw  (t^i;  oly.ovo[xia;,  «  admi- 
nistrationis  »).  Avant  de  congedirr  son  legis- 
iseur  inlidele,  car  c'est  un  conge  definiiiret  en 
regie  (]u'il  lui  dnnne  par  les  mots  suivanls, 
jam  enim  non  poleris  {«  pnt- s  »  d'apres  les 
oiss.  B,  D,  Smait.,  etc  )  villicare  (olxovofietv, 
«  adminislrare  »),  le  proprielaire  exige  de 
lui,  selon  I'usage  en  pared  cas,  des  comples 
rigoureux,  embleme  de  ceux  que  nous  aurons 
a  renrire  au  souveiain  Juge  apres  notre  mort. 
Ses  paroles  ne  conliennenl  done  pas  une  sim- 
ple menace  hypollietique,  car  il  est  comple- 
tement  sur  du  fail. 

3  et  4.  —  Alt  villicus  intra  se.  Son  pelit 
monologue  est  admirable  de  pittoresque  et 
de  verile  psychologique.  II  ne  cherche  pas  a 
se  jusiifier  :  par  qmlles  excuses  pourrail-il 
pallier  ses  dilapidations?  Mais,  sur  de  perdre 
sa  place  {dominus  meus  auferet...;  dans  le 


grec,'  le  piesonl  «  aufert  »  montre  la  chose 
comme  inevitable),  il  se  demande quels  pour- 
ront  etie  desormais  ses  moyens  d'existence. 
—  Quid  faciam'^  Exorde  «  ex  abrupto  »  du 
conseil  qu'il  lient  avee  lui-meme.  C'est  que 
la  misereest  son  unique  perspective;  en  effet, 
il  ne  s'est  pas  enrichi  aux  depens  de  son 
maitre,  mais  il  a  depr-nse  au  jour  le  jour, 
en  debauches'sans  doule,  le  fruit  de  ses  vols 
donnesliques.  —  Avec  quelle  habilete  il  pese 
les  differents  partis  enlre  lesquels  il  peut 
choisir!  Tout  bien  considere,  il  n'a  que  cette 
alternalive  :  fodere  (cxaTcxeiv,  becher,  piocher), 
mendicare.  Travailler  la  lerre.  ii  en  est  inca- 
pable :  non  valeo  t  Faxai  YewpyeTv  xtipti;  e5 
T£8paa(j.evai,  disait  a  bon  droit  Euri()ide  (ap. 
Rosenmiiller,  Scholia  in  li.  I.).  El  Quintilien, 
Decl.  IX  :  a  Quid  vis  porro  faciam!  agreslia 
opera?  delicalior,  quod  a  fortuna  non  di- 
dici  ».  Mendier,  il  ne  saurait  s'y  resoudre  : 
erubesco  I  Plutot  mourir  que  d'en  venir  h 
celie  honte!  Cfr.  Eccli.  xl,  28-30.  —  Alors 
il  reflechit  quelques  instants.  Son  embarras 
n'est  pas  de  longue  duree,  car  voici  qu'il  s'e- 
crie  lout  a  coup  :  Scio  {iyvu)\)  quid  faciamf 
C'est  son  joyeux  eOprixa :  il  a  conQu  un  plan 
habile  pour  vivre  a  I'aise  sans  travailler  et 
sans  trop  s'humilii  r.  II  vas'arranger  de  telle 
sorle  qu'il  ail  jusqu'a  la  fin  de  ses  jours  des 
amis  chez  qui  il  sera  surde  irouver  les  vivres 
et  le  convert  :  ut...  (sint  qui)  me  recipiant  in 
domos  suas.  Et  pourlant,  le  genre  de  vie  qu'il 
ambitionnait  est  decrit  dan-  les  sainls  Livres 
sous  les  plus  sombres  couleurs  :  «  Melior  est 
viclus  pauperis  sub  legrnine  asserum  quam 
epulae  splendidae  in  peregre  sine  domicilio... 
Vita  nequamhospitandi  de  domoin  domura,  » 
Eccli.  xxix,  29-31.  JIais  mifux  valait  encore 
ceia  que  la  misere.  —  Trait  nalurel  et  dra- 
matique  :  le  sujet  de  «  recipiant  »  n'est  pas 
nomme ;  il  resle  dans  la  pensee  du  regisseur, 
mais  la  suite  du  recit  nous  le  revelera. 

5.  —  Convocatis  itaque...  Aussilotdit,  aus- 
sitot  fait.  Du  reste,  I'intendant  n'avait  que  peu 


CHAPITRE  XYI 


rgn 


l)itoribus  domini  sui,  dicebat  primo : 
Quantum  debes  domino  meo  ? 

6.  At  ille  dixit  :  Centum  cados 
olei.  Dixitque illi:  Accipe  cautionem 
tuam  ;  et  sede  cito,  scribe  quinqua- 
ginta. 

7.  Deinde  alii  dixit  :  Ta  vero 
quantum  debes?  Qui  ait:  Centum  co- 
res tritici.  Ait  illi  :  Accipe  litteras 
tuas,  et  scribe  octoginta. 


debiteurs  de  son  maitre  il  dit  au 
premier  :  Combien  dois-tu  a  mon 
maitre  ? 

6.  II  repondit :  Cent  barils  d'huile. 
II  lui  dit  :  Prends  ton  obligation, 
assieds-toi  vite  et  ecris  cinquante. 

7.  II  dit  ensuite  a  un  autre  :  Et 
toi,  combien  dois-tu  ?  II  repondit : 
Gent  mesures  de  froment.  II  lui  dit: 
Prends  ton  billet  et  ecris  quatre- 
vingts. 


de  temps  a  sa  disposition  pour  regler  et  pre- 
senter ses  comptes.  —  Singulis  dehitoribus. 
Ces  «  debitores  »  n'etaient  pas,  comme  I'ont 
pense  quelques  inlerpretes,  des  fermiers  qui 
payaient  leurs  redevances  en  nature;  ie  mot 
grecxpEwyeO.eTTi?  ne  peut  designer  que  des  debi 
teursordinaires,  auxqueis  avaienlelefournies 
a  credit  des  denrees  qu'ils  n'avaient  encore 
pas  payees.  On  a  egaleni'-nt  suppose  d'une 
■maniere  toute  gratuite  qu'ils  etaient  insolva- 
bles,  et  que  le  regisseur  passe  acluellement 
avee  eux  un  concordat  avantageux  a  la  fois 
pour  eux-memes  et  pour  ie  proprielaire;  on 
bien,  qu'en  esprit  de  reparation,  I'econome 
infideie  avait  tire  de  sa  propre  bourse  et  re- 
mis  ci  son  maitre  les  somines  dont  il  leur 
faisait  grSce.  Mais  le  lexte  et  le  conlexte 
supposent  au  contraire  de  la  fagon  la  plus 
-manifeste  que  nous  sommes  on  face  d'une 
criante  injustice,  simplenient  dcstinee  a  me- 
nager  dans  ravctiir  a  son  auieur  une  situation 
tolerable.  —  Dicebat  primo.  Tous  les  debi- 
leurs  fiireiit  convoques,  piobablement  I'un 
apres  I'autre  (Iva  Exa<jTov%  La  parabole  n'en 
mentionnera  nommement  que  deux,  mais  ce 
sera  «  per  moium  exeuipli  »  :  le  regisseur  se 
comporta  de  raeme  avec  tous. 

6  et  7.  —  Ceulum  cados  (Pixou;)  olei.  Le 
substantif  grec  Pato?,  inconnu  des  classiques 
dans  I'acception  que  no  is  lui  trouvons  ici,  est 
evidemment  caique  sur  I'hebreu  T\2.  Or  le 
bath  desigiiait  chez  les  anciens  Juifs  la  plus 
grande  m  'Sure  pour  les  liquides,  qui  equiva- 
lait  d'apres  les  Rabbins  au  contonu  de  432  oeuf's 
de  pouie,  a  72  «  sexlarii  »  remains,  ou  au 
«  metretes  »  at lique  (environ  40  litres)  d'apres 
I'historien  Josephe.  Cfr.  Keil,  Handbucti  der 
bibl.  Arcliseologio,  t.  11,  p.  139  ot  es.;  Smith, 
Diet,  of  [\w  Bible,  au  mot  Weights  a.  Mea- 
sures; Welztf  ct  Welte,  Diet,  encycl.  de  la 
Theologio  catholiq.,  art.  Mesures  des  anc. 
Hebreux  ;  Winer,  Bibl.  Realwoerterbuch,  s.v. 
Maasse.  D'ailleurs  Ton  n'esl  pas  encore  par- 
venu a  determiner  d'une  maniere  certaine  la 


valeur  des  mesures  hebraiques.  —  Accipe 
cautionem  tuani  :  bonne  traduction  du  grec 
(70U  TO  YpafJLfia,  litteral.  ton  ecrit  (x£tpoYpa<pov, 
Col.  II,  1 4;  ou,  Ypa(A(iaTeTov  ypeov;  6[io>.oYr|Ttx6v) ; 
ton  regu,  comme  nous  dirions.Les  manuscrits 
Sinail.,  B,  D,  L,  ont  xi  ypdjiiAaxa  au  pluriel ; 
de  meme  la  version  cople.  —  Et  sede.  Trait 
pittoiesque;  danslegrec,  "/aOtuai;,  t'etanlassis. 
—  Cito  depend  du  verbe  scribe.  Gela  encore  est 
tout  a  fait  naturel  et  graphique.  L'intendant 
redoutp  une  surprise  fAcheuse ;  il  presse  ses 
genspour  que  la  transaction  soitpromptement 
termmee.  —  Quinquaginta.  De  la  sorte,  la 
dette  se  trouvait  reduite  d'une  moitie,  par 
consequent  de  2000  litres,  e'est-a-dire  de  plu- 
sieurs  milliers  de  francs.  II  est  difficile  de 
dire  si  I'operation  demandee  consista  simple- 
ment  a  modifier  les  chiffres  du  reQu  primitif 
(chose  d'une  execution  aisee,  puisque  les  let- 
tres  hebraiques,  qui  servent  aussi  a  marquer 
les  nombres,  ont  souvent  enlre  elles  une  assez 
grande  ressemblance),  ou  si  le  debiteur  dill 
^crire  en  entier  un  nouvel  acte.  Le  texle 
semble  favoriser  la  premiere  hypothese.^  — 
Centum  coros  (xopou;)  tritici.  Le  kor  (12)  elait 
chez  les  Hebreux  une  autre  m>sure  de  capa- 
cile,  la  plus  grande  de  celles  qui  servaient 
pour  les  legumes  sees  :  il  contenait  iO  bath, 
c'esl-a-dire  environ  400  litres.  —  Accipe  lit- 
teras  tuas  (le  grec  porle  encore  xi  YP^f^t**)  ^ 
scribe  octiginta  Cette  fois,  I'econome  ne  re- 
mettait  que  la  cinquierae  partie  de  la  dette : 
il  est  vrai  que  la  remise  equivaut  a  8000  li- 
tres. Pourquoi  cette  difference?  Est-ce.  ainsi 
qu'on  I'a  pens^,  un  detail  insigniGant  (Eulhy- 
mius  :  «  superfluum  inquirere  »),  une  simple 
variante  deslinee  a  rendre  le  rdcit  plus  vi- 
vani?  Nous  preferons  y  voir  un  trait  de 
grande  finesse  psychologique  de  la  part  de 
t'inlendant.  II  connait  son  monde,  comme 
Ton  dit,  et  prevoit  que  les  m^mes  effets 
seront  produits  avec  des  concessions  diffd- 
rentes,  selon  les  circonslances  personnelles 
des  debiteurs. 


292 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


8.  Et  le  maitre  loua  reconome  in- 
fidele  d'avoir  agi  prudemment,  car 
les  fils  de  ce  siecle  sont  plus  pru- 
dents  que  les  fils  de  la  lumiere,  dans 
leur  Gjenre. 

9.  Et  moi  je  vous  dis :  faites-vous 
des  amis  avec  I'argerit  del'iniquite, 
afin  que  lorsque  vous  viendrez  a 
manqucrils  vous  recoivent  dans  les 
tabernacles  eternels. 


8.  Et  laudavit  Dominus  villicuna 
iniquitatis,  quia  prudenter  fecisset; 
quia  filii  hujus  sseculi  prudentiores 
filiis  lucis  in  generatione  sua  sunt. 

9.  Et  ego  vobis  dico  :  facite  vobis- 
amicos  de  mammona  iniquitatis; 
ut,  cum  defeceritis,  recipiant  vos  in 
aeterna  tabernacula. 


8.  —  Et  laudavit  dominus.  Kupio;  ne  de- 
signe  pas  ici  Noire-Seigneur  (Eiasme,  clc), 
mais  le  iiiailre  de  reconome.  Jesus  ne  se 
metlra  lui-meme  en  scene  quau  *.  9.  — 
Ayanl  appris  ce  qui  s'elail  passe,  le  mailre 
ne  peul  s'empecher  d'admircr  d'une  certaine 
maniere  la  cunduile  de  son  legisseur.  Assu- 
reinenL  sa  louange  ne  relombail  pas  sur  I'acle 
en  lui-meme,  qui  elail  iine  msigne  foiirberie; 
aussi  la  parabole  prend-elle  soin  d'appeler 
en  cet  cndroil  rinleiuianl  fi7/icu(/i  iniquitatis 
(expression  beaucoup  plus  forte  que  «  villicum 
iniquuin  »  ;  c'esl  une  sorle  d'hebiaisme,  ou  le 
«  genitivus  qualilatis  ndes  grauimairiens).  Ce 
que  le  pioprielaiie  louait,  c'elaiL  le  caiaclere 
ingenieux  de  rcxpedicnl ,  I'liabileie  avec 
laquelle  cetle  hoiuaio  avail  imuiedialemenl 
Irouve  un  moyen  piaiiiiue  pour  se  tirei-  d'em- 
banas  :  quia  prudenter  (9povi|X(i);)  fecisset. 
«  Cor  ejus  laudavit  dommus  eju^,  noii  alten- 
dins  damnum  suuin,  sod  ingeniura  ejus  », 
S.  August.  Enai  lat.  in  Ps.  un,  2.  C'esl  faule 
de  n'avoir  pas  elabli  celte  distinction  qu'on 
s'esl  si  souvrnl  ni!'|M-is  sur  le  sens  general  de 
noire  parabolo,  el  qu'on  a  vu  dans  ce  vtrsel 
laniol  un  indite  evident  de  la  conversion  du 
regisseui-  (voyez  la  note  dut.  5),  lanlomelle 
elaill'opinionde  Julien  I'aposlal)  une  apologie 
(le  I'mjustice  etdu  vol.  L'emploi  de  I'adverbe 
9poviiiw;  ne  montrait-il  pas  suffisammenl  que 
I'acle  en  question  n'est  pas  apprecie  au  point 
de  vue  moral,  mais  siniplenv.nt  coiiime  une 
heureuse  adaptation  des  moyens  a  la  fin? 
Cfr.  Trench, Synonyinesdu  N.T.,  trad,  frang., 
§  Lxv.  Ainsi  done,  le  maitre  «  laudat  inge- 
nium,  damuat  factum  »  (Clarius)  :  les  paroles 
qui  suivenl  I'lndiqucnt  clairrment.  —  Quia 
fiiii  hujus  sceculi...  Nom  parfaitement  appro - 
prie  pour  de:-igner  les  mondains,  qui  s'in- 
quietent  avanl  tout  des  interets  materiels, 
()ui  ont  toutes  leurs  pensees,  tous  leurs  desirs 
diriges  vers  la  lerre.  Cfr.  xx,  34.  C'est  le 
NaSy  'J3  des  Rabbins  (voyez  Schcellgen  et 
Wetstein,  h.  I  ).  Evidemmenl  I'econome  inG- 
dele  etait  un  rrrn  dlVJ  p  («  films  hujus  sae- 
culi  »).  —  Prudentiores.  L'llala  disaiUc  aslu- 
liores  ».  CIV.  S.  August.  1.  c.  —  Filiis  bids. 
Aux   fils  do  ce  monde,  Jesus  oppose  les  fils 


de  la  lumiere,  c'esl-a-dire,  comme  11  ressort 
du  contexte  et  de  plu^ieurs  passages  ana- 
logues (Joan,  xn,  36 ;  Eph.  v,  8 ;  1  Thess.  v,  5),. 
ses  disciples,  si  divinement  eclaires.  nagrant 
en  quelque  sorte  dans  un  ocean  de  clarle.  — 
In  generatione  sua.  Dans  le  grec,  el;  ti?iv  yeveav 
TT|v  iauTwv,  a  regard  de  leur  propre  race,  pai" 
consequent,  «  erga  idem  sentienles  »,  ou- 
bien,  «  inler  se  »;  non  pas  «  in  liac  vita  » 
(Theopliylacte),  ni  c  in  rebus  suis  »  (Grotius).. 
Les  liommos  du  monde  sonl  censes  former 
une  seule  el  meme  famiile,  qu'animenl  des 
sentiments  idenliques,  et,  comme  on  I'a  vu 
dans  notre  parabole,  lis  savenl  admirable- 
ment  s'entendre  quand  leurs  interets  sont 
en  jeu. 

9.  —  Jesus  voudrait  que  les  enfants  de  la 
lumiere  fissent  preuve  dune  pareille  habilete 
pour  l(  s  clio^es  du  riel  :  il  le  leurditen  leruies 
solennels  [et  ego  vobis  dico;  nolez  I'emphase 
des  dmixpronoms)  dans  ce  verset  qui  conlient 
la  clef  de  toute  la  narration.  11  argumente 
«  a  minori  ad  majus  »,  ou  bien  «  e  conlrario  j> 
comme  dans  les  paraboles  de  I'ami  importun 
(XI,  6  et  FS.)  el  du  juge  inique  (xvm,  1-8);  il 
propose  aux  bons  I'exemple  des  mechants  en 
guise  de  stimulant  energique.  Voyez  S.  Je- 
rome, Ep.  ad  Algas. ;  S.  Augustin,  Quaest. 
Evang.  II,  34;  Maldonat,  etc.  —  Facile  vobis 
amicos  (ainsi  qu'avait  fait  le  regi-s?nr  infi- 
dele)  de  mammona  iniquitatis.  «  Mammona  » 
est  un  nom  arameen  qui  signifie  i  ichesse ; 
nous  savons  par  S.  Augustin  (I.  c.)  qu'il  exis- 
tail  aussi  dans  la  langue  pnnique  («  mamon  »). 
Quant  a  I'epilhete  «  iniquitatis  »,  c'est  bien 
justement  qu'elle  est  apjjiiquee  aux  ricliesses, 
qui  sonl  en  t  ffet  la  cause,  I'occasion,  I'instru- 
ment  d'iniquiles  sans  nombre.  «  Rarae  vel 
nullae  sunt  divitiae  in  quarum  congrogalione 
seu  conservalioiie  non  intervenerit  peccatum 
vel  habenlium,  vol  ministrorum,  vel  palruin 
seu  avorum  »,  Cajetan,  h.  I.  Comparez  les^ 
expressions  identiques  des  Rabbins  :  pCD 
yU^IT  pOD,  1pU7"I.  Jesus  ne  parlaitdonc  pus 
seulem  enl  des  biens  acquis  d'une  maniere 
injuste,  mais  de  la  richesse  en  general.  Nous 
ne  nous  arreterons  pas  a  refuler  I'opinion  ra- 
tionalisle  (M.  Renan,  de  Wette,  I'ecole  d& 


CHAPITRE  XVI 


293 


10.  Qui  fidelis  est  in  minimo,  et 
in  majori  fidelis  est;  et  qui  in  mo- 
rlicoiniquus  est,et  in  majori  iniquus 
■est. 

11.  Si  ergo  in  iniquo  mammona 
•fideles  non  fuistis ;  quod  verum  est, 
quis  credet  vobis? 

12.  Etsi  in  alieno  fideles  non  fui- 
stis; quod  vestrum  est  quis  dabit 
vobis  ? 


10.  Gelui  qui  est  fidele  dans  les 
plus  petites  choses  est  fidele  aussi 
dans  les  grandes ;  et  celui  qui  est 
injuste  dans  les  petites  choses  est 
injuste  aussi  dans  les  grandes. 

11.  Si  done  vous  n*avez  pas  ete 
fideles  dans  les  richesses  injustes, 
qui  vous  confiera  les  veritables  ? 

12.  Etsi  vous  n'avez  pas  ete  fide- 
les dans  le  bien  d'autrui,  qui  vous 
donneraceliii  qui  est  a  vous? 


Tubins^uo)  d'apres  laquelle  Nolre-Seignour 
condamnerail  ici  les  richesentant  que  riches, 
comme  le  fit  plus  lard  la  secte  Ebionile,  car 
c'esl  une  allegalion  toutegraluite,  condamnee 
par  I'ensemble  du  recil. — Et,  cum  defece- 
ritis  :  c'esl-a-dire,  quand  vous  serez  morls. 
*Ex),i7rif)Te  (soil,  tiv  Ptov  ou  ti  ?fiv)  de  la  Re- 
ccpla  e?l  un  euphemisme  du  meme  genre ; 
maiSt  d'apres  les  manuscrits  Sinait,  B,  D,  L, 
R,  11,  etc.,  el  les  versions  cople,  elhiop., 
syr.,  armen.,  la  leQon  primilive  sensible  avoir 
«ie  IxXtTixi  au  singulier,  avec  iiajiuva  pour 
sujet,  «  cum  defeceril  mammona  ».  C'est  au 
fond  le  meme  gens,  puisque  I'argenl  manque 
^  tout  le  raonde  apres  la  mort.  —  Recipiant 
vos  in  ceterna  tabernacula.  D'ordinaire,  rien 
n'est  moins  stable  qu'un  sejour  sous  la  tenia 
(Cfr.  II  Cor.  v,  i)  :  toiilefois  il  est  au  ciel 
des  lentes  eternelles,  comme  le  dii  pareille- 
menl  le  IVe  livre  (apocryphe)  d'Esdras.  Plu- 
sieurs  exegeles  sous-enlendent  «  angeli  » 
devanl  o  recipiant  » ;  selon  d'autres,  ce  verbe 
«  posset  inleliigi  impersonaliter  »  (Cfr. 
xii,  i  1 ,  20  ;  XXIII,  3i) ;  mais,  ajoute  a  bon  droit 
Cocceius,  «  filum  parabolae  poslulat  ui  refe- 
ratur  ad  amicos  »,  el  ces  amis  ne  sonl  aulres 
que  les  pauvres  avec  lesquels  on  a  genereuse- 
ment  parlage  ses  biens.  Non  que  les  pauvres 
soienl  direciement  lesporliersdu  ciel  :  nean- 
moins  leurs  pri^res,  leur  bon  lemoignage, 
p^netreront  jusqu'^  Celui  qui  regarde  comme 
faite  a  lui-meme  Taumone  donnee  h  I'un  de 
ces  pelils,  et  il  ouvrira  on  leur  nom  le  ciel  a 
lous  leurs  bienfaileurs.  Cfr.  S.  Auguslin,  I.  c, 
el  Maldonat. 

4  0.  —  Li  s  tt.  iO-IS  sonl  elroilemeni  unis 
jnlre  eux  ainsi  qu'a  noire  parabole,  donl  ils 
tonlieniienl  d'ailleurs  la  morale  de  concert 
ivec  Ic  t.  9.  On  a  pretendu  bien  a  lorl  que 
§.  Luc  les  a  places  ici  dune  maniere  arbi- 
iraire.  Les  trois  premiers  (10-12)  rdpelenl, 
quoique  avec  une  nuance,  une  seule  el  meme 
pensee ;  le  qualrieme  pf'ecise  lo  genre  do 
fidelile  requis  par  Dieu  dans  les  aphorismes 
qui  precedent.  —  Qui  fidelis  est  in  minimo 
(Iv  IXaxiffTw)  et  in  majori  (ev  ttoXXw,  lilleral.  «  in 
inullo  »)...  C'esl  1^  une  verile  de  simple  bon 


sens  aussi  bien  que  d'experience  journaliere, 
reproduile  dans  le  second  hemisliche  sous  une 
autre  forme  :  qui  in  modico  (le  grec  a  oncoro 
£v  EXaxtcTTtp)  iitiquus  est...  Par  «  minimum  » 
ou  «  re?  minoris  pretii  »  il  faut  etilendie  ici, 
d'apres  le  conlexle,  les  richesses  mondaines, 
qui  Gill  on  realite  si  peu  de  consistance,  et, 
par  «  majus  »,  les  biens  spiriluels  qui  sonl  a 
mille  lieues  au-dessus  d'olles. 

11  el  12.  —  Si  ergo...  Jesus  applique  main- 
tenant  ce  grand  principe.  Quiconque  se  mon» 
trerait  infidele  in  iniquo  mammona  (voyez  la 
note  du  f.  9)  meriterail-il  done  qu'on  lui  con- 
fial  quod  verum  est  (to  aXyiOtvov)?  Evidemmenl 
«  iniquum  mammona  »  est  synonyme  de 
«  minimum  »  el  de  «  modicum  »,  landis  que 
«  verum  »  I'esl  de  «  majus  ».  Quelle  belle 
epilhele  que  celle  de  iWOivo;  allribuee  aui 
tresois  celestes,  par  opposition  a  la  fausset^ 
des  biens  de  la  lerre  ("  diviiiae  fallaces  »)! 
—  Autre  application  :  Et  si  in  alieno  (ev  t$ 
dXXoTpCo)).,.,  quod  vestrum  est  (t6  u[xeT£pov)... 
De  nouveau  les  expressions  sonl  admirable- 
menl  choisies,  el  le  conlrasle  est  Ires  frap- 
pant.  «  Alienum  »  represenle,  comme  le  disait 
S.  Jerome,  «  omne  quod  saeculi  est  »  :  c'est 
done  un  autre  nom  de  la  fortuii\  «  Alienas 
appellal  lerrenas  facultales,  quia  nemo  eas 
secum  moriens  auferl  »,  S.  August.,  I.  c. 
Denomination  de  la  plus  parfaite  exactitude, 
puisque,  les  palens  eux-merae  I'avaient  com- 
pris,  «  nil  neque  meum  est,  neque  cujus- 
quam,  quod  auferri,  quod  eripi,  quod  amitli 
potest  »,  Ciceron,  Parad.  iv.  Au  conlraire, 
les  biens  du  ciel  sont  appeles  d'avance  noire 
propriete,  parce  qu'il  nous  sont  destines  et 
qu'il  nous  est  relativem.Mit  facile  de  les  acqu^- 
rir  a  tout  jamais.  Quoi  de  plus  clair,  mais 
aussi  quoi  de  plus  irresistible  que  celle  simpb 
argumentation?  S.  Paul  faisail  un  raisonne- 
menl  semblable,  lorsqu'il  eciivail  ^  propos 
du  choix  des  eveques  I  Tim.  iii,  45  :  «  Si 
quis  domui  suae  praeesse  nescil,  quomodo 
ecclesice  D(M  diligenliiim  habi^bil?  »  La  fide- 
lite  est  entiero,  universelle,  absolue,  ou  elle 
n'est  pas.  Voyoz  dans  Schoeltgon,  llor.  liebr., 
t,  1,  p.  300,  plusieurs  exemples  ou  paraboreg 


«94 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


13.  Aucun  serviteur  ne  peut  ser- 
vir  deux  maitres,  car  oii  il  haira  I'un 
et  aimera  I'autre,  ou  il  s'attachera  a 
I'un  et  meprisera  I'autre  :  Vous  ne 
pouvez  servir  Dieu  etTargent. 

14.  Or  les  Pharisiens,  qui  etaient 
avares,  ecoutaient  tout  cela  et  riaient 
de  lui. 

15.  Et  il  leur  dit :  Pour  vous,  vous 
tachez  de  paraitre  justes  devant  les 
hommes,  mais  Dieu  connait  vos 
coeurs ;  car  ce  qui  est  grand  pour 
les  hommes  est  en  abomination 
devant  Dieu. 


13.  Nemo  servus  potest  duobus- 
dominis  servire  ;  aut  enim  unum 
odiet,  et  alterum  diliget ;  aut  uni 
adhserebit,  et  alterum  contemnet; 
non  potestis  Deo  servire,  et  mam- 
monae. 

Matt.  6,  24. 

14.  Audiebant  autem  omnia  hsec 
phariseei,  qui  erant  avari :  et  deri- 
debant  ilium. 

lb.  Et  ait  illis  :  Vos  estis  qui  jus- 
tificatis  vos  coram  hominibus  ;  Deus 
autem  novit  cordavestra;  quia  quod 
hominibus  altum  est,  aborainatio 
est  ante  Deum. 


que  les  Rabbins  alleguaient  pour  monlrer 
coramenl  Dieu  eprouve  les  hommes  en  de 
pelites  chores  afin  de  voir  s'ils  seronL  fideies 
dans  les  grandes.  C'est  ainsi,  disenl-ils,  qu'il 
ne  eonfia  dabord  a  David  qu'un  lout  petit 
nombre  de  brebis  avant  de  I'etablir  pasleur 
de  son  people  privilegie. 

-13.  —  Nemo  potest...  Deja  nous  avons  ren- 
contre celle  grave  sentence  dans  le  Discours 
sur  la  montagne,Matlh.  vi,24fvoyez  le  com- 
menlairej.  Jesus  la  repete  acluelleraent  pour 
indiquer  de  quelle  maiiiere  les  riches  devront 
manifester  la  fidelite  qu'il  vienl  de  leur  re- 
commander  en  lermes  si  urgenls  :  lis  seront 
■fideies  s'ils  n'hesilenl  pas  a'preferer  le  culte 
deDieu  a  celuide  Mammon.  Cesdeux  mailres 
en  effel  se  dispulent  nos  affections,  nos  ser- 
vices. Or,  Ton  ne  saurait  rien  imaginer  de 
plus  incompatible  que  leurs  caracteres,  leurs 
desirs,  leurs  exigences,  car  ils  sent  comme  aux 
antipodes  i'un  de  I'autre.  Cfr.  Jac.  iv,  4.  Enlre 
eux  nous  avons  a  choisir  :  auquel  appar- 
tiendrons-nous  ?  { Remarquez  I'emploi  de 
SouXeuiv,  servire,  mot  ires  fort  qui  designe 
uiie  vraie  servitude].  Les  fails  ne  tarderunt 
pas  a  le  proclamer,  comme  I'exprime  celte 
\ivanle  comparaison  de  Stella  (h.  1.)  :  «  Si 
duobus  hominibus  aliqua  via  incedentibus 
canis  sequitur,  non  facile  judicare  poleris 
uter  illorum  dominus  ejus  sit.  Gelerum  si 
alter  ab  alteio  discedal  (et  c'est  precisement 
le  cas),  slatim  apparel  clarissinie  quis  domi- 
nus sit.  Canis  enim,  ignoto  rcliclo,  ad  nolum 
acced;t,  eumque  dominum  esse  suum  clare 
oslendit.  » 

2»  L'avarice  des  Pharisiens  r^prouv^e  dans  la  para- 
bole  du  pauvre  Lazare.  xvi,  14-31. 

44.  —  Audiebant...  otnnici  hcec...  ;c'est-a- 
dire  la  parabole  de  I'econome  infidele  et  la 
morale  que  Jesus  en  avail  liree,  tt.  1-13.  II 
8  agit  '.oujours  des  Pharisiens  menlionnes  au 


debut  du  chap.fxv  (voyez  xvi,  4  et  le  com- 
mentaire).  —  Qui  erant  nvari.  La  locution 
grecque  9i).apYupot  v)7;apxov-e;  exprime  plus 
fortemenl  encore  la  meme  pensee.  Les  Pha- 
risiens sont  done  presentes  ici  comme  des- 
amis  de  Mammon,  «  accusation  que  juslifienl 
amplemenl  les  allusions  failes  par  le  Talmud 
h  la  rapacite  des  Rabbins  de  ceite  epoque. 
Cfr.  Malih,  xxiii,  13.  »  Farrar,  The  Gospel 
according  to  St.  Luke,  p.  266.  —  Ei  deride- 
bani  ilium,  ilB\Lw.-:-r\piZ,o'<>  auxiv.  uc?  Jexico- 
graphf^s  et  les  commeiitaleurs  sont  d'accord 
pour  voir  dansle  verbe  compose  exfiuxTript^eiv- 
(la  forme  simple  (luxTripi^eiv,  de  {tuxTiip,  a  na- 
sus,  »  parfois  «  nasutus,  irrisor,  »  est  deja 
Ires  forte)  I'indication  d'une  derision  insigne, 
ouverte,alteignanile5derniereslimilesde  I'in- 
solence  (o  adhibito  quodam  gestu  narium.  ») 
C'est  I'equivalenl  du  «  naso  suspendere 
adunco  »des  Latins.  Comparezl'expression  al- 
lemande  «  die  Nase  riimpfen  ».  Ces  Pharisiens 
superbes  Irouvaient  sans  douteeirange  qu'un 
pauvre,  comme  I'^lait  Jesus,  pritsur  lui  d'en 
remonirer  aux  riches.  Comme  si,  d'ailleurs, 
la  richesse  et  la  religion  etaient  deux  choses 
inconciliables!  N'etaient  ils  pas  tout  ensemble 
favorises  desbiens  de  cemonde  et  neanmoins 
pleins  de  piete?  De  tels  discours  leur  parais- 
saienl  done  ridicules, 

45.  —  Ait  illis.  Jesus  ne  laissa  point  passer 
sans  y  repondre  celte  grossiere  insulte.  S'a- 
dressanl  directement  a  ses  adversaires  (vos 
estis,  avec  emphasp),  il  comm  ^nga  par  leur 
reprocher  avec  une  indignation  bien  legitime 
leur  honteus.^  hypocrisie.  —  Jusiificatis  vos 
coram  hominibus.  Ils  affectaient  en  effel  de 
paraitre  saints  aux  venx  de  leurs  sembiables. 
Cfr.  VII,  39  el  ss.';  Maith.  xxm,  25 ;  etc. 
Nous  verrons  bienlot  (xviii.  lO)  I'un  d'eux  se 
justifier  meme  devant  le  Seigneur.  Toutefois, 
si  Irs  hommes  etaient  dupes  de  ces  values 
apparences,  Dieu,  pour  qui  rien  ne  dsmeure 


CHAPITRE  XVI 


295 


16.  Lex  et  prophetse,  usque  ad 
Joannem  ;  ex  eo  regnum  Dei  evan- 
gelizatur  et  omnis  in  illud  vim 
facit. 

Malt.  H,  12. 

17.  Facilius  est  autem  coelura  et 
terram  pneterire,  quam  de  lege 
unum  apicem  cadere. 

Matth.  5, 18. 


16. La  loi  et  les  prophetes  ontdure 
jusqu'a  Jean;  depuis  le  royaume 
de  Dieu  est  annonce  et  chacun  fait 
effort  pour  y  entrer. 

17.  Mais  il  est  plus  facile  que  le 
ciel  et  la  terre  perissent  qu'un  seul 
point  de  la  loi  ne  tombe. 


cache,  connaissail  loute  leur  misere  morale. 
Maldonal  Iraite  fori  justement  de  lilole  la 
phrase  Deus  autem  novit  corda  vestra.  «  In- 
sinualioesl,ecril.-il,qua  plusdiciUir  quam  si- 
gnificalur,  nempe  corda  ipsorum  iniquilatis 
plena  esse.  »  Cela  ressorl  en  effel  du  con- 
texle  :  quia  quod  hominibus  altum  est,  abomi- 
natio  (P&s).yy[ia,  mot  eneigitiue  «  res  exse- 
cranda  »J...  Que  lepresenienl  eel  «  altum  », 
celle  «  aboniinalio  »,  sinon  la  conduile  des 
Pharisiens  jugee  d'apres  un  double  principe, 
le  principe  des  hommes  el  le  principe  de 
Dieu? 

46.  —  A  parlir  de  ceverset  jusqu'au  \B», 
I'enchainemenl  des  pensees  est  ob-cur  et  pre- 
senle  des  difficulles  reelles.  Beaucoup  d'in- 
lerpreles  renoncenl  a  I'elablir,  enlre  autres 
M.  Reuss,  d'apres  lequel  ces  versels  conlien- 
draient  des  maximes  «  qui  paraissent  elre  tout 
a  fait  eliangeres  au  texle  el  qui  ne  se  irou- 
venl  la  que  par  Teffet  d'un  hasard  inexpli- 
cable »,  Hisloire  evangeliq.,  p.  49o.  Le  iheo- 
logien  hoUandais  van  der  Palm  dil  meme,  et 
d'un  ton  ires  grave,  pour  expliquer  leur  pre- 
sence en  cet  endroit,  que  S.  Luc.  voulant 
commencer  sur  une  nouvelle  page  la  para- 
bole  du  mauvais  riche,  el  desireux  pourlanl 
d'utiliser  lo  court  espace  qui  lui  reslail  au 
bas  de  la  precedente,  I'aurait  rempli  par  ces 
lignes,  separees  violemment  de  leur  con- 
nexion logique  et  chronologique  !  1  L'exegese 
croyante  n'en  est  pas  encore  reduile  a  de  tels 
expedients.  Nous  n'avons  aucun  molif  de 
supposer  que  I'evangelisle  a  delache  de  leur 
place  primilive  ces  «  effala  »  du  Sauveur; 
raais  il  est  possible  qu'il  les  ait  nolableinent 
abreges,  ce  qui  aurail  fait  disparailre  en 
parlio  la  liaison.  Pourquoi  du  resle,  dans  I'in- 
tenlion  de  fi-apper  davantage  ses  auditeurs, 
Jesus  n'aurail-il  pas  lenu  a  degsein  ce  langage 
en  apparence  incoherent,  enigraalique?Sans 
ccmpler  que  I'assisiance  pouvail  entendre 
^  mols  converts  ce  qui  est  aujourd'hui  moins 
inlelligiblo  pour  nous.  Apres  tout,  la  liaison 
n'esl  pas  impossible,  bien  quo  les  cominen- 
taleurs  ne  soient  pas  d'accord  sur  le  meilleur 
moyen  de  la  deUrminer.  Parini  les  nom- 
breuses  tentalives  failes  pour  I'elablir,  nous 
donnons  nos   preferences  k   la    suivante   : 


Quoique  si  sainls  devant  les  hommes,  vous 
eles  pour  Dieu  unobjel  d'horreur  {t.  15),  car, 
malgre  I'evidence  avec  laquelle  elle  se  mani- 
feslait,  vous  avez  refuse  de  croire  a  la  verile, 
c'est-a-dire  a  Teiablissement  de  mon  royaume 
(t.  16).  Ne  pensez  pas  d'ailleurs  que  je  sois 
venu  pour  aneanlir  la  Loi  ancienne  :  ma  mis- 
sion est  au  conlraire  de  la  perfectionner 
(t.  17).  C'est  vous  qui  la  detruisez  par  votre 
laxisme,  en  parliculier  pour  ce  qui  regarde 
la  divine  inslilulion  du  mariage;  mais  je  la 
relablis  dans  loule  sa  vigueur  primordiale 
(t.18).Voyezle  Yen.  Bede,  Bisping,  Slier,  etc., 
h.  1.  —  Lex  et  prophelw..,  Jesus  avail  deja 
propose  celle  belle  idee  en  une  autre  occasion 
(Mallh.  XI,  12  el  13);  il  la  presenle  acluelle- 
ment  sous  une  forme  plus  concise,  plus  ser- 
ree.  Apres  les  mols  usque  ad  Joannem  on 
peut  suppleer  «  prophelaverunt  »  (c'esl  le 
mieux,  d'apres  le  passage  paralleie  de  S.  Mat- 
lhleu),ou  a  fuerunt  )),ou  «  praetlicata  sunt  ». 
Jusqu'a  S.  Jean-Baptisle  on  elait  encore 
dans  I'ere  de  la  Loi  et  des  prophetes  :  I'an- 
cienne  Alliance  durait  encore ;  raais,  depuis 
I'apparilion  du  Precurseur  (an6  xoxs,  ex  eo 
scil.  tempore),  leNouveau  Testament  a  com- 
mence, on  est  enlre  dans  la  periode  evan- 
gelique,  messianique  :  regnum  Dei  evange- 
lizal^ir.  S.  Jean  avail  ele  en  effet  le  premier 
a  repandre  bien  haul  cette  bonne  nouvelle; 
Jesus  I'avail  fait  relentir  plus  forlement  en- 
core, et  deja  se  monlraient  les  heureux  re- 
sultats  de  leur  predication  :  omnis  in^  illud 
vim,  facit  fpia^exai,  au  moyen);  c'elait  a  qui 
entrerait  le  premier  dans  le  divin  royaume. 
Cfr.  XV,  1  ;  Joan,  xii,  19.  Pour  les  develop- 
pemenls,  voyez  I'Evangile  selon  S.  Mallh., 
p.  223.  Jesus  n'a  certainement  pas  voulu 
parler  ici  d'une  agression  hostile  centre  son 
Eglise,  mais  au  conlraire  d'une  manifestation 
qui  provenail  de  I'eslime  et  de  I'amour. 

17.  —  Facilius  est  autem...  L'ouverture  du 
Discours  sur  la  monlagiie,  Malth.  v,  18 
(voyez  le  commentaire,  p.  110),  annoncait  en 
des  lermcs  a  peu  pres  iilentiques  que  la  loi 
du  Sinai  persevererail  meme  sous  le  regime 
Chretien,  quoique  a  I'eiat  transrigure,_  sous 
une  forme  idealisee,  perfeclioniiee.  Mais  ici 
encore  la  redaction  de  S.  Luc  a  le  merit© 


296 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


18.  Quiconque  renvoie  sa  femme 
et  en  epouse  une  autre  commet  un 
adultere  et  qui  epouse  celle  que  son 
mari  a  renvoyee  commet  un  adul- 
tere. 

19.  Ily  avail  un  homme  riche  qui 
etaitvetu  de  pourpre  et  de  byssus, 
et  chaque  jour  faisait  une  chere 
splendide. 


18.  Omnis  qui  dimittit  uxorem 
suam,  et  alteram  ducit,  moechatur  : 
et  qui  dimissara  a  viro  ducit,  moe- 
chatur. 

Matlh.  5,  32;  Marc.  10, 11;  /  Cor,  7, 10. 

19.  Homo  quidam  erat  dives,  qui 
induebatur  purpura,  et  bysso;  et 
epulabaturquotidie  splendide. 


d'une  plus  grande  energie.  —  Coelum  et  ter- 
rain prceterire ;  car  le  ciel  el  la  lerre  dure- 
ronl  au  moins  jusqu'a  la  fin  dii  monde.  —  De 
lege  unum  apicem  cadeve.  «  Uniiin  apicem  », 
liiav  xepaiav,  un  de  ces  pelils  crochets  a  peine 
percepiibles  qii'on  avail  invenles  pour  ditl'e- 
rencier  certaines  lellres  hebralques.  Voyeza 
ce  sujel  dans  Lightfool,  Hor.  hebr.  in  Mallh. 
V,  18,  de  curieuses  argulies  des  Rabbins. 
«  Cadere  »,  TtcffeTv,  belle  image  pour  signi- 
fier  :  perdre  de  sa  force,  cesser  d'cxister, 
etre  annule.  El  de  fait,  «  la  Loi  n'esl  pas 
tombee  a  terre ;  son  abrogation  ne  ful  autre 
que  son  accomplissement  integral  dans  lous 
ses  principes  eternels,  »  Farrar,  The  Gospel 
according  to  S.  Luke,  p.  267.  Lps  Pharisiens, 
si  pleins  de  reverence  au  dehors  pour  la 
lettre  de  la  loi,  en  violaienl  neanmoins  fre- 
quernmenl  /'esprit  :  voila  ce  qui  tendail  a  la 
renverser,  a  la  ruiner. 

48.  —  Omnis  qui  dimittit...  Exemple  a 
I'appui  du  principe  qui  precede.  Peu  de  pres- 
criptions divines  avaienl  ete  aussi  obliterees 
que  celle  qui  concernail  I'unite,  I'indissolu- 
bilile  du  mariage.  Jesus  lui  rend  dans  le 
code  messianique  loule  sa  force  originaire, 
montranl  ainsi  qu'il  perfeclionnail  la  loi 
mosaique,  bien  loin  de  la  delruire.  Pour  I'ex- 
plication  detaillee  voyez  Matth.  v,  32 ;  xix,  9 ; 
Marc.  X,  11,  et  les  notes  correspondantes. 

19.  —  Apres  cette  apostrophe  adressee  aux 
Pharisiens,  ft.  15-18.  el  sans  autre  liansi- 
tion  que  la  particule  6e  (avOptono;  hi  ti;  ^v), 
omise  par  la  Vulgate,  Notre-Seigneur  revient 
k  son  sujel,  la  necessite  pour  les  riches  de 
faire  un  excellent  emploi  de  leurs  richesses 
|Cfr.  iff.  1-13).  Dans  une  seconde  parabole, 
que  Ton  range  a  juste  litre  parmi  les  plus 
belles  et  les  plus  instructives  du  troisieme 
Evangile,  il  eclairs  une  autre  face  de  celle 
grave  question,  montranl,  par  I'exemple  ter- 
rible du  mauvais  riche,  oil  conduit  finale- 
ment  la  possession  des  biens  de  la  terre  si 
Ton  n'en  use  que  pour  sa  propre  jouissance, 
au  lieu  d'en  jiHer  une  partie  dans  le  sein  de 
pauvres,  c'est-a-dire  dans  le  sein  de  Dieu. 
Voyez  les  commentaires  de  S.  Gregoire-le- 
Grand  (Horn,  xl  in  Evang.),  de  S.  Jean  Chry- 
soslome  [Horn,  iv  de  Lazaro),  de  S.  Augustin 
iSerm.  xiv,  xxvi,  XLi),et  I'admirable  sermon 


de  Massillon,  Le  mauvais  riche.  —  II  y  a 
comme  deux  acles  dans  ce  drame;  le  pre- 
mier, t*.  19-21,  se  passe  sur  la  lorre,  ie 
second,  t)i^.  22-31,  dans  I'aulre  monde.  De 
part  et  d  autre  nous  trouvons  un  frappant 
contraste  entre  Telat  des  deux  personnages 
autour  desquels  roule  le  recit.  —  loSurla 
terre  :  Homo  quidam  erat  dives.  C'etail  un 
Juif  d'apres  les  tt.  24,  25,  29-31.  Le  divin 
narrateur  evite  de  mentionner  son  nom,  soil 
par  delicatesse,  soil  plutot,  comme  le  conjee- 
lurail  deja  S.  Augustin,  parce  qu'il  n'avait 
pas  merite  d'etre  inscrit  au  livre  de  vie.  D'a- 
pres une  tradition  probablemenl  legendaire, 
que  signale  Eulliymius  et  dont  on  liouve  des 
traces  encore  plus  anciennes  dans  la  version 
sahidique,  il  se  serait  appele  Ntveuyj?,  NivEut;, 
ou  Nineve.  —  Les  evangelistes  avaienl  re- 
sume en  deux  traits  significatifs,  dont  I'un 
concernail  rhabillement,  I'r.utre  la  nourri- 
ture,  la  vie  moitifiee  du  Precurseur;  en  deux 
trails  analogues  Jesus  resume  toule  la  vie 
sensuelle  el  mondaine  du  mauvais  riche.  Pre- 
mier trait  :  qui  induebatur  purpura  et  bysso. 
La  pourpre  eclatante  de  Tyr,  le  fin  lin  dE- 
gypte  aussi  blanc  que  la  neige,  elaient  ega- 
lement  celebres  dans  I'antiquite.  Cfr.  Gen. 
XLi,  42;  Esth.  viii,  15;  Prov.  xxxi,  22; 
Ezech.  xxvii,  7;  Dan,  v,  7,  16,  29;  I  Mach. 
X,  20;  XI,  58;  xiv,  43;  Apoc.  xviii,  12. 
Ces  etolTes  qui  vaiaient  parfois  leur  pesant 
d'or  (CIV.  Pline,  Hist.  Nal.  xix,  4),  fournis- 
saient  aiors  aux  rois,  aux  nobles,  aux  riches 
en  general,  des  velemenls  somplueux.  La 
pourpre  etait  le  plus  souvent  reserves  aux 
habits  de  dessus,  le  lin  aux  velements  inte- 
rieurs  :  on  a i mail  a  les  associer  a  cause  de 
la  gracieuse  combinaison  de  couleurs  qu'on 
oblenait  amsi.  —  Second  trail :  epulabatur 
quotidie  splendide  'dans  le  grec  :  eCiqppatv6[ievo; 
xaO'  T;tjL£pav  Xaaitpu;,  ce  que  I'ltala  traduisait 
par  «  jucundabatur  nitide  »  ;  mais  la  Vulgate 
rend  Ires  bien  la  pensee.  Voyez  xv,  23, 24,  29 
el  le  commentaire).  G'esl  le  luxe  de  la  table 
a  cote  du  luxe  des  velements.  Quelle  force 
dans  ces  quelques  mots  I  On  ne  pouvait  pas 
mieux  peindie,  en  deux  coups  de  pinceau, 
une  vie  d'oisivele,  de  mollesse,  de  perpetuels 
el  splendides  festins,  de  magnificence  toute 
royale.Il  est  a  remarquer  que  Notre-Seigneur 


CIIAPITRE  XVI 


59? 


20.  Et  erat  quidam  mendicus,  no- 
mine Lazarus,  qui  jacebatadjanuam 
ejus,  nlceribus  plenus, 

21.  Gupiens  salurari  de  micis,  quae 
cadebant  de  mensa  divitis,  et  nemo 
illi  dabat;  sed  et.  canes  veniebant, 
et  lingebantulcera  ejus. 


20.  Et  il  y  avait  un  mendiant 
nomme  Lazare,  qui  gisait  a  sa  porta, 
plain  d'ulceres. 

21.  Desirant  se  rassasier  des 
mieltes  qui  lombaient  de  la  table  du 
riche,  et  personne  ne  lui  en  donnait, 
mais  les  chiens  venaient  et  lechaient 
ses  ulceres. 


ne  reproche  pas  d'autre  crime.au  maiivais 
riche  que  ce  culte  de  la  chair  el  sa  diirele 
pour  le  pauvre  Lazare.  «  On  ne  I'accuse  ni 
de  violence,  ni  de  concussion,  ni  d'avarice, 
t)i  d'injuslice  »  (D.  Calmet),ni  meme  d'orgies 
Hde  debauches.  Voyez  Massillon,  1.  c,  Exode 
el  debul  de  la  premiere  parlie.  Aiix  yeux  du 
«  monde  »  il  passail  pour  un  parfail  inno- 
cent. Et  pourtanl  Dieu  le  condamnera.  Ce 
riche,  d'apres  le  contexte  (Cfr.  t.  14),  est 
evidemment  Tembieme  des  «  Phaiisiens 
avares,  »  auxqueis  Jesus  voulail  prouver 
qu'il  ne  suffii  pas,  pour  parvenir  au  salul,  de 
mener  une  vie  respectable  au  dehors,  si  Ton 
n'y  joint  les  pratiques  de  la  chariie.  C'esl  a 
lort  qii'on  a  vu  parfois  en  lui  un  type  des 
Sadduceens  voluplueux  el  incredules,  car 
«  nullum  adesl  vestigium  vel  menlio  transitus 
ullius  a  Pharisaeis  ad  Sadducaeos  »  (Bengel). 
20  el  21.  —  El  erat  quidam  mendicus 
(TtTtox'^?, un  pauvre)...  Tableau  de  la  plus  ex- 
ireme  misere  apres  celui  de  la  plus  grande 
felicile  lemporelle.  —  Nomine  Lazarus.  «  Le 
monde  donnait  un  nom  au  riche  el  laisait 
celui  du  pauvre;  le  Sauveur  tail  le  nom  du 
riche  et  menlionne  celui  du  pauvre  »,S.  Au- 
gu3l:n.  Ce  nom  de  Lazare,  egalement  porte 
par  I'ami  de  Jesus,  t'rere  de  Marlhe  et  de 
I^larie,  Joan,  xi,  1,  introduit  dans  la  plupart 
des  langues  europeennes  sous  les  lormes  de 
(I  lazaret,  lazzarino,  lazar,  etc.,  »  sirail, 
d'apres  quelques  hebralsanls,  une  coiitrac- 
lion  de  L6  ezer  ("iTy  kS),  «  auxilio  deslilu- 
lus  » ;  mais  on  le  regarde  plus  habituellement 
comme  une  formr'  abregee  de  Eleazar  ntV  Sn; 
par  aphereso  TtVh, Lazar),  «  Deus  auxilium  ». 
Lightfoot,  Hor.  hebr.  in  h.  1.,  demontre  fori 
bien,  par  divers  exemples  tires  de  la  littera- 
lure  rabbinique,  que  parfois  le  meme  per- 
sonnage  etail  indifferemmenl  appele  Lazare 
el  Eleazar.  C'etail  d'ailleurs  une  denomina- 
tion Ires  commune  a  I'epoque  de  Notre-Sei- 
gneur,  ainsi  qu'on  le  voil  par  les  ecrits  de 
Josephe.  Elle  convenait  admirablement  au 
pauvre  qui  nous  e?t  ici  presente  par  le  divin 
Maitre,  car  elle  exprimait  d'une  maniere 
eymbolique  sa  confiance  en  Dieu,  sa  palirnce 
au  milieu  de  ses  miseres.  Aussi  bien,quoique 
aucun  autre  nom  propre  n'apparaisse  dans 
les  paraboles  evangeliques,  nous  ne  croyons 
pas  qu'elle  sufEse  a  elle  seule  pour  prouver 


que,  dans  ce  cas  special,  Jesus  decrivail  une 
hisloire  re.'lle  ct  non  un  simple  fait  imagi- 
naire.  Sur  cette  question,  conlroversee  des 
les  temps  les  plu-^  recules,  voyez  S.  Irenee, 
contr.  Her.  iv,  2,  4,  Theophylacte,  h.  ]., 
D.  Caimel,  Maldonat,  Corneille  de  Lapierre, 
Scliegg,  elc.  —  Jacebat  ne  rend  pas  loule  la 
force  du  grec  i8i6lt]XQ,  qui  signifie  lilierale- 
ment  «  avail  eie  jele,  »  comme  si  les  amis 
de  Lazare  I'cussenl  apporle  et  abandonne  a 
la  porle  du  riche,  dans  la  pensee  que  celui-ci 
lui  viendrail  largement  en  aide.  —  Ad  ja- 
nuam.  Le  mot  grec  icu).wv  designe  la  porte 
cochere ,  I'entree  principalc  Cfr.  Matlh. 
XXVI,  71.  —  Ulceribus  plenus  est  une  excel- 
lenle  traduction  du  participe  tiXxw|X£vo?  (verbe 
denominatif  forme  de  £Xxo;,  ulcere).  Pour 
Lazare,  la  maladie,  et  quelh;  affreuse  mala- 
die  1  s'ajoutail  au  denument  le  plus  absolu. 
Dans  sa  detresse,  ce  malheureux  desirail  ar- 
demment  (Cfr.  xv,  16)  se  rassasier  de  micis 
quw  cadebant  de  mensa  divitis;  mais,  nemo 
illi  dabat,  car  les  serviteurs,  fa^onnes  a  I'i- 
mage  de  Icur  maitre.  etaient  inhuraains 
comme  lui.  Bien  que  celte  deiniere  phrase, 
qui  manque  dans  le  lexte  primitif,  soil  pro- 
bablemenl  apocryphe,  elle  ne  parait  que  irop 
conforme  a  la  realite  exteiieure ;  jamais  en 
effel,  quoi  qu'on  ail  dil,  emOuixsw  n'a  ete  syno- 
nyme  de  «  contenlus  sum,  gaudeo  ».  La  glose 
de  la  Vulgate  correspond  done  parfaitement 
au  sens  general  du  recit.  —  Sed  et  canes 
veniebanl...  Trail  pittoresque,  dramalique  et 
toucliant,  quelque  signification  qu'il  faille 
d'ailleurs  lui  atiribuer.  Les  exegetes  se  divi- 
seot  en  effet  a  sonsujet,  les  uns  le  regardant 
comme  une  anlilhese,  les  autres  y  voyant 
line  gradation  asceiidante.Ceux-l a  (S.Jerome, 
llugues  de  S.  Victor,  Erasme,  Welstein, 
Slier,  Trench,  etc.),peiisant,  conformement 
a  la  croyance  populairc  qui  altribue  a  la 
langue  des  chiens  une  vertu  medicinale,  que 
la  narration  oppose  sciemment  a  la  cruaute 
du  niauvais  riche  envers  Lazare  la  pilie  de 
betes  denueesde  raison.  Ceux-ci,  el  c'esl  le 
plus  grand  norabre  (enlre  autres  Jansenius, 
Fr.  Luc.  ReischI),  voient  dans  ce  trait  final  un 
indicede  la  plus  extreme  misero  :  incapable 
de  se  defendre,  Lazare  devaii  subir  les  cruels 
coups  de  langue  (notez  dans  le  grec  I'emploi 
du  verbe  compose,  a;ie).£ixov)  des  chiens  de 


298 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


22.  Or  il  arriva  que  le  mendiant 
mourut  et  fut  porte  par  les  anges 
dans  le  sein  d'Abraham.  Et  le  riche 
mourut  aussi  et  il  fut  enseveli  dans 
Tenfer. 


22.  Factum  est  autem  ut  morere- 
tur  mendicus,  et  portaretur  ab  ange- 
lis  in  sinum  Abrahse.  Mortuus  est 
autem  et  dives,  et  sepultus  est  in 
inferno. 


I'Orient,  qui  errenl  sans  maitre  dans  Ics 
rues,  constammenl  affames.  La  parlicule 
4>,>.a  y-ai,  «  main  en  oulre;  »  el  la  coulume 
bibiiquo  de  presonler  ces  animaux  sous  un 
jour  peu  favorable,  sembleni  appuyer  le 
second  sentiment. 

22.  —  2o  Nous  sommes  lout  a  coup  trans- 
pories  dans  I'autre  monde,  ou  nous  retrou- 
vons  les  deux  heros  de  noire  parabole.  Mais 
leurs  roles  sont  desormais  bien  changes !  Cette 
fois,  c'eslLazare  qui  nous  esl  le  premier  pre- 
sente.  —  Factum  est  (formule  de  transit  ion) 
ut  moreretur  inendicus.  La  morl  vint  enQn  le 
delivrer  de  ses  cruelles  souffrances  ;  bien  plus, 
nous  le  voyons,  a  peine  enlre  dans  I'autre  vie, 
comble  d'hontieurs  el  jouissant  des  sainles 
delices  reservees  aux  elus.  —  Portaretur  ab 
angelis.  Celui  que  les  hommes  avaient  au- 
trefois delaisse  est  mainlenant  servi  par  les 
esprils  celestes,  qui  le  porient  douceraent  au 
sejour  des  bienheureux.  «  lis  accourenl  en 
grand  nombre,  s'ecrie  S.  Jean  Chrysoslome, 
1.  c,  afin  de  former  un  chcBur  joyeux;  cbacun 
des  anges  se  rejouit  de  toucher  a  ce  fardeau, 
car  ils  aimenl  a  se  charger  de  lels  fardeaux 
pour  conduire  les  hommes  au  royaume  des 
cieux.  »  C'etait  la  croyance  des  Juifs  que  les 
ames  des  justes  elaient  ainsi  portees  par  les 
anges  au  paradis.  «  Non  possunl  ingredi  Pa- 
radisum  nisi  justi,  quorum  animse  eo  ferun- 
tur  perangclos  «,  Targum  Cant,  iv,  -12.  Cfr. 
Lighlfoot,  Hor.  hebr.  Ii.  I.;  voyez  aussi  Thilo, 
Cod.  apocrypiius  N.  T.  I.  I,  pp.  25,  45,  777. 
—  In  sinimi  Abrahw.  Autre  image  emprunlee 
par  Notre-Seigneur  a  la  iheologie  rabbinique. 
D'ailleurs  prenque  toutes  les  couleurs  qu'il 
emploie  ici  pour  peindre  I'etat  des  bons  et 
des  mediants  dans  Taulre  vie  sonl  extraites 
des  ideesqui  avaient  a^ors  coursen  Palestine. 
Voyez  Schegg,  Evang.  naihLuka-,  t.  II,  p.  486 
el  ss.  Ces  idees  etaientgeneralemenl  exacles, 
el,  en  s'y  accommodani.  le  Sauveur  ne  pou- 
vaitque  rendre  ?a  narration  plus  saisis-anle. 
Or,  corame  le  demonire  Lighlfoot  (1.  c.)  a 
I'aide  de  plusieurs  passages  du  Talmud,  les 
Juils  conlemporains  de  Jesus  se  servaienl  de 
trois  iocutiuns  principales  pour  designer  le  se- 
jour des  bienheureux  :  nj;  p2-  dans  le  jar- 
din  d'Eden  ;  Tin^n  ND3  Tinn,  sous  le  Irone  de 
gloire;  DH^nx  SxiT  Ipina,  dans  le  sein  d'A- 
braham. Cette  derm  ere  exprimait  d'une  fa- 
<;on  loule  gracieuse  le  repos  el  le  bonheur 
des  ^lus,  «  metaphora  ducla  a  parentibus, 
qui  puerulos  suos  diuturna  discursilatione 
fessos,  vel  experegrinationedomumreversos, 


aut  ex  adverso  aliquo  casu  ejulantes,  solatii 
causa  in  sinum  suum  recipiunt,  ut  ibi  sua- 
viler  quiescant,  »  Gerhard,  Loc.  Iheolog. 
xxvu,  8,  3.  Cfr.  Lud.  Capellus,  Spiciiegium, 
p.  56.  Nous  la  relrouvons,  legeremenl  ampli- 
fiee,  au  IVe  livre  (apocryphe)  des  Machabees, 
XIII,  i6  (ouTw  Y«P  Oavovxa;  fi[iia;  'Afipaaij.  xal 
'laaax  xai  laxwS  (iTtoSe^ovtai  eI?  tou;  xoXtiou;  au  > 
Twvj.  Par  I'inlermediaire  des  SS.  Peres  (voyez 
Suicer,  Thesaiiius,  s.  v.  -/.olnot,;  S.  Augusiin, 
Episl.  cLXXXvn ;  Confess,  ix,  3;  de  Anima, 
1.  IV,  c.  4  6),  elle  passa  dans  la  lilurgie  et  la 
iheologie  catholiques,  oil  ello  represenle 
lantot  le  «  Limbus  pairum  »,  tantot  le  ciel 
proprement  dil  («  In  sinum  Abrahae  angeli 
deducanl  le  ».  Prieres  des  agonisants).  Cfr. 
S.  Thomas  d'Aq.,  Summ.  fheolog.  p.  iii, 
q.  52.  art.  2,  et  Mamachius,  de  Animabus 
juslorum  in  sinu  Abrahae  ante  Chrisli  mor- 
tem, Rome  1766,  t.  II,  p.  834  et  ss.,  lOU, 
et  s.  L'arl  chrelien,  surlout  au  xiiie  siecle, 
represenlait  volontiersle  ciel  sous  cette  naive 
figure.  On  la  voil  sculptee  a  S.  Elienne  de 
Bourges,  a  Moissac,  a  Vezelay,  a  Nolre-Dame 
de  Reims  (voir  Ch.  Cerf,  Histoire  el  descrip- 
tion de  N.-D.  de  Reims,  t.  II,  p.  49  el  s.).  Com- 
parez  du  reste  I'expression  analogue  du  qua- 
iriemeEvangile,  l,  48  «  Filius,  qui  esl  in  sinu 
Patris.  »  —  Mortuus  esl  autem  et  dives.  Alors 
se  realisa  la  parole  de  Job,  xxi,  43  :  «  Du- 
cunt  (impii)  in  bonis  dies  suos,  et  in  puncto 
ad  inferna  descendunt.  »  Cette  mort  semble 
avoir  suivi  de  pres  celle  de  Lazare.  —  Et  se- 
pultus est.  Dans  le  teste  grec  et  dans  plusieurs 
manuscrits  latins  (6  :  el  in  inferno  elevans ; 
c  ;  in  inferno  elevans  autem),  la  phrase  s'ar- 
rele  apres  ce  verbe.  de  sorte  que  les  mots  in 
inferno  (xal  iv  tu  aoig)  commencent  une  nou- 
velle  proposition.  Ceux  qui  preferenl  cette 
construction  mettent  voiontiers  en  relief  la 
mention  expres>e  de  la  sepulture  du  riche.  II 
ful  enseveli,  c'esl-a-dire  qu'on  lui  fit  des  fu- 
nerailles  splendides,  conft)rm;'S  a  sa  fortune 
et  a  son  rang.  Le  recil  elail  reste  comple- 
lement  muel  sur  I'humble  enterrement  de 
Lazare.  Mais  la  ponctuaiion  de  la  Vulgate 
nous  parail  plus  claire,  plus  naturelle  et  plus 
conforme  au  parallelisme.  —  In  inferno.  Par 
enfer  il  faul  entendre  ici  le  sejour  des  morts 
en  general,  le  Scheol  hebreu,  divise,  d'apres 
le  contexte,  en  deux  parlies  di>tincles,  le  sein 
d'Abraham  pour  les  justes,  la  Gehenne  pour 
les  mechants;  mais,  naturellement,  c'est  au 
fond  de  la  gehenne  que  le  mauvaise  riche  ful 
plonge. 


CHAPITRE  XVI 


29» 


23.  Elevans  autem  ociilos  suos, 
cum  esset  in  lormentis,  vidit  Abra- 
ham a  longe,  et  Lazariim  in  sinu 
ejus  ; 

24.  Etipse  damans  dixit :  Pater 
Abraham,  miserere  mei,  et  mitte 
Lazarum,utintigatextremum  digiti 
sui  in  aquam,  ut  refrigeret  linguam 
meam,  quia  crucior  in  hac  flamma. 


23.  Et  levant  les  yeux,  lorsqueil 
etait  dans  les  tourments,  il  vit  de 
loin  Abraham  et  Lazare  dans  son 
sein. 

24.  Etjetantun  cri  il  dit  :  Pere 
Abraham,  aie  pitie  de  moi  et  envoie 
Lazare,  afin  qu'il  trempe  dans  I'eau 
Textremite  de  son  doigt  pour  ra- 
fraichir  ma  langue,  car  je  suis  tor- 
ture dans  cette  flamme. 


23.  —  Elevans  autem  oculos.  Ce  delail  et 
quelques-iins  des  suivants  ont  parfois  cause 
k  ceux  des  anciens  auleurs  qui  les  prenaient 
a  la  letlre,  un  Ires  grand  embarras,  «  usque 
60  prorsus,  dil  Maldonal,  ut  mullos  in  erio- 
rum  compulerint  »,  (entre  aulres  Terluliien, 
De  anima,  \ii).  lis  en  concluaient  que  I'^me 
est  corporeile.  Mais  evideniment,  ajoule  Mal- 
donat,  «  quod  oculos  dives  ille  levaverit, 
quod  cum  Abrahamo  loculus  fuerii,  quod 
gultam  aquae,  qua  linguam  suam  refrige- 
raret,  postulaverit,  parabola  est,  sumpia  non 
ex  iis  quae  mode  fiunt,  sed  ex  iis  quae  post 
resurreclionem  lutura  sunt,  et  ad  nostrum 
caplum  accommodata.  »  C'est  une  maniere 
de  parler  lout  a  fait  analogue  aux  anlhropo- 
morphismes  qui  pretent  si  souvent  a  Dieu 
dans  la  Bible  un  corps,  des  membres,  et  les 
passions  humaines.  Mais  la  realite  se  devine 
aisement  sous  ces  figures,  et,  selon  ie  Ian- 
gage  pittoresque  de  Val.  Herberger  (cite  par 
Stier,  Reden  des  Herrn,  h.  I.),  «  nous  avons 
verilablemenl  dans  celle  parabole  une  fenStre 
ouverle  sur  I'enfer,  et  nous  pouvons  voir  a 
travers  elle  ce  qui  se  passe  dans  cet  affreux 
sejour.  »  «  La  parabole  du  mauvais  riche  et 
du  pauvre  Lazare,  dit  semblablemenl  M.  van 
Oosterzee,  Das  Evang.  nach  Lukas,  3e  edit. 
p.  259,  conlienl  la  description  la  plus  sublime 
qui  ait  jamais  eie  faite  de  ce  monde  et  de 
Tautre  vie  dans  leurs  conlrastes  frappanls. 
Qu'est-ce  que  la  trilogie  dans  laquelle  Dante 
a  chanle  I'enfer,  Ie  purgatoire  et  le  ciel,  si  on 
la  compare  a  la  trilogie  de  celle  parabole, 
qui  nous  met  lout  d'un  coup  sous  les  yeux, 
au  moyen  de  trails  peu  nombreux,  mais  vi- 
vanls  el  parlants,  la  lerre ,  la  gehenne  et 
le  paradis ,  comme  une  grande  et  parfaite 
unile?...  Le  Sauveur  nous  fournit  ici  les 
explications  les  plus  surprenantes,  et  il  sou- 
16ve  le  voile  qui  cache  les  mysteres  de  I'a- 
venir  ».  —  Cum  esset  in  tormentis.  Pluriel  des 
plus  expressifs.  «  Islum  inGnila  tormenta  pos- 
sidebant.  Unde  non  dicit  (evangelista) :  Quum 
esset  in  tormenlo,  sed.  In  tormentis;  lotus 
enim  in  tormentis  erat,  »  S.  Jean  Chrys., 
1.  c.  —  Vidil  Abraham  a  longe  el  Laza- 
rum...  LesRabbins  enseignaient  aussi  que  les 


damnes  pouvaient  contempler  les  bienheureux- 
dans  les  Limbes.  «  Paradisus  et  gehenna  ita 
posita  sunt ,  ut  ex  utio  in  allerum  prospi- 
ciant,  »  Midrasch  Kohelelh,  vii,  14.  II  est  vrai 
que,  d'apres  eux,  ces  deux  parties  du  Sclieol 
n'etaient  separees  que  par  une  largour  de 
main,  ou  par  I'espace  qu'occupe  une  muraille 
ordinaire.  Voyez  A.  Wiinsche ,  liibliolheca 
rabbinica,  Leipzig  1880,  p.  103.  —In  sinu 
ejus.  Au  lieu  du  singulier,  ie  texte  grec  a  celle 
foisiv  Toi?  xoXiroi;  auToO,  pluriel  d'inlensiteou 
de  majeste.  Cfr.  Winer,  Grammat.  p.  159; 
Beelen,  Grammat.  Graecit.  N.  T.  p.  177. 

24.  —  Ipse  (aOxo;  avec  emphase)  :  meme 
lui,  il  est  reduit  k  demander.  —  Clamans 
dixit.  11  crie,  dit  S.  Jean  Chrysost.,  parce 
que  «  magna  poena  magnam  vocem  redde- 
bat  »,  ou,  plus  nalurellement ,  pour  se 
mieux  faire  entendre  d'Abraham  qu'il  aper- 
cevait  «  a  longe  »,  t.  23.  Un  dialogue  du 
plus  vif  inleret  s'engage  enlre  Ie  reprouve- 
et  Ie  Pere  des  croyants  {ft.  24-31).  Celui-ci 
refuse  coup  sur  coup,  hon  sans  alleguer  de 
puissants  motifs,  deux  suppliques  du  mau- 
vais riche.  —  Pater  Abraham.  A  trois  re- 
prises (Cfr.  tt.  27  et  30)  le  suppliant  aura 
soin  de  rappeler  a  Abraham  les  liens  elroits 
de  consanguinile  qui  les  unissent.  11  esperail 
sans  doule,  par  ce  litre  d'affection  et  de  res- 
pect, le  rendre  plus  exorable  a  sa  priere. 
iviais  en  vain,  comme  le  disait  autrefois 
S.  Jean-Baplisle  aux  Pharisiens,  iii,  8.  — 
Apies  un  miserere  mei  emphatique,  qui  ins- 
pirail  a  S.  Augustin  un  rapprochement  frap- 
pant  (((Superbus  tf^mporis,  mendicus  inferni «), 
nous  eiilendons  la  premiere  requetn  :  Mitte 
Lazarum...  Pourquoi  desire-l-il  que  la  favrur 
si  liutnblemonl  imploree  lui  soil  uccordee  par 
renlremisedu  i)auvre Lazare?  Divers  auleurs 
(Beiigel,  J.  P.  Laiige,  etc.)  out  vu  dans  ce 
trait,  mais  bleu  a  tort,  un  resle  de  mepris 
pour  le  mcndiant  anpres  duquel  le  mauvais 
riche  passail  si  fierrmenl  autrefois :  il  le  regar- 
derait  encore  comme  son  scrviteui!  La  vraie 
raison  est  pourtaiil  manifcsle.  L'ordre  des 
choses  ai)pelail  celle  circonslance.  Le  riche  ne 
pouvail  raisonnablemenl  conjurer  Abraham  de 
lui  rendre  en  personne  le  service  demande;. 


300 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


2b.  Et  Abraham  liii  dit  :  Mon  fils, 
souviens-toi  que  lu  as  recu  des  biens 
pendant  ta  vie  et  Lazare  pareille- 
ment  des  maux  ;  or  maintenant  il 
est  console  et  toi  lu  es  torture. 

26.  Et  par-dessus  tout  entre  nous 
et  toi  un  grand  abime  a  ete  affermi, 


2b.  Et  dixit  illi  Abraham  :  Fili, 
recordare  quia  recepisti  bona  in 
vita  lua,  et  Lazarus  similiter  mala: 
nunc  autem  hie  consolatur,  tu  vero 
cruciaris. 

26.  Et  in  his  omnibus,  inter  nos 
et  vos  chaos  magnum  fiamalumest: 


mais,  ayant.  reconnu  parmi  les  bienheureiix 
le  pauvre  qu'il  avail  vu  si  soiivent  elendu 
a  sa  porle,  il  le  designe  de  la  faQon  la  plus 
nalurelle  comme  un  inlermediaire  entre 
Abraham  et  lui.  De  plus,  el  d'une  maniere 
plusprofonde,  d'apres  Rlaldonal,  «  id  sensus 
parabolae  requirebal  :  volcbat  enim  docere 
Chrislus,  mutalasfuis^e  vices  diviiis el  Lazari. 
Id  ul  docerel,  oporlebal  dicere  divilem  in 
altera  vila  Lazari  auxilio  indiguis^se,  illudque 
poslulasse;  quemadmodum  dum  in  hac  erat 
vita,  Lazarus  auxilio  divilis  inaigueral,  illud 
saepe  poslulaveral  :  neulruni  vero  oblinuisse, 
Lazarum  crudelitale  divilis,  divilem  quia 
.sero  postulassel.  »  S.  Greg.  Horn,  xl  in 
Evang.  —  Ut  intingat  extremum  digiti  sui 
in  aquam  (dans  le  grec,  toO  uSato;,  «  genilivus 
materiae  »  des  grammairiens).  Quelle  raodeste 
requite  1  Une  legere  mitigation  de  ses  tour- 
menls,  le  bout  d'un  doigt  irempe  dans  I'eau 
ex  applique  sur  sa  langue  bruianle,  pour  la  ra- 
fraichir  un  pau  !  Mais  la  voix  de  sa  conscience 
I'emp^chededemanderdavanlage:  il?enlqu'il 
ne  pourrait  obUnir  une  delivrance  complete. 
Les  prooedes  de  la  justice  retributive  du  Sei- 
gneur sent  admirables  et  terribles  :  «  Nunc 
petit  guttarn,  qui  negaverat  micam  »  (S.  Ce- 
saire,  Horn,  do  Lazaro).  «  Lingua  maxime 
peccaral  »  (Bengel).  —  Le  correlalif  grec  de 
intingat  [v-oLia-iidlri]  \V appar ail  pas  ailleursdans 
le  Nouveau  Ti'slamenl. — Qniacrticior  (65uvw- 
nai,  expression  energique)  in  hac  flamma.  Le 
leu  de  I'enfer  ne  sauiail  etre  plus  clairement 
designe. 

25. —  Dixit  ilUAbraham.W  y  adanscelter^- 
ponse  d'Abraham  une  dignite,  une  delicalesse, 
qu'on  a  sou  vent  admiree^.  Les  paroles  de  Jesus 
sont  pas  d'aillours  toutes  marquees  au  coin 
de  la  perfection,  comme  I'ecrivail  Brouwer, 
De  Parabolis  J.  C.  specimen,  Lugd.  Bat.  1 825  : 
«  Conspicuum  est  in  omnibus  oplimi  magislri 
sermonibus  decoris  illud  el  honestatis  stu- 
dium,  quo  efficitur,  ul  nunquam  sine  maxima 
voluptale  illos  Icgere  et  relegere  possimus.  » 
— Fili,  Ts'xvov.  Le  pere  des  croyants  ne  refuse 
pas  au  mauvais  riche  ce  nom  de  tendresse. 
"Opa  9t).oao9iav,  opa  9i),offTopYtav  Sixatov  oux 
cTtiev,  dudvOpcoTie,  xat  wji^  xal  irav7r6v»ipE  (S.  Jean 
Chrysost.).  mais  il  daigne  I'appeler  aimable- 
menl :  Mon  fils.  Toutefois,  il  est  remarquable 
aussi  que  tout  sentiment  de  compassion  est 
«xclu  de  sa  rdponse ;  en  effet,  selon  la  pro- 


fonde  reflexion  de  S.  Gregoire  le  Grand, 
Hom.  XL  in  Evaug.,  «  Sanctorum  animae, 
quamvis  misericordes,  tunc  tamen,  Dei  jusli- 
tiae  conjunctae,  lanta  reclitudine  constrin- 
gunlur,  ul  nulla  ad  reprobos  compassione 
moveantur.  Ip^ae  quippe  judici  concordant  cui 
inhaerenl,  et  CIS  quos  eripere  non  possunl  nee 
ex  misericordia  condescendunt,  quia  lanlura 
illos  nunc  a  se  videbunl  extraneos,  quantum 
et  ab  eo  quem  diligunl  auclore  suo  conspi- 
ciunt  repulsos.  »  —  Ricordare.  Abraham  fait 
d'abord  appel  aux  souvenirs  du  suppliant, 
pour  I'amener  a  conclure  par  Iui-m6me  qu'il 
serail  injusle  d'exaucer  sa  priere.  —  Rece- 
pisLi  [dans  le  grec  :  d7te).aSec,  tu  as  pleinement 
reQu)  bona  (le  grec  ajoute  :  «  lua  »)  in  vita 
tua.  II  est  au  nombre  de  ceux  dont  il  a  ^te 
dit  :  «  Receperunt  mercedem  suam  »,  vi,  24. 
II  a  joui  sur  la  terra  comme  il  le  souhailait; 
cela  doit  lui  suffire.  —  Lazarus  similiter 
mala.  C'esl  le  conlrasle  developpe  dans  !es 
tt.  19-21.  —  Nunc  autem  (les  meilleurs  ma- 
nuscrits  ajoutent  :  mSs,  ici).  Acluellement 
lout  le  contraire  a  lieu  :  hie  consolatur  (sur 
celie  signification!  passive  d'un  verbe  depo- 
nent, voyez  Roensch,  Ilala  und  Vulgata, 
2e  edit.  p.  388)  lu  vero  cruciaris.  Abraham 
se  borne  a  mentionner  les  fails  :  son  in- 
terloculeur  en  pouvait  aisemenl  apprecier  la 
justesse.  —  De  quel  droit  les  rationalistes 
prelendent-ils  encore  a  propos  de  ce  passage 
(Baur,  Ueber  die  kanon.  Evangel,  p.  444; 
Hilgenfeld,  die  Evangelien,  p.  202,  elc.)  que 
I'evangeliste  S.  Luc  attaque  el  condamne  les 
riches  en  lanl  quo  riches?  Non:  des  deux 
hommes  juges  dans  celle  parabole,  le  premier 
«  n'esl  pas  torture  pour  avoir  ele  riche.  mais 
pour  n'avoir  pas  etemisericordieux  » (S.  Jean 
Chrysost.),  le  second  avail  d'aulres  letlres  de 
creance  aupres  de  Dieu  que  sa  pauvrete; 
cela  ressorl  fort  bien  du  conlexte,  qui  a  taci- 
lemenl  decril  la  palience  de  Lazare  et  la  du- 
rete  du  mauvais  riche.  En  soi,  «non  omnis 
sancta  pauperlas,  aut  divitiae  criminosae»; 
mais,  «  lit  luxuria  infamat  divilias,  ita  pau- 
perlatem  commendat  sanclitas  »  (S.  Am- 
Ijroise),  el  I'Evangile  n'a  pas  d'aulre  doclrine. 
26.  —  Seconde  parlie  de  la  reponse  d'A- 
braham ;  le  mauvais  riche  demand?^  une 
chose  non-seulement  injusle,  mais  impos- 
sible.—  Inhis  omnibus;  dansle  grec,  M  itaoi 
xouToi;,  «  super  haec  omnia  »,  en  outre  de 


CIIAPITRE  XVf 


301 


Ut  hi,  qui  volunt  hinc  transire  ad 
vos,  non  possint,  neqiie  inde  hue 
Iransmeare. 

27.  Et  ait  :  Rogo  ergo  te,  pater, 
ut  mittas  eum  in  domum  patris 
mei : 

28.  Habeo  enim  quinque  fratres, 
ut  testetur  illis,  ne  et  ipsi  veniant 
in  hunc  locum  tormentorum. 

29.  Et  ait  illi  Abraham  :  Habent 


de  sorte  que  ceux  qui  voudraient 
passer  d'ici  a  toi,  ou  de  la  venir  ici, 
lie  lepeuventpas. 

27.  Et  il  dit :  Pere,  je  te  prie  done 
de  Tenvoyer  dans  la  maisonde  mon 
pere. 

28.  Gar  j'ai  einq  freres,  alin  qu'il 
leur  atteste  ces  choses,  de  peur 
qu'ils  ne  viennent  eux  aussi  dans 
ee  lieu  de  tourments. 

29.  Et  Abraham  lui  dit :  lis  ont 


tout  cela.  —  Inter  nos  et  vos  :  entre  nous,  les 
elus,  el  votis,  les  leprouves. —  Chaos  magnum. 
Le  siibstantifgrecxa<rtJi-a,  qui  n'apparait  qu'en 
cet  ondroit  dii  Nonvt^au  Testameiil.  serait 
plus  clairement  traduit  par  «  hiatus,  vorago  », 
car  il  designe  plulol  un  goutTre,  un  abime,  que 
ce  qu'oii  enlend  generaleinpiil  par  chaos. 
Neanmoins,  il  ne  faul  pas  oublier  quexao;  et 
Xa<TiJ.a  elaient  dans  le  principe  des  mots 
synonymes  chez  les  Grecs,  el  de  meme  chez 
les  Latins  qui  avaient  emprunte  ces  expres- 
sions aux  Grecs.  G'est  done  dans  le  sens  de 
«  barathrum  »  que  le  traducteur  latin  a  em- 
ploye ici  le  mot  o  chaos  ».  Cfr.  Forcellini, 
s.  v.;  Groiius,  in  h.  I.  —  Firmatum  est 
(effTT^puTat).  Maniere  tr6s  energique  de  dire 
que  le  goufTre  qui  separe  le  paradis  de  la 
gehenne  est  non-seulement  beant,  raais 
eternei.  «  Hiatus...  non  solum  est,  verum 
eliam  firmatum  est.  )■>  S.  Aug.  Epist.  clxiv. 
Les  damnes  sont  done  a  tout  jamais  dans 
I'enfer;  leur  sentence  est  irrevocable.  —  Ut 
hi  qui  vulunt  hinc  (du  sein  d'Abraham)... Con- 
sequence de  CO  qui  precede.  De  part  et 
d'autre  la  barriere  ne  saurait  etre  franchie. 
Desormais,  plus  do  merilo  personnel,  plus 
d'inlercession  des  Saint?,  capable  d'elablir  un 
pont  a  Iravers  le  terrible  abime. 

27.  —  La  pai'iibolo  aurait  pu  s'arreter  apres 
le  t.  26.  Mais  Jesus  veut  la  rendre  encore 
plus  complete,  en  monlrant  par  de  nouveaux 
details  ce  qui  conslitue  le  danger  special  des 
richessi  s.  Les  privilegies  de  ce  monde,  plon- 
ges  dans  touto  sorte  de  jouissances,  de- 
viennent  facilement  incredules,  du  moins 
dans  la  pratique,  et  ne  s'occupent  guere  de 
letir  salut.  G'est  ce  qu'exprime  la  suite  du 
dialogue.  —  Et  ait.  Refuse  dans  sa  premiere 
requete,  le  mauvais  riche  en  presente  une 
seconde,  qui  ne  concerne  plus  sa  propre  per- 
sonne,  mais  le  bien  spiriluel  de  ses  freres. 
—  Bogo  (IpwTaw  avec  le  sens  de  prier.  Cfr. 
IV,  38;  V,  3 ;  vir,  3;  etc.)  ergo  {«  saltern  », 
au  moins  cette  autre  faveur)  te...  ut  mittas 
eum...  Si  i'cspace  qui  nous  separe  est  infran- 
chissable  pour  Lazare,  il  n'existe  sans  doute 
aucun  abime  entre  vous  et  la  terre. 


28.  —  Habeo  enim  quinque  fratres.  On  a  vii 
parfois  dans  ce  trait,  mais  sans  raison  suffi- 
sante,  une  allusion  aux  cinq  fils  du  grand- 
pretre  Anne,  qui  lui  succdderent  a  lour  de  role 
dans  Texercice  du  souverain  pontifical.  — 
Ut  testetur  illis  (tiotez  le  verbe  compose 
SiaixapTupYitai).  C'est  comme  temoin,  coinme 
temoin  oculaire,  que  Lazare  devait  aller 
trouver  les  freres  du  riche,  a  la  fagon  de  ce 
personnage  que  Plalon,  Republ.  x,  14,  fait 
revenir  du  sejour  de-  morts  sur  la  terre, 
iYY^Xov  av9pa)noti;  YevsaOai  twv  ixet,  «  pour 
annonceraux  hommoscequi  se  passe  labas,  » 
pour  leur  certifier  {'existence  des  realites 
terribles  qu'il  avail  vues  de  ses  propres  yeux. 
—  Ne  et  ipsi  veniant...  lis  n'en  prenaienl  que 
Irop  le  chomin,  car  ils  vivaienl  eux  aussi 
dans  les  delices,  sans  se  soucier  des  pauvres, 
ni  de  Dieu.  II  serait  faux  d'admetlre,  a  la 
suite  des  Iheologien-!  proleslants,  que  cette 
altention  d'un  dainne  a  empecher  I'eternelle 
reprobation  de  ses  frens  e.-tl'indice  d'un  sen- 
timinl  de  foi,  ou  de  jo  ne  sais  quels  aulres 
germes  de  bien  surnalurel  qui  s'agitaient 
dans  son  ame,  car  les  re|irouves  sont  inca- 
pables  do  produire  un  acte  de  vertu.  Les 
saints  Peres  el  les  interpretes  calholiques 
atlribuent  lo  souhait  du  mauvais  riche  tanlot 
a  Tegoisme  (S.  Giegoire,  Dial,  iv,  c.  23,  ie 
Yen.  Bede,  Luc  de  Bruges,  Corneille  de  La- 
pierre,  etc.),  «  ne  videlicet  sibi  toimenta  ex 
iis  augerenlur,  quos  excmplosuo  ad  eamdein 
vitae  dissolutioncm  ei  immisericordiam  pro- 
vocaverat,  »  comme  s'exprime  Jansenius, 
laniot  a  la  charite  fraternelle  (S.  Jean  Chry- 
sostome,  S.  Augiistin.  S.  Ambroise,  Theo- 
phylacte,  Mgr  Mac  Evilly,  etc.),  dans  la 
supposition,  assez  vraisemblable  d'ailleurs, 
quo,  la  nature  n'etant  pas  eleinte  dans  li'S 
damnes,  ils  peuvent  encore  desirer  les  biens 
de  I'ordre  naturel,  par  exemple  le  bonlieur 
de  lours  proches.  Voycz  pourtant  S.  Thomas, 
Suinm.  llieol.  Suppl.  ad  3  part.  q.  98, 
a.  4. 

29.  —  Ait  illi  Abraham.  Celte  fois,  Abraham 
ne  reitere  pas  I'aimable  t£-/vov  du  t.  25.  Sa 
reponse  est  tr^ve  et  memo  severe.  —  Habent 


302 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


Mo'ise  et  les  prophetes;  qu'ils  les 
ecoutent. 

30.  Mais  il  dit :  Non,  pere  Abra- 
ham, mais  si  quelqu'iin  des  morts 
va  vers  eux,  ils  feront  penitence. 

31.  Et  Abraham  lui  dit :  S'ils  n'e- 
coutent  pas  Moise  et  les  prophetes, 
quand  mSme  quelqu'un  des  morts 
ressusciterait,  ils  ne  croiraient  pas. 


Moysen ,    et    Prophetas ;    audiant 
illos. 

30.  At  ille  dixit :  Non  pater  Abra- 
ham ;  sed  si  quis  ex  mortuis  ierit  ad 
eos,  poenitentiam  agent. 

31.  Ait  autem  illi  :  Si  Moysen,  et 
Prophetas  non  audiunt,  neque  si 
quis  ex  mortuis  resurrexerit,  cre- 
dent. 


Moysen  el  prophetas :  c'esl-k- dire,  toute  la 
Bible,  ainsi  designee  parses  deux  parlies  prin- 
cipales.  la  Loi  el  les  prophetes.  Cfr.  Joan,  i,  46. 
—  Audiant  illos.  La  parole  de  Dieu  doil  leur 
suSire  ;  c'est  pour  eux  un  lemoignage  qu'aucun 
autre  ne  saurait  surpasser.  Voyez  Joan. 
V,  39,  45-47. 

30.  —  At  ille  dixit.  Le  suppliant  s'etait 
soumis  sans  rien  dire  au  refus  qui  I'altei- 
gnait  personnellement  {t.  27);  mais  ici,  il 
propose  nne  objection  au  pere  des  croyants, 
ou  plutotil  se  permet  de  le  conlrediro  :  Non, 
pater  Abrah.tn!  Non,  ils  n'ecouteront  pas 
Mol^^e  el  les  proplieies;  c'cst  la  pour  eux  un 
moyen  lout  a  fait  insulBsant.  Je  les  connais; 
je  sais  par  ma  propre  experience  qu'il  faut, 
pour  les  frapper  et  les  convertir,  quelque 
chose  d'extraordinaire,  comme  serait  I'appa- 
riticn  d'un  mort  [sed  si  quis  ex  mortuis...)  — 
Poenitentiam  agent,  (letavoiQffouffiv.  Non-seule- 
ment  ils  croironi,  mais  ils  seront  moralement 
transformes,  et  ils  manifesteront  leur  conver- 
sion par  des  oeuvres. 

31. —  Ait  autem  illi.  Abraham  rejette  froi- 
dement  cetle  vaine  allegation.  La  parole  ins- 
piree  ne  leur  sudit  pomt  :  tant  pis!  Qu'ils 
n'attendent  pas  de  faveur  extraordinaire.  Du 
resie,  si  la  voix  des  saints  Livres  ne  les 
touche  pas,  celle  d'une  mort  ne  les  laisserait- 
elle  pas  egalemenl  ins  n?ibles?«  Audilufideli 
salvamur,  non  apparitionibus,  »  Bengel.  En 
tenant  ce  iangage,  Jesus  devait  penscr  a  ce 
qui  arriva  bientot  apres.  Les  Pharisiens 
crurent-ils  done  k  sa  divinile  quand  il  eut 


ressuscite  Lazare?  y  crurent-ils  quand  il  eut 
brise  victorieusement  pour  lui-meme  les 
portes  du  tombeau  ?  —  Notez  la  maniere  dont 
Abraham  reproduit,  mais  en  les  renforgant, 
les  expressions  employees  par  son  interlocu- 
teur  :  ti?  ex  vsy.pwv,  au  lieu  de  th;  o-tzq  vsxpwv 
[t,  30);  avaffTV],  resurrexerit,  avi  lieu  du  simple 
iropevO^ ,  «  ierit  »  ;  TieiaOriffovTai,  credent  (mieux, 
d'apres  d'anciens  mauuscnts  latins,  «  persua- 
debuntur  »),  au  lieu  de  (lexavoifia-oyatv.  Comme 
s'il  disait  :  Un  miracle  beaucoup  plus  grand 
que  celui  que  tu  implores  ne  reussirait  pas 
m^me  a  operer  un  resultat  moins  conside- 
rable que  celui  que  tu  promets  si  hardiment. 
—  Apres  ces  mots,  le  voile  est  encore  brus- 
quement  lire,  ainsi  qu'il  arrive  a  la  fin  de 
plusieurs  paraboles  du  troisieme  Evangile. 
L'auditoire  devait  se  sentir  saisi,  impres- 
sionne,  et  porle  par  Ia-m6me  a  mieux  cher- 
cher,  pour  se  I'appliquer  ensuite,  la  significa- 
tion de  ces  brulantes  legons.  —  Sur  les 
applications  allegoriques  que  les  Peres  ont 
faites  quelquefois  des  principaux  traits  de  la 
parabolo  du  mauvais  riche  («  Per  divitem 
Judaicus  populus  designatur...,  per  Lazarum 
forma  populi  gentilis  exprimitur,  »  S.  Gre- 
goire  le  Gr.,  etc.;  «  Ulcera  Lazari  passiones 
sunt  Domini  ex  infirmitate  carnis,  »  S.  Au- 
gustin;  de  meme  pour  les  autres  details), 
voycz  la  chaine  d'or  de  S.  Thomas,  h.  1.  — 
M.  J.  Raymond  a  donne  recemment,  dans  six 
eaux  forles  frappantes  par  leurs  contrastes 
lumineux,  un  beau  commenlaire  artistique  de 
ce  drame  interessant. 


CHAPITRE  XVII 


303 


CHAPITRE    XVII 


Quatre  avisimportanls(tt.  l-iO).— Guerison  de  dixlepreiix  {tt.  11-19). —  Discours  de  Jesus 
sur  Tavenemenl  du  royaume  de  Dieu  (it.  20-37). 


1.  Etait  ad  disci pulos  siios  :  Im- 
possibile  est  ut  non  veniant  scan- 
aala ;  vse  autem  illi  per  quem  ve- 
niunt. 

2.  Utilius  est  illi,  si  lapis  molaris 
imponatur  circa  collum  ejus,  et  pro- 
jiciatur  in  mare,  quam  ut  scanda- 
lizet  unum  de  pussillis  istis. 

Matlh.  18,7;  Marc.9,il. 


1.  Ildit  aussi  a  ses  disciples  :  II 
est  impossible  que  des  scandales 
n'arrivent;  mais  malheur  a  celuipar 
qui  ils  arrivent. 

2.  Mieux  vaudrait  pour  lui  qu'on 
mitautour  de  son  cou  une  meule  de 
moulin  et  qu'il  fut  jete  dans  la  mer, 
que  de  scandaliser  un  de  ces  petits. 


19.  Quatre  avis  importants.  xtii,  1-10. 

Ces  qualre  paroles  de  Jesus  auraient-elles 
^tegroupees  arbitrairement  parl'evangeliste, 
ou  par  les  antiques  recils  qui  servaient  de 
base  a  sa  redaction?  Maldonat  et  d'aulres 
commentaleurs  I'ont  suppose.  De  prime  abord 
en  effel,  ron  ne  voil  guere  entre  eiies  d'en- 
chainemenl  iogique,  et  les  diverses  tentatives 
qui  ont  ete  faites  pour  les  roller  Tune  k  I'autre 
(voyez-les  dans  Theophylacle,  Meyer,  etc.), 
semblent  a  quelques  inlerpretes  plus  inge- 
nieuses  que  vraies.  De  plus,  les  memes  pen- 
sees  se  relrouvenl  dans  S.  Matlhieu  el  dans 
S.  Marc  en  des  places  loutes  differenles.  Nean- 
moins,  d'apres  nos  principes  et  d'accord  avec 
la  plupart  des  commentateurs,  nous  croyons 
pouvoir  affirmer  que  ces  «  dires  »  du  Sau- 
veur  sont  vraiment  ranges  au  lieu  que  leur 
assignait  I'ordre  chronologique.  Pourquoi 
n'auraient-ilspas  elerepele5,coinmed'aiitres, 
en  plusieurs  occasions,  a  cause  de  leur  im- 
portance? Au  reste,  le  recit  de  S.  Luc  contient 
des  variantes  notables;  mais,  commo  il  est 
evidemment  tres  condense,  plusieurs  des 
anneaux  intermediaires  auront  disparu,  ce 
qui  empdchela  liaison  d'etre  aussi  manifeste. 

Premier  avis,  relatif  an  scandale.  ff.  1-2. 

Chap.  xvn.  —  1 .  —  Et  ait  (sTttev  5e)  ad 
discipulos  suos,  De  nouveau  (voyez  xvi,  1) 
Jesus  s'adresse  k  ses  disciples  apres  I'inter- 
ruption  qu'avaient  occasionnee  les  grossieres 
manifestations  des  Pharisiens  (xvi,  14-35). 
Suivant  Theophylacle,  Bisping,  etc.,  c'est  pre- 
<;isement  cette  attitude  scandaleuse  de  ses 
adversaires  qui  auraitamen^  le  present  avis, 
dirige  contre  le  scandale.  —  Impossibile  est. 
La  iocution  grecque  iv^vSixTov  i<jTiv,  qu'on  ne 


rencontre  nulle  partailleurs  dans  Ic  Nouveau 
Testament,  signifie  propremf^ni  «  inaccep- 
table  »;  elle  equivaut  aoux  ivSixtxon  de  Luc. 
XIII,  .33.Comme  dans  le  passage  analogue  du 
premier  Evangile  (Gfr.  Matlh.  xviii,  7  et  le 
commentaire;,  il  n'est  question  assurement 
que  d'une  impossibilile  morale.  «  L'absence 
de  scandales  est  une  supposition  inadmissible 
dans  Petal  de  peche  oil  est  plongele  monde  ». 
—  Utiwnveniantscandala.Damlegvec,  d'apres 
les  mi^illiures  autorile-,  "roO  to.  axdvSaXa  \i.r\ 
dXOeiv.  Sur  ce  genitif  extraordinaire,  qui  de- 
p;'nd  de  radjectifavexSsxTov,  voyez  les  gram- 
maircs  de  Winer  et  de  Beelen.  —  Vce  autem 
illi...  Cfr.  I'Evangile  selon  S.  Malthieu,  p.  353- 
2.  —-  Uiilius  est  (le  verbe  grec  ).ufftTe),st 
n'est  employe  qu'en  cet  endroit  du  Nouveau 
Testament)  illi  si...  Jesus  monlre  par  un  de- 
tail significatif  I'enormite  des  peches  de  scan- 
dale :  plutot  que  d'y  lomb?r,  mieux  vau- 
drait elre  plonge  au  plus  profond  de  la  mer 
sans  aucun  espoir  de  salut.  En  effet,  «  qui- 
conque  est  auteur  du  scandale,  selon  tous 
les  principes  de  la  religion  devient  homicide 
des  Ames  qu'il  scandalise.  Peche  monstrueux, 
peche  diabolique...,  peche  essentiellement 
oppose  a  la  redemption  de  Jesus-Christ, 
peche  dont  nous  aurons  singulierement  a 
rendre  compte,...  peche  d'autant  plus  dan- 
gereux  qu'il  est  plus  ordinaire  dans  le 
monde.  »  Bourdaloue,  Sur  le  scandale.  — 
Lapis  molaris  :  les  manuscrits  B,  D,  L,  etc., 
les  versions  italique,  cople,  armenienne,  ont 
cello  m^me  Ipqoii  ().t9oi;  iJLy).ix6?),  au  lieu  de  la 
la  variante  X(9o;  ivtxo?,  qu'appuient  de  nom- 
breux  temoins,  mais  qui  parait  6lre  une  cor- 
rection. Cette  seconde  espece  de  pierre  mo- 
laire.  mise  en  mouvement  par  un  Sne,  etait 
nolablement  plus  grosse  que  I'autre,  qu'uno 


304 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


3.  Attendite  vobis*  Si  peccaverit 
in  te  frater  tuus,  increpa  ilium  :  et 
si  poenitenliam  egerit,  dimilte  illi. 

Eccli.  19, 13;  Matth.  18,  15. 

4.  Et  si  septies  in  die  peccaverit 
in  te,  et  septies  in  die  conversus 
fuerit  ad  te,  dicens  :  Pcenilet  me : 
dimitte  illi. 

5.  Et  dixerunt  apostoli  Domino  : 
Adauge  nobis  fidem. 

6.  Dixit  autem  Dominus  :  Si  ha- 


3.  Prends  gardeatoi.  Si  ton  frere 
a  peche  contre  toi  reprends-le,  et 
s'il  faitactederepentir  pardonne-lui. 

4.  Et  si  sept  fois  le  jour  il  a  peche 
contre  toi,  si  sept  fois  le  jour  il  s'est 
tourne  vers  toi  disant :  Je  me  re- 
pends,  pardonne-lui. 

5.    Et    les     apotres    dirent    au 

Seigneur  :  Augmente  en  nous  la  foi. 

6.  Mais  le  Seigneur  dit :  Si  vous 


femme  pouvait  tourner  sans  trop  de  peine. 
(Siir  le  supplice  dii  xaTa7rovTi(j|j.6i;,  voyez  noire 
explication  dii  premier  Evangile,  i.  c).  — 
Unum  de  pusillis  istis  :  ces  pelits  au  moral, 
c'esl-a-dire  les  disciples,  auxquels  Jesus  don- 
nait  volonliers  eel  liumble  nom. 

Second  avis,  relalif  au  pardon  des  injures,  ff.  3-4. 

3  el4.— ComparezMatth.  xviii,  IS,  21,  22 
et  le  commentaire.  Les  mols  altendite  vobis 
peuvent  se  rallachersoit  a  I'avis  qui  precede, 
comme  un  «  Nota  bene  »  soiennel  (Prenez 
garde  vous-mSmes  de  scandaliser  vos  freresl) 
soil  au  present  enseignement  (Remarquez 
bien  celte  aulre  chose  que  je  vais  vous  dire, 
el  pratiquez-la).  On  donne  en  general  la  pre- 
ference a  la  premiere  de  ces  deux  con- 
nexions. —  Peccaverit  in  te.  D'imporlanls 
raanuscrils  ometient  eU  oi,  qui  parail  elre 
une  glose  marginale  inseree  dans  le  lexte  : 
cette  variante  esl  neanmoins  tres  conforme 
a  I'idee  exprimee.  —  Increpa  ilium,  i'Kni\i.ri(yoy 
auT(^.  Le  mot  est  energique;  mais  il  faut 
que  la  charile  chrelienne  sache  I'interpreler 
avec  moderation.  'ETtiit),riSov  d52),9txui;  xe  xat 
SiopewTf/.toi,  dit  fori  bien  Eulhymius  ;  car  le 
reproche  en  question  ne  pouvanl  avoir  d'aulre 
fin  que  ramendement  d'un  frere  egare,  le 
but  desire  serait  lout  a  fait  manque  si  Ton 
aigrissait  ce  frere  au  lieu  de  le  calmer.  — 
Si  poenitentiam  egtrit,  dimitte  illi.  L'offense 
a  des  droits  legitimes  dont  Jesus  ne  iui  re- 
fuse pas  I'exercice  ;  mais  il  a  aussi  un  grand 
et  noble  devoir  que  le  divin  Mailre  iui  rap- 
pelle,  le  devoir  du  pardon,  de  I'amnistie  ple- 
niere,  aussitot  que  le  coupable  lemoigne  du 
repenlir. 

4.  —  Et  si  septies  in  die...  Hypolhese  » 
coup  sur  peu  vraisemblable  dans  les  relations 
ordinairesde  la  vie,  car,  horrais  les  enfanls, 
qui  done,  ayanl  vraimenl  la  contrition  d'une 
faute,  y  retombera  neanmoins  sept  fois  dans 
une  journ^e?Mais  ici,  comme  en  m.aint  aulre 
passage,  Jesus  a  recours  au  paradoxe  pour 
mieux  inculquer  son  precepte.  «  Septies  »  (le 
concret  pour  rabstrait,  a  la  fagon  orienlale) 
est  d'ai'Wurs  un   nombre  indetermine  pour 


signifier  :  Toujours.  —  Le  second  in  diff 
manque  en  de  nombreux  manuscrils.  —  Con- 
versus  fuerit,  inioipz'^ :  trail  pilloresque,  si 
Ton  prmd  celle  expression  au  propre.  Mais 
elle  peul  aussi  designer  d'une  maniere  figu- 
ree  le  relonr  inierieur  a  de  meilleurs  senli- 
menls.  —  Dans  S.  Malthieu,  1  c,  repondant 
a  S.  Pierre,  co  n'esl  pas  senlement  «  usque 
septies  »  que  Jesus  reclame  le  pardon  des 
injures,  mais  «  usque  septuagies  septies.  » 

Troisifeme  avis,  relatif  a  I'efficacit^  de  la  foi.  yf,  5-6. 

5.  —  Dixerunt  apostoli  Domino.  C'est 
avec  une  emphase  evidente  que  S.  Luc 
applique  a  Jesus  le  liire  de  Kupio?.  Cfr. 
VII,  31  ;  XXII,  61,  etc.  A  celui  qu'ils  envisa- 
geaient  comme  le  Mailre  souverain,  comme 
le  Christ,  Fds  de  Dieu,  les  douze  ap6lrf"s 
adressent  de  concert  une  sublime  priere.  En 
aucun  autre  endroit  des  rdcits  evangeliqu'S 
nous  ne  les  voyon?  implorer  ainsi  «  uno  ore  >• 
quelquc  I'aveur  de  Jesus.  Vraisemblablement 
ils  avait'nt  enleiidu,  meles  aux  rangs  des  dis- 
ciples, I'instruclion  precedente,  dont  ils  com- 
prenaienl  loute  la  difficulte.  Ce  n'est  pas 
sans  faire  violence  a  la  chair  et  au  sang  qu'on 
parvient  a  pardonner  toujours.  De  la  cetle 
supplication  si  belle  :  Seigneur,  rendez-nous 
facile  par  un  accroissemenl  de  foi  ce  qui  est 
impossible  a  la  nature.  Tel  semble  bin 
etre  le  veritable  enchaincment  des  pensees 
{Olshausen.  Meyer,  Bisping,  e\c.).  —  Adauge 
nobis  (idem.  Mieux  :  «  adde  »  (tcpotOs?),  litter, 
ajoute-nous  de  la  foi.  Nous  en  avons,  mnis 
pas  assez,  et  nous  en  voudrions  encore. 

6.  — Jesus  repond  a  cetle  demande,  digne 
du  college  apostolique,  en  decrivanl  par  un 
trait  piltorosque  les  effets  admirables  de  la 
foi.  —  Fidem  sicitt  granum  siuapis.  Maniere 
proveibiale  d'indiquer  la  quaniiie  la  plus 
modique,  puisque,  parlanl  ailleurs  (Malih. 
xiii,  32)  du  grain  de  seneve,  le  Sauveur  dit 
qu'il  est  «  minimum  ex  omnibus  seminibus.  » 
—  Dicetis  huicarbori  moro.  D'apres  qu'lques 
interpretes  le  substanlif  grec  ouxdixtvo?  desi- 
gnerait  plutot  un  sycomore  qu'un  milrier; 
mais  la  traduction  de  la  Vulgate  est  iustiQee 


CHAPITRE   XVII 


305 


bueritis  fidem  sicut  granum  sina- 
pis,  dicetis  huic  arbori  moro  :  Era- 
dicare,  et  transplantare  in  mare;  et 
obediet  vobis. 

Matth.  17, 19. 

7.  Quis  autem  vestrum  habens 
servum  arantem  aut  pascentem,  qui 
regresso  de  agro  dicat  illi  :  Stalim 
iransi,  recurabe : 

8.  Et  non  dicat  ei :  Para  quod 
coenem,  et  prsecinge  te,  et  ministra 
mihi  donee  manducem  et  bibara,  et 
post  hsec  tu  manducabis   et  bibes  ? 

9.  Numquid  gratiam  habet  servo 
illi,  quia  fecit  quae  ei  imperaverat  ? 

10.  Non  puto.  Sic  et  vos,  cum  fe- 


aviez  de  la  foi  comme  un  grain  de 
seneve,  vous  diriez  a  ce  murier  :  De- 
racine-toi  et  transplanle-toi  dans  la 
mer,  et  il  vous  obeirait. 

7.  Qui  de  vous  ayant  un  serviteur 
occupe  au  labour  ou  au  pdturage, 
lui  dit  quand  il  revint  des  champs  : 
Va  de  suite  te  mettre  a  table  ? 

8.  Et  ne  lui  dit  pas  :  Prepare-moi 
a  souper,  et  ceins-toi  et  sers-moi 
jusqu'a  ce  que  j'aie  mange  et  bu,  et 
ensuite  tu  mangeras  et  tu  boiras. 

9.  Est-ce  qu'il  rend  grdce  a  ce 
serviteur  parce  qu'il  a  fait  ce  qu'il 
lui  avait  commande  ? 

10.  Je  ne  le  pense  pas.  Ainsi  vous- 


lo  par  remploi  dii  mol  ouxoixwpea  un  peu  plus 
bas  (XIX,  4),  quand  S.  Luc  voudra  parler  du 
■syconiore;  2o  par  I'idiome  grec-moderne,  oil 
on  se  sen  piecisemenl  de  auxd[xtvo;  pour  de- 
•nommer  le  murier  noir.  Cf'r.  Tristram,  Nalural 
History  of  the  Bible,  p.  396.  TavT^  («  huic  »), 
pronom  si  graphique,  duquel  il  resulte  que 
Jesus  avail  alors  sous  les  yeux  un  murier 
qu'il  montrait  de  la  main  aux  Douze,  est 
malenconlreusemenl  omis  par  les  manuscrits 
Sinail.,  D,  L,  X.  —  Eradicare  et  transplan- 
tare in  mare.  Ordre  bien  etrangel  S'arracher 
peniblemenl  du  sol  san->  le  secours  de  bras 
humains  el  aller  se  planter  ailleurs,  serait, 
de  la  part  d'un  arbre  aux  fortes  dimensions, 
■semblables  a  celles  qu'alleinl  le  murier  en 
Paleslitio,  un  phenomene  des  plus  merveil- 
leux.  Toulefois,  apres  s'eire  arrache,  prendre 
do  nouveau  racine,  i\on  pas  au  milieu  des 
sables  du  rivage,  mais  dans  los  eaux  memes 
•do  la  mer,  sur  les  vagues  coiislammenl  agi- 
lees,  c'osl  le  «  nee  plus  ultra  »  du  prodige  dans 
lo  ccrcle  des  fails  naturels,  parce  que  c'esl 
uno  impossibilile  absolue.  Quelle  maniere 
•expiossive  de  demonlrer  la  puissance  sans 
borne  de  ia  foi  I  Dans  Ic  passage  analogue  de 
S.  Mallhieu  (xviii,  49;  voyez  le  commen- 
taire),  c'est  a  una  monlagne  qu'esl  faile  i'in- 
jonclion. 

Quatrifeme  avis,  concemant  Ihumilit^.  ff.  7-10. 

Celte  pelile  instruction,  composee  d'une 
"sorle  de  parabole  {tt.  7-9)  el  de  son  applica- 
tion pratique  {t.  10),  est  une  parlicularite  de 
.notrn  Evangile. 

7  et  8.  —  Transition  :  Jesus  vient  d'affir- 
mer  solennellemenl  aux  Douzo  qu'ils  sont 
capables  d'accomplir  les  plus  grandes  mer- 
weillesau  moycn  d'una  foi  viva.  II  veut  main- 


tenant  les  pr^munir  contre  les  tentalions  de 
vaine  gloire  qui  pourraienl  prendre  leur 
source  dans  I'exercice  d'une  auiorile  si  ecla- 
tanle  :  c'est  pourquoi  il  les  ramene  a  des 
sentiments  d'humilile  en  leur  rappelant  qu'ils 
ne  sont  que  neant  devant  Dieu.  —  Quis 
autem  vestrum...  Le  fait  sur  lequel  Notre-Sei- 
gneur  appuie  sa  grave  leQOQ  est  d'une  expe- 
rience quotidienne;  il  n'en  a  que  plus  d'inte- 
ret,d'autanl  plus  que  la  description  est  toute 
dramatique.  —  Servum,  SoOXov  (par  opposi- 
tion a  [itoeiov),  par  consequent  un  serviteur 
dans  le  sens  strict,  qui  depend  entieremenl 
de  son  maitre,  et  qui  ne  s'est  pas  seulement 
engage  a  rendre  tel  ou  tel  service  parlicu- 
lier.  —  Regresso  de  agro  dicat  illi.  II  y  a  re- 
dondance  du  pronom.  Cfr.  Winer  el  Beelen. — 
Para  quod  coenem.  Dans  le  grec  :  ti  Stm^-fitju, 
Ti  pour  6,  Tt,  comme  en  beaucoup  d'autres 
endroils  des  Evangilos.  —  Prwcinge  te.  Cfr. 
xii,  35.  Les  Orientaux,  quand  ils  travaillent, 
retroussenl  d'ordinaire  leur  ample  veiement 
de  dessus,  afin  de  rendre  leurs  mouvemenls 
plus  libres.  —  Donee  manducem  et  bibam : 
Sw;,  aussi  longtemps  que.  Le  serviteur  ne 
devra  songer  k  conlenter  ses  propres  besoins 
que  lorsquG  ceux  de  son  maitre  auront  ele 
bien  satisfails  (post  hcec,  et  pas  avanll  Tu  est 
emplialique). 

9.  —  Dernier  trail,  auquel  Jdsus  ratta- 
cliora  sa  m.orale.  Quand  ce  serviteur  aura 
(ideleinent  execute  les  ordres  qu'il  avai' 
reQus,  lui  saura-t-on  gie  de  son  zeie?Eu  ge- 
neral on  n'y  songera  guere.  II  est  paye  pour 
cela,  comme  Ton  dit  vulgairemenl,  el  sou- 
vent  il  n'aura  pas  meme  un  simple  merci  en 
sus  de  ses  gages.  Apres  lout,  il  n'a  fail  que 
son  devoir. 

40.  — Sic  et  vos.  .11  en  est  do  m^me,  conclut 


S.  BiBi.R.  S.  L[ic.  —  20 


S06 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


memes,  quand  vous  aurez  fait  lout 
ce  qui  vous  a  ete  commande,  dites  : 
Nous  sommes  des  servileurs  inuti- 
les,  nous  avons  fait  ce  que  nous  de- 
vious faire. 

11.  Et  il  advint,  pendant  qu'il 
allait  a  Jerusalem,  qu'il  passa  au 
milieu  de  la  Samarie  et  de  la  Galilee. 

12.  Et  comme  il  entrait  dans  un 
village,  au  devant  de  lui  vinrent 
dix  lepreux  qui  se  tinrent  loin, 

13.  Et  eleverent  la  voix,  disant  : 


ceritis  omnia  quae  prsecepta  sunt 
vobis,  diciteiServi  inutiles  sumus: 
quod  debuimus  facere.  fecimus. 

11,  Et  factum  est,  dum  iret  in  Je- 
rusalem, trausibat  per  mediam  Sa- 
mariam,  et  Galilseam. 


12.  Et  cum  ingrederetur  quoddam 
castellum,occurrerunt  eidecem  viri 
leprosi,  qui  steteruntalonge. 

13.  Et  levaverunt  vocem,  dicent 


ie  Sauveur,  de  voire  conduite  relalivement  k 
Dieu.  Fussiez-vous  des  servileurs  irreprocha- 
bles,  eussiez-vous  accompli  parfailemenl, 
sans  en  excepler  un  seul  (remarquez  I'emphase 
de  omnia),  lous  les  ordres  du  souverain  Sei- 
gneur, rcconnaissez  que  vous  n'avrz  fait  que 
payer  votre  delle  :  Quod  debuimus  facere,  fe- 
cimus. En  effet,  o  non  esl  beneQciura,  sed 
officium,  facere  quod  debes  »,  Seneque, 
Controv.  ii,  43.  Si  le  divin  Maitre  promet 
ailleurs  aux  servileurs  fideles  une  recom- 
pense grandiose  (Gfr.  xii,  37),  c'est  par  pure 
generosile,  car,  sans  ses  graces  parliculieres, 
y  aurait-il  des  servileurs  fideles?  a  Coro- 
nando  merita,  coronas  dona  tua.  »  C'est  par 
cet  admirable  principe  d'humilite  que  Jesus 
termine  la  serie  de  discours  commencee  au 
chap.  XV.  —  Sur  I'ancienne  controverse  sou- 
levee  par  les  premiers  protestanls  a  propos  de 
ce  lexte  el  de  la  prelendue  inulilite  des 
bonaes  CBuvres,  voyez  Maldonat,  h.  i.  —  Les 
mots  non  puto  sont  aulhenliques,  quoiqu'ils 
manquent  dans  les  manuscriis  B,  L,  X, 
Sinail. 

20.  Guerlson  des  diz  Idprenz.  xtii,  11-19. 

41.  —  Le  miracle  esl  inlroduit  dans  ce 
versel  par  une  nolice  qui  n'esl  pas  sans  im- 
portance au  poinl  de  vue  des  voyages  de 
Notre-Seigneur.  Les  premiers  mots,  et  fac- 
tum est  dum  tret  in  Jerusalem,  nous  ramenent 
a  IX,  54,  XIII,  22,  el  renouenl  le  fil  inler- 
rompu  du  recit.  Les  suivanls,  transibat  per 
mediam  Samariam  et  Galilwam,  onl  autrefois 
occasionne  des  divergences  parrai  les  com- 
mentaieurs,  qui  les  Iraduisaienl  lanlol  par  : 
11  traversait  la  Samarie  el  la  Galilee,  lanlol 
par :  II  passait  enire  la  Samarie  et  la  Galilee. 
La  seconde  inlerpretalion  esl  aujourd'hui 
presque  universellement  adoptee,  et  k  bon 
droit  d'apres  la  lopographie.  En  effet,  puis- 
que  Jesus  se  rendait  alors  de  Galilee  a  Jeru- 
salem, et  que  la  Samarie  esl  siluee  juste  entre 
ces  deux  termes,  si  I'evangeliste  eOt  simple- 
went  voulu  dire  que  Notre-Seigneur  traversa 


par  le  milieu  le  territoire  Samaritain,  it  au- 
rait  dii,  pour  parlor  exactemenl,  ne  men- 
tionner  la  Samarie  qu'en  second  lieu  :  «  Ibat 
per  mediam  Galilaeam  et  Samariam  ».  Voyez 
R.  Riess.  Atlas  historiq.  el  geogr,  de  la  Bible; 
pi.  IV;  V.  Ancessi.  Alias  geogr.,  pi.  XVL  II 
faul  done  donner  a  6ia  (ieoou  la  signification 
Ires  classique  de  «  inler  »,  ei  alors  lout  s'ex- 
plique  aisemenl.  Arrive  sur  les  confins  de  la 
Galilee  el  de  la  Samarie,  Jesus,  au  lieu  de 
conlinuer  sa  marche  vers  le  Sud  de  maniere  a- 
gagner  Jerusalem  par  la  voie  direcle,  lourna 
subilement  vers  I'Est,  du  cole  du  Jourdain  et 
de  la  Peree,  longeant  selon  loule  vraisera- 
blance  I'ouadi  de  Bethsean ;  de  la  sorte,  il 
voyageail  precisemenl  «  entre  »  les  deux 
provinces,  se  lenc  nl  sur  leur  zone  limitrophe, 
«  in  conQnio  »,  et  ayani  a  sa  droile  la  Sa- 
marie, a  sa  gauche  la  Galilee.  Son  but  elait 
sans  doute  d'eviler  le  lerriloire  inhospitalier 
des  Samaritains.  Cfr.  ix,  52  et  ss. 

\  2. —  Cum  ingrederetur  quoddam  castellum. 
Ce  village,  aupres  duquel  eul  lieu  la  scene 
qui  va  suivre,  elail  vraisemblablemenl  sur  la 
rive  cis-jordanienne.  —  Decern  vii'i  lepi'osi. 
Separes  du  resle  des  hommes  par  leur  hor- 
rible infirmile,  ils  avaient  trouve  quelque 
consolation  a  meltre  en  commun  leurs  souf- 
frances  el  leurs  modiques  ressources.  Voyei 
IV  Reg.  VII,  3,  un  antique  exemple  d'une  as- 
sociation semblable.  —  Steterunt  a  longe.  La 
loi  inlerdisail  aux  lepreux  soil  I'enlree  des 
lieux  habiles,  soil  I'approche  des  personnes 
saines,  de  crainte  qu'ils  ne  coramuniquassent 
leur  mal.  Cfr.  Lev.  xiii,  45  el  s.  Pour  ce  der- 
nier point,  lesreglements  rabbiniques  avaient 
meme  essaye  de  preciser  la  distance  a  la- 
quelle  devaieat  se  tenir  les  lepreux  :  mais  ils 
varienl  de  4  a  400  coudees.  Cfr.  Lighlfool 
Hor.  h  br.,  in  Evang.  h.  I.  Tout  ce  que  tou- 
chail  un  lepreux  etail  pollue. 

4  3.  —  Levaverunt  vocem.  Trail  pittores* 
que.  Reconnaissanl  Jesus,  et  pleins  de  con- 
fiance  en  sa  bonte  toule-puissante,  ils  pou3- 
senl  lous  ensemble  ce  cri  lamentable  :  Jesu 


CHAPITRE    XVIi 


307 


tes   :    Jesu    prseceptor,    miserere     Jesus,  maitre,  aie    pitie  de  nous, 
nostri. 

14.  Quos  ut  vidit,  dixit  :  Ite, 
ostendite  vos  sacerdotibus.  Et  fac- 
tum est,  dum  irent,  mundati  sunt. 


15.  Unus  autem  ex  illis,  ut  vidit 
quia  mundatus  est,  regressus  est, 
cum  magna  voce  magnificansDeum. 

1 6.  Et  cecidit  in  faciem  ante  pedes 
ejus,  gratias  agens  ;  et  hie  erat 
Samaritanus. 

17.  Respondens  autem  Jesus, 
dixit :  Nonne  decern  mundati  sunt? 
et  novem  ubi  sunt  ? 

17.  Non  est  inventus  qui  rediret, 
et  daret  gloriam  Deo,  nisi  hie  alie- 
nigena. 


14.  Des  qu'il  les  vit,  il  dit :  Allez, 
montrez-vous  aux  pr^tres;  et  ilar- 
riva  que  pendant  qu'ils  allaient  ils 
furent  purifies. 

15.  Or  un  d'entre  eux,  des  qu'il 
vitqu'il  elait  purifie,  retourna  glori- 
fiant  Dieu  a  haute  voix. 

16.  EL  il  tomba  la  face  contre  terre 
devant  sespieds  enrendant  graces; 
et  il  etait  Samaritain. 

17.  Et  Jesus  prenant  la  parole  dit : 
Est-ce  que  dix  n'ont  pas  ete  puri- 
fies ?  Et  les  neuf  ou  sont-il  ? 

18.  II  ne  s*en  est  point  trouve  qui 
soit  revenu  et  qui  ait  rendu  gloire  a 
Dieu,  sinon  cet  etranger. 


prceceptor  (dittotaTa  au  lieu  de  Rabbi,  ou  de 
xupie,  selon  la  couUime  de  S.  Luc.  Gfr.  v,  5; 
VIII,  24,  45 ;  ix,  33,  49),  miserere  nostri. 

14.  —  Quos  ut  vidit,  dixit...  Rien  n'est  plus 
propre  k  exciler  la  pilie  que  la  vue  d'un  le- 
preux;  aussi  le  coeur  compalissanl  da  Sau- 
veur  accedail-il  toujours  immedialemeni  aux 
demandes  de  ce  genre.  Mais  nous  savons  que 
Jesus  aimait  d'ordinaire  a  exercer  la  foi  des 
suppliants,  et  c'est  pour  ce  motif  qu'il  se 
borne  a  repondre  dans  la  circonstance  pre- 
senle  :  Ite,  ostendite  vos  sacerdotibus.  C'e- 
lait  du  moins  promeltre  impliciteinenl  une 
prompte  guerison,  puisqu'il  apparteiiait  aux 
prelres,  d'apres  les  dispositions  do  la  loi  (Gfr. 
Lev.  xm,  2 ;  xiv,  2  ;  Matih.  vii,  3  el  lo  cora- 
•mentaire),  de  conslaler  officiellement  la  dis- 
parilion  de  la  lepre.  —  Dum  irent.  Pleins  de 
foi,  ils  se  mettent  en  chemin,  el  voici  que 
leurobeissance  est  lout  a  coup  recornpensee  : 
mundati  sunt  I  (Surcelle  expression,  qui  elait 
technique  chez  les  Juifs  pour  designer  la  euro 
de  la  lepre,  voyez  I'Evang.  selon  S.  Malth. 
p.  153). 

15  el  16.  —  Unus  autem  ex  illis.  Jusqu'a- 
lors  la  conduite  des  dix  avail  ete  idenlique; 
nous  les  irouvonsdesormaisdi  vises,  neuf  d'un 
cole,  un  seuleiiient  de  I'autre.  Helas!  ce  der- 
nier cole  est  celui  di3  la  reconnaissance.  — 
Regressus  est.  On  voil  par  celte  expression 
que  la  guerison  ne  s'eiail  pas  accomplie  en 
la  presence  immediate  de  Jesus;  peul- 
6tre  avail-elle  ele  operee  assez  loin  de  lui  : 
mais  la  distance  ne  ful  pas  un  obstacle  a 
ia  gratitude  du  lepreux  samaritain.  Com- 
parez  I'exemple  de  Naaman,  qui  vint  aussi 
rendre  graces  a  Elis^e,  apres  avoir  ete  gueri 
miiraculeusement  dela  lepre,  IV  Reg.  v,15.— 


Cum  magna  voce  magnificans...  11  eleve  la  voix 
pour  remsrcier,  comine  precedemmenl  pour 
implorer,  t.  13.  —  Cecidit...  ante  pedes  ejus, 
gratias  agens.  De  Dieu,  I'auleur  de  tout  don 
parfait,  son  action  de  graces  se  reporle  sur 
Jesus,  son  bienfaiteur  immediat.  Or,  ajoule 
S.  Luc  avec  une  intention  qu'il  est  ais^  de 
decouvrir  :  hie  erat  Samaritanus,  c'est-a- 
dire qu'il  appartenail  a  une  race  abhorree  des 
Juifs,  etrangere  aux  divines  promesses,  tandis 
que  h's  neuTautres  eiaienl  de  la  nation  choi- 
sie.  N'etait-ce  pas  afBrmer  tacitement,  selon 
la  teneur  generale  du  troisieme  Evangile 
{voyez  la  Preface,  §  V),  que  les  Israelites  ne 
seraient  pas  seuls  a  participer  au  salut  mes- 
sianique,  mais  que  les  porles  du  royaume  des 
cieux  seraienl  ^galement  ouverles  pour  les 
autres  peuples,  el  que  ces  derniers  pour- 
raient  meme  ravir  a  Israel  ses  privileges, 
s'ils  se  monlraienl  plus  parfaits  que  lui  ?  "Telle 
est,  au  point  de  vue  theologique,  la  significa- 
tion des  touchanls  details  de  ce  miracle. 
Quant  au  fail  mSme  de  la  cohabitation  d'un 
Samaritain  avec  des  Juifs  en  depil  des  haines 
nationales  (Gfr.  Joan,  x,  53  et  le  commen- 
taire),  il  n'a  rien  d'extraordinaire  dans  le  cas 
present :  le  malheur  avail  renverse  toutes  les 
barrieres.  G'esl  ainsi  qu'a  Jesuralera,  dans  le 
Biut  el  Masakin  («  residence  des  infortunes  ») 
ou  quartier  des  lepreux,  on  voit  des  Maho- 
metans et  des  Juifs  habiler  ensemble,  tandis 
qu'ils  se  detesient  et  se  fuienl  partout  ail- 
leurs.  Du  resle,  le  miracle  avait  eu  lieu  sur 
les  limites  de  la  Samarie,  ce  qui  rend  une 
telle  confraternite  plus  explicable  encore. 

17  el  18.  —  Respondens  Jesus.  Quoique 
habitue  k  I'ingratitude  des  hommes,  Jesus 
manifeste  une  sorte  d'etonnemeot  en  voyanl 


308 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


19.  Et  il  lui  dit :  Leve-toi,  va,  car 
ta  foi  t'a  sauve. 

20.  Interroge  par  les  Pharisiens 
quand  doit  venir  le  royaume  de 
Dieu,  il  leur  repondit :  Le  royaume 
de  Dieu  ne  vient  point  en  frappant 
les  regards. 

21.  On  ne  dira  pas  :  II  est  ici,  ou 
il  est  la:  car  void  que  le  royaume 
de  Dieu  est  au  dedans  de  vous. 


19.  Et  ait  illi :  Surge,  vade ;  quia 
fides  tna  te  salvum  fecit. 

20.  Interrogatus  autem  a  Phari- 
sseis  :  Quando  venit  regnum  Dei  ? 
respondens  eis,  dixit :  Non  venit 
regnum  Dei  cum  observatione ; 

21.Neque  dicent :  Ecce  hie,  aut 
ecce  illic.  Ecce  enim  regnum  Dei  in- 
tra vos  est. 


qu'un  seul  des  lepreux,  un  seul  sur  dix,  se 
monlrail  reconnaissanl.  —  Novem  ubi  sunt? 
(plus  energiquement  dans  le  grec,  oi  Se  ewsa, 
iroO; )  Lo  biunfail  qu'ils  avaient  regu  etail  a 
peine  infericiir  a  celui  de  la  vie  :  coiniiieiil 
n'avaienl-ils  aucune  gratitude  a  leinoigner! 
Ainsi  va  le  monde,  s'ecrie  S.  Bernard  :  c  lin- 
porUini  ut  accipianl,  inquieti  donee  accepe- 
rinl,  ubi  acceperinl  ingrali.  »  On  dirail  (|ue 
les  faveurs divines  c(  lonibenldans  un  ?e[)iilcre 
profond  el  silencieux  »  (J.  P.  Lange).  —  C'esL 
avec  une  vive  Irislesse  que  le  Sauveur  diil 
ajouler  :  Non  est  mvenius... ;  du  moins  lui 
elail-ildoux  defaireressorlir  la  belle conduile 
du  lepreux  elranger  (alienigena;  aXXoyevrn  du 
texle  grec  n'apparail  qu'en  eel  endioil  du 
N.  T.  Voyez  IV  Reg.  xvii,  24,  la  justification 
deson  emploi  relalivement  aux  Saraarilains). 
19.  —  Surge  (le  lepreux  etait  prosterne 
aux  pieds  de  Jesus,  t.  16)...  (ides  tua...  Par 
cetle  parole  de  bonle  Jesus  eonfirma  sa  grAce 
anlerieure,  joignant  peut-eire  en  ce  moment 
la  guerison  de  I'ame  a  celle  du  corps,  comme 
Tout  pense  quelques  inlerpreles. 

21.  Li'av6nement  du  royaume  de  Dieu. 

STii,  20-37. 

C'est  a  bon  droit  que  de  Welle  appelle  ce 
passage  «  une  perle  precieuse  »,  car  il  con- 
tienl  pour  lous  les  siecles  des  avei  tissements 
du  plus  giand  prix.  Le  sujel  Iraile  par  le  di- 
vin  Mailre  n'esl  pas  sans  analogie  avec  celui 
qui  est  developpe  plus  au  long  dans  le  Dis- 
cours  (sclialologique  du  mont  des  Oliviers 
(Matih.  XXIV,  Mare,  xiii,  Gfr.  Luc.  xxi) ; 
muis  d  est  bion  nalurel  quo  Jesus  soil  re- 
venu  plusieurs  fois  sur  ces  graves  pensees. 
Rien  n'aulorise  done  les  ralionalisles  a  pre- 
tendre  qu'ici  encore  S.  Luc  a  bouleverse  les 
fails  et  les  paroles,  dedouble  des  ehoses  qui 
auraienl  ete  unies  dans  le  principe.  —  Nous 
distinguerons  deux  parlies  :  la  reponso  de 
Notre-Seigneur  a  une  question  des  Pliar  isiens, 
tt-  20  et  21,  el  le  petit  discours  adresse 
aux  disciples,  Ift.  22-37. 

1"  J^sus  r^pond  aux  Pharisiens,  ^f.  20  el  21. 

SO  et  2<.  —  Quando  venit  [Ipyjiai,  le  pre- 


S(  ni,  parce  qu'on  atlendait  d'heuro  en  heure 
r,apparition  du  royaume)...  L'expression  re- 
giium  Dei  represente,  comme  partoui  ailUurs 
dans  TEvangiie  (voyoz  noire  commenlaire 
sur  S.  MaUh..p.  67  et  p.),  I'empire  du  Messie 
annonce  par  les  propheies.  Toutefois  nous 
savons  que  les  Pharisiens,  et  en  general  lous 
les  Juifs  d'alors,  rallacliaicnl  a  celte  grande 
ideo  mille  prejuges  humains,  esperanl  que  lo 
Messie  leur  apportiM-ait  gloire,  puissance,  ri- 
eliesses,  et  loulo  sorle  d'avanlages  lerreslres. 
La  (juestion,  d'ailleiirs,  n'etail  ni  sans  malice 
ni  sans  ironie.  Ccux  qui  la  posaient  voulaienl 
embarrasser  liMir  advcrsairo.  Depuis  plusieurs 
annees  il  annongait  la  proximite  du  rovaume 
de  Dieu  (Gfr.  Maitli.  iv,  17  et  parall.),  el 
pourlaiil  les  cliosvs  scmblaiont  etre  loujours 
au  meme  point!  N.;  fournuail-ii  pas  quelquo 
explication  la-dessus?  Gomparez  Maldonai, 
Gomm.  in  Luc.  xvii.20.  —  liespondens  dixit. 
Jesus  ne  repond  d'abord  pas  diieclemenl  a 
la  demande  iasidieuse  des  Pharisiens.  Au  lieu 
de  determiner  I'epoque  en  qursiion.  il  in- 
dique,  d'une  uianierc  lies  nolle,  (pin!(|ue  ne- 
gative, la  nature  du  «  lovauine  de  Dieu.  » — 
Non  venit...  rum  observatione  ((/.sti  Tzaoazripri- 
oew:;,  poui"  aTtapaTrjpTQTw;.  lIapaTr,p-/]oi(;  designe 
une  observation  Ires  atlenti\e,  telh;  qu'est 
cello  d'un  ennemi.  Gfr.  xiv,  1),  c'est-a-dire 
v(  ita  ut  observari  possit  »,  par  consequent 
avec  accompagnemenl  de  coups  do  iheaire, 
de  signes  eclalanis  et  multiples  qui  (rappent 
bientol  1(  s  regards  les  moins  perspieaces, 
comme  serail  rinstallation  d'une  nouvelle 
dynaslie  chez  un  peuple  puissant.  Voyez 
D.  Galmet,  Gomm.  Ii.  I.  N'etait-ce  pas  dire  aux 
Pharisiens  qu'ils  se  plagaient  a  un  faux  point 
de  vue,  quand  ils  chercliaicnt  avec  les  yeux 
du  corps  un  regno  loulspirituel?  —  Neque  di- 
rent  (pour  «  non  erit  (|iiod  dicatur  »)  :  Ecce 
hie,  aut  ecce  (ce  second  iSou  manque  dans  les 
manuscrils  Sinail.,  B,  L)  illic.  G'est  le  deve- 
loppement  de  la  meme  pensee.  Le  royaume 
de  Dieu  est  de  telle  nature,  qu'on  n'en  sau- 
railconstater  la  presence  comme  celle  d'un  fait 
materiel.  —  Ecce  enim.  Au  «  voici  »  et  au 
«  voila  i  des  homines,  Jesus  oppose  son 
propre   «  ecce  »,  par  lequel  il  inlroduit  la 


CHAPITRE  XVII 


309 


22.  Et  ait  ad  discipulos  suos  :  Ve- 
nient  dies  quando  desideritis  videre 
umim  diem  Filiihominis,  et  non  vi- 
debitis. 

23.  Et  dicent  vobis  :  Ecce  hie,  et 
ecce  illic.  Nolite  ire,  neqiie  secte- 
mini. 

Maith.  24,  23;  Marc.  13,  21. 


22.  Et  il  dit  a  ses  disciples  :  Vien.' 
dront  des  jours  ou  vous  desirere2 
voir  un  jour  du  Fils  do  I'homme  et 
vous  ne  le  verrez  pas. 

23.  Et  on  vous  dira :  Le  voici  el 
le  voila ;  n'y  allez  pas  et  ne  les  su^'- 
vez  pas. 


parlie  principale  de  sa  reponse  aux  Phari- 
siens  :  Reguiun  Dei  intra  vos  est.  Mais  quel 
est  vraimenl  le  sens  de  celle  profonde  pa- 
role? Nous  en  liouvons  dans  les  conimenta- 
teurs  trois  explications  principales,  qui  va- 
rieni  d'apres  la  iradiiclion  donnee  a  evto; 
{([xujv.  Ces  rnols  signifieraient,  1o  suivant 
Origene,  S.  Cyrille  el  Maldonal  .  «  in  poles- 
tale  vestra  «  ;  mais  rien  ne  juslifie  leur  in- 
terpretation, qui  affaibiit  du  resle  la  pensee 
du  Sauveur;  2°  d'apres  la  piuparl  des  com- 
ntientaleurs:  «  in  medio  veslrum,  inler  vos  », 
parmi  vous, a  cole  de  vous;  la  phrase  enliere 
equivaiidrail  alors  a  celie-ci  (xin,  20)  . 
«  Pervenit  in  vos  regnum  Dei.  »  Ei,  en  rea- 
lile,  I'ere  du  royaume  des  cieux  n'avail-elle 
pas  deja  commence?  Le  Messie,  chef  de  ce 
royaume,  ne  vivait-il  point  parmi  les  Phari- 
siens?  3o  D'apres  d'aulres  exegeles  assez 
nombreux  (onLre  aulres  S.Jean  Chrysoslome, 
Theophylacle,  Ei  asme ,  Olshausen,  Godet, 
Keil)  :  «  in  animis  veslris  »,  dans  vos  coeurs, 
en  vous-memes  ;  el  lelle  nous  parail  elre  I'ex* 
plication  la  plus  exacle,  quoique  la  seconde 
ne  soil  pas  sans  de  grandes  probabililes.  Le 
contexte  nous  esl  favorable,  puisque  Jdsus  a 
dil  plus  haul  que  I'avenemenl  du  divin  regne 
ne  tombe  pas  sous  les  sens,  el  qu'il  si;  pro- 
pose precisemenl  ici  d'indiquer  le  molif  de 
cetle  invisibilile  (remarquez  la  parlicule 
enim).  Voire  inquisition  esl  vaine,  voulail-il 
dire,  allendu  que  retablissemenl  du  royaume 
de  Dieu  esl  un  fait  moral,  interne.  On  peul 
objecter,  il  esl  vrai,  la  perveisite  pliari- 
salque  :  le  royaume  de  Dieu  otail-il  done  au 
fond  du  coeur'deces  hypocriles?Mais  il  n'csl 
pas  necessaire  d'appliquer  le  pronom  vos  aux 
Pharisiens  d'une  fagon  exclusive.  Quelques 
auleurs  (Farrar,  elc.)  reunissent  les  deux 
dernieres  interpretations.  La  philologie  les 
autorise  I'une  el  I'aulre.  En  louie  hypolhese 
d'ailleurs,  la  parole  do  Jesus  revienl  a  dire 
qu'au  lieu  de  s'inquieter  curieusemenl  de 
I'epoque  el  des  signes  du  royaume  de  Dieu, 
il  serait  bien  preferable  de  cliercher  les 
moyens  do  se  I'approprier ;  el  e'et-t  \k  une 
insUuction  valable  pour  lous  les  temps. 

2°  Instruction  poar  les  disciples,  ff.  22-37. 

22.  —  Et  ait   ad  discipulos.   Apres  cetle 


breve  mais  solide  reponse,  Jesus  ne  devait 
plus  rien  a  des  ennemis  insidieux.  11  leur 
avail  montre  le  veritable  ideal  de  son 
royaume;  il  avail  essaye  de  tourner  vers  le 
present  leurs  regards  qu'ils  dingcaient  trop 
du  cole  de  I'avenir  :  cela  sulTi-ail.  A  eux 
mainlenanl  de  renlrer  en  eux-memes!  C'esl 
a  ses  disciples  qu'il  adresso  la  suile  de  son 
discours.  Deveiojipanl  le  memo  sujel,  mais 
passant  du  premier  avenemenl  au  second,  de 
la  fondation  du  royaume  messianique  a  sa 
consommation,  il  in^iste  sur  les  daiigirs  qui 
rem[)liront  lere  finale  du  monde  afin  de  nous 
les  fane  eviter.  Ses  enseignemenls  se  grou- 
pent  aulour  de  Irois  pensees,  qui  correspon- 
dent aux  tir.  22-25,  26-30,  31-37.  Premiere 
pensee  :  Ce  que  sera  la  fin  des  temp^,  el  ce 
que  le  Christ  doit  d'abord  subir.  —  Veniunt 
dies,  jours  de  peines  el  de  tribulations  pour 
les  disciples  de  Jesus.  Aussi,  durant  ces 
heures  lerribies,  desireront-ils  ardemment 
voir  unum  diem  Filii  hominis,  mais  sans  que 
ce  desir  soil  salisfail  [non  videbitis).  Par  ce 
a  jour  du  Fils  de  I'homme  »,  auquel  aspire- 
ronl  les  fideles  comme  a  .un  doux  rafraichis- 
semenl  au  milieu  de  leurs  souffrances,  les 
uns  (Kuiiioel,  Slier,  Ewald,  von  Burger,  elc.\ 
enlendent  le  passe,  c'esl-a  dire  le  temps  oil 
vivail  Nolre-Seigneur,  les  heureux  instants 
durant  iesquels  les  premiers  disciples  joui.s- 
saienl  de  sa  socieie  visible;  les  aulres 
(Olshausen,  Bleek,  Meyer,  etc.)  I'avenir,  I'e- 
poque de  la  divine  Tiapouaia,  du  retour  glo- 
rieux  de  Jesus  a  la  fin  du  monrie.  L'emploi 
de  la  meme  locution  dans  ce  second  sens  aux 
tt.  24,  26  el  30  nous  porte  a  lui  accorder 
nos  preferences.  Les  epilres  de  S.  Paul, 
celks  surloul  qu'il  ecrivil  aux  Thessaloni- 
citns,  allestent  le  vif  desir  qu'avaienl  les 
premiers  Chretiens  de  voir  arriver  les  der- 
niers  jours,  pour  jouir  au  plus  lot  du  Christ. 
23.  —  Lorsqu'on  souffre,  on  doit  se  pre- 
munir  centre  les  fausses  esperances,  car  Ton 
y  esl  plus  facilf'meni  accessible.  C'est  pour 
ce  molif  que  Jesus  met  ses  amis  en  garde 
centre  les  pseudo-messies,  qui  ont  deja  fail 
lani  de  dupes  (voyez  I'Evang.  selon  S.  Mallb. 
p.  457).  —  Dicent  vobis  :  Erce...  Cela  ne  con- 
iredit  pas  le  Ti^.  21,  pui.-.qu'il  s'agit  d'un  autre 
avenemenl  du  royaume  do  Dieu  :  aulanl  les 


310 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


24.  Gar  comme  un  eclair  brillant 
sous  le  ciel,  illumine  tout  ce  qui  est 
sous  le  ciel,  tel  sera  le  Fils  de 
I'homme  en  son  jour. 

2o.  Mais  ilfaut  d'abord  qu'il  souf- 
fre  beaucoup  de  choses  et  qu'il  soit 
rejete  par  cetle  generation. 

26.  Et  comme  il  en  fut  aux  jours 
de  Noe,  ainsi  en  sera-t-il  aux  jours 
du  Fils  de  I'homme. 

27.  lis  mangeaient  et  ils  buvaient, 
ils  epousaient  des  femmes  et  elles 
celebraient  des  noces,  jusqu'au  jour 
ouNoe  entra  dans  I'arche.  Etle  de- 
luge vint  et  les  perdit  tous. 

28.  Et  pareillement  comme  il  en 


24.  Nam  sicut  fulgur  coruscans 
de  sub  coelo,  in  ea  quae  sub  coelo 
sunt  fulget :  Ita  erit  Filiis  hominis 
in  die  sua. 

23.  Primum  autem  oportet  ilium 
multa  pati,  et  reprobari  a  genera- 
tione  hac. 

26.  Et  sicut  factum  est  in  diebus 
Noe,  ita  erit  et  in  diebus  Filii  ho- 
minis. 

Gen.  7,  7;  Mailh.  24,  37. 

27.  Edebant  et  bibebant,  uxores 
ducebant  et  dabantur  ad  nuptias, 
usque  in  diem  qua  intravit  Noe  in 
arcara  :  et  venit  diluvium,  et  perdi- 
dit  omnes. 

28.  Similiter  sicut  factum  est  in 


debuts  furenl  lent?,  my?lerieux,  insensibles, 
auiant  la  fin  doit  etre  iiianifesle  el  glorieuse. 
—  Nolite  ire,  neque  sertemini.  Repeiitioii  de 
I'ordre,  pour  le  renforcer;  le  second  verbe 
(5iu^riTe)  est  du  reste  plus  ej:pre<sif  que  le 
premier. 

24.  —  Nam,  sicut  fulgur...  Preuve  qu'il 
sera  bien  inutile  do  courir  apres  les  faux 
Chrisls  :  I'apparition  de  Je-us  pour  le  juge- 
ment  dernier  ne  sera  pas  locale,  inais  uni- 
vers'^lle  el  simultanee.  L'imnge  de  I'eclair 
explique  admirablemenl  colte  pensee.  Pour 
voir  un  eclair,  va-l-on  se  metire  rn  tel  ou 
tel  endioil  ?  Non,  sa  hieur  resplondil  a  la  fois 
d'(in  bouldr  ihorizoii  a  i'aulre,  il  est  visible 
parloul  en  meme  temps.  De  memo  sera  le 
second  avenement  du  Christ,  de  sorle  qu'on 
n'aura  pas  besoin  d'etre  averli  de  son  appa- 
rition. —  La  phrase  barbare  coruscavs  de  sub 
ccelo  in  ea  quce  sub  ccelo  sunt  fulget  est  un  peu 
mcins  obsc  ure  dans  le  texle  grec  :  aa-zpanxovija 
Ix  zf,i  'scil.X'^P*?)  ^7^0  '^o''  oupavov  el;  ty;v  fytopav) 
ut:'  oupavov  Xaanei,  litleral.  «  coruscans  de  ea 
(pane  quae  est)  sub  coelo  in  earn  ipai  tern  quaB 
est)  sub  ccelo  fulgei  »,  c'esl-a-dire  d'une 
extremile  du  ciel  a  I'aulre  exiremite.  —  Les 
mots  in  die  sua  sonl  authenliques.  quoiqu'iU 
manqiient  dans  les  manusciils  B,  D. 

25.  —  Piimum  autem...  Un  jour  d'humi- 
iiations,  de  souiTrances,  precedera  pour  Jesus 
Jui-meme  ce  jour  de  gloire.  —  Oportet,  SeT  : 
c'est  une  necessile  d'apres  le  plan  divin.  El 
ces  souffrances  {multa  pali),  ces  humiliations 
[reprobari;  a7to5oy.tu.ac6rjvat,  expression  ener- 
giquej,  lui  seroni  infligees  par  la  generation 
conlemporaine  [a  generationc  hac  .  Nouvelle 
et  claire  annonce  de  la  Passion !  Cfr.  ix,  22. 

26  et  27.  —  Seconde  pensee,  tt.  26-30  : 
quand  le  Christ  viendra  fonder  glorieusement 


et  definitivement  son  royaume,  il  trouvera  le 
monde  insouciant,  non  prepare.  Notre-Sei- 
gneur,  pour  exposer  ce  fait  douloureux,  rap- 
proche  de  la  Gn  des  temps  deux  des  plus 
sombres  epoques  de  I'histoire  sainte,  les 
«  jour  de  Noe  »,  tt.  26  et  27,  et  les  «  jours 
de  Lot  »,  tt.  28-29,  montranl  que  d'une 
part  I'indifference  des  horames,  de  I'aulre  le 
caraclere  epouvanlable  des  jugemenlsdivins, 
seroni  les  memes  a  ces  trois  eres  critiques, 
t.  30.  —  In  diebus  Noe,  c'est-ai'dire  ppudanl 
les  cenl-vingl  ans  qu^  dura  la  construction 
de  I'arche. —  Edebant,  et  bibebant...  Dans  les 
meilleures  editions  du  texle  grec  les  quatre 
V(>rbes  se  suivenl  sans  conjonction,  ■^oOiov, 
Imvoy,  i'{6i\ii.om,i-<(a\i.'Xo\zo,  ce  q\u  rend  I'enu- 
meralion  plus  rapiae.  'Eya|xouv  est  bien  tra- 
duil  par  uxores  ducebant,  car  c'est  rhomme 
qui  recherche  en  mariage;  eyajAtJovTo  (dafian- 
tur  ad  nuptias)  s'applique  aux  femmes,  qui, 
dans  toutes  les  contrees  bibliques,  sont  don- 
nees  en  mariage  par  leurs  parents  et  ne  jouent 
aucun  role  direct  dans  le  choixde  leurs  maris. 
Ces  details  i  it  oresques  prouveni  que  I'huma- 
nite  d'alors,  o^cupee  seulement  de  ses  interets 
charnels,  ne  se  laissa  impressioner  en  rien 
par  les  avertissements  du  ciel,  et  continua 
jusqu'au  bout  [usque  in  diem  qua  intravit...) 
sa  vie  voluplueuse.  11  fallut  le  deluge  pour 
y  mellre  un  terme.  Voyez  dans  S.  Matlh. 
XXIV,  37-39  (Cfr.  le  commentaire),  un  deve- 
loppemenl  tout  a  fait  semblable.  —  Dduvium. 
L'expression  grecque  correlative,  v.a.tai%>..v<j^6t, 
est,  dans  les  LXX  (Gen.  vi,17;vii.  6  etss.; 
IX,  11,  28)  el  dans  le  Nouveau  Testament 
(Matlh.  XXIV,  1.  c;  II  Pelr.  ii,  o)  ie  terme 
technique  pour  designer  le  deluge. 

28  el  29.  —  Similiter,  sicut  factum  est...  La 
phrase  est  inachevee;  il  faut  suppleer  aprea 


CHAPITRE  XVII 


341 


diebus  Loth  :  edebaut  et  bibebant  : 
emebant  et  vendebant :  plantabant 
et  sedificabant  : 

Gen.  19,  25. 

29.  Qua  die  autem  exiit  Loth  a 
Sodomis,  pluit  ignein  et  sulphur 
de  cceIo,  et  omnes  perdidit : 

30.  Secundum  hsec  erit  qua  die 
Filius  hominis  revelabitur. 

31.  In  ilia  hora,  qui  fuerit  in 
tecto,  et  vasa  ejus  in  domo,  ne  des- 
cendat  tollere  ilia;  et  qui  in  agro, 
similiter  non  redeat  retro. 


fut  aux  jours  de  Loth  :  lis  man- 
geaient  et  buvaient,  ils  achetaient 
et  vendaient,  ils  plantaientet  batis- 
saient. 

29.  Mais  le  jour  ou  Loth  sortit  de 
Sodome,  une  pluiedefeu  et  de  sou- 
fre  tomba  du  ciel  et  les  perdit  tous. 

30.  Ainsi  en  sera-t-il  le  jour  oii  le 
Fils  de  rhomme  sera  revele. 

31.  }']n  cette  heure-la,  que  celui 
qui  sera  sur  les  toits  et  dont  les 
hardes  seront  dans  la  maison  ne 
descende  pas  pour  les  prendre;  etpa- 
reillement  que  celui  qui  sera  dans 
les  champs  ne  retourne  pas  en 
arriere. 


in  diebus  Loth  :  «  ita  eril  el  in  diebus  filii  ho- 
minis »,  conformemeni  au  f.  26.  On  poiirrait 
aussi,  mais  moins  bien,  croyons-nous,  ouvrir 
une  parenlhese  enlre  «  edebanl  »  et  «  perdi- 
dit »,  el  regarder  le  f.  30  comme  la  suite  de 
la  proposition  «  Similiter  sicut...  »  Les  jours 
deLolh  sonldonc  unnouvpau  type  {special  au 
troisieme  Evangile)  de  I'insouciance  avec  la- 
quelle  les  hommes  de  la  fin  des  lemps  se  pre- 
pareront  au  jugement  de  Dieu.  —  Edebant... 
La  nomenclature  commence  de  la  meme  ma- 
niere,  mais  elle  est  ensuite  iin  peu  modiflee  : 
les  idees  de  trafic,  de  plantation,  de  cons- 
truction {emebant,  vendebant,  plantabaiit,  cedi- 
ficabant:  la  conjonclion  est  encore  omisedans 
le  grec)  remplacenl  celle  de  mariage ;  mais 
le  I'ond  n'a  pas  change  :  toujours  c'est  le  souci 
du  bien-elre  materiel  qui  prime  tout  le  reste, 
car  helas!  sous  ce  rapport  le  genre  huraain 
S3  resserable  conslamment  k  lui-meme.  Qui 
CGnnait  une  phase  d(3  son  histoire  connait 
toutes  les  autres,  et  particulieremenl  les  plus 
mauvaises,  celles  qui  preparent  les  chali- 
ments.  —  Qua  die...  pluit  (scil.  Deus)  ignem.. 
Voyez  les  details  dans  la  Genese,  xix,  23-28. 
C'est  le  jugement  par  le  feu,  de  meme  que 
le  deluge  avail  ete  le  jugement  par  I'eau.  — 
Sulphur  :  en  grec,  Oetov,  mol  qui  designe  pro- 
prement  la  foudre,  «  ignem  quasi  divinum  » 
(Kuincfil),  puis  par  extension  le  soufre.  «  quo- 
niam  fulmen  odorem  acvim  quasi  sulphuream 
habet.  »  Cfr.  Apoc.  xiv,  10;  xix,  20;  Brct- 
schneider,  Lex.  man.  s.  v. 

30.  —  Secundum  hcec.  Pius  probablement, 
«  haec  »  retombe  sur  les  epoques  reunies  de 
Loth  et  de  Noe  ;  c'est  done  une  recapitulation 
que  nous  lisons  dans  ce  verset.  —  Qua  die 
Filius  hominis  revelabitur.  Dans  le  grec,  ctua- 
jtaXiinTexat  au  present,  ce  qui  exprime  mieux 


la  certitude  du  fait.  Le  verbe  a.no-/.al\mzeit 
convient  d'ailleurs  fort  bien  pour  designer  la 
manifestation  glorieuse  de  Nolre-Seigneur  J^ 
sus-Chrisl  a  la  fin  du  monde.  Cfr.  I  Cor.  i,  7; 
II  Thess.  I,  7 ;  Col.  m,  3  el  s.;  I  Petr.  iv,  13. 
Le  voile  qui  recouvre  ses  splendeurs  sera  tir6 
alors  a  tout  jamais. 

31 ,  —  Ici  commence  la  troisieme  pensee, 
ft.  31-37  :  Disposition  d'ame  qui  pourra  seule 
alors  procurer  lesalut.  De  nouveau  nous  trou- 
vons  dans  ce  passage,  quoique  avec  des  va« 
riantes  de  fond  ou  de  forme  qui  atlestent  Tori- 
ginalilede  S.  Luc,  plusieurs  des  paroles  fon- 
daraentales  du  discours  eschatologique.  Cfr. 
Matth.  xxiv,17,  18,  28.  C'estainsi  que  le  troi- 
sieme Evangile  applique  aux  derni'rs  jours  du 
monde  ce  qui,  d'apres  lo  premier,  convient 
seulemont  a  la  mine  de  Jerusalem.  —  In  ilia 
hora  («  die  »  dans  le  texte  grec),  c'est-a-dire 
lorsque  le  Christ  fera  son  second  avenement. 
A  cette  heure  solennelle,  quiconque  voudra 
hii  demeurer  eternellement  uni  devra  tout 
laisser  pour  voler  sans  retard  a  sa  suite, 
comme  I'expriment  deux  details  concrets  au 
t.  31,  un  exemple  terrible  au  f.  32,  un 
grand  princip!;-  au  t.  33.  Voyez,  pour  Texpli- 
cation  du  t.  31.  risvang.  seloti  S.  Matth. 
p.  462.  —  Vasa  ((xxsyri)  correspond  a  I'liebreu 
iSs  (Cfr.  Gesenius,  Thesaurus,  s.  v.)  et  re- 
presente  en  general  toute  sorte  d'objets,  ici 
les  ustensiles  les  plus  precioux  du  menage. 
—  Non  redeat  retro;  d'apres  le  grec  (ek  Ti 
iuiaoi),  «  ad  ea  (quae)  retro  »  (scil.  fuerunt 
relicia). Jesus  recoinmandeainsi  le  plus  parfait 
degagement  descho-;i's  liumainesen  vuedesa 
supreme  apparition.  Combien,  a  I'heure  d'une 
inondation,  d'un  incendle,  perissont  cnsevelis 
sous  les  mines  de  leur  maison,  parce  qu'ils 
onl  voulu  y  enlrer  poursauvcr  quelquo  objet  J 


3<2 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


32.  Soiivenez-vous  de  la  femme 
(ie  Loth. 

33.  Qiiiconque  cherchera  a  sau- 
ver  sa  vie  la  perdra,  et  qiiiconque  la 
perdralasauvera. 


34.  Je  vous  le  dis  :  En  cette  nuit 
deux  seront  dans  le  meme  lit;  I'un 
sera  pris  et  I'autre  sera  laisse. 

35.  Deux  femmes  moudront  en- 
semble; Tune  sera  prise,  Tautre 
laissee.  Deux  seront  dansun  champ; 
Tun  sera  pris  et  Tautre  sera  laisse. 


32.  Memores  estote  uxoris  Loth- 

33.  Qnicumque  quaesierit  animam. 
suam  salvam  facere,  perdet  illam  : 
et  quicumque  perdiderit  illam,  vivi- 
ficabit  earn. 

Supra.  9,24;  Joan,  12,  25. 

34.  Dico  Yobis :  In  ilia  node  erunt 
duo  in  lecto  uno  ;  unus  assumetur^ 
et  alter  relinquelur  : 

Matth.  2i,  40. 

35.  Duae  erunt  molentes  in  unum;. 
una  assumetur,  et  altera  relinque- 
tur  :  duo  in  agro;  unus  assumetur,. 
et  alter  relinquelur. 


32.  — Memores  estote  uxoris  Loth.  Allusion 
toule  naturelle,  puisque  Jesus  venail  de  rap- 
peler  a  ses  audileiirs  la  ruine  de  la  Penla- 
pole.  «  Respiciens  uxor  ejus  post  se,  ( st-il 
dil  de  la  femme  de  Lotli  dans  la  Genese, 
XIX.,  16:  versa  est  in  slatuam  salis.  »  Cfr. 
Sap.  X,  6-9.  Fatal  regard,  qui  prouve  que 
cette  malheureuse  avail  laisse  son  coeur  a  So- 
dome,  et  qui  a  fait  d'elle  un  lypr;  de  I'atta- 
che  desordonnee  auxbiensde  ce  monde!  Crux 
qui,  aux  derniers  jours,  imiteront  sa  con- 
duite,  risqueront  fori  de  perdre  le  saliil  eter- 
ncl.  «  Couime  la  femme  de  Loth,  ecrit  Ic  juif 
Philon  (cite  par  Maclellan.  h.  I.j,  quiconque, 
meprisanl  les  ordies  (de  Dieu),  se  lelourne 
vers  les  choses  laissees  en  arriere  el  oublie 
celles  qui  sont  en  avant,  devient  seinblable  a 
une  pierre.  » 

33.  —    Quicumque    qucesierit Grave 

maxime,  que  Jesus  repeta  en  plusieurs  cir- 
constances  pour  mieux  I'inculquer  a  ses  dis- 
ciples. Cfr.  Matth.  x,  39 ;  xvi,  25,  et  le  com- 
mentaire.  EUe  est  synonyme  de  notre  expres- 
sion familiere  :  Qui  perd  gagne!  On  perd 
quelquefois  la  vie  eternelle  en  voulant  sauver 
(saloam  facere;  en  grec  itepiuotriO-affOai, acque- 
rir.  se  procurer)  sa  vie  tcmporelle  fmaisil  est 
au  contraire  d'heureux  cas  oil  Ton  gagne  I'e- 
lernile  en  sacrifiantjgenereu^ement  le  peu  de 
jours  qu'on  pourrait  encore  passer  sur  la 
terre.  Telle  e.-t  la  pensee  du  Sauveur,  avec 
im  jeu  de  mots  tout  oriental  sur  «  anima  » 
lame  el  vie).  L'oxpression  grecque  traduite 
par  I'lvi^caiif  signifie  litleralem  nt  «  vivi- 
pariet  »  (^woyovViffet )  ;  on  ne  la  rencontre 
qu'ici  et  au  livre  des  Acles,  vii.  '19.  Les  LXX 
iemploient  pour  rendre  le  pihel  et  I'hiphil 
de  ri»n.  Elle  est  Ires  energique.  Perdre  la  vie 
naturelle  dans  les  circonstances  dont  parle 
Notre  Seigneur,  c'esl  en  quelque  sorte,  dil 
un  auieiir  moderne,  «  la  reenfanler  pour  la 
reproduu-e  sous  la  forme  de  la  vie  spirituelle, 
glorifies,  eternelle.  » 


34  et  35.  —  Dico  vobis  :  transition  solen- 
nelle,  par  laquelle  Jesus  inlroduil  divers- 
exemples  destines  a  raontrer  comment,  dans 
la  catastrophe  finale,  le  salut  on  la  ruine  al- 
teindronl  les  hommes  selon  leur  diversile- 
morale,  quelque  identiques  que  soienl  leurs 
conditions  exterieures.  —  Premier  exemple  .'• 
Duo  in  leclo  uno.  K).ivr,  du  texte  grec  peul  de- 
signer aussi  bien  le  «  lectus  triclinaris  w  que- 
le  «  leclus  cubicularis  »  ;  il  est  neanmoins 
plus  probable  qu'il  s"agit  du  second.  —  Unus 
assumetur  et  alter  relinquetur.  Cette  phrase, 
qui  retentit  a  Irois  reprises  comine  un  grave 
refrain,  decrit  les  destineesdiverses  reservees- 
aux  hommes  a  I'heure  du  jugement  general. 
«  Assumetur  »  (irapa).r)[i3p6riff£Ta()  est  pris  en 
bonne  part :  il  sera  regu  dans  le  royaiirae  de& 
cieux;  «  relinquelur  »  ;d?£6r|(TeTai)  en  mau- 
vaise  part  :  il  sera  mis  de  cote,  c'est-a-dire- 
exclu.  Voyez3Ialth.  xxiv,  40,  41  et  le  com- 
mentaire.  —  In  ilia  nocte  equivaul  a  «  in  die, 
qua  die,  in  ilia  hora  »  des  veisels  24,  30 et  31 . 
11  est  fait  mention  de  la  nuit  au  figure,  parce 
qu'elle  est  souvenl  regardee  comme  I'enj- 
bieme  du  malheur.  et  que  les  derniers  jours 
du  mondo  seront  une  ere  calamileuse.  Ou 
bien,  selon  d'autres,  elle  est  nommee  d'une 
maniere  specials  en  eel  endroit  a  cause  de 
I'idee  qui  suit  :  «  erunt  in  lecto  ».  En  lout 
ca*  il  n'est  pas  necessaire  de  prendre  ce[|(> 
locution  a  la  lettre,  comme  si  la  Qn  du  monde 
devait  avoir  lieu  pendant  la  nuit.  —  Deuxieme 
exemple  :  Duw  molentes  in  unum.  Sur  la  ma- 
niere dont  cette  operation  est  faile  en  Orient, 
voyez  I'Evangile  selon  S.  Tiatthieu,  p.  471. — 
Troisiemc  exemple  :  Duo  in  agro...  II  est  pro- 
bable pourtant  que  c'est  la  une  glose  em- 
prunlee  a  S.  Malthieu,  car  ces  deux  ligncs 
mancjuent  dans  la  plupart  et  les  meilleur* 
des  raanuscrits  erecs  (A,  B,  E,  G,  H,  K,  L,, 
M,  Q.  R,  S,  V,  X,  r,  A,  A,  etc.).  Ain^i  done, 
les  personnes  les  plus  intimemenl  liees  ici- 
bas  pourroni  elrc  separees  tout  a  coup  par 


CHAPITRE  XVIII 


313 


36.  lis  lui'dirent  :  Oti,  Seigneur? 

37.  II  leur  dit :  Partout  ou  sera  le 
corps,  la  aussi  les  aigles  s'assem- 
bleront. 


36.  Respondentes  dicunt  illi :  Ubi 
Domine  ? 

37.  Qui  dixit  illis  :  Ubicumque 
fuerit  corpus,  illuc  congregaburilur 
et  aquilse. 


CIIAPITRE  XVIII 

Parabole  de  la  veuve  et  du  jnge  inique  {Ht.  1-8).  —  Paiabole  dti  Phari^ien  et  du  publicain 
[tt.  9-14).  —  Jesiis  el  les  petiLs  enfarils  (Tt.  15-17).  —  Episode  du  jeune  homme  riclie 
{tt.  18-30),  —  Jesus  predit  encore  sa  Passion  (lit.  31-34).  —  L'aveuele  de  Jericho 
in.  35-43). 


1 .  Dicebat  autem  et  parabolam  ad 
illos.  quoniam  oportet  semper  orare, 
et  non  deficere. 


1.  Et  il  leur  disait  aussi  en  para- 
bole qu'il  faut  prier  et  ne  jamais  se 
lasser. 


Eccli.  18  22;  /  Tlies.  5,  17. 


uii  abime  elernel  au  si>cond  aveneiuonL  du 
Ctirist,  suivanl  I'elal  respeclif  di'  leurs  cons- 
ciences. Ges  (lescriplions,  dramatiques  dans 
leur  simpiicile,  monlrenl  que  le  deinier  jour 
s'ouvrira  a  la  fagon  des  aulres,  el  Irouvera 
les  hommes  vaquani  a  leurs  occupations  ordi- 
naires ;  mais  il  ne  Gnira  point  conime  les 
aulres ! 

36  et  37.  —  Respondentes  (soil,  discipuli, 
t.  22)  dicunt...  Les  disciples,  aiixquels  Jesus 
racontail  ces scenes  mysterieuses  et  leiribies, 
lui  demandenl  lout  alarmes  :  Ubi  Domine"^ 
c'est-a-dire,  quel  sera  le  theatre  de  tels  eve- 
nemcnts?  Obscur  a  dessein  dans  sa  reponse, 
il  se  borne  h  leur  dire  qu'il  n'y  a  pas  plus  a 
s'inquieler  de  la  lopographie  quede  la  chro- 
nologie  (Cfr.  ft.  20  el  21)  de  son  royaucne. 
En  effel,  le  proverbe  ubicumque  fuerit  cor- 
jms...  signifie  dans  sa  generalite  qu'en  quel- 
que  endroil  que  se  trouvenl  les  mechants 
(figures  par  «  corpus  »,  synonyme  de  «  ca- 
daver »,  d'ou  la  varianle  itxwtxa  au  lieu  de 
oai|ia  dans  plusieurs  manuscrits),  ils  seront 
infailliblement  alleinls  par  les  vengeances 
celestes,  qui  prendront  vers  eux  leur  vol 
comme  font  les  oiseaux  de  proie  vers  les  ca- 
davres  abandon nes.  Voycz  du  resle  dans 
S.  Matlhieu,  xxiv,  28,  une  reproduction  de 
celte  phrase  proverbiale,  mais  avec  un  sens 
un  pen  modifie.  —  Les  aigles  no  vivanl 
point  par  troupes  {illic  conxjrecjabunlur)  et  ne 
mangeanl  pas  la  chair  morle,  aquilw  designe 
ici  les  vaulours  qui  abondi-nt  en  Palestine. 
Cfr.  K.  Furrer,  die  Bedeulung  dcr  bibl  Geo- 
graphic fUr  die  bibl.  Exegese,  Zuiich,  1880, 
p.  12  el  13  ;  Tristram,  The  natural  History  of 
the  Bible,  p.  170  el  s. 


22.  Parabole  de  la  veuve  et  du  juge  inique. 

xvui,  1-8. 

1.    —   Dicebat    aulem    el   parabolam    ad 
illos  (scil.  discipiilos.  Clr.   xvii,   1,  22,  37). 
Rosenmiiller  ecril  jusLement  a  propos  de  la 
conjonclicn  «  et  »  (qui  manque,  il  est  vrai, 
dans  les  manuscrils  Smait,,  B,  L,  M,  mais 
donl  I'auihenticite  est  suffisamment  garantie 
par  ailleurs)  :  «  Particula  xal  non  obscure 
mdical  sequenlem  parabolam  prioribus  ser- 
moiiibus  Chrisli  arclissime  conjunclam  eo- 
deinque    tempore    pronunliatara    fuisse.    » 
Scholia,  h.  1.  L'unile  generale  du  sujel  iraile 
corrobore  celte  opinion.  En  effet  Jesus    lui- 
meme,  en  achevanl  sa  parabole,  f.  8,  pren- 
dra  soin  de  la  ratlacher  aux  graves  ensei- 
gnements  qui  precedenl  (xvii,  22-37),  c'est- 
a-dire,  a   I'avenenienl  supremo    du  Flls   de 
I'homme.  La  liaison  logique  sera  done  celle- 
ci  :  Priez  sans  cesse  en  allendaul  ma'venue; 
par  la  seuli'menl  vous  echapperez  aux  graves 
dangers  qui   menacenl   voire  salut.  11   n'cst 
done  pas  necossaire  d'admellre  avec  Schleier- 
macher,  Olsliausen,  etc.,  que  plusieurs  inci- 
dents intei  mediaires  onl  ete  omis  par  I'evan- 
geliste. —  Quoniam uportcl  (i:p6;  to  Setv,  ayant 
p  lur  fin  de  monirer  qu'il  faut)   semper  orare 
(quelques  manuscriis  ajoulent :  auToui;;.  C'est 
assez    raremenl  que   le    but    des   paraboles 
evangeliques  est  ain-i  indique  d'avance  par 
le?  ecrivains  sacres :  nous  trouverons  encore 
plu?  bas,  t.  9,  une  preface  du  meme  genre. 
La  parabole  du  juge  inique  est  done  deslinee 
a  demonlrer,  par  un  argument «  a  dissiuiili  », 
comme   s'exprime   S.    Augustin   (De   Verbis 
Dom.,  Serm.  xxx\j),  la  necessite  oil  nous 


31i 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


2.  II  disait  :  II  y  avait  dans  une 
ville  un  juge  qui  ne  craignait  pas 
Dieu  et  ne  se  souciait  pas  des 
hommes. 

3.  Or  il  J  avait  dans  cette  ville 
une  veuve,  et  elle  vint  a  lui,  disant : 
Pais-moi  justice  de  mon  adversaire. 


2.  Dicens  :  Judex  quidem  erat  in 
quadam  civitate,  qui  Deum  non 
timebat,  et  hominem  non  revere- 
batur. 

3.  Vidua  autem  qusedam  erat  in 
civitate  ilia,  et  veniebat  ad  eum, 
dicens  :  Vindica  me  de  adversario 
meo. 


sommes  de  perseverer  constamment  dans  la 
prieie.  Deja  il  a  ete  dit  (voytz  xi,  5  et  le 
commpntaire)  qu'elie  n'esl  pa's  sans  analogie 
<ivec  la  parabole  de  I'ami  imporUm.  Seule- 
menl  elle  a  un  caraclere  plu5  general,  a 
cause  de  la  maniere  dont  elle  est  mise  en 
rapport  avec  la  fin  des  tomps.  II  va  de  soi 
qu'on  nedoit  pas  trop  presser  la  signification 
fie  I'adverbe  «  semper  »  (TcavtoTe).  G'esl  une 
hyperbole  populaire,  qui  s'applique  moins  a 
I'acte  exterieur  (paroles  prononcees,  mains 
jointes  ou  lendues,  genoux  a  lerrc)  qu"a  celle 
disposition  interieure  en  verlu  de  laquelle 
un  vrai  disciple  de  Jesus  vit  toujours  en  esprit 
d'oraison,  en  communion  ititime  avec  son 
Dieu.  Nous  avons,  en  tant  qu'hommes,  des 
devoirs  et  des  soucismultipl<>s,  qui  absorbent 
une  partie  de  nos  journees  ;  nonobslant  cela, 
il  ne  lient  qa'a  nous  de  faire  de  notre  exis- 
tence une  «  grande  et  unique  et  conlinuelle 
priere  »  (|j.ta  [leYdXri  (ruv£3(0[X£vr)  npoczxiyri,  Ori- 
gene).  En  effet,  «  ipsum  desiderium  tuum 
oratio  tua  esu  et  si  continuum  desiderium, 
continua  oratio...  Frigus  caritatis,  silentium 
cordis  est.  flagrantia  caritalis,  clamor  cordis 
est...  Lingua  tua  ad  horam  laudat.  vita  tua 
semper  laudet,  »  S.  Augustin,  Enarr.  in 
Ps.  XXXVII,  iO  ;  Epist.  cxxx,  8.  La  priere  est 
la  respiration  de  I'homme  moral  :  i!  faut  done 
prier  toujours,  de  meme  que  I'on  respire  sans 
cesse.  —  Et  nunquam  deficeref  ne  ja;nais 
nous  decourager,  malgre  les  divines  lenieurs 
k  exaucer  noire  demande,  et  en  vue  des  dan- 
gers perpetuels  que  nous  courons.  L'Eglise 
railitante  doit  etre  une  Eglise  supplianie  : 
ses  prieres  sont  les  armes  dont  elle  a  b'soin 
pour  lutter  viclorieusement.  L'equivalent 
grec  de  «  deficere  »,  exxaxeiv  (leQon  probable; 
divers  raanuscrils  portent  eyxay-erv,  ou  lvxay.£iv) 
est  un  mot  expressif,  aime  de  S.  Paul.  Cfr. 
11  Cor.  IV,  i ,  1 6  ;  Gal.  vi,  9  ;  Eph.  iii,  \  3  ; 
II  Thess.  in,  13.11  signiSeproprement  «  etre 
Ijiche  »  et  se  dit  souvent  des  soldats  qui 
abandonnent  leur  poste;  au  moral  il  peut  se 
traduire  par  «  animura  despondere  »,  defaillir. 
Voyez  Bretschneider,  Lex.  man.  s.  v.  Com- 
bien  de  tristes  defaillances  sous  le  rapport  de 
la  priere,  malgre  les  frequentes  exhonations 
paralleles  k  celle-ci  qu'on  rencontre  dans 
46$  Merits  apostoliques  (Rom.  i,  1 0 ;  Col.  iv,  1 2 ; 


I  Thess.  V,  17;  II  Thess.  i,  11.  Cfr.  Eccli. 
xvjii,  12).  «  Miilti  languescunt  in  oralione,  et 
in  tiovitale  suae  conversionis  ferventer  orant, 
postea  languide,  postea  frigide,  poslea  negli- 
genter  :  quasi  securi  Gunt.  Yigilat  hostis; 
dormis  tu...  Ergo  non  deficiamus  in  ora- 
tione;  ille  (Deus)  quod  concessurus  est,  etsi 
differt,  non  auferl.  »  S.  Aug.  Enarr.  in 
Ps.  LXV,  20. 

2.  —  Dicens  («  dicebat...  dicens  »  :  he- 
braisiiie].  Apres  cette  pelile  introduction,  la 
scene  s'ouvre,  et  nous  voyons  paraitre 
(tt-  2  et  3)  les  deux  principaux  acteurs  : 
un  troisieme  personnage,  le  persecateur  de 
la  veuve,  demcure  a  I'arriere-plan.  —  Judex 
quidam...  in  quadam  civitate.  D'apres  la  le- 
gislation mosaiijiie.  Dent,  xvi,  18,  cha- 
cune  des  villes  de  la  Palestine  devait  avoir 
ses  juges  et  son  tribunal  local.  Divers 
passages  des  Evangiles  (Cfr.  Matth.  v,  21  et  s.) 
proiivent  que  cetle  prescription  etait  encore 
en  vigueur  a  I'epoque  de  Jesu>.  —  Qui  Deum 
noil  timebaf...  Deux  traits  seulement  pour 
caracteriser  ce  juge  :  mais  comme  la  pein- 
ture  est  achevec!  La  conscience  est  morte  en 
lui,  puisqu'il  ne  craint  pas  Dieu  ;  mais  peut- 
elre  redoutera-t-il  au  moins  I'opinion  pu- 
blique.  ct  sera-t-ii  contraint  de  respecter  le 
droit  sous  I'influi^nce  desjugemenls  humains? 
Pas  davantage  :  hominem  (le  singulier  pour 
le  pliiriel,  «  enallage  numeri  »)  non  revereba- 
tur  (£VTp£7:£ff6ai  du  grec  est  un  mot  rare  dans 
le  N.  T./.  Les  deux  tables  de  la  Loi  n'exisient 
point  pour  lui.  Quels  arrets  arbitraires, 
iniques,  infames,  seront  rendus  par  un  tel 
juge!  Ce  cas  n'csl  pas  rare  en  Orient,  oil  bon 
nombre  de  «  cadis  «  tout-puissants,  irrespon- 
sables,  rendent  la  justice  selon  leur  bon  plai- 
sir  et  portent  des  sentences  sans  appel. 
D'ailleurs  les  classiques  emploient  parfois 
ces  deux  memes  expressions  pour  critiquer 
les  juges  de  la  Grece  et  de  Rome.  Cfr.  Hero- 
dote,  II,  133,  Tite-Live,  in,  5  (voyez  Wets- 
tein,  h.  I.). 

3.  —  Vidua  aulemqucedam. ..L'aul\ihese  ne 
pouvait  pas  elre  plus  frappante.  En  face  de 
ce  despote  impie  et  sans  pudeur,  la  parabole 
place  une  femme,  bien  plus,  une  veuve,  c'est- 
a-dire,  dans  toutes  les  litieratureS;  le  type 
universellement  admis  de  ce  qu'il  y  a  de  plus 


CIIAPITRE  XVIII 


315 


4.  Et  nolebat  per  miiltum  tem- 
pus.  Post  hsecautem  dixit  intra  se  : 
etsi  De'im  non  tiraeo,  nee  hominem 
revereop; 

5.  Tamen  quia  molesta  est  mihi 
hsec  vidua,  vindicabo  illam  ne  in 
novissimo  veniens  suggillet  me. 

6.  Ait  autem  Dominus  :  Audita 
quid  judex  iniquitatis  dicit  : 

7.  Deum  autem  non  faciet  vindic- 


4.  Et  pendant  longtemps  il  ne  le 
voulut  pas,  raais  ensuite  il  dit  en 
soi-meme  :  quoique  je  ne  craigne 
pas  Dieu  et  ne  me  soucie  pas  des 
Iiommes, 

5.  Gependant  comme  cette  veuve 
m'importune,  je  lui  ferai  justice,  de 
peur  qu'a  la  fin  elle  n'en  vienne 
jusqu'a  me  frapper. 

6.  Etle seigneur  ajouta:  Entendez 
ce  que  dit  ce  juge  d'iniquite. 

7.  Et  Dieu  ne  fera  pas  justice  a 


faibIe,f]o  moinsa  redoiiter.el  en  meme  temps 
de  ce  qu'il  y  a  de  plus  digne  de  piiie  (Com- 
parez  le  mot  de  Terence  :  «  Non,  ita  me  dii 
amenl,  auderet,  facere  lisec  viduae  miilieri 
Quae  in  me  fecit  »,  et  Ward,  II lustrations  of 
Scripture  from  the  manners  and  customs 
of  the  Hindoos).  Aussi  le  Legislateur  et  les 
Prophetes  juifs  signalent-ils  roppression  des 
veuves  commo  une  des  formes  les  plus 
odieuses  de  la  tyrannie.  Cfr.  Ex.  xxu,  22; 
Deut.  X,  18;  xxvii,  19;  Is.  i,  17,  23;  Ez. 
XXII,  7;  Mai.  yi,  5;  etc.  —  Et  veniebal  ad 
eum.  L'imparfait  est  a  noter,  car  il  indique 
un  fait  souvent  reitere  :  c  ventitabat  »  (Gro- 
tius).  Voyez  dans  Burder,  Oriental  Illustra- 
tions, t.  II,  p.  382,  divers  exemples  qui  font 
ressoriir  I'habileie  avec  laqueile  les  Orien- 
taux  savent  parfois  obtenir  justice  de  leurs 
nombreux  petits  lyrans,  a  force  d'importu- 
nites.  —  Vindica  me  de  adversaria  ineo.  La 
phrase  du  grec,  ey-Sty.yjtJov  [is  aTc6  toO  avxiSixou 
ixou,  est  toute  juridique.  'ExSixiiv  signifie 
plulot  «  rcndre  justice  »  que  «  venger  »,  el 
dvTi8txoi;  ne  de.-igne  pas  un  ennemi  quel- 
conque,  mais  la  partie  adverse  dans  une  affaire 
litigieuse.  Ici,  i'adversaire  est  su[)pose  in- 
juste,  influent,  decide  a  fouler  aux  pieds  le 
droit  de  la  veuve,  si  rien  ne  Ten  empeche. 
«  Ipsa  vidua,  dit  fort  bien  S.  Augustin, 
Quaest.  Evang.  ii,  q.  45,  potest  habere  simi- 
litudinem  Ecclesiae ,  quae  desolata  videtur 
donee  veniat  Dominus,  qui  tamen  in  secreto 
etiam  nunc  curam  ejus  gerit.  »  Elle  a  pour 
adversaires  le  moiide  et  le  demon. 

4  et  5.  —  Et  nolebat.  Nouvel  imparfait  qui 
correspond  a  «  veniebat  »  du  verset  prece- 
dent (faoristi'viQeXriCTEvde  la  Recepta  est  moins 
garanti  que  ii9£).ev).  Chacun  des  deux  acteurs 
demeura  ainsi  dans  son  rolepermultum  tempus, 
on  siinplemont,  d'apres  le  groc,  ^<  pendant  un 
certain  temps  »  {i-Kiy^povoy,  «  per  tempus  » 
oil  «  in  aliquot  temporis  »,  disent  les  mss. 
latins  a  el  d).  Le  juge  donl  on  a  trace  plus 
haul  le  portrait  s'inquielait  bien  des  plaintes 
et  des  larmes  d'une  veuve  sans  credit!  Son 
delai  a  rendre  justice  figure  les  retards  que 


Dieu  met  parfois  a  exaucer  nos  requetes, 
quoique,  «  si  non  exauaimur  ad  voluiitatem 
(c'est-a-dire  confoiraeinei)t  a  nos  desirs), 
exaudimurad  salulem.  »  S.Aug.  Episl.  cxxx. 
II  sera  pourtant  vaincu  dans  cette  lulte  qui 
parait  inegalc.  —  Post  licer.  dixit  intra  se, 
Voici  que  tout  a  coup  Ic  juge  tient  conseil 
avec  lui-meme.  Rien  de  plus  dramatique  que 
son  monologue,  page  bien  triste,  mais  trop 
reelle,  de  riustoire  du  coeur  humain.  II  com- 
mence par  une  horrible  profession  de  foi, 
echo  vivant  de  la  description  anticipee  de 
Jesus  {t.  2)  -.Etsi  Deum  no?i<meo...  G'est  avec 
la  memo  arrogance  sacrdege  que  parlent  les 
Cyclopes  dans  Homere,  Odyss.  ix,  275-278. 
—  La  particule  tamen  (6ia  ye)  va  donner  au 
discours  une  direction  qu'onn'oserait  altendre 
apres  un  tel  exorde.  Elle  introduit  le  motif 
par  lequel  le  juge  inique  s'excuse  en  queique 
sorte  de  manquer  de  conslance.  Motif  tres 
noble  assurementi  Quia  mild  molesta  est 
(5ia  t6  itapE'xeiv  {jiot  xouov)...  vindicabo  illam 
(ixSixeiv  comme  ci-dessus).  Elle  I'ennuie  dans 
le  present,  etelle  (\n\r a  [in  yiovissimo  scil.  tem- 
pore ;  eU  teXo?  pput^neanmoins  signifier  aussi 
«  in  aelernum  »,  n^S^l  dit  la  vei-sionsyrienne) 
par  lui  «  casser  la  tete  »  :  au  figure,  bien  enlen- 
du  car  sugillare  (pour  «  subcillare  »,  de  «  sub, 
cilium»),demerae  que  uiruTcta^civ  (^de  0^6,  wt}<), 
designaitprimitivem  ■nl,enslylede  pugilat,un 
coup  de  poingou  de  ceste  applique  avec  vi- 
guf^ur  au-dessous  de  I'oeil  de  maniere  a  laisser 
des  traces  livides.  Comparoz  le.s  ex|3ressions 
analogues  «  assommer,  to  plague,  as.-as>inare, 
blaeuen,  ahorcar  >),  etc.,  qui,  dans  nos  langues 
modernes,  s'emploiont  indifferemment  dans 
le  sens  propre  on  metaphorique.  Tnwma^etv, 
comme  IxxaxeTv  [f.  1),  fait  partie  du  vocabu- 
laire  commun  a  S.  Paul  et  a  S.  Luc.  Cfr, 
I  Cor.  IX,  27. 

6  et  7.  —  Ait  autem  Dominus  (le  Seigneur 
Jesus.  Cfr.  vii,  13,  etc.)  S.  Luc  interrompt 
momentanement  par  cette  formule  le  recit 
du  Sauveur,  pour  mieux  meltre  en  relief  I'an- 
tithese  qui  va  suivre,  Ht-  6  et  7,  et  qui  con- 
lient  I'application  de  la  parabole.  —  Audite 


316 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


ses  elus  qui  orient  vers  lui  jour  et 
ruiit,  et  il  aura  patience  pour  eux? 

8.  Jc  vous  dit  qu'il  leur  fera  jus- 
tice bienlol.  Mais  pensez-vous  que 
ie  Fils  de  riiomme  venant  trouve 
de  la  foi  snr  la  terre? 


tarn  electorum  suorum  clamantium 
ad  se  die,  ac  node,  el  patienliam 
liabebil  in  illis? 

8.  Dico  vobis,  quia  cito  faciet 
vindiclam  illorum.  Verumlamen  Fi- 
lius  hominis  veniens,  putas  inve- 
niet  fidera  in  terra? 


(dans  Ie  groc:  a.Y.oi(ja.re)  quid  judex  iniqiiitatis 
(pour  «  judex  iniquus  »;  comp.  xvi,  8  ct  Ie 
cummeniaire)...  Scion  la  ju^lL' observation  de 
Stier.  a  premieri?  vue  il  senible  qu'il  cut  ele 
plus  nalur  I  de  dire  :  Voyez  ce  qu'a  fait  celle 
veuve,  el  iiuilez-la.  Mais  il  y  a  precisemenl 
dans  ce  loui-  rapide,inaltendu,  quelque  ctiose 
qui  frajip'  I'allenlion,  el  qui  loiiitie  beau- 
coup  la  ptn-ee.  —  Deus  antem...  Quelle  jux- 
taposition hardie!  DieuJa  souveraine  justice 
(«  omnis  justiliae  dux  »,  Tlieopliylacle),  el  la 
souveraine  bonle  («  nemo  tam  pater  »)  ainsi 
compare  a  un  monslre  d'iniquite!  Toulefois, 
rarguuioniaiion  de  Jesus  n'en  sera  que  plus 
irresistible.  «  Si  ergo  exaudivil  qui  oderal 
quod  rogabatur,  quomodo  exaudil  qui  ul 
rogemus  tiorlatur?  »  S.August.,  Serm.  cxv,  \ . 
£l  puis,  ceux  que  Dieu  exauce  de  la  sorle 
sont  ses  elus  (Ie  mot  elecli  apparail  ici  pour 
la  premiere  fois  dans  S.  Luci,  c'est-a-dire 
ses  enfanis  de  choix,  qu'il  aime  de  toute 
eternite  d'un  amour  infini;  enfin,  comme  la 
veuve  de  la  parabole,  ils  implorent  constam- 
inenl  (die  ac  node)  son  secours  centre  leurs 
ennemis  :  ils  font  done  a  son  coeur  une  sainle 
violence.  Remaiquez  I'energie  du  verbe  da- 
mare;  mais  poav  du  grec  («  mugire  <>.  traduit 
Terlullien)  a  une  force  plus  grande  encore. 
—  Les  derniers  mots,  et  paiientiam  habebit 
in  illis  (mieux  «  circa  eos  »),  ont  souleve 
dassez  vifs  debals  parmi  les  commenlateurs, 
qui  different  d'opinion  soit  sur  la  forme  pri- 
mitive du  text",  soil  sur  i'idee  merae  qu'il 
oxpiiuie.  B''aucoup  adoptenl  la  It-gon  des 
manuscrilsE,  G,H,  K,iM,S,  U,  V,  r,A,  A,  de 
la  Rocepta  et  de  la  Pescliilo  syr.,  -/.at  (laxpo- 
6u(iwv  l7t'  auToI:;  les  autres  lisenl.  d'apres 
une  seconde  calegoiie  d'anciens  temoms 
(A,  B,  D.L.  0,  X,  il,  Si  nail  ,  etc.):  xal  (laxpo- 
tijjiei  £7t' aijToT;,  ce  qui  revient  presque  a  la 
Vulgate  (Ie  present  an  lieu  du  futur).  Ceux-la, 
donnant  a  xai  la  signification  de  ■/a£';T£p,  tra- 
duis  nt  :  «  Licet  palienliam  habeat  circa 
illos  »,  ou,  plus  clairemenl  et  plus  elegam- 
menl  :  «  Quamvis  lente  ad  vindicandum  ipsos 
procedat  »  Suicer).  Ceux-ci  prennenl  xaC 
dans  racceplion  de  «  sed  «  :  Dieu  ne  vengo- 
rait  passes  elus...,  mais  il  tarderail  a  leur 
rendre  justice!  De  part  etd'autre  on  oblienl 
un  sens  Ires  logique  et,  en  oulre,  assez  bien 
adapte  au  conlexle.  Car,  si  la  premiere  opi- 
nion parait  preferable  d'apres  I'er.semble  de 


la  parabole,  qui  suppose  que,  suivant  Ie  pro- 
verbe,  «  liabcl  Deus  suas  horas  el  moras  », 
meme  quand  il  est  queslion  de  venger  ses 
ami-  opprimes,  la  seconde  est  favoiisee  par 
la  reflexion  juivante  de  Jesus  :  «  Dico  vobis 
quia  ciTO  faciet  vindictam  illorum  »  (comp 
Eccli.  XXXV,  2t  et  ss.).  C'est  a  celle  derniere 
que  nou-  nous  rangeons,  a  cause  de  I'aulo- 
rite  superieure  des  maoiiscrits  et  versions 
sur  lesquels  elle  s'appuie.  Le  sentiment  d'a- 
pres lequel  «  illis  »  s'appliquerail  non  aux 
elus  de  Dieu,  mais  a  leurs  oppresseurs,  me- 
rile  a  peine  d'etre  menlionne. 

8.  —  Dico  vobis  :  asserti^^n  pleinj  de  so- 
lennile,  comme  de  coulume.  Jesus,  repon- 
(lant  a  sa  propre  queslion  [t.  7),  atlirmo  que 
Dieu  ne  manquera  pas  de  faire  justice  a  ses 
amis.  CUo  {h  -rdxei)  ne  signifie  pourlant  pas 
qu'ils  seront  cxauces  des  leur  premiere  de- 
mande,  ce  qui  serait  contraire  au  but  de  la 
parabole,  mais  que  la  grace  leur  arrivera 
aussiiolque  le  moment  en  sera  marque  dans 
le  plan  providenliel.  Cotte  h'ure  venue,  il 
n'y  aura  pas  un  instant  de  retard.  Gfr. 
II  Petr.  Ill,  8 ;  S.  Aug.  Enarr.  in  Ps.  xci,  6. 
—  Verumlamen  (itXi^v)  serl  de  tran-ition  a  la 
pensee  finale,  cri  douloureux  qui  s'echappe 
du  coeur  de  Jesus.  —  Filius  hominis  veniens. 
Mieux,  «  quum  venerit  »  (r/.Owv) ;  quand  if 
aura  fait  son  apparition  glorieuse  a  la  Qn 
des  temps.  Cl'r.  xvii,  24-37.  —  Putas  :  Ie 
grec  a  s^mplement  apa. «  Hac  inlorrogationis 
ligura  raros  dicit  lerrae  inveniendos  fideles,  » 
Theophylacte. —  Inveniel  fidem  in  terra.  «  Sur 
la  lerre  »,  par  opposition  au  ciel  d'oii  it 
viendra.  «  La  foi  »,  c'est-a-dire  cette  con- 
fiance  speciale  dont  il  a  parie  dans  la  para- 
bole, et  sans  laquelle  i!  n"y  a  pas  de  priere 
perseverante.  C'est  habiluellement  au  manque 
de  foi  qu'il  faut  attribuer  la  defaillance  dans 
la  priere.  «  Si  deficit  fides,  oralio  peril;  quis 
enim  oral  qui  non  credit?  »  S.  August,  de 
Verb.  Dom.  Serm.  xxxvi.  Sur  la  defection 
d'un  grand  nombre  de  croyants  aux  derniers 
jOurs,  voyez  iMallh.  xxiv,  12,  24;  II  Thess. 
II,  3;  I  Petr.  m,  3,  4. 

23.  Parabole  du  Pharisien  et  du  pnbllcaln. 

xviii,  9-14. 

Nouveau  tableau  bien  admirable  el  propro 
k  S.  Luc,  comme  le  precedent.  On  ne  sauiail 
dire  si  cette  parabole  exquise  ful  proposee 


CHAPITRE  XVIII 


317 


9.  Dixit  aiitern  et  ad  quosdara, 
qui  ill  se  confidebant  tanquam  jusli, 
et  aspernabantur  caeteros,  parabo- 
1am  islam  : 

10.  Duo  homines  ascenderunt  in 
templum  uL  orarent  :  unus  phari- 
sseus,  et  alter  publicanus. 

11.  Pharisseus  slans.  hsec  apud 
se  orobat  :  Deus,  gralias  ago  libi, 
quia  non  sura  sicut  ceteri  hominum : 
raptores,  injusti,  aduileri  :  velut 
eliam  hie  publicanus. 


9.  Et  il  dit  aussi  cette  parabola 
pour  quelques-uns  qui  avaient  con- 
fiance  en  eux-memes  comrae  etant 
justes  et  meprisaient  les  autres. 

10.  Deux  hommes  monterent  au 
temple  pour  prier  :  un  pharisien  et 
un  publicain. 

11.  Le  pharisien  debout  priait 
ainsi  en  Ini-meme  :  Mon  Dieu  je  te 
rends  graces  de  ce  que  je  ne  suis 
pas  comme  les  autres  hommes,  vo- 
leurs,  injustes,  adiilteres,  ni  m^me 
comme  ce  publicain. 


imiiiL'iluUemciU  apres  celle  clu  juge  iiiique  : 
il  |jul  s'ecouler  quelque  inlervalle  enlio  les 
deux. 

9.  —  Dixit  niilem  et  ad  qnosdam  (bonno 
trafluclion  de  TipoqTiva;,  nun  jjus  «  de  (|uibus- 
dam  »,  commo  on  Iraduil  pai  fob).  Ici  encore 
(Cfr.  t.  1,,  le  bul  de  I'lnstruclioii  est  neLto- 
nienl  indiqiie  d'avance.  Les  auditeurs  que 
Jesus  avail  specialement  en  vue,  Pharisiens 
scion  les  nns,  plus  probablemenl,  selon  Ips 
autres,  disciples  irabus  de  Tesprit  phari- 
saique,  manifeslaienl  les  deux  grands  symp- 
lomes  ri'unede-  plus  graves  maladies  morales, 
I'orgucil,  el  Jesus  desirail  les  guerir.  —  In  se 
(£?'  lauToi;,  de  se)  confidebant  tanquam  jiisti 
(oTt  eioiv  5ixatoi,  litler.  «  quod  sunt  jusli  »)  : 
a  leiirs  propres  yeux  ils  etaient  des  D'pli*, 
des  D'"lU7i.  litres  pour  ain?i  dire  tethni  ques 
par  lesquels  on  desigiiail  chez  les  Juifs  la 
sainlele  parfaite.  —  Aspernabantur  ccetcros. 
Le  verbe  grec  £$ou9evto,  que  S.  Luc  csl  seul 
a  employer  parmi  les  evangelistes  (Cfr. 
xxiii,  <1),  signifie  propremenl  «  aneanlir, 
trailer  de  neanl.  »  L'idee  de  sa  propre  excel- 
lence et  le  mepris  des  autres  vont  ensemble, 
aussi  bien  que  riiumilite  el  ia  cliarile.  A  ces 
superbes,  Jesus  va  monlrer  de  la  maniere  la 
plus  dramalique  I'horrcur  qu'ils  inspirent  a 
Dieu.  —  Ce  n'est  qu'en  un  sens  toul  a  fail 
secoiidaire  qu'on  peul  voir,  dans  le  Phari- 
sien el  dans  le  publicain  de  nofre  parabole,  la 
figure  des  Juifs  reprouves  de  Dieu  el  des 
Genlils  rcQus  en  grace,  selon  celte  reflexion 
de  S.  Auguslin  :  «  Hoc  latius  accipienles, 
inleiiigainus  duos  populos;  J;ida3:)rum  et 
Gentium.  Judaeomm  populus  Ptiansaeus  ille, 
Gentium  populus  Publicanus  ille.  Judaeorum 
populus  jaciabat  sua  meriia,  Gentium  con- 
Gtebalurpeccalasua,  w  Enarr.  in  Ps.lxxiv,  8. 
Cfr.  Hug.  de  S.Victor,  Annot.  in  Luc.  h.  1. 

'10.  —  Duo  homines..  Cos  deux  person- 
nages  sont  des  types  bien  connus,  choisis 
auK  antipodes  de  la  sociele  juive  conlempo- 
raine  do  Notrc-Seigneur.  Le  premier,  Phari- 


sctus,  represenle  la  perfection  des  moeurs, 
I'orlhodoxie  complete  de  la  foi :  I'autre,  pu- 
blicanus, ia  demoralisation  et  rinditference 
religieuse.  Autanl  celui-la  etait  eslime,  ve- 
nere,  aulant  celui-ci  etail  souverainemenl 
meprise.  —  Ascenderunt  in  templum  ut  ora- 
rent. Le  temple  elail  en  effel,  comme  nos 
eglises,  «  une  maison  de  prieres  »,  xix,  46, 
et  les  pieux  [sraelites  aimaienl  a  s'y  rendre 
pour  iiivoquer  Jeliova,  specialement  a  cer- 
laines  heures  consacrees,  telles  qu'etaienl 
celles  de  I'encensement,  du  sacrifice  quoti- 
dien.  Voyez  Jahn,  Arch.  §  396.  Le  verbe 
ivsg-ziaav  est  d'une  parfaile  exactitude  topo- 
graphique,  car  le  temple  etail  bdti  sur  le 
raont  Moria. 

ii.  —  Deux  portraits  d'un  fini  sans  pareil 
vont  mettre  sous  nos  yeux  le  Pharisien  et  le 
publicain  en  prieres.  Les  touches  sont  peu 
nombreuses,  raais  avec  quelle  finesse  psycho- 
logique  elles  ont  eie  choisies!  —  Pharisceus 
slans.  Les  deux  «  oranLes  »  sont  deboul  (Cfr. 
t.  13)  conformemenl  a  I'usage  qui  prevalail 
Chez  les  Juifs  (Cfr.  Ill  Reg.  viii,  22  ;  11  Par. 
VI,  12;  iMarc.  xi,  25,  etc.);  mais  il  est  ditficilo 
de  ne  pas  voir  une  inlention  parliculiere  dans 
les  expressions  differenl\s  qu'i  mploie  le  divin 
narraleur,  d'apres  le  lexle  grec,  pour  decriie 
cette  altitude  (ici  aTaOstc,  plus  bas  Icttw?). 
STaOei;  est  plein  d'emijhase,  el  semble  indi- 
quer  une  postuie  hardie,  affeclee.  Cfr.  Matth. 
VI,  5.  Divers  (>xegetrs  rallachent  a  ce  verbe 
les  mots  tpo;  lauTov  [apud  se],  et  nous  miin- 
Irent  le  Pharisien  superbe  s'isolant  a  dessein 
de  la  foule  des  supplianis  pour  eviter  leur 
contact  qui  pouvail  le  souiller  («  slabat 
seorsim  ») ;  loutefois  la  combinaison  adopiee 
par  la  Vulgate  est  plus  nalurelle.  ITpo?  lauxov 
retombe  done  sur  npoaviuxeTO,  et  denote  une 
priere  mental?.  —  Deus,  gralias  tibi  aijo.  Ce 
debut  est  irreprochable,  car  I'aclion  do 
graces  est  une  partie  essenliello  de  la  priere; 
malheureusement ,  sous  prelexte  d'exprimer 
k  Dieu  sa  reconnaissance,  c'est  son  ^loge  per^ 


318 


fiVANGILK  SELON  S.  LUC 


12.  Je  jeune  deux  fois  la  semaine; 
je  paie  la  dime  de  tout  ce  que  je 
possede. 

13.  Et  le  publicain,  se  tenant 
loin,  ne  voulait  pas  meme  lever  les 
yeux  au  ciel,  mais  il  frappait  sa  poi- 
trine,  disant :  Mon  Dieu,  aie  pitie 
de  moi  pecheur. 


12.  Jejuno  bis  in  sabbato  :  deci- 
mas  do  omnium,  quse  possideo. 

13.  Et  publicanus  a  longe  stans^ 
nolebat  nee  oculos  ad  coelum  levare : 
sed  percutiebat  pectus  suum,  di- 
cens  :  Deus,  propitius  esto  mihi 
peccatori. 


sonnel  que  fail  ensuite  le  Pharisien  dans  les 
termes  les  plus  audacieux.  «  Quid  rogaverit 
Deum,  quaere  in  verbis  ejus,  nihil  invenies; 
noluil  orare,  sed  se  laudare,  »  S.  Aug. 
Serm.  cxv.  —  Quia  non  sum  sicut  cmteri 
homines.  II  divise  I'humanite  entiere  en  deux 
calegories,  de  maniere  a  former  a  lui  seul  la 
premiere,  qui  est  evidemment  loule  parfaite, 
tandis  qu'il  jeUe  avec  dedain  «  le  reste  des 
homraes  b  dans  la  seconde.  Et  que  sonl,  pour 
lui,  les  autres  hommes?Il  les  caraclerise  a 
I'aide  de  Irois  epilheles  qui  designent  trois 
des  vices  les  plus  honleux  :  raplores,  injusti, 
aduUeri.  Puis,  ses  regards  s'elanl  alors  arre- 
tes  sur  rhumble  publicain  qui  priaii  a  dis- 
tance, il  le  mele  a  sa  prelendue  priere,  se 
servant  de  lui  «  comme  d'un  fond  obscur  sur 
lequel  les  brillanles  coukurs  de  ses  propres 
vertus  ne  devaient  que  plus  splendidement 
ressortir  »  (Trench)  :  velut  eliam  hie  publica- 
nus. «  Hoc  jam  non  est  exultare,  s'ecrie 
S.  Auguslin,  sed  insultare  »,Enarr.  i  in 
Ps.  LXX,  2. 

12.  —  Le  Pharisien  passe  maintenant  de 
I'eloge  de  sa  personnea  celui  de  ses  oeuvres  ; 
c'est  le  cote  posiiif  de  sa  sainiele  apres  le 
cole  negaiif.  II  mentionne  avec  complaisance 
deux  oeuvres  de  surerogalion  qu'il  accom- 
plit.  1°  Jejuno  bis  in  sabbato  («  sabbatum  » 
dans  le  sens  de  semaine ,  comme  Marc. 
XVI,  9).  La  loi  n'avait  inslitue  qu'un  jeune 
annuel  (Lev.  xxvi  29-31  ;  Num.  xxix,  7.  Cfr. 
Buxtorf,  Synag.  jud.  cap.  xiv);  mais  c'elait 
assez  I'usage  pour  quiconque  faisail  profes- 
sion de  piete  en  Israel,  comme  aussi  pour 
quiconque  voulait  se  donner  des  airs  de 
piele,  de  jeuner  deux  fois  par  semaine.  Cfr. 
Taanilh.  f.  64,  3.  Ailleurs  deja,  Malth. 
VI,  16,  Jesus  a  depeint  I'affectation  avec  la- 
quelle  les  Pharisiens  pratiquaient  le  jeune. 
Au  reste,  disaienl-ils,  «  le  jeune  I'emporlesur 
I'aumone,  car  I'aumone  n'alteint  que  noire 
bourse,  tandis  que  le  jeune  retombe  sur 
notre  corps.  »  R.  Eliezer,  Berach.  f.  32.  2.  — 
2°  Decimas  do...  C'elait  la  dime  universelle, 
au  lieu  de  la  dime  restreinle  ordonnee  par  le 
L^islateur,  laquelle  ne  concernait  que  les 

Kroduits  des  champs  el  du  betail  (voyez 
lallh.  xxiii,  23  et  le  commentaire;  Keil. 
bibl.  Archaeol.  §  71).  Possideo  traduit  inexac- 
jement  le  grec  xTu|iai,  qui  ne  ddsigne  pas 


au-dela  des  revenus  annuels  :  seul  le  parfaifc 
xExtriiJiai  represenle  I'idee  de  possession.  — 
Encore  une  fois,  quelle  priere  I  Ne  dirait-oi» 
pas  un  creancier  qui  rappello  ses  droits  a  son 
debileur?  Mais  de  lelles  dispositions  n'e- 
taient  pas  rares  dans  le  monde  pharisalque; 
lemoin  celle  autre  priere  que  Rabbi  Nechu- 
nia  ben  Hakana  avail  coulume  de  laire  au 
sortir  de  son  cours  :  «  Je  vous  remercie.  Sei- 
gneur mon  Dieu,  de  ce  que  ma  pari  m'a  eie 
assignee  parmi  ceux  qui  visilenl  la  maison  de 
la  science,  et  non  parmi  ceux  qui  iravaillent 
au  coin  des  rues;  car  je  me  leve  de  bonne 
heure  et  ils  se  leveni  de  bonne  heure  :  des 
I'aurore  je  m'applique  aux  paroles  de  la  loi, 
mais  eux  a  des  choses  vaines;  je  travaiile  et 
ils  Iravaillenl  :  je  iravaille  et  je  regois  une 
recompense,  ils  iravaillenl  el  ils  n'en  regoi- 
vent  aucune;  je  cours  et  ils  courent :  je  cours- 
k  la  vie  eternelle,  tandis  qu'ils  courent  vers 
I'abime.  »  Berach'jth,  f.  28,  2  (voyez  la  Re- 
vue des  Sciences  ecclesiasl.,  2e  serie,  t.  X^ 
p.  247).  Que  ne  meitaienl-ils  en  pratique  celte 
belle  recommandalion  des  Puke  Aboth,  2, 13  : 
«  Quando  oras ,  noli  in  precibus  bona  lua 
enumerare,  sed  lac  preces  misericordiarum 
et  pro  gratia  impelranda  coram  Deo.  » 

13.  —  El  publicanus...  Admirable  con- 
trasle  1  C'est,  de  loules  manieres,  le  tableau 
d'une  parfaile  humilite.  1o  Dans  le  choix  da 
lieu  :  a  longe  slans,  II  s'esl  place  loin  du 
sancluaire,  pres  ducjuel  au  conlraire  se  lienl 
le  Pharisien  superbe.  2°  Dans  I'altiludo  : 
nolebat  nee  oculos  ad  coelum  levare.  II  n'osail 
pas  meme,  tant  eiait  vif  le  sentiment  de  sa 
misere,  se  permeltre  ce  geste  si  naturel  aux 
suppliants  (Cfr.  Ps.  cxxiii,  12).  Comparez  ce 
passage  de  Tacile,  Hist,  iv,  72  :  «  Slabant 
conscientia  flagitii  moestae,  fixis  in  terram 
oculis.  »  a  Nee  oculos  »,  a  plus  forte  raison 
les  mains,  selon  la  coutume  generale  de  ces 
temps,  I  Tim.  ii,  8.  De  plus,  percutiebat  pec- 
tus suum,  a  la  fagon  des  vrais  penitents  de 
tous  lesdges(Cfr.  viii,  52;  Nah.  ii,  7 ;  Wets- 
tein,  h.  1.).  o  Dbi  dolor,  ibi  manus.  »  3o  Daps 
sa  priere  meme,  si  ditferente  de  celle  du  Pha- 
risien, profond  soupir  qui  part  d'un  coeur 
contril  et  humilie  :  propitius  esto  mihi  pec- 
catori (ixoi  Tw  a\iap-zu>\u>  :  moi,  le  pecheur  par 
excellence).  G'etait  beaucoup  dire  en  peu  de 
mots:  en  effet,  «  satis  apud  Deum  loquelur 


CHAPITRE  XVIII 


34  » 


14.  Dico  vobis,  descendit  hie  jus- 
tificatus  in  domum  suam  ab  illo  : 
quia  omnis  qui  se  exaltat,  humilia- 
bitur:  et  qui  ?e  humiliat,  exalta- 
bitur 

iMa«/!.  23, 12;  Supr.  14.11. 

lb  Afferebant  autem  ad  ilium  et 
infantes,  ut  eos  tangeret.  Quod  cum 
viderent  discipuli,  increpabant  illos. 

Macih.  19,  13;  M^rc.  10, 13. 

16  Jesus  autem  convocans  illos, 
dixit :  Sinite  pueros  venire  ad  me, 
et  nolite  vetare  eos.  Talium  est  enim 
reguum  Dei. 

17.  Amen  dico  vobis  :  Quicumque 


14.  Je  vous  ledis  :  celui  ci  redes- 
cendit  justifie  dans  sa  maison,  et 
Tautre  non ;  car  quicouque  s'exalte 
sera  humilie  et  quiconque  s'humilie 
sera  exalte. 

15.  Or  on  lui  portait  aussi  des  en- 
fants  pour  qu'il  les  touchdt;  les 
disciples  en  voyant  cela  les  repous- 
saient. 

16.  Mais  Jesus  les  appelant,  dit : 
Laissez  les  enfants  venir  a  moi  et  ne 
les  empechez  pas,  car  le  royaume  de 
Dieu  est  a  ceuxqui  sont  tels  qu'eux. 

17.  En  vcrite  je  vous  le  dis  : 


salisque  apud  enmdisertecausam  suam  agit, 
qui  se  humilem  peccatorem  agnoscit  {Mal- 
donal).  » 

M.  —  Dico  vobis.  Cfr.  f.  8.  Conclusion 
pleine  de  majesie  sur  les  levres  du  Fils  de 
rhomme  :  Je  vous  I'afBrme,  car  je  le  sais.  — 
Descendit  (par  opposilion  a  «  ascenderunt  » 
du  1r.  iO)  hie  juslt^caius  (8£8txaiw[xevo;,  ayant 
ete  jusliQe,  c'est-a-dire  completemenl  justi- 
fie)... Le  publicain  renlra  done  chez  lui  {in 
domum  suam,  trait  pillore.-que)  pur  de  tout 
peche  ;  son  humble  pnere  avail  perce  les 
nues,  sa  contrition  avail  ele  un  sacrifice  pro- 
pitiatoire  d'agreable  odeur.  Le  Pharisien  aussi 
quilte  le  temple,  sans  doule  avec  la  cons- 
cience d'avoir  grandement  honore  Dieu  et 
accru  la  somme  de  ses  merites.  Mais  quel 
arret  terrible  est  porte  conlre  lui  dans  I'eu- 
phemisme  ab  illo  {^  iiap'  e^eTvov,  comparalif  a 
iafaQon  hebraique,  i;aa;«  magisquaui  ille,  » 
dit  S.  Cyprien  ;  Tertull. :  «  jusliiicalior  illo  «) ! 
Gar  cela  revient  evidemmenla  dire«  alterum 
reprobatum,  allerum  justiiicatum  desceii- 
disse,  »  Tertullien,  adv. Mare.  iv,36;  ou  avec 
S.  Auguslin:«  Superbia  inPliarisaeode  lemplo 
damnala  descendit,  el  humililas  in  publicano 
ante  Dei  oculos  approbaia  ascendit.  »  Cfr. 
Euihyraius,  h.  1.  —  La  legon  ^  Tcap'  exetvov, 
que  nous  avons  adoptee,  ne  repose  que  sur 
I'aulorile  des  manuscrits  Sinail.,  B,  L,  et  de 
la  Vulgate  ;  mais  ces  garanlies  suffisent,  car 
la  variante  ^  yoLo  exelvos,  qu'on  lit  dans  la 
pluparl  des  lemoins,  est  assez  obscure  et  s'ex- 
plique  par  une  erreurde  copislc  (HAP  change 
en  TAP  et,  consequeraraent,  exEtvov  devenant 
IxeTvo;).  Pour  lui  trouver  un  sens  acceptable, 
on  est  oblige  de  donner  a  la  phrase  un  lour 
interrogalif  qui  est  pen  nalurol  :  «  Ou  bien 
done  celui-la?  »  Quanta  la  leQon  du  Tixt.  Re- 
cept.,  n  Jitetvo;,  elle  n'ar.ucuu  appui  serieux. 
—  Quia  ojnnis  qui  se  exallat...  Jesus  aim;3  k 
clore  ses  paraboJespar  quelque  grand  axiome 


moral,  qui  raltache  une  instruction  particu- 
liere  au  vaste  ensemble  de  la  philosophie 
chretienne.  Celui  qu'il  cite  actuellemenlnous 
estdeja  connu  (Cfr.xiv,  11  ;  Malth.  xxin,  12), 
mais  il  n'elait  pas  possible  de  le  repeier  plus 
a  propos. 

S4.  J6sas  et  les  petits  enfants.  xvm,  15-17. 
Parall.  Matlh.  six,  13-15;  Marc,  x,  13-16. 

Nous  relrouvons  les  Irois  synopliques  a 
I'occasion  de  ce  trait  delicat,  profondemeni 
inslructif,  «  qui  a  charme  I'imaginaiion  des 
poetes  et  des  peinlres  de  tous  les  temps  » 
(Farrar).  S.  Luc  quille  ici  les  sources  parti- 
culieres  qui  Tavaient  guide  depuis  ix,  54, 
et  revient  aux  matoriaux  communs.  II  omet 
tontefois  les  graves  instructions  sur  I'indisso- 
lubilile  du  maiiage  el  sur  I'excellence  de  la 
vir^^initequi,  dan>S.  Matlhieu  etdansS.  Marc, 
precedent  la  benediciion  des  petits  enfants. 

13.  —  Afferebanl  ad  ilium  et  [v.al  avec  em- 
pha-e  :  «  elia  u  »)  infantes.  Dans  le  grec,  xi 
Ppsspri,  les  nouriissons  (Cfr.  ii,  16),  expression 
propro  a  S.  Luc,  el  moins  generale  que  natSta. 
des  deux  aulres  evangelistcs.  C'elaienl  done 
de  lout  pelils  enfants  que  de  pieuses  meres 
avaienit  apportes  a  Jesus  pour  qu'il  les  benit. 
—  Discipuli  incre'pabant .  illos  (aOxoO;,  scil. 
afferenies;.  L"S  disci[)les  ne  voyaienl  en  cela 
qu'une  demarche  impurUme,  do:it  ils  voulu- 
renldelivrerleurMaitre.L'imparfait  eirsiifAwv,. 
que  nous  lisons  avec  la  Vulg.  el  les  manus- 
crits  B,  D,  G,  L  (A,  E,  F,  H,  1,  K,  M,  P,  S,  U, 
V,  X,  etc.,  onl  I'aoriste  eTistiaviaav),  denole  la 
continuile  de  I'acle.  Aux  efforts  repeles  des 
meres  pour  s'approch  m-  du  Sauveur  on  oppo- 
sail  des  menaces  repelees. 

16  et  17.  —  Jesus  autem  convocans  illos. 
Dans  le  grec,  aOta  au  neutre,  c'esl-a-dire. 
Ta  ^pi<fr\,  et  7rpoCTxd).£ffa!JLSvo;,  «  quum  convo- 
cassel  »  (scil.  «  comi  voce  et  nutu  »,  Bengel). 
Go  beau  trait  est  propre  a  S.  Luc. —  A  I'actiOE 


SiO 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


Qniconque  ne  recevra  point  le 
royaume  de  Dieu  comme  un  enfant 
ii'y  entrera  point. 

18.  Et  un  des  principaux  I'inter- 
rogea,  disant:  Bon  maitre,  quedois- 
je  faire  pour  posseder  la  vie  eter- 
iielle? 

19.  Mais  Jesus  lui  dit  :  Pourquoi 
ra'appelles-tu  bon?  personne  n'est 
bon  si  ce  n'est  Dieu  seul. 

20.  Tu  connais  les  commande- 
ments  :  Tu  ne  tueras  point,  tu  ne 
commettras  point  d'adullere,  tu  ne 
feras  point  de  vol,  tu  ne  diras  point 
de  faux  temoignage  ;  honore  ton 
perc  et  ta  mere. 

21.  II  dit  :  J'ai  garde  tons  ces 
commandements  depuis  raa  jeu- 
nesse. 


non    acceperit    regnum    Dei   sicul 
puer,  non  intrabit  in  illud. 

18.  Et  interrogavit  eum  quidam 
princeps,  dicens  :  Magister  bone, 
quid  faciens  vitam  SBternam  possi- 
debo. 

Matth.  19, 16. 

19.  Dixit  autem  ei  Jesus  :  Quid 
me  dicis  bonum?  nemo  bonus  nisi 
solus  Deus. 

20.  Maudata  nosti :  Non  occides  : 
Non  moechaberis;  Non  furtum  fa- 
des:  Non  falsum  testimonium  dices : 
Honora   palrem  tuum  et  matrem. 

Exod.  20,  13. 

21.  Qui  ait :  Hsec  omnia  custodivi 
a  juventute  mea. 


\e  fjivin  ami  des  pelils  enfanls  joint  la  parole  : 
Sinite  pueios  (cette  fois  to.  uctiZia]  venire  ad 
me...  II  indiqiie  ensiiite  [talium  est  enim...) 
pourquoi  il  lui  est  si  agreable  de  se  voir  en- 
toure  de  cette  troupe  innocente.  Puis,  profi- 
lant  de  cette  occasion  pour  donner  un  E;rave 
nnseignempnl  aux  disciples,  il  prend  a  le- 
inoin  la  divine  verite  (amen  dico  vobis)  que 
non-seulement  le  royaume  des  cieux  appar- 
lient  aux  enfants,  mais  qu'il  n'appartieni  qu'a 
eux  seiils  et  a  leurs  sombiabies.  Sur  ces  pa- 
roles, pour  lesquelies  il  y  a  coincidence  ver- 
bale  eiitre  S.  Luc  et  S.  Marc,  voycz  notre 
ixplication  du  second  Evangile,  p.  i48.  — 
S.  Luc  n'acheve  pas  la  scene  :  «  El  com- 
plexans  eos,  et  imponens  manus  super  illos, 
benedicebat  eos,  »  Marc,  xiii,  16. 

25.  L'6pisode  du  jeune  homme  riche.  xvui, 

18-30.  —  Parall.  MaiLh.  xix,  16-30;  Marc,  x,  17-31. 

Voyez  dans  S.  Matthieu  et  dans  S.  Marc 
des  details  plus  complets,  plus  precis,  plus 
dramaliques.  S.  Luc  abrege  et  condense  les 
Il  3  faits  :  comme  ci-dessus,  il  se  rapproche 
davantage  du  second  synnplique  en  cilant 
les  paroles  de  Jesus.  Pour  le  fond  de  Pexpli- 
cation,  nous  renvoyons  le  leclour  a  nos  com- 
meniaires  des  deux  premiers  Evangiles. 

<8.  —  La  designation  quidam  princeps 
(ti«  apxwv)  est  une  particularite  de  noire 
evgngeiisle  (Matih.  et  Marc,  ont  simplement : 
^i?>«  unus,  quidam  »);  mais  on  a  de  la  peine 
.a  en  bien  determiner  le  sens.  D'apres  quel- 
j_jue.-;-uns,  elle  equivaudrait  a  «  membre  du 
:Sanliedrin  »;  on  la  regarde  plus  commune- 
jBent  el  avec  pigs  de  vraisemblance  comme  un 


synonyme  de  ipxi<yuvaY«oYo;.  Lui  laissani  sa 
generalite,  nousconclueronssimplementd'elle 
que  le  heros  de  cette  hisloire  jouissait  d'une 
haute  position  («  procer  »)  en  m6me  temps 
que  d'une  grande  fortune  \tt.  23).  —  Quid 
faciens  (tc  Ttoirjaa?,  «  quid  quum  fecero  »)... 
Ce  jeune  homme  desiraitardemment  lesalut, 
mais  il  senlail  que,  pour  I'obtenir,  le  tr^sor 
de  ses  bonnes  oeuv.-es  etait  encore  insufiB- 
sant :  il  etaitdonc  a  la  recherche  de  queiquo 
action  genereuse  capable  de  lui  assurer  ce 
celeste  heritage  (xXripovotividto),  et  il  avail 
pense  que  Jesus  pourrait  la  lui  indiquer. 

19.  —  Quid  me  rficis  ftoiuu/j?  Notre-Sei- 
gneur,  au  debut  de  sa  reponse,  semble  trailer 
d'une  raaniere  bien  severe  un  homme  qui 
I'interrogeail  avec  candeur  et  humiliie.  Mais 
il  voulail  eviter  tout  malendendu,  et  montrer 
a  son  interlocuteur  qu'il  n'acceptait  pas  le 
tilre  de  Bon  Maitre  dans  un  sens  vulgaire, 
comnie  s'il  eilt  ete  un  simple  Docteur  juif.  — 
Nemo  bonus  nisi  solus  Deus.  Assertion  claire 
comme  le  jour,  si  I  on  envisage,  et  c'esl  le 
ras,  touie  I'e'tendue  de  la  bonle.  Comparez 
I-  mot  de  Platen,  Phaed.  27  :  «  Etre  un 
homme  bon  est  impossible;  Dieu  seul  peut 
avoir  cet  honneur.  »  Cfr.  I  Joan,  iii,  5. 

20.  —  Mandata  nosti.  Le  decalogue,  lei 
est  le  chemin  qui  le  conduira  droit  au  ciel.  — 
Non  occides...  Dana  le  texte  grec,  le  septieme 
commandement  (non  moechaberis)  est  place 
avant  le  sixieme.  La  meme  interversion 
exisie  dans  le  passage  parallele  de  S.  Marc, 
et  Rom.  XIII,  9. 

21 .  —  HcEC  omnia  custodivi...  Cette  repoh*e 
denote  la  surprise.  Quoil  me  suffirait-il  de 


CHAPITRE  XVIII 


331 


22.  Quo  audito,  Jesus  ait  ei  : 
Adliuc  unum  libi  deest  :  omnia 
qiisecumque  habes  veiide,  et  da 
paiiperibus,  et  habebis  thesaurum 
in  coelo :  et  veni,  sequere  me. 

23  His  ille  auditis,  contristatus 
est  :  quia  dives  erat  valde. 

24.  Videns  aulem  Jesus  ilium 
tristem  factum,  dixit  :  Quam  diffi- 
cile, qui  pecunias  habent,  in  regnum 
Dei  inlrabunt ! 

2b.  Facilius  est  enim  camelum 
per  foramen  acus  transire,  quam 
divilem  inlrare  in  regnum  Dei. 

26.  Et  dixerunt  qui  audiebant:  Et 
quis  potest  salvus  Heri  ? 

27.  Ait  illis  :  Quae  impossibilia 
sunt  apud  homines,  possibilia  sunt 
apud  Deum. 

28.  Ait  autem  Petrus  :  Ecce  nos 
dimisimus  omnia,  etsecutisumuste. 

29.  Qui  dixit  eis  :  Amen  dico  vo- 


22.  En  entendant  cela  Jesus  lui 
dit :  Une  cliose  te  manque  encore; 
vends  tout  ce  que  tu  as  et  donne-le 
aux  pauvres  et  tu  auras  un  tresor 
dans  le  ciel ,  ensuite  viens  suis- 
moi. 

23.  Lui,  entendant  cela,  fut  at- 
triste,  car  il  elait  tres  riche. 

24.  Or  Jesus  le  vovant  devenu 
triste  dit  :  Que  difficilement  ceux 
qui  ont  des  richesses  enlreront  dans 
le  royaume  de  Dieu  ! 

2b.  Gar  il  est  plus  facile  a  un  cha- 
meau  de  passer  par  le  chas  d'une 
aiguille,  qu'aun  riche  d'entrer  dans 
le  royaume  de  Dieu. 

26.  Et  ceux  qui  Tentendaient  di- 
rent :  Qui  done  pent  etre  sauve? 

27.  II  leur  dit :  Ge  qui  est  impossi- 
ble aux  hommes  est  possible  a  Dieu. 

28.  Et  Pierre  dit :  Voila  que  nous 
avons  tout  quitte  etque  nous  I'avons 
suivi. 

29.  II  leur  dit  :  En  verite  je  vous 


n'eire  ni  aduliere,  ni  homicide,  ni  vokur? 
Mais  c'est  la  une  perfection  banale,  que  j'ai 
pratiquee  loute  ma  vie  ! 

22.  —  Adhuc  unum  libi  deest  (Xeinei, 
S.  Marc  a  CtoTepeT).  II  demande  un  acle  lie- 
roique,  Jesus  le  lai  indiquera.  Qu'il  renonce 
a  toul  pour  suivre  le  «  bon  Maitre  »!  Par  ce 
geniirt'ux  saciiiice  il  rendra  son  saint  mo- 
ralernent  certain.  —  Da  pauperibus.  Les 
meiileurs  manuscriis  grecs  lisenl  StdSo;,  «  dis- 
Iribue  »,  au  lieu  de  S6«. 

23.  —  His  lUe  auditis,..  C'elait  Irop  pour 
s;i  vertu  :  il  voulait  les  choses  du  ciel,  mais 
^  condilion  de  ne  pas  abanaonner  celles  de  la 
terre.  —  Contnstatas  est  :  uepiXuTtos  marque 
un  sentiment  de  iris^tesse  poignanle. 

24  et  25.  —  Videns  autem  Jesus...  Jesus 
aussi  ful  aliriste,  car  il  avait  conQu,  comme 
le  raconte  S.  Marc,  x,  21,  une  vive  affliction 
pour  ce  jeune  homrae.  —  Les  mots  tristem 
factum  sont  omis  dans  les  manuscriis  B,  L, 
Siiiaiu,  olsupprimds  du  text"  par  divers  cri- 
tiques. —  Dixit  :  Quam  difficile.,.  Nolre- 
Seigneur  na  iil  celle  reQexion  qu'apres  le 
depart  du  «  princeps».  Lespalens  eux-memt'S 
admeltaient  qu"  «  ceux  qui  sont  tres  riches 
ne  sont  pas  boiis.  »  Stobee,  xciii,  27.  — 
Voyez  dans  I'Evang.  selon  S.  Mallh.,  p.  381, 
IVxpiralion  du  celebre  proverbs  facilius  est 
eamelum...,  qui  nous  represenle  une  veritable 

S.  Bible. 


impossibilile  humaine.  «  Le  Seigneur  eiit-il 
nomine  une  mouche  au  loin  d'un  chameau, 
que  la  chose  serait  encore  impossible,  »  dit 
S.  Anguslin.  D'apres  I'Evaiigile  apocryphe 
«  secundum  Hebreeos  »,  Jesus  se  serait  alors 
adrpsse  d'une  maniere  plus  speciale  a 
S.  Pierre.  —  Per  foramen  acus  transire.  La 
\cQon  primitive  du  texte  sernble  avoir  ete 
Sia  Tf^lJ-axo?  PiXovri?  (Sinait.,  B,  D,  L)  SieXeetv 
(A,  D.  M,  P),  el  non  Sia  Tpu[Aa)>ia;  pa9i8o; 
eloeXOetv. 

26  el  27.  —  Dixerunt  qui  audiebant ;  c'est- 
ci  dire  les  disciples,  d'apres  le  contexte 
[t.  28).  Gfr.  Mallh.  el  Marc.  Jesus  les  rassura 
en  dirigeant  leurs  pensei  s  vers  la  loule-puis- 
sance  de  Dieu,  si  frequemmcnl  celebree  dans 
les  Saiiiles  Ecritures;  Jer.  xxxii,  17;  Zach 
VIII,  6;  Job.  xLi,  2,  etc. 

28.  —  Ait  aulem  Petrus.  L'ardent  et  gd- 
nereux  S.  Pierre  prend  alors  la  parole  au 
noin  des  Douze  (Gfr.  Mallh.  xix,  28),  pour 
rappeler  a  Jesus  dans  un  elan  d'amour  (nulle- 
ment  par  vaine  complaisance,  comme  le  di- 
senl  qunlques  prolestants)avec  quelle  joie  ils 
onl  lout  quitte  pour  s'allacher  a  hii.  —  Di- 
misimus omnia. La  moillcure  logon  parailelre: 
a^EvTt;  xd  loia,  d'apres  B,  D,  L,  Siuait.,  etc. 

29  et  30.  —  Amen  dico  vobis...  Queiles 
splendides  esperancesl  La  nature  de  racto 
meiiloire  est   d'abord  indique  :  qui  reliquit 

S.  Loc.  —  21 


322 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


le  dis,  il  n'y  a  personne  qui  ait 
quilte  sa  maison,  ou  ses  parents,  ou 
ses  freres,  ou  sa  femme,  ou  ses  en- 
fanls  pour  le  royaume  de  Dieu, 

30.  Qui  ne  recoive  beaucoup  plus 
dans  le  temps  present  et  la  vie  eter- 
nelle  dans  le  siecle  futur. 

31.  Mais  Jesus  prit  a  part  les 
douze  et  leur  dit :  Voila  que  nous 
montons  a  Jerusalem,  et  que  s'ac- 
complira  tout  ce  qui  a  ete  ecrit  par 
les  prophetes  touchant  le  Fils  de 
rhomme. 

32.  Car  il  sera  livre  aux  Gentils 
et  moque  et  flagelle  et  conspue. 

33.  Et  apres  qu'ils  I'auront  flagelle 
lis  le  tueront,  et  le  troisieme  jour  il 
ressuscitera. 

34.  Et  eux  ne  comprirent  rien  a 


bis,  nemo  est,  qui  reliquit  domum, 
aut  parentes,  aut  fratres,  aut  uxo- 
rem,  aut  filios,  propter  regnum  Dei, 

30.  Et  non  recipiat  multo  plurain 
hoc  tempore^,  et  in  sseculo  venturo 
vitam  aeternam. 

31.  Assumpsit  autem  Jesus  duo- 
decim.  et  ait  illis  :  Ecce  ascendimus 
Jerosolymam,  et  consummabunlur 
omnia  quse  scripta  sunt  per  prophe- 
tas  de  Filio  hominis. 

32.  Tradetur  enim  gentibus,  et 
illudetur,  et  flagellabitur,  et  cons- 
puetur  : 

33.  Et  postquam  flagellaverint, 
Occident  eum,  et  tertia  die  resurget. 

34.  Et  ipsi  nihil  horum  intellexe- 


domum,  aut  parentes,  aut  fratres  id' apves,  les 
aulres  synopliques,  Jesus  mentionne  separe- 
menl  les  freres  et  les  scEurs,  el,  a  leur  suite, 
le  pere  et  la  mere  ;  il  clot  la  nomenclature 
par  les  champs)...  Nous  apprenons  ensuile  le 
motif  qui  doit  inspirer  c  renoncement  uni- 
versal :  propter  regnum  Dei;  il  doit  etre  pur 
et  surnalurei.  Entin  la  recompense  est  de- 
crile  en  peu  de  mots :  ei  non  recipiat  [aTroHoig, 
le  veibe  compo-e,  plus  expressif  que  le 
■^Siple  ).a6TQ,  Irt'^ifzcui,  de  S.  Marc  et  de 
S.  Matlh.)...  Ell,'  est  promise  soit  pour  le 
temps  present  (multo  plura  in  hoc  tempore : 
eviiJemment,  «  non  pas  en  meme  espece, 
mais  t  n  merite  et  en  valeur  »  D.  Calmet ; 
7io).),a7t).affiova  du  grec  est  un  mot  rare),  soit 
pour  la  vie  future  [et  in  sceculo  venturo...). 

26.  Jesus  pr6dit  encore  sa  Passion,  xvin, 

31-34,  —  Parall.  .Matlh.  xx,  17-19  ;  .Maic.  x,  32-34. 

31.  —  Assumpsit  Jesus  duodecim.  Notre- 
Seigneur  prend  a  part  les  Douze,  pour  leur 
reilerer  la  triste  nouvelle  qu'il  leur  avail 
annoncee  deja  plusieurs  fois  (Cfr.  ix,  22,  44; 
xvii,  2o).  Elle  allait  bienlot  s'accomplir,  et  il 
voulait  preparer  encore  les  siens  au  grand 
scandals  de  la  crois.  —  Consummabuntur 
(Te),sff6r,a£Tai,  «  perficienlur,  effectu  coinple- 
bunlur  »)  o?H?ita...  Getie  idee  generate,  qui 
inlroduit  solennellement  les  details  de  la 
Passion  (tt'  32  el  33|,  est  propre  au  troisieme 
Evangile.  Jesus  embrassait  alors  d'un  seul 
regard  toules  les  propheties  de  I'Ancien 
Testament  relal'ives  au  «  Christus  patiens  », 
enlre  autres  les  suivanles  :  Ps,  xvi,  40; 
XXI,  7,  8,  16,  18;  XLix,  15;  Is.  liii;  Dan. 


IX,  26 ;  Zach.  xi,  12  et  ss. ;  xii,  -lO;  xiii,  7. 
—  De  Filio  hominis.  Dans  le  grec,  twuIwtou 
4v9pw7roy,  au  «  dativus  incommodi». 

32  et  33.  —  Voyez  ['explication  detaillee 
dans  nos  commcntaires  sur  S.  Matthieu  et  sur 
S.  Marc.  II  nVsl  pas  sans  interet  denoler  que 
S.  Luc,  I'evangelist'^  des  genlils,  ne  fait  ici  au- 
cune  mention  du  rolejouepar  les  Sanhedrins 
dans  la  Passion  de  Notre-Seigneur,  et  passe 
immedialoraent  a  celui  dos  pai'ens  :  tradetur 
enim  gentibus  (c'csl-a-dire  aux  Romains).  — 
Pof-tqunm  flagellaverint.  Trait  special.  Plus 
haul.  fl'ig?U<ibiture&l  une  traduction  inexacte 
de  <iSpiabrifjf!on,  qui  signifie  «  contumeliis 
afficielur  ».  —  Occident  eum.  S.  Mallhieu  est 
seul  a  nomm?r  explicitemenl  le  genre  de 
morl,  cTsupoiffai.  —  Et  tertia  die...  La  dou- 
loureuse  enumeration  ( remarquez  les  xol 
accu mules  qui  en  inlroduisent  cbaque  membre) 
se  lermine  d'une  maniere  inallendue  par  une 
perspective  de  bonheur  et  de  gloire. 

34.  — Et  jp5i?ii/iii  iiifeW(?JceruHt(<rvv73xav)... 
Cette  fine  observation  psychologique  est  en- 
core une  particularile  de  S.  Luc.  Mais  nous  I'a- 
vons  deja  rencontree  plus  haul  (ix.  45  :  voyez 
le  cominentaire)  a  I'occasion  d'une  prediction 
semblable.  —  Eratverbum  isliid  absconditum. 
Expression  pittoresque.  —  Et  non  intellige- 
bant  (cette  fois,  eytvwffxov,  «  cognosC''banl  »). 
Repetition  dont  Fr.  Luc  explique  Ires  bien  la 
poriee  :  «  Pleonasmis  iteratis,  quam  fuerint 
aposloli  alieni  a  concipienda  ammo  morte 
Christi,  docetur,  »  Les  apotres  avaient,  k 
propos  du  Messie,  des  idees  fixes  qui  les 
aveuglaient.  Rien  ne  devoile  raieux,  sous  ce 
rapport,  I'etat  de  leur  Ame  que  les  visees 


CHAPITRE  XVHI 


323 


runt,  et  erat  verbiim  isliid  abscon- 
ditiim  ab  eis,  et  non  intelligebant 
quae  dicebantiir. 

35.  Factum  est  aiilem,  cum  ap- 
propinquaiet  Jericho,  csecusquidam 
sedebat  secus  viam,  mendicans. 

Matlh  20,  17;  Marc.  10,  32. 

36.  Et  cum  audiret  turbam  prse- 
tereuntem,  interrogabat  quid  hoc 
asset. 

37.  Dixeruntautem  ei  quod  Jesus 
Nazarenus  transiret. 

38.  Et  clamavit,  dicens  :  Jesu, 
fili  David,  miserere  mei. 

39.  Et  qui  prseibant,  increpabant 
eum  ut  tacerel.  Ipse  vero  multo  ma- 
gis  clamabat  :  Fili  David,  mise- 
rere mei. 

40.  Stans  autem  Jesus  jussit  ilium 
adduci  ad  se,  Etcum  appropinquas- 
set,  interrogavit  ilium, 

41.  Dicens  :  Quid  tibi  vis  faciam? 
At  ille  dixit  :  Domine,  ut  videam. 


cela  et  cette  parole  etait  cachee 
pour  eux  et  ils  necomprenaientpas 
ce  qui  leur  etait  dit. 

35.  Or  il  advint,  lorsqu'il  appro- 
chait  de  Jericho,  qu'un  aveugle 
etait  assis  an  bord  du  chemin,  men- 
diant. 

36.  Et  lorsqu'il  entendit  la  foule 
passer  il  demanda  ce  que  c'etait. 

37.  Et  on  lui  dit  que  Jesus  de 
Nazareth  passait. 

38.  EL  il  cria,  disant  :  Jesus,  fils 
de  David,  aie  pitie  de  moi. 

39.  Et  ceux  qui  allaient  devant 
lui  commandaient  rudement  de  se 
taire ;  mais  il  criait  beaucoup  plus 
fort :  Fils  de  David,  aie  pitie  de  moi. 

40.  Et  Jesus,  s'arretant,  ordonna 
de  le  lui  amener.  Et  lorsqu'il  se  fut 
approche  il  I'interrogea, 

41.  Disant  :  Que  veux-tu  que  je 
fasse?  Et  il  repondit :  Seigneur,  que 
je  voie. 


ambitieuses  des  fils  de  Zebedee,  qui  se  firent 
jour  immediaiement  apres  celle  prophetie  dii 
Sauveur,  dans  une  scene  omise  par  S.  Luc, 
mais  raconlee  par  les  deux  autres  evange- 
listes.  L'on  comprend  que  Jesus  ail  eu  a 
coeur  t.  ciouffer  ces  esperances  mondaines. 

27.  Li'aveugle  de  Jericho,  xtiii,  35-43. 

—  Parall.  Malth.  xx,  2J-34.;  M.irc.  x,  46-52. 

35.  —  Cum  appropinquaret...  ccecus  qui- 
dam.  C'etait  alors  le  7  ou  le  8  nisan,  une  se- 
niaine  environ  avant  la  mort  de  Nolre-Sei- 
gneuft  Sur  les  antilogies  apparentesdes  recits 
^varrgeliques  a  propos  de  ce  miracle,  voyez 
I'Evang.  selon  S.  Malth.,  p.  397.  L'exegese 
est  impuissante  a  resoudre  le  probleme  d'une 
maniere  entierement  satisfaisante,  malgre 
les  nombreux  systemes  d'liannonie  (on  en 
compte  au  moins  une  quinzaine)  proposes 
tour  a  tour  par  les  apologisles;  mais  aucun 
homme  serieux.  memo  dans  lo  camp  ration- 
naliste,  n'oserail  en  induire  aujourd'hui  le 
defaut  de  veracite  des  Evangilcs.  C'est  le  cas 
de  ri'dire  avec  S.  Jean  Clirysostome,  Praef. 
in  Malth.  :  Aut6  (a^v  toOto  (ieyittov  SeiYtia  t^{ 
iXriOeia;  IdtCv  el  y«P  TiavTa  ffuvE^wvvioav  (jieTa 
dxpioeia;,  oOoeU  a'^  littaTeuaev  twv  ej^Optiv,  oti  (at) 
ouv£),0  -v-:e;di:6  auvO^^xr);  Ttv6;dv9ptoTcivr];£Ypa4'av 
anep  lYpa'^av... 

36.  —  Cum  audiret  turbam  {une  foule,  car 
le  grec  n'a  pas  d'article)  prcetereuntem.  La 


foule  qui  se  pressail  sur  les  pas  de  Jesus 
etait  sans  doute  en  grande  partie  composee 
de  pelerin*,  qui  ailaiont  a  Jerusalem  pour  la 
Paque.  —  Interrogabat...  Detail  propre  a 
S.  Luc. 

38.  —  Clamavit  :  dans  le  grec,  eSo-hae, 
terme  plus  fort  que  xpdijstv  des  aulres  synup- 
tiques.  Cfr.  t.  7.  —  Jesu  fili  David.  La  foule 
avait  simplemenl  designe  h:  Sauveur  par  son 
nom  populaire, «  Jesu-;  de  Nazareth  »  (t.  37) : 
I'aveugle  pl'Mn  de  foi  lui  donne  sans  hesiter 
son  vrai  litre,  «  Fils  de  David  »,  c'est-a-dire 
Messie.  Cfr.  Matlh.  i,  \  ;  ix,  27,  et  le  com- 
menlaire. 

39. —  Et  quiprmbant,c'e?t-k-d\re  ceux  qui 
elaienten  leie  du  cortege.  Ce  trait  est  special 
au  tioisieme  Evangde.  —  Lxrepabant  eum... 
Comme  precedemment  les  apolres  (f.  18), 
ces  gens  voulaienl  debarrasser  Jesus  d'un 
mendianl  im[)0rlun.  L'inlenlion  elail  bonne; 
mais  qu'ils  connaissaicMil  mal  celui  qu'ils 
pretendaient  proiegcr  de  la  sorte  1 

40.  —  Ilium  adduri  ad  se.  Detail  pitlo- 
resque,  bien  natunl  dans  la  circonstance,  et 
propre  h  S.  Luc.  S.  Marc  raconte  dans  les 
termes  les  plus  charmanis  cominnnt  I'aveugle 
sut  courir  Iui-m6iuti  aupres  do  Jesus. 

41.—  Quid  tibi  vis  faciam?  "^i  oot  OiXet?...; 
(Tot  est  mis  en  avant  par  emphase.  —  Ut  vi- 
deam.  Ainsi  interpelle,   ce  n'est  plus   une 


324 


EVANGILE  SELON  S    LUC 


42.  Et  Jesus  lui  dit :  Vols,  ta  foi 
I'a  saiive. 

43.  Et  aussitCt  il  vit  et  il  le  sui- 
vait  glorifiant  Dieu,  et  tout  lepeuple, 
voyant  cela,  loua  Dieu. 


42.  Et  Jesus  dixit  illi  :  Respice, 
fides  tua  te  salvum  fecit. 

43.  Et  confestim  vidit,  et  seque- 
batur  ilium  magnificans  Deum.  Et 
omnis  plebs  ut  vidit,  dedit  laudem 
Deo. 


CHAPITRE  XIX 


L'episode  de  Zachee  [tt.  4-10).  —  Parabole  des  mines  (tt.  11-28).  —  Enlr^e  solennelle  di> 
Messie  dans  sa  capitalo  (tt.  29-44).  —  Jesus  expulse  les  vendeurs  dii  icraple  (tt.  43-46). 
—  Description  generale  de  son  minislere  durant  les  dprniers  joins  de  sa  vie   publique 

(tt.  47-i8), 


1.  Et  Jesus,  apres  y  etre  entre, 
traversait  Jericho. 

2.  Et  voila  un  homme  nomme 
Zachee,  et  il  etait  chef  des  publi- 
cains  et  riche. 


1 .  Et  ingressus  perambulabat 
Jericho. 

2.  Et  ecce  vir  nomine  Zachseus  : 
et  liic  princeps  erat  publicanorumy 
et  ipse  dives  : 


vague  priere  qu'ii  adresse  a  Jesus  .  il  le  con- 
jure inslauimeni  de  lui  rendre  la  vue. 

42  el  43.  —  Respice  est  encore  une  parli- 
culariie  de  S.  Luc.  De  ineme  magnificans 
Deum,  et  omnis  plebs...  dedit  laudem  Deo.  On 
a  remarqiie  que  iiotre  evangelisle  aime  a 
signaler  les  sentiments  de  reconnaissance 
auxquels  donnaieiiL  lieu  les  miracles  du  Sau- 
veur.  Cfr.  v,  26;  vii,  17;  ix,  43  ;  xiii,  vS7 ; 
xvir,  lo :  xxiii,  47. 

28.  Zaehee.  xix,  1-10. 

Episode  oil  tout  respire  la  fraicheur  et  la 
verite.  S.  Luc,  qui  est  seul  a  le  raconler,  se 
manifet-te  de  plus  en  plus  a  nous,  par  ces  de- 
tails speciaux,  comme  I'liislorien  aux  pro- 
fondes  redierches  (Cfr.  i,  3),  et  comme 
I'eyangelisle  du  salut  universe!  (voyoz  la 
Preface,  §  VI.  Mais  quel  contrastc  enlre  ce 
sejour  de  Jesus  chez  ie  publicam  de  Jeri- 
cho el  ceiui  qu'il  avail  fait  auparavant 
ixiv,  1  ftss.)cliez  un  Pliarisien  superbe!  La, 
aucun  resullal  n'avail  eie  obtenu  parceque 
les  coeurs  elaienl  endurcis,  landis  que  nous 
ailons  assister  ici  a  la  transformation  rapide 
dune  auie  simple  et  genereuse.  Cfr.  S.  Jean 
Chrys.,  Horn,  de  Zachaeo. 

Chap.  xix.  —  1.  —  Ingressus  perambulabat 
(eicr£).8tov  SiripxeTo)...  Jesus  avait  done  fail  son 
entree  dans  la  \  iile,  el  ;iel!e  est  la  force  de  I'im- 
parfaitjil  etait  alorsoccupe  a  la  traverser.  II 
semble  que,  ?ans  !a  rencontre  interessante 
<|u'il  fit  bieiitot,  il  neseserail  pasarretecelle 
<ois  a  Jericho.  C'esl  4  tort  que  plusieurs  in- 


lerpretes  ;Siier,  Schegg)  donnent  k  «  peram- 
bulabat »  le  sens  du  preterit,  et  supposenl 
que  la  scene  suivanie  se  passa  en  dehors  des- 
inurs. 

2.  —  Et  ecce.  L'adverbe  favori  de  S.  Mat- 
thieu  ne  pouvait  6tre  mieux  employe.  «  Parat 
(Lucas)  aiteniionem  ad  rem  admirandam 
quam  statuit  narrare,  »  F.  Luc.  —  Le  heros 
de  cetle  hisloire  esl  decrit  pur  son  nora,  par 
sa  profession,  par  sa  condition.  —  1°  Vir 
nomine  Zachceus.  «  Vir  *,  dvop,  et  pas  simple- 
raenl  avepwTioc,  «  homo  »  (de  meme  au  t.  7), 
probablemenl  pour  indiquer  d'avance  un 
personnage  d'une  cerlame  distinction,  c  No- 
mine »  :  dans  ie  grec,  ovoixatt  xa),o'Jix£vo;,  pleo- 
nasme  extraordinaire  (D,  G,  el  le  syriaque  ont 
comme  la  Vulgale). «  Zachaeus  »,Zaxxaio;, nona 
hebreu  (»37,  Zaccai,  ou  iXD"),  avecun^  lormi- 
naison  grecque  ou  latine.  II  signifie  a  pur  » 
(comparez  I'antique  denommation  chretienne 
«  Innocentius  »),  et  apparait  de  temps  en 
lemps  soil  dans  la  Bible  (Escir.  ii,  9;  Neh. 
vii,  14,  etc.),  soil  dans  le  Talmud  (voyez 
Lightfoot,  Hor.  h  br.  h.  I.).  —  2o  FA  hie  (les 
manusrrils  vanenl  entre  ovto^rl  a-jTo;!  erat 
princeps  publiranorum.  Le  mot  grec  apxixe- 
>^r,£  (a  arch:publi(aniis»)  ne  se  irouve  nulle 
pan  ailleurs;  aussi  est-il  difficile  de  deter- 
miner au  jusle  sa  valeur.  Peut-elre  designe- 
t-il  le  ri  ceveur  generiil  du  district,  ayanl  sous 
lui  lous  les  «  porlitores  »;  mais  il  est  pos- 
sible aussi  qu'ii  represenle  un  litre  moins 
eleve,  lei  que  seraif  nl  ceux  de  conlroleur.  ou 
de  brigadier  des  douanes.   Lieu   de  grand 


CHAPITRE   XIX 


335 


3.  Et  qusDrebat  videre  Jesum, 
qiiis  esset;  et  non  poterat  prsB 
turba,  quia  statura  pusillus  erat. 

4.  Et  prsecurrens  ascendit  in  ar- 
torem  sycomorum,  utvideret  eum, 
quia  inde  erat  transiturus. 

5.  Et  cum  venisset  ad  locum, 
suspiciens  Jesus,  vidit  ilium,  et 
dixit  ad  eum  :  Zachsee,  festinans 
descende,  quia  hodie  in  domo  tua 
oportet  me  manere. 


3.  Et  11  cherchaita  voir  qui  etait 
Jesus,  et  il  ne  le  pouvait  pas  a  cause 
de  la  foule,  car  il  etait  petit  de  taille. 

4.  Et  courant  en  avant,  il  mouta 
sur  un  sycomore  pour  le  voir,  car  il 
devait  passer  par  la. 

5.  Et  lorsqu'il  arriva  en  cet  en- 
droit,  Jesus  levant  lesyeux  le  vit  et 
lui  dit  :  Zachee,  hdte-toi  de  des- 
cendre,  car  aujourd'hui  il  faut  que 
je  demeure  dans  ta  maison. 


transit  par  sa  silualion,  et  d'iinraenses  res- 
sources  agricohspar  la  ferliliie  de  ses  terres 
(son  bauine  surloul  el  ses  fruits  elaient  ex- 
porles  ail  loin ;  Jos.  Ant.  xiv,  4, 1  ;  xv,  4,  2  ; 
Justin,  Hist,  xxxvi,  3 ;  Pline,  Hist.  nat. 
■XII,  54),  Jeticho  avail  naturcllemerit  dans 
ses  murs  une  petite  armee  de  publicains.  — 
30  Et  ipse  dives.  La  suite  du  recit  [t.  8)  per- 
met  d'liiduire  qu'il  s'elait  enrichi  dans  I'exer- 
<;ice  de  sa  profession. 

3.  —  Cliarmanls  details,  naivementet  gra- 
cieusrmenl  depeints.  Et  qucerebat  (=  sata- 
gebat)...  Le  temps  indique  des  efforts  rdi- 
teres,  mais  constamment  frustres.  Videre  Je- 
sum, quis  esset;  c'esi-a-dire,  d'apres  Maldonat 
ft  plusieurs  d'aiitres,  0  quis  esset  eorum  quos 
ui  conferla  et  ctnfusa  videbat  turba;  »  plus 
^itnplem  nt  et  beaucoup  mieux,croyons-nous, 
«  quis  e.-S't  vullu,  habitu  exterior!.  »  Ddsir 
bien  legitime,  en  loule  hypoihese,  car  on 
aime  a  connaitre  «  de  visu  »  les  hommes 
celebres,  et  Je.-;us  avail  alors  una  reputation 
sans  pareille.  Mais,  comme  nous  lo  disent  les 
Peres,  ce  n'elait  pas  uniquemont  la  curiosile 
■naturelle  qui  portait  Zachee  a  contempler  de 
|)res  Notre-Seigueur  :  un  commencement  de 
i'oi  s'agilail  dans  son  coeur  cnvers  Celui  qu'il 
savail  eire,  au  rebours  du  sentiment  uni- 
versel,  I'ami  devoue  des  publicains.  «  Pullu- 
iaveral  in  eo  si^men  salutis,  quia  cupiebal 
J(-sum  videre,  »  Tilus  Boilr.  'Cat.  D.  Thorn.). 
—  N  n  polerat :  pour  deux  motifs,  I'un  gene- 
ral, pi(B  lurba  (aTcd  toO  6x).ou,  h-braiVnin  'Q; 
du  resie  tout  ce  pas-age  a  une  forte  saveur 
aramaique,  preuve  que  le  document  primilif 
de  S.  Luc  eiail  ici  aramecn),  I'aulre  per- 
sonnel, stiitura  pusillus  erat.  Un  homme  de 
petite  taille,  perdu  au  miliiu  d'uno  foale 
compacte.  a  peu  de  chances  de  bien  voir! 

4.  —  Et  prwcurrens  :  dans  le  grec,  nou- 
veau  pleonaS:np  :  xal  irpo6po[[j.tj)v  efxitpoaOev. 
Le  recit  di-vieni  de  plus  en  |)lus  pittoresque, 
comme  la  scene  meme.  Les  obstacles  ne  tai- 
sant  qti'aviver  les  samts  desirs  de  Zachee,  il 
se  precipile  vers  un  eiidroil  ou  il  prevoil  que 
Je  cortege  devra  passer,  —  Ascendit  in  arbo- 


rem  sycomorum.  II  ne  faut  pas  entendre  par  la 
noire  faux  sycomore  de  I'Occident  («  pseudo- 
platanus  »),  mais  le  «  ficus  sycomorus  »  ou 
«  ficus  ^gyplia  »,  qui  lient  tout  ensemble 
et  du  figuier  el  du  murier,  comme  I'exprimi^ 
son  nom  (compose  de  auxo;  et  ixwpo?)  :  du 
figuier  par  les  fruits,  du  murier  par  les 
feuilles.  II  ne  croil  que  dans  les  parties  les 
plus  chaudes  de  la  Palestine,  specialemenl 
dans  la  profonde  et  tropicale  vallee  du  Jour- 
dain,  Cfr.  Ill  Reg.  x,  27;  U  Par.  i,  45; 
Am.  VII.  «  II  est  facile  de  grimper  dessus, 
grfice  a  son  tronc  court,  et  a  ses  larges 
branches  laterales,  qui  s'ecarient  dans  loutes 
les  directions.  »  Tristram,  Natural  History 
of  the  Bible,  p.  398.  Cfr.  Thomson,  the  Land 
and  the  Book,  p.  22  el  ss. ;  Winer,  Bibl. 
Realwoerterbuch,  s.  v,  Maulbeerfeigenbaum. 
—  Quia  inde... :  St'  exetvYii;  (scil.63oO),<(  iliac  »  ; 
mais  les  meilleurs  manuscrits  ont  ?impleinent 
IzetvY);.  Sur  ceite  ellipse  de  Sii,  voyez  les 
grammaires  de  Winer  el  de  Beeleii. — Le 
raiionali-te  Keim,  dans  son  Jesu  von  Nazara, 
t.  Ill,  p.  17,  prolesle  conlre  I'invraisemblance 
de  ce  trail  («  die  Unwahrscheinlichkeit  einer 
Baunikleliirung  des  Mannes  von  Geld  und 
Stelliing  »),  d'oii  il  conclut  que  tout  I'episode 
de  Zachee  est  legendaire  :  nous  pensons  au 
conlraire  qu'on  n'invenle  pas  de  tels  details ! 
5.  —  Suspiciens  {i.woLEli<\i(X!„  quum  sus- 
pexis=el)  Jesus.  Autre  trail  pilloresque.  — 
Vidit  i7/Mm.  Celui  qui  avail  lu  surnalurelle- 
menl  dans  le  coeur  de  Nalhanael  malgrii 
I'epais  feuillage  d'un  figuier  (Joan,  i,  48],  lit 
de  la  meme  maniere  dans  I'ame  de  Zachee 
malgre  I'ombre  du  sycomore.  «  Opus  ei  non 
erat  ut  quis  testimonium  perhiberet  de  ho- 
mine;  ipse  enim  sciebal  qui!  esset  in  ho- 
miiie  »,  Joan.  11,  25.  —  Dixit  ad  ilium  : 
Znchcee.  Deja  il  le  connait!  Quelqu'un  de 
I'assisiance  le  lui  aurait  nomme,  d'apres 
Paul  us.  Idee  mesquine.  Comme  si  le  bon 
Pasteur  ne  savail  pas  les  noms  de  ses  brebis! 
Joan,  X,  3.  «  L'impre-sion  que  nous  recevons 
du  recit  est  favorable  a  la  supposition  que 
JeSLis  reconnut  Zachee  par  une  espece  d'ln- 


326 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


6.  Et  il  se  h^ta  de  descendre  et  il 
le  recut  avec  joie. 

7.  Et  tous,  en  voyant  cela,  mur- 
muraient  disant  qu'il  s'arretait  chez 
un  homme  pecheur. 

8.  Mais  Zachee  debout  dit  au  Sei- 
gneur :  Voila  que  je  donne  aux  pau- 
•vres,  Seigneur,  la  moitie  de  mes 
Mens,  et  si  j'ai  fait  tort  a  quelqu'un 
je  lui  rends  le  quatruple. 


6.  Et  festinans  descendit,  et  ex- 
cepit  ilium  gaudens. 

7.  Et  cum  viderent  omnes,  mur- 
murabant,  dicentes  quod  ad  homi- 
nem  peccatorem  divertisset. 

8.  Stans  autemZachseus,  dixit  ad 
Dominum :  Ecce  dimidium  bonorum 
meorum,  Domine,  do  pauperibus  : 
et  si  quid  aliquem  defraudavi,reddo^ 
quadruplum. 


tuition  immediale  el  miraculeuse  :  il  lisail 
^ans  ses  yeux  ce  qu'aucun  autre  ne  pouvait 
y  voir  »,  dit  tres  bien  M.  Reuss  (Hist,  evang. 
p.  542),  qui  est  bon  exegele  quand  il  n'est 
pas  en  proie  a  ses  prejuges  rationalisies.  — 
Quia  hodie...  Srjiiepov  (aujourd'hiii  meme), 
place  en  avant  avec  emphase,  expiique  le 
festinans  descende  :  c'esl  iin3  hosp:talite  im- 
mediate que  demande  Je«us.  —  Oporiel  me 
manere.  La  maison  de  Zachee  devail  etre 
ce  jour-lk  le  lieu  de  repos  du  Sauveur,  d'apres 
les  desseins  providenlieis  de  Dieu  son  Pere. 
Jesus  s'invite  d'une  fagon  loute  royaie  :  nulle 
part  aiileurs  dans  I'Evangile  nous  ne  le 
voyons  agir  ainsi,  circoiislance  qui  releve 
I'honneur  fait  au  publicain  de  Jericho.  Heu- 
reux  Zachee!  «  Yolebas  videre  transeuntem; 
hodie  hie  apud  te  invenii^s  habitanlera.  » 
S.  August.  Serm.  cxiii.  Mais,  continue  le 
meme  Pere,  «  suscipitur  Chri>lus  in  doraum, 
qui  jamhabitabal  in  corde.  »  Au  reste,  «  etsi 
yocem  invilantis  Jesus  non  audierat,  viderat 
tamen  affectum,  »  S.  Ambroise,  h.  1. 

6.  —  Festinans  descendit.  Echo  de  i'ordre 
donne  par  Jesus,  f .  o.  On  conQoit  du  reste 
ce  joyeux  cmpressement  (excepit...  gaudens). 
Que  de  choses  dans  les  quelques  paroles  de 
ce  verset  1  S.  Ambroise  nous  montre  gra- 
cieusement  Zachee  tombanl  du  sycomore 
comtiie  un  fruit  miir,  des  la  moindre  ?ecousse 
imprimee  a  I'arbre  par  Jesus.  «  Zachaeus  in 
sy Comoro,  novum  novi  lereporis  pomum  » 
^Espos.  in  Luc.  ix,  90). 

7.  —  Tout  le  monde  ne  partagea  point  le 
bonheur  de  Zachee,  qui  fit  au  coniraire  une 
multitude  d'envieux.  —  Omnes  (aTiavTj-  (»x- 
pressiin  emphatique,  «  omnino  omne-  »t  mur- 
murabant  {Sizfjyyvloy,  «  niurmuraljant  ad 
invicoiii  »).  I  es  murmures  furent  unanimes 
et  se  prolon^:'ent  longtenip-J.  — .  Ad  liomi- 
nem  peccatorem  divertisset  {darf/.^zv  xataVJaai, 
a  venissel  diversatum  »).  II  y  avail  a  Jericho, 
ville  sacerdolaie,  un  tres  grand  nombie  de 
pretrt'S(Cfr.x,  31  i-t  le  comnn  nlaire),  presque 
aulanl  qu'a  Jerusalem,  dil  le  Talmud,  et.  au 
lieu  de  demander  a  I'un  d'eux  Thospilalile, 
J^sus  ^tablissail  sa  residence  chez  un  publi- 


cain abhorre,  dont  la  profession  eiait  regar- 
dee  par  les  Juifs  comme  un  crime  insigne. 

8.  —  Slans  autem  Zachwus.  Celle  scene 
touchanle  ne  se  serail  passee,  d'apres  di- 
vers commeniali  urs  (Olshausen,  Schleierma- 
cher,  etc.),  que  le  Imdemain  matin,  au 
moment  oil  Jesus  so  mettail  en  route  pour 
Jerusalem.  II  est  beaucoup  plus  naturel  de 
la  placer  soil  immediaiement,  dans  la  rue 
memp,  en  face  des  insulteurs  (^t  alors  le  mot 
otaOei;,  qui  designait  plus  haul,  xviii,  11,  la 
pose  affectee  du  Phaiisien,  represenlerait 
I'atlilude  noble  el  fiere  de  la  prolpstalion)^ 
soil  peu  de  temps  apres  I'entree  du  Sauveur 
chez  son  hole,  par  exemple  a  la  fin  du  repas 
du  soir  (comparez  I'expression  «  hodie  »  des^ 
tt.  5  el  9).  Zachee,  debout  devanl  Jesus, 
emel  publiquemenl  un  voeu  genereux,  indice 
de  sa  complete  conversion.  C'esl  a  tort  qu'on 
a  vu  parfois  dans  I'emploi  du  temps  pre- 
sent [do,  reddo)  i'enoncialion  d'un  fait  anle- 
rieur  el  habiluel,  comme  si  Zachee  eut  voula 
dire  :  Seigneur,  je  suis  moins  mauvais  qu'on 
le  croit:  voyez  quelles  sont  mes  pratiques 
accoutumeps!  Je  donne...  je  restitue...  De 
I'avis  a  peu  pres  universel,  le  present  est  mis- 
pour  le  lutur,  en  signe  du  caractere  inebran- 
lable  et  de  I'executjon  prochaine  de  la  reso- 
lution. La  chose  est  si  sure  qu'on  peut  la 
regarder  moraleraenl  comme  deja  faite.  — 
Ecce  (particule  d'un  bel  &^q{)  dimidium  bono- 
rum...  De  la  part  d'un  homme  riche,  c'etait 
un  sacrifice  enorine.  a  Ecce  camelus,  dit 
agreablemenl  le  Yen.  Bede,  faisanl  allusion 
a  une  recente  parole  de  Jesus  (xviii,  25), 
deposita  gibbi  sarcina  per  foramen  acus  tran- 
sit; hoc  est,  reliclo  amore  divitiarum,  con- 
tempto  sensu  fraudum,  benedictionom  domi- 
nicae  susceptionis  accepit.  »  —  Et  si  quid 
aliquem  defraudaoi  (dans  le  grec,  (Tuxo9av:etv, 
extorqu^-r  de  I'argent  au  moyen  de  fau?ses 
accusations.  Cfr.  rn,  14  et  le  commcniaire). 
La  locution  £i  xiserait-elle  une  sorle  d'euphe- 
misme  derriere  Icquel  Zachee  nia>qui'rait  a 
demi  ses  fautcs?L('S  exegel^s  modernes  I'onl 
souvent  affiraie,  quoique  bien  a  tort,  selon 
nous.  Quil  interel  Zachee  avail-il  a  ne  pas 


CHAPITRE  XIX 


327 


9.  Ait  Jesus  ad  eum  :  Quia  hodie 
salus  domui  huic  facta  est,  eo  quod 
et  ipse  filius  sit  Abrahae. 

10.  Venit  enim  Filius  hominis 
quserere,  et  salvum  facere  quod  pe- 
rierat. 

Mate.  18,  11. 

11.  Hsec  illis  audientibus,  adji- 
ciens  dixit  parabolam,  eo  quod  es- 
set  prope  Jerusalem,  et  quia  exis- 


9.  Jesus  lui  dit  :  Aujourd'hui  le 
salut  a  ete  accorde  a  cette  maison, 
parce  que  celui-ci  est  aussi  un  en- 
fant d'Abraham. 

10.  Gar  le  Fils  de  Thomme  est 
venu  chercher  et  sauver  ce  qui  etait 
perdu. 

11.  Et  comme  ils  ecoutaient  ces 
paroles^  il  leur  dit  de  plus  une  para- 
bole  sur  ce  qu'il  etait  pres  de  Jeru- 


faire  alors  une  confession  humble  et  complete? 
Nous  supposons  done,  d'apres  son  langage, 
qu'il  n'a  pas  conscience  d'avoir  \e>6  volon- 
tairement  les  droits  du  prochain.  Mais  il  salt 
combien  ses  fonclions  sont  delicates,  el  avec 
quelle  facilite  Tinjiisiice  malerielle,  sinon  for- 
melle,  peut  s'y  glisser  (comp.  le  proverbe 
Italian  :  II  n'y  a  pas  de  grand  fleuve  ou  il  ne 
soit  entre  un  peu  d'eau  trouble)  :  il  est  pret 
h  reparer  tous  ses  lorls,  si  on  lui  en  decoavre. 
Et  avec  quelle  generosile  il  les  reparera! 
Reddo  quadruplum.  La  loi  juive  n'exigeait 
cette  «  restitutio  in  quadruplum  »  qu'en  cer- 
tains cas,  V.  g.  quand  I'objet  vole  avait  ete 
aliene  par  le  voleur  ou  avait  peri  chez  lui 
(Ex.  XXII,  1);  ordinairemeni  on  n'elait  con- 
darane  a  restituer  que  le  double  (Ex.  xxii,  4-9), 
et  meme,  quand  on  reslituail  sponlanemenl, 
il  suffisait  d'ajouter  un  cinquieme  en  siis  de 
la  valeur.  Quant  aux  lois  romames,  un  article 
special,  a  de  publicanis  »,  n'exigeait  de  ces 
fonclionnaires  que  la  reslilulion  pure  et 
simple,  quoique  les  voleurs  communs  dussent 
la  faire  au  quadruple. 

9.  —  Ait  Jesus  ad  eum  :  np6?  auTov  ne  si- 
gnifie  pas  «  de  eo  »  ;  Jesus  s'adresse  directe- 
ment  a  Zachee,  quoiqu'il  parle  de  lui  a  la 
troisi6me  personne.  —  Quia  (recitalif)  hodie 
salus...  Douce  assurance  pour  Zachee,  et 
pour  loute  sa  maison  {domui  huic),  qui  avait 
regu  comme  lui  avec  de  vifs  senlimenis  de 
foi  la  visite  duSauveur. —  Ipse  filius  Abmhce. 
De  graves  auteurs  anciens  el  mcdernes 
(S.  Cyprien,  S.  Jean  Ghrysost.,  S.  Ambroise, 
Maldonat,  Stella,  Reuss,  Cnrci)  oiil  conclu 
de  ces  mots  que  Zachee  devail  elre  pai'en 
d'origine;  mais  telle  n'esl  certainemonl  pas 
leur  signification  direcle.  11  n'y  a  aucune 
raison  de  no  pas  les  prendre  a  la  lellre,  et 
c'est  d'une  maniere  lilleralc  qu'on  los  inler- 
prete  generalement  aujourd'hui.  Zachee  elait 
Juif,  comme  le  prouve  son  nom  (note  du  t.  2); 
mais,  en  se  faisant  publicain,  il  s'elait  de- 
grade aux  yeux  de  ses  conciloycns,  il  avait 
enquelque  sorle  renonc^  a  sa  precieuse  filia- 
ion  :  converli  desormais,  il  a  recouvr^  tous 


ses  droits  au  salut  promis  k  Abraham,  son 
illustre  aieul. 

4  0.  —  Jesus  continue  de  repondre  au  bl&me 
de  la  foule.  II  a  justifid  sa  conduite  par  un 
premier  motif,  lire  des  droits  de  Zachee;  il 
en  expose  maintenant  un  second,  qui  con- 
sisle  dans  I'indicalion  generale  de  son  propre 
r61e  en  tant  que  Messie  :  venit  enim  Filius 
hominis...  N'e.-t-il  pas  venu  tout  expres  pour 
chercher  les  brebis  egarees  el  les  ramener  au 
bercail?  Voyez  dans  S,  Malihieu,  xviii,  41 
(Cfr.  lecommentaire),  la  reproduction  de  cette 
admirable  pensee.  Ici,  le  verbe  qucerere  est 
une  parlicularile  de  S.  Luc.  —  Que  devint 
Zachee  apres  sa  conversion?  D'anciens  au- 
teurs penseiit  qu'il  s'attacha  immediatement 
h  la  personne  de  Jesus.  Quelques-uns  (a  la 
suite  de  Clement  d'Alexandrie,  Strom,  iv,  6) 
Font  identiBe  avec  S.  Malhias,  qui  devint 
plus  tard  apolre  a  la  place  de  Juda.  D'au- 
tres  font  de  lui  le  premier  eveque  de  Cesaree, 
en  Palestine.  Mais  une  antique  iradilion, 
«  innumeris  teslinioniis  firmala  ac  praesprtim 
auctorilate  Martini  Papse  Quinti,  in  bulla 
anni  1427  »  (Propre  du  breviaire  de  Tulle, 
au  3  seplembre),  demontre  que  Zachee  ^migra 
de  bonne  heure  dans  les  Gaules,  et  qu'il  so 
fixa  finalement  dans  un  lieu  sauvage  et  pit- 
toresque  (Roc-Amadour)  qui  apparlient  au- 
jourd'hui au  dioce-se  de  Gahors,  oil  il  esi 
honore  sous  le  nom  de  S.  Amadour(Amator). 

29.  La  parabole  des  mines,  xix,  11-18. 

Sur  la  difference  qui,  malgr^  des  analogies 
nombreuses,  exisle  enlre  celle  parabole  et 
celle  des  talents,  conservee  par  S.  Malthieu, 
XXV,  14-30,  voyez  noire  explication  du  pre- 
mier Evangile.  p.  478  el  p.  Des  les  premiers 
siecles,  Amiiionius  d'Alexandrie,  Eu^ebe  et 
S.  Jean  Clii  ysostome,  en  faisaieni  deux  piece* 
dislincles. 

]\.  —  Petite  introduction  historique,  prd- 
cieuse  pour  decouvrir  le  vrai  but  et  le  sens 
de  la  parabole.  Cfr.  xviii,  1  et  9.  —  HcBf 
illis  audientibus.  Ces  deux  pronoms  relom- 
benl  et  sur  les  choses  et  sur  les  personnes 


328 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


salem  et  qu'ils  pensaient  que  le 
royaurae  de  Dieu  serait  aussitCt 
manifeste. 

12.  II  dit  done  :  Un  homme  de 
haute  naissance  s'en  alia  dans  un 
pays  loinlain  pour  prendre  posses- 
sion d'un  royaume  et  revenir  en- 
suite. 

13.  Ayant  appele  dix  de  ses  servi- 
teurs,  il  leur  donna  dix  mines,  et 


timarent   quod  confestim  regnum 
Dei  manifestaretur. 

12.  Dixit  ergo  :  Homo  quidam 
nobilis  abiit  in  regionem  longin- 
quam  accipere  sibi  regnum,  et 
reverti. 

13.  Vocatis  autem  decem  servis 
suis,  dedit  eis  decem  mnas,  et  ait 


Jonl  il  a  ele  question  auparavanl,  tt.  7-10. 
Nous  sommes  encore  a  Jericho  (Cfr.  t.  28), 
et  probablement  dans  la  nnaisun  de  Za- 
chee.  —  Adjiciens  dixit  esl  un  hebralsme  : 
inS  ^DV^.  Cfr.  xx,  11,12,  et  dans  les  LXX, 
Gen.  xviu,  29 ;  xxxviii,  5,  Job.  xxix,  1 ,  etc. 
—  Eo  quod  esset  prope  Jerusalem.  Jericiio 
n'est  en  effel  qu'a  150  stades  de  Jerusalem, 
c'est-a-dire  k  une  petite  journee  de  marche 
(environ  6  ou  7  heures).  —  Et  quia  existima- 
rent...  Depuis  quelque  temps  i'enthousiasme 
esl  toujour?  alle  croissant  dans  I'eiitourage 
de  Jesus.  Cfr.  xiv,  25,  xviii,  31,  38;  xix,  1-3. 
Ses  pailisans,  raeme  les  plus  eclaires,  s'obs- 
tinent  a  croire  que,  s'il  va  maintenanl  a  Je- 
rusalem, la  capiiale  de  la  Theocralie,  c'esl 
pour  y  fonder  sans  delai  [confestim  en  avant 

[>aremphase),  pour  y  faire  briller,  selon  loute 
a  force  du  lexle  (maiiifestarelur,  ava<paiv£o8ai, 
«  in  lucem  ederelur  ».  Cfr.  Act.  xxi,  3),  le 
royaume  du  Messie  avec  son  cortege  oblige 
degloires  huniaiiies.  Jesus  repond  a  ces  gros- 
sieres  esperances  en  montranl,  sous  les  trails 
de  cette  belle  composition  poetique,  1°  qu'il 
s'ecoulera  encore  un  long  temps  avant  la 
crise  decisive  qui  elabliia  definilivemi^nt  son 
regne,  2°  que  ses  amis  devront  employer  ces 
siecles  d'attenle  a  un  travail  serieux,  s'ils 
veulent  eire  recompenses  au  dernier  jour, 
30  que  ses  ennemis,  specialemcnt  les  Juifs, 
n'echapperont  pas  a  ses  vengeances. 

12.  —  Homo  quidam  nobilis  (eOyevio?,  de  no- 
ble race)  :  digne  figure  de  Notre-S.^igneur 
Jesus-Christ  qui,  «  quamvis  servus  lactussit, 
est  tiimen  nobilis  secundum  ineffabilem  ortiim 
a  Palre  »  (S.  Cyrille,  in  Cat.  D.  Tliom.),  Ou 
plutol,  «  non  solum  secundum  deiiatem  no- 
bilis esl,  sed  eliam  secundum  genus  huma- 
num,  ex  semine  David...  exorius  »  (5.  Ba- 
sile,  ibid.).  —  Ahiit  in  regionem  longinquam 
(el;  xwpav  (jiaxpdv)  aussi  loin  qu'il  y  a  de  la 
lerre  au  ciel,  ci^  qui  huppise  une  absence  pro- 
longee.  —  Accipere  sibi  regnum  et  reverti. 
L'iuiage  est  einpriiiiteeaux  coulumes  d'alors. 
Combien  de  pelils  princes,  en  Palestine  et 
aulour  d'i  la  Paleslina  (en  Judee,  a  Clialcis, 
a  Abila,  a  Euiese,  a  Damas,  en  Comma- 
gene,  etc.),  avaient  du  se  rendre  a  Rome 


pour  recevoir  leur  investiture  du  senal  ou  de 
i'empereurl  Le  premier  livre  desMacchabees, 
VIII.  13,  fail  a  ce  sujet  une  reflexion  signifi- 
cative :  «  Quibus  vellent  (Romani)  auxilio 
esse  ul  regnarent,  regnabanl;  quos  autem 
velleni,  regno  delurbabant.  »  C'esl  ainsi 
qu'Herode-le-Grand  avail  enlrepris  le  voyage 
de  Rome  pour  oblenir  le  litre  de  roi  desJuifs; 
que  son  fils  Archelaiis  elait  alle,  quoique  en 
vain,  faire  sa  cour  a  Auguste  pour  qu'il  lui 
fut  accorde  de  conserver  cette  dignity.  De 
meme,  Jesus  etait  sur  le  point  de  partir  pour 
le  ciel  oil  Dieu  son  Pere,  le  «  rex  regum  el 
dominus  dominantiura  »,  devail  lui  conferer 
une  aulorite  souveraine,  eternelle,  sur  I'ein- 
pire  messianique  :  mais  ce  n'est  qu'a  la  fin 
des  temps  qu'il  revicndra  dans  Tetat  de  sa 
gloire  et  de  sa  puissance  royales.  —  Le  heros 
de  la  parabole  des  talents  esl  un  simple  pere 
de  famille,  qui  n'aspire  a  aucune  dignile. 

13.  —  Vocatis  decem  serois  suis,  Non  pas 
a  ses  dix  servileurs  »,  comrae  s'ii  n'en  eAt 
pas  eu  davantage,  mais  «  dix  de  ses  servi- 
leurs ».  11  se  propose  de  metlre  leur  fidelity 
k  I'epreuve  riurant  son  absence  :  c'est  pour 
cela  qu'il  leur  confio  a  chacun  decem  mnas, 
desireux  de  voir  comment  ils  sauronl  les 
faire  fructifier  a  son  profit.  La  «  mne  »,  dont 
le  nom  grec  ((xva)  vienl  de  I'hebreu  nJD 
{maneh)  en  passant  par  le  pnenicien  xao 
(mnd).  n'etaii  pas  une  monnaie  reelle,  ayanl 
cours  :  a()res  avoir  servi  de  poids,  elle  eiail 
devenue  une  monnaie  ficlive,  comme  le  ta- 
lenl.  II  esl  probable  qu'il  s'agit  ici  de  la  mine 
attique,  qui  contenail  100  draclimes,  c'est-a- 
dire  environ  90  francs.  Cfr.  Winer,  Bibl. 
Realwoerlerbuch,  t.II,  p.  96  de  la  3eedil.  La 
sommeconfiee  a  chacun  desservitenrs  n'elait 
done  que  de  900  francs;  la  somm^>  lotale,  de 
9000  francs.  Quelle  difference  dans  la  para- 
bole des  talents,  Mattli.  xxv,  15  el  ss.,  oii  le 
maitre  partage  toule  sa  fortune,  qui  elait 
considerable,  enire  Irois  seulrmenl  do  ses 
servileui's!  —  Negotiamini  dum  venio  (ev  w 
pcil-xpo''"  £PX°t**')  d'apres  la  legon  probable; 
£w;  lpy_o\i-M  d'apres  la  Ri'Cepla).  «  Negotia- 
mini »  esl  une  traduction  tr6s  lilterale  du 
verbe   TtpayixaTeuffaaOe,  qui  n'apparail  qu'en 


CHAPITRE   XIX 


329 


ad  illos  :  Negotiamini  dum   venio. 

14.  Gives  autem  ejus  oderant 
eum,  et  miserunt  legationem  post 
ilium,  dicentes  :  Nolumus  hunc  re- 
gnare  super  uos. 

15.  Et  factum  est  ut  rediret  ac- 
ceplo  regno  :  et  jussit  vocari  servos 
quibus  dedit  pecuniam,  ut  sciret 
quantum  quisque  negotiatus  esset. 


16.  Venit  autem  primus  dicens  : 
Domine,  mna  tua  decem  mnas  ac- 
quisivit. 

17.  Et  ait  illi :  Euge,  bone  serve, 


leur  dit:  Faites-les  valoir  jusqu'a  ce 
que  je  revienne. 

14.  Or  ses  concitoyens  le  hais- 
saient;  ils  envoyerent  done  apres 
lui  une  deputation,  disant :  Nous  no 
voulons  pas  que  celui-ci  regne  sur 
nous. 

1o.  Or  il  arriva  qu'il  revint  apres 
avoir  pris  possession  du  royaurae; 
et  il  fit  appeler  les  serviteurs  aux- 
quels  il  avait  donne  de  I'argent, 
pour  savoir  combien  chacun  I'avait 
fait  valoir. 

16.  Et  le  premier  vint,  disant : 
Seigneur,  ta  mine  a  produit  dix 
mines. 

17.  Et  il  lui  dit :  Bien,  bon  servi- 


cet  endroit  du  Nouveau  Testament.  Les  Rab- 
bins employaient  dans  le  mdme  sens  plusieurs 
derives  analogues  de  -npiyiia.,  v.  g.  XitaDHIS, 
pragmnthia  (TtpaYtiateCa),  D'tDDPiD.  pragmatis 
(irpaYfiateu?),  DITDTOPS'  pragmatotos  (irpaY- 
jAaxeuTT);) .  Da  reste,  nous  n'usoiis  pas  autre- 
ment  di>s  mots  negoce,  negociant,  negocior. 
—  Dan-;  {'application,  a  significat  (Jesu^)  per 
eos  qui  mnas  recipiunt,  suos  discipulos... 
Nullum  autem  aliud  negotium  erat,  nisi 
dogma  regni  sui  intentis  mortalibus  praedi- 
candum  per  sues  discipulos,  «  Eusebe  (ap. 
Cat.  D.  Tliom.).  Cela  convient  donc'eiicore 
a  tous  les  preir 'S. 

a.  —  Gives  autem  ejus  oderant  eum.  Les 
conciloyons  de  Jesus,  ce  sont  eviderainenl  les 
Juifs.  p'uisqu'il  etait  comrae  eux  membre  de 
retaltlieociaLiqui\  Joan,  iv,  22  ;  Rom.  ix,  5. 
Leur  haine  envers  lui  n'apparait  que  irop  a 
ciiacune  des  pages  evangeliques.  —  iMiserunt 
legationem  post  ilium  (6:;{aw  aOtoO,  lilteral. 
derriere  lui).  Les  ambassadenrs  devaient  pro- 
tester de  loutes  leurs  forces  conlre  I'eleva- 
lion  de  r«lioino  nobilis  »  a  la  dignile  supreme, 
en  romonlraiit  au  suzerain  que  cet  acte  se- 
rait  loui  a  fait  imiioliiique,  altendu  qu'il 
elait  contraire  anx  voeux  de  la  nation  en- 
tiere.Nous  apprenons  par  I'historien  Josephe 
Ant.  XVII,  11,1  (Cfr.  B  '11.  Jud.  xi,  2,  1)  que 
les  choses  se  passerent  a  la  leltre  de  ceite 
sorte  quand  Archelaiis  alia  revendiquer  a 
Rome  la  succession  de  son  pere.  —  Nolumus 
hunc...  Exj)ies-!ion  diidaigni'use  :  toutov,  o<^t 
hommeque  i\<m<  detcslons.  Les  Juifs.  a  d"ux 
reprisi'S  au  mom-^,  |)arlerent  en  ce  sens  a  Pi- 
late coniro  Je-u-,  quand  ils  crierent  :  «  Non 
tiabemu-;  rcgi'in  nisi  G;esarem  »,  et  .  o  Noli 
scribere  :  Rex  Judaeorum  »,  Joan,  xix,  45, 


21.  —  Tous  ces  details  sont  piopres  a  la 
parabole  des  mines;  on  ne  trouve  rien  de 
semblable  dans  celle  des  talents. 

15.  —  Malgrd  tant  d'opposiiions  (elles  de- 
vinrent  plus  vives  encore  apres  la  mort  de 
Notre-Seigneur,  Cfr.  Act.  xii,  13;  xin,  45; 
XIV,  18  ;  XVII.  5;  xviii,  6;  xxii,  22  ;  xxui,  12, 
et,  du  moside  juif,  elles  passerent  au  monde 
entier,  qui  les  continue  chaque  jour),  le  can- 
didat  au  trone  vit  ses  droits  reconnus.  Le 
voici  maintenant  qui  revient,  muni  da  pleins 
pouvoirs  [recepto  regno),  dont  il  fait  aussitot 
un  double  u^age  :  il  recompense  ses  amis  et 
se  venge  de  S'"S  ennemis.  —  Jussit  vocari... 
Voyez,  pour  I'explication  detaillee,  I'Evang. 
selon  S.  Matth.  p.  481  et  ss.,  car  c'est  ici 
surtout  que  les  deux  paraboles  se  ressemblent. 
Celle  des  mines  a  pourlant  encore  des  va- 
rianles  notables,  conformement  a  la  diversite 
de  son  but  et  deson  ordonnanee  generale.  — 
Quantum  quisque  negotiatus  esset.  Le  verbe 
grec  (employe  seuleraent  en  cet  endroit  du 
N.  T.)  n'est'pas  lout  a  fait  le  meme  qu'au 
Ti^.  1 3  :  c'est  le  compose  SiaTrpaffxa-ceuoiiat,  «  ne- 
gotiando  lucroi'  ».  Tt;  ti,  lilteral.  «  qitis 
quid  »,  construction  classique  chez  les  Grecs 
et  ciiez  les  Romains.  Ce  sont  «  duae  quaes- 
tiones  in  unuui  concinnatye,  i.  e.  quis  aliquid 
lucralus  esset,  et  quid  is  lucralus  esset,  » 
Borueniann. 

16  et  17.  —  Primus...  L'-'S  serviteurs,  du 
moins  les  trois  dont  le  recit  fait  une  men- 
tion speciale,  se  presenlent  au  roi  d'apres  un 
ordre  conformed  leurs  succes,  par  con-;c(iu'nt 
a  leurs  inerites.  —  Ahia  tua...  arqaisivil 
{upoaTipY«aaTo,  a  fait  cii  sus  :  mit  propre  a 
S.  Lucj.  Langagft  d'une  profond(!  humilite.  Le 
servileur  seuible  atlribuer   lout  le  profit  a 


330 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


teur,  puisque  tu  as  ete  fidele  en 
chose  modique,  tu  auras  puissance 
sur  dix  villes. 

18.  Et  un  autre  vint,  disant  : 
Seigneur,  ta  mine  a  produit  cinq 
mines. 

19.  Et  il  lui  dit :  Et  toi  sois  etabli 
sur  cinq  villes. 

20.  Et  un  autre  vint,  disant  : 
Seigneur,  voici  ta  mine  que  j*ai 
gardee  deposee  dans  un  linge. 

21.  Gar  je  t'ai  craint  parce  que  tu 
es  un  homme  severe ;  tu  enleves  ce 
que  tu  n'as  pas  depose  et  tu  mois- 
sonnes  ce  que  tu  n'as  pas  seme. 

22.  II  lui  dit  :  Je  te  juge  par  ta 


quia  in  modico  fuisti  fidelis,  eris 
potestatem  habens  super  decem 
civitates. 

18.  Et  alter  venit,  dicens  :  Do- 
mine,  mna  tua  fecit  quinque  mnas. 

19.  Et  huic  ait :  Et  tu  esto  super 
quinque  civitates. 

20.  Et  alter  venit,  dicens  :  Do- 
mine,  ecce  mna  tua,  quam  habui 
repositam  in  sudario ; 

21.  Timui  enim  te,  quia  homo 
austerus  es  :  tollis  quod  non  po- 
suisti,  et  metis  quod  non  seminasti. 

22.  Dicit  ei :  De  ore  tuo  te  judico. 


I'argent  de  son  maitre,  et  ne  tenir  aiicun 
comple  de  son  activile,  de  son  habilete  per- 
sonnelles.  II  en  est  aulrement  dans  la  para- 
bole  des  talenls  :  «  Domine,  quinque  lalenla 
tradidisli  mibi,  ecce  alia  quinque  superlu- 
cralus  sum.  »  —  En  echange  de  sa  fidelile,  il 
reQoit,  outre  un  bel  eloge  {euge,  bone  serve], 
une  recompense  vraimenl  princiere  :  Eris  po- 
testatem habens  (dans  le  grec,  TdOi  e$ouaiav  Ix^v, 
scias  te  habere...)  super  decem  civitates.  Dix 
cites,  pour  dix  miaes  avec  iesqueiles  on  au- 
rait  a  peine  achete  une  modesle  maison. 
Dans  I'antiquile,  ies  rois  recompensaientassez 
frequemmeni  leurs  amis  et  serviteurs  fideles 
en  leur  atlribuanl  le  revenu  d'une  ou  de  plu- 
sieurs  villes.  Dans  la  parabole  des  talents,  le 
maitre,  n'etant  qu'un  homme  prive,  se  con- 
tente  de  dire  :  a  Intra  in  gaudium  Domini 
tui;  »  il  n'a  pas  de  cites  a  donner. 

48  et  i9.  —  Alter  (dans  le  grec,  6  SeOrepo;, 
le  second),  C'est  la  meme  scene  reiteree.  a 
part  cinq  mines  et  cinq  villes  an  lieu  de  dix. 
La  recompense,  et  c'etail  bien  juste,  est  done 
proportionnee  au  succes  ou  plutoi  aux  ef- 
forts, a  la  generosite  de  Taction.  Dans  I'ordre 
moral  aussi,  Ies  memos  dons  ne  produisent 
pas  toujours  des  resuitals  identiques.  Puis- 
sions-nous  du  moins  gagner  cinq  mines  I  — 
Fecit,  eirotYjae,  comme  i\lalih.  xxv,  16,  dans 
le  sens  de  gagner. 

20  et  21.  —  Alter  venit.  On  lit,  dans  piu- 
sieurs  des  manuscrils  giecs  qui  font  auto- 
rile,  6  grepoi;  avec  Particle:  I'aulrc.  Ln  nar- 
rateur  parle  mainlenant  comine  s'li  n'eut 
confie  de  I'argeni  qu'a  irois  serviteurs.  «  De 
aliis  sijetur,  ecril  S.  Ambroise  (Expos,  in  Luc, 
vni,  95),  qui  quasi  prodigi  debitores,  quod  ac- 
ceperant  perdiderunt.  »Mais  rien,dans  la  pa- 
rabole, ne  nous  aulorise  a  croire  que  Ies  sopt 
autres  aient  ete  si  pervers.  Peul-etre  est-il 
mieux  de  dire  qu'on  Ies  passe  sous  silence 


pour  abreger,  leur  condnite  ayant  el6  ana- 
logue ou  a  celle  des  deux  premiers,  ou  a  celle 
du  troisieme.  —  Quam  habui  («  servavi  »)  re- 
positam  in  sudario.  SouSdpiov  du  texte  grec 
est  un  latinisme,  de  m^me  que  nno  [soudar) 
des  Rabbins.  Le  «  sudarium  »  ^lait,  comma 
I'exprime  son  nom,  un  mouchoir  destine  k 
essuyer  la  sueur  du  visage.  II  n'est  pas  sans 
inler^t  de  voir,  d'apres  le  Talmud,  des  Juifs 
se  servant  precisement  du  soudar  pour  enve- 
lopper  de  petites  sommes  d'argeni,  a  I'instar 
dece  negligent  serviteur.  Cfr.  Lighlfoot,  Hor. 
hebr.  h.  1.  Du  reste,  aujourd'hui  encore,  Ies 
paysans  occidentaux  n'emploienl-ils  pas  ce 
meme  linge  en  guise  de  bourse?  D'apres  la 
parabole  des  talents,  I'argent  avait  ete  enfoui 
en  terre.  Au  moral,  «  pecuniam  in  sudario 
ligare  est  percepla  dona  sub  olio  lenli  tor- 
poris  abscondere  »,  V.  Bede.  —  Timui  miin 
te...  Dans  Ies  termes  Ies  plus  arrogants,  le 
coupable  essaie  d'excuser  sa  conduite,  qu'il 
voudrait  faire  passer  pour  de  la  prudence.  II  a 
eu  peur  de  son  maitre,  lequel  est  si  severe, 
et  dont  il  craignail  Ies  reproches,  ou  meme 
Ies  vengeances.  Austerus,  caique  sur  le  grec 
aii(TTrip6;,  <i  proprie  de  eo  dicitur  quod  acer- 
bum  saporem  habet,...  deinde  tropice  de  mo- 
ribus,  asper,  severus  »,  Bieischneider.  —  Les 
locutions  proverbiales  «  prendre  ce  qu'on  n'a 
pas  depose,  moissonner  ce  qu'on  n'a  pas 
seme  » (voyez-les  dans  S.  Malthieu,  xxv,  24, 
avec  une  legere  varianlc)  peuvenl  exprimer 
soil  I'approprialion  injuste  du  bien  d'autrui, 
soil  I'accumulalion  des  richesses  sans  travail 
personnel,  au  prix  de  la  sueur  des  pauvres 
gens.  Celle  seconde  acception  est  ici  la  plus 
probable. 

22  el  23.  —  De  ore  luo  te  judico.  Cfr.  Ci- 
ceron,  Verr.  vii  :  «  Tua  te  oratione  accusn. 
Tuo  te  gladio  juguias.  »  Le  roi  repond  a  ce 
miserable  par  un  foudroyant  argument  «   aii 


CHAPITRE   XIX 


331< 


serve  nequam.  Sciebas  quod  ego 
homo  auslerus  sum,  tollens  quod 
non  posui,  et  metens  quod  non 
seminavi  : 

23.  Et  quare  non  dedisti  pecu- 
niam  meam  ad  mensam,  ut  ego 
veniens  cum  usuris  utique  exegis- 
sem  illam  ? 

24.  Et  astantibus  dixit  :  Auferte 
ab  illo  mnam,  et  date  illi  qui  decern 
mnas  habet. 

25.  EL  dixerunt  ei :  Domine,  habet 
decern  mnas. 

26.  Dico  autem  vobis,  quia  omni 
habenti  dabitur,  et  abundabit :  ab 
eo  autem  qui  non  habet,  et  quod 
habet  auferetur  ab  eo. 

Match.  13,-'12;  Marc.  4,25. 

27.  Verumtamen  inimicos  meos 
illos,  qui  noluerunt  me  regnare  su- 
per se,  adducite  hue,  et  interficite 
ante  me. 

28.  Et  his  dictis,  praecedebat  as- 
cendens  Jerosolymam. 


propre  bouche,  mauvais  serviteur. 
Tu  savaiaque  je  suis  un  homme  se- 
vere, enlevant  ce  que  je  n'ai  pas 
depose  et  moissonnant  ce  que  je  n'ai 
pas  seme. 

23.  Pourquoi  n'as-tu  pas  donne 
mon  argent  a  la  banque,  pour  qu*en 
revenant  je  le  retirasse  avec  usure  ? 

24.  Et  il  dit  a  ceux  cjui  etaient 
presents  :  Otez  lui  la  mine  et  don- 
nez-la  a  celui  (^ui  a  dix  mines. 

25.  Et  ils  lui  dirent  :  Seigneur,  11 
a  dix  mines. 

26.  Mais  je  vous  dis  qu'on  don- 
nera  a  celui  qui  a  et  il  sera  dans 
Tabondance;  quant  a  celui  qui  n'a 
pas,  meme  ce  qu'il  a  iui  sera  6te. 

27.  Neanmoins  amenez  ici  me& 
ennemis  qui  n'ont  pas  voulu  que  je 
regnasse  sur  eux  et  tuez-les  devant 
moi. 

28.  Ges  choses  dites,  11  marchait 
devant  eux,  montant  k  Jerusalem. 


hominem  ».  —  Quare  non  dedisti  pecunimn 
meam  :  dans  le  grec,  {iou  t6  apyuptov  avec 
emphase  (d'apres  les  mannscrils  A,  B,  L,  etc.). 
—  Ad  mensam  :  sur  la  table  des  banquinrs, 
donl  lenomgrecTpaueiJiTai,  derive  de  TpaneW, 
table,  de  meme  que  leur  nom  frangais  vient 
de  banque.  Le  servileur  aurait  done  dii  pour 
le  moins  preter  k  inter^ls  ia  somme  qui  iui 
avail  ele  confiee  :  son  royal  maitre  en  eut 
ainsi  lire  quelque  profit  :  cum  usuris  (oOv 
toxti),  voyez  sur  ce  mot  I'Evang.  seion  S.  Maiih. 
p.  483)...  exegissem  (TrpaaaEiv  dans  le  meme 
sens  que  itotelv  au  ir.  48.  Cfr.  in,  13)...  Dans 
le  texle  grec,  ie  point  d'inlerrogalion  est 
place  apres  xpairellav,  el  on  lit  ensuile  xai  i^tH 
iXOwv...,  «  el  (tunc)  ego  veniens  »...,  au  lieu 
de  ut  ego  veniens. 

24-26.  —  Adstantibus  dixit.  Ces  «  adstan- 
tes  »  etaient  les  servileursdu  roi  en  general, 
ses  gardes.  —  Dixerunt  ei... :  Habet  decern 
mnas.  Surpris  d'un  pareil  ordre,  ils  se  per- 
mettent  uni^  observation  respectucuse,  Mais 
celui  auquel  vousdonncz  la  mine,  n'esl-il  pas 
deja  le  plus  riche  de  lous?  —  Dico  autem  vo- 
bis (la  pluparl  des  manuscrits  grecs  ont 
Xeyw  Yop,  «  dico  enim  »).  Aiiisi  qu'il  convienl 
k  sa  dignit^,  le  prince  n'a  pas  I'air  de  s'apgr- 
cevoir  qu'on  I'a  interpelle  ;  il  repond  nean- 
moins h  robjeclioa  par  I'axiome  bien  connu  : 


Omni  habenti...  Cfr.  viii,48,  etc.  —  Abun~ 
dabit  n'a  rien  qui  lui  corresponde  dans  le 
texle  grec. 

27.  —  Verumtamen.  Apres  avoir  recom- 
pense ou  puni  ses  serviteurs  selon  leur  con- 
duite  respective,  le  roi,  par  cette  transition, 
introduit  un  terrible  arr^l  centre  ceux  de  ses 
concitoyens  qui  lui  avaient  fait  autrefois  une 
opposition  si  hostile,  t.  14.  La  sentence  est 
majeslueuse,  sans  appel,  executee  sur-le- 
champ  sous  les  yeux  memes  du  juge  {addu~ 
cite  hue...  ante  me),  ainsi  que  cela  se  pratique 
frequemment  dans  les  conlrees  orientales 
(xttTairqpdSaTe,  «  trucidate  »,  Tequivalenl  grec 
de  interficite,  n'est  employe  que  par  S.  Luc  : 
c'est  un  mot  d'une  grande  ^nergie),  Le  voile 
lombo  brusquemenl  apres  ces  effrayantes  pa- 
roles. Quelle  impression  ne  durent-elles  pas 
produire  sur  I'assistance!  C'esl  une  prophetie 
de  la  ruine  de  Jeru-alem,  et,  dans  le  sens 
large,  dos  chaliments  qui  alteindronl  ^  la  fin 
du  monde  tons  lesennomisde  Notre-Seigneur 
Jesus-Christ  el  de  son  Eglise. 

28.  —  Et,  his  dictis,  pvcBcedebat.  Jesus  so 
mil  done  en  route  aussitol  apres  avoir  achev^ 
la  parabole  des  mines.  II  y  a  une  emphase 
visible  dans  ce  «  praecedebai  »  'iTvopeOexo  iy.- 
TcpoorQev),  qui  rappelle  une  phrase  plus  significa- 
tive encore  de  S.  Marc,  x,  32.  Jesus  s'est  mn 


332 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


29.  El  il  advint,  lorsqu'il  appro- 
chait  de  Belhphage  et  de  Belhanie, 
pres  de  la  montagne  qui  est  appelee 
des  Oliviers,  qu'il  envoya  deux  de 
ses  disciples, 

30.  Disant :  Allez  au  village  qui 


29.  EL  factum  est,  cum  appropin- 
quasset  ad  Bethphage  et  Betha- 
uiam,  ad  montem  qui  vocatur  Oli- 
veli,  misit  duos  discipulos  suos, 

Mauh.21,  ^•,  Marc.  H,  1. 

30.  Dicens  :   He   in    castellum, 


en  t6te  du  cortege  nombreux  qui  I'accom- 
pagne,  el,  bien  qu'il  sache  ce  qui  I'allend,  il 
s'avance  vaillammenl,  a  la  fagon  d'un  chef 
que  rien  n'cffi  ale.  —  Ascendens  est  ici  d'une 
reaiile  plus  parfaile  que  jamais ,  car  on 
monte  perpetuelk'menl(d'enviion  3500  pieds) 
pour  aller  de  Jericho  a  Jerusalem.  Voyez, 
dans  I'Allas  de  la  Bible  de  M.  Riess,  les  pro- 
fils  de  la  planche  VII.  Roule  lugubre  et  de- 
solee,  qui  traverse  un  des  plus  affreux  deserts 
qui  soient  au  moiide  (Cfr.  x,  25  el  ss.  el  i'ex- 
plicalion).  Pour  le  moment  du  moins ,  elle 
menait  Jesus  a  un  triomphe. 

TROISlfeME  PARTIE 

VIB    SOUFFRANTE    ET    GLORIEUSE    DE     JESUS. 
XIX,   29-XXlV,    53. 

Voypz  le  recent  el  instruclif  opuscule  du 
Rev.  W  J.  Walsh,  Harmony  of  the  Gospel 
narratives  of  the  Passion,  Rosurrection  and 
Ascension  of  our  blessed  Lord  from  iheVulgale, 
with  english  notes,  Dublin  1879. 

Compare  aux  deux  aulres  synoptiques  pour 
celte  Iroisieme  et  derniere  parlie  de  son  Evan- 
gile,  S.  Luc  est  en  general  moins  complet, 
moins  precis:  il  abrege,  el  omet  par  consequent 
beaucoup  de  details.  Mais,  d'autre  pari,  nous 
trouverons  de  lemps  en  temps  et  jusqu'a  la 
fin  dans  son  recil  de  ces  particularites  pre- 
cieuses  auxquelles  il  nous  a  habitues  des  le 
principe. 

1.  Entree   solenneUe   du  Messie   dans  sa 

capitals,  xix,  29-54. 
Parall.  Matth.  xxi,  1-11;  Marc,  x:,  1-11;  Joan,  xii,  12-19. 

La  foule  qui  se  pressait  aulour  de  Jesus  a 
Jericho  n'avait  pas  completoinent  tort  (t.  11)  : 
le  royaume  di;  Christ  allait  se  manifester 
sans  retard.  Mais,  dans  le  plan  divin,  ce  ne 
devail  etre  la  qu'une  investiture  temporaire 
et  locale,  qui  ne  concernait  directement  que 
le  pniple  theocralique.  II  faut  attendm  la  rin 
du  monde  pour  voir  briilor  dans  toute  sa 
splendeur  le  regne  univorscl  de  Jesus.  La 
scen(!  qui  va  se  passer  a  Jerusalem  sera  toule- 
fois  un  type  de  celle  qui  aura  lieu  aux  der- 
niers  jours.  —  Voyez,  pour  I'pxplication  de- 
laillee,  les  Evangili's  selon  S.  Matth.  (p.  398 
el  ss.)  et  selon  S.  Marc  (p.  158  et  ss.).  C'est 
de  S.  Marc  que  noire  evangeliste  se  rap- 
proche  le  plus.  ^ 


1<>  Prdparalifs  du  triomplie.  }y.  29-35. 

29.  —  Et  factum  est...  Nous  devons  inler- 
caler  ici,  d'apres  la  suite  chronologique  des 
dvenempnls  un  piHil  sejour  deNotre-Scigneur 
a  Belhanie.  Voyez  I'Harmonie  evangelique,  et 
Joan.  xii.  1-19.  —  Ad  Bethphage  et  Betha- 
niam.  Sur  Bethphage,  comp.  Matth.  xxi  et  le 
commeiitairp.    D'apres   Caspari,  Chronolog.- 
geograph.  Einleilung  in  das  Leb-n  J.  C.,1869, 
p.  1 6 1  et  s.,  ce  n'eui  pas  ele  un  village,  mais 
un  district,  qui  aurait  embrasse  tout  le  lerri- 
toire  compris  enire  la  muraille  orientale  de 
Jerusalem  el  Belhanie,  y  comf)ris  cetle  der- 
niere localite.  Porter,  Handbook  for  Syria  a. 
Paleslina,  p.  215,  fail  de  Belhanie  el  de  Beth- 
phage deux  quarliers  d'un  m6ine  village.  Ces 
hypotheses  ne  sonl  pas  fondees.   Cfr.  Hug, 
Einleii.  in's  N.  T.  4e  ed.  1. 1,  p.  16  et  s.  Quoi- 
que  S.  Luc  el  S.  Marc  m  nlionnpnl  Belhphage 
a vant  Belhanie,  il  resulledes  r^cils  compares 
de  S.  Matlhieu  el  de  S  Jean  que  Bethphage 
elail  plus  rapproche  de  Jerusalem,  puisque 
Jesus,  allanl  de  Belhanie  a  la  capitale  juive, 
Irouva    celle    localite    sur  sa    roule.    Mais 
cornme,   d'une  pari,  S.  Luc  abrege,  et  que, 
d'autre  part,  les  deux  villages  etaienl  tr6s 
peu  disianls  I'un  de  I'autre.  cetle  maniere  de 
parler    n'a    rien  de    foncierement    inexact. 
Voyez  Bocharl,  I,  I.  p.  209.  elSepp.  Jerusalem 
u.  das  h.  Land,  1869,  t.  I,  p.  579  (Robinson, 
P.ilaesiina,  t.  II,  \),  302,  place  au  coniraire 
Belhphage  a  I'E.  de  Belhanie).  —  Ad  mon- 
tem... Oliceti.  Bonne  traduction,  car  il  faut 
lire  dans  le  texte   grec  ^Xattiv  (au  nominal, 
sing.,   bois  d'oliviers,  «  olivelum   »)  et  non 
£),atwv  (genii,  plur.  de  IXa£a,  les  oliviers).  La 
colline  qui  s'eleve  a  I'Orient  de  Jerusalem  est 
du    resle    appelee    par    I'historien    Josephe 
couime   par    le  Nouv^au   Tesiamenl    laiilot 
opoi;  ToJv  e>.aiu)v,  «   mons  olivarum  »,  laulot 
((juoique     plus     frequemment)    opo;  £),atwv, 
«  moiis  Oliveli  ».Bienqu'elle  soil  aujourd'hui 
en  gratirie  parlie  denudee,  elle  merile  pour- 
tanl  encore  son  nom  (Caspari,  I.  c). 

30  el  31 .  —  Le  Messie  donne  lui-meme  des 
ordres  en  vue  de  sa  marche  triompliale.  II 
ne  songe  plus  a  se  soustraire  aux  honneurs 
comme  autrefois,  cai'  ihinire  maiquee  par  la 
Providence  a  sonne.  —  Inveuietis  ptillum 
aninw.  Ce  dernier  mot  a  ele  ajouie  par  la 
Vulgate,  comme  un  determinaiif  de  ir(i).o«, 
qui  convienl  aussi  bien  au  petit  du  cheval 


quod  contra  est :  in  quod  introeuu- 
tes,  invenietis  pullum  asinse  alliga- 
tum,  cui  nemo  unquam  hominum 
sedit  :  solvite  ilium,  et  adducite. 

31 .  Et  si  quis  vos  interrogaverit : 
Quare  solvitis?  sic  dicetis  ei  :  Quia 
Dominus  operam  ejus  desiderat. 


32.  Abierunt  autem  qui  missi 
erant  :  et  invenerunt,  sicut  dixit 
illis,  stantem  pullum. 

33.  Solvenlibus  autem  illis  pul- 
lum, dixerunt  domini  ejus  ad  illos  : 
Quid  solvitis  pullum? 

34.  At  illi  dixerunt :  Quia  Domi- 
nus eum  necessarium  habet. 

35.  Et  duxerunt  ilium  ad  Jesum. 
Et  jactantes  vestimenta  sua  supra 
pullum,  imposuerunt  Jesum. 

Joan.  12,  14. 

36.  Eunte  autem  illo,  substerne- 
bant  vestimenta  sua  in  via. 

37.  Et  cum  appropinquaret  jam 
ad  descensum  montis  Oliveli,  coepe- 


CHAPITRE  XIX  333 

est  1^  devant;  en  y  entrant  vous 
trouverez  un  dnon  attache  sur  lequel 
jamais  aucun  homme  ne  s'est  assis; 
deliez-le  et  amenez-le. 

31  .Etsi  quelqu'unvous  demande 
Pourquoi  le  deliez-vous?  vous  re- 
pondrez  ainsi   :  Parce  que  le  Sei- 
gneur desire  s'en  servir. 

32.  Et  ceux  qui  etaient  envoyes 
s'en  allerent,et  ilstrouverenti'dnon, 
comme  il  leur  avait  dit. 

33.  Et  comme  ils  doliaientTdnon, 
ses  maitres  leur  dirent  :  Pourquoi 
delieZ'Vous  I'anon? 

34.  Et  ils  dirent  :  Parce  que  le 
Seigneur  en  a  besoin. 

35.  Et  ils  le  conduisirent  a  Jesus, 
et  jetantleurs  vStements  sur  I'dnon, 
ils  placerent  Jesus  dessus. 


36.  Et  tandis  qu'il  allait,  ils  eten- 
daient  leurs  vStements  sur  le  che- 
min. 

37.  Et  comme  il  approchait  de  la 
descente  du  mont  des  Oliviers,  lous 


qu'a  celui  de  I'ane.  S.  Luc,  comme  S.  Marc, 
parle  seulement  de  I'anon.  Cfr.  Mallh.  xxi,  2. 

—  Cui  nemo...  sedit.  De  in^me  le  second 
evangelisle  (a  pari  remphalique  unquam,  qui 
est  propre  a  S.  Luc),  —  Dominus  [\e  SiMgneur 
par  anlonomase,  le  roiMessie)  operam  ejus  de- 
siderat.La  phrase  est  idenlique  dansles  Irois 
recils  d'apres  lo  lexle  grec  :  6  KOpto;  auToO 
(Malth.  aCiTwv)  xpei'av  ly^Ei,  le  Seigneur  en  a 
t)esoin  ;  mai-  la  Vulgate  I'a  traduile  de  irois 
diffep^nles  manieres  (Cfr.  Mallh.  el  Marc), 
ici  d'linp  inaniero  moins  hrureuse. 

32-34.  —  Au  t.  32,  les  mols  stantem -pul- 
lum, qui  manquent  dans  lous  les  manuscrits 
grecs  el  dans  la  version  syrienne,  sonlpro- 
bablemenl  un  gloss6me.  —  Soliieutibus  autem 
illis...  S.  Luc  e.-t  seul  a  dire  qun  ce  ful  au 
moment  m^me  ou  les  envoyes  de  Jesus  de- 
liaienl  I'anon  qu'ils  regurenl  los  observations 
des  proprietaires  [domini  ejus;  S.  Marc  est 
moi:is  precis:  c  quidam  de  hie  stantibus  »). 

—  Quid  suloitis,  pour  «  quare  solvitis  », 
t.  31  (xt  au  lieu  de  StaxQ.  —  Dominus  eum 
necessarium  habet  (dans  le  texte  grec,  les 
motssoiit  les  memes  qu'au  1;.  31).  Seul  encore 
S.  Luc  cite  directemenl  la  reponse  des  deux 
apoires. 

35.  —  Les  disciples  ornent  I'humble  mon- 
lure  pour  la  rendre  moins  indigne  de  Jesus.  — 


Jactantes.  L'expression  correlalive  du  t  xte 
primitif,  impp\.^a.v:E(,  (ayanl  jete  dessus),  nese 
trouve  qii'ici  et  I  Petr.  v,  7.  S.  Matlhieu  em- 
ploie  eiriOrivcav,  S.  Marc  eTitSaXXoudiv  :  nuances 
utiles  a  noter. 

2°  La  marche  triomphale.  ff.  36-54. 

Apres  quelques  trails  rapides  sur  cette 
marche  polennelle  du  Messie  vers  sa  capitale, 
tt.  36-38,  S.  Luc  releve  deux  episodes  ca- 
raderistiques,  tf.  39  el  40,  41-44,  qu'on 
renconlre  uniqueinenl  dans  sa  iianaiion. 

36.  —  Eunte  illo.  Des  que  la  proces- 
sion s'ebranla.  —  Substernebant.  Le  verbe 
grec  vire<7Tpwvvuov  n'apparait  qu'en  cet  en- 
droit  du  N.  T.  II  est  plus  pitloresque  que  le 
simple  Iffxptoffav  di>S.  Matlhieu  el  de  S.  Marc. 
Reinarquez  I'emploi  de  I'imparfail,  qui  in- 
dique  un  acte  conslammenl  n  nonvele  au  Cur 
el  a  niesure  que  Jesus  avangiiit.  —  Vesti- 
menta sua  in  via  :  et,  avec  leurs  vel(  menls, 
(les  branches  qu'ils  coupaieiit  aux  arbre- 
planli^s  le  long  du  clicmin  (Cfr.  S.  Mallh.  et 
S.  Marc). 

37.  —  Cum  appropinquaret  jam  ad  des- 
censum (itpo;  T^  xaxaSaffet,  expression  tech- 
ni{]ue,  qui  n'rst  pas  employee  ailleurs  dans 
le  N.  T.)...  Precieuse  note  lopographique,  spe- 
ciale  ciS.  Luc.  «  Troischeminsconduisent  do 


334 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


les  disciples  en  foule  commencerent 
plains  de  joie  a  louer  Dieu  a  haute 
voix  pour  tons  les  prodiges  qu'ils 
avaient  vus, 

38.  Disant :  Beni  soit  le  roi  qui 
vient  au  nom  du  Seigneur!  Paix 
dans  le  ciel  et  gloire  dans  les  hau- 
teurs. 

39.  Et  quelques  Pharisiens  dans 
la  foule  lui  dirent  :  Maitre,  repri- 
mandezvos  disciples. 


runt  omnes  turbee  discipulorum 
gaudentes  laudare  Deum  voce  ma- 
gna super  omnibus,  quas  viderant, 
virtutibus, 

38.  Dicentes  :  Benedictus  qui 
venit  rex  in  nomine  Domine;  pax 
in  coeio,  et  gloria  in  excelsis. 

39.  Et  quidam  Pharisseorum  de 
turbis,  dixerunt  ad  ilium  :  Magis- 
ter,  increpa  discipulos  tuos. 


Bethanie  a  Jerusalem.  L'un  d'eux  se  glisse 
entre  les  pointes  septenlrionale  et  cenirale 
du  moiil  des  Oliviers;  un  autre  graviL  sa 
cime  la  plus  elevee,  pour  descendre  ensuite 
en  traversant  le  village  moderne  d'Et-Toiir ; 
le  troisieme,  qui  est  el  doit  loujours  avoir  el^ 
la  route  proprement  dile,  conlourne  la  masse 
du  centre,  passant  entre  elle  et  le  mont  du 
Scandale.  Les  deux  autres  sent  plutol  des 
sentiers  de  montagne  que  de  vrais  chemins, 
et,  comme  Jesus  etait  accompagne  d'un  si 
grand  nombre  de  disciples,  il  est  clair  qu'il 
dut  prendre  cette  route,  la  plus  commode 
des  trois,  »  Farrar,  Life  of  Christ,  23e  ed., 
t.  II,  p.  195  et  s.  Voyez  R.  Riess,  Atlas  de  la 
Bible,  pi.  VL  Cest  done  au  moment  ou  le 
cortege,  apres  avoir  franchi  le  vcrsanl  oriental 
du  mont  des  Oliviers,  arrivait  h  I'endroit  oil 
!e  cheinin  debouche  tout  k  coup  sur  le  Qanc 
occidental,  que  les  acclamations  de  la  foule 
commencerenl.  La  en  efifet,  la  ville,  aupara- 
vant  cacliee  par  la  cime  de  la  colline,  appa- 
raissait  subitemenl  dans  touts  sa  splendour. 
Si,  maintenant  qu'elle  n'esl  plus  qu'un  pale 
reflet  de  son  ancienne  bcaule,  elle  presente 
encore  de  ce  lieu  aux  regards  du  pelerin  un 
magnifique  panorama,  qu'il  lui  est  impossible 
de  jamais  oublier,  que  n'elait-ce  pas  dans  ces 
temps,  oil  on  la  regardait  a  juste  titre  comme 
une  drs  merv^illes  du  monde  (Tacite,  Hist. 
V,  8)?  Le  temple  surtout  se  montrait  de  ia 
tout  rayonnani  de  grace.  Voyez  I'Evang. 
selon  S.  Matih.  p.  434;  Porter,  Handbook  fur 
Syria  and  Palestine,  p.  138.  On  congoit  done 
qu'en  face  de  cespixtacle  admirable,  rehausse 
a  celle  epoque  de  I'annee  par  les  charmes  du 
printemps,  qu'en  face  de  la  capi  tale  etdu  palais 
du  Messie,  Tenthousiasme  de  la  multitude  qui 
escoriail  Jesus  n'ait  pu  se  contenir.  —  Omnis 
turba  discipulorum  :  des  disciples  dans  le 
sens  le  plus  large  de  celte  expression.  — . 
Coeperunt  laudare  (alvetv,  un  des  ra  Us  que 
S.  Luc  et  S.  Paul  sent  seuls  a  employer;  Deum... 
Ce  trail,  propre  au  troisieme  Evangile,  fait 
deja  ressorlir  d'une  maniere  generale  le  ca- 
ractere  religieux  de  celte  belle  manifestation 


populaire.  —  Voce  magna  est  pittoresque. 
«  Clamabant  »,  disent  S.  Matihieu  et  S.  Marc. 
—  Super  omnibus...  virtutibus  (SuviixEwv. 
Voyez  I'Evang.  selon  S.  Matth.  p.  151) :  c'esl- 
^-dire,  a  propos  des  nombreux  miracles  du 
Sauveur  dont  ils  avaienl  ete  temoins,  mais 
specialemeut ,  ajoute  S.  Jean,  xii,  17,  a 
propos  de  la  resurrection  de  Lazare. 

38.  —  Dicentes.  Les  acclamations  du 
peuple,  d'abord  conformes  dans  noire  Evan- 
gile a  celles  des  autres  synoptiques  (hormis 
I'addition  de  rex,  qui  correspond  toulefois  h 
une  idee  analogue  de  S.  Marc,  xi,  1 0),  prennent 
ensuite  un  caractere  particulier  :  Pax  inccelo 
et  gloria  in  altissimis  (au  lieu  de  wsawi  iv 
ToTi;  u»}/(oToi;  de  S.  Matth.  et  de  S.  Marc).  On 
croirait  entendre  un  echo  du  canlique  des 
anges,  ii,  14.  «  Pax  in  coelo  »  :  le  ciel  est  en 
paix  avec  nous,  grAce  a  la  mediation,  a  I'o- 
blation  volontaire  du  Christ.  Gfr.  Rom.  v,  1 ; 
Col.  I,  20;  II,  14.  15. 

39.  —  «  La  brievete  relative  de  la  descrip- 
tion de  S.  Luc  est  plus  quo  compensee  par 
I'interet  des  deux  narrations  qui  suivenl  » 
(Cfr^tt.  41  et  ss.),  Plumptre,  h.  I.  Elles  fu- 
rent  sans  doute  fournies  a  I'evangeliste  par 
les  documents  qu'il  avail  reunis  avec  tant  de 
soin.  La  premiere,  qui  contient  un  dialogue 
rapide  de  Jesus  avec  les  Pharisiens,  a  quel- 
que  analogic  avec  un  fait  relate  par  le  pre- 
mier Evangile,  xxi,  15  et  16.  —  Quidam 
Pliarisaorumde  turbis.  Parlout  nous  trouvons 
ces  eiinemis  du  Sauveur.  Les  voilk  deja  re- 
pandus  parmi  les  rangs  de  la  foule  qui 
honore  Jesus  comme  le  Messie.  —  Magister 
(equivalent  de  Rabbi)  :  dern^re  ce  titre  res- 
pectueux,  qu'ils  lui  donnaient  de  temps  a 
autre  (Cfr.  x,  25,  etc.),  ils  dissimulent  mal 
leur  envie,  leur  meconlentement.  —  Increpa 
discipulos  luos.  «  Vous  n'enlcnlez  done  pas 
ce  qu'ils  disent!  Par  quelque  reprimande  se- 
vere, arretez  au  plus  lot  leurs  blasphemes  ». 
Pour  ces  incredules,  le  langage  des  disciples 
etait  en  cflfel  blasphdmatoire  et  ils  rendaient 
le  Maiire  responsable  de  la  conduite  des 
siens. 


CHAPITRE  XIX 


335 


40.  Quihus  ipse  ait  :  Dico  vobis, 
quia  si  hi  tacuerint,  lapides  clama- 
bunt. 

41.  Et  ut  appropinquavit,  videns 
civitatem  flevit  super  illam,  dicens: 

42.  Quia  si  cognovisses  et  tu, 
et  quidem  iu  liac  die  tua,  quae  ad 
pacem  tibi ;  nunc  autem  abscon- 
aita  sunt  ab  oculis  tuis. 

43.  Quia  venient  dies  in  te :  et  cir- 
cumdabunt  te  inimici  tui  vallo,  et 
circumdabunt  te,  et  coangustabunt 
te  undique, 

Malth.  24,  2;  Marc.  13,  2;  In  ft:  20,  6. 


40.  II  leur  repondit :  Je  vous  dis 
que  s'ils  se  taiseut  les  pierres  crie- 
ront. 

4 1 .  Et  lorsqu'il  fut  proche,  voyant 
la  ville  il  pleura  sur  elle,  disant : 

42.  Ah!  si  tu  connaissais,  toi 
aussi,  au  moins  en  ce  jour  qui  est 
encore  a  toi,  ce  qui  te  donnerait  la 
paix  !  mais  maintenant  c'est  cache 
a  tes  yeux. 

43.  Gar  des  jours  viendront  sur 
toi  oil  tes  ennemis  t'environneront 
de  tranchees  et  t'enfermeront  et  te 
serreront  de^toutes  parts, 


40.  —  Qaibiis  ipxe  ait  (dans  le  grec ,  xal 
iTioxpiOeii;  elTtev  auToT;).  Grave  el  sublime  re- 
ponse  de  Je?us.  Non-s-ulement  il  accepte  les 
homraages  qu'on  lui  rend,  mais  il  affiime  avec 
une  majesle  digue  du  Messie  [dico  vobis),  et 
en  employanl  une  locution  proverbiaU^  em- 
prunt^e  peul-6lre  a  la  prophetie  d'Habacuc 
(II,  11),  que,  si  les  homraes  ces-^aienl  de  I'ac- 
claraer,  les  pierres  raemes  devraient  le  faire. 
C'etait  dire  :  «  Vox  popuii,  vox  Dei!  »  G'e- 
tait  reconnaitre  lui  meme  Ires  explicilement 
sa  dignite  me>sianiqui^.  Sur  une  expression 
semblable  de  Virgile,  Eel.  v,  28  («  montosque 
feri  sylvaeiiue  ciamabunl  »),  Servius  a  ecril  ce 
juste  coinmeniaire  ;  «  Hyprrbolic  ■  diclum, 
quum  res  hujusmodi  est  ul  nulla  ralione 
celari  aut  occulta  manere  possit.  »  Cfr.  Ovide, 
Metam.  ii,  697,  et,  dans  le  Talmud,  le  traite 
Cliagigah,  f.  16,  1  :  «  Ne  dicas,  Quis  testa- 
bitur  contra  mo?  Lapides  domus  ejus  et  ira- 
bes  domus  hominis  illius  teslabuntur  contra 
eum.  » 

41.  —  Et  lit  appropinquavit.  Quand  il  fut 
parvenu  a  son  lour  au  lieu  decrit  plus  haul, 
f.  37.  —  Fleoit  super  earn.  C'est  a  bon  droit 
qu'on  a  regarde  celte  scene  touchanle  comme 
«  un  des  joyaux  de  noire  Evangile  »  (Godet). 
En  contemplant  Jerusalem,  Jesus  en  embrassa 
toute  I'hisloire  pas^ee,  presenle  et  future  : 
histoire  du  divin  amour  qui  setail  manifeste 
avec  des  lendresscs  sans  pareilles,  hisloire 
de  ringralitude  humaine  podssee  a  son  com- 
ble,  histoire  des  veng.'ances  celestes  les  plus 
terribles.  Ce  doulouieux  tableau  excita  en  lui 
une  vive  emotion,  k  laquelle  il  donne  un  libro 
cours  au  plus  beau  moment  de  son  iriomphe! 
Deux  fois  seulement  nous  lisons  dans  sa  vie 
qu'd  pleura,  ici  et  avant  de  ressusciter 
Lazare,  sur  son  ingrate  patrie  etsur  I'ami  de 
son  cceur.  Mais  1^  il  n'eiait  question  que  de 
larmes  silencieuses,  ISaxpuaev  (Joan,  xi,  35), 
tandjs  qu'ici  il  pleura  a  baule  voix  et  san- 


glote,  |y.Xa\j(jev.  Qu'il  est  beau  et  divin,  le 
Fils  de  Dieu  pleurant!  Et  loutefois  S.  Epi- 
pliane  raconte  qu'il  s'etail  trouve  de  son 
temps  des  hommes  qui,  Irouvanl  ce  trait  in- 
digne  de  Jesus,  I'avaienl  relraiiclie  d'un  main 
aussi  brulale  qu'ininlelligenle.  Cfr.  D.  Cal- 
met.  h.  I. 

42.  —  Jesus  va  moliver  ses  pleurs.  II  gd- 
mit  sur  I'eiidurcissemont  de  sa  chere  patrie 
et  sur  les  maux  affreux  qui  en  seronl  la  con- 
sequence inevitable  :  Quia  (recilatif)  si  cogno- 
visses et  tu...  Toi  aussi  (avec  emphase), 
comme  mes  disciples  fideles.  La  repetition 
frequenle  des  pronoms  <nj,  oou,  ere,  ctoi  dans 
les  ft.  42-44  (qualcrze  fois!)  est  du  plus  bel 
effet.  —  Et  quidem  (la  particule  xal  ys.  a  ete 
omise  a  tort  par  les  manuscrits  B,  L,  Sin.  : 
elle  est  ici  Ires  expres>ive)  in  hac  die  tua. 
Chaque  mot  porte.  Ce  jour- la  avail  encore 
ete  donne  a  Jerusalem  pour  se  repentir  et 
pour  croire  a  Jesus  :  mais  c'etait  un  jour  de- 
cisif.  —  Quce  ad  pacem  tibi  (Cfr.  xiv,  32)  • 
c'est-a-dire  les  conditions  auxquelles  Dieu 
est  dispo-e  a  t'accorder  la  paix,  le  salut. 
Peut-eire  y  a-t-il  dans  ces  mots  une  parono- 
inasc,  par  laquelle  le  Sauveur  jouerait,  -^uivant 
un  usage  aiine  des  Orientaux,  sur  le  nora  de 
Jerusalem  (lieu  ou  vision  de  la  paix).  —  Nunc 
autem...  La  phrase  qui  precedi'  n'est  pas 
achevee,  comme  le  notail  deja  Eulhymius  : 
«  Defeclivus  est  sermo.  Solent  eiiim  flentes, 
continue-t-il  en  indiquant  Ires  bien  la  raison 
de  celte  aposiopese,  verba  prse  affectus  vehe- 
nientia  abrumpere.  »  On  la  completerait  en 
en  ajoutant  :  «  Longe  aliler  te  gereres  », 
ou  quelque  autre  idee  analogue.  Par  ce 
vOv  6e  plein  d'empliasc,  Jesus  laisse  done 
tout  a  coup,  pour  revenir  a  la  triste  rea- 
lite,  ce  bel  id^al  qu'il  avail  un  instant  con- 
templd,  —  Abscondita  sunt  (scil.  «  quae  ad 
pacem  tibi  »)  ab  orulis  tuts.  Aveuglement  tout 
a  fait  volontaire  de  la  part  de  Jerusalem  : 


336 

44.  Et  renverseront  par  terre  toi 
et  tes  enfanls  qui  sont  au  milieu  de 
toi,  et  ils  ne  laisseront  pas  en  toi 
pierre  sur  pierre,  parce  que  tu  n'as 
pas  connu  le  lemps  oij  tu  as  ete 
visitee. 

45.  Et  etant  entre  dans  le  temple, 
il  commenca  k  chasser  ceux  qui  y 
vendaient  et  y  achetaient, 

46.  Leur  disant :  II  est  ecrit :  Ma 
maison  est  une  maison  de  priere, 
mais  vous  en  avez  fait  une  caverne 
de  voleurs. 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 

44.  Et  ad  terram  prosternent  te, 
et  filios  tuos,  qui  in  te  sunt,  et  non 
relinquent  in  te  lapidem  super  lapi- 
dem,  eo  quod  non  cognoveris  tem- 
pus  visitationis  tuse. 

Matlh.  21,  12;  Marc.  U,  15. 

45.  Etingressus  intemplura.  coe- 
pit  ejicere  vendentes  in  illo,  el 
ementes, 

Matlh.  17, 19. 

46.  Dicens  illis :  Scriptum  est  : 
Quia  domus  mea  domus  orationis 
est.  Vos  autem  fecisti  illam  spelun- 
cam  latronum. 

Isaie.  56,  7;  Jerem.  7,  11. 


elle  a  d'elle-meme  lerine  les  yeux  a  la  lumiere 
(comparez  la  fin  du  t.  44). 

43  et  44.  —  Descri|jiion  magnifique  et 
douloureuse  tout  ensemble.  La  plupart  des 
expressions  du  lexte  grec  sont  techniques, 
lout  a  fait  noble.-^,  et  propres  au  troisieme 
Evangile.  —  Quia  (ici,  «  elenim  »).  Jesus 
passe  aux  affreux  chcilimenls  que  Jerusalem 
atlirera  sur  elle  par  uneconduile  si  coupable. 

—  Venient,  mis  adessein  en  tele  de  la  piirase, 
indique  la  certitude  des  malheurs  prophelises. 

—  1)1  te  :  mieux  «  super  te  »  (eut  az).  —  Et 
circumdabunt  ^7vepi6a),o0ffiv).  Chacun  des  hor- 
ribles deiails  lour  a  tour  signales  par  Jesus 
est  introduit  d'une  maniere  emphalique  par 
la  conjonclion  xai,  qui  les  met  li  ijloment  en 
relief.  —  Vnllo  (xapaxa).  Nous  prenons  x«P«S 
dans  le  sens  large,  comme  representant !'« ag- 
ger »  tout  enlier,  c'est-k-dire  le  relranche- 
mtnt  ou  rempari  artificiel  destine  soil  a  pro- 
teger  un  camp,  soil  a  mveslir  une  ville. «  C'e- 
tail  ordinairemenl  une  vasle  levee  de  terre, 
surmontee  de  palissades  («  vallum  »  dans  le 
sens  strict)  et  proiegee  exterieuremenl  par 
une  tranchee  (fossa).  »  A.  Rich,  Diclionn.  des 
antlq.  rom.  et  grecq.,  aux  mots  Agger  et 
Vallum.  —  Et  circumdabunt  te  :  cetle  fois, 
dans  le  grec,  7tepticux)-u)(7ouat  at,  «  circumcin- 
gent  ».  Les  Juifs,  dans  une  habile  sortie, 
ayant  incendie  le  «  vallum  »  que  les  Ro- 
mains  avaient  elabli  aiitour  de  Jerusalem, 
Titus  en  construisil  rapidement  un  second, 
raais  en  maQonnerie,  qui  n'avait  rien  a  crain- 
dre  du  feu.  —  Coangustabunt  te  (duve^oviaC  oe) 
undique.  Accumulalion  energique  de  syno- 
nymes.  Mais  ce  ne  sont  pas  de  vaines  pa- 
roles. La  circonference  ili-  Jerusalem  etail  de 
33  slades  :  le  retranchement  de  Titus  n'en 
avail  que  39.  —  Ad  terram,  prosternent  (eSa- 
9io0a(,  de  ISaqjo;,  sol,  terre)  te  et  filios  tuos  in 
te.  Image  d'une  ruine  univer?elle.  La  ville 


sera  rasee ;  ses  ills  (ses  habilanls,  par  raelo- 
nymie)  seront  massacres  sans  pilie.  —  Non 
relinquent  in  te..,  Voyez  Matlh.  xxiv,  2,  oil 
J^sus  lance  en  particulier  cetle  sombre  pro- 
phelie  centre  le  temple.  El  tout  s'est  realise 
k  la  leltre!  Comparez  Josephe,  de  Bell.  Jud. 
VII,  1,  1.  Aussi,  un  jour  quo  Frederic-le- 
Grand  demandail  h  Gellert  ce  qu'il  pensait 
du  Christ,  ce  celebre  professeur  se  contenla 
de  lui  repondre  :  Que  pense  Voire  Majesle  de 
la  destruction  de  Jerusalem?  (Slu  r,  Reden 
des  Herrn  Jesu,  h.  I.).  —  Eo  quod  (av6'  »v) 
non  cognovisti...  iesus,  termine  comme  il  avail 
commence  [t-  42),  en  reproclianl  a  la  cite 
juive  son  iriste  aveuglement.  Le  tempus  visi- 
talionis  qu'elle  a  meconnu  n'esl  autre  que  le 
cemps  de  la  vie  publique  du  Sauveur,  durant 
lequel  elle  avail  regu  de  lui  lanl  de  visiles 
pacifiques  Sur  le  mot «  visilatio  *  voyez  i,  68 
et  le  commenlaire). 

2.  J6SU.S  rdgnant  en  Messie  dans  le  temple. 

XIX,  43-xxi,  4. 

Le  triomphe  de  Jesus  continue,  mais  sous 
une  autre  forme.  Deux  jours  durant,  le  lundi 
et  le  mardi  de  la  semaine  sainle,  nous  le 
voyons  manifesler  en  face  de  ses  enneinis  son 
autorile  missianique,  par  les  acles  d'abord, 
puis  par  la  parole.  C'est  vraimenl  un  roi  qui 
trone  dans  son  palais. 

!•  Expulsion  des  vendeurs.  xix,  45-48.   —  Parall. 
Malth.  XXI.  12-13;  Marc,   xi,  13-17. 

45  et  46.  —  Voyez  nos  commeni aires  sur 
les  deux  premiers  Evangile?.  S.  Luc  ne  fail 
guere  que  loucher  cl  cetle  majeslueu-^e  action 
de  Jesus.  —  litgressus  in  temphim.  C'eiaiU 
comme  le  note  expre>semenl  S.  Marc,  xi,  12 
et  ss.,  le  lendemain  de  I'enlree  solennelle  a 
Jeiusalem.  —  Vendentes  et  ementes.  Ces  deux 
derniers  mots  sont  omis  par  Tischendorf,  sur 


CHAPITRE  XX 


337 


47.  Et  erat  docens  quolidie  in 
templo.  Principes  aiUem  sacerdo- 
tum  et  scribse  et  principes  plebis 
quaerebant  ilium  perdere. 

48.  Et  non  inveniebant  quid  face- 
rent  illi.  Omnis  enim  populus  sus- 
pensus  erat,  audiens  ilium. 


47.  Et  il  enseignait  tous  les  joiirs 
dans  le  temple.  Mais  les  princes  des 
prelres  et  les  scribes  et  les  princi- 
paiix  du  peuple  cherchaient  a  le 
perdre. 

48.  Et  ils  ne  trouvaient  pas  ce 
qu'ils  pourraientlui  faire,  car  tout  le 
peuple  elait  transporteen  recoutant. 


CIIAPITRE    XX 

Les  Sanhedri-tes  interrogent  Notre-Seignenr  sur  I'origine  de  sps  pouvoirs  (tt.  1-8).  — 
Parabole  des  vignerons  rebelles  {tt.  9-19).  —  Qiieslion  relative  a  I'lmpoi  (tt.  20-26). 
—  Les  Saddiicee'ns  defails  a  leur  lour  (tt.  27-40).  —  David  et  le  Me^^sie  [ft.  41-44).  — 
Jesus  denonce  les  vices  des  Scribes  [t1f.  45-47). 


1.  Et  factum  est  in  una  dierum, 
docente  illo  populum  in  templo,  et 


1.  Et  il  advint  qu'un  de  ces  jours- 
Ik,  comme  il  enseignait  et  evangeli- 


t'auloriie  des  raanuscrits  B,  L,  Sin.,  elc.  C'e- 
tail  la  seconde  fois  que  Jesus  chassait  des 
sacres  parvis  les  gro>siers  usurpaleurs  qui 
les  prolanaient  avec  la  tolerance  el  inenie  la 
compiicile  (li'S  prelres.  Cfr.  Joan,  ii,  14  etss. 
—  Vos  fecistis  illam  spehtncam  latiwnim. 
Cinquantc  ans  apres,  la  inaisoii  de  Dieu  allail 
devenir  dans  un  sens  encore  plus  desolanl  un 
repaire  horrible  de  bandils.  Parlanl  des  atro- 
cites  conimises  par  les  «  sicaires  »  dans  I'in- 
terieur  du  lemple,  Ananus  s'ccriait  :  «  II  eul 
ele  bon  pour  inoi  de  mourir  avanl  de  voir  le 
sancluaire  souille  par  de  Idles  abomina- 
tions, ces  lieux  sacres  liorriblement  pielines 
par  des  scelerals  sanguinaires.  »  Jos.  Bell. 
Jud.  IV,  3,  10. 

2"  Description  g^n^rale  du  ministJre  de  J^sus  dans 
le  temple  peiid;int  ces  deiniers  jours,  ux,  47  et 
48.  —  Parall.  Marc,  xi,  18. 

Beau  tableau,  vigoureusement  trace,  A 
Tavanl-scene,  Jesus  qui  emploie  les  demieres 
heures  de  sa  vie  a  instruire  le  p^i'ple:  aniour 
de  lui,  son  audiloire  clianne;  dans  roinbre, 
par  derriere,  ses  ennemis  furieux  qui  com- 
plotenl  sa  moil.  La  plupart  des  trails  sonl 
propres  a  S.  Luc. 

47.  —  Et  erat  docens.  Tnurnure  qui  ex- 
prime  la  coniinuile;  elle  est  cornplolee  du 
resle  par  i'advibe  quolidie  (dans  ii-  grec, 
TO  y.aO'  :fiM.epav,  jour  i)ar  jour).  —  A  cetle  phy- 
sionomie  celeste  de  Jesus  enseignanl,  le  nar- 
raleiir  oppose  les  conciliabules  de  liaine  que 
lipiinenl  s  s  cruels  eniiiniis.  Les  mols  yjrui- 
£i])es  sarerdutnm  el  scribw  et  principes  plebis 


(oi  TipwToiToy  >,aou,  «  primores  plebis  «,  Jes 
notables)  represenlenl  les  trois  cliambres  du 
Sanhedrin.  —  Qucerebant  ilium  perdere  :  Tim- 
parfait  indique  la  Constance  de  ieurs  lenia- 
lives  haineuses. 

48.  —  Non  inveniebant  quid  facerent  (to  x( 
TtoiTOdfoffiv.  Le  pronom  illi  manque  dans  le 
lexle  grec).  Decides  a  se  defaiie  de  Jesus, les 
Sanhedrisles  etaii  nl  dans  I'embarras  ^ur  les 
moyens  auxquels  ils  aui  aienl  nconrs  pour  le 
mellro  a  mori.  —  Omnis  enim  populus.  Motif 
de  celte  hesitation,  et  en  meme  temps  beau 
conirasle.  Tandis  que  les  ennemis  du  Sau- 
veur  s'acliarneni  a  sa  p  rle,  le  peuple  ecoute 
Jesus  avec  transport.  La  loculion  suspensus 
erat  (E^expcV-aro),  -peciale  a  noUe  evaiiLielisle, 
n'esl  pas  moins  elegante  qu'encMgique , 
conimo  le  fail  observer  Suicer,  Thesnuius, 
t.  I,  p.  1063.  Les  auteurs  classiqu'^s  I'em- 
ploiei)t  freqiiemment.  Voyez  Virg.  JEn.  iv, 
79;  Ovid.Ep.  i,  30:  Horal.,  Ep.  i,  105,  elc. 
Cfr.  G  n.  XLiv,  30.  Nous  dison-i  dans  le 
meme  sens  :  eire  suspindu  aux  levres  de 
quelqu'un.  Que!  eloge,  en  un  seul  m  it,  de 
I'eloquence  toulc  divine  de  Notre  Seigneur  I 

3«  Le  Sanhddrin  et  i'origine  des  pouvoirs  de  J^sns. 
XX,  1-8.  —  Parall.  Matth.  xxi,  23-27;  Mare,  xi, 
27-33. 


Chap.  xx.  —  1.  —  «  Quum  rommemo- 
rassel  Lucas  ejeclos  de  templn  cmi'nies  et 
vendenles,  praeierniisil  quod  exibal  (Jesus) 
in  Bi  thaniam,  et  regrediebalur  in  tiviiaii  m, 
et  quod  de  liculnea  laclum  est,  et  quod  mi - 
ranlibus  discipulisde  iidei  virUile  responsum 

S.  Bible.  S.  Luc.  —  22 


338 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


salt  le  peuple  dans  le  temple,  les 
princes  dej  pretres  et  les  scribes 
"vinrent  ensemble  avec  les  anciens. 

2.  Et  ils  dirent,  s'adressant  a  lui : 
Dis-nous  par  quel  pouvoir  tufais  ces 
choses,  ou  quel  est  celui  qui  t'a 
donne  ce  pouvoir. 

3.  Et  Jesus  leur  repondit :  Je  vous 
ferai  moi  aussi  une  question ;  repon- 
dez-moi. 

k.  Le  bapteme  de  Jean  etait-il  du 
ciel  ou  des  hommes  ? 

5.  Et  ils  reflechissaient,  disant 
en  eux-memes  :  Si  nous  repondons : 
Du  ciel,  il  dira  :  Pourquoi  n'y  avez- 
vous  pas  cru  ? 

6.  Et  si  nous  disons  :  Des  hommes. 


evangelizante,  convenerunt  princi- 
pes  sacerdotum  et  scribse  cum  se- 
nioribus. 

MalUi..  21,  23;  Marc,  11,  27. 

2.  Et  aiunt  dicentes  ad  ilium :  Dic- 
nobis  in  qua  potestale  hsec  facisf 
aut  quis  est  qui  dedit  tibi  banc 
potestatem  ? 

3.  Respondens  autem  Jesus,  dixit 
ad  illos  :  Intcrrogabo  vos  et  ego 
unum  verbum.  Respoudele  mihi. 

4.  Baptismus  Joannis  de  coelo 
erat,  an  ex  hominibus  ? 

5.  At  llli  cogitabant  intra  se,  di- 
centes :  Quia  si  dixerimus  :  De  coelo, 
dicet  :  Quare  ergo  non  credidistis 
illi  ? 

6.  Si  autem  dixerimus  :  Ex  homi- 


est; atque  his  praetermissis,  non  quasi  ex 
ordine  dies  prosequcns  (sicut  Marcus),  intu- 
lit,  dicens  :  Et,  factum  est  in  una  dierum.  » 
S.  August,  de  Cons.  Evang.  ii,  69.  Le  grec 
porte  :  Iv  (xiqi  twv  ri(xepwv  dxeivwv,  mais  exetvwv 
est  omis  par  les  manuscnls  B,  D,  G,  L,  Sinait., 
el  par  la  version  syrienne,  comnae  par  la 
Vulgate.  «  Dierum  »  represenle  les  derniers 
jours  que  Nolre-Seigneur  passa  a  Jerusalem 
entre  son  triomphe  el  sa  mort ;  «  una  »  le 
mardi  sainl,  d'apres  S.  Marc,  xi,  20  (voyez 
le  conimentaire).  Nous  avons  deja  rencontre 
a  pUisieurs  reprises  dans  le  troisieme  Evan- 
gile  (v,  17;  viii,  22)  cette  formule  generaie. 
—  Docente  illo  populum...  Le  mot  suivant, 
evangelizante,  tant  aime  de  notre  evangelisle 
et  de  S.  Paul  (ils  remploienl  a  eux  deux  jiis- 
qu'^  45  fois),  precise  la  nature  de  I'enseigne- 
menl  aclud  du  Sauveur  dans  le  temple  :  il 
prfichait  I'Evangile,  la  bonne  nouveile;  il 
parlait  du  royaume  messianique.  —  Convene- 
runt... Le  verbe  grec  E7t£aT*](7av  signifie  sou- 
vent  :  arriver  a  rimpiovisle,  avec  des  inten- 
tions hostiles,  «  irruere  ».  Cfr.  ii,  38 ;  Act. 
IV,  4 ;  VI,  12  ;  xxiii,  17.  II  caraclerise  beau- 
coup  mieux  que  les  expresssions  paral- 
l^les  de  S.  Matlhieu  (irpoerfjXeov)  el  de  S.  Marc 
(SpXovTai)  le  but  que  se  proposait  la  deputa- 
tion du  Sanhedrin  {principes  sacerdotum, 
scribce  cum  senioribus),  quand  elle  vint  lout 
k  coup  interrompre  le  discours  de  Jesus. 

2,  —  Aiunt  (grec,  eTttov  ou  eiitav)  dicentes 
(hebraisme).  La  question  a  deux  parlies  bien 
dislinctes  :  1o  in  qua  potestate...  Quelle  est 
la  nature  de  voire  mandat?  2o  (avec  la  par- 
licule  aut  pour  servir  de  transition),  quis  est 
qui  dedit  (plus  fortement  en  grec,  xt's  eonv  6 
SoutJ...?  par  quel  intermediaire  vous  a-t-il  eid 


transmis,  d'oii  vient-il?  Les  Sanhedristes 
avaient  autrefois  adresse  une  demande  du 
meme  genre  a  S.  Jean-Bapliste,  mais  dans 
un  esprit  moins  hostile,  Joan,  i,  19  et  ss. 
Elle  est  si  parfaitement  conforme  a  toutes  les 
habitudes  rabbiniques.  telles  qu'elles  nous 
sont  devoilees  par  le  Talmud,  que  Strauss 
lui-meme  n'he^ite  pas  a  admettre  I'authen- 
ticite  de  cette  scene, 

3  et  4.  —  Respondens  Jesus.  Quelle  ma- 
jesle,  quel  calme,  quelle  douceur  dans  la  re- 
ponse  de  Jesus!  Mais  aussi  quel  k  propos  tout 
divin  pour  confondre  ses  adversaires  pen- 
dant cette  «  journee  des  tentations  »I  Cfr. 
t1f.  20  el  ss.,  27  et  ss.;  Marc,  xii,  28  et  ss. 
—  Unum  verbum  :  §■««  est  omis  par  les  ma- 
nuscrits  B,  L,  R,  Sinait.  —  Respondete  mihi. 
Dans  le  grec,  xat  etitare  [lot,  «  et  dixerilis 
mihi.  »  Les  paroles  du  Sauveur  sont  citees 
plus  complelement  dans  les  deux  autres  re- 
cits.  —  Baptismus  Joannis...  En  d'autres 
termes,  Jean-Bapliste  etait-il  un  prophete  ou 
un  imposleiir? 

5  et  6.  —  At  illi  cogitabant  (mjveXoYi'oavTo, 
«  rationes  colligebant  »,  expression  qu'on  ne 
Irouve  pas  ailleurs  dans  le  N.  T. ;  S.  Mat- 
lhieu :  6i£),oyi!;ovxo,  S.  Marc  :  iXoyt^ovTo; 
Irois  nuances  differentes)  intra  se  (ou  plulot 
«  inter  se  »,  car  tel  est  ici  le  sens  de  mp6; 
^auTou;).  Embarrasses  par  ce  tour  inaltendu 
donne  a  i'enlretien,  ils  deliberent  entre  eux 
pour  chercher  une  echappaloire.  —  Si  dixeri- 
mus... Comme  ils  pesent  habilement  toutes 
les  evenlualites  possibles!  Mais  en  vain;  ils 
ne  reussiront  pas  k  trouver  une  issue  hono- 
rable, des  la  qu'ils  ne  s'inquietent  que  de 
leur  vanile  personnelle,  et  nullement  des 
droits  de  la  \6ril4.  —  Plebs  universa  (aves 


CHAPITRE  XX 


339 


nibus,  plebs  universa  lapidabitnos : 
certi  sunt  enim  Joannem  prophetam 
esse. 

7.  Et  responderunt  se  nescire 
unde  esset. 

8.  Et  Jesus  ait  illis  :  Neque  ego 
dico  vobisin  quapotestatehsecfacio. 

9.  Coepit  autem  dicere  ad  plebem 
parabolam  banc  :  Homo  plantavit 
"vineaiii,  et  locavit  earn  colonis  :  et 
ipse  peregrefuit  multis  temporibus. 

Muu.  21,  33;  iMarc,  12,  1. 

10.  Et  in  tempore  misit  ad  culto- 
res  servum,  ut  de  fructu  vinese  da- 
rent  ilii.  Qui  csesum  dimiserunteum 
inanem. 

11.  Et   addidit  alterum  servum 


tout  le  peu})le  nous  lapidera,  car  ils 
sontcertaius  que  Jean  etaitpropiiete. 

7.  Et  ils  repondirent  qu'ils  ne  sa- 
vaient  pas  d'ou  il  etait. 

8.  Et  Jesus  leur  dit :  Moi  non  plus 
je  ne  vous  dis  pas  par  quel  pouvoir 
je  fais  ces  choses. 

9.  Et  il  commencaadireaupeuple 
cette  parabole  :  Un  homme  planta 
une  vigne  et  la  loua  a  des  vignerons, 
et  lui-memes'en  fut  pourlongtemps 
dans  un  pays  lointain. 

10.  Et  dans  la  saison  il  envoya  un 
deses  serviteurs  aux  vignerons  pour 
qu'ils  lui  donnassent  du  fruit  de  la 
vigne.  lis  le  battirent  et  le  renvoye- 
rent  vide. 

11.  II  envoya   encore  un   autre 


empliase)  lapidabit  nos  (dans  le  grec,  y.aTaXi- 
•aaei,  mot  lies  fori,  employe  en  ce  seiil  en- 
droil  du  N,  T.).  La  reflexion  des  Sanhedrisles 
est  speciale  a  S.  Luc  sous  cetle  forme  ener- 
gique  (comparez  S.  Malth.  et  S.  Marc).  La 
crainle  qu'iis  expriment  elail  d'ailleurs  Ires 
serieuse,  comme  le  demontrent  divers  fails 
du  Nouveau  Testament  relatifs  soil  a  N.  S. 
Jesus-Christ,  Joan,  x,  31,  soil  a  S.  Eiienne, 
Acl.  VII,  56-59.  La  lapidation  etait  le  sup- 
plice  legal  pour  les  delits  religieux,  el  les 
foulesjuives  ne  craignaient  pas  ^  I'occasion 
de  I'infliger  sommairement.  —  Certi  sunt 
enim...  Encore  uno  expression  vigoureuse, 
propre  a  S.  Luc.  Le  teujps  du  veibe  grec 
(iteireicrijievo; £<yTtv)  indique  une  cerlitude  par- 
faite,  immuablo.  Et  c'etait  vrail  Josephe 
tffirme  egah  menl  que  la  foi  du  peuple  a  la 
mission  divine  de  S.  Jean  etait  aussi  ardente 
qu'unanime.  Ant.  xviii,  5,  2. 

7.  —  Responderiuit  se  nesrire...  S.  Malthieu 
et  S.  Marc  emploient  le  langage  direct  : 
«  Nescimus.  »  D'apres  un  beau  proverbe  tal- 
rnudique,  I'homme  doit  appiendre  a  sa 
langue  a  dire,  Je  ne  sais  pas  (n31u;S  laS 
yiV  ''i^iH  IDnS),  eten  effel,  dans  bien  des 
cas,  une  pareille  reponse  est  noble  parce 
qu'elle  est  humble;  mais  c'elait  ici  un  iSche 
mensonge. 

8.  —  Neque  ego  dico  vobis...  Parfaite  appli- 
cation ds  I'axiome  :  «  Responde  siulto  juxla 
stultitiam  suam  »,  Prov.  xxvi,  5.  Si  vous  etes 
incompelenls  pour  poit'  r  nn  jugcment  sur 
I'aulorile  de  S.  Jean-Bapti-te,  vous  Teles 
aussi  au  sujet  dela  mienne. —  Voyez  du  resle 
I'explicat^on  delaiilee  de  tout  ce  passage  dans 


nos  commenlaireSf  sur  S.  Malthieu   et  sur 
S.  Marc. 

i»  Parabole  des  vignerons  rebelles.  xix,  9-19.  — 
Parall.  Matlh.  xxi,  33-46;  Marc,  xu,  1-12. 

Le  lecit  de  S.  Luc  est  le  plus  court  des 
trois.  La  ressembiance  entre  les  .>ynopliques 
est  d'ailleurs  ires  frappante;  nous  n'aurons 
done  qu'un  petit  nombre  de  trails  particuliers 
a  signaler. 

9.  —  Coepit  dicere  ad  plebem.  D'apres  les 
autres  evangelisles,  Jesus  aurait  continue  de 
s'adresser  aux  delegues  du  Sanhedrin  quand 
ii  exposa  la  parabole  des  vignerons  perfides. 
Les  deux  choses  furent  vraies  en  meme 
temps,  puisquri  les  Sanhedri-lcs  aussi  bien 
que  la  i'oule  etaient  alors  aiipres  de  Notre- 
Seigneur.  Cfr.  t^.  19.  —  Homo  plantavit  vi- 
necim.  S.  Luc  ne  dit  rien  des  soins  multiples 
dont  avail  ele  entouree  cette  plantation. — 
Locavit  earn  agricolis.  Le  proprietaire  sym- 
bolise Jehova;  les  vignerons  figurent  les 
chefs  spintuels  de  la  nation  juive,  qui  est 
elle-meme  representee  par  la  vigne.  Cfr.  Is. 
V,  1-7.  —  Multis  temporibus  (xpovou;  Ixavou;. 
Cfr.  VIII,  29)  ejt  un  trait  special.  II  (aut  en- 
tendre, par  cette  longue  absence  du  proprie- 
taire, le  temps  qui  s'ecoula  depuis  I'alliance 
du  Sinai  el  I'entree  des  Juifs  dans  la  Terre 
promise  jusqu'a  la  venue  du  Messie,  c'esl-^- 
dire  environ  2,000  ans.  n  Multis  temporibus 
alifuit,  remarquo  delicatement  S.  Ambroise, 
Exp.  in  Luc.  IX,  23,  ne  praepropera  vide- 
retur  exactio  :  nam  quo  in(liilg(nitior  libera- 
lilas,  po  inexcusiibilior  pervicacia.  » 

40-12.  —  In  tempore  (soil.  «  frucluum  »; 


340 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


serviteur,  mais  ilslebaltirent  aussi 
et  Taccablant  d'oulrages  le  renvoye- 
renl  vide. 

12.  Et  il  en  envo^-a  un  troisieme, 
et  ils  le  chasserent  apres  I'avoir 
blesse. 

13.  Et  le  maitre  de  la  vigne  dit  : 
Queferai-je?j'enverrai  montils  bien- 
aime;  peut-elre  que  lorsqu'ils  le 
verront  ils  le  respecteront. 

14.  Lorsque  les  viguerons  I'eu- 
rent  vu,  ils  reflechirent,  disant  en- 
treeux:  Gelui-ciesiriieritier,  tuons- 
le  afni  que  I'heritage  soit  a  nous. 

15.  El  I'ayaiit  jete  hors  de  la  vigne 
ils  le  luerent.  Que  leur  fera  done  le 
maitre  de  la  vigne? 

16.  II  viendra  et  perdra  ces  vi- 
gnerons,  et  il  donnera  la  vigne  a 
S'autres.  En  enlendant  cela  ils  lui 
dirent  :  Qu'il  ne  soit  pas  ainsi ! 


miltere.  Illi  autem  hunc  quoque  cse- 
dentes,  et  afficientes  contumelia, 
dimiseriint  inanem. 

12.  Et  addidit  tertium  mittere  : 
qui  et  ilium  vulnerantes  ejecerunt. 

13.  Dixit  autem  dominus  vineae  : 
Quid  faciam?  miltam  filium  meum 
dileclum  :  forsitan,  cum  hunc  vide- 
rint,  verebuntur. 

14.  Quem  cum  vidissent  coloni, 
cogitaverunt  intra  se,  dicentes  :  Hie 
est  liseres,  occidamus  ilium,  ul  nos- 
tra fiat  hsereditas. 

1  b.  Etejectum  ilium  extra  vineam, 
occiderunt.  Quid  ergo  faciet  illis  do- 
minus vinese  ? 

16.  Veniet,  etperdetcolonos  isles: 
et  dabit  vineam  aliis.  Quo  audito, 
dixerunt  illi  :  Absit. 


la  lecon  primilive  ciu  greo  par  ail  en(!  /.aipw 
sans  preposition,  d'api  es  B,  D,  L)  misit...  Sui- 
vant  la  ioijuive,  Lev.  xix,  23-'25,  on  no  pou- 
vail  jouir  d('*fiuils  d'une  vigne  que  cin(i  ans 
apres  sa  plantation. Elle  elail  censee  impare 
les  trois  premieres  annees,  el,la  qualrieme, 
les  fruits  appart<'naienl  au  Seigneur  comme 
premices.  —  Servum  :  ce  serviienr  el  les 
deux  suivants  sonl  le  type  des  prophetes  qui 
furenl,  aux  d iff ''rentes  periodes  de  riiisloire 
juive,  d  s  intermediaires  entre  Jehova  et  son 
p.^uple.  —  Aditidttiniltere  (npoaiQexo  rA[i.^y.i)  : 
tiebralsnv^  mSuS  =]3'in.  Cfr.  xix,  I!  et 
I'explication.  Dans  les  auires  recils  :  a  ilerum 
misil.  »  —  Ccedentes  et  afficientes  contumelia. 
Les  outrages  vonl  croissant,  comme  aussi  la 
paliince  vraiment.  divine  du  pro|irielaire.  Un 
honime  ne  subirail  pas  deux  iois  impunement 
de  pareijles  injures.  —  Vulnerantes  :  dans  le 
grec,  Tpa'j!iaTt(javT£;,  expression  a  deuii  tech- 
nique employe  •  seulement  ici  el  Act.  xix,  16. 
43.  —  Sublime  deliberation,  que  S.  Luc 
seul  a  reialee  compleiem -nl.  —  Quid  [anainf 
Comme  en  d'aulres  ( ircons'.ances  solenneiies. 
Gen.  I.  26;  vi  7,  Dieu  lienl  pour  ainsi  dire 
conseil  av  c  lui-meme  avanl  de  prendre  une 
decision  mioorianle  pour  Ihuuiamie.  — 
Miltam  filuni  )ninm...  G'est  encore  la  mise- 
ricorde  qui  I'l  itip  irte ;  mais  la  misencorde 
poussee  a  son  exiieme  limite.  —  Forsitan 
[lawi  n'apparai!  (ju'en  eel  endroit  du  N.T.)... 
»ere6«/i<u)'.Ci't 'ow;esl  unanlhropomoi  pliisine 
evident.  II  esL  ires  bien  commenle  par  S.  Je- 
rome :  a  Quod  autem  dicil,  Verebuntur  forte 


filium  ra  Uiu,  nun  de  ignoranlia  dicitui-  . 
quid  enim  nescial  paterfamilias,  qui  hoc  loco 
Deus  inlelligUur?  sed  semper  aiiib:gere  Deus 
dicitur,  ul  libera  Voluntas  homini  reserve- 
lur.  »  —  Les  mots  rum  hunc  viderint  sonl 
omis  par  les  manuscrils  B.  C,  D.  L.  Q,  Sinail. 

ii.  —  Quem  rum  vidissent.  Les  v  gnerons 
apeiQoivent  a  distance  el  reconnaisseni  ie  fils 
de  leur  pro[))  ieiaire.  Aussitol  ils  deiiberent  a 
leur  lour  [rogitnverunt  intra  se;  plus  exacie- 
ment,  d'apres  le  grec,  «  perpendeiunl  inter 
se  »  ;  mais  e'esl  pour  prendre  un-  horrible 
resolution  :  Hie  est  hceres,  ocridnmus  ilium. 
Sur  ce  litre  d'herilier,  applique  a  Nut  re- 
Seigneur,  voyez  Hebr.  i,  2.  Avec  quelle  tbrce 
et  quelle  clarle  lout  ensemble  Jesus  devoile 
devani  le  p'uple  les  tram  s  lionieus 's  de  ses 
chefs  el  I(>  motif  reel  de  la  liaineilonl  ceux-ci  le 
poursuivaienl !  Ces  hoinmes  onl  fait  de  la  theo- 
ciatie  leur  proprieie,  et,  co  pouvoir  qu'ils 
onl  exploile  jusqii'ici  a  leur  profit,  ils  ne 
peuvent  se  resoudre  a  1"  deposer  entre  les 
mains  du  Fils,  qui  vienl  le  reclamer  au  nom 
de  son  Pere. 

15  et  16.  —  Et  eji'ctum  ilium  extra  vineam... 
Les  irois  recils  mentionn  nt  celte  circons- 
tani'-.  Naboth,  que  lesSS.  Peres  client  volau- 
tiers  comme  un  typede  lamorldn  M  .-sie,  avait 
elepareiliemenl  traine  hors  desa  vigne  avanl 
d'etre  lapide.  Hi  Reg.  xxi,  IS.  Cfr.  S.  Ambr. 
Expos,  in  Luc.  ix,  33.—  Quid  ergo  faciet... 
Conijiari^z  le  «  quid  faciam  »  du  t.  '13.  .Mais  la 
conclusion  sera  bien  differenle.  —  Veniet  et 
perdtt...S.  Luc,  commeS. iMarc,  sembk  metlre 


CIIAPITRE  XX 


341 


17.  Ille  autem  aspiciens  eos,  ait  : 
Quid  est  ergo  hoc  quod  scriptum  est: 
Lapidem  quern  reprobaverunt  sedi- 
ficanles,  hie  faclus  est  in  caput 
anguli? 

Rom.  9,  33;  /.  Pelr.  2,  7. 

18.  Omnis  qui  ceciderit  super 
ilium  lapidem,  conquassabitur  :  su- 
per quern  autem  ceciderit,  commi- 
nuet  ilium. 

19.  Et  quserebant  principes  sacer- 
dotum  fct  scribse  mittere  in  ilium 
man  us  ilia  hora  :  et  timuerunt  popu- 
lum,  cognoverunt  enim  quod  ad 
ipsos  dixerit  similitudmem  banc. 

20.  Et  observantes  miserunt  insi- 


17.  Mais  les  regardant  il  dit  : 
Que  signilie  done  ce  (|ui  est  ecrit  : 
La  pierre  qu'ont  rejclce  ceux  qui 
batissaient  est  devenue  la  lete  de 
Tangle? 

18.  Quiconque  tombcra  sur  cette 
pierre  sera  brise,  et  elle  ecrasera 
celui  sur  qui  elle  tombera. 

19.  Et  les  princes  des  pretres  et 
les  scribes  cherchaient  a  mettre  la 
main  sur  lui  a  I'heure  meme,  mais 
ils  craignaient  le  peuple;  car  ils 
avaient  reconnu  qu'il  avail  dit  celte 
parabole  pour  eux. 

20.  El  I'observant,  ils  cnvoverent 


cet  arret  severe  sur  les  levros  de  Notre  -  Sei- 
gneur,landi:^  que,  d'apres  S.  Malthieu,  il  aurail 
ile  pmfere  par  les  Saiihedrisles.  il  n'y  a  pas 
d'antilogie  leelle,  car  Ton  pful  dire,  ou  bien 
(et  c'isi  le  plus  probable)  que  le  second  el  lo 
troisieme  des  synoptiques  abregenl,  ou  bien 
que  Je-us  repeia,  pour  I'acceniuer,  la  juste 
sentence  que  ses  adversaircs  avaient  portee 
centre  eux-memes. —  Absil,  (xt)  ^i^oi-^o.  Celte 
formule  dcprecatoire,  qui  n'ap[)arail  qu'en 
ce  pa>sage  des  Evangiles,  mais  que  S.  Paul 
emploie  jusqu'a  dix  Ibis  dan^  la  seule  epitre 
aux  Rom<iins  (c'est  le  nS'Sn  hebreu,  le  con- 
traired'Auien),  ful  sans  douie  piononcee  par 
le  peuple,  comme  pour  detournrr  un  «  ma- 
lum omen  ».  L  assistance  avail  done  compris 
le  sen-  de  la  paiabole.  —  DabU  viueain  aliis. 
SubslilmioM  terrible,  mais  pai  I'aileinenl  legi- 
time.  CiV.  Act.  xni,  46. 

17  et  18.  —  Ille  autem  aspiciens  eos.  Trait 
piltoresque,  propre  k  S.  Luc.  Le  grec  i[t.6li-\ia.<i 
(regarder  dedans)  marque  un  regard  Qxe,  pe- 
netrant.—  Quid  est  ergo  hoc.  a  Ergo  »,  c'esl- 
i-flir-",  dans  le  cas  ou  voire  «  Ab-it  »  serail 
exauce,  comment  s'accoinpliraienl  les  Ecri- 
tures,  {|ui  piednent  aux  enncmis  du  Clinst 
les  cliaiim  nls  les  plus  rigomeux?  Jesus 
donne  aiiisi  plus  de  force  a  sa  menace  en  I'ln- 
seiaiit  dans  unr  revelation  divine.  Le  pa-;sage 
cite,  lapidem  quern  reprobaverunt...,  est  tire 
du  inline  Psaumecxvii  (it'.  i2]  auquel  la  foule 
emprunlail  n;igiiere  ses  vivats  entliousiastes 
(XIX.  38).  II  expriiiic  sous  une  forme  nouvelle 
et  pill-;  eneigi(|ue  la  pensee  developpee  dans 
la  parabole ;  ear  Jesus  est  la  pierre  d'abord 
mepri<ee.  (lUis  [)lacee  au  point  I'ondamenlal 
de  Tedifice,  lamiis  que  les  constructeurs, 
comme  plus  haiit  les  vignerons,  figurenl  les 
autorilesjuives.Voyezl'Evang.seiunS.  Matlh. 


p.  418.  —  Omnis  qui  ceciderit...  Ci  s  paroles 
composent  un  vers  anlilhelique.  avec  grada- 
tion ascendante  de  la  pensee  dans  le  second 
herai-tiche. 

Oranis  qui  ceciderit  super  ilium  lapidem  cmquassabitur; 
Super  quera  aulem  cccideiit,  commiuuut  illii.'ii. 

Les  correlalifs  grecs  des  verbes  conquassa- 
bitur ((7uv6)>aaef,ff£Tai),  comminuet  [Ao/.(j/oa£i), 
sunt  ires  expressifs.  Le  second,  qui  est  en- 
core plus  energique  que  le  premier,  a  le  sens 
de  passi'r  au  cribh;.  Voyez  dans  I  C-v.  i,  13, 
la  realisation  de  cetle  menace. 

19.  —  Et  quwrebaiit  principes...  Je-us  n'a- 
vait  pas  seulemenl  refuse  de  repcn'lre  a  la 
«  quesiioii  diclatoriale  »  des  Sanhednsles  ; 
il  avail  in  outre  denonce  a  la  face  d  i  peuple 
lour  cotiduile  anlilheocralique  etfait  retentir 
au-ilessus  de  leurs  letes  le  lonnerre  des  ven- 
geances celestes.  Aussi,  plus  irntes  que 
jamais,  se  m'ttent  ils  a  deliberer  encore 
(Cfr.  XIX,  47  (I  ss.)  pour  liouver  le  mey;  n  do 
s'euipari'r  de  lui  sui-le-champ  {llln  hora,  plus 
forteinenl  dans  le  grec,  ev  auT^  t^i  wpa :  c'est 
la  un  trail  propre  a  S.  Luc) ;  mais  de  nouveau 
la  craiiile  du  peuple  les  n'lini.  —  Cognove- 
runt quod  ad  ipsos  dixerit :  c'est-^  dire  «  de 
ipsis  ».  lis  disaienl  juste.  C'etait  la  realisa- 
liuii  de  I'adage  :  «  Mulato  nomine  de  te  fa- 
bula  narralur.  »  Celte  refiixmn,  commune 
aux  trois  synoptiques,  est  procieuse,  parcc 
qu'elte  nous  revele  le  but  imiri«^diat  de  la 
parole  des  vignerons  liomicides 

5o  Qucslinn  relative  aPimpdl.  xx,  20-26.— Parall. 
Matth.  XXII,  15-22;  Marc,  xu,  13-17. 

Voyez  nos  commentaires  sur  S  Malthieu 
et  sur  S.  M.irc. 

20.  •=■  Petit    pre^mbule   liistorique,  plui 


342 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


des  gens  qui  feignaient  d'etre  justes 
pour  lui  tendre  des  embuches  eUlo 
surprendre  dans  ses  paroles,  afin  da 
le  livrer  au  magistral  et  au  pouvoir 
du  gouvernenr. 

21 .  Et  ils  rinterrogerent,  disant  : 
Malt  re,  nous  savons  que  tu  paries  et 
enseignes  avec  droiture,  que  tu  ne 
fais  pas  acception  de  persoiine,  mais 
que  tu  enseignes  la  voie  de  Dieu 
dans  la  verite. 

22.  Nous  est-il  permis  de  payer  le 
tribut  a  Cesar  ou  non  ? 

'^3.  Gonsiderant  leur  ruse,  il  leur 
dit  :  Pourquoi  me  teutez-vous? 
24.  Montrez-moi  un  denier.  De 


diatores,  qui  se  justos  simularent, 
ut  caperent  eum  in  sermone,  ut  tra- 
derent  ilium  principatui,  et  potestati 
prsesidis. 

Malth.  22,  15;  Mtrc.  12, 13. 

21.  Et  interrogaverunt  eum,  di- 
centes  :  Magister,  scimus  quiarecte 
dicis  et  doces  :  et  non  accipis  per- 
sonam, sed  viam  Dei  in  veritale 
doces : 

22.  Licet  nobis  tributum  dare 
Gsesari  an  non  ? 

23.  Considerans  autem  dolum  illo- 
rum,  dixit  ad  eos :  Quid  me  tentatis? 

24.  Ostcndite  milii  denarium.  Gu- 


complet  dans  le  troisieme  Evangile  que  dans 
les  deux  auires.  S.  Luc  a  de  vigourf  ux  coups 
de  pinceau  pour  decrire  Ja  conduite  basse  et 
hypocrite  des  pniiemis  de  Jesus.  —  Et  obser- 
vanies  (itapaTriprjaavTei;)  :  en  mauvaise  part, 
comnie  en  rraulres  endroils.  Cfr.  vi,  7; 
XIV,  1  ;  XVII,  20.  —  Miserunt  insidiatores.  Le 
mol  grec  eyxaxeOo;  (de  ev,  dans,  et  xoLer,[jiai,  je 
suis  assis),  employe  seuleuient  en  cc  passage 
du  N.  T.,  esl  classiqup  pour  designer  les  horn- 
mes  perfides  «  qui  subsidunl  in  loco  occullo,  in 
queui  se  demiserunt  ad  insidias  aliis  slruen- 
das  »  (Rosenmiiller.  Cfr.  IJrelschneider,  Lex. 
man.  s.  v.).  Les  recits  paralleles  nous  ap- 
prennent  que  ces  emissaires  elaient  les  dis- 
ciples des  Pharisiens.  —  Qui  se  justos  si'muJa- 
>tf«f.  TTcoxptvoiJLEvou;,  expression  parfaiiemenl 
choisie,  puisqu'elle  signifie  :  faire  I'hypo- 
crite;  on  ne  la  Irouve  qu'en  cet  cndroil  du 
N.  T.  ((  Justos  »,  des  modeles  de  justice  au 
point  do  vue  de  la  loi  juive  et  de  la  Iheocra- 
tie.  —  Ut  ca'perent  eum  in  sermone  (bonne 
traduction  des  deux  genitifs  grecs  axnovloyoxi, 
dont  le  premier  est  celui  de  la  personne,  le 
second  celui  de  la  chose,  et  qui  sont  gou- 
vernes  I'un  et  I'autre  par  ETtiXdSwvTai)  C'etail 
I'objet  direct  de  ce  noir  complot :  surprendre 
sur  les  levres  de  Jesus  quelque  parole  com- 
promeitanle.  Cfr.  Eccli.  viii,  i\.  Puis, 
comme  consequence  naturelle  en  cas  de 
reussite,  ul  traderent  eum  (la  vraie  leQon 
grecque  parait  eire  wate,  d'apres  B,  C,  D,  L, 
Sinait.)...,  le  livrer  augouverneur  romain,  car 
ils  avaienl  perdu  le  «  jus  gladii  »  Prcesidis 
ne  dep-nfl  que  ^^  potestati  {■(%  e?ou(7ia).  Pi'inci- 
patui  (t^  apyj,)  designe  raulorile  romaine  en 
general;  I'autre  sulistanlif  est  plus  special  et 
represenie  le  pouvoir  delegue  du  a  procura- 
tor »  qui  exergait  ses  fonctions  au  nom  de 
I'empereur.  • 


2i  et  22.  —  Non  contents  de  se  couvrir 
du  masque  de  la  perfection  legale,  les  tenta- 
teurs  essaient  encore  de  dissimuler  leurs 
embuch  s  derriere  un  faux-semblant  de  cour- 
toisie,  de  def'en  nee.  Leurs  compliments  ont 
dans  S.  Luc  un  coloris  special  :  Scimus  quia 
recte  [opewc,  sans  devier  de  la  ligne  droite) 
dicis  et  dores  (la  parole  de  Thomme  prive  et 
renseignemeni  du  docteur)...  La  locution 
accipere  personam  est  tout  hebraique  :  c'est 
le  Di:S  riNtt;  de  la  Bible,  Lev.  xix,  15;  Mai. 
I,  8,  etc.  De  son  equivalent  grec  TrpoawTcov 
Xdjjioaveiv  derivent  les  mots  7tpo(TW7ro).r,il'ta, 
TzpoatDTio^.riTztriz,  qu'emploient  S.  Luc  (Act. 
X,  34),  S.  Paul  (Rom.  ii,  H  ;  Eph.  vi,  9; 
Col.  Ill,  2.5),  et  S.  Jacques  (ii,  i).  On  a  dit 
Ires  jusiement  qu'il  y  a  dans  ces  elogps  pha- 
risai'ques  quelque  chose  d'aussi  affreux  que 
dans  le  baiserdu  irailre  Judas. —  Licet  nobis 
tribulum  dare  (S.  Luc  fait  seul  usage  du 
mot  teclmique  (popo?,  qui  designe  la  taxe 
annuelle  de  capitation  et  les  impols  fonciers, 
par  opposition  a  t£>.oi;,  I'impot  sur  les  mar- 
chandises),  Etrange  question,  qui  n'avait 
nullement  embarrasse  le  saint  roi  Ezechias, 
non  plus  que  le  prophete  Jereraie,  non  plus 
qu'Esdras  et  Nehemie;  car,  sans  cesser  d'etre 
de  vrais  Israelites,  ils  n'hesiterent  pas  k  re- 
connailre  la  suzerainete  de  Ninive,  de  Ba- 
bylone  ou  de  la  Perse;  mais  les  principes 
elroils  des  Pharisiens  avaient  suscite  des 
scrupules  touchant  un  point  parfait^ment 
clair.  Aussi  Jesus,  par  sa  reponse,  pouvait-il 
attirer  sur  lui  les  represailles  soil  des  Re- 
mains, s'il  disait  Non,  soit  de  ses  compa- 
triotes,  s'il  disait  Oui. 

23  et  24.  —  Considerans  :  xaTavoriaa?.  Tvoti; 
d'apres  S.  Matthieu;  elSw;  dans  S.  Marc  : 
cliaque  evangeliste  emploie  une  expression 
differente.  —  Dolum  eorum.   Le   substanlif 


CHAPITRE  XX 


343 


jus  habet  imaginem  et  inscriptio- 
nem?  Respondentes  dixerimt  ei  : 
CjBsaris. 

2b.  Et  ait  illis  :  Reddite  ergo  qiise 
sunt  Ga3saris,  Gsesari ;  et  quae  sunt 
Dei,  Deo. 

Rom.  13,  7. 

26.  Et  non  potuerunt  verbum  ejus 
reprehendere  coram  plebe;  et  mi- 
rati  in  response  ejus,  tacuerunt. 

27.  Accesserunt  autem   quidam 


qui  porte-t-il    I'image    et   I'inscri- 
ption?  lis  lui  repondirent :  De  Cesar. 

25.  Et  il  leur  dit  :  Rendez-donc  a 
Cesar  ce  qui  est  a  Cesar  et  a  Dieu  ce 
qui  est  a  Dieu. 

26.  Et  ils  ne  purent  reprendre  ses 
paroles  devant  le  peuple,  et  ayant 
admire  sa  reponse,  ils  se  turent. 

27.  Et   quelques-uns    des    Sad- 


grec  TtavoTjpY'a  est  parfois  pris  en  bonne  part 
dans  le  sens  dc  «  solerlia  »  :  mais  ici  tl  est 
evidiMiiment  pris  en  mauvaise  part.  S.  Luc 
el  S.  Paul  (Cfr.  II  Cor.  iv,  2;xi,  3)  sont  seuls 
k  en  faire  Ujage.  —  Lrs  mots  quid  me  lenta- 
tis  ont  ete  omis  dans  les  manuscrils  B,  L, 
Sinait.  —  Ostendite  mihi  denarium.  La  leQon 

Erimilive  parail  6lre  Sei^ate  (d'apres  A,  B,  D, 
,  M,  Sin.),  au  liou  du  compose  ImSeJ^Te  de 
la  Recepta.  S.  Luc,  comme  S.  Marc,  men- 
lionne  des  mainlenant  le  denier  par  anticipa- 
tion; car  Nolre-Seigiieur  ne  demanda  pas 
une  piece  de  monnaie  determinee,  mais  d'une 
nianiere  generale  «  numisma  census  »,  sui- 
vant  la  redaction  plus  precise  de  S.  Matlhieu. 
Les  mols  oi  os  eoec^av  xat  eTuev,  qu'on  lit  apres 
Srjvaptov  dans  plusieurs  manuscrils  (Sin.,  B,  L) 
el  versions  (la  copte,  la  syrienne,  I'ethiop., 
I'armenienne,  la  persane),  sont  probablcment 
un  glosseme.  —  Cujus  habet  imaginem.,. CeiiQ 
simple  question  conlenait  deja  la  solution  du 
probleino.  —  Respondentes  dixerunt  ei  (B,  L, 
Sin.  ont  seulement  :  ol  6^  eluov)  :  CcBsaris. 
Helas  I  ce  n'etait  plus  la  monnaie  nalionale  et 
sacree,  que  battaient  naguere  les  princes  as- 
moneens,  et  sur  laqnelle  s'etalait  fierement 
cet  exorgue  :  rTiHO  ob'^UIIi,  Jerusalem  la 
Sainte  (comp.  Snu  lii.  Diction,  of  the  Bible, 
s.  V.  Money;  de  Saulcy,  Numismatique  ju- 
daique;  Cavedoni,  Biblische  Numismalik, 
p.  105  et  s.).  C'etait  un  denier  romain  avoc 
I'eCBgie  de  Tibere,  I'empereur  aclu(^llement 
regnant. 

25.  —  Reddite  ergo...  A  part  une  tres  legere 
modification  (toCvw,  S.  Luc  ;  o5v,  S.  Matlhieu ; 
S.  Marc  omel  la  parlicule),  ce  celebre  «  effa- 
tum  »  de  Jesus  est  idenliquement  reproduit 
par  les  Irois  evangelistes.  «  Reddite  », 
iuoSoxel  Les  tentateurs  avaient  demande  s'il 
etait  perrais  de  donner  (ooOvar,  t-  22)  le  tri- 
but  :  Jesus  leur  repond  qu'ils  sont  tenus  de 
le  rendre,  c'est-i>-dire  de  le  payer  comme  une 
detle.  «  Ergo  »,  car  le  Sauveur  tire  une  con- 
sequence de  leur  propre  langage,  1r.  24.  Qiuie 
gunt  Cwsuris  Cfpsari  :l'imp6tet  tout  ce  qui  est 
encore  du  a  Cesar  outre  I'impot,  car  Jesus 
^largit  la  pens^e.  —  Et  quae  sunt  Dei  Deo; 


«  siium  cuique  »  par  consequent.  Celte  parole 
du  Sauveur,  querEglisecalholique  a  toujours 
prise  pour  base  de  ses  theories  diploinatiques, 
demonlre  combien  se  trompcnt  ceux  qui 
pretoiident  que  le  Chrisliani^m^^  consiilue  un 
danger  pour  FElal.  Voyez  aussi  Rom.  xiii, 
6  et  7,  ou  la  meme  verite  est  fortement  in- 
culquee.  Mais  n'entendrons-nous  pas  bientot 
(xxiii,  2)  les  Pharisicns  affirmer  que  Jesus 
avail  defi'ndu  de  payer  limpot  a  Cesar? 

26.  —  Et  non  potuerunt...  Celte  premiere 
reflexion  est  propre  k  S.  Luc.  Elle  contient 
une  iiouvelle  indication  du  but  .ue  s'elaient 
proposes  les  adversaires  de  Notre-Seigneur, 
verbum  ejus  reprehendere  (plus  exactement, 
d'apres  le  grcc,  «  capere  eum  in  scruione  », 
car  c'est  la  m6me  locution  qu'au  t.  20).  Co- 
ram plebe  est  <  mphatique  :  en  face  de  la 
foule,  qui  se  monirait  en  masse  favorable  k 
Jesus,  et  qu'on  esperait  detacher  de  sa  per- 
sonne  en  le  deconsiderant.  —  Mirati  in  res- 
ponse ejus.  Aulrefois,  les  Docleurs  de  Jerusa- 
lem avaient  admire  la  sagesse  du  divin  En- 
fant ;ii,  47);  mainlenant  ils  admirent  malgr^ 
eux  celle  de  I'homme  mur.  —  Tacuerunt  est 
une  autre  particularite  de  S.  Luc.  «  Que 
dire  contre  Jesus  apres  une  parole  si  sage,  si 
simple,  si  precise?  A  quel  tribunal  I'accu- 
ser?...  Cesar  (8t  salisfait,  Dieu  est  glorifid, 
ses  ennemis  sont  pris  par  leurs  propres  pa- 
roles el  reduils  a  se  taire.  II  dejoue  lous  leurs 
vainsartific(  s  avec  une  s;igesse  qu'on  ne  peut 
assez  admirer,  avec  une  douceur  inalterable 
et  une  majeste  touie  divine.  »  Dehaul,  I'E- 
vang.  explique,  defi^ndu,  medite,  5e  ed., 
t.  IV,  p.  4  el  5. 

6<>  Les  Sadducdens  d(5fails  a  leur  tour,  xx,  27-40. — 
Parail.  Matlh.  xxn,  23-33;  Marc,  xn,  18-27. 

Semblable  aux  deux  aulres  pour  la  plupart 
des  details,  la  relation  de  S.  Luc  contient 
plusieurs  parlicularites  importantes.  Cfr. 
tt.  34-38. 

27.  —  Quidam  Sadduraiorum.  Sur  cette 
secte  du  JudaiVme  voyez  TEvang.  selon 
S.  Matth.,  p.  71.  Jusqu'ici  les  Sadduceenss'^ 
taient  montr^s  beaucoup  moins  hostiles  k  J^sus 


344 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


duceens,  qui  nient  qii'il  y  ait  une 
resurrection,  s'approcherent  et  I'in- 
terrogerent, 

28.  Disaut  :  Maitre,  Moi'se  a  ecrit 
pour  nous  :  Si  le  frere  de  quelqu'un 
meurt  ayant  une  femme,  mais 
n'ayant  pas  d'enfants,  que  son  frere 
receive  sa  femme  et  suscite  une 
posterite  a  son  frere. 

29.11y  avait  done  septfreres,et  le 
premier  prit  une  femme  et  mourut 
sans  enfants. 

30.  Et  le  suivant  la  prit  et  mourut 
aussi  sans  enfants. 

31.  Et  le  troisieme  la  prit,  et  pa- 
reillement  tons  les  sept,  et  ils  n'ont 
point  laisse  de  posterite  et  ils  sont 
morts. 

32.  Enfin  apres  eux  tons  la  femme 
aussi  est  morte. 

33.  Or,  a  la  resurrection,  duquel 
d'entre  eux  sera-t-elle  la  femme? 
Gar  sept  Font  eue  pour  femme. 

34.  Et  Jesus  leur  dit  *  Les  fils  de 
ce  siecle  se  marient  et  sont  donnes 
en  mariase. 


28.  Dicenles 
scripsit  nobis 


Sadducseorum ,  qui  negant  esse  re- 
surrectionem,  et  interrogaverunt 
eum 

Mallh.  22,  23;  Marc.  18. 

Magister,  Moyses 
Si  frater  alicujus 
moriuus  fuerit  habens  uxorem,  et 
hie  sine  liberis  fuerit,  ut  accipiat 
eam  frater  ejus  uxorem,  et  suscitet 
semen  fratri  suo. 

Beu!.  25,  5. 

29.  Septem  ergo  fratres  erant  :  et 
primus  accepit  uxorem,  et  mortuus 
est  sine  filiis. 

30.  Et  sequens  accepit  illam,  et 
ipse  moriuus  est  sine  filio. 

31.  Et  tertius  accepit  illam.  Simi- 
liter et  omnes  septem,  et  non  reli- 
querunt  semen,  etmortui  sunt. 

32.  Novissime  omnium  morlua  est 
et  mulier. 

33.  In  resurrections  ergo,  cujus 
eorum  erit  uxor?  siquidem  seiitemr 
liabuerunt  eam  uxorem. 

34.  Et  ait  illis  Jesus  :  Filii  hujus 
caeculi  nubunt,  et  traduntur  ad 
nuptias. 


que  le  parli  pharisalque.  car  «  la  mondanile 
epicurienne  es'  plus  tolerante  que  le  I'ana- 
tisrae  B  (Fairar);  mais  aujourd'hui  lous  les 
chefs  de  la  nation  juive  lultent  conlre  le 
Messie.  —  Qui  negant  esse...  Dans  le  grec,  ot 
avTi).£Yovxe;  avdaTaatv  [irj  elvai.  Pour  eviter  ce 
pleonasme,  les  nianuscrits  Smait.,  B,  C, 
D,  L,  etc.,  ont  coirige  avrOiYovxe;  en  XsyovTe;. 

28.  —  Magister,  i]]oyses...  Les  Sadduceens 
exposent  dab  ird  le  principe  sur  lequel  ils 
appuieroRt  ensnile  leur  objection.  Cf  prin- 
cipe  consist"  en  une  loi  ediciee  par  Morse  (t 
connue  souslenom  de  loidulevirat.  Cfr.  h  't. 
XXV,  3  el  6.  —  Scripsit  nobis  :  ypayeiv  ,  c 
le  sens  de  «  legem  ferre.  l  ge  sancire  »  (uir. 
Friizsch'  in  .Marc,  xii,  19;;  ou  bien,  d'apres 
racception  ordinaire  :  Molse  nous  a  laisse  par 
ecrit  I'ordre  suivant.  —  Habens  uxorem.  ethic 
sine  liberis...  Comparez  les  nuances  d'l  xpres- 
sion  dans  les  trois  recits.  L'adjeclil  atexvo?  de 
S.  Luc  napjiarait  pas  en  deliors  de  ce  verset 
et  du  suivant. 

29-32.  —  Expose  de  la  difficulte,  sous  la 
forme  d'un  cas  de  conscience  probableinr-ni 
iraaginaire,  quoique  possible  (Cfr.  Tob. 
V),  4  4),  et  presente  de  maniere  k  jeter  du  ri- 


dicule sur  le  dogme  de  la  resurrection.  Voyez 
notre  commentaire  sur  S.  Malthieu.  p.  429 
et  s.  —  Sequens  :  dans  le  grec,  6  6£UT£pos.  — 
II  existe  d'assez  nombrcuses  varianies  dans 
les  anciens  raanuscrils  a  propos  des  tt.  30 
et  31.  Les  deux  legons  qui  presentenl  le  plus 
de  garanties  paraissent  elre  celle  de  Lach- 
m;inn,  assez  conforms  a  la  Vulgate  ^xai  eXaSev 
6  ^vjzzpoz '■fit  yyvaTy.a*  xai  outo;  a7t=9av£v  dTevc- 
vo;,  xal  6  xpiTO;  sXaSev  a'jTr,v,  (bcraOtw;  ok  xai  ol 
in-i'  oO  xaT£),t-ov  TExva  xat  oLTraOavov),  et  Celle 
de  Tiscliendorf  (xai  6  Ss-JTspo;  xal  6  Tpi'-ro;  D.a- 
6ev  aOxr;v,  (IxTavTw;  0£  xai  ol  iii'ot,  ou  xaT£).ntov 
T£xva  xai  aTrsQavov]. 

33.  —  In  resurrections  ergo...  C'l  st  la 
conelusion  de  loute  rargumeniation  qui  pre- 
cede, tt.  28-32.  —  Cujus  eorum  erit  uxor? 
Le  verbe  est  au  present  (yi'vETat)  dans  la  |)lu- 
part  des  manuscrils  grecs.  Que.ques-uns  des 
mieux    autorises  B,  L)  ont  celle  varianle  . 

i\  YUvYi  ouv  Ev  T^  ava(jTa(7£t  Ttvo; Ywv:^;  «  mu- 

liiT  aulcm  in  les  irroitiono  cujus  vorum  est 
uxor  ?  » 

34.  —  Alt  illis  Jesus.  Lc  participe  dnoxpi- 
Qei';,  qu'ajoule  la  Recepta,  est  onus  par  les 
manuscrils   Sinait.,   B,  D,  L,  etc.,    par   les 


CHAPITRE  XX 


345 


35.  Illi  vero  qui  digni  habebnntur 
sseculo  illo,  et  resurrectione  ex  mor- 
tuis,  neque  imbent  neque  ducent 
uxores; 

36.  Neque  enim  ultra  mori  pote- 
runt  :  eequales  enim  angelis  sunt, 
et  filii  sunt  Dei,  cum  sint  filii  resur- 
rectionis. 

37.  Quia  vero  resurgant  mortui, 


35.  Mais  C5ux  qui  seront  trouves 
dignes  du  siecle  a  venir  et  de  la  re- 
surrection des  morts  ne  se  marieront 
pas  et  n'epouseront  point  de  ft^mme; 

36.  Car  ils  ne  pourront  plus  mou- 
rir,  car  ils  seront  egaux  aux  anges 
et  fils  de  Dieu,  etant  fils  de  la  resur- 
rection. 

37.  Or,  que  les  morts  ressuscitent,. 


versions  pyriennc,  italique,  coinrae  |iarla  Vul- 
gate ;  il  a  eie  sans  douie  eniprunte  aux  au- 
ires  redactions.  A  la  question  des  Sadduceens 
un  Rabbin  vulgaire  aurait  repondu  (car  les 
Docleurs  juifs  avaient  examine  le  cas)  en  af- 
firmant que  la  femme  apparliendiail  dans 
I'autrc'  monde  a  son  premier  mari.  Solulion 
bien  m'Squine  a  cote  de  ctHe  de  Je>us,  qui 
ouvre  en  parlie  pour  nous  les  porles  du  cie! 
et  nous  pi  rmet  de  jeter  sur  I'etal  fulur  des 
predestines  un  regard  ravi.  —  Filii  hujus 
scBculi.  Hebrcisme  pour  designer  les  liorauies 
tels  qu'ils  vivenl  presentemi  nt  sur  la  lerre. 
Ailleur>  (par  exemple  xvi,  8;  voycz  le  commen- 
taire)  ceUe  locution  est  employee  au  pomt  de 
\ue  moral  el  signale  la  parlii-  la  plus  depravee 
du  genre  liumain;  mais  tel  n'esl  point  ici  le 
cas. — Nubeni  et  traduntur  ad  iiuplias:  Ya|Aoyffi 
(les  homines)  xal  exYai^iT/ovxai  :  les  f  inmes 
qui  son!  donnees  en  mariage  par  leurs  pa- 
rents). Plus  haul,  XVII,  27,  ce  meme  detail 
elail  note  commo  I'indice  d'une  vie  fensuelle 
el  mondaine,  il  apparait  simplement  m  ce 
passage  commo  une  necessile  de  la  condition 
actuelie  des  hommes,  par  opposition  a  I'etal 
des  bienheureux  (tt.  33  el  36).  Le  freqiien- 
talir  iA.-(ix\t.i<iv.ia^ai  ne  se  trouve  pas  ailleurs 
(lans  le  Nouveau  Testament.  La  proposition 
ix  i\u\  enlre  dans  sa  composition  est  Ires 
expressive ;  litteral.  etre  donnee  en  mariage 
au  dehors. 

33  —  Qui  digni  habebuutur  sceculo  illo. 
«  Saeculi>m  lUud  »,  ou  le  monde  a  venir,  est 
miseii  conirasie  avec«saeculiim  hoc  ^>  (f.  33), 
ou  le  monde  present.  L'expression  ol  xaTa^iw- 
eevTe;  luoiitre  que  Noire-Seigneur  ne  pailait 
alors  (jue  des  eUis.  «Sane  magna  diirnatio!  » 
a-t-oii  dil  ju-t  m  nl.  Cfr.  xi.  36;  11  Tliess. 
1,  3;  .Apoc.  Ill  4.  Comparez  aussi  la  locution 
labbiiiique  :  N^n  D^iy  HDIT,  digne  du  siecle 
fuUii-  (ap.  Sclioeiigen  el  Wdslein;.  L'l  mploi 
redoiidant  de  tuxetv  est  d'tine  elegance  louie 
classique,  comuie  Tenseignent  les  graminai- 
riens.  —  Neque  nubent...  Les  verbes  sonl 
an  pies  lit  dans  le  lexte  giec,  do  meine 
(ju'au  il.  34. 

36.  —  Neque  enim  (les  meilleurs  manus- 
crits  onl  oOos  ydp  au  lieu  de  o'jTe  yap  qu'on 
lit  dans  laRtcepia)  idtra  moripoieyunt  (dans 


le  grec,  Suvavtai  au  [iresf  nt;.  Jesus  explique 
pourquoi  il  n'y  aura  plus  de  mariages  dans 
le  ciei.  II  I  xiste,  tel  est  son  raisomii  ment,  une- 
elioite  cirrelalion  («  enim  »;  eiitre  la  morl 
( t  la  g('neration  charnelle,  celle-ci  n'ayant 
ri'aulre  but  que  de  reparer  les  bieches  pro- 
duili  s  [lar  celle-la.  Quand  la  moil  sera  de- 
truile  le  mariage  cessera  de  meme.  Aclu  He- 
menl  il  I'aut  des  naissances  quolidiennes^. 
sans  quoi  I'espece  humaine  no  tarderait  pas 
a  disparailre  :  quand  I'l  spece  sera  deveuue 
imuiuhile,  immortelle,  il  n'y  aura  plus  besoin 
d'iiidividus  nouveaux.  «  L'aibre  de  I'huma- 
nile  ne  poussera  plus  de  branchi^s  fraiches, 
sa  crois-aiice  etant  complete  »  (Schegg,  h.  l.)» 

—  ^Eijuaies  angelis  ^ludYyeXoi,  mot  compost 
quf  S.  Luc  estseul  a  employer).  Le  Seigneur, 
poursuivanl  son  argumentation,  indique  les 
motif,^  (encore  enim}  pour  lesquels  les  ressus- 
cites  ne  sauraient  luourir.  Leur  nature  sera 
tran-foiraee,  car  1°  ils  participeront  a  I'etat 
angelique  fvoycz  1  Evang.  silon  S.  Mallh. 
p.  431),  2°  ils  seront  filii  Dei,  par  !a-meme 
qu'ils  seront  filii  resurreitionis  (hebralsme 
qui  equivaut  a  «  ressusciles  »].  Nos  peres 
morlels  ne  peuvent  noiiscommuniquer  qu'une 
vie  mortelle;  Dieu,  lorsqu'il  deviendra  noire 
pfere  d'une  maniere  tout  admirable  par  le 
grand  ae.iedela  resurrection,  li'quel  est  «un© 
espece  de  generation  nouvelle  pour  Timmor- 
talite  »  ^D.  Caliuet.  h.  I.),  fera  passer  dans 
nos  membres  iratisfigures  quelque  chose  de 
son  essence  spiiituelle,  et  des  lors  ils  ne 
pourront  plus  maui  ir.  —  On  le  voit,  si  S.  Luc 
a  omis  le  debut  de  la  reponse  du  Sauveur 
(Cfr.  Maith  xxii,  29;  Marc,  xii,  24),  en  re- 
vanche quilles  particularites  precieuses  n'a- 
t-il  pas  cons  :rvees  ! 

37.  —  Apies  avoir  refute  les  ^dees  prdcon- 
gues  des  Saddureens  sur  la  condition  des 
bienheureux  dans  I'autre  vie  itt.  34  a  36), 
Notre-Si'igneur,  dans  cette  secoiide  partie 
de  sa  deuionslraiion  {tt-  37  el  38),  leur 
prouve  par  les  sainies  Ecrilures  la  certitude 
de  la  resurrection.  Voyez  rex|)lHalion  de- 
laillee  dans  I'Evang.  selon  S.  Maltli.,p.  432. 

—  ICl  Mouses  ostundtl  (ijii^vvaEv,  litter."  pale- 
fecit  »);  c'est-a-dire  «  ip-o  Movses  »,  Mol'se 
lui-meme  sur  qui  vous  prdtendez  vous  ap- 


346 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


Moise  le  montre  a  Tendroit  du  buis- 
son  lorsqu'il  appelle  le  Seigneur 
le  Dieu  d'Abraham ,  et  le  Dieu 
d'Isaac  et  le  Dieu  de  Jacob. 

38.  Or  Dieu  n'est  pas  le  Dieu  des 
morts  mais  des  vivants,  car  tous 
vivent  devant  lui. 

39.  Et  quelques  uns  des  scribes 
lui  repondirent :  Maitre,  vous  avez 
bien  dit : 

40.  Et  lis  n*osaient  plus  lui  faire 
aucune  question. 

41.  Mais  11  leur  dit  :  Gomoient 
dit-on  que  le  Christ  est  fils  de  David ? 

42.  David  lui-m6me  dit  dans  le 
livre  des  psaumes  :  Le  Seigneur  a 
dit  a  mon  Seigneur  :  Assieds-toi  a 
ma  droite. 


et  Moyses  ostendit  secus  rubum,  si- 
cut  dicit  Dominum  Deura  Abraham, 
et  Deum  Isaac,  et  Deum  Jacob. 

Exod.  3,  6. 

38.  Deus  autem  non  est  mortuo- 
rum,  sed  vivorum  :  omnes  enim  vi- 
vunt  ei. 

39.  Respondentes  autem  quidam 
scribarum,  dixerunt  ei  :  Magister, 
bene  dixisti. 

40.  Et  amplius  uon  audebant  eum 
quidquam  interrogare. 

41.  Dixit  autem  ad  illos  :  Quo 
modo  dicunt  Christum  filium  esse 
David? 

42.  Et  ipse  David  dicit  in  libro 
psalmorum  :  Dixit  Dominus  Domino 
meo,  sede  a  dextris  meis, 

Ps.  109,  1;  Matth.  22,  44|;  Marc.  12,  36, 


puyer  pour  nier  la  resurrection  des  morts. 
—  Secus  rubum,  ou  raieux,  comma  nous 
lisons  dans  S.  Marc,  «  super  rubum  »,  car 
I'expression  grpcque  est  la  mSme  de  part  et 
d'autre  (Itii -rvj;  Paxou;  Marc,  xii,  26,  etii  toO 
Paxou  au  masculii),  Paxo;  elant  du  genre  com- 
mun).  Ainsi  que,  nous  I'avons  monlre  dans 
..dtrecommentairedu  second  Evangile  p.  175, 
cslte  iocution  designelechap.iiie  de  I'Exode, 
oil  est  racontee  I'apparilion  de  Dieu  a  Molse 
aupres  du  buisson  ardent.  Coraparez  les 
exemples  suivanls  emprunles  au  Talmud  : 
Berath.  fol.  2,  4.  «  Quod  scriplum  est  in 
Micliaele  »,  c'est-^-dire  Is.  vi,  6;  fol.  4,  2, 
«  Haec  extant  in  Gabriele  »,  c'esl-k-dire  Dan. 
IX,  21.  Voyez  dans  le  commentaire  de  Fritz- 
sche  snr  I'epilre  aux  Rom.,  xi,  2,  Temploi  de 
formules analogues ch'Z  les  ecrivains  romains 
et  grecs.  —  Sicut  dicit  Dominum...  Les  deux 
autres  synnpijques  citenl  directement  les 
paroles  du  Seigneur  a  Moise;  S.  Luc  se  sort 
du  langage  indirect,  pour  abreger. 

38.  —  Deus  autem  non  est  mortuorum... 
II  n'y  a  pa?  d'article  dans  le  texie  grec;  il 
faut  done  traduire  :  Le  Seigneur  n'est  pas 
un  Dieu  de  morts,  mais  de  vivants.  La  pens^e 
est  ainsi  tres  energique.  Quelle  force,  quelle 
profondeur,  et  en  m6me  temps  quelle  sim- 
plicite  de  raisonnemenl!  — Omnes  enim  vi- 
vunt  ei  (scil.  «  respectu  ejus  »).  Ces  mots, 
propres  a  S.  Luc,  sonl  destines  k  demontrer 
(yap)  que  Jehova  est  par  excellence  le  Dieu 
des  vivants.  Cfr.  Rom.  xiv,  8,  9,  et  les  lignes 
bien  connues  de  Jo.-ephe,  de  Macchab.  16  : 
Ot  5ia  t6v  Geov  airoGvvi(T7tovTec  t^woi  xtji  Osqi,  wauEp 
A6paa|;.,  'IdaoK  xai  'Iaxa)6  xai  Ttavxe?  ot  na- 
^pidpx«. 


39.  —  Ge  trait  n'est  raconte  que  par 
S.  Luc.  —  Quidam  scribarum.  Les  Scribes 
etaient  g^neralemcnt  hostiles  a  Jesus;  ilsne 
purent  neanmoins  s'empecher  d'aclmirer  la 
sagesse  avec  laquelle  il  avail  refute  'es  scep- 
tiques  Sadduceens  :quelques-uns  d'entre  eux 
lui  adresserent  meme  un  eloge  public,  bene 
dixisti!  Ce  ful  un  triomphe  parfait  —  Notre 
evangeliste  omet  ici,  probablement  parce 
qu'il  en  avail  raconte  plus  haul  (x,  25  et  ss.) 
un  semblable,  i'episode  relalif  au  plus  grand 
commandement,  qui  eul  lieu,  suivanl  les 
deux  autres  synoptiques  (Matth.  xxii,  34-40; 
Marc.  XII,  28-34),  aussitol  apres  que  Jesus 
eul  reduit  les  Sadduceens  au  silence. 

40.  —  Et  amplms  non  audebant...  Cfr. 
Matth.  XXII,  46;  Marc,  xii,  34.  Le  texte 
grec  flotte  entre  oOxen  M  (Recepta),  «  amplius 
autem  »;  el  oOxexi  yap,  «  amplius  enim  » 
(B,  L,  Sin.,  etc.).  Ce  sont  deux  nuances  de  la 
meme  pensee.  D'apres  la  premiere  leQon,  lea 
Scribes  louent  Jesus,  mais  se  gardenl  bien  de 
le  queslionner  davantage ;  d'apres  la  seronde, 
qui  est  plus  expressive,  leurs  louanges 
avaienl  pour  but  de  masquer  leur  retraite. 

7»  David  et  le  Messie.  xx,  41-44.  — 
Parall.  Matth.  xxu,  41-46;  Marc,  xxii,  35-37. 

Jesus  s'est  tenu  assez  longtemps  sur  la  de- 
fensive; il  attaque  maintenant  a  son  lour. 
Des  trois  redactions,  celle  de  S.  Luc  est  la 
plus  courle,  celle  de  S.Matthieu  la  plus  com- 
plete (voyez  le  commentaire,  p.  435  et  s.). 

41-43,  —  Dixit...  ad  illos.  La  sc6ne  se 
passa  encore  dans  le  temple  (Marc,  xii,  35), 
et  de  nombreux  Pharisiens  etaient  alors 
reunis  autour  de  Jesus  (Matth.  xxii,  41).  — 


CHAPITRE  XX 


347 


43.  Donee  ponam  inimicos  tnos, 
scabellum  pedum  tuorum. 

44.  David  ergo  Dominnm  ilium 
vocat :  et  quomodo  filius  ejus  est? 

43.  Audiente  autem  omni  populo, 
dixit  discipulis  suis  : 

46.  Attendite  a  scribis,  qui  volunt 
ambulare  in  stolis,  et  amant  saluta- 
tiones  in  foro,  et  primas  cathedras 
in  synagogis,  et  primes  discubitus 
in  conviviis  : 

Matth.  23,  6;  Supr.  11.  43. 

47.  Qui  devorant  domos  vidua- 
rum,  simulantes  longamorationem. 
Hi  accipient  damnationem  majorem. 


43.  Jusqu'a  ce  que  je  fasse  de  tes 
ennemis  I'escabeau  de  tes  pieds. 

44.  David  I'appelle  done  Seigneur, 
alors  comment  est-il  son  tils? 

4b.  Et  comme  tout  le  peuple  ecou- 
tait  ildit  a  ses  diseiples  : 

46.  Gardez-vous  des  seribes,  qui 
veulent  se  promener  en  longues 
robes,  et  aiment  les  salutations  sur 
les  places  publiques  et  les  premiers 
sieges  dans  les  synagogues  et  les 
premieres  places  dans  les  festins; 

47.  Qui  devorent  les  maisons  des 
veuves  sous  pretexte  de  longues 
prieres.  lis  recevront  une  plus 
grande  condamnation. 


Quomodo  dicunt.  Les  inanuscriLs  A,  K,  M, 
n,  elc,  ajoutent :  tive;,  «  quidam  ».  S.  Marc : 
«  Quomodo  dicunt  Scribae.  »  Ici,  d'une  ma- 
niere  geiierale  :  Dans  quel  sens  dit-on...? 
—  Et  ipse  David...  C'est-a-dire  :  Et  pourtant 
David  Iui-m6me  semble  affirmer  le  conlraire. 
Les  manuscrits  Sinait.,  B,  L,  R,  ont  aCixo?  yip, 
ce  qui  revient  au  meme.  —  In  libro  Psalmo- 
rum.  Trait  propre  h  S.  Luc.  —  Dixit  Domi- 
nus  Domino  meo.  La  traduction  iiUerale  du 
teste  hebreu  serait  :  Oracle  du  Seigneur 
{Jehova)  a  mon  Seigneur  {AdonaA).  —  Sede  a 
dextris  meis.  C'est  la  place  d'lionneur  que 
Jehova  donne  a  son  Christ,  symbole  des  pou- 
voirs  egaux  aux  siens  qu'il  lui  confie.  — 
Donee  ponam...  Cfr.  I  Cor.  xv,  T6. 

44.  —  David  ergo...  quomodo  filius  ejus 
est?  A  la  fin  de  son  raisonnement,  Je.-us  rei- 
t6re  sa  question  en  la  preci:^ant  davantage  : 
Comm-nt  ost-il  possible  d'etre  en  meme 
temps  I'inferieur  et  le  supericur  de  quel- 
qu'un?  Aujourd'hui,  un  enfant  du  catechisme 
repondrail  a  celte  difBculte.  Le  Messie,  dirait- 
il,  est  fils  de  Davi.l  par  sa  generation  tempo- 
relle,  et  le  SiMgneur  de  David  par  sa  gene- 
ration elernolle.  Mais  c'elail  alors  la  plus 
delicate,  la  plus  complexe  des  questions 
theologiques.  Aussi,  pour  la  seconde  fois 
dans  ce  jour  memorable,  les  Docteurs  fu- 
reni-il^  contraints  d'avouer  leur  ignorance. 
Cfr.  t.  7. 

8"  J^sus  ddnonce  les  vices  des  Scribes.  \x,  45-47. 
—  Pill-all.  Matth.  xxiii,  1-36;  Marc,  xn,  38-40. 

Dan?  ces  trois  versets  S.  Luc  nous  donne, 
comme  S.  Marc  et  presque  dans  les  memes 
termes,  I'abrege  d'un  grand  discours.  Mais 
deja  il  a  signale  plus  haut,  xi,  39-52,  une 
sorte  de  requisitoire  analogue  a  colui  que 
presente  ici  la  redaction  de  S.  Matthieu,  et 


il  evile,  dans  I'interet  de  la  narration,  la  re- 
petition des  faits  qui  se  ressemblenl. 

45.  —  Petite  introduction  historique,  dont 
le  premier  trait,  audiente  omni  populo  (avec 
emphase  sur  «  omni  »),  est  propre  a  notre 
evangeliste.  Ce  fut  done  en  pres(^nce  d'une 
I'oule  considerable  (Cfr.  Matlh.  xxiii,  i)  que 
Jesus  denonQa  les  vices  des  docteurs  juifs. 
Toutefois,  comme  Texpriment  les  paroles  sui- 
vantes,  dixit  discipulis  suis,  il  s'adre-sait 
alors  plus  specinlement  a  ses  apotres  et  k  ses 
disciples,  qu'il  voulait  premunir  centre  les 
mauvais  exemples  venus  do  si  haut. 

46.  —  Attendite  {■npoaiyt-^z;  dans  S.  Marc, 
^linm)  a  scribis.  S.  Malliiieu  mentionne  les 
Pharisiens  a  cote  des  Scribes.  Comme  les 
docteurs  de  la  loi  etaient  les  membres  les  plus 
influents  du  parti  pharisai'que,  nous  avons  ici 
la  parlie  pour  le  tout.  —  Qui  volunt  (c  esl-a- 
direqui  se  complaisent  a)  ambulare  ip  stolis, 
amant  salutationes...  primas  cathedras.,. 
primos  discubitus...  Ces  divers  trails  mettent 
admirablement  en  relief  I'esprit  d'ostenlalion 
des  Scribes.  Sur  la  «  ^tola  »,  voyez  xv,  22  et 
le  comraentaire.  Le  Talmud  d^nonce  egale- 
ment  et  menace  du  tribunal  supreme  «  h>s 
hypocrites  qui  se  drapent  dans  leurs  talliths 
(stolae)  pour  faire  croire  qu'ils  sont  de  vrais 
Pharisiens.  » 

47.  —  Qui  devorant  domos.  Expression 
toute  classique.  Comparez  Hnm.  Oil.  iv,348, 
oTxo;  EaOietat;  Liban.  o5  xAv  oTxov  ia^itxt;  Plut. 
ia^U-zai  |xoi  olxo;  (ap.  Schegg,  h.  I.).  —  Vidua- 
rum.  C'etait  la,  d'apres  Ex.  xxii,  21  et  s., 
un  crime  dont  la  vnix  g'^levait  jusqu'au  ciel. 
Cfr.  Is.  X,  1,2.  Josephe  au-si,  Ant.  xviii.2,  4, 
reproche  aux  Pharisiens  d'exercer  une  in- 
fluence abusive  sur  le  mondo  feminin  (ol; 
uuTjxTo  :?)  YuvaixwviTtc).  Mais  le  reproche  du 
Sauveur  est  encore  plus  explicitcment  con- 


i 


Hi 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUG 


CHAPITRE  XXI 


L'obole  de  la  vonve  (tt.  1-4).  —  Jesu-;  predil  la  mine  du  temple  de  Jerusalem  (tt.  5  et  6^. — 
Snr  la  d(  mamlo  de  scs  disciples  il  annonce  les  div  rs  signes  qui  precedeiunl  soil  la  fin  de 
I'Elat  jiiil',  soil  la  fin  du  moiide  [tt ■  7-33).  —  Exhoitalion  a  la  vigilance  [tt.  34  36).  — 
Coup  d'oeil  d'eiisemble  sur  les  dei  niers  jours  du  Sauveur  [tt.  37-38:. 


1.  Jesus  regardant  vit  ceux  qui, 
etant  riches,  meltaient  leurs  ofTran- 
des  dans  le  Ironc. 

2.  II  vit  aussi  une  veuve  pauvre 
ineltant  deux  petites  pieces  de  mon- 
aaie. 

3.  Et  il  dit  :  En  verite  je  vous  dis 
que  cette  veuve  pauvre  a  mis  plus 
qu'eux  tous. 

4.  Gar  eux  tous  ont  mis  dans  les 
ofiFrandes  a  Dieu  ce  dont  ils  abon- 
daient,  mais  elle  de  ce  qui  lui  man- 
que; elle  a  mis  lout  ce  qu'elle  avait 
pour  vivre. 


1.  Respicensautem,  viditeos,  qui 
mittebant  munera  sua  in  gazophyla- 
cium,  diviles. 

Marc.  12,  41. 

2.  Vidit  autem  et  quamdam  vi- 
duam  pauperculam  mittentem  sera 
minuta  duo. 

3.  Et  dixit  :  Vere  dico  vobis  quia 
vidua  hsec  pauper  plus  quam  omnes 
misil. 

4.  Nam  omnes  hi  ex  abundanti 
sibi  miserunt  in  munera  Dei  :  hsec 
autem  ex  eo  quod  deest  illi,  omnem. 
victum  suum  quern  habuit,  misit. 


firme  par  ce  passage  du  Talmud  (Sola  Hieros. 
»  20,  1)  :  «  Est  qui  consulial  cum  orplianis, 
ut  aliraenla  vidiiae  eripiat.  Viduae  cujusdam 
opes  R.  Sabbali  d(>praedalus  esL.  R.  Eleazar 
dixil  ad  earn  :  Plaga  Phansaeorum  teligil  le.  » 
—  Siniulantes  longam  orationem,  xal  Ttpo^acet 
[Aay.pd  upoaeuxo^Tai-  lis  iinissaienl  ainsi  I'hy- 
pocnsie  a  la  rapacile  Mais  leur  chaliment 
^qiiivaudra  a  h  ur  malice! 

9"  L'obole  de  la  veuve,  xxi,  1-4.  — 
PardU.  Marc,  xu,  41-44. 

Vraie  «  rose  au  milieu  d'un  champ  d'e- 
pines  » 1  S.  Luc  parlage  avec  S.  Marc  I'hon- 
neut  d'eii  avoir  conserve  le  souvenir,  quoique 
sa  relalion  soil  un  p'u  nioins  complete.  Voyez 
I'explicatmn  delaillee  dans  noire  coraraen- 
taire  dii  second  Evangile,  j).  179  el  s. 

Chap.  xxi.  —  1.  —  Respiciens,  atixoli^cK;. 
Ayatil  leve  Ics  yeux  p)ur  conlempler  la  scene 
nouvelle  qui  se  passail  autour  de  lui.S.  Marc 
raconte  en  effei  qu'apres  avoir  maudil  les 
Pharisiens  ei  les  Scribes,  Jesus  elait  venu 
s'asS'oir  «  contra  gazophylacium  »,  et  c'est 
1^  que  nous  le  relrouvons  apres  un  court 
inlervalle.  —  Guzophylacium  :  mol  hybride, 
comme  le  disaienl  deja  P.  Cyrille  el  Quinle- 
Curce  (ill,  13;,  derive  du  persan  cl  du  grec, 
et  servant  a  designer  ici  les  [.re\ze.  schopharolh 
(riT^SI^.  «  lubae  »},  ou  Irenes  en  foime  de 
trompeiles  {«  id  est  superius   angusiiores, 


inforius  vero  dilatatae  »),  dans  lesqueis  les 
Juifs  jetaient  les  aumones  {munera  sun)  qu'ils 
destinaiont  aux  frais  du  cuke,  cli  I'embellis- 
sement  du  temple,  etc.  Cfr.  Olho,Lex.  rabbin. 
8.  V.  Gaza;  Lighlfoot,  Hor.  hebr.,  Decas 
chorogr.  in  Marc.  c.  in.  —  Le  mot  divites 
est  renvoye  d'une  raaniere  eraphalique  a  la 
fin  de  la  phrase. 

2.  —  Vulit  autem  et  quamdam  viduam.  La 
conjonclion  «  et  ».  qui  manque  dans  les  ma- 
nuscrits  B,  K,  L,  M,  X,  Small.,  est  pcut-etre 
un  glosseme,Les  codd.  A,  F,  G,  Tent  comme 
la  Vulgate,  mais  ils  la  placent  apres  Ttva: 
«  vidil  aliquam,  earaque  viduam  ».  —  Pau- 
perculam, iieviypav  (S.  Marc :  •ttwxii,  «  pauper  ») 
est  un  diminulif  plein  de  delicalesse,  qui 
n'est  pas  employe  ailleurs  dans  le  Nouveau 
Testamenl.  —  Mittentem  (le  grec  ajoule  : 
IxeT)  (era  minuta  duo  :  SOo  Itmi,  dil  le  lexto 
grec;  deux  proutah  (.TOTID)  aurait  dit  UD 
Rabbin.  C'eiail  un  pou  plus  qu'un  do  nos 
centimes.  Les  prescriptions  talmuliquos  ne 
permellaient  pas  d'offrir  un  seul  ieplon. 

3  et  4.  —  Et  dixit.  Plu-;  d'un  spectateur 
dfll  sourire  dedaigneusemenl  qunml  rhumblo 
veuve  glissa  son  offrande  dans  le  Ironc:  Jesus 
loueau  conlraire  publi(]Uement  eel  acle,  dont 
il  devoile  loule  la  generosile. —  Vere  (d>.ri6a)?. 
S.  Marc  :  'A^r,^)  dico  vobis.  Affirmation  solen- 
nelle,  pour  mieux  relever  le  grand  principi^ 
qui  va  suivre.  —  Plus  quam  omnes  misit. 


ClIAPITRE   XIX 


349 


'5.  Et  qiiibusdam  dicentibus  de 
temjilo  quod  bonis  lapidibus  et  do- 
nis  ornatum  esset,  dixit  : 

6.  Haec  qute  videtis,  venient  dies 


5.  Et  a  quelques-URs  qui  disaient 
du  temple  qu'il  etait  beiti  de  fortes 
pierres.  et  orne  de  dons,  il  dit  : 

6.  Viendront  des  jours  oii  de  ce 


El  pouiUiiil  d'apies  S.  Maic,  v  de  I'.oiubreux 
riches  avaicnt  donne  beaucoup.  »  Mais  Dieii 
juge  parl'ois  aulremenl  que  Ics  homines.  «  Si 
enim  vohintas  proinpla  est,  secundum  id 
quod  liabel  accepia  esl,  non  secundum  id 
quod  lion  habel  »,  II  Cor.  viiiJ2.  Lis  pdii-ns 
eux-mem  s  admeUoieuL  ce  jusle  criienum. 
fl  Ce  n'esl  pas  la  ^ommo  qui  deleimme  le 
plus  ou  le  moins,  mais  la  condition  d.'  celui 
qui  donne  »,  Xenoj)h.  Anab.  vii,  7,  36.  Cfr. 
Memorab.  i,  3,  3.  «  La  magnanimite  ne  se 
mesure  pas  d'apres  la  grandeur  du  don,  mais 
d'apres  le  rapport  qui  existe  eiiire  lui  el  la 
fortune  du  doiiaiaire  »,  Aristole,  Eihic.  iv,2. 
Le  Talmud  raconte  (ap.  Welslcin,  Hoiae  in 
Marc.  XJi,  43)  qu'un  grand-prelre,  ayanl  du- 
rement  refuse  una  poignee  de  farine  qu'une 
pauvre  femme  lui  odiail  pour  le  temple,  ful 
reprimande  par  Dieu  dans  une  vision  el  obligd 
d'accepter  ci'  modeste  sacrifice.  —  Ex  abuH' 
danti  sibi  miserunt  :  niieux,  d'apres  le  grec 
(ex  Tou  itEptcrceuovTo;  auToti;),  de  leui"  sup  itlu. 
El  quel  meiiie  y  a-t-il  a  cela?  nousdisailun 
jour  un  genlilliomme  aussi  genereux  que 
riche.  —  la  niunera  Dei.  Les  niols  tov  0eou 
sonl  orais  dans  B,  L,  X,  Sin.,  etc.  —  Hcec... 
ex  eo  quod  deesl  sibi  :  ex  too  uffTepr.fxaToi;  aytris, 
par  conlrasie  avec  le  Tteptacjeuov  des  riches. 
—  Oiiinem  virtum  sinim  :  I'acle  de  citte 
femme  elait  done  vraimenl  heroique.  «  Ube- 
rior  eslnummus  de  parvo;  quia  non  quantum 
detur,  sed  quantum  resideat,  expi  nditur. 
Nemo  plus  tribuil  quam  quee  nihil  sibi  reli- 
quit.  »  S.  Ambr.  De  viduis,  c.  v.  Les  anges 
seuls,  avec  Dieu,  sent  capables  de  suppuler 
les  gros  interels  qu'a  produils  Tobole  de  la 
pauvre  veuve. 

8.  Dlseoars  sur  la  ruine  de  J6rusalem  et 
sur  la  fin  du  monde.  xxi,  5-36.  —  Parall.  Malth. 
XXIV,  l>5i;  Marc,  xiii,  i-37. 

G'esl  ce  que  nous  avons  appeie  ailleurs 
(Evang.  selon  S.  Matth.  p.  453,  Evang.  selon 
S.  Marc,  p.  180),  a  la  suite  des  exegetes  con- 
temporains,  le  discours  eschatologique.  Dans 
sa  redaction,  le  troisieme  evangel iste  se  rap- 
proche  beaucoup  plus  de  S.  Marc  que  de 
S.  Miiithnu;  mais  il  lui  arrive  -ouvenl  aussi 
des'ecarler  el  de  I'un  el  de  I'aulre.  II  a  plu- 
sieiirs})anicularites  impoi  tantesquesignalera 
Je  commonlaire. 

a.  Occasion  du  Discours.  xxj,  b-1 

5.  —  Qiiibusdam  dlentibus  de  templo.  De 
prime-abonl  on  croirait,  d'apres  S.  Luc,  que 
celle  nouvelle  sc6ne  avail  encore  lieu  sous 


les  parvis  ;  mais  les  deux  autros  synopliques 
nous  apprenn'nl  qii'au  moment  ou  njie  cora- 
menga  Jesus  franchis^ait  Tenciinte  du  temple 
(Matth.  «  egressus  »,  Marc.  «  cum  egreueie- 
tur  )■>)  U  abiegedonc;  mais  ilesl  aisede  com- 
pleter son  recit.  II  taut  vouloir  liouver  de  la 
contradiction  quand  meme  dandles  SS.  Evan- 
giles  pour  coneluie  de  celle  vanante,  et 
d'autres  semblables,  que  les  ecrivains  sacres 
sonl  en  opposition  les  uns  avec  les  aulrcs.  La 
verile  consisle  a  dire  qu'ils  parlenl  avec  plus 
ou  moins  de  precision.  Les  «  quidain  »  qui 
atlirerenl  I'atienlion  du  Sauveur  sur  les 
beaules  el  les  richesses  du  temple  n'eiaifnl 
autres  que  les  disciplrs.  —  Bonis  lapnlibus. 
iv.  ),i6wv  Xeuy.wvTS  xai  'jro).\jTe>.wv  xai  xpaxepwv,- 
dil  Joseph.-,  Aul.  xv,  11.  3.  Voyez,  au  sujel 
de  ccs  iiiagniti(|ues  monolilhes.  I'Evang.  sejon 
S.  Marc,  p.  181.—  Ei  donis.  Trait  S(iecial.  11 
s'agil.  comme  le  prouve  I'emploi  du  mol  grec 
ava8r,[xa,  classique  dans  ce  sens  (voyez  Kui- 
notjl,  h.  I.,  Brelschneider  el  Grimm,  Lexic. 
s.  v.),  des  dons  sacres  que  les  p-rsonnages 
les  plus  celebres  el  les  p'u>  divers  (enlrc 
autres  Augusli»,  Julie,  Ptolemee  Evergete.  etc.) 
avaient  tenu  a  honneur  d'offiir  au  ti  mple  do 
Jerusal  ra,  de  maniere  a  en  faire  «  un  sanc- 
tuaired'une  immense  opulence  »,  suivanl  I'ex- 
pression  de  Tacite,  Hist,  v,  8.  Leg  principaux 
etaienl,  indep 'ndammenl  de  coup  s,  de  cou- 
ronnes  et  de  boucliers  sans  nombre,  la  chaine 
d'or  offerte  par  Agrippa,  la  table  et  ie  cande- 
labra de  la  reiue  Helene  d'Adiabene,  et  surtoui 
I'enorme  cep  d'or.  d'un  travail  exquis,  aux 
grap[)es  at  leignant  la  laille  d'un  homme.qu'He- 
rode-le-Grand  avail  fait  placer  au-dcssus  du 
prtrlique.  Voyez  le  Talmud,  Miiidolh,  3,  8  ; 
11  Mach.  in,  2  ;  v.  16 ;  Joseph.  Ant.  xiii,  3  ; 
Bell.  Jud.  v,  5,  4  ;  Winer,  Bibl.  Realwoerler- 
buch,  t.  II,  p.  590;  Lighti'oot,  Drscnpiio 
tempii  hierosolvmilani  ;  de  Saulcy,  Herode, 
p.  239  ;  Delnz-ch,  Durch  Krankheil  zur  Gene- 
sung,  Leipzig    1873. 

6.  —  Jesus  fait  a  ses  disciples  une  reponse 
terrible.  —  Hwc  quce  videlis...  La  [)hrase  ainsi 
commenceedemeure  ensuilesuspendue  ;  c'est 
le  «  nominaiif  absolu  »  des  giammairiens, 
qui  communique  ici  une  grande  emphase  a 
la  pensee.  Plusieurs  critiques  suppleent  bien 
a  tort  un  point  d'inlerrogation  apies  «  vide- 
lis »,  de  maniere  a  traduire  :  «  Haeccinesunl 
quse  videlis?  »  —  Venient  dies  :  a[)rcs  en- 
viron 40  ann^i'S.  —  Non  relinquelur  Inpis 
super  Inpidem.  Vnvez  xix,  44  et  le  commen 
taire.  L  adverbe  wSe,  qu'ajoutenl  ici  plusieurs 
manuscrits,  est  probauleraent  apocryphe. 


350 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


que  vous  voyez  il  ne  restera  pas 
pierre  sur  pierre,  qui  ne  soit  detruit. 

7.  Et  il  rinteiTogereut  disant  : 
Maitre,  qnand  sera-ce  et  quel  sera 
le  signe  que  ces  choses  commence- 
ront  d'arriver  ? 

8.  II  dit :  Prenez  garde  d'etre  se- 
duits,  car  plusieurs  viendront  en 
mon  nom,  disant :  G'est  moi,  et  le 
temps  approche.  N'allez  done  pas 
a  leur  suite. 

9.  Etquand  vous  entendrezparler 
de  guerres  et  de  seditions,  ne  soyez 
pas  effrayes;  il  faut  d'abord  que  ces 
choses  arrivent,  mais  ce  n'est  pas 
encore  aussitot  la  fin. 

10.  Alors  il  leur  dit  :  Nation  se 
soulevera  contre  nation  et  royaume 
centre  royaume. 

11.  Et  11  y  aura  de  grands  trem- 


in  quibus  non  relinquetur  lapis  su- 
per lapidem,  qui  non  deslruatur. 

Matth  24,  2;  Marc.  13,  2,  Supra,  19,  44. 

7.  luterrogaveruut  autem  ilium, 
dicentes  :  Prseceptor,  quando  hsec 
erunt  et  quod  signum  cum  fieri  inci- 
pient ? 

8.  Qui  dixit  :  Videte  ne  seduca- 
camini :  multi  enim  venient  in  no- 
mine meo,  dicentes  quia  ergo  sum, 
et  tempus  appropinquavit  :  nolite 
ergo  ire  post  eos. 

9.  Gum  autem  audieritis  praelia 
et  seditiones,  nolite  terreri :  oportet 
primum  hsec  fieri,  sed  nondum  sta- 
tim  finis. 

10.  Tunc  dicebat  illis  :  Surget 
gens  contra  gentem,  et  regnum  ad- 
versus  regnum. 

11.  Et  terrse  motus  magni  erunt 


7.  —  Interrogaverunt  autem  ilium...  De 
nouveau  S.  Luc  condense  les  fails.  Jesus  est 
mainienarit  assis  au  sommel  de  la  montagne 
des  Oliviers,  entoure  de  ses  qualre  disciples 
les  plus  inliines,  Pierre  el  Aivlre,  Jacques  et 
Jeau,  el  ce  sonl  eux  qui  I'interrogenl  fami- 
liereraenl  pour  lui  faire  expliquer  le  a  veibura 
ominosum  »  profere  sur  le  seuil  du  temple. 
Voyez  les  passages  paralleles. —  Quando  hoee 
erunt  et  quod  signum...  ?  Deux  questions  que 
le  Sauveur  ne  iraitera  pas  de  la  meme  ma- 
niere:  a  la  premiere  il  ne  fera  qu'une  reponse 
vague  et  indirecte,  parce  qu'il  ne  jugeait  pas 
utile  d'instruire  bsapolres  sur  ce  point;  niais 
il  donnera  de  piecieux  renseignemenls  sur 
la  seconde. 

b.  Parlie  prophe'tique  du  discours,  xxi,  8-33. 

1"  Preludes  communs  a  la  ruine  de  Jerusalem  et  k 

la  fin  des  temps,  yf.  8-33. 

8.  —  Videte  ne  seducamini.  Debut  frappant 
et  solennel,  qu'on  trouve  dans  les  trois  re- 
dactions. —  Multi  enim...  iesiis  fait  connaitre 
clairenacnl  aux  siens  les  hommes  dangereux 
qui  pourraient  les  seduire.  —  Venient  in  no- 
mine meo,  c'est-a-dire,  «  nomen  meum  usur- 
pantes  ».  —  Dicentes  quia  tempus  appropin- 
quavit. Trait  propre  a  S.  Luc.  '0  xaipo!;,  le 
temps  par  antonomase,  le  momont  fixe  pour 
I'inauguration  du  royaume  messianique.  — 
Nolite  ergo  ii-e  post  eos.  Celle  recommanda- 
tion  de  Jesus  est  encore  une  specialile  de 
notre  evangeliste.  La  parlicule  ouv,  omise  par 
ifes  manuscrits  B,  D,  L,  X,  etc.,  n'est  vrai- 


seniblablement  pas  aulheniique.  —  Tel  est 
le  premier  prelude,  qui  consists  dans  I'appa- 
rition  de  faux  Christs. 

9.  —  Second  prelude  :  ebranlfments  formi- 
dables  dans  le  mondo  politique.  —  Prcelia. 
Le  grec  a  uoX£[xou;,  des  guerres,  et  non  (iaxas, 
qui  (iesignprait  seulement  des  combats  isoles. 
— Et  seditiones.  Le  mot  correspondant  du  texte 
primitif,  axaTaoxaita?,  n'est  pas  employe 
aiileurs  dans  les  Evangiles ;  il  signifie  lille- 
rallemenl  :  «  perturbaiiones,  lumulluatio- 
nes  ».  Cfr.  I  Cor.  xiv,  33;  Jac.  in,  4  6.  Les 
aulres  synoptiques  onl  ici  une  polite  va- 
riante  :  axoa?  noXeauv.  —  Nolite  terreri; 
{11^  nzofib^xi,  expression  energique  que  nous 
retrouverons  plus  loin,  xxiv,  37;  litteral.  i 
ne  soyez  point  emus,  agues  (S.  Matth.  et 
S.  Marc,  [i^  GpoetaSc).  —  Oportet  (le  grec 
ajoule  yip)  primum  hcec  fieri  :  par  conse- 
quent deuieurez  calmes  enlre  les  bras  de  la 
divine  Providence,  en  attendant  la  fin.  — 
S'atim  est  une  nuance  propre  a  S.  Luc. 

10  et  il.  —  Tunc  dicebat  illis.  Formulo  de 
transition, ponr  mettreen  relief  les  idees  qui 
vont  suivre.  Jesus  reprend  el  developpe  sa 
prediction  du  t.  9. —  Terrce  motus  magni... 
Troisieme  prelude.  Aux  commolions  poli- 
tiques,  signaleos  sous  une  nouvelle  forme 
dans  le  1. 1 0,  s'ajouteronl  celles  de  la  nature. 
Comme  I'a  dil  Niebuhr,  les  grands  boule- 
versements  physiques  coincident  frequem- 
ment  avec  les  grandes  crises  de  I'hisloire. 
—  Per  lora  :  xara  TOTtou?,  xaToc  avec  le 
seas  distriijulif  (Cfr.  xiii,  22).  —  Pestilen- 


CHAPITRE    XXI 


3at' 


pel  loca,  et  pestilentisB,  et  fames, 
terroresque  de  coslo,  et  sigua  magna 
erunt. 

12.  Sed  ante  hsec  omnia  injicient 
vobis  manus  suas,  et  persequentur, 
tradentes  in  synagogas  et  custodias, 
trahentes  ad  reges  et  praesides,  pro- 
pter nomen  meura : 

13.  Gontinget  autem  vobis  in  tes- 
timonium. 

14.  Ponite  ergo  in  cordibus  ves- 
tris  non  praemeditari  quemadmodum 
respondeatis. 

15.  Esfo  enim  dabo  vobis  os  et  sa- 


blements  de  terre  en  divers  lieux,  et 
des  pestes  et  des  famines,  et  des 
choses  terrifiantes  dans  le  ciel,  etde 
grands  signes. 

12.  Mais  avant  tout  cela  ils  jette- 
ront  leurs  mains  sur  vous  et  vous 
persecuteront,  vous  livrant  aux 
synagogues  et  aux  prisons,  vous 
trainant  devant  les  rois  et  les  gou- 
verneurs  a  cause  de  mon  nom. 

13.  Mais  cela  vous  arrivera  pour 
rendre  temoignage. 

14.  Mettez  done  ans  vos  coeurs 
de  ne  pas  premediter  comment  vous 
repondrez. 

15.  Gar  je  vous  donnerai    moi- 


tice  el  fames  :  XiiaoI  xai  ),oi[jioi,  aieme  parono- 
mase  que  dans  S.  MaUhicu.  —  Le  detail 
qui  6uil,  terroresque  de  ccelo  el  signa  magna 
erunt,  est  propre  a  S.  Luc.  D'aptes  la  cons- 
truction du  lexte  grec  (966Yi9pa  xe  xai  ar\\LzXix 
in'  oupavou  (ieYd),a  Saxai),  «  de  coelo  »  et  '.'  ma- 
gna »  paraissent  retomber  sur  les  deux  sub- 
stantifs  «  terrores  »  et  «  signa  »,  dont  le 
premier,  employe  seuleraent  en  cet  endroit 
du  Nouveau  Testament,  designe  des  appari- 
tions leriibles,  le  second,  des  phenomenes 
extraordinaires  precurseurs  d'une  crise.  «  Des 
signes  evidents  annoncerenl  le  siege  et  la 
ruine  de  Jerusalem,  car  une  eloile  en  forme 
de  glaive  et  une  comele  furent  suspendues 
sur  la  villo  duranl  une  annee  entiere;  en 
pleine  nuit  la  plus  massive  des  portes  du 
temple  s'ouvrit  d'eile-merae,  el,  chose  faba- 
leuse  en  apparence,  mais  raconlee  par  des 
temoins  dignes  de  foi,  avant  le  couchT  du 
soleil  on  vit  des  chariots  et  des  troupes  de 
guerriers  amies  s'elancer  a  travers  les  rues 
et  envirouner  les  cites.  »  Josephe,  B.  J.  vi,  5. 
Cfr.  Tacile,  Hist,  v,  13;  IV  Esdr.  v,  4. 

42.  —  Sed  ante  hoec  omnia.  Nouveau  trail 
special.  S.  Mauhieu  dil  vagu(  mi>nt  ;  tote, 
c  tunc  »  ;  nous  apprenons  au  contraire  par 
la  redaclion  de  S.  Luc  que  les  persecutions 
dirigees  contre  I'Eglise,  soil  avant  la  destruc- 
tion de  I'elal  juif,  soil  avani  ia  fin  du  monde, 
devaient  ou  doivenl  preceder  tous  les  autres 
preludes  (a  haec  omnia  »),  c'esi-a-dire,  les 
^uerres,  les  revolulions  des  empires,  etc. 
Cela  eut  lieu  en  effet,  comme  nous  le  voyons 
au  livre  des  Actes,  avant  la  ruine  de  Jerusa- 
lem :  ce  signe  se  r^alisa  le  premier  de  tous. 
U  en  sera  de  m6me  aux  derniers  jours  du 
monde. —  Injicient  vobis  manus...  Les  details 
de  celte  violente  persecution  sont  plus 
nombreux  dans  noire  Evangile  que  dans  les 


deux  aulres.  G'elait  la  du  resle  une  ancienne 
prophetie  de  Jesus  aux  Douze.  Cfr.  xii,  44  ; 
Malili.  X,  47  et  ss.  —  In  cuslodias  {(pyXaxai;) 
Euphemisrae  des  Grecs  pour  designer  les 
prisons  «  raili  vocabulo  ».  —  Trahentes  ad 
reges...  :  d'apres  le  grec,  «  iraclos  ad  re- 
ges... »  (peut-6lre  faul-il  lire  auaYotie'vou; 
avi'C  les  manuscrits  B,  D,  L,  etc.,  au  lieu  du 
simple  ayofievoui;  de  la  Recepta).  Les  auloriles 
palennes,  aussi  bien  que  les  aulorites  juives 
[in  synagogas),  Iraiterenl  les  premiers  fideles 
avec  la  plus  grande  cruaule.  —  Les  molspro- 
pter  nomen  meum  serapportent  au  versel  lout 
enlier. 

43.  —  Gontinget  autem.  Bonne  traduction 
du  verbe  grec  auoSinffiTat,  qu'on  trouve  seule- 
ment  ici  el  Phil,  i,  49.  II  indique  habiluelle- 
menl  un  resullal  heureux.  Cetle  parole  de 
Jesus  contienl  done  une  consolation.  —  Vobis 
in  testimonium.  Quelques-uns  sous-enlendent : 
a  verilalis  »  (scil.me  esse  Christum';  d'aulres  : 
a  eorura  improbilalis  »  ;  d'aulres,  plus  pro- 
bablerainl  :  «  fidei  veslrae  ».  On  lit  dans 
S.  Marc  avec  une  nuance  :  «  in  testimonium 
illis  ». 

4  4.  — Ponite  ergo  in  cordibus  vestris,  c'est- 
a-dire  :  prenez  citle  ferme  resolution.  — 
Non  praemeditari  quemadmodum...  L"  lexlo 
grec  est  ici  d'une  energi(iue  brievete,  qui 
defi(^  toule  traduction  :  (ati  irpoixeXeTqcv  dnoXo- 
Yri9f)vai.  Comparez  le  passage  parallele  de 
S.  Marc.  Les  disciples  de  Jesus  ne  devront 
pas,  en  vue  de  leiir  apologie,  se  conQer  aux 
artifices  de  la  rhelorique.  Us  auront  un 
secours  plus  puissant  qu«  I'eloquence  humaine. 

45.  —  Ego  enim.  Quelle  emphase  visible 
dans  cet  «  Ego  » !  —  Daho  vobis  os.  Melo- 
nymie  Ires  expressive,  qu'on  trouve  dans 
toulos  les  langues.  Comparez,  pour  I'idee, 
XII,  14  et  42  ;  Matlh.  x,  49, 20 ;  Ex.  iv,  15,46; 


352 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


meme  une  bouche  et  une  sagesse  a 
iaquelle  ne  pourront  resister  ni  con- 
tredire  tous  vos  adversaires. 

16.  Voiis  serez  livres  par  vos 
peres  el  vos  meres  et  vos  freres  et 
vos  parents  et  vos  amis,  et  ils  met- 
tront  a  mort  quelques-uns  d'entre 
voiis. 

17.  Et  vous  serez  hais  de  tous  a 
■cause  de  mon  nom. 

18.  Et  pas  un  cheveu  de  votre 
tele  ne  pi^rira. 

19.  Vous  possederez  vos  ames 
dans  la  patience. 


pientiam,  cui  nonpoterunt  resistere 
et  contradicere  omnes  adversarii 
vestri. 

16.  Trademini  autem  a  parenli- 
bus,  et  fralribus,  et  cognalis,  et 
amicis,  et  morte  afficient  ex  vobis  : 


17.  Eteritisodio  omnibus  propter 
nomen  meum  : 

18.  Et  capillus  de  capite  vestro 
non  peribil. 

19.  Inpatientia  vestra  possidebitis 
animas  vestras. 


4er.  I,  9.  —  Et  sapientiam.  Le  Seigneur  four- 
nira  aux  si'^ns  les  pen-ee»  non  moms  que  les 
paroles.  —  Cui  non  poterunt  resistere  et  con- 
tradicere... Le  ipxlegrec  flfiite  cnlre  plusieurs 
leQOn-^  :  avTeiireTv  ovol  avTKTTTjvai  (Rt^c^pla), 
avTEiTtsTv  71  dvTtaTf/vai,  si  m  piemen  I  avriaivivat, 
avTi(7TT)vai  9i  avTetuetv.  o  Contradicere  »  cor- 
respond a  «  OS  »,  «  resiflere  »  k  «  sapien- 
liam  ».  Voyrz  au  livre  di^s  Actes,  iv,  14; 
VI,  10,  la  realisalion  iitterale  de  cetle  pro- 
mi'Sse ,  el  Tinfliience  irresistible  des  ar- 
gum 'His  que  I'Espril  Sainl  inspirail  aux 
Apolres.  Plus  lard,  combien  de  fois  lesjiiges 
palens  ne  fureni-ils  pas  reduils  au  silence  par 
les  reponses  des  martyrs!  —  Ailversarii. 
L'expiession  grecque  correlative,  ol  ivTtxetjjie- 
voi,  ( si  cliere  a  S.  Paul  el  a  S.  Lue,  :  ils  sont 
seals  a  Temploycr  dans  ie  Nouveau  T^'Slamenl. 
—  La  forme  donnee  a  la  pense-  de  Jesus 
dans  ce  verset  est  proprea  noire  evangelisle. 
Cfr.  Marc.  xin.  II. 

16.  —  C'estia  persecution  drrri'^siique  apres 
•la  perseculion  pubiique  et  officielle.  —  Tra- 
demini autem  Le  grec  ajoule  «  etiam  ». 
Mdme  vos  parents  et  vos  amis  vous  persecu- 
teronl!  Cfr.  i,  34;  xii,  53,  ou  nous  avons 
dejii  vu  la  desunion  se  glissor  dans  les  fa- 
milies a  i'occa-ion  du  Chrislianisme.  —  Pa- 
rentibus,  fralribus,  cognalis,  amicis.  Desi- 
gnation,  en  gradaiion  desccndante,  des 
qualresortes  de  personnf-s  desqmlles,  habi- 
tuellement,  nou-;  ii'avons  a  allendre  qu  •  de 
raffeclion.  —  Morte  ajfieienl  ex  vobis  (scil. 
quosdaiii).  Lis  qnatre  Apolres  qui  enlen- 
daif^nt  celte  prophelie,  S.  Pierre,  S.  Andre, 
5.  Jacques  el  S.  Jean,  subirenl  tous  plus  lard 
le  raariyre. 

17.  —  Universalile  de  la  perseculion  : 
Eritis  odio  omuihus.  Cfr.  xii,  7;  Matlh.  x,  30. 
«  Delractani  de  vobis  lanquam  de  malefaclo- 
ribu<  »,  ecrivait  deja  S.  Pierre  aux  premiers 
fideles  (I  Peir.  ii,  12.  Cfr.  II  Petr.  iv,  18). 
ilais   les  viciinies  injuslement   persecuiees 


pourront  s)   consoler    en    pensanl    qu'elles 
souffrent  pour  le  nom  de  Jesus. 

18.  —  El  capillus  de  capite  vestro...  Pro- 
messe  d'niie  protection  loule  particuliSre 
duranl  la  prseculion.  Nous  avons  deja  ren- 
contre adi  uis  (XII,  7;  Matlh.  x,  30)  cetle 
assurance  donnee  aux  disciples  par  Jesus.  La 
forme  piUoresque  sous  laquelle  elle  esi 
exprimee  marque  Ires  bien  la  securite.  C'elait 
du  resle  une  locuiion  proverbiale  qui  avail 
cours  depuis  longlemps  chez  les  Juifs.  Cfr. 
I  Reg.  XIV,  43 ;  llReg.  xiv,  1 1  ;  III  Reg.  i.  52. 
Voyez  anssi  Act.  xxvii,  34.  Mais,  ici"  n'est- 
elle  pas  en  contradiction  avoc  le  t.  16,  ou  il 
est  dit  :  «  Morte  aflicient  ex  vobis  »?  Plu- 
sieurs  ratinnalisles  I'ont  preiendu.  Tout'^ois, 
comme  I'admetlent  franchemenl  d'auiresra- 
lionalistes.  I'antdogie  n'est  qu'apparente,  et 
il  est  aise  de  la  faire  tomber,  soil  en  sup- 
pleant  quelque  idee  sous-enlendue ,  par 
exeinple  :  «  Tanl  que  vous  serez  utiles  au 
service  de  Dieu  »,  ou  bien  :  «  Sans  la  vo- 
loiile  divins  »  (de  Weili^) ;  soil  en  apjiliquant 
ce  vprset  a  I'eglise  consideree  dans  son  en- 
semble :  a  La  chretienle  ne  souffrira  rien  de 
facheux,  alors  meme  que  plusieurs  particu- 
liers  p  Tdraienl  la  vie  »  (Godel);  soil  en  pre- 
nant  la  phrase  au  spiriluel  :  a  Votre  salut  est 
assure  qiiand  meme  »;  soit  enfin,  d'apres 
M.  Scliegg,  en  voyant  ici  la  regie  et  plus 
haul  [t.  16]  I'exception. Telle  nous  parait  dtre 
la  meilleiire  solution  de  la  difTicidle.  Elle  n'a 
rien  de  subtil  elelle  s"harmoni-e  fort  bien  avec 
I'hisloire  qui  nius  montre  le  Seigneur  prole- 
geantd'une  maniere  merveilleusela  masse  des 
fideles,  dans  le  corns  des  persecutions,  lout 
en  permetlant  le  martyre  d'un  grand  nombre. 
Kai  ovTw;,  fai-;ait  deja  obs^^rver  Euihymius, 
ito),).oi  Twv  TTiffxtov  e'  TiOp  e;j6),if)9evTc5  oOSe  Tpixot 
dTtukaav.  —  Non  j  tribit.  Le  lexle  grec  nn- 
force  la  negation  rn  la  doublant.  c\i  [Aiij  aiT6).T)Tat. 

19.  —  Ces  paroles  encore  sor.t  propres  au 
recit  de  S.  Luc,  quoique  Nolre-Seigneur  les 


CHAPITRE  XXI 


353 


20.  Gum  autem  videritis  circutn- 
dari  ab  exercitu  Jerusalem,  tunc 
scitote  quia  appropinquavit  desola- 
lio  ejus; 

JUatlh.  24,  13.:  Marc.  13,  14. 

21.  Tunc  qui  in  Judaea  sunt,  fu- 
giant  ad  montes  :  et  qui  in  medio 
ejus,  discedant  :  et  qui  in  regioni- 
Lus,  non  intrent  in  earn. 

22.  Quia  dies  ultionis  hi  sunt,  ut 
impleantur  omnia  quae  scripta  sunt. 

23.  Vae  autera  prsegnantibus  et 
nutrientibus    in  illis   diebus;   erit 


20.  Mais,  lorsque  vous  vorrez  Je- 
rusalem investie  par  une  armee, 
alors  sachez  que  sa  desolation  ap- 
proche. 

21 .  Alors,  que  ceux  qui  sont  dans 
la  Judee  fuient  vers  les  montagnes, 
et  que  ceux  qui  sont  au  milieu  d'elle 
en  sortent,  et  que  ceux  qui  sont  dans 
les  regions  voislnes  n'y  entrent  pas. 

22.  Parce  que  ce  sont  les  jours  de 
la  vengeance,  afin  que  s'accomplisse 
tout  ce  qui  est  ecrit. 

23.  Or  malheur  aux  femmes  en- 
ceintes et  a  celles  qui  nourriront  en 


eut  egalement  proferees  en  d'auires  circons- 
lances  (Cfr.  ix,  1 4 ;  Mallh.  xvi,  25),  ei  qu'elles 
existent  sous  une  forme  egiiivalenle  dans  les 
passages  paralleles  de  S.  Matlhieu  (xxiv,  13) 
el  de  S.  Marc  (xiii,  13).  —  In  patientia  ves- 
(ra,  c'est-a-dire  «  per  palientiam...  » —  Pos- 
sidebitis.  Mieux,  d'apres  le  texlegrec,  c  acqiii- 
relis  B,  corame  portent  d'ailleurs  plusieurs 
manuscrils  latins.  Les  codd.  grecs  A,  B,  etc., 
onl  xTi^ffeaOs  au  fuiur,  comme  la  Vulgate,  au 
lieu  de  rimperatifxTiiCTaa8s  (Recepta).  —  Ani- 
mas vestras  :  ici,  vos  ames,  par  consequent 
le  salut  eiernel. 

2»  Preludes  propres  a  la  ruine  de  Jerusalem. 
t^  20-24. 

20.  —  Cum  autem.  La  pariicule  6s  sert  de 
transition  a  celte  nouveile  serie  de  predic- 
tions terribles.  —  Circumdari  ab  exercitu  Je- 
rusalem. Dans  le  grec,  Ot:6  CTTpaxoTteSwv  («  ab 
exercilibus  »)  au  pluriel,  pour  tioter  le  grand 
nombre  des  assaillants.  Et,  en  realile,  Jeru- 
salem fut  atlaquee  de  irois  cotes  a  la  fois, 
par  trois  colonnes  d'inveslissoment  qui  for- 
maienl  comme  autanl  d'armees.  S.  Luc  sem- 
ble  avoir  rempiace  a  dessein  par  ce  detail 
tres  clair  I'expression  toute  judalque  «  abo- 
minatio  desolationis  »,  qu'emploienl  S.  Mat- 
thieu  et  S.  Marc  pour  designer  les  signes  pre- 
curseurs  de  la  ruine  de  Jerusalem.  II  a  du 
moins  conserve  le  mot  desolatio  k  la  fin  de 
la  phrase. 

21.  —  Tunc...  G'est  grSce  a  cette  pres- 
sanle  recommandation  de  Jesus  que  les  Chre- 
tiens de  la  Judee  durent  d'echapper  aux  hor- 
reiirs  indicibles  du  siege. — Qui  in  medio  ejus... 
(scil.  «  Jerusalem  »,  d'apres  le  t-  20,  el  non 
«  JudaeaB  »  ,  ce  qui  serait  une  lantologie). 
Trail  propre  k  S.  Luc.  Le  verbe  IxxwpsiTwoav 
(de  ex  el  x^^P*)  discedant]  n'apparail  qu'en  cet 
endroit  du  Nouveau  Testament.  -—  Et  qui  in 
regionibus...,  Iv -ratt  x'*P'*''!>  dans  les  campa- 


gnes,  dans  les  districts  ruraux,  par  opposi- 
tion a  la  ville;  selon  d'autres,  mais  moins 
bien,  dans  les  provinces.  C'esl  encore  un 
trait  propre  a  noire  evangeliste.  —  Nun  in- 
trent in  earn.  En  temps  de  guerre,  les  habi- 
tants des  campagnes  sont  portes,  comme 
nos  recentes  ei  douloureuses  experiences  ds 
1870  le  prouvent,  a  se  refugier  dans  lea 
places  fortes  du  voisinage  a  I'approche  des 
armees  ennemies.  Cfr.  Jer.  \v,  5  et  6.  Cette 
circonslance,  a  laquelle  se  joignil  le  peleri- 
nage  annuel  des  fetes  pascalcs,  accumula 
dans  Jerusalem  une  multitude  enorme  de 
Juifs  qui  perirent  miserablement.  Phisieurs 
ayant  essaye  de  s'enfuir,  le  farouche  s-ieaire 
Simon  de  Gerasa  les  fit  egorger  sans  pilie. 
Cfr.  Jos.  Bell.  Jud.  iv,  9,  10. 

22.  —  Nouveile  parlicula:  ite  de  S.  Luc. 
Jesus  indique  [quia]  ponrquoi  on  devra  fuir 
alors  bien  loin  de  Jerusalem  :  ce  sera  pour 
ne  pas  s'exposer  a  parlager  la  triste  destine^ 
de  cette  ville  coupable.  —  Dies  idtionis  hi 
sunt  :  les  jours  de  la  vengeance  divine,  la 
ruine  de  Jerusalem  etant  irrevocablement  ei 
depuis  longtemps  decretee.  —  Ut  impleantur 
(dans  le  gi'ec,  toO  TiXrjaOrivai,  genilif  du  but) 
omnia  (avec  emphase)  qacB  scripta  sunt.  Les 
menaces  du  Seigneur  avaienl  rctenli  aux 
oreilles  des  Juifs  depuis  les  jours  de  Moise, 
Deut.  xxvni,  el  les  derniers  prophetes  les 
avaienl  solennellemenl  reproduces.  Cfr.  Dan. 
IX,  26  et  s.;  Zach.  xi ;  xiv,  42. 

23.  —  Vce  autem  pra'gnantibus...  Comm& 
dans  les  deux  autres  synopliqnes,  c'est  la  un 
«  vae  »  plein  de  compassion.  Ce  «  vae  »  est 
motive  {erit  enim...)  par  des  leriibles details, 
dont  la  m  nition  et  propre  a  S.  Lu:-  liflf.  23b  el 
24).  —  Pressura  magna,  avdyx-/]  \j.z-{x>f\  :  moti 
tout  a  fait  expres^ifs  (nSna  my  des  He- 
breux),  pour  designer  une  angoisse  puprem". 
—  Super  terram  :  plus  probablement  dan^ 
un  sens  reslreinl,  c'est-^-dire,  sur  la  terre 


S.  Bible.  S.  Luc.  —  23 


3oJ 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


ces  jours -la:  carily  auraunegrande 
detresse  dans  le  pays  et  une  grancle 
colere  contre  ce  peuple. 

24. lis tomberont  sous  le  tran chant 
du  glaive  et  seront  emmenes  captifs 
danstoules  les  nations,  et  Jerusalem 
serafoulee  aux  pieds  par  les  gentils, 
jusqu'a  ce  que  les  temps  des  nations 
soient  accomplis. 

2o.  II  y  aura  des  signes  dans  le 
so]eil,danslalune  etdanslesetoiles, 
et  sur  la  terre  accablement  des  na- 
tions, a  cause  du  bruit  confus  de  la 
nier  et  des  flots. 

26.  Les  hommes  secheront  dans 


enim  pressura  magna  super  terram, 
et  ira  populo  huic. 

24.  Et  cadent  in  ore  gladii  :  et 
captivi  ducentur  in  omnes  gentes; 
et  Jerusalem  calcabitur  a  gentibus  : 
donee  impleantur  tempora  natio- 
num. 

25.  Et  erunt  signa  in  sole,  et  luna, 
et  stellis,  et  in  terris  pressura  gen- 
tium prse  confusione  sonitus  maris, 
et  fluctuum  : 

Matth.  44,  29;  Marc.  13,  24. 

26.  Arescentibus  hominibus  prsB 


juive,  en  Palestine,  ainsi  qu'il  ressort  des 
mots  puivants,  ira  populo  huic.  Ce  pronom 
«  huic  »  est  dedaigneux  et  terrible. 

24.  —  Jesus  indique  maintenant  de  quelle 
maniere  se  manifestera  la  colere  divine.  — 
El  cadent  (le  pluriel  parce  que  «  popuius  » 
est  un  nom  collectif)  in  ore  gladii  (dans  le 
grec,  oTojjiaTi  [Aaxatpac,  dalif  de  I'instrumenl). 
Belle  et  forte  figure,  employee  frequem- 
ment  dans  les  litleratures  semiliques.  C'est 
le  mn  isb  ibsi  des  Hebreux.  Cfr.  Gen. 
XXXIV,  26  ;  Deut.  xiii,  15;  Jos.  viii,  24; 
Hebr.  XI,  34.  —  El  captivi  ducentur...  D'a- 
■pres  I'historien  Jo?ephe,  Bell.  Jud.  vi,  9,  2, 
le  nombre  des  Juifs  qui  perirent  a  Jerusalem 
fut  de  1,100,000;  celui  des  captifs,  de 
97,000.  «  Apres  que  le  soldat  ful  las  de  tuer, 
Titus  ordonna  qu'on  gardat  les  jeunes  hommes 
les  plus  robustes  et  les  mieux  faits,  pour 
orner  son  triomphe.  Pour  les  autres  qui 
etaient  au-dessus  de  I'age  de  17  ans,  il  les 
envoya  en  Egypte  pour  y  Iravailler  aux  mines. 
Titus  en  dislribua  un  giand  nombre  d'autres 
dans  Ir-s  provinces,  pour  servir  dans  les  thea- 
tres aux  speclacles  du  peuple,  pour  6lre 
■exposes  aux  betes,  etc.  Ceux  qui  n'avaient 
pas  17  ans  fiirent  vendus  et  menes  pour  es- 
claves  en  divers  endroits  ».  D.  Calmet,  h.  1. 
La  prediction  se  realisa  done  k  la  lettre.  On 
eut  dit  que  la  nation  entiere  s'etait  donnee 
rendez-Yous  dans  sa  capitale  pour  s'y  faire 
^gorger  ou  charger  de  chaines.  —  Et  Jeru- 
salem caleabilur...  La  tournure  grecque, 
IffTai  7ratou[A£viri  (litteral.  :  sera  etant  foulee 
aux  pieds),  est  plus  expressive  que  le  simple 
futur  et  denote  un  fait  permanent.  Ici  encore 
la  propheiies'est  accomplie  en  toute  rigueur  : 
Jerusalem  a  ete  prise,  saccagee,  foulee  aux 
pieds  tour  a  tour  par  les  Remains,  par  les 
Perses,  par  les  Sarrasins,  par  les  Francs,  par 
les  Turcs.  Les  Juifs,  ses  anciens  maitres,  y 
«ont  simplement  toleres,  movennant  une  re- 


devance  qu'ils  paienl  au  sultan.  Et  cepen- 
dant,  apres  I'exil  de  Babylone,  lis  I'avaient 
precisement  lortifiee  «  ne  quando  venirent 
gentes,  et  conculcarenl  eam ,  sicul  anlea  fe- 
cerunt  »,  I  Mach.  iv,  60.  Cruelle  ironie  du 
sort!  —  Donee  impleantur  tempora  nationum. 
Ces  derniers  mots  presenlent  quelque  obscu- 
rite.  Le  pluriel  xaipoi  semble  indiquer  une 
dur^e  assez considerable;  neanmoins  les  exe- 
getes  ne  sonl  pas  d'accord  sur  ce  qu'il  faut 
entendre  par  les  «  temps  des  nations  »,  dont 
I'accoiriplissement  metlra  un  terme  au  ch5- 
timent  d'Israel.  II  est  p(  u  probable  que  ce 
soient  les  «  lempora  mundi  »,  c'est-a-dire 
«  usque  ad  mundi  tinem  »,  comme  I'ont  pense 
Eulhymius,  Fr.  Luc,  etc.  Le  delai  a'lnsi  ac- 
corde  aux  Gentils  doit  avoir  des  limites  plus 
precises.  Peut-etre  les  temps  en  question  re- 
presenteraient-ils  I'epoque  ou  les  peupies  non- 
juifs  seront  a  leur  tour  murs  pour  le  juge- 
meni,  ou  bien  celle  durant  laquelle  ils  con- 
tinueront  a  etre  les  executeurs  des  vengeances 
divines,  ou  mieux  encore,  croyons-nous,  les 
jours  qui  leur  seront  accordes  a  eux-mSmes 
pour  se  convertir.  Telle  etait  deia  I'opinion 
duV.Bede:  «  Donee  plenitudo  gentium  intret 
in  Christi  Ecclesiam  »,  et  un  passage  de  I'epi- 
tre  aux  Remains,  xi,  25,  «  caecitas  ex  parte 
contigit  in  Israel  donee  plenitudo  gentium  in- 
traret  »,  semble  la  favoriser  singulierement. 
Mais  I'expression  demeure  en  partie  myste- 
rieuse,  et  il  est  difQcile  de  la  preciser  da- 
vantage. 

3<»  Preludes  propres  i  la  fin  du  monde.^  f.  25-33. 

25  et  26.  —  Et  erunt.  Comme  les  deux 
premiers  evangelistes,  S.  Luc  passe  tout  a 
coup  aux  derniers  jours  du  monde,  condui- 
sant  ses  lecteursd'un  horizon  rapproche  a  un 
horizon  lointain.  II  abrege  d'abord  notable- 
ment,  quand  il  se  borne  a  mentionner  des 
siqna  in  sole,  et  luna,  et  stellis  (comparez  Matth. 


CHAPITRE  XXI 


365 


timore  et  expectatione,  qiise  super- 
venient universe  orbi :  nam  virtutes 
coelorum  movebuntur. 

27.  Et  tunc  videbunt  Filium  homi- 
nis  venientem  iu  nube,  cam  potes- 
tate  magna  et  majestate. 

28.  His  autem  fieri  incipientibus. 


Tattente  de  cequi  doit  arriver  a  tout 
I'univers,  car  les  vertus  des  cieux 
seront  ebranlees. 

27.  Et  alors  ils  verront  le  Fils  de 
I'homme  venant  dans  une  nuee  avec 
unegrande  puissance  etune  grande 
majeste. 

28.  Et  quand  ces  choses  commen- 


XXIV,  29 ;  Marc,  xiil,  24  el  25,  ou  la  des- 
cripiioii  de  Jesus  est  plus  developpee);  mais 
il  signale  ensuiie  plusieurs  traits  particuliers 
et  tres-expressifs,  a  partir  des  mots  «  et  in 
lerris  »  jusqu'^  «  universe  orbi  ».  —  In  ter 
ris  :  par  opposition  aux  signes  du  ciel.  Dans 
le  grec,  liri  Trj;  yfa  au  singulier.  II  est  a  noler 
que  I'article  a  eteseulement  place  devant  le 
mot  yft  el  qu'il  iraccompagne  aucun  des  dix 
subsOntifs  qui  suivent.  —  Pressura  gentium. 
L'expressiou  du  lexlc  primilif  qui  correspond 
a  «  pressura  »  n'esl  pas  iLy(i.yY.-r],  conime  au 
t.  -13,  mais  <mvoxTi,  qu'on  trouve  ici  seule- 
raent  et  II  Cor.  ii,  4.  Elle  est  pareillement 
•tres  energique  et  s'emploie  soil  au  propre, 
soil  au  figuie.  Cfr.  Brelschneider,  Lex.  man. 
s.  V.  —  PrcB  confusione.  Le  grec  aTropia,  qui 
est  un  des  ana?  Xeyojieva  du  Nouveau  Testa- 
ment, signifie  plutot  «  perplexitas,  status 
ejus  qui  est  consilii  in^ps  ».  Cfr.  Grimm, 
Lex.  s.  V.  —  Les  mots  soniius  7naris  et  fluc- 
tuum  (dans  le  grec,  ffa).ou  au  singulier)  indi- 
quent  ce  qui  produira  la  perplexile  des  peu- 
ples  :  les  vagues  s'avanceront  mugissantes, 
menaQantde  tout  engloulir.  Des  deux  legons 
^X0^<"1?  QaXaorari?  xai  ffdXou  (D,  E,  G,  H.  K,  S, 
U,  V,  olc),  «  resonanle  mari  et  fliictu  »,  et 
iixous  OaXdadYi!; xal  0d),ou(A,  B,  C,  L,  M,  R,  Si- 
nail.),  qui  est  celle  de  la  Vulgate,  nous  pre- 
ferons  la  seconde,  parce  que  les  documents 
qui  la  favorisent  onl  plus  d'autorite.  Les  mots 
^Xo«et  ffaXo;  n'apparaissenl  pas  dans  les  au- 
ires  ecriis  du  Nouveau  Testament.  —  Comme 
dans  notre  explication  du  passage  parallele 
de  S.  Matthieu  (xxiv,  29),  nous  prenons  a 
la  leltre  ces  predictions  de  Je^us,  tout  en  ad- 
mettani  qu'elles  sonl  exposees  d'apres  les 
idees  populaires  ot  non  dans  le  langage  des 
savants.  Les  proph^tes  decrivenl  de  la  mSme 
maniere  I'agonie  du  monde,  les  convulsions 
suprfimes  qui  annonceront  sa  dissolution. 
Cfr.  Am.  viii,  9;  Joel,  ii,  30  el  s.;  Is. 
xiii,  9-<3 ;  XXXIV,  2  ;  Ezech.  xxxii,7,  8,  etc. 
Comparez  ces  beaux  vers  de  Lucain,  qui 
expriment  des  fails  analogues  : 

Sic  qanm,  compage  solnta, 
Sxcala  tot  mundi  suprema  coegerit  hora, 
Aaliqua  repetent  iterum  chaos  omnia,  miitis 
Sidera  sideribus  concurrent,  ignea  pontura 
Astra  piUent,  teilus  extendere  littora  nolet 
Exculietqae  fretum...  Phare.  i,  72. 

—    Arescentibus    hominibus    prce   timore... 


Quelle  energie  de  langage !  Le  mot  grec 
ano'^xtxo'^ibi'^  (de  aTto  et  '^^X'Oi),  propre  a  la  dic- 
tion de  S.  Luc,  aurait  ete  plus  exaclement 
traduit  par  «  exanimari,  exspirare  ».  Un  ma- 
nuscrit  latin  (a)  porle  «  refrigerantibus  »,  par 
suite  d'une  erreur  d'etymologie  (inb  el  '{'yx°5» 
fraicheur).  C'est  du  resle  partoul  la  meme 
idee.  —  Et  exspedatione  :  le  substantif  npoa- 
6oxia,  que  S.  Luc  est  egalement  seul  a  em- 
ployer parmi  les  ecrivains  sacres,  designe 
une  atlente  pleine  d'inquietude,  «  metusira- 
minentis  mali  ».  —  Quw  supervenient  :  pour 
V  eorum  quae...  »,  irpodSoxia; twv  iTrspxotJtevwv. 
•—  Univi'rso  orbi  est  une  bonne  paraphrase 
de  T^  otxou(x£viQ.  —  Virtutes  ccelorum.  Sur 
celte  locution,  voyez  I'Evang.  selon  S.Matth., 
p.  467.  Le  Juif  Philon  appelle  aussi  les  astres 
Td;  avw  SuvdjAsi;,  et  Eschyle  les  nomme  «  les 
brillanls  dynastes  ». 

27.  —  rtittc :  c'est-Si-dire  apres  qu'auront 
paru  les  phenomenes  decrits  dans  les  tt.  25 
et  26.  —  Filium  hominis...  in  nube.  S.  Matlh. 
et  S.  Marc  onl  le  pluriel  :  «  in  nubibus  ».  — 
Cum  potestate  magna  et  majestate.  L'adjectif 
reiombe  vraisemblablement  sur  les  deux  noms, 
comme  le  pensait  deja  S.  Cyrille  :  xax'  k^^o- 
Ts'pwv  OS  wv.oiJOTp  TO  noXXrj;,  (iexd  Suvdjxeo);  yap 
uoAArj?  xal  Sc^r));  TtoXXrji;  Ti^v  SeuTspav  aCiToO  uot^- 
oETat  6£09dv£tav  (cite  par  Schegg,  h.  I.).  Lo 
premier  avenemenl  de  Jesus  avail  eu  lieu  au 
contraire  dans  la  faiblesse  el  I'humilile. 

28.  —  Tout  ce  verset  est  propre  a  S.  Luc. 
Ris  autem  fieri  incipientibus.  Le  pronom 
a  his  )■>  denote  les  signes  terrestres  el  celestes 
qui  viennenl  d'etre  mentionnes.  Ces  signes 
devant  avoir  une  certaine  duree,  Jesus  attire 
ratlention  des  disciples  sur  le  «  debut  »  de 
leur  apparition.  Aussitot,  dil-il,  que  vous  les 
reconnaitrez  d'apres  ma  prediclioii,  respicite 
(dans  le  grec  avaxOtJ/aTe,  «  corpus  erigite  ». 
Cfr.  xiii,  11  et  le  commentaire)  et  levate 
capita  vestra.  C'est-a-dire,  «  bono  anirao 
esiole  »,  comme  traduit  la  version  syrienne ; 
soyez  «  laeti  et  erecli  »,  dit  Ciceron  (pro 
Font,  xi)  parlanl  tout  ensemble  au  propre  et 
au  figure.  Celte  belle  metaphore  est  basee 
sur  I'experience  universelle,  «  Solent  enina 
caput  altollere  el  sursum  aspicere,  qui  bono 
ac  laeio  sunt  animo,  et  quibus  spes  affulget 
emrgendi  e  malis;  ut  demitlere  caput  et 
terram  aspicere,  qui  tristi  afflictoque  sunt 
animo,  et  sine  spe  evadendi  mala.  »  F.  Luc. 


356 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


ceront  d'arriver,  regardez  et  levez 
la  tete,  parce  que  votre  redemption 
approche 

29.  Et  il  leur  dit  cette  comparai- 
son  :  Voyez  le  figuier  et  tous  les 
arbres. 

30.  Lorsque  deja  ils  produisent  du 
fruit  vous  savez  que  Fete  est  proche. 

31.  Ainsi  quand  vous  verrez 
ces  choses  arriver,  sachez  que  le 
royaume  de  Dieu  est  proche. 

32.  En  verite  je  vous  dis  que 
celte  generation  ne  passera  pas 
jusqu'a  ce  que  toutes  ces  choses 
n'adviennent. 

33.  Le  ciel  et  la  terre  passeront, 
mais  mes  paroles  ne  passeront  pas. 

34.  Mais  veillez  sur  vous,  de  peur 
que  vos  coeurs  ne  s'appesantissent 
dans  la  crapule,  Tivresse  et  les  sou- 
cis  de  cette  vie,  et  que  ce  jour  ne 
vienne  sur  vous  soudainement. 


respicile,  et  levate  capita  vestra  r 
quoniam  appropinquat  redemptio- 
vestra. 

Rom.  8,  23. 

29.  Et  dixit  illis  similitudinem  r 
Videteficulneam,  et  omnes  arbores  r 

30.  Cum  producunt  jam  ex  se  fruc- 
tum,  scitis  quoniam  prope  est  aestas. 

31.  Ita  et  vos  cum  videritis  haec 
fieri,  scitote  quoniam  prope  est  re- 
gnum  Dei. 

32.  Amen  dico  vobis,  quia  uon 
preeteribit  generatio  haec,  donee 
omnia  fiant. 

33.  Coelum  et  terra  transibunt  r 
verba  autem  mea  non  transibunt. 

34.  Attendite  autem  vobis,  ne 
forte  gravenlur  corda  vestra  in  cra- 
pula,  et  ebrietate,  et  curis  hujus 
vitse  :  et  superveniat  in  vos  repen- 
tina  dies  ilia. 


—  Quonitnn  appropinquacit  redemptio... 
aTto/Otpwai?,  expression  aimee  de  S.  Paul 
Cfr.  Rom.  iii,  24;  viii,  23;  I  Cor.  i,  30. 
Eph.  I,  7;  Hebr.  ix,  1o;  xi,  35,  etc.  Ce  qui 
troublera  k-  resle  des  hommes  devra  done 
rejoiiir  les  chreiiens,  parceque  ce  sera  pour 
eux  I'dnnonce  de  la  delivrance,  du  bonheur 
eternel. 

29-31.  —  Pelile  parabole  pour  re>umer 
et  pour  faire  ressortir,  a  I'aide  d'une  image 
claire  el  simple,  les  enseignomenls  d'^s 
tt.  23-28.  —  Et  dixit  illis  similitudmein  (Ttapa- 
6o>.riv).  De  nouveau  (Cfr.  t.  iO)  S.  Luc  inler- 
rompt  lediscours  de  Jesus  par  uiie  formule  de 
Iransilion  qui  lui  est  propre.  —  Videle  ficnl- 
neain...  Jesus  se  trouvail  alors  sur  le  monl 
des  Oliviers,  et  eel  arbre  y  eroi-;>ail  en  abon- 
dance,  comme  I'indique  le  nora  do  Betlithage, 
«  maison  des  figues  ».  Di^plus,  le  mouvem:Mil 
de  la  vegetation  avail  deja  commence.  Cfr. 
Matlh.  XXI,  19.  —  Et  omnes  arbores  est  une 
parlicularile  de  S.  Luc.  Les  aulres  synopli- 
ques  ne  citent  que  le  figuier.  —  Cuvi  produ- 
cunt. L"  mot  frudum  n'esl  pas  dans  le  lexle 
grec.  oil  7:poSa),/.stv  est  pris  d'une  maniere 
absolue,  confonnemenl  a  I'usage  clas>ique, 
pour  signifi'M-  «  cmiltere  flores  »  ou  i  folia  ». 
Uii  manuscril  latin  (a)  porle  :  «  florient  ». 
L'adiiilion  t6v  xapTiov  aO-rtSv  du  cod.  D  est  un 
glosseme  evidenl.  Coai[)arez  les  nuances  des 
recits  paralleles.  —  Jta  el  vos...  Morale  de  la 
parabole.  Elle  est  exprimee  en  lermes  a  peu 


pres  idenliques  dans  les  trois  synoptiques  r 
notre  evangeliste  a  seulemeni  regnum  Dei  (le 
royaume  du  Messie  dans  sa  glori.nist  con- 
sommalion)  au  lieu  de  la  vague  locution  «  in 
januis  »  lie  S.  Maltliieu  et  de  S.  Marc. 

32  el  33.  —  Conclusion  de  la  parlie  pro- 
pheiique  du  Discours,  tt.  8-31.  Ici  encore  il 
exisle  une  rcssemblance  frappante  entre  les 
trois  reciis.  Voyez  I'explication  dans  I'Evang. 
selon  S.  Matth.  p.  468  el  s.  —  Non prceieri- 
bit  :  dans  le  grec,  ou  ixri  napilt^^,  avec  une 
double  negation  pour  fortifier  I'lde^'.  Dj  meme 
un  p  HI  ()lus  ba-,  t.  33,  oO  (lyj  TvapiXSoiffi  {ou  fii^ 
TTapsAcucovTat  d'apres  les  manuscrits  B,  D,  L, 
Sin.).  —  Verba  autem  mea...  «  Deducla  enim 
ex  aelernitate,  id  in  se  conlmenl  virlutis  ut 
maneanl;  ilia  ^coelum  el  terra)  ex  conditione 
creationis  suae,  id  est,  profecla  do  nihilo, 
habent  id  in  se  necessiiatis  ut  mulari  el  non 
esse  possinl.  »  S.  Hilaire,  Horn,  in  Evang.  h.  I. 

C.  Parlie  morale  du  discours.  xxi,  34-36. 

C'est  une  peroraison  pleine  d'energie,  oon- 
sislanl  en  pxliorlations  pratiques  qui  varient, 
pour  les  details,  dans  chacun  de  nos  evange- 
lisles,  mais  qui  se  resumenl  chez  tous  dans 
celte  imporlanle  legon  :  «  Vigilale  ».  S.  Luc 
est  encore  le  moins  complel  des  trois. 

34.  —  Attendite  autem  vobis.  Ce  pronom 
est  emphatique.  Des  phenomenes  exlerieurs 
qu'il  vienl  d'annoncer  pour  un  avenir  plus  ou 
moins  lointain,  Jesus  ramene  I'att  niion  des 


CHAPITRE  XXF 


357 


35.  Tanquam  laqueus  enim  super- 
■veniet  in  omnes  qui  sedent  super 
faciem  omnis  terrse. 

36.  Vigilate  itaque,  omni  tempore 
orantes,  ut  digni  habeamini  fugere 
ista  omnia  quae  futura  sunt,  et  stare 
ante  Filium  hominis. 


35.  Car  il  viendra  comme  un  filet 
sur  tons  ceux  qui  habitent  sur  la 
surface  de  la  terre. 

36.  Veillez  done  et  priez  en  tout 
temps,  afin  que  vous  soyez  trouves 
dignes  d'echapper  a  toutes  ces 
choses  qui  doivent  arriver  et  de 
rester  devant  le  Fils  de  I'homme 


disciples  siir  icur  propre  personne.  —  Ne 
forte  gvavenltir  corda  vestra.  Locution  Ires 
expressive.  Un  coeur  alourdi  est  entraine 
vers  la  icrre  par  son  propre  poids;  il  est  in- 
eapnble  de  s'elever  vers  les  hautes  spheres 
oil  Jesus  voudrait  le  conduire.  La  leQon  pro- 
bable du  lexle  grec  est  Pap7i6woiv,  d'apres  les 
manuscrils  Sin.,  A,  B,  C,  L,  R,  etc.  Ge  verba 
n'esL  employe  que  par  S.  Luc.  —  In  crapula 
et  ebrielate  (ev  v.pa.mil-^  y.ai  (ie9iri)  ;  deux  sub- 
slanlils  liequemment  associes  par  les  clas- 
siques  grecs  et  latins  («  crapula  »  a  d'ailleurs 
ete  caique  sur  xpai^dXT]).  Les  anciens  rhe- 
teurs  en  ont  netlement  fixe  le  sens.  KpaiTtaXTj 
xai  (Aeeiri  Siatfipti,  dit  Ammonius  (ap.  Wetstein, 
h.  I.).  KpatTraXY)  \lIv  yap  eoxtv  •?)  x^coiv^  (i£6l' 
[Jie6ri  ok  ii  vi](;  autr^?  ripiepa?  yivofjie'vyi  otvMdi;.  Cfr. 
Clem.  All  X.  Paedag.  ii,  2;  H.  Etienne,  Bret- 
Schneider  et  Grimm,  s.  v.  MsStj  designe  done 
I'acte  d'intemperance  considere  en  lui-m^rae, 
et  xpat7t(x).Yi  eel  acte  envisage  dans  ses  suites 
(«  le  mal  de  tSte,  de  coeur,  etc.,  qui  suit  Ti- 
vresse  ».  Hesychius).  II  est  bon  de  rappeler 
que  ce  vice  etait  pousse  a  ses  dernieres  li- 
miles  chez  les  peuples  de  I'antiquite.  Com- 
parez  Giceron,  Alt.  xiii,  52 ;  Phil,  ii,  25; 
Verr.  v,  11  ;  Seneque,  ad  Helvid.  ix;  Juve- 
nal, VI,  427,  etc.  S'enivrer  n'avait  rien 
d'humiiiant,  meme  dans  la  haute  societe, 
mais  faisait  partie  du  «  bon  ton  ».0n  aimait 
a  dire  par  maniere  de  proverbe  qu'il  fallait 
oiv({)  Tov  oivov  £|£>,ayveiv,  ou  bien  xpaiird).Yiv 
xpatitdXTf).  Cfr.  Plutarch.,  De  san.  luend.11. 
Jesus  met  ses  disciples  en  garde  contre  toutes 
ces  horreurs.Cfr.  I  Thess.  v,  6  :  I  Petr.  iv,  7: 
vr)ij;dTe,  soyi  z  sobres !  —  II  ajoute  :  et  curis 
biijus  vitcp  ft^Epifjivat;  Ptw-cixat;,  «  curis  saecu- 
laribus  »,  comme  traduisent  les  manuscrils 
latins  a,  b,  d).  Une  inquietude  exageree, 
toule  mondaino,  relativemenl  aux  necessiles 
tjuotidiennes  de  la  vie,  est  bien  capable  aussi 
de  rendre  le  coeur  pesant,  incapabh;  de  vraie 
vertu.  Cfr.  viii,  H.  —  Et  superveniat  in  vos 
■repentina  (al^vtSic;,  ici  seulement  et  I  Thess. 
V,  3)..,  Si  le  coeur  est  ainsi  gale  ou  preoc- 
■cupe,  comment  serait-il  attentif?  et,  s'il  n'est 
.pasattcntif, il  sera  inevitablement  surpris  par 
lie  dernier  jour, nomme(/iesi7ia  par  anlonomase. 
35.  —  Tanquam  laqueus...  (■reayt;,  i!!ot  aime 
de  S.  Paul ;  S.  Luc  est  le  seul  des  evange- 
iisies  qui  I'emploiej.  Befio  et  viyanie  image 


d'une  ruine  qui  siavienta  I'improviste.  Nous 
reliouvons  la  meme  metaphore  dans  Is. 
XXIV,  17;  Rom.  xi,  9 ;  I  Tiui.  iii,  7,  et  tout 
particulieremint  Eccl.  ix,  12:  «  Nescithomo 
finem  suum  :  sed  sicut  pisces  capiuntur 
hamo,  etsicui  aves  laqueo  comprehenduniur, 
sic  capiuntur  homines  in  tempore  malo,  quum 
eis  extemplo  supervenerit.  »  D'autres  fois, 
xii,  39,  40;  1  Thess.  vi,  3;  Apoc.   iii,  3; 

XVI,  15,  etc.,  la  mort  et  le  jugemeni  sont 
representes  sous  la  figure  d'un  voleur  qui 
arrive  egalement  quand  on  s'y  attend  le 
moins.  —  Superveniet  (le  mot  grec  ne  so 
trouve  qu'en  cet  endroit)  super  o?>ines...  Jesus 
designe  ainsi  I'universalite  du  jugeraent. 
Remarquez  I'emphase  de  omnes  et  de  omnis, 
—  Qui  sedent  super  faciem...  Hebraisme  : 
yiKnSD  i^sSirn^y'.  Cfr.  II  Reg.  iv,  8  ;  Act. 

XVII,  26,  etc.  «  Sedere  »  ne  designe  point 
particulierement  une  vie  commodo,  volup- 
tueuse  (van  Oosterzee,  etc.)  :  c'est  un  simple 
synonyme  de  «  habitare.  » 

36.  —  Vigilate  itaque  :  mot  principal  de 
celte  exhortation  pratique.  —  Omni  tempore 
orantes.  II  est  probable  que  les  mots  £v  uavti 
xaiptjj  retombent  lout  a  la  fois  sur  i-yp-jiFJiX-cz  et 
sur  Se6(xevot.  Ce  dernier  verbe  n'est  pas  cplui 
que  les  autres  evangelistes  emploient  habi- 
tuellement  pour  exprimer  I'idee  de  la  priere 
(Ttpo<7etixo('-aO  :  S.  Matlhieu  seul  en  fait  une  fois 
usage  (ix,  38) ;  mais  nous  le  trouvons  quinze 
fois  dans  les  ecrits  de  S.  Luc,  et  six  fois  dans 
ceux  de  S.  Paul.  Notez  celte  association  de 
la  vigilance  et  de  la  priere  (Cfr.  xvui,  1; 
Eph.  VI,  18)  :  la  prudence  humaine  serait  in- 
suffisante  sans  les  divins  secours  que  la 
priere  nous  obtient.  —  Ut  digni  habeamini. 
Comp.  XX,  26.  Plusieurs  des  manuscrils 
(B,  L,  X,  Sin.)  el  versions  (copt.,  syr.,  arab.) 
qui  font  auiorite  ont  xattox'JfJ^Te,  «  ut  va- 
leatis  »,  au  lien  de  xaTa$iw6f)T£.  —  Stare 
ante...  .  c'est-a-dire,  d'apres  Ps.  i,  5,  el  MaL 
III,  2,  vous  tenir  avec  confiance  pour  louer 
et  aimer  elernellement  Dieu  dans  le  ciei. 
C'est  la  un  doux  et  consolant  horizon  que  nous 
ouvre  Jesus. 

4.  Coup  d'oell  d'ensemble  sur  les  derniers 
jours  du  Sauveur.  xxi,  37-38. 

Ces  precieuses  indications  sont  une  parli- 
cularite  de  S.  Luc. 


358 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


37.  Or  le  jour  il  enseignait  dans 
le  temple,  mais  la  niiit  il  sortait  et 
demeurait  sur  la  moutagne  qui  est 
appelee  des  Oliviers. 

38.  Et  tout  le  peuple  de  grand 
matin  venait  au  temple  pour  I'ecou- 
ter. 


37.  Erat  autem  diebus  docens  ia 
templo :  noctibus  vero  exiens,  mora- 
batur  in  monte  qui  vocatur  Oliveti. 

38.  Et  omnis  populus  manicabat 
ad  eum  in  templo  audire  eum. 


CHAPITRE  XXII 

Le  Sanhedrin  cherche  le  moyen  de  se  debarrasser  de  Jesus  {ft.  \  el  2).  —  Judas  lui  offre  son 
horrible  concours  {Hft.  3-6).  —  Jesus  fail  faire  ies  preparatifs  de  !a  Paque  {l!t.  l-\3\  — 
La  double  cene  {tt.  14-23).  —  Conversalion  itilime  avec  Ies  Apotres  (tt.  24-38).  — 
L'agonie  de  Gelhsemani  {tt.  39-46).  —  Jesus  arrele  comme  un  malfaiteur  (ft.  47-54).  — 
Le  reniemenl  de  S.  Pierre  [tt.  55-62).  —  Jesus  cruellemenl  oulrage  par  Ies  valels  du 
Sanhedrin  {ft.  63-65).  —  Son  inlerrogaloire  devanl  le  grand  Conseil  i(Vt.  66-71). 


1 .  Or  la  fSte  des  azymes,  qui  est 
appelee  la  Pdque,  approchait. 


l.Appropinquabat autem  dies  fes- 
tus  Azymorum,  qui  dicitur  Pascha. 


Matlh.  26,  2;  Marc.  14,  1. 


37.  —  Erat  autem.  Imparfail  qui  ex|>rime 
una  coulume,  des  fails  reileres.  —  Diebus 
docens  in  templo.  Cfr.  xix,  47  et  48.  Le  dis- 
cours  cschalologique  ayant  ete  prononce  le 
mardi  soir,  et  Jesus,  depuis  lors,  n'elanl  plus 
relourne  au  temple,  la  presenle  nolice  est 
dvidemment  reirospeclive;  elle  resume  la 
vie  de  Nolre-Seigneur  a  parlir  du  dimanche 
des  rameaux  jusqu'au  mardi  saint.  —  Nocti- 
bus vero  exiens  morabatxir  :  tjOXiCeto  du  toxle 
primilif  signifie  «  il  passail  la  nuit  en  plein 
air  »,  ce  qui  d'ordinaire  ne  presenle  pas  d'in- 
convenieni  en  Judee  au  debul  du  printemps. 
S.Jean  nous  apprend  neanraoin?,  xviii,  48, 
que  la  null  de  I'arreslation  de  Jesus  ful  froide. 
D'apres  Mallh.  xxi,  17,  Jesus  rcgul  i'hospi- 
talile  a  Belhanie  duranl  la  null  du  dimanche 
au  lundi.  C'elail  pour  echapper  aux  embuches 
de  ses  ennemis  que  le  Sauveur  quiltail  ainsi 
Jerusalem  cliaque  soir.  —  In  monte.  Dans  le 
£;rec,  ei;  t6  Spo?,  avec  I'accusatif  du  mouve- 
ment. 

38.  —  Et  omnis  'populus  :  expression  em- 
phalique.  —  Manicabat,  ('<  mane  veniebat  »  ; 
Terluil.  :  «  diluculo  convenicbanl  )^),  verbe 
derive  de  «  mane  »,  el  appartenanl  a  la 
basse  latinite  (voyez  Ies  dictionnaires  deFor- 
cellini  el  de  Du  Cange),  iraduit  fort  bien, 
d'apres  le  conlexte,  Tidee  du  grec  wpOptlJe 
,employe  en  ce  seul  endroil  du  Nouveau  Tes- 
lamcnD.qiii  correspond  a  DOtt^n  desHebreux. 
Voyez  Bri'tschneider,  Lex.  man.  «  Chercher 
avec  einpressemiMil  »  ne  rondrail  pas  ici 
loute  la  pensde,  quoique  6p6pt!;w  ail  parfois 


celle  signilicalion  dans  Ies  LXX,  v.  g.  Ps. 
Lxxiii,  1 ;  Lxxviii,  34.  Quel  admirable  ta- 
bleau de  Taffeclion  des  muliiludes  pour 
Jesus !  EUes  avaienl  peine  a  allendre  le  retour 
de  I'aube,  el  se  reunissaienl  de  grand  raalin 
sous  Ies  galeries  du  temple,  afin  d'etre  la  des 
que  le  Docleur  lant  goiite  reprendrail  son 
enseignemenl  inLerrompu  la  veille.  Helas ! 
pour  un  grand  nombre,  ces  beaux  sentiments 
ne  devaieni  pas  eire  de  longue  duree.  Cfr. 
xxiii,  18.  —  Quelques  manuscrils  en  letlres 
minuscules  inlercalent  ici  «  I'Evangile  des 
penitents  »,c'esladire  I'episode  de  la  feiume 
adultere,  Joan,  vii,  53-viii,  11  :  mais  c'est 
evidemment  une  interpolation. 

Apres  elre  enlre  comme  un  roi  dans  Jeru- 
salem, apres  avoir  parle  de  I'avenir  comma 
un  divin  prophele,  Jesus  va  se  manifesler 
raainlenant  comme  prelredanssa  douloureuse 
Passion.  «  Viciima  sui  sacerdotii  et  sacerdos 
suse  victimee.  » 

5.  Trahlson   de  Judas,  xxu,  1-6. 

Ce  sombre  episode  sert,  dans  Ies  troia 
premiers  Evangiles,  de  prelude  a  la  Passion 
propreraenl  dile.  II  est  lui-meme  introduit 
par  le  complot  du  Sanhedrin  contre  Jesus. 

lo  Le  Sanhedrin  cherche  Ies  moyens  de  se  d6bar- 
rasser  de  J6sus.  t^  1-2.  —  Parall.  Matlh.  xxvi, 
3-5;  Marc,  xiv,  1-2. 

Chap.    xxii.    —  1.    —   Appropinquabat. 

D'apres  Ies  redaclions  plus  precses  de 
S.  Malthieu  el  de  S.  Marc,  la  Paque  devait 


CHAPITRE  XXII 


359^ 


2.  Et  quserebant  principes  sacer- 
doliim,  et  scribse,  quomodo  Jesum 
interficerent :  timebantveroplebem. 

3.  Intravit  autem  Satanas  in  Ju- 
dam,  qui  cognominabatur  Iscario- 
tes,  unum  de  duodecim. 

Mallh.  26, 14:  Marc.  14, 10. 

4.  Et  abiit,  et  locutus  est  cum 
principibus  sacerdotum  et  magis- 
tratibus,  quemadmodum  ilium  ira- 
deret  eis. 

5.  Et  gravis!  sunt,  et  pacti  sunt 
pecuuiam  illi  dare. 


2.  Et  les  princes  des  prfitres  et  les 
scribes  cherchaient  comment  il  met- 
traient  a  mort  Jesus,  mais  ils  crai- 
guaient  le  peuple. 

3.  Or  Satan  enlra  dans  Judas,  qui 
etait  surnomme  Iscariote,  Fun  des 
douze. 

4.  Et  il  alia,  et  parla  aux  princes 
des  pretres  et  aux  magistrals  de  la 
maniere  qu'il  le  leur  livrerait. 

5.  Et  ils  se  rejouirent  et  convin- 
rent  de  lui  donner  de  Targent. 


commencer  «  post  bidiiiim.  »  —  Dies  festus 
{•^  ioptri)  Azymorum,  qui  dicitur  Pusclia. 
Voypz,  siir  ces  deux  noms,  I'Evang.  selon 
S.  Mallh.  p.  491  et  501.  Le  second  est  ajoute 
ici  par  maniere  d'expiicalion  pour  les  Chre- 
tiens convertis  du  paganisme,  qui  pouvaient 
ne  pas  comprendre  le  premier.  Comparez  la 
formuie   analogue    de    I'hislorien   Josephe    : 

2.  —  kt  fjucerebant.  L'lmpariait  exprime 
tres  bien  la  continuile  des  suppulalions,  des 
recherches.  —  Principes  sacerdotum  et  scribce. 
De  meme  S.  Marc.  S.  Mallhieu  menlionne 
les  princes  des  prStres  et  les  anciens  du  peuple. 
En  rdunissant  les  trois  recits  nous  voyons  qu'il 
s'agil  du  Sanhedrin  lout  enlier.  —  Quomodo, 
xi  TTw;  (sur  la  presence  de  I'arlicle  voyez  la 
Preface  §  VI).  Ge  que  les  membres  du  Grand 
Conseil  se  demandaient  avec  anxieie,  ce 
n'elait  point  s'ils  se  debarrasseraicnl  de 
Jesus  :  leur  haine  I'avait  condamne  a  mort 
depuis  longtemps;  ils  cherchaient  seulement 
un  moyen  aise  de  le  faire  disparailre  {inter- 
ficerent;  aveXaxjiv,  litleral.  «  e  medio  lolle- 
rent  »).  —  Timebant  vero  plebem.  D'apres  le 
grec  :  «  timebant  enim...  >y  Voyez  les  recils 
plus  complels  de  S.  Matihieu  et  de  S.  Marc. 

2«  Judas  et  le  Sanhedrin.  ff.  3-6.  —  Parall.  Mallh. 
XXVI,  14-16;  Marc,  xiv,  10-11. 

S.  Luc  omet  ici,  sans  doute  parce  qu'i' 
avail  raconle  plus  haul  (vii,  37  el  ss.)  un 
fait  analogue,  I'onclion  de  Marie,  que  les 
aulros  synopliques  intercalent  cnlre  le  corn- 
plot  du  Sanhedrin  et  le  perfide  marche  de 
Juda. 

3. —  Intravit  autem  Satanas. Gelte  expres- 
sion energique  pour  sligmaliser  le  crime  du 
traitre  est  propre  k  S.  Luc  et  k  S.  Jean 
(xiii,  2,  27).Rien  ne  pouvait  mieux  depeindre 
la  malice  de  Judas  :  c'elait  une  malice  sata- 
nique,  digne  du  prince  des  demons  et  deve- 
loppee  sous    son  influence.  Neanmoins,  ces 


paroles  ne  doivent  pas  s'enlendre  d'une  pos- 
session physique  et  proprement  dite  (Cfr. 
VIII,  30,  32  et  ss.;  xi,  26),  mais  seulemeni 
d'une  possession  morale.  C'est  dans  le  ccBur 
de  Judas,  non  dans  son  corps,  que  Salan 
avail  penelre.  —  Qui  cognominabatur...  De 
meme  la  Recepta  :  t6v  e7tty.a)>oyiJLsvov.  Les  ma- 
nuscrits  A,  B,  L,  X,  ont  t6v  xa),oy[xsvov,  «  qui 
vocabatur  ».  —  Unum  de  duodecim;  d'apres 
le  grec  :  «  un  du  nombre  des  Douze.  » 

4.  —  Locutus  est  cum...LG  verbe  auveXdXTiffe- 
resume  Ibrl  bien  I'horrible  negociation  que 
Judas  enlama  avec  les  Sanhedristes,  et  dont 
S.  Matthieu  donne  le  cynique  debut  :  «  Quid 
vullis  mihi  darv.  et  ego  vobis  eum  tradam?  » 
—  Apres  dpxispeOdt  {jjrincipibus  sacerdotum), 
les  manuscrits  C,  P,  etc.,  les  versions  syrienne 
et  ilalique,  ajoutenl  :  v.al  tok  ypafj-iJiaTsOffcv, 
«  et  Scribis  ».  —  Mugistratibus  (xatxoT?  axpa- 
TYiyoK,  liueral.a  ducibus,  pieelcclis  »;  C,P,  etc., 
ajoulent  encore  :  toO  lepoO,  du  temple)  est 
une  parlicularile  de  S.  Luc.  On  designait 
ainsi  les  cliefs  de  la  niilice  levitique  charges 
de  mainlenii-  I'ordre  dans  le  temple.  Cfr. 
IV  Reg.  XII,  9;  xxv,  -18;  Lighlfoot,  Hor. 
hebr.  h.  I.  En  realile  il  n'existait  qu'un  seul 
atpaxriYoi;  toO  kpou,  nt2n  "IH  V^'iii  («  vir 
monlis  domus  »),  comme  on  I'appelait  en 
hebreu  (Neh.  ii,  8;  vii,  2;  Jer.  xx,  1.  Cfr. 
li  Mach.  Ill,  4;  Aci.  iv,  1;  v,  24);  mais  il 
avait  sous  lui  des  officiers  suballernes,  et  ils 
sont  tons  menlionnes  a  in  globo  »  dans  ce 
passage.  II  eiait  nalurel  qu'ils  fussent  con- 
sulles  dans  le  cas  present,  car  personne  mieux 
qu'eux  ne  pouvait  rendre  comple  do  I'etat 
des  esprils,  et  des  diHiculles  plus  ou  moins 
grandcs  que  presenlail  I'arreslalion  de  Jesus. 

5.  —  Gavisi  sunt.  Ils  se  rejouirent  do  cette 
olTre  sponUinee,  inal (endue,  qui  semblait 
rendre  desormais  facile  I'execulion  de  leur 
sinistre  projet.  S.  Marc  el  S.  Luc  ont  seuls 
signale  ce  detail.  —  Pucli  sunt  SuveSevto  si- 
gnifie  proprement :  «  conveneruni,  communi- 


360 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


6.  Et  il  s'engagea.  Et  il  cherchait 
une  occasion  opportune  pour  le  li- 
vrer  a  l*insu  du  peuple. 

7.  Vint  le  jour  des  azymes,  ou  il 
etait  necessaire  d'immoler  la  Pdque. 

8.  Et  Jesus  envoya  Pierre  et  Jean, 
disant  :  AUez  et  preparez-nous  la 
Pdque  pour  que  nous  la  mangions. 

9.  Et  ils  dirent  :  Ou  voulez-vous 
que  nous  la  preparions? 

10.  Et  il  leur  dit  :  Voici  qu'en  en- 
trant dans  la  ville.  vous  rencontre- 
rez  un  homme  portant  une  cruche 
d'eau;  suivez-le  dans  la  maison  oii 
il  entrera; 


6.  Et  spopondit.  Et  quserebat  op- 
portunitatem  ut  traderet  ilium  sine 
turbis. 

7.  Venit  autem  dies  Azymorum, 
in  qua  necesse  erat  occidi  Pascha. 

8.  Et  misit  Petrum  et  Joannem, 
dicens  :  Euntes  parate  nobis  Pascha, 
ut  manducemus. 

9.  At  illi  dixerunt  :  Ubi  vis  pa- 
remus? 

10.  Et  dixit  ad  eos  :  Ecce  introeun- 
tibus  vobis  in  civitatera,  occurret 
vobishomo  quidam  amphoram  aquae 
portans  :  sequimini  eum  in  domum 
in  quam  intrat, 


consensu  decreverunt  »,  ce  qui  suppose  que 
la  chose  fut  debattue  de  part  et  d'aulre. 
Celle  expression  est  done  plus  forte  que  celles 
des  reciis  paraileles  ^S.  Malih.  eo-noffav,  S.  Marc. 
eixriYYetXavTo).  Vraiscmblablement,  Judas  eut 
deux  enlrevues  avec  les  princes  des  pr^tres; 
c'esl  a  la  seconde,  apres  qu'il  eikt  rempli  la 
condition  de  son  inlame  contrat,  que  les 
trcnte  deniers  iui  furenl  comples. 

6.  —  Et  spopondit  {ik(^[i.o\6-{-fi<si,  mot  compose 
qui  forlifie  I'idee) :  il  consenlit  a  I'arrangement 
propose,  el  se  mit  aussilot  en  devoir  d'exe- 
cuter  sa  part  de  la  convention  (notez  la  force 
de  rimparfail  qucerebat).  — Sine  turbis  (dans 
le  grec,  dTspoxXouau  siiigulier),  c'esl-a-dire 
sans  tumulte,  d'une  maniere  toute  pacifique. 
Ce  trait  est  propre  a  S.  Luc.  La  preposition 
a*ep  n'est  employee  qu'ici  et  au  t.  35. 

6.  La  derni6re  c6ne.  xxii,  7-30. 

Epi?ode  grandiose,  sur  lequel  S.  Luc 
nous  a  conserve  piusieurs  details  nouveaux, 
quoique,  pour  le  fond,  sa  redaction  se  rap- 
proche  notablement  de  celle  de  S.  iMarc. 

i"  Prdpavatifs  de  la  Pique,  ff.  7-13.  — 
Parall.  Matth.  xxvi,  17-19;  Marc,  xiv,  12-16. 

7.  —  Venit...  dies  Azymorum.  Au  t.  <, 
iopxiQ  Twv  'A^upiwv  designait  I'octave  entiere  de 
la  Paque,  du  1  4  au  21  nizan;  il  ne  s'agit  ici 
que  du  premierjour,  c'est-a-dire  de  la  soiree 
du  14.  —  In  qua  (les  manuscrits  B,  C,  D,  L, 
omeltent  la  preposition  £v)  necesse  erat...  Done, 
quoi  qu'on  ait  dil.  Je.^us  celebra  la  Paque 
au  jour  legal,  en  meme  temps  que  tous  ses 
compalriotos.  Voyez  I'Evang.  selon  S.  Marc, 
p.  193.  —  Pascha  represente  ici  I'agneau 
pascal. 

8  et  9.  —  Misit  Petrum  et  Joannem.  Notre 


evangeliste  a  seul  conserve  les  noms  des  deux 
envoyes  de  Jesus.  Comme  il  s'agissait  d'une 
mission  de  confiance,  il  n'est  pas  elonnant 
que  le  Sauveur  ait  choisi  ses  disciples  les  plus 
intimes.  En  piusieurs  autres  endroits  de  I'B- 
vangile  ou  des  Actes  nous  Irouvons  S.  Pierre  et 
S.  Jean  fraternellement  associes.  Cfr.  v,  10; 
Joan.  XIII,  23-25,  xx,  2-10;  xxi,  20  et  s. ; 
Act.  HI,  1-11;  IV,  13-22;  viii,  14-25.  — 
Euntes,  parate...  D'apres  les  recits  paraileles, 
c'est  des  apotres  que  serait  partie  I'initiative 
sur  ce  point.  S.  Luc  I'atlribue  au  contraire 
a  Jesus,  et  il  est  probable  qu'il  raconle  les 
faits  d'apres  leur  ordre  reel,  parce  qu'il  est 
le  plus  complet.  Les  autres  synoptiques,  pour 
abreger ,  auront  supprime  la  question  du 
Sauveur,  tandis  que  S.  Luc  remel  celle  des 
apotres  [ubi  vis  paremus]  dans  sou  vrai  milieu 
primilif.  II  est  done  inutile  de  lire  au  t.  9, 
eTTtav,  «  dixerant  »,  au  lieu  de  etuov,  dixerunt. 
Celte  lecon,  quoique  soutenue  par  les  manus- 
crils  B,  C,  D,  L,  ressemble  beaucoup  a  une 
correction  posthume. 

10.  —  Ecce  introeuntibus  vobis...  Detail 
propre  a  S.  Luc  :  les  autres  narrateurs  ne 
ileterminent  pas  le  lieu  de  la  rencontre.  — 
Occurret  (ouvavT^^trei.  S.  Marc  :  aTiavTi^aei)  vobis 
homo  quidam...  Le  Dr  Sepp,  Leben  Jesu, 
t.  in,  p.  390,  a  lu  dans  son  imagination  fe- 
conde  que  eel  homme  elait  I'rsclavo  de  Nico- 
deuie.  —  Amphoram  aquce  portans  :  sur  !a 
lete,  suivant  la  mode  orienlale.  —  Sequimini 
eum  in  domum...  S.  Cyrille  d'Alexandrie  (ap. 
Mai,  p.  369)  avail  parfailemmt  compris  le 
but  de  ces  indications  mysterieuscs  :  "Iva  S^ 
(ir)  irpo  Trji;  lopTf)?  toO  niorx*  "^o''  ©ovwo-iv  auTov 
TiapaSci,  oO  8tap.eiJ.iQvuy.ev  6  ao>xr,p  i]  xov  oTxov  ^ 
Tov  avOpwTTov.  Voyez  lEvang.  s;'lon  S.  Malth. 
p.  502.  —  In  qiiam...  De  meme  les  Codd. 
Sinait.,  B,  G,  L  (el?  ^v)  au  lieu  de  o5  («  ubi  », 
D,E,  G,H,S,elc.),oi5£dv  (A,K,M,  P,  R.-'^c  j. 


CHAPITRE  XXII 


301 


11.  Et  dicetis  patrifamilias  do- 
mus :  Dicit  tibi  Magister  :  Ubi  est 
diversorium,  ubi  Pascha  cum  disci- 
pulis  meis  manducera? 

12.  Et  ipse  ostendet  vobis  coena- 
culum  magnum  stratum,  et  ibi 
parate. 

13.  Euntes  autem,  invenerunt  si- 
cut  dixit  illis,  et  paraverunt  Pascha. 

14.  Et  cum  facta  esset  hora,  dis- 
cubuit,  et  duodecim  apostoli  cum  eo. 

Maeth.  26,  20;  Marc.  14,  17. 

15.  Et  ait  illis  :  Desiderio  deside- 
ravi  hoc  Pascha  manducare  vobis- 
cum,  antequam  patiar. 

16.  Dico  enim  vobis,  quia  ex  hoc 


11.  Et  vous  direz  au  pere  de  fa- 
mille  de  la  maison  :  Oil  est  la  salle 
oil  je  mangerai  la  Paque  avec  mes 
disciples? 

12.  II  vous  montrera  un  grand 
cenacle  meuble,  la  preparez  tout. 

13.  S'en  allant  done  ils  trouverent 
tout  comme  il  leur  avait  dit  et  pre- 
parerent  la  Pdque. 

14.  Et  quand  I'heure  fat  venue  il 
se  mit  a  table,  et  les  douze  apotres 
avec  lui. 

15.  Et  il  leur  dit :  J'ai  desire  d'un 
grand  desir  manger  cette  P^que  avec 
vous  avant  de  souffrir. 

16.  Gar  je  vous  dis  que  desormais 


11  et  12.  —  Patrifamilias  domiis  Pleo- 
nasme.  S.  Marc  a  seulemenl  «  domino  do- 
mus  ».  —  L'equivalent  de  diversormm  dans 
le  Icxte  grec  est  xaTd),v[ia,  expression  que 
nous  avons  precedemmenl  renconlree  (ii,  7); 
mais  ici,  au  lieu  de  designer  une  hotellerie, 
elle  a  simplemenl  le  sens  de  «  coenaculum  ». 
Cfr.  I  Reg.  IX,  22,  d'apres  la  traduction 
des  LXX.  Ccenacidum.  Dans  le  grec,  avifatov, 
litteralemenl  :  une  chambre  haute.  —  Stra- 
tum. Celte  chambre  devait  6tre  munie  de 
tout  le  mobilier  necessaire  pour  la  celebration 
de  la  Paqu".  Jesus  veut  un  appartement  digne 
de  sa  derniere  cene. 

13.  —  Invenerunt  sicut  dixit:  «  dixerat  » 
d'apres  les  mar,u?crils  B,G,  D,L,Sin.(elp1^y.£0• 
La  rencontre  des  disciples  el  du  porleur  d'eau 
cut  lieu  probablement  vers  la  porte  de  la 
Fontaine,  siluee  au  S.  E.  de  Jeru-alem,  non 
loin  de  la  piscine  de  Siloe.  Voyez  Riess,  Atlas 
de  la  Bible,  pi.  VI.  Qiiant  a  la  maison, «  com- 
munis traditio  est  banc  domum  fuisse  Joannis 
qui  cognominalus  esl  Marcus  »  (Sylveira). 

2»  La  double  cfene.  xu,  14-23.  — 
Parall.  Matlh.  xxvi,  20-30;  Marc.  17-26;  Joan,  xiii 

14.  —  Cum  facta  eiset  hora  :  c'pst-5-dire 
Theuro  fixee  legalement  pour  la  c^ne  pascale. 
«  Vcspere  facto  »,  disent  les  deux  aulres 
syno|)tiques  avec  plus  de  precision.  —  Discu- 
buit  (avsneffe.  Cfr.  xi,  17;  xiv,  10.  Dans 
S.  Matlhieu  :  ivexetto).  Depuis  lougtemps  les 
Juifsavaientcesse  de  manger  la  Paque  debout 
el  er  tonue  de  voyageurs.  —  Et  duodecim 
apostoli.  AoiSsxa,  qui  manque  dans  plusieurs 
maniiscrils  Ires  anciens,  poiirrait  bien  6tre 
un  glos-em '.  Sur  le  placement  des  convives 
de  Jesus  nous  ne  connaissons  que  les  details 
conserves  par  S.  Jean,  xiii,  23  et  s.  (voyez 
le  commentaire). 


\^.  —  Et  ait  illis.  Ge  petit  discours  du 
Sauveur  [tt.  15  et  16),  prononce  au  debut  du 
festin  legal,  ne  se  trouve  que  dans  le  troi- 
sieme  Evangile.  —  Desiderio  desideraoi  est 
un  hebraisme  (inSDSJ  ^^DD:,  Gen.  xxxi,  30. 
Comparez  la  traduction  des  LXX),  d'oii  Ton 
a  quelquefois  induit  que  S.  Luc  s'est  servi 
pour  ce  passage  d'un  document  aramalque. 
Cette  repetition  corrobore  singulierement 
I'idee  (Cfr.  Matlh.  xiii,  14 ;  Joan,  in,  29; 
Act.  IV,  17;  v,  18);  elle  exprime  une  grande 
intensite  de  desirs.  —  Hoc  Pascha  manducare 
vobiscum.v  Hoc  Pascha  »  avec  emphase,celto 
PSque  enire  toutes  les  autres,  soil  parce  que 
c'etait  la  derniere,  soil  a  cause  de  I'institution 
de  la  sainte  Eucharistie  (voyez  Bossuel , 
Explication  des  prieres  de  la  Messe,  xxiii). 
«  Hinc  Eucharistia  ab  antiquis  Desiderata 
vocabatur,  et  quum  recens  baplizaii  e  sacro 
fonle  ad  altare  ducerentur,  Eucharisliam 
p'rcrpiuii,  psalmus  ille  recitari  vel  cani  ex 
Ecclesiae  instiluto  solebat  :  Quemadmodum 
desiderat  cervus...  »  Noel  Alexandre.  —  An- 
tequam patiar.  C'est,  croyons-nous,  le  seul 
endroit  des  Evangiles  ou  ce  verbe  est  em- 
ploye d'une  mani^re  absolue,  sans  delermi- 
natil  d'aucun  genre.  —  Le  verset,  apr6s  avoir 
commence  par  un  sentiraeol  de  joii',  se  ter- 
mine  par  une  parole  de  U'istesse. 

16.  —  Dico  enim  vobis.  Jesus  explique  da- 
vantage  le  molif  de  son  ardent  desir.  —  Ex 
hoc  (scil.  tempore)  7ion  manducabo  illud  (Re- 
cepla  :  e$  autoO,  «  ex  illo  » ;  les  codd.  Sinait., 
B,  C,  L  :  auTo,  comme  la  Vulgate).  Un  grand 
nombre  de  manuscrils  grecs  ont  ici  jusqu'a 
trois  negations  :  oOxeti  oO  {ii^  (payw.  Comparez 
Marc.  XIV,  25;  Act.  xviii,  14.  II  est  vrai  quo 
ouxETi  manque  dans  A,  B,  C,  II,  L,  Sinait. 
—  Donee  impleatur  in  regno  Dei.  L'agneau 
pascal,  que  J^sus  allaii  manger  pour  la  der- 


362 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


je  ne  la  mangerai  plus,  jusqu'a  ce 
qu'elle  soit  accomplie  dans  le 
royaume  de  Dieu. 

17.  Et  ayantpris  le  calice,  il  ren- 
dit  graces  et  dit  :  Prenez  et  parta- 
gez  entre  vous. 

18.  Gar  je  vous  dis  que  je  ne  boi- 
rai  plus  du  fruit  de  la  vigne  jusqu'a 
ce  que  vienne  le  royaume  de  Dieu. 

19.  Et  ayant  pris  du  pain,  il  ren- 
dit  graces,  et  le  rompit  et  le  leur 
donna,  disant  :  Geci  est  mon  corps 


non  manducabo  illud,  donee  implea- 
tur  in  regno  Dei. 

17.  Etaccepto  calice,  gratias  egit, 
et  dixit  :  Accipite,  et  dividite  inter 
vos  : 

18.  Dico  enim  vobis  quod  non  bi- 
bam  de  generatione  vitis,  donee  re- 
gnum  Dei  veniat. 

19.  Et  accepto  pane,  gratias  egit, 
et  fregit,  et  dedit  eis,  dicens  :  Hoc 
est  corpus  meum,  quod  pro  vobis 


ni6re  fois,  etail  iin  type;  dans  le  royaume  de 
Dieu  parvenu  a  sa  consommalion,c'est-a-dire, 
dans  le  ciel,  ce  type  sera  completemenl  rea- 
lise. Nolre-Seigneur  fail  done  allusion  par 
ces  paroles  a  la  PSque  eternelle  des  cieux,  oil 
il  n'y  aura  plus  d'ombres  iraparfaites,mais 
une  reaiile  magnifique. 

47.  —  Et  accepto  calice.  Les  meilleurs 
manuscrits  grecs  ometlent  I'article  devant 
noTiQptov.  Par  consequent  :  une  coupe.  A£^d[xe- 
vo;,  ayant  regu  des  mains  d'un  serviteur  ou 
de  quelqu'un  des  assistants  (plus  bas  :  li6e-ze, 
prenez).  —  II  s'el6ve  ici  une  assez  grosse  dis- 
cussion entre  les  commentateurs.  Le  calice 
menlionne  des  cet  endroit  par  S  Luc,  el  par 
lui  seul,  est-il  idenliquo  a  celui  dont  il  sera 
queslion  au  t.  20,  c'est-a-dire  au  calice  de 
I'Eucharislie?  ou  bien  si'rail-ce  simplemenl 
uno  des  coupes  du  i'esiin  legal  (voyez  i'Evang. 
selon  S.  Mallh.,  p.  504)^eii  particulier  la  pre- 
miere ou  la  Iroisiem?  Ces  deux  sentiments 
ont  ete  adoples  par  des  inierpreies  d'un  egal 
renom,  depuis  ranliquite  jusciu'a  nous,  a  Hie 
calix,  ecril  le  Ven.  Bede,  ad  volus  illud 
Pascha,  cui  finem  dofiderabat  (Jesus)  inipo- 
nere,  perlinel.  »  De  memo  Theophylacte,  Ca- 
jetan.F.  Luc,  D.  Calmet,  Grotius,  Olshausen, 
Word-worth,  Abbolt,  etc.  D'autre  pari  Ori- 
gene  (in  Matlli.  tract. xxx^  S.  Cyprien  (Episl. 
ad  Csecii.  Lxxxiif,  S.  Augu'stin  (Quaest. 
evangel.  I.  i,  c.  42),  Maldonat  (h.  1.),  Langen 
(die  lelzlenLebenstage  Jesu,  p.  '191  els.),  etc., 
pensent  que  S.  Luc  parle  des  mainlenant  de 
la  coupe  eucharistique,  pour  la  signaler  une 
seconde  fois  plu-;  loin  (t.  20)  a  sa  place  veri- 
table, avec  ia  formule  qui  servit  a  la  consa- 
crer.  La  raison  qu'ils  alleguent  nous  parait 
assez  plausible.  Si  le  calice  du  ■#•.  17  est  un 
de  ceux  du  festin  legal,  Jesus,  en  s'absienanl 
d'y  toucher  (ir.  18),  aura  contrevenu  sans 
motif  apparent  aux  regies  de  la  Paque  sur  un 
point  assez  grave,  ce  qui  semble  oppose  a  sa 
maniere  de  faire  accoutumee.  Sans  doute,  la 
double  mention  du  calice  de  I'Eucharislie 
parail  tout  d'abord  surprenante,  car  elle 
accuse  un  defaut  d'ordre  dans  le  recit.  Mais 


on  peut  fort  bien  repondre  que  S.  Luc  a  et6 
conduit  a  anticiper  de  quelques  instants  par 
la  symetrie  qui  existe  entre  les  paroles  ante- 
rieures  de  Jesus,  l!t.  1 5-1 6,  et  celles  du  1. 1 8. 
II  aurait  done  suivi  un  certain  ordre  logique, 
quille  a  revenir  plus  loin  a  la  marche  re«lle 
des  fails.  —  Accipite.  Le  grec  et  le  syria^ju© 
ajoutent  «  illud  ».  —  Dividite  inter  vos  :  de 
telle  sorle  que  chacun  ait  sa  part.  Recom- 
mandation  Ires  nalurelle,  Jesus  ne  voulant 
consacrer  qu'une  seule  coupe  pour  tous  ses 
convives. 

18.  —  Dico  enim  vobis...  S.  Malthieu  et 
S.  Marc  placent  cette  assertion  solennelle  a 
la  fin  de  la  cene  eucharistique:  d'apres  Topi- 
nion  que  nous  venons  adopter  a  propos  dir. 
Tt^.  47,  c'est  alors  en  efFel  qu'elle  fut  pro- 
noncee.  Les  partisans  du  sentiment  conlraire 
supposent ,  tantot  qu'elle  terinina  le  repas 
legal,  lantol  que  Jesus  la  repeta  deux  fois, 
Voycz-on  Texplication  dans  I'Evang.  selon 
S.  Mallh.  p,  509  et  s.  Le  parallelisme  signals 
plus  haui>  entre  ce  verset  et  le  16^  est  vrai- 
menl  tre?  frappant  : 

V.  16.  Hy(j>  yotp  upiTv  v.  18.  Xeyw  yap  ufAiv 

OTt    ouxsTi   ou    |Xifl  oTt  ou  (jLY)  7:iw.. . 

§601;  oTou  7t)vr)pw6r)  ew^oTouf;  PaaiXeiot 

ev  trj    Pa(7t),£ia    toO         tou  0£ou  £).9-(]. 

0£OO. 

—  Apres  6ti  {quod)  d'importants  manuscrils 
inserent  :  a.iz6  toO  vOv,  «  amodo  ».  —  De  ge- 
neratione, i-ab  tou  y£.\vrni.a.zoi,  c'l'Sl-a-dire  «  de 
fruclu  ».  —  lei  comme  au  t.  16  le  regnum 
Dei  est  envisage  dans  sa  glorieuse  consom- 
malion  du  ciel. 

19.  —  Accepto  pane  ().a6a)v  fipxov)  :  «  in 
sanctas  ac  venerabiles  manus  suas  »,  ajoutent 
la  pluparl  des  liturgies.  «  Ces  mains  qui 
avaient  operd  lant  de  merveilles,  donue  la  vue 
aux  aveugies,  gueri  les  maladies  el  multiplie 
les  pains  dans  le  desert  »,  Lebrun.  Explication 
dos  piieres  et  des  ceremonies  de  la  messe, 
Paris  1777,  t.  I,  p.  458.  Les  liturgies  men- 
lionnent  un  autre  gesle  de  Jesus  ;  «  Elevatis 


CHAPITHE  XXII 

datur.  Hoc  facite  in  meam  comme 
morationem. 

/.  Cor.  11,  24. 


20.  Similiter  et  calicem,  postquam 
coenavit,  dicens  :  Hie  est  calix  No- 
vum Testamentum  in  sanguine  meo, 
qui  pro  vobis  fundetur. 


363: 

qui  est  donne  pour  vous,  faites  ceci 
en  raemoire  de  moi. 


20.  11  prit  de  mSme  la  coupe 
apres  qu'il  eut  soupe,  disant :  Ge  ca- 
lice  est  le  nouveau  testament  en  mon 
sang  qui  sera  repandu  pour  vous. 


oculis  in  coelum  ».  —  Gratias  egit  :  eOxa- 
ptffT^ffa?.  De  merae  S.  Paul,  I  Cor.  xi,  24. 
S.  Matlhieu  el  S.  Marc  :  vjlorhaon.  —  Fre- 
git...  «  Le  pain  etail  si  mince  parmi  les  He- 
breux,  ainsi  que  parmi  les  aulres  Orienlaux, 
qu'onle  rompail  loiijoursavecles  doigis  pour 
le  distribuer,  sans  se  servir  de  couteau  ». 
Lebrun,  1.  c,  p.  460.  —  Dicens.  Avant  de 
consacrer  le  pain  en  son  corps,  Jesus  dil  a  ses 
disciples  :  «  Accipite  et  comedile  »  (Maith., 
I  Cor,  xi],  mots omis  par  S.  Luc.  —  Hoc  est... 
Le  tableau  qui  suit  permellra  au  lecleur  de 
comparer  enire  elles  les  paroles  de  la  conse- 
cration dans  les  divers  recits. 


S.  Matthieh. 

S.  Marc, 

TouTo  eoTi 
TO  a(d(id(  (J.OU. 

ToOto  ea-i 

S.  Luc. 

S.  Paul. 

ToUTO  £<7Tl 
TO   ad)(Aa  [AOU 

TO  uuep  uawv 
TOUTO  7:ocjTt£ 

TouTO   (lOU   ioTi 
TO  owu.a, 
TO  UTrep  iifAoJv 

X^WfXEVOV 
TO'JTO  TlOlElTe 

eU  t:^v  lEfii^v  avajxv/jffiv.  el;  tt^v  eix^jv  dvafxvriffiv. 

Comme  on  le  voit,  les  recits  se  groupent  deux 
h  deux  :  il  exi>le  un  tres  grand  rapport  de 
ressemblance  d'une  part  enire  S.  Mailhieu  et 
S.  Marc,  de  I'aulre  entre  S.  Luc  et  S.  Paul 
son  maitre  (Comp.  la  Preface,  §  III).  Ces  der- 
niers  donnenl  la  formule  d'une  inaniere  beau- 
coup  plus  complete,  evidemment  telle  qu'elle 
fut  prononcee,  car  si  I'on  comprend  qu'on  ait 
pu  I'abreger,  on  ne  concevrail  pas  que  les 
ecrivainssacres  se  fussent  permis  d'y  ajouter 
d'eux-m6mes  quoi  que  ce  soit.  —  Quod  pro 
vobis  datur.  a  Qui  est  livre  pour  vous  (au 
present),  parce  que  c'elait  deja  un  vrai  sacri- 
fice, dans  lequel  Jesus-Christ  se  trouvait 
reellement,  et  qu'il  offrait  par  avance  a  son 
Fere...  »  D.  Calmet.  Ou  encore,  I'emploi  du 
temps  present  peut  siguifier  la  proximile  de 
i'oblation  sai!glante  de  Jesus  sur  la  croix, 
oblation  prefiguree  dans  Tinslilulion  de  la 
divine   Euchaiistie.    —    Hoc  facite...   Autre 

f)articularile  de  S.  Luc  et  de  S.  Paul.  Ce  sonl 
a  de  merveilleuses  parol' s,  au  moyen  des- 
quelles  Jesus  crea  le  sacerdoce  chretien , 
comme  il  vena  it  de  creer  le  sacrcment  de 
I'autel.  «  Faites  cela  »,  c'est-a-dire  :  A  voire 
tour  prcnvz  du  pain,  dites  que  c'esL  mon 
corps,  et,  entre  vos  mains  demdme  qu'actuel- 


lement  (  ntre  les  miennes,  il  sera  change  en 
ma  chair.  Ce  pouvoir  sacre  n'esi  pas  limite. 
Faites  cela  demain,  toujours,  vous  et  vos  sue- 
cesseurs.  Ainsi  I'a  juslement  compiis  I'Eglise 
primitive,  oil  Ton  voit,  des  les  temps  les  plus 
recules,  la  messe  celebree  en  vertu  de  cet 
ordre  du  Sauveur.  Cfr,  Cone.  Trid.  Sess.  xx, 
c.  1  ;  Bellarmin,  Conlrov.  de  Sacrif.  Missee, 
1.  I,  etc.  —  In  meam  commemorationem.  La 
PSque  juive  avail  ete  instituee  comme  un 
memorial  de  la  delivrance  du  joug  egyptien  : 
«  Ha  bebitis  hunc  diem  in  monumentum 
(Tn^fS,  litleral.in  memoriam)  »,Ex.  xii,  4  4. 
Cfr.  xiii,  9.  La  nouvelle  aussi  sera  comme- 
morative, mais  d'une  delivrance  superieure, 
operee  sur  la  croix  par  Notre-Seigneur  Jesus- 
Christ. 

20.  —  Similiter  et  calicem,  scil.  «  acci- 
piens  ».  a  In  calicis  mentione,  dit  energique- 
ment  TertuUien,  testamentum  constituens 
sanguine  suo  obsignalum,  subslantiam  cor- 
poris confirmavil.  Nulliusenim  corporis  san- 
guis potest  esse,  nisi  carnis  »  (cite  par  Slier, 
in  Maith.  xxvi;.  'QaauTw?  (trait  propre  a 
S.  Luc  et  a  S.  Paul) :  de  la  meme  maniere  que 
le  pain,  c'est-a-dire  avec  action  de  graces  et  be- 
nediction. To  TtoTiTiptov  :  nous  avons  ici  I'arti- 
cle,  parce  qu'il  a  ete  fail  mention  de  la  coupe 
unpeu  plus  haul,  t.  17.  c  Hunc  piaeclarum  ca- 
licem »,  dit  le  pretre  dans  la  liturgie  romaine. 
CJ'r.  Ps.  XXII,  7.  —  Postquam  coenavit.  De 
meme  S.  Paul,  1.  c;  c'esl-a-dire,  apres  la 
cene  legale.  —  Hie  est...  Voici  un  tableau- 
compare  de  celte  seconde  formule. 


S.  Matthieu. 

TouTO  yap  EOTt 

TO  aTj/.d  [jiou, 

TO  Trj;  -/.atvrj;  Sta8y)xyi?, 

TO  TTEpi  7ro),),aJv 

EV.XUVOfXcVOV 

eti;  d9E(Jtv  a(jLapTiaiv. 
S.  Ldc. 

ToOtO  t6  TTOTl^piOV 

■i)  y.aivy)  SiaOrixvi 
Ev  Tw  al'jxaxt  \).<j\), 

TO  VTtEp  Ut^-WV 
£XXUv6(JloV0V. 


S.  Marc. 

ToiJTO  EffTt 

TO  ai[xa  (Aou, 

TO  Tfjii  v.atv?ic  StaOi^/ri?, 

t6  Tispl  ito),).wv 

£X5(V)V0(Jl.£V0V. 

S.  Pail. 

ToUTO  TO  TCOTI^piOV 

■i\  -/.aivY)  ota6i^y.r)  egtiv 
£v  Tw  £(j.a)  asiiaTs. 


ToOto   ITOIEITE, 

oodxK  dv  TtfvrixE, 

fel?  Trjv   £[i.ov  avciii;,vy)(nv. 


Nous  retrouvons  ici  nos  deux  groupes,  avcc- 


364  fiVANGILE  SELON  S.  LUC 

21.  Gependant  void  que  la  main         21.  Verumtamen  ecce  manus  tra- 


leurs  nuances  caracieriftiques  ;  iiiais  Ics  dif- 
ferences sont  plus  accenluees.  La  premiere 
parlie  de  la  formule  est  moins  claire  dans  les 
redactions  de  S.  Luc  el  de  S.  Paul;  aussi 
est-il  probable,  selon  ie  principe  «  Leciio  dif- 
ficilior  est  praeferenda  »,  que  telles  fureiU  veri- 
tablement  les  parohs  de  Jesus.  —  La  copule 
est,  ajoutee  duns  la  Vulgate,  serail  bien  mieux 
placee  apies  «  calix  ».  —  Cette  coupe  que  je 
vous  offie,  dit  Jesus,  est  novum  Testamentum 
in  sanguine  meo.  L'ancienne  Alliance  avail 
eie  scellee  des  son  origine  par  du  sang  re- 
pandu,  Gen.  xv,  8  el  ss.  Plus  tard,  Ex.  xii, 
22  el  s. ;  xxiv,  8,  c'esl  encore  en  faisant  couler 
du  sang  qu'on  la  renouvela.  La  nouvelle 
Alliance  est  pareillemenl  ratifiee  par  du  sang 
verse,  mais  c'est  Ie  sang  precieux  du  Sauveur. 
Cfr.  Hebr.  ix,  15,  18-22.  Or,  comme  la  coupe 
eucharislique,  des  qu'elle  eiil  ete  consacree, 
conlenait  reellement  Ie  sang  de  Jesus,  il  est  evi- 
dent que  la  phrase  «  Ce  calice  est  la  nouvelle 
Alliance  en  men  sang  »,  equivaul  a  celle-ci  : 
«  Hie  est  sanguis  meus  novi  Tcstamenti  » 
(S.  Matth..,  S.  Marc).— Pro  vobis.  Dans  les  deux 
autres  synoptiques  :  «  Pro  mullis  ».  La  liturgie 
romaine  dit  en  unissanl  les  deux  expressions  : 
«  Pro  vobis  et  pro  multis  ».  —  Fundetur. 
Le  verbe  csl  au  present  dans  Ie  lexte  grec. 
Nolez  qu'il  retombe  sur  «  calix  »  et  non  sur 
«  sanguine  »,  preuve  que  le  coulenu  de  la 
coupe  etail  des  lors  du  sang,  non  du  vin.  De 
ce  vin  consacrd ,  comnae  du  pain  transsub- 
slanlie,  Nolre-Seigneur  afSiine  solennelle- 
menl  la  verlu  propitialoire  el  I'union  morale 
avec  son  sacrifice  du  lendemain.  D'apres  le 
recil  de  S.  Paul,  Jesus  repeta  en  eel  endroit 
I'injonction  finale  du  t.  19  :  Faiies  ceci  en 
memoire  de  moi.  —  Dans  un  commentaire 
protestanl  qui  n'est  pas  sans  valeur,  nous 
avons  rencontre,  a  la  suite  de  IVxplication 
des  tt.  17  et  20,  les  reQexions  suivantes  : 
«  Dans  I'acte  merae  (du  rite  ( ucharistique) 
sont  representees  les  deux  faces  de  I'oeuvre, 
TofTre  divine  el  racceptation  humaine.  Le 
cole  de  racceptation  humaine  est  clair  a  la 
conscience.  II  s'agit  simplement...  d'annoncer 
la  mort  du  Seigneur.  I  Cor.  xi,  26.  II  n'en  est 
pas  de  meme  du  cote  divin  :  il  esl  insonda- 
ble  et  mysterieux...  Nous  connaissons  claire- 
ment  ce  que  nous  avons  a  faire  pour  bien  com- 
munier.  Nous  pouvons  laisser  a  Dieu  le  se- 
cret de  ce  qu'il  nous  donne  dans  une  bonne 
communion.  »  Laisser  a  Dieu  son  secret! 
Mais  oil  est  ce  secret?  Jesus  n'a-t-il  pas  dit 
clairemenl  que  ce  qu'il  nous  donne  c'est  sa 
chair  pour  nourriture  et  son  sang  pour  breu- 
vage?  II  est  triste  d'en  etre  reduit  a  de  si 
pauvros  echappatoires  (comp.  Farrar,  Life 
of  Christ,  23e  ed.,  t.  II,  p.  292).  Le  catholi- 
que,   appuye  sur  les  paroles  du  Sauveur, 


croit  a   la  presence  reelle  comme  il  croit  a 
rincarnation  el  a  la  Resurrection. 

II  nous  reste  a  tenir  une  ancieniie  promessa 
(voyez  I'Evang.  selon  S.  Matth.,  p.  307)  eii 
signalani  ici  les  formules  de  consecration  usi- 
tecs  dans  les  principales  liturgies.  Elles  se 
raltachenl  loutesde  Ires  pres  aux  recils  evan- 
geliques,  donl  elles  combineiit  pai  fois  les  va- 
rianles,  et  auxquels  parfois  aussi  elles  ajou- 
lent  quelques  developpemenls. 

Liturgie  romaine  :  «  Hoc  esl  enim  corpus 
meum.  Hie  esl  enim  calix  sanguinis  mei,  novi 
et  aelerni  Testamenti,  my>terium  fidei,  qui 
pro  vobis  el  pro  multis  effundetur  in  romis- 
sionem  peccalorem  ».  —  Liturgies  de  S.  Jac- 
ques et  de  S.  Maic  :  «  Hoc  (St corpus  meum, 
quod  pro  vobis  frangiluret  dalur  in  reinissio- 
nem  peccalorum.  Hic  esl  sanguis  meus  novi 
Testamenti,  qui  pro  vobis  et  pro  mullis  effun- 
ditur  el  datur  in  remissionem  peccalorum.  » 
(La  liturgie  de  S.  Marc  se  borne  a  inserer  en 
sus  la  paiticulp  «  enim  »  apres  les  pronoms 
«  hoc  »el «  hic  »).  —  Liturgies  de  S.  Basile  et 
de  S.  Jean  Chrysostome  :  «  Hoc  esl  corpus 
meum,  quod  pro  multis  fiangitur  in  remis- 
sionem peccalorum.  Hic  esl  sanguis  meus, 
novi  Testamenli,  qui  pro  vobis  et  multis  effun- 
ditur  in  remissionem  peccalorum  ».  —  Li- 
turgie ethiopienne  ;  «  Hoc  esl  corpus  meum, 
quod  pro  vobis  iradelur  in  remissionem  pec- 
calorum. Amen.  Hic  esl  calix  sanguinis  mei 
qui  pro  vobis  effundetur,  el  pro  redempiione 
multorum.  Amen.  »  —  Liturgie  cople  :  «  Hoc 
est  enim  corpus  meum  quod  pro  vobis  fran- 
gitur  el  pro  mullis  dalur  in  remissionem  pec- 
calorum. Hic  est  enim  sanguis  meus  novi 
Testamenti  qui  effundilur  pio  vobis  et  pro 
multis  in  remissionem  peccalorum  ».  —  Li- 
turgie de  S.  CyriUe  :  «  Hoc  est  corpus  meum 
quod  pro  vobis  et  pro  multis  tradetur  in  re- 
missionem peccalorum.  Hic  est  sanguis  meus 
novi  Testamenti,  qui  effundetur  pro  vobis  et 
pro  mullis  tradetur  in  remissionem  peccalo- 
rum ». —  Liturgie  armenienne  :  «  Hoc  est  cor- 
pus meum,  quod  pro  vobis  dislribuitur  in  ex- 
piationem  peccalorum.  Hic  esl  sanguis  meus 
novi  Testamenti  qui  pro  vobis  el  multis  effun- 
ditur  in  expiaiionem  et  remissionem  pecca- 
lorum ».  —  Liturgie  mozarabe  :  «  Hoc  est 
corpus  meum  quod  pro  vobis  tradetur.  Hic 
est  calix  novi  Testamenti  in  meo  sanguine, 
qui  pro  vobis  el  pro  multis  effundetur  in  re- 
missionem peccalorum  ».  Voyi  z  D.  .Martene, 
De  antiquis  Ecclesiae  ritibus,'  lib.  I,  rap.  iv, 
art.  viii,  n,  19;  Lebrun,  Explication  de  '4; 
Messe,  I.  II  et  HI,  passim ;  Th.  J.  Lamy,  Dis^ 
sertaiio  de  Syrorum  fide  et  disciplina  in  ti 
eucharistica,'Louvain  1839. 

21.  —  Verumtamen  serl  de  transition  a  utt 
sujet  douloureux,   la   trahison   de  I'un   de* 


CHAPITRE    XX[I 


365 


dentis  me  mecum  est   in    raensa. 

Maith.  26,  21;  Marc.  14;  20;  Joan.  13,  18. 

22.  Et  quidem  Filius  hominis,  se- 
cundum quod  definitum  est,  vadit ; 
verumtamen  vse  homini  illi,  per 
quem  tradetur. 

Psal.  40,  9. 

23.  Et  ipsi  coeperunt  quserere  in- 
ter se  quis  esset  ex  eis,  qui  hoc  fac- 
turus  esset. 


de  celui  qui  me  trahit  est  avec  moi 
a  cette  table. 

22.  Pour  ce  qui  est  du  Fils  de 
I'homme,  il  s'en  va  selon  ce  qui  a 
ete  determine  ;  mais  malheur  a  cet 
homme  par  qui  il  sera  trahi. 

23.  Et  ils  commencerent  a  s'entre- 
demander  qui  etait  celui  d'entre  eux 
qui  devait  faire  cela. 


Douze  [tt.  21-23).  S.  Luc  abrege  notable- 
menL  eel  episode,  dont  les  details  complets 
sonl  surtout  fonrnis  par  S.  Malthieu,  xxvi, 
21-25,  el  par  S.  Jean,  xui,  48-30.  —  La 
parlicule  ecce  releve  fortement  le  caraclero 
affreux  du  crime  devoile  par  Jesus.  II  en  esl 
de  meme  du  conlrasle  elabli  par  les  paroles 
suivanles  :  manus  tradentis  me  mecum  est  (le 
lexte  groc  omcl  ce  verbo)  in  mensa.  «  Manu  fit 
tradilio,  maiiu  Iraditur  quis  hostibus,  manu 
rursus  ex  mcnsa  accipilur  comedendus  cibus. 
Esl  igiuir  quasi  dical  :  Qua  manu  jam  infert 
in  OS  suum  cibiim  mensae  moae,  eadem  mox 
hostibus  meis  me  tradet.  0  ingratam  et  im- 
piam  manuml  »  F.  Luc. 

22.  —  Et  (les  manuscrits  B,  L,  T,  Sinait. 
out  oTt  au  lieu  de  xaij...  FiUus  hominis  vadit 
(nopeuETai.  S.  Malth.  el  S.  Marc  :  Cmayei).  La 
pliiparl  des  interpreles  regardent  ce  «  vadil  » 
comme  un  eupheinisme  pour  «  morilurus  esl  »; 
ce  qui  esl  Ires  conforme  a  I'usage  classique. 
«  Giaeci  dicunl  aTre'pX'cSai,  oix£G9at,Lalini  abire 
pro  mori  »,  Rosenmiiller,  h.  I.  Tel  esl  aussi 
parfois  le  sens  de  I'hebreu  nSn  (Cfr.  Ps. 
XXXIX,  14).0npourrait  neanmo  ins  conserver 
iri  a  7rop£iJO[xat  sa  fignificalion  ordinaire.  — 
Sicut  dcfiniluiii  est,  xard  x6  wpiajjisvov.  Belle 
expression,  aimee  de  S.  Luc.  Cf.  Aci.  n,23; 
X,  42  ;  XVI ,  26,  31  :  selon  qu'il  a  eie  fixe  de 
toule  elernite  par  les  decrels  divins.  La  pen- 
see  esl  plus  reslreinle  dans  les  recits  paral- 
leli'S  :  •/.a9w;  Y^YpaTC-cat,  a  sicul  sciipUim  esl.  » 

—  Venunlamen  (de  nouveau  itXriv.  Mallli.  el 
Mi. re. :  -J  rce  homini  illi...  Teri'iblo  mais  juste 
sci  ence  •  damnalion  prononcee  conlre  Ju- 
dii.-.  Les  d  .  'isdela  Providence  iie  I'empe- 
chui.^.  po  II  d'etre  libre  :  a  iui  done  toule  la 
respon^ublllle  de  son  epouvantable  trahison. 

23.  —  Et  ipsi  coeperunt...  Le  reeil  de 
S.  Luc  decril  fori  bien,  maigre  sa  brievele, 
la  vive  emotion  que  produisil  parmi  les 
apolres  cette  prediction  inattendue.  —  Qucc- 
rere  inter  se;  plus  fortemenl  encore  dans  le 
grcc  :  CTuviiriTeTv  TTpo;  Jauxou;,  «  conquirere...  », 
comme  on  lit  dans  les  manuscrits  latins  a  et  b. 

—  Qais  esset  (sur  la  construction  grecque 
t6t(«...  voyez  la  Preface,  §  VI).  On  veil  par 
ces  details  avec  quelle  habileie  Judas  avail 


cache  son  jeu,  puisque  les  soupQons  de  ses 
confreres  ne  paraissenl  pas  s'elre  portes  sur 
Iui  plulot  que  sur  un  autre.  —  A  propos  du 
Irailre,  nous  avons  h  examiner  rapidement 
ici  une  question  qui  n'esl  ni  sans  inlerel  ni 
sans  difficulle.  II  s'agil  de  savoir  s'il  assista 
comme  les  autres  h  la  cene  eucharislique, 
ou  si  son  depart  du  cenacle  (Cfr.  Joan. 
XIII,  30)  eul  lieu  avant  I'instilulion  du  divin 
sacrement  de  I'autel.  La  plupart  des  Peres 
(Origene,  S.  Cyrille,  S.  Jean  Chrysoslome, 
S.  Ambroise,  S.  Leon,  S.  Gyprien,  S.  Augus- 
tin  ;  voyez  Corn,  a  Lapide,  in  Mallh.  xxvi,  20) 
et  des  anciens  exegetes  ou  theologians  ont 
admis  le  premier  de  ces  deux  sentiments.  Le 
second,  qui  a  prevalu  de  nos  jours  a  lei  point 
que  les  commenlateurs  sonl  presque  una- 
nimes  a  I'adopter,  est  loin  cep^ndanl  d'etre 
une  creation  moderne.  On  peul  alleguer  en 
sa  faveur  une  tradition  qui,  pour  Sire  moins 
glorieuse  que  la  precedenle,  n'en  a  pas  moins 
une  valeur  reelle,  specialemenl  sur  un  point 
qui  n'inleresse  d'uno  maniere  direclenila  foi 
ni  les  moBurs.  Talien,  Arnmonius,  S.  Jacques 
deNisibe,  les  Constitutions  Aposloliques,  S.  Hi- 
laire,  excluaient  deja  Judas  Iscariote  du  ban- 
quet eucharislique.  Theophylacle  assure  que, 
de  son  temps,  plusieurs  partageaienl  celle 
opinion.  Plus  tard  elle  a  ele  soulenue  par 
Rupert  de  Deulz,  Pierre  Comesior,  le  pape 
Innocent  HI,  Turrianus,  Salmeron,  Barra- 
dius,  Lamy,  ete.  Pour  qu'une  telle  dissidence 
se  soil  produite,  il  faui  assuremenl  que  le 
lexte  evangelique  presente  une  certaine  ob- 
scurite.  Nous  avons  done  a  comparer  enlre  eux 
les  divers  recits  pour  voir  s'ils  favorisent  une 
opinion  plulot  qu'une  autre.  D'apres  S.  Mat- 
Ihieu  (xxvi,  21-30)  el  S.  Marc  (xiv,  18-26), 
Jesus  celebra  d'abord  la  Paque  a  la  fagon  des 
Juifs;  puis,  avant  de  passer  a  rinsiilution  de 
la  sainle  Eucharislie,  il  predit  a  sos  disciples 
que  I'un  d'eux  le  Irahirait.  Judas  Iui  demanda 
eomm'^  les  autres  :  Esi-ce,  moi  Seigneur?  et 
regut  une  reponse  aflirmative.  Alors  seule- 
menl  Nolre-Seigneur  consacra  le  pain,  levin, 
et  communia  les  assistants.  Nous  avons  vu 
(tt.  15-23)  que  S.  Luc  coordonne  les  fails 
d'une  auiro  maniere.    A  la  suite  du  repas 


366 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


23.  II  se  fit  aussi  parmi  eux  une 
-contestation  :  lequel  d'entre  eux 
serait  estime  le  plus  grand. 

2b.  Mais  il  leur  dit :  Les  rois  des 
nations  les  dominent,  et  ceux  qui 


24.  Facta  est  autem  et  contentio 
inter  eos  quis  eorum  videretur  esse 
major. 

25.  Dixit  autem  els  :  Reges  gen- 
tium dominantur  eorum  :    et  qui 


legal  Jesus  institue  I'Eucharistie,  qu'il  dis- 
tribue  aux  convives;  puis  il  parle  du  traiLre 
qui  doit  bienlot  le  livrer  a  ses  ennemis. 
Quant  kij.  Jean  (xiii,  21-30),  il  a  omis,  comme 
I'on  sait,  la  cene  eucharistique.  Sa  redaction 
nous  montre  Jesus  lavant  les  pieds  des 
apotres,  se  troublant,  et  annonganl  qu'il  sera 
prochainement  trahi.  Le  disciple  bien-aime 
se  penche  sur  la  poilrine  du  Sauveur  et  le 
prie  de  lui  faire  connaitre  le  trailre ;  Jesus  le 
lui  indique  en  donnant  un  morceau  trempe 
(<|;(o[x(ov]  a  Judas,  auquel  il  dit  en  m^me  temps : 
Ge  que  tu  fais,  fais-le  plus  vile,  Le  mise- 
rable sort  aussitot  pour  consommer  son 
crime.  —  II  ressort  de  ce  resume  que  S.  Luc 
parail  tranclier  nelteraent  la  question  dans 
le  sens  de  la  premiere  opinion,  puisqu'il  ne 
place  qu'apres  I'institution  de  I'Eucharistie  la 
prediction  relative  au  traitre,  laquelle,  sui- 
vant  les  trois  autres  recits,  fut  prononcee  en 
presence  de  Judas.  Mais  \o  I'autorite  des 
deux  premiers  evangeiisies,  dont  I'un  avail 
ete  temoin  oculaire,'ne  contrebalance-t-elle 
pas  ceile  du  troisieme?  2°  Entre  le  t.  M  et 
le  t.  30  S.  Luc  serable  ne  s'etre  pas  preoc- 
cupe  de  suivre  rigoureusement  I'ordre  chro- 
nologique.  On  dirait  qu'il  precede  par  frag- 
ments, se  bornant  a  ranger  les  uns  a  la  suite 
des  autres,  presque  sans  transition,  les  divers 
evenements  qu'il  expose.  C'est  ainsi  que  les 
tt.  17  et  18  nous  onl  paru  n'etre  pas  a  leur 
place,  et  nous  en  dirons  lout  a  I'heure  autant 
des  tt.  24-30.  D'apres  cela,  nous  pouvons 
croire  qu"il  a  aniicipe,  en  racontant  I'institu- 
tion de  la  sainte  Eucharistie  avant  la  denon- 
ciation  du  traitre.  3°  Selon  S.  Jean,  Jesus, 
voulanlcongedier  le  traitre,  lui  donna  le  <l;w(i.tov 
(Vulg.  «  buccella  »).  Cetie  bouchee  n'etait 
autre  chose  qu'un  petit  morceau  d'agneau 
pascal,  que  le  pere  de  famiUe  presentait  quel- 
quefois  a  unou  aplusieurs  convives  vers  la  fin 
du  repasliturgique(voyez  notre  commenlaire 
de  Joan,  xni,  26,  27).  Or  la  cene  legale  et  la 
cene  eucharistique  ayanl  ^te  corapletement 
distinctes,  de  sorte  que  la  seconde  commenga 
sewlement  apres  que  la  premiere  eut  dteache- 
vee,  nous  sommes  en  droit  de  conclure  que 
Judas  reQut  le  <|/wutov  et  quitta  la  salle  du 
festin  avant  la  consecration  des  saintes  es- 
peces.  4°  Si  I'on  veut  taire  appel  aux  raisons 
de  convenance,  il  parait  difficile  d'admettre 
que  Jesus  ail  laiss^  profaner  Tun  de  ses 
plus  grands  mysteres  d6s  le  premier  moment 
de  son  institution.  Pour  ces  divers  motifs. 


que  nous  avons  autrefois  developpes  dans  la 
Revue  des  Sciences  ecclesiastiques,  2e  serie, 
t.  V,  p.  528  et  ss.,  nous  regardons  comrae 
plus  probable  le  sentiment  d'apres  lequel 
Judas  n'assista  point  k  la  creation  de  la 
Paque  chrelienne.  Cfr.  Schegg,  Evang.  nach 
Lukas,  t,  II,  p.  245  el  s. 

7.  Conversation    intime ,   rattach^e   &  la 

cene.  xxii,  24-38. 

Dans  ce  paragraphf,  dont  la  pluparl  des 
details  sent  propres  a  S.  Luc,  nous  pouvons 
distinguer  trois  series  de  pensees  :  1o  I'ideal 
de  la  vraie  grandeur  chrelienne,  tt.  24-30; 
2°  une  glorieuse  promesse  el  une  triste  pre- 
diction adressees  a  S.  Pierre,  tt.  31-34; 
3°  ce  qu'on  a  souvent  appele  de  nos  jours  le 
Discours  du  glaive,  1[t.  35-38. 

24.  —  Facta  est  autem  contentio.  Le  mot 
grec  9t).ovetxia,  employe  en  ce  seul  endroit 
du  Nouveau  Testament,  designe  a  proprement 
parler  une  querelle  d'ambition.  On  ne  s'al- 
tendrait  guere  k  voir  une  dispute  de  ce  genre 
surgir  parmi  les  apotres  a  un  pareil  instant, 
c'esl-k-dire  aussitot  apres  I'institulion  de  la 
sainte  Eucharislie.  C'est  pourquoi  la  plupart 
des  interpretes  supposent,  et  a  bon  droit, 
croyons-nous,  qu'ici  encore  S.  Luc  aurait 
quelque  peu  inti^rverti  I'ordre  historique  des 
fails,  pour  unir  logiquemenl  diverses  paroles 
de  Jesus.  Sans  admetlre  avec  Maldonat  que 
la  querelle  en  question  remonlait  a  une  se- 
maine  au  moins  en  arriere  (Matth.  xx,  20  et 
parail.),  ce  qui  nous  parait  exagere,  nous  di- 
rons a  la  suite  de  Salmeron,  «  non  esse  alie- 
num  a  verisimililudine  quaesticnem  banc 
excitatam  fuisse  ante  pedum  ablutionem.  > 
De  m6me  D.  Calmel.  Peui-etre  fut-elle  occa- 
sionnee  par  le  placementdes  convives  (V.Bede, 
Hofmann,  Keil,  Langen,  etc.)  au  debut  du 
repas.  —  Videretur  esi  pour  «  esset  »  :  sorte 
d' «  urbanilasattica  »  frequente  chez  lesclas- 
siques  remains  et  grecs.  Cfr.  Fritzsche  in 
Matth.,  p.  129.  —  Ge  n'etait  d'ailleurs  pas 
la  premiere  fois  que  les  apotres  se  mon- 
traient  chalouilleux  sur  le  point  d'honneur. 
Ctr,  IX,  46;  Matlh.  xviii,  1 ;  Marc,  ix,  34. 

25.  —  Dixit  autem  eis.  Je?us  arrete  dds 
son  debut  cetle  triste  discussion,  en  propo- 
sanl  a  ses  amis  une  consideration  bien  ca- 
pable de  leur  montrer  jusqu'k  quel  point  ils 
s'ecartaient  alors  de  I'espril  chretien.  Cfr. 
Matth.  XXIV,  35 ;  Marc,  x,  42,  et  ie  commeo* 


CHAPITRE   XXII 


367 


potestatem  habent  super  eos,  bene- 
fici  vocanlur. 

Matth.  20,  25;  Marc.  10,  42. 

26.  Vos  autem  non  sic  :  sed  qui 
major  est  in  vobis,  fiat  sicut  minor  : 
et  qui  prsecessor  est,  sicut  minis- 
trator. 

27.  Nam  quis  major  est,  qui  re- 
cumbit,  an  qui  ministrat?nonne  qui 
recumbit?  Ego  autem  in  medio  ves- 
trum  sum,  sicut  qui  ministrat. 

28.  Vos  autem  estis,  qui  perman- 
sistis  mecum  in  tentationibus  meis  : 

29.  Et  ego  dispone  vobis  sicut 
disposuit  mihi  Pater  mens  regnum; 

30.  Ut  edatis    et    bibatis  super 


ont  pouvoir  sur  elles  sont  appeles 
bienfaiteurs. 

26.  Pour  vous  qu'il  n^'en  soit  pas 
ainsi,  mais  que  celui  qui  est  le  plus 
grand  parmi  vous  soit  comme  le 
moindre  et  celui  qui  preside  comme 
celui  qui  sert. 

27.  Gar  quel  est  le  plus  grand, 
celui  qui  est  a  table  ou  celui  qui 
sert?  n'est-ce  pas  celui  qui  est  a 
table?  or  moi  je  suis  au  milieu  de 
vous  comme  celui  qui  sert. 

28.  Mais  c'est  vous  qui  etes  de- 
meures  avec  moi  dans  mes  tenta- 
tions. 

29.  Et  moi  je  vous  prepare  le 
royaume  comme  mon  pere  me  I'a 
prepare ; 

30.  Afin  que  vous  mangiez  et  bu- 


taire.  —  Kupteuoudiv  [dominantur)  est  une 
expression  propre  a  S.  Luc  ;  i^ovaiaZowxei  {qui 
potestatem  habent]  ne  se  Irouve  qu'ici  et  I  Cor. 
VI,  12;  VII,  4.  Super  eos  au  masculin,quoiquo 
«  gentes  »  soil  un  nom  feminm,  est  une 
«  enallage  numeri  ».  —  Benefici  (euepye'Tai) 
vocantur.  Vers  Tepoque  de  Jesus,  le  litre 
d'Evergete  se  donnait  en  effel  avec  une  ^ton- 
nante  faciliteauxrois  et  auxdynastes. Cyrus, 
deux  Ptolemee,  Antigone  Doson  de  Macd- 
doine,  Milhridate  V  du  Pont,  Arlavazdes 
d'Armenie,  el  bien  d'auires,  le  porlerent  : 
mSme  des  tyrans  Tavaienl  reQu.  Cfr.  Diod. 
II,  26;  Alhen.  549. 

26. —  Vos  autem  7ion  sic  (sous-ent. «  eritis  ». 
ou  «  facielis  »  :  ellipse  pleine  d'energie). 
II  ne  faut  pas  que  les  mceurs  du  paganisme 
s'introduisent  dans  le  corps  apostolique  I  — 
Sed  [par  opposition  k  la  conduite  des  princes 
pai'ens)  qui  major  est...  sicut  minor.  Liltera- 
lement  d'apres  le  grec,  «  sicut  junior  »  (<b{6 
vewxepo?) :  expression  piltoresqiie.  Dans  les 
families,  le  plus  jeune  a  la  derniere  place  et, 
specialement  en  Orient,  c'est  a  lui  que  re- 
viennenl  la  plupart  des  petiles  corvees  do- 
mesliques,  de  sorle  qu'il  est  souvent  comme 
le  serviteur  de  tous.  —  Et  qui  processor  est 
(6  ■^Yovjievo?,  le  commandant)... :  c'est  la  m6me 

fensde  sous  une  autre  figure.  Voyez  dans 
Petr.  V,  3,  jusqu'a  quel  point  la  legon  de 
Jesus  ful  comprise  des  siens.  L'Eglise  aura 
done  son  aristocratic,  qui  sera  tout  ensemble 
une  arisiocratie  de  grandeur  et  d'humilite. 

27.  —  Nam  quis  major  est...  J^sus  inter- 
pose ici  UD  raisonneiuent  d'ezp^rience,  pour 


mleux  inculqner  son  assertion  anterieure.  — 
Qui  recumbit  (6  avaxefjievoi;)  an  qui  mintstratf 
Voici  deux  hommes,  donl  I'un  est  mollement 
etendu  sur  un  sofa,  devant  une  table  bien 
garnie,  tandisque  I'aulre,  debout,  sert  le  pre- 
mier :  quel  est  le  superieur?  Personne  ne  sau- 
rait  s'y  meprendre.  Et  pourtant,  contmue  le 
Sauveur,  resumant  toutes  les  relations  qu'il 
avail  cues  avec  ses  apolres  depuis  sa  vie 
publique,  moi,  voire  chef  [ego  emphatique),  je 
me  suis  fail  voire  serviteur  Pensons  au  la- 
vement des  pieds,  qui  allail  suivre,  ou,  selon 
d'auires,  qui  avail  immedialement  precede 
ces  paroles  I 

28.  —  Vos  autem  estis...  Apres  ce  doux  re- 
proche,  Jesus  releve  le  courage  des  apolres 
en  louanl  leur  fidelite  k  son  service  et  en  leur 
promettant  des  places  glorieuses  dans  son 
royaume.  —  Qui  permansistis  mecum  (ol  5ia- 
(xeixevYixoTEs  [jtet'  Ijaou)  in  tentationibus  meis.  Le 
Sauveur  designe  par  ce  nora  les  epreuves,  les 
tribulations  de  divers  genre,  les  persecutions, 
qu'il  avail  cues  constamment  kendurer  depuis 
le  debut  de  son  minislere  ;  or  les  Douze  lui 
elaienl  demeurds  fideles  quand  meme,  quol- 
qu'ils  s'exposassenl  ainsi  au  mepris,  a  la 
haine  de  leurs  compalriotes.  Avec  quelle 
bonle  Jesus  les  en  rem3rcie!  Bientot,  il  est 
vrai,  il  devaienl  fuir  el  i'abandonner  a  I'heure 
de  sa  plus  grande  detresse;  mais  cetle  defail- 
lance  momentanee  n'effacail  pas  tant  d'acles 
de  devouement  el  de  noble  courage. 

29  et  30.  —  Et  ego  dispono  vobis.  «  Prono- 
men  ego  el  conjunctio  et  singuiarem  habent 
emphasim ,  quse  in  anlilhesi  Ctirisli  et  disc-i> 


368 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


viez  a  ma  table  dans  mon  royaume, 
et  que  vous  siegiez  sur  des  trones 
pour  juo-er  les  douze  tribus  d'lsrael. 

31.  Et  le  Seigneur  dit  :  Simon, 
Simon,  voila  que'Satan  t'a  demande 
pour  te  cribler  comme  le  froment. 

32.  Mais  j'ai  prie  pour  toi,  afin  que 
ta  foi  ne  defaille  pas ;  et  toi,  quand 
tu  seras  convert!, confirme  tes  freres. 


mensam  meam  in  regno  meo,  et 
sedeatis  super  thronos  judicantes 
duodecim  tribus  Israel. 

31.  Ait  autem  Dominus  :  Simon, 
Simon,  ecce  Satanas  expetivit  vos, 
ut  cribraret  sicut  triticum  : 

32.  Ego  autem  rogavi  pro  te  ut 
non  deficiat  fides  tua  :  et  tu  ali- 
quando  conversus  confirma  fratres 
tuos. 


pulorum  posila  est.  Vos  hoc  pro  mo  fecislis, 
ut  mecum  in  lenialionibus  meis  permane- 
retis;  ego  hoc  vicis>im  pro  vobis  facio.  ut  dis- 
ponam  vobis  regnum  ».  Maldonat.  «  El  ego  » 
est  done  pour  «  vicissim  ego  ».  Le  verbe 
«  dispono  »  (5iaT(6eiJLat)  ne  doit  pas  se  prendre 
ici  dans  le  sens  d'one  disposition  testara 'ii- 
taire,  car  le  contexle  s'y  oppose  [disposuit 
mihi  Pater  mens  regnum] ;  ii  coutient  du  moins 
unepromesse  solennelle.  Evidemraent,  la  con- 
jonciion  sicut  «  similiLudinem  signiScal,  non 
aeqiialitatem  ».  F.  Luc.  —  JJt  edatiset  bibatis. 
Jesus  decrit  par  deux  images  pitloresques  K'S 
splendeurs  de  co  royaume  qu'il  vient  de  pro- 
mettre  aux  apolres.  La  premiere  est  celle 
d'un  festin  splendide,  comme  en  d'aulres  en- 
droits  de  I'Ecriture  (Ps.  xvi,  45;  xxxv,  9; 
Luc.  XIV,  45,  etc.).  Les  mois  super  mensam 
meam  paraiss?nl  indiquer  un  privilege  special 
reserve  aux  amis  les  plus  fideles  du  Sauveur  : 
«  quemadmodum  non  omnes  qui  in  dome 
regia  sunt  in  ipsa  regis  mensa  cibum  su- 
munt,  sed  pauci  quidam  majores  principes, 
quibus  id  rex  honoris  causa  concedit  »,  ecrit 
Maldonat  avec  sa  justesse  accoulumee.  —  Et 
sedeatis  super  thronos.  Seconde  metaphore, 
qui  exprime  la  puissance  reservee  aux  apolres 
dans  le  ciei,  de  meme  que  la  precedenie  eiait 
I'embleme  de  leurs  joies  eiernelles.  Peu  de 
temps  auparavant,  le  Sauveur  avail  deja 
parle  aux  siens  dans  les  memes  termes  de  ce 
pouvoir  judiciaire.  Cfr.  Mallh.  xix,  26  et  le 
ftommenlaire.  —  Duodecim  manque  en  plu- 
sieurs  manuscrils;  de  meme  in  regno  meo. 
—  Quelles  paroles  I  el  c'esl  la  veille  de  sa 
morl  ignominieuse  que  Jesus  dislribue  des 
irones  et  des  couronnes! 

31.  —  Ait  autem  Dominus  (6  Kupio;.  Cfr. 
VIII,  13).  Bien  qu'elle  soil  omise  dans  les  ma- 
nuscriis  B,  L,  T,  et  plusieiirs  versions,  celle 
phrase  est  suffisamment  garanlie  par  la  plu- 
parl  des  anciens  lemoins.  Elle  introduil  la  se- 
conde parlie  de  i'enlrelien,  tif.  31-34.  — 
Simon,  Simon.  Repetilion  pleine  de  soleiinile. 
iesus  va  faire  k  S.  Pierre  une  promesse  gran- 
diose, digne  d'etre  associee ,  par  son  sujet 
comme  par  son  importance,  a  Mallh.  xvi,  \  7-1 9, 
el  a  Joan,  xxi,  15-17.  —  Ecce  Satanas  expeti- 


vit vos.  a  Eccel  »  prenez  bien  garde,  o  Sata~ 
nas  B  (Cfr.  Marc,  i,  13;  :  I'enfer  el  son  chef 
etaienl  dans  une  grande  agitation  ce  jour-la, 
maisla  ruine  de  J udasneleur  sufEsail pas. «  Ex- 
petivit »  :  ilxi-r^aa.-zo,  expression  en':'rgique,  si- 
gnifie  propremenl  «  poslulare  ut  sibi  quis  de- 
dalur  ».  C'e.-l  probat)lement  un.!  allu-ion  a  1» 
premiere  page  du  livre  de  Job.  Satan  est  cense 
avoir  demande  au  Seigneur,  sans  la  permission 
duqucl  il  ne  pent  agir,  carle  blanche  pour 
tenter  S.  Pierre  el  les  autres  apolres  resies 
fideles.  —  Ut  cribraret  sicut  triticum.  Autre 
expression  energique,  qui  designe  fort  bien  la 
violence  des  moyens  qu'emploiera  le  demon 
aBn  d'ebianler  la  foi  du  college  apostolique  et 
d'aneantir  ainsi  dans  sa  basei'Eglis:;  de  Jesus. 
Cfr.  Amos,  ix,  8  et  9.  Les  cribli-s  des  anciens 
etaienl  fails  tanlot  de  feuiUes  de  papyrus  ou 
de  parchemin  dans  lesqueiles  on  avuil  prati- 
que un  grand  nombre  de  peliti'S  ouverlures, 
tanlot  d'un  tissu  de  sole,  ou  de  crins  de 
cheval.  Le  mot  grec  aivti^eiv  est  de  forma- 
tion relativement  recente  ;  les  classiques  em- 
ployaienl  d'ordinaire  xooy.t^eyeiv. 

32. —  «  O-lenderat  perictilum,  oslendit  re- 
medium  »,  Maldonal.  —  Ego  autem  rogavi. 
Qjelle  majeste  dans  eel  «  Ego  »!  Jesus  op- 
pose sa  personne  divine  el  son  intercession 
toute-puis-ante  a  la  pprsonno  el  a  la  demande 
de  Satan.  'E5£r,9y)v  :  deja.  commoce  lemp-  i'in- 
dique,  la  piiere  de  Jesus  est  moniec-  vers 
Dieu.  —  Pro  te.  Plus  haul.  f.  31,  le  Sauveur 
annongail  que  les  piegcs  de  Satan  menagaient 
tous  les  apolres,  «  expetivit  vos  »;  mainte- 
nanl  il  declare  que  sa  priere  a  ete  form.ilee 
d'une  maniere  speciale  en  faveur  de  S.mon. 
Ce  trail  est  vraiment  reinarquable.  Mais  en 
voici  I'explication  :  ut  non  deficiat  [e-x/.stV.Y;, 
prorsus  deficial)  fi-des  tua.  II  y  a  done  une 
importance  particuliere  a  ce  que  la  foi  de 
S.  Pierre  n'eprouve  pas  de  defaillance  tolale. 
ab~olue  Noions  en  passant  1o  que  celle 
priere  de  Jesus  a  ete  necessairemenl  oxaucee 
(Cfr.  Joan,  xi,  42.  «  Majus  est  palrocinium 
quam  perlurbationis  illius  tenlamenuim  », 
S.  Ambroise) ;  2°  que  le  reniemenl  de  S.  Pierre 
n'a  pas  ete  reellemeni  une  «  aposiasia  a  fide  », 
quoique  ce  fiit  une  faute  grave  (voyez  Syl- 


CHAPITRE  XXII 


369 


33.  Qui  dixit  ei :  Domine,  tecum 
paratus  sum  et  in  carcerem,  et  in 
mortem  irt. 

3'i.  At  ille  dixit :  Dico  tibi,  Petre, 
non  canlabit  hodie  gallus,  donee  ter 


33.  Pierre  lui  dit :  Seigneur,  je 
suis  pret  a  aller  avec  toi  et  en  pri- 
son et  a  la  mort. 

34.  Mais  il  lui  repondit :  Je  te  le 
dis,  Pierre,  le  coq  aujourd'hui  ne 


■veira,  Maldonal,  el  meme  Grolius,  h.  I.).  — 
Et  tu.  II  n'y  a  pas  moins  d'emphase  dans  ce 
pronom  que  dans  «  Ego  autem  ».  Toi  aussi, 
fais  a  I'egaid  de  les  freres  ce  que  j'ai  fait  en- 
•veis  toi.  —  Conversus,  eTrioTps'l^a?,  n'est  pas 
un  simple  hebrai'sme  pour  «  vicissiiii  »  (le  Ven. 
Bede,  Maldonai,  Grolius,  etc.,  i'onl  pen»e), 
mais  un  synonyme  de  (XETavoiQaai;  (Cfr.  xvii,  4  ; 
Acl.  in,  19).  Ce  luol  signifie  done  t  resipis- 
cens,  conversus  ad  pceniienliam  »,  ainsi  qu'on 
I'a  toujours  generalement  compris;  il  insinue 
par  consequent  la  chute  passagere  que  Jdsus 
va  bienlol  predire  en  lermes  formels  a  Si- 
mon, t.  34,  el  aussi  sa  promple  conversion. 
Voyez  d'aiileurs  sur  celie  locution  rarticle  de 
M.  Schneemann  dans  le  Kalholik,  1868,  t.  I, 
p.  409  et  ss.  —  Confirma  fratres  tuos,  c'est- 
■a-dire  les  autresapotres,  comma  ilressort  Ires 
clairement  du  conlexle.  Le  verbe  grec  crryi- 
pt$ov  exprime  une  solidile  h  loule  epreuve, 
Cfr,  Bretschneider,  Lex.  man.  s.  v.  avripi^^ta; 
i  Thess.  iii,  2 ;  I  Pelr.  v,  i  0  ;  II  Petr.  i,  1 2  ;  etc. 
Quel  beau  parallele  du  «  Tu  es  Pelrus,  el  su- 
per banc  petram  sediBcabo  Ecclesiam  meam, 
€t  porlae  inferi  non  praevalebunt  adversus 
earn  » 1  De  part  et  d'autre  les  conclusions 
dogmatiques  sont  les  m^raes.  En  premier  lieu 
la  primaule  de  S.  Pierre  :  «  Totus  sane  hie 
sermo  Domini  praesupponit  Pelrum  esse  pri- 
mum  apostolorum  » ;  Bengel  I'admel  avec 
beaucoup  d'autres  proleslants.  En  second 
lieu,  le  privilege  de  I'infaillibiliie  pour  le 
prince  des  apoires  :  «  Qui  pent  douier  que 
S.  Pierre  n'ail  regu  par  celte  pnere  (de  Jesus) 
une  foi  consiante.  invincible,  inebranlable,  et 
si  abondante  d'aiileurs,  qu'elle  fut  capable 
d'affermir,  non  seulemeni  !e  commun  des 
fideles,  mais  encore  ses  freres  les  apoires  et 
les  pasleurs  du  Iroupeau,  en  empechant  Sa- 
tan de  les  cribler  ».  Bossuel,  iMediiat.  sur 
I'Evang.,  70e  jour.  «  Chrislus...  Petro  pro- 
miltit  quod  aliis  non  promillil.  Non  enim 
dixit.  Ego  rogavi  pro  vobis,  quemadmodum 
ante  dixeral,  Ego  dispono  vobis...  rognum..., 
sed  dixil  uni  Pelro  :  ligo  autem  rogavi  pro  te 
ul  non  deOcial  fides  lua.  Atqui  ui  o.-len- 
deretur  infallibilitalis  privilegium  tribui  Pelro 
ut  Ecclesiae  capili,  addiUir  :  El  lu  alujuando 
conversus  confirma  fratres  luos.  Confinnare 
autem  fratres  Pelrus  non  poluisset,  nisi  fuisset 
in  fide  slabiiis...  Ex  quibiis  omnibus...  coili- 
gitur  Pelrum  in^jgniluma  Clirislo  fuisse  privi- 
legio  infallibilitalis  ».  Galli,  Inslilutionesapo- 
jog.  polemicse  de  verilate  et  divinilale  religio- 

S.  Bible.  S. 


nis  el  Ecclesiae  caihollcEe,  1867,  I.  Ill,  p.  631 
et  s.  En  Iroisieme  lieu,  les  papes  successeurs 
de  S.  Pierre  parlicipenl  naturellemenl  a  ce 
double  privilege.  «  Gette  parole,  Afformis  les 
freres,  n'esl  pa^  un  commandement  que  Jesus 
fasse  en  particulier  a  S.  Pierre.  C'est  un 
office  qu'il  erige  el  qu'il  inslilue  dans  son 
Eglise  a  perpeluite...  Une  eternelle  succes- 
sion fut  deslinee  a  S.  Pierre.  II  devail  lou- 
jours  y  avoir  un  Pierre  dans  I'Eglise  pour 
confirmer  ses  freres  dans  la  foi  «.  Bossuet, 
1.  c  ,  728  jour.  G'est-a-dire  que  chaque  ponlife 
romain  possede  la  primaule  soil  d'honiieur 
soil  de  juridiclion,  et  linfaillibilite.  VoirBel- 
larrain,  Gontrov.  Ill,  de  Rom.  Ponlif.  1.  iv, 
c.  2-7;  Billuarl  et  Perrone,  dans  leurs 
trailes  a  de  Ecclesia  <> ;  Galli,  1.  c,  p.  657 
ets.;  Bouix,  Traclatus  de  Papa,  I.  II,  p.  176 
el  ss.;  Mgr  I'Archeveque  de  Bourges,  La  tra- 
dition calholique  sur  I'infaillibiliie  pontifi- 
cate, I.  I,  p.  54  el  ss. 

33.  —  Qui  dixit  ei.  S.  Pierre  a  compris 
que,  tout  en  lui  conferant  de  glorieuses  pre* 
rogatives,  Jesus  revoquait  en  doule  sa  com- 
plete fideliie;  n'ecouiaiit  done  que  Telao  de 
son  amour,  il  replique  par  une  couragpuse 
parole,  qu'un  prochain  avenir  pourra  bien 
demeniir,  mais  qu'un  avenir  plus  eloigne 
realisera  d'une  fagon  lillerale.  —  Tecum  est 
mis  en  avanl  par  emphase.  —  Paratus  sum. 
Helas!  il  presumait  liop  de  ses  forces,  car  il 
n'etait  pas  encore  vraiment  prepare.  —  Et 
in  carcerem  et  inmortem  ire.  Belle  gradation  : 
meme  jusqu'a  la  morl!  La  prison  el  la  mort, 
telles  etaient  les  deux  formes  sous  lesquelles 
Simon-Pierre  se  represenlait  les  dangers  qui 
menagaient  alors  Nolre-Seigneur. 

34.  —  Dico  tibi,  Petre.  Jesus  ne  se  borne 
plus  a  une  simple  insiniialion,  il  affirme  cate« 
goriquement.  II  emploie  celle  fois,  peut-6lre 
avec  une  cerlaine  jjoinle  d'ironie,  le  nom 
messianique  qu'il  avail  lui-meme  donne  a  son 
futur  vicaire  («  Pelro  »  au  lieu  de  «  Simon  », 
■?,  31).  —  Non  cantabit  (la  Recepta  el  la  plu- 
parl  des  munuscrils  :  oO  |jiri  9a)vr,<7ei,  avec 
deux  negations;  Sinait.,  B,  L,  Q,  oO  9iovT^oei) 
hodie  gallus...  Manieie  pilloresque  de  dire  ■ 
Avanl  la  procliaine  aurore  Ui  in'auras  reniii 
Irois  fois.  Voyez  I'Evang.  selon  S.  Matlb. 
p.  511,  el  I'Evang.  selon  S.  Marc,  p.  198.  — 
Donee  ter  abneges  nosse  me.  II  y  a  ici  plusieurs 
variaiiles  dans  le  lexle  grec  :  irpiv  fi,  gw;  ou, 
simplemenl  £w;,  pour  «  donee  » ;  puis  auapv^o/) 
jjiT)  elSsvai  (xe  (avec  un  [iri  pleonastiqu>:),  et  lui 

Luc  —  24 


370 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


cliantera  pas  que  tu  n'aies  trois 
fois  nie  me  connaitre.  II  leur  dit 
ensuite  : 

35.  Quaud  je  vous  ai  envoy es 
sans  bourse  ni  sac  ni  chaussures, 
quelque  chose  vous  a-t-il  manque? 

36.  Et  ils  dirent :  Rien.  II  ajouta 
done  :  Mais  maintenant,  que  celui 
qui  a  une  bourse  la  preune,  et  pareil- 
lement  celui  qui  a  un  sac,  et  que  celui 
qui  n'ena  point  vende  satunique  et 
acliete  une  epee. 

37.  Gar  je  vous  dis  qu*il  faut  que 
ce  qui  eat  encore  ecrit  s'accomplisse 
en  moi  :  Et  il  a  ete  mis  au  rang 


abneges  nosse   me.  Et  dixit  eis  :. 

Malth.  26,  34;  Marc,  14,  10. 

35.  Quando  misi  vos  sine  sacculo 
et  pera  et  calceamentis,  numquid 
aliquid  defuit  vobis  ? 

Mauh.  10,  9. 

36.  At  illi  dixerunt :  Nihil.  Dixit 
ergo  eis  :  Sed  nunc  qui  habet  saccu- 
lum,  toUat;  similiter  et  peram  :  et 
qui  non  habet,  vendat  tunicam 
suam,  et  emat  gladium. 

37.  Dico  enim  vobis,  quoniam 
adhuc  hoc  quod  scriptum  est  oportet 
impleri  in  me  :  Et  cum  iniquis  de- 


dTrapvTjfftj  elSsvai.  Les  nuances  qui  existent 
entre  lesrecils  evangeliques  a  propos  de  celte 
triste  prediction  faite  par  Jesus  a  S.  Pierre, 
et  les  places  differentes  qu'iis  paraissent  lui 
atlribuer  ont  donne  lieu  a  plusieurs  inlerpr^ 
tations.  S.  Augustin  pense  que  Notre-Sei- 
gneuf  la  repela  jusqu'k  trois  reprises  dans  la 
soiree  ;  d'autres  sont  pour  une  seule  predic- 
tion diversement  relalee;  d'aulres,  en  assez 
grand  nonibre  (Cornelius  a  Lapide,  Noel 
Alexandre,  Luc  de  Bruges,  Olshausen,  Abbott, 
Alford,  Langen ,  van  Oosierzee,  etc.),  suppo- 
senL  qu'ede  ful  prononcee  au  nooins  deux  fois, 
d'abord  au  cenacle  d'apres  S.  Luc  et  S.  Jean 
(xii,  36-38J,  puis  sur  le  chemin  de  Geihse- 
mani,  dapres  S.  Matthieu  (xxvi,  30-35)  et 
S.  Marc  (xiv,  26-31).  —  Et  dixit  eis.  Ces 
mols,  qui  seraient  beaucoup  mieux  places  au 
verset  suivant,  inaugurent  le  «  Dialogue  du 
glaivL-  »,  t1f.  35-38. 

35  et  36.  —  Quando  viisi  vos.  Allusion  a 
la  premiere  mission  des  apolres,  ix,  3  ss.  et 
parail.  Jesus,  voyant  ses  amis  si  pleins  de 
de  confiance,  juge  bon  de  les  ramener  a  la 
douloureuse  realite  de  la  situation.  —  Sine 
saccule  et  pera,  iTep  PaXavxfoy  xaJ  mipa;.  Gfr. 
IX,  3 ;  X,  4.  «  Sacctihis  »  designe  la  bourse, 
«  pera  »  (a  valise  oil  Ton  meilait  les  provi- 
sions. Voyez  A.  Rich,  Djclionn.  des  anliqui- 
tes  rem.  el  grecq.,  p.  472  et  544.  —  Numquid 
aliquid  defuit  vobis?  C'etaient  alors  d'heu- 
reux  temps,  qui  ne  devaient  plus  revenir 
pour  les  apolres.  Eux-memes,  dans  leur  re- 
ponse  {nihil],  reconnaissent  que  la  Providence 
avail  alors  amplement  pourvu  k  tous  leurs 
besoins.  —  Sed  nunc.  Les  circonstances  sont 
desormais  bien  changees,  comme  I'explique 
Jesus  par  un  langage  pittoresque.  A  I'avenir, 
plus  d'hospilalilegenerpiise,ppontanee,offerte 
aux  eiivoyes  du  Prophete  venere;  ils  devront 
done  se  munir  dargent  et    de   provisions  . 


sacculum...  similiter  et  peram.  En  outre^ 
comme  ils  auront  a  courir  de  serieux  dangers, 
6tani  devenus  pour  la  plupart  des  hommes 
un  objet  de  naine,  li  sera  bon  qu'ils  se  pre- 
parent  k  la  lulte,  qu'ils  ailieni  jnsqu'a  se 
munir  d'un  glaive!  —  Quelques  inlerprelos- 
(Kuinoei,  Oishauseu,  etc.)  prennenl  les  mots 
qui  non  habet  d'une  maniere  absolue  :  Celui 
qui  est  sans  avoir;  d'autres  (en  assez  grand 
nombre  de  nos  jours)  sous-entendent  «  gla- 
dium »;  d'aulres  enfin  (a  la  suite  d'Euihy- 
mius),  et  telle  est,  croyons-nous,  la  meilleure 
explication,  rep^tenl  le  mot  «  sacculum  » 
apres  «  habet  »  :  Que  celui  qui  n'a  ni  bourse 
ni  argent,  etc.  —  Vendat  tunicam  suam  : 
Td  IjAatiov  auiou  du  texte  grec  designe  plus 
particulierement  le  manteau  ou  v6lement  de 
dessus,  dout  on  peut  se  passer  au  besoin.  Du 
resle,  on  se  dispense  de  bien  des  choses  pour 
sauver  sa  vie;  or  il  s'agit  precisement  ici 
d'avoir  un  glaive  protecteur,  et  Jesus  suppose 
qu'on  ne  se  procurera  de  I'argent  pour  I'a- 
cheter  qu'a  la  condition  de  vendre  une  partie 
de  son  vesiiaire.  —  Einal  gladium.  Elrange 
recommandation,  qui  dut  vivemenl  surpren- 
dre  les  apolres!  II  est  vrai  que  nous  ne  lea 
imiterons  pas  en  la  prenanl  a  la  lettre  {t-  38). 
C'elail  une  maniere  concrete,  hguree,  et  tre* 
expressive  de  dire  :  Attendiz-vous  a  la  haine, 
a  la  iutte,  aux  perils  (voy  z  D.  Calmei,h.  !,). 
37.  —  Dico  enim  vobis.  Jesus  motive  sa 
recommandation.  Le  disciple  n'esi  pas  plus 
que  le  maitre;  or  le  mailre  va  6tre  bientot 
outrage,  persecute  :  il  est  done  naturel  quff 
les  disciples  s'attendent  aussi  a  la  persecu- 
tion. —  Adhuc  hoc.  Deux  mols  emphatiques: 
cela  encore,  comine  tout  ie  resle.  Nous 
croyons  a  I'authenlicile  de  I'adverbe  l^t, 
quoiqu'il  soil  omis  dans  les  manuscrils  A,  B, 
D,  H,  J,  Q,  X,  Sinait.  et  dans  plusieurs  ver- 
sions (syr.,  copt.,  ethiop.);  sa  resserablance- 


CHAPITRE  XXII 


,*71 


pulatus  est.  Etenim  ea  qiiie  sunt  de 
me  finem  habent. 

Isai.  53,  12. 

38.  At  ilii  dixerunt :  Domine,  ecce 
duo  gladii  hie.  At  ille  dixit  eis  : 
Satis  est. 

39.  Et  egressus  ibat,  secundum 
consuetudinem,  in  montem  Oliva- 
rum.  Secuti  sunt  aulem  ilium  et 
discipuli. 

Matlh.  26,  36;  Marc.  14,  32;  Joan,  18, 1. 

40.  Etcumperveuisset  ad  locum. 


des  scelerats.  Gar  tout  ce  qui  a  ete 
ecrit  de  moi  touche  a  sa  fin. 

38.  Et  ils  lui  dirent :  Seigneur, 
voici  deux  epees.  Et  il  leur  dit  : 
G'estassez. 

39.  Et  etant  sorti,  il  alia  selon  sa 
coutume  a  la  montagne  des  Oliviers 
et  ses  disciples  le  suivirent. 


'40.  Et  lorsqu'il  fut  arrive  a  Ten- 


avec  8x1,  qui  le  precede,  suffit  pour  expliquer 
sa  disparilion.  —  Quod  scripluni  est  :  par 
Isaie  au  chap,  lui  [t.  12),  qui  est  un  des 
points  culminaiils  de  sa  prophelie,  et  qui 
trails  si  admirablemont  des  souffrances  et  des 
humiliations  du  Messie.  Voyez  le  commen- 
taire  de  M.  Trochon,  el  le  Manuel  biblique 
de  M.  Vigouroux,  t.  II,  p.  525  el  526.  — 
Oportel  imjoleri  in  me.  Aei,  c'est  une  neces- 
site  d'apres  le  plan  divin;  x£>,£ff6»ivai  exprime 
une  complete  realisation.  —  Et  cum  iniquis 
deputatus  est  (sur  I'articie  xd  qui  precede  la 
citation  dans  le  texte  grec,  voyez  la  Preface, 
8  VI).  'Avoii.0?,  employe  en  ce  seu!  endroit  des 
Evangiles,  signifie  proprement  «  sans  loi  », 
et  par  suite  «  scelerat  »,  homme  qui  ne  tient 
aucun  compte  de  la  loi.  Celle  prophelie 
s'accomplissail  peu  d'heures  apres  Tapplica- 
tion  que  s'en  faisait  Jesus.  Nous  verrons  en 
effet  Notre-Seigneur  traite  comme  un  ivojio;, 
crucifie  enlre  deux  scelerats.  —  Etenim  in- 
troduil  une  explication  des  dernieres  paroles. 
Pourquoi  la  prediction  d'Isaie  est-elle  sur  le 
point  de  se  realiser?  Reponse  :  Ea  quce  sunt 
de  me  finem  habent.  U  y  a  deux  raanieres  d'in- 
terpreter  cette  reponse.  1°  Tout  ce  qui  a  ete 
ecril  a  mon  sujet  dans  les  saints  Livres  doit 
s'accomplir  ;  2°  ce  qui  me  concerne  approche 
de  sa  Gn.  Nous  preferons  le  second  sens,  qui 
est  plus  litteral  et  plus  nalurel  (Cfr.  Eulhy- 
mius,  etc.). 

38.  —  Ecce  duo  gladii  hie,  s'ecrient  nalve- 
menl  les  disciples,  se  meprenant,  comme 
dans  une  circonstance  anleri(ure  (Matlh. 
XVI,  6-i2),  sur  la  portee  des  paroles  de  Jesus. 
D'oii  provenaient  ces  deux  glaives?  Peul-etre 
se  Irouvaient-ils  dans  ia  inaison  ;  peut-elre 
les  apolres  les  avaient«ils  apportes  de  Galilee 
on  prevision  des  dangers  que  leur  maitre 
et  eux-m(^mes  courraienl  a  Jerusalem.  Du 
moins  il  est  peu  vraisemblableque  ce  fussenl, 
comme  le  pense  S.  Ji'ati  Chrysoslome,  deux 
grands  couleaux  qui  avaient  servi  a  immoler 
I'agneau  pascal.  Nous  verrons  dans  peu  d'ins- 
tants  I'un  de  ces  glaives  entre  les  mains  de 
S,  Pierre.  «  Quelques-uns  ont  expliqu^  ces 


deux  glaives  de  la  puissance  temporelle  el 
spiriluelle  de  I'Eglise;  mais  cette  explication 
est  purement  allegorique  el  ne  prouve  nulle- 
menl  ce  pouvoir.  »  D.  Calmet,  h.  I.  Cfr.  Mal- 
donal.  —  Satis  est.  Non  pas  :  Deux  glaives 
pourront  suPlire  (avec  ou  sans  ironie  ;  Theo- 
phylacte,  Meyer,  Sevin,etc.),  mais:  «  Satis  de 
his  dictum  »,  cela  suflil!  Cfr.  I  Mach.  ii,  33. 
Dans  la  plupart  des  langues  (comparez  le 
yy;  des  Rabbins,  lilteraK  :  la  sutiisancell 
cette  formule  est  usitee  parfois  pour  eluder 
une  conversation  dans  laquelie  on  prefere  ne 
pas  s'engager  k  fond. 

8.  L'agonie  de  J6sus.  xxii,  39-46.  — 
Parall.  Matlh.  xivi,  36-46;  Marc,  xiv,  32-42. 

C'esl  ici  le  «  sanctum  sanctorum  »  de  la 
Passion.  Plus  courte  que  les  deux  autres  sur 
la  plupart  des  fails,  la  narration  de  S.  Luc 
conlient  plusieurs  renseignements  speciaux 
d'une  grande  importance,  surtoul  I'apparition 
de  I'ange  consolateur  el  la  sueur  de  sang  de 
Jesus. 

39.  —  Egressus.  Trait  propre  h  notreEvan- 
gile;  il  s'agit  probablemenl  de  la  sortie  du 
cenacle  (selon  quelques  auteurs :«  egressus 
e  civilale  »  Cfr.  Joan.  xviii,4). —  Ibat  secun- 
dum consuetudinem.  Sur  cette  coutume,  com- 
parez XXI,  37,  el  surtout  Joan,  xviii,  2. 
L'imparfait  denote  peut-6lre  une  marche 
grave  el  lenle,  car  nous  savons  d'apres 
S.  Jean  (xiv,  31;  xvii,  1;  xviii,  4),  que, 
chomin  faisanl,  Jesus  parla  longuement  aux. 
apolres  el  adressa  aussi  a  son  Pere  une  lou- 
chanle  priere.  —  Seculi  sunt...  ilium...  disci- 
puli. Judas  seul  manquait.  11  pourrait  bien 
se  faire  que,  cache  dang  I'ombre,  ii  se  soit 
assure  par  lui-meme  de  la  direction  que  pre- 
nait  le  Sauveur. 

40.  —  Cum  pervenisset  ad  locum,  au  lien 
qu'il  avail  en  vue.  La  localiie  est  clairement 
determinee  dans  les  aulres  narrations  :  c'elait 
le  jardin  de  Gelhsemani.  Voyez  I'Evang.  selon 
S.  Matlh.  p.  512.  —  Dixit  illis.  S.  Luc  abrege 
el  omel  de  dire  que  Jesus,  en  entrant  dans 
le  jardin,  s'etaitseparedu  plus  grand  nombre 


372 


EYANGILE  SELON  S.  LUC 


droit,  il  leur  dit :  Priez,afm  que  vous 
n'entriez  pas  en  tentation. 

41.  Et  il  s'eloigna  d'eux  a  la  dis- 
tance d'un  jet  de  jDierre,  et  s'etant 
mis  a  genoux,  il  priait, 

42.  Disant:  Mon  pere,  situ  le  venx, 
eloigne  de  moi  ce  calice ;  cependant 
que  ma  volonte  ne  se  fasse  pas  mais 
la  tienne. 

43.  Et  un  ange  du  ciel  lui  appanit 
le  forlifiant,  etetanttombeen  agonie 
il  priait  plus  longuement. 


dixit  illis  :  Orate,  ne  intretis  in  ten- 
tationem. 

41.  Et  ipse  avulsus  est  ab  eis 
quantum  j actus  est  lapidis  :  et  po- 
sitis  genibus  orabat, 

Mau/i.  26,  39;  Marc,  14,  35. 

42.  Dicens  :  Pater,  si  vis,  trans- 
fer calicem  istum  a  me.  Verumta- 
men  non  mea  voluntas,  sed  tua  fiat. 

43.  Apparuitautem  illi  angehis  de 
coelo,  conforlans  eum.  Et  factus  in 
agonia,  prolixius  orabat. 


de  SOS  disciples,  ne  gardaiil  aiipres  de  lui 
qus  S.  Pierre,  S.  Jacqiies-ie-Majeiir  ot  S.Jean 
(comp.  ies  recils  paralleles).  G'est  a  ces  der- 
niers  seulemenl  qu'il  dit  :  Orate  ne  inlyetis 
(el(r£),e£Tv,  entrer  dans,  pour  exprimer  I'idee 
do  succomber;  ail  conliaire  oieXOeiv,  lra\er- 
ser,  denote  la  vicloire)...  La  menlion  de  ces 
paroles  avant  Tagonie  est  une  parlicularite 
de  S.  Luc. 

41.  —  Et  ipse  avulsus  est...  Expression 
energique,  dont  ['equivalent  grec  (aite<T7iaceri) 
ne  se  Irouve  qu'ici  el  Mallh.  xxvi,  51  (mais 
a  I'actif  et  dans  un  aulre  sens).  Elle  est  d'ail- 
leurs  toule  ciassique.  «  Eleganter  dicuntur 
anoffndcffOat  vel  airoo7taa89ivat  qui  ab  amicissi- 
morum  amplexu  vix  divelli  possunt  ac  disce- 
dere  »,  Schoeitgen.  Elle  marque  done  la  re- 
pugnance qu'eprouvait  Notre-Seigneur  en 
tant  qu'homme  a  se  separer  de  ses  amis  pour 
aller  seul  alfronter  une  angoisse  extreme.  — 
Quantum  jadus  est  lapidis  (wuei  >.tOou  PoXi^v, 
a  I'accusatif  du  mouvement.  Comp.  Gfn. 
XXI,  16,  dans  ia  traduction  des  LXX.  :  &ioi\ 
To^ou  Po).r,v).  Trait  piltoresque  propre  a  S.  Luc, 
comme  le  precedent.  Jesus  n'etant  qu'a  une 
petite  distance  de  ses  trois  apotres  privile- 
gies  (50  pas  environ),  ceux-ci,  tant  qu'ils 
lurent  capablesde  resister  au  sommeil  [f.  45), 
purent  etre  temoins  des  principaux  details  de 
son  agonie.  —  Positis  genibus,  8ei?  xa  yovaxa, 
locution  souvcnt  employe'  par  S.  Luc  (Cfr, 
Marc.  XV,  19).  Chez  Ies  Juifs,  «  communis 
naos  orandi  erat  stando  :  in  genibus  orabant 
quoties  res  major  urgebat  »,  Grolius. 

42.  —  Dicens.  La  priere  de  Jesus  est  expo- 
see  avec  de  legeres  vaiiantes  dans  nos  trois 
recits  paralleles. 

S.  Matthied.  S.  Marc. 

ndtep  (xou,  'A66a  (6  iraTvip), 

el  SuvaTov  eati,  TiavTa  Suvaxd  aot, 

7tap£),6£'Tto  itapsviyxe 

dn'    EjjLoO    TO    iroT^ptov  to    iroTiipiov    in'    e[xou 

TOWTO'  TOUTO* 

ii)>i^v  oOy  w;  eya)  6eXw,      d).X'  oO  Ti  iyii  6i').(i), 
dXX'  Cai  o\).  d)ld  ri  cu. 


S.  Luc. 

ndrep, 

ei  PouXei 

TTapsvEYxeTv 
t6  Tcoxripiov  ToOxo  dn'  ejiou" 
TiXv^v  (jL/i  t6  OeXeixd  (j.ou, 
d),Xd  TO  GOV  ycVEffOo). 

—  Si  vis.  «  Factus  obediens  usque  ad  mor- 
tem, mortrm  aulcm  crucis  »,  Pliil.  ii,  8.  L'o- 
beissance  fut  le  mobile  perpeluel,  unique,  de 
Jesus.  Cfr.  Joan,  v,  30;  vi,  38.  —  Transfer 
calicem  istum. ..Yoycz  I'Evang.  selon  S.  Mat- 
Ihieu,  p.  514.  Dans  la  Recopla  grecque,  cilee 
plus  haut,  le  verbe  est  a  rinfinilif  («  si  vis 
transferre...  a  me  »)  et  la  phrase  demeure 
inachevee,  ce  qui  forme  une  aposiopese  aussi 
forte  que  delicate.  La  legon  ■na.piwzyv.e.  des 
manuscrits  B,  D,  etc.,  adoptee  par  la  Vulgate, 
est  probablement  une  correction  tardive.  — 
Non  mea  voluntas  sed  tua...  Nuance  remar- 
quable  :  au  debut  de  la  priere  de  Jesus  nous 
trouvons  le  verbe  pouXofiat,  a  la  fin  le  sub- 
Stanlif  0£),7)i;.a;  or  Wkr\[j.a.  dil  plus  que  Pou),o(Aai. 
Cfr.  Mallh.  i,  19  et  le  coinmenlaire.  EI  Poii),ei, 
si  Ies  desseins  Ies  comportent;T6  aov  (OeXrijia) 
Yeve'iSw,  que  tes  decrets  s'accomplissent ! 

43.  —  Tout  est  nouveau  dans  ce  verset 
et  dans  le  suivant  :  Ies  fails  qu'ils  exposent 
appartiennent  aux  particulariles  Ies  plus  pre- 
cieuses  dont  S.  Luc  a  enrichi  la  biographie 
du  Sauveur.  II  est  vrai  qu'on  a  formula  des 
doules  sur  leur  aulhenticite,  1°  parce  qu'ils 
sonl  omis  par  d'importants  manuscrits  (A,  B, 
R,  T.  De  plus,  E,  G,  V,  A,  qui  Ies  onl,  Ies 
nolenl  d'aslerisques),  2°  parce  que  celte 
omission  est  deja  signalee  par  S.  Hilaire  el 
S.  Jerome.  Neanmoins,  il  esl  a  peine  croya- 
ble  qu'ils  aient  ete  inheres  frauduleusement 
dans  le  lexle  primilif  du  Iroisieme  Evangile. 
En  effel,  nous  Ies  trouvons  dans  I'lmmenso 
majorile  des  manuscrits  (en  parliculier  dans 
le  Cod.  Sinaiticus,  qui  est  peut-elre  le  Nestor 
en  ce  genre),  dans  Ies  versions  Ies  plus  an- 
ciennes  et  Ies  plus  celebres,  a  part  de  rares 


CHAPITRE  XXII 


373 


44.  Et  factus  est  sudor  ejus  sicut 
guttas  sanguinis  decurrentis  in  ter- 
ram. 


44.  Et  sasueur  devint  comme  des 
gouttes  de  sang  decoulant  jusqu'a 
terre. 


exceplions  (un  seiil  manuscrit  de  I'ltala,  quel- 
ques  manuscrils  de  la  iradiiclion  arme- 
nicnne,  etc.),  dans  les  ecrils  des  premiers 
Peres,  notamment  de  S.  Justin  (Dial.  c. 
Tiyph.,  103),  de  S.  Irenee  (m,  22,  2),  de 
S.  Hippolyle.  etc.  Voila  pour  les  preuves  ex- 
Innseque*.  Intrinsequemenl,  il  n'y  a  rien, 
soil  dans  le  siyle,  soil  dans  les  fails,  qui  s'op- 
pos('  a  I'authenticile  du  recil.  De  plus,  on  ne 
peul  assigner  aucun  molif  capable  d'expli- 
quer  une  aussi  grave  interpolaiion,  tandis 
qu'il  est  aise  de  concevoir  que  des  prejnges 
dogmatiques  aient  ele  assez  puissanls  en  di- 
vers lieux  pour  faire  omeltre  nos  deux  ver- 
sets.  On  a  cru  I'apparilion  de  I'ange  et  la 
supur  de  sang  inconciliables  avec  la  divinile 
de  Jesus,  et  I'on  ne  craignii  pas  de  supprimer 
comme  apocryphe  le  passage  qui  en  renforme 
la  narration.  Voyez  Galland.,  t.  Ill,  p.  250; 
Bi'llarmin,  De  vcrbo  Dei,  i,  16;  Langen,  Die 
lelzlen  Leben-^lage  Jesii,  p.  210  els.;  Trol- 
lope  and  Rowlandson,  The  Gospel  according  to 
S. Luke.  p.  1 64  el  ss.  Deja  Nicon  reprochait  aux 
Armeniens,  ei  Pholius  aux  Syriens,  d'avoir 
enleve  les  ft.  43  et  44  de  leurs  traductions. 
—  Appaniit  illi.  L'emploi  de  w^Ori  I'lilieral. 
fut  vu)  denote  le  caractere  exierieur  de  I'ap- 
parition  :  ce  ne  ful  pas  un  fail  puremenl  in- 
terne, comrao  le  pretend  Olshausen.  —  An- 
gelus  de  ccelo...  Lrs  anges  avaieni  pour  ainsi 
dire  introduil  Nolre-Seigneur  sur  celle  lerre 
(Cfr.  I,  26  el  s<.;  n,  9-13;  Maltli.  ii,  13, 19;;  ils 
i'avaienl  assisle  aux  premiers  jours  de  sa  vie 
publique  (Marc,  i,  13);  ils  se  teront  les  te- 
moins  de  sa  Resurrection  et  de  son  Ascension  : 
n'est-il  pas  naturel  que  nous  les  irouvions 
aupres  de  lui  au  moment  de  ses  plus  cruelles 
souffrances?  Mais  quel  indice  d'une  an- 
goisse  indescnplible.  intolerable  pour  la  na- 
ture humaine  abandonnee  a  ses  propres  for- 
ces! En  meme  temps,  quelle  humiliation 
poor  le  Verbe  incarne!  Toutefois,  il  pouvait 
bien  «  recevoir  la  consolation  d'un  ange,  lui 
qui  par  son  humanite  s'elail  rendu  inlerieur 
aux  anges  »  (D.  Calmel).  —  C  on  for  tans , 
i^\.af<iu>'^  (ici  seulement).  Ge  mot  indique  la  na- 
ture de  la  consolation  apportee  du  ciel  h. 
Jesus  :  elle  consista  dans  une  effusion  de  male 
courage  pour  qu'il  ne  plial  point  sous  son 
epouvanlable  fardeau  —  Plusieurs  interpreles 
ont  suppose  que  cet  episode  n'eut  lieu  qu'a  la 
fin  de  I'agonie  du  Sauveur,  comme  si  ce  n'e- 
tail  pas  precisemenl  en  vue  de  cetle  agonie 
ra6me  qu'il  avail  re^u  d'en  haul  un  surcroil 
de  forces;  d'aulres  ont  afSrme  d'une  maniere 
encort>  plus  arbilraire  que  I'apparition  s'elail 


renouvelee  trois  fois,  c'est-a-dire,  apres  cha- 
cune  des  prieres  de  Jesus.  —  Factus  in  ago 
nia.  Le  substantif  grec  dtywvia  n'esl  employe 
qu'en  cet  endroit  du  N.  "Testament  :  il  mdi- 
que  une  lulle  violenle,  supreme,  el  peintsous 
une  vive  couleur  les  souffrances  de  Jesus  en 
ce  moment  terrible.  Mais  le  Sauveur,  recon- 
forte  par  la  celeste  apparition,  opposail  aux 
assauls  reiieres  de  son  agonie  des  elans  tou- 
jours  plus  sublimes  de  priere  et  de  resigna- 
tion :  Prolixius  orabal.  Eulhymius  :  «  Pro- 
lendebat  orationem  »  ;  mieux,  «  inlensius, 
enixius  orabal,  »  car  le  mot  grec  ey-Teveaxepov 
designe  plutol  Tinlensite  de  I'acte  que  sa 
duree.  Le  comparalif  se  rapporte  soil  a  I'ap- 
parition de  I'ange  (a  sa  suite,  la  priere  de 
Jesus  ful  plus  fervenle  encore  qu'auparavant), 
sou  a  chaque  Iranse  nouvelle  de  I'agonie  (plus 
elles  avaieni  de  violence  plus  le  S.'igneur 
priait).  Voyez  dans  I'Epitre  aux  Hebreux, 
V,  7  el  ss.,  un  beau  developperaent  de  ce 
trait  incomparable. 

44.  —  Et  factus  est  sudor  ejus...  «  Detail 
qui  trahil  le  medecin  »,  van  Ooslerzee.  Mais 
dans  quel  sens  faut-il  rinterpreter?Nous  n'a- 
vons  pas  a  nous  occuper  des  ilieories  faciles 
de  Strauss,  de  Schleiermacher,  etc.,  qui  voienl 
ici  ou  un  mythe,  ou  un  embellissemenl  poe- 
tique  :  il  s'agit  seulement  de  savoir  si  la 
sueur  arrachee  au  corps  sacre  de  Jesus  par 
les  tortures  de  son  agonie  consista  en  gouttes 
epaisses  et  larges  comme  seraient  des  goulles 
de  sang,  ou  bien  si  les  expressions  de  S.  Luc 
designenl  une  sueur  loul  h  fail  extraordi- 
naire, dans  laquelle  le  sang  entrait  pour  une 
partie  notable.  Tlieopiiylacle,  Eulhymius,  By- 
naeus,  Olshausen,  Hug,  etc.,  adoptenl  la  pre- 
miere opinion  parce  que,  disenl-ils,  I'evange- 
lisle  montre  lui-meme,  en  employanl  la  par- 
ticule<5)<jet  (sicut],  qu'il  ne  voulail  point  parler 
d'une  vraie  sueur  de  sang.  Nous  leur  repon- 
drons  1°  que  le  mot  essentiel  de  ce  passage 
est  sanguinis  :  la  maniere  doni  il  est  employe 
le  prouve,  car  c'esl  a  lui  que  se  rapportent 
toutes  les  autres  expressions  du  versel ;  or  ce 
mot  perd  sa  principale  raison  d'etre  g'il  ne 
designe  pas  la  nature  meme  de  la  sueur  : 
comme  le  dit  juslemeut  Bengel,  «  si  sudor  non 
fuisset  sanguineus,  menlio  sanguinis  plane 
abesse  poterai,  nam  vocabulum  eponSoi  (guttae) 
eliam  per  se  compelebal  sudori  spisso  » ; 
%o  que  le  «  terlium  comparationis  »,  comme 
disent  les  grammairicns,  n'esl  ici  ni  dans  la 
couleur,  ni  dans  la  quantiie,  mais  dans  la  qua- 
lite  :  la  plirase  a  sa  sueur  fut  comme  du  sang » 
suppose  done  qu'il  y  cut  du  sang,  et  en  partie 


374 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


45.  Et  loi^qmi  se  leva  apres  sa 
priere  et  vint  a  ses  disciples,  il  les 
trouva  dormant  a  cause  de  leur  tris- 
tesse. 

46.  Et  il  leur  dit  :  Pourquoi  dor- 
mez-vous?  Levez-vous,  priez  afin 
que  Yous  u'entriez  pas  en  tentation. 

47.  Gomme  il  parlait  encore,  vint 
une  troupe,  et  celui  qui  s'appelait 
Judas,  un  des  douze,  les  precedait 
et  il  s'approcha  de  Jesus  pour  le 
baiser. 

48.  Mais  Jesus  lui  dit :  Judas,  tu 
trahis  le  Fils  de  Fhomme  par  un 
baiser! 


4o.  Et  cum  surrexissel  at)  ora- 
tione,  et  venissetad  discipulos  suos, 
invenit  eos  dormientes  prse  tristitia. 

46.  Et  ait  illis  :  Quid  dormitis? 
surgite,  orate,  ne  intretis  in  tenta- 
tionem. 

47.  Adhuc  eo  loquente,  ecce  turba : 
et  qui  vocabatur  Judas,  unus  de 
duodecim,  antecedebat  eos  :  et  ap- 
propinquavit  Jesu  ut  oscularetur 
eum. 

Matth  26,  47;  Marc,  ii,  43;  Joan,  13,  3. 

48.  Jesus  autem  dixit  illi :  Juda, 
soculo  Filium  hominis  tradis? 


notable,  dans  la  sueur  de  Jesus  ;  ies  parliciik  s 
«5)ffei,  (b;,  onl  a  plusieurs  reprises  dans  les  ecrils 
de  S.  Luc  cat  emploi  qui  se  rapproche  du 
pleonasme  iCfr.  xv,  49;  xvi,  \  ;  Act.  ii,  3; 
XVII,  22);  30  que  leur  interpretation  donne 
un  sens  tres  faible  et  emousse  entiercm^nt  le 
trait.  D'ailleurs  les  exegeles  les  plus  anciens 
et  les  plus  distingues,  tels  que  S.  Justin, 
S.  Irenee  (sa  pensee  est  formulee  aussi  nette- 
ment  que  possible  :  oOB'  dv  lopwoe  epojASoy; 
atfiaxo?,  il  n'tul  pas  sue  des  goutles  de  sans, 
adv.  Hser.  in,  22,  2),  S.  Athanase,  S.  Hiiaire, 
Theodoret.  S.  Jerome,  S.  Auguslin,  Erasme, 
Maldonat,  D.  Cainiet,  Sylveira,  el  pnsque  tous 
les  conlemporains,  calholiques,  protestanls 
et  rationalUles,  prennent  parti  sans  hesiter 
pour  la  seconde  opinion,  dont  nous  croyons  la 
verile  indiscutable.  En  outre,  des  fails  nom- 
^reux,  constates  des  les  temps  les  plus  re- 
cules,  demonlrenl  jusqu'a  I'evidence  la  possi- 
bilited'une  sueur  de  sang  dans  des  conditions 
analogues  k  celle  oil  se  irouvait  Noire  Sei- 
gneur, c'est-a-dire  parmi  de  mortelles  en- 
goisses.  Cfr.  Arislole,  Hislor.  animal,  in,  -19; 
Theophraste,  de  Sudore,  c.  xii ;  Diodor.  Sic. 
Hist=  1.  XVII,  c.  90;  Calmet,  Dissert,  sur  la 
sueur  de  sang;  Gruner,  Dissert,  de  morte 
Chrisli  vera,  p.  lOS-loS;  Rosenmiiller.  Alt. 
undneuesMorgenland,  I.  V,  p.  218;  Loenariz, 
de  Sudore  sanguinis,  Boim  1850;  Smith, 
Diction,  of  the  "Bible,  s.  v.  Sweat  (bloody); 
Schegg,  Evang'l.  nach  Lukas,  t.  Ill,  p.  271 
et  ss.;  Ebrard ,  Wissenschaftl.  Krilik  der 
evangel.  Geschichte,  p.  651  el  ss. ;  Stroud, 
Physical  Cause  of  Christ's  Death,  p.  115 
ei  ss.,  elc.  Rappelons  enfin  que  c'est  un  me- 
decin  qui  a  pris  soin  de  noter  ce  fait,  circons- 
tance  qui  ajoule  un  poids  considerable  au  le- 
moignage  du  iroisieme  Evangile.  —  Decur- 
rentis  in  terrain.  Presque  tous  les  manuscrits 
^recs  lisenl  xaTaSaivovtec,  «   decurrentes  » ; 


quoique  appuyee  par  le  Cod.  Sinaiticus,  la  lo- 
gon de  la  Vulgate  est  probablemenl  une  correc- 
tion. «  In  lerram  »,  jusqu'a  terre,  lant  cette 
sueurelail  abondante!  «  UtinamguUa sangui- 
nis, quae  de  agone  suo  sudat,  usque  ad  terram 
currat,  et  aperiat  terra  os  suum,  et  bibat  il- 
ium el  claniet...  ad  Patrem,  melius  quam 
sanguis  Abel!  »  Drago  Osliensis,  4  Gen. 
n.  10.  «  Ventum  est  ad  orationem,  et  factus 
in  agonia  orabat,  ubi  quidem  non  solum  ocu- 
lis,  sed  quasi  membris  omnibus  flevissc  vi- 
delur  ».  S.  Bernard.  Serm.  in  de  ramis. 
Voyez  la  Controverse,  1881,  t.  I,  p.  190-210. 

45.  —  Dormientes  prce  tristitia.  S.  Mat- 
Ihieu  et  S.  Marc  se  bornent  a  signaler  le  fait; 
S.  Luc  en  indique  la  cause,  et  celte  cause, 
loute  physiologique,  denote  encore  le  «  Dr  me- 
dicus  ».  Quoique  la  Iri-tesse  soil  souvenl  une 
cause  d'insomnie,  souvenl  aussi  (nous  I'avons 
nous-meme  constate  en  de  robusles  jeunes 
gens)  elle  produit  une  tension  qui  ne  tarde 
pas  a  engoudir  les  sens  et  a  plonger  dans  un 
somraeit  de  plomb.  Cfr.  Jon.  r,  5.  «  Tandem 
gravat um  anmii  anxietate  corpus  altior  somnus 
oppressil  »,  Q.  Curt,  iv,  13,  17.  «  Adstru- 
ctus  miseris  lamentationibus  marcentem  ani- 
mam  sopor  circumfusus  oppressil  »,  Apul  lu 
Cfr.  Welstein,  h.  1. 

46.  —  Quid  dormitis?  Surgite,  orate...  De 
nouveau  S.  Luc  abrege,  et  unit  des  paroles 
qui  furent  prononcees  k  divers  intervalles, 
Comparez  les  recits  paralleles.  Jesus  a  main- 
tenant  repris,  si  I'on  peul  parler  a  nsi,  la  pleine 
possession  de  lui-meme:  il  estsorii  viciorieux 
de  sa  terrible  agonie. 

9.  li'arrestation  de  Jesus,  xxii,  47-53. —  Parall, 
Matlli.  xsvi,  47-56;  Marc,  xit,  43-52;  Joan  xtiii,  2-11. 

47  el  48.  —  C'est  la  description  de  I'in- 
fame  baiser  de  Judas.  —  Ecce  turba  I  Le  recit 
de  S.  Luc  est  pitloresque,  rapide.  Cette  band© 


CHAPITRE  XXII 


375 


49.  Videntes  autem  hi  qui  circa 
ipsum  erant,  quod  futurum  erat, 
dixerunt  ei  :  Domine,  si  percutimus 
in  gladio? 

50.  Et  percussit  unus  ex  illis  ser- 
viim  principis  sacerdolum,  et  ampu- 
lavit  auriculam  ejus  dexteram. 

51.  Respondens  autem  Jesus,  ait : 
Sinite  usque  hue.  Et  cum  tetigisset 
auriculam  ejus,  sanavit  eum. 

52.  Dixit  autem  Jesus  ad  eos  qui 
venerunt  ad  se,  principes  sacerdo- 
lum, et  magistratus  templi,  et  se- 


49.  Et  ceux  qui  etaient  autour  de 
lui,  voyant  ce  qui  allait  arriver, 
hii  dirent  :  Seigneur,  si  nous  frap- 
pions  de  I'epee? 

50.  Et  I'un  d'eux  frappa  le  servi- 
tenrs  du  grand-pr^tre  et  lui  coupa 
I'oreille  droite. 

51.  Mais  Jesus  prenant  la  paroles 
dit  :  Demeurez-en  la.  Et  ayant  tou- 
che  I'oreille  decet  hommeil  le  guerit. 

52.  Et  Jesus  dit  a  ceux  qui  etaient 
venus  vers  lui,  princes  des  pretres, 
magistrats  et  anciens  :  Vous  6tes 


de  loups  fiirieux,  comme  on  I'a  justement  ap- 
pelee,  qui  tomba  lout  a  coup  ?ur  le  divin 
Agneau,  etait,  composee  de  soldats  romain?, 
de  sergents  d'aimes  du  grand  Conseil,  de 
curieux,  de  fanatiques,  et  meme  de  Sanhe- 
drisles.  Voyez  le  f.  52.  —  Antecedebat  eos. 
Le  pluriel  reloiube  siir  le  nom  colleclif  «  tur- 
ba».— f/t  oscularetur  eum.  Judas  baisa  en  rea- 
lite  Notre-Seignour,  ainsi  qu'il  res^orl  du  con- 
lexle  [t.  48)  el  des  deux  autres  synopliques. 
—  Juda...  S.  Luc'  seul  menlionne  cps  pa- 
roles de  Jesus.  Voir  dans  Malth.  xxv\,  50,  une 
aulre  petite  allocution  qui  dut  preceder  celle- 
ci.  —  Osculo  Iradis  :  IVappant  contrasle.  Le 
baiser,  signe  ordinaire  de  raffection,  devenu 
le  signal  de  la  Irahison  la  plus  noire,  a  I'e- 
gard  de  la  personne  sacree  du  Messie  (Filium 
hominisjl 

49.  —  Les  details  de  ce  verset  sont  pro- 
pros  a  S.  Luc.  —  Deux  incidents  conseculifs 
relarderent  I'arrestation  du  Sauveur  :  les 
quatre  evangelisles  racontent  de  concert  le 
premier  {tif.  49-.d'1  ) ;  nous  irouverons  le  second 
dans  S.  Jean,  xviii,  3-9.  —  Hi  qui  circa  ipsum 
erant  :  c'est-a-dire  les  onze  apolres  fuieles, 
qui  s'etaienl  groupes  aulour  de  Icur  Mailre  a 
I'approche  des  sbires  de  Judas.  —  Videntes 
quod  futurum  erat,  to  E(j6aevov  :  voyant  i|u"on 
allait  arreler  Jesus.  —  Si  percutimus  gladio? 
Hebralsme  pour  «  Percutimusne...  ?  »  Cfr. 
XIII.  23;  Act.  I,  6 ;  XIX,  2;  xxi,  37,  etc.  Les 
disc'ples  se  souviennent  de  «  iVnlrelion  du 
glaive  1,  et  croient  le  moment  vonu  de  faire 
usage  de  leurs  armes.  «  Les  Galileens  avaient 
rSmc  guerriere  »,  comme  le  rappelle  a  pro- 
pos  D,  Calmet  (Cfr.  Jos.  Bell.  Jud.  in,  8). 

30.  —  Et  percussit  unus....  Quoique  inutile, 
cet  acte  elail  plein  de  vaillance.  On  avait 
demande  I'avis  du  Sauveur;  mais  I'ardent  et 
genereux  S.  Pierre  (Cfr.  Joan,  xviii,  10) 
frappa  sans  allendre  la  reponse.  —  Amputa- 
vit  auriculam.  Le  diminulif  wtJov  de.'^igne  I'o- 
reille entiere,  et  pas  seulemenl  le  lobe  charnu 
•qui  ia   lermine.  Voyez  Bretschneider,  Lex. 


man.  s.  v.  —  Dextram,  est  un  trait  propre  k 
S.  Luc  et  h  S;  Jean. 

51.  —  Sinite  usque  hue,  iate  ew;  toOtou. 
Celte  parole,  un  peu  ambigue  daiii  le  texte 
grec,  a  regu  des  inlerpreiations  bien  diverses. 
Plusieurs  pensent  que  Jesus  I'adressait  aux 
Juifs  venus  pour  I'arreter.  lis  la  traduisent 
tanlot  par  «  Sinite  usque  ad  hoc  (opus)  », 
excusez  celte  resistance;  tantot  par  «  Sinite 
(m^')  usque  ad  hunc  (liominem)  »,  perraettez 
que  je  m'approche  du  blosse  pour  le  guerir  ; 
tantol  par  «  Sinite  (me)  usque  ad  id  lempus  », 
lai.-S(  z-moi  libre  un  instant  pour  que  je  le 
guerisse.  Mais  ces  explications  sont  recher- 
chees,  peu  naturelles,  el  d'ailleurs  refulees 
par  les  mots  respondens  Jesus  ait,  qui  prou- 
vent  que  Notre-S 'igneur  voulait  alors  parler 
a  res  disciples  (Cfr.  t.  49).  Relalivement  aux 
apotres  un  double  sens  est  |)ossible  :  Lai.ssez 
faire  mes  ennemis  («  Non  vos  moveat  hoc 
quod  futurum  est.permittendi  sunt  hue  usque 
progredi,  hoc  est,  ut  me  a[iprehendant  et  im- 
pleantur  quae  de  me  scripta  sunt  »,  S.  August, 
de  cons.  Evang.  I.  iii,  c.  5,  47  Cfr.  Maldonat, 
Luc  de  Bruges,  Cajetan,  etc.),  ou  bien  :  Ne 
resislcz  pas  davantage  (Corn,  a  Lap.,  Noel 
Alexandre.  Erasme,  etc.).  Nous  adoptons  de 
preference  celte  derniere  interpretation,  qu'on 
trouve  deja  dans  la  version  syriaque,  S.  Luc 
omet  ici  une  courte  allocution,  que  Jesus  pro- 
nonga  dans  le  but  d'expliquer  aux  siens  pour- 
quoi  il  se  livraii  sans  resistance.  Cfr.  Maltb. 
XXVI,  52-54.  —  Cum  tetigisset  auriculam... 
sanavit.  Pariiculariie  medicale,  qui  meritait 
bien  d'etre  relevee  par  S.  Luc.  La  maniere 
dont  le  fait  est  expose  scmble  indiquer  que 
I'oreille  n'avail  pas  ete  couipletement  deta- 
chee,  mais  qu'elle  tcnait  encore  par  quelque 
lambeau  de  chair.  Celte  cure,  unique  en  son 
genre,  fut  le  dernier  miracle  de  guerison 
opere  par  Jesus  :  la  bonto  du  divin  Maitres'y 
nianifesle  admirablenient. 

52  et  53.  —  Dixit  nutcm  Jesus  ad  eos  qui 
venerant...  Tout  en  refusani  do  ropondre  a 


376 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


sortis  comme  pour  un  voleur  avec 
des  epees  et  des  batons. 

53.  Quand  j'etais  tous  les  jours 
avec  Yous  dans  le  temple  vous  n'avez 
pas  mis  la  main  sur  moi,  mais  voici 
votre  heure  et  la  puissance  des 
tenebres. 

b4.  Et  I'ayant  saisi  ils  Temmene- 
rent  a  la  maison  du  grand-pretre;  et 
Pierre  le  suivait  de  loin. 


5o.  Ayant  allume  du  feu  au  milieu 
de  la  cour  ils  s'assirent  autour,  et 
Pierre  etait  au  milieu  d''eux. 


niores  :  Quasi  ad  lalronem  existis 
cum  gladiis  et  fustibus. 

b3.  Gum  quotidie  vobiscum  fuerim 
intemplo,  non  extendistis  manus  it 
me  :  sed  hsec  est  liora  vestra,  et  po- 
testas  tenebrarum. 

b4.  Gomprehendentes  autem  eum, 
duxerunt  ad  domum  principis  sa- 
cerdotum  :  Petrus  vero  sequebatur 
a  longe. 

Match.  26,  57;  Marc.  14,  53;  Joan.  18.  24. 

bb.  Accenso  autem  igne  in  medio 
atrii,  et  circumsedentibus  illis,  erat 
Petrus  in  medio  eorum. 

Malth.  26,  69;  Marc.  14,  66;  Joan,  18,  23. 


la  violence  par  la  violence,  le  Sauveur  pro- 
tesie  avec  una  noble  femieie  centre  les  pro- 
cedes  au?si  Inches  qu'injustes  de  ses  adver- 
saires.  Dans  ce  passage,  commun  aiix  evan- 
gelisies  synopliqup>.  Irois  trails  sonl  propres 
a  S.  Luc.  1°  au  t.  52,  la  presence,  parmi  les 
rangs  des  soldats,  des  valets  et  de  la  foule 
fanalique.  d'un  certain  nombre  de  princes 
des  prelres.  de  capitaines  des  levites  [magi- 
straiiis  templi  :  voyez  la  note  du  t.  4)  el 
d'anciens  du  peuple.  C'est  sur  eux  que  re- 
lombe  direclemenl  le  fier  reproche  du  Sauveur. 
Queiques  rationalisles  (Bleek,  Meyer,  etc.) 
ont  irouve  cetle  presence  peu  nalurelle  :  nous 
trouvons  au  conlraire  tres  naturel  que  des 
Sanhedristes  et  d'aulres  personnages  influents 
soienl  venus  surveiller  une  operation  deli- 
cate, qui  avail  pour  eux  une  si  grande  im- 
portance. 2o  au  t".  53,  les  mots  pitloresques 
non  extendistis  manus  in  me,  au  lieu  de  «  non 
me  tenuistis  »  S.  Matth.  el  S.  Marc).  Cfr. 
Jor.  VI.  12.  3°  la  phrase  finale  sed  hcec  est 
hora  vestra  (notez  I'emphase  du  grec  :  4X),» 
au-r,  u'jLcov  eotiv  if|  wpa]-..,  qui  est  d'une  si 
grande  energie,  en  qu'^lque  sens  du  resle 
qu'on  la  prenne.  11  est  en  effet  deux  manieres 
de  I'interpreter,  au  propre  ou  au  figure.  Au 
propre,  elle  signifierait  que  les  Sanhedristes, 
en  venant  arreter  Jesus  au  milieu  de  la  nuit, 
se  conduisaient  comme  tes  bandits  el  autres 
malfaiteurs,  qui  profilent  ordinairemenl  des 
tenebf'S  pour  perpelrer  leurs  crimes.  Cfr. 
Joan,  in,  20.  Au  figure,  d'apres  un^  signi- 
fication plus  relevee,  les  mots  potestas  te- 
nebrarum (r,  l^ouaCaxoiJ  ffxoTou;),  qui  se  ralta- 
chenl  a  «  hora  vestra  »  sous  forme  d'appo- 
silion.  designeraientSatan  avec  son  tenebroux 
empire  (Cfi-.  Col.  i,  13).  Votre  heure,  telle 
serait  alors  la  p^nsee  de  Jesus,  est  i'heure 
m^me  du  demon;  mon  Pere  lui  a  concede  ce 


temps  pour  me  nuire,  el  voici  que  vous 
vous  faites  ses  complices!  Comparez  Joan, 
VIII,  34,  44.  Nous  nous  rangeons  de  prefe- 
rence a  celte  explication,  a  la  suite  d'Euthy- 
mius,  de  Maldonat,  de  D.  Calinet,  de  Keil,  etc. 

10.  Reniement  de  S.  Pierre,  xxu,  54-62.— Parall. 
Mailh.  XXVI,  hi,  58,  69-75;  Marc,  xiv,  53,  54,  66-72  ;. 
Joan,  xvni,  12-18,  25-27. 

Lps  quatre  recits  ont  une  ressemblance  ge- 
nerale  tres  frappante;  mais  chacun  d'eux  a 
pareilleraent  «  ses  nuances  deiicales  el  ses- 
irails  particuliers...  S.  Malthieu  est  ceiui 
qui  fail  le  mieux  ressortir  la  gradation  des 
trois  reniements,  »  Godel.  Voyez  I'explicalioB- 
deiaillee  dans  TEvangile  selon  S.  Malth. ,^ 
p.  526  el  ss. 

54.  —  Gomprehendentes  eum.  Le  verbe 
(TvXXatioaveiv  a  ici.  comme  en  beaucoupd'autres 
passages,  le  sens  de  saisir  violemment,  d'em- 
mener  prisonnier. —  Duxerunt.  Dans  le  grec, 
i\'{a-iQ^  V.W.  tl<sr;'^nyoy ,  «  duxerunt  el  introduxe- 
runt.  »  —  Ad  domum  principis  sacerdotum. 
S.  Luc  est  seul  a  dire  que  Jesus  fut  conduit 
dans  «  la  maison  »  du  prince  des  prelres. 
Elle  elail  situee  sur  la  declivite  sepientrio- 
nale  de  la  colline  de  Sion.  Le  prince  des 
prelres  en  question  etait  Caiphe,  d'apres 
Mallh.  XXVI,  57.  Sur  la  contradiction  appa- 
rente  qui  exisie  enlre  S.  Jean  et  les  synoj!- 
tiques,  voyez  noire  explication  du  qualrierae 
Evangile,  I.  c.  —  Petrus  vero  sequebatur  oi 
longe  :  «  ut  viderel  finein  »,  ajoule  S.  Mal- 
thieu. Les  trois  synoptiques  ont  le  trait  pil- 
toresque  (laxpoOev. 

55.  —  Accenso  igne  :  un  feu  de  charbon 
de  bois,  peut-elre  dans  un  «  brasero  »  a  la^ 
fagon  orieniale.  Au  lieu  de  a4'*v-wv,  les  raa- 
nuscrits  B,  L,  Smait.,  ont  le  compose  i^ept;*- 
il/avTwv  '^ayant  allume  lout  autourj,  qui  se  dil 


CHAPITRE  XXII 


377 


56.  Quern  cum  vidisset  ancilla 
qusedam  sedenlem  ad  lumen,  et  eum 
fuisset  intuita,  dixit  :  Et  hie  cum 
illo  erat. 

57.  At  ille  negayit  eum,  dicens  : 
Mulier,  non  novi  ilium. 

b8.  Et  post  pusillum  alius  videns 
eum,  dixit :  Et  tu  de  illis  es.  Petrus 
vero  ait  :  0  liomo,  non  sum. 

59.  Et  inlervallo  facto  quasi  horse 
unius,  alius  quidam  affirmabat,  di- 
cens :  Vere  ethic  cum  illo  erat :  nam 
et  Galilseus  est. 

Joan.  18,  26. 

60.  Et  ait  Petrus  :  Homo,  nescio 
quid  dicis.  Et  conlinuo  adhuc  illo 
loquente  cantavit  gallus. 

61.  Et  con  versus  Dominus  res- 
pexit   Petrum.    Et    recordatus  est 


56.  Lorsqu'une  servante,  I'ayant 
vu  devant  le  feu  et  Tayant  regarde, 
lui  dit :  Gelui-ci  aussi  etait  avec  lui. 

57.  Mais  il  le  nia,  disant :  Femme, 
je  ne  le  connais  pas. 

58.  Peu  apres,  un  autre  le  voyaut, 
dit :  Toi  aussi  tu  es  de  ceux-la.  Mais 
Pierre  dit :  Homme,  je  n'en  suis  pas. 

59.  Et  apres  un  intervalle  d'envi- 
ron  une  heure  un  autre  affirma,  di- 
sant :  Vraiment  celui-ci  aussi  etait 
avec  lui,  car  il  est  aussi  Galileen. 

60.  Et  Pierre  dit  :  Homme,  je  ne 
saiscequetudis.Et  aussitot,  comme 
il  parlait  encore,  le  coq  chanta. 

61.  Et  le  Seigneur  se  retournant 
regarda  Pierre.  Et  Pierre  se  souvint 


habituel lenient  d'un  grand  feu.  —  hi  medio 
atrii.  C'esl-a-dire  au  milieu  de  la  cour  qua- 
drangulaire,  a  ciel  ouverl,  qui  occiipe  le 
centre  des  riches  habitations  de  I'Orient. 
Voycz  A.  Rich,  Diclionn.  des  anliquiles  rom. 
et  grecq.,  aux  mols  Atrium  ci  Domus.  — 
Circumsedenlibus  illis  :  nouveau  detail  gra- 
phique.  La  Recepta  lit  ouYx.a9i(7avTwv :  les 
manuscrits  B,  D,  Q,  L,  out  Ttepi/.aeiadvTtov, 
leQon  qui  correspond  a  la  Vulgat\  «  Illis  » 
designs  d'apres  le  contexte  les  valets  du 
Sanhedrin.  —  Erat  Peb-us  in  medio  eorum ; 
dans  le  grcc,  «  sedebat  (IxiOYiTo)  ». 

56  et  57.  —  Premier  reniement.  Les  qualre 
narrateurs  sont  d'accord  pour  dire  qu'il  fut 
occasionne  par  la  question  d'une  servante.  — 
Sedenlem  ad  lumen,  7tp6;T6<pw;,  c'est-a-dire 
aupres  du  feu,  dont  Teclat  dessinait  forte - 
ment  les  profils  de  ceux  qui  se  chauffaient 
alenlour.  Cfr.  Brctschneider,  Lex.  man.  s.  v. 
9w;.  —  Fuisset  intuita,  dTevi'aaffa,  indique 
un  regard  prolonge,  penetrant.  Cfr.  iv,  20. 
Plus  haul,  nous  avions  vidisset,  ISoOoa,  verbes 
qui  exprimenl  le  simple  phenomena  de  la 
vision.  Cfr.  Marc,  xiv,  67  et  le  commenlaire. 

—  Et  hie,  lui  aussi  1  Les  quatre  evangelistes 
client  ce  xaiemphatique,  quoiqu'ils  different 
pour  la  suite  des  paroles  de  la  servante.  — 
L'  «  allocutio  »  mulier  n'a  6[6  conservde  que 
par  S.  Luc. 

58.  —  Second  reniement.  Le  detail  chro- 
nologique  par  lequel  il  est  introduit,  j^ost 
pusillum,  est  propre  au  troi?ieme  Evangile. 

—  Alius  videns [IStii^] eum... C'ela'il  sansdoule 
quolqu'un  des  valets  du  grand  Conseil.  Les 
autresrecils  parlenl   encore  d'une  servante. 


Voyez  la  conciliation  dans  I'Evang.  selon 
S.  Matth.,  1.  c,  el  dans  noire  commenlaire 
sur  S.  Jean,  xviii,  27.  —  0  homo,  dvOponie  : 
trail  special,  comme  precedemmenl  «  mulier  ». 
59  et  60. —  Troisieme  reniement.  Inler- 
vallo facto  (otaCTTtxari;)  quasi  horce  unius  est 
encore  uns  precieuse  parliculariie  de  S.  Luc. 

—  Alius  quidam.  G'elait  un  parent  de  Mal- 
chus,  d'apres  S.  Jean:  d'autres  se  joignirent 
bienlol  a  lui,  d'apres  S.  Matlhieu  el  S.  Marc. 

—  Affirmabat.  Le  mot  grec  correspondanl 
est  Ires  energique  (5u(jxyp'^6To)  :  on  ne  le 
trouve  qu'ici  it  Act.  xii,  45.  —  Vere  est  mis 
en  avant  par  emphase  :  Cerlainement  cet 
homme  est  un  disciple  de  Jesus.  Le  motif  de 
certitude  est  ensuile  exprime  :  iVawi  et  Gali- 
Iceus  est.  C'est  aussi  (comme  la  pluparl  des 
partisans  de  Jesus)  un  Galileen.  S.  Pierre 
avail  Irahi  sa  nationalile  par  son  accent. 
Voypz  Matlh.  xxvi,  73   et  le  commenlaire. 

—  Nescio  quid  dicis.  Cette  troisieme  proles- 
laiion  fut  accompagneo  desermenls  el  d'ana- 
ihemes  destines  a  la  rendre  plus  eclatante, 
Malth.  XXVI,  74.  —  Continuo  (napaxp^ixa). 
Les  quatre  recils  notent  celle  circonslance; 
mais  S.  Luc  ajoute  seul  d'une  maniere  em- 
phalique  :  adhuc  illo  loquente. 

61.  —  Conversus  (aTpa^ei!;)  Dominus  respexit 
(£V£6)x4(£)  Petrum.  Detail  bien  louchant.,  que 
S.  Luc  a  le  merile  d'avoir  seul  cons^^rve. 
Mais  n'esl-ce  pas  en  affaiblir  la  porlee,  la 
beaule,  que  de  dire  avec  S.  Auguslin  :  «  Inlus 
actum  est,  in  menle  actum  est;  misericordia 
Dominus  latenler  subvenil,  cor  leligit,  me- 
raoriam  revocavit,  inleriore  gratia  sua  visi- 
tavil  Petrum,  interioris  hominis  usque  »d 


378 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


de  la  parole  du  Seigneur  qui  iui 
avait  dit :  Avant  que  le  coq  chante 
tu  me  renieras  trois  fois. 

62.  Et  etant  sorti,  Pierre  pleura 
amerement. 

63.  Et  les  hommes  qui  tenaient 
Jesus  se  jouaient  de  Iui  et  le  meur- 
trissaient. 

64.  Et  ils  le  voilerent  et  le  frap- 
perent  au  visage  et  I'interrogerent 
disant :  Prophetise,  qui  est-ce  qui 
I'a  frappe? 


Petrus  verbi  Domini  sicut  dixerat : 
Quia  prius  quam  gaUus  cantet,  ter 
me  negabis  : 

Mallh.  26,  34;  Marc.  14,  30;  Joan.  13.  38. 

62.  Et  egressus  foras  Petrus  flevit 
amare. 

63.  Et  viri,  qui  teiiebant  ilium, 
illudebant  ei,  ceedentes. 

64.  Et  velaverunt  eum,  et  percu- 
tiebant  faciem  ejus  :  et  interroga- 
bant  eum,  dicentes  :  Prophetiza, 
quis  est  qui  te  percussit? 


exteriores  laerymas  movit  ei  produxil  e£fec- 
tum  »  (De  Gialia  Christi,  i,  49)?  ou  avec 
S.  Laurent  Juslinien  (Lib.  de  triumphali 
Chrisli  agotie,  c.  viii)  :  «  Respexit  Peirum 
non  corporis,  sed  pielalis  intuitu  »  (de  meme 
Nicolas  de  Lyre,  etc.)?  Nous  le  craignons.  ■ 
Les  verbes  arpacpeK,  IveSXe^/e,  designent  des 
fails  exlerieurs,  et  nous  n'avons  ici  aucun 
motif  de  leur  attribuer  un  sens  melapho- 
rique.  Luc  de  Bruges  objecte,  il  est  vrai,  que 
«  non  potuitDominus  Pelrum  oculis  corporis 
adspicere  »,  vu  que  le  premier  se  trouvait  dans 
IMiUerieur  du  palais,  I'autre  dans  la  cour. 
Mais  Tobjeclion  lombe  d'elle-m§me  si  nous 
admetlons,  comme  on  le  fait  generalemcnt, 
que  cette  scene  emouvante  et  rapide  out  lieu 
&a  moment  ou,  apres  son  premier  inlerroga- 
toire  devant  le  Sanhedrin,  Jesus  etail  conduit 
a  I'appartement  qui  devait  Iui  servir  de 
prison  jusqu'au  matin.  Traversant  alors 
1'  «  atrium  »,  il  se  retourna  lorsqu'il  passa 
pres  de  I'apotre  infid^le,  et  fixa  sur  Iui  un 
regard  penetrant  (telle  est  la  signification  de 
e[j.6)iirw),  pour  Iui  reprocher  lacitemenl  sa 
faute.  Comp.  S.  Jean  Chrysostome,  Theophy- 
lacte,  etc.  —  Recordatus  est  Petrus.  «  N(  c 
enim  Qeri  polerat  ut  in  negationis  tenebris 
permaneret,  quem  lux  respcxeral  mundi  ». 
S.  Jerome,  in  Matih.  xxvi.  Quoi  d'etonnant 
que  le  coem-  de  S.  Pierre  ail  ele  transpcrce 
par  ce  regard  de  Jesus  I  —  Au  moral,  d'apres 
la  belle  application  de  S.  Ambroise, 

Jesu,  labentes  respice, 
Et  nos  videndo  corrige ; 
Si  respicis,  lapsi  slabaDt, 
Fletuque  culpa  sol?ilur, 

—  Les   manuscrits  B,  K,  L,  etc.,  ajoutent 
o^ixepov  (hodie)  apres  ^wvrjoat  [caiUet). 

62.  —  Egressus  foras  Petrus.  Les  mots 
4  IIcTpo;  sont  omis  par  les  meilleurs  manus- 
crits (A,  B,  D,  K,  L,  M,  etc.).  ■-  Flevit.  Dans 


le  grec,  IxXauoe,  il  pleura  en  sangiotanl.  La 
faute  le  mdntail  bien.  Si  nous  la  considerons 
a  la  lumiere  de  la  vocation  de  S.  Pierre,  elle 
est  inexcusable;  neanmoins,  rappiochee  du 
caractere  de  I'apotre,  elle  s'explique;  rap- 
prochee  des  circonslances  du  moment,  elle 
pcrd  de  sa  grievele;  enfin,  si  nous  la  rap- 
prochons  de  nos  propres  peches,  Taccusation 
n'expirera-l-elle  pas  sur  nos  levrescoupables? 
(van  Oosterzee) 


11.  Jesus  insult6  par  les  valets  du  SanhA- 
drin.  xxn,  63-G3.  —  ParaU.  Jialili.  xxvi,  67-68; 
Jlarc.  XIV,  65. 


La  narration  de  S.  Luc  est  la  plus  comp 
des  trois. 

63. —  Viri  qui  tenebant  ilium  :  c'est-a-dire 
les  apparileurs  du  grand  Conseil,  qu'on  avait 
donnes  a  Jesus  pour  gardiens.  Cfr.  S.  Marc, 
1.  c.  —  llUidebant  (evsTiaillov)  ei.  L'imparfait 
denote  la  conlinuile,  la  repetition  des  ou- 
trages (de  meme  dans  les  deux  versets  sui- 
viinis).  — Ccprfeiifes,  8Epov7£5.  Lps  synopliques 
etnploienl  quatre  expressions  differ'entes  pour 
decrire  les  craelles  voies  de  fait  que  Jesus 
eut  alors  a  endurer  :  SipovTs;,  J-cutitov  (avec 
son  compose  evsTCTuaav,  Malth.  xxvi,  67), 
exo>.aq;t(Tav,  eppotTricav. 

64.  —  Ft/at'CJWJit  e»m.  VoyezMarc.  xiv,  65 
el  le  commentane.  Fra  Ange'lico  a  reproduit 
admiiablenient  ce  detail.  «  Par  une  innova- 
tion qui  demandait  quelque  chose  de  plus 
que  du  genie,  il  a  couvert  les  yeux  du  Sau- 
veur  dun  bandeau  transparent,  a  travirs  le- 
quel  on  voit  reluire,  outre  la  majeste  de  ses 
traits,  la  douce  aulorite  de  son  regard  » 
(Rio).  —  Et  percutiebant  faciem  ejus.  Gett© 
phrase  est  omise  dans  les  manuscrits  Sinait., 
B,  K,  L,  M,  etc.  —  Prophetiza  (S.  Matth. 
ajoute  :  «  Chrisle  »)...  Odieuse  pjirodie  du 
role  prophetique  attribue  au  Messie  dans  les 
saintes  Ecritures. 


CHAPITRE  XXII 


379 


6b.  Et  alia  multa  blasphemantes 
dicebant  in  eum. 

66.  Et  lit  factns  est  dies,  convene- 
runt  seiiiores  plebis,  et  principes 
sacerdotiim,  et  scribse,  et  diixenint 
ilium  in  concilium  siiiim,  dicentes: 
Si  tu  es  Ghristus,  die  nobis. 

Matlh.  27,  1;  Mai-c.  15,  1;  Joan,  18,  28. 

67.  Et  ait  illis  :  Si  vobis  dixero, 
non  credetis  mihi. 

68.  Si  autem  et  interrogavero, 
non  respondebitis  mihi,  neque  di- 
mittetis. 


63.  Et  ils  disaient  contre  lui  beau- 
coup  d'autres  choses  eu  blasphe- 
mant. 

66.  Et  lorsque  le  jour  se  fit,  les 
anciens  du  pen  pie  et  les  princes  des 
pretres  et  les  scribes  s'assemblerent 
etilsl'emmenerent  dansleurconseil, 
disantiSi  tuesle  Christ,  dis-lenous. 

67.  Etil  leur  repondit :  Si  je  vous 
le  dis  vous  ne  me  croirez  pas. 

68.  Et  si  je  vous  interroge  vous  ne 
me  repondrez  pas  et  ne  me  laisserez 
point  aller. 


63.  —  Et  alia  multa  (dvcc  emphaso)  bias- 
phemantes...  G'e.-t  la  line  precieuse  parlicii- 
larile  do  S.  Luc.  Elle  nous  monlre  combien 
Jesus  out  a  souffrir  durant  la  derniere  nuit 
de  sa  VIP. 

12.  J6sus  devant  le  Sanhedrin.  xxii,  66-71.  — 
Parall.  Malth.  xxvii,  1;  Marc,  xv,  1«. 

66.  —  Divers  auleurs  (Maldonat,  Corn,  a 
Lapide,  Jansenius,  etc.)  ideniifienl  ce  passage 
de  S.  Luc  avec  Matlh.  xxvi,  57-66  et  Marc, 
xtv.  53-64;  mais  Topinion  commune  des  exe- 
geles  est  que  notre  evangeliste  parle  ici  d'un 
second  interrogaloire  de  Jesus  devant  le 
Sanhedrin.  Le  premierjugemenl,  raconte  tout 
au  long  par  les  aulres  synopliques,  avait  eu 
lieu  pendant  la  nuit  et  peu  de  temps  apres 
I'arreslation  da  Sauveur  :  il  correspond  au 
t.  54,  bien  qu'il  n'y  soil  pas  mentionne  for- 
mf^llement,  Mais,  d  apres  les  lois  alors  en  vi- 
gu  ur,  il  etail  nul  et  invalide  (voyez  I'Evang. 
sdon  S.  Mallh.  p.  529).  Pour  lui'donner  un 
semblant  do  legalite,  le  grand  Consei!  tint 
de  grand  matin  {ut  farius  est  dies]  une  nou- 
velle  seance  {conve)ierunt\,  on  ignore  en  quel 
local,  et  se  mil  en  di^voir  de  ratifier  sa  sen- 
tence nocturne.  S.  Matthieu  (xxvi,  57,  59; 
XXVII,  1)  et  S.  Marc  (xiv,  53,  35;  xv,  1)  dis- 
linguent  nottfment  les  deux  sessions  du  San- 
hedrin ;  S.  Luc,  s'il  ne  dil  rien  de  la  premiere, 
a  seul  conserve  les  details  de  la  seconde,  de 
sorte  qu'on  reunissant  les  Irois  r^cits  nous 
obtenons  un  expose  assez  complet  de  la  con- 
duite  du  grand  tribunal  juif  cnvers  Nolre- 
Seigneur.  —  Seniores plebis.  Dans  le  grec,  tb 
TtpeoSuxeptov  toO  XaoO,  «  presbyterium  plebis  », 
le  nom  collectif  au  lieu  de  I'expression  accou- 
tuniee,  oi  npecSm-epoi.  Cfr.  Act.  XXII,  5.  D'or- 
dinaire,  Its  anriens  du  peuple  no  sont  nom- 
mes  qu'apres  les  deux  aulres  sections  du 
Sanhedrin  {pruicipts  sacerdotum  et  scrib(B)  : 
ilsouvrent  la  lisle  en  cet  endroil,  —  Duxe- 
unt   ilium  in  concilium  suwn.  Le  grec  em- 


ploie  I'expression  technique  :  el;  to  0\jv£optov 
^auTwv.  Le  verbe  avriYaYov  (litleral.  ils  con- 
duisirenl  en  haul)  feiait  allusion,  d'apres 
quelquescommentateurs,  a  la  situation  elevee 
du  local  oil  I'assemblee  se  reunit;  mais  il 
n'est  pas  necessaire  de  presser  ainsi  le  sens, 
car  avayw  de.Mgne  parfois  simplement  Taction 
deconduire  un  prisonnier  devant  sesjuges.  Au 
reste,  les  manuscriis  B,  D,  K,  F,  SinaiT.,  etc., 
ont  auriyayov.  —  Dicentes  :  Si  tu  es  Christus... 
Dans  Ic  grec  :  Es-tu  le  Christ?  Dis-le  nous. 
Les  jugps  de  Jesus,  qui  sont  en  meme  temps 
ses  accusateurs,  vont  droit  au  point  principal 
dans  cette  seance  du  matin.  lis  veulent  fairs 
vile,  on  le  voit  au  premier  coup  d'oeil,  quoi- 
qu'une  des  fameuses  «  Prescriptions  4e8 
Peres  »  fut  :  Agissez  avec  lenteur  dans  les 
jugements.  Pirke  Aboth,  i,  1.  Le  Sanhedrin 
etait  en  general  renomme  pour  sa  douceur 
^Cfr.  Salvador,  Institut.  de  Moise,  ii;  Vie  de 
Jesus,  t.  II,  p.  -108);  mais  actuellement  une 
rage  farouctie  et  aveugle  le  pousse. 

67  et  68.  —  Ait  illis.  Dans  cette  premiere 
partie  de  la  reponse  de  Jesus  brillent  une  sa- 
gpsse  et  un  calme  vraiment  divins.  C'est  un 
dilemme  auquel  les  raembres  du  grand  Conseil 
auraient  eu  dela  peine  ^repondiel  Aussi  n'y 
repoodirent-ils  pas.  Les  deux  parlies  de  I'ar- 
gument  n'elaient  que  trop  bien  basees  sur  une 
experience  recente.  —  Si  vobis  dixero,  non 
credetis.  Cfr.  Joan,  viii,  39;  x,  31  ;  Malth- 
XXVI,  63-66.  Si  interrogavero,  non  responde^^ 
bitis.  Cfr.  xx,  1-8  ;  Matlh.  xxii,  41-46.  Ainsi 
done,  soil  que  Jesus  eut  ouvertement  fait 
connailre  aux  magistrals  juifs,  sur  leur  de- 
mande,  sa  mission  celeste,  soil  qu'il  eiit  es- 
saye  d'argumenler  aveceux,  il  n'avait  lrouv6 
aupres  de  ces  hommes  passionnes,  haineux, 
quo  I'endurcissement  volontaire.  II  y  a,  dans 
ces  paroles  de  Jdsus,  une  protestation  energi- 
que.  quoique  indirecte,  contre  les  precedes 
iniques  de  ses  juges.  —  Les  mots  neque  dt- 
rniltetis  sont  omis  par  plusieurs  manuscriis  et 


3S0 


fiVANGILE  SELON  S.   LUC 


69.  Mais  desormais  le  Fils  de 
riiorame  sera  assis  a  la  droite  de  la 
puissance  de  Dieu. 

70.  Et  tous  dirent  :  Tu  es  done  le 
Fils  de  Dieu?  II  repondit  :  Vous  le 
dites,  je  le  suis. 

71.  Et  ils  dirent  :  Qu'avous-nous 
encore  besoin  de  temoignage  ?  Gar 
nous  TaTons  entendu  nou sememes 
de  sa  bouche. 


69.  Ex  hoc  autem  erit  Filius  ho- 
minis  sedens  a  dextris  virtutis  Dei. 

70.  Dixerunt  autem  omnes  :  Tu 
ergo  es  Filius  Dei  ?  Qui  ait :  Vos  di- 
citis  quia  ego  sura. 

71.  At  illi  dixerunt :  Quid  adhua 
desideramus testimonium? ipsi  enim 
audivimus  de  ore  ejus. 


versions  qui  font  aiilorite.  S'ils  sent  authen- 
tiques  ils  exprimcnl  un  «  a  fortiori  *>  :  Non 
seulemenl  vous  no  me  repondrez  point,  mais 
vous  me  relacherez  bien  moins  encore. 

69.  —  Ex  hoc  autem...  Jesus  accorde  loti- 
lefois,  quoique  en  termcs  menaganis,  ce  qu'ii 
avail  paru  tout  d'abord  refuser.  Comine  a  la 
fia  du  premier  inlerrogaloire  (Cfr.  Mallh. 
XXVI,  64,  Marc,  xiv,  62";  voyez  le  commen- 
raentaire),  il  evoque  devanl  srs  ennemisl'i- 
mage  glorieuse  et  terrible  du  Fils  de  I'homme, 
assis  a  la  droite  de  Dieu,  et  muni  d'une  puis- 
sance a  laquelle  rien  ne  pourra  resisler. 

70.  —  Dixerunt  omnes.  Celle  locution  est 
emphatique  et  pitioresque  lout  ensemble. 
«  Omnes,  in  turba,  contuse  et  importune, 
nuUo  ordine  servalo  »  {F.  Luc) ;  en  un  mot, 
d'une  fagon  lumultueuse.  —  Tu  ergo  es  Fi- 
lius Dei?  lis  ont  compris,  et  ce  n'etait  pas 
chose  difficile,  que  Jesus  avail  voulu  se  desi- 
gner lui-m^me  en  parlanl  du  Fils  de  I'homme. 
Comp.  le  Ps.  cix,  ou  le  Messie  est  represenle 
comme  tronant  a  la  droite  de  Dieu  son  Pere. 
—  Vos  dicitis,  quia  ego  sum.  Formule  orien- 
tale  qui  equivaut  a  une  affirmation  solennelle. 
Cfr.  Schoeltgen,  Hor.  hebr.  p.  225. 

71.  —  At  illi  dixerunt.  Le  recil  n'esl  pas 
moin-;  dramalique  quo  In  scene  elle-mSrae. 


—  Quid  adhuc  desideramus  testimonium  ?  II 
ne  semble  pas  que  le  Sanhedrin  ait  fait  com- 
parailre  des  lemoins  a  charge  duranl  celte 
seance  du  matin  :  ces  paroles  font  done  allu- 
sion a  la  session  nocturne,  duranl  laquelle  de 
nombreuses  depositions  avaient  eie  regues 
centre  Jesus.  Cfr.  Malth.  xxvi.  60  et  ss.; 
iMarc.  XIV,  56  el  ss.  Quant  aux  temoin^  a 
decharge,  le  Talmud  a  Ijeau  dire  que,  pendant 
quaranle  jours  consecutifs,  on  fit  inviter  par 
des  herauts  lous  ceux  qui  croiraient  pouvoir 
mainlenir  I'innocence  de  Jesus  a  se  presenter 
devanl  le  Sanhedrin,  sans  que  personne  re- 
pondit a  I'appel  :  ces  fables  grossieres  depas- 
sent  le  but.  —  On  le  voil,  Tassemblee  du 
matin  ressembia  beaucoup  h  celle  de  la  nuil 
par  ses  divers  details  :  nous  trouvons  de  part 
et  d'autre  a  peu  pres  les  memes  questions, 
les  memes  reponses,  finalement  la  mSme  con- 
damnation  ;  ici  et  la  les  juges  ont  recours  aux 
precedes  les  plus  odieux,  ici  el  la  le  divia 
accuse  a  une  attitude  digne  du  Messie  :  seu- 
lement,  dans  la  derniere  session  les  chosesse 
passent  avec  une  plus  granda  rapidite.  II  n'y 
a  pas  de  discussion  proprement  dile  :  on  se 
borne  a  faire  repeler  au  Sauveur  ses  paroles 
incrirainees  precedemment,  et  a  ralifier  I'arr^t 
de  mort. 


CHAPITRE  XXm 


381 


CHAPITRE  XXIII 


R-emi^re  phase  du  jugement  de  Nolro-Seigneur  devant  Pilate  {ft.  4-7).  —  Jesus  au  palaig 
d'Herode  (tt.  8-12).  —  Seconde  phase  du  jiigement  devant  Pilale  (tf.  iS-'iS).  —  L'episode 
des  femmes  de  Jerusalem  sur  le  parcoiirs  de  la  voie  douloureuse  [tf.  26-32).  —  Le  cruci- 
fiemeni  (tf.  33*-34).  —  Las  insulies  et  le  bon  larron  [tt.  35-43).  —  Les  derniers  moments 
de  Jesus  {ft.  44-46).  —  Divers  temoignages  qu'on  lui  rend  aussitot  apres  sa  morl 
[tt.  47-49).  —  Sa  sepulture  [1ft.  50-56). 


1.  Et  surgens  oranis  multitudo 
eorum,  duxerunt  ilium  ad  Pilatum. 

2.  Goeperunt  aulem  ilium  accu- 
sare,  dicentes  :  Hunc  invenimus 
subvertentem  genlem  nostram,  et 
prohibentem  tributa  dare  Ceesari,  et 
dicentem  se  Christum  regem  esse. 

Matlh.  22,  21;  Marc,  12,  17. 


1 .  Et  se  levant  tons  en  foule,  ils 
le  menerent  a  Pilate. 

2.  Et  ils  commencerent  a  Taccu- 
ser,  disant  :  Nous  avons  trouve 
celui-ci  pervertissant  notre  nation 
et  defendant  de  payer  le  Iribut  a 
Cesar  et  disant  qu'il  est  le  Christ  roi. 


13.  J6sus  comparalt  devant  Pilate  et  de- 
vant H6rode.  xxni,  1-25.  —  Parall.  Malth.  ixvu, 
1-26;  Marc,  xv,  1-15;  Joan,  xviii,  28-xix,  16. 

S.  Luc  difFere  ici  notablement  des  autres 
synoptiques;  sa  narration  abonde  en  parlicu- 
larites  interessantes.  11  decrit  k  merveille, 
quoique  d'une  raaniere  moins  complete  que 
S.  Jean,  les  efforts  de  Pilate  pour  sauver 
Notre-Seignear. 

!•  Premifere  phase  du  jugement  devant  Pilate. 
n- 1-7. 

Tableau  vivanl,  agite,  des  manoeuvres  aux- 
quelles  durent  recourir  les  auloriles  juives, 
pour  obtenir  de  roEBcier  imperial  qui  gouver- 
nait  alors  la  Judee  et  Jerusalem  la  ratihcation 
de  leur  sentence. 

Chap,  xxiii.  —  1.  —  Surgens  est  un  he- 
bralsme  qui  denote  la  promptitude.  Gfr.  i,  39 
et  le  commentaire.  —  Omnis  multitudo  eorum 
(c'est-a-dire  des  membres  du  Sanh^drin,  xxii, 
66) :  expression  pleine  d'emphase,  dont  11  ne 
fauicependantpaspresser  iesens.  Elleindique 
du  moins  que  la  plupart  des  Sanhedristes 
vinrent  en  corps  au  pretoire,  dans  I'intention 
evidente  d'impressionner  Pilate  par  celte  ma- 
nifestation solennelle,  et  d'obtenir  plus  aise- 
raent  de  lui  la  permission  d'executer  la  sen- 
tence qu'ils  avaient  prononcee  centre  Jesus. 
Sur  la  perte  du  «  jus  gladii  »,  qui  occasion- 
nait  celte  demarche  humiliante  du  grand  Con- 
seil  des  Juifs,  voyez  I'Evang.  selon  S.  Malih., 
p.  530.  —  Ad  PUatum.  Le  pretoire  elait  pro- 
bablementinstalle  dans  la  forteresse  Antonia. 
Voir  ibid.,  et  Fergusson,  The  Temples  of  the 
Jews,  p,  176.  La  remise  de  Jesus  a  Pilate  par 


les  Juifs  est  signalee  comme  un  fait  impor- 
tant par  les  qualre  recits  evangeliques.  En 
effet,  c'est  un  nouveau  slade  du  proces  qui 
commence  (van  Oosterzee);  de  la  juridiciion 
spirituelle  nous  passons  a  la  juridiction  civile. 
Cfr.  Monnier,  de  Pilali  in  causa  Servatoris 
agendi  ratione,  Lugd.  Balav.  1825. 

2.  —  Coeperunt  autem,  rip^avTo  Se.  «  Versus 
sequentes  omnes,  remarque  Raphel  ( ap. 
Schegg,  Evang.  nach  Luk.,  t.  Ill,  p.  510), 
excepto  solo  seplimo,  usque  ad  13  per  parti- 
culam  Se  cannectunlur  ».  f.  3,  6  SI;  f.  4, 
6  Ss;  t.  5,  olSe;  t.  6,  no.airo?  6c';  f.  8,  6  Se; 
t.  9,  eiDQpwxaSs;  f.  10,  etoTiQ/.Etaai  Se;  i^.  11, 
e$ou0ev^ffac  6e';  etc.  L'eminent  helleniste  ajoute 
a  bon  droit  que  cet  emploi  de  la  parliculeesl 
elegant,  classique.  — 7//«m  accusai'e...S.  Luc 
expose  avec  une  parfaite  neltete  cet  acte  d'ac- 
cusation,  et  distingue  Ires  bien  les  divers 
griefs. —  Hunc  e^t  dedaigneux  en  meme  temps 
que  pittoresque.  Les  Sanhedristes,  en  pronon- 
Qantce  pronom,  montraient  Jesus  a  Pilate.  lis 
durent  appuyer  au,-si  sur  le  verbe  invenimus^ 
2upo[iev.«  Dicuntnemposeadducere  Jesum  non 
lanium  facinoris  accusatum  sou  suspeciura, 
sed  etiara  confessum  et  convictum  »,  Rosen- 
miiller,  Scholia,  h.  I.  A  ce  supeibe  eupopiev  Pi- 
late opposera  plus  loin,  tf.  4,  14  et  15,  son 
propre  ^upyjxa et  celui  d'flerodo.  Voycz  du  resto 
dans  S.  Jean,  xviii,  29  el  ss.,  le  debut  de  celte 
n^gociation  si  habilement  conduile  de  part  et 
d'autre.  —  Subvertentem  gentem  nostram.  Le 
pronom  :?itiajv  manque  dans  la  Recepla;  maison 
le  trouve  dans  les  meilleurs  manuscrits  et  ver- 
sions (Cfr.  Tischendorf,  Nov.  Testam.,  h.  1.). 
AtaarpetpovTa  signififl  proprement  «  detor- 
quentem  »,  puis  airmoral, «  corrumpentem*; 


382 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


3.  Et  Pilate  Tinterrogea,  disant  : 
Es-tu  le  roi  des  Juifs?  Et  il  repon- 
dit :  Vous  le  dites. 

4.  Et  Pilate  dit  aux  princes  des 
pretres  et  a  la  foule  :  Je  ne  trouve 
en  cet  homme  aucune  cause  de  con- 
damnation. 

5.  Mais  eux  insistaient,  disant  : 
II  agite  le  peuple  en  enseignant 
dans  toute  la  Judee,  commencant 
par  la  Galilee  jusqu'ici. 


3.Pilatiisauteminterrogaviteum» 
dicens  :  Tii  es  Rex  Judseorum?  At 
ille  respondens  ait :  Tu  dicis. 

Matlh.  27,  11;  Marc.  12,  17;  Joan,  18,  35 

4.  Ait  autem  Pilatus  ad  principea 
sacerdotum,  et  turbas  :  Nihil  inve- 
nio. causae  in  hoc  homine. 

5.  At  illi  invalescebant,  dicen- 
tes  :  Gommovet  populum,  docens 
per  universam  Judseam,  incipiens  a 
Galilaea  usque  hue. 


ju  bien,  et  c'est  ici  le  cas,  «  seducenlem  » 
(scil.  ad  rebellionem).  Cfr.  Brelschneider,  Lex. 
man.  I.  L  p.  234.  D'apres  cetle  premiere 
charge,  qui  esL  la  plus  generale  el  qui  sera 
espliqiiee  par  les  deux  suivaules,  Jesus  eiail 
done  an  MecUh,  comme  disaient  les  Juifs, 
un  seducleur  qui  donnail  au  peuple  une 
fausse  direction,  qui  troublait  par  consequent 
la  paix  de  I'Elat.  —  Deuxierae  charge*  prohi- 
benteni  tribtita  dare  Ccesari.  Quelle  iiifame 
calomniel  Comp.  xx,  25  el  les  passages  pa- 
ralleles.  Mais  on  vouiail  se  debarrasser  de 
Jdsus  «  per  fas  et  nefas  ».  Or  les  Sanhedrisles 
avaienl  compris  que,  pour  gagner  Pilate  a 
leurs  vues,  il  fallaildonner  ci  I'accusalion  una 
couleur  politique.  Jesus  aflBrmant  qu'il  etait 
le  Messie,  et  le  Messie,  d'apres  les  idees  alors 
en  vogue  chez  les  Juifs,  devant  delivrer  son 
peuple  de  toute  servitude  romaine,  ce  grief 
etait  capable  de  frapper  le  gouverneur.  — 
Troisifeme  charge  :  Dicentem  se  Christum  re- 
gem  esse.  Cette  derniere  allegation  avail  une 
apparence  de  verite;  raais  les  accusateursde- 
figurenl  maligneraenl  le  sens  du  mot  Christ 
eu  le  traduisant  par  roi,  dans  le  but  de  faire 
accroire  que  Jesus  s'etail  rendu  coupable 
d'un  crime  de  lese-majeste  centre  I'erapereur. 
Voila  done  les  autorites  juives  prises  tout  k 
coup  d'un  beau  zele  pour  les  interets  de 
Rome  1  Remarquons  les  ressources  et  la  sou- 
plesse  de  leur  hairie  Quand  le  Sauveur  avail 
comparu  k  leur  propre  barre,  les  Sanhe- 
drisles avaient  donne  au  merae  tilre  de  Christ 
la  signification  de  Fils  de  Dieu,  afin  de  mo- 
tiver  une  accusation  de  blaspheme;  mainte- 
nanl  ils  onl  besoin  de  prouver  que  Jesus  est 
un  rebi'lle  :  de  la  cette  transformation. 

3.  —  Pilatus  interrogavit  eum.  S.  Luc 
«(br6ge  nolablcment  la  scene.  Voyez  les  trois 
aulres  narrations.  C'est  dans  I'inlerieur  du 
pr^toire,  d'apres  S.  Jean,  que  Pilate  interro- 
gea  Notre-Seigneur.  —  Tu  es  rex  ..  II  y  a 
beaucoup  d'emphase  dans  le  pronom  t6.  La 
maniere  donl  Pilate  precise  le  sens  du  mot 
t  rex  »,  en  ajouiant  Judceorum,  est  reraarciua- 


ble  :  il  ne  pouvait  gu6re  ignorer  les  espe- 
rances  messianiques  des  Juifs  ni  leur  nature. 
Au  reste,  sa  question  et  la  reponse  de  Jesus 
sonl  absolumenl  identiques  da.-S  les  irois  sy- 
nopliques. 

4.  —  De  retour  vers  les  Sanhedrisles,  et 
vers  la  multitude  loujour3grossissante(tMr6as) 
qui  etait  accourue  au  preioire,  Pilate  donna 
clairement  son  opinion  sur  le  cas  porte  devant 
son  tribunal  :  Nihil  invenio  causce  (oCi8^v  eO- 
ptffxw  aktov,  expression  de  barreau  pour  «  nul- 
lum crimen  ».  Cfr.  Bretschneider,  s.  v.)  in  hoe 
homine.  Cela  revenait  a  la  formule  juridique 
«  Non  liquet  »,  que  pronongaienl  les  juges 
roniains  quand  la  culpabiliie  d'un  accuse  n'a- 
vail  pas  eld  demoniree.  A  quatre  reprises 
(ici,  tt.  14-13,  20,  22)  Pilaie  protesia  ainsi 
de  i'innocence  de  Jesus.  Cetle  premiere  con- 
clusion parait  biea  abrupte  dans  le  troisieme 
Evangile  :  les  details  donnes  par  S.  Jean  la 
rendenl  tres  nalurelle. 

5.  —  Illi  invalescebant.  Le  verbe  grec 
iidaxyu>,  que  S.  Luc  est  seul  a  employer,  peeut 
se  Iraduire  aussi  par  «  argumentis  aliquid 
roborare  »,  avec  un  sens  actif.  II  exprime 
energiquement  la  crainte  qui  s'empara  des 
Sanhedrisles  quand  ils  virent  que  leur  proie 
etait  sur  le  point- de  leur  echapper.  —  Com- 
movet  populum.  'Avaoeiet,  autre  mot  lies 
expressif,  qu'on  trouve  seulement  ici  el  Bhirc. 
XV,  11.  L'emploi  du  temps  present  renforce 
encore  I'idee  :  «  il  ne  cesse  d'agiler  le  peu- 
ple ».  —  Au  simple  enonce  du  fait  les  Juifs 
ajoulent  une  explication,  en  vue  d'indiquer 
d'une  part  le  moyen  auquel  Jesus  avail  re- 
cours  pour  revolulionner  le  pays,  docens, 
d'autre  part  le  vasle  deploiement  de  son  acti- 
\\le,  per  universam  Judwam,  incipiens...  Toute 
la  contree  etait  done  Iroublee,  suivant  eux, 
par  ce  dangereux  Iribun.  L'aveu  a  pour  nous 
quelque  chose  de  precieux.  Les  synoptiques 
etant  a  peu  pr§s  muets  sur  le  minislere  de 
Nolre-Seigneur  en  Judee,  qu'il  etait  reserve 
k  S.  Jean  de  decrire  tout  au  long,  les  ralio- 
nalisles  n'ont  pas  manque  de  trouver  une  coa- 


CHAPITUE  XXIII 


38:i 


6.  Pilatu-3  autem  audiens  Gali- 
laeam,  interrogavit  si  homo  Gali- 
Iseus  esset. 

7.  Et  ut  cognovit  quod  de  Hero- 
dis  potestate  esset,  remisit  eum  ad 
Herodem,  qui  et  ipse  Jerosolymis 
erat  illis  diebus. 

8.  Herodes  autem,  viso  Jesu,  ga- 
visus  est  valde ;  erat  enim  cupiens 
ex  multo  tempore  videre  eum,  eo 
quod  audierat  multa  de  eo,  et  spe- 
rabat  signum  aliquod  videre  ab  eo 
fieri. 


6.  Pilate  entendant  nommer  la 
Galilee,  demanda  s'il  etait  Galileen. 

7.  Et  des  qu'il  sut  qu'il  etait  de 
la  juridiction  d'Herode,  il  le  renvoya 
a  Herode  qui  etait  aussi  a  Jerusa- 
lem en  ces  jours-la. 

8.  Herode,  en  voyant  Jesus,  se 
rejouit  beaucoup;  car  depuis  long- 
temps  il  desirait  le  voir,  parce  qu'il 
avait  entendu  dire  de  lui  beaucoup 
de  choses,  et  il  esperait  lui  voir  faire 
quelques  prodiges. 


tradiclion  perpetuelle  entre  les  Irois  premiers 
Evangiles  el  le  qualrieme  :  mais  voici  que 
les  plus  ardenls  adversaires  dii  divin  Mailre 
se  chaigent  d'etablir  I'liarmonie,  en  affirmant 
qiK'  Jesus  n'avait  pas  eie  moins  aclii'  en  Judee 
qu'en  Galilee.  Cfr.  Act.  x,  37.  —  Incipiens  a 
Galiloia  :  c'esL  en  effel  dans  les  regions  spp- 
tenlrionales  de  la  Palestine  que  Notre-Sei- 
gneur  s'elait  d'abord  mis  a  precher  d'une 
maniere  reguliere  et  suivio.  Ct'r.  iv,  14.  II  est 
probable  qu'en  nommant  la  Galilde  les  Juifs 
esp^raient  exciter  davantage  la  defiance  de 
Pilate  :  les  Galileens  elaient  alors  une  race 
turbulente,  assez  a  redouter  pour  Rome  ;  p^r- 
Sonne  ne  le  savait  mienx  que  le  gouverneur 
actuel,  qui  avait  eu  a  luiter  conlre  enx.  —  Us- 
que hue,  c'esl-a-dire  jusqu'a  Jerusalem,  au 
coeur  raeme  du  pays.  Ces  derniers  mots  con- 
tenaient  sans  douie  une  allusion  particuliere 
k  I'entree  triomphale  du  Sauveur. 

6.  —  Audiens  Galilceam.  Les  manuscrils 
B,  L,  T,  Sinait.,  etc.,  ont  seulement  :  a/.oyaai;, 
etomettent  FaXtXatav-LesSanhedi  istesavaient 
frappe  juste  :  le  nom  de  la  Galilee  n'a  pas 
en  vain  retenti  aux  oreilles  de  Pilale,  puis- 
qu'aussitot  le  gouverneur  veut  savoirsi  Jesus 
(homo ;  dans  le  grec,  6  ivOpwuo;,  avec  I'article, 
I'homine  en  question)  est  originaire  de  celle 
province.  Tous  ces  details,  tt.  5-16,  sont 
propres  a  S.  Luc  :  ils  completent  de  la  fagon 
la  plus  precieuse  I'hisloire  de  la  passion  du 
Sauveur. 

7.  —  Ut  cognovit;  emYvou;,  «  quum  cogno- 
visset  ».  —  De  Herodis  potestate  (melonymie 
pour  ((  dilioni^  »  :  de  nieme  en  grec).  11  s'agit 
d'Herode  Antipas,  le  fameux  tetrarque  de  la 
Galilee  et  de  la  Peree  (Cfr.  in,  4),  provinces 
sur  lesquelles  Pilate  n'avait  aucune  juridic- 
tion. —  Remisit  eum  ad  Herodem.  C'est 
Ik  de  nouvcau  une  expression  technique  du 
droit  remain,  «  nam  remittitur  reus  qui  ali- 
cubi  comprehensus  mitlitur  ad  judicem  aul 
originis  aut  habilalionis  ».  Rosenmiiller,  Scho- 
lia, b.  1  Comp.  Pbilem.  40;  Jos.  fiell.  Jud. 


II,  20,  5.  Le  motif  de  ce  renvoi  est  manifesto  : 
tout  monlre  que  Pilate,  en  I'ordonnant,  espe- 
rait echapper  a  une  grave  responsabilite,  se 
delivrer  d'une  affaire  epineuse  dont  ii  pre- 
voyait  la  difficile  conclusion.  II  essaie  done 
de  faire  prononcer  le  jugemenl  par  un  autre, 
car  il  n'ose  pas  encore  condamner  un  homme 
dont  il  a  reconnu  I'innocence,  et  il  manque 
du  courage  necessaire  pour  I'elargir  en  face 
des  reclamations  de  la  foule.  Le  contexle 
{t.  4  2)  montre  que  le  «  procurator  »  se  pro- 
posail  en  outre,  quoique  d'une  maniere  sc- 
condaire,  de  reconquerir  par  cet  acte  de 
courtoisie  les  bonnes  gi  aces  du  tetrarque,  avi  c 
lequel  il  etait  en  de^accord  depuis  un  certain 
temps.  Plus  tard  Vespa-ien  eul  pour  Herode 
Agrippa  une  attention  analo°;ue.  Cfr.  Jos.  1.  c 

III,  4  0,  40.  —  Qui  et  ipse  jerosolymis...  An- 
tipas residait  ardinairement  a  Tiberiade,  la 
capitale  de  ses  Etats;  mais,  comme  Pilate,  il 
se  trouvait  alors  a  Jerusalem  a  I'occasion  des 
solenniles  pascales  (illis  diebus).  Tout  porte  a 
croire  qu'il  occupait  dans  celte  circonstance 
le  palais  des  Asinoneens,  situe  a  gauche  du 
temple,  au  pied  de  la  colline  de  Sion  (voyez 
Jos.  Bell.  Jud.  II,  46,  3 ;  Ant.  xx,  8,  44),  a 
moins  qu'il  ne  se  fut  etabli  dans  celui  de  son 
pere,  Herode-le-Grand,  bati  un  peu  plus  ii 
I'Ouest  (Langen,  die  letzlen  Lebenstage  Jesu, 
p.  268.  Comp.  R.  Riess,  Atlas  de  la  Bible. 
pi.  vi).  C'est  a  tort  que  Ton  a  donne  parfois  k 
Herode  et  a  Pilale  une  seule  et  meme  resi- 
dence (Aberle,  Lichtensteioj. 

2«  J^sus  devant  Herode.  ff.  8-12. 

8.  —  Herodes,  visu  Jesu,  gavisus  est  valde  : 
beau  detail  psychologique,qui  ouvretresbi  n 
cetle  nouvelle  scene.  Le  monarque  blase  s.3 
promet,  a  la  vue  de  Notre-Seigneur,  un  plaisir 
d'un  genre  parliculier.  —  Erat  enim  cupiens. 
Cetle  tournure,  qui  existe  aussi  dans  le  texte 
primilif  (^v  yap  OsXwv)  denote  des  desirs  d'au- 
laiit  plus  vifs  qu'il  elaient  demeures  plus 
longtemps  inassouvis  [ex  multo  tempore  :  le 


384 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


9.  II  rinterrogea  done  avec  beau- 
coup  de  paroles,  mais  Jesus  ne  lui 
repondit  rien. 

10.  Et  les  princes  des  pr§tres  et 
les  scribes  elaient  la  I'accusant  opi- 
niAtrement. 

11.  Mais  Herode  avec  sa  cour  le 
Qtt'^prisa,  et  se  jouanl  de  lui,  il  le  re- 
t^til  d'une  robe  blanche  et  le  ren- 
voya  a  Pilate. 


9.  Interrogabat  autem  eum  mul- 
tis  sermonibus.  At  ipse  nihil  illi 
respondebat. 

10.  Stabant  autem  principes  sa- 
cerdotum,  et  scribse,  constanterac- 
cusantes  eum. 

11.  Sprevit  autem  ilium  Herodes 
cum  exercitu  suo  :  et  illusit  indu- 
tum  veste  alba,  et  remisit  ad  Pila- 
tum. 


grec  floUe  enlre  ik  txotvwv  y_p6^u)y,  eS  Ixavou 
xpivou,  el  £$  ly.avou).  Voyez  IX.  7  el  s.,  les  pre- 
mieres traces  de  ce  desir  d'Herode.  —  Eo 
quod  audierat...  [muUa  est  orais  dans  les  ma- 
nuscrils  B,  D,  K,  L,  iM,  Sinait.,  etc.)..-  Motif 
qui  avail  ainsi  pique  la  curiosile  du  telrarque. 
Ayanl  appris  que  Jesus  etait  un  grand  tiiau- 
maiurge,  eel  homme  frivole  esperait  en  avoir 
quelques  preuves  «  de  visu  »,  car  il  ne  dou- 
lait  pas  que  I'accuse  ii'essayat  de  gagner  par 
lous  les  moyens  la  faveur  du  juge  dont  son 
sort  dependail. 

9.  —  Interrogabat...  Get  imparfait,  qui 
exprime  deja  si  bien  la  duree,  la  repetition, 
est  encore  renforce  par  les  mots  multis  sermO' 
nibus.  II  n'a  pas  plu  a  I'Esprii-Saint  qui, 
lorsqu'il  inspirail  les  ecrivains  sacres,  avail 
en  vue  noire  ulilite  ot  non  pas  noire  curio- 
site,  de  conserver  une  seule  des  vaines  ques- 
tions adressees  par  Antipas  a  NotreSeigneur 
Jesus-Christ.  Au  reste,  la  majestueuse  alti- 
tude du  Sauveur  nous  montre  suffisammi^nt 
le  cas  que  nous  devons  en  faire  :  ipse  nihil 
illi  respondebat  (notez  ce  nouvel  imparfait). 
Jesus  avail  repondu  a  Calphe  et  a  Pilate  :  il 
ne  juge  pas  Herode  digne  d'une  seule  parole, 
tt  se  renferme  dans  un  noble  silence. 

10.  —  Stabant  autem  [un  troisieme  impar- 
fai!)...  Les  ennemis  de  Notre-Seigneur  ne  .se 
laisent  point.  Dans  eel  admirable  tableau 
nous  les  voyons  deboul  et  constanler  accusan- 
tes  eum,  car  ils  I'avaient  accompagne  chez  le 
telrarque,  pousses  par  Pilate  lui-meme  (Cfr. 
t.  15)  et  encore  davantage  par  leur  haine  im- 
placable. L'equivalent  grec  de  «  constanler  », 
eiJT&vw;(employeseulemenlicietAct.xviii,28), 
signiQa  plulot  «  acritor  ».  Les  Sanhedristes 
en  seront  pour  leurs  frais  de  zele,  car  Herode 
ne  tiendra  aucun  compte  de  leurs  accusations. 

11.  —  Pourtant  il  tiendra  comple  do  son 
amour-propre  blesse,  et  il  se  vengera  de  la 
maniere  la  plus  mesquinede  la  deception,  de 
j'humiliation  que  hii  avail  occasionnees  le 
divin  accuse.  —  Sprevit  :  e^ouSev^aa?,  expres- 
sion ires  forte  {lilteral.,  i'ayanl  reduilaneant. 
Cfr.  Is.  Liii,  3).  —  Cum  exercitu  suo.  Dans  le 
grec,  ouv  Toi;  oTpaTeOfiaffiv  aOToO,  «  cum  exer- 
citibus  suis  ».  Mais  c'est  la  une  locution  hy- 


peibolique,  que  la  version  syrienne  rend  jus- 
tement  par  «  cum  minislris  suis  »,  c'est-a- 
dire,  avec  ses  ofliciers  et  ses  gardes.  Suivant 
la  couiume  des  princes  orienlaux,  qui  ne 
voyagent  jamais  sans  un  grand  deploiement 
de  luxe  et  de  faste,  Herode  avail  amene  a  Je- 
rusalem une  suite  considerable,  en  partie 
composee  de  soldats.  —  Illusit.  Le  texle  pri- 
milif  emploie  encore  une  expression  energi- 
que,  e[i:iat^a«.  Companz  XXII,  63  ;  voyez  aussi 
xviii,  32,  ou  Jesus  lui-meme  s'en  est  servi 
pour  predire  les  scenes  humiliantes  de  sa  Pas- 
sion :  £[A7iaix9iQffeTat.  —  Indulum  vesle  alba. 
Ces  mots  complelent  ceux  qui  precedent,  en 
determinant  par  un  trait  special,  caracleris- 
lique,  la  nature  des  outrages  que  Notre-Sei- 
gneur eut  a  subir  chez  Herode.  On  voulut 
tourner  en  derision  sa  dignite  royale.  Les  in- 
terpretes  disculenl,  il  est  vrai,  sur  le  sens  pr^ 
cis  du  qualificalif  grec  XafAnpo;  (proprement ; 
«  splendidus,  lucidus,  fulgens  »;  voyez  Bret- 
schneider,  s.  v.),  que  plusieurs  Iraduisent  par 
«  purpureus  »,  k  la  suite  de  la  Peschilo  sy- 
rienne ;  mais  on  prefere  generaleraenl  I'ac- 
cepiion  dans  laquelle  le  prend  la  Vulgate,  et 
k  bon  droit,  car  il  est  noloire  \o  que  telle  est 
d'ordinaire  la  signification  de  ).a[X7rp6;  dans 
les  ecrits  du  N.  Testament,  2°  que  dans  I'an- 
tiquile  les  vetements  blancs  elaient  portes 
comme  habits  de  gala  par  les  plus  illustres 
personnages.  Cfr.  Act.  x,30  ;xxvi,  13;  Apoc. 
XV,  6;  XIX,  8;  xxii,  16;  Tacile,  Hist,  ii,  89; 
Jos.  Ant.  VIII,  7,  3 ;  Bell.  Jud.  ii,  1,  1.  Voyez 
Rosenmiiller,  Alt.  u.  neues  Morgenland,  t.  V, 
p.  219  ;  D.  Calmet,  h.  1.;  J.  Langen,  die  letz- 
ten  Lebenslage  Jesu,  p.  270;Keim,  Geschichte 
Jesuvon  Nazara,  I.  HI,  2,  p.  380.  —  Remisit: 
av£Tre(jnJ/£v  comms  au  t.  7.  Herode  renvoie 
JesusauM  forum  apprchensionis».  —  M.Reus3, 
Hist,  evangeliquo,  p.  676  et  677,  fait  a  pro- 
pos  de  ce  verset,  comme  du  reste  beaucoup 
d'autres  ralionaiistes,  une  elrange  reflexion  : 
«  Les  scenes  insulianles  et  les  mauvais  trai- 
tement-  que  la  soldatesque  fail  essuyer  k  J^ 
sus  sent  transporles  par  Luc  dans  le  palais 
d'Herode,  landis  que,  d'apres  les  deux  autres 
auteurs  (S.  Mallh.  et  S.  Marc),  tout  cela  se 
passa  dans  le  pretoire  romain.  L'une  de  ees 


12.  et  facti  sunt  amici  Herodes 
et  Pilatus,  in  ipsa  die  :  nam  antea 
inimici  erant  ad  invicem. 

1 3.  Pilatus  autem,  convocatis  prin- 
cipibus  sacerdotum,  et  magistrali- 
bus,  et  plebe, 

14.  Dixit  ad  illos  :  Obtulistis  mihi 
liunc  hominem  quasi  avertentem 
populum;  et  ecce  ego  coram  vobis 
interrogans,  nullam  causam  invenio 
in  homine  isto,  ex  his  in  quibus 
eumaccusatis. 

Joan,  18,  38,    19,  4. 


CHAPITRE  XXIII  385 

12.  Et  Herode  et  Pilate  devinrent 
amis  ce  jour  meme,  car  auparavant 


lis  etaient  ennerais  Tun  de  I'aulre. 

13.  Or  Pilate,  ayant  convoqae  les 
princes  des  pretres,  les  magistrals 
et  le  peuple, 

14.  Leur  dit  :  Vous  m'avez  pre- 
sente  cet  homme  comma  soulevant 
le  peuple,  et  voila  que  Tinlerrogeant 
devant  vous  je  n^ai  trouve  en  cet 
homme  aucune  cause  de  condamna- 
tion  dans  tout  ce  dont  vous  I'accusez. 


versions  est  loul  aussi  plausible  que  i'aulre; 
toujours  est-il  qu'il  y  en  a  deux  ».  Certaine- 
menl,  11  y  en  a  deux,  el,  I'aveu  est  precieux  a 
recueiiiir,  elies  sonl  loules  deux  ires  piausi- 
bles ;  mais  se  conlredi>ent-elles,  comme  on 
voudrait  I'insinuer?  Pas  le  inoins  du  monde, 
puisqu'elles  corre?pondenL  a  des  episodes 
completemenl  dislincts,  qui  n'eurent  lieu  iii 
au  meme  endroil,  ni  devanl  les  memos  per- 
sonnages.  ni  a  la  meme  heure.  ni  de  la  meme 
maniere.  Le  Iroisieme  synoptique  raconle  un 
fait  que  les  deux  premiers  avaient  omis;  puis, 
^  son  tour,  il  oinet  des  delails  exposes  par 
eux.  Les  hisloriens  profanes  se  conduisent 
tousles  jours  de  cette  fagon  :  leur  reprochera- 
l-on  de  se  contredire? 

42.  —  S.Luc  termini  par  un  trait  psycho- 
logique  digne  de  lui  le  reeit  de  la  comparu - 
tion  du  Sauveur  devanl  Herode  :  facli  sunt 
amici  Herodes  et  Pilatus,  in  ipsa  die.  II  y  a 
dans  le  pronora  «  ip?a  »  une  emphase  evi- 
denle.  —  !^am  antea  inimici  erant..;  TtpoOTrrjp- 
xov  (ici  seulemenl  el  Act.  viii,  9)  yap  ^"^  ^y3p^ 
ovre?  (pleonasme  apresTtpoOuJipxov)...  On  a  par- 
foi^^  pense  que  celie  inimiiie  avail  eclate  a 
la  suite  de  I'incident  menlionne  plus  haul, 
XIII,  1  ;  d'aulres  I'onl  rattachee  aux  denoncia- 
tions  secretes  ou  publiques  qu'Anlipas  s'etait 
permis  de  faire  a  Tibere  contre  Pilate  ;Jos.  Ant. 
xviil,  4,  5)  :  mais  on  ne  peuL  rien  determiner 
de  certain  sur  ce  point.  Entre  le  gouverneur 
remain  do  la  Judee  et  le  telrarque  de  la  Ga- 
lilee il  exislait  des  occasions  perpeluelles  de 
fro'ssement;  le  moindre  conflit  de  juridic.lion 
avail  pu  rompre  violemment  des  relations 
qui  n'avaioiit  jamais  ele  bien  inlimes.  Mais 
voici  qu'aujo.iid'liui  Jesus  reconcilie  ces  deux 
hommos ! 

30  Seconde  phase  du  jugement  devant  Pilate.  H. 
13-25. 

Apres  avoir  comparu  successivemont  de- 
vant Anno,  Joan,  xviii,  13,  devant  le  Sanhe- 
drin,  Malih.  xxvi,  57  et  parall.,  une  seconde 

S.  BiBLB. 


fois  devant  le  Sanhedrin,  Luc.  xxii,  66  et  ss., 
devant  Pilate,  xxiii,  1-7,  devynl  Herode  An- 
tipas,  xxiii,  8-12,  le  divin  Maiiio  est  de  nou- 
veau  conduit  au  tribunal  du  gnuvemour  re- 
main. Nous  allons  assisler  a  I'l-sue  i  ru  He  de 
son  proces. 

13.  —  Pilatus,  convocatis  ((iuY''-a5£<JaiA£vo?)... 
Detail  piltoresque.  Pilate  fail  grouper  aulour 
de  son  tribunal,  dre.^se  en  plein  air,  soil  les 
accusaleurs  principaux  de  Jesus  [principibus 
sacerdotum  et  magistratibus  :  par  magistrats, 
fipyovTo;  du  grec,  il  faut  entendre  les  deux 
auires  sections  du  Sanhedrin,  c'est-a-dire  les 
Scribes  ot  les  notables.  Gfr.  xxiv,  20),  soit 
les  masses  populaires  {el  plebe.  Gfr.  t.  4).  II 
compiait  sur  ces  dernieres  i)Our  le  succes  du 
plan  qu'il  avail  deja  forme  en  vue  do  delivrer 
Jesus.  G'(  si  elles  surlout  qu'il  va  tacher  de 
convaincre  et  d'cmouvoir,  n'osant  toujours 
pas  faire  acte  d'aulorite  et  prononcor  un  ver- 
dict d'acquittement. 

14.  —  Dixit  ad  illos.  Le  «  procurator  » 
commence  par  resura  -r  les  debats  en  tant 
qu'il  y  a  joue  un  role  direct,  f.  14;  il  rap- 
pelle  eniuito  quelle  a  ete  la  conduite  d'He- 
rode,  t.  13;  enfin  il  propose  une  sorte  d'ar- 
rangoment  a  I'amiable,  t.  16.  Gotle  petite 
allocution  est  vivanle  et  ires  habile.  Eile  est 
presque  loul  entiere  propre  a  noire  evange- 
liste.  —  O'jiulistis  mihi  (TrpouTjvsYxaTi  jaoi,  vous 
m'avez  conduit)...  quasi  avertentem  (auoffrps- 
90VTa.  Au  t-  2,  SiatTxpe'ipovTa)  populum  (tov  Xaov. 
Au  t.  2,  ti  IQvo;  :  nuances  interessanles). 
Telle  avail  ete  en  effot  la  premiere  charge 
des  Sanhedrisios;  ils  y  elaient  memerevenus 
ime  seconde  fois,  t.  5,  on  voyanl  Pilate  favo- 
rable a  I'accuse.  —  Et  ecre  ego  (avec  emphase) 
coram  vobis  jwferco^ans  (avaxpi'vai,  lerme  ju- 
ridique  frequemmenl  (mpioye  par  S.  Luc. 
a  Judicum  est,  pro  polesiate  roos  vel  testes 
interroganlium  »,  Wetstein).  L'mterrogatoire 
prive  que  S.  Jean  a  raconte  tout  au  long, 
xviii,  33  et  ss.,  n"ox(;lu'  pas  la  possibilitd 
d'une  enqyfile  publique.  On  ne  saurait  done 

S.  Ldc.  —  ""i 


386 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


1o.  Ni  Herode  non  plus,  car  je 
vous  ai  renvoyes  a  lui  et  on  n'a  rien 
produit  contre  lui  qui  merite  la  mort. 

16.  Je  le  renverrai  done  apres 
I'avoir  fait  chalier. 

17.  Or  11  etait  oblige  de  leur  de- 
livrer  quelqu'un  pendant  la  fete. 

18.  Mais  toute  la  foule  criait  a  la 
fois  :  Enlevez  celui-ci  et  delivrez- 
nous  Barabbas. 

19.  Lequel,  k  cause  d'une  sedition 
faite  dans  la  ville  et  d'un  meurtre, 
avait  ete  mis  en  prison. 


15.  Sed  neque  Herodes  :  nam 
remisi  vos  ad  ilium,  et  ecce  nihil 
dignum  morte  actum  est  ei. 

16.  Emendatum  ergo  ilium  di- 
mittam. 

17.  Necesse  autem  habebat  di- 
mittere  eis  per  diem  festura,  unum. 

18.  Exclamavit  autem  simul  uni- 
versa  turba,  dicens  :  Tolle  hunc,  et 
dimitte  nobis  Barabbam. 

19.  Qui  erat,  propter  seditionem 
quamdam  factam  in  civitate  et  ho- 
micidium,  missus  in  carcerem. 


Idgitimemeni  opposer  les  mots  «  coram  vobis 
interrogans  »  du  troisieme  Evangile  a  la  nar- 
ration (iu  qiiatrieme.  Voyez  D.  Calmet,  h.  I. 

—  Nullam  causam,o'j5kv  atTiov,commeau  t.  4. 

15.  —  Sed  neque  Herodes.  Nouvelle  em- 
phase.  Herode,  I'un  des  volres,  qui  est  tres 
au  courani  de  vos  affaires.  La  phrase  est 
eiliptique  :  «  Neque  Herodes  invenit...  »  Au 
lieu  de  nam  remisi  vos  ad  ilium  (av£'7ie[X(V*  Y«P 
0|ia?7cp6(;  auTov),  les  manuscrils  Sinait.,  B,  K, 
L,  M,  T,  H,  etc.,  les  versions  saliid.  et  copte, 
ont  «  remisil  enim  eum  ad  nos»  (ave'TresjuJ^e  yap 
aOxiv  irpoc  r,aa;);  iiiais  c'esl  la  vraisemblable- 
ment  une  correction  posleri^ure,  car  la  legon 
de  la  Vnlgale  el  de  la  Recepta  est  mieux 
garantie.  Voyez  Keil,  Cominenlar,  h.  1.  — 
Nihil  dignum  morle  actum  est  ei,  «  scil.  Jesu, 
ab  Heroile.  »  Chez  le  lelrarque,  on  n'a  rien 
fait  a  Jesus  qui  marque  qu'on  I'ait  juge  digne 
de  mort  (D.  Calmel,  Fr.  Luc,  etc.)  xMais  le 
texte  grec  se  prele  a  une  autre  traduction, 
qui  e.~t  plus  generalement  adoptee  de  nos 
jours  :  Et  voici  que  Jesus  n'a  rien  fait  qui 
merite  la  mort.  Dansce  cas,  aOxM  serait  pour 
(in'  auToO.  Voyez  Winer,  Grammat.  p.  196. 

16.  —  Emendatum  :  TtaiSeuoa;  («  quum 
emendavero  »).  Ce  mot  grec,  que  S.  Luc  est 
seul  a  employer  dans  leN.  Test,  (iciet  xvi,  22J, 
signifie  en  premier  lieu  «  pueros  instituo  »; 
puis  «  castigo  J,  comme  on  fait  les  enfanls  : 
de  la,  par  eupherai^me,  et  c'est  aciuellement 
le  cas,  «  flagellis  ceedo  ».  Gfr.  Bretschneider, 
s.  V.  Sur  I'horrible  supplice  de  la  flagellation, 
voyez  I'Evang.  selon  S.  Matlh.  p.  541  ;  Keim, 
Gesch.Jesu  von  Nazara,  t.  IIL2,  p.  391  etss. 

—  Ergo.  Conclusion  a  laquelle  on  etait  loin 
de  s'altendre,  apres  de  telles  premisses. 
Pourquoi  punir  J^sus  s'il  est  innocent?  Mais 
Pilate  veut  faire  une  concession  k  V  a  aura 
popularis  »,  en  m6me  temps  qu'il  esp^re 
epargner  a  J^sus,  par  ce  moyen  terme,  les 
figueurs  d'uno  condamnaiion  k  mort  [ilium 
dimittam,  anoKiauii). 

47.  —  Plusieurs  critiques  ont  r^voque  en 


doute  raullienlicite  de  ce  verset,  qu'omettent 
les  celebres  manuscrits  A,  B,  K,  L,  les  ver- 
sions copte,  sahidiq.,  etc.,  et  au  sujet  duquel 
il  existe  une  grande  confusion  dans  les  divers 
textesqui  le  contiennent.  Griesbach,Ti^chen- 
doiJ  el  Tregelles  le  suppriment  comme  un 
emprunt  fait  a  Maith.  xxvii,  15.  Neanmoins, 
sa  presence  dans  la  plupart  des  documents 
anciens  (en  parliculier  dans  le  Cod.  Sinait.) 
nous  empeche  de  croire  a  une  interpolation. 
—  Necesse  habebat  est  une  locution  propre  k 
S.  Luc.  S.  Malthieu  et  S.  Jean  patient  d'une 
couiume ;  S.  Marc  mentionne  simplement  le 
fait,  ait£).u£v.  —  Dimittere  eis...  unum  : 
«  quem  voluissent  »,  ajoute  S.  Matthieu,  pour 
montrer  que  le  droit  de  gr&ce  etait  exerc^ 
par  les  Juifs.  —  Per  diem  festum:  v.a.ia.  iopvffi, 
comme  dans  les  deux  autressynoptiques,  c'est- 
a-dire  a  chaque  relour  de  la  solennite  pascale 
(xaxii  distributif) .  Sur  cet  antique  usage, 
voyez  I'Evang.  selon  S.  Matlh.  p.  536. 

18.  —  Exclamavit  siinul  universa  turba. 
Expression  tres  forte.  L'equivalent  grec  de 
«  simul  »  estirauitXriOeC  (employe  en  cet  unique 
endroit  du  N.  Testament),  dont  la  traduction 
litterale  serait  :  «  cum  tola  multiiudine,  con- 
fertim  »,  k  I'unanimite.  Cfr.  H.  Slephanus, 
Thesaurus,  t.  Ill,  p.  380.  S.  Matthieu  et  S.  iMarc 
racontent  la  pression  que  les  princes  des 
prSlres  avaient  exercee  sur  le  peuple  pour 
obtenir  ce  vole  infSme.  —  Tolle.  De  m^me 
dans  S.  Jean,  xix,  18.  C'est.  aux  mauvais 
jours,  I'horrible  demande  des  foules  surexci- 
tees  ;  Enlevez-lel  Les  paiens  criaient  egale- 
ment  aTpe,  quand  ils  demandaient  la  mort 
des  premiers  chretiens.  Cfr.  Euseb.  Hist 
eccles.  IV.  c.  14  ;  Suicer,  Thesaur.  t.  I,  p.  134 

19.  —  Qui  erat...  L'evang^liste  caracterise 
en  quelques  mots  Thomme  qui  eut  I'honneur 
d'etre  prefere  a  Jesus.  Sa  description  est  . 
plus  complete  de  toutes.  Elle  ajoute  mdme 
celie  de  S.  Marc  un  detail  int^ressant  :  iv  t 
noXei,  «  in  civilate  ».  C'esl  done  a  Jerusalem 
qu'avait  eu  lieu  la  tenlalive  de  soul^vement. 


CHAPITRE  XXIII 


387 


20.  Iterum  autem  Pilatus  locutus 
est  ad  eos,  volens  dimittere  Jesum. 

21.  At  illi  succlamabant,  dicen- 
tes  :  Grucifige,  crucifige  eum. 

22.  Ille  autem  tertio  dixit  ad  illos  : 
Quid  enim  mali  fecit  iste?  nullam 
caiisam  mortis  invenio  in  eo  :  cor- 
ripiam  ergo  ilium,  et  dimittam. 

Maiih.  27,  23;  Marc.  15, 14. 

23.  At  illi  instabant  vocibus  ma- 
gnis  postulantes  ut  crucifigeretur  : 
et  invalescebant  voces  eorum. 

24.  Et  Pilatus  adjudicavit  fieri 
petitionem  eorum. 

25.  Dimisit  autem  illis  eum  qui 
propter  homicidium  et  seditionem 
missus  fuerat  in  carcerem,  quern 
petebant  :  Jesum  vero  tradidit  vo- 
lunfati  eorum* 


20.  Et  Pilate  leur  parla  de  nou- 
veau,  voulant  delivrer  Jesus. 

21.  Mais  eux  criaient  plus  fort, 
disant  :  Grucifiez-le,  crucifiez-le ! 

22.  Et  pour  la  troisieme  fois  il 
leur  dit :  Qii'a-t-il  fait  de  mal?  je  ne 
trouve  en  lui  aucune  cause  de  mort. 
Je  le  chdtierai  done,  et  je  le  ren- 
verrai. 

23.  Mais  ils  insistaient  avec  de 
grands  oris,  demandant  qu'on  le 
crucifidt,  et  leurs  oris  etaient  de 
plus  en  plus  forts. 

24.  Et  Pilate  ordonna  que  leur 
demande  fut  executee. 

25.  Et  il  leur  delivra  celui  qui 
pour  meurtre  et  sedition  avait  et6 
mis  en  prison  et  qu'ils  demandaient, 
mais  il  abandonna  Jesus  a  leur  vo- 
lonte. 


20et21.  —  Iterum  Pilatus  locutus  est.. 
Dans  le  grec,  npooeqiuvYiffe,  mot  qui  indique 
une  alloculion  propremelit  dite.  Cfr,  Act. 
XXI,  40.  Ouand  le  lumulte  se  fut  un  peu 
apaise,  Pilaie  e.-saya  de  faire  quelques  repre- 
sentations a  la  foule  toucliant  la  monstruo- 
site  de  son  choix;  mais  en  vain  :  ce  fut  plu- 
tol  de  I'hnile  jetee  sur  le  feu.  —  Illi  succla- 
mabant. L'imparfail  el  le  verbe  compose 
(eiTe(pwvouv)  fortifient  doublemenl  I'idee.  — 
Crucifige...  Gette  fois,  la  foule  d^signe  le 
genre  de  mort  qu'eile  desire  pour  Jesus,  le 
cruel  supplice  de  la  croix,  generalemenl  usite 
dans  les  provinces  romaines.  Ce  n'est  pas 
sans  une  vive  eaioiion  que  nous  venons  d'en 
relire  les  details  complels,  empruntes  aux  clas- 
siques,  dans  Keim,  1.  c,  p.  409  et  ss.  Voyez 
aussi  I'Evang.  selon  S.  Matlh.  p.  546  et  ss. 

22.  —  Ille  autem  tertio...  Comparez  les 
irt.  4  el  H.  Ces  efforts  reildres  de  Pilate 
pour  sauver  Notre-Seigneur  sont  vraimenl 
remarquables,  selon  la  belle  reQexion  de  Luc 
de  Bruges  :  «  Quum  alii  evangelistae  inno- 
centiam  Domini  diligenler  oxponant,  Lucas 
earn  exponit  luculentissime.  Hue  enim  narra- 
tio  totius  actionis  Pilati,  et  toties  tentatae 
liberationis  pertinel,  ut  intelligamus  Jesum 
fuisse  innocenlem..,,  quin  polius  semetipsum 
pro  aliis  obtulis-e.  »  —  Corripiam  ergo.  Le 
^rec  porte  TraiSeuoa;  o5v  comrae  au  t.  16. 

23.  —  Description  tout  a  fait  dramatique, 
avec  emphase  sur  la  plupart  des  mots  :  insta- 
bant flTTExefvTo)  vocibus  magniSy...  itivalesce- 
bant  (xaTioxuov)  voces  eorum.  Pilate  ne  r^ussit 
■done  qu'a  ddchainer  un  veritable  orage  de 


protestations,  au  milieu  desquelles  retentis- 
saienl  comme  un  refrain  sinistre  les  mots 
cent  fois  repetes  a  Tolle,  cruciGge  I  »  —  A  la 
fin  du  verset,  la  Recepta  grecque  ajoute  : 
xai  TMV  ipvigpewv,  d'oii  il  res\ilterait  que  les 
princes  des  pretres  eux-memes,  oublieux  de 
tout  decorum,  auraienl  mele  leurs  oris  homi- 
cides a  ceiix  de  la  foule.  Mais  ce  nesl  peut- 
etre  la  qu'tme  glose  apocryphe. 

24.  —  Et  Pilatus  adjudicavit  (livlxptvs, 
«  decrevit  »)...  Pilate  aurait  dii  se  souvenir 
en  cet  instant  soltnnel  d'une  belle  recom- 
niandalion  de  la  loi  des  douze  Tables :  «  Vanaa 
voces  populi  non  sunt  audiendae,  quando  aui 
noxium  crimine  absolvi,  aul  innocentem  con- 
demnari  desiderant  ».  Lex  xii,  de  poenis. 
Mais  au  conlraire  il  finit  par  ceder  honleuse- 
menl.  Une  experience  anterii^ure  avail  appris 
aux  Juifs  qu'on  pouvait,  en  insistant  avec 
force,  Iriompher  de  ses  volontes  les  plus  opi- 
niatres.  «  II  craignait,  dit  Philon,  Legal,  ad 
Caium,  p.  38,  qu'ils  n'envoyassenl  une  ara- 
bassade  (a  Rome)  pour  denoncer  ses  actes  de 
mauvaise  admoistralion,  ses  extorsions,  ses 
decrets  injustes,  ses  cliatiments  inhumains, 
et  celle  crainte  le  reduisait  a  la  plus  gratide 
perplexite.  »  C'est  par  'consequent  Tinterdt 
personnel  qui  lui  fit  sacriu  Notre-Seigneur 
avec  une  dvavSpia  (lachete)  qae  les  Constitu- 
tions aposloliques,  v,  14,  sligmatisent  a  bon 
droit. 

25,  —  Dimisit  autem...  eum  qui...  Au  lieu 
de  nommer  simplement  Barabbas,  S.  Luc  (et 
ce  trait  lui  est  propre)  rappelle  d'une  maniero 
emphatique  les  antecedents  du  criminel  que 


388 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


26.  Et  comme  ils  Femmenaient, 
lis  prirent  un  certain  Simon  de  Gy- 
rene qui  revenait  des  champs  ct 
Tobligerent  de  porter  la  croix  der- 
riere  Jesus. 


26.  Et  cum  ducerent  eum,  ap- 
prehenderunt  Simonem  quemdain 
Gyrenensem,  venientem  de  villa  : 
et  imposuerunt  illi  crucem  portare 
post  Jesum. 


Maith.  27,  32;  Marc,  15,  21. 


les  Jiiifs  avaieiU  us6  preferer  a  Jesus.  Cfr. 
t.  19;  Act.  HI,  16.  C'csi  une  maniere  saisis- 
saiile  de  meltre  on  relief  loule  I'liorreur  dn 
forfail  qu'il  raconte.  Apres  dix-neuf  siecles, 
on  sent  encore,  sous  ces  irois  lignes.  la  vive 
emotion  du  narrateur.  —  Quern  peicbant. 
Comme  d'ordinaire  en  pareil  cas,  I'linpaifail 
est  piltoresque  el  inar{]ue  la  continuile.  — 
Jesum  vero  tradidit  voluntati  eoruin.  Autre 
locution  energique  !S.  iMatlhieu  et  S.  Marc  se 
conlenlent  d'ecrire  :  a  Tradidit  eis  »).  Nous 
Savons  tjuelle  eiait,  relalivement  a  Jesus,  la 
volonlii  do  la  foule  en  fureur! 

14.  La  «  Via  dolorosa  ».  xxui,  26-32.  —  Parall. 
MalUi.  XXVII,  31-34;  Marc,  it,  20-23:  Joan.  xi.x, 
16-17. 

Sans  parler  de  la  flagellation,  ni  des  ou- 
trages particuliers  que  ies  pretoriens  fircnl 
encore  subir  a  Notre-Seigneur  (voyez  les  re- 
cits  paralleles;,  S.  Luc  arrive  direclemenl 
au  douloureux  episode  de  la  «  Via  ciucis  », 
au  sujet  duijuel  il  a  une  longue  et  importante 
particular! I e  ,tt.  27-32;. 

26.  —  Cum  ducerent  eum  (aTtrjYaYov  du 
lexlegrcc  est  un  termejuridique).  Les  prepa- 
raiifs  du  supplice  n'avaient  pas  demande 
beaucoup  de  leaips.  Aussilol  apres  la  s  n- 
tence,  landis  que  se  passaient  les  scenes 
cruelles  du  pieioire,  on  avait  grossierement 
equarri  el  reuni  les  deux  pieces  de  bois  qui 
I'oimaient  un'  croix  («  crucem  comparare  », 
Hu).a  TExTaivetv,  3r,ix'.oupY£tv,  etaienl  les  expres- 
sion-^ classiques) ;  les  soldals  de  garde  avaient 
eledesignes,  et  munis  de  leurs  provisions  pour 
le  resle  de  la  journee  (voyez  Keiui,  1.  c. 
p.  392)  :  le  convoi  se  mil  done  promptemenl 
en  marche.  Nul  doute  que,  selon  la  barbare 
coutume  de  ces  tom|)S,  I'auguste  victime  n'ait 
ete  abreuvee  sur  tout  le  parcours  d'injures  et 
de  coups  ;«  Ila  te  forabunt  palibuiaium  per 
viam  slimulis  »,  Plaul.  Most,  i,  1,  53,.  Sur 
riateressanle  legcn'ie  du  Juif  eirant,  qui  se 
raltache  a  cc  fait,  voytz  Wdzer  el  Welte, 
Diclionn.  encycl.  de  la  llieologie  calliol., 
t.  XII.  p.  431  el  ss.de la  traduclinn  IranQaise, — 
Apprehenderunt  (lT:i>,a66[i£voi)  Simonem  ijuem- 
dam...  Lf'>  autres  synopliques  emploient  I'ex- 
pression  legale  «  angariare  ».  Voyez  dans 
I'Evang.  selon  S.  Malih.,  p.  oi4,  el  dans  I'E- 
vang.  selon  S  Mnrc,  p.  214,  les  details  rela- 
lifs  a  CO  droit  da  requisition  et  a  la  personne 
du  Cyreneen.  Les  soldats  lures  requisitionnenl 


aujourdhui  encore  les  habitants  de  la  Pahs- 
line  avoc  le  meme  sans  gene  qu'autrefois  log 
pretoriens  remains.  Cfr.  Tristram,  the  Land 
of  Israel,  p.  402.  —  Venienlem  de  villa  (iw' 
dypou,  do  la  campagne).  Ceite  circonstance 
a  etd  souvenl  alleguee  comme  une  grave  ob- 
jection centre  le  senlimenl  de  ceux  qui  fixent 
la  dale  de  la  moil  du  Sauveur  au  15  nisan, 
c'esl-a-dire  au  grand  jour  de  la  Paque  :  meis 
le  lexte  dil  seulemenl  que  Simon  reveuaii 
alors  de  la  campagne,  non  qu'il  y  avail  tra- 
vaiile.  —  Crucem  portare  post  Jesmn.  La  plu- 
pail  des  peinlres  et  queUjues  oxc'getes  iCaje- 
lan,  Lipsius,  van  Ooslerzee,  Wordsworth) 
concluent  de  eel  expose,  dont  la  forme  est 
propre  a  S.  Luc.  que  Jesus  ne  ful  pas  com- 
pletemenl  decharge  de  sa  croix;  il  auraii 
meme  continue  d'en  porter  la  parlie  la  plus 
lourde,  et  tout  son  allegcm'nt  out  eonsiste 
en  ce  que  le  Cyreneen  en  soulevait  la  base. 
Mais  c'esl  la  ung  fausse  inlerprelalion  des 
mots  a  post  Jesum  >%  que  I'on  doit  prendre 
d'une  maniere  absolue,  comme  il  resulle  des 
passages  paralleles  de  S.  Mailhieu  el  de 
S.  Marc  («  ut  tollerel  crucem  ejus  »).  Tell  ■ 
etait  deja  I'opinion  de  S.  Jerom  -,  in  Matlb, 
xxvii,  32,  el  de  S.  Ambroise,  Expos,  in  Luc. 
1  X,  107.  Du  concours  prele,  quoiiiue  force- 
mcnl,  a  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  par  Si- 
mon (le  Cyrene,  les  anciens  gnostiques  eon- 
chuiicnt  que  ce  dernier  avail  ete  cruciQe  a  la 
plac^  de  Je.~u3.  Cfr.  S.  Irenee,  adv.  Hfcr. 
I,  23  ;  S.  Epiph.  Hter.  xxiv,  3.  Cette  elrang© 
asscriion  a  ete  inseree  dans  le  Coran.  Sur. 
Ill,  4.  —  Sur  la  forme  de  la  croix,  voyez  I'E- 
vang. selon  S.  Malth.,  p.  546.  D?  cuiieu«es 
traditions  avaient  cours  autrefois  lnuchant  la 
nature  du  bois  qui  la  composa.  D'apies  lo 
Vener.  Bede,  I'inscriplion  elail  en  buis,  la 
lige  en  cypres  jusqu'a  I'inscriplion,  la  tra- 
verse en  cetlre,  la  parli.;  superioure  en  pn. 
Guillaume  Durand  assure  que  le  pied  etail  de 
cedre,  la  ligre  en  cypres,  la  traverse  en  pal- 
mier, la  tete  en  olivier.  Une  louchanle  le- 
gendo  populaire  dil  que  loule  la  croix  etait 
en  bois  de  tremble,  el  c'esl  de  la,  ajoule-t- 
elle,  que  provienl  I'agitation  perpeluelle  des 
feuilles  de  cet  arbre  (Cfr.  Smith,  Diet,  of  iho 
Bible,  t.  I,  p  366).  Juste  Lipse,  de  Cruce, 
HI,  13,  veui  qu'elle  ail  ete  de  chene,  arbre 
assfz  commun  en  Palestine;  mais  il  result© 
d'observatious  consciencieuses  faites  au  mi- 
croscope  sur  plusieurs  reliques  de  la  vraid 


CHAPITllE  XXllI 


389 


27.  Sequebatur  autem  ilium  miilta 
turba  populi,  et  mulierum  :  quae 
piangebant  et  lamentabantur  eiim. 

28t  Conversus  autem  ad  ilias  Je- 
sus, dixit  :  Filise  Jerusalem,  nolite 
Here  super  me;  sed  super  vosipsas 
flete,  et  super  filios  vestros. 


27.  Or  une  grande  foule  de  peu- 
ple  et  de  femmes  le  suivaient,  pleu- 
rant  et  se  lamentant. 

28.  Et  Jesus  se  tournant  vers  elles 
dit :  Filles  de  Jerusalem,  ne  pleurez 
pas  sur  moi,  mais  pleurez  sur  vous 
et  sur  vos  enfants. 


croix  (nolamment  par  M.  Decaisne,  membre 
de  rinslitui,  el  par  M.  P.  Savi,  professeur  a 
rUniversile  de  Pise),  que  rinstrumenl  du  sup- 
plice  do  Jesus  elail  en  bois  de  pin.  Voy*?z  le 
savant  Memoire  de  M.  Rohauli  de  Fleury  sur 
Jes  lustiuiiicnls  de  la  Passion,  pp.  61-63, 
359  et  360. 

27.  —  Co  verset  et  les  suivants  jusqu'au  3<« 
decrivent  une  emouvante  scene  que  notre 
evangelisle  a  seul  conservee.  —  Sequebatur... 
muHa  turba  populi.  De  tout  temps  les  execu- 
tions capilales  ont  attire  les  foules.  II  faut 
se  souvenir  en  outre  que  Jerusalem  rcgorgeail 
alors  de  monde  a  cause  de  la  P5qne.  el  que  le 
supplicie  etait  le  «  prophete  e  celebre  au  loin 
par  fa  doctrine  el  par  ses  miracles.  —  Et 
mulierum...  Si  la  mullitudc  menlionnee  plus 
haul  conlenait  un  certain  nombre  d'ennemis 
du  Sauveur  et  beaucoup  de  curieux,  elle  ren- 
fermait  aussi  des  personnos  au  ccBur  pieux  et 
compalissanl  qui,  malgre  !a  defense  expresse 
du  Talmud  («  non  plarxenint  eductum  ad 
supplicium  »,  Bab.  Sanhedr.,  f.  4?,  2;  voyez 
Lightfoot,  Hor.  hebr.  in  Matth.  xxvii,  31), 
manifesierent  courageusemenl  leur  sympaihie 
pour  le  divin  condamne.  On  ne  ie  saurail 
nier,  ?i).c8axpu...  itw?  del  to  8f,).u  "^i^Oi,  xat  x6v 
vo'jv  Eii;  eXeov  eu8id8pu7tTov  i^ov  (S.  Cyrille,  edit. 
Mai,  p.  396);  mais  I'ecrivain  sacre  a  vouhi  re- 
tracer  ici  autre  chose  qu'un  trait  de  senti- 
menlalile  banale.  Les  femmes  qu'il  signale  ne 
pleuraienl  pas  en  Jesus  un  vulgaire  «  crucia- 
rius  ».  C'est  a  tort  qu'on  les  a  parfois  identi- 
fiees  avec  lessainies  Galileennes  qui  accom- 
pagnaienthabilueliemenlNolre-Seigneur  (Cfr. 
t.  55),  car,  d'apres  les  paroles  de  Jesus  lui- 
m^me,  t.  28,  elles  habilaient  Jerusalem.  II 
n'est  pas  sur  qu'elles  fussent  deja  chreliennes 
dans  le  sens  strict.  —  Quoe  piangebant  et  la- 
mentabantur. «  Lamenlari  est  oris  el  oculo- 
rum  (elles  pleuraienl  a  haute  voie),  plangere 
matiuum  »  (elles  se  frappaienl  la  poilriiie), 
■F.  Luc.  L'associalion  de  ces  deux  verbes  nous 
fournil  une  representation  plastique  des  vio- 
Sentes  manifesialions  de  la  douleur  chez  les 
Orientaux. 

28.  —  Conversus..,  ad  illas.  Detail  pitlo- 
resque,  qui  provenail  evidemmenl  d'un  le- 
moin  oculaire,  peul-elre  de  quelqu'une  des 
saintes  femmes.  Aucune  d'elles  ne  diil  oublier 
la  douce  expression  des  regards  de  Jesus,  ni 
JBOn  visage  pale  et  ensanglante.  —  Jesus  dixit. 


C'esl  peul-elre  la  seule  parole  que  le  Sauveur 
ait  prononcee  enire  sa  condamnation  a  mort 
et  son  crucifiement ;  du  moins  nous  n'en  pos- 
sedons  pas  d'aulre.  Elle  est  grave,  solennelle, 
car  elle  roule  tout  entiere  sur  la  ruine  pro- 
chaine  de  la  capitale  juive.  —  Filia  JerusO' 
lem.  Melaphore  Lien  connue,  d'apres  laquelle 
on  appelait  en  hebreu  les  habitants  d'une 
ville  ses  fils  ou  ses  filles.  Cfr.  Cam.  i,  3; 
Is.  Ill,  16,  etc.  —  Nolite  flere  super  me,  sed 
super  vos  ipsas.  «  Si  vous  saviez  les  maux  qui 
vous  menacenl,  et  qui  doivent  lomber  sur 
voire  ville,...  sur  vous-m4mes  el  sur  vos  en- 
fants, vous  conserveriez  vos  larmes  pour  d6- 
plorer  vos  propres  malheurs  »,  D.  Calmet. 
Plusieurs  de  ces  femmes  compalissanies  pa- 
rent ^tre  lemoins  des  horreurs  de  la  guerre 
romaine  et  du  siege  de  Jerusalem,  c'esl-^-dire 
des  ten  ibies  represailles  que  leur  nation  s'al- 
tira  du  ciel  pour  avoir  verse  le  sang  de 
I'Homme-Dieu.  Nos  lecteurs  savent  que  cha- 
que  vendredi  soir,  a  Jerusalem,  il  se  passe 
dans  un  coin  du  quartier  juif  une  scene  emou- 
vante, mainles  fois  decrile  par  les  voyageurs. 
Deboul,  ou  accroupis  en  face  d'un  mur  aux 
assises  gigantesques,  qui,  d'apres  plu-ieurs 
archeologues  eminents,  faisail  partie  des 
constructions  de  I'ancien  temple,  des  Juifs  de 
tout  age  el  de  toule  condition  prienl  et  3 
laaienlent.baisanl  de  temps  a  autre  lespierres 
avec  le  transport  du  desespoir.  lis  recitent 
cetle  lugubre  lilanie  : 


Le  lit  urge. 

Le  peuple. 
rons. 

Le  lilurge. 

Le  peuple. 

Le  liturge. 

Le  peuple. 

Le  lilurge. 

Le  peuple. 

Le  lilurge. 
k  terre 

Le  peuple. 

Le  lilurge. 
calcinees. 

Le  peuple. 

Le  lilurge. 

Le  peuple. 

Le  lilurge. 
Seigneur. 

Le  peuple. 
roDs. 


A  cause  du  palais  qui  est  desert. 

Nous  sommes  assis  solilaires  et  nous  plen- 

A  cause  do  temple  qui  est  detruit. 

Nous  soinines  assis... 

A  cause  des  murs  qui  sent  renyersSs. 

Nous  sommes  assis... 

A  cause  ile  noire  grandeur  evanonie. 

Nous  sommes  assis... 

A  cause  de  nos  grands  homraes  qui  gisent 

Nous  soiimes  assis... 

A  cause  des  pierres  precieuses  qui  ont  eli 

Nous  sommes  assis.  . 

A  cause  du  nos  pietros  qui  onl  bronchi. 

Nous  soinincs  assis... 

A  cause  de  nos  rois  qui  out  meprise  le 

Nous  sommes  assis  solitaires  et  nous  pleu- 


Et    Ton   voit  do  grosses  larmes  couler   sur 
leurs  jouesl  Larmes  steriles   pourtanl,    car 


3i>0 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


29.  Gar  voici  que  viendront  des 
jours  ou  Ton  dira  :  Heureuses  les 
steriles  et  les  entrailles  qui  n'ont 
pas  engendre  et  les  mamelles  qui 
u'ont  pas  alia!  te! 

30.  Alors  ils  commenceront  a  dire 
aux  montagnes  :  Tombez  sur  iious ; 
et  aux  collines  :  Gouvrez-nous. 

31 .  Gar  si  on  traite  ainsi  le  bois 
vert,  que  sera-ce  du  bois  sec? 


29.  Quoniam  ecce  venient  dies,, 
in  quibus  dicent  :  Bealae  sleriles,- 
et  ventres  qui  non  genuerunt,  et 
ubera  quae  non  lactaverunt. 

30.  Tunc  incipient  dicere  monti- 
bus  :  Gadite  super  nos;  et  collibus  : 
Operite  nos. 

31.  Quia  si  in  viridi  ligno  hsec 
faciunt,  in  arido  quid  fiet? 

Isai.  2,  19;  Osse,  10,  8  ;  Apoc.  6,  16. 


ce  n'est  pas  sur  eux-memes  qu'ils  pleurent, 
mais  sur  des  ruines.  Voyez  Gralz,  TheAlre 
des  evenements  racontes  dans  les  divines 
Ecrilures,  t.  I,  p.  410  de  la  traducl.  frang.; 
Baedeker,  Palaeslina  und  Syrien,  p.  192  el  s.; 
L.  A.  FrankI  (auteur  juif),  Nach  Jerusalem, 
t.  II,  p.  28  el  ss. 

29  et  30.  —  Quoniam  ecce...  Jesus  enum^re 
dans  ces  deux  versels  les  motifs  du  «  super 
?os  ipsas  flete  ».  Des  jours  approchent,  dit-il 
(au  lieu  du  futur  venient  le  grec  a  le  present 
Ipxo^'Tai,  qui  marque  la  certitude),  oil  la  plus 
grande benediction  humaine,  ceiledela  mater- 
nile,  seraregardeecomme  un  affreux  malheur 
(t.  29),  ou  une  mort  violenle,  a  condition 
qu'elie  soit  subile,  passera  pourun  sort  envia- 
ble (t.  30).  —  Beatce  steriles.  La  privation  d'en- 
fants  avail  ete  autrefois  presentee  par  le  pro- 
phdle  comme  une  malediction.  Cfr.  Os.  ix,  14. 
Au  debut  du  troisieme  Evangile,  i,  25,  nous 
entendions  sainte  Elisabeih  remercier  Dieu 
de  ce  qu'il  avail  fait  cesser  son  «  opprobre  » 
en  lui  donnani  un  fils.  El  voici  qu'a  trois  re- 
prises (et  ventres...  et  ubera...)  coup  sur  coup, 
J^sus  repele  celle  beatitude  eirange  et  nou- 
velle  I  Mais  il  est  des  jours  d'angoisses  el  de 
mis^res  oil  une  femme  est  heureuse  en  effet 
de  n'avoir  pas  d'enfants  («  o  slerilitas  liberis 
potior  »1  Apul.  Apoll.),  des  jours  ou  les 
m6res  s'ecrienl  comma  I'herolne  d'un  grand 
tragique  grec  :  *I2;  Seiva  ■nia'/ui,  xi  Si  jii  xal 
texeiv  ixp^^  >  ^X^o;  5'  lit'  ax8ot  TcpSe  itpoffGeaOai 
JiTiXoOv,  Euripid.  Androm.  395;  et  lels  de- 
raienl  6tre  preciseinenl  ceux  auquels  Nolre- 
Seigneur  fail  allusion  dans  sa  terrible  pro- 
phetic. Ne  vit-on  pas  alors  des  m6res  juives 
ddvorer  le  fruit  de  Icur  propre  sein?  Cfr.  Jos. 
Bell.  Jud.  VI,  3,  4.  Voila  pourquoi  les«  benedic- 
tiones  uberum  el  vulvae  »,  promises  aux  temps 
antiques  par  Jacob,  Gen.  xnx,  25,  cessent 
mainlenanl  d'etre  des  benedictions. 

31 .  —  Tunc  incipient  dicere.  Le  sujet  de  «  in- 
cipient »  est  «  homines  »  sous-entendu  :  On 
commencera.  —  Montibus  :  Cadite...;  colli- 
bus :  Operite...  Ces  paroles  sent  e.mprunlees 
au  propheie  Osee,  x,  8,  chez  qui  elles  represen- 
taienl  d^jk  une  scene  d'borrible  desespoir.  On 


ne  saurait  exprimer  au  moyen  d'une  image 
plus  forte  le  desir  d'echapper  par  une  fin  sou- 
daine  a  d'intoidrables  calamites :  aussi  S.Jean 
dans  I'Apocalypse,  vi,1 6,  la  met-il  sur  les  levres 
des  reprouves.  Cfr.  Is.  n,  10.  L'hislorien  Jo- 
sephe  raconte,  Bell.  Jud.  vi,  9,  4,  que  les  ha- 
bitants de  Jerusalem,  dans  I'espoir  d'echapper 
aux  horreurs  du  siege,  se  refugierent  en  grand 
nombre  dans  les  egoiils  el  les  souterrains  de 
la  ville,  oil  Ton  trouva  ensuite  leurs  cadavres 
par  milliers. 

31.  —  Quia...  Le  Sauveur  justifie  par  une 
frappante  comparaison  les  menaces  impliciles 
des  deux  precedents  versets.  —  Si  in  viridi 
ligno  hcBc  faciunt  (impersonnel  :  Si  Ton  traite 
de  la  sorte)...  L'idee  semble  si  claire,  malgr^ 
son  vetemenl  image,  qu'on  a  de  la  peine  k 
s'expliquer  les  hesitations  de  plusieurs  inter- 
pretes  a  son  sujel.  Comme  on  I'admet  gen6- 
ralement,  le  bois  vert  (^Ypo«>  lilt,  humide, 
n'apparail  qu'en  cet  endroil  du  Nouveau  Tes- 
tament), c'est  en  general  I'arbre  encore  debout, 
vivant,  qui  porte  des  fleurs  et  des  fruits  ;  le 
bois  sec,  au  contraire  (in arido),  c'est  I'arbre 
coupe  depuis  longtemps,  mis  en  reserve  pour 
le  feu.  De  mSme  que  ce  dernier  symbolise  les 
pecheurs,  a  I'Sme  aride,  sterile,  de  m^me  le 
premier  represento  les  justes,  semblables,  dit 
le  psalmiste,  i,  3  et  4,  ^  un  arbre  planle  sur  le 
bord  des  eaux,  qui  fournit  son  fruit  en  sa 
saison,  el  donl  les  feuilles  ne  tombent  jamais. 
Voyez  aussi  Ezech.  xx,  47  (Cfr.  xxi.  3  et  4) 
et  J.  Roberts,  Oriental  Illustrations  of  the 
sacred  Scriptures,  p.  566.  Or  ici,  d'apres  I'ap- 
plicalion  immediate,  Jesus  est  le  juste  par 
excellence  que  figure  le  bois  vert,  tandis 
qu'Israel  pecheur,  impenitent,  est  le  tronc 
desseche  qui  ne  donne  plus  aucun  espoir  de 
recolle.  Si  done  Jesus  subil  de  lels  chStiraents 
malgr^  son  innocence,  a  quoi  ne  doiventpas 
s'atlendre  les  Juifs,  dont  la  malice  crie  ven- 
geance vers  le  ciel?  Voyez  I  Pelr.  iv,  47,  la 
mSme  pensee,  quoique  plusgenerale,  et  expri* 
m^e  sans  figure.— Le  divin  Mailre  rentre  dans 
son  majeslueux  recueillement.  Sur  le  cliemin 
du  Calvaire  il  venait  de  tenir  au  fond  le  miSme 
langage  que  pendant  sa  recente  marche  triom?' 


CHAPITRE   XXllI 


39! 


32.  Ducebantur  aiitem  et  alii  duo 
nequam  cum  eo,  ut  interficerentur. 

33.  Et  postquam  venerunt  in  lo- 
cum qui  vocatur  Galvariae,  ibi  cru- 
cifixerunt  eum ;  et  latrones.  unum 
a  dextris,  et  alterum  a  sinistris. 

Match.  27,  33;  Marc.  15;  22;  Joan.  19,  17. 


32.  On  menait  aussi  avec  lui  deux 
autres  malfaiteurs  pour  les  mettre 
a  mort. 

33.  Et  lorsqu'ils  furent  arrives  au 
lieu  qui  est  appele  Galvaire,  ils  le 
crucinerent ,  et  les  voleurs  aussi. 
Tun  a  sa  droite  Tautre  k  sa  gauche. 


phale  (Cfr.  xix,  41-44);  mais  la  ville  dei- 
cide  6lait  sourde!  —  Sur  la  pieu3e  tradition 
relative  a  sainle  Veronique  (ou  Berenice), 
qui  aurait  ete  I'une  des  femmes  compaiis- 
sanles  menlionnees  par  S.  Luc,  et  qui  aurait 
essuye  de  son  voile  la  sainte  faco  du  Sauveur, 
soyez  les  Acta  Sanctorum,  Febr.,  t.  Ill, 
p.  451  et  ss.;  Si'pp,  Leben  Jesu,  I.  VI,  p.  312 
de  la  29  edit.  J.  Langen,  die  letzten  Lebens- 
tage  Jesu,  p.  299 ;  Rohault  de  Fieury,  I.  c, 

{).  245  et  ss.  Les  pieces  intitulees  «  Mors  Pi- 
ati  »  et «  Vindicla  Salvatoris  »,  dans  Tischen- 
dorf,  Evangelia  apocrypha,  p.  43:2  et  ss., 
contiennent  sur  ce  point  des  details  curieux, 
quoiquelegendairesau  moins  pour  la  plupart. 
Les  «  Acta  Pilati  »,  B,  c.  10  (Tischendorf, 
L  c,  p.  282  et  ss.),  racontent  aussi,  et  gene- 
ralement  d'une  mani^re  touchante,  la  scene 
qui  se  serait  passee  entre  Jesus  et  sa  Mere  sur 
la  voie  douioureuse  :  quelques  traits  pourtant 
sont  peu  dignes  de  Marie. 

32.  —  Ducebantur  autem...  Ce  (rait  encore 
est  propre  a  S.  Luc.  Nous  pouvons  adopter 
la  ponctuation  proposee  par  Kuinoel,  etc.  ; 
Et  alii  duoj  nequam; on  evite  ainsi  une  appa- 
rence  de  rapprochement  entre  Jesus  et  les 
criminels  conduits  au  supplici^  en  m^me 
temps  que  lui.  Peut-^tre  ces  xaxoupyot  avaient- 
ils  tail  parlie,  comme  on  I'a  souvent  conjec- 
ture, de  la  bande  commandee  par  Barabbas; 
c'etaient  des  zelotes  qui,  sous  le  couvert  du 
palriotisme,  exergaient  k  leur  aiso  le  brigan- 
dage et  le  vol.  Or  la  croix  elait  le  chStiment 
habituel  des  malfaiteurs  de  celte  espece.  Cfr. 
Jos.  Bell.  Jud.  II,  13,  12;  Petron.  Sat.  iii. 

16.  Jdsus  meurt  sur  la  crolz.  xxiii,  33-46.  — 
Parail.  Malth.  xxvii,  34-50;  Marc,  xv,  27-37;  Joan. 
la,  18-30. 

!•  Le  crucifiement.  ff.  33  et34. 

33.  —  Postquam  venerunt.  La  Recepfa 
porte  (XTiJiXOov;  mais  les  manuscrits  Sinait., 
B,  C,  D,  L,  etc.,  onl  ^X8ov,  conformemenl  a 
la  legon  de  I'ltala  el  de  la  Vulgate.  —  In  lo- 
cum qui  vocatur  Calvarice.  Les  trois  autres 
^vangelisles  donnent  le  nom  hebreu  du  ce- 
lebre  monticule  (Golgotha);  S.  Luc  se  borne 
k  le  tradiiire  en  grec,  xpaviov.  Sur  cette  deno- 
mination voyez  lEvang.  selon  S.  Mallh. 
p.  545.  —  Ibi  crucifixerunt  eum.  D'apres  une 


fable  talmudique  (Gem.  Bab.,  Sanh.  6),J^su8 
aurait  et^  d'abord  lapide  suivanlles  prescrip- 
tions do  la  loi  juive,  el  les  Romains  n'au- 
raienl  altache  a  la  croix  qu'un  corps  sans 
vie.  Lo  supplice  subi  par  le  divin  Maitre  pas- 
sait  pour  si  humiliant{«  servile,  infame  sup- 
plicium  »)  que  les  Peres  eurenl  plus  d'une 
fois  a  repondre  h  des  objections  que  les  Juifs 
el  les  parens  en  tiraient  conlre  sa  dignite 
messianique  ou  sa  nature  divine,  a  Dicat 
forte  aliquis  :  Cur,  si  Deus  fuil  el  mori  voluit, 
non  saltem  honesto  aliquo  mortis  genere 
(Cfr.  Horn.  Odyss.  xxii,  462  :  \i-h  xaOapto 
Oavittj))  affectus  est;  cur  potissimura  cruce? 
cur  infami  genere  supplicii,  quod  etiam  ho- 
mine  libero,  quamvis  nocente,  videatur  in- 
dignum?  »  Lactant.  Inst,  iv,  26.  Le  Juif 
Tryphon  disail  pareillement  a  S.  Justin  : 
DaSeiv  (lev  yap  xai  w;  Ti:p66aTov  d^O^^aeaOai  (t6v 
XpCoTov)  oiSafASv  el  6e  xal  OTauptoOyjvai  xat  o^xta^ 
alffxpwc  xai  axifxco;  aitoGavelv  8ia  xoO  xsxaxKjpa- 
jtevou  £v  T(ji  v6(xw  Oavaxou  ,  ait65ei$ov  r;[j.tv.  Dial, 
c.  Tryph.  90.  Mais,  selon  la  belle  parole  de 
S.  Ambroise,  (citee  par  Wordsworth,  h.  1.) 
«  crucem  trophaeum  jam  vidimus.  Currum 
suum  triumphator  ascendat,  el  patibulo 
triumphali  suspendat  captiva  de  sseculo  spo- 
lia.  Unus  Dei  triumphus  facit  omnes  jam 
prope  homines  triumphare,  crux  domini.  » 
La  croix  si  meprisee  est  devenue  un  orne- 
ment  glorieux,  dont  les  rois  eux-memes  veu- 
lenl  parer  leur  diademe,  el  que  les  braves 
portent  sur  leur  poitrine  commo  un  signe 
d'honneur.  —  Et  latrones  (dans  le  grec, 
xaxoupyaji: comme  au  t.  32),  unum  adextris... 
Les  quatre  evangelistes  onl  releve  ce  trail, 
dont  nous  avons  indique  ailleurs  le  caract^re 
ignominieux  (Evang.  selon  S.  Marc,  p.  216). 
Une  antique  tradition  attribue  au  bon  larron 
la  place  de  droite  el  celle  de  gauche  au  mau- 
vais.  —  «  Trois  croix,  I'une  pres  de  I'autre, 
ecrivail  S.  Augustin,  Episi.  xciii,  alias 
XLvm;  sur  la  premiere  nous  voyons  le  mal- 
faileur  qui  ful  sauve,  sur  la  seconde  le  mal- 
failcur  qui  ful  reprouve,  sur  celle  du  milieu 
le  Christ  qui  absout  I'un  el  qui  condamne 
I'autre.  En  apparence ,  qu'y  a-t-il  de  plus 
semblable  que  ces  trois  croix?  mais  qu'y 
a-t-il  de  plus  disscmblable  que  les  horames 
attaches  a  leurs  bras?  » 


392 


EVANGILE  SELON  S.  LUG 


34.  Et  Jesus  disait  :  Mon  Pere, 
pardonnez-leur,  car  ils  ne  savent 
ce  qu'ils  font.  Et  se  partageant  ses 
vetements  ils  les  tirerent  au  sort. 

35.  Et  le  peuple  etait  la  regardant, 
et  avec  lui  les  chefs  le  raillaient, 


34.  Jesus  autem  dicebat  :  Pater, 
dimitte  illis  :  non  enim  sciunt  quid 
faciunt.  Dividentes  vero  vestimenta 
ejus,  miserunt  sortes. 

35.  Et  slabat  populus  spectaus, 
et  deridebant  eum  principes  cum 


34.  —  Le  premier  hemisliche  de  ce  versel 
(Jesus  autem  dicebat...  faciunt]  manque  dans 
les  manuscrits  B,  D,  ainsi  que  dans  les  ver- 
sions copte  et  sahidiq. ;  mais  celle  omission 
doil  elre  puremenl  accidentelle,  car  on  le 
Irouve  partoul  ailleurs.  U  esL  cile  par  S.  Ire- 
nee  et  par  les  Homelies  Clemenlines,  x,  20. 
—  Pater,  dimilte  illis...  Ces  moLs  furent  sans 
doute  prononces  au  moment  ou  les  clous  pe- 
nelraienl  dans  la  chair  sucree  de  Jesus.  Sous 
la  pression  de  la  douleur  la  douce  Victime 
rompil  de  nouveau  son  majestueux  silence, 
non  pour  se  plaindre,  mais  pour  pardonner 
a  ses  bourreaux.  «  Ce  ful  la  premiere  des 
paroles  de  Jesus  pendant  son  agonie.  L'hu- 
manite  les  a  complees.  II  y  en  a  sept,  mar- 
quees au  coin  d'une  elevation,  dune  force, 
d'une  tendresse,  d'une  douceur  infiiiies.  Ces 
sept  paroles  terminent  la  vie  de  Jesus  comme 
les  huit  beatitudes  I'avaient  ouverte,  par  la 
revelation  d'une  grandeur  qui  n'est  pas  de  la 
tcrre.  Seulement,  il  y  a  ici  quelque  chose  de 
plus  beau,  de  navrant,  de  poignant,  de  plus 
divin.  »  Bougaud ,  Jesus-Christ,  2^  edit., 
p.  548.  Des  sept  paroles  du  Christ  mourant 
(chantees  dans  une  rausique  sublime  par  des 
compositeurs  celebres,  surtout  par  Haydn), 
trois,  dont  celle-ci,  ne  nous  ont  ete  conser- 
vees  que  par  S.  Luc,  trois  autres  que  par 
S.  Jean,  la  septieme  est  commune  a  la  redac- 
tion de  S.  Mattliieu  et  de  S.  Marc.  Les  voici 
avec  leur  ordro  probable  :  io  Luc.  xxiii.  34, 
«  Pater  dimilte  illis,  non  enim  sciunt  quid 
faciunt  »  ;  2°  Luc.  xxiii,  43,  «  Amen  dico 
libi,hodie  mecum  eris  in  paradiso;»3o  Joan. 
XIX,  26  et  27,  «  Mulier,  ecce  Glius  tuus... 
Ecce  mater  tua  »;  4o  Mallh.  xxvn,  46  et 
Marc.  XV,  34,  «  Eli,  Eli,  lamma  sabacthani»; 
5»  Joan.  XIX,  28,  «  Silio  »  ;  6o  Joan,  xix,  30, 
«  Consuminalum  est  » ;  7o  Luc.  xxin,  46, 
«  Paler,  in  manus  tuas  commendo  spiritum 
iiH'um  ».  Eiles  concenient  les  ennemis  de 
Jesus,  les  pechcurs  penitents.  Marie  et  le  di.s- 
ciple  bien-aime,  les  angoisses  interieures  du 
divin  patient,  ses  souffrances  physiques,  son 
CEuvre  et  son  Pere  celeste.  La  premiere  et  la 
dcrniere  comniencent  par  I'appellati^n  filiale 
de  u  Pater  ».  S.  Bernard  (cile  par  Schegg, 
Evang.  nach.  Luk.,  I.  Ill,  p.  32lj  les  nomme 
gracieusement  c<  septem  folia  semper  viren- 
lia,  quae  vitis  nostra,  quum  in  crucem  ele- 
\ala  fuit,  emisit.  »  —  Dimilte  (5?e;)  illis. 
«  Illis  jam  petebat  veniam,  a  quibus  adhuc 


accipiebal  injuriara;  non  enim  altendebal 
quod  ab  ipsis  moriebatur,  sed  quia  pro  ipsis 
moriebalur  ».  S.  August.  Tractat.  xxxi  in 
Joan.  Les  exegeles  different  d'avis  sur  I'ap- 
plication  du  pronom  «  illis  ».  Suivant  les  uns 
(Kuinoel,  Ewald,  Plumplre,  etc.),  il  designe- 
rait  specialement  les  soldals  romains  qui 
remplissaient  I'office  de  bourreaux.  Nous  pre- 
ferons  admetlre,  a  la  suite  du  plus  grand 
nombre,  qu'il  se  rapporle  en  general  a  tous 
les  ennemis  de  Notre-Seig/ieur,  et  surtout  aux 
Juifs  qui  etaient  les  vrais  instigateurs  de  sa 
mort.  Nous  oblenons  ainsi  un  sens  plus  large 
et  plus  profond  pour  cetie  parole  airaante. 
Telle  paraii  d'ailleurs  avoir  ete  I'interpreta- 
tion  de  S.  Pierre  et  de  S.  Paul,  qui  y  font  une 
allusion  manifeste,  le  premier  dans  un  dis- 
cours  consigne  au  livre  des  Acles,  iii.  17,  le 
second  dans  sa  deuxieme  epilr^  aux  Corin- 
thiens,  ii,  8.  —  Non  enim  sciunt  quid  faciunt. 
Jesus  motive  ainsi  et  appuie  forlement  sa 
demande  de  pardon.  II  a  toujours  eie  reQu 
en  effet,  devant  Dieu  comme  devanl  les 
hommes,  que  I'ignorance  diminue  d'ordinaire 
la  malice  du  peche.  Or,  les  Juifs,  au  moins 
pour  la  plupart,  ne  comprenaient  cerlaine- 
ment  pas  toute  I'enormite  du  crime  qu'ils 
coramettaierit  en  crucifiant  Notre-Seigneur. 
lis  ne  pensaieiit  pas  mettre  a  mort  leur  Messie 
et  leur  Dieu,  quoique  leur  erreur  fut  loin 
d'etre  exempte  de  peche.  —  Dividentes  ves- 
timenta ejus  ..  Voyez  des  details  plus  com- 
plets  dans  S.  Jean,  xix,  23  et  24.  —  Les 
«  cruciarii  »,  avanl  d'etre  attaches  a  I'arbre 
de  la  croix,  etaient  depouilles  de  leurs  vete- 
ments, que  la  loi  romaine  adjugeail  aux  lic- 
teurs  ou  a  ceux  qui  en  faisaient  I'ofBce. 

2"  Les  insultes  et  le  bon  larron.  ff.  35-43. 

Pendant  une  partie  des  longues  et  cruelles 
heures  d'agonie  que  Jesus  passa  sur  la  croix, 
repandanl  son  sang  et  sa  vie  goutte  a  goulte, 
il  fut  abreuve  de  grossieres  inquires,  selon  la 
barbare  couttiine  de  ces  temps.  Voyez  I'cx- 
plication  detaillee  dans  les  passages  paral- 
leles  de  S.  Mallhieu  et  d,;  3.  Mure. 

35.  —  Et  stabat  populus  spet-.taas  (esiopciiv). 
Trait  piltore-^qwe,  propre  a  S.  Luc,  et  qui 
rappelle  la  prophetic'  de  Zacharie,  xii,  10  : 
«  Aspicient  ad  me  quem  confixerunt  ».  Gfr. 
Ps.  XXI,  17.  —  El  deridebant  eum  principes 
(ol  apxovTs;,  les  Sanhedristcs,  et  non  simple- 
ment  les  princes  des  pretres).  Le  verbe  grec 


CHAPITRE  XXIII 


393 


eis,  dicentes  :  Alios  salvos  fecit,  se 
salvum  facial,  si  hie  est  Ghristus 
Dei  electus. 

36.  Illudebant  autem  ei  et  milites 
accedentes,  et  acetum  ofifereutes  ei, 

37.  Et  dicentes  :  Si  tu  es  Rex 
Judseorum,  salvum  te  fac. 

38.  Erat  autem  et  superscriptio 
scripta  super  eum  litteris  grsecis, 
et  latinis,  et  hebraicis  :  Hic  est 
Rex  JuDiEORUM. 


disarit :  II  a  sauve  les  autres ;  qu'il 
se  sauve  lui-meme  s'il  estle  Christ, 
Telu  de  Dieu. 

36.  Et  les  soldats  aussi  se  jouaient 
de  lui  et  s'approchant  lui  presen- 
laient  du  vinaigre, 

37.  Disant  :  Si  tu  es  le  roi  des 
Juifs,  sauve-toi. 

38.  Or  il  y  avail  aussi  au-dessus 
de  lui  une  inscription  ecrite  en 
letlres  grecques,  latines  et  hebrai- 
ques  :  Ceiui-ci  est  le  roi  des  Juifs. 


iSef.wxTinp'^ov  esl  d'une  grande  energie.  Cfr. 
XVI,  4  4,  el  Ps.  XXI,  8,  dans  la  traduction 
des  LXX.  Les  mots  cum  eis,  omis  par  les 
meiUeurs   manuscrils  (B,  C,   D,   L,   Q,  X, 

Sinait.)  el  par  pliisieurs  versions  (copt.,syr.), 
pourraient  bien  n'elre  qu'un  glosseme.  La 
masse  du  peiiple  semble  donc,d'apres  S.Luc, 
etre  demeureesilencieuse  au  pied  de  la  croix. 
En  dehors  des  Sanhedrisles,  ceux  des  Juifs 
qui  insullaienl  Nolre-Seigneur  etaient  sur- 
loul  des  passanis,  selon  les  deux  premiers 
synopUques.  —  Alios  salvos  fecit...  II  exisle 
de  legeres  variantes  enlre  les  Irois  narra- 
tions, fait  bien  nalnrel,  car  les  insuiteurs  ne 
lenaienl  pas  lous  absolumenl  le  m^me  langage. 

—  Le  pronom  hic  si  dedaigneux,  I'addilion 
del'epithele  electus  (Cfr.  Is.  xLii,  2)  sont  des 
parliciilariles  de  S.  Luc.  Aujouid'hui  encore 
les  Juifs  GUI  rag  nl  grossieiemcnl  Nolre-Sei- 
gneur, qu'ils  designent  par  le  surnom  de  I'hT) 
[ihalotii)  ou  pendu,  non  sans  ajouter  la  piu- 
parl  du  lemps  quelque  imprecalion  vulgaire. 
Quant  aiix  chreliens,  il  les  appellent  les 
ilSn  ^"72^  {habede  thaloui) ,  serviteurs  du 
pendu. 

36  el  37.  —  Ge  delail  n'a  ele  conserve  que 
par  S.  Luc.  A  I'exemple  des  Juifs,  les  soldats 
lomains  qui  monlaient  la  garde  aulour  des 
li  ois  croix  s  •  nietlenl  a  insuller  Jesus.  — 
Illudebant  (ev£'7taii;ov)  est  une  expression  plus 
douce  que  «  deridebanl  a  du  t.  S-o.  —  Acce- 
dentes tail  tableau.  —  Et  acetum  ojferentes. 
«  Ceci  esl  fori  difTeronl  de  la  potion  du  vin 
avec  dft  la  myrrhe  qu'on  offrit  a  Jesus  avant 
qu'il  fiil  mis  a  la  croix  (Matlli.  xxvii,  34; 
Marc.  XV.  23),  el  du  vinaigre  qu'on  lui  pre- 
senla  apres  qu'il  eul  crie  :  J'ai  soif  (Joan. 
XIX,  28  ot  s..  Malih.  xxvii,  48  ;  Marc,  xv,  36).  » 
D.  Calmet,  h.  I.  Par  «  aceUim  »  il  faut  en- 
tendre la  «  posca  »,  melangf!  acidule  qui  eiait 
alors  la  boisson  ordinaire  des  soidats  romains. 
Voyez  Keim,  Gosch.  Jesu,  t.  Ill,  Ih.  2,  p. 430. 

—  Si  tues  rex  Judasorum.  L'insulle  des  rudes 
pretoriens  n'esl  que  I'echo  de  celle  des  pr6- 
tres;  elle  presenle  toutefois  une  nuance  ca- 


racleristique  :  «  Roi  des  Juifs  »  au  lieu  de 
V  Ghristus  ».  —  A  loutes  ces  injures  I'au- 
guste  et  palienle  victime  n'oppose  toujours 
que  son  royal  silence. «  Elle  aurait  pu  parlerl 
Les  tenures  du  crucifiemenl  ne  troublaient 
pas  I'inlelligpnce,  ne  paralysaient  point  les 
organes  du  langage.  L'hisloire  signale  des 
crucifies  qui,  duranl  des  heures  enlieres,  dou- 
naient  un  libre  cours  a  leur  douleur,  k  leur 
rage  ou  k  leur  desespoir...,  tantol  en  maudis- 
sanl  leurs  ennemis  sur  lesquels  ils  crachaient 
(Senec.  de  Vit.  beat,  xix),  tanlfit  en  protes- 
tant  jusqu'au  bout  conlre  I'lniquite  de  leur 
sentence,  tantol  en  imploranl  avec  one  humi- 
lile  abject^  la  piiie  des  speclateurs  (Jos.  Bell. 
Jud.  IV,  6,  1),  lanlot  en  haranguant  la  mul- 
titude du  haul  de  la  croix,  comme  dun  tri- 
bunal, et  lui  reprochant  ses  vices  el  ses  fai- 
blesses  (Justin,  xxii,  7).  »  Farrar,  Life  of 
Christ,  t.  II,  p.  409.  Cfr.  Keim,  1.  c.  p.  434. 
Mais  Jesus  ne  parla  que  pour  encourager, 
pour  benir,  ou  pour  se  consoler  en  confiant 
ses  aiigoisses  el  son  Sme  a  son  Pere.  Sa  no- 
blesse ne  se  demenlil  pas  un  inslant. 

38.  —  Erat  autem  et  superscriptio...  Le 
litre  de  &  Rex  Judccorum  »,  donne  d'une  ma- 
niere  derisoire  a  Nolre-Seigneur  par  les  sol- 
dais,  rappelle  a  S.  Luc  un  fait  qu'il  n'avait 
pas  encore  menlionne,  et  cfu'il  se  hale  d'in- 
serer  ici.  Sur  celle  labk'tle,  voyez  I'Evang. 
selon  S.  Mallh.,  p.  549.  —  Super  eum,  c'esl- 
a-dire,  comme  s'exprimeS.  Mallhieu,  «  super 
caput  ejus.  »  —  Scripta,  qui  manque  dans 
la  plupart  des  manuscrils  (nolammenl  dans 
A,  B,  E,  H,  K.  L,  M,  Q  Sinait.,  clc),  est 
vraisemblablemeiit  un  glosseme.  Quant  aux 
mols  litteris  greeds  et  latinis  et  hebraicis,  leur 
aullienlicile  esl  asscz  bien  garanlie  malgre 
li'iir  omission  dans  B,  L,  Siiiail.  et  quelques 
versions.  Ils  conliennent  un  precieux  rensei- 
gnement,  donl  nous  sommes  redevables  ^ 
S.  Luc  el  a  S.  Jean  (xix,  29).  Les  Irois  lan- 
gues  dans  lesquelles  fuL  ecrite  I'inscription 
du  «  lilulus  »  etaient  cellcs  des  Irois  nations 
los  plus  civilisees  d'alors  :  le  latin,  languede 


394 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


39.  Unus  autem  de  his,  qui  pen- 
debant,  latronibus,  blasphemabat 
eum,  dicens  :  Si  tu  es  Ghristus, 
salvum  fac  temetipsum  et  nos. 

40.  Respondens  aut.em  alter  in- 
crepabat  eum,  dicens  :  Neque  tu 
times  Deum,  quod  in  eadem  dam- 
natione  es. 

41.  Et  nos   quidem  juste,    nam 


39.  Et  un  des  voleurs  qui  etaient 
pendus  a  la  croix  le  blasphemait, 
disant :  Si  tu  es  le  Christ,  sauve-toi 
toi-meme  et  nous  aussi. 

40.  Mais  Tautre,  repondant,  le  re- 
prenait,  disant :  Est-ce  que  toi  aussi 
tu  ne  Grains  point  Dieu,  quand  tu 
subis  la  mSme  condamnation  ? 

41.  Pour  nous,  certes,  c'est  avec 


la  force,  le  grec,  langue  do  I'eloquence  et  de 
la  sagesse,  I'hebreu,  langue  de  la  vraie  reli- 
gion, rendirent  ainsi  temoignage  a  la  royaul^ 
de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ.  «  Hoc  sym- 
bolum  full  quod  poleniissimi  gentium  qua- 
les  Romani,  et  sapienlissimi  quales  Graeci, 
et  religiosissimi  quales  Hebreei,  regno  Chrisli 
subjiciendi  eranl,  »  Theophylacle,  h.  1, 
(Comp.  ce  passage  du  Talmud  :  «  Tres  sunt 
linguae,  Roraana  ad  praelium,Grseca  ad  ora- 
tionem,  Assyria,  c'est-a-dire  Hebraea,  ad 
preces,  »  Midr.  Tiliin,xxxi,  20).  L'inscription 
avail  el^  ecrite  en  latin  parce  que  c'etait  la 
langue  officieile  du  juge  qui  avait  prononce 
la  sentence ;  puis  on  I'avait  traduite  en  grec 
et  en  hebreu  (plus  exaclemenl,  en  syro- 
chald^en)  parce  que  c'etaient  les  idiomes 
usiles  en  Palestine.  —  Hie  est  rex  [t  PaaiXsoc 
avec  rarlicle)  Judceorum.  Les  paroles  dutiire 
varient  legerement  dans  chaque  evangeliste, 
quoique  I'essentiel  soit  parloul  identiquement 
conserve. 

S.  Matthieu.  S.  Marc. 

6  PaaiXeu^Twv 'louoaiuv.  'O  paacXcu;  iwv     *lou- 
6ai(ov. 


S.  Luc. 


S.  Jean. 


OOTOieffTtv  'IyiffoO?6  Na^wpato; 

dPaatXew;  xwv  louSaJwv.  6  Pa(jt>>eu4Twv  'louSaCwv. 

II  est  assez  probable,  comme  on  I'a  souvent 
conjecture,  que  dies  nuances  reproduisent  les 
formes  diverses  qu'avait  l'inscription  dans 
chacune  des  trois  langues.  S.  Marc  aurait 
conserve  le  tilre  latin,  car  la  brievete  de  sa 
redaction  rappelle  tout  a  fait  le  genre  des 
^criteaux  remains;  S.  Jean  ie  titre  hebreu, 
parce  qu'il  mentionne,  conformement  aux 
usages  juifs,  le  pays  du  crucifie  a  cole  de  son 
nom;  S.  Luc  enfin  (ou  S.  Malthieu)  le  titre 
grec.  Voir  Langcn,  die  lelzten  Lebenstage 
Jesu,  p.  324  (Selon  d'autres,  c'est  S.  Luc  qui 
donnerait  Tinscription  laline.  Cfr.  Weslcott, 
Introd.  to  the  study  of  the  Gospels,  p.  307). 
Nous  renvoyons  le  lecteur  aux  interessanles 
monographies  de  Reyherus,  De  crucifixi  Jesu 
titulis,1694,  eidi!  M.  Drach,  L'inscription  h^ 
bralque  du  litre  de  la  sainte  Croix,  Rome  4831 . 


Gomparez  aussi  Rohault  de  Fleury,  Memoire 
sur  les  inslrumenls  de  la  Passion,  p.  183 
et  ss.  —  Pilate  I'affirmait  done  d'une  maniere 
toute  providentielle  :  «  Regnavit  a  ligno 
Deus.  »  Cfr.  Ps.  xlvi,  10,  d'apres  la  version 
des  LXX;  Teriuil.  adv.  Marc,  iii,  19,  etc. 

39.  —  Unus  autem...  blasphemabat.  L'im- 
parfait  denote  des  blasphemes  reileres. 
S.  Matlhieu  et  S.  Marc  racontent  d'une  ma- 
niere soramaire  que  Jesus  fut  aussi  outrage 
par  les  malfaiteurs  crucifies  a  ses  cotes  : 
S.  Luc  expose  tout  au  long  celte  scene  emou- 
vanle,  qui  est  une  des  perles  de  son  Evan- 
gile.  Sur  I'anliiogie  apparente  des  recits, 
voyez  I'Evang.  selon  S,  Matlh.  p.  551.  —  Si 
tu  es  Ghristus.  Queiques  manuscrits  anciens 
(B,  C,  L,  Sinait.)  donnent  un  sens  interro- 
gatif  k  la  phrase  :  oOxt  oCiel...;  n'es-lu  pas  le 
Christ?  C'est  pour  la  troisieme  fois  la  meme 
insulte  (Cfr.  tt.  35  et  37);mais  elle  relrouve 
ici  son  cachet  juif,  car  les  deux  larrons  etaient 
Israelites.  Notez  aussi  I'addition  significative 
et  nos. 

40.  —  Alter  increpabal  (enexiixa)  eum,  Jdsus 
continue  de  se  taire;  mais  voici  qu'il  trouve 
tout  k  coup  un  chaud  defenseur.  Ses  meil- 
leurs  amis  I'ont  abandonne  :  si  quelques-uns 
d'entre  eux  commencent  k  s'approcher  limide- 
ment  du  Goigolha,  ils  n'osent  elever  la  voix 
en  sa  favour;  le  bon  larron  proteste  conlro  la 
raillerie  prononcee  en  dernier  lieu,  et  fait  une 
belle  apologie  du  «  Chrislus  paliens  ».  Son 
allocution  se  compose  de  deux  parties,  dont 
la  premiere  s'adresse  a  son  compagnon,  la 
seconde  {t.  42)  a  Notre-Seigneur.  —  Neque 
tu...  Avec  eraphase.  N'es-tu  pas  dans  une 
situation  parliculiere  qui  devrait  te  rendre 
plus  reserve  que  les  autres?  —  In  eadem 
damnalione  es,  scilic.  «  ac  Jesus  ».  Comrae 
lui  tu  vas  bientoi  mourir;  il  faul  done  penser 
aux  jugemenls  divins. 

41.—  Apres  celte  parole  de  rdprimande, 
nous  en  trouvons  une  aulre  qui  est  tout  en- 
semble une  humble  conlcs^ion,  el  un  magni- 
fique  eloge  de  Jt^sus.  —  Nos  quidem  juste 
(soil.  «  patimur  »  :  ellipse  expressive).  Les 
rationalisles  eux-m6uies  admirent  ce  beau 
trait.  II  est  si  rare  de  voir  un  condamne 
accepter  generousement  sa  sentence  en  esprH 


CHAPITKE  XXIII 


39S 


digna  factis   recipimus;  hie  vero 
nihil  mali  gessit. 

42.  Et  dicebat  ad  Jesum :  Domine, 
memento  mei,  cum  veneris  in  re- 
gnum  tuum. 

43.  Et  dixit  illi  Jesus  :  Amen  dico 
tibi,  hodie  mecum  eris  in  paradiso. 


justice,  car  nous  recevons  ce  que 
meritent  nos  actions ;  mais  celui-ci 
ji'a  rien  fait  de  mal. 

42.  Et  il  disait  a  Jesus  :  Seigneur, 
souviens-toi  de  moi,  quand  tu  vieu- 
dras  en  ton  royaume. 

43.  Et  Jesus  lui  dit  :  En  verite  je 
te  le  dis,  aujourd'hui  tu  seras  avec 
moi  dans  le  paradis. 


d'expialioni  Voyez  Schegg,  Evang.  nach  Luk. 
p.  333.  —  Hie  vero  (celui-ci  au  conlraire!) 
nihil  mali  gessit.  Dans  le  grec,  oOSIv  atoitov, 
litt^ralement,  rien  de  deplace,  «  nihil  quod 
virura  bonum  non  decel  »,  selon  la  juste  pa- 
raphrase de  Maldonat.  Cfr.  II  Thess.  in,  2. 
C'est  une  maniere  Ir^s  delicate  et  tres  ener- 
gique  d'affirmer  que  Jesus  etait  tout  h  fait 
innocent.  S'il  n'avait  rien  fait  qui  ful  simple- 
ment  inconvenant,  h  plus  forte  raison  rien 
qui  meritSl  la  mort.  Ce  verdict  d'acquilte- 
ment,  rapprochd  de  ceux  de  Pilate  et  d'He- 
rode,  est  signiQcalif.  Sur  quoi  le  bon  larron 
appuyait-il  ce  remarquable  lemoignage?Peut- 
6tre  sur  laconnaissance  ant^rieure  qu'il  avait 
de  Notre-Seigneur  Jesus-Christ  (sans  qu'il  soit 
pourtant  necessaire  d'admeltre,  comme  Tont 
fait  arbitraireraent  Grolius,  Michaelis,  etc., 

au'il  dtait  UD  disciple  momentanement  devoye 
u  Sauveur);  mais  la  conduile  de  Jesus  de- 
puis  le  debut  de  la  «  via  crucis  »  avail  pu 
sufiBre  pour  demontrer  sa  complete  innocence 
k  I'oeil  exerce  d'un  criminel. 

42.  —  Le  bon  larron  se  tourne  maintenant 
du  cote  de  Notre-Seigneur,  et  lui  adresse  une 
humble  et  sublime  pri6re  :  Domine  (xupie  est 
remplac6  par  iTjaou  dans  les  manuscrils 
B,  C,  L,  Sinait.,  les  versions  copte,  sah.,  etc.), 
memento  mei.  Ne  m'oubliez  pas:  voila  tout  ce 
qu'il  demande,  certain  du  reste  que  si  Jesus 
daigne  se  souvenir  de  lui,  ce  sera  avec  un 
sentiment  de  bonie,  comme  aussi,  d'apres 
Jes  paroles  suivantes  {cum  veneris  in  regnum 
tuum),  avec  une  parfaite  efficaciie.  Le  sup- 
pliant ne  pouvait  proclamer  en  termes  plus 
lorraels  sacroyance  au  caraclere  messianique 
de  J^sus  :  le  royaume  auquel  il  fail  allusion 
n'esl  autre  en  effet  que  celui  du  Christ,  men- 
tionn^  si  frequemment  dans  les  SS.  Evangiles 
et  dans  les  Talmuds.  Acte  de  foi  vraiment 
admirable,  vu  les  circonslances  ou  se  trou- 
Yait  alors  Notre-Seigneur.  «  Non  contempsit 
latro  secum  in  crucependentem.  »  S.  August. 
Serm.  xxiii,  2.  Mais  ce  grand  coupable  avait 
recu  de  Jesus  en  peu  de  temps  les  enseigne- 
ments  les  plus  prdcieux.  «  Crux  illi  scliola 
erat.  Ibi  docuit  Magister  latronem;  lignum 

Eendentis  cathedra  factum  est   docenlis.   » 
i.,   Serm.  ccxxxiv,  2.  Dans  le  texte  grec, 


nous  lisons  avec  une  nuance  :  Sxav  2X6ifl{  Iv  x^ 
Pa<iiXeC(f  oou  (le  datif  au  lieu  de  I'accusatif,  o  in 
regno  luo  »  :  le  Cod.  L  a  seul  el;  t:^v  patri- 
kiav),  c'est-Ji-dire  o  quum  veneris  ul  rex  »; 
quand,  apres  votre  resurrection,  vous  ferez 
votre  avenemont  glorieux.  Comparez  les  pa- 
roles analogues  du  Sauveur,  Malth.xxv,  31  : 
«  Quum  venerit  Filius  hominis  in  majeslate 
sua.  )).  «  Rpgnum  »  ne  designe  done  pas  di- 
rectement  et  immediatement  le  ciel. 

43.  —  Jesus  s'est  tu  en  face  des  blas- 
phemes vomis  de  tous  cotes  conlre  sa  per- 
sonne  divine;  mais  il  fait  la  plus  douce  r6- 
ponse  a  la  pridre  du  larron  penitent.  Nous  le 
voyons  apparaitre  comme  roi  celeste,  pro- 
meitant  uno  place  du  paradis,  de  meme  qu'il 
s'etait  manifesle  plus  haul  comme  pr^tre, 
quand  il  intercedait  pour  ses  bourreaux 
(f.  34),  et  anterieurement  encore  comme  pro- 
phete,  lorsqu'il  exhortait  les  femmes  de  Jeru- 
salem [Ht.  28-31).  —  Les  mots  amen  dico  tibi 
accentuent  a  la  fagon  ordinaire  la  certitude 
de  la  promesse.  L'adverbe  hodie  ne  depend 
pas  de  «  dico  »,  mais  commence  une  propo- 
sition nouvelle.  Quoique  «  lea  exegetes  ca- 
tholiques  remains  »  aient  k  peu  pres  unani- 
mement  protesle,  depuis  I'epoque  de  Theo- 
phylacle  jusqu'a  nous,  conlre  celte  liaison 
qui  rendrait  la  pensee  «  insipida  el  enervis  » 
(Haldonal),  M.  van  Oosterzee  leur  reproche 
injustement  de  la  soutenir.  Sa  partialite  de- 
vient  revoltante  quand  il  ajoute  qu'ils  agis- 
sent  ainsi  «  pour  alfaiblir  autant  que  pos- 
sible la  preuve  constammenttiree  dece  texte 
centre  le  dogme  du  purgatoire  »  (Evangel. 
Lucae,  3e  ed.  p.  387).  —  A  la  date  plus  ou 
moins  lointaine  que  le  bon  larron  avait  fixde 
(«  quum  veneris...  »),  Jesus  oppose  cet«  hodie  » 
qu'il  met  en  avant  d'une  maniere  empha- 
tique.  Non,  pas  seulement  au  jour  de  mon 
avenenicnt,  mais  aujourd'hui  meme,  avant 
peu  d'heiires.  II  y  a  une  nouvelle  emphase 
dans  \epvonom  meciim,  riuquol  les  theologiens 
concluent  d'ailleurs  a  bon  droit  que  I'ame  de 
Nolre-Scigneur  descendil  aux  limbes  («  des- 
cendil  ad  inferos  »  du  symbole)  aussilot  apres 
sa  mort.  Cfr.  I  Petr.  in,  18  et  s.  —  Eris  in 
paradiso.  Pour  avoir  une  juste  idee  de  la  pro- 
messe faite  par  Notre-Seigneur  au  bon  lar- 


^6 


EVANGILE  SELOxN  S.  LDC 


44.  Or  il  elait  environ  la  sixieme 
heure  et  les  lenebres  couvrirent  la 
terre  jusqu'a  la  neuvieme  heure. 

4o.  Et  le  soleil  s'obscurcit,  et  le 
voile  du  temple  se  dechira  par  le 
milieu. 


44.  Erat  autem  fere  hora  sexla, 
el  tenebrae  factse  sunt  in  universam 
terram  usque  in  horam  nonara. 

45.  Et  obscuratus  est  sol;  et  ve- 
lum templi  scisum  est  medium. 


ron,  nous  avons  a  rechercher  quel  etait  alors 
le  sens  du  mol  Paradis.  Ce  subsiantif,  iniro- 
duil  dans  la  langue  hebralque  sous  la  forme 
de  Pardes  (DinB,  Cant,  iv,  13;  Eccl.  ii,  3; 
Neh.  II,  8),  el,  environ  400  ans  avanl  Jesus- 
Christ,  dans  la  langue  grecque  sous  celle  de 
napaSstao;,  d'ou  decoulent  les  equivalents 
lalin,  frangais  et  autres,  n'est  certainement 
pas  d'origine  semilique.  Les  anciens  et  les 
modernes  sont  a  peu  pres  unanimes  pour  le 
lattacher  directement  a  la  langue  persane. 
Voyez  Xenophon,  Anabas.  i,  2,  7;  4,  9,  etc.; 
E.  Renan,  Langues  semitiques,  p.  153.  II  si- 
gnifie  jardin,  pare,  comme  les  mots  conge- 
neres  pardes  rn  arraenien  et  parade^a  en 
Sanscrit.  Cfr.  Gesenius,  Thesaurus,  p.  1124. 
Aussi  les  LXX  I'ont-ils  employe  Gen.  n.  8,13; 
III,  23,  pour  traduire  la  premiere  partie  de  la 
locution  ny  U  {gdn  Eden,  jardin  d'Eden) 
dont  ils  ont  fait  :  6  TtapdSetao;  tt);  xpuyrj;, 
Vulg.  «  paradisus  voluplalis.  »  Partant  de  la, 
les  Juifs  en  vinrent  peu  a  peu.  par  un  rap- 
prochement tres  naturel,  a  donner  le  meme 
nom  de  paradis  an  lieu  ou  les  ames  des 
justes  resident  en  attendant  la  resurrection. 
En  ce  sens,  dans  la  iheologie  judalque,  le 
paradis  ne  differe  pas  du  o  sein  d' Abraham  » 
que  nous  avons  decrit  plus  haut  (xvi,  22),  et 
il  est  pareillement  oppose  k  la  Gehenne.  Telle 
est  ici,  de  I'avis  de  la.,  plupart  de.s  Peres  et 
des  meilleurs  interpretes  (Maldonat,  Cornel,  a 
Lapide,  etc.)i  Tapplicalion  qu'en  fait  Xotre- 
Seigneur  :  c'est  done  I'enlree  prochiiiiio  dans 
le  «  limbus  patrum  »  qui  est  promis  ■  au  bon 
larron.  Ce  nom  evoqua  devant  lui,  pour  le 
consoler  parmi  ses  horribles  souffrances,  les 
douces  images  de  la  pais  et  du  repos  en  Dieu. 
Dans  la  litlerature  chretienne  des  premiers 
temps,  II  Cor.  xii,  4;  Apoc.  ii,  7,  le  mot 
•TtapiSetco;  apparail  pour  designer  le  ciel  pro- 
prement  dit,  et  c'e>t  dans  celte  acception 
relevee  que  nos  idiomos  europeens  se  le  sont 
incorpores.  Voyez  Smith,  Diction,  of  the  Bible, 
8.  V.  Paradise.  —  La  strophe  siiivante,  gra- 
vee  sur  la  tombe  de  Copernic,  contient  une 
belle  allusion  au  passage  que  nous  venons 
d'expliquer  : 

Non  parera  Paulo  veniara  reqniro 
Gratiani  Petri  neque  posco,  sed  qaam 
la  crijcis  ligno  dederis  latroni 
Sedulus  oro. 

L'enseignement  qui  ressort  de  cette  scene  est 


infinimenl  precieux  :  il  n'y  a  pas  de  repenlir 
trop  lardif.  Mais,  ajoutent  les  maitres  de  la 
vie  spirituello,  qu'on  y  prenne  garde;  la  Bi- 
ble ne  ncus  presente  que  ce  senl  exeraple 
d'un  homme  qui  se  soit  converti  sur  le 
point  de  mourir.  —  Le  bon  larron  est  honore 
comme  un  Saint  dans  I'Eglise  latine.  Nous 
lisons  au  Marlyrologe  remain,  25  mars  : 
0  Hierosoiymis  S.  Lalronis  qui  in  cruce  Chris- 
tum confessus  meruit  ab  eo  audire.  Hodie 
mecum  eris  in  paradiso  ».  Les  Evangilesapo- 
cryphes  n'imilent  point  cette  sage  sobriete. 
Remontant  Irenle  annees  en  arriere,  ils  nous 
racontent  qu'au  moment  oil  la  sainle  Famille 
fuyait  en  Egypte,  elle  fut  assaillie  par  deux 
voleurs  nommes  Dismas  et  Geslas  (ou  bien 
Tilus  et  Dumachus)  :  celui-ci  voulait  la  Iraiter 
biuialement,  celui-la  au  contraire  la  protegea. 
L'Enfant-Die  i  leur  aurait  alors  predit  le 
ciraine  d  i  Calvaire  lel  qu'il  vieni  de  se  rea- 
liser  sous  no.-;  yeux.  Cfr.  Hofmann,  Leben 
Jesu  nachd  n  Apokrvphen;  Brunet,  lesEvang. 
apocrvphes,  2e  edit',  pp.  77,  78,  102,  243; 
T:ScliPndorf,  Evang.  apocrypha,  p.  339  et  341 . 
L'tvangile  de  Nicodeme,  ch.  xxvii,  ri'late  en 
terines  expres  rentier  du  bon  larron  dans  les 
limbes.  Voyez  aussi  les  Acta  Sanctorum,  au 
25  mars. 

3«  Les  derniers  moments  de  Jdsus.  xxiu,  44-46. 

44  et  45.  —  Erat  autem  fere  (les  manus- 
crils  Sinait.,  B,  C,  L  ont :  xat  ^v  fj5r,  tbffei,  «  et 
erat  jam  fere  »)  hora  sexta;  c'est-a-dire  en- 
viron midi.  II  se  produisit  alors  un  phenonr.fene 
etrai  ge  qui  dura  jusqu'au  dernier  soupir  de 
Jesus  (usque  in  horam  nonam),  jusqu'a  Irois 
heures  du  soir;  :  Tenebrce  factce  sunt...  La 
nature  parut  se  couvrir  d'un  voile  de  deuil 
pendant  I'agonie  de  son  auteur.  «  Qiium  pa- 
terelur,  omnis  ei  compassus  est  mundus  », 
CI  ra.  Recognit.  i.  41.  «  Talem  vultum... 
meruerunt  sortiri  elementa,  ut  cujus  ortu  lae- 
tala  sunt,  tristarentur  occasu  »,  Sedulius, 
Paschal,  v,  i  6.  Voyez  I'Evang.  selon  S.  Maith, 
p.  531  et  s.  —  Super  universam  terram, 
S.  Luc,  commo  S.  Marc,  emploie  I'adjectif 
6).r,v,  plus  expressif  queuaaav  de  S.  Mallhieu. 
—  Sol  obscuratus  est  (trait  propre  a  S.  Luc). 
C'elait  pourlant  I'heure  du  jour  ou  la  kimiere 
du  soleil  est  le  plus  eclalante,  et,  a  cette  epo- 
que  de  I'annee,  il  brille  deja  sur  la  Palestine 
avi'C  une  vivacite  comparable  a  celle  qu'il  a 
chez  nous  au  mois  de  juin.  «  Sol  tibi  signa 


CHAPITRE  XXIII 


397 


46.  Et  damans  voce  magna  Jesus 
ail :  Pater,  in  raaniis  tuas  commendo 
spiritum  meum.  Ethsec  dicens,  ex- 
pi  ravit. 

Ps.  30,  6. 

47.  Videns  autem  centurio  quod 
factum  fuerat,  glorificavit  Deum, 
dicens  :  Vere  hie  homo  Justus  erat. 


46.  Et  criant  d'une  voix  forte, 
Jesus  dit  :  Mon  Pere  je  remets  mon 
esprit  entre  tea  mains.  Et  disant 
cela  11  expira. 

47.  Mais  le  centurion  voyant  ce 
qui  etait  arrive  glorifia  Dieu,  di- 
sant :  Vraiment  eel  horame  etait 
juste. 


dabiti  »  pouvons-nous  dire  plus  exacUmcnt 
que  Viigile.  La  varianie  explicative  des  ma- 
nuscrits  Sinail.,  B,  C,  L,  etc.,  des  versions 
copt.  el  sahid.,  too  :?;>,tou  IxXittovto?,  «  sole  de- 
ficiente  »,  elail  deja  connue  d'Origene,  qui  la 
rejelail  a  bon  droil.  —  Velum  templi  scissiun 
est.  Ce  second  miracle  n'eul  lieu  qu'apres  la 
mort  da  Nolro-Seigneur,  ainsi  qu'il  lesulle 
des  narrations  plus  precises  de  S.  Mallhieu  et 
de  S.  Marc.  S.  Luc  I'antidato  de  qu:^'ques 
heures,  aQn  de  grouper  ensemble  les  divers 
prodiges  par  lesquels  Dieu  le  Pere  rendil  le- 
moignage  a  son  Fils  en  ces  moments  solen- 
nels.  Voyez  dans  I'Evang.  selon  S.  Mallh  , 
p.  554,  la  signiijcation  de  ce  fait  symboli(iue. 
C'en  e.-t  lait  di'sorraais  du  culle  juif  :  bieniol 
la  destruction  tolale  du  temple  le  dira  plus 
^loquemment  encore.  «  Velum  templi  scissum 
est  velutlamentans  excidiumloco  imminens  ». 
Clem.  Recog.  i,  41. 

46.—  Clamans  voce  magna.  Passant  sous  si- 
lence divers  incidents  rapportes  par  les  au- 
tres  evangelistes,  S.  Luc  nous  conduit  droit 
au  fatal  denouemi  nt.  Le  grand  cri  de  Jesus, 
qu'il  signale  de  concert  avec  S.  Matthieu 
el  S.  Marc,  fut  distinct  de  la  parole  a  Pa- 
ter, ii;  manus  tuas...  »,  car  la  traduction 
exacte  du  grec  serail  :  «  Quum  clamassei 
(9ajvyiffa;) . . .  ail  ».  —  Pater,  in  munits  tuas... 
Acte  de  61iaie  confiancc  par  lequel  le  Sauveur 
lermina  sa  vie  morlelle.  11  en  emprunta  i'ex- 
pression  au  Ps.  xxx,  t.  6,  a  pari  le  doux 
nom  de  Pere  qu'd  ajoula  au  texle  sacre  — 
Cotnmendo.  Les  maiiuscrits  A,  B,  C,  K,  M, 
P.  Q,  X,  etc.,  ont  egalement  le  present,  Ttapa- 
Tt0e|xai  (Recepta,  irapae^aoiiai  au  fuUir),  et 
telle  parait  elre  la  vraie  legon.  —  Expiravit, 
iUiiytv<js.v.  De  raeme  S.  Maic.  S.  Matthieu  : 
dupvjxexo  Tiveuiia.  S.  Jean  :  TtaoeSwxe  TorrvEufAa. 
11  est  remarquable  qu'aucuii  des  evangelistes 
n'emploie  la  locution  vulgaire  •  II  raourut. 
Tous,  ils  onl  voulu  faire  ressorlir  la  liberie 
enliere  avec  laquelle  ie  divin  agoni.-anl  exliala 
son  am;?.  La  maniere  donl  S.  Luc  rallache 
la  locution  hcec  dicens  a  «  expiravii.  .  »  prouve 
qu'il  n'y  eut  pas  d'inlervalle  notable  entre 
le  «  Paler,   in  manus...   »  el  le  dernier  sou- 

{)ir  de  Jesus.  —  C'est  ici  ie  lieu  de  rappe- 
er  un  etonnante  reflexion  de  Plalon.  Dans 


sa  Republique,  ii,  ii  fail  dire  par  Socrate 
a  Glaucus  que  le  ju-le  parfait,  s'll  apparais- 
sail  jamais  parmi  les  hommes,  serail  a  coup 
sur  charge  de  chaines,  flagelle,  torture, 
el  finalemenl  crucifle  ( avaoxivouXe-jO^csTai). 
Voila  que  Jesus,  le  veritable  iiomme  paifait, 
a  realise  ce  vague  pressentimeni  du  paga- 
nisme,  de  meme  qu'il  a  tolalement  accompli  les 
lumuieux  oracles  des  prophetes  juifs. 

16.  Temoignages  rendus  |a  J^sus  aussitdt 
apres  sa  mort.  xxm,  47-49.  —  Parall.  Matlli. 
Mvu,  51-56;  Marc  xv,  38-41. 

Ces  temoignagfs  sont  au  nombre  de  trois  ; 
celui  du  eenlurion  [t.  47),  cehii  de  la  foulo 
(t.  48)  et  celui  des  disciples  [t.  49).  Los  deux 
premiers  sont  les  plus  expressifs;  Ie  troisieme 
est  timide  et  muel,  quoique  plein  de  sym- 
palhie. 

47.  —  Videns  aulem  centurio  :  c'est-a-dire, 
le  capilaine  remain  qui  avail 'ele  prepose  au 
triple  crucifiement.  S.  Luc  mentionne  dans 
ses  ecrils  plusieurs  bons  centurions.  Com- 
parez,  outre  ce  passage,  vii.  2;  Act.  x,  1; 
XXII,  26;  xxvii,  43.  —  Quod  factum  fuerat. 
S.  Mallhieu  el  S.  Marc  precisenl  davantage. 
«  Viso  terrae  molu...  »,  dit  le  premier;  «  ^ 
dens  quia  sic  clymans  exspiravil  »,  ecrit  le 
second.  —  Glorificavit  Deum  est  un  trait  spe- 
cial. Le  crnlurioii  rendil  gloire  a  Dieu  par  la 
confession  toute  chretienne  que  nous  allons 
entendre.  —  Vere  (ovtw;;  de  meme  xxiv,  34) 
hie  homo  Justus  erat.  Dans  les  deux  autres  re- 
cils,  ii  atiiibue  formellement  a  Jesus  le  litre 
de  Fils  de  Dieu.  On  lait  la  conciliation  tanlot 
en  supposanl  qu'il  prononQa  lour  a  tour  ces 
deux  jugeminls,  tanlot  en  admetlant,  a  la 
suite  de  S.  Auguslin,  de  Consens.  Evangel. 
1.  I,  c.  20,  que  S.  Luc  aurait  Iransfoi  me  la 
phrase  pour  inli  rpreler  a  ses  lecteurs  dans 
quel  sens  un  palen  pouvait  afDrmer  que  Je- 
sus etait  vraimenl  le  Fils  de  Dieu.  D'apres 
I'Evangile  de  Nicodeine,  c.  xi,  le  centurion 
aurail  porle  Ie  nom  de  Longinus.  Une  tradi- 
tion que  S.  Jean  Chrysoslome  citail  deja, 
mais  sans  en  garanlir  la  verite,  le  fait  mourir 
mariyr  du  Christ.  II  serail  devenu  eveque  de 
Gappadoce  d'apres  d'aulres  documents.  Voyez 
les  Ada  Sanctorum  au  15  mars;  Baronius, 


398 


EVANGILE  SELON  S.  LUC 


48.  Et  toute  la  foule  de  ceux  qui 
assislaient  ensemble  a  ce  spectacle 
et  voyaient  ce  qui  arrivait,  s'en  re- 
tournaient  frappant  leur   poitrine. 

49.  Et  tous  ceux  de  la  connais- 
sance  de  Jesus  et  les  femmes  qui 
f  avaient  suivi  de  la  Galilee  etaient 
la  aussi  a  I'ecart  voyaut  cela. 

30.  Et  Yoici  un  homme  nomme 
Joseph,  qui  etait  decurion,  homme 
bon  et  ^'uste ; 

51.  II  n'avait  consenti  ni  aux  des- 
seins  ni  aux  actes  des  autres ;  il 
etait  d'Arimathie,  ville  de  Galilee, 
et  attendait  lui-m6me  le  royaume 
de  Dieu. 

52.  II  alia  trouver  Pilate  et  lui 
demanda  le  corps  de  Jesus. 


48.  Et  omuis  turba  eorum,  qui 
simul  aderant  ad  spectaculum  istud, 
et  videbant  quae  fiebant,  percutien- 
tes  pectora  sua  revertebantur. 

49.  Stabant  autem  omnes  noti 
ejus  a  longe,  et  mulieres  quae  se- 
cutae  eum  erant  a  Galilsea,  hsec  vi- 
deutes. 

50.  Et  ecce  vir  nomine  Joseph, 
qui  erat  decurio,  vir  bonus  et  Jus- 
tus : 

Matth  27,  37 ;  Marc.  13,  43;  Joan,  19,  38. 

51.  Hie  non  consenserat  consilio 
et  actibus  eorum,  ab  Arimathsea  ci- 
vitate  Judseae,  qui  expectabat  et 
ipse  regnum  Dei. 

52.  Hie  accessit  ad  Pilatum,  et 
petiit  corpus  Jesu  : 


Annal.  ad  ann.  34,  p.  127,  187,  Cornel,  a 
Lap.  h.  i. 

48.  —  Les  details  de  ce  verset  sont  piropres 
a  S.  Luc.  —  Omyiis  turba...  Le  grec  dil  avec 
une  emphase  marquee  :  7rdvTe;ot  ffuiiTrapayevo- 
ixevoi  (mol  rare)  6x).oi,  loules  los  foules  qui 
assistaienl  ensemDle.  Cela  suppose  une  af- 
fluence tres  considerable.  —  Videbant.  Dans 
le  texte  original,  suivanl  les  meilleurs  manus- 
crils  (Sinail.,  B,  C,  D,  L,  R,  X),  OEwp^offavxe;, 
«  quum  vidissenl  ».  Qua  fiebanl  (-ra yevopieva) 
a  le  meme  sens  que  «  quod  factum  fuerat  » 

^flh  Yev6|jievov)  du  t.  47.  —  Percutientes  pectora 
sua.  Par  ce  signe  du  deuil  et  de  la  douleur, 
les  Juifs  confessaient,  quoique  tardivemenl, 
leur  regret  d'avoir  pris  part  a  la  raort  de 
Noire-Seigneur  Jesus-Christ.  Comp.  Act.  li,  36 
ct  37;  Is.  LUI. 

49.  — Stabant  autem  omnes  noti  ejus.  Notre 
evangeliste  a  seul  conserve  ce  trait;  mais  les 
deux  autres  synoptiques  mentionnent  corame 
lui  la  presence  des  saintes  amies  du  Sauveur, 
prenant  meme  le  soin  de  nommer  les  prin- 
cipales  :  Marie  Madeleine,  Marie,  mere  de 
S.  Jacques  le  Mineur,  Salome.  Voyez  d'ail- 
leurs  VIM,  2  et  3.  —  Hcec  videntes.  Detail  pit- 
toresque,  egalement  special  a  S.  Luc.  Quels 
sentiments  animaient  alors  ces  disciples  rn- 
times?  Leur  foi  etait  chancelante,  leurs  es- 
perances  obscurcies ;  du  moins  leur  amour 
brAlait  encore. 

17.  Sepulture  de  J6sas  et  prdparatifs  de 
son  embaumement.  xxm,  £0-56.  —  Parall. 
MaVlh.  MTU,  57-61;  Marc,  it,  42-47;  Joan,  xix,  3842. 

SO  et  51 .  —  Et  ecce  vir  nomine  Joseph.  Les 


quatre  evangelistes  sont  d'accord  pour  faire 
jouer  k  Joseph  d'Arimathie  le  role  preponde- 
rant dans  la  sepulture  du  Sauveur.  Sur  le 
litre  d'^  decurio  (Poy).£UTri«),  c'est-a-dire,  selon 
toute  probabilite,  de  Sanh^driste,  voyez  I'B- 
vang.  slIoii  S.  Marc.  p.  220.  S.  Luc  seul  re- 
leve  le  caractere  moral  de  Joseph  par  les 
mots  vir  bonus  et  Justus.  Seul  aussi  il  prend 
soin  de  dire,  en  termes  emphatiques,  que  le 
noble  senateur  n'avait  pas  pris  la  moindre 
part  a  la  mort  de  Notre-Seigneur  :  hie  non 
consenserat  (oux  ^v  ffUYxaxaTeesitievo;)  co»Si7tO  et 
actibus  (dans  le  grec,  t^  Trpd^ei  au  singulier) 
eorum  (des  autorites  juives).  Par  a  conseil  » 
il  faut  entendre  la  sentence  capitale;  les  «  ac- 
tes »  etaient  les  dififerentes  mesures  prises 
en  vue  d'executcr  cette  sentence.  Le  verbe 
grec  (TUYy.aTaTi9Yi|Ai  est  tout  k  fait  classique. 
aOmisso  vocabiilo  'J'^qjo;  proprie  usurpatur  de 
iisqui  una  cum  aliis  calculura  adjiciunt,  veluti 
dejudicibus,  qui  calculo  in  urnam  demisso, 
sententiam  approbant  vel  reprobant ;  ele- 
ganter  deinde  ita  quoque  adhibetur,  ut  sit : 
consenlire,  annuere,  alicujus  seutentiae  sub- 
scribere  ».  Kuinoel,  Comment,  h.  1.  —  Sur 
Arimathie  voyez  I'Evang.  selon  S.  Matth., 
p.  557  et  s.  —  Qui  exspectabat  et  ipse...  (Cfr. 
II,  25  et  le  commentaire).  De  m^me  S.  Marc. 
S.  Matthieu  dit  formellement  que  Joseph  etait 
un  disciple  de  Jesus. 

52.  —  Hie  accessit  ad  Pilalum  et  petiit...  La 
hardiesse  de  I'acte  (Cfr.  Marc,  xv,  43)  a  pour 
ainsi  dire  pass^  dans  le  style  serre,  rapide, 
des  quatre  narrateurs.  L'histoire  signale  plu- 
sieurs  suppliants  de  ce  genre  qui  payerent  de 
leur  vie  leur  d-marche  g^nereuse.  Cfr.  Eu- 


CHAPITRE  XXIII 


$^9 


53.  Et  depositum  involvit  sin- 
done,  et  posiiit  eiim  in  monumento 
excise,  in  quo  nondiim  quisquam 
positus  fuerat. 

54.  Et  dies  erat  parasceves,  et 
sabbatum  illucescebat. 

55.  Siibsecutse  autem  mulieres, 
quae  cum  eo  venerant  de  Galilsea, 
\'iderunt  monumentum,  et  queraad- 
modum  positum  erat  corpus  ejus. 

56.  Et  revertentes  paraverunt  aro- 
mata,  et  unguenta  :  et  sabbato 
quidem  siluerunt  secundum  man- 
datum. 


53.  Et  Tayan-t  detacjie  de  la  croix 
il  Fenveloppa  d'un  linceul  et  le  de- 
posa  dans  un  sepulcre  laille  ou  per- 
sonne  n'avait  ete  mis. 

54.  Et  c'etait  le  jour  de  la  pre- 
paration et  le  sabbat  allait  com- 
mencer. 

55.  Les  femmes  qui  etaient  ve- 
nues de  la  Galilee  avec  Jesus  sui- 
virent  Joseph  et  virent  le  sepulcre 
et  de  quelle  maniere  son  corps  avait 
ete  place. 

56.  Et  s'eh  retournant,  elles  pre- 
parerent  des  aromates  et  des  par- 
fums,  et  pendant  le  sabbat  elles  se 
tinrent  en  repos,  selon  le  comman- 
dement. 


seb.  Mart.  p.  1  i .  D'apres  les  Actes  apocryphes 
de  Pilate  (B,  c.  xi),  les  Juifs  auraient  einpri- 
sonne  do  ce  chef  Joseph  d'Arimathie. 

53.  —  Depositum.  S.  Luc,  comme  S.  Marc, 
emploie  le  lerme  technique  xaOeXwv  (liiteral. 
«  quum  deposuissel  » ).  On  appelaii  aussi 
celte  Irisle  operation  «  delrahere  »  (Terlull. 
Apol.  XXl),  a(priXoi)ff8at  (S.  Just.  c.  Typh.  108), 
«  refigere  decrucibus  »  (Senec.  Vit.  beat.  xix). 
—  Involvit  sindone.  II  s'agit  ici  du  linceul 
principal  :  i'evangeliste  parlera  plus  bas, 
XXIV,  12,  d'aulres  linges  secondaires.  Gfr. 
Joan.  XX,  6  et  7.  —  Posuit  eum  in  monumento 
exciso.  Aa^eyxo)  du  texle  grec  n'apparait  qu'en 
cet  endroit  du  Nouveau  Testament;  la  signi- 
fication lilteraie  est  :  tailie  dans  le  roc  (de 
Xadi;  et  Sew).  —  In  quo  nondum  quisquam... 
Cetie  circonstance,  que  S.  Luc  el  S.  Jean  ont 
seuls  notee,  est  exprimee  plus  fortemenl  encore 
dans  le  grec  :  o5  oOx  ^v  oOSeirw  oOoeU  (trois  ne- 
gations 1)  xet'tuvo;.  Elle  a  pour  but  providen- 
ticl  de  montrer  que  c'e-t  bien  Jesus  et  pas  un 
autre  qui  sortit  ressuscite  de  ce  tombeau. 

54.—  Dies  erat  parasceves.  S.  Marc,  xv,  42, 
explique  celte  expression  grerqu!^  par  un  sub- 
stantif  k  demi  hebreu,  itpoffdiegaTov,  qui  desi- 
gnait  le  vendredi.  On  «  preparait  »  ce  jour-la 
chez  les  Juifs  tout  ce  qui  elait  necessaire  pour 
le  sabbat,  dont  le  repos  etait  inviolable  :  de  i^ 
ce  nom  de  Parasc^ve  (7tapa«7xeviiQ)  ou  prepara- 
tion. —  Sabbatum  illucescebat  (^it£'<pa)(7xej.  Et 
pourtant  c'etait  le  soirl  Aussi,  d'apres  divers 
auteurs,  leverbo  « illucescore  »  devrait-il  s'en- 
tendre  ici  ou  de  la  lueurdes  ^toiles,  ou  mdme 
(Kuinoel)  de  celle  des  larapes  k  sept  branches 
qu'on  allume  le  vendredi  soir  dans  toules  les 
maisons  Israelites  pour  Idler  I'arriv^e  du  sab- 
bat. Mais  il  est  beaucoup  plus  juste  de  voir 
daus  cette  locution  une  simple  m^taphore, 


par  laquelle  on  applique  au  debut  d'un  jour 
arlificiel  (par  exemple,  du  sabbat,  qui  com- 
menQail  le  soir)  ce  qui  ne  convient  directe- 
ment  qu'^  celni  du  jour  naturel.  Lightfoot  a 
d'ailleurs  prouve  que  les  Juifs  employaient 
precisement  des  expressions  analogues  pour 
designer  Touverlure  de  leurjour  sacre.  Gfr. 
Hor.  hebr.  h.  1. 

55.  —  Subsecutce  autem  mulieres :  «  ayant 
suivi  depr6s  »  Joseph  et  le  convoi  funebre.  Le 
participe  xaTaxoXouOioCTaoai  estenergique  et  pit- 
toresque.  —  Mulieres,  quce  cum  eo  (Jesu)  vene- 
rant... Voy(  z  le  t.  49.  S.  Matlhieu  et  S.  Marc 
mentionnent  nommemenl  Mane  Madeleine  et 
I'autre  Marie,  mere  de  S.  Jacques  le  Mineur. 
—  Viderunt  monumentum  ct  quemadmodum... 
Details  graphiques,  propres  a  S.  Luc  sous 
celle  foime.  Comp.  S.  Marc  :  «  Adspiciebank 
ubi  poncretur  ». 

56.  —  Et  revertentes  paraverunt...  Ce  verset 
explique  la  fin  du  precedent.  Nous  y  voyons 
pourquoi  les  sainles  femmes  avaiont  rcgarde 
avec  lant  d'allerition  en  quel  endroit  du  s^ 
pulcre  on  plagait  le  corps  sacre  de  J^sus  (les 
tombeauxjuifscontenaienthabiluellement  plu- 
sieurs  niches  ou  fours  dans  h  squels  on  plagait 
lescadavres) :  c'ost  qu'elles  sc  proposaient  de 
revenir  bieniot  completer  sa  sepulture  des  que 
le  repos  du  sabbat  aurait  cesse.  —  Rentrees 
en  viUe  et  chez  elles,  paraverunt  aromata  et 
unguenta.  Le  second  de  ces  deux  subslantifs 
{[ivpoL,  de  (jiupw,  je  coule)  indiquant  des  par- 
fums  a  I'elat  liquide,  le  premier  (apwiiaxa),  qui 
est  plus  general,  doit  s'entendre  de  substances 
seches  et  solides.  D'apres  S.  Marc,  xvi,  4, 
I'empleite  des  aromates  n'aurait  eu  lieu  que 
le  samedi  soir.  En  unissant  les  deux  r^cits 
nous  dirons  que  les  pieuses  Galileennes, 
n'ayant  pas  eu  le  temps  de  se  procurer  dds  le 


400 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUG 


HAPITRE  XXIV 

Les  saintes  femm  s  trouvent  le  sepulcre  vide  [tf.  1-3).  —  Deux  anges  leur  annnoncent  la 
resiirreclion  de  Jesus  [tt-  4-8).  —  Elles  font  part  de  cette  grande  nouvelle  aux  disciples, 
qui  refiiscnl  d'y  croiro  (Vt.  9-11).  —  S.  Pierre  visile  a  son  tour  ie  saint  sepulcre  {t.  i2).  — 
Les  deux  pelerms  d'Erumaus  [tt.  13-35).  —Jesus  apparail  a  ses  disciples  reunis(li^t.  36-43). 
—  Les  derni^res  legons  du  divin  Mailre  [tt.  44-49).  —  L'Ascension  (tt.  50-51).  —  Retraite 
des  disciples  a  Jerusalem  [tt.  52-33). 


1.  Mais  le  premier  jour  apres  le 
sabbat,  elles  vinrent  de  grand  matin 
au  sepulcre,  portant  les  aromates 
qu'elles  avaient  prepares. 

2.  Et  elles  trouverent  la  pierre 
du  sepulcre  renversee. 

3.  Et  etant  entrees,  elle  ne  trou- 
verent pas  le  corps  du  Seigneur 
Jesus. 


1.  Una  autem  sabbati  valde  di- 
luculo  venerunt  ad  monumentum; 
portantes  quae  paraverant  aromata. 

Malth.  28,  1;  Marc.  16,  2;  Joan.  20,  1. 

2.  Et  invenerunt  lapidem  revolu- 
tum  a  monumento. 

3.  Et  ingressse  non  invenerunt 
corpus  Domini  Jesu. 


vendredi  lout  ce  qu'elles  desiraient,  comple- 
terent  leurs  provisions  de  parfums  quand  le 
sabbal  futecoule.  La  conciliation  s'opere  ainsi 
sans  la  moindre  violence.  —  Sabbato  quidem 
siluevunt  (le  grec  porle  i^axixiccn,  «  quieve- 
runt  »)  secundum  mandatum  :  c'est-a-dire, 
ccnforinemenl  aux  prcscriplions  de  la  loi  mo- 
salque,  auxquelles  les  premiers  Chretiens  con- 
tinueretil  d'obeir  pendant  un  certain  temps. 
La  parlicule  «  quidem  »  (p-s'v)  annonce  un 
«  auttm  »  (Se)  correlaiif,  que  nous  Irouverons 
seulement  au  t.  1  du  chapitre  suivant,  la  di- 
vision ayanl  eie  faile  ici  d'une  maniere  assez 
malhoureuse,  au  milieu  d'une  phrase. 

18.  La  resurrection  de  J6sus  et  ses  preu- 

ves.   XXIV,  i-43. 

II  y  a  sur  ce  grand  fail  di'S  varianlns  nota- 
bles dans  les  quatre  recits  :  les  ecrivains  sa- 
cres  ne  se  rencontrunt  un  insiant  sur  les  points 
principaux  que  pour  se  separer  cnsuile  et  ra- 
conter  chacun  a  sa  maniere  les  traits  parti- 
culiers.  lis  demeurent  tous  neanmoins  dans  la 
verite,  parce  qu'ils  envisagent  des  faces  dis- 
tinctes  d'un  evenemont  tres  complexe.  Voyez 
I'Evang,  seloa  S.  Mallh.,  p.  562.  L'Esprit- 
Saintapermisces  divergences  pour  enrichir 
d'uQ  plus  grand  nombre  de  details  I'histoire 
de  la  resurrection  du  Sauveur.  S.  Luc  de- 
meure  ici  fidele  a  son  caractSre  accoutume  : 
tanlotil  abrege,  tanlotil  s'etend  longuement 
sur  un  episode  special.  11  ne  dit  rien  des  ap- 
paritions de  Jesus  en  Galilee. 

t»  Les  saintes  femmes  trouvent  le  sdpulcre  vide. 
t^  1-8.  —  Parall.  Mallh.  xxviir,  1-10;  Marc. 
XVI,  1-8. 

4.  —  Una  autem  sabbati  (pour  «  prima  au- 


tem... »,  le  premieijour  apres  le  sabbat.  — 
Valde  diluculo.  Dans  le  grec,  op6pou  PaOso?,  ou 
PaOew;  d 'apres  lesmeilleurs  manuscriis  (A,  B, 
C,  D,  G,  Small.,  elc.'i;  litleralem -nt  :  «  di- 
luculo profiindo  ».  Melaphore  elegante  el  das- 
sique.  —  De  grand  matin  done,  les  saintes 
femmes  dont  il  a  ele  question  a  la  fin  du 
chap,  xxiii  venerunt  ad  monumentum  :  elles 
avaient  hate  d'accomplir  leur  lache  doulou- 
reuse  et  sacree.  —  Portantes...  aromata  Cfr. 
XXIII.  56.  Trait  special  an  Iroisieme  Evan- 
gile.  Divers  manuscrils  (A,  D,  X,  T,  etc.)  et 
plusieurs  versions  (armen.,  copt.,  ^thiop.) 
ajoutent  :  xal  Tive;  ouv  aOxai?.  Mais  ces  mols 
sonl  geiierah  ment  regardes  comme  uiie  glose 
apocryphe  provenant  du  t.  10;  ils  sent  d'ail- 
leurs  ouiis  dans  les  Cod.  B,  C.  L,  Sinail.,  aussi 
bien  que  dans  I'liala  et  la  Vnlgale.  Le  ma- 
nuscrit  D  a  encore  loule  une  ligne  qui  hii 
est  propre  :  'E^.oyi^ovto  6s  ev  eauTai;*  Ti?  dpa 
aitoxvXioet  tov  ).i9ov;  c'est  un  emprunt  a  Marc. 
XVI,  3. 

2.  —  Invenerunt  lapidem  (t6v  ).i6ov  avec 
I'article)  revolutum...  Quelle  pierre?  S.  Luc 
ne  I'a  pas  menlionnee  precedemment :  mais  il 
la  supposait  connuede  ses  lecleurs.  En  eilLi 
la  calechese  apostolique,  non  moins  que  le.-i 
recils  de  S.  MalthJeu  (xxvii,  60)  et  de  S.  Marc 
(xv,  46),  I'avait  i endue  parlout  celebre.  C'e- 
tait  le  golal  des  Juifs,  «  lapis  magnus  et  la- 
lus,  quo  oblurant  vel  claudunt  os  sepulcri  su-. 
perne  »  (Bartenora,  ap.  Keim).  Cfr.  jristram. 
Land  of  Israel,  p.  396  et  s.  de  la  3e  edit. 

3.  —  Une  seconde  surprise  autremeul 
grarJe  attendait  les  pieuses  Galileennes  :  In- 
gressa  (etant  entrees  dans  la  chambre  sepul  - 
cralej,  non  invenerunt  corpus...  Ce  dernier 


CHAPITRK   XXIV 


401 


4.  Et  factum  est,  dum  mente 
consternalse  essent  de  isto,  ecce 
duo  viri  steterunt  secus  illas  in 
veste  fulgenti. 

5.  Cum  tiraerent  autem,  et  decli- 
nareut  vullum  in  terram,  dixerunt 
ad  illas  :  Quid  quseritis  vivenlem 
cum  mortuis? 

6.  Non  est  hie,  sed  surrexit  :  re- 
cordamini  qualiter  locutus  est  vobis, 
cum  adhuc  in  Galilsea  esset, 

7.  Dicens  :  Quia  oportet  filium 


4.  Et  il  advint  que  pendant 
qu'elles  elaient  consteru(5es  en  leur 
ame  de  cela,  pres  d'elles  parurent 
deux  hommes  aux  vStemeuts  res- 
plendissanls. 

o.  El  comme,  saisies  de  frayeur, 
elles  inclinaient  leur  visage  vers  la 
terre,  ils  leur  dirent :  Pourquoi  cher- 
chez-vous  parmi  les  morts  celui  qui 
est  vivant? 

6.  II  n'est  pas  ici,  mais  il  est  res- 
suscite.  Rappelez-vous  comment  il 
vous  a  parle  lorsqu'il  etait  encore 
en  Galilee, 

7.  Disant  :  II  faut  que  le  Fils  de 


detail  est  une  particularity  de  S.  Luc.  —  Re- 
marquez  rassocialion  des  noms  Domini  Jesu. 
On  ne  la  Irouve  pas  ailleurs  dans  les  Evan- 
gile-,  quoiqu'eile  apparaisse  quarante  fois 
environ  dans  les  Actes  el  les  Epilres.  Voyez 
Ziemssen,  Chrislus  der  Herr,  p.  12. 

4.  —  Dum  mente  consternatce  essent  deisto. 
Dans  le  grec,  ev  tw  StanopeToeat  aOxd:...,  litle- 
ral.  :  comme  elles  etaient  perplexes  a  ce  8u- 
jet.  G'esi  une  aulre  parlicularile  de  noire 
evangeliste.  Les  locutions  et  factum,  ecce,  re- 
levenl  le  caraclere  inaltendu  el  soudain  de 
I'apparition.  Steterunt  (sTcsfftTiffav)  est,  comme 
nous  I'avons  dej^  dit,  le  mol  aime  de  S.  Luc, 
et  aussi  des  classiques,  dans  les  occasions  de 
ce  genre.  —  Duo  viri.  C'eiaienl  des  anges 
evidemmenl;  mais  on  les  appelle  dvSps;  d'a- 
pres  la  forme  exterieure  sous  laquelle  ils  se 
manifesiaienl.  Gfr.  Act.  i.  10.  S.  Mallhieu  et 
S.  Marc  ne  pailanl  que  d'un  seul  ange,  le  ra- 
lionalisme  n'a  pas  manque  de  crier  a  la  con- 
tradiclion.  Les  exegeles  croyanls  repondent 
ou  bien  que  S.  Luc  ne  raconle  pas  absolu- 
ment  le  memo  fait,  ou  que  les  deux  auires 
synopliqucs  se  sonl  bornes  a  signaler  celui 
des  anges  qui  adressa  la  parole  ;iux  sainles 
femm^s.  Oatis  les  deux  cas  Ihaimonie  se  pro- 
duild'clle-meme.  Voyez I'Evang.selonS.  Marc, 
p.  223.  «  Froids  eplucheursde  contradictions, 
disait  encrgiquemenl  Lessing  a  nos  adver- 
saires,  ne  voyez-vous  done  pas  que  les  evan- 
gelistes  ne  comptenl  point  les  anges?  Tout  le 
sepulcre,  tout  le  district  qui  cnvironnait  le 
sepulcre,  elai'nt,  remplis  d'anges  invisibles. 
II  n'y  avail  pas  la  seulemenl  deux  anges  sem- 
blables  k  deux  senlinelles  Isissees  dovanl  I'ha- 
bilalion  (Fun  general  meme  apres  son  depart; 
il  y  en  avail  des  millions  :  el  ce  n'elail  ni 
loujours  le  m^me,  ni  loujours  les  deux  m^mes, 
qui  apparaissaienl.  Tantot  I'un  se  inontrait, 
tantol  I'autre;  lantol  ici,    tantot  la;  tantot 


seul,  lanlot  en  compagnie ;  ils  disaient 
tantot  ceci,  tantot  cela  »  (cite  par  van  Oos- 
terzee,  Evang.  Lucae,  3e  ed.  p.  397).  —  In 
veste  fulgenti.  Les  editions  ordinaires  du  texte 
grec  onl  le  pluriel  .*  sv  edOi^aedtv  acTpaTtTouaat; 
(mot  tres  fort  :  «  fulguranlibus  »,  langant  des 
eclairs).  Les  manuscrils  B,  D,  Sinait.  portent 
Iv  £o6yiTi  aaTpaTTTOuffiri,  au  singulier. 

5.  —  Cum  timerent.  La  lournure  grecque 
si  expressive  i[t.if66o)^  ytvo^iytay  est  propre  a 
S.  Luc  dans  lesecrits  du  Nouveau  Testament. 

—  Et  declinarent  vultum...  (les  manuscrils 
Sinait.,  B,  C,  D,  G,  L,  X,  etc.,  ont  «  vultus  » 
au  pluriel).  Detail  d'un  piltoresque  acheve, 
omiscependanlpar  lesautresrecits.  M.  L.  Ab- 
bott I'explique  d'une  maniere  bien  lerne 
quani  il  pretend  que  les  sainles  femmes  s'in- 
clinaienl  pour  saluer  les  anges.  Non  !  ce  geste 
etait  le  resultal  nalurel,  spontane,  de  la 
frayiMir  et  du  respect  reunis.  On  peut  ajouter 
que  I'eclat  des  v^tements  angeliques  obligeait 
aussi  pour  sa  part  les  visiteuses  du  S.  Sepul- 
cre a  lenir  les  yeux  baisses.  —  Quid  queer Uis? 
On  croirait  entendre  le  ton  d'un  leger  blarae 
sous  cette  forme  interrogative,  qui  est  spe- 
ciale  au  troisieme  Evangile.  Cfr.  Act.  i,  H. 
Du  moins,  elle  fail  Ires  bien  ressortir  I'inuti- 
lile  des  rechprches  en  question.  —  Viventem; 
T&v  Cwvta,  avoc  une  article  [)lein  d'emphase, 
le  vivant  parexcellence.  Comparez  ce  passage 
de  I'Apocalypse  (i,  17  el  18),  ou  Jesus  dit  de 
hii-meme  :  «  Ego  sum  primus  el  novissimus, 
et  vivus,  et  fui  morluus  ;  et  ecce  sum  vivens  in 
saecula  saeculomm,  et  habeo  claves  mortis  ». 

—  Cum  mortuis.  C  esl-a-dire  dans  un  lieu  des- 
tine  a  recevoir   les   morts   (le  concrel  pour 
Tabslrait].  Cliercher  la  vie  dans  le  tombeau 
n'est-ce  pas  un  contre-sens  etrange? 

6  et  7.  —  Non  est  hie,  sed  surrexit.  Cfj 
mots  du  messager  cdleste  ont  ete  presque 
identique«ient  conserves  dans  les  trois  nar- 


S.  Bible.  S.  Ldc.  —  26 


402 


2VANGILE  SELON  S.  LUC 


rhorame  soit  livre  entre  les  mains 
des  liommes  pecheurs  et  qu'il  soit 
crucifie  et  que  le  troisieme  jour  il 
ressuscite. 

8.  Et  elles  se  rappelerent  ses  pa- 
roles. 

9.  Et  de  retour  du  sepulcre,  elles 
annoncerent  toutes  ces  choses  aux 
onze  et  a  tous  les  autres. 

10.  Or,  cefurent  Marie  Madeleine 
et  Jeanne  et  Marie  mere  de  Jacques 
et  les  autres  qui  etaient  avec  elles 
qui  dirent  ces  choses  aux  ap6tres. 

11.  Et  ces  paroles  leur  parurent 
comme  du  delire  et  ils  ne  les  cru- 
rent  pas. 

12.  Mais  Pierre  se  levant  courut 


hominis  tradi  in  manus  hominum 
peccatorum,  et  crucifigi,  et  die  ter- 
tia  resurgere. 

Marc,  9,  30;  Sup.  9,  22. 

8.  Et  recordatse  sunt  verborum 
ejus. 

9.  Et  regresses  a  monumento  nun- 
tiaverunt  hsec  omnia  illis  undecim, 
et  cseteris  omnibus. 

10.  Erat  autem  Maria  Magdalene, 
et  Joanna,  et  Maria  Jacobi,  et  cae- 
terae  quae  cum  eis  erant,  quae  dice- 
bant  ad  apostolos  hsec. 

11.  Et  visa  sunt  ante  illos  sicut 
deliramentum  verba  ista ;  et  non 
crediderunt  illis. 

12.  Petrus  autem  surgens  cucur- 


ralions  synoptiques  :  ce  sonl  d'ailleurs  les  plus 
imporiants  de  son  allocution.  —  L'appel  aux 
souvenirs  des  sainles  amies  de  Jesus,  recor- 
damini  qualiter...,  jusqu'a  la  fin  du  t.  7, 
esl  encore  une  parlicularile  de  noire  evan- 
geliste.  Cfr.  Mallh.  xxviii,  7;  Marc,  xvi,  7. 
—  Locutus  est  vobis.  Elles  avaient  done  en- 
tendu  elles  aiissi,  probablement  tandisqu'elles 
accompagnaienl  le  Sauveur  dans  ses  peregri- 
nation de  Galilee  (Cfr.  viii,  1-3;  IX,  44;  Marc. 
IX,  29  el  ss.),  quelques-unes  de  ses  prophelies 
relalives  a  sa  morl  et  a  sa  resurreclion.  — 
Tradi  in  manus  hominum  peccatorxim.  II  faul 
prendre  cette  epilhele  dans  le  sens  special 
que  liii  donnaienl  les  Juifs;  or,  pour  eux,  pe- 
cheur  equivalait  frequemmenl  a  paien.  Cfr. 
Gal.  II,  45. 

8.  —  Et  recordatw  sunt...  Elles  avaient 
oublie  des  paroles  qu'elles  n'avaient  pas  com- 
prises (Cfr.  IX,  45);  mainlenant  que  la  pro- 
phetie  de  Jesus  regoil  des  fails  une  inlerpre- 
tation  lumineuse,  elles  s'en  souviennent.  Co 
phenoniene  psychologique,  signale  seulement 
par  S.  Luc,  est  confirme  par  une  experience 
journaliere. 

2"  Les  saintes  femmes  avertissent  les  disciples  qui 
refusent  de  croire.  f) .  9-11 . 

9.  —  Regressa,  nuntiaverunt  hcec  om,nia. 
Cfr.  Mallh.  xxviii.  8.  Au  conlraire,  d'apres 
S.  Marc,  xvi,  8,  «  illae  exeunles  fugerunt  de 
monumenlo...,  el  nemini  quidquam  dixp- 
runl  :  limebanl  enim.  »  Mais  les  narrateurs 
envisagenl  deux  momenis  dislincls.  Voyez 
I'Evang.selonS.  Marc,  p.  224.  Toul  effrayees, 
les  sainles  femmes  garderent  d'abord  le  si- 
lence sur  ce  qu'elles  venaient  de  voir  et  d'en- 
tendre ;  loulefois,  rassurees  bientot,  elles  se 
hAterenl    d'aller   porter    la  bonne  nouvelle 


illis  xmdecim,  comme  dit  emphaliquement  la 
Vulgale  (le  grec  a  simplemeni  :  toT?  SvSexa), 
et  en  m6aie  temps  cceteris  omnibus,  c'est-k- 
dire  aux  aulres  disciples,  car  ceux  des  amis 
de  Jesus  qui  se  trouvaient  alors  a  Jerusalem 
s'elaient  nalurellement  cherches  et  reunia 
depuis  la  morl  de  leur  Maitre,  et  ils  atten- 
daienl  ensemble  les  evenements. 

40.—  Erat  autem  (•^v  8s)...  quae  dicebant... 
Sur  cet  emploi  aliernalif  du  singulier  et  du 
pluriel  avec  plusieurs  sujets,  voyez  ii,  33  et 
le  commentaire.  La  variante^^av  de  quelques 
manuscrits  esl  une  correction  tardive.  — 
Maria  Magdalene  el  Joanna.  Marie  Madeleine 
est  associee  par  tous  les  evangelistes  el  la 
resurrection  de  Nolrc-Seigneur  :  S  Luc  seul 
mentionne  le  nom  de  Jeanne.  Cfr.  viii,  3  et 
I'explication.  —  Et  ccetera>...  Entre  autres 
Salome,  dont  parle  S.  Marc,  xvi,  4  ;  peut- 
elre  egakmenl  Susanne,  viii,  3. 

41.  —  Visa  .mnt  ante  illos  (hebralsrae  : 
DH^jSS)  sicut  ii iUrjmentu7n ...  V express'wn  osl 
d'une  energie  singoliere  :  >ripo<;,  un  non-sens, 
un  vain  conte,  unbadinage.  Ce  mot  el  ce  de- 
tail sont  propres  a  S.  Luc.  —  Verba  ista.  De 
meme  les  manuscrils  Sinail.,  B,  D,  L,  la  ver- 
sion syrienne,  etc. ;  dans  la  Recepia  :  -ri 
pritAaTaauTajv.  —  Non  crediderunt.  L'impar- 
iail  du  lexle  grec,  ^Tttdtouv,  denote  mieux 
encore  une  incredulite  obstinee,  qui  refuse- 
rait  de  se  laisser  vaincre. 

3"»  S.  Pierre  anssi  trouve  le  sepulcre  vide.  y.  12. 

42.  —  Ce  verset  important  a  eie  supprira^ 
par  Tischendorf,  sous  pretexte  qu'il  manque 
dans  le  Codex  D  et  dans  quelques  manuscrits 
de  rilala  :  mais  sa  presence  pariout  ailleurs 
garantit  sufiBsamment  son  authenticite,  qui 
est  en  outre  confirmee  par  le  t.  24  et  par 


CHAPITRE    XXIV 


403 


rit  ad  moniimentum ;  et  procumbens 
vidit  linteamina  sola  posita,  et  abiit, 
secum  mirans  quod  factum  fuerat. 

13.  Et  ecce  duo  ex  illis  ibant  ipsa 
die  in  castellum,  quod  erat  in  spatio 
stadiorum  sexaginta  ab  Jerusalem, 
nomine  Emmaus. 

Marc.  16,  12. 


au  sepulcre,  et  s'etant  penche,  11  ne 
vit  que  les  linges  poses  a  terre  et  11 
s*en  alia,  admirant  en  lui-meme  ce 
qui  etait  arrive. 

13.  Et  voila  que  deux  d'entre  eux 
allaient  le  meme  jour  dans  un  vil- 
lage nomme  Emmaiis  qui  eLail  a  la 
distance  de  soixante  Blades  de  Je- 
rusalem. 


1 


Joan.  XX,  2-iO.  —  Petrus  autem  surgens.La 
particule  8e  etablit  un  heureux  contraste  enlre 
S.  Pierre  et  lesaulres  disciples.  Luidu  moins, 
avanl  de  rejeter  le  temoignage  des  sainies 
femmes,  il  veul  le  controler  personnellement. 
—  Cucurrit  ad  monumentum.  Trait  gra- 
phique,  bien  naturel  dans  la  circonstance,  et 
tout  a  fail  confoime  au  caraclere  ardent 
du  prince  des  apolres.  Quels  sentiments  de- 
\'aient  agiter  alors  le  coeur  de  S.  Pieire!  — 
Procumbens  (itapaxu^J/aO  :  nouveau  detail  tres 
piltoresque.  «  llapaxuTtToo  proprie  nolat  In- 
curvo  me,  sad  specialira  adhibetur  de  iis  qui, 
prono  capita,  inflexo  coilo  el  corpora  intros- 
piciunt,  ul  aliquid  penitus  cognoscanl.  » 
Kuinoei,  h.  1.  L'entree  des  tombeaux  elait 
generalement  assez  basse.  —  Linteamina  sola 
posita.  Cfr.  Joan,  xx,  6  el  7,  ou  la  narration 
est  encore  plus  precise.  L'adjectif  (i6va  est 
omis  a  tort  par  quelques  manuscrits.  —  Abiit 
secum  mirans.  Beaucoup  d'exegeles  modernes, 
ratlachant  itp6;  lautov  («  apud  se  »^,  au  verbe 
in^XOc,  lraduisenl:Il  s'enalla  chez  lui,  s'elon- 
nanl.  Quoique  cetle  interpretalion  soil  auto- 
risee  par  des  exemples  tires  des  classiques, 
nous  pref^rons  le  sens  donne  par  la  Vuigale, 
qui  est  plus  profond  el  mieux  approprie  a  la 
situation. 

40  J^sus  apparatt  aux  deux  disciples  d'Emmaus. 
t^  13-35.  —  Parall.  Marc,  xvi,  12-13. 

C'est  la  une  des  pages  les  mieux  ecriles  du 
troisieme  Evangile  :  lous  les  critiques  sent 
d'accord  pour  I'admirer.  a  L'episode  des  dis- 
ciples d'Emmaus,  dit  M.  Renan,  esi  un  des 
r^cils  les  plus  fins,  les  plus  nuances  qu'il  y 
ait  dans  aucune  langue.  »  Les  Evangiles  et 
la  seconde  generation  chrelienne,  p.  282. 
Le  P.  Curci,  Nuovo  Testam.  t.  I,  p.  471,  y 
trouve  0  una  precisione  di  contorni  e  viva- 
cita  di  tinte  »  donl  il  ajoute  que  c'est  «  un 
incanto.  »  L'evangelisle  peinlre  el  psycholo- 
gue  s'y  reveletnerveilieusement.Presque  lous 
les  details  lui  apparlienneni.  en  propre,  car 
S.  Marc  ne  fait  que  signaler  I'incident  en 
gros. 

13.  —  Ecce  presage  un  nouvel  dvenement 
extraordinaire  dans  cetle  journ^e  si  remplie 
de  prodiges.  —  Duo  ex  illis  :  c'est-adire,  de 


la  societe  generale  des  disciples  menlionnds 
au  t.  9.  Ce  n'elaient  cerlainemenl  pas  dea 
apotres.  Cfr.  V.  33.  —  Ibant  ipsa  die.  D'apres 
I'ensemble  du  recil  ils  avaienl  du  quitter  Je- 
rusalem dans  I'apres-midi,  vers  deux  o»  trois 
heures,  puisqu'ils  ariiverenl  a  Euimaiis  peu 
avant  le  coucher  du  soleil,  qui  avail  lieu 
vers  6  heures  k  celte  epoque  de  i'annee,  el 
que  la  distance  a  parcourir  etait  de  trois 
petites  lieues  :  in  spatio  stadiorum  sexaginta. 
Le  slade  etait  une  «  mesure  da  longueur  qui 
comprenait  600  pieds  grecs,  ce  qui  vaut  un 
huitieme  du  mille  romain,  ou  185  metres  ». 
A.  Rich.  Diclionn.  des  anliq.  rom.  et  grecq., 
p.  599.  Dou  il  resuite  que  60  stades  equiva- 
laienl  a  un  peu  plus  de  II  kilometres.  — 
Castellum...  nomine  Emmaus.  On  a  beaucoup 
discute  sur  ['emplacement  de  cetle  bourgade, 
rendue  celebre  par  le  present  episode.  Eu- 
sebe  etS.  Jerome,  Onoma5ticon,s.  v.  Emaus, 
Fidenlifienl  a  la  ville  du  meme  nom  (devenue 
Nicopolis  au  Ille  siecle,  aujourd'hui  AmouAs, 
miserable  village  musulman),  dont  il  est 
question  au  premier  livre  des  Macchabees, 
III,  40,  57,  IX,  50,  et  dans  Josephe,  Bell. 
Jud.  II,  20,  4;  el  ce  sentiment  parail  avoir 
ele  generalement  admis  jusqu'au  debut  du 
XlVe  siecle.  11  ful  alors  abandonne  pour  la 
bonne  raison  que  Nicopolis, situee  sur  la  limite 
N.  E.  de  la  riche  plaine  de  Sephela,  est  dis- 
tante  de  Jerusalem  non  pas  de  60  stades, 
mais  de  176  (Cfr.  Jos.  1.  c).  De  nos  jours, 
deux  eminents  geographes  palestiniens,  le 
Dr  americain  Robin-on  (Neue  bibl.  Forschun- 
gen  in  Palaestina,  1847,  p.  <91  et  ss.)  et  notre 
compalriote,  M.  V.  Guenn  (Description  geo- 
graph.,  hisloriq.  el  archeologiq.  de  la  Pales- 
tine :  Judee,  I.  1,  p.  298  el  ss).  onl  essay^  de 
le  faire  revivre,  en  alleguant  d'une  part  I'au- 
torite  assureraont  tres  venerable  de  la  tradi- 
tion, de  I'autre  celle  dis  manuscrits  I,  K,  N, 
Sinait.,  qui  portent  :  Ixaxov  £$iQxovTa  (cent 
soixante)  an  lieu  de  J$r)xovca.  Mais,  coinme  le 
reconnail  M.  Guerin  avec  sa  parfaite  loyaule, 
«  on  pent  opposer  k  S.  Jerome,  traducteur  de 
rOnomasticon  (d'Eusebe),...  S.  Jerome  auteur 
de  la  Vulgate...  ou  le  chifire  de  60  stades  est 
marque  »  (I.  c,  p.  351);  en  outre,  a  la  plu- 
part  dis  manuscrits  de  S.Luc  portent  lemdme 


404 


fiVANGlLE  SELON  S.  LUC 


14.  Et  ipsi  loquebantur  ad  invi- 
cem  de  his  omnibus  quseacciderant. 

15.  Et  factum  est,  dum  fabula- 
rentur,  at  secum  quaererent,  et  ipse 
Jesus  appropinquans  ibat  cum  illis. 

16.  Oculi  autem  illorum  teneban- 
tur  ne  eum  agnoscerent. 

17.  Et  ait  ad  illos  :  Qui  sunt  hi 
sermones,  quos  confertis  ad  invi- 
cem  ambulantes,  etestis  trisles? 


14.  Et  ils  parlaient  ensemble  de 
tout  ce  qui  etait  arrive. 

15.  Et  il  advint  que  pendant 
qu'ils  s'entretenaient  et  conferaient 
ensemble  Jesus  lui-meme  s'appro- 
chant  marcha  avec  eux. 

16.  Mais  leurs  yeux  etaient  re- 
tenus  afin  qu'ils  ne  le  reconnus- 
sent  pas. 

17.  Et  il  leur  dit :  Quelles  sont  ces 
paroles  que  vous  echangez  en  mar- 
chant  et  pourquoi  eles-vous  tristes? 


chiffre  de  60  siades  »,  el  leg  cnliques  les 
plus  imparliaux  n'hesilenl  pa?  a  dire  que  telle 
dul  6lre  la  legon  primilive.  Done  «  le  doule  est 
possible.  »  Ajoutons  encore  1°  qu'Emmaiis- 
Nicopolis  etait  une  ville  a?sez  iroporlante,^  et 
qu'il  s'agil  ici  d'apres  le  lexte  evangelique  d'un 
simple  «  caslellum  »  (xwttri);  2°  que  les  deux 
disciples,  parlis  deNicopolis  apres  le  coucher 
du  soleil,  auraient  mis  an  moms  cinq  ou  six 
heures  pour  gagner  Jerusalem  a  Iravers  des 
chemins  «  monlueux  et  difficiles  »,  et  au- 
raient probablement  eu  peu  de  chances  de 
trouver  les  apotros  rassembles  (t.  33);  3°  que, 
depuis  I'epoque  des  cioi?ades,  le  clerge  et 
les  calholiques  de  Palestine  venerent  au  vil- 
lage d'El-Koubeibeh,  situe  au  N.  0.  et  a  en- 
viron trois  lieues  de  Jerusalem  (precisement 
la  distance  voulue),  lemyslere  de  I'apparition 
du  divin  Res^uscile.  Voyez  H.  Zscliokke,  das 
neuteslam.  Emmaus,  1865;  Schuster,  Hand- 
l)uch  zur  bibl.  Geschichte,  3e  edit.,  t.  II, 
p.  448  et  s. ;  Schegg,  Gedenkbuch  einer  Pil- 
gerreise  nach  dem'h.  Lande,  t.  1,  p.  482  et  ss. 
Une  pieuse  frangaise,  Madame  de  Nicolay, 
vient  de  restaurer  tres  richement  les  «  saints 
lieux  B  de  Koubeib  h,  confies  a  la  garde  des 
PP.  Franciscains.  Ouelques  savants  conlem- 
porains  (entre  aulres  Gralz,  Theatre  des  ev6- 
nemenls  raconte-  dans  ies  divines  Ecritures, 
t.  I,  p.  536;  Riehiu,  Handwceiti  rbuch  des 
bibl.  Alteruims,  p.  377.  et  surtout  Sepp,  Je- 
rusalem u.  das  h.  Land,  p.  52  ot  .ss.)  ont  for- 
mule  une  troisieme  opinion,  d'apres  laquelle 
il  faudrail  chercher  a  Ivoulonieh,  surla  route 
de  Jaffa  a  Jeiusalem,  reniplacement  de  notre 
Emmaus  :  mais  ridentification  qu'ils  propo- 
sent  n'esl  guere  soulcnable,  soil  parcequ'ellc 
manquo  de  loule  base  iraditionnelle,  soit 
parce  qu'il  n'existe  enlre  la  ville  sainte  et 
Kouloriieh  qu'un  inlervallo  insuffisant  (six 
kilom.  et  demi  au  lieu  de  \\  environ). 

14.  —  Et  ipsi  loquebantur...  L'equivalent 
grec  de  «  ioqui  »,  diiOiw,  n'est  ( mpioye  que 
par  S.  Luc  dans  le  Nouveau  Testament.  Cfr. 
t.  <o;  Act.  XX,  11 ;  xxiv,  26.  La  significa- 


tion primitive  de  ce  verbe  etait  «  in  coelu 
hominum  versor  »  (racine  :  6[j.ou,  ensemble, 
et  t).ri,' loule).  II  est  dtvenu  I'expression  ordi- 
naire des  Grecs  modernes  pour  designer  le 
langage.  —  De  his  omnibus...  Voyez  les  de- 
tails aux  **•.  19-20.  Cliemin  faisant,  les  deux 
disciples  repassaienl  done  ensemble  les  der- 
niers  incidents  de  la  vie  de  Nolre-Seigneur, 
el  cherchaienl  k  se  les  expliquer  (if.  i6\ 

15.  —  Dum  fabularenlur  :  Iv  t^i  6;iiXeTv 
aOtou;.  —  Ipse  Jesus.  Locution  emphatique  : 
Jesus  lui-meme,  dont  ils  s'entretenaient.  — 
Appropinquans  ibat  cum  illis.  Trail  pillo- 
resque.  D'apres  le  contexte  (Cfr.  t.  18)  il  les 
rejoignit  par  derriere,  comme  s'il  venait 
egalemenl  de  Jerusalem.  L'imparfait  «  ibat  » 
indique  qu'il  marcha  quelque  temps  en  si- 
lence aupres  d'eux. 

16.  —  Otuli  eoi-um  tenebantur  {iv.ptx-co\)\-:o, 
mot  d'une  iirande  energie)...  Cette  reflexion 
de  I'evangeliste  explique  pourquoi  les  dis- 
ciples ne  reconnurent  pas  immedialemenl  le 
Sauveur  :  un  voile  avail  ele  jete  devant  leurs 

?'eux  d'une  inaniere  surnaturelle.  Voyez  des 
ails  analogncs  dans  S.  Jean,  xx,  1 4 ;  xxi,  4. 
S.  Marc,  XVI,  13,  signale  un  tuilie  motif  de  la 
meprise  des  deux  voyageurs  :  «  Oslensus 
est  in  alia  effigie.  »  On  voit,  en  reunissant  les 
recits,  qu'elle  provint  tout  ensemble  du 
dedans  (S.  Luc)  el  du  dehors  (S.  Marc). 

17.  —  Ait  ad  illos.  Jesus  adresse  enfin  la 
parole  aux  disciples,  a  la  faQon  d'un  ami 
compalissant.il  agil  comme  s'll  s'elaitaper^u 
a  leur  conversation,  depnis  qu'il  les  avail 
rejoinls,  qu'une  vive  inquietude  pesail  stir 
eux,  mais  sans  qu'il  cut  pu  en  saisir  lout 
I'objet.  —  Confertis.  Le  verbe  grec  (avxiga).- 
).£Te)  est  tres  expressif.  «  'AvTi6a).),eiv  proprie 
est  vicissim  jacere,  ul  ludentes  pila.  Hinc 
avTigd)v).eiv  VSyou;  de  aliqua  re  disputare  notat, 
quia  tunc  neiiipe  alter  suas  dubitaliones  cl 
arguniinta  objieit,  qua;  ab  altero  vel  rejiciun- 
tur,  vel  admiltunlur.  »  Rosenmiiller,  Scholia, 
h.  1.  On  ne  le  trouve  qu'en  cet  endroil  du 
Nouveau  Testament.  —  Et  estis  trisles {av.\)Gpu_ 


CHAPITRE  XXIV 


405 


18.  Et  respondens  uiiiis,  cui  no- 
men  Gleophas,  dixit  ei  :  Tu  solus 
peregriniis  es  in  Jerusalem,  et  non 
cognovisti  quae  facta  sunt  in  ilia  his 
diebus  ? 

19.  Quibus  ille  dixit  :  Quae?  Et 
dixerunt  :  De  Jesu  Nazareno,  qui 
fuit  vir  propheta,  potens  in  opere, 
et  sermone  coram  Deo,  et  omni  po- 
pulo  : 


18.  Et  I'un  deux  nomme  Gleophas 
lui  repondit  :  Es-tu  seul  etranger 
dans  Jerusalem,  et  ne  sais-tu  pas 
ce  qui  s'y  est  passe  ces  jours-ci  ? 

19.  Et  il  leur  dit  :  Quoi?  Et  ils 
dirent :  Toucbant  Jesus  de  Nazareth 
qui  fut  un  prophete  puissant  en 
oeuvres  et  en  paroles  devant  Dieu 
et  devant  le  peuple. 


itoi,  de  <ixu6p6;,  lorvus,  mcesLus,  oLw^i,  facies. 
Cfr.  Matlh.  vi,  -16).  Plusieiirs  manuscrits 
antiques  (Sinait.,  A,  B,  L)  onl  une  varianle 
notable  ,  xal  eaxdOTiffav  (ou  eCTT;^(jav)  (Jxu6pti)uot, 
qui  a  ete  adoptee  par  les  versions  copte  el 
sahidique  :  «  Et  stelerunl  Irisles  ».  La  ques- 
tion de  Jesus  s'arrelerail  done  a  ambulantes, 
et  ces  derniers  mots  conliendraienl  un  nou- 
vel  incident  graphique  du  recil. 

i8. —  Unus  cui  nomen  Gleophas  (dam  le 
grec,  K).e67ia;,  abrevialion  de  K),eoTtaTpo;). 
Comme  on  I'a  dit  justement,  la  mention  d'un 
nora  si  obscur  prouve  la  veracite  de  I'histo- 
rien.  Les  exegeies  se  demandent  depuis  des 
siecles,  sans  pouvoir  se  raettre  d'accord,  si 
celiii  qui  le  porlail  doit  etre  confondu  avec 
le  K).oj7ta;  de  S.  Jean,  xix,  25.  L'opinion  ne- 
gative nous  parait  presenter  une  plus  grande 
vraisemblance,  1o  parce  que  Gleophas  est  un 
nom  grec,  landis  que  Clopasest  une  transfor- 
mation delaramern  'sbn  (C/jaipai) ;  2o  parce 
que  S.  Luc,  en  d'autres  endroils  de  ses  ecrils 
(VI.  13;  Act.  I,  13),  appelle  'A).9aTo;  (en  latin 
«  Alphseus  »)  ce  Clopas  ou  Chalpai  de  S.  Jean, 
qui  etail  le  pere  de  S.  Jaeques-le-Mmeur. 
Neanmoins  de  graves  auteurs  sont  partisans 
de  I'identlte.  —  Quel  etait  I'autre  disciple? 
On  est  reduit  sur  ce  point  aux  conjectures; 
mais  les  conjectures  n'ont  pas  manque.  II  se 
nommait  Simon  d'apres  Origene,  Ammaon 
(habitant  d'Emrnaiis?)  d'apres  S.  Ambroise. 
S.  Epiphane  i'ldentiQe  a  Nathanael ,  Lighlfoot 
au  prince  des  apotres,  Wieseler  a  S.  Jacqui'S 
fils  d'Alphee;  Theophylacte ,  Nicephore, 
MM. J.  P.  Lange  et  Godel  a  S.  Luc  lui-memel 
Ces  hypotheses  se  refutent  d'elles-memes.  — 
Til  solus  peregrinus  es  in  Jerusiilfm  (ev 
manque  dans  qu  Iques  manuscrits)..  Pjroles 
qui  denotent  un  vif  etonnemenl.  Comment 
pouvez-vous  ignorer  ces  choses?  Tous  ceux 
qui  elaienl  deriiieremenl  a  Jerusalem  les 
savent!  Le  verbe  itapoixeTv,  employe  seule- 
ment  ici  el  Hebr.  x'  "^j  dans  le  Nouveau 
Testament,  a  ete  bieii  ^.a^luit  par  notrc  Vul- 
gate :  il  n'a  pas  la  signification  classique 
d'habiter,  mais  celleque  lui  donnent  frequem- 
raent  les  Seplanie  :  o  habito  in  aliquo  loco 
advena,  sura  peregrinus  »  (le  "na  hebreu),  et 


design;;  la  residence  temporaire  que  faisaient 
a  Je.usalem.  pi  ndant  la  Paque  el  les  autres 
fetes  analogues,  les  pelerins  accourus  de  tous 
les  pays  juifs.  Voy  z  Suicer,Th  -saurus,  s.  v. 
Cleophas  put  aisenr.  ni  cuncluro  de  I'igno- 
rance  apparenle  de  son  int  rlocuteur  qu'il 
n'elait  pas  un  habiianl  de  la  capitale. 

19.  —  QucB?  reprend  Jesus;  ou  mieux  : 
Qualia?  [r.oia.;]  quelle  sorte  de  choses?  Il 
excite  les  disciples  a  parlor,  pour  faire  ensuite 
plus  completement  leur  inslruclioii.  —  El 
dixenint.  Peut-elre  Cleophas  fut-il  encore  le 
porte-parole,  et  alors  nous  aurions  ici  le  plu- 
riel  «  de  categoric  ».  Ou  bien  les  deux  voya- 
geurs  parlerent  a  tour  de  role,  se  completant 
I'lin  I'auire,  ce  qui  parait  plus  en  rapport 
avec  I'enlrain  qu'ils  devaient  metire  dans 
une  conversation  si  plein^^  d'interel  pour  eux. 
Neanmoins  c'est  d'line  manierelres  arbitraire 
qu'on  a  voulu  parfois  (Kuinoel,  etc.)  deter- 
miner la  part  exacte  de  chacun  d'eux.  Le.ir 
polite  narration  a  quatre  parties  :  elle  re- 
sume d'abord  la  vie  el  le  role  de  Notre-Sei- 
gneur  Jesus-Christ,*.  19;  elle  expose  ensuite 
sa  fin  cruelle,  t-  20,  les  esperances  a  peu 
pres  lolalemont  deques  de  s:s  partisans,  t.  21, 
enfin,  et  plus  lonu'uemenl,  les  divers  fails  qui 
s'eiaient  accouipi:s  dans  la  matinee,  t^*.  22-24. 
C'est  un  fidele  rellet  des  sentiments  qui  ani- 
maient  les  amis  du  Sauveur  duranl  ces 
heures  critiqurs.  —  De  Jesu  N'-'zn^-eno.  Telle 
etait  I'appellation  populairedi'  N  .tie-Seigneur 
en  Palestine.  —  Qui  full  vir  propheta.  Voyez, 
Act.  11.  22,  une  descripiiin  (laiailele  a  celle- 
ci.  —  Polens  in  opere  et  sermone.  B  •lie  expres- 
sion, toiile  classique.  Cfr.  Thucydide,  1.139. 
ou  Pericles  est  represente  comni'  ).£y-'^  «  xai 
TtpaffoEtv  Sviva-wTOTo;  Dans  son  celebre  dis- 
cours,  Act.  VII,  22,  S.  Eiieniie  dil  aussi  do 
Molse  qu'il  etait  «  polens  in  verbis  et  in  ope- 
ribus  suis  ».  Et  en  realile,  n'esl-ce  point  par 
la  parole  et  par  I'aciion  que  les  hommes  reve- 
lent  leur  puissance?  «  Ici  ,  iv  Ipyw  est  mis  eu 
avant,  parce  que  c'est  surloul  an  moyen  de 
ses  oeuvres  que  Jesus  s'etait  manilVsie  comnae 
le  propliete  envoye  de  Dieu  ».  Bisping.  das 
Evang.  nach  Lukas,  p.  483  de  la  2^  edit.  — 
Coram  Deo  et  populo,  Les  miracles  du  Sau- 


406 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


20.  Et  comment  les  princes  des 
pretres  et  nos  chefs  Font  livre  pour 
6tre  condamne  a  mort  et  I'ont  cru- 
cifie. 

21.  Et  nous  esperions  que  c'etait 
lui  qui  devait  racheter  Israel  :  et 
maintenant,  apres  tout  cela,  voila  le 
troisieme  jour  aujourd'hui  que  ces 
choses  se  sont  passees. 

22.  Mais  quelques  femmes  des 
notres  nous  ont  efiPrayes  ;  elles  sont 
allees  avant  le  jour  au  sepulcre, 

23.  Et  n'ayant  pas  trouve  son 
corps ,  elles  sont  venues  disant 
qu'elles  ont  vu  des  anges  m^me  qui 
disent  qu'il  est  vivant. 


20.  Et  quomodo  eum  tradiderunt 
summi  sacerdotes  et  principes  nos- 
tri  in  damnationem  mortis,  et  cru- 
cifixerunt  eum. 

21.  Nos  autem  sperabamus  quia 
ipse  esset  redempturus  Israel  :  et 
nunc  super  haec  omnia,  tertia  dies 
est  hodie  quod  haec  facta  sunt. 

22.  Sed  et  mulieres  quaedam  ex 
nostris  terruerunt  nos,  quae  ante 
lucem  fuerunt  ad  monumentum, 

23.  Et,  non  invento  corpore  ejus, 
venerunt,  dicentes  se  eliam  visio- 
nem  angelorum  vidisse,  qui  dicunt 
eum  vivere. 


veur  avaieni  prouve  que  Dieu  meme  elait 
avec  lui,  el  le  peuple,  avant  de  se  laisser 
egarer  par  les  Pharisiens  el  les  Sanhedristes, 
s'elait  montre  plein  de  deference  el  d'admi- 
ration  pour  Jesus,  comme  I'altesle  mainie 
page  des  evangiles. 

20.  —  Les  narrateurs  passent  maintenant 
a  la  catastroplie  finale,  qui  datail  de  deux 
jours  seulem^nt :  Quomodo  tradiderunt  eum... 
lis  disenl  franchemenl  ieur  pensee;  sans  la 
moindre  liesilalion  ils  allribuenl  aux  mem- 
bres  du  grand  Conseil,  summi  sacerdotes  et 
principes  nostri  (apxovTe;.  Ctr.  xxiii,  35),  la 
responsabilile  pniicipale  dans  les  eveiiements 
qui  preocciipaient  si  vivement  leurs  esprils. 
Rien  de  plus  exact,  nous  i'avons  vu  :  Pilate 
et  ses  pretoriens  n'avaient  eie  que  des  instru- 
ments enlre  les  mains  des  autorites  juives. 

21.  —  Nos  autem.  Avec  empha^e  :  Nous, 
ses  disciples.  Le  pronom  ipse  est  de  meme 
emphatique  :  Lui,  el  pasun  autre.  —  Spera- 
bamus. lis  parient  au  passe  .*  c'est  que  Ieur 
confiance  a  bien  diminue  depuis  deux  jours. 
La  variante  ilnilo\i.zy, «  speramus  »,  soutenue 
senleraent  par  le  Cod.  Sinailicus  et  quelques 
manuscrits  reiaiivemf^nt  recenls,  est  une  cor- 
rection malliabiie,  qui  est  en  contradiction 
avec  le  con(exle. —  Esset  redempturus  Israel 
(6  pL£X),wv  ).uTpo-j(j67.i,  cclui  qui  devait  etre  la 
ranQon).  Locution  lOiisacreecbezles  Juifspour 
designer  le  Messie.  Cfr.  Act.  i,  6,  etc.  —  Et 
nunc  (dans  le  grec  :  a>>Xa  ye,  «  at  vero  »)  inlro- 
duit  une  nouvelle  idee,  un  fait  qui,  apres 
avoir  ete  pour  les  disciples  un  motif  d'espe- 
rance  dans  ieur  situation  desolee,  se  irans- 
forraail  en  un  motif  de  plus  complet  deses- 
poir.  —  Super  haic  omnia  (c'est-a-dire  outre 
que  Jesus  a  ete  condamne  et  crucifie)  tertia 
dies  est...  Tel  est  le  fait  en  question.  II  y  a, 
dans  cette  maniere  particuliere  de  mention- 


ner  le  troisieme  jour,  une  allusion  evidente 
a  la  prophetie  par  laquelb  Notre-Seigneur 
avail  annonce  qu'il  ressusciterait  trois  jours 
apres  sa  mort.  Cfr.  xviii,  33  et  parall.  Ses 
amis  se  Tetaient  rappelee  et  avaieni  conserve 
quelque  espoir  le  samedi  et  dans  la  matinee 
du  dimanche;  mais  voici  que  le  troisieme 
jour  louchait  a  sa  fin.  Sur  quoi  pouvait-on 
compter  desormais?  Dans  la  phrase  giecque, 
d'ailleurs  toule  c  a  .-ique,  TptTviv  Tau-y)v  -oftEpav 
fiyEi  ( litleralemciiL  «  lerliam  banc  diem 
agit  »),  le  verbe  ayct  doit  se  prendre  imper- 
sonneilement,  suivant  I'excellenle  traduction 
de  la  Vulgate.  II  n'est  pas  necessaire  de  sous- 
entendre  6  IyiooO;.  L'adverbe  cv)[i£pov  (hodie) 
est  omis  par  des  manuscrits  importants 
(Sinait.,  B,  L). 

22  el  23.  —  Continuant  Ieur  narration  ad- 
mirable d'impanialite,  les  compagnons  du 
divin  voyageur  arrivent  enfin  aux  evene- 
menls  qui  s'elaienl  passes  le  matin  meme, 
et  qui  avaieni  tout  d'abord  avive  leurs  espe- 
rances.  —  Sed  et  (dX>.axal,  autre  formule  do 
transition)  mulieres  qucedam  ex  nostris.  'El 
f,|jL(Sv,  c'esl-a-dire  de  noire  sociele;tb;  :?i|A£i; 
Triff-raC,  dil  Eulhymius.  —  Terruerunt  nos. 
L'expression  grecque  correlative.  i^Ec-cTiffav 
Yinai:,  signifie  propreinent :  Nou>  ont  mis  hors 
de  nous-m^mes.  Elle  decrit  fort  bien  la  vio- 
lente  agitation  produile  dans  le  cerclo  des 
disciples  par  la  nouvelle  que  Ieur  avaient 
apporlee  les  sainles  femmes.  —  Ante  lucem  : 
op8piat  (ou  probableraenl  6p9ptvaC  d'apres  A,  B, 
D,  K,  L,  A,  etc.),  «  maluLinse  ».—  Dicentes... 
visionem  Angelorum  qui  dicunt  (le  temps  pre- 
sent est  pilloresque}...  Deux  «  oul-dir:?  « 
consecutifs,  celui  des  femmes  et  celui  des 
anges.  La  maniere  dont  les  disciples  releyent 
ce  mode  d'information  montre  qu'ils  etaient 
loin  d'y  ajouter  foi.  On  voit  neanmoins,  par 


CHAPITRE    XXIV 


407 


24.  Et  abierimt  quidam  ex  nos- 
tris  ad  monumentum,  et  ita  invene- 
runt  sicLit  mulieres  dixerunt,  ipsum 
vero  non  invenermit. 

25.  Et  ipse  dixit  ad  eos  :  0  stulti, 
et  tardi  corde  ad  credendura  in  om- 
nibus quae  locuti  sunt  prophetse! 

26.  Nonne  hsec  oportuit  pati  Chris- 
tum, et  ita  intrare  in  gloriam  suam? 

27.  Et  incipiens  a  Moyse,  et  om- 
nibus prophetis,  interpretabatur  illis 
in  omnibus  scripturis,  quae  de  ipso 
erant. 


24.  Et  quelques-uns  des  notres 
sent  alles  au  sepulcre  et  ils  Font 
trouve  comme  les  femmes  Font  dit, 
mais  lui  ils  ne  Font  pas  trouve, 

2b.  Et  il  leur  dit  :  0  insenses  et 
lents  de  coeur  pour  croire  tout  ce 
qu'ont  dit  les  prophetes  ! 

26.  Ne  fallait-il  pas  que  le  Christ 
souffrit  toutes  ces  choses  et  entrdt 
ainsi  dans  sa  gloire? 

27.  Et  commencant  par  Moise  et 
tous  les  prophetes',  il  leur  interpre- 
tait  ce  qui  le  concernait  dans  toutes 
les  Ecritures. 


Tenscmblc  de  Icurs  paroles,  que  leur  ame 
^lail  toujours  en  su?pon?,  quoiqu'elle  parillt 
incliner  davantage  du  cote  de  la  defiance. 

24.  —  Abieritnt  quidajii  ex  nostris  (ici, 
Twv  crvv  f,[xiv).. .  II  suit  do  la  que  S.  Pierre 
n'elail  pas  alle  seul  au  sepuicre.  Cfr.  Joan. 
"XX,  2  el  s?.  II  est  vraisemblable  que  d'aulres 
disciples  encore  I'avaienl  visile ,  soit  par 
.groupes,  soit  isolement.  —  Ita  mvenerunt 
siciit  mulieres...  lis  Irouverent  done  a  leur 
lour  le  sepulcre  vide ;  toutefois.  ajoutent 
les  narrateurs  en  lermes  pleins  d'emphase, 
ipaitm  non  invenerunt,  semblant  sous-enten- 
dre  :  Ne  I'auraienl-ils  pas  vu  lui-meme,  s'il 
elait  vraiment  ressuscile'  Telle  ful  la  «  con- 
clusion dramatiqiie  »  (Meyer)  de  leur  recit. 
Certes,  quoi  que  disenl  les  ecrivains  rationa- 
lisles,  esperant  par  leurs  assertions  auda- 
-cieuses  jeter  des  doules  sur  la  Resurrection 
de  Jesus,  il  n'y  a  guere  d'enlhousiasme  en 
lout  cela!  II  fallut  des  fails  blen  palpables 
pour  convaincre  des  hommes  qui  esperaient 
si  peu,  el  dont  la  foi  s'etail  a  demi  brisee 
conlre  le  lombeau  de  Notre-Seigiienr. 

25.  —  Et  ipse...  «  A  son  tour  »  Jesus 
prend  la  parole.  Son  exorde  consiste  en  une 
vive  reprimande  :  0  stulti  el  tardi  corde  ad 
credendum.  La  premiere  epiihete  (avoriTot,  in- 
senses ;  ici  seulemenl  dans  les  Evangiles) 
retombe  sur  Tintelligence  alourdie,  la  se- 
conde  (PpaSei;  t^  xapSCcx)  sur  le  coeur  encore 
plus  lourd  des  disciples.  Los  expressions  sont 
tres  fortes,  mais  elles  n'avaienl  rien  de  bles- 
sanl ;  d'aulant  mieux,  fait  observer  a  bon 
droit  M.  Schegg,  que  les  Orientaux  usent 
ordinairement  entre  eux  d'un  langag"  ener- 
gique.  Du  reste,  le  roproche  elail  tout  a  fait 
merile.  —  In  omnibus  (pour  «  omnia  »; 
le  traducleur  latin  a  imile  la  construction 
grecque,  imiraaiv)...  J^sus  dut  appuyer  sur 
le  mot «  tout  »,  rappelant  ainsi  h  ses  com- 
^agnons  que  leur  foi  n'avait  pas  et^  assez 
wniverselle  :  par  suite  de  leurs  pr^juges  ils 


n'avaienl  pas  cru  a  tous  les  oracles  prophe- 
tiques. 

26.  —  Apres  ce  bISme  rapide,  Jesus  se  fait, 
comtne  durant  sa  vie  mortelle,  I'instrucleur 
des  disciples.  II  aurait  pu  se  manifester  im- 
medialement  a  eux ;  mais  il  y  avail  ayaniage 
pour  eux,  et  plus  encore  pour  nous,  a  rcce- 
voir  du  divin  pedagogue  une  sublime  le^on 
de  dogme.  —  Nonne  hcer  oportuit...  ?  Remar- 
quez  la  tournure  interrogative  et  le  pronom 
«  haec  »  mis  en  avanl  :  rieux  circonstances 
qui  renforcenl  I'idee.  «  Oportuit  »  maique 
une  vraie  necessite,  elant  donnes  les  decrels 
providenliels.  —  /«a,  c'est-a-dire  par  la  fOuf- 
france  el  par  la  mort  :  ccl  adverbe  n'a  rien 
qui  lui  corresponde  dans  le  texte  grec. — 
Intrare  (expression  piltoresque)  in  gloriam 
suam  :  la  gloire  donl  le  Sauveur  joui^sait  deja 
depuis  qu'il  avail  triomphe  de  la  mort,  et 
celle  plus  grande  encore  qui  I'atlendait  au 
ciel.  Ainsi  done,  «  per  crucem  ad  lucem  ». 
Ce  qui  paraissail  aux  disciples  inconciliable 
avec  la  grandeur  du  Messie  elail  au  contraire 
pour  lui  le  vrai  chemin  de  la  grandeur,  Cfr. 
Phil.  II.  8  et  s. ;  Hebr.  ii,  10  el  ss. 

27.  —  Et  incipiens  a  Moyse  et  omnibus  pro- 
phetis.  Divers  commenlaleurs,  prenanl  cett 
locution  a  la  lellre,onl  pense  que  la  demons- 
tration de  Je-us  recommengait  en  quelque 
sorte  a  chaque  prophele ;  mais  ce  sens  nous 
parait  un  ptu  force.  II  est  plus  nalurel  d'ad- 
mettre  qu'il  y  a  une  cerlaine  negligence  dans 
la  phrase,  de' sorte  qu'elh^  reviendrait  h  dire  : 
Jesus  commenga  par  Moise  el  continua  par 
les  Prophetes.  Le  Sauveur  fit  ainsi  le  tour  de 
la  Bible,  relevant  dans  chaque  livre  (in  omni- 
bus Scripturis)  ce  qui  avail  trail  a  sa  personne 
sacree  (quce  de  ipso  eranl).  Depuis  le  Prote- 
vangile,  Gen.  in,  13,  jusqu'ai  x  dernieres 
lignes  de  Malachie,  le  champ  etait  aussi  vasle 
qu'admirable,  et  I'imparfail  i<ite)-pretabatur 
(SiTip(i.:nvev£v,  verba  compose,  tres  energique) 
montre  que  Jesus  prolongea  sa  divine  legon. 


fiVANGILE  SELON  S.  LUG 


28.  Or,  ils  approcherent  du  vil- 
lage ou  ils  allaient  et  11  feignit 
d'aller  plus  loin. 

29.  Mais  ils  le  presserent,  disant  • 
Restez  avec  nous ;  car  il  se  fait  tard 
et  deja  le  jour  est  sur  son  declin. 
Et  il  entra  avec  eux. 

30.  Et  il  advint  que  pendant  qu'il 
etait  a  table  avec  eux,  il  prit  du 
pain,  le  benit,  le  rompit  et  le  leur 
donna. 


28.  Et  appropinquaverunt  cas- 
tello  quo  ibant;  et  ipse  se  finxit  lon- 
giiis  ire. 

29.  Et  coegerunt  ilium,  dicentes  : 
Mane  nobiscum,  quoniam  advespe- 
rascit,  et  inclinata  est  jam  dies.  Et 
intravit  cum  illis. 

30.  Et  factum  est,  dum  recum- 
beret  cum  eis,  accepit  panem,  et 
benedixit,  ac  fregit,  et  porrigebat 
illis. 


Qui  ne  donnerail  ce  qu'il  a  do  plus  precieux 
pour  avoir  assist^  a  ce  cours  d'exegese,  ou 
du  tnoins,  commedil  nai'vemenl  un  vieil  inter- 
prele  (Valerius  Herberger),  pour  en  avoir  une 
copie !  Nous  pouvons  ccpendant  indiquer  les 
passages  messianiques  de  I'Ancicn  Testament 
qui  durent  entre  Ions  les  autres  arr^ter 
Nolre-Seigneur.  Ce  furenl  Gen.  iii,  15; 
IX,  25-27;  xii.  3;  xvii,  4  et  ss. ;  xviii,  17 
ftss.;  xxii, 16-18;  xxvii,  27-29;  xxviii, 43-15; 
xux,10;Num.xxiv,15-19;Deut.xviii,15-18; 
Ps.  II,  XV,  XXI,  xxxix  (7-9),  XLiv,  cix,  etc.; 
Is.  vii,  14 ;  :x,  6,  7 ;  xlii,  1  et  ss. ;  xux,  1 
el  ss.;  L,  4-9  ;  liii;  lxi,  1-3;  Lxm,  1-6;  Jer. 
xxiM,  1-8;  xxxiii,  14-16;  Ezedi.  xxxiv,  23; 
Dan.  VII,  13  el  14;  ix,  24-27  ;0s.  xi,  1  ;  Mich. 
V,  2 ;  Agg.  II,  8 ;  Zach.  in,  8 ;  vi,  12;  ix,  9; 
XII,  10;  XIII,  7;  Mai.  iii,  1;  iv,  2.  Voycz 
Bacuez,  Manuel  Biblique,  t.  Ill,  p.  142  els. 
28.  —  Appropinquaverunt  castello...  La 
route  avail  du  parailre  bien  couile  aux  dis- 
ciples ravisl  —  [pse  se  finxit.  Dans  le  groc, 
icpoffeTtoieiTo,  imparfail  pittoresque;  nean- 
moins  les  manuscrits  Sinail.,  A,  B,  D,  L,  ont 
I'aoriste  comme  la  Vulgate.  S.  Luc  emploie 
seul  dans  le  Nouveau  Testament  le  verba 
itpoaitoisw.  Celte  conduile  du  Sauveur  em- 
barrassait  beaucoup  les  anciens  exegeles, 
parce  que  divers  heretiques  I'avaienl  alleguee 
pour  prouver  que  le  mensonge  est  parfois 
iicite.  «  Christum  menlitum  non  esse  certum 
esse  debet,  ecrivait  Maldonat;  quomodo  ejus 
fictio  mendaciuin  non  fuerit  facdius  est  cre- 
dere quam  expiicare.  »  Comparez  Jansenius, 
Grotius,  Estius,  et,  bien  anterieurement, 
S.  Augustin,  S.  Gregoire,  le  Ven.  Bede,  etc. 
Ils  consacreni  parfois  des  pages  enlieres  a 
excuser  le  divin  Maitre,  tandis  qu'il  suffisait 
de  dire  qu'en  realite  il  aurail  continue  son 
chemin  sans  les  vivos  instances  des  disciples. 
Nous  avons  irouve  dans  Estius  celte  belle 
refli^xion  :  «  Composuit  gestum  et  motum 
corporis  sui,  sicul  solet  is  qui  vult  longius 
ire...  Hoc  ideo  lecit...  ut  eorum  erga  seamo- 
rem  et  benignitalem  tali  corporis  composi- 
tione  excilaret  :  sicut  mater  componens  ha- 
bitum   corporis  sui   tanquam  digressura  (de 


filio)  resuscitat  in  eo  affecUim  amoris.  » 
29,  —  Les  disciples  subirent  A  leur  avnn; 
tage  celte  derniere  epreuve.  Coegerunt  ilium- 
dans  le  grec,  itapeStioavTo  (ici  seulement  i3 
Act.  XVI,  15),  verbe  dont  la  signification 
litlerale  serail  :  «  urgere  precibus,  diligen- 
tius  rogare.  »  —  Mane  nobiscum.  Elaieni-ils 
done  d'Emmaiis,  comme  on  I'a  |)arfois  deduii 
de  celte  invitation?  Le  fait  est  possible  en 
soi ;  mais  il  ne  ressorl  infailliblemenl  ni  du 
pronom  «  nobiscum  »,  ni  de  la  locution  in- 
travit cum  illis,  qui  piuvent  s'entendre  d» 
n'linporle  quelle  niaison  oil  ils  auraient  eux- 
memes  regu  I'hospitalile.  —  Quoniam  adves- 
perascit  (7ip6;  Iduepav  iazl). . .  Motif  donl  ils  se 
servenl  pour  persuader  Jesus.  L'expression 
inclinala  est  dies  (xexXixev  -h  iniipa.)  (:St  Iresele- 
ganle.  Eile  etait  usiteeen  he'breu  [QVn  riTtaJ, 
Jud.  XIX,  8  et  11  ;  Jer.  vi,  4,  etc  ),  de  ineme 
qu'en  grec  el  en  latin.  Jam,  omis  par  la 
Recepta,  existe  dans  les  manuscrits  Si- 
nail.,  B,  L. 

30.—  Dum  recumberet:\e  lerme  technique 
pour  designer  la  poslure  qu'on  prenait  aux 
repas.  Cfr.  vii,  36;  etc.  —  Accepit  panem... 
Jesus  ne  se  conduit  pas  en  siuipie  invite;  il 
prend  aussilol  le  role  d'amphylrion,  et  se 
met  a  remplir  les  fonclions  qui  incombaient 
a  celui-ci  dans  tout  repas  juif.  —  Benedixii ; 
c'esl-a-dire  qu'il  prononga  la  berdkah  (bene- 
diction) ou  priere  que  font  les  Israelites  avant 
de  manger,  loutes  les  fois  qu'ils  soul  au 
moins  Irois  a  la  meme  table. TraiteBerachoth, 
f.  45,  1.  —  Porrigebat  illis.  Imparfail  pitto- 
resque, pour  dire  qu'a  cet  instant  ntiemo 
eurenl  lieu  les  incidents  menlionnesau  t.  31. 
Jesus  avail-il  Iranr-substantie  ce  pain  en  le 
benissant?etait-ce  la  sainte  Eucharistie  qu'il 
preseniait  aux  deux  disciples?  S.  Augustin, 
Theophylacte.  Maldonat,  Bisping  et  d'autres 
I'ont  pense.  La  formule  employee  par  I'ecri- 
vain  sacre  est,  disent-ils,  a  peu  pres  la  meme 
que  ceile  de  rinstilulion  du  divin  sacrement 
de  I'autel  (Cfr.  xxii,  19  et  parall.),  et  on  la 
relrouve  en  plusieurs  passages  des  Actes 
(II,  42,  46,  etc.)  ou  elle  designe  certainement 
la  celebration  des  SS.    mysteres.  De  plus. 


CHAPITRE  XXIV 


409 


31.  Et  aperli  sunt  oculi  eorum, 
et  cognoverunt  eum;  et  ipse  eva- 
nuit  ex  oculis  eorum. 

32.  Et  dixerunt  ad  invicem  : 
Nonne  cor  nostrum  ardens  erat  in 
nobis  dum  loqueretur  in  via,  et  ape- 
riret  nobis  scripturas? 

33.  Et  surgentes  eadem  hora  re- 
gressi  sunt  in  Jerusalem ;  et  inve- 
nerunt  congregatos  undecim,  et  eos 
qui  cum  illis  erant, 

34.  Dicentes  :  Quod  surrexit  Do- 
minus  vera,  et  apparuit  Simoni. 


31.  Et  leurs  yeux  s'ouvrirent  et 
ils  le  reconnurent  et  il  disparut  k 
leurs  yeux. 

32.  Et  ils  se  dirent  Tun  a,  I'autre  : 
Notre  coeur  n'etait-il  pas  brulant  en 
nous  lorsqu'il  nous  parlait  dans  le 
chemin  etnousouvrait  les  Ecritures? 

33.  Et  se  levant  a  I'heure  meme 
ils  retournerent  a  Jerusalem  et  ils 
trouverent  assembles  les  onze  et 
ceux  qui  etaient  avec  eux, 

34.  Disant  :  Le  Seigneur  est  vrai- 
ment  ressuscite  et  il  est  apparu  a 
Simon. 


I'eflfet  produii  {1r.  31}  semble  digne  du  pain 
consacre.  Neanmoins  tel  n'esl  pas  le  senli- 
\ienl  commun.  Eulhymius,  Nicolas  de  Lyre, 
<iajetan,  Jansenius,  Eslius,  Noel  Alexandre, 
de  nos  jours  MM.  Schegg,  Curci,  elc,  regar- 
dant comme  plus  probaiDle  que  TevangeTiste 
a  voulu  parler  d'un  pain  ordinaire.  Ils  ap- 
puient  leur  assertion  \o  sur  la  generaliie  des 
expressions  :  h  loutrepas,  on  benissail  et  on 
rompail  le  painavanl  de  le  disiribuer,  «  tinde 
ex  vocabuio  Benedixit  nulkini  sumitur  argu- 
mentum  pro  consecrations  corporis  Domini  » 
(Estius);  20  surce  fait,  assuremenl  tr6s  grave, 
qu'il  n'est  pas  question  de  vin  dans  la  nar- 
ration ;  «  cerle  Eucharisliam  sub  soils  panis, 
non  vini,  symbolis  a  Chrisio  consecratano... 
nemo  probabil  »  (Natal.  Alexand.);  3o  enfin 
sur  I'incertilude  qui  regne,  d'apre-;  le  con- 
texle,  relativemenl  a  un  autre  point  impor- 
tant :  a  Chrislus,  in  ipsa  panis  dislributione  a 
duobus  discipulis  agnitus,  statim  disparuit, 
et  statim  e  mcnsa  surgentes  regressi  sunt  in 
Jerusalem...  Dnde  incertum  est  an  panem 
ilium  comederint  »  (Id.).  Ces  diverses  raisons 
nous  scmblent  decisives. 

31.  —  Et  aperti  sunt...  Le  verbe  dvoCyvuiit 
est  frequemment  employe  dans  les  Evangiles 
pour  designer  la  guerison  miraculeuse  des 
aveugles.  Cfr.  Matlh.  ix,  30;  xx,  23;  Joan. 
IX,  10,  14,  17;  X,  21;  xi,  37,  etc.  Mais  ici 
nous  avons  le  compose  SiavoCYsi'",  cjui  rend  I'i- 
mage  plus  forte  encore.  La  cecite  morale  des 
deux  disciples  avail  ete  decrite  precedem- 
ment  (t.  16)  en  lermes  non  moins  expressifs. 
—  Cognoverunt  eum.  Heureux  moment,  que 
les  pemtres  ont  ordinairemenl  choisi  quand 
ils  oiii  voulu  representer  cet  episode  (enlre 
aulres  Appiani,  Bi'llini,  Raphael,  lo  Titien); 
toutefois  il  fut  auisi  rapide  que  I'eclair,  car 
aussitot  ipse  evnnuit  (a?avTo;  iyi'^t-co,  ici  seu- 
lement)  ex  oculis  eorum.  Getle  derniere  ligne 
equivaudrait,  d'apres  Kuincel,  Rosenmiil- 
ler,  etc.,  a  «  subilo  ex  iis  discessit  »,  ce  qui 


supprime  tout  prodige.  Meyer,  quoique  ratio- 
naliste,  I'a  mieux  comprise  :  «  Luc,  dil-il, 
veut  esidemmenl  decrire  une  disparition  sou- 
daine  qui  provenait  d'une  operation  divine  ». 
Jesus  disparut  ainsi  en  vertu  de  I'agilite  toulo 
celeste  que  possedait  maintenaiit  sa  chair 
ressuscitee  :  il  n'dtait  plus  soumis  aux  lois  or- 
dinaires  de  I'espace  et  de  la  pesanteur.  Cfr. 
t.  36  ;  Joan,  xx,  19,  elc. 

32.  —  Dixerunt  ad  invicem.  Les  disciples, 
ayanl  retrouve  un  peu  de  calme,  se  commu- 
niquenl  leurs  impressions.  Faisant  un  exa- 
men  retrospeclif  de  ce  qu'ili  avaient  ressenti, 
ils  se  rappelient  surtout  la  bienfaisante  cha- 
leur  qui  avail  echauffe  leurs  coeurs  landis 
que  Jesus  leur  parlait  sur  la  route.  Cor  nos- 
trum ardens  erat  (lilleralement,  brule.  Belle 
metaphore.  La  tournure  grecque,  y.aio[A£VTi  sans 
auxiliaire,  exprime  la  continuite).  Tout  d"a- 
bord  ils  ne  s'elaient  pas  rendu  comple  de  ce 
mouvemenl  cxlraorfiinaire  ;  ils  savent  main- 
tenant  qu'ils  le  devaient  a  la  presence  de  Je- 
sus. «  Ardebant  quia  prope  solem  erant  », 
Maldonat.  Cfr.  xii,  49.  —  Et  aperiret  nobis 
Scripturas.  Autre  image  belle  el  forte.  Sans 
le  divin  secours  la  Bible  est  pour  nous  un 
livre  ferme;  par  centre,  les  deux  disciples 
sentaienl  qu'ils  n'avaienl  jamais  mieux  com- 
pris  les  Ecritures  qu'au  moment  oil  Notre- 
Seigneur  les  leur  commentait.  lis  sonl  done 
etonnes  et  confus  de  n'avoir  pas  reconnu  Je- 
sus sur  le  champ,  aux  elfelssurnatureis  qu'ils 
eprouvaient. 

33  et  34.  —  Surgentes  eadem  hora  (auT^  t^ 
(»pa,  une  des  locutions  favorites  de  S.  Luc, 
pour  dire  :  a  I'instant  mSme)...  Precedim- 
ment,  \\<  avaient  dissuade  Jesus  de  continuer 
sa  route  parce  que  I'heure  etait  avanceo 
[t.  29) ;  mais  ils  n'hesilent  pas  k  reprendro 
eux-memes  le  chemin  de  Jerusalem,  lanl  ils 
ont  hale  d'aller  raconler  aux  aulres  disciples 
le  grand  fait  donl  ils  ont  ete  lemoins.  Ce4to 
conclusion    du  recil  {tt.  33-35)  est  lre»  mou- 


410 


fiVAiNGILE  SELON  S.  LUC 


35.  Et  ils  raconterenl  ce  qui  leur 
etait  Ettrive  en  chemin  et  comment 
ils  I'avaient  reciounu  a  la  fraction 
du  pain. 

36.  Et  pendant  qu'ils  disaient  ces 
choses,  Jesus  parut  au  milieu  d'eux 
et  leur  dit :  La  paix  soit  avec  vous; 
c'est  moi,  ne  craignez  point. 

37.  Mais  troubles  et  epouvantes, 
ils  croyaient  voir  un  esprit. 

38.  Et  il  leur  dit  :  Pourquoi  etes- 
Tous  troubles?  pourquoi  ces  pensees 
montent-elles  dans  vos  coeurs? 


3b.  Et  ipsi  narrabant  quae  gesta 
erant  in  via,  et  quomodo  cognove- 
runt  eum  in  fractione  panis. 

36.  Dum  autem  haec  loquuntur, 
stelit  Jesus  in  medio  eorum,  et  dicit 
eis  :  Pax  vobis;  ego  sum,  nolite 
timere. 

Marc.  16, 14 ;  Joan,  20,  19. 

37.  Gonturbati  vero  et  conterriti, 
exislimabant  se  spiritum  videre. 

38.  Et  dixit  eis  :  Quid  turbati  es- 
tis,  et  cogitationes  ascendunt  in 
corda  veslra? 


vemenlee.  —  Congvegalos  undecim  ((jyvriOpoKr- 
ti^ou;).  D"apres  S.  Jean,  xx,  24,  dix  apotres 
seulement  se  Irouvaient  alors  dans  le  cenacle, 
piiisqueS.  Thomas  etait  absent;  mais,  depuis 
la  morl  de  Judas,  ie  college  apostolique  est 
d^signe  d'une  maniere  generale  et  uniforme 
par  ce  chiffre.  Cfr.  t.  9;  Marc,  xvi,  H.  — 
Dicentes.  En  entrant,  les  deux  nouveaux 
venus  sent  accueillis  par  la  joyeuse  nouvelle 
qu'ils  pensaienl  6tre  les  premiers  a  apporter. 
—  Surrexil  Dominus  vere  (3vtw;).  Vrai  cri  de 
triomphe,  qui  fut  dans  I'Eglise  primitive,  et 
qui  est  encore  dans  quelques  parlies  de  I'O- 
rient,  la  salutation  usilee  enlre  cliretiens  au 
beau  jour  de  PSque.  Le  verba  est  mis  en  avant 
par  emphase.  a  Vere  »  est  oppose  aux  doutes 
du  matin,  comme  si  les  disciples  eussent 
voulu  dire  :  Jusqu'ici  nous  n'avions  pas  de 
preuves  cerlaines;  mais  actuellement  nous 
avons  une  garantie  infaillible,  car  apparuit 
Simonil  Voyez  I  Cor.  xv,  i,  la  confirmation 
de  celte  apparilion,  qui  n'est  rapport^e  par 
aucun  autre  evangeliste. 

35.  —  Et  ipsi  narrabant.  Ils  racontaient  et 
raconlaient  encore,  comme  il  ressort  de  I'im- 
parfait.  lis  repondaient  ainsi  a  une  bonne  nou- 
velle par  une  autre  bonne  nouvelle  :  ce  fut 
une  magnifique  anlienne  («  antiphona  »)  pas- 
cale.  Le  veroe  grec  d?riY£0[j.ai,  a  part  Joan. 
I,  <8,  n'apparait  que  dans  lesecrits  de  S.  Luc. 
Voyez  dans  I'Evang.  selon  S.  Marc,  p.  225 
et  s.,  la  solution  de  I'aniilogie  que  les  ratio- 
□alistes  pr^tendent  trouver  ici  entre  le  se- 
cond et  le  Iroisieme  synoptique. 

5*  J^sus  apparatt  aux  disciples  dans  le  cenacle.  ^f. 
36-43. -Parall.  Marc,  xvi,  14;  Joan,  xx,  19-25. 

C'esl  «  la  couronne  »  des  apparitions  de 
oette  journee  grandiose.  Toutes  les  aulres 
avaient  ete  individuelles  :  celle-ci  a  lieu  en 
faveur  de  I'Eglise  naissante  du  Sauveur.  Les 
tfBtails  conserves  par  S.  Luc  sonl  nouveaux 


pour  la  plupart.  Quelques-uns,  par  leur  pre- 
cision, qui  donne  a  ces  lignes  I'aspt  ct  d'une 
constalation  medicale,  Torment  un  argument 
invincible  en  faveur  de  la  realite  du  fait  de 
la  Resurrection. 

36.  —  Dum  loquuntur,  stetit  Jesus.  Debut 
des  plus  pittoresques.  Le  recit  tout  entier 
est  d'ailleurs  un  vivant  tableau.  Au  lieu  de 
i  Itiuou?  lesmanuscrits  Sinail.,  B,  C,  L,  etc., 
ont  auTo;,  «  ipse  ».  —  Pax  vobis  (ddS  DlStt^). 
C'est  la  salutation  accoutumeedu  Juifs;  mais 
quelle  force  pariiculiere  n'avail-elle  point  sur 
les  levrcs  de  Jesus  ressuscitel  —  Les  mots 
suivanls,  Ego  sum,  nolite  timere,  sont  omis 
dans  le  texle  grec  :  on  les  trouve  neanmoins 
dans  presque  toutes  les  versions  anciennes 
(ital.,  vulg.,  syr.,  arab.,  armen.,  pers.,  copt., 
ethiop.).  11  est  difficile  de  se  proiioncer  a  leur 
sujet.  lis  s'harmonisent  du  moins  parfaito- 
ment  avec  la  scene  si  bien  decrite  au  t.  37. 

37.  —  Conturbati  et  conterriti,  itToyjBs'vTe? 
xal  SpifoSot  Yevc(X£voi :  deux  expressions  syno- 
nymes,  et  toutes  les  deux  tres  fortes,  pour 
mieux  representer  Teffroi  de  I'assemblee.  — 
Spiritum,  uvevixa  (le  manuscrit  D  a  qpavxaffjAz) : 
un  fantome,  unrevenant.  Cfr.  Matlh.xiv,  26; 
Act.  xxiii,  8  et  9;  Hebr.  xii,  23.  L'appari- 
tion  si  subite  et  si  imprevue  du  Sauveur 
(«  cum  fores  essent  clausae  »,  dit  expresse- 
ment  le  quatrieme  Evangile,  xx,  49)  favori- 
sait  cetle  supposition. 

38.  —  Dixit  eis.  Jesus  rassure  d'abord  dou- 
cement  ses  amis,  t.  38  ;  puis  il  leur  demonlre 
que  c'esl  bien  lui  en  personne  qui  se  trouve 
aupres  d'eux,  t.  39.  —  Quid  turbati  estis.  Le 
grec  n'cmploie  pas  ici  le  merae  verbe  qu'au 
t.  37  :  TETapaYixevoi  eoTe.  —  Cogitationes  : 
6ia)oYiff|J-of>  des  raisonnements,  pour  signifier 
loute  sorte  de  p?nsees  etranges,  nolamment 
celle  qui  vient  d'etre  signalee.  —  Ascendunt 
in  corda  vestra  est  une  locution  hebralque, 
bien  pittoresque ;  c'est  le  3S~by  nSy  de  Jer 


CHAPITRE  XXIV 


411 


39.  Videte  maniis  meas,  et  pedes, 
quia  ego  ipse  sum  :  palpate,  et  vi- 
dete  :  quia  spiritus  carnem  et  ossa 
non  habet  sicut  me  videtis  habere. 

40.  Et  cum  hoc  dixisset,  ostendlt 
eis  manus  et  pedes. 

41.  Adhuc  autem  illis  non  creden- 
tibus,  et  mirantibus  prse  gaudio, 
dixit  :  Habetis  hie  aliquid  quod 
manducetur? 

42.  At  illi  obtulerunt  ei  partem 
piscis  assi  et  favum  mellis. 


39.  Voyez  raes  mains  et  mes  pieds; 
c'est  bien  moi.  Touchez  et  voyez; 
un  esprit  n'a  ni  chair  ni  os  com  me 
vous  voyez  que  j'ai. 

40.  Et  lorsqu'il  eut  dit  cela  il  leur 
montra  ses  mains  et  ses  pieds. 

41.  Mais  comme  ils  ne  croyaient 
pas  encore  et  qu'ils  s'etonnaient 
iransportes  de  joie,  il  dit  :  Avez- 
vous  ici  quelque  chose  a  manger? 

42.  Et  ils  lui  presenterent  un 
morceau  de  poisson  roti  et  un  rayon 
de  miel. 


HI,  16  ;  IV,  15,  17;  xliv,  21  elc.  Le  coeiir  est 
mentionne  au  lieu  de  I'esprit,  conformement 
aiix  regies  de  la  p>ycliologi;'  des  Hebreux. 

39.  —  Videte  manus  meas  et  pedes.  Ces 
mots  siipposenl  de  la  faQon  la  plus  evidonle 
que  les  mains  el  les  pieds  riu  Sauveur  por- 
taient  encore,  merae  apres  la  Resurrection, 
les  empreintes  des  clous  qui  les  avaient  pcr- 
ces  :  autrement,  on  ne  veil  pas  ce  qu'il  y  au- 
rait  eu  de  caracteristique  dans  ces  parlies  du 
corps  sacre  de  Jesus  pour  prouver  son  iden- 
lile  [quia  ego  ipse  sum,  avec  omphase  sur  les 
pronoms).  II  est  probable  que  Notre-Seigneur 
gardera  eterneliement  ces  glorieux  stigma* 
tes,  comme  I'ont  pense  les  ("ercs.  Conoluons 
encore  de  ce  passage  que  1  s  pieds  de  Jesus 
n'avaienl  pas  ete  seulement  attaches  a  la 
croix  avec  des  cordes,  ainsi  qu'on  i'a  parfois 
affirm^.  —  Palpate,  4'^)>a9:o<J«Te.  «  Probenl 
gibi  manus  vestrge  si  iiientiunlur  oculi  ves- 
tri  ».  S.  Auguft.  S^rm.  lxix  de  Divers.  La 
certitude  obteuu  '  par  le  sens  du  toucher  etait 
en  effet  plus  foil?  encore  que  celle  que  pro- 
curent  les  yeux.  —  Spiritus  carnem  et  ossa 
non  habet.  Comparez  Homere,  Od.  xi,  218, 
ou  yip  ETi  ffapxa;  xe  xal  darea  Tve;  Ixovai,  et 
Ovide,  Metam.  iv,  443,  «  Exsangues  sine 
corpore  et  ossibus  umbrae  ».  Voir  Wetstein, 
Hor.  hebr.,  h.  1. 

40.  —  Le  Sauveur  joint  aussilot  I'acte  a  la 
parole  et  montre,  c'est-a-dire  fait  voir  et  fait 
toucher  aux  disciples,  ses  mains  et  ses  pieds. 
De  Wette  est-il  do  bonne  foi  quand  il  pre- 
tend que  les  apparitions  de  Jesus  ressuscit^ 
oat,  dans  les  recils  de  S.  Luc  et  de  S.  Jean, 
'<  un  caraclere  qui  sent  le  spectre  «?  Nous 
I'excuserionssi  les  Evangilescontenaient  des 
tables  analogues  a  lasuivante,  citee  par  Cle- 
ment d'Alexandrie  :  S.  Jean  ayantvoulu  i)ro- 
iiterde  la  permission  que  lui  donuait  ledivin 
Maitre,  sa  main  passa  a  travers  le  corps  de 
Jesus  sans  rencontrer  la  moindrc  resistance  ! 
—  L'omission  de  ce  verset  par  le  Cod.  D.  et 
par  quelques  copies  de  I'llala  n'est  pas  une 


raison  suffisante  pour  douter  de  son  aulhen- 
ticite. 

41.  —  Adhuc  illis  non  credentibus.  Cetle 
incredulite  parait  bien  etonnante,  surtout 
apres  le  t-  34  qui  nous  a 'montre  les  disciples 
pleinsde  foi;  elle  est  pourlanl  tres-nalurelle 
au  point  de  vue  psychologique.  L'ensemble 
flu  recit  a  mis  conslamment  en  relief  la  diffi- 
culie  qu'avaient  les  amis  de  Jesus  a  croire  en 
sa  Resurrection.  Mainienant  meme  que  le  Sei- 
gneur est  aupres  d'eux,  ils  osent  s'abandonner 
ai  doute.  Mais  la  joie  rend  quelquelois  scep- 
tique.  «  Proprium  hocmiscrossequitur  vitium 
nunquam  rebus  credere  Isetis  »,  Seneque, 
Thyestr.  «  Vix  sibimet  ipsi  prae  ncc  opinato 
gaudio  credentes  »,  Tite-Livc,  xxxix,  49.  Et 
S.  Luc  releve  precisement  cette  circonstance 
avec  sa  delicatesse  accoulumee  :  «  non  cre- 
d  'Mtibus  pr en  gaudio  et  mirantibus  »  (telle  est 
la  construction  du  grec).  Voyez  W.  J.  Walsh, 
Harmony  of  the  Gospel  Narratives...,  p.  165 
et  ss.  Au  reste,  dif  S.  Leon,  Serm.  lxxi,  ce 
(loute  avait  pour  but  providenliel  de  multi- 
plier en  notre  favour  les  preuves  do  la  Resur- 
rection :  «  Dubilatum  est  ab  illis  ne  dubita- 
reiur  a  nobis  ».  —  Jesus  va  donner  en  effet 
nno  autre  demonstration  p^remptoire  de  ce 
grand  prodige  (Cfr.  Act.  i,  3  et  4  ;  x,  40  et  41 ) : 
Habetis  aliquid  quod  manducetur  (xi  Ppwatnov, 
ici  seulement)? 

42.  —  Obtulerunt  ei...  Les  disciples  offrent 
a  Jesus  les  restes  de  leur  frugal  souper  :  par- 
tem piscis  assi  et  favum  mellis  (d'apres  le 
grec,  M  de  favo  apiario  »).  Le  premier  de  ces 
luets  ne  nous  oblige  pas,  quoi  que  dise 
M.  Renan,  k  transporter  la  scene  sur  les 
bords  du  lac  de  Tiberiade,  car  il  est  certain 
d'apres  le  Talmud  qu'il  y  avait  de  grands 
arrivages  de  poisson  A  Jerusalem  an  temps 
des  fetes  (voyez  Farrar,  Life  of  Christ,  t,  1, 
p.  <42l;  le  second  est  tout  a  fait  palestinien, 
la  Terre  promise  ayant  toujours  ete  decrite 
comme  un  pays  ou  coulent  le  lait  et  le  miel. 
Bien  qu'ils  soient  omis  par  quelques  manus- 


,12 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


43.  Et  lorsqu'il  eut  mange  devant 
eux,  prenaat  les  restes,  il  les  leur 
donna. 

44.  Et  il  leur  dit  :  Voila  les  pa- 
roles que  je  vous  ai  diles  lorsque 
j'etais  encore  avec  vous ;  il  faut  que 
s'accomplisse  tout  ce  qui  a  ete  ecrit 
de  moi  dans  la  loi  de  Moise  et  les 
prophetes  et  les  psaumes. 


43.  Et  cum  raanducasset  coram 
eis,  sumens  reliquias  dedit  eis. 

44.  Et  dixit  ad  eos  :  Heec  sunt 
verba  quae  locutus  sum  ad  vos,  cum 
adhuc  essem  vobiscum,  qaoniam  ne- 
cesse  est  impleri  omnia  quae  scripla 
sunt  in  lege  Moysi,  et  prophetis,  el 
psalmis  de  me. 


crils  importanls  (Sinail.,  A,  B,  I),  L,  etc.), 
les  mots  aito  (jieXifffftou  xripiou  sonl  cerlainement 
aulhenliques,  altendu  1°  qii'on  les  trouve 
parloul  ailleurs,  2°  que  S.  Juslin  ol  S.  Cyriile 
de  Jerusalem  y  fonl  allusion,  3°  qu'cm  ne 
peut  decouvrir  auciin  motif  d'inlorpolaiion. 
lis  auronl  disparu  de  quelques  copies  par  la 
negligence  des  «  amanuenses  ». 

43.  —  Le  texle  grec  differe  un  peu  de  la 
Vulgate ;  il  a  seulement  :  xai  ).a6uv  dvwTiiov 
auTwv  l(paYev,  a  et  quum  sumpsisset  coram 
eis,  manducavit  ».  Co;'a?n  e?5  est  omphatique. 
II  mangea  ?ous  leurs  yeux  afin  de  les  niieux 
convaincre.  Sans  douti^,  un  corps  re>suscite 
n'a  nul  besoin  de  nourriture;  raais  il  con- 
serve neanmoins  la  facuile  de  recevoir  les 
aliments  et  de  les  ab?orber  en  qui'lque  ma- 
niere.  Voyez  S.  Augustin,  de  Civilale  Dei, 
XIII,  22,  Theophylacte,  Eulhymiu?,  et  D.  Cal- 
met,  h.  I.  S.  Jean,  xxi,  6,  sgnale  une  autre 
circoDslance  ou  Notrr-Seigneur  pril  de  la 
nourriture  apres  sa  resurrection. 

l9.  L.es  dernieres   instractions  de   J6sas 
^  ses  disciples  xxir,  44-49. 

Ce  recit  tout  enlier  est  propre  au  troisieme 
Evangile.  * 

44.  —  Et  dixit  ad  eos.  S.  Luc  ne  donnant 
plus  aucune  indication  chronologique  jusqu'a 
la  Qn  du  cliapitre,  un  lecleur  superficiel 
pourrait  supposer  d'abord  que  tous  les  de- 
tails racontesdans  les  tt.  44-53  se  passerent 
au  soir  menie  de  la  Resurrection.  Cfr.  tf.  43, 
33,  36,  43.  Mais  cela  est  evidemnient  impos- 
sible pour  I'Ascension  de  Jesus,  tt.  50  el  ss., 
qui  eut  lieu  seulement  quarante  jours  plus 
lard,  ainsi  que  TafTirme  explicitemenl  noire 
evangeliste  lui-meme  au  livredes  Actes,  i,  3. 
Cela  est  impossible  aussi  pour  la  parole  du 
t.  49,  a  Vos  autem  sedetein  civitate  quoadus- 
que...  »,  puisqu'elle  inlerdil  aux  disciples  de 
quitter  Jerusalem,  taniiis  que  d'autres  sources 
aulhentiqufs  nous  apprcnncnt  qu'iis  allerei.t 
en  Galilee  enlre  la  Resurrection  el  I'Ascen- 
sion fCfr.  Maitli.  xxviii,  16  et  ss. ;  Joan. 
XXI,  1  et  ss.).  D'autre  part,  les  recomman- 
dalions  conlenues  dans  les  tt.  47,  48  et  49a 
se  retrouvenl  d'une  maniere  equivalenle  au 
debut  des  Actes  des  ap6tres,  I,  8,  ou  elles 


sont  raltachees  au  jour  de  I'Ascension  :  elles 
onl  en  outre  toute  I'apparence  a'uue  parole 
d'adieu,  ce  qui  nous  conduit  a  la  raeme  con- 
clusion. Or,  il  est  bien  ditScile  de  les  separer 
de  celles  qui  precedent,  tt.  44-46,  car  elles 
leur  sont  etroitement  liees  et  pour  le  fond  el 
pour  la  forme.  Nous  somraes  ainsi  amenes  a 
croire,  et  c'est  aussi  I'avis  de  plusieuis  excel- 
lenls  commcntateurs  (enlre  autres  Maldonal), 
que  ces  instructions  finales  de  Jesus  nefureDl 
prononcees  que  peu  de  temps  avant  son  As- 
cension, lei  comme  en  maml  autre  endroii 
de  rhisloire  evangelique,  les  questions  do 
temps  el  de  lieu  auronl  ete  negligees  pares 
qu'elles  n'avaienl  qu'une  importance  secon- 
daire.  D'autres  critiques  cependant  placent 
au  moins  Ics  tt.  44-47  au  soir  de  la  Resur- 
rection. Voyez  dans  Slier,  Reden  des  Herro 
Jesu,  h.  1.,  une  interessante  discussion  de 
ce  petit  probleme  exegetique.  —  Hcec  sunt 
verba...  Jesus  jette  en  ce  moment  un  regard 
retrospeclif  sur  sa  vie  mortelle,  pour  rappelsT 
aux  disciples  les  prophelies  qu'il  leur  faisail 
alors  el  leur  monlrer,  mainieiianl  que  ces 
predictions  sont  accom|)lies,  I'harmonie  par- 
faite  qui  regne  entre  elles  et  les  saintes  Ecri- 
tures.  Ainsi  avaient  fait  naguere  les  anges 
parlant  aux  saintes  fomm  s  xxiv,  6-8.  — 
Cum  adhuc  essem  vobiscum.  Pensee  profonde. 
Jesus  n'etail  plus  present  aux  disciples  de  la 
meme  maniere  qu'aulrefois.  Cfr.  S.  Gregoire, 
Hom.  xxivinEvang.  —  Quoniam  necesse  est... 
Plus  clairement,  d'apres  la  correction  pro- 
posee  par  Era.-me  :  «  quod  necesse  foret  ». 
Ces  mots  retombenl  directement  sur  o  haec 
sunt  verba  quae  locutus  sum.  »  Jesus  avait 
done  dit  aux  siens,  de  la  fagon  la  plus  for- 
melle  et  a  bien  des  reprises,  que  les  divins 
oracles  conlenus  en  si  grand  nombre  dans 
les  SS.  Livres  sur  sa  personne  el  sur  son 
oeuvre  devaii  nl  necessairement  (Set)  etint^- 
gralement  (Tiavxa,  omuia)  s'accomplir.  Notre- 
Seigneur  designe  ici  la  Bible  par  une  peri- 
phrase  dont  on  trouve  plusieurs  exemples 
dans  la  lilterature  juive  :  In  lege  Moysi  et 
prophetis  et  psalmis.  La  loi  de  MoIse,  c'est  le 
Pentatouque,  la  Thorah  (min),  comme  disent 
les  Juif2.  Les  propheles  ou  Nebiim  (D'Naj), 
qui  se  divisaient    en    prophetes   anterieurs 


CHAPITRE  XXIV 


44  3 


45.  Tunc  aperuit  illis  sensiim,  ut 
intelligerent  scripturas. 

46.  Et  dixit  eis  :  Quoniam  sic 
scriptum  est,  et  sic  oportebat  Chris- 
tum pali.  et  resurgere  a  moituis 
tertia  die; 

P*.  18,  6. 

47.  Et  prsedicari  in  nomine  ejns 
poenitentiam,  et  remissionem  pec- 
catorum  in  omnes  gentes,  incipien- 
tibus  ab  Jerosolyma. 


4b.  Alors  11  Icur  ouvrit  I'esprit 
pour  qu'ils  comprissent  les  Ecri- 
tures. 

46.  Et  il  leur  dit :  II  est  ainsi  ecrit 
et  ainsi  fallait-il  que  le  Christ  sonf- 
frit  et  qu'il  ressuscitat  d'entre  les 
morts  le  troisieme  jour; 

47.  Et  que  la  penitence  et  la  re- 
mission des  peches  fassent  prSchees 
en  son  nom  a  loutes  les  nations,  en 
commencant  par  Jerusalem. 


[nebiim  risc/jOHim,  D''jU/N'1  D»N*33),et  en  pro- 
pheles  posterieiirs  (nebiim  achardnim,  D'K33 
D^JIiriN),  coiTcspoiidenl  h  la  seconde  parlie 
du  canon  hebreu,  laqiielle  comprenail  Josue, 
lesJuges.les  livres  des  Rois,  IsaTe,  Jeremie, 
Ezechiel  el  les  douze  pelils  Proplietes.  Enfin  les 
Psaumes  npresentent  les  Ketoubim  [U^J^T\Z), 
ou  Hagiographes,  Iroisiems  section  biblique 
qu'ils  ouvraienl  el  dont  ils  elaienl  ia  porlion 
la  plus  riche  et  la  plus  celebre.  Comp.  Jose- 
phe,  C.  Appion.  I,  8  :  v6{io;,  7ipo5pr,Tat  xai  uavot. 
Voyez  Light  fool,  Hor.  hebr.  h.  I. 

45.  —  Tunc,  en  eel  inslani  mems,  a  la 
suile  de  rinstruclion  qui  precede.  —  Apei'uit 
illis  sensum  (t6v  vouv,  «  nientem  »,  i'inlelli- 
gence).  C'esl  la  meme  figure  qu'au  t.  32; 
raais  elle  indique  ici  quelque  chose  de  plus. 
Jesus  avail «  ouvert  -  les  Ecrilures  aux  deux 
disciples  d'Emmaiis  en  les  kui'  expliquanl 
(Cfr.  Act.  XVII,  3] :  acluellemenl  c'esl  I'ejpnl 
de  ses  amis  qu'il  ouvre  pour  qu'ils  sachenl 
desormais  interpreter  d'eux-memes  les  sens 
les  plus  profonds  de  la  parole  inspiree.  Don 
raagnifique,  que  I'Espril-Saint  viendra  com- 
pleter bienlot.  et  en  verlu  duquel  nous  les 
verrons  commenter  la  Bible  d'une  maniere 
lumineuse,  rapportanl  tout  a  Jesus-Christ. 
Cfr.  Act.  I,  16,  20  ;  ii,  xvi,  25,  el  cent  autres 
endroils  du  livre  des  Actes  el  des  Epilres. 
Don  magnifique,  qui  ful  ensuite  Iransmis  k 
I'Eglise,  devenue  I'unique  depositaire  du  vrai 
sens  des  livres  sacres.  Don  qui  nous  a  valu  les 
interpretations  incomparables  d  s  SS.  Peres, 
notarament  des  Jerome,  des  Augustin,  des 
Chrysoslome,  des  Gregoire,  el  de  nos  grands 
exegeles  callioliques.  Don  auquel  nous  vou- 
drions  avoir  une  humble  pari,  et  que  le  pieux 
lecteur  voudra  bien  demander  a  Dieu  pour 
nous.Cen'esl  en  effet  qu'a  la  claried'en  naut 
que  I'on  peut  comprendre  et  espiiquer  les 
SS.  Livres.  La  science  humaine  aide  peu,  sou- 
venl  m6me  elle  egare  :  on  ne  le  voit  que  Irop 
quand  on  lit  les  commentaires  des  Juifs,  des 
rationalistes,  el  memo  des  proleslanls  qui 
croient  a  rinspiration. «  Usque  inbodiernum 


diem,  cum  Icgitur  Moyses,  velamen  p-^situm 
est  super  cor  eurum  »,  IlCor.  in,  \b.  Scuvenl 
ce  sonl  «  magni  passu?,  sed  extra  viam.  » 

46  el  47.  —  Et  dixit  eis.  Cello  forniule 
renoue  le  fil  du  discours,  inlerrompti  par  le 
grand  prodige  du  t.  45.  Desormais  la  parole 
de  Jesus  va  lomber  sur  un  terrain  fertile  : 
jamais  les  di-ciples  n'auronl  si  bien  coinpris 
les  allusions  bibliques  du  divin  Mail  re.  — 
Quoniam  sic  scriptum  est...  La  reflexion  an- 
lerieure  [t.  44)  se  rapportait  au  passe  ;  Rap- 
pelez-vous  lout  ce  que  je  vous  disais  (4  a  imi- 
rez-en  la  pariaile  realisation!  Celle-ci  s^appli- 
que  soil  au  passe  (t.46Jsoit  a  I'avenir  ,♦.  47). 
«  Quoniam  »  est  redoniianl,  a  la  maniere  du 
»3  hebreu.  La  repetition  de  sic  est  pleine 
d'emphase.  L'omi-sion  des  mols  et  sic  oporte' 
bat  par  les  man  iscrils  Siuait.,  B,  D,  L,  ne 
prouve  rien  conlre  leur  aulhenlicite,  car  on 
les  trouve  partout  ailleurs.  —  Resurgere  a 
mortuis  tertia  die.  \  propos  de  ce  troisieme 
jour  voyez  F.  de  Hieronymo  Jovino,  S.  J., 
Crilico-biblical  Disquisition  on  the  lime 
during  which  Christ  lay  in  the  tomb  (tex'e 
latin-anglais).  Woodstock  \Slb.  —  Et prcedi- 
can...  Jesus  enumere  successivement  quatro 
caracteres  de  la  predication  apostolique.  Ellu 
aura  lieu  en  son  nom;  elle  annoncera  la  peni- 
tence el  la  remission  des  peches;  elle  atlein- 
dra  loutes  les  nations;  elle  devra  commenc  r 
k  Jerusalem.  —  Poenitentiam  et  remissionem 
percatorum.  Telle  avail  ete  la  predication  du 
Precurspur,  iii,  3  et  parall.,  el  cello  du  Sei- 
gneur Jesus  lui-meme.  Marc,  i,  13  :  le  pre- 
mier sermon  de  S.  Pierre  ti'aura  pas  d'autre 
theme.  Cfr.  Act.  ii,  38.  Les  deux  choses 
enoncees  sonl  correlatives  :  la  penitence  pro- 
duil  la  remission  des  peches  ((AETdvoiav  el« 
S^eoiv,  commelisent  lesmanuscrits  Sinait.,B, 
el  la  version  syrienne);  la  penitence  est  la 
part  de  I'homme,  el  le  pardon  la  part  de  Dieu. 

—  In  omnes  gentes.  Cfr.  Matlti.  xxviii,  19; 
Marc.  XVI,  13;  Act.  i,  8.  Cost  la  catholicild 
de  la  predication,  par  consequent  de  TEglise, 

—  Incipientibus  ab  Jerosolyma,  Deja  Isalo 


m 


fiVANGILE  SELON  S.  LUC 


48.  Pour  vous,  vous  etes  temoins 
de  ces  choses. 

49.  Et  moi  je  vais  envoyer  en 
vous  le  promis  de  mon  Pere.  Mais 
restez  en  repos  dans  la  ville,  jusqu'a 
ce  que  vous  soyez  revetus  de  la 
force  d'en  liaut. 

50.  Puis  il  les  mena  dehors  vers 
Bethanie  et  ayant  leva  ses  mains 
il  les  benit : 


48.  Vos  autem  testes  estis  horum. 

Ad.  1,  8. 

49.  Et  ego  mitto  promissum  Patris 
mei  in  vos.  Vos  autem  sedele  in  ci- 
vitate,  quoadusque  induamini  vir- 
tute  ex  alto. 

Joan.  14,  26. 

50.  Eduxit  autem  eos  foras  in  Be- 
thaniam,  et  elevatis  manibus  suis 
benedixit  eis 


J'avait  prophelise,  i,  3  :  «  De  Sion  exibil  lex, 
el  verbum  Domini  de  Jerusalem.  »  Cfr.  Mich. 
IV,  2.  Ell  lant  qii'elle  etait  la  metropole  du 
Judai?ino.  la  capitale  du  roi  Jehova,  le  foyer 
antique  do  la  vraie  religion.  Jerusalem  avait 
droit  k  CO  privilege,  et  les  apolres  ne  le  lui 
enleverenl  point,  car  c'esl  a  Jerusalem  qu'il 
SB  niircnt  tout  d'abord  a  precher.  Voyez  les 
premiers chapilres  des  Acles.Tacitelui-meme 
esl  lemoin  de  ce  fait  :  a  La  superstition  qui 
avail  pour  auteur  un  certain  ChrisLus,  qui 
souffrii  sous  Ponce-Pilaie,  se  repandil  rapi- 
denicnt,  non  seulement  h  travers  la  Judee, 
oil  lo  mal  prilson  origine,iiiais  encore. ..etc.  » 
Ann.  XV.  44.  'Ap$(x[ievov  du  lexte  grec  (les 
varianles  ap^apLevoi,  Sinail.,  B,  C,  L,  N,  X,el 
apSdpevwv,  D,  e^ont  des  corrections;,  doit  se 
rallacher  a  y.rip\)x^i)\an  comme  un  accusalif 
neutre  employe  d'une  maniere  absolue. 

48.  —  Vos  aulem  ..  Ce  verget  exprime  le 
role  des  disciples  relalivement  au  plan  de 
salul  qui  vient  d'etre  decrit.  lis  seronl  testes 
horum,  lemoins  de  la  vie,  des  miracles,  de  la 
doctrine,  de  la  morl,  de  la  resurrection,  de 
la  divinite  de  Jesus,  temoins  de  I'exacte  con- 
formite  de  son  caractere  et  de  ses  ceuvres 
avec  tout  ce  que  les  Ecrilures  avaienl  predit 
du  Messie,  temoins  qui  se  feronl  egorger 
(ixapxupes) .  De  nombreux  passages  des  Acles 
(II,  32;  III.  15;  iv,  33;  v,  30-32,  etc.)  mon- 
trenl  combien  les  apolres  avaienl  pris  au 
serieux  celle  noble  fonclion  de  temoins  du 
Christ. 

49.  —  Et  ego.  Avec  emphase  :  moi,  de 
mon  cote  (dans  le  grec:  xaltSoi  lyw).  Jesus 
annonco  mainlenant  a  ses  temoins  ce  qu'il 
fera  pour  rendre  leur  minislere  fruclueux. — 
Mitto  promissum  Patris  mei  in  vos.  Dans  ce 
«  promi?  du  Pere  »,  ou,  d'apr^s  le  grec,  dans 
celte  r.  promesse  du  Pere  »  (siraYYeXfav  toO  Ila- 
Tp6«),  il  esl  evident  qu'il  faut  voir  I'Espril- 
Sainl,  comme  il  esl  dit  si  nellemenl  au  livre 
des  Acles,  i,  5,  8.  Cfr.  Gal.  in,  14.  Ce  nom  lui 
vient  soil  des  passages  de  I'Ancien  Tesla- 
meni  qui  avaienl  predit  sa  descente  mer- 
veilleuse  (Joel,  ii.  28 ;  Is.  xuv,  3  ;  Ezech. 
XXXVI,  J6),  soil  des  promesses  plus  recenles 


encore  de  Jesus  lui-m6me.  Cfr.  Joan,  xiv,  16 
el  ss.;  XV,  26;  xvi,  7,  etc.  Remarquez  le 
present  «  mitto  »  (anoaziWui,  on,  d'apres  les 
manuscrils  B,  L,  X,  Aj  e^aTtodTeXXw,  verbe  dou- 
blemenl  compose),  qui  exprime  une  prompte 
el  certaine  ettusion  du  divin  Esprit.  De  la  part 
que  Nolre-Seigneur  Jesus-Chrisl  s'altribue 
dans  cemysterieux  envoi,  la  Iheologie  ajusle- 
ment  conclu  que  le  Sainl-Espril  precede  du 
Fils  aussi  bien  que  du  Pere.  Ce  passage  est 
aussi  un  «  locus  classicus  »  pour  prouver 
I'existence  et  la  distinction  des  Irois  personnes 
divines.  —  Vos  autem  sedele  in  civitate  (le 
grec  ajoule  *l£pou<7a),r)|ji,  mot  egalemenl  orais 
par  B,  C,  D,  L,  Sinait.,  elc).  Cfr.  Act.  i,  4. 
Le  verbe  xaOJ^eiv  (comparez  I'hebreu  3X1?')  ne 
designe  ici  qu'un  sejour  temporaire,  donl  la 
duree  esl  determinee  d'une  maniere  generale 
par  les  dernieres  paroles  de  Jesus,  quoadusque 
induamini  virlute  ex  alto.  Cel  «  induamini  » 
(dans  le  grec,  ivSOffriffOe  k  la  forme  moyenne, 
«  indueritis  vos  »)  conlienl  une  forte  el  vive 
image,  aimeedeS.  Paul  (Cfr.  I  Cor.  xv,  53,  54; 
Gal.  Ill,  27;  Col.  iii,  12;  E[)h.  iv,  24,  Rom. 
XIII,  13,  etc.),  comme  des  classiques  (voyez 
Welstein,  h.  1.),  et  frequemment  employee 
deja  par  les  ecrivains  de  I'Ancien  Testament. 
Comparez  Is.  li,  9  (Ty~'U7nS,  rev^ls-loi  de 
force);  Jud.  VI.  34;  1  Par.  xiii,  18;  II  Par. 
VI,  41  ;  XXIV,  20 ;  Ps.  cix  (hebr.),  18;  cxxxii 
(hebr.)  9,  16,  etc.  II  signifie  que  la  verlu  d'en 
haul  [ex  alto,  hebraisme  pour  «  e  coelo  ».  Cfr. 
Job.  XVI,  19;  Luc.  i,  78,  etc.)  penelrera  jus- 
qu'au  fond  de  I'^me  des  disciples  afin  d'en 
prendre  possession.  Auva[ii;  £5  {)<}'o"?  est  une 
nouvelle  denomination  de  I'E-prit-Sainl. 

20.  L.'Ascenslon  de  Jdsus.  xxit,  50-53.-  f  arall. 
Marc,  xn,  19-20. 

S.  Luc  ne  fail  que  toucher  ici  a  ce  mystere, 
car  il  se  reservail  de  le  raconler  avec  plus  de 
details  dans  son  second  ouvrage.  Son  resume 
est  neanmoins  beaucoup  plus  complet  que 
celui  de  S.  Marc;  il  est  expose  d'une  maniere 
loute  dramalique. 

50.  —  Eduxit  autem  eos,...  Sur  la  dale  de 
I'Ascension,  voyez  Act.  i,  3.  —  Foras,  c'est- 


CHAPITRE  XXIV 


41 S. 


51.  Et  factum  est,  dum  benedi- 
ceret  illis,  recessit  ab  eis,  et  fere- 
batur  in  coelum. 

Marc.  16,  19;  Act.  1,9. 

52.  Et  ipsi  adorantes  regressi  sunt 
in  Jerusalem  cum  gaudio  magnoj 

53.  Et  erant  semper  in  tempio, 
iaudantes   et  benedicentes   Deum. 

A.men. 


51.  Et  il  advint  que  pendant  qu'il 
les  benissait,  il  se  retira  d'eux  et 
il  etait  porte  dans  le  ciel 

52.  Et  eux,  Tayant  adore,  revin- 
rent  a  Jerusalem  pleinsd'une  grande 
joie. 

53.  Et  ils  etaient  toujours  dans 
le  temple,  loiiant  et  benissant  Dieu. 


ii-dire  hors  de  Jerusalem,  oil  le  Maltre  et  les 
disciples  s'etaienl  retroiives  apres  leur.s  ren- 
contres en  Galilee.  —  In  Bethaniam.  D'apr^s 
le  recit  des  Actes,  i,  12,  I'Ascension  de  Jesus 
aurait  eu  lieu  sur  le  mort  des  Oliviers,  a  un 
quart  d'heure  environ  do  Belhanie;  et  c'est  en 
ctTel  au  sommet  Drincioal  de  cetle  montagne 
celebre,  pres  dii  village  musulman  Ei-Tour, 
que  les  Chretiens  out  toujours  venere  I'empla- 
ceme'nt  de  ce  grand  mvslere.  Voyez  R.  Riess, 
Atlas  de  la  fitble,  pl,  VI;  Gralz,  Thesitre  des 
evenemenls  raconles  dans  les  Saintes  Ecri- 
tures,  t.  I,  p.  256  et  s.;  Mgr.  Mislin,  les  saints 
Lieux,  t.  Ill,  p.  233  et  ss.  de  la  seconde  edit. 
Mais,  que  la  legon  des  manuscrits  B,  C,  D,  L, 
Sinait.  etc  ,  (£w«  Ttpc;, « jusque  vers  »,  au  lieu 
de  ?u?  et;)  soit  aulht  ntique  ou  non,  il  n'est 
pas  necessaire  d'interpreier  les  mots  «  in 
Bethaniam  »  avec  une  rigueur  malhcmati- 
que  ;  ils  peuveni  fort  bien  s'appliquer  au  dis- 
trict qui  avoisinait  la  bourgade  ainsi  nommee. 
—  Elevalismanibus  benedixit.  L'elevation  des 
mains  etait  deja,  dans  la  liturgie  niosaique, 
le  gesle  de  la  benediction.  Cfr.  Lev.  ix,  22. 
Ce  rite  subsiste  encore  chez  les  Juifs.  Voyez 
D.  Stauben,  Scenes  de  la  Vie  juivo  en  Alsace, 
p.  168.  II  est  touchant  de  voir  que  le  dernier 
acte  du  Seigneur  Jesus  sur  la  terre  fut  une 
benediction. 

51.  —  Dumbenedicei'et...  Trait  graphique  : 
au  moment  memo  ou  il  benissait. — 11  y  a  deux 
mani^res  d'expliqner  les  mols  recessit  ab  eis 
(5uffxri  iTi'auTtSv).  Peul-etre  sigtiilienl-ils  qu'a- 
vant  de  s'elever  au  ciel ,  Jesus  s'ecarta  le- 
gerement  de  ses  disciples,  auquel  cas  il  y 
aurait  eu  deux  mouvements  distinclg,  SieffXT], 
puis  avefepexo.  Mais  cette  interpretation  nous 
parail  un  peu  forcee.  Nous  preferons  voir 
dans  le  veroe  «  recessit  »  une  premiere  desi- 
gnation du  fait  qui  est  ensuite  indiqu^  plus 
explicilemenl  par  ferebalw  in  coelum  (dans  le 
grec  :  «  sursum  ferebatur  in  coelum  »).  L'im- 
parfait  est  a  noter  :  outre  qu'il  est  tres  pitlo- 
resque,  il  prouve  que  Jesus  ne  disparut  pas 
Bubitement,  mais  qu'il  s'^leva  versle  ciel  avec 


une  majeslueuse  lenteur,  sous  les  regards 
ravis  de  la  sainle  assemblee.  Scene  sublime, 
que  les  poeles  et  les  peintres  ont  soavent 
commentee,  entre  aulresle  V.  Bede,  Louis  de 
Leon,  Lavater,  Raphael,  le  Titien,  Yeronese, 
fra  Angelico,  Overbeck,  le  Perugin  («  joyau 
le  plus  precieux  du  musee  de  Lyon  »,  Gri- 
mouard  de  saint  Laurent). 

52.  —  Et  ipsi  adorantes  (Tcpoffxuvo^ffavts;, 
a  quum  adorassonl »).  Prosternes  a  terre,  ils 
adorent  Jesus  comme  le  vrai  Fils  de  Dieu. 
0  Non  legimus  nisi  hoc  loco  Christum  a  sui-: 
discipulis  adoralum  »,  Maldonat.  Mais  jamais 
sa  divinite  n'avait  brille  d'un  plus  vif  eclai 
aux  yeux  do.  lout  le  cercie  des  disciples.  — 
Regressi  sunt...  cum  gaudio  magno.  Et  pour- 
tant  ils  etaient  mainienant  prives  de  sa  douce 
presence,  qui  avait  ete  la  source  de  leurs 
joies  les  plus  vives.  Mais,  selon  la  recomman- 
dation  qu'il  leur  adressait  naguere,  Joan. 
XIV,  as,  ils  etaient  heureux,  sachanl  qu'il 
s'en  allail  aupres  de  son  Pere  bien-aime. 

53.  —  Nous  apprenons,  dans  ce  court  recit, 
la  maniere  donl  1.8  apotres  et  les  disciples 
de  Jesus  passerenl  les  dix  jours  qui  s'ecoule- 
renl  entre  I'Ascension  et  la  descente  de 
I'Espril-Sainl.  Le  premier  chapitre  des  Actes, 
■ft.  12-16.  nous  fournit  la-dcssus  des  details 
plus  complets.  —  Erant  semper  in  te^nplo.  II 
ne  faul  pas  exagerer  le  sens  de  la  locu- 
tion StaTravTo?,  qui  est  ici  une  hyperbol  ■ 
populaire.  «  Semper  orat,  dil  S.  Augustin, 
Epist.  cxx\,  qui  per  intervalla  certa  tempo- 
rum  orat  ».  Gomp.  Act.  I,  13,  oil  I'ecrivaia 
sacre  rapporte  expressement  que  le  cenacl  ■ 
etait  la  residence  habiluelle  des  disciples.  — 
In  tempio,  sv  x(S  lepi^  (dans  les  parvis,  ouverts 
aux  fideles  a  certaines  heures;  non  pas^vxw 
yatf).  —  Laudanles  et  benedicentes.  S.  Luc 
termine  son  Evangile  par  cette  belle  formule, 
qui  est,  nous  I'avons  vu,  une  de  ses  locutions 
favorites.  —  Le  mot  Amen  est  probablemeni 
une  addition  liturgique  :  il  manque  du  moins 
dans  plusieurs  manuscrits  qui  ibnl  aulorild 
(Sinait.,  G,  D,  L,  etc.). 


FIN  DE   L'£VANGILB   SELON   SAINT   LUC. 


TABLE  DE  L'EVANGILE  SELON  S.  LUG 


I.  - 

II.  - 

III.  - 

IV.  — 

Y.  - 


Nolicebiographiquesur  S.Luc. 
Authenlicile     du     iroisiem-". 

evangile 

Les  sources  de  S.  Luc.  .  . 
Destination  el   but  du  troi- 

sierae  evangile 

Caraciere  de  I'evangile  seloa 

S.Luc <3 


PREFACE 

Pages. 

1 

VI. 

4 

VII.  ■ 

9 

VIII. 

12 

IX.  - 

X.  - 

13 

Page*. 

Langue  et  style  du  troisifeme 

Evangile 16 

Temps  et  lieu  de  la  composi- 

lioi) 18 

Plan  et  division 19 

Commentaires 20 

Division  synoptique  de  I'evan- 
gile selon  S.  Luc.     ...  23 


TEXTE,  TRADUCTION  ET  COMMENTAIRES. 


PROLOGUE 

CHAPITRE  1 27 

PREMIERE  PARTIE 

La  vie  cach6e  de   N.-S.  J6sus-Clirist. 

CHAPITRE  I  [Suite] .30 

CHAPITRE  II 62 

DEUXifeME   PARTIE 

La  vie  publique  de  N.-S.  J6sas-Christ. 

CHAPITRE  III 90 

CHAPITRE  IV 108 

CHAPITRE  V 122 

CHAPITRE  VI 133 

CHAPITRE  VII 149 

CHAPITRE  VIH 167 

CHAPITRE  IX.  .     .     , 182 


CHAPITRE  X.    ........  200 

CHAPITRE  XI 216 

CHAPITRE  XII 235 

CHAPiTRE  Xni 251 

CHAPITRE  XIV 265 

CHAPITRE  XV 276 

CHAPITRE  XVI 289 

CHAPITRE  XVII 303 

CHAPITRE  XVIII 313 

CHAPITRE  XIX 324 

TROISIEME   PARTIE 

La  vie  soufFrante  et  gloriease  de  Jdsas. 


CHAPITRE  XIX  (Suite) 
CHAPITRE  XX.  . 
CHAPITRE  XXI.  . 
CHAPITRE  XXII.  . 
CHAPITRE  XXIII  . 
CHAPITRE  XXIV  . 


332 
337 
348 
358 
381 
400 


FIN  DE  L'EVANGILE  SELON  S.  LUC. 


Paris.  —  L.  Maretheux,  imprimeur,  1,  rue  Cassette. 


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